Philosophie, sociologie, éducation et économie (French Edition) 2140353595, 9782140353598

Au sommaire : La radicalisation : désir de reconnaissance ou de transcendance ? de Romuald Évariste BAMBARA ; Communicat

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French Pages 234 [235] Year 2023

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Table of contents :
Éditorial
Communication de développementchez Marcuse et défis sociaux en Afrique
3. Regard marcusien sur la communicationde développement face aux enjeux africains
4. Examen des profils académiques des directeursde mémoires en sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua
5. Analyse de la pratique de direction des mémoiresde sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua
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Philosophie, sociologie, éducation et économie Cahiers de l’IREA N°49 - 2023

Éditorial.................................................................................................................9 La radicalisation : désir de reconnaissance ou de transcendance ?........... 19 Romuald Évariste BAMBARA

Les Cahiers de l’IREA

Institut de recherches et d’études africaines

Cahiers de l’IREA N°49 - 2023

Communication de développement chez Marcuse et défis sociaux en Afrique..................................................................................................................43 Amara SALIFOU

Philosophie, sociologie, éducation et économie

Conservation des souvenirs festifs : la transition vers le tout numérique au Cameroun......................................................................................................93 Ismaïla DATIDJO, Ayouba NCHOUTPOUENDIGNIGNI et Armand TCHINENBA La gouvernance de la recherche en éducation au Cameroun : une analyse à partir de l’écart des profils académiques des directeurs de mémoire des étudiants en sciences de l’éducation.............................................................. 117 Mama CHANDINI Dynamique spatio-temporelle de l’occupation des terres dans l’espace supérieur et universitaire à Butembo en R.D. Congo....................................141 Isaac Muhindo KIVIKYAVO et Blaise Mumbere MALIKIDOGO Gestion des démarches d’apprentissage en classes pléthoriques par les enseignants de l’école primaire de la ville de Kindu................................... 163 Roger NGONGO MEDARD Zones économiques spéciales et développement territorial du Burkina Faso......................................................................................................................187 Jean Rabaswendé OUEDRAOGO et Taladi Narcisse YONLI Analyse économique et fiscale des dîmes et des offrandes versées par les ménages à faibles revenus de Mwene-Ditu et ses environs en R. D. Congo..................................................................................................... 211 Anastas KAZADI MATANDA

ISBN : 978-2-14-035359-8

24 €

Philosophie, sociologie, éducation et économie N°49 - 2023

Normes sociales de production et d’usage des huiles végétales au Burkina Faso. Cas des provinces du Sourou et du Yatenga..........................................65 Karim OUEDRAOGO et Gabin KORBEOGO

Romuald Évariste BAMBARA Amara SALIFOU Karim OUEDRAOGO et Gabin KORBEOGO Ismaïla DATIDJO, Ayouba NCHOUTPOUENDIGNIGNI et Armand TCHINENBA Mama CHANDINI Isaac Muhindo KIVIKYAVO et Blaise Mumbere MALIKIDOGO

Roger NGONGO MEDARD Jean Rabaswendé OUEDRAOGO et Taladi Narcisse YONLI Anastas KAZADI MATANDA

Cahiers de l’IREA N°49 - 2023 Revue de l’Institut de recherches et d’études africaines

Philosophie, sociologie, éducation et économie Romuald Évariste BAMBARA Amara SALIFOU Karim OUEDRAOGO et Gabin KORBEOGO Ismaïla DATIDJO, Ayouba NCHOUTPOUENDIGNIGNI et Armand TCHINENBA Mama CHANDINI Isaac Muhindo KIVIKYAVO et Blaise Mumbere MALIKIDOGO Roger NGONGO MEDARD Jean Rabaswendé OUEDRAOGO et Taladi Narcisse YONLI Anastas KAZADI MATANDA

© L’Harmattan, 2023 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-035359-8 EAN : 9 782 140353598

Comité scientifique Monsieur François-Xavier AMHERDT (Faculté de théologie de l’université de Fribourg), Monsieur Dominique YANOGO (UCAOUUA d’Abidjan), Konan Jérôme KOUAKOU (CRD), Tanden Joseph DIARRA (UUBA/UCAO), Jean Robert TCHAMBA (université de Dschang), Dia Édith COULIBALY née TRAORÉ (université de Ouagadougou), Windpagnangdé Dominique KABRE (université OUAGA Il), Pétillon Muyambi DHENA (université de Kisangani-RDC), Pierre Samuel NEMB (Université de Maroua), Innocent FOZING (université de Yaoundé I), Kengne FODOUOP (université de Yaoundé I), Gabriel NYASSOGBO (université de Lomé), Monsieur Moussa OUEDRAOGO (coordonnateur de projet de développement –– B F), Maurice BAZEMO (université de Ouagadougou), Sindani KIANGU (université de Kinshasa — RDC), Alphonse Sekré GBODJE (université Alassane Ouattara de Bouaké-RCI), Augustin COLY (L.S.H./U.C.A.D. –– Dakar/Sénégal), Effoh Clément EHORA (université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire), Edmond BILOA (université de Yaoundé I), Mounkaila Abdo Laouali SERKI (université Abdou Moumouni de Niamey), Faloukou DOSSO (université Alassane OUATTARA –– RCI), Ilango-Banga Jean-Pierre LOTOY (université de Kinshasa –– RDC), Albert MULUMA MUNANGA (université de Kinshasa — RDC), Kouakou Appoh Énoc KRA (université Félix Houphouët-Boigny de Cocody — RCI), Ram Christophe SAWADOGO (université de Ouagadougou), Roch YAO GNABELI (université FHB d’Abidjan — RCI), Issa A. MOUMOULA (université de Koudougou), Joseph YAO (l’université de Cocody), Fodé NDIAYE (Banquier professionnel), Pierre Samuel NEMB (Université de Maroua Yaoundé Cameroun), Justin KOFFI, Gbaklia Elvis KOFFI, Philémon MUAMBA, Apollinaire CHISHUGI CHIHEBE (Université Officielle de Bukavu — RD Congo), Alexis Clotaire Némoiby BASSOLE (Université Joseph KI-ZERBO).

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Comité de lecture Hammou HAIDARA (Consultant international indépendant), Pierre MOUANDJO (Univ. Catholique d’Afrique centrale), Paulin POUCOUTA (Institut Catholique de Yaoundé), Judicaël BOUKANGA (Doctorant), NDoumy Noel ABE (université Alassane OuattaraRCI), Matthieu FAU-NOUGARET (Conseiller des Présidents des universités Publiques du Burkina Faso), Dieudonné Kalindyé BYANJIRA (université de Kinshasa — RDC), Pierre FONKOUA (université de Yaoundé), Jean Paulin KI (OCADES-Dédougou), Jérôme KOUNDOUNOU (Global Water Initiative-Afrique de l’Ouest), Louis Bernard TCHUIKOUA (université de Yaoundé 1), Sindani KIANGU (université de Kinshasa), Kouakou Siméon KOUASSI (université Félix Houphouet-Boigny. Abidjan-Cocody), Désiré ATANGANA KOUNA (université de Yaoundé I), Gérard Marie NOUMSSI (université de Yaoundé I), Diané Véronique ASSI (l’université Félix Houphouet-Boigny. Abidjan-Cocody), Pierre-Claver ILBOUDO (École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs — Ouagadougou), Alexis Clotaire Némoiby BASSOLE (Université Joseph KI-ZERBO), Vincent Davy KACOU OI KACOU (grand séminaire Saint-Paul d’Abadjin-Kouté — RCI), Jean-Claude SHANDA FONME (Directeur exécutif du Centre africain de politique internationale), Emmanuel KABONGO MALU (IPGC), N’guessan Jérémie KOUADIO (université Félix Houphouët-Boigny de Cocody), Adou APPIAH (université de Bouaké/Côte- d’Ivoire), Jean-Claude ANGOULA (Prêtre spiritain camerounais), Omar NDOYE (université Cheikh Anta Diop de Dakar), Amouzou Essè AZIAGBÉDÉ (professeur titulaire des universités — Togo), Dieudonné ZOGNONG (université de Tromso — Norvège), Louis Hervé NGAFOMO (université de Yaoundé I), Hamadou ADAMA (University of Ngaoundéré – Cameroun), Patrice TOE (Institut du développement rural [IDR]/Bobo-B F), Bertin G. KADET (l’école normale supérieure d’Abidjan — RCI).

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Sommaire Éditorial ..................................................................................... 9 La radicalisation : désir de reconnaissance ou de transcendance ? Romuald Évariste BAMBARA.............................................. 19 Communication de développement chez Marcuse et défis sociaux en Afrique Amara SALIFOU ................................................................... 43 Normes sociales de production et d’usage des huiles végétales au Burkina Faso. Cas des provinces du Sourou et du Yatenga Karim OUEDRAOGO et Gabin KORBEOGO ................... 65 Conservation des souvenirs festifs : la transition vers le tout numérique au Cameroun Ismaïla DATIDJO, Ayouba NCHOUTPOUENDIGNIGNI et Armand TCHINENBA ......................................................... 93 La gouvernance de la recherche en éducation au Cameroun : une analyse à partir de l’écart des profils académiques des directeurs de mémoire des étudiants en sciences de l’éducation Mama CHANDINI ............................................................... 117 Les déterminants des échecs au vote des enseignants de l’Enseignement supérieur et universitaire à Butembo en R.D. Congo Isaac Muhindo KIVIKYAVO et Blaise Mumbere MALIKIDOGO .................................................................... 141 Gestion des démarches d’apprentissage en classes pléthoriques par les enseignants de l’école primaire de la ville de Kindu Roger NGONGO MEDARD................................................ 163 Zones économiques spéciales et développement territorial du Burkina Faso Jean Rabaswendé OUEDRAOGO et Taladi Narcisse YONLI ................................................................................................ 187 7

Analyse économique et fiscale des dîmes et des offrandes versées par les ménages à faibles revenus de Mwene-Ditu et ses environs en R. D. Congo Anastas KAZADI MATANDA ............................................ 211

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Éditorial Dans ce numéro 49 des Cahiers de l’IREA quatre thèmes sont traités à savoir : la philosophie, la sociologie, l’éducation et l’économie. Pour le thème relatif à la philosophie, deux auteurs présentent des analyses relatives à la religion et à la communication de développement. Pour le thème inhérent à la sociologie, deux auteurs portent leur regard sur les normes sociales de production et d’usage des huiles végétales et sur la conservation des souvenirs festifs à l’ère du numérique. Pour le thème relatif à l’éducation, trois auteurs traitent des questions relatives à la gouvernance de la recherche en éducation, les déterminants des échecs au vote des enseignants de l’enseignement supérieur et universitaire et la gestion des démarches d’apprentissage dans les classes pléthoriques à l’école primaire. Pour le thème relatif à l’économie, deux auteurs analysent la contribution des zones économiques spéciales au développement territorial et l’impact des dîmes et des offrandes versées aux églises sur les ménages à faibles revenus. Pour les analyses philosophiques, Romuald Évariste BAMBARA s’interroge sur la radicalisation. Est-ce un désir de reconnaissance ou de transcendance ? Qu’est-ce qui peut justifier le passage de la foi à la radicalisation ? Que cherche-t-on en se radicalisant, en tombant dans la fanatisation idéologique ? Comment rendre compte du passage de la foi à l’extrémisme ou à la radicalité ? Comment rendre compte du désir de transformer sa croyance en une violence inouïe envers les autres ? Autrement dit, qu’est-ce qui peut inciter un homme à une violence extrême sous le couvert de la foi religieuse ? Comment se réaliser moralement, intellectuellement, matériellement et spirituellement dans une société en voie de décomposition ? Comment se construire individuellement et collectivement dans une société sans vision, sans aspiration et sans idéal autre que celui de l’accumulation des biens matériels ? Dans une approche phénoménologique combinée à une lecture interprétative des théories philosophiques, sociologiques et géopolitiques l’auteur s’intéresse spécifiquement au phénomène de la radicalité 9

islamiste. Son objectif est de déterminer ce que recherche le radicalisé dans son absorption totale par sa foi islamique. L’auteur souligne avec conviction que le mal-être anime les hommes pris isolément dans notre société matérialiste et consumériste. Ils se sentent exclus et souffrent de ne pas être reconnus à leur juste valeur. Le vécu des hommes est marqué par un vide existentiel qui se déploie péniblement au jour le jour. Déboussolés dans leur ennui existentiel, ceux-ci sont en quête d’appartenance pour construire leur idéal d’identité : chacun a une volonté de se faire reconnaître comme personne, comme individu existant, vivant et s’épanouissant à travers ses activités. Dès lors, un désir de reconnaissance de soi se présente et s’empare de toute l’existence de l’homme moderne dans toutes les contrées du monde. Ce désir de reconnaissance de soi peut passer par plusieurs domaines : culturel, spirituel, sportif, politique, religieux, etc. Cependant, l’islam radical transforme-t-il la colère, l’indignation, la révolte légitime et la haine des adolescents, des jeunes et des adultes en un dispositif de terreur ? Est-ce le désir de se venger de l’injustice subie, des discriminations vécues, etc., peut-il expliquer et justifier le saut dans la terreur djihadiste ? La lecture minutieuse de l’analyse de l’auteur permet de mieux saisir le phénomène de la radicalisation et par ricochet la laïcité comme solution à la haine religieuse dans la modernité. Dans la même dynamique philosophique, Amara SALIFOU porte son regard sur la communication de développement chez Marcuse et les défis sociaux en Afrique. L’auteur s’interroge comme suit : comment arrivons-nous donc à conjuguer à la fois développement et communication afin d’aboutir à une communication de développement ? Comment les philosophes en général et Herbert Marcuse dont une réflexion abondante est consacrée à la communication et au développement s’invitent-ils dans cette sphère qui semble être l’apanage des spécialistes des médias et des économistes ? Comment transposée aux réalités africaines, la réflexion marcusienne sur la communication et le développement nous éclaire-telle ? Sans ambages l’auteur mentionne que la communication peut être un atout majeur pour accompagner le développement. Dans la réalité des faits, elle demeure une alliée constante de formes trompeuses et manipulatrices mettant ainsi en péril toute existence sociale épanouissante et digne d’intérêt. C’est 10

la critique principale que formule Herbert Marcuse dans le rapport de la communication au développement en général et particulièrement en ce qui concerne les pays industriellement peu avancés à l’exemple de la plupart des pays du continent africain. La réflexion marcusienne, fort heureusement, oriente sur des chemins d’une véritable communication pour les sociétés africaines afin d’accompagner un développement qui porte de véritables couleurs d’une progression endogène plutôt que d’une perpétuation de la domination. Pour parvenir à une compréhension des enjeux d’une telle démarche, Amara SALIFOU dans une méthode à la fois analytique, critique et d’orientation, aborde la communication sous la critique marcusienne. Il s’intéresse au développement dans la communication chez Marcuse. Il relève le regard marcusien sur la communication de développement face aux enjeux africains. Il conclut que la réflexion marcusienne permet de se débarrasser du type de communication trompeur et flatteur pour le continent africain tout en l’engageant sur des chemins originaux et salvateurs pour son développement. Pour le second thème relatif à la sociologie, Karim OUEDRAOGO et Gabin KORBEOGO analysent les normes sociales de production et d’usage des huiles végétales au Burkina Faso, précisément dans les provinces du Sourou et du Yatenga. Ils notent que la production des huiles végétales constitue un moment d’expression, de valeurs sociales, de valorisation, de rôles, de positionnement, de statuts des acteurs impliqués dans le processus. En d’autres termes, les scènes de production des huiles végétales comportent des dimensions socioanthropologiques fort complexes, mais très captivantes pour la science. Quels sont les systèmes de diffusion des normes et des prescriptions sociales qui régissent la chaîne de production des huiles végétales dans les arènes sociales du Sourou et du Yatenga au Burkina Faso ? Les normes sociales se présentent-elles comme un élément articulaire d’un système global dans lequel les catégories d’acteurs s’adonnent à des sortes d’« arrangements institutionnels » pour le contrôle et l’utilisation de la ressource huile ? Quels sont les jeux sociaux d’appartenance, c’est-à-dire les catégories sociales en interaction dans le processus, afin de cerner les logiques sociales qui gouvernent la production des huiles 11

végétales en espace coutumier ? On retient avec les deux auteurs qu’en dépit du savoir-faire et de la maîtrise des techniques de production, il y a un ensemble de codes sociaux qui interviennent afin de donner un sens social et de la valeur à la ressource produite. Ils révèlent aussi des frontières sociales et des marges de manœuvre des différentes catégories d’acteurs dans la diffusion des normes qui régulent la production de ces huiles dans ces deux zones du Burkina Faso. La production des huiles végétales est soumise à un ensemble de pratiques de régulation et de contrôles sociaux dans le Sourou et dans le Yatenga. Des interdits, des ordonnances et observances sociales, en un mot, des normes et prescriptions sociales, encadrent l’ensemble du processus d’extraction et d’utilisation des huiles végétales dans ces configurations sociales rurales. Autrement dit, les mécanismes de préparation de ces huiles sont soumis à des pratiques coutumières normatives tout comme les différents usages obéissent à une certaine logique de distribution et de redistribution sociale. Au cours du processus de production des huiles végétales, en milieu rural, sont en interaction des individus et des êtres surnaturels. Cette interaction définit les normes de qualité des huiles produites et rappelle que cette qualité est moins liée à la propreté physique de la ressource qu’à son approbation par les esprits et les ancêtres. Avec l’avènement des religions révélées, du changement de mentalités dans les actions quotidiennes, etc., les pratiques se sontelles affaiblies ? Ont-elles changé de forme ? Ont-elles disparu ? Les auteurs vous apportent des réponses précises à ces interrogations dans une analyse approfondie. Depuis l’avènement des religions révélées, à l’image de l’islam et du christianisme, et du changement de mentalités dans les actions quotidiennes, beaucoup de ces pratiques se sont affaiblies ou ont pratiquement changé de forme par la révision des valeurs sociales et d’autres ont totalement disparu. Par cette même occasion, les entités surnaturelles sont désormais confrontées à une désertion massive de leurs partenaires coutumiers d’autrefois. Ainsi, les obligations rituelles et ancestrales qui accompagnent la production des huiles végétales sont progressivement délaissées par certains acteurs de la communauté des vivants. Les chefferies coutumières d’où elles prennent forme, essence et source s’affaiblissent sous le joug des valeurs induites par la modernité. 12

Même si on assiste toujours certains individus qui vivent suivant ces normes sociales dans la production des huiles végétales, les aires de pratique se réduisent continuellement. Le modernisme et les nouvelles religions ont donc changé l’essence de ces pratiques traditionnelles et constituent le principal facteur de révision des valeurs sociales de production des huiles végétales. Il en résulte de cette situation la perte d’hégémonie, d’autorité et de poids social des dignitaires coutumiers qui officient de moins en moins de rituels cérémoniels et sacrificiels afférents à la production et à l’utilisation de ces huiles. Nous pouvons donc dire que les normes et les prescriptions sociales, en particulier celles relatives à la production des huiles végétales, sont flexibles, évolutives et sont informées par les dynamiques sociales endogènes et exogènes. Dans la même thématique sociologique, Ismaïla DATIDJO, Ayouba NCHOUTPOUENDIGNIGNI et Armand TCHINENBA analysent la conservation des souvenirs festifs à l’ère de la transition vers le tout numérique au Cameroun. Ils soulignent d’emblée que l’Afrique dispose d’un patrimoine culturel diversifié que ses peuples expriment quotidiennement. Les Camerounais, à l’image de leurs congénères africains, vivent leurs cultures respectives et les perpétuent avec les générations qui se succèdent. Le constat qui se dégage aujourd’hui dans l’expression des cultures fait état du souci qu’ont les personnes et les groupes de personnes, d’immortaliser les évènements à connotation festive qui les marquent. Si hier les souvenirs étaient conservés à travers les moyens rudimentaires d’enregistrements sonores et les prises de photos, aujourd’hui, progressivement et de manière irréversible, il s’opère une transition des modes anciens de conservation. Ceci s’observe à travers l’irruption et l’adaptation en cours des moyens modernes que proposent les technologies numériques. Leur analyse est construite autour des moyens traditionnels ou anciens de conservation des souvenirs festifs en contexte camerounais, et montre comment la transition s’opère vers l’appropriation du digital comme mode de conservation efficace et pérenne des évènements culturels. Dès lors, quel est le processus de convergence des modes de conservation de souvenirs d’évènements festifs au Cameroun ? Les trois auteurs montrent que de moins en moins, les techniques de conservation d’autrefois sont reproduites et de plus en plus, la conservation des souvenirs d’évènements festifs bascule 13

vers le tout numérique. Les célébrations s’immortalisent selon le modèle du numérique. Les photos et sons d’autrefois sont exhumés et conservés au moyen des technologies nouvelles. De même, les enregistrements vidéos actuels sont directement soumis à la « loi du digital ». Ils soulignent que dans un contexte de conciliation des technologies numériques et des moyens anciens pour la conservation des souvenirs festifs, la préoccupation en termes de garanties qu’offrent les approches auxquelles les Camerounais font recours fait état de ce que, certes les TIC sont les plus indiquées aux yeux des personnes qui les utilisent, mais elles possèdent elles aussi des limites avérées, surtout quand l’utilisateur ne sait pas en faire usage. Aussi, l’inconvénient de leur utilisation réside dans le caractère altérable des supports numériques, l’indisponibilité ou l’instabilité de l’alimentation électrique et du réseau de connexion à l’internet, car celui-ci est sollicité à travers les réseaux sociaux qu’il héberge ou par l’entremise des espaces de stockage qu’il contient entre autres. Pour le troisième thème relatif à l’éducation, Mama CHANDINI focalise sa riche contribution sur la gouvernance de la recherche en éducation au Cameroun. L’auteur s’intéresse spécifiquement à l’écart des profils académiques des directeurs de mémoire des étudiants en sciences de l’éducation. Il mentionne que d’un point de vue de l’analyse de la gouvernance heuristique, la pénurie de spécialistes en éducation et la gestion inappropriée des ressources humaines existantes dans ce domaine au Cameroun favorisent l’intrusion des spécialistes des disciplines étrangères dans la direction des mémoires des étudiants en sciences de l’éducation. L’incompatibilité des profils académiques des directeurs de mémoires en quête de satisfaction du besoin d’accomplissement personnel entraine des approches de recherche inadéquates et des postures épistémologiques préjudiciables à la qualité des travaux de ces étudiants, ce qui contribue à compromettre les chances d’expansion et d’émancipation des sciences de l’éducation et à rendre incertaines les perspectives de cette discipline. Que faire pour faire face ? Faut-il une conversion des schèmes mentaux ? Faut-il la mutualisation des ressources disponibles ? Faut-il une politique de promotion de la formation doctorale ? Faut-il un audit de conformité régulier et la professionnalisation de la pratique de 14

direction des recherches ? L’auteur apporte des réponses concises dans l’optique de permettre à la recherche en éducation de remplir ses fonctions traditionnelles et nouvelles, à savoir fournir aux décideurs les informations fiables pour orienter les politiques éducatives, améliorer les pratiques enseignantes ou engager des réformes curriculaires, afin d’améliorer le management de la qualité dans ce domaine, la professionnalisation de l’activité de direction de recherche. Dans la même thématique, Isaac Muhindo KIVIKYAVO et Blaise Mumbere MALIKIDOGO portent leur regard sur les déterminants des échecs au vote des enseignants de l’Enseignement supérieur et universitaire à Butembo en R.D. Congo. Les deux auteurs montrent qu’après trente-deux ans de dictature (1965-1997), sept ans de guerre (1996-2002) et trois ans de transition (2003-2006), la R.D. Congo s’est engagée sur la voie de la démocratie. Depuis lors, trois cycles électoraux (2006, 2011 et 2018-2019) ont été organisés. Leur contribution a pour objectif d’identifier les raisons qui ont abouti à l’échec des candidats députés nationaux qui sont enseignants dans les institutions universitaires et supérieures de la ville de Butembo. Qu’est-ce qui explique les échecs des enseignants au vote ? Les deux auteurs avec preuve à l’appui précisent que trois facteurs déterminants ont influencé les échecs des enseignants de l’ESU candidats/députés nationaux. Il s’agit des déterminants prépondérants ou supérieurs (déconnexion de la vie sociale, orgueil scientifique et choix inapproprié du parti, des colistiers et des alliés), moyens ou intermédiaires (manque d’argent et impréparation) et inférieurs (l’inexpérience politique, la culture électorale locale et le fait de n’avoir pas voulu déconcentrer les enseignants de leur métier de former les jeunes). Ils concluent que pour comprendre les échecs des enseignants de l’ESU à Butembo, il faut s’inscrire dans le contexte local et la logique des électeurs. Les enseignants de l’ESU n’ont pas un ancrage social solide pour se faire élire. Leur logique semble être en opposition avec la logique des électeurs qui élisent ceux qui leur ressemblent. Ces enseignants sont accusés d’être déconnectés de la vie sociale, ils vivent dans un monde différent de celui des électeurs. Ceci diminue la confiance en eux en dépit de leurs connaissances et savoir-faire, impacte négativement sur leur capital social à construire. Ils n’ont pas d’actions sociales dans 15

la société soit par manque de stratégies, soit par manque d’argent, soit par manque d’objectifs. Ces enseignants se comporteraient en opportunistes, car ils s’improvisent candidats sans préparation sur la longue ou moyenne durée. La troisième contribution dans ce thème est celle de Roger NGONGO MEDARD. Son analyse porte sur la gestion des démarches d’apprentissage en classes pléthoriques par les enseignants de l’école primaire de la ville de Kindu. Son interrogation est la suivante : comment les enseignants des écoles primaires publiques de la ville de Kindu gèrent leurs démarches d’apprentissage des élèves avec des effectifs pléthoriques ? Après ses investigations, l’auteur retient que : les réponses fournies par les élèves enquêtés montrent de manière globale que leurs enseignants gèrent « très souvent » les démarches d’apprentissage des élèves selon le modèle explicatif retenu dans cette étude (Mdn=3). Les réponses fournies par les élèves enquêtés montrent que toutes les démarches d’apprentissages des élèves proposées par Lessard et Schmidt sont exploitées par les enseignants des écoles primaires de la ville de Kindu. La hiérarchie de l’application des dimensions des démarches d’apprentissage se présente comme suit : soutenir l’apprentissage des élèves (Mdn=3), promouvoir l’engagement des élèves (Mdn=3), encourager l’élève à se lancer des défis (Mdn=3), responsabiliser l’élève (Mdn=2), donner des rétroactions fréquentes (Mdn=2). Ces résultats montrent que l’application du modèle par les enseignants des écoles primaires de la ville de Kindu ne respecte pas la hiérarchie présentée de Lessard et Schmidt. Il s’est enfin observé que de toutes les variables sociodémographiques prises en compte (6), 2 variables (réseaux et écoles) expliquent très significativement la gestion des démarches d’apprentissage des élèves, alors qu’une seule variable (ancienneté des enseignants) qui influence significativement la gestion des démarches d’apprentissage des élèves et enfin les trois derniers (âge des élèves, âge des enseignants et la taille de la classe) qui n’expliquent pas significativement la gestion des démarches d’apprentissage.

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Pour le quatrième thème relatif à l’économie, Jean Rabaswendé OUEDRAOGO et Taladi Narcisse YONLI analysent la contribution des zones économiques spéciales au développement territorial du Burkina Faso. De prime abord, ils précisent que l’économie burkinabè est caractérisée par une balance commerciale structurellement déficitaire. Les grands produits d’exportation sont l’or, le coton, les noix de cajou, le zinc et les graines de sésame. Dans le but d’équilibrer les importations et les exportations, des actions doivent être entreprises pour promouvoir la production nationale en renforçant la compétitivité des unités économiques. Pour les deux chercheurs, la promotion et le développement des Zones économiques spéciales (ZES) semblent être une solution à la transformation structurelle de l’économie burkinabè. Une économie qui va désormais s’ancrer sur le territoire en valorisant toutes les potentialités dont le pays regorge. Cependant, dans le contexte du Burkina Faso, les ZES sont-elles des espaces dotés d’un ensemble d’infrastructures et de services ? Offrent-elles des conditions favorables à l’essor d’entreprises compétitives pour un développement en phase avec les besoins spécifiques des populations ? On retient avec les deux auteurs que la mise en place des ZES requiert un environnement économique et social favorable. Elle requiert également des potentialités naturelles à exploiter. Or, sur le plan économique et social, l’instabilité politique et la persistance des attaques terroristes ont fragilisé le pays. Dès lors, le pays doit engager des réformes courageuses pour attirer des investisseurs. Il s’agit entre autres de renforcer la main-d’œuvre dans les secteurs porteurs, d’impliquer les établissements financiers dans le processus d’implantation des ZES et d’adopter une loi portant réglementation générale des zones économiques spéciales au Burkina Faso en y aménageant des dispositions incitatives citées plus haut. La création de régimes juridiques spéciaux avec beaucoup de facilités permet d’attirer plus d’investissements directs étrangers. La mise en place des ZES au Burkina Faso se justifie par le fait que le pays dispose de potentialités dans les domaines minier et agricole, notamment le coton et les filières porteuses pour lesquelles il bénéficie d’un avantage comparatif dans la sous-région. La création des ZES offre des possibilités de promouvoir les exportations à travers le développement des entreprises sur un espace délimité. Les projets de ZES étant 17

économiquement viables et à rentabilité lente, il est fortement recommandé de maîtriser les coûts relatifs au fonctionnement et à l’investissement. Dans cette approche économique, Anastas KAZADI MATANDA fait une analyse économique et fiscale des dîmes et des offrandes versées par les ménages à faibles revenus de Mwene-Ditu et ses environs en R. D. Congo. Il démontre qu’en dépit du caractère dérisoire des revenus des ménages à conditions socio-économiques précaires dans la ville de Mwene-Ditu et ses environs, ces derniers sont non seulement asphyxiés par l’impôt sur le revenu professionnel dont les recettes sont relativement plombées par la mauvaise gouvernance, mais aussi par le versement des dîmes et des offrandes qui constitue une autre forme de fiscalité dite fiscalité religieuse au profit des églises qui pullulent dans toutes les rues et les avenues de ladite localité. En effet, via la méthode d’analyse statistique appuyée par un raisonnement inductif et exégétique qui a porté sur une enquête menée auprès de 400 ménages échantillonnés dans une approche d’échantillonnage par grappes et à plusieurs degrés, on retient avec l’auteur que le revenu moyen mensuel par ménage se chiffre à 162 698,44 francs congolais (soit près de quatre-vingts dollars américains). Il ressort une pression fiscale dite religieuse de 24,3 % contre 2,88 % de la pression fiscale institutionnelle. Ceci entraine une pression fiscale totale de 27,15 % sur un revenu moyen par ménage inférieur à cent dollars américains le mois. En revanche, il découle que la pression fiscale détruit le pouvoir d’achat de la population avec comme corolaire la détérioration de la situation sociale des ménages. Que faire pour réduire cette pression fiscale ? L’auteur note avec conviction que le gouvernement congolais devrait rationaliser sa politique fiscale à la lumière de la courbe de Laffer et de la règle de Ramsay et mener plus d’efforts dans la mise en œuvre plausible d’une stratégie de bonne gouvernance. Et les églises devraient se muer non seulement en acteurs de développement spirituel, mais aussi du développement intégral de la population dans sa diversité religieuse.

Alexis Clotaire Némoiby BASSOLE

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La radicalisation : désir de reconnaissance ou de transcendance ? Romuald Évariste BAMBARA Université Joseph KI-ZERBO/BURKINA FASO Mail : [email protected] Résumé Qu’est-ce qui peut justifier le passage de la foi à la radicalisation ? Ou que cherche-t-on en se radicalisant, en tombant dans la fanatisation idéologique ? La présente analyse s’intéresse aux causes et aux mobiles de la radicalité djihadiste en émettant deux principales hypothèses. La radicalisation dans la religion peut viser un désir de reconnaissance de soi, une volonté de se faire admettre dans la cité, tout comme elle peut être une quête de transcendance, un désir d’absolu. L’objectif de cette analyse est de déterminer ce que recherche le radicalisé dans son absorption totale par sa foi islamique. Du point de vue méthodologique, l’analyse va adopter une approche phénoménologique combinée à une lecture interprétative des théories philosophiques, sociologiques et géopolitiques du phénomène de la radicalité islamiste. L’examen de ce fait social va aborder successivement ce phénomène de radicalité en cherchant le lien avec le désir de reconnaissance, le désir de transcendance et la manière dont s’établit le processus de radicalisation. Que peuton donc faire ? Finalement, la déradicalisation, pratique contraire au phénomène de la radicalisation et l’instauration d’une société laïque susceptible de construire une société ouverte, admettant les différences qui acceptent de cohabiter s’avèrent une piste intéressante. Mots-clés : déradicalisation, désir de reconnaissance, désir de transcendance, islam, laïcité, radicalisation.

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Abstract What can justify the passage from faith to radicalisation? Or what are we looking for when we become radicalised, when we fall into ideological fanaticism? This analysis looks at the causes and motives of jihadist radicalism by putting forward several hypotheses. Radicalisation in religion may be a desire for selfrecognition, a will to be accepted in the city, as well as a quest for transcendence, a desire for the absolute. The aim of this analysis is to determine what the radicalised person seeks in his total absorption by his Islamic faith. The examination of this social fact will successively approach this phenomenon of radicality by searching the link with the desire for recognition, the desire for transcendence and the way in which the process of radicalisation is established. So, what can be done? In the end, deradicalisation, a practice contrary to the phenomenon of radicalisation, and the establishment of a secular society likely to build an open society, admitting differences that accept to cohabit, prove to be an interesting track. Keywords: deradicalisation, desire for recognition, desire for transcendence, Islam, secularism, radicalisation.

Introduction La radicalisation est un fait universel avec des manifestations connues et vécues dans plusieurs pays. Elle dérive d’une crise profonde des sociétés, une crise à la fois politique, culturelle et économique. Il faut donc préciser que la radicalisation est un phénomène social total en ce sens qu’elle concerne toutes les dimensions de l’existence. Mais au-delà de sa dimension planétaire, toute radicalisation a cependant des racines locales, des causes endogènes. Ce phénomène de radicalisation plonge les politiques et les chercheurs dans la plus grande perplexité. Quelle que soit sa forme, elle mobilise l’ensemble des chercheurs des sciences humaines.

