Prosper d'Aquitaine Contre Jean Cassien: Le Contra Collatorem, l'Appel a Rome Du Parti Augustinien Dans La Querelle Postpelagienne (Textes Et Etudes Du Moyen Age) (French Edition) 9782503584294, 2503584292


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Prosper d'Aquitaine Contre Jean Cassien: Le Contra Collatorem, l'Appel a Rome Du Parti Augustinien Dans La Querelle Postpelagienne (Textes Et Etudes Du Moyen Age) (French Edition)
 9782503584294, 2503584292

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Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales TEXTES ET ÉTUDES DU MOYEN ÂGE, 91

PROSPER D̓AQUITAINE CONTRE JEAN CASSIEN LE CONTRA COLLATOREM, L̓APPEL À ROME DU PARTI AUGUSTINIEN DANS LA QUERELLE POSTPÉLAGIENNE

V Premio Internacional de Tesis Doctorales Fundación Ana María Aldama Roy de Estudios Latinos

Jérémy DELMULLE

FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES INSTITUTS D’ÉTUDES MÉDIÉVALES

Présidents honoraires : L.E. BOYLE (†) (Biblioteca Apostolica Vaticana et Commissio Leonina, 1987-1999) L. HOLTZ (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, Paris, 1999-) Président : J. HAMESSE (Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve) Vice-Président : G. DINKOVA BRUUN (Pontifical Institute of Mediaeval Studies, Toronto) Membres du Comité : A. BAUMGARTEN (Universitatea Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca) P. CAÑIZARES FERRIZ (Universidad Complutense de Madrid) M. HOENEN (Universität Basel) M.J. MUÑOZ JIMÉNEZ (Universidad Complutense de Madrid) R.H. PICH (Pontificia Universidade Católica do Rio Grande do Sul, Porto Alegre) C. VIRCILLO-FRANKLIN (Columbia University, New York) Secrétaire : M. PAVÓN RAMÍREZ (Centro Superior Español de Estudios HistóricoEclesiásticos, Roma) Éditeur responsable : A. GÓMEZ RABAL (Institución Milá y Fontanals, CSIC, Barcelona) Coordinateur du Diplôme Européen d’Études Médiévales : G. SPINOSA (Università degli Studi di Cassino)

Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales TEXTES ET ÉTUDES DU MOYEN ÂGE, 91

PROSPER D̓AQUITAINE CONTRE JEAN CASSIEN LE CONTRA COLLATOREM, L̓APPEL À ROME DU PARTI AUGUSTINIEN DANS LA QUERELLE POSTPÉLAGIENNE

V Premio Internacional de Tesis Doctorales (2015) Fundación Ana María Aldama Roy de Estudios Latinos

Jérémy DELMULLE

Barcelona - Roma 2018

La edición de este libro ha contado con la financiación de la FUNDACIÓN ANA MARÍA ALDAMA ROY DE ESTUDIOS LATINOS, que tiene como fines la promoción y difusión de la investigación en Filología Latina, con especial atención al estudio del latín cristiano, medieval y renacentista, así como el fomento de los estudios latinos y la defensa y preservación del legado cultural latino y de la tradición clásica.

ANA MARÍA ALDAMA ROY se licenció en Filología Clásica en la Universidad de Barcelona, donde se doctoró en 1983. Fue profesora de Filología Latina de la Universidad de Zaragoza (19741982) y desde 1983 hasta 2009, año en que nos dejó, Profesora Titular de Filología Latina del Departamento de Filología Latina de la Universidad Complutense de Madrid. Sus principales líneas de investigación fueron el latín cristiano, el latín medieval, los florilegios latinos y los libros de emblemas.

ISBN: 978-2-503-58429-4 All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without the prior permission of the publisher. © 2018 Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales. Largo Giorgio Manganelli, 3 00142 Roma (Italia)

TABLE DES MATIÈRES

Remerciements Abréviations

IX XI

INTRODUCTION PROSPER D̓AQUITAINE, JEAN CASSIEN ET LE « SEMIPÉLAGIANISME » : STATVS QVAESTIONIS

XIII

I.

Plus d̓un siècle de recherche scientifique XVII 1. Remarques « préhistoriographiques » : Prosper, Cassien et le « semipélagianisme » à l̓Université au XIXe siècle XVII 2. Prosper, représentant de la littérature ecclésiastique de son temps : la thèse pionnière de Louis Valentin XXII 3. Les études prospériennes depuis Louis Valentin XXIV II. Le renouveau des études cassianiennes et prospériennes XXX 1. Réhabiliter Jean Cassien : pour une lecture critique des œuvres de Prosper XXX 2. Une remise en cause du « semipélagianisme » XXXIV III. Objet du présent livre XLIII CHAPITRE I ASCÉTISME ET « POSTPÉLAGIANISMES » DANS LA GAULE MÉRIDIONALE DU Ve SIÈCLE : LE CONTRA COLLATOREM ET LE CONTEXTE DE SA RÉDACTION I. Vingt ans de combat : pélagianisme et post-pélagianisme, d̓Augustin à Prosper 1. Le « pélagianisme », sa réfutation et sa condamnation (411-418) 2. Le pélagianisme après Pélage : Julien d̓Éclane et les autres partisans de Pélage (418-430) II. Une nouvelle controverse ? La doctrine augustinienne de la grâce contre l̓ascétisme provençal (426-430) 1. La vie monastique en Gaule du sud 2. La réception monastique d̓Augustin. I : Le précédent africain : Augustin et les moines d̓Hadrumète 3. La réception monastique d̓Augustin. II : Les foyers religieux de la Gaule méridionale

1 3 5 14 23 24 31 33

VI

TABLE DES MATIÈRES

III. Prosper d̓Aquitaine, « intrepidus amator gratiae » 1. Quelques éléments biographiques 2. L̓informateur devenu polémiste CHAPITRE II DATATION ET DESTINATION DU CONTRA COLLATOREM I. Pour une datation complexe du Contra collatorem 1. La datation admise : 432-433 2. Composition et publication : une rédaction en deux temps ? 3. De la Collatio XIII au Contra collatorem : les raisons stratégiques d̓une réponse tard venue II. Les destinataires 1. Le couple traditionnel : l̓adversaire hétérodoxe et le fidèle chrétien 2. Une tierce instance : le pontife romain CHAPITRE III LE CONTRA COLLATOREM ET LA COLLATIO XIII : PROSPER, PREMIER LECTEUR ET CRITIQUE DE JEAN CASSIEN I. Des Collationes au Contra collatorem : le travail préparatoire de Prosper 1. « Vir quidam sacerdotalis » : le choix de l̓adversaire 2. « In libro cuius praenotatio est... » : le choix de l̓œuvre 3. « Definitiones [...] reseremus » : le choix des passages II. Le « travail de la citation » : « paranoïa » et « hypocrisie » ? 1. Que citer ? 2. Comment citer ? III. Structure de l̓ouvrage 1. La composition d̓ensemble 2. Plan détaillé du traité 3. Remarques sur la structure IV. Prosper, exegète et censeur de Cassien 1. Un dialogisme apparent 2. Du commentaire exégétique au commentaire critique 3. Le Contra collatorem, un réquisitoire

36 37 40

47 47 47 53 57 65 66 74

83 84 86 92 104 109 110 117 122 122 124 135 136 138 144 152

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE IV PROSPER POLÉMISTE OU COMMENT RÉPLIQUER SANS ARGUMENTER I. Du refus de la dialectique à la propagande anticassianienne 1. Une argumentation biaisée : l̓« héréticisation » de l̓adversaire 2. Cassien contre Cassien : l̓argument logique 3. Désinformation et propagande II. Le priuilegium auctoritatum 1. La Bible, autorité suprême ? 2. Une « cosmographie » augustinienne et patristique ? 3. Papes et conciles : la voie du recours hiérarchique III. La place de l̓histoire dans la polémique 1. L̓histoire comme argument hérésiologique 2. De l̓argument historique à l̓histoire rêvée : le Contra collatorem dans l̓épopée antipélagienne de Prosper

VII

159 161 161 173 180 185 187 199 207 225 227 230

CHAPITRE V DÉFINIR L̓ORTHODOXIE : ÉLÉMENTS DE DOCTRINE DU CONTRA COLLATOREM I. La conception cassianienne de la grâce 1. La condition humaine et la grâce de Dieu dans la pensée de Cassien 2. La recherche d̓une uia media : grâce et libre arbitre chez Cassien 3. Deux modèles de salut : la théologie de la Collatio XIII II. Grâce et libre arbitre dans le Contra collatorem : l̓apport théologique de Prosper à la controverse postpélagienne 1. Préalables terminologiques 2. L̓initium fidei et bonae uoluntatis 3. Prédestination et volonté salvifique universelle

257 259 265 280

CONCLUSIONS

289

Références bibliographiques

299

Index des œuvres et des passages cités Index des noms de personnes bibliques, antiques et médiévaux Index des noms de personnes modernes et contemporains

359 369 373

239 242 243 247 252

REMERCIEMENTS

Cet ouvrage est la version légèrement remaniée d’une thèse de Doctorat ès Études latines soutenue à l’Université Paris-Sorbonne (ParisIV) en 2014. Il entend proposer une introduction au Contra collatorem de Prosper d’Aquitaine, dont on trouvera l’édition critique dans le volume LXVIII de la Series Latina du Corpus Christianorum. Il y a près de cent-vingt ans, au moment de mettre la dernière main à l’ouvrage qui devait devenir, pour longtemps, l’unique référence dans les études sur l’œuvre et la pensée de Prosper d’Aquitaine, le chanoine MarieJoseph Louis Valentin écrivait : Nous arrivons au terme d’une longue et difficultueuse traversée. En abordant, nous remercions encore une fois ceux qui nous ont aidé de leurs prières, de leurs conseils, de leurs critiques. Nous remercions saint Prosper lui-même. Après avoir été son historien, nous voudrions être son disciple et son imitateur1.

Sans aller jusqu’à faire entrer Prosper dans la liste de mes créanciers, je dois reconnaître une certaine proximité avec les sentiments qui animaient Louis Valentin. Ce m’est un plaisir, en effet, que de pouvoir, au terme de cette « longue et difficultueuse traversée », exprimer ma gratitude à toutes les personnes qui ont permis la réalisation d’un travail que l’on a trop souvent tendance à présenter uniquement comme un labeur solitaire. Mes plus vifs remerciements vont tout d’abord à mes deux directeurs de thèse, les Professeurs Vincent Zarini, qui a patiemment encadré le présent travail et a tant fait pour qu’il puisse être mené à son terme, et Paul Mattei, qui le premier m’a mis sur la « voie de la grâce » en me faisant découvrir les écrits et la pensée des augustiniens Prosper d’Aquitaine et Fulgence de Ruspe. Je suis également fort reconnaissant envers les autres membres de mon jury de soutenance, les Professeurs Anne-Marie Turcan-Verkerk, Michele Cutino et Augustine Casiday, pour toutes les remarques et tous les conseils dont ils ont fait bénéficier mon travail. 1

(M.-J.) L. VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine. Étude sur la littérature ecclésiastique au Ve siècle en Gaule, A. Picard et Fils – É. Privat, Paris – Toulouse 1900, p. 837.

X

REMERCIEMENTS

Plusieurs discussions, sur des aspects plus ponctuels, notamment avec John Chisholm, Alexander Hwang, Dominic Moreau et Mark Vessey, et de nombreuses conversations à l’occasion de colloques et de séminaires de recherche ont été particulièrement enrichissantes et stimulantes et m’ont permis d’explorer de nouvelles pistes et de proposer de nouvelles hypothèses. Durant la préparation de ma thèse de Doctorat comme dans les années qui ont suivi, j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler dans les différentes institutions qui m’ont successivement accueilli : l’Institut des Sources chrétiennes à Lyon et, à Paris, l’Institut d’Études augustiniennes et l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, plus tard la Faculté des Arts de la Katholieke Universiteit de Leuven. La fréquentation assidue (et peut-être insistante) de nombreux collègues, spécialistes de questions et de disciplines fort variées, m’a aussi permis d’étendre très largement les champs de recherche qui étaient les miens et de découvrir des domaines, pour moi d’abord inaccessibles, qui se sont révélés les plus riches de découvertes et les plus passionnants. Sans le soutien du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (UMR 8584) et de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (UPR 841), sans de multiples séjours de recherche dans diverses bibliothèques européennes, et en particulier à l’École française de Rome, sans l’aide nécessaire de tous les bibliothécaires qui ont toujours facilité mon travail, le présent ouvrage serait plus imparfait. À ma famille et à mes amis, à mes collègues, à Claudio Felisi surtout, je dois enfin dire combien leur patience, admirable, et leur soutien constant m’ont été indispensables pour mener à bien ce travail. J’ai une pensée toute particulière pour mes grands-parents, qui ont assisté aux débuts de mes recherches et qui auraient sans doute aimé en voir l’achèvement. Pour finir, je tiens à remercier chaleureusement les membres du jury du Premio Internacional de Tesis Doctorales de la Fundación Ana María Aldama Roy de m’avoir fait l’honneur de m’attribuer le Prix 2015, ainsi que la Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales d’accueillir dans sa collection « Textes et Études du Moyen Âge » une monographie consacrée à une œuvre bien peu médiévale, mais dont la fortune, du Ve siècle au XVe, ne s’est jamais démentie.

ABRÉVIATIONS

Collections d’éditions de textes et répertoires : ACO ACW BA CCCM CCSL CSEL CIL CUF J3

MGH. AA PG PL PS SC SCBO TU

Acta conciliorum oecumenicorum Ancient Christian Writers. The Works of the Fathers in Translation Bibliothèque augustinienne Corpus Christianorum, Continuatio mediaeualis Corpus Christianorum, Series Latina Corpus scriptorum ecclesiasticorum Latinorum Corpus inscriptionum Latinarum Collection des Universités de France Ph. JAFFÉ (†) – M. SCHÜTZ (éd.), Regesta pontificum Romanorum ab condita Ecclesia ad annum post Christum natum MCXCVIII, editionem tertiam emendatam et auctam iubente Academia Gottingensi, t. I : (A s. Petro ad a. DCIV), In aedibus Vandenhoeck et Ruprecht, Gottingae 20163 Monumenta Germaniae historica. Auctores antiquissimi Patrologia Græco-Latina Patrologia Latina Patristic Studies Sources chrétiennes Scriptorum Classicorum Bibliotheca Oxoniensis Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur

Pour faciliter la lecture, seuls ont été abrégés les titres des deux œuvres le plus souvent citées : coll.

Iohannis Cassiani Conlationes XXIIII. recensuit et commentario critico instruxit M. PETSCHENIG, Apud C. Geroldi filium bibliopolam Academiae, Vindobonae, 1886 (CSEL, 13) — Editio altera supplementis aucta curante G. KREUZ, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Wien 2004 (CSEL, 13)

ABRÉVIATIONS

XII

c. coll.

Prosperi Aquitani Opera, Pars I : Liber contra collatorem, cura et studio J. DELMULLE, Brepols, Turnhout 2019 (CCSL, 68)

N.B. : La numérotation des lettres de Prosper suit la nomenclature imposée par l’Index librorum scriptorum inscriptionum ex quibus exempla afferuntur du Thesaurus linguae Latinae, qui ne respecte pas ici l’ordre chronologique : l’epist. 1 désigne l’Epistula ad Augustinum, et l’epist. 2 l’Epistula ad Rufinum quemdam. Les textes des autres auteurs anciens et médiévaux sont cités d’après les éditions de référence signalées dans la bibliographie des sources, à la fin du volume (pp. 299-310).

INTRODUCTION PROSPER D’AQUITAINE, JEAN CASSIEN ET LE « SEMIPÉLAGIANISME » : STATVS QVAESTIONIS

Il n’aura pas fallu moins d’un millénaire et demi pour que Jean Cassien, considéré pourtant comme l’un des pères fondateurs ou précurseurs du cénobitisme occidental et comme le principal maître spirituel et ascétique de dizaines de générations de moines au Moyen Âge, soit officiellement reconnu comme saint et son culte, jusque-là resté local, étendu à l’Église universelle par son inscription dans le Martyrologium Romanum de 20042. On s’explique d’autant plus mal cet « oubli » que, dès le plus haut Moyen Âge, un siècle à peine après sa mort, Cassien figurait en très bonne place dans deux écrits appelés à régir fortement la vie monastique : la Règle de saint Benoît, d’une part, qui recommande explicitement la fréquentation des deux grands écrits du moine marseillais, les douze livres du De institutis coenobiorum et les vingt-quatre Collationes, qui sont même mis au nombre des « enseignements des saints Pères dont l’observation conduit l’homme jusqu’aux cimes de la perfection3 » ; les Institutiones de Cassiodore, d’autre 2 Martyrologium Romanum, ex decreto sacrosancti œcumenici Concilii Vaticani II instauratum auctoritate Ioannis Pauli PP. II promulgatum, ed. altera, Libreria editrice vaticana, Città del Vaticano 2004, p. 385. La question de la sainteté de Cassien et du culte (local) qui lui a été rendu dès le VIe siècle dans les environs de Marseille mériteraient une étude plus approfondie ; voir notamment O. CHADWICK, John Cassian, Cambridge University Press, Cambridge 1968, pp. 158-161. On connaît sa « réinvention » et son rattachement à l’histoire de l’abbaye de Saint-Victor, qui ne sont pas antérieurs au XIe siècle ; voir, pour les analyses les plus récentes, M. LAUWERS, « Cassien, le bienheureux Isarn et l’abbé Bernard. Un moment charnière dans l’édification de l’Église monastique provençale (1060-1080) », in M. FIXOT – J.-P. PELLETIER (éd.), Saint-Victor de Marseille. Études archéologiques et historiques. Actes du colloque Saint-Victor (Marseille, 18-20 novembre 2004), Brepols, Turnhout 2009 (Bibliothèque de l’Antiquité tardive, 13), pp. 213-238 (surtout pp. 222-227). 3 Benoît de Nursie, Regula monachorum, 73, 5-6 : « Necnon et Collationes Patrum et Instituta et Vitas eorum, sed et Regula sancti Patris nostri Basilii, quid aliud sunt nisi bene uiuentium et oboedientium monachorum instrumenta uirtutum ? » (éd. R. HANSLIK, CSEL, 75, Vindobonae 1960, p. 180 ; trad. A. de VOGÜÉ, SC, 182, Paris 1972, pp. 672673) ; cf. aussi Regula monachorum, 42 (ibid., pp. 584-585). Sur ces passages, on pourra se reporter à l’étude d’A. de VOGÜÉ, « Les mentions des œuvres de Cassien chez saint Benoît et ses contemporains », Studia monastica, 20/2 (1978) 275-285.

INTRODUCTION

XIV

part, dont l’auteur, qui partage l’avis de Benoît, conseille également à ses moines du Vivarium la lecture des écrits monastiques de Cassien, tout en ajoutant une légère restriction, très porteuse de sens : [Cassien], écrit-il, a cependant été accusé à juste titre par saint Prosper au sujet du libre arbitre. C’est pourquoi nous vous avertissons : puisqu’il est allé trop loin sur de telles questions, vous devez le lire avec précaution4.

On devine d’entrée que cet avertissement, qui devait être conforté, avant la fin du même VIe siècle, par l’inscription des écrits de Cassien parmi les apocrypha du Decretum pseudo-gélasien5, aura exercé une influence non négligeable sur les esprits des lecteurs médiévaux, que ce soit pour la composition ultérieure des bibliothèques médiévales ou pour l’établissement, en particulier, des programmes d’étude des moines6. La raison de cette « disgrâce » de Cassien, qui va de pair avec la propagation d’une suspicion certaine à l’égard de plusieurs de ses écrits, est à chercher, en réalité, dans la seule Conférence « Sur la protection de Dieu » (Collatio XIII), et surtout dans le jugement péremptoire et très négatif qu’a formulé à son propos l’un de ses tout premiers lecteurs, Prosper d’Aquitaine, qui a entrepris, dans un assez long Contra collatorem — écrit « contre un conférencier » — une attaque en règle de la Collatio XIII. 4

Cassiodore, Institutiones, 1, 29, 2 : « Qui tamen de libero arbitrio a beato Prospero iure culpatus est. Vnde monemus ut in rebus talibus excedentem sub cautela legere debeatis. » (éd. R.A.B. MYNORS, SCBO, Oxford 1937, p. 74). 5 Decretum pseudo-Gelasianum, 5, 7, 13 (éd. E. VON DOBSCHÜTZ, TU, 38/4, Leipzig 1912). Pour la datation de ce décret, G. BARDY, « Gélase (Décret de) », Dictionnaire de la Bible. Supplément, t. 3, Letouzey et Ané, Paris 1938, coll. 579-590 ; voir aussi désormais St. GIOANNI, « Les listes d’auteurs “à recevoir” et “à ne pas recevoir” dans la formation du canon patristique : le Decretum Gelasianum et les origines de la “censure” ecclésiastique », in Ph. DEPREUX – Fr. BOUGARD – R. LE JAN (dir.), Compétition et sacré au Haut Moyen Âge : entre médiation et exclusion, Brepols, Turnhout 2015 (Haut Moyen Âge, 21), pp. 17-38. 6 Voir à ce propos J. de GHELLINCK, « Diffusion, utilisation et transmission des écrits patristiques. Guides de lectures, bibliothèques et pages choisies », Gregorianum, 14/3 (1933) [356]-400. Au IXe siècle, l’abbaye de Murbach offre un exemple manifeste de l’utilisation bibliothéconomique des Institutiones comme liste de livres à rechercher : voir W. MILDE, Die Bibliothekskatalog des Klosters Murbach aus dem 9. Jahrhundert. Ausgabe und Untersuchungen zu Cassiodors „Institutionen“, C. Winter Universitätsverlag, Heidelberg 1968 (Beiheft zum Euphorion. Zeitschrift für Literaturgeschichte, 4).

INTRODUCTION

XV

Pour Prosper, disciple fervent d’Augustin, qui s’en est autoproclamé le défenseur dans la Gaule provençale des années 420-430, les discours tenus dans les cercles d’initiés autour des foyers monastiques de Marseille et des environs s’opposaient trop farouchement aux idées défendues par l’évêque d’Hippone pour être jugés recevables et ne pas risquer de faire tomber des auditeurs de plus en plus nombreux dans les pièges de l’hérésie. Une dizaine d’années seulement séparaient ce nouvel épisode des controverses sur la grâce de l’issue, heureuse pour l’Église africaine et romaine, de la controverse avec Pélage : plusieurs traités d’Augustin avaient alors réussi à faire admettre la conception d’une anthropologie théologique au sein de laquelle l’homme, tout en conservant une place à part entière, ne pouvait se passer de l’aide bienfaisante de Dieu. Face à l’affirmation augustinienne d’une grâce divine nécessaire et toute-puissante, et des incidences que ce rapport de l’homme à son salut implique sur la vie de chacun, plusieurs monastères provençaux, dont Jean Cassien est resté la figure la plus éminente, ont tenté de défendre une position modérée, cherchant à établir un équilibre entre ce qui, dans la recherche du salut, peut être du ressort de l’humain et ce qui n’appartient qu’à Dieu. C’est cette opinion, que la tradition protestante et catholique s’accordera à qualifier de « semipélagienne », que Prosper entreprend d’attaquer dans son traité, en fondant l’intégralité de son analyse et de sa réfutation des positions adverses sur le seul texte de la Collatio XIII de Jean Cassien. Or, il se trouve que, pour les raisons qu’on a indiquées en commençant, la réputation de Cassien, quoique passablement entachée, n’a pas dû subir un délaissement tel que ses œuvres n’aient plus été retranscrites7. Leur transmission, opérée indépendamment, offre donc à l’historien des textes et des idées un cas de figure idéal en lui donnant un accès direct à l’œuvre incriminée, dans sa cohérence et son contexte primitifs, sans que le filtre de l’œuvre polémique et le biais de simples excerptions viennent en fausser la lecture. 7

La pratique habituelle semble, en effet, avoir été de détruire les œuvres jugées erronées et donc inutiles, ne serait-ce que par le simple fait de ne plus les copier : voir les remarques de GHELLINCK, « Diffusion, utilisation et transmission », pp. 396-397. Sur la transmission textuelle des écrits hérétiques à la fin de l’Antiquité, pour laquelle on manque encore d’études d’ensemble, voir le récent article d’I. VAN RENSWOUDE, « The Censor’s Rod: Textual Criticism, Judgment, and Canon Formation in Late Antiquity and the Early Middle Ages », in M.J. TEEUWEN – I. VAN RENSWOUDE (éd.), The Annotated Book in the Early Middle Ages: Practices of Reading and Writing, Brepols, Turnhout 2017 (Utrecht Studies in Medieval Literacy, 38), pp. [555]-595.

INTRODUCTION

XVI

En disposant ainsi à la fois du texte source et de sa critique, on est en mesure de porter sur la controverse que ces deux œuvres ont faite émerger et sur les procédés de chacune des deux parties un regard plus critique et mieux instruit. Grâce à la vérification rendue possible par la survie de la Collatio XIII, on peut observer, à la simple lecture du Contra collatorem, le travail de l’hérésiologue en train de se faire, à chacune des étapes de son projet. Malgré les multiples intérêts qu’il présente, son ample diffusion et l’utilisation massive dont il a fait l’objet au cours des résurgences, à l’époque moderne, des querelles théologiques sur la grâce, le libre arbitre et la prédestination, le Contra collatorem n’a jamais véritablement été étudié pour lui-même. Pour parvenir à proposer du traité une lecture renouvelée, il fallait avant tout la faire reposer sur un texte critique sûr, qui permette d’appuyer une étude de son contenu et de son argumentation. La présente étude se veut donc le second volet d’une entreprise double, et complète l’édition critique du Liber contra collatorem parue simultanément8. D’autres l’ont déjà montré : l’influence du Contra collatorem sur la perception de Cassien et de sa pensée sur la grâce a été durable, et les « œillères augustiniennes » adoptées par Prosper dans sa lecture des Collationes se sont imposées, à travers les siècles, jusqu’aux controverses modernes, et même chez les critiques les plus récents9. Cette introduction n’est pas le lieu pour dresser un tableau, même partiel, de l’influence 8

Prosperi Aquitani Opera, Pars I : Liber contra collatorem, cura et studio J. DELMULLE, Brepols, Turnhout 2019 (CCSL, 68). 9 Plusieurs exemples en sont énumérés par A.M.C. CASIDAY, Tradition and Theology in St John Cassian, Oxford University Press, New York – Oxford 2007, « Introduction », pp. 6-10 et dans l’« Appendix I: Prosper’s Influence on Modern Scholarship », pp. 264-269. On pourrait ajouter aussi celui de Thomas Merton qui, quoique défenseur à tout prix de Cassien, n’en consacre pas moins quelques pages de ses conférences au « Cassian’s error » : voir Th. MERTON (†), Cassian and the Fathers: Initiation into the Monastic Tradition, éd. P.F. O’CONNELL, Cistercian Publications, Kalamazoo (MI) 2005 (Monastic Wisdom Series, 1), pp. 101-107 ; voir aussi P.F. O’CONNELL, « Introduction », ibid., pp. XV-LXVI (p. XXXIII et n. 35) et Cr. BĂDILIȚĂ, « Gratia Dei et libertas nostri arbitrii : Jean Cassien ou la revanche de l’ortho-doxie », in Cr. BĂDILIȚĂ (dir.), Patristique et œcuménisme. Thèmes, contextes, personnages. Colloque international sous le patronage de Mgr Teodosie Archevêque de Tomis, Constanţa (Roumanie) 17-20 octobre 2008, Beauchesne – Galaxia Gutenberg, [Paris] – Târgu Lăpuş 2010 (Pontus Euxinus), pp. [237]-262.

INTRODUCTION

XVII

durable du traité jusqu’aux débats modernes ; il faudrait, du reste, pour ce faire, faire remonter l’examen bien en amont, pour l’étudier sur le temps long et dans sa continuité, à travers tout le Moyen Âge10. Cette lecture orientée du débat — s’il est permis de parler de débat — qui a opposé Prosper à Cassien et ainsi jeté les bases de la controverse dite « semipélagienne » en disent plus long sur les observateurs que sur l’observé. Elle aurait dû disparaître avec les débuts de la philologie allemande et des études critiques qui s’en sont suivies. Mais parce que le texte ne pouvait pas encore être vu uniquement comme une source ou un objet d’étude décontextualisé, il en a d’abord été autrement. Avant d’en venir à l’étude proprement dite du Contra collatorem et de ses enjeux, il m’a paru utile de commencer par rassembler, sous la forme d’un status quaestionis, les éléments d’une historiographie de la controverse envisagée au prisme de l’opposition entre Prosper et Cassien.

I – PLUS D’UN SIÈCLE DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE 1. Remarques « préhistoriographiques » : Prosper, Cassien et le « semipélagianisme » à l’Université au XIXe siècle Pour bien appréhender sur quelles bases historiographiques s’est construite, durant les deux derniers siècles, la perception de l’œuvre et de la pensée de Prosper et de Cassien, il convient de replacer l’ensemble de la production académique qui, au XIXe siècle, a contribué à faire entrer l’œuvre de Prosper d’Aquitaine dans le domaine de l’université dans la pleine continuité des ouvrages polémiques qui se sont succédé depuis le premier tiers du XVIe siècle. Le tribut payé à ces prédécesseurs n’en est que plus flagrant. La question du « semipélagianisme » a d’abord donné lieu, à partir des années 1820, à plusieurs publications substantielles, mais — et il faut insister sur cette caractéristique — exclusivement au sein de facultés de théologie, et même de théologie protestante. Les premiers travaux émanent d’universités allemandes. En 1824 et 1825 paraissent à l’université de Rostock trois petites dissertations intitulées De 10

On trouvera rassemblées, dans les Conclusions, pp. 293-297, de premières pistes de recherche, qui mériteront d’être développées ultérieurement.

INTRODUCTION

XVIII

Joanne Cassiano Massiliensi qui semipelagianismi auctor vulgo perhibetur11, dues à un théologien évangélique, par ailleurs recteur de l’université, Gustav Friedrich Wiggers12. Mais son œuvre maîtresse, appelée à faire date, restera cependant son Versuch einer pragmatischen Darstellung des Augustinismus und Pelagianismus nach ihrer geschichtlichen Entwickelung, dont la publication, commencée en 1821, s’achèvera en 1833 par la parution d’un second tome consacré à l’histoire du semipélagianisme13. En 1826, c’est Joannes Geffcken, frais émoulu de l’université de Göttingen, docteur èslettres qui devait plus tard défendre une thèse de doctorat en théologie, puis exercer à Hambourg les fonctions de pasteur et de théologien14, qui publie une Historia Semipelagianismi antiquissima d’une cinquantaine de pages15, consistant essentiellement en une récolte des sources littéraires disponibles (de Cassien, Augustin et Prosper) présentées dans leur ordre chronologique, et dont l’examen lui permet de retracer les grands traits de la doctrine des semipélagiens, dont l’auctor pourrait bien être Cassien, et d’identifier ses disciples parmi plusieurs autres figures littéraires contemporaines16. On devine déjà, à la lecture du titre des deux derniers ouvrages, la volonté d’appliquer à la controverse un regard d’historien. 11

Sacra Jesu Christi natalitia pie celebranda indicit D. Gustavus Fridericus WIGGERS, Universitatis literariae Rostochiensis H. T. rector. In est : De Joanne Cassiano Massiliensi qui semipelagianismi auctor vulgo perhibetur commentatio prima, Literis Adlerianis, Rostochii MDCCCXXIV ; et ID., De Joanne Cassiano Massiliensi qui semipelagianismi auctor vulgo perhibetur commentatio secunda et tertia, Literis Adlerianis, Rostochii MDCCCXXV. 12 De Wiggers une notice biographique a été donnée par H. KLENZ, « Wiggers, Gustav (Adam) Friedrich », Allgemeine Deutsche Biographie, t. 42, Duncker und Humblot, Leipzig 1897, pp. 463-465. 13 Le second tome a pour titre : Versuch einer pragmatischen Darstellung des Semipelagianismus in seinem Kampfe gegen den Augustinismus bis zur zweiten Synode zu Orange, Bei Friedrich Perthes, Hamburg 1833. 14 G. BAADER, « Geffcken, Karl Heinrich Johannes », Neue Deutsche Biographie, t. 6, Duncker und Humblot, Berlin 1964, pp. 128-129. 15 J. GEFFCKEN, Historia Semipelagianismi antiquissima. Commentatio inauguralis quam auctoritate atque consensu amplissimi philosophorum ordinis pro summis in philosophia honoribus in se collatis, Vandenhoeck & Ruprecht, Gottingae 1826. 16 C’est ce qui occupe les chapitres de la seconde partie, qui passent en revue les hypothèses les plus plausibles qui ne sont pourtant confirmées positivement par aucune source. Sont pris en considération, dans une tentative de rattachement à la doctrine semipélagienne, les moines de Lérins, Hilaire d’Arles (à qui Johannes Geffcken attribue la paternité du Carmen de prouidentia), Eucher de Lyon et Vincent de Lérins.

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En France, la recherche dans le domaine adopte un angle quelque peu différent. Elle s’est incarnée, probablement sous l’impulsion d’un certain professeur de théologie, à la faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg, du temps du doyen Jean-Frédéric Bruch17. Une première thèse, soutenue en 1854, est consacrée à « Hilaire, compagnon de Prosper » (Sa vie et ses écrits)18, dans laquelle son auteur, Louis Salles, tente de dresser une biographie du correspondant gaulois d’Augustin qui s’était vu destiner avec Prosper le dernier traité de l’évêque d’Hippone, à partir des rares sources existantes19. Neuf ans plus tard, Joseph Lombard entreprend le même travail au sujet de Cassien (Jean Cassien. Sa vie, ses écrits, sa doctrine)20, mais sans donner à son étude l’ampleur qu’aurait réclamée son objet21. Tout au plus cette étude se distingue-t-elle de celle qui portait sur Hilaire, personnage pourtant des plus mineurs, par l’ajout d’une section consacrée à sa « doctrine » ; mais là encore apparaissent très nettement les intérêts des théologiens et de leurs étudiants : à en croire la dizaine de pages qui résument l’enseignement de Cassien, celui-ci ne se décline qu’autour de trois thèmes : « le péché originel », 17

Th. GÉROLD, La Faculté de théologie et le Séminaire protestant de Strasbourg (1803-1872). Une page de l’Histoire de l’Alsace, Imprimerie alsacienne – Istra, Strasbourg – Paris 1923 (Études d’histoire et de philosophie religieuses publiées par la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg, 7), pp. 211-212, présente le doyen, également pasteur et inspecteur ecclésiastique, comme le chef incontesté du clergé protestant d’Alsace ; après avoir enseigné notamment l’histoire du dogme, il avait commencé, à partir de 1848, un cycle consacré à l’histoire et à la théologie du protestantisme, à partir de ses textes fondateurs. 18 L. SALLES, Hilaire, compagnon de Prosper. Sa vie et ses écrits, Thèse présentée à la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg…, Imprimerie de Veuve BergerLevrault, Imprimeur de l’Académie, Strasbourg 1854. 19 S’il a raison de distinguer ce personnage d’Hilaire d’Arles (SALLES, Hilaire, compagnon de Prosper, p. 12), Louis Salles l’identifie, en revanche, à un autre correspondant d’Augustin (l’expéditeur de l’epist. 156 ; voir ibid., pp. 4-5), ce qui a donc pour effet de fausser toutes les conclusions biographiques qui en sont tirées dans le reste de la thèse. Sur l’Hilaire proche de Prosper, voir le chap. 1. 20 J. LOMBARD, Jean Cassien. Sa vie, ses écrits, sa doctrine, Thèse présentée à la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg…, Typographie de G. Silbermann, Place Saint-Thomas, Strasbourg 1863. 21 L’opuscule ne comporte que trente-et-une pages, quand le précédent en avait vingt-quatre.

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« le libre arbitre et la grâce » et « la prédestination »22. On n’a pas besoin de souligner combien une étude comme celle-là se focalise sur un aspect unique de l’œuvre et de la pensée de Cassien. Le but ultime n’est aucunement, en dépit du titre, de comprendre un auteur ou d’embrasser sa pensée, mais de s’inscrire dans un débat multiséculaire et toujours en cours, sans même prendre la peine de le signaler au lecteur. Loin de se signaler par une approche originale ou même d’envisager le problème dans un sens historique, l’opuscule de Joseph Lombard exprime une nouvelle fois les préoccupations des siècles précédents en cherchant à fournir une réponse à un problème théologique et en se transformant même, in fine, en une défense assumée de Cassien23. Mais s’il est un nom qui doive figurer en première place dans l’historiographie des controverses tardoantiques sur la grâce, c’est bien celui de Friedrich Johann Wörter. Lui est de confession catholique, prêtre et professeur de dogmatique et d’apologétique à l’université de Freiburg24. Son immense travail, mené tout au long de sa carrière durant près de cinquante ans, fait de lui le plus grand spécialiste de la question, qui a beaucoup influencé la recherche ultérieure25. Wörter a patiemment étudié, étape après étape, le développement des divers systèmes de pensée portant sur la question des rapports entre la grâce et le libre arbitre. Après s’être tout d’abord adonné, dès 1856, à l’étude de ces rapports tels qu’ils apparaissent 22

Tels sont les titres des trois seules parties du chapitre consacré à la doctrine (LOMBARD, Jean Cassien, pp. 21-31). 23 Le paragraphe conclusif de la thèse commence ainsi : « Soutenir, contrairement à Pélage, que la grâce nous est indispensable, mais, contrairement à saint Augustin, que nous sommes libres de l’accepter ou de la refuser, c’est défendre la bonne cause, la cause de la morale et de la religion, la cause de la vérité. » (LOMBARD, Jean Cassien, p. 30). 24 On dispose d’une succincte notice biographique dans la base Allgemeine Deutsche Biographie & Neue Deutsche Biographie (ADB-NDB), accessible sur le site : www.deutsche-biographie.de ; voir aussi M. BRANDL, Die deutschen katholischen Theologen der Neuzeit : Ein Repertorium, t. 3, W. Neugebauer, Salzburg 2006, p. 843. 25 Sa bibliographie a été rassemblée dans un fascicule nécrologique par E. RITZENTHALER, Gedächtnisrede auf Friedrich Johann Wörter, Freiburg 1902. La trop grande proximité des dates de publication fait que Louis Valentin n’a pas eu le temps, semble-t-il, de prendre connaissance (ou du moins d’avoir l’usage) des travaux de Friedrich Johann Wörter ; pour écrire l’histoire du « semipélagianisme », il reste tributaire de Gustav Friedrich Wiggers et de Johannes Geffcken (voir VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 77-93).

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dans le Nouveau Testament, puis chez les Pères grecs, il s’est intéressé au sort que leur avait réservé la patristique préaugustinienne26, puis a consacré un volume entier à la controverse pélagienne27. C’est tout naturellement que, déroulant le fil du temps, il s’est ensuite confronté au vaste domaine du « Semipelagianismus », encore à bien des égards terra incognita, qui l’occupera jusqu’à sa mort survenue en 1901. Paraît d’abord en 1867 le premier ouvrage qui soit entièrement dédié à l’étude de l’œuvre de Prosper d’Aquitaine : Prosper von Aquitanien über Gnade und Freiheit : Ein Beitrag zur Geschichte des Dogmas im 5. Jahrhundert, travail préparatoire qui sera intégré trente ans après dans de monumentaux Beiträge zur Dogmengeschichte des Semipelagianismus28. Dans la partie qui intéresse directement la première époque de la controverse — l’affrontement entre Cassien et Prosper29 —, l’auteur se concentre plus particulièrement sur la Collatio XIII et sa réfutation pour analyser très finement la méthode critique de Prosper30. Exception faite du dernier exemple, cette première époque de la recherche sur le semipélagianisme, et en particulier sur le rôle qu’y a joué Prosper d’Aquitaine, est essentiellement celle du rassemblement des sources et de leur première exploitation systématique. Si l’œuvre de Prosper a pu susciter l’intérêt des savants, ce n’est, comme à l’époque classique, que du point de vue de son contenu idéologique, ou à la rigueur 26

Les deux tomes de son premier ouvrage, Die christliche Lehre über das Verhältnis von Gnade und Freiheit, Herder, Freiburg 1856-1860, sont en effet consacrés, le premier au Nouveau Testament, le second aux Pères de l’Église avant saint Augustin. 27 Dans cet ouvrage publié en 1866, dont une seconde édition a paru en 1874, F.J. Wörter a envisagé la controverse plus précisément du point de vue de sa genèse, comme l’indique son titre : Der Pelagianismus nach seinem Ursprung und seiner Lehre : Ein Beitrag zur Geschichte des Dogmas von Gnade und Freiheit. 28 Le premier volume, qui paraît à Paderborn en 1898, est suivi d’un second, intitulé simplement Zur Dogmengeschichte des Semipelagianismus, imprimé à Münster en 1899 dans les « Kirchengeschichtliche Studien » (5/2), qui se subdivise en trois tomes, dédiés respectivement à la pensée du De uocatione omnium gentium, à celle de Fauste de Riez et à celle de Fulgence de Ruspe. 29 Il faut se reporter au premier volume, Beiträge zur Dogmengeschichte, qui, après avoir retracé le cadre historique ayant présidé à la genèse des revendications antiaugustiniennes, développe en deux parties égales l’enseignement (« Lehre ») de Cassien (pp. 31-79) et celui de Prosper (pp. 80-128). 30 Voir le chap. 4, pp. 161-184.

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pour sa valeur testimoniale, comme une source historique, mais toujours de l’histoire du dogme. Jusqu’alors, on n’a pas voulu lire autrement le Contra collatorem et les autres œuvres contemporaines de Prosper, si bien que ces écrits, n’ayant pas été considérés pour eux-mêmes ou envisagés sous leur aspect littéraire ou rhétorique, ont eu tendance à ne jamais attirer sur eux la moindre suspicion et leur contenu à être pris pour argent comptant.

2. Prosper, représentant de la littérature ecclésiastique de son temps : la thèse pionnière de Louis Valentin Strictement contemporaine des dernières productions de Friedrich Johann Wörter, la thèse de doctorat préparée à Toulouse et publiée en 1900 par le chanoine Marie-Joseph Louis Valentin, professeur de littérature grecque à l’Institut catholique de Toulouse depuis 1886 et futur doyen de la Faculté des Lettres, marque un véritable tournant dans l’étude de la vie et surtout de l’œuvre de Prosper d’Aquitaine31. Si l’« affaire semipélagienne » y jouit, bien évidemment, d’une large place, elle n’est cependant ni l’axe essentiel de son travail, ni le point de départ qui motiverait sa recherche. Quoique helléniste de formation et de profession, Louis Valentin s’est tôt intéressé à Prosper en particulier à son Carmen de ingratis (Peri akharistôn)32. Le titre choisi pour sa thèse — Saint Prosper d’Aquitaine. Étude sur la littérature ecclésiastique au Ve siècle en Gaule — montre assez que son auteur a, bien au contraire, voulu adopter un spectre très large afin d’embrasser dans son ensemble la vie, l’œuvre et la pensée de Prosper — visée généraliste qui s’accompagne toutefois d’un long travail analytique, donnant la matière de mainte étude de détail. Pareil travail suit ainsi, du 31

VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine. On trouvera divers renseignements biographiques dans les hommages qui lui ont été rendus à l’occasion de sa mort, en octobre 1919 : G. BRETON, « L’Église et les conditions nouvelles de la société », Bulletin de littérature ecclésiastique, 20 (1919) [243]-251 (pp. [243]-244) ; Anon. (« XXX. »), « M. le chanoine Valentin », Bulletin de littérature ecclésiastique, 21 (1920) [336]-339 ; voir aussi J. [CASTEL], « La vie de l’Institut il y a trente ans », Bulletin de littérature ecclésiastique, 22 (1921) [340]-355 (p. 343). 32 Il lui a fourni le sujet de sa thèse de Lettres — ce que rappelle L. COUTURE, « Saint Prosper d’Aquitaine », Bulletin de littérature ecclésiastique, 2 (1900) [269]282. Sur le titre de Peri akharistôn, préférable, selon moi, à Carmen de ingratis, voir le chap. 1, p. 43 et n. 145.

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reste, la conformation habituelle des thèses de doctorat de son temps, a fortiori celles qui sont consacrées à un auteur particulier jusqu’alors complètement délaissé et particulièrement méconnu33. C’est une toute nouvelle image de Prosper, fort complexe, qui émerge de ce travail considérable. Loin d’obtenir pour unique résultat la confirmation que l’Aquitain est, du point de vue de sa théologie, un « interprète adouci » d’Augustin34, Louis Valentin met en évidence l’extrême diversité de sa production, accordant une place de choix, notamment, à son travail de chronographe et à ses œuvres poétiques, dans le but de mesurer l’importance de son auteur dans le panorama culturel du Ve siècle. Le premier, Louis Valentin a tenté de se confronter au lourd problème de la pseudépigraphie, qui seule permettrait, en élargissant notre connaissance des écrits et de la pensée de Prosper, d’affiner le portrait que l’on se fait de lui35. Au regard de cette configuration générale de l’ouvrage, il est vrai que le Contra collatorem n’y occupe lui-même qu’une place fort restreinte. Louis Valentin le tient pourtant pour « le meilleur livre en prose que saint Prosper ait composé », et ajoute même : « il mériterait d’être plus connu36 ». Il ne le prend en considération pour lui-même que dans deux chapitres : la première fois dans une tentative de datation, qui permet de replacer chronologiquement sa composition par rapport à celle des autres œuvres de Prosper37 ; la seconde, plus substantielle, pour une analyse détaillée du contenu du traité et de ses 33

De fait, la bibliographie énumérée ci-dessus ne considérait pas Prosper comme objet d’étude particulier, hormis tout au plus quelques travaux, mais allemands. Parmi les thèses contemporaines de celle de Louis Valentin, on peut citer, traitant d’un auteur proche de Prosper, celle, légèrement postérieure, de L. BELLANGER, Étude sur le poème d’Orientius, A. Fontemoing – É. Privat, Paris – Toulouse 1902. 34 C’est pourtant ainsi que L. COUTURE, « Saint Prosper d’Aquitaine. II », Bulletin de littérature ecclésiastique, 3 (1901) [33]-43 (p. 43), résume les apports de la thèse de Louis Valentin, reprenant ses propos mêmes (VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 926 ; comparer aussi ibid., p. 378). On aura l’occasion de faire l’examen plus approfondi des points de contact et des écarts entre la doctrine proprement augustinienne et celle que défend Prosper au cours de sa carrière ; voir le chap. 5, pp. 257-288. 35 VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, consacre en effet toute sa cinquième partie (pp. [651]-837) à l’étude des œuvres pseudépigraphes, pour déterminer s’il est possible ou non de leur conserver la paternité prospérienne. 36 VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 318. 37 Dans le chap. 2 de la première partie (VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 187-189) ; sur les questions de datation, voir infra, le chap. 2, pp. [47]-65.

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tenants et aboutissants38. « Ouvrage de controverse » s’il en est, le Contra collatorem reçoit toutes les louanges de Louis Valentin. Il ressort de l’analyse qui en est proposée que le Contra collatorem était la réponse attendue à l’affront que constituait la publication de la Collatio XIII ; sa méthode d’argumentation se distingue par son souci de « tradui[re] Cassien devant le double tribunal de l’Écriture et de l’Église » ; si des doutes ont pu être émis, par le passé, sur la bonne foi de Prosper ou sur quelque inexactitude patente de son traité, Louis Valentin trouve pour chacun d’entre eux une explication qui permette d’exonérer Prosper39. « Cette réfutation est solide, conclut-il. Un catholique ne peut la repousser sans cesser d’être catholique40. » Il est clair qu’on ne peut, en définitive, que répéter ce que la recherche s’accorde à dire depuis plus d’un siècle et la recension quasi immédiate de Léonce Couture, qui n’est en fait qu’un simple résumé avec l’ajout préalable d’un complément bibliographique41. Même si, pour Léonce Couture, l’étude de Louis Valentin « n’a pas pleinement résolu tous les problèmes soulevés par le sujet42 », elle est digne de nombreux éloges, pour son caractère souvent pionnier et la vision d’ensemble qu’elle a donnée de la matière prospérienne. Mais on a vu également, à partir du seul examen de ce qui a trait au Contra collatorem, qu’elle n’est pas toujours sans parti pris et qu’elle peut sembler parfois servir des visées apologétiques43…

3. Les études prospériennes depuis Louis Valentin De nos jours, on ne pourrait plus dire de Prosper : « Cet écrivain, presque inconnu aujourd’hui, a été longtemps célèbre44. » Depuis le temps 38 Il s’agit, dans la deuxième partie, du chap. 3 (VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 311-319). 39 Voir en particulier VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 316-318. 40 VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 316. 41 COUTURE, « Saint Prosper d’Aquitaine » et « Saint Prosper d’Aquitaine. II ». 42 COUTURE, « Saint Prosper d’Aquitaine. II », p. 49. 43 Ce à quoi fait écho le compte rendu rédigé par L. LEVILLAIN, Le Moyen Âge, 14 (1901) [113]-120 : « M. V[alentin] a fait de Prosper un portrait flatté sur quelques points […], il a défendu Prosper alors que celui-ci n’était pas défendable ; c’est un travers que les meilleurs esprits n’évitent pas : l’homme dont on étudie la vie et les œuvres devient presque un ami et la critique le cède parfois à l’amitié » (p. 120). 44 VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, « Excursus n° 1 », p. 839.

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de Louis Valentin, et premièrement grâce à lui, beaucoup d’avancées ont été faites dans notre connaissance de la vie, de l’œuvre et des idées de Prosper. Toutes les publications parues depuis n’ont fait généralement que suivre des pistes que Valentin avait indiquées, chercher à confirmer ou discréditer ses intuitions, bref se sont toujours placées par rapport à lui, acceptant le plus souvent ses conclusions dans leur globalité et ne discutant que de menus détails. À ne considérer que les principaux travaux — du moins les plus décisifs45 —, on observe que l’héritage de Louis Valentin a dû être triple. Le Saint Prosper de 1900 a renforcé encore l’importance documentaire des œuvres de Prosper pour qui entreprendrait une histoire des controverses tardoantiques sur la grâce ; il a fortement conditionné la recherche ultérieure en focalisant toute son attention sur les rapports qu’il faut établir entre la doctrine d’Augustin et celle de Prosper, qui s’en serait progressivement éloignée en s’autonomisant ; il a enfin posé, pour ce qui regarde l’œuvre de Prosper, d’importants jalons pour la critique d’authenticité46. Quelques années à peine après la publication de la thèse de Louis Valentin, le Dominicain Alcide Mannès Jacquin, fort des conclusions de son prédécesseur, les développe et précise le portrait théologique de Prosper en distinguant dans son œuvre deux périodes successives : d’abord interprète très fidèle de son maître, Prosper se serait, peu après la rédaction du Contra collatorem, éloigné de la doctrine d’Augustin concernant le sujet précis de la prédestination47. 45

On trouvera une bibliographie prétendûment exhaustive (avec mise à jour) des travaux relatifs à ses œuvres ou à sa pensée sur le site Bibliographia Prosperiana: A Report of More Than A Century of Scholarly Research (1900-2013), 2013- [en ligne : www.bibliographiaprosperiana.wordpress.com]. Un premier bilan de la littérature relative à Prosper depuis 1900 a été dressé en 2009 par A.Y. HWANG, Intrepid Lover of Perfect Grace: The Life and Thought of Prosper of Aquitaine, The Catholic University of America Press, Washington 2009, pp. 29-36. 46 Il va sans dire qu’avec les progrès de la philologie réalisés au XXe siècle, plusieurs des conclusions de Louis Valentin sont désormais caduques. Pour un bilan bibliographique, voir J. DELMULLE, « Establishing an Authentic List of Prosper’s Works », in M. VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 69 : Papers presented at the Sixteenth International Conference on Patristic Studies held in Oxford 2011, vol. 17 : Latin Writers, Nachleben, Peeters, Leuven – Paris – Walpole (MA) 2013, pp. [213]-232. 47 A. M. JACQUIN, « La question de la prédestination aux Ve et VIe siècles – Saint Augustin », Revue d’histoire ecclésiastique, 5 (1904) [265]-283 et [725]-754, et « La question de la prédestination aux Ve et VIe siècles – S. Prosper d’Aquitaine – Vincent de

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Mais c’est Dom Maïeul Cappuyns qui, à partir des années 1920, grâce à son regard de médiéviste et d’historien des textes, a le plus fait progresser notre connaissance de l’œuvre de Prosper en publiant trois importantes études de critique d’authenticité et d’attribution48. Mais l’article qui aura fait date est surtout sa synthèse de 1929 (« Le premier représentant de l’augustinisme médiéval, Prosper d’Aquitaine »), dans laquelle le Bénédictin réussit à replacer la figure de Prosper dans une chronologie longue, pour en faire non plus seulement le disciple d’Augustin, mais son adaptateur et, en quelque sorte, l’intermédiaire qui aura donné naissance à une systématisation de la pensée du maître49. Il y reprend l’examen du P. Jacquin pour l’affiner à son tour et proposer de voir dans la vie de Prosper trois périodes, cette tripartition permettant, selon lui, de rendre mieux compte du statut du Contra collatorem, précisément, qui accuserait de premiers écarts vis-à-vis de la voie augustinienne en faisant quelques concessions aux arguments des adversaires50. Suivi par plusieurs, dont Aimé Solignac51, il fait, aujourd’hui encore, le plus souvent l’unanimité52. Lérins – Cassien », Revue d’histoire ecclésiastique, 7 (1906) [269]-300 (en particulier p. 299). Un exposé plus complet en sera donné dans le chap. 5, pp. 280-288. 48 M. CAPPUYNS, « L’auteur du “De Vocatione omnium gentium” », Revue bénédictine, 39/3-4 (1927) 198-226 ; ID., « L’origine des Capitula pseudo-célestiniens contre le semipélagianisme », Revue bénédictine, 41 (1929) 156-170 ; ID., « L’origine des “Capitula” d’Orange », Recherches de théologie ancienne et médiévale, 6 (1934) [121]-142. 49 M. CAPPUYNS, « Le premier représentant de l’augustinisme médiéval, Prosper d’Aquitaine », Recherches de théologie ancienne et médiévale, 1 (1929) 309-337. Le rôle crucial de Prosper dans la formation de ce que l’on a appelé l’augustinisme peut s’exprimer comme suit, selon l’auteur : « Son œuvre principale fut une œuvre de discrimination. Il a été l’instrument du premier et du plus important triage que l’Église ait pratiqué dans l’héritage augustinien » (ibid., p. 336). 50 CAPPUYNS, « Le premier représentant », p. 336. Pour un examen plus approfondi de cette question, relativement au Contra collatorem, voir le chap. 5, pp. 257-286. 51 A. SOLIGNAC, « Prosper d’Aquitaine », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, t. 12/2, Beauchesne, Paris 1986, coll. 2446-2456 (coll. 2448-2453), qui fournit une mise à jour extrêmement informée et très précieuse. 52 Cette tripartition, également adoptée par A.-G. HAMMAN, « Prospero di Aquitania », in A. DI BERARDINO (éd.), Patrologia, vol. 3 : Dal Concilio di Nicea (325) al Concilio di Calcedonia (451). I Padri latini, Marietti, Torino 1978, pp. 522527 (pp. 526-527), est en revanche refusée par S. TARANTO, « Giovanni Cassiano e Agostino : la dottrina della grazia », in Cr. BĂDILIȚĂ – A. JAKAB (éd.), Jean Cassien entre l’Orient et l’Occident. Actes du Colloque international organisé par le New

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C’est encore la seule question de la grâce et du libre arbitre dans la pensée de Prosper, vue sous l’angle de ses rapports (et surtout de ses apports) à la doctrine d’Augustin, qui a occupé, au Québec, les recherches doctorales de Lionel Pelland, auteur, en 1936, d’une synthèse commode sur la doctrina de Prosper53. L’étude de la pensée de Prosper sur la grâce dans les ouvrages authentiques, puis dans les spuria, conduit l’auteur à vérifier la solidité de la tripartition proposée par Maïeul Cappuyns54. Plus décisifs pour la vivacité des recherches en la matière sont deux articles publiés au tournant des années 1960. Georges de Plinval, d’abord, dans un exposé sur Prosper vu comme « interprète de saint Augustin », a voulu affirmer plusieurs désaccords avec la présentation de Maïeul Cappuyns, tout en en acceptant, en définitive, les conclusions principales55. Sans doute trop bienveillant à l’égard de l’auteur qu’il étudie, il défend continûment sa sincérité et le bien-fondé de ses attaques. À propos, plus précisément, de son altercation avec Cassien, Georges de Plinval explique l’attitude de Prosper en la résumant d’un mot : « Il a choisi l’intégrisme56. » Rudolf Lorenz, en revanche, traitant la même question quelque temps après, continue à affirmer que Prosper n’avait en rien dévié des conceptions augustiniennes57. Mais son étude de l’augustinisme de Prosper, pour sa période romaine, se fait au seul prisme du Liber sententiarum, peutêtre l’une des œuvres les moins susceptibles, par sa nature et ses enjeux Europe College en collaboration avec la Ludwig Boltzmann Gesellschaft (Bucarest, 27-28 septembre 2001), Beauchesne – Polirom, Paris – Iaşi 2003, pp. 65-132 (pp. 9697, n. 82). 53 L. PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina de praedestinatione et voluntate Dei salvifica. De ejus in Augustinismum influxu, Ex typis Collegii Maximi Immaculatae Conceptionis in urbe Marianopolitana, Montréal 1936 (Studia Collegii Maximi Immaculatae Conceptionis). 54 Voir plus particulièrement, la « Conclusio » de PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina, pp. [183]-188 (pp. [183]-186) ; « tres epochae in vita Prosperi » (ibid., p. 193). 55 G. de PLINVAL, « Prosper d’Aquitaine interprète de saint Augustin », Recherches augustiniennes, 1 (1958) 339-355 ; « article déconcertant » qui montre l’incompétence et l’ignorance de son auteur, selon l’avis de M. CAPPUYNS, [c. r. de l’article précédent], Bulletin de théologie ancienne et médiévale, 8 (1958) 199. 56 PLINVAL, « Prosper d’Aquitaine interprète », p. 348. 57 R. LORENZ, « Der Augustinismus Prospers von Aquitanien », Zeitschrift für Kirchengeschichte, 73 (1962) 217-252.

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tout différents, de trahir à coup sûr la pensée personnelle de l’auteur58. Insuffisante, la position de Rudolf Lorenz ne saurait désormais l’emporter, ne serait-ce que du fait de la restitution à Prosper de son De uocatione omnium gentium, qui présente une configuration diamétralement opposée59. Ce panorama serait incomplet si l’on ne mentionnait pas, pour finir, la façon dont la thèse pionnière de Louis Valentin a déterminé également jusqu’aux plus récentes synthèses consacrées à Prosper. La monographie d’Arturo Elberti, publiée en 1999, avertit par son titre même — Prospero d’Aquitania. Teologo e discepolo — qu’elle ne pose pas à l’œuvre de Prosper d’autres questions que celles de son principal prédécesseur et qu’elle se place indiscutablement dans son sillage60. Ne se voulant pourtant pas une synthèse à proprement parler, ni une réelle mise à jour du livre de Louis Valentin, l’étude d’Arturo Elberti vise surtout à faire état de quelques développements, d’où son aspect assez composite. Il s’agit avant tout, en proportion, d’une étude du De uocatione omnium gentium et de son attribution à Prosper, qui amène finalement à un réexamen de la « période romaine », à travers les rapports de Prosper avec Léon le Grand61. Tout bien pesé, même l’étude consacrée dernièrement par Alexander Yoon Hwang à la vie de Prosper et à sa pensée62, dont on a pu signaler le 58

De justes réserves sont, d’ailleurs, exprimées à cet égard par SOLIGNAC, « Prosper d’Aquitaine », col. 2453. 59 Pour la restitution définitive du De uocatione omnium gentium à Prosper, voir R.J. TESKE, « Question of Authorship », in R.J. TESKE – D. WEBER, « Introduction », in Prosper, De vocatione omnium gentium, éd. R.J. TESKE – D. WEBER, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Wien 2009 (CSEL, 97), pp. 23-33, qui rappelle l’ensemble du status quaestionis. 60 A. ELBERTI, Prospero d’Aquitania. Teologo e discepolo, Ed. Dehoniane, Roma 1999 (I padri della chiesa). Il est significatif, par exemple, qu’après les différents chapitres introductifs, le chap. 5 de la première partie soit consacré à « L’amicizia e l’influsso di Agostino su Prospero » (pp. [55]-61). 61 Voir les deuxième et troisième parties : ELBERTI, Prospero d’Aquitania, pp. [75]252. Les relations entre Prosper et Léon ont, depuis, été réévaluées : pour un dernier état de la question, on se reportera à N.W. JAMES, « Prosper of Aquitaine Revisited: Gallic Friend of Leo I or Resident Papal Adviser?», in VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 69, pp. [267]-275, et M.R. SALZMAN, « Reconsidering A Relationship: Pope Leo of Rome and Prosper of Aquitaine », in G.D. DUNN (éd.), The Bishop of Rome in Late Antiquity, Ashgate, Burlington 2015, pp. [109]-125. 62 HWANG, Intrepid Lover. C’est la version remaniée de sa thèse de doctorat, soutenue en 2006 : Prosper of Aquitaine: A Study of His Life and Works, New York, Fordham University. Voir aussi la synthèse publiée concomitamment :

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caractère novateur63, n’échappe pas à la règle. Elle a le mérite de replacer Prosper non plus uniquement dans une comparaison, définie a priori, avec Augustin, mais selon une chronologie plus large, qui permet de trouver dans sa carrière et dans l’évolution de sa pensée une autre cohérence, qui ferait de l’Aquitain le défenseur constant de l’Église catholique plutôt que le partisan émancipé d’Augustin. Seulement, c’est encore entrevoir l’ensemble d’une carrière à l’aune unique de l’évolution intellectuelle supposée d’un disciple devenu lui-même théologien en propre et ayant défendu une doctrine personnelle, qu’il s’agit d’évaluer par rapport au modèle augustinien. Un dernier aspect de la recherche prospérienne, qui concerne presque exclusivement le Contra collatorem, est l’intérêt suscité par Prosper chez les historiens de l’Irlande chrétienne, notre auteur offrant, par exemple, le plus ancien témoignage contemporain relatif à la christianisation des Îles anglo-saxonnes et à l’action de l’évêque Palladius64. Malgré les nouvelles approches suscitées par la tentative d’embrassement global de Louis Valentin, l’intérêt de la recherche pour Prosper et son œuvre s’est longtemps cantonné dans une sphère purement augustinisante. Prosper apparaît, en effet, avant tout comme une voie d’accès à Augustin (par le biais d’une certaine vulgarisation de la doctrine du maître), puis comme son défenseur face aux relents d’hétérodoxie, enfin comme un théologien proprement dit, qui s’est progressivement construit sa propre doctrine. Or, cet « augustinocentrisme », sans doute tacitement imposé par une longue tradition historiographique et théologique, ID., « A Reinterpretation of Prosper of Aquitaine’s Theological Development », in J. BAUN – A. CAMERON – M. EDWARDS – M. VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 49 : Papers presented at the Fifteenth International Conference on Patristics Studies held in Oxford 2007. St. Augustine and his Opponents, Peeters, Leuven – Paris – Walpole (MA) 2010, pp. [353]-367. 63 Voir en particulier les comptes rendus d’A. DUPONT, in Ephemerides theologicae Lovanienses, 85/4 (2009) 540-543, et de D.G. VAN SLYKE, [compte rendu de HWANG, Intrepid Lover], in Journal of Early Christian Studies, 18/2 (2010) [327]-328. 64 Pour un premier aperçu bibliographique, relatif à la datation du Contra collatorem, se reporter au chap. 2, pp. [47]-48, n. 1. Sur le témoignage de Prosper au sujet de Palladius, voir aussi Th.M. CHARLES-EDWARDS, Early Christian Ireland, Cambridge University Press, Cambridge – New York (NY) – Melbourne 2000, pp. 207214 ; ID., « Palladius, Prosper, and Leo the Great: Mission and primatial authority », in D.N. DUMVILLE (éd.), Saint Patrick, A.D. 493-1193, The Boydell Press, Woodbridge 1993 (Studies in Celtic History, 13), pp. 1-12.

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rapproche en définitive les travaux de nos plus grands savants de ceux des plus illustres parmi leurs prédécesseurs : ces trois facettes de la figure de Prosper sont celles qui caractérisaient déjà l’utilisation que faisaient de son œuvre les polémistes carolingiens impliqués dans la controverse sur la prédestination65. II – LE RENOUVEAU DES ÉTUDES CASSIANIENNES ET PROSPÉRIENNES Depuis plusieurs décennies déjà, la recherche académique a pourtant réussi, petit à petit, à se départir de l’influence de cette lecture guidée par des impératifs idéologiques. En sortant des sentiers purement doctrinaux, la pensée de Prosper a pu jouir d’un nouvel éclairage et apparaître sous des jours plus variés. Pour cela il a fallu, semble-t-il, que l’impulsion vînt des études cassianiennes, et plus précisément des tentatives, d’inspiration anglosaxonne, de réhabilitation de l’œuvre et de la pensée de Jean Cassien66.

1. Réhabiliter Jean Cassien : pour une lecture critique des œuvres de Prosper C’est dans l’abondante bibliographie cassianienne67 qu’il convient en effet de chercher les premiers éléments d’une récriture du « semipélagianisme ». Celle-ci n’a été rendue possible que par la prise de distance progressive, récemment réalisée, par rapport à la vision monolithique qu’en donnait Prosper dans son Contra collatorem et qui 65 Elles sont ainsi systématisées par Br. MATZ – M. BENSON – L. CONNORS – P. EREKSON – Sl. HALLEY – D.Chr. WALKER, « Legacy of Prosper of Aquitaine in the Ninth-Century Predestination Debate », in VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 69, pp. [283]-288. 66 On retiendra, parmi d’autres, les remarques de R.Fl. REA, Grace and Free Will in John Cassian, A Dissertation Presented to the Faculty of the Graduate School of Saint Louis University in Partial Fulfillment of the Requirements for the Degree of Doctor of Philosophy, [s.l.] 1990, p. 1. 67 Il existe déjà, au sujet de Cassien, deux recensements bibliographiques qui ont esquissé les grandes lignes des études cassianiennes du dernier siècle : C. STEWART, Cassian the Monk, Oxford University Press, New York – Oxford 1998 (Oxford Studies in Historical Theology), pp. 240-260, complété par R. ALCIATI, « Quarant’anni di studi cassianei (1968-2008) », Rivista di storia del cristianesimo, 7/1 (2010) 229-248.

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a réussi à duper la critique, même la plus érudite et jusqu’à la moins prévenue contre Cassien68. Parce que le débat en question constitue l’un des très rares cas, dans la littérature de polémique antihérétique, où le texte incriminé ne nous est pas connu seulement par des extraits qu’en donnerait son détracteur, mais nous est parvenu indépendamment, la confrontation directe des allégations du Contra collatorem avec le texte même de l’œuvre sur laquelle il fonde sa critique fournit le plus sûr moyen de vérifier le degré de véracité des principales sources littéraires de la controverse69. Cassien, vrai théologien On s’est fort peu, ou très tardivement, intéressé au Cassien théologien. La nature de ses deux principales œuvres, avant tout des traités de morale chrétienne et d’ascèse monastique, a contribué à occulter une part non négligeable de son activité, et l’on a relégué à un second plan le traité qui avait eu, par nécessité, la moins grande fortune, à savoir les sept livres du De Incarnatione Domini composé contre Nestorius70. À la difficulté intrinsèque de l’œuvre est, de fait, venu s’ajouter un regain d’estime à l’égard du personnage de Nestorius, qui n’a pas incité à sortir ce traité de son état de délaissement71. On doit aux divers travaux d’Augustine M.C. Casiday d’avoir, pour la première fois, entrepris de déconstruire pas à pas nombre d’idées reçues au sujet de Cassien et d’avoir fait apparaître, par la prise en considération de l’ensemble de son œuvre, une figure à la fois plus cohérente et plus complexe72. 68

Voir les références données supra, p. XVI, n. 9. Voir là-dessus le chap. 3, pp. 109-121. 70 C’est ce que reflète encore, par exemple, un titre comme celui de M.-A. VANNIER, « Jean Cassien a-t-il fait œuvre de théologien dans le “De Incarnatione Domini” ? », Revue des sciences religieuses, 66/1-2 (1992) [119]-131, question à laquelle l’auteur répond d’ailleurs par la négative. Mais elle fait figure d’exception dans le panorama bibliographique récent : voir CASIDAY, Tradition and Theology, p. 14. 71 La thèse qu’a consacrée à ce traité Ch. BRAND, Le De incarnatione Domini de Jean Cassien. Contribution à l’étude de la christologie en Occident à la veille du concile d’Ephèse, Thèse de doctorat, Strasbourg 1954, est restée inédite. On possède désormais plusieurs études relatives au De Incarnatione Domini dans D. FAIRBAIRN, Grace and Christology in the Early Church, Oxford University Press, Oxford 2003 (Oxford Early Christian Studies), pp. [169]-199, et CASIDAY, Tradition and Theology, chap. 5 : « ‘Into the Holy of Holies’: Cassian’s Christology », pp. [215]-258. 72 On se reportera principalement à sa monographie, déjà signalée, Tradition and Theology, mais qui a été préparée par plusieurs articles, parmi lesquels il 69

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Les différentes études consacrées à Cassien depuis le milieu du XXe siècle, depuis l’ouvrage majeur d’Owen Chadwick73, ont tendu, en effet, à mettre en lumière, à travers ses écrits, l’activité intellectuelle d’un « théologien monastique » d’importance, que les circonstances ont placé au carrefour de multiples traditions74. Elles l’ont ainsi défini comme un relais entre l’Orient, où il avait reçu sa formation spirituelle et ascétique, et l’Occident, où il a apporté une forme nouvelle de monachisme, appelé à se développer considérablement75. Tenu avant tout pour un modèle spirituel, Cassien doit sa réputation théologique à sa théorisation de l’ascèse comme étant la conjugaison de la vie active et de la vie contemplative76. Mais dans ses traités d’édification monastique comme dans son ouvrage de polémique antihérétique, c’est un projet unique qui semble affleurer, les deux pans de sa production littéraire, qu’on avait coutume d’opposer l’un à l’autre, donnant en fait les contours d’un « programme théologique christocentré77 ». En cela, faut mentionner « Cassian, Augustine, and De Incarnatione », in M.F. WILES – E.J. YARNOLD (éd.), Studia Patristica, vol. 38 : Papers presented at the Thirteenth International Conference on Patristic Studies held in Oxford 1999. St Augustine and his Opponents, collab. P.M. PARVIS, Peeters, Leuven 2001, pp. 41-47, « Deification in Origen, Evagrius and Cassian », in L. PERRONE (éd.), Origeniana octava. Origen and the Alexandrian Tradition: Papers of the 8th International Origen Congress (Pisa, 27-31 August 2001), collab. P. BERNARDINO – D. MARCHINI, Leuven University Press – Peeters, Leuven 2003 (Bibliotheca ephemeridum theologicarum Lovaniensium, 164), pp. 995-1001, « Cassian Against Pelagianism », Studia monastica, 46 (2004) 1-27, et « Rehabilitating John Cassian: An Evaluation of Prosper of Aquitaine’s Polemic against the “Semipelagians” », Scottish Journal of Theology, 58/3 (2005) 270-284. 73 CHADWICK, John Cassian (seconde édition, de 1968, que l’on citera de préférence à la première, John Cassian: A Study in Primitive Monasticism, parue en 1950, pour les mises à jour que son auteur y a apportées). 74 L’expression est de CASIDAY, Tradition and Theology, pp. 4 et 11. 75 Cet aspect a été particulièrement développé lors du colloque « Jean Cassien entre l’Orient et l’Occident » de 2001, dont les actes ont paru sous le même titre ; voir plus précisément Cr. BĂDILIȚĂ, « Introduction », pp. [VII]-XIII, qui présente Cassien comme « le symbole même de l’Europe chrétienne » (p. VII). 76 Outre H.-O. WEBER, Die Stellung des Johannes Cassianus zur ausserpachomianischen Mönchstradition, Aschendorffsche Verlags-buchhandlung, Münster – Westfalen 1961 (Beiträge zur Geschichte des alten Mönchtums und des Benediktinerordens, 24), voir la synthèse de STEWART, Cassian the Monk, au chap. 3 « Cassian the Theologian », pp. [40]-61. 77 J’emprunte ces mots à CASIDAY, Tradition and Theology, pp. 12-13. Pour une étude de la christologie étendue à l’ensemble de l’œuvre de Cassien, et non uniquement

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les développements purement intellectuels du De Incarnatione Domini aideraient à comprendre les soubassements sous-tendant la morale pratique qui conduit le mode de vie proposé aux moines. Sa doctrine de la grâce à l’épreuve de l’orthodoxie On n’a plus hésité, dès lors, à relire d’un autre œil les autres parties de l’œuvre de Cassien pour y rechercher la patte du théologien et d’éventuelles influences qu’une lecture trop augustinocentrée aurait oblitérées. Ainsi la conception davantage « coopérative78 » des rapports unissant la grâce et le libre arbitre, dont Cassien se fait l’écho dans les Collationes, une fois rapprochée des conceptions respectives d’un Jean Chrysostome ou d’un Évagre, apparaît moins comme une innovation opposée à la pensée d’Augustin que comme, plutôt, un développement enraciné dans une tradition orientale79. Omettre d’associer Cassien à la condamnation du nestorianisme qu’allait amener le concile d’Éphèse, c’était également oublier qu’avec Nestorius Cassien s’en prenait à Pélage et s’alignait ainsi sur les positions d’un Augustin80. De là est donc venue l’idée que peut-être les dissensions dans le De Incarnatione Domini, voir déjà V. CODINA, El aspecto cristológico en la espiritualidad de Juan Casiano, Roma 1966 (Orientalia Christiana analecta, 175). 78 Elle sera abondamment illustrée dans le chap. 5, pp. 252-257. 79 Cette filiation, qu’avait déjà mise en lumière l’étude pionnière de S. MARSILI, Giovanni Cassiano ed Evagrio Pontico. Dottrina sulla carità e la contemplazione, Herder, Roma 1936 (Studia Anselmiana, 5), doit toutefois désormais être équilibrée par les remarques de CASIDAY, Tradition and Theology, pp. 5-6 et 139-160, qui invite à établir plutôt entre Cassien et Évagre non pas tant une relation de dépendance que des rapports, chez l’un et l’autre, avec une source commune. Pour la dette contractée par Cassien à l’égard de Jean Chrysostome, voir C. BROC, « Jean Cassien, “disciple” de Jean Chrysostome », in BĂDILIȚĂ – JAKAB (éd.), Jean Cassien entre l’Orient et l’Occident, pp. [33]-47. 80 On a beaucoup discuté la question de savoir si le silence de Cassien au sujet d’Augustin dans son De Incarnatione Domini valait sanction de ce dernier et signifiait l’opposition frontale de Cassien à son égard. Ce problème semble avoir obtenu une résolution satisfaisante grâce à l’étude de CASIDAY, « Cassian, Augustine, and De Incarnatione », qui a bien montré que Cassien n’exclut nullement Augustin de la tradition dans laquelle il se place et que même il lui portait sans doute une considération non négligeable ; voir aussi ID., « Tradition As a Governing Theme in the Writings of John Cassian », Early Medieval Europe, 16/2 (2008) 191-214 (en particulier pp. 211-212).

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entre les deux auteurs, apparemment inconciliables, ne se vérifieraient pas en tout point, voire qu’elle seraient à remettre partiellement en doute. C’est ce à quoi s’est attaché Augustine Casiday dans son souci de « réhabiliter Jean Cassien81 » : en prenant pour point de départ le texte du Contra collatorem et en démontant pas à pas l’argumentation de Prosper, Augustine Casiday est parvenu à mettre amplement en lumière la « malhonnêteté » de Prosper et à prouver que sa critique était, à bien des égards, infondée82. Nous devons à cette étude, qui a porté pour la première fois un regard très critique et distancié sur le Contra collatorem83, une conception entièrement nouvelle à la fois du traité et de la méthode de Prosper84.

2. Une remise en cause du « semipélagianisme » Outre les caractéristiques particulières des différentes œuvres produites à cette occasion, c’est le déroulement de la controverse dans son ensemble que toutes ces recherches invitent à interpréter avec plus de circonspection et un esprit plus critique. Comme souvent dans les querelles épistémologiques, le nom donné à la chose influe beaucoup sur la conception qu’on se fait de la chose elle81 C’est le titre de son article : CASIDAY, « Rehabilitating John Cassian ». Les conclusions en sont reprises et complétées dans ID., Tradition and Theology, pp. 23-29, ainsi que dans ID., « Prosper the Controversialist », in BAUN – CAMERON – EDWARDS – VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 49, pp. 369-380 (spécialement pp. 377-380). 82 Voir CASIDAY, « Rehabilitating John Cassian », en particulier pp. 283-284. Si la « malhonnêteté » est, de fait, avérée par une comparaison soignée du traité de Prosper et de la lecture de première main du texte que celui-ci a exploité, il faut reconnaître aussi qu’elle n’empêche aucunement que Prosper, dans son attaque, ait été tout à fait de bonne foi ; voir là-dessus, le chap. 1, pp. 19-23. 83 Et jusque dans les termes employés : d’après la conclusion de CASIDAY, « Rehabilitating John Cassian », pp. 283-284, « Prosper is an untrustworthy guide to Cassian’s thought », « Prosper’s wilful distortion of evidence in furtherance of his bias should make us think twice before accepting his version of contemporary events ». Il faut aussi renvoyer aux paragraphes consacrés au « Prosper’s red herring » dans ID., Tradition and Theology, pp. 6-8, qui présente le Contra collatorem comme « a singularly ill-considered and regrettably influential interpretation of Cassian’s writings » (p. 6). 84 On ne pourra, en effet, dans l’étude des procédés polémiques mis en œuvre par Prosper à l’occasion du Contra collatorem, qu’approfondir ou qu’élargir les analyses proposées par Augustine Casiday ; voir le chap. 4, pp. 109-121.

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même. La désignation de « semipélagiens », attachée aux adversaires qui sont dans la ligne de mire de Prosper, et celle de « semipélagianisme », qui désignerait leur prétendue doctrine, sont précisément héritées d’auteurs et d’écrits engagés dans un combat sans cesse renouvelé et qui avait ses finalités propres. C’est pourquoi l’on ne peut faire l’économie de quelques considérations terminologiques, pour souligner la nécessité de réviser le dossier dans son ensemble. On a déjà fait valoir, à juste titre, les précautions dont il faut se munir pour continuer d’adopter ces anciennes « étiquettes »85. Une notion anachronique… L’origine du nom « semipélagiens » a, depuis longtemps, intéressé les historiens de la controverse provençale. En 1906 et 1907, Friedrich Loofs et Alcide Mannès Jacquin croyaient pouvoir résoudre la question en deux pages86 : le terme aurait été créé de toute pièce « à l’occasion du Baïanisme ou plus probablement des controverses De auxiliis87 ». C’est en effet ce que laissaient supposer les témoignages d’auteurs tels que le cardinal Noris qui, proches dans le temps et dans leurs intérêts, attribuaient ce néologisme à des « Scholastici recentiores88 ». Sans que l’on puisse être davantage précis, faute d’examen de toutes les pièces, il est clair que, lors des congrégations de auxiliis qui ont opposé Dominicains et Jésuites entre 1598 et 1607, Semipelagiani a été l’un des termes les plus employés pour désigner ceux 85

On se reportera de préférence aux pages consacrées à ce problème par D. OGLIARI, Gratia et certamen: The Relationship Between Grace and Free Will in the Discussion of Augustine with the So-Called Semipelagians, Leuven University Press – Peeters, Leuven – Paris – Dudley (MA) 2003 (Bibliotheca ephemeridum theologicarum Lovaniensium, 169), pp. 6-9, qui fait l’état de la question, et HWANG, Intrepid Lover, pp. 2-6. 86 Voir F. LOOFS, « Semipelagianismus », Realencyclopädie für protestantische Theologie und Kirche, t. 18, J. C. Hinrichs’sche Buchhandlung, Leipzig 1906, pp. 192203 (pp. 192-193), et A. M. JACQUIN, « À quelle date apparaît le terme “ Semipélagien ” ? », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1 (1907) 506-508. 87 JACQUIN, « À quelle date apparaît », p. 508. 88 Historia Pelagiana et Dissertatio de synodo V. oecumenica in qua Origenis ac Theodori Mopsuesteni Pelagiani erroris auctorum justa damnatio exponitur, et Aquileiense schisma describitur. Additis Vindiciis Augustinianis pro libris a s. doctore contra Pelagianos ac Semipelagianos scriptis, auctore P. M. Henrico de NORIS, Veronensi, Augustiniano Sacræ Theologiæ Professore, & S. R. Ecclesiæ Cardinali, Lovanii, Et prostant apud Henricum Schelte, M. DCC. II., p. 102.

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qui, à l’instar de Luis de Molina dans sa Concordia, avaient tenté naguère de trouver, pour qualifier les rapports entre la grâce de Dieu et le libre arbitre, une uia media entre le rigorisme augustinien et l’humanisme pélagien89. Dès après cette époque, en tout cas, l’appellation est un lieu commun des controverses, et sert continûment à stigmatiser l’adversaire90. Certes, ce sont ces controverses — et très vraisemblablement la controverse moliniste la première — qui ont donné toute son ampleur au terme Semipelagiani, en le diffusant largement et en créant un consensus autour de son application. Mais pour rencontrer sa première attestation, il faut, en réalité, remonter plus en amont dans l’histoire des controverses modernes sur la grâce, jusqu’à un épisode de l’histoire du luthéranisme91. Le terme apparaît déjà, en effet, en 1556 sous la plume de Théodore de Bèze, qui pourrait même en être l’inventeur92. Néanmoins, le terme ne sert 89

Voir aussi É. AMANN, « Semi-pélagiens », Dictionnaire de théologie catholique, t. 14/2, Letouzey et Ané, Paris 1941, coll. 1796-1850 (col. 1796), et A. SOLIGNAC, « Semipélagiens », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, t. 14, Beauchesne, Paris 1989, coll. 556-568 (col. 556). 90 Jansenius, qui connaît le terme Semipelagiani (JANSENIUS, Augustinus, I, 1 [coll. 37, 57-58, 69, 81-82 et 91, etc.]), lui préfère toutefois celui de Massilienses. 91 Dans les dernières publications traitant le sujet (voir, par exemple, A. PERŠIČ, « Da Vittorino di Poetovio a Cromazio e al Libellus fidei del 418: predisposizione ‘semipelagiana’ dell’antropologia e della soteriologia nella tradizione cristiana aquileiese? », in P.Fr. BEATRICE – A. PERŠIČ, Chromatius of Aquileia and his Age: Proceedings of the International Conference held in Aquileia 22-24 May 2008, Brepols, Turnhout 2011 (Instrumenta Patristica et Mediaevalia. Research on the Inheritance of Early and Medieval Christianity, 57), pp. [517]-645 [pp. 614-615 et n. 334]), on plaçait la première apparition du terme dans l’Epitomé de la Formule de concorde, l’attribuant ainsi indirectement à Jacob Andreae, sous l’impulsion de qui elle a été rédigée et présentée au Prince Électeur le 28 mai 1577 ; voir A. JUNDT (éd.), Les livres symboliques, t. 3 : La formule de concorde, Je sers, Paris 1948 (Œuvres de théologie luthérienne, 1), p. 16. Dans un article tout récent, I. BACKUS – A. GOUDRIAAN, « “Semipelagianism”: The Origins of the Term and its Passage into the History of Heresy », The Journal of Ecclesiastical History, 65/1 (2014) [25]-46, ont montré que le terme était encore plus ancien d’au moins vingt ans, même s’il n’a pas été utilisé tout de suite pour désigner les Provençaux. L’assertion de JACQUIN, « À quelle date apparaît », p. 507 — « Constatons d’abord que vers 1580, on ignore encore ce terme » — est donc fausse ; à tout le moins n’est-il pas utilisé alors dans les controverses auquel il devait rester attaché par la suite. 92 On le trouve, en effet, pour la première fois, dans les annotations que Théodore de Bèze a ajoutées à son édition du Nouveau Testament : Novum Jesu Christi

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pas alors à désigner les Provençaux tardoantiques, mais les théologiens catholiques contemporains93. Pour qu’il vienne à caractériser plus précisément les adversaires provençaux d’Augustin et de Prosper, il faut attendre son remploi par Nicholas Sanders, et ce au tout début de la querelle moliniste94 : selon lui, « Semipelagianus habendus [est] » quiconque s’obstine à émettre des doutes sur la prédestination, comme l’avaient fait jadis certains opposants à la doctrine d’Augustin95. Il va sans dire que, le terme ayant été forgé au plus tôt au XVIe siècle, son emploi au sujet de Cassien et de ses compagnons pourrait paraître anachronique. Cela ne doit, certes, pas être un argument contre son utilisation ; mais le fait que cette appellation peut se prévaloir de plusieurs siècles d’usage est-il pour autant un prétexte suffisant pour son maintien96 ? Le problème vient surtout, non de la date de naissance de ce néologisme, mais de ce que, créé à des fins polémiques, il est porteur de significations volontairement trompeuses. … et controuvée Conserver la désignation de « semipélagianisme » revient, de fait, à accorder trop de crédit à la propagande de Prosper, dont le propos est de présenter Cassien et, plus généralement, les moines provençaux impliqués dans la controverse comme des néo-, voire des cryptoD. N. testamentum latine iam olim a veteri interprete, nunc denuo a Theodoro Beza versum cum eiusdem annotationibus in quibus ratio interpretationis redditur, Robertus Stephanus, [Parisiis] 1556, cité par BACKUS – GOUDRIAAN, « “Semipelagianism” », pp. 35-40, plus précisément p. 35 et n. 32. 93 Voir BACKUS – GOUDRIAAN, « “Semipelagianism” », p. 40. 94 Voir encore BACKUS – GOUDRIAAN, « “Semipelagianism” », pp. 41-44. 95 N. SANDERS, De visibili monarchia ecclesiae libri octo, Sub Capite Deaurato. Ioannis Fouleri cura & impensa excudebat Reynerus Velpius, Lovanii 1571, p. 387 : « De certis dubiis, quae inter Catholicos hoc tempore circa praedestinationem exorta sunt, quorum pleraque, si quis pertinaciter defenderet, Semipelagianus habendus esset. » 96 C’est la même question que se pose A.-M. DUBARLE, Le péché originel. Perspectives théologiques, Éd. du Cerf, Paris 1983 (Cogitatio fidei, 118), pp. 159-165, à propos de l’expression « péché originel », dont la signification a pu évoluer. Dans notre cas, la dénomination première ne s’explique que par la volonté polémique des théologiens qui l’ont forgée, et ce sont les valeurs qu’elle comporte qui doivent les premières être remises en question.

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pélagiens97. C’est ne se représenter ces hommes que de la façon dont ils sont décrits par Prosper et Hilaire — or, on a vu qu’il s’agissait là d’une vision partisane qui exagérait la réalité et en oblitérait une autre partie tout aussi importante — et occulter complètement l’existence de leur propre antipélagianisme. Il ne suffit pas, bien sûr, que le terme de « semipélagien » ait été longtemps remployé, et par beaucoup d’historiens, pour faire de ces derniers des suiveurs naïfs et aveugles de Prosper. Comme il est difficile de renoncer à des catégories bien définies et particulièrement convenues, on a pris l’habitude d’employer ce terme, même impropre, pour des raisons de commodité, en le flanquant ou non de guillemets98. Mais sans doute vaudrait-il mieux opter pour une dénomination moins sujette à caution. Le terme de Massilienses, également tout droit hérité des écrits jansénistes, quoique plus neutre, manque de clarté et pourrait conduire à certains amalgames99. Finalement, ce qui distingue dans la controverse le plus clairement la doctrine, si doctrine il y a, des opposants de Prosper serait, plutôt que leur propélagianisme, leur antiaugustinisme (au moins partiel) ou, pour dire mieux, leur non-augustinisme100. C’est pourquoi, dans la dernière 97

Là-dessus, voir le chap. 1, pp. 40-46 ; pour la notion de « propagande » appliquée au Contra collatorem, voir le chap. 4, pp. 180-184. 98 Voir, par exemple, C. TIBILETTI, « Rassegna di studi e testi sui “Semipelagiani” », Augustinianum, 25/1-2 (1985) [507]-522, OGLIARI, Gratia et certamen, qui parle des « so-called Semipelagians » ou CASIDAY, « Rehabilitating John Cassian ». On notera l’exception notable de R.H. WEAVER, Divine Grace and Human Agency: A Study of the Semi-Pelagian Controversy, Mercer University Press, Macon (GA) 1996 (Patristic Monograph Series, 15), qui refuse le terme pour les personnes (p. 40), mais non pour la controverse. 99 On le trouve utilisé prioritairement, par exemple, dans la somme dʼOGLIARI, Gratia et certamen : « The blanket terms Massilians and Massilianism remain the best available option » (p. 9) ; voir cependant les remarques critiques de HWANG, Intrepid Lover, p. 3. 100 La remarque semble avoir été faite d’abord par A. VON HARNACK, Histoire des dogmes, trad. par E. CHOISY, Éd. du Cerf – Labor et fides, Paris [Genève] 1993 (Patrimoines Christianisme), pp. 297-300 ; voir aussi AMANN, « Semi-pélagiens », col. 1796. On ne peut retenir l’argument de WEAVER, Divine Grace and Human Agency, p. 40 et n. 9, qui, pour rejeter cette désignation, prétend que les Provençaux ont accepté la condamnation par Augustin de la doctrine pélagienne : cela ne les empêche pas de s’opposer à Augustin sur d’autres points de sa doctrine. HWANG, Intrepid Lover, pp. 4-6, quant à lui, reconnaît que ce terme désignerait correctement la controverse,

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synthèse parue au sujet de Prosper, Alexander Y. Hwang a proposé de qualifier la controverse provençale de « controverse augustinienne » plutôt que « semipélagienne », l’adjectif désignant, comme à l’accoutumée, le personnage attaqué. Mais, pourrait-on ajouter, considérer Augustin comme la victime, et donc ses adversaires provençaux comme les initiateurs de la querelle, c’est peut-être accorder trop de crédit encore à la présentation univoque qu’en proposent Prosper et les autres augustiniens. Parler donc de controverse « postpélagienne », comme le fait Michele Cutino101, permettrait de rester plus neutre tout en étant exact102. Pour parler des hommes eux-mêmes, enfin, on a aujourd’hui tendance à privilégier des appellations neutres, tirées de témoignages tardoantiques censés moins partiaux. Ainsi l’expression gennadienne de doctores Gallicani, qui figure dans la notice consacrée à Léporius103, désigne mais ajoute qu’il ne suffirait pas pour autant à caractériser pleinement ses acteurs. Voir aussi les nuances apportées par J.-P. WEISS, « Le “semi-pélagianisme” se réduitil à une réaction contre Augustin et l’augustinisme de la première génération ? », in Congresso internazionale su S. Agostino nel XVI centenario della conversione (Roma, 15-20 settembre 1986). Atti, t. I, Institutum Patristicum « Augustinianum », Roma 1987 (Studia ephemeridis « Augustinianum », 24), pp. [465]-481. 101 À la suite de V. GROSSI, « L’origenismo latino negli scritti agostiniani. Dagli origenisti agli origeniani », Augustinianum, 46/1 (2006) 51-88 (p. 64, n. 35) ; voir M. CUTINO, « Introduzione », in Pseudo-Prospero di Aquitania, La Provvidenza divina, cur. M. Cutino, Edizioni ETS, Pisa 2010 (Pubblicazioni della facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università di Pavia), pp. 7-102 (p. 57, n. 216) et déjà ID., L’Alethia di Claudio Mario Vittorio. La parafrasi biblica come forma di espressione teologica, Institutum Patristicum Augustinianum, Roma 2009 (Studia ephemeridis « Augustinianum », 113), pp. [77]-95. 102 On soulignera, dans le chap. 1, pp. 14-23, l’importance de cette dimension chronologique dans l’étude de la controverse. Parler de « Predestination Controversy », comme le propose A.M.C. CASIDAY, « The Call Of God And The Response Of Abraham: Perspectives from a fifth-century Christian debate », in M. GOODMAN – G.H. VAN KOOTEN – J.Th.A.G.M. VAN RUITEN (éd.), Abraham, the Nations, and the Hagarites: Jewish, Christian, and Islamic Perspectives on Kinship With Abraham, Brill, Leiden – Boston 2010 (Themes in Biblical Narrative, 13), pp. 449-464 (p. 450), me semble, au sujet de la controverse tardoantique, un peu réducteur ; on notera d’ailleurs que, pour ce qui est du Contra collatorem et du début de la controverse, le problème de la prédestination est pour ainsi dire absent ; voir le chap. 5, pp. 280-283. 103 Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 60 : « Leporius […] Pelagianum dogma coeperat sequi. Sed a Gallicanis doctoribus admonitus […] » (éd. E.C. RICHARDSON, TU, 14/1, Leipzig 1896, p. 90) — parmi ces Gallicani doctores, on

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assez commodément l’ensemble des protagonistes de la querelle, sans distinction préétablie. Elle est sans doute préférable à celle de « maîtres provençaux104 », qui pourrait laisser supposer trop évidemment l’existence d’une école proprement dite, qui reste à démontrer105. Pour une meilleure connaissance de la controverse Cette requalification de la controverse a considérablement amoindri l’autorité de Prosper, jugé jusqu’alors le plus sûr témoin, parce que le plus prolixe et le plus contemporain, des difficiles débuts de l’augustinisme en Gaule. Elle a aussi permis d’aller plus loin dans la distance critique avec laquelle il convenait, à l’évidence, d’envisager désormais la controverse dans son ensemble. En abolissant la subordination qu’impliquait la lecture aveugle de Prosper et en confrontant les différents témoignages, on a pu redonner à chaque parti le crédit qui lui revenait. Cela a permis de souligner, plus qu’on ne l’avait fait auparavant, que la victoire supposée des augustiniens n’avait été que toute relative, et que le terme de la controverse, marqué par le second concile d’Orange et la ratification de ses canons par Boniface II, ne marquait rien moins que la recherche d’une conciliation entre les deux partis plutôt que la condamnation des idées de Cassien et des autres doctores Gallicani106. Les synthèses les plus récentes vont jusqu’à remettre est obligé de compter Cassien, qui attaque Léporius en De Incarnatione Domini 1, 4, chapitre qui inspire directement la rédaction de Gennade. Si Gennade est loin d’être un témoin tout à fait neutre en matière doctrinale (voir le bilan donné par Ch. MUNIER, « 2. Gennade », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, t. 6, Beauchesne, Paris 1967, coll. 205-208 [col. 207]), il n’y a dans cette dénomination précise rien qui puisse paraître partial, en dépit du contexte. Sur cette expression, voir M. VESSEY, « Peregrinus Against the Heretics: Classicism, Provinciality, and the Place of the Alien Writer in Late Roman Gaul », in Cristianesimo e specificità regionali nel Mediterraneo latino (sec. IV-VI). XXI Incontro di studiosi dell’antichità cristiana (Roma, 6-8 maggio 1993), Institutum Patristicum Augustinianum, Roma 1994 (Studia Ephemeridis Augustinianum, 46), pp. [529]-565 [reprod. in ID., Latin Christian Writers, IX], pp. 533-534. 104 Expression qui a la préférence de CASIDAY, Tradition and Theology, p. 11, qui l’emprunte à TIBILETTI, « Rassegna di studi », p. [507]. 105 Voir en particulier, pour cette question, la dernière partie du chap. 1, pp. 44-46. 106 Le concile valide, certes, les conceptions anthropologiques de la doctrine augustinienne de la grâce, mais ne rejette pas pour autant toute capacité humaine ;

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en doute l’existence même de la controverse, jugeant que ce qui est ensuite apparu comme une nouvelle polémique postpélagienne avait très bien pu être monté de toute pièce par les partisans d’Augustin, sans que ceux-ci aient été auparavant réellement pris à partie : on ne saurait, en effet, parler de « controverse » unifiée, dans la mesure où les traités composés durant cette période de plus d’un siècle l’ont été par des individus à différents moments (à l’époque de Cassien, à celle de Fauste, et enfin du temps de Césaire), sans qu’il y ait de véritable continuité107. À vrai dire, on pourrait retrouver plus en amont — sous la forme de bribes et d’intuitions proposées à l’examen de la critique — les premières traces de cette relecture historique, pour ainsi dire décentrée de son objet même. Contrairement à ce que pourrait laisser penser le silence de la bibliographie, l’Université française n’a pas été en reste. Dès les années 1930, à l’École Pratique des Hautes Études, le sociologue Albert Bayet, avant tout spécialiste de morale et de l’histoire des idées à l’époque classique, et grand connaisseur de l’œuvre de Pascal, consacrait l’une de ses deux conférences annuelles précisément aux idées morales de Prosper, à partir d’un examen des écrits de ce dernier, mais avec l’objectif de faire déboucher cette réflexion, plus globalement, sur l’entièreté de la querelle relative à la grâce. Une première étude, menée sur le contenu respectif du Peri akharistôn et de l’epist. 2, et en comparaison avec ce de même, il n’entérine pas la doctrine augustinienne de la praedestinatio ante merita praeuisa. Pour une présentation synthétique des décisions du concile d’Orange, voir O. PONTAL, Histoire des conciles mérovingiens, Éd. du Cerf – Institut de recherche et d’histoire des textes, [Paris] 1989 (Histoire), pp. 94-99 ; pour son analyse du point de vue de l’opposition entre augustiniens et « semipélagiens », voir WEAVER, Divine Grace and Human Agency, pp. 225-234. Si la chose peut sembler admise depuis longtemps, il n’empêche qu’une grande partie de la bibliographie, y compris la plus autorisée et qui a longtemps eu cours, s’écarte assez peu du jugement porté par Prosper ; on peut lire, par exemple, sous la plume de H. RONDET, Gratia Christi. Essai d’histoire du dogme et de théologie dogmatique, Beauchesne et ses fils, Paris 1948 [Verbum salutis], p. 148 : « Le semi-Pélagianisme n’en est pas moins une hérésie. » 107 Voir, par exemple, la synthèse de C. LEYSER, « Semi-pélagianisme », trad. C. PASQUET, in A.D. FITZGERALD – M.-A. VANNIER (dir.), Saint Augustin, la Méditerranée et l’Europe (IVe-XXIe siècle), Éd. du Cerf, Paris 2005, pp. 1308-1315 (ici, p. 1309), à consulter surtout pour la riche bibliographie mise à jour. De la même façon, GROSSI, « L’origenismo latino », ne semble pas refuser a priori la possibilité que ce qu’il nomme le « mouvement » provençal soit même « une invention de Prosper » (p. 63, n. 35).

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que dit Augustin sur le même sujet et les mêmes individus, lui permettait de conclure que la présentation faite par Prosper est « simplifiée de façon assez tendancieuse108 ». La confrontation, ensuite, avec les écrits de Cassien n’a pas entraîné, elle, les mêmes critiques : selon Albert Bayet, la démonstration de Prosper reste très forte. D’un point de vue plus général, l’approche sociologique de la controverse aura eu le mérite de poser différemment le problème, au moins sous la forme interrogative, en proposant d’« expliquer par des faits sociaux la grande querelle qui met aux prises en Gaule pélagiens, semi-pélagiens et augustiniens109 ». Toutefois, même cette lecture à bien des égards nouvelle ne modifie que très peu la conception traditionnelle de la controverse, les écrivains du Ve siècle défendant, selon toute vraisemblance, comme le souligne l’auteur, les mêmes arguments que les futurs jansénistes, et Cassien et ses confrères les mêmes idées que les futurs Jésuites110. Trente ans plus tard, Henri-Irénée Marrou choisissait de consacrer son séminaire d’histoire du christianisme antique, en Sorbonne, à cette controverse « semipélagienne », pour en dégager les plus grandes lignes et, sans doute, en écrire une nouvelle histoire111. Ses recherches ne se sont malheureusement pas, sauf erreur, traduites par des publications, exception faite d’une importante contribution, en marge de ces travaux, sur « Les attaches orientales du pélagianisme112 », qui démontre l’intérêt de l’étude des sources contemporaines de Prosper (en l’occurrence Marius Mercator) 108

A. BAYET, « XV. Histoire des idées morales », in École pratique des hautes études. Section des sciences religieuses. Annuaire 1936-1937 (1935) 7576 (p. 76). 109 BAYET, « XV. Histoire des idées morales », p. 76 . 110 A. BAYET, « XVI. Histoire des idées morales », in École pratique des hautes études. Section des sciences religieuses. Annuaire 1937-1938 (1937) 75-78 (p. 75). 111 Le seul témoignage que j’en connaisse est celui, fait en passant, d’O. WERMELINGER, dans son « Vorwort », in Rom und Pelagius : Die theologische Position der römischen Bischöfe im pelagianischen Streit in den Jahren 411-432, A. Hiersemann, Stuttgart 1975 (Päpste und Papsttum, 7), p. XI. Je remercie de leur aide les anciens participants à ce séminaire que j’ai pu interroger, comme Monique Alexandre, et surtout Nancy Gauthier, assistante d’Henri-Irénée Marrou à cette époque, mais à qui je me suis malheureusement présenté trop tard… 112 H.-I. MARROU, « Les attaches orientales du pélagianisme », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 112/3 (1968) 459472 [reprod. in ID., Patristique et humanisme. Mélanges, Éd. du Seuil, Paris 1976 (Patristica Sorbonensia, 9), pp. 331-[344]].

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pour l’histoire du pélagianisme. De tels progrès dans notre connaissance des principaux événements et de leurs acteurs n’ont pu qu’influer sur l’image de Prosper et ternir son éclat. D’historien officiel de l’antipélagianisme sous toutes ses formes, l’Aquitain ressort de ces travaux, et particulièrement de l’étude d’Augustine Casiday, avec le visage d’un piètre polémiste, d’un paranoïaque doublé d’un hypocrite113. C’est un fait qu’on ne peut plus désormais partager la confiance aveugle d’un Plinval dans toutes les allégations de Prosper114. Notre recherche cherchera donc à voir dans quelle mesure ce jugement sévère doit être soit entériné sans réserve, comme l’a fait déjà Alexander Y. Hwang115, soit quelque peu nuancé.

III – OBJET DU PRÉSENT LIVRE Après avoir pris conscience qu’en s’intéressant, au XXIe siècle, à un traité sur la grâce et le libre arbitre on ne peut pas ne pas subir l’emprise d’une forma mentis forgée par plusieurs siècles de nouvelles controverses qui n’ont parfois que peu à voir avec celle qui avait occupé Prosper et Cassien, on tentera de remettre en question les supposés acquis pour exercer un regard neuf, qui se défasse des « œillères augustiniennes » imposées par Prosper lui-même et tous ses continuateurs, sur une œuvre qui a besoin, avant toute chose, d’être recontextualisée. Le présent travail ne se veut en rien une synthèse monographique sur la pensée théologique de Prosper, ni en général, ni même dans le Contra collatorem en particulier. Son ambition est plus modeste : il s’agit de fournir, sous la forme d’une étude introductive, une lecture de cette œuvre, 113

Ce sont les termes qui sont utilisés, pour toutes les dimensions que leur a données la critique littéraire, par CASIDAY, Tradition and Theology, pp. 28-29. On développera particulièrement ces deux aspects, essentiels pour la bonne compréhension du traité, dans le chap. 3, pp. 109-121. 114 G. de PLINVAL, « Prosper d’Aquitaine interprète », p. 346 ; voir déjà J. DELMULLE, « “Prosper, poeta et rhetor”. Les prosopopées des pélagiens dans le Carmen de ingratis », in P. VOISIN – M. de BÉCHILLON (éd.), L’art du discours dans l’Antiquité : de l’orateur au poète, L’Harmattan, Paris 2010 (Kubaba, Antiquité Université de Paris I Panthéon Sorbonne), pp. 235-248 (p. 248, n. 30). 115 Voir en particulier, pour le Contra collatorem, HWANG, Intrepid Lover, pp. 165-167.

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qui mette en lumière un aspect fondamental qui, à mon sens, est jusqu’à présent resté trop méconnu : le profond « romanocentrisme » du Contra collatorem, qui non seulement parvient à rendre raison des difficultés d’ordre historique, théologique et littéraire que pose, à première vue, le traité, mais qui documente également une étape fondamentale dans l’évolution de la pensée personnelle de Prosper comme de la diffusion d’un augustinisme théologique appelé à une longue postérité. En replaçant le Contra collatorem dans le contexte historique, social et polémique dans lequel il s’inscrit pleinement (chap. 1), on pourra proposer une datation de sa composition et en tirer les conclusions qui s’imposent quant aux différents destinataires visés par l’auteur (chap. 2). Une étude approfondie des méthodes de travail de Prosper, tout d’abord par rapport au texte qu’il réfute en le citant (chap. 3), puis par les moyens polémiques employés pour imposer sa condamnation, surtout à l’aide d’un recours aux plus hautes autorités de l’Église (chap. 4), permettra de considérer cette œuvre comme, plus qu’un simple traité de polémique antihérétique, un véritable dossier à charge dressé par Prosper, érigé en censeur, afin de convaincre son lectorat de l’erreur de son adversaire et de la nécessité d’une correction. À cette volonté d’invalider le discours de l’opposant en le déconstruisant correspond, naturellement, la nécessité de proposer une solution aux problèmes théologiques en question : Prosper, disciple d’Augustin, cherche donc à faire valoir les positions de son maître, qu’il présente comme en totale opposition avec celles de Cassien (chap. 5).

CHAPITRE I ASCÉTISME ET « POSTPÉLAGIANISMES » DANS LA GAULE MÉRIDIONALE DU Ve SIÈCLE : LE CONTRA COLLATOREM ET LE CONTEXTE DE SA RÉDACTION

Pour éviter de tomber dans l’écueil des lectures orientées et partisanes dont on a entraperçu l’ampleur1, il apparaît de toute nécessité de commencer par replacer l’œuvre qui est l’objet de cette étude dans le panorama plus général du contexte qui a présidé à son élaboration. Contexte multiple, puisqu’il s’agit à la fois de situer le Contra collatorem dans son rapport immédiat avec le texte des Collationes de Cassien, mais également, et d’abord, de voir comment ces deux œuvres, correspondant à deux projets distincts et présentant chacune un horizon particulier, sont pourtant à replacer dans un contexte commun. Écrites toutes deux dans une même région, vraisemblablement à Marseille, dans le premier tiers du Ve siècle, elles ne peuvent, en effet, se comprendre qu’à la lumière des transformations, voire des bouleversements, d’ordre historique, social et religieux qu’a connus une Gaule récemment encore en proie à plusieurs vagues d’invasions et qui a dû faire face à des problèmes inouïs2. Si l’on resserre le cadre de cette étude, de manière à ne retenir que ce qui est indispensable à la bonne compréhension et à une lecture éclairée du traité de Prosper et du texte de Cassien sur lequel il prend appui, on s’aperçoit que ces deux œuvres sont, par leur position chronologique et dans leurs principes mêmes, à la conjonction de deux grandes questions elles-mêmes profondément intriquées : celle de l’émergence en Gaule d’une forme d’ascétisme et de monachisme qui rompt avec une (récente) tradition au profit d’une autre, orientale, et celle d’une controverse dont le souvenir, encore trop brûlant, a beaucoup conditionné l’appréhension de ce nouveau mode de vie communautaire et surtout des questions que la condition même de moine posait en matière d’anthropologie théologique. 1

Dans l’Introduction, pp. XVII-XXII. On renverra encore, pour une présentation générale de ce contexte historique et intellectuel, aux livres de P. COURCELLE, Histoire littéraire des grandes invasions germaniques, Études augustiniennes, Paris 19643 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 19), et d’É. GRIFFE, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, 3 vol., Letouzey et Ané, Paris 1964-19652. 2

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Les Collationes passent souvent, en effet, avec le De institutis coenobiorum qui leur est contemporain, comme l’acte, sinon de naissance, du moins de baptême, d’une forme de vie communautaire, que Jean Cassien cherche à encadrer par des conseils de conduite et de vie réglée en prenant pour modèle ce qu’il a observé chez les saints moines du Désert de Scété (Ouadi Natroun)3. Mais la composition et la diffusion de ces deux ouvrages répondent à un besoin qui s’était fait sentir bien plus tôt en Occident et qui s’était traduit par la recherche, en ces temps troublés, d’une existence qui rompe avec l’esprit du siècle et, par conséquent, par l’émergence progressive de communautés unies par un même idéal de sainteté et des valeurs ascétiques, soit qu’elles aient cherché à se couper radicalement du monde (comme dans le cas des moines), soit qu’elles aient voulu poursuivre leur quête en y restant et en veillant à y vivre saintement4. Ces nouveaux modes de vie ascétique, qui reposent en réalité, d’un point de vue sotériologique, sur une recherche active du salut et de la sainteté par la voie de la perfection, se fondent nécessairement aussi sur un corollaire : une morale stricte et rigoureuse, qui seule permet d’éviter les embûches du siècle et d’atteindre à la fin béatifique qu’on s’est donnée comme but. Mais cette recherche ne va pas sans poser de nouvelles questions — à plus d’un titre inédites —, et notamment celle de savoir si les efforts des moines, ou de tout autre fidèle qui mène de son propre chef une vie particulièrement austère et dans la recherche de la sainteté, non seulement sont utiles, mais peuvent même être suffisants pour acquérir la 3

Sur Jean Cassien en général, et sur la portée culturelle et spirituelle de ses œuvres ascétiques, voir surtout CHADWICK, John Cassian, pp. 37-81 et STEWART, Cassian the Monk, en particulier son chap. 2 : « Cassian the Writer », pp. 27-39. Les principales données biographiques sont rassemblées et examinées par P. GODET, « 1. Cassien Jean », Dictionnaire de théologie catholique, t. 2, Letouzey et Ané, Paris 1905, coll. 1823-1829, et surtout M. OLPHE-GAILLARD, « Cassien (Jean) », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, t. 2, Beauchesne, Paris 1953, coll. 214-276 ; voir aussi la mise à jour de B. RAMSEY, « Jean Cassien (env. 360 – env. 435) », trad. M.-A. VANNIER, in FITZGERALD – VANNIER (dir.), Saint Augustin, la Méditerranée, pp. 801-803. 4 La question a été particulièrement bien traitée et documentée par R.J. GOODRICH, Contextualizing Cassian: Aristocrats, Asceticism, and Reformation in Fifth-Century Gaul, Oxford University Press, Oxford – New York 2007 (Oxford Early Christian Studies). Voir aussi Fr. PRINZ, Frühes Mönchtum im Frankenreich : Kultur und Gesellschaft in Gallien, den Rheinlanden und Bayern am Beispiel der monastischen Entwicklung (4. bis 8. Jahrhundert), Oldenbourg, München 19882.

ASCÉTISME ET « POSTPÉLAGIANISMES »

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certitude d’être sauvé le jour du Jugement ; bref, et plus généralement, si l’homme est à lui seul capable d’obtenir son salut. Cette question, posée pour la première fois à la fin du IVe siècle par Pélage, ascète venu de Bretagne, a sans cesse trouvé de nouveaux interprètes et a, comme on sait, suscité un débat aussi long qu’épineux, qui a pour longtemps défini les termes de la sotériologie chrétienne. Le problème soulevé par Cassien dans sa Collatio XIII et auquel réagit si vivement Prosper s’inscrit donc nettement, comme le souligne d’ailleurs à mainte reprise notre auteur, dans ce continuum. De fait, comme de leur côté les théories d’Augustin, puis celles de Prosper, les discours tenus par Cassien dans ses entretiens ne peuvent se comprendre qu’à la lumière des discussions qui les ont préparés, et souvent même provoqués. Pour cette raison, mieux vaut s’en tenir à un rappel du déroulement des faits et de la succession des débats doctrinaux antérieurs, en centrant l’exposé sur la quaestio uexata, envisagée sous divers angles par les protagonistes des controverses successives, et toujours plus en profondeur ; on le développera suivant l’ordre chronologique, qu’on ne pourrait sacrifier sans perdre en clarté. I – VINGT ANS DE COMBAT : PÉLAGIANISME ET POSTPÉLAGIANISME, D’AUGUSTIN À PROSPER C’est en effet le contexte, religieux et ascétique en général, décrit plus haut qui a favorisé, dès le tournant du Ve siècle, avec l’enseignement de Pélage à Rome, l’émergence de questions nouvelles : comment définir la vraie perfection chrétienne ? et quels sont les moyens dont l’homme dispose pour l’atteindre ? « Vingt années » ou presque5 séparent, en effet, le début de l’activité polémique de Prosper de l’éclatement de la première crise qui devait entraîner l’Église dans un long débat que l’on considère habituellement comme la première hérésie de l’Occident latin6. 5

Comme le soulignera, en 432-433, Prosper lui-même en c. coll., 1, 2 : « Viginti amplius anni sunt » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 7) ; sur cette indication et son utilité dans la datation du traité, voir le chap. 2, pp. 49-51. 6 Pour reprendre le titre de Ch. PIETRI, chap. 4 : « Les difficultés du nouveau système (395-431). La première hérésie d’Occident : Pélage et le refus rigoriste », in Ch. PIETRI – L. PIETRI (dir.), Histoire du christianisme des origines à nos jours, t. II : Naissance d’une chrétienté (250-430), Desclée, [Paris] 1995, pp. [453]-479, qui ne prend pas en compte le priscillianisme.

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Parce que c’est à cette controverse dite « pélagienne »7 que Prosper fait si souvent référence dans chacune de ses œuvres sur la grâce et qu’il tient manifestement beaucoup à placer la pensée de ses adversaires dans la continuité de celle de Pélage, il importe de rappeler, même dans leurs grandes lignes, les tenants et les aboutissants de ce combat qui a occupé de longues années de l’épiscopat d’Augustin et auquel celui-ci a consacré près d’une vingtaine d’œuvres. Des enjeux successivement soulevés et des événements bruts suscités par les discussions doctrinales, on tâchera de ne faire état que de ce qui est susceptible de situer au plus juste la controverse de Prosper avec Cassien et d’en éclaircir les soubassements idéologiques. C’est d’ailleurs l’auteur du Contra collatorem qui, le premier, conseille à son lecteur, en c. coll., 21, 3, de se reporter à tous les livres composés par Augustin, comme ici et ailleurs il aime à en rappeler les différentes phases pour éclairer le conflit qui l’occupe8. La difficulté première de cette tâche vient de ce que, Prosper en étant l’un des plus proches témoins et des premiers historiens, le pélagianisme n’apparaît dans ses œuvres que sous un jour rien moins qu’objectif et impartial, et même au titre d’argument hérésiologique à part entière9. Plutôt, donc, que de suivre aveuglément le portrait qu’il brosse des mouvements de pensée qui émergent en Gaule méridionale comme une résurgence du pélagianisme — ce qu’il identifie comme du pro-, du néo-, voire du 7

La bibliographie relative à cette controverse est trop abondante pour qu’on puisse la citer exhaustivement. On trouvera une présentation générale, qui fait état des différentes avancées de la recherche, et assortie de toutes les références bibliographiques nécessaires, dans l’important article de synthèse préparé par Fl.G. NUVOLONE – A. SOLIGNAC, « Pélage et pélagianisme », placé en fin de volume in Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, t. 12/2, Beauchesne, Paris 1986, coll. 2889-2942 [l’entrée se compose de trois parties : Fl.G. NUVOLONE, « Les écrivains », coll. 2890-2926 ; A. SOLIGNAC, « Le mouvement et sa doctrine », coll. 2926-2936 ; une « bibliographie générale », par Fl.G. NUVOLONE, coll. 2936-2942], et désormais la synthèse de W. LÖHR, Pélage et le pélagianisme, Les Éd. du Cerf, Paris 2015 (Conférences de l’École pratique des hautes études, 8) et la dernière mise au point de V.H. DRECOLL, « Pelagius, Pelagiani », Augustinus-Lexikon, t. 4/5-6, Schwabe, Basel 2016, coll. 624-666. 8 En c. coll., 21, 3, Prosper fournit en effet à son lecteur ce que l’on pourrait appeler une « bibliographie augustinienne » antipélagienne. Sur la place du « fantôme » du pélagianisme dans l’entreprise de Prosper, voir surtout le chap. 4, pp. 230-237. 9 Cet aspect sera mis en évidence dans l’étude des procédés polémiques de l’auteur, au chap. 4, pp. 227-230.

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cryptopélagianisme, et qui deviendra bien plus tard le « semipélagianisme » –, il serait préférable de ne pas pousser l’interprétation au-delà de ce que permet d’affirmer sans risque d’erreur le simple déroulement chronologique et d’envisager plus prudemment la question provençale comme un « postpélagianisme10 », c’est-à-dire l’une des séquelles (une seulement parmi plusieurs) de la querelle entre Augustin et Pélage.

1. Le « pélagianisme », sa réfutation et sa condamnation (411-418) « L’hérésie pélagienne est trop connue pour qu’il soit besoin d’en parler11. » Ces mots, qui sont de Prosper, trouveraient aisément leur écho dans la bibliographie la plus récente. Pourtant, le mouvement que l’on a coutume de présenter, sous ce nom de « pélagianisme », comme une doctrine unifiée et systématisée ne correspond pourtant que fort peu à la réalité, plurielle et plus complexe12. Apparu à l’orée du Ve siècle, le « pélagianisme » est avant tout le fait de quelques individus seulement qui, durant un tiers de siècle, ont développé sur la base d’une morale humaniste une anthropologie théologique qui devait attirer sur elle les foudres de l’Église, à commencer par celles des évêques africains. Car c’est d’Afrique que sont venues, concomitamment, les premières critiques et les premières sanctions13.

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J’adopte en cela la terminologie retenue par CUTINO, « Introduzione », in Pseudo-Prospero di Aquitania, La provvidenza divina, p. 57 et n. 216 ; voir aussi les références déjà données dans l’Introduction, p. XXXIX, n. 101. 11 C’est par ces mots que Prosper commence sa Lettre à Rufin : epist. 2, 2 « Pelagiana igitur haeresis, quo dogmate catholicam fidem destruere adorta sit, et quibus impietatum uenenis uiscera Ecclesiae atque ipsa uitalia corporis Christi uoluerit occupare, notiora sunt quam ut opere narrationis indigeant. » (PL, 51, col. 77B). 12 Pour G. BONNER, « A Last Apology for Pelagianism? », in BAUN – CAMERON – EDWARDS – VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 49, pp. 325-328, qui va bien plus loin, la controverse pélagienne ne serait même que pure construction, due surtout aux écrits d’Augustin. 13 On trouvera un récit détaillé et fort savant des vicissitudes de Pélage et du pélagianisme dans G. de PLINVAL, Pélage. Ses écrits, sa vie et sa réforme. Étude d’histoire littéraire et religieuse, Payot, Lausanne – Genève – Neuchâtel 1943, chap. 8 « Luttes et revers du pélagianisme », pp. [252]-332, et 9 « La répression du pélagianisme », pp. [333]-384.

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L’enseignement de Pélage et de Célestius La première phase du « pélagianisme » est avant tout romaine. Le moine breton Pélage, que son ascétisme rendait populaire auprès de la noblesse de la Ville14, s’engage, dès 404-405, dans une discussion appelée à se prolonger, en réaction à une phrase tirée des Confessions qu’il aurait entendu dire à un proche d’Augustin venu à Rome : « Da quod iubes et iube quod uis15. » Contre l’idée, exprimée dans cette prière, que l’évêque d’Hippone semble se faire de la faiblesse des efforts humains, en tout soumis à la toute-puissance de l’initiative divine, Pélage tient à défendre une théorie tout opposée, dans laquelle il reconnaît une réelle aptitude à la nature humaine, au point que celle-ci puisse permettre à l’homme de vivre saintement sans même l’aide de la grâce. Il développe alors également par écrit sa conception des rapports entre nature et grâce, que ce soit dans sa correspondance ou par le biais d’une exégèse approfondie des Épîtres pauliniennes16. L’essentiel du contenu de l’enseignement anthropologique et moral de Pélage correspondrait à une combinaison des idéaux stoïcien et biblique, fondus dans une théologie de la création17. Créé par Dieu, l’homme reçoit de lui une pleine liberté, qui se traduit en l’égale possibilité de choisir entre 14

Et ce dès l’année 390 ; voir G. BONNER, Augustine and Modern Research on Pelagianism, [Augustinian Institute], [Villanova] 1972 (The Saint Augustine Lecture Series: Saint Augustine and the Augustinian Tradition), pp. 11-13. Sur les aspects sociaux qui expliquent aussi la bonne réputation de Pélage dans les cercles des aristocrates cultivés, voir P. BROWN, « Pelagius and His Supporters: Aims and Environment », The Journal of Theological Studies, 19/1 (1968) [93]-114, et « The Patrons of Pelagius: The Roman aristocracy between East and West », The Journal of Theological Studies, 21/1 (1970) [56]-72 [reprod. in ID., Religion and Society in the Age of Saint Augustine, London 1972, pp. 183-207 et 208-226], ainsi que J.-M. SALAMITO, Les virtuoses et la multitude. Aspects sociaux de la controverse entre Augustin et les pélagiens, J. Millon, Grenoble 2005 (Nomina). 15 Sur cet épisode et les interrogations qu’a suscitées cette citation, voir D. DOUCET, « Da quod iubes et iube quod uis : analyse et situation », Bulletin de littérature ecclésiastique, 90/2 (1989) [101]-112, et C. MAYER, « Da quod iubes et iube quod uis », Augustinus-Lexikon, t. 2, Schwabe & Co. AG, Basel 1996-2002, coll. 211-213. 16 On connaît l’existence d’une lettre (perdue) qu’il a envoyée à Paulin de Nole : cf. Augustin, De gratia Christi et de peccato originali 1, 35, 38 (éd. C.F. URBA – J. ZYCHA, CSEL, 42, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1902, p. 154), et surtout ses Expositiones XIII epistularum Pauli apostoli. Voir PLINVAL, Pélage, p. 21. 17 L’exposé qui suit est en grande partie emprunté à SOLIGNAC, « Le mouvement et sa doctrine », qui développe les divers aspects de la doctrine pélagienne.

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bien et mal ; mais, doté d’une conscience, l’être libre tend, par nature, à préférer le bien, et en cela il est capable à lui seul d’échapper à l’inclination au mal et, partant, au sort qui avait été subséquemment réservé à l’Adam prévaricateur. Le péché ne pouvant donc être qu’actuel, l’utilité et la nécessité du baptême ne se justifient plus, à moins qu’il soit donné, aux adultes, ad remissionem peccatorum. Surtout, de tout ce qui précède on peut inférer que, s’il est difficile d’en produire des exemples vérifiables, il est du moins possible qu’un homme vive sans péché, quoiqu’il puisse avoir besoin, pour opérer telle ou telle action, de la grâce de Dieu18. Ce n’est qu’en 411 que ces idées traversent la Méditerranée, grâce à l’entremise du premier grand disciple de Pélage, Célestius, arrivé à Carthage avec lui et tant d’autres exilés romains19. Lui aussi fervent ascète formé au monastère, mais surtout brillant avocat, il multiplie des prises de parole, suscitant ainsi de vives inquiétudes dans des consciences en mal d’espérance et dans une région encore fortement fragilisée par la crise donatiste finissante20. Avertis par un libelle de Paulin de Milan de certaines de ses propositions21, les évêques africains, réunis en synode par Aurélius de Carthage, condamnent les thèses de Célestius, à l’automne de 411, le poussant ainsi à quitter le territoire22. Mais cette condamnation ne devait 18

Sur la question de l’impeccantia, je renvoie à la mise au point récente (avec bibliographie mise à jour) de St. SQUIRES, Reassessing Pelagianism: Augustine, Cassian, and Jerome on the Possibility of a Sinless Life, PhD Dissertation, The Catholic University of America Press, Washington 2013. 19 Pour la biographie de Célestius, je me reporte à G. BONNER, « Caelestius », Augustinus-Lexikon, t. 1, Schwabe & Co. AG, Basel 1986-1994, coll. 693-698. Sur l’épisode en question ici, voir Z. PICARD-MAWJI, « Le passage de Célestius à Carthage : un moment clé du pélagianisme », Cahiers « Mondes anciens », 4 (2013) [en ligne : http://journals.openedition.org/mondesanciens/1003]. 20 Augustin en a gardé le souvenir en epist. 157, 3, 22 (éd. A. GOLDBACHER, CSEL, 44, Vindobonae – Lipsiae 1904, pp. 470-472) et De gestis Pelagii, 11, 25 (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, pp. 78-79). 21 Dans un Libellus accusationis, Paulin rassemble six thèses soutenues par Célestius dans ses Libri, et qui nous ont été conservées grâce aux témoignages de Marius Mercator, Commonitorium super nomine Caelestii, 2 = Collectio Palatina, 36 (éd. E. SCHWARTZ, ACO, I/5, W. de Gruyter & Co, Berolini – Lipsiae 1924-1926, pp. 65-70) et Augustin, De gestis Pelagii, 11, 23 (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, pp. 7677). Voir la restitution proposée par WERMELINGER, Rom und Pelagius, p. 11. 22 On ne possède plus les actes du procès, mais Augustin, qui les a consultés, en cite quelques fragments en De gratia Christi et de peccato originali 2, 2-4 : « in episcopali iudicio apud Carthaginem » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, pp. [167]-169).

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pas empêcher le mouvement de poursuivre son rayonnement, à la fois dans les lieux qui accueilleront Célestius et en Afrique même, par la circulation et la diffusion d’autres ouvrages « pélagiens ». Augustin, champion de la grâce contre Pélage (412-418) Il faut attendre l’année suivante pour que l’affaire arrive entre les mains d’Augustin, qui était absent lors du concile de Carthage, après qu’une missive du comte Marcellin l’a informé du danger que peut représenter la divulgation de théories anthropologiques nouvelles dont les implications sacramentaires sont loin d’être négligeables. Dans la réponse en trois livres De peccatorum meritis et remissione qu’il en prépare, Augustin a soin de traiter les deux questions principales : celle de la nécessité du baptême des tout-petits, marque de la transmission de la blessure infligée à Adam et dont seul le Christ peut sauver l’homme, et l’impossibilité qu’il y ait, hormis le Christ, un homme exempt de péché23. Toute l’opposition augustinienne à Pélage, ou peu s’en faut, est déjà contenue en germe dans ces trois livres24. Mais l’évêque d’Hippone n’a eu de cesse, dans les années qui ont suivi, que de reprendre son argumentation pour l’adapter à de nouvelles données et ainsi faire face au succès grandissant rencontré en Sicile par les options humanistes prônées par Célestius, qui étend de loin en loin sa propagande : c’est l’objet de l’importante epist. 157, de 414, et du De perfectione iustitiae hominis, de l’année suivante. Tenu La datation du concile à l’automne, et même à son début, est désormais admise, depuis les conclusions de Fr. REFOULÉ, « Datation du premier concile de Carthage contre les Pélagiens et du Liber fidei de Rufin », Revue des études augustiniennes, 9/1-2 (1963) [41]-49 (ici, p. 42), précisées encore par O. PERLER, Les voyages de saint Augustin, collab. J.-M. MAIER, Études augustiniennes, Paris 1969 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 36), p. 301. 23 Sur ce sujet, voir Br. DELAROCHE, « Introduction », in Œuvres de saint Augustin, e 3 série, t. 20/A : Premières réactions antipélagiennes I, Salaire et pardon des péchés — De peccatorum meritis et remissione, texte critique du CSEL, traduction de M. MOREAU † – Ch. INGREMEAU ; introduction, annotation et notes complémentaires de Br. DELAROCHE, Institut d’études augustiniennes, Paris 2013 (BA, 20/A). 24 G. de PLINVAL, « La grande crise du pélagianisme ». Première phase : 413-417 », in Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 21 : La crise pélagienne I. Epistula ad Hilarium Syracusanum. De perfectione iustitiae hominis. De natura et gratia. De gestis Pelagii, introductions, traductions et notes par G. de PLINVAL – J. de LA TULLAYE, Desclée de Brouwer, [Paris] 1966 (BA, 21), pp. 9-18 (pp. 16-17).

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informé, par des correspondants souvent inquiets, de l’existence de diverses productions suspectes de Pélage ou de ses partisans, Augustin entreprend de les critiquer scrupuleusement, tout en réussissant à se faire au fur et à mesure une idée plus nette de la réelle doctrine de ses nouveaux adversaires. Ces années offrent surtout à Augustin l’occasion d’affronter pour la première fois directement Pélage dans son De natura et gratia. Un traité De natura de Pélage, composé entre 405 et 410, parvenu à sa connaissance par l’entremise de deux disciples de Pélage cherchant à le consulter25, lui permet de s’assurer que la doctrine du maître, qu’il a tenté de se représenter à partir des idées professées par Célestius, n’a pas été tant dénaturée par le disciple, et qu’il faut absolument la combattre elle aussi. Dans la réfutation en règle qu’il compose dans les premiers mois de 41526, Augustin défend avec force, contre la définition pélagienne du péché comme acte purement volontaire, le principe de la faute héréditaire et innée. En niant, comme le fait Pélage, que la nature de l’homme ait été altérée par le péché d’Adam, on risque de soutenir que l’homme actuel est doté, à la naissance, des mêmes facultés que le premier humain lors de la Création, et par là d’ôter toute utilité et toute nécessité à la grâce du Christ Rédempteur27. Cette année de 415 marque surtout un tournant dans les rapports entre Pélage et les défenseurs de la grâce, par la tenue à la fin de l’année d’un synode à Diospolis, en Palestine, au cours duquel Pélage, accusé d’hérésie par des Occidentaux, réussira le tour de force de déclarer anathèmes douze propositions émanant de l’enseignement de Célestius, et ainsi d’être totalement disculpé devant toute une assemblée d’évêques28. Ce verdict, qui 25

À savoir Timase et Jacques. Augustin expose les circonstances en De natura et gratia, 1, 1, et surtout dans son epist. 179, 2 à Jean de Jérusalem (en 416) ; voir aussi G. de PLINVAL, « Introduction [au De natura et gratia] », in PLINVAL – LA TULLAYE, La crise pélagienne I, pp. 223-241 (pp. 223-224). 26 C’est la datation à laquelle arrive Y.-M. DUVAL, « La date du “De natura” de Pélage. Les premières étapes de la controverse sur la nature de la grâce », Revue des études augustiniennes, 36/2 (1990) [257]-283 (ici, p. 259), et à partir de laquelle il parvient ensuite à dater la composition du De natura lui-même des années 405-410 (ibid., p. 274). 27 Cf. en particulier Augustin, De natura et gratia, 34, 39 : « Non ergo debemus sic laudare Creatorem, ut cogamur […] dicere superfluum Saluatorem » (éd. C.F. URBA – J. ZYCHA, CSEL, 60, Vindobonae – Lipsiae 1913, p. 262). On retrouve la question posée en c. coll., 18, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 69-71) ; voir le chap. 5, pp. 266-270. 28 Le synode de Diospolis (Lydda, en Palestine) du 20 décembre 415 est au centre du De gestiis Pelagii d’Augustin, dont Prosper recommande la lecture en c. coll., 21, 3.

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vient contredire la décision carthaginoise de 411, provoque un tollé en Afrique, lorsque la nouvelle y parvient, plusieurs mois plus tard, et ce précisément après que deux nouveaux conciles y ont réaffirmé leur condamnation de l’hérésie pélagienne29. C’est la raison qui pousse Augustin à composer son De gestis Pelagii au cours de l’hiver 416-417. L’« affaire de Diospolis » ne pouvant rester sans lendemain, la lutte des antipélagiens s’est endurcie et a cherché un appui auprès de Rome et ainsi enclenché le mécanisme de la condamnation définitive de l’hérésie. « Inter apostolicam sedem et Afros episcopos » : la triple condamnation du « pélagianisme » (418) La solution — toute provisoire — de la « question pélagienne » devait, en effet, être le fait d’Augustin (et de ses confrères) ou, plus précisément, des rapports que la controverse a permis de multiplier « entre le Siège apostolique et les évêques africains30 ». Par une correspondance assidue, dont on a conservé nombre de pièces, les appels lancés par l’Afrique au Latran ont permis d’obtenir du pape romain — plus précisément, des papes romains, les événements se trouvant à cheval sur deux pontificats — une sentence claire31. Ce qui ne s’est pas produit pourtant sans rebondissements32. L’absolution obtenue par Pélage de la part des quatorze évêques qui l’ont auditionné reste pour Prosper un « moment noir » de la crise pélagienne : voir le chap. 3, pp. 91-92 et n. 26. Sur le synode, voir WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 68-71. 29 À savoir le concile de Carthage et celui de Milev, tenus entre avril-mai et septembre 416. 30 Augustin, Contra duas epistulas Pelagianorum, 2, 3, 5 : « Tot enim et tantis inter apostolicam sedem et afros episcopos currentibus et recurrentibus scriptis ecclesiasticis » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 60, p. 463). La question de la place de Rome dans la réfutation et la condamnation de Pélage et des siens a été magistralement étudiée par WERMELINGER, Rom und Pelagius. 31 Sur l’ensemble de cette correspondance, voir L. DALMON, « Les lettres échangées entre l’Afrique et Rome à l’occasion de la controverse pélagienne. Genèse et fortune d’un dossier de chancellerie ecclésiastique », Mélanges de l’École Française de Rome. Antiquité, 117/2 (2005) [791]-826, et EAD., Un dossier de l’Épistolaire augustinien : la correspondance entre l’Afrique et Rome à propos de l’affaire pélagienne (416-418) : traduction, commentaire et annotations, Peeters, Leuven – Paris – Bristol (CT) 2015 (Studia Patristica. Supplements, 3). 32 Fr.-J. THONNARD, « La crise pélagienne de 415-420 », note complémentaire n° 31, in Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 23 : Premières polémiques contre Julien. De nuptiis et concupiscentia. Contra duas epistulas Pelagianorum,

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C’est d’abord le pape Innocent qui, par trois rescrits simultanés envoyés le 27 janvier 41733, se félicite que les Africains aient fait appel à Rome et s’empresse de reconnaître toutes les décisions prises par les conciles précédents au sujet de la nécessité du baptême et de la grâce, et insiste également sur l’aide de la prière34. Surtout — et c’est la principale victoire des Africains —, il se refuse à ratifier les actes du synode de Diospolis et déclare officiellement exclus de la communauté de l’Église Pélage et Célestius et tout partisan qui ne se repentirait pas. Il appartient dès lors à ces derniers de faire acte de contrition et de reconnaître la condamnation formulée par l’autorité ecclésiastique. Quoique la proposition d’Innocent ait été immédiatement acceptée par Pélage, qui fait parvenir à Rome une lettre accompagnée d’une profession de foi visant à écarter de sa personne toute accusation35, le processus est de nouveau ralenti par la mort du pontife au mois de mars, et sa succession disputée, qui voit l’arrivée sur le siège de Pierre de Zosime, prêtre d’origine grecque qui n’était pas fidèle à la doctrine africaine du péché originel. L’élection de Zosime est pour les pélagiens l’occasion inespérée non plus d’obtenir un pardon romain, mais même jusqu’à une entière réhabilitation36. Répondant à l’appel de Célestius, qui demande un introduction, traduction et notes par Fr.-J. THONNARD – E. BLEUZEN – A. C. de VEER, Desclée de Brouwer, [Paris] 1974 (BA, 23), p. 789. 33 Innocent Ier, epist. J3 708-710 (JK 321-323) ; il s’agit des epist. 181, 182 et 183 de l’épistolaire augustinien, qui répondent respectivement aux epist. 175 (du concile de Carthage), 176 (du concile de Milev) et 177 (de cinq évêques d’Afrique, dont Aurélius et Augustin). L’ensemble de ce corpus a été traduit et commenté (à partir d’une édition partiellement révisée) par DALMON, Un dossier de l’Épistolaire augustinien : voir pp. 259-495 (texte et traduction) et 543-564 (notes). Voir néanmoins encore, sur le dossier africain, WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 94-101. 34 Dans l’epist. J3 708 (JK 321), qui est précisément convoquée par Prosper en c. coll., 5, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 19). Il faut remarquer toutefois que, profitant de son rôle d’arbitre, Rome n’entend pas valider toutes les décisions des Africains, en n’affirmant pas, par exemple, la tradux peccati ; sur cette question, on se reportera à P.F. BEATRICE, Tradux peccati. Alle fonti della dottrina agostiniana del peccato originale, Vita e pensiero. Pubblicazioni della Università Cattolica de Sacro Cuore, Milano 1978 (Studia Patristica Mediolanensia, 8), en particulier pp. [279]-287. 35 À savoir ce qu’on désigne comme son Epistula purgationis ad Innocentium papam et son Libellus fidei ad Innocentium papam ; sur ces deux écrits, voir NUVOLONE, « Les écrivains », coll. 2899-2900. 36 Sur la politique menée par Zosime à l’égard de Pélage et Célestius dans les six premiers mois de son épiscopat, voir WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. [134]-146.

