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LE SOUCI DE TOUTES LES ÉGLISES HOMMAGE À JOSEPH FAMERÉE
LE SOUCI DE TOUTES LES ÉGLISES
BIBLIOTHECA EPHEMERIDUM THEOLOGICARUM LOVANIENSIUM
EDITED BY THE BOARD OF EPHEMERIDES THEOLOGICAE LOVANIENSES
L.-L. Christians, J. Famerée, É. Gaziaux, J. Geldhof, A. Join-Lambert, M. Lamberigts, J. Leemans, D. Luciani, A.C. Mayer, O. Riaudel, J. Verheyden
EXECUTIVE EDITORS
J. Famerée, M. Lamberigts, D. Luciani, O. Riaudel, J. Verheyden
EDITORIAL STAFF
R. Corstjens – C. Timmermans
UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN LOUVAIN-LA-NEUVE
KU LEUVEN LEUVEN
BIBLIOTHECA EPHEMERIDUM THEOLOGICARUM LOVANIENSIUM CCCXIV
LE SOUCI DE TOUTES LES ÉGLISES HOMMAGE À JOSEPH FAMERÉE
ÉDITÉ PAR
BENOÎT BOURGINE
PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT
2020
A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. ISBN 978-90-429-4303-2 eISBN 978-90-429-4304-9 D/2020/0602/132 All rights reserved. Except in those cases expressly determined by law, no part of this publication may be multiplied, saved in an automated data file or made public in any way whatsoever without the express prior written consent of the publishers. © 2020 – Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven (Belgium)
TABLE DES MATIÈRES PRÉFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
XI
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
XIII
JOSEPH FAMERÉE. UNE BIOGRAPHIE SCIENTIFIQUE . . . . . . . . . . . . . . .
XXIII
JOSEPH FAMERÉE. BIBLIOGRAPHIE SCIENTIFIQUE . . . . . . . . . . . . . . . .
XXIX
I L’ŒCUMÉNISME RÉTROSPECTIVE ET PROSPECTIVE
Étienne FOUILLOUX (Lyon) Un demi-siècle avec l’œcuménisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3
Philippe CHENAUX (Roma) Paul VI, un cheminement œcuménique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
Mathijs LAMBERIGTS – Leo DECLERCK (Leuven) Vatican II on Thomas. The Debate about Thomas in the Commission for Seminaries, Studies, and Universities . . . . . . . . . . . . . .
29
Peter DE MEY (Leuven) Preparing the Ground for Fruitful Dialogue with the Orthodox. An Important Motivation of the Ecumenical ‘Avant-garde’ during the Redaction History of Lumen gentium, Unitatis redintegratio and Orientalium Ecclesiarum (1959-1964) . . . . . . . . . . . . . . . . .
57
Michel STAVROU (Paris) La notion de «théophanie» chez Jean Scot Érigène. Un parallèle avec la doctrine de saint Maxime le Confesseur . . . . . . . . . . . .
87
Hans-Christoph ASKANI (Genève) Pour un œcuménisme autrement ouvert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Michel DENEKEN (Strasbourg) – Élisabeth PARMENTIER (Genève) La «Guérison des mémoires». Un projet œcuménique pour surmonter un passé de douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
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André BIRMELÉ (Strasbourg) La sacramentalité de l’Église. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 II DES ECCLÉSIOLOGIES EN MOUVEMENT SYNODALITÉ, PRIMAUTÉ, MINISTÈRES
Annemarie C. MAYER (Leuven) On the Way to Renewed Synodality. Some Roman Catholic Reflections . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 Silvia SCATENA (MODENA) Le CELAM et Amerindia. Mémoire d’un dialogue sur la théologie de la libération (Bogotá, juillet 2006 – mars 2007) . . . . . . . . . . . .
195
Sorin SELARU (Bucarest) Nouvelle «bibliographie obligatoire» dans le dialogue théologique catholique – orthodoxe? Le Concile de Crète et les conciles possédant une autorité universelle dans l’Église orthodoxe . . . 215 Jean-François CHIRON (Lyon) Ce que le pape doit à saint Paul. Aux origines de la légitimité du ministère pétrinien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233 Michel FÉDOU (Paris) Primauté et communion selon Jean Chrysostome . . . . . . . . . . . 253 Christophe D’ALOISIO (Bruxelles) Ordinations de femmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269 Alphonse BORRAS (Louvain-la-Neuve) Le diaconat, un ministère en mal de consistance? . . . . . . . . . . 297 III YVES CONGAR TRAJECTOIRE ET INFLUENCE
Alberto MELLONI (Modena) Vraie réforme, vrai concile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333 Gilles ROUTHIER (Québec) Transgresser les frontières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343
TABLE DES MATIÈRES
IX
IV OUVERTURE
Léonard SANTEDI KINKUPU (Kinshasa) Évangélisation des cultures et engagement pour le développement des sociétés en contexte africain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 357 Anne Marie REIJNEN (Paris) The Scope of Redemption. Life in the Universe . . . . . . . . . . . . 369 ABRÉVIATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
387
INDEX ONOMASTIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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© Photo: Vinciane Lacroix 2019
PRÉFACE
«Voici des hommes de bien dont les bienfaits n’ont pas été oubliés» (Si 44,10). Faire mémoire de ceux qui l’ont précédé: voilà qui ne vient pas spontanément au moderne, enclin à regarder comme un dû le legs du labeur d’autrui, et il est bon que la Bible lui rappelle à contretemps le devoir de la gratitude. Pour ce volume d’hommage à Joseph Famerée, qui accède à l’éméritat en 2020 au terme d’une longue et féconde carrière académique, nul besoin de recourir à la sagesse biblique. Malgré des agendas bien chargés, collègues et amis ont répondu avec empressement à l’invitation de signifier à notre collègue que «les bienfaits n’ont pas été oubliés» – des bienfaits nombreux, dispensés avec la ponctualité, l’obligeance et la modestie qui siéent à «l’homme de bien». «Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage». Boileau n’a pas eu le privilège de côtoyer Joseph Famerée au cours des trois dernières décennies, mais il n’aurait pu mieux décrire son dévouement inlassable au service de la théologie académique, de sa Faculté de théologie et de l’Université catholique de Louvain. Que l’on mette en avant la constance du confrère ou la jovialité de l’ami, peu avare en traits d’esprit, c’est un honneur et une joie de rassembler ici l’expression de notre commune reconnaissance qui s’adresse, certes, à l’auteur d’une œuvre imposante, ayant fait l’objet d’un recueil dans cette collection même1, mais surtout à l’homme qui inspire le respect et l’estime les plus sincères. Ad multos annos! La réalisation de cet hommage est une œuvre collective. Que soient remerciés pour leur travail, outre les auteurs des articles, Samuel Dolbeau, Augustin Kamb Ganz, Alexis Pidault et Pedro Valinho Gomes. Une vive reconnaissance est due à Claire Timmermans, qui a assuré l’essentiel de la confection du volume. Nous remercions également les éditions Peeters, ainsi que Joseph Verheyden et le comité de rédaction des Ephemerides Theologicae Lovanienses qui ont accueilli, puis accompagné la réalisation de cet ouvrage. Faculté de théologie Université catholique de Louvain
Benoît BOURGINE
1. J. FAMERÉE, Ecclésiologie et œcuménisme. Recueil d’études (BETL, 289), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2017.
INTRODUCTION
Le «souci de toutes les Églises» constitue le fil rouge des contributions présentées dans ce volume d’hommage offert au professeur Joseph Famerée à l’occasion de son éméritat. «Fatigues et peine, veilles souvent; faim et soif, jeûne souvent; froid et dénuement; sans compter tout le reste, ma préoccupation quotidienne, le souci de toutes les Églises» (2 Co 11,27-28). L’apôtre Paul a montré avec quelle obstination il convenait de poursuivre le bien de l’Église – de toutes les Églises, qui font vibrer par leur diversité la gloire du Dieu unique, à l’instar des variantes de la cathédrale de Rouen où Monet saisit l’infinie variété des couleurs que distille sur les pierres chatoyantes le soleil de Normandie. L’Église une resplendit des innombrables dons de Dieu, comme autant de lueurs contrastées. Ce jeu de lumière renvoie par sa gratuité et sa magnificence à l’œuvre de la sagesse, occupée à être aux côtés de Dieu comme un enfant chéri, à faire ses délices chaque jour, à jouer devant lui en tout temps, trouvant ses délices avec les fils d’homme (cf. Pr 8,30-31). L’Apôtre le sait, il aurait beau s’accabler de fatigues et de préoccupations, c’est à cette sagesse venue d’en haut, en apparence espiègle, qu’il doit la fécondité de ses travaux; son souci n’est pas vain dès que s’invite la sagesse de Dieu qui le récrée et fait croître ce qu’il a semé, audelà de toute imagination. Une première partie traite de l’œcuménisme sous l’angle d’un regard rétrospectif et d’une vision prospective. La communion espérée entre les Églises ne relève pas d’une volonté d’uniformité entre les cultures et les traditions qui ont su accueillir l’Évangile. Elle se recommande de l’attestation due au Dieu Un – le Dieu d’amour, impatient de rassembler dans l’unité ses enfants dispersés. Cheminant dans l’opacité des mémoires, pardelà la pesanteur des institutions, le désir de faire prévaloir la communion sur l’acrimonie des divisions ne peut se dispenser d’un long travail d’histoire et de théologie. Étienne Fouilloux (Lyon) relit sa propre trajectoire œcuménique et scientifique longue de cinq décennies, à travers les diverses saisons de l’œcuménisme: enthousiasme des Sixties, retour des identités confessionnelles au tournant des Seventies, puis recul des années 80-90; son propre positionnement évoluant d’une posture confessante vers un agnosticisme méthodologique. Depuis lors, Fouilloux note avec réalisme que l’œcuménisme pâtit de l’effet conjugué des progrès de l’islam, du protestantisme évangélique et du déplacement vers le sud du centre de gravité du christianisme.
XIV
B. BOURGINE
Si les tentations ne manquent pas sur le chemin de l’unité, elles n’ont jusqu’ici pas entamé la détermination des trois confessions chrétiennes dans leur engagement œcuménique. Philippe Chenaux (Rome) présente un dossier nuancé de la position œcuménique de Giovanni Battista Montini, tout au long de son parcours. Sensible à la question, le prélat fait longtemps preuve d’intransigeance dogmatique avant que se dessine une évolution aboutissant à la levée des excommunications avec l’Église orthodoxe du Patriarcat œcuménique en 1965 et, dix ans après, au geste d’humilité par lequel Paul VI baise les pieds du Métropolite Méliton, délégué du Phanar. Dans sa théologie, ce pape n’en fait pas moins prévaloir la primauté romaine sur l’ecclésiologie de communion. Mathijs Lamberigts et Leo Declerck (Leuven) s’intéressent à un aspect singulier de l’histoire du Concile Vatican II, documenté à partir d’une étude de première main des Archives apostoliques du Vatican (Archivio Segreto Vaticano): le débat au sein de la Commission des études, des séminaires et des universités sur la place qu’il convient d’accorder dans l’enseignement à saint Thomas d’Aquin. Les auteurs suivent avec soin les différentes séances plénières de la commission, qui constituent autant d’épisodes d’une saga riche en rebondissements. Les rapports de force s’établissent entre inconditionnels du Docteur Angélique, emmenés par le Maître général de l’ordre dominicain, et partisans d’une attitude de réserve, conforme à la tradition tendant à refuser un quelconque monopole. Peter De Mey (Leuven) examine les archives relatives à Vatican II de trois œcuménistes catholiques: Christophe-Jean Dumont, Yves Congar et Emmanuel Lanne. Comment la perspective de l’ouverture d’un dialogue de l’Église catholique avec l’orthodoxie détermine leur positionnement tout au long du processus de préparation et de rédaction des trois documents conciliaires concernés (Lumen gentium, Unitatis redintegratio, Orientalium Ecclesiarum)? Ces archives éclairent leur préoccupation de faire passer l’Église catholique de l’uniatisme à l’œcuménisme – ce qui équivaut à un changement de regard et d’attitude vis-à-vis des autres Églises et traditions. L’activité d’Emmanuel Lanne, qui met la notion de communion au centre de la conception ecclésiologique dans les relations avec l’orthodoxie et presse les autorités romaines de respecter l’autonomie des catholiques orientaux, apparaît particulièrement éclairée. Michel Stavrou (Paris) envisage la notion de théophanie chez un auteur majeur du Xe siècle latin, Jean Scot Érigène. Admirateur de la tradition des Pères grecs, l’Érigène développe une ample connaissance de leurs ouvrages théologiques, bien qu’il reste privé d’accès à leur expérience liturgique. Et Stavrou d’entrer dans la théorie de la connaissance déployée par le
INTRODUCTION
XV
Periphyseon, ouvrage métaphysique où Dieu est présenté comme origine et fin de la nature créée et incréée. Dans la proposition de Jean Scot, le processus gnoséologique allant de l’intellectus au sensus en passant par la ratio fait de l’homme le médiateur de toutes les créatures. Stavrou identifie l’influence de Maxime le Confesseur sur Jean Scot: pour le père de la théologie byzantine, l’homme est également le «lien naturel» de toute la création. Dans le système intellectualiste de l’Érigène, cependant, Dieu ne se connaît pas en lui-même et ne peut relever de l’intelligible sans la médiation de ses théophanies. En ce sens, l’Érigène s’écarte de la doctrine de Maxime pour lequel Dieu se connaît lui-même et la création est radicalement contingente. Hans-Christoph Askani (Genève) avance la formule d’un œcuménisme ouvert autrement – une proposition de nature à convertir profondément le regard que les confessions chrétiennes portent les uns sur les autres et qui conduit à rendre grâce pour les expériences du mystère chrétien vécues dans les autres confessions plutôt que de les déplorer. Le christianisme conjoint l’élément du rite et l’élément de la parole, tels deux pôles en tension entre dicibilité et indicibilité de Dieu, entre vie et mortalité de l’homme. Rite et parole tiennent ensemble dans l’espace de la religion. L’Église catholique fait prévaloir le rite (de même que les Églises orientales), les Églises protestantes, la parole, sans qu’aucune dénomination ne parvienne à un équilibre. L’ensemble vécu qu’est une confession particulière représente plutôt une actualisation du déséquilibre entre les deux pôles qui doivent rester en tension, s’ils ne veulent pas disparaître comme pôles d’une structure vivante. L’équilibre instable du rite et de la parole existe ainsi en chaque confession selon une inévitable unilatéralité. Et si la vérité en Jésus-Christ, incommensurable, suggérait de se réjouir du dépassement de l’inévitable unilatéralité confessionnelle que représente l’existence d’une autre confession? L’œcuménisme deviendrait celui de la «foi partagée». Michel Deneken (Strasbourg) et Élisabeth Parmentier (Genève) s’attachent à une thématique majeure de l’actualité œcuménique: la guérison des mémoires. Comment se réconcilier entre Églises dont les relations sont entachées d’un passé de persécutions? Deux rapports de dialogues bilatéraux de la Conférence mennonite mondiale, l’un mené avec l’Église catholique, l’autre avec la Fédération luthérienne mondiale, sont examinés. L’histoire est un préalable: pas de dialogue sans l’établissement des faits à l’intérieur d’un récit commun. Le premier rapport de dialogue, entre catholiques et mennonites, intitulé Appelés ensemble à faire œuvre de paix (2003), résulte de cinq années de dialogue. Les résultats, étonnamment significatifs pour des Églises si différentes, invitent à réfléchir à la notion de «guérison des mémoires»: entre amnésie et hypermnésie, l’attitude renvoie, loin de
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B. BOURGINE
tout volontarisme voué à l’échec, à une purification indispensable pour assumer le passé et ouvrir le présent au dialogue vrai avec l’autre. Quant au rapport du dialogue mennonite-luthérien, intitulé Guérir les mémoires: se réconcilier en Christ (2010), il procède à des révisions drastiques des condamnations passées. Lors d’une Assemblée générale de la Fédération luthérienne mondiale (FLM), une déclaration réciproque et un culte partagé ont scellé symboliquement une réconciliation. Outre l’élaboration d’un récit du passé et une cérémonie publique, la guérison des mémoires confessionnelles passe par un processus de conversion attentif au lien anthropologique et théologique entre identité et mémoire, ainsi que l’envisage le document que le Groupe des Dombes a proposé en 1991: Pour la conversion des Églises. Identité et changement dans la dynamique de communion. André Birmelé (Strasbourg) examine deux documents de dialogues régionaux entre catholiques et protestants sur la question de l’Église sacrement, qui interpellent quant à la cohérence de l’ecclésiologie de chacune des confessions concernées. Le dialogue catholique-luthérien en Finlande a donné lieu à un document publié en 2017 et intitulé Communion in Growth (CIG). Birmelé observe que la partie luthérienne adopte une définition et une extension de la sacramentalité qui excèdent la tradition du luthéranisme, notamment pour ce qui regarde l’eucharistie et le ministère, y compris le ministère épiscopal et pétrinien. Le dialogue entre l’Église catholique et la communion des Églises protestantes en Europe qui comprend des luthériens, des réformés et des méthodistes a abouti à un texte d’accord intitulé Église et Communion d’Églises (ECE). C’est là encore l’Église comme sacrement qui a constitué le point de départ du dialogue et qui détermine une convergence globale des ecclésiologies, sauf sur la question du ministère où les différences confessionnelles sont posées. Si CIG dessine un ralliement aux thèses catholiques au point de mettre les luthériens finlandais en décalage des thèses entérinées par la Fédération luthérienne mondiale, ECE reflète mieux le consensus luthérien, même s’il distingue de manière fort peu traditionnelle Église visible, communion des croyants célébrant en vérité et, enfin, Église invisible. Des remarques analogues peuvent être avancées concernant les positions catholiques des deux documents. Une deuxième partie aborde les questions ecclésiologiques les plus actuelles: la requête de synodalité et de conciliarité, qui se fait jour tant dans l’Église catholique que dans l’Église orthodoxe; la réforme du ministère pétrinien, que recommande le bien suprême de la communion; la conception du ministère dans l’Église, où «il n’y a plus ni Juif, ni Grec; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre; il n’y a plus l’homme et la femme; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ» (Ga 3,28).
INTRODUCTION
XVII
Annemarie C. Mayer (Leuven) réfléchit à un renouveau de la synodalité dans le contexte de la crise profonde que connaît actuellement l’Église catholique. L’épisode du concile de Jérusalem en Ac 15 est le modèle habituellement retenu pour caractériser la démarche synodale, conduisant à une décision prise dans la foi, mais que Jacques exprime en première personne. La synodalité consiste pour le peuple de Dieu à marcher d’un même pas. Le document de la Commission théologique internationale sur ce thème y voit le modus vivendi et operandi de la vie de l’Église comme communion. Mayer dégage les fondations théologiques de cette réalité essentielle et déploie sur différents registres la manière de la rendre plus effective dans le tissu ecclésial, par un habitus d’échange et de délibération, par le respect du sensus fidelium et par l’exercice de la collégialité. Silvia Scatena (Modena) met à jour le dialogue qui eut lieu entre le Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) et un groupe de théologiens de la libération d’Amerindia entre juillet 2006 et mars 2007, dans la perspective de la cinquième conférence générale de l’épiscopat latino-américain de mai 2007 à Aparecida. La prudence est de rigueur de la part de théologiens qui ont désappris la confiance envers un épiscopat en phase avec une attitude romaine très critique vis-à-vis de la théologie de la libération. Une assemblée ordinaire d’Amerindia se tient à Bogotá en juillet 2006 tandis que, coïncidence fortuite, se réunit la présidence du CELAM au même moment dans la capitale colombienne. Entre les deux organes, un dialogue s’établit prudemment. Par la suite, une invitation formelle du CELAM parvient à Amerindia en vue d’une rencontre prévue en mars 2007 à Bogotá entre cinq évêques et cinq théologiens. Cet événement de deux jours, alternant exposés et échanges de vues, fut un moment décisif dans les relations entre théologiens et épiscopat – ce que confirme la présence discrète mais efficace des théologiens à Aparecida en mai 2007 lors de la conférence générale de l’épiscopat, et cela en dépit de la notification de la CDF rendue publique en mars 2007 condamnant deux ouvrages de Sobrino. Il s’agit là d’un épisode ô combien significatif de l’histoire des relations mouvementées entre magistère catholique et théologie depuis Vatican II. Sorin Selaru (Bucarest) s’emploie à préciser l’autorité que s’attribue le Saint et Grand Concile de Crète (2016), parmi les conciles dotés d’une «autorité universelle» dans l’Église orthodoxe, dont l’encyclique du Concile dresse la liste couvrant un millénaire (IXe-XIXe siècle) – aucune Église ne pouvant réunir de concile œcuménique depuis le grand schisme du XIe siècle. L’enjeu est pour l’Église orthodoxe de s’inscrire dans la continuité de sa tradition conciliaire depuis Nicée II (787), dernier des conciles œcuméniques et, ultimement, de définir son identité ecclésiale. La question des critères dans le choix des conciles retenus reviendra sans
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doute au-devant de la discussion, tout au long du processus de réception des documents de Crète au niveau panorthodoxe. L’orthodoxie se donne ainsi une expression de son ecclésialité qui ne peut que rejaillir sur les relations qu’elle entretiendra dans l’avenir avec ses partenaires œcuméniques. Jean-François Chiron (Lyon) reprend une question qui a connu des développements récents, assez inattendus: est-il de bonne tradition d’associer l’apôtre Paul au Prince des apôtres pour fonder la légitimité du Siège apostolique? Au XVIIe siècle, un auteur sympathisant de Port-Royal est condamné par le Saint-Office pour avoir soutenu que «s. Paul était, aussi bien que s. Pierre, Évêque de Rome». La question rebondit au début du XXe siècle avec Max de Saxe et Mgr Duchesne en pleine crise moderniste. Selon l’apologétique en vigueur, Pierre serait l’unique titulaire du Siège romain, le seul évêque-pape initiant la série des papes, dûment détaillée par l’Annuario pontificio. L’œuvre de Tillard rebat les cartes, en rappelant que l’autorité vient du siège (sedes) et non du titulaire qui l’occupe (sedens): l’autorité de l’Église locale de Rome confère primauté à l’évêque de Rome, et non l’inverse. Des auteurs de sensibilité romaine, emmenés par A. Garuti, opposent l’autre tradition reliant l’autorité du siège romain à la relation personnelle du Christ à Pierre. Est-ce donc l’Église qui donne un statut particulier à son titulaire ou le prestige du titulaire qui donne au siège son lustre? Le pape est-il évêque de Rome ou successeur de Pierre? Chiron clarifie le débat en rappelant qu’avant tout, il convient de faire droit à l’antériorité de la tradition des apôtres Pierre et Paul au principe de l’autorité du siège romain, qu’ensuite il y a l’Église de Rome à laquelle est reconnue un statut particulier, et qu’enfin il y a l’évêque de cette Église – sachant que l’épiscopat monarchique est inconnu à Rome avant le milieu du IIe siècle. Chiron rappelle l’importance d’enraciner le pape dans l’Église locale qu’il sert comme ministre, en soulignant qu’il n’est pas expédient de faire de Pierre le premier évêque d’une série, étant apôtre et non évêque; on évite ainsi d’exclure la figure de Paul. Michel Fédou (Paris) s’intéresse à l’ecclésiologie de Jean Chrysostome dont l’autorité jouit d’une égale reconnaissance des Églises d’Orient et d’Occident. Sur la question de la primauté romaine, orthodoxes et catholiques lui attribuent des positions diamétralement opposées. Fédou commente les textes que Jean Chrysostome consacre à l’apôtre Pierre dans ses commentaires et homélies sur les Écritures: Jean y affirme son autorité, la prééminence dont il jouit vis-à-vis des autres apôtres – ce qui ne signifie encore rien sur la manière dont Jean Chrysostome se représente la nature du ministère de l’évêque de Rome. Pour Fédou, aucun des textes de Jean Chrysostome ne peut être allégué pour affirmer qu’il aurait soutenu la
INTRODUCTION
XIX
primauté de l’évêque de Rome. Cela ressortirait-il de certains épisodes de sa vie? Devenu évêque de Constantinople, Jean Chrysostome s’attache à résoudre le conflit entre Rome et Antioche, montrant ainsi le respect en lequel il tenait le siège romain. Lors des événements dramatiques de 404, Jean Chrysostome en appelle au pape Innocent en vertu de son autorité universelle, afin de casser la sentence qui le vise injustement. Le siège romain apparaît donc, non comme une autorité pouvant se substituer à toute autre, mais une instance d’appel que l’on invoque en dernier ressort. Christophe d’Aloisio (Bruxelles) aborde un sujet récurrent de la théologie des ministères: la question de l’ordination des femmes. La question est distincte de la misogynie, qui est loin d’avoir disparu des pratiques ecclésiales, alors même qu’elle est une injure à l’anthropologie chrétienne. La question du diaconat féminin a fait l’objet d’études et de discussion dans l’orthodoxie. Les contours de ce ministère ne font pas l’unanimité; de toute façon, le climat de conservatisme moral qui a suivi le retour à la liberté des sociétés d’Europe de l’Est rend la question largement théorique. D’Aloisio se penche sur les catégories argumentatives employées dans la théologie orthodoxe contemporaine à propos des ministères féminins. Certains défendent une anthropologie qui voit la différenciation sexuelle comme un substrat à prendre en compte pour les fonctions ecclésiales: la masculinité de Jésus-Christ serait prototype du prêtre. D’autres relient le masculin au Verbe et le féminin à l’Esprit. D’Aloisio souligne la faiblesse de cette argumentation et rappelle l’urgence d’une prise de conscience ecclésiale de l’état de minorité dans lequel sont laissées les femmes, au mépris des fondamentaux d’une anthropologie véritablement évangélique. Alphonse Borras (Louvain-la-Neuve) campe le contexte d’exculturation de la foi des Églises euro-atlantiques, avant de décrire la mission du diaconat permanent et de défendre sa consistance. Le ministère diaconal a pâti de sa situation d’auxiliaire du ministère presbytéral. Borras avance des propositions pour sortir d’une vision étriquée du diaconat, en croisant davantage diaconat et sacerdoce, d’une part, en en donnant une visibilité liturgique, d’autre part. Trois types se dégagent parmi les diacres: le samaritain attentif à autrui, le prophète sensible aux enjeux collectifs et le berger attaché à l’animation des communautés. Le caractère polymorphe du diaconat est, selon Borras, son principal atout. La troisième partie envisage la trajectoire et l’influence d’un théologien de l’unité qui a puissamment contribué au ralliement tardif de l’Église catholique à la tâche œcuménique: Yves Congar (1904-1995) – il convenait, en effet, d’évoquer l’œuvre majeure du dominicain français, auteur de prédilection du professeur Joseph Famerée.
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Alberto Melloni (Modena) note que l’encyclique Humani generis de Pie XII publiée en 1950 a, de manière inattendue, instauré une phase de répression disciplinaire. La recherche théologique sous ses différents aspects (Bible, liturgie, œcuménisme, patristique) serait implacablement suspectée, voire sanctionnée. L’ouvrage de Congar, Vraie et fausse réforme, paraît la même année et échappe à la censure ecclésiale, même s’il expose son auteur dès 1952 à la persécution de la curie romaine. Le Journal d’un théologien révèle la profondeur de l’épreuve subie. Gilles Routhier (Québec) montre comment Congar transgresse les frontières pour devenir le pionnier de l’œcuménisme catholique: l’Allemagne et les Églises de la Réforme, puis l’Orient à travers les cercles russes émigrés en France, enfin l’Angleterre et l’expérience de l’anglicanisme. Ce parcours est motivé par la quête du vrai où qu’il se trouve; ce receptive ecumenism avant la lettre le tire hors des limites de son Église. Et Routhier de retracer l’itinéraire de Joseph Famerée qui, dans le sillage de Congar, s’ouvre aux autres pour rejoindre dans toutes les Églises la vérité que nul n’a en sa possession exclusive. En guise d’ouverture, deux contributions de nature différente sont présentées: la première plonge dans le continent africain en s’interrogeant sur la dimension de la culture et du développement intégral dans l’évangélisation, la seconde invite la théologie à tourner son regard vers les vastes cieux que l’astronomie offre à sa contemplation émerveillée, non sans lui assigner de nouvelles tâches. Léonard Santedi (Kinshasa) analyse les enjeux que comporte l’évangélisation aux termes du concile Vatican II. La dimension culturelle est essentielle: annoncer l’Évangile suppose d’embrasser la tâche de l’éducation, dont Africae munus, l’exhortation post-synodale de Benoît XVI, détaille les dimensions; mais qui dit culture, dit aussi création, conformément au génie d’un peuple particulier. En Afrique, se pose outre le délicat problème du rapport aux croyances et de la relation à l’invisible. Un autre défi majeur est d’ordre éthique et politique. Pas d’évangélisation sans considérer l’ordre social ni poser à son endroit la question de la justice. Anne Marie Reijnen (Paris) pose en théologienne la question-limite que la science impose à notre attention: l’éventualité d’une vie extraterrestre, rendue plausible par les dimensions de l’univers. Qu’en est-il des réalités du salut vis-à-vis de ces êtres potentiels? Pour affronter la question, Reijnen se tourne vers la littérature d’anticipation, et en l’occurrence Clive Staples Lewis (Out of the Silent Planet, 1938), Mary Doria Russell (The Sparrow, 1996) et Eric Reitan (Insiliconation, 2017). À défaut de sources autorisées sur la question, elle s’appuie sur les ressources imaginatives et le potentiel heuristique de la fiction scientifique. La pluralité des univers
INTRODUCTION
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confronte la pensée théologique à une altérité si inédite qu’elle engage la pensée à frayer des voies nouvelles, selon une audace qu’Yves Congar a su incarner en son temps. Les trajectoires et les œuvres, les événements et les réflexions rassemblés ici en hommage au professeur Joseph Famerée ont pour commun dénominateur d’attester le travail de l’Esprit à l’œuvre dans toutes les Églises, dont notre confrère louvaniste a porté le souci et que, Deo adjuvante, les auteurs de ce volume lui souhaitent de porter encore de longues et belles années. Faculté de théologie UCLouvain [email protected]
Benoît BOURGINE
JOSEPH FAMERÉE UNE BIOGRAPHIE SCIENTIFIQUE
C’est un long chemin qu’il convient d’évoquer à l’aide de quelques instantanés, un sillon tracé au jour le jour avec persévérance au service de la théologie académique. Un pas après l’autre, une tâche après l’autre, année après année, et voilà qu’émerge une œuvre, inspirée par le «souci de toutes les Églises», sur le mode d’une «prière des petites choses». L’un des romans préférés de Joseph Famerée donne la recette de cette piété, de la bouche du curé de Torcy recommandant au curé d’Ambricourt d’adopter en guise de rituel quotidien une religion du travail et de la modestie: Travaille, a-t-il dit, fais des petites choses, en attendant, au jour le jour. Applique-toi bien. Rappelle-toi l’écolier penché sur sa page d’écriture, et qui tire la langue. Voilà comment le bon Dieu souhaite nous voir, lorsqu’il nous abandonne à nos propres forces. Les petites choses n’ont l’air de rien, mais elles donnent la paix. C’est comme les fleurs des champs, vois-tu. On les croit sans parfum, et toutes ensemble, elles embaument. La prière des petites choses est innocente1.
De fait l’écriture de travaux scientifiques ne va pas sans application lorsqu’ils conjuguent l’acribie historienne et l’attention au contexte culturel avec les fondamentaux de l’ecclésiologie. Comme il est vrai, dans le cas de Joseph Famerée, que la persévérance à reconduire cette application à l’occasion de chaque article, conférence ou monographie, et dans les mille «petites choses» de la vie académique, trente années durant, exhale un agréable parfum. Le parcours du professeur Famerée est tissé de fidélités au long cours: indéfectiblement attaché à la faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain, il a noué nombre de collaborations institutionnelles: avec l’Istituto per le scienze religiose (Bologna), l’Istituto Paolo VI (Brescia), l’Université de Iasi (Roumanie), l’Université de Thessaloniki (Grèce), l’Université catholique de l’Ouest (Angers), l’Université Laval (Québec), l’Institut catholique de Paris; il a contribué à l’activité de groupes de travail et d’associations internationales: l’Académie internationale des sciences religieuses, l’Association européenne de théologie catholique, le Groupe des Dombes, le Comité de rédaction d’une histoire du concile 1. G. BERNANOS, Journal d’un curé de campagne. Œuvres romanesques complètes, t. 2 (Bibliothèque de la Pléiade, 606), Paris, Gallimard, 2015, p. 354.
XXIV
BIOGRAPHIE DE JOSEPH FAMERÉE
Vatican II, le projet d’herméneutique des relectures du concile Vatican II. Riches de rencontres et de stimulation intellectuelle, ces différents lieux ont nourri une réflexion théologique sur l’Église, qui embrasse les différentes traditions ecclésiales dans leur diversité, leur tension et leur complémentarité. Pas d’ecclésiologie sans œcuménisme, pas d’œcuménisme sans ecclésiologie. La maxime résume le propos des contributions du professeur Famerée, résolument inscrites dans le sillage d’Yves Congar; elle est le ressort de leur pertinence. Les éléments fondamentaux de l’ecclésiologie catholique constituent des lieux de séparation vis-à-vis des autres Églises, que l’on pense à la sacramentalité de l’Église, au rapport entre Églises locales et Église universelle, au ministère épiscopal. Dans la dynamique œcuménique du dialogue théologique entre Églises, ces lieux de séparation peuvent cependant devenir des «lieux de conversion et de diversité légitime»2. Telle est la conviction sous-jacente qui anime la recherche théologique de Joseph Famerée: «conversion et diversité légitime» – l’une et l’autre, indissociablement, selon un point d’équilibre délicat à trouver. Il convient d’entrer dans le dialogue avec la conscience d’être en chemin vers la vérité, sans nullement la posséder, tout en se tenant à distance d’une visée d’uniformité entre Églises, simulacre d’unité. C’est pourquoi l’aspiration à l’unité passe dorénavant par la recherche de consensus différenciés, qui permettent de regarder certaines différences confessionnelles comme non séparatrices, et même légitimes, au nom de l’accord portant sur les points fondamentaux de la doctrine chrétienne, sans relâcher la vigilance critique à l’endroit des réformes nécessaires dans sa propre demeure. L’examen critique de l’ecclésiologie de l’Église catholique, mis en œuvre par le théologien louvaniste, s’appuie sur la norma non normata des Écritures apostoliques en tant que témoignage de l’Église primitive, de sorte que les éléments de la tradition ultérieure sont passés au crible de leur source normative, à distance d’une démarche apologétique ou d’une clôture confessionnelle. Adossée à la Parole du Dieu d’Israël et de JésusChrist, sa perspective fait droit à la sacramentalité de l’Église qui conjoint en elle élément visible et élément invisible, dimension humaine et dimension divine, réalité locale et communion universelle. La méthode a un point de départ qui détermine l’ensemble de la démarche: «commencer par sonder à nouveaux frais les principes qui sous-tendent les dispositions 2. J. FAMERÉE, Ecclésiologie catholique. Différences séparatrices et rapprochements avec les autres Églises, dans ID., Ecclésiologie et œcuménisme. Recueil d’études (BETL, 289), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2017, 21-50, p. 50.
BIOGRAPHIE DE JOSEPH FAMERÉE
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catholiques»3. Famerée confronte régulièrement les documents du concile Vatican II à ses sources, particulièrement dans l’œuvre d’Yves Congar, afin de sonder la fécondité œcuménique des dispositions conciliaires. Il en va ainsi de la notion décisive de «hiérarchie des vérités», posée par le décret sur l’œcuménisme (UR 11), qui postule l’existence d’articles de foi plus centraux que d’autres au regard du fondement de la foi chrétienne qu’est le Christ: selon Famerée, elle a ouvert la voie à l’élaboration du concept de consensus différencié adopté par la Déclaration commune sur la justification entre la Fédération luthérienne mondiale et l’Église catholique. Le ressourcement scripturaire a mis en lumière la diversité interne des théologies néotestamentaires – un pluralisme dans l’expression théologique d’où il résulte que l’identité de foi n’implique nullement l’identité de langage ou de forme de pensée. On perçoit la conversion nécessaire à la partie catholique pour revenir d’une conception propositionnelle de la vérité et, en conséquence, de la pression juridique exercée sur la conscience des fidèles, sommés d’adhérer à des définitions univoques de la foi. Du point de vue ecclésiologique, il s’agit bien d’un tournant pour la théologie catholique. Famerée souligne «la tentation récurrente du catholicisme de réduire la foi à ses formulations (donc à un savoir)» et il salue à juste titre la nouveauté que représente le consensus différencié dans la manière de faire de la théologie4. L’Église n’est pas le Royaume, et pourtant elle donne d’y entrer; l’Église initie aux mœurs de la Cité céleste, mais aucun des baptisés ne peut s’en dire citoyen. Voilà pourquoi l’impatience de la parousie inspire un cri de désir: «Viens Seigneur Jésus!» (Ap 22,20). Sainte et pécheresse, l’Église est sauvée, mais c’est en espérance. Aucune dénomination ne saurait, dans le temps de l’histoire, s’identifier purement et simplement à l’Église du Christ. Tel est l’enseignement qu’assume Joseph Famerée dans le droit fil du subsistit in de la constitution dogmatique du Concile Vatican II sur l’Église (Lumen Gentium 8b), par laquelle l’Église catholique exprime la conscience de sa condition pérégrinante, tant que durent les derniers temps inaugurés par la réconciliation pascale du monde avec Dieu. L’identité ecclésiale ne se confond pas avec l’identité confessionnelle: c’est l’intuition d’un Paul Couturier, à l’origine du Groupe des Dombes. La structure ministérielle est au service de la communion des 3. J. FAMERÉE, Communion ecclésiale et «communicatio in sacris» appliquée à l’Eucharistie. Prise de position d’un catholique, dans ID., Ecclésiologie et œcuménisme (n. 2), 315334, p. 316. 4. J. FAMERÉE, Portée et réception de la Déclaration commune sur la justification dans la théologie et l’Église catholiques, dans ID., Ecclésiologie et œcuménisme (n. 2), 349-370, p. 358.
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BIOGRAPHIE DE JOSEPH FAMERÉE
Églises locales: «celles-ci sont formées à l’image de l’Église universelle, c’est en elles et à partir d’elles qu’existe l’Église catholique une et unique (in quibus et ex quibus una et unica Ecclesia exsistit)» (LG 23a). Des documents magistériels récents, tels Communionis notio (1992) et Dominus Iesus (2000) émanant de la Congrégation pour la doctrine de la foi, semblent ignorer l’autorité des évêques en charge des Églises locales en les désignant comme les destinataires d’instructions signées de responsables de la curie romaine. C’est inverser le rapport entre curie et épiscopat, et faire peu cas de la collégialité épiscopale. En cause, une conception platonicienne de l’antériorité de l’Église universelle par rapport aux Églises particulières, tendant à vider de son contenu l’enseignement de Lumen Gentium cité plus haut. Et Famerée de désigner dans une telle attitude un style ecclésiologique en rupture avec le concile Vatican II. À l’occasion d’une étude sur les conférences épiscopales, le professeur Famerée revient sur l’importance du point de départ de la réflexion en ecclésiologie. En l’occurrence, il convient de parler de la communion des Églises locales avant même d’envisager les évêques et leur collégialité, qui sont au service de cette communion5. Chaque évêque n’hérite-t-il pas, en tant que membre du Collège épiscopal, de la sollicitudo omnium ecclesiarum? L’un des défis pour l’ecclésiologie catholique, que Joseph Famerée prend légitimement à bras-le-corps, est l’exigence d’une synodalité véritable aux différents échelons de l’exercice du pouvoir de gouvernement. Le titre d’un article de 1999 sonne comme un manifeste: «Plus de démocratie dans l’Église catholique par fidélité à l’Évangile»6. À la suite de Congar, l’auteur évoque les aléas de la pérégrination bimillénaire de l’Église latine aux prises avec les empiétements du pouvoir politique, ainsi que l’énergie des autorités catholiques à préserver l’autonomie de l’ordre spirituel, mais aussi l’influence des formes du gouvernement civil sur la conception du pouvoir dans l’Église. Un parcours historique s’impose pour «rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» dans l’assomption par l’Église catholique de modèles politiques qui n’ont rien à voir avec l’esprit de l’Évangile, et que la sphère politique rejettera par la suite comme impropres à la reconnaissance des libertés de l’ensemble des citoyens. De ce point de vue, force est de constater que l’attraction du modèle de la monarchie absolue, entré en vigueur dans plusieurs nations européennes, a abouti dans l’Église catholique à un monopole clérical à tous les niveaux (universel, interdiocésain, diocésain ou paroissial). Les 5. J. FAMERÉE, Au fondement des conférences épiscopales. La «communio Ecclesiarum», dans ID., Ecclésiologie et œcuménisme (n. 2), 51-62, p. 60. 6. J. FAMERÉE, Ecclésiologie et œcuménisme (n. 2), 75-97.
BIOGRAPHIE DE JOSEPH FAMERÉE
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abus de pouvoir ouvrent à toutes sortes d’abus, comme l’histoire récente en administre la preuve accablante. Aussi Joseph Famerée juge-t-il sévèrement les comportements autoritaires dans l’Église qui se mettent en contradiction avec l’esprit de fraternité dans le Christ. Il appelle de ses vœux une glasnost en renvoyant aux fondements culturels et théologiques qui recommandent, dès maintenant, «de faire l’expérience d’une Église plus synodale»7, pour des motifs qui relèvent tant de la raison théologique que de l’ordre politique. Les fondements ont été posés par le concile Vatican II, qui a désigné chaque fidèle dans sa dignité de sujet parlant et agissant; il a également restauré l’autorité de chaque Église locale, comme la cellule première et intègre du tissu ecclésial au sein de la communion d’Églises qu’est l’Église universelle. Les évêques auront-ils le courage d’en tirer toutes les conséquences dans le gouvernement de l’Église catholique pour imposer les réformes urgentes que recommande le bien des fidèles? Joseph Famerée leur adresse dans ce contexte une invitation pressante à l’audace: «Encore faut-il oser exercer tous ses droits et oser protester s’il le faut contre les abus de pouvoir, surtout quand on est successeur des Apôtres et qu’on n’est pas le seul évêque dans l’Église à tenir une position différente du magistère romain»8. La conception du ministère de l’Évêque de Rome, pierre d’achoppement du dialogue de l’Église catholique avec les autres Églises, est l’un des dossiers où la compétence de l’ecclésiologue et de l’œcuméniste est sollicitée de toutes parts. Dans son encyclique en date du 25 mai 1995 intitulé Ut unum sint, Jean-Paul II a mis la réforme de la fonction pontificale à l’ordre du jour, en invitant les théologiens et responsables d’autres Églises à entrer en dialogue fraternel en vue de trouver une forme d’exercice de la primauté romaine qui serve le bien de la communion entre Églises9. Joseph Famerée a pris part au débat, en particulier par le rappel d’une exigence préalable à tout échange de vues: en passer par la compréhension de l’univers mental de chacune des Églises que déterminent une anthropologie, une sotériologie et une ecclésiologie sous-jacentes. Et le professeur louvaniste de proposer des «typologies confessionnelles», orthodoxe, catholique et protestante, permettant de saisir la configuration propre à chaque dénomination en fonction d’une histoire des idées théologiques et d’une généalogie des différents contextes culturels ayant façonné l’imaginaire des Églises10. 7. Ibid., p. 96. 8. Ibid. 9. J. FAMERÉE, Le ministère de l’évêque de Rome. Une perspective œcuménique, dans ID., Ecclésiologie et œcuménisme (n. 2), 99-121, p. 101. 10. J. FAMERÉE, Ecclésiologie et œcuménisme (n. 2), pp. 113-120.
XXVIII
BIOGRAPHIE DE JOSEPH FAMERÉE
Dûment préparé par une formation en philologie classique11, avant de soutenir en 1991 à l’université catholique de Louvain une thèse sur l’ecclésiologie d’Yves Congar, sous la direction du professeur André de Halleux12, Joseph Famerée, devenu émérite, n’en a pas fini avec la théologie. Il est à espérer que le projet post-doctoral, élaboré lors de séjours à l’Université de Thessaloniki et au Saint Vladimir Orthodox Theological Seminary (New York) en 1994-1995 et destiné à mesurer l’influence de l’ecclésiologie orthodoxe au XXe siècle sur le catholicisme, laissé depuis lors en jachère par une disponibilité infatigable aux obligations de la vie académique, puisse enfin bénéficier de l’otium qui revient à tout professeur émérite. Par ces quelques entrées, on n’a fait qu’évoquer le sillon patiemment creusé par le professeur Famerée. Pour l’embrasser dans son entièreté, il conviendrait de mettre en évidence son apport à la compréhension de l’œuvre d’Yves Congar et de l’ecclésiologie orientale, aux dialogues bilatéraux et multilatéraux avec le monde protestant et orthodoxe, pour lesquels il refuse à juste titre de privilégier un partenaire de dialogue aux dépens d’un autre, à l’encontre de l’attitude consistant à choisir l’Orient avant de se tourner vers la Réformation. Il conviendrait, en outre, de rappeler les travaux de Joseph Famerée dans les différentes matières de la théologie, disponibles entre autres dans les Actes des colloques Gesché, ses conférences régulières à l’invitation d’universités étrangères, son travail essentiel comme secrétaire de la Revue théologique de Louvain et des Ephemerides Theologicae Lovanienses, sans oublier la direction d’études, sa participation à de nombreux jurys de thèse, ses recensions et ses chroniques. Au sein de la faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain, dont il fut vice-doyen (1998-2004), puis doyen (2012-2015), dans les innombrables tâches d’une carrière académique accomplie, Joseph Famerée a élevé, trois décennies durant, sa «prière des petites choses» à une seule et unique intention: le souci de toutes les Églises.
Benoît BOURGINE
11. Le mémoire de licence en Philosophie et Lettres (Philologie Classique), rédigé sous la direction de J. MOSSAY, a pour titre: L’épiscopat dans saint Grégoire de Nazianze d’après ses œuvres de 372-375. 12. J. FAMERÉE, L’ecclésiologie d’Yves Congar avant Vatican II. Histoire et Église. Analyse et reprise critique (BETL, 107), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1992.
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2011 2012a 2012b 2012c 2014 2015a 2015b 2015c 2016a 2016b
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BIBLIOGRAPHIE DE JOSEPH FAMERÉE
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1995e 1996 1997a
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De «Rerum Novarum» à «Octogesima Adveniens», dans NRT 104 (1982) 88-92. La fonction du magistère ecclésial en morale, dans NRT 107 (1985) 722-739. «Chrétiens désunis» du P. Congar. 50 ans après, dans NRT 110 (1988) 666-686. Au fondement des conférences épiscopales. La «communio Ecclesiarum», dans RTL 23 (1992) 343-354; = Ecclésiologie et œcuménisme, 51-62. L’Ecclésiologie du Père Yves Congar. Essai de synthèse critique, dans RSPT 76 (1992) 377-419. Collégialité et communion dans l’Église, dans RTL 25 (1994) 199-203. La vie religieuse apostolique dans l’Europe occidentale actuelle. Une analyse, dans Vie consacrée 66 (1994) 297-301. L’Église en contexte de «sécularisation», dans La Foi et le Temps 24 (1994) 143-165. Mélanges. Vers une histoire du concile Vatican II, dans RHE 89 (1994) 622-642. Aux origines de Vatican II. La démarche théologique d’Yves Congar, dans ETL 71 (1995) 121-138. Collegiality and Communion in the Church, dans Theology Digest 42 (1995) 9-11. La communion ecclésiale dans l’histoire. Bulletin d’ecclésiologie, dans RTL 26 (1995) 62-74. Les fondements théologiques de la réconciliation, dans Irénikon 68 (1995) 325-341; = Ecclésiologie et œcuménisme, 281-293 [trad. russe, dans Stranitsi (1997) 27-39; trad. anglaise The Theological Foundations of Reconciliation, dans One in Christ 33 (1997) 233-244]. Orthodox Influence on the Roman Catholic Theologian Yves Congar. A Sketch, dans St. Vladimir’s Theological Quarterly 39 (1995) 409-416. Pour l’œcuménisme. Évolution de l’Église catholique depuis Vatican II, dans RTL 27 (1996) 47-77; = Ecclésiologie et œcuménisme, 253-280. Le ministère de l’évêque de Rome. Une perspective œcuménique, dans RTL 28 (1997) 54-78; = Ecclésiologie et œcuménisme, 99-121 [trad. ital. Il ministero del papa. Un punto di vista ecumenico, dans Annali di scienze religiose 2 (1997) 121-140]. L’Unité selon Yves-Marie-Joseph Congar, dans Unité des chrétiens 105 (1997) 8-11. «Yves Congar nous interroge encore». À propos de quelques ouvrages récents, dans RTL 28 (1997) 376-387. De l’affrontement à la reconnaissance. Petite «phénoménologie» du dialogue œcuménique, dans ETL 74 (1998) 344-363; = Ecclésiologie et œcuménisme, 193-215.
XXXII
1998b 1998c
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2016f 2016g 2016h 2016i
2017a
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2018b 2019a 2019b
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BIBLIOGRAPHIE DE JOSEPH FAMERÉE
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THÈSES
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1996 1998 1999 2000a 2000b 2000c
2005 2015
Primauté et infaillibilité, 2 juillet1996, p. 7. Le Conseil œcuménique des Églises. 50 ans en quête de l’unité espérée, 8 septembre 1998, p. 9. Plus de «Démocratie dans les Églises» par fidélité au message évangélique, 2 février 1999, p. 9. Les chrétiens toujours à la recherche de leur unité, 19 janvier 2000, p. 11. Sur le document romain Dominus Iesus, 6 septembre 2000, p. 13. Avec 52 autres théologiens catholiques belges francophones, Un document qui nuit à la «crédibilité» de l’Église catholique. La réaction de théologiens belges (sur la Déclaration Dominus Iesus, CDF, 2000), 23-24 septembre 2000, p. 11. Les grands défis de l’Église catholique, 19 avril 2005, p. 6. Avec H. DERROITTE – L.-L. CHRISTIANS, Les professeurs de religion, des citoyens de seconde zone?, 1 juin 2015, 46-47 [repris dans H. DERROITTE – A. FOSSION (dir.), Cours de religion et citoyenneté à l’heure de l’interconvictionnel (Haubans, 8), Lumen vitae, Namur; Paris, Éd. jésuites, 2015, 23-28.] VI. CHRONIQUES
RTL 21 (1990) 407-408; 22 (1991) 298-300, 441-446; 23 (1992) 419-420, 420422; 24 (1993) 272-273, 427-428; 25 (1994) 280-281; 27 (1996) 148, 259-262, 510-514, 514-516; 29 (1998) 554-557; 30 (1999) 285-287, 287-289, 431-432; 31 (2000) 307-308; 32 (2001) 158-159, 305-306, 310-314; 33 (2002) 151, 301-302,
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BIBLIOGRAPHIE DE JOSEPH FAMERÉE
458-460; 34 (2003) 269-270, 413-414; 35 (2004) 138-139, 274-275, 575-577; 36 (2005) 136-137, 273-274, 274-275, 434, 607-608; 37 (2006) 296, 458-460, 593-595; 38 (2007) 135-136, 293, 445-446, 458; 39 (2008) 132-134, 572-574; 40 (2009) 293-294, 595-597, 599-602; 42 (2011) 314-315, 468; 43 (2012) 310312, 318-320, 613-614, 614-616; 44 (2013) 475-477, 478-480; 45 (2014) 319323; 47 (2016) 149-155, 290-291, 296-297; 48 (2017) 296-298, 298-300, 584585; 49 (2018) 136-138; 50 (2019) 143-145. ETL 74 (1998) 239, 529-530; 75 (1999) 267-268, 564, 557-558; 77 (2001) 259, 262, 542-543; 78 (2002) 292-293, 580-581; 79 (2003) 522-523; 80 (2004) 220222, 585-586, 586-587, 590-592; 81 (2005) 274-275, 278, 598-599; 82 (2006) 284-285, 555-556, 560-562; 83 (2007) 260, 263, 605-606, 614-615; 84 (2008) 681-682; 85 (2009) 280-281, 603-606, 615-616; 87 (2011) 300-301, 301-302, 501-503; 88 (2012) 254-255, 255-256, 574-575; 89 (2013) 197-199. RHE 90 (1995) 693-695; 91 (1996) 740; 96 (2001) 304-305; 100 (2005) 422423; 101 (2006) 1394-1396. Bulletin de la Fondation «Sedes Sapientiae» 4 (1999) 8-9; 7 (2000) 11; 8 (2001) 9-10. Bulletin ET 5 (1995), no 1, 85-88. Heimat und Mission 62 (1988), no 4-5, 88-90. VII. RECENSIONS RTL 19 (1988) 108; 20 (1989) 232-233; 22 (1991) 413-415; 23 (1992) 396-397; 24 (1993) 390-391, 396-398; 26 (1995) 505-508; 27 (1996) 88-90, 110-111, 121, 232-233, 382-383, 383-384, 390-391, 391, 391-392, 392, 392-393, 393, 507; 28 (1997) 104-106, 271, 271-272, 411, 525-527, 546; 29 (1998) 78-81, 107, 107-108, 109-110, 251-252, 390-391, 391-392, 392, 392-393, 400, 519-523; 30 (1999) 105, 254, 518-524, 546; 31 (2000) 107-108, 278-279, 279, 297-280, 421-422; 33 (2002) 252-255, 270; 34 (2003) 223-225,260-261; 35 (2004) 87-89, 120-121, 382-386, 402; 36 (2005) 258-259, 380-383, 403-405; 37 (2006) 247-250; 48 (2017) 90-92; 49 (2018) 415, 559-561, 561; 50 (2019) 298-300. RHE 86 (1991) 206-207; 87 (1992) 235-236, 550-551; 88 (1993) 285-287, 357358, 618; 89 (1994) 308, 309-310, 560-561, 623-625, 628-632, 632-638; 90 (1995) 239-240, 341; 91 (1996) 231-232, 266, 1012-1013, 1017-1018, 1111-1112, 1113; 92 (1997) 340, 354-355, 656, 672-673, 678, 872-874, 973-976, 1051-1052; 93 (1998) 207-208, 208, 477-480, 597, 687, 694-695, 700; 95 (2000) 197-199, 320; 96 (2001) 664-665. ETL 73 (1997) 494-495, 495-496; 74 (1998) 210-211, 212-213, 470-471, 483, 483-484, 486, 487, 498-499, 504-505; 75 (1999) 522-524, 542; 76 (2000) 184186, 199, 200-202, 202-204, 204, 204-205, 205; 78 (2002) 253-255; 79 (2003)
BIBLIOGRAPHIE DE JOSEPH FAMERÉE
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214-216, 498-500; 82 (2006) 251-252, 260-262, 267-268; 87 (2011) 484-485; 94 (2018) 552-553, 555-556; 95 (2019) 350-351, 362-363. NRT 111 (1989) 448-449; 112 (1990) 749-750. Heimat und Mission 68 (1994), no 1-2, 9. Théophilyon 17 (2012), no 1, 237-239.
Benoît BOURGINE
I L’ŒCUMÉNISME RÉTROSPECTIVE ET PROSPECTIVE
UN DEMI-SIÈCLE AVEC L’ŒCUMÉNISME
En octobre 1965, j’ai convaincu René Rémond de la viabilité d’un sujet de thèse de doctorat d’État sur l’éveil à l’œcuménisme au sein de l’Église catholique romaine des XIXe et XXe siècles. Il s’agissait de la thèse française dite «ancien régime», imposant «chef d’œuvre» aujourd’hui disparu dont la préparation ne durait pas moins d’une dizaine d’années… sans garantie d’achèvement: nombre de candidats ont calé devant l’obstacle en cours de route. Je pouvais cependant espérer qu’une fois l’épreuve surmontée, j’aurais le loisir de me consacrer à d’autres chantiers, sans pour autant abandonner l’histoire religieuse du temps présent. Il en a bien été ainsi, mais pour partie seulement, tant son sujet de thèse continue de coller à la peau du chercheur, bien des années après la soutenance. Ayant commencé ma carrière d’historien avec l’œcuménisme, je la termine aussi avec l’œcuménisme, puisque je suis partie prenante, un peu à mon corps défendant, de la grande Histoire de l’œcuménisme en préparation à la Fondation pour les sciences religieuses de Bologne. Et il n’y a guère eu d’année, dans l’intervalle, où je n’aie été sollicité pour apporter la touche œcuménique à un colloque ou à un recueil. Tout en ayant abordé ensuite nombre d’aspects de l’histoire du christianisme contemporain, je suis donc resté historien de l’œcuménisme, pour le meilleur et parfois le moins bon, au risque de la répétition. On ne s’engage pas dans une telle aventure sans être consentant. Mes premiers pas dans la recherche, pour un mémoire de diplôme d’études supérieures, ancêtre du master, sur la ferme des poudres et salpêtres à la fin du règne de Louis XIV, m’avaient convaincu de ne pas me lancer dans une entreprise d’aussi longue haleine que la thèse «ancien régime» sans avoir un minimum d’atomes crochus avec son sujet, ce qui n’était pas le cas pour les financiers parisiens du XVIIe siècle. On ne fait pas une thèse seulement pour devenir titulaire d’une chaire académique, même si c’est le but immédiatement recherché. Il faut aussi y trouver une certaine satisfaction personnelle. Armé du seul ouvrage d’Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique1, comme bagage théorique, et en réaction à l’objectivisme marxiste de quelques-uns de mes maîtres, j’étais persuadé de 1. Dans sa quatrième édition, revue et augmentée: H.-I. MARROU, De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1962 [1954]. Sur ce livre, voir B. PELLISTRANDI, De la connaissance historique. Réception et influence en France, dans Cahiers Marrou 6 (2013) 4876.
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É. FOUILLOUX
la nécessité de la sympathie, voire de l’empathie, de l’historien pour son sujet d’étude. Aussi l’idée d’une thèse sur la conversion des catholiques au mouvement œcuménique, apparu au début du XXe siècle dans le monde anglican et protestant, est-elle née de l’euphorie œcuménique des golden sixties. Longtemps réticentes, les Églises orthodoxes sous influence soviétique venaient de rejoindre le mouvement, en adhérant au Conseil œcuménique des Églises lors de sa troisième assemblée plénière, à New Delhi en 1961. Jamais l’organisme genevois fondé en 1948 ne sera plus représentatif de l’ensemble de la catholicité non romaine. Il ne lui manque alors que certaines dénominations «évangéliques», qui n’ont cependant pas le même poids qu’aujourd’hui. Longtemps réticente aussi, l’Église catholique venait quant à elle de reconnaître officiellement la nécessité du travail pour l’unité dans le décret Unitatis redintegratio, adopté à une écrasante majorité des Pères par le concile Vatican II en 1964. Tel est le contexte général, très favorable, dans lequel est né mon projet de thèse. Le contexte particulier d’un choix qui va m’occuper une grosse décennie n’en est que le contrecoup subjectif. Baptisé catholique à l’âge adulte en 1962, j’adhérais pleinement à l’élan réformiste imprimé par Jean XXIII et par le concile à une Église dont je ne savais à peu près rien auparavant. En 1963-1966, nous nous sommes inscrits à trois reprises, ma femme et moi, aux sessions d’éveil œcuménique organisées par une maison d’accueil improbable de la campagne occitane: «Les Avents» étaient tenus par un prêtre paysan qui avait découvert l’œcuménisme dans un Oflag durant sa captivité en Allemagne2. C’est là que, pour la première fois, j’ai fait la connaissance de protestants et de quelques rares anglicans ou orthodoxes. Et c’est lors de la session de 1965, aussitôt après mon succès à l’agrégation d’histoire, que le pasteur Jean Bosc, professeur à la faculté de théologie protestante de Paris, m’a soufflé l’idée qui m’a immédiatement séduit. Une grosse histoire de la genèse du Conseil œcuménique des Églises est parue3, me dit-il, mais il n’existe rien d’équivalent du côté romain. Il serait utile qu’un historien catholique s’empare du sujet. Voilà pourquoi le volume tiré de ma thèse est dédié «à la mémoire du pasteur Jean Bosc mort avant l’achèvement d’un travail dont la paternité lui revient»4. 2. AMIS DES AVENTS (éds), André Fabre, 1900-1983. Laboureur de l’Unité, Angers, Siraudeau, 1984. 3. R. ROUSE – S.C. NEILL, A History of the Ecumenical Movement. 1517-1948, London, S.P.C.K, 1967 [1954]. 4. É. FOUILLOUX, Les catholiques et l’unité chrétienne du XIXe au XXe siècle. Itinéraires européens d’expression française, Paris, Le Centurion, 1982, p. 5; voir aussi mes notices sur Jean Bosc, dans A. ENCREVÉ (éd.), Les protestants. Dictionnaire du monde religieux
UN DEMI-SIÈCLE AVEC L’ŒCUMÉNISME
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Je suis donc devenu historien de l’œcuménisme au moment où celui-ci semblait triompher, à Rome comme ailleurs. Persuadé que le mouvement pour l’unité était partie prenante de l’histoire du salut, je suis même devenu un (modeste) militant de l’œcuménisme. Pendant plusieurs années, nous avons participé, ma femme et moi, à un groupe mixte de jeunes foyers parisiens piloté par le pasteur Hébert Roux, chargé des relations interconfessionnelles de l’Église réformée de France et par le théologien dominicain Marie-Dominique Chenu, qui s’étaient rencontrés au concile. Chaque mois, un couple catholique et un couple protestant planchaient sur un texte biblique, exposé suivi d’une discussion d’ensemble et d’une reprise par nos deux ténors, le plus «catholique» des deux n’étant pas toujours l’illustre dominicain. Mes premières publications portent la marque d’une telle posture confessante dont la naïveté méthodologique me confond aujourd’hui. Il suffit pour s’en convaincre de citer une phrase de la conclusion de mon premier article. «Pionnier et témoin de l’œcuménisme, “L’Amitié” trouve sa place dans cette crypte où se sont élaborées les éclosions actuelles»5. Un tel récit, en termes de précurseurs et de pionniers, comporte une forte tonalité téléologique: la préhistoire et l’histoire de l’œcuménisme ont un sens, qui va de la division à l’unité, en passant par le rapprochement et le dialogue, sous l’action de l’Esprit saint. Cela je me gardais bien de l’écrire, laïcité universitaire oblige, mais je le pensais par-devers moi et je le vivais dans mon rôle d’historien de la percée œcuménique au sein du catholicisme. Chacune des avancées du mouvement, à Constantinople, à Genève ou à Rome justifiait la pertinence de mon travail. Et ce travail servait en retour à enraciner historiquement le mouvement. Est-ce que j’accuse aujourd’hui le trait pour mieux souligner les mutations ultérieures? Sur les intentions, je ne pense pas. Mais sur le fond? Quel qu’ait été mon enthousiasme œcuménique, il ne me semble jamais avoir cru que le rapprochement surprenant auquel j’assistais se conclurait, à vues humaines, par l’unité souhaitée. Je restais trop historien pour méconnaître la solidité séculaire des identités confessionnelles et pour surestimer leur capacité à se sacrifier sur l’autel de l’unité.
dans la France contemporaine, t. 5, Paris, Beauchesne, 1993, 89-91; et dans P. CABANEL – A. ENCREVÉ (éds), Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, t. 1, Paris, Chaleil, 2015, 396-397. 5. É. FOUILLOUX, Genèse et premières années d’un groupement œcuménique français. «L’Amitié» 1926-1940, dans Revue d’histoire de l’Église de France 53 (1967) 269-288, p. 288; repris dans ID., Au cœur du XXe siècle religieux, Paris, Éditions Ouvrières, 1993, 25-46, p. 44.
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L’orientation de ma recherche s’est infléchie de façon décisive au tournant des années 1960 et 1970 sous l’influence de deux séries de facteurs liés entre eux, les uns d’ordre objectif, les autres d’ordre subjectif. L’historien du temps présent ne peut compter, à la différence de ses collègues défrichant des périodes plus anciennes, sur une facilité majeure: celle de connaître la fin de l’histoire envisagée. «Bien plus qu’en 1965 [l’historien] est conscient d’avoir décrit une phase, capitale certes, mais une phase seulement des relations interconfessionnelles. Pour le meilleur et pour le pire, il est rivé à son temps. L’Histoire, elle, continue…»6, écrivais-je au terme de ma thèse. Or la belle mécanique du rapprochement qui m’avait entraîné dans son sillage connaissait depuis longtemps des ratés. Dès la fin des années 1960, l’euphorie œcuménique avait laissé place à un assez rude retour au réalisme, marqué par la résistance des identités confessionnelles: refus romain de l’intercommunion avec Constantinople et du projet un peu fou d’adhésion de l’Église catholique au Conseil œcuménique; réticences au sein des Églises d’Orient envers le libéralisme doctrinal dont était accusée la dominante anglo-protestante du Conseil genevois. Ces résistances ne faisaient qu’exciter l’impatience de minorités activistes étendant à l’œcuménisme dit «officiel», ou «œcuménisme des appareils», leur critique des institutions ecclésiales et leur volonté de substituer à l’orthodoxie doctrinale l’orthopraxie militante d’un «œcuménisme séculier» ou d’un «œcuménisme de base» se moquant des barrières confessionnelles. Une telle contestation, perceptible dès la conférence «Église et société» du Conseil œcuménique (Genève, 1966) ou lors de sa quatrième assemblée mondiale (Uppsala, 1968) ne fit que s’accentuer sous l’effet des mouvements sociaux de 1968 et de leurs retombées au cours de la décennie suivante. L’historien de l’œcuménisme pouvait d’autant moins faire abstraction d’une telle contestation de son objet d’étude, qu’il en était lui-même partie prenante. Sous-estimant alors le gros effort d’application des textes du concile Vatican II effectué sous le pontificat de Paul VI, dont se nourrissait la fronde traditionaliste, j’étais tenté de ne retenir que la timidité d’un tel réformisme, en matière de décentralisation de l’autorité, de pluralisme théologique et bien sûr de rapprochement interconfessionnel. Je craignais que le mouvement d’aggiornamento dont j’étais un pur produit ne tourne court, à l’image de ceux dont l’histoire fournissait nombre d’exemples. Bien que sans excès, j’étais devenu un «chrétien critique», prompt à relever le moindre signe de retour en arrière venu de Rome. Une telle vigilance avait pour écho dans le domaine œcuménique, l’idée fausse, mais assez 6. FOUILLOUX, Les catholiques et l’unité chrétienne (n. 4), p. 932.
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répandue alors, selon laquelle l’indéniable ralentissement du train œcuménique ne venait pas seulement des autorités ecclésiastiques, mais aussi et peut-être surtout, des théologiens, ces coupeurs de cheveux en quatre. Il me faut à cet égard faire amende honorable, surtout dans un ouvrage dédié à l’un d’entre eux. Force est au contraire de reconnaître que les théologiens ont beaucoup et bien travaillé, comme l’attestent de nombreuses instances de dialogue et les nombreux projets d’accord qui en sont issus. Si la plupart de ceux-ci, à l’exception notoire de l’accord de 1999 sur la justification entre la Fédération luthérienne mondiale et l’Église catholique romaine, n’ont pas eu plus d’effet, la faute n’en revient pas aux théologiens qui les ont conçus, mais aux Églises qui ne les ont pas reçus, l’exemple le plus fameux étant celui du texte produit à Lima en 1982 par la commission «Foi et Constitution» du Conseil œcuménique des Églises, «Baptême, eucharistie, ministère»7. Le background du travail par lequel je continuais de traîner le fardeau de la thèse s’était donc passablement transformé sous mes yeux. Cette évolution a suscité en moi, de façon précoce, une sorte de désenchantement œcuménique qui ne me conduisit pas à arrêter l’effort entrepris, mais à en déplacer sensiblement l’accent. Retracer l’histoire de l’entrée des catholiques en œcuménisme devenait, dans cette nouvelle perspective, moins un but en soi qu’un test parmi d’autres pour évaluer la consistance de la tentative d’aggiornamento en cours. D’autres «mouvements» contemporains, comme les mouvements biblique, liturgique ou patristique auraient pu tout aussi bien faire l’affaire. L’enlisement apparent du mouvement œcuménique entraînait donc une première mise à distance de mon objet d’étude ainsi relativisé. Plus que dans la thèse, soutenue en 1980 et publiée en 1982, un tel désenchantement, producteur d’objectivation, s’exprime dans un article postérieur de deux ou trois ans, «L’œcuménisme d’avanthier à aujourd’hui», qui se voulait tout à la fois une sorte de «retractatio» et un prolongement de la thèse8. Dès la fin des années 1960 aussi, mon horizon de référence méthodologique s’est singulièrement enrichi. J’ai alors rencontré en la personne du grand louvaniste Roger Aubert la preuve vivante d’une distance possible, et souhaitable, entre adhésion de foi et pratique désintéressée de l’histoire. Grâce à Jean-Marie Mayeur et à Émile Poulat, connu par celui-ci, j’ai découvert le continent du catholicisme intransigeant qui m’était étranger et dont mon parti pris réformiste m’avait jusque-là masqué 7. L. FERRACCI, Unità nella dottrina sacramentale. Note sulla storia della genesi del Bem, dans Cristianesimo nella storia 37 (2016) 383-399. 8. É. FOUILLOUX, L’œcuménisme d’avant-hier à aujourd’hui, dans Les Quatre Fleuves 20 (1984 [1985]) 7-31; repris dans ID., Au cœur du XXe siècle religieux (n. 5), 71-97.
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l’importance. J’ai alors mesuré quel obstacle il pouvait être au progrès de l’œcuménisme dans l’Église romaine. Intégré en 1967 au Groupe d’histoire religieuse, bientôt dit de La Bussière, j’y ai découvert une équipe de jeunes aînés, médiévistes et modernistes pour la plupart, qui traçaient les voies d’une histoire religieuse décomplexée, tout à la fois empathique et laïcisée, aux marges de l’histoire des mentalités. Bien qu’il comportât peu d’historiens du temps présent ecclésial, le Groupe a fortement contribué à me faire sortir d’un isolement intellectuel qui risquait de devenir mortifère. Je n’y ai guère trouvé de matériaux pour ma thèse, mais il m’a fourni des outils pour dépasser ses motivations subjectives et mieux l’ancrer en rigueur historienne. L’influence la plus importante sur ce travail de mise à distance n’est toutefois pas venue de l’histoire mais de la sociologie, de mon «rapport manqué à la sociologie» dira lors de ma soutenance celui qui en fut le principal artisan, le sociologue Jean Séguy. Il était le seul, en France, à avoir tracé le sillon de ce qu’il appelait une «œcuménologie». Ses Conflits du dialogue, parus en 1973, ont été pour moi déterminants9. J’y ai découvert que l’œcuménisme dont je tentais d’écrire l’histoire n’était pas seulement passible d’explications endogènes le plus souvent lestées d’un jugement de valeur, positif ou négatif, mais d’explications exogènes en termes de rapprochement contraint d’Églises soumises à la sécularisation ou de régulation du marché des croyances au sein d’un monde pluraliste. Jean Séguy a été pour moi l’interlocuteur exigeant qui m’a permis de mieux définir ma spécificité d’historien face à la critique des sciences humaines, que j’acceptais pour partie sans la prendre totalement à mon compte, d’où ce «rapport manqué à la sociologie»10. J’en étais arrivé là dès la fin du XXe siècle et je n’ai guère varié depuis. Je croyais, à tort, en finir avec l’œcuménisme quand j’ai rassemblé en 1993, à l’invitation d’Yvon Tranvouez, diverses études dispersées dans le recueil Au cœur du XXe siècle religieux. Ses deux premières parties reprennent des essais sur l’histoire de l’œcuménisme publiés en marge du gros œuvre de la thèse. Quant à l’Itinéraire d’une recherche qui l’introduit11, il s’efforce d’expliciter le passage de la posture confessante de mes débuts à l’agnosticisme méthodologique du terme de mon évolution. Je pourrais encore le signer, même si cet agnosticisme s’est formulé ultérieurement 9. J. SÉGUY, Conflits du dialogue (Sciences humaines et religions), Paris, Cerf, 1973. 10. Voir mon dialogue avec lui dans É. FOUILLOUX, Un historien devant l’œcuménisme (suite), dans SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE SOCIOLOGIE (éd.), Historiens et sociologues aujourd’hui, Paris, CNRS, 1986, 121-125; repris dans FOUILLOUX, Au cœur du XXe siècle religieux (n. 5), 63-69. 11. FOUILLOUX, Itinéraire d’une recherche, dans ID., Au cœur du XXe siècle religieux (n. 5), 7-21.
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dans d’autres catégories, comme celle «d’histoire non théologique de la théologie». Historien catholique de l’œcuménisme au point de départ, j’étais devenu au point d’arrivée un historien agnostique concevant l’œcuménisme comme une des figures possibles de l’évolution du christianisme au XXe siècle. Deux articles aux buts différents, publiés en l’an 2000, montrent que j’étais prêt à mettre un point final à ma longue saison œcuménique: d’une part un bilan bibliographique sur les points forts et les lacunes de l’histoire du mouvement pour l’unité12; d’autre part un ultime essai de synthèse sur les trois phases qu’il venait de parcourir: l’euphorie des années 1960; la critique parfois corrosive des années 1970; le regain identitaire des années 1980 et 199013. Cette prise de distance m’a conduit à refuser d’intervenir sur les péripéties postérieures du dialogue interconfessionnel, bien que certaines d’entre elles aient eu une influence non négligeable sur mon parcours personnel14. Quand j’ai repris la plume sur l’œcuménisme, je l’ai toujours fait à la suite de sollicitations extérieures et pour approfondir mes recherches initiales sur les origines du mouvement, pas pour décrire le devenir de celui-ci sous mes yeux. Je me suis longtemps interdit d’écrire sur des événements dont j’étais le témoin, et parfois l’acteur, pour ne pas mélanger les genres entre histoire et mémoire. Faut-il déroger à un tel choix et dire ici comment l’historien de l’œcuménisme naissant voit l’évolution du mouvement depuis deux décennies, afin que la boucle soit bouclée? Si je m’y résous pour la première fois, c’est sans rompre avec l’agnosticisme exprimé dans l’Itinéraire d’une recherche de 1993. On ne trouvera donc pas, dans ce qui suit, de prise de position pour ou contre l’œcuménisme tel qu’il s’est modifié au tournant des XXe et XXIe siècles; mais au contraire un essai de contextualisation de son évolution dans un monde lui-même en pleine évolution. Au long de son histoire, le mouvement œcuménique n’a jamais fait l’impasse sur ce qu’il a volontiers désigné comme les «facteurs non théologiques» de la division, mais il les a subordonnés à son but premier: le retour des chrétiens à l’unité de foi et de communion. C’était vrai lorsqu’un espoir de paix et de développement pour toute l’humanité le portait au cours des années 1960; c’est devenu plus vrai encore quand le retour de la crise s’est accompagné d’un 12. É. FOUILLOUX, Histoires de l’œcuménisme, dans RHE 95 (2000) 489-503. 13. É. FOUILLOUX, Les voies incertaines de l’œcuménisme (1959-1999), dans Vingtième siècle. Revue d’histoire 66 (2000) 133-145. 14. La création en 2009 par Rome d’un ordinariat personnel pour accueillir des prêtres anglicans en désaccord avec certaines décisions de leur Église a été la goutte d’eau qui m’a décidé à adhérer à l’Église réformée de France, tant cet uniatisme tardif me semblait en discordance avec l’œcuménisme auquel j’avais consacré une bonne part de mon énergie. Sur le sujet, La Costituzione Anglicanorum cœtibus e l’ecumenismo, dans Cristianesimo nella storia 32 (2011) 363-500.