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Dans le cadre de la présente analyse, nous nous intéressons particulièrement à une radicalité spécifique, celle djihadiste ou salafiste. Elle prend en compte l’aspect selon lequel la radicalité dans l’islam, plus précisément la radicalité djihadiste entraine inexorablement celle de la société dans laquelle elle se manifeste. La société s’organise pour se défendre en relisant ses textes et ses lois pour adapter son cadre juridique à cette théologie guerrière, en augmentant sa puissance militaire, son budget de défense, etc. Au fond, toute radicalité appelle une autre radicalité comme réaction à la première radicalité et les sociétés entrent dans un cycle infini de terreur. Ce phénomène est devenu l’objet d’étude des sciences sociales, politiques, juridiques, de la philosophie, etc., parce qu’il est à l’origine de toutes les pires formes de violences qui endeuillent les sociétés africaines, asiatiques, occidentales, etc. Le quotidien de chaque ville est traversé par la hantise d’une explosion, d’un attentat suicide, d’une tuerie de masse ou individuelle… Paradoxalement la radicalité en général s’inscrit dans la quête du sens au sein des sociétés modernes. C’est la quête d’un nouveau « kairos », d’une nouvelle « ère » ou d’une régénération des sociétés, mais qui passe par une vision tragique, apocalyptique du monde dans le cas de la radicalité islamique. Comment rendre compte de ce passage de la foi à l’extrémisme ou à la radicalité ? Ou comment rendre compte de ce désir de transformer sa croyance en une violence inouïe envers les autres ? Autrement dit, qu’est-ce qui peut inciter un homme à cette violence extrême sous le couvert de la foi religieuse ? L’objectif de la présente analyse est de comprendre le phénomène de la radicalité. Pour y parvenir, une approche phénoménologique ou descriptive de ce fait social est utile en vue d’examiner les motivations réelles, les causes sous-jacentes susceptibles d’entrainer le basculement d’un individu dans l’acte terroriste suicidaire sidérant, l’idéologie mortifère qu’est le djihadisme. Il s’agit de dégager des pistes de réflexion susceptible de répondre à la question « que faire ? » face au fanatisme actuel. Pour parvenir à trouver une certaine intelligibilité à ce comportement, les approches sociologiques, anthropologiques, géopolitiques, philosophiques de ce fait social qui, rappelons-le, est total serviront de fil conducteur. 21

L’examen de la radicalité est fait en cinq moments. Précisons que la radicalisation est une réponse à un mal-être. Dans notre société moderne, ce mal-être, pour être comblé, peut passer par un désir de reconnaissance de soi exprimé par chaque individu. Il peut aussi trouver une réponse à travers le besoin de transcendance, le souci de la quête de l’Absolu à travers l’islam. L’une des conséquences possibles de ce souci de la quête de l’Absolu, c’est le basculement dans la radicalité, c’est-à-dire dans une foi militante et conquérante au mépris de l’altérité de l’autre. L’approche de ce processus de radicalisation va permettre de voir comment opérer une déradicalisation nécessaire afin de permettre le vivre-ensemble dans la reconnaissance de l’autre dans sa différence. La déradicalisation doit être elle-même renforcée par l’instauration d’une laïcité plus forte, ouverte, permettant la pratique des différents cultes. 1. Le désir de reconnaissance Comment échapper à l’occidentalisation à outrance du monde ? Comment se faire reconnaître comme être singulier dans une société qui uniformise l’existence de tous ? Comment se faire accepter comme un être digne dans une société encline à mépriser, à discriminer sur la base de l’ethnie, de la religion, de la langue, de la possession matérielle ou du pouvoir d’achat ? Dans ces conditions, comment éviter les heurts et les affrontements ? Le monde moderne a tant valorisé le consumérisme et le narcissisme qu’il est aisé de comprendre que celui-ci est dans l’incapacité de générer des valeurs morales susceptibles d’insuffler un sens noble à la vie de chacun. Ce monde valorise uniquement le bien-être matériel et égoïste sans suggérer un idéal de justice et de spiritualité. La conséquence qui découle d’un tel constat est que nous tombons dans une société de l’inégalité, de l’anonymat pour certains et de la surexposition pour d’autres. Le clivage est visible. Certains diront que l’existence des classes sociales décrites par Karl Marx, parfois fortement contestée, est devenue manifeste. Face à une opulence bien visible, Amartya Sen 22

indique (2006, p. 167) que « notre monde est aussi celui de la plus terrible pauvreté et des privations les plus révoltantes ». Ainsi en fonction de certains paramètres comme le lieu de naissance, le pays auquel vous appartenez, la couleur de la peau, certains hommes peuvent mener une existence faite de privation, de désespoir et demeurer des laissés-pour-compte pendant toute leur vie. Ce sentiment d’exclusion est aggravé par une mondialisation qui ne cultive pas le sentiment de solidarité mondiale, exacerbe justement l’égoïsme propre à chaque individu. La famille s’est métamorphosée et n’offre plus ce cadre de structuration de la personnalité ou de l’être. Elle est devenue monoparentale, sans le père le plus souvent, elle est désarticulée, et elle n’instaure plus l’autorité nécessaire à l’éducation et à l’inculcation des valeurs aux enfants. L’exclusion, la privation, l’injustice, le mépris, l’humiliation et la détresse sont des facteurs qui peuvent nourrir le mécontentement, le sentiment d’infériorité de toute une lignée et finir par attiser la violence et la révolte. La vie dans les quartiers d’exclusion, dans les quartiers insalubres et les phénomènes tels que le chômage, la prostitution, le trafic de drogues, le vol, la prison, etc., engendrent une sous-culture de déviance. L’indignité devient le quotidien d’une lignée de famille ou d’ethnie. La marginalisation de certaines familles ou certains groupes ethniques les incite à être en quête d’une identité valorisante. Ces différents facteurs constituent des motifs qui peuvent inciter ceux qui vivent ces sentiments à vouer une haine de la société et à s’engager dans des mouvements qui prônent l’expression radicale de leur désir d’être. Cet engagement est fondé sur le principe du « retournement de l’humiliation en une contrehumiliation radicale. Humilier ceux qui vous humilient, tel est le rêve que caressent nombre de jeunes qui sentent leur vie détruite par l’attitude arrogante d’une société qui les regarde comme des sous-hommes », tel est le constat du sociologue Farhad Khosrokhavar (2018, p. 113). Comment construire son identité dans ce contexte ? Comment se construire soi-même dans un monde en conflit, en concurrence et en quête de rentabilité économique et matérielle ? Dans les multiples appartenances en concurrence ou en conflits qui s’opposent, quelle(s) appartenance (s) l’individu doit-il choisir ? 23

Elles peuvent être religieuses, linguistiques, ethniques, sociales, politiques, économiques, matérielles, etc. C’est donc dire que les appartenances, pour ne pas employer le mot identité, sont plurielles et que l’individu doit intégrer volontairement ou involontairement plusieurs de ces composantes dans son être. La concurrence entre les religions, les langues, les cultures en général plonge l’humanité dans l’obligation de choisir. Les cultures les plus attrayantes ou les plus virulentes sont les plus visibles et peuvent être les plus choisies. L’individu est placé dans la position de celui qui doit être influencé et/ou qui doit choisir librement si un choix peut être encore libre. Nous pouvons donc dire que c’est un contexte dans lequel il est perplexe, perdu, désorienté : le vide existentiel est tangible. L’organisation familiale peut permettre d’aider les enfants, les adolescents, les jeunes à se construire sur le plan psychologique. Chaque être est en quête d’un équilibre harmonieux dans la structure familiale. Un investissement personnel est constaté par chaque membre de la famille afin de bénéficier de la convivialité du cadre familial pour se construire. La religion au sens de système de croyances, de contenu spirituel particulier, semble constituer l’appartenance la plus solide, la plus stable et celle que l’on revendique le plus facilement. Parce qu’elle peut donner lieu à une forme de militantisme actif. Elle remplit une fonction sociale clé dans la construction de l’individu. Elle fédère et crée un esprit de solidarité au-delà des continents. La religion a tendance à se prévaloir d’une identité unique ou à influencer les autres appartenances comme la langue, la culture en général : c’est le cas des religions dites monothéistes. La religion devient le seul prisme identitaire par lequel l’individu peut se percevoir, se construire en entreprenant une quête spirituelle ou en se lançant dans une quête de sens ou simplement en s’inscrivant dans la volonté de racheter des péchés antérieurs. Elle peut dans certains cas conditionner les autres constituants de sa vie, tels que l’alimentation, l’art vestimentaire, la vision de la société, de la politique. De nos jours, sur le continent africain, particulièrement en Afrique subsaharienne, le néopentecôtisme (les églises évangéliques) et l’islam par exemple fournissent de fervents modèles 24

pour la construction de l’identité de certains en dehors de toute autre appartenance comme celle des valeurs de la famille traditionnelle. Ils transcendent les identités ou les appartenances singulières, locales ou nationales. Le néopentecôtisme et l’islam deviennent dans la pratique de certains comme des formes de négation des autres appartenances qui participent de la constitution de l’être de l’individu. Le néopentecôtisme se présenta comme une "théologie de la prospérité" en mettant l’accent sur la richesse et la bonne santé. Ces églises évangéliques vont laisser se répandre des suspicions diaboliques pour justifier la situation de pauvreté des démunis et des laissés-pour-compte. Ces églises instaurent une vision binaire et radicalisée du monde en nommant « bien » ce qui est de leur côté et « mal », symbolisé par le diable, ce qui est du côté de l’autre. Quant à l’islam dans sa version salafiste, la prière est pratiquée en arabe, langue du Coran par laquelle l’archange Gabriel avait transmis les révélations à Mohamed. Dieu avait donc choisi de livrer sa révélation en arabe à un prophète arabe. Les salutations d’usage passent par l’arabe. Et la tendance est de substituer l’arabe à toutes autres langues, même dans les conversations ordinaires. L’espace public est organisé en fonction des valeurs de l’islam. Par exemple, les jeunes portent la barbe et les jeunes femmes portent le foulard. Les jeunes de cette même religion créent des groupes des pairs qui communiquent par les moyens de la technologie comme internet, smartphones, Facebook, etc. Les réseaux sociaux vont permettre de créer une famille de jeunes unis et communiquant sans contrôle de l’autorité parentale. Cette transgression ou ce désir de provocation crée un air de famille avec des membres qui partagent des informations secrètes. L’adoption d’une telle appartenance, qui se veut absolue, permet de se construire, de s’affirmer et de résister dans ce monde de concurrence, de rivalité culturelle, économique, matérielle, etc. L’islam devient le rempart contre toute dérive de la société libérale. Il stabilise l’individu et le rend apte à faire face aux défis de la vie moderne. Les problèmes de la modernité trouvent leur solution dans l’islam. Le choix de l’islam et l’attachement viral pour constituer son identité ou son appartenance à une telle religion se sont renforcés en réaction aux attaques, aux interventions militaires des 25

Occidentaux dans des nations considérées comme Arabes, tel est le cas de la Syrie, de l’Afghanistan, de l’Irak par les armées françaises, américaines et britanniques. Le continent africain, en temps de crise politique, semble faire face à des États effondrés, moribonds, incapables d’assurer la stabilité des sociétés ou d’organiser le vivre — ensemble par-delà la diversité des ethnies, des religions, des langues. Dans ces conditions, l’Afrique est, pourrait-on dire, le lieu par excellence des États faillis. Nous sommes dans un contexte politique marqué par l’absence de leadership de l’État dans la refonte identitaire de ses citoyens. La structure étatique, à travers le gouvernement et l’administration, n’arrive pas à répondre à ce désir d’être, à orienter la construction de l’identité des citoyens, à impulser un sentiment de fierté ou toute autre réalité sociopolitique, psychologique et culturelle. La conséquence la plus évidente, c’est l’absence de projection dans le futur : l’individu est à la merci de toute forme d’influence ou est plus sensible ou perméable à toutes les déterminations extérieures. 2. Le désir de transcendance par l’islam Un vide existentiel (vécu) s’empare de certaines personnes dans nos villes et nos villages, et celui-ci doit désespérément être comblé. Et seule une utopie mobilisatrice peut le combler. Un tel idéal pour certains se trouve dans le désir de transcendance. Le désir de transcendance se manifeste par l’intense volonté de vivre sa foi. La foi devient l’essence de l’existence de l’individu et donne un sens à celle-ci. Une foi manifeste et qui se concrétise dans le vécu du croyant par le respect des préceptes de sa religion. Le respect des prières quotidiennes donne un sens à la vie. Le concept de religion désigne, dans ce cadre précis, selon Marcel Gauchet (2018, p. 622) : L’attribution, par l’humanité, de la causalité de son monde à un principe extérieur et supérieur. La religion, c’est le rapport de l’humanité à elle-même par lequel elle se dépossède de la responsabilité de l’ordre selon lequel elle vit au profit d’un fondement qui la dépasse. Cela se concrétise dans une

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organisation des communautés humaines, dans un mode de structuration des sociétés qu’il est justifié de nommer "hétéronome".

Le désir de combler le vide existentiel en vivant la plénitude du religieux, tel est la substance de la vie d’aujourd’hui. Le « tout religieux » donne sens à l’existence. C’est pourquoi ce désir de reconnaissance ou de construction de sa personnalité ou de son être peut conduire à vouloir approfondir le sentiment d’appartenance religieuse. L’exploitation outrancière de la religion pour affirmer son être s’impose de plus en plus dans nos villes et nos villages. La religion va être ce qui répond à l’aspiration profonde de l’individu à se construire en partageant une identité uniforme et collective à travers par exemple l’islam, « c’est-à-dire par la référence à sa doctrine, aux contenus de la foi et de la spiritualité, aux credo de la religion, ou encore aux pratiques cultuelles et rituelles qu’elle prescrit. » (Frédéric-Marc Balde, 2012, p. 147). Par une telle volonté de s’engager dans la foi, les croyants finissent par créer une communauté autour d’une valeur sacrée, c’est-à-dire le Coran et refusent toute logique étatique. Cette communauté de croyants s’oppose à celle des infidèles (kuffār) et des apostats (mortad). Les jeunes garçons veulent du rêve, de l’utopie. Ils sont incités par leur condition de vie à développer une aspiration au sacré et à l’immortalité. Ce désir ardent trouve une réponse dans les paroles, les discours des mouvements salafistes, wahhabites ou djihadistes. Ainsi, l’engagement dans la foi islamique par le truchement des organisations islamiques permet de s’assumer comme homme et femme, de devenir donc adulte en dehors du carcan familial, du cadre sociétal auquel on appartient. Les jeunes filles développent les mêmes rêves tout en aspirant à vivre leur spécificité féminine. Certaines sont disposées à mettre leur capacité reproductrice au service d’un combat conduisant au triomphe de l’islam. D’autres n’hésitent pas à se mettre à côté des hommes dans la participation active sur le champ de bataille. Elles manipulent les armes, fabriquent des explosifs et commettent des attentats suicides (femmes kamikazes). Elles peuvent être chargées de veiller à la moralité islamique des zones conquises. Elles donnent déjà une certaine idée de cette moralité 27

en portant le tchador ou le hijab, en veillant à la non-mixité. Le choix d’inscrire le « tout religieux » dans leur comportement permet aux jeunes en général de construire leur existence dans le respect des interdictions dictées par leur foi : plus de sexualité en dehors du cadre religieux rigoriste, rejet de la consommation de la drogue, de l’alcool, de films pornographiques… En Afrique subsaharienne, le pouvoir d’attraction de l’islam sur la jeunesse est indéniable. Que cet islam soit radicalisé ou que l’on assiste plutôt à une radicalisation de l’islam, il faut admettre que par son truchement une partie de la jeunesse a pu remettre en cause le pouvoir des Anciens, des notables et des parents dans l’organisation de la vie communautaire en tentant de rejeter les traditions africaines préislamiques. Le principe de la dot pour avoir une épouse, par exemple, a été remis en cause. L’islam a pu servir de cadre pour se rebeller, contester contre un ordre social jugé inacceptable au vu d’autres valeurs qu’il prône. Il sert à la "désoccidentalisation" des jeunes Africains. L’Occident irréligieux est perçu comme l’incarnation du Mal, une civilisation désacralisatrice qui mène la jeunesse africaine à la perdition. Tous ces engagements constituent une forme de réalisation de l’utopie des jeunes en construction de leur identité ou des adultes en quête de repères. Toutes ces analyses nous conduisent à suivre Farhad Khosrokhavar quand il déclare (2018, p. 268) que : L’un des traits saillants de l’islamisme radical est son repli sur la famille et les groupes de proximité : les fratries, les liens de sang et d’amitié (les copains, les proches, les jeunes du même quartier) et, en même temps, les liens imaginaires tissés sur les réseaux sociaux. Le repli sur le plus proche (la fratrie, la bande des copains, le quartier) ou le plus lointain (ceux qui fraternisent via internet) exprime le désir de refondre le politique dans une nouvelle configuration que l’on appelle l’"islam" et qui, en réalité, n’est que du "religieux ensauvagé". Cette configuration ne garde de l’islam traditionnel que les traits les plus intransigeants et les plus durs, rejetant tout ce qui faisait l’expression d’une "civilisation islamique" digne de ce nom où la sophistication des mœurs allait de pair avec le développement des arts dont la poésie, la musique, la peinture (dont la miniature, malgré l’interdiction des images), la philosophie (d’inspiration grecque)

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et tout particulièrement la mystique (le soufisme sous ses différentes formes sunnite et chiite).

Cet islamisme radical n’est rien d’autre que la version wahhabite de l’islam. Une version qui s’en prend à toute l’humanité en niant la possibilité de toute altérité à l’islam. 3. Le processus de radicalisation Qu’est-ce qui reste à un homme qui se sent exclu de tout, sans perspective économique, sociale, politique, un homme voué à une vie sans lendemain ? La transgression à outrance ? La révolte ? La rébellion ? La radicalisation ou la conversion ? Dans le cadre de l’analyse de l’islamisme radical, tous ces comportements se matérialisent par ce que les analystes du phénomène djihadiste appellent la radicalisation. La notion de radicalisation est devenue polysémique, problématique dans ses fréquents et multiples emplois tant dans les discours des politiques que dans les analyses des chercheurs. Que signifie la radicalisation ? Qu’est-ce qui fait l’essence de la radicalisation ? Quel contenu minimal peut-on donner à la notion de radicalisation ? L’usage de cette notion est devenu fréquent et pratiquement adopté par les chercheurs et les institutions internationales. Néanmoins, il faut prendre en considération l’invite de Jacob Rogozinski (2016) à renoncer à la notion de "radicalisation" en évoquant plutôt celle de conversion ou d’adhésion à une croyance fanatique afin de comprendre réellement ce qui est en jeu. Une telle distinction permet de prendre conscience de la fausse radicalité du djihadisme et de ne pas la confondre avec la recherche d’une alternative vraiment radicale à la société actuelle ou à son émancipation sociale. En somme, ayons conscience que pour désigner ce que nous nommons "radicalisation" à propos du djihadisme, le mot "fanatisme" serait beaucoup plus adéquat. Le djihadisme est du fanatisme et non de la radicalité, à cause de sa dimension religieuse et sacrificielle. Par l’usage des notions de radicalisation ou de radicalité, nous désignons en fait le phénomène de l’extrémisme religieux, qui en appelle à la "guerre sainte" contre les infidèles, les mécréants, c’est-à-dire ceux qui 29

ne pratiquent pas la seule approche tenue pour vraie de l’islam, ou encore les non-musulmans. Précisons qu’au départ cette notion de radicalité n’est pas liée à l’islamisme ou à l’islam fondamentaliste ou encore à l’islam djihadiste. Ainsi, des adeptes des sectes, des collectionneurs acharnés, des passionnés d’art ou de sport affichent des dispositions mentales à la radicalité. On trouve des radicaux juifs, hindouistes, catholiques, orthodoxes, protestants ou néopentecôtistes, etc. Le radicalisme ou le fanatisme advient quand une religion cherche à imposer sa croyance par la violence et le meurtre. La radicalisation prend généralement naissance dans les zones urbaines, mais aussi dans les milieux ruraux. Les zones urbaines avec les quartiers délaissés, enclavés et pauvres, sont plus aptes à la radicalisation des jeunes que les zones rurales. La radicalité concerne potentiellement tout le monde, sans distinction de sexe (masculin et féminin), d’âge (adolescents, jeunes et adultes), de catégories socioprofessionnelles (les militaires, les policiers, les ouvriers, les cadres de l’administration, les médecins, les universitaires…). Dans le contexte de l’islam radical, la radicalité est un sentiment de haine et d’aliénation à travers une certaine pratique de l’islam qui incite à la déshumanisation et à la violence à l’égard des autres, c’est-à-dire de ceux qui sont en dehors de la seule forme autorisée de croyance, au nom du sacré. Selon Asiem El Difraoui (2016, p. 98), c’est un « processus qui conduit un individu à rompre avec la société dans laquelle il vit pour se tourner vers une idéologie violente, en l’occurrence le djihadisme ». Cette idéologie attrayante comporte une dimension messianique et apocalyptique. Par exemple, l’islam tel que professé par les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans évoque des notions comme mourir en martyrs, la vie éternelle, mourir pour renaître ou la résurrection, etc. Cette dimension de l’islam « s’enracine dans un phantasme primordial qui trouve sa source dans la vie de notre moi », admet Jacob Rogozinski (2018, p. 93). Nous dirions que la radicalité intervient quand l’appartenance religieuse prend le dessus sur toute autre appartenance, plus précisément quand l’appartenance religieuse régit, organise les autres appartenances telles que la langue, l’habillement, la

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coiffure, l’alimentation, la danse, en somme le mode de vie de l’individu. La radicalité se manifeste par l’exclusivisme religieux qui s’empare de toute l’existence du sujet. Un besoin de délimitation rigoriste caractérisé par la notion du sacré s’impose dans l’existence au quotidien : l’individu sépare le permis de l’interdit, le halal du haram, etc. La radicalité est alors définie comme une phase de maturation dans laquelle l’individu se perçoit comme la victime d’un système politique, idéologique, social jusqu’à atteindre un niveau jugé extrémiste dans ses pensées et ses actes. On note que ce processus de radicalisation comporte des degrés. La radicalité en islam est issue d’une pure construction idéologique visant à présenter une seule manière de vivre l’islam. L’islam devient un instrument politique ou une théologie politique visant à soumettre toute société à la loi divine ou à celle du Coran. En ce sens, la radicalité devient une négation de toute autre forme de croyance et s’oppose à la laïcité. En effet, Frédéric-Marc Balde (2012, p. 160) cite justement Sayyid Qutb, qui soulignait pour ses tenants radicaux, que l’islam : Est tout à la fois Dīn wa — Dunyā (religion et monde séculier), Dīn wa-Dawla (religion et État ou gouvernement). De leur point de vue l’islam est un système total (Nizām Shāmil) qui englobe tous les aspects de la vie en société. Leurs mots d’ordre sont notamment : "al-Islam huwa al-Hall" (l’islam est la solution) ou encore "Lā Hakimiyya illā li-Allah" (la souveraineté n’appartient qu’à Dieu), etc.

Toute chose qui conduit Jacob Rogozinski (2017, p. 20) à admettre que le djihadisme comporte une dimension religieuse et que par conséquent : il « a tout à voir avec l’islam, bien qu’il ne soit pas la vérité de l’islam. Il est l’un de ses visages ». Sur la radicalisation, deux visions s’affrontent chez les théoriciens et les chercheurs. Certains perçoivent le djihadisme, le salafisme comme la radicalisation de l’islam (par exemple le fait de grandir dans une famille pratiquante et de pratiquer une version rigoriste de l’islam) ; cependant d’autres évoquent plutôt l’islamisation de la radicalité (c’est la sacralisation de la haine, l’islam devient le moyen d’exprimer sa frustration). Mais au fil 31

du temps, il apparait clairement que ces deux approches ne sont pas antagoniques. Il faut d’ailleurs préciser que l’individu qui islamise la radicalité peut finir, à force d’une culture approfondie du Coran, par radicaliser l’islam. Des visions à articuler, car seul le profil du radicalisé permet de le situer réellement. Pour Farhad Khosrokhavar (2018, p. 108), « on retrouve des individus débutant par l’islamisation de la radicalité et qui finissent par étudier l’islam et opter pour sa version radicale, donnant ainsi sens à la radicalité de l’islam ». C’est dire que l’analyse du phénomène de la radicalité ne doit pas être dogmatique. De plus, le radicalisé peut-être sous la direction d’un supérieur hiérarchique salafiste, wahhabite ou d’un Frère musulman. Dans ce cas sa radicalité est structurée. Ou au contraire, il peut être un individu qui agit seul, sans avoir aucun chef, un leaderless. Les facteurs qui exhortent à la radicalité sont nombreux. On peut citer les facteurs externes comme les interventions militaires de certaines grandes puissances dans des pays partageant la foi musulmane. Ces facteurs externes sont très insuffisants pour justifier la radicalité d’un adolescent, d’un jeune et d’un adulte. Les facteurs internes comme l’exclusion, le racisme, le chômage, la vie dans les banlieues ou dans les ghettos finissent par engendrer un fort sentiment de stigmatisation et une sous-culture de déviance de toute forme d’autorité : parentale, pédagogique, policière, militaire et judiciaire. Ce rejet se transforme en haine. La haine de tout ce qui symbolise l’autorité, les institutions, le pouvoir, etc. La haine est aveugle, contagieuse et cherche seulement à anéantir sa cible. Cette haine se manifeste par le rejet de la société et de ses normes, de ses valeurs. Pour être plus précis, Farhad Khosrokhavar (2018, p. 114) explique ainsi les effets sur les sujets du processus de radicalisation : Le sentiment intense d’indignité intériorisée et la quête d’exister de manière provocatrice font qu’ils cherchent non pas la "reconnaissance légitime" (à leurs yeux inaccessibles), mais la "reconnaissance illégitime". Ils s’adonnent à l’économie souterraine et pour une petite minorité d’entre eux, à l’extrémisme islamiste. Le "héros négatif" jihadiste tente de se faire reconnaître comme une star de l’extrémisme islamiste dans une négativité absolue et assumée, voire revendiquée, par rapport à

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une société qu’il honnit (la "haine" comme catégorie anthropologique est déterminante). La reconnaissance qu’il cherche est inversée : puisqu’on ne peut être reconnu en bien, il faut se faire reconnaître en mal, inspirant la crainte au lieu de l’admiration.

L’exclusion sociale et économique conduit à arborer une attitude de provocation, de rejet, en optant pour une pratique religieuse différente, de plus en plus hermétique. La conséquence immédiate, c’est qu’une telle pratique plonge le radicalisé davantage dans la spirale de l’enclavement et de la fermeture sur soi. La frustration sexuelle dans une société moderne paradoxale qui expose le sexe à tout vent et en conditionne l’accessibilité par des moyens financiers. En d’autres termes, la haine vécue dans son environnement social ou l’identité de la délinquance que le radicalisé porte est transférée vers la version djihadiste de l’islam. Ce statut de djihadiste est un statut religieux et lui restitue une dignité perdue en créant des conditions pour assouvir sa volonté de s’affirmer. Il faut l’avouer avec Farhad Khosrokhavar (2018, p. 559) : « L’islamisme radical exerce une grande partie de son attrait par son intolérance, son pouvoir d’exclure, d’excommunier et d’anéantir musulmans et non-musulmans. La fascination de l’intolérance au nom du sacré est la transcription de ce que l’on pourrait appeler le "religieux ensauvagé" ». La stigmatisation, l’humiliation de son groupe ethnique peut conduire à l’option du fondamentalisme islamique. Dans les pays de l’Afrique subsaharienne, la stigmatisation récurrente des groupes ethniques se pratique en fonction des enjeux politiques. Chaque élection politique constitue l’occasion d’attaques des adversaires sur la base de leur ethnie politique. Cette stigmatisation part généralement de l’histoire conflictuelle latente entre les groupes ethniques, des préjugés essentialisés, et elle les amplifie jusqu’à créer des conflits ouverts, violents et meurtriers. Les plus grandes victimes sont les ethnies minoritaires. Ces ethnies vivent dans une indignité intériorisée, assumée parce que le regard des autres les perçoit comme tels. Le drame de Yirgou au Centre-nord du Burkina Faso est resté impuni. Aucune volonté politique et judiciaire de trouver des coupables aux massacres

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d’un village entier dont les habitants ont été accusés de complicité avec des terroristes. Ce déni de justice est un terreau fertile pour cultiver la haine destructrice et l’esprit de vengeance. Les écoles coraniques peuvent également être des foyers de radicalisation des jeunes. En effet, certaines écoles sont des milieux d’endoctrinements religieux. Les pratiques d’endoctrinement des jeunes se greffent sur des exactions subies par leurs communautés, leurs familles, leurs activités économiques, etc. Ainsi, ceux-ci sont souvent conduits à s’engager dans les combats ou les attaques sur des bases autres que religieuses. En somme l’élément déterminant de leur engagement se situe en dehors du religieux et peut relever de l’ordre de l’expropriation de biens, de la répression gouvernementale, de la brutalité et des exactions des forces de l’ordre, des arrestations jugées arbitraires des proches, des morts de proches. Le stade extrême de la manifestation de la radicalité est la fascination de la mort et l’acceptation de sa propre mort dans des conditions spectaculaires. La mort est sacralisée pour le djihadiste, qui devient un martyr de la cause du Prophète Mohamed. Les martyrs-meurtriers, victimes sacrificielles, se donnent en offrande à Dieu. Le phénomène de radicalité atteint un point ou le radicalisé a un rapport privilégié avec la mort. Ce rapport le conduit à exorciser la peur de la mort en faisant de la mort une délivrance de cette vie terrestre pour rentrer dans l’univers de l’immortalité ou de la vie éternelle. Et la mort de l’adversaire du djihadiste, du kaffre, est diabolisée. Cette diabolisation se manifeste par le mépris, la lacération et les coups de pied portés à son corps : le respect originel du corps des morts propre à l’humanité, qui définissait celle-ci nous introduit désormais dans l’inhumain, ou nous conduit à la déshumanisation. Cette fascination morbide est comprise par Farhad Khosrokhovar (2018, p. 555) : La mort opère comme un substitut au politique et au projet de société ouverte : mourir ou faire périr, punir, mettre fin à la liberté de l’individu, imposer un cadre répressif et dénoncer les turpitudes du monde ambiant pour justifier un puritanisme de plus en plus oppressif sont les caractéristiques du jihadisme. Si cette vision régressive et hyperrépressive a eu du succès chez de

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nombreux groupes […], c’est qu’elle répond au besoin de transgression de nombreux individus qui ne croient pas à un avenir meilleur ni à un monde plus humain dans le cadre des institutions et des idéologies politiques existantes. La mort intervient comme opérateur cathartique.

Une telle démonstration de violences a une prise sur tous ceux qui estiment être des laissés-pour-compte de la société, du système politique et économique ; ceux qui se sentent marginalisés de par leur origine sociale (immigrés, noirs, métisses, arabes, etc.) ; ceux qui désespèrent de changer de vie et rêvent de s’en sortir en épousant des contre-valeurs de la société. L’idéologie djihadiste peut servir aussi à ceux qui refusent la domination occidentale dans le monde et ceux qui souffrent de pathologies diverses et vivent leur foi comme un rempart contre leurs propres souffrances ou démons. 4. La déradicalisation C’est une opération qui vise à conduire le fanatique ou le croyant radicalisé à se défaire progressivement de la nature agressive, mortifère de sa foi. Cette technique vise à ramener le croyant à une proportion acceptable de sa foi dans une société multiconfessionnelle et laïque. Au fond, c’est un processus de réinsertion, voire de sortie de la violence. Une opération possible pour certains prétendus radicalisés, c’est-à-dire ceux qui ont radicalisé l’islam dans le but manifeste de vivre une différence singulière. Ce type de radicalisé vit dans un islam imaginaire, construit en vue de répondre ou de satisfaire aux besoins d’un profond malaise identitaire. Ce radicalisé, selon Farhad Khosrokhavar (2018, pp. 119-120), ne pratique pas « l’islam traditionnel, mais l’islam dans l’illégalité, l’islamo-déviance, l’islam-braquage, mais aussi l’islamo-défi. Tout ce qui est interdit dans l’islam traditionnel se trouve réinterprété et revisité dans une attitude de rupture symbolique avec la société au nom de la "pureté islamique" ». L’objectif de la déradicalisation n’est pas de conduire les hommes à adopter les valeurs occidentales,

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mais de veiller à ce que chaque être vive sa singularité non conflictuelle avec celle des autres. La déradicalisation va consister aussi à encourager, à accepter la pratique des autres formes d’islam comme le soufisme. Le soufisme a une approche de la religion musulmane non incitative à la violence et la guerre. Son discours est une incitation à déployer son amour de Dieu, à aimer la vie et non la mort. En ce sens le soufisme apporte ou ouvre une perspective fondée sur l’espoir d’une vie réussie sur le plan économique, culturel, politique, etc. De façon générale, la société doit être à même de favoriser ou d’encourager l’ancrage religieux des citoyens. La haine sociale, qui se développe jusqu’à conduire à la radicalisation ou au fanatisme, survient principalement dans les sociétés dans lesquelles les jeunes n’ont pas d’affiliation religieuse ou de relation au sacré ou encore à des valeurs. Dans un contexte marqué par le djihadisme, le travail d’incitation à l’acceptation des valeurs autres doit passer par une certaine relecture, par exemple du Coran, pour préciser dans quel contexte ce texte sacré fait appel à la violence. Un travail d’herméneutique du Coran pourra préciser dans quelle(s) condition(s) l’islam exalte la violence. Il incombe aux principaux courants de l’islam comme le kharijisme, le chiisme et le sunnisme de faire connaître les écoles juridiques du sunnisme (le hanafisme, le mâlikisme, le shâfi’isme, le hanbalisme) et celle du chiisme, qui proposent des lectures et interprétations différentes du Coran. Ce travail d’ouverture dans l’interprétation des textes sacrés va permettre de rompre avec la vision la plus marquante de l’islam comme fanatique, intolérante et incompatible avec la laïcité. Combattre la radicalité islamique ou djihadiste, c’est prendre conscience que celle-ci : N’est pas réductible aux situations personnelles de cas sociaux radicalisés en prison ou sur le Net et qui seraient "étrangers à l’islam". Le terrorisme islamiste ne peut être réduit à une question sécuritaire ou à un problème psychiatrique. En tant que face émergée de l’iceberg islamiste, il ne peut être combattu que si l’on identifie préalablement ses fondements idéologiques et si l’on agit aussi sur les puissantes forces étatiques et institutionnelles qui portent le projet global de

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l’islamisme radical, lequel est loin de se limiter au seul mode d’action jihadiste. (Farhad Khosrokhavar (2018, p. 15).

Il faut veiller à ouvrir d’autres horizons au radicalisé dans l’islam. Les appartenances sont multiples et le radicalisé peut être musulman et adopter d’autres appartenances : musulman et altermondialiste, musulman et supporteur d’une équipe de sport, musulman et écologiste, etc. Selon Amartya Sen (2006, p. 39), « la religion ne doit pas constituer l’identité exclusive d’un individu. L’islam, en tant que religion, ne doit pas oblitérer la possibilité, pour les musulmans, d’exercer leur choix responsable dans de nombreux domaines de la vie ». La société moderne doit œuvrer à ce que la religion ne constitue point l’unique source identitaire. En plus de la religion, d’autres appartenances comme le sport, l’art, l’idéologie politique, l’engagement citoyen… peuvent participer de la construction de notre être. L’ouverture à d’autres appartenances permet justement de ne pas s’enfermer dans une seule qui finit par être unique et exclusive. En Afrique subsaharienne, la déradicalisation peut se faire en empruntant un chemin ardu et long, mais plus efficace : celui de la construction d’une identité singulière dans laquelle les adolescents, les jeunes et les adultes se retrouvent. Elle permettra d’éviter à cette jeunesse les identités d’emprunt dont le port, le vécu demande d’énormes sacrifices et les plonge dans une vie inauthentique. La déradicalisation va cultiver chez cette jeunesse l’idée de l’authenticité en partant des valeurs spécifiques de nos cultures et d’un idéal de vie ouvert et fait d’échanges, d’interpénétrations, de partages, etc. Le vide existentiel des jeunes subsahariens est une des causes majeures de leur basculement dans ce projet de révolution islamique mondiale. Le rêve d’appliquer la shari’a en Afrique subsaharienne permettra d’établir l’unité des musulmans de cette partie de l’Afrique et donc de contribuer à restaurer le Califat tant rêvé par les salafistes.

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5. L’affirmation du principe de la laïcité Face à la montée du radicalisme islamique, il faut une affirmation vigoureuse de la laïcité. Nous sommes dans un monde de proximité, de partage du même espace, comment éviter la liberté de choix religieux ? Comment exiger de tout le monde l’adoption de la même foi ? Une foi dont la pratique vécue ou la manifestation est inexorablement culturelle. L’État doit préserver l’individu de la violence inhérente dans les religions dites monothéistes. Cette préservation va permettre l’expression plurielle de la pratique religieuse. L’État doit affirmer et faire admettre par tous la valeur supérieure, dans la sphère politique, des lois et des règles de la République. Seules les lois de l’État peuvent garantir le vivre-ensemble et permettre à tous les citoyens de s’épanouir dans la pratique de leurs religions : c’est le principe de la laïcité. La laïcité, loin d’avoir une signification anti-religieuse, prépare la société à vivre les différences de pratiques religieuses dans le respect du choix des unes et des autres. Elle est l’acceptation même de la tolérance religieuse, du principe même de choisir et de vivre sa foi sur la base d’une démarche volontaire. Comment permettre aux citoyens d’un continent comme l’Afrique de pratiquer ses multiples cultes sans l’acceptation du principe de la laïcité ? Des cultes dits abrahamiques, exogènes et bien ancrés aux cultes ancestraux, endogènes et propres à toutes les familles, la laïcité doit être le principe qui permet à chacun de vivre sa foi dans le respect des autres. La liberté de conscience et de culte doit être garantie par la laïcité. Le monde est multireligieux et aucune religion ne peut avoir cette prétention d’universalité sans nier les autres. La laïcité permet l’expression de toutes ces croyances : c’est le respect de la liberté religieuse. Mais il faut tenir compte de ce constat réel établi par Alexandre Del Valle (2018, p. 35) : « Toute stratégie de l’intimidation des islamistes radicaux, terroristes ou pas, réside sur cette certitude que la violence ou les rapports de force sont déterminants ». La laïcité doit contribuer à limiter le prosélytisme religieux dans les espaces publics comme les écoles, l’administration, etc. Elle doit cultiver le droit à la différence. Ce droit à la différence peut aider à combattre l’exploitation du sentiment 38

victimaire que certains groupes religieux peuvent utiliser. Des tendances religieuses comme l’islamisme radical et les églises évangéliques sont très agressives par leurs prosélytismes et leurs idéologies… La laïcité va constituer un rempart contre le dogme de la dénonciation élaboré par certaines religions qui ont tendance à se présenter comme étant des victimes (christianophobie, islamophobie). Le piège de la culpabilisation est une stratégie de certains pratiquants des religions monothéistes comme l’islam (l’islam wahhabite, salafiste…) et les adeptes du néoévangélisme. Les communautés spécifiques formées par les courants religieux seront régies par les règles de la vie commune édictée par la laïcité. Elle doit empêcher ou éviter toute dérive communautariste.

Conclusion Comment se réaliser moralement, intellectuellement, matériellement et spirituellement dans une société en voie de décomposition ? Comment se construire individuellement et collectivement dans une société sans vision, sans aspiration et sans idéal autre que celui de l’accumulation des biens matériels ? Le mal-être anime les hommes pris isolément dans notre société matérialiste et consumériste. Ils se sentent exclus et souffrent de ne pas être reconnus à leur juste valeur. Le vécu des hommes est marqué par un vide existentiel qui se déploie péniblement au jour le jour. Déboussolés dans leur ennui existentiel, ceux-ci sont en quête d’appartenance pour construire leur idéal d’identité : chacun a une volonté de se faire reconnaître comme personne, comme individu existant, vivant et s’épanouissant à travers ses activités. Un désir de reconnaissance de soi se présente et s’empare de toute l’existence de l’homme moderne dans toutes les contrées du monde. Ce désir de reconnaissance de soi peut passer par plusieurs domaines : culturel, spirituel, sportif, politique, religieux, etc. De plus en plus, le renouveau des religions comme le néopentecôtisme et l’islam radical répondent à ce désir de se construire dans une société peu soucieuse du bien-être de ses membres. L’islam radical transforme la colère, l’indignation, la révolte légitime et la haine des adolescents, des jeunes et des 39

adultes en un dispositif de terreur. Plus précisément, le désir de se venger de l’injustice subie, des discriminations vécues (couleur de la peau, pratique de sa religion…), transformées en haine, permet d’opérer ce saut dans la terreur djihadiste. Mais il faut observer que le fanatisme djihadiste offre toute la fougue, la hargne nécessaire à certains adolescents, jeunes et adultes pour se construire une identité. Une telle pratique de l’islam entraine les fidèles vers ce qui est nommé aujourd’hui, avec effroi, la radicalisation ou la fanatisation idéologique de l’islam. Cet islamisme radical, dans sa volonté d’instaurer un Califat, œuvre à une forme de retrouvailles et d’élargissement de la Ouma dans le monde : conditions à réaliser afin de construire cet État islamique mondial. Une telle ambition va se réaliser essentiellement par le djihad. Le djihad instaure la terreur, la frayeur par la pratique de la mise en scène des attentats suicides, l’immolation de soi et la mise à mort des autres. La radicalité dans la foi religieuse entraine une crise du vivre-ensemble dans ses fondements symboliques, sur les plans économique, social, politique et culturel. Le monde moderne ne saurait laisser cette alternative s’offrir aux adolescents, aux jeunes et aux adultes. Pour cela, un processus de déradicalisation par rapport à l’islamisme ou au djihadisme doit être engagé dans le but de conduire ceux-ci à une pratique non prosélytiste et mortifère de leur foi. La laïcité, en offrant la liberté de culte à chacun, veillera à ce que les lois de la res publica soient respectées et sauvegardées. La sphère publique ne doit plus être le lieu par excellence de la manifestation de sa foi religieuse, créant ainsi une logique de concurrence entre les religions. Il faut l’admettre avec Farhad Khosrokavar (2018, p. 559) que : L’islamisme radical est une théologie de la misère dans le sens mental et intellectuel. Une comparaison nous éclaire sur cette théologie haineuse marquée par l’absence de générosité et d’ouverture, par un fantasme absolu et par un idéal de société construit sur la "servitude volontaire" accompagnée à la "servitude involontaire", voire à la "servitude imposée".