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nouveau jugement, les précédents étant invalides pour vices de procédure, Zosime consent à rouvrir le dossier dans un synode romain et, plus tard, fait de même pour Pélage37. Après examen et audition, il juge que leurs libelli fidei sont inattaquables, leur donne l’absolution et vient même à blâmer leurs accusateurs, Héros d’Arles et Lazare d’Aix, comme les évêques africains qui ont accepté, les yeux fermés, la version unilatérale des deux Gaulois38. Au moment où Augustin s’exclamait à Carthage, en septembre 417 : « Causa finita est39 », toutes les démarches étaient, en réalité, à recommencer. Un concile réuni à Carthage peu après par Aurélius réclame de Rome le maintien du statu quo en vigueur depuis la confirmation par Innocent des décisions du premier concile carthaginois de 41140. La réponse de Zosime, au printemps suivant, donne bon espoir aux Africains : il faut dire qu’entre-temps Célestius, censé se présenter devant un synode plénier du clergé romain, avait préféré fuir la Ville plutôt que d’apporter les éclaircissements demandés41. Dans cette lettre Quamuis patrum traditio (epist. J3 748 [JK 342]) du 21 mars, Zosime, qui fait mine de revendiquer avec force l’autorité du siège romain en matière juridictionnelle, n’en suit pas moins les avis de ses correspondants et les considère comme ses co-juges dans l’examen de la cause pélagienne et célestienne42. La lettre n’est reçue à Carthage que le 29 avril 418, à l’avant37 Le synode convoqué par Zosime précède de peu l’epist. J3 734 (JK 329) adressée par le pape à Aurélius de Carthage le 21 septembre. Voir, à ce sujet, G.D. DUNN, « Zosimus and the Pardon of Caelestius », in Lex et religio. XL Incontro di Studiosi dell’Antichità Cristiana (Roma, 10-12 maggio 2012), Institutum Patristicum Augustinianum, Roma 2013 (Studia Ephemeridis Augustinianum, 135), pp. [647]-655. 38 Cf. Zosime, epist. J3 737 (JK 331). Sur cette lettre, voir G.D. DUNN, « Zosimus’ Synod of Rome in September 417 and His Letter to Western Bishops (Cum aduersus) », Antiquité tardive, 23 (2015) [395]-405. 39 Augustin, s. 131, 10 : « Causa finita est ; error utinam aliquando finiatur ! » (éd. G. PARTOENS, « Le sermon 131 de saint Augustin. Introduction et édition », Augustiniana, 54/1-4 [2004] 35-77 [p. 77]). 40 Perdue, la lettre de l’épiscopat africain, du 2 novembre, est rappelée par Zosime, epist. (= Collectio Avellana, 50), 5-6 (éd. O. GÜNTHER, CSEL, 35/1, pp. 116-117). 41 On cherchait à obtenir de lui tous les éléments utiles qui permettraient de confronter les raisons de son absolution récente aux objections multipliées par les Africains et dont Rome venait d’être informée. Cf. Augustin, Contra duas epistulas Pelagianorum, 2, 3, 5 (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 60, pp. 463-465). 42 Éd. in L. DALMON, « Trois pièces de la Collectio Avellana : édition critique, traduction et commentaire », Recherches augustiniennes et patristiques, 36 (2011) [195]-246 (texte : pp. 212-214 ; traduction : pp. 225-226). La question est encore

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veille du concile général qui devait promulguer des canons affirmant le péché originel et attaquer la compréhension pélagienne de la grâce en en affirmant la nécessité, et ce sans mentionner Pélage ni Célestius43. Mais pour obtenir la condamnation officielle de ces hérétiques, il aura fallu le concours simultané de l’État. Le 30 avril, en effet, les empereurs Honorius et Théodose II adressent un rescrit (le « rescrit de Ravenne ») à Palladius, qui condamne Pélage et Célestius pour avoir semé le trouble à Rome44. En réalité, la lettre de Zosime du mois de mars, chronologiquement la première, participe sans doute d’une volonté de répression commune, voire concertée45. Dernier acte de cette condamnation ferme et définitive, la débattue, de savoir si la réaction de Zosime est due à la pression de l’épiscopat africain (et du rescrit impérial) ; il est cependant peu probable que Zosime ait agi de son propre chef : voir M. LAMBERIGTS, « Co-operation between Church and State in the Condemnation of the Pelagians », in Th.L. HETTEMA – A. VAN DER KOOIJ (éd.), Religious Polemics in Context: Papers presented to the second International Conference of the Leiden Institute for the Study of Religions (LISOR) held at Leiden, 27-28 April 2000, Royal Van Gorcum, Assen 2004, pp. [363]-375 (pp. 371-375) ; voir aussi les pages consacrées à « Zosime et la crise de 418 » par Ch. PIETRI, Roma Christiana. Recherches sur l’Église de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie de Miltiade à Sixte III (311-440), École française de Rome, Rome 1976 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 224), t. II, pp. 1212-1244. 43 Voir les actes du concile, in C. MUNIER (éd.), Concilia Africae a. 345 – a. 525, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1974 (CCSL, 149), pp. [67]-[78]. 44 Collectio Quesnelliana, 14. On ne sait pas s’il s’agit d’une réponse faite à une demande expresse de l’épiscopat africain ou s’il s’agit réellement d’une volonté de réprimer des troubles sans doute assez sérieux — d’après le témoignage de Prosper, Chronicon, 1265 [a. 418] : « Hoc tempore Constantius seruus Christi ex uicario Romae habitans et Pelagianis pro gratia Dei deuotissime renitens factione eorundem multa pertulit, quae illum sanctis confessoribus sociauerunt. » (éd. MOMMSEN, MGH. AA, 9, p. 468). Sur le rescrit, voir R. VILLEGAS MARÍN, « El rescripto antipelagiano de Honorio (Collectio Quesnelliana 14). Nota sobre las relaciones Iglesia-Estado bajo la dinastía teodosiana », in E. PÉREZ BENITO – E. SUÁREZ DE LA TORRE (éd.), Lex sacra: religión y derecho a lo largo de la historia. Actas del VIII Congreso de la Sociedad Española de Ciencias de las Religiones (Valladolid, 15-18 de octubre de 2008), Sociedad Española de Ciencias de las Religiones, Valladolid 2010, pp. [179]-187. 45 Sur la succession de ces événements, voir, outre la quatrième partie (« Von der Rehabilitierung des Pelagius und Caelestius bis zur dreifachen Verurteilung der Häresie und ihrer Urheber in den Jahren 417/418 ») du livre de WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. [134]-218, la toute récente mise au point de M. MARCOS, « Papal Authority, Local Autonomy and Imperial Control: Pope Zosimus and the Western Churches (a. 417-18) », in A. FEAR – J. FERNÁNDEZ UBIÑA – M. MARCOS (éd.), The Role

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proclamation par le pape Zosime, enfin pourvu des documents conciliaires et impériaux, d’une lettre encyclique, connue sous le nom de Tractoria, en juin ou juillet de la même année46. La lettre, dont on n’a conservé que des fragments47, adressée à tous les évêques, reprend les attendus du concile de Carthage et condamne les positions défendues par les deux accusés. Si, pour les Africains, elle n’apporte rien à la discussion48, le fait qu’il existe désormais une reconnaissance expresse, émanant à la fois de Ravenne et de Rome, des positions africaines contre les thèses pélagiennes n’a pu qu’accélérer le processus de répression49. Une fois donc obtenues, en l’espace de quelques mois, les condamnations successives de l’empereur, du concile de Carthage et des pontifes romains, les farouches opposants des pélagiens pouvaient véritablement se déclarer vainqueurs. 2. Le pélagianisme après Pélage : Julien d’Éclane et les autres partisans de Pélage (418-430) Condamnées par trois fois, les thèses de Pélage et de Célestius sont désormais placées au rang des hérésies à proprement parler, et leurs auteurs chassés ou contraints au silence50. Pour autant le pélagianisme ne meurt pas, of the Bishop in Late Antiquity: Conflict and Compromise, Bloomsbury, London – New York 2013, pp. 145-166. 46 La date exacte n’est pas assurée : l’encyclique est, en tout cas, antérieure au De gratia Christi et de peccato originali (été 418), qui est le plus ancien écrit qui la cite (en 17, 18) ; PLINVAL, Pélage, p. 327, n. 1, propose de situer la publication de la lettre au 29 juin. Voir là-dessus aussi O. WERMELINGER, « Das Pelagiusdossier in der Tractoria des Zosimus », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie, 26/2-3 (1979) 356-368. 47 Son texte a été partiellement reconstruit par WERMELINGER, Rom und Pelagius, Anhang 5 : « Die Tractoria des Zosimus (Fragmente) », pp. [307]-308. Parmi les sources indirectes qui ont permis cette reconstitution se trouve précisément le Contra collatorem, qui en cite un extrait en c. coll., 5, 3 ; voir aussi là-dessus le chap. 4, pp. 211-212. 48 Voir les conclusions d’O. WERMELINGER, « Décision du concile africain de 418 sur la grâce et la liberté, présentée par Augustin à Boniface, évêque de Rome », in P.-Y. FUX – J.-M. ROESSLI – O. WERMELINGER (dir.), Augustinus Afer. Saint Augustin : africanité et universalité. Actes du colloque international (Alger-Annaba, 1-7 avril 2001), t. 1, Éd. universitaires, Fribourg 2003 (Paradosis. Études de littérature et de théologie anciennes, 45/1), pp. [219]-226 (p. 226). 49 La part de l’influence de l’épiscopat africain sur la décision d’Honorius a sans doute été légèrement surévaluée, selon M. MARCOS, « Anti-Pelagian Legislation in Context », in Lex et religio, pp. [317]-344 (pp. 326-329). 50 Voir NUVOLONE, « Les écrivains », col. 2893.

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mais commence alors de s’ériger en une secte extérieure à l’Église, prenant avant tout la forme d’une résistance assumée envers Rome. L’époque de la réception de la Tractoria ouvre donc une nouvelle phase de la controverse, durant laquelle les vainqueurs de 418 — et Augustin toujours en tête — auront à affronter un nouvel ennemi de taille en la personne de Julien, évêque d’Éclane51. On s’attardera moins sur ce moment de la controverse, qui n’est pas — contrairement au précédent — au cœur de la polémique menée par Prosper ; mais l’important est de déterminer si et pourquoi cette survivance des idées de Pélage, même après leur condamnation officielle, a pu influencer non pas tant les idées des Provençaux que la façon dont on les a perçues. Le destin de Célestius La mise en application de la Tractoria ne s’est pas faite immédiatement et a de nouveau nécessité la conjonction du pouvoir papal et du pouvoir impérial. La condamnation de juin 418 ayant été proclamée sans faire acception de personnes, Pélage et Célestius n’étaient pas directement condamnés, mais étaient enjoints, comme déjà sous le pontificat d’Innocent, à faire acte de soumission en professant, sans réserve ni ambiguïté, leur adhésion à la foi catholique. De Pélage, on n’a plus la moindre trace en Occident après l’été de 418. Retiré déjà en Palestine au moment des décisions conciliaires et pontificale, il est chassé de cette région et se réfugie vraisemblablement à Antioche, bénéficiant de la faveur d’un milieu proche de Jean Chrysostome52. De nouveau expulsé, Pélage poursuit son errance à travers l’Orient, et jusqu’en Égypte, cherchant à gagner les terres de plusieurs de ses disciples, jusqu’à sa mort, survenue à une date inconnue53. Il n’a plus joué, semble-t-il, aucun rôle dans les controverses qu’il avait pourtant suscitées, ne subsistant qu’à travers ses défenseurs et ses continuateurs. Célestius, en revanche, après sa première expulsion hors de l’Vrbs par le rescrit de Ravenne, a sans doute persévéré dans sa conduite, puisque le 51 Sur la controverse qui a opposé Augustin à Julien d’Éclane, on se reportera à J. LÖSSL, Julian von Aeclanum. Studien zu seinem Leben, seinem Werk, seiner Lehre und ihrer Überlieferung, Brill, Leiden – Boston – Köln 2001 (Supplements to Vigiliae Christianae, 60), en particulier pp. [250]-311. 52 Voir WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 251-252. 53 PLINVAL, Pélage, p. 15, la plaçait entre 423 et 429 en Égypte (?).

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pouvoir civil a dû intervenir à plusieurs reprises, dans les derniers jours du pontificat de Zosime et au début de celui de Boniface, pour confirmer et réitérer cette condamnation à l’exil. À la fin de la même année 418, l’empereur Constance III bannit Célestius à cent milles de Rome54 ; de nouveau l’année suivante, les deux empereurs ordonnent que Célestius soit, avec Pélage, ou livré ou expulsé de toute province55. Aux actes précédents il faut ajouter une autre sanction prise par le pouvoir pontifical, après la mort de Boniface : aux dires de Prosper (en c. coll., 21, 2), le pape Célestin a été contraint, lui aussi, d’imposer l’exil à Célestius56. Ce nouveau bannissement, formulé sans doute vers 423-424 et renforcé le 6 juillet 425 par la promulgation d’une constitution impériale enjoignant aux évêques pélagiens d’abjurer l’hérésie devant l’évêque d’Arles, Patrocle57, a eu raison de Célestius, qui se réfugie alors auprès de Nestorius à Constantinople58. Ses nouvelles 54

Se reporter à la notification faite au préfet de la Ville Volusianus (Collectio Quesnelliana, 19-20 ; PL, 56, coll. 499C-500C), qu’on ne peut dater de 420, comme le faisait C. BARONIUS, in Annales ecclesiastici…, t. 7, Typis L. Venturini, Lucæ 1741, Année 420, § 2, p. 194, ni de 421, comme on le lit souvent, depuis L. S. LENAIN DE TILLEMONT, t. 13 qui contient La vie de saint Augustin, Dans laquelle on trouvera l’histoire des Donatistes de son temps, & celle des Pelagiens, Chez Charles Robustel, Paris 17102, art. 286, p. 761 (corriger, dans l’index de la première édition, p. 1054, la date de 431). En effet, Volusianus ne semble avoir été préfet urbain qu’une fois, en 417-418 : voir A. CHASTAGNOL, « Le sénateur Volusien et la conversion d’une famille de l’aristocratie romaine au Bas-Empire », Revue des études anciennes, 58/3-4 (1956) [241]-253, en particulier pp. [241]-245. Sur Constance et son rôle dans l’issue du conflit, voir W. LÜTKENHAUS, Constantius III : Studien zu seiner Tätigkeit und Stellung im Westreich (411-421), Habelt, Bonn 1998 (Habelts Dissertationsdrucke. Reihe alte Geschichte, 44), en particulier pp. 137-149. 55 Lettre d’Honorius et Théodose II à Aurélius de Carthage (= Collectio Quesnelliana, 16), datée du 9 juin 418 (cf. PL, 56, coll. 493B-494B). 56 C. coll., 21, 2 : « uenerabilis memoriae pontifex Caelestinus […] sciens damnatis non examen iudicii, sed solum paenitentiae remedium esse praestandum, Caelestium, quasi non discusso negotio audientiam postulantem, totius Italiae finibus iussit extrudi » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 80). 57 Constitutions sirmondiennes, 6 (éd. in P. KRÜGER – Th. MOMMSEN [éd.], Theodosiani libri XVI cum constitutionibus Sirmondianis et leges novellae ad Theodosianum pertinentes, Apud Weidmannos, Berolini 19623, t. I/2, pp. 911-912) ; cf. aussi Codex Theodosianus, 16, 2, 46-47 et 5, 62-64 (ibid., pp. 852 et 877-878). Pour une présentation sommaire de ces événements, on pourra se reporter encore à PLINVAL, Pélage, pp. 346-348 et à WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 249-250 et 207-208. 58 Après en avoir été une première fois expulsé par le patriarche Atticus, comme le rappelle Marius Mercator, Commonitorium super nomine Caelestii = Collectio

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accointances accéléreront encore sa déchéance : plusieurs fois accusé par Marius Mercator, il est expulsé de Constantinople par Théodose II sans doute en 42959 et de nouveau condamné, deux ans plus tard, lors du concile d’Éphèse. On comprend bien alors à quelle réalité Prosper fait référence lorsqu’il dépeint les pélagiens comme des âmes errantes, « pulsi pontificio » et incapables de trouver le repos, pourchassés qu’ils sont par les défenseurs de l’Église60. Mais ce tableau aux teintes pathétiques n’est représentatif que d’une frange des « pélagiens » — en l’espèce, les anciens maîtres à penser eux-mêmes —, à laquelle fait pendant un autre groupe beaucoup plus vindicatif et radical. La Tractoria et ses réfractaires L’expédition, dans l’ensemble des provinces de la chrétienté, de la lettre encyclique de Zosime, censée ramener l’unité dans l’Église et mettre fin aux dissensions, a eu en réalité l’effet inverse. Alors que, en tant que métropolitain, il était en droit d’attendre des évêques italiens une pleine adhésion à la condamnation qu’il venait de formuler, le pontife romain a dû supporter l’insoumission de dix-neuf évêques de la péninsule, originaires surtout d’Aquilée et de Campanie61. Par cet acte de résistance ouverte, le chef de file des évêques réfractaires, Julien d’Éclane, s’impose comme le nouvel acteur de la controverse : se présentant comme le porte-parole des « confesseurs de Palatina, 36 (éd. SCHWARTZ, ACO, I/5, p. 66) ; Atticus reçoit pour cet acte les éloges de Prosper en Peri akharistôn, 61-66 (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, Washington 1962, p. 46). 59 Ou en tout cas avant le printemps 431 : voir PIETRI, « Les difficultés du nouveau système », p. 469. 60 Cf. c. coll., 1, 2 : « Pulsi pontificio et communione priuati, querantur [...] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 7). Voir, là-dessus, le chap. 4, p. 233 et n. 269. 61 Julien s’en ouvre au pontife dans deux lettres (dont l’une est citée par Marius Mercator, Commonitorium super nomine Caelestii = Collectio Palatina, 36 (éd. SCHWARTZ, ACO, I/5, pp. 11-12 et 19 = éd. L. DE CONINCK, CCSL, 88, Turnholti 1977, pp. 335-336). Sur cette Epistula ad Zosimum, voir LÖSSL, Julian von Aeclanum, pp. 273-286. L’Epistula ad Romanos, en revanche, qui partage les mêmes vues, n’est pas adressée à Zosime (d’ailleurs mort entre-temps) ni à son successeur : voir Y.-M. DUVAL, « Julien d’Éclane et Rufin d’Aquilée. Du Concile de Rimini à la répression pélagienne. L’intervention impériale en matière religieuse », Revue des études augustiniennes, 24/3-4 (1978) [243]-271 (pp. 256-257).

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notre temps62 » et crédité par Prosper d’une assez grande influence sur les consciences63, il est celui qui va donner à la controverse une nouvelle impulsion, des plus décisives, en suscitant une nouvelle fois une vive controverse avec l’évêque d’Hippone, dont on a conservé le De nuptiis et concupiscentia, le Contra duas epistulas Pelagianorum et surtout les deux grands traités Contra Iulianum et Contra Iulianum opus imperfectum. Le jeune Julien, consacré évêque d’Éclane, en Campanie, moins de deux ans auparavant par le pape Innocent lui-même, oppose en effet au successeur de ce dernier son refus le plus ferme de souscrire à la Tractoria. Cette révolte vise sans doute moins l’autorité du pape lui-même que l’influence néfaste que, selon lui, l’épiscopat africain a réussi à exercer sur le pontife romain, dont le dernier acte apparaît aux yeux des évêques italiens comme un revirement et une trahison. Dès avant cet épisode, Julien et son groupe avaient dû tenter déjà de faire accepter par l’Église une forme évoluée et moins radicale du pélagianisme, conforme selon eux à la Bible et à la Tradition, contre les opinions défendues à Carthage64. Mais les mesures prises par le Latran, de conserve avec l’empereur, achevaient de ruiner leurs espérances. Après quelques tentatives d’appel vainement formulées65, les évêques sont tous déposés et excommuniés66. Contraint à l’exil, Julien,

62 Cf. Augustin, Contra Iulianum opus imperfectum, 1, 51 : « uerum quoniam mihi potissimum hoc a sanctis uiris, nostri temporis confessoribus, munus impositum est, ut dicta tua quid habeant ponderis rationisque discutiam » (éd. M. ZELZER, CSEL, 85/1, Vindobonae 1974, pp. 44-45). 63 Cf. c. coll., 21, 1 : « Nec enim alia possunt dicere quam quae damnatorum querelis et procacissimis Iuliani sunt uulgata conuiciis. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 79). 64 On peut distinguer, en effet, entre la doctrine de Pélage et de Célestius et celle de Julien tous les écarts qui sépareraient un « pélagianisme ascétique, ennemi du siècle » d’un « pélagianisme séculier-clérical » ; voir Fr.-J. THONNARD, « La crise du pélagianisme dans sa troisième phase », in THONNARD – BLEUZEN – de VEER (éd.), Premières polémiques, pp. 9-30 (ici, p. 16, n. 17). 65 Auprès, notamment de Rufus de Thessalonique et d’Augustin d’Aquilée (d’après Augustin, Contra Iulianum opus imperfectum, 1, 10 et 18), qui demandent un synode plénier, voire un synode à Rome même. Voir WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 234-238, et NUVOLONE, « Les écrivains », coll. 2902-2903. 66 D’abord par Zosime, mais qui meurt avant d’avoir obtenu satisfaction, puis par une lettre d’Honorius et Théodose II à Aurélius de Carthage, mise en application dans le courant de l’année 419. Sur cette lettre, voir MARCOS, « Anti-Pelagian Legislation », pp. 334-336.

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qui a trouvé refuge auprès de Nestorius67, n’en a pas moins été maintenu dans sa condamnation, et ce malgré, semble-t-il, plusieurs démarches de réconciliation sous les pontificats de Xyste III et de Léon le Grand68. Les condamnations ne se limiteront pas à Julien et aux siens, mais seront étendues à tous ceux qui, pour avoir favorisé en cachette les thèses de Pélage ou tout simplement refusé de les désavouer expressément, seront considérés comme des soutiens de l’hérésiarque. Un « pélagianisme » gaulois ? Prosper, Cassien et la phobie d’une résurgence Une tradition, qui n’est que légendaire, a fait longtemps croire que Julien d’Éclane avait poussé son exil jusque sur les îles de Lérins, et qu’il y aurait dispensé son enseignement auprès d’éventuels émules69. La question se pose, en effet, de l’existence d’un pélagianisme en Gaule, en plein cœur de la controverse comme dans les décennies suivantes. La menace d’une résurgence de l’ancienne hérésie, argument polémique s’il en est, que la plume de Prosper, de Cassien ou d’autres auteurs ne manque pas d’incarner par les images les plus terrifiques, n’est-elle vraiment qu’un artifice rhétorique et littéraire destiné à stigmatiser l’adversaire plus efficacement ? Par-delà la description d’un dragon palpitant près de relever la tête ou d’une armée de vaincus revenant à l’assaut70, ne peut-on pas percevoir, même voilée, l’expression d’une crainte qui, pour n’être pas forcément légitime, n’en serait pas moins sincère ? Il est assez clair que, du temps de la première controverse, les enseignements humanistes de Pélage avaient trouvé des adeptes en Gaule, 67 Sur son exil à Constantinople (en 428-430), voir LÖSSL, Julian von Aeclanum, pp. 298-302. 68 Sur les dernières traces connues de l’activité de Julien, voir LÖSSL, Julian von Aeclanum, pp. 319-321 et 324-326 ; voir aussi R. VILLEGAS MARÍN, « En polémica con Julián de Eclanum. Por una nueva lectura del Syllabus de gratia de Próspero de Aquitania », Augustinianum, 43/1 (2003) [81]-124. 69 H.-I. MARROU, « La canonisation de Julien d’Éclane », in Theologie aus dem Geist der Geschichte. Festschrift für Berthold Altaner = Historisches Jahrbuch, 77 (1957) [434]-437. Sur les rapports supposés de Julien avec les doctores provençaux, voir aussi LÖSSL, Julian von Aeclanum, pp. 321-324. 70 Cf. Peri akharistôn, XVII : « nec caput attriti virosum palpitet anguis » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 42).

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spécialement dans les centres ascétiques, comme par exemple chez un Sulpice Sévère, qui se serait condamné, dans ses dernières années, à un silence total pour expier ses anciennes sympathies coupables71. À l’époque triomphante de la condamnation des pélagiens, plus d’un lettré gaulois, ayant adopté un mode de vie et des idéaux semi-érémitiques, doit avoir trouvé dans les idées de l’ascète breton et de ses disciples une voie de conciliation favorable : les documents législatifs produits alors, un témoignage (certes assez ambigu) de Paulin de Pella72 et le cas, surtout, de l’affaire Léporius73, semblent l’indiquer d’une manière assez forte. Que telle soit encore la situation aux alentours de 430 est cependant fort douteux. Mais il n’empêche que les protagonistes de ce qui est appelé à devenir la controverse postpélagienne des années précédant et suivant la mort d’Augustin sont les mêmes qui ont été les témoins directs — et 71

D’après le témoignage de Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 19 : « Hic in senecta sua a Pelagianis deceptus et agnoscens loquacitatis culpam silentium usque ad mortem tenuit, ut peccatum quod loquendo contraxerat, tacendo penitus emendare » (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 69). On connaît plusieurs écrits (pro)pélagiens diffusés sous son nom : voir NUVOLONE, « Les écrivains », coll. 2922-2923. 72 Paulin de Pella reconnaît avoir suivi « les chemins des opinions fausses qui conduisent aux hérésies » (Eucharisticon, 472 : « errorum discendo uias per dogmata praua » ; éd. Cl. MOUSSY, SC, 209, Paris 1974, pp. 90-91). On peut supposer, avec Claude Moussy (« Introduction », pp. 7-48 [p. 32]) qu’il est question, dans ce passage, du pélagianisme. Certaines expressions, dans le contexte immédiat, suggèrent d’ailleurs que c’est la question de la grâce qui fait l’objet de la retractatio (cf. Eucharisticon, 445-447 : « Nescis et ignaris solus succurrere nosti / praeueniendo prior multorum uota precantum » ; Eucharisticon, 449-450 : « magis apta his dare paratus / qui sapiunt tua dona suis praeponere uotis » ; ibid., p. 88). Si les choix lexicaux se ressentent sans doute d’un contexte polémique encore vif dans les années 450, l’événement décrit, datable de 421 ne saurait évidemment, lui, se rapporter au « semipélagianisme » (contrairement à ce que voulait C. MÜLLER, Observationes grammaticae in Paulini Pellaei carmen Eucharisticum, Pfau, Berlin 1933, p. 80 ; voir Cl. MOUSSY, « Introduction », in Paulin de Pella, Poème d’action de grâces et Prière, introduction, texte critique, traduction, notes et index par Cl. MOUSSY, Éd. du Cerf, Paris 1974 (SC, 209), p. 18 et « Commentaire », ibid., pp. 183-184). 73 Sur la date de l’affaire Léporius, plus près de 418 que de 430, voir J.-L. MAIER, « La date de la rétractation de Leporius et celle du “sermon 396” de saint Augustin », Revue des études augustiniennes, 11/1-2 (1965) [39]-42. Au sujet de l’« affaire », se reporter à T. KRANNICH, Von Leporius bis zu Leo dem Grossen. Studien zur lateinischsprachigen Christologie im fünften Jahrhundert nach Christus, Mohr Siebeck, Tübingen 2005 (Studien und Texte zu Antike und Christentum, 32), pp. [13]-71.

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même, dans le cas de Cassien, des acteurs de premier plan — des effets de la précédente. La complexité du contexte idéologique, tel qu’on vient de le retracer à grands traits, invite, en effet, à ne pas trop méconnaître l’atmosphère de défiance, mêlée de suspicion, qui pouvait influer sur les consciences. Qu’ils aient réellement continué, dans les années 420, à défendre les positions inchangées de Pélage et Célestius ou qu’ils aient été les victimes d’un amalgame précipité, ceux qui se voient affublés des noms de Pelagiani ou de Pelagianisti74 instillent sans aucun doute, pour beaucoup, une véritable phobie, dont les œuvres de Prosper offrent une assez bonne illustration. Le fait de retrouver diffusé, dans le milieu même qui est le sien, ce qui lui apparaissait comme du pélagianisme rebouilli, qui plus est de la part d’individus saints et respectables à ses yeux, n’a pas dû peu contribuer à l’accroissement de son appréhension. Mais — chose plus inquiétante encore pour la « faction augustinienne » — ces « ratiocinations », ces chicanes, qui auraient à la rigueur droit de cité dans les conversations d’initiés ne se cantonnent pas aux cercles confinés des monastères, mais se répandent jusque dans « les oreilles catholiques75 », c’est-à-dire celles du peuple, tant de la ville que de la campagne, qui est loin d’être aussi préparé que les ascètes à mesurer toutes les incidences de tels propos, et qui s’empresse de s’en faire le relais. Non sans quelque dédain, Prosper évoque, de fait, « le bas peuple bavard et le verbiage des sots [qui] répandent sans mesure » les discours reçus de personnalités immanquablement influentes76. Cette inquiétude était déjà sensible quelques années plus tôt, dans sa Lettre à Augustin, où il devait faire face aux réticences qui émanaient aussi des « personnages qu’illustrent 74

M.-Fr. BERROUARD, « Les Lettres 6* et 19* de saint Augustin. Leur date et les renseignements qu’elles apportent sur l’évolution de la crise “pélagienne” », Revue des études augustiniennes, 27/3-4 (1981) [264]-277, a bien montré, à partir de deux lettres qu’il date respectivement de 416 et de 420-421, combien l’opinion d’Augustin à l’égard de Pélage s’est modifiée : en 420, il ne fait pas de doute pour Augustin que Pélage est un hérésiarque ; c’est pourquoi ses continuateurs peuvent recevoir les noms de Pelagiani et Pelagianisti ; voir aussi DRECOLL, « Pelagius, Pelagiani », coll. 657-659. 75 Cf. Prosper, c. coll., 14, 2 : « fallaciter praedicando catholicarum tibi aurium iudicia conciliare uoluisti » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 57). Sur l’importance de cette question de la diffusion des idées par l’oral, voir le chap. 3, pp. 92-95. 76 C. coll., 2, 1 : « quae uulgus ignobile et procax ineptorum loquacitas intemperanter effundit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 7-8).

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leurs mérites et leurs hautes fonctions, et qu’obscurcissent les ténèbres de leurs fausses théories77 », parmi lesquels il plaçait l’évêque d’Arles d’alors78. Ce sont en effet des évêques, ceux-là mêmes à qui était surtout due la grande avancée dans l’évangélisation des campagnes, par le biais de la prédication, qui sont désignés dans les accusations voilées de Prosper79. Il était important de rappeler les différentes étapes de la controverse dite pélagienne pour tenter de saisir plus efficacement quel état d’esprit pouvait habiter les protagonistes du débat qui va maintenant nous intéresser. Car la longue durée et la permanence de la question pélagienne ne sont pas sans incidence sur la perception des nouvelles interrogations suscitées par la lecture des œuvres d’Augustin. Pour Prosper, le débat engagé avec les moines provençaux n’est autre chose qu’une séquelle de la controverse ancienne et, pour le dire autrement, que son prolongement naturel. Quoiqu’il faille relativiser la présentation qu’en donne Prosper80, il reste 77 Prosper, epist. 1, 9 : « sed etiam ipsos, quos meritis atque honoribus claros caligo istius opinionis obscurat, defaecatissimum lumen gratiae recepturos » (trad. J. CHÉNÉ, BA, 24, [Paris] 1962, p. 412-413). 78 L’identité de cet évêque demeure incertaine. On lit encore, d’après l’édition mauriste, les mots « Hilarium, Arelatensem episcopum » (BA, 24, pp. 412-413). Mais O. CHADWICK, « Euladius of Arles », The Journal of Theological Studies, 46/183184 (1945) 200-205, a proposé, sur la foi d’un manuscrit qui porte Helladium au lieu d’Hilarium, d’identifier cet évêque avec un Euladius mentionné par l’ancien catalogue épiscopal d’Arles, qui aurait succédé pour un bref temps à Patrocle en 426. Plus récemment, toutefois, P.-A. JACOB, « Helladius fut-il évêque d’Arles ? Quelques réflexions sur la lettre ‘Ignotus quidem tibi facie’ de Prosper d’Aquitaine à Augustin », Provence historique, 51/204 (2001) [219]-225, est revenu sur l’hypothèse de Chadwick en défendant l’identification de l’episcopus Arelatensis avec Hilaire. 79 Voir à ce sujet J.-P. WEISS, « Le statut du prédicateur et les instruments de la prédication dans la Provence du Ve siècle », in R.M. DESSÌ – M. LAUWERS (éd.), La parole du prédicateur (Ve-XVe siècles), Centre d’Études Médiévales. Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, Nice 1997 (Collection du Centre d’études médiévales de Nice, 1), pp. [23]-47. Pour un aperçu de l’influence des prédicateurs en contexte controversial, on renverra en particulier à M.-Y. PERRIN, « “The Blast of the Ecclesiastical Trumpet” : prédication et controverse dans la crise pélagienne. Quelques observations », in P. NAGY – M.-Y. PERRIN – P. RAGON (éd.), Les controverses religieuses entre débats savants et mobilisations populaires (monde chrétien, Antiquité tardive – XVIIe siècle), Publications des Universités de Rouen et du Havre, [Mont-SaintAignan] 2011, pp. 17-32 (Changer d’époque, 23). 80 Voir à ce propos l’Introduction, pp. XXX-XLIII, et l’analyse des procédés polémiques de Prosper dans le Contra collatorem au chap. 4, pp. 161-184.

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vrai, dans une certaine mesure, que les revendications antiaugustiniennes développées par Cassien et ceux qui partagent ses positions sont une réplique à un discours antipélagien qui, selon eux, aurait franchi certaines limites extrêmes.

II – UNE NOUVELLE CONTROVERSE ? LA DOCTRINE AUGUSTINIENNE DE LA GRÂCE CONTRE L’ASCÉTISME PROVENÇAL (426-430) Parallèlement à ces mouvements, de plus en plus épars, d’une survivance du pélagianisme après la triple condamnation de 418, se font jour, en Afrique d’abord, puis en Provence, de nouvelles protestations, résultant elles aussi de ces quinze ans de controverse, et qui occuperont les dernières années de la vie d’Augustin. La différence de taille qui sépare ce second mouvement « postpélagien » du premier consiste en ce que les nouveaux contradicteurs d’Augustin sont eux aussi ouvertement antipélagiens : le débat qu’ils ouvrent n’a plus pour objet de remettre en cause la nécessité de la grâce dans l’économie du salut de l’homme, mais vise à s’interroger sur les rôles respectifs de la grâce de Dieu et de la volonté humaine, spécialement dans l’acquisition de la foi81. C’est la raison 81

Plusieurs monographies ont déjà été consacrées à la controverse dans toute son étendue. La présentation d’ensemble la plus complète reste celle de WEAVER, Divine Grace and Human Agency ; OGLIARI, Gratia et certamen offre, quant à lui, une somme extrêmement précise et détaillée sur les tout débuts de la controverse. Voir également, pour des aspects plus ponctuels ou des vues plus synthétiques, parmi de nombreuses publications, J. PELIKAN, The Christian Tradition: A History of the Development of Doctrine, t. 1 : The Emergence of the Catholic Tradition (100-600), The University of Chicago Press, Chicago – London 1971, pp. 318-331 ; C. TIBILETTI, « Polemiche in Africa contro i teologi provenzali », Augustinianum, 26/3 (1986) [499]-517 ; ID., « Tertulliano, Lerino e la teologia provenzale », Augustinianum, 30/1 (1990) [45]61 ; P. MATTEI, « Augustin et les moines provençaux. Les controverses sur la grâce aux Ve-VIe siècles », Lérins, 378 (2004) 2-21 ; St. GIOANNI, « Moines et évêques en Gaule aux Ve et VIe siècles : la controverse entre Augustin et les moines provençaux », Médiévales, 38 (2000) [149]-161 et, dernièrement, L. KARFÍKOVÁ, Gnadenlehre in Schrift und Patristik, collab. V. HUŠEK – L. CHVÁTAL, Herder, Freiburg 2016 (Handbuch der Dogmengeschichte, III/5a[1]), pp. 622-643 ; je n’ai pu avoir accès à l’essai de G. ROTTENWOEHRER, Semipelagianismus, Verlag Dr. Kovač, Hamburg 2011 (THEOS. Studienreihe Theologische Forschungsergebnisse, 95).

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pour laquelle l’appellation qu’on lui a donnée de « semipélagianisme » est plus qu’imparfaite82. Or, ces revendications émergent dans un contexte qui est sensiblement identique à celui qui avait présidé, au début du siècle, aux premiers échos de l’enseignement ascétique de Pélage. C’est en effet dans un milieu profondément marqué par un idéal nouveau de perfection et la recherche d’une vie consacrée à la prière que sont apparues dans plusieurs centres de la Gaule méridionale des revendications semblables à celles qui avaient d’abord surgi sur les côtes de la Byzacène. Le nombre et le caractère des principales figures monastiques et ecclésiastiques de cette région en ont fait le foyer le plus vivace de l’opposition aux thèses rigoristes d’Augustin et ont favorisé le développement de cette longue crise, qui n’a trouvé sa résolution qu’après plus d’un siècle d’affrontements, certes très espacés. Tel est, du moins, le tableau que permettent de brosser a posteriori les sources littéraires contemporaines qui nous en ont conservé les traces et le jugement de l’historiographie. À dire le vrai, on ne peut atteindre les différentes phases de la controverse que par à-coups, à travers les traités publiés à différents moments du Ve siècle et du début du suivant.

1. La vie monastique en Gaule du sud Caractérisé par un grand sursaut de spiritualité, le Ve siècle commençant voit fleurir dans la Gaule méridionale de nouvelles formes de vie communautaire et des mouvements guidés par un idéal ascétique encore rare alors dans cette région de l’Empire83. Cet essor d’un monachisme venu 82

Voir, là-dessus, les remarques déjà faites dans l’Introduction, pp. XXXIV-XL. Pour ce qui concerne plus spécifiquement le monachisme gaulois, on profitera des études suivantes de Fr. PRINZ, « Zur geistigen Kultur des Mönchtums im spätantiken Gallien und im Merowingerreich », in ID., Mönchtum und Gesellschaft im Frühmittelalter, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt 1976 (Wege der Forschung, 312), pp. [265]-353 (version augmentée de l’article paru dans Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte, 26 [1963] [29]-102) ; ID., Frühes Mönchtum im Frankenreich, spécialement de la Ière partie, chap. 2 : « Lerinum (Lérins) und sein Einfluss in Gallien », pp. [47]-87. Voir aussi, pour les rapports entre Lérins et Marseille, outre le livre classique de S. PRICOCO, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, Ed. dell’Ateneo e bizzarri, Roma 1978 (Filologia e critica, 23), R. NÜRNBERG, Askese als sozialer Impuls. Monastischasketische Spiritualität als Wurzel und Triebfeder sozialer Ideen und Aktivitäten der 83

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d’Orient correspond aussi, en Gaule, mais plus encore en Italie et en Afrique à la même époque, au moment de la diffusion, puis de la condamnation des idées pélagiennes. C’est dans ce contexte d’un regain de l’ascétisme, qui a servi de terreau au monachisme, que Jean Cassien a su importer en Provence des traditions héritées de l’Orient pour créer un nouveau genre de uita communis appelé à perdurer. L’installation de Jean Cassien à Marseille C’est, plus précisément, dans la ville de Marseille que Prosper signale les premiers mouvements de ce que l’on considère comme la controverse postpélagienne84. Son compagnon Hilaire, qui écrit au même moment à Augustin, précise, quant à lui, que les mêmes revendications ont émergé également « en quelques endroits encore de la Gaule85 ». C’est aussi vraisemblablement à Marseille que Cassien a fini sa vie, selon la notice que lui consacre Gennade, prêtre de la même ville, dans son De uiris illustribus86.

Kirche in Südgallien im 5. Jahrhundert, Borengässer, Bonn 1988 (Hereditas. Studien zur Alten Kirchengeschichte, 2), chap. C : « Monastisch-asketische Spiritualität und ihre soziale Komponente », pp. 31-139, et Cl.M. KASPER, Theologie und Askese. Die Spiritualität des Inselmönchtums von Lérins im 5. Jahrhundert, Aschendorffsche Verlagsbuchhandlung, Münster 1991 (Beiträge zur Geschichte des Alten Mönchtums und des Benediktinertums, 40), en particulier chap. II/3 : « Lehre – Theologische Askese und asketische Theologie », pp. [224]-290, et le volume collectif rassemblé par Y. CODOU – M. LAUWERS (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Brepols, Turnhout 2009 (Collection d’études médiévales de Nice, 9). Enfin, s’agissant des auteurs monastiques, on se reportera au volume d’A. de VOGÜÉ, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’antiquité, Première partie : Le monachisme latin, t. 7 : L’essor de la littérature lérinienne et les écrits contemporains (410-500), Éd. du Cerf, Paris 2003 (Patrimoines. Christianisme), et R. ALCIATI, « Eucher, Salvien et Vincent : les Gallicani doctores de Lérins », in CODOU – LAUWERS (éd.), Lérins, une île sainte, pp. [105]-119. 84 Prosper, epist. 1, 2 : « Multi ergo seruorum Christi, qui in Massiliensi urbe consistunt » (BA, 24, pp. 392-394). 85 Hilaire (de Marseille ?), epist., inter Augustin, epist. 226, 2 : « Haec sunt itaque, quae Massiliae uel etiam aliquibus locis in Gallia uentilantur » (BA, 24, pp. 414-415). 86 Cf. Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 62 : « et in his scribendi apud Massiliam et vivendi finem fecit Theodosio et Valentiniano regnantibus » (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 82).

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Si Cassien s’est, en effet, installé durablement en Gaule provençale, ce n’est qu’au terme d’un long périple, qui l’aura mené de sa Scythie mineure natale jusqu’à Bethléem, au désert de Scété, à Constantinople, puis à Rome87. Parti avec son ami Germain en pèlerinage jusqu’à Bethléem, c’est dans ce lieu que, avant même l’arrivée de Jérôme, il embrassera, très jeune encore, la vie monastique et se mettra à l’exemple des anciens Pères. Après un séjour en Égypte, et notamment dans le désert de Scété, les deux compagnons trouvent refuge à Constantinople avant de gagner Rome à l’occasion d’une mission pour ensuite se rendre de là en Gaule88. Marseille, la « nouvelle Athènes », passe pour être, à l’époque de l’arrivée de Cassien en Gaule, vers l’an 420, un bastion de romanité dans une Gaule ravagée par les invasions ; elle fait partie des villes méridionales qui devaient en effet être préservées des assauts ennemis pour encore un demi-siècle89. Marseille est surtout devenue le refuge de nombreux 87 On a beaucoup discuté sur l’origine de Cassien : on rappellera seulement les études de H.-I. MARROU, « Jean Cassien à Marseille », Revue du Moyen Âge latin, 1 (1945) [5]-26 (pp. 5-17) et ID., « La patrie de Jean Cassien », Orientalia Christiana periodica, 13 (1947) 588-596, et les pages de CHADWICK, John Cassian, pp. 190198. Voir le bilan proposé dans la toute récente notice « Iohannes Cassianus 2 », de la Prosopographie chrétienne du Bas-Empire : L. PIETRI – M. HEIJMANS (dir.), Prosopographie de la Gaule chrétienne (314-614), Association des amis du Centre d’histoire et civilisation de Byzance, Paris 2013 (Prosopographie chrétienne du BasEmpire, 4/1-2), vol. 1, pp. 430-437. 88 Pour toutes ces données biographiques et le récit des premières années de Cassien, antérieures à sa venue en Gaule, voir notamment STEWART, Cassian the Monk, pp. 3-15. La thèse défendue récemment par P. TZAMALIKOS, The Real Cassian Revisited: Monastic Life, Greek Paideia, and Origenism in the Sixth Century, Brill, Leiden – Boston 2012 (Supplements to Vigiliae christianae, 112), et visant à nier même l’existence d’un Cassien latin, qui ne serait que le fantôme forgé au Moyen Âge d’un « real Cassian » grec du VIe siècle, demanderait une réfutation à part. Qu’il me suffise de dire que le témoignage du Contra collatorem, que l’auteur a complètement occulté, semble être l’argument le plus fort pour contredire la plus grande partie de son propos ; mes arguments ont été retenus par R. ALCIATI, « Il Cassiano greco di Panayiotis Tzamalikos », Rivista di storia del cristianesimo, 11/2 (2014) [451]-477, qui en a ajouté bien d’autres. 89 Arles et Marseille tomberont, en effet, aux mains des Wisigoths en 473, avant qu’une nouvelle conquête vienne le confirmer quatre ans plus tard. Voir GRIFFE, La Gaule chrétienne, t. 2, pp. 85-86. Pour l’hypothèse d’une invasion précédente, en 473, ayant pour objectif déjà Arles et Marseille, voir la démonstration d’A. LOYEN, « Introduction », in Sidoine Apollinaire. [Œuvres], t. 2 : Lettres (Livres I-V), texte

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exilés, et de ce fait, également, un important vivier intellectuel90. Il est d’ailleurs loin d’être indifférent que, sur les cinq occurrences au total de l’adjectif « scholasticus », employé par Gennade dans son catalogue pour caractériser la qualité de l’éducation d’un auteur, trois se rapportent à des auteurs marseillais (Salvien, Musée, Prosper91) et une à un autre Provençal (Eucher92), ces écrivains méridionaux, formés en Gaule, recevant ainsi la même considération qu’un disputator aussi brillant que Julien d’Éclane93. L’installation de Cassien dans cette ville de Marseille se fait sur fond de multiples tensions, touchant notamment le pouvoir politique et religieux. Rappelons que Marseille, ville importante, n’était que suffragante, et devait le céder depuis 417 à Arles, à qui Zosime, influencé par l’évêque d’Arles Patrocle, avait donné l’autorité métropolitaine94. établi et traduit par A. LOYEN, Paris 1970 (CUF, 199), p. XVI et nn. 1 et 2, qui réunit l’ensemble des positions. 90 Sur cette question, on se reportera avec profit à P. MATTEI, « Massilia christiana. Lettrés, théologiens et spirituels dans la Marseille du Ve siècle. État de quelques questions », in Cl. CHILLET – C. COURRIER – L. PASSET (éd.), Arcana Imperii. Mélanges d’histoire économique, sociale et politique, offerts au Professeur Yves Roman, vol. 1, Société des Amis de Jacob Spon, Lyon 2015 (Mémoires de la Société des amis de Jacob Spon), p. 471-504, et à sa bibliographie critique. 91 Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 68 : « Saluianus […], humana et diuina litteratura instructus […], scripsit scholastico et aperto sermone multa » (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 84) ; 80 : « Musaeus […] lingua quoque scholasticus […]. Quo opere grauissimi sensus et castigatae eloquentiae agnouimus uirum » (ibid., pp. 88-89) ; 85 : « Prosper […] sermone scholasticus » (ibid., p. 90). Voir aussi, parmi les auteurs marseillais, l’éloge d’Honorat, en De uiris illustribus, 100 : « Honoratus, Massiliensis ecclesiae episcopus, uir eloquens et absque ullo linguae impedimento extempore in ecclesia declamator » (ibid., p. 97). 92 Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 64 : « Eucherius […] scripsit […] epistulam unam scholastico et rationabili sermone. » (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 83). 93 Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 46 : « Iulianus episcopus […] Graeca et Latina lingua scholasticus » (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 78). Sur la formation des moines de Marseille et de Lérins, voir St. GIOANNI, « La culture profane et la littérature monastique en Occident. L’exemple des ascètes provençaux (Ve-VIe siècles) », in É. REBILLARD – Cl. SOTINEL (éd.), Les frontières du profane dans l’Antiquité tardive, École française de Rome, Rome 2010 (Collection de l’École française de Rome, 428), pp. [177]-195. 94 Voir, là-dessus, R. VILLEGAS MARÍN, « La primacía de Arlés en las iglesias galas durante el episcopado de Patroclo (411/413-426) », in Costellazioni geo-ecclesiali da Costantino a Giustiniano: dalle chiese ‘principali’ alle chiese patriarcali. XLIII Incontro di Studiosi dell’Antichità Cristiana (Roma, 7-9 maggio 2015), Institutum

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Attiré par l’évêque Proculus, sans doute très favorable à l’accueil et à l’implantation d’un monachisme dans son diocèse95, Cassien s’installe vers 419, selon toute vraisemblance à Marseille même96. Le contexte de cette installation souligne combien il est important de bien se représenter la part prise par les évêques et les liens très forts qui unissent en particulier les évêques de la Gaule méridionale et le milieu monastique97. On voit se dessiner progressivement le système, qui prendra ensuite de plus en plus d’importance, de « bischöflichen Stadtherrschaft98 ». La conception du monachisme selon Cassien Lors de l’arrivée de Cassien, la Gaule connaissait déjà, bien sûr, une forme de monachisme, depuis que Martin avait créé son ermitage à Ligugé, aux alentours de 360 ; à la mort du saint, en 397, on comptait environ deux mille moines99. Ces hommes qui avaient fait le choix de se consacrer Patristicum Augustinianum, Roma 2017 (Studia ephemeridis « Augustinianum », 149), pp. [307]-317, ainsi que M. HEINZELMANN, « The “Affair” of Hilary of Arles (445) and Gallo-Roman Identity in the Fifth Century », in J. DRINKWATER – H. ELTON (éd.), FifthCentury Gaul: A Crisis of Identity?, Cambridge University Press, Cambridge 1992, pp. 239-251 (pp. 244-245). 95 Sur la personnalité de Proculus, voir par exemple GOODRICH, Contextualizing Cassian, pp. 213-214 et 218-225. 96 GOODRICH, Contextualizing Cassian, considère, dans son « Appendice 1 », pp. 211-234 « Cassian of Marseilles? », que Cassien aurait pu d’abord s’installer ailleurs qu’à Marseille (peut-être à Apt), avant de gagner la ville. Si cette suggestion a le mérite d’expliquer quelques obscurités du De institutis, elle semble surtout très peu du probante, et il n’y a donc pas lieu de lui accorder plus de crédit. 97 On trouvera dans PRINZ, Frühes Mönchtum, p. [668], une carte localisant les évêques des IV-VIe siècles, dont on remarque que beaucoup proviennent du centre monastique de Lérins, où ils ont été formés. Voir, à ce propos, M. HEIJMANS – L. PIETRI, « Le “lobby” lérinien : le rayonnement du monastère insulaire du Ve siècle au début du VIIe siècle », in CODOU – LAUWERS (éd.), Lérins, une île sainte, pp. [35]-61. 98 Selon l’expression de Fr. PRINZ, Askese und Kultur : Vor- und frühbenediktinisches Mönchtum an der Wiege Europas, C.H. Beck, München 1980, chap. 3 : « Politische und sozialstrukturelle Voraussetzungen des altgallischen Mönchtums im 5./6. Jahrhundert », pp. 28-33 (pour l’expression, p. 29). 99 Voir Chr. COURTOIS, « L’évolution du monachisme en Gaule de saint Martin à saint Colomban », in Il monachesimo nell’alto medioevo e la formazione della civiltà occidentale (8-14 aprile 1956), Centro italiano di studi sull’alto medioevo, Spoleto 1957 (Settimane di studio del Centro Italiano di studi sull’Alto Medioevo, 4), pp. 47-

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pleinement à la prière étaient dotés d’une renommée si vaste et si forte que le terme de sancti pouvait suffire à les désigner100. C’est d’ailleurs ceux-là qu’un Paulin de Pella, s’installant lui aussi à Marseille, dit vouloir rechercher101. Mais il faut aussi intégrer à ce nombre tous les laïcs, qualifiés de conuersi, qui ont choisi de vivre strictement de manière ascétique, sans pour autant embrasser la vie religieuse102, dont l’exemple avait été donné très tôt par de grands intellectuels103. 72. Sur le monachisme des premiers temps (en général), je ne peux que renvoyer à trois ouvrages complémentaires : H. HOLZE, Erfahrung und Theologie im frühen Mönchtum. Untersuchungen zu einer Theologie des monastischen Lebens bei den ägyptischen Mönchsvätern, Johannes Cassian und Benedikt von Nursia, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen 1992 (Forschungen zur Kirchen- und Dogmengeschichte, 48) ; M. DUNN, The Emergence of Monasticism: From the Desert Fathers to the Early Middle Ages, Blackwell, [Oxford] – Malden (MA) 2000 ; A. DIEM, Das monastische Experiment. Die Rolle der Keuschheit bei der Entstehung des westlichen Klosterwesens, Lit, Münster 2005 (Vita regularis. Ordnungen und Deutungen religiosen Lebens im Mittelalter. Abhandlungen, 24), et, pour les productions intellectuelles, à la somme que constitue la monumentale Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’antiquité d’Adalbert de Vogüé en quinze volumes. Voir aussi, au sujet du monachisme gaulois, les références données supra, p. 24-25, n. 83 100 Voir P. COURCELLE, « Commodien et les invasions du Ve siècle », Revue des études latines, 24 (1946) 227-246, et R.P.C. HANSON, « Notes sur la vie et le vocabulaire ecclésiastiques dans la Bretagne et l’Irlande du temps de Patrick », in Saint Patrick, Confession et Lettre à Coroticus, introduction, texte critique, traduction et notes par R.P.C. HANSON, collab. C. BLANC, Éd. du Cerf, Paris 1978 (SC, 249), pp. 164-171 (pp. 165-167). 101 Voir à ce propos MOUSSY, « Introduction », in Paulin de Pella, Poème d’action de grâces, pp. [32]-34. Sur la question, se référer à P. GALTIER, « Pénitents et “convertis”. De la pénitence latine à la pénitence celtique », Revue d’histoire ecclésiastique, 33 (1937) 5-26 et 277-305, et É. GRIFFE, « La pratique religieuse en Gaule au Ve siècle. Saeculares et sancti », Bulletin de littérature ecclésiastique, 63 (1962) 241-267. La conuersio monastique pouvait d’ailleurs être une forme de pénitence : voir C. VOGEL, La discipline pénitentielle en Gaule des origines à la fin du VIIe siècle, Letouzey et Ané, Paris 1952, pp. 128-138. 102 Sur cette distinction, voir J. FONTAINE, « L’ascétisme chrétien dans la littérature gallo-romaine d’Hilaire à Cassien », in Atti del Colloquio sul tema : La Gallia romana, promosso dall’Accademia nazionale dei Lincei, in collaborazione con l’École française de Rome (Roma, 10-11 maggio 1971), Accademia nazionale dei Lincei, Roma 1973 (Problemi attuali di scienza e cultura, 158), pp. 87-115. 103 On connaît bien l’exemple de Primuliacum : voir R. ALCIATI, « And the Villa Became a Monastery: Sulpicius Severus’ Community of Primuliacum », in H. DEY – E. FENTRESS (éd.), Western Monasticism ante litteram: The Space of Monastic

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C’est son passé qui influera abondamment sur la manière dont Cassien envisagera la vie religieuse dans les monastères qu’il viendra à fonder. Des anachorètes qu’il a côtoyés dans le désert de Scété, le moine marseillais gardera un souvenir si admiratif qu’il ne cessera de considérer leur mode de vie comme excellent entre tous, supérieur à ses yeux à celui des cénobites, dont l’anachorétisme pourrait être l’aboutissement suprême sur la voie de la perfection104. Ses prédécesseurs à Lérins, qui marquent les premières fondations monastiques dans les années 400-410, suivaient les modes en rigueur jusqu’alors dans le cénobitisme gaulois — quoique quelques solitudes y aient été réservées pour les anciens105. Cassien, quant à lui, en faisant se multiplier les relations entre Marseille et les différents lieux religieux de Provence, et en particulier Lérins, autre « station relais pour le rayonnement de l’orient monastique106 », introduit en Gaule une tout autre forme de monachisme, tout droit héritée de son expérience orientale. S’il n’a pas rédigé de règle proprement dite, Cassien a toutefois composé deux œuvres considérables, presque concomitamment, qui en pratique ont été utilisées comme des guides spirituels. Son De institutis Observance in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Brepols, Turnhout 2011 (Disciplina monastica. Studies on Medieval Monastic Life – Études sur la vie monastique au Moyen Âge, 7), pp. 85-98. 104 La Collatio XIX est précisément consacrée à la comparaison entre les deux modes de vie. C’est ainsi, du moins, que Cassien présente le parcours spirituel des moines rencontrés dans la ville égyptienne de Diolcos en De institutis coenobiorum, 5, 36, 1 : « plurimam turbam coenobii disciplina constrictam et optimo ordine monachorum, qui etiam primus est […], alium quoque ordinem, qui excellentior habetur, id est anachoretarum » (éd. M. PETSCHENIG, CSEL, 17, Pragae – Vindobonae – Lipsiae, p. 108). Voir les pages consacrées à « La pensée de Cassien touchant l’anachorète et le cénobite et le but de son œuvre monastique » par E. PICHERY, « Introduction », in Jean Cassien, Conférences I-VII, introduction, texte latin, traduction et notes par Dom E. PICHERY, Éd. du Cerf, Paris 1955 (SC, 42), pp. [7]-72 (pp. 55-62) ; J.-Cl. GUY, Jean Cassien. Vie et doctrine spirituelle, P. Lethielleux, Paris 1961 (Théologie, pastorale et spiritualité. Recherches et synthèses, 9), pp. 52-53 ; R. BYRNE, « Cassian and the Goals of Monastic Life », Cistercian Studies Quarterly, 22/1 (1987) 3-16. 105 Voir à ce propos J. BIARNE, « Moines et rigoristes en Occident », in PIETRI – PIETRI (éd.), Naissance d’une chrétienté (250-450), pp. [747]-768. 106 L’expression est de PRINZ, Frühes Mönchtum, p. 94. Sur les rapports entre Cassien et Lérins, voir notamment ibid., pp. 94-95 et J.-P. WEISS, « Jean Cassien et le monachisme provençal », in FIXOT – PELLETIER (éd.), Saint-Victor de Marseille, pp. 179-185.

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coenobiorum, tout d’abord, est destiné à fixer les normes de vie et à assister les moines dans leur combat quotidien pour la perfection et contre le péché, tandis que les Collationes, elles, ne sont pas que le reportage d’une expérience au désert d’Égypte, mais manifestent la volonté de leur auteur de délivrer un enseignement personnel sur la vie du moine107.

2. La réception monastique d’Augustin. I : Le précédent africain : Augustin et les moines d’Hadrumète Dans les années qu’à Marseille Cassien occupait à définir pour les nouvelles communautés de moines des règles et des principes de vie commune, des conflits d’ordre théologique surgissaient ailleurs, qui venaient troubler l’idéal ascétique d’autres moines. C’est en effet d’abord sur les côtes de la Byzacène, dans le monastère d’Hadrumète, que la lecture de l’epist. 194 d’Augustin, lue comme un vade-mecum antipélagien, a suscité quelques mouvements de contestation. Diverses interrogations ou mécompréhensions portant sur plusieurs propositions que l’évêque d’Hippone avait assénées pour contredire les opinions de ses adversaires, soumises à l’intéressé, lui ont donné l’occasion de composer deux traités afin de préciser sa pensée au sujet « de la grâce et du libre arbitre » (De gratia et libero arbitrio) et « de la correction et de la grâce » (De correptione et gratia). Lecture et mécompréhension de l’epist. 194 à Xyste Les premières réactions antiaugustiniennes ont été causées par la découverte fortuite faite, vers l’année 425, par Florus, moine d’Hadrumète de passage à Uzalis, de la lettre adressée par Augustin quelques années plus tôt au prêtre romain Xyste (le futur pape Xyste III), dans laquelle l’évêque d’Hippone, pour maintenir son correspondant éloigné de toute tentation propélagienne, expose une réfutation en règle, synthétique, des principales 107 Pour ces différents aspects, on pourra se reporter aux références données par STEWART, Cassian the Monk, pp. 27-39, et les considérations de l’Introduction, pp. XXXIXXXIII. Voir également CHADWICK, John Cassian, dans le chap. 2 « The Monastery » (pp. 37-81), la partie intitulée « The rule of the Monastery », pp. 50-81. L’influence égyptienne sur la pensée et la littérature de Cassien a été particulièrement étudiée par WEBER, Die Stellung des Johannes Cassianus.

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objections pélagiennes, défendant avec force l’affirmation d’une grâce indispensable au salut, absolument gratuite et dispensée selon l’entière discrétion de Dieu108. La lecture, faite aux frères du monastère, de cette lettre-traité dans laquelle étaient attribués à la grâce de Dieu, et à elle seule, tous les actes bons que l’homme peut accomplir, jusques et y compris ceux de la foi et de la prière, a suscité un si grand émoi que, croyant qu’une telle doctrine anéantissait totalement tout libre arbitre et tout mérite humain et impliquait également des conséquences « prédestinatiennes » irrévocables, les moines doutaient de l’authenticité de cette lettre attribuée à Augustin et étaient même enclins à en qualifier le contenu d’hérétique109. Pour remédier à cette crise interne, l’abbé d’Hadrumète, Valentin, après de vains efforts auprès d’Évodius et de Sabinus, accepte officieusement que deux de ses moines, Cresconius et Félix, aillent consulter directement Augustin. L’entretien d’Hippone a fourni l’occasion à Augustin de s’expliquer plus avant sur le fond de sa pensée au sujet de la grâce et du libre arbitre. Le De gratia et libero arbitrio et le De correptione et gratia Pour répondre aux interrogations des moines venus le consulter, l’évêque d’Hippone compose deux traités, chacun se donnant pour objet un aspect essentiel du problème : dans le De gratia et libero arbitrio, le propos d’Augustin est de démontrer, en se fondant essentiellement sur l’Écriture, que la grâce ne détruit ni le libre arbitre, ni le mérite. Il défend donc le libre arbitre, mais pour défendre et exalter davantage encore la grâce110. 108

Sur le contenu de cette lettre et sa place au sein de la controverse pélagienne, voir P. DESCOTES, « Saint Augustin et la crise pélagienne : le témoignage de la correspondance (Epistulae 186, 187 et 194) », Revue d’études augustiniennes et patristiques, 56/2 (2010) [197]-227 (pp. 217-220) 109 Voir J. CHÉNÉ, « Introduction [au De gratia et libero arbitrio] », in Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 24 : Aux moines d’Adrumète et de Provence. De gratia et libero arbitrio. De correptione et gratia. De praedestinatione sanctorum. De dono perseuerantiae, texte de l’édition bénédictine, introduction, traduction et notes par J. CHÉNÉ – J. PINTARD, Desclée de Brouwer, [Paris] 1962 (BA, 24), pp. 41-87 (pp. 41-45) ; et surtout les pages consacrées par OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 4157, à « The Sonderwelt of Monasticism: The African Context and the Community of Hadrumetum ». 110 Pour une présentation d’ensemble du traité et des ses enjeux, je renvoie à CHÉNÉ, « Introduction [au De gratia et libero arbitrio] », pp. 41-83 et à OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 57-70.

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Cet ouvrage a réussi à apaiser les dissensions qui jusque-là opposaient les moines hadrumétins entre eux. Mais, apprenant qu’un moine du même monastère objectait que cette théorie avait pour conséquence que personne ne pouvait être réprimandé pour ne pas observer les commandements de Dieu — puisque seul Dieu donne à l’homme de faire le bien —, Augustin poursuit son travail en destinant à la même communauté un nouvel ouvrage, le De correptione et gratia, qui a pour but de donner une définition générale et définitive de la grâce111. La principale nouveauté qu’on y trouve est l’essentielle distinction entre l’économie de la grâce qui régit l’homme depuis la chute et celle qui le régissait auparavant dans l’état naturel de l’Adam prélapsaire112. 3. La réception monastique d’Augustin. II : Les foyers religieux de la Gaule méridionale Lecture et interprétation du De correptione et gratia à Marseille et en Provence Grâce aux lettres envoyées à Hippone par Prosper, puis Hilaire, nous connaissons avec assez de précision la manière dont ont été accueillies dans les milieux monastiques du sud de la Gaule ces deux dernières œuvres d’Augustin au sujet de la grâce et du libre arbitre113. Notre auteur informe 111

Sur le De correptione et gratia, voir de même J. CHÉNÉ, « Introduction [au De correptione et gratia] », in CHÉNÉ – PINTARD (éd.), Aux moines d’Adrumète, pp. 211265 (pp. 211-260), et OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 71-89. 112 Cette question, sur laquelle on reviendra dans le chap. 5 (pp. 266-270) est présentée dans sa complexité par OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 77-89. Voir aussi la synthèse de J.-M. CHÉNÉ – A. SAGE, « Les deux économies de la grâce d’après le “De correptione et gratia” », note complémentaire n° 11, in CHÉNÉ – PINTARD (éd.), Aux moines d’Adrumète, pp. 787-799. 113 L’ancrage exclusivement « monastique » de cette réaction a bien été mise en évidence par D. O’KEEFFE, « The Via Media Of Monastic Theology: The debate on grace and free will in fifth-century Southern Gaul », The Downside Review, 112/389 (1994) 265-283 et 113/392 (1995) 157-174 ; voir aussi E. SOTTOCORNO, « Semipelagianismo y disciplina monástica. Debates en torno a la gracia durante el siglo V », in H. ZURUTUZA – C. ASTARITA (éd.), El clamor de la libertad. Voces y silencios desde la Antigüedad a ostros días. Conmemoración del bicentenario de la Revolución de Mayo, 1810-2010 = Anales de historia antigua, medieval y moderna, 44 (2012), 22 p. [en ligne : http:// revistascientificas.filo.uba.ar/index.php/analesHAMM/article/view/2583/2216].

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l’évêque d’Hippone que les désaccords, qui s’étaient déjà fait sentir plus tôt dans l’entourage de Cassien, ont été encore plus accusés par l’arrivée à Marseille du De correptione114. Le principal grief fait à Augustin est celui de sa nouitas, coupable en cela qu’il a soutenu au sujet de la prédestination des positions qui ne sont conformes ni avec la Tradition ni avec l’esprit de l’Église115. Prosper ajoute cependant que, parmi les contradicteurs d’Augustin, il s’en trouve de deux sortes : certains, qui ne partagent pas l’avis d’Augustin, avouent leur ignorance et leur incompétence ; d’autres, en revanche, vitupèrent d’une manière de plus en plus véhémente, et ce sont eux qui ont poussé Prosper à s’en ouvrir directement à l’accusé116. On parvient, par le biais de ces accusations rapportées par celui qui s’est désormais fait le défenseur d’Augustin dans sa région, à se faire une idée assez précise de la pensée qui était celle des doctores Gallicani117.

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Sur ces lettres, et les autres, non conservées, dont il est possible de reconstituer approximativement le contenu, voir R. VILLEGAS MARÍN, « Las cartas no conservadas de la correspondencia entre Próspero de Aquitania, Hilario de Marsella y Agustín de Hipona. Los origenes de la llamada “controversia semipelagiana” », Sacris erudiri, 47 (2008) [165]-207 ; voir aussi Cl. M. KASPER, « Der Beitrag der Mönche zur Entwicklung des Gnadenstreites in Südgallien. Dargestellt an der Korrespondenz des Augustinus, Prosper und Hilarius », in A. ZUMKELLER (éd), Signum pietatis : Festgabe für Cornelius Petrus Mayer OSA zum 60. Geburtstag, Augustinus-Verlag, Würzburg 1989 (Cassiciacum, 40), pp. 153-182. 115 Prosper, epist. 1, 2 (BA, 24, pp. 392-395). 116 Prosper, epist. 1, 2 : « Recensito autem hoc beatitudinis tuae libro, sicut qui sanctam atque apostolicam doctrinae tuae auctoritatem antea sequebantur, intellegentiores multo instructioresque sunt facti, ita qui persuasionis suae impediebantur obscuro, auersiores quam fuerant, recesserunt. » (ibid., pp. 394-395). Sur cette question, voir J. CHÉNÉ, « Les deux groupes antiaugustiniens de Marseille », note complémentaire n° 12, in CHÉNÉ – PINTARD (éd.), Aux moines d’Adrumète, pp. 799-802. 117 Voir notamment J. CHÉNÉ, « Le semipélagianisme du midi de la Gaule d’après les lettres de Prosper d’Aquitaine et d’Hilaire à saint Augustin », Recherches de science religieuse, 43/3 (1955) [321]-341, et ID., « Comment les “spirituels” marseillais concevaient la volonté salvifique de Dieu », note complémentaire n° 14, in CHÉNÉ – PINTARD (éd.), Aux moines d’Adrumète, pp. 803-805, et « Les semi-pélagiens admettaient-ils qu’on peut commencer par soi-même son salut hors de toute influence du souverain Bien ? », note complémentaire n° 15, ibid., pp. 805-806.

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Le De praedestinatione sanctorum et de dono perseuerantiae, ultime réponse d’Augustin (428-429) Les livres que nous connaissons comme étant deux œuvres distinctes ne constituent en fait que les deux parties d’un même ouvrage, que l’évêque d’Hippone a rédigé à l’adresse des moines provençaux, comme le lui avaient demandé Prosper et Hilaire118. Pour répondre aux objections formulées contre sa doctrine sur la grâce par les moines marseillais, Augustin tient à se concentrer sur deux points essentiels qui font difficulté : la question de l’initium fidei, qui cherche à déterminer où se trouve pour l’homme, et comment, le commencement de la foi ou du salut119, et celle de la persévérance finale. L’évêque d’Hippone cherche ainsi à prouver que l’homme est incapable, sans la grâce, de commencer son salut, et par là incapable de croire. Bien plus, si l’on admet que c’est l’homme qui est l’auteur unique de cet initium, la grâce n’aurait plus alors pour effet que de récompenser les mérites — ce qui serait donner raison à Pélage. Au contraire, il faut tenir que le salut ne repose que sur la grâce et la prédestination divines120. La deuxième partie, elle, est consacrée plus particulièrement à la persévérance finale, dont Augustin entend prouver qu’elle est elle aussi un don gratuit de Dieu. Pour ce faire, il récuse l’idée de ses adversaires selon laquelle le juste peut, par sa foi et sa prière, obtenir ce don et, ainsi, le mériter121. Il va même plus loin : non content d’affirmer que la grâce 118

Ils leur sont d’ailleurs adressés à tous deux : cf. Augustin, De praedestinatione sanctorum, 1, 1 : « Vestrum tamen studium fraternamque dilectionem, filii charissimi Prosper et Hilari […] » (PL, 44, col. 960). 119 Sur la question de l’initium fidei chez Augustin et chez ses interlocuteurs, on se reportera à D. MARAFIOTI, « Il problema dell’“Initium Fidei” in sant’Agostino fino al 397 », Augustinianum, 21/3 (1981) [541]-565, et à T. WU, « Augustine on initium fidei: A Case Study of the Coexistence of Operative Grace and Free Decision of the Will », Recherches de théologie et philosophie médiévales, 79/1 (2012) [1]-38 ; voir aussi J. CHÉNÉ, « La signification d’“initium fidei” et d’“augmentum fidei” », note complémentaire n° 18, in CHÉNÉ – PINTARD (éd.), Aux moines d’Adrumète, pp. 808-810. 120 Pour une présentation générale de ce traité, voir OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 153-183 ; lire en particulier p. 155 et n. 297. 121 Cf. Augustin, De dono perseuerantiae, 6, 10 : « Dicat mihi quisquis audet, utrum Deus dare non possit, quod a se posci imperauit. » (PL, 45, col. 999) ; et déjà Hilaire (de Marseille ?), epist., inter Augustin, epist. 226, 4 : « Nolunt autem ita hanc

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de Dieu donne la possibilité de persévérer, il ajoute que la grâce de la persévérance est une grâce toute-puissante et infaillible, c’est-à-dire qu’elle donne la persévérance même122. C’est là pousser encore plus loin les conclusions auxquelles l’avaient amené ses précédents combats, et rigidifier encore davantage ce qui n’avait été jusqu’alors qu’un corollaire, nécessaire certes, mais loin d’être le centre de toutes les préoccupations : la « logique » prédestinatienne123.

III – PROSPER D’AQUITAINE, « INTREPIDVS AMATOR GRATIAE » Les dernières années d’Augustin ont ainsi vu émerger dans le débat théologique sur la grâce une nouvelle figure, appelée à exercer l’un des principaux rôles dans la controverse naissante. Prosper d’Aquitaine, laïc lettré du sud de la Gaule, s’est en effet signalé très tôt par son intérêt particulièrement développé pour les questions doctrinales, et surtout pour la pensée d’Augustin, dont il est rapidement devenu, dans la région de Marseille, puis à Rome, l’infatigable porte-parole et le plus fervent défenseur. Il est également, parmi les (rares) membres du « parti augustinien » de Marseille, — les « pauci perfectae gratiae intrepidi amatores », comme les nomme Prosper124 —, l’unique témoin dont nous ayons conservé les écrits des débuts de la controverse postpélagienne en Provence125. perseuerantiam praedicari, ut non uel suppliciter emereri uel amitti contumaciter possit » (BA, 24, pp. 422-423). 122 Cette distinction donne l’occasion à Augustin de définir relativement les deux notions ; Augustin, De praedestinatione sanctorum, 10, 19 : « Entre la grâce et la prédestination il y a seulement cette différence, que la prédestination est la préparation de la grâce, et la grâce le don effectif. » (trad. J. CHÉNÉ, BA, 24, pp. 522-523). 123 Voir, pour cette expression, OGLIARI, Gratia et certamen, p. 183. 124 Prosper, epist. 1, 7 : « nec facile quisquam, praeter paucos perfectae gratiae intrepidos amatores, tanto superiorum disputationibus ausus est contra ire » (BA, 24, pp. 406-408). Sur le « parti augustinien » (ou « Augustinian circle ») de Marseille, voir A.Y. HWANG, « Pauci perfectae gratiae intrepidi amatores : the Augustinians in Marseilles », in A.Y. HWANG – Br. MATZ – A.M.C. CASIDAY (éd.), Grace For Grace: The Debates after Augustine and Pelagius, The Catholic University of America Press, Washington 2014, pp. 35-50. 125 Sur la réception, dans la même région, d’autres aspects de la pensée d’Augustin chez deux contemporains de Prosper, voir M. DULAEY, « Augustin en Provence dans les premières décennies du Ve s. : le témoignage des Formulae d’Eucher », in

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Il va sans dire que, comme du reste on l’a déjà souligné à propos du pélagianisme, le fait que la documentation provient essentiellement et unilatéralement d’un individu inévitablement partisan doit appeler le lecteur à la plus grande vigilance126. Il ne sera donc pas inutile de passer rapidement en revue les différents écrits de Prosper antérieurs au Contra collatorem, qui permettent de situer ce dernier traité dans une période plus vaste et un projet plus durable, afin de voir aussi par contraste ce qui le différencie des premières productions de l’auteur et en fait donc l’originalité.

1. Quelques éléments biographiques Il nous est très difficile de tirer des œuvres de Prosper, trop avares en informations de ce genre, comme des autres documents contemporains, une biographie un tant soit peu fondée de notre auteur127. Seule est digne Comunicazione e ricezione del documento cristiano in epoca tardoantica. XXXII Incontro di studiosi dell’antichità cristiana, Roma, 8-10 maggio 2003, Institutum Patristicum Augustinianum, Roma 2004 (Studia ephemeridis Augustinianum, 90), pp. [121]-146 ; R. VILLEGAS MARÍN, « Aversi texerunt eum. La crítica a Agustín y a los Agustinianos sudgálicos en el Commonitorium de Vicente de Lérins », Augustinianum, 46/2 (2006) [481]-528. 126 Voir supra, pp. 4-5. 127 En dépit de la tentative de HWANG, Intrepid Lover, qui a voulu fonder son portrait de la « Life and Thought » de Prosper principalement sur les détails autobiographiques d’une œuvre dont on a démontré depuis qu’elle ne pouvait être de Prosper : voir les éditions, qui toutes deux refusent la paternité prospérienne du Carmen de prouidentia Dei, de Raúl Villegas Marín, Pseudo-Próspero de Aquitania, Sobre la providencia de Dios, introducción, texto latino revisado, traducción y comentario por R. VILLEGAS MARÍN, Publicacions i edicions de la universitat de Barcelona, Barcelona 2010, et de Michele Cutino, Pseudo-Prospero di Aquitania, La provvidenza divina, a cura di M. CUTINO, Edizioni ETS, Pisa 2011 (Pubblicazioni della Facoltà di lettere e filosofia dell’Università di Pavia. Dipartimento di lingue e letterature straniere moderne, 123). Outre les biographies de VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, et de HWANG, Intrepid Lover, on pourra se reporter encore, pour des vues synthétiques, aux notices des encyclopédies et dictionnaires : W. ENSSLIN, « Prosper », Paulys RealEncyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, t. 23/1, A. Druckenmüller Verlag, Stuttgart 1957, coll. 880898 ; SOLIGNAC, « Prosper d’Aquitaine » ; G. BARDY, « Prosper d’Aquitaine », Dictionnaire de théologie catholique, t. 13/1, Letouzey et Ané, Paris 1936, coll. 846-

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de foi — mais pour une première approche seulement128 — la notice qui lui a été consacrée, à une époque et dans une ville où son souvenir devait encore être très présent, par son compatriote Gennade dans son De uiris illustribus, où il est explicitement fait mention du Contra collatorem : « Prosper, homme de la région d’Aquitaine, très exercé à l’éloquence et vigoureux dans ses affirmations, a, dit-on, beaucoup écrit. De ces œuvres, moi, j’ai lu les Chroniques qui portent son nom dans leur titre et qui contiennent ce qui a été fait depuis la création du premier homme, sur la foi des divines Écritures, jusqu’à la mort de Valentinien Auguste et la prise de Rome par Genséric, roi des Vandales. J’ai aussi lu son livre contre les opuscules de Cassien (dont il a supprimé le nom), que l’Église de Dieu approuve comme utiles au salut et que lui décrit comme dangereux. Il est vrai, en effet, que les opinions de Cassien et de Prosper au sujet de la grâce de Dieu et du libre arbitre se trouvent en contradiction en quelques points. Des lettres, également, du pape Léon contre Eutychès adressées à diverses personnes au sujet de la véritable incarnation du Christ, ont été, d’après ce qu’on croit, dictées par lui129. »

850 ; A. HAUCK, « Prosper von Aquitanien », Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche, t. 16, J. C. Hinrichs’sche Buchhandlung, Leipzig 1905, pp. 123-127 ; A.-G. HAMMAN, « Prosper von Aquitanien », Theologische Realenzyklopädie, t. 27, W. de Gruyter, Berlin – New York 1997, pp. 525-526 ; M.P. MCHUGH, « Prosper d’Aquitaine », trad. C. BROC, in FITZGERALD – VANNIER (dir.), Saint Augustin, la Méditerranée, pp. 1195-1197 ; A. HWANG., « Prosper », Augustinus-Lexikon, t. 4/5-6, coll. 955-958, qui renonce à l’authenticité du De prouidentia (col. 955, n. 5). 128 Bien que Gennade soit connu pour ses attaches au mouvement marseillais, qui transparaît d’ailleurs dans la notice qui suit. 129 Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 85 : « Prosper, homo Aquitanicae regionis, sermone scholasticus et adsertionibus nervosus, multa conposuisse dicitur, ex quibus ego Chronica nomine illius praetitulata legi, continentia a primi hominis condicione, iuxta Divinarum Scripturarum fidem, usque ad obitum Valentiniani Augusti et captivitatem Romanae urbis a Genserico, Vandalorum rege factam. Legi et librum adversus opuscula (suppresso nomine) Cassiani, quae ecclesiae Dei salutaria probat, ille infamat nociva. Re enim vera Cassiani et Prosperi de gratia Dei et libero arbitrio sententiae in aliquibus sibi inveniuntur contrariae. Epistulae quoque Papae Leonis adversus Eutychen de vera Christi incarnatione ad diversos datae ab isto dictatae creduntur. » (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 90).

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Originaire d’Aquitaine, donc, où il a dû naître dans les environs de 390130, Prosper (plutôt que Tiro Prosper ou Prosper Tiro131) semble s’être assez tôt installé en Provence, comme beaucoup de ses contemporains, sans doute contraint par la progression des invasions wisigothiques à rechercher un refuge dans une région encore préservée132. C’est à Marseille que, selon toute vraisemblance, il achève sa formation intellectuelle, peut-être commencée dans l’un des grands centres gaulois133. L’attribution, désormais largement admise, du Carmen ad uxorem à Prosper134 permet de confirmer l’hypothèse selon laquelle il n’était pas moine, mais aurait été marié, du moins pour quelque temps, avant de se retirer de la vie du siècle, tout en invitant son épouse à suivre son exemple, afin de se consacrer à une vie de prière. Sans doute faut-il comprendre qu’il a adopté le mode de vie des conuersi, fréquentant d’assez près les milieux monastiques sans pour autant quitter la ville135. C’est ce qui expliquerait 130 C’est l’approximation proposée par VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 125-126 ; la précision de HWANG, Intrepid Lover, pp. 38-41 (388 « at the latest »), n’a plus lieu d’être en raison de ce que l’on a dit des sources de sa biographie. 131 Cette appellation, sous laquelle on a longtemps désigné le Prosper historien, ne se trouve régulièrement que dans les manuscrits du Chronicon (voir la liste établie par O. HOLDER-EGGER, « Untersuchungen über einige annalistische Quellen zur Geschichte des 5. und 6. Jahrhunderts », Neues Archiv, 1 (1876) 13-120 (pp. 16-31) et du Carmen ad uxorem ; c’est dans un passage concernant cette même pièce poétique qu’elle est également attestée par Bède le Vénérable, De arte metrica 1, 22 (éd. C.B. KENDALL, CCSL, 123A, Turnholti 1975, p. 136). Contrairement à ce qu’avance la notice « Prosper 1 », in PIETRI – HEIJMANS (dir.), Prosopographie de la Gaule, vol. 2, pp. 1553-1556 (p. 1553), Prosper ne se donne nullement lui-même ce surnom en signe de modestie : voir l’avis formulé par Th. MOMMSEN (éd.), Chronica minora saec. IV. V. VI. VII., vol. 1, Apud Weidmannos, Berolini 1892 (MGH. AA, 9), p. [343]). 132 Voir, supra, pp. 26-27, n. 89. 133 Il ne va pas de soi, comme on l’a longtemps supposé, que Prosper ait accompli sa scolarité et reçu sa formation culturelle et littéraire à Bordeaux, comme l’avançait VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 127. Voir les remarques de HWANG, Intrepid Lover, pp. 47-49. 134 Voir l’édition de St. SANTELIA (éd.), Prospero d’Aquitania, Ad coniugem suam, In appendice : Liber epigrammatum, Loffredo editore, Napoli 2009 (Studi latini, 68), et spécialement, pour ce qui nous occupe, l’« Introduzione », pp. 7-51. Sur la critique d’attribution de cette œuvre, voir le rappel historiographique de HWANG, Intrepid Lover, pp. 26-27. 135 Sur ces conuersi, voir supra, p. 29, n. 101.

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sa connaissance très informée des agissements et des enseignements prodigués par Cassien à l’intérieur de son monastère. Car, comme on sait, la première partie de sa carrière littéraire sera surtout marquée par un intérêt des plus fervents pour les discussions, à Marseille et dans la région, concernant la doctrine augustinienne de la grâce, spécialement à travers les dernières productions de l’évêque d’Hippone. Se contentant, dans un premier temps, de prêter l’oreille aux racontars, puis cherchant à s’informer plus avant auprès, sans doute, de la communauté des moines eux-mêmes, Prosper est rapidement devenu, comme l’attestent ses différentes œuvres, le meilleur connaisseur des discours antiaugustiniens propagés dans son milieu, en même temps que, par contraste, ses nombreuses lectures lui permettaient, à défaut de développer une réflexion théologique personnelle, d’approfondir sa connaissance de l’œuvre d’Augustin et de se familiariser avec une doctrine de la grâce assez peu diffusée, et surtout mal reçue, dans sa région.

2. L’informateur devenu polémiste Sa fréquentation des milieux ascétiques de Marseille a permis à Prosper d’être, pour ainsi dire, aux premières loges de certains mouvements de protestation théologique qui devaient donner lieu, et ce pour plus de cent ans, quoique par intermittence, à une controverse décisive à la fois pour l’établissement d’une doctrine officielle de l’Église en matière d’anthropologie théologique et pour la recherche, voire l’imposition, de l’autorité doctrinale de saint Augustin136. On a vu que c’est par Prosper lui-même qu’Augustin est tenu informé des réactions suscitées, en Provence, par la lecture de ses derniers traités. Le premier rôle de Prosper a été en effet celui d’un informateur, simple relais pour Hippone des discussions internes, éventuellement élargies aux populations environnantes. Mais si c’est, en effet, ce qui caractérise la première implication, modeste, de ce laïc dans les débats religieux de son temps, ce dernier n’a pas tardé à se faire, de son propre chef, le porteparole dans la Gaule provençale de l’évêque d’Hippone, prenant la plume 136

Pour un premier aperçu de la fortune des écrits de Prosper à cet égard, voir CAPPUYNS, « Le premier représentant », et, infra, les Conclusions, pp. 293-297.

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pour défendre les idées de celui qu’il avait choisi comme maître et pour combattre des adversaires à ses yeux de plus en plus farouches. L’Epistula ad Rufinum (vers 426) La lettre (epist. 2) que Prosper adresse à l’une de ses connaissances, Rufin, vers 426 est la première œuvre que l’on connaisse de lui. C’est aussi le premier document conservé qui fasse état de la réception d’Augustin en Provence137. Ayant appris par un ami commun tout l’intérêt que prenait son correspondant dans les dissensions apparues tout récemment dans la région de Marseille, Prosper endosse déjà l’habit de porte-parole d’Augustin, pour entreprendre, selon des modalités que l’on retrouvera dans le Contra collatorem quelques années plus tard, une défense de la doctrine d’Augustin, qui passe notamment par un recours massif à l’argument d’autorité, en l’occurrence celle de l’Église victorieuse des pélagiens138. Il s’agit en effet pour Prosper de répondre aux objections nouvelles qui circulent à l’endroit d’Augustin et à la double accusation de paganisme et de manichéisme, que ses théories semblent revivifier139. Pour ce faire, il est besoin de souligner à l’envi la nécessité de la grâce de Dieu, qui ne saurait relever du fatalisme ou du manichéisme, et donner de l’enseignement augustinien une intelligence plus correcte. Étant donné que, selon lui, les réactions inédites de ces groupes d’individus ne peuvent être dues qu’à une mauvaise lecture ou à 137

Sur cette lettre, voir Fr. VINEL, « Une étape vers l’affirmation du salut universel : Prosper d’Aquitaine : Lettre à Rufin sur la grâce et le libre arbitre, introduction et traduction », Revue d’histoire ecclésiastique, 90/3-4 (1995) [367]-395, ainsi que WEAVER, Divine Grace and Human Agency, pp. 41-44 et HWANG, Intrepid Lover, pp. 96-100. 138 C’est l’argument principal qui sera abordé dans le chap. 4, qui propose de voir à la base de l’argumentation de Prosper dans le Contra collatorem le recours à un argument d’autorité qui soit suffisamment « autoritatif » pour ne pas souffrir de riposte de la part des adversaires. La démonstration amène d’ailleurs tout naturellement l’auteur à célébrer d’avance la victoire de l’Église catholique sur ses nouveaux ennemis, comme elle l’avait fait après l’éradication définitive des disciples de Pélage et Célestius ; voir plus précisément, pour ce dernier aspect, le chap. 4, pp. 227-230. 139 Cf. epist. 2, 4 : « Adiicientes etiam, duas illum humani generis massas, et duas credi uelle naturas : ut scilicet tantae pietatis uiro paganorum et Manichaeorum ascribatur impietas » (PL, 51, col. 79B). Sur cette double accusation, voir WEAVER, Divine Grace and Human Agency, pp. 42-43 ; elle n’est bien sûr pas propre aux doctores provençaux : voir OGLIARI, Gratia et certamen pp. 385-402.

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une mauvaise compréhension des Écritures, il veille à reprendre, l’un après l’autre, les passages bibliques convoqués par le parti antiaugustinien et, par une confrontation avec d’autres allusions scripturaires, à arguer que tout dans ces passages de la Bible tend à démontrer qu’on ne peut les entendre que dans un sens purement augustinien140. Le Peri akharistôn (429-430) Si la lettre envoyée à Rufin, puis celles que Prosper, avec Hilaire, a faites parvenir à Augustin n’avaient pour objet que d’alerter ces correspondants sur le danger que présentaient les revendications des moines et, dans le cas de la correspondance avec Augustin, de demander une prompte intervention susceptible d’apaiser les tensions et de faire rendre raison aux opposants provençaux, Prosper ne s’est pas contenté de garder une position d’observateur attentif. Avant même, semble-t-il141, que le double ouvrage d’Augustin ne parvienne en Gaule, Prosper compose contre les doctores Gallicani une riposte en forme de poème, dont l’argumentation préfigure déjà celle du Contra collatorem142. Dans ce long poème didactico-épique, qui ne saurait être une simple récriture en vers de l’epist. 2, l’argumentation de Prosper semble être toutefois très proche de celle qui était à l’œuvre dans la lettre à Rufin143. 140

Cf. en particulier epist. 2, 6-9 (PL, 51, coll. 81B-82D). Il est clair que le poème s’inscrit dans la phase de l’activité de Prosper qui précède la mort d’Augustin : témoin l’éloge que le poète fait de son maître et qui est au présent, en Peri akharistôn, 90-113 (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, pp. 48-50) ; voir là-dessus la fin du chap. 4, pp. 234-235. Voir OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 91-92, n. 4, et HWANG, Intrepid Lover, pp. 121-123, qui fait le même constat sans réussir à expliquer ce qui a pu pousser Prosper à reprendre la plume pour attaquer lui-même les adversaires d’Augustin. Tout récemment, une datation du poème dès 427 a été proposée par R. VILLEGAS MARÍN, « Prosper’s “Crypto-Pelagians”: De Ingratis and the Carmen de Prouidentia Dei », in HWANG – MATZ – CASIDAY (éd.), Grace For Grace, pp. 51-71 (p. 23, n. 58). En l’absence d’arguments décisifs, je m’en tiendrai à la datation traditionnelle. 142 On aura l’occasion de multiplier les parallèles entre les deux ouvrages dans le chap. 4, pp. 228-237. 143 C’est du moins l’opinion admise depuis JACQUIN, « La question de la prédestination » [III], pp. 273-74 : « Le Carmen de ingratis exprime sous une forme métrique les mêmes idées. » Voir aussi VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 375, et J. DELMULLE, « ‘Les Vers Servent aux Saints’: Didactic Poetry and Anti-Heretical 141

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Mais d’assez grandes différences se font jour, essentiellement en ce qui concerne le ton donné à l’œuvre, pour la raison que c’est désormais — au moins en partie — aux adversaires eux-mêmes, pris collectivement, que Prosper veut répondre directement144. Le Peri akharistôn (ou Carmen de ingratis145) est, sans contredit et à plus d’un titre, l’œuvre charnière de la production polémique de Prosper. Les problèmes qui, jusqu’alors, ne consistaient qu’en des discussions ad intra au sein des centres religieux provençaux et qui n’avaient connu qu’une diffusion fort limitée se sont vus acquérir, par la composition d’un long poème didactico-épique, un statut (au moins littéraire) éminent. De plus, ce poème, à l’évidence destiné au cercle lui aussi restreint d’une certaine élite lettrée, marque pour son auteur le commencement d’une nouvelle phase, plus combative, qui l’opposera désormais directement aux contempteurs du pessimisme augustinien, tenants de positions plus modérées, et en tout cas plus humanistes, concernant la latitude de la liberté humaine dans la progression vers la perfection et le salut146. À bien des égards aussi, le Peri akharistôn annonce donc ce que serait, quelques années plus tard, le Contra collatorem. Polemic in the Carmen de Ingratis », in HWANG – MATZ – CASIDAY (éd.), Grace For Grace, pp. 72-96 (pp. 73-74). 144 Pour la question des destinataires du Peri akharistôn, voir DELMULLE, « ‘Les Vers Servent aux Saints’ » ; les résultats sont, par force, très proches de ce que permet de conclure sur ce sujet l’examen des modalités présentes dans le Contra collatorem, et notamment concernant la collectivité ou non des adversaires ; voir le chap. 2, pp. 6574. À propos du changement de ton et de perspective, voir aussi les remarques de HWANG, Intrepid Lover, p. 122 : « The purpose was not to convince them of their errors, but to condemn them. […] Prosper, it appears, wanted a controversy. » 145 J’ai cherché ailleurs à montrer que, des deux titres mentionnés par le premier éditeur, Sébastien Gryphe, en 1539, Peri akharistôn avait toute chance d’être l’original : voir J. DELMULLE, « Le Carmen de ingratis de Prosper d’Aquitaine, une épopée héroïque de la grâce », Revue des études latines, 94 (2016) 169-195 (pp. 194195). 146 De la même époque datent sans doute aussi les deux petits Epigrammata in obtrectatorem Augustini ; voir à leur sujet G. BECHT-JÖRDENS, « ‘Und dieser erregt die Herzen mit campanischem Gras...’ Zu den drei Epigrammen des Prosper Tiro von Aquitanien gegen Pelagianer, Nestorianer und ‘Semipelagianer’ (CPL 518 f.) », in M. BAUMBACH – H. KÖHLER – A.M. RITTER (éd.), Mousopolos Stephanos. Festschrift für Herwig Görgemanns, C. Winter, Heidelberg 1998 (Bibliothek der klassischen Altertumswissenschaften. 2. Reihe, 102), pp. [278]-308, et CUTINO, « L’auteur du De providentia ».

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L’ambassade de Prosper et Hilaire à Rome Les deux œuvres, en dépit de leur différence générique, prennent place dans l’œuvre de Prosper, très significativement, de part et d’autre de l’événement déterminant qu’a été la disparition d’Augustin. Le secours attendu pour son combat contre ceux qu’il perçoit comme les négateurs de la grâce n’étant donc plus à espérer du côté de l’Afrique, Prosper relève le gant, non sans se tourner auparavant vers Rome pour obtenir un appui des plus décisifs. On ne saurait mesurer parfaitement les enjeux de la composition du Contra collatorem en omettant de le rapporter au voyage à Rome, entrepris par Prosper et Hilaire, sans doute en 431147. Désireux d’obtenir une sanction à l’égard de ceux qui, dans leur région, s’en prenaient à Augustin, les deux Marseillais s’étaient rendus en personne au Latran, afin d’interjeter un appel auprès de l’autorité pontificale, Célestin, et de solliciter de ce dernier, à travers la condamnation des évêques en cause, une reconnaissance pleine et entière de l’autorité de la doctrine augustinienne sur les questions de la grâce148. Mais pour ainsi se procurer un accès auprès du pape, Prosper et Hilaire n’ont pas dû pouvoir se passer des litterae formatae ne pouvant émaner que du titulaire d’Arles et requises depuis que Zosime avait cédé à Patrocle un privilège que le successeur de ce dernier n’était pas près de négliger149. On voit alors assez mal quel motif les deux hommes ont pu alléguer pour 147

Pour cette ambassade à Rome, SOLIGNAC, « Prosper d’Aquitaine », col. 2447, propose la date de 429-430. Elle n’est motivée, pourtant, semble-t-il, que parce que les attaques des Provençaux contre Augustin se sont renforcées et qu’il convient de défendre Augustin. Il serait donc plus vraisemblable qu’à cette époque il soit déjà mort ; voir PIETRI, Roma Christiana, t. II, p. 1035, n. 2 (la datation au 15 mai 431 proposée par CHADWICK, John Cassian, p. 131, ne repose sur aucun argument particulier). 148 La lettre de Célestin ne laisse aucun doute sur le caractère officiel de la démarche de Prosper et Hilaire ; le pontife évoque bien un recours, en epist. J3 845 (JK 381 et 875), 1, 2 : « Recurrerunt ad apostolicam praedicti sedem » (PL, 50, coll. 529B). La même lecture est proposée par PIETRI, Roma Christiana, t. II, p. 1033-1037, en particulier p. 1035 et n. 4 149 Durant tout son épiscopat (430-449), non content de défendre les droits que Proculus s’était vu octroyer, il a même eu tendance à chercher à les étendre ; voir L. DUCHESNE, Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, t. 1 : Provinces du sudest, A. Fontemoing, Paris 19072, pp. 112-119, et GRIFFE, La Gaule chrétienne, t. 2, pp. 154-164.

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obtenir cette recommandation d’un évêque comme Hilaire d’Arles, de pure souche lérinienne et resté très proche du milieu monastique provençal150. Mais peut-être l’ancienne rivalité entre Arles et Marseille a-t-elle contribué au franchissement de cette première étape, qui permettait au métropolitain d’agir indirectement à l’encontre de son collègue Vénérius, successeur du vieux Proculus : du fait de ses probables attaches avec Cassien et ses moines, qui pouvaient passer pour un soutien résolu151, il risquait de recevoir de Rome, par contrecoup, un fort discrédit152. Pour ce qui regarde, en tout cas, l’officialisation peut-être voulue de la doctrine d’Augustin, il faut se prêter au jeu des interprétations. Cette ambassade, présentée par les uns comme un succès, par les autres comme un désaveu153, est bien pour Prosper et son parti — il faut le reconnaître — un semi-échec. On aurait beau jeu de dire, avec Arnauld, que Prosper « savoit mieux que qui que ce soit ce qu’il étoit allé faire à Rome, & ce 150 Sur Hilaire et ses attaches avec la pensée des doctores Gallicani, voir la notice « Hilarius 3 » in PIETRI – HEIJMANS (dir.), Prosopographie de la Gaule, vol. 1, pp. 998-1007, et J.-P. WEISS, « Honorat héros antique et saint chrétien. Étude du mot gratia dans la Vie de saint Honorat d’Hilaire d’Arles », in XII Incontro di studiosi dell’antichità cristiana. L’agiografia latina nei secoli IV-VII = Augustinianum, 24/1-2 (1984) [265]-280. Rappelons qu’on a même pu lui attribuer le Carmen de prouidentia Dei du pseudo-Prosper : G. GALLO, « Uno scritto filo-pelagiano attribuibile a Ilario di Arles », Aevum, 51/3-4 (1977) [333]-348. 151 On connaît les liens de Cassien avec Proculus (voir supra, p. 28 et n. 95). Il est probable qu’il ait aussi fréquenté Vénérius, issu du « monastère épiscopal de Marseille » (?) : ce que déduit GRIFFE, La Gaule chrétienne, t. 2, p. 220 et n. 16, d’une inscription attestant ses relations avec Rustique de Narbonne (CIL, XII, 5336). 152 Il figure d’ailleurs au premier rang des destinataires de la lettre de Célestin Apostolici uerba, adressée aux « dilectissimis fratribus Venerio, Marino, Leontio, Auxonio, Arcadio, Fillucio et caeteris Galliarum episcopis » (PL, 50, col. 528B). HWANG, Intrepid Lover, p. 144 et n. 27, qui suit l’avis de R.W. MATHISEN, Ecclesiastical Factionalism and Religious Controversy in Fift-Century Gaul, The Catholic University of America Press, Washington 1989, pp. 132-133, propose que la raison du statut de Vénérius soit due au fait qu’il serait l’auteur du De septem ordinibus Ecclesiae. 153 Le fait que Prosper ait besoin, à la fin du Contra collatorem, et en des termes aussi louangeurs, de souligner l’aspect proaugustinien de la lettre de Célestin prouve à lui seul qu’il était besoin de présenter cette interprétation positive, sans doute pour faire pièce à des réactions hostiles. C’est cependant un écrit inestimable pour le combat de Prosper ; voir, au chap. 2, pp. 56-57, le cas qui doit être fait, semble-t-il, de cette entrevue, pour expliquer la composition du Contra collatorem.

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qu’il avoit obtenu du Pape S. Célestin154 », il n’en reste pas moins qu’on ne peut se fonder, pour apprécier cette intervention, sur son seul compte rendu, dans le Contra collatorem, évidemment trop partial155. La réponse rendue par Célestin se contente de souligner la catholicité d’Augustin et de demander un apaisement rapide, tout en émettant même un doute sur l’authenticité du rapport de Prosper et Hilaire : « Si les choses sont bien ainsi, écrit Célestin, que la nouveauté cesse d’accuser l’ancienneté, que l’agitation cesse de troubler le repos des Églises156. »

Quelques mois à peine après la mort d’Augustin, Prosper est devenu en Gaule un référent suffisamment célèbre pour que, dès 431, des prêtres gênois le consultent au sujet de passages difficiles du De praedestinatione sanctorum157 et pour être reçu par l’évêque de Rome et obtenir de lui des mesures à l’encontre de plusieurs évêque de Gaule. Nul doute que ce laïc lettré, féru de questions théologiques, a acquis, grâce à ses campagnes d’information, notamment auprès d’Augustin, puis à ses propres tentatives de réfutation, et enfin, possiblement, par le fait que l’évêque d’Hippone, qui lui avait dédié ses traités sur la prédestination, ne pouvait plus riposter, une véritable autorité qui lui permette désormais de se livrer à des entreprises quelque peu plus audacieuses, et à poursuivre, du moins, son combat en faveur d’Augustin et pour l’éradication de théories trop proches des thèses pélagiennes pour ne pas être dangereuses à ses yeux. 154

A. ARNAULD, L’innocence & la vérité défendues contre les calomnies & les faussetés que les Jésuites ont employées en divers Libelles, pour déchirer les vivants & les morts, & décrier la doctrine sainte de la Pénitence & de la Grace : & que le P. Brisacier a recueillies, y en ajoutant beaucoup de nouvelles, dans son Livre, censuré par Monseigneur l’Archevêque de Paris, intitulé : Le Jansénisme confondu, &c., Article 5 : « Que les prétendus Hérétiques Prédestinatiens n’ont été autres que les saints Défenseurs de la grace, décriés sous ce nom par les Sémipélagiens… », § 2, in Œuvres de Messire Antoine Arnauld, docteur de la maison et société de Sorbonne, t. 30, Chez Sigismond d’Arnay & compagnie, A Paris M.DCC.LXXIX., p. 303. 155 Cf. c. coll., 21, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 82-83). 156 Célestin Ier, epist. J3 845 (JK 381 et 875), 1, 2 : « Desinat, si ita res sunt, incessere nouitas uetustatem, desinat Ecclesiarum quietem inquietudo turbare » (PL, 50, col. 529A). 157 Dans les Responsiones ad excerpta Genuensium ; voir aussi HWANG, Intrepid Lover, pp. 138-142.

CHAPITRE II DATATION ET DESTINATION DU CONTRA COLLATOREM

Pour saisir au mieux comment le Contra collatorem s’inscrit dans ce contexte historique et idéologique et prendre la mesure de toutes ses implications, il convient de replacer chronologiquement la composition du traité et de chercher à résoudre avec la plus grande acribie la question, en l’occurrence indissociable de cette première enquête, des destinataires visés par l’auteur.

I – POUR UNE DATATION COMPLEXE DU CONTRA COLLATOREM 1. La datation admise : 432-433 La datation du Contra collatorem ne présente a priori aucune difficulté. L’ensemble des études, sauf exceptions insolites et limitées à un pan seulement de la bibliographie 1, s’accorde pour 1 Signalons, pour les exclure d’emblée, deux datations jadis avancées et dépourvues de fondement, mais qui se sont perpétuées à travers la bibliographie des historiens du christianisme irlandais : à ne considérer le Contra collatorem que comme le témoignage le plus ancien des missions d’évangélisation des Îles (le chap. 21, 3 mentionne la création d’un évêque pour les Scots et l’achèvement de la christianisation des Bretagnes), on en est venu à subordonner des éléments pourtant objectifs à une vision préconçue. Le premier, apparemment, voulant situer la publication du Contra collatorem uniquement par rapport à la présence sur les Îles de Palladius, H. ZIMMER, « Keltische Kirche in Britannien und Irland », Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche, t. 10, J.C. Hinrichs’sche Buchhandlung, Leipzig 1901, pp. 204243 (p. 215) l’a placée « warscheinlich 437 ». Mais quelques années plus tard, ID., « Über direkte Handelsverbindungen Westgalliens mit Irland im Altertum und frühen Mittelalter. 3.A. Galliens Anteil an Irlands Christianisierung im 4./5. Jahrhundert und altirischer Bildung », Sitzungsberichte der königlich preussischen Akademie der Wissenschaften, 20/1 (1909) 543-580 (p. 579 et n. 1), précise que la publication a eu lieu « schon vor 437 ». Cependant, par le biais de la traduction anglaise d’Antonie Meyer (The Celtic Church in Britain and Ireland, David Nutt, London 1902 ; pour la date en question, voir p. 33), cette erreur a ensuite été reproduite, notamment par St. CZARNOWSKI, Le culte des héros et ses conditions sociales. Saint Patrick, héros national de l’Irlande, F. Alcan, Paris 1919 (Bibliothèque de philosophie contemporaine.

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placer la rédaction de ce traité entre les années 432 et 4342. De toutes les données internes facilement datables, la plus déterminante, qui permet de déduire ces deux termini, est l’indication précise du pontificat sous lequel il faut placer la parution du Contra collatorem : Prosper achève son traité en souhaitant que l’action des papes, d’Innocent à Célestin, soit poursuivie par le successeur de ce dernier : « Operetur in Xysto3 ». Section sociologique), p. 39, n. 2, et encore par Th.F. O’RAHILLY, The Two Patricks: A Lecture on the History of Christianity in Fifth-Century Ireland, Dublin Institute for advanced studies, Dublin 1942, p. 20 (« about 437 »). C’est à ce dernier seulement que l’on a reproché cette erreur, en voulant la corriger : voir L. BIELER, « The Mission of Palladius: A Comparative Study of Sources », Traditio, 6 (1948) 1-32 (p. 10 et n. 13) et ID., St. Patrick and the Coming of Christianity, Gill and Macmillan, Dublin 1967 (A History of Irish Catholicism, 1/1), p. 7, n. 15. La même lecture partielle conduit W.J.D. CROKE, « The Life and Literature of St. Patrick », The Seven Hills Magazine, 1 (1906-1907) 343-370 et 519-550, 2 (1907) 49-69 et 231-247 (ici, 1, pp. 360-369, et 2, pp. 235-247), à retarder la date de la rédaction du Contra collatorem aux années 435436, pour qu’il y ait un temps suffisamment grand entre l’arrivée de Patrick (selon lui, la même personne que Palladius) en Irlande en 431 et le constat que fait Prosper, dans le traité, d’une « île barbare devenue chrétienne » (c. coll., 21, 2 : « dum Romanam insulam studet seruare catholicam, fecit etiam barbaram Christianam » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 81). Notre connaissance des débuts de l’Irlande chrétienne étant ce qu’elle est, et ne reposant que sur de maigres sources littéraires, c’est, dans le cas présent, la démarche inverse qu’il faut adopter, et tirer des conclusions à propos de l’évêque des Scots une fois seulement qu’on a réussi à dater précisément l’œuvre. 2 C’est la datation la plus communément admise, proposée par VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 190-191 (qui reste cependant prudent : « Le Contra collatorem a donc paru vers 432 »), enregistrée dans les manuels et dictionnaires (voir ENSSLIN, « Prosper », col. 891), et depuis abondamment reprise, sans grande réserve. Rédigé « au début [du] pontificat » de Xyste (c’est-à-dire en 432-433) pour SOLIGNAC, « Prosper d’Aquitaine », col. 2449, le Contra collatorem pourrait, de façon plus imprécise, être situé entre 432 et 434 selon BARDY, « Prosper d’Aquitaine », col. 847, comme le proposait déjà HOLDER-EGGER, « Untersuchungen über einige annalistische Quellen », p. 57, et avant eux les bénédictins de l’Histoire literaire de la France, t. 2 Qui comprend le cinquième siècle de l’Église, Chez Osmont, A Paris M.DCC.XXXV., p. 375 (« en 432 au plûtôt, ou 433, ou même 434 ») ; HAUCK, « Prosper von Aquitanien », p. 126, puis O. BARDENHEWER, Geschichte der altkirchlichen Literatur, Bd. 4 : Das fünfte Jahrhundert mit Einschluss der syrischen Literatur des vierten Jahrhunderts, Herder, Freiburg im Breisgau 1924, p. 537, se prononcent même plutôt pour la fin de cette période (« wahrscheinlich 433 oder 434 ») ; HAMMAN, « Prosper von Aquitanien », p. 526), enfin, va jusqu’à proposer une datation « zwischen 433 und 435 ». 3 C. coll., 21, 4 : « Quod ne hypocritarum obtineatur insidiis, confidimus Domini protectione praestandum ut, quod operatus est in Innocentio, Zosimo, Bonifacio,

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L’avènement de Xyste III, le 31 juillet 4324, fournit donc un terminus post quem incontestable. Le second terminus, lui, demande plus d’interprétation subjective : que le pape puisse encore faire l’objet d’un tel vœu semble indiquer qu’il n’en est alors qu’au début de son pontificat, en un moment point encore trop éloigné de la mort de Célestin pour que soit rendu à ce dernier un aussi long éloge, au cours du chapitre 215. Un espace d’une année environ, à compter de l’été 432, offrirait donc un délai raisonnable à ne pas trop dépasser. Une autre indication de Prosper a beaucoup été utilisée dans la datation de l’œuvre pour son apparente précision chronométrique. Voulant marquer la continuité qui unit, selon lui, sa propre activité polémique à celle qu’avait menée Augustin contre Pélage, Célestius et Julien, Prosper fait remarquer que « voilà plus de vingt ans » (« uiginti amplius anni sunt ») que dure cette Coelestino, operetur in Xysto et in custodia Dominici gregis haec sit pars gloriae huic reseruata pastori » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 84). 4 Cf. Prosper, Chronicon, 1309 [a. 432] (éd. MOMMSEN, MGH. AA, 9, p. 473) ; Xyste III, epist. J3 870-871 (JK 391-392) = Collectio Veronensis, epist. 30-31 (éd. E. SCHWARTZ, ACO, I/2, W. de Gruyter, Berolini 1925-1926, pp. 107-110). La date exacte est à inférer de la durée de son règne et du moment de l’élection de Léon ; voir JAFFÉ (†) – WATTENBACH (éd.), Regesta pontificum Romanorum, p. 57. 5 Cf. c. coll., 21, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 80-82). La date de la mort de Célestin est elle-même déjà source d’embarras : le Liber pontificalis indique la sépulture au 6 avril, date que Louis Duchesne considère comme fausse, pour retenir celle du 27 juillet (à partir du décompte, assuré, des jours séparant sa mort du jour de sa consécration) : voir JAFFÉ (†) – WATTENBACH, Regesta pontificum Romanorum, p. 57, puis L. D UCHESNE , Le Liber pontificalis. Texte, introduction et commentaire, t. I, E. de Boccard, Paris 1955 2 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 2e série : Registre des papes du XIII e siècle), p. 231, n. 7. Ce court laps de temps correspond du reste à l’habituel ; le cas de la succession de Xyste, en 440, faisant exception, dans la mesure où Léon, élu in absentia, mettra un mois et onze jours avant d’être intronisé à Rome (voir JAFFÉ [†] – WATTENBACH, Regesta pontificum Romanorum, pp. 58-59). Une vie tardive de Célestin date sa mort au 7 juin, ce qui laisserait un intervalle plus crédible ; mais cette date elle-même semble contredite dans l’œuvre, et serait à situer plutôt entre le 25 mai et le 7 juin : voir P. CHIESA , « Una misteriosa Vita medievale di papa Celestino I (fra Mantova e Bologna?) », in J. ELFASSI – C. L ANÉRY – A.-M. T URCAN -V ERKERK (éd.), Amicorum societas. Mélanges offerts à François Dolbeau pour son 65e anniversaire, SISMEL – Edizioni del Galluzzo, Firenze 2013 (Millennio Medievale, 96 ; Strumenti e studi, n.s. 34), pp. [131]154 (p. 135 et n. 23).

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lutte dans laquelle il s’est engagé6. Une fois rétablie la leçon correcte7, on peut en effet s’adonner aux calculs les plus fouillés pour confirmer la première estimation. Mais, à supposer que ce nombre ne soit pas une approximation, encore faudrait-il être certain du point de départ adopté par Prosper, qui est loin d’aller de soi. Que l’on place le commencement de la controverse en 411 ou en 4128 — voire, comme le suggère curieusement Prosper, et lui seul, dans son Chronicon, en 4139 —, on n’arrive guère à 6

C. coll., 1, 2 : « Viginti amplius anni sunt quod contra inimicos gratiae Dei catholica acies huius uiri ductu pugnat et uincit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 7). 7 Depuis 1711, les éditions imprimaient, sur la foi d’un seul manuscrit, « Viginti et eo amplius », ce qui avait l’avantage de corriger un passage qui leur paraissait autrement inexact. Partant du principe a priori que la date de départ devait être 412, il fallait donc bien ajouter une année au décompte initial de Prosper (cf. Sancti Prosperi Aquitani S. Augustini discipuli, S. Leonis Papæ Primi notarii, Opera omnia…, G. Desprez – J. Desessarts, Parisiis 1711, t. 1, col. 309 et adn. i). Mais cette variante, très isolée dans la tradition, est en réalité un ajout datable du XIIe siècle (voir DELMULLE, « Introduction », chap. 2), fait sans aucun doute pour de semblables raisons, qui ne peut assurément remonter à la rédaction primitive et qu’il n’y a donc aucune raison de retenir. 8 Tout dépend si l’on considère comme point de départ de la querelle la rédaction du De peccatorum meritis et remissione et de baptismo paruulorum (412) ou la prise de connaissance par Augustin des idées de Pélage, éventuellement perceptible dans des sermons antérieurs. L’hiver 411-412 est en effet la datation traditionnelle du début de l’intervention d’Augustin : voir, entre autres, REFOULÉ, « Datation du premier concile », qui corrige J.H. KOOPMANS, « Augustine’s First Contact with Pelagius and the Dating of the Condemnation of Caelestius at Carthage », Vigiliae Christianae, 8/3 (1954) 149-153 ; voir aussi P.-M. HOMBERT, Nouvelles recherches de chronologie augustinienne, Institut d’études augustiniennes, Paris 2000 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 163), en particulier son « Avant-propos », pp. [I]-XIII (pp. IX-XIII), et SALAMITO, Les virtuoses et la multitude, p. 304. Il faudrait sans doute en remonter le commencement à l’année 411, si ce n’est au-delà : voir W. DUNPHY, « A Lost Year. Pelagianism in Carthage, 411 A.D. », Augustinianum, 45/2 (2005) [389]466, et Fr. DOLBEAU, « “Seminator uerborum”. Réflexions d’un éditeur de sermons d’Augustin », in G. MADEC (éd.), Augustin prédicateur (395-411). Actes du Colloque International de Chantilly (5-7 septembre 1996), Institut d’études augustiniennes, Paris 1998 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 159), pp. [95]-111 (p. 100 et n. 13). 9 Prosper, Chronicon, 1252 [a. 413] : « Eodem tempore Pelagius Britto dogma nominis sui contra gratiam Christi Caelestio et Iuliano adiutoribus exerit multosque in suum errorem trahit. » (éd. MOMMSEN, MGH. AA, 9, p. 467). Si la datation reste problématique, le contenu même de cette entrée ne l’est pas moins : WERMELINGER, Rom und Pelagius, p. 10, n. 29, fait remarquer que Prosper y combine en réalité des

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réduire l’intervalle défini ci-dessus ; tout au plus ce détail permettrait-il d’exclure avec plus de certitude l’année 43410. Dans tous les cas, c’est sans conteste durant la « période marseillaise » de Prosper qu’il convient de situer le Contra collatorem11. Si l’on cherchait à resserrer encore cette « fourchette », on pourrait suggérer — même à titre d’hypothèse probable — certaines précisions, en amont comme en aval. En amont, d’abord : même si elle pouvait être naturellement attendue dans les milieux informés12, la nouvelle de l’élection de Xyste le dernier jour de juillet n’a pas pu sans doute parvenir à Marseille avant le milieu du mois suivant13, ce qui reporterait donc d’à peu près un accusations faites à Pélage lors du concile de Carthage de 411 et d’autres propos qui datent, eux, du synode de Diospolis (415). 10 De même, BIELER, « The Mission of Palladius », p. 10 et n. 13, reprenant la chronologie relative des témoignages évoquant Palladius, invite à placer la rédaction du Contra collatorem avant la première publication du Chronicon en 433. 11 On ne peut en effet, comme certains érudits de l’époque classique (évoqués par LENAIN DE TILLEMONT, Memoires pour servir à l’histoire, t. 16, Paris 1712, p. 733), conclure que le traité a été composé à Rome pour l’unique raison que les citations bibliques semblent laisser supposer l’utilisation d’un texte romain, différent de celui auquel allait auparavant la préférence de Prosper ; là-dessus, voir le chap. 4, pp. 187188, n. 109. De plus, la présence de Prosper à Marseille, après son retour de Rome vraisemblablement en 431, est attestée par les Responsiones, contemporaines, qui examinent des libelles à circulation très limitée et assurément originaires de la Gaule méridionale. 12 Déjà prêtre à Rome au temps du pontificat de Zosime, très proche du pape et probablement fort influent au Latran, Xyste devait en effet apparaître, à la mort de Célestin, comme le candidat tout désigné à sa succession : voir É. AMANN, « Sixte ou Xyste III (saint) », Dictionnaire de théologie catholique, t. 14/2, coll. 2196-2199 (col. 2196). 13 Au plus tôt, et à condition d’imaginer une circulation assez rapide des nouvelles, qui ne se vérifie pas toujours à cette époque (voir P. PEETERS, [c. r. de ACO, I/1.7-8], Analecta Bollandiana, 48 (1930) 389-393 [pp. 392-393]), sur la base du rythme régulier qui était celui du cursus publicus, soit grosso modo cinquante milles quotidiens (voir H.-G. PFLAUM, « Essai sur le cursus publicus sous le Haut-Empire romain », Mémoires présentés par divers savants à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 14/1 [1940] 189-390 [p. 386]). Marseille étant à un peu plus de six-cents milles de Rome, il fallait donc au courrier une douzaine de jours pour parvenir à destination par la terre. Ce délai serait raccourci de quelques jours s’il fallait envisager une arrivée des nouvelles par voie de mer, qui plus est en plein été (voir E. de SAINT-DENIS, « La vitesse des navires anciens », Revue archéologique, 18 [1941] [121]-138 [p. 134], et PERLER, Les voyages de saint Augustin, pp. 67-68), mais une durée de douze à quinze jours,

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mois le terminus ante quem non. En aval, d’une manière plus significative : on ne peut imaginer que, attendant du nouveau pontife qu’il continue les mesures de ses prédécesseurs, Prosper n’ait pas mentionné, s’il en avait eu connaissance, la paix finalement obtenue entre les deux patriarches Cyrille d’Alexandrie et Jean d’Antioche14 ; préparée par des négociations romaines, elle a été saluée par le pape lors d’un synode anniversaire (le 31 juillet 433), puis dans deux lettres envoyées aux interessés (le 17 septembre de la même année)15. Les interventions de Xyste pour régler ce différend post-éphésien auraient toute leur place, au même titre que celles de Célestin, dans la liste des attaques faites contre le pélagianisme (touché ici indirectement à travers son pendant nestorien)16, et ce avant même le refus de réintégration, mieux connu, qu’il a opposé en 439 à Julien d’Éclane17. Quoique primitivement plus probable, correspondrait du reste très bien à ce qui s’est produit huit ans plus tard, selon un schéma identique : quarante jours se sont écoulés (et il y avait alors urgence) entre la mort de Xyste et l’ordination de son successeur Léon, averti de son élection alors qu’il se trouvait précisément en Gaule méridionale. 14 Mettant fin au schisme provoqué par l’issue du concile d’Éphèse, l’Acte d’union, datable du printemps 433, marque, plus qu’un compromis, la victoire de la christologie antiochienne. Voir PIETRI, Roma Christiana, t. II, pp. 1397-1403, et Chr. FRAISSE-COUÉ, « D’Éphèse à Chalcédoine : “la paix trompeuse” (433-451) », in L. PIETRI (dir.), Histoire du christianisme des origines à nos jours, t. III : Les Églises d’Orient et d’Occident, Desclée, [Paris] 1998, pp. [9]-77, spécialement pp. [9]-19. Pour VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 190, aussi, l’absence de toute mention par Prosper est un fait suffisamment discriminant pour dater le Contra collatorem d’avant cet accord. Notons toutefois la limite de cet argument, vu que Prosper n’y fait pas non plus allusion dans le Chronicon (éd. MOMMSEN, MGH. AA, 9, 1892, p. 474). 15 Xyste III, epist. J3 870-871 (JK 391-392) = Collectio Veronensis, epist. 30-31 (éd. SCHWARTZ, ACO, I/2, pp. 107-110) ; voir pour la datation de JAFFÉ (†) – WATTENBACH, Regesta pontificum Romanorum, pp. 57-58. Le tout est récapitulé par AMANN, « Sixte ou Xyste III », coll. 2196-2197 ; voir aussi PIETRI, Roma Christiana, t. II, pp. 1393-1403. 16 Ces interventions, tant vantées en c. coll., 21, 2 (« Per hunc uirum etiam Orientales Ecclesiae gemina peste purgatae sunt, quando Cyrillo, Alexandrinae urbis antistiti, gloriosissimo fidei catholicae defensori, ad exsecandam Nestorianam impietatem apostolico auxiliatus est gladio ; quo etiam Pelagiani, dum cognatis confoederantur erroribus, iterum prosternerentur » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 81), sont, pour Prosper, l’un des titres de gloire du pontificat de Célestin, quoique leur succès soit surtout dû à l’activisme du patriarche d’Alexandrie. 17 Cf. Prosper, Chronicon, 1336 [a. 439] (éd. MOMMSEN, MGH. AA, 9, p. 477), qui semble toutefois attribuer l’initiative au diacre Léon. Il n’est pas impossible que Prosper soit lui-même à l’origine de la décision de Xyste, qu’il aurait largement

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ancré en Orient, ce débat et son issue n’ont pas manqué d’une diffusion rapide à l’ouest, et en particulier en Provence, dès les premiers mois18. L’absence de toute allusion à ces tractations sous la plume de Prosper inviterait donc à situer selon toute probabilité la publication du traité avant l’arrivée à Marseille des missives pontificales. On est alors davantage fondé à dater plus précisément l’achèvement de la rédaction du Contra collatorem entre la mi-août 432 et le mois de septembre 43319.

2. Composition et publication : une rédaction en deux temps ? Seulement, cette datation admise ne saurait établir autre chose que le moment où Prosper a mis la dernière main à son ouvrage avant de le publier. C’est pourquoi il ne faut pas trop vite assimiler le temps de la publication et celui de la composition20 et s’interdire d’imaginer la possibilité d’une rédaction discontinue. Cette hypothèse n’est d’ailleurs pas neuve : oubliée par l’historiographie moderne21, elle avait déjà influencée en rassemblant dans ce but les Praeteritorum sedis apostolicae episcoporum auctoritates ; voir VILLEGAS MARÍN, « En polémica con Julián », pp. 123-124. 18 Ainsi Vincent de Lérins est capable, dès 434, de citer un passage de la lettre Si ecclesiastici corporis de Xyste à Jean (epist. J3 871 [JK 392], 7) ; cf. Vincent de Lérins, Commonitorium, 32, 2 (éd. R. DEMEULENAERE, CCSL, 64, Turnholti 1985, p. 193) et, pour la datation, R. DEMEULENAERE, « Préface », in Vincentii Lerinensis Commonitorium, p. 129. 19 Si l’on pouvait être certain de l’identité de l’évêque mentionné en c. coll., 21, 2 (« Ordinato Scotis episcopo, dum Romanam insulam studet seruare catholicam, fecit etiam barbaram Christianam » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 81), on pourrait affiner encore la datation, car il semblerait que Palladius soit mort très peu de temps après Célestin, sur le chemin du retour vers Rome, et que Patrick ait été ordonné, pour le remplacer, au début de l’automne 432 (entre le 18 septembre et le 16 octobre) ; voir P. GROSJEAN, « Notes d’hagiographie celtique. 7. Notes chronologiques sur le séjour de S. Patrice en Gaule », Analecta Bollandiana, 63 (1945) 73-93 (pp. 85-86). 20 Contrairement à ce que fait VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 187-189, qui, parce qu’il confond « composition » et « publication », refuse a priori d’examiner les thèses différentes de celle qu’il retient. C’est pour cette raison également que je n’ai pas cru devoir tenir compte, dans le calcul précédent des termini, du temps nécessaire à la rédaction d’un ouvrage si copieux. 21 En dépit des mises en garde de l’Introduction (pp. XVI-XVIII), il faut reconnaître que, pour maint aspect, les travaux des érudits classiques fournissent un point de départ

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provoqué, au XVIIe siècle, un débat d’érudits, résumé et éclairci par Louis Sébastien Le Nain de Tillemont dans une brève note de ses Memoires pour servir a l’histoire ecclesiastique des six premiers siecles22 et continué au siècle suivant23. Une telle règle est d’autant plus de mise à l’égard d’un traité comme le Contra collatorem que celui-ci ne se caractérise pas, en dernière analyse, par une parfaite unité structurelle. Il serait vain et hasardeux de tenter de distinguer, dans un texte comme celui-là, différentes strates rédactionnelles24. Mais sans parler d’autres incohérences internes, en somme fort minimes et qui pourraient s’expliquer indépendamment25, on en trouve certaines, par exemple, qui seraient curieuses dans une œuvre écrite d’une seule venue : ainsi, le fait qu’entre tel développement argumentatif, utilisé pour réfuter la deuxième definitio de Cassien (en c. coll., 2, 3), et essentiel qu’il faut absolument prendre en considération, comme le préconisait H.-I. MARROU, « Les attaches orientales du pélagianisme », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 112/3 (1968) 459-472 (p. 459) : « Nos contemporains relisent peu leurs grands prédécesseurs les érudits du XVIIe siècle, même lorsque ceux-ci nous sont commodément accessibles dans la Patrologie de Migne, et c’est bien dommage pour le développement de la recherche qui rappelle par trop la toile de Pénélope. » 22 Il s’agit de la Note IV (« Sur l’ouvrage contre Cassien ») des « Notes et éclaircissemens sur le seizieme volume des Memoires pour servir à l’histoire ecclesiastique », in LENAIN DE TILLEMONT, Memoires pour servir a l’histoire, t. 16, pp. 732-733. 23 La structure du Contra collatorem est en effet si singulière que l’on a pu y distinguer deux parties, de deux époques différentes ; c’est par exemple l’avis de certains anonymes, rapporté par LENAIN DE TILLEMONT, Memoires pour servir à l’histoire, t. 16, p. 732 (voir infra, p. 57). 24 R. CEILLIER, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, qui contient leur Vie, le Catalogue, la Critique, le Jugement, la Chronologie & le Dénombrement des differentes Editions de leurs Ouvrages ; ce qu’ils renferment de plus interessant sur le Dogme, sur la Morale et sur la Discipline de l’Eglise ; l’Histoire des Conciles, tant generaux que particuliers, & les Actes choisis des Martyrs, t. 14, Chez Ph. N. Lottin & J. H. Butard, Paris 1747, p. 303, faisait déjà cette mise en garde. Le problème est d’ailleurs encore compliqué par le fait que le traité a fait l’objet également, dans une importante partie de sa traduction manuscrite, d’autres remaniements, qu’il nous est impossible de détecter dans les douze premiers chapitres, pour lesquels on ne dispose que d’une tradition partielle ; voir, à ce propos, DELMULLE, « Introduction », chap. 2. 25 Notamment l’alternance entre la deuxième et la troisième personne pour désigner l’adversaire ; voir infra, pp. 67-68.

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son rappel récapitulatif (en c. coll., 19, 3) la position de l’auteur ait pu se trouver modifiée, pourrait suggérer qu’une partie au moins de l’œuvre a été achevée à quelque distance26. Bien plus, on observe une particularité structurelle importante, qui distingue beaucoup le Contra collatorem des autres œuvres de Prosper écrites à la même époque. Tandis que le traité adopte à grands traits le schéma que l’auteur avait retenu ou devait retenir pour ses Responsiones27, et en particulier pour les Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium (qui offrent, elles aussi, une imposante partie récapitulative), Prosper éprouve la nécessité, avant de conclure véritablement son ouvrage, d’ajouter toute une partie finale (le chap. 21) lui permettant de passer en revue l’ensemble des interventions romaines dans la querelle pélagienne sans autre objectif que de soutenir, nouvelles auctoritates à l’appui, la position de saint Augustin28. C’est cette dernière partie qui soulève certaines interrogations. Quoique, pour des raisons de composition littéraire et de finalité de l’entreprise polémique, le contenu de ce chapitre puisse parfaitement trouver sa place dans l’œuvre29, il reste assez inattendu en cet endroit et semble trahir quelques failles dans le système argumentatif, qu’on expliquerait plus avantageusement en émettant l’hypothèse d’une 26 Comparer, à propos de la deuxième « proposition », le commentaire de Prosper en c. coll., 2, 3 (« Et hic potest adhuc dicere […] » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 10) et son résumé en 19, 3 (« Iam hic a praemissa definitione disceditur » ; ibid., p. 73), qui semble marquer une radicalisation du propos. Mais ce pourrait tout aussi bien être là l’effet d’une tactique polémique de l’auteur ; voir le chap. 3, pp. 119-120. 27 Les Responsiones ad excerpta Genuensium ne sont pas de beaucoup postérieures à la mort d’Augustin (donc datables des années 430-431), tandis que les Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium et les Responsiones ad capitula obiectionum Vincentianarum semblent, elles, avoir été composées plus tardivement, entre 433 et 435 : voir HWANG, Intrepid Lover, p 17 et 174-175 ; voir aussi, pour la discussion de leur place dans la chronologie prospérienne, CAPPUYNS, « Le premier représentant », p. 317 et n. 22 et pp. 322-326. 28 Pour toutes ces questions de structuration du traité et pour une analyse des modalités en jeu, voir le chap. 3, pp. 121-136. 29 Il n’y aurait, en effet, rien d’étonnant à ce que le Contra collatorem, davantage achevé et pouvant revendiquer une ampleur plus large que les simples œuvres de consultation ou de riposte aux calomnies que sont les trois Responsiones, plus circonscrites, présente des prétentions historiques, donnant à la querelle présente toute sa profondeur par un rappel raisonné du contexte polémique ; voir encore le chap. 4, pp. 225-237.