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regain des crispations identitaires, nationales et religieuses. La démarche de l’historien est inverse: sans sous-estimer le but religieux du mouvement, il met en évidence le poids de ses déterminants extérieurs. Des trois phénomènes religieux majeurs de notre époque – irruption de l’islam, croissance du protestantisme évangélique et basculement du christianisme vers le «Sud» – aucun n’est favorable à l’œcuménisme. La volonté d’établir des relations pacifiées avec un islam conquérant et parfois agressif ne détourne certes pas les chrétiens du travail pour remédier à leurs divisions, mais elle en relativise l’urgence. Aussi le dialogue interreligieux tend-il à prendre le pas sur le dialogue œcuménique. Ils sont d’ailleurs souvent confondus par l’opinion commune et même dans certains travaux universitaires15. Le protestantisme évangélique est certes moins réservé envers l’œcuménisme qu’il a pu l’être, des initiatives comme le Forum chrétien mondial sont là pour le prouver. Il lui reste cependant du chemin à parcourir pour s’intégrer dans un mouvement issu des principales Églises de la Réforme plutôt que de leurs marges. Jusqu’à une époque récente, ces Églises avaient leur centre de gravité dans ce qu’on désigne aujourd’hui comme le «Nord»: Europe et Amérique du Nord. Or elles y sont en perte de vitesse du fait d’une profonde sécularisation. Aussi le monde chrétien, comme le monde en son ensemble, bascule-t-il vers le «Sud», latino-américain, africain et asiatique où le christianisme, évangélique mais aussi mainstream, poursuit son expansion. C’est-à-dire sur des continents où les conflits entre missions et missionnaires ont longtemps rendu le rapprochement interconfessionnel plus difficile. Il a fini par y produire ses fruits16, sans que les Églises-filles s’alignent pour autant sur le libéralisme théologique et moral de leurs Églises-mères, comme le prouve la menace de schisme au sein de la communion anglicane. Et l’œcuménisme y est soumis à la concurrence de nouvelles Églises et de nouveaux mouvements religieux d’origine chrétienne dont le prosélytisme menace les Églises établies, comme c’est le cas de manière évidente au Brésil ou en Amérique centrale, au détriment du catholicisme. À vues humaines, l’œcuménisme semble donc perdant dans ce basculement du centre de gravité du christianisme vers le «Sud». Depuis la victoire du mouvement lors des années 1960, les trois grandes confessions chrétiennes sont restées fidèles à leur profession de 15. Actes d’un colloque tenu à l’Université du Mans en 2013, le volume de N. BRETON – T. GUILLEMIN – F. LUNEL (éds), Les dialogues interreligieux. Lieux et acteurs, XVIe-XXIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, comporte ainsi des textes sur des rencontres interconfessionnelles à côté de textes sur des rencontres interreligieuses. 16. Par exemple en Afrique du Sud, comme le montre P. DENIS, Reunion of Christendom or Ecumenism? Relations between Catholics and Protestants before Vatican II in the South African Magazine The Southern Cross, dans RHE 106 (2011) 546-570.
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foi œcuménique. Le rapprochement est devenu pour elles une sorte d’impératif absolu qu’aucune ne souhaite remettre en cause. Cela veut-il dire que la crise dans laquelle est entré le monde depuis les années 1970 n’a eu aucune répercussion sur leur détermination œcuménique? Elle a pu produire ici ou là des crispations identitaires, mais elle a surtout fait rejouer au sein de chacune d’entre elles ce qui est sa tentation dominante, non sans effet nuisible sur son action au service de l’unité. La tentation catholique est celle d’une focalisation sur l’autorité, pouvant se durcir en autoritarisme, tentation que lui ont souvent reprochée et lui reprochent encore les chrétiens non catholiques. Avec des accents divers, tous les papes depuis Jean XXIII ont affirmé l’irrévocabilité de l’engagement œcuménique de leur Église et ont fait de gros efforts pour introduire en son sein des éléments de décentralisation de l’autorité, de synodalité dans les mots de la tribu, efforts estimés à leur juste valeur bien que jugés insuffisants par les «frères séparés». Jean-Paul II a même été jusqu’à mettre son magistère dans la balance pour servir l’unité. On ne saurait suspecter la bonne foi d’une orientation maintes fois attestée et qui prend des accents nouveaux sous le pape François, avec la main tendue aux protestants de type évangélique. L’histoire récente du catholicisme est pourtant marquée par deux phénomènes majeurs de sens contraire. Des procès de canonisation récents ont porté sur les autels les trois papes du concile Vatican II, Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II, et d’autres sont en cours pour Pie XII ou Jean-Paul Ier. Vue de l’extérieur, une telle volonté d’autoglorification ne peut pas ne pas interloquer. D’autant que, dans un même mouvement, et en dépit des intentions proclamées et des gestes effectués, la ligne suivie par l’Église catholique n’a jamais autant reposé sur les épaules des papes successifs, tout à la fois bénéficiaires et victimes, comme les autres «grands» de ce monde, d’un phénomène de surexposition médiatique. Les intentions sont sans doute sauves, mais le fait est là. Et le retour des Églises locales aux appels du pape François en faveur de la synodalité est encore bien timide. Qui ne se demande si certaines de ses orientations en matière de lutte contre le «cléricalisme» et ses déviances, de dialogue interreligieux ou d’engagement écologique, lui survivront17? Cette personnalisation de l’autorité romaine, en contradiction notoire avec les intentions affichées par ses détenteurs, suscite une légitime perplexité dans les autres confessions.
17. On peut aussi se demander l’effet qu’aurait, pour l’œcuménisme, le retour du courant issu de Mgr Lefebvre au sein de la communion catholique. Comment imaginer la coexistence, dans la même Église, entre une dominante favorable à l’œcuménisme et une minorité qui lui serait hostile?
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La tentation protestante est plus complexe. Elle réside dans la difficulté à trouver un juste équilibre entre libéralisme et fondamentalisme. Les Églises anglo-protestantes qui ont porté le mouvement œcuménique sur les fonts baptismaux ont toutes été affectées récemment par un double mouvement nuisible à leur influence œcuménique. Elles sont sorties affaiblies d’une sécularisation où elles ont perdu une bonne partie de leurs fidèles et de leurs forces vives. Elles ont connu un vent de libéralisme en matière doctrinale, et surtout morale, qui s’est traduit par l’admission des femmes, puis des homosexuels, aux différents échelons du ministère, pastoral et même épiscopal. Alors que des contentieux anciens paraissaient en voie d’apaisement, comme le prouve l’accord luthéro-catholique sur la justification, une telle évolution en a ajouté de nouveaux, d’ordre éthique, qui ne sont pas moins clivants. L’affaiblissement et le libéralisme de ces Églises fragilisent d’autant plus le mouvement œcuménique que leur leadership y est de plus en plus contesté par le courant évangélique, attaché aux fondamentaux de la foi protestante, une lecture littérale de l’Écriture notamment, et moins sensible du fait de sa tendance prosélyte à l’impératif œcuménique. Mais l’évolution la plus dommageable à l’œcuménisme vient sans doute de la réactivation de la tentation orthodoxe, qui est celle du nationalisme religieux, pourtant condamné sous le nom de phylétisme par le synode de Constantinople en 1872. Pour la prendre en compte, il faut mettre à distance la vision idéalisée des Églises d’Orient véhiculée en Occident par leurs meilleurs représentants: Églises de la divino-humanité, mues par le SaintEsprit et gardiennes des canons des anciens conciles; Églises que la rigueur des temps n’aurait pas substantiellement affectées et qui conserveraient leur unité de foi en dépit de clivages nationaux et de juridiction. Pour que la comparaison soit équitable, il faut prendre en compte l’orthodoxie réelle et pas seulement son essence désincarnée18. Les Églises d’Orient ont connu au XXe siècle, sous emprise communiste, puis sous emprise musulmane, la pire épreuve de leur histoire: elles ont été menacées de disparition pure et simple par la persécution et par la guerre. Ces dangers les ont empêchées d’occuper la place qui leur revient de droit dans un mouvement œcuménique où elles ne se sont pas engagées sans réticence ni retard. Il n’a jamais manqué de moines et même de hiérarques, au sein de l’orthodoxie grecque ou slave, pour dénoncer l’œcuménisme comme l’hérésie du XXe siècle. 18. Comme le fait par exemple dans sa note J.-F. COLOSIMO, La crise orthodoxe. 2. Les convulsions du XIXe siècle à nos jours, Paris, Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), 2018, 31 p.
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Les Églises de l’ancien bloc soviétique sont sorties victorieuses de l’épreuve. Elles en ont conçu une légitime fierté et la conviction que seule leur fermeté doctrinale et morale leur a évité le naufrage. Aussi sont-elles tentées d’opposer aujourd’hui la même fermeté et la même fin de nonrecevoir aux influences jugées délétères de l’Occident, dont l’œcuménisme leur semble une composante, qu’à l’athéisme marxiste hier. Ainsi peut s’expliquer la sortie des Églises de Bulgarie et de Géorgie du Conseil œcuménique à la fin des années 199019. Ainsi peut s’expliquer aussi le refus que la primauté d’honneur accordée au patriarcat de Constantinople ne se traduise par des ingérences doctrinales et structurelles dans les affaires des Églises nationales. D’où les deux péripéties qui ont récemment défrayé la chronique de l’orthodoxie. Quatre de ces Églises – Antioche, Bulgarie, Géorgie et Moscou – ont boudé le «saint et grand concile panorthodoxe» enfin réuni, à l’initiative de Constantinople, en 2016. Le patriarcat de Moscou s’est vivement opposé à la décision d’accorder l’autocéphalie à l’Église d’Ukraine, prise par Constantinople en 2018. Dernière en date des manifestations de la lutte d’influence entre Moscou et Constantinople pour le leadership au sein de l’orthodoxie, l’affaire est significative de l’osmose, en Orient, entre religion et nation, l’indépendance nationale, de l’Ukraine en l’occurrence, devant nécessairement s’accompagner d’une indépendance religieuse. En Ukraine comme en Bulgarie, en Roumanie, en Serbie et surtout en Russie, l’Église est un pilier de l’identité nationale: elle s’appuie sur le nationalisme d’État auquel elle confère une légitimité spirituelle et qui lui assure en échange d’importantes facilités matérielles. Cette osmose entre religion et nation n’atteint certes pas l’unité de foi entre les Églises concernées, mais elle blesse leur communion et les rend allergiques à toute influence supranationale, qu’il s’agisse de Constantinople ou de Genève. Difficile, dans ces conditions, de soutenir que leur capacité d’initiative œcuménique n’en est pas affectée, tant l’affrontement semble avoir pris le pas sur le dialogue. Ces constatations de géopolitique ou de politique ecclésiastique, plutôt que de théologie ou de spiritualité, doivent-elles conduire à désespérer de l’avenir de l’œcuménisme? Certainement pas, car aucune des grandes confessions chrétiennes n’est disposée à rompre avec le parti-pris œcuménique adopté au cours des années 1960. S’il semble marquer le pas au sommet, le rapprochement s’est enraciné au sein du peuple chrétien, en Occident à tout le moins, comme le montrent année après année les célébrations de la semaine de prières du mois de janvier; et il y semble difficilement 19. Les Bulgares disent alors n’y avoir adhéré en 1961 que sous pression politicoreligieuse de Moscou.
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réversible. La volonté de sympathie et de bienveillance envers les «frères séparés» ne s’accompagne certes pas de résultats décisifs sur le chemin de l’unité, mais il est si répandu et monnayé en une telle multitude d’initiatives diverses, que l’œcuménisme fait figure de vulgate sur laquelle on ne souhaite pas revenir. Le temps des guerres de religion entre chrétiens est révolu, mais aussi celui de la méfiance et de l’ignorance. Celles-ci ont cédé la place d’une façon qui paraît sans retour au respect, à l’estime et au dialogue. L’avenir est cependant moins rose pour le mouvement œcuménique qu’il ne l’était voici un demi-siècle du fait du regain des identités confessionnelles et de l’apparition de nouveaux clivages, d’ordre éthique principalement, qui traversent toutes les confessions et permettent des alliances inédites, des œcuménismes pourrait-on dire, si le pluriel n’avait pas un caractère oxymorique. Ne voit-on pas s’esquisser en matière de morale individuelle, face à l’œcuménisme libéral de souche anglo-protestante auquel s’est rallié le catholicisme conciliaire, un œcuménisme conservateur unissant l’essentiel de l’orthodoxie orientale, le secteur intransigeant du catholicisme et le protestantisme évangélique, par ailleurs fort éloignés sur le terrain doctrinal? En un demi-siècle de compagnonnage intellectuel et personnel avec l’œcuménisme, l’historien que j’essaie d’être a ainsi traversé trois phases au moins du mouvement dont il essayait de reconstituer les premiers pas. Non sans mutation en profondeur du rapport qu’il entretenait avec son sujet. L’œcuménisme triomphant et conquérant des années 1960 m’a entraîné avec enthousiasme au service d’une cause que je tenais, et que je continue de tenir pour l’une des grandes aventures religieuses du XXe siècle. La douche froide du tournant des années 1960 et 1970 m’a conduit à plus de distance envers un mouvement pris sous le feu de la double contestation traditionaliste et gauchiste. J’ai partagé jusqu’à un certain point la seconde dans son dessein d’un œcuménisme critique, plus soucieux d’une communauté de pratiques que d’un rapprochement des croyances. Depuis les années 1990, j’observe avec plus de détachement un œcuménisme à la peine face aux grandes mutations religieuses d’un monde globalisé sur lesquelles il n’a guère de prise, qu’il s’agisse du basculement vers le «Sud», du défi de l’islam ou des crispations nationales et religieuses engendrées par la crise. Université Lumière Lyon 2 Avenue Salvador Allende 10 FR-69100 Villeurbanne France [email protected]
Étienne FOUILLOUX
PAUL VI, UN CHEMINEMENT ŒCUMÉNIQUE
Recevant les membres du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, Paul VI déclarait que l’œcuménisme était «l’entreprise la plus mystérieuse et la plus importante» de son pontificat1. Commentant ce texte, le père Congar suggérait que le terme «mystérieux» utilisé par le pape pouvait signifier «quelque chose qui va au-delà de soi-même, en direction d’un terme inconnu, selon un dessein dont l’origine tient à une inspiration, à une vocation»2. Faut-il parler d’une «vocation» œcuménique du futur Paul VI? L’historien-biographe lui préfèrera le terme, plus concret, de «cheminement». Cherchant à reconstruire ce cheminement vers l’œcuménisme, il se gardera toutefois de tomber dans un double écueil: le premier consisterait à faire de Giovanni Battista Montini un œcuméniste «avant la lettre» sous les pontificats de Pie XI et de Pie XII; la seconde, en sens contraire, serait de vouloir identifier sa position personnelle avec les prises de position qui furent les siennes durant cette période, d’abord comme assistant ecclésiastique de la Fédération catholique universitaire italienne (FUCI) (1925-1933), puis comme substitut à la Secrétairerie d’État (1937-1954), enfin comme archevêque de Milan (1954-1962)3. Il convient de rappeler ici que celui qu’on appelait communément «Mgr Montini» était un prélat sous surveillance, dont les faits et gestes étaient scrupuleusement scrutés au Vatican4. Ce climat de suspicion entourant sa personne et ses actes ne saurait être sous-estimé lorsqu’on s’efforce d’analyser ses écrits ou ses propos sur l’œcuménisme. Cela ne saurait signifier pour autant que le futur Paul VI fut, depuis toujours, un partisan déclaré du dialogue œcuménique même s’il convient de noter que son ouverture au monde anglo-protestant (singulièrement à l’anglicanisme) est un fait indéniable remontant aux premières années de son ministère sacerdotal. C’est pourquoi il est juste de parler d’un «cheminement» qui a conduit le prélat de Brescia à élargir progressivement sa vision de l’unité chrétienne conçue à l’origine comme simple retour des «dissidents» dans le bercail de l’Église catholique. Cette 1. La Documentation catholique, 6 février 1977, p. 141. 2. Y. CONGAR, L’œcuménisme de Paul VI, dans Paul VI et la modernité dans l’Église, Roma, École française de Rome, 1984, 807-820, p. 807. 3. Je me permets de renvoyer le lecteur à ma biographie: P. CHENAUX, Paul VI. Le souverain éclairé, Paris, Cerf, 2015. 4. Voir l’ouvrage de F. DE GIORGI, Mons. Montini. Chiesa cattolica e scontri di civiltà nella prima metà del Novecento, Bologna, Il Mulino, 2012.
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évolution vers une acceptation pleine et entière du dialogue œcuménique au sens où nous l’entendons aujourd’hui est le fruit de lectures, d’expériences et de rencontres qu’il convient d’analyser avec soin. C’est donc cet itinéraire vers l’œcuménisme que nous nous proposons de reconstruire, en historien, dans ces pages en faisant nôtre la leçon de méthode qu’adressait Joseph Famerée à la profession dans une chronique sur le colloque «Paul VI et l’œcuménisme» tenu à Brescia en septembre 1998: «il ne faut pas confondre biographie de G.B. Montini et hagiographie de celui-ci. Il y va du sérieux de la science historique»5. I. L’ASSISTANT ECCLÉSIASTIQUE DE LA FUCI Les débuts de la carrière romaine de Giovanni Battista Montini coïncident avec les débuts du Mouvement œcuménique. Quand il est nommé assistant ecclésiastique général de la FUCI en octobre 1925, la première grande assemblée du mouvement «Life and Work» vient de se tenir à Stockholm. Aucun catholique n’y avait pris part. En juillet 1919, la congrégation du Saint-Office avait publié un décret interdisant toute participation des catholiques à la conférence en préparation6. L’interdiction sera renouvelée à la veille de l’ouverture de la conférence de Lausanne du mouvement «Faith and Order» en juillet 19277. Pour le Saint-Siège, le retour à l’unité chrétienne passait à travers le retour à l’unique véritable Église du Christ, c’est-à-dire à l’Église catholique. Dans l’encyclique Mortalium animos (6 janvier 1928), Pie XI avait défini la position de l’Église sur le problème de l’unité chrétienne: «il n’est pas permis, en effet, de procurer la réunion des chrétiens autrement qu’en poussant au retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le malheur de s’en séparer»8. La stratégie de l’unionisme visant «à la “réunion en corps” 5. Paul VI et l’œcuménisme. VIIe Colloque international de Brescia, dans RTL 30 (1999) 287-289, p. 288. Voir à ce propos l’étude fondamentale d’A. MAFFEIS, Giovanni Battista Montini e il problema ecumenico. Dagli anni giovanili all’episcopato milanese, dans ISTITUTO PAOLO VI – STUDIUM (éds), Paolo VI e l’ecumenismo. Colloquio internazionale di studio, Brescia, 25-26-27 settembre 1998, Brescia – Roma, Studium, 2001, 39-96. 6. Décret daté du 4 juillet 1919, dans AAS 11 (1919) 309. Le décret d’interdiction concernant «la participation des catholiques à la société instituée pour promouvoir l’union de la chrétienté» reprenait et étendait les dispositions d’un décret plus ancien de 1864 interdisant aux catholiques de participer à une «Association for the Promotion of the Unity of Christendom» fondée en 1857 par le Dr. Edward Pusey (1800-1882). Cf. M.D. CHAPMAN, The Fantasy of Reunion. Anglicans, Catholics and Ecumenism (1833-1882), Oxford, Oxford University Press, 2014. 7. Décret daté du 8 juillet 1927, dans AAS 19 (1927) 278. 8. https://w2.vatican.va/content/pius-xi/fr/encyclicals/documents/hf_p-xi_enc_19280106_ mortalium-animos.html. Sur la genèse de l’encyclique, voir les études de M. BARBOLLA,
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de fragments plus ou moins importants des chrétientés séparées» (Étienne Fouilloux) était considérée comme l’unique alternative possible à l’œcuménisme9. Le nouvel assistant ecclésiastique de la FUCI démontra une réelle attention, bien que non dénuée de critique, à l’égard du mouvement œcuménique naissant. Le thème de l’unité de l’Église fut proposé comme sujet de réflexion aux cercles du mouvement dans le courant de 1927 sur recommandation du même Pie XI10. Montini intervint pour souligner l’importance du thème pour les catholiques qui, trop souvent, s’en désintéressaient alors qu’il représentait «l’un des problèmes spirituels les plus essentiels (sentiti) de la vie moderne». La voie irénique de l’œcuménisme était rejetée avec fermeté: Certains imaginent, peut-être même parfois sans s’en rendre compte, que la meilleure manière d’«aplanir la voie» du retour soit de renoncer aux formes de la rigide intransigeance dogmatique et d’élaborer un plan d’entente commune avec des adversaires qui ne veulent plus être considérés comme tels. Ne pas insister sur les différences, mais sur les concordances. Nous savons bien que l’Église n’a jamais vu d’un bon œil une telle attitude (…) L’intransigeance de l’Église est l’assurance de la vérité. Admettre que l’Église puisse accepter des compromis sur l’intégrité de la foi, c’est supposer qu’elle mette en pièces la tunique sans couture de sa divine doctrine; c’est supposer qu’elle puisse cesser d’être la maison paternelle pour faire sienne la misère et la faim des errants et des égarés11.
La genesi della Mortalium animos attraverso lo spoglio degli archivi vaticani, dans Rivista di storia della Chiesa in Italia 66 (2012) 495-538; J. ICKX, L’enciclica Mortalium animos (1928). Sfide storiografiche in base al nuovo materiale archivistico della Santa Sede, dans C. SEMERARO (éd.), La sollecitudine ecclesiale di Pio XI, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2010, 313-331; P. CHENAUX, Le Saint-Siège et les débuts du Mouvement œcuménique. La conférence de Lausanne (1927), dans A. GOTTSMANN – P. PIATTI – A.E. REHBERG (éds), Incorrupta monumenta Ecclesiam defendunt. Studi offerti a Mons. Sergio Pagano, prefetto dell’Archivio Segreto Vaticano. I: La Chiesa nella storia. Religione, cultura, costume (Collectanea Archivi Vaticani, 106), Città del Vaticano, Archivio Segreto Vaticano, 2018, 213-226. 9. É. FOUILLOUX, Église romaine et chrétientés non catholiques de la Grande Guerre au Concile Vatican II, dans ISTITUTO PAOLO VI – STUDIUM (éds), Paolo VI e l’ecumenismo (n. 5), 21-38, p. 28. 10. PIO XI, Agli universitari cattolici, 8 gennaio 1927, dans Discorsi di Pio XI. vol. 1. 1922-1928, éd. D. BERTETTO, Torino, SEI, 1960, pp. 670-671. 11. «Vi sono di quelli che credono, pur forse senza rendersene ragione, che l’atteggiamento migliore per “spianare le vie” del ritorno sia quello di recedere dalle forme di rigida intransigenza dogmatica e di cercare un piano di comune intesa con avversari che non vogliono più essere tali. Non insistere sulle differenze, ma sulle coincidenze. Sappiamo che la Chiesa non ha mai visto di buon occhio questo atteggiamento (…) L’intransigenza della Chiesa è la sicurezza della verità. Ammettere che la Chiesa venga a patti sull’integrità della fede è supporre ch’essa faccia a brani l’inconsutile veste della sua divina dottrina: è supporre ch’essa cessi di essere la casa paterna per far propria la miseria e la fame degli erranti e degli smarriti» (G.B. MONTINI, La Chiesa: una, dans La Sapienza, 15 janvier 1927, p. 1.
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Montini reconnaissait toutefois la nécessité de revoir la manière de formuler cet appel au retour: «Peut-être avons-nous montré à ceux qui sont le plus éloignés de Rome le devoir de l’unité, plutôt que le droit d’y appartenir»12. Présentant la Mortalium animos dans la revue Studium, il estimait que l’encyclique avait le mérite de réfuter les deux raisons «spécieuses» de l’œcuménisme à bon marché selon lesquelles «l’union devrait se faire dans la sympathie charitable du nom de chrétien, en faisant abstraction de la foi» et qu’il suffisait d’«une quelconque foi commune pour servir de base à l’entente»13. Il n’est pas sans intérêt de remarquer qu’à propos de la conférence de Lausanne l’article renvoyait aux publications de l’abbé Charles Journet (1891-1975), jeune théologien suisse encore peu connu qu’il élèvera par la suite, comme pape, à la pourpre cardinalice14. La même année 1928 voyait la parution, dans une traduction et précédée d’une préface de sa part, du livre du philosophe thomiste Jacques Maritain, le grand ami de Journet, intitulé Trois Réformateurs: Luther, Descartes, Rousseau15. Publié chez Plon en 1925, l’ouvrage avait suscité une certaine polémique dans les milieux protestants en raison du portrait «caricatural» qu’il proposait de Luther présenté comme le père de l’individualisme moderne, obligeant son auteur à se défendre de l’accusation d’avoir écrit ce chapitre sur Luther dans «un dessein de polémique antiprotestante»16. En donnant à lire à la jeunesse catholique italienne un livre qui, «à travers ses représentants les plus qualifiés, retrace les origines du subjectivisme contemporain», l’assistant de la FUCI savait correspondre au désir de ses supérieurs. Le livre, en effet, avait reçu un accueil très favorable de la part des milieux ecclésiastiques romains. Dans la revue Gregorianum, le père Charles Boyer, professeur de philosophie à la Grégorienne et fondateur, après 1945, avec le soutien du substitut Montini, de l’association et de la revue romaine Unitas, avait fait l’éloge d’«un beau livre de combat contre les erreurs de Texte publié dans M. MARCOCCHI [éd.], Giovanni Battista Montini. Scritti fucini (19251933), Brescia – Roma, Studium, 2004, pp. 68-70). 12. «Forse abbiamo mostrato di più ai lontani da Roma il dovere della unità, che non il diritto di appartenervi», ibid. 13. G.B. MONTINI, Pensiero e vita religiosa, dans Studium 24 (1928) 91-95 (publié dans MARCOCCHI [éd.], Giovanni Battista Montini [n. 11], 163-166). 14. Les deux publications étaient le «très bel article» sur Le Concile de Lausanne publié dans la Revue des Jeunes (10 octobre 1927) et son livre L’union des Églises et le christianisme pratique (Paris 1927). Sur l’influence supposée de ce livre dans la genèse de la Mortalium animos, voir mon article déjà cité: Le Saint-Siège et les débuts du Mouvement œcuménique (n. 8). 15. J. MARITAIN, Tre Riformatori: Lutero, Cartesio, Rousseau, Brescia, Morcelliana, 1928. 16. J. MARITAIN, Notes sur Luther, dans Nova et Vetera 3 (1928) 373-427. Sur cette polémique, voir mon livre Entre Maurras et Maritain. Une génération intellectuelle catholique (1920-1930), Paris, Cerf, 1999, pp. 113-124.
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l’esprit moderne» qu’étaient l’idéalisme, le subjectivisme, l’individualisme révolutionnaire, le romantisme, le modernisme17. L’apparente rigidité dont l’abbé Montini fait preuve dans ses écrits de cette période ne l’empêche pas de réfléchir à la nécessité d’une réforme de l’Église. Dans une note autographe sans date intitulée Chiesa cattolica e Chiesa protestante, il écrivait en effet: Il y a des manques dans l’une et l’autre, grands sujets d’apologies et de polémiques. Mais alors qu’il suffit à l’Église catholique d’être elle-même pour corriger ses propres défauts, c’est-à-dire appliquer ses propres principes, l’Église (si l’on peut l’appeler ainsi) protestante pour surmonter ses propres faiblesses doit recourir aux principes qu’elle a négligés ou niés, et qui ne lui appartiennent pas, mais que par incohérence historique et logique, à laquelle la vie humaine est habituée, sont réclamés avec une ambition satisfaite18.
Il n’est peut-être pas impossible que cette note, que l’on peut dater de la fin des années trente, ait été écrite après la lecture du livre du père Yves Congar, Chrétiens désunis. Principes d’un «œcuménisme» catholique (1937), dont un exemplaire de la première édition se trouve conservé dans la bibliothèque du pontife. II. LE SUBSTITUT À LA SECRÉTAIRERIE D’ÉTAT La position du substitut Montini sous le pontificat de Pie XII (19391958) est celle d’un homme prudent, mais sensible à la question de l’unité. Dans l’attente d’un accès direct aux archives du pontificat, les témoignages de ses différents interlocuteurs reçus à la Secrétairerie d’État, qu’ils soient catholiques ou non, constituent une source précieuse pour cerner son attitude à l’égard du mouvement œcuménique. Celui du père Yves Congar (1904-1995), reçu en audience avec son confrère, le père Henri-Marie Féret (1904-1992), durant son voyage à Rome en mai 1946, est particulièrement éclairant. Le dominicain français lui fit l’hommage de son livre Chrétiens désunis. Principe d’un «œcuménisme» catholique avec cette dédicace: «À son Excellence Mgr Montini en témoignage de mon respectueux dévouement in Christo et in Ecclesia, fr. Yves M.-J. Congar, Rome, 17. Gregorianum 6 (1925), pp. 580-581. 18. «Vi sono difetti nell’una e nell’altra, grandi argomenti di apologie e di polemiche. Ma laddove la Chiesa Cattolica, per vincere i propri difetti non altro deve fare che essere se stessa, cioè applicare con coerenza i suoi stessi principi, la Chiesa (se così si può dire) protestante per superare le proprie manchevolezze deve ricorrere a principii ch’essa ha trascurato o negato, e che non le sono propri, ma che per incoerenza storica e logica, a cui è abituata la vita umana, sono reclamati con soddisfatta ambizione» (cité dans MAFFEIS, Giovanni Battista Montini e il problema ecumenico [n. 5], p. 55).
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21 mai 1946»19. L’impression à l’issue de cette première rencontre était positive: «Mgr Montini semble assez informé; en tout cas capable de comprendre les aspects et les nuances de la question; de celles-là et de toutes les autres. C’est un homme d’une intelligence très ouverte, très vive, à qui peu de choses doivent échapper». S’agissant de son attitude à l’égard du mouvement œcuménique, il notait: «Il est dominé, en cette question, par la peur de l’indifférentisme. Il reconnaît qu’il faut aller vers les dissidents, leur tendre la main»20. L’observation semble assez juste. Mgr Montini était, on l’a dit, sensible à la question de l’unité. Dès la fin de la guerre, il avait encouragé la fondation à Rome de l’association Unitas par un professeur de la Grégorienne, le jésuite français Charles Boyer21. Considérée avec suspicion dans les milieux œcuméniques en raison du fait que l’adhésion à l’association était limitée aux seuls catholiques, l’association entendait sensibiliser les milieux romains à la cause de l’unité chrétienne. Montini se démena pour lui procurer un local auprès de la communauté des sœurs brigidines. À la veille de l’Année Sainte de 1950, il demanda au père Boyer de mettre sur pied un «bureau d’information» (le foyer Unitas) pour l’accueil des pèlerins non catholiques. Il ne fut pas étranger à l’initiative prise par le fondateur d’Unitas de réunir à Grottaferrata, du 19 au 22 septembre 1950, les principaux théologiens catholiques intéressés à ces questions. «Ce dernier, témoignera l’un des participants, le dominicain belge Jérôme Hamer, n’avait cependant pas réuni cette conférence motu proprio. Dans les conversations particulières, il disait très nettement qu’il bénéficiait du plein appui du Substitut de la Secrétairerie d’État, c’est-à-dire de Mgr Montini»22. Les participants furent reçus en audience par Pie XII à Castel Gandolfo, mais l’initiative, comme telle, n’eut pas de suite, sinon indirectement avec la fondation, deux ans plus tard, de la Conférence catholique pour les questions œcuméniques23. En mai 1968, recevant les membres du Comité central de l’association internationale Unitas à l’occasion du vingtième anniversaire de sa fondation, Paul VI ne manqua pas de rappeler avec quelle attention vigilante il avait accompagné les débuts du mouvement: 19. Montini, on l’a dit, possédait déjà le livre; il s’agit donc d’un deuxième exemplaire (ibid., p. 66, n. 75). 20. Y. CONGAR, Journal d’un théologien 1946-1956, éd. É. FOUILLOUX, Paris, Cerf, 2000, p. 107. 21. Il manque une étude basée sur les archives de cette association qui joua un rôle non négligeable dans l’immédiat après-guerre pour sensibiliser les milieux de la Rome ecclésiastique au thème de l’unité. 22. Intervention de J. HAMER, Seduta del 25 settembre. Mattino, discussione, dans Giovanni Battista Montini Arcivescovo di Milano e il Concilio Ecumenico Vaticano II. Preparazione e primo periodo, Brescia – Roma, Studium, 1985, 293-332, p. 325. 23. Voir l’ouvrage de M. VELATI, Una difficile transizione. Il cattolicesimo tra unionismo ed ecumenismo (1952-1964), Bologna, Il Mulino, 1996.
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La bonté du Seigneur Nous a en effet accordé de suivre d’assez près les premiers pas de votre association depuis que Pie XII, de vénérée mémoire, avait voulu que Nous soyons, au temps déjà lointain du 18 juin 1945, l’interprète des vœux d’encouragement et de bénédiction par lesquels ce grand pontife indiquait le chemin dans le champ délicat et difficile de l’apostolat et de l’action œcuméniques (…). Aujourd’hui un progrès a été accompli qui, il y a vingt ans, au commencement de l’action de Unitas, était tout simplement impensable24.
L’ouverture de l’Église catholique au dialogue œcuménique sur une base d’égalité semblait, de fait, dans les années de l’immédiat après-guerre, proprement «impensable». Pour le substitut Montini, si les tentatives de rapprochement étaient légitimes, elles ne devaient pas se faire au prix de renoncements au plan doctrinal. Il recommandera ainsi la prudence à l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Mgr François Charrière (18931976), dans ses rapports avec le Réarmement moral, ce mouvement d’inspiration protestante et anglo-saxonne qui cherchait à rassembler les chrétiens sur une base interconfessionnelle dans sa lutte contre le communisme25. Les propos tenus aux frères de la communauté de Taizé, Roger Schutz (1915-2005) et Max Thurian (1921-1996), reçus en audience au Vatican en mars 1949, allaient dans le même sens. L’année précédente, s’était tenue à Amsterdam l’assemblée constitutive du Conseil œcuménique des Églises à laquelle les catholiques n’avaient pas été autorisés à participer: Mgr Montini justifie l’intransigeance catholique dans le dialogue œcuménique. Rome paraît dure, mais c’est sa vocation. L’Église est édifiée sur Pierre et cette pierre est dure parfois. Mais il y a toute une zone où l’Église peut montrer plus d’ouverture. Elle doit d’abord reconnaître les torts de ses membres dans l’histoire et aujourd’hui. La vérité est offerte à tous, elle n’est pas la propriété de Rome et du Pape. Il y a un tort à ne pas savoir faire comprendre la vérité, à ne pas la rendre aimable (…)26.
Le jugement porté par les frères de Taizé sur leur interlocuteur de la Secrétairerie d’État restait malgré tout plus que positif: «Mgr Montini parlant de la responsabilité de l’Église catholique fait preuve d’une humilité très grande et réelle, impressionnante pour des non-catholiques»27. Lors d’une nouvelle rencontre avec le substitut à Rome, le 21 juin 1950, ils s’attachèrent à sonder son attitude au sujet d’une éventuelle présence 24. Allocution à l’association internationale Unitas (15 mai 1968), dans Documents pontificaux de Paul VI, t. 7: 1968, Saint-Maurice, Éditions Saint-Augustin, 1971, pp. 282-283. 25. P. CHENAUX, L’Église catholique et le communisme en Europe (1917-1989), Paris, Cerf, 2009, pp. 158-160. 26. Audience du 15 mars 1949, AAV, Conc. Vat. II, b. 1472. Sur les relations des frères de Taizé avec Mgr Montini, voir l’ouvrage récent de S. SCATENA, Taizé. Una parabola di unità. Storia della comunità dalle origini al concilio dei giovanni, Bologna, Il Mulino, 2018. 27. Ibid.
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de théologiens catholiques aux prochaines conférences du Conseil œcuménique des Églises, en particulier à la conférence du mouvement «Faith and Order» qui devait se tenir à Lund (Suède) en 1952. La réponse du prélat était plutôt évasive: une telle présence, «en accord avec le Saint-Siège», était «possible», mais il n’était pas «habilité» à en prendre la décision, leur recommandant «d’en parler au père Boyer»28. S’agissant d’une éventuelle nouvelle définition dogmatique mariale après celle de l’Assomption, le substitut maintint «une très stricte réserve» devant les inquiétudes qu’exprimaient ses deux interlocuteurs29. III. L’ARCHEVÊQUE DE MILAN Nommé archevêque de Milan en novembre 1954, Mgr Montini continua à suivre de près les développements du mouvement œcuménique. Son diocèse n’apparaissait-il pas, aux yeux même des protestants, «à l’avantgarde» dans ce domaine à la fin des années cinquante30? C’est l’un des rares évêques italiens en tout cas à recommander la Semaine de prières pour l’Unité à l’attention des fidèles. Si son attachement à la doctrine le conduit à rejeter fermement toute forme de «faux irénisme» dans la ligne de l’encyclique Humani generis (1950), sa volonté de nouer des relations amicales «sur le plan de la charité» avec des représentants d’autres confessions, en particulier avec des personnalités de l’Église anglicane, n’en est pas moins réelle. Depuis toujours, il avait réservé une attention particulière au monde anglican. Les Conversations anglo-catholiques de Malines sous l’égide du cardinal Mercier et de lord Halifax au début des années vingt représentaient, à ses yeux, un exemple à suivre31. Sa vénération pour la personne et les écrits du cardinal John Henry Newman, ce grand témoin de l’anglicanisme dans l’Église catholique au XIXe siècle, est, d’autre part, bien connue32. Comme substitut, il avait reçu au Vatican divers responsables de l’Église anglicane (H. Waddams, G.L. Prestige). À l’origine des rencontres milanaises des années cinquante, on trouve un oratorien français, converti du protestantisme, le père Louis Bouyer (1913-2004)33. Après 28. Rapport des pasteurs Schutz et Thurian sur leur second voyage à Rome, s.l., s.d., p. 4 (cité dans MAFFEIS, Giovanni Battista Montini e il problema ecumenico [n. 5], p. 73). 29. SCATENA, Taizé. Una parabola di unità (n. 26), p. 297. 30. MAFFEIS, Giovanni Battista Montini e il problema ecumenico (n. 5), pp. 85-86. 31. Audience du 15 mars 1949 (n. 26), p. 72. 32. M. MARCOCCHI, Cristianesimo e cultura nell’Italia del Novecento, Brescia, Morcelliana, 2008, pp. 96-97. 33. Voir l’ouvrage de B. LESOING, Vers la plénitude du Christ. Louis Bouyer et l’œcuménisme, Paris, Cerf, 2016.
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avoir donné son accord, l’archevêque avait paru faire marche arrière, craignant qu’une telle visite de pasteurs anglicans ne puisse être mal interprétée à Rome, dans le sens d’une initiative proprement œcuménique. «En tout cas il ne faudrait donner aucune publicité à la rencontre. Ce n’est pas que l’on veut l’entourer de mystère. C’est que l’on ne veut lui donner aucune importance officielle; il faut être bien d’accord là-dessus» écrivait-il à Louis Bouyer en avril 195634. La visite à Milan des quatre pasteurs anglicans, accompagnés, selon son désir, du père Charles Boyer, eut finalement lieu du 8 au 16 septembre 195635. Dans le compte-rendu envoyé au cardinal Pizzardo, il tint à rassurer le Saint-Siège sur le caractère purement privé de la rencontre, qui avait pour but de montrer à ses visiteurs «le cadre de la vie catholique en action»36. La perspective ecclésiologique de fond de l’archevêque Montini qui sous-tend sa vision de l’unité chrétienne est encore celle des enseignements de l’encyclique Mortalium animos (1928) de Pie XI et de l’encyclique Mystici corporis (1943) de Pie XII, c’est-à-dire celle d’une stricte identité de l’Église du Christ avec l’Église catholique, «laquelle réalise l’unité que le Christ a voulu pour son Église»37. On ne peut toutefois s’empêcher de noter une certaine évolution dans sa façon de juger les autres confessions chrétiennes durant l’épiscopat milanais: d’une évaluation purement négative on passe progressivement à la reconnaissance d’éléments positifs d’ecclésialité présents dans les confessions réformées. On en veut pour preuve le témoignage de Max Thurian après une nouvelle audience avec l’archevêque en novembre 1958: Il a parlé du protestantisme et de la nécessité pour les catholiques de comprendre tout ce qui s’y trouve «d’authentique, de profond et même de sublime». L’Église catholique a vraiment en lui un réformateur comme il ne s’en est pas trouvé depuis longtemps38.
En janvier 1963, le cardinal Montini utilisera même le terme d’«Église souterraine» (Ecclesia sotteranea) pour qualifier les communautés issues de la Réforme en raison d’une unité fondée sur le baptême. 34. Lettre du 8 avril 1956, citée dans B. LESOING, Initiatives œcuméniques à la veille du concile Vatican II. Correspondance entre Mgr Giovanni Battista Montini et Louis Bouyer, dans CVII. Studi e Ricerche 11 (2017) 115-136, p. 124. 35. La délégation anglicane était composée de quatre pasteurs: John Dickinson (Cambridge), Colin James (Bucks), Gage Brown (Londres), Bernard Pawley (Londres) et d’un étudiant en théologie (ibid., pp. 115-119). 36. Lettre de Montini à Pizzardo, 29 décembre 1956 (citée dans MAFFEIS, Giovanni Battista Montini e il problema ecumenico [n. 5], p. 79). 37. Ibid., p. 86. 38. Rapport du 13 novembre 1958 (AAV, Conc. Vat. II, b. 1472).
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Auparavant on insistait sur ce qui séparait, aujourd’hui (un tel climat s’est répandu aussi grâce au concile), on s’aperçoit au contraire qu’il y a une unité. Une unité fondée sur le baptême qui constitue les frères séparés en Ecclesia sotteranea. C’est la réalité du Christ qui vit et fait vivre des mêmes exigences spirituelles; les protestants baptisés de manière valide vivent en Christ comme nous39.
La première session de Vatican II eut un impact décisif dans son cheminement vers l’œcuménisme. L’archevêque de Milan avait accueilli avec grande faveur la décision du pape Jean de convoquer un concile avec une finalité œcuménique. Le long votum envoyé à Rome en mai 1960 se faisait l’écho de cette préoccupation lorsqu’il abordait le thème de la «réforme de l’Église». En septembre de la même année, il accepta de recevoir dans son diocèse, à Gazzada près de Milan, la dixième réunion annuelle de la Conférence catholique pour les questions œcuméniques fondée à Fribourg (Suisse) en 1952. Tout en manifestant son intérêt pour la réunion, il s’abstint de participer directement à ses travaux. Dans une lettre adressée à son secrétaire, Mgr Johannes Willebrands, qu’il avait invité à tenir une série de conférences dans son diocèse en février 1960, il justifiait ainsi cette attitude de réserve: «Les difficultés pour arriver au but sont certainement très nombreuses et, humainement parlant, elles semblent aujourd’hui insurmontables. Mais “apud Deum omnia possibilia sunt”! Je forme des vœux pour un travail fructueux et je le bénis de tout cœur»40. Le cardinal Montini rendit toutefois visite aux participants, dont la plupart étaient des théologiens appelés bientôt à collaborer avec le nouveau Secrétariat pour l’Unité des chrétiens créé par Jean XXIII et présidé par le cardinal Augustin Bea41. Dans sa fameuse lettre pastorale Pensiamo al Concilio (22 mai 1962), il exprimait la même pensée lorsqu’il parlait d’un «concile de préparation», d’un «concile du désir», prélude à un «autre futur concile» qui sera «la fête de tous les chrétiens, finalement réconciliés en un seul troupeau sous 39. «Prima si marcavano le cose che separavano, oggi (tale clima si è diffuso anche grazie al concilio), invece ci si accorge che c’è una unità. Un’unità fondata sul Battesimo che costituisce i fratelli separati in Ecclesia sotterranea. È la realtà di Cristo che vive e fa vivere delle stesse esigenze spirituali; anche i protestanti validamente battezzati vivono in Cristo come noi» (G.B. MONTINI, L’Ottavario per l’unità dei cristiani. Documenti e discorsi (1955-1978), a cura di G. MONZIO COMPAGNONI [Quaderni dell’Istituto Paolo VI, 18], Brescia, Istituto Paolo VI; Roma, Studium, 1998, p. 51). 40. «Le difficoltà per raggiungere la meta sono certo moltissime e, umanamente parlando, sembrano ora insormontabili. Ma apud Deum omnia possibilia sunt! Faccio pertanto voti di proficuo lavoro e lo benedico di cuore» (Lettre du 25 février 1960, Archives diocésaines de Milan, citée dans MAFFEIS, Giovanni Battista Montini e il problema ecumenico [n. 5], p. 83). 41. M. LAMBERIGTS – L. DECLERCK, Les relations entre le cardinal Montini / pape Paul VI et monseigneur / cardinal J. Willebrands, dans Istituto Paolo VI. Notiziario 66 (2013) 29-48, pp. 33-34.
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la conduite d’un seul pasteur»42. Durant la première session du concile, il reçut dans sa résidence au Vatican le théologien luthérien Oscar Cullmann (1902-1999), dont il connaissait et appréciait les travaux (surtout son livre intitulé Saint Pierre, disciple, apôtre, martyr publié en 1952). Le théologien fut frappé par «la spiritualité, l’intelligence, le charisme personnel» de son interlocuteur: J’ai été seul avec lui, et je n’oublierai pas l’entretien que j’ai eu avec lui sur l’œcuménisme, et sur l’exégèse du Nouveau Testament. À la fin, il m’a fait un cadeau d’une croix de Milan que j’ai sur ma table de travail. La croix nous unit43.
IV. ÉPILOGUE L’homme qui s’apprête à monter sur le trône de Pierre est donc un homme «de longue date préparé» (Y. Congar) à la tâche qui lui incombe désormais, dans la ligne de son prédécesseur Jean XXIII, de faire entrer l’Église catholique dans la voie du dialogue œcuménique. Comme l’écrit un éminent spécialiste de ces questions, il sera «le premier pape à exprimer une demande de pardon adressée aussi bien à Dieu qu’à ses contemporains» en relation avec la division des chrétiens44. Dans son discours d’ouverture de la deuxième session du concile (29 septembre 1963), après avoir salué les observateurs non catholiques présents dans l’assemblée, il esquissera le thème du pardon réciproque pour les fautes commises à l’origine de la séparation: Si, dans les causes de cette séparation, une faute pouvait nous être imputée, nous en demandons humblement pardon à Dieu et nous sollicitons aussi le pardon des frères qui se sentiraient offensés par nous. Et nous sommes prêts, en ce qui nous concerne, à pardonner les offenses dont l’Église catholique a été l’objet et à oublier les douleurs qu’elle a éprouvées dans la longue série des dissensions et des séparations45.
42. G.B. MONTINI, Discorsi e scritti sul concilio (1919-1963), éd. A. RIMOLDI, Brescia – Roma, Studium, 1983, pp. 55-56. 43. Lettre d’Oscar Cullmann au p. Congar, 23 juin 1963, citée dans A. METTLER, Die Materialen zum Zweiten Vatikanische Konzil im Cullmann-Archiv, dans M. SALLMANN – K. FROEHLICH (éds), Zehn Jahre nach Oscar Cullmanns Tod. Rückblick und Ausblick (Basler und Berner Studien zur historischen Theologie, 75), Zürich, Theologischer Verlag, 2012, 149-160, p. 155. 44. H. DESTIVELLE, L’œcuménisme entre histoire et mémoire, dans ID., Conduis-la vers l’unité parfaite. Œcuménisme et synodalité, Paris, Cerf, 2018, 153-189, p. 159. 45. Documents pontificaux de Paul VI, t. 1: 1963, Saint-Maurice, Éditions Saint-Augustin, 1967, p. 273.
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Ce thème de l’oubli et du pardon trouvera une actualisation, le dernier jour du concile (7 décembre 1965), dans la cérémonie de la levée des excommunications de 1054. Dans une déclaration lue par Mgr Willebrands, secrétaire du Secrétariat pour l’unité des chrétiens, Paul VI affirmera sa volonté d’«effacer du souvenir de l’Église la sentence d’excommunication alors portée» et de «la retirer de son fonds» (bref Ambulate in dilectione)46. Au même moment, dans la cathédrale du Phanar à Istanbul, en présence de sept délégués pontificaux, une déclaration analogue était lue sous la présidence du patriarche Athénagoras que le pape avait rencontré, par deux fois, à Jérusalem en janvier 1964. L’accolade avec le délégué de Constantinople, le métropolite Méliton de Chalcédoine, fut saluée par le plus long applaudissement de tout le concile. Dix ans plus tard, le 14 décembre 1975, en présence d’une délégation du Phanar conduite par le même métropolite Méliton, il utilisera l’expression de «purification de la mémoire» pour célébrer l’anniversaire de «l’acte ecclésial solennel et sacré» de la levée des excommunications47. Au moment de quitter la chapelle Sixtine, Paul VI, d’un pas incertain, se dirigea vers le métropolite et s’agenouilla devant lui pour lui baiser les pieds. Les rares fidèles présents dans la Sixtine n’en croyaient pas leurs yeux. Même le photographe pontifical se laissa surprendre par ce geste sans précédent dans l’histoire de l’Église mais, semblet-il, prémédité48. Comme l’écrira plus tard Mgr Duprey, qui avait assisté à la scène, «la célébration d’un anniversaire était devenue, grâce au geste de Giovanni Battista Montini, un acte créateur d’avenir»49. Dans son encyclique inaugurale Ecclesiam Suam (6 août 1964), Paul VI avait rappelé son attachement au dialogue œcuménique, mais avait défendu, dans le même temps, la doctrine de la primauté de Pierre contre ceux qui prétendaient qu’elle représentait un «obstacle» à «l’union des Églises séparées avec l’Église catholique» (no 114): Nous voulons supplier les frères séparés de considérer l’inconsistance d’une telle hypothèse; et non seulement parce que sans le Pape l’Église catholique ne serait plus telle, mais parce que l’office pastoral suprême, efficace et décisif de Pierre venant à manquer dans l’Église du Christ, l’unité se décomposerait; et on chercherait en vain ensuite à la recomposer sur des principes qui remplaceraient le seul principe authentique, établi par le Christ lui-même: «Il y aurait dans l’Église autant de schismes qu’il y a de prêtres» écrit justement saint Jérôme50. 46. Ibid., pp. 670-671. 47. DESTIVELLE, L’œcuménisme entre histoire et mémoire (n. 44), p. 160. 48. Lors du concile de Florence (1438-1439), les patriarches orientaux s’étaient refusés à saluer le pape Eugène IV en lui baisant les pieds. 49. P. DUPREY, I gesti ecumenici di paolo VI, dans ISTITUTO PAOLO VI – STUDIUM (éds), Paolo VI e l’ecumenismo (n. 5), 198-214, p. 211. 50. Documents pontificaux de Paul VI, t. 2: 1964, Saint-Maurice, Éditions SaintAugustin, 1967, p. 692.
PAUL VI, UN CHEMINEMENT ŒCUMÉNIQUE
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Au père Congar qui lui demandait, lors d’une audience en juin 1964, si «l’ouverture œcuménique et les gestes qu’il a faits envers les patriarches appellent (ainsi que le renouveau liturgique appelle) une ecclésiologie qui n’est pas encore élaborée: ecclésiologie de Communion, où l’Église apparaisse comme Communion d’Églises», il avait répondu «ne pas bien voir ce qu’il voulait dire». Pour le pape, «il n’y avait qu’une Église». «NotreSeigneur n’en a voulu qu’une. Certes, elle admet une variété de rites, d’usages et coutumes. Mais ce doit être une Église unique»51. S’exprimant devant le Conseil œcuménique des Églises lors de sa visite à Genève le 10 juin 1969, il rappellera avec force: «Notre nom est Pierre. Et l’Écriture nous dit quel sens le Christ a voulu attribuer à ce nom, quels devoirs il Nous impose: les responsabilités de l’apôtre et de ses successeurs»52. Le cheminement œcuménique de Paul VI n’a donc pas le sens d’un abandon de la doctrine traditionnelle de l’Église sur la primauté de Pierre, mais plutôt celui d’une ouverture progressive et sincère au dialogue comme méthode pour atteindre le but final, celui d’une unique Église visible réconciliée dans sa diversité sous la conduite d’un unique pasteur. Pontificia Università Lateranense Via delle Grazie 3 IT-00193 Roma Italia [email protected]
Philippe CHENAUX
51. Y. CONGAR, Mon Journal du Concile. II, Paris, Cerf, 2002, p. 115 (8 juin 1964). 52. Documents pontificaux de Paul VI, t. 8: 1969, Saint-Maurice, Éditions SaintAugustin, 1972, p. 439.
VATICAN II ON THOMAS THE DEBATE ABOUT THOMAS IN THE COMMISSION FOR SEMINARIES, STUDIES, AND UNIVERSITIES
I. INTRODUCTION In the documents of Vatican II, Thomas Aquinas is only mentioned twice, first in Optatam totius 16, dealing with theological disciplines: “Then in order to throw the fullest light on the mysteries of salvation, with the aid of speculative reason under the guidance of St. Thomas, to penetrate them more deeply and to see their mutual connection”1. The argument is underpinned by a speech of Pius XII2 and two speeches of Paul VI3. However, there is no reference to Aeterni Patris. The second time Thomas is mentioned is in Gravissimum educationis 10. In this paragraph it is first said that the Church promotes schools of higher education, especially universities and faculties. With regard to the institutions depending on her, the Church ensures a treatment of subjects according to their own principles, method, and the proper freedom of research: “In this way [the Church] intends that an ever deeper understanding of these things may be gained and, after accurate consideration of new questions and investigations raised as time goes on, there may be more deeply perceived how faith and reason accord in one truth, following the footsteps of the doctors of the Church, especially St. Thomas Aquinas”4. Both references to Thomas are found in documents presented by one and the same commission, the Commission for Studies, Seminaries, and Universities (De 1. The Latin text and the translation are taken from N.P. TANNER (ed.), Decrees of the Ecumenical Councils II. Trent to Vatican II, London, Sheed and Ward; Washington, DC, Georgetown University Press, 1990, p. 956. The Latin text reads: “(…) Deinde ad mysteria salutis integre quantum fieri potest illustranda, ea ope speculationis, s. Thoma magistro, intimius penetrare eorumque nexum perspicere alumni addiscant”. 2. PIUS XII, Sermo ad alumnos seminariorum, June 24, 1939, in AAS 31 (1939) 247. 3. PAUL VI, Allocutio in Gregoriana pontificia studiorum universitate habita, March 12, 1964, in AAS 56 (1964) 365; ID., Allocutio coram VI congressu internationali thomistico, September 10, 1964, in AAS 57 (1965) 788-792. 4. TANNER (ed.), Decrees of the Ecumenical Councils II (n. 1), p. 966. The Latin text runs as follows: “(…) ut profundior in dies earum intelligentia obtineatur et novis progredientis aetatis quaestionibus ac investigationibus accuratissime consideratis altius perspiciatur quomodo fides et ratio in unum verum conspirent ecclesiae doctorum praesertim sancti Thomae Aquinatis vestigia premendo”. Again, the only reference made is to PAUL VI, Allocutio coram VI congressu internationali thomistico (n. 3).
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seminariis, de studiis et de educatione Catholica). It is well known that the Church father most quoted in Vatican II documents is Augustine, not Thomas5. Both Optatam totius and Gravissimum educationis have been the subject of profound historical studies6. About thirty years ago, the Jesuit G.A. McCool, stated: “The history of the Modern Neo-Thomist movement, whose magna carta was Aeterni Patris, reached its end at the Second Vatican Council”7. About the way Thomas Aquinas was tackled and discussed both in the preparatory period8 and during the Council’s public debates, interesting work has already been done. This is also the case for the broader context of Thomism at the time of the Council9. Much work, however, remains to be done on the discussion about the place of Thomas, a discussion that took place in the commission responsible for the two conciliar documents in which he is explicitly mentioned. Moreover, partly because individual Conciliar documents are (deservedly) the topic of research in their own right, scholars do not always pay attention to the interaction between these two documents, especially with regard to the debate about Thomas. In this contribution, we focus on the debates about Thomas that took place during the Council in the plenary meetings of the Commission for Studies, Seminaries, and Universities. We will do so on the basis of the abundant material present in the Archivio Apostolico Vaticano, section Concilio Vaticano II10. Given the limited space afforded by the present article, we will not deal with the reception of Thomas during 5. See the study of A. DUPONT, Patristic Source Use at the Second Vatican Council. An Analysis of the Prevalence of Augustinian References in the Preparatory and the Conciliar Documents, in G. ROUTHIER – K. SCHELKENS – P. ROY-LYSENCOURT (eds.), La théologie catholique entre intransigeance et renouveau. La réception des mouvements préconciliaires à Vatican II (Bibliothèque de la RHE, 95), Louvain-la-Neuve, Collège Érasme; Leuven, Universiteitsbibliotheek, 2011, 11-48. 6. For Optatam totius, see A. GREILER, Das Konzil und die Seminare. Die Ausbilding der Priester in der Dynamik des Zweiten Vatikanums (Annua Nuntia Lovaniensia, 48), Leuven, Peeters, 2003, p. 386; for Gravissimum educationis, see G. FUSI, L’educazione al tempo del Concilio. Percorso redazionale della Gravissimum educationis (SOPHIA/Epistême. Dissertazioni, 24), Padova, Messaggero – Facoltà teologica del Triveneto, 2018, p. 302; although less historically focused, R. FRICK, Grundlage Katholischer Schule im 20. Jahrhundert. Eine Analyse weltkirchlicher Dokumente zu Pädagogik und Schule (Schul- und Unterrichtsforschung, 2), Baltmannsweiler, Schneider Verlag Hohengehren, 2006, p. 357, is also very helpful. 7. G.A. MCCOOL, From Unity to Pluralism. The Internal Evolution of Thomism, New York, Fordham University Press, 1989, p. 230. 8. Because of space constraints, we intend to examine the new findings on this preparatory period elsewhere. 9. See, e.g., J.A. KOMONCHAK, Thomism and the Second Vatican Counil, in A.J. CERNARA (ed.), Continuity and Plurality in Catholic Theology. Essays in Honor of Gerald A. McCool, S.J., Fairfield, CT, Sacred Heart University Press, 1998, 53-73. 10. From now on abbreviated as AAV, Conc. Vat. II.
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the preparatory period, when he was present in several documents and at several places within those documents. One can think of De deposito fidei pure custodiendo, for example11. Furthermore, Thomas was also mentioned in the text on the formation of seminarians, and he even got a schema De doctrina Sancti Thomae servanda, which never reached the aula. The present contribution thus concentrates on Thomas as discussed in the general meetings of the conciliar Commissio de seminariis, de studiis et de educatione Catholica. II. THE FIRST SESSION The commission only met once during the first session of the Council, on December 3, 1962, in Santa Martha12. The aim of the meeting was to inform the members about the activities that took place during the preparatory period. Father Paul Augustin Mayer, OSB, rector of Sant’Anselmo and secretary of both the preparatory and the Conciliar commission, mentioned that since the promulgation of the Apostolic Constitution Veterum Sapientia, the schema on the knowledge and use of the Latin language no longer needed to be included. The schema on Thomas was integrated into the schema of decree De obsequio erga Ecclesiae Magisterium in tradendis disciplinis sacris (part three). The material was thus organized into two constitutions (De sacrorum alumnis formandis and De scholis catholicis) and three decrees (De vocationibus ecclesiasticis fovendis, De studiis academicis, and De obsequio erga Ecclesiae Magisterium in tradendis disciplinis sacris). These schemata had been carefully discussed during the preparatory period and had been the subject of discussion in the central commission of February and June 1962. However, there was some frustration. With regard to the answers and emendations sent to the sub-central commission “De schematibus emendandis”, no answer had been received: “Schemata iacent sepulta et nemo cognoscit eorum sortem”. It was, in fact, unclear what this sub-commission had done after July 196213. It would be a shame to waste our time, Mayer added, and 11. For this text, see AS I/4, 654-694. 12. For the minutes of this meeting, see Primus Conventus Generalis, in Commissio conciliaris de seminariis, de studiis et de educatione Catholica Concilii Vaticani II. Acta sessionum (AAV, Conc. Vat. II, busta 1146). Since all the documents cited in this article are present in the files of this commission, preserved in the Archivio Apostolico Vaticano, we will no longer repeat the full title. 13. On a question about its existence, Mayer answered: “Non amplius vivit; sed quid ab ea mense Iulii 1962 decisum sit, est mysterium”; see Primus Conventus Generalis, p. 9. Mayer also showed irritation that in the central commission a member had criticized the
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thus were distributed the schemata as prepared by the preparatory commission. The corrections based on the remarks of the central commission were also distributed. The emendations of De scholis catholicis and De vocationibus ecclesiasticis fovendis were sent in the coming days, for they had not yet been poly-copied, due to lack of time. By this approach, everyone would be well informed before the schema was to be discussed in aula. At this stage, the secretary was still of the opinion that all the schemata prepared would become the subject of discussion in the Council. In any case, the Conciliar commission did not really know what to do: Start a discussion about the texts? Wait for corrections of the Council fathers? Nobody knew how the agenda of the Council would continue, according to Mgr. Dino Staffa, secretary of the Congregation for Seminaries, Studies, and Universities, on account of the many changes the agenda had undergone in the first session. During this first meeting, it already became clear that some members wanted to revise several of the proposed documents. Archbishop Hurley (Durban, South Africa), supported by Joseph Hoeffner, who had been recently appointed as bishop of Münster, suggested that the schema be thoroughly examined and reduced to general principles, which could then be adapted to local situations; this proposal was directly rejected by Staffa because such adaptation was the peculiar right of the pope. While according to Hoeffner the spirit of the Council was such that one could start working immediately, this judgment was contradicted by Cardinal de Barros Camara of Rio de Janeiro, Staffa, and Bishop Carraro of Verona. The commission thus left without really knowing what to do. III. THE FIRST INTERSESSION On December 5, however, the pope approved new norms in light of which the conciliar commissions were asked to examine and perfect the schema prepared by the preparatory commission responsible for these documents. Moreover, the fathers were sent the Elenchus schematum, from which documents for discussion would be selected. The coordination commission would dramatically reduce the number of schemata14 and the work of the commission to two: paragraph 16, Schema constitutionis De idea of erecting theological faculties in state universities, but that the change made in the preparatory commission (theological lectures instead of faculties) had not been taken into account by the sub-commission De Schematibus emendandis, which only reviewed the first, unredacted text. 14. For this reduction, see AS V/1, 200-201.
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sacrorum alumnis formandis15 and 17, De studiis academicis et de scholis catholicis. This reduction meant that the schema in which Thomas had found his place disappeared overnight. The coordination commission also requested a significant reduction in the length of the texts, which proved to be a great challenge indeed. During the first intersession, the Conciliar commission would meet from February 23 to March 1, 1963. The first time Thomas became an issue of discussion was on February 26, 196316. In this session, participants discussed the newly drafted third part of the schema of the constitution De scholis catholicis et studiis academicis, De Studiorum Universitatibus, which had been prepared in a sub-commission presided over by the rector of the Institut Catholique de Paris, Mgr. Blanchet. With regard to the method and principles of Thomas, the sub-commission had gone back to the previous (larger) schema. In No. 3c, dealing with method, the document mentioned Thomas17. Daem, the bishop of Antwerp, had a problem with the phrasing: “Apprime igitur serventur in S. Theologia et in philosophia methodus et principia S. Thomae (…) debent”. According to Daem, one cannot require universities to do their scientific work according to a predetermined method; such a requirement is something other than doing scientific work in the spirit of Thomas (i.e., in conformity with the magisterium, the tradition, the requirements of the time, etc.). Mgr. Staffa, who as vice-president of the Conciliar commission de facto always presided over the meetings, replied that the principles and method of Thomas were prescribed by the code of canon law and by the popes. However, Daem was not convinced and repeated that Thomas could not be imposed on universities. Hoeffner supported Daem, stating that one could not use Thomas’ method in, e.g., history. Staffa’s suggestion to say that the method should be used in theology and philosophy was criticized by the author of the schema on Thomas in the preparatory period, Father Cornelio Fabro, who observed that in philosophy too there are, apart from Thomas, other methods. It was then proposed to leave out the sentence “Iusta … debent”, but a majority of 15. It was into this schema that the text on vocations would be integrated. 16. For the minutes of this meeting, see II. Conventus Generalis. Acta Sessionis IV.ae (February 26), in Acta sessionum A (AAV, Conc. Vat. II, busta 1146). 17. The text ran as follows: “(De methodo). Cum scientiarum progressus congruentem potissimum requirat methodum, eadem Sacrosancta Synodus enixe hortatur ut omnes magistri, tum in tradendis, tum in investigandis propriae methodi rationem quam accuratissime habeant. Apprime igitur serventur in S. Theologia et in philosophia methodus et principia S. Thomae; iusta quoque ratio habeatur methodorum quae verus scientiae progressus invexit quibusque disciplinae ecclesiasticae iuxta propriam naturam apte et tuto promoveri possunt et debent” (emphasis is ours).
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the members voted in favor of preserving this phrase in the text. After the meeting of the coordination commission on March 25, this phrase would be changed by a small committee, without consulting the members of the commission, due to lack of time18. The schema of the constitution De sacrorum alumnis formandis was discussed in the meeting of March 1, at 9:30 in the morning19. The document had already been prepared by a special committee before the arrival of the members of the commission. The main compiler of this text, which was already a substantial reduction of the previous one, though still too long, was the Jesuit Paolo Dezza. During the discussion about No. 20 of the schema20, it was suggested that the phrasing about Thomas ought to be the same as that in De studiis academicis. A discussion ensued about the place given to Thomas. Mayer noted, among other things, that people in the central commission had already criticized the failure to mention the names of other doctors in the schema De studiorum ratione in seminariis. Daem came back to his point from a couple of days before: although Thomas’ approach is important, other methods are needed today, if sacred science is to offer in a truly sufficient way a solution for modern problems. Daem was convinced that the Council would reject this sentence. But the Dominican Camelot observed that Thomas was only mentioned under the section on philosophy (No. 20), not in the next section on theology; Camelot thus asked for more attention to Thomas. Staffa and especially the president of the Marianum, the Servite Roschini, referred to this discussion as a time of “magna tempestas idearum”. Roschini argued that since Leo XIII the popes had always recommended the method, principles, and doctrine of Thomas. Furthermore, in the preparatory commission there had been a consensus about an autonomous schema devoted to Thomas. Roschini complained that Thomas’ importance 18. However, after the meeting of the coordination commission on March 25, 1963, some homework had to be done by Daem, Mayer, Dezza, and Baldanza (April 1-5, 1963), and the text was changed as follows: “Apprime theologiae et philosophiae quaestiones praesertim speculativae petractentur ad Angelici Doctoris rationem, doctrinam et principia”, thus leaving out “methodus”; see AS III/8, 960. For the dossier, see De scholis catholicis (AAV, Conc. Vat. II, busta 1141). 19. For the minutes of this meeting, see II. Conventus Generalis. Acta Sessionis VII. ae (March 1, 1963, 17.30), in Acta sessionum A (AAV, Conc. Vat. II, busta 1146). 20. The text in No. 20 read as following: “20. De curriculo philosophico. – Studiis humanioribus rite absolutis, curriculum philosophicum peragendum est, quo philosophia perennis, secundum probatos Ecclesiae Doctores atque imprimis S. Thomae rationem, doctrinam et principia, ita tradatur ut eius completam cohaerentemque synthesim acquirant, omnium praecipuorum argumentorum solido atque accurato studio, omissis quaestionibus tum obsoletis, quae vix ullum momentum retinent, tum subtilioribus, quae ad altiora academica studia remittenda sunt”.
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was not being correctly represented. Roschini further considered the critique against Thomas as a kind of revenge by the Franciscans, promoters of Scotus, while for Roschini, Thomas was not only primus inter pares but doctor communis. Roschini concluded: “Rogo Deum ut servare nos dignetur a tanta idearum confusione”. This sentiment was supported by Fabro, who had drafted the discharged text on Thomas; Fabro argued that before Thomas was declared a doctor communis of the Church, there had been much confusion. If Thomas’ authority in philosophy and theology were to be questioned, a “funesta sors incumberet ecclesiae”! Thomas, offering the truth, was a light for modern man! Fabro polemically appealed to Dezza, who was a real Thomist; surely Dezza could not “omnia quae tam competenter et sapienter scripsit de S. Thoma retractare”. Indeed, Dezza had published substantial writings about Thomas, but Dezza now replied that they were discussing a text for the universal Church, and as relator he had to follow the spirit of the whole Church. Staffa suggested using in No. 20 the phrase used in De studiis academicis and asked for a vote, which did not solve the problem. As a result, he proposed a special commission of periti (Masi, professor at the Lateran University, Dezza, Camelot, and Fabro) to find a solution. It will be no surprise that some members and periti complained about the absence of other doctors in the text, for the doctrine of the Church had been explained not only by Thomas but also by other people. Masi, seconded by Dezza, suggested adding a line “non omissis Doctoribus qui progressum scientificum attulerunt”, thus making clear that progress did not depend solely on Thomas. In the meeting of March 221, the commission discussed the new paragraph with regard to No. 20 of De sacrorum alumnis formandis (the text on Thomas). Dezza introduced the new text stating that it was based on the documents of the popes. The text had remained substantially the same, but an opening was created for other opinions that were matters of discussion, while Thomas remained the model for the “eternal” philosophy, and all students were to receive a coherent and complete view of Thomas’ ideas. Because in the previous meeting it had been observed that Thomas was not mentioned in the section on theology (No. 21), the following addition was proposed: “Theologia sacra, duce S. Thoma, sicut de philosophia dictum est, apta pro diversis materiis methodo adhibita, ita traditur ut alumni doctrinam catholicam …”.
21. For the minutes of this meeting, see II. Conventus Generalis. Acta Sessionis IX.ae (March 2, 1963, 9.30), in Acta sessionum A (AAV, Conc. Vat. II, busta 1146).
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Staffa suggested leaving out “accurato” and then suggested a vote. The word “accurato” was left out and the rest of the new proposals was accepted. It is remarkable that nobody mentioned the absence of other doctors. Since the rest of the text had been approved the day before, the integral text now was approved by the commission. In any case, at this stage, Thomas had made progress; he was now mentioned both for philosophy and for theology.
IV. SECOND SESSION Before the beginning of the second session, quite a number of the fathers had made critical remarks about No. 21. They argued that Thomism was a Western doctrine, foreign to people from Eastern Europe and to those outside Europe. The problem was discussed in the meeting of November 26, 1963. The sub-commission headed by Hurley answered these critiques by stating that the text did not impose Thomism as an exclusive doctrine. His doctrine was considered to be better and more solid than others, but these were also respected because of their intrinsic value. In this regard, Augustinianism and Scotism were mentioned. Thomism enjoyed a universal and objective value, for it contained the common doctrine of the Catholic Church, “eam scl. quae ubique et apud omnes substantialiter eadem est et esse debet”22. Both on the level of method and principles, Thomism had universal value and thus could not be limited to a specific period. Therefore, the theology of Thomas deserved the qualification perennis. In order to meet the remarks about the other doctors of the Church, the sub-commission had decided to add the word “imprimis”, thus creating space for those other doctors of the Church. Given that the discussants were mostly Europeans, no one took into account the critique that the reference to Thomas imposed a Western theology on the non-Western Churches. But even for the simple word “imprimis”, the sub-commission asked the advice of the whole commission, thus making clear how sensitive the issue was. The discussion was rather flat. While Staffa suggested not changing anything with regard to No. 21 (on Thomas), not even the word “imprimis”, thus following the text of March and waiting for the remarks in aula, Daem and Onclin insisted that the remarks already submitted ought to be taken into account. Staffa, who was clearly not willing to give in, concluded the meeting, stating that such a discussion on 22. This principle, developed by Vincent of Lérins in order to define orthodoxy, was now adapted to Thomas.
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Thomas could take two weeks23. This was a rather authoritarian decision, for the remarks were there and they certainly would come up again during the debates of the third session. Anyway, after the second session, Thomas was still present in the chapters on philosophy and theology. V. SECOND INTERSESSION During the second intersession, the fourth general meeting of the commission was organized from March 3 to March 10, 1964. Preparations for this meeting were also made by a special commission, consisting of Mayer and periti residing in Rome24. At this moment, in accordance with the guidelines given by the Commission De Concilii laboribus coordinandis, the commission, like several others, was expected to prepare propositions on priestly formation, De institutione sacerdotali, and a votum De scholis catholicis. In the period before the meeting, both Dezza and Mayer prepared a provisional text with regard to De institutione sacerdotali. Dezza’s text was chosen as the basis in the commission, but many ideas of Mayer were to be integrated. Thomas became the subject of discussion in the third and fourth sessions of the meeting25. In neither of the two texts was Thomas mentioned. Therefore, the Mexican Archbishop Marquez y Tóriz asked for a reintroduction of the sentence: “Tam Philosophia quam S. Theologia secundum S. Thomae rationem, doctrinam et principia tradantur”. Fabro referred again to his long text from the preparatory period. He insisted that the Conciliar commission had agreed to say something about Thomas in De sacrorum alumnis formandis. Now, Thomas had been completely left out. Mayer added that fifty-four bishops had asked that the doctrine of Thomas also be recommended to Catholic universities. Indeed, already on December 2, at the end of the second session, a text had been signed by at least fifty-four cardinals and bishops, in which a request was made to speak about the doctrine, argumentation, and principles of Thomas both in the text on seminaries and ecclesiastical universities and in the document about Catholic universities26. The 23. For the minutes of this meeting, see III. Conventus Generalis. Acta Sessionis die 26 Novembris, in Acta sessionum A (AAV, Conc. Vat. II, busta 1146). 24. For the minutes, see Coetus peculiaris (February 24, 1964), in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 25. Sessio III.a die 5 Martii 1964 and Sessio IV.a die 5 Martii 1964, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 26. Lettera ciclostilata trasmessa da alcuni Padri Conciliari, colla quale se chiede che nello schema “De universitatibus catholicis” sia conservata la prescrizione della dottrina de san Tommaso, in Commissio de seminariis, de studiis et de educatione Catholica. Vota circa studium doctrinae S. Thomae (AAV, Conc. Vat. II, busta 1149).