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La laïcité à construire doit être conquérante, à même de neutraliser cette logique de haine mortifère en développant un désir de vivre ensemble et une utopie fédératrice de tous les citoyens autour d’idéaux républicains.

Références bibliographiques DEL VALLE Alexandre, 2018, La stratégie de l’intimidation. Du terrorisme jihadiste à l’islamiquement correct, Paris, Éditions de l’Artilleur/Toucan éditeur indépendant, collection « Interventions ». SEN Amartya, 2006, Identité et violence, traduit de l’anglais par Sylvie Kleiman-Lafon, Paris, Odile Jacob. El DIFRAOUI Asiem, 2016, Le djihadisme, Paris, PUF, collection « Que sais-je ? ». KHOSROKHAVAR Farhad, 2014, Radicalisation, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme. KHOSROKHAVAR Farhad, 2016, « Les ressorts de la radicalisation islamiste dans les démocraties occidentales », in Cahier français, n° 395, pp.55-60. KHOSROKHAVAR Farhad, 2018, Le nouveau jihad en Occident, Paris, Éditions Robert Laffont, collection « Le monde comme il va ». BALDE Frédéric-Marc, 2012, L’islam, Sion (Suisse), Éditions Parole et Silence. CILLIERS Jackkie, 2004, « L’Afrique et le terrorisme », in Afrique contemporaine, n° 209, pp.81-100. ROGOZINSKI Jacob, Tribune : « Être radical, c’est lutter contre la souffrance sociale », in Le Monde, 04/04/2016, https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/04/04/etreradical-c-est-lutter-contre-la-souffrancesociale_4895262_ 3232.html ROGOZINSKI Jacob, 2017, Djihadisme. Le retour du sacrifice, Paris, Desclée de Brouwer. ROGOZINSKI Jacob, 2018, « Qu’est-ce qu’un dispositif de terreur ? », in Esprit, n° 448, pp. 85-96. PÉROUSSE DE MONTCLOS Marc-Antoine, 2018, L’Afrique, nouvelle frontière du djihad ?, Paris, La Découverte. 41

GAUCHET Marcel, 2018, « Sur l’avènement de la démocratie. Entretien avec Hocine Rahli », in Commentaire, Volume 41/Numéro 163, pp. 619-625. ŽIŽEK Slavoj, 2015, Quelques réflexions blasphématoires. Islam et modernité, traduit de l’anglais par Laure Manceau, Arles, Actes Sud.

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Communication de développement chez Marcuse et défis sociaux en Afrique Amara SALIFOU Maître-Assistant Université Alassane Ouattara E-mail : [email protected]/[email protected] Résumé La communication peut être un atout majeur pour accompagner le développement. Dans la réalité des faits, elle demeure une alliée constante de formes trompeuses et manipulatrices mettant ainsi en péril toute existence sociale épanouissante et digne d’intérêt. C’est la critique principale que formule Herbert Marcuse dans le rapport de la communication au développement en général et particulièrement en ce qui concerne les pays industriellement peu avancés à l’exemple de la plupart des pays du continent africain. La réflexion marcusienne, fort heureusement, nous oriente sur des chemins d’une véritable communication pour les sociétés africaines afin d’accompagner un développement qui porte de véritables couleurs d’une progression endogène plutôt que d’une perpétuation de la domination. Pour parvenir à une compréhension des enjeux d’une telle démarche, cet article aborde d’abord la communication sous la critique marcusienne. Il s’intéresse ensuite au développement dans la communication chez Marcuse. Enfin, il relève le regard marcusien sur la communication de développement face aux enjeux africains. Toute cette réflexion est sous-tendue par une méthode à la fois analytique, critique et d’orientation. Mots-clés : Afrique, communication, internet, marketing, société.

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développement,

Abstract Communication can be a major asset to support development. In reality, it remains a constant ally of deceptive and manipulative forms, thus jeopardizing any fulfilling and worthwhile social existence. This is the main criticism formulated by Herbert Marcuse in the report on development communication in general and particularly with regard to the industrially less advanced countries, like most of the countries of the African continent. The marcusian reflection, fortunately, guides us on paths of real communication for African societies in order to accompany a development that bears the real colors of an endogenous progression rather than a perpetuation of domination. To achieve an understanding of the challenges of such an approach, this article first addresses communication under the marcusian critique. He then became interested in development in communication at Marcuse. Finally, he raises the marcusian perspective on development communication in the face of African issues. All this reflection will be underpinned by a method that is at the same time analytical, critical and orientation. Keywords: Africa, Communication, development, Internet, marketing, society. Introduction Communiquons ! Il faut de la communication dans un couple. Que voulez-vous communiquer ? Adoptez une forme de communication pour faire passer votre message. Sachez communiquer ! Tout est dans la communication ! Que voulez-vous développer ? Développez votre pensée. Quel développement faut-il à notre ville, région, pays ? Nous avons besoin de développement. Ces expressions sont très souvent entendues et dénotent du fait certainement que nous avons une certaine vision de la communication et du développement. L’évidence par contre de l’indissociabilité entre communication et développement n’est pas forcément donnée. Comment arrivons-nous donc à conjuguer à la fois développement et communication afin d’aboutir à une 44

communication de développement ? Comment les philosophes en général et Herbert Marcuse dont une réflexion abondante est consacrée à la communication et au développement s’invitent-ils dans cette sphère qui semble être l’apanage des spécialistes des médias et des économistes ? Comment transposée aux réalités africaines, la réflexion marcusienne sur la communication et le développement nous éclaire-telle ? Un début de réponses à ces questions nous urge à nous demander ce que sont la communication et le développement. De façon basique, la « communication fait allusion à une relation dynamique qui intervient dans un fonctionnement ; échange de signes, de messages entre un émetteur et un récepteur. Échange d’informations entre organes divers (matériels, logiciels). Une action de communiquer quelque chose à quelqu’un »1. On peut aussi retenir que la communication provient du latin : « Communicare » qui signifie « mettre en commun », ou encore « faire part de », « partage », qui est un dérivé de « communis » : commun. Plus globalement, la communication est l’action de communiquer, de transmettre des informations ou des connaissances à autrui, ce qui peut également amener à l’échange et entraine le dialogue. Au sein d’une entreprise, la communication est définie comme l’ensemble des techniques et moyens lui servant à présenter ses produits, ses services ou bien même son activité2.

Le développement quant à lui vient du latin "de", « préfixe de cessation, de négation, et de "velare", voiler, couvrir, envelopper ». Le développement est donc l’action de faire croître, de progresser, de donner de l’ampleur, de se complexifier au cours du temps. Le terme est apparu vers 1755. Le Dictionnaire Robert le définit comme « ce qui prend de l’extension »3. La communication et le développement concernent en effet tous les secteurs d’activités et ne sauraient précisément pour ces faits, échapper aux 1

(https://dictionnaire.lerobert.com/definition/communication, consulté le 27 mai 20021 à 17h 18 minutes). 2 (httpswww.communication.com/définition-communication, consulté le 16 décembre 2022 à 11 heures 05 minutes). 3 (https://dictionnaire.lerobert.com/definition/developpement, consulté le 12 décembre 2022 à 13 heures 51).

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regards critiques de la philosophie marcusienne qui y perçoit une occasion pour les sociétés préindustrielles à l’exemple de celles qui constituent en majorité le continent africain, une occasion d’échapper à la fois aux formes manipulatrices tout en privilégiant celles qui valorisent les atouts possibles. La communication, telle que nous la connaissons actuellement avec ses divers canaux de diffusion technologiques, fait partie du système de fonctionnement et d’opérationnalité des sociétés industrielles établies qui, dans la logique de la domination, l’imposent subséquemment aux sociétés peu avancées. Une réalité de contrôle qui n’a d’influence que d’orienter le type de développement que croient choisir ces sociétés africaines qui ont entre leurs mains une technologie fonctionnant selon une logique qui lui est propre : la logique de l’emprise. C’est donc à juste titre qu’on pourrait s’interroger sur le rapport entre la communication et les défis de développement des pays africains. Comment un outil comme la communication qui appartient au système capitaliste de la domination peut-il répondre aux attentes des pays peu avancés industriellement ? La forme dévoyée de la communication, qui finit par se muer en des formes manipulatrices, ne constitue-t-elle pas dans une perspective marcusienne, une double mise en péril des attentes de développement pour les pays africains ? Comment les pays africains, dans la vision marcusienne, devraient-ils donc s’accaparer les outils de communication pour non seulement mettre à l’abri, leurs sociétés des effets illusoires tout en promouvant les réalités qui sont les siennes dans l’objectif d’un développement approprié ? À ces préoccupations multiples, H. Marcuse (1968, p.216) nous rappelle que « la communication n’a pas à se faire pardessus la tête des gens ». Une façon de préciser qu’il n’y a de promotion ou d’insistance qu’autour des sujets dignes d’intérêt pour chacun d’entre nous. Cela passe dans le cas des réalités sociales africaines par une politique à pouvoir se dépoussiérer de l’inessentiel. « S’il est vrai que le peuple doit se libérer de sa servitude, il est tout aussi vrai qu’il doit se libérer de ce qu’on a fait de lui dans la société où il vit », nous dit H. Marcuse (1973, p. 66). En vue de mieux percevoir la réflexion marcusienne sur la communication de développement et les défis des sociétés 46

africaines, nous utilisons une méthode à la fois analytique, critique et d’orientation. Celle-ci est perceptible sous trois axes démonstratifs. Nous abordons, dans une première phase, la généralité de la communication face à la critique marcusienne. Dans un deuxième temps, nous observons la réflexion marcusienne sur le développement et la communication. Afin, nous nous intéressons au regard marcusien sur la communication de développement face aux enjeux africains. Cette étude nous permet, en termes de résultats, de préciser de nouveau ce qu’il faut entendre par communication et développement dans la perspective marcusienne tout comme des avantages pour les sociétés africaines. 1. De la généralité de la communication à la critique marcusienne « Nulle part ni pour personne n’existe la communication. Ce terme recouvre trop de pratiques, nécessairement disparates, indéfiniment ouvertes et non dénombrables », nous dit D. Bougnoux (2001, p. 7). Il n’y a pas, en effet, une seule et unique forme de communication. On pourrait même dire qu’il y a autant de formes de communication que d’activités. Toutefois, il conviendrait, dans un esprit de précision, de porter un regard sur les types et les formes de communication les plus usuels. 1.1. Différentes formes de communication On retrouve très souvent la communication en politique avec des chargés de communication politique. Tout comme en entreprise, dans la santé et ses points focaux de communication. Avec la complexité des différentes communautés, une communication communautaire est très souvent utilisée par les organisations non gouvernementales (O.N.G.). Dans l’enseignement, deux formes de communication sont très souvent pratiquées, la pédagogie et l’andragogie. La première est appropriée aux plus jeunes et la deuxième aux adultes. Tout ceci est mené par une forme de communication appelée, la méthode active. En management, marketing, sur le web, internet, en économie, dans la gouvernance, dans la résolution des conflits ou dans les 47

médias, il existe des formes de communication adaptées. Gérer par exemple un groupe de personnes d’une structure donnée requiert des aptitudes en management. Il s’agit de savoir écouter, échanger, orienter, améliorer et atteindre les objectifs attendus. S. Robbins, M. Coulter et D. Decenzo (2020, p.3) expliquent : Les managers (…) dirigent les activités des employés et des responsables de niveau inférieur ; leur rôle est d’aider les autres à accomplir leurs tâches. Concrètement, cela peut aussi bien inclure la gestion d’un département que la supervision d’une seule personne, ou la coordination d’une équipe de projet réunissant des spécialistes issus de différents départements ou des personnes externes, travaillant par exemple pour des fournisseurs.

C’est donc en échangeant avec les employés, en communiquant avec eux, y compris des fois avec les clients, que les managers les aident à atteindre leurs objectifs ou à mieux les orienter. La communication jouant ainsi à la fois le rôle d’harmonisation et d’efficacité. Dans le marketing qui est un processus de technique de vente, la communication utilise un langage approprié au marché, voire à la séduction pour vendre toujours plus. S. Godin (2019, pp.36-37) précise : L’attention est une source précieuse dans un monde où nos cerveaux sont assaillis par un brouhaha ambiant. Les marketeurs intelligents rendent les choses faciles pour ceux avec lesquels ils veulent travailler en positionnant leur offre de sorte qu’elle rencontre un écho chez eux et soit marquante. (…). Le marketing commence (et finit souvent) avec ce que nous faisons et la manière dont nous le faisons, et non avec tout le battage qui vient après la conception et la commercialisation du produit. (…). Si vous voulez créer le changement, commencez par créer votre culture.

La manière intervient donc pour vendre. La forme de la communication que vous aurez adoptée déterminera les objectifs que vous pourriez atteindre. Un conseil transparaît automatiquement. Ce n’est pas par l’agression, l’exagération ou en ayant des attitudes assaillantes que vous réussirez à vendre. Quoique 48

l’acharnement, le harcèlement dans la vente semblent se distinguer comme une pratique de cette société tout en laissant transparaître le fait que dans le fond comme nous dit H. Marcuse (1968, p.35), « la réalité technologique a envahi cet espace (…). L’individu est entièrement pris par la production et la distribution de masse et la psychologie industrielle a depuis longtemps débordé l’usine ». Ce qui nous amène à insister sur le fait que la manière de dire vaut mieux que ce que l’on dit. La manière de faire vaut mieux que ce que l’on fait. La manière de donner vaut mieux que ce que l’on donne. C’est peut-être ce qui explique que chaque organe de presse adopte avant tout une ligne éditoriale en vue de mieux faire passer son message, atteindre une frange donnée de la population. La communication englobant ainsi le journalisme. Elle permet au journaliste d’utiliser une forme donnée pour échanger avec son public dans son objectif de donner l’information. Il convient à présent de s’intéresser aux outils dont se sert la communication pour sa propension. 1.2. De la bonne utilisation des outils de communication dans une vision marcusienne En termes de supports, la communication se sert d’outils visuels (panneaux publicitaires, panneaux routiers, flyers, banderoles, affiches, lumières, livres, romans, habillement, les SMS, etc.), audio (griots, crieurs, camions-podiums, les appels téléphoniques…), gestuels (signaux, salutations, habillement), symboliques (colombe, drapeau rouge, feu vert…), physiques (le porteà-porte), du web (sites internet, pages de réseaux sociaux, sites de rencontres…), des médias traditionnels (radio, télévision, magazines, journaux), des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, LinkedIn, etc.). La liste des outils qu’utilise la communication comme nous nous en apercevons n’est pas exhaustive. On peut même dire que dans l’intention de communiquer selon une activité donnée, il existe une forme de communication à mettre en place. La rigidité n’a donc pas ici sa place. Même si les technologies numériques se sont développées à partir des années 1990, la plupart des marketeurs ont (…)

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commencé à considérer internet comme un espace de communication et de distribution. Les sites d’e-commerce ont commencé à concurrencer fortement les autres supports de communication comme la télévision ou la radio. Les consommateurs ont été de plus en plus nombreux à utiliser internet pour se renseigner sur les produits, mais aussi pour les acheter (T. L. Tuten, M. R. Solomon et A. M. Kaplan, 2020, p.18).

Avec l’apogée d’internet, un boulevard s’ouvre ainsi pour communiquer autrement avec la possibilité d’interaction instantanée doublée d’une possibilité d’être mieux renseignée et située. D’ailleurs, les médias traditionnels ont si bien compris cela qu’ils ont presque tous un site internet, une page sur les réseaux sociaux pour communiquer au plus vite avec leurs publics partout où ceux-ci se trouvent. Ils élargissent la base de ceux qui les suivent quotidiennement et en profitent pour engranger de nouveaux contrats de publicités grâce au nombre de leurs abonnés qu’ils peuvent brandir. Un nouveau type d’amélioration des revenus, des échanges sont donc ainsi en train de naître grâce à ces nouveaux outils de communication. Une forme pervertie de cette communication est par contre régressive, limitative du vécu concret des populations. H. Marcuse (1973, p.45) s’insurge en effet que l’on fasse presque de la fixation sur la société de violence de sorte que le « crime reste le divertissement favori fourni par les massmédias ». Il suffit de voir le nombre de pages, d’heures d’antenne, de paroles données aux spécialistes de toutes sortes, de partages sur les réseaux sociaux sur ces sujets de sang. Une curieuse attention morbide qui ne semble pas être la même pour les sujets de vie, de survie de toutes ces causes nobles enfouies, abandonnées qui finissent par éclabousser tragiquement nos sociétés. Qu’est-ce qui est donc essentiel pour une communication véritable et qui mérite qu’on s’y appesantisse ? À force d’être guidés par tout ce qui nous est servi, ne tombons-nous pas dans un monde où nous sommes envahis au lieu d’en submerger ? La réalité est que : La publicité est devenue de plus en plus efficace, l’apparition de multiples marques et variantes d’un même produit obligeant

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les fabricants à se différencier des autres, et à pousser les consommateurs à acheter, créant si besoin une envie qui n’existait pas auparavant (…). Une publicité de plus en plus présente et agressive, elle nous conduit parfois à acheter des produits qui, au final, ne nous servent pas vraiment et qui finissent par s’accumuler chez nous… (O. Roland, Préface à L. Babauta, 2020, p. 9-10).

Une situation de communication qui individuellement et socialement nous met dans un tourbillon de développement 2. Le développement dans la communication chez Marcuse Le développement d’une situation alarmante ou bénéfique mérite qu’on communique sur le sujet de la manière la plus appropriée. C’est le rôle de la communication de savoir trouver les mots, les écrits, les formules, les supports, appropriés pour aborder les sujets de développement nécessaires. Pour Marcuse, il existe des formes de communication qui constituent une véritable mise en danger de toutes les possibilités d’épanouissement, de développement véritable face aux enjeux d’une existence concrète. Une mauvaise communication autour d’un sujet de développement peut précisément avoir l’effet contraire attendu. 2.1. Le regard marcusien sur le développement et la communication H. Marcuse s’insurge contre toute cette énergie dépensée avec divers outils de communication qui, au lieu de valoriser les échanges sociaux, dénoncer des tares, promouvoir les aspects meilleurs de la vie, ne cessent de nous engluer dans des platitudes régressives d’une existence hachée et limitée. Cette communication se sert d’un langage qui est loin de nous rapprocher de tout ce qui est vital, mais nous enfonce bien dans des platitudes véritables. La philosophie analytique ou philosophie linguistique est l’exemple typique d’un tel langage communicationnel. Elle nous détourne constamment sur la forme dynamique du langage 51

pour nous servir un monde atrophié où les choses deviennent subitement essentielles sans aucun apport pour l’amélioration de la vie des populations. C’est pourquoi H. Marcuse (1968, p.198, p.204) le dénonce en ces termes : La philosophie linguistique rend hommage à la variété dominante des sens et des usages, à la force et au sens courant de la parole ordinaire et en même temps elle se refuse à analyser ce que cette parole dit sur la société qui la parle (…) c’est un monde dans lequel le balai dans un coin ou le goût de quelque chose qui ressemble à de l’ananas est très important, un monde dans lequel le travail et le confort de tous les jours sont peut-être les seuls faits qui constituent toute expérience.

Cette forme de réflexion sur le langage est largement véhiculée par les supports de communication qui de la réalité ordinaire en ont presque fait un quotidien de consommation de toutes sortes de produits, de destinations, d’enchantement, de services présentés comme étant les meilleurs. La réalité pourtant de ce même quotidien dans lequel nous vivons tous, que nous côtoyons, que nous rencontrons, est bien loin de ce monde féerique qui nous est présenté. Bâtir un monde en le limitant à un objet tout en ignorant les conditions quotidiennes d’existence c’est un peu comme avoir une intention manifeste de bien nous fermer les yeux. De telles formes de communication se présentent comme des échappatoires afin de nous faire baigner dans un monde de rêve qui risque de se transformer en un cauchemar sans fin. L’existence est beaucoup plus diverse que cela et ne saurait être amputée. Nos regards sur la communication dans le développement peuvent être mieux orientés. L’internet contribue, ou peut contribuer, à accroitre la visibilité de certains marchés (produits halieutiques, produits maraîchers, transports…) et ainsi à réduire les asymétries de l’information, à mieux organiser la production agricole et à améliorer les revenus de petits entrepreneurs du secteur informel. Il est tout aussi vrai que les petits revendeurs de portables et la multiplication des cybercentres ont contribué et contribuent encore à améliorer les revenus et à créer un peu d’emploi » (P. Engelhard, 2012, p.208).

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Cette indication de Engelhard nous révèle que là où les médias traditionnels, pour des intérêts d’audiences qui sont les leurs, refusent d’aborder certains sujets de développement et de création de richesses, d’autres voies de communication nous sont offertes pour individuellement faire connaître à la connectivité mondiale qu’est internet, ce dont nous disposons afin d’acquérir de potentiels acheteurs. On peut ainsi se permettre de communiquer sur tout sujet d’intérêt et attirer l’attention sur nos activités. Dans la communication communautaire, par exemple, notre manière d’approche a plus d’impact que tous les spots télévisés, de radios ou tout le système de battage médiatique mis en place. Pour la simple raison que les communautés écoutent en premier, les responsables de leurs communautés, leurs griots, leurs crieurs, leurs associations, leurs différents leaders. On ne rentre pas dans une communauté comme on rentrerait dans une boutique ou un magasin. Les communautés sont structurées, elles ont des procédures d’échanges sur des sujets. Ignorer ces premiers principes, c’est la mise en place d’une communication déjà vouée à l’échec. C’est ne pas communiquer. F. Dosso (2015, p.142) rappelle : Les citoyens jouent un rôle déterminant dans l’organisation, la démocratisation de la société en faisant usage de l’activité communicationnelle qui est considérée comme le fondement de toute résolution de leurs desseins collectifs.

Il y a donc un minimum d’entente collective pour qu’une communauté adopte de nouvelles mesures. Celui-ci passe par un respect des procédures au sein de cette communauté et des règles sur lesquelles celle-ci a décidé de son vivre-ensemble. Savoir communiquer de façon inclusive sur toute nouvelle décision, tout nouvel engagement possible, est un pas important pour un développement social harmonieux. Tout service public ou privé devrait accorder aussi un point d’honneur à la communication s’il veut instaurer les réflexes d’un bon développement entre lui et ses usagers. Il s’agit bien de communication, d’échanges, de partages, d’avis contraires possibles et non d’information. Dans les centres de santé de plusieurs pays africains, les canaux de communication font souvent état de drames qui se 53

produisent et qui entrainent parfois des situations de conflits voire d’affrontements avec le personnel médical. Comme c’est bien souvent le cas, c’est seulement après l’effervescence des affrontements liés à ce qui paraissait comme étant inadmissible que l’on finit par mieux comprendre ce qui s’est réellement passé. Là où l’on aurait pu faire l’économie d’une mort. Dans le milieu sanitaire, on fait souvent allusion à des postes de points focaux communication. Leurs fonctions sont-elles clairement exécutées dans le respect d’une communication assidue, d’une communication de crise ou arrivent-elles toujours tardivement ou même pas du tout ? Une communication peu, mal ou pas du tout mise en place peut être un véritable danger pour tout le monde. Ce qui signifie bien évidemment que l’on peut communiquer sur différents sujets donnés, mais que l’angle de la communication à adopter importe si nous ne voulons pas constituer des canaux d’un mal développement, d’un pourrissement du développement, d’une mise en danger du développement. Il nous faut nous rappeler dans le cas africain comme le répète H. Marcuse interviewé par M. RIOUX4 : Nous constatons aujourd’hui que, même dans les nouveaux pays d’Afrique (…), l’indépendance nationale n’a aucunement fait disparaitre la dépendance économique ; au contraire, le néocolonialisme semble plus profitable pour les impérialistes que le colonialisme d’autrefois.

Ce qui signifie inexorablement qu’il y plus de vigilance pour ceux qui s’intéressent au développement du continent africain, à mieux utiliser les outils de communication. Le danger serait qu’ils maintiennent la perpétuité de la domination et la mise en péril du développement.

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(https:books.openedition.org,pum/21986?Lang=fr/la culture comme refus de l’économisme/ Une entrevue avec Herbert Marcuse/consulté le 8 août 2021 à 9heures 15 minutes).

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2.2. De la mise en danger du développement par la communication Communiquer sur du faux, des rumeurs, des ouï-dire, des informations non vérifiées, des convictions infondées, est la première mise en danger du développement. À propos de la rumeur, T. Libaert (2015, p.107) mentionne : La rumeur est une proposition d’actualité, destinée à être crue, mais sans que le transmetteur y croie obligatoirement. Elle est transmise plutôt de manière orale ou par internet et sans qu’il existe de données permettant de prouver sa véracité. Elle se caractérise par l’ignorance de la source originelle (« on m’a dit que, il paraît que »). L’ampleur de sa circulation s’accompagne fréquemment de la déformation de son contenu. (…). La rumeur possède toujours un aspect négatif et fréquemment un volet ambigu (…). La rumeur émerge plutôt lors de périodes de tensions raciales, religieuses ou commerciales.

L’on voit comment il est hasardeux et dangereux de communiquer à partir de simples rumeurs. Le mal d’une telle forme de communication c’est toute la destruction qu’elle peut inutilement, voire de façon meurtrière, produire. En situation de crise, la communication demeure importante et essentielle. Elle exige par contre un ensemble de techniques, de mots choisis, de moments appropriés, d’interlocuteurs crédibles… Pour atténuer la crise et non l’envenimer. La seule forme malencontreusement choisie de la communication peut être un élément destructeur de nombreux acquis de développement. Ce qui signifie qu’autant le développement doit être accompagné par la communication, autant celle-ci a besoin d’être l’objet de veille. Outre le faux, l’autre forme perverse de la communication utilisée de façon autocratique est celle qui se présente dans sa double manipulation, fonctionnelle et opérationnelle dont fait cas Herbert Marcuse. Ce type de communication instrumentalisant est reconnaissable par sa fonction à la fois injonctive et réductrice. C’est une forme de communication bien reconnaissable dans bien de contrées africaines avec les dénominations très souvent utilisées tels "pères, mères de la nation", "le baobab ou le fromager de la région", "le lion, la panthère, l’éléphant" ou tout autre animal 55

prestigieux qui devient subitement le surnom de personnes, "ennemis du peuple", "homme de paix", "pays de paix", "les sauveurs ou libérateurs". Des expressions d’une symbolique chargée qui n’ont pour seule fonction que de créer un monde illusoirement construit de toutes pièces. Ce qui nous fait dire que : Dans une situation de sous-développement aussi réel, la communication opérationnelle, se donne le dessein avoué de noyer les réalités évidentes de pauvreté des populations par des artifices grossiers, mais savamment orchestrés par un plan communicationnel (A. Salifou, 2016, p.8).

Quant à sa forme fonctionnelle, la communication trouve tous les artifices possibles pour ramener les problèmes de fond à des éléments circonstanciels. Une grève du personnel enseignant ou médical sur les conditions de vie et de travail sera expliquée par une prétendue tradition de ces corps de métiers à être contre le pouvoir et à vouloir son renversement. Une région qui ne cesserait de se plaindre d’un sous-développement infrastructurel ou d’absence de services divers aura pour réponse une longue liste des travaux réalisés par l’État, partout dans le pays, pour être finalement traitée d’ingrate à défaut d’être vue comme un nid d’opposants au régime. Face à autant de hiatus entre la communication et le développement, il convient de revenir à une sérénité à laquelle nous invite le regard marcusien, particulièrement pour le continent africain. 3. Regard marcusien sur la communication de développement face aux enjeux africains Le regard philosophique sur la communication de développement se présente sous plusieurs aspects qui eux-mêmes se tiennent. Il s’inscrit dans une perspective de la philosophie des médias sur un constat social, les subterfuges qui l’engourdissent et les orientations d’une véritable communication pour un développement effectif.

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3.1. Constat social et regard critique marcusien du développement en Afrique Le constat que fait Herbert Marcuse sur les formes de communication dans le développement est la tendance d’une domination de l’enfermement qui promeut une culture du divertissement abrutissant en lieu et place de l’historicité des réalités et des problèmes essentiels à aborder. C’est l’intérêt de classe pur et simple qui préside à la construction d’automobiles désuètes et peu sûres, libérant ainsi l’énergie destructrice ; c’est lui aussi qui se sert des communications de masse pour faire l’éloge de la violence et de la stupidité, et assurer la servitude de leurs auditeurs. Et les maîtres ne font là que répondre à la demande du public et des masses : la fameuse loi de l’offre et de la demande établit une harmonie entre les dirigeants et les dirigés. Cette harmonie est évidemment préétablie, dans la mesure où les maîtres ont façonné un public qui réclame leurs marchandises, et avec d’autant plus d’insistance qu’il peut, dans et par ces marchandises, se décharger de sa frustration et de l’agressivité qu’elle fait naître (H. Marcuse, 1969, pp.30-31).

Les maîtres, les dirigeants, les patrons ont compris l’outil formidable qu’est la communication pour continuer de dominer tous ceux qui aspirent à un développement véritable. Ils ont compris que là où il y a un intérêt croissant d’un mieux-être, de meilleurs salaires, d’un avenir moins conflictuel, disons d’un véritable épanouissement qui leur est demandé, la promotion des jeux, de l’amusement, la fabrication de gadgets, de marchandises inessentielles, la promotion de la brutalité, peuvent leur permettre de continuer de se maintenir toujours plus haut. Marcuse ne dit pas que c’est seulement ce à quoi s’exercent ceux qui tiennent nos destins, mais il fait le constat de ce qu’une forme de manipulation savamment mise en place grâce aux outils de communication tend en à faire une priorité. C’est pourquoi nous martelons : Il ne faut donc plus se laisser entrainer dans des combats, dans des engagements qui ne sont pas les nôtres. Il s’agit de

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refuser de telles donnes qui maintiennent le flou et l’opacité dans une existence qui a pourtant besoin de s’épanouir. Le Grand Refus que prône Marcuse consiste à rejeter d’avance toutes ces pratiques qui maintiennent la misère au lieu de l’éradiquer. Ces pratiques qui disloquent les familles au lieu de les réunir. Ces décisions qui justifient l’usage démesuré de la force au lieu de les dénoncer. Cette incongruité qui tolère la dépense de sommes considérables pour conquérir l’espace alors qu’on n’a pas fini d’aider la terre à bien se porter. Il est temps de dire qu’on ne peut pas continuer d’assister que l’on conduise toute une population à l’abattoir, tout en lui faisant croire qu’on veut son bonheur (A. Salifou, 2017, p. 175).

Une bonne communication de développement ne devrait donc pas en ce sens être engluée dans une verticalité telle que les populations ne sachent pas véritablement vers quoi elles sont conduites. Chacun de nous a le droit et le devoir d’agir dans la communication pour un développement commun. C’est ce que prône d’ailleurs Jürgen Habermas qui convoque l’agir communicationnel. Pour Habermas, les normes doivent être le résultat de débats constants et argumentés, et dont les conditions mêmes d’exercice soient dégagées de toute contrainte. Ainsi, l’action communicationnelle est un type d’interaction s’inscrivant dans une éthique de la discussion et mue par un principe d’universalisation. Cette rationalité, présente dans les différents soussystèmes sociaux comme dans les actes de langage les plus quotidiens, est censée garantir une stabilité et un mode de reproduction de la société fondés sur le consensus (Grand Dictionnaire de la philosophie, 2003, p.50).

Si nous ne nous parvenons pas à ce minimum de consensus, nous risquons de laisser prospérer « une communication bourgeoise » comme, nous dit M. Berdet qui cite W. Benjamin (2016, Paris, p.239). Ces interpellations, ces constats ont l’autre but de ne pas laisser les pouvoirs d’argent prendre le dessus alors que le développement nous concerne tous. La communication ne devrait donc pas être dévoyée de son objectif principiel, encore plus pour les pays africains face à de nombreux enjeux qui sont les leurs. 58

3.2. Les enjeux africains d’une communication de développement adaptée Une communication de développement adaptée à l’Afrique est une invite pour ce continent à savoir faire la distinction entre ce qui urge dans son quotidien pour s’assurer un réel avenir face à tout ce qui le maintien dans une sorte d’illusion comme s’il était saupoudré d’opium. Que valent en effet toutes ces dépenses faramineuses en matière de communication des structures privées et publiques autour de divertissements abrutissants, d’antivaleurs, de célébration de l’inessentiel et de faux héros quand la vie quotidienne est constamment rythmée de drames, de fléaux, de précarités, de survie ? La population africaine au 30 mai 2021 était estimée à 1 372 559 803 de personnes pour 686 297 393 hommes soit 50 %, et 686 262 410 de femmes soit 50 % de femmes et 19 837 550 de naissances cette année5. Une puissance démographique qui présente de nombreux tristes tableaux. D’après les données publiées par le Fonds monétaire international (FMI) et repris par un quotidien en ligne6 : Sans surprise, la très grande majorité des vingt-cinq pays les plus pauvres du monde en 2021 se situe sur le continent africain. Ces économies totalisent un produit intérieur brut (PIB) de 401 milliards de dollars, d’après les dernières estimations du Fonds monétaire international (FMI), soit un peu moins que le produit intérieur brut d’Israël (409 milliards de dollars). Les 25 pays les plus pauvres du monde affichent un PIB par habitant moyen de 633 dollars. À titre de comparaison, le PIB par habitant de la France s’élève à 44 770 dollars en 2021.

Un autre partenaire de l’Afrique, la Banque Mondiale rappelle toujours en 2021 : La région comprend des pays à faible revenu, à revenu intermédiaire (de la tranche inférieure et supérieure), ainsi que des 5 Selon le https://countrymeters.info/fr/Africa (Consulté le 30 mai 2021 à 8h47). 6(https://www.journaldunet.fr/patrimoine/guide-des-finances-

personnelles/1208809-pays-pauvres).

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pays à revenu élevé, par ailleurs 18 d’entre eux se trouvent affectés par la fragilité ou des conflits. L’Afrique compte également 13 petits États caractérisés par une population réduite, un capital humain limité et un territoire confiné. (…). Avec un taux d’accès à l’énergie de 37 % seulement, l’Afrique est en retard sur d’autres régions, ce qui entrave considérablement sa croissance7.

Ces quelques références nous interpellent sur une véritable communication de développement pour laquelle, il ne devrait pas avoir suffisamment de place pour des choses futiles. Parce qu’il ne faut peut-être pas l’oublier : Le néo-capitalisme, dans sa marche en avant à l’échelle planétaire, n’a pas encore rencontré dans le Tiers-Monde d’obstacles qu’il ne puisse surmonter : des chocs en retour (tels que le renchérissement ou le rationnement, décidés par quelques pays en voie de développement, de certaines matières premières indispensables au capitalisme) ont été jusqu’à présent absorbés par une concentration du capital (pétrole, industrie chimique) et des sociétés multinationales. On pourrait même parler d’un processus apparemment inverse : des pays anciennement colonisés investissent de plus en plus dans les métropoles capitalistes, participent à leur technologie et à leur financement (H. Marcuse, 1976, p.79).

Comment un développement peut-il se construire si une communication de dénonciation ne commence pas déjà par montrer du doigt de telles incongruités. H. Marcuse (1968, p.86) est en droit de renchérir que « si l’on veut construire une maison à la place d’une prison, il faut d’abord démolir la prison, sinon on ne peut même pas commencer à construire la maison ». Cet intérêt pour la communication de développement est doublement d’actualité pour les pays du continent africain, dont le classement mondial dans plusieurs secteurs énoncés plus haut n’est pas reluisant. La triste réalité est : Les pays africains, bénéficiaires de ce qu’ils peuvent considérer comme étant des prouesses technologiques des 7

(https://www.banquemondiale.org/fr/region/afr/overview#3).

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sociétés industrielles établies, sont malheureusement victimes d’un engrenage aux effets dévastateurs où manipulations publicitaires et communicationnelles, pour les consommateurs qu’ils sont, contribuent à la perpétuation d’un développement importé aux couleurs dominatrices de la société industrielle établie. Cette forme de domination se sert subrepticement, à propos, d’un de ses outils qu’est la publicité pour vendre ses produits, qu’ils soient bons ou non. Les pays africains étant déjà obnubilés par ce qui vient des superpuissances auxquelles ils veulent d’ailleurs ressembler. La publicité les aide véritablement à se maintenir dans cette illusion (A. Salifou, 2016, p.5).