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rédaction en plusieurs phases30. Prosper y fait en effet état de l’action des pontifes romains dans la controverse pélagienne, comme il l’avait fait déjà au chap. 5 en produisant diverses pièces de chancellerie s’y rapportant31, mais cette fois en adoptant essentiellement le point de vue de l’historien, retraçant l’enchaînement des faits sans recourir désormais aux sources primaires. Il ajoute cependant la citation d’un nouveau texte, la lettre Apostolici uerba praecepti de Célestin, qui aurait pu étayer davantage encore la première démonstration, en rapportant, à cet endroit seulement, la réception qu’a suscitée cette missive dans les milieux monastiques du sud. Même si ce document, vraisemblablement écrit dans la seconde moitié de 431, reste difficile à dater avec précision32, son isolement dans l’économie de l’œuvre tendrait à indiquer que sa transcription est le fruit d’une addition et que, pour une raison ou pour une autre, il ne pouvait être convoqué au moment de la rédaction du chap. 533. 30 M. VESSEY, « Opus imperfectum. Augustine and His Readers, 426-435 A.D. », Vigiliae Christianae, 52/3 (1998) 264-285 [reprod. in ID., Latin Christian Writers in Late Antiquity and their Texts, Ashgate, Aldershot – Burlington 2005 (Variorum Collected Studies Series, 837), VII] le caractérise comme « a kind of coda to the work » (p. 276), sans émettre encore l’idée d’une composition en deux temps — ce qu’il fera lors des discussions du « Workshop Prosper of Aquitaine » de la XVIth International Conference on Patristic Studies d’Oxford en août 2011 ; je le remercie d’avoir bien voulu accueillir mon hypothèse à cette occasion et dans une correspondance ultérieure. 31 C’est exclusivement sur des extraits d’actes pontificaux et conciliaires, qui doivent être le fruit de longues recherches au sein même du scrinium pontifical, qu’il appuie son argumentation de c. coll., 5, 3 ; le chap. 21 aussi est marqué par une forte présence des pontifes romains, dont Prosper retrace l’implication directe ou indirecte au sein de la controverse pélagienne, ajoutant de nouveaux témoignages de leur attachement à la foi défendue contre les nouveaux ennemis de la grâce. Sur ce dossier, voir le chap. 4, pp. 207-216. 32 La datation communément admise est l’année 431, la précision du mois (mai) ne reposant sur aucun témoignage ; SOLIGNAC, « Prosper d’Aquitaine », col. 2447, propose toutefois une datation discordante, en faisant remonter la visite de Prosper et Hilaire à Célestin aux années 429-430. Voir le chap. 1, pp. 44-45 et n. 147. 33 On pourrait même éventuellement penser que le premier dossier, qui ne contient aucune pièce postérieure à 418, ait été déjà prêt plusieurs années auparavant, à l’époque de la rédaction de l’epist. 2 ; cf. epist. 2, 4 : « Has autem uersutias, quibus se filii tenebrarum in similitudinem filiorum lucis transfigurare uoluerunt, cum et Orientalium episcoporum iudicia et Apostolicae sedis auctoritas et Africanorum conciliorum uigilantia deprehenderit. » (PL, 51, col. 78B-C) ; voir aussi VESSEY, « Opus imperfectum », pp. 276-277. Mais Prosper fait référence là, non à des textes (dont on

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Pour autant, même espacée, la rédaction primitive de l’œuvre n’a pas dû être de beaucoup antérieure à la date de sa publication. La conception même du Contra collatorem ne peut s’expliquer que par la mort d’Augustin, à laquelle elle est donc nécessairement postérieure34 ; elle rassemble en outre un matériel documentaire, composé ou réuni au plus tôt à la fin de l’année 430, au plus tard — et plus vraisemblablement — dans le courant de 431, trop structurant et trop bien intégré au sein de l’argumentation pour pouvoir être le fruit de simples ajouts ultérieurs35. Dans la mesure où l’ensemble de la question est à échafauder sur des bases chronologiques aussi chancelantes et insolubles, le mieux est de s’en tenir à la prudence de l’indécision, qui a toutefois le mérite de faire remonter hypothétiquement l’origine de l’entreprise prospérienne à 430-431. On pourrait alors imaginer que le traité ait été déjà en grande partie rédigé, et quasiment prêt, lorsqu’en 432 Prosper l’a repris pour le compléter définitivement et le remanier par endroits en cas de besoin, avant de lui donner une large diffusion.

3. De la Collatio XIII au Contra collatorem : les raisons stratégiques d’une réponse tard venue La première circulation et la première réception de la Collatio XIII Cette probable chronologie heurtée de la rédaction ne change rien, du reste — même si c’est elle qui nous met sur la voie de sa résolution — au problème fondamental que pose la datation du traité : celui de savoir non pas ne voit pas pourquoi il se priverait de les citer), mais à des événements banalement connus et dont la simple lecture d’un des derniers ouvrages d’Augustin aurait suffi à lui apprendre les détails ; voir le chap. 4, p. 210. 34 Au-delà même de certaines formulations (cf. c. coll., 1, 1 : « sanctae memoriae Augustino episcopo », et 21, 2 : « sanctae memoriae Augustini scripta » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. [5] et 81), c’est le projet même, de défense de la doctrine et de la mémoire d’Augustin, qui s’explique par la disparition de l’évêque d’Hippone, incapable désormais de se défendre lui-même. L’hypothèse d’un savant anonyme (« une personne très habile »), rapportée par LENAIN DE TILLEMONT, Memoires pour servir à l’histoire, t. 16, p. 732, pour qui Prosper aurait pu écrire, ou du moins commencer, cette œuvre du vivant d’Augustin, ne saurait en effet trouver de justification. 35 Se reporter aux chap. 3, pp. 123-136, et 4, pp. 208-213.

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quand l’œuvre a été rédigée, mais pourquoi elle l’a été à ce moment-là. Car c’est un fait que, face au Contra collatorem, le lecteur se trouve confronté à une anomalie chronologique de taille : dans ce traité, publié donc en 432-433, Prosper s’en prend, avec beaucoup de virulence et sans que la moindre distance paraisse avoir dépassionné le débat, à une œuvre déjà vieille d’au moins six ans36. Même l’hypothèse que l’on vient d’avancer, qui réduirait de deux ans ce délai, laisserait la question en suspens. Plutôt que de vouloir résoudre cette énigme, on a souvent cherché à l’abolir pour tirer de cette donnée considérée comme acquise des conclusions hâtives et abusives, tout en étant conscient pourtant du grand intérêt qu’offre le Contra collatorem pour examiner l’histoire du texte des Collationes37, qui s’en trouvait du même coup considérablement faussée. Il est exclu — on vient de le faire remarquer — que le Contra collatorem ait été composé plus tôt. Il semble pareillement impossible que la deuxième livraison des Collationes, comprenant la Collatio XIII, n’ait été diffusée au public que vers 43238. 36 Pour la datation des Collationes, et en particulier de la deuxième livraison (coll. XI-XVII), voir le chap. 1, pp. 28-31, dont plusieurs éléments sont repris dans les lignes suivantes. 37 Ainsi CAPPUYNS, « Le premier représentant », pp. 311-312, n. 7, reconnaît dans les différentes étapes de l’attaque de Prosper à l’égard des Marseillais un « détail intéressant pour l’histoire des Collationes » (voir la note suivante). 38 C’est l’opinion défendue par CAPPUYNS, « Le premier représentant », pp. 319320, que l’on retrouve encore chez M. CUTINO, « L’auteur du De providentia Dei et un mystérieux calomniateur d’Augustin. Pour une interprétation de deux épigrammes polémiques de Prosper d’Aquitaine », Revue des sciences religieuses, 86/3 (2012) 307-342 (p. 322). Selon CAPPUYNS, « Le premier représentant », p. 311, n. 7, notre auteur aurait eu connaissance, dès 426, de l’existence des Collationes, y compris de la treizième, mais en ignorant à la fois qu’il s’agissait d’ouvrages écrits et que ceux-ci étaient de Cassien. Non seulement Cappuyns n’échafaude sa chronologie de la première diffusion des Collationes qu’à partir des silences de Prosper ou d’allusions trop évasives pour l’étayer à coup sûr (epist. 2, 4 ; epist. 1 ; Epigrammata in obtrectatorem Augustini), mais l’édition même de la deuxième série, antérieure à 426 ou datant du tout début de cette même année, serait difficilement restée inaperçue, quand on sait le succès qu’elle a connu immédiatement dans les cercles monastiques du Midi. Le passage de l’epist. 2, 4, dans lequel Prosper écrit clairement qu’à sa connaissance les Marseillais n’osent pas publier au-dehors les propos qu’ils tiennent dans l’enceinte de leur monastère (voir le chap. 1, pp. 33-34), semble en effet indiquer qu’il n’a pas connaissance de la moindre transmission écrite, mais il peut en avoir appris l’existence aussitôt après ; on ne peut donc déduire l’époque de sa découverte des Collationes uniquement à partir de la date de publication du Contra collatorem.

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On a donc supposé que la Collatio XIII avait été publiée indépendamment, ou — ce qui revient à peu près au même — qu’on l’avait tout d’abord destinée à une circulation clandestine39. On n’a en effet aucune connaissance d’une quelconque lecture ou utilisation de ce texte avant la parution du Contra collatorem ; et cette idée aurait aussi le mérite d’expliquer pourquoi, dans ce traité, Prosper semble considérer la Collatio comme un tout, à l’exclusion des autres textes composant la même œuvre, voire la même partie40. Cette Collatio se signale, certes, au milieu des autres, par son caractère plus polémique et lui-même sujet à controverse, qui pourrait favoriser l’hypothèse d’une diffusion privée dans les cercles ascétiques de Provence. Mais si la Collatio XIII avait été séparée des autres Collationes de la deuxième partie (les Collationes XI-XII et XIV-XVII), la tradition manuscrite en aurait sans doute conservé des traces41. Surtout, Cassien lui-même donne la preuve du contraire, lorsqu’il présente chacune des deux dernières parties du recueil à ses destinataires respectifs : les deux dédicaces, parfaitement datables de 426 et 429, évoquent clairement le nombre de sept conférences, symbole très net dont on n’imagine pas qu’il puisse avoir été sacrifié42. La seule suggestion qui mérite d’être sérieusement examinée consiste à supposer que la Collatio XIII ne serait parvenue que très tard à la connaissance de Prosper, et que c’est donc cette découverte qui aurait provoqué sa réaction immédiate et presque à vif dans les années 43043. 39

Cette hypothèse, attribuée à Jean de Launoy (De praedestinatione et gratia vera Ecclesiae traditio) et à Jacques-Hiacynthe Serry (Prælectiones Theologicæ – Dogmaticæ – Polemicæ – Scholasticæ habitæ in celeberrima Patavina Academia), emporte l’adhésion de VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, « Excursus n° 7 », pp. 851-853. 40 On s’est beaucoup interrogé sur le fait de savoir si Prosper avait eu connaissance ou non du contenu des autres Collationes ; voir le chap. 3, pp. 97-101. 41 Et les seuls cas qui pourraient corroborer cette hypothèse concernent des livres désormais perdus et qui ne pourraient attester à coup sûr la transmission à part de la seule Collatio XIII ; voir DELMULLE, « Introduction », chap. 1. 42 Jean Cassien, coll., praef. II, 2 : « Trium in alia heremo consistentium quos primos uidimus patrum septem conlationes pari conscriptas stilo uobis credidi consecrandas » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 312) ; cf. aussi coll., praef. III, 1 : « Septem alias beato episcopo et nomine et meritis Honorato, sancto quoque famulo Christi Eucherio dedicaui. » (ibid., p. [503]). 43 C’est l’argument retenu par CUTINO, « L’auteur du De providentia », pp. 323324, qui considère que Prosper ne connaissait pas encore la Collatio XIII lors de son voyage à Rome de 431.

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La découverte, avec la Collatio XIII, d’un discours à la fois écrit et publié ajoute en effet un argument de premier choix pour l’argumentation de Prosper44. Mais celui-ci aurait-il pu méconnaître, jusqu’au moment où il a fini par prendre la plume, l’existence de la dissertation cassianienne sur la « protection de Dieu45 » ? Puisque l’hypothèse d’une diffusion sous le manteau semble devoir être écartée et que la Collatio XIII était donc lisible dès 426 au plus tard, il semble extrêmement peu probable qu’une œuvre comme les Collationes, dont le rayonnement a été immédiatement perceptible, et ce jusqu’aux îles Stoechades46, ait pu échapper à Prosper, qui habitait alors Marseille et qui démontre même qu’il est très familier du milieu dont elle émane. Si l’auteur du Contra collatorem n’a jamais auparavant directement pris Cassien à partie47, il était capable, dès 426, de rapporter à Rufin certaines positions tendancieuses prises par les moines marseillais, et avait même rassemblé de quoi entreprendre une réfutation en règle qui s’appuierait sur les précédents antipélagiens et les reconnaissances octroyées par le siège de Rome aux tenants de la doctrine augustinienne48. Dans la même missive, il dénonçait les attaques à peine 44

Sur les nombreuses réflexions que Prosper fait à ce sujet dans le Contra collatorem, voir le chap. 3, pp. 96-101. 45 Comme le pensent D. FRANSES, « Prosper en Cassianus », Studia catholica, 3 (1927) 145-155 (p. 148), CAPPUYNS, « Le premier représentant », pp. 311-312, n. 7 et pp. 319-320 et Pr. DE LETTER, « Introduction », in Prosper of Aquitaine, Defense of St. Augustine, transl. and annot. by Pr. DE LETTER, Newman Press – Longmans, Green and Co, Westminster – London 1963 (Ancient Christian Writers: The works of the Fathers in translation, 32), pp. 3-20 (pp. 8-9), suivi par WEAVER, Divine Grace and Human Agency, p. 121. 46 En coll., praef. II, 3, Cassien dit son intention d’écrire sa troisième série à destination d’un groupe d’ascètes des Stoechades, les îles d’Hyères (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 312). On ne sait si les moines auxquels est dédiée la troisième série des Collationes, Jovinien, Minerve, Léonce et Théodore (cf. Jean Cassien, coll., praef. III, 1 ; ibid., p. [503]), autrement inconnus, se trouvent dans ces îles ; on ne peut le vérifier, la seule précision qu’apporte Cassien étant pour vanter l’action de Théodore « in prouinciis Gallicanis » (ibid., p. 504). Prosper lui-même, en c. coll., 1, 1, décrit l’influence notable des idées (plus que des livres, certes) des moines marseillais sur la population locale et sur les campagnes environnantes. 47 Contrairement à ce qu’avance CAPPUYNS, « Le premier représentant », pp. 311-312, n. 7, ce n’est pas Cassien lui-même qui est visé dans l’Epigramma in obtrectatorem Augustini ; voir VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 169-174, ce qu’a définitivement montré CUTINO, « L’auteur du De providentia », p. 330. 48 Cf. en particulier epist. 2, 4 (cité supra, p. 56, n. 33).

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voilées à l’égard d’Augustin que contenaient certaines « collationes » de ceux qu’il appelait déjà les « nouveaux censeurs49 » ; l’emploi de ce terme équivoque50 ne saurait attester sûrement une connaissance directe des textes de Cassien qu’il devait convoquer plus tard — quoique cela soit très probable —, mais il apporte une précision sur le degré d’information dont Prosper pouvait disposer sur la vie et les préoccupations qui étaient alors celles de la communauté. Ce dernier en était assurément trop proche pour ignorer l’existence et même le contenu des ouvrages de Cassien, et sans doute faut-il chercher ailleurs les raisons de ce silence. Si Prosper a eu recours, plusieurs années après sa publication, à une œuvre que manifestement il ne découvrait pas, alors même qu’il possédait depuis longtemps le fond de son argumentaire, c’est que sans doute il ne souhaitait pas l’attaquer jusqu’alors — peut-être par égard pour son auteur, préférant réserver ses accusations à des adversaires pluriels et anonymes51 — et qu’une nouvelle donnée s’est ajoutée, qui n’existait pas en 426. C’est un fait que le Contra collatorem n’a jamais reçu de réponse de la part de Cassien ; Prosper aurait-il attendu la mort de Cassien, survenue peut-être vers cette époque52, pour rendre sa critique publique ? 49

Prosper, epist. 2, 5 : « Volentes enim in sua iustitia magis quam in Dei gratia gloriari, moleste ferunt quod his quae aduersum excellentissimae auctoritatis uirum, inter multas collationes asseruere, resistimus » (PL, 51, col. 80A) ; cf. aussi, pour « noui censores », epist. 2, 4 (ibid., col. 79B). 50 On a beaucoup discuté le sens du mot « collationes » pour décider si Prosper connaissait déjà en 426 l’ouvrage de Cassien : « C’est évidemment une allusion aux Collationes », selon CAPPUYNS, « Le premier représentant », p. 311, n. 7, mais uniquement sous leur forme orale ; pour VOGÜÉ, Histoire littéraire, 1ère part., t. 7, pp. 41-42, en revanche, Prosper désignerait plutôt par ce mot des entretiens privés, par opposition à des réunions sacerdotales ou assemblées publiques. 51 Sur cet aspect essentiel de l’ensemble de la production prospérienne au cours de la controverse, mais plus encore du Contra collatorem, voir le chap. 3, pp. 86-92. 52 La date de la mort de Cassien reste, elle aussi, l’objet de débats : située en 435 par Jean Trithème, in Dn. IOHANNIS TRITTHEMII ABBATIS SPANHEIMENSIS De scriptoribus ecclesiasticis, sive per scripta illustribus in Ecclesia viris…, Ex officina P. Quentel, Coloniae M.D.XLVI., p. 52, ou WIGGERS, Versuch einer pragmatischen Darstellung, p. 17, elle est reculée par d’autres jusqu’en 440 ou en 448, voire en 450 (se reporter au rappel des différentes propositions par Br. CZAPLA, Gennadius als Litterarhistoriker. Eine quellenkritische Untersuchung der Schrift des Gennadius von Marseille « De Viris illustribus », H. Schöningh, Münster in Westphalen 1898, p. 129). La dernière trace certainement datable que l’on en ait n’est autre que le Contra collatorem luimême, qui permet donc d’assurer (mais à condition d’accepter, ce qui est probable, que

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Des éléments de critique interne tendraient à infirmer cette hypothèse53 ; mais, même si tel était le cas, la disparition de Cassien ne serait pas l’événement le plus décisif qui justifierait le mieux le moment de la publication. D’un pape à l’autre : la mort de Célestin et le nouvel espoir de Prosper L’année 432 marque pour la carrière littéraire et polémique de Prosper un tournant non négligeable. Pour la seconde fois, plusieurs années après son Peri akharistôn (composé au plus tard en 430), il décide de lui-même de publier une œuvre polémique de longue haleine sans y être contraint par les demandes insistantes d’un quelconque interlocuteur. Mais ces deux rédactions diffèrent moins par leur appartenance générique respective que par le statut même de Prosper, qui s’est grandement modifié en aussi peu de temps. C’est que le Peri akharistôn et le Contra collatorem sont d’abord séparés par un événement majeur, la mort d’Augustin, qui fait désormais de son premier porte-parole et défenseur en Gaule un polémiste de premier plan, chef de file des augustiniens, bien conscient qu’il faut, plus que jamais, assurer la pérennité du combat antimarseillais54. Mais ce nouvel héritage symbolique représente en même temps pour Prosper la perte d’un allié de poids dans son combat personnel, pour lequel il devient nécessaire de se tourner vers un nouveau garant qui aille au-delà de la simple caution morale, en alliant à une compétence théologique un pouvoir décisionnel. Précisément, l’année 432 est aussi celle qui offre à Prosper l’occasion rêvée de trouver ce soutien et, partant, une nouvelle légitimité. La mort, au printemps, du pape Célestin ouvre en effet une nouvelle ère pour le camp proaugustinien. Au terme de la visite que Prosper et Hilaire avaient rendue à Célestin en 431, l’évêque de Rome avait, pour satisfaire aux doléances du parti augustinien de Marseille, adressé à l’épiscopat provençal une Prosper s’adresse bien directement à Cassien ; voir infra, pp. 66-70) qu’il était encore en vie en 432-433. On s’accorde généralement pour la placer en 435, sur la base de l’indication donnée par Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 62, « uiuendi finem fecit Theodosio et Valentiniano regnantibus » (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 82) : voir OLPHE-GAILLARD, « Cassien (Jean) », col. 218. 53 Contrairement à ce qu’affirme HWANG, Intrepid Lover, p. 165, il n’est pas du tout exclu que Cassien, ainsi que les autres moines partageant ses opinions aient été, parmi d’autres, les destinataires visés par le Contra collatorem ; voir infra, pp. 66-70. 54 Voir le chap. 1, pp. 40-46.

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lettre exemptant Augustin de tout reproche de nouitas, mais en se gardant bien de faire équivaloir cette défense à une reconnaissance officielle par l’Église romaine de la doctrine de l’évêque d’Hippone55. Dans son combat acharné contre les moines en qui il percevait des néo- ou crypto-pélagiens, Prosper ne pouvait pas attendre, après ce semi-échec, le moindre soutien d’un pape si peu théologien et qui, en plus de n’être point assez augustinien à son goût, avait sans doute eu selon lui le très grand tort de choisir comme défenseur de l’orthodoxie contre Nestorius, en vue du synode de Rome de 430, celui-là même que Prosper voulait soumettre à l’examen : Cassien56. Plus, sans doute, que la place accrue que prend peu à peu Léon, qui était alors un proche ami de Cassien57, c’est le fait que soit porté au siège 55

Cf. Célestin Ier, epist. J3 845 (JK 381 et 875), 2, 3, citée en c. coll., 21, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 81-82). Cette lettre est en effet loin de correspondre en tout point à la « clarissimae laudationis tuba » pour laquelle Prosper cherche à la faire passer (c. coll., 21, 3 ; ibid., p. 82) ; voir le chap. 1, pp. 44-46. 56 C’est en effet à l’initiative du pape Célestin que Cassien a reçu de Léon l’invitation à réfuter les positions christologiques de Nestorius, à partir d’un dossier de textes venus d’Orient. Son traité n’a cependant joui d’aucune influence notable lors du concile d’Éphèse de 431 mais a joué un rôle essentiel dans les décisions prises lors du synode de Rome d’août 430. Sur toutes ces questions, voir É. AMANN (†), « L’affaire Nestorius vue de Rome », Revue des sciences religieuses, 23/1-2 (1949) 5-37, 23/34 (1949) 207-244, 24/1-2 (1950) 28-52 et 24/3-4 (1950) 235-265 (surtout 23/3-4, pp. 225-240), et PIETRI, Roma Christiana, t. II, pp. 1375-1380. 57 Témoin la dédicace du Contra Nestorium : Jean Cassien, De Incarnatione Domini, praef., 1 : « Sed uicisti propositum ac sententiam meam laudabili studio et imperiosissimo affectu tuo, mi Leo, ueneranda ac suscipienda caritas mea, Romanae Ecclesiae ac diuini ministerii decus […]. » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 17, p. 235). La réticence de M.-A. VANNIER, « Jean Cassien et la théologie de l’Incarnation », in FIXOT – PELLETIER (éd.), Saint-Victor de Marseille, pp. 175-178 [p. 175], à identifier ce Léon avec le futur pape n’a d’autre motif qu’un scepticisme quelque peu excessif (le témoignage de LENAIN DE TILLEMONT, Memoires pour servir à l’histoire, t. 14, Paris 1709, pp. 348-349, qu’elle convoque, ne corrobore d’ailleurs pas son propos ; cf. plutôt, quoique allant dans le même sens, ibid., p. 186), vu le statut précis d’archidiacre auquel il est fait allusion à cette occasion par Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 62 (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 82) et le fait qu’on ne connaît à cette époque aucun homonyme ayant exercé la même charge (voir Ch. PIETRI [†] – L. PIETRI [dir.], Prosopographie de l’Italie chrétienne [313-604], t. 2 : L-Z, École française de Rome, Rome 2000, s.v. « Leo 7 », pp. 1271-1272, à comparer seulement, pour lever l’hésitation, avec le personnage sans doute fictif « **Leo », p. 1283). L’activité de conseil de Léon auprès de l’évêque, sous les pontificats précédant le sien et à l’occasion de multiples résurgences hérétiques (manichéennes, ariennes, pélagiennes),

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épiscopal de Rome un prêtre naguère correspondant d’Augustin, lui-même impliqué dans les premiers développements romains de la campagne antipélagienne58, qui a dû pousser Prosper à renouveler ses démarches59. Le souvenir d’Augustin, la dette dont Xyste lui était en partie redevable et le surcroît de rigueur qu’on pouvait attendre d’un ancien sympathisant pélagien venu à résipiscence60 ne pouvaient que faire penser au Marseillais qu’était advenu pour son projet le temps du succès. Par ailleurs, un an à peine après la fin du concile d’Éphèse, le pape ne devait pas se montrer insensible dans la défense de la foi contre une erreur qui avait partie liée avec le nestorianisme, dont la controverse l’intéressait tant61. est du reste bien renseignée ; voir G. HUDON, « Léon le Grand (saint) », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, t. 9, Beauchesne, Paris 1976, coll. 597-611 (coll. 597-598). 58 On a conservé de la correspondance entre les deux hommes deux lettres (les epist. 191 et 194), dont la seconde revêt une grande importance dans ce contexte, puisqu’Augustin y enjoint le jeune Xyste de rompre ouvertement avec les adversaires de la grâce de Dieu que sont les pélagiens et de débusquer même, au sein de l’Église, ceux qui pourraient partager leurs thèses : cf. Augustin, epist. 194, 1-2 (éd. A. GOLDBACHER, CSEL, 57, Vindobonae – Lipsiae 1911, pp. 176-178 ; voir infra, pp. 80-81). 59 L’hypothèse selon laquelle Léon pourrait être à l’initiative de la composition et de la publication du traité de Prosper est reproduite, sans mention d’origine, puis réfutée par LENAIN DE TILLEMONT, Memoires pour servir à l’histoire, t. 16, p. 733. 60 Les deux epist. 191 et 194 laissent bien en effet supposer que Xyste, à défaut de revendiquer lui-même des positions en accord avec celles de Pélage, était perçu comme un puissant soutien clérical du groupe pélagien de Rome ; voir la démonstration qu’en fait DESCOTES, « Saint Augustin », pp. 217-220. 61 Sur la parenté établie entre nestorianisme et pélagianisme, qui justifie l’idée émise ici d’une nouvelle condamnation par contrecoup du pélagianisme, voir, outre l’Epitaphium de Prosper, M.-Th. DISDIER, « Le pélagianisme au concile d’Éphèse », Échos d’Orient, 163 (1931) [314]-333, J. PLAGNIEUX, « Le grief de complicité entre erreurs nestorienne et pélagienne : d’Augustin à Cassien par Prosper d’Aquitaine ? », Revue des études augustiniennes, 2/3-4 (1956) 391-402 et J. SPEIGL, « Der Pelagianismus auf dem Konzil von Ephesus », Annuarium Historiae Conciliorum, 1 (1969) 1-14. Sur l’intérêt de Xyste III pour l’issue de la discussion d’Éphèse, et l’inscription du nestorianisme dans plusieurs poèmes de commande du pontife, voir J. DELMULLE, « Prosper d’Aquitaine, poète de l’antinestorianisme triomphant ? À propos de trois poèmes épigraphiques romains », in Cl. BERNARDVALETTE – J. DELMULLE – C. GERZAGUET (éd.), Nihil veritas erubescit. Mélanges offerts à Paul Mattei par ses élèves, collègues & amis, Brepols, Turnhout 2017 (Instrumenta Patristica et Mediaevalia. Research on the Inheritance of Early and Medieval Christianity, 74), pp. [539]-556.

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Le plus vraisemblable serait donc que Prosper ait commencé, après la mort d’Augustin, en un moment où la querelle s’intensifiait et qu’il devenait nécessaire de se faire moins allusif dans la riposte, de préparer un dossier d’accusation contre Jean Cassien, avec peut-être l’objectif de le soumettre au pontife romain lors de son ambassade de 431. Découragé par l’absence de suites véritables, Prosper aurait pu laisser son dossier de côté pour ne le reprendre qu’une fois assuré qu’il trouverait au Latran une oreille plus bienveillante.

II – LES DESTINATAIRES Une telle remise en question des délais de rédaction et de publication du traité et l’explication qui semble s’en imposer d’elle-même invitent à reconsidérer tout autrement la finalité du traité, et au premier titre sa destination première, qui offre de ce fait une configuration plus originale. Que la personne du pape ait une part déterminante dans le moment de l’achèvement et de la publication du traité invite en effet à penser qu’elle n’est pas non plus sans recevoir une importance de premier ordre dans le projet initial de l’auteur. Jamais auparavant, depuis le début de la controverse, on n’avait dévolu une si grande place à la Sedes apostolica62. Il resterait à déterminer dans quelle mesure la figure du nouveau pape Xyste transparaît dans le traité et, le cas échéant, le rôle qui lui est conféré par Prosper. Car le pontife apparaît bien, en dernière analyse, comme un véritable destinataire de l’œuvre, une tierce instance qui viendrait se surajouter aux destinataires conventionnels de toute littérature polémique.

62 Dans ses œuvres antérieures du même acabit (epist. 2, Peri akharistôn), Prosper n’avait pas encore été capable, en effet, de convoquer aussi abondamment et avec autant de précision des documents émanant du Latran et constituant ou confirmant la condamnation de Pélage et de ses disciples. Sur ce dossier d’archives et sa constitution, voir le chap. 4, pp. 208-216, et J. DELMULLE, « A quando risale l’uso dell’espressione “Sancta Sedes” per designare la Chiesa romana? », in Costellazioni geo-ecclesiali, pp. [449]-462 (pp. 457-458).

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1. Le couple traditionnel : l’adversaire hétérodoxe et le fidèle chrétien Les œuvres polémiques, a fortiori antihérétiques, s’adressent rarement à un unique destinataire — en l’occurrence l’adversaire nommément visé ; leur finalité, double, pourrait au contraire s’exprimer par les mots de Iac. 4, 12 : il s’agit pour l’auteur auto-proclamé défenseur de la foi de « perdre et sauver », c’est-à-dire d’anéantir l’erreur (en elle même, et celui qui la soutient, s’il y persiste), tout en offrant la possibilité de recouvrer le chemin de la vérité (à celui qui s’en était éloigné, comme surtout à toute autre personne désireuse de l’emprunter)63. C’est donc naturellement que cohabitent, dans le Contra collatorem, comme deux interlocuteurs différents et pour des enjeux symétriquement opposés, le collator et le fidèle chrétien64. Jean Cassien et ses compagnons L’identité du principal intéressé ne laisse pas l’ombre d’un doute : le titre du traité, s’il feint de préserver un certain anonymat de façade, n’en désigne pas moins directement aux yeux de tout lecteur la personne de Cassien65. Mais plus qu’à une personne en particulier, c’est à des thèses que Prosper affirme vouloir s’en prendre. Le collator, c’est-à-dire l’« auteur des Collationes », n’est finalement présenté que comme le porte-parole d’un mouvement plus vaste qui reste généralement dans l’ombre. Il a été clairement choisi pour sa réputation supérieure, sa plus grande renommée, 63

Prosper exprime plus nettement encore ce double but de l’hérésiologue dans sa préface aux Responsiones ad capitula obiectionum Vincentianarum : « Vt siue ad calumniantium animos mitigandos, siue ad eos quorum auribus tale aliquid insonuit instruendos, quantum adiuuante Domino fieri potuerit, plene lucideque pandamus quid de peruersis definitionibus iudicemus. » (PL, 51, col. 178A). 64 Contrairement à ce qu’affirme HWANG, Intrepid Lover, p. 165, selon qui le Contra collatorem ne vise ni Cassien ni ses disciples. La présence simultanée de ces deux groupes de destinataires n’est en aucun cas problématique ; on la trouve dès le Peri akharistôn, comme cela ressort de l’analyse de la double préface du poème : voir DELMULLE, « ‘Les Vers Servent aux Saints’ », spécialement pp. 84-96. 65 C’est cette prévenance presque ironique que tente de rendre la traduction française « Contre un conférencier ». Sur l’authenticité du titre Liber contra collatorem, attesté indubitablement dès l’époque de Gennade (Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 85 : « Legi et librum aduersus opuscula [suppresso nomine] Cassiani » ; éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 90), voir DELMULLE, « Introduction », chap. 2.

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et — aspect le moins négligeable — pour les témoignages écrits qu’il a laissés de sa pensée66. Seulement, si le collator est celui contre qui le traité a été composé, il n’est pas forcément celui à qui il est adressé. Il s’en faut de beaucoup, en effet, qu’un liber contra ou aduersus soit toujours un liber ad67. Un deuxième indice est fourni par l’énonciation, qui prend dans le traité des formes particulières. Prosper lui-même n’est que fort rarement présent dans ses œuvres : la nature de ses écrits, a fortiori de ses œuvres de controverse, à prétention normative, lui fait généralement préférer les formes impersonnelles. Dans le Contra collatorem, un « je » n’est pourtant pas absent68, quoiqu’il soit souvent fondu dans un « nous » collectif, identifiable avec l’ensemble des membres de la Catholica. Le « tu », en revanche, appelle un commentaire plus précis en ce qu’il semble désigner sans détour le destinataire principal de l’ouvrage. Cassien, qui est désigné au début comme à la fin du traité par le biais de la troisième personne, l’est aussi à la deuxième en deux longues plages de texte, à savoir c. coll., 2, 5 – 6 et 14, 2 – 18, 369. Une première lecture pourrait y entrevoir l’indice d’une certaine incohérence dans la composition. En dernière analyse, il n’en est rien. Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner les deux lieux précis dans lesquels s’effectue le passage à l’adresse directe. On lit pour le premier :

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Ces différents aspects, essentiels à une bonne compréhension de l’œuvre, seront étudiés en détail dans le chap. 3, pp. 92-101. 67 Sur ces questions, étudiées à partir de l’exemple des titres des œuvres de Cyprien, voir S. DELÉANI, « Les titres des traités de saint Cyprien : forme et fonction », in J.-Cl. FREDOUILLE – M.-O. GOULET-CAZÉ – Ph. HOFFMANN – P. PETITMENGIN (éd.), Titres et articulations du texte dans les œuvres antiques. Actes du Colloque International de Chantilly (13-15 décembre 1994), collab. S. DELÉANI, Institut d’études augustiniennes, Paris 1997 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 152), pp. 397-425 (p. 415 et n. 78). 68 Relevons les cinq occurrences de la première personne du singulier : c. coll., 13, 3 : « Puto » ; 15, 2 : « Quaero igitur abs te » ; 17 : « Sed miror ualde » ; 19, 1 : « Necessarium sane existimo » ; et enfin 22 : « Sufficienter, ut arbitror » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 47, 58, 65 et 84). Quasiment à chaque fois, le verbe à la première personne sert à souligner le passage d’une étape à une autre dans l’argumentation ou tient à l’aspect dialogique du contexte dans lequel il s’insère. À propos du pluriel, voir infra, pp. 69-70. 69 Éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 11-23 et 54-71. Le phénomène avait déjà été remarqué par VOGÜÉ, Histoire littéraire, 1ère part., t. 7, p. 199, n. 93.

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« Notre discoureur a donc vite fait d’oublier sa précédente proposition […]. Il avait dit selon la règle […] ; il avait ajouté avec précaution […]. Docteur catholique, pourquoi abandonnes-tu ta propre déclaration ? Pourquoi délaisses-tu la lumière de la limpide vérité pour te tourner vers le brouillard fumeux de la fausseté70 ? »

Puis pour le second : « Qui pourrait croire que ce sont là des enseignements dispensés par des catholiques au milieu de catholiques ? […] Homme de poids, docteur plein de sagesse, maître de vérité, rends-nous la proposition catholique avec laquelle tu as, au commencement de ta discussion, capté nos oreilles et nos esprits71. »

Dans ces deux passages, il importe à l’auteur de pouvoir prendre directement à partie son adversaire pour lui faire apparaître son incohérence et le remettre sur le droit chemin. Le recours à la deuxième personne prend ainsi tout son relief : Cassien doit, comme tout un chacun, se remémorer la première « proposition » qu’il a soutenue au sujet de la grâce au commencement de son œuvre (en coll. 13, 3, 5) ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette « proposition », rappelée à neuf reprises au cours du traité, devient un Leitmotiv de la réfutation de Prosper72, et si sur ces neuf occurrences, cinq se trouvent précisément dans un contexte d’énonciation directe73. Ce simple artifice rhétorique, maintenu pendant plusieurs chapitres, instille dans l’œuvre une part de dialogisme (fictif) et de dramatisation des mieux venues et des plus propres à servir les visées polémiques de notre auteur74. 70 C. coll., 2, 5 : « Cito ergo hic disputator praemissae definitionis oblitus est […]. Dixerat enim regulariter […] ; uigilanter addiderat […]. Doctor catholice, cur professionem tuam deseris ? Cur ad fumosam falsitatis caliginem, relicta serenissimae ueritatis luce, deuolueris ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 11-12). 71 C. coll., 14, 2 : « Quis haec praedicari a catholicis inter catholicos crederet […] ? […] Vir grauis, doctor sapiens, uerax magister, redde nobis catholicam definitionem qua inter initia disputationis tuae aures nostras mentesque cepisti. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 54). 72 Sur les enjeux polémiques de cette pratique, voir le chap. 4, pp. 173-177. 73 En c. coll., 2, 5 ; 3, 2 ; 4, 2 ; 14, 2 ; 18, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 11-12, 14, 16, 54 et 67). 74 Pour des considérations génériques, voir le chap. 3, pp. 137-152.

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Si l’on a pu déduire de la présence, dans le Contra collatorem, de cette adresse directe que Cassien était encore en vie au moment de la publication du traité, il est certain, en tout cas, qu’il n’a jamais répondu à l’attaque de Prosper, ni même plus rien composé à partir de ce moment75. Il n’en avait pas été de même quelques années plus tôt, lorsque son De institutis coenobiorum avait fait l’objet d’attaques, dont Cassien s’était ouvert au moment de la publication de ses premières Collationes76. Quoi qu’il en soit de cette question, il est certain que Cassien, aux dires mêmes de Prosper, n’est qu’un exemple pris parmi d’autres, et que ses disciples (ou collaborateurs) restent, eux, très actifs : témoin les libelles qu’ils font circuler et dans lesquels sont vilipendées la pensée et jusqu’à la personne même d’Augustin et de Prosper77. Bien que topique, la description que 75

HWANG, Intrepid Lover, pp. 168 et 170-171, considère que le Commonitorium de Vincent de Lérins constituerait la réponse du parti provençal au Contra collatorem ; si tel était le cas et que la réplique vînt de Vincent, qui aurait pris le relais de son « maître », cela permettrait de situer la mort de Cassien avant 434. Mais cette hypothèse est tout à fait contestable : voir, par exemple, VAN SLYKE, [c. r. de HWANG, Intrepid Lover], p. 328. 76 C’est ce qui semble ressortir d’une allusion faite dans la préface de 420 : cf. coll., praef. I, 6 : « Hoc sane uolumus antea omnia tam harum conlationum quam superiorum uoluminum praemonitum esse lectorem ut, si qua forte in his pro status sui et propositi qualitate siue pro usu et conuersatione communi uel inpossibilia putauerit esse uel dura, […] » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 4-5) ; à propos de cette préface, voir R.J. GOODRICH, « Underpinning the Text: Self-Justification in John Cassian’s Ascetic Prefaces », Journal of Early Christian Studies, 13/4 (2005) [411]-436 (plus précisément pp. 420-425, surtout pp. 424-425 et n. 51). 77 C’est sur une allusion à ce contexte immédiat que s’ouvre le traité ; c. coll., 1, 1 : « Gratiam Dei […] quidam audent a sanctae memoriae Augustino episcopo non recte defensam, librosque eius contra errorem Pelagianum conditos immoderatis calumniis impetere non quiescunt. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. [5]). Il faut également y ajouter le témoignage des Responsiones contemporaines, qui font état des mêmes préoccupations ; cf. resp. ad Gall., praef. : « Doctrinam quam sanctae memoriae Augustinus episcopus contra Pelagianos inimicos gratiae Christi et liberi arbitrii decomptores, per multos annos apostolice asseruit litterisque mandauit, quibusdam uisum est, aut non intelligendo aut intelligi eam nolendo, reprehendere : […] ; ut quae in libris praedicti uiri damnabilia se reperisse iactabant, breuium capitulorum indiculis publicarent. » (PL, 51, coll. 155A-156A) ; resp. ad . Vinc., praef. : « Quidam Christianae ac fraternae charitatis obliti, in tantum existimationem nostram quoquo modo student laedere, ut suam se euertere nocendi cupiditate non uideant. Contexunt enim et qualibus possunt sententiis comprehendunt ineptissimarum quarumdam blasphemiarum prodigiosa mendacia. » (ibid., col. 177A).

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donne Prosper de ses adversaires au début du traité, organisant leur travail en groupe, qui « épluchant » les écrits d’Augustin, qui allant jusqu’à « compter les syllabes » pour ne rien laisser passer à travers le crible d’une critique impitoyable, n’est peut-être pas totalement imagée78. On ne doit donc pas oublier la dimension collective, clairement présente au début et à la fin de l’ouvrage dans une troisième personne plurielle, mais qui est aussi rassemblée pour un temps dans celle de Cassien. Voilà qui pourrait aussi expliquer le ton parfois véhément de Prosper. Les corda Christiana Le recours à la troisième personne pour désigner l’adversaire s’explique surtout par la présence, dans la structure générale de l’œuvre, d’un deuxième discours qui englobe le premier, et qui fait la part belle à un tout autre type de lecteur. Le seul lector qui soit explicitement envisagé en tant que tel par l’auteur est désigné, à la fin du traité, comme un « pius lector79 » ; il s’agit donc nécessairement d’un croyant, qui n’a rien à voir avec les destinataires précédents. Tout comme le lector auquel le poète du Peri akharistôn s’adressait dans une première préface, avant qu’une seconde n’introduise véritablement son propos par une invocation à Dieu80, celui du Contra collatorem a pour rôle d’observer le débat orchestré et mis en scène, à partir d’un exemple précis, par le défenseur de la vraie foi contre ses adversaires 78

Cf. c. coll., 1, 2 : « Vnde in hanc austeritatem supercilium se tetricae frontis armauit, ut mensuras sensuum, pondera locutionum, numeros syllabarum insidiosus scrutator euentilet […] ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 6-7). R. VILLEGAS MARÍN, « La recepción del agustinismo en los círculos monásticos provenzales durante la primera mitad del siglo V », in R. DEKONINCK – J. DESMULLIEZ – M. WATTHÉE-DELMOTTE (éd.), Controverses et polémiques religieuses. Antiquité – Temps modernes, L’Harmattan, Paris 2007 (Structures et pouvoirs des imaginaires), pp. 67-71 (p. 70), pour sa part, n’émet aucun doute sur l’existence d’un tel expert, chargé à Marseille d’examiner critiquement les œuvres d’Augustin. Sur la dimension topique, d’ascendance hiéronymienne, voir le chap. 3, pp. 144-147. 79 Cf. c. coll., 19, 1 : « Facile pius lector intelligat » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 71) ; cf. aussi, quelques lignes plus bas, l’expression « recordationem legentis » (ibid., p. 72). 80 Cf. Peri akharistôn, VI : « Tutus ab adverso turbine, lector, eris » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 42). Pour une étude des deux pièces liminaires, voir DELMULLE, « ‘Les Vers Servent aux Saints’ », en particulier pp. 76-84.

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pour en tirer les conclusions qui s’imposent, valables hors de tout cadre, spatial ou temporel. Il est clair, d’ailleurs, qu’au moment où Prosper fait mention de ce lector, c’est pour introduire un récapitulatif condensé de l’ensemble de sa réfutation, dont il veut visiblement qu’il puisse servir de vade-mecum à tout un chacun : « Il est tout à fait nécessaire, écrit-il, de donner […] une liste brève et d’un seul tenant, afin que le lecteur puisse, avec plus d’exactitude, à la fois parcourir et passer en revue ce qui peut échapper à son souvenir81. »

Pour ce faire, il convient donc que les « propositions » adverses comme les réponses de l’auteur soient dépouillées de tout caractère circonstanciel, ce qui explique qu’on ne trouve ensuite plus un seul sujet personnel, s’agissant d’une liste de vérités à tenir82. Quels individus faut-il entrevoir à travers ce « lecteur » toujours laissé dans l’anonymat ? Un premier indice en est donné dès le commencement du traité, lorsque Prosper évoque les « nombreux incultes » sans discernement83, « les ignorants et les imprudents » qui, par l’attention qu’ils leur consacrent et le consentement qui paraît en découler, participent au succès et à la haute renommée de ces prédicateurs et autres relais des pires calomnies84, ainsi 81 C. coll., 19, 1 : « Necessarium sane existimo […] breuiter coniunctimque digerere, ut quae interiectis responsionibus nostris possunt recordationem legentis effugere fidelius simul decursa recolantur. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 71-72). 82 Cf. c. coll., 19-20 : chacune des douze « propositions » qui est rappelée dans le premier de ces chapitres l’est par la formule à chaque fois répétée « Prima [secunda, etc.] definitione dictum est » ; le verbe de la réplique de Prosper est lui aussi toujours mis à la forme passive, à l’exception notable de la première, la seule qui soit acceptée par Prosper, qui use d’un nos soulignant bien l’accord des deux parties sur cet unique point : « Quod et nos amplectimur catholicumque esse confitemur » (c. coll., 19, 2 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 72). À cet égard, la recapitulatio du chap. 19 préfigure la forme que prendra, un siècle plus tard, mais poussée à l’extrême, la somme des « regulae fidei » de Fulgence de Ruspe, composée de quarante propositions commençant invariablement par « Firmissime tene et nullatenus dubites » (cf. Fulgence de Ruspe, De fide ad Petrum, 47-86 ; éd. J. FRAIPONT, CCSL, 91A, Turnhout 1968, pp. 744-760). 83 C. coll., 1, 1 : « Multos ineruditos et non habentia spiritum discretionis corda conturbent. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. [5]). 84 Cf. c. coll., 1, 1 : « Ab indoctis et parum cautis excellentioris scientiae iudicantur et misero peruersoque successu facile mendacio consensum eliciunt, quia reuerentiam sibi praesumptione pepererunt. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 6). Sur la dimension

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que le « uulgus ignobile » et la « procax ineptorum loquacitas » qui, eux, s’attachent à les diffuser le plus largement possible, sans s’interdire au passage quelques modifications de leur cru85. Ainsi stigmatisée, la foule inculte, passive et trop docile vaut évidemment comme un contre-exemple de l’attitude à adopter. Pour autant, il n’est pas dit que le lectorat auquel Prosper veut s’adresser appartienne à une sphère ou soit issu d’un milieu différent. Au contraire, tout l’enjeu pour le polémiste est précisément d’empêcher que les fidèles marseillais ou provençaux soient uniquement abreuvés de discours antiaugustiniens ; car il sait à quel point, même dans les controverses qui souvent le dépassent, le peuple est partie prenante86. Quoique possiblement privés de discernement, et par là d’autant plus vulnérables, ces « corda Christiana87 » n’en restent pas moins purs et demandent donc un soin spécial : en défendant, à leur propre adresse, la castitas de leur esprit (« catholicarum mentium castitatem88 ») ou en ne doutant pas du « jugement de [leurs] oreilles » (« catholicarum aurium iudicia89 »), Prosper met l’accent sur les moyens d’action de ses adversaires, qui usent abondamment de la rhétorique du discours oral, et sans doute plus particulièrement de la prédication90. Afin de se ménager davantage encore la sympathie de ses lecteurs, Prosper s’inclut lui-même dans ce groupe, se plaignant au même titre que ses frères catholiques d’avoir été éhontément abusé par Cassien : « Rendsorale des thèses marseillaises et le danger que cela peut présenter dans leur éradication, voir le chap. 3, pp. 92-95. 85 Cf. c. coll., 2, 1 : « […] quae uulgus ignobile et procax ineptorum loquacitas intemperanter effundit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 7-8). 86 Voir, à ce propos, M.-Y. PERRIN, « À propos de la participation des fidèles aux controverses doctrinales dans l’antiquité tardive : considérations introductives », Antiquité tardive, 9 (2001) [179]-199, et désormais ID., Civitas confusionis. De la participation des fidèles aux controverses doctrinales dans l’antiquité tardive (déb. IIIe s. – c. 430), Nuvis, Paris – Pékin – Philadelphie 2017. 87 C. coll., 14, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 69). 88 C. coll., 21, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 79). 89 C. coll., 14, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 57). 90 On notera la présence, dans le contexte immédiat de la phrase, du verbe praedicare, dont la polysémie peut servir le discours de Prosper : « Quod tribuendum erat gratiae fallaciter praedicando » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 56-57). Sur le rôle et l’influence des évêques comme garants et diffuseurs des thèses provençales, voir le chap. 1, pp. 21-22.

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nous la proposition catholique avec laquelle tu as […] capté nos oreilles et nos esprits », s’insurge l’auteur au nom de l’Église tout entière, en reprenant les mêmes termes d’« esprits » et d’« oreilles »91. Par ce nos et ce noster se retrouvent ainsi unis, face à un adversaire commun qui, quoique apparemment séduisant, s’est révélé un monstrueux manipulateur92, l’auteur et les croyants dont celui-ci tient à préserver l’âme et qui, partant, se garderaient bien de s’éloigner jamais de la véritable foi93. C’est à ce titre enfin que Prosper peut leur prodiguer des conseils, ne serait-ce que pour les inviter par exemple à ne pas souscrire à telle ou telle opinion erronée94 ou même à mettre en pratique, à l’égard des moines déviants mais non encore excommuniés, le devoir de la correction fraternelle95. En s’adressant donc moins à ses adversaires qu’à ceux qu’il veut soustraire à l’emprise de ces derniers, Prosper se montre soucieux de 91 C. coll., 14, 2 : « redde nobis catholicam definitionem qua inter initia disputationis tuae aures nostras mentesque cepisti » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 54). Sur la prédication comme art de la persuasion en contexte controversial, voir PERRIN, Civitas confusionis, pp. 138-185. 92 L’adoption de cette contenance honnête, voire reluisante, est pour Prosper le principal danger à craindre de la part de ses adversaires, qu’il brosse sous les traits d’hypocritae. Il ne cesse de mettre en garde ses lecteurs contre de telles apparences trompeuses ; voir le chap. 4, pp. 162-166. 93 Le glissement typologique faisant du possessif noster le strict équivalent de uerus est en effet extrêmement répandu dans la littérature patristique, et spécialement polémique ; voir un premier aperçu dans R. PALLA, « “Nostro” come alternativa a “vero” nelle tipologie del cristianesimo antico », in A. GARZYA (éd.), Metodologie della ricerca sulla tarda antichità. Atti del Primo Convegno dell’Associazione di Studi Tardoantichi, M. D’Auria editore, Napoli 1990 (Collectanea, 2), pp. [461]-468. 94 Il use alors de la voix passive : « In errore esse dicitur […] » (c. coll., 19, 6 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 74), ou d’un pronom relatif dont l’antécédent n’est pas caractérisé : « Huic sententiae is potest praebere consensum qui se a Christo non uult esse saluatum. » (c. coll., 19, 13 ; ibid., p. 78). 95 Prosper, c. coll., 22 : « Dum adhuc non sunt a fraterna societate diuisi, toleranda magis est intentio quam desperanda correctio » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 85). Le même phénomène s’observe déjà dans le Peri akharistôn, qui commence et se termine par un appel à l’unité allant jusqu’à englober même l’ensemble de l’espèce humaine (v. XI : « Congenitae in Christo gentis », et v. 1001, la célébration d’un sabbat festif) ; c’est un moyen de conserver jusqu’à la fin de l’œuvre une double destination et de ne pas condamner définitivement l’adversaire qui pourrait finir par se convertir ; voir DELMULLE, « ‘Les Vers Servent aux Saints’ », pp. 91-95.

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conserver à son œuvre le double aspect qui caractérise généralement la littérature polémique. Cependant, on ne saurait réduire l’intégralité du contenu du Contra collatorem à cette double destination et à cette double motivation. Il est tout aussi évident qu’une large place — et peut-être même la plus large — est dévolue à un nouveau destinataire, encore extérieur, appelé à démêler lui-même le différend en cours.

2. Une tierce instance : le pontife romain Xyste, un pape « augustinien » ? L’unique passage dans lequel Prosper fait mention du nouveau pape lui sert à formuler un vœu final : que Xyste soit le digne successeur des quatre papes qui l’ont précédé (Innocent, Zosime, Boniface et Célestin) et accepte d’être, en quelque sorte, le réceptacle de la grâce de Dieu, pour que celui-ci continue par son intermédiaire ce qu’il avait jadis commencé : « Et pour que cela ne se maintienne pas dans les pièges des hypocrites, nous croyons fermement que c’est à la protection du Seigneur de faire en sorte que ce qu’il a opéré chez Innocent, Zosime, Boniface et Célestin, il l’opère chez Xyste, et que, dans la garde du troupeau du Seigneur, soit réservée à ce pasteur cette part de gloire : comme eux ont chassé les loups notoires, que lui expulse les loups clandestins, en entendant résonner dans ses oreilles le discours par lequel le très savant vieillard l’avait incité à travailler avec lui en ces termes : [suit Augustin, epist. 194, 1, 2]96. »

Ce souhait n’est pas exprimé incidemment à cet endroit. Il introduit, si l’on fait exception de la conclusion proprement dite, les toutes 96 C. coll., 21, 4 : « Quod ne hypocritarum obtineatur insidiis, confidimus Domini protectione praestandum ut, quod operatus est in Innocentio, Zosimo, Bonifacio, Caelestino, operetur in Xysto et in custodia Dominici gregis haec sit pars gloriae huic reseruata pastori, ut, sicut illi lupos abigere manifestos, ita hic depellat occultos, illo auribus suis doctissimi senis insonante sermone, quo collaborantem secum hortatus est, dicens : “Sicut enim quidam […]”. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 84).

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dernières paroles du traité, qui ne sont autres que les mots mêmes avec lesquels Augustin s’adressait à Xyste quelque quinze ans plus tôt dans son epist. 19497. Que Prosper daigne laisser le dernier mot à Augustin n’est évidemment pas dépourvu de sens : le retour presque prosopopique du maître d’Hippone, qui fait figure de repère commun pour l’auteur et son nouveau destinataire, est censé revivifier et solenniser la requête du simple laïc qu’est Prosper, et donne en tout cas une clé de lecture extrêmement stimulante pour comprendre les motivations souvent voilées de l’auteur98. Venant comme couronner un éloge aussi long que détaillé de son prédécesseur Célestin, faisant lui-même suite au rappel historique précis des positions prises par le Latran depuis 417, le vœu ainsi formulé par Prosper tend à placer Xyste et l’inauguration de son pontificat dans la continuité des interventions louables d’autres pontifes grâce auxquels l’Église a pu se défaire heureusement du premier fléau pélagien. Mais s’il est un exemple entre tous auquel semble particulièrement tenir Prosper, il s’agit sans aucun doute de celui du pontificat de Boniface (418-422). Le souvenir et l’exemple de Boniface Parmi les papes dont l’action bénéfique est rappelée en termes louangeurs par Prosper, Boniface se voit donner, malgré la brièveté de son règne, une place toute particulière puisque, comme plus tôt celui d’Innocent, son rôle dans la déroute infligée aux hérétiques est décrit en deux phases qui s’interpénètrent chronologiquement, mais qui sont du moins complémentaires dans leur aspect législatif et doctrinal : « Leurs engins [ceux des adversaires] ont déjà été brisés, ils se sont déjà effondrés en même temps que les premières lignes, leurs alliés dans l’orgueil, […] lorsque le pape Boniface, de sainte mémoire, se réjouissait de la dévotion catholique des empereurs très pieux et employait contre les ennemis de la grâce de Dieu non seulement des ordonnances apostoliques, mais aussi des ordonnances impériales (non solum apostolicis, sed etiam regiis edictis), et que le même 97

Sur cette lettre, voir le chap. 1, pp. 31-32, et DESCOTES, « Saint Augustin », pp. 217-220. 98 Voir infra, p. 80, et le chap. 4, pp. 216 et 220.

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pape, bien qu’il fût très savant, réclamait contre les livres des pélagiens une réponse du saint évêque Augustin99. »

Boniface a donc d’abord eu le mérite de ne pas seulement faire fond sur les décisions de ses prédécesseurs, en comptant aussi sur des mesures temporelles nouvelles (regiis edictis), facilitant à l’évidence, par leur autorité et par l’ampleur des moyens induits, l’application des ordonnances touchant des individus qui, depuis 418, étaient sciemment et délibérément hérétiques100. On peut compter parmi ces edicta le rescrit adressé par Honorius et Théodose II à Palladius, celui de Constance III et la lettre d’Honorius et de Théodose II à Aurélius de Carthage, datés de 418 et 419101, qui ont permis d’étendre en dehors de l’Italie, et sans doute en particulier en Gaule et dans l’Illyricum, le respect de la législation formulée par la Tractoria ; ce sont ces mesures qui, se poursuivant sous le pontificat de Célestin, contribueront à porter l’ultime coup d’arrêt à la querelle102. Mais ce pontife, qui a assisté plus que participé à ce durcissement du procès pélagien, est également celui qui — c’est le second aspect souligné dans ce passage — s’est résolu, en dépit de ses propres compétences ou connaissances, à demander à Augustin de réfuter certains documents qui lui étaient parvenus. C’est ce désir que comblera en 421 l’envoi du 99

C. coll., 21, 1 : « Tunc istorum machinae fractae sunt, tunc in superbiae sociis ac principibus corruerunt, […] quando sanctae memoriae papa Bonifacius piissimorum imperatorum catholica deuotione gaudebat et contra inimicos gratiae Dei non solum apostolicis, sed etiam regiis utebatur edictis, et quando idem, cum esset doctissimus, aduersus libros tamen Pelagianorum beati Augustini episcopi responsa poscebat. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 79-80). 100 C’est-à-dire depuis que, au printemps 418, le pape Zosime avait préparé, puis ratifié avec la Tractoria en juin, la condamnation des thèses pélagiennes décidée par le concile de Carthage du 1er mai. À cette occasion déjà, le pontife avait su tirer profit du récent « rescrit de Ravenne » promulgué par Honorius pour donner à sa lettre une plus large diffusion ; voir PLINVAL, Pélage, pp. [333]-336 et WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 209-218. 101 Sur ces documents, voir le chap. 1, pp. 13 et 16 ; et sur l’influence qu’il faut reconnaître à Boniface dans leur production, voir WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 196-204 et 241-244. 102 Il faut ajouter aux actes précédents l’exil imposé à Célestius par Célestin en 423-424, et la constitution impériale de 425 ; là-dessus, voir le chap. 1, pp. 15-16.

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Contra duas epistulas Pelagianorum103, dont Prosper conseille plus loin la consultation à ses lecteurs104. En Boniface se trouvent donc liés deux aspects primordiaux pour Prosper : un recours à Augustin, qui vaut reconnaissance de ce dernier en matière doctrinale, et un recours à la loi, qui montre la recherche d’une officialisation et d’une norme unanimement respectée. Cette allusion, bref rappel historique fait en passant, devrait rester totalement marginale, si le passage dans lequel elle s’inscrit ne conduisait pas à voir dans ces mots comme le nouveau programme fixé par le polémiste. Le Contra duas epistulas Pelagianorum, source et modèle de Prosper Quelques lignes plus haut, en effet, pour introduire, à la manière d’un poète épique, la « geste » des évêques de Rome dans la crise pélagienne105 en multipliant les métaphores guerrières, Prosper associe aux remparts des auctoritates une certaine « vigilance (ou en l’occurrence « vigie ») pastorale », specula pastoralis, qui désigne la tour inexpugnable, rétive aux plus violents coups de bélier des ennemis, à savoir saint Augustin106. Or, cette singulière expression de specula pastoralis, qui doit alerter le lecteur, était déjà employée par Augustin, et ce précisément dans son Contra duas epistulas Pelagianorum, pour désigner dans sa préface le rôle qui incombe à chaque évêque, reconnaissant toutefois, à la faveur d’une incise toute de déférence, la prééminence du titulaire de Rome, Boniface lui-même : 103 Comme le rappelle la dédicace de l’ouvrage, en Contra duas epistulas Pelagianorum, 1, 1, 1 : « Beatissime atque uenerande papa Bonifaci » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 60, p. [423]). Cf. aussi Augustin, Retractationes, 2, 61, qui renforce encore plus manifestement la similarité des deux situations : « Sequuntur libri quattuor quos contra duas epistulas Pelagianorum ad episcopum Romanae Ecclesiae Bonifatium scripsi, quia, cum in manus eius uenissent, ipsi mihi eas miserat, inueniens in illis calumniose interpositum nomen meum. » (éd. A. MUTZENBECHER, CCSL, 57, Turnholti 1974, p. 200). 104 C. coll., 21, 3 : « Ad beatae memoriae papam Bonifacium libri quatuor explicentur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 83). 105 Elle est tout autant sublimée que dans le Peri akharistôn ; voir, outre le chap. 4, pp. 230-237, DELMULLE, « Le Carmen de ingratis », en particulier pp. 181-190. 106 C. coll., 21, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 79-80) ; voir le texte cité cidessous.

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« Mais puisqu’ils ne cessent de gronder en direction du bercail du troupeau du Seigneur, cherchant de tous côtés des accès pour ravir ces brebis rachetées à si grand prix, et que la vigilance pastorale (specula pastoralis) nous est commune, à nous tous qui remplissons les fonctions de l’épiscopat — bien que toi-même, établi sur un sommet plus élevé, tu nous y domines tous — je fais mon possible, selon la petite part que comporte ma charge, dans la mesure où, avec l’aide de tes prières, le Seigneur daigne me l’accorder, afin d’opposer à leurs écrits pleins de pestilence et d’embûches des écrits offrant remède et prémunition, et parvenir ou bien à guérir la rage même qui les emporte, ou bien à empêcher que d’autres en soient affectés107. »

Les ressemblances ne s’arrêtent pas là. À y regarder de près, la préface d’Augustin donne lieu à une imitation, manifeste quoique très subreptice, dans l’ensemble du paragraphe, comme elle inspirait déjà, sans qu’on pût alors le deviner, la propre préface de Prosper. On distingue bien entre le texte d’Augustin et celui de Prosper ces différents échos (voir le tableau ci-contre)108. Augustin, Contra duas epistulas Pelagianorum, 1, 1, 2 (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 60, p. 424) Noui quippe heretici, inimici gratiae Dei, quae datur pusillis et magnis per Iesum Christum dominum nostrum, etsi iam cauendi euidentius apertiore inprobatione monstrantur, non tamen quiescunt scriptis suis minus cautorum uel minus eruditorum corda temptare. Quibus utique respondendum esset, ne se uel suos in illo nefando errore firmarent, etiam si non metueremus, ne quemquam catholicorum uerisimili sermone deciperent. Cum uero non desinant fremere ad Dominici gregis caulas atque ad diripiendas tanto pretio redemptas oues aditus undecumque rimari communisque sit omnibus nobis qui fungimur episcopatus officio — quamuis ipse in ea praemineas celsiore fastigio — specula pastoralis, facio quod possum pro mei particula muneris, quantum mihi dominus adiuuantibus orationibus tuis donare dignatur, ut pestilentibus et insidiantibus eorum scriptis medentia et munientia scripta praetendam, quibus rabies qua furiunt aut etiam ipsa sanetur aut a laedendis aliis repellatur.

107 Augustin, Contra duas epistulas Pelagianorum, 1, 1, 2 (trad. Fr.-J. THONNARD, BA, 23, [Paris] 1974, p. 315, modifiée). Pour le latin, voir le texte cité ci-dessous. 108 Les parallèles textuels associant le passage d’Augustin et le chap. 21 du Contra collatorem sont mis en évidence en gras, et ceux qui relient le même texte à la préface de Prosper par un soulignement.

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Prosper, c. coll., 21, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 79-80) En cuius dogmatis sunt magistri qui, ut catholicarum mentium castitatem gratiae defensoribus calumniando corrumpant, praecipuum nostro tempore in doctrina ecclesiastica uirum rabido ore concerpunt creduntque se omnia auctoritatum munimina posse conuellere, si hanc pastoralis speculae ualidissimam turrim crebra Pelagiani arietis illisione pulsauerint. Firmum quidem fundamentum Dei stat, sed congruenter isti non desunt partibus suis. Dignum quippe est ut quorum sequuntur sententiam imitentur insaniam. Nec enim alia possunt dicere quam quae damnatorum querelis et procacissimis Iuliani sunt uulgata conuiciis. Paria sunt unius seminis germina, et quod latebat in radicibus manifestatur in fructibus. Non ergo cum istis noua acie dimicandum est nec quasi contra ignotos hostes specialia sunt ineunda certamina. Tunc istorum machinae fractae sunt, tunc in superbiae sociis ac principibus corruerunt, quando beatae memoriae Innocentius nefandi erroris capita apostolico mucrone percussit, quando Pelagium ad proferendam in se suosque sententiam Palaestinorum episcoporum synodus coarctauit, quando Africanorum conciliorum decretis beatae recordationis papa Zosimus sententiae suae robur annexuit et ad impiorum detruncationem gladio Petri dexteras omnium armauit antistitum, […] quando sanctae memoriae papa Bonifacius piissimorum imperatorum catholica deuotione gaudebat et contra inimicos gratiae Dei non solum apostolicis, sed etiam regiis utebatur edictis, et quando idem, cum esset doctissimus, aduersus libros tamen Pelagianorum beati Augustini episcopi responsa poscebat.

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Prosper, c. coll., 1, 1-2 (ibid., pp. [5]-7) Quorum intus interstrepens domestica malignitas non minus spernenda esset quam foris latrans haeretica loquacitas, nisi, eiectis extra ouile Dominicum lupis, qui sub nomine ouium sunt suffragarentur essentque eiusmodi ut nec ordo eorum in Ecclesia nec ingenia despicienda uideantur. […] Non ergo negligendum est hoc malum quod ab occultis paruisque seminibus augetur quotidie et ab ortu suo latius longiusque distenditur, sed studendum est, in quantum Dominus adiuuat, ut fallacium calumniatorum hypocrisis detegatur qui ex ipsa iniuriae magnitudine, quam in uno cunctis ac praecipue apostolicae sedis pontificatui intulerunt, ab indoctis et parum cautis excellentioris scientiae iudicantur et misero peruersoque successu facile mendacio consensum eliciunt, quia reuerentiam sibi praesumptione pepererunt. […] Quasi incognitum aliquod opus et quod hactenus latuerit impetatur ac non illa his morsibus doctrina lanietur, quae nouorum haereticorum commenta disiecit et diabolicum tumorem Pelagianae elationis elisit. Viginti amplius anni sunt quod contra inimicos gratiae Dei catholica acies huius uiri ductu pugnat et uincit.

Le lecteur averti aura donc vite fait de deviner le but que cherche à poursuivre Prosper et le rôle qu’il entend désormais se donner, une fois Augustin disparu, à la fois dans le combat contre les Marseillais et vis-àvis de la papauté.

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Xyste, nouveau Boniface ? Car plus qu’un vocabulaire ou des métaphores109, c’est tout un schéma de pensée, fût-il banal et convenu, que Prosper emprunte à son maître. Sa résurgence ne peut que souligner davantage le parallèle entre les deux démarches, et décrire bien éloquemment l’habit qu’entend endosser Prosper. Présenté comme il l’est, Boniface offre l’image — exemplaire, pour Prosper — d’un pape augustinien, soucieux de fonder juridiquement un point de dogme des plus ardus et si controversé. Xyste, qui doit faire face au même problème, peut donc trouver dans son prédécesseur un modèle. Par conséquent, Prosper devient du même coup, pour ainsi dire, l’Augustin de Xyste, chargé d’apporter au pape les éclaircissements requis et les éléments de réfutation du discours des adversaires. Mais cette schématisation qui s’offre facilement au lecteur ne doit pas faire oublier certaines différences notables : en composant le Contra collatorem, Prosper ne répond en aucune manière à une demande expresse de Xyste et ne peut même, n’étant pas évêque, s’autoriser de la moindre specula ; c’est lui qui, par conviction ou par facilité, amalgame les deux conflits et présente la réaction de Cassien comme une attaque, ce qu’elle n’a sans doute pas été ; enfin, un glissement fait que, alors qu’en écrivant à Boniface Augustin se faisait le défenseur de la foi de l’Église, en écrivant à Xyste Prosper ne se fait le défenseur de personne d’autre que d’Augustin même, qui est certes pour lui la voix de l’Église. C’est exactement dans la même optique que Prosper fait suivre les vœux qu’il forme pour le nouveau pape d’une longue citation de l’epist. 194, par laquelle, en 418, Augustin avait prié Xyste, alors encore prêtre, de mener une chasse particulièrement vigilante à ceux qu’il nommait les « loups clandestins », c’est-à-dire les pélagiens honteux, hérétiques de cœur mais d’apparence intègre110. En achevant son traité avec les mêmes mots que ceux par lesquels il l’avait introduit, mais en les replaçant dans un contexte antérieur de quinze ans, Prosper insiste on ne peut mieux sur l’identité des deux situations, et partant sur la nécessité de donner à la crise présente la même issue. L’« apaisement » qu’il attend ne peut d’ailleurs venir, écrit-il en conclusion, que « par l’entremise des 109 Sur l’utilisation récurrente de la métaphore (issue de Matth. 7, 15) des loups et des brebis dans la littérature antihérétique ; voir le chap. 4, p. 163 et nn. 12-13. 110 Cf. c. coll., 21, 4 : « in custodia Domini gregis haec sit pars gloriae huic reseruata pastori, ut, sic illi [scil. les pontifes romains, d’Innocent à Célestin] lupos abigere manifestos, ita hic [scil. Xyste] depellat occultos » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 84).

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prélats de l’Église et des ministres légitimes de ses jugements111 », appel on ne peut plus limpide à la hiérarchie ecclésiastique. Avant même que Prosper ne recueille, vers 439, dans son Indiculus les sentences pontificales intéressant l’action de la grâce112, Vincent de Lérins, immédiatement après la publication du Contra collatorem, présentera le même pape Xyste dans son Commonitorium comme l’« auctoritas apostolicae sedis113 », mais surtout lui destinera même (à son tour), si l’on en croit une recension tardive des Institutiones de Cassiodore, son recueil d’Excerpta d’Augustin114. Le pontife romain est donc devenu, pour de pareilles questions de foi et à la faveur de cette controverse augustinienne, peut-être aussi parce que la causa bellandi était précisément la personne et la pensée d’Augustin, avec qui il était d’une façon ou d’une autre lié, l’interlocuteur en même temps que l’arbitre tout désigné. Il est donc au moins sûr que, en le convoquant comme juge, Prosper cherche avant tout à recevoir de Rome une confirmation de sa propre doctrine, tout augustinienne, et par ce fait une condamnation de celle de ses adversaires115. 111

Cf. c. coll., 22 : « donec Dominus per Ecclesiae principes et legitimos iudiciorum suorum ministros haec quae per paucorum superbiam et quorumdam imperitiam sunt turbata componat » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 85). 112 Sur les Auctoritates et la question de leur datation, voir le chap. 4, p. 209 et n. 181. 113 Vincent de Lérins, Commonitorium, 32, 1 : « […] ad extremum adiecimus geminam apostolicae sedis auctoritatem, unam scilicet sancti papae Sixti, qui nunc Romanam ecclesiam uenerandus inlustrat, alteram decessoris sui beatae memoriae papae Caelestini, quam hic quoque interponere necessarium iudicauimus. » (éd. R. DEMEULENAERE, CCSL, 64, p. 193). 114 Cf. Landulf Sagax (?), De expositoribus divinae legis et de auctoribus a Christianis perlegendis 1, 16 : « Sed et liber Vincentii, presbiteri Lyrinensis insulae, quem de libris beati Augustini composuit et misit sancto Xisto pape utilis est pro hac relegi. » (éd. P. LEHMANN, « Cassiodorstudien. V. Ein mittelalterliches Compendium der Institutiones divinarum litterarum », Philologus, 73/2 [1914] [253]-273 [reprod. in ID., Erforschung des Mittelalters, t. 2, A. Hiersemann, Stuttgart 1959, pp. 6681], ici p. 268). J.-P. BOUHOT, « La transmission d’Hippone à Rome des œuvres de saint Augustin », in D. NEBBIAI-DALLA GUARDA – J.-Fr. GENEST (éd.), Du copiste au collectionneur. Mélange d’histoire des textes et des bibliothèques en l’honneur d’André Vernet, Brepols, Turnhout 1998 (Bibliologia. Elementa ad librorum studia pertinentia, 18), pp. 23-33 (p. 26), doute de l’authenticité de cette remarque pour la raison qu’aucune mention de Xyste n’est faite dans les Excerpta. 115 JANSENIUS, Augustinus, t. I, livre I, coll. 80-81, proposait d’ailleurs déjà cette interprétation, en affirmant que Prosper avait souhaité bénéficier de la reconnaissance

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En reprenant donc la plume, à l’avènement d’un nouveau pape au sujet de qui tous les espoirs des augustiniens se trouvaient ravivés, Prosper a su donner à son projet initial une bien plus grande étoffe. Par un seul traité, il peut atteindre trois lectorats potentiels, parfaitement indépendants, en réservant à chacun un discours spécifique. Aux trois destinataires identifiés correspondent en effet trois objectifs de l’auteur. Pour le polémiste, relais de son maître, il s’agit de placer Cassien et ses partisans face à leurs contradictions, afin de les convaincre de leur erreur et de l’imminence de leur chute dans l’hérésie. Pour l’homme soucieux du salut de ses semblables et qu’insupporte le succès des tricheurs et des calomniateurs, il s’agit de tenir éloigné de l’influence de ces derniers le simple fidèle, étranger aux absconses subtilités théologiques et trop peu prévenu contre leurs dangers. Enfin, pour un esprit aussi légaliste, il s’agit de faire intervenir, à travers l’évêque de Rome, une autorité dont le pouvoir et la neutralité puissent venir clarifier une situation inacceptable : des hommes qui, tout en faisant (encore) partie de l’Église, paraissent bien professer les mêmes erreurs que ceux qui lui sont non seulement extérieurs, mais farouchement hostiles. Ces visées croisées constituent autant de composantes de la polémique, qui transparaissent à chaque étape de l’argumentation, et sont en grande partie ce qui structure le traité polémique de Prosper et lui donne la forme de ce que l’on pourrait caractériser comme un « mémoire » ou un dossier à charge, destiné à répertorier les erreurs de l’adversaire pour les soumettre à une instance décisionnelle apte à les condamner116. La prétention normative d’un auteur comme Prosper, telle qu’elle se traduit dans le Contra collatorem, ne peut que conforter encore cette hypothèse et rendre attentif à une dimension de l’œuvre inexploitée, dont il appartiendra aux chapitres suivants de mettre en lumière les modalités et les finalités.

romaine de Xyste. J. de LAUNOY, in JOANNIS LAUNOII… Opera omnia, ad selectum ordinem revocata…, Tomi quarti pars secunda, Sumptibus Fabri & Barrillot sociorum et Marci-Michaelis Bousquet & Sociorum, Coloniæ Allobrogum 1731, p. 485, précise cependant — détail non négligeable — que ce souhait n’a en réalité jamais été exaucé ; voir aussi, infra, les Conclusions, p. 292. 116 C’est exactement le même rôle que VILLEGAS MARÍN, « En polémica con Julián », surtout pp. 119-120, prête aux Auctoritates à l’égard, cette fois, non plus des Provençaux, mais de Julien d’Éclane.

CHAPITRE III LE CONTRA COLLATOREM ET LA COLLATIO XIII : PROSPER, PREMIER LECTEUR ET CRITIQUE DE JEAN CASSIEN

Publié du temps du nouveau pape Xyste et vraisemblablement en partie pour lui, le Contra collatorem se ressent dans sa composition même de cette recherche d’un auditoire officiel. L’esprit polémique qui animait déjà les œuvres précédentes trouve dans ce traité un regain de légitimité, qui rend la riposte prospérienne bien plus assurée et donne progressivement libre cours à ce qui nous apparaîtra comme une véritable volonté censoriale de l’auteur1. En comparaison du Peri akharistôn, qui poursuivait à peu près le même but, et des Responsiones, qui lui sont contemporaines, le Contra collatorem offre une spécificité toute nouvelle dans le débat qui oppose Prosper aux Marseillais. C’est le seul ouvrage de Prosper qui ait été écrit sans que le casus scribendi soit fourni par la demande expresse d’un correspondant ou l’attaque frontale d’un adversaire2. L’auteur choisit d’y examiner de son propre chef une œuvre particulière, à ses yeux suffisamment paradigmatique, voire emblématique, au point qu’il préfère reporter la publication de la réfutation qu’il en a préparée plutôt que d’exercer, par exemple, son regard critique sur un autre texte issu du même milieu. C’est que dans les Collationes de Cassien — et dans la treizième, en l’occurrence — convergent des avantages que Prosper ne peut mésestimer. Il n’est que d’observer le cas que lui-même en fait au commencement de son traité, mais surtout la place (y compris matérielle) que le texte de Cassien occupe à l’intérieur de l’œuvre de Prosper, à laquelle il va jusqu’à imposer sa composition et sa forme.

1

Sur cet aspect, voir plus particulièrement la fin du chapitre, pp. 152-157. On mettra à part le cas du Peri akharistôn, que son appartenance générique empêche de comparer à égalité avec des traités dont le but premier est on ne peut plus manifestement hérésiologique et dont les moyens rhétoriques et dialectiques lui sont propres. Les circonstances ayant motivé la composition du Peri akharistôn demeurent, du reste, assez obscures : pour une présentation rapide des autres œuvres mentionnées ici et du contexte de leur rédaction, voir le chap. 1, pp. 40-46. 2

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I – DES COLLATIONES AU CONTRA COLLATOREM : LE TRAVAIL PRÉPARATOIRE DE PROSPER La réelle nouveauté qui distingue le Contra collatorem des opuscules précédents réside, en effet, dans le fait que ce traité se présente, ne serait-ce que par son titre et par son organisation, sous un rapport spécifique avec un autre texte, qui en devient ainsi le « pré-texte3 », duquel on ne peut plus le dissocier. Les considérations métadiscursives sont, d’ailleurs, trop récurrentes et trop manifestes dans le Contra collatorem pour ne pas trahir l’importance que présente aux yeux de l’auteur cette question de la spécificité de l’écrit4. On en trouve un signal des plus marquants dès le début de l’ouvrage, où — fait suffisamment rare pour être précieux — Prosper s’étend assez longuement sur ce qui l’a amené à prendre la plume et à s’attaquer à Jean Cassien plutôt qu’à tout autre. Il écrit : « Pour ne pas avoir l’air de vouloir obscurcir la science d’hommes plus savants en pourchassant les propos qu’un bas peuple bavard et le verbiage des sots répandent sans mesure, c’est de préférence les propositions d’un seul homme — pour eux tous, sans aucun doute, le meilleur dans l’étude des saintes Écritures — que nous devons dévoiler. Et s’il s’agit bien des propositions qui doivent, pour un temps, figurer dans le débat, la seule raison en est qu’on ne peut douter qu’elles soient telles qu’elles sont : elles ont été écrites et 3

Je me permets d’emprunter ce terme aux spécialistes de textologie, en ne lui donnant pas l’acception que lui réserve la critique génétique, qui en fait un équivalent (dans sa traduction anglaise) d’« avant-texte » (voir l’article provisoire « Avant-texte » du futur Dictionnaire de critique génétique, éd. par l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes, version de 2010 : http://www.item.ens.fr), mais en le replaçant dans les catégories d’« hypertextualité » ou de « métatextualité », telles que les a définies G. GENETTE, Palimpsestes. La littérature au second degré, Éd. du Seuil, Paris 1982 (Poétique, 33), pp. 7-14, et qui établissent les rapports entre un texte A, de référence, et un autre texte, B, qui dans le premier cas le prend pour modèle, dans le second le commente. 4 Qu’on se reporte, par exemple, aux passages suivants, qui opposent à chaque fois clairement le discours oral et le discours écrit : c. coll., 2, 1 (cité immédiatement après) ; 14, 2 : « nisi quae in collocutionibus domesticis saepe defensa sunt etiam scripta legerentur ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 54) ; 19, 1 : « de his quae de ipsorum stylo innotuerunt » (ibid., p. 71) ; 20 : « hoc editis disputationibus praedicatur » (ibid., p. 78).

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mises au net dans une édition de leur propre auteur. Désormais, il ne faut plus chercher si elles existent, mais indiquer ce qu’elles enseignent. Donc, dans le livre qui a pour titre La protection de Dieu, un homme, un prêtre, qui excelle dans la pratique de la discussion parmi ceux avec qui il vit, introduit certain abbé dissertant sur la grâce de Dieu et le libre arbitre, dont — il le montre — il a en tous points approuvé et adopté l’avis. Aussi notre préoccupation n’estelle plus cet homme-ci, qui pourrait réfuter de telles opinions qui sont les siennes en les niant ou les délayer en les corrigeant, mais celui-là qui, pour fournir un instrument aux ennemis de la grâce de Dieu, s’est employé à diffuser une telle doctrine5. »

Ces quelques lignes, plutôt que d’être « pleine[s] de la joie d’avoir fait une double découverte — celle de l’existence du livre et celle du nom de son auteur6 » pour les raisons que l’on a vues7, sont l’occasion d’un exposé très net de la méthode que l’auteur entend adopter, en même temps qu’un ensemble de précautions, à peine visibles, mais qui sont nécessaires au polémiste pour se justifier et ainsi éviter que son entreprise tout entière ne se retrouve tout soudain caduque. Se conformant en cela à toutes les exigences de l’exordium classique8, Prosper en vient ainsi à s’expliquer 5

C. coll., 2, 1 : « Ne ad obscurandam scientiam doctiorum ea exagitare uideamur quae uulgus ignobile et procax ineptorum loquacitas intemperanter effundit, unius potissimum definitiones, quem non dubium est illis omnibus in sanctarum Scripturarum studio praestare, reseremus. Quas etiam ob hoc solum interim in disceptationem oportet assumi, quia utrum ita se habeant non potest dubitari. Scriptae enim sunt et auctoris sui editione purgatae ; nec iam an sint quaerendum est, sed quid doceant demonstrandum. Igitur in libro cuius praenotatio est De protectione Dei uir quidam sacerdotalis, qui disputandi usu inter eos cum quibus degit excellit, abbatem quemdam introducit de gratia Dei et libero arbitrio disserentem, cuius se per omnia probasse ac suscepisse ostendit sententiam, ut iam non cum illo nobis sit negotium qui forte tales opiniones suas aut negando refutaret aut corrigendo dilueret, sed cum isto qui ad instrumentum inimicorum gratiae Dei talem studuit proferre doctrinam. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 7-8). 6 Comme le voudrait CAPPUYNS, « Le premier représentant », p. 312, n. 7. 7 Voir le chap. 2, pp. 57-62. 8 L’exordium apparaît, en effet, comme le moment privilégié permettant à l’orateur de préparer son auditeur et d’instaurer avec lui un rapport de confiance de manière que celui-ci se trouve dans de bonnes dispositions pour écouter la suite tout en y adhérant. Voir, par exemple, la présentation qu’en donne la Rhetorica ad Herennium, 1, 4 (éd. G. ACHARD, CUF, 287, Paris 1997, pp. 4-5) ; voir aussi L. CALBOLI MONTEFUSCO, Exordium narratio epilogus. Studi sulla retorica greca e romana delle parti del

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sur l’identité de celui qu’il s’est lui-même figuré comme le parangon des calomniateurs d’Augustin, sur l’œuvre qui a suscité son émoi et qu’il a l’intention de scruter attentivement dans l’ouvrage qu’il inaugure, et sur la façon précise dont il veut, à partir de sa lecture, achever de convaincre son adversaire d’erreur.

1. « Vir quidam sacerdotalis » : le choix de l’adversaire La première de ces étapes ne saurait se cantonner à une désignation aussi directe que brutale de la personne de Cassien. Aussi cet endroit de la préface se fait-il également l’occasion d’une justification presque contrainte pour ce qui pourrait être vu, au premier abord, comme un accès d’audace de la part d’un simple laïc prenant si vertement à partie une seule cible (unius), et précisément l’homme entre tous dont l’ascèse et la sainteté forcent le respect des foules. Pourquoi s’en prendre à Cassien ? Si Prosper se résout à attaquer Cassien, c’est — on l’a vu — pour ainsi dire en dernier recours, au motif qu’il manque de preuves suffisamment solides pour obtenir du pape la réplique qu’il attend. Car c’est une bien grande gageure que de choisir, parmi plusieurs, un homme de trente ans son aîné et qui fait figure de modèle pour nombre de religieux du sud de la Gaule et au-delà des frontières. Mais pour ne pas appeler dès le début le discrédit sur son traité, Prosper sacrifie, quoique brièvement, au topos de la laudatio, rendant hommage à son adversaire, profond connaisseur des Écritures saintes en qui chacun s’accorde à reconnaître un éminent exemple de la conuersatio monastique : il « excelle », reconnaît-il, dans l’art de la discussion, qui lui permet d’allier l’agrément d’une compagnie édifiante et le service intellectuel que procurent à ses frères ses enseignements9. discorso, Cooperativa libraria universitaria editrice, Bologna 1988 (Università degli Studi di Bologna. Pubblicazioni del Dipartimento di Filologia classica e medioevale, 1), pp. [1]-32. 9 Cf. c. coll., 2, 1. On reconnaît, aussi et avant tout, dans ce qui pourrait n’être qu’un simple topos hérésiologique, le portrait des anachorètes qui ont été les maîtres de Cassien au désert ; cf. Jean Cassien, coll., praef. I, 6 : « Je voudrais vous rapporter

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Faut-il lire dans ces semblants de compliments une politesse obligée envers un ancien, un moine ou un saint ? La verdeur employée en maint autre endroit du traité pour parler du même individu empêche de penser que Prosper se soit soucié de telles convenances10. Il est même fort probable, quoi qu’on en ait dit, qu’il n’ait pas été totalement prévenu contre Jean Cassien, auquel il ne refuse pas les titres de « docteur catholique », de « docteur plein de sagesse » ou de « maître de vérité11 ». Dans tous les cas — et pour éviter de faire entrer la psychologie où elle n’a pas sa place —, on notera l’enjeu rhétorique que peut avoir cet aveu préliminaire du polémiste : ce dernier, faisant ainsi montre de pondération et d’impartialité, réussit déjà à asseoir un certain ethos, disposant par là même le lecteur à prêter à ses propos ultérieurs une oreille plus bienveillante12. Mais la façon qu’il a de désigner Cassien d’après son rang dans l’Église, par une périphrase (« uir quidam sacerdotalis »), éveille leur doctrine avec le même cachet de sainteté qu’elle avait sur leurs lèvres, et sans en rien diminuer » (trad. E. PICHERY, SC, 42, Paris 20082, p. 85). 10 Les attaques sont alors, il est vrai, moins directes et concernent une collectivité de personnes : c’est le cas de la métaphore des loups et des chiens enragés appliquée aux adversaires en c. coll., 1, 2 : « illa his morsibus doctrina lanietur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 6), et 21, 1 (où sont plus spécifiquement mentionnés les magistri) : « En cuius dogmatis sunt magistri qui […] praecipuum nostro tempore in doctrina ecclesiastica uirum rabido ore concerpunt » (ibid., p. 79). 11 En c. coll., 2, 5 : « doctor catholice », et 14, 2 : « uir grauis, doctor sapiens, uerax magister » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 12 et 54). Encore ne faut-il pas trop sousestimer le caractère rhétorique et la dimension fortement ironique de ces passages. On ne peut rien arguer d’une entrée du Chronicon de Prosper, qui donne à lire une mention élogieuse de Cassien pour l’année 433 : « Ioannes monachus cognomento Cassianus Massiliae insignis et facundus scriptor habetur. » (PL, 51, col. 596A). Th. MOMMSEN, « Interpolationes Prosperi chronicis insertae saec. XV. », in ID. (éd.), Chronica minora, pp. 497-499 (p. 499), a démontré qu’il s’agissait d’une interpolation de la fin du Moyen Âge. 12 Ajoutons que cet éloge discret de Cassien, dans un ouvrage dont le titre signale d’emblée au lecteur qu’il a été écrit contre lui, peut aussi, paradoxalement, conduire à recevoir les propos de l’abbé avec plus de circonspection. Comme l’écrit Ch. PERELMAN, L’empire rhétorique. Rhétorique et argumentation, J. Vrin, Paris 19972 (Bibliothèque des textes philosophiques), pp. 155-156 : « L’éloge de l’adversaire, de son talent d’orateur, de son prestige, de son habileté, tend à diminuer d’autant la force propre de ses arguments : on insinue que son discours, apparemment efficace, ne présente pas une argumentation valable pour un auditoire plus critique et moins impressionnable. »

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déjà quelque suspicion dans l’esprit du lecteur, qui doit s’attendre à trouver en Cassien, par contraste, un comportement ou un genre de pensée bien indignes de sa charge13. Il importe à l’auteur de bien distinguer entre la personne et la fonction afin de ne pas reproduire lui-même l’erreur des Marseillais à l’égard d’Augustin. La question de l’anonymat Il est un autre fait — notoire, dès que l’on parle du Contra collatorem — qui pourrait participer de la même volonté de ne pas accabler indûment l’homme plutôt que les idées. Rappelons encore que le nom de Jean Cassien n’est mentionné à aucun endroit du traité, ni même dans son titre : l’examen de la tradition manuscrite, comme le témoignage de Gennade, à peine postérieur à Prosper, conduisent à penser que le titre original du traité mentionnait bien uniquement que celui-ci était écrit « contra collatorem »14. À première vue quelque peu énigmatique, ce titre a pour 13

L’expression employée par Prosper, qui demeure en effet curieuse, doit-elle être lue comme une périphrase emphatique, destinée à souligner le scandale ? On en trouve, certes, d’autres occurrences avec la même signification, par exemple chez Hégésippe (Historia, 5, 33, 1 ; éd. V. USSANI, CSEL, 66/1, Vindobonae 1932, p. 374). Mais uir sacerdotalis pourrait aussi n’être pas un parfait synonyme de quidam sacerdos, comme l’atteste à l’évidence Sidoine Apollinaire, epist. 9, 4 : « Plus ego admiror sacerdotalem uirum quam sacerdotem » (« j’admire davantage un homme qui vit comme un prêtre que le prêtre lui-même » ; éd. et trad. A. LOYEN, CUF, 198, Paris 1970, p. 132). Pourtant l’on sait que Cassien a bien été ordonné prêtre (voir le chap. 1, p. 26). Ne serait-il pas alors possible de voir dans le choix d’un adjectif en -alis une légère pointe d’ironie, qui renverrait à une période jugée révolue ; c’est, du moins, la valeur qu’il a dès l’époque impériale, lorsqu’il s’agit de faire référence à la charge publique du sacerdoce (cf. Velleius Paterculus, Historia Romana, 4, 124, 4 : « a nobilissimis ac sacerdotalibus uiris — les citoyens de la plus haute noblesse et ceux qui avaient exercé des sacerdoces » ; éd. et trad. J. HELLEGOUARC’H, CUF, 257, Paris 1982, p. 132). 14 Cf. Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 85 : « Legi et librum aduersus opuscula (suppresso nomine) Cassiani » (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 90). Sur l’authenticité du titre transmis par la tradition, voir DELMULLE, « Introduction », chap. 2. On ne voit pas sur quoi repose l’affirmation de HOLDER-EGGER, « Untersuchungen über einige annalistische Quellen », p. 57 : « Gegen Joannes Cassianus, das Haupt der Semipelagianer schrieb dann Prosper sein Schrift ‘De gratia Dei et libero arbitrio’, den später sogenannten ‘Liber contra Collatorem’ » ; elle est reprise telle quelle par VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 187.

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effet principal d’anonymiser l’adversaire, ce qui pose plusieurs problèmes d’interprétation. Diverses explications ont pu être proposées, qui attribuent une fonction ou une motivation différente au choix de ce titre. Mais comme dans toute autre matière semblable, le plus délicat est de faire le départ entre ce qui peut nous apporter des informations sur la connaissance (passive) dont dispose le polémiste au moment où il écrit et ce qui relève de l’intentio auctoris. L’absence du nom de Cassien dans le Contra collatorem est-elle une preuve, non pas de l’inexistence de la personne de Cassien15, mais du fait que Prosper pouvait alors encore ignorer l’identité de l’auteur de la Collatio XIII ? La renommée de l’ascète, plusieurs fois évoquée déjà, et le succès rencontré rapidement par ses Collationes dans la Gaule méridionale semblent rendre cette hypothèse peu plausible. L’anonymat doit plus probablement être interprété comme un « problème d’ordre littéraire16 », comme un choix délibéré de Prosper — ce que la notice de Gennade suggère déjà, à travers l’emploi d’un verbe d’action dans « suppresso nomine17 ». Reste à déterminer la signification qu’il convient de donner à cette pratique : déférence envers son aîné ? prévenance eu égard aux possibles conséquences qu’une prise directe pourrait susciter sur l’intéressé18 ? On ne doit, certes, pas exclure que le polémiste ait conçu l’idée que son traité pourrait provoquer un revirement idéologique de la part de son adversaire, à l’instar de ce que son maître avait fait dans son De natura et gratia pour s’attaquer à Pélage19. Mais 15

C’est pourtant un des arguments qu’avance TZAMALIKOS, The Real Cassian, p. 122, n. 39, pour soutenir l’hypothèse de l’inexistence du Cassien latin ; voir làdessus le chap. 1, p. 26, n. 88. 16 L’expression est utilisée à propos de Fauste de Riez et de son epist. 3 par E. L. FORTIN, Christianisme et culture philosophique au Ve siècle. La querelle de l’âme humaine en Occident, Institut d’études augustiniennes, Paris 1959 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 10), p. 46. 17 Gennade de Marseille, De uiris illustribus, 85 : « Legi et librum aduersus opuscula (suppresso nomine) Cassiani, quae Ecclesia Dei salutaria probat, ille infamat nociua. Re enim uera Cassiani et Prosperi de gratia Dei et libero arbitrio sententiae in aliquibus sibi inueniuntur contrariae. » (éd. RICHARDSON, TU, 14/1, p. 90). 18 Ce sont des hypothèses mainte fois avancées, que retient encore VOGÜÉ, Histoire littéraire, 1ère part., t. 7, p. 199, pour qui Cassien est « traité avec un certain respect » par Prosper. 19 Cf. Augustin, De gestis Pelagii, 23, 47 : « Cependant, je n’ai pas inséré pour autant le nom de Pélage dans l’ouvrage où j’ai réfuté ce livre, estimant que je réussirais

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une quelconque obligeance à l’égard de Cassien n’expliquerait pas assez le phénomène. Tout au plus le respect — si respect il y a — est-il l’apparence que l’on peut vouloir donner à des considérations beaucoup plus intéressées. L’anonymat pourrait être en effet pour Prosper un moyen sûr de récuser à l’avenir tout grief de diffamation et d’éviter que ses accusations, certes frontales, ne soient considérées comme des attaques ad personam semblables à celles pour lesquelles il blâme ses adversaires20. À cet avantage on pourrait en associer un autre, loin d’être superflu dans le cas d’un traité comme le Contra collatorem. Il peut arriver qu’un auteur, se lançant dans une polémique sans détenir encore un ensemble de preuves suffisamment écrasant, ne voie pas d’un bon œil que son lecteur puisse se reporter directement à l’œuvre source dans laquelle il trouverait les thèses originales présentées d’une manière moins monolithique ou caricaturale21. Au-delà de sa dimension ironique, l’anonymat permettrait donc de tenir, autant que faire se peut, l’éventuel lecteur à distance d’un élément de comparaison susceptible de faire douter de la probité du contradicteur. Mais si Prosper ne rechigne pas à utiliser des procédés de la sorte, il n’en reste pas moins vrai que c’est par d’autres biais que la pure occultation du matériau qui lui sert de point de départ22. mieux si, en vertu d’une amitié jusqu’alors sauvegardée, je ménageais l’honneur de celui dont je ne devais plus ménager les écrits. » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, p. 101 ; trad. J. de LA TULLAYE, BA, 21, [Paris] 1966, pp. 534-535). 20 S’il est avant tout question des écrits d’Augustin en epist. 2, 2, ou de sa « doctrine » en resp. ad Gall., praef., et en resp. ad Gen., praef., les attaques opérées par les Provençaux ont tendance à se transformer en calomnies touchant jusqu’à la personne de l’évêque d’Hippone. Quoiqu’il faille donc ici faire le départ entre attaques ad hominem et ad personam, c’est la réputation de la personne qui est finalement remise en cause : au début du Contra collatorem, ce sont les livres d’Augustin qui sont calomniés (c. coll., 1, 1 : « immoderatis calumniis » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. [5]), mais c’est lui qui est ensuite présenté comme l’objet de l’« iniuria » (ibid.). On ne peut pas dire, pour autant, que cette prévention soit un gage de bonne foi : on aura à mentionner, dans le chap. 4, la place qu’il arrive que prenne dans la réfutation de l’adversaire l’argumentum ad personam (voir pp. 161-173). 21 Voir FORTIN, Christianisme et culture philosophique, p. 46, n. 2. 22 Il préfère influer sur la compréhension de son lecteur en falsifiant ou en rendant plus obscures certaines citations qu’il tire du texte incriminé et surtout en en orientant considé rablement l’interprétation ; sur ces procédés, voir infra, pp. 144-152 et au chap. 4, pp. 166-173.

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Car force est de reconnaître que l’anonymat n’est pas ici synonyme d’absence de référentialité. Il s’agit en réalité d’une feinte, peut-être en forme d’écho au texte de Cassien — pour mieux y renvoyer : à l’instar de Cassien, qui ne mentionne jamais son nom dans les Collationes23, Prosper le désigne uniquement par sa fonction, tirée du titre de son ouvrage. Prosper instille suffisamment d’indices pour que tout lecteur, à condition que celuici fréquente de près ou de loin le milieu ascétique, puisse reconnaître sans difficulté le collator qui rapporte dans un ouvrage les propos d’un saint abbé ; il prend soin de donner avec précision le titre du livre en question24 ; et quand même le doute persisterait, les larges extraits produits dans le traité acheveraient de permettre l’identification. Bien plus, il est primordial pour Prosper que le texte qu’il s’apprête à examiner ait un auteur qui puisse en répondre. C’est en choisissant le truchement de l’anonymat que, dans les années 410, Pélage ou Célestius avaient réussi à faire circuler des libelles ou des ouvrages plus fournis, tout en se ménageant la possibilité d’en renier la paternité en cas d’accusation25. Il s’agit pour Prosper de ne pas laisser se reproduire, pourrait-on dire, un « second Diospolis » : le synode de 415, à l’occasion duquel Pélage 23

Seul le nom des moines de Scété est mentionné, ainsi que celui de son compagnon, Germain. Germanus apparaît, en effet, comme une didascalie pour introduire les questions qu’il pose aux moines (cf. coll. 1, 12, 1 ; 1, 16, 1 ; 2, 9, 1 ; 2, 12, 1 ; 2, 18, 1 ; 2, 25, 1, etc.), tandis que la personne de Cassien, qui n’est jamais l’interlocuteur principal, ne transparaît que par l’intermédiaire d’un ego. Voir les remarques parallèles, à propos du texte grec dont il traite, de TZAMALIKOS, The Real Cassian, pp. 116-120. Il faut cependant ajouter deux exceptions, où les abbés Théodorus et Nesteros l’interpellent sous le nom de Iohannes (en inst. 5, 35 et coll. 14, 9) ; voir la notice prosopographique « Iohannes Cassianus 2 », in PIETRI – HEIJMANS (dir.), Prosopographie de la Gaule, vol. 1, p. 430, n. 1. 24 « In libro cuius praenotatio est De protectione Dei » (c. coll., 2, 1), qui doit être le titre original. Il est vrai que Prosper donne le sujet de la conférence et non pas son numéro d’ordre, ce qui a pu paraître fournir un argument aux partisans d’une diffusion à part de cette collatio en particulier (voir le chap. 2, p. 59), mais qui a surtout un intérêt polémique : son titre thématique présente d’emblée la Collatio XIII comme un libelle théologique à prétention doctrinale. 25 On sait par quels mots Jérôme invective Pélage dans son troisième dialogue : « O te felicem, cuius praeter discipulos nemo conscribit libros, ut quidquid uideris displicere, non tuum, sed alienum esse contendas ! » (Jérôme, Dialogus contra Pelagianos, 3, 16 ; éd. Cl. MORESCHINI, CCSL, 80, Turnholti 1990, p. 120). Voir aussi G. de PLINVAL, « Les écrits de Célestius », note complémentaire n° 17, in PLINVAL – LA TULLAYE, La crise pélagienne I, pp. 592-593.

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avait réussi le tour de force d’anathématiser publiquement ses propres propositions tout en obtenant pour lui-même l’acquittement est resté une honte qui obsède régulièrement l’Aquitain dans ses œuvres26. Le refus, bien marqué au début du Contra collatorem, de toute attaque dirigée contre la personne attire l’attention sur une dichotomie prise en considération par Prosper et qui ne doit pas échapper à son lecteur. Celui que le controversiste veut mettre en examen peut bien avoir un nom, l’important reste qu’il est avant tout un prêtre rompu à la pratique de la disputatio — et par là critiquable s’il propage son erreur dans l’exercice d’une si lourde charge — doublé d’un écrivain — ce qui multiplie de ce fait son auditoire. Prosper veut donc s’en prendre uniquement à un auctor et même, en l’espèce, à un homo unius libri, sur qui il puisse exercer son acribie sans pour autant éclabousser l’individu lui-même. 2. « In libro cuius praenotatio est… » : le choix de l’œuvre C’est que le livre, en tant qu’objet matériel, mais aussi en tant que production intellectuelle, est au centre de l’entreprise de Prosper. En même temps qu’il met à sa disposition un matériau inestimable qui doit conduire à condamner définitivement les individus qui pourraient se revendiquer des idées qui y sont formulées, il est le signe d’un progrès, voire d’une aggravation de l’antiaugustinisme des Marseillais. Le cas qui en est fait dans le Contra collatorem constitue un témoignage des plus intéressants, quoique resté méconnu, au sujet de la pratique éditoriale à la fin de l’Antiquité, de l’idée que l’on se fait de l’écriture et de l’écrit, et enfin du statut d’auteur qui en découle directement. Discours oral, discours écrit Lorsque, vers 426 au plus tard, Prosper voulait alerter ses correspondants, Augustin et Rufin, de l’imminence du danger que présentaient des mouvements de contestation antiaugustinienne en train de naître à Mar26 Prosper y fait plusieurs fois allusion, présentant l’épisode comme le souvenir funeste de ce qui aurait pu ruiner le combat de l’Église et établir durablement l’orthodoxie des pires ennemis d’Augustin : cf. Prosper, Peri akharistôn, 42-46 : « Non segnior inde Orientis / rectorum cura emicuit […] » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 46), et, pour notre traité, c. coll., 5, 3 : « Orientales episcopi » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 19) et 9, 1 : « in episcoporum synodo » (ibid., p. 30).

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seille et aux alentours, il ne pouvait rendre compte que de quelques bribes de ce qui lui apparaissait comme des fomentations clandestines. Reprenant une image traditionnelle du répertoire hérésiologique, il pointait du doigt chez ses futurs adversaires une certaine incohérence entre ce qui était dit dans l’enceinte du monastère (priuatim) et ce qui l’était au-dehors (publice)27. Dans le Contra collatorem, en revanche, jamais Prosper ne fait fond sur quelque propos tenu en privé par Cassien ou d’autres. Certes, les idées qu’il cherche à combattre se répandent avant tout oralement — et c’est bien là, à ses yeux, l’un des périls majeurs : les moines provençaux, de Marseille ou de Lérins, très proches également de l’épiscopat local, ont une audience d’autant plus élargie que leur réputation les précède28 ; ils peuvent ainsi toucher les « oreilles catholiques » d’individus « ignorants et trop peu prudents » pour y instiller sans effort tout le fiel de leurs abominables calomnies29. Mais évidemment, les propos tenus oralement, qui se diffusent le plus rapidement, sont en même temps les premiers susceptibles d’être détournés ou falsifiés : il serait donc vain, pour le polémiste, de mettre toute son énergie à contredire par le menu le premier racontar venu. Prosper l’exprime très bien : 27 Cf., par exemple, epist. 2, 5 : « Sed quis nescit cur ista priuatim de stomacho garriant, et publice de consilio conticescant ? » (PL, 51, col. 79C) et resp. ad. Vincent., praef. : « eaque ostendenda et ingerenda multis publice priuatimque circumferunt » (PL, 51, col. 177A). Sur l’argument topique de la duplicité de l’hérétique, voir B. JEANJEAN, Saint Jérôme et l’hérésie, Institut d’études augustiniennes, Paris 1999 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 161), pp. 377-381. 28 Comparer c. coll., 1, 1 : « nisi […] suffragarentur essentque eiusmodi ut nec ordo eorum in Ecclesia nec ingenia despicienda uideantur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. [5]) et epist. 1, 2 : « ne simpliciores quique, apud quos horum magna est de probitatis contemplatione reverentia, hoc tutissimum sibi aestiment, quod audiant eos, quorum auctoritatem sine judicio sequuntur, adserere » (BA, 24, pp. 394-395) et 7 : « ad auctoritatem talia sentientium non sumus pares, quia multum nos et vitae meritis antecellunt, et aliqui eorum adepto nuper summi sacerdotii honore supereminent ; nec facile quisquam […] tanto superiorum disputationibus ausus est contra ire » (ibid., pp. 406-408). 29 Pour un commentaire du premier paragraphe du traité, voir le chap. 1, pp. 2122. Les expressions citées se trouvent en c. coll., 14, 2 : « catholicarum tibi aurium iudicia conciliare » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 57) et 1, 1 : « ab indoctis et parum cautis » (ibid., p. 6).

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« Afin qu’il ne semble pas que ce soit pour obscurcir la science d’hommes plus savants que nous pourchassons les propos qu’un bas peuple bavard et le verbiage des sots répandent sans mesure […]30. »

Si ces précautions sont loin d’être négligeables, c’est qu’il faut à tout prix éviter certaines déconvenues, qui avaient naguère ruiné, ou retardé, l’heureuse issue d’une condamnation identique31. Il en va de même des propos que les maîtres eux-mêmes auraient pu tenir oralement. Le vrai pourrait, en effet, paraître si peu vraisemblable à des esprits moins pénétrants que Prosper serait rapidement taxé de calomnie, si les Collationes ne fournissaient un témoignage irréfutable des positions réellement répandues par les Marseillais : « Qui pourrait croire, écrit-il, que ce sont là des enseignements dispensés par des catholiques au milieu de catholiques, si ce qui a été souvent défendu dans des entretiens privés ne se donnait pas aussi à lire par écrit32 ? »

En cet endroit, et en plusieurs autres33, l’auteur insiste sur la distinction dont on ne peut faire l’économie entre oral et écrit, que l’on soit à la recherche de la précision conceptuelle ou que l’on veuille s’assurer de la fiabilité d’un témoignage. Au-delà du truisme, on peut déceler dans la récurrence de ces considérations le rappel de sa motivation première, qui n’obéit qu’à son intention polémique. Plutôt que de risquer sans cesse de prêter le flanc à l’objection pour n’avoir pas pris le temps d’une indication méthodologique liminaire, Prosper cherche 30 C. coll., 2, 1 : « Ne ad obscurandam scientiam doctiorum ea exagitare uideamur quae uulgus ignobile et procax ineptorum loquacitas intemperanter effundit […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 7-8). 31 Que l’on pense, en particulier, au synode palestinien de 415, qui a tant marqué notre polémiste ; voir supra, pp. 91-92 et n. 26. 32 C. coll., 14, 2 : « Quis haec praedicari a catholicis inter catholicos crederet, nisi quae in collocutionibus domesticis saepe defensa sunt etiam scripta legerentur ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 54). 33 Cf. c. coll., 2, 1 : « utrum ita se habeant non potest dubitari. Scriptae enim sunt » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 8) ; 19, 1 : « cum de his quae de ipsorum stylo innotuerunt, facile pius lector intelligat […] » (ibid., p. 71) ; 20 : « hoc docetur, hoc scribitur » (ibid., p. 57).

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à se garantir, dès le début, des bases solides. Comme s’en explique clairement l’auteur dans le chap. 2, le choix du témoignage écrit plutôt qu’oral offre l’avantage d’évacuer rapidement la première question qui s’impose, dans la rhétorique classique, à quiconque entreprend une action de type judiciaire, comme c’est ici manifestement le cas. « Nec iam an sint quaerendum est, sed quid doceant demonstrandum34 » : tel est, précisé en des termes inspirés de la division toute cicéronienne des états de cause35, l’objectif que Prosper entend poursuivre dans son traité. La présence d’un texte facilite donc doublement la tâche du polémiste comme de son lecteur : elle dispense de la recherche initiale de l’existence ou de l’inexistence d’une cause (la coniectura), en même temps qu’elle transmet sans détours un contenu brut qui reste à analyser pour en extraire la substance (la definitio)36. La prééminence de l’écrit pour la question qui l’occupe vient avant tout du fait que l’idée, devenue texte, puis même œuvre, se voit dotée d’un caractère stable, durable, et même définitif, qui faisait défaut à tous les stades précédents et qui justifie la préférence qu’on lui reconnaît. Plus encore que des propos rapportés ou échappés, le texte est le gage assuré d’un investissement, d’une responsabilité supplémentaire.

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C. coll., 2, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 8). Pour une étude générale de la rhétorique des états de cause, on se reportera à la synthèse de L. CALBOLI MONTEFUSCO, La dottrina degli « status » nella retorica greca e romana, Olms-Weidmann, Hildesheim – Zürich 1986 ; voir aussi, à travers le prisme des Progymnasmata d’Hermogène, M. PATILLON, « Introduction », in Hermogène, L’art rhétorique. Exercices préparatoires, états de cause, invention, catégories stylistiques, méthode de l’habileté, trad., introd. et notes par M. PATILLON, L’Âge d’homme, [Lausanne] – [Paris] 1997 (Idea. Le discours fondateur de la théorie esthétique), pp. 56-75. La filiation davantage cicéronienne est marquée dans le Contra collatorem par une distinction que souligne bien l’emploi des termes interrogatifs (« an sint » et « quid doceant ») préconisés par Cicéron, Partitiones oratoriae, 62 : « Rursus superioris genera sunt tria, sit necne sit et quid sit et quale sit » (éd. H. BORNECQUE, CUF, 23, Paris 19602, p. 25) ; cf. aussi De oratore, 3, 112-113 (éd. H. BORNECQUE – E. COURBAUD, CUF, 64, Paris 1961, p. 44). 36 Il est à noter que Prosper omet la dernière question de la triade (la consecutio), qui consiste à s’interroger sur la nature de l’objet (« quale sit »). Si elle n’est pas ici explicitement posée, cette dernière apparaît cependant à mainte reprise dans le traité, étant son propos principal : il s’agit pour l’auteur de convaincre le lecteur que, considérées en elles-mêmes ou par comparaison avec d’autres, les positions de Cassien ne peuvent que se distinguer par leur nature profondément hétérodoxe. 35

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Ce que publier veut dire (notes de terminologie éditoriale) Si le choix de Prosper s’est porté sur l’une des Collationes de Cassien, c’est donc pour la raison que l’on ne peut douter, comme il l’écrit, que la théorie du moine marseillais est ce qu’elle est, puisque — et c’est l’argument clé, qui doit retenir notre attention — elle a non seulement été mise par écrit, mais, qui plus est, publiée, diffusée, et ce par l’auteur lui-même ; c’est-à-dire que rien ne s’est fait à son insu. Tous les termes du travail rédactionnel et éditorial sont ici rassemblés pour souligner le caractère délibéré de la publication : « Scriptae enim sunt et auctoris sui editione purgatae37. » À la fin de l’ouvrage, on retrouvera, exprimée en une gradation triadique, la même idée d’une hiérarchie au sein des différents modes d’expression d’un même discours : « His itaque definitionibus hoc docetur, hoc scribitur, hoc editis disputationibus praedicatur38. » C’est qu’en couchant par écrit le fruit de ses réflexions, et surtout en mettant celui-ci à la disposition d’un public de lecteurs, Cassien a de toute évidence franchi un pas décisif. Pour en faire état, Prosper renvoie à des procédés matériels de l’édition, en empruntant un vocabulaire spécifique dont il a soin de respecter la signification précise. Les techniques de l’édition dans l’Antiquité, et spécialement dans sa période la plus tardive, ont été mainte fois étudiées39 ; le 37

C. coll., 2, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 8). C. coll., 20 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 78). 39 Concernant la technique même de l’édition, les quelques colonnes de H. LECLERCQ, « Livre », Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. 9/2, Letouzey et Ané, Paris 1930, coll. 1754-1772 (surtout, pour la période chrétienne, coll. 1769-1771), quelque peu datées, sont à compléter, notamment, par les pages de J. de GHELLINCK, Patristique et Moyen Âge. Études d’histoire littéraire et doctrinale, t. 2 : Introduction et compléments à l’étude de la patristique, J. Duculot – Éd. universelle – Desclée de Brouwer, Gembloux – Bruxelles – Paris 1947 (Museum Lessianum. Section historique, 7), à savoir, dans l’étude II « Diffusion et transmission des écrits patristiques », le chap. 1 : « Transcription et diffusion immédiates », pp. 183-245, dont H.-I. MARROU a longuement rendu compte dans le « Bulletin critique » de la Revue du Moyen Âge latin, 3/4 (1947) [377]-387 (et pour la question de la transmission des textes, plus spécialement pp. 382-385) : celui-ci reproche au premier une distinction entre « édition en librairie » et « transcription privée », inopérante et dont les limites ne peuvent être clairement définies sans une enquête plus poussée (pp. 383-384). Ce compte rendu ayant suscité un article de G. BARDY, « Copies et éditions au Ve siècle », Revue des sciences religieuses, 38

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vocabulaire qui s’y rapporte n’est lui-même pas moins connu40. Pourtant le témoignage de Prosper n’est pas sans intérêt pour qui cherche à restituer, à partir d’une étude lexicologique, la réalité de la production livresque et la conception qui pouvait être celle des hommes de l’Antiquité tardive de l’objet livre et du statut intellectuel qui lui était associé. Les principaux termes rassemblés dans le passage déjà cité en donnent une illustration suffisante : — Liber. On aurait tort d’arguer de l’emploi d’un terme si banal pour prouver que Prosper n’a pas eu connaissance de l’ensemble des Collationes41. Le mot sert à l’auteur à désigner rien moins qu’une unité de compte textuel, conformément à l’usage le plus répandu à son époque42. Même si cette division est peu commune, s’agissant de 23/1-2 (1949) [38]-52, H.-I. MARROU, « La technique de l’édition à l’époque patristique », Vigiliae Christianae, 3/4 (1949) 208-224, reprenant les principaux éléments de la question, s’est intéressé surtout à l’équivalent de la phase industrielle et commerciale de l’édition ; voir encore, reprenant les termes de cette dernière contribution, celle de H.L.M. VAN DER VALK, « On the Edition of Books in Antiquity », Vigiliae Christianae, 11/1 (1957) 1-10, P. BOURGAIN, « La naissance officielle de l’œuvre : l’expression métaphorique de la mise en jour », in O. WEIJERS (éd.), Vocabulaire du livre et de l’écriture au moyen âge. Actes de la table ronde (Paris 24-26 septembre 1987), Brepols, Turnhout 1989 (CIVICIMA. Études sur le vocabulaire intellectuel du Moyen Âge, 2), pp. [195]-205, et tout récemment H.Y. GAMBLE, Livres et lecteurs aux premiers temps du christianisme. Usage et production des textes chrétiens antiques, trad. P. RENAUD-GROSBRAS, Labor et fides, Genève 2012 (Christianismes antiques), en particulier le chap. III « Publication et diffusion de la première littérature chrétienne », pp. [124]-203. 40 Outre les références données dans la note précédente, se reporter aux études circonscrites à Augustin et à son époque par L. HOLTZ, « Les mots latins désignant le livre au temps d’Augustin », in A. BLANCHARD (éd.), Les débuts du codex. Actes de la journée d’étude organisée à Paris les 3 et 4 juillet 1985, Brepols, Turnhout 1989 (Bibliologia. Elementa ad librorum studia pertinentia, 9), pp. 105-113, et P. PETITMENGIN, « Codex », Augustinus-Lexikon, t. 1, coll. 1022-1037 [col. 1023]). On possède, pour la terminologie libraire plus tardive, l’utile ouvrage de S. RIZZO, Il lessico filologico degli Umanisti, Edizioni di storia e letteratura, Roma 19842 (Sussidi eruditi, 26). 41 C’est ce que pense pourtant VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 853 : « Saint Prosper, désignant l’ouvrage qu’il réfute, l’appelle un livre ». 42 Et spécialement chez Augustin : voir H.-I. MARROU, Saint Augustin et la fin de la culture antique, E. de Boccard, Paris 19584, p. 672 ; voir aussi HOLTZ, « Les mots latins », en particulier p. 108, et W. HÜBNER, « Liber (libellus) », AugustinusLexikon, t. 3, Schwabe & Co. AG, Basel 2004-2010, coll. 954-960 (col. 958).

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l’ouvrage de Cassien — le titre rhématique de « Collationes » inviterait à privilégier comme unité la collatio —, le fait que le mot liber est associé à un titre (praenotatio43), qui lui confère ainsi son unité et sa cohérence, peut tout aussi bien faciliter l’identification, en exemptant d’office le reste de l’œuvre de tout soupçon. — Editio. Ce terme, qui ne désigne littéralement que le fait de « faire sortir », de « mettre au jour », n’implique pas nécessairement la notion de grand nombre44. On peut cependant penser que, dans le cas des Collationes, la diffusion a dû être large, et que ce facteur a dû renforcer, dans l’esprit de Prosper, la nécessité d’une riposte. En l’occurrence, la valeur intrinsèque du processus d’édition est surtout une valeur d’authentification : la diffusion de textes pouvant, on l’a vu, emprunter des voies frauduleuses, il est de la dernière importance que le lecteur puisse être averti du caractère intentionnel de la mise en circulation de la Collatio XIII et, donc, de son statut Sur la différence des emplois de liber et de uolumen chez Prosper, voir aussi la « bibliographie augustinienne » donnée par Prosper en c. coll., 21, 3 : « tres libri », « distinctim edita uolumina », « sex libri priores », « libri quatuor » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 82-83). 43 Le « titre » peut tout à fait ne concerner qu’une partie d’une œuvre (voir encore VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 853). On ne rencontre, semble-t-il, le substantif praenotatio avant cette occurrence du Contra collatorem que, précisément, à propos des Definitiones de Célestius en De perfectione iustitiae hominis, 1, 1 : « Quae praenotatio credo quod non illius, sed eorum sit, qui hoc attulerunt de Sicilia » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, p. [3] ; voir Thesaurus linguae Latinae, t. 10/2, W. De Gruyter, Berlin – New York 1980-2009, s.v., col. 735), où le nom reprend directement le verbe praenotare, employé quelques mots plus haut. C’est un strict équivalent de titulus, qui se trouve aussi concurremment en c. coll., 21, 3 : « librorum pro quibus actum est non expressus est titulus » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 82) ; cf., toujours pour Prosper, Expositio psalmorum, 119, [0] : « praenotatio tituli » ; éd. P. CALLENS, CCSL, 68A, Turnholti 1972, p. 124) ; cf. aussi, dans le même sens, Isidore de Séville, De uiris illustribus, 6 : « Legimus […] librum alium, cuius praenotatio est […] » (éd. in C. CODOÑER MERINO, El « De viris illustribus » de Isidoro de Sevilla. Estudio y edición critica, Consejo superior de investigaciones científicas, Salamanca 1964 [Theses et studia philologica Salmanticensia, 12], p. 137). 44 MARROU, « La technique de l’édition », p. 211, n. 8, rappelle l’exemple d’un texte antidonatiste qu’Augustin dit avoir « édité » en un exemplaire unique sur les murs de l’église (Retractationes, 2, 27 : « edidi […] in parietibus basilicae » ; éd. MUTZENBECHER, CCSL, 57, p. 112) ; voir aussi W. HÜBNER, « Emendatio, editio », Augustinus-Lexikon, t. 2, coll. 797-801.

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d’œuvre revendiquée. En « éditant », en effet, on « autorise » — en l’espèce, en y apposant son nom — la lecture et la copie d’un exemplar jugé conforme à l’original45. Telle est bien la conception qui semble aussi poindre dans les passages où Prosper fait référence à cette opération d’édition46, et en tire argument pour mettre en évidence la responsabilité de Cassien, responsabilité encore accrue par la précision suivante. — Purgare. Ce verbe nous donne plus de prise, à la fois pour se représenter les techniques éditoriales et pour appréhender les raisons de l’indignation de Prosper. Là où le verbe publicare n’aurait rien apporté que de tautologique47, purgare fait référence à l’action très concrète d’un « nettoyage » qui, dans son sens le plus classique, mêle les notions d’assainissement (presque médical) et de justification48. Une acception plus rare fait entrer le verbe dans le domaine littéraire et l’associe à la technique de l’emendatio, que ce soit pour signifier une simple correction des fautes ou, même, jusqu’à une rétractation49. C’est de toute évidence cette dernière signification — de « toilettage », de « mise au net » — qu’il faut donner au terme dans ce passage de 45

C’est d’ailleurs la définition que donne de l’édition dans l’Antiquité tardive MARROU, « La technique de l’édition », p. 221, à partir de l’exemple d’Augustin : « Pour lui [Augustin], — pour ses contemporains (car rien ne s’oppose à cette généralisation), — “éditer”, publier un livre consistait simplement, une fois la décision prise, à fixer définitivement la teneur du texte, à en exécuter ou en faire exécuter une copie soignée et à mettre en circulation cet exemplar-archétype en en autorisant la lecture et la copie. » 46 Cf. c. coll., 2, 1 et 20 (cités supra, pp. 84 et n. 4, et 96, nn. 37-38). 47 Il faut signaler, en cet endroit, un problème d’ecdotique. Depuis l’édition de 1711, on trouvait après les mots « auctore sui editione » un très plat « publicatae », qui ne peut être qu’une correction que Le Brun Desmarettes aura apportée au texte, au mépris du témoignage de l’ensemble des manuscrits (voir DELMULLE, « Introduction », chap. 2), sans doute mal à l’aise avec un participe pourtant bien plus intéressant pour ce qui nous occupe. 48 Voir Thesaurus linguae Latinae, t. 10/2, s.v., coll. 2681-2693. 49 Dans l’œuvre d’Augustin, en tout cas, chez qui le terme conserve en même temps, semble-t-il, sa connotation morale : voir HÜBNER, « Emendatio, editio », col. 801 (l’article « Purgatio », annoncé ibid. n’a pas encore paru). Voir aussi, plus généralement, la définition d’emendare donnée par H. GOELZER, Étude lexicographique et grammaticale de la latinité de saint Jérôme, Hachette et Cie, Paris 1884, p. 276, et P.E. ARNS, La technique du livre d’après saint Jérôme, E. de Boccard, Paris 1953, p. 70.

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Prosper. On remarquera enfin que, déjà à l’époque de Prosper, le verbe est doté d’une autre signification, fort proche de la précédente, et que la purgatio ne consiste plus seulement dans la recherche d’un vocabulaire châtié ou d’un style léché, mais s’exerce sur le contenu même du texte afin de corriger des erreurs que ce dernier pourrait contenir50. Une édition, sous-entend ainsi Prosper, qui se fait du vivant de l’auteur et avec son consentement, ne peut manquer d’avoir été revue par lui. Si donc Cassien a pu avoir entre les mains — et il en a eu le temps et le loisir — comme les « épreuves » du texte qu’il allait livrer au public, il aura eu l’occasion d’apporter toutes les corrections qui lui semblaient utiles ; il ne saurait donc se défausser sur qui que ce soit des aspects contestables que l’on pourrait rencontrer dans son livre. — Auctor. La mention, enfin, de l’existence d’un auctor dit bien suffisamment le lien qui unit désormais, suivant Prosper, l’écrit et l’écrivain. Déjà doublement responsable de la lettre du texte, qu’il a commis, puis revu et corrigé, c’est encore lui qui a pris en charge sa diffusion (« auctoris sui »). Contrairement à d’autres cas connus où une œuvre, échappée des mains de son auteur, a été publiée par des tiers51, le fait que Cassien a cherché, de façon délibérée, à donner à sa production une certaine diffusion, ne serait-ce qu’auprès de

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Cf., par exemple, Rufin d’Aquilée, De adulteratione librorum Origenis, 7 (« magis ornare uolui disputationem ipsam atque purgare » ; éd. M. SIMONETTI, CCSL, 20, Turnholti 1961, p. 12), qui emploie ce mot pour désigner l’action de corriger un endroit où il y avait une erreur. C’est le même terme qu’utilisera plus tard Cassiodore à propos de l’hérésie, et précisément de l’hérésie pélagienne (Institutiones, 1, 8, 1 : « ut procul a vobis fieret error hereticus, primam epistulam ad Romanos qua potui curiositate purgavi, reliquas in chartacio codice conscriptas vobis emendandas reliqui » ; éd. MYNORS, SCBO, p. 28), mais surtout également pour évoquer la récriture de la Collatio XIII de Cassien par l’évêque africain Victor de Mattarita (Institutiones, 1, 29, 2 : « cuius dicta Victor Mattaritanus, episcopus Afer, ita Domino iuvante purgavit » ; ibid., p. 74). 51 Que l’on pense, par exemple, à ce que raconte Augustin de la diffusion de ses notes sur Job, dont il reconnaît les avoir écrites, mais nie approuver l’initiative de ceux qui les ont rassemblées et publiées ; cf. Augustin, Retractationes, 2, 13 (éd. MUTZENBECHER, CCSL, 57, pp. 99-100). Sur la mise en circulation d’ouvrages sans l’autorisation de leur auteur à l’époque des Pères, voir Fr. DOLBEAU, « Brouillons et textes inachevés parmi les œuvres d’Augustin », Sacris erudiri, 45 (2006) [191]-221 (pp. 198-208).

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ses dédicataires et de leur entourage52, est un aveu suffisant de son intention et vaut authentification. En cas de litige — comme c’est le cas au cours de la lecture de Prosper —, nul autre que lui ne doit répondre du contenu du livre. À travers les différents termes savamment choisis et ramassés par Prosper en une brève proposition, on retrouve chacune des étapes du processus de la production éditoriale : la rédaction (« scriptae »), la relecture / émendation (« purgatae ») et la publication (« editione ») par l’auteur lui-même (« auctoris sui »). Ce dernier, dont l’activité est attestée tout au long de la progression, ne peut donc nier la paternité et, partant, la responsabilité des propos de la Collatio. Cassien et Chérémon : la question de l’auctorialité Pourtant, Prosper ne se contente pas de cette première garantie. Pour prévenir vraiment toute tentative de dédouanement de la part de son adversaire, il ajoute quelques lignes de présentation du liber, qui sont pour lui l’occasion d’éclaircir plusieurs problèmes d’énonciaton susceptibles, de fait, de ruiner la suite de son argumentation. C’est un fait que le lecteur des Collationes est confronté à un problème de taille qui ressortit à l’appartenance générique du recueil et dont dépend le statut qu’il faut attribuer aux idées qui y sont développées. Comme l’indique brièvement Prosper, sans bien sûr le formuler aussi clairement, dans les Collationes, composées sous forme de dialogues, Cassien apparaît en effet, mais en tant qu’interlocuteur seulement, et qu’interlocuteur très discret ; le discours moral et doctrinal y est entièrement le fait des différents Pères du Désert que Cassien et Germain interrogent lors de leur périple53. Par conséquent, l’ensemble 52

Le rappel explicite que le texte a été publié par l’auteur lui-même pourrait suggérer que Prosper a connaissance de l’existence d’une préface dédicatoire (seul lieu où le caractère délibéré de la diffusion peut être clairement exprimé). Ce serait un argument de plus pour invalider l’hypothèse que la Collatio XIII serait arrivée dans les mains de Prosper comme un texte isolé ; voir là-dessus le chap. 2, p. 59. 53 Bien que ce soit là le but littéraire de Cassien, la critique n’a pas hésité, bien sûr, à ne voir dans la présence des Pères de Scété qu’un truchement permettant à Cassien de définir sa propre doctrine : voir notamment GUY, « Jean Cassien, historien ? », p. 372,

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des déclarations contenues dans la Collatio XIII sont en réalité mises dans la bouche de l’abbé Chérémon. C’est lui qui, au premier chef, mérite l’appellatif de collator. Le titre de Prosper pourrait alors être lu dans la richesse de son ambivalence, lui qui désigne à la fois l’auteur des Collationes et le locuteur de la collatio particulière qui est celle de Chérémon « de protectione Dei ». La réputation de l’anachorète de Scété, modèle de sainteté, de prière et même d’austérité, quoiqu’il fût centenaire54, devait procurer en effet à Cassien la plus grande sécurité. Et il eût été difficile pour Prosper d’attaquer, sur la foi de si peu de preuves, la doctrine supposée d’un saint largement reconnu. Aussi ne se prononce-t-il pas sur l’orthodoxie de Chérémon, préférant concentrer toute son attention sur le rapporteur de ses propos, Cassien : « Notre préoccupation n’est plus cet homme-ci [Chérémon], qui pourrait réfuter de telles opinions qui sont les siennes en les niant ou les délayer en les corrigeant, mais celui-là [Cassien] […]55. »

En opérant ce distinguo, Prosper fait montre d’une réelle acuité et d’un scepticisme de bon aloi. Si, par la force des choses, il n’est pas en mesure de supposer une éventuelle fictionnalité des Collationes, du moins n’est-il pas indifférent à une autre question qu’on a posée au recueil : celle de son degré de fidélité et de véracité56. pour qui les anachorètes sont comme les « lettres de recommandation » de Cassien, et A. de VOGÜÉ, « Pour comprendre Cassien. Un survol des Conférences », Collectanea Cisterciensia, 39/1 (1977) [250]-272 (pp. 252-253), qui ne voit dans les Collationes que « le développement organique d’un enseignement continu, élaboré par une seule tête ». 54 Cassien brosse le portrait de Chérémon au début de sa première conférence : cf. Jean Cassien, coll. 11, 4 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 316-317) ; voir aussi les pages consacrées à « The Thirteenth Conference: Portrait of an Abbot », par Ph. ROUSSEAU, Ascetics, Authority, and the Church in the Age of Jerome and Cassian, University of Notre Dame Press, Notre Dame 20102 (1ère éd. : Oxford 1978), pp. 231-235. 55 C. coll., 2, 1 : « Iam non cum illo nobis sit negotium qui forte tales opiniones suas aut negando refutaret aut corrigendo dilueret, sed cum isto […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 8). 56 La question s’est trouvée souvent posée de l’historicité des Collationes et de leur valeur en tant que « témoignage oculaire » : voir la position équilibrée de

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Qu’on lise ou non les Collationes comme un « reportage » sur la vie érémitique dans la Thébaïde57, il n’en reste pas moins que les multiples filtres qui peuvent s’interposer entre la pensée et les propos de Chérémon et leur reproduction, voire leur reformulation, par Cassien doivent appeler le lecteur à la plus grande vigilance. Prosper suggère même — par le choix du verbe dans « uir quidam sacerdotalis […] abbatem quendam introducit » — qu’une certaine intention personnelle pourrait se faire jour derrière l’objectivité apparente et l’effacement du simple reporter. Feignant d’accepter le pacte d’écriture proposé par son adversaire, Prosper se limite à souligner que, quand bien même les propos ne lui seraient pas assignables, Cassien « montre » qu’il leur a donné son assentiment58. Car choisir de rapporter les propos néfastes d’autrui, c’est leur donner une publicité indue et donc se rendre à tout le moins complice de l’auteur des propos eux-mêmes59. À supposer, donc, que la doctrine contenue dans la Collatio XIII soit celle de Chérémon et non celle de Cassien, ce dernier demeurera de toute façon responsable — et c’est ce en quoi réside son forfait le plus grave — non pas tant d’avoir partagé des idées condamnables que d’avoir voulu en faire un instrumentum60. Ce qui J.-Cl. GUY, « Jean Cassien, historien du monachisme égyptien ? », in F.L. CROSS (éd.), Studia Patristica, vol. 8 : Papers presented to the Fourth International Conference on Patristic Studies held at Christ Church, Oxford, 1963, Part II : Patres Apostolici, Historica, Liturgica, Ascetica et Monastica, Akademie-Verlag, Berlin 1976 (TU, 93), Berlin 1966, pp. [363]-372, pourtant remise en cause par STEWART, Cassian the Monk, pp. 6-8 et n. 49. 57 Poussant l’analyse de GUY, Jean Cassien, p. 29, qui situe les Collationes au carrefour des genres du récit de voyage et de l’entretien spirituel, WEISS, « Jean Cassien et le monachisme », p. 181, propose même, quant à lui, de traduire « Collationes » par « interviews » (p. 181) ; voir le chap. 1, pp. 28-31. 58 C. coll., 2, 1 : « se per omnia probasse ac suscepisse ostendit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 8). 59 À cet égard, Cassien se retrouve dans la même situation qu’un traducteur qui aurait le tort de vouloir diffuser des propos hérétiques sans chercher à les corriger. Mais l’inverse poserait tout autant problème : on connaît la question grâce à Jérôme, qui souligne que, même en apportant dans la traduction toutes les corrections doctrinales requises, le traducteur ne pourrait empêcher que le texte original continue d’être rejeté comme étant hérétique ; voir là-dessus ARNS, La technique du livre, pp. 182-183. 60 C. coll., 2, 1 : « isto qui ad instrumentum inimicorum gratiae Dei talem studuit proferre doctrinam » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 8).

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aurait pu ne pas quitter la solitude égyptienne de Chérémon a été mis, par la faute de Cassien, entre les mains et dans les bouches d’une grande foule. En ce sens, c’est bien en Cassien qu’il faut voir l’auctor — l’« auteur » au sens de fauteur, et qui doit répondre de ses actes. Par cette dernière précaution liminaire, Prosper renverse le topos de l’auteur revendiquant son œuvre61 : dans le cas de la Collatio qui nous intéresse, c’est le texte lui-même qui s’affirme indissociable de son auteur et qui parle pour lui.

3. « Definitiones […] reseremus » : le choix des passages C’est donc à cet ouvrage qui présentait à ses yeux autant d’avantages et de garanties que Prosper a décidé de s’attaquer. Et encore ne se livre-t-il pas à un examen exhaustif. Il sélectionne, au sein de l’œuvre, un certain nombre de passages qui lui paraissent constituer ce qu’il appelle des definitiones, prétendant pouvoir à partir d’eux résumer la doctrine de leur auteur, et donc des opposants dans leur globalité. On s’intéressera plus loin au mode de sélection choisi par l’auteur et au contenu proprement dit de chacune de ces definitiones62. Ce qui importe, dans un premier temps, est de comprendre la signification que revêt, dans l’esprit de Prosper, ce terme assez délicat à traduire et la finalité que l’auteur entend donner au recensement qu’il en fait. Un précédent : les definitiones Caelestii Il faut, pour cela, replacer l’entreprise de Prosper dans le contexte plus large de la littérature polémique, et spécialement antipélagienne, en essayant d’établir des rapprochements avec de semblables pratiques dans des œuvres contemporaines.

61 Sur ce topos, voir les développements de M. MÜLKE, Der Autor und sein Text : Die Verfälschung des Originals im Urteil antiker Autoren, W. De Gruyter, Berlin – New York 2008 (Untersuchungen zur antiken Literatur und Geschichte, 93), spécialement : « Der Anspruch individueller Autorschaft », pp. 63-73. 62 Voir infra, pp. 113-116.