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text, poly-copied, was signed by individual fathers before leaving Rome. Among the subscribers, one finds the names of cardinals Larraona, Copello, Marella, Masella, Quiroga y Palacios, de Arriba y Castro, Santos27, as well as the names of a series of Dominican bishops, including Castellano, Fitzgerald, Crawford, Romoli28, Velasco, Dettman y Aragon, Javier Ariz, and Labrador. Several of these Dominicans were active in the missions. Other missionary bishops (with a European background, such as Gomes Junqueira, Viera Alvernaz, and Manuel Pires, and Jesuit bishops such as Del Rosario) and an important group of Filipino bishops (Arnulfo Arcilla, Vincente Reyes, and Rosales) had also signed the text. Bishops from Latin America, including Archbishop Marquez y Tóriz, and from southern Europe (among them Rendeiro, Carli, and Fares, as well as Benno Gut, abbas primas of the Benedictines, and Franic) had joined the petition. Because they had all signed the text individually, it looked impressive. However, Dezza observed that what was said about the eternal philosophy in the schema already dealt with Thomas for “coincidit cum ipsa philosophia S. Thomae”, thus making clear that Thomas was implied in the text. Finally, peritus Hickey warned against harming the Orientals, who had a different tradition than the West. This was in fact an important remark, for it took into account the universal character of the Church and thus the diversity of sensitivities and doctrinal positions. During this intersession, the votum, requested on January 23, 1964 by the commission De Concilii laboribus coordinandis, was also discussed. According to that commission, the votum was to underline the importance of Catholic education and the school, and it was supposed to highlight the fundamental principles of education and formation. Adequate legislation on the topic was also to be formulated in connection with the coming revision of the codex. During the discussion of the votum on March 529 – people did not really know what was expected – it was observed that Thomas had disappeared. Marquez Toriz expected to read something about the principles, method, and doctrine of Saint Thomas30. Carraro asked that what was said about Thomas in the previous schema be reintroduced, a remark that was supported by the Dominican Camelot. Father Girard also deplored the absence of Thomas from No. 5 and concluded: “Silentium 27. The text of Santos had been typed on paper of the archdiocese of Manila; it arrived in the congregation on December 23 but still had the date of December 2. 28. He had retyped the letter, changing it at a few places. 29. For the minutes, see Sessio III.a die 5 Martii 1964, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 24 members were present. 30. The three are so often repeated because they were so listed in the Code of Canon Law.
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pessimas consequentias adducere poterit”. Peritus Pozzi insisted, “Principia, ratio et methodus S. Thomae commendanda sunt etiam pro scholis universitariis”. As a result, a text was added in which Thomas was presented as the example of the harmony between faith and reason31. In the morning session of March 9, 196432, a completely reworked votum of about 630 words was presented. Hoeffner, the presenter, mentioned that Thomas was present in the introduction and that what was said about his doctrine was also valid for the Catholic and ecclesiastical universities. Thomas’ method, however, could not be applied to all disciplines, which is the reason why he was considered a special example, illustrating the harmony between faith and reason. In the afternoon session of the same day33, the text was approved “quoad” substance, but some members wanted more material on Thomas. Marquez Toriz wanted to include that Thomas was “dux”, a proposal rejected by Hurley. Hoeffner admitted that much time had been spent on this issue, but he could not accept that Thomas was a “dux” for medicine, mathematics, or history. Furthermore, Hurley did not see how youngsters today could pay attention to the study of Thomas. Maurer added that the Eastern fathers could not accept Thomas’ monopoly. Daem proposed speaking of “in the mind of Thomas”. Masi considered Thomas “praecipuus”. Staffa proposed simply magister, but Cazaux objected that one could get the impression that Thomas was the only magister, to the exclusion of others. Several periti also had their say in the debate. For Camelot, there was no doubt that speculative theology, both dogmatic and moral, were to be taught according to the principles and method of Thomas. Hoeffner replied that in this votum no elenchus of all disciplines could be presented. After a vote, it was agreed to follow the suggestion of the French professor at the Lateran University, André Combes: “… rationis, ad sapientiam illam christianam consequendam, cuius magister extitit Thomas”. Thomas thus returned to a text dealing with schools and universities.
31. The text read as following: “Universitates studiorum inter scholas speciali modo eminent et particulares fines habent. Cum amplioris veritatis divinae et humanae cognitione summopere Ecclesia et proficiat et gaudeat, vehementer haec Sacrosancta Synodus exoptat ut studiorum catholicae Universitatis foveantur, in quibus et sacrae disciplinae, quae ad christianae religionis illustrationem directe pertinent, et etiam profanae, quae ad mundi hominisque cognitionem tendunt, colantur in testimonium harmoniae fidei et rationis, ad sapientiam illam christianam consequendam cuius praecipuum exemplar est S. Thomas Aquinas”. 32. For the minutes, see Sessio V.a die 9 Martii 1964, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 33. For the minutes, see Sessio VI.a die 9 Martii 1964, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147).
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VI. THIRD SESSION OF THE COUNCIL During the third session of the Council, in its fifth Conventus generalis, the Commissio de seminariis, de studiis et de educatione Catholica met four times: September 24, October 1, October 6, November 20. At the request of Felici in a letter of September 9, the secretaries of all commissions were asked to take care of the remarks received during the summer, and to prepare a new relation, taking into account what had been accepted for change and what had not been. This request was accepted by the Council of the presidents, the Commission De Concilii laboribus coordinandis, and the moderators. The request was transferred to the different commissions on September 12. In this third session, Thomas did not seem to cause problems in the commission, partly because the bulk of the comments were still to come. VII. THE THIRD INTERSESSION During the third intersession, the commission met between April 26 and May 3, 1965. Preparations for the meetings were made with great care by two sub-commissions, one for Christian education, presided over by Daem34, and one for priestly formation, presided over by Carraro35. The first sub-commission gathered from March 23 to March 29, the second from March 29 to April 2. It should be recalled that in the third session of the Council in 1964, several fathers had asked for more than Propositiones or Vota; they wanted real schemata for the texts. So the sub-commissions had taken the freedom to expand the texts, well aware of the danger of changing too much in a text which was already approved in principle. In the first meeting, on April 26, 196536, the sub-commission for priestly formation noted that one of its major problems was the question of whether Thomas Aquinas should be explicitly mentioned in No. 16 of the new text, on theological studies. After a long discussion, the sub-commission 34. Also involved in these preparations were Hoeffner and the periti Onclin, Masi, Dezza, Bednarski, Suarez and Sauvage; see the Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio I die 26 Aprilis 1965, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 2. 35. In this sub-commission, the periti Onclin, Masi, Pozzi, Dezza, Tilmann, and Bednarski had also been involved; see the Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio I die 26 Aprilis 1965, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 2. 36. For the minutes, see Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio I die 26 Aprilis 1965, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147).
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had decided only to mention Thomas in No. 15, on philosophical studies37. The new text now read: “(…) ita quidem alumni ipsum S. Thomae exemplar eiusque principia secuti, ad veritatem acquirendam initientur, modernae quoque aetatis indolem recte percipere valeant et ad colloquium cum hominibus sui temporis opportune praeparantur”38. With regard to No. 16, the sub-commission had pointed out the general importance of the doctors of the Church, both in the East and the West39. Staffa objected that Thomas was now completely absent from No. 16. Mayer answered that several Council fathers had mentioned that in no ecumenical Council up to the current day had a doctor of the Church been (explicitly) recommended. Furthermore, in a speech held in the Gregorian on March 12, 1964, Paul VI had recommended Thomas in a non-exclusive way, even though Thomas of course occupied a special place among the doctors of the Church. Meanwhile Cardinal Browne, the Dominican, said in a discussion with Mayer that the text in No. 16 should not first and foremost focus on biblical themes, “sed Ecclesiae doctrinam ex Magisterio haustam eamque Sacra Scriptura et S. Traditione demonstrandum et doctrina Angelici Doctoris penetrandum esse”40. For Browne it was clear that the doctrine of the Church had to be underpinned by Scripture and Tradition and should be penetrated by the teachings of Thomas, a position that had not been accepted by a majority of the fathers during the discussion of divine revelation. Indeed, argued Browne, the doctrine of the Church is inspired by Scripture and Tradition, should be in line with them and tested on the basis of what was offered by both. In other words, one could not simply elaborate today a doctrine and then try to underpin it with texts from the past. 37. In a long report (4 pages), Carraro had carefully listed the arguments for No. 16 as it was now presented, thus respecting developments in theology. For the report of Carraro, Osservazioni sulla Proposizione 16 della schema conciliare “De Institutione sacerdotali” (Institutio theologica communicanda integra, harmonica et vitalis), distributed to the members in the first general session; Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio I die 26 Aprilis 1965, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 38. See Propositiones de institutione sacerdotali secundum Modos a Patribus propositae emendatae a coetu particulari sub ductu Exc.mi D. Josephi Carraro Relatoris, distributed in the meeting of April 26, p. 7, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 39. “(…) quid Patres Ecclesiae Orientis et Occidentis ad singulas Revelationis veritates fideliter transmittendas et enucleandas contulerunt …”; Propositiones de institutione sacerdotali secundum Modos a Patribus propositae emendatae a coetu particulari sub ductu Exc.mi D. Josephi Carraro Relatoris, distributed in the meeting of April 26, p. 8, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 40. For the text, see the minutes in Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio I die 26 Aprilis 1965, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 4.
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The discussion about numbers 15 and 16 of the propositions De institutione sacerdotali continued during the second and third general sessions of the commission on April 28, 1965 (morning and afternoon session)41. While Bishop Jachym, a newcomer to this commission, applauded the fact that Thomas was only mentioned in No. 15 (philosophy) and not in No. 16 as had been the case in the previous text, Staffa observed that more than 403 fathers had asked that the study of Thomas be recommended not only for seminaries, but for all Catholic schools. Staffa would continue to make this point up to the end of the Council. Marquez Toriz defended the suggestion and proposed the following sentence: “S. Thoma magistro ceterisque doctoribus ab Ecclesia maxime commendatis opem praestantibus”42. This proposal was supported by Hurley, the Spanish Bishop Modrego, the Italians Pintonello and Savino, and the British Bishop Wall of Brentwood. Staffa of course supported adding the sentence, but he suggested inversing the order to read: “Magistro S. Thoma”43. That the matter had not yet been decided became clear in the meeting of April 30 (afternoon session)44. Indeed, the sub-commission had reworked the proposition on the basis of the remarks made in the previous sessions but had not found agreement, thus leaving the matter to the general commission. The following questions were asked: Should Thomas be mentioned once (in the paragraph on philosophy) or twice (philosophy and theology)? If there were to be only one mention, where should it be made? Which expression should be used? If mentioned twice, what should be added in No. 16? This matter was discussed at length during the morning session of the general commission on May 3, 196545. Staffa reminded everyone that the question of Thomas had been discussed and approved several times by the commission and by the Council. He considered an expunction of Thomas’ name from No. 16 to be against the modus procedendi in Concilio. If 41. For the minutes, see Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio II die 28 Aprilis 1965 (morning session) and Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio II die 28 Aprilis 1965 (afternoon session), in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 42. For the text, see Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio II die 28 Aprilis 1965 (afternoon session), in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 2. 43. The minutes do not make clear whether this proposal was accepted at this stage. 44. For the minutes, see Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio VII die 30 Aprilis 1965 (afternoon session), in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 45. For the minutes, see Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio VIII die 3 Maii 1965 (morning session), in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), pp. 5-8.
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people wanted to change the explicit recommendation of Thomas, approved by the Council, the case should be decided by either the general secretariat or the administrative tribunal. However, it should be said that what the sub-commission had done, following the wishes of some fathers, was simply to switch Thomas from theology to philosophy. Staffa did not mention that in the propositions as approved by the commission in October 1964, Thomas had been mentioned under theological but not under philosophical studies, where he now had found a place. Only after the discussion in aula was the mention of Thomas moved from No. 16 to No. 15, a proof that the sub-commission had taken into account the fathers’ critiques. Moreover, as mentioned above, the sub-commission had conducted, in preparation for the 7th general convention, a long discussion on the place of Thomas and had offered a quite substantial argument that in theology a place should be given to all the doctors of the Church. Dezza reminded the commission of this recent history. He also repeated that no ecumenical Council had ever explicitly recommended one or another doctor, and thus people had their doubts about whether it was opportune to do so now. On the basis of the diversity in opinions and wishes, the sub-commission had decided to retain one explicit mention of Thomas, in No. 15. There one could explicitly speak about the doctrine of Thomas and his exemplarity. Moreover, Dezza concluded, the sentence in No. 16, which mentioned the doctors recommended by the Church (thus including Thomas), takes into account the wish of many fathers to mention other doctors too. Dezza’s argument did not please Staffa, who insisted that Thomas be mentioned in No. 16, while for No. 15 Staffa added: “(…) Commissio decidat quid velit”46. The “maximalists”, such as the Spanish archbishop Olaechea, opted for mentioning Thomas in No. 15 and 16. Others opted for one mention, formulated in such a way that it could be adapted to both No. 15 and 16, but the proposal of Bednarski “Philosophicae et theologicae disciplinae ita tradantur …” was not accepted. In any case, according to Daem all were in favor of Thomas but one should avoid exaggerations47. The whole matter received an ad hominem character when Staffa reminded members that he had asked in the previous general convention whether one 46. Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio VIII die 3 Mai 1965 (morning session), in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 6. 47. Daem: “Omnes sumus pro S. Thoma, sed devitandae videntur exaggerationes”; see Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio VIII die 3 Maii 1965 (morning session), in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 6.
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was obligated to understand “perennial philosophy” as the philosophy of Thomas. Staffa noted that Dezza had agreed with this characterization of the philosophy of Thomas (cf. supra). Dezza, who constantly made a distinction between his personal opinion and what was expected of him as peritus, admitted that he had said this, but he went on to insist that decisions be made in the spirit of the Council, while avoiding reactions against Thomas48. Staffa countered this argument by observing that up to this moment more than 400 fathers49 had asked that the doctrine of Thomas be addressed not only in philosophy, but also in all Catholic schools. When Hurley rightly suggested that this request was an orchestrated action50, Staffa replied that one could not presume orchestration, because the fact that letters were sent by fathers who had paid for the stamps with their own money was proof of a spontaneous reaction51. The text subscribed by these 48. This was indeed a pertinent remark. Because of the over-emphasis on Thomas, some Council fathers became irritated and thus more critical. 49. That number would increase to more than 600 by the beginning of the fourth session. 50. The requests were all made by petition, on a form that was prepared in the offices of the magister general of the Dominicans, as one can see on the basis of the typing machine used. The fathers only had to fill in the day and the month (the year and the place to sign were indicated on the form); see the dossiers Lettera ciclostilata trasmessa da alcuni Padri Conciliari, colla quale se chiede che nello schema “De universitatibus catholicis” sia conservata la prescrizione della dottrina de san Tommaso, Elenco Padri Conciliari che hanno sottoscritto carta (...) de S. Thomae magisterio sequendo (...) and Schede sottoscritte dai Padri Conciliari ordinate in ordine aflabetico A-Z, 1965, in Commissio de seminariis, de studiis et de educatione Catholica. Vota circa studium doctrinae S. Thomae (AAV, Conc. Vat. II, busta 1149). Twenty-two cardinals, among whom was the president of our commission, Pizzardo, signed the form as received from the magister general of the Dominicans. Whether Staffa also signed the form is unclear. His name is mentioned in the elenchus (in pencil is added: “manca”), and indeed the form with his signature is missing from the documents preserved. Members of our commission that did sign the petition are Paré and Marquez. Several superiors general, such as Deschâtelets of the Oblates, Abbot Prou of Solesmes, and Savarese of the Order of the Minims, signed the petition (March 3, April 7, and March 9, 1965, respectively). Some bishops, such as Lamont, even signed the petition twice, first on March 30, 1965, then on October 11, 1965. This was also the case for, e.g., Bishop Lopes de Moura (February 20 and October 21) and Bishop Lussier (March 5 and September 24, 1965). Indeed, as one can see from the use of another typing machine, the action continued on the eve of and during the fourth session of the Council, even up to the very last minute before the final votes. Several cardinals and some bishops made an extra effort by typing the Latin text on the official paper of their dioceses; see Cardinal Caggiano, archbishop of Buenos Aires (March 9, 1965); Cardinal Concha, archbishop of Bogota (February 15, 1965); Cardinal Gilroy of Sydney (April 21, 1965); Cardinal Tappouni, Syrian Catholic Patriarchate of Antioch (February 27, 1965); Mgr. Lacaste, bishop of Oran (February 25, 1965). The latter also signed the petition again at the beginning of the fourth session. 51. In any case, the number of fathers that intervened with a personal request is very near to zero; see, e.g., Albert Leménager, in Lettera ciclostilata trasmessa da alcuni Padri Conciliari, colla quale se chiede che nello schema “De universitatibus catholicis” sia conservata la prescrizione della dottrina de san Tommaso, in Commissio de seminariis, de studiis et de educatione Catholica. Vota circa studium doctrinae S. Thomae (AAV,
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more than 400 fathers ran as follows: “Ego infrascriptus Pater Conciliaris de Institutione Sacerdotali et de Christiana educatione, iuxta plus quam centum documenta Romanorum Pontificum ita censeo perficienda ut doctrina S. Thomae, saltem in suis principiis, nedum in S. Theologia sed et in Philosophia tradenda in omnibus scholis catholicis sancte servetur”. The text was prepared as a reaction to the failure to mention Thomas plenis litteris in the section on philosophy. However, the addition of “all Catholic schools” is a bit ambiguous: it could refer to the seminaries and the Catholic schools, as is suggested in Staffa’s intervention, or it could refer to Catholic schools where philosophy and theology are taught. We think that the magister general had in mind both seminaries and Catholic schools. Carraro, the president of the sub-commission, asked whether, if Thomas were to be mentioned in No. 16, all the other doctors should also be recommended. Staffa replied that the text should remain as it had been approved by the Council. Carraro protested that all modi were supposed to be evaluated by the commission. He thus requested the minutes to reflect that the relator (Carraro) requested that all modi, not only those about Thomas but also about the other doctors, be evaluated. When Staffa argued that a mention of Thomas did not exclude the other doctors, Carraro proposed the following formula: “Magistro S. Thoma aliisque doctoribus maxime ab Ecclesia commendatis”. After an animated discussion52, Staffa proposed a vote on the matter in the following way. Would the members agree that the express mention of Thomas as approved in No. 16 be restored to the text, the text being “ea ope speculationis, S. Thoma magistro”? Would the members agree to leave out in No. 15, the sentence “ita quidem alumni, ipsum S. Thomae exemplar eiusque principia secuti, ad veritatem acquirendam initientur”? Staffa added that in the sub-clause “innixi patrimonio philosphico perenniter valido”, one could understand that Thomas was implicitly meant. His proposal was accepted with fifteen votes pro, five contra. The proposal of Hurley to vote on the other doctors, expressly mentioning their names, was not accepted, the argument being that the scholastic system is too different and one should avoid confusion. In other words, one cannot put Thomas and the other doctors on the same Conc. Vat. II, busta 1149), envelope L. However, and here Staffa was right, the petitioners who reacted up to the general convention at the end April 1965, had paid for their own stamps. 52. Baldanza, who was always sober in his representation of the discussions, noted: “Post animatam disceptationem”; see the minutes in Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio VIII die 3 Maii 1965 (morning session), in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 8. It is interesting to see that throughout the discussions, this expression is used most often when the members are dealing with Thomas.
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level. Daem’s suggestion to add praecipue to S. Thoma magistro was not accepted, even though this proposal had the advantage of creating space for the other doctors. In the discussion of the text about Christian education, held on April 30, 1965 in the morning, no comment was made concerning the absence of Thomas from this document, which is a bit surprising after Staffa’s appeal to the 403 fathers who had asked that Thomas be recommended to all Catholic schools53. Nor did anyone, in the concluding afternoon session of May 3 (afternoon), suggest introducing the name of Thomas into the document54. VIII. FOURTH SESSION Up to the last moment, Thomas remained a problem55. In the minutes of the third session, held on October 1, 1965, the notetaker observed “iterum”. Indeed, in line with the observations made by the fathers, Thomas had disappeared (again). But, during the second session of the discussion about the modi for the declaration De Educatione Christiana56, Staffa insisted that something had to be said about the preference Thomas was supposed to receive in Catholic schools. Philosophy was to be taught according to 53. Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio VI die 30 Aprilis 1965, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 54. See the minutes in Conventus Generalis VI Commissionis a die 26 Aprilis ad 3 Maii 1965 celebratus. Sessio VIII die 3 Maii 1965 (afternoon session), in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 55. With regard to the discussions in the fourth session, see the diary of Prignon, informed by Mgr. Daem, who resided at the Belgian College. Cf. L. DECLERCK – A. HAQUIN (eds.), Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e session (Cahiers de la RTL, 35), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de théologie, 2003 [=Journal Prignon]. And Fonds Prignon, Nos. 1583-1626 (cf. J. FAMERÉE [ed.], Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve), II. Inventaire des Fonds A. Prignon et H. Wagnon (Cahiers de la RTL, 24), Louvain-laNeuve, Publications de la Faculté de théologie, 1991. On 20.9.1965 Prignon wrote: “Mais il [Daem] me confie aussi que Staffa, de son côté, est en train de réunir des signatures pour obtenir une nouvelle recommandation de l’enseignement de s. Thomas dans les séminaires [= universités]” (Journal Prignon, p. 57). On 26.9: “On sait que, depuis quelques jours, Staffa mène campagne et recueille des signatures pour avoir une deuxième mention sur l’enseignement de s. Thomas dans les séminaires [= universités]” (Journal Prignon, p. 83). With regard to the way these signatures were collected, see also G. CAPRILE, Il Concilio Vaticano II. Quarto Periodo, Roma, La Civiltà Cattolica, 1969, 237-238. 56. For the minutes, see Conventus Generalis VII Commissionis durantibus mensibus Septembris-Octobris 1965 celebratus. Sessio II.a die 29 Septembris 1965, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). Twenty members were present.
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Thomas’ principles. Some 600 Council fathers had insisted on this57. Fabro reminded the fathers that this recommendation of Thomas had been present in previous drafts and that the priority of Thomas had been elaborated in many documents, from Leo XIII to Paul VI. Fabro was of the opinion that Thomas should be mentioned in order to avoid eclecticism and ideological pluralism. He added that Thomas’ teaching had the capacity to integrate all that is good and true in contemporary philosophy. Masi supported that interpretation, referring to the speech about Thomas’ authority for contemporary culture58 that Paul VI, “qui semper insistit in dialogo cum mundo hodierno”59, had delivered at the sixth International Thomistic Congress. Masi concluded that Thomas’ principles always remain true because they are based on natural reason, which can be understood by all human beings. Thomas’ teaching was valid for all times because all human beings could understand it “modo naturali”. Bednarski referred to the intervention of the Polish bishops, who had made clear that no philosophy was feared more by the communists than that of Thomas Aquinas. Bednarski added that if one is convinced that Thomas must be mentioned in theological studies under the guidance of the magisterium, then a fortiori Thomas should also be preserved in philosophy, where the danger of ideological pluralism threatens. While Fabro and Bednarski saw Thomas as a kind of protector and defender of the truth against the dangers in philosophy (eclecticism, ideological pluralism, and communism), Masi considered Thomas as a man for all seasons whose doctrine remained true forever. Staffa thus proposed adding to No. 9 or 10 of the schemata: “Philosophia doceatur secundum principia S. Thomae”60. Note that Staffa used the subjunctive: philosophy should be taught, or is allowed to be taught; in this way, he proposed to mitigate the “must” he had used in his introduction. Fabro proposed adding in No. 9: “In scholis catholicis superioribus philosophia tradatur iuxta principia S. Thomae”61. 57. “In ipsa Relatione dicendum est principia S. Thomae in omnibus scholis catholicis servanda est. Circiter 600 Patres hoc expresse expostulaverunt. Philosophia tradenda est iuxta S. Thomae principia”; minutes of Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 3. See also Journal Prignon, 12.10.1965, p. 151: “À cette occasion, il [Daem] me raconte entre autres qu’il y a eu deux incidents violents entre Mayer et Staffa. Dans la Relatio on n’avait pas fait allusion donc à cette discussion de la commission. Staffa l’a reproché une première fois à Mayer, qui alors a fait un texte anodin approuvé par Daem. Mais Staffa est revenu à la charge et s’est fâché violemment. Il exige qu’on fasse un texte plus développé. Il semble qu’il y ait eu des étincelles”. 58. For that reason, bishops like Lane would suggest mentioning this speech of Paul VI in order to make clear the dynamic meaning of the recommendation of Thomas’ doctrine; cf. Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 3. 59. See the remarks of Masi in the minutes of Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 3. 60. See the proposal of Staffa in the minutes of Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 3. 61. Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 4.
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It will not be a surprise that members of the commission working at Catholic institutions or sitting on the board of comprehensive Catholic universities objected to such a recommendation. None of the members of these institutions or universities was against the teachings of Thomas. However, Blanchet, rector of the Institut Catholique de Paris, and Daem, member of the board at the Catholic University of Louvain, questioned the propriety of this recommendation in a text on the universities62. Daem considered an insertion of Thomas into the text to be a loss for the dialogue that a Catholic university is expected to have with other universities. Furthermore, he doubted whether Thomas’ teaching should be recommended in a Conciliar document about Catholic universities. But Staffa did not give in. According to him, any dialogue with non-Catholic universities should take into account Thomas’ doctrine. In order to find a solution to this problem, a vote was held. The majority (fourteen out of twenty members present) was in favor of the following formula: “Philosophia doceatur secundum principia S. Thomae”63. Secretary Mayer warned of a possible misinterpretation and suggested stating clearly that Thomas’ teachings could contribute to progress in philosophy and to dialogue with the contemporary world. Fabro proposed going back to the text of the preparatory commission, where it had been said that the Church attributed universal authority to Thomas in a proper and dynamic sense64. All who were engaged in philosophy or theology should research the doctrine, reasoning, and proper principles of Thomas, and on the basis thereof should learn how to aptly interpret progress in history and how to solve new problems. Such a position clearly reflected the thesis that Thomas was pater aeternus and doctor communis. However, two periti with much sympathy for Thomas, Dezza and Bednarski, thought the text was not dynamic enough; in their opinion, the text should also say that Thomas’ doctrine had to be applied to our times. Furthermore, Bishop Marquez observed that “doceatur” was too strong an expression and proposed instead: “In philosophia tradenda principia S. Thomae prae oculis habeantur”65, in fact a double mitigation. One could “think” of Thomas’ doctrine when doing philosophy. Cazaux added that the formula as already approved had no logical connection with the 62. It was an animated debate. Cf. Journal Prignon, p. 123: “… j’ai oublié de noter … l’incident Staffa – Blanchet. À un moment donné, au fort de la discussion, Staffa a demandé à Blanchet si une de ses réflexions voulait dire qu’il estimait que lui, Staffa, avait outrepassé ses pouvoirs, et Blanchet n’a pas hésité à répondre avec un oui”. 63. For this text, see Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 4. 64. For that text, see the schema of the constitution De scholis catholicis et de studiis academicis, part III, De obsequio ergo Ecclesiae Magisterium in tradendis disciplinis sacris, chapter III, De Doctrina S. Thomae servanda, No. 59. 65. For the formula, see Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 5.
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context of No. 9. Hoeffner observed that it was not clear what is meant by the principia S. Thomae. Staffa intervened to say that the code of canon law did not define these principles. Such definition was the task of the philosophers. In other words, Staffa agreed that the core of Thomas’ doctrine was a matter of discussion. One gets the impression that the need to mention Thomas became more important than the question of which Thomas was meant. Blanchet thus repeated his remark from the beginning of the discussion: do not mention Thomas. Daem repeated that philosophy must be conceived according to the mind of the Church, not according to the mind of one doctor, and that if philosophers teaching in Catholic universities are bound by the Council to stick to one philosophy, they will not be able to start or renew a dialogue with the current world. He also reminded the members that Thomas was suspected during his lifetime of being too modern and too keen on new things66. Furthermore, Daem judged it difficult to reconcile in one and the same passage (No. 9) freedom of scientific research and imposing one doctor of the Church on all scholars. Knowing that Blanchet was against an insertion of the text, Daem invited him to explain the difficulties that Catholic universities are confronted with when they want to dialogue with other universities. Daem concluded, not without a sense for drama, that if the members wanted to prescribe Thomas, they should be aware of the storm they would provoke in the universities. While Staffa continued to insist that 600 fathers had asked for a strong statement on Thomas, Cazaux sought for a mitigated form of recognition, suggesting an approach in which faith and science could go hand in hand as had been done by Thomas, who must be held as the master of the Catholic school according to the mind of the Church. Given the confusion in current philosophy, this was too weak for Modrego, who insisted that Thomas’ teaching should be recommended. Meanwhile, Fabro had prepared the following text: “In scholis catholicis superioribus philosophia tradatur secundum universalia principia rationis quae, a S. Thoma exposita, ad dialogum cum mundo moderno recte ineundem atque ad sanae progressionis fructus utiliter et secure percipiendos apta se praebent”. Dezza, clearly choosing the side of those who did not believe that a Council should recommend one doctor of the Church, immediately gave an alternative: “In scholis catholicis superioribus philosophia tradatur secundum universalia principia, quae a magnis Ecclesiae doctoribus et imprimis a S. Thoma exposita, ad dialogum cum mundo moderno…”. Dezza, who 66. “Non obliviscamur insuper S. Thomam suo tempore fuisse modernissimum et quidem rerum novarum cupidum”; see Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 5.
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had a good command of Latin, thus recognized the importance of Thomas but put him into the broader context of the teaching of other great doctors of the Church. Fabro thought that he could save his text by taking over the “imprimis a S. Thoma”, but he left out the reference to the other doctors67. The discussion accelerated again68, at the end of which a vote was held on the second text of Fabro. Nine members voted placet, seven non placet, and two had no opinion69. The proposal of Fabro did not get the twothirds vote as required by the Council regulations and was not accepted. It was finally decided that Mayer should contact the secretary general of the Council, Felici, to ask him what should be done with this complicated matter. Mayer handed over a Pro-Memoria to Felici in the Conciliar aula on the morning of September 30, 1965, explaining the situation and the urgent character of a decision. There was not much time to prepare an alternative formula, while the secretary general had asked for the second draft of the text of the Declaratio by 30 September 1965, so that it could be delivered in aula on 1 October 196570. Time was pressing. In the meeting of October 171, Mayer informed the members that Felici had submitted the question to the pope who considered it important that Thomas be mentioned. The pope also expressed his preference for the second version of Fabro’s text, but without the phrase “ad dialogum cum mundo moderno recte ineundum atque ad sanae progressionis fructus utiliter et secure percipiendos apta se praebent”. In any case, the pope did not want to overrule the freedom of the commission72. Blanchet was irritated and deplored the procedure. He requested that his disapproval be noted in the minutes. Mayer defended the procedure. Nothing unjust, he argued, had been done. The commission had issued a mandate because of doubts and perplexity; Felici was consulted, but he thought he could not give the answer himself. He had asked the pope’s advice. It was not unusual for the pope to send remarks to commissions. According to Daem, however, the question sent to the secretary general had 67. For the two texts, see Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 6. 68. The notetaker Baldanza wrote in the report “longam et animatam disceptationem …”; see Sessio II.a die 29 Septembris 1965, p. 6. 69. Hoeffner and Bogarin had already left the meeting. 70. For a copy of this pro-memoria, see the annex to the minutes of the meeting of 29 September, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). 71. For the minutes of this meeting, see Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147). Twenty-three members were present. 72. “… quin tamen Ipse libertatem Commissionem ligare intenderet”; see the minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 2. It is a point that Daem will return to later in the discussion in an attempt to preserve the commission’s autonomy (see the same minutes, p. 4).
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to do with procedure. It was a technical question, not one about content. Felici’s consultation of the pope had happened without any mandate from the commission73. Indeed, Cazaux added, the appeal to the pope could be approved. Because Felici was not present during this discussion, he could not have heard the arguments of Blanchet and Daem. A Conciliar commission is a meeting of persons with different opinions, and the general secretary has no say in it. Moreover, Cazaux had already observed that he had never seen the 600 votes of the Council fathers, which were so often mentioned in the meetings. Mayer reminded his fellow commissioners that the magister general of the Dominicans, Aniceto Fernández Alonso, had sent the above-mentioned petition to all Council fathers with a request that they subscribe it74. One could not speak here of modi, for the time to submit them was over. However, one was dealing with the wishes of the fathers. Mayer admitted that it was a matter of procedure but added that the pope had taken the opportunity to express his wish. The pope’s appreciation of Thomas was well known, and he had expressed that to Felici, who, Mayer argued, should not be blamed for this initiative. But Blanchet and others were not convinced and used bitter words such as “deploratio”75. While the “northern bishops” (Blanchet, Cazaux, Daem) insisted on matters of procedure, other members were still of the opinion that Thomas should not be absent from the text, but as Marquez y Tóriz rightly observed, the text had been approved in aula without mentioning Thomas. He added, however, that it was our task to examine the many votes concerning Thomas, a position which was supported by the Chilean bishop Silva Santiago. Their Columbian confrere Botero admitted that it was an important matter, but warned that great problems could be created for all Catholic schools if one wanted to impose the teachings of Thomas; it would also be ambiguous if one did not say anything about Thomas. The commission was confronted with two cliffs, said Botero, and it ought to choose the lesser evil. In this regard, Staffa reminded the members that the first 73. “Ipse (Felici) vero sponte et sine ullo Commissionis mandato submisit Summo Pontifici quaestionis meritum”; see the minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 4. 74. In order to facilitate the work of the subscribers, the Latin text was prepared by the offices of the magister general. In most cases, the text is typed on one and the same typing machine. This is true for the early subscribers. The action had already started in January 1965 but continued during the fourth session. Those subscribing the text on the eve of the fourth session or during the fourth session received the same text, but it had been typed on another typing machine. 75. “Sensum meae deplorationis explicare vellem: munus Secretarii Generalis erat circa interpretationem voti et non circa substantiam voti”; minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 4.
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vote had received the requested majority76. Notetaker Baldanza spoke of “animatam disceptationem”77, and thus a new vote was needed. As in the meeting of September 29, the silent majority was in favor of explicitly mentioning Thomas in No. 9: fourteen members voted in favor, among them Paré, Camara, and Hoffer (people who had not intervened in the debate); six, including Daem, were against, with one “nullum”. The next problem that had to be overcome was the debate about the text to be accepted78. The position of Paul VI in favor of Thomas obviously influenced the tenor of that debate. The pope’s intervention confirmed the opinion of one side, and it irritated those who thought that in a procedural matter a content-related intervention had been made possible through the actions of Felici. However, we do not think that many of the members of this commission would have changed their mind. Anyway, in the midst of the meeting, the members received a copy of the Osservatore Romano, with the text of Paul VI’s speech to the participants of the International Thomistic Congress that dealt with, among other topics, with the dangers of atheism79. The presidency of the commission must have been aware that a text was needed for the meeting. Mayer, Masi, and Fabro had, in fact, already met in the morning to prepare the following text: “In scholis catholicis superioribus philosophia tradatur secundum rationis principia, imprimis a S. Thoma exposita, quae, ad veritatem funditus pervestigandam et ad sanae progressionis fructus utiliter percipiendos maxime apta se praebent”. The text was very similar to the one proposed in the discussion of September 29, except that “ad dialogum cum mundo moderno recte ineundum atque ad sanae progressionis fructus utiliter et secure percipiendos” (not needed, according to the pope) had been replaced by the phrase indicating that Thomas’ teachings were very apt in the search for truth and with regard to the fruits of sound progress. Daem immediately took the floor and proposed a text stating that philosophical studies take into account the spirit of the more important 76. This remark was correct, but there was clearly disagreement about the content. 77. Minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 4. 78. Baldanza noted: “Magis autem animata fuit disceptatio de textu in nr. 9 inserendo”; minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 4. 79. To the minutes of this meeting, a copy of Osservatore Romano, 13-14 September, 1965, is added. It contains the speech Paul VI had delivered to the participants of the sixth International Thomistic Congress on September 10, during a special audience in Castel Gandolfo. Among those present at the audience were Cardinal Browne, the former magister general of the Dominicans and Mgr. Staffa, the vice-president of the commission and the de facto president of the meetings of our commission.
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teachers of the Church among which Thomas excells80. For Staffa and others, this statement was not enough, for it did not provide a directive and true norm. Daem clearly disagreed and objected that there are Catholic universities in Japan with students who are not Catholic: “Possumus ipsis imponere principia S. Thomae?” he asked. Bishop Lane supported Daem by referring to the pope’s speech to the Thomistic conference, in which other doctors of the Church were not excluded81. Staffa continued to defend the text of Fabro, arguing that it was a discussion about the principles of reason, which were valid for all human beings. Moreover, Staffa added, the word “imprimis” indicates that the other doctors of the Church are not excluded! Cazaux was not convinced. It was obvious that the pope had to praise Thomas in a Thomistic conference, but one should distinguish between such a speech and a Council speaking to the world. One should not urge university professors to be bound by whatever doctor: “Ego existimo et diligo S. Thomam”, but, he added, he feared that a Conciliar text that imposed only Thomas would offend the mind of many Catholic philosophers. He concluded: “Praefero textum ab Exc.mo Daem propositum”82. Daem further clarified his proposal by referring to the speech of the pope83: for the pope, Thomas is not the unique teacher. By commending Thomas, we would close doors for scientific research and dialogue with other universities. Hoeffner, referring to Duns Scotus, added that other schools of philosophy had also contributed to explaining the Church’s doctrine. 80. “… ad philosophica studia quod attinet ratio habenda est mentis maiorum Ecclesiae Magistrorum inter quod eminet S. Thomas”. See minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 4. 81. In his speech, Paul VI had stressed the value and validity of other doctors of the Church: “Ce faisant, nous n’entendons nullement amoindrir – à peine est-il besoin de le souligner – la valeur que l’Église n’a cessé de reconnaître à ce précieux héritage des grands penseurs chrétiens de l’Orient et de l’Occident, au sein desquels le nom d’un saint Augustin brille d’un éclat particulier. L’étude naturelle de l’être et du vrai (…) ne sont certes pas l’apanage exclusif du Docteur angélique”. 82. For the complete text, see the minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 6. 83. Concerning Daem’s opinion with regard to the pope’s intervention, Prignon noted on October 4, 1965 (Journal Prignon, p. 118): “De même, à propos de l’affaire de S. Thomas dans les universités, j’avais oublié de noter que là aussi, Staffa non seulement avait fait appel aux signatures des 600 évêques qu’il avait recueillies, mais qu’il avait fait intervenir l’autorité supérieure. Dans quel sens exactement, ce n’est pas très clair. Mais Mgr Daem me dit qu’il avait la certitude que cela ne venait pas en tout cas du pape, mais probablement du secrétaire d’État. Et c’est pour cela qu’il a fallu une seconde réunion très longue, quoique le texte n’ait pas atteint la majorité des deux tiers à la première réunion. La question a été posée par Mgr Daem au cours de la discussion: oui ou non, sommes-nous-libres? Si nous sommes libres, nous devons discuter. Et nous devons voter. Et Staffa a dû reconnaître qu’il n’y avait pas d’ordre, que la commission était libre de juger comme elle le voulait”.
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At that point, other promoters of mentioning Thomas took the floor. Sena de Oliveira reminded the commissioners that more than two thirds of the fathers had given their approval to No. 16 of the schema on priestly formation, where Thomas was called “magister”. Why could this designation not be introduced into a text about Catholic schools of higher education? Fabro reminded the commissioners that the question had been a cause of much agitation during the preparatory period, especially in the sub-commission presided over by Blanchet. Fabro thought some problems were created by mixing the principles of reason and the 24 theses84. The text aims to speak de principiis S. Thomae, and thus, he concluded: “Forma quae apparata est a quodam restricto coetu, et vobis iam tradita, accipienda mihi videtur”85. This intervention in fact meant the end of Fabro’s text. Hoeffner considered it too triumphalistic. Philosophy is a search for truth “et non fructus”. Expressions such as “funditus” and “ad sanae progressionis fructus utiliter percipiendos” should be left out. For Dezza the text of Fabro was vague and proposed a return to the past. Dezza did not understand why Vatican II would prescribe, in a solemn way, principles that are not related to the faith86. Moreover, argued Dezza, that the proposed text had caused such confusion was clear proof that it was not a good one. Thinking outside of the box, he suggested adding, in the first paragraph of No. 9, at the end of the second sentence, the sub-clause “doctorum Ecclesiae, praesertim S. Thomae Aquinatis vestigia premendo”87. Staffa, 84. For these theses, see AAS 6 (1914) 383-386. 85. For this text, see the minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 6. 86. Dezza had in mind the distinction made by Pius XII between Thomas’ doctrine of the faith and his doctrine of other matters, not related to the faith. 87. The text would, in a balanced way, follow at the end of the sentence “(…) et, novis progredientis aetatis quaestionibus ac investigationibus accuratissime consideratis, altius perspiciatur quomodo fides et ratio in unum verum conspirent, doctorum Ecclesiae, praesertim S. Thomae Aquinatis vestigia premendo”. For this text, see the minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 7. Meanwhile, Daem had also put forward a new proposal: “In superioribus scholis catholicis, ad philosophiae studia quod attinet ratio habeatur mentis magnorum Ecclesiae magistrorum inter quos eminet S. Thomas” (see the minutes, p. 9). However, just before the vote, he withdrew his text, explicitly expressing his support for the text of Dezza. Cf. Journal Prignon, 1.10.1965, pp. 115-116: “Mgr Daem me dit que Mgr Blanchet pour la première fois s’est fâché. Il est devenu blanc de rage et (qu’) il a trouvé alors la force de parler haut et clair et fermement. Il a appuyé le texte de Mgr Daem et tous ses arguments. À un moment donné, Staffa a fait appel à l’autorité du cardinal Mercier, qui avait collaboré pour les 24 thèses thomistes. Mgr Daem lui a répondu qu’il pourrait dès le lendemain, lui fournir toute une série de textes de Mercier en sens contraire. Il a redéveloppé que c’était impensable de vouloir imposer une philosophie déterminée dans un milieu universitaire, surtout dans ce moment de dialogue. Staffa a voulu y faire insérer alors ‘philosophie chrétienne’. Mgr Daem
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again, thought this proposition was insufficient, but he was contradicted by Cazaux who considered it very apt. Several members became more and more convinced that one could recommend Thomas but not impose him88. This change of mind among the fathers resulted in a defeat for Fabro: ten fathers voted placet, twelve non placet. The text of Dezza was convincingly approved: fifteen placet, seven non placet 89. Thomas was in the text but not in the way Staffa had hoped. Daem and Blanchet, for their part, settled for a mitigated text over that of Fabro. It is this text that would be approved in the Council90. IX. CONCLUSION The debate about the inclusion of Thomas in various Conciliar documents was vehement, but not because any of the members of the commission were against Thomas. The debate had rather to do with the fundamental question of whether an ecumenical Council should mention one Western medieval theologian in a text (not in the notes) as the guide for the theology of the whole Church and whether the Council should make his teachings a leading principle of research in the different disciplines pursued by comprehensive universities. An ecumenical Council had to take into account that the Eastern fathers and many missionary bishops could not accept their own traditions being ignored or a Western approach being imposed on the more recent Churches. The debate was fueled by the conviction of several members in the commission that the Church needed an unquestioned guide in a time they considered confused. The debate was greatly influenced by petitions organized by the magister general of the Dominicans, who tried to find all possible support for the greatest theologian of that order. The high number of sympathisers was impressive, but that high number was also used to s’est opposé à l’insertion de ces mots pour le motif évident et il a insisté pour qu’on puisse au moins voter sur son texte. Mais, au cours de la discussion, le P. Dezza en a proposé un troisième, qui reprenait essentiellement l’idée de Mgr Daem, mais qui était plus bref, plus clair. Mgr Daem a alors retiré son texte pour se rallier à celui de Dezza et, au vote, ils ont eu une très large majorité. Staffa, là-dessus, est parti sans regarder personne”. 88. See the interventions of Bednarski and Botero; minutes of the meeting of Sessio III.a die 1 Octobris, in Acta sessionum B (AAV, Conc. Vat. II, busta 1147), p. 8. 89. In the final version, the current No. 9 would become No. 10, because 3b would become No. 4. 90. On October 12th, 1965, one day before the final vote, Daem was still fearing one or another maneuver of Staffa: “Et il [Daem] a peur par-dessus le marché que Staffa ne profite d’un recommencement des discussions à la commission pour tâcher de réimposer ses vues propres sur s. Thomas et autres points” (Journal Prignon, 12.10.1965, p. 149).
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intervene in a text that had already been approved in aula. Towards the end, the advice of the pope also had an important impact. The debate shows that on the question of how to conduct theological and other research, great differences existed between those familiar with comprehensive institutions and those involved in ecclesiastical faculties. In the end, members accepted a solution that actually pleased no one. As is so often the case, the via media was chosen and, especially in the text on education, justice was done to the many other theologians who had substantially contributed to the development of the doctrine of the Church. Faculty of Theology and Religious Studies KU Leuven Sint-Michielsstraat 4 / 3101 BE-3000 Leuven Belgium [email protected]
Mathijs LAMBERIGTS
Faculty of Arts Nicolaus Copernicus University Fosa Staromiejska 3 PL-87-100 Torún Poland Faculty of Theology and Religious Studies KU Leuven Sint-Michielsstraat 4 / 3101 BE-3000 Leuven Belgium [email protected]
Leo DECLERCK
PREPARING THE GROUND FOR FRUITFUL DIALOGUE WITH THE ORTHODOX AN IMPORTANT MOTIVATION OF THE ECUMENICAL ‘AVANT-GARDE’ DURING THE REDACTION HISTORY OF LUMEN GENTIUM, UNITATIS REDINTEGRATIO AND ORIENTALIUM ECCLESIARUM (1959-1964)
INTRODUCTION The availability of the Vatican II archives of Christophe-Jean Dumont (1897-1991), Yves Congar (1904-1995) and Emmanuel Lanne (1923-2010) has allowed us to study a number of unpublished papers from the announcement of the Council till the promulgation of Lumen gentium, Unitatis redintegratio and Orientalium Ecclesiarum on November 21, 1964. Interestingly, only one motivation inspired their ecumenical work: the hope that the Second Vatican Council would soon be followed by the start of the official Orthodox-Roman Catholic international dialogue. I. PREPARING THE COUNCIL FATHERS FOR 1959-1962
THEIR
ECUMENICAL TASK
Especially since the Holy Office had published a less restrictive monitum De motione oecumenica in 1950, Catholic ecumenists felt encouraged to closely collaborate with one another1. It was a decade in which the ecumenical avant-garde among the Catholic theologians2 slowly but surely made the switch from unionism to ecumenism3. As director of the centre 1. SUPREMA SACRA CONGREGATIO S. OFFICII, Instructio ad locorum ordinarios: ‘De motione oecumenica’, in AAS 42 (1950) 142-147. 2. I borrow the expression from N. EDELBY, Souvenirs du Concile Vatican II, Raboueh, Patriarcat Grec Melkite Catholique – Centre de recherche, 2003, p. 275: “L’équipe d’avant-garde serre les coudes: Baudoux, De Provenchères, Hoeck, Janssens, Edelby, Da Silveira”. Bishop Edelby describes how the few progressive members and periti of the Oriental Commission finally succeeded on October 2, 1964 to improve the ecumenical quality of De Ecclesiis Orientalibus during the final session of the Oriental Commission before the decree was voted on the Council. 3. Cf. É. FOUILLOUX, De l’unionisme à l’œcuménisme, in COMITÉ MIXTE CATHOLIQUEORTHODOXE EN FRANCE, Catholiques et Orthodoxes: Les enjeux de l’uniatisme. Dans le sillage de Balamand, Paris, Cerf, 2003, 201-219.
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Istina the French Dominican Christophe-Jean Dumont had stimulated the transition from Russie et chrétienté to Istina in 1954 and in the same year he published a book which contained the editorials of the journal Vers l’Unité chrétienne which he had founded in 19484. It is a fundamental conviction of this theologian that there is a “difference in nature” between the schisms separating the Churches of the East from Rome and the separations following the Reformation5. These problems, however, need to be “distinguished”, though they can never be “dissociated”6. His confrere Yves Congar, who had become suspect after the publication of his 1937 book Chrétiens désunis7, published in 1954 a historical study on the occasion of the 900th anniversary of the Oriental ‘Schism’8. After stating that “the Churches of the East and the West have an affinity between them that goes much deeper than their estrangement”9, Congar beautifully concluded his book in the following manner: We contribute to the schism, even today, whenever we assume the attitudes of estrangement, or when we accept the results of many centuries of alienation; we continue it every time we commit, even today, acts analogous to those, positive or negative, which in the past made evident a lack of union. On the other hand, we contribute towards ending the schism and actually end it, to the extent that it exists in us, by every act or attitude of ours which rejects and weakens that estrangement. Every time we recognize the existence of the East, and the East recognizes the existence of Rome and the West, to that extent, the wound has been healed10.
In 1952 two Dutch priests, Jan Willebrands and Frans Thijssen, convinced the directors of the leading Catholic centers of ecumenism to 4. C.-J. DUMONT, Les voies de l’unité chrétienne. Doctrine et spiritualité (Unam Sanctam, 26), Paris, Cerf, 1954. I am thankful to Fr. Hervé Legrand O.P. for granting me access to the unpublished diary which Dumont finished in 1981, L’Église romaine et le mouvement œcuménique. Souvenirs d’un pionnier (1926-1965). It is being preserved in the Archives de la Province dominicaine de France in Paris. See also H. DESTIVELLE, Le Père ChristopheJean Dumont. Distinguer l’Orient de l’Occident sans les dissocier, in ID., Conduis-la vers l’unité parfaite. Œcuménisme et synodalité, Paris, Cerf, 2018, 67-88. 5. C.-J. DUMONT, Nos frères séparés et le Concile, in Istina 6 (1959) 327-332, p. 331. 6. C.-J. DUMONT, Rome, Constantinople et Genève. L’œcuménisme au tournant, in Istina 6 (1959) 415-432, p. 423. 7. Y. CONGAR, Chrétiens désunis. Principes d’un «œcuménisme» catholique (Unam Sanctam, 1), Paris, Cerf, 1937. 8. Y. CONGAR, Neuf cents ans après. Notes sur le «Schisme oriental», in 1054-1954: L’Église et les Églises. Neuf siècles de douloureuse séparation entre l’Orient et l’Occident: Études et travaux offerts à Dom Lambert Beauduin, Chevetogne, Éditions de Chevetogne, 1954, 3-95. Congar describes his growth as a Catholic ecumenist in the interesting Préface. Appels et cheminements 1929-1963, in Y. CONGAR, Chrétiens en dialogue. Contributions catholiques à l’œcuménisme (Unam Sanctam, 50), Paris, Cerf, 1964, IX-LXIV. 9. Y. CONGAR, After Nine Hundred Years. The Background of the Schism between the Eastern and Western Churches, New York, Fordham University Press, 1959, p. 89. 10. Ibid., p. 90.
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collaborate in a new international initiative, the Catholic Conference on Ecumenical Questions. Dumont became a member of the board. During a meeting in Strasbourg which took place a few weeks after the unexpected announcement of the Second Vatican Council by Pope John XXIII it was decided that Fr. Dumont would write a memorandum in the name of the board, in order to prepare the bishops for the ecumenical aspects of this task11. After discussing a number of psychological difficulties the memorandum acknowledges that the large majority of Council fathers as well as their advisors were poorly informed about the liturgical, canonical and theological patrimony of the East12. Dumont believes that the Council should make distinctions between different groups in their ecumenical contacts. The Churches of the East belong to those “Christian communions having preserved the form as well as the reality of the sacramental structure of the episcopacy”13. Almost in passing the document finds it “not unreasonable to expect that the reunion with the Orthodox may be more easily and more rapidly achieved than that with the Protestants”14. The paragraph ends with the warning that an intensification of contacts with the Orthodox should not hinder the ecumenical relations which the Orthodox churches are developing with other churches15. Some ‘basic difficulties’ are also listed. As regards Catholic-Orthodox relations the Council should shed more light on the relationship between “Pope and Church”16 and the Catholic position on the Filioque should be better explained as well. With regard to ecumenical relations the memorandum 11. Cf. Memorandum from the Executive Committee of the ‘Catholic Council for Oecumenical Questions’ concerning the Restoration of Christian Unity on the Occasion of the Forthcoming Oecumenical Council, English translation of the French original prepared by J. Willebrands for distribution among English-speaking bishops in June 1959. Cardinal Willebrands entrusted the archive of the Conférence Catholique pour les questions œcuméniques to the Benedictine abbey of Chevetogne. See for a detailed study of this document P. DE MEY, Johannes Willebrands and the Catholic Conference for Ecumenical Questions (1952-1963), in ID. – A. DENAUX (eds.), The Ecumenical Legacy of Johannes Cardinal Willebrands (1909-2006) (BETL, 253), Leuven, Peeters, 2012, 49-77, esp. pp. 56-68 and ID., The Catholic Conference for Ecumenical Questions’ Immediate Preparation of the Renewal of Catholic Ecclesiology at Vatican II, in L. FERRACCI (ed.), Toward a History for the Desire of Christian Unity. Preliminary Research Papers, Münster, LIT Verlag, 2015, 141-157, esp. pp. 150-155. 12. Memorandum (n. 11), §§ 11-15. 13. Ibid., § 20. 14. Ibid., § 22. 15. Ibid., § 23. A few months later Dumont would fall in precisely this trap during the socalled Rhodes incident. See for a detailed account of the incident, K. SCHELKENS, L’«affaire de Rhodes» au jour le jour. La correspondance inédite entre J. Willebrands et C.J. Dumont, in Istina 54 (2009) 253-277. 16. Memorandum (n. 11), § 25.
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discusses a number of unfavorable, favorable and ambivalent factors. One is aware that the promulgation of each new dogma leads to opposition from the part of the Orthodox churches17. The often very cordial relations between Catholic and Orthodox theologians in the diaspora is mentioned among the favorable aspects18. The existence of Eastern rite communities in communion with the Catholic Church is sometimes “deemed incompatible with a sincere search after and genuine proposals of reunion” but can also make the Orthodox aware of the legitimate existence of various “traditions inside the one universal Church”19. The Catholic Church is finally advised “to give expression to her goodwill”, since “the union so much desired is unthinkable without an important contribution being made by the Catholic Church herself”20. The Council better abandons a purely “canonical” approach to ecumenical relations between Churches because then it is a matter of all or nothing, whereas a theological approach can appreciate the degrees of “communion/koinonia” that exist between them21. The Council fathers are also encouraged “not to treat the dissident communions as though they were objects but rather to accept to speak with them as with persons”22. In order to “re-establish a whole and perfect communion” with the Orthodox churches a “progressive method” is proposed which consists of “an increasing collaboration in pastoral care and action, in theological and historical research; while ecclesiastical discipline concerning communicatio in sacris should prudently and gradually be adapted to present conditions”23.
17. Ibid., § 29. 18. Ibid., § 32. 19. Ibid., § 38. 20. Ibid., § 42. 21. Ibid., § 44. 22. Ibid., § 46. 23. Ibid., § 50. Dumont was able to repeat many of these points during a private audience which Pope John XXIII granted him on October 3, 1960, shortly after he was nominated consultor of the Secretariat for Christian Unity. He pleaded, among others, that the Secretariat would become competent “for the totality of the problem of separated Orientals and Protestants”. Already during this audience Dumont brought up the issue of the installation of a “permanent mixed Catholic-Orthodox commission”. He even dared to entrust it to the Pope that he had heard many reactions that were afraid of a rubber-stamp Council. Cf. DUMONT, L’Église romaine et le mouvement œcuménique (n. 4), p. 160: “Une manière de faire qui paraîtrait seulement se rapprocher des méthodes dites ‘totalitaires’ aurait les plus fâcheuses répercussions tant à l’intérieur de l’Église qu’auprès des confessions séparées; elle approfondirait, en particulier, le fossé qui sépare de nous les Églises Orthodoxes”. Cf. CONGAR, My Journal of the Council, Adelaide, ATF, 2012, p. 75 (29.10–2.11.1960): “Fr. Le Guillou gave me some news about Fr Dumont’s trip to Rome. He was received personally by the Pope who told him that he fully agreed with all that Fr Dumont said concerning relationship with the Orthodox”.
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In the second and longest part of his response to the questions which Cardinal Ottaviani had sent to the members and consultors of the preconciliar Theological Commission, Congar treats about the doctrine on the Church24. His reflections on the episcopate are inspired by the desire that the Council would facilitate the dialogue with the Orthodox: a) To satisfy the difficulties of the Orthodox, a better clarification of the question of the relationship between St. Peter and the other Apostles. A better clarification of the difference between the way in which the Bishop of Rome succeeds to Peter and the way in which bishops succeed to the Apostles. b) Also for the benefit of the Orthodox, a good explanation of how in the Church there can be a superior degree of hierarchical power, and even a charism of infallibility, that is not linked to a particular sacrament. This point offers no difficulty to a western mind. It represents an insurmountable difficulty for an Orthodox. It might also be added that the ease of a westerner here, because of a sharp distinction between orders and jurisdiction, has the drawback that it sometimes makes him overlook the fact that the Pope is first of all the bishop of Rome…. c) The question of the origin of the jurisdiction of bishops. It is a fact that the great majority of Catholic theologians today think that it derives from the Sovereign Pontiff. (…) A definition of the derivation of the power of bishops from the Pope would definitively exclude all chance of reunion with the Orthodox25.
During the preparations of the schema De Ecclesia Congar was never asked to draft one of the chapters and thus in his diary he often complained that the commission did not attend Orthodox sensitivities enough. During the discussion on the chapter De Episcopis Congar “tried to speak on behalf of the Easterners who are not present” but is immediately told “that there is an Eastern commission”. Congar deplored such a compartmentalization26. One of the rare interventions which was successful in ecumenical terms had been made by the Ukrainian Greek Catholic Metropolitan Maxim Hermaniuk. In the discussion on the chapter dealing with the teaching office of the Church he had proposed that, whether magisterial teaching is exercised in an ordinary or extraordinary manner, in all cases the Pope is either teaching together with the bishops or alone, but 24. CONGAR, Réflexions soumises à la Commission Théologique, 24/09/1960, 17 p. (KU Leuven, archives G. Philips, n° 0054). I make use of a translation made by J.A. KOMONCHAK, Congar’s Initial Proposals for Vatican II, previously available online and now published in Interface Theology 1 (2015) 19-36. 25. CONGAR, Réflexions (n. 24), pp. 7-8. 26. CONGAR, Journal (n. 23), p. 99 (23.9.1961). On March 5, 1962 he still complained before Bea that “this commission is entirely ‘Latin’, and the Eastern point of view is never put forward” (p. 113).
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even in the latter case he is teaching “as head of the college of bishops”. Congar was very well aware that the Metropolitan had made this request for ecumenical reasons27. II. THE CRITIQUE ON THE PRE-CONCILIAR DRAFTS IN SESSION ONE 1. De Ecclesiae Unitate The last documents that were scheduled for discussion during the first session were De Ecclesiae Unitate (Oriental Commission)28 and De Ecclesia (Theological Commission)29. De Oecumenismo Catholico (Secretariat for Christian Unity) was not even included in the materials sent to the Council fathers30. As soon as he had received the document on unity Congar reacted critically: It concentrates exclusively on the Orthodox. It proceeds without any reference whatsoever to the ecumenical perspective, and as if the World Council of Churches did not exist, as if the Orthodox did not belong to it. The World Council of Churches will resent it as a move designed to secure union with the Orthodox, independently of any approach to the World Council of Churches and the Protestants; therefore, as a move against them31.
Gustave Thils, who had been involved in the drafting of De Oecumenismo Catholico, wrote a lengthy analysis of the same document, preceded 27. Cf. J.Z. SKIRA – K. SCHELKENS (eds.), The Second Vatican Council Diaries of Met. Maxim Hermaniuk, C.SS.R (1960-1965), Leuven, Peeters, 2012, p. 49: “I made a motion that the issue of the primacy and infallibility of the Roman Pope be presented in such a way that it would correspond more to the mentality of the Eastern Churches”. Cf. CONGAR, Journal (n. 23), p. 113: “Mgr Hermaniuk put forward, firmly and calmly, a point of view which he rightly believes would amount to extending a hand to some of the Orthodox”. Cf. G. ROUTHIER, “Maxim Hermaniuk. The Promoter of Episcopal Collegiality”, in J.Z. SKIRA – P. DE MEY (eds.), Metropolitan Maxim Hermaniuk, Vatican II and the Greco-Catholic Church (Eastern Christian Studies, 31), Leuven, Peeters, 2020, 79-97, p. 81. 28. AS I/3, 528-545. An overview of the reactions on this document is found in M. VELATI, Una difficile transizione. Il cattolicesimo tra unionismo ed ecumenismo (1952-1964), Bologna, Il Mulino, 1996, pp. 337-342. 29. AS I/4, 12-121. 30. Acta et Documenta II/2.4, 785-792. Only after an intervention of Pope John XXIII in October 1962 did the secretariat receive the same rights than the conciliar commissions. Cf. M. VELATI, Le Secrétariat pour l’unité des chrétiens et l’origine du Décret sur l’œcuménisme (1962-1963), in M. LAMBERIGTS – C. SOETENS – J. GROOTAERS (eds.), Les commissions conciliaires à Vatican II, Leuven, Peeters, 1996, 181-203, pp. 181182. 31. CONGAR, Journal (n. 23), p. 119 (5 or 6.8.1962).
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by two general points in which he contrasted ‘Le schéma attendu par les chrétiens non-Romains’ with ‘Le schéma, tel qu’il est en fait’32. The opening lines explain what is at stake: All non-Roman Christians are convinced that this schema engages the future of ecumenism for different generations. It can be the source of great joy but also of bitter deception. The pastoral responsibility of those who draft if and those who promulgate it is great33.
Thils believed that the document lacked the spirit of aggiornamento which the Pope expected from the Council, especially in its teaching on ecumenism, and proposed that the document would only be revised after the Council had formulated its teaching on the Church. Because of its rather “impersonal” style the schema also did not really prepare the future dialogue, neither by its form nor by its content34. One of the most critical reactions on De Ecclesiae Unitate was heard in a lecture given by the Benedictine monk Emmanuel Lanne, who would become a member of the Secretariat in January 1963, after the creation of an Eastern section within the Secretariat for Christian Unity35. Instead of “great joy”, the reading of the draft version gave Lanne “maximal frustration”36. The first critical point he made was that “the schema addressed only the Orientals”37. If one really wanted to do justice to the ecclesiology of the Eastern churches, then it should have been mentioned that “the hierarchical structure of the Church is for them the image of the heavenly realm” and that the bishop has “before everything else a liturgical and sacramental function”38. Other aspects of their ecclesiology that had been 32. Schema de œcumenismo. Remarques générales, s.n., s.d., 9 p. I consulted the document in the archive of Emmanuel Lanne in the monastery of Chevetogne. For more information on the role of Thils within the Secretariat, see P. DE MEY, Gustave Thils and Ecumenism at Vatican Council II, in D. DONNELLY – J. FAMERÉE – M. LAMBERIGTS – K. SCHELKENS (eds.), The Belgian Contribution at the Second Vatican Council (BETL, 216), Leuven, Peeters, 2008, 389-413. 33. Schema de œcumenismo (n. 32), p. 1: “Tous les chrétiens non-romains sont convaincus que ce schéma engage l’avenir de l’œcuménisme pour plusieurs générations. Il peut être la source d’une grande joie, mais aussi une amère déception. La responsabilité pastorale de ceux qui l’élaborent et de ceux qui le promulguent est donc grande”. 34. Ibid., pp. 1-2. 35. Cf. E. LANNE, Le rôle du monastère de Chevetogne au deuxième concile du Vatican, in DONNELLY – FAMERÉE – LAMBERIGTS – SCHELKENS (eds.), The Belgian Contribution (n. 32), 361-388, p. 382. His 7 page lecture, Animadversiones in schemate VII° patribus proposito De Ecclesiae Unitate, “Ut omnes unum sint” is preserved in the Archive Lanne. 36. LANNE, Animadversiones (n. 35), p. 1. 37. Ibid., p. 4. 38. Ibid.
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overlooked by the Oriental Commission were “Eucharistic ecclesiology” and “the importance of the local Church”39. His final assessment of the draft was “non placet”40. The most vehement critics during the plenary discussion were the Melkites, who also took part in the ecumenical ‘avant-garde’. They had coordinated their interventions so that November 27 is remembered as the “Melkites’ day”41. For strategic reasons Cardinal Bea, the head of the Secretariat for Christian Unity, had chosen not to publicly criticize De Ecclesiae Unitate during his intervention on November 3042. The schema reminded the Council fathers that the East and the West had cherished “a common Christian faith” during the first millennium and therefore offered a sign “of brotherly good-will and charity towards those of the Christian East”43. 39. Ibid., p. 6 bis. 40. Ibid. 41. See among others the following criticism by Patriarch Maximos IV Saigh, as remembered by Congar: “The prominent role is given too exclusively to Rome. Rome counts for nothing in Eastern Christianity, which is descended from the Apostles and the Fathers. In the East, it is necessary to speak first of all of the pastoral collegiality of the Church: then of the Papacy as a basis and centre of this collegiality”. See CONGAR, Journal (n. 23), p. 221 (27.11.1962) and AS I/3, 616-620. The Melkites had a hard time to defend themselves during the first meeting of the Oriental Commission that same afternoon. After the meeting Edelby wrote in his diary: “Je crois personnellement que les occidentaux comprendront plus facilement l’orthodoxie que les orientaux eux-mêmes. Nous sommes sortis de cette réunion, assez peinés, mais non abattus. Le chemin de l’œcuménisme ne fait que commencer”. Cf. EDELBY, Souvenirs (n. 2), pp. 142-143. Edelby also reacted on the criticism which the Maronite bishop Joseph Khoury (AS I/3, p. 669) had raised against them in aula: “Tout cela était bien pénible. Les observateurs étaient choqués. Les œcuménistes catholiques, comme le P. Congar et le P. Dumont, étaient malheureux. Le P. Skrima [sic], orthodoxe, n’a pas manqué de dire à l’un des orateurs les plus violents d’aujourd’hui combien son intervention l’avait peiné. (…) Ceux qui nous ont attaqués ce matin se sont fait du tort. L’œcuménisme ne les intéresse pas. L’orthodoxie ne les intéresse pas. Leurs petits problèmes locaux priment à leurs yeux et passent avant tous les intérêts de l’œcuménisme. (…) De notre côté, nous allons faire de notre mieux pour ne pas les choquer, pour leur montrer que si nous aimons l’orthodoxie, nous ne les en aimons pas moins pour cela. Nous essaierons aussi de leur faire comprendre et aimer l’œcuménisme, qui ne peut pas ne pas rencontrer d’opposition, mais à qui sont les promesses de l’avenir, puisque l’œcuménisme n’est autre chose qu’un essai loyal de réaliser le désir d’unité du Christ. Après un moment d’énervement, nous étions redevenus, le soir, aussi calmes que la veille. Il faut bien que l’on souffre quelque chose pour nos frères orthodoxes” (ibid., p. 144). Edelby also revealed that father Dumont and Dom Olivier Rousseau of the monastery of Chevetogne, a good friend of the Melkites, had provided some help to prepare the interventions of their hierarchs (ibid., p. 137). See also G. RUGGIERI, Beyond an Ecclesiology of Polemics. The Debate on the Church, in G. ALBERIGO – J. KOMONCHAK (eds.), History of Vatican II, vol. 2, Maryknoll, NY, Orbis; Leuven, Peeters, 1997, 281-357, pp. 323-327 and S. SHOFANY, The Melkites at the Vatican Council II. Contribution of the Melkite Prelates to Vatican Council II, Bloomington, IN, AuthorHouse, 2005, passim. 42. AS I/3, 710: … “quod mihi in genere valde placet”. 43. AS I/3, 709-710: “Quare consentaneum fuit, ut a commissione orientali, quæ tempore praeparationis Concilii curam rerum orientalium egit, proprium documentum conficeretur,
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The next morning the Council fathers had to vote on a proposition that would determine the future of this scheme. It contained words also found in the speech pronounced by Bea one day before: At the end of the discussion on the decree on the unity of the Church the Council fathers approve it as a document which sums up our common faith, and as a pledge of remembrance and good will toward the separated brethren of the East. However, after the proposed emendations have been taken into account, the decree is to be combined in a single document with the decree on ecumenism composed by the Secretariat for Christian Unity and with Chapter XI, on ecumenism, of the schema for the Dogmatic Constitution on the Church44.
2. De Ecclesia The discussion on the pre-conciliar De Ecclesia followed immediately afterwards and just before the closure of the first session. Fearing a continuation of the painful discussion on De fontibus Revelationis Cardinal Ottaviani, the president of the Theological Commission, anticipated in his relatio that many Council fathers would probably blame the schema for not being ecumenical enough45. In his diary Congar was especially attentive to the weaknesses of the document from an ecumenical perspective as indicated by some Council fathers in their interventions. In his opinion the Polish bishop Pawlowski had correctly said that it was not sufficient to repeat the “ex sese non autem ex consensu Ecclesiae” of Vatican I. The consultations of the Catholic faithful illustrate that such definitions never took place “without the Church”46. Such a clarification would please the Orthodox, who have a developed “notion of conciliarity”47. Congar highly welcomed the speech of Patriarch Maximos IV, who believed that in quo fides christiana communis – et fere eadem – recoleretur et simul exhiberetur pignus aliquod fraternae benevolentiae et caritatis erga has Ecclesias Orientis”. 44. AS I/4, 9: “Expleta disceptatione circa decretum de Ecclesiae unitate, Sacri Concilii Patres illud adprobant tamquam documentum in quo recoluntur quæ in fide sunt communia et uti pignus recordationis et benevolentiae erga fratres separatos Orientis. Hoc decretum vero, attentis emendationibus propositis, in unum documentum componetur cum decreto de Oecumenismo a secretariatu ad unitatem christianorum fovendam confecto, et cum cap. XI de Oecumenismo schematis constitutionis dogmaticae de Ecclesia”. I borrow the English translation from RUGGIERI, Beyond (n. 41), p. 327. 45. AS I/4, 121: “Dico haec quia expecto audire solitas litanias Patrum Conciliarum: non est oecumenicum, est scholasticum, non est pastorale, est negativum et alia huiusmodi”. 46. AS I/4, 152: “Scilicet ‘ex sese’ non significat easdem definitiones proferri sine Ecclesia”. 47. Ibid., p. 153: “Ex huiusmodi explicatione clarius patebit notam conciliaritatis, quae vocatur, orientalibus carissimam, etiam in Ecclesia catholica vigere et haud raro in praxi ab ipsis Romanis Pontificibus applicari”.
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the first chapter of De Ecclesia did not reflect “a healthy ecumenical theology” and that “Catholic ecumenists and their Orthodox and Protestant brethren only ask that the totality of the revealed truth would be expressed and not a portion of it and that it would be correctly said”48. In February 1963, just before being called to Rome to collaborate in the preparation of the new draft49, Congar reflects how De Ecclesia could be made more acceptable for the Orthodox. He remembered the critique by Cardinal Frings that the scheme was almost exclusively Latin50. Correcting this lacuna would require three points of attention51. First, one has to investigate “whether the categories that have been used and the problem that has been introduced, are not purely Western and derived from Latin scholasticism”52. Congar is also aware that the mystery of the Church is discussed in the East in the context of “the anthropological line of divinization” which finds its origin in the Christological dogma of Chalcedon53. Finally, one could add a line in the text in order to do justice to the fact that “in the East, the treatises De Ecclesia, that are not really developed, often take the form of a commentary on the Church as temple”54. 3. The Assessment of the First Session by the Observers The small group of Orthodox observers and guests of the Secretariat based their overall positive judgement on the first session more on the event of the Council than on the quality of the texts proposed for discussion. Vitaly Borovoi, one of the two observers of the Russian Orthodox Church, 48. AS I/4, 296: “J’ai voulu seulement donner des exemples de cette unilatéralité (je dirais: de cette partialité) avec laquelle une certaine école traite les problèmes théologiques, jusqu’à les défigurer, quitte en suite à accuser l’œcuménisme de vouloir atténuer la vérité et de chercher des compromis dans la Foi. De tels compromis, personne n’en veut, ni les œcuménistes catholiques, ni nos frères orthodoxes et protestants. Ce que nous demandons et ce qu’ils demandent, c’est que toute la vérité révélée soit dite et non pas une partie de la vérité, et qu’elle soit exactement dite”. 49. CONGAR, Journal (n. 23), p. 263 (1.3.1963). 50. AS I/4, 219: “De traditione graeca fere nihil dictum est, et de antiquiore traditione latina pauca, quamvis hae traditiones graeca et latina uberrimae sint”. 51. Y. CONGAR, Remarques et proposition sur la proposition du mystère de l’Église, 5 p. (Archive Congar YC 0684). 52. Ibid., p. 3: “a) S’interroger pour savoir si les catégories employées, la problématique mis en œuvre, ne sont pas purement occidentales, issues de la Scolastique latine”. 53. Ibid.: “b) En Orient, le mystère de l’Église est vu essentiellement dans la ligne 1) anthropologique de la divinisation (…); 2) christologique du dogme de Chalcédoine: cette divinisation de l’homme est possible parce que le Christ est vraiment Dieu et vraiment homme. Le dogme de Chalcédoine illumine toute la théologie orientale, et surtout l’ecclésiologie”. 54. Ibid.: “c) Souvent, en Orient, les exposés De Ecclesia, peu développés d’ailleurs, interviennent par mode de commentaire de l’église-édifice”.
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mentioned in his secret report: “One may be so bold as to say that during the first session no speech was delivered and no question asked without taking into consideration the presence of the observers, and without being influenced to some extent by the opinions of these observers”55. He also believed that the option for “ecumenism” which the Council has made “can at most be slowed down or delayed; but it cannot be stopped”56.
III. CLAIMING THE RIGHT TO DEVELOP THEIR OWN VISION ON CATHOLIC-ORTHODOX RELATIONS THE SECRETARIAT AND THE ECUMENICAL AVANT-GARDE DURING THE FIRST INTERSESSION 1. De Oecumenismo – De Ecclesiis Orientalibus During the first months of 1963 it became clear that the task of integrating the three available drafts on ecumenism would not be an easy one. The Oriental Commission believed that their pre-conciliar schema had in principle been approved by the Council as the basis for the new document. The Secretariat for Christian Unity believed that the mixed commission was free to make a new start. During the first meeting of the Coordinating Commission (January 21-27), the plan of the Oriental Commission to reduce all remaining pre-conciliar schemata of their commission into one disciplinary document De Ecclesiis Orientalibus got approved and the mixed commission to prepare a new draft on ecumenism was put in place57. Just recently the Pope had decided that the Secretariat would be divided in a Western section, under the leadership of Fr. Arrighi and an Eastern section, under the leadership of White Father Pierre Duprey. Lanne became the colleague of Fr. Dumont in the Eastern Section. The preparation of a draft for a chapter on relations with the East was their first major task and the Maronite father Emile Eid was joined to their sub-commission as peritus of the Oriental Commission. During the first meetings of their sub-commission on February 1-2 it became clear that the representative of the Oriental Commission only could 55. V. BOROVOI, Report on the First Session of the Second Vatican Council, February 1963, p. 8. The 13 p. translation from Borovoi’s original text in Russian was probably made for the WCC and has been preserved in their archives in Geneva: see box 4201.3.2. 56. Ibid., p. 11. 57. Compare the reference to Cicognani’s “important and often obviously incompatible roles” in J. GROOTAERS, The Drama Continues between the Acts: The “Second Preparation” and Its Opponents, in ALBERIGO – KOMONCHAK (eds.), History of Vatican II, vol. 2 (n. 41), 359-514, p. 372.