Les canaux habituels de communication deviennent en ce sens désuets pour ce continent qui a besoin de se tracer sa propre voie de développement. Il faut, pour cela, une communication adaptée à son développement. Parce qu’en réalité, la maison africaine n’est pas un rêve de pure illusion. Les potentialités pour sa construction sont si nombreuses. Que ce soit en termes de potentialités humaines avec la population considérée comme étant la plus jeune au monde, des réserves minières, naturelles, énergétiques, touristiques, de flore, de faune au-dessus de ceux de nombreux pays de tous les autres continents, de nombreux secteurs d’investissements porteurs, etc. Il y a de la matière pour la communication de développement à accompagner l’Afrique. Cela devrait être un devoir, un sacerdoce. Conclusion La communication est présente dans tous les secteurs d’activités et dans toutes les couches sociales. Son horizon est si vaste que le délimiter paraît impossible. Toutefois, la communication demeure une science avec ses techniques, ses canaux et ses objectifs qui méritent d’être cernés afin d’en mieux saisir leurs portées. Dans le développement, la communication est partout présente. La valeur de la communication de développement c’est qu’elle concerne chacun d’entre nous. Nous sommes tous touchés par le développement et bien évidemment par la communication qui va avec. C’est pourquoi dans la situation du continent africain où le développement se pose comme une question cruciale, une communication adaptée devrait constituer 61

une urgence pour tous ceux qui croient en l’avenir rayonnant de cette partie du monde. La réflexion marcusienne permet en ce sens de se débarrasser de ce type de communication trompeur et flatteur pour le continent africain tout en l’engageant sur des chemins originaux et salvateurs pour son développement. Références bibliographiques BERDET Marc qui cite Walter BENJAMIN, 2016, Matérialismes, culture et communication, Paris, Presses des Mines, Collection Matérialismes. BOUGNOUX Daniel, 2001, Introduction aux sciences de la communication, Paris, La découverte. DOSSO Faloukou, 2015, L’universalisation de la démocratie. Vers la Théorie habermassienne de la démocratie, Paris, L’Harmattan. ENGELHARD Philippe, 2012, L’internet change-t-il vraiment nos sociétés ? L’internet, la science, l’art, l’économie politique, Paris, l’Harmattan. GODIN Seth, 2019, C’est ça le marketing. On ne vous verra pas tant que vous n’aurez pas appris à voir. Paris, Nouveaux Horizons. GRAND DICTIONNAIRE DE LA PHILOSOPHIE, 2003, Paris Larousse. LIBAERT Thierry, 2015, La communication de crise, Paris, Dunod. MARCUSE Herbert, 1968, La fin de l’utopie, Paris, Seuil. MARCUSE Herbert, 1969, Vers la libération. Au-delà de l’homme unidimensionnel, 1969, Paris, Minuit. MARCUSE Herbert, 1976, Actuels. Échec de la nouvelle gauche. Marxisme et féminisme. Théorie et pratique, Paris, Galilée. MARCUSE Herbert, 1973, Contre-révolution et révolte, Paris, Seuil. ROLAND Olivier, 2020, préface à L’art d’aller à l’essentiel. Le pouvoir d’une vie simplifiée de Léo Babauta, Paris, Nouveaux Horizons.

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Normes sociales de production et d’usage des huiles végétales au Burkina Faso. Cas des provinces du Sourou et du Yatenga Karim OUEDRAOGO Groupe de Recherche sur les Initiatives Locales (GRIL) Université Joseph KI-ZERBO Gabin KORBEOGO Groupe de Recherche sur les Initiatives Locales (GRIL) Université Joseph KI-ZERBO Résumé Dans certaines localités du Burkina Faso, la production des huiles végétales constitue un moment d’expression, de valeurs sociales, de valorisation, de rôles, de positionnement, de statuts des acteurs impliqués dans le processus. En d’autres termes, les scènes de production des huiles végétales comportent des dimensions socioanthropologiques fort complexes, mais très captivantes pour la science. Cet article analyse les systèmes de diffusion des normes et des prescriptions sociales qui régissent la chaîne de production des huiles végétales dans les arènes sociales du Sourou et du Yatenga au Burkina Faso. Aussi, dans la production des huiles végétales, les normes sociales se présentent comme un élément articulaire d’un système global dans lequel les catégories d’acteurs s’adonnent à des sortes d’« arrangements institutionnels » pour le contrôle et l’utilisation de la ressource huile. Dans cette optique, cet article analyse davantage les jeux sociaux d’appartenance, c’est-à-dire les catégories sociales en interaction dans le processus, afin de cerner les logiques sociales qui gouvernent la production des huiles végétales en espace coutumier. Comme techniques de collecte des données empiriques, l’étude a mobilisé l’entretien semi-directif, l’observation et les études de cas ethnographiques. Les résultats auxquels nous sommes parvenus montrent qu’en dépit du savoir-faire et de la maîtrise des techniques de production, il y a tout un ensemble de 65

codes sociaux qui interviennent afin de donner un sens social et de la valeur à la ressource produite. Ils révèlent aussi des frontières sociales et des marges de manœuvre des différentes catégories d’acteurs dans la diffusion des normes qui régulent la production de ces huiles dans ces deux zones du Burkina Faso. Mots-clés : Huile végétale, normes de production, usages sociaux, catégorie sociale, Burkina Faso. Abstract In certain localities of Burkina Faso, vegetable oil production constitutes a moment of expression of social values, of role valorization, of status positioning of the actors involved in the process. In other words, the scenes of vegetable oil production have very complex socio-anthropological dimensions, but they are very interesting for science. This article analyzes the systems of diffusion of social norms and prescriptions that govern the vegetable oil production chain in the social arenas of Sourou and Yatenga in Burkina Faso. Thus, in vegetable oil production, social norms are presented as an articulated element of an overall system in which categories of actors engage in a kind of "institutional arrangement" for the control and use of the oil resource. From this perspective, this paper further analyzes the social games of belonging, i.e., the social categories that interact in the process, in order to identify the social logics that govern vegetable oil production in customary space. The study used semi-structured interviews, observation and ethnographic case studies as empirical data collection techniques. The results show that despite the know-how and mastery of production techniques, there is a whole set of social codes that are used to give social meaning and value to the resource produced. They also reveal the social boundaries and leeway of the different categories of actors in the diffusion of norms that regulate the production of these oils in these two zones of Burkina Faso. Keywords: Vegetable oil, production norms, social uses, social category, Burkina Faso.

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Introduction La production des huiles végétales est une opération qui mobilise des dispositifs cognitifs, techniques, matériels et normatifs au cours du processus. Elle se caractérise par plusieurs séquences d’opérations de transformation et d’extraction, par des jeux d’acteurs et les normes sociales. C’est une activité longtemps dominée par des connaissances endogènes et réalisée à travers des méthodes artisanales d’extraction. Aujourd’hui, la production des huiles végétales intègre des savoir-faire exogènes initiés par les organismes et les structures de promotion des activités féminines (Elias, 2010 ; Maïga et Kologo, 2010). La filière, dans son ensemble, a joué et joue un important rôle dans l’amélioration des conditions de vies des populations rurales ouest-africaines (Elias, 2010 ; Ouédraogo et al., 2013 ; Bidou et al., 2019). Malgré la pluralité des acteurs qui interviennent dans le procès, les femmes demeurent le principal maillon de la chaîne (Bekure, 1997 ; Saussey, 2008). Dans cette activité, le savoir-faire, la maîtrise des techniques de production, les usages sociaux et la dimension normative qui les accompagne sont variables d’une appartenance sociale à une autre, mais aussi d’une catégorie sociale à une autre. Dans les coutumes de certains groupes sociaux comme les Sénoufo du nord de la Côte d’Ivoire, des espèces oléagineuses comme le Vitellaria paradoxa font l’objet de considération totémique (Andon et al., 2018) et, chez les populations de Djougou au Bénin, son beurre est utilisé dans les rituels funéraires (Bidou et al., 2019). Pour tout usage relatif aux fruits et aux branches séchées, pour tout prélèvement des écorces ou des racines de cet oléagineux local dans la région nord ivoirienne et au sud-ouest du Burkina Faso, les populations doivent au préalable demander l’autorisation du chef de terre (Maïga et Kologo, 2010 ; Andon et al., 2018). Ainsi, les arbres oléagineux et les huiles végétales que sécrètent leurs amandes constituent un enjeu socioculturel et religieux majeur pour les sociétés à dominante traditionnelle. Ce fort enchâssement des espèces oléagineuses et de leurs produits dans les logiques traditionnelles induit, par la même occasion, l’édiction de plusieurs normes et prescriptions sociales dans le but de contrôler et réguler l’activité de production et d’utilisation des huiles. 67

Cet ensemble de normes et de prescriptions sociales et l’état ingénieux dans lequel elles sont socialement arrangées afin de contrôler la chaîne de production des huiles végétales dans les configurations sociales rurales du Sourou et du Yatenga constituent l’intérêt sociologique de ce travail. En d’autres termes, les normes de production et d’utilisation des huiles végétales, les jeux de pouvoir et de rôle qui s’opèrent entre les catégories sociales en interaction tout au long du processus de production revêtent un intérêt scientifique pertinent à analyser. Nous les explorons dans ce travail et nous les analysons suivant les rapports sociaux de production en jeux dans cette activité de production et d’utilisation des huiles végétales dans ces deux zones. Ces aspects substantiels du procès de production des huiles interviennent à certaines étapes ou à des moments précis de la chaîne, soit pour assurer la sureté, voire la sécurité de la ressource produite, soit pour sceller un tabou. Dans le fonctionnement global du système, veiller à ce que les opérations de production des huiles réussissent est une chose, mais s’assurer que les huiles produites acquièrent l’approbation des êtres surnaturels à l’image des esprits et des ancêtres en est une autre. Ces logiques sociales reposent sur les systèmes de signification et de représentation générés par les acteurs sociaux chargés de les rendre fonctionnelles. Au fait, dans cette activité socialement encadrée, les acteurs ou groupes d’acteurs — les catégories socioprofessionnelles, les différents groupes ethniques, les mânes des ancêtres et les dieux —, en symbiose, représentent une communauté fonctionnant par des lois et des principes rigides. La dimension normative tout comme les différentes étapes de la production y sont rythmées par un relai de compétence, d’autorité et de légitimité. Ainsi, dans cet environnement de production des huiles, les différentes appartenances sociales ne disposent ni des mêmes privilèges ni de la même autorité et légitimité dans la diffusion des normes. Toutefois, dans la succession des faits relatifs à la production et à l’utilisation des huiles, chaque acteur ou catégorie d’acteurs dispose de marges de manœuvre ou d’une autonomie relative dans le processus.

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1. Méthodologie Cette étude qualitative a été menée entre le 1er mai 2013 et le 31 mars 2014 dans le Sourou et dans le Yatenga, deux zones sociogéographiques situées dans le climat sahélien du Burkina Faso. Ces zones sont principalement occupées par trois groupes ethniques que sont les Moose, les San et les Fulbe. Les Moose sont majoritaires dans le Yatenga, mais on les retrouve également en nombre important dans le Sourou. Les San sont particulièrement installés dans le Sourou où ils constituent l’ethnie autochtone. Quant aux Fulbe, ils sont allochtones et minoritaires, aussi bien dans le Sourou que dans le Yatenga. Ces trois groupes interagissent dans ces différents systèmes socioécologiques. Les individus ont été choisis suivant la technique du choix raisonné. Cette technique pour déterminer l’échantillon a l’avantage de sélectionner des individus typiques pouvant renseigner l’objet, car ayant un rapport particulier avec lui. Les variables considérées dans le choix des enquêtés sont le sexe, l’âge, le statut social (responsable coutumier, par exemple), la profession, etc. Vingt-neuf individus constituent l’échantillon d’enquête. Cet échantillon comprend des femmes, des hommes, des responsables coutumiers, des productrices d’huile, des responsables de groupements d’extraction et de commercialisation des huiles. Ils ont été interviewés dans quatre villages du Sourou dont Bouaré, Diouroum, Gosson et Kassan et dans quatre autres du Yatenga que sont Aorèma, Bango, Bogoya et Rallo. Le choix de ces localités répond à une logique de trouver au moins deux des trois groupes ethniques dans le même village. Nous avons utilisé des techniques comme l’entretien semidirectif et l’observation pour collecter les données empiriques. Les discussions s’articulaient autour des usages sociaux des huiles végétales, les aspects mythiques ou mystiques qui les impliquent, les observances et les interdits liés à l’utilisation de ces huiles, etc. L’observation ethnographique a porté sur la transformation et l’extraction des huiles, mais aussi sur la fabrication des produits dérivés comme le savon. Nous avons observé les pratiques et les comportements des acteurs au cours des opérations d’extraction des huiles de Balanites aegyptiaca, de Vitellaria paradoxa, de Azadirachta indica à Tougan, à Diouroum et à Aorèma. Nous 69

avons aussi observé, ou pour mieux dire, participé à la fabrication de savon à l’aide du beurre de Vitellaria paradoxa par Z. S., formatrice en production de savon industriel et semi-mécanisé à Tougan. Ces données ethnographiques ont servi à étayer les analyses des données d’entretien. Les entretiens ont été enregistrés à l’aide d’un dictaphone. Nous les avons tout d’abord transcrits sur (fichier) Word. Ensuite, nous avons procédé à un regroupement suivant des thèmes d’analyse. Enfin, nous avons interprété ces données suivant l’analyse de contenu thématique. Nous avons capturé des images qui servent de preuves visuelles pour illustrer les discours et les pratiques des acteurs sur le terrain. Ces images et les notes d’observations ont permis d’étayer certaines analyses en donnant des précisions et des éclaircissements sur certains aspects de l’étude. Elles ont servi à concilier la pratique des opérations de production et des mécanismes d’utilisation des huiles au discours recueilli auprès des enquêtés. 2. Résultats Les résultats obtenus s’articulent autour du rapport des groupes d’acteurs aux huiles végétales, les formes de constructions sociales qui encadrent la collecte et la conservation des noix et en définissent les normes de qualité. En plus de ces dimensions, un système d’ordonnancement social régit l’utilisation du beurre de Vitellaria paradoxa avec des rôles spécifiques reconnus à chaque catégorie d’acteurs. Dans l’exécution des tâches, particulièrement dans la diffusion des normes, on observe des frontières sociales, mais aussi des marges de manœuvre dont dispose chaque acteur engagé dans le processus. Le dernier aspect des résultats porte sur l’analyse les effets induits du modernisme et des religions révélées sur la diffusion des normes de production des huiles végétales.

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1.1. Acteurs, ressources et sources de production des huiles utilisées Les facteurs socioculturels sont déterminants dans les rapports sociaux de production des huiles végétales. L’analyse des comportements des trois groupes domestiques (Moose, San, Fulbe) révèle un certain nombre de faits caractéristiques. Pour le Moaga et le San, les besoins en huile étaient assurés par l’exploitation des espèces oléagineuses des terroirs depuis belle lurette. Par contre, pour le Fulbe, la crème du lait de vache était la principale source d’huile. Pour la satisfaction de leurs besoins en huiles végétales, le Fulbe en sollicitait ou en achetait donc avec les deux premiers qui sont de potentiels voisins, amis ou connaissances. Les Moose aiment le beurre plus que les Fulbe, car les Fulbe ont déjà la crème du lait qu’ils utilisent. Même s’ils gagnent les amandes, ils font recours aux Moose pour qu’ils leur extraient le beurre. C’est ce qu’on voit le plus souvent (B. I., Moaga, autochtone, 42 ans, Rallo le 16/05/2013).

Suivant les propos de cet enquêté du Yatenga, chaque groupe ethnique a sa spécificité en termes de production et d’utilisation des huiles. Les Moose utilisent les huiles végétales tandis que les Fulbe utilisent la crème du lait. Un autre moaga de la même zone renchérit sur cette opinion selon laquelle les Fulbe ne s’intéressent pas aux huiles végétales en ces termes : Eux ils se contentent d’extraire la crème du lait des vaches. Ils ne se donnent pas trop aux travaux comme nous, même la culture des champs, ils ne cultivent pas comme nous. Ils font l’élevage et se servent de la crème du lait ; comme nous n’élevons pas, nous ramassons les noix pour nous aider, chacun avec son choix (O. A., Moaga, autochtone, 37 ans, Aorèma le 19/05/2013).

L’accessibilité à la crème est l’une des raisons qui expliquent le fait que les Fulbe sont moins intéressés par les huiles végétales et, par conséquent, les exploitent moins par rapport aux autres. Sur ce point, le point de vue des Fulbe s’accorde plus ou moins avec celui des Moose. Ces derniers affirment que c’est avec le moulin qu’ils ont commencé à apprendre les pratiques d’extraction du 71

beurre de Vitellaria paradoxa. Lorsque nous avons interrogé les femmes fulbe à Tougan, celles-ci ont relaté qu’elles n’ont pas une grande maîtrise des techniques de transformation et d’extraction des huiles végétales. Selon S. A., ménagère fulbe de 54 ans, leur intérêt pour cette activité a surtout été motivé par l’avènement du moulin. Nous avons pu observer du beurre et une partie de fabrication de savon à base du beurre de Vitellaria paradoxa par cette dernière et ses coépouses à Tougan (photos 1 et 2). Photo 1 : beurre extrait par les Photo 2 : savon fabriqué à femmes fulbe (Tougan) base de beurre de Vitellaria paradoxa par les femmes fulbe (Tougan)

Source : Ouédraogo Karim, mars 2014.

Source : Ouédraogo Karim, mars 2014.

Une autre caractéristique qui intervient dans le processus de production des huiles végétales et qui l’influence est l’allochtonie. Nos données empiriques illustrent que le statut de résidence détermine le droit d’accès aux ressources et, dans ce cas singulier, aux noix de Vitellaria paradoxa : Pour avoir les amandes de karité même, ce sont les Samo qui ont beaucoup de terres. Et les Fulbe ne s’arrêtent pas pour longtemps dans un village pour posséder de terres. Ils sont là, ils tournent un peu partout. Ils n’ont pas assez de terres pour avoir

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beaucoup de karités à ramasser (G. M., San, autochtone, 37 ans, Diouroum le 26/05/2013).

Ces propos générés par cet autochtone san démontrent que le manque de terres est synonyme d’absence de droits sur les noix des espèces oléagineuses à l’image de Vitellaria paradoxa. Les Fulbe reconnaissent effectivement cette inégalité sociale dans l’accès aux ressources végétales oléagineuses. Ils expliquent par ailleurs les raisons qui les ont conduits à s’adonner à la transformation et à l’extraction des huiles végétales, notamment le beurre de Vitellaria paradoxa. En ce qui concerne les Fulbe, c’est grâce au brassage et à la civilisation, sinon le Fulbe ne ramasse même pas les noix à plus forte raison extraire du beurre. Mais la perte des troupeaux les a amenés à épouser des pratiques propres à d’autres groupes. Le Fulbe, c’était la crème du lait qu’il utilisait pour ses besoins. Les pratiques d’extraction du beurre ne datent pas en milieu fulbe comme chez les autres ethnies (S. S., Fulbe, allochtone, 45 ans, Gosson le 27/05/2013).

La cohabitation avec les Moose et les San dans les différents systèmes socioécologiques est l’un des préalables à l’origine de la transformation et de l’extraction du beurre de Vitellaria paradoxa par les Fulbe. La raison fondamentale est liée au fait que les troupeaux fulbe sont fortement réduits et ils n’arrivent plus à produire suffisamment de lait et de crème pour les différents besoins de ce groupe. On peut donc comprendre que les Moose et les San qui, majoritairement, n’ont pas de troupeaux, se sont intéressés aux huiles végétales depuis des époques désormais immémoriales. Les Fulbe, en revanche, se sont longtemps contentés de la crème produite à partir du lait des animaux. Toutefois, la civilisation et le brassage culturel avec leur corollaire d’acculturation induisent une réadaptation et une redéfinition des modes de vie des Fulbe. Désormais, cette communauté s’adonne à des pratiques jadis jugées propres à d’autres groupes sociaux. La perte du bétail a considérablement réduit le nomadisme et a permis l’installation des Fulbe au sein des groupes moose et san. Cela a beaucoup facilité la transmission et l’apprentissage des pratiques socioculturelles entre groupes ethniques. Ainsi, le manque de 73

crème de lait oriente les femmes fulbe vers l’extraction des huiles végétales facilement exploitables, à savoir le beurre de Vitellaria paradoxa dont les techniques de transformation et d’extraction ont été apprises auprès des femmes moose et san. 1.2. Représentations et ordonnances sociales de la collecte et de la conservation des noix de Vitellaria paradoxa Le matériel de collecte fait l’objet de représentations dans le Sourou et dans le Yatenga. Certains instruments utilisés dans le cadre de la production des huiles végétales se prêtent à de systèmes particuliers de signification sociale. Selon les populations de ces arènes sociogéographiques, le matériel utilisé pour la collecte des noix a un impact sur la prochaine fructification des arbres : (…) Parce qu’on ne ramasse pas les noix de karité avec des plats. Quand tu ramasses avec des plats, l’année qui vient, les fruits ne donnent pas beaucoup ; l’arbre ne produit pas beaucoup. Par conséquent, on ramasse avec les calebasses et les paniers. Si tu n’as pas de paniers, tu peux emmener un plat ou une bassine comme ça à l’endroit de la collecte. Tu déposes la bassine ou le plat, tu ramasses avec les calebasses et tu renverses dans la bassine. Mais on ne ramasse pas directement avec un plat (P. M., San, autochtone, 38 ans, Bouaré le 22/05/2013).

Les normes commencent donc avec le matériel de collecte en pays san, particulièrement pour les noix de Vitellaria paradoxa. Le matériel de collecte est soigneusement choisi par les acteurs. Selon leur représentation de la collecte, l’utilisation des plats pour directement ramasser les noix influe négativement sur la production prochaine des arbres. Plus tôt avant ces dernières années, les populations du Yatenga observaient certaines ordonnances sociales dans les pratiques de cueillette ou de ramassage des noix. Lorsque les chefferies coutumières avaient le contrôle parfait des règles de conduite et pouvaient veiller au respect des normes, c’étaient les chefs de village ou le chef de terres qui fixaient et ordonnaient le temps de collecte. En guise d’illustration, nous nous servons des propos ci-dessous qui déclarent :

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Avant il y avait un ordre qu’on donnait, mais cela n’existe pas maintenant. Avant, quand les fruits mûrs tombent librement et en abondance au cours de la saison, certains donnent une période d’une semaine. Avant cette ordination, même si tu te trouvais sous un arbre à karité, tu mangeras la chair des fruits et tu laisseras les noix sous l’arbre (G. A., Moaga, autochtone, 80 ans, Bango le 14/05/2013).

Les collecteurs devraient donc nécessairement attendre une permission des institutions coutumières compétentes avant de s’amasser les noix de Vitellaria paradoxa. Ces ordinations dans le Yatenga prenaient également en compte la collecte du Boscia senegalensis : Avant, bien avant que nous naissions, il y avait un ordre qui concernait Boscia senegalensis. La collecte de Boscia senegalensis est publiée par le chef du village avant que les gens ne partent en brousse pour collecter. On ne doit pas le toucher avant l’ordre donné par le chef du village (O. S., Moaga, autochtone, 50 ans, Bogoya le 15/05/2013).

Ces fragments de discours montrent qu’en matière de pratiques liées à la production des huiles végétales, tout était pris en considération dans les communautés moose et san. Aujourd’hui, ces pratiques de contrôle de la collecte des fruits et des noix sont en déclin. Les raisons citées par les populations sont entre autres la perte de l’hégémonie des chefferies traditionnelles en faveur du triomphe des libertés individuelles et la pression engendrée par les ambitions économiques des collecteurs. La transformation et l’extraction proprement dites sont également soumises à de multiples observances sociales. Selon les représentations locales, certains incidents — le contact des amandes de Vitellaria paradoxa avec le sel ou la viande par exemple — interviennent parfois au cours du processus de fabrication des huiles et influent sur le succès et le rendement de l’opération. Les extraits suivants présentent les conséquences de tels incidents et prévoient les solutions pour s’en soustraire : Si tu vides les noix de karité du canari où tu les avais conservées, tu les bouillis dans une marmite. Tu y ajoutes du sel

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et un os parce qu’au moment de piler les amandes au mortier, s’il y avait quelqu’un qui y avait pilé du sel, elles ne donneront plus d’huile. Mais si tu utilises le sel pendant la cuisson des noix, tu préviens cette éventualité de sorte que si du sel avait été pilé dans le même mortier au moment où tu veux piler tes amandes, il n’y a plus d’impact sur la quantité de la matière grasse des amandes (G. A., ménagère moaga, 45 ans, Aorèma le 19/05/2013).

Ces mêmes représentations de l’utilisation du sel pour sécuriser les amandes de Vitellaria paradoxa existent à Rallo et à Bogoya. Pour preuve, B. I., autochtone moaga de 42 ans, vivant à Rallo, affirme que c’est une méthode et une stratégie des femmes pour garantir la qualité des amandes qu’elles utiliseront plus tard. Concernant l’os, notre productrice de Aorèma donne encore des détails de son rôle dans le processus de sécurisation des amandes en ces termes : Pour ce qui est de l’os, quelqu’un peut manger sa viande ou sa soupe, puis il va laver ses mains dans tes amandes, ce qui dissipe l’huile qui y est contenue. C’est la raison pour laquelle on y ajoute un os au moment de la préparation des noix. L’os est plongé une fois pour toutes. La viande joue sur la quantité de la matière grasse des amandes. C’est la même chose pour le sel dont je vous ai parlé. Tu peux engager l’extraction sans rien obtenir comme huile s’il y avait eu un quelconque contact de ces éléments avec les amandes. Un autre aspect est que tu peux réussir à avoir du beurre pendant l’extraction, mais tu n’en profiteras pas (G. A., ménagère moaga, 45 ans, Aorèma le 19/05/2013).

Le sel et la viande influent sur la quantité de la matière grasse contenue dans les amandes. Pour réussir une extraction au rendement satisfaisant, des précautions sont prises afin d’éviter tout contact de ces éléments avec les amandes. Cependant, les populations évitent les risques liés aux conjectures en recourant à plusieurs mesures préventives, notamment l’utilisation du sel et de l’os pendant la phase de cuisson des noix de Vitellaria paradoxa. Il convient de noter que ces normes liées à la collecte et à la sécurisation des amandes n’existent pas en milieu fulbe. Elles sont des pratiques que nous avons rencontrées en pays moaga et san. Cela pourrait s’expliquer par le caractère récent et occasionnel de 76

la pratique de collecte des noix et d’extraction des huiles végétales chez les Fulbe. Les rapports décontractés qu’ils entretiennent avec la production des huiles végétales les évitent de produire des normes sur cette activité. Ainsi, ce groupe produit les huiles végétales, notamment le beurre de Vitellaria paradoxa, sans ses apprêts socioculturels ou anthropologiques. Un autre élément substantiel à relever concerne la collecte, la transformation et l’extraction des huiles comme, par exemple, celles de Azadirachta indica et de Balanites aegyptiaca. La production et l’usage de ces huiles végétales ne sont pas soumis aux normes et prescriptions sociales dont fait l’objet le beurre de Vitellaria paradoxa. Nous avons directement observé des scènes de transformation et d’extraction des huiles de Balanites aegyptiaca (photo 3 et 4) et de Azadirachta indica à Aorèma et à Tougan. Les productrices ont affirmé qu’elles n’avaient pas d’ordonnances et d’observances particulières à respecter au cours des opérations de collecte, d’extraction et d’utilisation de ces huiles. Elles nous ont également confié que la production et l’utilisation de ces deux types d’huile n’impliquent pas les mêmes acteurs comme c’est le cas de Vitellaria paradoxa. Photo 3 : pilage des amandes Photo 4 : huile de Balanites de Balanites aegyptiaca aegyptiaca après quelques instants de pilage

Source : Ouédraogo Karim, mars 2014

Source : Ouédraogo Karim, mars 2014

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Nous estimons que cette posture ségrégationniste de diffusion des normes de production et d’utilisation des huiles est due aux enjeux socio-économiques plus importants des produits oléagineux de Vitellaria paradoxa par rapport aux deux autres aussi exploitées. Cela pourrait également s’expliquer par le fait que l’exploitation des deux dernières est intervenue avec la réduction du stock naturel des noix de Vitellaria paradoxa due aux changements climatiques et à la pression des acteurs. 1.3. Ordonnancement social de l’utilisation du beurre En milieu traditionnel moaga et san, le beurre de Vitellaria paradoxa se consomme selon des règlements coutumiers. Dans ce milieu, les aînés de la communauté détiennent le monopole des connaissances des types de relation qui existent entre le monde physique et le monde ancestral ou spirituel. Ils sont les principaux officiants des obligations et sacrifices rituels ou cérémoniels. Ainsi, les premières huiles extraites leur doivent être servies pour qu’ils en donnent aux ancêtres et aux esprits avant tout éventuel autre usage. L’illustration suivante met en évidence les formes de médiation qu’ils exercent entre les vivants et le monde ancestral tout comme les modalités de présentation et de don des offrandes d’huiles aux êtres surnaturels : Si on extrait les premières huiles des premiers karités, on donne au vieux. C’est le vieux qui va enlever un peu de cette huile pour donner aux ancêtres. Il verse une infime quantité de cette huile à terre. Ça signifie qu’on a donné aux ancêtres pour implorer leur clémence et leur protection envers les vivants (Z. G., San, autochtone, 52 ans, Gosson le 24/05/2013).

En plus des aînés chargés de la médiation entre les ancêtres et les vivants, il y a les étrangers et les petits enfants qui, dans le système coutumier de ces groupes, sont des êtres chargés de mystères qu’il faut honorer. Dans les pratiques moose et san, l’étranger et le petit enfant y occupent une place prépondérante. Ces personnages sont très considérés par les populations qui clament qu’ils ont des pouvoirs à même d’influencer leur vie sociale : 78

Un enfant peut venir dire, maman, je veux de l’huile. Il y a beaucoup de femmes qui savent ça. Tu es obligée de lui donner un peu de ton huile ; ou bien s’il y a un étranger qui passe et que tu ne le connais pas, tu peux l’inviter en disant : « viens goûter à notre huile ». Si jamais tu ne lui donnes pas, ça peut te causer beaucoup de difficultés (…). Ça peut provoquer des maux de ventre et si maintenant tu t’en vas consulter, on va te dire qu’un tel ancêtre est venu, il s’est transformé en petit enfant, il est venu dire qu’il voulait goûter à la première huile et comme tu la lui as refusée, il t’a infligé cette maladie (Z G., ménagère san, 52 ans, Gosson le 24/05/2013).

Les étrangers et les petits enfants représentent naturellement des individus physiques, mais ils sont susceptibles de représenter aussi des esprits. Pour les populations, les ancêtres ou les esprits sont porteurs de bénédictions et de malédictions. Elles leur offrent les huiles végétales pour qu’ils les bénissent ou leur évitent des problèmes. Les comportements égoïstes à l’endroit des étrangers et des enfants qui représenteraient parfois des ancêtres incarnés, sont des sources de sanctions contre la préparatrice des huiles. Chaque productrice d’huile végétale a donc peur de rejeter un ancêtre ou un esprit venu sur son chemin. Les aînés de la communauté, communément appelés les vieux ou les anciens, constituent le cordon entre les vivants et les êtres surnaturels. Ce sont les seules personnes habilitées à comprendre et à déchiffrer le langage et les volontés des ancêtres et des esprits. Dans les systèmes coutumiers moose et san, les vivants et les esprits sont intrinsèquement liés dans tout rapport de production et d’utilisation des huiles végétales. La légitimité de la médiation des aînés leur permet de prendre des décisions et de donner des ordres aux catégories plus jeunes ou considérées comme socialement inférieures que sont les femmes (souvent même les plus âgées). Les ancêtres et les esprits demeurent le socle sur lequel repose la communauté des vivants. Consommateurs au même titre que les vivants selon les représentations et logiques traditionnelles, il leur faut dédier les prémices de toute production d’huile végétale. Leur régal est toujours fait autour de rites ou de cérémonies coutumières pendant lesquels les anciens jouent un rôle capital. Dans la production oléagineuse, ce sont ces anciens qui se chargent à ce que le monde surnaturel soit satisfait avant que les vivants ne 79

puissent accéder aux premières huiles extraites. Les gestes de bienveillance et de reconnaissance à l’égard des êtres surnaturels, exprimés par le don des premières huiles, sont assurés par ces derniers. Les circonstances dans lesquelles les huiles sont utilisées ainsi que les modalités de leurs utilisations pour prouver aux ancêtres et aux génies qu’on leur a offert une nourriture sont maîtrisées par eux. Les pratiques coutumières à l’image du yaare et du kala observées dans le Yatenga et celle du têdian dans le Sourou sont exécutées par ordre des aînés des communautés moose et san. Bien que les femmes soient les principales actrices dans l’exécution de ces pratiques — elles sont les pourvoyeuses incontournables des biens nécessaires à l’inauguration de ces pratiques rituelles —, les ordres et les officiassions sont l’œuvre des anciens. Ces favoris des systèmes bénéficient des honneurs et du respect, cumulativement à leur fonction et à leur statut légitimés et approuvés tant par les vivants que par les ancêtres et les génies, chacun trouvant son bon compte dans les arrangements. 1.4. Frontières sociales dans la diffusion des normes : les marges de manœuvre des acteurs La succession et la diversification des étapes impliquent aussi un cloisonnement des normes qui encadrent le procès de production des huiles végétales. Dans cette section de diffusion des normes, le genre et la catégorie sociale sont les variables mises en évidence. Dans les arènes sociogéographiques du Yatenga et du Sourou, les individus des deux sexes et de toutes les souches sociales collectent les noix de Vitellaria paradoxa. Les hommes et les enfants, dans une certaine mesure, collectent le plus souvent pour vendre. Ces deux catégories sociales se limitent à la collecte et, dans une large mesure, au traitement des noix, à savoir le décorticage. Les mobiles économiques, surtout, qui motivent leur engagement dans la collecte des noix, les affranchissent de l’emprise des normes. Les femmes, quant à elles, sont fortement impliquées dans le processus de diffusion des normes et des prescriptions liées à la production et aux usages des huiles végétales. Du début des opérations de transformation à l’achèvement, elles commandent l’exécution des multiples tâches et définissent les pratiques à prendre en compte ou à éviter, c’est-à80

dire les comportements compromettant le succès de l’activité. Si l’aîné de la communauté ou le chef de famille donne parfois les ordres par rapport à l’extraction des premières huiles, le succès de l’extraction à travers l’observation des interdits dépend fortement des femmes. Une enquêtée définit le rôle des femmes dans la célébration du yaare en ces termes : En cette période, c’est-à-dire à l’occasion de la célébration du yaare, les femmes vont cotiser les pois par quartier. Par exemple, ici toutes les femmes vont cotiser des pois et les préparer avec une grosse marmite. Elles vont emporter la nourriture à l’entrée de la cour, y ajouter d’assez de beurre de karité, puis en distribuer à tout le monde. C’est à l’approche de la saison pluvieuse et on accueille la nouvelle saison par le yaare (B. S., ménagère moaga, 63 ans, Aorèma le 19/05/2013).

Le yaare est une cérémonie de réjouissance qui annonce la prochaine saison des pluies. Cette pratique traditionnelle est mise en emphase parce que le beurre de Vitellaria paradoxa y joue un rôle déterminant. Selon les représentations locales, les pratiques qui visent à implorer les ancêtres et les esprits doivent employer de la nourriture et nécessairement de l’huile végétale, notamment le beurre de Vitellaria paradoxa. En plus du yaare, il existe un autre rituel dans le Yatenga appelé le kala. C’est une cérémonie funéraire dont toute la nourriture entrant dans ce cadre emploie le beurre. Là encore, les femmes sont de nouveau sollicitées à assumer des tâches d’importance majeure : Nous avons des coutumes et ce sont les femmes qui le font. C’est le kala. (…) Dans la famille, si une femme décède à un âge avancé, après l’enterrement et les doua, ses sœurs et ses nièces se rassemblent dans sa maison. Après le repas que vous avez offert aux gens, ces dernières vont cotiser des pois de terre, puis elles vont les préparer. Quand ça sera cuit, elles vont chercher des amandes pour faire du beurre et mettre dans les pois. Elles vont ajouter des pois de la défunte. Elles mettront les pois ensemble et les prépareront selon la coutume, puis elles distribueront la nourriture à tout le monde avant qu’il ne se disperse (B. S., ménagère moaga, 63 ans, Aorèma le 19/05/2013).

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Dans ce qui est dit dans cet extrait comme dans les résultats qui précèdent, la catégorie des anciens des communautés et les femmes constituent les relais majeurs de diffusion des normes de production et d’usage des huiles végétales dans le Sourou et le Yatenga. Les femmes se limitent aux observances des prescriptions et au respect des interdits liés à la préparation des noix ou à l’extraction des huiles. En outre, elles sont impliquées dans la plupart des rituels cérémoniaux qui font usage des huiles végétales dans leur accomplissement. Lorsqu’il s’agit d’interagir avec les esprits et les ancêtres, ce sont les anciens de ces communautés qui entrent en scène. Ces personnages gèrent les aspects les plus sacrés du processus et les offices de rites inauguraux et d’usage. Les enfants et les hommes, dans l’ensemble, sont moins concernés dans les offices des sacrifices et des rituels aux esprits et aux ancêtres. Cependant, ils sont tenus de respecter et d’observer les ordonnances liées à la cueillette des noix et à la consommation des huiles. À l’échelle d’une famille, le chef de famille veille à l’application de ces ordonnances par les membres qui y vivent. Dans un contexte singulier, un particulier peut avoir des obligations particulières envers les esprits ou les dieux. En ce moment, elle peut officier les rites de don d’huiles végétales sans avoir besoin de l’intervention des anciens de la communauté. Après l’acte de versement de la petite quantité d’huile à terre, elle préparera une nourriture et invitera les petits enfants à la partager avec elle. Dans le cas-ci, les offices rituels écartent les anciens de la démarche. En ce qui concerne les premières huiles, par exemple, une personne peut avoir des génies. Si elle ne donne pas ça à ses génies, la personne même ne peut pas manger parce que si elle mange ça avant les génies, ça cause des problèmes. Donc il faut que la personne fasse ça, elle donne à ses génies, après maintenant, la personne même peut manger. (…) On n’organise pas une cérémonie en ce moment. La personne fait l’huile là, elle enlève un peu, elle verse ça, après maintenant, elle donne le reste là aux enfants, aux petits enfants. Ils mangent, donc c’est fini comme ça (P M., ménagère san, conseillère municipale, 38 ans, Bouaré le 22/05/2013).