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C’est — comme on peut s’y attendre — Augustin qui offre le point de comparaison le plus riche de signification et le plus à même de faire apparaître sous sa vraie lumière le projet sous-jacent de Prosper. L’évêque d’Hippone emploie, de fait, le terme de definitio à de multiples reprises lorsqu’il s’adresse à ses adversaires63. Surtout, c’est sous le titre de Definitiones Caelestii qu’en 414-415 est parvenu à Hippone un petit dossier (chartula), reçu des évêques Eutrope et Paul et contenant des observations que l’on attribuait au disciple de Pélage64. S’il est possible qu’Augustin ait eu connaissance du dossier quelques années plus tôt65, en tout cas il n’y a pas répondu sous une forme développée avant la publication de son De perfectione iustitiae hominis vers 41566. À vrai dire, le terme de definitiones n’est remployé que par commodité par Augustin, qui doute même de son authenticité ; il semblerait qu’il s’agisse plutôt d’un titre donné a posteriori au dossier par des intermédiaires67. Seul leur contenu importe, qui trahit en tout point la doctrine de Célestius ou de ses partisans. 63

Voir infra, p. 107, n. 72. Comme le signale Augustin dès la première phrase de sa riposte : Augustin, De perfectione iustitiae hominis, 1, 1 : « Caritas uestra […] petiuit ut definitionibus quae dicuntur Caelestii esse respondeam » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, p. [3]). 65 Il se pourrait, en effet, qu’Augustin ait envoyé le De perfectione iustitiae hominis à Marcellin en même temps que le De peccatorum meritis et remissione et de baptismo paruulorum (cf. De spiritu et littera, 1, 1) : voir P.-M. HOMBERT, Gloria gratiae. Se glorifier en Dieu, principe et fin de la théologie augustinienne de la grâce, Institut d’études augustiniennes, Paris 1996 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 158), pp. 163-164, n. 22, et G. BONNER, « “Perfection sur la justice de l’homme (Sur la)” (De perfectione justitiae hominis) », trad. P. MATTEI, in FITZGERALD – VANNIER (dir.), Saint Augustin, la Méditerranée, pp. 1122-1123 (p. 1123). 66 Mentionné par Possidius (Indiculus, 7, 4), le De perfectione iustitiae hominis n’apparaît pas dans les Retractationes. L’absence de toute allusion à cet opuscule dans l’epist. 169 tendrait à en dater la composition après la fin de 415 ; voir, pour les tentatives de datation sur la base de l’epist. 169, A.-M. LA BONNARDIÈRE, Recherches de chronologie augustinienne, Institut d’études augustiniennes, Paris 1965 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 23), p. 42. 67 Augustin, De perfectione iustitiae humanae, 1, 1 : « Definitiones, ut dicitur, Caelestii, quae praenotatio credo quod non illius, sed eorum sit, qui hoc attulerunt de Sicilia » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, p. [3]). Il n’est pas clair s’il faut l’attribuer aux correspondants d’Augustin, Paul et Eutrope, qui lui ont fait parvenir le dossier, ou si c’est le titre sous lequel des partisans de Célestius le faisaient déjà circuler en Sicile. 64

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Par leur forme même, les definitiones sont un outil pratique pour le polémiste chargé d’opposer sa démonstration à ses contradicteurs — tant et si bien que, comme le fera Prosper dans le Contra collatorem, Augustin organise la structure de son opuscule sur la base des definitiones de sa source. Celles-ci semblent pouvoir être rassemblées en deux parties successives : seize questions, suivies d’une longue série de testimonia tirés de la Bible en faveur des positions de Pélage. Aux seize definitiones proprement dites, qui commencent toutes invariablement par la formulation d’une interrogation (« interrogandus est », puis « iterum quaerendum est ») et qu’il reproduit dans leur intégralité, Augustin adjoint une réplique aussi brève que possible, d’une façon tout aussi formulaire, la faisant commencer par « respondetur68 ». Organisant son traité en deux temps, pour suivre les deux pans de l’argumentation de Célestius telle qu’elle peut se laisser reconstruire, il conclut son examen minutieux des positions adverses par un résumé de la doctrine à tenir et, in fine, une menace d’anathème pour quiconque ne s’y conformerait pas69. L’examen détaillé de la structure du Contra collatorem permettra de constater bien des similitudes entre ce traité et celui d’Augustin, dont la concision et le caractère péremptoire auront peut-être convaincu Prosper de l’efficacité que produirait l’utilisation d’une forme semblable. La signification de definitio En latin, le terme de definitio est très polysémique70. Pour Augustin, qui désigne ainsi les questions de Célestius contenues dans la chartula 68 Observer la structure interne des seize chapitres concernés (De perfectione iustitiae hominis, 2, 1 – 8, 17 ; BA, 21, Paris 1966, pp. 128-153). Sur la méthode d’Augustin utilisée dans ce traité, voir G. de PLINVAL, « Introduction [au De perfectione iustitiae hominis] », in PLINVAL – LA TULLAYE, La crise pélagienne I, pp. 115-125 (pp. 115-116). 69 Il suffit de lire les premiers mots de De perfectione iustitiae hominis, 21, 44 : « Quisquis ergo fuisse uel esse in hac uita aliquem hominem uel aliquos homines putat […] contrarius est diuinae Scripturae […] » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, p. 46), et les mots finals, qui closent aussi le traité, en 21, 44 : « Sed plane quisquis negat nos orare debere, ne intremus in temptationem […], ab auribus omnium remouendum et ore omnium anathemandum esse non dubito » (ibid., p. 48). 70 Voir Thesaurus linguae Latinae, t. 5/1, In aedibus B. G. Teubneri, Lipsiae 1909-1934, s.v., coll. 350-356.

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qu’on lui a communiquée, le nom de definitio semble n’être qu’un pisaller, puisqu’il se croit obligé, pour l’expliciter — et le déconsidérer — de le gloser ensuite : « Istae breues definitiones uel potius ratiocinationes71 ». Ailleurs, il lui arrive fréquemment de l’employer, et dans une acception tout à fait semblable à celle que présente le Contra collatorem72. La signification précise qu’il faut accorder à ce terme chez Prosper peut donc se déduire plus sûrement à la fois du contexte immédiat dans lequel le nom apparaît et des autres substantifs auxquels celui-ci est associé. De cet examen, il appert qu’il serait erroné de traduire definitio par « définition73 », aucun des passages retenus ne donnant de la grâce ou de la volonté humaine la moindre caractérisation à valeur généralisante. Le fait qu’on la trouve qualifiée de « regularis » en c. coll., 3, 274 et qu’elle peut être remplacée par un synonyme comme « sententia75 », montre qu’il est préférable de la rapprocher de l’acception, déjà classique, d’« opinion », de « position » arrêtée sur un sujet donné 76. De même, il n’est pas anodin de retrouver ce même terme de definitio employé par Prosper dans plusieurs passages traitant des hérétiques pélagiens. Ainsi, en c. coll., 9, 1, il est utilisé en association avec la sanction de l’anathème77 ; dans d’autres œuvres, il a pour correspondant direct « professio78 ». La signification la plus probable de ce terme serait alors 71 Augustin, De perfectione iustitiae, 1, 1 (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, p. [3]), traduit par « argumentations » (trad. LA TULLAYE, BA, 21, p. 127). 72 À titre d’exemple, on en compte trente-sept occurrences dans le seul Contra Academicos et jusqu’à plus de cent-trente dans ses deux Contra Iulianum. 73 Ce que font les traducteurs des Œuvres complètes de saint Augustin évêque d’Hippone, trad. PÉRONNE – ÉCALLE – VINCENT – CHARPENTIER – BARREAU, t. 32, L. Vivès, Paris 1873 (voir, par exemple, pp. 736, 741, 751, 763, etc.). 74 C. coll., 3, 2 : « Et ubi est quod regulari definitione praemissum est : […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 14). 75 Cf., en c. coll., 8, 3, après la citation de la première definitio : « In qua sententia si auctor ipsius permaneret » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 29). 76 C’est, du reste, l’usage précis qu’en fait déjà Jean Cassien, coll. 2, 5, 2 ; 6, 9, 1 ; 7, 12, 1, etc. ; voir en ce sens l’acception n° 3 (« de eis quae argumentando vel docendo statuuntur ») recensée dans le Thesaurus linguae Latinae, t. 5/1, s.v., col. 351 (qui mentionne également Cassien et Prosper), et que Prudentius De Letter rend justement par « statement » (trad. DE LETTER, ACW, 32, p. 72, pour la première occurrence). 77 C. coll., 9, 1 : « Quae definitio in episcoporum Palaestinae synodo etiam Pelagio anathematizante damnata est » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 30). 78 Epist. 2, 3 : « Haec enim ipsorum definitio ac professio est — Voici les théories qu’ils professent » (trad. J. CHÉNÉ, BA, 24, pp. 394-395) ; cf. aussi resp. ad Gall.,

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l’expression d’une doctrine, une « position de foi » ou, plus simplement encore, une « proposition », au sens où l’entend la justice ecclésiastique79. D’Augustin à Prosper, le terme appliqué à des citations expresses s’est donc enrichi d’un léger apport sémantique. Mais il faut remarquer surtout que, contrairement à l’Augustin du De perfectione iustitiae hominis, dans le Contra collatorem c’est Prosper qui, en plus d’avoir sélectionné personnellement ces extraits de Cassien, les érige en definitiones. Il crée ainsi de toutes pièces, à partir de morceaux choisis, une sorte de « manifeste du semipélagianisme » qui aura la vie longue80. Tandis que chez son maître, la pratique de la citation pouvait viser une plus grande clarté — faire apparaître le squelette de l’œuvre étudiée en la dépouillant de toute son ornementation rhétorique et stylistique pour se concentrer sur le développement des idées81 —, Prosper, qui sait les dangers que peut représenter la pratique de l’excerption, en connaît évidemment aussi tous les atouts82. praef. : « Singulis capitulis quae damnationis titulo praenotarunt, breui et absoluta professione respondeo ; in nullo recedens a tramite earum definitionum quae in sancti viri disputationibus continentur » (PL, 51, coll. 156A-157A). 79 Voir la définition du Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., t. 3, Librairie A. Fayard – Imprimerie nationale Éditions, Paris 2011, p. 519 : « Expression d’une pensée d’ordre théologique, faisant l’objet d’un jugement ecclésiastique qui statue sur son orthodoxie » [en ligne : http://atilf.atilf.fr/academie9.htm]. 80 C’est par ces mots, par exemple, que J.-A.-B. MORTREUIL, L’ancienne bibliothèque de l’abbaye Saint-Victor, Vve Marius Olive, Marseille [1854], p. 8, évoque la Collatio XIII de Cassien, mais l’attitude est celle de toute une partie de la bibliographie ; voir l’Introduction, pp. XVII-XXII, et VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 311-319. 81 C’est de cette façon que l’on conçoit, entre autres exemples, la méthode du De natura et gratia ; voir PLINVAL, « Introduction [au De natura et gratia] », pp. 225-226. 82 Voir la façon dont il met en garde ses correspondants pour la vision faussée que leurs excerpta donnent de la pensée d’Augustin, en resp. ad Gen., resp. 1-3 : « In his tribus capitulis, licet diuisa sint a disputationis corpore, et eo ipso obscuriora sint facta, quod et praecedentibus, et mediis, et subsequentibus non cohaerent » (PL, 51, col. 189B). Ce que l’on a eu tort de définir comme un « genre de l’extrait » est une pratique courante dans l’œuvre de Prosper, et souvent un moyen commode de s’assujetir la pensée d’autrui, y compris même dans le cas de florilèges ; voir J.T. LIENHARD, « The Earliest Florilegia of Augustine », Augustinian Studies, 8 (1977) 21-31, en particulier p. 21 : « To collect and publish excerpts from a man’s writings may be a way of honoring him ; but it is not always a way of doing him service » (voir aussi pp. 25 et 31).

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Le souci manifesté par l’auteur, au commencement de son ouvrage, d’éliminer d’entrée de jeu toutes les objections possibles, et surtout toute fin de non-recevoir, lui est l’occasion d’exposer, peut-être malgré lui, sa méthode polémique, sa conception de la controverse et de baliser le champ de sa critique qui va suivre immédiatement. Volonté de donner à son lecteur la garantie apparente de son intégrité, le choix du texte sélectionné pour examen doit constituer une preuve à la fois matérielle, fixe, durable, vérifiable, immodifiable, bref devenir l’équivalent d’une pièce à conviction, qu’il lui est possible à présent d’exploiter à sa guise.

II – LE « TRAVAIL DE LA CITATION » : « PARANOÏA » ET « HYPOCRISIE » ? Si l’existence d’un écrit signé et authentifié est pour Prosper un enjeu de poids, elle ne l’est pas moins pour l’historien des textes et des idées. Pour des raisons déjà mentionnées83, le texte de Cassien, pourtant attaqué dans l’œuf, n’a jamais cessé d’être copié, nous est parvenu par des voies indépendantes de celles du Contra collatorem et constitue donc l’un des rares cas où l’on dispose à la fois du texte mis en accusation et du texte de l’accusateur84. Par la confrontation directe qui est ainsi rendue possible, on est en mesure d’étudier à fond les procédés hérésiologiques appliqués par le polémiste sur le texte qu’il s’est donné comme objet. S’il faut, bien sûr, se garder d’en faire le paradigme de toute littérature de controverse, il n’en reste pas moins que l’étude croisée du Contra collatorem et de la Collatio XIII offre un terrain d’étude des plus fertiles qui permet non seulement d’appréhender 83

Voir l’Introduction, pp. [XIII]-XIV. Le cas de figure le plus fréquent est, en effet, celui où les écrits d’auteurs supposément hérétiques n’ont été conservés que fragmentairement, à travers les extraits qu’en ont reproduits leurs adversaires pour les réfuter : c’est ainsi, par exemple, que le Contra Faustum, les deux Contra Iulianum et le De nuptiis et concupiscentia d’Augustin, le Contra Fabianum de Fulgence de Ruspe ou encore l’In Cantica Canticorum de Bède le Vénérable ont préservé de la perte d’importants morceaux, respectivement, des Capitula du manichéen Fauste, de l’Ad Turbantium et de l’Ad Florum de Julien d’Éclane, d’un écrit polémique de l’arien Fabianus, et du De amore du même Julien d’Éclane. Le cas de l’Epistula ad Floram de Ptolémée n’est qu’en apparence différent : si le document nous est parvenu dans son intégralité, ce n’est que par l’intermédiaire du Panarion d’Épiphane de Salamine (Panarion, 33). 84

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avec précision les méthodes polémiques de Prosper, mais de se faire une idée de l’écart réel qu’il peut exister entre un texte brut et ce que veut bien en dire celui qui le considère comme hérétique : on peut ainsi mettre au jour le degré de fidélité du controversiste, tout comme l’immanquable déperdition qu’il faut déplorer lorsque le texte original ne nous est atteignable qu’à travers l’écran apposé par son adversaire85. La première étape de ce phénomène est observable dès la première lecture du traité de Prosper : la place matérielle qu’y occupe le texte source de Cassien est trop grande pour ne pas inviter à vérifier, dans chacun des cas, les rapports existant entre les deux textes et surtout les éventuelles altérations apportées par le polémiste pour les besoins de sa cause. Une analyse détaillée du « travail de la citation86 » tel que le pratique Prosper dans le Contra collatorem s’impose donc pour faire le départ entre ce qui ressortit à un exposé neutre des positions de l’adversaire et ce qui implique déjà une interprétation biaisée à des fins polémiques.

1. Que citer ? Le fait que l’on a conservé le texte original de la Collatio XIII nous donne le loisir de faire toutes les comparaisons nécessaires pour savoir de 85

C’est ce que reconnaissait PLINVAL, Pélage, p. 18, à propos de plusieurs textes de Pélage dont on ne connaît qu’un « reflet, peut-être partial et sûrement incomplet ». 86 Pour reprendre les mots du sous-titre de la désormais classique théorisation proposée par A. COMPAGNON, La seconde main ou Le travail de la citation, Éd. du Seuil, Paris 1979, dont les deux premières séquences (« La citation telle qu’en ellemême », pp. [13]-[45], et « Structures élémentaires », pp. [47]-[92]) ont été, pour la présente étude, particulièrement suggestives. Pour un bref panorama de l’usage spécifique de la citation dans l’Antiquité, dans ses rapports d’authentification de l’œuvre et dans ses fonctions poétique et pragmatique, voir, de préférence à la séquence III du même ouvrage (« La préhistoire de la citation », pp. [93]-[153]), les pages de C. DARBO-PESCHANSKI, « Introduction. Les citations grecques et romaines », in C. DARBO-PESCHANSKI (éd.), La citation dans l’Antiquité. Actes du colloque du PARSA (Lyon, ENS LSH, 6-8 novembre 2002), J. Millon, Grenoble 2004 (Horos), pp. [9]-21, et, concernant la littérature patristique, G. MADEC, « Les embarras de la citation », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie, 29 (1982) 361-372 [reprod. in ID., Petites études augustiniennes, Institut d’études augustiniennes, Paris 1994 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 142), pp. [307]-318].

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science certaine ce qui, dans le texte de départ, aura retenu l’attention de notre auteur, mais aussi et surtout ce qu’il aura volontairement laissé de côté. On est alors en mesure d’observer, pour ainsi dire, Prosper à l’œuvre dans son activité de lecteur autant que de rédacteur. Quelques statistiques préliminaires Il serait vain de vouloir comparer en taille deux « traités » — encore que le premier n’en soit un que d’après Prosper — comme la Collatio XIII et le Contra collatorem dont les enjeux et surtout les méthodes diffèrent, s’ils n’étaient liés, dans la pratique même de l’écriture, par un système d’inclusion, à l’évidence à la base de la riposte prospérienne. Si, en effet, le Contra collatorem est deux fois plus long que la Collatio XIII sur laquelle il s’appuie, c’est en partie pour la raison qu’il laisse à cette dernière une large place dans le corps même de son développement. Une explication ne saurait être plus parlante qu’un schéma qui permette de visualiser synthétiquement l’ampleur prise par la citation dans l’ouvrage de Prosper (voir la fig. 1, p. 113). Sur la fig. 1a sont marqués les passages de la Collatio XIII cités ou évoqués par Prosper dans son Contra collatorem87. Les citations exactes représentent 17, 28 % de l’ensemble du traité88 ; si l’on y ajoute les rares passages dans lesquels il ne s’agit que d’une allusion, cette proportion s’élève à 17, 65 %89. On ne peut que s’étonner de la part ainsi laissée à la parole de l’adversaire — pratique, cependant, maîtrisée avec art par Prosper dès son Peri akharistôn90. À titre de comparaison, les autres citations (non bibliques) introduites par Prosper dans son Contra collatorem, à savoir les sentences des papes, une phrase d’Ambroise et un extrait d’une lettre d’Augustin, représentent toutes ensemble à peine 3 % de la totalité91. Cela révèle, en tout cas, qu’avec plus 87

Ils sont matérialisés par un surlignage jaune. Soit exactement 2 651 mots sur les 15 340 que totalise le traité. 89 Pour la liste exhaustive des passages concernés, se reporter à l’« Index fontium », in Prosperi Aquitani Liber contra collatorem. 90 On a déjà pu remarquer que dans le Peri akharistôn, le discours de l’adversaire occupait même près d’un quart de l’œuvre, mais il est vrai que, la versification empêchant la reproduction à l’identique d’un discours direct, la marge de manœuvre du poète polémiste était plus large ; voir DELMULLE, « “Prosper, poeta et rhetor” », pp. 235-238, et ID., « Le Carmen de ingratis », p. 178 et n. 44. 91 C’est-à-dire 444 mots en tout. 88

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de 20 % de citations proprement dites, le Contra collatorem se signale par un haut degré d’intertextualité92. Le même calcul, réalisé cette fois sur l’œuvre-source, nous apprend que pas moins de 21 % de la Collatio XIII sont cités littéralement dans le Contra collatorem93. À ce nombre déjà significatif, il faut encore ajouter les passages qui, sans être intégralement ou exactement reproduits, n’en sont pas moins mentionnés ou résumés dans le corps du traité : ceux-là représentent environ 10 % du texte original94. L’ordre de grandeur que l’on peut avancer est donc encore plus important : Prosper utilise et examine directement un tiers environ de la Collatio XIII, dont il tire tous les éléments qu’il juge utiles à sa réfutation des thèses de Cassien. Parmi les passages retenus, il en est même qui sont cités à plusieurs reprises — et certains jusqu’à dix fois95 —, ce qui souligne assez l’enjeu polémique auquel répond la pratique de la citation sélective96. Prosper apparaît alors comme un lecteur extrêmement attentif, soucieux de prendre en considération le texte qu’il a entre les mains dans sa totalité ou presque, pour en rendre un compte le plus fidèle possible dans sa réponse. L’examen de l’usage qu’il en fait montrera qu’au contraire cette précaution n’est qu’une façade et que la citation est en réalité mise au service d’une polémique qui fait fi du respect de l’intentio auctoris97.

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Sur cet aspect, voir infra, pp. 137-144. Soit 1 506 mots sur 7 163. Il s’agit, dans le schéma de la page suivante, des passages coloriés en bleu : les trois niveaux de bleu correspondent à la fréquence de citation, le plus clair étant réservé aux phrases citées une seule fois, la nuance intermédiaire aux phrases citées deux fois et la plus foncée à celles citées trois fois ou plus. 94 Ce sont, cette fois, les passages figurant en vert dans le schéma ci-après. 95 Il s’agit de Jean Cassien, coll. 13, 3, 5 ; voir à ce sujet le chap. 4, pp. 173-175. 96 Voir le chap. 4, pp. 166-173. 97 Sur cet aspect, voir encore le chap. 4, en particulier pp. 171-173. 93

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)LJD‡&FROOSDVVDJHV FLWDQWOD&RQO;,,, Gratiam Dei, qua Christiani sumus, quidam dicere audent a sanctae memoriae Augustino episcopo non recte esse defensam, librosque eius contra errorem Pelagianum conditos immoderatis calumniis impetere non quiescunt. Quorum intus interstrepens domestica malignitas non minus spernenda esset quam foris latrans haeretica loquacitas, nisi, eiectis extra ouile Dominicum lupis, qui sub nomine ouium sunt suffragarentur essentque eiusmodi ut nec ordo eorum in Ecclesia nec ingenia despicienda uideantur. Siquidem habentes speciem pietatis in studio cuius uirtutem diffitentur in sensu, trahant ad se multos ineruditos et non habentia spiritum discretionis corda conturbent atque in eum statum deducere causam Ecclesiae moliantur ut, dum nostros affirmant non ueraciter pro gratia fuisse locutos, inimicos gratiae persuadeant iniuste esse damnatos. Non ergo negligendum est hoc malum quod ab occultis paruisque seminibus augetur quotidie et ab ortu suo latius longiusque distenditur, sed studendum est, in quantum Dominus adiuuat, ut fallacium calumniatorum hypocrisis detegatur qui ex ipsa iniuriae magnitudine, quam in uno cunctis ac praecipue apostolicae sedis pontificatui intulerunt, ab indoctis et parum cautis excellentioris scientiae iudicantur et misero peruersoque successu facile mendacio consensum eliciunt, quia reuerentiam sibi praesumptione pepererunt. Nec enim, cum sint bonae opinionis uiri, creduntur ullo modo tarditate intelligentiae aut temeritate iudicii in superfluae querelae conclamationem prorumpere potuisse ac non potius magno ingenio et uehementi studio laborasse, ut, subtilissimi tractatoris disputationibus comprehensis, censura nunc districtior et inspectio sagacior inueniret quod antea securus fauor et benignitas incuriosa non uiderat. Vnde ergo haec diligentia tam seueri emersit examinis ? Vnde in hanc austeritatem supercilium se tetricae frontis armauit, ut mensuras sensuum, pondera locutionum, numeros syllabarum insidiosus scrutator euentilet magnumque se aliquid conficere praesumat, si catholico praedicatori notam erroris affigat ? Quasi incognitum aliquod opus et quod hactenus latuerit impetatur ac non illa his morsibus doctrina lanietur, quae nouorum haereticorum commenta disiecit et diabolicum tumorem Pelagianae elationis elisit. Viginti amplius anni sunt quod contra inimicos gratiae Dei catholica acies huius uiri ductu pugnat et uincit. Et uincit, dico, quia non patitur respirare quos uicit et in quorum excidium unam cunctorum sacerdotum manu sententiam scripsit. Pulsi pontificio et communione priuati, querantur de nostrae felicitate uictoriae et arment in nos linguas suas, qui exsulare a ueritate quam ciues esse Ecclesiae maluerunt ; nostri autem concorporales et comparticipes gratiae Christi, cur de his armis quibus communis fides est defensa causantur ? Cur bellum confectum retractant et munitiones securae dudum pacis infirmant ? An uictores displicent et uicti placent ? tantaque insolentia damnati fouentur errores, ut prauitatis inuidia et auctores nostri pulsentur et iudices ? An uero ita se nouorum censorum norma exactior temperauit, ut et nulla eorum quae excisa sunt asserat et quaedam ex his quae defensa sunt respuat ? Ecce salua catholicae pace uictoriae, salua indissolubilium reuerentia decretorum, parati sumus patronos doctrinae emendatioris audire et circumcisas ab omni errore lineas subtilissimae discretionis agnoscere. Constituatur in medium quod de nouis emersit ingeniis. Ne ad obscurandam scientiam doctiorum ea exagitare uideamur quae uulgus ignobile et procax ineptorum loquacitas intemperanter effundit, unius potissimum definitiones, quem non dubium est illis omnibus in sanctarum Scripturarum studio praestare, reseremus. Quas etiam ob hoc solum interim in disceptationem oportet assumi, quia utrum ita se habeant non potest dubitari. Scriptae enim sunt et auctoris sui editione purgatae ; nec iam an sint quaerendum est, sed quid doceant demonstrandum. Igitur in libro cuius praenotatio est De protectione Dei uir quidam sacerdotalis, qui disputandi usu inter eos cum quibus degit excellit, abbatem quemdam introducit de gratia Dei et libero arbitrio disserentem, cuius se per omnia probasse ac suscepisse ostendit sententiam, ut iam non cum illo nobis sit negotium qui forte tales opiniones suas aut negando refutaret aut corrigendo dilueret, sed cum isto qui ad instrumentum inimicorum gratiae Dei talem studuit proferre doctrinam. Quae tamen inter initia disputationis a ueritatis pietate non dissonat et iusto honorari praeconio mereretur, nisi praecipiti laeuoque progressu ab inchoata rectitudine deuiaret. Nam post comparationem agricolae, cui formam sub gratia ac fide uiuentis aptauit et cuius infructuosum esse dixit laborem, nisi per omnia Dei auxilio iuuaretur, intulit definitionem catholicissimam, dicens : « Quibus manifeste colligitur non solum actuum, uerum etiam cogitationum bonarum ex Deo esse principium, qui nobis et initia sanctae uoluntatis inspirat et uirtutem atque opportunitatem eorum quae recte cupimus tribuit peragendi. Omne enim datum bonum et omne donum perfectum desursum est, descendens a Patre luminum, qui et incipit quae bona sunt et exsequitur et consummat in nobis, dicente Apostolo : “Qui dat semen seminanti, et panem ad manducandum praestabit et crescere faciet fructus iustitiae uestrae.” » Hic, ne quis putaret nihil superesse quod per liberum ageretur arbitrium, non irrationabiliter adiecit quo probaret non auferri illud his donis, sed potius roborari, nisi reuolutus ad iniquitates suas ab auxilio Dei se mallet auertere. « Nostrum uero est, inquit, quotidie attrahentem nos gratiam Dei ut humiliter subsequamur uel certe “dura ceruice et incircumcisis, ut scriptum est, auribus eidem resistentes”, per Ieremiam mereamur audire : “Numquid qui cadit non resurget ? aut qui auersus est non reuertetur ? Quare ergo auersus est populus iste in Ierusalem auersione contentiosa ? Indurauerunt ceruices suas et noluerunt reuerti.” » Item infra, cum omnia uirtutum studia Dei gratia indigere docuisset, probabiliter addidit, dicens : « Quae omnia, sicut desiderari a nobis iugiter absque diuina inspiratione non possunt, ita ne perfici quidem sine eius auxilio ullatenus queunt. » In septimo autem capitulo, generalem uolens ostendere gratiam Christi, quae nullum usquequaque hominem praetermittat et rebelles quoque auersosque non deserat : « Adest igitur, inquit, inseparabiliter nobis diuina protectio tantaque est erga creaturam suam pietas Creatoris, ut non solum comitetur eam, sed etiam praecedat iugiter prouidentia. » In quo potest uideri ob hoc comitem dixisse prouidentiam, quia etiam deserentes se plerumque non deserat, uel quia omnes quos praeuenit, eosdem subsequatur. Sequitur autem, dicens : « Qui cum in nobis ortum quemdam bonae uoluntatis inspexerit illuminat eam atque confortat ac dirigit ad salutem, incrementum tribuens ei quam uel ipse plantauit uel nostro conatu uiderit emersisse. » Et hic potest adhuc dicere illius se ortum bonae uoluntatis significasse, cuius a Deo sint plantata uel inspirata principia, quia ab illuminatis iam cordibus possint salubres prodire conatus, qui ideo ipsius hominis proprii esse dicantur, quia iam bonorum conatuum acceperit facultatem eorumque semina ad suum referantur auctorem. Sed et in capitulo nono subdit et dicit : « Vnde non facile humana ratione discernitur quemadmodum Dominus petentibus tribuat, a quaerentibus inueniatur aperiatque pulsantibus ; et rursus inueniatur a non quaerentibus se, palam appareat inter illos qui illum non interrogabant ; tota die expandat manus suas ad populum non credentem sibi et contradicentem, resistentes ac longe positos uocet, inuitos attrahat ad salutem, peccare cupientibus explendae copiam subtrahat uoluntatis, ad nequitiam properantibus benignus obsistat. » Iam hic quasi per inscrutabilem diuersitatem introducitur definitio qua doceatur multos ad gratiam uenire sine gratia et hunc affectum petendi, quaerendi, pulsandi habere quosdam de uigilantia liberae uoluntatis, quae tamen in aliis tanta auersione obcaecata perhibetur, ut nullis cohortationibus sit reuocabilis, nisi per uim trahentis inuita ducatur. Quasi non toto multiformis gratiae opere hoc in omnium agatur animis, ut ex nolentibus fiant uolentes, aut quisquam ex his qui iam iudicio rationis utuntur possit fidem nisi uoluntate suscipere. Vnde tam ineptum est dicere quod quisquam ad participationem gratiae tendat inuitus quam asserere quod ullus ad eam non Spiritu Dei ueniat incitatus. Cito ergo hic disputator praemissae definitionis oblitus est, cito a sententia sua instabili leuitate dissensit. Dixerat enim regulariter non solum actuum, uerum etiam cogitationum bonarum ex Deo esse principium. Et ne hoc de doctrina extrinsecus adhibita deberet intelligi, uigilanter addiderat : « Qui nobis et initia sanctae uoluntatis inspirat et uirtutem atque opportunitatem eorum quae recte cupimus tribuit peragendi. Omne enim datum bonum et omne donum perfectum desursum est, descendens a Patre luminum, qui et incipit quae bona sunt et exsequitur et consummat in nobis. » Doctor catholice, cur professionem tuam deseris ? Cur ad fumosam falsitatis caliginem, relicta serenissimae ueritatis luce, deuolueris ? Quod in petentibus, quaerentibus pulsantibusque miraris, cur non eidem gratiae, quae desideratur, ascribis ? Vides bonos conatus, pia studia, et dubitas esse Dei dona ? Latuerit opus gratiae, donec fides insita cogitationis claudebatur arcano ; at ubi supplex oratio, ubi diligens inquisitio, ubi apparet crebra pulsatio, quare non ex qualitate operis subministrationem intelligis incitantis ? Et satis te contra Pelagianorum calumnias praecauere existimas, si quod in uniuersitate uocatorum sentiendum est, id nobis in portione concedas. Sed nec cum haereticis tibi, nec cum catholicis plena concordia est. Illi in omnibus iustis hominum operibus liberae uoluntatis tuentur exordia ; nos bonarum cogitationum ex Deo semper credimus prodire principia ; tu informe nescio quid tertium et utrique parti inconueniens reperisti, quo nec inimicorum consensum acquireres nec in nostrorum intelligentia permaneres. Quomodo autem non aduertis te in illud damnatum incidere quod, uelis nolis, conuinceris dicere gratiam Dei secundum merita nostra dari, cum aliquid praecedere boni operis ex ipsis hominibus, propter quod gratiam consequantur, affirmas ? Non enim nullius meriti haberi potest petentis fides, quaerentis pietas, pulsantis instantia, praecipue cum omnes eiusmodi et accipere et inuenire et intrare dicantur. In quo superfluum, immo impium est, sic uelle meritis ante gratiam existentibus locum facere, ut non ex toto uerum sit quod ait Dominus : « Nemo uenit ad me, nisi Pater, qui misit me, attraxerit eum », si cuiusquam hominis sine Dei illuminatione esset credenda conuersio aut ullo modo se uoluntas hominis ad Deum sine Deo posset extendere, qui eum uocatum ad Filium trahit, non resistentem inuitumque compellit, sed ex inuito uolentem facit et quibuslibet modis infidelitatem resistentis inclinat, ut cor audientis, obediendi in se delectatione generata, ibi surgat ubi premebatur, ibi discat ubi ignorabat, inde fidat unde diffidebat, inde uelit unde nolebat. Etenim « Dominus dabit suauitatem et terra nostra dabit fructum suum ». Sed uideamus qualia subsequantur : « Cui autem facile pateat quomodo salutis summa nostro tribuatur arbitrio, de quo dicitur : “Si uolueritis et audieritis me, quae bona sunt terrae manducabitis”, et quomodo “non uolentis neque currentis, sed miserentis est Dei” ? Quid etiam sit illud quod “Deus reddet unicuique secundum opera eius” et : “Deus est qui operatur in uobis et uelle et perficere pro bona uoluntate uestra” et : “Hoc non ex uobis, sed Dei donum est ; non ex operibus, ut ne quis glorietur” ? » Et caetera quae collecta de Scripturis quasi alterno sibi sensu aduersa collegit, ut donis gratiae studium humanae committat industriae et, omnium hominum diuisione facta, alii sint quos gratia Dei saluet, alii quos lex et natura iustificet. Sed lex potest ne quid mali fiat iubere ; a malo autem non potest liberare. Notum facit mandatum, sed obediendi non praestat affectum, nisi quod est occidens per imperium litterae fiat uiuificans per spiritum gratiae. Post haec concludit, dicens : « […] nisi quod in his omnibus et gratia Dei et libertas nostri declaratur arbitrii, quia etiam suis interdum motibus homo ad uirtutum appetitus possit extendi, semper uero a Domino indiget adiuuari. » Et ubi est quod regulari definitione praemissum est : « Non solum actuum, uerum etiam cogitationum bonarum ex Deo esse principium, qui et incipit quae bona sunt et exsequitur et consummat in nobis » ? Ecce hic etiam si bonis coeptis necessarium Dei fateris auxilium, ipsos tamen laudabiles motus appetitusque uirtutum, remota gratia Dei, nudae libertati ascribis arbitrii, ut boni salubresque conatus nequeant quidem proficere, nisi Deus adiuuet, possint tamen, etiamsi non a Deo inspirentur, incipere. Deinde, ut euidentius definias quid homo ex libero arbitrio habeat, quid sumat ex gratia, addis et dicis : « Nec enim cum uoluerit, quis sanitate perfruitur, aut de aegritudinis morbo pro arbitrii sui desiderio liberatur. » Doces ergo non posse quidem hominem per semetipsum apprehendere sanitatem, sed habere eum a semetipso desiderium sanitatis et sua tantum sponte uenire ad medicum, non etiam hoc ipsum medici esse quod ueniat. Quasi uero anima ipsa non langueat et corpori suo remedium sana prospiciat. Atqui totus homo ex ipsa et cum ipsa in profundum miseriae suae decidit, ubi eam, priusquam a medico notitiam suae calamitatis accipiat, iacere delectat, amantem semper errores suos et amplectentem falsa pro ueris. Cuius prima salus est ut sibi incipiat displicere et uetustatem suae debilitatis odisse, sequens uero est ut et sanari desideret et a quo sananda sit nouerit. Quae curationem ipsius sic praecedunt, ut ei ab illo qui aegram sanaturus est inserantur, ne, cum ei nullo modo haec frustra inesse possint, merito uideatur saluata, non gratia. Deinde adiicis : « Vt autem euidentius clareat etiam per naturae bonum, quod beneficio Creatoris indultum est, nonnumquam bonarum uoluntatum prodire principia, quae tamen, nisi a Deo dirigantur, ad consummationem uirtutum peruenire non possunt. Apostolus testis est, dicens : “Velle enim adiacet mihi, perficere autem bonum non inuenio.” » Falso ergo secundum hanc definitionem ante dixisti : « Non solum actuum, uerum etiam cogitationum bonarum ex Deo esse principium, qui et incipit quae bona sunt et exsequitur et consummat in nobis. » Sed hoc nullo modo ex aliqua parte potest esse falsum ; cui nequaquam inferri contraria debuerunt, ut, quod recte professus es ex gratia incipere, id postea confirmares per naturae bonum et per liberum arbitrium nos habere. Dixit quidem beatus Apostolus : « Velle enim adiacet mihi, perficere autem bonum non inuenio », sed idem dixit : « Non quia idonei sumus cogitare aliquid a nobis quasi ex nobis ipsis, sed sufficientia nostra ex Deo est » et idem dixit : « Deus est enim qui operatur in uobis et uelle et operari pro bona uoluntate. » Non ergo Apostolus sibi contrarius est ; sed, cum donatum nobis fuerit bonum uelle, non statim inuenimus et facere, nisi petentibus, quaerentibus atque pulsantibus, qui dedit desiderium, praestet effectum. Vox namque ista dicentis : « Velle enim adiacet mihi, perficere autem bonum non inuenio » uocati est et iam sub gratia constituti, qui condelectatur quidem legi Dei secundum interiorem hominem, sed uidet aliam legem in membris suis, repugnantem legi mentis suae et captiuantem se in lege peccati et, quamuis acceperit scientiam recte uolendi, uirtutem tamen in se non inuenit eorum quae optat operandi, donec pro bona uoluntate quam sumpsit mereatur uirtutum facultatem inuenire quam quaerit. Post haec ponis plurima testimonia quibus nunc ualidum, nunc infirmum liberum arbitrium demonstretur, quasi quidam sint qui propriis uiribus impleant quod alii facere, nisi Deo adiuuante, non possunt ; aut ob aliud homo accipiat praeceptum, nisi ut diuinum quaerat auxilium. Concludis ergo et dicis : « Et ita sunt haec quodammodo indiscrete permista atque confusa, ut quid ex quo pendeat inter multos magna quaestione uoluatur, id est utrum quia initium bonae uoluntatis praebuerimus misereatur nostri Deus, an quia Deus misereatur consequamur bonae uoluntatis initium. Multi enim singula haec credentes ac iusto amplius asserentes, uariis sibique contrariis sunt erroribus inuoluti. » Ecce, ut tibi uidetur, quae erant permista discreta sunt et quae explicari non poterant absoluta. Duos enim esse sibi contrarios definis errores quibus qui inter liberum arbitrium et gratiam quid tenendum sit nesciunt implicentur. Et in uno constituis eos qui dicunt ideo nostri misereri Deum, quia ex nobis praebita sint bonae initia uoluntatis, significans sine dubio Pelagiani dogmatis sectatores, qui dicunt gratiam Dei secundum merita nostra dari ; in alio autem illos ponis qui dicunt ex misericordia Dei bonarum uoluntatum prodire principia, eos intelligi uolens qui inimicos gratiae debellarunt. Si ergo error est initia bonae uoluntatis non adiuto diuinitus homini ascribere, et error est confiteri quoniam praeparatur uoluntas a Domino, quo dirigendi sumus, ut utrumque uitemus ? Si utrumque, inquis, sequamur, nos nulli errori acquiescimus. Tu nos subdis duobus et geminas, sicut intelligis, prauitates : diuidendo damnas, miscendo iustificas. Hac lege, hac regula poteris praedicare quod tam errent qui dicunt semper esse fallendum quam qui definiunt numquam esse fallendum, sed, ut in neutro peccetur, utrumque sectandum, quia nec semper declinanda falsitas, nec semper negligenda sit ueritas. Fallit te prorsus opinio tua. De duobus malis unum fieri bonum non potest, unam uirtutem duo uitia non gignunt, unum uerum duo falsa non faciunt. Quae enim merito paria sunt non minuuntur coeundo, sed crescunt. Non itaque oportuit eos qui bonarum uoluntatum initia ex Dei asserunt inspiratione generari ea sententia reprehendi, qua arguuntur qui ad haec liberum arbitrium putant sibi sine ope gratiae posse sufficere. Harum enim definitionum una ab Ecclesia expugnata est, alia defensa, nec eis ullo modo huius noui foederis congruit pactum quo catholica sit corruptior quam Pelagiana correctior. « Multi, inquis, singula haec credentes ac iusto amplius asserentes, uariis sibique contrariis sunt erroribus inuoluti. » Placet igitur tibi cum haereticis catholicos, cum uictis damnare uictores, et eos erroris nota adurere qui errorem ab Ecclesia depulerunt ? Secundum quippe tuam censuram, qua sanctarum et fidelium uoluntatum non in omnibus hominibus ex Deo uis esse principium – quasi multum gratiae tribuas, si hoc eam in quorumdam operari mentibus acquiescas –, errauit beatus papa Innocentius et Petri sede dignissimus, qui cum de istis loqueretur qui in libero arbitrio gloriantur : « Nam quid, inquit, nos de eorum posthac rectum mentibus aestimemus, qui sibi se putant debere, quod boni sunt ? » Et iterum cum de primi hominis scriberet lapsu : « Liberum enim, inquit, arbitrium olim ille perpessus, dum suis inconsultius utitur bonis, cadens in praeuaricationis profunda demersus, nihil quemadmodum exinde surgere posset inuenit, suaque in aeternum libertate deceptus, huius ruinae latuisset oppressu, nisi eum post Christi pro sua gratia releuasset aduentus. » Errauerunt Orientales episcopi, in quorum iudicio Pelagius eos qui dicunt gratiam Dei secundum merita nostra dari, ut catholicus posset uideri, anathematizare compulsus est. Errauerunt Africana episcoporum concilia, qui decretis suis constituerunt utrumque Dei donum esse et scire quid facere debeamus et diligere ut faciamus, ut aedificante caritate scientia non possit inflare, quia sicut de Deo scriptum est : “Qui docet hominem scientiam”, ita scriptum est : “Caritas ex Deo est.” Errauerunt ducenti quatuordecim sacerdotes, qui in epistola quam suis constitutionibus protulerunt ita ad apostolicae sedis antistitem beatum Zosimum sunt locuti : « Constituimus in Pelagium atque Coelestium per uenerabilem episcopum Innocentium de beatissimi apostoli Petri sede prolatam manere sententiam, donec apertissima confessione fateantur gratia Dei per Iesum Christum Dominum nostrum non solum ad cognoscendam, uerum etiam ad faciendam iustitiam nos per actus singulos adiuuari, ita ut sine illa nihil uerae sanctaeque pietatis habere, cogitare, dicere, agere ualeamus. » Errauit sacrosancta beati Petri sedes, quae ad uniuersum orbem papae Zosimi ore sic loquitur : « Nos tamen instinctu Dei (omnia enim bona ad auctorem suum referenda sunt, unde nascuntur) ad fratrum et coepiscoporum nostrorum conscientiam uniuersa retulimus. » Errauerunt Afri episcopi ad eumdem papam Zosimum rescribentes eumque in sententiae suae huius salubritate laudantes, cum aiunt : « Illud uero quod in litteris tuis quas ad uniuersas prouincias curasti esse mittendas posuisti, dicens : “Nos tamen instinctu Dei (omnia enim bona ad auctorem suum referenda sunt, unde nascuntur) ad fratrum et coepiscoporum nostrorum conscientiam uniuersa retulimus”, sic accepimus dictum, ut illos qui contra Dei adiutorium extollunt humani arbitrii libertatem districto gladio ueritatis, uelut cursim transiens, amputares. Quid enim tam libero fecisti arbitrio quam quod uniuersa in nostrae humilitatis conscientiam retulisti ? Et tamen instinctu Dei factum esse fideliter sapienterque uidisti, ueraciter fidenterque dixisti. Ideo utique quoniam praeparatur uoluntas a Domino, et ut boni aliquid agant, paternis inspirationibus suorum ipse tangit corda filiorum. Quotquot enim Spiritu Dei aguntur, hi filii sunt Dei. Vt nec nostrum deesse sentiamus arbitrium et in bonis quibusque uoluntatis humanae singulis motibus, magis illius ualere non dubitemus auxilium. » Videsne regulas tuas inuictarum constitutionum soliditate confractas et in fidei structura prauas rimosasque iuncturas, uelut Ierichuntinos muros, ad sacerdotalium tubarum ruisse concentum ? Cum enim de sanctarum origine uoluntatum et fidei caritatisque principiis inter nostros et Pelagianos quaestio uersaretur, non ancipiti uictoria nec dubio diremptum est fine certamen, ut adhuc nobis de nequissima huius foederis tui pace tractandum sit. Prostrata est inimica acies, bellum confectum est, uictores sumus per illum qui fecit potentiam in brachio suo, qui dissipauit superbos mente cordis ipsorum, deposuit potentes de sede et exaltauit humiles, esurientes impleuit bonis et diuites dimisit inanes, per illum qui faciens misericordiam cum patribus nostris memor fuit testamenti sancti sui et iurisiurandi quod iurauit ad Abraham patrem nostrum daturum se nobis ut sine timore, de manu inimicorum nostrorum liberati, seruiamus ipsi in sanctitate et iustitia in conspectu eius omnibus diebus nostris, per illum qui dedit nobis uictoriam per Iesum Christum Dominum nostrum, per illum a quo non spiritum huius mundi accepimus, sed Spiritum qui ex Deo est, ut sciamus quae a Deo donata sunt nobis. Quid de elisarum argumentationum ratiunculis fracta studes arma colligere ? Quid cineres exstincti dogmatis refouendo deficientis fumi nitorem in rediuiuam flammam conaris accendere ? Non est periculum liberi arbitrii gratia Dei nec uoluntas aufertur, cum in ipsa bene uelle generatur. Nam si ideo non putanda est nostra, quia formatur, regitur, ordinatur, imbuitur, spoliantur libertate filii Dei qui aguntur Spiritu Dei, perdunt uigorem rationalis animi et omni uoluntariae deuotionis laude priuantur, quibus datur Spiritus sapientiae et intellectus, consilii et fortitudinis, scientiae et pietatis et timoris Domini. Prorsus qui his reformationibus se non putant indigere de ueteris morbi consuetudine in phrenesim transierunt : respuunt remedium, clamant, insaniunt, reluctantur, sed si promissionis sunt filii, quiescent et sanabuntur. Sed iam uideamus quid inferat sobrietas disputantis, qui, ut uitium uitio pelleret et errorem errore curaret, contrarias sibi definitiones noua arte confudit, utque hoc compositionis suae poculum securis auditoribus propinaret, exemplis uoluit colorare quod miscuit. Ait enim : « Si enim dixerimus nostrum esse bonae principium uoluntatis, quid fuit in persecutore Paulo, quid in publicano Matthaeo, quorum unus cruori ac suppliciis innocentum, alius uiolentiis ac rapinis publicis incubans attrahitur ad salutem ? Sin uero gratia Dei semper inspirari bonae uoluntatis principia dixerimus, quid de Zacchaei fide, quid de illius in cruce latronis pietate dicemus, qui desiderio suo uim quamdam regnis coelestibus inferentes, specialia uocationis monita praeuenerunt ? » Per istam ergo bonorum principiorum dissimilitudinem probare nititur hoc posse quosdam per liberum arbitrium sine adiutorio Dei, quod quidam, nisi Deo cooperante, non possint, et hoc uult de quorumdam tardiore obedientia et quorumdam sequaciore consensu intelligi. Quasi ubi dura infidelitas Deo subditur et Euangelio, quod diu impugnauit, repente succumbit, ibi mutationem hominis dextera operetur Excelsi, ubi autem tranquillam cohortationem solumue rumorem sine haesitatione diffidentiae docilis auditor amplectitur, bonum talis conuersionis humanae sit tantummodo uoluntatis. Quasi uero potentia Dei eos tantum ad Filium trahat quos aut uoce increpauerit aut poena obtriuerit aut terrore tremefecerit, illorum autem mentibus nihil suae uirtutis admoueat, qui ad promissiones Redemptoris sui spe alacri et auido desiderio cucurrerunt. Sed Veritas dicit : « Nemo uenit ad me, nisi Pater, qui misit me, traxerit eum. » Si ergo nemo uenit, nisi attractus, omnes qui quocumque modo ueniunt attrahuntur. Trahit itaque ad Deum contemplatio elementorum omniumque quae in eis sunt ordinatissima pulchritudo. Inuisibilia enim eius a creatura mundi per ea quae facta sunt intellecta conspiciuntur. Trahit rerum gestarum cognitio et diuinorum operum relatores : animum audientis inflammant narrantes laudes Domini et uirtutes eius et mirabilia eius quae fecit. Trahit timor : Principium enim sapientiae timor Domini. Trahit laetitia, quoniam : Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi : in domum Domini ibimus. Trahit desiderium, quoniam : Concupiscit et deficit anima mea in atria Domini. Trahit delectatio lectionis : Quam dulcia enim faucibus meis eloquia tua, super mel et fauum ori meo. Et quis perspicere aut enarrare possit per quos affectus uisitatio Dei animum ducat humanum, ut quae fugiebat sequatur, quae oderat diligat, quae fastidiebat esuriat, ac subito commutatione mirabili quae clausa ei fuerant fiant aperta, quae onerosa sint leuia, quae amara sint dulcia, quae obscura sint lucida ? Haec autem omnia operatur unus atque idem Spiritus, diuidens singulis prout uult. Quoniam Deus qui dixit de tenebris lumen splendescere, illuxit in cordibus nostris ad illuminationem scientiae claritatis Dei in facie Christi Iesu, id est in manifestatione Filii sui, qui est in gloria Patris. Qui ergo illuxit in corde Matthaei publicani et Pauli tunc Ecclesiam persequentis, ipse et in corde Zacchaei et in corde crucifixi cum Domino latronis illuxit, nisi forte otiosa Domini uox fuit, cum Zacchaeum, qui quaerebat uidere Iesum quis esset, compellare dignatus est dicens : « Zacchaee, festina, descende, quoniam hodie in domo tua oportet me manere » et non sibi praeparauit eius animum cuius elegit hospitium. Denique cum murmurarent omnes cur ad uirum peccatorem introisset hospitari et Zacchaeus iam poenitentiam agens dimidio bonorum suorum in pauperes erogato redditurum se in quadruplum fraudata promitteret, Dominus ait : « Hodie salus huic domui facta est, quia et hic est filius Abrahae. » Et ne lateret causa huius salutis, adiecit : « Venit autem filius hominis saluum facere et quaerere quod perierat », ut quem agnoscebamus saluum factum sciremus a quaerente praeuentum. In latronis quoque iustificatione, etiamsi nulla operantis gratiae intelligerentur indicia, nonne cum omnibus credentibus etiam ipsum acciperemus attractum, dicente Domino : « Omnia mihi tradita sunt a Patre meo » et : « Cum exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me » ? Inter omnia autem hunc uel traditum esse uel tractum etiam ipsius confessio docet, qui, cum aliquamdiu blasphemasset in Iesum Christum, repente est mutatus et dixit : « Domine, memor esto mei, cum ueneris in regnum tuum. » Sed unde in uno homine tanta compugnantium uocum sit orta diuersitas, instruat nos beatus Apostolus Paulus et dicat : « Nemo in Spiritu Dei loquens dicit anathema Iesu, et nemo potest dicere Dominum Iesum, nisi in Spiritu sancto », ut non dubitemus in eiusdem hominis uoluntate et de proprio fuisse quod blasphemauit et de Spiritu sancto fuisse quod credidit. Frustra igitur disputator iste ad inscrutabilem unius gratiae uarietatem argumentum definitionis suae uoluit aptare, ut portio iustificatorum solius uoluntatis suae motibus ad Christum uenire credatur, portio autem reluctans trahi et inuita compelli, cum Deus sit qui operatur omnia in omnibus, siue alios sic, alios autem sic attrahere uelit, ad quem nemo, nisi aliquo modo attrahatur, uenit. Post haec subicit testimonia sacrae Historiae, quibus ostendit obseruantiam mandatorum Dei consummationemque uirtutum diuinae gratiae deputandum, quod et nos promptissime confitemur. Et commemoratis exemplis de Balaam, quem uolentem Israeli maledicere Deus in benedictionis uerba transtulerit, et de Abimelech, qui peccare non permissus sit in Rebeccam, et de Ioseph a fratribus uendito, quorum malam uoluntatem in bonum Deus uerterit, recurrit ad confirmationem definitionis suae, ut liberum arbitrium, quod gratiae se dicit iungere, a quadam parte humani generis, quantum in ipso est, auferat, et in quadam parte constituat, dicens : « Haec enim duo, id est uel gratia uel liberum arbitrium, sibi quidem inuicem uidentur aduersa, sed utraque concordant et utraque nos pariter debere suscipere pietatis ratione colligimus, ne unum horum homini subtrahentes, ecclesiasticae fidei regulam excessisse uideamur. » Ecclesiasticae fidei regula est, praedicante Apostolo : « Nemo potest dicere Dominum Iesum, nisi in Spiritu sancto. » Ecclesiastica regula est : « Quid autem habes quod non accepisti ? Si autem accepisti, quid gloriaris, quasi non acceperis ? » Ecclesiastica regula est : « Gratia Dei sum id quod sum et gratia eius in me uacua non fuit, sed plus omnibus illis laboraui ; non autem ego, sed gratia Dei mecum » et : « Misericordiam consecutus sum, ut fidelis essem. » Ecclesiastica regula est : « Habemus autem thesaurum istum in uasis fictilibus, ut sublimitas uirtutis sit Dei et non ex nobis. » Ecclesiastica regula est : « Gratia salui facti estis per fidem, et hoc non ex uobis, Dei enim donum est ; non ex operibus, ne forte quis extollatur. » Ecclesiastica regula est : « In nullo terreamini ab aduersariis, quae est illis causa perditionis, uobis autem salutis, et hoc a Deo ; uobis enim donatum est pro Christo, non solum ut in eum credatis, sed etiam ut patiamini pro eo. » Ecclesiastica regula est : « Cum timore et tremore uestram ipsorum salutem operamini. Deus enim est qui operatur in nobis et uelle et operari pro bona uoluntate. » Ecclesiastica regula est : « Non quia idonei sumus cogitare aliquid a nobis quasi ex nobis ipsis, sed sufficientia nostra ex Deo est. » Hanc regulam firmat Dominus dicens : « Nemo potest uenire ad me, nisi datum fuerit ei a Patre meo » et : « Omne quod dat mihi Pater uenit ad me » et : « Sine me nihil potestis facere » et : « Non uos me elegistis, sed ego elegi uos » et : « Nemo nouit Filium, nisi Pater, neque Patrem quis nouit, nisi Filius et cui uoluerit Filius reuelare » et : « Sicut Pater uiuificat mortuos, ita et Filius quos uult uiuificat » et : « Beatus es, Simon Bariona, quoniam caro et sanguis non reuelauit tibi, sed Pater meus qui in coelis est. » Hac regula nulli hominum aufertur uoluntas, quia uirtus gratiae non hoc in uoluntatibus operatur ut non sint, sed ut ex malis bonae et ex infidelibus sint fideles et quae in semetipsis erant tenebrae lux efficiantur in Domino, quod mortuum erat uiuificetur, quod iacebat erigatur, quod perierat inueniatur. Hoc in omnibus prorsus hominibus qui eruuntur de potestate tenebrarum et transferuntur in regnum Filii dilectionis Dei, sine cuiusquam exceptione personae, agere credimus gratiam Saluatoris. Quia, sicut hic idem probabiliter, sed non stabiliter definiuit, dicimus atque defendimus : « Non solum actuum, uerum etiam cogitationum bonarum ex Deo esse principium, qui nobis et initia sanctae uoluntatis inspirat et uirtutem atque opportunitatem eorum quae recte cupimus tribuit peragendi. Omne enim datum bonum et omne donum perfectum desursum est, descendens a Patre luminum, qui et incipit quae bona sunt et exsequitur et consummat in nobis. » In qua sententia si auctor ipsius permaneret, ecclesiasticam regulam non excederet neque simul et libero arbitrio infensus et gratiae Dei esset ingratus ; quorum duorum dum unum in Paulo et Matthaeo, aliud in Zacchaeo et latrone indicat operatum, non intelligit in illis se liberum arbitrium, in istis gratiam sustulisse. Deinde adiecit : « Nam cum uiderit nos ad bonum uelle deflectere, occurrit, dirigit atque confortat. “Ad uocem enim clamoris tui, statim ut audierit, respondebit tibi” et : “Inuoca me, inquit, in die tribulationis tuae et eripiam te et magnificabis me.” » Quis non uideat quod haec doctrina meritum libero assignat arbitrio, quo praeueniatur gratia eique famuletur reddens debitum, non conferens donum ? Quae definitio in episcoporum Palaestinae synodo etiam Pelagio anathematizante damnata est. In eo enim qui bonum incipit uelle et cupit ab iniquitate atque errore discedere, gratiam Dei hoc ipsum profitemur operari. Quoniam « a Domino gressus hominis diriguntur et uiam eius uolet » et : « Omnis uir uidetur sibi iustus, dirigit autem corda Dominus » et : « A Domino diriguntur gressus uiri, mortalis autem quomodo intelligit uias suas ? » Et quod ait Apostolus : « Non enim accepistis spiritum seruitutis iterum in timore, sed accepistis Spiritum adoptionis filiorum, in quo clamamus : “Abba Pater.” » Post haec sequitur et dicit : « Nec enim talem Deus hominem fecisse credendus est, qui nec uelit umquam nec possit bonum. Alioquin nec liberum ei permisit arbitrium, si ei tantummodo malum ut uelit et possit, bonum uero nec uelle nec posse concessit. Et quomodo stabit illa Domini post praeuaricationem primi hominis illata sententia : “Ecce Adam factus est sicut unus ex nobis, sciens bonum et malum” ? Non enim talis ante fuisse putandus est, qui boni esset prorsus ignarus. Alioquin uelut quoddam irrationabile animal eum fatendum est fuisse formatum, quod satis absurdum atque a catholica fide omnimodis alienum est. Quin immo secundum sententiam sapientissimi Salomonis : “fecit Deus hominem rectum”, id est, ut tantum boni scientia iugiter frueretur, sed ipsi quaesierunt cogitationes multas. Facti enim sunt, ut dictum est, “scientes bonum et malum”. Concepit ergo Adam post praeuaricationem, quam non habuerat, scientiam mali, boni uero, quam acceperat, scientiam non amisit. » Rectum atque omni uitio carentem creatum esse primum hominem, in quo omnium hominum concreata natura est, dubitare fas non est, eumque tale accepisse liberum arbitrium, ut si auxiliantem sibi Deum non desereret, posset in bonis quae naturaliter acceperat perseuerare quia uellet et merito uoluntariae perseuerantiae in eam beatitudinem peruenire, ut nec uellet decidere in deteriora nec posset. Sed ipso libero arbitrio, quo quamdiu uoluit bonus mansit, a proposita sibi lege discessit nec denuntiatae sibi mortis supplicium formidauit, deserens Deum et sequens diabolum, rebellis Domino seruatori et inimico obediens peremptori. « Fuit ergo Adam et in illo fuimus omnes, periit Adam et in illo perierunt omnes. » Quod ita non falso dixit beatus Ambrosius, sicut non falso etiam ipsa Veritas ait : « Venit Filius hominis quaerere et saluare quod perierat. » Naturae enim humanae in illa uniuersalis praeuaricationis ruina nec substantia erepta est nec uoluntas, sed lumen decusque uirtutum, quibus fraude inuidentis exuta est. Perditis autem per quae ad aeternam atque inamissibilem corporis animique incorruptionem poterat peruenire, quid ei remansit, nisi quod ad temporalem pertinet uitam, quae tota est damnationis et poenae ? Propter quod natos in Adam renasci oportet in Christo, ne in illa quis inueniatur generatione quae periit. Nam si posteri Adae in illis uirtutibus naturaliter agerent in quibus Adam fuit ante peccatum, non essent natura filii irae, non essent tenebrae nec sub potestate tenebrarum, Saluatoris denique gratia non egerent, quia non frustra boni essent nec iustitiae praemio fraudarentur, habentes ea bona quorum amissione primi patres de paradiso exsulare meruerunt. Nunc autem, cum sine sacramento regenerationis aeternam mortem nemo possit euadere, nonne ex ipsius remedii singularitate apertissime patet in quam profundum malum totius humani generis natura demersa sit illius praeuaricatione in quo omnes peccauerunt et quidquid ille perdidit perdiderunt ? Perdidit autem primitus fidem, perdidit continentiam, perdidit caritatem, spoliatus est sapientia et intellectu, caruit consilio et fortitudine, et impie altiora sectando, a ueritatis scientia et ab obedientiae pietate deiectus est, nec ipso saltem timore sibi reliquo, ut ab interdictis uel metu caueret poenae, qui non abstineret amore iustitiae. Liberum ergo arbitrium, id est rei sibi placitae spontaneus appetitus, ubi usum bonorum quae acceperat fastidiuit et uilescentibus sibi felicitatis suae praesidiis insanam cupiditatem ad experientiam praeuaricationis intendit, bibit omnium uitiorum uenenum et totam naturam hominis intemperantiae suae ebrietate madefecit. Inde priusquam edendo carnem Filii hominis et bibendo sanguinem eius lethalem digerat cruditatem, labat memoria, errat iudicio, nutat incessu, neque ullo modo idoneus est ad illud bonum eligendum et concupiscendum, quo se sponte priuauit, quia non sicut potuit Deo non impellente corruere, ita potest Deo non erigente consurgere. Non igitur recte dictum est nec enim talem Deus hominem fecisse credendus est, qui nec uelit umquam nec possit bonum, quasi nos istam hominis debilitatem a Creatore dicamus conditam et non peccati merito ab homine contractam. Qui ergo putat consequens esse ut, si liberum arbitrium obcaecatum esse dicatur, et obcaecatio ipsa ad naturae referatur auctorem, uult persuadere quod tam sanum sit in Adae posteris liberum arbitrium, quam in Adam fuit ante peccatum, quod satis alienum a catholica fide dicimus. Quid enim peccato laesum est, si id laesum non est unde peccatum est ? Nisi forte dicatur in Adae posteros poenam transisse, non culpam, quod omnimodo falso dicitur et ob hoc forte non dicitur. Nimis enim impium est hoc de Dei sentire iustitia, quod a praeuaricatione liberos cum reis uoluerit esse damnatos. Patet ergo culpa ubi non latet poena et societas peccati conuincitur de communione supplicii, ut quod est humanae miseriae, non de institutione Creatoris, sed de retributione sit iudicis. Illud etiam inepte positum est et contra sensum omnium tractatorum quod ad probandam liberi arbitrii incolumitatem connexuit, dicens : « Et quomodo stabit illa Domini post praeuaricationem primi hominis lata sententia : “Ecce Adam factus est sicut unus ex nobis, sciens bonum et malum” ? », quasi diabolus Adae uera promiserit et Adam transgrediendo mandatum Dei profecerit in similitudinem Dei et hoc ei fuisse collatum pronuntiauerit Deus, cum in his uerbis significatum sit potius quid non fuerit assecutus qui, superbiae ingressus uiam, quod habebat amisit, dum quod non acceperat concupiuit. Non minus autem in ipsa huius sensus conclusione peccatum est, dum dicitur : « Concepit ergo Adam post praeuaricationem, quam non habuerat, scientiam mali ; boni uero, quam acceperat, scientiam non amisit. » Scientiam boni Adam tunc habebat, quando bonum sanctumque mandatum Dei fideli corde seruabat et erat iustus manens in imagine Creatoris sui legisque eius non obliuiscens. Postquam autem se, hoc est imaginem et templum Dei, deceptori suo uendidit, perdidit boni scientiam, quia perdidit bonam conscientiam. Iustitiam enim iniquitas depulit, humilitatem superbia destruxit, continentiam concupiscentia elisit, infidelitas rapuit fidem, captiuitas abstulit libertatem, nec potuit ulla illic portio residere uirtutum, quo tanta irruperat turma uitiorum. « Nemo enim potest duobus dominis seruire » et : « Qui facit peccatum seruus est peccati » et : « A quo quis superatus est, ei et seruus addictus est ». Nemo autem seruit, nisi cum aliqua libertate, et nemo liber est, nisi cum aliqua seruitute, dicente Apostolo : « Cum enim serui essetis peccati, liberi fuistis iustitiae. Quem ergo fructum habuistis tunc, in quibus nunc erubescitis ? Nam finis illorum mors est. Nunc uero liberati a peccato, serui autem facti Deo, habetis fructum uestrum in sanctificatione, finem uero uitam aeternam. » Qui itaque seruit diabolo liber est Deo, qui autem liberatus seruit Deo liber est diabolo, ut appareat malam libertatem potuisse haberi ex humanae uoluntatis defectu, bonam autem libertatem non potuisse recipi sine liberatoris auxilio. Sed ne haec primi hominis calamitas in progeniem eius transisse uideatur, quam integro sit omnium hominum natura iudicio exemplo gentium probaturus hic doctor addit et dicit : « Denique non amisisse genus humanum post praeuaricationem Adae scientiam boni, etiam Apostoli sententia euidentissime declaratur, qui dicit : “Quoniam gentes quae legem non habent naturaliter quae legis sunt faciunt, hi legem non habentes, ipsi sibi sunt lex, qui ostendunt opus legis scriptum in cordibus suis, testimonium reddente eis conscientia et inter se inuicem cogitationibus accusantibus aut etiam defendentibus in die quo iudicabit Deus occulta hominum.” » Si de his Apostolus loquitur qui ex praeputio sunt uocati et, cum essent longe, facti sunt prope, credentes in eum qui quorum aliquando non misertus est, nunc autem miseretur et iustificans circumcisionem ex fide et praeputium per fidem, duos condidit in semetipso destructoque pariete inimicitiae Iudaeorum et gentium in uno nouo homine fecit pacem, concludens omnia in incredulitate, ut promissio ex fide Iesu Christi daretur credentibus ; si, inquam, de his Apostolus loquitur in quorum cordibus Deus digito suo, id est Spiritu sancto, scribit nouum testamentum, ut legis plenitudinem et opera caritatis naturaliter exsequantur, reformata scilicet renouataque natura, quid hinc superbissimi sensus nouitas adiuuatur, cum reconciliatio inimicorum non possit nisi gratiae Mediatoris ascribi ? Omnes enim peccauerunt et egent gloria Dei, iustificati gratis per gratiam ipsius. Ergo gratia gloria Dei est, non meritum liberati. Quis enim prior dedit ei, ut retribueretur illi ? Nihil boni operis ex mortuis, nihil iustitiae procedit ex impiis, omnis ipsorum salus gratuita est et ideo gloria Dei est, ut, qui gloriatur, in illo cuius gloria eguit glorietur. Sin autem (quod magis uult hic disputator intelligi) de illis ista dicuntur qui alieni a gratia Christiana quaedam ad similitudinem legalium mandatorum proprio iudicio sanciebant, intelligentes mores ciuitatum concordiamque populorum non posse aliter contineri, nisi et recte factis praemia, et peccatis poenae decernerentur, sicut dictum est ab ipsa Sapientia Dei : « Ego ex ore Altissimi prodiui et in omni gente primatum tenui, requiem quaesiui in Iacob et inueni », ergo quis ambigat hanc sapientiam humano generi ad temporalis uitae utilitatem ex naturae a Deo conditae superesse reliquiis ? Si enim nec ad ista terrena ordinanda rationalis animi uigeret ingenium, non uitiata esset, sed exstincta natura. Quae tamen etiamsi excellentissimis artibus et cunctis mortalibus eruditionum polleat disciplinis, iustificari ex se non potest, quia bonis suis male utitur, in quibus sine cultu ueri Dei impietatis immunditiaeque conuincitur et unde se defendi aestimat accusatur. Cum ergo Apostolus definiat quod « ex operibus legis non iustificatur omnis caro » et quoniam « in Christo Iesu neque circumcisio, neque praeputium ualeat aliquid », sed noua creatura, quid iste impiam infidelium libertatem naturalibus instruit bonis et propriis uult iustificare principiis ? Quid ad renouationem lacessitae uetustatis idoneam definit praeuaricatricis scientiae nuditatem ? Quasi ista scientia, uel ex naturae opibus residua consecuta uel ex legalis doctrinae eruditione quaesita, possit sui perceptione praestare ut quod faciendum nouerimus etiam facere diligamus aut ullus sit bonae uoluntatis motus, nisi quem creauerit diffusae per Spiritum sanctum caritatis afflatus. « Sine fide enim impossibile est placere » et : « Omne quod non est ex fide, peccatum est » et : « in Christo Iesu neque circumcisio aliquid ualet neque praeputium, sed fides quae per dilectionem operatur. » Post haec in conclusione testimoniorum, quibus probare uoluit quod hi qui per increpationem propheticam surdi appellantur et caeci possint ex facultate naturae et aures suas aperire ad audiendum et oculos suos ad uidendum (quasi non de hisdem dicat Dominus : « Dabo eis cor aliud et spiritum nouum dabo eis, et euellam cor lapideum de carne eorum et dabo eis cor carneum ut in praeceptis meis ambulent et iustificationes meas obseruent et faciant eas », addit et dicit : « Denique ut possibilitatem boni eis inesse significaret, increpans Pharisaeos : “Quid autem, inquit, etiam ex uobis ipsis non iudicatis quod iustum est ?” Quod utique non eis dixisset, nisi eos iudicio naturali quod aequum est scisset posse discernere. » Iam non solum uoluntatem boni, sed etiam possibilitatem libero ascribit arbitrio, tamquam ideo ab e exigatur intelligentia, ideo iustitia reposcatur, quia possint haec sine Dei donis de naturae proferri bonis. Imperantur autem ista homini, ut ex ipso praecepto quo ei hoc quod accepit indicitur agnoscat se id suo uitio perdidisse, et non ideo iniquam esse exactionem, quia ad reddendum quod debet idoneus non est, sed a littera occidente confugiat ad spiritum uiuificantem et facultatem quam non inuenit in natura quaerat ex gratia. Quod si facit, magna est misericordia Dei ; si non facit, iusta est poena peccati. Deinde ad plenitudinem praemissae disputationis regulari sententia pronuntiat, dicens : « Vnde cauendum nobis est, ne ita ad Deum omnia sanctorum merita referamus, ut nihil nisi id quod malum atque peruersum est humanae ascribamus naturae. » Quid euidentius, quid expressius secundum Pelagii Coelestiique commentum ab ullo eorum discipulo potuit definiri ? Illi dicunt ‘gratiam Dei secundum merita nostra dari’ et idem dicunt ‘gratiam Dei non ad singulos actus dari’ ; hic intra unam sententiam blasphemiam utramque conclusit dicens : « Cauendum nobis esse, ne ita ad Deum omnia sanctorum merita referamus, ut nihil nisi quod malum atque peruersum est humanae ascribamus naturae. » Vult ergo esse multa propria hominum merita, quae non sint gratiae largitate collata, quibus ad augendas naturales diuitias quaedam desursum munera debeantur. Vult nos gratiam Dei non ad singulos actus accipere ac perinde non pro omni opere bono semper orare. Atque ita consequens erit ut in Dei muneribus nullum meritum esse credendum sit, quando quidem sine merito sit quem Deus in omnibus semper adiuuerit aut, si etiam in his quae Deus tribuit aliqua merita collocantur, constet etiam ipsa propria acquiri facultate potuisse et ideo in aliquibus oporteat nos adiuuari, ut possibilius fiat per gratiam quod non erat impossibile per naturam. Ecce iam in ista paucorum breuitate uerborum non duarum tantum, sed multarum impietatum numerosa connexio est, quae si scrupulosioris diligentiae discretione tractetur, in nullo a damnati erroris catena absoluta monstrabitur. Sed ne suspicionibus agere uideamur et latebras sensuum ultra uerba rimari, quid adcrescat cognitis, doceant quae sequuntur. Qui ergo inter principia disputationis suae dixerat : « Non solum actuum, uerum etiam cogitationum bonarum ex Deo esse principium, qui nobis et initia sanctae uoluntatis inspirat et uirtutem atque opportunitatem eorum quae recte cupimus tribuit peragendi », nunc uolens probare quod religiosae cogitationes et sancta consilia, nulla Dei inspiratione concepta, de naturali possint prodire sapientia, ponit uerba Salomonis, dicentis : “Voluitque Dauid pater meus aedificare domum nomini Domini Dei Israel, et ait Dominus ad Dauid patrem meum : “Quod cogitasti in corde tuo aedificare domum nomini meo bene fecisti, hoc ipsum mente pertractans, uerumtamen non tu aedificabis domum nomini meo.” » Deinde, ut ostendat quomodo hoc intelligendum sit, infert ipse tractator : « Haec ergo cogitatio atque iste tractatus regis Dauid, utrumne bonus et ex Deo an malus et ab homine fuisse dicendus est ? Si enim bona et ex Deo fuit illa cogitatio, cur ab eo a quo inspirata est, eidem negatur effectus ? Si autem mala et ex homine fuit, cur laudatur a Domino ? Restat ergo ut et bona et ex homine fuisse credatur. In quem modum etiam nostras quotidie cogitationes possumus iudicare. Neque enim aut soli Dauid bonum ex semetipso cogitare concessum est, aut nobis ne quid boni umquam sapere aut cogitare possimus naturaliter denegatur. » Nullo modo hoc testimonio atque argumento probari potest quod piae cogitationes ex solo libero arbitrio et non ex Dei inspiratione nascantur. Non enim ideo uoluntas Dauid, quae utique bona erat, non ex Deo fuisse credenda est, quia templum sibi Dominus non ab eo aedificari, sed a filio ipsius uoluit. Quaerendum ergo est de quo spiritu processerit affectus istius uoluntatis, nempe de illo Dei, in quo dicebat : « Si introiero in tabernaculum domus meae, si ascendero in lectum stratus mei, si dedero somnum oculis meis et palpebris meis dormitationem aut requiem temporibus meis, donec inueniam locum Domino, tabernaculum Deo Iacob. » Quod cum Propheta concupisceret, non ignorabat uerum illud perfectumque templum ab illo esse condendum qui, cum esset Filius Dei, factus est etiam filius Dauid, quique cum uideret templum a Salomone constructum, dicebat : « Soluite templum hoc, et in triduo suscitabo illud. Dicebat autem de templo corpo

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Les « sollicitations » de Prosper lecteur La lecture des passages retenus par Prosper, et leur comparaison avec l’œuvre dont ils émanent prise dans son intégralité, nous apprennent déjà beaucoup sur la méthode appliquée par le polémiste, ou sur ce que l’on pourrait considérer comme ses habitudes de lecture. En remettant dans leur contexte les phrases qu’il choisit de citer — surtout celles qu’il désigne comme des definitiones —, on est en mesure d’observer ce qui, dans le texte de Cassien, a attiré son attention, l’a arrêté dans sa lecture, bref l’a « sollicité », pour reprendre la notion forgée par Antoine Compagnon dans son étude du système de la citation98. Il suffira de donner un exemple, à lui seul bien assez éloquent. Il est certain que, dans des débats théologiques, il est des mots qui, plus que d’autres, sont porteurs de sens et lourds de conséquences. Prosper en est bien conscient, qui se fait un scrupule de choisir avec le plus d’exactitude possible des termes adéquats qui ne souffrent aucune ambiguïté99. Et lorsqu’il s’agit de parler de la grâce et de la liberté humaine, un mot comme natura ne peut être employé anodinement : avec ses dérivés — naturalis ou naturaliter —, il semble agir comme un signal pour le lecteur augustinien, qui voit dans son emploi comme un signe de rattachement à l’école pélagienne100. Alors que dans la Collatio XIII on recense à peine neuf occurrences de mots de la famille de natura, qui sont réparties dans seulement quatre passages de l’œuvre101,

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COMPAGNON, La seconde main, pp. 23-25. Sur l’importance qu’il convient d’accorder aux mots employés par les controversistes, et pour développer les indications données déjà par P. MATTEI, « Le fantôme semi-pélagien. Lecture du traité De gratia de Fauste de Riez », Augustiniana, 60/1-2 (2010) [87]-117, voir l’étude du chap. 5, pp. 259-265, qui tente de mettre en lumière, à partir d’une analyse terminologique, les oppositions entre les défenseurs de la grâce et ses prétendus adversaires. 100 Les détails des comparaisons, mises en perspective avec la méthode d’Augustin et celle de Fulgence de Ruspe, se trouvent dans J. DELMULLE, « Gratia Adami, gratia Christi. La nature, la Loi et la grâce dans le premier augustinisme », in Fr. GABRIEL (éd.), Élection, Loi et communauté : de l’Alliance à la cité chrétienne = Revue de l’histoire des religions, 229/2 (2012) [193]-214 (pp. 202-209). Sur le terme de natura et son équivalence, chez les augustiniens, avec la négation de la grâce, voir plus spécialement pp. 208-209, et aussi le chap. 5, pp. 259-265. 101 Sur un total de 171 occurrences dans l’ensemble des Collationes (d’après le Thesaurus Iohannis Cassiani. Series A – Formae, cur. Cetedoc, Brepols, Turnhout 1992, p. 121). Jean Cassien, coll. 13, 9, 5 ; 12, 3 (bis) ; 12, 4 ; 12, 5 (bis) ; 12, 6 ; 12, 7 ; 17, 4 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 374, 378-380 et 394). 99

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on observe qu’aucun de ces passages n’a échappé à l’acribie de Prosper et qu’ils finissent tous par être mis à l’index dans le Contra collatorem102. On parvient ainsi à identifier un véritable réflexe conditionné, qui pousse Prosper, au moment de la lecture, à se méfier de ce qui pourrait se dissimuler derrière un terme qui lui semble a priori suspect et, en l’absence d’indication contraire, à le prendre en mauvaise part. Une telle prévention à l’égard des propos de l’adversaire relève même, en l’espèce, d’une lecture qu’Umberto Eco qualifierait de « paranoïaque »103. Enclin à lire tout texte, et spécialement un texte par endroits polémique comme l’est la Collatio XIII, avec des œillères augustiniennes, Prosper ne peut qu’être attentif et s’émouvoir à la lecture de passages qui, même à mots couverts, paraissent formuler des critiques à l’égard de la doctrine de son maître104. Que ne pas citer ? Tout aussi essentiels, sinon plus, sont les passages que Prosper « excite », pour continuer d’emprunter le même vocabulaire critique105, c’est-àdire ceux qu’il néglige ou fait semblant de ne pas connaître. En isolant, d’abord, la Collatio XIII de l’ensemble des autres Collationes, qui lui donnent pleinement son sens et sa justification, Prosper empêche le lecteur de se représenter le texte incriminé comme faisant partie d’un discours continu, dont il ne constitue qu’une partie, voire une excroissance. Replacée dans la structure générale des Collationes, la leçon de Chérémon ne fait, en effet, que développer un aspect d’une question déjà débattue dans la Collatio III : à l’issue de cette première discussion avec l’abbé Paphnuce, les interlocuteurs s’étaient quittés avec l’assurance 102

Cf. c. coll., 4, 2 (= 19, 5) ; 10, 1 ; 11, 1 ; 11, 2 (= 19, 9) ; 13, 1 (= 19, 10) ; 14, 2. Le concept de « lecture paranoïaque », forgé par U. ECO, Interprétation et surinterprétation, éd. St. COLLINI, Paris 19962 (Formes sémiotiques), est un moyen commode d’appréhender l’attitude de Prosper, par trop enclin à privilégier la « surinterprétation des textes », à propos de laquelle le concept est développé, pp. 4160, et en particulier p. 44. C’est le parallèle qui a déjà été proposé et développé par CASIDAY, Tradition and Theology, pp. 27-29. 104 La lecture augustinocentrée, qu’on a pu étudier à propos de la réception du Contra collatorem lui-même (voir l’Introduction, pp. XVII-XXX), caractérise également toute la production de Prosper et sa méthode hérésiologique en général : voir les conclusions du chap. 4, pp. 235-237. 105 C’est en effet l’une des significations que prend ce verbe lorsqu’il est utilisé par COMPAGNON, La seconde main, p. 28. 103

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que même la grâce actuelle était absolument nécessaire à l’homme, pour commencer comme pour parachever une bonne action106. Les interrogations posées dans la Collatio XIII visent alors seulement à approfondir les modalités d’interaction de la grâce et de la volonté humaine, en d’autres termes à comprendre la place qui revient finalement à l’homme dans cette configuration déjà admise et qu’il est inutile de rappeler. Au lieu de souligner ce détail, et d’entendre de cette manière le sens de la première « proposition », Prosper argue de l’isolement idéologique de cette dernière dans le seul panorama de la Collatio en question pour l’invalider comme un subterfuge107. Au sein de la Collatio XIII, Prosper prend soin de gommer des aspects pourtant indispensables à la bonne compréhension du discours. Ainsi les definitiones sélectionnées, et de manière générale tous les passages cités, sortent sans exception de la bouche du vieillard Chérémon. En concentrant son attention uniquement sur la partie de la Collatio XIII dans laquelle l’anachorète a seul la parole, Prosper fait disparaître la dimension dialogique du discours, présente au début du livre108. Cela lui évite, par la même occasion, d’avoir à citer des positions ou des assertions de Cassien qu’il serait bien en peine de contredire. Bien plus, on lit dans plusieurs passages de la Collatio non repris dans le Contra collatorem des phrases dont Prosper pourrait bien s’inspirer ailleurs109. 106

Cf. Jean Cassien, coll. 3, 19, 1, qui annonce même, par ses tout premiers mots, ce qui sera pour Prosper la « definitio catholicissima » de la Collatio XIII : « Quibus manifestissime perdocemur et initium uoluntatis bonae nobis Domino inspirante concedi, cum aut per se aut per exhortationem cuiuslibet hominis aut per necessitatem nos ad salutis adtrahit uiam, et perfectionem uirtutum ab eodem similiter condonari, nostrum uero hoc esse, ut adhortationem auxiliumque Dei uel remissius uel enixius exsequamur » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 91). Sur l’apport de la Collatio III au débat, voir WEAVER, Divine Grace and Human Agency, pp. 98-100, et le chap. 5, pp. 248-251. 107 Voir le chap. 4, pp. 173-177. 108 Toutes les citations, excepté la première, sont en effet empruntées équitablement dans le texte de Cassien, mais seulement à partir du chap. 5, le quatrième étant le dernier où Germain ait l’occasion de s’exprimer et de signaler au lecteur qu’il a sous les yeux le compte rendu d’une discussion. 109 Comment reconnaître la pensée de Cassien, telle que Prosper veut la présenter, dans une phrase comme celle qui sert de titre à coll. 13, 6 : « Quod sine gratia Dei nullos industrios conatus exsequi ualeamus » ? Dans un passage auquel Prosper fait allusion, celui de la métaphore du cultivateur en coll. 13, 3 (évoqué en c. coll., 13, 2),

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À l’intérieur même des citations qu’il fait, enfin — et l’on touche là, déjà, à la pratique et à la fonction de la citation, dont il va être maintenant question —, il lui arrive d’omettre toute une partie de l’argumentation ou des exemples produits, ou de ramasser à l’excès un discours plus complexe et nettement moins sujet à caution.

2. Comment citer ? Lieu par excellence où se prépare le débat, et où il est même déjà en partie joué, la citation est l’objet d’enjeux multiples. De son insertion, de ses modalités de reproduction dépend entièrement l’entreprise de persuasion menée par le citateur. La diversité des sorts réservés aux nombreuses citations présentes dans l’œuvre montre assez combien il importe à Prosper de choisir avec rigueur la façon dont il feint de donner la parole à son adversaire au sein même de son propre discours. Citation ou allusion ? Si la méthode du citateur est globalement uniforme, on observe quelques différences de traitement qu’il faut essayer d’expliquer. Lorsqu’il veut isoler une definitio particulière, Prosper la reproduit le plus souvent entièrement avant de la commenter, éventuellement en la décomposant ou en l’étayant d’autres citations qui viennent l’éclairer. À la fin de l’œuvre, dans une recapitulatio des douze « propositions » relevées au fil de sa lecture, il se contente alors, pour chacun des passages, de ne citer que ce qui fait réellement débat110. Dans un cas, cependant — celui de la onzième « proposition » —, en c. coll., 16, 1 il en résume simplement la teneur, au discours indirect, pour finir par n’en citer que quelques mots : on peut lire « In quo tamen humana superbia nullatenus se gratiae Dei uel exaequare uel admiscere contendat » (coll. 13, 3, 2 ; éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 363) — phrase qui, prise hors contexte, semblerait être tirée du Contra collatorem, ce qui explique bien pourquoi elle échappe à la citation littérale pour n’être que brièvement mentionnée ; sur cette pratique, voir infra, pp. 118-120. 110 Ainsi en va-t-il, par exemple, tout particulièrement de la septième : présentée dans son contexte immédiat dans le chap. 9, elle n’occupe plus que deux lignes dans le récapitulatif ; comparer c. coll., 9, 2 et 19, 8 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 30-31 et 75).

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« Tu ajoutes que parfois, comme à son habitude, Dieu offre pour éprouver notre foi plus qu’il ne suffit, pour qu’on puisse reconnaître le degré de fragilité de la foi des croyants. Et tu le montres par l’exemple du centurion qui […]111. »

Il renvoie ensuite, toujours au discours indirect, à la péricope synoptique du centurion venu quérir Jésus pour qu’il guérisse son serviteur112. Dans le chap. 19, en revanche, c’est tout le passage de Cassien, d’ailleurs plus bref que sa reformulation prospérienne, qui est cité littéralement113. L’unicité de ce procédé dans le traité, qui semble inverser la méthode pratiquée ailleurs, invite à en rechercher les éventuelles motivations. Plutôt que de retenir l’hypothèse selon laquelle, face à cet extrait précis, Prosper aurait été gêné par le fait que Cassien ait pu étayer son propos par des paroles qui sont celles du Christ114, on préférera penser que la majeure partie de l’emprunt n’est pas littérale pour la raison que le citateur a eu besoin, pour commencer, de recourir au discours indirect. Modifiant ainsi sans grande conséquence Dominus en Deus, mais d’une façon déjà plus significative temptare en probare, Prosper introduit surtout un doute sur les limites exactes de la citation : de fait, si « offerre » est bien présent dans le texte source, l’expression « plus quam sufficit », au contraire, ne s’y trouve pas ; c’est Prosper qui, en faisant intervenir la question de la sufficientia, modifie considérablement le propos115. De plus, il présente 111

C. coll., 16, 1 : « Adiungis solere interdum Deum ad fidem nostram probandam plus offerre quam sufficit, ut quam infirma sit credentium fides possit agnosci. Et hoc exemplo illius centurionis ostendis qui […]. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 62). 112 Matth. 8, 8-10 ; voir Jean Cassien, coll. 13, 14, 3-4 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 385), cité en c. coll., 16, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 62). 113 C. coll., 19, 12 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 77). 114 Car cela se reproduit en deux autres endroits du traité : en c. coll., 3, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 13), où Prosper reproduit Jean Cassien, coll. 13, 9, 2, citant Matth. 16, 27 (« Deus reddet unicuique secundum opera eius »), et en c. coll., 11, 1 (ibid., p. 39), où il cite Jean Cassien, coll. 13, 12, 5, qui convoquait Luc. 12, 57 (« Quid autem etiam ex uobis ipsis non iudicatis quod iustum est ? »). 115 En apercevant le verbe sufficit, le lecteur pense en effet directement au verset paulinien de II Cor. 3, 5 dont Prosper fait plus d’une fois usage dans le Contra collatorem (cf. c. coll., 4, 2 ; 8, 2 ; 19, 5 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 16, 28 et 74) et qui, affirmant que « sufficientia nostra ex Deo est », rend a priori fausse l’opinion de Cassien ici reformulée. Cassien insistait seulement sur le fait qu’en plus d’« offrir » au centurion sa seule parole, elle-même capable de sauver, le Christ a proposé d’offrir sa présence, et de se rendre chez lui pour guérir le malade.

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comme conclusio ce qui, dans le texte original, n’a absolument pas ce statut, omettant au passage de mentionner la référence scripturaire qui, dans la Collatio XIII, suit immédiatement, en l’éclairant, la citation relative au centurion : Cassien met en miroir la figure vétéro-testamentaire d’Abraham, pour souligner justement ce qu’il entend par la foi de l’homme, qui est la foi de l’homme non pas à l’état de nature, mais déjà illuminé par le Seigneur116. Enfin, Prosper présente son extrait comme clos, alors que l’exemple du centurion est de nouveau mis à contribution plus loin dans le discours de Chérémon (en coll. 13, 15 et 16), lequel en fait un témoignage insigne de la superabundantia gratiae qui, toute débordante, dépasse les limites de l’incrédulité humaine117. La fidélité de la citation Le choix du passage à citer et son découpage réalisé avec précision forment déjà un premier pas vers une conception quelque peu biaisée — « hypocrite », a-t-on pu dire118 — du débat polémique, qui consiste à en poser soi-même les bases en les falsifiant à son avantage119. Pareille attitude se traduit également dans la façon de rapporter les propos de son adversaire, pourtant censés fixes et inaltérables, de par leur caractère écrit120. La citation du texte de Cassien peut très bien, dans certains cas, subir des coupes qui ont pour effet d’en fausser la portée véritable. C’est 116

Jean Cassien, coll. 13, 14, 4 : « Non enim illam fidem quam ei Dominus inspirabat, sed illam quam uocatus semel atque inluminatus a Domino per libertatis arbitrium poterat exhibere » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 386). Sur cette distinction, essentielle dans le débat, voir le chap. 5, pp. 244-245. 117 Cf. Jean Cassien, coll. 13, 15, 5 et 16, 1-2 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 390391). 118 Sur l’emploi de la notion d’« hypocrisie », entendue comme catégorie de critique littéraire, à propos de Prosper et de ses procédés dans le Contra collatorem, voir CASIDAY, Tradition and Theology, p. 10, et surtout ID., « Rehabilitating John Cassian ». 119 Ce procédé, qui entre pleinement dans les vues du controversiste, sera étudié dans le chapitre suivant, pp. 161-184. 120 Je n’évoque pas ici les transformations que l’auteur peut encore faire subir aux dires de son adversaires lorsqu’il y introduit son propre commentaire (à ce propos, voir infra, pp. 144-151), voire ce qu’il veut faire comprendre à son lecteur en donnant, lui-même et à sa façon, une systématisation de la pensée de ceux qu’il veut combattre (voir là-dessus le chap. 4, pp. 166-171).

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ce qui se produit lorsque, pour prendre le seul exemple de la deuxième « proposition », Prosper veut se référer à un unique passage de la Collatio XIII, mais ne le reproduit pas in extenso. Faisant mine d’émailler sa citation de réflexions personnelles121, l’auteur passe sans plus de précision d’un extrait de Cassien à un autre, en prenant soin toutefois d’ajouter en guise de transition un verbe ou un adverbe qui souligne la continuité du texte exploité122. « Sequitur autem, dicens », écrit-il pour introduire la suite de ce qu’il présente comme la deuxième proposition123. Mais ce faisant — et probablement dans le but de ne pas embarrasser l’esprit de son lecteur ou de ne pas laisser le moindre doute —, il omet une partie du texte de Cassien. L’expression « Sequitur autem dicens » n’annonce pas, en réalité, la suite immédiate de coll. 13, 8. Les deux passages reproduits par Prosper sont, dans l’original, séparés par une seule phrase : « Le prophète, qui en avait fait l’expérience, le témoigne ouvertement : “La miséricorde de mon Dieu me préviendra124.” »

Prosper omet donc le recours que fait Cassien à l’Écriture, une telle légitimation ne convenant alors pas, et orientant surtout dans une tout autre direction la signification à accorder aux propos qui précèdent. De même ensuite, le citateur omet un adverbe non négligeable (confestim) portant sur illuminat, et qui serait susceptible de minimiser l’écart accusé par la pensée de Cassien125 ; c’est surtout le verbe associé à confortat qui est l’occasion d’une plus grande altération : quand Cassien décrit l’action divine par « confortat et incitat ad salutem », il semble, chez Prosper — qui écrit « confortat et dirigit ad salutem » —, ne pas concevoir la possibilité 121 Sur ce procédé, qui intéresse de près la nature ou l’appartenance générique de l’ouvrage, voir infra, pp. 147-151. 122 Remarquer déjà, à propos de la première « proposition » (c. coll., 2, 2), la succession de chevilles du même type : « inter initia disputationis », « dicens », « inquit », « item infra […] addidit, dicens » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 8-9). 123 C. coll., 2, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 10). 124 Coll. 13, 8, 3 : « Quam expertus propheta apertissime confitetur, dicens : “Deus meus, misericordia eius praeueniet me.” » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 371 ; trad. trad. PICHERY, SC, 54, p. 158), citant Ps. 58, 11. 125 Jean Cassien, coll. 13, 8, 4 : « inluminat eam confestim atque confortat et incitat ad salutem » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 371). Comparer avec c. coll., 2, 3 : « illuminat eam atque confortat ac dirigit ad salutem » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 10).

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d’un initium d’origine divine126. Il est intéressant de remarquer, pour finir, que dans son récapitulatif de c. coll., 19, 3 Prosper restitue à la fois le verset psalmique omis ici, et cite correctement les lignes de Cassien127. Il est vrai qu’une fois le débat d’idées pour ainsi dire clos, la fidélité textuelle n’est plus problématique, tant l’ensemble de ce qui précède a suffisamment conditionné le lecteur quant à la façon dont il fallait comprendre les idées marseillaises ; au tout début de l’œuvre, en revanche, la loyauté aurait sans doute empêché Prosper de s’acquérir pleinement et rapidement la bienveillance de ses lecteurs, et la suite de son exposé lui aurait peut-être donné moins de facilité. En un mot, donc, pour quoi tant citer ? À l’issue de notre analyse, c’est en effet la question de la fonction de la citation qui reste encore à poser. Il se pourrait que la réponse soit de nouveau à chercher sous la plume d’Augustin, qui écrit dans le De perfectione iustitiae hominis : « Mais si je ne cite pas les arguments que je réfute, qui pourra juger la façon dont je les ai réfutés128 ? » C’est un fait que, contrairement aux quelques autres citations présentes dans le traité, qui apportent leur auctoritas au discours du polémiste, les extraits de Cassien reproduits par Prosper ont avant tout une fonction authentifiante et probatoire. Bien loin d’être ornementales, les citations de Cassien sont, de plus, structurantes, et l’œuvre même de Prosper ne peut, en effet, se lire sans elles. On entrevoit par là même, dès maintenant, le pendant du procédé qui vient d’être étudié : citer, et dire que l’on cite fidèlement, c’est aussi rendre inutile le recours à l’original. Ainsi, la citation est également pour Prosper le lieu d’une plus grande maîtrise — manipulation ? — du discours de son adversaire, pour parvenir à ses fins129.

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C. coll., 19, 3. Signalons que, dans un cas comme dans l’autre, il ne saurait s’agir d’un problème de critique textuelle (voir les différents apparats ad loc.). 127 À l’exception de confestim, toujours omis. Cf. c. coll., 19, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 72-73). 128 Augustin, De perfectione iustitiae hominis, 1, 1 : « Sed nisi et illa commemorem quibus respondeo, quis poterit quemadmodum responderim iudicare ? » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, p. 4 ; trad. LA TULLAYE, BA, 21, p. 127). 129 Sur cet aspect de la polémique, voir encore le chap. 4, pp. 161-173.

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III – STRUCTURE DE L’OUVRAGE On a coutume de présenter le Contra collatorem comme l’ouvrage de Prosper le plus achevé. Louis Valentin le juge même « l’œuvre la mieux composée de saint Prosper » et la mieux construite130. Cette affirmation est, certes, loin d’être fausse, mais elle ne manque pas d’ironie, puisque, doiton ajouter aussitôt, Prosper y suit scrupuleusement le plan qui lui est donné par la Collatio de Cassien131 ! Ce sont les passages extraits par Prosper, que ce dernier conserve dans leur ordre initial, qui donnent en effet sa structure principale au traité tout entier. 1. La composition d’ensemble Contrairement aux Collationes, le Contra collatorem n’a pas reçu de son auteur la moindre capitulation ni le moindre intertitre. La structuration que nous lui connaissons habituellement et selon laquelle il est toujours cité (en vingt-deux chapitres, eux-mêmes subdivisés en soixante paragraphes au total132) n’est pas antérieure à la fin du XVIIe siècle et a été ajoutée au texte par les éditeurs mauristes133. Mais elle correspond fort mal à ce qui semble être la structure naturelle du texte, et vient même la compliquer. Si cette structure n’apparaît pas clairement à la première lecture, elle n’en est pas pour autant absolument opaque. Il suffit, pour la reconstituer, de partir de l’extrême fin de l’ouvrage, où Prosper récapitule l’ensemble de son propos en reproduisant chacune des douze definitiones qu’il a extraites de la Collatio XIII, puis en résumant la réfutation qu’il en a donnée134. Ces definitiones, qui étaient 130 Voir VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 188, 452 et 558. Il poursuit (ibid., pp. 558-559) : « C’est même la seule, si j’en excepte les deux lettres à saint Augustin et à Rufin, où l’on trouve cette étroite solidarité entre les parties signalée par Walch et Hauch qui vantent : le premier, l’ordre et la clarté de ce travail ; le second, l’art avec lequel il est écrit. » Voir aussi le résumé dans la « Table des matières » : « Dans saint Prosper, elle [la composition] est défectueuse ou plutôt absente, sauf dans l’ouvrage Contre l’auteur des Conférences » (ibid., pp. [919]-934, ici p. 927). 131 VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 452, le reconnaît également. 132 C’est ce découpage et cette numérotation que j’ai conservés dans mon édition ; voir DELMULLE, « Introduction », chap. 4. 133 À ce propos, voir DELMULLE, « Introduction », chap. 3. 134 C’est le contenu du chap. 19 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 71-78).

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mentionnées déjà au début du traité dans ce qui peut lui faire office de préface, programmatique et méthodologique135, n’apparaissent qu’in fine au nombre de douze. Peut-être n’était-ce pas l’intention de Prosper de sélectionner un nombre de passages qui soit symbolique, ou du moins significatif. Cela permet en tout cas au lecteur de distinguer a posteriori douze parties, correspondant chacune à une definitio et à l’argumentation subséquente de Prosper. Le premier véritable éditeur du Contra collatorem, à la fin du XVe siècle, Marco Michele da Cortona136, l’avait déjà compris, qui avait introduit pour la première fois dans l’œuvre une capitulation et des titres, dans le plus grand respect de la construction voulue par l’auteur. Leur associant à chaque fois le passage cassianien qui s’y trouve mis en examen, il distingue ainsi quatorze chapitres, arrivant ainsi pour l’œuvre entière, en prenant en compte les paragraphes initiaux et finals, à un total de seize sections137. Faut-il tenter de déterminer avec plus de précision le statut exact des textes qui précèdent ou suivent ces douze parties ? Partiellement héritier d’une tradition manuscrite qui s’en était déjà préoccupée138, Marco Michele distingue, en effet, au début du traité une Prephatio, qui s’étend au-delà de notre premier chapitre, pour faire commencer le développement de l’œuvre proprement dite à « Igitur in libro » (c. coll., 2, 1). De même, les éditeurs-imprimeurs du XVIe siècle ont voulu identifier dans les dernières lignes du traité ce qu’ils ont nommé une Peroratio139. Il serait vain de rejeter comme d’adopter ces dénominations dans la mesure où, ces parties n’étant pas autrement caractérisées par Prosper, 135 C. coll., 2, 1 : « Vnius potissimum definitiones […] reseremus. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 29). Voir supra, pp. 84-85 et 104-108, l’étude de cette préface et de ce passage en particulier. 136 Pour une présentation de Marco Michele, auteur également d’un Liber aduersus errores sancti Iohanis Cassiani in Collationibus sanctorum patrum, dont je prépare actuellement l’édition princeps, voir les Conclusions, p. 297 ; on trouvera aussi dans DELMULLE, « Introduction », les détails relatifs au manuscrit G, qui nous intéresse ici (chap. 1) et au travail philologique de Marco Michele (chap. 2). 137 Cette entreprise, restée encore inédite, est d’autant plus remarquable qu’elle correspond en tout point à ce à quoi on peut aujourd’hui espérer parvenir (voir infra, pp. 125-134). 138 Voir DELMULLE, « Introduction », chap. 2. 139 À la suite de l’édition lyonnaise de Sébastien Gryphe, parue en 1539 ; voir DELMULLE, « Introduction », chap. 3.

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seule leur présence nous importe. On a vu déjà quel rôle elles revêtaient dans la contextualisation de la polémique présente et le conditionnement des lecteurs140.

2. Plan détaillé du traité Pour bien comprendre la structure du Contra collatorem, il ne faut pas perdre de vue son caractère intrinsèquement métatextuel. Tel qu’il est conçu, le traité ne peut exister et être lu qu’en rapport avec le texte qui lui sert de point de départ et sur lequel il s’appuie. Analyser sa composition revient alors à s’intéresser d’abord à la composition de la Collatio XIII, bien que cette dernière ne soit plus que difficilement perceptible au sein du Contra collatorem, qui en donne une vision nécessairement fragmentaire. Comme c’est le cas pour toutes les autres Collationes, la composition de la Collatio XIII apparaît sans peine au lecteur, dans la mesure où elle est expressément indiquée dans une tabula capitulorum initiale141. Elle fait bien apparaître le caractère dialogique de l’œuvre, dont il ne reste plus aucune trace dans le Contra collatorem142. Au fil des dix-huit chapitres qui composent la Collatio, Chérémon et ses interlocuteurs abordent plusieurs des problèmes qui intéresseront Prosper143 : la chasteté parfaite, 140

Voir supra, pp. 84-85. Pour les problèmes terminologiques liés à la désignation des pièces liminaires des œuvres littéraires, voir encore [G.] ENGEL, De antiquorum epicorum didacticorum historicorum prooemiis, Dissertatio inauguralis quam auctoritate et consensu amplissimi philosophorum in Academia Philippina Marpurgensi ordinis ad summos in philosophia honores rite capessendos, Typis academicis Ioh. Aug. Koch, Marpurgi Cattorum 1910, pp. [5]-7, et surtout l’introduction de l’étude de T. JANSON, Latin Prose Prefaces. Studies in Literary Conventions, Almqvist och Wiksell, Stockholm – Göteborg – Uppsala 1964 (Studia Latina Stockholmiensia, 13), p. 12. 141 On renverra aux capitula, édités par PETSCHENIG, in CSEL, 13, pp. 361-362. On n’a pas encore déterminé, semble-t-il, si la tabula était originale, ce qui est plus que probable dans la mesure où la capitulation est, elle, assurément contemporaine de l’auteur (comme en témoigne Prosper, c. coll., 2, 3 : « in septimo autem capitulo », et 4 : « sed et in capitulo nono » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 10). 142 Grâce à l’alternance des répliques de « Germanus » et de « Chaeremon » en coll. 13, 2-5 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 362-365). 143 La Collatio XIII est elle-même à replacer dans la structure plus vaste du recueil, à la fois au sein de la trilogie des conférences prononcées par l’abbé Chérémon (coll.

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comme tout autre bien, ne peut exister sans Dieu (chap. 2-3), et les païens qui passent pour chastes ne le sont pas tout à fait (chap. 4-5) ; car l’homme ne peut accomplir aucun effort sans la grâce de Dieu (chap. 6), qui œuvre quotidiennement pour lui faire acquérir la vie éternelle (chap. 7) ; c’est donc une coopération qui s’instaure entre la grâce et le libre arbitre (chap. 8), dont chacun a ses vertus propres (chap. 9), quoique le libre arbitre de l’homme pâtisse de sa faiblesse naturelle (chap. 10) ; la question est de comprendre l’interaction des deux : si elle précède et accompagne toujours la volonté humaine (chap. 11), la grâce n’est pas pour autant toujours ce qui rend une volonté bonne (chap. 12), quoique l’homme ne puisse la contrebalancer (chap. 13) ; Dieu cherche à éprouver la solidité du libre arbitre (chap. 14), qui peut être appelé par la grâce de façons très diverses (chap. 15), car la grâce excède les cadres de la simple foi de l’homme (chap. 16), si bien que l’action de la providence divine reste insondable pour l’homme (chap. 17), mais absolument nécessaire au salut de l’homme, pour lequel le libre arbitre seul ne saurait suffire (chap. 18). Prosper n’est pas pour autant tributaire de cette structure, qu’on serait bien incapable de restituer à partir des extraits donnés dans le Contra collatorem. Le cheminement de son argumentation suit davantage la logique interne qu’il s’est lui-même imposée en reproduisant l’une après l’autre les douze definitiones — tout en en maintenant stricto sensu l’ordre d’apparition dans le texte de Cassien. Comme le plan détaillé qui suit le montrera, on voit apparaître très clairement, au fil du traité, les différentes étapes parcourues par Prosper, à mesure que sa critique se fait plus incisive, et les différents rapports qui unissent son texte au texte source. La lecture de la Collatio et les opérations d’excerption qui lui sont associées donnent ensuite lieu à une retranscription, quelquefois infidèle et déjà partiale, qui prépare à son tour le développement d’un commentaire qui s’apparente à une critique. Un pas supplémentaire est même franchi, à la fin de l’œuvre, lorsque Prosper reprend point par point les douze passages critiques en y ajoutant un résumé de son verdict (au chap. 19), puis qu’il condense plus encore les positions de ses adversaires pour en faire éclater avec plus de force le caractère scandaleux (au chap. 20). En bref, le Contra collatorem présente une structure qu’on pourrait dire XI-XIII) et par rapport à la Collatio III, dont elle développe une partie ; sur tout cela, voir la démonstration de VOGÜÉ, « Pour comprendre Cassien », p. 260.

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« en entonnoir », comme le feraient des botanistes ou des géologues : non content de n’avoir conservé du texte original que quelques passages, Prosper semble même ne les analyser que pour parvenir in fine à une synthèse toujours plus compacte de la pensée de Cassien et, par là, en extraire la véritable substance144. Le plus commode est de présenter la structure du traité en un plan synoptique qui fasse état de la position exprimée par Prosper en la rapportant à sa source (la definitio extraite de la Collatio XIII) et établisse des liens entre les étapes successives de l’argumentation que l’on vient de préciser145. Introduction (1 – 2, 1) Les ouvrages composés par Augustin contre les pélagiens suscitent des critiques et des calomnies qui sont aussi intolérables que les attaques des hérétiques. Elles sont même plus graves encore, du fait qu’elles créent une voix discordante au sein même de l’Église en faveur d’hérétiques condamnés et qu’elles jouissent d’une large audience. La nécessité est donc pressante de percer à jour ces calomniateurs et de battre en brèche leurs attaques ad hominem envers Augustin, qui touchent aussi l’Église en son entier, par les papes qui ont soutenu le même combat. On attaque Augustin en le taxant de nouitas, alors que la polémique est vieille de plus de vingt ans et surtout que la victoire des « catholiques » a été éclatante et est universellement reconnue. Le meilleur moyen de comprendre et de réfuter la position de ces adversaires autoproclamés d’Augustin est de se reporter à la Collatio de Chérémon « sur la protection de Dieu » (= la Collatio XIII de Cassien), qui a l’avantage d’être un texte signé, d’offrir un point de vue très net sur le sujet et d’être ainsi facilement exploitable.

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C’est là l’un des procédés principaux mis en œuvre par Prosper dans le traité à des fins polémiques. Il sera analysé dans le chap. 4, pp. 166-171. 145 Dans les pages qui suivent, on trouvera une synthèse du traité, divisé selon la structure la plus apparente, qui fait correspondre une partie à l’examen d’une definitio (les quelques excessus sont mis en évidence en grisé). À côté des citations de Cassien, mises en évidence par le soulignement, on indique, à gauche, les références correspondantes de la Collatio XIII. À droite, enfin, faisant face au développement du corps du texte, une référence interne renvoie au récapitulatif final qui en résume le propos (chap. 19).

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Première proposition (2, 2) (coll. 13, 3, 5)

Les actions et les pensées bonnes sont ins- (cf. c. coll., 19, 2) pirées par Dieu. Proposition tout à fait recevable (catholicissima), confirmée par d’autres passages de Cassien (coll. 13, 3, 6 et 13, 6, 3).

Deuxième proposition (2, 3-5) (coll. 13, 8, 3-4) 2, 3 — a) La providence de Dieu accom- (cf. c. coll., 19, 3) pagne ou précède la volonté de l’homme : lorsqu’une volonté bonne naît en l’homme, Dieu vient ensuite la faire croître. Malgré l’ambiguïté de sa formulation, cette proposition est acceptable, à condition de comprendre que, si l’aide apportée par Dieu peut être considérée comme seulement coopérante (« compagne »), c’est parce qu’elle vient continuer une œuvre qu’elle a elle-même déjà entreprise lors de la Création. (coll. 13, 9, 1)

2, 4-5 — b) On comprend mal comment Dieu se manifeste indistinctement à ceux qui le cherchent comme à ceux qui ne le cherchent pas. Il n’y a là-dedans rien d’incompréhensible, étant donné que ce n’est pas le libre arbitre de l’homme qui est à l’origine de l’apparition ou non de la foi ; c’est la grâce multiforme de Dieu qui convertit les hommes et les pousse à la désirer.

Troisième proposition (3 – 4, 1) (coll. 13, 9, 4)

Les Évangiles attestent par de nombreux (cf. c. coll., 19, 4) exemples cette coopération de la grâce divine et de la liberté humaine : le désir des vertus, éprouvé par l’homme, ne peut se passer ensuite de l’aide de Dieu.

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Il ne suffit pas de dire qu’à lui seul l’homme est incapable d’être vertueux ; il faut ajouter que l’idée même de vertu et l’envie qu’il semble formuler d’y atteindre lui sont suggérées par Dieu. Quatrième proposition (4, 2) (coll. 13, 9, 5)

Il y a des commencements de bonne vo- (cf. c. coll., 19, 5) lonté que l’homme possède naturellement (depuis sa création), mais qui ne peuvent se transformer en vertus réelles qu’avec l’intervention de Dieu ; Rom. 7, 18 appuie cette théorie. Cette assertion est en contradiction avec la première proposition : elle signifierait que les volontés bonnes pourraient avoir chez l’homme une origine naturelle ou être du ressort de sa volonté, alors que leur accomplissement, mais même la simple conception que l’homme peut s’en faire, viennent de Dieu. Cinquième proposition (5-7)

(coll. 13, 11, 1.4) 5, 1-2 — a) De la volonté bonne de (cf. c. coll., 19, 6) l’homme ou de la miséricorde de Dieu, laquelle se manifeste avant l’autre et la provoque ? On a voulu à tort trancher en la faveur exclusive de l’une ou de l’autre, ce qui a mené à des positions extrêmes qui, toutes deux, étaient des erreurs. Renvoyer dos à dos les deux erreurs contraires (le pélagianisme et le « catholicisme »), c’est se tromper deux fois : ce faisant, Cassien en vient à considérer à égalité deux positions antithétiques, dont l’une est précisément la négation et le combat de l’autre, et surtout croit pouvoir trouver l’équilibre dans une fusion des deux, en faisant fi de toute logique.

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5, 3 – 6 — L’accusation par Cassien des deux extrêmes revient à taxer d’erreur, au même titre que les partisans du pélagianisme, les papes et les conciles successifs qui sont intervenus au cours de la crise pélagienne. C’est l’occasion pour Prosper de convoquer un dossier archivistique rassemblant des lettres de papes et des conciles (Innocent, Zosime et les conciles africains de 418), qui équivalent à une condamnation anticipée des arguments de Cassien. Il est vain, en effet, de tenter de reprendre le combat déjà perdu par Pélage et les siens ; il ne peut qu’être voué au même échec. (coll. 13, 11, 1.4) 7 — b) La vérité est dans le milieu, l’une et l’autre position franche étant contredite par des exempla bibliques : Paul et Matthieu pour la première, Zachée et le bon larron pour la seconde. L’opposition que Cassien a voulu déduire de ces deux couples d’exemples est pure imagination. Il n’est pas concevable que la grâce de Dieu, dont on reconnaît qu’elle est capable d’amener à la conversion des non-croyants même réticents, ne soit pour rien dans la conversion, plus facile, de ceux qui n’opposent pas de résistance. La grâce est une et non diverse, et l’attraction de Dieu (Ioh. 6, 44) est la même sur tous. Sixième proposition (8) (coll. 13, 11, 4) Grâce et libre arbitre, quoique en appa- (cf. c. coll., 19, 7) rence contradictoires, sont indissociables : privilégier l’un sur l’autre, attribuer à l’homme l’un sans l’autre, serait contraire à la foi de l’Église.

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Définition de ce qu’est réellement la foi de l’Église, à partir de seize citations des Épîtres pauliniennes et des Évangiles. On voit par là que, loin de retirer quelque liberté que ce soit à l’homme, la grâce agit sur cette liberté pour le bien de l’individu. C’est Cassien, au contraire, qui a cherché, dans la proposition précédente et par son double exemple de conversion, à dissocier les deux et a ainsi supprimé tantôt l’un, tantôt l’autre. (coll. 13, 11, 5) 9, 1 — Au moindre élan de l’homme vers le bien, Dieu intervient pour venir à son aide. Cela revient à glorifier le libre arbitre au mépris de la grâce, et donc supposer que la grâce est donnée à l’homme selon ses mérites antérieurs. Même Pélage, à Diospolis, a condamné cette théorie. Septième proposition (9, 2 – 10) (coll. 13, 12, 2) 9, 2-5 — a) Que Dieu ait laissé le libre (cf. c. coll., 19, 8) arbitre à l’homme est la preuve que l’homme a la volonté et la possibilité de faire le bien. Au moment de la prévarication, Adam a acquis la connaissance du mal sans perdre celle du bien. Le libre arbitre a permis à Adam de rester bon aussi longtemps qu’il l’a voulu, mais c’est aussi ce qui lui a permis de choisir de suivre le diable. Alors, la nature humaine n’a perdu ni sa substance ni sa volonté, mais ses vertus, qui lui permettaient d’atteindre l’incorruptibilité. La perte de la science du bien par Adam a pour conséquence que, si la liberté est employée de manière mauvaise, c’est entièrement du fait de la défaillance de l’homme. Les descendants d’Adam, eux, ne disposent plus que de cette nature viciée, qui rend nécessaire le baptême. Leur libre arbitre n’est pas aussi sain que celui qu’a primitivement reçu Adam ; tel est le châtiment qu’ils subissent pour avoir eux aussi, avec Adam, commis la faute.

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(coll. 13, 12, 3) 10 — b) L’exemple, donné par Paul luimême (Rom. 2, 14-16), des Gentils qui accomplissent naturellement la Loi démontre à lui seul que l’homme a pu jouir, après la prévarication d’Adam, de la science du bien. De deux choses l’une : soit l’Apôtre parle ici des païens qui ont été, sinon baptisés, du moins convertis, et donc il n’y a pas de raison de les louer, puisque s’ils agissent « naturellement », c’est en vertu d’une nature renouvelée par Dieu ; soit il parle des païens de l’Antiquité, et dans ce cas il est clair que leur prétendue sagesse ne peut être qu’une séquelle de la nature créée par Dieu et est un bien mal utilisé. Huitième proposition (11-12) 11 — En rappelant l’épisode des Pha- (cf. c. coll., 19, 9) risiens, Cassien franchit un pas supplémentaire, accordant à l’homme non plus seulement la volonté de faire le bien, mais même la possibilitas boni. (coll. 13, 12, 5) a) Il ne faut pas attribuer à Dieu tous les mérites des saints et à l’homme, par contraste, tout le mal. C’est là cumuler deux erreurs proprement pélagiennes : considérer que la grâce ne récompense que des mérites personnels et qu’elle n’intervient pas pour des actes particuliers. (coll. 13, 12, 6) 12 — b) L’idée formulée par le roi David de construire un temple pour Dieu — ce que Dieu lui a refusé — est une idée à la fois bonne et non inspirée par Dieu ; c’est donc que l’homme est capable de bonnes initiatives. L’argument se retourne contre Cassien car, certes, la pensée de David est bonne, mais elle provient en fait de Dieu : c’est lui qui a voulu que David projette la construction du Temple, mais que ce soit Salomon qui l’accomplisse. D’autres exemples montrent qu’il arrive que la volonté bonne soit propre à l’homme, mais à chaque fois elle est conçue sous l’inspiration de Dieu.

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Neuvième proposition (13) (coll. 13, 12, 7) 13, 1-5 — a) Il y a dans toute âme, depuis (cf. c. coll., 19, 10) sa création, des semences de vertus ; mais elles ne peuvent fructifier sans l’aide de Dieu. C’est sans compter la prévarication d’Adam, dont on a vu déjà les incidences sur la nature humaine. Il ne peut y avoir de vertus dans une nature si viciée. Disparues avec la faute d’Adam, ces semences de vertus ont besoin d’être restituées à l’homme par Dieu lui-même, sans quoi elles apparaîtraient comme des mérites naturels antérieurs à toute grâce. (coll. 13, 12, 5) 13, 6 — b) Comme l’atteste le Pasteur d’Hermas, l’homme conserve toujours, par son libre arbitre, toute liberté de choisir, et donc de décider soit d’aimer, soit de négliger la grâce. Il n’y a aucune autorité à accorder au Pasteur. De plus, en admettant que la proposition de Cassien ne s’entende que de ceux qui sont capables d’exercer leur liberté, on ne peut dire que ce soit l’homme qui est à l’origine de l’amour. Dixième proposition (14-15) (coll. 13, 14, 1-2) 14, 1 — Dans son combat contre le diable (cf. c. coll., 19, 11) (Iob 1, 9-11), Job n’était doté que de ses propres forces. Il a réussi à vaincre sans l’aide de Dieu son ennemi, qui le reconnaît explicitement. Si la grâce le soutient, c’est uniquement à proportion de ce que Dieu sait être la résistance de Job. 14, 2 — De tels propos ne sont pas dignes d’être tenus par des catholiques. Récapitulatif de toutes les propositions de Cassien examinées jusqu’à cet endroit : def. 1, 3, 4, 5a, 5b, 7, 8a et 9. Vu la nature évidemment erronée des suivantes, la première assertion ne peut apparaître que comme une tentative fallacieuse de se ménager l’attention des lecteurs.

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15 — Alors que, jusqu’à présent, Cassien reconnaissait au moins à la grâce un rôle nécessaire pour le parachèvement des pensées et des actions bonnes, avec l’exemple de Job il se libère tout à fait de la grâce divine pour exalter les seules capacités proprement humaines. En réalité, Job était habité par l’Esprit saint : c’est donc Dieu qui agissait par lui et qui l’avait préparé à endurer la souffrance. La précaution ajoutée par Cassien au sujet de la grâce a besoin d’une légère modification d’ordre lexical pour être réellement acceptable. Onzième proposition (16-17) (coll. 13, 14, 3-4) 16 — a) Il arrive à Dieu d’éprouver la foi (cf. c. coll., 19, 12) de l’homme, au point de se féliciter de la foi d’un homme tel que le centurion de Matth. 8. Une telle assertion ratifie le dogme pélagien ; elle est contredite par plusieurs passages néo-testamentaires, et en particulier les salutations des épîtres de Paul. (coll. 13, 16, 1) 17 — b) Il ne faut pas subordonner le salut à la volonté humaine, comme le font les tenants d’une « opinion sacrilège » (les pélagiens). Sans que Cassien ait l’air de s’en rendre compte, cette condamnation vaut également pour sa propre proposition (11a). Douzième proposition (18) (coll. 13, 17, 2) L’intervention céleste prend des formes (cf. c. coll., 19, 13) multiples : se contentant d’encourager les efforts de certains, volontaires, en leur donnant la persévérance, Dieu en force certains autres, réticents, en leur octroyant le commencement même de la bonne volonté. C’est pourquoi, dans la prière, on invoque le Christ comme protecteur et comme soutien.

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Cassien divise ainsi l’humanité en deux catégories : le Christ serait le sauveur de certains et uniquement le soutien de certains autres, alors qu’en réalité il occupe les deux fonctions vis-à-vis de chacun. On ne peut soutenir cette bipartition sans tomber dans le pélagianisme, qui ne saurait être soluble dans le « catholicisme ». Tout problème est levé si l’on admet que, dans la prière comme dans toute autre action, le poids de la grâce ne supprime en rien le libre arbitre. Récapitulation (19-20) 19 — « Liste brève et d’un seul tenant » récapitulant les positions de Cassien (et plus généralement des adversaires d’Augustin) examinées dans l’ouvrage ; après chacune d’entre elles, une phrase rappelle en quoi cette « proposition » va à l’encontre de l’orthodoxie. 20 — Synthèse paraphrastique de la pensée de Cassien, organisée selon un ordre différent, par des emprunts successifs aux def. 7, 9, 11, 8, 10, de nouveau 8, 2, 12 et enfin 3. L’action antipélagienne des papes de Rome (21) L’offensive menée par les Marseillais ne doit donner lieu à aucune riposte. La guerre qu’ils combattent a déjà été gagnée par les « catholiques », grâce aux pontifes romains à qui il faut rendre un hommage appuyé : Prosper loue les actions d’Innocent, de Zosime et de Boniface (1), puis de Célestin, qui est l’auteur d’un bel éloge d’Augustin (2). La bonne interprétation de cet éloge invite à voir dans l’ensemble de l’œuvre de l’évêque d’Hippone une continuité et une cohérence de pensée : Prosper conseille la lecture de dix œuvres d’Augustin en particulier (3). Mais pour faire face à de tels adversaires, rien ne sert d’argumenter et mieux vaut attendre l’intervention du pape Xyste, qui saura chasser les hérétiques clandestins comme le lui conseillait Augustin déjà quinze ans plus tôt (4). Conclusion (22) Il est clair que les détracteurs d’Augustin sont dans l’erreur et reproduisent les travers des pélagiens. Cependant, étant donné qu’ils font encore partie de l’Église, il faut se garder de les condamner et bien plutôt prier pour leur conversion.

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3. Remarques sur la structure L’étude analytique de la structure du traité appelle plusieurs observations. En apparence bien équilibrée, la démonstration générale de Prosper se développe en douze parties, dont chacune correspond à une definitio de Cassien, puis est résumée en douze sententiae, pour enfin être reformulée en un seul paragraphe. Seulement, l’impression donnée par cette reconstitution risque d’être fort illusoire. On a noté à plusieurs reprises la présence d’excessus qui viennent troubler le déroulement naturel du traité. Surtout, le nombre de douze definitiones se révèle, en dernière analyse, une reconstruction a posteriori de la part de Prosper. Ce nombre, symbolique s’il en est, ne figure que lors de la récapitulation finale, qui nous a permis d’identifier la structure générale de l’ensemble du traité, mais n’est jamais annoncé, par exemple, au début de l’œuvre, dans les lignes que Prosper consacre à la présentation de son travail ; il ne correspond pas tout à fait, du reste, au véritable contenu du Contra collatorem, qui examine aussi quelques passages épars, non repris dans le chap. 19146. Sans doute fautil supposer, grâce à cet indice, que ce décompte n’était pas initialement prévu et qu’il est apparu opportun à l’auteur d’en faire état à la fin de sa rédaction. Pour cette raison, la préface, qui n’en porte aucune trace, aurait dans ce cas été rédigée en premier lieu, sans subir de modifications ultérieures. Mais au-delà même de la symbolique, le nombre de douze n’est pas sans faire écho, également, à la liste des douze anathèmes prononcés par Pélage à Diospolis, et rappelés çà et là par Augustin147. Une nouvelle 146

Ainsi Prosper choisit de ne pas rappeler dans son récapitulatif son analyse de l’exemplum de David et de Salomon lors de la construction du Temple (au chap. 12), qui est selon lui à inclure directement dans la huitième « proposition ». Pour être exact, il faudrait aussi inclure dans le nombre total des definitiones les passages de la Collatio XIII exactement cités par Prosper dans le corps du traité, mais qui ne sont pas rappelés dans le chap. 19 ni ne peuvent être compris implicitement dans les griefs rapportés à l’occasion de l’une ou de l’autre definitio : il s’agit de coll. 13, 9, 1 (cité en c. coll., 2, 4), 13, 11, 5 (cité en c. coll., 9, 1) et 13, 12, 6 (cité en c. coll., 12, 1). 147 En particulier dans son epist. 186 à Paulin de Nole, dans laquelle il les rassemble les uns à la suite des autres : epist. 186, 9, 32 (éd. GOLDBACHER, CSEL, 57, p. 71 — la disposition du texte dans l’édition rend mal compte du nombre des douze griefs, qui sont pourtant bien signalés comme tels et numérotés dans toute une partie de la tradition manuscrite ; cf. app. ad loc.). Voir aussi la lettre d’Augustin à Vital (epist. 217), qui énonce la doctrine « orthodoxe » de l’Église en matière de grâce et de libre arbitre en douze points, commençant chacun par « Scimus », brièvement expliqués

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fois, la structuration du traité trouve des précédents dans la controverse pélagienne, et ce à travers la littérature augustinienne, comme on l’a déjà remarqué s’agissant du De perfectione iustitiae hominis148. Les répliques données par Prosper à chaque proposition apparaissent, à la lecture, extrêmement répétitives. Ces redites ou ces renvois à l’intérieur du texte ne sont dus qu’au fait que Prosper adopte pour unique plan celui de suivre imperturbablement le fil de la Collatio de Cassien. Plutôt que de rassembler en un seul endroit cohérent les différents passages dans lesquels la question est traitée par l’auteur qu’il examine, Prosper reproduit, dès qu’il rencontre de nouveau un problème déjà soulevé plus haut, un discours qu’il a développé ailleurs. En dépit donc d’une structure claire, dont la compréhension est grandement facilitée par le récapitulatif final, le Contra collatorem accuse nombre d’imperfections, mais qui, plutôt que de trahir un défaut de composition imputable à l’auteur, rendent parfaitement compte de sa méthode. C’est parce que le traité accorde une place de choix au texte même de la Collatio XIII, qu’il examine, qu’il se présente sous une forme singulière qui demande maintenant a être définie avec plus de précision.

IV – PROSPER, EXÉGÈTE ET CENSEUR DE CASSIEN La large place laissée au discours de l’adversaire dans le Contra collatorem saute aux yeux du lecteur, comme cela était déjà le cas dans le Peri akharistôn149. Alors qu’on observait dans ce dernier une proportion de prises de parole directes tout à fait inhabituelle pour un poème didactique, dans le premier c’est la citation textuelle des propos de l’adversaire qui va jusqu’à déterminer la structure même de l’ouvrage. Pour autant, les mêmes fins n’appelant pas les mêmes moyens, le sort réservé au discours de l’adversaire est dans chacune des œuvres pour le moins différent. C’est pourtant moins l’appartenance générique de ces œuvres qui est en cause que, pour ainsi dire, une certaine attitude du controversiste face dans la suite (epist. 217, 5, 16 et 6, 18-24 ; éd. GOLDBACHER, CSEL, 57, pp. 414-416 et 416-421). 148 Voir supra, p. 121. 149 J’ai étudié cet aspect à partir de deux passages du poème dans DELMULLE, « “Prosper, poeta et rhetor” » ; voir déjà supra, p. 111, n. 90.

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au texte. Vu, en effet, le rapport étroit qui unit le texte du Contra collatorem à celui de la Collatio XIII, mis en évidence dans la reconstitution de la structure de l’œuvre, c’est en définitive ce que Prosper fait du texte de Cassien qui donne le mieux à voir quelles sont les modalités mises au service du projet polémique plus général, dont le présent traité n’est qu’une concrétisation ponctuelle parmi d’autres. Le Contra collatorem se trouve ainsi placé dans une situation assez paradoxale : celle d’un texte qui cherche à exploiter un autre texte, mais qui s’en trouve dans le même temps, ipso facto, fortement dépendant. D’autres parallèles, déjà signalés, le placent naturellement — pour la doctrine, mais peut-être même aussi pour la forme — dans la lignée d’Augustin accusateur de Célestius150. Mais en faisant alterner les propos de l’adversaire et les siens propres, en cherchant à les examiner pour exprimer un avis, Prosper se conforme, de fait, à la pratique du dialogue contradictoire plusieurs fois utilisée par son maître, à partir au moins de son Contra Faustum, et particulièrement représentée dans ses ouvrages antipélagiens : outre le De perfectione iustitiae hominis contre Célestius, dans le De natura et gratia dirigé contre Pélage et ses deux longs traités contre Julien (Contra Iulianum et Contra Iulianum opus imperfectum). À bien des égards, donc, le traité semble être, par ses différents « prétextes » et son statut même, à la croisée de traditions, et donc d’influences, multiples. L’envisager par ce biais, plutôt que de tenter seulement de le rattacher à un genre particulier, permettrait de déceler dans la manière de Prosper des échos variés qui, par les nouvelles perspectives qu’ils ouvrent, aident à comprendre des aspects de l’œuvre passablement implicites. Quoique en apparence soucieux de laisser à l’adversaire la liberté de s’exprimer et de ne pas dénaturer ses propos, Prosper en vient à en livrer un commentaire si minutieux que son traité finit par s’apparenter à un véritable examen en règle, voire à un dossier à charge en forme de réquisitoire.

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Plus particulièrement dans le De perfectione iustitiae hominis, pour l’indication expresse que le propos de l’ouvrage est de passer au crible de l’orthodoxie les definitiones d’un auteur jugé doctrinalement peu recommandable ; voir supra, pp. 104-108.

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1. Un dialogisme apparent La composition du traité telle qu’on l’a reconstituée souligne à elle seule le rôle essentiel dévolu aux citations de la Collatio XIII, qui structurent le texte et appellent, chacune à son tour, une réponse particulière. Cette alternance des répliques et cet apparent dialogisme ne sont pas sans rappeler la pratique d’un genre assez prisé de Prosper à la même époque, mis en œuvre dans ses trois séries de Responsiones, et qui pourrait avoir pour modèle plusieurs écrits d’Augustin, cités plus haut. Le Contra collatorem et les Responsiones Dans les Responsiones comme dans le Contra collatorem, Prosper commence en effet par citer verbatim, par souci de clarté et de loyauté, la critique ou la demande de son interlocuteur avant de lui opposer une réponse concise, mais détaillée, faisant le point sur l’élément de doctrine dont une formulation trop obscure aurait été à l’origine de la mécompréhension ou du désaccord qu’il s’agit d’évacuer151. C’était également le procédé utilisé par Augustin dans son De perfectione iustitiae hominis au sujet de Célestius ; mais alors cela s’expliquait par le fait que les propositions en question n’avaient été diffusées qu’en sous-main et qu’on ne disposait de rien d’autre que de ces excerpta152. Autre point commun, concernant le seul aspect formel : à l’instar des trois recueils adressés aux Gênois, aux Gaulois et à Vincent, le Contra collatorem s’ouvre sur le constat malheureux qu’on s’en est pris à la pensée ou même à la personne d’Augustin, soit qu’on l’ait mal comprise, soit qu’on 151 Telle est précisément la méthode que Prosper dit vouloir utiliser dans les préfaces de ses Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium et de ses Responsiones ad capitula obiectionum Vincentianarum. Les deux formulations étant quasiment identiques, on n’en citera qu’une : « Propositis igitur singillatim sedecim capitulis, sub unoquoque eorum, sensus nostri et fidei quam contra Pelagianos ex Apostolicae Sedis auctoritate defendimus, uerba ponemus : ut qui paululum se ad legenda haec dignati fuerint occupare, euidenter agnoscant, impiarum profanarumque opinionum nullum cordibus nostris inhaesisse uestigium ; et blasphemias quas perspexerint nostra professione damnari, in earumdem repertoribus censeant debere puniri » (resp. ad Vincent., praef. ; PL, 51, col. 178A) ; cf. aussi resp. ad Gall., praef. (ibid., coll. 156A-158A). 152 Augustin s’interroge à juste titre sur la recevabilité d’un traité qui omettrait de rendre compte de ce que l’on a appelé plus haut son « pré-texte » ; cf. De perfectione iustitiae hominis, 1, 1 (texte cité supra, p. 121, n. 128).