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accept a light revision of De Unitate Ecclesiae58. During the following weeks Lanne and Dumont intensively worked on their chapter59. They tried to introduce some of their personal convictions but were also bound to take the draft on ecumenism of the Oriental Commission into account60. In his initial reflection Lanne insisted that the Catholics in their reflection on the unity of the Church had to start “from the notion of communion”61. The chapter would also have to put emphasis on the “autonomy” and “diversity” of the churches of the East in matters related to theology, spirituality, liturgy and canon law62. The Catholic Church should be aware that the dialogue with the Orthodox is of a different nature than the one with Protestants. It will be important to realize that the churches of the East have embraced the same apostolic faith in a Church which lacked the Roman preoccupation with centralization63. Dumont preferred to speak about proper traditions in the East rather than emphasizing their “autonomy” and also proposed to add a paragraph about the inseparability of the dialogue with the East and the dialogue with Protestants64. Dumont was convinced that the Council could not limit itself 58. LANNE, Le rôle du monastère de Chevetogne (n. 35), p. 384. 59. L. DECLERCK, Inventaire des papiers conciliaires d’Emmanuel Lanne, O.S.B., moine du Monastère de Chevetogne, membre du Secrétariat pour l’unité des chrétiens (Instrumenta Theologica, 41), Leuven, Peeters, 2017, pp. 52-59. The documents treated in this subsection have been consulted in this archive. 60. De Oecumenismo. Caput III. Fratrum separatorum Orientalium peculiaris consideratio, 25.2.1963, 6 p. 61. [E. LANNE], Principaux points à prendre en considération pour la rédaction du chapitre concernant la condition particulière des Orientaux dans le schéma ‘Ut omnes unum sint’, 2.2.1963, 4 p., p. 1: “C’est pourquoi notre schéma doit partir de la notion de communion si l’on veut être compris de nos frères orientaux”. 62. Ibid., p. 2: “Autonome dans sa conception de l’organisation de la vie ecclésiale, l’Orient l’est aussi dans sa tradition théologique et spirituelle. (…) En matière de liturgie, de droit et de discipline la diversité l’a toujours emporté sur l’unification autoritaire et centralisatrice”. 63. Ibid., pp. 3-4: “Depuis ces séparations et malgré elles – c’est-à-dire privées de la communion romaine, toutes les Églises d’Orient, sans magistère infaillible, sans discipline centralisatrice, ont réussi à maintenir l’essentiel de l’ensemble de la foi apostolique. C’est là le fait capital dont doit prendre conscience l’œcuménisme catholique s’il veut qu’un dialogue réel et efficace puisse s’établir en vue d’un rétablissement de communion entre Rome et les Églises d’Orient qui ne soit pas éphémère ou même chimérique”. 64. Cf. Réaction Dumont au projet Lanne, p. 2: “Le caractère complémentaire de la tradition orientale par rapport à la tradition occidentale a pour conséquence d’offrir des éléments de solution aux questions débattues entre le catholicisme et le protestantisme, celui-ci se situant tout entier dans la perspective et le cadre de la problématique théologique propre à l’Occident. Si donc le dialogue œcuménique entre l’Église catholique et les Églises d’Orient est d’une autre nature que celui qui peut et doit être engagé entre l’Église catholique et les confessions issues de la Réforme, il est manifeste que le premier devrait grandement aider au second. S’il est essentiel de distinguer nettement les deux aspects du problème œcuménique il n’est pas moins essentiel de ne pas les séparer”.
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to “an attitude of benevolence of their faithful and clergy towards their brethren of the East”. Before a pan-Orthodox meeting would be willing to engage into dialogue with the Catholic Church especially in the documents dealing with the Church and with unity this benevolence needs to be translated into concrete measures65. When this chapter was discussed by the mixed commission on February 28 the representatives of the Oriental commission refused to keep it in place if it was not accompanied by a chapter dealing with the Protestants, but the representatives of the Secretariat were unwilling to give up their work66. Soon after this meeting Welykyj received permission from Cardinal Cicognani to add the revised final section of De Ecclesiae Unitate to the disciplinary first part of De Orientalibus Ecclesiis. When Willebrands sent Cardinal Bea a copy of the three chapter De Oecumenismo on March 12, he too believed that a chapter on the Eastern churches was an absolute necessity, “otherwise they would be considered equal to the Protestants”67. It is almost a miracle that the third chapter of De Oecumenismo survived the discussions in the second meeting of the Coordination Commission which took place at the end of March. Cicognani had pleaded to drop this chapter because of the many similarities with the second part of De Ecclesiis Orientalibus. Lanne wrote an urgent note in the night of March 27 so that Cardinals Liénart, Suenens and Döpfner would be able to defend the view of the Secretariat68. According to the note “the Orthodox expect such a legitimate true and special consideration from a Catholic decree 65. Difficultés à prévoir, 1 p., a document classified by Lanne as Dernières observations du P. C.J. Dumont le 11.2.1963: “Une discussion en commission devrait faire valoir que l’union ne dépend pas seulement d’une attitude de bonne volonté et de bienveillance des fidèles et du clergé à l’égard des frères orientaux mais d’un certain nombre de mesures qui incombent à l’autorité ecclésiastique qui doit montrer l’exemple de la bienveillance et de la bonne volonté. (…) Si jamais se tient le pro-synode pan-orthodoxe (et après lui le synode) il portera la plus grande attention aux textes conciliaires sur deux points particulièrement de la Constitution dogmatique: De Ecclesia et le De unitate. Il importe au premier chef que nos frères orthodoxes n’y trouvent pas que de bonnes paroles et de pieuses considérations”. 66. Cf. Relatio Secretarii in sessione Plenaria Comm. De Eccl. Orient., 19.9.1963 (AAV, b. 940), p. 6: “Dum ex parte peritorum orientalium affirmata fuit impossibilitas imo damnum, si tantummodo de Orientalibus sermo instituatur ad instar cuiusdam appendicis, et nihil omnino de protestanticis, periti Secretariatus instabant pro acceptatione huius tertii capitis, ut conditionis sine qua non existentiae decreti de Oecumenismo”. 67. Johannes Willebrands a Card. Agostino Bea S.J., 12.3.1962 (AAV, b. 1432): “Wir sind der Meinung, dass in einem Dekret über den Ökumenismus katholischerseits ein eigenes Kapitel über die Orientalischen Kirchen nicht fehlen darf, sie würden sonst den Protestanten gleichgestellt sein”. 68. A brief note mentioning his work during the night, a manuscript version and the 2 pages printed note De necessitate servandi Caput III decreti de Oecumenismo prout jacet in schemate proposito…, are found in the Lanne archive.
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on ecumenism since their condition fundamentally differs from that of the Protestants”69. Lanne’s note also offers a profound critique on the second part of De Ecclesiis Orientalibus: When it touches on the ecumenical problem, then this is always in an unhealthy way mixed up with the internal questions of the Eastern Catholics and with the work of conversions. It wants to show its benevolence towards the Christians of the East but it becomes clear that it almost completely fails to understand their proper mindset. In its current form the chapter would without doubt lead to a completely negative outcome from the part of the Orthodox70.
After a short description of the precise content of their chapter, the note concludes: “Part II of the decree De Ecclesiis Orientalibus contains nothing what chapter III of the Decree De Oecumenismo cares for. This chapter III, however, reflects the truly ecumenical mind which that second part almost completely lacks. Therefore chapter III simply needs to be maintained as it stands, as a part of an integrated whole”71. According to some scholars the Pope, who had decided to attend part of the meeting on March 28, may have expressed his private opinion to the chair. The next morning Cicognani proposed the new solution that chapter three of De Oecumenismo could be retained if it would be enriched by an additional chapter on the Protestants72. On April 22, 1963 the Pope approved both De Oecumenismo and De Ecclesiis Orientalibus as drafts ready to be discussed by the Council fathers73. 69. Ibid.: “Orthodoxi a decreto catholico circa oecumenismum jure merito veram specialem considerationem exspectant, cum eorum conditio ab illa Protestantium differat”. 70. Ibid.: “Immo quando problema oecumenicum tangit, semper cum quaestionibus internis Catholicorum Orientalium nec non cum apostolatu conversionum infauste commiscit. Benevolentiam erga Orientales separatos ostendere vult, sed eorum mentem propriam vix intellegere videtur atque procul dubio, prout iacet, exitum omnino negativum apud Orthodoxos obtineret”. 71. Ibid.: “Conclusio: Pars II Decreti ‘De Ecclesiis Orientalibus’ nihil reapse continet quo Caput III Decreti De Oecumenismo careat. Econtra vera mente oecumenica Caput hoc III pollet quae in parte illa II fere ex toto deficit. Caput igitur III prout iacet sic et simpliciter, uti pars ex integro toto, servandum est”. 72. Grootaers can think of only one reason for the change in position within the Coordinating Commission: “It was not in Cicognani’s character to make such an aboutface. Although we have no formal proof – nothing, after all, is more elusive and therefore more fleeting than a conversation between a pope and his secretary of state! – John XXIII’s intervention in this affair seems to me more than probable”. Cf. GROOTAERS, The Drama Continues between the Acts (n. 57). Since the Secretariat remained uncertain about the future of chapter three another note was sent to the cardinals who supported their views: Duo textus manere possunt quia sub luce diversa conditionem propriam Orientalium contemplantur, etsi in singulis aliquando eadem dicere videntur, 5.4.1963 (AAV, b. 1432). 73. Schema decreti De ecclesiis Orientalibus, Typis polyglottis Vaticanis, 1963 and Schema decreti De Oecumenismo, AS II/5, 412-439. The decree on the Eastern Catholic churches was not selected for plenary discussion during the second session but after further
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2. De Ecclesia During the same intersession the Theological Commission made good progress with the revision of De Ecclesia. The sub-commission that had been appointed to prepare this draft chose on February 26 to take the schema prepared by the Belgian theologian Philips as point of departure. The prominent role which Congar has played during the Council started with the invitation to assist this sub-commission as peritus74. After a difficult discussion the plenary meeting of the Theological Commission accepted the choice of the sub-commission for the schema Philips on March 5 and their meeting ended on March 13 with an agreement on the first two chapters75. During the plenary meeting of May 15-28 the Theological Commission discussed and approved chapters three and four76. In their assessment Dumont and Congar again keep in mind the reaction of Orthodox readers on these texts. According to Dumont the Orthodox will be pleased about the Trinitarian outlook of the description of the mystery of the Church but will look in vain for a statement clearly mentioning that the Eucharist is “constitutive for the Church and its unity”77. Congar explains why the description of the munus docendi of the bishops pays so much attention to the Pope. He explains that it was necessary to explain revision sent to the Council fathers for discussion during the third session. It is found in AS III/4, 485-493. A more detailed presentation of the difficult collaboration between the Oriental Commission and the Secretariat for Christian Unity and the difficult relation of its secretaries Willebrands and Welykyj is found in P. DE MEY, The Difficult Cooperation between the Secretariat for Christian Unity and the Oriental Commission in the Preparation of De Oecumenismo: December 1962 – November 1963, in D. BOSSCHAERT – J. LEEMANS (éds), Res opportunae nostrae aetatis. Studies on Vatican II Offered to M. Lamberigts (BETL, 317), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2020, 245-275. 74. P. DE MEY, The Role of Non-Voting Participants in the Preparation and the Conduct of the Council, in R.R. GAILLARDETZ (ed.), Cambridge Companion to Vatican II, Cambridge, CUP, 2020, 78-93, pp. 79-81. 75. On April 22, the Schema constitutionis dogmaticae De Ecclesia: Pars I, Typis polyglottis Vaticanis, 1963 could be sent to the Council fathers. Cf. AAV, b. 764, n° 291. Congar gives interesting details about the work in the sub-commission De Ecclesia and in the Theological Commission in his diary entries from March 1-13. 76. The Schema constitutionis dogmaticae De Ecclesia: Pars II, Typis polyglottis Vaticanis, 1963 was ready for distribution on July 19. Cf. AAV, b. 764, n° 292. See also the diary entries of Congar from May 15-28. 77. Cf. C.-J. DUMONT, Remarques sur le nouveau schéma ‘De Ecclesia’, 17.5.1963, 1 p. (consulted in the archive Lanne): “Du point de vue œcuménique, une lacune grave de ce schéma est qu’il ne fait pas, dans le mystère de l’Église, la place qui lui revient au mystère eucharistique en tant que constitutif de l’Église et de son unité. (…) Les Orthodoxes seront heureusement impressionnés par la présentation ‘trinitaire’ du mystère de l’Église, mais ils seront très sensibles à cette lacune eucharistique qui aggrave singulièrement les séquelles (bien qu’heureusement réduites) de l’ecclésiologie bellarminienne visibles dans cette partie du schéma”.
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the ex sese statement of Vatican I in greater detail to the Orthodox, but the draft could have paid more attention to “the psychological difficulty of the Orthodox”78. 3. First Concerns about the Future Catholic-Orthodox Dialogue In the same document Congar reacted lyrically on De Oecumenismo and especially on the first part of chapter three, which only speaks in positive terms about the Churches from the East79. For him this chapter is “an extraordinary moment of grace”. More than a text it is “an act” through which the Council, if it accepts this proposal, “will in an entirely positive way enter in the ecumenical work”80. Lanne for his part published a pitiless critique on De Ecclesiis Orientalibus which he believed to be of poorer quality than the schema introduced during the first session of the Council81. Since this decree is addressed in first instance to Eastern Catholics it basically neglects the churches in the East. One also wonders why a Council which consists in majority of Latin bishops needs to determine the legislation for the Eastern Catholics. This 78. Y. CONGAR, Observations sur le schéma de constitution ‘De Ecclesia’, 1-2.07.1963, 8 p. (consulted in the archive De Smedt, KU Leuven, n° 0722). Ibid., p. 6: “En effet, une explication de cette formule a été demandée par plusieurs évêques, Orientaux surtout, lors de la première Session. Elle est d’une très urgente nécessité au point de vue œcuménique. Cette formule de Vatican I a été, et elle continue, malgré tant d’explications données!, à être mal comprise par l’ensemble des non-catholiques, par les Orthodoxes surtout. (…) Il nous semble cependant qu’elle ne va pas assez au devant de la difficulté psychologique des Orthodoxes, et nous souhaiterions, pour notre part, qu’elle soit, à cet égard, plus explicite”. 79. Ibid., p. 7: “S’il s’agit des Orientaux, il n’y a pas d’allusion vraiment critique, par exemple au particularisme national et culturel qui fait tant pour entretenir les séparations”. 80. Ibid., p. 8: “Après un premier mouvement d’étonnement devant le caractère si favorable de ce chapitre III, nous nous sommes dit: nous nous trouvons incontestablement à un très extraordinaire moment de grâce. L’Église connaît, en ce moment, une exceptionnelle Visite de Dieu. Et pas seulement l’Église, mais tout ce qui porte le nom du Christ. (…) Nous avons vu, au Concile, que le Saint-Esprit agit de façon souveraine à travers l’humain de nos propos et de nos démarches. C’est dans cette perspective qu’il faut, pensons-nous humblement, voir et aborder ce texte: pas seulement comme un texte, mais comme un acte. Par lui, le Concile entrerait franchement, d’une façon entièrement positive, dans le travail œcuménique. (…) Le Concile voudra-t-il poser cet acte? Oui, croyons-nous, avec la grâce de Dieu. Ipse qui incepit, perficiet!”. 81. E. LANNE, Observations sur le schéma de décret ‘De Ecclesiis Orientalibus’, 3.7.1963, 10 p. (archive Lanne). Ibid., p. 10: “Malgré ses bonnes intentions le schéma de décret tel qu’il se présente est de qualité inférieure au schéma Ut unum sint présenté à la première session du Concile”. See also the discussion of a number of reactions to De Ecclesiis Orientalibus in P. DE MEY, Metropolitan Hermaniuk and the Conciliar Work on Unitatis Redintegratio and Orientalium Ecclesiarum: A Comparative Study, in SKIRA – DE MEY (eds.), Metropolitan Maxim Hermaniuk (n. 27), 99-142, pp. 106-109.
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“anomaly can only hurt the separated brethren from the East”82. As “local Churches” they would have serious problems with such a “disciplinary centralization”83. When looking more closely at part I of De Ecclesiis Orientalibus, he not only criticizes the use of the canonical terminology of rite and the permission given to religious congregations to found Latin rite communities in the East84 but also the absence of a discussion on the priority of the patriarchs to the college of cardinals. The second part intends to be a contribution to the unity of the Christians of the East but refuses to “apply the word ‘Church’ to the separated brethren of the East”85. More than focussing on the “common patrimony” one should recognize that the Churches of the East are autonomous local churches “of apostolic origin”86. Lanne, finally, is extremely critical about the model of unity which this decree reflects. It “does not abandon the perspectives of uniatism and proselitism” and seems completely disinterested in “ecumenical dialogue”87. When looking back to this second part he wonders whether “the Council can approve a text that will surely bless the separated brethren from the East rather than attract them”88. In the same period Dumont reflected in more general terms on ecumenical relations between Catholics and Orthodox. He asked Cardinal Bea in June 1963 to offer his note to the new Pope89. He first repeats his 82. LANNE, Observations (n. 81), p. 2: “Il y a là en soi une anomalie qui ne peut que heurter les Orientaux séparés”. 83. Ibid., p. 7: “Nulle part on ne met en relief que les Églises d’Orient sont avant tout des Églises locales, que la centralisation disciplinaire leur est étrangère, que l’unité de l’Église s’exprime pour elles dans les notions d’unicité de foi et de communion avec le siège Romain, beaucoup plus que dans celles d’uniformisation, de centralisation”. 84. Ibid., p. 4: “Ces passages au ‘rite’ est l’un des principaux griefs de prosélytisme que fait l’Église Orthodoxe contre l’ounia”. 85. Ibid., p. 7: “Cette seconde partie consacrée à l’union des chrétiens d’Orient évite systématiquement d’employer le mot ‘Église’ à propos des Orientaux séparés. Il y a là le signe d’une mentalité qui ne peut que blesser les séparés et produire l’effet contraire de celui que l’on désire”. 86. Ibid., p. 8: “Il aurait donc fallu souligner non seulement le patrimonium commune, mais l’autonomie de la pensée et de la vie de l’Église dans l’unité indivise”. 87. Ibid., pp. 8-9: “Le vice fondamental de cette partie est de considérer l’union à réaliser sous la forme d’une agrégation de membres séparés à l’Église Romaine: communautés, individus. Elle ne sort pas des perspectives de l’uniatisme et du prosélytisme, au sens où ces termes blessent la sensibilité des Orientaux non-unis, à tort ou à raison. On n’y sent aucun effort réel pour ouvrir un ‘dialogue œcuménique’ dans des perspectives nouvelles”. 88. Ibid., p. 10: “Le concile peut-il approuver un texte qui a toute chance de blesser les Orientaux séparés, plutôt que de les attirer?”. 89. Cf. C.-J. DUMONT, Notes sur quelques points importants commandant les rapports entre Catholiques et Orthodoxes en vue de la restauration de l’unité canonique, in ID., L’Église romaine et le mouvement œcuménique (n. 4), 239-244.
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conviction that psychological factors have played a major role at the time of the schism and continue to do so today90. Many doctrinal differences are also based on theological misunderstandings from either side but it is important to be aware that Orthodox theologians experience them as real differences. They also oppose to the preference for systematization in Latin theology and give priority to “the juridical over the sacramental”91. It is important to substitute a detailed plan of action to occasional initiatives92. First of all the relationship between the Catholic Church and the Orthodox Church has “to thaw and ameliorate”93. According to Dumont the conditio sine qua non, to be followed by “the multiplication of personal contacts at all levels”, is the publication of a conciliar decree or encyclical in which the Catholic Church regrets those events from the past which still hurt the Orthodox today94. Dumont also proposes to suppress two practices which continue to displease the Orthodox: the tradition to offer the see of a diocese in the East to titular bishops and the restauration of the Latin patriarchate in Jerusalem95. In order to work constructively towards the future Dumont proposes that the Catholic Church ceases to stimulate the division among the Orthodox churches but rather their unity, takes concrete steps “to enhance the intellectual, moral and spiritual level of the Orthodox churches” so that the desire for Christian unity is more widely spread among them and, finally, substitutes “an attitude of collaboration to the traditional one of rivalry”96. Dumont does not hesitate to suggest that the 90. Ibid., pp. 236-241. Cf. DESTIVELLE, Conduis-la vers l’unité parfaite (n. 4), p. 85. 91. DUMONT, Notes sur quelques points (n. 89), p. 241. 92. Ibid.: “On ne peut, dans ce domaine, se contenter d’une ‘politique à la petite semaine’: il faut un plan d’ensemble dont les diverses parties se commandent l’une l’autre et dont les résultats positifs ne peuvent être attendus qu’à assez longue échéance”. 93. Ibid.: “1) Dégel et amélioration des relations entre Église catholique et Église Orthodoxe”. 94. Ibid.: “La première condition sine qua non, nécessaire mais non suffisante, est la publication d’un document officiel (décret conciliaire ou encyclique) exprimant clairement et publiquement un regret formel des événements du passé dont le souvenir entretient, chez nos frères Orthodoxes, un sentiment de rancune et d’amertume contre leurs frères catholiques et contre l’Église catholique comme telle. (…) Le silence du concile sur ce point serait inévitablement interprété, du côté orthodoxe, comme une volonté arrêtée de l’Église catholique de persister dans ses ‘errements’ passés”. In the accompanying letter to Bea he deplored that this theme has not been touched in the revised De Oecumenismo (DUMONT, Notes sur quelques points [n. 89], p. 238). Dumont’s suggestions, though not the proposed order, may have inspired the historic meeting of Pope Paul VI and Ecumenical Patriarch Athenagoras I on January 6, 1964 and the Joint Catholic-Orthodox Declaration of December 7, 1965. Cf. DESTIVELLE, Conduis-la vers l’unité parfaite (n. 4), p. 80: “Cette Note contribua très largement à inspirer la levée des anathèmes deux ans plus tard”. 95. DUMONT, Notes sur quelques points (n. 89), p. 242: “2) Suppression de certains motifs de mécontentement”. 96. Ibid., p. 243: “3) Principes d’une action constructive en vue de l’unité: a) Ne pas chercher à diviser entre elles les Églises Orthodoxes mais au contraire jouer près d’elles
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way of uniatism, which is experienced as an obstacle by the Orthodox, is better no longer “pursued for itself”97. He still is convinced, however, that the existing Eastern Catholic churches play a crucial role towards Christian unity by merely showing that the liturgies, institutions and theologies of the East have their legitimate place in the Catholic Church98. He invites them, however, to make an end to their continuous opposition to the Orthodox churches and to collaborate with them without looking for benefits99.
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IV. THE CRITIQUE OF DE ECCLESIA AND DE OECUMENISMO BY OBSERVERS AND THE ECUMENICAL AVANT-GARDE IN SESSION TWO
The second session started with an intensive plenary discussion of the revised De Ecclesia, which lasted from September 30, 1963 till October 31 and comprised 23 of the 45 general congregations. After an ‘interlude’ on the De Episcoporum ac de dioecesium regimine the Council discussed De Oecumenismo from November 18 till December 2. Both topics were of great interest to the observers, who discussed both themes during 6 weekly sessions organized by the Secretariat100. 1. The Observers As of this session the Greek-Orthodox lay theologian Nikos Nissiotis attended the Council as an observer on behalf of the World Council of Churches. In his opinion the first chapter of De Ecclesia gives some attention to pneumatology but the absence thereof in the remainder of the le rôle d’un ferment de cohésion et d’unité; b) Contribuer à élever le niveau intellectuel, moral et spirituel des Églises Orthodoxes, c’est les rendre plus accessibles au désir de l’unité et plus disponibles à sa réalisation; c) Substituer à l’attitude habituelle de rivalité une attitude de collaboration confessionnellement désintéressée”. 97. Ibid., p. 244: “Cette voie ne mènera jamais à une solution d’ensemble, bien plus elle y fait positivement obstacle; il vaut donc mieux ne pas la poursuivre pour elle-même”. 98. Ibid.: “Les Églises unies existantes ont un rôle essentiel à jouer en faveur de l’unité en faisant valoir, au sein de l’Église catholique, le plein ‘droit de cité’ des traditions orientales (liturgie, institutions, théologie)”. 99. Ibid.: “C’est l’état actuel de rivalité qui fait apparaître les Églises unies comme une arme (déloyale) de guerre contre l’Orthodoxie qu’elles tendent à désagréger. Une attitude générale de collaboration désintéressée pourrait revaloriser les Églises unies aux yeux des Orthodoxes eux-mêmes”. 100. The transcripts of the meetings are kept in AAV, b. 1469. See also P. DE MEY, The Role of the Observers during the Second Vatican Council, in St. Vladimir’s Theological Quarterly 60 (2016) 33-51 and ID., Non-Catholic Observers at Vatican II, in C.E. CLIFFORD – M. FAGGIOLI (eds.), Oxford Handbook of Vatican II, Oxford, Oxford University Press (forthcoming).
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constitution “is an unfortunate sign of the traditional Roman approach to ecclesiology”101. If the constitution pays some attention to the collegiality of bishops, then this seems to have been compensated by “twenty-seven references to the primacy”102. In a conversation with Hébert Roux and Nissiotis Congar tries to mitigate their disappointment and “explained to them that one can just as well take things from a critical point of view as from a positive one. One can see all that is missing: there has been no radical re-thinking. One can see the immense progress that has been made”103. A few days later Nissiotis and Schmemann explain that the texts dealing with ecumenism are as such “not very important: an anthropology and a pneumatology in De Ecclesia would be the most positive ecumenical step”104. The most substantial criticism on De Oecumenismo is found in a reaction written by the Reformed observer and representative of the World Council of Churches, Lukas Vischer, and signed by among others Nissiotis105. The ecclesiology of elements in chapter one is criticized for “the non-Roman Churches are not understood from within, but are judged in terms of the measure of their agreement with the Roman Catholic Church”106. As a result of this the WCC observers evaluate the description of the Orthodox churches and of the churches issuing from the Reformation in chapter three as “obstructive for the development of the dialogue” and thus would be in favor of a complete omission of this chapter107. They therefore wonder whether “the Roman Catholic Church really is in a position at present to draw up an ecumenical program”108. 2. The Ecumenical Avant-garde In their private conversations the ecumenical avant-garde sometimes could also sound very critical about the lack of ecumenical openness of many Council fathers. On October 25 Congar reports a complaint by Bishop 101. N.A. NISSIOTIS, Ecclesiology and Ecumenism of the Second Session of the Vatican Council II, in Greek Orthodox Theological Review 10 (1964) 15-36, p. 19. Cf. P. DE MEY, Vatican II comme style œcuménique? De Ecclesia et De Oecumenismo évalués par des théologiens non catholiques, in J. FAMERÉE (ed.), Vatican II comme style. L’herméneutique théologique du Concile, Paris, Cerf, 2012, 149-186, p. 156. 102. NISSIOTIS, Ecclesiology (n. 101), p. 28. 103. CONGAR, Journal (n. 23), p. 357 (14.10.1963). 104. Ibid., p. 367 (17.10.1963). 105. The original text Bemerkungen zum Schema De oecumenismo and its translation Remarks on the Schema De Oecumenismo are found in the archive of Moeller, which is kept at the UC Louvain, n° 440 and n° 1946. 106. Remarks on the Schema De Oecumenismo, p. 3. 107. Ibid., p. 9. 108. Ibid., p. 1.
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Edelby that the continuous obstruction by the Congregation for the Oriental Churches makes it difficult to improve the ecumenical quality of De Ecclesiis Orientalibus 109. Dumont and Lanne immediately mentioned “that things are exactly the same at the Eastern sub-commission of the Secretariat for Unity”110. One private note by Lanne, a document written by Dumont and Lanne on behalf of the secretariat for Christian Unity of the Catholic Church in France and a document written by Dumont on behalf of the Pope discuss the same topic of how the Council could best prepare for a dialogue with the Orthodox churches. The pages by Lanne may even have been written prior to the start of the second session111. He realizes that the part of chapter three dealing with the churches of the East has been “severely mutilated” compared to the version drafted by their sub-commission and he is no longer sure that it is still a document which is able to support the future dialogue112. Abandoning the idea of writing a decree on ecumenism would seem a better option to him than closing the door to the dialogue because of a document which is unacceptable to the Orthodox113. If the Council wants to maintain a chapter on relations with the churches of the East the following do’s and don’ts need to be taken into account: the mystery of the Church should be explained by making use of the language of communion; historically Rome is not the mother of all churches; it is possible to pay more attention to the local Church without abandoning the idea of a universal 109. CONGAR, Journal (n. 23), p. 379 (25.10.1963). 110. Ibid. See also a one page Pro memoria by Lanne dated 14.10.1963 and kept in his private archive: “– Les Églises orientales catholiques ne représentent pas (à de rares exceptions près) une conception authentiquement orientale et ne sont pas valables pour un dialogue avec les Orientaux séparés. – La section orientale du Secrétariat n’est guère plus préparée à ce dialogue (les 3 évêques qui y sont). – L’Église catholique n’est pas prête à un dialogue avec l’Orient. – En tout cas, le travail du Concile à travers Commission Orientale et Secrétariat ne doit pas fermer les portes au dialogue ou le rendre plus difficile par manque de préparation. – Il y a cependant certains théologiens valables: organisations, Chevetogne, Istina, Melkites”. 111. Pro Memoria: Crainte grave éveillée par certains schémas et par la composition et le code de travail de certains organismes conciliaires quant à l’ouverture du dialogue avec les Églises Orthodoxes, 3 p. The anonymous document is found in the archive of Lanne and is ascribed to him in DECLERCK, Inventaire (n. 59), p. 70. The document contains, however, also theses that have been regularly defended by Dumont. 112. Pro Memoria (n. 111), p. 1: “Son projet a été sévèrement mutilé lorsqu’il est passé devant la Commission de coordination au point de ne plus répondre entièrement au but proposé: rendre possible un dialogue avec les Orthodoxes”. 113. Ibid., p. 2: “Mieux vaudrait ne pas aborder du tout ce problème que de le faire en termes qui fermeraient la porte au dialogue”.
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Church protected by the successor of Peter; the document should highlight the proper history, traditions, theology and spirituality of the churches of the East; these churches do not need to ‘return’ to the Catholic Church and thus the ecumenical problem should be discussed differently for Protestants and for Orthodox114. In the document asked for by Mgr Martin of Rouen in his capacity of president of the ecumenical office of the Catholic Church in France, Dumont and Lanne focused on the quality of the dogmatic constitution on the Church to answer the question whether the Catholic Church is ready for a fruitful dialogue with the Orthodox115. The new attention for episcopal collegiality in the schema is as such promising for the dialogue with the Orthodox, but not if papal primacy is continuously reaffirmed as well. Lanne and Dumont are afraid that it would make no sense to start a dialogue with the Orthodox under such circumstances. In their note they, first of all, remind Catholic ecumenists that the East will only be able “to recognize the major and decisive role of the see of Rome within the universal Church” if episcopal collegiality is truly practiced116. The start of a fruitful dialogue with the Orthodox depends on the successful implementation of three conditions. First of all the revised De Ecclesia should be cleaned of all unnecessary references to papal authority. By “distinguishing between the principle of a primacy of divine right and the modalities to exercise this primacy” it should furthermore be possible to better perceive the relationship between primacy and collegiality117. On top of that 114. Ibid., pp. 2-3. 115. C.-J. DUMONT – E. LANNE, Le Concile s’apprête-t-il à rendre possible ou impossible un dialogue avec les Églises Orthodoxes?, 13.10.1963, 3 p. I consulted the document in Moeller’s archive at UC Louvain (n° 00438). The letter sent by Dumont to Cardinal Bea on the same day and kept in the archive Lanne in Chevetogne is actually a copy of this document with a supplementary warning that the decree prepared by the Oriental Commission “might constitute a new obstacle to the reunion”. Cf. C.J. Dumont à Cardinal Bea, 13.10.1963, p. 4. 116. DUMONT – LANNE, Le Concile (n. 115), p. 1: “Le fait capital de l’importance reconnue en Orient au principe et à l’exercice effectif de la collégialité épiscopale, en tant qu’élément imprescriptible de la tradition apostolique. C’est dans le cadre de cette collégialité, et dans ce cadre seulement, que l’Orient a reconnu jadis – et pourrait être prêt à reconnaître de nouveau – le rôle majeur et déterminant du siège de Rome dans l’Église universelle”. 117. Ibid., p. 3: “Il s’agit essentiellement de distinguer entre le principe d’une primauté d’institution divine et les modalités d’exercice de cette primauté. (….) C’est ici, précisément, que peut et doit s’insérer un principe de liaison entre primauté et collégialité. Ce lien: a) ne peut consister en une simple délégation de pouvoir au primat par le collège; b) il doit sauvegarder le contenu effectif d’une primauté réelle et non de simple préséance honorifique; c) mais, ce contenu étant sauf, les modalités ou déterminations canoniques de la primauté peuvent et doivent être fixées d’un commun accord entre les parties”.
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the collegial exercise of authority should become institutionally visible at all levels within the Latin Church118. On October 25 Dumont informs Congar that the Secretariat had asked him to write a note on the same theme119. The author completes this task on December 6 in order to integrate remarks by many Orthodox readers120. Among the topics to be discussed in such a dialogue among equals are the model of unity, since the Orthodox cannot accept the view that they are “separated from Rome” and the painful issue of uniatism121. In view of theology and ecclesiology the Orthodox hope that the Catholic Church gradually will be able to make a fourfold move: “from the juridical to the sacramental, from authority to mystery, from an abstract to a concrete understanding of the notion of the universal Church, from a rigid government to a flexible re-articulation of a relationship among patriarchates”122. 118. Ibid.: “Créer ou remettre en vigueur dans l’Église catholique (latine) les organismes et institutions donnant consistance à l’exercice collégial de l’autorité dans l’Église aux divers échelons, en vue d’une hiérarchisation de cette autorité”. In 2013 Pope Francis had to remind the Catholic Church in Evangelii gaudium of the famous invitation which Pope John Paul II had addressed to the leaders of other Christian churches and communities in his 1995 encyclical Ut unum sint to help him find “a way of exercising the primacy which, while in no way renouncing what is essential to its mission, is nonetheless open to a new situation”(§ 95). Since he realized that “we have made little progress in this regard” (§ 32) he has since then regularly pleaded for a stronger practice of synodality in the Catholic Church. 119. CONGAR, Journal (n. 23), p. 379 (25.10.1963): “On this subject, Fr Dumont told me that the Secretariat had asked him for a report to submit to the Pope on ways of approaching the Orthodox. Fr Dumont thinks, as I myself do, that it would be necessary to implement to the maximum, in fact, the deep community of the Churches, and that reunion will come about in life before it is declared”. Cf. DESTIVELLE, Conduis-la vers l’unité parfaite (n. 4), p. 82. 120. C.-J. DUMONT, Note sur les conditions d’un dialogue éventuel entre les Églises Orthodoxes et l’Église romaine, in ID., L’Église romaine et le mouvement œcuménique (n. 4), 271-277, p. 277. 121. Ibid., pp. 272-274. 122. Ibid., p. 275: “… un passage constant et équilibré (a) du juridique au sacramentel; (b) de l’autorité au mystère en matière dogmatique; (c) de l’universel abstrait – ou conceptuel (dans l’exercice du principe pétrinien ou primatial, sous les espèces d’une centralisation juridique) à l’universel concret vécu dans la pluralité et la diversité réelle des Églises locales; (d) d’un gouvernement rigide à une ré-articulation souple de l’Orient orthodoxe (signifié par les divers Patriarcats et le Patriarcat œcuménique) au Patriarcat d’Occident (Rome)”. On October 16 the Melkite bishop Zoghby defended the ecclesiological importance of the institution of the patriarchate during the discussion on De Ecclesia. His intervention had been prepared by four periti. The Benedictine superior general and Council father Johannes Hoeck, who had in vain tried to have his ideas inserted in De Ecclesiis Orientalibus, was assisted by the Melkite Oreste Kéramé, Olivier Rousseau and Jean Daniélou. Cf. EDELBY, Souvenirs (n. 2), p. 191 (10.10.1963) and p. 200 (16.10.1963). Cf. AS II/2, 615-618. This intervention would form the basis of an important addition to LG 23 realized during the next intersession. Cf. LANNE, Le rôle du monastère de Chevetogne (n. 35), pp. 379-380 and O. ROUSSEAU, «Divina autem Providentia…». Histoire d’une
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As of the start of the dialogue, however, the Orthodox will expect “the healing of the psychological climate, an attitude of trust which itself is conditioned by the absence of confessional interest and an attitude of sincere repentance”123. The new relationship will become concrete through personal relations between bishops, the exchange of letters, theological and pastoral consultations but Dumont even hopes for an adaptation of the diptychs and for “a progressive reciprocal enlargement of the possibilities of a communicatio in sacris”124.
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V. FINAL ATTEMPTS TO IMPROVE THE ECUMENICAL QUALITY DE ECCLESIA, DE OECUMENISMO AND DE ECCLESIIS ORIENTALIBUS IN THE SECOND INTERSESSION AND SESSION THREE
1. De Ecclesia The ecumenical avant-garde became concerned about the ecumenical quality of the dogmatic constitution on the Church after reading the thirteen suggestions which the Pope had sent to the Theological Commission on May 19, 1964125. In the opinion of Congar “this is the sort of ecclesiology which renders union with the Orthodox completely impossible”126. Several members and experts of the majority in vain tried to diminish “the kinds of difficulties the question of collegiality raised in the mind of Paul VI”127. Fr. Duprey from the Secretariat for Christian Unity is worried about that part of the subsistit in phrase which mentions that the Catholic Church is phrase de Vatican II, in Ecclesia a Spiritu Sancto edocta. Mélanges théologiques. Hommage à Mgr Gérard Philips (BETL, 27), Gembloux, Duculot, 1970, 281-289. 123. DUMONT, Note (n. 120), p. 276: “Les résultats pratiques – qu’ils soient immédiats ou différés – dépendront vraisemblablement, pour les Orthodoxes, de trois conditions à vérifier dès le commencement du dialogue et même dès les pourparlers qui le mettront sur pied: (a) l’assainissement du climat psychologique (…); (b) une attitude de confiance, conditionnée elle-même par une attitude de désintéressement confessionnel; (c) une disposition de repentir sincère portant non seulement sur les faits historiques mais sur les jugements injustes portés à la légère et avec partialité sur la doctrine et les autres éléments de la tradition orientale”. 124. Ibid., p. 277: “un élargissement progressif réciproque des possibilités de communicatio in sacris”. 125. AS V/2, 507-509. Cf. E. VILANOVA, The Intersession, in G. ALBERIGO – J.A. KOMONCHAK (eds.), History of Vatican II, vol. 3, Maryknoll, NY, Orbis; Leuven, Peeters, 2000, 347-492, pp. 420-425. 126. CONGAR, Journal (n. 23), p. 499 (2.6.1964). 127. VILANOVA, The Intersession (n. 125), p. 423. After congratulating the Pope on the ecumenical openness he has shown towards the patriarchs of the East, Congar in vain tried to explain to Paul VI that these gestures were inspired by “an ecclesiology that has not yet been worked out, an ecclesiology of communion, in which the Church would be seen as a communion of Churches”. Cf. CONGAR, Journal (n. 23), p. 520 (8.6.1964).
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“governed by the successor of Peter and the bishops in communion with him” (LG 8). Duprey fears that “this text will have a negative and destructive impact on the hard work currently being done with the East”128. The list of modi prepared by Congar together with two Dominican confreres, Henri-Marie Féret and Bernard Dupuy starts with proposing three alternative formulations for the same phrase129. By the end of October Congar sadly observes that his modi had been ignored in the Theological Commission, even if he understood that Philips had to make sure that the minority would vote in favour for the Dogmatic constitution130. He is also very much worried about the impact of the Nota Explicativa Praevia on the dialogue with the Orthodox131. 2. De Oecumenismo Congar had commented on the decree on ecumenism after it had received its final shape during the second intersession132. In his opinion some passages on other faith communions perhaps sound even too optimistic133. He repeats his positive judgement: “the vote of this text by the 128. Ibid., p. 501 (2.6.1964). See also ibid., p. 505 (3.6.1964) and p. 511 (5.6.1964). 129. ‘Modi’ souhaitables dans le De Ecclesia, s.d., 6 p. I consulted the document in the Philips archive, KU Leuven, n° 1824. The introduction states: “Le texte n’honore pas l’ecclésiologie orientale. Il semble exclure les Orthodoxes de l’Église (to unchurch the Orthodox); ce qui n’est nullement son intention. Il ferait difficulté au point de vue œcuménique”. Cf. ibid., p. 1. Dupuy was also involved in the preparation of a series of similar modi submitted by the Melkite bishops Edelby and Zoghby. Cf. EDELBY, Souvenirs (n. 2), p. 258 (14.9.1964) and p. 259 (15.9.1964). 130. CONGAR, Journal (n. 23), p. 596 (26.10.1964): “I was sad to see that the modi that we prepared and had proposed did not get through at all. I was upset and discouraged by this. It is true that the pressure from the anti-collegialists and the pro-papalists (maximalists for papal power) was so strong that it was against it that Philips chiefly directed his efforts”. Ibid., p. 598 (28.10.1964): “In the end, not a single one of our modi has gone through up until now. Those that seemed to us advisable, even necessary, in order to keep the text open to the Orthodox did not get through any more than the others. Philips has not enough sensitivity for this”. 131. Ibid., p. 624 (14.11.1964): “We had presented three or four modi to preserve the ecclesiological opportunities of the Orthodox in the De Ecclesia, especially in Chapter III, but also in other places. I have gone to a lot of trouble to distribute these modi everywhere; Fr. Duprey drew up some explanations which I signed and had roneoed. However, Mgr Charue and Philips have not taken account of them. Now, an NB has been added at the beginning of Chapter III saying that the Council does not invalidate the de facto situation of the Orthodox; the task of looking for explanations is left to theologians… This note has hurt me very much. (…) Mgr Colombo said to me: it was all that could be done now. [Is that certain?] It will be for a later Council!!! That did not satisfy me. I am afraid that our De Ecclesia will create a new obstacle on the path to rapprochement”. 132. Y. CONGAR, Le nouveau texte du schéma «De Oecumenismo», 21 p. I consulted this document in AAV, b. 1432. 133. Ibid., p. 1.
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Council will be an act which creates a new situation of which the consequences, though not without difficulties, will be globally liberating and beneficial”134. He is especially pleased that intercommunion with the Churches of the East is very much encouraged by the document135. During the third session Congar only gets worried about the fate of the Decree on ecumenism when hearing about the papal interventions136. But he is able to calm down during the concluding ceremony: “It was for a mystical reason that I decided to go to St Peter’s this morning: to participate in the grace and the occasion of the Council at its most decisive moment. This time, there is no dogma. (…) But there will be the two great acts of the De Ecclesia and the De Oecumenismo. I wanted to participate in that at the top, just as I had at the bottom – and in the splendour, as I had participated in the sweat and the tears”137. 3. De Ecclesiis Orientalibus Just before the start of the debate in aula on De Ecclesiis Orientalibus on October 15 Dumont and Lanne took several initiatives to prevent the (immediate) promulgation of this decree. Even after the revisions by the 134. Ibid., p. 2: “Nous redisons ici ce que nous avions écrit au sujet de la première rédaction: le vote de ce texte par le Concile sera un acte créateur d’une nouvelle situation et dont les conséquences, si elles ne vont pas sans difficultés, seront, au total, libératrices et bénéfiques”. 135. Ibid., p. 8: “Beaucoup pensent (nous en sommes) que l’union avec les Orthodoxes suppose comme moyens ou voies d’accès, non seulement les explications théologiques, certes indispensables, mais une actualisation, via facti, de la réelle proximité, parenté, sinon même identité substantielle (sous des diversités qu’il faudra respecter) de la structure religieuse des deux Églises. C’est en exerçant des échanges concrets, des moments de vie ensemble dans la confiance et le respect mutuel, sans la moindre visée de prosélytisme confessionnel, que les deux Églises, actualisant jusqu’à l’imposer à la conscience du peuple chrétien leur réelle unité substantielle, se redécouvriront une…”. 136. CONGAR, Journal (n. 23), p. 632 (19.11.1964): “Ecumenism is in question. Since the beginning of the week, there has been a concerted effort around the Pope to stop its being proclaimed. Yesterday evening, it was even settled. In the end, the Pope is going to make a certain number of modifications to the text. This text was to be printed tonight, to be distributed tomorrow morning. We’ll see”. Congar comments in detail about one change affecting the relationship with the Orthodox. Ibid., p. 635: “It is no longer said that the Eastern Churches have ‘ius et officium se secundum proprias disciplinas regendi’ [the right and duty of governing themselves according to their own disciplines] but only facultatem [the ability]. The Pope (for it comes from him) wants the Eastern Churches to depend on him and not have, of themselves, an internal right of self-government. The whole thing clearly debases the De Oecumenismo, and impairs what was rather good about it: its unhesitating, unreserved ecumenical spirit. Now, a little of what is given is taken back in the very moment of giving it: hesitations are introduced in the very movement that is made towards the others. It is undeniable that this morning was catastrophic from the point of view of the ecumenical climate”. 137. Ibid., p. 639 (21.11.1964).
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Oriental Commission the text remains problematic for future ecumenical relations with the Orthodox Churches138. Since the Council had approved the decree on ecumenism in principle at the end of the Second Session, a mixed commission should revise De Ecclesiis Orientalibus in the light of De Oecumenismo. The Council has, moreover, already agreed that “the churches of the East have the right to govern themselves according to the disciplines proper to themselves” (UR 16). It should take the consequences of this seriously and “refuse to legislate for the Churches of the East”139. Differently from LG 15 and from the Decree on Ecumenism this decree only treats about the Orthodox as individuals and Dumont and Lanne also deplore that the weak section on the Patriarchs has not been developed against the background of an ecclesiology of communion140. The periti of the Secretariat were of the opinion that the three excellent sections of this decree – dealing with “the duty of the Orientals to preserve their rite of origin, mixed marriages and communicatio in sacris” – could be integrated in the ecumenical directory which the Secretariat for Christian Unity was planning141. The ecumenical ‘avant-garde’, however, was also internally divided on what would be the best solution for this decree. The Melkites decided on October 18 to support the document after trying to enhance the ecumenical quality through submitting modi142. 138. Dumont & Lanne to Cardinal Bea, 11.10.1964, 2 p., as found in the archive Lanne: “La promulgation d’un texte tel que celui qui va être proposé, même avec les amendements que la Commission Orientale vient d’y insérer, aurait, au dire des observateurs orthodoxes et de multiples Pères du Concile, un retentissement très fâcheux sur les relations souhaitées avec les Églises orthodoxes”. 139. Observations sur le Décret De Ecclesiis Orientalibus, s.d., 6 p., p. 5: “Cette déclaration solennelle ne doit pas rester un vain mot, mais elle doit se traduire par des actes concrets, c’est-à-dire par un refus de légiférer pour les Églises Orientales. Cette attitude pourra avoir des inconvénients réels pour les Églises Orientales Unies qui attendent du Concile certaines dispositions en leur faveur, mais il s’agit là, non d’un manque d’intérêt à leur égard, mais d’un acte de loyauté œcuménique vis-à-vis tout l’Orient chrétien. Il s’agit de respecter l’autonomie reconnue et affirmée des Églises Orientales qui doivent pourvoir par elles-mêmes à leurs problèmes intérieurs”. This note, preserved in the archive Lanne, was requested by ecumenical representatives of three episcopal conferences. 140. Ibid., p. 3. 141. Ibid., p. 1: “Les textes proposés à l’approbation du Concile sur le devoir des Orientaux de conserver leur propre rite d’origine, sur les mariages mixtes et sur la communicatio in sacris ont été élaborés pour répondre à des nécessités réelles de l’Orient catholiques et l’esprit qui a présidé à leur rédaction fait montre d’une véritable compréhension des requêtes légitimes de nombreuses communautés orientales catholiques”. 142. EDELBY, Souvenirs (n. 2), p. 287 (18.10.1964): “L’après-midi, une réunion de travail groupe à ‘Salvator Mundi’, Mgr Zoghby, Mgr Edelby, les PP. Kéramé, Rousseau, Lanne et Nijmé. On y décide l’attitude à conseiller aux pères du Concile au moment du vote du schéma sur les Églises orientales. A l’unanimité, on croit devoir soutenir le schéma en général comme base de discussion, quitte à y apporter des modifications pour l’améliorer. On imprime 2000 feuilles dans ce sens pour les distribuer demain aux pères du Concile”.
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Congar is surprised that Lanne is campaigning against the promulgation of the decree143. 4. Is the Council Ready for a Fruitful Dialogue with the Orthodox according to the Ecumenical Avant-garde? The final document to be discussed in this chapter is a concrete proposal of the topics to be discussed after the start of the official dialogue between both churches written by Congar on October 23, 1964144. Congar believed that the dialogue should start from “the deep affinity between both churches” since, “despite the rupture of communion, really and profoundly there exists one Church”145. As topics he proposes to deal about the place of Tradition, the role of the divine Liturgy, the continuity of the Church in relation to Word and Spirit, the apostolicity of the Church, theological anthropology, the theology of the Holy Spirit, the patriarchates and Church as communion. He proposes to start from what both churches have in common and only thereafter to treat about more difficult subjects such as that of the papacy. Almost in passing he insists that a more positive reception of Orthodox ecclesiology should precede the promulgation of De Ecclesiis Orientalibus146. 143. Congar hears about this on October 24 through Dupuy: “It seems that Fr Lanne campaigned for the rejection of the schema. He never said anything to me and I was entirely ignorant of the paper in which he explained himself”. Cf. CONGAR, Journal (n. 23), p. 593 and LANNE, Le rôle du monastère de Chevetogne (n. 35), p. 386. 144. CONGAR, Journal (n. 23), p. 585 (19.10.1964): “Nissiotis me dit: faites un papier sur les points qui devraient être abordés dans un dialogue théologique entre Orthodoxes et Rome et sur l’ordre à suivre (lesquels à mettre d’abord). Il me promet de proposer cela à Rhodes, au Pro-synode et, dit-il, venant de moi, cela sera reçu. Car on me connaît bien et on sait que j’ai toujours servi la vérité, hors tout esprit de complaisance ou de controverse”. Cf. Rapport du P. Y.M.-J. Congar sur les sujets à aborder dans un Dialogue théologique à entreprendre entre représentants de l’Église Orthodoxe et représentants de l’Église catholique romaine, 23.10.1964, 2 p. This document is being preserved in the Congar archive, YC 0612. 145. Rapport du P. Y.M.-J. Congar (n. 144), p. 1: “Il faut, en vue d’un rapprochement qui ouvrirait la voie au rétablissement de la Communion, actualiser au maximum l’affinité profonde des deux Églises, tant au plan de la vie ou de la pratique, qu’au plan de la pensée théologique. Et ceci dans la conviction, qui est la mienne, qui est celle, généralement des théologiens catholiques connaissant et aimant l’Orient, et qui semble avoir présidé à la rencontre historique de S.S. Paul VI et de S.S. le Patriarche Athénagoras à Jérusalem, à savoir que, malgré la rupture de la Communion, il existe réellement et profondément une Église”. 146. Ibid., p. 2: “Ce dernier Décret, renvoyé pour nouvelle élaboration à la Commission, au moment où j’écris ces pages, devrait ne pas être conclu avant qu’on ait recueilli la pensée des Églises Orthodoxes”. Cf. CONGAR, Journal (n. 23), p. 595 (26.10.1964): “De Ecclesiis Orientalibus should not be promulgated before dialogue has been entered with the Orthodox”.
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CONCLUSION My analysis of a number of mostly unpublished position papers which Catholic ecumenists like Yves Congar, Christophe-Jean Dumont and Emmanuel Lanne wrote from 1959 till 1964 revealed that they have tried to influence the redaction history of De Ecclesia, De Oecumenismo and De Ecclesiis Orientalibus with the sole intention to promote and not to render impossible the future dialogue with the Orthodox. In an important overview article published in 2000 Joseph Famerée, a specialist of the work of Congar147, started where we have concluded our study. The third pan-Orthodox conference in Rhodes had accepted to prepare the dialogue with the Catholic Church but first wanted to make sure “to create favourable circumstances and study the different subjects of the dialogue”148. It would almost take two more decades before the launch of the official dialogue, because “one had to start by disarming the attitudes of distrust of the past and create an enduring climate of authentic confidence”149. Faculty of Theology and Religious Studies KU Leuven Sint-Michielsstraat 4 / 3101 BE-3000 Leuven Belgium [email protected]
Peter DE MEY
147. Cf. J. FAMERÉE – G. ROUTHIER, Yves Congar, Paris, Cerf, 2008. 148. J. FAMERÉE, Le dialogue catholique-orthodoxe. Bilan et perspectives, in RHE 95 (2000) 504-521, reprinted in Ecclésiologie et œcuménisme. Recueil d’études (BETL, 289), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2017, 407-422, p. 409, n. 11: “Relevons, par exemple, la mission patriarcale envoyée à Rome pour communiquer les décisions de la troisième conférence panorthodoxe de Rhodes et l’allocution prononcée à cette occasion, le 16 février 1965, par le métropolite Méliton de Hilioupolis et Theira devant le pape. L’évêque orthodoxe y annonce que la troisième conférence panorthodoxe a établi un programme de dialogue avec l’Église catholique romaine, dont la première étape est la préparation générale par la création de circonstances favorables et l’étude des divers sujets du dialogue, ainsi que l’intensification des relations (le dialogue de la charité); il s’agira ensuite, en temps opportun, de commencer un dialogue théologique fructueux”. 149. Ibid., p. 410: “Pourquoi plus de vingt ans de délai entre la reprise officielle des contacts et le début de la discussion ‘idéologique’? C’est qu’il faut commencer par désarmer les méfiances invétérées et faire naître un climat durable d’authentique confiance. À cette fin, un long apprivoisement est nécessaire: un dialogue d’amitié. Il faut laisser du temps au temps pour que cette dernière s’enracine, pour que les préjugés tombent, pour que certaines blessures du passé guérissent…, enfin pour que l’autre apparaisse sous son vrai jour et non plus sous une forme caricaturale. Se fréquenter, agir et prier ensemble, adopter une attitude d’humilité et de pardon réciproque, rechercher la conversion personnelle, autant de préalables à tout échange en profondeur”.
LA NOTION DE «THÉOPHANIE» CHEZ JEAN SCOT ÉRIGÈNE UN PARALLÈLE AVEC LA DOCTRINE DE SAINT MAXIME LE CONFESSEUR
Le thème de la théophanie est fondamental chez Jean Scot Érigène. On a pu dénombrer plus de cinquante occurrences de ce terme à travers son œuvre. Or, il recouvre une doctrine particulièrement riche, vigoureuse et audacieuse qui est loin d’être simple. La manifestation de Dieu se déploie, chargée de contrastes et même d’oppositions. Ce thème, malgré sa difficulté, nous apparaît essentiel au plan dogmatique, spirituel et philosophique en ce qu’il touche à la question de la vision de Dieu, primordiale pour la théologie orthodoxe, et longuement débattue dans et entre les deux Églises – d’Orient et d’Occident. Il nous appartiendra, dans cette étude offerte à notre collègue dogmaticien Joseph Famerée, de développer, d’expliciter la pensée synthétique du grand maître carolingien sur la notion de «théophanie» et de tenter d’apprécier dans quelle mesure sa doctrine a été fidèle aux Pères grecs dont les œuvres ont tant modelé sa réflexion, en particulier saint Maxime le Confesseur, l’auteur de la grande synthèse de la théologie byzantine du VIIe siècle. Cela nous permettra d’observer si, au IXe siècle, l’estrangement entre les deux «poumons» de la chrétienté était déjà patent au plan théologique. Après avoir rappelé dans leurs grandes lignes les articulations majeures de la doctrine de l’Érigène sur les quatre divisions de la nature – acquis indispensable à l’approche du thème qui nous occupe – et analysé la démarche gnoséologique sous-jacente, nous présenterons les différents lieux où se manifestent les théophanies: causes primordiales, puis êtres créés non créants, jusqu’au Christ qui est «la théophanie» par excellence; puis nous brosserons un parallèle avec la doctrine de Maxime le Confesseur. Mais il faut tout d’abord retracer en quelques traits la physionomie et l’univers intellectuel du plus génial penseur de la renaissance carolingienne. Né en Irlande dans le premier quart du IXe siècle, représentatif de la culture et du génie du pays de saint Patrick et de saint Colomban, celui qu’on appelle de façon impropre et pléonastique1 Jean Scot Érigène vient 1. Durant tout le Haut Moyen-Âge, le terme «Scot» désignait les Irlandais et l’Irlande avait pour noms synonymes: l’Eriu ou la Scothia. Après l’invasion des Irlandais en Écosse au Ve siècle, cette province s’appelait «petite Scothia». Finalement on en vint à ne plus
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à la cour de Charles le Chauve vers 846-847 sans doute comme maître à l’École palatine. À la demande de l’évêque Hincmar de Reims, il écrit le De Praedestinatione et prend parti pour le libre arbitre dans la querelle sur la prédestination soulevée autour de la doctrine de Gottschalk (855). Charles le Chauve lui suggère de traduire les œuvres de Denys l’Aréopagite. Il développe sa connaissance du grec et traduit puis commente les écrits dionysiens, à l’exception de la Théologie mystique. Puis il traduit vers 862-864 les Ambigua de Maxime le Confesseur et le De hominis opificio de Grégoire de Nysse. De 864 à 866, il écrit son ouvrage capital: les cinq livres du De divisione naturae ou Perifyseon (pour Peri physeon). Plus tard, il entreprit de commenter Denys mais il ne nous reste que son «exposition» de la Hiérarchie céleste. Enfin, il composa un commentaire et une homélie sur l’Évangile de Jean. La date de sa mort est inconnue mais elle avoisine sans doute l’an 870. Il est bon de rappeler l’originalité et l’élévation de l’œuvre de Jean Scot au sein d’une longue période qui, en Occident, va de la mort de Boèce (525) à Anselme de Cantorbéry (1033-1109) et qui représente, dans la doxa de l’histoire de la pensée occidentale, une parenthèse un peu terne. Le fait même d’avoir émergé de la banalité ambiante établit une présomption aujourd’hui presque unanime en faveur de l’Érigène, mais explique aussi la méfiance voire l’hostilité qui entoura son nom durant des siècles. Il n’y a pas eu vraiment d’école érigénienne, cette pensée étant sans doute trop neuve, trop forte pour trouver d’emblée une postérité. Mais on décèle, dès la fin du IXe siècle, une influence de sa pensée qui se poursuit tout au long du Moyen-Âge. On trouve la trace de Jean Scot en général dans l’école de Chartres et chez plusieurs auteurs, parmi lesquels Isaac de l’Étoile, Anselme de Laon, Alain de Lille, Hugues de Saint-Victor. C’est Amaury de Bène qui le compromit en mésinterprétant et simplifiant certaines de ses positions. Le pape Honorius III crut y voir l’expression d’un panthéisme émanatiste et condamna en 1225 le Periphyseon: beaucoup d’exemplaires en furent alors brûlés. Son influence diminua dès lors, mais ne disparut pas pour autant. Maître Eckhart et les mystiques rhénans s’inscrivent dans sa lignée. Ce qui explique tout d’abord le caractère original de l’œuvre de Jean Scot, outre son génie personnel indéniable, c’est qu’il est le premier héritier de la patristique grecque en Occident2. Comme on va le voir, dépositaire désigner par Scots que les habitants d’Écosse, de même que pour les Bretons. Et pour préciser l’origine irlandaise de Jean Scot (contrairement à Duns Scot) on ajouta à partir du XVIIe siècle le surnom d’Eriugena: il apparaît à Oxford en 1681 chez un éditeur anglais. Il serait plus judicieux de nommer notre auteur: Jean Scot ou simplement l’Érigène. Nous utiliserons l’un ou l’autre nom dans cette étude. 2. L’expression est empruntée à E. GILSON, La philosophie au Moyen-Âge, Paris, Payot, 1986, p. 205.
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naturel de la tradition latine (saint Augustin, Boèce, etc.), il a été comme ébloui par sa découverte des Pères grecs et a tenté une synthèse personnelle entre les deux grands courants, sa prédilection allant presque toujours pour la tradition orientale. Y est-il parvenu? L’un des objets de cet article est d’esquisser une réponse à cette question, mais il convient déjà de souligner combien l’entreprise s’avérait audacieuse: s’efforcer d’entrer dans une tradition ecclésiale par le seul canal d’ouvrages théologiques, sans le contact immédiat et plénier avec la vie liturgique. Les trois grands théologiens grecs dont Jean Scot a traduit les œuvres et dont l’influence fut profonde sur son œuvre sont le Pseudo-Denys, Maxime le Confesseur et Grégoire de Nysse. Il cite également un «éminent exégète de l’Écriture sainte, […] Origène», «le grand Origène, cet examinateur très attentif de la nature des choses»3, moins souvent que les précédents, quoique cet auteur exerce peut-être un ascendant plus fort sur sa doctrine, comme on le verra plus bas4. Jean Scot avait donc une connaissance de la littérature patristique grecque vraiment considérable pour un latin de cette époque5. Mais cette culture grecque venait couronner, chez notre auteur, une culture latine de grande qualité: s’étant adonné aux arts libéraux, il a lu les auteurs latins qui les enseignaient: Augustin, Cicéron, mais il a connu aussi Horace et Virgile. D’Aristote, il a pu utiliser les parties de l’Organon traduites par Boèce et, de Platon, il a pu lire le Timée traduit et commenté par Calcidius. En théologie, le Père latin dont l’Érigène invoque le plus souvent les écrits est Augustin d’Hippone, maître incontesté de l’Église d’Occident, puis saint Ambroise dont il admirait le De paradiso (utilisant l’exégèse allégorique conforme à la tradition alexandrine de Philon et d’Origène), et d’autres Pères comme saint Jérôme et saint Hilaire de Poitiers. On voit que son bagage intellectuel et théologique était aussi vaste que varié6. 3. Cf. Periphyseon IV, 16 (CCCM 164, pp. 492-493; PL 122, 818B 13-14); V, 27 (CCCM 165, p. 98; PL 122, 929A 3-4); trad. française par F. BERTIN, De la division de la nature (Épiméthée), Paris, Presses Universitaires de France, 5 t., 1995-2009, ici 4, p. 171; 5, p. 105. H. DE LUBAC a fait remarquer (Exégèse médiévale. T. 1 [Théologie, 41], Paris, Aubier, 1959, p. 241) que le titre de Periphyseon paraît modelé sur le Peri archôn, nom donné à l’ouvrage de jeunesse d’Origène. 4. L’Homélie sur le Prologue de Jean de l’Érigène a d’ailleurs, par le passé, été souvent attribuée par erreur à Origène. Cf. JEAN SCOT, Homélie sur le Prologue de Jean, éd. É. JEAUNEAU (SC, 151), Paris, Cerf, 1969, pp. 50, 55. 5. Cela explique l’étonnement d’Anastase le Bibliothécaire qui parle à Charles le Chauve de ce «vir barbarus, in finibus mundi positus». Cité dans GILSON, La philosophie (n. 2), p. 222. 6. Pour cette courte présentation des sources patristiques de Jean Scot, nous avons utilisé surtout l’introduction par JEAUNEAU de l’Homélie sur le Prologue de Jean (n. 4), pp. 38-42.
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C’est en rassemblant – pour la première fois en Occident – tant de matériaux divers que Jean Scot a élaboré sous la forme d’un patient dialogue entre un maître et son élève, l’«immense épopée métaphysique»7, que constitue le Periphyseon8. I. VUE D’ENSEMBLE DU «SYSTÈME»
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L’ouvrage propose une description complète de l’univers, «ce qui est et ce qui n’est pas», description à la fois théologique et philosophique. Dans les méandres, voire le désordre, d’un développement qui est tout sauf scolastique, mais évoque plutôt les détours propres aux Dialogues de Platon, le lecteur suit une trajectoire «hélicoïdale»9, retrouvant les mêmes thèmes sous un aspect autant de fois renouvelé. Chacun de ces aspects est une vision – Jean Scot dit une theoria, après Maxime – différente de l’univers. Le cheminement de l’auteur n’est pas celui d’un architecte édifiant minutieusement un système grandiose, comme ces belles cathédrales gothiques auxquelles rien ne manque, mais plutôt, pour reprendre l’image de Jean Scot, celui d’un marin pratiquant le cabotage sur mer entre les ports des concepts, la mer désignant ici le réel qu’il s’efforce d’exprimer, attendant «le souffle favorable de l’Esprit divin pour gonfler les voiles de [son] navire»10. Le plan de l’ouvrage est conditionné par l’intuition – empruntée au néoplatonisme – du double mouvement de la «nature»: descente et remontée, dont le point de départ et celui d’arrivée sont identiques: Dieu. Cet aller-retour fournit donc son sens à la répartition de la «nature» en quatre parties distinctes: 1. 2. 3. 4.
celle qui crée et qui n’est pas créée (Dieu en tant que cause suprême de toutes choses), celle qui est créée et qui crée (les causes primordiales de toutes choses), celle qui est créée et qui ne crée pas (les êtres soumis à la génération dans le temps et le lieu), celle qui ne crée pas et qui n’est pas créée (Dieu comme fin ultime de toutes choses)11.
7. L’expression est de GILSON, La philosophie (n. 2), p. 222. 8. Éd. critique par É. JEAUNEAU (CCCM, 161-165), Turnhout, Brepols, 1996-2003. Nous ferons aussi référence à l’édition courante, celle de H.J. FLOSS, publiée par Migne dans sa Patrologie Latine (PL 122, 439-1022). Pour la traduction des passages cités, nous nous appuyons sur la traduction de BERTIN, De la division de la nature (n. 3). 9. L’expression est de JEAUNEAU, Introduction (n. 4), p. 45. 10. Cf. Periphyseon IV, 1 (CCCM 164, pp. 180-181; PL 122, 744A; trad. BERTIN 4, p. 54). 11. Cf. Periphyseon I, 1 (CCCM 161, pp. 3-4; PL 122, 441B-442A; trad. BERTIN 1, p. 66).
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Les cinq livres du Periphyseon ou De divisione naturae développent cette quadripartition. Le plan – chargé de digressions – donne à la lecture de l’œuvre l’impression d’une traversée maritime ponctuée de nombreux accostages. Remarquons d’emblée que le terme natura s’entend, chez Jean Scot, de façon singulière, puisqu’il regroupe toute la réalité créée et incréée: ce simple choix d’ordre conceptuel témoigne d’un indiscutable monisme ontologique tributaire du néoplatonisme. Nous serions tentés de voir dans la structure de son grand ouvrage l’organisation d’une pensée dialectique qui s’efforce d’articuler l’ensemble du réel, de même qu’en sciences physiques, une théorie s’efforce avant tout d’expliquer une partie de l’univers par une modélisation qui n’est qu’une approche, une approximation commode et ingénieuse. Or, justement, le double mouvement de la dialectique (descente = «division» et remontée = «résolution» ou «analyse») n’est pas pour l’Érigène une règle formelle de la pensée, encore moins une construction de l’esprit. C’est pour lui la loi même des êtres. L’univers est vu à travers une «ontologie dialectique»12 qui s’impose comme vraie à la raison, parce que la raison la découvre dans l’essence des choses. La doctrine du moine irlandais n’est donc pas une logique mais une physique ou plutôt, comme il le dit lui-même, une «physiologie»13. Il ne s’agit pas davantage d’un exposé des grandes phases du devenir historique du monde. Non pas que Jean Scot ne se soucierait pas de l’histoire à la suite des néoplatoniciens: il croit à l’historicité des grands évènements – Incarnation, résurrection du Christ – attestés dans le symbole de foi. Mais ce qui le préoccupe, c’est la contemplation des deux pôles métahistoriques entre lesquels s’inscrit le double mouvement de la descenteprocession (processio, πρόοδος) et de la remontée-retour (reditus, ἐπάνοδος ou conversio, ἐπιστροφή): à l’origine, les causes primordiales unifiées dans le Verbe; au terme, le retour de toutes choses en Dieu qui «sera tout en tous», selon le mot de l’Écriture (1 Cor 15,28)14. L’Érigène semble bien conscient du fait que sa quadruple partition l’amène pour ainsi dire à séparer Dieu en deux formes (1re et 4e division). Il s’en explique néanmoins en affirmant retenir les quatre formes comme un cadre doctrinal relativement satisfaisant, mettant en évidence la dynamique interne de la natura – non pas une simple description statique. 12. Cf. C. ERISMANN, L’homme commun. La genèse du réalisme ontologique durant le haut Moyen Âge (Sic et Non), Paris, Vrin, 2011, p. 223. 13. Periphyseon IV, 1 (CCCM 164, pp. 174-175; PL 122, 741C; trad. BERTIN 4, p. 51: «philosophie de la nature»). 14. Periphyseon V, 8 (CCCM 165, p. 24; PL 122, 876B; trad. BERTIN 5, p. 32).
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II. RAISON ET CONNAISSANCE CHEZ JEAN SCOT Aborder la méthode que suit le maître irlandais dans son élaboration doctrinale ne constitue pas une sorte de parenthèse, mais, par l’exploration de ses présupposés d’ordre épistémologique, nous conduit, à travers sa théorie de la connaissance, au cœur même de notre sujet. Bien avant Anselme de Cantorbéry, il est singulier de voir avec quelle hardiesse Jean Scot tente de définir les droits et le rôle de la raison. Aussi bien dans son exégèse de l’Écriture que dans l’utilisation des auctoritates, qui aident à l’intelligence de l’Écriture, c’est la recta ratio (ou la sana, la vera ratio) qui décide en dernière analyse du sens véritable et normatif du texte sacré. Si cette ratio détient ainsi une sorte de «judicature universelle» (R. Roques)15, c’est à condition qu’elle soit droite, saine et «vraie»16; elle est alors illumination de l’esprit. Elle est même une image du Dieu Trinité et trouve en elle-même la pureté des opérations intra-trinitaires, dans le jeu de ses trois fonctions: de même que le Père engendre le Fils et crée dans le Fils, de même le νοῦς de l’homme engendre le λόγος et crée en lui; et de même que l’Esprit Saint procède du Père par le Fils, pareillement en l’homme la διάνοια procède du νοῦς par le λόγος17. Il est utile de résumer par un tableau synoptique, ces correspondances d’influence augustinienne18: Père
Fils
Saint-Esprit
νοῦς mens
λόγος intellectus
διάνοια animus
À ce haut niveau, la raison peut devenir universellement «judicatrice» puisqu’elle ne peut juger que comme Dieu et selon Dieu, qu’il s’agisse du sens de l’Écriture, de l’utilisation des Pères pour atteindre ce même sens, ou même de la découverte simple et directe de la vérité. L’«autorité vraie», dans ces conditions, ne peut que recevoir sa confirmation de la «vraie raison», sinon elle est sans consistance19. Du reste, la raison est naturellement antérieure à toute autorité humaine devant être approuvée, mais vraie 15. Cf. Conférence de R. ROQUES: L’Écriture et son traitement chez Jean Scot Érigène, résumée dans Annuaire de l’École Pratique des Hautes Études. Ve Section 77 (1969-1970) 305-308, p. 305. 16. Periphyseon I, 13 (CCCM 161, pp. 174-175; PL 122, 456D; trad. BERTIN 1, p. 88). 17. Cf. Periphyseon II, 23 (CCCM 162, pp. 344-345; PL 122, 577D; trad. BERTIN 2, p. 358). 18. Cf. Periphyseon II, 24 (CCCM 162, pp. 350-351; PL 122, 579B; trad. BERTIN 2, p. 360). 19. Cf. Periphyseon I, 69 (CCCM 161, pp. 416-417; PL 122, 513B; trad. BERTIN 1, pp. 174-175).
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autorité et vraie raison ne peuvent que s’accorder car elles viennent d’une même et unique source: la sagesse divine. On ne peut sans de lourdes équivoques taxer de «rationaliste» une telle approche. Le dogme n’est en aucun cas opposé à la raison. Jean Scot cite à plusieurs reprises le texte fameux d’Isaïe: «Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas» (Is 7,9), mais il pense qu’il faut également s’efforcer de comprendre ce que l’on croit. La foi pour lui est nécessaire mais elle doit entraîner une compréhension intelligente de son donné. Par ailleurs, si la raison peut devenir universellement normative, ce n’est qu’à la condition, l’Érigène le souligne bien, qu’elle soit droite, vraie, saine, etc. Engagée dans les contraintes du temps, du lieu et des passions, il lui faut surmonter les limitations et les faiblesses liées à sa condition présente, signe d’une déchéance originelle. Les autorités (l’Écriture et les Pères) gardent de facto une valeur prééminente tant que la raison n’a pas recouvré la santé, la rectitude et la vérité qui lui appartiennent de droit sur le plan de sa création éternelle dans le Verbe. Et ce sont précisément ces auctoritates qui «réveillent» et «ramènent» la raison à sa propre essence20. Il y a en quelque sorte une propulsion anagogique réciproque entre l’Écriture et la raison car, une fois la raison ramenée par l’Écriture à sa «hauteur originelle» (priotinam altitudinem), elle peut jouir à son tour d’une contemplation plénière en accédant aux «significations les plus élevées» (altior theoria, gnostica theoria) de l’Écriture21. D’où l’assimilation à laquelle aboutit Jean Scot entre vera religio et vera philosophia22. Cependant le rapport dialectique qui existe entre la raison humaine et l’Écriture exprime le fait que, de façon ultime, les deux voies se rejoignent dans la vraie sagesse. La raison humaine n’est rien d’autre que ce qui existe de plus haut dans les natures. Pour l’Érigène, Écriture et nature constituent les deux langages également légitimes et normatifs de Dieu. «C’est d’une double manière que la lumière éternelle se fait connaître au monde: par l’Écriture et par les créatures»23. Tout ce que l’on rencontre, choses et textes sacrés, est révélation de Dieu, mais aussi voile qui la cache (idée empruntée peut-être à Origène et Grégoire de Nysse): ce sont «les vêtements du 20. R. ROQUES, Jean Scot Érigène, dans Dictionnaire de Spiritualité, t. 8, 735-761, ici col. 739. 21. Periphyseon III, 20 (CCCM 163, pp. 450-451; PL 122, 683A; trad. BERTIN 3, p. 174). Voir aussi D. MORAN, The Philosophy of John Scottus Eriugena: A Study of Idealism in the Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 147. 22. Cf. De praedestinatione I,1 (PL 122, 358A). En fait, la formule n’a rien d’exceptionnel à l’époque. Elle s’inspire de saint Augustin (De vera religione V, 8). De même, les Pères cappadociens, pour désigner leur doctrine théologique, parlent de leur «philosophie». 23. Homélie sur le Prologue de Jean (n. 4), pp. 254-255.