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L’extrait ci-dessus montre que les circonstances offrent des marges de manœuvre dans la communion avec les génies. Les huiles végétales demeurent la nourriture emblématique des contrats, des alliances ou des relations particulières que certains acteurs entretiennent avec les ancêtres et les génies (esprits). En fonction des intérêts et des obligations particuliers de chacun envers les êtres surnaturels, l’intervention des anciens est souvent dispensable. De ces différentes actions et interactions socioanthropologiques, l’on retient que la production et l’utilisation des huiles végétales sont soumises à deux catégories de normes. Nous avons les normes relatives aux opérations de transformation et de l’extraction, contrôlées et exécutées surtout par les femmes et les normes relatives aux rites inauguraux et/ou d’usage, où l’intervention des anciens s’avère indispensable. Réussir l’extraction incombe aux femmes et dans une moindre mesure aux enfants (les filles et les plus jeunes garçons), mais rassurer les consommateurs que les ancêtres et les génies approuvent l’huile extraite et permettent sa consommation incombe aux anciens. En effet, dans la production des huiles végétales, la qualité a aussi un sens social, c’est-à-dire qu’elle est socialement définie. L’observation des normes de production et d’utilisation confère aux huiles cette qualité sociale. Le partage de l’huile aux anciens, le don fait aux petits et l’invitation des étrangers sont du ressort de la productrice. Elle a la compétence d’agir avec une entière autonomie sans qu’aucun rite cérémoniel, même inaugural, n’autorise quoi que ce soit concernant les modalités d’usage. 1.5. Effets induits du modernisme et des religions révélées sur la diffusion des normes Les corrélats modernistes — évolution des mentalités, abandon ou abrègement de certains us, réajustement de pratiques anciennes, etc. — influent négativement sur le phénomène de diffusion des normes sociales de production et d’usage des huiles végétales au Sourou et au Yatenga. Dans beaucoup d’aspects de la production et de l’utilisation des huiles végétales, les populations clament l’affaissement des pratiques traditionnelles de régulation et de contrôle qui encadraient l’activité de production de ces huiles. Les 83

religions révélées constituent l’un des facteurs de changement de ces pratiques et valeurs traditionnelles. L’extrait suivant met en évidence une facette des effets induits des religions révélées sur les observances des tâches coutumières relatives aux huiles : Quand il s’agit du beurre, si tu extrayais les premiers beurres, tu enlevais un peu pour donner au chef de quartier. Ça, c’est bien avant. Aujourd’hui, il n’y a plus ça parce qu’avant c’était l’époque des féticheurs. Maintenant, c’est l’islam. Avec les religions, on ne travaille plus avec ces chefferies. (…) Il y avait des fétiches et des gris-gris. Si on faisait les premiers beurres, on enlevait un peu pour leur donner avant d’utiliser pour la consommation alimentaire (G. M., San, autochtone, 37 ans, Diouroum le 26/05/2013).

Les religions révélées ont affranchi leurs adeptes des observances coutumières en général et celles liées à la production et à l’utilisation des huiles végétales en particulier. Ces normes qui avaient les chefferies pour sources ont été abandonnées avec l’affaiblissement du pouvoir de ces chefferies au profit de ces nouvelles religions. Outre ce don des premiers beurres aux fétiches en pays san, il y a la pratique de la fête des feux de brousse qui a également été abandonnée de nos jours à cause de l’évolution des mentalités. Avant, les premières extractions du beurre, il y a un moment qui est précisé. Il y a un rituel qu’on appelle les feux de brousse. À l’approche de la fête des feux de brousse, toutes les femmes doivent se préparer pour extraire le premier beurre. On appelle ça en langue san têdian. (…) Tout le monde fait comme ça avant la fête des feux de brousse. Actuellement on ne pratique plus ça comme ce qui se faisait, car si on va bruler la brousse ça ne va pas aller (G. K., San, autochtone, 45 ans, Diouroum le 26/05/2013).

Le beurre de Vitellaria paradoxa constitue un élément clé dans la célébration du têdian. Le têdian marquait la fin de la saison des pluies et annonçait la saison sèche. Ce rite inaugural des premiers beurres impliquait aussi l’embrasement de la brousse par des feux expressément allumés pour la circonstance. Aujourd’hui, la pratique est symboliquement célébrée. La fin sous-entend que ce mode de célébration de la fête des feux de brousse se heurterait 84

aux lois et valeurs actuelles si les populations devaient la perpétuer. Les religions révélées constituent des facteurs majeurs de changement des pratiques et des normes coutumières relatives à la production et à l’usage des huiles végétales. Elles ont affranchi nombre d’acteurs sociaux des carcans des logiques traditionnelles. Avec l’évolution des mentalités et du développement des programmes de lutte contre la désertification, la légitimité du têdian (fête inaugurale des premiers beurres que certains appellent aussi fête des feux de brousse) est remise en question. Si les populations ne sont plus obligées de bruler la brousse pour accomplir ce rituel parce qu’il se heurte aujourd’hui à d’autres valeurs jugées plus nécessaires et plus dignes de préservation, cela sous-entend que ces pratiques coutumières et les normes qui les renforcent restent flexibles, évolutives et adaptatives. 2. Discussion L’origine sociale et culturelle constitue un élément explicatif de l’intérêt variable des groupes ethniques pour la production des huiles végétales. De ce point de vue, les agriculteurs moose et san et les pasteurs fulbe ont des sources culturellement différenciées de production d’huile. Cette différence de sources des huiles d’usage explique aussi l’intensité variable des rapports de production et d’usage des huiles végétales. Ces rapports aux huiles végétales demeurent intensifs chez les Moose et chez les San du Sourou et du Yatenga et sont faiblement intéressés chez les Fulbe de ces mêmes zones. Dans cette logique, Hirsch (2002) affirme que les habitudes quotidiennes des acteurs sociaux sont influencées par des facteurs socioculturels, économiques, climatiques, etc. Ce facteur socioculturel justifie la non-maîtrise des techniques de transformation et d’extraction des huiles par les femmes fulbe du Sourou et du Yatenga. Il explique également l’absence des normes et des observances sociales au cours d’une scène de transformation et d’extraction des huiles végétales engagée par les Fulbe ou les adeptes des religions révélées. Présentant les résultats de leur étude sur la promotion des produits oléagineux des arbres natifs de la région des cascades au Burkina Faso, Ouédraogo et al. 85

(2013) soutiennent que le statut de résidence marque des écarts dans les rapports d’exploitation. Ainsi, nos résultats viennent corroborer ces thèses émises par ces auteurs qui stipulent que les facteurs socioculturels influencent les habitudes et les pratiques des acteurs sociaux. Les femmes jouent un rôle déterminant dans le processus de transformation et d’extraction des huiles végétales. Au cours des enquêtes dans le Yatenga, les populations rapportent que même durant la période coloniale, les femmes étaient chargées chaque année de produire du beurre pour en emporter au site des Blancs à Ouahigouya avant de venir commencer à consommer. Ce rôle des femmes se confirme sur l’étude des pratiques ethnographiques du miyali au Congo-Brazzaville par Bonnafé (1973) qui affirme que c’était des obligations exécutées sous l’ordre des chefs de village et des chefs de terre administratifs disposant d’un certain nombre d’hommes de main pour accomplir les tâches prescrites par le colon et renforcées si nécessaire par les gardes de cercle. Leur rôle et leur légitimité s’exercent donc sous l’autorité d’autres acteurs sociaux. Dans l’activité de production et d’utilisation des huiles végétales, les anciens des communautés moose et san demeurent les personnages prépondérants dans les systèmes d’interaction qui engagent les vivants, les mânes des ancêtres et les esprits dans le processus. Ils tirent leur pouvoir et leur légitimité de ces « arrangements institutionnels » (Boudon et Bourricaud, 1982). Les cadets sociaux et les enfants, quant à eux, ont des rôles très insignifiants dans la diffusion des normes. En revanche, ils respectent les différentes observances et ordonnances liées au matériel de collecte et à la consommation des huiles extraites. Ainsi, les rôles joués et l’implication des différents acteurs varient selon les catégories sociales. Cette logique des interactions corrobore ce qu’avançait Lévy-Bruhl (1922) dans son ouvrage intitulé : La mentalité primitive. L’auteur soutient, en effet, que tous les objets et tous les êtres sont impliqués dans un réseau de participations et d’exclusions mystiques et ces formes de participations et d’exclusions en font la contexture et l’ordre. Outre ces aspects fort intéressants, la croyance aux esprits et à leur influence sur les éléments de la nature et sur la vie sociale est fortement enracinée dans les traditions africaines (Muller 1983, Bonhomme 2008). Pour ces mêmes raisons, les populations du 86

Sourou et du Yatenga croient que les huiles végétales sont très appréciées par les mânes des ancêtres et les esprits. Ces croyances justifient l’interdiction de collecter directement les noix dans des plats, l’ajout de l’os ou du sel aux noix durant la cuisson, la fixation d’une petite paille ou d’un brin de Eragrotis tremula sur la pâte des amandes écrasées, le don d’huile aux petits, l’invitation des étrangers et les rituels inauguraux des premières huiles. Dans The social life of things, Commodities in cultural perspectives, Appadurai (1986) déclare que les choses restent, selon les contextes, les dispositifs de production de relation. Dans notre contexte, les huiles végétales remplissent cette fonction de production des relations entre les humains et les êtres surnaturels au Sourou et au Yatenga. Selon les représentations locales, le petit enfant et l’étranger se présentent parfois comme l’incarnation d’un ancêtre mort ou d’être spirituel en quête de nourriture. Les mêmes croyances sont observées par Mauss (1923) dans l’étude du potlatch et par Bonhomme (2008) sur la problématique des liens entre les morts et les vivants en Afrique subsaharienne. Mauss affirme dans son œuvre que les hommes se présentent comme des incarnations masquées, souvent chamanistiques et possédées par un quelconque esprit dont ils portent le nom et ils n’agissent en réalité qu’en tant que représentants des esprits. Ces considérations mystiques et mythiques à la fois sont transmises et faites observer par les vieillards et le sexe féminin (Brisson, 1982) aux jeunes générations de productrices et d’utilisateurs des huiles végétales. Tout comportement répréhensible serait sévèrement puni toutes les fois que la visite de l’étranger ou la demande du petit enfant émane de l’action d’un ancêtre ou d’un génie que les acteurs n’ont pas honorée. Ces derniers peuvent infliger au fautif des maladies comme des maux de ventre qui ne sont guérissables que lorsque la sanction est levée par des rites et sacrifices. Bonhomme décrivait ces interactions entre les deux entités en ces termes : Les défunts continuent en effet d’entretenir un commerce avec les vivants, avec leurs parents notamment. Ils les protègent et leur apportent bonheur et prospérité ; ils les punissent en leur infligeant malheurs et maladies parce qu’ils se sentent négligés ; ils les hantent sous forme de spectres ; ils les possèdent même parfois en faisant irruption jusque dans leurs corps ; ils ne

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cessent enfin de leur transmettre des messages, notamment à travers les rêves (2008 : 160).

L’auteur démontre par ces propos que les morts conservent des liens avec les vivants et interviennent activement dans leurs affaires et vies quotidiennes. Mauss (1923) stipule que les gestes de don ou de partage sont une stratégie utilisée par les vivants en vue d’acheter la paix avec les dieux et les âmes des ancêtres. Selon lui, les esprits des morts et les dieux étaient l’un des premiers groupes d’êtres avec lesquels les hommes ont dû contracter et, par définition, étaient là pour contracter avec eux. Il continue à dire que c’est avec ces êtres qu’il était le plus nécessaire d’échanger et le plus dangereux de ne pas échanger. C’est donc dans cet état d’esprit que les populations du Sourou et du Yatenga offrent obligatoirement leurs premières huiles végétales aux ancêtres et aux esprits avant de commencer à les utiliser. Avec les religions révélées et le triomphe des libertés individuelles prôné par le modernisme, on se pose bien de questions sur la valeur des services que les dieux et les ancêtres rendaient aux humains pour que la plupart les abandonnent aujourd’hui au profit de ces nouvelles croyances. Selon Durkheim — repris par Boudon et Bourricaud (1982) — , la société se manifeste à ses membres le plus souvent par les commandements qu’elle édicte et les sanctions qu’elle met en œuvre. Dans cette situation complexe de production des huiles végétales, caractérisée par l’interdépendance des acteurs et des normes évoluant en parfaite symbiose, une autonomie relative est reconnue à chaque acteur pour l’exécution d’étapes particulières avec les normes et les prescriptions qui vont avec. Toutefois, la reconnaissance de légitimité des femmes dans la diffusion des normes de production des huiles végétales ne traduit pas forcément une égalité sociale ou une affirmation de pouvoir et d’autorité. Saussey (2008) avait analysé cette dimension dans le Gulmu, mais uniquement du point de vue économique, et avait conclu au fait qu’une reconnaissance économique n’entraine pas nécessairement plus d’égalité sociale. Ainsi, malgré le rôle déterminant qu’elles jouent dans la production des huiles végétales et dans la promotion des normes y afférentes, les femmes sont maintenues dans un statut inférieur de pouvoir et d’autorité. Leur rôle et leur légitimité sont 88

toujours sous le contrôle des anciens de la communauté et de leur chef de ménage. Conclusion La production des huiles végétales est soumise à un ensemble de pratiques de régulation et de contrôles sociaux dans le Sourou et dans le Yatenga. Des interdits, des ordonnances et observances sociales, en un mot, des normes et prescriptions sociales, encadrent l’ensemble du processus d’extraction et d’utilisation des huiles végétales dans ces configurations sociales rurales. Autrement dit, les mécanismes de préparation de ces huiles sont soumis à des pratiques coutumières normatives tout comme les différents usages obéissent à une certaine logique de distribution et de redistribution sociale. Au cours du processus de production des huiles végétales, en milieu rural, sont en interaction des individus et des êtres surnaturels. Cette interaction définit les normes de qualité des huiles produites et rappelle que cette qualité est moins liée à la propreté physique de la ressource qu’à son approbation par les esprits et les ancêtres. Depuis l’avènement des religions révélées, à l’image de l’islam et du christianisme, et du changement de mentalités dans les actions quotidiennes, beaucoup de ces pratiques se sont affaiblies ou ont pratiquement changé de forme par la révision des valeurs sociales et d’autres ont totalement disparu. Par cette même occasion, les entités surnaturelles sont désormais confrontées à une désertion massive de leurs partenaires coutumiers d’autrefois. Ainsi, les obligations rituelles et ancestrales qui accompagnent la production des huiles végétales sont progressivement délaissées par certains acteurs de la communauté des vivants. Les chefferies coutumières d’où elles prennent forme, essence et source s’affaiblissent sous le joug des valeurs induites par la modernité. Même si on assiste toujours certains individus qui vivent suivant ces normes sociales dans la production des huiles végétales, les aires de pratique se réduisent continuellement. Le modernisme et les nouvelles religions ont donc changé l’essence de ces pratiques traditionnelles et constituent le principal facteur de révision des valeurs sociales de production des huiles végétales. Il en résulte de cette situation la perte d’hégémonie, 89

d’autorité et de poids social des dignitaires coutumiers qui officient de moins en moins de rituels cérémoniels et sacrificiels afférents à la production et à l’utilisation de ces huiles. Nous pouvons donc dire que les normes et les prescriptions sociales, en particulier celles relatives à la production des huiles végétales, sont flexibles, évolutives et sont informées par les dynamiques sociales endogènes et exogènes. Références bibliographiques Andon, N’Guessan Simon, Serge Fidèle Assouman et Gaoussou Roger Soro. 2018. Perception paysanne de l’arbre dans le paysage agraire du nord de la Côte d’Ivoire : cas du département de Korhogo. Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement (2) : 49-60. Appadurai, Arjun. 1986. The social life of things. Commodities in cultural perspectives. Cambridge University Press. Bekure, Zebib. 1997. Du local au mondial : le marché international du beurre de karité. Fonds de développement des Nations Unies pour la femme, Bureau régional de Dakar. Bidou, Jean-Étienne, Abidine Koukpéré et Isabelle Droy. 2019. La crise du parc arboré à karité : exemple de Djougou au Bénin. In : Seghieri, Josiane et Jean-Michel Harmand Agroforesterie et services écosystémiques en zone tropicale. Éditions Quæ. Bonnafé, Pierre. 1973. Une grande fête de la vie et de la mort. Le miyali, cérémonie funéraire d’un seigneur du ciel kukuya (Congo-Brazzaville). L’Homme 13 (1-2) : 97-166. Boudon, Raymond et François Bourricaud. 1982. Dictionnaire critique de la sociologie. Paris : PUF. Brisson, Luc. 1982. Platon, les mots et les mythes. L’Homme XXIII (4). Paris : EHESS. Durkheim, Émile. 1893. De la division du travail social. Paris : PUF. Elias, Marlène. 2010. Transforming nature’s subsidy: global markets, Burkinabè women and african shea butter. Quebec: McGill University Montreal. 90

Hirsch, Robert. 2002. Les filières oléagineuses d’Afrique de l’Ouest : quelles perspectives face à l’intégration et à la mondialisation ? : Afrique : agriculture, développement et recherche. OCL. Oléagineux, corps gras, lipides, 9 (6) : 426-432. Julien Bonhomme. 2008. Les morts ne sont pas morts. M. Cros & J. Bonhomme (éds.). Déjouer la mort en Afrique. Or, orphelins, fantômes, trophées et fétiches. L’Harmattan : 159-168. Lévy-Bruhl, Lucien. 1922. « La mentalité primitive ». Paris : PUF. Maïga, Alkassoum et Oumarou Kologo. 2010. L’arbre karité et ses dérivés au sud-ouest du Burkina Faso : vulnérabilités et mesures d’adaptation au changement climatique. Journal Africain des Sciences de l’Environnement : 183-201. Mauss, Marcel. 1923. Essai sur le don forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques. L’Année sociologique (1896/1897-1924/1925) 1 : 30-186. Muller, Jean-Claude. 1983. Contrepoint rituel pour déluge et sécheresse. Traitement des perturbations atmosphériques chez les Rukuba et leurs voisins (Nigeria central). In L’Homme XXIII, (4). Revue française d’anthropologie. Paris : EHESS. Ouédraogo, Amadé, Anne Mette Lykke, Benjamin Lankoandé et Gabin Korbéogo. 2013. Potentials for promoting oil products identified from traditional knowledge of native trees in Burkina Faso. Ethnobotany Research and Applications, 11 : 071-083. Saussey, Magalie (2008). Femmes et beurre de karité au Burkina Faso. Thèse de doctorat. Paris : EHESS.

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Conservation des souvenirs festifs : la transition vers le tout numérique au Cameroun Ismaïla DATIDJO Université de Dschang, Cameroun E-mail : [email protected] Ayouba NCHOUTPOUENDIGNIGNI Université de Dschang, Cameroun E-mail : [email protected] Armand TCHINENBA Université de Dschang, Cameroun E-mail : [email protected] Résumé L’Afrique dispose d’un patrimoine culturel diversifié que ses peuples expriment quotidiennement. Les Camerounais, à l’image de leurs congénères africains, vivent leurs cultures respectives et les perpétuent avec les générations qui se succèdent. Le constat qui se dégage aujourd’hui dans l’expression des cultures fait état du souci qu’ont les personnes et les groupes de personnes, d’immortaliser les évènements à connotation festive qui les marquent. Si hier les souvenirs étaient conservés à travers les moyens rudimentaires d’enregistrements sonores et les prises de photos, aujourd’hui, progressivement et de manière irréversible, il s’opère une transition des modes anciens de conservation. Ceci s’observe à travers l’irruption et l’adaptation en cours des moyens modernes que proposent les technologies numériques. Cet article s’inspire des moyens « traditionnels » ou anciens de conservation des souvenirs festifs en contexte camerounais, pour montrer comment la transition s’opère vers l’appropriation du digital comme mode de conservation efficace et pérenne des évènements culturels. Dans cette perspective, il procède par une collecte de données empiriques à travers des entretiens directifs auprès de 50 enquêtés 93

issus des ethnies dont les membres sont installés en zones urbaines et en milieux ruraux. Les résultats de la présente réflexion montrent que de moins en moins, les techniques de conservation d’autrefois sont reproduites et de plus en plus, la conservation des souvenirs d’évènements festifs bascule vers le tout numérique. Les célébrations s’immortalisent selon le modèle du numérique. Les photos et sons d’autrefois sont exhumés et conservés au moyen des technologies nouvelles. De même, les enregistrements vidéos actuels sont directement soumis à la « loi du digital ». Mots-clés : Conservation, évènement festif, transition numérique, photos, vidéos. Introduction Bien qu’on puisse l’imaginer figée, la définition d’archives ne cesse pourtant jamais d’évoluer et de s’étendre. Elle est désormais diversifiée et couvre une multitude de domaines. Pour les États, la conservation des archives de la télévision et de la radio vise un élargissement régulier en lien avec l’adoption de nouveaux supports documentaires dans les administrations1. Dès lors, la numérisation entendue comme moyen innovant de conservation des données diverses à partir des supports eux-mêmes innovants, peut-être définie comme un raccourci pour fixer aujourd’hui, des mots et des faits actuels et passés. Elle se veut donc la construction d’un futur à partir du passé et du présent, un futur mémoriel ou de souvenir des évènements ayant marqué à un moment donné des personnes au cours de la vie. Dans le contexte de l’Afrique traditionnelle, les faits marquants du passé ont toujours été retransmis aux générations par le truchement de l’oralité ou « orature ». Pourtant, il est incontestable que les mots sont volatiles quand ils sont portés par la littérature de tradition orale.

1Gautier POUPEAU, La conservation des données numériques n’est ni une révolution, ni inatteignable. Consultable sur http://www.lespetitescases.net/laconservation-des-donnees-numeriques-n-estni-une-revolution-ni-inatteignable

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Embarquée dans le phénomène global, l’Afrique se détache progressivement et de façon irréversible, de la littérature orale et peut désormais reconstituer, quoi que virtuellement, les souvenirs anciens par une consignation scripturale des vestiges de son passé. Elle procède également par une conservation des données de son histoire à partir des outils modernes de l’information et de la communication. Force est de constater que les souvenirs d’hier se numérisent. Les évènements d’aujourd’hui sont aussi conservés au moyen des technologies numériques. De moins en moins, les techniques de conservation d’autrefois sont reproduites et de plus en plus la conservation des souvenirs des célébrations festives, bascule vers la numérisation. Ainsi, les fêtes et les festivals, à l’échelle sociétale, les mariages, les naissances et les cérémonies mortuaires à la dimension des individus et des familles, c’est-àdire à une mesure restreinte, s’immortalisent selon le modèle du digital. Les photos et les sons antiques sont exhumés, parfois reproduits pour être conservés au moyen des technologies nouvelles ; ceci au même titre que les enregistrements vidéos qui sont de nos jours aussitôt soumis à la « loi du digital, du virtuel » certes, mais pour quels enjeux ? Si jadis la conservation des souvenirs s’effectuait dans l’Afrique traditionnelle par les griots et les anciens pour être ensuite légués aux jeunes générations par le canal de l’oralité, alors que cette oralité a cédé la place aux moyens élémentaires de maintien tels que les enregistrements sonores, les prises de photos, ou encore à l’utilisation des magnétophones et cassettes audio, il faut noter aujourd’hui que ces techniques ont muté. Au fil du temps avec le progrès technologique, la numérisation des données se repend de manière irréversible. Les technologies nouvelles utilisées pour la conservation de souvenirs des cérémonies festives intègrent les espaces virtuels de stockage des données et les supports qui leur sont associés : les ordinateurs, les clés USB, les cartes mémoires, les disques durs et s’érigent désormais en centres d’intérêt pour les jeunes générations. Dès lors, le problème de recherche qui surgit est celui du basculement de l’approche de conservation des données aux moyens dits « traditionnels » vers le modèle de numérisation admis comme efficace aux yeux de nombre de personnes. Face à cet état de fait, il faut dire que des questions se posent en termes 95

de garanties et de limites de ces différentes approches de conservation en pleine mutation vers le tout numérique. Ainsi, pour parvenir aux résultats contenus dans cette réflexion, il a fallu procéder par une collecte de données empiriques à travers des entretiens directifs auprès de 50 informateurs issus de différentes sociétés ethniques dont les membres sont installés aussi bien en ville que dans les campagnes. 1. Inventaire des modes anciens de conservation des données de souvenirs festifs Les souvenirs festifs ou le retour sur le passé évènementiel d’une société se rapportent à deux aspects essentiels que Bruno BACHIMONT2 appelle « souvenirs internes » et « souvenirs externes ». Il précise que les premiers sont nos traces cérébrales ou mentales mnésiques, les souvenirs que notre conscience mobilise quand elle se souvient. Les souvenirs externes sont comme des objets matériels et intersubjectifs. Les souvenirs internes sont pour cela à la base de la mémoire vécue, mémoire individuelle ou mémoire collective quand on parle du groupe social. Ils sont portés par l’homme et pour les revivre, il faut qu’ils soient délivrés par la parole ou l’oralité, alors que ceux externes traversent le temps en reposant sur des instruments usuels façonnés par ce dernier. De ce qui précède, les techniques de conservation des données des souvenirs des évènements à connotation festive ont évolué avec le temps. Il faut le souligner, cette conservation dans l’Afrique ancienne s’effectuait essentiellement par la voie de l’oralité à travers les griots et les vieillards, ces sages qui sont admis comme dépositaires de l’art de la sauvegarde des valeurs culturelles et de la transmission des valeurs aux jeunes générations qui se succèdent au gré des saisons et des années. Au fur et à mesure des progrès de la technologie, quoique cette façon de transmettre les savoirs ethniques, donc de conservation et 2

Bruno BACHIMONT, La présence de l’archive : réinventer et justifier, in Intellectica, la Revue de l’Association pour la Recherche sur les sciences de la Cognition (ARCo), 2010, pp.281-309.

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de préservation des données par la parole reste toujours une réalité, elle est de plus en plus substituée par d’autres modes tels que les écrits, les enregistrements de sons et la photographie, y compris les archivages sous forme de vidéos. Tous ces modes alternatifs de conservation des savoirs ont désormais changé d’espace pour se déporter progressivement dans les supports numériques en investissant par extension le web. Par voie de conséquence, les données des évènements festifs sont en train de déserter les maisons d’habitation et les autres cadres physiques, pour adopter des aspects virtuels et s’installer de la sorte partout et nulle part sur l’internet. 1.1.

Conservation des souvenirs à travers l’oralité

D’emblée, il faut dire que l’oralité dans son sens large est un procès 3 de communication où un message est transmis de vive voix par un locuteur à un auditoire. D’une civilisation à une autre, d’une culture à une autre, cette façon de communiquer peut-être adoptée à plus ou moins grande échelle. Paul ZUMTHOR4, propose de ce fait de voir l’oralité comme une communication sonore faite par la voie buccale, sans autres précisions. Elle se rapporte volontiers à la langue ou à la littérature orale. Aujourd’hui, il s’avère impossible de la dissocier sans la comparer, au moins de façon implicite, avec les faits de la langue écrite, autrement entendue comme la littérature proprement dite. En tant que forme de communication, la littérature orale assure alors, dans un groupe humain, la continuité de la culture. C’est la raison pour laquelle il existe un lien fort étroit entre l’oralité et la tradition. Avant l’avènement de l’écriture, l’oralité a constitué le principal support de conservation et de transmission des savoirs endogènes dans les sociétés africaines. En tant que mode primaire de conservation, elle pouvait alors être substituée ou accompagnée 3

Jeanne BOVET, Pour une poétique de la voix dans le théâtre classique, Montréal, Université de Montréal, 2003, p.88. Voir aussi Marion CHENETIER-ALEV, l’oralité dans le théâtre contemporain, Éditions universitaires européennes, 2010, p.580. 4 Paul ZUMTHOR, L’oralité-un inédit de Paul Zumthor, Revue Intermédiarités, n°12, automne 2008, pp.164-167, Voir aussi Paul ZUMTHOR, Introduction à la poésie, Paris, Éditions du Seuil, Coll. « Poétique », 1083.

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par la pratique répétitive des représentations culturelles ou des faits que la société entendait pérenniser. La reproduction des évènements, que ce soit suivant le cycle des saisons ou selon des fréquences de temps relativement éloignées permet d’intégrer lesdits évènements dans les mémoires individuelles, et par extension, dans celles collectives dans la perspective d’une conservation qui soit indissociée justement de l’oralité qui l’accompagne toujours. Aujourd’hui, sans doute encore, le fait d’accomplir habituellement une fête relève d’un moyen d’assurer sa conservation, ne serait-ce que dans la forme. De même, selon un ancien, « quand une telle pratique est soutenue par des rappels puisés de la tradition collective ou ancestrale, elle garantit aussi la conservation du fond ». L’avènement de l’écriture, de l’électronique, et plus tard, du numérique et de ses réseaux sociaux, va révolutionner les différents secteurs de la vie en permettant par exemple aux agents de transmission des valeurs de l’oralité de relayer les textes de la littérature orale à grande échelle (Barthélemy KABORE)5. Ainsi, il convient à titre illustratif de préciser que la partie septentrionale du Cameroun, particulièrement chez les Haoussa et les Foulbé, etc., l’usage de la parole pour conserver et transmettre les savoirs endogènes est reconnu aux griots en priorité et aux anciens aussi, alors que dans la zone méridionale, précisément dans les sociétés ethniques bassa et bamiléké entre autres à titre illustratif, seuls les anciens et des initiés sont admis comme dépositaires de cet art. Cela dit, autrefois, et aujourd’hui encore, quoique ce soit de moins en moins courant, la transmission en tant que mode de conservation des données culturelles, dont celles des souvenirs d’évènements festifs, revient aux anciennes générations et par ailleurs aux détenteurs de l’art oratoire que sont les conteurs. Il faut donc convenir que parmi les acteurs de la tradition orale, les plus connus sont bien sûr les vieillards. Ils ont 1'apanage du verbe et sont à ce titre au sommet de l’édifice social. Ils sont souvent les seuls à être habilités à annoncer certaines informations. Les griots 5

In Amoikon Dyhie ASSANVO et Souad ATOUI-LABIDI, Langues maternelles littératures et communication : quelles contributions au développement ? « La littérature orale à l’ère des réseaux sociaux numériques », Revue Akofena, spécial n°08, Vol.2, L3DL-CI Université Félix Houphouët Boigny, pp. 37- 46.

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sont des généalogistes, des chanteurs et des musiciens ; ils sont des agents transmetteurs et fixateurs de tous les évènements au sein de la société. Leur liberté de parole est illimitée. Les chefs du culte détiennent et véhiculent des informations suivant la caste d’appartenance6. De ce fait, les chansons qui ont autrefois accompagné les cadences pendant les célébrations diverses, les contes et les sagesses ancestrales transmises aux jeunes au cours de divers évènements sont perpétuées par ces derniers. Ils les délivrent sous forme d’archives enfouies dans leurs mémoires qu’ils partagent avec les nouvelles générations dans la perspective d’une continuité de la tradition ancestrale. Toutefois, ce mode de conservation des données connaît des limites ; il est éphémère comme toute parole l’est. Les données conservées dans la mémoire humaine disparaissent avec la mort de celui qui les porte, tant que celui-ci n’a pas pu la transmettre à d’autres personnes. Aussi, au cas où ces données sont transmises, la fidélité de leur transmission ou la réception par l’interlocuteur reste une préoccupation. C’est ici donc que résident les inconvénients de la conservation des données de souvenirs d’évènements festifs par « l’orature » ou la littérature orale. Il faut pour cela relever que l’oralité peut générer des déformations lors de la transmission des informations ou des messages. Ainsi, le transfèrement des valeurs culturelles d’une génération à une autre par le truchement de la langue parlée, ne représente pas toujours une garantie pour immortaliser les souvenirs festifs d’un peuple. À partir de cet éclairage, il y a lieu de comprendre le désir manifeste d’une conservation continue qui amène les peuples à adopter les procédés modernes qu’offrent les progrès technologiques et leurs corolaires en convergeant vers le tout numérique. De ce qui précède, il faut dire que ce travail ne consiste pas à décrire les techniques d’enregistrement, mais à démontrer comment la société camerounaise adopte le numérique comme espace et comme moyen de conservation des souvenirs de vie de ses membres. C’est dans ce sens que des témoignages de 6

Isabelle, DEGRAND, Collecte et gestion de la tradition orale au sud du Sahara, Villeurbanne, École Nationale Supérieure de Bibliothécaires, 1985 pp. 4-5.

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l’évolution des outils de conservation des données, notamment celles sonores, et leur appropriation par les populations ont été collectés. 1.2. Enregistrement de sons comme mode de conservation de souvenirs festifs L’enregistrement sonore est l’opération qui consiste à garder à travers l’usage de certains instruments relevant de l’électronique, la trace perpétuelle de la parole en vue de la réécouter plus tard. S’il est admis que l’enregistrement sonore est déjà très ancien, il ne faut pas perdre de vue qu’il a évolué. Son évolution reste indissociable de celui de l’électronique et de la mise au point des matières plastiques ou synthétiques (microsillon 33 tours), puis de l’informatique et des techniques du laser incluant notamment le minidisque, la cassette audio, le CD-Rom, la carte mémoire ou carte SD et la clé USB, etc. Ces instruments inventoriés ont servi et servent encore pour d’aucuns, à l’enregistrement, à la conservation et à la préservation des données sonores produites par percussion ou celles prononcées au cours des célébrations diverses au sein des groupes sociaux. Ainsi, certains instruments deviennent désuets et sont abandonnés quand d’autres font leur apparition. Aujourd’hui, l’utilisation des outils reconnus comme supports informatiques ne suffit pas étant donné les garanties limitées qu’ils présentent. Dès lors, certains de ces outils nécessitent le recours à d’autres qui soit aussi tourné vers le numérique avec plus de garanties de conservation durable comme l’ordinateur ou le téléphone portable. Ceux-ci offrent, en plus de disposer des mémoires de conservation des sons, des possibilités de transfert de ces sons vers les réseaux sociaux numériques admis comme plus efficaces et durables. Au Cameroun, loin des considérations d’appartenance des personnes interviewées au cours de la présente recherche, il se révèle que les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont gagné du terrain et continuent de bénéficier de la sollicitude des populations au point où les cassettes audio par exemple ont presque disparu de l’espace de la sonorisation. Elles sont donc devenues inutiles aux yeux de certaines personnes, tant 100

la transition vers des conservations numériques de souvenirs s’installe de manière irréversible. Avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication, précisément les supports ci-dessus inventoriés, il est possible de charger et de télécharger à volonté sur l’internet des quantités de données vocales. Ce qui importe aujourd’hui, c’est l’avantage que propose cet outil du numérique pour stocker, archiver et préserver les souvenirs à travers les données sonores dont on dispose. Faut-il le souligner, le stockage est l’enregistrement d’une donnée sur un support physique ? Dès lors, déplacer des données d’un support online vers un support off Line relève du stockage et non de l’archivage. L’archivage se distinguant donc du stockage par la notion de sécurité, car la modification est interdite, la destruction aussi, sauf sous contrôle strict. Toute action effectuée doit être tracée afin que l’objet à conserver garde sa valeur légale. L’archivage consiste à transférer une information dans un système de stockage sécurisé. Une fois une information archivée, elle ne peut être ni modifiée ni supprimée, excepté par une procédure contrôlée ; dans ce cas, elle est plutôt préservée. La préservation est le fait de maintenir matériellement les données archivées en état dans le temps7. Dans l’espace numérique, la préservation peut se faire au niveau physique dans un support de stockage, et/ou au niveau logique en format du fichier. La préservation est de ce fait incluse dans l’archivage, lequel veille à ce que ce qui est archivé soit préservé pour une exploitation ultérieure en l’état. Stocker, archiver ou préserver les souvenirs nécessite de disposer des supports et des moyens de connexion, de la couverture réseau d’accès à l’internet, et d’un réseau électrique alimenté ; ce qui n’est pas toujours possible pour le commun des Camerounais. Toujours est-il que de plus en plus, avec le développement de sociétés, il se dessine une convergence vers ce pattern de conservation qui s’impose comme le plus convaincant.

7Arnaud

HULSTAERT, Préservation à long terme de l’information numérique, Rendre l’information accessible durablement SMALS Koninklijke Prinsstraat 102 1050 Brussel Bruxelles, février 2010, p. 82.

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1.3. Souvenirs et photographie au Cameroun : digitalisation des images La photographie, comme technique d’enregistrement des sujets en images fixes, a elle aussi évolué. Elle « connaît un retentissement sans précédent et voit son rôle prendre de l’ampleur dans les années 1930 »8. Passée par la production d’images ou des vues en noir sur blanc et par les prises de couleur, la photographie s’est installée presque partout dans le monde pour immortaliser ce qu’Audrey LAURANS9 désigne par « les rituels familiaux (communions, mariages, réunions de famille, etc.) ». Ces rituels sont systématiquement accompagnés par la pratique photographique, comme elle le précise, pour immortaliser ce qu’il convient d’appeler la mémoire collective10. En contexte africain et camerounais précisément, la photographie a joué et joue toujours les mêmes rôles. Elle a été autrefois associée au prestige puisque tout le monde n’en avait pas accès. Toujours est-il qu’elle est restée le témoin vivant des faits passés pour les personnes qui avaient les moyens de la faire. Aujourd’hui encore, l’immortalisation des évènements par des photos souvenirs reste une pratique indissociée du quotidien. « Des photos sont prises pour marquer nos moments de communions les plus intenses », dit un informateur rencontré à Bafoussam. Ce dire révèle certes une fonction sociale de la photographie au sein des groupes, mais ne retrace pas la maturation de cette pratique qui remonte à des décennies et qui a atteint aujourd’hui une phase où le digital s’est imposé pour donner son caractère le plus attrayant. Depuis l’avènement du téléphone mobile numérique, tout le monde ou presque peut se faire instantanément des photos qui sont immédiatement visualisables pour combler son plaisir. Cette façon de faire contraste avec les techniques anciennes de photographie portées sur du papier à partir du cliché noir ou de celui en couleur. 8

Audrey LAURANS, Les mutations de la photographie de famille à l’ère du numérique. Comment la photographie de famille participe-t-elle à la construction et à la transmission de la mémoire familiale ? l’ENS Louis Lumière, 2014. 9 Idem. 10 Maurice HALBWACHS. La Mémoire collective, Paris : Albin Michel, 1997, p 94.