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en ait sciemment détourné la doctrine. Le parallèle est plus flagrant encore avec les deux Responsiones proprement polémiques, comme le montre plus particulièrement la comparaison qui suit des incipit du Contra collatorem et des Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium, qui doivent lui être de peu postérieures : C. coll., 1, 1 : « Gratiam Dei, qua Christiani sumus, quidam dicere audent a sanctae memoriae Augustino episcopo non recte esse defensam, librosque eius contra errorem Pelagianum conditos immoderatis calumniis impetere non quiescunt153. » Resp. ad Gall., praef. : « Doctrinam, quam sanctae memoriae Augustinus episcopus contra Pelagianos inimicos gratiae Christi, et liberi arbitrii decomptores, per multos annos apostolice asseruit, litterisque mandauit, quibusdam uisum est, aut non intelligendo, aut intelligi eam nolendo, reprehendere154. »

Dans l’une et l’autre entreprise, les motivations et les finalités sont, de fait, exactement les mêmes. On ne peut que souligner, enfin, l’étroite parenté qu’entretient encore le traité avec les Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium dans leur ensemble : des trois séries de Responsiones, celle que Prosper adresse aux Gaulois est la plus longue, ce qui explique sans doute la nécessité que ressent l’auteur, à l’issue de sa réfutation, de rassembler dans une seconde partie l’ensemble de ses positions, sous la forme de sententiae qui ont l’avantage de faire disparaître toute trace du contexte circonstanciel ayant présidé à la rédaction du reste de l’ouvrage afin de généraliser le propos. Commençant toutes par « Quisquis […] dicit », puis « Item qui dicit », ces sententiae s’apparentent de beaucoup 153

C. coll., 1, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. [5]). Resp. ad Gall., praef. (PL, 51, col. 155A). On remarquera le même usage de « reprehendere » qu’en c. coll., 21, 2 : « sanctae memoriae Augustini scripta reprehendunt », et 22 : « reprehensores sancti Augustini » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 81 et 84). Comparer aussi avec resp. ad Vincent., praef. : « Quidam Christianae ac fraternae charitatis obliti, in tantum existimationem nostram quoquo modo student laedere, ut suam se euertere nocendi cupiditate non uideant. Contexunt enim et, qualibus possunt sententiis, comprehendunt ineptissimarum quarumdam blasphemiarum prodigiosa mendacia, eaque ostendenda et ingerenda multis publice priuatimque circumferunt, asserentes talia in nostro sensu esse qualia diabolico continentur indiculo. » (PL, 51, col. 177A). 154

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à des anathèmes155. En dépit d’écarts formels très légers, le récapitulatif des Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium s’affranchissant désormais entièrement de la lettre des objections et même des objecteurs initiaux, le but ultime ne varie pas : dans les Responsiones, il s’agit d’affirmer clairement quelle est, sur les questions soulevées, la position de l’Église (en fait, d’Augustin) en invalidant celle de l’adversaire ; dans le Contra collatorem, il s’agit de montrer en quoi l’adversaire est tombé dans l’erreur à propos d’un point précis de la théologie. Dans les deux cas, ce résumé final se donne pour tâche de dégager l’ensemble de l’argumentation de tous ses ambages et de ses circonlocutions pour faire éclater la vérité nue et permettre une confrontation immédiate des positions de l’adversaire et des positions catholiques156. De fausses questions-réponses Tout proche qu’il puisse sembler, par ces différents points d’accroche, des Responsiones, le Contra collatorem ne se laisse néanmoins que très imparfaitement définir par sa dimension dialogique. Si notre traité partage certaines des caractéristiques propres au genre qu’on a nommé « questionsréponses », particulièrement prisé dans l’Antiquité tardive, mais dont les frontières demeurent pour le moins floues157, et qu’il emprunte sans doute aussi 155

Sur cet aspect, voir la fin du chapitre, pp. 152-157. Comparer les lignes introductives de chacune des récapitulations : c. coll., 19, 1 resp. ad Gall., 2, praef. (PL, 51, col. 169D) (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 71) « […] Professionem tamen sensus « Reseratis igitur definitionibus quas hactenus, nostri etiam in breuia coarctemus, quaedam praetermittendo, discussimus, ut sub paucorum uerborum non obscurum neque ambiguum est quid de simplicitate magis magisque gratia Dei sentiant […]. Necessarium sane appareat nos quod de supra existimo ante conclusionem uoluminis ea scriptis capitulis intelligimus, quae ostendimus non congruere catholicae nulla circumloquendi arte ueritati breuiter coniunctimque digerere, praetexere, sed absolute ac libere ut quae interiectis responsionibus nostris et praua respuere, et consensum possunt recordationem legentis effugere probabilibus non negare. » fidelius simul decursa recolantur. » 156

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D’un usage d’abord strictement restreint aux ouvrages de type exégétique, le genre des questions-réponses s’est ensuite peu à peu étendu aux autres écrits qui en partageaient la forme ; à la première approche de G. BARDY, « La littérature patristique des “Quaestiones et responsiones” sur l’Écriture », Revue biblique, 41/2

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quelques traits à la pratique répandue de la disputatio158, les ressemblances n’excèdent pas les besoins rhétoriques et polémiques de l’auteur. Certes — et c’est l’impression que cherche à donner Prosper —, le Contra collatorem se donne d’abord l’apparence d’une dispute où se succèdent questions et réponses. Dès l’abord, Cassien est d’ailleurs présenté comme un maître en disputatio (« qui disputandi usu [...] excellit159 ») et son exposé doctrinal sur la grâce comme une disputatio160. Par là, Prosper rappelle sans cesse le double statut, réel et littéraire, qu’est celui de Cassien en tant qu’abbé et auteur, d’un côté, donnant des « conférences » à ses moines, et de l’auteur en tant que personnage de ses propres Collationes, (1932) [210]-236, 41/3 (1932) [341]-369 et 41/4 (1932) [515]-537 ; 42/1 (1933) [14]-30, 42/2 (1933) [211]-229 et 42/3 (1933) [328]-352, ajouter les remarques de Chr. JACOB, « Questions sur les questions : Archéologie d’une pratique intellectuelle et d’une forme discursive », in A. VOLGERS – Cl. ZAMAGNI (éd.), Erotapokriseis: Early Christian Question-and-Answer Literature in Context. Proceedings of the Utrecht Colloquium (13-14 October 2003), Peeters, Leuven – Paris – Dudley (MA) 2004 (Contributions to biblical exegesis and theology, 37), pp. 25-54, et, dernièrement, M.P. BUSSIÈRES (éd.), La littérature des questions et réponses dans l’Antiquité profane et chrétienne : de l’enseignement à l’exégèse. Actes du séminaire sur le genre des questions et réponses tenu à Ottawa les 27 et 28 septembre 2009, Brepols, Turnhout 2013 (Instrumenta Patristica et Mediaevalia. Research on the Inheritance of Early and Medieval Christianity, 51). 158 Sur cette question, mais à propos de deux traités polémiques d’Augustin, voir J.-P. WEISS, « La méthode polémique d’Augustin dans le “Contra Faustum” », in M. ZERNER (dir.), Inventer l’hérésie ? Discours polémiques et pouvoirs avant l’Inquisition, Centres d’études médiévales, Nice 1998 (Collection du Centre d’études médiévales de Nice, 2), pp. [15]-38 (ici, p. 25), et pour la notion de « disputatio chrétienne », M. RIBREAU, « Un manifeste de la disputatio chrétienne : fins et moyens de l’écriture polémique dans les deux Contra Iulianum d’Augustin », in P. GALANDHALLYN – V. ZARINI, Manifestes littéraires dans la latinité tardive. Poétique et rhétorique. Actes du Colloque international de Paris, 23-24 mars 2007, Institut d’études augustiniennes, Paris 2009 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 188), pp. [223]-246. 159 C. coll., 2, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 8). « Disputator » est le terme le plus fréquemment utilisé pour désigner Cassien : cf. c. coll., 2, 5 ; 7, 3 ; 10, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 11, 26 et 37). 160 Cf. c. coll., 2, 2 : « inter initia disputationis » ; 11, 2 : « ad plenitudinem praemissae disputationis » ; 12, 1 : « inter principia disputationis » ; 13, 6 : « disputationi suae » ; 14, 2 : « inter initia disputationis tuae », « progressu disputationis » ; 18, 1 : « totum disputationis tuae textum » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 8, 39, 40, 50, 54, 56 et 67).

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qui le représentent comme auditeur des propos d’autres maîtres. Faisant fond sur l’appartenance générique initiale de la Collatio XIII, Prosper met la forme dialogique au service de sa propre argumentation, ne faisant intervenir cet aspect littéraire qu’en ce qu’il lui permet de présenter les paroles de Cassien comme faisant partie d’une discussion161. Dès lors, il lui devient aisé de recréer la configuration qui était celle des Responsiones pour donner l’illusion d’un dialogue entre Cassien et lui-même — ce qu’avait fait Augustin, mais sans nullement s’en cacher, dans son Contra Faustum162. Dans le Contra collatorem, d’ailleurs, c’est bien le terme de responsiones qui sert à désigner les réactions immédiates de Prosper aux definitiones de Cassien, elles-mêmes qualifiées de quaestiunculae163. Ainsi placé dans la position du demandeur, Cassien semble mener la discussion, comme contribue à le souligner le soin que met Prosper à respecter, dans son examen, l’ordre chronologique de la discussion interne de la Collatio XIII164. L’un des effets principaux de ce procédé est de susciter dans l’esprit du lecteur l’impression qu’il assiste à une dispute théologique — impression qu’accroît encore le recours, en deux longs endroits, de l’adresse directe à l’interlocuteur fictif qu’est Cassien, qui vient dynamiser le débat165. Même l’enchaînement des répliques et le passage des propos de l’un des protagonistes à ceux de l’autre porte souvent la marque de semblables tentatives : ainsi, pour n’en 161 Aspect qu’il omet volontairement lorsqu’il dissocie Cassien de Chérémon, comme on l’a vu plus haut, pp. 101-104. 162 Augustin avoue expressément avoir créé un dialogue, en indiquant le nom des deux intervenants (Fauste et lui-même) ; Augustin, Contra Faustum 1, 1 : « Commodum autem arbitror sub eius nomine uerba eius ponere et sub meo responsionem meam. » (éd. J. ZYCHA, CSEL, 25/1, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1891, p. [251]). Voir, làdessus, A. MASSIE, Peuple prophétique et nation témoin. Le peuple juif dans le Contra Faustum manichaeum de saint Augustin, Institut d’études augustiniennes, Paris 2011 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 191), pp. [23]-43. 163 C’est ainsi que Prosper caractérise ses interventions, lorsqu’il s’apprête à récapituler la teneur globale du traité en c. coll., 19, 1 : « ut quae interiectis responsionibus nostris possunt recordationem legentis effugere fidelius simul decursa recolantur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 72). 164 Quelques indices, dans le texte, contribuent à maintenir cet effet : des indicateurs comme « item infra » (c. coll., 2, 2 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 9), « in septimo autem capitulo » (2, 3 ; ibid., p. 10), etc., des verbes préverbés tels que praemittere (2, 5 et 3, 2, etc. ; ibid., pp. 11 et 14) ou l’emploi du plus-que-parfait pour renvoyer à la première definitio (cf. 12, 1 : « dixerat », et 14, 2 : « pronuntiaueras » ; ibid., pp. 40 et 54). 165 Sur l’adresse directe dans le Contra collatorem, voir le chap. 2, pp. 67-70.

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donner qu’un exemple166, Prosper a besoin de créer un jeu de questionsréponses fictives pour clarifier le mieux possible, à destination du lecteur, la doctrine de son adversaire : « Quaero igitur », demande-t-il, avant de proposer à son interlocuteur l’alternative qu’il a imaginée et d’en tirer immédiatement les conclusions : « Si habuisse dicis, certum est […]. Si autem recessisse […] dixeris, propheticus te eiusdem sermo conuincit167. » Mais, à la vérité, tout au long du traité, Cassien n’a évidemment jamais l’occasion de répondre aux accusations aussi sévères que péremptoires de son adversaire ; et il s’en faut de beaucoup, également, qu’il soit lui-même l’initiateur de la disputatio. On serait incapable, par exemple, de distinguer dans les différents passages cassianiens cités par Prosper un quelconque lien anaphorique avec le discours qui le précède ou l’introduit, qui soutiendrait suffisamment longtemps l’illusion d’une véritable discussion. De la même façon, à supposer que l’on réunisse bout à bout chacune des definitiones, aucune progression argumentative ne pourrait s’en dégager clairement : l’aspect souvent répétitif des « réponses » de Prosper montre assez qu’il lui est nécessaire de traiter à plusieurs reprises les mêmes questions168. Ainsi c’est Prosper qui a la pleine maîtrise, du début à la fin, du déroulement de ce prétendu échange d’idées, et jusqu’à la maîtrise du discours de son adversaire, qu’il contrôle tout autant par une pratique partiale de la citation que par l’interprétation (univoque) qu’il donne ensuite de ces mêmes propos. C’est un fait que les paroles de Cassien se retrouvent entièrement subordonnées au discours de Prosper, qui est en réalité, et contrairement aux apparences, le seul fil conducteur. « Auteur » à la fois des propos de l’accusé, grâce au biais de l’excerption, et de ses propres répliques de contradicteur, Prosper crée un 166 Cf. aussi c. coll., 5, 2, où Prosper crée de toute pièce une réplique de Cassien, qui n’est qu’une reformulation personnelle lui permettant de faire correspondre le texte de son adversaire à son propre développement : « Si utrumque, inquis, sequamur, nos nulli errori acquiescimus » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 18) ; ou encore la question de c. coll., 5, 3, par laquelle Prosper interpelle Cassien, sur le mode rhétorique, pour connaître sa réaction aux sanctions pontificales qu’il vient de lui asséner : « Videsne regulas tuas inuictarum constitutionum soliditate confractas […] ? » (ibid., p. 21). 167 C. coll., 15, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 58). Cette pratique rhétorique a été étudiée, à partir de deux exemples tardifs d’un procédé cher à l’auteur des Partitiones oratoriae, par P. FLEURY, « La question rhétorique : exploration d’un genre didactique chez les Rhetores latini minores », in BUSSIÈRES (éd.), La littérature des questions, pp. [81]-89. 168 Pour des raisons qui seront développées infra, pp. 151-152.

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simulacre de dialogue afin de mieux mettre en scène l’opposition frontale qu’il entend démontrer entre Cassien et ceux que, selon lui, ce dernier représente, et la voix officielle de l’Église. À travers ce choix, stylistique et rhétorique, de création dialogique, c’est en même temps à la création, pourrait-on dire, littéraire de la controverse elle-même que l’on assiste. La représenter avec autant d’évidence permet, en effet, à Prosper d’en souligner la réalité et d’influencer par là même la réaction de ses lecteurs. Pourtant, à la fin de l’ouvrage, l’auteur conteste expressément la légitimité, dans les circonstances qui sont celles de son affrontement avec Cassien, du moindre studium disputationis, impropre, selon lui, à faire entendre raison à ses adversaires169. Assurément, ce n’est pas la discussion qui est recherchée en premier lieu tout au long du Contra collatorem.

2. Du commentaire exégétique au commentaire critique Voulu par l’auteur, ce dialogisme de façade cache en réalité le caractère essentiellement univoque du traité. Il n’est, en définitive, qu’un moyen de rendre moins statique un exposé qui prend plutôt la forme d’un commentaire suivi entièrement mené par Prosper et directement issu de sa pratique maîtrisée de la citation170. Comme permettra de l’appréhender plus en détail l’examen des modalités de lecture et d’interprétation ici mises en œuvre, cette approche originale du texte source est un point qui est commun aux deux partis qui s’affrontent sur la définition de la grâce. Selon toute vraisemblance, Prosper ne fait que reproduire les procédés qu’il sait pratiqués par ses adversaires. (Auto)portrait du lecteur critique L’importance accordée à l’écrit, qu’on a mise en évidence dans le choix opéré par Prosper de prendre la Collatio XIII comme objet d’étude, trouve son pendant et sa justification dans l’intérêt qu’en lecteur avisé Prosper prête 169 C’est en effet le point fort de la stratégie de Prosper, qui demande à être étudié pour lui-même, dans le chap. 4 consacré aux modalités de la polémique mises en œuvre dans le traité : voir p. 160. 170 Voir encore COMPAGNON, La seconde main, p. 162 : « Citation et commentaire sont les deux faces d’un même phénomène. »

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à la littera du texte. Cela n’est, du reste, aucunement implicite, et ce sont avant tout les mots mêmes employés par Cassien qui suscitent la réaction de Prosper, tout comme ils avaient excité son attention lors de la lecture171. Pour bien en comprendre les raisons et en saisir les modalités, il convient de s’appuyer sur la description que semble donner Prosper, dans les premiers paragraphes de son ouvrage (c. coll., 1, 1-2), de l’attitude qui caractérise les moines ou autres pieux intellectuels qui, dans l’entourage de Cassien, s’adonnent à une lecture pour le moins scrupuleuse des écrits d’Augustin. Avant d’en venir à sélectionner le cas plus particulier de Cassien, auteur des Collationes, Prosper donne à voir, en effet, ceux qu’il désigne sans plus de précision comme des « bonae opinionis uiri » dans la pratique de leur « sévère examen » des ouvrages de son maître sur la question de la grâce (vraisemblablement les trois derniers : De gratia et libero arbitrio, De correptione et gratia et le double De praedestinatione sanctorum et De dono perseuerantiae172). Cette description s’effectue en trois étapes successives, au cours desquelles l’éloge ironique fait rapidement place à une critique véhémente que vient soutenir une savante combinaison de métaphores. Ces hommes se distinguent tout d’abord par leur grande intelligence (intelligentia, ingenium), leur dévouement et leur persévérance (uehementi studio, diligentia), ainsi que par leur pénétration (censura districtior, inspectio sagacior)173. Mais il ne s’agit, dans cette énumération de qualités, que de l’effet que leur apparence les amène à produire, bon gré mal gré, sur les foules ignorantes174. Le plus intéressant réside dans la méthode qu’ils emploient avec sérieux face au texte qu’ils examinent : 171 On a, en effet, souligné le rôle du vocabulaire en tant que « sollicitation » au moment de la lecture par Prosper de la Collatio XIII ; voir supra, pp. 113-114. 172 Se reporter au rappel de la chronologie des événements, dans le chap. 1, pp. 31-36. 173 Cf. c. coll., 1, 1-2 : « Nec enim, cum sint bonae opinionis uiri, creduntur ullo modo tarditate intelligentiae aut temeritate iudicii in superfluae querelae conclamationem prorumpere potuisse ac non potius magno ingenio et uehementi studio laborasse […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. [5]-6) ; cf. aussi les derniers mots de 1, 2 : « Constituatur in medium quod de nouis emersit ingeniis » (ibid., p. 7). 174 Cf. c. coll., 1, 1, où il est question des « hommes ignorants et trop peu prudents » : « Ab indoctis et parum cautis excellentioris scientiae iudicantur et misero peruersoque successu facile mendacio consensum eliciunt, quia reuerentiam sibi praesumptione pepererunt. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 6).

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« D’où vient que l’arrogance d’un sombre front s’est armée d’une rigueur telle qu’un insidieux fouilleur aille tout éplucher et mesurer les pensées, peser les formules, compter les syllabes […]175 ? »

Mais en fin de compte, le lecteur ne conservera de ce portrait que la conclusion subjective qu’en donne Prosper, qui assimile l’acharnement de ces adversaires d’Augustin aux « morsures » sauvages de bêtes prêtes à tout pour « déchiqueter » leur proie176. Pourtant, la description minutieuse qu’offre Prosper est riche de significations. « Mesurer les pensées », « peser les formules », « compter les syllabes », « éplucher » le texte ou le « passer dans un crible » sont autant d’actions toutes de précision qui, d’abord, attestent des hautes capacités intellectuelles et critiques de ceux qui s’y adonnent. Elles mettent également en lumière un réel désir de compréhension, à moins qu’il ne faille y déceler (comme le voudrait Prosper, qui qualifie le scrutator d’insidiosus) la marque d’une volonté malveillante. Mais ce scrupule extrême, qui veut que l’on s’attache à la signification littérale du texte, de chaque mot, voire de chaque syllabe, n’est pas sans rappeler la méthode pratique régulièrement employée dans l’exégèse, en particulier l’exégèse biblique d’un Jérôme, qui a lui aussi souvent recours à l’image du crible et de la uentilatio177 et qui use du même vocabulaire en considérant, par exemple, comme l’interprétation correcte d’un passage scripturaire celle qui prend soin de « contentiose uerba scruta[ri] et syllabas178 ». 175

C. coll., 1, 2 : « Vnde in hanc austeritatem supercilium se tetricae frontis armauit, ut mensuras sensuum, pondera locutionum, numeros syllabarum insidiosus scrutator euentilet […] ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 6). 176 Cf. c. coll., 1, 2 : « […] magnumque se aliquid conficere praesumat, si catholico praedicatori notam erroris affigat, quasi incognitum aliquod opus et quod hactenus latuerit impetatur ac non illa his morsibus doctrina lanietur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 6). Sur cette image topique dans la littérature hérésiologique, voir le chap. 4, pp. 162-163. 177 Entre autres nombreux exemples, cf., dans un contexte similaire, Jérôme, Tractatus LIX in psalmos, 66, 8 : « Videtur breuis et simplex esse sententiola : sed uentilemus eam, et in istis simplicibus uerbis ingentia mysteria reperiemus. » (éd. G. MORIN, CCSL, 78, Turnholti 1958, pp. 38-39). 178 Ce sont les termes mêmes qu’il emploie dans sa lettre-traité à Sunnia et Frétéla sur les corruptions du texte psalmique des Septante ; cf. Jérôme, epist. 106, 55 : « Si contentiose uerba scrutamur et syllabas, possumus dicere : […] » (éd. J. LABOURT, CUF, 148, Paris 1955, p. 130).

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Prosper ne se méprend pas sur les avantages de cette méthode, et le portrait de ce scrutator méticuleux, qui partage avec le type du censeur et du philosophe son air grave et sourcilleux179, ne lui conviendrait pas moins à lui-même. Il est très probable, en effet, qu’en détaillant par le menu les procédés supposés de ses adversaires, Prosper en vient à trahir sa propre méthode. On aura l’occasion de voir quelle place tient à ses yeux, dans le discours proprement théologique, le choix des bons termes, qui permettent d’éviter tout malentendu180. Son attaque de la Collatio, en tout cas, commence par la même étape de lecture attentive, du contenu idéologique comme de l’aspect le plus formel, et de repérage des passages qui méritent un examen supplémentaire. Seule cette lecture approfondie ou, pour dire mieux, inquisitrice du texte donne les moyens de le comprendre pleinement — et ce jusque dans ses implications les moins évidentes — et permet enfin, éventuellement, de le réfuter d’une manière plus convaincante181. Plusieurs de ces aspects transparaissent encore dans la forme définitive du traité. Une approche exégétique du texte De ce minutieux scrutinium à la sévérité duquel Prosper a soumis, lors de sa lecture, la conférence de Cassien, l’œuvre qu’il a ensuite composée 179 On trouve la même image, quoique beaucoup plus tardivement, chez Érasme, epist. 547 : « Depone frontis tetricae rugas tuae » (éd. in P.St. ALLEN – H.M. ALLEN – H.W. GARROD [éd.], Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami, t. 2 : 1514-1517, In typogr. Clarendoniano, Oxonii 1910, p. 498). L’insistance sur la traduction physiologique du sérieux censorial, à travers l’image des sourcils froncés, n’est pas dépourvue d’un certain humour, rappelant le personnage caricatural du superciliducticarptor de la comédie latine ; voir I. OPELT, Die Polemik in der christlichen lateinischen Literatur von Tertullian bis Augustin, C. Winter, Heidelberg 1980 (Bibliothek der klassischen Altertumswissenschaften. 2. Reihe, 63), p. 175. 180 Sur l’importance de cet aspect dans la littérature hérésiologique (certes plus ancienne), voir notamment l’étude de Fr. CHAPOT, « Virtus veritatis ». Langage et vérité dans l’œuvre de Tertullien, Institut d’études augustiniennes, Paris 2009 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 186), notamment pp. 281-300 ; pour le cas plus précis du Contra collatorem, se reporter à l’analyse terminologique proposée dans le chap. 5, pp. 259-265. 181 Finalité qu’exprime très bien Jérôme lorsqu’il explique comment il a préparé sa réfutation des idées antiascétiques de Jovinien ; cf. Jérôme, Aduersus Iouinianum, 1, 1 : « Quos cum legissem, et omnino non intelligerem, coepi reuoluere crebrius, et non uerba modo atque sententias, sed singulas pene syllabas discutere, uolens prius scire quid diceret, et sic uel probare, uel redarguere, quod dixisset. » (PL, 23, col. 211A).

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a en effet gardé plusieurs souvenirs, à travers des procédés — ceux de l’explanatio — qui ressortissent pleinement au genre du commentaire182 et sont à rechercher dans diverses considérations herméneutiques et même jusque dans la structure de certains passages. La méthode analytique qu’évoque de façon très imagée l’« épluchage » du texte, des mots et des lettres dont parle Prosper se retrouve à l’œuvre en maint endroit du Contra collatorem. Elle affleure, premièrement, dans la présentation pour laquelle opte Prosper lorsque, se trouvant face à un passage particulièrement retors ou, selon lui, trop plein d’inepties et qui demande un examen plus circonstancié, il doit structurer sa réponse de manière à se bien faire entendre. Aussi, si telle definitio qu’il a identifiée est passablement longue, mais a besoin d’être citée intégralement pour qu’on en puisse voir la cohérence, Prosper est contraint de la reproduire d’un seul bloc, mais de l’exploiter phrase après phrase, ou ensemble après ensemble, pour y opposer sa réfutation plus ponctuelle. Il en va ainsi de la septième proposition, relative à la connaissance qu’avait Adam du bien et du mal (formulée en coll. 13, 12, 2) : alors qu’elle sera résumée en une seule phrase dans la récapitulation183, citée intégralement en c. coll., 9, 2, elle est contredite dans sa globalité au paragraphe suivant (9, 3), avant que chacune de ses trois parties ne fasse l’objet d’un commentaire spécifique qui permette de l’invalider complètement : l’auteur a alors besoin, en c. coll., 9, 4 et 5, de citer une nouvelle fois, pour une partie donnée, au moins les membres de phrase les plus saillants qui expriment l’idée principale de Cassien184. Le chap. 13, qui soumet à l’examen la neuvième « proposition », offre de ce procédé un exemple encore plus étendu, puisque le texte de la « proposition », composé de quatre phrases, est immédiatement scindé en autant de parties qui, successivement reproduites, appellent des explications, remarques ou 182

C’est, du reste, la pratique enseignée à chacun dans les cours du grammaticus ; voir H.-I. MARROU, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Éd. du Seuil, Paris 1948 (Esprit), pp. 130-131. 183 C. coll., 19, 8 : « Concepit ergo Adam post praeuaricationem quam non habuerat, scientiam mali ; boni uero, quam acceperat, scientiam non amisit. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 75). 184 Comparer Jean Cassien, coll. 13, 12, 2 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 378) et Prosper, c. coll., 9, 4-5 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 33, ll. 80-81 et p. 34, ll. 98-100 et 106-108).

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critiques particulières185. Cette présentation « lemmatique » du texte étudié n’est évidemment pas sans rappeler les techniques exégétiques bien diffusées des commentateurs des textes bibliques comme des textes de la littérature classique186. Il faut observer ensuite à quel point, les questions de terminologie étant à la base du débat, il importe au polémiste de remarquer, et de faire remarquer à son lecteur, les problèmes que pose l’utilisation par Cassien de tel terme de préférence à tel autre187. Au-delà des artifices rhétoriques assez banals qui consistent en la reprise, dans le commentaire de la citation, d’un terme du texte cité188, l’attention portée aux mots est ce qui détermine également la nature du commentaire lui-même. À un premier niveau, en apparence purement neutre, le commentaire de Prosper se veut une explication — c’est-à-dire une explicitation, une interprétation — du texte produit précédemment189. Il s’agit de mettre en lumière, à 185 Cf. c. coll., 13. À remarquer toutefois : la troisième phrase de Cassien (qui comporte une référence au Pasteur d’Hermas) est, elle aussi, présente à sa place, quoique n’étant pas citée (en c. coll., 13, 6), mais ne fait l’objet d’aucune réponse propre, le témoignage invoqué par Cassien étant d’office invalidé par son adversaire. Sur le problème de l’autorité du Pasteur, voir le chap. 4, p. 186 et n. 105. 186 Au même titre que la comparaison que proposait MARROU, Saint Augustin, p. 441, n. 67, entre la pratique homilétique et l’explication grammaticale de texte. Sur cet aspect de la présentation conventionnelle du commentaire dans l’Antiquité, voir le résumé donné par L. HOLTZ, « Le rôle des commentaires d’auteurs classiques dans l’émergence d’une mise en page associant texte et commentaire (Moyen Âge occidental) », in M.-O. GOULET-CAZÉ (dir.), Le commentaire entre tradition et innovation. Actes du colloque international de l’Institut des traditions textuelles (Paris et Villejuif, 22-25 septembre 1999), collab. T. DORANDI, J. Vrin, Paris 2000 (Bibliothèque d’histoire de la philosophie. Nouvelle série), pp. [101]-118 (p. 102). 187 On aura l’occasion d’en détailler les modalités dans le chap. 5, pp. 259-265. 188 L’exemple le plus net est fourni par la reprise inlassable de l’expression « regula ecclesiastica » en c. coll., 8, 1-2 (voir aussi le chap. 4, pp. 191-199). Voir aussi, par exemple, le cas de la huitième « proposition » en c. coll., 11, 1 : c’est la présence de l’expression « possibilitatem boni » sous la plume de Cassien (coll. 13, 12, 5) qui appelle le commentaire de Prosper, lequel distingue ensuite « uoluntas boni » et « possibilitas boni » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 38-39). 189 La pratique la plus usitée par le polémiste est précisément de gloser les propos de son adversaire, d’en développer toutes les ramifications, voire de dévoiler au lecteur les intentions cachées de leur auteur (que Prosper serait censé avoir percées à jour), afin de faire dire aux extraits cités ce que peut-être ils ne signifiaient pas véritablement lorsqu’ils se trouvaient dans leur contexte d’origine ; là-dessus, voir le chap. 4, pp. 166-171.

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travers l’interpretatio uerborum, puis l’explanatio rerum, ce qui, dans le texte de Cassien, pourrait ne pas apparaître très clairement au lecteur190. Ainsi, lorsque Cassien soutient que la « protection de Dieu » comitetur (accompagne) la créature191, Prosper se sent le devoir d’apporter une glose — « in quo potest uideri […] » — et de donner les deux acceptions qui pourraient correspondre, dans un tel contexte, au nom comes192. Lorsque le texte original est par trop allusif, il est indispensable de dissiper les doutes éventuels en explicitant l’identité, par exemple, des « nombreux [individus] empêtrés dans des erreurs différentes et contradictoires193 ». Ces deux instances masquées sont en réalité, comme le révèle Prosper, « les catholiques [et] les hérétiques, les vainqueurs [et] les vaincus194 », et plus précisément encore « les pélagiens et les nôtres195 ». D’autres fois, l’auteur reformule la phrase qu’il analyse afin d’en éclairer le sens, par exemple en en intervertissant les propositions : « “Nous devons nous garder de rapporter à Dieu tous les mérites des saints, de manière à ne pas attribuer à la nature humaine seulement ce qui est mauvais et pervers.” Il veut donc qu’il y ait un grand nombre de mérites personnels des hommes à n’avoir pas été conférés par la 190

On trouvera, à propos du genre du commentaire dans la littérature patristique latine, un aperçu synthétique, trop peu documenté mais suggestif, de W. GEERLINGS, « Les commentaires patristiques latins », in GOULET-CAZÉ (dir.), Le commentaire entre tradition et innovation, pp. [199]-211, qui se rapporte surtout aux commentaires bibliques d’Augustin ; voir spécialement p. 206. 191 Jean Cassien, coll. 13, 8, 3 : « Adest igitur inseparabiliter nobis diuina protectio tantaque est erga creaturam suam pietas Creatoris, ut non solum comitetur eam, sed etiam praecedat iugiter prouidentia. » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 371) ; cité en c. coll., 2, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 10). 192 C. coll., 2, 3 : « In quo potest uideri ob hoc comitem dixisse prouidentiam, quia etiam deserentes se plerumque non deserat, uel quia omnes quos praeuenit, eosdem subsequatur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 10). 193 Jean Cassien, coll. 13, 11, 1 : « Multi enim singula haec credentes ac iusto amplius asserentes, uariis sibique contrariis sunt erroribus inuoluti » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 376) ; cité en c. coll., 5, 1 et 5, 3 et 19, 6 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 17, 19 et 74). 194 C. coll., 5, 3 : « Placet igitur tibi cum haereticis catholicos, cum uictis damnare uictores » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 19). 195 C. coll., 6 : « Cum enim de sanctarum origine uoluntatum et fidei caritatisque principiis inter nostros et Pelagianos quaestio uersaretur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 21).

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largesse de la grâce […]. Il veut que nous ne recevions pas la grâce de Dieu […]196. »

Sous cet angle, la bienveillance de Cassien à l’égard de la nature humaine et de ses louables efforts perd toute dimension charitable pour montrer uniquement son aspect le plus scandaleux : le déni de la nécessité de la grâce de Dieu. Mais, on le voit, ce qui prend l’apparence d’une aide et d’une recherche de clarté est aussi un moyen très subtil d’intervenir, sinon sur le texte, du moins sur son interprétation. À cet égard, donc, le commentaire conduit, lui aussi, comme déjà la pratique de l’excerption, à sortir du domaine de l’objectivité pour se faire critique ou polémique, quoique d’une manière dissimulée. Critique littérale et doctrinale Il va sans dire que le but de Prosper n’est pas de fournir de l’œuvre de Cassien un commentaire doctrinal, mais d’en invalider les idées qui lui paraissent dangereuses. Les moyens sont alors bien nombreux et, la plupart du temps, la critique de l’auteur n’a pas à emprunter le biais d’une paraphrase trompeuse ou partisane. Elle se fait, au contraire, directe et positive. Les techniques d’argumentation et de réfutation du polémiste seront examinées dans le chapitre suivant197. Mais il convient de remarquer dès maintenant que, liée en cela à l’approche exégétique qui semble avoir présidé, pour une large part, à la préparation du traité, la critique doctrinale reste fortement attachée à la lettre même du texte, et que l’auteur se livre d’abord à une critique, pourrait-on dire, littérale198. 196

C. coll., 11, 2 : « “Cauendum nobis esse ne ita ad Deum omnia sanctorum merita referamus, ut nihil nisi quod malum atque peruersum est humanae ascribamus naturae.” Vult ergo esse multa propria hominum merita, quae non sint gratiae largitate collata […]. Vult nos gratiam Dei non ad singulos actus accipere […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 40), qui cite Jean Cassien, coll. 13, 12, 5 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 379-380). 197 Voir les pp. [159]-237. 198 La critique littéraire, et même textuelle, figure parmi les procédés prisés par les polémistes pour asseoir leur réfutation de l’hérésie ; voir le chapitre que consacre à la question R.M. GRANT, Heresy and Criticism: The Search for Authenticity in Early

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Prosper ne se contente pas de commenter, ni même de détruire tout à fait les argumentations de Cassien. Partant du texte, mais cherchant aussi à y revenir, il propose même quelquefois certains correctifs susceptibles de donner à un passage passible de suspicion une nouvelle tournure tout à fait recevable, au prix de légères modifications. À propos de l’exemplum du combat de Job choisi par Cassien pour illustrer la valeur intrinsèque des forces humaines, Prosper écrit : « Car la correction d’un seul mot aurait tempéré, en apportant un peu de modération, toute cette mauvaise gloire que tu as voulu attribuer aux forces humaines […]199. »

La mention de cette solution alternative, qui introduit une nuance somme toute ténue en apparence, attire l’attention sur le caractère particulièrement perméable de la frontière qui sépare ce qui est reçu comme correct et orthodoxe et ce qui risque d’attirer sur son auteur une forte présomption d’hérésie. Elle laisse entrevoir la possibilité d’un autre type de correctio à venir (moral), tout en maintenant cependant, à défaut de résipiscence, une très ferme condamnation. 3. Le Contra collatorem, un réquisitoire Si l’on a bien le droit de parler, à propos du Contra collatorem, de condamnation, c’est qu’en effet, malgré ses apparentes similitudes avec quelque forme de disputatio, et à travers le recours à une méthode analytique et critique, notre traité est loin d’être le lieu de la confrontation, fût-elle contradictoire, de deux conceptions opposées. Tout théologien chercherait, certes, dans une démarche hérésiologique, à faire prévaloir sa propre position, qui serait conforme à une tradition, contre celle de son adversaire. Prosper, semble-t-il, se veut beaucoup plus normatif, en entraînant le débat hors des limites de la discussion théologique pour l’implanter résolument sur le terrain dogmatique. Christian Literature, Westminster John Knox Press, Louisville 1993, pp. [89]-113 (sous le titre « The Orthodox Counterattack »). 199 C. coll., 15, 4 : « Vnius enim uerbi correctio totam istam gloriam quam humanis uiribus assignare uoluisti, sobrietate aliqua temperasset […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 61).

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Prosper, censor doctrinae ? Comparant le style de Prosper à celui d’Augustin, Louis Valentin faisait la remarque suivante : « Rien n’est moins augustinien que le style de saint Prosper. […] Saint Augustin est pittoresque et original, saint Prosper est impersonnel dans son style, impersonnel comme un canon de concile ou une lettre pontificale200. »

Par son ton très volontiers assertif et ses méthodes péremptoires, Prosper trahit, de fait, très souvent une certaine prétention normative, qui se retrouve dans la plupart de ses œuvres de controverse, et plus particulièrement encore dans le Contra collatorem201. Il n’est même jusqu’au choix lexical qui ne le rappelle sans cesse. Prosper n’envisage les positions de Cassien que sous l’angle d’une regula, d’une norma, qu’il cherche à définir202. Or, dans sa première occurrence au commencement de l’œuvre, cette norma est rapportée ironiquement à l’activité des Provençaux, qui sont présentés comme de « nouveaux censeurs203 » : « An uero ita se nouorum censorum norma exactior temperauit ut […]204 ? » À deux autres reprises dans le corps du traité, Prosper mentionne encore, en la critiquant, la censura exercée par Cassien, ou plus généralement par ses proches, à l’égard de la doctrine d’Augustin205. Bien plutôt que de désigner un simple jugement d’opinion, ce terme mérite d’être entendu au sens plein, avec toute sa 200

VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 559-560. JACQUIN, « La question de la prédestination » [III], établissant un parallèle entre les items des récapitulatifs (celui des Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium, mais cela est tout à fait transposable à celui du Contra collatorem) et la forme traditionnelle des décrets conciliaires, va jusqu’à parler d’eux comme de « canons » (p. 289). 202 Sur la constitution de cette norma et sa dimension métaphorique et rhétorique, voir le chap. 4, pp. 191-195 et 235-237. 203 L’expression « noui censores » se trouve déjà sous la plume de Prosper en epist. 2, 4 (PL, 51, col. 79B). 204 C. coll., 1, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 7) — « Ou est-ce que, en vérité, le niveau de nos censeurs d’aujourd’hui s’est équilibré si exactement que […] ». 205 La première précède presque immédiatement le passage qui vient d’être cité, en c. coll., 1, 1 : « censura nunc districtior et inspectio sagacior » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 6) ; pour la seconde, cf. c. coll., 5, 3 : « Secundum quippe tuam censuram […] » (ibid., p. 19). 201

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dimension métaphorique, comme qualifiant avec beaucoup plus de force l’attitude des moines vis-à-vis des traités théologiques d’Augustin206. C’est cette hypothèse que vient renforcer, d’ailleurs, la présence concomitante, par deux fois, à proximité de la mention de la censura, de l’image de la nota dont, par leurs critiques, les Provençaux auraient marqué Augustin207. Cette nota erroris, certes très topique, évoque donc en réalité, plus directement, la nota censoria, qui traduit l’ignominia à laquelle les attaques répétées de ses calomniateurs ont condamné Augustin208. Dans la mesure où — on l’a remarqué — Prosper se fait l’imitateur des Provençaux dans son approche du texte de Cassien, l’image du censeur se retrouve, du même coup, tout à fait applicable à l’auteur du Contra collatorem. C’est ce qui exprime le mieux la composition de l’œuvre et l’esprit de la réfutation. Mais s’il est vrai qu’il reprend à l’œuvre source sa dimension de disputatio et reproduit les propos tenus par l’anachorète en les attribuant à son adversaire, ce transfert ne s’accompagne pas moins d’une profonde modification des rapports entre locuteur et allocutaire, que l’on pourrait schématiser comme ceci : Collatio XIII Chérémon (enseignant) ↓ Cassien (auditeur / disciple)

Contra collatorem =



Cassien (enseignant) ↓ Prosper (censeur)

206 Pour un exposé global sur la magistrature et ses fonctions sous la république, voir G. PIERI, L’histoire du cens jusqu’à la fin de la République romaine, Sirey, Paris 1968 (Publications de l’Institut de droit romain de l’Université de Paris, 25), en particulier pp. 107-113. 207 En c. coll., 1, 2 : « magnum se aliquid conficere praesumat, si catholico praedicatori notam erroris affigat » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 6) ; et 5, 3 : « Placet igitur tibi cum haereticis catholicos, cum uictis damnare uictores, et eos erroris nota adurere qui errorem ab Ecclesia depulerunt ? Secundum quippe tuam censuram […] » (ibid., p. 19). 208 Voir Chr. GIZEWSKI, « Nota censoria », Der neue Pauly. Enzyklopädie der Antike, t. 8, J. B. Metzler, Stuttgart – Weimar 2000, coll. 1008-1009. Pour la dimension topique de l’expression « nota (ou notare) erroris », cf., par exemple, Rufin d’Aquilée, Eusebii historia ecclesiastica, 4, 30, 3 ; Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum, 16, 4 ; Augustin, s. 71, etc.

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À quel type de censeur correspondrait Prosper ? Car dans le domaine doctrinal, on en connaît de plusieurs sortes, que le droit ecclésiastique institutionnalisera bien plus tard209, mais dont l’utilisation ici — avec toutes les précautions d’usage210 — n’est pas du tout déplacée ni inopportune. En dehors de la censura proprement dite, qui consiste en une décision judiciaire émanant obligatoirement de l’autorité publique de l’Église et dont les pouvoirs ne sauraient être étendus plus avant, on observe dans l’histoire de la théologie l’émergence d’une « censure privée », dont l’autorité de l’Église reconnaît le droit de l’exercer aux théologiens et autres intellectuels capables d’apprécier la valeur orthodoxe ou non des propos ou des écrits d’autrui211. C’est de cette « censure purement doctrinale212 » que Prosper, de toute évidence, se sent investi, au point qu’il semble toujours énoncer un jugement, une sanction. « Non igitur recte dictum est », lui arrive-t-il d’asserter213. Pour autant, il ne dispose d’aucun pouvoir en la matière, et est bien conscient, d’ailleurs, de la supériorité, dans les degrés de l’ordo ecclésiastique, sinon de ses adversaires directs, du moins de nombreux partisans de ceux-ci214. Tout au plus Prosper peut209

Un exposé très détaillé des diverses formes de censures (en l’occurrence, doctrinales) et de leur importance canonique, essentiellement dans le droit ecclésiastique médiéval, est donné par H.[-R.] QUILLIET, « 1. Censures doctrinales », Dictionnaire de théologie catholique, t. 2, Letouzey et Ané, Paris 1905, coll. 2101-2113. 210 Car le risque est grand de tomber dans l’anachronisme. De cette « institutionnalisation » de la censure, qui est une réalité entièrement médiévale et essentiellement universitaire, on possède de récentes études et synthèses : voir en particulier L. BIANCHI, Censure et liberté intellectuelle à l’Université de Paris (XIIIe-XIVe siècles), Les Belles Lettres, Paris 1999 (L’Âne d’or, 9), à comparer avec les travaux d’A. BOUREAU, « La censure dans les universités médiévales », Annales, 55 (2000) 313-324 (et à son sujet, L. BIANCHI, « Un Moyen Âge sans censure ? Réponse à Alain Boureau », Annales, 57/3 [2002] 733-743) et, plus récemment, ID., Théologie, science et censure au XIIIe siècle : le cas de Jean Peckham, Les Belles Lettres, Paris 2008 (Histoire, 94). 211 QUILLIET, « 1. Censures doctrinales », col. 2102. 212 Par opposition à la première, appelée « censure judiciaire », qui émane du pouvoir pontifical. Chacune de ces deux catégories se subdivise à son tour en censures dogmatiques, disciplinaires, etc. ; voir QUILLIET, « 1. Censures doctrinales », coll. 2102 et 2103. 213 En c. coll., 9, 4 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 33). 214 Cf. c. coll., 1, 1 : « essentque eiusmodi ut nec ordo eorum in Ecclesia nec ingenia despicienda uideantur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. [5]). Voir, dans le chap. 1, pp. 21-22, les éventuelles implications de l’épiscopat dans les débuts de la controverse.

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il se réclamer de sa foi authentique et est-il en droit d’opposer, mû par son zèle pour la défense de l’orthodoxie, un réquisitoire à l’encontre de qui y contreviendrait. La constitution d’un dossier à charge Par l’alternance constante entre le texte de Cassien et le sien, Prosper montre à l’évidence le rôle ultime qu’il donne à sa pratique de la citation : les propos rapportés de Cassien doivent faire office de preuve à charge, tandis que les réflexions personnelles dont il les fait suivre ont pour objet de démonter le raisonnement de son adversaire ou de lui opposer les raisons qui rendent sa position irrecevable. Alors, en effet, que dans les Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium Prosper estime avoir assez « répondu » aux objections des calomniateurs215, à la fin du Contra collatorem, en revanche, il juge avoir suffisamment « démontré » que ses adversaires étaient hétérodoxes216. Car c’est un fait que son attitude constante dans le traité n’est pas celle d’un simple adversaire, mais celle d’un accusateur, voire parfois d’un juge qui condamne. Et comme dans la seconde partie des Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium, il peut se contenter d’énoncer son verdict implacable. Face aux Gaulois, Prosper n’hésite pas en effet à multiplier les anathèmes et même à excommunier de facto les défenseurs d’une doctrine qu’il vient de combattre, en scandant ses sententiae de formules telles que « Qui dicit […] non est catholicus217 ». La posture adoptée au moment de la recapitulatio du Contra collatorem n’est pas très différente, lorsqu’il écrit : « Huic sententiae is potest praebere 215 Resp. ad Gall., 2, praef. : « Quamuis ergo ad omnes obiectiones seu querulae imperitiae, seu fallacis inuidiae, planissime ac plenissime, quantum Dominus dedit, existimem esse responsum, […] » (PL, 51, coll. 169C-D). 216 C. coll., 22 : « Sufficienter, ut arbitror, demonstratum est […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 84). Cf. aussi c. coll., 19, 1 : « ea quae ostendimus non congruere catholicae ueritati » (ibid., p. 72). 217 Cf. resp. ad Gall., 2, 1 : « Quisquis igitur ex praedestinatione Dei, uelut fatali necessitate homines in peccata compulsos cogi dicit in mortem, non est catholicus. » (PL, 51, coll. 169D-170D) ; ensuite, les sent. 2, 3, 6 et 14 reprennent l’expression « Item qui dicit […] non est catholicus » (ibid., coll. 170D, 171A, 171C et 174A). Cf. aussi en 1, 1, resp. : « Praedestinationem Dei nullus catholicus Christianus negat. » (ibid., col. 157B).

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consensum qui se a Christo non uult esse saluatum218 », ou qu’il rejette un autre énoncé d’un sec « impius sensus, qui putat […]219 ». Parce qu’il n’a pas la capacité légale de prononcer une telle condamnation, Prosper ne peut se faire que le porte-parole ou l’annonciateur d’un jugement qui reste à venir. Vu sous cet angle, le traité peut donc apparaître comme un dossier d’accusation préparé en vue de cette condamnation officielle tant espérée. C’est là que la traduction de definitio par « proposition » prend tout son sens, mise en écho avec la pratique qui allait se répandre dans l’Église, à une époque plus récente, au cours des discussions théologiques220. Mais déjà en 432-433, la méthode de Prosper pour obtenir ce qui pourrait bien mettre fin à la controverse n’est pas sans rappeler celle qui en avait marqué le commencement : l’« affaire » pélagienne avait en effet éclaté à Carthage lorsqu’en 411 Paulin de Milan avait produit un mémoire recensant les principales propositions de Célestius et démandé à ce que celles-ci soient discutées par une assemblée conciliaire apte à statuer221. Avec un libellus accusationis qui est bien plus qu’un simple mémoire, Prosper aussi fait appel à une instance décisionnelle, mais en en référant directement à Rome, qui a renforcé son statut et son autorité précisément au cours de la querelle pélagienne. Grâce à une connaissance de première main d’un texte circulant dans les réseaux monastiques, et n’ayant plus à craindre, depuis l’arrivée de Xyste au Latran, de toucher par contrecoup le Siège apostolique en s’en prenant directement à Cassien, Prosper peut désormais se livrer à une attaque en règle des thèses des antiaugustiniens, en convoquant à loisir leurs propos mêmes. Il fonde ainsi son appréciation de l’adversaire sur une base solide de preuves, invitant ses divers lecteurs à juger de même sur pièce. Cette allégation de transparence, qui va de pair avec une pratique massive de la citation, instaure entre le traité et son texte source un rapport inédit qui non seulement explique la structure générale de l’œuvre de Prosper, mais lui confère surtout un statut particulier. Jetant sur le texte qu’il examine un regard de censeur, Prosper en vient à formuler un jugement qui, selon

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C. coll., 19, 13 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 78). C. coll., 19, 12 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 77). 220 Voir supra, pp. 107-108 et nn. 76-78. 221 Sur cet épisode fondateur de la controverse pélagienne en Afrique, voir le chap. 1, pp. 7-8. 219

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lui, correspond à la réponse naturelle de la Tradition et doit donc être celui que portera l’Église. Destiner au pontife romain un ouvrage de ce genre, émaillé d’accusations d’hérésie et d’affronts à l’Église, est une claire supplication pour que soit enfin éradiquée une attitude jugée intolérable au sein de la Catholica, et qui risque, de surcroît, de la miner de l’intérieur.

CHAPITRE IV PROSPER POLÉMISTE OU COMMENT RÉPLIQUER SANS ARGUMENTER

Pour que ce mémoire destiné à obtenir de l’autorité pontificale une condamnation officielle de Cassien soit en mesure d’atteindre son but, il est nécessaire à Prosper de « prouver » que son adversaire est réellement dans l’erreur — et au besoin de le rendre lui-même hétérodoxe pour les besoins de la démonstration1 — afin de mieux exalter, par contraste, l’orthodoxie qu’il entend défendre. L’aspect censorial qui se dégage de l’analyse de la microstructure du traité et du traitement réservé par l’auteur à sa source est encore renforcé par la façon dont, dans les propos de son cru, Prosper en vient à prendre la parole à son tour et à adopter une position à l’égard du contenu, doctrinal cette fois, de la Collatio XIII. À la présentation censément objective des positions de l’adversaire que permet le recours massif à la citation, et qui est à bien des égards déjà polémique, devrait faire face — comme on serait en droit de s’y attendre — une réfutation en règle qui puisse démonter un discours présenté comme erroné2. On a coutume de critiquer la faiblesse argumentative du Contra

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On a souligné déjà, au chapitre précédent, les premiers aspects d’une posture d’« hypocrisie » de Prosper vis-à-vis des idées de Cassien dans le compte rendu qu’il en fait dans le Contra collatorem (voir p. 119). Il va sans dire que ce phénomène trouve son paroxysme au moment de la réfutation de ces mêmes idées, qui donne à Prosper toute la licence voulue pour orienter de plus en plus la façon dont il veut que ses adversaires soient regardés et jugés. 2 Tel est bien le procédé généralement utilisé dans toute entreprise polémique, et spécialement de polémique antihérétique. On se reportera, à ce sujet et pour les développements du présent chapitre, aux ouvrages de référence qui ont donné les cadres d’étude les plus opérants. Comme pour les travaux d’A. LE BOULLUEC, La notion d’hérésie dans la littérature grecque (IIe-IIIe siècles), 2 vol., Institut d’études augustiniennes, Paris 1985 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 110111), à propos des Pères grecs, on tirera profit, pour l’hérésiologie latine, des études propres consacrées à un auteur particulier par I. OPELT, « Formen der Polemik bei Lucifer von Calaris », Vigiliae Christianae, 26/3 (1972) 200-226, et EAD., « Hilarius von Poitiers als Polemiker », Vigiliae Christianae, 27/3 (1973) 203-217, et surtout, plus récemment, par JEANJEAN, Saint Jérôme et l’hérésie ; pour une première synthèse se rapportant au domaine latin, voir aussi OPELT, Die Polemik in der christlichen lateinischen Literatur.

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collatorem3, et ce reproche est, en l’occurrence, loin d’être immérité. Mais c’est plutôt que le dessein de Prosper se situe sur un autre terrain. Au moment de mettre la dernière main à son traité, Prosper révèle expressément la conception de la polémique qui a présidé à l’ensemble de son entreprise. Face à de tels adversaires, écrit-il, « il faut résister non pas tant en recherchant des discussions (disputationum studio) qu’en brandissant le sauf-conduit des autorités (auctoritatum priuilegio)4. »

Le fait est assez rare pour être souligné, a fortiori dans la littérature de controverse, même si Prosper avait déjà fait valoir la même revendication dans le Peri akharistôn, en la mettant alors, ironiquement, dans la bouche des pélagiens eux-mêmes qui, craignant de voir empirer leur sort, en venaient à s’exclamer : « Trêve de mots et d’arguments, désormais, pour notre défense ! Nous demandons un jugement sur-le-champ5. »

Prosper affirme donc que la seule réfutation d’ordre logique serait vaine — parce qu’intenable face à l’argumentation serrée des adversaires ? — et qu’il faut lui préférer, purement et simplement, l’argument d’autorité6. Avant de se pencher plus particulièrement sur ce problème crucial des auctoritates, dont il est nécessaire de définir quelles elles peuvent et doivent être et quel est le rôle qui leur est subrepticement confié, on rappelera que, 3 Voir VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 321 : « Dans le Contra collatorem, dans les Responsiones, l’argumentation consiste à opposer un texte à une affirmation, ou à préciser le sens d’un texte dénaturé par l’adversaire ; il [Prosper] préfère visiblement un texte à une raison » ; voir aussi HWANG, Intrepid Lover, pp. 165-166. 4 C. coll., 21, 4 : « Igitur huiusmodi hominum prauitati non tam disputationum studio quam auctoritatum priuilegio resistendum est » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 83). 5 Peri akharistôn, 202-203 : « Non uerbis iam nos argumentisue tuemur : / Iudicium extemplo petimus. » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 54). Sur l’intérêt rhétorique de ce passage, voir DELMULLE, « “Prosper, poeta et rhetor” », pp. 238-239. 6 De la vaste bibliographie relative à la notion d’auctoritas dans la littérature patristique, on pourra retenir en particulier, à propos d’Augustin, l’ouvrage de K.-H. LÜTCKE, „Auctoritas“ bei Augustin : mit einer Einleitung zur römischen Vorgeschichte des Begriffs, W. Kohlhammer Verlag, Stuttgart – Berlin 1968 (Tübinger Beiträge zur Altertumswissenschaft, 44).

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en dépit de cette pétition de principe méthodologique, la dialectique n’est pas pour autant totalement absente du traité7, quoiqu’elle reste très discrète et se dissimule sous des artifices rhétoriques nombreux.

I – DU REFUS DE LA DIALECTIQUE À LA PROPAGANDE ANTICASSIANIENNE

On a vu plus haut comment, par le choix des extraits, par leur reproduction et par leur agencement, Prosper n’offrait qu’une présentation faussement objective de la doctrine de son adversaire. Son discours positif pousse plus loin encore la recherche d’une « diabolisation » de Cassien, par le recours à de multiples procédés rhétoriques ressortissant traditionnellement à l’appareil hérésiologique, qui n’ont d’autre fin que d’exempter l’auteur de la mise en place d’une réfutation serrée et démonstrative à l’excès. Le véritable enjeu du traité est simplement de réussir à faire croire en la culpabilité de Cassien et en la nécessité de le condamner.

1. Une argumentation biaisée : l’« héréticisation » de l’adversaire Il y a loin, en effet, entre le Cassien des Collationes et du De institutis coenobiorum, qui jouit d’une immense réputation et d’un très grand respect, et le demi-hérétique, voire quelquefois l’hérétique, que dépeint Prosper dans son traité8. Sans chercher à prouver par le menu quels sont les torts véritables partagés par Cassien et les Provençaux en général, Prosper préfère tirer profit de la position (de censeur ou d’accusateur) qu’il s’est octroyée à lui-même pour se ménager la bienveillance de ses lecteurs et, par contraste, les indisposer à l’égard de Cassien. Aussi réserve-t-il à ce dernier et à ses frères un traitement qui, entièrement dicté par des intérêts polémiques, vise à les discréditer d’emblée. 7 Déjà WÖRTER, Prosper von Aquitanien, avait consacré quelques pages au schème polémique du Contra collatorem, en insistant sur les deux voies empruntées par Prosper : d’un côté l’autorité de la Bible et de la tradition, de l’autre l’argument de la logique (voir ID., Beiträge zur Dogmengeschichte, pp. 81-84). 8 Voir le chap. 3, pp. 152-157.

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L’image de l’hérétique Dès avant la mise en place de la moindre réfutation, la stratégie polémique de Prosper se laisse déjà percevoir dans la simple présentation qu’il fait des Provençaux au début de son traité, et qui trouve des échos dans l’ensemble de l’œuvre. Face à un portrait de l’adversaire qui n’en retient que les aspects négatifs et qui lui attribue les traits caractéristiques de l’idéaltype de l’hérétique, le lecteur est fortement conditionné et prévenu contre l’accusé. Prosper rassemble, en effet, tous les ressorts conventionnels de la littérature hérésiologique pour faire correspondre l’image qu’il veut donner de Cassien au « portrait-robot9 » de l’hérétique qu’il s’agit de débusquer et de combattre10. Parmi les principaux thèmes et procédés hérésiologiques empruntés par Prosper à ses prédécesseurs, l’adoption de l’imagerie antihérétique — en particulier animale — est sans doute celle dont l’originalité est la moins grande. Par exemple, tandis que les pélagiens, qualifiés de « loups », ont enfin pu être expulsés de la « bergerie 9

Selon l’expression d’Y.-M. DUVAL, « Pélage est-il le censeur inconnu de l’Adversus Jovinianum à Rome en 393 ? ou : du “portrait-robot” de l’hérétique chez S. Jérôme », Revue d’histoire ecclésiastique, 75/3-4 (1980) 525-557. On aurait intérêt à comparer cet idéaltype de l’hérétique présenté par Jérôme au portrait que l’on peut tirer des citations scripturaires utilisées par Origène pour le désigner : voir LE BOULLUEC, La notion d’hérésie, vol. 2 : Clément d’Alexandrie et Origène, en particulier l’Appendice « Les figures de l’hérétique dans l’Écriture selon Orig[è]ne », pp. 557-558 ; ou encore au portrait du même dressé par Tertullien : voir J.-Cl. FREDOUILLE, Tertullien et la conversion de la culture antique, Institut d’études augustiniennes, Paris 1972 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 47), pp. 39-46. 10 Prosper étant directement héritier de l’hérésiologie latine, et Jérôme étant sans doute le précédent le plus décisif, c’est essentiellement à la pratique hiéronymienne que l’on comparera celle de l’Aquitain : à cet égard, c’est à la très commode classification proposée par JEANJEAN, Saint Jérôme et l’hérésie, notamment dans son chap. 3 (« Traitement de l’hérétique et de l’hérésie en général », pp. [273]-360) et à l’intérieur du chap. 4 (« La réfutation des hérésies », pp. [361]-431), les pp. [361]387, qu’on se reportera dans les paragraphes qui suivent ; voir aussi B. JEANJEAN, « Saint Jérôme entre polémique et hérésiologie (Du portrait à charge à l’hérésiologie dans l’Aduersus Heluidium, l’Aduersus Iouinianum et le Contra Vigilantium) », in J.-M. POINSOTTE (éd.), Les chrétiens face à leurs adversaires dans l’Occident latin au IVe siècle. Actes des journées d’études du GRAC (Rouen, 25 avril 1997 et 28 avril 2000), Publications de l’Université de Rouen, Rouen 2001, pp. [143]-153.

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du Seigneur11 », les autres individus néfastes que sont les Provençaux demeurent dans le sein de l’Église tout en partageant le caractère des premiers : ils deviennent ainsi les loups déguisés en brebis contre lesquels met en garde l’évangile matthéen12. D’inspiration néotestamentaire, mais plus directement encore augustinienne13, cette image de l’hérétique n’en reste pas moins fort convenue. Plus loin, c’est la « faconde canine » qui est présentée comme une particularité commune aux défenseurs de la science profane, et donc des capacités humaines14. Le lecteur de Prosper est habitué à trouver, dans sa prose comme dans sa poésie, une accumulation d’images, tour à tour et à la fois « grandioses et banales15 », devenues si stéréotypées que leur valeur semble s’être dépréciée. Il faut une juxtaposition des métaphores pour que le portrait de l’adversaire acquière un certain relief, à telle enseigne que cette abondance tend à rendre le discours pour le moins incohérent, donnant lieu à certaines aberrations16. 11 C. coll., 1, 1 : « eiectis extra ouile Dominicum lupis » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. [5]). Voir aussi en 21, 3, au moment où Prosper s’apprête à citer l’epist. 194 d’Augustin, la mention des mêmes loups désignant toujours les pélagiens : « in custodia Dominici gregis […] sicut illi lupos abigere manifestos, ita hic depellat occultos » (ibid., p. 84) ; sur la présence de cette lettre dans le Contra collatorem, voir le chap. 2, pp. 80-81. 12 Matth. 7, 15 : « Attendite a falsis prophetis, qui ueniunt ad uos in uestimentis ouium, intrinsecus autem sunt lupi rapaces » (éd. Biblia sacra iuxta Vulgatam versionem, ed. R. WEBER – R. GRYSON, adiuvantibus B. FISCHER, I. GRIBOMONT, H.F.D. SPARKS et al., Deutsche Bibelgesellschaft, Stuttgart, 20075, p. 1535). 13 Parmi les nombreuses références augustiniennes, voir en particulier, parmi les œuvres antipélagiennes, Contra Iulianum opus imperfectum, 5, 21, 3 : « Dominus enim cum cauendos esse monstraret, qui uenirent in uestitu ouium, intrinsecus autem lupi essent rapaces » (éd. M. ZELZER, CSEL, 85/2, Wien 2004 p. 206). Sur cette métaphore, voir CUTINO, « L’auteur du De providentia Dei », pp. 317-321. 14 C. coll., 13, 5 : « rationesque illas quae ignotae ueritati canina facundia repugnabant » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 50). Il s’agit là d’un poncif de la littérature polémique, depuis déjà l’Antiquité : sur ses premiers emplois, voir V. BONSANGUE, « Canina eloquentia : Cicerone, Quintiliano e il causidico strillone », Pan, 23 (2005) [131]-140 et, pour d’autres références, Cr. PEPE, « Pour une archéologie de la polémique dans la rhétorique de l’Antiquité », in L. ALBERT – L. NICOLAS (dir.), Polémique et rhétorique de l’Antiquité à nos jours, De Boeck – Duculot, Bruxelles 2010 (Champs linguistiques. Recueils), pp. [49]-63 [p. 61 et n. 41]). 15 VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 560 ; pour les développements, voir ibid., pp. 537-542. 16 Selon VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 541, Prosper « n’échappe pas moins à l’incohérence, le défaut de ceux qui multiplient les métaphores ».

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Associé aux bêtes féroces pour la violence qu’il exerce à l’égard de la foi et de ses défenseurs, l’hérétique est aussi traditionnellement reconnaissable par des caractères purement humains qui ont en commun de trahir sa prauitas. C’est que l’hérétique, de par son ascendance satanique, est censé réunir en lui tous les traits de l’immoralité, lui qui, impudent et orgueilleux, se signale encore par son hypocrisie, son imposture et ses tentatives de séduction17. Le souvenir de Matth. 7, 15 opère on ne peut mieux le passage d’une dimension à l’autre, dans la mesure où le premier grief fait à l’ennemi de la grâce est de céder à la superbia en prétendant que l’homme peut, par sa nature, obtenir ce qu’en fait seule une volonté surnaturelle peut lui octroyer. Aussi la superbia, qui caractérise d’abord l’Adam prévaricateur18, en vient à désigner les pélagiens, et enfin les Provençaux eux-mêmes, associés qu’ils sont à leurs prédécesseurs comme à des « superbiae socii et principes19 ». Intimement liée au péché d’orgueil, l’hypocrisie, qui se donne pour but de dissimuler le premier, apparaît dès le tout début de l’ouvrage comme un trait saillant du caractère des adversaires des augustiniens20. Ce type de topos, une fois rapporté au niveau de la discussion en cours et de ses protagonistes, déplace à son tour le terrain de la confrontation. Alors qu’auparavant il en usait autrement, Prosper céderait dans le Contra collatorem à une forme d’argumentation ad personam des moins bien venues21 et s’en prendrait, comme l’écrit Louis Valentin, à « la vie privée 17

La figure de l’hérétique est traditionnellement associée au diable par une relation de filiation spirituelle ; voir, à propos de Jérôme, JEANJEAN, Saint Jérôme et l’hérésie, pp. 295-296. 18 Cf. c. coll., 9, 5 : « […] qui, superbiae ingressus uiam, quod habebat amisit, dum quod non acceperat concupiuit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 34). 19 C. coll., 21, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 79). Voir aussi l’utilisation, pour caractériser la conduite des Marseillais, d’expressions telles que l’« insania superbae elationis » et la « superbientium inepta querimonia » (en c. coll., 18, 3 ; ibid., pp. 69-70). 20 Cf. c. coll., 1, 1, où Prosper donne pour projet à son livre de faire en sorte que « fallacium calumniatorum hypocrisis detegatur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 6). Ces deux attitudes sont présentées comme deux composantes essentielles du « portrait moral de l’hérétique » par JEANJEAN, Saint Jérôme et l’hérésie, pp. 347-352 et 355-357. Il est à noter que le grief de l’orgueil et de l’impudentia est particulièrement employé par Jérôme au cours de la controverse pélagienne, et au premier chef pour désigner Pélage lui-même et sa doctrine de l’impeccantia (ibid., pp. 408-411). 21 Et dont on a vu ailleurs (chap. 3, pp. 89-92) qu’il cherchait au contraire à l’éviter pour conserver au débat toute la dignité et le respect qu’on peut en attendre.

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de ses adversaires22 ». Mais, les adversaires en question étant ce qu’ils sont, le remploi de ces accusations traditionnelles prend un tout autre relief. En affublant Cassien, maître d’ascèse et chantre par excellence de la modestie, du nom d’orgueilleux, Prosper réactualise, en quelque sorte, une image hérésiologique traditionnelle en la reliant directement à une thématique importante des traités ascétiques de son adversaire, qu’il fait coïncider avec le vocabulaire déjà entré dans la sphère polémique23. Autrement dit, le controversiste développe contre les moines provençaux une axiologie qui vient directement d’eux, en les décrivant dans les termes mêmes qui, dans la littérature ascétique ou monastique, servent à pointer les vices que les moines doivent combattre, et par conséquent à stigmatiser les mauvais moines. Par ce jugement moral et son insistance sur l’écart qui sépare les paroles et le comportement de ces mêmes personnes, l’auteur parvient également à présenter à ses autres lecteurs une image moins flatteuse des moines, trompeurs et pourvoyeurs de scandale, et par là même à les discréditer sans difficulté. Ces différents moyens rhétoriques, dont l’efficacité avait été mainte fois déjà éprouvée à l’occasion des controverses précédentes, sont censés permettre à Prosper d’esquiver une confrontation directe avec les arguments du parti adverse. Lui préfère, dès l’abord, invalider le discours de l’autre en 22

VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 335. La superbia, « commencement de tous les péchés » (Jean Cassien, De institutis coenobiorum 12, 6, 1 ; éd. PETSCHENIG, CSEL, 17, p. 209), figure en effet en bonne place parmi les défauts que les moines doivent combattre en priorité et que Cassien condamne. On s’étonnera également de retrouver déjà dans les Collationes les mêmes idées que Prosper applique aux Provençaux, et à Cassien lui-même, dans son Contra collatorem : comparer, par exemple, les remarques liminaires de Prosper, c. coll., 1, 1 avec Jean Cassien, coll. 1, 20, 3 où l’abbé Moïse s’en prend sévèrement à ceux qui « se couvr[e]nt des apparences et de l’éclat de l’or », et notamment aux moines qui, usant de maximes « tombée[s] des lèvres orgueilleuses de la philosophie du siècle », n’ont une piété que « de surface » et sont entraînés « ad haereticos errores ac praesumptiones tumidas » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 30 ; trad. PICHERY, SC, 54, pp. 101-105). L’accusation de superbia poursuivait déjà un objectif semblable en contexte antipélagien, voir R.H. WEAVER, « Augustine’s Use of Scriptural Admonitions Against Boasting in His Final Arguments on Grace », in E.A. LIVINGSTONE (éd.), Studia Patristica, vol. 27 : Papers presented at the Eleventh International Conference on Patristic Studies held in Oxford 1991. Cappadocian Fathers, Greek Authors after Nicaea, Augustine, Donatism and Pelagianism, Leuven, Peeters Press, 1993, pp. [424]-430. 23

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l’amalgamant avec, non pas même l’opinion, mais la simple attitude d’un prédécesseur communément honni. Une systématisation trompeuse de sa doctrine Un autre procédé vient s’ajouter au précédent pour étendre encore le champ de contact de la pensée de Cassien avec un discours qui doit apparaître a priori comme erroné. Tirant tout le profit que lui offrent les contraintes génériques du commentaire et les moyens propres à la méthode exégétique, Prosper parvient à infléchir le texte de Cassien afin de faciliter la multiplication des suspicions à son sujet. Étant donné que, dans le Contra collatorem, les nombreuses citations du texte incriminé ont pour effet d’exempter le lecteur de la nécessité de se reporter à l’œuvre originale, Prosper peut profiter de ce qu’il est, pour ainsi dire, maître des deux discours à la fois, pour en orienter la réception et l’interprétation au désavantage de son adversaire. C’est ainsi qu’il lui arrive souvent, en introduisant les propos de Cassien, de conditionner son lecteur en prétendant dévoiler des intentions et des sens cachés qui, dans la Collatio XIII, sont loin d’être aussi évidents. Il explicite, par exemple, ce que « veut » exactement faire croire Cassien lorsqu’il s’exprime sur une question et qu’il manque de clarté : « Non uis credi […], sed […] », « quod magis uult hic disputator intelligi24 », associant même souvent à uelle le verbe persuadere : « Qui ergo putat […] uult persuadere quod […] », ou plus loin : « quod persuadere conatus es25 ». Les images ne manquent pas, qui présentent Cassien comme un trompeur sans vergogne prêt à tout pour causer la perte des bons croyants. L’abbé veille bien, prétend Prosper, à se ménager la bienveillance des oreilles catholiques26, 24

C. coll., 15, 4 (« Ideo conflictus illius atque uictoriae non uis credi cooperatorem Deum fuisse, sed tantummodo exspectatorem, ut cui persuadere poteris […] » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 61) et 10, 3 (ibid., p. 37). Cf. aussi et surtout, en 11, 2 : « Vult ergo esse multa propria hominum merita […]. Vult nos gratiam Dei […]. » (ibid., p. 40). 25 C. coll., 9, 4 : « uult persuadere quod tam sanum sit in Adae posteris liberum arbitrium, quam in Adam fuit ante peccatum » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 33) ; et 18, 3 : « Nullo igitur modo Christiana corda suscipiunt quod persuadere conatus es, eos qui gratia Dei sunt quod sunt nec laudem ullam habere nec meritum […] » (ibid., p. 69). 26 C. coll., 14, 2 : « fallaciter praedicando catholicarum tibi aurium iudicia conciliare uoluisti » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 57).

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ou à « [se] protéger sous l’ombrage de la foi catholique27 ». Au chap. 7, le conférencier, pourtant caractérisé en cet endroit par sa sobrietas, est même peint sous les traits d’un empoisonneur, qui donne à boire à ses auditeurs un breuvage de pensées perverses artificiellement adoucies par des exemples scripturaires28. Il est donc indispensable de scruter ses agissements et de révéler ses méthodes pour faire apparaître son vrai visage et mettre en garde ses victimes potentielles, qu’il risque de faire tomber dans son traquenard29. En perçant ainsi à jour son adversaire, Prosper révèle la duplicité de ce dernier, et par conséquent son imposture au sein de l’Église, deux caractéristiques qui sont encore l’apanage de l’hérétique type30. Mais les principales altérations apportées par Prosper au texte et à la pensée de Cassien se produisent avec la plus grande discrétion, à la faveur d’une tactique qui, une fois encore, est apparemment justifiée par la structure 27

C. coll., 17, 1 : « ut catholicae fidei defendaris umbraculo » ; dans cette métaphore, la foi apparaît comme une protection contre les rayons du soleil qui pourraient se montrer trop ardents ; la même image se retrouve chez Cassiodore, Expositio psalmorum, 79, 10 : « uniuersum mundum quasi amoenis fidei umbraculis occupauit » (éd. M. ADRIAEN, CCSL, 98, Turnholti, 1958, p. 744), et déjà chez Apponius, In Canticum Canticorum expositio 11, 7 (voir surtout la reformulation de l’Abrégé, plus tardif, de Burginda, 128 : « in umbraculo fidei » ; éd. B. de VRÉGILLE – L. NEYRAND, CCSL, 19, Turnholti 1986, p. 447). Sur l’ombre comme protection chez Augustin, voir J. LECLERCQ, « “Umbratilis”. Pour l’histoire du thème de la vie cachée », Revue d’ascétique et de mystique, 39 (1963) [491]-504 (p. 496). 28 Cf. c. coll., 7, 1 : « Sed iam uideamus quid inferat sobrietas disputantis, qui, ut uitium uitio pelleret et errorem errore curaret, contrarias sibi definitiones noua arte confundit, utque hoc compositionis suae poculum securis auditoribus propinaret, exemplis uoluit colorare quod miscuit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 23). Prosper recourt à cette occasion à la fameuse réminiscence lucrétienne de la coupe d’absinthe (en l’occurrence, de poison) enduite de miel, utilisée déjà par Jérôme (voir H. HAGENDAHL, Latin Fathers and the Classics: A Study of the Apologists, Jerome and Other Christian Writers, Elander, Göteborg 1958 [Studia Graeca et Latina Gothoburgensia, 6 ; Acta Universitatis Gothoburgensis. Göteborgs Universitets Årsskrift, 64/2], pp. 274-276) et par Prosper lui-même pour désigner Pélage en Peri akharistôn, 805-808 : « O bene quod diri erroris malus ille magister / nullo praeleuit lethalia pocula melle / sed non ambigua infectum feritate uenenum / protulit, et gustu uirus detexit amaro ! » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 90). 29 Cf. c. coll., 15, 4 : « ut cui persuadere poteris […] in illius damnatae sententiae foueam cadat » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 61). 30 Sur ces deux aspects caractéristiques de l’hérétique, voir JEANJEAN, Saint Jérôme et l’hérésie, pp. 377-381 (pour la duplicité) et 304-317 (pour la conception de l’hérésie comme imposture).

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de l’œuvre et peut passer pour un louable souhait de l’auteur de faciliter la compréhension de ses lecteurs. On sait que, dans un souci de clarté, Prosper procède à plusieurs récapitulations. Dans le cours de son argumentation, et à l’intérieur même de son examen de la dixième « proposition », Prosper donne d’abord un récapitulatif provisoire, avant que ne soient exposés les derniers passages critiques de Cassien31. Mais c’est surtout à la fin du traité que ce procédé est à l’œuvre, puisque le chap. 19 constitue à lui seul un compendium synthétisant l’ensemble du Contra collatorem en ce qu’il associe les assertions de Cassien à une réponse concise et nette qui exprime la position prospérienne. Or, chacune de ces étapes est l’occasion pour l’auteur de ne retenir qu’une partie seulement des développements examinés et de sa propre argumentation, c’est-à-dire de renforcer encore la sélection déjà réalisée lors de l’excerption et de l’analyse partiale32. Pour clarifier son propos et celui de son adversaire et accuser le plus nettement possible ce qui sépare les positions marseillaises des siennes propres, Prosper opère en effet une récapitulation à plusieurs strates, qui a pour effet de systématiser de plus en plus la pensée de Cassien. Après avoir fait alterner, dans le corps de l’ouvrage, un extrait de Cassien et le commentaire critique que ce dernier lui inspirait, dans le chap. 19 Prosper ramasse le contenu de la discussion (« breuiter coniunctimque digerere33 ») pour que le lecteur puisse garder à l’esprit les douze points essentiels de la question34. Mais il ajoute ensuite, au chapitre suivant, un second niveau dans lequel sa réfutation n’a plus sa place. Il s’agit prétendûment d’un résumé de la seule doctrine de Cassien, étendue à l’occasion à tous ses frères ou disciples. Il est en effet encadré par une double mention des responsables (« docteurs » et « maîtres ») de ce faux dogma : « Voici donc ce que l’on enseigne avec ces propositions, voici ce que l’on écrit, voici ce que l’on explique dans des discussions publiées : […]35 » 31

Cf. c. coll., 14, 2 ; pour visualiser le contexte immédiat du passage et son insertion dans la structure interne, se reporter au tableau du chap. 3, p. 132. 32 Voir déjà, là-dessus, les quelques remarques du chap. 3, pp. 124-125. 33 C. coll., 19, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 72). 34 C’est Prosper qui souligne cette destination, en c. coll., 19, 1 : « ut quae interiectis responsionibus nostris possunt recordationem legentis effugere fidelius simul decursa recolantur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 72). 35 C. coll., 20 : « His itaque definitionibus hoc docetur, hoc scribitur, hoc editis disputationibus praedicatur quod […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 78).

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« Et voilà que ce dogme trouve des docteurs qui […]36. »

Mais dans cette forme censément plus mémorisable, parce que plus brève, même les propos de Cassien ont disparu et ont laissé place à une complète reformulation, qui ne permet pas seulement à Prosper de prendre quelque licence avec la lettre de la Collatio XIII37, mais l’amène surtout à réagencer l’ensemble des propositions pour retrouver, en la créant, la cohérence d’une pensée patiemment construite. Dans le premier récapitulatif du chap. 14, Prosper avait tenu à conserver les propositions dans leur ordre initial, mais n’en avait pas moins retranché plusieurs d’entre elles38 ; dans la synthèse du chap. 20, l’ordre est tout entier bouleversé, et plusieurs definitiones, dont la première — choix significatif —, ont totalement disparu39. On a donc affaire, en un endroit stratégique de l’ouvrage (« ante conclusionem uoluminis40 »), à un paragraphe dont il est clair que Prosper a voulu soigner particulièrement la structure. Prenant pour point de départ la personne et la prévarication d’Adam (« Adam peccante ») pour terminer par les conséquences de cette faute originelle dans l’espèce humaine (« in posteris Adae »)41, il souligne la forte cohérence interne qui permet de 36

C. coll., 21, 1 : « En cuius dogmatis sunt magistri qui […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 79). On notera l’insistance marquée par l’interjection en dans l’attaque du chapitre. 37 Pour s’en tenir à un seul exemple, remarquons que là où, dans la troisième « proposition », Cassien cherche à conserver à la nature humaine un minimum d’initiative, qui certes la met en concurrence, dans l’acquisition du salut, avec la grâce divine (cf. coll. 13, 9, 4, cité en c. coll., 3, 2 : « et gratia Dei et libertas nostri declaratur arbitrii » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 14), Prosper introduit dans sa reprise synthétique une intention excessive de hiérarchisation, écrivant : « gloriosiores sint quos natura prouexerit quam quos gratia liberarit » (c. coll., 20 ; ibid., p. 79). 38 Il ne conservait en effet que les definitiones 1, 3, 4, 5a, 5b, 7, 8a et 9 ; voir le détail dans la structure de l’œuvre, rappelée au chap. 3, p. 132. 39 On retrouve en effet les « propositions » agencées dans cet ordre : def. 7, 9, 11, 8, 10, 8, 2, 12 et 3 ; se reporter au tableau du chap. 3, p. 134. On a noté l’absence — nécessaire, vu sa catholicité — de la première definitio. Les trois autres manquantes (def. 4, 5 et 6) ne sont laissées de côté dans le chap. 20 que pour la raison qu’il s’agit de propositions avant tout polémiques, auxquelles Prosper avait besoin de répondre dans le cours de sa réfutation, mais qui n’apportent aucun élément positif de la pensée qu’il s’agit de synthétiser ici. 40 C. coll., 19, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 71). 41 Comparer c. coll., 20, ll. 2-5 et 22-23 : « praedicatur quod Adam peccante anima eius laesa non fuerit sanumque in eo manserit, unde peccauit, si quidem scientiam boni

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passer d’un stade du raisonnement au suivant, en associant, par exemple, plusieurs « propositions » de Cassien dans une même phrase par un lien de causalité42. Ainsi présentée, la doctrine des adversaires apparaît comme une pensée ou un système bien unifié, et le contenu du chap. 20 passerait aisément pour un « manifeste des Provençaux » s’il n’était pas sorti tout entier de la plume de Prosper. Mais c’est bien là le propos de l’auteur que de créer l’illusion d’un argumentaire opposé, qui du même coup se voit doté des mêmes prétentions que le discours de l’adversaire. Ainsi la regula, qui n’est souvent, dans le traité, qu’un synonyme de definitio43, est d’abord ce qui sert à Prosper à systématiser la pensée de son adversaire : devenue « règle » — comprendre « loi44 » —, celle-ci se laisse plus aisément circonscrire à distance, pour être mieux rejetée (« hac regula », « regulas tuas », « secundum regulam tuam45 »). Telle est donc la subtilité du raisonnement de Prosper : partant d’un texte pris dans son intégralité, il en extrait des passages à son sens significatifs, les traite et les présente d’une manière à leur imposer une lecture tout à fait partisane, dictée par un proaugustinisme indéfectible, avant de prétendre reconstituer l’ensemble de la doctrine de ses adversaires à partir uniquement quam acceperat non amiserit nec potuerint posteri eius id perdere, cuius damnum nec ille pertulerit. […] quia ad omne opus bonum tam libera sit uoluntas in Adae posteris, quam in Adam fuit ante peccatum » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 78-79). 42 Voir le quia qui permet de subordonner la onzième definitio à la neuvième (« gratiam praeuenire et adiutorium eius, quo facilius ad perfectionem perueniat, promereri, quia nullius sit laudis ac meriti qui donatis bonis, non propriis, adornatur »), et le cum causal qui exerce la même fonction pour les definitiones 8 et 10 (« Cauendum quoque esse ne ita ad Deum omnia sanctorum merita referantur, quasi per se nihil boni possit agere ipsa humana natura, cum tanta sit uirium eius integritas, ut contra ipsum diabolum saeuitiamque eius usque ad extrema supplicia sine auxilio Dei ualeat dimicare » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 78). 43 En c. coll., 3, 2, par exemple, c’est l’adjectif dérivé qui sert à qualifier la « proposition » de Cassien : « regulari definitione » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 14) ; de même, en c. coll., 13, 6, on lit « definitionis suae regulam » (ibid., p. 50) ; en c. coll., 14, 2, enfin, c’est encore le même terme (« quas duas regulas ») qui est employé pour reprendre « definitio » dans un paragraphe qui a grand soin de rechercher la variatio : on trouve aussi, dans les mêmes lignes, l’emploi concurrent de professio comme autre synonyme de definitio : « cur professione mutata […] ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 55). 44 Comme le présuppose la juxtaposition opérée par Prosper en c. coll., 5, 2 : « Hac lege, hac regula poteris praedicare quod […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 18). 45 C. coll., 5, 2 ; 5, 3 ; 16, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 18, 21 et 63).

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de ces extraits et de l’interprétation qu’il en a donnée. Au début comme à la fin, il y a un texte, rapporté à la même autorité (Cassien), mais qui a subi entre-temps nombre d’interventions et de modifications, devenues à peine perceptibles — Prosper n’hésite pas, du reste, à le reconnaître à demimot46. Ce n’est pas sans raison qu’Owen Chadwick a qualifié le contenu du Contra collatorem de « parodie » de l’enseignement de Cassien47. Par ces moyens, le polémiste jette sur la Collatio XIII une lumière sans doute trop aveuglante, mais qui veut donner l’impression que cette Collatio est l’expression concertée d’une doctrine ne varietur de la grâce. Ce n’est qu’à ce prix qu’elle pourra être replacée dans une tradition et lue à la lumière d’un contexte idéologique propice à la controverse. La « reductio ad Pelagium » Car cette systématisation, qui est en même temps, et par nécessité, une simplification réductrice et caricaturale de la pensée de Cassien, n’a d’autre objectif que de faire correspondre ce qui est en réalité une solution proposée pour éviter le double écueil d’un trop grand pessimisme rigoriste et d’un humanisme trop autonome à un schéma préconstruit et dont le lecteur est censé être familier. C’est une pratique somme toute courante, chez les polémistes antihérétiques, que de rattacher une hérésie à une autre, afin de prouver l’hétérodoxie de la nouvelle par celle de l’ancienne48. Mais il ne s’agit pas seulement, dans le cas de Prosper, d’associer par une filiation deux pensées manifestement proches ; il s’agit plutôt d’aller jusqu’à les amalgamer toutes deux, ce qui se traduit dans l’exposé par la pratique constante de la reductio ad notum — avec toute la dimension critique que doit comporter l’expression49. 46

C. coll., 19, 1 : « Reseratis igitur definitionibus quas hactenus, quaedam praetermittendo, discussimus, non obscurum neque ambiguum est quid de gratia Dei sentiant qui […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 71). 47 CHADWICK, John Cassian, p. 134. 48 Il convient de distinguer, dans cette pratique, l’amalgame par juxtaposition (auquel Prosper se livre à propos du pélagianisme et du nestorianisme dans l’Epitaphium, et dont on retrouve une trace en c. coll., 21, 2 : « gemina peste » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 81), et l’amalgame par réduction, qui nous occupe ici ; voir JEANJEAN, Saint Jérôme et l’hérésie, pp. 361-370. 49 En l’occurrence, je me permets de parler de « reductio ad Pelagium », exactement comme on parle aujourd’hui de « reductio ad Hitlerum », depuis L. STRAUSS, « The

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Souvent, en effet, les propos de Cassien ne sont pas commentés pour euxmêmes ; Prosper cherche plutôt à les rattacher à une position notoirement pélagienne. « Velis nolis, conuinceris dicere gratiam Dei secundum merita nostra dari », écrit-il dès le début du traité50. Ainsi, l’un des procédés qu’il emploie le plus fréquemment dans son amalgame par réduction consiste à faire correspondre, dans sa paraphrase, les propos qu’il vient de citer à une formule fameuse — « gratiam Dei secundum merita nostra dari » —, condamnée même par Pélage au synode de Diospolis, et qui n’apparaît pas moins de six fois dans le traité51. Mais il arrive à l’auteur d’être moins discret et plus explicite, lorsqu’il veut souligner l’identité des deux doctrines : « Qu’est-ce qu’aucun de leurs disciples aurait pu proposer de plus ouvertement, de plus explicitement conforme à l’invention de Pélage et de Célestius52 ? »

Il demande même directement à Cassien « Pourquoi […] te précipitestu pas à pas vers les abîmes pélagiens53 ? », abîmes qui ne sont autres que « le marais fangeux, aux ruisseaux pleins de bourbe, où transpire l’humidité du gouffre » de l’erreur hérétique54. Tout est donc mis en œuvre pour que, par Social Science of Max Weber », Measure: A Critical Journal, 2 (1951) 204-231, article intégré ensuite à ID., Droit naturel et histoire, trad. M. NATHAN – É. de DAMPIERRE, Plon, Paris 1954 (Recherches en sciences humaines, 5) : « Au cours de notre examen nous devrons éviter l’erreur, si souvent commise ces dernières années, de substituer à la reductio ad absurdum la reductio ad Hitlerum. Qu’Hitler ait partagé une opinion ne suffit pas à la réfuter » (p. 58). Je m’aperçois après coup que VILLEGAS MARÍN, « Prosper’s “Crypto-Pelagians” », p. 65, a utilisé, quant à lui, l’expression « reductio ad haeresim ». 50 C. coll., 3, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 12). 51 On la lit en c. coll., 3, 1 ; 5, 1 ; 5, 3 ; 11, 2 ; 17 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 12, 17, 19, 39 et 65). 52 C. coll., 11, 2 : « Quid euidentius, quid expressius secundum Pelagii Caelestiique commentum ab ullo eorum discipulo potuit definiri ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 39). 53 C. coll., 14, 2 : « Cur inuictissimae ueritatis arce deserta gradatim ad praecipitia Pelagiana decurris ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 55). 54 C. coll., 19, 1 : « ad quae praecipitia perueniatur his callibus in istam lutulentorum riuorum coenosam uliginem, cuius uoraginis humor exsudet » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 55). Associée d’abord aux Borborites, l’image du bourbier en est venue à désigner, chez les polémistes chrétiens, les hérétiques en général : voir

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l’identité de leur doctrine, les adversaires provençaux d’Augustin soient considérés non seulement comme des partisans ou des descendants de Pélage, mais même comme des « néopélagiens » faisant renaître l’hérésie pourtant disparue55. Cette tactique rhétorique a pour effet d’exclure d’emblée l’adversaire du champ polémique, afin de situer le débat sur un autre terrain, plus historique et légaliste. En effet, établir, plus qu’un lien de parenté, une identité entre la défense actuelle d’une opinion et une hérésie condamnée rend absolument vaine toute tentative de réfutation directe, dans la mesure où il suffit au polémiste de mettre sous les yeux de son adversaire les sanctions déjà prononcées contre ceux dont il réitère les méfaits56. Mais c’est là oublier que, face aux théories pélagiennes, les Provençaux ont adopté la même attitude de rejet et de condamnation qu’Augustin. 2. Cassien contre Cassien : l’argument logique Prosper est en effet confronté au fait embarrassant qu’il y a entre les idées de Cassien et celles d’Augustin des points de contact qu’il ne peut nier57. Mais il parvient à surmonter cette difficulté en la renversant tout à fait et en la tournant à l’avantage de la cause qu’il défend. C’est dans cette perspective seulement que le Contra collatorem semble admettre la présence d’un argument réellement logique. Une definitio catholicissima On pourrait s’étonner, en voyant quelles libertés il n’hésite pas à prendre avec la réalité du discours de Cassien, que Prosper ait tenu à ce P. COURCELLE, « Le thème littéraire du bourbier dans la littérature latine », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 117/2 (1973) 273289 (pp. 285-286), qui cite aussi (p. 285, n. 6), un passage de Prosper, Chronicon, 618 [a. 138] (éd. MOMMSEN, MGH. AA, 9, 1892, p. 424). 55 C’est le procédé que l’on trouve déjà à l’œuvre dans le Peri akharistôn, qui commence d’ailleurs (v. XVI-XVII) par la description volontairement effroyable d’un serpent monstrueux (le pélagianisme) qui, quoiqu’il ait été écrasé et vaincu, conserve une once de vie dans sa tête envenimée, qui palpite encore et attend qu’on la réveille (ce que font les Marseillais). 56 Voir infra, pp. 177-180, et plus loin, pp. 227-230. 57 Ils feront l’objet des développements du chap. 5 pp. 242-247.

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que parmi les douze « propositions » retenues dans sa censure en figure une, et qui plus est la première, à laquelle il doive reconnaître un caractère « catholique58 », et même « très catholique59 ». Le fait que Cassien ait soutenu, au sujet de la grâce, une position que l’Église ne renierait pas, et de surcroît en interprétant un passage biblique dans le droit fil de l’exégèse augustinienne60, pourrait en effet tendre à fragiliser l’argumentation de Prosper. En réalité, bien loin d’obéir (uniquement) à un souci d’honnêteté intellectuelle, la reconnaissance de l’existence de cette première opinion jugée orthodoxe est d’une aide précieuse pour la suite du raisonnement. Quoiqu’elle soit de nature à invalider d’entrée de jeu l’intégralité de l’accusation qui suit, par laquelle Prosper cherche à identifier la doctrine de Cassien comme une résurgence pure et simple de la doctrine de Pélage, la première « proposition » permet de poser les bases du débat. En en validant le contenu, puis en remployant à son propre compte le témoignage scripturaire de Iac. 1, 1761, Prosper ne veut pas tant montrer, au début du traité, que Cassien partage une position orthodoxe, et que son enseignement pourrait être recevable au prix de quelques ajustements, que souligner plutôt que, puisqu’il est l’auteur de ces lignes, l’abbé marseillais a au moins conscience que la position contenue dans cette première definitio doit recevoir l’agrément de tous les catholiques. Ce préalable est d’un poids essentiel dans l’appareil argumentatif du Contra collatorem. Que Prosper ait trouvé dans le texte de son adversaire une « proposition » qui soit conforme à la doctrine d’Augustin, et que celleci figure en outre en première place, est loin d’être indifférent62. Car c’est 58

C. coll., 19, 2 : « Quod et nos amplectimur catholicumque esse confitemur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 72). 59 C. coll., 2, 2 : « intulit definitionem catholicissimam » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 9). 60 Sur l’importance du verset de Iac. 1, 17 pour Augustin, voir J. YATES, « Preaching a Good and Immutable God: Augustine on James 1, 17 », in A. DUPONT – G. PARTOENS – M. LAMBERIGTS (éd.), Tractatio Scripturarum: Philological, Exegetical, Rhetorical and Theological Studies on Augustine’s Sermons, Brepols, Turnhout 2012 (Instrumenta Patristica et Mediaevalia. Research on the Inheritance of Early and Medieval Christianity, 65), pp. [177]-192 ; voir aussi le chap. 5, p. 271. 61 En c. coll., 2, 5 ; 13, 3 ; 16, 1 ; 16, 2 ; voir l’« Index locorum S. Scripturarum », in Prosperi Aquitani Liber contra collatorem. 62 Et ce d’autant plus que les premiers chapitres de la Collatio XIII auraient pu fournir déjà à Prosper la matière de plusieurs critiques qui apparaîtront de nouveau dans la suite de l’ouvrage ; voir déjà, à ce sujet, le chap. 3, pp. 114-116.

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elle qui, dans tout le traité, va servir d’étalon et assumer à elle seule la plus grande partie de la stratégie argumentative de la réfutation. La traque des incohérences Le principe de la catholicité de cette première proposition étant posé, le rôle du contradicteur peut, de fait, se limiter ensuite à un simple relevé des défauts de logique de la supposée démonstration de Cassien. Souligner les incohérences internes de la Collatio XIII revient, de fait, à invalider l’ensemble de la doctrine en en sapant les fondements. Car plutôt que de retenir l’opinion orthodoxe de Cassien que l’on peut lire au début de la Collatio, ce sont les multiples écarts qu’il aura accusés dans la suite qui attireront l’attention du lecteur scrupuleux, ne pouvant que constater l’« instable légèreté » de celui que Prosper dépeint comme un traître à la foi et à lui-même63. Notre auteur se laisse même aller à quelque solennité emphatique : « Docteur catholique, pourquoi abandonnes-tu ta propre déclaration ? Pourquoi délaisses-tu la lumière de la limpide vérité pour te tourner vers le brouillard fumeux de la fausseté64 ? »

Dans toute la suite du traité, de fait, Prosper se contente de rappeler — et ce jusqu’à huit reprises65 — la substance de cette première proposition, jugée correcte, pour renforcer par cette présence constante, qui agit tel un Leitmotiv, la mise en évidence de la dérive progressive de l’argumentation et de la doctrine de la Collatio XIII. Ainsi au chap. 3, Prosper souligne le contraste flagrant et l’inconstance de son adversaire en concluant la citation d’une partie de sa troisième « proposition » par ces mots :

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C. coll., 2, 5 : « cito a sententia sua instabili leuitate » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 11). 64 C. coll., 2, 5 : « Doctor catholice, cur professionem tuam deseris ? Cur ad fumosam falsitatis caliginem, relicta serenissimae ueritatis luce, deuolueris ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 12). 65 Après la première convocation du passage en c. coll., 2, 2, et compte non tenu de sa reprise normale au moment de la récapitulation en c. coll., 19, 2, on retrouve les mots « Non solum actuum, uerum etiam cogitationum bonarum […] » en c. coll., 2, 5 ; 3, 2 ; 4, 2 ; 8, 3 ; 12, 1 ; 14, 2 et 18, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 11, 14, 16, 29, 40, 54 et 67).

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« Mais où est passé ce qu’il avait énoncé au préalable dans sa proposition conforme à la règle : [suit le texte de coll. 13, 3, 5]66 ? »

Chacun des passages concernés joue sur cette alternance entre le passé et le présent, pour mettre en miroir comme deux conceptions diamétralement opposées. Mais ce n’est que plus loin dans l’ouvrage que Prosper fournit une explication de la présence de cette première « proposition », renforçant l’image de l’hypocrite flatteur et trompeur qu’il veut donner de Cassien67, et révélant ainsi sa propre stratégie argumentative. Aux dires de Prosper, l’auteur des Collationes aurait sciemment voulu faire commencer son exposé par une proposition catholique, pour ensuite s’en départir (« probabiliter, sed non stabiliter68 »), dans l’intention malveillante d’attirer à lui, par un trompe-l’œil, les bonnes volontés catholiques : « Rends-nous la proposition catholique avec laquelle tu as, au commencement de ta discussion, capté nos oreilles et nos esprits69. »

On voit par là que le choix des definitiones et leur agencement ont un rôle déterminé dans le portrait que le controversiste cherche à donner de l’adversaire, sans pour autant risquer d’être taxé de falsification. Pourtant, c’est précisément dans ces procédés que réside, pour ainsi dire, le travestissement des idées de Cassien, que Prosper présente d’une manière simplificatrice à l’excès, en donnant l’impression au lecteur que Cassien s’exprime différemment sur un même sujet alors qu’il s’agit en réalité de deux positions distinctes, ayant chacune un développement propre70. C’est l’amalgame qui permet de renforcer la suspicion en soulignant le manque de cohérence et de logique. 66 C. coll., 3, 2 : « Et ubi est quod regulari definitione praemissum est : […] ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 14). 67 Et dont on a mis en évidence l’importance dans le portrait « héréticisé » de Cassien que Prosper veut offrir à son lecteur ; voir supra, pp. 162-166. 68 Cf. c. coll., 8, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 29). 69 C. coll., 14, 2 : « Redde nobis catholicam definitionem qua inter initia disputationis tuae aures nostras mentesque cepisti » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 54). 70 La première « proposition » décrit, en effet, l’un des deux « modèles de salut » distingués par Cassien dans la Collatio XIII, toutes les autres se rapportant en réalité au second ; le premier modèle ne posant pas de difficulté à Prosper, celui-ci choisit de ne pas citer les autres développements concernés, alors qu’il impose de lire les autres allégations à la lumière seulement de cette première déclaration, en dépit du distinguo de Cassien lui-même. Sur ce double modèle de salut, voir le chap. 5, pp. 252-257.

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L’argument de la logique se fait jour également dans le raisonnement ab absurdo, déjà en partie évoqué71, qui consiste à pousser le raisonnement de Cassien au-delà des limites qu’il s’impose pour montrer l’évidence du danger. C’est le sens que prend, par exemple, à deux reprises la locution « consequens esse » : dans un premier cas, les implications tirées d’une phrase de Cassien amènent à tenir un discours « satis alienum a catholica fide72 » ; dans un second, c’est Prosper qui développe les conséquences de ce qu’il lit chez Cassien, avant d’observer dans les formules qu’il vient luimême de monter en épingle l’amalgame de plusieurs erreurs doctrinales73. On notera, enfin, une dernière présence de la logique, mais sous une forme plus scolaire ou populaire, dans le recours assez marqué à des maximes ou sentences qui permettent à l’auteur de réduire le discours de l’adversaire à l’aide de formules, somme toute banales, mais qui offrent l’avantage de la concision et de la clarté immédiate : « Il est impossible que de deux maux résulte un bien, deux vices n’engendrent pas une vertu, deux erreurs ne font pas une vérité. Car des choses justement égales, quand on les unit, ne diminuent pas, mais augmentent74 »,

assène-t-il pour contrecarrer la tentative conciliatrice de Cassien qui, selon lui, ne peut mener qu’à un pire mal75. L’autocondamnation Mais au-delà du fait qu’elles ne constituent pas de véritables arguments propres à contrecarrer les théories adverses, ces réponses font encourir à Prosper le risque plus grand d’être entièrement discrédité par son propre 71

Voir supra, p. 174. C. coll., 9, 4 : « Qui ergo putat consequens esse ut […] uult persuadere quod tam sanum sit in Adae posteris liberum arbitrium, quam in Adam fuit ante peccatum, quod satis alienum a catholica fide dicimus » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 33). 73 C. coll., 11, 2 : « Atque ita consequens erit ut […]. Ecce iam in ista paucorum breuitate uerborum non duarum tantum, sed multarum impietatum numerosa connexio est […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 40). 74 C. coll., 5, 2 : « De duobus malis unum fieri bonum non potest, unam uirtutem duo uitia non gignunt, unum uerum duo falsa non faciunt. Quae enim merito paria sunt non minuuntur coeundo, sed crescunt » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 18). 75 Sur cette conciliation proposée par Cassien, voir le chap. 5, pp. 247-251. 72

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discours, car ses accusations se trouvent contredites, au cœur même de son raisonnement, par plusieurs citations tirées de la Collatio XIII. Notre polémiste est en effet confronté à un problème de taille, qu’il semble ne pas vouloir esquiver : alors même que tout son propos est de prouver que la pensée de Cassien n’est qu’une forme de pélagianisme ou célestianisme rebouilli, force lui est de reconnaître que Cassien, tout comme les autres intellectuels de son milieu, s’est farouchement et expressément prononcé, lui aussi, contre le pélagianisme, et qu’il a reçu avec soulagement la condamnation de 41876. Plutôt que de passer sous silence cet aspect qui devrait pourtant mettre en branle une grande partie de sa stratégie polémique et au moins fragiliser la validité du schéma bipartite qu’il impose à son lecteur, Prosper réussit la gageure de le tourner à son avantage et d’en faire un des arguments majeurs sur lesquels faire reposer son raisonnement. Tout en continuant donc de soutenir que Cassien reproduit, sans le dire, les théories des pélagiens77, il n’omet pas d’admettre que dans le même temps le même Cassien a condamné, dans sa Collatio XIII, les idées qui, sans qu’elles soient nommées, apparaissent clairement comme constituant la doctrine pélagienne 78. Ces deux prémisses étant posées, et le paradoxe on ne peut plus limpide, il ne lui reste plus qu’à en tirer les conclusions qui s’imposent. Si Cassien et les Provençaux condamnent Pélage tout en partageant ses idées, c’est qu’ils sont soit « idiots », soit « hypocrites ». La première solution est loin d’être rejetée par Prosper, qui n’hésite pas à parler d’ineptia, même à l’égard d’un homme pourtant aussi savant que Cassien : « unde tam ineptum est dicere », « illud enim inepte positum est », écrit-il par exemple pour commenter telle ou telle assertion de son adversaire79. En condamnant ici Pélage, qu’il approuve là, Cassien se montrerait en effet fort inconstant. Mais cette explication n’est qu’une façade. La vérité est à rechercher ailleurs, selon Prosper, qui est convaincu de la malhonnêté des Marseillais et du caractère profondément malveillant de leurs intentions. Puis donc qu’ils ne peuvent être taxés d’idiotie, c’est qu’ils machinent sciemment un stratagème consistant à condamner par la bouche ce qu’ils 76 Se reporter au chap. 1 pp. 19-23, pour un aperçu de la réception de cette condamnation en Gaule du sud. 77 Pour les passages concernés, voir supra, p. 172 et n. 51. 78 Comme, par exemple, en coll. 13, 16, 1, cité par Prosper en c. coll., 17 ; voir la citation infra, p. 179 et n. 81. 79 C. coll., 2, 4 et 9, 5 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 11 et 34).

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approuvent dans leur cœur80. Autrement dit, Prosper revient à son idée de départ qui lui faisait apercevoir chez ses adversaires l’hypocrisis propre aux hérétiques, pour en induire que c’est ce trait de caractère qui explique leur position vis-à-vis du pélagianisme : la condamnation qu’ils en ont faite ne doit pas être prise au sérieux, mais participe de leur stratégie de tromperie et de duperie. Toujours est-il que, s’il cherche à prouver l’insincérité de Cassien dans sa prise de position ouvertement antipélagienne, Prosper n’en rejette pas pour autant la condamnation elle-même, qui reçoit sans difficulté sa validation. Ainsi donc entérinée, cette condamnation a l’avantage de condamner, du même coup, la doctrine de Cassien lui-même, et par sa propre bouche. Prosper joue beaucoup de cette ironie tragique, notamment dans le chap. 17, où il exprime à trois reprises en l’espace de quelques lignes le paradoxe de Cassien : « Il faut voir à quel point tu soutiens [les pélagiens]. Néanmoins, […] tu dénonces chez eux une “opinion sacrilège” […]. Je trouve absolument surprenant que tu ne voies pas, ou que tu penses que les autres ne voient pas, que tu te condamnes toi-même de tes propres lèvres81. »

Et plus bas : « Comment esquiveras-tu la blessure que tu t’infliges à toi-même […] ? Aussi, où que tu ailles, es-tu par toi-même mis en infériorité et aux fers82. »

Une nouvelle fois, Prosper n’éprouve aucun besoin d’argumenter lui-même pour démonter le discours de Cassien, mais se borne à établir 80

Cf. c. coll., 17 : « quod ore condemnas » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 65). Depuis son epist. 2, Prosper a l’habitude de reprendre l’allusion à l’opposition paulinienne entre in ore et in corde (Rom. 10, 9-10) souvent employée par Augustin (cf., d’ailleurs, l’extrait de l’epist. 194, cité en c. coll., 21, 4 ; ibid., p. 84). 81 C. coll., 17 : « Considerandum sane est […] quantum adiuues eos qui dicunt gratiam Dei secundum merita nostra dari, quos tamen […] profanae opinionis esse profiteris […]. Sed miror ualde quomodo non uides aut ab aliis existimas non uideri quod te ipsum tuo ore condemnas » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 65). 82 C. coll., 17 : « Quomodo hoc uulnus declinabis, quo te ipsum configis […] ? Quoquouersum ergo te conferas, a temetipso et uinceris et uinciris » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 66).

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des liens entre les différents propos qu’il a sélectionnés pour en souligner l’incohérence et même l’incompatibilité. Réussir à faire condamner son adversaire par son adversaire lui-même est, à cet égard, un véritable tour de force. Mais la comparaison permise avec le texte intégral de la Collatio XIII et de l’ensemble des Collationes révèle à nouveau au lecteur attentif le degré de « mauvaise foi » qui caractérise l’entreprise d’opposition de Prosper83. Dans ce développement, et selon la présentation qu’en fait Prosper, Cassien apparaîtrait comme un nouveau Pélage face à ses juges de Diospolis, mais à qui il faudrait, cette fois, se garder de faire confiance84. Ainsi, en détectant les incohérences de son adversaire, puis en révélant que ces incohérences ne trahissent rien d’autre que la duplicité de leur auteur, Prosper mobilise de nouveau tous les thèmes et tous les topoi hérésiologiques étudiés précédemment pour expliquer pourquoi — et surtout donner pour acquis que — Cassien fait mine de condamner le pélagianisme tout en lui donnant une nouvelle naissance85.

3. Désinformation et propagande De l’examen qui précède, il ressort assez clairement que, tout au long de sa réfutation, Prosper vise moins à prouver ou à « démontrer », comme il le prétend86, l’erreur doctrinale de Cassien qu’à faire croire à son lecteur qu’elle est plus que manifeste et indiscutable. Seulement, parce 83

Pour caractériser l’attitude de Prosper dans son examen et sa condamnation des théories de Cassien dans le Contra collatorem, WIGGERS, Versuch einer pragmatischen Darstellung, p. 179, allait même jusqu’à parler du « polemische Interesse » de l’auteur, et A. EBERT, Histoire générale de la littérature du Moyen-Âge en Occident, t. 2 : Histoire de la littérature latine chrétienne depuis les origines jusqu’à Charlemagne trad. J. AYMERIC – J. CONDAMIN, E. Leroux, Paris 1883, p. 390, de même, utilise le terme de « perfidie » ; deux positions que refusait avec véhémence VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 323-324 (qui, à propos d’A. Ebert, fait erronément référence au second tome), mais qui correspondent parfaitement à la réalité qui vient d’être décrite. 84 Sur le souvenir du synode de Diospolis comme clé d’interprétation de la stratégie polémique du Contra collatorem, voir déjà le chap. 3, p. 135. 85 Sur cette dimension de la compréhension par Prosper des théories marseillaises, voir le chap. 1, pp. 20-23, et pour les images qu’elle suscite dans son œuvre, voir la fin de ce chapitre, pp. 230-235. 86 Cf. c. coll., 22 : « Sufficienter, ut arbitror, demonstratum est » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 84) ; voir déjà les remarques faites dans le chap. 3, p. 156.

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que le texte de la Collatio nous est également parvenu par ailleurs, nous pouvons remarquer ce qui peut-être devait échapper au lecteur de Prosper et vérifier que la présentation qu’offre de Cassien le Contra collatorem est particulièrement faussée. En omettant des éléments importants et en en surinterprétant d’autres de manière à les faire correspondre à un schéma préconçu, Prosper nous apparaît bien loin du témoin et de l’informateur scrupuleux qu’on voit régulièrement en lui87, mais au contraire, à bien des égards, comme un « désinformateur » tout à fait conscient de son fait. La stratégie du polémiste semble même aller plus loin. On peut se demander en effet s’il ne transparaît pas, derrière ce constat, une motivation en réalité double. Fort de tous les atouts que présentent pour son attaque le fait d’avoir un texte à sa disposition et la manière qu’il a d’en orienter la lecture, Prosper se maintient dans une position surélevée : lui qui peut maîtriser à la fois le discours de son adversaire et l’effet que celui-ci doit provoquer sur ses propres lecteurs, il met en place tous les moyens possibles de conditionnement et de désinformation pour créer de toute pièce une image, mais surtout une pensée de Cassien, à laquelle il donne lui-même corps, pour ainsi répondre à des impératifs qu’il faut bien qualifier de « propagandistes88 ». De fait, la subsistance, dans le cas présent, du texte source de la Collatio a ceci d’unique que, dans le Contra collatorem plus encore que dans les autres ouvrages de Prosper, elle permet d’observer comment, pas à pas, l’auteur prépare son lecteur afin de le convaincre pleinement, à l’issue de la prétendue « démonstration », de l’erreur de Cassien ; comment se fait jour, en somme, dans le Contra collatorem, une certaine « fabrication du consentement » dudit lecteur — pour reprendre une expression et un concept de Walter Lippmann dont les différentes facettes se révèlent particulièrement éclairantes pour rendre compte du traité de Prosper89. 87

Se reporter au chap. 1, et pour le crédit sans doute trop grand qu’on a accordé à ses œuvres au titre de témoignages contemporains, à l’Introduction, spécialement pp. XXX-XXXIV et XXXVII-XL. 88 Ce sont en effet les principales caractéristiques par lesquelles on définit la propagande depuis l’étude classique de J. ELLUL, Propagandes, A. Colin, Paris 1962. On se gardera bien, évidemment, d’appliquer sans précaution à des objets antiques une grille de lecture qui ne leur est rien moins qu’étrangère et repose sur l’analyse de réalités modernes à peine comparables. 89 L’expression de « manufacture of consent » a été vraisemblablement forgée par W. LIPPMANN, Public Opinion, Transaction Publishers, New Brunswick – London

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Les mécanismes et les effets de la polémique de Prosper peuvent, en effet, s’interpréter très justement selon les cadres mis en place par Walter Lippmann, et plus encore, depuis, par Noam Chomsky et Edward S. Herman dans leur analyse de la puissance des médias90. Abstraction faite des dimensions politiques et sociétales auxquelles l’expression reste communément attachée, l’œuvre de Prosper répond, pour le reste, en tout point au « modèle de propagande » qui repose fondamentalement sur une dichotomie entre le sujet et l’adversaire. Le simple procédé qui consiste à représenter l’adversaire dans son altérité comme mauvais ou coupable apporte d’intéressants profits : s’il apparaît tel un monstre, tout lecteur aura tendance à s’en méfier, et par retour à s’attacher à celui qui acceptera de combattre ce danger91. Prosper n’agit pas autrement pour justifier son intervention, comme aussi pour en assurer l’heureuse issue. Mais n’est-ce pas finalement le cas de toute entreprise polémique ? Plus intéressante est la présentation que Noam Chomsky et Edward S. Herman donnent de la « fonction sociétale » des médias, en en détaillant les procédés : celle-ci, selon eux, ne peut s’opérer qu’ « à travers la sélection des sujets, la mobilisation de l’intérêt, le cadrage des questions, le filtrage des informations, l’insistance et le ton, ainsi qu’en maintenant le débat dans les limites d’axiomes acceptables92. »

Autant de procédés que l’on retrouverait à l’identique dans le traité, et qui achèvent de l’identifier comme un ouvrage de propagande. Mais 1991 (1ère éd. : 1922), p. 248 : « That the manufacture of consent is capable of great refinements no one, I think, denies. » 90 La partie de l’essai de LIPPMANN, Public Opinion, consacrée à cette « fabrication du consentement » a été en effet récemment remployée et popularisée par l’essai de N. CHOMSKY – E.S. HERMAN, La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, trad. D. ARIAS, éd. B. EUGÈNE – Fr. COTTON, Agone, Marseille 20092 (Contre-feux) qui, en étudiant les mécanismes identifiés par leur prédécesseur et en les actualisant, fournissent des moyens d’interprétation particulièrement stimulants, y compris en dehors du champ de la communication et des médias de masse (dont ils traitent exclusivement), et en dehors même de l’époque strictement contemporaine, comme les lignes qui suivent tentent de le montrer. 91 CHOMSKY – HERMAN, La fabrication du consentement, p. 592. 92 CHOMSKY – HERMAN, La fabrication du consentement, p. 586 ; voir aussi, pour la technique du « passage par les filtres », ibid., p. 78.

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il ne faudrait pas oublier d’ajouter que, dans le système de propagande, le « médium » — comprendre, dans le cas de Prosper, les assertions du Contra collatorem — est soumis à une autorité qu’il cherche à protéger. La différence qui fait la spécificité du traité antihérétique est que l’autorité est, non pas imposée, mais librement choisie par l’auteur : elle est ce au nom de quoi le polémiste s’en prend à un adversaire, et ce à quoi il cherche à faire adhérer ses différents destinataires. S’il ne faut pas mésestimer tout ce que la force polémique du Contra collatorem doit à cette dimension de la propagande, à peine sous-jacente93, on se gardera également d’en faire une originalité de Prosper. Car une comparaison s’impose au lecteur du Contra collatorem connaisseur de la littérature de controverse, et qui fait se rejoindre d’une façon inattendue deux personnages supposés incompatibles. Il se trouve qu’en réservant à Cassien le traitement qu’on a longuement décrit, Prosper ne fait en réalité — mais peut-être sans le savoir — que retourner contre son adversaire les procédés injustes auxquels ce dernier avait lui-même tout récemment recouru contre Nestorius et Léporius94. Il suffira, pour s’en convaincre, de rappeler les traits saillants qu’une analyse fine, mais non dépourvue d’objectifs apologétiques, a permis à Émile Amann de dégager de la méthode générale et de la composition d’ensemble du De Incarnatione Domini de Cassien95 : « C’est qu’au vrai, écrit-il, Cassien n’est pas une tête théologique ; les subtilités dogmatiques lui échappent. Il était beaucoup plus simple de rejeter en bloc tout ce qu’avait dit Léporius, en faisant une caricature du système, que de faire le départ dans ses affirmations entre ce qui était incontestable, ce qui était dangereux, ce qui était faux96. » 93 Voir infra, pp. 185-225, le développement concernant plus spécifiquement l’identité des diverses autorités en question ; lire aussi, en conclusion de ce chapitre, le bilan que l’on peut tirer de cette analyse du Contra collatorem comme véhiculant une « double propagande » (pp. 235-237). 94 Dans son De Incarnatione Domini. Il est plus qu’hasardeux d’établir une relation directe d’imitation ou de simple intertextualité entre le Contra collatorem et le De Incarnatione Domini. Rien n’est moins sûr que le fait que Prosper ait eu une connaissance directe du traité antinestorien de Cassien ; la réciproque, en revanche, pourrait n’être pas vraie : voir PLAGNIEUX, « Le grief de complicité », pp. 392 et 400 n. 30. Il reste donc à supposer plutôt qu’il s’agit là de procédés très répandus et assez conventionnels dans la littérature de polémique antihérétique. 95 Dans un long article posthume : AMANN, « L’affaire Nestorius ». 96 AMANN, « L’affaire Nestorius », 2e partie, pp. 229-230.

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Sans qu’il soit besoin de porter de jugement sur l’existence ou non des capacités théologiques, de Prosper comme de Cassien97, on peut à tout le moins remarquer les similitudes relevées dans la réfutation de Nestorius avec ce que l’on a présenté de la systématisation à l’œuvre dans le Contra collatorem, qui dans chacun des cas poursuit un même but : non pas tant « tirer au clair l’enseignement de Nestorius » que « rendre l’affaire bien criminelle98 ». De plus, on est frappé de lire, à propos du De Incarnatione Domini : « Mais la partie polémique — hélas, la polémique est partout — est complètement gâtée du fait que Cassien ne s’est pas donné la peine de reconstituer la pensée de l’auteur qu’il entendait combattre. […] C’est contre un spectre qu’il s’escrime et tous ses coups, ou à peu près, tombent dans le vide99. »

On croirait ces phrases écrites à propos du Contra collatorem — à la différence près que Prosper, lui, fait mine de reconstituer la pensée de son adversaire, par le biais des citations. Mais ce sont ces citations mêmes, on l’a vu, qui faussent l’appréhension par le lecteur du véritable contenu de la Collatio XIII et des opinions de Cassien en général100. On s’en rend compte à la lecture du traité, et à l’issue de cette analyse, le propos de Prosper n’est pas tant d’opposer à son adversaire une attaque en règle qui se signalerait par sa rigueur, mais plutôt de pousser Cassien dans ses retranchements et de soulever ses incohérences. Pour cela, Prosper se contente de suivre l’exemple de ses devanciers en usant des méthodes les plus traditionnelles de la littérature de polémique antihérétique. Mais c’est que, en bon légaliste, il espère emporter l’adhésion en se couvrant surtout de l’autorité des instances les plus à même d’imposer une règle à suivre.

97 Exercice auquel de nombreux critiques et commentateurs se sont essayés. On a vu, dans l’Introduction, pp. XXX-XXXIV, combien à propos de Cassien ce jugement demandait à être révisé. Pour ce qui est de Prosper, se reporter au chap. 5, pp. 257-288. 98 AMANN, « L’affaire Nestorius », 2e partie, p. 230. 99 AMANN, « L’affaire Nestorius », 2e partie, pp. 237-238. 100 Voir le chap. 3, pp. 109-121.

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II – LE PRIVILEGIVM AVCTORITATVM Plutôt que de faire trop fond sur cet argument logique, Prosper entend renoncer, du moins en partie, à toute argumentation contradictoire, pour n’opposer à son adversaire, par l’argument d’autorité, que la garantie du témoignage de ses prédécesseurs, censé énoncer la vérité et même faire office de sanction judiciaire — il est qualifié par Prosper de priuilegium, « sauf-conduit101 ». Tel est bien, certes, le rôle ordinaire du censeur que d’accepter (ou de forger) une norme à l’aune de laquelle jauger telle ou telle opinion — et cette conception de la vérité ne manquerait pas, du reste, d’être partagée par un lectorat monastique, mis à l’école de saint Antoine102. Cassien luimême recourt très fréquemment à cette forme d’argument103. Mais même alors, il reste à voir quelles peuvent être ces auctoritates légitimes. Il est nécessaire que l’argument dit d’autorité soit reçu comme tel par l’autre partie, qu’il s’agit encore de convaincre. Et l’on sait avec quelle facilité — et parfois quel dédain — peut être invalidé un témoignage que l’on « croit » seulement « pourvu d’une autorité adéquate104 », alors que l’autre le juge 101 Voir le texte cité supra, p. 160, n. 4. Priuilegium est ici à comprendre au sens étymologique (voir Thesaurus linguae Latinae, t. 10/2, s.v. primilegium, col. 1248) — d’où sa traduction par « sauf-conduit ». 102 L’opposition faite par « le père des moines » entre raisonnements démonstratifs et foi agissante (Athanase d’Alexandrie, Vita Antonii, 77 ; éd. G.J.M. BARTELINK, SC, 400, Paris 20042, pp. 330-333), qui se conclut évidemment en faveur de la seule foi, est devenu un topos de la littérature ascétique : Ὥστε βελτίων καὶ ὀχυρωτέρα ἡ διὰ πίστεως ἐνέργεια τῶν σοφιστικῶν ὑμῶν συλλογισμῶν. (Vita Antonii, 77, 6 ; ibid., pp. 332-333). 103 Dans son De Incarnatione Domini, œuvre exclusivement polémique ; voir A. PASTORINO, « Il concetto di tradizione in Giovanni Cassiano e in Vincenzo di Lerino », Sileno, 1/1 (1975) 37-46, CASIDAY, Tradition and Theology, chap. 4 : « Cassian’s tradition », pp. [119]-160, et ID., « Tradition As a Governing Theme ». On notera cependant que les derniers mots de la Collatio XIII (coll. 13, 18, 4-5 ; éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 395-396) sont consacrés à un examen rapide des conclusions unanimement acceptées par les Patres catholici, dont l’identité n’est pas autrement précisée ; mais leur présence a pour seul but de prouver in fine que tout le développement qui précède, loin d’être isolé et novateur, se situe bien dans une tradition. 104 C’est le reproche que Prosper fait à Cassien en c. coll., 16, 1 : « His autem definitionibus tuis quas credidisti idonea auctoritate munitas » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 62).

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« nullius auctoritatis », comme c’est le cas du Pasteur d’Hermas, cité par Cassien mais non reconnu par Prosper105. La recherche d’une idonea auctoritas, devenue un enjeu décisif depuis les traités antipélagiens d’Augustin106, est ce qui occupe plus que tout Prosper. Il est évident que la source, commune et première en importance, est constituée par la Bible, surtout s’agissant de théologie anthropologique. Mais, référence quasi exclusive de Cassien, les Écritures posent en la matière des problèmes herméneutiques si profonds que l’argument biblique ne saurait être le seul terrain du débat entre les deux auteurs. Prosper n’a donc d’autre choix que de chercher à consolider son interprétation des Écritures par le recours à l’enseignement de la Tradition107, mais 105

Jean Cassien cite Hermas, Pastor (versio Palatina), mand. 6, 2 en coll. 13, 12, 7 : « liber ille qui dicitur Pastoris apertissime docet […] » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 380 ; cité par Prosper, c. coll., 13, 1 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 45). En c. coll., 13, 6, Prosper n’hésite pas à balayer d’un revers de main l’autorité de ce livre, se conformant à la tradition latine qui déclare le Pasteur « apocryphe » : « post illud autem nullius auctoritatis testimonium quod disputationi suae de libello Pastoris inseruit » (ibid., p. 50). Avant Cassien, la démonologie développée dans ce passage, qui défend la théorie de l’existence de deux anges associés à chaque individu, avait déjà été reprise par Origène ; voir J. DANIÉLOU, Les anges et leur mission d’après les Pères de l’Église, Éd. de Chevetogne, [Chevetogne] 19532 (Collection Irénikon, n.s., 5), surtout le chap. 7 « L’ange gardien », pp. 92-110. 106 Sur le « moment » que représente la controverse pélagienne dans l’émergence de l’argument patristique, voir les études de G. MÁRTIL, La tradición en San Agustín a través de la controversia pelagiana, Talleres Espasa Calpe, Madrid 1943, de G. MASCHIO, « L’argomentazione patristica di Sant’Agostino nella prima fase della controversia pelagiana (412-418) », Augustinianum, 26/3 (1986) [459]-479, et d’É. REBILLARD, « A New Style of Argument in Christian Polemic : Augustine and the Use of Patristic Citations », Journal of Early Christian Studies, 8/4 (2000) [559]-578, et ID., « Augustin et ses autorités : l’élaboration de l’argument patristique au cours de la controverse pélagienne », in WILES – YARNOLD (éd.), Studia Patristica, vol. 38, pp. [245]-263. 107 On reconnaît là les deux piliers sur lesquels repose la théorie développée par Vincent de Lérins pour répondre à l’objection : Commonitorium, 2, 2 : « Cum sit perfectus scripturarum canon sibique ad omnia satis superque sufficiat, quid opus est ut ei ecclesiasticae intellegentiae iungatur auctoritas ? » (éd. R. DEMEULENAERE, CCSL, 64, p. 148). Voir à ce sujet les récentes analyses de Cl. ANDO, « Scripture, Authority and Exegesis: Augustine and Chalcedon », in Fr. PRESCENDI – Y. VOLOKHINE (éd.), Dans le laboratoire de l’historien des religions. Mélanges offerts à Philippe Borgeaud, collab. D. BARBU – Ph. MATTHEY, Labor et Fides, Genève 2011 (Religions en perspective, 24), pp. 213-226 ; cette conception, dont on attribue l’originalité à Vincent, doit en fait

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d’une tradition que son destinataire soit enclin à considérer sans trop de malveillance. L’examen attentif du matériau rassemblé dans le Contra collatorem et de sa mise en œuvre permet à la fois de dégager l’identité des principales auctoritates dont se réclame Prosper et de cerner mieux, et dans ses modalités pratiques, l’ampleur du travail préparatoire que cette recherche normative a conduit l’auteur à mener.

1. La Bible, autorité suprême ? Pour ce qui concerne le recours à l’argument d’autorité, on doit bien admettre que, dans un premier temps, Prosper est entièrement assujetti à son texte source, qui a à la fois impulsé le premier mouvement et prévenu toute riposte. Le développement de Cassien est tout entier fondé sur l’examen des témoignages bibliques qui viennent au secours de sa théorie de la grâce. Il importe donc à Prosper d’exploiter à son tour l’argument scripturaire pour dévoiler les probables infléchissements que Cassien aura fait subir au texte biblique, en même temps que de justifier la canonicité de la doctrine d’Augustin. Mais comme l’Écriture ne perd pas son rôle de maître et de pédagogue — « omnia sanctarum Scripturarum eloquia docent108 » —, elle lui permet enfin d’établir pour vrai un discours sur la grâce qui servira à son propre raisonnement109. beaucoup à Cassien lui-même : voir déjà PASTORINO, « Il concetto di tradizione ». À cet égard, il faut fortement nuancer les remarques de VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 325, pour qui Prosper ne fait jamais appel au consensus omnium, ni même à la tradition. 108 C. coll., 13, 4 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 48). 109 L’utilisation de la Bible dans les œuvres de Prosper n’a, jusqu’à présent, été que fort peu étudiée : VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine ne donne dans son « Excursus n° 12 » (pp. 861-862) qu’une liste fort incomplète de passages scripturaires cités par notre auteur. On aurait besoin, avant cela, de pouvoir se livrer à une enquête plus fouillée sur le texte biblique que Prosper utilise, car il semblerait qu’il offre de nombreuses particularités, comme d’ailleurs celui de Cassien. Il est certain que les deux auteurs n’utilisent pas toujours la Vulgate : pour Prosper, voir CAPPUYNS, « L’auteur du “De vocatione” », p. 214 et TESKE – WEBER, « Introduction », in CSEL, 97, pp. 38-39, et pour Cassien, les remarques du chap. 7 de M. PETSCHENIG, « Prolegomena », in Iohannis Cassiani De institutis coenobiorum et De octo principalium uitiorum remediis libri XII. De Incarnatione Domini contra Nestorium libri VII, recensuit et commentario critico instruxit M. PETSCHENIG, accendunt

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Les contradictions de la Bible : Prosper face à l’exégèse de Cassien Comme on doit s’y attendre dans les écrits du « conférencier », « le meilleur dans l’étude des saintes Écritures » de l’aveu même de Prosper, la Bible tient une place primordiale dans la Collatio XIII et constitue même la source quasi exclusive de l’enseignement qu’y prodigue le vieux Chérémon 110. Les Patres catholici convoqués en conclusion n’ont d’autre fonction que confirmative111. Les seuls « témoins » véritables, dignes d’être confrontés, sont les innombrables passages tirés de la Bible. « Ce n’est point là conjecture personnelle, se défend Cassien, mais un sentiment qui s’appuie des Prolegomena et indices, F. Tempsky – G. Freytag, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1888 (CSEL, 17), pp. [I]-CXVI (pp. LXXVIII-XCV). Mais il s’en faut de beaucoup aussi que le texte non-vulgate qu’ils attestent soit facilement rattachable à une version identifiée. Faudrait-il imaginer que ces deux auteurs, qui nous fournissent des variantes textuelles rares, soient les témoins d’une version particulière qui aurait circulé en Provence au début du Ve siècle ? Pour pouvoir s’en assurer, il faut attendre de disposer d’un texte critique, au moins pour l’epist. 2 et les trois Responsiones ; le cas des Collationes est encore trop problématique. 110 À l’exception notable de Socrate, évoqué par le truchement d’une allusion tacite à un Pseudo-Plutarque (coll. 13, 5, 3 ; voir G. KREUZ, « Addenda ad apparatum similium », in Cassiani Opera. Collationes XXIIII, edidit M. PETSCHENIG, Editio altera supplementis aucta curante G. KREUZ, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Wien 2004 [CSEL, 13], pp. 716-718 [p. 717]). C’est aussi exclusivement à la Bible que Cassien emprunte les modèles qu’il propose à ses moines : voir A. KRISTENSEN, « Cassian’s Use of Scripture », The American Benedictine Review, 28 (1977) 276-288, et surtout Chr.J. KELLY, Cassian’s Conferences: Scriptural Interpretation and the Monastic Ideal, Ashgate, Farnham – Burlington (VT) 2012 (Ashgate New Critical Thinking in Theology & Biblical Studies). Rappelons que le Pasteur d’Hermas, convoqué en coll. 13, 12, 8, est considéré par Cassien comme appartenant au canon des Écritures : voir supra, p. 186, n. 105. Pour être vraiment complet, on n’oubliera pas, enfin, que l’herméneutique biblique pourrait avoir une place bien plus grande dans l’œuvre de Cassien, si pouvait se vérifier l’attribution à notre auteur de l’Epitome du Liber regularum de Tyconius, proposée par P. CAZIER, « Cassien auteur présumé de l’épitomé des Règles de Tyconius », Revue des études augustiniennes, 22/3-4 (1976) [262]-297. 111 Jean Cassien, coll. 13, 18, 4 : « Et idcirco hoc ab omnibus catholicis patribus definitur […] » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 395). Ces Patres ne sont pas davantage caractérisés ; il s’agit ici pour Cassien de souligner que la tradition confirme la supériorité de l’expérience sur les discussions théologiques.

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témoignages les plus évidents de la divine Écriture112. » Dans sa recherche d’une définition plus juste de l’interaction des forces de la grâce divine et de celles de la nature humaine, Cassien n’a, de fait, aucun besoin de convoquer d’autre autorité que celle des Écritures, qui vérifient par un nombre suffisant de preuves la véracité de sa théorie d’un « modèle alternatif » de salut113. En s’intéressant plus particulièrement à certaines figures de la Bible, telles que Job, ou en comparant des épisodes assez similaires, comme les récits néotestamentaires de conversion114, Cassien parvient à mettre en évidence des contradictions internes à la Bible qui ne trouvent leur résolution que dans la uia media qu’il propose et qui, seule, permet à ses yeux d’éviter les deux extrêmes dans lesquels sont tombés également Augustin et Pélage115. Parmi les chapitres entiers consacrés à cette démonstration116, la fin du chap. 12 offre sans doute l’exemple le plus parlant. Cassien y rassemble en vis-à-vis des passages en faveur de la prééminence de la grâce sur la volonté de l’homme et d’autres qui étayent la position adverse117. Il n’est pas insignifiant que ce passage particulièrement démonstratif fasse partie de ceux dont Prosper omet de faire mention118. De la même manière, le polémiste 112

Jean Cassien, coll. 13, 14, 8 : « Et ut hoc non nostra coniectura, sed euidentioribus adhuc scripturae diuinae testimoniis adprobetur » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 388 ; trad. E. PICHERY, SC, 54, p. 173). 113 C’est-à-dire qui place à l’origine du salut soit la grâce de Dieu soit la liberté de l’homme. À propos des deux modèles de salut distingués dans la Collatio XIII, voir le chap. 5, pp. 252-257. 114 C’est l’objet de coll. 13, 11 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 375-378) ; le capitulum est intitulé : « Vtrum bonam uoluntatem nostram sequatur an praecedat gratia Dei » (ibid., p. 361). Sur la réplique de Prosper en c. coll., 7, voir infra, pp. 192-193. 115 Cf., en particulier, Jean Cassien, coll. 13, 11, 1 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 376), que Prosper, c. coll., 5, 3, cite en en explicitant les implications (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 19). Sur cette question, voir le chap. 5, pp. 247-251. 116 Surtout Jean Cassien, coll. 13, 9, 11, 12 et 13 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 372-384). 117 Jean Cassien, coll. 13, 12, 10-12, où alternent des citations scripturaires introduites tantôt par un verbe actif, tantôt par un verbe passif, pour souligner le double discours de la Bible : « aduocat enim nos et inuitat […], et inuitatur a nobis », « quaerit nos Dominus […], quaeritur et ipse » etc. (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 381-382). Signalons que Cassien n’est pas le seul à procéder ainsi et que l’auteur qui fournit le parallèle le plus frappant — ce que Prosper se garde bien de mentionner — n’est autre qu’Augustin, en De gratia et libero arbitrio, 2, 4 (PL, 44, col. 883). 118 Sur cette pratique de l’omission probablement volontaire, voir les remarques du chapitre précédent, pp. 118-120.

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prend soin de ne se référer jamais aux versets scripturaires convoqués par Cassien au service de sa propre conception ou qui tendraient à suggérer que la Bible reconnaît parfois l’effet bénéfique de la seule volonté humaine, tandis qu’il consent ailleurs à citer, à travers les propos de Cassien, certains autres témoignages qui attestent la seule force de la grâce119. Bien au contraire, tout l’enjeu est pour Prosper de démonter ce prétendu recours à l’autorité inattaquable de la Bible en déplaçant le problème et en montrant que les incohérences sont, non dans le texte scripturaire, mais dans l’interprétation qu’en donne Cassien. Le collator a « recueilli, écrit Prosper au chap. 3, [des versets de l’Écriture] comme s’ils (quasi) avaient des sens divergents et s’opposaient les uns aux autres120 ». Aussi sa tâche devient-elle de rechercher à son tour dans les écrits des deux Testaments des lieux capables de contredire l’interprétation proposée par son adversaire de versets savamment choisis à des fins intéressées. Et Prosper de comparer les deux conceptions qui en ressortent, pour faire valoir invariablement celle qui s’oppose aux idées de Cassien. La onzième proposition fournit encore un des exemples les plus clairs à ce propos : pour renverser la lecture cassianienne de l’épisode du centurion de Capharnaüm, Prosper convoque nombre d’autres témoignages, vétéro-, mais surtout néotestamentaires, et use dans les insérendes d’une ironie qui lui est familière : « C’est donc à tort qu’il est écrit : […]. C’est donc à tort que l’Apôtre a prêché : […]. C’est aussi à tort qu’a enseigné celui qui a dit : […]. Et ce n’est pas selon la vérité qu’il est dit : […]121. »

Il conclut, de même, par une opposition qui ne laisse plus aucune place à l’hésitation : 119 C’est ainsi que Prosper « ostracise », dans son Contra collatorem, Ps. 87, 14, Ps. 87, 10, Ps. 39, 2, Is. 35, 3, Ps. 68, 4 et Cant. 3, 1. Il accepte, en revanche, de faire figurer dans son traité Ps. 58, 11 (à travers une citation de Cassien en c. coll., 19, 3 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 72), Rom. 10, 21 (toujours dans la bouche de son adversaire, en c. coll., 2, 4 ; ibid., p. 11) et Is. 30, 19 (sans changer la modalité, en c. coll., 9, 1 ; ibid., p. 30). 120 Pour commenter le passage de Jean Cassien, coll. 13, 9, 2 ; cf. c. coll., 3, 1 : « Et caetera quae collecta de Scripturis quasi alterno sibi sensu aduersa collegit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 14). 121 C. coll., 16, 1 : « Falso ergo scriptum est : […]. Falso praedicauit Apostolus : […]. Falso docuit et ille qui dixit : […]. Nec secundum ueritatem dictum est : […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 62).