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Christ». D’où la nécessité de comprendre pour dépasser, le sens immédiat des êtres et de l’Écriture, afin de saisir la raison des êtres et l’esprit de l’Écriture. C’est ainsi que, dans sa démarche gnoséologique, l’esprit humain doit s’élever à travers les trois niveaux qui le composent: sensus, ratio ou virtus, intellectus ou essentia. Ces trois ordres correspondent aux trois mouvements de toute manifestation de Dieu24. On voit que Jean Scot identifie la procession intellectus/ratio/sensus avec la division néoplatonicienne substance/puissance/énergie (acte) qu’il semble avoir empruntée à saint Maxime. La triade οὐσία/δύναμις/ἐνέργεια est en effet un des principes les plus stables de la pensée maximienne25. Le maître irlandais voit là encore, dans cette triade, une manifestation de la Trinité mais il reconnaît que ce ne sont que des vestiges et non la vérité trinitaire qui dépasse toute compréhension26. La correspondance qui existe, pour l’Érigène, entre les trois ordres de l’esprit humain et les trois mouvements théophaniques exprime le fait que l’homme rassemble en lui-même les extrémités de la création, qu’il les récapitule dans son intelligence et sa sensibilité (sensus exterior). Si l’humanité n’apparaît plus comme la totalité constituante de l’univers mais seulement comme une partie parmi d’autres, c’est que la faute originelle l’a fait en quelque sorte exploser27. La fonction de l’esprit humain est dès lors, pour l’Érigène, de permettre aux causes primordiales de déployer leurs effets par le passage de l’intellectus à la ratio, puis au sensus interior et exterior. Ainsi les créatures subsistent dans l’intellect divin (notion métaphorique) «sous un mode causal» et dans l’intellect humain «sous un mode effectuel»28. Dans cette vision grandiose, l’humanité joue un rôle primordial: elle est le lien et le lieu de l’univers. L’homme a été créé parmi les causes primordiales à l’image de Dieu «pour qu’en lui toute la création, intelligible et sensible (…) devienne une unité indivisible, et afin que l’homme devienne l’agent médiateur et unificateur de toutes les créatures»29. L’influence de saint Maxime est ici évidente: le père de la théologie byzantine a développé 24. Periphyseon II (CCCM 162, pp. 310-312, 340-341; PL 122, 570AC, 577AB; trad. BERTIN 2, pp. 346-347, 356-357). 25. J. MEYENDORFF, Le Christ dans la théologie byzantine, Paris, Cerf, 1969, pp. 177-206. 26. Il reprend le Pseudo-Denys (Noms divins XIII, 3 [PG 3, 980D-981A]) en disant que Dieu en Lui-même est au-delà de l’unité comme de la trinité que l’homme puisse concevoir: cf. Periphyseon I, 13 (CCCM 161, pp. 170-171; PL 122, 456A; trad. BERTIN 1, p. 87). 27. Cf. Periphyseon IV, 10 (CCCM 164, pp. 344-345; PL 122, 782BC; trad. BERTIN 4, pp. 116-117). 28. Cf. Periphyseon IV, 9 (CCCM 164, pp. 332-333; PL 122, 779C; trad. BERTIN 4, p. 112). 29. Cf. Periphyseon II, 9 (CCCM 162, pp. 176-179; PL 122, 536B; trad. BERTIN 2, p. 298).
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dans ses Ambigua une conception anthropocentrique de l’univers. Le rôle de l’homme, écrit Maxime, est d’être «un lien naturel (σύνδεσμος τις φυσικός) entre les extrémités de la création» afin d’unir toutes choses à Dieu. Tel est le «grand mystère du plan divin»30. Cependant, là où Maxime insistait sur l’humanité, Jean Scot souligne bien plus l’esprit humain et élabore une doctrine proprement noocentrique. Mais l’intellectus, loin de connaître Dieu, ne peut que constater qu’il ne connaît ni Dieu ni lui-même. Que Dieu soit incognoscible, Jean Scot l’affirme à la suite du Pseudo-Denys, car aucune catégorie, aucun genre ne saurait lui être attribué. La connaissance se limite à ce qui est; or, en tant que cause de tout être, Dieu n’est pas, ou plutôt est au-delà de toute opposition entre être et non-être31. C’est le non-être «par excellence» de Dieu, par opposition au non-être «par indigence» de la matière. Entre les deux «non-êtres», il n’y a nul rapport d’intelligibilité. L’Érigène témoigne donc, comme Denys et les Pères grecs, d’un sens très vif de la transcendance divine. Mais l’intellectus ne peut se connaître lui-même non plus; sinon il «n’exprimerait plus entièrement l’image de son Créateur, qui est absolument illimité et qui n’est circonscrit dans aucune définition objectivante, car Dieu est un Dieu infini et suressentiel, qui subsiste au-delà de tout langage et de toute pensée»32. Ainsi la théologie négative de l’Érigène enveloppe et implique une psychologie négative. Dieu et l’âme ne relèvent pas d’une définition logique mais d’une définition «substantielle» qui reconnaît l’existence en écartant toute quiddité. De même que l’esprit humain, Dieu lui-même ignore ce qu’Il est. Il faut comprendre cette non-connaissance de Dieu en lien avec son non-être; elle vient de ce que sa suressence échappe à tous les cadres de catégories: «Dieu ne se connaît pas dans sa quiddité, car Dieu n’est pas un quid objectivé»33. En d’autres termes, Dieu n’étant pas intelligible, Il ne peut se connaître lui-même. Cette thèse n’est ni augustinienne, ni propre aux Pères grecs; elle semble plutôt avoir pour source le néoplatonisme34. En 30. MAXIME LE CONFESSEUR, Ambigua Ioan. 41 (éd. N. CONSTAS [DOML, 29], Cambridge, MA, Harvard University Press, 2014 p. 104; PG 91, 1305BC), cité dans MEYENDORFF, Le Christ dans la théologie byzantine (n. 25), p. 189. 31. PSEUDO-DENYS L’ARÉOPAGITE, Noms divins I, 1 (éd. B.R. SUCHLA [SC, 578], Paris, Cerf, 2016, pp. 316-318; PG 3, 588). 32. Cf. Periphyseon IV, 7 (CCCM 164, pp. 300-301; PL 122, 771D; trad. BERTIN 4, p. 99). 33. Cf. Periphyseon II, 28 (CCCM 162, pp. 392-393; PL 122, 589B; trad. BERTIN 2, p. 375). 34. Cf. J. TROUILLARD, La notion de «Théophanie» chez Érigène, dans S. BRETON et al., Manifestation et révélation (Philosophie, 1), Paris, Beauchesne, 1976, 15-39, ici p. 22.
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effet, Plotin écrit que même la pensée la plus pure est toujours au-dessous de l’Un ineffable car la pensée implique écart et division entre sujet et objet: «Le pensant lui-même ne peut rester simple, d’autant moins qu’il se pense lui-même. Car il se dédouble lui-même»35. Si Dieu se pensait Luimême, Il serait compréhensible – fût-ce seulement par Lui-même, et serait circonscrit, limité, ce qui est impossible. Nous sommes ici face à l’une des clés du système érigénien, qui permet de comprendre, ensuite, sa doctrine des théophanies. Il est utile, avant de poursuivre l’exposé, de signaler combien cette position, si elle a pu s’inspirer de formulations de Pères grecs sur l’incognoscibilité de l’essence, se trouve non seulement éloignée mais inconciliable avec la théologie de Maxime36. Dans ses Centuries sur la théologie et l’économie, le saint Confesseur écrit par exemple: Dès lors qu’aucun être ne connaît absolument autre chose que ce qu’il est par essence, il va de soi qu’aucun être n’a par nature la prescience de rien de ce qui vient, sauf Dieu, qui est au-dessus des êtres et se connaît Lui-même – ce qu’Il est par essence – et a connu avant même qu’ils naissent l’existence de tous ceux qui ont été créés par Lui37.
Il ressort d’un tel passage que Maxime n’a pas une notion de la connaissance aussi strictement intellectualiste que Jean Scot. La connaissance des choses divines «dans la raison et dans les pensées» n’est pour lui que «relative», tandis que la «connaissance véritable» est fondée sur la seule expérience de participation par grâce38. D’autre part, dans l’œuvre de Maxime, comme chez les Pères grecs en général, Dieu (ὁ Θεός) désigne le Père, la personne source de la divinité tri-hypostatique. Chez l’Érigène, formé dans une sensibilité plus augustinienne, Dieu est d’abord conçu comme une essence une, simple, au-delà de toute essence: à travers Augustin, pointe Plotin. La connaissance étant toujours, pour le moine irlandais, celle d’un objet circonscrit dans une structure qui fonde son être même, on comprend qu’il y ait finalement, dans sa pensée, identification entre connaissance et être, 35. PLOTIN, Ennéades V, 3, 10, 44-46; cf. III, 8, 8, 30-38. Cité dans TROUILLARD, La notion de «Théophanie» chez Érigène (n. 34), p. 22. 36. Contrairement à ce que suggère M. CRISTIANI dans un article par ailleurs fort intéressant: Le problème du lieu et du temps dans le livre I du Periphyseon, dans J.J. O’MEARA – L. BIELER (éds), The Mind of Eriugena, Dublin, Irish University Press for Royal Irish Academy, 1973, 40-47, notamment p. 42. 37. MAXIME LE CONFESSEUR, Centuries sur la théologie et l’économie VI, 32 (PG 90, 1317B); Philocalie des Pères neptiques, t. 6, trad. J. TOURAILLE, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 1985, p. 19. 38. Cf. MAXIME LE CONFESSEUR, Centuries sur la théologie et l’économie VI, 29 (PG 90, 1316AB).
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entre logique et ontologie39. L’intellect, qui est pour l’esprit humain un au-delà inconnaissable, est le lieu par excellence où peut se réaliser l’union à Dieu, union hypernoétique: supermentalio unitio40. Or Dieu, ne pouvant être connu ni se connaître Lui-même, ne se fait connaître – y compris à Lui-même – que dans ses manifestations. Jean Scot appelle «théophanie» ou divina apparitio toute manifestation divine, qui est médiation expressive rendant intelligible la divinité qui elle-même dépasse infiniment l’ordre de la connaissance: «manifestation de ce qui est caché, affirmation de ce qui est nié, compréhension de l’incompréhensible, profération de l’ineffable, accès de l’inaccessible»41. Il importe de souligner que, de façon analogue, la «noophanie» est la révélation dans la raison (ratio) de l’intellect qui en soi n’est pas révélable. Dans un passage de contenu particulièrement antinomique, l’Érigène indique que lorsque la divinité et l’esprit humain se manifestent à eux-mêmes, ce qui s’exprime est à la fois intelligible et ineffable, affirmé et nié, accessible et inaccessible: Bien que notre intellect demeure invisible et incompréhensible en soi, il devient à la fois manifeste et compréhensible (…) lorsqu’il se matérialise en des sons ou dans des lettres (…); de manière concomitante notre intellect se tait et parle à haute voix; car alors même qu’il se tait, il parle à haute voix; et lors même qu’il parle à haute voix, il continue à se taire; et notre intellect se rend visible; et alors même qu’il se rend visible, il reste invisible; et incirconscrit il devient circonscrit; et alors même qu’il devient circonscrit, il reste incirconscrit; et il s’incarne à son gré dans des sons et dans des lettres42.
Dans un tel passage, se reflète le génie de Jean Scot qui aime abonder en oppositions (il n’y en a pas moins de 18 en tout dans ce paragraphe!) et veut surtout souligner que la théophanie (comme la noophanie) est le passage de la négation à l’affirmation, de l’obscur au lumineux43, du caché au manifeste. À travers le Pseudo-Denys, l’Érigène se rattache, là encore, au courant néoplatonicien pour lequel la négation est, non pas intérieure, mais antérieure (et supérieure) au discours. 39. Cf. CRISTIANI, Le problème du lieu et du temps (n. 36), p. 42. 40. Cf. In mysticam theologiam S. Dionysii III (PL 122, 279D). 41. Cf. Periphyseon III, 4 (CCCM 163, pp. 238-241; PL 122, 633A; trad. BERTIN 3, p. 89). 42. Cf. Periphyseon III, 4 (CCCM 163, pp. 240-241; PL 122, 633BC; trad. BERTIN 3, pp. 89-90). 43. Cf. É. JEAUNEAU: Le caché et l’obscur, in Quatre thèmes érigéniens (Conférences Albert-le-Grand 1974), Montréal, Institut d’études médiévales Saint-Albert le Grand; Paris, Vrin, 1978. L’auteur y montre combien Jean Scot, comme le Pseudo-Denys son maître, est attiré par ce qui est mystérieux et obscur.
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Il convient à présent d’aborder les différents ordres de théophanie dans la synthèse de Jean Scot: 1) les causes primordiales 2) les créatures visibles et invisibles et l’Écriture sainte qui est «une sorte de monde intelligible»44 3) la grâce déifiante qui transfigure toutes choses en Dieu et ne sera manifeste que dans la consommation finale. Nous voyons que la présentation de ces ordres suit celle des divisions de la «nature» et la reflète en quelque sorte. Car, comme on va le découvrir, toute théophanie est créatrice. III. LES CAUSES PRIMORDIALES,
THÉOPHANIES ÉMINENTES
Nous avons vu qu’entre la cause première et les créatures proprement dites (soumises à la génération), Jean Scot place la nature qui est créée et qui crée. Cette théorie, dans une large mesure, constitue l’originalité de sa doctrine. Elle en constitue aussi la difficulté majeure. La nature créée et créatrice consiste dans l’ensemble des causes primordiales, intermédiaires entre Dieu et les créatures. L’idée originale est que les choses procèdent de Dieu – «cause supercausale» – par des intermédiaires ordonnés hiérarchiquement. Les principes des choses sont ce que l’on peut nommer la bonté, l’essence, la vérité, la vertu, la justice, l’éternité, la paix, etc., toutes les vertus et raisons suivant lesquelles les choses procèdent de l’être. Le premier don est celui de la bonté. Jean Scot énumère quelques-unes des autres formes primordiales qui semblent empruntées à la liste dionysienne des noms divins: bonté puis essence, vie, sagesse, vérité, intelligence, raison, vertu, justice, salut, grandeur, toute-puissance, éternité, paix, etc. Cependant, voilà la difficulté: les causes originaires ou idées ou volontés divines, en tant qu’elles sont l’objet de la connaissance de Dieu dans son Verbe, sont constituées éternellement dans le Verbe: «La connaissance en Dieu de toutes les créatures constitue l’essence même de toutes les créatures»45. Cela signifie que, pour Dieu, connaître les créatures et les amener à l’être, c’est tout un. La vision et la création en Dieu sont simultanées. Aussi, le Verbe, en tant que connaissance, et les causes originaires 44. Cf. Homélie sur le Prologue de Jean 14 (SC 151, p. 270; PL 122, 291). 45. Cf. Periphyseon II, 20 (CCCM 162, pp. 264-265; PL 122, 559A; trad. BERTIN 2, p. 330).
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de toutes les créatures, en tant que constituées dans le Verbe et subsistant éternellement en lui, sont coéternels46. C’est bien la coéternité du Verbe divin et des raisons éternelles de la création qui est affirmée ici. Mais en même temps, l’Érigène soutient que les causes primordiales sont bien créées éternellement. Subtil, il considère que les causes primordiales des existants – en tant qu’elles subsistent dans le Verbe divin – sont éternelles, antérieures à tous les temps, mais d’une éternité relative, dérivée de celle du Verbe qui seul est éternel absolument47. L’essence des causes primordiales dérive de l’essence divine: elles sont donc coéternelles, mais non éternelles de façon absolue. On voit le tour de force exécuté par Jean Scot pour aboutir à ces hypostases coéternelles au Verbe et intermédiaires entre Dieu et les créatures. Il faut comprendre pourquoi, contrairement à saint Augustin aussi bien qu’à saint Maxime, il lui a semblé indispensable de protéger Dieu en quelque sorte d’un acte créateur immédiat. La raison secrète expliquant cette construction complexe qui l’a rendu suspect de panthéisme est que Jean Scot pense que Dieu ne serait pas principe absolu si la création ne lui était pas coessentielle. Pour lui, la relation créant-créé est intemporelle. Les termes de la relation sont des corrélatifs indissociables comme maître-esclave48. L’Érigène s’autorise un usage de la corrélation qui va contre le Parménide dont il semble pourtant s’inspirer49. Même Platon estime que le Principe absolu n’est pas nécessairement cause; c’est par lui que nous sommes causés, mais on ne peut dire qu’il est en lui-même causant50. La corrélation ne serait valable que si les termes étaient sur un même plan de représentation et non pas unis entre eux par un lien de causalité non nécessaire. C’est paradoxalement en voulant sauvegarder la transcendance divine que Jean Scot contredit cette transcendance même du principe absolu. Son principe ontologique de la corrélation éternelle du créé et de l’Incréé entre en conflit 46. Cf. Periphyseon III, 9 (CCCM 163, pp. 276-277; PL 122, 642A; trad. BERTIN 3, p. 103). 47. Cf. Periphyseon II, 21 (CCCM 162, pp. 276-279; PL 122, 562A; trad. BERTIN 2, p. 334). 48. Cf. Periphyseon V, 24 (CCCM 165, p. 69; PL 122, 909A; trad. BERTIN 5, pp. 77-78). 49. Cf. PLATON, Parménide 133C sq. 134D. Dans ce passage, il est indiqué que dans une corrélation, les termes déterminés, l’un en fonction de l’autre, doivent être considérés sur le même plan de représentation. Ce n’est évidemment pas le cas pour Dieu et des objets créés. Jean Scot viole donc la règle platonicienne. 50. Cf. PLOTIN, Ennéades VI, 9, 3 (éd. et trad. E. BRÉHIER, Paris, Les Belles Lettres, 1963, pp. 176-177, ll. 49-51): «Dire qu’il est cause, c’est là attribuer un accident non pas à lui, mais à nous: c’est dire que nous tenons quelque chose de lui, tandis qu’il reste en luimême».
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avec la théologie négative. La notion même de «création éternelle» est contradictoire et ne correspond pas à une antinomie de la vérité révélée. La notion d’«éternité dérivée» – vague replâtrage de fortune – n’apparaît guère crédible. Il faut d’ailleurs reconnaître que l’Érigène paraît hésiter sur la question du rapport entre Dieu et les créatures. Partout, dans son œuvre, on trouve un conflit latent entre le principe «expérimental», selon lequel l’effet est extérieur à sa cause et autre qu’elle, et le principe «rationnel» qui veut que l’effet existe dans sa cause – car il ne saurait y avoir plus dans l’effet que dans la cause – l’Érigène semble plutôt incliner à la seconde tendance mais son mérite est de toujours s’efforcer – sans résultat probant – de la concilier avec la première. Non seulement l’acte créateur est, pour notre auteur, un acte éternel inhérent à l’être divin, mais il n’y a pas pour lui de discontinuité ontologique entre Dieu et les créatures: Nous devons comprendre que Dieu et la créature ne constituent pas deux réalités distinctes l’une de l’autre, mais constituent une seule et même réalité. Car c’est par un concours mutuel que la créature subsiste en Dieu, et que Dieu se crée sous un mode extraordinaire et inexprimable dans la créature, en se manifestant Lui-même […]51.
L’ontologie très particulière que le maître irlandais élabore dans son œuvre pourrait être qualifiée d’«essentialisme apophatique», en quoi sa synthèse originale est redevable autant à saint Augustin qu’au PseudoDenys. L’essentialisme statique, que l’on trouve également chez Origène, est une dimension centrale de sa pensée. Il n’a manifestement pas compris Denys ni Maxime qui, à la suite d’un saint Athanase, établissent une distinction radicale en Dieu entre l’essence et la volonté. Le premier parle des δυνάμεις, le second, des λόγοι des créatures qui subsistent dans le Λόγος. Les forces (δυνάμεις) de Denys désignent les manifestations de la volonté de Dieu auxquelles participe tout ce qui existe52. Les idées divines n’ont pas comme dans la pensée augustinienne ou érigénienne un caractère statique – perfections immobiles de Dieu en lui pour le premier, hors de lui pour le second. Elles n’ont pas leur place dans l’essence mais dans «ce qui est après l’essence», dans les énergies divines, expression de la volonté de Dieu: ce sont les «raisons substantifiantes des choses»53. Pas plus que saint Augustin, Jean Scot n’a saisi la distinction entre essence et énergies en Dieu. La seule différence avec le docteur d’Hippone sur ce 51. Periphyseon III, 17 (CCCM 163, pp. 434-435; PL 122, 678C; trad. BERTIN 3, p. 167). 52. Cf. PSEUDO-DENYS L’ARÉOPAGITE, Noms divins VIII, 6 (éd. B.R. SUCHLA [SC, 579], Paris, Cerf, 2016, p. 86; PG 3, 893C). 53. Cf. PSEUDO-DENYS L’ARÉOPAGITE, Noms divins, V, 8 (SC 579, p. 32; PG 3, 824C).
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point est qu’il fait des causes primordiales des créatures distinctes, au lieu de les confondre avec l’essence divine. C’est là justement l’aspect apophatique de son ontologie: Dieu est non-être, il est toujours au-delà de toute perception et de toute conception. Rien ne pouvant s’ajouter à lui à titre d’accident, il faut que les causes primordiales s’interposent entre Lui et les créatures corruptibles. Le principe de corrélation (creator-creatum) est aussi appliqué dans le domaine de la connaissance (cognoscens-cognitum). Nous avons vu, d’ailleurs, que dans le système intellectualiste de l’Érigène, la connaissance est par elle-même nécessairement créatrice. Création et connaissance sont des notions interchangeables. Cela entraîne que, puisque Dieu ne se connaît pas en Lui-même, la seule manière dont Il peut se connaître et se faire connaître est la médiation de ses manifestations (théophanies) qui expriment en même temps sa création. Les théophanies les plus éminentes sont les causes primordiales axiologiquement supérieures à l’univers des effets créés (3e forme). Dieu y sort de l’enceinte cachée de sa propre nature. Il commence à être en autre chose que Lui-même54. Le processus de manifestation passe du non-être suréminent (nihil per excellentiam) qui est Dieu en lui-même au Tout, plénitude de l’expression. Et le Tout va lui-même du Verbe divin, exemplaire incréé, aux causes primordiales, exemplaire créé, puis à l’homme qui à son tour concentre en lui l’effectivité divine. On comprend déjà que ce processus se récapitule dans le Verbe fait homme, c’est-à-dire le Christ, synthèse des synthèses dans l’unité divine, théophanie suprême. La théophanie apparaît comme la raison d’être de la création. La Bonté divine doit se manifester et recevoir la louange qui lui est due dans les créatures faites de rien55. Toute théophanie fait accéder Dieu à l’ordre de l’intelligibilité c’està-dire de l’être et de la connaissance. Quiconque exprime crée, mais qui exprime s’exprime et qui s’exprime se crée lui-même. Se donner une expression, c’est se définir de quelque façon et surgir de l’ineffable sans cesser d’être ineffable en deçà de son expression: «Si l’effet n’est rien d’autre que sa cause qui se crée en lui, nous pouvons en déduire que Dieu se crée en tant que Cause dans ses effets»56. Dieu se crée donc lui-même à travers ses théophanies. Sa pensée créatrice est la nature même des choses. 54. Cf. Periphyseon III, 20 (CCCM 163, pp. 450-451; PL 122, 683A; trad. BERTIN 3, p. 174). 55. Cf. Periphyseon V, 33 (CCCM 165, p. 128; PL 122, 951D-952B; trad. BERTIN 5, p. 135). 56. Cf. Periphyseon III, 22 (CCCM 163, pp. 468-469; PL 122, 687C; trad. BERTIN 3, p. 182).
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Si Dieu n’est intelligible que dans ses créatures, la connaissance des créatures est la seule théologie positive. Les créatures sont plus vraies en Dieu qu’en elles-mêmes et elles auront leur pleine vérité quand «Dieu sera tout en tous». Lorsque Jean Scot parle d’auto-création pour Dieu, il est évident qu’il se sépare là encore du sens strict du terme «création» partagé par la Tradition de l’Église aussi bien orientale qu’occidentale. Il veut traduire cette double vérité d’un Dieu caché et pourtant en un sens manifesté. D’autre part, il faut reconnaître que dans cette idée que Dieu se crée dans les choses, l’Érigène met l’accent non sur une nécessité de nature mais sur la volonté primordiale de Dieu. On ne peut donc taxer, en ce sens, son système de «panthéisme» ni de monisme émanatiste, mais plutôt de panenthéisme, pour reprendre un syntagme que le père Serge Boulgakov appliquait à sa propre sophiologie. Il est vrai que ses formules prises isolément prêtent dangereusement à confusion: esse omnium est superesse diuinitas, reprend-il de Denys57, mais elles expriment un rapport dialectique, le lien de l’Un au multiple dans la création, qui ne s’apparente pas à un «naturalisme». Il a lui-même réfuté les interprétations panthéistiques de sa doctrine58. Son souci est toujours de préserver la transcendance divine – quoique son effet ne soit pas toujours couronné de succès comme on l’a vu. Si la création des causes primordiales – ce que Jean Scot, après Augustin, appelle la substitution – est extratemporelle, éternelle, elle est pour lui, néanmoins, contingente. Et la création commence là. IV. LES THÉOPHANIES DE SECOND ORDRE ET LA THÉOPHANIE SUPRÊME
Dans la création, selon l’Érigène, le temps ne commence qu’avec la «formation» – seconde étape qu’il emprunte à saint Augustin. Le temps et l’espace sont les conditions a priori dans lesquelles s’effectue la constitution du monde. D’un seul coup et simultanément (semel et simul), les causes primordiales se sont engagées dans le temps pour produire leurs effets qui se développent progressivement jusqu’aux dernières espèces, reproduisant l’image de la Sainte Trinité dans toute la création59. 57. Cf. Periphyseon I, 3 (CCCM 161, pp. 120-121; PL 122, 443B; trad. BERTIN 1, p. 67 qui renvoie à PSEUDO-DENYS, Hiér. cél. IV, 1 (éd. G. HEIL [SC, 58bis], Paris, Cerf, 1970, pp. 93-94; PG 3, 177D). 58. Cf. GILSON, La philosophie (n. 2), p. 208. 59. Cf. Periphyseon II, 21 (CCCM 162, pp. 266-267; PL 122, 559B; trad. BERTIN 2, pp. 330-331).
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Le double processus – substitution et formation – se résume pour l’Érigène dans les deux mots de la Genèse: 1° Fiat lux: substitution 2° Et lux facta est, c’est la formation (cf. Gn 1,3). Les choses créées qui ne créent pas sont des théophanies au second degré: elles participent aux causes primordiales, manifestations de Dieu qui les «informent». Ce rapport de participation exprime le schéma hiérarchique selon lequel s’étage l’ensemble de ce qui est. La participation est en effet «une distribution des dons divins, du haut en bas, aux ordres inférieurs par l’intermédiaire des supérieurs». Ces êtres créés non créants ont bien quelque être, mais non substantiel, moindre que celui des causes primordiales dont ils sont des «images transitoires». L’ordre descendant va de l’ange, esprit pur, à l’homme, puis au monde matériel. Comme nous l’avons vu plus haut, l’homme possède une place singulière, sa nature étant mixte, et il est cause de ce qui lui est inférieur. De toutes les créatures, il est le moyen terme (medietas), l’union (adunatio), un véritable «microcosme». L’homme possède en effet, en commun avec l’ange, l’intellect; avec l’animal, le sens et la vie avec les semences; il possède la raison comme son bien propre. D’autre part, il est la cause effectualiter du monde matériel. Les choses sensibles sont constituées d’éléments intelligibles – forme, nature, quantité, qualité, etc. – étalés dans la matière par suite du péché ancestral. Celui-ci a provoqué la distension et l’éparpillement de l’univers sensible et la ruine de toute la création60. Il nous est impossible d’approfondir dans cette étude l’anthropologie de Jean Scot, mais il est bon de noter que le maître irlandais a repris la doctrine de la double création de l’homme de saint Grégoire de Nysse61: 1ère création selon l’image de Dieu, 2e création selon les sexes et la vie animale, ce qui explique pour lui l’ambiguïté de la condition humaine: dans la séparation des sexes, l’homme est condamné à se multiplier dans des corps de chair, comme les animaux62. C’est la défaillance originelle de l’intellect (νοῦς) qui a déclenché l’immense malheur humain et cosmique de la procession morcelante et appauvrissante des effets hors de leurs causes. Le redressement de l’homme sera donc nécessaire pour dissoudre sa propre dissolution et la dissolution universelle que sa faute a provoquées: à la descente «cosmogonique» de la procession, devra répondre la remontée «cosmolytique» par quoi tout 60. Cf. Periphyseon II, 12 (CCCM 162, pp. 192-195; PL 122, 540AC; trad. BERTIN 2, pp. 303-304). 61. Cf. Periphyseon IV, 19 (CCCM 164, pp. 556-563; PL 122, 833D-834D; trad. BERTIN 4, pp. 192-194), où sont commentés les thèmes du De hominis opificio de Grégoire de Nysse, ch. 16-17 (PG 44, 177D-192D), traduit par l’Érigène. 62. Cf. Periphyseon II, 24-25 (CCCM 162, pp. 368-369; PL 122, 583C-584A; trad. BERTIN 2, pp. 366-367).
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dans l’intellect humain, redeviendra un, dans les causes. Dès lors, l’Incarnation du Verbe n’est pas simplement l’événement qui répare la faute originelle (sentiment propre à la sensibilité latine avec saint Augustin et Anselme de Cantorbéry), mais l’expression surtout d’une parfaite théophanie, celle de l’humanité restaurée, assumée par le Verbe. Il convient ici de citer un très beau passage du Periphyseon où éclate le christocentrisme de notre auteur: Avant de s’incarner, le Verbe restait inconnaissable pour toutes les créatures sensibles et intelligibles (…) car le Verbe subsistait comme inaccessible et caché au-delà de tous les étants et de tous les non-étants, au-delà de tout ce qui rentre dans le champ du discours et de l’entendement. Mais en descendant à travers une théophanie admirable, ineffable et multiforme, le Verbe devenu incarné a procédé dans les facultés de connaissance des natures angélique et humaine. Et le Verbe, inconnu par toutes les créatures et subsistant au-delà de toutes les natures, a assumé la nature humaine dans laquelle Il pourrait devenir connaissable, en unifiant le monde sensible et le monde intelligible en Lui-même selon une harmonie incompréhensible; et la Lumière inaccessible (…) s’est rendue accessible63.
Malgré l’intellectualisme de sa pensée, Jean Scot considère l’Incarnation comme réelle et totale, donnant au Verbe une nature humaine intégrale et possible64: c’est une inhumanatio (ἐνανθρώπησις) au sens plénier. Le Christ n’est pas seulement le Rédempteur, mais il est surtout le principe, le médiateur, le rassembleur et le divinisateur de tous les hommes65. L’influence de la doctrine de saint Maxime sur la «récapitulation» de toutes choses en Christ est ici tout à fait évidente66. Sur un point précis, le rôle de l’Incarnation, l’égalité de l’homme avec l’ange après l’Incarnation, Jean Scot délaisse le Pseudo-Denys et lui préfère Maxime, son commentateur. Les mots par lesquels il célèbre l’économie du salut sont très proches de ceux qu’utilisaient les théologiens byzantins iconodules et notamment saint Théodore Studite67. L’incarnation du Verbe, dans la vision de l’Érigène, représente la plus parfaite théophanie. En lui, la théophanie se résout en déification. Dieu s’unissant à son ouvrage pour l’élever jusqu’à sa suressence, en faire son espace théophanique et le consommer finalement sans confusion. 63. Periphyseon V, 25 (CCCM 165, p. 75; PL 122, 912CD; trad. BERTIN 5, p. 83). 64. Cf. Periphyseon V, 25 (CCCM 165, p. 72; PL 122, 910D-911A; trad. BERTIN 5, p. 80). 65. Cf. Periphyseon V, 25 (CCCM 165, pp. 72-73; PL 122, 911B; trad. BERTIN 4, p. 81). 66. Voir par exemple MAXIME LE CONFESSEUR, Ambigua Ioan. 41 (DOML 29, pp. 110, 114; PG 91, 1308D, 1312A). 67. Le fait est mis en évidence dans une belle étude d’Y. CHRISTE, Les grands portails romans. Études sur l’iconologie des théophanies romanes, Genève, Droz, 1969.
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Dans le mouvement de remontée à Dieu, la nature ne peut, en effet, se perdre en Dieu: il en est comme de l’air illuminé qui disparaît dans la lumière sans cesser d’être de l’air. Jean Scot donne dans le Periphyseon plusieurs présentations des «étapes» de l’anagogie conversive, du reditus. La plus courante est la suivante: À la résurrection des corps, où disparaîtra la distinction des sexes, le corps deviendra vie, la vie deviendra sensus; le sensus, ratio, et la ratio se transformera en intellect: le corporel aura achevé ainsi de se résorber dans le spirituel dont il était descendu. Cet intellect restera à son tour dans sa cause primordiale, donc dans le Verbe où les Idées sont contenues. Avec l’homme le monde sensible réintégrera sa raison première et il n’y aura plus que le Dieu absolument transcendant et incompréhensible68. La hardiesse de ses formulations où la théôsis prend parfois l’aspect d’une résorption dans le divin n’a pourtant pas échappé à l’Érigène qui, à la suite de Maxime, affirme que l’apparente absorption des natures et leur «évanouissement» dans la divinité laissent à chacune sa subsistance propre comme l’air illuminé ou comme le fer fondu qui semble se confondre avec le feu69. Là encore, malgré les apparences, la doctrine de l’Irlandais ne mérite pas l’accusation de «panthéisme». On voit que les théophanies, étant du domaine du paraître et non de l’être, ont un caractère transitoire. Dans la remontée «cosmolytique», l’abolition des théophanies coïncide en quelque sorte avec une «théogonie» suprême. Omnia transmutantur in Deum. V. LA GRÂCE DÉIFIANTE La vision spirituelle de Jean Scot, qui peut paraître d’inspiration très néo-platonicienne, accorde, comme on l’a vu, une place centrale au Christ. La grâce joue également un rôle essentiel dans le processus qui ramène toutes choses à Dieu. Le texte de Jc 1,17: «Tout donné excellent et tout don parfait viennent d’en haut […]» (Omne datum optimum et omne donum perfectum desursum est – Vulgate), dont la fortune sera immense dans l’histoire de l’Église occidentale au Moyen-Âge, sert de fondement à Jean Scot pour opérer la distinction entre nature et grâce. À ses yeux, l’Écriture désigne par datum l’ordre de la nature et par donum l’ordre de la grâce. 68. Cf. Periphyseon V, 39 (CCCM 165, pp. 224-225; PL 122, 1020C-1021B; trad. BERTIN 5, pp. 227-228). 69. Cf. Periphyseon I, 11 (CCCM 161, pp. 150-151; PL 122, 451B; trad. BERTIN 1, pp. 79-80) où il cite MAXIME LE CONFESSEUR, Ambigua Ioan. 7 (éd. N. CONSTAS [DOML, 28], Cambridge, MA, Harvard University Press, 2014, p. 88; PG 91, 1076A).
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Le datum se rapporte à la descente (πρόοδος, exitus, processio) tandis que le donum concerne la remontée (ἐπιστροφή, reditus, conversio, reductio)70. Le langage peut présenter parfois le datum et le donum comme des réalités séparées, la seconde survenant à l’intelligence après la première. En fait, pour l’Érigène, il n’y a entre les deux ni dualité ni succession, pas plus qu’entre l’exitus et le reditus. Toutes ces réalités viennent du même Dieu unique et immuable71. L’ultime étant normatif, la fonction de la grâce (donum) est de restaurer l’union divine suressentielle dont procède toute essence et toute connaissance. Plus spécifiquement, le rôle proprement de la grâce est la déification (deificatio, θέωσις) accordée seulement à certaines intelligences angéliques ou humaines. Un tel don dépasse leur nature comme toute nature créée mais en même temps il parfait cette nature par «résolution» et non par «addition». Le surnaturel ne se superpose pas à la nature, mais la pose comme son expression. On est ici beaucoup plus proche de la sensibilité des Pères grecs que de celle de l’Occident latin augustinien qui a eu trop souvent tendance à opposer nature et grâce. Dans le texte cité de Jc 1,17, saint Jacques nomme Dieu «Père des lumières». Ce texte nous aide à comprendre que pour l’Érigène la création est une double illumination, par le datum et le donum, destinée à faire voir Dieu. Le donum est donc aussi théophanique quoique sa vocation soit «analytique», déifiante72. C’est au donum que pense Jean Scot lorsqu’il déclare que, tout en imposant à la pensée une médiation, certaines théophanies sont si élevées au-dessus de toute créature et rapprochent de Dieu par une contemplation si intime et si directe qu’on doit les nommer «les théophanies des théophanies»73. À travers une ascension où se révèle une «dialectique des crucifixions»74, dans laquelle l’intelligence progresse en crucifiant toute représentation qui crucifie et trahit le Christ, l’esprit monte de manière anagogique jusqu’à la contemplation de l’intellect du Verbe (la chair et l’âme du Verbe ayant été transmués en son intellect). Mais finalement une dernière «mort» ou 70. Cf. Periphyseon III, 3 (CCCM 163, pp. 232-235; PL 122, 631CD; trad. BERTIN 3, pp. 86-87). 71. Cf. Periphyseon V, 23 (CCCM 165, p. 64; PL 122, 904D-905A; trad. BERTIN 5, pp. 72-73). 72. Cf. Periphyseon V, 23 (CCCM 165, p. 63; PL 122, 904AB; trad. BERTIN 5, pp. 71-72). 73. Periphyseon V, 23 (CCCM 165, pp. 64-65, n. 2; PL 122, 905B; trad. BERTIN 5, p. 73). 74. Le terme est de ROQUES, Jean Scot Érigène (n. 20), col. 757.
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«crucifixion» doit faire abandonner cette simpla theologica scientia, quæ maxime circa Christi intellectum circumvolvitur: alors, l’intellect sort de lui-même dans une démarche rigoureusement négative pour se porter jusqu’à l’infinité parfaite et cachée de la divinité du Verbe75. Il n’y a alors plus de manifestation ni de «connaissance» à ce niveau suprême. C’est l’union immédiate entre la Divinité ineffable et l’âme ineffable, dans une unité qui «porte» les théophanies pour se manifester en se médiatisant. À travers la montée de l’esprit dans une anagogie éminemment apophatique (qui évoque le Pseudo-Denys), où sont traversées les «crucifixions» et les «morts» de l’intellect, l’Agneau de Dieu, conclut Jean Scot, «est immolé dans le cœur des fidèles, et rendu vivant par cette immolation; ainsi le péché du monde est enlevé de toute la nature humaine»76. VI. PARALLÈLE AVEC
LA DOCTRINE DE SAINT
MAXIME
Au terme de notre cheminement à travers les méandres de la pensée érigénienne, destiné à approfondir et expliciter la notion de «théophanie» chez notre auteur, nous avons vu à quel point ce thème occupait à la fois une place centrale et en même temps renvoyait à une synthèse quasiment irréductible. Notre approche était donc évidemment partielle et laissait de côté des questions qui pouvaient légitimement être posées mais ne concernaient pas directement le sujet de cette étude. Un sentiment de complexité et de profusion nous traverse face à l’œuvre de Jean Scot. Néanmoins, nous voudrions établir en plusieurs points un parallèle entre la doctrine de saint Maxime et celle de l’Érigène. 1. Concernant la connaissance qu’a Dieu ou non de lui-même, nous avons vu plus haut la ligne de partage de deux doctrines. Saint Maxime considère que Dieu se connaît directement. De plus la connaissance de Dieu est au-delà du sensible et de l’intelligible car Dieu est au-delà de l’existence des choses. 2. Quoique Jean Scot s’en défende, la dérive «panthéistique» de sa doctrine (contre son gré, il faut le souligner) vient de ce que Dieu, pour se connaître et se manifester lui-même, a besoin de créatures – qu’elles soient «coéternelles» (substitution) ou soumises à la corruption (formation). Il est vrai qu’il n’y a jamais affirmation d’une création par nécessité. Au contraire, la transcendance du Dieu créateur est toujours soulignée. Mais le paradoxe, c’est que cette transcendance se paie par une sorte de nécessité 75. Cf. Commentaire sur l’Évangile de Jean, 32 (éd. É. JEAUNEAU [SC, 180], Paris, Cerf, 1972, pp. 184-189). 76. Ibid., pp. 188-189.
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de manifestation. Nous le sentons dans l’utilisation malheureuse de la corrélation créant-créé. Saint Maxime est naturellement tout à fait en dehors de telles considérations. L’esprit des deux systèmes est absolument différent en dépit des formulations qui, à l’occasion, ont même résonance77. Maxime souligne avec force le caractère contingent de la création et la pleine réalité de la création dans le temps. La doctrine de Jean Scot sur les causes primordiales créatures coéternelles au Verbe qui les contient paraît très proche de la conception intellectualiste et unitaire du monde origénien. Saint Maxime reprend bien d’Origène la doctrine alexandrine du logos mais dans un tout autre sens. Les idées de Dieu (λόγοι) ne coïncident ni avec son essence (exemplarisme augustinien) ni avec des créatures intermédiaires (Jean Scot). Ce sont les volontés éternelles qui soutiennent l’univers mais ne se confondent pas avec lui. Ainsi, dit-il, «Dieu connaît les choses comme ses propres volontés» et non pas de manière sensible ou intelligible. Nous évitons ainsi de voir dans la création le prolongement naturel des pensées éternelles de Dieu dans le monde. Comme le souligne L. Thunberg, «Pour Maxime, les logoï ne sont identiques ni à l’essence de Dieu ni à l’existence des choses du monde créé. Une tendance apophatique se combine chez lui à une tendance antipanthéiste. […] Cela est surtout dû à la conception des logoi comme décisions de la volonté de Dieu»78. 3. Le néoplatonisme inspirant l’Érigène, sa doctrine n’accorde pas de statut particulier à l’existence des choses en elles-mêmes. Une chose est plus elle-même au niveau hiérarchique supérieur qui pense son «essence» que dans l’état où elle se trouve. On peut vraiment dire que dans ce système, comme chez saint Augustin, l’essence précède l’existence. Chez Maxime, au contraire, nous trouvons le souci d’accorder une existence particulière et unique à chaque être créé. Dieu, affirme-t-il contre les néoplatoniciens, connaît les choses dans leur individualité particulière et pas seulement en général. Car l’idée des choses est leur «vérité»79 et celle-ci concerne le particulier comme le général. Les logoi des êtres ne sont pas seulement leurs raisons essentielles mais aussi leur finalité, ce en vertu de quoi ils viennent à l’existence. Doctrine éminemment dynamique, où chaque étant est appelé à trouver la perfection de son être en Dieu par sa libre coopération. La notion de 77. Telle est l’appréciation d’H.U. VON BALTHASAR, Liturgie cosmique. Maxime le Confesseur, Paris, Aubier, 1947, pp. 71-80. 78. L. THUNBERG, Microcosm and Mediator, Lund, Gleerup, 1965, p. 81. 79. Cf. MAXIME LE CONFESSEUR, Ambigua Ioan. 7 (DOML 28, p. 98; PG 91, 1081A).
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tropos qui désigne le mode d’existence particulier (conforme ou non au logos) correspond à l’hypostase pour un être intelligible. Nous ne voyons presque jamais cette notion introduite dans l’œuvre de l’Érigène: lorsque hypostase est prise en compte par Jean Scot, le terme est interprété en un sens philosophique et assimilé à la substance, par une traduction latine presque étymologique: substantia; et le maître irlandais reprend la formule trinitaire douteuse de Jérôme: una essentia, tres substantiae80. C’est une autre déficience majeure de la doctrine de Jean Scot: son ignorance du moment personnel aussi bien dans l’économie divine que dans l’histoire du péché adamique et de la Rédemption. L’origénisme est d’une influence patente sur sa doctrine de la chute accomplie par l’Intellect – nous ne pouvons ici que l’évoquer – ce qui le démarque, là encore, des Pères grecs. 4. C’est enfin surtout sur le thème de l’amour que Jean Scot se situe très loin de saint Maxime. Pour lui, il faut éliminer de Dieu la notion d’amour comme toute catégorie de relation (πρός τι), dont on connaît pourtant l’importance en théologie trinitaire. Car, pour le maître irlandais, nous ne pouvons rien savoir de positif sur le Dieu transcendant. Tout au plus, pourrons-nous retenir que le verbe aimer «n’est pas prédicable de Lui factuellement mais seulement par convention»81. L’amour en effet est lié à l’agir, au pâtir, qui sont des accidents; or «la Nature divine n’admet aucun accident»82. L’Érigène a amplement dépassé Denys ici dans son apophatisme. Le Pseudo-Denys avait omis dans les Noms divins et les chap. 4-5 de la Théologie mystique d’appliquer ses négations radicales au πρός τι et à la dénomination d’amour qu’il exalte au contraire dans Noms divins IV en citant les Hymnes érotiques de son maître Hiérothée83. Jean Scot tempère sa position de principe en reconnaissant que si l’amour n’est pas Dieu à proprement parler, il vient de Dieu et conduit à Dieu, en raison de son caractère extatique (ἐκστατικὸς ὁ θεῖος ἕρως) qu’avait souligné le Pseudo-Denys. C’est l’amour qui fait sortir l’intellect de lui-même pour accéder à la θέωσις. Mais cette dialectique de l’amour se déploie dans et par l’intelligence. La place faite à l’amour dans le corpus érigénien est la portion congrue84. 80. Cf. Periphyseon II, 29 (CCCM 162, pp. 434-435; PL 122, 598D; trad. BERTIN 2, p. 390). 81. Cf. Periphyseon I, 62 (CCCM 161, pp. 378-379; PL 122, 504B; trad. BERTIN 1, p. 161). 82. Cf. Periphyseon I, 63 (CCCM 161, pp. 396-397; PL 122, 508B; trad. BERTIN 1, p. 168). 83. Cf. PSEUDO-DENYS L’ARÉOPAGITE, Noms divins IV, 11-18 (SC 578, pp. 464-488; PG 3, 708B-716B). 84. Aucun emploi de caritas et d’amor n’est fait dans l’Homélie sur le Prologue de Jean (n. 4), alors qu’intellectus est très fréquemment mentionné avec ses dérivés.
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Chez saint Maxime le Confesseur, l’assise fondamentale de l’union de l’homme à Dieu s’enracine dans le mystère de l’amour divin, manifesté «en dehors» de la vie intra-trinitaire tout d’abord par la création du monde et ensuite par la communion hypostatique du divin et de l’humain dans la personne du Fils de Dieu incarné. «L’amour est la route de vérité que le Verbe de Dieu a dit être lui-même (Jn 14,6) (…) Il est la porte (Jn 10,9) par laquelle celui qui entre dans les choses saintes devient un des saints et est rendu digne de devenir l’un de ceux qui contemplent la beauté inaccessible de la sainte et royale Trinité»85. L’amour est bien pour saint Maxime le dernier mot de la déification de l’homme par la grâce. Nous comprenons ici dans quelle mesure l’Érigène est loin d’avoir suivi dans ses lignes directrices la doctrine du Père grec qu’il admirait pourtant particulièrement et auquel il doit de nombreuses élaborations. CONCLUSION Il est difficile de conclure de cette étude que l’érigénisme n’est qu’une construction purement et exclusivement intellectuelle, où l’intelligence serait tout. Finalement, l’intellectualisme devient spiritualité, une spiritualité à laquelle le Verbe incarné donne un élan vigoureux. L’Incarnation est ici, comme on l’a vu, bien réelle et totale et on ne peut parler de docétisme à son sujet. On ne peut pas davantage affirmer que Jean Scot soit, suivant l’expression de l’historien Barthélemy Hauréau «un autre Proclus à peine chrétien»86. Il est clair, néanmoins, que Jean Scot est profondément influencé par les schèmes néoplatoniciens, que son œuvre est conçue et présentée en fonction d’une déification par la connaissance. Sa doctrine tend malgré lui vers la philosophie de l’identité qu’il voudrait éviter. Il s’en tient à une dialectique par laquelle les essences s’identifient aux idées, où l’existence ne tient pas vraiment de place, où le rapport de Dieu au monde tend à se limiter à la seule cause formelle, où la personne n’a pas de statut reconnu. On comprend donc dans quelle mesure, il reste éloigné à la fois de saint Augustin et des Pères grecs dont il s’inspire. Il reste que sa doctrine des théophanies dans laquelle il a voulu traduire cette double vérité d’un Dieu 85. Cf. MAXIME LE CONFESSEUR, Ep. 2 (PG 91, 404A). 86. B. HAURÉAU, Histoire de la philosophie scolastique. Part 1: De Charlemagne à la fin du XIIe siècle, Paris, G. Pedone-Lauriel, 1872, p. 151: «Cet autre Proclus, à peine chrétien, qui, par ses discours naïvement profanes, causera tant d’agitation dans l’école, dans l’Église […]».
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caché et pourtant en un sens manifesté est profondément intéressante et riche, malgré ses imperfections et son caractère trop philosophique. Ce «barbare», comme le présentait Anastase le Bibliothécaire, nous a laissé une expression originale de la pensée chrétienne, expression trop originale sans doute: sur la doctrine du Dieu amour, Jean Scot est difficile à justifier, car son propos semble dénaturer la portée du message de l’Évangile. Il demeure pourtant trop visiblement attaché à la foi en Christ pour qu’il soit possible de le considérer hors de l’Église. Son œuvre demeure unique. En témoigne ce beau passage du livre V du Periphyseon, caractéristique de la piété du maître irlandais: Il ne faut rien rechercher d’autre que la joie de la Vérité qui est le Christ et il ne faut rien fuir d’autre que l’absence de la Vérité qui constitue l’unique et seule cause de toute la tristesse éternelle. Retirez-moi le Christ, et aucun bien ne me restera, aucune torture ne me terrorisera; car la privation du Christ et son absence constituent le tourment de toutes les créatures rationnelles, et il n’y a pas d’autre tourment, à mon avis87.
Université Paris 1
Michel STAVROU
UMR Orient et Méditerranée Institut Saint-Serge 93 rue de Crimée FR-75019 Paris France [email protected]
87. Cf. Periphyseon V, 37 (CCCM 165, p. 180; PL 122, 989A; trad. BERTIN 5, p. 185).
POUR UN ŒCUMÉNISME AUTREMENT OUVERT* I. À
LA BASE DE LA RELIGION CHRÉTIENNE UNE TENSION NON RÉSOLUE
1. Sous un regard schématique et en vue d’une perspective typologique, on peut dire que la religion chrétienne est une configuration – une configuration vivante, vécue – entre deux éléments. Les diverses confessions chrétiennes sont des réalisations et représentations1 différentes de cette configuration, c’est-à-dire du rapport entre les deux éléments. Quels sont ces deux éléments? Dans la conscience de devoir expliquer, spécifier et préciser ultérieurement, disons: l’élément du rite et l’élément de la parole. Du côté du rite nous comptons les diverses formes du sacrement, les traditions qui viennent de loin, les liturgies établies depuis «toujours» et qui doivent minutieusement être respectées; nous comptons aussi de ce côté la vénération dans ses formes préétablies, et nous rencontrons l’institution du prêtre qui est responsable de la réalisation authentique de ces rites. Ou plutôt du rite. Pourquoi passer au singulier? Parce qu’il y a ici (dans le rite et avec le rite) tout un monde, tout un univers, qui est cohérent en lui-même et qui représente une réalité particulière. Du côté de la parole, nous avons les textes accompagnant ou introduisant les rites. Nous avons la prédication avec les divers éléments qu’elle comporte (la promesse, l’exhortation, le rappel…). Nous avons les prescriptions morales. De ce côté aussi, nous ne parlons pas seulement en pluriel (les paroles), mais en singulier (la parole), pour indiquer que là aussi, il s’agit de toute une «sphère», de tout un «monde». Les deux sphères, les deux «mondes» sont fortement distincts. Si le monde du rite est sacré «d’un bout à l’autre», alors le monde de la parole est – ou du moins semble être – tout à fait profane. Il n’est cependant pas difficile de voir tout de suite que les deux sphères s’interpénètrent. Les rites sont célébrés par le recours à des paroles, telles * Une première ébauche de ces réflexions a été présentée dans le panel «L’avenir de l’œcuménisme» organisé par l’Académie internationale des sciences religieuses (AISR) dans le cadre de l’European Academy of Religion (EuARe) à Bologne, le 6 mars 2019. Je remercie ma fille Valérie Askani d’avoir relu le texte. 1. En allemand j’aurais dit: «Ausbildungen» dieser Konfiguration.
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que des formules précises qui doivent être respectées à un moment exact, telles que des liturgies prononcées publiquement, telles que les instructions données par le prêtre à la communauté. D’un autre côté la parole, malgré son caractère profane et sa responsabilité humaine, est censée communiquer des contenus et des enjeux qui dépassent la pure information et la sphère intramondaine. Au fond, la parole aspire à représenter une réalité aussi dense et réelle que le rite – mais en s’appuyant sur rien d’autre que sur son dire. Malgré le fait que les deux sphères s’interpénètrent et renvoient, dans des contextes bien circonscrits, l’une à l’autre, nous comprenons que les deux ne deviennent jamais une seule réalité. Rite et parole ne se laissent pas réduire l’un à l’autre. C’est pour cela que nous parlons de deux pôles d’une relation marquée par une tension. D’ou vient cette tension? Du fait que le rite voudrait être tout en lui seul, et du fait que la parole de son côté voudrait être tout en elle seule. La parole, les paroles, le et les discours ont tendance à vouloir tout comprendre et tout expliquer. Le rite de son côté a tendance à vouloir se débarrasser de toute explication qui lui semble extérieure et qui le gêne dans sa revendication d’être une réalité à part, valide en elle-même, «efficace» dans son pur déroulement. 2. Le rite et la parole se distinguent donc l’un de l’autre dans un processus continuel, sans cependant que l’un de deux pôles puisse se débarrasser de l’autre. Les deux – chacun à sa manière et les deux dans leur relation réciproque – sont confrontés au même défi: la relation entre le dicible et l’indicible qui entre en jeu où l’infini de Dieu rencontre la finitude humaine. Le rite affronte l’indicible en le célébrant, et ce n’est pas pour rien que la forme originaire du rite est le sacrifice, la confrontation avec la mort. La parole aussi affronte l’indicible. Pourquoi parlons-nous, si ce n’est pour dire ce qui dépasse la maîtrise évidente de nos mots? Est-ce que nous parlerions, si nous ne mourrions pas? Aussi pouvons-nous dire que les deux: le rite et la parole (qui gèrent chacun à sa manière l’abîme qui sépare le dicible de l’indicible) ont affaire à la vie et à la mort. La parole revendique et promet la vie contre toute opacité morte et tout mutisme mort; le rite, dans sa forme la plus originaire – le sacrifice – a la prétention de conduire à la vie à travers la mort. Que le sacrifice ait un rapport avec la mort est évident. Pour la parole c’est moins clair. Dans 99 % de nos discours et échanges nous parlons d’autre chose, mais pas de la mort. La question se pose cependant de savoir si tous les mots que nous formons sans cesse ne sont pas formulés pour
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combler un vide, le vide de la mort qui, elle, a sa spécificité dans le fait de se refuser à toute approche, même à celle qui est la plus nuancée, la plus subtile et la plus discrète: la parole. La quantité non mesurable des paroles que nous disons a un rapport avec la mort, et ceci non seulement dans le sens que, quand nous parlons, du moins nous savons que nous ne sommes pas encore morts, mais aussi dans le sens que nos paroles veulent pénétrer avec leur force d’éclaircissement et de lucidité justement ce qui se montre (et ne se montre pas) dans son obscurité et opacité totales: la mort. Vu à partir du monde du rite, la parole apparaît comme un effort anodin de vaincre la mort par une quantité de mots qui, eux-mêmes – pris de manière isolée – sont ennuyeux à en mourir. Vu à partir du monde de la parole, le sacrifice apparaît comme une entreprise forcée et magique, qui prétend arriver à une chose (la vie) en célébrant son contraire (la mort). Ces perspectives croisées montrent qu’en restant dans une de deux sphères (et à partir de son «monde») l’autre n’est pas accessible. Les deux sont étrangères l’une à l’autre, mais justement dans leurs caractères incommensurables, elles renvoient l’une à l’autre. Le rite pur (sans le moindre rapport à la parole) serait magie; la parole pure (sans le moindre rapport à un monde qui ne se laisse pas pénétrer par elle et, pour ainsi dire, «dissoudre» dans sa compréhension) serait – dans la sphère de la religion – du pieux «bla-bla». 3. Les deux éléments ne sont donc pas simplement juxtaposés. C’est la religion – la religion vécue – qui les met en relation, qui endure la tension entre les deux, et qui la met en scène. Elle tient à deux choses en même temps: a) à ce que la dimension du mystère – célébré dans le rite – ne se réduise pas à une opacité totale de magie; b) et à ce que la dimension compréhensive et éclaircissante – assurée par la parole – ne s’envole pas dans une liberté sans réserve et banale. Le rite rappelle constamment et, pour ainsi dire, impitoyablement à la parole qu’il y a un non-dit, et que ce non-dit est même à la base de tout ce qui sera dit; et la parole fait valoir en face du rite (du sacrifice, du sacrement) le fait que l’enfermement du mystère en lui-même qui se contente de sa répétition et de sa représentation est finalement inhumain. L’être humain veut et doit toujours comprendre. En d’autres termes, dans la religion, l’être humain accepte que ce qu’il comprend et ce qu’il ne comprend pas tiennent ensemble, et que les deux dans leur rapport de tension ont choisi l’homme pour vivre leur relation (et pour vivre de leur relation).
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II. LES CONFESSIONS CHRÉTIENNES ET LA TENSION NON RÉSOLUE 1. Dans l’éventail de possibles pondérations entre les deux «éléments» (les deux pôles), les Églises catholiques et protestantes n’ont pas misé sur la même «option»2. Dans une perspective typologique, on peut dire que l’Église catholique a «opté»3 pour la prévalence du sacrement. Selon cette confession, l’événement qui concrétise et «synthétise» en lui l’ensemble du rapport entre Dieu et l’homme est la célébration de l’eucharistie, dans laquelle le Christ lui-même se donne à son Église qui participe dans son être à la présence du Seigneur et qui laisse tous ses membres y participer aussi. Dans la même perspective typologique, on peut dire que les Églises protestantes ont «opté» pour la prévalence de la parole. Selon cette confession, l’événement qui concrétise et «synthétise» en lui l’ensemble du rapport entre Dieu et l’homme est – en se référant à l’auto-révélation de Dieu en Jésus-Christ – la prédication de l’Évangile, qui a comme but d’éveiller la foi en celui qui l’écoute4. Nous avons parlé d’une pondération et d’une option choisie. Pour éviter des malentendus, deux choses sont à constater: S’il y a prévalence d’un des deux pôles, il n’y a pas exclusion d’un des deux. L’élément de la parole est présent aussi dans la messe catholique; l’élément du sacrement est présent aussi dans le culte protestant. Dans le regard qu’une Église porte sur elle-même, elle n’apercevra pas le choix d’une option et encore moins une pondération qu’elle aurait effectuée. La réalité ecclésiale dans son vécu apparaît aux membres de cette Église forcément comme évidente. C’est l’autre Église ou confession qui apparaît comme a-normale. Ainsi un bon catholique va évidemment présupposer que dans son Église le rapport entre le pôle du rite (du sacrement) et de la parole (de la prédication) est bien équilibré. Un bon protestant va présupposer un équilibre aussi pour son Église. Il faut donc prendre de la distance pour s’apercevoir que de part et d’autre, au milieu de l’évidence, il y a aussi non-évidence, c’est-à-dire le vécu d’une tension non résolue, non équilibrée.
2. Je n’ai pas pu prendre ici en considération l’Église orthodoxe. Cela aurait demandé des réflexions plus complexes encore, qui auraient fait éclater le cadre de cet article. 3. Je mets le mot «opter» entre guillemets parce qu’il ne s’agit pas d’un choix pris consciemment ou inconsciemment, mais d’une longue évolution historique et théologique. 4. C’est pour cela d’ailleurs que l’attribut «évangélique» caractérise mieux ce type d’Église que l’adjectif «protestant». Si, dans la suite, de temps en temps nous disons quand même Église «protestante», c’est à cause de l’ambiguïté du mot «évangélique» qui aujourd’hui en langue française désigne un courant spécifique de piété.
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Pourquoi un équilibre n’existe-t-il pas? Parce que les deux pôles ne sont pas des réalités statiques, mais des réalités dynamiques, qui défendent chacune leur revendication, leur «mission». La parole (nous l’avons déjà dit), a tendance à vouloir tout rendre transparent grâce à sa lucidité; le rite a tendance à vouloir tout être et tout donner en lui-même grâce à sa réalité efficace. En vérité le rapport entre les deux pôles – parole et rite – est encore plus complexe. Non seulement la parole veut tout pénétrer avec sa compréhensivité et ainsi parler sans jamais s’arrêter; elle voudrait en même temps (dans un mouvement qui semble aller dans la direction opposée) que tout pourrait être dit, dans une authenticité et validité que seulement le rite promet et représente. Le rite de son côté aspire à ne pas seulement être «efficace» à sa manière mystérieuse, mais à l’être d’une manière qui soit aussi convaincante que celle dont disposent seulement les paroles. Il y a donc – dans la visée de deux côtés – la rencontre entre le dicible et l’indicible. Le rite sait et la parole sait aussi qu’ils ont besoin l’un de l’autre: le dicible ne serait rien sans l’indicible, et l’indicible ne serait rien sans le dicible. 2. En tirant les conséquences de ce qui vient d’être dit, nous pouvons dire: nos Églises donnent une image étonnante qui se déploie sous deux aspects: a) malgré la tension entre les deux éléments et malgré la tendance de chaque élément de l’emporter sur l’autre, elles ont tenu ferme et refusé l’unilatéralisme complet, qui aurait pu se proposer comme la «solution» facile; b) malgré le fait qu’un équilibre de revendications (venant de deux côtés) serait l’idéal, aucune Église n’a pu et n’a «voulu» réaliser cet équilibre. Apparemment la tension entre les deux pôles est si forte, si fondamentale et si dynamique qu’un déséquilibre s’installe toujours. On peut évidemment souhaiter maintenir et respecter l’existence de deux pôles (et on ne peut probablement pas ne pas le souhaiter), mais on n’arrivera jamais à «miser» autant sur l’un que sur l’autre pôle. La preuve en est l’existence de nos Églises, dont on peut dire qu’elles existent dans leur diversité justement parce qu’un tel équilibre n’est pas possible. Elles sont des réalisations spécifiques d’un déséquilibre inévitable. La tension anthropologique et théologique a dû chercher son expression dans des formes diverses de son vécu. Ces formes diverses sont les Églises, les confessions. Chacune d’entre elles représente un ensemble vécu. Cet ensemble vécu comporte beaucoup plus d’éléments que seulement la bipolarité dont nous parlons ici. À première vue la concentration sur les éléments du rite et de la parole semble réduire la réalité d’une confession à sa manière de vivre
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le culte dominical. La revendication défendue ici est cependant que les deux pôles dans leur tension déterminent l’ensemble de la vie d’une confession. (La figure du prêtre n’est pas la même que celle du pasteur – et cela tient à la pondération entre rite et parole; les types de croire ne sont pas les mêmes; les communautés se constituent de manières différentes – tout cela tient à la pondération entre rite et parole…). Chaque confession représente donc un ensemble vécu qui dépasse largement la sphère théorique (théologique, «dogmatique»). L’unilatéralisme se trouve intégré dans une cohérence pensée et vécue. Il reste cependant toujours un unilatéralisme. 3. Nous avons dit qu’aucune Église ne regardera sa manière d’être Église comme unilatérale. Il n’en reste pas moins vrai qu’inconsciemment ou à moitié consciemment elle se bat avec le pôle qu’elle n’arrive pas complètement à intégrer – non pas pour l’exclure totalement, mais au contraire, pour ne pas l’exclure totalement. Regardons comment ce combat se présente au sein du protestantisme. III. LE RAPPORT ENTRE «PAROLE LIÉE»
ET
«PAROLE LIBRE»
DANS LE CULTE PROTESTANT
1. Nous l’avons vu, dans le «protestantisme», il y a une tendance à pencher – au sein de l’équilibre précaire entre les deux pôles – vers le pôle de la parole et sa spécifique lucidité et légèreté. Le sacrement dans sa résistance contre cette lucidité est subordonné au pôle de la parole, et le plus possible intégré en lui, de sorte qu’aussi loin que c’est possible l’opacité du rite soit «éclairée». La dimension du rite qui est «rite sans reste», déroulement mystérieux, «opus ex opere operato» est suspecte aux protestants, et dans leurs cultes on a l’impression qu’ils sont plutôt gênés par la réalité sacramentelle que joyeux de son caractère surnaturel et ineffable5. Ceci dit, l’affaire n’est pas réglée avec cette pondération unilatérale. Le pôle négligé réclame son droit et provoque une réaction. C’est ce que nous allons montrer dans cette partie. Nous regardons donc de plus près un culte protestant. 2. Les parties d’un culte sont multiples. La différence fondamentale se joue entre la partie de l’annonce de l’Évangile et la partie de la célébration 5. Nous pourrions montrer qu’inversement, dans le catholicisme la dense réalité sacramentelle l’emporte sur la légèreté de la parole. Le fait que la prédication a une moins grande importance n’est pas un défaut, mais fait «partie du système». Le but n’est cependant pas de développer cet aspect maintenant.
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du sacrement (la Sainte Cène/l’Eucharistie). Or aussi dans les parties nonsacramentelles, on peut découvrir une différence; elle prend place entre d’un côté un discours libre et d’un autre côté un discours prédéterminé. On peut prendre cette différence comme une simple différence de style ou de genres de discours (comme la prose et la poésie). Nous nous demandons cependant, si la distinction n’a pas une portée plus profonde. Est-ce que le discours prédéterminé ne reflète pas une résistance contre la libre course de la parole (ou plutôt des paroles), qui est analogue à la résistance que le «royaume» du rite dans son opacité mystérieuse représente par rapport à la parole qui ne semble connaître aucune limite et aucun obstacle? En l’occurrence, la tension entre les deux pôles (le pôle sacramentel et le pôle du langage) dont nous avons parlé, reviendrait sur un autre niveau: le niveau de la parole elle-même au sein de laquelle une différence décisive se déploie entre deux modes de parler qui se trouvent non seulement en complémentarité, mais aussi en tension l’un avec l’autre. Nous allons mieux comprendre cet aspect, si nous regardons ce qui se passe dans un culte protestant. Avant de le faire, il nous faut une remarque préalable. Dans la poétologie on distingue un «discours lié» d’un «discours libre»6. Le discours lié est déterminé par des exigences fortes, comme le rythme, le mètre, le rime et autres «schémas», le discours libre est déterminé par la seule décision de celui qui le tient et par le contenu qu’il veut exprimer. On s’aperçoit tout de suite que cette distinction est partiellement abstraite, car le discours lié (toute l’histoire de la poésie le prouve) peut déclencher une liberté qui sans les «liens», sans les exigences formelles ne se serait pas découverte; et le discours «libre» se trompe sur lui-même s’il se conçoit comme si tout dépendait de l’auteur des paroles et non pas en même temps des paroles et de leur dire. Nonobstant, la distinction entre les deux a un sens, et elle devient évidente dans les différentes parties du culte et du rapport entre elles. 3. En effet, un culte est rythmé par l’alternance entre des paroles qui sont préétablies et des paroles qui sont librement formulées. La parole librement formulée à sa place notamment dans la prédication, la parole liée à sa place dans les parties liturgiques, telles que l’invocation, la louange, la confession des péchés, le Notre Père, la bénédiction… Depuis longtemps déjà, mais a fortiori depuis quelques années, on peut constater une tendance des pasteurs protestants à «tirer» le discours lié 6. Par les notions de «discours libre», «discours prédéterminé» et «discours lié», je renvoie à une différence connue en langue allemande entre «freie Rede» et «gebundene Rede» (qui a affaire avec la différence entre prose et poésie, sans être identique avec elle).
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du côté du discours libre, comme si ce dernier était le seul vrai. D’où vient cette tendance? Elle vient d’une certaine prétention à l’authenticité, à une authenticité qui serait donnée seulement là où une parole est portée par l’intention de celui qui la prononce et qui exprime en elle vraiment ce qu’il a à dire. Une parole prédéterminée apparaît, par contraste, comme une parole non-authentique, car elle est le fruit d’une tradition, souvent dite sans être complètement comprise, et même sans être toujours attentivement entendue. Ainsi, cette parole prédéterminée qui vient, on ne sait pas trop d’où7, mais en tout cas pas du fond du cœur, semble être – sous l’aspect de son authenticité – suspecte. Le pasteur protestant pour «parler vrai» essaie donc d’enrichir la parole «liée» par un impact personnel qui lui attribue sa véracité. Je prends comme exemple la bénédiction à la fin du culte (j’exagère légèrement pour montrer ce qui se passe). La bénédiction aaronique est souvent choisie pour ce moment du culte. Pour qu’elle ne suffoque pas dans ses propres formules trop connues, le pasteur l’enrichit de son propre souffle (que j’indique dans des formulations entre crochets). «Que Dieu8 vous bénisse et vous garde [qu’il vous protège partout où vous êtes]! Que Dieu fasse rayonner son visage sur vous [qu’il vous montre sa bienveillance dans des situations difficiles de votre vie]! Que Dieu vous découvre sa face et vous donne sa paix [à vous ici présents, et à tous ceux et toutes celles que vous aimez]!»
En effet, ce sont des paroles plus personnelles que celles du livre de Nombres (6,22-24). Elles s’adressent à nous, elles sont formulées pour nous et pour notre situation. Le pasteur a tout fait pour qu’elles soient actuelles, pour qu’elles ne viennent pas seulement de la Bible, mais aussi de son propre cœur. Une telle démarche – aussi gentille soit-elle – témoigne d’un profond malentendu. La parole vraie serait celle qui se remplit de l’intention de celui qui la prononce jusqu’à ce que quasiment plus rien ne se trouve en elle qui ne porte pas le sceau de l’authenticité personnelle. Pouvons-nous souhaiter cela? En nous appropriant la parole totalement, ne l’avons-nous pas usurpée et privée de son pouvoir de parler? Et est-il vrai que ce qui est dit dans une bénédiction doit venir du fond du cœur de celui qui la 7. Même si on peut reconstruire son origine! Dans l’usage du culte dominical elle vient – pour le pasteur ou prêtre et encore plus pour la communauté – d’un passé lointain et non pas clairement déterminé. 8. Le nom «Seigneur» qui correspond mieux au texte hébraïque, parce qu’il exprime en lui-même une relation, est devenu tabou et a été abandonné pour des raisons d’équité des genres dans le discours.