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Ainsi, faire des photos pour se souvenir dès le lendemain ou tout de suite, d’un moment particulièrement marquant de sa vie est devenu moins coûteux. Cette facilité trouvée dans la digitalisation de la photographie va pourtant plus loin, car les nouvelles technologies sont aujourd’hui des facteurs à l’origine d’une révolution. Celle-ci a abouti à l’exhumation dans la plupart des sociétés camerounaises, de vieilles photos, qu’elles soient en noir sur blanc, c’est-à-dire très anciennes, ou en couleurs, donc récentes. Ces photos en tant que souvenirs des faits relativement anciens permettent à travers le scanner ou digitaliseur, de reproduire à l’identique les situations passées qu’elles décrivent. C’est ce que le témoignage suivant d’un informateur illustre : « Moi je peux remonter à la troisième génération de mes ascendants et voir à quoi ressemblaient mes grands-parents. Mes enfants et mes petits fils auront aussi certainement le privilège de voir les images de leurs aïeuls parce que j’ai recueilli les vieilles photos que conservait mon père pour les numériser. D’ailleurs j’en ai partagé à tous mes proches pour que chacun puisse se souvenir de nos prédécesseurs »11.

Ce même informateur laisse entendre que tous les évènements qui donnent lieu aux cérémonies en famille telles que les naissances, les anniversaires, les mariages, les rites funéraires et les réussites à l’école ou au travail de ses proches, etc., sont constamment immortalisées et conservées. Il affirme : « Il y a moins d’une semaine de cela, nous célébrions la vie de nos parents décédés depuis plus d’une dizaine d’années ; nous ne nous sommes pas privés de nous photographier et de transférer les fichiers en ligne. Chez nous, chacun dispose d’au moins un compte dans les réseaux numériques qu’il visite en temps opportun ».

Pour présenter les avantages de la numérisation des données de ses souvenirs passés, un autre enquêté dit :

11

Entretien réalisé le 10/09/2022 avec Émile, un gérant de cybercafé, ressortissant de la région du Nord-ouest.

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« L’archivage des données dans la forme numérique permet la préservation des images face aux intempéries. L’autre avantage, c’est aussi la disponibilité d’accès au document, car de nos jours avec Google driver, c’est facile de stoker et de consulter son espace de stockage dès qu’on est connecté »12.

Par-là, il faut voir en la numérisation, le processus qui permet de convertir l’information consignée sur support papier ou sur film, c’est-à-dire des formulaires, rapports, cartes géographiques, correspondances, photographies, dossiers d’employés, etc., sous un format électronique ou sous forme d’images13. Elle se rapporte donc à la photographie électronique d’une information que l’enquêté ci-dessus entrevoit la conservation en ligne. Par ailleurs, en ce qui concerne l’inconvénient de l’archivage des photos en ligne, il faut dire que : « Les risques existent, car la sécurité n’est pas assurée à 100 %. En perdant son code d’accès à l’espace de stockage, il est possible que l’on ne recouvre plus ses archives. Plus encore, si un pirate arrive à entrer en possession du code d’accès à cet espace, le risque de ne jamais retrouver les traces des documents ainsi gardés devient évident »14.

À la suite de cet enquêté qui fait allusion au stockage en ligne des photos souvenirs, il ne faut pas perdre de vue que ces photos peuvent avoir été prises avec des téléphones ou tout autre appareil numérique possible. Aussi, il peut s’agir des images d’une autre époque qui ont été reproduites au moyen du numériseur ou de toute autre forme de copie digitale dans la perspective d’une conservation pérenne. Ainsi, la numérisation est une forme d’immatérialisation 12Entretien

téléphonique réalisé le 13 août 2013 avec Stéphane un Software Engineer and Data Analyst. 13Michel LÉVESQUE, Les documents électroniques et le calendrier de conservation ou les considérations d’un pauvre archiviste qui essaie de suivre l’évolution technologique. Texte remanié de la conférence dans le cadre du XXVIIe congrès de l’Association des archivistes du Québec à MagogORFORD, 29 mai 1998. Archives, Vol. 30, Numéros 3 et 4, p. 39. 14Michel LÉVESQUE, Les documents électroniques et le calendrier de conservation ou les considérations d’un pauvre archiviste qui essaie de suivre l’évolution technologique, op.cit.

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de leurs souvenirs par les personnes et groupes de personnes qui en font recours. Dans ce sens, Marlène15 pense que « le stockage en ligne des fichiers numériques permet de libérer de l’espace dans les téléphones et les autres supports tels que les CD-Rom, les clés USB, les ordinateurs et les cartes de stockage ». Ces supports sont susceptibles d’être endommagés ou perdus, au risque de perdre leurs contenus, dont les photos, entre autres. La digitalisation des modes de conservation des données d’évènements festifs transcende le temps et se projette dans le long terme. Les photos d’autrefois rangées dans des albums, potentiellement exposées à la destruction par les intempéries, les incendies, etc., conquièrent une longévité accrue quand elles sont conservées dans des supports numériques, et peut-être encore plus, lorsqu’elles sont déposées sur les réseaux sociaux numériques, sur internet. À ce propos, faut-il le retenir : « … les images contenues dans un album ont une durée limitée parce qu’elles peuvent être détruites par la moisissure. À l’heure du numérique, c’est vrai que tout le monde ne s’arrime pas aux nouvelles technologies, mais force est de constater qu’elles sont incontournables. Nous sommes obligés de nous accommoder en conservant les photos numériquement. Il s’agit en fait de créer par exemple une adresse électronique quelconque où, à tout moment, peu importe le milieu où nous sommes, que nous soyons à même de nous connecter et d’avoir accès à ces photos… »16.

De ce qui précède, il ressort que la photographie, comme technique de conservation des souvenirs festifs, présente aussi bien des avantages et des inconvénients au cours de son évolution. Les Camerounais en font recours et de plus en plus, ils délaissent les modes anciens de conservation comme ceux à travers les photos physiques gardées dans des albums. Ils adoptent de façon visiblement résolue les technologies nouvelles et les atouts qu’elles offrent pour de meilleures conservations des souvenirs des faits mémorables de leur vie.

15 Propos recueillis auprès de madame Marlene ressortissante de la région du Centre (Mbalmayo), le 05/08/2022. 16Entretien réalisé avec un professionnel de la photographie Benjamin le 20 juin 22 dans un studio de lavage de photos à Dschang.

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1.4. Vidéographie des évènements festifs et souvenirs collectifs Le présent article, sans avoir l’intention de distinguer les formes de vidéos, entend simplement évoquer celles-ci comme des procédés utilisés par des personnes et des groupes pour immortaliser les images animées de leurs activités. Il s’agit donc de concevoir ici la vidéo comme un mode d’enregistrement en vue de la conservation des faits, précisément des évènements à caractères festifs afin de les revivre ultérieurement, c’est-à-dire de les visionner à l’identique dans un futur qui soit proche ou lointain. Elle implique en plus des images que l’on envisage de visionner à volonté plus tard, l’écoute des sons qui les accompagnent de manière indissociable. Faire de la vidéographie c’est faire de la capture vidéo d’un écran ; cette pratique est également appelée en anglais screencast, qui découle de « screen », ou écran, et de « cast », ou projection. C’est donc réaliser un enregistrement vidéo d’un écran accompagné pour la plupart du temps d’une narration audio17. Ainsi, il faut comprendre que la vidéo associe images et sons certes, mais des images pas toujours animées, car il arrive qu’une vidéo soit faite d’une succession d’images fixes qui défilent les unes après les autres. En Afrique et au Cameroun dans différentes communautés, la vidéo est reconnue comme un mode privilégié de conservation des souvenirs de cérémonies festives du fait de son attractivité et de sa restitution des faits enregistrés quasiment à l’identique. Dans ce pays, le recours à l’enregistrement vidéo des moments de la vie est devenu habituel et pratiquement irremplaçable aux yeux de bon nombre d’acteurs sociaux. Au quotidien, il suffit d’effectuer une observation de comportements des personnes ayant des téléphones portables « numériques » pour apprécier à quelle cadence ils se servent de cet outil pour l’enregistrement de leurs activités. Pourtant, la vidéographie n’a pas vu le jour avec l’avènement des nouvelles technologies numériques. Avant l’incursion du téléphone portable, la vidéo a existé et depuis sa venue, faire de la vidéographie s’est accentué au sein de la société camerounaise. 17https://edutechwiki.unige.ch/fr/Vidéographie(cours_BASES)#Vidéographie

Consulté le 13 juillet 2022.

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Sans verser dans la rétrospective de l’avènement du numérique au Cameroun, il s’agit ici d’illustrer plutôt comment cette vidéographie converge vers un tout numérique. Dès lors, il faut convoquer les anciens supports, à savoir les cassettes jadis utilisées pour conserver les vidéos en leur possession par les familles. Photo 1 : Une cassette vidéo compatible avec le magnétoscope

Cliché : Armand TCHINENBA, le 4 septembre 2022.

Cet instrument connu de la plupart des Camerounais d’un âge relativement avancé, qu’ils aient eu à l’utiliser ou pas, devait être associé à un magnétoscope et à un téléviseur pour permettre de revivre les faits qui y sont inscrits pour être conservés. Aujourd’hui, il est totalement ou presque complètement absent des usages domestiques parce que substitué par de nombreux autres supports de conservation et de visualisation. Entre autres, les images ci-dessous en sont quelques illustrations. Photos 2, 3, 4, 5 : Des supports numériques de conservation de souvenirs

Clichés : Ismaïla Datidjo, le 8 septembre 2022.

Les images ci-dessus, respectivement un disque DVD, une carte SD, une carte mémoire, et une clé USB, ne sont que quelques supports numériques ayant substitué par exemple la cassette vidéo plus haut illustrée. Ils servent à la conservation au sein des 107

communautés au Cameroun, des images (photos et vidéos), et des sons assemblés lors des évènements marquants de leur vie. Au quotidien, ces outils ainsi représentés sont utilisés d’une manière ou d’une autre à cette fin. Pourtant, une pléthore d’autres instruments sert aussi à immortaliser les faits pour un usage ultérieur projeté dans le temps. Parce que la conservation dans ces supports ne propose pas toujours de garantie sur le moyen et le long terme18, au-delà de leur utilisation, la conservation des mémoires collectives par les familles et les sociétés élargies a désormais investi l’internet. Qu’il s’agisse de sons, de photos ou de vidéos, etc., leur stockage en ligne se fait croissant. Cependant, cette approche de conservation sur l’internet des données revêt des inconvénients, car le trafic des vidéos par exemple sur l’internet grandit au point où 82 % du trafic en ligne devrait être consacré à la vidéo19. « De nos jours, au regard de l’accroissement du trafic des vidéos en ligne, il faut dire que celles-ci, une fois trafiquées, sont utilisées à des fins peu orthodoxes et parfois pour un règlement de compte par des individus »20. Par ailleurs, des enquêtés pensent qu’il s’impose de disposer de l’énergie électrique pour l’alimentation du support de connexion, car disent-ils, l’on peut vouloir aller en ligne sur son moteur de stockage, mais ne pas pouvoir, parce que la batterie de son téléphone ne dispose pas de l’énergie nécessaire. Ils évoquent en plus le déficit parfois récurrent du réseau de connexion à l’internet et le manque de crédits d’accès à cet espace virtuel. Au regard des soucis rapportés au sujet de l’internet et des supports matériels qui lui sont associés et par lesquels il est possible d’atteindre son espace de stockage en ligne, il faut admettre que, préserver son patrimoine culturel sur la toile c’est le fragiliser. À ce propos, il faut convenir avec Thomas

18Ces outils peuvent être altérés pour plusieurs raisons, tout comme ils peuvent se perdre. Aussi, leur utilisation optimale nécessite le recours à d’autres supports et à des sources d’énergie permanentes et stables. 19In www.abime-concept.com. Consulté le 13 juillet 2022. 20Entretien téléphonique réalisé avec un informateur le 11 juillet 2022 à N’Gaoundéré.

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CHAIMBAULT21 que d’un point de vue culturel, il est important de savoir prendre suffisamment du recul sur ses propres pratiques et la production documentaire, car si on n’y prend pas garde, un certain nombre de données disparaitront. Avec le développement rapide des technologies, il risque d’être moins aisé de retrouver les informations contenues sur une disquette à l’heure des services en ligne que de redécouvrir des archives papier oubliées au fond d’un grenier ou d’une salle dédiée à l’archivage. Par-là, il se révèle que la transition vers la conservation numérique en ligne des données d’évènements festifs est un fait certes, mais il renferme des limites au même titre que les modes anciens de conservation, c’est-à-dire ceux portés par l’activité et la mémoire de l’homme, ceux reposant sur des supports physiques à l’image du papier, sur des outils électroniques ou encore sur des dispositifs numériques aujourd’hui admis comme désuets. 2. Discussion Elle s’articule autour de la digitalisation comme approche reconsidérée de conservation des souvenirs, des supports numériques en tant qu’outils de conservation virtuelle de ces souvenirs et de la convergence en généralisation vers le digital dans la perspective d’une meilleure conservation des mémoires collectives. 2.1.

Digitalisation : pour une approche revisitée de conservation des souvenirs

L’avènement des technologies nouvelles s’est opéré au début des années 2000 au Cameroun. L’introduction de l’informatique dans ce pays s’est matérialisée avec l’exonération des droits de douane pour le matériel informatique annoncée en 2000 et

21Thomas

CHAIMBAULT, L’archivage du web, dossier documentaire, école nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (enssib). In https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/1730-l-archivage-duweb 2008, 54 p).

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l’utilisation de la fibre optique par CAMTEL22. L’accès et l’utilisation des TIC23 vont ainsi connaître une croissance exponentielle. Avant l’introduction de l’informatique en 200024, l’accès à l’internet n’a été réservé qu’à quelques personnes ayant les moyens de se l’offrir. Avec l’introduction des technologies nouvelles, environ 112 télécentres communautaires ont été inaugurés dans les dix (10) régions du Cameroun pour que les communautés locales et décentralisées utilisent les potentialités des TIC et les ressources numériques pour le développement de leurs propres contrées25. Depuis lors, l’exploitation des outils des nouvelles technologies s’est accentuée et concerne désormais presque tous les domaines de la quotidienneté. C’est dans cette mouvance que les évènements festifs se sont retrouvés embarqués dans la digitalisation pour une conservation qui tranche avec les pratiques anciennes. 2.2. Supports numériques et conservation virtuelle des souvenirs festifs Les nouvelles technologies utilisées pour la conservation de souvenirs festifs par les Camerounais de toutes catégories sociales, notamment les jeunes en phase avec l’évolution technologique, intègrent désormais l’espace virtuel qu’est l’internet. À cet espace virtuel se sont associés les supports tels les ordinateurs, les Clés USB, les Cartes mémoires, les disques durs, etc. Comme un tout indissocié, l’internet et les outils des TIC se sont érigés en centres d’intérêt pour les jeunes générations. Par ailleurs, il convient de ne pas perdre de vue qu’il existe nombre de prestataires de stockage en ligne qui accordent des espaces à leurs usagers. De ces prestataires, pCloud permet le stockage de données d’une capacité pouvant atteindre jusqu’à 22

Cameroun Télécommunication, l’opérateur public de téléphonie du Cameroun depuis 1998. 23 Technologie de l’information et de la communication. 24 Ruth Mireille MANGA EDIMO, Les TIC, nouvelles formes d’action politique, dans Afrique Contemporaine, 2010/(n°234), pp.127-140. 25Marceline DJEUMENI TCHAMABE, « L’enseignement de l’informatique au Cameroun : la loi du plus riche », consulté le 9 juillet 2022 à edutice.archives-ouvertes.fr.

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10 Go ; kDrive, 3 Go ; Google drive, 15 Go ; OneDrive, 5 Go ; Dropbox, 2 Go. Aussi, des personnes procèdent en s’autoenvoyant des données dans leurs propres comptes mails ou en les envoyant à leurs contacts dans n’importe quel autre réseau social en ligne. Ces procédés constituent donc des moyens de conservation de certains souvenirs festifs auxquels il est possible d’accéder en temps opportun. 2.3. Ruée vers le tout numérique La transition vers le numérique pour la conservation des souvenirs des évènements festifs gagne de plus en plus du terrain. Certes les jeunes Camerounais, plus que les anciens s’adonnent aux technologies nouvelles, mais il ressort que des générations relativement anciennes aussi ne se privent pas d’en faire autant, surtout avec l’invasion du quotidien par la téléphonie numérique qui les amène s’approprier les nouveautés à leur portée. Le téléphone portable digital est de nos jours, l’outil technologique le plus utilisé des Camerounais26, non pas seulement dans le sens de communiquer avec leurs congénères sociaux, mais aussi pour y conserver des informations ou pour s’en servir et transférer ces données sur le web dans un quelconque espace virtuel de stockage. La transition vers la digitalisation des données remet de ce fait en cause les méthodes traditionnelles de conservation des souvenirs des évènements festifs au sein des sociétés au Cameroun. Compte tenu de l’évolution des Technologies de l’Information et de la Communication, et au regard de la mutation des techniques anciennes de conservation des données de souvenirs festifs vers le digital, les évènements marquants pour les personnes et les groupes de personnes se perpétuent. Le constat qui se dégage fait état de l’appropriation continuelle de ces technologies qui donnent d’investir les espaces virtuels des supports numériques et l’internet 26Le

Camerounais moderne a apprivoisé le téléphone portable, cet outil indispensable dont la possession et l’utilisation en sont une nécessité. Cf. Ismaïla Datidjo, Les révoltes sociales au Cameroun. Violence et antiviolence, Paris, L’Harmattan, 2022. En citant le Rapport Digital 2020 pour le Cameroun, il rapporte que près de 8 millions d’internautes, dont 50 % sont sur les réseaux sociaux. Les chiffres clés sur la téléphonie mobile et l’internet au Cameroun en 2018 font état de 19 millions d’abonnés.

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dans la perspective d’une conservation optimisée de leurs souvenirs les plus chers. Les photos souvenirs sont progressivement en train de déserter les espaces physiques même si rien ne présage d’un abandon total de l’utilisation des supports-papier pour les tenir dans des albums photo. Ce qui est évident, c’est leur utilisation croissante dans des versions virtuelles, numérisées qui sont aussi bien conservées dans des supports numériques « amovibles » que dans les espaces contenus sur l’internet. Une autre évidence selon Jonas est que la transition des modes de conservation des souvenirs de fêtes et autres cérémonies collectifs vers le digital « n’est pas un choix pour la jeune génération, mais une obligation, car le digital a gagné du terrain et s’impose à tous, que ce soit les jeunes ou les vieillards »27. De ce qui précède, il s’agit d’admettre que la ruée vers le numérique est un processus enclenché dont la réversibilité est inenvisageable en contexte camerounais, tant il correspond à celui du village mondial totalement ou presque totalement embarqué dans la même mouvance. Par cette mouvance, il faut de ce fait y voir une révolution profonde qui voudrait que les sociétés basculent vers l’immatériel. Le matériel étant encombrant, les dimensions de la vie en société tendent en effet à s’en défaire. Conclusion Tout au long de l’analyse développée dans la présente réflexion, il s’est agi de rendre compte du processus de convergence des modes de conservation de souvenirs d’évènements festifs au Cameroun, vers de nouvelles approches inspirées par les Technologies de l’Information et de la Communication. Il en ressort que la conservation des données relatives aux cérémonies marquantes en Afrique et au Cameroun en l’occurrence relève d’une déposition de la tradition reconnue aux seuls griots et anciens de la société et aux autres agents de transmission des valeurs, à savoir les détenteurs de l’art oratoire que sont les conteurs. Dans ce contexte-là, l’oralité entendue comme mode primaire de conservation des données relatives aux évènements 27

Entretien réalisé avec Jonas le 10 juin 2022 à Dschang.

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festifs servait de principal support. Elle assurait donc la transmission, et par-là, la conservation des savoirs endogènes. La tradition orale était alors associée à l’organisation périodique et cyclique des évènements ; ce qui permettait aussi d’assurer la conservation des souvenirs des évènements festifs et autres pratiques culturelles. Sans être totalement bannie de la société contemporaine camerounaise, l’oralité a tout de même d’abord concédé la sphère de conservation des données d’évènements à caractères festifs à d’autres moyens admis comme élémentaires. Ceux-ci sont basés sur les prises de photos, les enregistrements sonores à travers les magnétophones et cassettes audio, ou encore, sur la vidéographie. Cette série ainsi répertoriée s’est principalement appuyée sur le développement de l’électronique dont les supports techniques ont servi et servent quelque peu encore, à la conservation des évènements marquants, ceci dans un contexte mondial marqué par l’invasion du digital. Avec l’incursion du digital justement, l’analyse fait état d’un basculement de l’approche de conservation des données des moyens primaires et secondaires sus-évoqués, moyens compris comme « traditionnels », vers le modèle de numérisation admis comme efficace. Par là, il faut voir un processus transitoire qui matérialise le délaissement des modes anciens de conservation des données et l’adoption progressive des offres des nouvelles technologies numériques. Toutefois, il se révèle que le renoncement en cours aux moyens « traditionnels » reste loin d’être un fait accompli, car ceux-ci subsistent et sont toujours utilisés, quoique de façon amoindrie, aux côtés des technologies nouvelles. Dans un contexte de conciliation des technologies numériques et des moyens anciens pour la conservation des souvenirs festifs, la préoccupation en termes de garanties qu’offrent les approches auxquelles les Camerounais font recours fait état de ce que, certes les TIC sont les plus indiquées aux yeux des personnes qui les utilisent, mais elles possèdent elles aussi des limites avérées, surtout quand l’utilisateur ne sait pas en faire usage. Aussi, l’inconvénient de leur utilisation réside dans le caractère altérable des supports numériques, l’indisponibilité ou l’instabilité de l’alimentation électrique et du réseau de connexion à l’internet, car celui-ci est sollicité à travers les réseaux sociaux qu’il héberge ou par l’entremise des espaces de stockage qu’il contient entre autres. 113

Aujourd’hui, l’internet est devenu le centre de convergence des données de plus en plus numérisées, qu’elles remontent à un lointain passé ou qu’elles soient récentes. Auprès d’un échantillon diversifié de Camerounais du point de vue ethnique et de provenance géographique, les informations collectées témoignent de ce que les techniques de conservation d’autrefois sont reproduites et de plus en plus, la conservation des évènements festifs converge vers le tout numérique. Les fêtes et les festivals, les mariages, les naissances et les cérémonies funéraires, les promotions et autres ascensions sociales sont gardés en souvenir à travers l’utilisation des technologies digitales. Les photographies et les sons relativement anciens y compris, sont progressivement exhumés de leurs espaces de conservation d’antan pour être désormais mieux conservés au moyen des technologies nouvelles, au même titre que les vidéographies qui sont plus soumises que par le passé à la loi du digital. Références bibliographiques BOVET J., Pour une poétique de la voix dans le théâtre classique, Montréal, Université de Montréal, 2003. DJEUMENI TCHAMABE M., « L’enseignement de l’informatique au Cameroun : la loi du plus riche », consulté le 9 juillet 2022 à edutice.archives-ouvertes.fr. DJEUMENI TCHAMABE M., Pratiques pédagogiques des enseignants avec les TIC au Cameroun entre politiques publiques et dispositifs technopédagogiques, compétences des enseignants et compétences des apprenants, pratiques publiques et pratiques privées, thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Université René Descartes-Paris V, 2010. FRANÇOIS R., Dictionnaire général de la langue française, Bibliothèque principale de Lyon, 1932, 2. HULSTAERT A., Préservation à long terme de l’information numérique, Rendre l’information accessible durablement SMALS Koninklijke Prinsstraat 102 1050 Brussel Bruxelles, février 2010. DATIDJO I., Les révoltes sociales au Cameroun. Violence et antiviolence, Paris, L’Harmattan, 2022. 114

KABORE B., In AMOIKON Dyhie ASSANVO et Souad ATOUI-LABIDI, Langues maternelles, littératures et communication : quelles contributions au développement ? « La littérature orale à l’ère des réseaux sociaux numériques », Revue Akofena, spécial n° 08, Vol.2, L3DLCI Université Félix Houphouët Boigny, 2020, pp. 37 - 46. LAURANS A., Les mutations de la photographie de famille à l’ère du numérique. Comment la photographie de famille participe-t-elle à la construction et à la transmission de la mémoire familiale ; l’ENS Louis Lumière, 2014. MANGA EDIMO R., M., Les TIC, nouvelles formes d’action politique, dans Afrique Contemporaine, 2010/(n° 234), pp.127-140. HALBWACHS M., La Mémoire collective, Paris : Albin Michel, 1997. POUPEAU G., La conservation des données numériques n’est ni une révolution, ni inatteignable, consultable sur http://www.lespetitescases.net/laconservation-desdonnees-numeriques-n-est-ni-une-revolution-niinatteignable. CHAIMBAULT T., L’archivage du web, dossier documentaire, école nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (enssib). In https://www.enssib.fr/bibliothequenumerique/notices/1730-l-archivage-du-web 2008. ZUMTHOR P., Introduction à la poésie, Paris, Éditions du Seuil, Coll. « Poétique », 1083. ZUMTHOR P., L’oralité-un inédit de Paul Zumthor, Revue Intermédiarités, n° 12, Automne 2008, pp.164-167.

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La gouvernance de la recherche en éducation au Cameroun : une analyse à partir de l’écart des profils académiques des directeurs de mémoire des étudiants en sciences de l’éducation Mama CHANDINI Enseignant-chercheur, École Normale Supérieure, Université de Bertoua (Cameroun) [email protected] Résumé L’article montre, d’un point de vue de l’analyse de la gouvernance heuristique, que la pénurie de spécialistes en éducation et la gestion inappropriée des ressources humaines existantes dans ce domaine au Cameroun favorisent l’intrusion des spécialistes des disciplines étrangères dans la direction des mémoires des étudiants en sciences de l’éducation. L’incompatibilité des profils académiques des directeurs de mémoires en quête de satisfaction du besoin d’accomplissement personnel entraine des approches de recherche inadéquates et des postures épistémologiques préjudiciables à la qualité des travaux de ces étudiants, ce qui contribue à compromettre les chances d’expansion et d’émancipation des sciences de l’éducation et à rendre incertaines les perspectives de cette discipline. Pour y remédier, une conversion des schèmes mentaux, la mutualisation des ressources disponibles, une politique de promotion de la formation doctorale, un audit de conformité régulier et la professionnalisation de la pratique de direction des recherches sont préconisés afin d’améliorer le management de la qualité dans ce secteur. Mots-clés : Gouvernance, recherche, profils académiques, directeurs de mémoires, Cameroun.

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Abstract The article shows, from the point of view of heuristic governance analysis, that the shortage of specialists in education and the inappropriate management of existing human resources in this field in Cameroon favour the intrusion of specialists in foreign disciplines in the supervision of the dissertations of students in education sciences. The incompatibility of the academic profiles of dissertation supervisors in search of satisfaction of their selfactualization need leads to inadequate research approaches and epistemological postures that are detrimental to the quality of the work of these students, which contributes to compromising the chances of expansion and emancipation of the educational sciences and makes the prospects of this discipline uncertain. To remedy this, a change in mental patterns, the pooling of available resources, a policy of promoting doctoral training, a regular compliance audit and the professionalization of research management practice are recommended to improve quality management in this sector. Keywords: Governance, research, academic profiles, dissertation supervisors, Cameroon. Introduction Au Cameroun, le développement de la recherche en sciences de l’éducation se heurte encore à la difficulté à mobiliser et à disponibiliser quantitativement et qualitativement les ressources humaines adéquates en vue d’assurer efficacement la direction des travaux de recherche des étudiants. Cette situation a des causes aussi bien lointaines — qui remontent à la formation doctorale des spécialistes en sciences de l’éducation dans ce pays1 — (Tsafak, 1994), qu’immédiates — qui émanent de la mauvaise planification 1

La formation doctorale en éducation est d’introduction récente au Cameroun. C’est dans les années 2006-2007 que les premières thèses de doctorat sont soutenues au Cameroun, notamment à la Faculty of Education de l’Université de Buea. Avant cette période, les spécialistes des sciences de l’éducation recevaient leur formation à l’étranger.

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des programmes et activités de recherche, du déficit et de la gestion inappropriée des ressources humaines existantes. Ces facteurs ont pour corolaire l’incursion d’enseignants-chercheurs dans les activités d’encadrement de ce champ disciplinaire qui leur est complètement étranger. On peut remarquer que dans l’environnement de la recherche en éducation au sein de certaines universités camerounaises, l’attention est beaucoup plus focalisée sur l’évaluation de la qualité des travaux de recherche des candidats pendant les soutenances que sur le processus d’encadrement desdits travaux. Cet état de choses soulève des questionnements sur les compétences des spécialistes des différents domaines scientifiques commis à la direction des travaux de recherche des étudiants. En effet, on constate de plus en plus que des universitaires, spécialistes des disciplines étrangères aux sciences de l’éducation, ont investi le terrain de la direction des mémoires des étudiants dans ce champ d’études à l’École normale supérieure (ENS) de l’Université de Bertoua. Cette tendance intrusive est adossée à la pénurie des enseignants-chercheurs dans le secteur de l’éducation et le caractère « pluridisciplinaire », « interdisciplinaire » et « transdisciplinaire » de ce champ scientifique (Tsafak, 2001, p. 64). À cet égard, l’auteur faisait déjà remarquer que : « La recherche en éducation est un domaine du savoir disputé par les spécialistes des disciplines fondamentales classiques et ceux de l’éducation » (Tsafak, 2001, p. 69). À titre d’illustration, les spécialistes de chimie, des langues et littératures, d’économie, d’anthropologie, de sociologie, de philosophie, d’histoire, de physiologie, etc. sont engagés comme directeurs des mémoires de sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua, sans toutefois être soumis à aucune supervision scientifique ou à aucun contrôle institutionnel. Cette réalité est d’autant plus problématique que ces enseignants-chercheurs ne justifient ni d’une formation académique ni d’une expérience heuristique antérieure dans le domaine de l’éducation. Pourtant, cette dimension de la profession enseignante impose de multiples conditions d’ordre scientifique, technique, administratif et institutionnel essentiel et exige des connaissances et des compétences spécifiques appropriées pour un accompagnement de qualité (Jutras, Ntebutse et Louis, 2010 ; Prégent, 2001). Cependant, d’après 119

Denis et Lison (2016), des études montrent que la recherche concernant l’encadrement des étudiants des cycles de recherche reste encore « mal articulée et sous-théorisée » (Halse et Malfroy, 2010) et se révèle être un secteur en émergence. 1. Problématique de la recherche La situation ainsi observée entraine des dysfonctionnements tant dans les dispositifs d’encadrement que dans l’intervention des acteurs. Ceux-ci se manifestent par des approches de recherche inappropriées, des divergences entre directeurs de mémoires et encadrés, la détérioration du climat entre les enseignants de spécialités différentes pendant les jurys de soutenance. En effet, la majorité de ces universitaires, issue des disciplines fondamentales classiques, qui se retrouve à diriger les travaux de recherche des étudiants en éducation, ne justifie pas de qualification spécifique d’experts en la matière. Cela suscite de vives critiques et stimule des controverses sur la qualité des mémoires produits par les étudiants et affecte le rendement des candidats qui se trouvent généralement déboussolés, car ils sont écartelés entre les prescriptions des enseignements reçus pendant les cours de méthodologie de la recherche en éducation et les orientations méthodologiques différentes imposées par ces directeurs. « La plupart du temps, nous sommes confus, voire perdus par rapport aux orientations données par notre encadreur, car nous avons l’impression qu’il ne comprend pas notre travail », s’indigne une candidate. En plus, ces enseignants aux profils divers sont aussi associés au processus d’évaluation pendant les soutenances des mémoires en qualité soit de rapporteur, d’examinateur ou de président de jurys. À cette occasion, on observe que des mésententes émanant des critiques suscitent régulièrement des polémiques entre membres du jury, chacun essayant de ramener les termes du débat dans le cadre du champ disciplinaire auquel il appartient. Ces incompréhensions se transforment parfois en affrontements ouverts. Elles portent essentiellement sur les discordances des approches méthodologiques et des positions épistémologiques inhérentes aux différences de spécialités entre évaluateurs. Quand on sait que chaque discipline scientifique a son objet, sa méthode, 120

ses concepts et sa terminologie, on est en droit de se poser la question suivante : un enseignant-chercheur de n’importe quel champ disciplinaire peut-il efficacement conduire la direction des recherches en sciences de l’éducation ? Cette mainmise scientifique allogène, qui tend à banaliser la recherche éducationnelle, conduit à installer dans les mentalités des enseignants-chercheurs de l’ENS de Bertoua l’idée selon laquelle l’activité de recherche en éducation peut être dirigée, suivie et évaluée par n’importe quel spécialiste d’une discipline universitaire autre que les sciences de l’éducation. C’est la raison pour laquelle de nombreux enseignants, appartenant à d’autres filières d’études, se bousculent généralement aux portes du département des Sciences de l’éducation de cette institution pour bénéficier de la « faveur » de diriger les mémoires des étudiants. Or, on sait très bien que, en tant que science constituée, et d’un point de vue strictement épistémologique, les Sciences de l’Éducation ne doivent pas être un no man’s land, mais un « champ borné » afin que les spécialistes des autres disciplines scientifiques qui le traversent et parfois s’y installent se rendent compte que ce secteur d’études et de recherche a ses méthodes, un contenu et un objet spécifique (Tsafak, 2001, p. 41).

La contrariété ainsi observée pourrait affecter négativement l’accompagnement des candidats et déteindre sur la qualité des mémoires produits par ces derniers. Cet état de choses pose le problème de l’écart entre les profils académiques, donc de la discipline et des compétences scientifiques des directeurs de recherche, et les exigences scientifiques du champ disciplinaire couvert par les mémoires qu’ils dirigent, en l’occurrence les sciences de l’éducation. Dans ce contexte, les exigences de l’assurance qualité (Lacroix et Maheu 2012 ; Lewis, 2011 ; Martin et Stella, 2007) et les préoccupations d’ordre éthique pourraient être hypothéquées par les irrégularités sur la conformité des profils académiques des directeurs de recherche en éducation avec les exigences disciplinaires et les spécificités scientifiques des sciences de l’éducation. Au regard du problème qui se pose, la présente contribution cherche à savoir dans quelle mesure la diversité des profils académiques des directeurs de mémoires à 121

l’ENS de Bertoua influence la qualité de l’encadrement des travaux de recherche des étudiants en sciences de l’éducation. L’analyse vise à examiner les profils académiques des directeurs de mémoires des étudiants en éducation et à évaluer leurs effets sur la qualité des travaux scientifiques de ces derniers. 2. Cadre de référence de l’étude Cette réflexion s’inscrit dans le cadre de la recherche sur la gouvernance heuristique, dans la perspective de l’amélioration du management de la qualité de l’encadrement des travaux de recherche des étudiants en sciences de l’éducation. Ces étudiants à l’ENS de Bertoua sont répartis dans deux filières au sein du département éponyme : la série Sciences de l’Éducation et la série « Conseillers d’Orientation ». La formation, d’une durée de deux ans après la licence, prépare respectivement au Diplôme de Professeurs des Écoles normales (d’Instituteurs), deuxième grade (DIPEN II) et au Diplôme de Conseillers d’Orientation (DIPCO). Elle est sanctionnée par la réalisation et la soutenance d’un mémoire professionnel de fin de formation, équivalent d’un master I recherche en sciences de l’éducation. Les profils académiques des directeurs de mémoires renvoient à l’identité professionnelle d’appartenance desdits directeurs (Cattonar, 2001). Ils renseignent sur le cursus académique, la référence scientifique et la filiation disciplinaire des directeurs. Le directeur de mémoire fait figure de médiateur entre l’objet de recherche, les différents savoirs à mobiliser, et le candidat (Jutras, Ntebutse et Louis, 2010). À cet égard, sa spécialité disciplinaire doit correspondre à la matière de recherche, car il se doit d’avoir la maîtrise du champ de recherche dans lequel il s’engage (Gerard, 2009). Dans ce travail, une recherche de qualité est celle dont la forme, la structure et la méthode sont conformes aux exigences scientifiques des sciences de l’éducation. La diversité des profils académiques des directeurs de mémoires en sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua et leur éloignement scientifique de ce champ d’études font d’eux des acteurs étrangers à cette spécialité. L’identité professionnelle de

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ces personnes est alors problématique, ce qui devrait logiquement les disqualifier de la direction des recherches en éducation. Denis et Lison (2016) ont procédé à un tour d’horizon de la littérature disponible dont la présente étude s’inspire. Il en ressort qu’en Angleterre, dès 1963, la Commission Robins se penchait sur la négligence des directions de recherche aux cycles supérieurs comme enjeu pour l’amélioration de la formation (Voyer, 1992), car des chercheurs se questionnaient déjà sur le fait que la direction ne soit soumise à aucune contrainte ni aucun contrôle. Par ailleurs, aux États-Unis et au Québec, l’encadrement est vu comme essentiel à toute action visant l’amélioration des études supérieures (Halse et Malfroy, 2010). De même, certains auteurs établissent qu’il est un instrument formel de développement pédagogique permettant d’offrir une formation de plus grande qualité dans le supérieur (Emilsson et Johnsson, 2007). L’environnement socio-économique concurrentiel dans lequel l’université évolue, marqué par des transformations rapides et l’explosion des savoirs (Halse et Malfroy, 2010 ; Lessard, 2007) accroit également les attentes de la société quant à la production, à la diffusion et au transfert des connaissances scientifiques (Lessard, 2007). Dans ce contexte en pleine mutation, Hammond et al. (2010) relèvent qu’il est impératif d’engager des discussions approfondies et constructives sur la « pédagogie de l’encadrement » à l’effet de réexaminer les pratiques actuelles d’encadrement et d’en faire émerger de nouvelles (Malfroy, 2005). Dans cet environnement, les enseignants-chercheurs devraient nécessairement posséder les compétences pédagogiques utiles à l’exécution des tâches d’encadrement spécifiques dans une discipline avant de s’y engager (Lessard, 2007 ; Lison et Jutras, 2014). Pour Skakni (2011), l’accessibilité du directeur de recherche, sa disponibilité et sa compatibilité avec la discipline, la personnalité, les intérêts et les besoins de l’étudiant constituent les éléments les plus favorables à la persévérance scolaire aux cycles de recherche. McCallin et Nayar (2012) et Royer (1998) soulignent qu’une direction de recherche inadéquate, lacunaire, négligente ou insatisfaisante risque d’augmenter chez l’étudiant le stress, la démotivation, de même que l’isolement intellectuel et, d’allonger la durée ou de provoquer l’abandon de ses études.