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« Selon ta règle, […]. Mais il y a plus de correction dans ce que nous avons entendu dire au prophète : […]. Désormais, nous savons très clairement que […]122. »

Les Écritures, réceptacle de la regula ecclesiastica Parmi les nombreux recours aux textes scripturaires, il en est qui, plus que d’autres, sont porteurs d’une forte dimension normative. C’est à ce phénomène que donne lieu, par exemple, la sixième « proposition » de Cassien, tirée de coll. 13, 11, qui est l’objet du chap. 8 du Contra collatorem. À l’issue de sa confrontation des arguments bibliques en faveur ou non de la préséance de la grâce sur la liberté humaine, Cassien appelait en effet à une prudence avisée, de nature à éviter d’outrepasser, en favorisant l’un ou l’autre excès, l’ecclesiasticae fidei regula123. Reprenant cette expression à son adversaire, dans le chap. 8, Prosper lui oppose, en un paragraphe entier, ce qu’est selon lui la véritable « règle de foi de l’Église ». Pour ce faire, il rassemble seize citations scripturaires, toutes néotestamentaires, qui ont pour objet de défendre la seule supériorité de la grâce de Dieu sur le libre arbitre. Comme on le verra, la définition de cette règle est tout entière d’influence paulinienne, et met en lumière la place de choix qui est accordée, dans la stratégie polémique de l’auteur, aux citations des épîtres de Paul, s’ancrant ainsi dans une ligne déjà tout à fait augustinienne et inaugurée dès les tout débuts de la controverse pélagienne.

122 C. coll., 16, 1 : « Igitur secundum regulam tuam […]. Sed rectius audiuimus prophetam dicentem : […] et : […], ut manifestissime nouerimus […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 63). La manière dont Prosper comprend la péricope doit, une nouvelle fois, beaucoup à l’exégèse augustinienne : voir l’étude toute récente de M. PAULIAT, « Non inueni tantam fidem in Israel : la péricope de l’acte de foi du centurion (Matt. 8:5-13) interprétée dans les Sermones 62 et Morin 6 d’Augustin d’Hippone », in M. VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 96 : Papers presented at the Seventeenth International Conference on Patristics Studies held in Oxford 2015. The second half of the fourth century. From the fifth century onwards (Greek writers). Gregory Palamas’ Epistula III, Peeters, Leuven – Paris – Bristol (CT) 2017, pp. [91]-102. 123 Jean Cassien, coll. 13, 11, 4 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 377), cité en c. coll., 8, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 27).

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Saint Paul et la regula ecclesiastica Parmi les références scripturaires propres à Prosper qui sont convoquées dans l’ensemble du Contra collatorem124, les renvois aux épîtres pauliniennes représentent, en effet, à eux seuls près de 40 % du total125, et environ 47 % des références à la littérature néotestamentaire, de loin les plus nombreuses126. Avec les exempla de Job et du larron, dont Prosper propose une assez longue exégèse afin de faire pièce à l’interprétation par trop tendancieuse qu’en donnait Cassien, Paul, avant même d’être un auteur « autorisé », est l’individu qui incarne par sa vie et sa conversion la force de la grâce agissante de Dieu, même sur un être qui, jusqu’alors, ne faisait que la persécuter127. Mais la présence de Paul dans le traité atteste également une approche qu’on pourrait dire beaucoup plus « autoritative » des Écritures. L’Apôtre ne fait pas, en effet, que « parler » ou « dire », mais il est celui qui 124

C’est-à-dire sans tenir compte des citations ou allusions bibliques que Prosper cite de seconde main, le plus généralement dans ses propres citations de Cassien. 125 Soit exactement 85 citations ou allusions sur un total de 225 références ; voir l’« Index locorum S. Scripturarum », in Prosperi Aquitani Liber contra collatorem. À titre de comparaison, les mêmes textes ne correspondent qu’à 20 % des recours scripturaires identifiés dans l’ensemble des Collationes (cf. l’« Index biblicus », in Cassiani Opera. Collationes XXIIII, CSEL, 13, pp. 729-744, qui comprend les ajouts et corrections apportés par Gottfried Kreuz, ibid, p. 715). 126 C’est-à-dire 85 références sur 182 ; voir l’« Index locorum S. Scripturarum », in Prosperi Aquitani Liber contra collatorem. 127 Dans ce que Prosper présente comme la cinquième « proposition », présentée et réfutée en c. coll., 7, puis résumée en c. coll., 19, 6, Cassien opposait deux récits de conversion forcée (celles de Paul et de Matthieu) à deux autres de conversion volontaire (dans le cas de Zachée et du bon larron). On confrontera avec intérêt le rappel de la conversion de Paul aux lignes qu’avait déjà écrites Jean Cassien, coll. 2, 15 « De uocatione Pauli Apostoli » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 58-59 et, pour le capitulum, p. 38). Les personnages de Job et Paul sont aussi présentés par Cassien comme des modèles du sage : voir M. SHERIDAN, « Job and Paul: Philosophy and Exegesis in Cassian’s Sixth Conference », Studia monastica, 42/2 (2000) [271]-294 [reprod. in ID., From the Nile To the Rhone and Beyond: Studies in Early Monastic Literature and Scriptural Interpretation, Pontificio Ateneo S. Anselmo, Roma 2012 (Studia Anselmiana, 156 ; Analecta monastica, 12), pp. [365]-390].

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« définit128 » la foi juste et ne saurait être inconstant (« Non ergo Apostolus sibi contrarius est129 ») ; bref, il est le maître qui doit être écouté (« instruat nos beatus apostolus Paulus et dicat130 »). Mais c’est dans le chap. 8, 3 que l’autorité de ce docteur se fait la plus manifeste, puisque ce sont des citations pauliniennes qui servent à Prosper à définir ce qu’est la véritable regula ecclesiastica. En associant directement l’Apôtre à cette « règle », il lui confère ainsi un statut quasi canonique131, qui achève d’élever Paul au rang des docteurs de la grâce. Cette ecclesiastica regula, déclinée avec toute l’assurance et la solennité que permet l’anaphore, consiste en seize passages qui ont en commun d’énoncer, sans doute possible, l’incapacité des forces naturelles de l’homme, et au contraire la toute-puissance et la nécessité de l’action divine. Chacun des versets retenus l’a vraisemblablement été pour le balancement très net qu’il opère entre ce qui relève de l’homme et ce qui est du ressort de Dieu : « non ego, sed gratia Dei mecum », « sit Dei et non ex nobis », « non uos me elegistis, sed ego elegi uos132 », etc. En tout cas, il semble clair que c’est la citation d’un verset qui, par des échos lexicaux, appelle celle du suivant, et que le tout est organisé autour des notions tout à fait pauliniennes de gratia, de fides et de don133.

128 C. coll., 10, 3 : « Cum ergo Apostolus definiat quod […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 37). 129 C. coll., 4, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 16). 130 C. coll., 7, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 26). On le voit également à l’œuvre dans sa prédication, qui réussit à enflammer le cœur de Lydie, en c. coll., 13, 6, où la parole de Paul est mise en parallèle avec l’apparition du Christ à Emmaüs : « Sed nec illud in eisdem (= les disciples d’Emmaüs) actum est quod in Lydia, ciuitatis Thyatirenorum purpuraria, quae inter mulieres quibus illic Apostolus praedicabat sola tunc ostenditur credidisse […] ? » (ibid., p. 51). 131 Le terme regularis est en effet utilisé, spécialement dans la littérature canonique, avec la signification de « régulier, canonique » : voir A. BLAISE, Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens, revu spécialement pour le vocabulaire théologique par H. CHIRAT, Le latin chrétien, Strasbourg – Paris 1954, s.v. « I. regularis », p. 708, et les références données à Rusticus, Synodicon, 3 ; Cassiodore, Expositio psalmorum, 24, 5 ; Ennode de Pavie, Libellus aduersus eos qui contra synodum scribere praesumpserunt. 132 À savoir, pour ces expressions, I Cor. 15, 10, II Cor. 4, 7 et Ioh. 15, 16, tous cités en c. coll., 8, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 28). 133 Sur ces questions de vocabulaire, voir le chap. 5, pp. 259-265.

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Contre ce que laisserait supposer une lecture trop bienveillante de Cassien, l’assemblage de ces seize citations scripturaires n’a donc d’autre but que de démontrer par l’évidence la consistance intrinsèque de la Bible. Selon une structure nettement mise en valeur, Prosper réunit d’abord neuf versets tirés des Épîtres de Paul (praedicante Apostolo), avant d’appeler à leur appui sept paroles du Christ lui-même (Dominus dicens), tout en les présentant, assez étrangement, comme une simple confirmation (hanc regulam firmat) des propos de l’Apôtre. Dans la première partie, l’Apôtre insiste sur le fait que, dans l’économie du salut, Dieu peut et fait tout, quand l’homme, lui, reste impuissant. Dans la seconde, le contenu du discours est sensiblement identique, à la différence près que le Christ, qui s’exprime à la première personne, parle également de lui, ou ailleurs rappelle le lien étroit qui l’unit au Père134. Ainsi placés en miroir, et l’autorité du Christ accroissant sans conteste celle de Paul, les passages néotestamentaires non seulement attestent — comme chez les adversaires — la nécessité de la grâce divine, mais précisent que la grâce dont il est question est la grâce du Christ, soit celle de la Rédemption135. Pour Augustin, Paul est même le praedicator gratiae par excellence136, expression que Prosper reprend à son compte, mais — là est tout le piquant — pour qualifier cette fois Augustin137, préfigurant ainsi l’appellation devenue traditionnelle de « docteur de la grâce138 ». Ainsi, re-

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Cf. c. coll., 8, 2, et notamment les expressions « ad me […] a Patre meo », « Nemo nouit Filium, nisi Pater, neque Patrem, nisi Filius […] », « sicut Pater […], ita et Filius […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 28). 135 Sur la question de la gratia Christi, voir encore le chap. 5, pp. 268-270. 136 Cf. en particulier Augustin, De gestis Pelagii, 14, 35 : « Quocirca, o beate Paule, magne gratiae praedicator, dicam nec timeam […] ? » et 14, 36 : « O magnum gratiae praeceptorem, confessorem, praedicatorem ! » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, pp. 91 et 93) ; cf. aussi De gratia Christi et de peccato originali, 1, 25, 26 ; De spiritu et littera, 13, 22 ; Enchiridion, 20. Lire, à ce sujet, E.E. POPKES, « Constantissimus gratiae praedicator : Anmerkungen zur Paulusexegese Augustins », Kerygma und Dogma, 48/3 (2002) [148]-171. 137 En resp. ad Gen., resp. 7 : « Sicut enim hic ipse insignis gratiae praedicator alibi ait : [suit une citation d’Augustin, De gratia et libero arbitrio, 23] » (PL, 51, col. 197C) ; cf. aussi, quoique fondu en un pluriel, De uocatione omnium gentium, 1, 1 : « Inter defensores liberi arbitrii, et praedicatores gratiae Dei » (éd. TESKE – WEBER, CSEL, 97, p. 79). 138 Sur l’histoire de ce titre, dont on ne possède aucune attestation médiévale, en association ou non avec Augustin, voir désormais S. ICARD, « Augustin docteur de la

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courir à Paul, devenu un passage obligé de toute réflexion sur la grâce, ne peut revenir pour Prosper qu’à le lire à travers le prisme augustinien. Ce que l’on peut observer ponctuellement, par exemple pour l’exégèse d’un passage aussi crucial que Rom. 2, 14-16139, se vérifie pour bon nombre d’autres passages140. Le dossier scripturaire de c. coll., 8, 2 et les controverses sur la grâce Pour en rester aux citations rassemblées par Prosper dans le chap. 8, et qui forment à l’évidence un dossier scripturaire à vocation hérésiologique, tant antipélagienne qu’antiprovençale, il suffit de se prêter à quelques comparaisons avec les ouvrages antérieurs composés en défense de la grâce pour s’apercevoir que les recours scripturaires de Prosper sont, en grande majorité, d’inspiration augustinienne, et ne peuvent donc s’entendre que dans le cadre plus vaste du continuum qui mène des discussions avec Pélage jusqu’aux accusations ici portées par Prosper contre les Marseillais. J’ai reporté, dans le tableau suivant, pour chacun des versets présents en c. coll., 8, 2, les diverses occurrences qu’on peut en trouver, selon l’ordre chronologique, dans les œuvres antipélagiennes d’Augustin, dans ses derniers traités aux moines d’Afrique et de Provence, puis dans l’œuvre polémique de Prosper.

grâce : histoire d’un titre », Revue d’études augustiniennes et patristiques, 63/1 (2017) [181]-198, en particulier pp. 182-187. 139 En Rom. 2, 14-16, Paul pose la question de la bonté naturelle des païens. Deux interprétations opposées se sont affrontées, l’une proposée par Pélage et Julien, l’autre par Augustin et reprise ensuite par Prosper et Fulgence de Ruspe, qui en reproduisent invariablement les conclusions pour contrecarrer l’hypothèse de leurs nouveaux adversaires, Jean Cassien, puis Fauste de Riez. Sur cette question, voir DELMULLE, « Gratia Adami », spécialement pp. 202-209. 140 On n’est pas étonné, par exemple, de trouver cité, et ce à trois reprises (en c. coll., 8, 2 ; 13, 4 ; 13, 6 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 28, 49 et 52) un verset aussi porteur de sens que I Cor. 4, 7 (« Quid enim habes quod non accepisti ? Si autem accepisti, quid gloriaris quasi non acceperis ? »), dont on connaît par ailleurs l’intérêt qu’il a suscité tout au long des débats sur la grâce ; voir HOMBERT, Gloria gratiae, p. 13.

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Augustin Œuvres pélagiennes I Cor. 12, 3 I Cor. 4, 7

Œuvres « antisemipélagiennes » — gr. et lib. arb. 6, 15 ; corrept. 2, 4 ; 6, 9 et 10 ; 7, 12 et 9, 21 ; praed. sanct. 4, 8 et 5, 9 ; perseu. 17, 43 gr. et lib. arb. 5, 12 (bis)

c. ep. Pel. 4, 11, 30 epist. 157, 2, 10 ; nat. et gr. 24, 27 ; gest. Pel. 14, 34 ; c. ep. Pel. 1, 20, 38 ; 2, 7, 15 ; 4, 6, 14 ; 4, 9, 25-26 (bis) I Cor. 15, 10 gest. Pel. 14, 36 (quater) ; 14, 37 ; 17, 40 ; 30, 54 ; c. ep. Pel. 3, 3, 4 ; 3, 8, 24 I Cor. 7, 25 gest. Pel. 13, 29 et 35, 63 gr. et lib. arb. 7, 17 et 14, 28 ; praed. sanct. 2, 4 et 3, 7 ; perseu. 21, 56 II Cor. 4, 7 — — Eph. 2, 8-9 gr. et pecc. or. 23, 24 et 31, gr. et lib. arb. 7, 17 et 14, 28 34 ; c. ep. Pel. 1, 7, 12 et 2, 6, 12 Phil. 1, 28-29 gr. et pecc. or. 31, 34 ; c. ep. gr. et lib. arb. 14, 28 ; praed. Pel. 1, 3, 6 sanct. 2, 4 ; perseu. 2, 2 Phil. 2, 12-13 epist.157, 4, 29 ; nat. et gr. 27, gr. et lib. arb. 9, 21 ; 16, 32 31 et 32, 36 ; c. ep. Pel. 1, 18, et 33 ; corrept. 9, 24 ; praed. 36 et 20, 38 sanct. 8, 15 et 18, 37 ; perseu. 13, 33 et 22, 59 II Cor. 3, 5 gr. et pecc. or. 25, 26 ; c. ep. gr. et lib. arb. 7, 16 ; praed. Pel. 2, 8, 18 et 19 sanct. 2, 5 et 8, 19 ; perseu. 13, 33 Ioh. 6, 66 perf. iust. 19, 41 ; gr. et pecc. gr. et lib. arb. 5, 10 ; corrept. 9, or. 10, 11 ; c. ep. Pel. 1, 3, 6 22 ; praed. sanct. 8, 15 ; 20, 40 ; et 7 perseu. 14, 34 et 37 Ioh. 6, 37 — praed. sanct. 8, 13

Prosper Hormis en c. coll. 8, 2 resp. ad Gen., resp. 8 peri akh. 796 ; c. coll. 13, 4 et 6 ; resp. ad Gen., resp. 1-3 et 4 ; uocat. gent. 1, 25 auct. 6 — — epist. 2, 7 ; resp. ad Gall., resp. 14 ; resp. ad Gen., resp. 5 ; uocat. gent. 2, 35 — peri akh. IX

uocat. gent. 1, 24 resp. ad Gen., resp. 8

resp. ad Gall., resp. 8 ; resp. ad Vinc., resp. 16 ; uocat. gent. 1, 24 Ioh. 15, 5 epist. 157, 4, 29 ; epist. 214, gr. et lib. arb. 6, 13 ; 8, 20 ; epist. 2, 6 ; peri akh. 7993 ; nat. et gr. 31, 35 ; 62, 73 ; corrept. 1, 2 ; 12, 34 800 ; c. coll. 14, 1 gr. et pecc. or. 29, 30 ; c. ep. Pel. 2, 8, 18 (bis) ; 2, 9, 20 ; 2, 9, 21 ; 2, 10, 23 ; 4, 6, 14 Ioh. 15, 16 — gr. et lib. arb. 18, 38 ; corrept. c. coll. 18, 2 12, 34 ; praed. sanct. 17, 34 ; 19, 38 Matth. 11, 27 — — uocat. gent. 1, 20 Ioh. 5, 21 nat. et gr. 7, 8 — epist. 2, 6 ; resp. ad Gen., resp. 8 Matth. 16, 17 — — c. coll. 3, 1 ; uocat. gent. 1, 23 et 2, 27

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Ce tableau appelle quelques remarques. Bien que certaines citations scripturaires semblent faire leur apparition dans la controverse à cet endroit précis de l’argumentation de Prosper141, la plupart sont cependant — directement ? — empruntées à la controverse menée naguère par Augustin contre les pélagiens, puis contre les moines africains et gaulois. Dans certains cas, on peut même identifier des « orchestrations scripturaires142 » tout droit héritées d’Augustin qui, reprises telles quelles, invitent à multiplier les parallélismes. Pour ne s’arrêter qu’à un exemple, la co-occurrence de I Cor. 7, 25, Eph. 2, 8-9 et Phil. 1, 29, présente en c. coll., 8, 3 comme déjà en un ou deux endroits du De gratia et libero arbitrio d’Augustin143, permet à Prosper, sinon de l’y renvoyer directement, de reproduire à l’adresse de son lecteur l’argumentation scripturaire préparée par Augustin pour prouver aux Africains qu’il ne peut y avoir de uoluntas credentis sans la grâce144, argumentation qui se fonde exclusivement sur les témoignages et l’exemple de Paul145. Mais même dans cet emprunt, 141 D’autres (Ioh. 15, 5 et 15, 16, ainsi que I Cor. 15, 10) sont aussi appelées à être fréquemment remployées tout au long de la controverse, jusques et y compris dans les canons du second concile d’Orange. Voir le tableau similaire réalisé à partir du dossier scripturaire vraisemblablement présenté au concile de Valence de 529 : J. DELMULLE, « Polémique doctrinale et hagiographie : établir et diffuser la norme. La Vita Caesarii, ultime étape de la controverse augustinienne en Gaule du sud ? », in Th. GRANIER – M.-C. ISAIA (éd.), Normes et hagiographie dans l’Occident latin. Actes du colloque international de Lyon (4-6 octobre 2010), Brepols, Turnhout 2014 (Hagiologia. Études sur la Sainteté en Occident – Studies on Western Sainthood, 9), p. [45]-63. 142 Avec la signification qu’Anne-Marie La Bonnardière a donnée à cette expression dans ses différents travaux sur la Biblia Augustiniana. L’enquête demanderait à être poursuivie en élargissant la comparaison avec des œuvres antérieures aux deux controverses sur la grâce. Les recherches pour le moment permises par le site de « Biblindex », les archives du fonds Anne-Marie La Bonnardière des « Sources chrétiennes » et les indices des éditions consultées semblent, en tout cas, faire apparaître que certaines associations n’apparaissent pas avant les débuts de la controverse africaine. 143 Cf. De gratia et libero arbitrio, 14, 28, pour l’ensemble des trois citations (PL, 44, col. 897) ; les deux premières se retrouvent, quant à elles, déjà associées, et qui plus est dans cet ordre, en De gratia et libero arbitrio, 7, 17 (ibid., coll. 891-892). 144 Augustin, De gratia et libero arbitrio, 14, 28 : « Jam quidem de fide, hoc est, de voluntate credentis superius disputavi, usque adeo eam demonstrans ad gratiam pertinere » (PL, 44, col. 897). 145 Cf. Augustin, De gratia et libero arbitrio, 7, 16-18 (PL, 44, coll. 891-892), passage qui commence par « Proinde consideremus ipsa merita Apostoli Pauli ».

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le polémiste doit prendre garde de ne retenir que les phrases qui offrent une signification obvie, afin de s’épargner des développements superflus : ainsi, lorsqu’on compare les versets pauliniens « régularisés » par Prosper aux passages d’Augustin qui ont pu lui servir de réservoir, on aperçoit nettement les omissions qui tendraient à valider l’hypothèse que la Bible serait ambiguë, voire ambivalente, ou dont la congruence avec l’opinion présentée comme orthodoxe ne pourrait être défendue qu’au prix d’une longue exégèse146. On est donc fondé à établir un rapport supplémentaire qui unit l’entreprise de Prosper à la controverse pélagienne. En opposant à ses adversaires les mêmes arguments qu’Augustin, Prosper fait à la fois l’économie d’une réfutation à nouveaux frais et se présente comme l’héritier direct de l’évêque d’Hippone qui les avait déjà avertis par les mêmes biais, tout en renforçant enfin l’effet de symétrie ou de parenté entre la cause de Cassien et celle de ses prédécesseurs et prétendus inspirateurs. En définitive, quoique l’argument scripturaire — et les allégations de Cassien l’ont suffisamment montré dans la Collatio XIII — risque d’être un obstacle pour la réfutation de Prosper, celui-ci tient à s’appuyer sur une documentation biblique fournie, surtout néotestamentaire et, en l’occurrence, spécialement paulinienne, pour opposer aux thèses adverses la doctrine dont son prédécesseur Augustin avait déjà éprouvé l’efficacité dans son débat avec les pélagiens. Seule l’exégèse paulinienne, empreinte d’humilité et de reconnaissance envers la bonté de Dieu créateur et rédempteur, peut permettre aux « disciples de la doctrine évangélique et apostolique147 » de ne pas se fourvoyer sur les mêmes sentiers que les orgueilleux hérétiques. Le premier niveau d’autorité convoqué au sein du discours polémique est donc lui-même loin, on le voit, de se cantonner au 146

Prosper, qui cite dans le même ordre les trois versets pauliniens utilisés par Augustin, De gratia et libero arbitrio, 14, 28, omet deux intermédiaires : Rom. 12, 3 « Sapite ad temperantiam, sicut unicuique Deus partitus est mensuram fidei », et Eph. 6, 23 (qu’il citera cependant en c. coll., 13, 6 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 52). L’éviction de Rom. 12, 3 s’expliquerait-elle par la difficulté que représente la mention d’une « mensura fidei », qui pourrait éventuellement créer une division au sein de l’humanité et légitimer l’hypothèse d’une foi naturelle à l’homme, ou aurait-elle pour cause que Cassien lui-même a convoqué ce passage dans son discours, en coll. 13, 15 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 389) ? 147 Cf. c. coll., 18, 3 : « discipuli euangelicae apostolicaeque doctrinae » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 69).

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pur texte, mais est déjà empli d’une portée hérésiologique qui le met en écho avec une tradition, certes assez récente, reliant la situation présente à l’action de controverse menée contre les pélagiens par l’Église, et avant tout par Augustin.

2. Une « cosmographie » augustinienne et patristique ? Pour présenter brièvement les œuvres de notre auteur relatives à la grâce et en conseiller la lecture, le moine de Saint-Gall de la fin du IXe siècle Notker le Bègue écrit dans sa Notatio de uiris illustribus148 : « Penche-toi avec toute ton attention sur ses livres sur la grâce et le libre arbitre que, à partir des innombrables livres de saint Augustin et d’autres Pères, il a peints, comme une sorte de, non, une véritable cosmographie sur une toute petite tablette : à l’évidence, l’homme n’est pas, comme le veulent les philosophes, un monde plus petit que le monde, mais plus grand, puisque ce n’est pas l’homme qui a été fait à cause du monde, mais le monde à cause de l’homme149. »

Pareille lecture de Prosper n’a certes rien de bien original : elle consiste à ne voir en cet auteur rien de plus qu’un vulgarisateur ou qu’un passeur des idées élaborées par ses prédécesseurs150. Appliquée à ses écrits sur la grâce, elle a cependant le mérite d’attirer l’attention sur l’éventuelle pluralité des 148

Sur cette Notatio, imitée des Institutiones cassiodoriennes mais réalisée d’après des lectures personnelles, voir en particulier Fr. BRUNHÖLZL, Histoire de la littérature latine du Moyen Âge, t. 2 : De la fin de l’époque carolingienne au milieu du XIe siècle, trad. H. ROCHAIS, compléments bibliographiques par J.-P. BOUHOT, Université catholique de Louvain – Institut d’études médiévales, Louvain-la-Neuve 1996, pp. 40-41. 149 Notker Balbulus, Notatio de illustribus uiris : « Item libris eius de gratia et libero arbitrio acutissime intende, quos ille ex innumeris sancti Augustini et aliorum Patrum libris quasi in breuissima tabula quandam uel potius ueram cosmographian depinxit ; quia uidelicet non iuxta philosophos homo minor est mundus, sed maior, cum non homo propter mundum, sed mundus propter hominem sit factus. » (éd. E. RAUNER, « Notkers des Stammlers ‘Notatio de illustribus uiris’. Teil I : Kritische Edition », Mittellateinisches Jahrbuch, 21 [1986] [34]-69 [p. 67]). 150 C’est essentiellement à ce titre que Prosper est convoqué par les auteurs carolingiens à l’occasion de la controverse sur la prédestination ; voir MATZ – BENSON – CONNORS – EREKSON – HALLEY – WALKER, « Legacy of Prosper of Aquitaine ».

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inspirations de notre auteur. Car si Augustin est le seul auteur nommément cité par Notker, c’est qu’il est, à l’évidence et pour chacun, la principale source où a puisé le premier de ses héritiers ; les autres Patres, quoique anonymes, ne sont donc pas autrement mis au second plan. Mais force est de constater que, s’agissant du Contra collatorem, les autres Pères sont bien absents ; et, tout bien considéré, Augustin lui-même est loin d’occuper la place que l’on imaginerait. Bien sûr, Augustin affleure à chaque ligne du traité, lui qu’il s’agit de défendre du début à la fin de l’ouvrage. En ce sens, c’est bien un « petit monde augustinien » que Prosper recrée en reformulant les thèses de son maître et en les organisant de manière à répondre à ses adversaires151. Néanmoins, nulle part ne lui est conférée la moindre « autorité » à proprement parler. Pour contrecarrer les opinions à ses yeux erronées de Cassien, Prosper choisit — car il s’agit bien d’une décision délibérée — de ne jamais avoir directement recours aux œuvres et à la doctrine de son maître, qui seraient pourtant les plus à même d’apporter des éclaircissements et des explications, puisque ce sont elles qui sont mises en cause dans la controverse152. Il ne faut pas perdre de vue l’objectif premier de Prosper — qui est la défense d’Augustin — et essayer de voir dans quelle mesure cette supposée « cosmographie » vient s’insérer, pour s’y fondre, dans un discours autoritatif qui se place sur un terrain différent. Augustin n’est, en effet, pas la source que l’on cite, mais la figure dont on veut établir l’autorité contre ceux qui n’ont de cesse que de l’accuser de nouitas153. Il paraît donc nécessaire d’asseoir cette autorité-là sur d’autres bases qu’elle-même. L’omniprésente absence : quelle autorité pour Augustin ? Le lecteur s’étonnera, de prime abord, de remarquer qu’Augustin n’est, de fait, jamais convoqué directement au sein de l’argumentation doctrinale. 151

Je n’entre pas ici dans le détail des emprunts idéologiques à la doctrine d’Augustin, qui feront l’objet du chap. 5, pp. 257-288. 152 En cela, le Contra collatorem prend l’exact contre-pied des Responsiones qui, quoique poursuivant le même dessein, n’hésitent pas à faire appel à des développements proprement augustiniens, jusqu’à citer les passages les plus utiles à la démonstration ; cf. plus particulièrement les resp. ad Gen., resp. 4, 7, 8 et 9 (PL, 51, coll. 191C-192B, 195B-C, 197C et 199C-200C). 153 Sur ces accusations et leurs motivations, voir le chap. 1, pp. 33-34.

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Après avoir été une seule fois nommément mentionné, dès la première phrase du traité, à propos des calomnies dont il était l’objet et donc en tant que causa scribendi154, il n’est ensuite véritablement cité qu’une seule fois, à l’extrême fin de l’ouvrage, mais en un passage où ce n’est plus à l’adversaire, Cassien, que l’auteur s’adresse, mais au nouveau pape. C’est alors que ses écrits sont désignés comme une norma155. Dans ce dernier cas, c’est davantage une figure affective d’Augustin qui transparaît, destinée à persuader, par un appel aux sentiments plus qu’à un raisonnement bien agencé, un homme qui l’avait personnellement connu en faisant de nouveau résonner à ses oreilles la voix du doctissimus senex qui lui avait fait confiance156. Tout lecteur qui, tel Notker, serait pétri de la doctrine augustinienne et familier avec l’œuvre de Prosper ne manquerait évidemment pas de reconnaître dans chaque assertion du Contra collatorem relative à la grâce toute la dette contractée à l’égard d’Augustin. Certes, Prosper a dès cette époque une pratique très intime de l’œuvre d’Augustin — et la liste bibliographique qu’il donne à la fin de son traité pour qui veut approfondir sa connaissance du débat récent entre Augustin et Pélage, puis les sectateurs de ce dernier, en fournit un indice des plus riches d’informations157. On aura l’occasion, plus loin, de relever les emprunts les plus saillants que Prosper fait à la théologie augustinienne de la grâce, pour mesurer le degré de fidélité qui caractérise le présent traité de Prosper vis-à-vis de ses multiples sources158. 154

C. coll., 1, 1 : « Gratiam Dei, qua Christiani sumus, quidam dicere audent a sanctae memoriae Augustino episcopo non recte esse defensam, librosque eius contra errorem Pelagianum conditos immoderatis calumniis impetere non quiescunt » ; voir aussi le chap. 1, pp. 31-36. 155 C. coll., 21, 3 : « his libris […] quorum in cunctis uoluminibus norma laudatur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 83). Sur la signification précise de norma dans le traité, voir le chap. 3, pp. 152-155 et infra, pp. 235-237. 156 Comme on l’a souligné déjà dans le chap. 2, pp. 80-82. Cf. le passage en c. coll., 21, 4 et en particulier les mots d’introduction : « illo auribus suis doctissimi senis insonante sermone, quo collaborantem secum hortatus est, dicens : […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 84). 157 Cf. c. coll., 21, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 82-83). On veillera, cependant, à ne pas limiter à cette liste de titres, comme le fait PLINVAL, « Prosper d’Aquitaine interprète », p. 341, n. 8, la connaissance que Prosper pouvait alors avoir de l’œuvre augustinienne. Le but de cette liste n’étant ni plus ni moins qu’indicatif, il ne faut pas la considérer autrement que comme une « bibliographie », relative à un sujet précis et donc sélective. 158 Voir le chap. 5, surtout pp. 286-288.

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Il n’en reste pas moins vrai que le Contra collatorem se distingue nettement, sur ce point, d’un Peri akharistôn, par exemple, qui faisait d’Augustin son héros et allait jusqu’à transposer en vers des passages entiers de ses œuvres159. Toute la culture, pour ainsi dire, augustinienne de Prosper est totalement, et volontairement, passée sous silence au profit d’une argumentation en apparence moins partiale et de quelques autres sources d’origine différente. Ce phénomène paradoxal trouve une première explication qui, quoique banale, est loin d’être négligeable. Augustin étant depuis le début de la querelle — et plus encore depuis sa mort — la causa dissentiendi qui oppose fermement les deux partis en présence, et s’il est vrai, de surcroît, qu’il doit être regardé comme la victime de l’acharnement des Marseillais, il est évident qu’en appeler à sa personne, et rien qu’à elle, comme à un patronus fidei160, ne pourrait avoir que de vains effets. Un Ambroise très augustinien Parmi les autres Patres auxquels Notker fait allusion — et qui correspondent sans doute aux tractatores anonymes brièvement évoqués déjà par Prosper dans le Contra collatorem161 —, il n’en est qu’un qui soit jugé digne par Prosper de figurer nommément au rang des auctoritates : Ambroise de Milan. C’est même le seul dont des propos soient reproduits dans le corps de l’ouvrage, en concurrence avec les nombreuses citations de Cassien. Au chap. 9, en effet, pour aborder la question de la prévarication d’Adam et de ses séquelles sur l’ensemble de l’espèce humaine, Prosper cite un double témoignage, qui associe une sentence patristique, à travers 159

Sur cet aspect du Peri akharistôn, qui trouve encore des échos dans le Contra collatorem, voir les pp. 230-235, et DELMULLE, « Le Carmen de ingratis », pp. 187-194. De nombreux emprunts directs du poème aux œuvres d’Augustin ont été identifiés par JACQUIN, « La question de la prédestination » [III], pp. 273-276. 160 C’est par ces mots que Prosper s’adresse à Augustin lui-même dans son epist. 1, à la fois dans la salutatio et dans la prise de congé (« praestantissimo patrono Augustino », « praestantissime patrone » ; BA, 24, pp. 392 et 412), et dans le corps même, de façon plus détaillée : « ad specialem patronum fidei » (epist. 1, 1 ; ibid., p. 392). 161 En c. coll., 9, 5 : « contra sensum omnium tractatorum » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 34) ; voir déjà la remarque de VESSEY, « Opus imperfectum », p. 277, n. 57.

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une phrase d’Ambroise tirée de l’Expositio euangelii secundum Lucam (« Fuit ergo Adam et in illo fuimus omnes, periit Adam et in illo perierunt omnes162 ») et une sentence évangélique. L’importance revêtue par celui à qui Prosper accole l’adjectif de beatus est ainsi renforcée par le strict parallélisme qui unit sa parole à celle du Christ même (« ita non falso dixit beatus Ambrosius […] sicut non falso etiam ipsa Veritas ait […]163 »). Il est, certes, fort possible, quoiqu’on ne dispose pas d’indice suffisant permettant de s’en assurer164, que Prosper ait eu une connaissance de première main de l’Expositio d’Ambroise, ouvrage apparemment tout à fait accessible dans la Marseille de 432 et que Cassien aussi cite volontiers165. La convocation de ce passage, qui a le mérite d’énoncer avec concision et éclat ce que de longs traités ont tenté de mettre en lumière, ne devrait donc pas nous étonner outre mesure. 162

Ambroise, Expositio euangelii secundum Lucam, 7, 234 (éd. M. ADRIAEN, CCSL, 14, Turnholti 1957, p. 295), cité en c. coll., 9, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 32). 163 C. coll., 9, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 32). On ne s’étonnera guère de voir la sentence ambrosienne associée à un verset de Luc., puisque c’est précisément l’évangile qui fait l’objet du commentaire suivi dont elle est tirée. Pourtant, la citation évangélique concerne Luc. 19, 10, tandis que la phrase relative à la mort d’Adam est issue du commentaire de Luc. 15, 24 ; mais le rapport direct de Luc. 19, 10 avec la figure d’Adam est déjà opéré sous la plume d’Ambroise, par l’intermédiaire de I Cor. 15, 22, en Expositio euangelii secundum Lucam, 7, 209 (éd. ADRIAEN, CCSL, 14, p. 287). 164 À peine peut-on se fonder sur l’approche philologique de cette citation : la phrase d’Ambroise est « in illo omnes perierunt », comme l’atteste la plus grande partie de sa tradition manuscrite et les nombreuses citations qu’on en trouve dès son époque (entre autres, chez Augustin ; voir infra, p. 205, n. 170). La variante proposée par Prosper, elle, se rencontre toutefois dans la famille y des manuscrits de l’Expositio, ainsi que chez Jean Scot Érigène, Periphyseon, 5 (éd. É. JEAUNEAU, CCCM, 165, Turnholti 2003, p. 204). 165 Jean Cassien, De Incarnatione Domini, 7, 25, 2, cite Ambroise, Expositio euangelii secundum Lucam, 2, 1, indépendamment d’Augustin, chez qui ce verset est absent. L’influence directe, à la même époque, de l’Ambroise de l’In Lucam sur l’exégèse d’Eucher est désormais aussi admise : voir J.F. KELLY, « Eucherius of Lyons: Harbinger of the Middle Ages », in E.A. LIVINGSTONE (éd.), Studia Patristica, vol. 23 : Papers presented to the Teenth International Conference on Patristic Studies held in Oxford 1987. Late Greek Fathers, Latin Fathers after Nicea, Nachleben of the Fathers, Peeters Press, Leuven 1989, pp. 138-142 (p. 141) et surtout M. DULAEY, « La bibliothèque du monastère de Lérins dans les premières décennies du Ve s. », Augustinianum, 46/1 (2006) [187]-230 (pp. 203-207).

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Seulement, le choix d’Ambroise, et de cette phrase en particulier, place d’entrée son témoignage dans le contexte de la querelle pélagienne et le relie étroitement à l’œuvre d’Augustin. Car Ambroise était devenu un véritable « lieu » de la controverse : connue très tôt de l’évêque d’Hippone, son œuvre n’a en effet pris de réelle ampleur, dans l’utilisation qu’Augustin en fait et dans les citations qu’il en produit, qu’à partir du début de son différend avec Pélage166. Cette phrase tirée de l’Expositio est même très précisément le Leitmotiv le plus récurrent de la production antipélagienne d’Augustin, en particulier dans ses deux traités contre Julien, l’Opus imperfectum rassemblant à lui seul douze occurrences de cette citation167. Prosper, qui connaissait assurément ces deux ouvrages168, a très bien pu se référer au passage d’Ambroise par l’intermédiaire d’Augustin. D’ailleurs, un coup d’œil plus précis sur l’environnement immédiat de la phrase telle qu’on la lit chez Ambroise et chez Augustin rend cette hypothèse d’autant 166 Augustin, dont la conversion et le baptême doivent sans doute beaucoup à la prédication d’Ambroise sur Luc (d’après P. COURCELLE, Recherches sur les Confessions de saint Augustin, E. de Boccard, Paris 19682, pp. 213-216), ne donne des citations explicites de l’In Lucam qu’à partir de 413 : voir P. ROLLERO, « L’influsso della “Expositio in Lucam” di Ambrogio nell’esegesi agostiniana », in Augustinus Magister, t. [1], Études augustiniennes, Paris [1955], pp. [211]-220, et surtout ID., La « Expositio evangelii secundum Lucam » di Ambrogio come fonte della esegesi agostiniana, s.n., Torino 1958 (Pubblicazioni della Facoltà di Lettere e Filosofia, 10/4), ici p. 12 et n. 45. Piero Rollero présente ainsi la place primordiale de l’Expositio en tant que source de l’exégèse d’Augustin, sans étendre son étude aux œuvres de controverse. Le traité a aussi influencé l’évêque d’Hippone pour sa conception de la vision de Dieu : voir, à propos des deux lettres concernées, M.-A. VANNIER, « Augustin et la relecture de l’In Lucam d’Ambroise dans les Lettres 147 et 148 », Connaissance des Pères de l’Église, 103 Ambroise et Augustin (2006) 53-58. 167 Cf. Augustin, Contra Iulianum, 1, 3, 10 (PL, 44, coll. 645-646) ; Contra Iulianum opus imperfectum 1, 47 ; 1, 48 (bis) ; 1, 112 ; 2, 36 ; 2, 164 ; 2, 176 ; 2, 178 ; 3, 4 ; 3, 25 (éd. ZELZER, CSEL, 85/1, pp. 36, 39-40, 130, 188, 285, 298, 353 et 366) ; 4, 104 ; 6, 26 (éd. ZELZER, CSEL, 85/2, pp. 110 et 390). Ambroise est d’ailleurs l’auteur le plus cité par Augustin dans ces œuvres ; voir M. LAMBERIGTS, « Augustine’s Use of Tradition in the Controversy with Julian of Aeclanum », Augustiniana, 60/1-2 (2010) [11]-61 (pp. 29-31). 168 Dans la « bibliographie augustinienne antipélagienne » qu’il établit à la fin de son traité, en c. coll., 21, 3 (voir supra, p. 201, n. 157), Prosper fait en effet référence au Contra Iulianum avec les mots « sex libri priores contra Iulianum » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 82-83), ce qui prouve qu’il connaît à tout le moins l’existence des livres suivants de l’Opus imperfectum.

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plus vraisemblable. Le contexte et la visée dans lesquels Prosper introduit cette citation relative à la prévarication adamique est, de fait, beaucoup plus proche des préoccupations d’Augustin : tandis que pour Ambroise, expliquant la péricope du fils prodigue, le parallélisme entre la destinée d’Adam et celle de tous les hommes doit pouvoir démontrer que pour mourir, il faut avoir été169, chez l’évêque d’Hippone, en revanche, il est avant tout question du rôle du libre arbitre de l’homme170, intérêt premier que l’on retrouve dans le passage en question du Contra collatorem, précisément destiné à se pencher, pour examiner la septième « proposition », sur le problème de la volonté naturelle de l’homme dont l’existence serait prouvée par la présence du libre arbitre171. Si donc on peut considérer que, avec ou sans médiation, le recours à Ambroise, simple prête-nom, laisse à Prosper le loisir de développer une pensée qui est en fait augustinienne, il est très significatif que l’auteur prenne le soin de gommer toute mention d’Augustin pour asséner sa doctrine sous le couvert du pseudonymat. Si Ambroise est davantage en mesure de faire figure d’autorité, c’est tout d’abord parce que, mort avant que la querelle n’éclate, il s’est prononcé sur le sujet du péché originel contre les pélagiens — par anticipation, pourrait-on dire —, mais sans pour autant être aux prises avec eux172. Ainsi, convoquer l’autorité d’Ambroise 169 L’exégèse de l’épisode du fils prodigue occupe les § 212-243. Cf. Ambroise de Milan, Expositio euangelii secundum Lucam, 7, 234 (éd. ADRIAEN, CCSL, 14, p. 295) — « Le père est joyeux de ce que son fils était perdu et s’est retrouvé, était mort et a repris vie. Celui-là était mort, qui était : on ne peut mourir si on n’a pas été. […] On peut cependant voir ici en un seul l’image du genre humain. Adam a été, […] » (trad. G. TISSOT, SC, 52, Paris 19762, p. 96). 170 Comme le montrent bien les phrases par lesquelles Augustin fait précéder immédiatement le recours à l’autorité d’Ambroise : cf. en particulier Augustin, Contra Iulianum opus imperfectum, 1, 47 : « Origo tamen etiam huius peccati descendit a uoluntate peccantis » (éd. ZELZER, CSEL, 85/1, p. 36), ou dont il le fait suivre, comme en Contra Iulianum opus imperfectum, 4, 104 : « Huic dic, si audes, quod una anima propria uoluntate peccante non potuerunt perire tot animae nondum habentes proprias uoluntates » (éd. ZELZER, CSEL, 85/2, p. 110). 171 Cf. c. coll., 9, 2-3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 31-32), où l’on retrouve les notions de liberum arbitrium, de uoluntas et de péché (à travers la praeuaricatio : « in illa uniuersalis praeuaricationis ruina ») présentes dans les textes d’Augustin. 172 C’est déjà ce qu’Augustin fait lui-même remarquer en De nuptiis et concupiscentia, 1, 35, 40 : « Numquidnam et sanctus Ambrosius […] istorum haereticorum quamuis tunc nondum adparentium uanitatem huius suae sententiae ueritate damnauit ? » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, pp. 251-252).

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permet à Prosper de replacer le débat plus en amont et de suggérer, face à ses interlocuteurs, qu’en prenant position comme il l’a fait, Augustin ne faisait autre chose que se ranger au parti d’une tradition ancienne et reconnue. Mais il y a plus. Contrairement à Augustin, Ambroise bénéficie de la faveur des adversaires. Au temps, déjà, des affrontements qui opposaient Augustin à Pélage, puis à Julien, la doctrine et les écrits d’Ambroise étaient volontiers convoqués, pour une raison que l’évêque d’Hippone donne expressément dans son De gratia Christi et de peccato originali et dans son De nuptiis et concupiscentia. C’est que Pélage, dans son Pro libero arbitrio173, avait rendu un hommage vibrant à Ambroise, seul Père latin dont il ait jugé la doctrine comme « la foi la plus pure174 » et dont il avait même fait un représentant de la Romana fides, et partant de la foi catholique175. Attaquer son adversaire avec les armes que lui-même brandissait devenait alors pour Augustin un des procédés polémiques les plus immédiatement 173 La précision de l’œuvre dans laquelle se trouvait cet éloge n’est donnée par Augustin qu’en De gratia Christi et de peccato originali, 1, 42, 46 – 43, 47 (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, pp. 159-160). Mais Augustin multiplie les références à ce texte tout au long de la controverse : cf. De nuptiis et concupiscentia, 1, 35, 40 ; 2, 5, 15 et 2, 29, 51 ; Contra duas epistulas Pelagianorum, 4, 11, 29 ; et surtout ses œuvres contre Julien. Seul le premier (De gratia Christi et de peccato originali, 1, 42, 46 – 46, 51) a été retenu par G. BANTERLE, Le fonti latine su sant’Ambrogio, Biblioteca ambrosiana – Città nuova editrice, Milano – Roma 1991 (Tutte le opere di sant’Ambrogio. Sussidi, 24/2), pp. 96-97. Voir aussi Fr.-J. THONNARD, « Le témoignage de saint Ambroise », note complémentaire n° 45, in THONNARD – BLEUZEN – de VEER (éd.), Premières polémiques, pp. 826-827, et A. de VEER, « L’utilisation de l’œuvre ambrosienne en “De gratia Christi et de peccato originali” », note complémentaire n° 6, in Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 22 : La crise pélagienne II. De gratia Christi et de peccato originali libri II. De natura et origine animae libri IV, introduction, traduction et notes par J. PLAGNIEUX – Fr.-J. THONNARD, Desclée de Brouwer, [Paris] 1975 (BA, 22), pp. 694-697. 174 D’après la reformulation d’Augustin, De gratia Christi et de peccato originali, 2, 41, 47 : « ut Ambrosium antistitem dei, cuius inter Latinae linguae scriptores ecclesiasticos praecipue Pelagius integerrimam fidem praedicat. » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, p. 205). 175 D’après les seuls propos rapportés directement par Augustin, De nuptiis et concupiscentia, 1, 35, 40 : « Beatus Ambrosius episcopus, in cuius praecipue libris Romana elucet fides, qui scriptorum inter Latinos flos quidam speciosus enituit, cuius fidem et purissimum in scripturis sensum ne inimicus quidem ausus est reprehendere. » (éd. URBA – ZYCHA, CSEL, 42, p. 252).

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efficaces176. Quoique Prosper ne s’en ouvre pas explicitement, son intérêt pourrait être identique, dans la mesure où Cassien aussi cite plusieurs fois Ambroise et fait son éloge dans le De Incarnatione Domini177. Mais ne pourrait-on pas alors y voir comme une pique lancée à son adversaire ? En agissant à l’instar de son maître, Prosper crée du même coup un autre parallèle, qui rapproche une nouvelle fois Cassien de Pélage et contribue à renforcer leur prétendue parenté, que cherche à établir notre auteur178. Augustin n’est donc pas totalement absent de la réfutation de Prosper, et apparaît grâce à différents truchements, dont Ambroise offre le plus clair exemple. C’est pourtant encore vers lui que font regarder d’autres auctoritates amplement convoquées, chargées non plus de s’en faire les porte-parole, mais d’imposer, par le poids d’une autorité d’un autre ordre, la reconnaissance de sa valeur théologique et ecclésiale.

3. Papes et conciles : la voie du recours hiérarchique La véritable originalité du Contra collatorem est d’accorder, comme on ne l’avait encore jamais fait au cours de la controverse, une très large place à Rome et au discours pontifical. En deux endroits du traité (les chap. 5 et 21), Prosper évoque longuement l’action et les décisions des papes successifs de Rome, depuis Innocent jusqu’à l’avènement de Xyste. Son propos, clairement apologétique, est de rendre évidente l’unanimité qui a caractérisé l’Église, dans ses plus hautes instances, à l’occasion du combat antipélagien. On peut comprendre le besoin ressenti par l’auteur de vanter l’action du siège romain en matière à la fois de répression et d’affermissement du dogme, dans un ouvrage qui se veut une exhortation adressée à l’actuel dignitaire à poursuivre cette insigne tâche. Mais la présence romaine dans le traité va bien au-delà de cette recherche de l’exemplum imitandum, puisqu’elle constitue également une part importante de la réfutation des arguments de Cassien. Examinant 176 L’utilisation des écrits d’Ambroise dans le De gratia Christi et de peccato originali marque également la première apparition de l’argument patristique dans l’œuvre d’Augustin ; voir REBILLARD, « Augustin et ses autorités », p. 257. 177 Cf. Jean Cassien, De Incarnatione Domini, 7, 25, 1 : « Ambrosius, eximius Dei sacerdos, qui a manu Domini non recedens in Dei semper digito quasi gemma rutilauit » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 17, p. 383). 178 Sur ce procédé hérésiologique, voir le début du chapitre, pp. 175-180.

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la cinquième « proposition », Prosper insiste sur une expression de la Collatio XIII qui semble renvoyer dos à dos, comme étant, et au même titre, deux « erreurs » à combatttre, la position pélagienne et la position antipélagienne, soit celle de l’Église179. Il en vient alors à consacrer un long excessus au rappel de la position des conciles et des pontifes qui se sont prononcés au cours de la controverse pélagienne. C’est l’occasion pour lui d’opposer à ses adversaires des documents pour beaucoup inconnus jusqu’alors et qui sont à même de renverser les arguments les plus décisifs du milieu marseillais. C’est que, contrairement à Augustin, dont Prosper pense que l’autorité n’est pas reconnue par Cassien, l’Église de Rome est aux yeux de chacun des deux camps un fort repère, capable de fixer une norme valable pour tous180. Ainsi dotée d’un statut sans égal, qui lui assure du même coup une plus grande attention, la uox Ecclesiae est celle qui doit permettre à Prosper de donner tout le poids nécessaire à ses propres idées. Le discours autoritatif tel qu’il se construit alors, par un recours à l’autorité pontificale et conciliaire, poursuit un double objectif : d’une part, prouver, textes à l’appui, que les discours du Siège apostolique et de Cassien sont incompatibles et que donc, l’orthodoxie ne pouvant être que du côté de Rome, Cassien s’est rendu coupable d’erreur doctrinale ; souligner, d’autre part, que l’ensemble des textes pontificaux et conciliaires n’ont fait que confirmer les solutions apportées à la crise par Augustin et que l’Église est elle-même le plus ardent défenseur du maître de Prosper. Prosper et les archives de l’affaire pélagienne La nécessité de disposer de discours autoritatifs sur lesquels appuyer son argumentation a dû se manifester à Prosper d’une façon si prégnante 179

En coll. 13, 11, 1, Cassien recourt en réalité à une formulation beaucoup plus équivoque, que Prosper explicite en c. coll., 5, 1 et 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 17 et 19). Il s’agit pour l’abbé de Marseille de déterminer la position la moins inattaquable en matière d’anthropologie théologique. Si ce passage est à bon droit lu comme l’un des plus polémiques de la Collatio XIII, c’est précisément parce que c’est sur l’opposition des deux options jusque-là défendues que Cassien entend fonder sa propre conception de la grâce et du libre arbitre, qui apparaît ainsi comme une uia media des plus raisonnables. Voir, pour ces questions, le chap. 5, pp. 247-251. 180 Sur ce point, voir HWANG, Intrepid Lover, p. 157. Voir aussi, infra, la citation de la préface des Auctoritates, p. 216 et n. 207.

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qu’elle l’a engagé dans un véritable travail d’historien. Sans une enquête préalable, le polémiste n’aurait en effet pas été capable de produire un dossier complet de documents qui n’avaient encore connu aucune diffusion en Gaule ; les extraits reproduits en c. coll., 5, 3 sont même quelquefois les seuls (ou rares) témoignages qui nous aient gardé la trace de documents de chancellerie, sans aucun doute alors conservés à Rome. Avant même de rassembler — assurément après 435, et vraisemblablement en 439 — ses Praeteritorum Sedis apostolicae episcoporum auctoritates de gratia Dei et libero uoluntatis arbitrio, qui seront par la suite transmises comme annexe de l’epist. J3 845 (JK 381 et 875) du pape Célestin181, Prosper rassemble ici ce qui doit être regardé comme le premier spécimen — certes embryonnaire — d’un florilège d’autorités exclusivement législatives (pontificales et conciliaires)182. 181 Ces Auctoritates, dont la paternité a été définitivement attribuée à Prosper par CAPPUYNS, « L’origine des Capitula », ne sauraient être antérieures à 435 : CAPPUYNS, « L’origine des Capitula », pp. 159 et 170, en situe la rédaction à Rome entre 435 et 442 ; l’hypothèse de HWANG, Intrepid Lover, pp. 220-221, puis ID., « Prosper, Cassian, and Vincent: The Rule of Faith in the Augustinian Controversy », in R.J. ROMBS – A.Y. HWANG (éd.), Tradition and the Rule of Faith in the Early Church: Essays in honor of Joseph T. Lienhard, S.J., The Catholic University of America Press, Washington 2010, pp. [68]-85 (pp. 79-80), qui propose de dater les Auctoritates entre 450 et 455, ne repose que sur leur postériorité supposée au De uocatione omnium gentium, elle-même fondée sur la « greater appreciation of catholicity » (p. 221) qui s’en dégage ; mais l’attachement de Prosper aux positions catholiques de Rome ne détonerait en rien dès les années 430, comme on s’en aperçoit nettement en étudiant le Contra collatorem. J’adopte la datation de VILLEGAS MARÍN, « En polémica con Julián », pp. 123-124. 182 D. MOREAU, « Inventaire, origine et objet des florilèges patristiques dans les collections canoniques et dans la littérature pontificale de l’Antiquité », in S. MORLET (dir.), Lire en extraits. Lecture et production des textes de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, Paris 2015 (Cultures et civilisations médiévales, 63), pp. 281-[307] (p. 294) a déjà souligné la dimension pionnière de l’entreprise de Prosper dans les Auctoritates ; je ne propose que de faire remonter de quelques années l’apparition du « genre ». Voir aussi, sur la confection de collections de lettres pontificales à partir du Ve siècle, ID., « Non impar conciliorum extat auctoritas. L’origine de l’introduction des lettres pontificales dans le droit canonique », in J. DESMULLIEZ – Chr. HOËT-VAN CAUWENBERGHE – J.-Chr. JOLIVET (éd.), L’étude des correspondances dans le monde romain de l’Antiquité classique à l’Antiquité tardive : permanences et mutations. Actes du XXXe Colloque international de Lille (20 – 21 – 22 novembre 2008), UL3, Villeneuve-d’Ascq 2010 (Collection. Travaux & recherche), pp. [487]-506 (p. 498-503)

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Quoique Prosper ait déjà eu l’occasion, dans son epist. 2, d’en appeler à l’autorité pontificale et conciliaire183, jamais avant le Contra collatorem il n’a été en mesure de produire contre ses adversaires un dossier de preuves aussi complet et imparable. Ce sont non moins de neuf textes ou extraits qui sont réunis et cités verbatim dans le Contra collatorem, la plupart étant à lire dans un seul paragraphe, en c. coll., 5, 3 : 1 et 2) deux extraits de l’epist. J3 708 (JK 321) d’Innocent du 27 janvier 417184 adressée au concile de Carthage, dans lesquels le pontife s’en prend aux pélagiens, qui présument trop des forces naturelles de l’homme, et leur oppose le souvenir de l’Adam postlapsaire, qui a besoin de la venue du Christ pour être sauvé. Le second extrait se trouvait déjà plusieurs fois cité par Augustin185. 3) une référence assez lâche à l’issue du synode de Diospolis de décembre 415, où Pélage s’est innocenté lui-même : Prosper ne rend identifiable ce iudicium que par le rappel de la principale proposition, qui revient souvent sous sa plume, selon laquelle « la grâce de Dieu est donnée selon nos mérites186 ». Prosper opère ensuite une distinction entre 4) les « Africana episcoporum concilia », qu’il mentionne avant de citer le canon n° 5 du concile plénier du 1er mai 418187, et 5) un extrait d’une 183

Cf. epist. 2, 4 : « Has autem uersutias, quibus se filii tenebrarum in similitudinem filiorum lucis transfigurare uoluerunt, cum et Orientalium episcoporum iudicia et Apostolicae sedis auctoritas et Africanorum conciliorum uigilantia deprehenderit. » (PL, 51, col. 78B-C). 184 Il s’agit de la lettre In requirendis Dei rebus = inter Augustin, epist. 181 (éd. GOLDBACHER, CSEL, 44, pp. 701-715) ; voir le chap. 1, p. 11. 185 En Contra duas epistulas Pelagianorum, 2, 4, 6, surtout (éd. URBA – ZYCHA CSEL, 60, p. 466), et plus tard en Contra Iulianum opus imperfectum, 6, 11, 41 (éd. M. ZELZER, CSEL, 85/2, pp. 314-315). Dans les deux cas, le texte du Contra collatorem correspond à la lettre au texte cité par Augustin, qui diffère légèrement de ce que devait ête l’original de Célestin : Augustin et Prosper lisent « huius ruinae latuisset oppressu » là où chez Innocent on lit « huius ruinae iacuisset oppressu » (PL, 20, col. 586B). 186 Cette phrase est devenue un Leitmotiv du traité : voir à ce propos le début du chapitre. Elle l’était d’ailleurs depuis l’époque même du synode : on en trouve au moins 80 citations sous la plume d’Augustin, dont 131 rien que dans le De praedestinatione sanctorum adressé aux Provençaux. 187 Concilium Carthaginiense a. 418, 5 (éd. Ch. MUNIER, CCSL, 149, Turnholti 1974, p. 71).

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première lettre rédigée par les « ducenti quatuordecim sacerdotes » du même concile de Carthage à l’adresse de Zosime, dans laquelle le pape est exhorté à réaffirmer la sentence prononcée par son prédécesseur Innocent à l’encontre de Pélage et de Célestius. Cette citation est la seule trace que l’on ait conservée de cette pièce de la correspondance entre Carthage et Rome188. Plutôt que de supposer que Prosper commet une erreur historique en distinguant les deux189, il faut comprendre qu’il fait le départ — qui se conçoit aisément en droit canon — entre les actes du concile et ce qui n’est finalement qu’une lettre d’accompagnement de ces mêmes actes. 6) un des rares extraits conservés de la Tractoria de Zosime (epist. J3 757 [JK 343]), qui permet de reconstituer partiellement le contenu original de l’encyclique190. 7) un passage assez long de la réponse que cette Tractoria a suscitée dans l’épiscopat africain191. Dans leur missive au pape, les évêques disent leur joie d’avoir appris la décision de Zosime (dont ils reproduisent l’extrait cité précédemment), et acceptent sans réserve la définition romaine qui a l’avantage, selon eux, d’équilibrer les 188

Le fragment conservé par Prosper (inc. « Constituimus in Pelagium atque Caelestium ») n’a jamais été imprimé en dehors des éditions du Contra collatorem (il ne figure pas, en particulier, chez P. COUSTANT, « Appendix ad opera s. Zosimi papæ. Notitia scriptorum non exstantium, quæ ad Zosimum papam attinent » de l’édition de Coustant ; PL, 20, coll. 685B-702C) ; sauf erreur, cette lettre ne figure pas non plus dans les répertoires et claves spécialisés (il s’agit de l’« Ep. E » dans le tableau de WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 151-152). 189 Ce que suppose PLINVAL, Pélage, p. 326, n. 1, selon qui Prosper « semble opposer » ici deux assemblées différentes et donc être à l’origine de la confusion qui les a fait prendre pour les « canons de Milève » (voir É. AMANN, « Milève (Conciles de) », Dictionnaire de théologie catholique, t. 10/2, Letouzey et Ané, Paris 1929, coll. 17521758), alors que les textes produits relèvent bien tous deux du même concile du 1er mai 418, comme l’a montré WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 149-150. 190 WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 209-218 (p. 209, n. 374 et p. 217). La citation de c. coll., 5, 3 correspond au fragm. 1.C. dans la liste des témoignages rassemblés dans le cinquième appendice (« Die Tractoria des Zosimus », pp. [307]308). En toute rigueur, on ne saurait dire si c’est là véritablement un témoignage de première main, dans la mesure où Prosper ne cite rien d’autre (pas même les passages retenus par Augustin) que ce qui est retranscrit dans la réponse des évêques, citée ensuite. 191 Evêques africains, epist. [2] ad Zosimum papam (éd. COUSTANT, « Appendix ad opera s. Zosimi papæ », 10, 24 ; PL, 20, coll. 696C-D).

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rôles respectifs du libre arbitre et de la grâce tout en maintenant intacte la nécessité et la toute-puissance de cette dernière. Prosper est le premier témoin de ce texte, et le seul qui permette d’atteindre de façon fiable l’original perdu192.

auxquels il faut ajouter : 8) en c. coll., 15, 4, un autre extrait des actes du concile de Carthage de 418193. Dans le texte original, ces lignes suivent immédiatement le passage reproduit par Prosper en c. coll., 5, 3 (texte n° 4), la dernière partie de la présente phrase étant reformulée par Prosper pour soigner le finale du chapitre194. 9) en c. coll., 21, 2, le passage de la lettre Apostolici uerba praecepti de 431 que Célestin a adressée aux évêques de Gaule méridionale à la demande de Prosper et Hilaire, venus l’entretenir de certains 192 Cet extrait sera de nouveau cité par Prosper dans ses Auctoritates, 5, avec un texte présentant de légères variantes. Au siècle suivant, c’est encore la même autorité qui sera convoquée par les moines scythes qui s’adressent à Fulgence de Ruspe : inter Fulgence de Ruspe, epist. 16, 26 (éd. J. FRAIPONT, CCSL, 91A, Turnholti 1968, pp. 551-562 [pp. 560-561]). On trouvera une présentation succincte de cette lettre par G. G. LAPEYRE, Saint Fulgence de Ruspe. Un évêque catholique africain sous la domination vandale, Essai historique, P. Lethielleux, Paris 1929, pp. 224225 ; et par É. AMANN, « Scythes (Moines) », in Dictionnaire de théologie catholique, t. 14/2, coll. 1746-1753 (col. 1750). Pour la datation de la lettre à l’été 519, voir B. ALTANER « Zum Schrifttum der “skythischen” (gotischen) Mönche. Quellenkritische und literarhistorische Untersuchungen », in ID., Kleine patristische Schriften, éd. G. GLOCKMANN, Akademie-Verlag, Berlin 1967 (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur, 83), pp. 489-506 [réimpr. de l’article paru dans Historisches Jahrbuch, 72 (1953) [568]-581], p. 503. Une comparaison textuelle permet de démontrer que le texte des moines scythes est issu d’une copie des Auctoritates et que donc le dossier préparé par Prosper et reconstituable à partir de ses différentes citations dans le Contra collatorem et dans les Auctoritates est la source unique de la tradition. Les résultats de la présente enquête seront détaillés dans DELMULLE, « Le scrinium pontifical dans la première moitié du Ve siècle », à paraître. 193 Concilium Carthaginiense a. 418, 6 (éd. Ch. MUNIER, CCSL, 149, Turnholti 1974, p. 71). 194 Comparer Concilium Carthaginiense a. 418, 6 : « Item placuit ut quicumque dixerit […], anathema sit. » (éd. Ch. MUNIER, CCSL, 149, p. 71), et Prosper, c. coll., 15, 4 : « Quod quia catholici pontifices dignum anathemate censuerunt, utendum nobis est eo quod usi sunt testimonio, dicentes : […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 61).

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mouvements de contestation qui s’étaient fait jour dans leur région195, et que Prosper présente comme une claire laudatio de l’évêque d’Hippone196.

Mis à part le texte n° 8, qui est directement introduit dans l’argumentation de Prosper et respecte donc le plan général de l’ouvrage, tous les autres testimonia suivent un ordre strictement chronologique. En tout cas, tous les textes produits en c. coll., 5, 3 sont datés au plus tard de l’année 418, preuve sans doute de l’intérêt marqué de Prosper pour la législation spécifiquement antipélagienne197. L’intérêt manifeste que ces citations traduisent pour les positions romaines vis-à-vis des pélagiens, et plus positivement de la doctrine de la grâce, ne nous inviterait-il pas à voir dans le passage du chap. 5 de premières Praeteritorum episcoporum auctoritates ? Le dossier qui nous occupe a, en effet, plusieurs excerpta en commun avec l’indiculus de 439198 : le texte n° 1 du Contra collatorem correspond en effet à Auctoritates 2 et le n° 2 à Auctoritates 1, les extraits n° 5 et 6 sont rassemblés en Auctoritates 5 et les nos 4 et 8 se retrouvent en Auctoritates 7199. Une édition critique des Auctoritates restant encore à faire200, on 195

Célestin Ier, epist. J3 845 (JK 381 et 875), 2, 3 (PL, 50, col. 530A). Sur les circonstances de l’émission de cette lettre, voir le chap. 1, pp. 44-46. 196 C. coll., 21, 3 : « contra istam clarissimae laudationis tubam » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 82). 197 Plutôt qu’un indice permettant de remonter excessivement haut la date de composition du Contra collatorem, ce que semble suggérer VESSEY, « Opus imperfectum », p. 276 (voir le chap. 2, pp. 56-57, n. 33). Sur l’apport argumentatif de ces pièces, voir infra, pp. 225-230. 198 C’est ainsi que Prosper désigne son dossier, en Auctoritates, praef. : « constitutiones sanctorum Patrum compendioso manifestamus indiculo » (PL, 51, col. 206A). 199 Cf. Auctoritates, 2, 1, 5 et 7 (PL, 51, coll. 206B-207A, 205B-206B, 207C-208A et 208C-209B). 200 L’epist. J3 845 de Célestin avec laquelle les Auctoritates sont transmises nous a été conservée dans deux collections de canons conciliaires et de décrétales réalisées entre les VIe et VIIe siècles : la Dionysiana et l’Hispana. La première, bien éditée par A. STREWE, Die Canonessammlung des Dionysius Exiguus in der ersten Redaktion, W. De Gruyter, Berlin – Leipzig 1931 (Arbeiten zur Kirchengeschichte, 16) nous fournit le texte de base, qui demanderait à être confronté avec celui de l’Hispana, dont l’édition est attendue ; voir là-dessus le projet d’A. FIREY (dir.), Carolingian Canon Law Project, 2010- [en ligne : http://ccl.rch.uky.edu].

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ne peut que hasarder avec prudence des comparaisons textuelles entre les différents passages201. Mais il apparaît en tout cas clairement que les deux entreprises s’appuient sur un travail préalable qui doit être unique, sans pour autant que le texte des Auctoritates, qui accuse à la fois des omissions et des ajouts, puisse lui-même dépendre de celui du Contra collatorem202. Si telles lignes d’Innocent étaient, certes, déjà citées par Augustin203, la présence dans le Contra collatorem de documents inédits — ou, du moins, de textes dont c’est, jusqu’à plus ample informé, la première attestation — suppose, comme on l’a dit, un véritable travail de recherche archivistique. Pour que Prosper ait pu avoir connaissance du texte de la Tractoria de Zosime, et plus encore de la réponse que celle-ci a suscitée dans l’épiscopat africain — et dont on ne connaît aucune autre trace —, il faut qu’il ait eu accès aux documents originaux, vraisemblablement par une admission dans le scrinium pontifical, où ces documents de chancellerie devaient être conservés204. Si tel a bien été le cas, le plus probable est que Prosper ait consulté ces archives lors d’une visite à Rome, et plus précisément à l’occasion de son ambassade auprès de Célestin, peu de temps avant la rédaction du Contra collatorem205. Il aurait ainsi profité de cet accès direct 201

Il est cependant possible, grâce à cette nouvelle édition du Contra collatorem, qui doit procurer un texte plus assuré des témoignages convoqués par Prosper, d’améliorer les résultats auxquels est déjà parvenu, pour la Tractoria, WERMELINGER, Rom und Pelagius, pp. 307-308 : voir DELMULLE, « Le scrinium pontifical ». 202 C’est d’ailleurs l’identité des documents exploités dans ces deux œuvres et l’impossibilité d’une dépendance de l’une vis-à-vis de l’autre qui a permis à CAPPUYNS, « L’origine des Capitula », pp. 163-166, de rendre à Prosper les Auctoritates. Voir aussi E. PORTALIÉ, « II. Célestin Ier. Lettre contre les semipélagiens et les Capitula annexés », in H. HEMMER – E. PORTALIÉ, « 1. Célestin Ier (saint) », Dictionnaire de théologie catholique, t. 2, coll. 2051-2061 (coll. 2052-2061). 203 Voir, supra, pp. 210, la n. 185. 204 On dispose de peu de renseignements sur le scrinium Lateranense avant l’époque de Grégoire le Grand, qui peut avoir été créé par ce pontife pour remplacer l’ancien scrinium de la basilique Saint-Laurent ; c’est donc sans doute plutôt en ce dernier lieu que s’est rendu Prosper. Sur ces origines de la bibliothèque et des archives pontificales, voir G.B. DE ROSSI, La Biblioteca della Sede apostolica ed i catalogi dei suoi manoscritti, Tipografia della Pace di Filippo Cuggiani, Roma 1884 (extrait de Studi e documenti di storia e diritto, 5), p. 317, cité par H.-I. MARROU, « Autour de la bibliothèque du pape Agapit », Mélanges de l’École française de Rome, 48 (1931) [124]-169 (ici, pp. 166-168). 205 Voir le chap. 1, pp. 44-46.

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aux sources pour prendre copie des principaux documents de chancellerie intéressant la controverse pélagienne, dont il se serait ensuite servi à deux reprises : d’abord comme argument d’accusation contre Jean Cassien, puis dans la rédaction d’un mémoire préparé après son installation à Rome. On pourrait schématiser comme suit les différentes phases de rédaction et de copies206 : Original (Latran, 418)

Copie de Prosper (Latran, 431)

C. coll. (Marseille, 432-433)

Auct. (Rome, vers 439 ?)

Lorsqu’il mettra en forme, quelques années plus tard, le vade-mecum que constituent ses Auctoritates, Prosper s’ouvrira dans sa préface des motivations qui l’ont conduit à réunir l’ensemble de ces pièces. Il est important d’en reproduire le texte, vu que la démarche qui y est évoquée est également celle qui a présidé au rassemblement de ces mêmes textes dans le Contra collatorem. « Parce que certains […], qui n’hésitent pas à anathématiser Pélage et Célestius, s’en prennent pourtant à nos maîtres à nous comme s’ils avaient outrepassé la mesure nécessaire et déclarent ne suivre et approuver que ce que le Très-Saint Siège du bienheureux apôtre Pierre a décidé et enseigné contre les ennemis de la grâce de Dieu à travers le ministère de ses prélats, il a été nécessaire de rechercher avec soin le verdict que les chefs de l’Église romaine ont porté sur l’hérésie qui était née à leur époque et le sentiment qu’ils ont 206

En prenant l’exemple de la lettre des évêques africains envoyée à Zosime (texte n° 7 de c. coll., 5, 3 et n° 5 des Auctoritates).

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jugé qu’il fallait avoir à propos de la grâce de Dieu contre les très nuisibles défenseurs du libre arbitre207. »

Cette diligens inquisitio, qui vise à établir la position romaine sur la question de la grâce, a donc aussi pour objectif de trouver dans le témoignage des papes, corroboré par celui des conciles208, un soutien très net de la doctrine augustinienne. Associés à la lettre de Célestin et à la présence de Xyste par l’intermédiaire de l’epist. 194, toutes deux reproduites à la fin du traité209, les textes pontificaux et conciliaires du chap. 5 agissent en effet comme une défense médiate d’Augustin, dotée de toute l’autorité requise pour être acceptée des adversaires provençaux. La mise en texte du discours autoritatif En produisant l’ensemble de ces pièces, Prosper ne se contente pas de les énumérer comme autant de preuves cumulées de la non-orthodoxie de Cassien. Il est intéressant d’analyser comment ces testimonia pontificaux et conciliaires sont comme mis en scène par le biais de plusieurs procédés rhétoriques et stylistiques dont la conjugaison se veut d’un effet saisissant sur le lecteur, quel qu’il soit. Examiner le passage sous cet angle, et en prenant en considération la structure globale du paragraphe, donne un

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Auctoritates, praef. : « Quia nonnulli […], cum Pelagium atque Coelestium anathematizare non dubitent, magistris tamen nostris, tamquam necessarium modum excesserint, obloquuntur, eaque tantummodo sequi et probare profitentur quae sacratissima beati apostoli Petri sedes contra inimicos gratiae Dei per ministerium praesulum suorum sanxit et docuit, necessarium fuit diligenter inquirere quid rectores Romanae Ecclesiae de haeresi quae eorum temporibus exorta fuerat iudicarint et contra nocentissimos liberi arbitrii defensores quid de gratia Dei sentiendum esse censuerint. » (PL, 51, coll. 205A-206A). Derrière ces nonnulli, il faut sans doute entrevoir une allusion à Cassien, et spécialement à coll. 13, 1 (« ne unum horum homini subtrahentes, ecclesiasticae fidei regulam excessisse uideamur »), critiqué par Prosper, c. coll., 8, 1-2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 27-28). 208 La présence d’actes conciliaires dans cet ensemble de témoignages essentiellement romains ne doit pas surprendre. En Auctoritates, praef., Prosper explique bien les raisons qui lui font ajouter des textes conciliaires aux « praeteritorum Sedis Apostolicae auctoritates » : « Ita ut etiam Africanorum conciliorum quasdam sententias iungeremus, quas utique suas fecerunt Apostolici antistites, cum probarunt. » (PL, 51, col. 206A). 209 En c. coll., 21, 2 et 4 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 81-82 et 84).

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aperçu plus profond de l’articulation des références autoritatives et de leur fonction dans l’argumentation de l’hérésiologue. D’une condamnation l’autre : Cassien, juge face à ses juges On remarquera tout d’abord que, dans ce passage comme dans le reste de l’œuvre, le discours rapporté, qu’il soit une citation stricto sensu au discours direct ou qu’il consiste en une reformulation au discours indirect, tient la première place et est le lieu même de la confrontation des idées. Parfois passablement développés, ces discours extérieurs viennent prendre le relais de l’argumentation de l’auteur, en apportant un surcroît de garantie. Comme plus loin celle d’Ambroise, les citations des sentences papales ou conciliaires ont pour principale fin d’objecter à Cassien des positions émanant d’auctores que celui-ci est prêt à tenir pour tels, et par ce biais de le convaincre plus sûrement de son erreur. L’agencement chronologique de ces sententiae laisse apparaître cependant une autre distinction plus subtile. Sur les sept témoignages ici rassemblés, trois seulement sont le fait d’un pape (Innocent, pour les deux premiers, et Zosime, pour le cinquième), quand les quatre autres reproduisent des décisions conciliaires. Pour autant, l’autorité des conciles semble s’effacer devant celle du pontife et se borne surtout à mettre en exergue le pouvoir de celui-ci. Ainsi, les deux premières citations, qui émanent d’Innocent, forment une unité cohérente, de même que les trois dernières, toutes trois centrées sur la personne de Zosime : l’extrait de la lettre tractoria de ce pontife est suivi par la réponse suscitée dans l’épiscopat africain — réponse qui met d’autant plus en valeur le témoignage de Zosime que non seulement elle lui est directement adressée, mais qu’elle reproduit mot à mot le même passage qui vient d’être cité210 — et est précédée et préparée par une autre lettre des évêques africains à lui adressée et qui rend hommage à son prédécesseur Innocent, unifiant par là l’ensemble du 210

Voir supra, p. 211. On soulignera, encore avec COMPAGNON, La seconde main, pp. 69-70, quelle surenchère apporte ici la répétition de la citation, qui n’a plus sa seule fonction énonciative. Citer la phrase de Zosime, puis citer la phrase des Africains citant Zosime, c’est à la fois mettre notablement en relief la sentence pontificale, rappeler sans le dire expressément que le concile africain s’est soumis — et avec enthousiasme — à la décision venue de Rome (et que donc, contrairement à d’autres évêques, les Africains sont dignes d’être écoutés et pris pour garants de la foi catholique), et enfin se placer soi-même dans la droite ligne des deux instances juridictionnelles de l’Église.

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dossier par une référence à la norme dictée par Rome211. Les deux mentions restantes (les troisième et quatrième, reproduisant les propos des évêques d’Orient et de ceux d’Afrique), qui sont les seuls textes conciliaires à ne faire aucune mention d’un pape, se retrouvent, elles, reléguées à un rang secondaire, que marque l’emploi du discours indirect212. On ne saurait que trop voir dans ce procédé un moyen parmi d’autres de flatter le pouvoir romain pour l’inciter à l’action. Un autre aspect particulièrement notable de ce passage réside dans le fait qu’il évoque, par une sorte de mise en scène dans laquelle la représentation tient un rôle non négligeable, lʼénoncé d’une ferme décision de condamnation. Les sept interventions sont convoquées successivement, moins peut-être au titre de témoins que comme autant d’accusés dont les paroles sont soumises au jugement de Cassien, érigé en censor. C’est, en effet, pour faire écho aux derniers mots de Cassien (« sunt erroribus inuoluti ») que Prosper développe la métaphore judiciaire et censoriale, présentant son adversaire comme le responsable de la notatio infligée tant aux pélagiens qu’aux catholiques213. Pour reprendre un type de raisonnement qu’il choie particulièrement, l’argumentation ab absurdo, Prosper donne à voir le spectacle insensé où sont condamnés pour erreur ceux-là mêmes qui ont réussi à avoir raison de l’erreur214. La répétition anaphorique d’errauit ou d’errauerunt, qui conjugue les effets de la cumulation et de l’antithèse, cherche à souligner l’irrecevabilité des options marseillaises, ainsi que leur danger. Victimes d’un juge injuste, 211

Si les évêques africains cherchent nettement à faire valoir une « décision » qu’ils ont eux-mêmes prise (constituimus), celle-ci n’est présentée que comme un acquiescement à la doctrine romaine professée naguère par Innocent : « Constituimus […] per uenerabilem episcopum Innocentium de beatissimi apostoli Petri sede prolatam manere sententiam ». 212 Il s’agit des extraits n° 3 et 4 de la série de c. coll., 5, 3. Si le second reproduit, en effet, par le biais d’une proposition infinitive (« […] decretis suis constituerunt utrumque Dei donum esse et scire quid facere debeamus et diligere ut faciamus » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 19) le cinquième canon du concile de Carthage de 418, le premier, en revanche, ne fait qu’une allusion lointaine aux propos de Pélage au concile de Diospolis. 213 Sur les implications de cette métaphore, tant pour désigner Cassien que pour qualifier l’entreprise d’opposition de Prosper, voir le chap. 3, pp. 152-155. 214 Cf. c. coll., 5, 3 : « Placet igitur tibi cum haereticis catholicos, cum uictis damnare uictores, et eos erroris nota adurere qui errorem ab Ecclesia depulerunt ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 19).

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papes et conciles — mais aussi, à travers eux, Augustin, dont il ne faut pas oublier que, quoiqu’ici absent, il a reçu la même condamnation215 — se retrouvent, eux représentants de l’Église, dans la position d’excommuniés. Le but ultime de Prosper est évidemment de renverser la situation en sapant le fondement de cette démonstration. Il s’agit, en d’autres termes, d’invalider la censura de Cassien, comme le commande l’évidence — et comme le suggère la proximité oxymorique des adjectifs laudatifs que Prosper réserve à chacun des intervenants avec le rappel de leur faute et de leur infamie supposées (« errauit beatus papa », « errauit sacrosanta […] sedes »216). Ainsi, c’est des instances officielles de l’Église — Siège de Pierre et consensus des héritiers des apôtres — que provient la preuve de l’hétérodoxie de Cassien : d’accusés et de condamnés, Innocent, Zosime et les évêques d’Orient et d’Afrique en arrivent à se faire les juges tacites qui prononcent eux-mêmes la sanction de leur juge217. Ce procédé vise donc bien à mettre sous les yeux d’un chacun — « uidesne […] ? », finit par dire Prosper à son adversaire218 — les conséquences logiques qui résulteraient de la validation des positions de Cassien, l’auteur signalant bien, dès le début, que le tableau qu’il brosse se comprend uniquement « secundum tuam [scil. Cassiani] censuram219 ». Ainsi, ce dernier se retrouve contraint de reconnaître l’incompatibilité des théories qu’il a développées au sujet de l’état du libre arbitre et des modalités du don de la grâce avec celles qui ont été authentifiées par le Siège apostolique, et donc d’accepter de se ranger du côté des contempteurs des pélagiens. Mais Cassien est sans doute loin d’être l’unique « spectateur » envisagé par l’auteur. Il convient de rappeler ce qu’on a dit de la double destination du traité, et du secret désir de Prosper 215 Au début du traité, un fort lien est clairement établi par Prosper entre Augustin et le pontificat romain : « in uno cunctis ac praecipue apostolicae sedis pontificatui » (c. coll., 1, 1 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 6). Plus loin, c’est encore Augustin qui préfigure le sort ici réservé aux papes, tout en étant désigné comme « catholicus praedicator » (c. coll., 1, 2 ; ibid., p. 6). 216 C. coll., 5, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 19-20). 217 La métaphore judiciaire est très fréquente dans l’œuvre de Prosper, surtout dans le Peri akharistôn, à propos des mêmes conciles et synodes : cf., par exemple, v. 238 et 245-246 : « Hoc quoque iudicio sancto scis esse peremptum. […] Quo cernis cum iudicibus damnantibus ista / consensisse reum nec quemquam haec posse tueri » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, pp. 56-58). 218 C. coll., 5, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 21). 219 C. coll., 5, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 19).

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de voir cette condamnation fictive devenir prochainement réalité grâce à l’entremise du nouveau pape Xyste220. De fait, peut-on lire entre les lignes, si l’instance pontificale n’intervient pas pour condamner Cassien, et que donc on ait encore à l’avenir la liberté de soutenir au sein de l’Église des positions aussi peu conformes à la tradition romaine, dans ce cas les errauit et errauerunt martelés par Prosper pourraient bien perdre toute dimension ironique221. Les sept trompettes de Jéricho Mais ce passage trouve sa signification la plus intéressante et la plus riche lorsque, à la fin du chapitre, Prosper le clôt par une métaphore architecturale, qui lui est du reste assez familière222, assortie d’une allusion finale à l’épisode biblique de la prise de Jéricho : « Vois-tu que tes règles sont fracassées par la solidité de décisions invincibles et que, dans la maçonnerie de la foi, tes méchants assemblages tout lézardés se sont effondrés, tels les murs de Jéricho, sous le concert des trompettes sacerdotales223 ? »

Opposant, dans une vision spéculaire, les regulae de Cassien représentées telles des constructions de peu de consistance, parsemées de fêlures et entièrement terrassées comme après une attaque, à la solidité des constructions catholiques, toujours « invaincues » et donc invinci220

Voir les conclusions des chap. 2, p. 82 et 3, pp. 157-158. La « grande ironie oratoire » de Prosper fait partie des traits saillants du style de l’auteur qui ont retenu l’attention de VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 536 et n. 9 et p. 537, qui en exagère cependant l’originalité, au point de faire de Prosper un égal du Démosthène des Philippiques ou d’un Bossuet (p. 536) ! 222 Cette métaphore est en effet fort utilisée par Prosper (cf. aussi, notamment, c. coll., 14, 2 : « quod destruxisti aedificas », etc.), mais n’en est pas moins topique : sur sa fortune depuis Ambroise et à travers tout le Moyen Âge, voir H. de LUBAC, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, t. II/2, Aubier, Paris 1964 (Théologie, 59), pp. 41-60. 223 C. coll., 5, 3 : « Videsne regulas tuas inuictarum constitutionum soliditate confractas et in fidei structura prauas rimosasque iuncturas uelut Ierichuntinos muros, ad sacerdotalium tubarum ruisse concentum ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 21). Il s’agit plus précisément d’une paraphrase de l’ensemble de l’épisode raconté en Ios. 6, 1-20. 221

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bles224, Prosper évoque naturellement la destruction, mémorable s’il en est, d’une autre bâtisse réputée inébranlable : celle des murs de Jéricho. La référence, pourtant rare dans l’œuvre de Prosper225, au Livre de Josué, était à cet endroit d’autant plus indiquée que la métaphore guerrière est l’un des principaux traits caractéristiques de ses écrits polémiques, depuis le Peri akharistôn226. Le souvenir de l’expédition menée par Josué pour conquérir la terre de Palestine, et en particulier de sa première victoire sur les Cananéens, pouvait donc aisément servir à figurer la dimension agonale de sa stratégie d’attaque contre Cassien. Mais cette réminiscence biblique va bien au-delà de la simple comparaison gratuite. L’allusion de Prosper à cet épisode est très ramassée, et cependant assez limpide, grâce au choix des mots retenus. L’auteur évoque la destruction des « murs de Jéricho sous le concert des trompettes sacerdotales227 », soulignant un lien direct de cause à effet entre le retentissement des trompettes (tubae) portées par les prêtres et la chute de l’enceinte de la ville. Dans le texte biblique, le rapport n’est pas aussi immédiat : il y est, certes, question à plusieurs reprises de sept prêtres ayant en main sept cors (bucinae)228, mais, dans le récit de la prise de la ville, la chute des murs n’est pas rapportée uniquement au son des instruments229. 224

Ibid. Il faut remarquer, dans la structure du paragraphe, combien l’intervention symbolique du pouvoir ecclésiastique a réussi à renverser du tout au tout la situation initiale : au début de c. coll., 5, 3, les « catholiques » étaient, certes, désignés par Prosper comme uictores, face aux uicti qu’étaient les pélagiens (voir supra, p. 218, n. 214), mais étaient, du fait des idées de Cassien, condamnés avec eux ; désormais, ils sont les seuls vainqueurs, et c’est Cassien qui se retrouve condamné, ayant rejoint le camp des vaincus. 225 On ne trouve, semble-t-il, qu’une seule autre référence à Ios. dans ses œuvres, en Expositio psalmorum, 113, 3 (éd. CALLENS, CCSL, 68A, p. 70), mais qui est directement héritée du modèle d’Augustin, Enarrationes in psalmos, 113, 1 (éd. E. DEKKERS – J. FRAIPONT, CCSL, 40, Turnholti 1956, p. [1635]). 226 D’une importance certaine pour le projet hérésiologique de Prosper, cette métaphore fera l’objet d’un développement infra, pp. 232-234. 227 C. coll., 5, 3, cité supra, p. 220, n. 223. 228 Cf. Ios. 6, 6, 8, 13 et 16 (éd. WEBER – GRYSON, p. 292). 229 La vision partielle du résumé de Prosper n’est pas pour autant tout à fait isolée dans la littérature patristique : un rapport direct entre le son des trompettes jouées par les prêtres et la destruction est déjà établi par Ambroise de Milan, De fide, 5, 10, 127-128 (éd. O. FALLER, CSEL, 78, Vindobonae 1962, pp. 263-264) ; voir J.R. FRANKE (éd.), Joshua, Judges, Ruth, 1-2 Samuel, InterVarsity Press, Downers Grove (IL) 2005 (Ancient Christian Commentary on Scripture. Old Testament, 4), pp. 35 et 37.

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Ce sont plutôt, à proprement parler, les clameurs de la foule et le son des trompettes qui, conjugués, font tomber les murailles230. Voilà qui donne une précieuse clé de lecture pour l’ensemble du paragraphe et invite à le relire à la lumière de cet épisode tiré des livres historiques de l’Ancien Testament. La valorisation de l’action des prêtres hébreux n’est pas sans attirer l’attention sur ceux qui, un peu plus haut, sont désignés comme étant eux aussi des sacerdotes : les deux-centquatorze évêques du concile de Carthage, mais avec eux tous les autres évêques, au premier rang desquels doivent figurer ceux de Rome231. Et le rapprochement est encore plus flagrant lorsqu’on s’aperçoit que les témoignages convoqués sont au nombre de sept, chiffre omniprésent dans le passage de Ios.232, chacune des interventions de l’Église donnant comme un nouveau coup de trompette — en c. coll., 21, 3, d’ailleurs, la déclaration du pape Célestin au sujet d’Augustin sera décrite expressément comme une tuba233 — annonçant l’imminence de la destruction radicale des opinions qui seraient contraires à leur doctrine commune. Leur succession, néanmoins, et leur accumulation les rapprochent également des sept trompettes du Jugement dernier, présageant à leur tour la même sanction 230

Le texte biblique de Ios. 6, 20 porte exactement : « Igitur omni uociferante populo et clangentibus tubis, postquam in aures multitudinis uox sonitusque increpuit, muri ilico corruerunt. » (éd. WEBER – GRYSON, p. 293). Quoique les bucinae de Ios. 6, 6 soient devenues des tubae (mais il s’agit probablement de deux traductions différentes désignant un même objet, le shōpār ; voir J. PARISOT, « Trompette », Dictionnaire de la Bible, t. 5/2, Letouzey et Ané, Paris 1910, coll. 2322-2325 [col. 2325], et ID., « Corne », ibid., t. 2/1, Letouzey et Ané, Paris 1895, coll. 1010-1012 [col. 1011]), le verbe employé (clangere) est resté inchangé — indice qui doit ôter tout doute quant à l’identité des sonneurs. 231 Quoique sacerdos signifie également le simple prêtre (presbyter) à l’époque de Prosper, il s’emploie en parfaite équivalence avec episcopus depuis les écrits de Cyprien ; voir M. BÉVENOT, « “Sacerdos” as Understood by Cyprian », The Journal of Theological Studies, 30/2 (1979) 413-429, et, pour une vision d’ensemble, M. POIRIER, « Évolution du vocabulaire chrétien latin du sacerdoce et du presbytérat des origines à saint Augustin », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1997 (2001) 230-245. 232 Depuis le début du chapitre : les murs de Jéricho tombent après que, le septième jour, sept prêtres ont sonné sept trompettes (cf. Ios. 6, 4-16 ; éd. WEBER – GRYSON, pp. 292-293). Sur la symbolique juive de ce nombre et ses multiples significations dans l’épisode de Jéricho comme ailleurs, voir H. LESÊTRE, « Nombre », Dictionnaire de la Bible, t. 4, Letouzey et Ané, Paris 1908, coll. 1677-1697 (col. 1689). 233 C. coll., 21, 3 : « contra istam clarissimae laudationis tubam, contra istam sacratissimi testimonii dignitatem » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 82).

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funeste234, tandis que c’est leur concert unanime (concentus) qui, reprenant une idée présente dès le début du traité235, impose définitivement l’image d’une Catholica unie face à un ennemi qu’il s’agit d’abattre. On ne manquera pas non plus de faire remarquer ce que ce parallèle vétérotestamentaire dit, ou plutôt suggère, de l’entreprise hérésiologique de Prosper. Car la chute des murailles de Jéricho ne marque que le début — certes, le plus décisif — de l’assaut donné à la ville. Il ne faut pas oublier que, en vertu des lois propres à la guerre sacrale, une fois la cité investie, celle-ci est formellement vouée à l’interdit (anathema)236 et dévastée et tous ses habitants éliminés, à l’exception d’une seule femme, Rahab, épargnée, elle et son entourage, pour avoir accueilli les espions hébreux venus en éclaireurs et ainsi aidé l’accomplissement du vœu divin237. D’un certain point de vue, Prosper n’agit pas autrement, qui jette lui aussi 234

Du moins l’exégèse moderne (voir, entre autres études, celle de J. de MONLÉON, Le sens mystique de l’Apocalypse. Commentaire textuel d’après la tradition des Pères de l’Église, Les Éditions nouvelles, Paris 1948, p. 5) n’hésite-t-elle pas à établir ce parallèle qui paraît assez naturel, quoique cela ne concorde pas tout à fait, semble-t-il du moins, avec la pratique la plus courante de l’exégèse tardoantique : on ne trouve, par exemple, aucune mention de l’épisode de Jéricho dans les commentaires de l’Apocalypse dus à Victorin de Poetovio ou à Tyconius. 235 Comparer avec c. coll., 1, 2 : « Catholica acies […] unam cunctorum sacerdotum manu sententiam scripsit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 7). 236 Ios. 6, 17 et 21. Littéralement « offrande consacrée », l’anathema n’est en réalité qu’un des deux interdits, le second étant de construire un autre « lieu des offrandes » (thusiasterion) ; voir J. MOATTI-FINE, « Introduction », in La Bible d’Alexandrie. Jésus (Josué), trad. de la LXX, introd. et notes par J. MOATTI-FINE, Éd. du Cerf, Paris 1996 (La Bible d’Alexandrie, 6), pp. [17]-68 (p. 51). Ce terme, innovation de la Septante pour traduire Leu. 27, 28, ne se trouve utilisé en Ios. qu’à propos de la prise de Jéricho, dans les deux versets cités. Il est très étroitement lié au contexte de la guerre sacrale, dans laquelle c’est Dieu lui-même qui est à l’action : dans l’épisode de Jéricho, lieu de la théophanie, l’aspect guerrier le cède au caractère sacré, ou consécratoire (voir ibid., p. 52). Voir aussi, pour une étude d’ensemble des guerres vétérotestamentaires, T.R. HOBBS, A Time for War: A Study of Warfare in the Old Testament, M. Glazier, Wilmington (DE) 1989 (Old Testament Studies, 3). 237 Cf. Ios. 2, 1. Rahab, prostituée et donc figure de l’humanité captive du péché, est désignée comme choisie par Dieu ; elle apparaît même en Matth. 1, 5 comme faisant partie des ancêtres du Christ et apparaît à certains exégètes comme l’antitype du chrétien (cf. Théodoret de Cyr, Quaestiones in Iosue, 8 [PG, 80, col. 470C-D]) ; voir MOATTI-FINE (éd.), Jésus (Josué), p. 128, note correspondant à Ios. 6, 25. On remarquera qu’elle est aussi louée par Jean Cassien, coll. 17, 17, 1 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 476), qui voit dans son action l’exemple même du mensonge salvateur.

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l’anathème sur la doctrine entière de Cassien — anathema étant pris, cette fois, dans son acception d’excommunication officielle238 — en reformulant les condamnations légitimement formulées par le pouvoir ecclésial : « Parce que les pontifes catholiques ont jugé cette idée digne d’anathème (dignum anathemate), écrit-il au sujet de la dixième proposition, il nous faut nous servir du texte dont ils se sont servis239. »

On pourrait en tout cas suggérer, pour finir, que, comme à son habitude240, Prosper insère dans sa métaphore une seconde dimension qui laisse à son adversaire quelque espoir de salut. Car enfin le tableau dressé d’une telle dévastation, s’il est montré aussi crûment à Cassien, ne concerne véritablement que le « dogme pélagien », le seul des deux à avoir été détruit par une condamnation de l’Église. Il ne tient donc qu’à Cassien de tirer la leçon de ce précédent et de ne pas risquer, en imitant ses devanciers et en bravant l’interdit, d’attirer sur soi et les siens la colère de Dieu et subir le même sort que Aï, seconde victoire — et des plus sanglantes — obtenue par les Hébreux sur le même peuple241. Par cette superposition des sentences ecclésiastiques et de la métaphore biblique — superposition qui résume à elle seule les deux dimensions des sources autoritatives privilégiées du traité —, Prosper peut crier la victoire catholique sur la petite cité hérétique. Que l’on parle de la Bible, des papes ou des conciles, ou encore, en filigrane, d’Augustin, la même notion apparaît à chacune de leurs interventions dans le Contra collatorem et indique donc leur fonction commune dans la stratégie polémique de Prosper : celle de la norme, qu’elle soit appelée norma ou regula. Telle est la définition que l’on 238

Acception qui apparaît dans la latinité par le biais des traductions pré-vulgates de l’Ancien Testament ; voir Thesaurus linguae Latinae, t. 2, In aedibus B. G. Teubneri, Lipsiae 1900-1906, s.v., col. 20. 239 C. coll., 15, 4 : « Quod quia catholici pontifices dignum anathemate censuerunt, utendum nobis est eo quo usi sunt testimonio » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 14). 240 Selon un procédé que je propose d’appeler une « pédagogie de l’image » ; voir là-dessus « “Prosper, poeta et rhetor” », pp. 244-246. 241 La prise de Jéricho n’est, en effet, que la première des victoires hébraïques, annonçant celle de Aï, qui la suit immédiatement (en Ios., 8). Et c’est précisément pour n’avoir pas respecté l’anathema que la cité a subi la même répression que les habitant de Jéricho (cf. Ios., 7, 1).

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pourrait donner de la conception prospérienne de la tradition : ne pouvant se prévaloir d’une réelle antiquité des idées augustiniennes en matière de grâce242, Prosper cherche à la créer, en étayant sa démonstration sur l’antiquité, elle incontestable, des instances qui l’ont défendue. Il s’agit donc pour Prosper de rassembler un matériau qui permette de « savoir », tout en la construisant, quelle est la ligne doctrinale à suivre et la ligne de conduite à adopter vis-à-vis de ceux qui dévient de la première. À ce titre, la production de documents d’archives, méconnus ou inédits, qui offrent le double avantage d’émaner du Latran — ils sont donc porteurs d’une autorité normative incontestable — et de venir à la défense des positions d’Augustin — ce qui est le but constant poursuivi par Prosper —, doit être comme le coup d’éclat de la réfutation de Prosper. Pourtant, l’emplacement qui leur est réservé dans le traité n’a aucun relief particulier, et l’on a même constaté la présence assez éclatée de plusieurs de ces témoignages. III – LA PLACE DE L’HISTOIRE DANS LA POLÉMIQUE Il ne suffit pas de faire le recensement des sources autoritatives que Prosper convoque dans le Contra collatorem pour étayer sa réfutation de Cassien. Encore faut-il être attentif à la façon dont celles-ci sont combinées et replacées dans un ensemble cohérent et unifiant, afin de bien comprendre à quel dessein exact elles sont subordonnées. Pour un polémiste comme Prosper, la recherche de documents d’archives et l’assemblage des positions défendues par les uns et les autres ne sauraient être une fin en soi. Remarquons, par ailleurs, qu’au moment où il composait son traité, Prosper poursuivait son activité de chronographe et que la publication du Contra collatorem, en 432-433, a dû coïncider avec la mise en circulation du premier état de l’Epitoma chronicon243. On serait donc plus avisé de voir dans le Contra collatorem le résultat d’un travail s’inscrivant lui242

Le chap. 5 permettra de vérifier qu’en effet l’accusation de nouitas faite par les Provençaux à Augustin (voir là-dessus le chap. 1, pp. 33-34) est loin d’être imméritée (voir p. 247). 243 On situe en effet en 433 la première édition du Chronicon, qui devait recevoir plusieurs additions de la part de Prosper, dans les deux décennies suivantes, jusqu’en 455 : voir MOMMSEN (éd.), Chronica minora, pp. 344-345 ; voir aussi St.A. MUHLBERGER, The Fifth-Century Chroniclers: Prosper, Hydatius and the Gallic Chronicler of 452, F. Cairns, Leeds 1990 (Arca, 27), p. 56. Sur les implications du Chronicon dans

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même dans un projet, en dernière analyse, bien plus vaste et qui excède les limites mêmes du traité. On a souligné par quels liens étroits les citations de discours normatifs et officiels de l’Église se trouvaient unies à la fois au souvenir de la controverse pélagienne passée et au souci de Prosper de défendre la position catholique à travers l’éloge de l’action de ses représentants. Un rapport encore plus fort, au sein du Contra collatorem, relie le chap. 5 et ses sententiae pontificales et conciliaires au dernier chapitre, précédant la conclusion, qui, s’il contient également deux témoignages écrits de l’implication romaine dans la controverse (un extrait de la lettre de Célestin et un autre de celle d’Augustin à Xyste), consiste surtout en la mise en perspective des différents documents produits par Prosper. Lettres et décrets conciliaires n’ont plus alors le statut de preuves à verser dans le cadre d’un procès, mais deviennent le matériau qui, associé à d’autres, permet au polémiste d’endosser, à la fin du traité, le véritable vêtement de l’historien. En réservant au sein même de la polémique une large place à l’histoire, Prosper entend ancrer sa confrontation avec les Provençaux, et donc sa propre entreprise hérésiologique, dans un continuum qui l’unit à la fois à Augustin et aux sanctions prises naguère par les instances décisionnelles de l’Église244. Il resterait désormais à restituer les raisons objectives de cette démarche, en envisageant cette écriture de l’histoire à l’aune de la dimension polémique de l’ouvrage, et à en dévoiler les apports l’entreprise polémique de Prosper, voir surtout R.A. MARKUS, « Chronicle and Theology: Prosper of Aquitaine », in Chr. HOLDSWORTH – T.P. WISEMAN (éd.), The Inheritance of Historiography (350-900), University of Exeter, Exeter 1986 (Exeter Studies in History, 12), pp. [31]-43, M. HUMPHRIES, « Chronicle and Chronology: Prosper of Aquitaine, his methods and the development of early medieval chronography », Early Medieval Europe, 5/2 (1996) 155-175, ainsi que les notices concernant le pélagianisme rassemblées et traduites par VINEL, « Une étape vers l’affirmation », pp. 369-370. 244 Voir, pour la méthode, ou des considérations plus générales relatives à l’implication de l’argument historique dans les controverses : A. JOUANNA, « Histoire et polémique en France dans la deuxième moitié du XVIe siècle », Storia della storiografia, 2 (1982) 57-76 ou M.-H. COTONI, « Histoire et polémique dans la critique biblique de Voltaire : le Dictionnaire philosophique », Raison présente, 112 (1994) 27-47. S’agissant plus spécifiquement des controverses tardoantiques, on se reportera avec beaucoup de profit à la synthèse d’H. INGLEBERT, « L’histoire des hérésies chez les hérésiologues », in B. POUDERON – Y.-M. DUVAL (dir.), L’historiographie de l’Église des premiers siècles, Beauchesne, Paris 2001 (Théologie historique, 114), pp. [105]-125.

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essentiels pour le projet de Prosper — plus global et qui ne peut se dégager que de l’ensemble de son œuvre — de défense conjointe de saint Augustin et de l’Église de Rome245. 1. L’histoire comme argument hérésiologique Le rappel constant de certains points communs qui tendent à rendre similaires l’attitude des Provençaux et ce qu’avaient été les agissements des disciples de Pélage entre-temps condamnés est l’un des moyens privilégiés de la polémique anticassianienne de Prosper. D’une valeur persuasive incontestable, l’identification de thèses qui ont encore cours avec d’autres opinions qui ont été jugées hétérodoxes dispense l’hérésiologue de toute tâche supplémentaire d’accusation ou de réfutation246. Le polémiste n’aurait donc plus, en toute logique, qu’à réitérer lui-même les anciennes réfutations et à en imposer les conclusions définitives à ses adversaires. Mais le fait que Prosper a tant travaillé à souligner et multiplier les rapports — d’imitation, de renouvellement, de parenté — entre ce qui lui apparaît, non comme deux hérésies, mais comme deux stades ou deux périodes d’une même hérésie, présente une commodité de bien plus grande ampleur. On explique beaucoup mieux, ainsi, l’absence revendiquée (certes relative) de dialectique dans le traité. Partant du postulat que Cassien ne fait que réitérer les erreurs de Pélage et de ses disciples, Prosper prend soin de rappeler que ces derniers ont été combattus par Augustin et officiellement condamnés par l’Église. Dans la mesure où ces « néo-pélagiens » n’ajoutent rien de substantiel à la doctrine de leurs devanciers, ils sont donc déjà, eux aussi, condamnés de facto dans la condamnation des pélagiens, et nul n’est besoin de rouvrir le procès : il suffit simplement de faire appliquer la législation en vigueur247. 245

Telle est en effet la cohérence globale que conçoit, d’après le passage en revue de l’ensemble de l’œuvre et de la pensée de Prosper, HWANG, Intrepid Lover ; voir en particulier le chap. 5 « Servus Dei II (430-440) : Augustine and the Roman Church », pp. 137-186, et la « Conclusion », pp. 235-239, dans laquelle l’auteur rappelle que, considérant la doctrine augustinienne de la grâce comme l’expression des vues de l’Église sur la question (pp. 235-236), « Prosper had come to the full realization that the “perfect grace” for which he had long labored to understand and defend was defined and expressed by the Roman Church » (p. 238). 246 À ce propos, voir supra, pp. 173-177. 247 C’est-à-dire celle de 418, préparée par les différents conciles africains, et dont Prosper fait état, à la fois en c. coll., 5 et 21 (voir supra), après s’être assuré que même

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Tel est le syllogisme — dont il n’importe pas, pour l’instant, que la prémisse mineure soit fausse, étant donné que notre analyse est ici concentrée sur les procédés rhétoriques et polémiques de l’œuvre248 — qui sous-tend incessamment le raisonnement de Prosper. L’argument affleure nombre de fois dans le Contra collatorem, mais pas d’une façon qui le distingue beaucoup des écrits antérieurs : ceux que Prosper considère déjà comme les « Pelagianae reliquiae prauitatis » dans sa lettre à Augustin n’apparaissent également que sous ce jour dans l’epist. 2 et le Peri akharistôn249. Par conséquent, tout le travail de l’hérésiologue, tel que Prosper se le représente dans ses différents traités, doit se limiter à une simple réitération : qu’il s’agisse de reformuler, à l’adresse de nouveaux adversaires, les arguments utilisés naguère contre Pélage, Célestius et Julien, ou qu’il faille simplement leur rappeler le déroulement de faits susceptibles de les édifier250. La différence notable que présente le Contra collatorem tient sans doute plutôt au fait que le récit historique peut désormais tenir lieu, à lui seul, de riposte polémique. La condamnation s’y fait pourtant assez discrète et progressive. Dans le chap. 5, déjà longuement évoqué, le passage en revue des sentences ecclésiastiques n’avait d’autre but que de conclure à la victoire définitive déjà obtenue par l’Église sur les pélagiens, mais aussi sur leurs éventuels épigones251. Dans le chap. 21, qui donne à voir au lecteur une longue série d’événements, tous à la gloire de l’Église de Rome et de ses évêques, Prosper se fait l’historien du pélagianisme — et plus exactement de sa chute, soit de l’antipélagianisme — comme il l’avait fait déjà dans le Peri akharistôn252. Cassien en a accepté le verdict et qu’il condamne, lui aussi, la doctrine pélagienne comme étant une « profana opinio » (voir de nouveau supra, p. 179). 248 La dimension purement doctrinale sera développée dans le chapitre suivant, pp. 239-288. 249 Voir déjà les remarques faites en ce sens dans le chap. 1, pp. 41-44. 250 Qu’on lise le résumé que donne VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 325, de la technique de Prosper : « Qu’une doctrine se présente donc, saint Prosper la rapproche de l’Écriture ou des canons des conciles, ou des constitutions pontificales, et si elle a été condamnée, il ne cherche pas davantage, il la condamne. » 251 Voir supra, pp. 220-225. 252 Le récit de c. coll., 21, 1-2 correspond en effet dans son principe, à plusieurs différences près (dont il sera traité ci-après, pp. 231-235), au schéma déjà présent en Peri akharistôn, 33-225, où Prosper retrace longuement les vicissitudes de l’affrontement entre les pélagiens et les catholiques jusqu’à la condamnation conjointe du trône de

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Le principal effet en est que, en racontant les exploits de la Catholica contre des maîtres hérétiques, Prosper brosse en même temps le tableau de la destinée qui attend leurs suiveurs. À bien des égards, l’argument historique fonctionne dans la stratégie argumentative de Prosper comme un « speculum futuri temporis » à la manière de celui de Lucrèce253 : il s’agit pour le controversiste de mettre sous les yeux de tous ses lecteurs — les fidèles scrupuleux, comme aussi les partisans déviants des Provençaux — le châtiment haïssable réservé à qui refuserait de se conformer à la norme établie par les discussions ecclésiastiques au sujet de la grâce et du libre arbitre. Le pas qui est franchi entre la production de preuves brutes et le récit historique qu’en tire Prosper comporte d’autres implications. Il n’est que de se rappeler le rôle primordial que Prosper confère à la connaissance de l’histoire et au travail des « historiens » — certes, en l’occurrence, bibliques —, qui est l’une des « attractions » possibles par lesquelles l’homme peut parvenir au Christ : les récits des historiens sont en effet censés « enflamm[er] l’esprit de l’auditeur254 ». C’est dire à quel point le récit, avec toutes les techniques qu’il met en œuvre, comme la dramatisation ou l’utilisation d’images fortement porteuses de sens, semble plus propre à convaincre que tout autre type d’argumentation. Ce qui est particulièrement vrai pour le long excessus du Peri akharistôn n’est pas absent du Contra collatorem. Pour s’en tenir à un exemple, et s’intéresser à une image déjà étudiée, il faut examiner comment, dans le chap. 21, Prosper fait écho au passage du chap. 5 par le biais d’une métaphore, qu’il renverse complètement. Au début du traité, les discours Pierre et du concile de Carthage (cf. ibid., v. 184-186 : « Ergo Petri solium Romam et Carthaginis altae / concilium repetant humiles eademque perorent / quae frustra hic trepido sunt deplorata favori » ; éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 54) ; sur ces questions, voir DELMULLE, « Le Carmen de ingratis », pp. 179-190. 253 Cf. Lucrèce, De rerum natura, 3, 974-975 : « Hoc igitur speculum nobis natura futuri / temporis exponit post mortem denique nostram » (éd. A. ERNOUT – Cl. RAMBAUX, CUF, 1, Paris 19936, p. 121). Le rapprochement qu’il est possible d’établir entre la pratique poétique de Prosper dans son Peri akharistôn (qui achève son long excessus historique en le présentant comme une « species terroris », v. 220) et le précédent lucrétien a été développé, à titre d’hypothèse, dans DELMULLE, « “Prosper, poeta et rhetor” », pp. 244-246. 254 Cf. c. coll., 7, 2 (pour développer la citation de Ioh. 6, 44) : « Trahit rerum gestarum cognitio et diuinorum operum relatores : animum audientis inflammant […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 24).

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des papes et des conciles avaient réussi, par le seul son concordant de leurs trompes, à faire s’écrouler le mur de la construction impie des pélagiens, et à travers eux de Cassien255. À la fin de l’exposé, les positions pontificales et conciliaires sont elles-mêmes devenues le munimen inexpugnable de la foi catholique, que le pape a pour charge de protéger, et qui doit résister aux assauts répétés et violents de nouveaux ennemis256. S’étant rendus vainqueurs de la forteresse de la foi, les catholiques ont donc désormais le devoir de mater toute tentative de siège ou d’emparement. La crainte, réelle ou feinte, d’une telle résurgence, qui aurait pour conséquence de mettre profondément en péril l’unité de l’Église, est ce par quoi Prosper justifie sa propre action. Rappeler les faits passés vise, dans ce cas, à éviter qu’ils ne se reproduisent ; mais pour que précisément ils soient tout à fait impossibles, il convient d’agir en amont, par crainte que le reflet du « miroir » ne devienne trop parfait. À cet effet, c’est toujours le pouvoir romain qu’il s’agit de convaincre, et donc de flatter ; et l’histoire telle qu’elle apparaît dans le Contra collatorem n’échappe pas, semble-t-il, au reproche de non-objectivité déjà formulé à propos de la présentation des thèses adverses257.

2. De l’argument historique à l’histoire rêvée : le Contra collatorem dans l’épopée antipélagienne de Prosper Le discours historique ajoute à la démonstration un poids décisif en ce qu’il est porteur, en lui-même, d’authenticité. Le simple rappel des faits a donc l’avantage de ne demander aucune justification de ce que l’on avance. C’est pour cette raison, sans doute, que le Peri akharistôn accorde une place non négligeable au récit historique et profite de toutes les ressources poétiques propres à « enflammer l’esprit258 » de l’auditeur et 255

Voir supra, pp. 220-223. C. coll., 21, 1 : « Praecipuum nostro tempore in doctrina ecclesiastica uirum rabido ore concerpunt creduntque se omnia auctoritatum munimina posse conuellere, si hanc pastoralis speculae ualidissimam turrim crebra Pelagiani arietis illisione pulsauerint » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 79). Sur ce passage, voir aussi le chap. 2, pp. 77-79. 257 Voir supra, spécialement pp. 266-271. 258 La force de suggestion reconnue par Prosper aux auteurs bibliques (voir supra, p. 229, n. 254) est exprimée en des termes à peine différents en Peri akharistôn, XIII : « Me iubet […] pias accendere carmine mentes » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 42). 256

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à mettre en place ce qui pourrait à bon droit être lu comme une épopée de la controverse pélagienne259. La dimension poétique n’est pas absente du Contra collatorem, qui partage avec le Peri akharistôn le recours à un bon nombre de métaphores proprement épiques qui détonnent dans un traité en prose qui se veut une réfutation théologique. À lire les deux premiers paragraphes du chap. 21, un historien moderne, disposant d’autres sources discordantes, serait surpris de voir à quel point, sur tel aspect, le récit de Prosper relève d’une « conception intéressée de la vérité », pour le dire en termes auerbachiens260, autrement dit d’un certain révisionnisme261. Alors même que Prosper est l’une des principales sources de notre connaissance de la controverse, son œuvre se révèle en même temps par endroits très peu fiable et n’est pas sans présenter quelques incohérences. Ainsi, alors qu’il s’en était servi en c. coll., 5, 3 comme d’un argument propre à souligner le caractère éminemment hétérodoxe de ses adversaires, évoquant une dernière fois le synode de Diospolis, Prosper opère un glissement de taille, prétendant non plus que, pendant son procès, « Pélage a été contraint, pour pouvoir rester catholique, d’anathématiser » des positions qui dérivaient de son enseignement262, mais que « Pélage fut 259

J’ai essayé de montrer, dans DELMULLE, « ‘Les Vers Servent aux Saints’ », que le Peri akharistôn se présentait formellement, et dans son principe, comme un poème didactique de facture tout à fait classique, mais que les thèmes et les images développés dans le corps du poème ressortissaient beaucoup plus à l’épopée, présente à travers notamment les aspects historiques et la métaphore guerrière. Cependant, cette dimension épique s’étage elle-même sur deux niveaux : celui de l’épopée de l’antipélagianisme, qui a pour protagoniste Augustin, et qui se résout par la victoire de l’Église sur le monstre hérétique, et celui, plus eschatologique et sotériologique, de l’épopée de la grâce elle-même, qui fait aboutir au salut de l’humanité (voir DELMULLE, « Le Carmen de ingratis », pp. 187-194). C’est le premier aspect qui nous intéresse ici. 260 E. AUERBACH, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. C. HEIM, [Paris] 1992 [1ère trad. fr. : 1968] (Collection Tel), p. 23, qui distingue ainsi la recherche de la vérité au sein de la Tradition. 261 Sur cette lecture des libertés prises par Prosper avec les faits historiques, voir aussi HWANG, Intrepid Lover, p. 166 : « Prosper’s history of the Pelagian conflict is also deeply flawed, a revisionist account that served Prosper’s purpose at the expense of facts and the complexity of the conflict. » 262 Cf. c. coll., 5, 3 : « Pelagius eos qui dicunt gratiam Dei secundum merita nostra dari, ut catholicus posset uideri, anathematizare compulsus est » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 82). À noter qu’en epist. 2, Prosper omet, sans doute volontairement, de faire mention de ce synode dans son rappel des décisions conciliaires et pontificales au sujet de la question pélagienne ; voir VINEL, « Une étape vers l’affirmation », p. 380, n. 36.

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contraint par le synode des évêques de Palestine à rendre une sentence contre lui-même et contre les siens263 », prouvant ainsi la position de soumission de l’hérésiarque vis-à-vis d’une Église victorieuse. La place qui revient, dans la résolution du conflit pélagien, à la papauté, et plus encore au dernier de ses dignitaires, Célestin, est elle aussi flatteuse. Certes, l’intervention de Rome, du temps de Zosime, a été décisive ; mais il est exagéré d’attribuer à ce seul pape, qui aurait « armé la main de tous les prélats de l’épée de Pierre pour couper la tête aux impies264 », le mérite de l’éradication de l’hérésie265. C’est enfin surtout Célestin qui ressort comme particulièrement glorifié de cette récriture partielle des événements, puisqu’il semble, d’après le récit de Prosper, avoir exercé le rôle le plus influent dans la convocation et l’issue du concile d’Éphèse, reléguant l’action de Cyrille d’Alexandrie au second plan266. À bien des égards, donc, le Contra collatorem poursuit le projet du Peri akharistôn, qui affirmait déjà la prééminence des interventions pontificales : « Prima […] sedes Roma Petri267. » Au-delà de ces quelques licences avec la réalité, c’est surtout la manière dont est figurée l’histoire du combat de l’Église contre l’hérésie pélagienne qui est très notable, puisqu’elle passe, comme c’est de mise 263

Cf. c. coll., 21, 1 : « Pelagium ad proferendam in se suosque sententiam Palaestinorum episcoporum synodus coarctauit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 79). 264 C. coll., 21, 1 : « Africanorum conciliorum decretis beatae recordationis papa Zosimus sententiae suae robur annexuit et ad impiorum detruncationem gladio Petri dexteras omnium armauit antistitum » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 80). 265 Voir le chap. 1, pp. 10-14. Sur ces écarts historiques, voir déjà la remarque faite par HWANG, Intrepid Lover, p. 166, n. 119. 266 Cf. c. coll., 21, 2 : « Per hunc uirum etiam Orientales Ecclesiae gemina peste purgatae sunt, Cyrillo, Alexandrinae urbis antistiti, gloriosissimo fidei catholicae defensori, ad exsecandam Nestorianam impietatem apostolico auxiliatus est gladio » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 81). Sur le rôle de Célestin dans le concile d’Éphèse, voir V. GRUMEL, « Le concile d’Éphèse. Le Pape et le Concile », Revue des études byzantines, 163 (1931) [293]-313, et H.J. VOGT, « Papst Cölestin und Nestorius », in G. SCHWAIGER (éd.), Konzil und Papst. Historische Beiträge zur Frage der höchsten Gewalt in der Kirche. Festgabe für Hermann Tüchle, F. Schöningh, München – Paderborn – Wien 1975, pp. [85]-101. 267 Cf. Peri akharistôn, 39-41 : « Pestem subeuntem prima recidit / Sedes Roma Petri, quae pastoralis honoris / Facta caput mundo […] » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, pp. 44-46). Pour une explication de la signification à accorder à l’adjectif prima, voir R. GANTOY, « Prima sedes Roma Petri. Essais d’interprétation d’une formule de Prosper d’Aquitaine », Revue bénédictine, 68/1-2 (1958) 114-117.

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dans le poème épique, par l’emploi récurrent de métaphores guerrières268. Pour s’en tenir à un exemple suffisamment éloquent, le premier chapitre multiplie les emprunts à un vocabulaire poétique ou, comme dans le cas de l’expression « pulsi pontificio », rappelle directement un passage épique important du Peri akharistôn269 ; de même, le portrait de « l’enflure diabolique de l’insolence pélagienne », dont les catholiques ne tolèrent pas qu’elle puisse de nouveau montrer le moindre signe de vie n’est pas sans rappeler au lecteur familier de Prosper les premiers vers de son poème270. D’une grande efficacité dans un contexte controversial comme l’est celui de la confrontation entre Prosper et Cassien, le tableau d’une guerre longue et qui s’est soldée par la victoire de l’Église, universellement reconnue et célébrée, destiné à terrifier l’ennemi, a également pour effet d’obtenir, par la force des images et du discours, en prétendant que l’on est déjà vainqueur, le forfait des adversaires. 268 Ce n’est pas un hasard si les deux passages où ce phénomène est le plus accusé, au chap. 1 et au chap. 21, ont su frapper plus d’un lecteur. Ainsi, dans son traité, resté inédit, intitulé Diffinitiones S. Augustini adversus Lutheranos, l’Augustin Agostino Moreschini di Montalcino († 1559) construit sa Praefatio sur une paraphrase très littérale de c. coll., 21, 1, sans doute conscient de la force et de la portée très polémique des images ; cf. par exemple (à comparer avec le texte cité supra, p. 230, n. 256) : « Visum est mihi Augustiniani Arietis illisione, usque adeo mendaciorum suorum periculosissimam turrim pulsare, ut agnoscant non modo Augustinum suum non esse, sed suorum prauorum dogmatum experiantur ualidissimum destructorem. » (ms. Roma, Biblioteca Angelica, 208, f. 9r). Dans l’étude qu’il a consacrée à ce long traité, n’ayant pas identifié la source d’Agostino Moreschini, P.L. SODANI, Le « Diffinitiones S. Augustini adversus Lutheranos » di Agostino Moreschini da Monte Ilcino, Agostiniano (1518-1559), Tesi di Laurea, Pontificia Università Lateranense, [Roma] 1966, p. 30, n. 3, souligne le caractère extraordinaire du vocabulaire et des images, non sans ajouter que leur puissance doit s’expliquer par le fait que l’auteur fait référence à des événements contemporains... 269 Comparer c. coll., 1, 2 : « Pulsi pontificio et communione priuati, querantur […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 7) et Peri akharistôn, 149-150 : « Pulsi mundo, nullaque recepti / sede vagi tandem fama exhortante redimus » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 52). Sur ce parallèle et les nombreuses implications épiques (et notamment virgiliennes) du passage concerné du poème, voir DELMULLE, « “Prosper, poeta et rhetor” », pp. 242-243. 270 Comparer c. coll., 1, 2 : « diabolicum tumorem Pelagianae elationis » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 6-7) et Peri akharistôn, XI-XXI (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 42), où sont, de la même façon, rassemblées les métaphores de la guerre et du serpent (ou du monstre en général).

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Mais si le Contra collatorem participe, au même titre que les épisodes épiques du Peri akharistôn, à la construction d’une histoire flattée du combat de l’Église contre les pélagiens, c’est aussi parce que ce procédé est d’un intérêt majeur pour le but premier poursuivi par Prosper dans son traité. Vanter ainsi les interventions pontificales dans le combat passé contre les maîtres en hérésie que seraient Pélage et Célestius vaut en même temps, comme on l’a déjà fait remarquer, requête implicite auprès de l’actuel pape, qui se doit de poursuivre la tâche commencée par ses prédécesseurs271. À cet égard, il faut mentionner la part qui revient au prédécesseur immédiat de Xyste, Célestin, dont l’éloge occupe à lui seul plus de la moitié du récit historique de c. coll., 21272. Alors que le Peri akharistôn offrait un long éloge d’Augustin273, c’est désormais ce pontife récemment décédé et dont on a supposé qu’il avait pu être un obstacle aux revendications proaugustiniennes de Prosper274 qui fait l’objet à son tour d’un éloge non moins appuyé. Célestin est ainsi crédité de multiples initiatives, au-delà même, parfois, de ce qu’il a dû en être en réalité. Ainsi, défenseur de l’Église et pourvu de tous les dons de la grâce275, il aurait exercé son pouvoir sur l’ensemble de la chrétienté, et même au-delà afin de l’étendre, en poursuivant sans relâche un combat contre les pélagiens et leurs défenseurs : d’après Prosper, d’une fermeté exemplaire à l’égard des hérétiques, il condamne de nouveau Célestius à l’exil, il veille également à éradiquer les opinions pélagiennes des Îles bretonnes, qui grâce à lui deviennent chrétiennes, il est à l’origine de la condamnation de Nestorius à Éphèse et enfin, pour ce qui est du territoire gaulois, il condamne de même les soutiens cachés des pélagiens que sont ceux qui ont osé critiquer Augustin276.

271

Voir les hypothèses déjà formulées dans le chap. 2, pp. 80-82. Cf. c. coll., 21, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 80-82). 273 Cf. en particulier les fameux vers de Peri akharistôn, 90-113 (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, pp. 48-50). 274 Voir le chap. 2, pp. 62-65. 275 C. coll., 21, 2 : « cui ad catholicae Ecclesiae praesidium multa Dominus gratiae suae dona largitus est » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 80). Comparer avec Peri akharistôn, 92-96 : « Augustinus erat, quem Christi gratia cornu / uberiore rigans nostro lumen dedit aeuo / accensum uero de lumine ; nam cibus illi, / et uita, et requies Deus est, omnisque uoluptas / unus amor Christi est, unus Christi est honor illi ? » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 48). 276 Pour toutes ces actions, se reporter au texte de c. coll., 21, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 80-82). Sur Célestin et les Bretagnes, voir aussi PIETRI, Roma Christiana, 272

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Il est ici, à plus d’un titre, question d’interprétation277. Bien plus, cette glorification de Célestin est davantage encore mise en valeur, par le biais de la rhétorique qui participe aussi de ce grandissement pour ainsi dire épique : telle formulation employée pour décrire ses actions trouve un écho dans le Peri akharistôn278 ; le coup de grâce donné au pélagianisme et dont Prosper lui attribue le mérite (à travers l’issue du concile d’Ephèse et son epist. J3 845 [JK 381 et 875]) est, quant à lui, souligné avec insistance par une anaphore — « Per hunc uirum […]. Per hunc uirum […]279. » En résumé, tout le combat de l’Église contre l’hérésie pélagienne trouve son aboutissement dans les bienfaits salvateurs du siège de Rome, et spécialement du pape Célestin. Ce dernier doit donc être le modèle à suivre par celui qui a été élu pour lui succéder. Mais ces propos particulièrement louangeurs trouvent également une autre motivation essentielle dans le fait qu’ils introduisent immédiatement la reproduction au discours direct de ce que Prosper présentera comme la laudatio d’Augustin par Célestin280. Comme dans le cas de la citation ambrosienne, déjà citée, notre auteur cherche avant tout à donner davantage encore de poids et de solennité à l’éloge d’Augustin en présentant celui qui le profère comme lui-même digne de nombreux éloges ; c’est bien, en effet, sur la sacratissimi testimonii dignitas que Prosper fondera son interprétation de la sentence pontificale281. Pour résumer, au terme de cette analyse, la méthode argumentative de Prosper telle qu’elle se laisse percevoir dans le Contra collatorem, il t. II, pp. 1037-1043 ; pour son rôle dans la réunion d’Éphèse, voir supra, p. 232 et n. 266. 277 Notamment pour la dernière de ces actions. En témoigne la réception très partagée, dans les divers milieux du sud de la Gaule, de la lettre de Célestin ; voir le chap. 1, pp. 44-46. 278 Comparer, par exemple, c. coll., 21, 2 : « Nec uero segniore cura » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 80) à Peri akharistôn, 42-43 : « Non segnior inde Orientis / rectorum cura emicuit » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 46). 279 Cf. c. coll., 21, 2 : « Per hunc uirum etiam Orientales Ecclesiae gemina peste purgatae sunt […] ; per hunc uirum intra Gallias istis ipsis qui sanctae memoriae Augustini scripta reprehendunt maleloquentiae est adempta libertas […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 81). 280 Cf. c. coll., 21, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 82). Sur cette laudatio, citée supra, p. 222, n. 233, voir aussi le chap. 1, pp. 44-46. 281 Cf. c. coll., 21, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 82).

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conviendrait de parler d’une double « propagande » — avec toutes les précautions déjà signalées282. Pour parvenir à ses fins, le polémiste doit en effet mettre en confrontation deux conceptions radicalement opposées, ou du moins incompatibles, au prix, parfois, de quelques approximations. Ainsi, en proposant d’abord de la pensée de son adversaire un portrait, fidèle sans doute à la représentation qu’il peut lui-même s’en faire, mais qui apparaît au lecteur, du point de vue strict de la littéralité et — pour le dire de manière anachronique — de la rigueur scientifique, comme une systématisation par trop caricaturale, Prosper impose une conception toute personnelle et volontairement haïssable des positions marseillaises, dont nul lecteur, à moins d’être particulièrement versé dans l’œuvre ou introduit dans le milieu de Cassien, n’est en mesure de contester le caractère pro- ou cryptopélagien. Une fois admise la véracité de ce portrait, et pour en fonder sur des bases solides une condamnation pérenne, l’auteur — accusateur autant que procureur — fait appel à une norma, qui seule permet de justifier son intervention. C’est alors que Prosper réussit à imposer, en la présentant comme officiellement admise, une doctrine qu’il pare de toutes les apparences de la « norme » ou de la « règle » : il fait ainsi appel tant à la Bible qu’à la Tradition (à travers les décisions encore récentes prises à l’encontre des pélagiens par les papes et les conciles successifs), cherchant dans ces deux sources des « garants » autant que des « juges » — double dimension qui est clairement affirmée par l’auteur : « auctores nostri […] et iudices283 ». Mais les témoignages produits, comme le récit historique dont ces derniers fournissent la matière, sont surtout un moyen mis par Prosper au service d’une apologétique qui est au fondement de sa prise de position dans la controverse. Quoiqu’il soit, en effet, impossible à l’auteur de le reconnaître ouvertement, cette norme à l’aune de laquelle tout est pesé reste invariablement la pensée d’Augustin. Mais pour que sa réfutation puisse être entendue et acceptée de tous, au moins dans son principe, Prosper a soin d’en appeler à une autorité extérieure, celle de l’Église de Rome, qui a pris durant la controverse pélagienne une place de plus en plus déterminante et qui, surtout, est également recherchée par le parti 282

Supra, p. 181 et n. 88. C. coll., 1, 2 : « tantaque insolentia damnati fouentur errores, ut prauitatis inuidia et auctores nostri pulsentur et iudices ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 7). 283

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adverse. Or, dans la convocation des témoignages et des sanctions du Siège apostolique, c’est uniquement une confirmation, soit des doctrines professées par l’épiscopat africain, et Augustin au premier rang, soit de la reconnaissance due à la personne même d’Augustin, qui est recherchée284. L’examen plus spécifique de la doctrine théologique défendue dans le traité vient confirmer, s’il en était besoin, l’importance de cette défense et de cette volonté d’officialisation de l’augustinisme.

284

Sur cette question qui est au centre des intentions polémiques de Prosper, en particulier dans le Contra collatorem, voir également les développements proposés par G. LETTIERI dans sa notice sur « San Prospero d’Aquitania », in G. BOSIO – E. DAL COVOLO – M. MARITANO (éd.), Introduzione ai Padri della chiesa. Secoli IV e V, Società editrice internazionale, Torino 1995 (Strumenti della Corona Patrum, 4), pp. 291-302, et surtout ID., « Centri in conflitto e parole di potenza. Normalizzazione e subordinazione dell’agostinismo al primato romano nel V secolo », Annali di storia dell’esegesi, 27/1 (2010) 101-170.