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prononce? Cette parole n’est-elle pas typiquement une parole qui vient de plus loin et dont nous avons à accepter une origine autre que la pure intention du pasteur? Ce qui fait qu’une parole est une parole dans le sens fort du terme est justement la tension dont la liturgie du culte est un reflet; une parole qui a une double origine. Elle vient de celui qui la prend dans la bouche et qui exprime à travers elle et en elle son intention, mais elle vient aussi d’une source autre, lointaine et inépuisable, qui se rend présente à nous et qui nous investit dans son dire. L’«art» de la liturgie dominicale consiste dans sa manière de réunir les deux types du discours sans les mélanger. Si dans la parole «libre» que nous disons et dont nous revendiquons avoir la pleine responsabilité, nous aspirons à une compréhension aussi «complète» que possible, alors la parole «liée», la parole qui nous précède, dépasse tout ce que nous comprenons et maîtrisons complètement. Dans ce sens elle représente ce que nous n’aurons jamais suffisamment dit. Chaque acte de parler se situe (donc) entre les deux pôles. Quant au premier pôle, nous avons tendance à croire que nous arrivons au fond de son origine, si nous réussissons à exprimer exactement ce que nous avons l’intention de dire. Elle semble donc nous appartenir. Quant au deuxième pôle, nous nous rendons compte que son commencement ne se situe pas en nous et que, par conséquent, elle va au-delà de notre intention de nous exprimer, mais aussi de notre capacité de la comprendre totalement. Elle est dite, peut-être qu’elle n’est pas complètement comprise, cela ne fait rien: elle a été dite depuis toujours, et elle va être redite dans un futur indéterminable. Elle nous prend avec elle, elle nous concerne, elle est pour nous au-delà de toute mesure que nous pouvons lui accorder. Aussi la parole «liée» de la liturgie est-elle une parole qui présente et qui représente l’origine d’un dire qui nous dépasse. En nous laissant nous engager par et pour elle, nous reconnaissons que nous n’aurons jamais totalement épuisé le potentiel de son dire, et c’est justement ainsi que nous pouvons déployer notre «propre» dire librement. Ainsi celui qui participe à un culte a le droit de ne pas tout comprendre et même de ne pas tout entendre consciemment. Dans ce qui se dit à lui, malgré sa compréhension limitée, le langage n’est pas moins à l’œuvre que là où il croit tout comprendre. Tout ce que nous disons ne relève que partiellement de notre maîtrise, et ce manque de domination n’est pas un défaut du langage, mais sa dignité et sa force de parler. Aussi dans l’invocation avec laquelle commence un culte dominical, est dit deux fois la même chose. Ces mots «Au nom de Dieu le père…», nous les connaissons trop bien, nous les entendons (peut-être) sans les
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entendre, mais nous comprenons du moins ceci: il s’agit là d’un parler, d’une inauguration du parler qui vient de plus loin que de toute initiative de notre part. Et c’est justement ce que ces mots disent explicitement: Notre parole en tant que liturge qui parle – et en tant que communauté qui écoute – commence «au nom» d’un autre. 4. On peut se demander d’où vient l’effort protestant de tirer tout ce qui est dit dans le culte dominical du côté de celui qui prononce les paroles. Est-ce seulement le souhait de l’authenticité, est-ce seulement le souci qu’aucun reste non-compris et non-éclairci ne persiste dans le langage, ou est-ce peut-être le contraire aussi? Est-ce qu’il se pourrait que l’aspiration de tout tirer du côté du dicible (et du dit) vient du fait que l’autre pôle, le pôle du rite (comme représentant de l’indicible) est sous-estimé, sous-représenté? Comme si la «fureur» de la parole devrait s’agrandir sans fin là où la reconnaissance d’une contre-instance (le sacrement, le rite, le mystère de l’indicible) est affaiblie et presque perdue. Remarque intermédiaire Nous avons donné un exemple «protestant»; l’exemple d’un excès, d’une exagération. Le but n’était pas de dessiner une caricature du protestantisme, mais d’attirer l’attention sur le fait que la dérive est toute proche, et plus que cela: qu’elle est beaucoup plus probable que la «normalité», ou (autrement formulé) qu’elle fait partie de la «normalité». Pourquoi? À cause de la précarité de l’équilibre et à cause de l’effort de compenser par un effort démesuré le déséquilibre. Vu sous cet aspect, nous aurions pu donner aussi facilement des exemples d’une «exagération» d’une autre confession. Or ce qui nous intéresse est la réflexion systématique et ses implications œcuméniques. IV. LA
PERSPECTIVE ŒCUMÉNIQUE
1. Notre point de départ était une configuration entre deux pôles qui devaient trouver entre eux un équilibre, mais ne pouvaient et ne peuvent pas le trouver. La configuration est celle entre le rite d’un côté et la parole de l’autre. Chaque confession chrétienne gère à sa manière la tension entre les deux. Chaque façon de la gérer conduit à un certain unilatéralisme. Dans une formulation succincte on peut dire que chaque confession chrétienne représente un tel unilatéralisme, un unilatéralisme dont nous avons reconnu le caractère inévitable. Ce caractère inévitable a sa raison d’être
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dans le fait qu’entre les deux pôles une concurrence a lieu qui, malgré leur complémentarité, ne s’arrête jamais. La manière de gérer la tension entre les deux pôles forme dans chaque Église un ensemble qui est – en dépit de son unilatéralisme – cohérent en lui-même. Il va de soi que chaque Église admet spontanément sa cohérence, et qu’aucune n’admettra spontanément son unilatéralisme. Il faut cependant aller plus loin. Non seulement elle n’admettra pas son unilatéralisme, mais elle a raison de ne pas le faire. Elle est Église de cette manière, à sa manière. Phénoménologiquement parlant, il y a donc un certain aveuglement de chaque confession dans son regard sur ellemême. Le constat de cet aveuglement n’est pas une critique. L’angle mort est dû à la vivacité de chaque Église qui réalise, qui accomplit son êtreÉglise au lieu de l’observer. Et ceci à juste titre, car dans la vie, une certaine unilatéralité n’est pas un défaut, mais la réalité vivante elle-même. Cette unilatéralité se laisse cependant percevoir de l’extérieur, sans qu’elle ne soit pourtant comprise dans tout son sens et sa profondeur. Un chrétien catholique ou orthodoxe, quand il lui arrive d’assister à un culte protestant, ne pourra pas se défendre contre l’impression qu’il manque quelque chose à ce culte pour qu’il soit vraiment un «service divin (Gottesdienst)». Il manque un événement, il manque un mystère qui a lieu et qui laisse participer à lui tous ceux qui sont présents et croient en lui. Un chrétien «protestant» de son côté, qui assiste à une messe catholique ou à la «divine liturgie» aura l’impression qu’il y a là quelque chose de trop. Et ce quelque chose de trop a un caractère impénétrable qui dans son impénétrabilité demande une adhérence qui ne peut ni se défendre ni s’expliquer. 2. La question qui nous préoccupe ici est de savoir quelles sont les conséquences de la situation décrite pour l’œcuménisme. Après des décennies de dialogues œcuméniques qui ont conduit à des progrès dans la compréhension mutuelle entre les Églises, nous nous trouvons actuellement dans une phase marquée par une certaine stagnation. Il semble que les sujets, tels que la question du ministère, la compréhension du sacrement, la conception de l’Église elle-même, qui sont aujourd’hui à l’ordre du jour, résistent à un rapprochement mutuel. Cette situation est d’autant plus surprenante que sur certains points des progrès ont été réalisés. Pensons par exemple à la Déclaration commune sur la doctrine de la justification (DCJ) signée en 1999. Sur la base d’une compréhension largement partagée on a espéré que sur d’autres points un rapprochement serait aussi possible. Cet espoir semblait être d’autant plus fondé que la logique des choses aurait exigé un tel progrès. Si on était d’accord sur le caractère central de
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la justification par la grâce seule et donc sur l’importance incontournable de l’annonce de cette bonne nouvelle, n’aurait-on pas dû trouver une compréhension commune du ministère, ou du moins une conception qui pourrait être reconnue de part et d’autre?9. Mais apparemment une logique linéaire n’est pas à l’œuvre ici. Ce constat me semble être de la plus grande importance. Pourquoi ne l’est-elle pas? Parce que dans la vie d’une Église tout est lié à tout de sorte qu’on ne puisse pas en isoler un tel ou tel élément, aussi peu que l’on puisse le faire dans un organisme vivant. Quand j’ai parlé de l’unilatéralisme et de la cohérence qui caractérisent chaque confession; et quand j’ai dit que la gestion de la tension entre les deux est la façon dont chaque Église répond au mystère de la révélation divine, j’ai renvoyé à cet ensemble vécu. 3. Ma question œcuménique est de savoir: ne devrions-nous pas reconnaître cette complexité? Complexité dans un double sens: a) complexité de la réalité d’une Église comprise dans son «vécu»; et b) complexité, par conséquent, des rapports œcuméniques, qui ne peuvent pas se limiter au niveau théorique («dogmatique»). Quelles en seront les conséquences œcuméniques? De manière succincte et indicative, je dirais: un nouveau regard sur le passé et un nouveau regard sur l’avenir. Commençons avec le regard sur le passé! On a souvent souligné que la division des Églises est un scandale, et plus que cela un péché, une blessure (une blessure de l’Église elle-même dans sa réalité voulue par Dieu) et donc une contradiction contre la volonté de Dieu. Il est incontestable que les deux grands schismes (celui du XIe et celui du XVIe s.) représentent une rupture douloureuse. Ne peut-on cependant pas se demander si ces schismes étaient vraiment évitables, ou si peut-être la formation de divers types d’Églises a eu – et a toujours – un sens où l’annonce du Royaume de Dieu pour le monde comporte un potentiel si incommensurable pour la réception humaine que – forcément – une diversité de réceptions de cette promesse et des réponses à celle-ci a dû se développer? J’ai essayé d’expliquer l’enjeu de la rencontre entre l’infinitude de Dieu et la finitude humaine par l’irréductibilité de deux éléments qui, chacun, ont comme défi d’y réagir et d’y répondre: le rite et la parole. La parole «veut» toujours mieux comprendre, le rite «veut» (une fois pour toutes) statuer. Les deux «ont raison»: le mystère 9. Cf. sur ce point: E. PARMENTIER – T. DIETER, La Déclaration commune sur la justification: une révolution tranquille, dans Unité des chrétiens 193 (2019) 13-17.
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d’un Dieu qui vient au monde déclenche un mouvement sans fin de vouloir l’intégrer dans notre compréhension humaine; comment alors ne pas – et toujours de nouveau – en parler?; ce même mystère se donne et s’est déjà donné, et il ne sera jamais épuisé, comment alors ne pas le célébrer au lieu de le creuser? Le rapport entre rite et parole est donc fragile, précaire, car il ne peut jamais aboutir à une «solution», à un équilibre atteint une fois pour toutes. Cette fragilité, cette précarité ne diminuent cependant pas, mais au contraire agrandissent l’importance de ce rapport dans la vie d’une Église. Elle vit quelque chose qui est une richesse et une fragilité en même temps, car entre les deux pôles un équilibre n’existe pas, un unilatéralisme est donc inévitable. Mais non seulement au sein d’une Église un équilibre n’existe pas, aussi entre les Églises les unilatéralismes ne s’équilibrent pas. Pour le dire à l’aide d’un exemple: si, pour contrebalancer le déséquilibre caractéristique de leur(s) Église(s), les protestants mettent un accent plus fort sur le sacrement et donnent moins d’importance à la prédication, ils ne deviennent pas des meilleurs protestants, mais des moins bons catholiques. Ceci dit, non seulement les unilatéralismes ne s’équilibrent pas, mais ils forment au contraire «positivement» l’orientation du vécu d’une confession, ils leur donnent leurs spécificités, leurs «tonalités». Vu sous cet aspect théologique, je ne peux considérer ni la bipolarité (dont nous avons parlé) en tant que telle, ni la nécessité de la gérer ni la diversité de types de cette gestion comme un scandale, voire comme un péché. 4. Je me demande donc si nous ne pourrions pas risquer un regard moins culpabilisant sur notre passé?10. Et si, sur la base de ce regard, un nouvel horizon ne pourrait-il pas s’ouvrir dans le paysage œcuménique, à savoir si les Églises ne pourraient-elles pas se rencontrer autrement, d’une manière plus ouverte, plus détendue, et plus fructueuse? Avec cette question, nous tournons maintenant notre regard vers l’avenir du rapport entre les Églises. V. UNE AUTRE ORIENTATION ŒCUMÉNIQUE 1. Au fond et au centre de la religion chrétienne il y a un mystère que nous n’arrivons pas à pénétrer et qui nous est néanmoins donné. Ce mystère se laisse formuler en quelques mots: «Dieu vient au monde». Ce 10. Je dirais même: Je me demande si nous ne sommes pas invités à un regard moins culpabilisant sur notre passé, car ce regard ne relève pas seulement de notre bonne volonté et de notre courage, mais d’une responsabilité que nous avons – face à notre passé et face à notre avenir.
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mystère est trop grand pour l’être humain, il lui est néanmoins confié. C’est là que le rite qui veut célébrer le mystère, et la parole qui veut le comprendre et le communiquer, se différencient. Ils forment, comme nous avons essayé de le montrer, deux pôles d’une relation qui est gérée, dans leur incommensurabilité, par chaque confession à sa manière. Chaque confession est (ai-je dit) une forme de gestion de cette configuration instable. Si elle n’était pas instable, une multitude de confessions n’existeraient pas. Dans cette gestion, il y a toujours une tendance à l’unilatéralisme. Cet unilatéralisme est à la fois un défaut et «naturel». Il est un «défaut» car un unilatéralisme ne peut jamais être correct, il est unilatéral. Il est néanmoins «naturel», car la spécificité du rapport dont il s’agit ne permet tout simplement pas d’équilibre. Cette absence d’équilibre – cette structure fragile – va-t-elle conduire à un repli sur soi-même ou à une ouverture vers l’autre? C’est la grande question œcuménique, qui implique une deuxième: comment cette ouverture pourra-t-elle se faire, se vivre? Est-ce que le mouvement œcuménique se réduira au seul défi de reconnaître les autres confessions (et sa propre confession) dans leurs spécificités, spécificités non réductibles l’une à l’autre et non traductible l’une l’autre? Constatons d’abord qu’une telle reconnaissance représenterait un défi – et si elle était jamais acquise – un gain énorme. Car jusqu’à maintenant, cette reconnaissance n’est justement pas donnée. Chaque confession est toujours regardée par l’autre selon les présupposés de cette dernière. Bien sûr, il y a là, où autrefois régnaient la méfiance et la peur, aujourd’hui la bienveillance et une certaine ouverture d’esprit. Mais cette ouverture ne va pas suffisamment loin, me semble-t-il. Le fondement de la rencontre entre les Églises changerait cependant radicalement, si la pluralité des Églises n’était pas regardée comme un malheur (ou même un péché), mais comme l’expression de la profondeur du mystère chrétien. Tout en sachant que je ne pourrais pas jusqu’au fond – jusqu’au fond du vécu (d’un vécu qui est le fruit d’un développement historique de plusieurs siècles ou millénaires) – comprendre la vérité d’une autre confession, je peux admettre qu’il puisse y avoir véracité et vérité, vérité et véracité aussi là où ce n’est pas moi qui la vis, mais ma sœur et mon frère «en Christ». Malgré toutes les affirmations «solennelles», les dialogues œcuméniques sont jusqu’à aujourd’hui marqués par une accentuation fortement théorique, qui sous-estime le fait que la foi et la vie d’une Église dépassent de loin ce qui se laisse formuler en vérités «dogmatiques»11. Par conséquent 11. Cf. H.-C. ASKANI, Le statut des énoncés dogmatiques en contexte œcuménique, dans RSR 95 (2007) 529-544.
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les dialogues œcuméniques sont marqués par la question de savoir «qui a raison?». L’approche que nous venons d’esquisser donne congé à la question «qui a raison?», car elle s’avère comme trop superficielle face à la richesse et la profondeur du mystère chrétien. Cette question cède sa place à une autre: la question de la vérité, dont nous pouvons comprendre et dont – en tant que croyants – nous avons déjà compris qu’elle est plus grande que ce que ne nous pourrons jamais saisir. Cette vérité nous saisit, et elle nous saisit en tant que don que Dieu lui-même en Jésus-Christ nous a confié. Il s’agit là d’une vérité que nous ne posséderons jamais, mais que nous sommes appelés à habiter. La différence entre les deux (posséder et habiter) nous conduit à une découverte: la maison de la vérité est plus grande que la revendication d’un quelconque habitant qui – c’est l’enjeu de la question «qui a raison?» – prétend que son appartement est le plus beau. «Il y a plusieurs demeures de la maison de mon Père», dit Jésus selon Jn 14,2. Cette affirmation n’est évidemment pas un programme œcuménique, mais le mouvement œcuménique peut se reconnaître en elle. Nous avons postulé que la reconnaissance d’une autre confession dans sa spécificité est un gain inouï dans le mouvement œcuménique. Nous pouvons maintenant mieux dire en quoi ce gain existe: dans le fait que non seulement je ne peux pas vouloir posséder la vérité sans concéder que les autres en ont compris aussi quelque chose, mais que je renonce à vouloir la posséder, car je comprends que la vérité chrétienne est toujours une vérité partagée. 2. Dans cette optique, les Églises sœurs commencent à avoir un statut nouveau. Nous avons posé la question de savoir si – au-delà de la reconnaissance mutuelle – un pas de plus pourrait se faire dans le «mouvement œcuménique». Et nous avons compris que cette reconnaissance est elle-même déjà un «pas de plus» qui a une portée inattendue. Je vais essayer d’expliquer, de manière personnelle et en renvoyant à la réflexion commencée au début de cet article, en quoi cette nouveauté existe: Si je suis conscient du fait que la configuration fondamentale de la religion chrétienne est celle d’une tension non soluble mais vivable, si je reconnais donc un certain unilatéralisme comme étant non seulement inévitable, mais en même temps une forme de la richesse de la religion chrétienne, alors je me demande si je peux me contenter de ma propre confession et de ma vie en elle. La question est plus provocatrice qu’il n’y paraît, car je ne peux pas vivre dans deux confessions. Une sorte d’amalgame entre les confessions
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n’est pas possible. Que puis-je donc faire? Est-ce que toute ouverture n’est pas aussitôt close? En effet, toute ouverture est close qui va dans le sens d’une appropriation quelconque. (Moi je devrais m’approprier quelque chose de l’autre; celui-ci devrait s’approprier quelque chose de moi et de ma confession…). Mais est-ce qu’un autre type d’ouverture n’est-il pas possible ou pensable? Si c’était le cas, cela serait une vraie révolution œcuménique. 3. Jetons un regard sur l’histoire de l’œcuménisme. Pendant des siècles les membres de diverses confessions se sont regardés avec un certain mépris et dans le soupçon de rencontrer en l’autre une manifestation du mal. Heureusement que les choses ont changé depuis quelques décennies. Nous nous reconnaissons mutuellement comme frères et sœurs en Christ. Il n’empêche que, dans la rencontre avec des représentants de l’autre confession (et justement dans la rencontre!), un sentiment sous-jacent est présent: mon frère catholique serait un frère encore meilleur, encore plus aimé s’il était protestant comme moi (et vice versa). Contre ce sentiment, contre ce présupposé, contre cette structure de la rencontre entre les confessions, je formule une contre-position et une contreproposition. J’aime mon frère et ma sœur catholiques ou orthodoxes non pas en tant que futur(e) protestant(e), mais en tant que fidèles catholiques et orthodoxes. C’est en tant que catholique et orthodoxe qu’il est mon meilleur frère, qu’elle est ma meilleure sœur, et non pas en tant que protestant potentiel. Comment expliquer cela? N’est-ce pas un sentiment de bienveillance qui se trompe sur lui-même? Non, c’est dû à une compréhension de ma propre confession dans son rapport avec la religion chrétienne et avec les autres confessions dans cette religion. Je suis protestant et je ne veux pas être autre chose que protestant, mais dans la conscience de l’unilatéralité de ma propre confessionnalité – elle est cohérente et unilatérale en même temps, et elle ne peut pas ne pas l’être! – je ne veux pas qu’il n’y ait pas de catholiques et d’orthodoxes à mes côtés. 4. Pourquoi je ne le veux pas? À cause de mon esprit ouvert? Non, parce que je ne peux pas le vouloir, car il s’agit d’un rapport objectif entre les confessions. Chaque confession est une expérience vécue du mystère chrétien dont j’ai dit qu’il se présente dans un double caractère: d’un côté d’une dimension (je l’ai nommée la dimension du rite, du sacrement) qui dépasse toute accessibilité par la parole et d’un autre côté d’une dimension (je l’ai nommé la dimension de la parole) qui a néanmoins la tâche d’en parler.
POUR UN ŒCUMÉNISME AUTREMENT OUVERT
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Si ma confession est une expérience vécue cohérente du mystère chrétien, je vais comprendre que je ne peux pas la compléter en y rajoutant des éléments d’une autre. Si ma confession est une expérience vécue cohérente et unilatérale du mystère chrétien, je vais comprendre qu’elle n’épuise pas le mystère chrétien. C’est là le lieu où je pourrais laisser une place aux autres confessions, non pas avec le regret que la mienne ne soit pas la seule, mais dans la gratitude que c’est ainsi. 5. La forme de l’œcuménisme qui correspond à cette compréhension, je l’appelle «l’œcuménisme de la foi partagée». Faculté de théologie Université de Genève Rue De-Candolle 5 CH-1211 Genève 4 Suisse [email protected]
Hans-Christoph ASKANI
LA «GUÉRISON DES MÉMOIRES» UN PROJET ŒCUMÉNIQUE POUR SURMONTER UN PASSÉ DE DOULEUR
Ayant le privilège de préparer cet article à deux plumes, nous avons choisi une lecture en double focale de la même problématique: comment envisager un rapprochement lorsque la mémoire demeure marquée de persécutions? Des Églises peuvent-elles demander pardon pour leurs ancêtres? Et les héritiers peuvent-ils pardonner sans trahir leurs pères? Nous examinerons comment l’Église catholique et les Églises luthériennes font face à la réalité de leurs propres persécutions à l’égard des anabaptistes. Ceci permet aussi, en hommage à notre estimé collègue et ami Joseph Famerée, spécialiste acribique du consensus différencié, de lui soumettre une autre orientation méthodologique: la «guérison des mémoires». Elle fait la part belle à l’histoire et à la mémoire, ce qui ne saurait lui déplaire en tant qu’œcuméniste et historien. L’enjeu est l’action irréparable, comme dans ce cas des persécutions douloureuses, et même des mises à mort. Que faire quand l’on ne peut plus modifier ces réalités tragiques1? Une reprise de ce passé ne risquet-elle pas de séparer encore davantage ces Églises aujourd’hui, à la mesure de l’évocation sans fard des détails du passé? Et toute entreprise ne seraitelle pas une réconciliation à bon marché? Que deviendra la quête de la vérité doctrinale que voulaient tant défendre les pères de chaque Église? Par ailleurs, les générations actuelles ont-elles à revenir en arrière et à être tenues pour responsables de la faute des pères? N’est-ce pas une culpabilité inutilement paralysante, qui imposerait des pas logiquement impossibles, puisque l’objet du contentieux originel risque d’être toujours présent, voire renforcé par des siècles de séparation mutuelle? Nous explorerons l’approche privilégiée par les deux commissions internationales: catholique-mennonite et luthérienne-mennonite, qui toutes deux ont tenté de répondre à ces défis à l’aide d’une orientation du travail œcuménique à l’œuvre depuis les années 2000: la «guérison des mémoires».
1. Unité des Chrétiens 174 (avril 2014) est un numéro consacré aux Épisodes noirs des relations interconfessionnelles.
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La «guérison des mémoires» («purification des mémoires» dans les textes catholiques) n’est pas une méthode avérée. Inspirée de pratiques de pacification d’Afrique du Sud et d’Irlande, elle est une tentative du mouvement œcuménique actuel de prendre en compte les blocages identitaires qui résistent aux dialogues et à la méthode du consensus différencié doctrinal. Elle prend davantage en compte l’histoire passée et ses effets persistants sur les constructions identitaires. Elle se caractérise aussi par la recherche d’actions aptes à transformer les relations actuelles entre des Églises séparées non seulement doctrinalement mais par des blessures persistantes. En cela elle représente un bon laboratoire pour un œcuménisme d’avenir. La lecture en double focale permettra de discerner comment s’esquisse cette même orientation, avec les mêmes destinataires, mise en œuvre par des Églises différentes. Nous rappelons dans une première partie l’histoire des persécutions du XVIe siècle et leurs effets délétères persistants. Puis chacun pour sa part, nous examinerons deux résultats de dialogues de commissions internationales: – le rapport du dialogue international entre l’Église catholique et la Conférence mennonite mondiale (CMM): Appelés ensemble à faire œuvre de paix (1998-2003)2, et – le rapport du dialogue international entre les Églises de la Fédération luthérienne mondiale (FLM) et la CMM: Guérir les mémoires: se réconcilier en Christ (2005-2009)3.
I. LA
REVISITATION DU PASSÉ ENTRE LUTHÉRIENS ET MENNONITES
Qui étaient ces «re-baptiseurs»? Le quolibet ne venait pas d’eux, qui se voyaient comme «baptiseurs», Täufer, et «frères», Brüder. Leurs héritiers revendiquèrent de garder l’appellation d’anabaptistes par fierté de leurs racines. Le quolibet inclut également les mennonites qui sont la branche européenne. 2. Appelés ensemble à faire œuvre de paix. Rapport du dialogue international entre l’Église catholique et la CMM (1998-2003) http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_ councils/chrstuni/mennonite-conference-docs/rc_pc_chrstuni_doc_20110324_mennonite_ fr.html (consulté le 22 juillet 2019). 3. COMMISSION INTERNATIONALE D’ÉTUDES LUTHÉRO-MENNONITE, Guérir les mémoires. Se réconcilier en Christ, Genève, FLM; Strasbourg, CMM, 2010. https://mwc-cmm.org/ sites/default/files/website_files/rapport_commission_etudes_luthero-mennonite.pdf (consulté le 9 juin 2019). Le document sera cité par les pages de la version en français, en décalage de la version allemande qui comporte 12 notes supplémentaires!
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La revendication du nom d’anabaptistes ne signifie pas que l’on se repose sur une unité formelle ou structurelle. Entre 1525 et 1530 divers mouvements furent gagnés aux idées des réformateurs, en particulier à l’autorité et l’interprétation de l’Écriture et à l’exigence d’un Évangile vécu dans sa radicalité. Dans cette grande diversité, trois groupes émergent, qui se sont mutuellement reconnus de la même orientation fondamentale: les «frères suisses» à Zurich et dans les régions germanophones; les «huttérites» au Tyrol puis en Moravie; et les «mennonites» des PaysBas et du nord de l’Allemagne. Le rapport Guérir les mémoires documente la persécution protestante de ces anabaptistes. Il précise que ces mouvements se considéraient comme une fraternité dépassant toutes frontières et identités locales, reposant sur trois bases fondamentales: la vraie foi commande une vie de disciple au quotidien; l’Église est une communauté visible et obéissante; l’amour, commandement suprême, est aussi amour des ennemis (p. 15). Ces mouvements avaient en commun de vouloir vivre l’Évangile dans sa radicalité, ce qui exigeait de se séparer des «faux-frères», de «sortir de Babylone et de l’Égypte terrestre», des choses du monde et des «cultes papistes». Ces termes sont extraits de «l’Entente fraternelle de Schleitheim» du 24 février 1527, au titre significatif: Entente fraternelle entre quelques enfants de Dieu sur sept articles. Le document appelait à vivre le combat spirituel du bien contre l’emprise du mal en se détachant non seulement des allégeances à leurs supérieurs dans la société mais aussi des autres Églises pour vivre sous la souveraineté directe de Dieu. Maintenant il n’y a rien d’autre dans le monde et dans toute la création que le bien et le mal, la foi et l’incrédulité, l’obscurité et la lumière, le monde et ceux qui sont en dehors de lui, le temple de Dieu et les idoles, Christ et Bélial, et aucun ne se mêlera à l’autre... De tout cela nous devrions apprendre que tout ce qui n’a pas été uni à notre Dieu en Christ n’est rien qu’une abomination qu’il nous faut fuir. Il s’agit de toutes les œuvres et de l’idolâtrie papistes et repapistes, les rencontres, la fréquentation de l’Église, des garanties et des engagements dans l’incrédulité, et autres choses semblables, que le monde apprécie, mais qui pourtant sont charnelles ou carrément opposées à l’ordre de Dieu, selon le modèle de toute l’iniquité qui est dans le monde4.
Deux événements traumatisants en manifestent l’extrême: la guerre des paysans de 1525 et le siège de la ville de Münster, reprise aux anabaptistes qui voulaient y implanter l’Évangile en 1534.
4. Ibid., p. 33 (cité par le rapport luthérien). Schleitheim, et d’autres confessions de foi des siècles suivants, sont traduites par Claude BAECHER, avec notes, en 4 langues sur http:// biblioanab.fr/Biblioanab/Bibliographie.html (consulté le 9 juin 2019).
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Des paysans et des artisans des territoires germaniques du Saint Empire Romain, écrasés par les impôts féodaux, révoltés contre les profits des suzerains et du clergé, se sentirent encouragés par les affirmations de Martin Luther concernant «la liberté du chrétien» à se libérer des contraintes sociales et économiques pour vivre l’idéal de l’Évangile. Ils rédigèrent 12 articles d’un programme social et politique radical, en invoquant des affirmations bibliques, et le soumirent aux réformateurs. Luther écrivit d’abord une opposition modérée. Mais effrayé par la radicalité de la révolte des paysans de Thuringe en 1525, il rédigea une annexe Contre les paysans meurtriers et pillards, et en appela aux princes (p. 24). Ceux-ci avaient en fait déjà commencé la répression, en collaboration avec les évêques. Une rébellion de troupes paysannes menées par Thomas Müntzer à Frankenhausen fut noyée dans le sang en mai 1525. Pendant l’été se poursuivirent les sévices contre d’autres paysans rebelles. Cette cruauté fit naître des mouvements anabaptistes refusant les armes, le serment à l’État et l’appartenance à une Église officielle. Ces chrétiens confessants voulaient vivre le Royaume de Dieu. La situation extrême fut la ville de Münster. Dès 1530 un prédicateur luthérien y fut très écouté. Dans l’opposition à l’évêque, qui était aussi le suzerain, il se radicalisa et devint anabaptiste. Sous la pression de la population, l’évêque déclara la liberté de culte en 1533, ce qui amena à Münster une forte population anabaptiste d’autres régions. La population non anabaptiste ainsi que l’évêque quittèrent la ville, où arrivèrent encore des anabaptistes néerlandais. Parmi eux, Jan Matthijs prophétisait (comme Melchior Hoffmann à Strasbourg) le retour du Christ, et annonçait que Münster serait le lieu de réalisation du Royaume du Christ. Les anabaptistes se trouvèrent en majorité au Conseil de la ville en 1534. Le princeévêque assiégea la ville, et le jour de Pâques, Jan Matthijs, persuadé que Dieu allait manifester sa puissance, sortit avec un petit groupe d’hommes à l’assaut des troupes de l’évêque. Il fut tué et sa dépouille exposée à la vue des assiégés. Le jeune tailleur Jean de Leyde prit sa succession et proclama Münster royaume anabaptiste, avec sa propre monnaie, la communauté des biens, la polygamie. La ville fut assiégée pendant un an par les troupes de l’évêque augmentées de celles des princes, et les anabaptistes furent massacrés en juin 1535, leurs dirigeants torturés et exécutés, leurs corps exposés dans des cages au sommet du clocher. Le rapport de la commission luthéro-mennonite, dans sa partie historique, retrace de manière détaillée les développements de la prédication anabaptiste et ses différents hérauts, montrant comment les princes s’alarmèrent de cette rébellion populaire. De 2000 à 3000 anabaptistes (plus de 5000 selon les sources anabaptistes) furent exécutés entre 1525 et 1550,
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et des milliers d’autres emprisonnés, torturés ou exilés et privés de leurs biens. En territoire protestant, précise le document d’étude, ils ne furent condamnés à mort qu’à Zurich, Berne et la Saxe5. Les persécutions mortelles furent plutôt le fait des gouvernements (p. 26). La réaction violente des autorités s’explique par le fait qu’à l’époque toute rébellion menaçait la cohésion sociale. Or les idées millénaristes, l’idéal de réalisation du Sermon sur la montagne, le jugement imminent de Dieu représentaient d’autant plus une sévère remise en question qu’ils s’accompagnaient d’une suspicion à l’égard des autorités. Même si les anabaptistes n’ont pas appelé à la sédition politique, les princes ont compris qu’ils sapaient leur pouvoir. Ceci n’excuse pas les réformateurs. Ils se limitèrent à une vision stéréotypée à partir de quelques extrémistes, ou méconnurent de nombreux aspects. Ils craignaient aussi qu’eux-mêmes soient assimilés aux mouvements extrêmes, d’où leur souci de prouver leur propre orthodoxie. Deux ans après le début de l’oppression, en 1527, fut composée l’Entente fraternelle de Schleitheim par des croyants persuadés qu’ils allaient être très vite exécutés. Le rapport de la commission évoque également le mouvement huttérite au Tyrol, puis le mouvement mennonite issu des PaysBas. Menno Simons (1496-1561), prêtre catholique néerlandais, dénonça le radicalisme des anabaptistes de Münster et relut les évangiles sans vision millénariste, dans une éthique d’amour. Il démissionna comme prêtre en 1536 alors que les persécutions étaient très vives et se mit en route pour construire une Église «de paix» et dans l’unité des mouvements, favorisée par l’impression rapide de ses écrits. Après 1557 les mouvements anabaptistes formulèrent leur défense en réponse à un procès à partir d’un cantique de 20 strophes, le Cantique de [Hans] Büchel, du nom d’un dirigeant des Frères suisses (pp. 71-72). Les huttérites se justifièrent à travers l’écrit de leur dirigeant Leonhard Dax dont on n’a de traces que par des extraits d’autres témoins. Les réformateurs ne furent pas tous du même avis. Contrairement à Luther, Johannes Brenz, le réformateur de Schwäbisch Hall, refusa cette persécution tant que les hérétiques vivent en paix avec la population, et dans le cas contraire il proposait de les bannir (pp. 49-51). C’est à partir de 1531 qu’il sembla admettre la peine de mort, mais seulement en cas de sédition avérée (p. 52). À Strasbourg, Bucer et Capiton furent également ouverts à un dialogue de vérité, mais sans violence, avec l’anabaptiste 5. À Zurich, lorsque commença un mouvement de rebaptême en 1525, le Conseil de la ville annonça que quiconque baptiserait serait noyé (COMMISSION INTERNATIONALE D’ÉTUDES LUTHÉRO-MENNONITE, Guérir les mémoires [n. 3], p. 30 [rapport luthérien]).
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Michael Sattler (1526-1527). Lorsque celui-ci fut exécuté par l’Autriche, ils le déclarèrent «martyr du Christ». Mélanchthon s’engagea dans la même voie que Luther, et lorsqu’en 1530 l’empereur convoqua une Diète sommant les réformateurs de préciser leur foi, Les rédacteurs de ce qui allait devenir la Confession d’Augsbourg (CA) voulurent se démarquer des pratiques de rebaptême et surtout montrer aux princes qu’ils prenaient clairement leurs distances des anabaptistes (p. 58). Cette partie historique du rapport se poursuit par les explications des postures des différents réformateurs, qui ne peuvent être détaillées ici où nous nous concentrerons sur l’enjeu contemporain. II. LA REVISITATION
DU PASSÉ ENTRE CATHOLIQUES ET MENNONITES
Pour les gouvernants catholiques, le mouvement des paysans était un signe évident du caractère subversif de la rupture de Luther avec Rome. De plus, étant donné les rapports étroits entre l’Église et l’État, l’usage de rebaptiser avait un effet extrêmement provocateur au XVIe siècle et ne pouvait être considéré que comme un acte hérétique. Se basant sur cette ancienne loi impériale contre les donatistes, la Diète de Spire, en 1529, proclama la peine de mort pour tout acte de «rebaptême». Mennonites et catholiques ont entretenu des images négatives des uns et des autres depuis le XVIe siècle. Les anabaptistes partageaient un grand nombre d’idées reçues de la Réforme sur l’Église catholique. Ainsi, ils accusaient les catholiques de croire au «salut par les œuvres» et d’idolâtrie sacramentelle. Ils considéraient la Réforme comme un prélude de la fin des temps et le pape comme l’antéchrist. Les anabaptistes critiquèrent aussi bien les catholiques que les protestants pour ce qui était à leurs yeux des relations malsaines avec le pouvoir politique. Ils estimaient que l’Église avait chuté. Ils voyaient dans le baptême des enfants le signe essentiel d’une religion qui contraignait les individus à être chrétiens indépendamment de tout engagement de foi. La persécution et l’exécution d’anabaptistes accentuèrent le niveau de la polémique et donnèrent naissance à des images négatives. Les anabaptistes voyaient le catholicisme comme une religion rituelle et formelle, qui prône les œuvres et suscite la superstition. Les prêtres étaient présentés comme des ignorants, oisifs et immoraux. Pour les catholiques, les anabaptistes procédaient de l’hérésie et du schisme protestant d’un Luther rejetant la seule autorité chrétienne légitime de l’époque, ouvrant ainsi la porte à de nombreuses lectures contradictoires de l’Écriture et à la subversion politique. Les catholiques considéraient les anabaptistes comme des personnes ignorantes, dont les théologiens ne
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connaissaient pas le latin. Par exemple, ils accusèrent le théologien anabaptiste Balthasar Hubmaier d’être un agitateur, un ennemi du gouvernement et une personne immorale. Pendant longtemps, et même jusqu’au XXe siècle, des auteurs catholiques comparaient les plus pacifiques parmi les disciples de Menno Simons aux melchiorites radicaux de Münster. En réalité, les théologiens catholiques n’avaient qu’une connaissance limitée de l’histoire de l’anabaptisme. La question de la nature apostolique de l’Église a créé une profonde ligne de partage ecclésiologique entre anabaptistes et catholiques au cours du XVIe siècle. Les anabaptistes rejetaient l’idée d’une continuité apostolique par succession des apôtres garantie par l’Église institutionnelle. Ils commencèrent à parler de la «chute» de l’Église vue comme un signe de son infidélité. Les catholiques et la plupart des autorités du mouvement réformateur considéraient le baptême des enfants comme une tradition apostolique pratiquée depuis les premiers temps de l’Église alors que les anabaptistes voyaient dans l’acceptation généralisée du pédobaptisme, ainsi que dans les liens politiques étroits entre l’Église et l’Empire, les principaux signes de l’apostasie d’avec la vision apostolique de l’Église fidèle et, par conséquent, la preuve de la «chute». Pour les anabaptistes la fidélité était définie non pas comme maintien de la continuité institutionnelle, mais comme rétablissement de la foi néotestamentaire. À leurs yeux, la restauration et la préservation de l’Église apostolique exigeaient d’eux la rupture d’avec l’Église institutionnelle de leur temps. La continuité n’était pas recherchée dans la succession épiscopale, mais plutôt dans la fidélité au témoignage de l’Écriture et dans l’identification avec certains hommes et mouvements. Les vaudois et les franciscains, par exemple, étaient considérés par les anabaptistes comme de fidèles représentants d’un christianisme authentique tout au long de leur histoire. Étant donné les rapports étroits entre religion et société, l’établissement du principe cujus regio, eius religio lors de la Paix d’Augsbourg en 1555, a renforcé les sentiments déjà très négatifs entre les chrétiens séparés. Ce principe a donné naissance à un type de société dans laquelle une confession chrétienne particulière (catholique, luthérienne et, plus tard, réformée) est devenue la religion établie dans un territoire donné. Cet État confessionnel se caractérisait par son intolérance envers les personnes d’autres confessions. En raison de cette situation politique spécifique et particulière, le martyre devint une expérience commune aux chrétiens de toutes les confessions, catholiques, luthériens, réformés, anglicans ou anabaptistes. Les anabaptistes pouvaient difficilement trouver un havre politique stable dans l’Europe du XVIe siècle. Dans certains pays, la persécution des mennonites a duré pendant des siècles. Dans quelques États, ils furent
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l’objet de discriminations et soumis à des restrictions sociales et politiques, même jusqu’au XXe siècle, surtout à cause de leur conviction en faveur de l’objection de conscience. Le martyre entrait ainsi dans la vie mennonite comme un élément de construction identitaire. «La possibilité du martyre a eu un effet radical sur tous ceux qui se sont joints au groupe – sur leurs priorités, leur statut et leur conscience personnelle»6. Les mennonites avaient la plus haute estime de leurs martyrs. Ils chantaient leur témoignage fidèle et célébraient leur mémoire en collectionnant leurs chroniques dans des martyrologes. Les catholiques n’ont jamais fait l’objet de persécutions de la part des mennonites. Toutefois, compte tenu de l’expérience anabaptiste et mennonite en matière de martyre et de persécution, il est important de noter que les catholiques, dans leur histoire postmédiévale, ont également vécu cette expérience. Dans certaines régions où la confession réformée et luthérienne s’était établie, et en Angleterre après l’institution de l’Église anglicane, les catholiques furent soumis aux persécutions et à la peine de mort. Un grand nombre d’entre eux, surtout des prêtres, des religieux et des religieuses, furent brutalement martyrisés à cause de leur foi. Dans certains pays, la persécution des catholiques et la violation de la liberté religieuse ont continué pendant des siècles. Pendant longtemps, la pratique de la foi catholique n’était pas autorisée publiquement en Angleterre et dans plusieurs pays luthériens, tels que la Scandinavie et la République néerlandaise. Dans ces pays, les catholiques n’ont été autorisés à pratiquer publiquement leur foi qu’à la fin du XVIIIe ou au début du XIXe siècle. Dans quelques cas, la discrimination envers les catholiques a duré jusqu’au XXe siècle. Pendant ces années de restrictions, catholiques et mennonites furent contraints, dans plusieurs pays, à mener une vie cachée.
III. LE RAPPORT DU
DIALOGUE CATHOLIQUE-MENNONITE
LE PÈLERINAGE DES MÉMOIRES
Le long et très équilibré rapport triptyque Appelés ensemble à faire œuvre de paix propose une lecture commune de l’histoire, une révision mutuelle de la théologie et un chemin de guérison des mémoires.
6. Het Offer des Heeren (Le sacrifice pour le Seigneur) et le Martelaers Spiegel (Miroir des martyrs) de T.J. van Braght, encore lus de nos jours dans les Églises mennonites dans le monde. C.J. DYCK, The Suffering Church in Anabaptism, dans Mennonite Quarterly Review 59 (1985) 5-23, p. 5.
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1. Synthèse du rapport7 «Dans un esprit d’amitié et de réconciliation», des discussions ont eu lieu entre le Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens et les représentants de la CMM qui ont débouché sur un rapport commun exhaustif en 20038. Jamais un dialogue aussi long, sur cinq sessions annuelles d’une semaine, n’a eu lieu entre catholiques et mennonites. Alors que le décret conciliaire sur l’œcuménisme, Unitatis redintegratio faisait, il y a plus de cinquante ans, l’éloge du dialogue, celui entre les deux traditions catholique et mennonite fut long à s’instaurer. Il faut dire que les deux interlocuteurs ne pouvaient être plus différents. D’une part l’Église catholique, mondiale, centralisée et cléricale, qui a, au cours de l’histoire, façonné des pays et des continents entiers. De l’autre, une Église minoritaire, identifiée à la réforme radicale et de nature congrégationniste. D’une part une hiérarchie ecclésiale marquée par la verticalité et régulée par un magistère de la doctrine et des mœurs chrétiennes. D’autre part des communautés dans lesquelles les laïcs gouvernent et dans lesquelles la vie concrète à la suite du Christ domine sur le souci la doctrine. D’une part une Église qui se dote d’un «appareil d’État», entretenant des relations diplomatiques avec des gouvernements du monde entier. D’autre part une «Église de la paix», se référant aux baptistes des origines, pacifistes de la période de la Réforme et qui évite toute forme de lien avec le pouvoir de l’État. Or le résultat de ces cinq années de dialogue est pour le moins étonnant: tant de différences convergent toutefois à un constat final, inaugural d’une ère nouvelle: les deux partenaires «déclarent la paix» en reconnaissant mutuellement que l’Évangile est au cœur de leurs traditions respectives et considèrent par conséquent que ce constat, heureux, justifie l’entrée dans un dialogue qui ne cessera plus. Le rapport atteste donc un nouveau départ prometteur quand les deux interlocuteurs affirment se faire confiance pour s’enraciner au cœur de l’Évangile, pour faire la paix, là où il y a des conflits, et s’engagent ensemble sur la voie d’une «communauté réconciliée». 2. Revoir ensemble l’histoire Comme la polémique théologique a toujours produit «des images négatives et des stéréotypes mesquins» (§ 24), il était souhaitable de regarder 7. Dans cette synthèse nous passons rapidement sur la partie historique et sur la section consacrée aux mémoires, ces deux aspects faisant l’objet d’un examen plus développé dans cet article. 8. Appelés ensemble à faire œuvre de paix (n. 2).
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de plus près le chemin commun de l’histoire de l’Église pour comprendre les séparations avec plus de précision, d’objectivité et de rigueur qu’auparavant. Il fallait aussi reconnaître l’arbitraire dans la manière dont l’autre fut traité au cours de l’histoire et les contraintes, dans l’évaluation de ce qui, dans les mouvements des uns et des autres n’a pu être arrêté, et viser à exposer des similitudes communes et décrire des tâches communes pour l’avenir, en s’appuyant sur la bonne volonté de l’autre partenaire du dialogue. Ainsi, des études historiques récentes ont mis en évidence les sources de spiritualité médiévales communes aux catholiques et aux mennonites. Cela inclut avant tout la piété, qui a trouvé son expression dans les écrits mystiques tels que ceux des mystiques rhénans (Maître Eckhart, Jean Tauler), Theologia Deutsch et la mystique féminine. Ces courants mystiques faisaient large place aux laïcs. Ce mouvement considérable en Europe répond au désir profond de suivre le Christ, tel qu’il a été introduit dans le peuple dans l’esprit de la Devotio moderna, ou plus tard dans les écrits d’Érasme de Rotterdam. Parmi les développements historiques qui furent cause de profondes et douloureuses divisions, il y a ce qu’on a appelé le «tournant constantinien» qui désigne le lien de plus en plus étroit entre l’autorité temporelle et l’Église, qui perdure au Moyen-Âge en Occident jusqu’à la période de la Réforme. Les catholiques ont vu dans ce «tournant constantinien» une occasion unique de participer à la formation de l’État et de la société, de promouvoir les principes de la philosophie chrétienne et d’asseoir le pouvoir ecclésiastique. Les mennonites ont, quant à eux, vu dans ce tournant une dégénération du message de paix de Jésus; ils ont essayé de «restituer» l’Église d’origine avec des moyens simples et de suivre sur les traces de Jésus le chemin de la souffrance et de la croix. Les différences entre les deux traditions sont encore importantes. Cependant, il est devenu évident que les perspectives sous lesquelles les problèmes du changement constantinien devaient être considérés ont changé: les catholiques prennent conscience, à partir de Vatican II au moins, qu’ils ne seront pas épargnés de l’expérience de devenir une minorité dans ce monde. Quant aux mennonites une nouvelle compréhension du politique et de la société de la modernité, les provoque à assumer une responsabilité sociétale en s’engageant davantage, en dehors de leurs communautés, dans le monde. 3. Perspectives théologiques Au terme de ces cinq années de dialogue, il est devenu évident pour les partenaires du dialogue que catholiques et mennonites sont plus proches les uns des autres dans leur compréhension de l’Église que ce ne pouvait être
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supposé jusqu’à présent. Dans les deux traditions, une grande importance a été accordée à la «visibilité» de l’Église. «Nous affirmons ensemble que l’Église est une communauté visible de croyants, qui a son origine dans l’appel de Dieu à être un peuple fidèle en tout temps et en tout lieu. L’Église visible était préfigurée dans la formation du peuple de Dieu de l’Ancien Testament, et a été renouvelée et étendue pour devenir une nouvelle humanité par le sang du Christ (Gn 12,1-3; Ep 2,13.15; 1 P 2,910)» (§ 97). Définir l’Église non plus au-dessus de la hiérarchie du clergé, comme c’était le cas à l’époque de la Réforme, mais comme peuple de Dieu, constitué des fidèles, remonte au concile Vatican II et ouvre positivement le débat œcuménique sur la compréhension de l’Église. Ce concept de «peuple», pour lequel les anabaptistes et les mennonites ont toujours eu une affinité particulière, est en fait apte à décrire la forme concrète et vivante de l’Église dans le monde. En effet, «Peuple de Dieu» comprend tous ceux qui, par le baptême, sont incorporés au corps du Christ, où ils peuvent grandir «à la ressemblance du Christ» et se renforcer dans l’Eucharistie ou la Sainte Cène en tant que communauté «avec le Dieu Trinitaire et les uns avec les autres» (§ 95). Ainsi, la véritable Église n’est pas l’ecclesia invisibilis, comme on l’appelle encore dans l’augustinisme médiéval tardif et profondément enraciné dans le protestantisme, mais l’ecclesia visibilis. Dans ce sens, «l’Église est la nouvelle communauté de disciples envoyés dans le monde pour proclamer le Royaume de Dieu et donner un avant-goût de la glorieuse espérance de l’Église» (§ 99). La visibilité de l’Église exprime pour les deux Églises que les croyants partagent une réalité qui n’est pas de ce monde, mais qui est capable de rayonner dans ce monde (Sect. 97). La visibilité de l’Église montre également l’engagement de ses membres à défendre cette communauté et à rechercher une vie «motivée par la dévotion au Christ et à la Parole de Dieu et réalisée dans une spiritualité faite de disciple et d’obéissance» (§ 101). Pour les catholiques, l’Église trouve sa concrétisation davantage dans le «sacrement du salut», alors qu’elle s’exprime davantage dans l’imitation du Christ pour les mennonites. Fondamentalement, les deux s’appliquent respectivement aux deux. Visibles sont non seulement les caractéristiques de l’Église décrites à un haut niveau d’abstraction, mais également les formes concrètes de culte, les attitudes habituelles des paroissiens à l’égard des prêtres, la présentation du pain et du vin dans l’Eucharistie, des images de saints, la confession et l’absolution du côté catholique ainsi que la profanation des lieux de culte, le manque de respect pour le sacré et la vie quotidienne des réunions de culte du côté des mennonites. La mentalité religieuse des catholiques diffère profondément du style de vie religieux des mennonites. Ces différences deviennent visibles dans les caractéristiques
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ecclésiologiques décrites et les similitudes dans le milieu social, les habitudes et les rituels du comportement général. Il ne sera pas possible de changer si rapidement ce qui sépare les Églises, aussi optimiste que puisse paraître le document final. Il est utile de souligner l’aspect eschatologique de la compréhension de l’Église. L’Église est en effet un «avant-goût du royaume de Dieu» (§ 99) et, ce qui n’a pas été suffisamment exprimé, elle est donc également soumise à une réserve eschatologique. Ce qui pèse sur les différentes Églises interfère avec leur unité, est sous le jugement, n’est que provisoire, tout ce qui y est visible sera différent dans le royaume de Dieu achevé. 4. La guérison des mémoires Les catholiques et les mennonites partagent l’engagement de faire la paix ensemble dans la dévotion de Dieu, qui est un «Dieu de la paix» (Rm 15,23). Dans la Croix du Christ, l’événement fondamental, la «position centrale de l’amour, y compris l’amour de l’ennemi» est révélée dans la vie humaine (§ 180). Cependant, les implications concrètes tirées par les catholiques et les mennonites ne sont pas toujours les mêmes. Pour autant, il faut constater que le nombre de convergences est fondamental et impressionnant. Elles résultent du fait que «la réconciliation, la nonviolence et le rétablissement actif de la paix comptent pour le milieu de l’Évangile» (§ 179). Le fait que les interlocuteurs catholiques aient bien voulu incorporer l’idée de suivre Jésus, qui occupe une place centrale dans la tradition anabaptiste-mennonite, ouvre des perspectives autant spirituelles que théologiques. «Nos deux communautés s’efforcent de promouvoir les vertus de paix: le pardon, l’amour des ennemis, le respect de la vie et de la dignité des autres, la retenue, la douceur, la miséricorde et l’esprit de sacrifice. Nous nous efforçons également d’impartir à nos membres les ressources spirituelles du travail pour la paix. La mission de l’Église a une dimension eschatologique» (§ 184). Pour les catholiques et les mennonites, l’Église devient une «institution de la paix». Mais cela n’exclut pas que des divergences subsistent. Les catholiques entretiennent des relations plus étroites avec les dirigeants politiques des États dans lesquels ils vivent. Ils voient dans la participation aux travaux du gouvernement une «contribution au bien commun» et ne rejettent pas, par exemple, le service militaire et le port des armes (§ 186). Les mennonites ont tendance à se méfier de l’État après une «longue histoire de persécution et de discrimination [...], et ils ont encore tendance à se méfier d’une grande partie du monde aujourd’hui», y compris les chrétiens au gouvernement pour l’usage de la force et de la violence» et voient de
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manière critique «l’éventuelle corruption du pouvoir» (§ 186). Pour les catholiques, un recours limité à la force au sens d’une théorie de la «guerre juste» est justifié, tandis que les mennonites, où ils luttent pour une forme cohérente de non-violence, rejettent tout recours militaire à la force. En dépit de telles divergences, catholiques et mennonites n’ont plus qu’une seule et même bonne volonté de promouvoir activement la paix entre eux et dans le monde. Mais cela inclut également l’idée que nous devons continuer à parvenir à une compréhension commune des moyens appropriés pour l’unité et la paix dans l’Église, la société et l’État. Voulant faire quelques remarques au sujet de la notion de «guérison» ou «purification» des mémoires, il nous faut, en toute rigueur, nous arrêter un peu plus longuement sur la première partie du rapport, consacrée à la lecture commune de l’histoire. Ce travail de lecture commune, véritable herméneutique historique œcuménique ouvre la perspective d’une guérison des mémoires qui constitue le point de départ d’une nouvelle manière de chercher la communion entre catholiques et mennonites. Nous nous tenons ici à quelques remarques au sujet de cette question mémorielle. Le dialogue international met en œuvre plusieurs expressions, parlant de «purification», de «guérison» et de «pacification». Les trois expressions semblent baliser un cheminement qui va de la purification des mémoires à des propositions pour une réelle amélioration de relations, en passant par le travail d’attrition et la vérification dans la vie chrétienne. Le travail de mémoire au singulier s’impose à chaque partenaire d’un dialogue. Le texte décline toutefois également le substantif au pluriel. C’est qu’un travail de mémoire ne peut conduire à un rapprochement que si chacune des mémoires des partenaires accepte cette visite critique du présent. Dans l’œcuménisme les deux écueils mémoriels que sont l’amnésie et l’hypermnésie, deux affections qui justifient toutes les positions figées et le refus d’avancer vers l’autre, constituent les fourches caudines d’un chemin de réconciliation. À vrai dire, l’amnésie frappe beaucoup moins en ce domaine que l’hypermnésie. Il est rare que l’on oublie un traumatisme tel qu’un schisme ou une excommunication. Ne pas vouloir oublier ne signifie pas nécessairement le refus de toute résilience. Il n’empêche que l’effacement de faits que la mémoire retient, comme des entraves qui empêchent d’avancer, se révèle difficile, voire impossible. Le ressassement des ruptures et la rumination des offenses subies sont longs à guérir. Si les théologiens et les responsables ecclésiaux peuvent décréter que tel anathème ne vaut plus, ils ne sont pas pour autant levés. Et il ne faut d’ailleurs pas: l’amnésie conduit fatalement à une répétition de l’histoire. La déclaration luthéro-catholique sur la justification de 1999 [ici DCJ] mettait
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en œuvre ce qu’un long travail historique et théologique a mis en lumière dès 19899: les anathèmes ne séparent plus les confessions; ils les concernent toutes et en même temps. L’hypermnésie guette toute confession et fige toutes les identités. De la psychologie de l’individu à la psychologie collective elle constitue un frein dans la rencontre de l’autre, érigeant une barrière psychologique souvent infranchissable. Cette hypermnésie désignée par des spécialistes des neurosciences comme «fardeau de la mémoire absolue»10, guette nombre de mémoires confessionnelles. Le sac de Constantinople, le massacre de la Saint-Barthélémy, ou l’exécution de Michel Servet, pour ne prendre que ces exemples, restent des points de fixation d’une douleur qui a traversé le temps. Reconnaître que cela fut, qu’il y a eu des fautes et des crimes ne signifie pas la fin de l’histoire. Dans l’enrichissement progressif de l’outillage méthodologique en matière d’œcuménisme, on considéra, à juste titre, que le concept de «consensus différencié» fut une avancée intéressante11. À ce titre il convient d’interroger le concept de consensus différencié. Dans les différences encore à travailler subsiste in nuce le risque de s’attarder dans cette hypermnésie d’entraves. Unitatis redintegratio constitue un texte disruptif par rapport à toute la littérature magistérielle catholique jusqu’alors. Il relève d’un changement, voire d’une conversion, du regard de l’Église catholique sur les réalités autres que la sienne. C’est précisément dans le travail de mémoire que le décret conciliaire pose les jalons d’un œcuménisme catholique qui procède d’un changement de regard sur les autres confessions en scrutant les mémoires et les fidélités des uns et des autres. Lorsque le décret conciliaire évoque les confessions séparées de l’Église catholique, il fait mention de ce qui, dans chacune d’elles, est maintenu comme éléments d’une Tradition partagée. Ce regard historique n’est pas sans a priori qui se veut un point de vue de respect, voire d’admiration sur cette fidélité au bien commun. Le rapport assume ce point de vue: «la guérison des mémoires des chrétiens divisés comporte également la reconnaissance qu’en dépit des conflits, et bien que toujours séparés, les chrétiens continuent de partager une grande partie de la foi chrétienne» (§ 191). La relecture «ensemble» de l’histoire ne procède d’aucune sorte de révisionnisme. Elle en est tout le contraire. Alors que «réviser» l’histoire représente l’appropriation par un seul du sens, la «revisitation» veut au 9. K. LEHMANN – W. PANNENBERG (éds), Les Anathèmes du XVIe siècle sont-ils encore actuels? Propositions soumises aux Églises, Paris, Cerf, 1989. 10. Y. CHAVANCE, https://www.science-et-vie.com/archives/hypermnesie-le-fardeaude-la-memoire-absolue-11881 (consulté 29 juillet 2019). 11. A. BIRMELÉ, La communion ecclésiale, Paris, Cerf, 2000, pp. 190ss. J. FAMERÉE, Ecclésiologie et œcuménisme. Recueil d’études (BETL, 289), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2017.
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moins deux partenaires, représentant deux camps jadis hostiles et aujourd’hui en voie de réconciliation. Le révisionnisme relève du travestissement de l’histoire, la «revisitation», quant à elle, procède d’un travail de lucidité mutuelle qui doit avoir le courage de regarder la réalité en face. Un «il y a eu» de l’histoire impose qu’on ne le nie pas mais qu’au contraire on le regarde en face. «La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil»12. Faire œuvre commune et mutuelle de lucidité jette une lumière objective, crue, sur le passé. Mais ce passé, les confessions en font anamnèse chaque fois qu’elles s’interrogent sur le bien-fondé de ce qui les fit, jadis, sortir du giron catholique. De ce fait il faudrait interroger l’expression «guérison des mémoires». Sont-ce les mémoires qui sont blessées et donc à guérir? Ne s’agit-il pas plutôt de ce que les mémoires ont engrangé comme souvenirs, gèrent comme réminiscences et, éventuellement, utilisent comme arme par destination contre l’offenseur? En temps de crise d’identité, la solution paresseuse par excellence consiste à mobiliser contre l’ennemi. Ainsi en va-t-il de ces plaies du passé que l’on aime raviver quand on ne veut pas se remettre en question pour faire un pas vers l’autre. Nos mémoires sont parfois défaillantes et souvent sélectives. Mais elles sont aussi très souvent encombrées, tels des greniers empoussiérés que la peur de trier et de jeter nous empêche de visiter. Ce que nous désignons par «revisitation», que Unitatis redintegratio comme la déclaration catholique-mennonite évoquent, semble se fonder sur la conception augustinienne de la mémoire. Dans les Confessions, saint Augustin décrit la mémoire comme un lieu à visiter: «Et j’entre dans les domaines, dans les vastes palais de ma mémoire, où sont renfermés les trésors de ces innombrables images entrées par la porte des sens. Là, demeurent toutes nos pensées, qui augmentent, diminuent ou changent ces épargnes thésaurisées par nos sens; et enfin tout dépôt, toute réserve, que le gouffre de l’oubli n’a pas encore enseveli»13. Cette visite des chrétiens divisés dans l’histoire leur fait précisément rencontrer ces objets qui marquent les discordes et les violences réciproques. Le Dieu auquel tout croyant prétend et affirme être fidèle, l’aimant parfois jusqu’à endurer le schisme, le sien propre ou celui de l’autre, est au cœur de cette mémoire visitée. «Ai-je assez dévoré les espaces de ma mémoire à te chercher, mon Dieu? et je ne t’ai pas trouvé hors d’elle! Non, je n’ai rien trouvé de toi que je ne me sois rappelé, depuis le jour où tu m’as été enseigné. Depuis ce jour, je ne t’ai pas oublié»14. 12. R. CHAR, Feuillets d’Hypnos (1946), dans Fureur et mystère (Poésie), Paris, Gallimard, 1974, Fragment 169, p. 130. 13. SAINT AUGUSTIN, Confessions, X, 8, 12. 14. Ibid., X, 8, 35.
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L’expression «purification de la mémoire» mérite, elle aussi, une compréhension prudente et clairvoyante. Il ne s’agit pas d’un exercice d’effacement, impossible d’ailleurs par simple volontarisme, tant la psychologie est rétive aux injonctions de la volonté. Cette purification procède de la nécessité commune «d’affronter les pénibles événements qui ont donné lieu à des interprétations divergentes des faits et des raisons de ces faits» (§ 192). Cette purification, qui est au fondement des diverses démarches de repentance voulues par le pape Jean-Paul II à l’occasion de l’année jubilaire 2000, relève symboliquement d’une sorte de purgatoire mémoriel. Mais les visiteurs qui entrent dans le temple de la mémoire et acceptent de se confronter à leurs actes engagent leurs communautés dans un processus que les auteurs des faits ne furent pas en mesure d’éviter. C’est donc une anamnèse de la mémoire collective d’une communauté ecclésiale tout entière que requiert la démarche de purgation mémorielle. Pour cette raison, nombre de critiques, dans l’Église catholique, furent sceptiques, voire hostiles, à ces démarches de repentance, affirmant que les acteurs d’aujourd’hui ne peuvent pas engager ceux d’hier. On leur rétorquera que l’Église catholique s’arroge bien le droit de canoniser des chrétiens, arraisonnant tout autant le passé que ceux pour lesquels Jean-Paul II demanda pardon et fit acte de repentance. Le dialogue théologique «peut contribuer à guérir les mémoires en aidant les partenaires […] à vérifier le degré de foi commune qu’ils continuent de partager malgré les siècles de séparation» (§ 207). Cette aide mutuelle que chacun apporte à l’autre pour faire la démarche, parfois coûteuse d’assomption du passé, revêt une dimension spirituelle et théologique, illustrant une nouvelle fois le changement de regard initié par Unitatis redintegratio que l’Église catholique porte sur les autres confessions. IV. LE RAPPORT DU DIALOGUE LUTHÉRIEN-MENNONITE GUÉRIR LES MÉMOIRES: SE RÉCONCILIER EN CHRIST Les dialogues des Églises réformées avec les Églises mennonites, débutés dès 1975 aux Pays-Bas, furent antérieurs au processus luthérien et au processus catholique15. Le dialogue international entre l’Alliance réformée mondiale et la Conférence mennonite mondiale Beyond Brokenness into God’s New Creation (1984-1989) ne peut être exposé ici, et la méthode 15. Pour une documentation complète: F. ENNS – J. SEILING (éds), Mennonites in Dialogue: Official Reports from International and National Ecumenical Encounters, 19752012, Eugene, OR, Wipf and Stock, 2015.
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suivie ne fut pas la guérison des mémoires16. Le dialogue luthérien fut plus délicat du fait de l’autorité pérenne de la CA pour les Églises luthériennes actuelles, ce qui pose la question du maintien de la condamnation des anabaptistes explicite dans plusieurs paragraphes de la CA. Le rapport de la commission internationale luthéro-mennonite est fruit du constat que les Églises concernées ont changé. Mais que deviennent alors les divergences doctrinales? Entre ces Églises cela promettait un long périple, que Larry Miller, Secrétaire général de la CMM, a même qualifié de «pèlerinage commun»17. Les relations entre Églises luthériennes et mennonites ne reprirent qu’en 1980, lors du 450e anniversaire de la CA18. L’Assemblée de la FLM à Budapest (1984) envoya un message officiel à la CMM affirmant la volonté de «surmonter les condamnations du passé» en engageant un dialogue international ayant pour but de «se reconnaître librement les uns les autres comme sœurs et frères dans l’unique Corps du Christ»19. Un travail avait été mené déjà dans des commissions nationales: en France/ Alsace (1981-1984)20, en Allemagne (1989-1992)21 et aux États-Unis (20022004)22. L’expression «Guérison des mémoires» (Healing of Memories) y apparaît. Ces commissions demandèrent à la FLM un élargissement mondial de la repentance luthérienne. Lorsque la FLM l’entreprit avec la CMM, après 2002, il semblait simple de faire approuver les résultats de 16. Voir P. BÜHLER – E. GEISER – N. GERBER-GEISER et al., Christ est notre paix. Dialogue suisse entre Mennonites et Réformés (2006-2009), Bern, Commission de dialogue de la Fédération des Églises protestantes de Suisse et de la Conférence mennonite suisse, 2009. Il présente une bibliographie des dialogues réformés-mennonites pp. 32-37: https:// www.evref.ch/fr/publications/dialogue-suisse-entre-mennonites-et-reformes-2006-2009/?filter-subject-category=180 (consulté le 15 juillet 2020). 17. L. MILLER, Construire ensemble un récit et une liturgie de réconciliation. L’expérience des luthériens et des mennonites, dans Unité des chrétiens 171 (juillet 2013) 14-17, p. 14. 18. Le Comité exécutif de la FLM reconnut dans une «Déclaration sur la Confessio Augustana» la souffrance dans l’héritage anabaptiste. Voir COMMISSION INTERNATIONALE D’ÉTUDES LUTHÉRO-MENNONITE, Guérir les mémoires (n. 3), p. 11 (Introduction). 19. Ibid., p. 12. 20. M. LIENHARD – P. WIDMER (éds), Les entretiens luthéro-mennonites, 1981-1984 (Les Cahiers de Christ seul, 16) Montbéliard, éd. Mennonites, 1984. 21. Ce dialogue entre la VELKD (Églises luthériennes en Allemagne) et la Arbeitsgemeinschaft Mennonitischer Gemeinden in Deutschland, 1989-1992 ouvre à l’hospitalité eucharistique. 22. Le rapport Right Remembering in Anabaptist-Lutheran Relations, 2004, annonce le but de «guérir les mémoires»: https://anabaptistwiki.org/mediawiki/images/0/0a/ RightRemembering.pdf. Déclaration de l’Evangelical Lutheran Church of America en 2006 à l’issue du dialogue: https://anabaptistwiki.org/mediawiki/images/d/d5/Declaration_on_ Condemnation_of_Anabaptists.pdf (consulté le 9 juin 2019).
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ces dialogues nationaux. Mais l’on voulut analyser ce qui avait été enseigné et affirmé au sujet des autres, et ce qui avait été réellement condamné. Les condamnations de l’époque étaient-elles justifiées?23. Et que faire aujourd’hui? Le document du dialogue international entre luthériens et anabaptistes confirme les conclusions des trois dialogues nationaux: les condamnations de la CA ne s’appliquent plus aux affirmations de foi des mennonites et anabaptistes actuels… ni même vraiment aux affirmations de l’époque passée, sauf pour deux articles où demeure un différend non surmontable: l’article IX sur le baptême et l’article XVI sur l’autorité civile (p. 16). Le texte procède en quatre étapes. – Une première partie précise les étapes du long processus préparatoire, qui fait partie du résultat même (pp. 11-18). – Une partie historique (pp. 19-74) veut «revoir ensemble l’histoire du XVIe siècle: les réformateurs luthériens et les condamnations des anabaptistes». Elle retrace l’histoire anabaptiste autour du Rhin, la polémique théologique et les combats socio-politiques jusqu’à la persécution. Les postures des réformateurs luthériens et les effets des condamnations sont précisés ainsi que les relations entre l’État et les fidèles. – Une partie dogmatique veut «réfléchir aux condamnations aujourd’hui» (pp. 75-93). Elle revisite les condamnations de la CA, en précisant pourquoi certaines condamnations ne concernent plus les Églises d’aujourd’hui. – Un dialogue final où les Églises se répondent en alternance est centré sur le but de «se souvenir du passé. Se réconcilier en Christ. Aller audelà des condamnations» (pp. 93-112). 1. L’histoire (I, pp. 19-82) La partie historique, dont nous avons déjà exposé les principaux développements, représente le cœur du processus en 55 pages rédigées en commun. Une rédaction partagée était inédite, non simple exercice mémoriel, mais aussi performatif, permettant de ressentir en commun la souffrance subie et infligée. L’on y découvre aussi que les réformateurs ne connaissaient des mouvements anabaptistes que les thèses radicales ou la pratique du rebaptême (p. 48). Ils avaient la conviction que l’unité religieuse était décisive pour éviter les guerres civiles et craignaient que le blasphème 23. 7 questions dans COMMISSION Guérir les mémoires (n. 3), pp. 14-15.
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attribué aux anabaptistes ne déclenche la colère de Dieu. Loin de vouloir excuser Luther, les Églises luthériennes actuelles réfutent les accusations de sédition, de trahison et de blasphème qui furent prononcées par leurs ancêtres (p. 104). 2. Les condamnations aujourd’hui (II, pp. 83-102) La commission identifie les contenus doctrinaux et les pratiques en conflit au XVIe siècle et analyse leur influence sur les divisions actuelles. Elle vérifie la pertinence des condamnations pour raison de «faux Évangile». Elle conclut que trois condamnations dans la CA furent basées sur des «jugements erronés»: l’article V qui condamnait une théologie «illuministe», l’article XII qui condamnait l’affirmation présumée qu’après la conversion l’on ne retombe pas dans le péché, et l’article XVII qui condamnait l’apocatastase. Les désaccords qui subsistent sont la compréhension du baptême (CA Art. IX) et le rapport avec les institutions politiques et sociales (CA Art. XVI), conclusion partagée déjà par le dialogue aux U.S.A. et en France, alors que le dialogue allemand a pu affirmer que ces articles ne s’appliquent plus aux anabaptistes actuels. En effet, il ne suffit pas, dans de tels sujets, de traiter les éléments en tant que tels, il faut bien plus les considérer dans leur évolution contextuelle et leur poids culturel. Dans l’Article XVI, concernant la relation à l’État, la CA affirme le bienfondé de l’État et du gouvernement temporel pour encadrer la société. D’où l’acceptation des lois, des fonctions publiques et des actes juridiques. Les anabaptistes furent condamnés, «qui prétendent que toutes ces choses sont contraires à la profession chrétienne». Pour les anabaptistes, non seulement le mariage civil mais aussi les professions publiques impliquant des tâches juridiques et le fait de prêter serment étaient considérés comme un péché. Ils ne refusaient pas l’obéissance à l’État, mais la participation à la violence. La logique luthérienne suivait la doctrine des deux règnes, temporel et divin: en tant qu’individus, les fidèles apprennent à pardonner; mais lorsqu’ils représentent l’État, il leur est demandé de sévir pour protéger les victimes, et la défense armée revient à assister des personnes en danger, d’où l’importance de l’armée. La politique a aujourd’hui intégré le caractère inaliénable de la liberté de conscience, et la théologie mennonite est passée d’une attitude défensive contre l’État à son acceptation. Mais la discussion subsiste sur l’alternative entre non-violence et assistance armée aux victimes. Mais même si ce différend n’est pas levé, la commission conclut que le terme de «condamnation» n’est plus approprié.
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L’Article IX, traitant du Baptême, enseigne que celui-ci est nécessaire au salut et qu’il offre la grâce divine. L’accent de la CA porte sur l’œuvre de Dieu, d’où la condamnation des anabaptistes qui refusent le baptême des enfants parce qu’il devrait être une confession24. La Confession de Schleitheim fut virulente: le baptême d’enfants est «la pire et première abomination du pape». Selon le témoignage de l’Écriture, l’usage des Apôtres et les paroles de Jésus, le baptême après la repentance constitue la réponse de la foi et demande une confession publique. Le rapport voit ici une «divergence significative» (p. 92). Si l’accord est possible dans l’affirmation que le baptême n’est pas un événement isolé mais une dynamique de vie en relation avec les autres affirmations doctrinales, le dialogue fait apparaître que les logiques des Églises ne peuvent simplement se mesurer l’une à l’autre. Il subsiste aussi une «asymétrie»: bien qu’il n’y ait plus de rejet mutuel, il n’y a pas de reconnaissance anabaptiste du baptême d’enfant, alors qu’à l’inverse les Églises luthériennes pratiquent le baptême confessant. Ainsi l’objet de cette condamnation dans la CA demeure. Ceci rend impossible également une communion ecclésiale entre ces Églises, même si le partage de la Sainte Cène est possible. 3. La «guérison des mémoires» (III, pp. 103-124) Comment le passé a-t-il influencé, et continue-t-il à cimenter les identités? Et si l’on enlève le souvenir des persécutions, n’enlève-t-on pas aussi un certain profil? Cette question taboue est pourtant la raison de bien des difficultés œcuméniques. Le texte ne l’affirme pas explicitement, mais tente l’auto-critique identitaire. Pourquoi ne pas simplement changer la CA? «Parce que les Églises de la Fédération luthérienne mondiale continuent à souscrire à ces confessions et confessent aujourd’hui leur foi à leur lumière, elles doivent trouver les moyens de surmonter ces condamnations sans pour autant ébranler l’autorité des confessions» (p. 94)25. Un même dilemme de fidélité se pose aux mennonites: se distancier des anabaptistes condamnés dans la CA relativiserait leur héritage. Donc, comment dépasser le regret et la culpabilité des pères? La première étape dans les paragraphes rédigés par les luthériens (§§ 12) passe par la reconnaissance du mal commis et l’attention pour l’avenir. 24. La version latine de la CA ajoute «et qui affirment que les enfants sont sauvés sans être baptisés». 25. La même question s’était posée pour la DCJ, et ces Églises ont déclaré obsolètes les condamnations à l’égard de l’enseignement catholique actuel sur la justification.
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«Ainsi les luthériens, à l’exemple des exilés qui étaient de retour dans Néhémie 9, osent demander pardon pour le mal que leurs ancêtres du XVIe siècle ont fait aux anabaptistes, pour avoir oublié ou ignoré cette persécution dans les siècles suivants et pour toutes les caricatures peu appropriées, trompeuses et blessantes des anabaptistes et mennonites dues à des auteurs luthériens, dans des publications populaires et universitaires, jusqu’à l’époque actuelle Les luthériens osent demander pardon parce qu’ils savent que finalement c’est Dieu seul qui pardonne les péchés (…). La réconciliation avec Dieu et entre mennonites et luthériens, du commencement à la fin, est seulement possible et réelle en Jésus-Christ par la puissance du Saint-Esprit» (p. 105). Les paragraphes rédigés par les anabaptistes (§§ 3 et 4) précisent que pour leurs ancêtres les persécutions étaient signes de vraie foi et donc constitutives de leur identité, comme le documente le Livre des Martyrs, incitant à une foi courageuse, à la résistance non violente et la prière pour les ennemis. Mais ils reconnaissent aussi que la construction d’une identité focalisée sur cette mémoire engendre des amalgames caricaturaux, comme l’absence de distinctions entre les persécutions par les Églises et celles des princes. En effet peu d’exécutions eurent lieu sur des territoires luthériens. Les rédacteurs reconnaissent que la culture d’une telle mémoire peut aussi mener à un sentiment de supériorité. La CMM recommande le texte à ses Églises membres pour discussion et réponse, ainsi qu’un dialogue poursuivi sur le baptême. En cas de demande de pardon de la FLM, l’on demande que ce pardon «soit mutuellement accordé dans un esprit de réconciliation et d’humilité» (p. 111). V. LA
REPENTANCE PUBLIQUE
POUR LA TRANSFORMATION DES RELATIONS
Afin que la guérison des mémoires ne se limite pas à une confession écrite, la FLM décida de rendre publique sa demande de pardon. Le 22 juillet 2010, l’Assemblée générale, réunie à Stuttgart, proclama et adopta la «Prise de position sur la persécution des anabaptistes par les luthériens» où la FLM, au nom des Églises luthériennes du monde entier, demanda pardon à Dieu, et aux mennonites et anabaptistes26. Deux événements symboliques significatifs s’y déroulèrent: une déclaration réciproque des deux Églises lors d’une session plénière, et un culte 26. Cf. M. WIEGER, «Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour». La onzième Assemblée de la Fédération luthérienne mondiale (Stuttgart, 20-27 juillet 2010), dans Positions luthériennes 58 (2010) 257-272.
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partagé avec les délégations des autres Églises chrétiennes, ce qui permit une expérience de fraternité plus vaste27. 1. Une repentance déclarée Le troisième jour de l’Assemblée, le président de la FLM, l’évêque Mark Hanson, fit approuver la Déclaration de repentance «Action on the Legacy of Lutheran Persecution of Anabaptists»28, qui exprime le regret et la douleur face aux persécutions, le regret d’avoir négligé les générations ultérieures, et pour les représentations inappropriées et blessantes des anabaptistes. «Nous prions Dieu d’accorder à nos communautés une guérison de nos mémoires et la réconciliation». La demande de pardon est assortie d’engagements pour implanter cette expérience de réconciliation dans les contextes locaux des Églises, s’engager pour la liberté de conscience et de religion, poursuivre les dialogues, s’associer pour la paix. L’évêque Hanson demanda qu’on approuve ce vote en se levant ou en se mettant à genoux. Les responsables luthériens sur l’estrade se mirent à genoux. Ensuite, au nom des Églises mennonites, sous les applaudissements, le Président de la CMM Danisa Ndlovu, accompagné d’une délégation et du Secrétaire général Larry Miller, apporta la réponse qu’est la «règle du Christ», en accordant le pardon (Mt 18,18). Il donna au Président de la FLM un baquet de bois et une serviette symbolisant le lavement des pieds, signe d’amour et de service destiné à caractériser les relations futures. 2. Un pardon célébré L’acte juridique fut suivi d’un culte «de repentance» dialogué avec les personnes représentant les mennonites et anabaptistes29. Un mennonite chanta la «ballade des martyrs». Trois témoignages (deux mennonites et un luthérien) exprimèrent les effets de la douleur persistante, montrant également du côté mennonite une fixation sur la situation de victimes. Une confession des péchés fut lue par l’évêque luthérien Mark Hanson, suivie d’Ez 36,26-36. Durant la lecture des Béatitudes, l’autel aux parements violets fut couvert de blanc et de branches d’olivier par des mennonites. Puis les fidèles oignirent mutuellement d’huile leur main avec un signe de croix, en demandant que Dieu donne un nouveau cœur et un nouvel esprit. 27. http://joomla.mwc-cmm.org/index.php/news-releases/76-lutherans-and-anabaptistsreconcile-in-service-of-repentance-and-forgiveness (consulté le 8 juin 2019). 28. https://ecumenism.net/archive/docu/2010_lwf_action_legacy_lutheran_persecution_ anabaptists.pdf (consulté le 8 juin 2019). 29. Culte documenté pp. 63ss, dans https://www.lutheranworld.org/sites/default/files/ dtpw-lutheran-mennonites_2016.pdf (consulté le 8 juin 2019).