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En fait, la tâche du directeur de recherche est la plus complexe et la plus sensible dans laquelle puisse s’engager un enseignantchercheur (Prégent, 2001 ; Royer, 1998), car l’encadrement comporte des aspects requérant des compétences particulières et des aptitudes spécifiques (Debeurme, Lison et Nootens, 2010 ; Prégent, 2001). Cette tâche se situe, selon Smit (2010), à l’intersection de l’enseignement et de la recherche et devrait être considérée comme une forme de pédagogie complexe qui varie foncièrement d’une discipline à l’autre. Amundsen et McAlpine (2009) rapportent qu’en général, les enseignants s’initient à la direction de recherche à travers l’expérience personnelle qu’ils ont vécue à titre de doctorants en se positionnant par rapport à leurs champs disciplinaires respectifs et à leurs ressentis individuels (Debeurme et al., 2010 ; Emilsson et Johnsson, 2007 ; Manathunga, 2005). Pourtant, la direction de recherche requiert un minimum de préparation systématique (Amundsen et McAlpine, 2009 ; Turner, 2015 ; Voyer, 1992 ; Wisker et Kiley, 2014). En effet, Debeurme et al. (2010) sont d’avis que l’encadrement ne s’improvise pas et qu’il nécessite une formation appropriée puisque la qualité des travaux de recherche et leur contribution au développement de la société en dépendent. Le recours aux théories de la motivation humaine au travail permet d’appréhender que, dans une organisation, les individus soient animés par des types de besoins, ce qui les amène à opérer des choix qui peuvent se révéler antinomiques, fantaisistes ou contreproductifs. C’est ainsi que le besoin d’accomplissement personnel, théorisé par Maslow (1970) et McClelland (1961), sert de fondement explicatif au phénomène d’incursion des spécialistes des autres disciplines dans la direction de recherche en sciences de l’éducation. Ces auteurs pensent que les conduites humaines sont dictées par la satisfaction de certains besoins parmi lesquels celui d’accomplissement qui se situe au sommet de la hiérarchie des besoins. En fait, les filières des sciences de l’éducation constituent la spécialité où l’on retrouve un nombre élevé de candidats, alors que les autres filières de l’ENS de Bertoua n’ont pas un second cycle qui donnerait l’opportunité à tous leurs enseignants de se réaliser dans des directions de mémoires, indispensables à la promotion dans leur carrière. Du coup, les enseignants des autres filières d’études, qui parfois n’ont pas leurs spécialités dans cette 124

école2, cherchent plutôt à atteindre leurs buts d’accomplissement personnel (Ames, 1992 ; Butera et Darnon, 2005 ; Elliott et Dweck, 1988 et Nicholls, 1984) en allant assurer la direction des étudiants en sciences de l’éducation. 3. Démarche méthodologique Les mémoires de DIPCO et de DIPEN II constituent l’unité d’analyse de cette recherche qualitative de type exploratoire. La collecte des données s’est faite à partir de l’observation participante, de la recherche documentaire et de l’entretien semi-dirigé. Grâce à la « technique de choix typique » (Savoie-Zajc, 2000, p. 180), 40 candidats auxdits diplômes en formation initiale des cohortes 2020-2021 et 2021-2022, 20 directeurs de mémoires, trois responsables académiques chargés des questions de recherche, 15 membres de jurys et huit enseignants de sciences de l’éducation, ayant requis l’anonymat, ont été interviewés. La démarche a successivement consisté à suivre chaque candidat de l’échantillon dans son cheminement de recherche avec son directeur ; à recourir aux différents responsables académiques pour nous enquérir de la conformité des procédures avec la réglementation, les canons, et la tradition en matière de direction de recherche ; à assister, dans des jurys de soutenance, aux interactions entre les acteurs concernés pour évaluer l’efficacité des pratiques de direction sur les travaux de recherche ; à procéder à une lecture analytique des mémoires produits par les candidats et à recueillir l’avis des spécialistes des sciences de l’éducation sur l’adéquation des approches de recherche utilisées avec les normes et standards en vigueur dans les sciences de l’éducation. L’analyse et l’interprétation des données se sont opérées à l’aide de l’étude de contenu à orientation thématique (Bardin, 2007). L’étude s’est déroulée entre mars 2021 et novembre 2022 à l’ENS de l’Université de Bertoua, au Cameroun. 2

Certains enseignants-chercheurs appartiennent à d’autres universités, et se retrouvent dans cette école par suite de nomination à un poste administratif et ne peuvent s’accomplir qu’en sollicitant des encadrements au département des Sciences de l’éducation. Ce sont des enseignants de science politique, d’économie, de gestion, etc.

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4. Examen des profils académiques des directeurs de mémoires en sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua L’investigation montre que 15 disciplines, représentées dans le tableau ci-après, caractérisent les profils des directeurs des mémoires en sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua. Tableau n° 1 : répartition des encadrements selon le domaine disciplinaire des directeurs de mémoires Domaines disciplinaires des directeurs de mémoires

Nombre de mémoires encadrés par année académique

2020-2021

2021-2022

Langue et littérature espagnoles 10 3 Langue et littérature françaises 5 2 Science politique 3 / Sciences économiques 8 4 Sciences de gestion 6 5 Anthropologie culturelle 14 5 Sociologie du développement 6 8 Psychologie 3 5 Philosophie morale et politique 5 2 Chimie 9 2 Histoire / 6 Biologie / 1 Physiologie / 5 Sciences de l’éducation / 5 Géographie / 2 Totaux 69 55 Source : Département des Sciences de l’éducation, ENS de Bertoua (2022).

Il apparait que sur un ensemble de 124 mémoires encadrés, cinq ont été dirigés par des spécialistes des sciences de l’éducation et 119 par des encadreurs étrangers à la discipline, ce qui représente un taux de 93,8 % de travaux des sciences de l’éducation dirigés par des spécialistes des disciplines étrangères, 126

contre 6,2 % encadrés par les spécialistes du domaine de l’éducation. Cette tendance montre que la direction des mémoires des étudiants en sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua est essentiellement assurée par des profanes, ce qui aurait une influence sur la qualité de la recherche dans cet établissement. 5. Analyse de la pratique de direction des mémoires de sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua L’analyse de la pratique de direction des mémoires s’effectue à partir des facteurs tels que la méthode de choix du sujet et la procédure d’attribution des encadreurs aux étudiants, le déroulement de la direction de la recherche proprement dite, et l’évaluation pendant la soutenance. 5.1. Méthode de choix du sujet et procédure d’attribution des encadreurs aux étudiants Le choix et la formulation du sujet se font au premier semestre du niveau 4, c’est-à-dire en première année du second cycle, alors que les étudiants viennent à peine d’entrer en contact avec leur nouvelle filière d’études. Il s’agit généralement de leur première rencontre avec les sciences de l’éducation, car les backgrounds académiques des étudiants sont diversifiés et éloignés de cette discipline3, ce qui constitue un handicap supplémentaire au processus d’adaptation de ces novices. À ce niveau précoce, ils ne disposent pas encore de toutes les matières de la spécialité et des éléments de méthodologie, donc de la maturité scientifique suffisante susceptible de les éclairer pour qu’ils puissent opérer un choix avisé du thème de recherche, car ils ne sont pas encore assez imprégnés de l’objet de leur formation, affirme un responsable académique.

3

Tous les types de licences, sans exclusive, sont acceptés pour l’admission des étudiants dans les filières de sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua.

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Sous la pression de la contrainte, ces néophytes sont obligés de proposer cahin-caha des sujets à leurs encadreurs qui se réservent le droit de les reformuler. L’attribution des directeurs de recherche s’est faite unilatéralement par les soins du Chef de département des sciences de l’éducation, responsable académique de la formation concernée à l’ENS de Bertoua. Par une décision signée de ce dernier : Une liste des encadreurs, accompagnée des noms des candidats et de l’intitulé des sujets, est publiée sur initiative personnelle et en dehors du cadre réglementaire que constitue le Conseil de département, déplore un enseignant. Notre encadreur nous a été imposé, ce qui constitue un motif de frustration et de démotivation pour nous, relève un candidat.

Les directeurs de mémoires se recrutent dans toutes les disciplines fondamentales de l’école, tel que l’indique le tableau, et sont attribués aux étudiants « sans consultation ni avis préalable du potentiel encadreur ou du candidat », déclare un directeur de mémoire. Comme conséquence, on observe que la plupart des directeurs de mémoires en provenance des disciplines étrangères modèlent et orientent les thèmes en fonction de leurs disciplines d’appartenance, « même si cela ne cadre pas toujours avec les attentes et la vision du candidat en sciences de l’éducation », précise une candidate. C’est pourquoi un examinateur invité, spécialiste en éducation, déclare que « l’écrasante majorité des thèmes de mémoires de sciences de l’éducation dans cette école est inadaptée à la recherche en éducation ». Par exemple, un sujet initialement intitulé Étude de la difficulté d’insertion socioprofessionnelle des instituteurs diplômés des ENIEG, par un candidat est transformé par son encadreur dont la discipline d’appartenance est l’histoire en De ENI-ENIA à l’ENIEG bilingue : historicité d’une institution de formation des instituteurs4. De même, un encadreur dont la discipline d’appartenance est la sociologie a modelé le sujet de mémoire d’un candidat ainsi, afin qu’il puisse répondre à sa propre 4 ENIEG : École normale d’instituteurs de l’enseignement général. ENI-ENIA réfère à École normale d’instituteurs-École normale d’instituteurs adjoints qui est l’ancienne dénomination de ENIEG.

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spécialité : Déviances sexuelles dans les lycées et socialisation : cas du lycée bilingue de Bertoua. Ce phénomène soulève la question de la pertinence des sujets de mémoires des étudiants, car les thématiques abordées ne posent pas véritablement les problèmes d’éducation comme objet d’étude. 5.2. Déroulement de la direction de la recherche proprement dite L’influence de la discipline d’origine des directeurs de recherche sur la qualité du travail des candidats est également ressentie au niveau du processus d’encadrement. « Le plan du travail et les articulations méthodologiques sont imposés en référence au modèle en vigueur dans la discipline d’origine de l’encadreur. Celui-ci ne tient pas compte des approches méthodologiques propres aux sciences de l’éducation », affirme un candidat. Pour rester dans l’exemple des directeurs appartenant à la spécialité histoire, on observe que ceux-ci exigent à leurs candidats, conformément à la démarche méthodologique en vigueur en histoire, que la liste nominative des personnesressources interviewées soit insérée dans le mémoire, alors que l’étude de référence indique bien que « les sujets de l’enquête, par crainte de représailles ou par convenances personnelles, ont requis l’anonymat ». Lorsque l’encadreur appartient aux spécialités des lettres et sciences humaines, c’est le moindre mal, car les échanges et le dialogue sont encore possibles grâce aux modes de discours et au style analytique que leurs disciplines ont en proximité avec les sciences de l’éducation, témoigne un candidat. Ce dernier poursuit en précisant que : Mais lorsque la discipline d’appartenance de l’encadreur fait partie des sciences dures ou exactes de type physique, physiologie ou chimie, le candidat est complètement abandonné à lui-même, le directeur de mémoire se contentant d’apporter des annotations uniquement sur les aspects de la forme tels que la présentation de la bibliographie, les fautes de grammaire, les constructions syntaxiques ou les écarts de style.

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Ce qui en rajoute aux incompréhensions entre les deux parties, en plus du problème posé par la terminologie qu’elles n’ont pas du tout en commun. Dès que le candidat réalise que son travail piétine à cause du déphasage entre ses attentes et les prescriptions méthodologiques de l’encadreur, il préfère cheminer tout seul dans sa démarche de recherche ou alors se payer les services d’un « directeur officieux ». Il met alors le directeur de mémoire devant le fait accompli en lui imposant ses choix et en faisant fi des directives. D’où la récurrence des tensions qui conduisent à la dégénérescence des rapports entre directeurs de mémoires et candidats. « Au regard des réticences de la candidate face à mes recommandations, j’ai eu le sentiment qu’il y avait un second directeur en arrière-plan qui lui soufflait une démarche contraire à suivre », remarque un directeur de mémoire. Face à ces dysfonctionnements, les candidats font « tout pour rédiger quelque chose », pourvu qu’ils puissent déposer leurs mémoires dans les délais. Ils soumettent la mouture finale à la lecture du directeur de mémoire, sans que ce dernier ait eu à suivre effectivement le travail. La plupart des candidats ne revoient leurs directeurs de mémoires, depuis leur première rencontre, que lorsque ces derniers doivent leur délivrer une attestation qui leur permette de déposer leurs travaux, indique un responsable académique.

Certains candidats, désemparés par les rapports difficultueux avec leurs directeurs et par l’indisponibilité voire l’inaccessibilité chronique de ces derniers, vont s’abreuver à internet et aux travaux déjà publiés dont les thèmes se rapprochent de ceux de leurs mémoires. Ils se livrent au copiage in extenso des parties ou de l’entièreté des productions scientifiques proches de leurs thématiques, ce qui va révéler un taux élevé de travaux plagiés pendant les soutenances. 5.3. L’évaluation des mémoires pendant les soutenances Même à l’occasion des soutenances, l’essentiel des membres de jurys provient des disciplines étrangères. Quelques cas supplémentaires de membres appartenant aux sciences de l’éducation viennent d’autres universités camerounaises. Les qualités de ces 130

derniers invités dans les jurys oscillent entre président et examinateur, ce qui rend houleuses les interactions entre parties prenantes, car les postures défendues par les membres de jurys traduisent bien les principes en vigueur dans leurs disciplines d’appartenance. Déjà, la constitution des jurys présente des incongruités qui portent les germes des divergences à venir. « Comment un jury sérieux de sciences de l’éducation peut-il comporter un physicien comme président, un historien comme rapporteur et un linguiste comme examinateur ? », déclare un directeur de mémoire. Durant la soutenance, cela conduit fréquemment à des interprétations erronées des concepts, à des confusions de terminologies et à des incompréhensions graves. Sur la base de l’analyse des critiques, observations et réactions des acteurs en présence, il appert que les limites principales contenues dans les travaux de recherche et les contre-performances des candidats sont en grande partie imputables aux facteurs liés à l’inadéquation entre les disciplines des directeurs de mémoires et les exigences méthodologiques des sciences de l’éducation. En fait, les directeurs de mémoires, en leurs qualités de rapporteurs, régurgitent publiquement les différends ayant émaillé leurs rapports avec les candidats pendant la recherche. « Ils apparaissent d’autant plus acerbes en critiques sur le travail de leurs poulains qu’ils exposent avec détails et virulence les points de leurs désaccords, ce qui donne le sentiment de désaveu du travail dirigé », souligne un directeur de mémoire. Les jurys constitués uniquement de membres en provenance des disciplines étrangères concentrent l’essentiel de leurs interventions sur les généralités et sur les questions simplistes de forme, « évitant d’aborder les questions de fond qui pourraient entrainer des débats en rapport avec les méthodes des sciences de l’éducation », précise un membre de jurys. En outre, des parties ou des textes entiers de certains mémoires sont identifiés comme des « copies conformes » des travaux d’autrui lors des soutenances. « Certains candidats profitent de l’ignorance et du manque de culture scientifique en matière de sciences de l’éducation chez leurs directeurs de mémoire pour plagier les travaux des autres chercheurs », remarque un membre 131

de jurys. Cette dérive empêche la réalisation de mémoires authentiques et scientifiquement significatifs. Par ailleurs, les rares jurys comprenant en leur sein un spécialiste des sciences de l’éducation sont ceux qui donnent le plus à voir et à entendre, car les aspects de fond et de forme sont abordés effectivement. Ici, les divergences entre membres de jurys éclatent souvent sur des questions de méthodologie ou d’approche épistémologique inappropriées. Le non-respect des normes de rédaction scientifique, marqué par la mauvaise intégration des données de recherche en sciences de l’éducation, représente la critique la plus fréquemment adressée. Le problème des écarts épistémiques caractérisés par l’usage abusif des concepts et la mauvaise articulation des références théoriques est également relevé. Des perspectives inconciliables comme l’association du behaviorisme avec le constructivisme ou des énoncés et raisonnements aporétiques tels que « cette étude quantitative de type exploratoire » ou « les données quantitatives recueillies ont fait l’objet de l’analyse de contenu » sont des incohérences le plus souvent répertoriées. On enregistre aussi l’extrême rareté des énonciations qui posent clairement le problème de recherche avec les concepts, dans les termes et formes consacrés en éducation ; la fréquence de l’usage aléatoire des référents empiriques ; la mauvaise identification et la manipulation inadéquate des types de variables ; les déphasages entre questions de recherche, hypothèses et objectifs. « Cela démontre que l’encadrement des travaux n’a pas été suivi par un expert en sciences de l’éducation ou alors a été suivi avec légèreté », remarque un membre de jurys. Les observations telles que : « Ce mémoire est un travail de sociologie », « Ça, c’est un mémoire d’histoire », ou encore « Ce travail n’a rien des sciences de l’éducation » sont fréquentes dans les jurys de soutenance des mémoires. On peut également observer que ces soutenances conduisent souvent à des éclats de voix et à des affrontements ouverts entre certains membres de jurys qui voient dans les critiques et observations portées au travail de leur poulain une atteinte portée indirectement à leurs propres compétences ou à leurs personnes. Ces dérapages tiennent aussi au fait que chacun des membres des jurys essaie d’articuler la réflexion et de structurer les débats en fonction de son champ disciplinaire d’appartenance. L’apparition 132

des mésententes s’étend jusqu’à l’étape des délibérations au cours desquelles des tiraillements entre membres de jurys sont perceptibles au sujet des notes et mentions finales à attribuer aux travaux des candidats. Voilà pourquoi on enregistre des incohérences entre les critiques et observations portées au travail du candidat et la note finale y afférente, ce qui ravive les controverses autour des soutenances. Par exemple, remarque une enseignante : On ne comprend pas comment un mémoire qui a semblé être rejeté pour ”méthodologie non conforme aux exigences des sciences de l’éducation” ou pour ”plagiat avéré” a pu finalement obtenir la mention ”très bien” alors qu’un autre mémoire ayant reçu des observations mélioratives obtient quant à lui la mention ”bien”. Il y a quelque chose d’irrationnel et d’illogique entre les critiques et observations et la mention finale attribuée au travail.

Le contraste ainsi observé semble résulter d’un gentlemen’s agreement entre membres des jurys. Cette entente a pour fonction de « sauver l’honneur du directeur de mémoire dont l’opinion pense toujours qu’il est en grande partie responsable du contenu du travail de recherche de l’étudiant, et que critiquer le travail, c’est critiquer par ricochet son directeur », établit un responsable académique. 6. Les effets de l’écart des profils des directeurs sur la qualité de la recherche des étudiants Les résultats de l’étude montrent que l’incompatibilité des profils académiques des directeurs de recherche avec le champ des sciences de l’éducation déteint sur la qualité des mémoires produits par les étudiants aussi bien au niveau de l’assurance qualité qu’au niveau de l’éthique de la recherche. 6.1. Une remise en question de l’assurance qualité en sciences de l’éducation L’assurance qualité permet de garantir effectivement la conformité du travail de recherche des candidats avec les normes 133

et standards établis en sciences de l’éducation. Le processus de dégradation de la qualité de la recherche, généré par l’inadéquation ainsi étudiée, se caractérise par une succession de phénomènes dus à l’entorse faite à la démarche qualité à l’ENS de Bertoua. Des distorsions scientifiques, inhérentes à l’écart entre la discipline d’origine de l’encadreur et les exigences des sciences de l’éducation, inhibent la conscience réflexive des candidats, affectent négativement la qualité scientifique des contenus de leurs mémoires, suscitent de mauvaises performances chez les candidats, donnent lieu à des évaluations controversées et à des délibérations biaisées lors des soutenances. L’impéritie observée chez certains directeurs de recherche, due à leur incapacité à articuler la direction en fonction des exigences du champ de l’éducation, engendre la formulation inadéquate des sujets, des énonciations fantaisistes du problème de recherche, des choix théoriques inadaptés, des démarches méthodologiques inappropriées, des approches d’analyse incohérentes et des divergences entre différents acteurs universitaires, conduisant les études à des résultats réfutables et inopérants. Ces diverses anormalités affectent la qualité des travaux de recherche des étudiants en portant atteinte à l’assurance qualité, dans la mesure où on observe des écarts entre les contenus des mémoires des étudiants en sciences de l’éducation à l’ENS de Bertoua et les normes et standards en matière de recherche en éducation. Elles ont fait dire à un spécialiste des sciences de l’éducation que « les travaux de recherche de ces étudiants sont affectés par un processus d’encadrement inadéquat ». 6.2. Des implications éthiques en matière de gouvernance heuristique Au niveau de l’éthique de la recherche, l’investigation a décelé des attitudes improbes caractérisées par des manœuvres de fraude et des stratégies de plagiat dans les comportements de recherche des étudiants. On observe que, face au dilemme des prescriptions de certains directeurs de mémoire dont les compétences se révèlent souvent insuffisantes, les candidats exaspérés ont recours à des directeurs parallèles. Ces derniers orientent les différentes articulations du travail conformément à la méthodologie des sciences de 134

l’éducation. Mais seulement, « cet encadrement quasi officieux engendre souvent des divergences entre l’encadré et l’encadreur officiel, car celui-ci se voit contrarié à travers les prises de position tranchées du candidat », souligne un candidat. Dans bien de cas, des étudiants, accablés par diverses pressions et tensions, s’approprient illicitement les travaux ayant déjà fait l’objet de publications. Ils modifient simplement leurs intitulés, substituent les toponymes, remplacent les éléments de la topographie contenus dans le document plagié par ceux de l’environnement étudié et falsifient le contexte et les résultats pour les adapter à leurs études. « Par exemple, des candidats prennent une étude de cas menée à Yaoundé pour l’adapter dans un contexte à Bertoua », indique un membre de jurys. Certains se rabattent aussi sur internet d’où ils font du « copier-coller », piratant les recherches dont les thématiques sont apparentées au sujet de leurs mémoires. Se sentant abandonnés par leurs directeurs, d’autres candidats se font carrément rédiger leurs mémoires à leur place par « des experts », moyennant une rémunération en contrepartie. À ce propos, un candidat révèle que : Nous avons recours aux rédacteurs qui sont soit d’anciens lauréats de l’ENS, soit des étudiants des cycles de recherche, soit des enseignants dans le domaine des sciences de l’éducation, contre le paiement d’une somme qui varie entre 250 000 francs CFA [environ 380 euros] et 500 000 francs CFA [environ 762 euros].

Au niveau des enseignants-chercheurs et de la gestion académique, l’attribution fantaisiste des directions de mémoires de sciences de l’éducation à des acteurs aux profils non conformes révèle une incurie certaine de la part des responsables académiques chargés de cette opération. En outre, l’adhésion et la participation de ces encadreurs à des activités de direction incompatibles avec leurs profils académiques relèvent d’une honnêteté intellectuelle déficiente. Ces implications dévoilent l’existence d’un problème d’éthique en matière de gouvernance heuristique.

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Conclusion Finalement, il apparait que l’inadéquation des profils académiques des directeurs de mémoires avec les exigences scientifiques applicables aux sciences de l’éducation est jugée « pernicieuse et préjudiciable au développement de la recherche en éducation à l’ENS de Bertoua » par des spécialistes des sciences de l’éducation. L’absence d’imputabilité des responsables chargés de l’attribution des encadrements aux directeurs, l’inexistence de l’inspection pédagogique au sein des universités et la violation de la réglementation régissant la direction des recherches dévoilent les failles du système de gouvernance de la recherche en sciences de l’éducation. La mauvaise planification des programmes et activités de recherche, la production doctorale déficitaire et la gestion inappropriée des ressources humaines dans ce champ scientifique au Cameroun donnent l’opportunité d’atteindre leurs buts d’accomplissement personnel à certains enseignants. Au bout du compte, on note de fortes contradictions entre les attentes de la communauté scientifique des sciences de l’éducation et les pratiques de direction des mémoires contre-indiquées dans ce champ de recherche. L’abus de cette dimension de la gestion des affaires académiques contribue à compromettre les chances d’expansion et d’émancipation des sciences de l’éducation et à rendre incertaines les perspectives de cette discipline. Pour y remédier, nous préconisons une conversion des schèmes mentaux par la déconstruction de la perception selon laquelle la direction d’un mémoire de sciences de l’éducation peut s’opérer par un enseignant-chercheur de n’importe quelle discipline. Pour pallier la carence en spécialistes de ce champ d’études, la mutualisation des ressources disponibles entre universités et institutions de formation et de recherche en éducation est nécessaire, en plus du développement d’une politique de promotion de la formation doctorale. Dans l’optique de permettre à la recherche en éducation de remplir ses fonctions traditionnelles et nouvelles, à savoir fournir aux décideurs les informations fiables pour orienter les politiques éducatives, améliorer les pratiques enseignantes ou engager des réformes curriculaires, qu’un audit de conformité, soit régulièrement commis sous forme d’inspections 136

pédagogiques suivies, en vue de s’assurer de la congruence entre divers aspects processuels de la recherche en éducation. Afin d’améliorer le management de la qualité dans ce domaine, la professionnalisation de l’activité de direction de recherche mérite d’être envisagée. Références bibliographiques Altinok, N. (2016). Analyse critique et méthodologique des données d’éducation de l’Afrique subsaharienne. Dans N. Altinok (éds), Analyse critique et méthodologique des données d’éducation de l’Afrique subsaharienne (1-147). Agence française de développement. Ames, C. (1992). Classrooms: Goals, structures, and students’ motivation. Journal of Educational Psychology, 84 (3), 261271. Amundsen, C. et McAlpine, L. (2009). “Learning supervision” : trial by fire. Innovations in Education and Teaching International, 46(3), 331–342. Récupéré 10 juin 2022 de http://doi.org/10.1080/14703290903068805. Bardin, L. (2007). L’analyse de contenu. Paris : PUF. Butera, F. et Darnon, C. (2005). Buts d’accomplissement, stratégies d’étude, et motivation intrinsèque : présentation d’un domaine de recherche et validation française de l’échelle d’Elliot et McGregor (2001). L’année psychologique, 105 (1), 105-131. Cattonar B. (2001). Les identités professionnelles enseignantes. Ébauche d’un cadre d’analyse. Les cahiers de Recherche du GIRSEF, 10, 4-31. Debeauvais, M. (1976). Formations et statuts sans cloisons, entretiens avec J.P. Gibiant. L’éducation, 1976 (287). Debeurme, G., Lison, C. et Nootens, P. (2010). Encadrer des travaux de recherche cela s’apprend. Communication présentée au 26e Congrès de l’Association Internationale de pédagogie universitaire (AIPU), Rabat, Maroc. Denis, C. et Lison, C. (2016). Et si l’encadrement des étudiants au troisième cycle universitaire devenait une priorité ? Actes du 6e colloque international du RIFEFF. 137

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Les déterminants des échecs au vote des enseignants de l’Enseignement supérieur et universitaire à Butembo en R.D. Congo Isaac Muhindo KIVIKYAVO1 et Blaise Mumbere MALIKIDOGO2 Résumé Après trente-deux ans de dictature (1965-1997), sept ans de guerre (1996-2002) et trois ans de transition (2003-2006), la R.D. Congo s’est engagée sur la voie de la démocratie. Depuis lors, trois cycles électoraux (2006, 2011 et 2018-2019) ont été organisés. Le présent travail porte sur les deux derniers cycles. Son objectif est d’identifier les raisons qui ont abouti à l’échec des candidats députés nationaux qui sont enseignants dans les institutions universitaires et supérieures de la ville de Butembo. Parmi ces enseignants, onze ont été candidats en 2011, et dix en 2018 sur un total moyen de 120 candidats. Aucun d’eux n’a été élu en dépit du prestige et de la présomption de connaissance dont ils jouissent. Ainsi, cette étude se propose de découvrir ce qui serait à la base de ces échecs. Pour y arriver, 315 personnes ont été interrogées sur une population comprenant un peu plus de 315 000 adultes ayant participé au vote de 2011 et 2018-2019 dans la ville de Butembo. La commune de résidence et le sexe des enquêtés sont les deux variables et/ou quotas qui ont été pris en compte dans la présente analyse. Trois catégories de déterminants ont influencé les échecs des enseignants de l’ESU candidats/députés nationaux. Il s’agit des déterminants prépondérants ou supérieurs (déconnexion de la vie sociale, orgueil scientifique et choix inapproprié du parti, des colistiers et des alliés), moyens ou intermédiaires (manque d’argent et impréparation) et inférieurs (l’inexpérience politique, 1

Chef de travaux à la faculté des sciences politiques de l’Université Catholique du Graben ([email protected]). 2 Licencié en science politique de l’Université Catholique du Graben.

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la culture électorale locale et le fait de n’avoir pas voulu déconcentrer les enseignants de leur métier de former les jeunes). Mots-clés : Enseignants de l’ESU, candidats/députés, déterminants des échecs, sexe, commune. Abstract After thirty-two years of dictatorship (1965-1997), seven years of war (1996-2002) and three years of transition (2003-2006), the DR Congo has embarked on the path to democracy. Since then, three electoral cycles (2006, 2011 and 2018-2019) have been organized. This work focuses on the last two cycles. It aims to identify the reasons which led to the failure of the national members of parliament (MP) candidates who are teachers in the universities and higher education in Butembo city. Among these teachers, eleven were candidates in 2011, and ten in 2018 out of an average total of 120 candidates. None of them was elected despite the prestige and presumption of knowledge they enjoy. Thus, this study proposes to discover what would be the basis of these failures. To achieve this, 315 people were interviewed out of a population comprising just over 315,000 adults who participated in the 2011 and 2018-2019 vote in Butembo city. The municipality of residence and the gender of respondents are the two variables and/or quotas that have been taken into account in this analysis. Three categories of determinants have influenced the failures of Universities and higher teachers who are candidates for national MP. Preponderant or superior (disconnection from social life, scientific pride and inappropriate choice of party, running mate and allies), middle or intermediate (lack of money and unpreparedness) and inferior determinants (political inexperience, the local electoral culture and the fact of not having wanted to distract teachers from their job of training young people) have been identifies as causes of their failures. Keywords : University teachers, Members of Parliament candidates, determinants of failures, gender, municipality.

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Introduction Les enseignants de l’Enseignement supérieur et universitaire (ESU) font partie des couches sociales qui jouissent de la présomption du savoir et du savoir-faire. En dépit de cela, aucun candidat député national enseignant de l’ESU n’a été élu aux scrutins de 2006, 2011 et 2019 à Butembo. Quatre paradigmes concurrents sont soulevés pour expliquer les déterminants du vote. Le premier paradigme, dit le modèle sociologique, a étudié l’effet de la campagne sur les choix électoraux. Pour ses tenants, « la campagne n’a eu qu’un effet limité sur leurs choix politiques. Les électeurs se sont en majorité décidés bien avant la campagne et sont restés fidèles à leur choix initial »3. Ainsi, « une personne pense politiquement comme elle est socialement »4. Cela démolit le mythe de la toute-puissance des médias tout comme celui d’un citoyen éclairé, parfaitement informé sur les candidats et les enjeux de la campagne5. Le deuxième paradigme, nommé modèle psychopolitique, conclut que la variable clé du vote est « l’identification partisane »6. Ainsi, « comme l’acheteur d’une automobile qui ne connaît rien aux voitures sinon qu’il préfère une marque donnée, l’électeur qui sait seulement qu’il est démocrate ou républicain réagit directement à son allégeance (partisane) »7. Ces deux modèles ont, à leur tour, été remis en cause. En effet, l’électorat dispose de « sa capacité à porter un changement, positif ou négatif, sur les sortants »8. D’autres auteurs estiment que « l’électeur américain a changé et que les identités partisanes sont

3

N. MAYER, « Les modèles d’analyse des comportements électoraux », in Les Cahiers Français : documents d’actualité, Paris, La Documentation Française, 1996, p. 41. 4 P. LAZARSFELD, B. B. BERELSON, et H. GAUDET, The people’s choice, Colombia University Press, 1994, p. 27. 5 N. MAYER, op. cit., p. 42. 6 Ibidem. 7 A. CAMPELL, Ph. CONVERSE, W. MILLER, D. STOKES, The American voter, 1re édition, New York, Wiley and Sons, 1960, p.136. 8 V. O. KEY, The Responsible Electorate, Havard University Press, Cambridge, 1966.

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en crise si l’on considère la proportion des indépendants qui ne se reconnaissent dans aucun parti »9. C’est dans cette ambiance qu’est inauguré le modèle du choix rationnel reposant sur le principe du « vote sur enjeux »10. Celui-ci postule que l’électeur type ferait son choix sur le marché politique comme le consommateur qui achète une marque de lessive, il voterait au coup par coup pour le parti qui maximise son bénéfice ou son utilité au moindre coût. C’est donc à ce point que cette théorie de vote sur enjeux répond aux exigences des modèles économiques reposant sur les règles du marketing politique11. Néanmoins, confrontés à l’impossibilité de réunir toute l’information nécessaire pour bien voter, les électeurs adoptent une règle de comportement simple : « récompenser le candidat sortant si la situation économique (évolution des revenus par tête et des prix) est bonne, favoriser l’opposant dans le cas contraire »12. Comme chez Kramer, Ray Fair conclut que seules les performances durant le mandat en cours influent sur les résultats du vote. Il trouve que 1 % de croissance économique augmente le pourcentage de voix en faveur du candidat sortant de 1 %13. L’avantage de cette réflexion est d’avoir remis en cause l’hypothèse surestimant la pertinence de la variable macroéconomique sur la situation économique propre à l’électeur. Ainsi, son analyse est importante en ce sens qu’elle montre clairement les enjeux de l’agrégation des votes individuels pour obtenir une fonction de vote collective14. Toutefois, « la volatilité électorale est un concept fourre-tout qui ne concerne en réalité qu’une minorité d’électeurs instruits et

9 N. H. NIE, S. VERBA et J. PETROCIK, The changing American voter, Havard University Press, Cambridge, 1979. 10 R. INGLEHART, La transition culturelle dans les sociétés industrielles avancées, Paris, Economica, 1990 cité dans Cahiers Français, op. cit., p. 42. 11 A. DOWNS, An Economic theory of Democracy, New York: Harper and Row, 1957, p. 36. On peut aussi lire Philippe BRAUD, Manuel de Sociologie Politique, 4e édition, LGDJ, Paris, 1998, pp. 320-333. 12 R. KRAMER, « Short-term fluctuations in U.S. voting behavior, 18961964 », in American Political Science Review, n°65, 1971, pp. 131-128. 13 57 R. FAIR, « The effect of economic events on votes for President », in Review of economics and statistics, n° 60, p.p. 159-172. 14 Étienne FARVAQUE et Sonia PATY, Économie de la démocratie, De Boeck, Bruxelles, 2009, p. 30.

144

stratèges. Tout le monde n’a pas le même rapport à l’acte de vote »15. D’autres analyses, par ailleurs, intègrent la dimension écologique comme déterminant dans le choix des électeurs. À titre illustratif, André Siegfried concentre son attention sur la France de l’Ouest,16 notamment sur la région de la Vendée. Il constate que ce territoire est clivé en deux zones géologiques. À ces deux zones géologiques se superposent presque parfaitement deux zones politiques qui mènent à la constatation suivante : « le granit vote à droite, le calcaire vote à gauche »17. Ce faisant, cette analyse essaie de répondre à la question suivante : quels sont les déterminants des échecs des enseignants de l’Enseignement supérieur et universitaire candidats aux élections législatives de 2011 et 2019 à Butembo ? Nous avons pour hypothèse que les échecs des enseignants de l’ESU aux élections législatives à Butembo sont dus à l’impréparation, au passé du candidat et à l’orgueil scientifique dont ils sont accusés.

II. Méthodologie L’objectif de ce travail est de comprendre le mobile des échecs des enseignants de l’ESU aux législatives de 2011 et 2019 selon la logique des électeurs de Butembo, une ville située à l’est de la République Démocratique du Congo en province du Nord-Kivu. C’est donc l’approche par le bas qui est le fondement de cette analyse. Le besoin d’adaptation des enseignants de l’ESU à la conception locale est plus qu’utile pour que ceux-ci espèrent devenir députés dans l’avenir.

15

Patrick LEHINGUE, « La "volatilité électorale". Faux concept et vrai problème : fluidité des définitions, infidélités des mesures et flottement des interprétations », Scalpel, Cahiers de sociologie politique de Nanterre, 1997, pp. 2-3. 16 J.-Y. DORMAGEN et D. MOUCHARD, Introduction à la sociologie politique, De Boeck, Bruxelles, 2008-2009, p. 162. 17 Résumé de l’ouvrage de A. SIEGFRIED, Tableau politique de la France de l’Ouest, Paris, 1913.

145

La méthode comparative18 nous a permis de savoir lequel des déterminants a été prépondérant dans les échecs du personnel académique et scientifique qui aurait postulé en ville de Butembo aux élections législatives de 2011 et 2018. Ces méthodes nous ont permis d’expliquer et d’analyser les facteurs des échecs des professeurs aux différentes législatives à Butembo. Pour la collecte des données, nous nous sommes servis de la technique de l’observation et du questionnaire. Sur ce, nous avons conçu un questionnaire contenant aussi bien des questions ouvertes que fermées. Cela nous a permis d’obtenir à la fois des données qualitatives et quantitatives qui ont servi dans cette analyse. Quant au choix des enquêtés, nous avons utilisé l’échantillonnage par quota couplé à l’échantillonnage spontané. La population globale de la ville de Butembo en 2020 était de 983 564 habitants19. Toutefois, la population mère est constituée d’individus qui avaient l’âge de voter en 2011. Ainsi, nous avons interrogé les individus qui ont 30 ans d’âge et plus. C’est ce qui ramène notre population mère à 315 815 individus. Pour effectuer le sondage, nous avons recouru à la formule du taux de sondage de 1 /1000 (un pour mille). Cela veut dire que pour 1000 individus, nous avons interrogé un seul. La population mère étant de 315 815 unités, notre échantillon a été de 315 personnes interviewées/questionnées. Deux variables ont été prises en compte dans la constitution de l’échantillon, à savoir le sexe et la commune. D’où le tableau ci-après.