CHAPITRE V DÉFINIR L’ORTHODOXIE : ÉLÉMENTS DE DOCTRINE DU CONTRA COLLATOREM

Le Contra collatorem, grâce à ses dimensions multiples et à ses destinations non moins diverses, ne parviendrait qu’imparfaitement à son but s’il se bornait à pointer du doigt les discours fallacieux des moines gaulois et à appeler de ses vœux la condamnation expresse de ces derniers et de quiconque viendrait à défendre leur cause. Prosper, qui veut également s’adresser au simple chrétien soucieux de conserver une foi intacte et exempte d’ambiguïté, n’espère pas moins susciter le redressement de celui qui, séduit par un discours flatteur, se serait laissé entraîner sur des sentiers dangereux1. C’est ainsi que le traité se termine sur une note d’optimisme qui conduit le controversiste à espérer encore dans le « redressement » de ses actuels adversaires : « Tant qu’ils ne sont pas encore séparés de la société fraternelle, il faut endurer leur intention plutôt que de désespérer de leur redressement […]2. »

Pour que cet appel à la rétractation soit véritablement suivi d’effet, il importe que Prosper s’acquitte, comme Augustin l’avait fait avant lui, du devoir qui lui incombe en se livrant à une correctio fraterna, pour ainsi dire constructive3. Mais dire simplement, in fine, que l’action des Provençaux 1

Sur cette destination ad intra du Contra collatorem, voir le chap. 2, pp. 70-74. C. coll., 22 : « Quorum tamen, dum adhuc non sunt a fraterna societate diuisi, toleranda magis est intentio quam desperanda correctio […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 85). 3 Voir par quelles prières au lecteur Augustin clôt son dernier traité, en De dono perseuerantiae, 21, 55 et 24, 68 (passages cités infra, p. 288 et n. 178). Il semble à première vue difficile de combiner cet impératif de charité à l’égard de frères potentiellement déviants avec le ton employé par Prosper dans le reste du traité ; voir déjà, là-dessus, le chap. 2 pp. 66-70. On notera cependant que si, dans les dernières lignes du Contra collatorem, Prosper accepte bien de qualifier ceux qu’il désignait jusqu’alors comme des ennemis déclarés de l’Église de « frères », il n’en modifie pas moins son opinion première, se bornant seulement à parler désormais d’un intestinum bellum (c. coll., 22 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 85), comme du reste il n’oubliait pas 2

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ne consiste qu’à « et recta impugnare et praua defendere4 » ne saurait être un expédient suffisant pour obtenir l’adhésion franche d’anciens déviants à ces recta non autrement précisés. Il faut donc que, derrière le discours de l’adversaire présenté comme erroné, soient rendues au moins perceptibles les idées remises en cause — prétendûment à tort — par les Provençaux et censées ressortir au discours « normé », ou présenté comme tel, de l’orthodoxie catholique. La forme adoptée par le polémiste ne réservant qu’une très mince place à des exposés théologiques à proprement parler5, les composantes d’une pensée plus globale sont à rechercher, dans le Contra collatorem, à l’intérieur de chacune des réponses proposées par Prosper pour contredire les definitiones de l’adversaire et demandent donc à être mises en perspective par un travail qui ne doit pas prétendre à être autre chose qu’une reconstitution, par force artificielle. On sait à quel point la question théologique a déjà suscité l’intérêt de générations de théologiens ; elle est donc déjà bien connue, tout du moins dans ses grandes lignes6. de signaler, au commencement du traité, que, tout ennemis qu’ils étaient, ils étaient bien des ennemis de l’intérieur (c. coll., 1, 1, 5 : « qui sub nomine ouium sunt » ; ibid., p. [5]). 4 C. coll., 22 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 84-85). 5 Comme on l’a amplement démontré dans le chapitre précédent, en particulier pp. 161-184. Voir aussi une remarque identique de CHADWICK, John Cassian, p. 133 : « The controversial method of text and counter-text does not lend itself easily to constructive theology, with the result that this little work is almost entirely negative. » 6 L’Introduction a déjà insisté sur les diverses lectures, toutes centrées autour de l’augustinisme de Prosper, qui ont caractérisé les études des facultés de théologie depuis l’époque moderne jusqu’à la fin du XIXe siècle, et même au-delà (voir plus particulièrement pp. XVII-XXII). Concernant la théologie du Contra collatorem proprement dit, on renverra aux chapitres ou paragraphes consacrés par plusieurs critiques, depuis la thèse de VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 311-318, et d’une manière plus générale pp. [368]-410. C’est surtout à PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina que l’on doit l’étude la plus détaillée des questions théologiques de chacun des traités de Prosper : le Contra collatorem fait l’objet de son chap. 3, pp. 100-111. On trouvera également dans des études plus récentes quelques pages dédiées à cette question : voir WEAVER, Divine Grace and Human Agency, pp. 121131, et encore HWANG, Intrepid Lover, pp. 156-167. La présentation de L. FERNÁNDEZ LÓPEZ, « Significado de San Próspero de Aquitania en la historia de la Teología », Naturaleza y gracia, 23 (1976) 399-415, est surtout un bon résumé de la bibliographie antérieure, mais n’est pas dépourvue d’erreurs factuelles ; on doit donc s’en servir avec précaution. Pour des références soit plus ponctuelles soit concernant spécifiquement

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L’objet du présent chapitre ne saurait être de tenter une nouvelle synthèse, mais plutôt, dans la continuité de l’analyse des chapitres précédents, de présenter la pensée développée dans le Contra collatorem en ce qu’elle diffère véritablement de celle qui avait été diffusée par Cassien dans la Collatio XIII. Mais plutôt que de prendre pour point de départ la présentation biaisée qu’en fournit Prosper dans sa réfutation, c’est sur des bases plus sûres qu’il faut entreprendre l’examen, en fondant la comparaison sur ce qu’est, en réalité, la pensée traduite dans l’entretien avec Chérémon une fois qu’elle a été dûment recontextualisée et expliquée par les prises de position antérieures dont Prosper ne fait pas état, mais dont la connaissance est nécessaire à la compréhension des enjeux de la Collatio XIII7. On mesurera ainsi plus correctement l’écart réel qui sépare les deux adversaires, et l’apport véritable au débat en cours qu’il convient d’autres œuvres, voir infra, p. 257, la n. 64. Voir enfin, tout dernièrement, les pages consacrées à Prosper par KARFÍKOVÁ, Gnadenlehre in Schrift, pp. 626-630. 7 On dispose, pour ce faire, de plusieurs études récentes qui ont eu le mérite de proposer une lecture plus complexe de la Collatio XIII, resituée dans le panorama plus général de la discussion. Plutôt qu’à A. HOCH, Die Lehre des Johannes Cassianus von Natur und Gnade. Ein Beitrag zur Geschichte des Gnadenstreits im 5. Jahrhundert, Herder, Freiburg im Breisgau 1895, ou à J. LAUGIER, Saint Jean Cassien et sa doctrine sur la grâce, E. Vitte, Lyon 1908, on se reportera surtout, pour la question qui nous occupe ici, aux mises en perspective fournies par D.J. MACQUEEN, « John Cassian On Grace and Free Will. With Particular Reference to Institutio XII and Collatio XIII », Recherches de théologie ancienne et médiévale, 44 (1977) [5]-28 ; M. SPINELLI, « Teologia e “teoria” nella Conlatio de protectione Dei di Giovanni Cassiano », Benedictina, 31/1 (1984) 23-35 ; R.Fl. REA, Grace and Free Will in John Cassian, PhD Dissertation, [Saint Louis (MI)] 1990 ; D. OGLIARI, « The Conciliation of Grace and Free Will. Cassian’s Conlatio 13 Revisited », Augustiniana, 50/1-4 (2000) 141173 ; TARANTO, « Giovanni Cassiano e Agostino » ; et F. RIVAS, « La gracia de Cristo : la Colación XIII de Casiano », Cuadernos monásticos, 39 (2004) 57-113 ; Cr. BĂDILIȚĂ, « Gratia Dei et libertas nostri arbitrii » ; R. VILLEGAS-MARÍN, « Fieles sub lege, fieles sub gratia : eclesiología y teología de la gracia en Juan Casiano », Augustinianum, 53/1 (2013) [139]-195 ; une excellente synthèse est également donnée par OLPHEGAILLARD, « Cassien (Jean) », surtout coll. 225-229. (Je n’ai pas pu avoir accès à la thèse de M. DJUTH, The Problem of Free Choice of Will in the Thought of Augustine, John Cassian, and Faustus of Riez, Toronto 1988, dont il semble que la partie relative à Cassien n’a donné lieu, contrairement aux autres, à aucune publication à part, hormis quelques pages in EAD., « The Royal Way: Augustine’s Freedom of the Will and the Monastic Tradition », in Fr. VAN FLETEREN – J.C. SCHNAUBELT (éd.), Augustine: Biblical Exegete, P. Lang, New York – Bern – Frankfurt am Main 2001 (Collectanea Augustiniana), pp. [129]-145 [pp. 129-131 et 137-139].)

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de reconnaître à la discussion entamée dans le Contra collatorem, à travers les principaux objets théologiques qui y sont scrupuleusement traités.

I – LA CONCEPTION CASSIANIENNE DE LA GRÂCE On ne peut mesurer le réel apport, s’il existe, du Contra collatorem aux débats tardoantiques sur la grâce qu’en rappelant tout d’abord, et d’une manière plus objective que ne le fait Prosper, le discours que ce dernier a entrepris de combattre. La vision fragmentaire et biaisée que le Contra collatorem procure de la « doctrine » de Jean Cassien demande à être corrigée, pour un meilleur équilibre, par une comparaison avec les différents fondements théologiques à l’aune desquels Cassien, d’une part écrit, et d’autre part est reçu. Une fois encore, l’absence de contextualisation empêche de comprendre les dimensions exactes que recouvre ce que l’on pourrait nommer l’« option » cassianienne dans les incessants débats menés au sujet de la nécessité et de la puissance de la grâce de Dieu, comme des rapports que celle-ci entretient avec la liberté humaine. Car, bien loin d’apparaître comme une « nouveauté » venant rompre avec une tradition bien établie et reconnue universellement8, la pensée de Cassien se place dans un sillage bien réel, mais qui, étant oriental, échappe en partie à son lectorat, et à Prosper plus particulièrement9. 8

C’est pourtant ainsi que Prosper cherche à la présenter, taxant les Provençaux de « nouitas » (cf., par exemple, dans le seul traité contre Cassien, en c. coll., 1, 2; 7, 1 et surtout 10, 2 : « superbissimi sensus nouitas » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 36) et imposant, à l’inverse, l’idée d’une « antiquitas » de la position augustinienne, pourtant tout à fait récente ; cf. c. coll., 21, 3 : « Maneat plane, maneat ista conditio, ut horum librorum nouitas repudiata uideatur, si in eadem causa eiusdem uiri dissentit antiquitas » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 82). 9 Se pose surtout la question des soutènements orientaux de la doctrine de Cassien, qui constituent pour ce dernier une précieuse tradition, mais qui restent cependant complètement ignorés des cadres de pensée qui sont ceux de Prosper et des autres partisans d’Augustin. Sur l’importance de la tradition dans la pensée de Cassien, voir surtout CASIDAY, « Tradition As a Governing Theme », et les autres références données dans l’Introduction, pp. XXXI-XXXII, n. 72. On retiendra également des pages consacrées à la question par R.A. MARKUS, The End of Ancient Christianity, Cambridge University Press, Cambridge – New York – Port Chester (NY) 1990, la conclusion — sans doute mal fondée dans son présupposé que, dans la Collatio XIII, Cassien n’a nullement l’intention de s’en prendre à Augustin, mais attaque uniquement

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De même, loin d’être soluble dans un exposé isolé « Sur la protection de Dieu », elle n’apparaît dans toute sa complexité qu’une fois replacée dans le discours plus général qui lui donne toute sa signification ; à cet égard, on pourrait dire que le défaut de la pensée de Cassien serait d’avoir été exprimée d’une manière discontinue et non systématique : si le moine de Marseille avait composé un De gratia et libero arbitrio, il y a fort à parier que la riposte prospérienne aurait été étouffée dans l’œuf ! Afin donc de reconstituer la théologie de la grâce telle que semble l’avoir exprimée — et professée ? — Cassien, il convient de ne pas limiter l’examen aux quelques extraits choisis par son censeur et susceptibles a priori de rendre compte d’une pensée nécessairement complexe, mais de se fonder sur la totalité du corpus qu’on a conservé de cet auteur10. Un tel travail ayant déjà été mené, et ce plusieurs fois, on se permettra ici d’en résumer les traits les plus saillants11. 1. La condition humaine et la grâce de Dieu dans la pensée de Cassien Les différents discours tenus par Cassien au sujet de la grâce ne peuvent se comprendre correctement si on les considère isolément et uniquement pour eux-mêmes, en faisant abstraction de la place qu’ils occupent au sein d’une pensée anthropologique plus générale et plus complexe. Il faut bien, en effet, comprendre d’abord quelle est la conception de la nature humaine qui caractérise Cassien et les penseurs sur les traces desquels il marche. À travers le récit de la Création et l’interprétation qu’en donne la théologie orientale se fait jour une image de l’humanité d’Adam, anté- et postlapsaire, qui n’est pas sans incidence sur la conception de l’humanité en général, dans ses rapports complexes avec la faute du premier père. C’est la raison pour laquelle aucun discours relatif à la grâce ne peut faire l’économie de la figure d’Adam12. Pélage — que la pensée de la grâce et de la liberté que Cassien y développe se situe « dans une tradition théologique pré-augustinienne » plutôt que suivant la théologie antipélagienne d’Augustin (pp. 177-179) ; voir aussi la même idée développée par REA, Grace and Free Will, pp. 101-106. 10 Y compris en scrutant une œuvre telle que le De Incarnatione Domini, dans laquelle la question n’est pas censée être l’objet des préoccupations majeures du polémiste, comme l’a fait FAIRBAIRN, Grace and Christology, pp. [169]-199. 11 Se reporter aux références données supra, p. 241, dans la n. 7. 12 Pour un aperçu d’ensemble de cet aspect de la théologie cassianienne, voir REA, Grace and Free Will, pp. [65]-101.

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Cassien insiste tout d’abord sur le fait que la création de l’homme, à travers celle du premier représentant de l’espèce, entre pleinement dans le dessein de Dieu, qui crée son corps et son âme13. Aussi la nature de l’homme se définit-elle d’abord, comme déjà dans la conception des Pères grecs, par le fait que c’est l’âme, reçue au moment de la création, qui est faite à l’image de Dieu14. Il s’ensuit donc que l’homme est, dès le commencement, lié à son Créateur par une relation exprimée en des termes affectifs (comme, par exemple, celui de benignitas qui caractérise l’inclination de Dieu envers sa créature15), qui ne peut avoir comme corollaire que l’affirmation de la volonté salvifique universelle de Dieu16. Suivant Cassien, le Créateur, auteur de l’homme et voulant le salut de ce dernier, a par conséquent créé Adam dans un état de perfection tel qu’il lui a accordé, en même temps que la droiture et l’immortalité, la connaissance exclusive du bien, et toutes les autres vertus qui en découlent, dont les deux principales sont la grâce de prophétie et la connaissance de la Loi, 13 L’esprit ni l’âme ne peuvent en effet avoir d’autre origine que Dieu : cf. coll. 8, 25, 1 et 2 : « L’esprit, parce que sa naissance n’est pas due à l’union des deux sexes, mais qu’il est donné de Dieu seul, fait retour à son auteur. […] Il ressort clairement que personne ne peut être dit père des esprits, que Dieu, qui les a faits, lorsqu’il lui a plu » (trad. PICHERY, SC, 54, p. 36). Sur la distinction terminologique, dans l’œuvre de Cassien, entre spiritus et anima, voir REA, Grace and Free Will, p. 67. 14 Dans la pure tradition de la théologie, mais aussi de la philosophie grecques, Cassien considère les paroles de Gen. 1, 16, à la lumière de la théologie paulinienne, comme s’appliquant à l’homme dans son entièreté, et non seulement à son corps, l’âme, « partie de l’homme la plus précieuse », étant attachée au corps indissociablement ; cf., par exemple, coll. 1, 14, 8-9 (trad. PICHERY, SC, 42, pp. 95-96). 15 Cf. coll. 13, 7, 1 : « Cuius benignitas cum bonae uoluntatis in nobis quantulamcumque scintillam emicuisse perspexerit uel quam ipse tamquam de dura silice nostri cordis excuderit, confouet eam et exsuscitat suaque inspiratione confortat » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 369). Dans les passages de la même Collatio retenus par Prosper, on en trouve deux synonymes : en coll. 13, 8, 3, c’est le terme de pietas qui qualifie, dans le même sens, la relation entre Dieu et sa créature : « Tanta est erga creaturam suam pietas Creatoris » (voir la citation de cette phrase en c. coll., 2, 3 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 10) ; en coll. 13, 12, 7, il est également question du « beneficium Creatoris » (voir, de même, c. coll., 13, 1 ; ibid., p. 45). 16 L’aveu le plus clair de cette position est à lire en coll. 13, 7, où Cassien convoque plusieurs témoignages scripturaires concordants : I Tim. 2, 4, mais aussi Matth. 18, 14, Ez. 33, 11 ou encore Matth. 11, 18. Sur la théorie universaliste de la volonté salvifique de Dieu chez Cassien, voir REA, Grace and Free Will, pp. 174-177.

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naturellement implantée en lui17. L’important, pour le problème qui occupe la Collatio XIII, est de réussir à déterminer le statut de la liberté d’Adam : certes, le premier homme jouit d’un complet libre arbitre, mais son champ de connaissance n’excédant pas les limites du bien, sa volonté ne peut qu’être bonne18. Il reste cependant à savoir si, dans une telle pensée, cet état de perfection doit être regardé comme naturel ou comme surnaturel19. Car, en réalité — et c’est sans doute là l’un des problèmes fondamentaux de l’opposition entre Cassien et Prosper20 — le concept de gratia sert à désigner, chez Cassien, les deux à la fois : dès lors que l’homme a été créé par Dieu comme une créature naturelle, et naturellement bonne, cette nature même est déjà grâce21. C’est le péché d’Adam et sa chute subséquente qui transforment du tout au tout ce schéma primitif. À l’instar de Satan, le premier homme développe des sentiments d’orgueil et de jalousie qui entraîneront sa perte. Par une relation privilégiée avec l’ange déchu, que la Collatio XIII envisage en termes de tractation commerciale22, Adam achèterait une liberté illusoire au prix d’une servitude à l’égard du diable23. Son libre arbitre restant sauf, 17

Cf. coll. 8, 21, 5 : « Il était doué d’une telle plénitude de sagesse, et le souffle divin lui avait infusé dans un si haut degré le don de prophétie, […] », et coll. 8, 23, 1 : « Dieu, lorsqu’il créa l’homme, lui mit naturellement au cœur toute science de la Loi » (trad. PICHERY, SC, 54, pp. 29 et 31). 18 C’est l’objet du chap. 12 de la Collatio XIII, examiné par Prosper en c. coll., 9, 2 – 10 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 30-38) ; voir ci-dessous, pp. 266-270, la réfutation opposée par Prosper. 19 S’il est permis d’employer pour Cassien ces dénominations anachroniques. Voir le bref résumé historiographique donné par REA, Grace and Free Will, pp. 72-73. 20 Se reporter aux considérations terminologiques infra, pp. 259-265. 21 La grâce faisant en effet partie de l’acte créateur lui-même, il n’est plus jamais question de « nature » au sens classique ; la grâce ne peut donc plus qu’être un don surnaturel ; voir, à propos de cette conception dans la pensée orientale, V. LOSSKY, Essai sur la théologie mystique de l’Église d’Orient, Aubier, Paris 1944 (Centre de recherches philosophiques et spirituelles), pp. 115-116 (cité par REA, Grace and Free Will, p. 73, n. 32). 22 Cf. coll. 13, 12 et surtout 23, 12, passage dans lequel Cassien évoque le péché « d’Adam, dont la prévarication nous a vendus : négoce ruineux, si je puis parler de la sorte, commerce déshonoré par la fraude, qui nous ont vendus ! » (trad. PICHERY, SC, 64, p. 154). Voir à ce propos les commentaires de REA, Grace and Free Will, pp. 77-78, qui parle de « business transaction » (ibid., p. 78, n. 48). 23 Ce que souligne également Prosper, c. coll., 9, 5 : « Postquam autem se, hoc est imaginem et templum Dei, deceptori suo uendidit, perdidit boni scientiam, quia

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il n’en est aucunement empêché par Dieu, mais doit subir les conséquences de son choix. À ce choix de la servitude contractée par Adam Dieu ne peut imposer de force une liberté renouvelée ; c’est pourquoi, tant que l’homme n’aura pas reçu de « rédempteur » (en la personne du Christ), il demeurera lié par ce pacte initial. De fait, les conséquences de la prévarication adamique sont multiples, et ne touchent pas le fauteur uniquement. La nature humaine s’en trouve radicalement altérée, blessée, sans pour autant être détruite24. Cela se traduit par un double phénomène, particulièrement contesté par Prosper dans le Contra collatorem25 : à partir du moment où Adam a péché et a chuté, il a acquis la connaissance du mal, qui lui avait échappé jusque-là ; mais il n’a pas pour autant perdu la connaissance du bien. De même, son caractère bon et droit est devenu mauvais et son immortalité n’est plus. Mais le changement le plus radical reste, sans conteste, le fait qu’après le commerce avec le diable, en tombant dans un tel état de dépendance et de faiblesse, Adam a entraîné avec lui sa descendance, qui subit les conséquences de son acte prévaricateur par le facteur de l’engendrement. Sans se prononcer clairement sur l’existence ou le degré de culpabilité complice des descendants d’Adam dans l’écart primitif vis-à-vis de Dieu, Cassien n’en soutient pas moins, en tout cas, le caractère universel de la contraction du péché originel26. perdidit bonam conscientiam. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 35). Sur la théologie de la chute chez Cassien, voir en particulier D. KEECH, « John Cassian and the Christology of Romans 8,3 », Vigiliae Christianae, 64 (2010) [280]-299, ici p. 287-291. 24 C’est ce qui distingue la théorie de Cassien à la fois de celle d’Augustin et de celle de Pélage : comme le résume bien GODET, « 1. Cassien Jean », coll. 1827-1828 : « Du point de vue surnaturel, on l’a dit avec justesse, pour saint Augustin l’homme en ce monde est mort, pour Pélage il est sain, pour Cassien il est malade » ; voir infra, pp. 266-270, la position radicalement opposée défendue par Prosper. 25 Cf. c. coll., 9, 3-5 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 31-35) ; voir aussi plus loin, pp. 266-270. 26 Sur la question, voir R. VILLEGAS MARÍN, « Original Sin in the Provençal Ascetic Theology: John Cassian », in VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 69, pp. [289]-295. S’il n’aborde, semble-t-il, jamais la question de front — ce qui explique les désaccords fréquents parmi les commentateurs ; voir REA, Grace and Free Will, pp. 84-85, et n. 74 —, Cassien se réfère toutefois au premier péché pour justifier la nécessité d’une pénitence quotidienne : voir É. REBILLARD, « Quasi funambuli. Cassien et la controverse pélagienne sur la perfection », Revue des études augustiniennes, 40/1 (1994) [197]210, en particulier p. 207, n. 87.

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À ce stade du développement, la conception cassianienne de la grâce générale est loin d’être passible du reproche de nouitas : hormis pour quelques points, une comparaison avec la vision d’Augustin amènerait bien plutôt à multiplier les points de contact entre les deux doctrines27. L’écart se creuse dès lors qu’il est question de sonder l’état de l’humanité actuelle et de mesurer sa force (ce qu’a fait à l’excès Pélage) ou sa faiblesse (sur laquelle, d’après Cassien, Augustin a trop compté pour développer ses propres théories) : cherchant à tenir le milieu au lieu de prendre parti, Cassien se rend coupable, aux yeux de Prosper, de vouloir créer — ou faire croire à — un « informe nescio quid tertium28 ».

2. La recherche d’une uia media : grâce et libre arbitre chez Cassien Aussi la nature post-adamique de l’humanité se trouve-t-elle bien dégradée par rapport à celle que Dieu a conférée aux premiers hommes, l’être humain actuel étant mortel et sans cesse tiraillé entre les appétits de la chair et l’élévation de l’esprit29. Cependant — et en cela, Cassien continue de suivre l’enseignement des Pères grecs —, même dans cet état, l’homme n’a pas tout perdu de l’état prélapsaire d’Adam30. Il possède encore la connaissance du bien ; il n’a pas perdu les dons reçus de Dieu lors de la Création et conserve en lui, par sa nature même, des « semences 27

Notamment pour la question de savoir si Cassien a défendu, comme Augustin, l’idée d’une culpabilité originelle partagée par l’humanité, comme on est amené à le supposer, toujours avec REA, Grace and Free Will, p. 86, à partir du fait que ni les lettres de Prosper et d’Hilaire, ni la réponse en deux livres d’Augustin ne blâment les adversaires marseillais pour ce motif. Sur la doctrine cassianienne du péché, voir L. WRZOL, « Die Hauptsündenlehre des Johannes Cassianus und ihre historische Quellen », Divus Thomas, 3/1 (1923) 385-404 et 3/2 (1924) 84-91. 28 C. coll., 3, 1 : « Tu informe nescio quid tertium et utrique parti inconueniens repperisti, quo nec inimicorum consensum acquireres nec in nostrorum intelligentia permaneres. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 12). Sur cette notion de « tertium quid » et le refus de Prosper de le prendre en considération, pour des raisons polémiques évidentes, voir le chap. 4, pp. 171-173. 29 Sur la question de la concupiscence dans l’œuvre de Cassien, voir en particulier REA, Grace and Free Will, pp. 91-97, et le chap. 4 de STEWART, Cassian the Monk, « Flesh and Spirit, Continence and Chastity », pp. [62]-84. 30 Voir CHADWICK, John Cassian, pp. 123-124, repris et complété par REA, Grace and Free Will, pp. 88-91.

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de vertus » qu’il est encore capable de faire fructifier31. Et comme, du reste, il partage avec le premier Adam une totale liberté, il est donc en mesure, naturellement — c’est-à-dire en bénéficiant des bienfaits reçus du Créateur et qui constituent sa nature —, de choisir le bien, sans avoir besoin d’aucune aide extérieure. C’est donc sur ces bases que Cassien construit sa théorie de la grâce. Comme celle de « nature », la notion de « grâce » recouvre chez lui tout un ensemble de réalités, qu’un même mot sert à désigner32. Par cette polysémie, parfois fort embarrassante pour le lecteur (et pour Prosper le premier), gratia en vient à traduire à la fois l’inclination de Dieu pour l’homme sa créature, la part active prise par Dieu, continuellement, dans le parcours de l’homme vers le salut et la sainteté et jusqu’à l’action créatrice même de Dieu. Lorsqu’il s’agit de se prononcer, dans un débat en cours, sur les rapports entre l’action divine et la liberté humaine, il est clair qu’une distinction plus fine s’impose entre ce que l’on nommerait une grâce extérieure (par laquelle Dieu a donné à l’homme des vertus, une connaissance de la Loi, les moyens de le connaître, etc.) et une grâce intérieure (qui apporte quotidiennement à l’homme une assistance pour lutter contre les passions). Contrairement à ce qu’avait défendu Pélage, et rejoignant donc la pensée augustinienne, Cassien soutient fermement et à plusieurs reprises la nécessité de cette grâce intérieure, sans laquelle l’homme ne pourrait réussir à se sauver33. Avant de rassembler dans sa Collatio XIII, en les mettant dans la bouche du vénérable Chérémon, les éléments fondamentaux de sa pensée 31

La question des semina uirtutum, abordée par Cassien en coll. 13, 12, 7-8, est combattue par Prosper en c. coll., 13, selon qui « ces semences de vertus […] ont été soufflées par la prévarication du premier père » (c. coll., 13, 2 : « Virtutum itaque semina, quae beneficio Creatoris inserta sunt, praeuaricatione primi parentis euersa sunt nec haberi queunt, nisi eo restituente qui dederat » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 46) et empêchent donc de reconnaître chez les Gentils la moindre capacité naturelle à faire ou à vouloir le bien autrement que par un don de Dieu ; voir là-dessus DELMULLE, « Gratia Adami », pp. 202-209. 32 REA, Grace and Free Will, étudie en détail l’usage du vocabulaire chez Cassien ; pour la polysémie de gratia et des mots qui s’y rapportent, voir surtout son résumé « The Meaning of Grace » aux pp. 113-120. 33 Cf., par exemple, à propos de la lutte contre les vices, De institutis coenobiorum, 12, 17, 4 : « Nous souvenant à nouveau de notre faiblesse, et que, dans notre fragile condition charnelle, nous ne pouvons sans son secours l’emporter sur les vices, ces ennemis si acharnés, […] » (trad. GUY, SC, 109, p. 475). Voir aussi REA, Grace and Free Will, pp. 141-145.

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sur les rapports entre grâce et libre arbitre, Cassien avait déjà eu l’occasion, par deux fois, d’aborder le problème de la grâce d’une manière bien moins microscopique, pourrait-on dire : d’abord dans le dernier livre du De institutis coenobiorum, puis dans la première série des Collationes, au troisième entretien34. Le discours tenu dans la seule Collatio prise en compte par Prosper est donc trop réducteur pour rendre compte de toute la complexité de la pensée de Cassien, qui ne se comprend qu’à la lumière de ces deux préalables. La fin du De institutis fournit donc l’introduction nécessaire à la bonne compréhension des enjeux discutés ensuite. Il n’est pas anodin ni fortuit que le premier discours qui accorde une place de choix au sujet de la grâce soit l’examen du vice de superbia — peut-être le pire des vices, si l’on veut bien considérer qu’il constitue « le commencement de tous les péchés et de toutes les fautes35 ». C’est lui qui caractérise à la fois l’acte prévaricateur d’Adam et l’attitude stigmatisée par Cassien chez certains moines et par Prosper chez ses adversaires36. Car même l’ascète le plus pur peut succomber à l’orgueil ; et il importe à quiconque poursuit son cheminement vers la perfection et pourrait vouloir se vanter de sa progression dans les vertus et la sainteté de se rappeler qu’en raison de sa nature malade il n’est ni capable ni responsable d’actions et de pensées bonnes : Dieu seul doit être considéré comme le dispensateur de tout bien, et le secours de sa grâce est éminemment nécessaire37. C’est Dieu qui, en 34

Sur ce sujet, voir plus particulièrement MACQUEEN, « John Cassian On Grace », et le chap. 3 de REA, Grace and Free Will, pp. [107]-151. 35 Jean Cassien, De institutis coenobiorum, 12, 6, 1 : « omniumque peccatorum et criminum esse principium » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 17, p. 209 ; trad. personnelle, celle de GUY, SC, 109, p. 459, étant fautive en cet endroit). 36 Le dernier livre du De institutis coenobiorum, qui a pour titre « De spiritu superbiae », traite en effet du dernier vice selon le rang qui lui revient dans la catégorisation habituelle, mais qui se révèle, en réalité, « plus cruel que tous les autres [puisqu’il] attaque surtout les parfaits » (cf. 12, 1, 1 ; trad. GUY, SC, 109, p. 451). Sur les fréquentes allusions (topiques) de Prosper à la superbia de ses adversaires, voir le chap. 4, pp. 164-165. 37 Cf. Jean Cassien, De institutis coenobiorum, 12, 10 : « Personne, tandis qu’il vit dans la chair qui s’oppose à l’esprit, ne peut avoir une volonté capable d’obtenir la si haute récompense de la perfection et la palme de l’intégrité et de la pureté. Il lui faut, pour qu’il mérite d’arriver à ce qu’il veut à grand peine et vers quoi il court, que Dieu dans sa pitié le protège », et 12, 13 : « Jamais en effet le labeur personnel ou l’industrie de l’homme n’égalera le don divin que seule la miséricorde divine accorde à celui qui le désire » (trad. GUY, SC, 109, pp. 463-465 et 467-469).

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effet, vient quotidiennement au chevet de l’ascète pour lui donner la force d’éviter le péché38. Voilà, en forme de condamnation tacite des prétentions pélagiennes39, la configuration qui, selon l’abbé marseillais, revient à la grâce, absolument nécessaire et toujours agissante, dans le quotidien de la vie monastique. Dans la Collatio III, le même auteur s’intéresse, cette fois, au comportement qui doit être celui du moine à l’égard de la libéralité divine : il se doit, s’il veut atteindre à la perfection, de répondre à l’appel de Dieu par un triple renoncement40. Exprimer en ces termes la disposition de l’homme vis-à-vis des opportunités que lui présente la providence divine revient donc à soutenir le maintien intact de la liberté de son libre arbitre : si le moine doit accepter de répondre à l’appel divin pour être sauvé, il est censé également pouvoir le refuser, et l’issue logique — à supposer que la nature puisse être pure et qu’elle ne soit pas déjà informée par la grâce — en serait alors qu’il ne pourrait être sauvé41. On voit donc assez nettement que, entre les deux discours du De institutis XII et de la Collatio III, la nécessité de la grâce reste une constante essentielle de l’exposé doctrinal ; mais on ne peut s’empêcher de noter, en même temps, le pas franchi entre les deux moments pour ce qui concerne le rôle dévolu à l’individu. La grâce, de toute nécessité à chacune des étapes de la vie ascétique — dans le don initial de la foi et l’appel à la sainteté, 38 Notamment en ce qui concerne la recherche de la chasteté. C’est ce que souligne bien STEWART, Cassian the Monk, pp. 76-77, qui met précisément en rapport direct les positions défendues par Cassien sur la grâce et le libre arbitre avec l’enseignement de ce dernier à propos de la continence et de la chasteté (surtout en De institutis coenobiorum, 6 et 12), présentant la question de la grâce comme délimitant les « frontières » de la chair et de l’esprit. 39 Comme le fait remarquer L. CRISTIANI, Jean Cassien. La spiritualité du désert, t. 1, Éd. de Fontenelle, [Paris] 1946 (Figures Monastiques), pp. 120-121. 40 La Collatio III « De tribus abrenunciationibus » est destinée à enseigner au moine les moyens de répondre à la vocation divine, qui est triple et qui exige, en retour, un renoncement lui aussi triple : renoncement corporel aux biens de ce monde, renoncement à notre vie passée, à nos vices et à nos passions, renoncement aux choses présentes et visibles (cf. coll. 3, 6). 41 Voilà pourquoi Prosper refuse avec tant de véhémence la neuvième « proposition », dont il arrête précisément l’extrait le plus significatif à la proposition suivante : « C’est pourquoi l’homme conserve toujours en lui le libre arbitre, qui peut soit négliger soit aimer la grâce de Dieu » (« Et idcirco manet in homine liberum semper arbitrium, quod gratiam Dei possit uel negligere uel amare ») ; cf. Jean Cassien, coll. 13, 12, 8 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 381) et Prosper, c. coll., 13, 1 et surtout 13, 6 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 45-46 et 50-52).

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dans l’assistance surnaturelle avec laquelle elle accompagne chaque effort du moine dans sa lutte contre la chair et dans sa recherche de la perfection, dans l’accomplissement, enfin, des bonnes actions —, devrait composer avec un libre arbitre encore valide, capable d’accepter ou de refuser ce qui lui est proposé, mais surtout qui est lui-même nécessaire pour que, par cette collaboration ainsi obtenue, le salut, s’il est recherché, soit acquis à l’homme42. Ce dernier point, autour duquel s’articule la pensée de Cassien, est un fondement essentiel pour bien comprendre le discours qui sera tenu plus tard dans la Collatio XIII. Il est une option proposée par Cassien pour éviter les deux écueils que constituent à ses yeux les systèmes opposés de Pélage et d’Augustin, tous deux trop rigoristes dans chacun des extrêmes43. Une telle tentative de conciliation, précisée davantage dans ses développements ultérieurs, rappelle à plus d’un titre la « synergie » largement admise parmi les Pères grecs44. Mais il n’empêche qu’en Occident — et spécialement dans le contexte postpélagien qui est celui de l’Église des années 420 —, elle peut sembler présenter des dangers en n’acceptant pas dans sa globalité l’attaque produite contre les pélagiens, voire en avançant des arguments qui, mal compris, pourraient prendre l’aspect d’un pélagianisme discret45. 42

REA, Grace and Free Will, pp. 146-151. C’est ainsi que Cassien vient à parler, en coll. 13, 11, 1, de deux « erreurs différentes et contradictoires » (« uariis sibique contrariis sunt erroribus inuoluti » ; éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 376) ; voir aussi c. coll., 5 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 1719). Au commencement de son De gratia, Fauste de Riez exprimera la même idée en évoquant les conceptions pélagienne et augustinienne sous les traits de Charybde et Scylla, que le pilote doit être capable d’éviter en faisant preuve de modération ; Fauste de Riez, De gratia, 1, 1 : « Hic tamquam in Scyllae male dextrum fertur periclum, ille in laeuum Charybdis tendit abruptum » (éd. A. ENGELBRECHT, CSEL, 21, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1891, p. 7). Sur cette uia media, voir en particulier O’KEEFFE, « The Via Media ». 44 C’est en effet, sur ce point encore, Augustin qui fait figure de novateur, sa conception anthropologique ne trouvant pas de précédent dans l’Église, tant latine que grecque ; voir, par exemple, M. ZANANIRI, « La controverse sur la prédestination au Ve siècle. Augustin, Cassien et la tradition », in P. RANSON (dir.), Saint Augustin, L’Âge d’homme, [Lausanne] 1988 (Les dossiers H), pp. 248-261 (p. 251). 45 La première attitude revient sans cesse sous la plume de Prosper ; cf., entre autres exemples, c. coll., 3, 1 : « Et satis te contra Pelagianorum calumnias praecauere existimas, si quod in uniuersitate uocatorum sentiendum est, id nobis in portione concedas. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 12) — « Et tu crois prendre suffisamment de précautions contre les calomnies des pélagiens, si ce qui doit se comprendre pour 43

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3. Deux modèles de salut : la théologie de la Collatio XIII Ce n’est donc qu’une fois supposé et admis tout ce qui a été précédemment exposé que l’on peut appréhender la manière dont, à l’occasion de leur dernier entretien avec Chérémon, Cassien et Germain posent une question à la fois plus précise et plus complexe. Pour prendre position par rapport aux principaux points développés par la théologie augustinienne telle qu’elle est parvenue à sa connaissance46, Cassien entreprend en effet dans la Collatio XIII l’examen des rapports exacts qu’entretiennent la grâce de Dieu et le libre arbitre de l’homme au sein de l’économie du salut47. Alors que Prosper présente les positions de son adversaire comme un ensemble monolithique, ne retenant qu’une partie de son argumentation48, la totalité des appelés, tu nous l’accordes pour une partie » ; ou encore 16, 1 : « Et exigua conclusione pene totum Pelagianum dogma confirmas » (ibid., p. 62) — « En une courte conclusion, tu ratifies presque tout le dogme pélagien ». Quant au second point, il vaudrait sans doute mieux expliquer la parenté apparente qui unit, selon leurs adversaires, les positions cassianiennes et celles de Pélage par le fait que, sans que la seconde soit dépendante de la première, les deux pensées partagent plusieurs points communs. C’est ainsi le cas de certaines thèses origénistes qui, ayant eu cours lors de la querelle pélagienne (en particulier pour l’interprétation de I Tim. 2, 4) et ayant donc été condamnées par contrecoup, se retrouvent dans la théologie orientale dont Cassien est, par d’autres voies, l’héritier ; voir sur ce sujet l’étude de GROSSI, « L’origenismo latino », surtout pp. 62-66 et 76-80. 46 Sur la réception d’Augustin en Gaule du sud, et plus particulièrement dans le milieu de Cassien, voir les indications du chap. 1, pp. 31-36. Il serait cependant plus juste d’affirmer que ce que combat Cassien n’est pas tant Augustin directement que l’idée qu’il s’en est faite à la lecture de ses œuvres et surtout à partir des rumeurs diffusées sur les réelles intentions de ce dernier. Voir, pour cette remarque, OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 133-134 et 196-197. 47 Pour une étude très détaillée du contenu théologique de la Collatio XIII, on privilégiera OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 133-153, qui dégage ainsi très clairement la spécifité de la Collatio XIII par rapport aux deux livres précédemment cités (De institutis coenobiorum XII et Collatio III) en faisant valoir que Cassien ne cherche plus désormais à prouver la nécessité de la grâce, mais pose la question des liens de la grâce et de la volonté humaine, en termes de « conciliation » ; voir déjà, pour cet aspect, ID., « The Conciliation of Grace and Free Will ». 48 Se reporter, pour sa pratique de l’excerption et de la citation, au chap. 3, pp. 109-121, et pour sa présentation subjective, qui passe par des jugements moraux et par une systématisation abusive, le chap. 4, pp. 161-173.

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il apparaît, à la lecture de la Collatio, que la pensée de Cassien est loin de se cantonner à une sèche sanction en faveur de la liberté humaine et de pouvoir être décrite avec les termes qui servent habituellement à désigner la doctrine pélagienne. Si la liberté humaine fait, certes, l’objet d’une attention particulière dans les chapitres de Cassien, c’est surtout parce que c’est elle qui a besoin d’être défendue contre les thèses par trop pessimistes développées par Augustin dans ses derniers traités49. Le propos principal de Cassien n’est pas seulement plus balancé et plus délicat à mener à son terme. Le discours, pris dans son intégralité, laisse apparaître en réalité deux perspectives différentes, et en apparence incompatibles, dont tout l’enjeu pour l’auteur est de les faire tenir ensemble ; c’est ce paradoxe initial qui justifie les développements parfois ardus, mais surtout éclatés, qui occupent le reste du dialogue sans jamais être parfaitement synthétisés ni même rigoureusement soulignés. Dans sa leçon, Chérémon veille en effet à maintenir l’idée, déjà développée, que la grâce est un don nécessaire et gratuit50, tout en cherchant dans le même temps à conserver au libre arbitre son intégrité51. Pour qu’aucun des deux ne se retrouve valorisé au détriment du second, l’abbé — et à travers lui Cassien — met en place un double système permettant de rendre compte de leur interaction. La fine analyse de ce double « modèle de salut » proposée 49 Ce qui serait d’autant plus vrai si l’on admettait, avec N.K. CHADWICK, Poetry and Letters in Early Christian Gaul, Bowes and Bowes, London 1955, p. 179, que la Collatio XIII a été rédigée en 427 plutôt qu’en 426, de manière à pouvoir la considérer comme une réponse directement provoquée par la lecture du De correptione et gratia d’Augustin. Cette opinion, largement partagée par la critique (voir OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 133-134, n. 196, qui l’accepte lui-même), s’accorde pourtant très mal avec la datation admise, et donnée par l’auteur même, pour l’ensemble de la deuxième partie des Collationes, vraisemblablement de 426 ; voir le chap. 2, pp. 5859. Sans doute n’est-il pas nécessaire que le De correptione et gratia ait été réellement publié pour que les idées augustiniennes propagées en Provence suscitent l’émoi des communautés monastiques ; voir, dans le même sens, paradoxalement, OGLIARI, Gratia et certamen, p. 129, n. 174. 50 À vrai dire, ce soubassement théologique est partout présent dans la Collatio XIII. Cf. plus particulièrement, parce que cela apparaît d’une manière plus manifeste, Jean Cassien, coll. 13, 1-6 ; voir REA, Grace and Free Will, pp. 179-182. 51 Et non seulement la nécessité de son existence. Alors que dans les débuts de la coll. 13, 1-6 — qui, précisément, ne sont pas exploités par Prosper dans sa réfutation, hormis pour la première « proposition » — le libre arbitre est présenté comme insuffisant et faible, on trouve, notamment en coll. 13, 10 et 12, plusieurs arguments en faveur de sa puissance, attestée par la Bible tout autant que sa faiblesse.

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par Alexander Y. Hwang éclaire les modalités et les enjeux de la Collatio XIII52. Jean Cassien propose de distinguer deux genres d’interaction de la grâce et du libre arbitre. Le premier, qui ressortit à un « modèle coopératif » de salut, consiste à reconnaître à la grâce l’initiative du processus, tout en faisant observer que l’homme, lui, conserve par son libre arbitre la capacité de se conformer ou de se refuser à ce dessein divin. C’est, dans un pareil cas, la grâce de Dieu qui pousse le libre arbitre au bien et se trouve donc au commencement de toute action ou pensée bonne, le libre arbitre pouvant exercer toute sa liberté dans les étapes suivantes qui mènent jusqu’à l’accomplissement ou l’achèvement de ces saintes volontés53. Telle est la conception formulée dès le début de la Collatio et abondamment reprise par Prosper dans le Contra collatorem, qui la juge catholicissima54. Ce système de coopération permet, par conséquent, de conserver les deux dimensions, chères à Cassien, de la nécessité de la grâce et de l’entière liberté de l’homme. Mais, faut-il ajouter, il présuppose aussi que la grâce ne soit pas caractérisée par une toute-puissance absolue, dans la mesure où il doit être possible que l’esprit humain refuse ce qu’elle lui propose55. 52

On se reportera avec profit aux pages de HWANG, Intrepid Lover, consacrées aux « Two Models of Salvation », pp. 147-151, repris à l’identique in ID., « Manifold Grace in John Cassian and Prosper of Aquitaine », Scottish Journal of Theology, 63/1 (2010) 93-108 (ici, pp. 97-101), qui donnent de la pensée de la Collatio XIII une synthèse très claire. Les expressions, employées dans la suite du paragraphe, de « modèle coopératif » et de « modèle alternatif » lui sont empruntées. 53 Voir là-dessus REA, Grace and Free Will, pp. 188-198. La question de la primauté de la grâce ou de la volonté de l’homme n’apparaît pas de cette façon dans le discours de Cassien : c’est l’interprétation de Prosper qui a eu tendance à mettre en valeur cette hiérarchisation en plaçant les rapports entre grâce et libre arbitre d’une manière chronologique, alors que, comme l’exprime très clairement Cassien, les deux choses sont « permixta et confusa » (coll. 13, 11, 1 ; éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 375) ; voir OGLIARI, et « The Conciliation of Grace and Free Will », et ID., Gratia et certamen, p. 140. 54 Sur cette definitio de Jean Cassien, coll. 13, 3, 5, validée par Prosper, c. coll., 2, 2, voir le chap. 4, pp. 173-175. 55 Prosper ne fait pas de lien direct avec cette théorie lorsqu’il cite, rapidement, le passage dans lequel Cassien s’autorise du Pasteur (coll. 13, 12, 7-8 ; cf. c. coll., 13, 1) ; voir le chap. 4, p. 186 et n. 105. De même, il ne fait aucune mention du paragraphe final de la Collatio (coll. 13, 18, 4), où la garantie de Cassien lui vient cette fois de « tous les Pères catholiques », et qui résume pourtant avec beaucoup de clarté cette position : « Premièrement, c’est le don de Dieu qui allume en nous le désir de tout ce qui est

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Le second mode d’interaction, qui constitue un « modèle alternatif » de l’acquisition du salut56, voit dans Dieu et dans l’homme deux sources possibles et également valables de bien. Le salut pourrait donc, d’après ce schéma, être obtenu à l’initiative de la volonté divine comme de la volonté humaine. Cassien, qui trouve dans la Bible la confirmation de l’existence de cette double possibilité57, n’entend pas cependant en faire une règle générale : il reconnaît également que, si les deux modes opératoires sont possibles, c’est le plus souvent la grâce qui donne son commencement et son achèvement à une volonté bonne58 ; le libre arbitre de l’homme, en tant que ce dernier est une création bonne de Dieu, est tout de même capable d’émettre de son propre chef le début d’une volonté bonne, mais a ensuite, quoi qu’il en soit, un besoin absolu de la grâce pour mener cette volonté jusqu’à sa réalisation59. Autrement dit, si Cassien défend la capacité de bien, mais notre liberté demeure entière de pencher, soit d’un côté, soit de l’autre. Deuxièmement, c’est également un effet de la grâce que nous pratiquions les vertus, mais sans que le pouvoir du libre arbitre soit etouffé. Troisièmement, la vertu une fois acquise, la persévérance est encore un présent de Dieu, mais notre liberté, tout en s’y dévouant, ne se sent pas captive. » (trad. PICHERY, SC, 54, pp. 29 et 31). 56 Selon la terminologie que j’emprunte à HWANG, Intrepid Lover, pp. 147-151. 57 Cf. coll. 13, 9, 2-4, où Cassien fait le recensement, à des fins de comparaison, des passages bibliques attestant la force de la grâce et des autres, qui prouvent la puissance du libre arbitre (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 372-374). La coprésence, dans un texte aussi autoritatif que la Bible, permet donc à Cassien d’affirmer, en coll. 13, 9, 4, que « tous ces passages déclarent à la fois la grâce de Dieu et la liberté de notre libre arbitre » (« in his omnibus et gratia Dei et libertas nostri declaratur arbitrii » ; ibid., p. 373) et donc de fonder plus sûrement ce qu’Alexander Hwang a appelé son « modèle alternatif ». 58 Le passage le plus manifeste, à cet égard, est celui de Jean Cassien, coll. 13, 9, 5 : « Pour qu’il soit plus clair et évident que, quelquefois aussi, à travers le bien de la nature, que le bienfait du Créateur nous a concédé, apparaissent des principes de bonne volonté — qui ne peuvent cependant parvenir à l’achèvement des vertus que s’ils sont dirigés par le Seigneur » ; il fait précisément l’objet d’une réplique de Prosper, c. coll., 4, 2, qui le présente comme la quatrième « proposition » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 15-17). 59 Le pouvoir du libre arbitre s’explique, selon Cassien, par la subsistance en chaque être humain de certains semina uirtutum qui, ayant été injectés dans l’homme par la grâce créatrice, ne peuvent pas ne pas se trouver chez tout un chacun, en dépit de la prévarication adamique. C’est tout le propos du chap. 12 de la Collatio XIII (voir en particulier coll. 13, 12, 7 ; éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 380-381), que l’on retrouvera plus tard chez Fauste : voir MATTEI, « Le fantôme semi-pélagien », pp. 104-106. On abordera plus en détail cette question en étudiant la façon dont Prosper la comprend et la réfute (voir infra, pp. 266-269).

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la volonté humaine et lui accorde un rôle dans le processus d’acquisition du salut, c’est uniquement à propos de l’initium fidei, et sans jamais imaginer la possibilité de retirer à la grâce la moindre nécessité quant à l’accomplissement final. Au total, on remarque de nouveau aisément, cette fois d’un point de vue strictement théologique, combien la lecture prospérienne de la Collatio XIII a été partielle, et ce sciemment. À ne lire Cassien qu’à travers les extraits donnés dans le Contra collatorem, on ne soupçonnerait même pas l’existence du premier modèle de salut, l’Aquitain ne tenant à insister que sur les conséquences à ses yeux néfastes du second modèle, « alternatif », qui légitimerait la négation, du moins conditionnelle, de l’initiative de la grâce60. L’idée d’une coopération possible entre la grâce et le libre arbitre, pourtant recherchée déjà par Augustin61, est passée sous silence, et les passages de la Collatio visant initialement à défendre ou à démontrer cette théorie considérés comme de fallacieuses captationes62. La recontextualisation qui précède permet de bien observer que la Collatio XIII n’aborde, en définitive, qu’un point seulement d’une réflexion bien plus vaste sur la question de la grâce. Cette conception non statique de la grâce, qui peut prendre des formes et exercer des rôles multiples, n’est pas — il faut le reconnaître — dépourvue d’incohérences63. Mais plus 60 C’est avant tout la pratique exclusive, choisie par Prosper, de la sélection et de la citation d’extraits qui, par exemple, dans le cas présent, empêche de remarquer que le passage, jugé « très catholique » par Prosper même, de la « definitio » initiale rend compte d’un des deux pans de la théorisation de Cassien. On comprend bien, toutefois, quel intérêt il y a pour le polémiste de dissimuler la complexité de l’argumentation adverse en niant l’existence du premier modèle, et surtout de faire croire au lecteur qu’il assiste à une succession d’incohérences et de propositions incompatibles, plutôt qu’à deux développements distincts qui cherchent finalement à se compléter. Voir déjà le chap. 4, pp. 173-184. 61 C’est ainsi par exemple que, présentant son De natura et gratia en Retractationes, 2, 42, il écrit : « Le livre par lequel je lui ai répondu pour défendre la grâce et non pour attaquer la nature qui est délivrée et régie par la grâce est appelé De la nature et de la grâce » (trad. G. BARDY, BA, 12, Paris 1950, p. 523). 62 En témoignent les confrontations successives faites pour telle ou telle nouvelle « proposition » avec la definitio orthodoxe initiale ; cf. c. coll., 14, 2, où Prosper accuse son adversaire d’avoir voulu tromper son auditoire : « aures nostras mentesque cepisti » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 54). Voir aussi, à ce propos, le chap. 4, pp. 175-177. 63 C’est l’objet de coll. 13, 11 (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 375-378). Sur la réplique de Prosper en c. coll., 7, voir infra, p. 277 et n. 142.

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que ses éventuelles inconséquences, c’est sans doute l’écart vis-à-vis de la « norme » augustinienne qui embarrasse, voire scandalise, le plus Prosper. Pour autant, ce que notre auteur est en droit de trouver répréhensible dans le discours que Cassien prête à Chérémon ne doit pas, en toute logique, mettre en péril le bien-fondé du reste de l’argumentation, qui n’est pas sans trouver çà et là des échos dans les opinions défendues par le camp censément adverse. Quoi qu’il en soit, Prosper en entreprend l’attaque avec beaucoup de vigueur et profite de cette occasion pour exposer, en négatif et en pointillé, sa conception personnelle, censée reproduire à la lettre celle de son maître, Augustin.

II – GRÂCE ET LIBRE ARBITRE DANS LE CONTRA COLLATOREM : PROSPER À LA CONTROVERSE POSTPÉLAGIENNE

L’APPORT THÉOLOGIQUE DE

La doctrine de la grâce développée par Prosper tout au long de sa carrière de polémiste a déjà fait l’objet de mainte étude64. Les œuvres que l’on a conservées permettent, en effet, de restituer après coup la pensée de notre auteur à partir des contre-arguments qu’il oppose, d’abord aux Provençaux pris dans leur globalité anonyme, puis plus spécifiquement à Cassien. Pour autant, on ne peut pas dire que ce qui ressortit bien plutôt à des attaques ou des réactions ponctuelles et obéit aux impératifs qui sont ceux d’une entreprise polémique soit le strict équivalent de ce qu’aurait fourni un véritable De gratia de Prosper. Le plus souvent, en effet, la pensée de notre auteur n’est tout au plus que détectable, en filigrane ou en négatif, et ses positions, qui se fondent uniquement sur un discours préexistant par rapport auquel elles tentent d’adopter un parti, ne peuvent s’entendre qu’en fonction de leur enjeu immédiat et très circonstanciel et ne sauraient former, en tout cas, un système à part entière. Il s’avère donc nécessaire de mettre bout à bout les éléments de discours éclaté dans le traité pour 64

Pour compléter les références données supra, p. 240, n. 6, on renverra à une étude plus ponctuelle touchant la doctrine prospérienne de la grâce telle qu’elle est présentée dans le Contra collatorem : HWANG, « Manifold Grace », en particulier pp. 101-102, qui se contente de résumer les développements d’ID., Intrepid Lover, pp. 156-167. Pour une étude spécifique des éléments de doctrine développés par Prosper dans d’autres œuvres que le Contra collatorem, voir aussi VINEL, « Une étape vers l’affirmation », et, pour le De uocatione omnium gentium, les références données infra, p. 283, n. 161.

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reconstruire, avec la prudence requise, ce qui pourrait s’apparenter à une doctrine unifiée. Cela nous permettra de confronter les idées de Prosper avec, d’un côté, la théorie mise en avant par Cassien telle qu’on a tâché, plus haut, de la recontextualiser et de l’objectiver autant que possible65, et de l’autre la doctrine développée par Augustin dans ses derniers ouvrages et dont Prosper tente d’imposer les conclusions comme étant le discours officiel de l’Église66. Une fois qu’auront été brièvement posées les bases terminologiques sur lesquelles repose la controverse, il sera envisageable de se livrer à une étude plus approfondie de la pensée qui transparaît dans le Contra collatorem. Pour éviter, toutefois, les écueils de la sélectivité et de la partialité qui discréditent précisément l’exposé de Prosper, il faut garder à l’esprit qu’il est impossible de rendre compte positivement de questions qui sont absentes de l’œuvre : le silence fait sur tel aspect n’indique pas sa négation, mais s’explique bien plutôt par le fait que cet aspect n’est pas mis en débat ; le Contra collatorem, étant une riposte à un texte donné, se caractérise avant tout par sa dimension circonstancielle et ne prétend nullement fournir sur les questions de la grâce et de la liberté humaine une synthèse ou un compendium en bonne et due forme réemployable en l’état. On veillera donc, dans les pages qui suivent, à faire tenir ensemble les différentes propositions énoncées par Prosper dans le Contra collatorem touchant tel ou tel aspect de la question, en les mettant en perspective avec ce qui se donne à lire dans les autres œuvres composées à la même époque. On sera ainsi davantage en mesure de restituer plus fidèlement la pensée de l’auteur et de redonner au traité écrit contre Cassien la place qui lui revient dans le développement de la pensée de Prosper. On a coutume, en effet, de faire remarquer la position charnière du Contra collatorem dans l’affranchissement progressif, vis-à-vis de la doctrine des dernières années d’Augustin, qui semble se dégager d’une étude d’ensemble des œuvres et des discours théologiques de Prosper67. Il reste donc à vérifier 65

Dans la première partie du présent chapitre, pp. 242-257. Comme on l’a avancé dans le chapitre précédent, pp. 199-225. À cet égard, mieux vaut soutenir, semble-t-il, que Prosper cherche à faire reconnaître comme catholiques les positions augustiniennes que de supposer, contre plusieurs témoignages indiscutables, qu’il ne retient de la pensée d’Augustin que ce qui est partagé par l’Église de Rome (voir CAPPUYNS, « Le premier représentant », p. 328). 67 C’est CAPPUYNS, « Le premier représentant », p. 336, qui, le premier, a proposé de distinguer trois périodes dans la carrière de Prosper, qui permettent d’observer un 66

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dans quelle mesure la discussion entreprise avec Cassien a été à même de faire progresser la pensée personnelle de Prosper et à se demander, plus prudemment, si ce n’est pas une lecture rétrospective qui tend à justifier cette opinion.

1. Préalables terminologiques Avant de pouvoir mesurer la place que tient le Contra collatorem dans la pensée de Prosper au sujet de la grâce et de la liberté humaine, et surtout dans son évolution, il faut examiner la façon dont les questions spécifiquement doctrinales se manifestent dans le traité, sans tenir compte désormais des aspects rhétoriques et polémiques étudiés plus haut68. On a vu quelle spécificité présente le Contra collatorem du point de vue de son rapport à l’écrit, et donc au texte69, et par conséquent quelle attention accrue et quel poids doivent être accordés aux mots les plus signifiants lorsqu’il s’agit d’aborder dans le fond les questions doctrinales70. Il va sans dire que ce sont ces mots qui attirent, plus que toute autre chose, l’attention du controversiste. Il convient alors de chercher à comprendre la signification éloignement progressif, au fur et à mesure de la maturation de sa pensée, vis-à-vis de l’enseignement d’Augustin. VINEL, « Une étape vers l’affirmation », propose même de faire commencer ce détachement progressif vis-à-vis d’Augustin dès l’époque de l’epist. 2. Quoique la quasi-unanimité de la critique prospérienne ait suivi son avis (voir l’Introduction, pp. XXVI-XXVII et n. 52), Alexander Y. Hwang, sans pour autant renoncer à cette tripartition, invite plutôt à la considérer non pas tant comme un éloignement visà-vis d’Augustin que comme un attachement toujours plus affirmé à l’Église de Rome, qui passe par la recherche constante d’une mise en adéquation de la pensée d’Augustin et de la doctrine officiellement professée par l’Église ; voir HWANG, Intrepid Lover, et en particulier sa « Conclusion », pp. 235-237, et la structure même de son étude. Sur la position charnière qui reviendrait au Contra collatorem, voir en particulier le bilan de FERNÁNDEZ LÓPEZ, « Significado de San Próspero », p. 407, et HWANG, Intrepid Lover, p. 137, qui fait commencer à cette époque une nouvelle étape de la carrière de Prosper, mais davantage, sans doute, en raison du tournant que constitue, en l’espèce, la mort d’Augustin. 68 Dans les chap. 3 et 4, pp. 136-157 et 161-184. 69 Là-dessus, voir le chap. 3, pp. 84-108. 70 On se rappellera notamment la description que Prosper fait de l’adversaire, le présentant comme un méticuleux scrutator, et qui, à l’analyse, permet de qualifier tout autant, sinon plus, la pratique qui est celle de Prosper dans le Contra collatorem ; voir le chap. 3, pp. 144-147.

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précise que les deux adversaires accordent aux termes qu’ils emploient, la pratique de Cassien conduisant à plus d’une confusion. On parviendra par là à replacer le discours théologique — ou, si l’on peut utiliser le terme, la « doctrine » — du Contra collatorem dans le contexte idéologique de la présente controverse postpélagienne (avec Cassien) et de l’ancienne (à travers Augustin et ses traités antipélagiens). Le plus commode, dans cette perspective, est de se livrer à un examen terminologique des mots employés par Prosper pour désigner ce qui a trait à la grâce divine et ce qui a trait au libre arbitre exercé par l’homme71, pour comparer les résultats avec ceux qu’a procurés l’étude similaire sur les œuvres de Cassien72, ainsi que la signification que ces mêmes termes recouvrent chez Augustin73. Pour ce faire, on ne retiendra que les termes 71

On manque encore, pour Prosper, d’un travail lexicologique étendu à l’ensemble de son œuvre — travail qu’appelait déjà de ses vœux, il y a quarante ans, L. BRIX, [c. r. de DE LETTER, « Gratia Generalis »], in « Bulletin augustinien pour 1976 et compléments d’années antérieures », Revue des études augustiniennes, 23/34 (1977) 394-395 (p. 395). Pour de premières approches, on se reportera à l’« Index verborum » donné par Ch.T. HUEGELMEYER, in Carmen de ingratis, pp. 235-264, pour le lexique employé dans le Peri akharistôn, ainsi qu’aux différentes études sur la langue et le style de Prosper insérées à titre de comparaison, dans sa tentative d’attribution, par M.K.Cl. KRABBE, « Introduction », in Epistula ad Demetriadem De Vera Humilitate: A Critical Text and Translation with Introduction and Commentary, PhD Dissertation, The Catholic University of America Press, Washington 1965 (PS, 97), en particulier pp. 67-89, où l’éditrice multiplie les comparaisons du vocabulaire de l’auteur de l’Epistula ad Demetriadem et le reste de la production de Prosper, tout comme l’a fait, pour le De uocatione omnium gentium, J.J. YOUNG, Studies On the Style of the De Vocatione Omnium Gentium Ascribed to Prosper of Aquitaine, PhD Dissertation, The Catholic University of America Press, Washington 1952 (PS, 87). 72 Cette étude occupe les trois « Appendices » de REA, Grace and Free Will : « Semantic Domains for the Discussion of Grace and Free Will in John Cassian » (pp. [226]-253), « Words Cassian used in describing Grace » (pp. [254]-278) et « Words Cassian used in describing the Will » (pp. [279]-299). 73 Pareille étude sur Augustin est annoncée par V. GROSSI, « Sul ruolo metodologico del vocabolario nella lettura della teologia agostiniana della grazia (397-428) », in BAUN – CAMERON – EDWARDS – VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 49, pp. 6572 (p. 70) ; voir, pour l’instant, V.H. DRECOLL, « Gratia », Augustinus-Lexikon, t. 3, coll. 182-242 (avec bibliographie). On trouvera également, associée à un examen des termes dérivant de gratia, une étude des termes désignant la grâce dans le latin chrétien, dans Cl. MOUSSY, Gratia et sa famille, Presses universitaires de France, Paris 1966 (Publications de la Faculté des Lettres et sciences humaines de l’Université de Clermont-Ferrand, 25), en particulier pp. 458-467.

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les plus couramment utilisés dans le traité en leur adjoignant les passages où ils sont l’objet d’un développement ou d’une définition particulièrement notable. On ne s’étonnera guère de trouver, au premier rang des mots utilisés pour désigner l’action divine, le terme gratia, employé plus de cent fois, concurrencé par donum, qui lui est quasiment synonyme74, par munus, utilisé par ailleurs treize fois comme substitut poétique de gratia dans le Peri akharistôn75, ou encore, dans une moindre mesure, par des mots comme adiutorium et opitulatio76. De la même façon, les mots désignant la part de l’homme dans l’acquisition du salut ne sont pas moins attendus : à côté du très fréquent liberum arbitrium figurent, pour désigner plus spécifiquement la liberté, libertas arbitrii77 ou simplement libertas, et pour insister sur l’arbitre, uoluntas. Il faut noter également que ces derniers termes sont régulièrement associés à d’autres, tels que facultas78, uigor79, et évidemment rapprochés de natura80. L’opposition, abondamment soulignée entre natura et gratia est, elle aussi, un lieu commun : « facultatem quam 74

Et ce depuis Augustin : voir C. MAYER, « Donum », Augustinus-Lexikon, t. 2, coll. 660-667 (coll. 665-666) ; sur le rapport entre les deux notions, voir aussi MOUSSY, Gratia et sa famille, p. 459. 75 Les contraintes métriques n’empêchent cependant pas Prosper de lui préférer largement gratia, présent dans cinquante-quatre occurrences. Cela correspond parfaitement aux statistiques données par MOUSSY, Gratia et sa famille, pp. 466-467, qui constate une forte présence de munus essentiellement à l’ablatif. 76 Pour adiutorium, cf. c. coll., 5, 3 ; 7, 1 ; 15, 4 ; 19, 11 et 20 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 21, 23, 61, 77 et 78). Quant à opitulatio, Prosper n’emploie qu’une fois le mot pour le définir ainsi en c. coll., 18, 3 : « opitulationes diuinae gratiae stabilimenta sunt uoluntatis humanae » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 70). Les autres occurrences se trouvent toutes dans des citations de Cassien (c. coll., 13, 1 ; 13, 4 et 19, 10-11 ; ibid., pp. 45, 48, 49 et 76) 77 Cf. c. coll., 15, 1 : « nequeat arbitrii obtinere libertas » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 58). On trouve le même usage chez Jean Cassien, coll. 13, 9, 4, cité en c. coll., 3, 2 : « libertas nostri declaratur arbitrii » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 373 = éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 14). 78 Cf. c. coll., 15, 4 : « per naturalem liberi arbitrii facultatem » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 61). 79 Cf. c. coll., 14, 1 : « ad uigorem liberi arbitrii demonstrandum » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 52). 80 Cf., par exemple, c. coll., 11, 1 : « possint ex facultate naturae » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 38).

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non inuenit in natura quaerat ex gratia81 », écrit Prosper. Mais c’est cette banalité même des mots qui est intéressante : une comparaison rapide permet de vérifier que le lexique de Prosper est en tout point identique à celui de son adversaire82. L’important est précisément dans le fait que ces mots, quoique identiques, reflètent des réalités parfois opposées. Dans la discussion menée par Prosper avec Cassien, comme, du reste, dans l’ensemble de la controverse postpélagienne, l’une des principales pierres d’achoppement aura été la confusion, le manque de définition précise des termes en examen : les augustiniens et leurs adversaires s’affrontent sur un même terrain, et en ayant recours aux mêmes mots, mais sans pour autant prendre conscience (ou feignant de ne pas comprendre) que ces derniers ne recouvrent pas exactement les mêmes réalités chez les uns et chez les autres83. Du fait d’un manque (nécessaire) de concertation terminologique, chez Cassien, gratia sert à désigner tout autant — pour employer des notions plus modernes — la grâce générale reçue de Dieu lors de la création de l’homme et la grâce actuelle accordée à chacun ; de même, on a vu, à propos de l’emploi du terme de natura, qu’il pouvait être utilisé pour signifier des réalités différentes, sinon opposées, en fonction du substrat qui est celui de l’auteur qui l’utilise84. Les protagonistes de la controverse n’étaient pas eux-mêmes sans le savoir, puisque Prosper nous a conservé, par exemple, en epist. 2, 4, l’un des griefs faits en Provence à Augustin, « disant qu’il [Augustin] ébranle profondément le libre arbitre et que sous le nom de grâce c’est une nécessité fatale qu’il prêche85 ». C’est la raison pour laquelle, dans le Contra collatorem, Prosper prend soin, à plusieurs reprises, de préciser la signification qu’il veut donner à tel mot, qui pourrait prêter à confusion, pour faire comprendre, en définitive, 81

C. coll., 11, 1 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 39). Se reporter, pour les termes qui viennent d’être évoqués, aux listes des « Appendices » de REA, Grace and Free Will, pp. [254]-278 et [279]-299. 83 Voir, à ce sujet, les réflexions, pour étudier l’articulation de la grâce primitive et de la grâce du Christ, de MATTEI, « Le fantôme semi-pélagien », surtout pp. 106-113, et les conseils méthodologiques de GROSSI, « Sul ruolo metodologico », p. 67. 84 Voir le chap. 3, pp. 113-114. 85 Epist. 2, 4 (PL, 51, col. 79B ; trad. in VINEL, « Une étape vers l’affirmation », p. 380). Cf. aussi resp. ad Gall., 1, 1, resp. : « Proinde qui praedestinationis nomine fatum praedicat, tam non est probandus quam qui fati nomine ueritatem praedestinationis infamat » (PL, 51, col. 157B). 82

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qu’il est à entendre dans un sens augustinien. Un exemple particulièrement net est donné par un passage où Prosper cherche à qualifier la condition d’Adam avant la prévarication : « Postquam autem se, hoc est imaginem et templum Dei, deceptori suo uendidit86. » Mais c’est le vocabulaire plus proprement théologique qui est l’objet de soins plus grands, et qui pousse souvent Prosper à faire montre d’un sens pédagogique certain. Les premiers mots de l’œuvre ne sont pas anodins, puisque c’est gratiam qui sert d’incipit au traité, mais il est immédiatement précisé de quelle grâce il s’agit : « Gratiam Christi, qua Christiani sumus », qui est un écho à la distinction opérée par Augustin entre grâce générale et grâce du Christ87. C’est pourtant à propos de cette même « grâce du Christ » que l’on trouve, un peu plus loin dans le traité, l’expression de generalis gratia, employée pour introduire une première critique des arguments de Cassien88. On remarquera enfin avec intérêt que le mot protectio, qui donnait son titre à la Collatio de Cassien (« De protectione Dei ») est repris par Prosper, qui l’associe, une nouvelle fois, au Christ plutôt qu’au Père (« protectio 86

C. coll., 9, 5 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 35). Noter que, pour Augustin, après la chute l’homme demeure bien néanmoins imago Dei : voir M.Á. TABET BALADY, « La expresión ‘imago Dei’ (Gen 1, 26-27) en la reflexión agustiniana », Augustinus, 38 (1993) [469]-479, M.ª d. C. DOLBY MÚGICA, El hombre es imagen de Dios. Visión antropológica de San Agustín, EUNSA, Pamplona 1993 (Colección filosófica, 78), et C. MAYER, « Homo », Augustinus-Lexikon, t. 3, coll. 381-416 (coll. 400-401). 87 Cf., par exemple, Augustin, s. 26, 9 : « Hanc ergo gratiam qua Christiani sumus, ipsam uolumus praedicent, ipsam uolumus agnoscant, ipsam uolumus […] » (éd. C. LAMBOT, CCSL, 41, Turnholti 1961, pp. 353-354). Sur la notion de gratia Christi chez Augustin, ajouter aux références données par DRECOLL, « Gratia », col. 190, A. SAGE, « De la grâce du Christ, modèle et principe de la grâce », Revue des études augustiniennes, 7/1 (1961) [17]-34 et ID., « Les deux temps de grâce », Revue des études augustiniennes, 7/3 (1961) [209]-230. 88 C. coll., 2, 2 : « generalem […] gratiam Christi, quae nullum usquequaque hominem praetermittat et rebelles quoque auersosque non deserat » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 10). CAPPUYNS, « L’auteur du “De Vocatione” », pp. 208-209, et BRIX, [c. r. de DE LETTER, « Gratia Generalis »], p. 395, ont déjà attiré l’attention sur cette formule — qui n’est cependant pas une création prospérienne, comme le pense CAPPUYNS, ibid., p. 209 et n. 1 ; l’expression se trouve elle-même chez Cassien, qui l’emploi à propos du baptême en coll. 20, 8, 1 : « post illam namque generalem baptismi gratiam » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, p. 561). Dans le De uocatione omnium gentium, cependant, il emploiera souvent le mot gratia seul pour désigner la grâce générale : voir BRIX, [c. r. de DE LETTER, « Gratia Generalis »], p. 395.

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Domini89 »). Ailleurs, dès qu’il est question de la grâce, celle-ci se trouve qualifiée par plusieurs adjectifs qui en soulignent la puissance, comme, entre autres exemples, lorsque Prosper explique la complexité qu’il y a pour l’homme d’attribuer assurément l’origine de la bonne volonté : « Agit haec occulta et potens gratia Dei90. » La nature, quant à elle, si elle est à entendre au sens de la condition de l’homme déchu, sera suivie d’une relative à valeur définitionnelle : « naturam quae uitiata est91 », ou qualifiée autrement : « non uitiata esset, sed exstincta natura92 » ; si, au contraire, elle désigne l’homme sub gratia constitutus, elle sera ainsi glosée « reformata scilicet renouataque natura93 » ou « per gratiam qua natura reparatur94 ». De même, en c. coll., 9, 3, le liberum arbitrium est défini comme « rei sibi placitae spontaneus appetitus95 ». Ce parcours terminologique permet de tirer un constat non négligeable pour l’étude comparative de la pensée de Prosper et de Cassien. Comme on l’a déjà fait remarquer à propos des considérations introduites par Prosper dans sa présentation subjective des idées et du comportement de ses adversaires96, notre auteur exprime sa propre conception des rapports de la grâce et du libre arbitre dans les mêmes termes qu’employait déjà Cassien dans ses écrits ascétiques. On remarque bien, à travers ces précisions terminologiques, combien il importe à chaque auteur, et à chacun des partis, de préciser les cadres dans lesquels doivent être reçus ses discours. Car, dans les questions théologiques, et plus spécialement encore en matière de grâce, la méticulosité du choix d’un terme de préférence à un autre est on ne peut plus de rigueur, tant l’imprécision ou l’équivoque peuvent entraîner des conséquences fâcheuses. Pareille communauté de langage est censée faciliter la comparaison des deux contenus doctrinaux 89 C. coll., 21, 4 : « confidimus Domini protectione praestandum ut […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 84). L’expression était, du reste, déjà présente chez Jean Cassien, coll. 13, 3, 3 : « nisi eum […] protectio Domini ac misericordia roborasset » (éd. PETSCHENIG, CSEL, 13, pp. 363-364) — ce que Prosper tait. 90 C. coll., 12, 4 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 44). 91 C. coll., 13, 5 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 49). 92 C. coll., 10, 3 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 37). 93 C. coll., 10, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 36). 94 C. coll., 13, 5 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 49). 95 C. coll., 9, 3 : « Liberum ergo arbitrium, id est rei sibi placitae spontaneus appetitus » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 33). 96 Dans le chap. 4, pp. 164-165.

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et révéler d’une façon plus manifeste les différences, mais également les points communs. Seulement, cette similitude de façade dissimule mal un désaccord plus profond sur l’acception accordée à tel ou tel terme ou l’étendue des réalités que celui-ci (natura, gratia) recouvre. C’est, par conséquent, sur la conception générale selon laquelle l’homme doit se représenter les possibilités et les limites de sa liberté que les deux auteurs, ne pouvant s’entendre, s’écartent le plus manifestement.

2. L’initium fidei et bonae uoluntatis La Collatio XIII de Cassien se concentrant, comme on l’a vu, sur quelques aspects seulement du problème plus général de la grâce97, il est évident que la réfutation prospérienne, tout en scrutant les implications que la pensée des adversaires pourrait avoir dans le cadre plus vaste de l’économie du salut prise dans son ensemble et dans celui de la morale pratique, ne cherche pas pourtant à outrepasser les termes du débat. La discussion doctrinale repose en effet sur un nombre restreint de points problématiques, qui peuvent être regroupés et formulés sous la forme de deux questions fondamentales : l’homme n’a-t-il vraiment aucun rôle à jouer dans l’acquisition de son salut ? et — que la réponse à la question précédente soit positive ou négative — Dieu veut-il et fait-il en sorte que tous les hommes soient sauvés ? La question primordiale que pose Cassien pour faire pièce aux arguments avancés par Augustin à l’encontre de Pélage est celle de la répartition des initiatives (divine et humaine) dans les premiers mouvements vers le bien et vers le salut. La double collaboration possible imaginée entre les deux instances suppose de considérer comme possible l’hypothèse que l’homme soit lui-même à l’origine d’une action bonne, et même de l’idée de cette action. Rappelons que, pour Cassien, même après la chute d’Adam, l’être humain a conservé la connaissance du bien, qu’il est lui-même enclin à poursuivre et rechercher ce bien et qu’il a la liberté de le vouloir98. Cette partie de l’alternative n’a donc rien d’incongru dans un tel système. Il en va tout autrement de Prosper, qui aborde la question en faisant abstraction du 97

Voir supra, pp. 252-257. Se reporter au résumé de ces positions fait supra, pp. 243-247. Sur le probème de l’initium fidei, voir le chap. 1, p. 35 et les références données dans la n. 119. 98

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caractère passablement exceptionnel que Cassien reconnaît à cette forme d’initiation du salut99 et qui, suivant là encore l’enseignement d’Augustin, affirme la faiblesse humaine face à la toute-puissance divine. Nature naturelle et nature surnaturelle : Adam et la question des semina uirtutum S’interroger sur la capacité de l’homme à prendre des décisions, et des décisions justes, amène nécessairement à s’intéresser à ce qui, dans ce qu’il a de plus naturel, lui permet de savoir ce qu’est le bien et de faire ce qui est bon. Pour aborder la question d’une manière plus fouillée, et surtout pour demeurer dans un schéma de pensée strictement augustinien, Prosper accorde une place toute privilégiée, dans sa réfutation, à la figure d’Adam, dont il fait la clé de voûte de l’argumentation de Cassien100. On a vu comment ce dernier considérait la nature d’Adam, avant et après sa chute101. Prosper, lui, en reconnaissant pourtant la liberté et la capacité d’Adam, affirme contre Cassien que, dès l’instant qu’est survenue la prévarication, le premier homme a été entièrement déchu et que, s’il a pu conserver, grâce à Dieu, son libre arbitre, celui-ci ne possède plus aucune force et est donc incapable de mener l’homme jusqu’à l’état qu’il pourrait espérer102. Par ces assertions, Prosper invalide la théorie développée par Cassien dans sa Collatio XIII qui défend l’existence, en chaque homme, de semina uirtutum qui seraient un reliquat du don créateur fait primitivement par Dieu à Adam et permettraient ainsi à l’homme de partager naturaliter la liberté et la bonté prélapsaires d’Adam. Doutant, comme on sait, de l’acception véritable que Cassien entend placer dans le terme de natura, 99

Voir supra, pp. 252-256. C’est en effet dans le traitement de la personne d’Adam que Prosper semble avoir compris que se trouvait la clé de voûte de la compréhension cassianienne de la grâce ; voir WEAVER, Divine Grace and Human Agency, pp. 123-124. 101 Voir supra, pp. 243-247. 102 Cf. c. coll., 9, 3 : « Perditis autem per quae ad aeternam atque inamissibilem corporis animique incorruptionem poterat peruenire, quid ei remansit, nisi quod ad temporalem pertinet uitam, quae tota est damnationis et poenae ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 32) — « Une fois perdu ce qui lui avait permis d’atteindre l’incorruptibilité éternelle et inamissible du corps et de l’âme, que lui resta-t-il, sinon ce qui ressortit à la vie temporelle, qui est toute de damnation et de châtiment ? » 100

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Prosper oppose, à l’adresse de son adversaire, une distinction fort nette qui lui permet de caractériser ce qui lui apparaît comme la nature profonde de tous les descendants d’Adam. Pour contrecarrer l’opinion de Cassien, selon laquelle, en contractant le mal, Adam n’a pas perdu le bien103, Prosper fait valoir que, dès l’instant que le premier père a péché et s’est détourné de son Créateur, il a ipso facto contracté un état d’impuissance et perdu irrémédiablement toute trace de vertu : « L’iniquité a chassé la justice, l’orgueil détruit l’humilité, la convoitise anéanti la conscience, l’infidélité arraché la foi, la captivité extirpé la liberté : pas la moindre parcelle de vertu n’a pu se conserver là où avait fait irruption un si grand bataillon de vices », écrit-il à son sujet104. Ce portrait, qui sert à Prosper à caractériser Adam, est valable aussi, du fait de la transmission des effets du péché originel, pour l’ensemble de l’humanité105. Prenant l’exemple des sages païens, dont on pourrait penser qu’ils tirent leur sagesse et leur savoir de leur nature propre106, Prosper écrit : 103 Cf. Jean Cassien, coll. 13, 12, 2, passage qui fait l’objet de la septième « proposition », étudiée par Prosper en c. coll., 9, 2-5 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 30-35). 104 C. coll., 9, 5 : « Iustitiam enim iniquitas depulit, humilitatem superbia destruxit, continentiam concupiscentia elisit, infidelitas rapuit fidem, captiuitas abstulit libertatem, nec potuit ulla illic portio residere uirtutum, quo tanta irruperat turma uitiorum » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 35). Sur la notion, chez Prosper, de l’humilité dans la condition de l’homme créé, voir St. WITEK, « Interpretacja pokory w patrystyce zachodniej [L’interprétation de l’humilité dans la patristique occidentale] », Roczniki teologiczno-kanoniczne, 17 (1970) 5-24. 105 L’humanité partage en effet avec l’Adam prévaricateur la déchéance des vertus ; cf. c. coll., 9, 3 : « Liber ergo arbitrio […], ubi usum bonorum quae acceperat fastidiuit et uilescentibus sibi felicitatis suae praesidiis insanam cupiditatem ad experientiam praeuaricationis intendit, bibit omnium uitiorum uenenum et totam naturam hominis intemperantiae suae ebrietate madefecit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 52) — « Aussi le libre arbitre […], une fois que l’usage des biens qu’il avait reçu l’a dégoûté et que, sa félicité perdant de sa valeur, il pousse sa folle passion jusqu’à faire l’expérience de la prévarication, a-t-il bu le venin de tous les vices et totalement imprégné la nature humaine des vapeurs de son intempérance. » Pour le développement de ce débat, je me permets de reporter aux arguments avancés, à propos du Contra collatorem, dans « Gratia Adami, gratia Christi » ; voir aussi M. CUTINO, « Prosper and the Pagans », in VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 69, pp. [257]-266, en particulier p. 263. 106 Prosper développe longuement la question (en c. coll., 10, 1-3 ; 12, 4 et surtout 13, à propos des semina uirtutum) pour démontrer l’erreur de l’assertion de Jean Cassien, coll. 13, 12, 3, prétendant trouver dans la Bible des preuves que « le genre

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« Ainsi, tout ce qui appartient à la vie et à la piété, ce n’est pas par le moyen de la nature, qui est viciée, que nous le possédons, mais c’est par celui de la grâce, qui rétablit la nature, que nous l’avons reçu107. »

S’il est donc permis de reconnaître que certaines bonnes actions sont réalisées « naturellement », c’est uniquement en donnant au terme la signification d’une nature par définition « viciée » mais qui a été « rétablie » (« réparée »), ou encore « reformata scilicet renouataque natura108 », autrement dit d’une nature qui, déjà formée par la grâce de Dieu, l’a été de nouveau par l’intermédiaire de la renouatio par excellence qu’est l’adhésion au Christ Rédempteur. La vertu suprême — « quae in omnium arce uirtutum est109 » — est, selon Prosper, l’amour (« caritas »), qui n’est autre que le mouvement premier de Dieu vers sa créature et son témoignage le moyen de diffusion de la grâce110. Car finalement, la seule Vertu n’est autre que le Christ lui-même, « Dei uirtus et Dei sapientia111 ». La grâce reçue par Adam n’est, pour le dire avec les mots d’Augustin — que ne reprend pas Prosper —, qu’un adiutorium sine quo non, indispensable à l’homme, mais insuffisant au regard de l’adiutorium quo qui, lui, lui est conféré par la grâce du Christ112. Et le grand tort de Cassien, humain n’a pas perdu la science du bien après la prévarication d’Adam » (phrase citée en c. coll., 10, 1 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 36). 107 C. coll., 13, 5 : « Ergo omnia quae ad uitam et pietatem pertinent non per naturam, quae uitiata est, habemus, sed per gratiam, qua natura reparatur, accepimus » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 49). 108 Cf. c. coll., 10, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 36). Là-dessus, voir en particulier DELMULLE, « Gratia Adami, gratia Christi », pp. 206-207 et n. 36. 109 C. coll., 13, 6 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 51). 110 Dans le Contra collatorem, Prosper consacre plus d’un développement à la question de l’amour divin : le plus important est au chap. 13, 6, où l’amour divin, représenté par la métaphore très augustinienne de la flamma caritatis, est directement associé à l’action de l’Esprit saint ; voir aussi infra, pp. 278-279, n. 145. 111 C. coll., 13, 1, citant I Cor. 1, 24. Cf. aussi, dans le même passage, en c. coll., 13, 1 : « Virtus namque principaliter Deus est, cui non aliud est habere uirtutem, quam esse uirtutem » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 45) — « De fait, la vertu, c’est avant tout Dieu : pour lui, posséder la vertu n’est rien d’autre que d’être la vertu. » 112 Certes, ces expressions ont été forgées pour répondre aux moines d’Hadrumète ; cf. De correptione et gratia, 12, 34 : « Itemque ipsa adiutoria distinguenda sunt. Aliud est adiutorium sine quo aliquid non fit, et aliud est adiutorium quo aliquid fit » (éd. G. FOLLIET, CSEL, 92, p. 259), mais quinze siècles de théologie les ont employés

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aux dires de Prosper, est d’avoir considéré comme état de nature l’état qui est en réalité celui de l’homme sub gratia positus113. C’est ainsi que Prosper en vient à introduire le point nodal de son argumentation en opposant cet état de l’Adam déchu à celui qui est accordé, toujours gratuitement et sans que l’homme ait dû faire quelque effort que ce soit pour le recevoir comme une récompense, par la médiation de la grâce du Christ, rendue nécessaire. La conséquence de ce raisonnement n’est nullement une exaltation extrême de la grâce qui conduirait à un total mépris du libre arbitre. Celui-ci n’est pas, comme les adversaires provençaux d’Augustin semblaient le lui reprocher114, détruit par une telle doctrine : comme l’exprime avec force Prosper, « la grâce de Dieu n’est pas un danger pour le libre arbitre115 ». Celui-ci est mis au jour sous un aspect quelque peu différent, que l’auteur exprime en ces termes : « Si elles [les vertus] ne nous avaient pas été données, elles ne se trouveraient pas en nous, et le libre arbitre, naturellement inséré en l’homme, demeure dans sa nature, mais avec des propriétés et dans un état qui a été modifié par le Médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Jésus-Christ, qui détourna la volonté même de ce qu’elle avait tort de vouloir, pour la tourner vers un vouloir qui est bon pour et interprétés de façons si diverses qu’il semble difficile de formuler une conclusion autre qu’aporétique. Pour une synthèse, voir CHÉNÉ – SAGE, « Les deux économies de la grâce », in CHÉNÉ – PINTARD (éd.), Aux moines d’Adrumète, pp. 787-799. 113 Cf. c. coll., 14, 1 : « Cum tantum homini tribuisset ante gratiam quantum ei fructuosissimum habere per gratiam » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 52) ; cf. aussi c. coll., 4, 2 : « Vox namque ista dicentis […] uocati est et iam sub gratia constituti » (ibid., p. 16). 114 C’est le grief qui est rappelé, par exemple, en c. coll., 18, 3 : « Non enim conturbat nos superbientium inepta querimonia, qua liberum arbitrium causantur auferri, si et principia et profectus et perseuerantia in bonis usque in finem Dei dona esse dicantur, quoniam opitulationes diuinae gratiae stabilimenta sunt uoluntatis humanae » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 70-71) — « Elle ne nous inquiète pas, la sotte criaillerie des orgueilleux, qui les fait se plaindre qu’on supprime le libre arbitre, si l’on dit qu’à la fois les commencements, le progrès et la persévérance dans le bien jusqu’à la fin sont des dons de Dieu, puisque les secours de la grâce divine sont les assises de la volonté humaine. » Cf. aussi c. coll., 6 : « nec uoluntas aufertur, cum in ipsa bene uelle generatur » (ibid., p. 22) — « la volonté n’est pas enlevée, lorsque c’est en elle qu’est engendré le bon vouloir » ; et encore c. coll., 19, 7 (ibid., p. 75). 115 C. coll., 6 : « Non est periculum liberi arbitrii gratia Dei » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 22).

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elle afin que, touchée par la délectation, purifiée par la foi, redressée par l’espérance, enflammée par la charité, elle reçût une servitude libérale et perdît sa liberté servile116. »

Toute la théorisation augustinienne de la gratia Christi et de l’opposition entre le fidèle chrétien et celui que n’a pas encore touché la foi du Christ se retrouve ainsi formulée dans cette distinction entre la dépendance imposée par la seruilis libertas qui est encore celle des païens et la générosité de la liberalis seruitus accordée par Dieu aux hommes par l’intermédiaire du Christ117. Dès lors, l’être humain, qu’il soit présenté comme un malade ayant besoin d’un médecin ou comme un prisonnier attendant un libérateur118, éprouve la nécessité, pour rendre de nouveau efficaces les moyens que Dieu lui a procurés lors de la Création, non seulement d’être racheté par le Christ, mais même de recevoir sans cesse une nouvelle aide, quotidienne, elle aussi imputable à Dieu. 116 C. coll., 18, 3 : « Nisi donata essent nobis, non inuenirentur in nobis, et quod liberum arbitrium naturaliter homini inditum maneat in natura, sed qualitate et conditione mutata per Mediatorem Dei et hominum, hominem Christum Iesum, qui ipsam uoluntatem ab eo quod peruerse uolebat auertit et in id quod ei bonum esset uelle conuertit, ut delectatione affecta, fide mundata, spe erecta, caritate accensa, liberalem susciperet seruitutem et seruilem amitteret libertatem » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 70-71). 117 Cf. aussi c. coll., 9, 5 : « Nemo autem seruit, nisi cum aliqua libertate, et nemo liber est, nisi cum aliqua seruitute » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 35) — « Nul n’est esclave, si ce n’est avec quelque liberté, et personne n’est libre, si ce n’est avec quelque servitude […]. Il est clair qu’on a pu entrer en possession de la mauvaise liberté par une défaillance de la volonté humaine, mais qu’on n’a pas pu recevoir la bonne liberté sans l’aide du libérateur. » 118 On trouve ces deux images concurremment sous la plume de Prosper : pour la figure du malade qui a besoin de l’intervention du Christus medicus, comparer c. coll., 4, 1 et 19, 4, où Prosper fait l’exégèse de la métaphore utilisée par Cassien (« quasi medicus noster non etiam hoc donet morbidis, ut ueram desiderent sanitatem » ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 73) et sa propre utilisation du topos en Peri akharistôn, 595-596 : « Quid mirum rabido si corde freneticus aeger / morbum amat et pellit medicum ? » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 78), où l’homme est présenté comme un malade frénétique qui a un besoin urgent de remède, tout comme en c. coll., 6 : « qui his reformationibus se non putant indigere de ueteris morbi consuetudine in phrenesim transierunt : respuunt remedium, clamant, insaniunt, reluctantur […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 22-23). L’image de la prison, que l’on retrouve en Peri akharistôn, 667-671 : « Quid vero exemptus squalenti carcere pulset / […] » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 82), sera également familière à Fauste de Riez : voir KASPER, Theologie und Askese, pp. 115-117.

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Tout bien tire son commencement de Dieu Déjà dans le Peri akharistôn, Prosper posait comme objet principal de son entreprise polémique le traitement de la question de l’initium fidei — ce qu’attestent les tout premiers vers du poème, dans lesquels le poète annonce que son propos est d’expliquer « D’où la sainte volonté tire son origine, d’où vient que les âmes ont en elles la piété, d’où vient qu’elles ont la foi […]119 »

Pour répliquer aux diverses revendications faites par Cassien au cours de la Collatio XIII dans le but de souligner la valeur occasionnelle de la volonté humaine, Prosper se contente invariablement de produire aux yeux de son adversaire l’assertion que celui-ci a exprimée au début de son livre120 et qui se fonde sur le témoignage de l’Épître de Jacques : « Toute donation bonne, tout don parfait vient d’en haut, descend du Père des lumières121. » Rien, ajoute Prosper, ne doit être formulé de contradictoire avec ce principe premier122. On comprend d’autant plus cet impératif que Iac. 1, 17 est un verset particulièrement connoté dans un pareil contexte controversial, puisque c’est celui par lequel Augustin avait naguère fermé la bouche aux pélagiens123. 119 Peri akharistôn, I-II : « Vnde uoluntatis sanctae subsistat origo, / unde animis pietas insit et unde fides […] » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 42). 120 Le passage de la coll. 13, 3, 5 reconnu comme « catholique » par Prosper en c. coll., 2, 2, est en effet reproduit près d’une dizaine de fois dans le corps de l’ouvrage, en c. coll., 2, 5 ; 3, 2 ; 4, 2 ; 8, 3 ; 12, 1 ; 14, 2 ; 18, 1. Sur la dimension polémique de ces multiples citations, voir le chap. 4, pp. 173-175. 121 Iac. 1, 17. Sur ce verset, voir le chapitre précédent, p. 174. 122 Cf. c. coll., 4, 2 : « Cui nequaquam inferri contraria debuerunt, ut, quod recte professus es ex gratia incipere, id postea confirmares per naturae bonum et per liberum arbitrium nos habere » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 85) — « Il n’aurait rien fallu produire de contraire à cette phrase ; ce à quoi tu avais reconnu avec justesse la grâce pour commencement, tu n’aurais pas dû affirmer ensuite que nous l’avons par le bien de la nature et par notre libre arbitre. » 123 Cf., notamment, Augustin, epist. 214, 4, où il évoque à l’adresse de Valentin sa réfutation des thèses pélagiennes en epist. 194 : « J’ai, dans la lettre qui vous est parvenue, établi par des témoignages des saintes Écritures — vous pouvez les y examiner — que nous n’aurions jamais pu ni bien agir, ni prier religieusement, ni croire d’une foi droite si tout cela ne nous avait été donné par celui dont l’apôtre Jacques dit : Tout don excellent et toute donation parfaite vient d’en haut, descend du

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Prosper ne semble pourtant pas totalement rejeter la force du libre arbitre. Dans un des rares passages où il indique expressément quelle est la conception qu’il se fait du problème (« et nos dicimus »), il écrit à ce propos : « Nous aussi, nous disons que c’est le libre arbitre qui a éprouvé, par l’opération de la grâce, un sentiment de bonne volonté et le commencement de la foi, afin que ce soit par ce qui lui a été accordé sans aucun mérite préalable qu’il mérite ce qui a été promis à celui qui les mettrait en œuvre, puisque toujours il réclame de pouvoir réaliser la moindre bonne action à celui qui déclare : “Sans moi vous ne pouvez rien faire”124. »

On remarque bien que, s’il ne nie certes pas la puissance de la liberté dans la conception d’une volonté bonne, Prosper a soin de la replacer dans le cadre de la grâce générale et qu’en définitive, dans le commencement de la bonne volonté et de la foi, c’est Dieu qui conserve la seule initiative. Aussi bien le libre arbitre de l’homme n’est-il jamais reconnu comme responsable du moindre commencement d’action sainte, à moins que, comme ici, l’action surnaturelle de la grâce ne soit mentionnée comme le véritable moteur agissant à travers l’homme125. Les bonnes actions réalisées par ceux qui n’ont pas reçu la grâce du Christ — à savoir les païens — ne peuvent même pas être appelées vertus : Prosper va jusqu’à les considérer Père des lumières. Que personne donc ne dise que c’est aux mérites de ses œuvres, ou aux mérites de ses prières, ou aux mérites de sa foi, qu’il doit d’avoir reçu la grâce de Dieu. » (trad. CHÉNÉ, BA, 24, p. 57). 124 C. coll., 14, 1 : « Et nos liberum arbitrium ideo dicimus bonae uoluntatis affectum fideique principium operante gratia concepisse, ut per haec quae illi nullo merito praeeunte donata sunt, ea quae operaturo sunt promissa mereatur, ab illo semper petens posse aliquid boni facere qui ait : Sine me nihil potestis facere » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 53). 125 On notera la pratique significative, dans les cas concernés, de l’ajout de formules (par exemple à l’ablatif absolu) indiquant l’intervention de la grâce ; cf., par exemple, c. coll., 22 : « nobis Deo adiuuante sit studium » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 85), etc. Ce procédé, qui n’apparaît pas, bien sûr, à l’occasion de la controverse provençale, semble cependant s’être imposé comme une nécessité pour qui a voulu ensuite faire état de quelconques mérites humains, comme c’est le cas dans l’hagiographie provençale des Ve et VIe siècles : voir là-dessus DELMULLE, « Polémique doctrinale », p. 51, n. 23, et pp. 55-56.

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comme des vices et même des péchés126. Pour souligner, de surcroît, à quel point la pensée qu’il défend se démarque de celle des pélagiens — tout en confondant ses adversaires avec ces derniers —, non seulement Prosper rejette l’idée d’une grâce octroyée post merita, mais va même plus loin, dans la suite de la phrase, en retournant l’expression afin de retrouver ici la conception augustinienne d’une prédestination ante merita praeuisa127. Mais le don initial de la foi a besoin d’être entretenu par la pratique d’une vie sainte, qui elle-même nécessite encore l’aide quotidienne de Dieu, par le biais d’une grâce intérieure. Il est donc entendu également que l’action de la grâce divine ne se limite pas à une simple « inspiration » ou à une initiation de mouvement saint ou louable 128. Comme l’exprime 126

À propos, notamment des savants de l’Antiquité profane ; cf. c. coll., 10, 3 : « Quae tamen etiamsi excellentissimis artibus et cunctis mortalibus eruditionis polleat disciplinis iustificari ex se non potest » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 37), et 12, 4 : « quantum Graeciae scholae, quantum Romana eloquentia et totius mundi inquisitio circa inueniendum summum bonum acerrimis studiis, excellentissimis ingeniis laborando nihil egerint […] » (ibid., p. 44) — à comparer avec Peri akharistôn, 401406 : « Et licet eximias studeat pollere per artes / ingeniumque bonum generosis moribus ornet […] » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 66). C’est encore pousser au-delà des limites qu’elle s’était imposées la pensée augustinienne. Si Augustin, certes, ne refuse pas d’utiliser les mêmes termes, c’est uniquement en leur conférant une signification adoucie qui réussisse à rendre compte de la nature déchue des descendants d’Adam ; voir J. WANG TCH’ANG-TCHE, Saint Augustin et les vertus des païens, G. Beauchesne et fils, Paris 1938 (Études de théologie historique), p. 128 ; sur les positions « extrêmes » de Prosper, voir CUTINO, « Prosper and the Pagans », en particulier pp. 262-263. 127 La question des rapports entre prescience et prédestination est des plus délicates, concernant spécialement la dernière phase de l’enseignement doctrinal d’Augustin contre les Hadrumétins et les Provençaux. Praescientia et praedestinatio venant remplacer chez Augustin, à des niveaux divers, la prouidentia, il faut entendre par là, non plus comme chez les Pères grecs ou chez ses prédécesseurs, une connaissance anticipée de Dieu des mérites ou des démérites de l’homme, mais le savoir des dons ou des actions que Dieu lui-même fera pour l’homme. Voir, au sujet de cette prédestination ante merita praeuisa, OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 330-334, qui cite (p. 331, n. 144) F. CAYRÉ, Précis de patrologie et d’histoire de la théologie, t. 1, Société de S. Jean l’Évangéliste – Desclée, Paris – Tournai – Rome 1931, p. 671 : « Augustin a moins en vue la prévision des mérites que la prescience des dons qu’il a décidé d’accorder aux hommes pour leur salut. » 128 Cf. c. coll., 14, 2 : « Qui enim definieras neque sanctarum cogitationum neque piarum uoluntatum neque bonorum actuum ex nobis esse principia, sed inspiratione Dei gratiaeque eius auxilio bona in nobis cuncta generari et ad profectum perfectionemque perduci […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 85) — « Car toi qui avais affirmé que ni

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bien le texte, expressément admis par Prosper, de la première definitio cassianienne, c’est Dieu « qui et incipit quae bona sunt et exsequitur et consummat in nobis129 ». Prosper reformule à l’envi cette idée du don de la persévérance 130, afin de mieux contredire la conception d’une coopération entre Dieu et l’homme telle que la défend Cassien. Selon lui, il ne peut y avoir chez l’homme, naturellement, la moindre volonté de croire131. Sans refuser pourtant à la volonté de l’individu un rôle quelconque dans la recherche d’une vie droite et dans le parcours qui mènera l’homme à la perfection et au salut, Prosper résout le problème de la répartition des initiatives en subordonnant cette volonté de l’homme à celle de son Créateur : Dieu seul confère le désir de croire, présente l’opportunité d’adhérer à la foi qu’il propose et donne à l’homme les moyens d’exercer son choix132. En forçant encore les traits de ce résumé hâtif, on retrouverait le point de départ de la querelle entre Pélage et Augustin : d’une certaine manière, le discours de Prosper est resté conforme au « Da quod iubes... » emblématique du début de l’enseignement pélagien133. Mais si les doctores Gallicani, à la les saintes pensées, ni les pieuses volontés, ni les bonnes actions ne tirent leur principe de nous-mêmes, mais que c’est par l’inspiration de Dieu et le secours de sa grâce que tous les biens sont engendrés en nous et conduits tout du long jusqu’à leur progrès et à leur accomplissement […]. » 129 Comme l’exprimait Cassien en prenant appui sur la citation de Jacques ; voir supra, p. 271 et nn. 119-122. 130 Dans la droite ligne de la pensée d’Augustin, dont le dernier traité, précisément destiné à Prosper pour contrecarrer les mécompréhensions des Provençaux, a pour objet principal De dono perseuerantiae. L’argument entrevu par Prosper, qui sera étudié maintenant, de la prière chrétienne est lui-même directement hérité d’Augustin, De dono perseuerantiae, 2, 3, mais n’avait alors pour but que de prouver, par l’exemple de l’action même de la prière, que la persévérance demandée ne peut être qu’un don : « Pourquoi demander à Dieu cette persévérance si elle n’est pas un don de Dieu ? » (trad. CHÉNÉ, BA, 24, p. 607). Voir aussi OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 169-175. 131 Voir, entre autres exemples, la formulation particulièrement nette de l’epist. 2, 6 : « Quae omnia cum sint incommutabilia, et nequeant ulla interpretatione in sensum alium detorqueri, quis ambigat tunc liberum arbitrium cohortationi uocantis obedire, cum in illo gratia Dei affectum credendi obediendique generauerit ? » (PL, 51, col. 81A). 132 À comparer avec le passage d’epist. 2 cité dans la note précédente, c. coll., 3, 1 (qui se rapporte à la Loi) : « Notum facit mandatum, sed obediendi non praestat affectum, nisi quod est occidens per imperium litterae fiat uiuificans per spiritum gratiae » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 14). 133 Voir là-dessus le début du chap. 1, p. 6 et n. 15.

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différence des anciens adversaires d’Augustin, ne doutent aucunement de l’extrême nécessité d’une assistance divine dans la progression spirituelle et l’accomplissement du bien, il reste cependant un point de désaccord, d’autant plus grave qu’il remet en question la raison d’être même de la vie de prière choisie par les moines.

Prière et conversion Le questionnement relatif au poids qui revient à l’initiative humaine, bien loin d’être pure abstraction intellectuelle, s’enracine, de fait, profondément dans la vie de chaque fidèle, et a fortiori dans celle du moine134. C’est pourquoi, dans les écrits de Cassien comme dans la réponse de Prosper, il est souvent fait mention du verset de Matth. 7, 7-8 évoquant « ceux qui demandent, ceux qui cherchent, ceux qui frappent135 ». Appliquée à la vie chrétienne, et spécialement au milieu dont émanent les revendications antiaugustiniennes, cette triade convient tout particulièrement à l’attitude insistante du fidèle adressant une prière à Dieu. Telle est bien d’ailleurs l’interprétation qu’en fait Prosper lui-même, à qui il arrive de gloser le premier terme par « supplex oratio136 ». Car s’il est un exemple apparemment indiscutable, dans la pratique, de la réalité de l’initiative humaine, c’est bien la situation de prière qui le fournit, puisque cette dernière constitue alors la manifestation d’un élan humain vers la puissance divine, en même temps que de la reconnaissance 134

C’est d’ailleurs à propos de la prière du moine que Cassien développe le plus nettement sa théorie de la coopération entre la grâce divine et la volonté humaine. Cf. en particulier Jean Cassien, coll. 9, 2 ; voir aussi WEAVER, Divine Grace and Human Agency, pp. 101-102. 135 Cf. c. coll., 2, 5 : « Quod in petentibus, quaerentibus pulsantibusque miraris, cur non eidem gratiae, quae desideratur, ascribis ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 12) ; voir aussi c. coll., 2, 4 ; 3, 1 ; 4, 2 (ibid., pp. 10-11, 13 et 16). Rappelons que ce verset, utilisé aux mêmes fins par Julien d’Éclane, avait déjà fait l’objet de nombreuses objections de la part d’Augustin dans son Contra Iulianum (cf., notamment 4, 8, 42 ; PL, 44, coll. 759-760). Sur l’interprétation qu’Augustin réserve au verset matthéen, voir désormais M. PAULIAT, « “Quaerite, et inuenietis”. Recherches sur l’exégèse augustinienne de Matth. 7, 7 », in BERNARD-VALETTE – DELMULLE – GERZAGUET (éd.), Nihil veritas erubescit, pp. [73]-87. 136 C. coll., 2, 5 : « At ubi supplex oratio, ubi diligens inquisitio, ubi apparet crebra pulsatio, […] » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 12).

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par l’homme de sa finitude et de sa faiblesse, et partant de la nécessité qu’il éprouve de recevoir l’assistance d’une grâce actuelle137. Pourtant, même pour ce cas de figure précis, la pensée ascétique de Cassien se heurte à une condamnation virulente de Prosper. Certes, au cours de son explication, l’auteur du Contra collatorem tire argument d’une observation pratique, qui est que « chaque jour l’Église prie pour ses ennemis138 ». Mais plutôt que d’y voir la preuve d’une initiative humaine, Prosper, en parlant d’Ecclesia, relie très directement cette activité de prière à un commandement divin : « N’est-ce pas pour obéir à l’Esprit de Dieu qu’elle le fait ? », poursuit-il139. Ainsi prouve-t-il encore, à travers un exemple aisément vérifiable et qui tire sa légitimité de l’antiquité de cette pratique ecclésiale, le bien-fondé de la première proposition qu’il ne cesse de défendre : s’il est besoin de prier pour les non-croyants — c’est-àdire pour que les non-croyants deviennent croyants —, c’est que seul Dieu peut provoquer la conversion140. 137 C’est-à-dire celle de la persévérance. À dire le vrai, et bien que le traité qu’Augustin leur a opposé traite principalement du « don de la persévérance », celui-ci n’était pas du tout remis en question par les Provençaux : c’est simplement la conception qu’ils s’en faisaient qui différait de celle d’Augustin, les Provençaux pensant pouvoir reconnaître dans la demande de ce don de persévérance, comme dans celle de la justification une initiative toute naturelle. Voir les explications données, à partir de la lettre d’Hilaire (= Augustin, epist. 226), 4 et 6, par J. CHÉNÉ, « En quoi les semipélagiens erraient-ils au sujet de la persévérance », note complémentaire n° 19, in CHÉNÉ – PINTARD (éd.), Aux moines d’Adrumète, pp. 810-812. 138 C. coll., 12, 3. Voir la citation entière dans la note suivante. 139 C. coll., 12, 3 : « Aut quod quotidie pro inimicis suis orat, id est pro his qui necdum Deo crediderunt, numquid non ex Spiritu Dei facit ? » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 43). 140 On pourrait trouver déjà dans ce passage du Contra collatorem les prémices d’une idée appelée à être reformulée en Auctoritates, 8, et dont la fortune a été très grande. Plutôt que la valeur liturgique de cette formule, qui a fait longtemps débat, il faut souligner son rapport immédiat avec les questions de la grâce et du salut, et spécialement de l’affrontement avec les thèses provençales sur l’initium fidei ; cf. Auctoritates, 8 : « Praeter beatissimae et Apostolicae sedis inviolabiles sanctiones, quibus nos piissimi Patres pestiferae nouitatis elatione deiecta et bonae uoluntatis exordia et incrementa probabilium studiorum et in eis usque in finem perseuerantiam ad Christi gratiam referre docuerunt, obsecrationum quoque sacerdotalium sacramenta respiciamus quae ab apostolis tradita, in toto mundo atque in omni catholica Ecclesia uniformiter celebrantur, ut legem credendi lex statuat supplicandi » (PL, 51, col. 209C). Voir, en ce sens, K. FEDERER, Liturgie und

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La conversion est précisément l’une des questions centrales du traité. Pour répondre au passage de la Collatio XIII où Cassien a cherché à opposer deux à deux quatre exemples bibliques de conversion afin d’en déduire l’existence de deux modes opératoires d’acquisition de la foi141, Prosper développe à son tour une exégèse de la uocatio de Matthieu, de Zachée, du bon larron et de Paul en c. coll., 7, 1-3. Doutant de la logique du raisonnement de Cassien qui observe des différences dans le comportement de ces convertis142, il préfère scruter, dans le premier mouvement de la foi, comment se réalise l’« attraction » vers la foi, pour démontrer que, la grâce de Dieu étant toute-puissante et capable, à l’évidence, du plus difficile (convertir ceux qui lui résistent), il n’y a aucune raison pour qu’elle n’agisse pas également lorsque la situation est plus facile (dans la conversion que Cassien juge spontanée). Dans la mesure où il ne saurait y avoir de diversité dans la grâce, c’est, comme le Glaube : Legem credendi lex statuat supplicandi (Tiro Prosper von Aquitanien), eine theologiegeschichtliche Untersuchung, Paulusverlag, Freiburg in der Schweiz 1950 (Paradosis. Beiträge zur Geschicht der altchristlichen Literatur und Theologie, 4), pp. 15-16, et les différentes études de P. DE CLERK, « La prière universelle, expression de la foi », in A.M. TRIACCA – A. PISTOIA (éd.), La liturgie, expression de la foi. Conférences Saint-Serge, XXVe semaine d’études liturgiques (Paris, 2730 juin 1978), Ed. liturgiche, Roma 1979 (Bibliotheca ephemerides liturgicae. Subsidia, 16), pp. 129-146, « Lex orandi, lex credendi : Sens originel et avatars historiques d’un adage équivoque », Questions liturgiques, 59/4 (1978) [193]212 et « Lex orandi, Lex credendi. Un principe heuristique », La Maison-Dieu, 222 Autorité de la liturgie (2000) [61]-78, qui insiste bien sur les liens étroits qui unissent cette supplicatio au verset d’I Tim. 2, 4. 141 Voir supra, p. 256, et se reporter, pour la place de cet argument au sein de la réfutation de la cinquième « proposition », à c. coll., 7 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 23-26). 142 Cf. c. coll., 7, 2 : « Quasi ubi dura infidelitas Deo subditur et Euangelio, quod diu impugnauit, repente succumbit, ibi mutationem hominis dextera operetur Excelsi, ubi autem tranquillam cohortationem solumue rumorem sine haesitatione diffidentiae docilis auditor amplectitur, bonum talis conuersionis humanae sit tantummodo uoluntatis » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 24). — « Comme si, lorsqu’une mauvaise foi endurcie se soumet à Dieu et succombe soudain à l’Évangile, qu’elle avait longtemps combattu, c’était dans ce cas la droite du Très-Haut qui opérât ce changement chez l’homme, mais que, lorsqu’un auditeur docile accueille à bras ouverts une calme exhortation ou une simple rumeur, sans être freiné par son manque de foi, ce fût uniquement à la volonté humaine que revenait le bien d’une telle conversion ».

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prouvent de nombreux passages scripturaires convoqués à cette occasion, le Père qui invariablement, par la médiation du Fils, attire à lui chaque homme en l’appelant143. C’est ainsi que, même dans la prière, le fidèle, qui a déjà été converti, n’accomplit rien d’autre que ce que Dieu lui a commandé ; bien plus, c’est Dieu lui-même qui, à travers sa grâce, agit en l’homme dans son activité de prière. Prosper l’exprime clairement lorsque, à la fin du traité il cherche à montrer que soutenir la nécessité et la toute-puissance de la volonté divine n’a pas pour corollaire inévitable et immédiat la suppression pure et simple du libre arbitre. Il écrit en effet : « C’est parce que nous le voulons que nous prions, et cependant Dieu a envoyé l’Esprit crier dans nos cœurs : “Abba, Père !” C’est parce que nous le voulons que nous parlons, et cependant, si ce que nous disons est pieux, ce n’est pas nous qui parlons, mais l’Esprit de notre Père qui parle en nous144. »

Telle est, dans le droit fil de l’enseignement paulinien145, la seule conciliation que Prosper reconnaisse entre la grâce de Dieu et la liberté 143

Voir la suite de c. coll., 7, 2 (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 24-25), dans laquelle Prosper énumère six modalités différentes de l’« attraction » vers le Père pour développer Ioh. 6, 44. Sur la place de ce verset dans le développement de la doctrine de la grâce (dès avant la querelle pélagienne), voir I. BOCHET, « L’exégèse de Jn 6, 44 et la théologie augustinienne de la grâce : la 26ème Homélie sur l’Évangile de Jean et le Sermon 131 », in DUPONT – PARTOENS – LAMBERIGTS (éd.), Tractatio Scripturarum, pp. [117]-152 ; pour une étude de cet aspect de la théologie de la grâce dans le contexte de la controverse provençale, on se reportera à J. AMENGUAL I BATLE, La atracción del Padre y la fe en Cristo, Mensajero, Bilbao 1973 (Excerpta dissertationis ad Lauream Facultatis Theologiae Pontificiae Universitatis Gregorianae, Romae), pp. [126]-140, et sur ce passage en particulier, pp. 135-139. 144 C. coll., 18, 3 : « Volentes oramus, et tamen misit Deus Spiritum in corda nostra clamantem : ‘Abba, Pater’. Volentes loquimur, et tamen, si pium est quod loquimur, non sumus nos loquentes, sed Spiritus Patris nostri qui loquitur in nobis. » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 54). 145 Dans le passage cité précédemment (c. coll., 18, 3), ce sont essentiellement des versets pauliniens qui sont convoqués par Prosper pour souligner le rôle de la grâce, à travers l’intervention de l’Esprit de Dieu : Gal. 4, 6, Phil. 2, 3 et Rom. 5, 5. Notons toutefois que, pour paulinien qu’il soit, le présent raisonnement doit surtout beaucoup à Augustin : cf. en particulier De correptione et gratia, 15, 47. Sur les rapports étroits entretenus par Prosper avec Augustin, dans ce passage du Contra

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de l’homme : celle d’une parfaite soumission, qui doit être vue, selon lui, comme l’acceptation d’un don parfait. Pour résumer, les positions déployées par Prosper dans le Contra collatorem — mais que l’on retrouverait inchangées dans ses œuvres composées à la même époque — respectent dans ses grandes lignes la doctrine établie par Augustin146. Posant comme point de départ la faute originelle d’Adam et sa transmission à l’espèce humaine, il soutient que, du fait de l’affaiblissement du libre arbitre dans la nature humaine, tout individu peut accomplir le bien, mais uniquement par le soutien de la grâce, qui seule rend efficace toute action entreprise. La grâce, également responsable du mouvement initial de l’homme vers Dieu, n’est cependant pas accordée à tous, mais à une partie seulement de l’humanité, sans qu’il faille voir là la moindre injustice : la grâce étant un don gratuit de Dieu, c’est le fait qu’elle est donnée qui doit être regardé comme une marque extrême de bonté et provoquer l’action de grâces, tandis que l’absence de don n’est, en toute rigueur, que justice147. collatorem comme dans le reste de son œuvre (et surtout dans le De uocatione omnium gentium), sur la question précise du rôle de l’Esprit saint dans la théologie, voir l’étude de Th.L. HUMPHRIES Jr., « Prosper’s Pneumatology: The Development of an Augustinian », in HWANG – MATZ – CASIDAY (éd.), Grace for Grace, pp. 97-113, qui définit le Contra collatorem comme un « moment de transition » (pp. 107-110) et dont on peut déjà trouver une esquisse in ID., Ascetic Pneumatology from John Cassian to Gregory the Great, Oxford University Press, Oxford 2013 (Oxford Early Christian Studies), qui consacre un chapitre « Led by the Spirit: Augustinian Responses to Pelagianism and Predestination » (pp. [71]98) à la pensée de Prosper sur la question (voir surtout pp. 84-85), que l’on peut comparer avec la conception développée dans les œuvres de Cassien (ibid., pp. [1]-54). 146 Voir, pour compléter les lignes qui suivent, le clair résumé de la théologie de Prosper que donne VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, pp. 372-373. On notera toutefois que Prosper s’écarte de l’enseignement d’Augustin principalement en deux points : il ne reprend pas à son compte la distinction établie par Augustin entre adiutorium sine quo non et adiutorium quo (voir supra, pp. 268-269, n. 112), et il durcit la position d’Augustin au sujet des vertus des païens (voir supra, pp. 272-273 et n. 126). 147 Cf. par exemple c. coll., 12, 3 : « Nec est iniquitas apud Deum, qui saepe postulata non tribuit, quae postulare donauit » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 43) — « Mais il n’y a pas d’iniquité chez Dieu, lorsqu’il n’accorde pas, alors qu’on l’a fréquemment réclamé, ce qu’il a donné de réclamer. »

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3. Prédestination et volonté salvifique universelle Indissociable de cette première question, qui met en évidence l’unique responsabilité de la grâce dans tous les mérites de l’homme et sa nécessité, même pour parvenir au commencement de la foi, une autre interrogation se pose, qui est déjà présente dans le discours de Cassien. Si Dieu n’accorde pas sa grâce à tous, et que donc tous ne soient pas préparés par lui pour être sauvés, comment comprendre les raisons de cette discrimination ? Seraitce que Dieu, qui est foncièrement bon et veut le bien de l’humanité, a la volonté de sauver tous les hommes, mais que, certains lui résistant, il en est empêché ? Ou serait-ce que Dieu, qui est aussi tout-puissant, ne sauve pas tous les hommes parce qu’il ne veut pas les sauver tous ? Ainsi s’opposent les conceptions de Cassien et d’Augustin148. Sur ce point, quoiqu’il prenne le parti de l’évêque d’Hippone, Prosper semble marquer un premier pas vers une pensée moins dépendante de celle de son maître, plus originale149 et qu’on a pu définir comme « une mise en veilleuse de la prédestination150 ». La question de la prédestination : un problème éludé ? On s’est beaucoup interrogé sur l’absence remarquable de la question de la prédestination dans le Contra collatorem151. Pour la première fois, en effet, depuis le début de l’implication de Prosper dans la controverse, 148

Pour une synthèse de chacune de ces deux conceptions de la volonté salvifique, voir CHÉNÉ, « Comment les “spirituels” marseillais », d’un côté, et de l’autre A. M. JACQUIN, « La prédestination d’après saint Augustin », in Miscellanea Agostiniana. Testi e studi pubblicati a cura dell’Ordine eremitano di S. Agostino nel XV Centenario dalla morte del santo dottore, vol. 2 : Studi agostiniani, Tipografia poliglotta vaticana, Roma 1931, pp. [853]-878, A. SAGE, « La volonté salvifique universelle de Dieu dans la pensée de saint Augustin », Recherches augustiniennes, 3 (1965) 107-131, et OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 376-402. 149 CAPPUYNS, « Le premier représentant », pp. 318-326, définit ainsi la période de la carrière de Prosper qui suit immédiatement la mort d’Augustin. 150 Selon l’expression de SOLIGNAC, « Prosper d’Aquitaine », col. 2453. 151 On se reportera surtout aux études de CAPPUYNS, « Le premier représentant », pp. 322, et de PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina, pp. 105-111 (voir plus spécialement la n. 1 p. 106, dans laquelle l’auteur prend position contre l’hypothèse de Maïeul Cappuyns). Voir également la remarque de HWANG, Intrepid Lover, p. 165 : « The discussion of predestination is uncharacteristically absent. »

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le terme est totalement absent du traité, tout comme les mots qui lui sont généralement associés152. On pourra, certes, objecter qu’il ne se trouve pas non plus dans le texte de Cassien, et que donc le silence de Prosper doit avant tout s’expliquer par le fait que là n’est pas l’objet du débat. Que praedestinatio, praedestinare ou praedestinatus soient des termes très récurrents dans chacune des autres œuvres de Prosper153 n’est pas non plus une raison suffisante qui légitimerait qu’on fasse grand cas de cette absence, au point de voir dans cet argument e silentio une preuve tangible de l’éloignement progressif de Prosper vis-à-vis de son maître154. Ce n’est que dans les Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium et les Responsiones ad capitula obiectionum Vincentianarum que Prosper semble, pour la première fois, supposer l’existence d’une prédestination à la damnation155 de ceux dont Dieu, dans sa prescience, saurait qu’ils seraient conduits au mal156. 152 Voir JACQUIN, « La question de la prédestination » [III]. Les nombreux mots formés à partir d’un préfixe du type prae- et utilisés par Prosper dans le traité ne visent qu’à déterminer l’ordre de préséance, dans l’acquisition du salut ou dans la production d’une idée ou d’une action bonne, de l’intervention divine et de l’initiative humaine. 153 Hormis dans le Peri akharistôn ; mais cette absence est alors exclusivement dictée par les règles métriques, et la prédestination peut apparaître, par exemple, par le biais du vocabulaire de l’élection : cf. Peri akharistôn, 712 : « Sic quando electum ex cunctis populum Deus unum » (éd. HUEGELMEYER, PS, 95, p. 86). Pour l’usage de praedestinatio dans les autres œuvres, voir V. GROSSI, « Il termine “praedestinatio” tra il 420-435 : dalla linea agostiniana dei “salvati” a quella di “salvati e dannati” », in Miscellanea di studi agostiniani in onore di P. Agostino Trapè = Augustinianum, 25/12 (1985) [27]-64, en particulier pp. 51-58 ; le fait que le Contra collatorem ne fasse l’objet d’aucune mention est, à cet égard, encore très significatif. 154 Voir par exemple CAPPUYNS, « Le premier représentant », p. 322, suivi en cela par PLINVAL, « Prosper d’Aquitaine interprète », pp. 353-355. Sur la place à accorder au Contra collatorem dans la réflexion de Prosper sur la prédestination, voir JACQUIN, « La question de la prédestination » [III], pp. 294-297. 155 Déjà présente chez Augustin, la notion de « double prédestination » y reste cependant très marginale : voir OGLIARI, Gratia et certamen, chap. 4 « The Vexata Quaestio of Predestination », pp. [303]-402, et la dernière mise au point de V.H. DRECOLL, « Praedestinatio », Augustinus-Lexikon, t. 4/5-6, coll. 826-837 (coll. 834-835). 156 Cf. resp. ad Gall., 1, 2, resp. : « Quod quia Dei praescientiam nec latuit, nec fefellit, sine dubio talem numquam elegit, numquam praedestinauit, et periturum numquam ab aeterna perditione discreuit » (PL, 51, col. 158B), et resp. ad Vinc., 12, resp. : « Et quia praesciti sunt casuri, non sunt praedestinati » (PL, 51, col. 184A).

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Seulement, Prosper a beau avoir déjà traité le débat ailleurs et le juger clos, il n’en reste pas moins que la Collatio XIII remet de nouveau en question — et en des termes moins voilés — les modalités qui s’appliquent dans l’octroi du salut aux hommes. Comme Augustin, Prosper aborde le sujet de la façon la plus précautionneuse qui soit, se réfugiant derrière le mystère intrinsèque de la discretio divine157. Ainsi, en c. coll., 13, 6 est reproduit un argument devenu classique depuis la polémique antipélagienne, par lequel Prosper tient à refuser la moindre place à la volonté humaine dans l’acquisition du salut, en recourant à l’exemple des enfants qui, baptisés ou non et sans qu’ils soient encore capables de se servir de leur libre arbitre, sont pour les uns sauvés, pour les autres non, tout comme c’est le cas des idiots qui sont sauvés même sans disposer, eux non plus, du moindre libre arbitre158. C’est bien reconnaître, à mots couverts, que seule Il s’agit, bien sûr, non pas d’une prédestination au mal, mais d’une prédestination à la damnation, juste récompense des maux (reprobatio post praeuisa demerita) : voir G.G. MOST, Novum tentamen ad solutionem de Gratia et Prædestinatione, Editiones Paulinae, [Romae] 1963 (Theologica, 18), n° 212, pp. 215-216. On notera le glissement qui fait que la prédestination est désormais plutôt fondée sur la prescience, qui a pour effet d’accorder une place relative à la liberté de l’homme ; Prosper rejoint ainsi sur un point les revendications de ses adversaires, qui défendaient cette opinion (sur ce dernier point, voir RONDET, Gratia Christi, chap. 8 : « Le système augustinien. Prescience et prédestination », pp. 131-143). Voir, à propos de ces premiers écarts, HWANG, Intrepid Lover, pp. 175-179 et 198, et surtout PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina, pp. 8390 ; sur son évolution ultérieure et sa possible influence sur la théologie de Léon le Grand, voir Ph.L. BARCLIFT, « Predestination and Divine Foreknowledge in the Sermons of Pope Leo the Great », Church History, 62/1 (1993) 5-21. 157 Comparer avec ce que Prosper écrivait déjà en epist. 2, 14 : « Quae autem sit discretionis istius in secreto consilio Dei causa uel ratio, et supra facultatem humanae cognitionis inquiritur, et sine fidei diminutione nescitur » (PL, 51, col. 85B) ou en resp. ad Gall., 1, 8, resp. : « Impenetrabilis iudiciorum Dei altitudo pulsatur » (PL, 51, col. 162B). 158 C. coll., 13, 6 : « […] hoc quod ait manere in homine liberum semper arbitrium ex aliqua parte on constat, si quidem multa millia infantium in regnum Dei assumptorum aut a regno Dei extraneorum sine ullius suae uoluntatis arbitrio gratiam Dei aut accipiant aut amittant multique excordes ad omnia prorsus et fatui per sacramentum regenerationis ab aeternae mortis uinculis eruantur » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 43-44) — « […] le fait qu’il [Cassien] dit aussi que le libre arbitre demeure toujours en l’homme ne tient pas, d’un certain côté, puisque des milliers et des milliers d’enfants, admis dans le royaume de Dieu ou étrangers au royaume de Dieu, sans disposer du moindre libre arbitre de leur volonté, reçoivent ou perdent la grâce de Dieu et que bien des gens écervelés et parfaitement stupides sont arrachés par le sacrement de la régénération aux

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la décision de Dieu explique la disparité entre les élus et les réprouvés. Par conséquent, il reste évident, à l’examen de l’ensemble du traité, que, sans pourtant être nommée, la théorie de la prédestination, telle que Prosper l’a directement héritée de la pensée d’Augustin, est « supposée », prise comme soubassement de tout le reste : insister autant, comme le fait Prosper, sur la gratuité de la grâce n’est rien d’autre que sous-entendre que, par ce don, Dieu prédestine les hommes au salut159. Le véritable problème est plutôt celui du nombre des récipiendaires. La volonté salvifique universelle de Dieu La question de l’étendue de la volonté salvifique de Dieu est sans doute l’aspect pour lequel l’œuvre de Prosper présente les traits les plus novateurs. Le problème n’est pas formulé dans le Contra collatorem aussi frontalement qu’il ne tardera pas à l’être dans les Responsiones160 ou, plus encore, dans les deux livres du De uocatione omnium gentium, auxquels il fournira leur objet principal et dans lesquels l’apport essentiel de Prosper est de poser la question du salut universel dans le temps historique161. liens de la mort éternelle. » L’association, dans ce contexte argumentatif, des enfants et des déficients mentaux remonte à Augustin (De peccatorum meritis et remissione, 1, 35, 66 et Contra Iulianum, 3, 4, 10) ; voir M. RIBREAU, « ‘Quos uulgo moriones uocant’ (Contra Iulianum III, 4, 10) : Le traitement des moriones (débiles) dans les œuvres antipélagiennes d’Augustin », in BAUN – CAMERON – EDWARDS – VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 49, pp. [335]-339 (pp. 338-339) 159 PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina, pp. 108-109. 160 Cf. en particulier les resp. ad Gall., surtout 1, 8, obi. et resp. correspondante, et resp. ad Vincent. 2. Voir à leur propos les observations de PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina, pp. 75-81 et 95-98. 161 C’est en effet essentiellement à partir de ce traité, qui accuse une nette évolution par rapport aux premières œuvres de Prosper, que la question a été abondamment étudiée. Pour aller au-delà de la thèse de PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina, notamment pp. 144-181 pour le De uocatione omnium gentium, on se reportera aux études plus spécifiquement menées par Cz.St. BARTNIK, « L’universalisme de l’histoire du salut dans le De vocatione omnium gentium », Revue d’histoire ecclésiastique, 68/3-4 (1973) 731-758, Pr. DE LETTER, « Gratia Generalis in the De vocatione omnium gentium and in St. Augustine », in E.A. LIVINGSTONE (éd.), Studia Patristica, vol. 14 : Papers presented to the Sixth International Conference on Patristic Studies held in Oxford 1971, Part III : Tertullian, Origenism, Gnostica, Cappadocian Fathers, Augustiniana, Akademie-Verlag, Berlin 1976 (TU, 117), pp. [393]-401, et enfin la deuxième partie d’ELBERTI, Prospero d’Aquitania, pp. [75]-160.

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Dans le chap. 7 de sa Collatio XIII — l’un des passages précisément « omis » par la critique de Prosper —, Cassien exposait très nettement les différences fondamentales qui séparent sa pensée de celle d’Augustin, en proposant sa propre conception du propositum Dei à l’égard du salut de l’humanité162. Contrairement à ce que l’évêque d’Hippone s’était évertué à défendre dans ses derniers traités composés pour les moines d’Hadrumète, Cassien milite, pourrait-on dire, pour que soit pleinement reconnue la force du verset paulinien de I Tim. 2, 4 : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité163. » Toute interprétation, ajoute-t-il, ou toute complication qui s’éloignerait du sens obvie de cette phrase ne se ferait pas « sine ingenti sacrilegio164 ». Cet avis, de toute évidence partagé par l’ensemble des opposants provençaux165, est en effet incompatible avec l’idée, défendue par Augustin, 162

À propos de la présence implicite d’Augustin dans ce chapitre, voir B. RAMSEY, « John Cassian Student of Augustine », Cistercian Studies Quarterly, 28 (1993) 5-15 (p. 6), qui croit aussi pouvoir distinguer la silhouette de l’évêque d’Hippone dans l’attaque de la théorie ; il est toutefois peu vraisemblable que Cassien vise ici réellement Augustin (voir HWANG, Intrepid Lover, p. 152, n. 53). 163 À propos de ce verset et de son utilisation massive — assortie d’interprétations très variées — par Augustin dans les controverses pélagienne et postpélagienne, la bibliographie est abondante : voir SAGE, « La volonté salvifique universelle » ; V. GROSSI, « L’analisi agostiniana di 1 Tim. 2, 1-9 (Ep. 149, 2, 12-17) », in E. CAMPI – L. GRANE – A.M. RITTER (éd.), Oratio. Das Gebet in patristischer und reformatorischer Sicht. Festschrift zum 65. Geburtstag von Alfred Schindler, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen 1999 (Forschungen zur Kirchen- und Dogmengeschichte, 76), pp. [73]-86 ; A.Y. HWANG, « Augustine’s Interpretations of 1 Tim. 2:4 in the Context of His Developing Views of Grace », in Fr. YOUNG – M. EDWARDS – P. PARVIS (éd.), Studia Patristica, vol. 43 : Papers presented at the Fourteenth International Conference on Patristic Studies held in Oxford 2003. Augustine. Other Latin Writers, Peeters, Leuven – Paris – Dudley (MA) 2006, pp. [137]-142, ainsi que ID., Intrepid Lover, pp. 75-78 ; R.J. TESKE, « The Augustinianism of Prosper of Aquitaine Revisited », in YOUNG – EDWARDS – PARVIS (éd.), Studia Patristica, vol. 43, pp. [491]-503 (pp. 496503), et ID., « 1 Timothy 2:4 and the Beginnings of the Massalian Controversy », in HWANG – MATZ – CASIDAY (éd.), Grace For Grace, pp. 14-34. Sur cette question, voir aussi les développements suggestifs d’OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 357-366. 164 Jean Cassien, coll. 13, 7, 2 : « C’est sa volonté qu’il ne se perde pas un seul de ces petits : peut-on bien penser dès lors, sans un sacrilège énorme, qu’il ne veuille pas le salut de tous généralement, mais seulement de quelques-uns ? » (trad. PICHERY, SC, 54, p. 156). 165 C’est un aspect de leur enseignement que Prosper signale déjà à Augustin en epist. 1, 3 ; sur ce passage, voir CHÉNÉ, « Comment les “spirituels marseillais” ».

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qu’il y aurait dans l’humanité des élus, sauvés de par la volonté de Dieu, et des réprouvés, qui ne sont pas sauvés pour la raison que Dieu ne le veut pas (sans que ce dernier veuille pour autant leur damnation). Parmi les interprétations qu’il en donne, Augustin comprend ainsi l’omnes d’I Tim. 2, 4 comme ayant une valeur restrictive, à savoir que Dieu veut que tous les hommes (qu’il veut sauver) soient sauvés166. On comprendra en quoi consiste la véritable pensée de notre auteur sur la question en interrogeant les autres œuvres, rédigées peu ou prou à la même époque, et qui se révèlent plus prolixes en la matière. C’est notamment l’exégèse du verset paulinien d’I Tim. 2, 4 qui donne l’occasion à Prosper d’énoncer sans ambages sa conception personnelle de la volonté salvifique de Dieu. En epist. 2, se conformant à l’interprétation donnée par Augustin contre Julien, Prosper s’appuyait aussi sur la même argumentation : en constatant que, dans l’histoire de l’humanité, un nombre incalculable d’hommes sont morts « sine Dei cognitione » et sans obtenir le salut167, puis en mettant directement en relation l’empêchement qu’ont dû souffrir en Bithynie les prédicateurs de la parole de Dieu et le verset de Paul168, l’auteur explique que, la toute-puissance de Dieu ne permettant pas que sa volonté 166

Augustin ne refuse pas pour autant le principe d’une volonté salvifique universelle, mais les argumentations des pélagiens l’ayant poussé dans ses retranchements, il est contraint de « malmener » le verset paulinien, afin de conserver la nécessité de la grâce du Christ (SAGE, « La volonté salvifique universelle », en particulier pp. 117 et 122). De son point de vue réelle, l’universalité de cette volonté n’est pas, en revanche, pleinement efficace : voir JACQUIN, « La prédestination d’après saint Augustin », p. 868. 167 Epist. 2, 14 : « Numquid non sunt de omnibus hominibus qui a praeteritis generationibus usque in hoc tempus sine Dei cognitione perierunt ? » (PL, 51, col. 85AB) ; voir déjà, en epist. 2, 11 : « Neque enim remotum est ab inspectione communi quot saeculis quam innumera hominum millia erroribus suis impietatibusque dimissa, sine ulla veri Dei cognitione defecerint » (ibid., col. 84A). 168 Epist. 2, 15 (PL, 51, coll. 85C-86A), où l’exemple d’Act. 16, 6-7 est associé à la figure de la pourprière de Thyatire, Lydie qui, elle, s’est convertie en écoutant la prédication de Paul. Ce passage et le précédent, qui attestent que, quel que soit le moyen choisi, c’est toujours la volonté de Dieu qui est obéie, seront de nouveau convoqués dans le Contra collatorem (en 12, 3 et en 13, 6 ; éd. DELMULLE, CCSL, 68, pp. 43 et 51), mais sans la moindre allusion explicite à I Tim. 2, 4. Cf. également en epist. 1, 4, où Prosper résume ainsi les positions des Provençaux, soulignant, dans la citation de I Tim. 2, 4, une nuance de taille, car il n’est pas question de « omnes », mais de « indifferenter uniuersos » (BA, 24, p. 400). Sur la pensée de Prosper, déployée dans cette lettre, au sujet de la volonté salvifique, voir en particulier les remarques de VINEL, « Une étape vers l’affirmation », pp. 374-375.