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VI. L’APPROPRIATION PAR LES ÉGLISES LOCALES ET UN «TRIALOGUE» INTERNATIONAL La FLM poursuivit encore cette action en rédigeant un document initiant de nouvelles relations entre paroisses et Églises des deux familles ecclésiales30. Il redonne une synthèse de l’histoire des violences, documente les enjeux et évoque l’interprétation des confessions de foi, puis précise une discussion à poursuivre sur le rapport des Églises chrétiennes à l’État en cas d’usage de violence potentiellement mortelle. Il donne des exemples de célébrations de réconciliation locales, ainsi que des actions diaconales. Mais le fruit théologique le plus important est un «trialogue» sur le baptême, associant l’Église catholique (p. 50). Ce processus entamé depuis 2012 laisse espérer non seulement des liens renforcés mais un approfondissement du sens du baptême aujourd’hui. POUR NE PAS CONCLURE UN CHEMIN À OSER POUR CROISER IDENTITÉS RÉCONCILIÉES ET MÉMOIRE EN RÉSILIENCE
Ce qui fait l’identité d’une confession est mis au défi de la purification et de la guérison des mémoires. À chaque commémoration ressurgissent les souvenirs de ces ruptures instauratrices qui, voyant naître une nouvelle confession chrétienne, ouvrent des brèches et provoquent une dérive des continents telle que ce qui sépare apparaît plus fort que ce qui unit. Ceci s’est encore illustré lors de la fameuse année jubilaire des 500 ans de la Réforme, en 2017. Dans un document pour le jubilé de la Réformation 2017, Theodor Dieter31 a systématisé le processus de réconciliation tel qu’initié par la DCJ. Le texte Du Conflit à la communion, de la Commission d’étude luthérienne-catholique-romaine, préparé conjointement pour le jubilé, en précise la visée: «Ce qui est advenu dans le passé ne peut être changé; mais ce dont on se souvient de ce passé et la façon dont on transmet ce souvenir peuvent, au cours du temps, se modifier […]. Il ne s’agit pas de raconter une histoire différente, mais de la raconter d’une manière différente»32. Larry Miller souligne deux spécificités majeures et performatives: 30. Bearing Fruit. Implications of the 2010 Reconciliation between Lutherans and Mennonites/Anabaptists (ibid.). 31. Professeur et chercheur au Centre d’Études Œcuméniques de Strasbourg de la FLM. 32. COMMISSION LUTHÉRO-CATHOLIQUE ROMAINE SUR L’UNITÉ, Du conflit à la communion. Commémoration luthéro-catholique commune de la Réforme en 2017. Rapport de la Commission luthéro-catholique romaine sur l’unité, Lyon, Olivétan, 2014, § 16.
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la construction d’un récit commun de l’histoire passée, et une cérémonie publique de réconciliation: «de repentance, de pardon et d’engagement réciproque»33. Ne peut être évoquée la question de la mémoire confessionnelle à purifier et à guérir sans que soit abordée celle de la conversion. C’est dans son document Pour la conversion des Églises. Identité et changement dans la dynamique de communion34 de 1991 que le Groupe des Dombes a défini sa méthode. D’emblée cette rude tâche fait apparaître la question de l’identité et de la mémoire. Par identité chrétienne le Groupe des Dombes entend «l’appartenance au Christ fondée sur le don du baptême et vécue avec une foi nourrie par la Parole de Dieu, Parole proclamée et Parole eucharistique» (§ 54). Cette appartenance s’entend autant pour l’individu baptisé que pour le corps ecclésial. Par identité ecclésiale le Groupe des Dombes entend «l’appartenance ou la participation d’une personne ou d’une Église confessionnelle à l’Église une, sainte, catholique et apostolique». Par identité confessionnelle il entend «l’appartenance à une Église confessionnelle issue d’un contexte culturel et historique déterminé, comportant son propre profil spirituel et doctrinal par lequel elle se distingue des autres Églises». Cette triple acception rejoint les trois interprétations par Yves Congar de la tradition35. La première identité, la chrétienne, correspond à la Tradition majuscule; elle est commune à tous les chrétiens, au sens, par exemple, de la confession requise pour être membre du Conseil œcuménique des Églises. La deuxième identité, minuscule singulier correspond aux confessions telles qu’elles se sont déterminées dans l’histoire avec une conscience ecclésiale et un habitus pour la communion. La troisième identité, confessionnelle, correspond à la manière dont historiquement et en un lieu se réalisent les différentes formes de l’être ecclésial chrétien. Or, dans le travail de mémoire et le souci de l’identité, il faut remonter de «traditions» à «Tradition» en passant par «tradition». L’anamnèse qui est au cœur de toute rencontre entre chrétiens rend présent le surgissement historique de l’Évangile et de sa prédication. Tout chrétien est sous le jugement de cet Évangile proclamé et vécu. C’est ce dont catholiques, luthériens et mennonites en dialogue ont conscience. 33. MILLER, Construire ensemble (n. 16), p. 17. 34. GROUPE DES DOMBES, Pour la conversion des Églises. Identité et changement dans la dynamique de conversion, Paris, Le Centurion, 1991 (rééd. dans Communion et conversion des Églises [Compact], Montrouge, Bayard, 2014). 35. Y. CONGAR, Tradition et traditions, I. Essai historique; II. Essai théologique, Paris, Cerf, 1960-1963.
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Le Groupe des Dombes articule les trois niveaux d’identités avec trois conversions à opérer. La conversion chrétienne est envisagée comme «la réponse de la foi à l’appel qui nous vient de Dieu par le Christ. Cette réponse se vit dans un mouvement de conversion constante». La conversion ecclésiale se comprend comme «l’effort exigé de toute l’Église et de toutes les Églises pour se renouveler et devenir plus aptes à remplir leur mission selon l’adage Ecclesia semper reformanda». Et la conversion confessionnelle s’entend comme «l’effort œcuménique par lequel une confession chrétienne purifie et enrichit son propre héritage dans le but de retrouver la pleine communion avec les autres confessions» (§ 55). Or les deux textes que nous avons étudiés reconnaissent formellement la légitimité d’appartenance de chacun des partenaires du dialogue à la «Tradition». Alors que le mouvement mennonite a pu se développer de manière très orthogonale à une ecclésialité catholique voire luthérienne, les dialogues attestent un rapprochement indéniable et ne considèrent plus cette question comme obstacle insurmontable. Autrement dit, le travail de mémoire et de changement de regard sur les «traditions» fait doucement son œuvre. Reste que pour la perception que les différents partenaires ont de leur tradition, le dépassement à ce stade n’est pas acquis. Il semble qu’il y ait ici plus que la simple question des adiaphora. Des chrétiens, sincères, sont morts pour défendre la légitimité de leur point de vue et leur authentique fidélité à l’Évangile. Comment, par exemple, une identité qui s’est malgré tout forgée en partie «contre» peut-elle être préservée alors que précisément le dialogue ouvre une perspective d’un «avec». L’identité malheureuse peut-elle se convertir en identité heureuse? Les deux textes bilatéraux que luthériens et catholiques ont signés avec les mennonites correspondent bien à ce que la purification des mémoires laisse comme place au respect des identités: «Nos identités confessionnelles sont un héritage au sein duquel nous devons opérer un discernement évangélique, afin d’en recueillir toutes les valeurs positives au service de la riche pluriformité de l’Église, et de renoncer à leur dimension pécheresse. Elles ont à être converties» (§ 46). Nos identités, porteuses de diversités légitimes, pour lesquelles elles ont parfois consenti au martyre, peuvent-elles nous conduire à la pleine communion? Oui, mais non sans conversion. Converties, les identités confessionnelles deviennent une grâce de Dieu pour toute l’Église, à partir du moment où elles entrent dans la recherche commune d’une plénitude de vérité et de fidélité qui les dépasse toutes. Ce point de vue, optimiste, d’il y a trente ans, reste pour partie de l’ordre du vœu pieux tant on a du mal à lutter contre l’hypermnésie qui résiste dans les confessions chrétiennes.
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Si elle est si difficile, c’est que «toute conversion passe par l’aveu» de leurs limites et de leurs insuffisances, même de leur péché. Chaque famille confessionnelle doit reconnaître qu’il existe des éléments de tradition chrétienne qu’elle est incapable, au moins pour le moment, de recevoir et d’intégrer à sa propre existence (§ 47). La théorie des branches, qui considère le phénomène de la confessionnalité comme la naissance, à partir d’un même tronc, des différentes traditions ecclésiales chrétiennes, représente une tentation de solution facile dans la difficile conjugaison entre identité et mémoire36. Celle-ci est formellement condamnée par l’Église catholique37. Elle n’est pas sans intérêt pédagogique, ayant pour le moins le mérite de mettre en évidence les racines et le tronc commun. Cette exigence de conversion invite donc nos identités confessionnelles à s’ouvrir les unes aux autres. «Il ne s’agit pas pour elles de perdre l’originalité de leur propre héritage, mais de pouvoir s’ouvrir à d’autres héritages. Chaque confession doit en particulier se demander si le jugement qu’elle porte sur les autres est véritablement fondé sur l’Évangile» (§ 48). Cela suppose que chaque confession reconnaisse qu’il y a chez elle matière à conversion, c’est-à-dire un progrès réel dans la fidélité à l’identité chrétienne et ecclésiale, soit dans le domaine du langage de la foi, soit dans celui de la structure ecclésiale, soit dans la mise en œuvre existentielle de la réalité chrétienne. «Ces conversions sont dissymétriques, puisque ce ne sont pas les mêmes déficiences qui affectent les différentes Églises» (§ 49). Cette dissymétrie apparaît de manière flagrante dans la question du baptême dans le dialogue entre mennonites, luthériens et catholiques. Dans cette question il en va de l’identité confessionnelle même de la mouvance anabaptiste, ce pour quoi elle a, précisément affronté l’hostilité des autres Églises. L’identité sans la mémoire crée un point de rupture aussi irréfragable qu’infranchissable. John Locke soutient que la mémoire est au fondement de l’identité personnelle38. Il est vrai que l’on expérimente cela au quotidien. Cela suppose que l’identité est mise à l’épreuve de l’oubli. Ce qui nous a séparés dans le passé, et qui continue de nous empêcher de reconnaître une communion plénière est ce passé «qui ne passe» pas, mais qui doit sans cesse renvoyer aux origines. Toute purification dans les Églises procède d’un retour aux sources de l’Évangile. Si nous arrivons désormais à visiter l’histoire de manière objective, dans un travail d’herméneutique œcuménique, il nous faut, à frais nouveaux, retourner à l’Évangile pour y 36. Branch Theory of the Church, dans F.L. CROSS (éd.), The Oxford Dictionary of the Christian Church, Oxford, Oxford University Press, 2005, s.v. 37. LÉON XIII, Apostolicae curae, 1896. 38. J. LOCKE, Essai sur l’entendement humain, II, 27.
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replonger dans les eaux inaugurales du baptême. C’est là que la mémoire vive du christianisme confère sa véritable identité aux chrétiens. C’est là que se purifient les mémoires et se déclenchent les vraies conversions. Faculté de théologie catholique Université de Strasbourg Rue Blaise-Pascal 4 / CS 90032 FR-67081 Strasbourg Cedex France [email protected] Faculté de théologie protestante Université de Genève Uni Bastions Rue De-Candolle 5 CH-1211 Genève 8 Suisse [email protected]
Michel DENEKEN Président de l’université
Élisabeth PARMENTIER
LA SACRAMENTALITÉ DE L’ÉGLISE
Les résultats de cinquante années de dialogues entre l’Église catholique romaine et les Églises marquées par la Réforme du XVIe siècle sont remarquables. Parmi tous les dialogues, celui mené par l’Église catholique et les Églises luthériennes a conduit aux percées les plus significatives. Il a permis en 1999 la signature de la Déclaration commune à propos de la doctrine de la justification (DCJ) qui lève les condamnations mutuelles à propos du salut, un des contentieux majeurs de l’époque de la Réforme. Cette déclaration a été signée entre temps par les familles méthodistes, réformées et anglicanes. Le même dialogue catholique – luthérien a conduit le pape François à participer à l’ouverture de l’année de commémoration de la Réforme en la cathédrale de Lund (Suède) le 31 octobre 2016, un événement que personne n’aurait considéré comme possible il y a quelques décennies. Tout dialogue futur a un nouveau fondement: le point de départ n’est plus le contentieux mais le consensus fondamental. Ceux qui connaissent les développements œcuméniques savent cependant que la compréhension de l’Église demeure un enjeu séparateur, les différentes approches des traditions ecclésiales demandant encore à être réconciliées. Sans avoir directement traité la problématique de l’être et de la nature de l’Église, le dialogue international l’a abordée en de nombreuses occasions. On peut renvoyer au texte de 1993 Église et Justification ainsi qu’à celui sur l’Apostolicité de l’Église (2006) qui n’a, pour l’heure pas encore été traduit en français1. Le dialogue international a largement fait son travail et nous disposons aujourd’hui de bien des éléments qui devraient permettre de progresser dans ce domaine. Les avancées dépendent cependant de la réception par les Églises de ces premières conclusions. À la différence de l’Église romaine, les Églises luthériennes ne disposent pas d’une autorité pouvant parler en leur nom au niveau mondial. Elles soumettent les résultats des dialogues internationaux aux Églises nationales et leur demandent de s’approprier les conclusions en les adaptant à leur contexte particulier. L’Église catholique accepte cette procédure et s’est donc, de son côté, engagée dans des dialogues nationaux, voire continentaux.
1. Textes accessibles sur le site du Vatican – Conseil Pontifical pour l’unité des chrétiens.
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Deux dialogues régionaux viennent de publier leurs résultats. Il est intéressant que les deux dialogues abordent la problématique ecclésiologique à travers la notion de l’Église comprise comme sacrement. Leurs conclusions sont opposées. Et cette contradiction interpelle. Nous voulons dans ces pages essayer de les comprendre. I. LE DIALOGUE CATHOLIQUE-LUTHÉRIEN EN FINLANDE Après plusieurs années de travaux, le dialogue luthérien-catholique finlandais vient de publier ses résultats sous le titre Communion in Growth (par la suite CIG)2. L’équipe était composée de théologiens luthériens finlandais d’une part et de représentants du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens du Vatican qui complétaient les représentants de la minorité catholique finlandaise. Le texte ne prétend rien de moins qu’être une déclaration commune sur l’Église directement comparable à la DCJ dont elle reprend largement la démarche et la structure. Commençons par ce dialogue dans ce volume qui veut rendre hommage à Joseph Famerée, lui qui a en effet étudié les conclusions de ce dialogue et des avancées proposées3. Il se réjouit du consensus fondamental qui réside dans «l’accord sur la nature sacramentelle de l’Église». «Lorsque l’on sait la réticence des luthériens à qualifier l’Église comme sacrement, par crainte d’en faire une source autonome du salut et de la grâce par rapport au Christ, on ne peut que saluer l’avancée du texte finlandais»4. Le texte CIG reprend en effet les termes du concile Vatican II et parle de l’Église «comme un signe et instrument sacramentel de salut par la présence continuée par Christ»5. Joseph Famerée pense que cette compréhension est une juste interprétation de Vatican II car pour CIG l’Église est: «un sacrement dans lequel la dimension transcendante est indissolublement reliée […] à la réalité créée». La dimension divine invisible de l’Église «est à l’œuvre dans et à travers les réalités historiques et humaines visibles», de manière analogue aux natures humaine et divine dans l’unique personne du Christ. […] Il me semble que l’on atteint ici une clarification nouvelle concernant l’articulation des dimensions invisible et visible de l’Église sur le mode (analogique) de l’Incarnation6. 2. Communion in Growth. Declaration on the Church, Eucharist and Ministry. A Report from the Lutheran-Catholic Dialogue Commission for Finland, Evangelical Lutheran Church of Finland, Catholic Church in Finland, Helsinki, Kuopio, 2017. 3. J. FAMERÉE, «Réponse». Contrepoint catholique, dans A. BIRMELÉ – J. FAMERÉE, Comprendre la situation œcuménique actuelle, dans RTL 49 (2018) 151-181, pp. 168-181. 4. Ibid., p. 174. 5. CIG 307 (le numéro fait référence aux paragraphes de la déclaration). 6. FAMERÉE, «Réponse». Contrepoint catholique (n. 3), pp. 174-175 qui reprend certaines affirmations de CIG.
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Cette lecture est parfaitement recevable en théologie luthérienne. Que l’Église soit signe et instrument du salut n’a jamais été contesté par les luthériens. Néanmoins la qualification de sacramentels des notions de signe et instrument, qualification opérée par CIG, n’est pas celle de Lumen gentium. LG 1 parle de l’Église «en quelque sorte (veluti) sacrement, c’està-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu…» et non de «signe et instrument sacramentels» comme le fait CIG. Il y a là une différence et le théologien luthérien cherchera donc à mieux comprendre quelle est la définition du «sacrement» mise en œuvre dans le dialogue finlandais. Cette clarification intervient dans la seconde partie de CIG. On suivra sans peine la définition du sacrement dans un sens plus étroit pour parler du baptême et de l’eucharistie. Les Finlandais vont cependant au-delà et n’hésitent pas à qualifier de sacrement l’absolution, l’ordination et le mariage7. Ainsi la problématique du nombre des sacrements n’apparaît plus comme séparatrice. «Les luthériens et les catholiques partagent l’idée d’une plénitude de la grâce dans la vie ecclésiale, à laquelle se réfère l’enseignement catholique des sept sacrements»8. Il s’agit en fait de «services sacramentels cultuels» dans lesquels «la grâce du Christ est transmise sacramentellement par la proclamation de la Parole de Dieu»9. Sur la base de cette définition l’absolution, la confirmation ou la bénédiction d’un mourant peuvent, aussi en luthéranisme, être comprises comme sacrements, ces célébrations n’étant rien d’autre que des moments particuliers de l’advenue de la Parole de Dieu qui peut elle-même être comprise comme sacrement, c’est-à-dire comme lieu où le Christ est réellement présent et se donne aujourd’hui aux siens. Le théologien luthérien pourra étendre cette approche à la compréhension du mariage qui, lors du moment cultuel, est proclamation de la Parole ainsi qu’un moment de bénédiction et d’intercession. Cette vision ne correspond cependant pas à la compréhension catholique du mariage, une différence dont les Finlandais ne semblent pas être conscients lorsqu’ils affirment sans nuance que le mariage est un sacrement. Le problème est plus délicat encore lorsque l’ordination au ministère est comprise comme sacrement, un point sur lequel nous reviendrons. La difficulté dans la compréhension du sacrement intervient cependant dans le dialogue finlandais dès la réflexion consacrée à l’eucharistie. Les luthériens finlandais n’hésitent pas à considérer l’eucharistie comme un sacrifice offert par l’Église. Ils sont prêts à s’approprier l’approche catholique10. En découle une acceptation de la présence du Christ dans l’hostie 7. CIG 59. 8. CIG 63. 9. CIG 65. 10. CIG 110.
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consacrée par-delà le moment de la célébration, c’est-à-dire extra usum. Il faut conserver les hosties non utilisées et il n’y a pas lieu de les consacrer à nouveau lors d’une utilisation ultérieure. Cette option étant présentée comme luthérienne la condamnation du Concile de Trente à ce propos (DH 1654) ne s’applique plus11. CIG va plus loin encore et envisage la possibilité qu’un célébrant puisse célébrer seul et se donner à lui-même l’eucharistie, ce qui met un terme à la condamnation du Concile de Trente (DH 1660). La théologie catholique postconciliaire est bien plus nuancée sur ces questions et il suffit de se référer pour cela à l’encyclique de JeanPaul II Ecclesia de Eucharistia (2003)12. Cette même section sur l’eucharistie précise que «seule une personne validement ordonnée par un évêque a le pouvoir de célébrer une eucharistie dans nos Églises»13. Pareille affirmation pose une double question. La première concerne la reconnaissance mutuelle du ministère épiscopal. Un évêque luthérien finlandais n’étant pas vraiment évêque aux yeux de la théologie catholique, l’affirmation que seule une personne ordonnée par un évêque est en mesure de célébrer une eucharistie ne représente aucun progrès tant que la question de la reconnaissance mutuelle de l’episkopè n’est pas réglée. La seconde question est interne au monde luthérien. Pour les luthériens finlandais, un pasteur ordonné par un surintendant ou un pasteur doyen ne serait donc pas en mesure de célébrer une eucharistie valide. Cette seconde section sur le sacrement pose directement la question du ministère à laquelle est dédié le troisième chapitre de CIG. Cette nouvelle section est introduite par une présentation historique du ministère dans les différents moments de l’histoire de l’Église. La présentation de l’époque du NT insiste unilatéralement sur le rôle des douze apôtres réunis autour de Pierre14, une approche que l’exégèse contemporaine ne confirme que partiellement vu le développement autre en milieu pagano-chrétien. La mise en avant de cette seule dimension montre, selon CIG, que la triple forme du ministère est un «signe de l’Esprit» et non la «conséquence d’un choix humain»15. L’idée que non seulement le ministère de l’Église mais aussi la triple forme du ministère serait directement instituée par Dieu est ainsi anticipée. Dans sa partie plus historique CIG le confirme en se référant à Luther qui aurait demandé qu’un pasteur choisi comme évêque soit à nouveau ordonné16. D’autres affirmations de Luther, qui vont dans un 11. 12. 13. 14. 15. 16.
CIG 145. www.vatican.va/.../hf_jp-ii_enc_20030417_ecclesia_eucharistia_fr.html. CIG 125. CIG 167-177. CIG 212. CIG 185.
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autre sens et qui sont bien plus nombreuses, sont considérées comme «conditionnées historiquement», donc théologiquement secondaires17. Pareille affirmation est surprenante car Luther insistait sur le fait qu’il n’y avait pas lieu de limiter la plénitude du ministère aux seuls évêques et que bien d’autres personnes étaient en charge de transmettre fidèlement l’Évangile. L’histoire ainsi revisitée permet à CIG de développer une certaine vision du ministère de l’évêque. L’évêque contemporain est directement institué par Dieu. Son autorité ne dépend pas du collège actuel des évêques ou des évêques qui le précèdent dans ce ministère. Elle dépend directement des apôtres «de haut en bas». «Tout comme les apôtres, les évêques sont rassemblés autour de Jésus et sont envoyés par lui dans leur mission divine»18. L’évêque n’est donc pas un pasteur ordonné auquel on confierait une mission particulière. Il est donc nécessaire de procéder à une nouvelle ordination qui sera davantage que l’ordination qui lui a été conférée lors de sa première entrée dans le ministère pastoral. Cette approche n’est pas celle de la tradition luthérienne qui comprend le ministère épiscopal comme une fonction particulière au sein du corps des pasteurs ordonnés et non comme une ordination complémentaire sur le chemin d’une plus grande plénitude ministérielle. L’entrée dans le ministère épiscopal est présentée par CIG d’une manière sacramentelle, l’installation d’un évêque est en elle-même un sacrement. CIG ne le dit pas explicitement mais le fait de ne pas remettre en cause le septénaire sacramentel, comme noté précédemment, conduit à penser que l’ordination est comprise comme sacrement comme le fait la théologie catholique. Pareille approche permet aux luthériens finlandais d’affirmer avec le Concile Vatican II que «le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique diffèrent entre eux d’essence et non seulement de degré»19. Le sacerdoce commun de tous les fidèles – si cher à Luther – n’est certes pas oublié. Il n’est cependant pas évoqué dans le sens souligné par Luther pour lequel le ministère ordonné est une expression nécessaire et spécifique du ministère de tous les baptisés. CIG opère une distinction radicale entre le ministère de tous et le ministère ordonné – et plus particulièrement celui de l’évêque. L’idée même que des non-ordonnés pourraient participer à l’episkopè à travers les contributions des synodes est absente. «Pour l’autorité doctrinale et la direction pastorale, nous nous accordons à dire que tous les évêques sont unis dans un collège d’évêques. 17. CIG 186. 18. CIG 231. 19. CIG 197.
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Ils exercent ce ministère d’une manière individuelle pour la partie du peuple de Dieu qui leur est confiée»20. L’autorité des synodes n’est pas mentionnée et il est d’autant plus étonnant que CIG ne manque pas de se référer à elle à propos de l’ordination des femmes dans l’Église luthérienne finlandaise en 198621. La dimension personnelle, collégiale et communautaire de l’exercice de l’autorité est certes mentionnée22 mais elle se limite à la seule conférence épiscopale. Elle exclut de ce fait la participation des synodes – qui comprennent aussi des laïcs – à la direction de l’Église. L’autorité est confiée par la succession épiscopale historique qui est indispensable23, une insertion qui signifie que la grande majorité des Églises luthériennes d’autres pays ne connaissent pas une succession apostolique authentique. Les Finlandais tirent finalement les conséquences logiques de leur approche en l’appliquant au ministère pétrinien dans le chapitre 5 de CIG. Beaucoup d’Églises luthériennes (pas toutes cependant) peuvent accepter l’idée de la nécessité d’un ministère particulier «pour l’Église universelle (communio ecclesiarum) comme signe visible et instrument pour son unité et sa continuité apostolique au service de la proclamation de l’Évangile apostolique… Ce ministère renouvelé d’un primat pour la communion des Églises (primatus communionis ecclesiarum) peut servir l’unité de l’Église»24. On ne suivra cependant pas les Finlandais lorsqu’ils affirment que ce ministère est iure divino et que Luther lui-même était de cet avis25. Luther a au contraire souligné à de nombreuses reprises que le ministère du pape est de droit humain. CIG va plus loin encore. Les luthériens affirment en effet qu’ils peuvent comprendre l’intention qui conduit les catholiques à souligner l’infaillibilité et le primat juridictionnel du pontife romain26. Le dialogue international luthérien – catholique est parvenu à des conclusions bien plus nuancées27. Dans ce dialogue les catholiques furent d’ailleurs les premiers à interroger la pratique actuelle du ministère pétrinien qui a besoin d’une réforme comme le soulignait d’ailleurs Jean-Paul II dans son encyclique Ut unum sint (1995), une encyclique dont CIG ne parle pas28. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. Group 28.
CIG 240. CIG 226. CIG 197. CIG 251. CIG 265. CIG 261. CIG 272. Communion of Churches and Petrine Ministry. Lutheran-Catholic Convergences. of Farfa Sabina, Grand Rapids, MI – Cambridge, Eerdmans, 2014. w2.vatican.va/.../fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25051995_ut-unum-sint.html.
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II. LE
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CONSEIL PONTIFICAL CHRÉTIENS DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ÉGLISES PROTESTANTES EN EUROPE (CEPE)
DIALOGUE ENTRE LE
POUR L’UNITÉ DES ET LA COMMUNION DES
Le texte Église et Communion d’Églises (ECE) est le rapport d’un dialogue préparatoire entre les Églises de la CEPE – qui comprend outre des luthériens aussi des réformés et des méthodistes – et le Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens du Vatican29. Il a été présenté à l’assemblée générale de la CEPE à Bâle en septembre 2018. Il y fut décidé d’engager à présent un dialogue officiel entre ces deux partenaires. ECE se propose de comparer les ecclésiologies de la CEPE, le texte de 1994, L’Église de Jésus-Christ (EJC)30 et la constitution dogmatique sur l’Église de Vatican II, LG. Le rapport déclare dès ses paragraphes introductifs être parvenu à montrer que les deux ecclésiologies «ne s’excluent pas l’une l’autre mais s’avèrent complémentaires»31, une affirmation réitérée à la fin du premier chapitre32, la section la plus importante de ce rapport. Ce constat éveille la curiosité. Serait-on effectivement parvenu à rompre ce nœud gordien de la compréhension de l’être de l’Église? L’intérêt pour ce travail est d’autant plus vif que la voie empruntée n’est pas sans rappeler le texte finlandais étudié ci-dessus. Les deux dialogues choisissent en effet le même point de départ: la compréhension de l’Église comme sacrement. ECE entre en matière en présentant l’ecclésiologie des Églises marquées par la réforme comme devant être comprise à partir de distinction Église visible – Église invisible. La distinction était chère aux réformateurs qui affirmaient qu’aucune forme visible d’Église ne saurait prétendre être l’Église invisible en plénitude, l’Église objet de la foi. Elle leur permit de prendre leurs distances face à la prétention romaine d’être dans sa visibilité la plénitude de l’Église du Christ33. ECE affirme que pareille distinction n’est plus considérée aujourd’hui comme une opposition. ECE va plus loin encore en affirmant que l’on peut à présent mettre un terme à la fausse «distinction faite par la réforme entre Église visible et Église invisible (qui) impliquerait que l’Église en tant que communion des saints soit par principe invisible»34. On notera cependant que pareille 29. Église et communion d’Églises, texte français dans Positions luthériennes 67 (2019) 99-164. 30. Texte français dans A. BIRMELÉ – J. TERME (éds), Accords et dialogues œcuméniques, Lyon, Olivétan, 2007, CD-ROM, Section 2.2.2.5. 31. ECE 5. 32. ECE 35. 33. ECE 9. 34. ECE 12.
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affirmation n’est pas vraiment celle des réformateurs. On peut se référer ici à Jean Calvin qui affirme que l’Église de Dieu ne nous est accessible qu’à travers l’Église visible et que Dieu nous demande «d’avoir cette Église visible en honneur et de nous maintenir en sa communion»35. On reconnaît l’Église de Dieu dans l’Église visible «partout où nous voyons la parole de Dieu purement prêchée et écoutée, les sacrements être administrés selon l’institution du Christ, là il ne faut douter nullement qu’il n’y ait Église»36. Contrairement à l’interprétation d’ECE, la communion des saints est ici et aujourd’hui visible même si la plénitude de l’Église ne nous apparaîtra qu’à la fin des temps. En outre ECE met directement en relation la tension entre Église invisible et Église visible avec celle de vraie et de fausse Église37. Le document de la CEPE, l’Église de Jésus Christ explique, de son côté, que l’identification entre Église visible et fausse Église est une interprétation erronée de l’ecclésiologie réformatrice, un malentendu cependant tenace38. Ces inexactitudes qui ne sont pas sans importance n’enlèvent cependant rien à l’intention de l’introduction de ECE. Le document veut montrer que les Églises de la Réforme affirment aujourd’hui qu’il convient de concevoir l’Église comme ayant en ce temps une forme, la communion des croyants vivant de la justification mais dont la réalité dernière échappe à toute compréhension humaine. Cette introduction ouvre la porte à une compréhension de l’Église dont on ne saurait limiter l’être au seul peuple de Dieu, à la communion des justifiés. On peut se demander pourquoi ECE choisit cette entrée en matière. La réponse est rapidement donnée. ECE affirme en effet la proximité de la compréhension de l’Église, dont on dit qu’elle est celle de la Réforme, avec la conception catholique de l’Église «sacrement universel du salut» qui traduit dans LG un «changement de perspective dans l’ecclésiologie catholique». Le modèle d’Église comme «sacrement universel du salut» pour ainsi dire veut servir à la détermination des rapports entre la réalité cachée de l’Église, saisissable uniquement par la foi, et sa forme institutionnelle. Il est l’expression de la toute nouvelle façon de voir l’histoire du salut… Toutes les perspectives peuvent, depuis le point de vue fondamental d’une structure de pensée sacramentelle, être ramenées à une vision de base. Le concept de sacramentalité fait ainsi partie des bases de l’ecclésiologie conciliaire… En tant que peuple de Dieu en pèlerinage sur la terre, l’Église est pour ainsi dire sacrement dans la communion de salut de Dieu39. 35. 36. 37. 38. 39.
J. CALVIN, Institution de la religion chrétienne IV, 1,7. Ibid. IV, 1,9. ECE 9. EJC I 2.2. ECE 11.
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La référence au veluti sacramentum (LG 1) ou à sacrement universel du salut (LG 48) est constamment reprise par la suite et devient centrale pour ECE40. Cette approche peut être intéressante… à condition qu’elle corresponde effectivement à la conception catholique de ce que LG veut exprimer en parlant de sacramentalité de l’Église. Comparée à d’autres exposés que l’on peut trouver dans le catholicisme contemporain, l’interprétation de l’Église sacramentum ici proposée est plutôt minimaliste. La quasi-identification entre la conception catholique de la sacramentalité de l’Église et l’ecclésiologie de la CEPE permet à ECE de faire un pas de plus en se référant à plusieurs reprises à LG 8. Ce passage conciliaire affirme que «ce n’est pas une vaine analogie que de comparer (l’Église) au mystère du verbe incarné». ECE propose là aussi une lecture minimaliste, la seule apte à ouvrir la voie à une certaine convergence avec l’ecclésiologie réformatrice. L’Église est objet de la foi et par ailleurs – et simultanément – une communauté visible, une réalité visible que l’on découvre dans une pluralité de formes historiques (EJC I 2.2). Cette affirmation rappelle, dans sa terminologie, la distinction entre une assemblée visible et une communion spirituelle et leur corrélation dans LG 8 et converge avec le souci exprimé dans les mots: «l’ensemble discernable aux yeux et la communauté spirituelle, l’Église terrestre et l’Église enrichie des biens célestes ne doivent pas être considérées comme deux choses, elles constituent au contraire une seule réalité complexe, faite d’un double élément humain et divin»41.
ECE va plus loin encore dans sa lecture de LG 8: La convergence dans la compréhension de la différentiation entre Église objet de la foi et Église visible dans EJC d’une part et entre assemblée visible et communion spirituelle dans LG 8 ne s’en tient cependant pas là. Car dans ces différentiations il est fait place à la pensée qu’aucune Église historique ne peut prétendre représenter elle seule et parfaitement l’essence de l’Église, voire être directement identique à l’Église de Jésus-Christ. En conséquence l’étude sur l’Église souligne que l’Église en tant que créature de la Parole de Dieu ne peut pas «être simplement identifiée à une Église historique ou avec la somme de ces dernières» (EJC I 2.2). LG enseigne bien que l’unique Église du Christ, «c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste [subsistit], gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui». Ceci conduit cependant à la constatation que «des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique» (LG 8). Le fait, pour l’Église, d’être réelle inclut des éléments de sanctification et de vérité qui se trouvent aussi hors d’elle. Hors de l’Église catholique, il existe une réalité ecclésiale. Il n’y a donc pas, dans le droit fil de l’argumentation de la Constitution ecclésiale 40. Cf. aussi ECE 19. 41. ECE 13.
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et du Décret œcuménique, une identification immédiate et non différentiable entre l’Église catholique-romaine et l’Église de Jésus-Christ42.
On notera que le décret sur l’œcuménisme ne parle pas d’une réalité ecclésiale hors de l’Église catholique comme l’affirme ce paragraphe. Il s’agit simplement du constat qu’il existe hors de l’Église romaine des éléments de sanctification et de vérité (Unitatis redintegratio 3). Plus surprenante est l’interprétation du fameux subsistit in. De nombreux théologiens ont longtemps compris que le remplacement du simple est traditionnel par un subsistit in était une ouverture majeure car l’Église de Jésus-Christ pourrait aussi subsister dans une autre expression ecclésiale. Ratzinger, encore cardinal, a mis un terme à cette interprétation dans Dominus Iesus (2000) en proposant la juste interprétation: «Par l’expression subsistit in, le concile Vatican II a voulu proclamer… que malgré la division entre chrétiens, l’Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique»43. Divers théologiens catholiques, dont Joseph Famerée, ont montré que pareille interprétation du fameux subsistit in de la Constitution dogmatique sur l’Église ne correspond pas à l’intention du Concile et que le cardinal avait ajouté à la fois la notion de plénitude et celle de l’exclusivité que le paragraphe 8 de LG ne comporte pas44. Nous ne pouvons ici entrer dans le détail de ce débat. Notons simplement que l’interprétation du cardinal Ratzinger a été à plusieurs reprises répétée dans les quinze dernières années et que le magistère romain et bon nombre de théologiens catholiques s’y réfèrent aujourd’hui. C’est cette approche contemporaine qu’ECE aurait dû discuter. ECE ne le fait pas. Ces paragraphes introductifs sont décisifs. Si l’on accepte pareille argumentation et l’interprétation de la notion de sacramentalité chère à l’Église romaine ici proposée, le nœud gordien de la controverse ecclésiologique est à présent dénoué. La première partie de ECE conclut donc logiquement: Le litige entre les doctrines protestante et catholique portait jusqu’à présent sur la désignation de l’Église comme sacrement dans Lumen gentium. Mais même sur ce point un rapprochement est possible. Car premièrement on peut 42. ECE 14. 43. Dominus Iesus § 16. 44. En particulier le professeur H. Legrand dans une interview à Témoignage chrétien en octobre 2000. Il rappela que le subsistit in veut précisément signifier que l’Église du Christ subsiste aussi ailleurs, donc dans d’autres familles chrétiennes, Il rappela que lors des débats conciliaires le cardinal Liénart de Lille demandait «expressément que l’on supprime l’article 7 qui équipare de façon absolue l’Église catholique et le Corps mystique». Joseph Famerée fait la même lecture et parle d’une herméneutique de rupture dans son récent ouvrage Ecclésiologie et œcuménisme. Recueil d’études (BETL, 289), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2017, pp. 633ss.
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remarquer qu’il est dit dans LG 1 que l’Église en tant que signe et moyen de l’union la plus intime avec Dieu est pour ainsi dire sacrement. Cela signifie que la notion de sacrement n’est pas appliquée à l’Église pour la définir, mais qu’au contraire l’Église est comparée à un sacrement parce que, à travers elle, est procurée l’union intime avec Dieu. De manière semblable, dans la doctrine protestante on comprend l’Église comme moyen du salut en ce qu’en elle l’Évangile est prêché et les sacrements sont administrés. Par les moyens du salut Dieu offre la communion avec lui-même et les hommes entre eux. En ce sens la «vie de l’Église est communion avec le Dieu trinitaire» (EJC I 2.3). L’important pour la compréhension protestante est ici que l’Église est entièrement déterminée dans sa forme vivante par son fondement en Dieu et par sa finalité eschatologique et qu’elle en est totalement imprégnée45.
Il en résulte en conclusion que: La notion justement de sacrement permet d’envisager de lever l’absolu de la visibilité de l’Église, à partir de ce point de vue commun, les caractérisations autrefois objets de controverses théologiques perdent leur effet de délimitation46.
Toutes les autres affirmations de ECE découlent de ce choix initial de ECE et de la compréhension catholique de la sacramentalité de l’Église ici proposée. Ainsi à propos de l’articulation entre l’Église et la justification du pécheur devant Dieu, ECE affirme que l’on ne peut pas concevoir l’Église sans recours immédiat au message de la justification. La clé est, une fois encore donnée par la compréhension de l’Église comme sacrement. L’articulation Église-justification est remplacée par la nécessaire distinction entre Christ et l’Église: Le discours sur l’égalité d’origine de la justification et de l’Église implique la nécessaire différentiation entre Église et Christ, entre Église et économie du salut. Lorsqu’il est question de la sacramentalité de l’Église (en tant que sacrement universel du salut, LG 48), ce discours sert précisément cette différentiation et la corrélation qui en résulte. Comme le § 19 le disait déjà, l’Église n’est pas un sacrement au même titre que les sept sacrements. Elle est et elle agit de manière sacramentelle, c’est-à-dire qu’elle participe de la structure et de l’essence des sacrements. Dès sa phrase introductive, LG fait la différence entre Christ, qui est la lumière des peuples, et son reflet sur la face de l’Église. Non seulement elle n’est pas elle-même lumière, et la lumière ne sort pas non plus d’elle, mais elle reflète (comme la lune, ainsi l’image des Pères) la lumière du Christ, la lumière du soleil. Ce n’est que comme cela qu’elle transmet sa lumière47.
45. ECE 34. 46. ECE 35. 47. ECE 51.
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La troisième partie de ECE aborde la compréhension du ministère. Tout en étant relativement longue, cette section se contente d’exposer les différentes compréhensions du ministère dans la tradition catholique et dans les Églises de la Réforme. On note certes des convergences mais les points «ouverts» ne font pas l’objet d’un dialogue. À la différence du document finlandais ECE ne recherche pas non plus des convergences dans la compréhension du ministère épiscopal. L’approche des Églises de la Réforme (une episkopè qui inclut les synodes, donc des laïcs) est mise côte à côte avec la conception catholique de l’évêque exprimant «une constitution hiérarchique de l’Église érigée à partir du ministère d’évêque»48. Une possible articulation entre les deux compréhensions aurait été intéressante. Il aurait surtout été important de voir dans quelle mesure la conception qu’ECE a de la sacramentalité de l’Église pourrait permettre un réel rapprochement dans la problématique du ministère, la lecture du subsistit in retenue dans ECE ouvrant la porte à une éventuelle reconnaissance par Rome de l’ecclésialité d’une autre communauté chrétienne dont la structure ministérielle ne serait pas nécessairement romaine. III. UNE TÂCHE URGENTE AU SEIN DE CHAQUE TRADITION Les deux textes évoqués affirment tous les deux avoir tranché le nœud gordien de l’ecclésiologie. Chacun l’a fait à sa façon. Les deux conclusions ne sont en rien identiques, elles sont même contradictoires. Il n’y a pas lieu de jouer au censeur en pointant les erreurs même si dans l’analyse des textes nous avons noté certaines incohérences interrogeant les références des uns et des autres à leurs traditions ecclésiales. Les deux textes sont le fruit d’un travail de professionnels de la théologie œcuménique. La question posée est autre. Il convient d’interroger la cohérence interne de chacune des familles participant à ces dialogues. Le dialogue finlandais propose une certaine approche qui se prétend être luthérienne, celle de ECE est autre sans cesser d’être luthérienne. Le dialogue ECE propose une certaine approche catholique, celle de Communion in Growth est autre sans cesser d’être catholique. Ainsi apparaît dans la transposition des conclusions des dialogues internationaux au niveau national ou régional une tâche œcuménique, celle de la cohésion interne de l’ecclésiologie de chaque famille. Il est urgent qu’au sein de chaque tradition on s’accorde ad intra sur l’ecclésiologie qui définit l’identité de chaque famille. 48. ECE 72.
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Dans le texte finlandais, les luthériens proposent une approche qui est proche, au point de se confondre, avec une ecclésiologie catholique romaine. Nous l’avons noté à propos de l’eucharistie où les luthériens sont prêts à entrer dans une compréhension catholique du sacrifice eucharistique. Cette approche est amplifiée par une compréhension sacramentelle de l’ordination au ministère. Cette approche est à contre-courant de la position luthérienne habituelle. Pour les luthériens finlandais – nous l’avons déjà noté – un pasteur ordonné par un surintendant ou un pasteur doyen ne serait donc pas en mesure de célébrer une eucharistie valide. Cette pratique est cependant courante dans bien des Églises luthériennes à travers le monde. S’ils s’en tiennent à cette affirmation, les luthériens finlandais ne reconnaissent plus comme pasteurs de l’Église un grand nombre de pasteurs d’Églises luthériennes avec lesquels ils se sont cependant déclarés en pleine communion au sein de la Fédération Luthérienne Mondiale. Les luthériens finlandais semblent se désolidariser de la théologie eucharistique du luthéranisme mondial et en particulier des convictions eucharistiques présentées comme luthériennes dans le dialogue international avec l’Église romaine49. La problématique apparaît encore plus clairement lorsqu’il est question de l’ordination au ministère épiscopal. Nous l’avons relevé: une entrée dans le ministère épiscopal exige une nouvelle ordination du pasteur (déjà ordonné) et appelé à cette mission. Si l’on se réfère aux affirmations de la Confession d’Augsbourg Art. XXVIII sur l’autorité des évêques, on ne peut guère affirmer avec les luthériens finlandais que cette autorité est une autorité personnelle et inconditionnée directement reçue des apôtres, une dimension spirituelle que ne posséderaient pas les personnes ordonnées au ministère pastoral ordinaire50. Il aurait en outre été utile que ce dialogue tienne compte des percées remarquables du dialogue international sur l’Apostolicité de l’Église (2006) qui devrait à présent rendre impossible une affirmation aussi radicale que celle du document finlandais à propos de la succession apostolique. Plus importante encore aurait été une référence au texte de Lund (2007) où les Églises de la Fédération luthérienne mondiale se sont accordées sur une vision commune de l’episkopè. Ce texte distingue avec soin l’episkopè de l’Église de l’exercice particulier (et indispensable) du ministère exercé par la personne de l’évêque51. Cette distinction est absente dans la réflexion finlandaise. 49. Cf. à ce propos le dialogue international Le Repas du Seigneur (1978). 50. CIG 239. 51. Le ministère épiscopal au sein de l’apostolicité de l’Église, Genève, Fédération luthérienne mondiale, 2008.
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Le document ECE s’inscrit davantage dans les perspectives habituellement défendues en luthéranisme. Il soulève cependant, lui aussi, certaines questions lorsqu’il distingue entre l’Église visible, la communion des croyants célébrant en vérité parole et sacrements et l’Église invisible qui engloberait encore des dimensions autres. Ces dimensions ne sont pas explicitées. ECE affirme en outre que le message de la justification est «critère» pour toute vie ecclésiale52, là où dans le débat menant à la DCJ les luthériens ont insisté sur l’unicité de ce critère: le critère et non seulement un critère! Ces quelques exemples suffisent pour indiquer le problème: la question de la cohérence interne de la famille luthérienne est posée. La même question se pose à propos de l’ecclésiologie catholique romaine. Celle proposée par les catholiques dans le dialogue finlandais peut être qualifiée de «classique». Elle est celle qui caractérise bien des écrits romains, celle défendue par de nombreux théologiens catholiques. Par contre celle proposée par les catholiques dans ECE interpelle et l’on se demandera à juste titre si elle est vraiment caractéristique du catholicisme. Quelques exemples le montrent. La quasi-identification entre la conception catholique de la sacramentalité de l’Église et l’ecclésiologie de la CEPE permet à ECE de faire un pas de plus en se référant à plusieurs reprises à LG 8. Ce passage conciliaire affirme que «ce n’est pas une vaine analogie que de comparer (l’Église) au mystère du verbe incarné». Les pères conciliaires se sont bien gardés de préciser la nature de cette analogie. Est-ce une analogie d’être, une analogie de relation, une analogie de la foi? C’est bien là que réside tout un ensemble de problèmes vivement discutés en théologie catholique dans le cadre de la discussion contemporaine sur la sacramentalité de l’Église. L’analogie Christ-Église qui ouvre ce passage de LG 8 permet à de nombreux théologiens catholiques de comprendre l’Église comme un mystère qui dépasse toute communauté de croyants qu’elle soit visible ou cachée. Les catholiques se limitent dans ECE à une compréhension minimaliste de cette analogie, la seule apte à ouvrir la voie à une certaine convergence avec l’ecclésiologie réformatrice. En découle – nous l’avons déjà noté – une interprétation du subsistit in qui conçoit l’Église catholique romaine comme une expression – à côté d’autres – de l’Église de Jésus Christ. Ratzinger, encore cardinal, proposait une lecture autre qui s’est largement imposée dans son Église. Le second exemple est celui de la sacramentalité. Comparée aux interprétations habituelles, l’interprétation de l’Église sacramentum proposée 52. ECE 53.
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dans ECE est, elle aussi, minimaliste. La compréhension de l’Église sacramentum est en catholicisme bien plus complexe que ne le suggère ECE53. Ce langage théologique apparaît au XIXe siècle et connaît durant les deux derniers siècles des interprétations fort diverses. La majorité des textes magistériels et beaucoup de théologiens catholiques interprètent l’Église sacramentum comme clé permettant d’affirmer et de comprendre la coexistence au sein de l’Église d’une dimension humaine et d’une dimension divine. Il y a d’une part l’Église mystère et de l’autre l’Église peuple de Dieu. Nous nous limitons à citer deux théologiens français connus. Pour Yves Congar la compréhension de l’Église comme sacrement traduit le fait que «l’Église, fidèle au mandat reçu de son fondateur, continue donc la fonction sacerdotale de Jésus-Christ»54. Pour Jean-Marie Tillard l’Église est sacrement car elle n’est pas seulement «réconciliée par Dieu mais elle est celle qui réconcilie pour Dieu»55, l’affirmation de la sacramentalité de l’Église montre que la justification par la foi n’est pas l’œuvre de Dieu seul mais advient «a deo et ab ecclesia»56. On pourrait multiplier les auteurs et les citations qui vont dans ce sens. Dans sa proposition d’interprétation de l’Église veluti sacramentum ECE ne va pas dans cette direction. On peut par moments se demander si ECE ne confond pas sacramentalité et sacralité de l’Église. La compréhension de la sacramentalité de l’Église est loin d’être uniforme dans le catholicisme contemporain, il ne s’agit d’ailleurs pas d’une affirmation dogmatique officielle d’un pape ou d’un concile mais d’un theologoumenon dont les contours plus précis n’interviendront qu’avec le temps. Vu la définition non encore univoque de la compréhension catholique de la sacramentalité de l’Église, les luthériens se sont toujours montrés très prudents à ce propos. Le dialogue international luthéro-catholique qui a conduit au rapport Église et justification (1993) a consacré un large passage à la notion de sacramentalité de l’Église57. Les luthériens ont refusé de qualifier l’Église de sacrement car tout en étant signe et instrument du salut, elle ne saurait à aucun moment devenir médiatrice du salut dans le 53. Je me permets de renvoyer ici à mon étude détaillée dans A. BIRMELÉ, Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques (Cogitatio fidei, 141), Paris, Cerf; Genève, Labor et Fides, 1986, 211-237. 54. Y. CONGAR, L’Ecclesia ou communauté chrétienne, sujet intégral de l’action liturgique, dans J.-P. JOSSUA – Y. CONGAR (éds), La liturgie après Vatican II (Unam Sanctam, 66), Paris, Cerf, 1967, 239-282, p. 276. 55. J.-M.R. TILLARD, Église et salut. Sur la sacramentalité de l’Église, dans NRT 106 (1984) 658-685, p. 675. 56. J.-M.R. TILLARD, Vers une nouvelle problématique de la justification, dans Irénikon 55 (1982) 185-198, pp. 187, 190. 57. Église et justification, §§ 118-130.
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sens où elle en serait l’auteur et non seulement celle appelée à le recevoir58. ECE ignore ce dialogue et les catholiques passent outre cette difficulté. Elle les rattrape cependant car leur vision de la sacramentalité devrait logiquement conduire à une plus grande ouverture dans la compréhension du ministère. Lorsqu’ils abordent ce point, les participants catholiques se contentent de réaffirmer la conception catholique classique. Ils ne traduisent pas leur vision originelle de la sacramentalité en théologie ministérielle. ECE juxtapose la compréhension catholique traditionnelle et la conception réformatrice sans faire dialoguer les deux conceptions. Ces remarques conclusives plus critiques ne veulent en rien discréditer le travail fourni en Finlande ou dans le dialogue entre la CEPE et le Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens. Le fait de les mettre côte à côte permet de mettre en évidence la difficulté œcuménique qui naît de la réception des conclusions des dialogues internationaux par les Églises nationales ou régionales. Cette réception met en évidence le défi qui se pose à chacune des deux traditions. Des avancées œcuméniques réelles exigent aujourd’hui que chaque famille clarifie en son sein la compréhension de l’Église qui est la sienne. Seule pareille clarification contribuera à une réelle compatibilité des dialogues nationaux et régionaux. Centre d’études œcuméniques Faculté de théologie protestante Université de Strasbourg Rue Klotz 8 FR-67000 Strasbourg [email protected]
58. Ibid., §§ 128s.
André BIRMELÉ
II DES ECCLÉSIOLOGIES EN MOUVEMENT SYNODALITÉ, PRIMAUTÉ, MINISTÈRES
ON THE WAY TO RENEWED SYNODALITY SOME ROMAN CATHOLIC REFLECTIONS*
Currently, we live in times of upheaval in the Roman Catholic Church. One could even get the impression that this church is turned upside down1. In the face of worldwide scandals concerning sexual and other forms of abuse, the credibility of the Catholic Church is fundamentally questioned and its ecclesiology shaken to its foundations. On the other hand, Pope Francis attempts a reform of the church in capite et membris ‘from above’, which is supposed to trigger a missionary movement of renewal, but which constantly receives criticism from various sides and as a reform ‘by small steps’ threatens to fail because of the time factor. “The world in which we live”, states Pope Francis in this situation, “demands that the Church strengthen cooperation in all areas of her mission. It is precisely this path of synodality which God expects of the Church of the third millennium”2. This is the key sentence of his Address on the 50th anniversary of the Synod of Bishops in 2015. Synodality results in a turning around of the Church. For in a synodal church, “as in an inverted pyramid, the top is located beneath the base”3. Thus, a synodal turn-around, or rather a synodal conversion, is what the Catholic Church needs according to Pope Francis. Does the way of synodality pursued by the pope vouchsafe for the necessary internal dynamics of reform? In this contribution, we shall investigate this question by looking at the phenomenon of synodality avant la lettre, by asking about the status of synodality, by explaining some of the theological foundations and by critically examining the effects which a renewed synodality might have on the Church. All this will be done from * This topic is one close to the heart of my dear colleague Joseph Famerée who himself published on topics like conciliarité (2018) or sensus fidei, sensus fidelium (2016), and attended conferences on conceiving change in the Church (2017) or reform(s) of and within the Church (2015), to name just a few examples. 1. Cf. e.g. the German publication C. HENNECKE, Kirche steht Kopf: Unterwegs zur nächsten Reformation, Münster, Aschendorff, 2016 which uses this metaphor as its title. Christian Hennecke leads the pastoral department of the diocese of Hildesheim, Germany. 2. Pope FRANCIS, Address at the Ceremony Commemorating the 50th Anniversary of the Institution of the Synod of Bishops (17 October 2015), https://w2.vatican.va/content/ francesco/en/speeches/2015/october/documents/papa-francesco_20151017_50-anniversariosinodo.html (accessed 3/6/2019). 3. Ibid.
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the vantage point of Roman Catholic ecclesiology. The diversity of the aspects of synodality inevitably forces us to be selective. I. SYNODALITY AVANT LA LETTRE It is impossible to trace the great variety of synodal phenomena back to one single model. In his meanwhile classic General Introduction to the work of the Joint Synod of Dioceses in the Federal Republic of Germany4, also known as the Würzburg Synod (1971), Karl Lehmann, then the Synod’s secretary, dedicates one subheading to dealing in detail with Synods according to the Catholic Understanding of the Church. He states that there has never been a uniform type of synod. Nevertheless, Lehmann lists as the main tasks of synods in the course of church history “discernment for the common preservation of the Christian faith in threatening situations, comparing and uniting of church traditions, common ordering of the life of the Church, mutual support in rightly leading the Church”5. Lehmann then gives an overview of the variegated history of the synodal system and the replacement of synodal responsibilities until “their transition onto the more and more centralized curia” in modern times. He acknowledges the Second Vatican Council: It gave the strongest impulses “for the reactivation of synodal elements” and justified them theologically. In terms of terminology, it should be remembered that at the time of the Second Vatican Council the terms ‘synod’ and ‘council’, both of which had always been part of the vocabulary of the Church, were synonymous with the general congregations of the Council. In the Catholic Church a distinction in their use is relatively young. “A precise distinction was introduced by the Codex Iuris Canonici of the Latin Church (1983), which distinguishes between a particular (plenary or provincial) Council (CIC 439,1; 440,1) and an ecumenical Council (CIC 337,1) on the one hand, and a Synod of Bishops (CIC 342) and a diocesan Synod (CIC 460) 4. Gemeinsame Synode der Bistümer in der Bundesrepublik Deutschland: Beschlüsse der Vollversammlung. Offizielle Gesamtausgabe vol. I, ed. commissioned by the Präsidium der Gemeinsamen Synode der Bistümer in der Bundesrepublik Deutschland and the German Bishops’ Conference by L. BERTSCH – P. BOONEN – R. HAMMERSCHMIDT – J. HOMEYER – F. KRONENBERG – K. LEHMANN in collaboration with P. IMHOF, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 1976, 21-67. 5. Ibid., p. 23: “Auch wenn es nie den einheitlichen Typ ‘Synode’ gegeben hat […] Gemeinsame Bewahrung des christlichen Glaubens durch Scheidung der Geister in bedrohlichen Gefahrensituationen, Vergleich und Einigung kirchlicher Überlieferungen, gemeinsame Ordnung des Lebens der Kirche, gegenseitige Hilfe bei der rechten Leitung”.
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on the other hand”6. By contrast, both the noun ‘synodality’ and the adjective ‘synodal’ are neologisms. This is emphasized by the International Theological Commission, which in March 2018 published its reflections on “Synodality in the Life and Mission of the Church”. The term ‘synodality’ is “a sign of something new that has been maturing in the ecclesial consciousness starting from the Magisterium of Vatican II, and from the lived experience of local Churches and the universal Church since the last Council until today”7. Although the term might be new, the issue is a given since the beginning of the Church. As the New Testament paradigm for synodality par excellence usually the so-called Apostles’ Council in Acts 15 is cited. Because it was controversial whether former gentile Christians should be obliged to observe the Mosaic Law, the entire congregation of Jerusalem gathered around the apostles and elders and deliberated what God’s will in this question might be. “Then the apostles and the elders, with the consent of the whole church, decided”, states Acts 15,22. Thus all are active participants in this process, even if the roles and respective contributions differ according to their charisms and James ultimately takes the decision. In a letter to the other congregations the result of the deliberations is consequently introduced in this way: “For it has seemed good to the Holy Spirit and to us” (Acts 15,28). This is the added value that distinguishes synodal decision-making from a parliamentary vote. Certainly, today it is obvious to associate synodality with ideas that are commonplace in the political and social sphere, such as the participation of employees via labour unions or democratic processes of decision-making8. Yet as an expression of the act of faith which questions and searches, a synod is essentially a liturgical assembly whose liturgy is marked by asking for the help of the Holy Spirit. 6. INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Synodality in the Life and Mission of the Church, 4, http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_ cti_20180302_sinodalita_en.html (accessed 3/6/2019). In footnote 10 the text continues to explain about the Uniate Churches: “The Code of Canons of the Eastern Churches (1990) mentions, on the one hand, the Ecumenical Council (CCEO 50), on the other the Synod of Bishops (CCEO 46,1), the Synod of Bishops of the Patriarchal Church (CCEO 192), the Synod of Bishops of the major archiepiscopal Church (CCEO 152), the Metropolitan Synod (CCEO 133,1) and the Permanent Synod of the Patriarchal Curia (CCEO 114,1)”. 7. Ibid., § 5. 8. Democratic structures of the Church are a question which has already been discussed for decennia: Cf. K. RAHNER, Demokratie in der Kirche?, in Stimmen der Zeit 182 (1968) 1-15; J. RATZINGER, Demokratisierung der Kirche?, in ID. – H. MAIER, Demokratie in der Kirche: Möglichkeiten und Grenzen, Limburg-Kevelaer, Lahn-Verlag, 1970, repr. 2000, 7-46; the thematic issue Demokratisierung der Kirche, Concilium 7/3 (1971); with repercussions even like G. ALBERIGO, Ekklesiologie und Demokratie: Konvergenzen und Divergenzen, in Concilium 28 (1992) 362-370.
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Searching together as an act of faith takes place in the common invocation of the Spirit of God. Synodality is essentially characterized by this dimension of faith. II. THE STATUS OF SYNODALITY Is synodality just one possible structural feature or the structural feature of the Church? In other words, is it mandatory for the Church to always factually be governed by synods or does only the possibility need to be ensured that synods can, but need not take place? We also have to keep in mind that for a long period of time the terms ‘council’ and ‘synod’ have been used synonymously. In his inaugural lecture at Tübingen in 1960, Hans Küng, relying on historical research9, argued that the Church as a council by divine vocation was represented in the council by human vocation10. Around the same time, Joseph Ratzinger cast doubt on such an equating of the Church and the council: the council “serves the earthly Church in this world”11, but it is not in the same way Church as, for example, every Eucharistic celebration is. Basically, these two opposing views remained paradigmatic for the classification and evaluation of synodality even after Vatican II. “Synodality – Ordinary or Extraordinary Form of Governance in the Church?” – thus reads the title of the opening address by Winfried Aymans at the 7th International Congress of Canonists in 1990 in Paris. He characterizes synodality as a collective term for a whole range of possible forms of leadership, whereby their “similarities with the legal institution of the ‘synod’”12 are decisive. He distinguishes between consiliarity at the level of the particular church and synodality at the level of the ‘communio ecclesiarum’, which is based on the sacra potestas of the bishops13. In conclusion, Aymans states: “Neither synodality nor consiliarity are constitutive for the Church in the sense that there is no Church where these forms of governance would not be applied”14. Or, as Lehmann puts 9. One guarantor would be e.g. John Chrysostom with the statement, “Church and synod are synonyms”: J. CHRYSOSTOM, Explicatio in Ps. 149, in Patrologia Graeca vol. 55, ed. J.P. MIGNE, Paris, Migne, 1862, 493-495, col. 493. 10. Cf. H. KÜNG, Das theologische Verständnis des Ökumenischen Konzils, in Theologische Quartalschrift 141 (1961) 50-77, pp. 60 and 56. 11. J. RATZINGER, Zur Theologie des Konzils, in Catholica 15/4 (1961) 292-304, p. 296. 12. W. AYMANS, Synodalität – ordentliche oder außerordentliche Leitungsform in der Kirche?, in ID., Kirchenrechtliche Beiträge zur Ekklesiologie (Kanonische Studien und Texte, 42), Berlin, Duncker & Humblot, 1995, 169-192, p. 169. 13. Cf. ibid., p. 178. 14. Ibid., p. 191: “Weder Synodalität noch Konsiliarität sind für die Kirche in dem Sinne konstitutiv, daß Kirche dort nicht gegeben wäre, wo diese Formen nicht zur Geltung kommen”.
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it in his Introduction to the Würzburg Synod: “The synodal element is narrower in its radius than the comprehensive basic reality of the Church”15. A more basic conception of synodality, rather along the lines of Küng, came into play at the 19th National Congress of the Italian Theological Society in 2005. The conference was entitled Church and Synodality – Awareness, Forms, Processes16. In his introduction to the proceedings Piero Coda explains what synodality means: The concept of synodality is meant to describe the specific dynamics of the path of the Church in history [...] Attention is focused on the form and dynamics of synodality, not in order to primarily designate a juridical form of church governance but, more originally, to designate a spirit and a method of life and witness to the Gospel, which must necessarily and consistently adopt a definite practical form (configurazione)17.
Synodality in this broad sense refers to the inner dynamics of that ‘being-on-the-way-together’ of the entire People of God, which is constitutive for forming the identity of ‘being church together’. It is precisely this notion of synodality that we encounter as the first and most basic of three levels of meaning in the text by the International Theological Commission; this is hardly surprising since Piero Coda is a member of this commission. In addition to the occasional occurrence of synodal events, and in addition to those structures and processes at the local, regional and universal level, in which the synodal nature of the Church is expressed on an institutional level, synodality denotes, above all, the particular style that qualifies the life and mission of the Church, expressing her nature as the People of God journeying together and gathering in assembly, summoned by the Lord Jesus in the power of the Holy Spirit to proclaim the Gospel. Synodality ought to be expressed in the Church’s ordinary way of living and working. This modus vivendi et operandi works through the community listening to the Word and celebrating the Eucharist, the brotherhood of communion and the co-responsibility and participation of the whole People of God in its life and mission, on all levels and distinguishing between various ministries and roles18. 15. LEHMANN, Einleitung, in Gemeinsame Synode (n. 4), p. 24: “Das synodale Element ist … in seinem Radius enger als die umfassende Grundwirklichkeit der Kirche”. 16. R. BATTOCCHIO – S. NOCETI (eds.), Chiesa e sinodalità – coscienza, forme, processi (Forum ATI, 3), Milano, Glossa, 2007. 17. P. CODA, Genesi e articolazione del Congresso, in BATTOCCHIO – NOCETI (eds.), Chiesa e sinodalità (n. 16), XIII-XXIV, pp. XVI-XVII: “Nel concetto di sinodalità, infatti, s’intende indicare la dinamica specifica del cammino della Chiesa nella storia, quale espressione adeguata di quel soggetto comunitario che viene escatologicamente istituito, in Cristo Gesù, come popolo di Dio votato alla testimonianza dell’avvento del Regno tra tutti gli uomini. Attenzione alla figura e alla dinamica della sinodalità dunque, non per indicare, in prima istanza, una forma giuridica di governo della Chiesa, ma, più originariamente, uno spirito e un metodo di vita e di testimonianza del Vangelo, che senz’altro non può non assumere anche, e di conseguenza, una precisa configurazione pratica” (my translation and emphasis). 18. INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Synodality (n. 6), § 70.a.
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Precisely this broad, dynamic understanding of synodality standing for the Church “as a people of pilgrims and evangelizers” (Evangelii gaudium 111) on their way to God is also advocated by Pope Francis. In other words, the synodality of the Church, not just synodality in the Church is at stake. In what follows, I would like to stay on this fundamental level of meaning and continue to consider synodality as a fundamental feature of the Church. How does synodality manifest itself as “the specific modus vivendi et operandi of the Church, the People of God, which reveals and gives substance to her being as communion when all her members journey together, gather in assembly and take an active part in her evangelising mission”19? We shall, first, take a look at some crucial theological foundations and dimensions. In all the complexity of the interconnected dimensions, the renewed understanding of synodality outlined above also has some concrete impact on the form and governance of the Church. We shall investigate this in a further step. III. THEOLOGICAL FOUNDATIONS Synodality can be conceived as proceeding from an ecclesiology, in the middle of which stands the pilgrim People of God. A christologically based, communio-oriented People-of-God-theology gets pneumatologically enriched – in other words, “[t]he principle of synodality is the action of the Spirit in the communion of the Body of Christ and in the missionary journey of the People of God”20. Theologumena like the common priesthood of all the baptized or the participation in the threefold ministry of Christ play a theological role, but tend to take a back seat in the contemporary church-official argumentation. This argumentation rather relies on an ecclesiology of the People of God purported by the Second Vatican Council. In the Dogmatic Constitution on the Church Lumen gentium, a complete chapter on The People of God (chapter II) is strategically positioned before the chapters on the hierarchical structure of the Church (chapter III Episcopate/chapter IV Laypeople). The Council’s priority is to see the Church as a whole. All differentiations are secondary. All baptized are members of the People of God. The traditional way of speaking of two separate classes or ranks, the clergy and the laity, is outdated21. 19. Ibid., § 6. 20. Ibid., § 46. 21. Cf. P. NEUNER, Abschied von der Ständekirche: Plädoyer für eine Theologie des Gottesvolkes, Freiburg i.Br., Herder, 2015. Seminal for this at the time of Vatican II was
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Already at the Second Vatican Council itself, Émile J. De Smedt, at the time Bishop of Bruges, had pointed out in a memorable speech the connection of the pyramidal model of societas perfecta22 (et inaequalium) with triumphalism, clericalism, juridism, and episcopal or papal idolatry23. He suggested to exercise all ecclesial ministries in “a spirit of service, not of being served”24. If the Church is referred to as the ‘People of God’ instead of ‘societas perfecta’, this results in a decisive consequence, namely in the joint participation and the shared responsibility of all. The entire messianic People of God is responsible for proclaiming the Easter hope to the world, not just the ordained 2% on behalf of the other 98%! The idea of a participatio actuosa is not just limited to the liturgy. Or as Yves Congar emphasizes, “[t]he church is not a pyramid whose passive base receives everything from the apex”25. Participatory interaction at local, regional, and universal levels and between these levels is crucial. For “[t]he mission of the Church is entrusted to the whole of the Church and thus to all Christians together. Nobody is only object; all are also subject in the Church”26. Pope Francis is currently picking up some of these insights in his reform programme: The Church, as the agent of evangelization, is more than an organic and hierarchical institution; she is first and foremost a people advancing on its pilgrim way towards God. She is certainly a mystery rooted in the Trinity, yet she exists concretely in history as a people of pilgrims and evangelizers, transcending any institutional expression, however necessary27. Y. CONGAR, Jalons pour une théologie du laïcat (1953); English: Lay People in the Church: A Study for a Theology of the Laity, London, Bloomsbury, 1957. 22. After the term was already popular with Pius IX, Leo XIII defined it in his Encyclical Immortale Dei in 1885 (DH 3167). That the Catholic Church is the societas perfecta, the perfect society, was the abridged way of stating that the Church has all the means necessary to achieve her purpose within herself and, thus, is independent of the state. 23. Cf. R. AUBERT, Le pontificat de Pie IX, ed. A. FLICHE et al. (Histoire de l’Église, 21), Paris, Bloud & Gay, 1952, pp. 302-303, who quotes some pope hymns which hitherto in the Breviary had been addressed to the Holy Spirit. 24. Cf. for this speech on 1st December 1962 E.J. DE SMEDT, AS I/IV, Città del Vaticano, Typis Polyglottis Vaticanis, 1971, 142-144, p. 143: Non venimus ministrari, sed ministrare; G. PHILIPS, Dogmatic Constitution on the Church: History of the Constitution, in H. VORGRIMLER (ed.), Commentary on the Documents of Vatican II, vol. 1, London – New York, Burns & Oates, Herder and Herder, 1967, 105-137, p. 109. 25. Y. CONGAR, Pneumatology Today, in American Ecclesiastical Review 167 (1973) 435-449, p. 443. 26. W. KASPER, The Catholic Church – Nature, Reality and Mission, trans. Th. HOEBEL, London – New York, Bloomsbury T&T Clark, 2014, p. 203. 27. Pope FRANCIS, Apostolic Exhortation Evangelii Gaudium on the Proclamation of the Gospel in Today’s World (24 November, 2013), 111, in AAS 105 (2013) 1019-1137 and http://w2.vatican.va/content/francesco/en/apost_exhortations/documents/papa-francesco_ esortazione-ap_20131124_evangelii-gaudium.html#I.%E2%80%82The_entire_people_of_
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IV. RENEWED SYNODALITY SHAPING THE CHURCH Thus, Pope Francis initiates a new phase of the reception of the Second Vatican Council, in particular of the conciliar ecclesiology of the People of God. In 1985 the Synod of Bishops on the twentieth anniversary of the Second Vatican Council summarised the Council’s key message in the term communio. In the present reception of Vatican II, this key concept of the Council undergoes an action- and reform-oriented deepening through being combined with the notion of ‘synodality’. Being together (syn-) on the way (hodos), as the etymology suggests, excludes any form of centralism or clericalism28. From an ecclesiological point of view, primarily three important elements of a synodal, collegial, and subsidiary style of leadership emerge. They are by no means new; however, their practical application is currently somewhat underdeveloped. These ‘suppressed traditions’29 are: (1) listening and discussing, (2) common discerning and consensus building (here the key concept is sensus fidelium) and (3) collegial cooperation of the entire People of God. 1. A Church That Listens and Argues “A synodal Church is a Church which listens, which realizes that listening ‘is more than simply hearing’”30. First, the Church listens to the Word of God and to where the Holy Spirit wants to lead her to commonly understand the faith. This is the praying, spiritual aspect of synodality. Neither the act of faith nor the listening to God’s word are reserved to the hierarchy alone. Rather, this is the task of all the faithful. Especially church leaders should take good note of this. In A Listening Church31, Elozukwu Uzukwu explains that in Africa the hare is a popular totem animal because it symbolizes that tribal leaders should have an open ear for all. This is not something that can be taken for granted in the Catholic Church yet. Listening alone, however, is not enough. In order that there is something to listen to there must also be an open discussion between different God_proclaims_the_Gospel (accessed 6/6/2019). For the Latin American Theology of the People cf. J.C. SCANNONE, Pope Francis and the Theology of the People, in Theological Studies 77 (2016) 118-135. 28. Cf. INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Synodality (n. 6), § 3. 29. On the suppressed traditions in the history of the Church, cf. H. WOLF, Krypta: Unterdrückte Traditionen der Kirchengeschichte, München, Beck, 2015. 30. Pope FRANCIS, Address on 50 Years Synod of Bishops. 31. E.E. UZUKWU, A Listening Church: Autonomy and Communion in African Churches, Eugene, OR, Wipf & Stock, 1996.
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interlocutors. The diversity of opinions, lifestyles, etc. in the People of God must not be ignored. Lumen gentium 13 assigns to the Pope the task of protecting the legitimate diversity within the People of God32. Heated debates and intense wrestling are part of the synodal way. “The aim of the debates”, said Cardinal Christoph Schönborn at the already referred to 50th anniversary of the Synod of Bishops, “is the common discernment of the will of God. Even when one votes, it is not about power struggles or party building, but about this collaborative process of forming a judgement”33. For this, there must be openness in a free and frank discussion of the actual problems. As a negative example many remember the synod on The Vocation and Mission of the Laity (October 1987). It was prepared without official lay consultation. Instead of a transparent process, the episcopal conferences were meant to keep their answers to the Lineamenta secret34. The Synod itself gave little information on “how, concretely, to overcome the deplored discrimination of the laity and to better realize the ideal of the Church as the People of God”35. Leo Karrer reached the devastating conclusion that the synod had been “an episode with symptomatic character for what it was not allowed to do, but should have done”36. In contrast, at the close of the 2015 Synod of Bishops, Pope Francis could at least say: In the course of this Synod, the different opinions which were freely expressed – and at times, unfortunately, not in entirely well-meaning ways – certainly led to a rich and lively dialogue; they offered a vivid image of a 32. Cf. SECOND VATICAN COUNCIL, Dogmatic Constitution on the Church Lumen gentium, http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_ 19641121_lumen-gentium_lt.html (accessed 06/05/2019), 13: “legitimas varietates tuetur et simul invigilat ut particularia, nedum unitati noceant, ei potius inserviant”. 33. C. SCHÖNBORN, Ansprache zur 50-Jahr-Feier zur Errichtung der Bischofssynode (17. Oktober 2015), in Die Berufung und Sendung der Familie in Kirche und Welt von heute, ed. Sekretariat der Deutschen Bischofskonferenz (Texte zur Bischofssynode 2015, Arbeitshilfen, p. 276), Bonn, Sekretariat der Deutschen Bischofskonferenz, 2015, 81-95, p. 94: “Ziel der Debatten […] ist das gemeinsame Unterscheiden des Willens Gottes. Auch dort, wo abgestimmt wird, geht es nicht um Machtkämpfe, Parteibildungen, sondern um diesen gemeinschaftlichen Prozess zur Bildung eines Urteils”. 34. In Germany this did not work. In 1986, the German Bishops’ Conference presented a rather critical statement on the Lineamenta along the lines of the Würzburg Synod. The Central Committee of the Catholics in Germany in its official comment likewise criticised the basic orientation of the Lineamenta. 35. NEUNER, Abschied von der Ständekirche (n. 21), p. 160: “Zu konkreten Schritten, wie man die beklagte Diskriminierung der Laien überwinden und das Ideal der Kirche als Volk Gottes besser verwirklichen könne, machte der Text wenig Angaben”. 36. L. KARRER, Die Stunde der Laien: Von der Würde eines namenlosen Standes, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 1999, p. 130: “[Die Synode ist] eine Episode gewesen mit Symptomcharakter für das, was sie nicht durfte, aber hätte sollen”.