18

Mamoudou GAZIBO, Jane JENSON, La Politique comparée. Fondements, enjeux et approche théorique, Presse de l’Université de Montréal, Québec, 2004. 19 Bureau urbain de L’état civil, tableau synoptique de la population de Butembo par groupe d’âge et de sexe, Rapport annuel, 2020.

146

Commune Mususa

Commune Vulamba

315 815 (100 %) 315 H 48 % F 52 %

Commune Kimemi

Population mère Échantillon Pourcentage par sexe Effectif échantillon par sexe

Commune Bulengera

Ville

Tableau N° 1 : détermination de l’échantillon

103 350 (32,7 %) 103 48,5 % 51,5 %

65 939 (20,9 %) 66 47 % 52,4 %

82 448 (26,1 %) 82 49 % 51 %

64 074 (20,3 %) 64 48,5 % 51,5 %

H

152

32

F

163

34

49 54

40

31

42

33

Source : construction à partir du tableau synoptique de la population de Butembo en 2020.

Les données empiriques ont été récoltées entre août et décembre 2021. La rédaction de ce texte a quant à lui été réalisée au courant de l’année 2022. La soumission et les corrections sont intervenues en 2023.

Identification des enseignants d’Universités candidats députés nationaux Un exercice d’identification des enseignants d’Universités candidats/députés nationaux a été fait. Néanmoins, rien n’est sûr que cette identification est exhaustive. Les noms renseignés dans les tableaux 2 et 3 donnent une idée sur l’identité de ces candidats. Tableau N° 2 : enseignants candidats/députés en 2011 N ° 1 2 3 4

Noms des enseignants candidats Kakule Kitina Césaire Kakule Mathumo Kitswiri Paul Kakule Mumbere Kasindi Vukutu Kakule Thembo Yusufu

Partis

Grades académiques

Institutions

Voix

AFDC

Assistant

UCG

616

PALU

Professeur

UOR

13 374

PECO

Chef de Travaux Assistant

UDGB

827

UNIFA

782

PPRD

147

5 6 7 8 9 1 0 1 1

Kambale Bahekwa Esdras Kambale Kasonia Kennedy Kambale Mukokoma Eliphaz Kambale Tsoghererwa Aimé Katundira Ndengonge Romain Masinda Peleleza Blandine Mutete Bin Vweya Pontien

PRP

UNIKIN

1180

PPRD

Chef de Travaux Assistant

UCG

227

DCF/N

Assistant

UOR

1704

Indépendant

Assistant

UDGB

345

UDECF

Assistant

UNIC

669

PDC

Assistant

ISEAB

234

UNADEF

Assistant

ISP/Muhan gi

4354

Source : fiche des résultats et des enquêtes, année 2021.

Sur ces onze (11) candidats députés nationaux enseignants d’Universités, quatre (4) étaient connus par 209 (66,3 %) sur 315 enquêtés-électeurs. Il s’agit de Kakule Matumo Kitswiri Paul (connu par 106), Kambale Kasonia Kennedy (35), Mutete Bin Vweya Pontien Adélard (36) et Masinda Peleleza Blandine (29). Les sept (7) autres candidats n’étaient pas connus par les enquêtésélecteurs. Les 109 (33,7 %) autres enquêtés-électeurs ont déclaré n’avoir pas su qu’il y avait des candidats enseignants d’Universités et d’Instituts supérieurs. Tableau N° 3 : enseignants candidats/députés en 2018-2019 N° 1 2 3 4 5 6

Noms des enseignants candidats Kasereka Mwanawavene Roger Kahindo Muhesi Augustin Kakule Matumo Kitswiri Paul Paluku Karongo Pantaléon Kambalume Kahindo Raphaël Mbusa Kanyamanda Sylvain

Partis

Grades académiques

Institutions

Voix

AA/A

Professeur

UCG

2122

PPRD

Professeur

UCG

91

AABC

Professeur

UOR

4012

AAD

Chef de Travaux Chef de Travaux Assistant

ISP/Muhangi

288

ISTM

66

UOR

1120

MLC PPRD

148

7 8 9 10

Kambale Vahamwiti Moïse Kasereka Sivamwanzire Jerry Mbusa Muvughe Abner Kule Thembo Yusufu

AAAC

Assistant

IBTP

81

MS

Chef de Travaux

ISP

1477

DCFN/G7

Professeur

ULPGL

996

PPRD

Assistant

UNIFA

530

Source : fiche de compilation des résultats et enquêtes de terrain de 2021.

Sur ces dix (10) candidats députés nationaux enseignants d’Universités, six (6) étaient connus par 209 (66,3 %) sur 315 enquêtés qui étaient en même temps électeurs. Il s’agit de Kakule Kitswiri Paul (56), Kahindo Muhesi Augustin (41), Kasereka Mwanawavene Roger (33), Paluku Karongo Pantaléon (28), Mbusa Kanyamanda Sylvain (28) et Kahindo Kambalume Raphaël (20). Les quatre (4) autres candidats étaient inconnus des enquêtés. Les 109 (33,7 %) autres enquêtés ont déclaré n’avoir pas su qu’il y avait des candidats députés nationaux enseignants d’Universités. Il ressort de ces chiffres que l’enseignant candidat député national qui a été le plus connu en 2011 et 2018-2019 est le Professeur feu Kakule Matumo Kitswiri Paul. Cela corrobore le score qu’il a obtenu. Pendant environ dix ans, le Professeur Matumo Kitswiri Paul organisait des émissions radiodiffusées en langue locale (le Kinande). Elles étaient suivies et adaptées à la logique locale des électeurs. Quand bien même nombreux ne le connaissaient pas de figure, ils connaissaient sa voix et ses pensées politiques. En dépit de cette connaissance du candidat par les électeurs, il n’a pas eu la chance d’être député national. Mais alors qu’est-ce qui justifie ces échecs des enseignants d’Universités candidats/députés nationaux à Butembo ?

II. Les échecs des enseignants d’Université candidats députés nationaux Cette partie constitue la colonne vertébrale de cet article. Elle permet d’identifier, à partir des données recueillies sur terrain, les déterminants des échecs des enseignants d’Universités et instituts 149

supérieurs candidats aux élections législatives de 2011 et 20182019 en ville de Butembo. Le tableau ci-après en donne la synthèse. Tableau N° 4 : déterminants des échecs

Source : données de terrain, septembre, octobre et novembre 2021.

Le X² calculé (33,99) des effectifs de la ligne « total général » est supérieur au X² tabulaire (14,07) au seuil de 5 % avec le degré de liberté de 7. Ce faisant, les différences observées sont très significatives, elles ne sont pas dues aux fluctuations du hasard. Pour mieux comprendre le tableau n° 4, il convient d’en dégager les commentaires au niveau de la ville, des communes et du sexe des enquêtés. II.1. Échecs des enseignants dans la ville, par commune et par sexe Chaque commune a sa particularité. En fait, les déterminants identifiés n’ont pas le même poids dans les différentes communes de la ville. Avant de relever les particularités de chacune d’entre elles, ces déterminants ont été scrutés au niveau global de la ville. 150

II.1.1. Déterminants des échecs au niveau de la ville La majorité des enquêtés pensent que sur les huit déterminants recensés, la déconnexion de la vie sociale, l’orgueil scientifique et le choix inapproprié du parti, des colistiers et/ou des alliés sont les trois déterminants prépondérants qui expliquent les échecs des enseignants d’Universités aux élections législatives de 2011 et 2019 à Butembo.

Source : données du terrain, de septembre à novembre 2021

Selon leurs poids respectifs, ces déterminants des échecs peuvent être classés en trois catégories. D’abord, il y a les déterminants prépondérants ou supérieurs (déconnexion de la vie sociale, orgueil scientifique et choix inapproprié du parti, des colistiers et des alliés). Ensuite, les déterminants moyens ou intermédiaires (manque d’argent et impréparation). Enfin, les déterminants moins prépondérants ou inférieurs (l’inexpérience politique, la culture électorale locale et le fait de n’avoir pas voulu déconcentrer les enseignants de leur métier de former les jeunes). Autrement dit, l’enseignant candidat député national qui pourra réunir le maximum de ces déterminants aura maximisé ses chances d’être élu. Celui qui ne les intégrera pas dans sa stratégie de [pré-] campagne aura réduit ses chances d’être élu. La réussite ou l’échec dépendra de la considération ou non de ces déterminants. 151

Graphiquement, voici comment se présente ce classement des déterminants. Graphique N° 2 : Classement des déterminants

Déterminants inférieurs (Sans histoire politique, culture électorale locale, éviction de les déconcentrer de leur… Déterminants moyens (Manque d’argent et impréparation) Déterminants supérieurs (Déconnexion de la vie sociale, orgueil sccientifique et choix…

0

100 200 300 400 500 600 700

Source : données du terrain, année 2021.

Toutefois, le poids et l’ordre d’importance de ces déterminants ne sont pas les mêmes selon qu’on est dans telle ou telle autre commune. La stratégie de [pré-] campagne doit également tenir compte de la spécificité de chaque contrée. II.1.2. Déterminants des échecs des enseignants par commune et par sexe À Bulengera, ce classement se présente de la manière suivante. D’abord, les déterminants prépondérants ou supérieurs sont la déconnexion de la vie sociale, le manque d’argent et le choix du parti, des colistiers et des alliés. Ensuite, les déterminants moyens ou intermédiaires sont : l’orgueil scientifique et l’impréparation. Enfin, les déterminants inférieurs ou les moins prépondérants sont la culture électorale locale, le manque d’histoire politique et le fait de ne pas vouloir que les enseignants se déconcentrent de leur métier d’origine qu’est l’enseignement.

152

En outre, à Kimemi, la description se traduit un peu différemment. Ce qui fait ressortir les nuances ci-après. Primo, les déterminants supérieurs comprennent la déconnexion de la vie sociale, le choix du parti, des colistiers et des alliés. Secundo, les déterminants intermédiaires sont le manque d’argent, l’impréparation et la culture électorale locale. Tertio, les déterminants inférieurs comprennent le manque d’une histoire politique et le fait de ne pas vouloir déconcentrer les enseignants de leur métier d’origine. Pour la commune Mususa, la situation se présente de la manière suivante. D’abord, deux déterminants sont prépondérants. Il s’agit de la déconnexion de la vie sociale et de l’orgueil scientifique des enseignants. Ensuite, l’impréparation, le choix du parti politique et le manque d’argent ont été répertoriés comme des déterminants intermédiaires dans cette commune. Enfin, les déterminants inférieurs des échecs des enseignants sont l’inexpérience politique, la culture électorale locale et le fait de ne pas vouloir déconcentrer les enseignants de leur métier. Enfin, pour la commune de Vulamba, les déterminants prépondérants sont la déconnexion de la vie sociale, l’orgueil scientifique et le choix du parti. Les déterminants intermédiaires ou moyens sont l’impréparation, le manque d’argent et le manque d’expérience politique. Les déterminants les moins prépondérants sont l’éviction de déconnecter les enseignants de leur métier et la culture électorale locale. De ce qui précède, il y a lieu de noter que dans chaque catégorie, il y a un déterminant qui est à la fois constant et récurrent dans toutes les communes. La transversalité de ces déterminants dans toutes les quatre communes de la ville de Butembo est un élément important qui pourrait témoigner de l’appréhension quasi homogène de la population de Butembo vis-à-vis des enseignants des Universités et Instituts Supérieurs. Ainsi, parmi les déterminants supérieurs, la déconnexion des enseignants de la vie sociale est réapparue partout. Parmi les déterminants moyens, c’est l’impréparation des enseignants à affronter les élections qui a été soulevée dans toutes les communes comme étant à la base des échecs. Parmi les déterminants les moins prépondérants, les enquêtés pensent qu’il ne faut pas laisser les enseignants aller en

153

politique, car ce serait les déconcentrer de leur métier de former les jeunes. Concernant la variable sexe, rien de particulier n’a été constaté. Les réponses sont quasiment les mêmes avec presque la même signification aussi bien pour les hommes que pour les femmes. II.2. Explication des déterminants des échecs des enseignants Chaque type de déterminants (supérieurs, moyens et inférieurs) mérite une explication pour en connaître le contenu. II.2.1. Les déterminants supérieurs Il est apparu que les enseignants des Universités et des Instituts supérieurs sont moins bien réputés. Les enquêtés leur reprochent l’orgueil scientifique. Ce dernier fait que ces enseignants soient moins présents et visibles dans le microcosme social local. Ils se respectent beaucoup et préservent beaucoup leur dignité. Ce qui fait qu’ils ne participent pas à des actions de revendication comme les marches de colère pour réclamer la sécurité, la lutte contre l’impunité, l’amélioration des conditions de vie des habitants, etc. Ils ne posent pas d’actions sociales (assistance aux orphelins, aux prisonniers, etc.) pour pérenniser leurs noms dans la mémoire de la population. Ils ne participent pas non plus à des travaux communautaires communément appelés Salongo. Bref, le capital social20 des enseignants est moins riche, selon les enquêtés, pour qu’ils prétendent être élus à Butembo où l’électeur est en grande majorité un homme ordinaire. Il veut voter 20

Le mot capital social désigne, dans la théorie de Pierre Bourdieu, l’ensemble des ressources relationnelles détenues par les agents sociaux… Posséder un fort capital social consiste à bénéficier d’un important réseau de relations durables (carnet d’adresses, relations sur lesquelles s’appuyer, degré d’extension de la famille, amis, connaissances, collègues…). Le capital social peut être converti, par exemple, en capital économique. L’entretien et le développement du capital social supposent des stratégies plus ou moins conscientes d’accumulation, d’entretien et de reproduction de ce capital (don et contredon, investissement dans les « bonnes » relations, sociabilité…). Pour d’amples informations, on peut lire Olivier NAVY, S/dir., Lexique de science politique. Vie et institutions politiques, 2e éd., Dalloz, Paris, 2011, p. 48 ; Tristan CLARIDGE, Designing Social Capital. Sensitive Participation Methodologies, june 2004, p. 8.

154

celui qui lui ressemble. Si des étudiants qui restent cinq ans durant avec ces enseignants ont une mauvaise image d’eux, la conséquence logique ; ils vont influencer leurs parents et leurs amis à ne pas voter pour ces enseignants. D’où le schéma ci-dessous. Figure unique : relations enseignants-étudiants et échecs des enseignants

Étudiants

Échecs des enseignants

Parents et société

Le tableau 4 et le graphique 2 montrent que certains enseignants des Universités et Instituts supérieurs candidats députés nationaux se font aligner sur les listes des partis politiques moins connus et/ou mal appréciés à Butembo. D’autres enseignants se font aligner sur des listes qui ont des challengers de grands calibres qui sont soit Président national du parti, soit responsable du parti. C’est le cas d’Esdras Kambale Bahekwa (7485 voix) avec Pay Wasyakasighe (8111 voix) et Augustin Kahindo Muhesi (2916 voix) avec Kalumbi Ferdinand (7090 voix) en 2006 ou de Kasereka Sivamwanzire Jerry (1477 voix) avec Muhindo Nzangi (19 313 voix) en 2019. D’autres encore se choisissent des colistiers faibles. Leur contribution en termes de voix sur la liste est trop faible. Dès lors, l’enseignant se trouve presque seul sur la liste alors que le mode de scrutin proportionnel, en vigueur en R.D. Congo, ne favorise pas le jeu individuel. En fait, la première étape d’attribution des sièges se fait selon le nombre de voix obtenues par liste. La seconde étape consiste à identifier la personne qui a eu le plus de voix sur la liste retenue à l’attribution des sièges. Avec ses seules voix, l’enseignant n’est pas à mesure de se faire 155

élire. C’est le cas du Professeur Kakule Matumo Kitswiri Paul en 2011. Il a eu 13 374 voix alors qu’aucun de ses colistiers n’a obtenu 700 voix21. Cependant, un enseignant de l’école secondaire Paluku Malisi Malisawa a été élu alors qu’il a obtenu 13 075 voix, car l’un de ses colistiers a obtenu 2702 voix22. En effet, « les alliés jouent un rôle essentiel dans la débâcle électorale »23. Certains enseignants auraient choisi d’adhérer à des partis qui sont soutenus financièrement par leurs autorités morales. II.2.2. Déterminants moyens Il a été constaté que les enseignants s’improvisent candidats députés nationaux sans aucune préparation (cf. tableau 4). Ils n’attendent que le calendrier électoral pour se lancer dans le processus électoral (campagnes, dépôts de candidatures). Il semble que même les étudiants ne sont pas informés d’avance de la candidature de leurs professeurs. Pourtant, ce sont les étudiants qui pouvaient constituer leur base sociale de départ. « L’on ne se fait pas élire sur une méthode, mais sur un plan »24. Le plan doit être connu dans le meilleur délai. Le candidat doit avoir le temps de vulgariser son plan dans l’espoir de se faire des voix. Les professeurs n’ont pas d’argent pour se procurer de la logistique de campagne (cf. tableau 4). Les électeurs voudraient aussi prendre de leur argent en lieu et place de la rhétorique dont ils usent lorsqu’ils s’expriment en langue française. Dans le milieu local, il est dit : Echifuranza sikirighula vwavu (le français n’achète pas de la boisson). Ce faisant, à part le discours, le candidat devrait disposer de moyens financiers pour la logistique (photos, carburants, t-shirts, etc.) et l’encadrement financier de son équipe de campagne.

21

CENI, Élections des députés nationaux de la ville de Butembo, Fiche de compilation n°09, 2011. 22 Idem. 23 J. L. MANO & G. BENBAUM, La défaite impossible, enquêtes sur les secrets d’une élection, éd. RAMSAY, Paris, 1997, 355 p., pp. 105-121. 24 Thérèse THIERRY, « Perspective et politique », in Futur est notre passion, Futurouest, 20 janvier 2017.

156

II.2.3. Déterminants inférieurs 48 enquêtés (cf. tableau 4) ne veulent pas perdre leurs enseignants ou les enseignants de leurs enfants, frères et sœurs. En effet, une fois passé député, l’enseignant va se concentrer trop à la politique plus qu’à son métier d’enseignant. Cela risquerait de jouer négativement sur la qualité de ces enseignements. Il aurait moins de temps pour enrichir ses notes et se consacrer à la recherche. Une fois plongé en politique, l’enseignant aura tendance à abandonner son métier, surtout s’il parvient à intégrer l’exécutif. En fait, les enseignants des Universités sont dans l’ensemble ministrables. Les enquêtés ont estimé qu’il faut les maintenir dans l’enseignement pour ne pas hypothéquer l’avenir de la jeunesse congolaise. Par ailleurs, les enquêtés ont estimé que de nombreux enseignants de l’ESU n’ont pas d’expérience politique malgré leurs connaissances théoriques (cf. tableau 4). En fait, dans leur vie, ils n’ont pas peut-être exercé le pouvoir politique. Or, selon une étude antérieure réalisée à Butembo, outre le mythe autour de certains noms, la vie privée et l’appartenance politique du candidat, l’histoire ou le profil antérieur du candidat est un déterminant prépondérant pour y être élu25. Enfin, le tableau des déterminants montre que la raison des échecs des enseignants de l’ESU n’est pas toujours de leur côté. Les électeurs ont une part de responsabilité dans ces échecs. Certains d’entre ces électeurs pensent que le rôle du député, c’est de construire des infrastructures, donner des leçons à temps et à contretemps, s’opposer à tout. Ce faisant, si un candidat ne l’a pas fait avant de devenir candidat, il n’a pas droit aux voix. Dès lors, l’on se demande si c’est avec quel argent qu’un enseignant peut construire des infrastructures. Cette confusion de rôle préjudicie fortement les enseignants candidats qui ne disposent que de leur salaire pour survivre. C’est donc la culture politique locale qui préjudicie les enseignants candidats. 25

Isaac MUHINDO KIVIKYAVO, Participation politique et comportement électoral en ville de Butembo. Identités des dirigeants, adhésions aux partis politiques, déterminants de vote et groupes sociaux, Éditions universitaires européennes, 2021, pp. 132-135.

157

Discussion des résultats Les paradigmes explicatifs du vote ont, d’une manière ou d’une autre, été touchés par les données empiriques récoltées auprès des enquêtés. Primo, le paradigme sociologique a eu un impact sur les résultats des enseignants candidats/députés nationaux à Butembo. En effet, en dépit des discours de haute facture improvisés par ces enseignants, ceux-ci n’ont pas gagné la confiance des électeurs. L’on pourrait, dès lors, à la suite de Paul Lazarsfeld et al., dire qu’une « personne pense politiquement comme elle est socialement »26. C’est cela qui a justifié la prépondérance des déterminants tels que les enseignants des universités sont « déconnectés de la vie sociale » et « orgueilleux ». Les candidats députés membres du corps professoral n’ont pas su jouer au mouton de Panurge pour se rallier des foules nombreuses. L’opulence dans laquelle ils sont supposés vivre contraste avec ce que Cialdini appelle « principe de la preuve sociale27 » et « condition de similarité »28 avec les électeurs. Secundo, les ténors du modèle psychosocial présentent l’« identification partisane »29 comme variable clé du vote. Certains enseignants ont été préjudiciés pour s’être alignés sur des listes des partis politiques « mal-aimés » dans le milieu. Certains de ces partis, surtout ceux qui sont au pouvoir, ont été accusés, à tort ou à raison, d’avoir été à la base de l’insécurité dans le milieu. Là aussi un bémol mérite d’être placé. En 2011, l’ancien Maire de Butembo Hubert Shahetera a été élu en dépit du fait qu’il était membre du parti au pouvoir « moins aimé » dans la région. C’est son bilan en tant que maire et sa lutte pour freiner la mainmise de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) sur la gestion de la ville qui l’ont fait élire. L’on pourrait ainsi dire que son parti politique30 a été ignoré par les électeurs qui

26

P. LAZARSFELD, B. B. BERELSON, et H. GAUDET, Op. cit., p. 27. C’est cette tendance à croire qu’un comportement est approprié à partir du moment où d’autres l’adoptent produit normalement de bons résultats. 28 R. CIALDINI, Influence et manipulation, Pocket (édition révisée et augmentée), Paris, 2014, pp. 200-201. 29 N. MAYER, Op. cit., p. 42. 3030 Un peu comme en France, l’on remarque une tendance à s’affranchir des partis politiques pour se tourner vers des prouesses politiques individuelles. À 27

158

ont plus misé sur, d’une part, sa personnalité à résister à la FEC et, d’autre part, son bilan. Ainsi, le modèle du « vote sur enjeux »31 est intervenu pour sanctionner des individus qui n’auraient pas travaillé à la satisfaction de la population. Il est aussi intervenu pour sanctionner ceux des partis au pouvoir qui sont supposés avoir échoué avec leurs partis à procurer la paix et la sécurité dans la région. Ceci justifierait le fait pour la population d’avoir jeté son dévolu, en 2019, sur les candidats de l’opposition qui sont supposés être un ingrédient pour le changement. Ainsi, « les électeurs sont considérés moins comme des citoyens déjà conditionnés… que comme des consommateurs rationnels, en quête du meilleur choix possible »32. Dès lors, pour qu’un candidat arrive à se faire consommer, il doit beaucoup communiquer avec un public diversifié en utilisant tous les outils disponibles (radios, télévisions, descentes, affichages, équipes engagées, etc.). Ce qui aurait manqué à ces enseignants parce que communiquer c’est aussi avoir de l’argent. C’est donc la combinaison de tous ces facteurs qui manquait aux candidats députés nationaux membres de l’enseignement supérieur et universitaire pour se faire élire. En fait, aucun modèle ou aucun déterminant ne suffit à lui seul en dépit du fait qu’il peut y avoir un modèle ou un déterminant qui pèse plus que d’autres. D’où l’importance de la typologie dressée dans ce travail grâce à l’exploitation minutieuse des données récoltées sur terrain.

Conclusion Pour comprendre les échecs des enseignants de l’ESU à Butembo, il faut s’inscrire dans le contexte local et la logique des électeurs. Les enseignants de l’ESU n’ont pas un ancrage social solide pour se faire élire. Leur logique semble être en opposition avec la logique des électeurs qui élisent ceux qui leur ressemblent. Ces enseignants sont accusés d’être déconnectés de la vie sociale, ce sujet, voir T. FRINAULT et. al., Nouvelle sociologie politique de la France, Armand Colin, Paris, 2021, pp. 159-161. 31 R. INGLEHART, Op. cit. 32 P. BRAUD, La science politique, Coll. « Que sais-je ? », Presses universitaires de France, Paris, 2023, p. 69.

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ils vivent dans un monde différent de celui des électeurs. Ceci diminue la confiance en eux en dépit de leurs connaissances et savoir-faire, impacte négativement sur leur capital social à construire. Ils n’ont pas d’actions sociales dans la société soit par manque de stratégies, soit par manque d’argent, soit par manque d’objectifs. Ces enseignants se comporteraient en opportunistes, car ils s’improvisent candidats sans préparation sur la longue ou moyenne durée. Ce faisant, un certain nombre de suggestions ont été adressées aux enseignants de l’ESU qui ont des ambitions politiques. Il s’agit entre autres : d’être actifs dans la société, d’éviter l’orgueil scientifique, de lire le comportement électoral local afin de choisir un parti et des alliés qui sont en harmonie avec ce comportement, de choisir une équipe de campagne à la hauteur de l’enjeu, de se préparer conséquemment et de former les électeurs afin qu’ils comprennent la qualité que doivent avoir les élus députés nationaux. Références bibliographiques Angus CAMPELL, Philip CONVERSE, Warren MILLER, Donald STOKES, The American voter, 1re édition, New York, Wiley and Sons, 1960. Anthony DOWNS, An Economic theory of Democracy, New York: Harper and Row, 1957. André SIEGFRIED, Tableau politique de la France de l’Ouest, Paris, 1913. BUREAU URBAIN DE L’ÉTAT CIVIL, Tableau synoptique de la population bobolaise par groupe d’âge et de sexe, Rapport annuel, 2020. Étienne FARVAQUE et Sonia PATY, Économie de la démocratie, De Boeck, Bruxelles, 2009. Gerald H. KRAMER, « Short-term fluctuations in U.S. voting behavior, 1896- 1964 », in American Political Science Review, N°65, 1971. Isaac MUHINDO KIVIKYAVO, Participation politique et comportement électoral en ville de Butembo. Identités des dirigeants, adhésions aux partis politiques, déterminants de 160

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Gestion des démarches d’apprentissage en classes pléthoriques par les enseignants de l’école primaire de la ville de Kindu Roger NGONGO MEDARD Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation Université de Kindu [email protected] Résumé Notre recherche a pour intitulé : gestion des démarches d’apprentissage en classes pléthoriques par les enseignants de l’école primaire de la ville de Kindu (observations des élèves finalistes par le modèle de Lessard et Schmidt). En entreprenant cette recherche, nous nous préoccupons de la manière dont les enseignants des écoles primaires publiques de la ville de Kindu gèrent leurs démarches d’apprentissage des élèves avec ces effectifs pléthoriques a été le problème au centre de cette recherche. Après investigation, nous sommes arrivés aux conclusions suivantes : l’application du modèle par les enseignants des écoles primaires de la ville de Kindu ne respecte pas la hiérarchie présentée de Lessard et Schmidt ; de toutes les variables sociodémographiques prises en compte (6), 2 variables (réseaux et écoles) expliquent très significativement la gestion des démarches d’apprentissage des élèves, alors qu’une seule variable (ancienneté des enseignants) qui influence significativement la gestion des démarches d’apprentissage des élèves et enfin trois derniers (âge des élèves, âge des enseignants et la taille de la classe) n’expliquent pas significativement la gestion des démarches d’apprentissage. Mots-clés : gestion, démarches d’apprentissage, classes pléthoriques, enseignants, écoles.

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Abstract Our research focused on Management of learning approaches in overcrowded classes by primary school teachers in the city of Kindu, (Analysis of finalist students by the model of Lessard and Schmidt). In undertaking this research, the way in which public primary school teachers in the city of Kindu manage their student learning approaches with these overstaffed numbers has been the problem at the center of this research. After investigation, we came to the following conclusions : the application of the model by primary school teachers in the city of Kindu does not respect the hierarchy presented by Lessard and Schmidt; all the sociodemographic variables taken into account (6), 2 variables (networks and schools) very significantly explain the management of students' learning approaches, while only one variable (seniority of teachers) which significantly influences the management of learning approaches student learning and finally the last three (student age, teacher age and class size) do not significantly explain the management of learning processes. Keywords: Management, learning approaches, overcrowded classes, teachers, schools. Introduction La mise en place de la gratuité de l’enseignement de base (sans préparation conséquente) crée beaucoup d’autres problèmes dont voici quelques-uns que nous avons observés dans les écoles primaires de la ville de Kindu : le taux d’encadrement dans le rouge (il y a aujourd’hui des classes qui ont plus de 140 élèves), la qualité de l’éducation est en danger, le paiement des enseignants pose problème (les enseignants non payés et non mécanisés ne touchent plus rien et ceux qui touchent trouvent leur rémunération insuffisante, voire insignifiante… les enseignants des écoles primaires publiques tentent de grever à cause du traitement inégal en faveur des élèves [qui ne payent plus] et en défaveur des enseignants [qui ne savaient plus nouer les deux bouts du mois].

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L’âge des enseignants très avancé, ce qui ne peut pas les permettre de bien encadrer les classes avec pléthore d’effectifs. Au regard de tout ce qui précède, la manière dont les enseignants des écoles primaires publiques de la ville de Kindu gèrent leurs démarches d’apprentissage des élèves dans les classes pléthoriques a été le problème au centre de cette recherche suivant l’appréhension que le rendement qualitatif du système entraine le processus Enseignement-Apprentissage ; d’où les quatre questions suivantes : quel niveau de l’échelle les élèves finalistes des classes pléthoriques observent-ils dans la gestion des démarches d’apprentissage des élèves par leurs enseignants ? Quelles démarches d’apprentissage des élèves finalistes des classes pléthoriques les élèves identifientils chez leurs enseignants sur base du modèle de Lessard et Schmidt ? Quelle hiérarchie les élèves peuvent-ils observer dans l’utilisation de ces démarches d’apprentissage par leurs enseignants ? Quelles variables peuvent influencer la hiérarchie de ces démarches d’apprentissage utilisées par les enseignants suivant l’observation des élèves ? Pour répondre à nos questions du départ, nous avons élaboré quatre hypothèses suivantes : étant donné la théorie de l’encadrement pédagogique de G. Delandsheere qui souligne que plus les effectifs à gérer par l’enseignant en classe sont grands, moins il encadre bien ses élèves, nous pensons que les élèves observeront le niveau « rarement » dans la gestion des démarches d’apprentissage des élèves par leurs enseignants ; étant donné la relation entre les effectifs élevés des élèves dans les classes et le recours des enseignants à des modèles adaptés de leur gestion telle que le postule Lessard et Schmidt dans leurs recherches sur les démarches d’apprentissage ainsi que les théories correspondantes élaborées par G. Delandsheere ainsi que Archambault et Chouinard, 2003) sur l’encadrement, les observeront chez leurs enseignants toutes les cinq démarches d’apprentissage associées au modèle correspondant de Lessard et Schmidt dans lequel sont déclinées les démarches d’apprentissage suivant : étant donné le caractère adapté du modèle de Lessard et Schmidt conçu sur base de réalités d’un système éducatif étranger tel qu’inspiré du modèle de Rousseau et Boutet, la hiérarchie des démarches d’apprentissage identifiées par les élèves chez leurs enseignants des classes pléthoriques de fin du primaire de Kindu est différente de celle 165

présentée dans le modèle de base ; avec ces effectifs observés, nous pensons aussi que les variables sociodémographiques telles que l’école fréquentée, l’effectif des élèves, le régime de gestion, l’ancienneté de l’enseignant, l’âge de l’enseignant et l’âge des élèves influencent significativement la relation entre la pléthore des effectifs et la qualité des démarches d’apprentissage. De manière générale, notre objectif est d’appliquer le modèle théorique d’observation pédagogique de Lessard et Schmidt à l’identification par les élèves des classes pléthoriques de fin du primaire de Kindu des démarches d’apprentissage utilisées par leurs enseignants dans la gestion de leurs classes. I. Méthodologie Notre population d’étude a été constituée de 6199 élèves finalistes des écoles primaires de la commune de Kasuku, dans la ville de Kindu durant l’année scolaire 2021-2022. De cette population, nous avons tiré un échantillon aléatoire simple de 432 élèves. Comme voie pour atteindre les enquêtés, nous avons recouru aux méthodes d’enquête et d’observation. Pour récolter les données, nous avons élaboré un questionnaire du type échelle à partir du modèle théorique de Lessard et Schmidt. Cette échelle avait quatre niveaux : très souvent, souvent, rarement et jamais d’un côté, et un Protocol d’observation post-facto de l’autre côté. Pour traiter nos données, nous avons recouru au logiciel SPSS qui nous a permis, à l’aide de la méthode statistique, d’utiliser quelques techniques statistiques, la conversion des fréquences en pourcentages, le calcul de la médiane, le test chi-carré pour tester la signification des différences entre les fréquences et le test alpha de Cronbach pour tester la validité de notre instrument de recherche. Les données ont été collectées durant la période allant du mardi 14 au mardi 21 juin 2022. II. Résultats Dans cette section, nous présentons et analysons, interprétons et discutons les résultats issus de notre recherche sur la gestion des 166

démarches d’apprentissage des élèves par les enseignants des écoles primaires de la ville de Kindu. Il s’agit de la description globale des résultats, selon les variables, selon les dimensions et enfin des discussions s’en sont suivies. 2.1. Présentation et analyse des résultats 2.1.1. Présentation globale des résultats Dans cette section du travail, il a été question de présenter les résultats de manière globale (sans tenir compte des dimensions liées à la gestion des démarches d’apprentissage de manière séparée). Tableau 1 : Résultats globaux de la gestion des démarches d’apprentissage des élèves ni

Mdn

432

3

Légende : ni=effectif, Mdn=médiane Source : Résultat des analyses faites sur le logiciel de traitement des données statistiques SPSS

Il ressort de ce tableau que 432 élèves ont pris part à notre enquête et ont réalisé comme valeur médiane 3 (Mdn=3). Autrement dit, les réponses fournies par les élèves enquêtés montrent de manière globale que leurs enseignants gèrent « très souvent » les démarches d’apprentissage des élèves selon le modèle explicatif retenu dans cette étude. 2.1.2. Présentation des résultats selon les dimensions de gestion des démarches d’apprentissage Dans cette partie du travail, il a été question de présenter les résultats globaux selon la hiérarchie des dimensions qui composent la gestion des démarches d’apprentissage des élèves, en suite nous avons présenté les résultats selon les sous-thèmes ou dimensions de cette gestion et enfin nous avons vérifié les

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variables qui influencent la gestion des démarches d’apprentissage des élèves. 2.1.3.

Présentation de la hiérarchie de l’application des dimensions par les enseignants

En voulant voir comment le modèle est appliqué par les enseignants des classes avec pléthore d’effectifs, nous avons trouvé après les analyses que les enseignants appliquent les dimensions proposées par Lessard et Schmidt comme nous renseigne le tableau 2. Tableau 2 : Présentation des résultats selon la hiérarchie des dimensions

Dimensions Responsabiliser l'élève Donner des rétroactions fréquentes Soutenir l'apprentissagedesélèves Promouvoir l'engagement des élèves encourager l'élève à se lancer des défis Total

ni 432 432 432 432 432 432

Mdn 2 2 3 3 3 3

Source : Résultat des analyses faites sur le logiciel de traitement des données statistiques SPSS

Il ressort de ce tableau que 432 élèves ont participé à notre enquête. L’application du modèle de Lessard et Schmidt se présente selon la hiérarchie suivante : soutenir l’apprentissage des élèves (Mdn=3) ; promouvoir l’engagement des élèves (Mdn=3) ; encourager l’élève à se lancer des défis (Mdn=3) ; responsabiliser l’élève (Mdn=2) ; donner des rétroactions fréquentes (Mdn=2). Ces résultats montrent que l’application des dimensions de la gestion des démarches d’apprentissage des élèves par les enseignants des classes à effectifs pléthoriques des écoles primaires de

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la commune de Kasuku ne respecte pas la hiérarchie présentée de Lessard et Schmidt dans leur modèle théorique. Ayant déjà une idée globale sur la façon dont la hiérarchie des dimensions du modèle exploité se pressante dans l’application par les enseignants, nous avons présenté de manière détaillée les résultats selon les sous-thèmes retenus dans cette recherche comme cela se présente dans le point 3.1.2.2. ci-dessous. 2.1.3.1. Présentation des résultats selon les dimensions de la gestion des démarches d’apprentissage des élèves Dans cette partie du travail, nous avons présenté nos résultats selon les cinq dimensions de la gestion des démarches d’apprentissage retenues dans le modèle théorique de Lessard et Schmidt que nous présentons comme suit. a) Responsabiliser l’élève Tableau 3 : Réponses des élèves par rapport à la façon dont ils sont responsabilisés par leurs enseignants

Source : Résultat des analyses faites sur le logiciel de traitement des données statistiques SPSS

Il ressort de ce tableau que sur 432 élèves qui ont répondu à notre enquête, 196 sujets soit 45 % pensent que leurs enseignants leur responsabilisent souvent dans la salle de classe, alors que 133 autres soit 31 % disent que cela arrive rarement, puis 83 autres soit 19 % avouent que leurs enseignants les responsabilisent très souvent et enfin 20 derniers soit 5 % qui confirment que leurs enseignants ne les responsabilisent jamais. 169

En appliquant le test de Chi-carré pour se rassurer de la signification de la différence entre les fréquences, nous avons trouvé que la probabilité associée au test chi-carré est inférieure au seuil de 0,01 (p=0,00