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ne soit pas obéie, la seule option raisonnable est de refuser l’universalisme du pronom omnes et de reconnaître que l’Apôtre n’évoque que ceux qui sont réellement sauvés169. Ailleurs, pourtant, il semble insister sur l’universalisme de la volonté salvifique de Dieu, entendu toutefois relativement à un nombre préalablement restreint. En répondant au huitième capitulum des Gaulois, qui accusent Augustin et ses partisans de défendre la proposition « Quod non omnes homines uelit Deus saluos fieri, sed certum numerum praedestinatorum170 », Prosper, fidèle à son maître, définit l’universalisme du salut voulu par Dieu comme touchant non pas le nombre des individus sauvés, mais leur genre ou leur espèce171. On ne caricaturerait pas sa pensée en la formulant ainsi : Dieu veut, en somme, que des hommes de toute sorte (de toute race, de toute nation, etc.) soient sauvés. Dans son De uocatione omnium gentium, en revanche, dernière synthèse de sa pensée au sujet de la volonté salvifique de Dieu, il se distingue nettement d’Augustin pour prôner l’idée que cette volonté est bien universelle, mais qu’elle se manifeste dans le don de la grâce générale à chaque être humain172. On peut le remarquer aisément, au fil de la succession de la rédaction des traités — et, aspect non négligeable, une fois que la querelle contre les Provençaux s’est dépassionnée —, il est de plus en plus difficile pour 169 La volonté divine ayant signifié aux apôtres qu’elle ne voulait pas que leur prédication s’étende partout, on a la preuve, selon Prosper, que la volonté salvifique de Dieu est restreinte et ne concerne que « pleraeque gentes » (epist. 2, 15 ; PL, 51, col. 86A), élues non de sorte à recevoir la foi, qui peut être donnée à d’autres, mais à obtenir le salut (epist. 2, 16 ; ibid., col. 86C). Prosper reste en cela tout à fait augustinien, comme le soulignent PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina, pp. 31-33, et SAGE, « La volonté salvifique universelle », pp. 123-124. 170 Prosper, resp. ad Gall., 1, 8, obi. (PL, 51, col. 162A). 171 Resp. ad Gall., 1, 8, resp. (PL, 51, coll. 162B-164C) ; cf. aussi la sent. 8 : « Item qui dicit quod non omnes homines uelit Deus saluos fieri, sed certum numerum praedestinatorum, durius loquitur quam loquendum est de altitudine inscrutabilis gratiae Dei » (ibid., col. 172A). C’est notamment ce verdict qui a fait croire à une critique en sourdine de la théologie augustinienne ; voir PELLAND, S. Prosperi Aquitani doctrina, p. 78 et n. 1, où sont résumées les discussions des commentateurs. 172 C’est l’apport le plus personnel de Prosper à la discussion, et surtout un point d’accroche avec la pensée des doctores Gallicani qu’il avait combattus plus tôt : voir Pr. DE LETTER, « Introduction », in Prosper of Aquitaine, Defense of St. Augustine, p. 15, ID., « The Problem of the Universalism », pp. 394-396, et HWANG, Intrepid Lover, p. 176 et n. 161.

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Prosper de concilier la conception augustinienne de la prédestination avec l’idée qu’il se fait lui-même de l’universalisme de la volonté salvifique, tout d’abord refusé, puis progressivement accepté et même défendu. La place du Contra collatorem dans cette évolution et sa contribution probable à l’émergence d’une conception plus personnelle et moins pessimiste est, en définitive, assez bancale. Car si, sur tel point, Prosper semble se démarquer de l’enseignement de son maître, en soutenant, par exemple, des positions qui n’étaient que sous-entendues, selon lui, par Augustin173 ou qui n’étaient que des corollaires nécessaires de son argumentation et nullement les fondements de cette dernière, cette innovation n’est pas causée par quelque doute que ce soit émis à l’égard des écrits antipélagiens. Surtout, si l’on observe donc bien un écart, dès la rédaction du Contra collatorem, il s’agirait plutôt non pas d’une progression vers une théologie « adoucie174 », passant par l’abandon des thèses les plus extrêmes des derniers traités d’Augustin, mais au contraire d’une radicalisation, dans la mesure où, plus d’une fois, ce qu’Augustin proposait à titre d’hypothèse se retrouve, sous la plume de Prosper, et du fait de sa volonté permanente de normatisation, érigé en dogme indiscutable175. À cet égard, il serait même plus juste d’insister davantage sur la place qui revient au Contra collatorem, non dans l’abandon des thèses les plus extrêmes des derniers traités d’Augustin sur la grâce, mais au sein d’un processus, détectable déjà dans le Peri akharistôn, de recherche et de construction d’un « augustinisme » — à entendre au sens d’une doctrine d’épigone, par définition plus augustinienne qu’Augustin lui-même176. 173 Prosper en vient à défendre l’idée d’une praedestinatio post praeuisa merita, déjà soutenue par les Provençaux et contre laquelle Augustin s’était prononcé (De praedestinatione sanctorum, 13, 25) ; mais concernant, par exemple, les actions des païens, il aggrave l’opinion d’Augustin en refusant de mettre à leur crédit la moindre action vertueuse (voir supra, p. 273). 174 C’est VALENTIN, Saint Prosper d’Aquitaine, p. 926, qui considère en effet Prosper comme un « interprète adouci » de saint Augustin ; voir déjà l’Introduction, p. XXIII et n. 34. On mettra à part, à cet égard, la question de la volonté salvifique universelle. 175 C’est en cela que Prosper reste, pour citer le jugement de BARDY, « Prosper d’Aquitaine », col. 838, préférable à celui de Louis Valentin, « un défenseur ardent des formules les plus absolues de saint Augustin ». 176 Pour de premiers arguments visant à identifier des traces de cet « esprit de système » et de la formation d’un « premier augustinisme » dès la première phase

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C’est en cherchant, en toute bonne foi, à « canoniser » la pensée de son maître que Prosper finit par s’en faire l’interprète infidèle et à contrevenir aux dernières volontés du doctissimus senex177 qui, près d’achever son De dono perseuerantiae, écrivait : « Ce n’est pas que je demande qu’on soit en tout de mon avis : on ne doit me suivre que là où l’on voit bien que je ne me suis pas trompé178. »

Il est évident qu’avec une défense telle que celle que Prosper entreprend, depuis le Peri akharistôn jusque dans les différentes Responsiones, l’augustinisme théologique tel qu’il est en train de se définir, au sujet de la grâce, rompt radicalement avec la prudence et la modestie qui caractérise certaines propositions adressées par Augustin à celui qui devait prendre le relais de son enseignement179.

de production littéraire de Prosper, voir DELMULLE, « Gratia Adami, gratia Christi », plus spécialement pp. 212-214. Sur la notion d’augustinisme, à entendre ici seulement dans son acception théologique, voir les mises au point terminologiques de S. PRICOCO, « Una nota sull’agostinismo », in G. BENTIVEGNA – S. BURGIO – G. MAGNANO SAN LIO (éd.), Filosofia, scienza, cultura. Studi in onore di Corrado Dollo, Rubbettino, Soveria Mannelli 2002 (Biblioteca di studi filosofici, 17), pp. 751-766. 177 Pour reprendre l’expression de Prosper en c. coll., 21, 4 : « illo auribus suis doctissimi senis insonante sermone » (éd. DELMULLE, CCSL, 68, p. 78). 178 Augustin, De dono perseuerantiae, 21, 55 (trad. J. CHÉNÉ, BA, 24, p. 737). Cf. aussi les derniers mots du traité (en 24, 68) : « Pour moi, lorsque les remarques de ceux qui lisent mes travaux me permettent non seulement de m’instruire, mais encore de me corriger, je considère cela comme un bienfait de Dieu, et ce service je l’attends surtout des docteurs de notre Église, chaque fois que ce que j’écris parvient entre leurs mains et qu’ils daignent en prendre connaissance » (ibid., p. 765). 179 C’est à la même remarque qu’aboutit SOLIGNAC, « Prosper d’Aquitaine », col. 2454. Sur l’équivalence établie par Prosper entre la pensée d’Augustin et l’orthodoxie de l’Église, voir la fin du chap. 4, pp. 235-237.

CONCLUSIONS

Au terme de cette étude d’ensemble du Contra collatorem, dont l’ambition n’était autre que de proposer une interprétation de l’œuvre susceptible de rendre compte de plusieurs de ses dimensions qui pourraient, à première vue, apparaître comme incompatibles, il n’est sans doute pas inutile de dresser un bilan des conclusions auxquelles ont permis de parvenir les différentes étapes de la réflexion. En proposant, pour la publication du traité, une datation qui, tout en confirmant celle qui est habituellement admise par la critique, réussit à la préciser, le chap. 2 a permis de mettre en évidence, à partir de certaines incohérences qui rendent cette datation problématique, la possibilité d’une distance — certes, relativement limitée — entre la composition de la majeure partie du traité et sa publication effective. Commencée nécessairement après la mort d’Augustin, la rédaction d’un traité visant à réfuter les positions défendues par Cassien dans sa Collatio XIII semble ne pas devoir être dissociée de l’autre campagne d’accusation des maîtres provençaux et de défense de l’évêque d’Hippone entreprise par Prosper, avec Hilaire, lors de son ambassade de 431 auprès du pape Célestin. Sans doute déçu par la tiédeur de la réponse du pontife romain, apparemment peu enclin à intervenir pour condamner un penseur auquel il venait de se fier pour réfuter le nestorianisme, Prosper aurait pu laisser de côté son traité déjà bien avancé et n’y mettre la dernière main qu’après la mort de Célestin et à l’occasion de l’avènement sur son siège d’un nouveau pape, Xyste III, à l’évidence plus bienveillant à l’égard des thèses augustiniennes en matière de grâce et de prédestination. La publication du Contra collatorem en 432-433 serait donc largement due aux changements survenus au Latran plutôt qu’à une prise de connaissance tardive, de la part de Prosper, de la production écrite de Jean Cassien. Cette tentative d’explication a permis de souligner l’importance que Prosper accorde désormais à la personne du pape de Rome, qui serait ainsi convoqué à titre d’arbitre dans une controverse jusqu’alors uniquement circonscrite, depuis la mort d’Augustin, à la Gaule méridionale. Cette nouvelle destination de l’œuvre, qui vient s’ajouter à la destination habituelle de la littérature hérésiologique — qui s’adresse, certes, aux adversaires, mais vraisemblablement surtout aux chrétiens, plus nombreux, désireux

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de se tenir éloignés de doctrines qu’on leur présente comme entachées d’erreur — vient éclairer, du même coup, tout un pan du traité qui, sans cette donnée préalable, échapperait au lecteur. La nouvelle destination du traité explique en partie les procédés littéraires et polémiques mis en œuvre par Prosper dans le Contra collatorem et qui ont été étudiés dans les chap. 3 et 4. La nécessité éprouvée par l’auteur de disposer de preuves irréfragables et, en l’espèce, le grand cas qu’il fait de l’occasion qui lui est donnée de pouvoir appuyer son accusation sur un texte offrant des garanties d’authenticité plus nombreuses et plus fiables qu’on ne pourrait l’espérer disent assez combien, en matière de jugement doctrinal, la lettre a de poids. À bien des égards — la forme choisie et les images employées par Prosper ne le cachent pas —, le Contra collatorem se présente comme l’œuvre d’un « censeur » dont l’objectif premier est de fournir à un tribunal (en l’occurrence aux instances décisionnelles de l’Église) un dossier à charge fournissant tous les éléments nécessaires pour prouver que, dans son enseignement, Cassien, et plus largement tous ceux dont il est censé être le représentant, défendent des positions doctrinales qui ne diffèrent qu’en apparence des thèses pélagiennes, pourtant dûment condamnées par plusieurs conciles et punies par le pouvoir impérial ainsi que par le pouvoir ecclésiastique. Destiné au nouveau pape Xyste, un tel dossier ne peut avoir d’autre signification que la demande, tacite, d’une nouvelle intervention de l’Église romaine en faveur des thèses d’Augustin, mises en péril en même temps que l’autorité et l’unité de l’Église, par la libre circulation d’idées hostiles à Augustin et à sa conception d’une grâce toute-puissante et nécessaire au salut humain. À cet égard, le Contra collatorem réitère, sur la base d’un argumentaire nettement plus étayé, l’appel interjeté auprès de Célestin quelques années plus tôt. L’examen attentif de la méthode de Prosper, reposant essentiellement sur la comparaison qui s’impose avec le texte source de Cassien, permet également de souligner l’importance des écarts que le Contra collatorem accuse vis-à-vis du contenu même de la Collatio XIII dans la présentation qu’il en fait. On est même en droit de parler, pour certains aspects du travail du polémiste, d’une attitude censoriale autant que d’une entreprise de propagande : par une prétention à l’objectivité et à la fidélité, Prosper réussit à présenter son adversaire sous un jour néfaste, pour mieux faire ressortir par là sa déviance vis-à-vis d’une norme que Prosper a lui-même définie — à savoir, la doctrine d’Augustin —, mais qu’il développe essentiellement à travers le prisme romain, qui

CONCLUSIONS

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vient ainsi au secours de la polémique comme unique entité autoritative communément reconnue par les deux parties. Bien qu’il soit relégué au second plan et à une place plus que discrète dans l’argumentation du traité, c’est bien Augustin qui transparaît partout à travers les réponses opposées par Prosper à Cassien et les conceptions plus générales qui se dégagent des discours de l’auteur. Le chap. 5, qui s’est concentré sur les aspects théologiques, a précisément été l’occasion de mesurer l’écart qui sépare, aux yeux de Prosper, le Cassien qu’il dépeint et Augustin qu’il prend pour norme, mais également de remarquer que, si telle position de Cassien est parfois exagérément grossie pour être plus facilement réfutée, les idées d’Augustin ne le sont pas moins quelquefois : on a affaire, dans le Contra collatorem, plutôt qu’à Augustin lui-même, à une forme d’augustinisme encore naissant, qui souffre par endroits d’un certain rigorisme. Il n’empêche que, pour Prosper, seules comptent l’autorité et la défense d’Augustin, qui passent une fois encore par la recherche d’une reconnaissance officielle de la part de l’Église, et en l’espèce de l’Église de Rome. À la fois œuvre de censure et de propagande, le Contra collatorem est également, pour l’historien des idées, un observatoire privilégié de l’entreprise d’un polémiste à l’œuvre. L’analyse comparée du texte du Contra collatorem, à travers les procédés rhétoriques et polémiques qui y sont mis en œuvre, et du texte de Cassien qui lui sert de point de départ amène à reconstituer un long et minutieux travail de construction et de persuasion, qui doit alerter le lecteur sur le crédit à accorder au traité en tant que témoignage sur les doctrines professées à Marseille et en Provence dans les années 420-430. C’est que — on l’a plusieurs fois souligné — le but qu’y poursuit Prosper est vraisemblablement celui de voir Cassien et ses prétendus disciples officiellement punis, au même titre que ceux dont ils se sont faits les continuateurs. On comprend ainsi pourquoi une telle place est réservée, dans l’œuvre, à l’autorité romaine et à la législation passée, et pourquoi il importe à l’auteur de pouvoir justifier ses accusations, preuves écrites (et signées) à l’appui. Si les hypothèses développées dans les différents chapitres du présent ouvrage se révélaient être autre chose qu’un « œuf de Colomb » et que les conclusions que l’on vient d’en tirer soient acceptées, écrire l’histoire du Contra collatorem reviendrait à faire la chronique d’un échec : le pape Xyste n’est jamais intervenu, semble-t-il, dans le conflit gaulois, et il a

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fallu attendre, pour qu’une décision soit prise, Boniface II et le Concile d’Orange, qui est loin d’avoir condamné Cassien et reconnu en tout point les positions augustiniennes sur la grâce et la prédestination1. Le pape Xyste semble, en effet, n’avoir jamais pris position au sein du débat, du moins au moment des démarches entreprises par Prosper au début des années 430. Sans doute a-t-on raison de voir dans les mesures prises par le pape de Rome en 439 à l’encontre de Julien d’Éclane une des séquelles du présent conflit2. Replacées dans ce contexte, les Auctoritates préparées par Prosper, et dont on a vu qu’elles tiraient sans doute leur origine de l’enquête réalisée par l’Aquitain au moment même où il préparait son Contra collatorem3, pourraient apparaître comme une nouvelle tentative, heureuse cette fois, de convaincre le pouvoir pontifical de la nécessité de mesures coercitives. Mais, malgré l’échec relatif de sa première requête, Prosper n’a probablement pas dû attendre 439 pour passer aux yeux du pontife pour un théologien d’envergure, capable de célébrer, en vers comme en prose, les victoires de l’Église sur l’hérésie. C’est du moins ce que laisse suggérer l’attribution probable à Prosper d’au moins un poème épigraphique commandité par Xyste pour le baptistère du Latran4. Quant aux discussions provençales sur la grâce, la diffusion du Contra collatorem n’a pas empêché qu’elles se poursuivent, sur des terrains fort voisins, et sans que les tenants de la doctrine promarseillaise ressentent le besoin de prendre en considération les arguments avancés plus tôt par Prosper dans son traité contre Cassien5. Avant que ses écrits soient connus et cités par Fulgence de Ruspe et surtout par Césaire d’Arles, le Prosper 1 Voir WEAVER, Divine Grace and Human Agency, pp. 225-234, et OGLIARI, Gratia et certamen, pp. 435-436, ainsi que l’Introduction, pp. XL-XLI et n. 106. 2 Voir VILLEGAS MARÍN, « En polémica con Julián », pp. 123-124, et déjà supra, le chap. 2, pp. 53-54. 3 Voir supra, le chap. 4, pp. 208-216. C’est abusivement que HWANG, « Prosper, Cassian, and Vincent », p. 83, voit dans les Auctoritates des « Prosper’s Retractationes ». 4 Pour cette hypothèse, voir DELMULLE, « Prosper d’Aquitaine, poète de l’antinestorianisme triomphant ? ». D’autres poèmes épigraphiques, à l’évidence apparentés à celui-ci, ont été réalisés pour les basiliques de Sainte-Marie-Majeure et de Saint-Pierre-aux-Liens, toutes deux dédicacées par Xyste dès le début de son pontificat. 5 Pour un aperçu de l’influence modeste de la pensée de Prosper jusqu’au VIe siècle, voir R.H. WEAVER, « Prosper’s Theological Legacy and Its Limits », in BAUN – CAMERON – EDWARDS – VINZENT (éd.), Studia Patristica, vol. 49, pp. 381-394.

CONCLUSIONS

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polémiste semble bien avoir été rejeté dans l’ombre par les Fauste et autres opposants d’un augustinisme trop strict6. Si donc, d’un côté, la position reconnue par Prosper au siège de Rome dans l’issue de la controverse a fortement contribué à asseoir l’autorité en matière doctrinale du successeur de Pierre, de l’autre, l’enseignement théologique d’Augustin n’allait pas tarder à être plus sûrement affirmé, sinon directement par Xyste, du moins par l’un de ses successeurs au siècle suivant : en 520, pour répondre à la demande de l’évêque africain Possessor, Hormisdas ne pourra que réfuter les positions de Fauste de Riez et exhorter, sans hésiter, son correspondant à lire le De praedestinatione sanctorum et de dono perseuerantiae d’Augustin7. Si donc le dossier que constituait le Contra collatorem n’a pas eu l’effet escompté, pourtant, le projet de Prosper et les moyens mis en œuvre pour le mener à son terme ont été si efficaces que l’argumentation quelque peu biaisée du Contra collatorem a réussi à exercer une très forte influence, sinon sur les instances décisionnelles de l’Église, du moins sur les consciences. On a vu combien la critique moderne était débitrice de la lecture prospérienne de la pensée de Cassien et à quel point le Contra collatorem, parce qu’il a été la première réaction de quelque ampleur aux idées professées dans la Collatio XIII et qu’il se présente sous l’apparence d’une défense fervente du catholicisme face à une menace insidieuse qui risque d’ébranler l’Église de l’intérieur, avait réussi, par ses prétentions normatives, à imposer ses vues en matière d’orthodoxie au sujet des questions de la grâce8. Mais il va sans dire que cette influence, tangible à l’époque moderne, ne s’est pas fait sentir de nouveau, après dix siècles, sans médiation. On 6 On a récemment proposé de voir dans Prosper lui-même le Praedestinatus attaqué par Arnobe le Jeune : voir Fr.X. GUMERLOCK, « Arnobius the Younger against the “Predestined One”: Was Prosper of Aquitaine the Predestinarian Opponent of Arnobius the Younger? », Augustinian Studies, 44/2 (2013) 249-263 ; N.W. JAMES, « Who Was Arnobius the Younger? Dissimulation, Deception and Disguise by a Fifth-Century Opponent of Augustine », The Journal of Ecclesiastical History, 69/2 (2018) 243-261. 7 Hormisdas, epist. ad Possessorem (= Collectio Avellana, 231), 14 : « De arbitrio tamen libero et gratia Dei quid Romana hoc est catholica sequatur et seruet Ecclesia, licet et in uariis libris beati Augustini et maxime ad Hilarium et Prosperum possit cognosci, tamen et in scriniis ecclesiasticis expressa capitula continentur » (éd. O. GÜNTHER, CSEL, 35/2, p. 700). 8 Sur cet aspect, voir l’Introduction, pp. XVI-XVII.

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en trouve des traces dès avant le milieu du VIe siècle : ainsi, Cassiodore, dans ses Institutiones, dit savoir qu’un certain Victor, évêque de Mattarita en Afrique, a produit ce que l’on pourrait caractériser comme une première « édition révisée » de la Collatio XIII, nettoyant sans doute le texte de certaines erreurs — en particulier celle que pointait Prosper dans le Contra collatorem ? — et l’amendant par des ajouts personnels9. Accrue en cela par les recommandations du même Cassiodore ou du Décret pseudogélasien qui, en émettant des doutes sur l’orthodoxie de Cassien, ont validé par contraste les reproches formulés par Prosper10, la force de la censure prospérienne à l’égard du « conférencier » n’a eu de cesse, en effet, que de se développer, tout au long du Moyen Âge, sous les formes les plus variées. Le Contra collatorem est apparu très tôt comme le correctif indispensable à une lecture intelligente et « correcte » des Collationes de Cassien. Une étude complète de la réception du Contra collatorem demanderait à elle seule un volume entier et plusieurs nouvelles années de recherches, tant la tâche est grande et les études antérieures rares, pour ne pas dire inexistantes. Ce n’est donc pas ici le lieu d’entrer dans les détails de questions dont chacune exigerait d’amples développements. On se contentera de donner un simple aperçu de ce qu’a été la diffusion et la réception du traité, en se concentrant sur les aspects peut-être les plus inattendus. Le recensement des manuscrits qui a servi à l’établissement de l’édition critique a permis de constater que le traité avait joui d’une diffusion plus large qu’on ne le pensait ou qu’on ne pouvait le supposer au regard de sa longueur et de son sujet11. Mais la diffusion la plus massive, non pas tant du texte que des idées du Contra collatorem, est à chercher dans les témoins 9 C’est du moins ce que l’on peut supposer à partir de la mention allusive de Cassiodore, Institutiones, 1, 29, 2 : « cuius dicta Victor Mattaritanus, episcopus Afer, ita Domino iuvante purgavit, et quae minus erant addidit, ut ei rerum istarum palma conferatur » ; éd. MYNORS, SCBO, p. 74). La ville de Mattarita doit sans doute être identifiée avec celle de Makthar, dans le Haut Tell tunisien. 10 Ils ont été rappelés au tout début de l’Introduction, pp. XIII-XIV. Sur le témoignage de la Regula de Benoît, voir C. VAGAGGINI, « La posizione di S. Benedetto nella questione semipelagiana », in Studia Benedictina in memoriam glorisosi ante saecula XIV transitus S. P. Benedicti, cura Professorum Instituti Pontificii S. Anselmi de Urbe, Libreria Vaticana, Città del Vaticano 1947 (Studia Anselmiana, 18-19), pp. [17]-83. 11 Voir là-dessus DELMULLE, « Introduction ».

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mêmes qui transmettent les Collationes de Cassien. L’avertissement de Cassiodore ayant été on ne peut plus clair, il arrive plus d’une fois qu’il figure en tête des copies des Collationes, continuant d’exercer son rôle, plus pratiquement, sur les lecteurs médiévaux12. Bien souvent, les marques de la critique prospérienne sont des plus infimes, consistant en des notae ou des traces de lecture particulièrement marquées aux endroits précis que Prosper a définis comme critiquables. D’autres formes de transmission sont, elles, beaucoup plus facilement identifiables et attribuables à des personnalités. On en retiendra quelques figures majeures. Au XIe siècle, on trouve un témoignage très explicite de cette lecture conjointe des Collationes et du Contra collatorem, qui suit les recommandations de Cassiodore, dans la lettre que l’abbé de Reichenau, Bern, écrit à Frédéric, rencontré plus tôt à Cologne, pour répondre à une demande expresse de ce dernier : comment se fait-il, s’était-il enquis, qu’un auteur aussi renommé et exemplaire que Cassien puisse être pris en défaut et critiqué sur un point doctrinal ? quelle erreur ses livres contiennent-ils ? et surtout qui sont ses détracteurs13 ? Étonné de 12

Cette fonction, habituellement dévolue aussi aux notices tirées de Gennade, De uiris illustribus, offre ici un usage intéressant, dans la mesure où, concernant Cassien, la présentation de Gennade est complaisante (voir l’Introduction, pp. XXXIX-XL, et le chap. 1, p. 38) et ne peut donc suffire. On a connaissance de plusieurs manuscrits anglais qui associent aux textes de Cassien le témoignage de Benoît, comme les mss. London, Lambeth Palace Library, 218.2 et Cambridge, Pembroke College, 92 ; voir aussi le Catalogus scriptorum Ecclesiae, composé vers 1410 par John Boston de Bury St. Edmunds, dans lequel il est clair que la simple mention du nom de Cassien appelle, indissociablement, celui de Prosper et instaure une hiérarchie assez indéfectible. Pour ces exemples, se reporter à J. de GHELLINCK, « Diffusion, utilisation et transmission », pp. 356-400, et R.H. ROUSE, « Bostonus Buriensis and the Author of the Catalogus Scriptorum Ecclesiae », Speculum, 41/3 (1966) 471-499 (pl. X et XI). Mentionnons aussi, entre beaucoup d’autres, les mss. London, Lambeth Palace Library, 101 (qui ajoute à la notice de Gennade l’avertissement de Cassiodore), ou encore Cortona, Biblioteca del Comune e dell’Accademia Etrusca, 55 qui, à la fin des Collationes, ajoute (dans la phase même de la transcription) sur le dernier feuillet trois petits textes : celui de Benoît, celui de Cassiodore et celui de Gennade. Autant d’exemples qui attestent, s’il en était besoin, la large diffusion de cette lecture « orientée », par Cassiodore surtout, de l’œuvre de Cassien. 13 Bern de Reichenau, epist. 6 ; voir l’éd. in Fr.J. SCHMALE, Die Briefe des Abtes Bern von Reichenau, W. Kohlhammer Verlag, Stuttgart 1961 (Veröffentlichungen der Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg ; Reihe A. Quellen, 6) pp. 25-32 (p. 26).

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l’ignorance de son correspondant, Bern commence sa missive en rappelant la phrase des Institutiones de Cassiodore, mais surtout tient à la mettre en application : il retranscrit, pour toute argumentation, l’intégralité de la recapitulatio du chap. 19 du Contra collatorem, recommandant in fine à Frédéric, s’il veut approfondir sa réflexion, de lire en entier l’ouvrage de Prosper14. L’intérêt intrinsèque de cette lettre, qui confirme positivement l’usage que l’on fait du Contra collatorem comme d’un vade-mecum, réduit à l’essentiel, permettant de lire dans son intégralité l’œuvre de Cassien tout en corrigeant les passages qui doivent l’être, est complété par le sort que lui a réservé la tradition : une fois intégrée dans une lettre, ellemême plusieurs fois copiée, la recapitulatio de Prosper suivra des voies de diffusion différentes et finira par être insérée, dépouillée de tous les aspects circonstanciels présents dans la lettre originale, au milieu même des volumes des Collationes, précédant plus spécialement la Collatio XIII et assumant à son tour le rôle d’avertissement, en l’espèce beaucoup plus développé15. À la même époque, en Toscane, c’est la même recapitulatio du Contra collatorem qui, réduite à l’extrême, sera intégrée dans le texte même de la Collatio XIII, ou sous forme de marginalia, pour signaler les phrases ou passages mis à l’index par Prosper et permettre, ce faisant, une lecture éclairée et, donc, moins dangereuse de Cassien16. De même pour l’Angleterre, on a souligné déjà les rapprochements qui s’imposent entre le De adiutorio Dei et libero arbitrio de Wulfstan d’York, composé dans le premier quart du XIe siècle, et le Contra collatorem qui pourrait lui avoir servi de modèle, direct ou indirect17. Les deux entreprises les plus abouties et qui, pour ainsi dire, parachèvent le projet de Prosper, ont aussi en commun de n’en faire aucune mention. C’est d’abord l’œuvre de Denys le Chartreux qui, souhaitant procurer, 14

Bern de Reichenau, epist. 6 : « Haec interim tibi ad ea quae interrogasti, dilectissime, sufficiant. Caeterum si quid plenius super hoc nosse desideras, ipsum librum beati Prosperi inde compositum lege, et liquido comprobabis Cassianum, virum licet in aliis probatum, in hac parte jure culpatum. » (éd. SCHMALE, p. 32). 15 Je me permets de renvoyer, pour la démonstration, à un article à paraître « L’Epistula ad Fridericum de Bern de Reichenau. Texte, sources et diffusion », qui donnera une nouvelle édition de cette lettre. 16 Sur cette « édition annotée » de Cassien, voir J. DELMULLE, « Introduction ». 17 Sur ce dossier, voir A.J. KLEIST, Striving With Grace: Views of Free Will in Anglo-Saxon England, University of Toronto Press, Toronto – Buffalo – London 2008, pp. 145-165.

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sans doute pour la lecture ad mensam ou ad collationem, un texte du De institutionibus coenobiorum et des Collationes plus facilement audible, a entrepris une récriture complète (Translatio) de ces deux ouvrages de Cassien « ad stilum facillimum ». Or, au moment de récrire la Collatio XIII, au lieu de se contenter, comme dans les autres livres, d’alléger le style et de donner aux phrases brièveté et simplicité, il a systématiquement, lorsqu’un passage avait été soumis au jugement sévère de Prosper, opéré des modifications d’ordre doctrinal. Ainsi, il retranche du texte non seulement les éléments qui lui ont valu les réprimandes de Prosper, mais même ceux qui seraient susceptibles d’en attirer d’autres18. Enfin, il faut signaler le travail de Marco Michele de Cortona, dont il a déjà été question, qui lui, toujours sans se référer explicitement au Contra collatorem, a complété, en un Liber aduersus errores Iohannis Cassiani, la lecture critique de Prosper en l’étendant sur les vingt-quatre conférences. Il semble toutefois opérer un glissement de taille en ce que sa critique tend parfois à « justifier » les positions de Cassien, prenant ainsi bien des fois ses distances avec la lecture prospérienne alors largement diffusée et hors de toute suspicion19. La masse des manuscrits de Cassien offre, bien au-delà de ces quelques exemples, un véritable observatoire de la diffusion, pour ainsi dire, souterraine des idées de Prosper contre Cassien, qui se diffusent sous la forme de textes, de résumés, de formules brèves, de simples signes marginaux, l’éloignement progressif du modèle ayant pour corollaire une anonymisation et, donc, une universalisation des critiques du Contra collatorem. C’est vraisemblablement du fait du nombre des copies des Collationes de Cassien et de la pratique quotidienne de leur lecture que Prosper, sans pour autant être nommément connu ou identifiable des lecteurs au moment où ils compulsent ces volumes, s’est acquis une influence et une autorité et que ses critiques relatives à chacune des onze dernières « propositions » de la Collatio XIII sont ainsi devenues, avec le temps, le gage sûr d’une orthodoxie tacitement admise.

18 La Translatio librorum Ioannis Cassiani presbyteri ad stilum facillimum de Denys est étudiée, elle aussi, dans l’examen de la tradition indirecte ; voir DELMULLE, « Introduction ». 19 Sur l’entreprise de Marco Michele, en attendant l’édition du Liber aduersus errores…, voir surtout DELMULLE, « Introduction ».

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Contra epistulam fundamenti, Contra Faustum, recensuit J. ZYCHA, F. Tempsky – G. Freytag, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1891 (CSEL, 25/1), pp. [249]-797. Contra Iulianum = Contra Iulianum libri sex, PL, 44, coll. 641-874. Contra Iulianum opus imperfectum = Sancti Aureli Augustini Opera. Contra Iulianum , t. I, recensuit post E. KALINKA M. ZELZER, Hoelder – Pichler – Tempsky, Vindobonae 1974 (CSEL, 85/1) ; Sancti Augustini Opera. Contra Iulianum (opus imperfectum) recensuit M. ZELZER, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Wien 2004 (CSEL, 85/2). De correptione et gratia = Augustinus, De correptione et gratia edidit G. FOLLIET, in Sancti Augustini Opera, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Wien 2000 (CSEL, 92), pp. [127]-280. De dono perseuerantiae = De dono perseuerantiae liber ad Prosperum et Hilarium secundus, PL, 45, coll. 993-1034. — (trad.) = Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 24 : Aux moines d’Adrumète et de Provence. De gratia et libero arbitrio. De correptione et gratia. De praedestinatione sanctorum. De dono perseuerantiae, texte de l’édition bénédictine, introduction, traduction et notes par J. CHÉNÉ – J. PINTARD, Desclée de Brouwer, [Paris] 1962 (BA, 24), pp. [599]-765. De gestis Pelagii = Sancti Aureli Augustini De perfectione iustitiae hominis, De gestis Pelagii, De gratia Christi et de peccato originali libri duo, De nuptiis et concupiscentia ad Valerium comitem libri duo, recensuerunt C.F. URBA – J. ZYCHA, F. Tempsky – G. Freytag, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1902 (CSEL, 42), pp. [49]-122. — (trad.) = Augustin d’Hippone, Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 21 : La crise pélagienne I. Epistula ad Hilarium Syracusanum. De perfectione iustitiae hominis. De natura et gratia. De gestis Pelagii, introductions, traductions et notes par G. de PLINVAL – J. de LA TULLAYE, Desclée de Brouwer, [Paris] 1966 (BA, 21), pp. [415]-579. De gratia Christi et de peccato originali = Sancti Aureli Augustini De perfectione iustitiae hominis, De gestis Pelagii, De gratia Christi et de peccato originali libri duo, De nuptiis et concupiscentia ad Valerium comitem libri duo, recensuerunt C.F. URBA – J. ZYCHA, F. Tempsky – G. Freytag, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1902 (CSEL, 42), pp. [123]-206.

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––, De natura et gratia = Sancti Aureli Augustini De peccatorum meritis et remissione et de baptismo parvulorum ad Marcellinum libri tres, De spiritu et littera liber unus, De natura et gratia liber unus, De natura et origine animae libri quattuor, Contra duas epistulas Pelagianorum libri quattuor, recensuerunt C.F. URBA – J. ZYCHA, F. Tempsky – G. Freytag, Vindobonae – Lipsiae 1913 (CSEL, 60), pp. [231]-299. ––, De nuptiis et concupiscentia = Sancti Aureli Augustini De perfectione iustitiae hominis, De gestis Pelagii, De gratia Christi et de peccato originali libri duo, De nuptiis et concupiscentia ad Valerium comitem libri duo, recensuerunt C.F. URBA – J. ZYCHA, F. Tempsky – G. Freytag, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1902 (CSEL, 42), pp. [207]-319. ––, De peccatorum meritis et remissione et de baptismo paruulorum = Sancti Aureli Augustini De peccatorum meritis et remissione et de baptismo parvulorum ad Marcellinum libri tres, De spiritu et littera liber unus, De natura et gratia liber unus, De natura et origine animae libri quattuor, Contra duas epistulas Pelagianorum libri quattuor, recensuerunt C.F. URBA – J. ZYCHA, F. Tempsky – G. Freytag, Vindobonae – Lipsiae 1913 (CSEL, 60), pp. [1]-151. ––, — (trad.) = Œuvres de saint Augustin, 3e série, t. 20/A : Premières réactions antipélagiennes I, Salaire et pardon des péchés — De peccatorum meritis et remissione, texte critique du CSEL, traduction de M. MOREAU † – Ch. INGREMEAU ; introduction, annotation et notes complémentaires de Br. DELAROCHE, Institut d’études augustiniennes, Paris 2013 (BA, 20/A). ––, De perfectione iustitiae hominis = Sancti Aureli Augustini De perfectione iustitiae hominis, De gestis Pelagii, De gratia Christi et de peccato originali libri duo, De nuptiis et concupiscentia ad Valerium comitem libri duo, recensuerunt C.F. URBA – J. ZYCHA, F. Tempsky – G. Freytag, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1902 (CSEL, 42), pp. [1]-48. ––, — (trad.), Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 21 : La crise pélagienne I. Epistula ad Hilarium Syracusanum. De perfectione iustitiae hominis. De natura et gratia. De gestis Pelagii, introductions, traductions et notes par G. de PLINVAL – J. de LA TULLAYE, Desclée de Brouwer, [Paris] 1966 (BA, 21) , pp. [113]-219. ––, De praedestinatione sanctorum = De praedestinatione sanctorum liber ad Prosperum et Hilarium primus, PL, 44, coll. 959-992. ––, — (trad.) = Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 24 : Aux moines d’Adrumète et de Provence. De gratia et libero arbitrio.

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De correptione et gratia. De praedestinatione sanctorum. De dono perseuerantiae, texte de l’édition bénédictine, introduction, traduction et notes par J. CHÉNÉ – J. PINTARD, Desclée de Brouwer, [Paris] 1962 (BA, 24) , pp. [463]-597. De spiritu et littera = Sancti Aureli Augustini De peccatorum meritis et remissione et de baptismo parvulorum ad Marcellinum libri tres, De spiritu et littera liber unus, De natura et gratia liber unus, De natura et origine animae libri quattuor, Contra duas epistulas Pelagianorum libri quattuor, recensuerunt C.F. URBA – J. ZYCHA, F. Tempsky – G. Freytag, Vindobonae – Lipsiae 1913 (CSEL, 60), pp. [153]-229. Enarrationes in psalmos, 113, s. 1 = Sancti Aurelii Augustini Enarrationes in Psalmos CI – CL, post Maurinos textum edendum curaverunt E. DEKKERS – J. FRAIPONT, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1956 (CCSL, 40), pp. [1635]-1641. epist. 157 = S. Aureli Augustini Hipponiensis episcopi Epistulae, recensuit et commentario critico instruxit A. GOLDBACHER, Pars III, F. Tempsky – G. Freytag, Vindobonae – Lipsiae 1904 (CSEL, 44), pp. 449-488. epist. 175 : voir Concile de Carthage (416). epist. 176 : voir Concile de Milev (416). epist. 177 = S. Aureli Augustini Hipponiensis episcopi Epistulae, recensuit et commentario critico instruxit A. GOLDBACHER, Pars III, F. Tempsky – G. Freytag, Vindobonae – Lipsiae 1904 (CSEL, 44), pp. 669-688. epist. 179 = ibid., pp. 691-697. epist. 181-183 : voir Innocent Ier. epist. 186 = S. Aureli Augustini Hipponiensis episcopi Epistulae, recensuit et commentario critico instruxit A. GOLDBACHER, Pars IV, F. Tempsky – G. Freytag, Vindobonae – Lipsiae 1911 (CSEL, 57), pp. 45-80. epist. 191 = ibid., pp. 162-165. epist. 194 = ibid., pp. 176-214. epist. 214 = ibid., pp. 380-387. Retractationes = Sancti Aurelii Augustini Retractationum libri II, edidit A. MUTZENBECHER, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1984 (CCSL, 57). s. 26 = Sancti Aurelii Augustini Sermones de Vetere Testamento, id est Sermones I-L secundum ordinem vulgatum insertis etiam novem

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sermonibus post Maurinos repertis recensuit C. LAMBOT, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1961 (CCSL, 41), pp. [346]-359. ––, s. 131 = G. PARTOENS, « Le sermon 131 de saint Augustin. Introduction et édition », Augustiniana, 54/1-4 (2004) [35]-77, pp. [65]-77. Bède le Vénérable, De arte metrica = De arte metrica et de schematibus et tropis cura et studio C.B. KENDALL una cum Commentariis et glossis Remigii Autissiodorensis (e codice Valentianense 390) cura et studio M.H. KING, in Bedae Venerabilis Opera, Pars VI : Opera didascalica, 1, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1975 (CCSL, 123A), pp. [59]-171. Benoît de Nursie, Regula monachorum = Benedicti Regula, recensuit R. HANSLIK, Hoelder – Picheler – Tempsky, Vindobonae, 1960 (CSEL, 75). ––, — (trad.) = La règle de saint Benoît, traduction et notes par A. de VOGÜÉ, texte établi et présenté par J. NEUFVILLE, 2 vol., Éd. du Cerf, Paris 1972 (SC, 181-182). Bern de Reichenau, epist. 6 = Fr.-J. SCHMALE, Die Briefe des Abtes Bern von Reichenau, W. Kohlhammer Verlag, Stuttgart 1961 (Veröffentlichungen der Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg ; Reihe A. Quellen, 6), pp. 25-32. Burginda, Expositio breuis = Expositionis Apponii sancti abbatis in Canticum Canticorum libri XII breuiter decerptimque, ediderunt B. de VRÉGILLE – L. NEYRAND, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1957 (CCSL, 19), pp. [391]-463. Cassiodore, Expositio psalmorum = Magni Aurelii Cassiodori Expositio psalmorum, post Maurinos textum edendum curauit M. ADRIAEN, 2 vol., Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1958 (CCSL, 97-98). ––, Institutiones = Cassiodori senatoris Institutiones, edited from the manuscripts by R.A.B. MYNORS, Clarendon Press, Oxford 1937 (SCBO). Célestin Ier, epist. J3 845 (JK 381 et 875) = B. Cœlestini papæ I ad episcopos Galliarum (epist. 21), PL, 50, coll. 528A-530B. Cicéron, De oratore = Cicéron, De l’orateur, texte établi et traduit par E. COURBAUD – H. BORNECQUE, 3 vol., Les Belles Lettres, Paris 19591962 (CUF, 12, 43 et 64). ––, Partitiones oratoriae = Cicéron, Divisions de l’art oratoire. Topiques, texte établi et traduit par H. BORNECQUE, Les Belles Lettres, Paris 19602 (CUF, 23).

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Code théodosien = Theodosiani libri XVI cum constitutionibus Sirmondianis et leges novellae ad Theodosianum pertinentes, t. I/2 : Textus cum apparatu, edidit, adsumpto apparatu P. KRUEGERI, Th. MOMMSEN, Apud Weidmannos, Berolini 19623. Concile de Carthage (416), inter Augustini epist. 175 = S. Aureli Augustini Hipponiensis episcopi Epistulae, recensuit et commentario critico instruxit A. GOLDBACHER, Pars III, F. Tempsky – G. Freytag, Vindobonae – Lipsiae 1904 (CSEL, 44), pp. 652-662. Concile de Carthage (418) = Concilia Africae a. 345 – a. 525 cura et studio C. MUNIER, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1974 (CCSL, 149), pp. [67]-[78]. Concile de Milev (416), inter Augustini epist. 176 = S. Aureli Augustini Hipponiensis episcopi Epistulae, recensuit et commentario critico instruxit A. GOLDBACHER, Pars III, F. Tempsky – G. Freytag, Vindobonae – Lipsiae 1904 (CSEL, 44), pp. 663-668. Constance III, Epistula ad Volusianum (Collectio Quesnelliana, 19) = PL, 56, coll. 499C-500B. Constitutions sirmondiennes = Theodosiani libri XVI cum constitutionibus Sirmondianis et leges novellae ad Theodosianum pertinentes, Apud Weidmannos, Berolini 1905, t. I/2, pp. [907]-921. Decretum pseudo-Gelasianum = Das Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non recipiendis in kritischem Text herausgegeben und untersucht von E. VON DOBSCHÜTZ, J.C. Hinrichs’sche Buchhandlung, Leipzig 1912 (TU, 38/4). Érasme, epist. 547 = Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami, denuo recognitum et auctum per P.S. ALLEN – H.M. ALLEN, Compendium vitae P.S. ALLEN addidit H.W. GARROD, t. 2 : 1514-1517, In typogr. Clarendoniano, Oxonii 1910, pp. 498-499. Évêques d’Afrique, epist. [2] ad Zosimum papam = P. COUSTANT, « Appendix ad opera s. Zosimi papæ », 10, 24 ; PL, 20, coll. 696C-D. Fauste de Riez, De gratia = De gratia libri duo, in Fausti Reiensis praeter sermones pseudo-Eusebianos Opera, Accedunt Ruricii Epistulae, recensuit, commentario critico instruxit, Prolegomena et Indices adiecit A. ENGELBRECHT, F. Tempsky, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1891 (CSEL, 21), pp. [1]-98. Fulgence de Ruspe, De fide ad Petrum = Sancti Fulgentii episcopi De fide ad Petrum seu De regula fidei, in Sancti Fulgentii episcopi Ruspensis

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Opera cura et studio J. FRAIPONT, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1968 (CCSL, 91A), pp. [709]-760. ––, epist. 16 = Epistula XVI seu Epistula Petri Diaconi et aliorum qui in causa fidei Romam directi fuerunt, in Sancti Fulgentii episcopi Ruspensis Opera cura et studio J. FRAIPONT, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1968 (CCSL, 91A), pp. [551]-562. Gennade de Marseille, De uiris illustribus = Gennadius, Liber de viris inlustribus, herausgegeben von E.C. RICHARDSON, J.C. Hinrichs’sche Buchhandlung, Leipzig 1896 (TU, 14/1) pp. [57]-97. Hégésippe, Historia = Hegesippi qui dicitur Historiae libri V, edidit V. USSANI, Hoelder – Pichler – Tempsky, Vindobonae 1932-1960 (CSEL, 66/1-2). Hilaire (de Marseille ?), epist., inter Augustini epist. 226 = Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 24 : Aux moines d’Adrumète et de Provence. De gratia et libero arbitrio. De correptione et gratia. De praedestinatione sanctorum. De dono perseuerantiae, texte de l’édition bénédictine, introduction, traduction et notes par J. CHÉNÉ – J. PINTARD, Desclée de Brouwer, [Paris] 1962 (BA, 24), pp. 414-435. Innocent Ier, epist. J3 708 (JK 321), inter Augustini epist. 181 = S. Aureli Augustini Hipponiensis episcopi Epistulae, recensuit et commentario critico instruxit A. GOLDBACHER, Pars III, F. Tempsky – G. Freytag, Vindobonae – Lipsiae 1904 (CSEL, 44), pp. 701-715. ––, epist. J3 709 (JK 322), inter Augustini epist. 182 = ibid., pp. 715-723 ––, epist. J3 710 (JK 323), inter Augustini epist. 183 = ibid., pp. 724-730. Isidore de Séville, De uiris illustribus = C. CODOÑER MERINO, El « De viris illustribus » de Isidoro de Sevilla. Estudio y edición critica, Consejo superior de investigaciones científicas, Salamanca 1964 (Theses et studia philologica Salmanticensia, 12). Jean Cassien, Collationes = Iohannis Cassiani Conlationes XXIIII. recensuit et commentario critico instruxit M. PETSCHENIG, Apud C. Geroldi filium bibliopolam Academiae, Vindobonae, 1886 (CSEL, 13). ––, — = Cassiani Opera. Collationes XXIIII edidit M. PETSCHENIG, editio altera supplementis aucta curante G. KREUZ, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Wien 2004 (CSEL, 13). ––, — (trad.) = Jean Cassien, Conférences, introduction, texte latin, traduction et notes par Dom E. PICHERY, 3 vol., Éd. du Cerf, Paris 19551959 (SC, 42, 54 et 64) [réimpression des deux premiers volumes avec additions et corrections, en 2008 et 2009 (SC 42bis et 54bis)].

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

––, De Incarnatione Domini = Iohannis Cassiani De Incarnatione Domini contra Nestorium libri VII, recensuit et commentario critico instruxit M. PETSCHENIG. Accedunt Prolegomena et indices, F. Tempsky, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1888 (CSEL, 17), pp. [233]-391. ––, De institutis coenobiorum = Iohannis Cassiani De institutis coenobiorum et De octo principalium uitiorum remediis libri XII, recensuit et commentario critico instruxit M. PETSCHENIG. Accedunt Prolegomena et indices, F. Tempsky, Pragae – Vindobonae – Lipsiae 1888 (CSEL, 17), pp. [1]-231. ––, — (trad.) = Jean Cassien, Institutions cénobitiques, texte latin revu, introduction, traduction et notes par J.-Cl. GUY, Éd. du Cerf, Paris 1965 (SC, 109). Jean Scot Érigène, Periphyseon = Iohannis Scotti seu Eriugenae Periphyseon, editionem nouam a suppositiciis quidem additamentis purgatam, ditatam uero appendice in qua uicissitudines operis synoptice exhibentur curauit E.A. JEAUNEAU, 5 vol., Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1996-2003 (CCCM, 161-165). Jérôme de Stridon, Aduersus Iouinianum = S. Eusebii Hieronymi Stridonensis presbyteri, Adversus Jovinianum libri duo, PL, 23, coll. [211]A-338B. ––, Dialogus contra Pelagianos = S. Hieronymi presbyteri Opera, Pars III : Opera polemica, 2 : Dialogus aduersus Pelagianos cura et studio Cl. MORESCHINI, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1990 (CCSL, 80). ––, epist. 106 = Saint Jérôme, Lettres, texte établi et traduit par J. LABOURT, Les Belles Lettres, Paris 1955 (CUF, 148), pp. 104-144. ––, Tractatus LIX in psalmos = Tractatus sancti Hieronymi presbyteri in librum psalmorum, in S. Hieronymi presbyteri Tractatus siue homiliae in Psalmos, in Marci euangelium aliaque uaria argumenta partem nuper detexit, partem adulteris mercibus exemit, auctori uindicauit, adiectisque commentariis criticis primus edidit D. G. MORIN, editio altera aucta et emendata, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1958 (CCSL, 78), pp. [1]-[447]. Julien d’Éclane, Epistula ad Zosimum = Iulianii Aeclanensis Expositio libri Iob. Tractatus prophetarum Osee Iohel et Amos. Accedunt operum deperditorum fragmenta post A. BRUCKNER denuo collecta aucta ordinata, auxiliante M.J. D’HONT, edidit L. DE CONINCK, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1977 (CCSL, 88), pp. 335-336.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Landulf Sagax (?), De expositoribus divinae legis et de auctoribus a Christianis perlegendis = P. LEHMANN, « Cassiodorstudien. V. Ein mittelalterliches Compendium der Institutiones divinarum litterarum », Philologus, 73/2 (1914) [253]-273 [reprod. in ID., Erforschung des Mittelalters, t. 2, A. Hiersemann, Stuttgart 1959, pp. 66-81]. Lucrèce, De rerum natura = Lucrèce, De la nature, texte établi et traduit par A. ERNOUT – Cl. RAMBAUX, 2 t., Les Belles Lettres, Paris 198519906 (CUF, 1). Marco Michele da Cortona, Liber aduersus errores sancti Iohanis Cassiani in Collationibus sanctorum patrum, inédit (édition princeps en préparation). Marius Mercator, Commonitorium super nomine Caelestii (Collectio Palatina, 36) = Concilium universale Ephesenum edidit E. SCHWARTZ, vol. 5 : Pars altera. Cyrilli epistula synodica translata a Dionysio Exiguo, Collectio Sichardiana. Ex collectione Quesnelliana. Collectio Winteriana. Indices, W. de Gruyter & Co, Berolini – Lipsiae 19241926 (ACO, I/5), pp. 65-70. Martyrologium Romanum, ex decreto sacrosancti œcumenici Concilii Vaticani II instauratum auctoritate Ioannis Pauli PP. II promulgatum, ed. altera, Libreria editrice vaticana, Città del Vaticano 2004. Notker Balbulus, Notatio de illustribus uiris = E. RAUNER, « Notkers des Stammlers ‘Notatio de illustribus uiris’. Teil I : Kritische Edition », Mittellateinisches Jahrbuch, 21 (1986) [34]-69. Paulin de Pella, Eucharisticon = Paulin de Pella, Poème d’action de grâces et Prière, introduction, texte critique, traduction, notes et index par Cl. MOUSSY, Éd. du Cerf, Paris 1974 (SC, 209). Prosper d’Aquitaine, Opera = Sancti Prosperi Aquitani S. Augustini discipuli, S. Leonis Papæ Primi notarii, Opera omnia ad manuscriptos codices, necnon ad editiones antiquiores & castigatiores emendata, Nunc primùm secundùm ordinem temporum disposita, Et Chronico integro ejusdem, ab ortu rerum, usque ad obitum Valentiniani tertii, & Romam à Vandalis captam pertinente locupletata, Sumptibus Guillelmi Desprez, Regis Typographi ac Bibliop. ordinarii, et Joannis Desessartz Bibliopolæ ordinarii, viâ Jacobæâ, sub signis Sancti Prosperi, & trium Virtutum, Parisiis 1711. Prosper d’Aquitaine, Ad coniugem suam = Prospero d’Aquitania, Ad coniugem suam, In appendice : Liber epigrammatum, a cura di St. SANTELIA, Loffredo, Napoli 2009 (Studi latini, 68), pp. 7-104.

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

––, Auctoritates = Sancti Prosperi Aquitani liber cui titulus Præteritorum Sedis apostolicæ episcoporum auctoritates de gratia Dei et libero voluntatis arbitrio, PL, 51, coll. 205A-212B. ––, Chronicon = Prosperi Tironis Epitoma Chronicon edita primum a. CCCCXXXIII continuata ad a. CCCCLV, in Chronica minora saec. IV. V. VI. VII. edidit Th. MOMMSEN, vol. 1, Apud Weidmannos, Berolini 1892 (MGH. AA, 9), pp. [341]-485. ––, Contra collatorem = Prosperi Aquitani Opera, Pars I : Liber contra collatorem, cura et studio J. DELMULLE, Brepols, Turnhout 2019 (CCSL, 68). ––, — (trad.) = Œuvres complètes de saint Augustin évêque d’Hippone, trad. PÉRONNE – ÉCALLE – VINCENT – CHARPENTIER – BARREAU, t. 32, L. Vivès, Paris 1873, pp. 729-772. ––, — (trad.) = Prosper of Aquitaine, Defense of St. Augustine, translated and annotated by Pr. DE LETTER, Newman Press – Longmans, New York (NY) – Ramsey (NJ) 1963 (ACW, 32), pp. [70]-138. ––, De uocatione omnium gentium = Prosper, De vocatione omnium gentium, ediderunt R.J. TESKE – D. WEBER, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Wien 2009 (CSEL, 97). ––, epist. 1 (ad Augustinum) = Œuvres de saint Augustin, 3e série : La grâce, t. 24 : Aux moines d’Adrumète et de Provence. De gratia et libero arbitrio. De correptione et gratia. De praedestinatione sanctorum. De dono perseuerantiae, texte de l’édition bénédictine, introduction, traduction et notes par J. CHÉNÉ – J. PINTARD, Desclée de Brouwer, [Paris] 1962 (BA, 24), pp. 392-413. ––, epist. 2 (ad Rufinum) = S. Prosperi Aquitani Epistola ad Rufinum de gratia et libero arbitrio, PL, 51, coll. 77A-90A. ––, — (trad.) = Fr. VINEL, « Une étape vers l’affirmation du salut universel : Prosper d’Aquitaine : Lettre à Rufin sur la grâce et le libre arbitre, introduction et traduction », Revue d’histoire ecclésiastique, 90/3-4 (1995) [367]-395. ––, Expositio psalmorum = Sancti Prosperi Aquitani Expositio psalmorum a centesimo usque ad centesimum quinquagesimum cura et studio P. CALLENS, in Prosperi Aquitani Opera, Pars 2 : Expositio psalmorum. Liber sententiarum, Typographi Brepols editores pontificii, Turnholti 1972 (CCSL, 68A), pp. [1]-211. ––, Peri akharistôn (Carmen de ingratis) = Ch.T. HUEGELMEYER, Carmen de ingratis S. Prosperi Aquitani: A Translation with an Introduction

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INDEX DES ŒUVRES ET DES PASSAGES CITÉS

N.B. : Pour les citations ou les mentions des écrits non scripturaires, l’index ne renvoie qu’au titre de l’ouvrage, sauf pour la Collatio XIII et le Contra collatorem ; les allusions générales à ces deux œuvres, sans précision des passages en cause, ne sont pas signalées.

1. Bible Genèse 1, 16 : 244 Lévitique 27, 28 : 223 Josué : 221 2, 1 : 223 6, 1-20 : 220 6, 4-16 : 222 6, 6 : 221-222 6, 8 : 221 6, 13 : 221 6, 16 : 221 6, 17 : 223 6, 20 : 222 6, 21 : 223 7, 1 : 224 8 : 224 Job 1, 9-11 : 132 Psaumes 39, 2 : 190 58, 11 : 120, 190 68, 4 : 190 87, 10 : 190 87, 14 : 190 Cantique des cantiques 3, 1 : 190

Isaïe 30, 19 : 190 35, 3 : 190 Ézéchiel 33, 11 : 244 Matthieu 1, 5 : 223 7, 7-8 : 275 7, 15 : 80, 163-164 8 : 133 8, 8-10 : 118 11, 18 : 244 11, 27 : 196 16, 17 : 196 16, 27 : 118 18, 14 : 244 Luc 12, 57 : 118 15, 24 : 203 19, 10 : 203 Jean 5, 21 : 196 6, 37 : 196 6, 44 : 129, 229, 278 6, 66 : 196 15, 5 : 196-197 15, 16 : 193, 196-197 Actes des apôtres 16, 6-7 : 285

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INDEX DES ŒUVRES ET DES PASSAGES CITÉS

Romains 2, 14-16 : 131, 194-195 5, 5 : 278 7, 18 : 128 10, 9-10 : 179 10, 21 : 190 12, 3 : 198 I Corinthiens 1, 24 : 268 4, 7 : 195-196 7, 25 : 196-197 12, 3 : 196 15, 10 : 193, 196-197 15, 22 : 203 II Corinthiens 3, 5 : 118, 196 4, 7 : 193, 196 Galates 4, 6 : 278 Éphésiens 2, 8-9 : 196-197 6, 23 : 198 Philippiens 1, 28-29 : 196 1, 29 : 197 2, 3 : 278 2, 12-13 : 196 I Timothée 2, 4 : 244, 252, 277, 284-285 Jacques 1, 17 : 174, 271-275 4, 12 : 66 2.

Citations des Collationes de Cassien et du Contra collatorem de Prosper

Jean Cassien, Collationes : XIII, XVI, XXXIII, 1-2, 31, 58-60, 69, 84,

96-98, 101-103, 114-115, 122, 124, 141, 145, 161, 165, 176, 180, 188, 249 praef. I, 6 : 69, 86-87 1, 12, 1 : 91 1, 14, 8-9 : 244 1, 16, 1 : 91 1, 20, 3 : 165 2, 5, 2 : 107 2, 9, 1 : 91 2, 12, 1 : 91 2, 15 : 192 2, 18, 1 : 91 2, 25, 1 : 91 3 : 116, 125, 250, 252 3, 6 : 250 3, 19, 1 : 116 6, 9, 1 : 107 7, 12, 1 : 107 8, 21, 5 : 245 8, 23, 1 : 245 8, 25, 1-2 : 244 9, 2 : 275 praef. II, 2 : 59 praef. II, 3 : 60 11-13 : 125 11, 4 : 102 13 : 57-62 13, 1-6 : 253 13, 1 : 216 13, 2, 5 : 124 13, 3, 2 : 117 13, 3, 3 : 264 13, 3, 5 : 68, 112, 127, 176, 254, 271 13, 3, 6 : 127 13, 5, 3 : 188 13, 6, 3 : 127

INDEX DES ŒUVRES ET DES PASSAGES CITÉS

13, 7 : 244, 284 13, 7, 1 : 244 13, 7, 2 : 284 13, 8 : 120 13, 8, 3-4 : 127 13, 8, 3 : 120, 150, 244 13, 8, 4 : 120 13, 9, 1 : 127, 135 13, 9, 2-4 : 255 13, 9, 2 : 118, 190 13, 9, 4 : 127, 169, 255, 261 13, 9, 5 : 114, 128, 255 13, 9, 11 : 189 13, 9, 12 : 189 13, 9, 13 : 189 13, 10 : 253 13, 11 : 189, 191, 256 13, 11, 1 : 128-129, 150, 189, 208, 251, 254 13, 11, 4 : 128-130, 191 13, 11, 5 : 130, 135 13, 12 : 245, 253, 255 13, 12, 2 : 130, 148, 267 13, 12, 3 : 114, 131, 267 13, 12, 4 : 114 13, 12, 5 : 114, 118, 131-132, 149, 151 13, 12, 6 : 114, 131, 135 13, 12, 7-8 : 248, 254 13, 12, 7 : 114, 132, 186, 244, 255 13, 12, 8 : 188, 250 13, 12, 10-12 : 189 13, 14, 1-2 : 132 13, 14, 3-4 : 118, 133 13, 14, 4 : 119 13, 14, 8 : 189 13, 15 : 198

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13, 15, 5 : 119 13, 16, 1-2 : 119 13, 16, 1 : 133, 178 13, 17, 2 : 133 13, 17, 4 : 114 13, 18, 4 : 188, 254 17, 17, 1 : 223 praef. III, 1 : 59-60 19 : 30 20, 8, 1 : 263 23, 12 : 245 Prosper d’Aquitaine, Contra collatorem 1 – 2, 1 : 126 1, 1-2 : 79, 145 1, 1 : 57, 60, 69, 71, 90, 93, 139, 145-146, 153-155, 163-165, 201, 219 1, 2 : 3, 17, 50, 70, 87, 219, 223, 233, 236, 242 2, 1 : 21, 72, 84-86, 91, 94-96, 99, 102-103, 123, 141 2, 2 : 120, 127, 141-142, 174175, 254, 263, 271 2, 3-5 : 127 2, 3 : 54-55, 120, 124, 142, 150, 244 2, 4 : 135, 178, 190, 275 2, 5 – 6 : 67 2, 5 : 68, 87, 141-142, 174175, 271, 275 3 – 4, 1 : 127-128 3, 1 : 118, 172, 190, 196, 247, 251-252, 274-275 3, 2 : 68, 107, 142, 169-170, 175-176, 261, 271 4, 1 : 270

362

INDEX DES ŒUVRES ET DES PASSAGES CITÉS

4, 2 : 68, 115, 118, 128, 175, 193, 255, 269, 271, 275 5-7 : 128-129 5 : 56, 207, 213, 216, 226-229, 251 5, 1 : 150, 172, 208 5, 2 : 143, 170, 177, 211 5, 3 – 6 : 129 5, 3 : 14, 92, 143, 150, 153154, 170, 172, 189, 208210, 212-213, 215, 218221, 231, 261 6 : 150, 269-270 7 : 129, 189, 192, 256, 277 7, 1-3 : 277 7, 1 : 167, 242, 261 7, 2 : 229, 277-278 7, 3 : 141, 193 8 : 129-130, 191 8, 1-2 : 149, 216 8, 1 : 191 8, 2 : 118, 194-199 8, 3 : 107, 175-176, 197, 271 9 : 202-203 9, 1 : 92, 107, 130, 135, 190 9, 2 – 10 : 130-131, 245 9, 2-5 : 130, 267 9, 2-3 : 205 9, 2 : 117, 148 9, 3-5 : 246 9, 3 : 148, 203, 264, 266-267 9, 4-5 : 148 9, 4 : 155, 166, 177 9, 5 : 164, 178, 202, 245-246, 263, 267, 270 10 : 131 10, 1-3 : 267 10, 1 : 115, 268

10, 2 : 242, 264, 268 10, 3 : 141, 166, 193, 264, 273 11-12 : 131 11, 1 : 115, 118, 149, 261-262 11, 2 : 115, 141, 151, 166, 172, 177 12 : 131, 135, 189 12, 1 : 135, 141-142, 175, 271 12, 3 : 276, 279, 285 12, 4 : 264, 267, 273 13 : 132, 148-149, 267 13, 1-5 : 132 13, 1 : 115, 186, 244, 250, 254, 261, 268 13, 2 : 116, 248 13, 3 : 67, 116, 174 13, 4 : 187, 195-196, 261 13, 5 : 163, 264, 268 13, 6 : 116, 132, 141, 149, 170, 186, 193, 195-196, 198, 250, 268, 282-283, 285 14-15 : 132-133 14 : 169 14, 1 : 132, 196, 261, 269, 272 14, 2 – 18, 3 : 67 14, 2 : 21, 68, 72-73, 84, 87, 93-94, 115, 132, 141-142, 166, 168, 170, 172, 175176, 220, 256, 271, 273274 14, 3 : 72 15 : 133 15, 1 : 261 15, 2 : 67, 143 15, 4 : 152, 166-167, 212, 224, 261 16-17 : 133 16 : 133

INDEX DES ŒUVRES ET DES PASSAGES CITÉS

16, 1 : 117-118, 170, 174, 185, 190-191, 252 16, 2 : 174 17 : 67, 133, 172, 178-179 18 : 133-134 18, 1 : 68, 141, 175, 271 18, 2 : 196 18, 3 : 9, 166, 198, 261, 269270, 278 19-20 : 71, 134 19 : 118, 122, 134-135, 168, 296 19, 1 : 67, 70-71, 84, 94, 140, 142, 156, 168-169, 171-172 19, 2 : 71, 127, 157, 174-175 19, 3 : 55, 121, 127, 157, 190 19, 4 : 127, 270 19, 5 : 115, 118, 128 19, 6 : 73, 128, 150, 192 19, 7 : 129, 269 19, 8 : 117, 130, 148 19, 9 : 115, 131 19, 10-11 : 261 19, 10 : 115, 132 19, 11 : 132, 261 19, 12 : 118, 133 19, 13 : 73, 133 20 : 84, 94, 96, 99, 134, 168170, 261 21 : 55, 134, 207, 227-229, 234 21, 1-2 : 228, 231 21, 1 : 18, 72, 75-77, 79, 87, 164, 169, 230, 232-233 21, 2 : 16, 48-49, 52-53, 57, 63, 171, 212, 216, 232, 234235 21, 3 : 4, 9, 46-47, 77, 98, 163, 201, 213, 222, 235, 242

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21, 4 : 48-49, 74, 80, 160, 179, 201, 216, 264, 288 22 : 67, 73, 81, 134, 156, 180, 239-240, 272 3. Autres œuvres anciennes et médiévales Ambroise de Milan De fide ad Gratianum : 221 Expositio euangelii secundum Lucam : 203-205 Apponius In Canticum Canticorum expositio : 167 Arnobe le Jeune Praedestinatus : 293 Athanase d’Alexandrie Vita Antonii : 185 Augustin d’Hippone Confessiones : 6 Contra Academicos : 107 Contra duas epistulas Pelagianorum : 10, 12, 18, 7779, 196, 206, 210 Contra Faustum : 109, 137, 142 Contra Iulianum : 18, 107, 109, 137, 204, 275 Contra Iulianum opus imperfectum : 18, 107, 109, 137, 163, 204-205, 210 De correptione et gratia : 31, 33-34, 145, 196, 253, 268, 278 De dono perseuerantiae : 35, 145, 196, 239, 274, 288, 293

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INDEX DES ŒUVRES ET DES PASSAGES CITÉS

De gestis Pelagii : 7, 10, 8990, 194, 196 De gratia Christi et de peccato originali : 6-7, 14, 194, 196, 206-207 De gratia et libero arbitrio : 31-32, 145, 189, 196-198, 243 De natura et gratia : 9, 89, 108, 137, 196, 256 De nuptiis et concupiscentia : 18, 109, 205-206 De peccatorum meritis et remissione et de baptismo paruulorum : 8, 50, 105 De perfectione iustitiae hominis : 8, 98, 105-108, 121, 136-138, 196 De praedestinatione sanctorum : 35-36, 46, 145, 196, 210, 287, 293 De spiritu et littera : 105, 194 Enarrationes in psalmos 113, s. 1 : 221 Enchiridion : 194 Epistulae 156 : XIX 157 : 7-8, 196 169 : 105 175 : voir Concile de Carthage de 416 176 : voir Concile de Milev de 416 177 : 11 179 : 9 181-183 : voir Innocent Ier 186 : 135 191 : 64

194 : 31-32, 64, 74-75, 80, 163, 179, 216, 271 214 : 196, 271 217 : 135-136 225 : voir Prosper d’Aquitaine 226 : voir Hilaire (de Marseille ?) 6* : 21 19* : 21 Retractationes : 77, 98, 100, 105, 256 Sermones 7 : 154 26 : 263 131 : 12 Bède le Vénérable De arte metrica : 39 In Cantica Canticorum : 109 Benoît de Nursie Regula monachorum : XIII, 294 Bern de Reichenau Epist. 6 : 295-296 Burginda Expositio breuis : 167 Cassiodore Expositio psalmorum : 167, 193 Institutiones : XIII-XIV, 81, 100, 199, 294, 296 Célestin Ier Epist. J3 845 : 44-46, 56, 63, 209, 213, 235 Cicéron De oratore : 95 Partitiones oratoriae : 95, 143 CIL, XII, 5336 : 45 Codex Theodosianus : 16 Concile de Carthage de 416 (inter Augustini epist. 175) : 11

INDEX DES ŒUVRES ET DES PASSAGES CITÉS

Concile de Carthage de 418 : 13, 210, 212, 218 Concile de Milev de 416 (inter Augustini epist. 176) : 11 Constance III Epistula ad Volusianum (Collectio Quesnelliana, 19) : 16, 76 Constitutiones Sirmondianae : 16 Decretum pseudo-Gelasianum : XIV, 294 Denys le Chartreux Translatio librorum Joannis Cassiani presbyteri ad stilum facillimum : 297 Ennode de Pavie Libellus aduersus eos qui contra synodum scribere praesumpserunt : 193 Épiphane de Salamine Panarion : 109 Évêques d’Afrique Epist. [2] ad Zosimum papam : 211, 218 Fauste de Riez De gratia : 251 Epist. 3 : 89 Fauste le manichéen Capitula : 109 Firmicus Maternus De errore profanarum religionum : 154 Fulgence de Ruspe Contra Fabianum : 109 De fide ad Petrum : 71 Epist. 16 : 212 Gennade de Marseille De uiris illustribus : XXXIX, 20, 25, 27, 38, 62-63, 66, 8889, 295

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Hégésippe Historia : 88 Hermas Pastor : 132, 149, 186 Hermogène Progymnasmata : 95 Hilaire (de Marseille ?) Epist. (inter Augustini epist. 226) : 25, 35-36, 276 Honorius et Théodose II Rescriptum ad Palladium (Collectio Quesnelliana, 14) : 13, 15, 76 Epistula ad Aurelium Carthaginensem (Collectio Quesnelliana, 16) : 16, 76 Hormisdas Epist. ad Possessorem (= Collectio Avellana, 231) : 293 Innocent Ier Epist. J3 708 (inter Augustini epist. 181) : 11, 210 Epist. J3 709 (inter Augustini epist. 182) : 11 Epist. J3 710 (inter Augustini epist. 183) : 11 Isidore de Séville De uiris illustribus : 98 Jean Cassien De Incarnatione Domini : XXXI, XXXIII, XL, 30, 63, 183185, 203, 207, 243 De institutis coenobiorum : 1-2, 30-31, 69, 161, 165, 248-250, 252 Jean Scot Érigène Periphyseon : 203

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INDEX DES ŒUVRES ET DES PASSAGES CITÉS

Jérôme de Stridon Aduersus Iouinianum : 147 Dialogus contra Pelagianos : 91 Epist. 106 : 146 Tractatus LIX in psalmos : 146 Pseudo-Jérôme de Stridon De septem ordinibus Ecclesiae : 45 Julien d’Éclane Ad Florum : 109 Ad Turbantium : 109 De amore : 109 Epistula ad Romanos : 17 Epistula ad Zosimum : 17 Landulf Sagax (?) De expositoribus divinae legis et de auctoribus a Christianis perlegendis : 81 Liber pontificalis : 49 Lucrèce De rerum natura : 229 Marco Michele da Cortona Liber aduersus errores sancti Iohanis Cassiani in Collationibus sanctorum patrum : 123, 297 Marius Mercator Commonitorium super nomine Caelestii : 7, 16-17 Notker le Bègue Notatio de illustribus uiris : 199 Paulin de Milan Libellus accusationis : 7, 157 Paulin de Pella Eucharisticon : 20

Pélage De natura : 9 Epistula purgationis ad Innocentium papam : 11 Expositiones XIII epistularum Pauli apostoli : 6 Libellus fidei ad Innocentium papam : 11 Pro libero arbitrio : 206 Possidius de Calama Indiculus : 105 Prosper d’Aquitaine Ad coniugem suam : 39 Chronicon : 13, 39, 49-52, 87, 173, 225-226 De uocatione omnium gentium : XXI, XXVIII, 194, 196, 209, 260, 263, 279, 283, 286 Epigrammata in obtrectatorem Augustini : 43, 58 Epist. 1 (ad Augustinum) : 2122, 25, 34, 36, 58, 93, 202, 284-286 Epist. 2 (ad Rufinum) : XLI, 5, 41-42, 56, 58, 60-61, 65, 90, 93, 107, 153, 179, 188, 196, 210, 228, 231, 262, 274, 282, 285 Epitaphium Nestorianae et Pelagianae haereseon : 64 Expositio psalmorum : 98, 221 Liber sententiarum : XXVII Peri akharistôn (Carmen de ingratis) : XXII, XLI, 17, 19, 42-43, 62, 65-66, 70, 73, 77, 83, 92, 111, 136, 160, 167, 173, 196, 202, 219, 221,

INDEX DES ŒUVRES ET DES PASSAGES CITÉS

228-235, 260-261, 270-271, 273, 281, 287-288 Praeteritorum sedis apostolicae episcoporum auctoritates : 53, 81-82, 196, 209, 212-216, 276 Responsiones ad capitula obiectionum Gallorum calumniantium : 51, 55, 69, 83, 90, 107-108, 138-140, 142, 153, 156, 188, 196, 200, 262, 281-283, 286, 288 Responsiones ad capitula obiectionum Vincentianarum : 51, 55, 66, 69, 83, 93, 138-139, 142, 188, 196, 281, 283, 288 Responsiones ad excerpta Genuensium : 46, 51, 55, 83, 90, 108, 138, 142, 188, 194, 196, 288 Pseudo-Prosper d’Aquitaine Carmen de prouidentia Dei : XVIII, 37 Epistula ad Demetriadem : 260 Ptolémée Epistula ad Floram : 109 Rhetorica ad Herennium : 85 Rufin d’Aquilée De adulteratione librorum Origenis : 100

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Eusebii historia ecclesiastica : 154 Rusticus diacre Synodicon : 193 Sidoine Apollinaire Epist. 9 : 88 Théodoret de Cyr Quaestiones in Iosue : 223 Théodose II : voir Honorius Velleius Paterculus Historia Romana : 88 Vincent de Lérins Commonitorium : 53, 69, 81, 186 Excerpta : 81 Volusianus Edictum (Collectio Quesnelliana, 20) : 16 Wulfstan d’York De adiutorio Dei et libero arbitrio : 296 Xyste III Epist. J3 870 : 52 Epist. J3 871 : 52-53 Zosime Epist. J3 734 : 12 Epist. J3 737 : 12 Epist. J3 748 : 12 Epist. J3 757 (Tractoria) : 1415, 18, 76, 211, 214

INDEX DES NOMS DE PERSONNES BIBLIQUES, ANTIQUES ET MÉDIÉVAUX

N.B. : Les noms de personnes sont donnés sous leur forme francisée lorsque celle-ci est usitée. Les mentions des noms de Prosper et de Cassien n’ont pas été recensées.

Abraham : 119 Adam : 7-9, 130-132, 148, 164, 166, 169-170, 202-203, 210, 243-249, 263, 265-270, 273, 279 Ambroise de Milan : 111, 202-207, 217, 220-221 Antoine (saint) : 185 Apponius : 167 Arcadius (évêque gaulois) : 45 Arnobe le Jeune : 293 Athanase d’Alexandrie : 185 Atticus de Constantinople : 16 Augustin d’Aquilée : 18 Augustin d’Hippone : XV, XVIII-XXI, XXIII, XXVI, XXIX, XXXIII, XXXVIXXXIX, XLI-XLII, XLIV, 3-12, 15, 18, 20-25, 31-36, 40-42, 44-46, 49-50, 55, 57-58, 6165, 69-70, 74-81, 86, 88-90, 99-100, 105-106, 108, 111, 115, 121-122, 126, 134-135, 137-140, 142, 145-146, 153154, 163, 170, 173-174, 179, 186-187, 189, 194-208, 210, 213-214, 216, 219, 222, 224227, 231, 234-237, 239-240, 242-243, 246-247, 251-253, 256-260, 262-263, 265-266, 269, 271, 273-276, 278-280, 282-291, 293

Aurélius de Carthage : 7, 11-12, 16, 76 Auxonius (évêque gaulois) : 45 Bède le Vénérable : 39, 109 Benoît de Nursie : XIII-XIV, 294-295 Bern de Reichenau : 296 Boniface Ier (pape) : 16, 48, 74-80, 134 Boniface II (pape) : XL, 292 Burginda : 167 Cassiodore : XIII-XIV, 81, 100, 167, 193, 294-296 Célestin Ier (pape) : 16, 44-46, 4849, 52-53, 56, 62-64, 74-76, 81, 134, 209-210, 212-214, 216, 222, 226, 232, 234-235, 289 Célestius : 6-18, 21, 41, 49-50, 76, 98, 104-106, 137-138, 172, 211, 216, 228, 234 Césaire d’Arles : XLI, 293 Chérémon : 101-104, 115-116, 119, 124, 126, 142, 154, 188, 241, 248, 252-253, 257 Cicéron : 95 Constance III (empereur) : 16, 76 Constantius (romain) : 13 Cresconius (moine d’Hadrumète) : 32 Cyprien de Carthage : 222 Cyrille d’Alexandrie : 52, 232

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INDEX DES NOMS BIBLIQUES, ANTIQUES ET MÉDIÉVAUX

David : 131, 135 Démosthène : 220 Denys le Chartreux : 296-297 Ennode de Pavie : 193 Épiphane de Salamine : 109 Eucher de Lyon : XVIII, 27, 36, 59 Euladius d’Arles : 22 Eutrope (évêque) : 105 Eutychès : 38 Évagre le Pontique : XXXIII Évodius d’Uzalis : 32 Fabianus (arien) : 109 Fauste (manichéen) : 109, 142 Fauste de Riez : XLI, 89, 195, 251, 255, 270, 293 Félix (moine d’Hadrumète) : 32 Fillucius (évêque gaulois) : 45 Firmicus Maternus : 154 Florus (moine d’Hadrumète) : 31 Frétéla (correspondante de Jérôme) : 146 Frédéric (correspondant de Bern de Reichenau) : 296 Fulgence de Ruspe : 71, 109, 114, 195, 212, 293 Gélase (Pseudo-) : XIV, 294 Gennade de Marseille : XXXIX-XL, 20, 25, 27, 38, 62-63, 66, 8889, 295 Genséric : 38 Germain (compagnon de Cassien) : 26, 91, 101, 116, 124, 252 Grégoire le Grand : 214 Hégésippe : 88 Helladius d’Arles : 22 Hermas : 132, 149, 186, 188 Hermogène : 95 Héros d’Arles : 12

Hilaire (de Marseille ?) : XIX, XXXVIII, 25, 33, 35, 42, 44-46, 56, 62, 212, 247, 276, 289 Hilaire d’Arles : XVIII, 22, 45 Hilaire de Syracuse : XIX Honorat de Marseille : 27, 59 Honorius (empereur) : 13, 16, 18, 76 Hormisdas : 293 Innocent Ier : 11, 18, 48, 74, 129, 210-211, 214, 217-219 Isidore de Séville : 98 Jacques (apôtre) : 271, 274 Jacques (correspondant d’Augustin) : 9 Jean Chrysostome : XXXIII, 15 Jean d’Antioche : 52-53 Jean de Jérusalem : 9 Jean Scot Érigène : 203 Jérôme de Stridon : 26, 91, 103, 146-147, 162, 164, 167 Job : 100, 132-133, 152, 192 John Boston de Bury : 295 Josué : 221 Jovinien (hérétique) : 147 Jovinien (moine gaulois) : 60 Julien d’Éclane : 14-19, 27, 49-50, 52, 82, 109, 137, 204, 206, 228, 275, 285, 292 Landulf Sagax : 81 Lazare d’Aix : 12 Leo (pers. fictif) : 63 Léon le Grand : XXVIII, 19, 38, 49, 52, 63-64 Léonce (moine gaulois) : 60 Leontius (évêque de Fréjus) : 45 Léporius : XXXIX-XL, 20, 183 Luc (évangéliste) : 204

INDEX DES NOMS BIBLIQUES, ANTIQUES ET MÉDIÉVAUX

Lucrèce (poète) : 229 Lydie (pers. des évangiles) : 193, 285 Marcellin (comte) : 8, 105 Marco Michele da Cortona : 123, 297 Marinus (évêque gaulois) : 45 Marius Mercator : XLII, 7, 16-17 Martin de Tours : 28 Matthieu (évangéliste) : 129, 192, 277 Minerve (moine gaulois) : 60 Moïse (abbé) : 165 Musée de Marseille : 27 Nesteros (abbé) : 91 Nestorius : XXXI, XXXIII, 16, 19, 63, 171, 183-184, 234, 289 Notker le Bègue : 198, 200-202 Origène : 162, 186, 252 Palladius (évêque irlandais) : XXIX, 47-48, 51, 53 Palladius (préfet du prétoire) : 13, 76 Paphnuce (abbé) : 115 Patrick (évêque irlandais) : 47-48, 53 Patrocle d’Arles : 16, 22, 27, 44 Paul (apôtre) : 6, 129-131, 133, 190-195, 197, 277, 285-286 Paul (évêque) : 105 Paulin de Milan : 7, 157 Paulin de Nole : 6 Paulin de Pella : 20, 29 Pélage : XV, XX-XXI, XXXIII, XXXVI, XXXIX, XLI-XLII, 3-16, 18-24, 35, 41, 49-52, 64-65, 77, 79, 89, 91, 105-106, 109, 114, 129130, 133, 135, 137, 139, 164, 171-173, 178-180, 189, 191,

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195-199, 201, 204, 206-208, 210-211, 213, 216, 218-219, 227-228, 231-232, 234, 236, 243, 246-248, 251-252, 260, 262, 265, 271, 274, 285, 287 Pierre (saint) : 11, 215-216, 218, 232, 293 Plutarque (Pseudo-) : 188 Possessor (évêque) : 293 Possidius de Calama : 105 Priscillien d’Ávila : 3 Proculus de Marseille : 28, 45 Ptolémée : 109 Rahab : 223 Rufin (correspondant de Prosper) : 5, 41-42, 60, 92, 122 Rufin d’Aquilée : 100, 154 Rufus de Thessalonique : 18 Rusticus (diacre) : 193 Rustique de Narbonne : 45 Sabinus (prêtre africain) : 32 Salomon : 131, 135 Salvien de Marseille : 27 Sidoine Apollinaire : 88 Sixte III : voir Xyste III Socrate : 188 Sulpice Sévère : 20 Sunnia (correspondante de Jérôme) : 146 Tertullien : 162 Théodore (moine gaulois) : 60 Théodoret de Cyr : 223 Theodorus (abbé) : 91 Théodose II (empereur) : 13, 1618, 25, 62, 76 Timase (correspondant d’Augustin) : 9 Tyconius : 188, 223

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INDEX DES NOMS BIBLIQUES, ANTIQUES ET MÉDIÉVAUX

Valentin (abbé d’Hadrumète) : 32, 271 Valentinien III (empereur) : 25, 38, 62 Velleius Paterculus : 88 Vénérius (évêque de Marseille) : 45 Victor de Mattarita : 100, 294 Victorin de Poetovio : 223 Vincent de Lérins : XVIII, 37, 53, 69, 81, 186 Vital (correspondant d’Augustin) : 135

Volusianus (Rufius Antonius Agrypnius) : 16 Wulfstan d’York : 296 Xyste III : 19, 31, 48-49, 51-53, 6365, 74-83, 134, 157, 201, 207, 216, 220, 226, 234, 289-290, 292-293 Zachée : 129, 192, 277 Zosime (pape) : 11-14, 16-18, 27, 44, 48, 51, 74, 76, 79, 129, 134, 211, 214-215, 217, 219, 232

INDEX DES NOMS DE PERSONNES MODERNES ET CONTEMPORAINS Achard, G. : 85 Adriaen, M. : 167, 203, 205 Albert, L. : 163 Alciati, R. : XXX, 25-26, 29 Alexandre, M. : XLII Allen, H.M. : 147 Allen, P.St. : 147 Altaner, B. : 212 Amann, É. : XXXVI, XXXVIII, 51-52, 63, 183-184, 211-212 Amengual i Batle, J. : 278 Ando, Cl. : 186 Andreae, J. : XXXVI Arias, D. : 182 Arnauld, A. : 45-46 Arns, P. : 99, 103 Astarita, C. : 33 Auerbach, E. : 231 Aymeric, J. : 180 Baader, G. : XVIII Backus, I. : XXXVI-XXXVII Bădiliță, Cr. : XVI, XXVI, XXXIIXXXIII, 241 Banterle, G. : 206 Barbu, D. : 186 Barclift, Ph.L. : 282 Bardenhewer, O. : 48 Bardy, G. : XIV, 37, 48, 96, 140, 256, 287 Baronius, C. : 16 Barreau, H. : 107 Bartelink, G.J.M. : 185 Bartnik, Cz.St. : 283 Baumbach, M. : 43

Baun, J. : XXIX, XXXIV, 5, 260, 283, 293 Bayet, A. : XLI-XLII Beatrice, P.F. : XXXVI, 11 Béchillon, M. de : XLIII Becht-Jördens, G. : 43 Bellanger, L. : XXIII Benson, M. : XXX, 199 Bentivegna, G. : 288 Bernard-Valette, Cl. : 64, 275 Bernardino, P. : XXXII Berrouard, M.-Fr. : 21 Bévenot, M. : 222 Bèze, Th. de : XXXVI-XXXVII Bianchi, L. : 155 Biarne, J. : 30 Bieler, L. : 48, 51 Blaise, A. : 193 Blanc, C. : 29 Blanchard, A. : 97 Bleuzen, E. : 11, 18, 206 Bochet, I. : 278 Bonner, G. : 5-7, 105 Bonsangue, V. : 163 Bornecque, H. : 95 Bosio, G. : 237 Bossuet, J.-B. : 220 Bougard, Fr. : XIV Bouhot, J.-P. : 81, 199 Boureau, A. : 155 Bourgain, P. : 97 Brand, Ch. : XXXI Brandl, M. : XX Breton, G. : XXII

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INDEX DES NOMS MODERNES ET CONTEMPORAINS

Brix, L. : 260, 263 Broc, C. : XXXIII, 38 Brown, P. : 6 Bruch, J.-Fr. : XIX Brunhölzl, Fr. : 199 Burgio, S. : 288 Bussières, M.-P. : 141, 143 Byrne, R. : 30 Calboli Montefusco, L. : 85-86, 95 Callens, P. : 98, 221 Cameron, A. : XXIX, XXXIV, 5, 260, 283, 293 Campi, E. : 284 Cappuyns, M. : XXVI-XXVII, 40, 55, 58, 60-61, 85, 187, 209, 214, 258, 263, 280-281 Casiday, A.M.C. : XVI, XXXI-XXXIV, XXXVIII-XL, XLIII, 36, 42-43, 115, 119, 185, 242, 279, 284 Castel, J. : XXII Cayré, D. : 273 Cazier, P. : 188 Ceillier, R. : 54 Chadwick, N.K. : 253 Chadwick, O. : XIII, XXXII, 2, 22, 26, 31, 44, 171, 240, 247 Chapot, Fr. : 147 Charles-Edwards, Th.M. : XXIX Charpentier, M. : 107 Chastagnol, A. : 16 Chéné, J. : 22, 32-36, 107, 269, 272, 274, 276, 280, 284 Chiesa, P. : 49 Chillet, Cl. : 27 Chirat, H. : 193 Choisy, E. : XXXVIII Chomsky, N. : 182

Chvátal, L. : 23 Codina, V. : XXXIII Codoñer Merino, C. : 98 Codou, Y. : 25, 28 Collini, St. : 115 Compagnon, A. : 110, 114-115, 144, 217 Condamin, J. : 180 Connors, L. : XXX, 199 Cotoni, M.-H. : 226 Cotton, Fr. : 182 Courbaud, E. : 95 Courcelle, P. : 1, 29, 173, 204 Courrier, C. : 27 Courtois, Chr. : 28 Coustant, P. : 211 Couture, L. : XXII-XXIV Cristiani, L. : 250 Croke, W.J.D. : 48 Cross, F.L. : 103 Cutino, M. : XXXIX, 5, 37, 43, 5860, 163, 267, 273 Czapla, Br. : 61 Czarnowski, St. : 47 Dal Covolo, E. : 237 Dalmon, L. : 10-12 Dampierre, É. de : 172 Daniélou, J. : 186 Darbo-Peschanski, C. : 110 De Clerck, P. : 277 De Coninck, L. : 17 De Letter, Pr. : 60, 107, 260, 263, 283, 286 De Rossi, G. B. : 214 Dekkers, E. : 221 Dekoninck, R. : 70 Delaroche, Br. : 8 Deléani, S. : 67

INDEX DES NOMS MODERNES ET CONTEMPORAINS

Delmulle, J. : XVI, XXV, 3, 17-18, 21, 42-43, 46, 48-50, 52-55, 57, 59, 63-74, 76-77, 79-81, 84-85, 87-88, 90, 92-96, 9899, 102-103, 107, 111, 114, 117-123, 136, 139, 141-143, 145-146, 148-155, 157, 160, 163-164, 166-172, 174-180, 185-187, 189-191, 193-195, 197-198, 201-205, 208, 212214, 216, 218-220, 222-224, 229-236, 239-240, 242, 244248, 250-251, 255-256, 261264, 266-279, 282, 285, 288, 292, 295-297 Demeulenaere, R. : 53, 81, 186 Depreux, Ph. : XIV Descotes, P. : 32, 64, 75 Desmulliez, J. : 70, 209 Dessì, R.M. : 22 Dey, H. : 29 Di Berardino, A. : XXVI Diem, A. : 29 Disdier, M.-Th. : 64 Djuth, M. : 241 Dobschütz, E. von : XIV Dolbeau, Fr. : 50, 100 Dolby Múgica, M.a d. C. : 263 Dorandi, T. : 149 Doucet, D. : 6 Drecoll, V.H. : 4, 21, 260, 263, 281 Drinkwater, J. : 28 Dubarle, A.-M. : XXXVII Duchesne, L. : 44, 49 Dulaey, M. : 36, 203 Dunn, G.D. : XXVIII, 12 Dunn, M. : 29 Dunphy, W. : 50

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Dupont, A. : XXIX, 174, 278 Duval, Y.-M. : 9, 17, 162, 226 Duville, D.N. : XXIX Ebert, A. : 180 Écalle, M. : 107 Eco, U. : 115 Edwards, M. : XXIX, XXXIV, 5, 260, 283-284, 293 Elberti, A. : XXVIII, 283 Elfassi, J. : 49 Ellul, J. : 181 Elton, H. : 28 Engel, G. : 124 Engelbrecht, A. : 251 Ensslin, W. : 37, 48 Érasme : 147 Erekson, P. : XXX, 199 Ernout, A. : 229 Eugène, B. : 182 Fairbairn, D. : XXXI, 243 Faller, O. : 221 Fear, A. : 13 Federer, K. : 276 Fentress, E. : 29 Fernández López, L. : 240 Fernández Ubiña, J. : 13 Firey, A. : 213 Fischer, B. : 163 Fitzgerald, A.D. : XLI, 2, 38, 105 Fixot, M. : XIII, 30, 63 Fleury, P. : 143 Folliet, G. : 268 Fontaine, J. : 29 Fortin, E. L. : 89-90 Fraipont, J. : 71, 212, 221 Fraisse-Coué, Chr. : 52 Franke, J.R. : 221 Franses, D. : 60

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INDEX DES NOMS MODERNES ET CONTEMPORAINS

Fredouille, J.-Cl. : 67, 162 Fux, P.-Y. : 14 Gabriel, Fr. : 114 Galand-Hallyn, P. : 141 Gallo, G. : 45 Galtier, P. : 29 Gamble, H.Y. : 97 Gantoy, R. : 232 Garrod, H.W. : 147 Garzya, A. : 73 Gauthier, N. : XLII Geerlings, W. : 150 Geffcken, J. : XVIII, XX Genest, J.-Fr. : 81 Genette, G. : 84 Gérold, Th : XIX Gerzaguet, C. : 64, 275 Ghellinck, J. de : XIV-XV, 96, 295 Gioanni, St. : XIV, 23, 27 Gizewski, Chr. : 154 Glockmann, G. : 212 Godet, P. : 2, 246 Goelzer, H. : 99 Goldbacher, A. : 7, 64, 135-136, 210 Goodman, M. : XXXIX Goodrich, R.J. : 2, 28, 69 Goudriaan, A. : XXXVI-XXXVII Goulet-Cazé, M.-O. : 67, 149-150 Grane, L. : 284 Granier, Th. : 197 Grant, R.M. : 151 Gribomont, J. : 163 Griffe, É. : 1, 26, 29, 44-45 Grosjean, P. : 53 Grossi, V. : XXXIX, XLI, 252, 260, 262, 281, 284 Grumel, V. : 232

Gryphe, S. : 43, 123 Gryson, R. : 163, 221-222 Gumerlock, Fr.X. : 293 Günther, O. : 12, 293 Guy, J.-Cl. : 30, 101, 103, 248-249 Hagendahl, H. : 167 Halley, Sl. : XXX, 199 Hamman, A.-G. : XXVI, 38, 48 Hanson, R.P.C. : 29 Harnack, A. von : XXXVIII Hauck, A. : 38, 48, 122 Heijmans, M. : 26, 28, 39, 45, 91 Heim, C. : 231 Heinzelmann, M. : 28 Hellegouarc’h, J. : 88 Hemmer, H. : 214 Herman, E.S. : 182 Hettema, Th. L. : 13 Hobbs, T.R. : 223 Hoch, A. : 241 Hoët-Van Cauwenberghe, Chr. : 209 Hoffmann, Ph. : 67 Holder-Egger, O. : 39, 48, 88 Holdsworth, Chr. : 226 Holtz, L. : 97, 149 Holze, H. : 29 Hombert, P.-M. : 50, 105, 195 Hübner, W. : 97-99 Hudon, G. : 64 Huegelmeyer, Ch. : 17, 19, 42, 70, 92, 160, 167, 219, 229-230, 232-235, 260, 270-271, 273, 281 Humphries, M. : 226 Humphries, Th.L. : 279 Hušek, V. : 23 Hwang, A.Y. : XXV, XXVIII, XXXVIIIXXXIX, XLIII, 36-39, 41-43, 45-

INDEX DES NOMS MODERNES ET CONTEMPORAINS

46, 55, 62, 66, 69, 160, 208209, 227, 231-232, 240, 254255, 257, 259, 279-280, 282, 284, 286, 292 Icard, S. : 194 Inglebert, H. : 226 Ingremeau, Ch. : 8 Isaia, M.-C. : 197 Jacob, Chr. : 141 Jacob, P.-A. : 22 Jacquin, A. M. : XXV, XXXV-XXXVI, 42, 153, 202, 280-281, 285 Jaffé, Ph. : 49, 52 Jakab, A. : XXVI, XXXIII James, N.W. : XXVIII, 293 Jansenius : XXXVI, XLII, 81 Janson, T. : 124 Jean-Paul II : XIII Jeanjean, B. : 93, 159, 162, 164, 167, 171 Jeauneau, É. : 203 Jolivet, J.-Chr. : 209 Jouanna, A. : 226 Jundt, A. : XXXVI Karfíková, L. : 23, 241 Kasper, Cl.M. : 25, 34, 270 Keech, D. : 246 Kelly, Chr.J. : 188 Kelly, J.F. : 203 Kendall, C.B. : 39 Kleist, A.J. : 296 Klenz, H. : XVIII Köhler, H. : 43 Koopmans, J.H. : 50 Krabbe, M.K.Cl. : 260 Krannich, T. : 20 Kreuz, G. : 188, 192 Kristensen, A. : 188

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La Bonnardière, A.-M. : 105, 197 La Tullaye, J. de : 8-9, 90-91, 106107, 121 Labourt, J. : 146 Lamberigts, M. : 13, 174, 204, 278 Lambot, C. : 263 Lanéry, C. : 49 Lapeyre, G. G. : 212 Laugier, J. : 241 Launoy, J. de : 59, 82 Lauwers, M. : XIII, 22, 25, 28 Le Boulluec, A. : 159, 162 Le Brun Desmarettes, J.-B. : 99 Le Jan, R. : XIV Leclercq, H. : 96 Leclercq, J. : 167 Lehmann, P. : 81 Lenain de Tillemont, L. S. : 16, 51, 54, 57, 63-64 Lesêtre, H. : 222 Lettieri, G. : 237 Levillain, L. : XXIII Leyser, C. : XLI Lienhard, J.T. : 108 Lippmann, W. : 181-182 Livingstone, E.A. : 165, 203, 283 Löhr, W. : 4 Lombard, J. : XIX-XX Loofs, Fr. : XXXV Lorenz, R. : XXVII-XXVIII Lossky, V. : 245 Lössl, J. : 15, 17, 19 Loyen, A. : 26-27, 88 Lubac, H. de : 220 Lütcke, K.-H. : 160 Luther, M. : XXXVI Lütkenhaus, W. : 16 Madec, G. : 50, 110

378

INDEX DES NOMS MODERNES ET CONTEMPORAINS

Magnano San Lio, G. : 288 Maier, J.-M. : 8, 20 Marafioti, D. : 35 Marchini, D. : XXXII Marcos, M. : 13-14, 18 Maritano, M. : 237 Markus, R.A. : 226, 242 Marrou, H.-I. : XLII, 19, 26, 53-54, 96-99, 148-149, 214 Marsili, S. : XXXIII Mártil, G. : 186 Maschio, G. : 186 Massie, A. : 142 Mathisen, R.W. : 45 Mattei, P. : 23, 27, 105, 114, 255, 262 Matthey, Ph. : 186 Matz, Br. : XXX, 36, 42-43, 199, 279, 284 Mayer, C. : 6, 261, 263 McHugh, M.P. : 38 McQueen, D.J. : 241, 249 Merton, Th. : XVI Meyer, A. : 47 Migne, J.-P. : 54 Milde, W. : XIV Moatti-Fine, J. : 223 Molina, L. de : XXXVI Mommsen, Th. : 13, 39, 49-50, 52, 87, 173, 225 Monléon, J. de : 223 Moreau, D. : 209 Moreau, M. : 8 Moreschini di Montalcino, A. : 233 Moreschini, Cl. : 91 Morin, G. : 146 Morlet, S. : 209 Mortreuil, J.-A.-B. : 108

Most, G.G. : 282 Moussy, Cl. : 20, 29, 260-261 Muhlberger, St.A. : 225 Mülke, M. : 104 Müller, C. : 20 Munier, Ch. : XL, 13, 210, 212 Mutzenbecher, A. : 77, 98, 100 Mynors, R.A.B. : XIV, 100, 294 Nagy, P. : 22 Nathan, M. : 172 Nebbiai-Dalla Guarda, D. : 81 Neyrand, L. : 167 Nicolas, L. : 163 Noris, E. : XXXV Nürnberg, R. : 24-25 Nuvolone, Fl.G. : 4, 11, 14, 18, 20 O’Connell, P.F. : XVI O’Keeffe, D. : 33, 251 O’Rahilly, Th.F. : 48 Ogliari, D. : XXXV, XXXVIII, 23, 3233, 35-36, 41-42, 241, 252-254, 273-274, 280-281, 284, 292 Olphe-Gaillard, M. : 2, 62, 241 Opelt, I. : 147, 159 Palla, R. : 73 Parisot, J. : 222 Partoens, G. : 12, 174, 278 Parvis, P.M. : XXXII, 284 Pascal, Bl. : XLI Pasquet, C. : XLI Passet, L. : 27 Pastorino, A. : 185, 187 Patillon, M. : 95 Pauliat, M. : 191, 275 Peeters, P. : 51 Pelikan, J. : 23 Pelland, L. : XXVII, 240, 280, 282283, 286

INDEX DES NOMS MODERNES ET CONTEMPORAINS

Pelletier, J.-P. : XIII, 30, 63 Pepe, Cr. : 163 Perelman, Ch. : 87 Pérez Benito, E. : 13 Perler, O. : 8, 51 Péronne, M. : 107 Perrin, M.-Y. : 22, 72-73 Perrone, L. : XXXII Peršič, A. : XXXVI Petitmengin, P. : 67, 97 Petschenig, M. : 30, 60, 69, 102, 114, 116-120, 124, 148, 150, 165, 185-189, 191-192, 198, 207, 223, 244, 249-251, 254256, 261, 263-264 Pflaum, H.-G. : 51 Picard-Mawji, Z. : 7 Pichery, E. : 30, 87, 120, 165, 189, 244-245, 255, 284 Pieri, G. : 154 Pietri, Ch. : 3, 13, 17, 30, 44, 52, 63, 234 Pietri, L. : 3, 26, 28, 30, 39, 45, 52, 63, 91 Pintard, J. : 32-35, 269, 276 Pistoia, A. : 277 Plagnieux, J. : 64, 183, 206 Plinval, G. de : XXVII, XLIII, 5-6, 8-9, 14-16, 76, 91, 106, 108, 110, 201, 211, 281 Poinsotte, J.-M. : 162 Poirier, M. : 222 Pontal, O. : XLI Popkes, E.E. : 194 Portalié, E. : 214 Pouderon, B. : 226 Prescendi, Fr. : 186 Pricoco, S. : 24, 288

379

Prinz, Fr. : 2, 24, 28, 30 Quilliet, H.-R. : 155 Ragon, P. : 22 Rambaux, Cl. : 229 Ramsey, B. : 2, 284 Ranson, P. : 251 Rauner, E. : 199 Rea, R.Fl. : XXX, 241, 243-249, 251, 253-254, 260, 262 Rebillard, É. : 27, 186, 207, 246 Refoulé, Fr. : 8, 50 Renaud-Grosbras, P. : 97 Ribreau, M. : 141, 283 Richardson, E.C. : XXXIX, 20, 25, 27, 38, 62-63, 66, 88-89 Ritter, A.M. : 43, 284 Ritzenthaler, E. : XX Rivas, F. : 241 Rizzo, S. : 97 Rochais, H. : 199 Roessli, J.-M. : 14 Rollero, P. : 204 Rombs, R.J. : 209 Rondet, H. : XLI, 282 Rottenwoehrer, G. : 23 Rouse, R.H. : 295 Rousseau, Ph. : 102 Sage, A. : 33, 263, 269, 280, 284-286 Saint-Denis, E. de : 51 Salamito, J.-M. : 6, 50 Salles, L. : XIX Salzman, M.R. : XXVIII Sanders, N. : XXXVII Santelia, St. : 39 Schmale, Fr.J. : 296 Schnaubelt, J.C. : 241 Schwaiger, G. : 232 Schwartz, E. : 7, 17, 49, 52

380

INDEX DES NOMS MODERNES ET CONTEMPORAINS

Serry, J.-H. : 59 Sheridan, M. : 192 Simonetti, M. : 100 Sodani, P.L. : 233 Solignac, A. : XXVI, XXVIII, XXXVI, 4, 6, 37, 44, 48, 56, 280, 288 Sotinel, Cl. : 27 Sottocorno, E. : 33 Sparks, H.F.D. : 163 Speigl, J. : 64 Spinelli, M. : 241 Squires, St. : 7 Stewart, C. : XXX, XXXII, 2, 26, 31, 103, 247, 250 Strauss, L. : 171-172 Strewe, A. : 213 Suárez de la Torre, E. : 13 Tabet Balady, M.Á. : 263 Taranto, A. : XXVI, 241 Teeuwen, M. : XV Teske, R.J. : XXVIII, 187, 194, 284 Thonnard, Fr.-J. : 10, 18, 78, 206 Tibiletti, C. : XXXVIII, XL, 23 Tissot, G. : 205 Triacca, A.M. : 277 Trithème, Jean : 61 Turcan-Verkerk, A.-M. : 49 Tzamalikos, P. : 26, 89, 91 Urba, C.F. : 6-7, 9-10, 12, 77-78, 90, 98, 105-107, 121, 194, 205-206, 210 Ussani, V. : 88 Vagaggini, C. : 294 Valentin, L. : IX, XX, XXII-XXV, XXVIII-XXIX, 37, 39, 42, 48, 5253, 59-60, 88, 97-98, 108, 122, 153, 160, 163-165, 180, 187, 220, 228, 240, 279, 287

Van der Kooij, A. : 13 Van der Valk, H.L.M. : 97 Van Fleteren, Fr. : 241 Van Kooten, G.H. : XXXIX Van Renswoude, I. : XV Van Ruiten, J.Th.A.G.M. : XXXIX Van Slyke, D.G. : XXIX, 69 Vannier, M.-A. : XXXI, XLI, 2, 38, 63, 105, 204 Veer, A. C. de : 11, 18, 206 Vessey, M. : XL, 56, 202, 213 Villegas Marín, R. : 13, 19, 27, 34, 37, 42, 53, 70, 82, 172, 209, 241, 246, 292 Vincent, M. : 107 Vinel, Fr. : 41, 226, 231, 257, 259, 262, 285 Vinzent, M. : XXIX, XXXIV, 5, 191, 246, 260, 283, 293 Vogel, C. : 29 Vogt, H.J. : 232 Vogüé, A. de : XIII, 25, 29, 61, 67, 89, 102, 125 Voisin, P. : XLIII Volgers, A. : 141 Volokhine, Y. : 186 Vrégille, B. de : 167 Walch, Chr.W.Fr. : 122 Walker, D.Chr. : XXX, 199 Wang Tch’ang-Tche, J. : 273 Wattenbach, W. : 49, 52 Watthée-Delmotte, M. : 70 Weaver, R.H. : XXXVIII, XLI, 23, 41, 60, 116, 165, 240, 266, 275, 292-293 Weber, D. : XXVIII, 187, 194 Weber, H.-O. : XXXII, 31 Weber, R. : 163, 221-222

INDEX DES NOMS MODERNES ET CONTEMPORAINS

Weijers, O. : 97 Weiss, J.-P. : XXXIX, 22, 30, 45, 103, 141 Wermelinger, O. : XLII, 7, 10-11, 13-16, 18, 50, 76, 211, 214 Wiggers, G.Fr. : XVIII, XX, 61, 180 Wiles, M.F. : XXXII, 186 Wiseman, T.P. : 226 Witek, St. : 267 Wörter, Fr. J. : XX-XXII, 161 Wrzol, L. : 247 Wu,T. : 35 Yarnold, E.J. : XXXII, 186 Yates, J. : 174

381

Young, Fr. : 284 Young, J.J. : 260 Zamagni, Cl. : 141 Zananiri, M. : 251 Zarini, V. : 141 Zelzer, M. : 18, 163, 204-205, 210 Zerner, M. : 141 Zimmer, H. : 47 Zumkeller, A. : 34 Zurutuza, H. : 33 Zycha, J. : 6-7, 9-10, 12, 77-78, 90, 98, 105-107, 121, 142, 194, 205-206, 210

Collection « Textes et Études du Moyen Âge » publiée par la Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales

Volumes parus : 1.

Filosofia e Teologia nel Trecento. Studi in ricordo di Eugenio Randi a cura di L. BIANCHI, Louvain-la-Neuve 1995. VII + 575 p. 54 Euros

2.

Pratiques de la culture écrite en France au XVe siècle, Actes du Colloque international du CNRS (Paris, 16-18 mai 1992) organisé en l’honneur de Gilbert Ouy par l’unité de recherche « Culture écrite du Moyen Âge tardif », édités par M. ORNATO et N. PONS, Louvain-la-Neuve 1995. XV + 592 p. et 50 ill. h.-t. 67 Euros

3.

Bilan et perspectives des études médiévales en Europe, Actes du premier Congrès européen d’études médiévales (Spoleto, 27-29 mai 1993), édités par J. HAMESSE, 54 Euros Louvain-la-Neuve 1995. XIII + 522 p. et 32 ill. h.-t.

4.

Les manuscrits des lexiques et glossaires de l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge, Actes du Colloque international organisé par le «Ettore Majorana Centre for Scientific Culture» (Erice, 23-30 septembre 1994), édités par J. HAMESSE, Louvain67 Euros la-Neuve 1996. XIII + 723 p.

5.

Models of Holiness in Medieval Studies, Proceedings of the International Symposium (Kalamazoo, 4-7 May 1995), edited by B.M. KIENZLE, E. WILKS DOLNIKOWSKI, R. DRAGE HALE, D. PRYDS, A.T. THAYER, Louvain-la-Neuve 1996. XX + 402 p. 49 Euros

6.

Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales : espace français, espace anglais, Actes du Colloque international de Montréal (7-9 septembre 1995) édités par K. FIANU et D.J. GUTH, Louvain-la-Neuve 1997. VIII + 342 p. 49 Euros

7.

P.-A. BURTON, Bibliotheca Aelrediana secunda (1962-1996). Ouvrage publié avec le concours de la Fondation Universitaire de Belgique et de la Fondation Francqui, Louvain-la-Neuve 1997. 208 p. 27 Euros

8.

Aux origines du lexique philosophique européen. L’influence de la « latinitas », Actes du Colloque international de Rome (23-25 mai 1996) édités par J. HAMESSE, Louvain-la-Neuve 1997. XIV + 298 p. 34 Euros

9.

Medieval Sermons and Society : Cloisters, City, University, Proceedings of International Symposia at Kalamazoo and New York, edited by J. HAMESSE, B.M. KIENZLE, D.L. STOUDT, A.T. THAYER, Louvain-la-Neuve 1998. VIII + 414 p. et 7 ill. h.-t. 54 Euros

10. Roma, magistra mundi. Itineraria culturae medievalis. Mélanges offerts au Père L.E. Boyle à l’occasion de son 75e anniversaire, édités par J. HAMESSE. Ouvrage publié avec le concours de la Homeland Foundation (New York), Louvain-la-Neuve épuisé 1998. vol. I-II : XII + 1030 p. ; vol. III : VI + 406 p. 11. Filosofia e scienza classica, arabo-latina medievale e l’età moderna. Ciclo di seminari internazionali (26-27 gennaio 1996) a cura di G. FEDERICI VESCOVINI, Louvain-la-Neuve 1999. VIII + 331 p. 39 Euros 12. J.L. JANSSENS, An annotated Bibliography of Ibn Sînæ. First Supplement (1990-1994), uitgegeven met steun van de Universitaire Stichting van België en het Francqui26 Euros Fonds, Louvain-la-Neuve 1999. XXI + 218 p. 13. L.E. BOYLE, O.P., Facing history: A different Thomas Aquinas, with an introduction by J.-P. TORRELL, O.P., Louvain-la-Neuve 2000. XXXIV + 170 p. et 2 ill. h.- t. 33 Euros

14. Lexiques bilingues dans les domaines philosophique et scientifique (Moyen Âge – Renaissance), Actes du Colloque international organisé par l’École Pratique des Hautes Etudes – IVe Section et l’Institut Supérieur de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain (Paris, 12-14 juin 1997) édités par J. HAMESSE et D. JACQUART, Turnhout 2001. XII + 240 p., ISBN 978-2-503-51176-4 35 Euros 15. Les prologues médiévaux, Actes du Colloque international organisé par l’Academia Belgica et l’École française de Rome avec le concours de la F.I.D.E.M. (Rome, 26-28 mars 1998) édités par J. HAMESSE, Turnhout 2000. 716 p., ISBN 978-2-503-51124-5 75 Euros 16. L.E. BOYLE, O.P., Integral Palaeography, with an introduction by F. TRONCARELLI, Turnhout 2001. 174 p. et 9 ill. h.-t., ISBN 978-2-503-51177-1 33 Euros 17. La figura di San Pietro nelle fonti del Medioevo, Atti del convegno tenutosi in occasione dello Studiorum universitatum docentium congressus (Viterbo e Roma, 5-8 settembre 2000) a cura di L. LAZZARI e A.M. VALENTE BACCI, Louvain-la-Neuve 2001. 708 p. et 153 ill. h.-t. 85 Euros 18. Les Traducteurs au travail. Leurs manuscrits et leurs méthodes. Actes du Colloque international organisé par le « Ettore Majorana Centre for Scientific Culture » (Erice, 30 septembre – 6 octobre 1999) édités par J. HAMESSE, Turnhout 2001. XVIII + 455 p., ISBN 978-2-503-51219-8 55 Euros 19. Metaphysics in the Twelfth Century. Proceedings of the International Colloquium (Frankfurt, june 2001) edited by M. LUTZ-BACHMANN et al., Turnhout 2003. XIV + 220 p., ISBN 978-2-503-52202-9 43 Euros 20. Chemins de la pensée médiévale. Études offertes à Zénon Kaluza éditées par P.J.J.M. BAKKER avec la collaboration de E. FAYE et Ch. GRELLARD, Turnhout 2002. XXIX + 778 p., ISBN 978-2-503-51178-8 68 Euros 21. Filosofia in volgare nel medioevo. Atti del Colloquio Internazionale de la S.I.S.P.M. (Lecce, 27-28 settembre 2002) a cura di L. STURLESE, Louvain-la-Neuve 2003. 540 p., ISBN 978-2-503-51503-8 43 Euros 22. Bilan et perspectives des études médiévales en Europe (1993-1998). Actes du deuxième Congrès européen d’études médiévales (Euroconference, Barcelone, 8-12 juin 1999), édités par J. HAMESSE, Turnhout 2003. XXXII + 656 p., ISBN 978-2-503-51615-865 Euros 23. Lexiques et glossaires philosophiques de la Renaissance. Actes du Colloque International organisé en collaboration à Rome (3-4 novembre 2000) par l’Academia Belgica, le projet « Le corrispondenze scientifiche, letterarie ed erudite dal Rinascimento all’ età moderna » et l’Università degli studi di Roma « La Sapienza », édités par J. HAMESSE et M. FATTORI, Louvain-la-Neuve 2003. IX + 321 p., ISBN 978-2-503-51535-9 39 Euros 24. Ratio et superstitio. Essays in Honor of Graziella Federici Vescovini edited by G. MARCHETTI, V. SORGE and O. RIGNANI, Louvain-la-Neuve 2003. XXX + 676 p. – 5 ill. h.-t., ISBN 978-2-503-51523-6 54 Euros 25. « In principio erat verbum » . Mélanges offerts à Paul Tombeur par ses anciens élèves édités par B.-M. TOCK, Turnhout 2004. 450 p., ISBN 978-2-503-51672-6 54 Euros 26. Duns Scot à Paris, 1302-2002. Actes du colloque de Paris, 2-4 septembre 2002, édités par O. BOULNOIS, E. KARGER, J.-L. SOLÈRE et G. SONDAG, Turnhout 2005. XXIV + 683 p., ISBN 2-503-51810-9 54 Euros 27. Medieval Memory. Image and text, edited by F. WILLAERT, Turnhout 2004. XXV + 265 p., ISBN 2-503-51683-1 54 Euros 28. La Vie culturelle, intellectuelle et scientifique à la Cour des Papes d’Avignon. Volume en collaboration internationale édité par J. HAMESSE, Turnhout 2006. XI + 413 p. – 16 ill. h.t., ISBN 2-503-51877-X 43 Euros

29. G. MURANO, Opere diffuse per «exemplar» e pecia, Turnhout 2005. 897 p., ISBN 2-503-51922-9 75 Euros 30. Corpo e anima, sensi interni e intelletto dai secoli XIII-XIV ai post-cartesiani e spinoziani. Atti del Colloquio internazionale (Firenze, 18-20 settembre 2003) a cura di G. FEDERICI VESCOVINI, V. SORGE e C. VINTI, Turnhout 2005. 576 p., ISBN 2-503-51988-1 54 Euros 31. Le felicità nel medioevo. Atti del Convegno della Società Italiana per lo Studio del Pensiero Medievale (S.I.S.P.M.) (Milano, 12-13 settembre 2003), a cura di M. BETTETINI e F. D. PAPARELLA, Louvain-la-Neuve 2005. XVI + 464 p., ISBN 2-503-51875-3 43 Euros 32. Itinéraires de la raison. Études de philosophie médiévale offertes à Maria Cândida Pacheco, éditées par J. MEIRINHOS, Louvain-la-Neuve 2005. XXVIII + 444 p., ISBN 2-503-51987-3 43 Euros 33. Testi cosmografici, geografici e odeporici del medioevo germanico. Atti del XXXI Convegno dell’Associazione italiana di filologia germanica (A.I.F.G.), Lecce, 26-28 maggio 2004, a cura di D. GOTTSCHALL, Louvain-la-Neuve 2005. XV + 276 p., ISBN 2-503-52271-8 34 Euros 34. Écriture et réécriture des textes philosophiques médiévaux. Mélanges offerts à C. Sirat édités par J. HAMESSE et O. WEIJERS, Turnhout 2006. XXVI + 499 p., ISBN 2-503-52424-9 54 Euros 35. Frontiers in the Middle Ages. Proceedings of the Third European Congress of the FIDEM (Jyväskylä, june 2003), edited by O. MERISALO and P. PAHTA, Louvain-laNeuve 2006. XII + 761p., ISBN 2-503-52420-6 65 Euros 36. Classica et beneventana. Essays presented to Virginia Brown on the Occasion of her 65th Birthday edited by F.T. COULSON and A. A. GROTANS, Turnhout 2006. XXIV + 444 p. – 20 ill. h.t., ISBN 978-2-503-2434-4 54 Euros 37. G. MURANO, Copisti a Bologna (1265-1270), Turnhout 2006. 214 p., ISBN 2-50352468-9 44 Euros 38. «Ad ingenii acuitionem». Studies in honour of Alfonso Maierù, edited by S. CAROTI, R. IMBACH, Z. KALUZA, G. STABILE and L. STURLESE. Louvain-la-Neuve 2006. VIII + 590 p., ISBN 978-2-503-52532-7 54 Euros 39. Form and Content of Instruction in Anglo-saxon England in the Light of Contemporary Manuscript Evidence. Papers from the International Conference (Udine, April 6th-8th 2006) edited by P. LENDINARA, L. LAZZARI, M.A. D’ARONCO, Turnhout 2007. XIII + 552 p., ISBN 978-2-503-52591-0 65 Euros 40. Averroès et les averroïsmes latin et juif. Actes du Colloque International (Paris, juin 2005) édités par J.-B. BRENET, Turnhout 2007. 367 p., ISBN 978-2-503-52742-0 54 Euros 41. P. LUCENTINI, Platonismo, ermetismo, eresia nel medioevo. Introduzione di L. STURLESE. Volume publié en co-édition et avec le concours de l’Università degli Studi di Napoli « l’Orientale » (Dipartimento di Filosofia e Politica). Louvain-laNeuve 2007. XVI + 517 p., ISBN 978-2-503-52726-0 54 Euros 42.1. Repertorium initiorum manuscriptorum Latinorum Medii Aevi curante J. HAMESSE, auxiliante S. SZYLLER. Tome I : A-C. Louvain-la-Neuve 2007. XXXIV + 697 p., ISBN 978-2-503-52727-7 59 Euros 42.2. Repertorium initiorum manuscriptorum Latinorum Medii Aevi curante J. HAMESSE, auxiliante S. SZYLLER. Tome II : D-O. Louvain-la-Neuve 2008. 802 p., ISBN 978-2503-53045-1 59 Euros

42.3. Repertorium initiorum manuscriptorum Latinorum Medii Aevi curante J. HAMESSE, auxiliante S. SZYLLER. Tome III : P-Z. Louvain-la-Neuve 2009, 792 p., ISBN 978-2503-53321-6 59 Euros 42.4. Repertorium initiorum manuscriptorum Latinorum Medii Aevi curante J. HAMESSE, auxiliante S. SZYLLER. Tome IV : Supplementum. Indices. Louvain-la-Neuve 2010. 597 p., ISBN 978-2-503-53603-3 59 Euros 43. New Essays on Metaphysics as «Scientia Transcendens». Proceedings of the Second International Conference of Medieval Philosophy, held at the Pontifical Catholic University of Rio Grande do Sul (PUCRS), Porto Alegre / Brazil, 15-18 August 2006, ed. R. H. PICH. Louvain-la-Neuve 2007. 388 p., ISBN 978-2-503-52787-1 43 Euros 44. A.-M. VALENTE, San Pietro nella letteratura tedesca medievale, Louvain-la-Neuve 2008. 240 p., ISBN 978-2-503-52846-5 43 Euros 45. B. FERNÁNDEZ DE LA CUESTA GONZÁLEZ, En la senda del «Florilegium Gallicum». Edición y estudio del florilegio del manuscrito Córdoba, Archivo Capitular 150, Louvain-la-Neuve 2008. 542 p., ISBN 978-2-503-52879-3 54 Euros 46. Cosmogonie e cosmologie nel Medioevo. Atti del convegno della Società italiana per lo studio del pensiero medievale (S.I.S.P.M.), Catania, 22-24 settembre 2006. A cura di C. MARTELLO, C. MILITELLO, A. VELLA, Louvain-la-Neuve 2008. XVI + 526 p., ISBN 978-2-503-52951-6 54 Euros 47. M. J. MUÑOZ JIMÉNEZ, Un florilegio de biografías latinas: edición y estudio del manuscrito 7805 de la Biblioteca Nacional de Madrid, Louvain-la-Neuve 2008. 317 p., ISBN 978-2-503-52983-7 43 Euros 48. Continuities and Disruptions Between the Middle Ages and the Renaissance. Proceedings of the colloquium held at the Warburg Institute, 15-16 June 2007, jointly organised by the Warburg Institute and the Gabinete de Filosofia Medieval. Ed. by C. BURNETT, J. MEIRINHOS, J. HAMESSE, Louvain-la-Neuve 2008. X + 181 p., ISBN 9782-503-53014-7 43 Euros 50. Florilegium mediaevale. Études offertes à Jacqueline Hamesse à l’occasion de son éméritat. Éditées par J. MEIRINHOS et O. WEIJERS, Louvain-la-Neuve 2009. XXXIV + 636 p., ISBN 978-2-503-53146-5 60 Euros 51. Immaginario e immaginazione nel Medioevo. Atti del convegno della Società Italiana per lo Studio del Pensiero Medievale (S.I.S.P.M.), Milano, 25-27 settembre 2008. A cura di M. BETTETINI e F. PAPARELLA, con la collaborazione di R. FURLAN. Louvainla-Neuve 2009. 428 p., ISBN 978-2-503-53150-2 55 Euros 52. Lo scotismo nel Mezzogiorno d’Italia. Atti del Congresso Internazionale (Bitonto 25-28 marzo 2008), in occasione del VII Centenario della morte di del beato Giovanni Duns Scoto. A cura di F. FIORENTINO, Porto 2010. 514 p., ISBN 978-2-50353448-0 55 Euros 53. E. MONTERO CARTELLE, Tipología de la literatura médica latina: Antigüedad, Edad Media, Renacimiento, Porto 2010. 243 p., ISBN 978-2-503-53513-5 43 Euros 54. Rethinking and Recontextualizing Glosses: New Perspectives in the Study of Late Anglo-Saxon Glossography, edited by P. LENDINARA, L. LAZZARI, C. DI SCIACCA, 60 Euros Porto 2011. XX + 564 p. + XVI ill., ISBN 978-2-503-54253-9 55. I beni di questo mondo. Teorie etico-economiche nel laboratorio dell’Europa medievale. Atti del convegno della Società italiana per lo studio del pensiero medievale (S.I.S.P.M.) Roma, 19-21 settembre 2005. A cura di R. LAMBERTINI e L. SILEO, Porto 2010. 367 p., ISBN 978-2-503-53528-9 49 Euros 56. Medicina y filología. Estudios de léxico médico latino en la Edad Media, edición de A. I. MARTÍN FERREIRA, Porto 2010. 256 p., ISBN 978-2-503-53895-2 49 Euros

57. Mots médiévaux offerts à Ruedi Imbach, édité par I. ATUCHA, D. CALMA, C. KONIGPRALONG, I. ZAVATTERO, Porto 2011. 797 p., ISBN 978-2-503-53528-9 75 Euros 58. El florilegio, espacio de encuentro de los autores antiguos y medievales, editado por M. J. MUÑOZ JIMÉNEZ, Porto 2011. 289 p., ISBN 978-2-503-53596-8 45 Euros 59. Glossaires et lexiques médiévaux inédits. Bilan et perspectives. Actes du Colloque de Paris (7 mai 2010), Édités par J. HAMESSE et J. MEIRINHOS, Porto 2011. XII + 291 p., ISBN 978-2-503-54175-4 45 Euros 60. Anselm of Canterbury (1033-1109): Philosophical Theology and Ethics. Proceedings of the Third International Conference of Medieval Philosophy, held at the Pontifical Catholic University of Rio Grande do Sul, Porto Alegre / Brazil (02-04 September 2009), Edited by R. Hofmeister PICH, Porto 2011. XVI + 244 p., ISBN 978-2-50354265-2 45 Euros 61. L’antichità classica nel pensiero medievale. Atti del Convegno de la Società italiana per lo studio del pensiero medievale (S.I.S.P.M.), Trento, 27-29 settembre 2010. A cura 59 Euros di A. PALAZZO. Porto 2011. VI + 492, p., ISBN 978-2-503-54289-8 62. M. C. DE BONIS, The Interlinear Glosses to the Regula Sancti Benedicti in London, British Library, Cotton Tiberius A. III. ISBN 978-2-503-54266-9 (en préparation) 63. J. P. BARRAGÁN NIETO, El «De secretis mulierum» atribuido a Alberto Magno: Estudio, edición crítica y traducción, I Premio Internacional de Tesis Doctorales Fundación Ana María Aldama Roy de Estudios Latinos, Porto 2012. 600 p., ISBN 978-2-503-54392-5 65 Euros 64. Tolerancia: teoría y práctica en la Edad Media. Actas del Coloquio de Mendoza (1518 de Junio de 2011), editadas por R. PERETÓ RIVAS, Porto 2012. XXI + 295 p., ISBN 978-2-503-54553-0 49 Euros 65. Portraits de maîtres offerts à Olga Weijers, édité par C. ANGOTTI, M. BRÎNZEI, 65 Euros M. TEEUWEN, Porto 2012. 521 p., ISBN 978-2-503-54801-2 66. L. TROMBONI, Inter omnes Plato et Aristoteles: Gli appunti filosofici di Girolamo Savonarola. Introduzione, edizione critica e comento, Prefazione di G. C. 55 Euros GARFAGNINI, Porto 2012. XV + 326 p., ISBN 978-2-503-54803-6 67. M. MARCHIARO, La biblioteca di Pietro Crinito. Manoscritti e libri a stampa della raccolta libraria di un umanista fiorentino, II Premio de la Fundación Ana María Aldama Roy de Estudios Latinos, Porto 2013. 342 p., ISBN 978-2-503-54949-1 55 Euros 68. Phronêsis – Prudentia – Klugheit. Das Wissen des Klugen in Mittelalter, Renaissance und Neuzeit. Il sapere del saggio nel Medioevo, nel Rinascimento e nell’Età Moderna. Herausgegeben von / A cura di A. FIDORA, A. NIEDERBERGER, M. SCATTOLA, Porto 2013. 348 p., ISBN 978-2-503-54989-7 59 Euros 69. La compilación del saber en la Edad Media. La Compilation du savoir au Moyen Âge. The Compilation of Knowledge in the Middle Ages. Editado por M. J. MUÑOZ, P. CAÑIZARES y C. MARTÍN, Porto 2013. 632 p., ISBN 978-2-50355034-3 65 Euros 70. W. CHILDS, Trade and Shipping in the Medieval West: Portugal, Castile and England, Porto 2013. 187 p., ISBN 978-2-503-55128-9 35 Euros 71. L. LANZA, «Ei autem qui de politia considerat ...» Aristotele nel pensiero politico medievale, Barcelona – Madrid 2013. 305 p., ISBN 978-2-503-55127-2 49 Euros 72. «Scholastica colonialis». Reception and Development of Baroque Scholasticism in Latin America, 16th-18th Centuries, Edited by R. H. PICH and A. S. CULLETON, 49 Euros Barcelona – Roma 2016. VIII + 338 p., ISBN 978-2-503-55200-2

73. Hagiography in Anglo-Saxon England: Adopting and Adapting Saints’ Lives into Old English Prose (c. 950-1150), Edited by L. LAZZARI, P. LENDINARA, C. DI SCIACCA, 65 Euros Barcelona – Madrid 2014. XVIII + 589 p., ISBN 978-2-503-55199-9 74. Dictionarium Latinum Andrologiae, Gynecologiae et Embryologiae. Diccionario latino de andrología, ginecología y embriología (DILAGE), dir. E. MONTERO CARTELLE, 95 Euros Barcelona – Roma 2018. LI + 1045 p., ISBN 978-2-503-58163-7 75. La Typologie biblique comme forme de pensée dans l’historiographie médiévale, sous la direction de M.T. KRETSCHMER, Turnhout 2014. XII + 279 p., ISBN 978-2-50355447-1 54 Euros 76. Portuguese Studies on Medieval illuminated manuscripts, Edited by M. A. MIRANDA and A. MIGUÉLEZ CAVERO, Barcelona – Madrid 2014. XV + 195 p., ISBN 978-2-50355473-0 49 Euros 77. S. ALLÉS TORRENT, Las «Vitae Hannibalis et Scipionis» de Donato Acciaiuoli, traducidas por Alfonso de Palencia (1491), III Premio de la Fundación Ana María Aldama Roy de Estudios Latinos, Barcelona – Madrid 2014. CLXXVI + 245 p., ISBN 978-2-50355606-2 55 Euros 78. Guido Terreni, O. Carm. (†1342): Studies and Texts, Edited by A. FIDORA, Barcelona – 55 Euros Madrid 2015. XIII + 405 p., ISBN 978-2-503-55528-7 79. Sigebert de Gembloux, Édité par J.-P. STRAUS, Barcelona – Madrid 2015. et 24 ill. h.-t., ISBN 978-2-503-56519-4

IX

+ 210 p. 45 Euros

80. Reading sacred scripture with Thomas Aquinas. Hermeneutical tools, theological questions and new perspectives, Edited by P. ROSZAK and J. VIJGEN, Turnhout 2015. XVI + 601 p., ISBN 978-2-503-56227-8 65 Euros 81. V. MANGRAVITI, L’«Odissea» marciana di Leonzio tra Boccaccio e Petrarca, IV Premio de la Fundación Ana María Aldama Roy de Estudios Latinos (accésit), 79 Euros Barcelona – Roma 2016. CLXXVII + 941 p., ISBN 978-2-503-56733-4 82. Formal Approaches and natural Language in Medieval Logic, Edited by L. CESALLI, F. GOUBIER and A. DE LIBERA, with the collaboration of M. G. ISAAC, Barcelona – 69 Euros Roma 2016. VIII + 538 p., ISBN 978-2-503-56735-8 83. Les « Auctoritates Aristotelis », leur utilisation et leur influence chez les auteurs médiévaux, édité par J. HAMESSE et J. MEIRINHOS, Barcelona – Madrid 2015. X + 362 p., ISBN 978-2-503-56738-9 55 Euros 84. Formas de acceso al saber en la Antigüedad Tardía y en la Alta Edad Media. La transmisión del conocimiento dentro y fuera de la escuela, editado por D. PANIAGUA y M.ª A. ANDRÉS SANZ, Barcelona – Roma 2016. XII + 311 p., ISBN 978-2-503-56987-1 50 Euros 85. C. TARLAZZI, Individui universali. Il realismo di Gualtiero di Mortagne nel XII secolo, IV Premio Internacional de Tesis Doctorales de la Fundación Ana María Aldama Roy de Estudios Latinos, Barcelona – Roma 2017. XL + 426 p., ISBN 978-2503-57565-0 55 Euros 86. Lieu, espace, mouvement : physique, métaphysique et cosmologie (XIIe-XVIe siècles), Actes du Colloque International, Université de Fribourg (Suisse), 12-14 mars 2015, édités par T. SUAREZ-NANI, O. RIBORDY et A. PETAGINE, Barcelona – Roma 2017. XXIII + 318 p., ISBN 978-2-503-57552-0 49 Euros 87. La letteratura di istruzione nel medioevo germanico. Studi in onore di Fabrizio D. Raschellà, a cura di M. CAPARRINI, M. R. DIGILIO, F. FERRARI, Barcelona – Roma 2017. X + 330 p., ISBN 978-2-503-57927-6 49 Euros

88. Appropriation, Interpretation and Criticism: Philosophical and Theological Exchanges between the Arabic, Hebrew and Latin Intellectual Traditions, Edited by A. FIDORA and N. POLLONI, Barcelona – Roma 2017. XI + 336 p., ISBN 978-2-50357744-9 49 Euros 89. Boethius, On Topical Differences, A commentary edited by F. MAGNANO, Barcelona – 59 Euros Roma 2017. XCIV + 400 p., ISBN 978-2-503-57931-3 90. Secrets and Discovery in the Middle Ages. Proceedings of the 5th European Congress of the Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales (Porto, 25th to 29th June 2013), edited by J. MEIRINHOS, C. LÓPEZ ALCALDE and J. REBALDE, Barcelona – 65 Euros Roma 2017. XV + 489 p., ISBN 978-2-503-57745-6 91. J. DELMULLE, Prosper d’Aquitaine contre Jean Cassien. Le « Contra collatorem », l’appel à Rome du parti augustinien dans la querelle postpélagienne, V Premio Internacional de Tesis Doctorales de la Fundación Ana María Aldama Roy de Estudios Latinos, Barcelona – Roma 2018. XLIV + 381 p., ISBN 978-2-503-58429-4 55 Euros

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