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Church which does not simply ‘rubberstamp’, but draws from the sources of her faith living waters to refresh parched hearts37.
2. Sensus fidei as sensus fidelium In order to suit the action to the word and take concrete steps, differentiation and consensus building are necessary. Because the People of God receive God’s word directly, Vatican II teaches38: The entire body of the faithful, anointed as they are by the Holy One (cf. 1 Jn 2:20.27), cannot err in matters of belief. They manifest this special property by means of the whole people’s supernatural discernment in matters of faith when ‘from the Bishops down to the last of the lay faithful’ they show universal agreement in matters of faith and morals (LG 12).
The instrument for discerning matters of faith is the sensus fidei of each and every one of the faithful through which, as John Henry Newman pointed out in his treatise On Consulting the Faithful in Matters of Doctrine39, during the Arian crisis of the fourth century the right faith was preserved. This infallible ‘instinct of faith’ means, according to Pope Francis in Evangelii gaudium 119, that the People of God “does not err in faith, even though it may not find words to explain that faith”40. This ‘instinct of faith’ is not to be mixed up with the ‘Zeitgeist’, but secures the reciprocity of the relation of recognition between officials and non-officials, ordained and non-ordained, as it postulates an equal distribution of religious competence. However, there is a risk that the sensus fidei, misunderstood as a blind instinct, might be downgraded to a purely responsive function (as has been the case since Vatican II)41. Therefore, the Pope, 37. Pope FRANCIS, Address at the Conclusion of the Synod of Bishops (24 October, 2015), https://w2.vatican.va/content/francesco/en/speeches/2015/october/documents/papafrancesco_20151024_sinodo-conclusione-lavori.html (accessed 4/6/2019). At the meeting of young people with the synod fathers on 6 October 2018, Pope Francis passed on the questions of the young people and underlined: “The responses will be given by the Synod Fathers. Because if I were to give answers here, I would nullify the Synod! The responses must come from everyone, from our reflection, from our discussion and, above all, they must be responses made without fear” (http://w2.vatican.va/content/francesco/en/speeches/2018/ october/documents/papa-francesco_20181006_giovani-sinodo.html, accessed 6/6/2019). 38. During the Council this was already pointed out by G. THILS, L’infaillibilité du peuple chrétien “in credendo”: Notes de théologie posttridentine (BETL, 21), Leuven, Imprimerie Orientaliste; Brugge – Paris, Desclée de Brouwer, 1963. 39. Cf. J.H. NEWMAN, On Consulting the Faithful in Matters of Doctrine, 1859, repr. London, Collins, 1961. Newman even speaks of a “pastorum et fidelium conspiratio” (p. 104). 40. Pope FRANCIS, Evangelii gaudium 119 (n. 27). 41. Cf. J. FAMERÉE, Sensus fidei, sensus fidelium: Histoire d’une notion théologique discutée, in RSR 104 (2016) 167-185, p. 179 who points out that the term sensus fidelium is missing in the 1983 Code of Canon Law.
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in his speech on the 50th anniversary of the Synod of Bishops, further clarified that the synodal principle provides a communication instrument for the sensus fidei which in turn “prevents a rigid separation between an Ecclesia docens and an Ecclesia discens, since the flock likewise has an instinctive ability to discern the new ways that the Lord is revealing to the Church”42. After all, the fact that the Pope talks of “new ways” suggests that he thinks of a proactive and even a corrective function of the sensus fidei. Therefore, at least for the Synod of Bishops, he introduced a compulsory consultation of the faithful by making the pre-consultation of the People of God binding43. So far so good. But the sensus fidei always manifests itself as sensus fidelium, i.e. in a plurality of testimonies, since faith is always personal faith and carries a personal signature. If this faith is articulated in a variety of disparate testimonies whose harmony is not immediately obvious, the identity of the Christian faith is at stake. In this case the legitimate concern for the unity of the Church and the respect for the competence of the sensus fidei of the faithful stand in opposition to each other and compete, especially if the latter is not conceived of as a blind instinct (as the relevant document of the International Theological Commission of 201444 surprisingly seems to suggest), but is supplemented by a legitimate moment of freedom. How does the sensus fidelium become a consensus fidelium? What are suitable structures and instruments for consensus-building? Without conflict, there is no consensus. This truism applies also in the Church. Conflicts arise from the necessarily different subjective perspectives, which see the same facts differently. These differences can lead to misunderstandings. Even if one does not immediately think of heresy or apostasy, but only of everyday intra-church disagreements, this requires transparent regulatory mechanisms. Fear-driven measures of forced harmonization in the face of dreaded dissent are no solution. In the history of the church, synods have always been instruments of conflict resolution. 42. Pope FRANCIS, Address on the 50 th Anniversary of the Synod of Bishops (n. 2). In referring to the “ecclesia docens” and “discens” the Pope bases himself on the document by the INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Sensus fidei in the Life of the Church (4 July 2014), § 4: http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/ rc_cti_20140610_sensus-fidei_en.html (accessed 3/6/2019). 43. Cf. Pope FRANCIS, Apostolic Constitution Episcopalis communio on the Synod of Bishops (15 September 2018), No. 7 and art. 6, http://w2.vatican.va/content/francesco/en/ apost_constitutions/documents/papa-francesco_costituzione-ap_20180915_episcopaliscommunio.html (accessed 6/6/2019). 44. Cf. INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Sensus fidei (n. 42), §§ 2 and 49ff.; cf. however already M. SECKLER, Instinkt und Glaubenswille nach Thomas von Aquin, Mainz, Grünewald, 1961.
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Consensus-building requires the cooperation of all believers, and the search for consensus is a process in which all must be involved. Here the Roman Catholic practice could learn from ecumenical dialogue. For a ‘differentiated’ or ‘differentiating’ consensus takes dissenting opinions seriously, even if the differentiation does not always need to be as detailed as in some ecumenical documents45. According to Catholic understanding, the principle of horizontal, synchronous consensus is always connected with a vertical, diachronic consensus in relation to Scripture and Tradition46. As Hermann Josef Pottmeyer explains: It is not just a matter of listening to the word of God in the Holy Scriptures and the way it is transmitted by the Church, but of perceiving what God wants to say to the Church today in the Holy Spirit and what he wants her to do. This includes the conversion of the hearts from insistence on their own opinion and will to the willingness to take the other – ‘God’ – and the ‘others’ – one’s fellow believers – seriously. This is exactly what dialogue means: the truth of faith does not only consist in the truth of the content of faith, but also in the truth of the way in which this content is found and accepted47.
3. Collegial Cooperation within the People of God After all, there are not only contents, or rather formulations of faith which are less appropriate to the gospel, but also less coherent social forms of the Church, which may even distort the Christian message48. According 45. On the definition of a differentiated consensus cf. L. ULRICH, Differenzierter Konsens und Komplementarität, in H. WAGNER (ed.), Einheit − aber wie? Zur Tragfähigkeit der ökumenischen Formel vom ‘differenzierten Konsens’ (Quaestiones Disputatae, 184), Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 2000, 102-135, p. 112: A differentiated consensus states that “1. im Dialog volle Übereinstimmung erzielt worden ist in dem, was zum Grundlegenden einer bestimmten Glaubensaussage gehört, und 2. auch Übereinstimmung erzielt worden ist, daß die verbleibenden Differenzen in Bezug auf die betreffende Glaubensaussage nicht nur legitim, sondern auch bedeutungsvoll sind und die volle Übereinstimmung im Grundlegenden nicht mehr in Frage stellen”. 46. Cf. H.J. SIEBEN, Die Konzilsidee der Alten Kirche (Konzilsgeschichte Reihe B: Untersuchungen), Paderborn, Schöningh, 1979, p. 313; horizontal consensus: pp. 324-330; vertical consensus: pp. 331-335. 47. H.J. POTTMEYER, Die Mitsprache der Gläubigen in Glaubenssachen: Eine alte Praxis und ihre Wiederentdeckung, in Internationale Katholische Zeitschrift Communio 25 (1996) 134-147, p. 147: “Es geht nicht nur darum, auf das Wort Gottes in der Heiligen Schrift und in seiner Überlieferung durch die Kirche zu hören, sondern wahrzunehmen, was Gott der Kirche heute im heiligen Geist sagen und wozu er sie heute bewegen will. Das schließt die Bekehrung der Herzen vom Beharren auf eigenem Meinen und Wollen zu der Bereitschaft ein, den ‚anderen‘ – Gott – und die ‘anderen’ – die Mitglaubenden – ernstzunehmen – eben genau das, was Dialog heißt: Zur Wahrheit des Glaubens gehört nicht nur die Wahrheit des Inhalts, sondern auch die Wahrheit des Weges, auf dem diese gefunden und angenommen wird”. 48. Cf. G. BAUSENHART, Evangelisierung in der communio aller Getauften, in P. HÜNERMANN – B.J. HILBERATH (eds.), Herders Theologischer Kommentar zum Zweiten Vatikanischen
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to its normative origin in the gospel, the Church must seek the clearest proclamation of the gospel and the most transparent and useful form of its own structures. As a participatory and co-responsible church, a synodal church is called to structure the participation of all according to their vocation and aptitude49. In the broadest sense, therefore, there is a kind of collegial cooperation of the entire People of God, since “all the faithful are qualified and called to serve each other through the gifts they have all received from the Holy Spirit”50. Yet how can synodality square with hierarchical order, both being important structural elements of the Church? Especially at the two synods on the family in 2014 and 201551, it became obvious that the area where there still are problems and where the Catholic Church still has to struggle most with the synodal principle is the interplay of synodality and hierarchical order, of participation and authority. The People of God is essentially characterized by a certain vis-à-vis, the ordained ministry. Although it forms an integral part of the People of God, it is the counterpart of the People of God within the communio, if (and only if) it represents the extra nos (‘not-from-ourselves’) of salvation. Therefore, it has an authority that is not grounded in a delegation by the community, even though the entire People of God is called and sent together. Already Cyprian of Carthage († 258) assigned to this ordained ministry a consultatory and consensus-building function in a participatory and collegial style of leadership. Granted, his “nihil sine episcopo”, “nothing without the bishop”, is usually cited as a classic example of the fact that bishops and the hierarchy have the sole responsibility in the Church. However, one must read on: “nihil sine consilio vestro”, “nothing without your advice”, he writes in Epistle 14 to the presbyters and “nihil sine consensu plebis”, “nothing without the consent of the people”52. In fact, Cyprian never takes any decision at all, unless on the basis of joint consultation and discernment. Taking up this thread of thought, the International Theological Commission declares that the expression “votum tantum consultativum” is misleading. “So, in coming to formulate their own decisions, Konzil. Vol. 5: Theologische Zusammenschau und Perspektiven, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 2006, 277-286, p. 279. 49. Cf. INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Synodality (n. 6), § 67. 50. Ibid. 51. Cf. D.M. HASCHKE, Demokratie in der Kirche? Über den Anspruch und die Möglichkeiten einer Demokratisierung der Kirche im Spiegel der Bischofssynode, in W. REES – L. MÜLLER (eds.), Synodale Prozesse in der katholischen Kirche, Innsbruck, Innsbruck University Press, 2016, 35-54. 52. CYPRIAN, Epistula 14:4, in Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 3/2, ed. W. HARTEL, Wien, Gerold, 1871, p. 512, ll. 17-19: “nihil potui, quando a primordio episcopatus mei statuerim nihil sine consilio uestro et sine consensu plebis mea priuatim sententia gerere”.
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Pastors must listen carefully to the wishes (vota) of the faithful”53. However, this statement does not correspond to existing canon law at all levels. Therefore, the Theological Commission further states: “The distinction between deliberative and consultive votes must not allow us to underrate the opinions expressed and votes made in various synodal assemblies and councils”54. For years, however, the Diocese of Regensburg in Germany has been an example of the opposite55. Yet today a church with serious participatory deficits cannot expect widespread acceptance. Not least because of this, Karl Lehmann saw in the Würzburg Synod an implementation of the guidelines of Vatican II, since delegated laypeople, who participated in the synod, had a deliberative, deciding vote; the bishops, on the other hand, had the right of veto. Thus, in Lehmann’s opinion, there was an element of co-decision by laypeople, priests, and religious, while the bishops continued to exercise the inalienable authority of their episcopal ministry56. It is worth noting how Pope Francis makes synodality, which is “a constitutive element of the Church […], the most appropriate interpretive framework for understanding the hierarchical ministry itself”57. The hierarchical ministry is a ministry of service because “in the Church, it is necessary that each person ‘lower’ himself or herself, so as to serve our brothers and sisters along the way”58. Following the statement of the inverted pyramid quoted above, Pope Francis continues: Consequently, those who exercise authority are called ‘ministers’, because, in the original meaning of the word, they are the least of all. It is in serving the people of God that each bishop becomes, for that portion of the flock 53. INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Synodality (n. 6), § 68. 54. Ibid. 55. In November 2005 Gerhard Ludwig Müller, then Bishop of Regensburg, abolished the pastoral councils of his diocese, thus ignoring the decisions of the Würzburg Synod; cf. the documentation in J. GRABMEIER, Kirchlicher Rechtsweg – vatikanische Sackgasse! Kirchliches Rechtssystem in der römisch-katholischen Kirche endgültig gescheitert – dargestellt an einem konkreten Fall eines hierarchischen Rekurses von Regensburg bis Rom zur Mitwirkung der Laien in der Kirche, Schierling, Animus-Verlag, 2012. 56. A similar scenario is described as a big challenge for the Church by the INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Synodality (n. 6), § 104: “An ecclesial mentality shaped by synodal thinking joyfully welcomes and promotes the grace in virtue of which all the baptised are qualified and called to be missionary disciples. The great challenge for pastoral conversion that follows from this for the life of the Church is to intensify the mutual collaboration of all in evangelising witness based on everyone’s gifts and roles, without clericalising lay people and without turning the clergy into lay people, and in any case avoiding the temptation of ‘an excessive clericalism which keeps them [lay people] away from decisionmaking’” (quoting Evangelii gaudium 102). 57. Pope FRANCIS, Address at the 50th Anniversary of the Bishops’ Synod (n. 2). 58. Ibid.
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entrusted to him, vicarius Christi, the vicar of that Jesus who at the Last Supper bent down to wash the feet of the Apostles (cf. Jn 13:1-15). And in a similar perspective, the Successor of Peter is nothing else if not the servus servorum Dei59.
Thus the same applies to the Pope. Francis understands ministry here explicitly as a succession in the pro-existence of Jesus60 and as acting in persona Christi servi (not capitis)61. If hierarchy is understood in this way, the ordained are not Christians in a higher or privileged degree; rather the paradigms of ordained ministry are service and diaconate62. Therefore, a synodal conversion of the Church does not result in an emancipatory withdrawal movement away from an institutional church and church leadership that lords it over the laity. On the contrary, the principle of collegiality is consistently applied at all levels. This means, firstly, and that in itself is a measure which can claim the Second Vatican Council as its forerunner, to strengthen the collegiality of the bishops among each other63, as is currently the case in the episcopal conferences. In order to strengthen these “intermediary instances of collegiality”64, Pope Francis advocates in Evangelii gaudium more competences for the episcopal conferences, including an authentic teaching authority65. Secondly, this means more collegiality of the bishops with the pope, so that they act cum Petro et sub Petro. However, as Pope Francis emphasizes, this means no further centralization or restriction of freedom, but is the guarantee of unity66. 59. Ibid. 60. For the coinage of this expression cf. H. SCHÜRMANN, “Pro-Existenz” als christologischer Grundbegriff, in Analecta Cracoviensia 17 (1985) 345-372. 61. Cf. in contrast Pope BENEDICT XVI, Motu Proprio “Omnium in mente” (15 December 2009) which reformulates can. 1009 adding the phrase: “Those who are constituted in the order of the episcopate or the presbyterate receive the mission and faculty to act in the person of Christ the head, while deacons are enabled to serve the people of God in the diaconate of the liturgy, the word and charity” (my emphasis). 62. Cf. M. REMENYI, Die Autorität des Dienens. Der Diakonat als Paradigma des kirchlichen Amtes, in ID. (ed.), Amt und Autorität. Kirche in der späten Moderne, Paderborn, Schöningh, 2012, 159-181. 63. Cf. Lumen gentium 23 and Christus Dominus 37 and 38. It is meant to be a “common” (coniunctim) action, which should be supported by collegiality (affectus collegialis). 64. Pope FRANCIS, Address on 50th Anniversary of the Synod of Bishops (n. 2). 65. Cf. Pope FRANCIS, Evangelii gaudium 32. This stands in a certain contrast with J. RATZINGER, Zur Lage des Glaubens. Ein Gespräch mit Vittorio Messori, München – Zürich – Wien, Verlag Neue Stadt, 1985, pp. 59-60: “Wir dürfen nicht vergessen, daß die Bischofskonferenzen keine theologische Grundlage haben, sie gehören nicht zur unaufgebbaren Struktur der Kirche, so wie sie von Christus gewollt ist: sie haben nur eine praktische, konkrete Funktion”. From the alleged missing of a collegial character Ratzinger deduces, ibid.: “Keine Bischofskonferenz hat als solche lehramtliche Funktion. Entsprechende Dokumente verdanken ihr Gewicht allein der Zustimmung, die ihnen von den einzelnen Bischöfen gegeben wird”. 66. Pope FRANCIS, Address at the 50th Anniversary of the Synod of Bishops (n. 2).
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Primacy and collegiality do not contradict each other but complement each other. Thirdly, and this seems to me a decisive accent regarding the extension of the concept of collegiality as a specific form of episcopal ministry67 ‒ thirdly, this means the collegiality of bishops with clergy and laity which, on the one hand, goes far beyond the mere administration of a diocese or parish and, on the other hand, pursues a pastoral development that is reflective, but does not get stuck in merely beautiful theories. A communicative and participatory style of leadership in the Church consists of a new fraternal and sisterly cooperation of bishops, priests, religious, and laity. Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet68 – what concerns all, must be treated and decided by all. Participation of all believers – not only with regard to this there are two methods of counting who belongs to a community: the first only counts those as really belonging who have a say in the community; this has been the prevailing method in the Catholic Church so far. The second also includes those who, for whatever reasons, are excluded from decision-making69. “There is no exteriority or separation between the community and its pastors”70. Ultimately, such broadened collegiality would not be a mere restructuring, but a sign of understanding “collegial structures in the church as an earthly symbol of the unity of Father, Son, and Spirit”71. A subsidiary exercise of the episcopal office is realized by recognizing synods as a permanent institution as well as respecting their decisions. Should bishops be unable to recognize the decisions of a synod, the struggle for a solution must go on until everyone can agree. The principle of 67. However cf. INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Synodality (n. 6), § 7: “While the concept of synodality refers to the involvement and participation of the whole People of God in the life and mission of the Church, the concept of collegiality defines the theological significance and the form of a) the exercise of the ministry of Bishops in the service of the local Church entrusted to the care of each of them, and b) of the communion between local Churches at the heart of the one universal Church of Christ, brought about by means of the hierarchical communion of the College of Bishops with the Bishop of Rome. Collegiality is thus the specific form in which ecclesial synodality is manifested and made real through the ministry of Bishops on the level of communion of the local Churches in a region, and on the level of communion of all the Churches in the universal Church. An authentic manifestation of synodality naturally entails the exercise of the collegial ministry of the Bishops”. 68. Y. CONGAR, Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet, in Revue historique du droit français et étranger 36 (1958) 210-259. 69. Cf. J. RANCIÈRE, Konsens, Dissens, Gewalt, in A. KAPUST – M. DABAG – B. WALDENFELS (eds.), Gewalt: Strukturen, Formen, Repräsentationen, München, W. Fink, 2000, 98-112, p. 106. 70. INTERNATIONAL THEOLOGICAL COMMISSION, Synodality (n. 6), § 69. 71. J.R. QUINN, Vatican Council II. Collegiality and Structures of Communion, in P.G. CROWLEY (ed.), From Vatican II to Pope Francis. Charting a Catholic Future, Maryknoll, NY, Orbis, 2014, 57-66, p. 62.
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subsidiarity is based on respect for the competence of all the baptized. Joint decision-making and episcopal decision-taking characterize a synodal church72 and this is why the synodal principle is understood “as the legal expression of the communal realization of the freedom of the Church”73. Summing up the thoughts so far, it still remains to ask: How realistic is this reform programme of staunch synodality? Is it too naive? Is it too daring? The urgency of dealing with reality deficits in the Catholic Church certainly is no dream. It requires a turn-around in which the People of God and its shepherds jointly rediscover the spirit of listening to each other and the spirit of service. Such a conversion remains an empty fantasy without simultaneous practical steps that give tangible shape to the inner conversion. A lot depends on the perseverance of the reforming forces and on whether the achieved reform processes are irreversible or can be undone again. In the Catholic Church one of the hard facts today is that there are too little concrete practical expressions of synodality74. If Arnaud JoinLambert did not miscount, since the end of the Second Vatican Council in Europe only 547 synods took place; thus, not even one in every Catholic diocese! According to the Codex Iuris Canonici of 1917 all dioceses were obliged to hold at least one diocesan synod within 10 years. In Ireland since 1932 no synod has taken place anymore. In Belgium the first diocesan synod after the Second Vatican Council was held in 2011 in Tournai. In Germany, in 27 dioceses only 31 diocesan synods have taken place75. 72. Cf. J. FAMERÉE, Conciliarité de l’Église. Théologalité, pluralité, historicité, in RSR 106 (2018) 443-460, p. 450 who explains this giving the example of the local church: “Partons de l’Église locale (diocésaine, épiscopale). Sa conciliarité eucharistique ordonnée appelle une ‘traduction’ institutionnelle qui soit à sa hauteur: non seulement des conseils (paroissiaux, pastoraux diocésains…), mais une véritable synodalité où tous les fidèles puissent effectivement prendre part à l’élaboration des décisions (decision-making) qui concernent les orientations pastorales fondamentales d’un diocèse, l’ultime prise de décision (decision-taking) revenant à l’évêque en sa qualité de pasteur et successeur des Apôtres. Le synode diocésain répond pour une part à cette intention”. 73. H. MÜLLER, Freiheit der kirchlichen Rechtsordnung? Die Frage nach individueller und gemeinschaftlicher Freiheit im kanonischen Recht, in Archiv für katholisches Kirchenrecht (1981) 454-476, p. 473: “als rechtlich[er] Ausdruck gemeinschaftlicher Verwirklichung der Freiheit der Kirche”. 74. Cf. D. BURKHARD, Diözesansynoden und synodenähnliche Formen sowie Kirchenvolksbegehren der letzten Jahrzehnte in den deutschsprachigen Ländern, in Römische Quartalschrift für christliche Altertumskunde und Kirchengeschichte 101 (2006) 113-140. 75. Cf. A. JOIN-LAMBERT, Synodes diocésains, ‘parasynodes’ et conciles particuliers dans l’Église catholique depuis le concile Vatican II. Liste, bibliographie, ressource, 7e éd., in Cahiers Internationaux de Théologie Pratique. Publication scientifique en ligne (Série ‘documents’) https://www.pastoralis.org/wp-content/uploads/pdf/documents/CITP_Doc_3_ synodes_diocésains_7e_ed 2018-03-26.pdf (accessed 6/6/2019). He updated his statistics in March 2018.
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Turning to true synodality, not just to a distorted form of it, is certainly still a long way for the Catholic Church, yet rather than reaching a certain point of where to stay, the goal of the notion of synodality is to be on the synodal way together. Faculty of Theology and Religious Studies KU Leuven Sint-Michielsstraat 4 box 3100 BE-3000 Leuven [email protected]
Annemarie C. MAYER
LE CELAM ET AMERINDIA MÉMOIRE D’UN DIALOGUE SUR LA THÉOLOGIE DE LA LIBÉRATION (BOGOTÁ, JUILLET 2006 ‒ MARS 2007)
I. LA CONFÉRÉRENCE D’APARECIDA DERRIÈRE LE TEXTE, UN CHANGEMENT DE CLIMAT L’une des plus grandes «surprises» de la cinquième conférence générale de l’épiscopat latino-américain réunie à Aparecida en mai 2007 – un événement ecclésial ayant fortement marqué le parcours de Jorge Mario Bergoglio, comme on l’a amplement souligné après coup – fut sans doute l’atmosphère de dialogue dans laquelle elle se déroula et à laquelle très peu s’attendaient. En effet, un tel climat n’était guère prévisible si l’on considère que le premier élément inattendu de la conférence d’Aparecida fut le fait même d’avoir lieu et, de surcroît, en Amérique latine1. Déjà, son annonce tardive de la part du Saint-Siège, en octobre 2005 – soit quatre ans après l’assemblée du CELAM (Conseil épiscopal latino-américain) à Caracas, en 2001, durant laquelle le cardinal Óscar Rodríguez Maradiaga avait proposé une cinquième conférence générale pour célébrer le jubilé du Conseil épiscopal latino-américain –, témoignait des difficultés rencontrées en cours de route, sans compter les résistances de ceux qui retenaient que le Synode pour l’Amérique tenu en 1997 avait enfin clos le chapitre «anormal» des conférences générales de l’Église latino-américaine2. Le secrétaire d’État Angelo Sodano avait expressément dit non à une cinquième conférence; la mesa directiva du CELAM avait alors soumis la question à Jean-Paul II, qui avait à son tour consulté les 29 cardinaux latino-américains (17 se prononcèrent en faveur de la conférence et 12 d’un synode à Rome) de même que les 22 conférences épiscopales (une seule appuya l’idée d’un synode continental)3. Pendant l’année 2005, initialement 1. En ce sens, je me permets de renvoyer à mon article S. SCATENA, From Medellín to Aparecida. The “Lesson” of a Regional Experience in Searching for Forms and Styles of Effective Collegiality, dans C.M. GALLI – A. SPADARO (éds), For a Missionary Reform of the Church. The Civiltà Cattolica Seminar, Mahwah, NJ, Paulist Press, 2018, 266-288. 2. Cf. notamment J.B. LIBÂNIO, Conferencia de Aparecida. Documento final, dans Revista Iberoamericana de Teología 4 (2008) 23-36. 3. Cf. F.J. ERRÁZURIZ OSSA, La Preparación de la V Conferencia General del Episcopado latinoamericano y del Caribe, dans L’Osservatore Romano, éd. espagnole, 23 février 2007 et 2 mars 2007.
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prévue pour la tenue de la conférence, on est seulement arrivé à déterminer le thème, la date et le lieu. Ce dernier fut fixé durant une audience papale, en marge du Synode des évêques, avec le président du CELAM, Errázuriz, et trois autres cardinaux latino-américains (Hummes, Bergoglio et le colombien Rubiano Sáenz) qui exprimèrent en cette occasion à Benoît XVI leur désir que la conférence ne fût pas tenue à Rome, comme l’avait précédemment envisagé le Saint-Siège en raison des mauvaises conditions de santé de Jean-Paul II4. Si l’insistance déployée par le CELAM pour ne pas couper le fil de la continuité avec l’histoire particulière de la collégialité de l’Église latinoaméricaine constitua ainsi la première «surprise» d’Aparecida, la seconde fut la liberté de parole qui, malgré la faible représentation d’importants secteurs ecclésiaux, les obstacles réglementaires et certaines interventions désinvoltes de dernière minute, caractérisa cet événement collégial sans équivalent sur les autres continents, en consentant aux partisans de positions ecclésiales différentes et souvent opposées de s’exprimer et d’échanger5. Les participants ont été en effet unanimes à affirmer que la dernière assemblée de l’épiscopat latino-américain fut dépourvue des fortes tensions ayant caractérisé la conférence de Puebla et que l’attitude des délégués romains y fut plus discrète que lors de l’assemblée «blindée» de SaintDomingue en 1992. C’est en ce sens surtout que la rencontre d’Aparecida n’a pas manqué d’étonner de façon positive, notamment si l’on tient compte du peu d’attentes qu’elle suscitait la veille de son ouverture. Cette période fut en effet marquée par la notification de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) concernant les œuvres christologiques de Jon Sobrino de 1991 et 1999, rendue publique au terme d’un long processus initié en 2001 par le cardinal Joseph Ratzinger6. À plus de vingt ans des deux instructions romaines concernant la théologie de la libération7, et bien que ne prévoyant pas de mesures disciplinaires précises à l’encontre 4. Cf. V.M. FERNÁNDEZ, Aparecida – Guía para leer el documento y crónica diaria, Buenos Aires, San Pablo, 2007, pp. 11-12. 5. Cf. A. BRIGHENTI, Crônica do desenrolar da V Conferência, dans AMERINDIA, V Conferência de Aparecida. Renacer de uma esperança, São Paulo, Paulinas, 2007, pp. 25-33. 6. Cf. J. SOBRINO, Jesucristo libertador. Lectura histórico-teológica de Jesús de Nazareth, Madrid, Trotta 1991, et ID., La fe en Jesucristo, ensayo desde las víctimas, Madrid, Trotta, 1999. Pour le texte de la Notification et de la Note explicative qui l’accompagnait, cf. Il Regno-documenti 7 (2007) 225-232. 7. CONGREGAZIONE PER LA DOTTRINA DELLA FEDE, Instructio «Libertatis nuntius» de quibusdam rationibus «theologiae liberationis», 6 août 1984, dans Enchiridion Vaticanum. Documenti ufficiali della S. Sede, 9, 1983-1985, Bologna, EDB, 1986, 866-927, et Instructio «Libertatis conscientiae» de libertate christiana et liberatione, ibid., 10, 1986-1987, Bologna, EDB, 1989, 118-239.
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de l’auteur, la notification de la CDF sur la christologie de Sobrino, seul survivant du massacre des jésuites de la Universidad Centroamericana de San Salvador en novembre 1989 et devenu en quelque sorte le symbole d’une théologie centrée sur les victimes, provoqua un choc dans plusieurs milieux théologiques internationaux. Il s’agissait par ailleurs du premier acte public d’importance du nouveau préfet de la CDF, le cardinal William Levada, depuis l’élection de Ratzinger au siège pontifical en 20058. Les réactions à la prise de position de la CDF ‒ approuvée par Benoît XVI le 13 octobre 2006, signée par le nouveau préfet de la Congrégation le 26 novembre et rendue publique le 14 mars 2007, bien que la rumeur d’une possible «sanction» du jésuite basque naturalisé salvadorien circulât depuis quelques semaines déjà9 ‒ furent sans aucun doute amplifiées par la date même de cette publication, à la veille du premier voyage de Benoît XVI en Amérique latine pour l’inauguration de la conférence d’Aparecida: un «synchronisme» interprété par plusieurs comme une orientation et un avertissement adressé aux évêques sur le point de se réunir en assemblée générale quinze ans après la réunion de Saint-Domingue. Aucun changement important ne s’était du reste manifesté au cours de ces quinze années quant à l’opposition et à l’ostracisme dont la recherche théologique latino-américaine d’orientation libératrice et les expériences pastorales qui s’en inspiraient avaient été l’objet pendant les deux décennies précédentes, tant de la part de Rome que, auparavant, du CELAM même. L’élection inattendue du jeune évêque colombien Alfonso López Trujillo au secrétariat général de l’organisme continental à la fin de 1972 ainsi que deux changements successifs dans les statuts avaient en effet conduit à une diminution systématique de l’influence du groupe d’évêques et d’experts ayant préparé la conférence de Medellín – une diminution qui s’était rapidement traduite par une authentique marginalisation accompagnée d’une transformation radicale de la fonction exercée par le premier CELAM postconciliaire10. Les changements à la direction de l’organisme continental de l’épiscopat sous le leadership de López Trujillo, secrétaire 8. Pour des exemples des réactions à cette mesure du Vatican, voir la documentation rassemblée dans le Dossier Jon Sobrino, dans Concilium 3 (2007) 171-182. 9. Cf. C. FANTI, Contro Jon Sobrino la prima notificazione del pontificato di Benedetto XVI. Ma non è una condanna, dans Adista Notizie (2007), no 23, 2-3. 10. Cf. A.W. BUNGE – L.F. ESCALANTE, El Consejo Episcopal Latinoamericano (C.E.L.A.M.) y sus Estatutos, Madrid, Encuentro, 2001. Sur l’élection de López Trujillo au secrétariat général et sur le changement significatif d’orientation du CELAM, cf., encore en absence d’une reconstruction historique rigoureuse, E. DUSSEL, De Medellín a Puebla. Una década de sangre y esperanza, 1968-1979, Mexico, Edicol, 1979, pp. 268ss., et F. HOUTART, CELAM. The Forgetting of Origins, dans D. KEOGH (éd.) Church and Politics in Latin America, Houndmills – Basingstoke – London, Macmillan, 1990, 6581.
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puis président du CELAM à partir de mars 1979, de même que l’évolution générale des orientations de la curie romaine et puis du nouveau pontificat, inaugurèrent conjointement, comme on sait, une longue période ecclésiale dont il n’est pas possible de retracer ici la chronologie: une période marquée par une nouvelle politique de nominations épiscopales, les visites canoniques aux facultés de théologie et aux séminaires, une concession parcimonieuse d’imprimatur, la fermeture ou la normalisation d’expériences significatives telles que celles du séminaire régional du Nordeste ou de la Conférence latino-américaine des religieux, sans oublier l’exclusion systématique tant des centres de formation du CELAM que de la liste des participants aux conférences de Puebla et de Saint-Domingue qui frappe toute une génération de théologiens engagés de diverses manières dans le projet théologique et pastoral dans une perspective libératrice, présenté hâtivement et indistinctement comme étant sujet à la fascination de l’analyse marxiste et à l’utopie d’une révolution sociale fondée sur le christianisme11. C’est en tenant compte de ces précédents qu’il est possible d’apprécier l’indéniable discontinuité inscrite dans le changement de climat l’assemblée d’Aparecida, un rendez-vous ecclésial auquel l’Église latino-américaine arriva dans un état de profonde faiblesse, pourvue d’un système ecclésial aussi centralisé qu’incapable de contenir l’exode silencieux des fidèles vers d’autres Églises ou mouvements religieux12. Comme par hétérogenèse des fins, la notification sur les œuvres de Sobrino et la forte réaction qu’elle suscita au sein de nombreux secteurs ecclésiaux du continent semble au fond avoir joué positivement en ce sens: elle a véhiculé en effet un désir de conciliation et redonné vigueur, au sein du CELAM, aux voix en quête de dialogue et de détente entre les âmes multiples du catholicisme latinoaméricain. C’est clairement en ce sens que l’on doit lire, d’abord, la décision du CELAM d’organiser une rencontre restreinte et réservée entre quelques évêques de l’organisme de Bogotá et un petit nombre de théologiens de la libération, puis l’acceptation de la présence à Aparecida d’un groupe appréciable de théologiens et théologiennes d’Amerindia. Ce réseau continental à vocation œcuménique et interdisciplinaire de théologiens, 11. Pour une vue d’ensemble, cf., parmi une bibliographie pléthorique, S. SCATENA, La teologia della liberazione in America Latina, Roma, Carocci, 2008; J.O. BEOZZO, O êxito das teologias da libertação e as teologias americanas contemporâneas, dans Cadernos Teologia Pública 12 (2015), no 92, 3-65, également publié dans A. TREVISOL (éd.), In ascolto dell’America. Popoli, culture, religioni, strade per il futuro, Roma, Urbaniana University Press, 2014, 327-379; P. SAUVAGE, Genèse, évolution et actualité de la théologie de la libération, dans M. CHEZA – L. MARTÍNEZ SAAVEDRA – P. SAUVAGE (éds), Dictionnaire historique de la théologie de la libération, Namur, Lessius, 2017, 507-622. 12. Cf. J. LEGORRETA ZEPEDA, Cambio e identidad de la Iglesia en América Latina. Itinerario de la eclesiología de comunión de Medellín a Aparecida, Mexico, Universidad Iberoamericana, 2014, pp. 277ss.
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sociologues, spécialistes de la Bible et de pastorale avait été créé à la veille de la conférence de Puebla, à l’initiative notamment du chilien Sergio Torres, dans l’objectif d’assurer aux Églises et aux évêques qui le demandaient une collaboration théologique en continuité avec les options fondamentales de Medellín. La présence d’Amerindia à Aparecida ne fut ainsi ni clandestine ni marginale, comme elle l’avait été à Puebla ou à Saint-Domingue; bien que non officielle, elle est toutefois bien identifiable aussi dans le document final13. II. LES
ANTÉCÉDENTS DU DIALOGUE
C’est précisément sur l’origine de la reprise de dialogue entre le CELAM et un groupe restreint, mais représentatif et significatif, de théologiens de la libération – dialogue qui ouvrit la voie à la présence d’Amerindia à Aparecida – que je voudrais m’attarder en me servant de la documentation généreusement mise à ma disposition par certains des protagonistes14. Ceci pour deux raisons. En premier lieu, parce que les premiers pas furent intentionnellement faits dans la plus grande discrétion et sont, de ce fait, peu connus. Ensuite, parce que la contribution apportée desde fuera par la délégation d’Amerindia à la conférence de 2007 – la reconnaissance de la singularité du parcours de l’Église latino-américaine des cinquante dernières années et de certaines des options fondamentales des conférences précédentes, à commencer par l’option préférentielle pour les pauvres – a pris davantage d’importance à la lumière de l’élection à la chaire de Saint Pierre du cardinal Bergoglio, président de la commission de rédaction du document final à Aparecida, et à l’aune de certains axes prioritaires de son pontificat. Il est en effet hors de doute que l’insistance du pape François sur le désir d’une «Église pauvre, pour les pauvres» et sur le «lien indissoluble entre notre foi et les pauvres» – insistance qui trouve son expression la plus complète dans le document programmatique de son pontificat, Evangelii gaudium, mais qui surtout s’est matérialisée en une série étoffée de gestes, de discours et de choix, à commencer par le choix de son nom 13. Cf. P. SUESS, Ameríndia em Aparecida. A participação dos teólogos da libertação. Homenagem ao Pe. Sergio Torres por ocasião de seus 80 anos, dans Revista Eclesiástica Brasileira 70 (2010), no 277, 194-199. Cf. également P. ACEVEDO, Historia de la fundación de Amerindia. Una memoria que se prologa hasta nuestros días, dans AMERINDIA (éd.), Construyendo puentes entre teologías y culturas. Memoria de un itinerario colectivo, San José (Costa Rica), DEI, 20123, 195-201. 14. Mes remerciements sincères à Pablo Bonavía, de l’équipe de coordination d’Amerindia, ainsi qu’à José Oscar Beozzo. Pour la documentation transmise par le secrétariat exécutif d’Amerindia à Montevideo, on utilisera l’abréviation DocAmer.
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– l’option pour les pauvres de Medellín et de Puebla, ainsi que le rappel à la pauvreté comme condition essentielle pour suivre le Christ, ont en effet retrouvé ces dernières années une vitalité inattendue, source, aujourd’hui comme il y a quelques décennies, de critiques ouvertes aussi bien que de résistances plus diffuses, silencieuses et efficaces15. Après une période d’opposition déclarée à ce mouvement pastoral et théologique aux multiples ramifications généralement ramené au terme unique de «théologie de la libération» – opposition qui marqua pratiquement sans interruption, de 1979 à 1995, les présidences d’Alfonso López Trujillo, Antonio Quarracino, Darío Castrillón Hoyos et Nicolás de Jesús López Rodríguez – une timide tentative de reprise du dialogue de la part du CELAM avait bien eu lieu, vers le milieu des années 1990, sous la présidence d’Óscar Rodríguez Maradiaga (1995-1999). Le contexte était, d’une part, celui de la «corriente preparatoria» voulue par Jean-Paul II en vue du Synode pour l’Amérique de 1997 et du jubilé de l’an 200016 et, de l’autre, celui des profonds changements survenus sur le plan politique et social et plus généralement sur la scène internationale à l’aube des années 1990, à la suite de la chute du socialisme réel et du lent passage à des gouvernements formellement démocratiques dans plusieurs pays d’Amérique latine. Cette dernière phase avait favorisé des tentatives de récupération, y compris de la part de Rome, de certaines exigences de la théologie de la libération17, tandis qu’au sein même de ce courant théologique, la réaffirmation de la centralité des intuitions d’origine s’accompagnait chez certains auteurs (Gustavo Gutiérrez, Juan Luis Segundo et Hugo Assmann) de tentatives de repenser le trajet parcouru en s’efforçant de comprendre les changements socioéconomiques, politiques, culturels et religieux survenus à la fin des années 198018. C’est dans ce cadre qu’après la tentative avortée de Maradiaga de tenir, au lendemain de son élection à la présidence du CELAM en 1995, une réunion réservée à Miami entre des représentants de l’organisme de Bogotá et quelques théologiens de la libération 15. Cf. notamment quelques articles recueillis dans un volume récent: A. BRIGHENTI (éd.), Os ventos sopram do Sul. O papa Francisco e a nova conjuntura eclesial, São Paulo, Paulinas, 2019. 16. Cf. Algunas proyecciones de una reflexión teológica latinoamericana, dans L. MENDES DE ALMEIDA et al., El futuro de la reflexión teológica en América Latina (Documentos CELAM, 141), Bogotá, D’Vinni, 1996, 366-368. 17. Cf. notamment le § 26 de l’encyclique de 1991 Centesimus annus de Jean-Paul II, http://w2.vatican.va et un échange entre le pape et la presse en février 1996 au cours du vol vers l’Amérique centrale dans lequel le pape établit un lien entre la chute du communisme et le dépassement de la théologie de la libération; rapporté dans B.A. DUMAS, Théologie de la Libération, pourquoi cette méfiance?, dans Études 385 (juillet-août 1996) 8190. 18. Cf. SCATENA, La teologia della liberazione (n. 11), pp. 89-93.
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(la rencontre fut annulée sans plus d’explications), les premiers «essais techniques» de dialogue furent repoussés au mois de septembre de l’année suivant. C’est alors qu’était organisée à Schoenstatt, près de Coblence, une rencontre élargie, financée par Adveniat, à laquelle participèrent la haute direction du CELAM (le président, le secrétaire général Jorge Enrique Jiménez Carvajal, le premier vice-président Luciano Mendes de Almeida, le secrétaire adjoint, Cristián Precht) ainsi que le recteur et le vice-recteur de l’Institut Théologique et Pastoral, le préfet, le secrétaire et un consulteur de la CDF (Joseph Ratzinger, Tarcisio Bertone et le dominicain Benoît Duroux) et quelques théologiens latino-américains (les argentins Juan Carlos Scannone et Carlos Maria Galli, représentants de la teologia del pueblo – un courant de la théologie de la libération dit également «culturel» et «populaire» en raison de la place centrale accordée à la médiation historique et culturelle et à la dimension religieuse de la pratique libératrice19 –, le jésuite péruvien Ricardo Antoncich, le chilien Juan Noemi20 et Gustavo Gutiérrez)21. Ce dernier reçut en cette occasion les félicitations de Ratzinger pour sa mise en relief du christocentrisme et son sens de la gratuité22, signal discret d’un rapprochement dont le théologien péruvien avait jadis pris l’initiative, au milieu des années 198023 et qui allait trouver un écho public en 1997 dans la publication d’un livre d’entretiens du préfet de la CDF24, puis de nouveau en 2004, suite à la publication d’un volume écrit à quatre mains par Gutiérrez et l’évêque de Ratisbonne, Gerhard Ludwig Müller, qui avait fait la connaissance du théologien péruvien en 1988 à l’époque où, encore professeur de théologie à Munich, il avait entrepris de donner des cours d’été aux séminaristes de Cuzco25. 19. Cf., entre autres, C.M. GALLI, La recepción del Concilio Vaticano II en nuestra incipiente tradición teológica argentina (1962-2005), dans J. CAAMAÑO – G. DURÁN – F. ORTEGA – F. TAVELLI (éds), 100 años de la Facultad de Teología. Memoria, presente, futuro, Buenos Aires, Fundación Teología y Cultura-Agape, 2015, 341-387. 20. Cf. F. PARRA, Juan Noemi Callejas (1942-2017). Teólogo laico al servicio de una esperanzada teología de «los signos de los tiempos», dans Teología y Vida 58 (2017) 263-266. 21. Cf. le recueil des textes présentés lors de la rencontre, à l’exception de celui du Card. Ratzinger: MENDES DE ALMEIDA et al., El futuro de la reflexión teológica (n. 16). 22. Cf. SAUVAGE, Genèse, évolution et actualité (n. 11), pp. 605-606. 23. Cf. G. GUTIÉRREZ, La théologie, une lettre d’amour. Entretien avec Gustavo Gutiérrez pour son 80e anniversaire, par Á.D. CARRERO ofm, 1er octobre 2008, http://enligne.dialinfos.org. 24. Ce dernier observait, entre autres, que, après la chute du mur de Berlin, «la question de la théologie de la libération a complètement changé». Cf. J. RATZINGER, Le sel de la terre. Le christianisme et l’Église catholique au seuil du IIIe millénaire. Entretiens avec P. Seewald, Paris, Flammarion – Cerf, 1997, p. 93. 25. Cf. G. GUTIÉRREZ – G.L. MÜLLER, An der Seite der Armen. Theologie der Befreiung, Augsburg, Sankt Ulrich Verlag, 2004. Au lendemain de la publication du volume, le Card. Ratzinger écrirait personnellement au maître général des dominicains (dans l’ordre desquels
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Première occasion d’échange entre différents courants de la pensée théologique latino-américaine et un CELAM animé par le désir pastoral de mettre fin au climat d’opposition toujours existant, la rencontre de Schoenstatt fit place aux quatre perspectives théologiques ayant dominé la pensée et la pastorale du continent depuis le concile Vatican II: une lecture théologique faite à la lumière du communautarisme, de la culture, de la doctrine sociale de l’Église et en clé libératrice26. Malgré l’effort déployé pour trouver un terrain d’entente et élaborer ensemble quelques prudentes Proyecciones pour une pensée théologique latino-américaine, le dialogue de 1996 ne réussit toutefois pas à dissiper entièrement la méfiance persistante envers la théologie de la libération, sans compter que le désir de rapprochement de l’organisme de Bogotá ne fut pas appuyé, dans la pratique, par la CDF. Si bien que la rencontre n’eut, de fait, aucune suite. Avant qu’une initiative semblable ne se représente, il faudra ainsi attendre dix ans et les tout derniers préparatifs de la conférence d’Aparecida.
III. JUILLET 2006:
UNE RENCONTRE IMPRÉVUE
Malgré la diffusion et la force des critiques faites au Documento de Participación préparé par le CELAM en vue de l’assemblée, malgré la physionomie que cette dernière assumait au moment où l’on désignait les experts officiels et où le pape nommait de nombreux cardinaux et prélats de la curie romaine, malgré, enfin, le scepticisme des uns et la crainte des autres que la conférence ne soit à nouveau le théâtre de prises de position Gutiérrez était entré trois ans plus tôt pour être plus à même de préserver sa liberté de pensée et d’action), en remerciant Dieu «pour la satisfaisante conclusion de ce chemin de clarification et d’approfondissement»; cf. l’art. de C. DEL MASTRO, Gutiérrez, Gustavo, dans CHEZA – MARTÍNEZ SAAVEDRA – SAUVAGE (éds), Dictionnaire historique de la théologie de la libération (n. 11), 242-245, p. 244. Un an après la nomination de Müller à la direction de la CDF, le volume a fait l’objet, on le sait, d’une édition italienne (Dalla parte dei poveri. Teologia della liberazione, teologia della chiesa, Bologna, Messaggero-EMI), à laquelle L’Osservatore romano a fait une large place; cf. les interventions de G. GUTIÉRREZ lui-même, I preferiti di Dio, de G.L. MÜLLER, Fare la verità e non solo dirla, et de U. SARTORIO, Una chiesa che ha bisogno di tutti, publiés dans le quotidien du Saint-Siège le 4 septembre 2013. Un second volume est publié l’année suivante: cf. G.L. MÜLLER, Povera con i poveri. La missione della Chiesa, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2014, avec des contributions de Gustavo Gutiérrez et une préface du pape François. La réhabilitation définitive du théologien péruvien de la part de Rome ne manqua pas de susciter les critiques de l’archevêque de Lima, Juan Luis Cipriani, qui, en 2007, avait de fait opposé un veto à la présence de Gutiérrez à Aparecida en 2007; cf. A. TORNIELLI, Teologia della liberazione, Cipriani contro Müller: «Sia più prudente», dans La Stampa, 17 octobre 2013. 26. Cf. le texte des communications présentées lors de la rencontre dans MENDES DE ALMEIDA et al., El Futuro de la Reflexión Teológica (n. 16).
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parallèles ou antagonistes, dans les mois précédant la rencontre ecclésiale d’Aparecida, quelque chose se mit à «bouger». Dans les milieux d’un «christianisme de la libération» composite, et fortement affaibli, l’atmosphère oscillait entre la peur et l’espoir, les attentes et la frustration. Bien que certaines Églises particulières se soient «mobilisées» en vue de la conférence, l’Église brésilienne en tête – la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) avait préparé une analyse critique détaillée du Documento de Participación du CELAM27, tandis que les pastorales populaires et le Conseil national des laïcs organisèrent une série d’initiatives en marge de la conférence, désireux d’être présents et profitant du lieu fort fréquenté de la rencontre, le sanctuaire marial d’Aparecida28 –, le climat général reflétait une certaine désillusion, née notamment du constat que près de trente années de nominations épiscopales et de créations de cardinaux avaient presque effacé le leadership épiscopal dont plusieurs archevêques latino-américains des années 1960 et 1970 étaient doués. À l’annonce de la conférence, même au sein d’Amerindia, ce fut d’abord avec difficulté, vu le scepticisme ambiant, que les nombreux théologiens et spécialistes de pastorale latino-américains renouèrent les liens en vue de recommencer, s’il y avait lieu, à prêter leurs services aux membres de l’assemblée qui en feraient la demande. Au cours des années précédentes, plusieurs s’étaient en effet interrogés sur la pertinence de poursuivre ce travail d’accompagnement, bien accueilli dans certains pays, comme au Brésil, mais ostensiblement refusé par le CELAM et par les conférences épiscopales d’autres pays29. Malgré tout, le Comité exécutif d’Amerindia se lança bientôt dans un travail de coordination des dix-neuf groupes nationaux et des différentes institutions ecclésiales et œcuméniques continentales accordées à divers degrés avec les instances qualifiantes du réseau créé en 1979 sur l’initiative de Sergio Torres. La capacité de networking de ce dernier se révélera une fois de plus fondamentale. Membre émérite du Comité exécutif d’Amerindia, fondateur de l’Ecumenical Association of Third World Theologians, jadis vicaire épiscopal de Talca à l’époque de Manuel Larrain et membre du groupe Cristianos por el socialismo avant de s’exiler aux États-Unis suite au golpe de Pinochet, le théologien chilien, désormais âgé, entreprit en effet de parcourir plusieurs pays d’Amérique latine pour étendre et renforcer le travail d’Amerindia en vue de la cinquième 27. Cf. la Síntese das contribuições da Igreja no Brasil à Conferência de Aparecida novembre 2006, envoyée au CELAM par la Conférence nationale des évêques du Brésil, dans Perspectiva Teológica 38 (2006) 403-432. 28. Cf. J.O. BEOZZO – E. ROBLES, El proceso participativo del Fórum brasileño, dans E. ROBLES (éd.), Aparecida. Pour un nuevo tiempo de alegría y esperanza en la vida eclesial, Barcelona, Herder, 2014, 29-36. 29. Cf. BEOZZO, O êxito das teologias da libertação (n. 11), p. 54.
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conférence générale30. C’est ainsi qu’entre 2005 et 2006, le Secrétariat exécutif d’Amerindia ayant siège à Montevideo établit, entre autres, des liens avec le Centro Ecumênico de Serviços à Evangelização e Educação Popular, le Centro Nacional de Ayuda a las Misiones Indígenas, la Comisión para el Estudio de la Historia de las Iglesias en América Latina y el Caribe, le Centro Atabaque de Cultura Negra e Teologia di São Paulo, la Sociedad de Teólogos/as de Ciencias de la Religión de Brasil et l’Asociación Teológica Ecuménica Mexicana, avant tout pour dresser un commentaire analytique du Documento de Participación et préparer des documents d’appui en vue de la conférence31. Tandis que le CELAM recevait les réactions des Églises nationales au texte préparatoire, afin de rédiger un nouveau Documento de Síntesi, Amerindia entreprit d’organiser trois équipes de travail dont la tâche serait d’assister desde fuera, de façon encore à définir, les évêques proches du réseau: une équipe hispanophone, une autre lusophone et un tercer círculo qui aiderait à distance les théologiens et les experts présents à Aparecida32. Ainsi, les thèmes de la conférence et l’organisation du travail en vue de cette dernière furent à l’ordre du jour de l’assemblée ordinaire d’Amerindia tenue à Bogotá en juillet 2006, plus ou moins aux mêmes dates où la présidence33 du CELAM tenait une réunion avec la commission préparatoire d’Aparecida34 et quelques invités spéciaux, anciens membres de la direction de l’organisme épiscopal latino-américain: les cardinaux Maradiaga et Geraldo Majella Agnelo, archevêque de Salvador de Bahia et ancien premier vice-président du CELAM, le colombien Jiménez Carvajal, prédécesseur immédiat du cardinal Errázuriz à la présidence, et l’archevêque d’Aparecida, Raymundo Damasceno Assis, ancien secrétaire général et 30. Cf. J.O. BEOZZO, Memorias de un historiador amigo. Sergio Torres: inspirador, animador, articulador, dans AMERINDIA (éd.), Construyendo puentes entre teologías y culturas (n. 13), 135-143. Cf. aussi FUNDACIÓN AMERINDIA, Proyecto especial Conferencia de Aparecida. Informe final agosto de 2007, 75 pp. dact., DocAmer, p. 14. 31. Cf. Presentación y comentario analítico rédigé principalement par A. Brighenti et l’ouvrage collectif Tejiendo redes de vida y esperanza. Cristianismo, sociedad y profecía en América Latina y el Caribe, Bogotá, Amerindia, 2006, également publié en portugais. 32. Cf. FUNDACIÓN AMERINDIA, Proyecto especial (n. 30), pp. 5-6. 33. Étaient présents, outre le président Francisco Javier Errázuriz Ossa, le mexicain Carlos Aguiar Retes, premier vice-président, le brésilien Geraldo Lyrio Rocha, second vice-président, le colombien Pedro Rubiano Sáenz, président du Comité économique du CELAM, le secrétaire général, le franciscain argentin Andrés Stanovnik, et le secrétaire adjoint, le père chilien Sydney Fones, du Mouvement de Schoenstatt. 34. Composée de l’archevêque de São Paulo Cláudio Hummes, du colombien Alberto Giraldo Jaramillo, du dominicain José Dolores Grullon Estrella, du guatémaltèque Julio Edgar Cabrera Ovalle, du mexicain Alberto Suárez, du vénézuélien José Luis Azuaje, et de Ricardo Ramírez, évêque des Latinos aux États-Unis.
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futur président du CELAM. Étant donné la coïncidence fortuite de la tenue de ces deux rencontres à Bogotá – plusieurs des participants à l’une ou l’autre des deux réunions s’étaient d’ailleurs croisés à l’aéroport – Sergio Torres, pour éviter aussi les malentendus quant à d’éventuels soupçons de «parallélisme», décida d’aller saluer l’archevêque de Santiago et président du CELAM en compagnie du coordinateur continental d’Amerindia, le père montévidéen Pablo Bonavía, ancien vicaire pastoral de Carlos Parteli35. Or, de façon inattendue, Errázuriz les invita à rencontrer de manière informelle toute la direction du CELAM pour expliquer ce qu’était Amerindia et illustrer brièvement les critiques à adresser, à leur avis, au Documento de partecipación. Ainsi, le 21 juillet, Bonavía et Torres partagèrent avec la présidence du CELAM et la commission épiscopale pour la préparation de la conférence d’Aparecida les principaux problèmes apparus au cours des échanges de l’année précédente entre les différents courants du réseau théologique continental36. Le principal reproche concernait l’absence totale de perspective historique et de référence à la singularité du parcours de l’Église continentale des cinquante dernières années. Ce quasi-silence sur les expériences collégiales de Medellín et de Puebla semblait révéler une tendance persistante à interpréter ces événements ecclésiaux comme porteurs d’ambiguïtés, de fascinations, voire d’assujettissements idéologiques: une ligne d’interprétation précoce qui avait conduit, comme on le sait, aux tentatives successives «d’absorber» ces deux expériences dans la linéarité d’un parcours collégial sans accélérations, marches arrière ni freinages. On critiquait ensuite le caractère abstrait de la théologie du document de participation du CELAM – tant en ce qui avait trait à la christologie qu’à l’ecclésiologie – et les évidentes répercussions de cette approche décontextualisée sur la façon d’introduire le thème crucial du discipolat. Enfin, on déplorait le manque de références aux causes structurelles de la pauvreté, une exaltation excessive du rôle des nouveaux mouvements ecclésiaux et une conception de la mission réduite à l’annonce d’un salut situé tout entier dans la sphère religieuse et à l’intérieur de l’Église elle-même, un évident recul par rapport à Evangelii nuntiandi. Au terme de leur exposé, Sergio Torres et Pablo Bonavía firent part de leur espoir que la forme littéraire du document d’Aparecida soit la plus ouverte possible, en accord avec 35. Cf. FUNDACIÓN AMERINDIA, Proyecto especial (n. 30), pp. 12-13. Pour un aperçu biographique sur Bonavía cf. R. ARCE, art. Bonavía, Pablo, dans CHEZA – MARTÍNEZ SAAVEDRA – SAUVAGE (éds), Dictionnaire historique de la théologie de la libération (n. 11), 94-95. 36. Cf. Memoria del diálogo entre la Presidencia del CELAM, la Comisión central de la V Conferencia y Amerindia, 21 luglio 2006, 6 pp. dact., DocAmer.
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les multiples sollicitations d’une époque nouvelle, évitant d’apparaître comme un recueil de solutions à toute situation concrète. Mais, surtout, ils exprimèrent à la présidence du CELAM le vœu d’une rencontre élargie et prolongée – celle de juillet 2006 avait duré moins d’une heure – avec d’autres théologiens d’Amerindia. Ils rappelèrent à ce propos le précédent de 1996, ainsi que d’autres appels au dialogue entre l’instance continentale de l’épiscopat latino-américain et le groupe composite des «théologiens de la libération» qui étaient restés lettre morte: l’appel pressant de l’évêque chilien Bernardino Piñera à la conférence de Puebla, celui de l’évêque équatorien de Cuenca, Alberto Luna Tobar, à l’occasion du Synode pour l’Amérique, et, last but not least, celui de López Trujillo lui-même, qui avait clos son exposé à une session plénière de la Commission pontificale pour l’Amérique latine en mars 2001 par une invitation à un dialogue sans exclusions. Les deux représentants d’Amerindia soulignèrent que de nombreux théologiens et acteurs de la pastorale qui se reconnaissaient dans le filon théologique né à Medellín continuaient en effet à se sentir objets de soupçons, de préjugés et d’interprétations erronées, ainsi que d’une pénible tenue à l’écart de l’enseignement ou de postes de responsabilité ecclésiale. Face aux grands défis qu’Aparecida devait affronter étant donnée la conjoncture ecclésiale, les deux représentants d’Amerindia demandaient donc «la realización de alguna forma de diálogo que llame a la unidad sectores que aparecen alejados y en contradicción»37. Ni officielle ni planifiée, la rencontre de juillet 2006 prit fin sans aucun engagement de la part du CELAM à donner suite à la requête de Torres et de Bonavía. Sur le moment, ce commencement imprévu de dialogue se traduisit simplement par l’invitation faite à Pablo Bonavía de participer à une rencontre interdisciplinaire programmée par le CELAM pour octobre 200638. Cependant, à peine plus de deux mois après l’échange de juillet, le père Sydney Fones, secrétaire adjoint du CELAM, communiqua au coordinateur d’Amerindia l’intention de la présidence de l’organisme épiscopal d’organiser une rencontre restreinte entre cinq évêques et cinq théologiens de la libération – choisis par le CELAM à partir d’une liste de dix noms que l’on demandait à Amerindia d’établir –, l’objectif étant de «iniciar un camino que permita superar desconfianzas y descalificaciones y pueda arrojar frutos positivos para la Conferencia de Aparecida»39. La rencontre était fixée aux 8 et 9 mars 2007 à São Paulo, puisque l’on prévoyait qu’elle serait dirigée par l’archevêque de la métropole pauliste, le cardinal Hummes. 37. Ibid. 38. Cf. FUNDACIÓN AMERINDIA, Proyecto especial (n. 30), p. 13. 39. Cf. Fones a Bonavía, 5 octobre 2006, dans P. BONAVÍA, Encuentro CELAM-Téologos de la liberación, notes d’appoint antérieures au 13 décembre 2006, 3 pp. dact., DocAmer.
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IV. SÃO PAULO-BOGOTÁ Au sein d’Amerindia les réactions à l’initiative du CELAM furent diverses. À la satisfaction de Torres et de Bonavía – en octobre, ce dernier eut de nouveau l’occasion de rencontrer à Bogotá la présidence du CELAM, avec qui il eut un premier échange concernant le focus général du dialogue prévu pour mars – s’accompagnaient en effet la méfiance et le scepticisme d’autres membres du réseau continental de théologiens. Pour plusieurs d’entre eux, cela faisait trente ans que les contacts avec Bogotá et de nombreux secteurs de la hiérarchie latino-américaine avaient été interrompus. En dépit de ces réserves, le dialogue prévu pour mars 2007 fut à l’ordre du jour de la réunion d’une quinzaine de théologiens et spécialistes de pastorale tenue à São Paulo dans la deuxième moitié du mois d’octobre pour préparer des contributions théologiques à l’usage des évêques élus comme délégués à Aparecida par les conférences nationales. Cette réunion se prolongerait les 19 et 20 octobre à Embu das Artes, dans la région métropolitaine de São Paulo, simultanément à un cours organisé par le Centro Ecumênico de Serviços à Evangelização e Educação Popular auquel participaient une vingtaine d’évêques de différents pays latino-américains, dont un petit groupe de délégués à la conférence d’Aparecida (parmi lesquels le mexicain Samuel Ruiz García et les brésiliens Erwin Kraütler, Demetrio Valentini et José María Pires, déjà très âgés) qui avaient déjà demandé à certains membres d’Amerindia de les accompagner à la conférence40. Si les théologiens et spécialistes brésiliens étaient, sans surprise, les plus nombreux à São Paulo (parmi eux, les jésuites Mario de França Miranda et Geraldo De Mori, puis Pablo Suess, Agenor Brighenti, Vera María Bombonatto, assistante de la Conférence nationale des évêques du Brésil, et le sociologue Pedro de Assis Ribeiro de Oliveira), la rencontre, dirigée par Sergio Torres, accueillit également un nombre important de théologiens hispanophones, dont le théologien mexicain zapothèque Eleazar López Hernández, Pablo Richard et Jon Sobrino d’Amérique centrale, le bolivien Víctor Codina et le chilien Rolando Muñoz. Très productive – en trois jours, les sous-groupes dans lesquels s’étaient divisés les participants parvinrent à produire neuf contributions monographiques portant sur les principaux axes thématiques de la conférence, publiés plus tard sous la responsabilité d’Amerindia et sans le nom des auteurs –, la réunion de São Paulo servit également à définir certaines Estrategias y opciones en vue de la conférence, partagées par Demetrio Valentini, évêque de Jales, 40. Cf. S. TORRES – M. MARTÍNEZ, Memoria de la reunión de teólogos/as, pastoralistas, biblistas y científicos sociales convocada por Amerindia, 16-20 ottobre 2006, 20 pp. dact., DocAmer.
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à la réunion suivante de la Conférence nationale des évêques du Brésil, ainsi qu’à discuter de l’approche à adopter par Amerindia dans son dialogue avec le CELAM: il fut convenu que l’important n’était pas tant de centrer le débat, rétrospectivement, sur la théologie de la libération comme telle, mais d’insister sur le sens de certains de ses acquis fondamentaux, tels que l’option pour les pauvres, la suivance (sequela) de Jésus et de sa concrète praxis de libération, ainsi qu’une réflexion théologique qui prenne pour point de départ la vie et l’écoute des pauvres, des victimes et des martyrs de l’Amérique latine41. Ces acquis, il n’était pas suffisant de les réaffirmer, selon Sergio Torres, mais ils devaient être expliqués aux évêques dans le cadre de contacts personnels, en valorisant les signaux positifs, tels que la relative autonomie démontrée par le CELAM, en insistant sur la célébration d’une conférence en Amérique latine, sur l’activisme de certains départements de l’organisme de Bogotá et sur la présence moins marquée de la Commission pontificale pour l’Amérique latine que lors de la préparation de l’assemblée de Saint-Domingue. À São Paulo on discuta également de la liste de noms à soumettre au CELAM, liste qui serait définitivement mise au point par le Comité exécutif d’Amerindia puis transmise à Bogotá en novembre 2006, au lendemain de la nomination inattendue du cardinal Hummes à la direction de la Congrégation pour le clergé, ce qui entraîna le glissement du dialogue avec le CELAM aux 29 et 30 mars 2007, de même qu’un changement de lieu et de modérateur. Le choix de ce dernier tomba sur le cardinal Maradiaga et le lieu sur Bogotá, comme il fut communiqué à Fones et Bonavía le 13 décembre 2006 conjointement aux noms des théologiens retenus par le CELAM à partir de la liste fournie par Amerindia42. Mis à part Pablo Bonavía, déjà désigné par le CELAM en tant que coordinateur du réseau43, l’option de l’organisme de Bogotá fut alors en faveur des noms de Gustavo Gutiérrez – le premier, par ordre de préférence, sur la liste fournie par Amerindia – et des brésiliens José Oscar Beozzo – prêtre du diocèse de Lins, coordinateur général du Centro Ecumênico de Serviços à Evangelização e Educação Popular, membre fondateur de la Comisión para el Estudio de la Historia de las Iglesias en América Latina y el Caribe et ex-professeur à la faculté de théologie de l’Université 41. Cf. ibid. et BONAVÍA, Encuentro CELAM-Téologos de la liberación (n. 39). 42. Cf. Sydney Fones a Pablo Bonavía, 13 décembre 2006, dans BEOZZO, O êxito das teologias da libertação (n. 11), p. 55. 43. Malgré la suggestion, de la part d’Amerindia, que Bonavía soit plutôt un nom supplémentaire, à ajouter aux cinq autres, de façon à obtenir une meilleure représentation des différentes régions et théologies particulières du continent; cf. BONAVÍA, Encuentro CELAM-Téologos de la liberación (n. 39).
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pontificale catholique puis à l’Institut théologique de São Paulo –, Maria Clara Bingemer – professeur à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro et représentante d’une deuxième génération de théologiens latino-américains – et Carlos Mesters, bibliste carmélitain hollandais établi au Brésil depuis 1949, cofondateur et animateur du Centre œcuménique d’études bibliques créé en 1978 pour assister les communautés de base dans une lecture populaire de la Bible dans une perspective libératrice44. Avant que la nouvelle de la notification de la CDF sur les œuvres de Sobrino n’intervienne comme une douche froide au milieu des préparatifs du dialogue prévu pour mars – les invités d’Amerindia s’interrogeaient sérieusement sur l’opportunité d’y renoncer, par solidarité envers le jésuite salvadorien, avant que ne prévale la décision de distinguer entre l’instance de Bogotá et celle de Rome, celles-ci ne semblant pas être accordées au même diapason45 –, le CELAM avait transmis à Montevideo le nom de ses propres délégués à la rencontre, outre Maradiaga, ainsi que le programme des deux journées d’échange – un programme qui accordait une large place à la célébration de l’eucharistie et à la prière en commun46. Tandis que les théologiens d’Amerindia avaient suggéré que chaque participant partage un texte à l’avance et que la rencontre soit tout entière dédiée à un échange portant sur les différentes questions soulevées, le secrétaire général du CELAM, le franciscain argentin Andrés Stanovnik, et son adjoint Sydney Fones, organisateurs, dans les faits, de la rencontre à laquelle ils prendraient évidemment part eux-mêmes, optèrent au contraire pour un nombre limité d’exposés – quatre au total, présentés dans un ordre précis – à la suite desquels du temps serait amplement laissé pour le dialogue. Les travaux seraient ainsi ouverts par l’augustinien panaméen José Luis Lacunza Maestrojuán, évêque de David et président du département Vida y Cultura du CELAM, jadis à la tête de la conférence épiscopale de Panama et du Secrétariat épiscopal de l’Amérique centrale47, qui 44. Pour quelques données biographiques au sujet des trois théologiens brésiliens, cf. P. SAUVAGE, art. Beozzo, José Oscar; d’A. VILLA BOAS, art. Bingemer, María Clara, et F. MABUNDU, art. Mesters, Carlos, dans CHEZA – MARTÍNEZ SAAVEDRA – SAUVAGE (éds), Dictionnaire historique de la théologie de la libération (n. 11), 79-80, 83-84 et 318-320. Pour un cadre biographique plus complet au sujet de Mesters cf. T. FRIGERIO, Carlos Mesters. Una vita, un pensiero, la Parola, dans Ad gentes 10 (2006) 230-234. Les autres noms sur la liste proposée au CELAM par Amerindia étaient ceux d’Eleazar López Hernández, de Jon Sobrino et du jésuite espagnol naturalisé vénézuélien Pedro Trigo, de la sœur dominicaine italienne Antonietta Potente, en Bolivie depuis 1994, et du brésilien de França Miranda; cf. BONAVÍA, Encuentro CELAM-Téologos de la liberación (n. 39). 45. Cf. BEOZZO, O êxito das teologias da libertação (n. 11), p. 57. 46. Cf. Fones a Bonavía, 22 janvier 2007, et J.O. BEOZZO – P. BONAVÍA, Memoria del diálogo entre el CELAM y teólogos de la liberación, 29-30 mars 2007, 21 pp. dact., DocAmer. 47. Créé cardinal par le pape François en 2015.
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présenterait un historique de la rencontre avec un exposé intitulé La Teología de la liberación: historia de una irrupción, aportes y desencuentros. Suivrait un deuxième exposé centré sur la question de la «contextualité» de la théologie, confié à María Clara Bingemer. Le deuxième jour, l’argentin Mario Cargnello, archevêque de Salta et président du département Misión y Espiritualidad du CELAM, présenterait pour sa part un excursus sur les précédentes conférences générales de l’épiscopat latino-américain dans le but d’en montrer la «continuidad pastoral», avant de laisser la parole au dernier intervenant, Gustavo Gutiérrez à qui l’on avait demandé d’intervenir sur le thème Seguimento de Jesús y opción por el pobre. V. «A
MÍ NO ME INVITARON AL ENTIERRO…»
En l’absence du texte des quatre exposés – dont la publication éventuelle ne fut pas même envisagée, étant donné le caractère privé de la rencontre qui visait à ne pas compromettre le début du «dégel» –, les lignes essentielles du dialogue ne peuvent être reconstruites qu’à partir des notes inédites prises et transcrites sur le moment par deux des protagonistes, José Oscar Beozzo et Pablo Bonavía. Le cardinal Maradiaga, modérateur de la rencontre, sollicitera par la suite ces notes pour le compte de Benoît XVI, qui était, selon ses dires, personnellement intéressé aux résultats de l’échange48. Le dialogue se déroula dans un climat de franchise et de détente et, en général, l’impression finale fut que la rencontre avait largement dépassé les attentes49. Le secrétaire général du CELAM, Stanovnik, et le cardinal Maradiaga ouvrirent le dialogue en en rappelant la genèse ainsi que le précédent de 1996. Maradiaga dit clairement qu’il était conscient que les modèles pastoraux en vigueur étaient dépassés et que l’Église latinoaméricaine avait besoin de «nuevos caminos» en ce «nuevo tiempo»50. Encore plus explicite en ce sens fut le bibliste chilien Santiago Silva Retamales, alors responsable du Centre biblique pastoral du CELAM, puis expert à Aparecida et assistant de la commission de rédaction51: pour l’évêque chilien, l’Église continentale sur le point de se réunir au Brésil 48. Cf. BEOZZO, O êxito das teologias da libertação (n. 11), p. 58. 49. Ainsi notamment Andrés Stanovnik, pour qui «lo que aquí sucedió fue ás de lo que esperábamos», et Carlos Mesters, qui parla d’une «grata sorpresa» pour qui s’était rendu à Bogotá «teniendo en la memoria los tiempos del conflicto entre el CELAM y la CLAR»; cf. BEOZZO – BONAVÍA, Memoria (n. 46), pp. 20-21. 50. Ibid., pp. 3, 20. 51. Secrétaire, de 2008 à 2011, de la conférence épiscopale chilienne dont il fut président à partir de 2016, et secrétaire général du CELAM de 2011 à 2015.
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était en effet «una iglesia callada, arrinconada» qui devait retrouver un souffle prophétique et une certaine «violencia evangelica»52. En se présentant avec la vocation à «fabricar puentes» au sein d’une Église souvent fort divisée, Maradiaga exprima le souhait que l’échange naissant puisse contribuer à la réouverture de chemins d’espérance, non sans formuler quelques critiques envers le parcours de l’Église latino-américaine des dernières décennies: «Santo Domingo pasó sin pena ni gloria. No logró alentar la esperanza de la gente y las comunidades. […] Hace 40 años de la Populorum Progressio y el desarrollo no ha llegado al continente»53. Après cet échange introductif, le dialogue proprement dit débuta avec l’exposé de Lacunza Maestrojuán, qui, selon les notes des théologiens d’Amerindia, semble avoir été sans doute le plus distant des perspectives de la théologie de la libération. D’un ton parfois «provocativo»54, il rappela notamment quelques points saillants du débat des décennies précédentes autour de la théologie de la libération: la façon d’approcher le contexte historique héritée de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne), son recours aux sciences sociales – et plus particulièrement à l’analyse marxiste – comme outil d’analyse de la réalité, son autonomie ainsi que le rapport entre la première période de la méthode jociste et l’exigence de «voir» à la lumière de la foi, last but not least la question de la violence. Concernant cette dernière, la théologie de la libération, selon Gutiérrez, n’était jamais allée au-delà du célèbre paragraphe 31 du Populorum progressio concernant l’exception au refus de l’engagement révolutionnaire. Concernant la relecture a posteriori de tous ces points sensibles, la distance entre les interlocuteurs d’Amerindia et l’évêque panaméen demeura importante. Cependant, d’importantes convergences avec les autres représentants du CELAM ne manquèrent pas d’apparaître. Il en est ainsi, en tout premier lieu, de l’observation faite par Gutiérrez et le secrétaire adjoint Fones, qu’au nom de la théologie de la libération, «se han hecho y dicho cosas en las que los teólogos de la liberación no se reconocen de ninguna manera»55. Le théologien péruvien proposa à cet égard un parallélisme efficace avec le paralogisme post hoc, ergo propter hoc souvent utilisé dans certaines lectures du Concile Vatican II et de la complexe période postconciliaire. La distinction entre lien de cause à effet et succession temporelle semblait à Gutiérrez une exigence herméneutique aussi indispensable que celle, trop souvent négligée, imposant de mettre adéquatement 52. Cf. BEOZZO – BONAVÍA, Memoria (n. 46), p. 6. 53. Ibid., p. 8. 54. Ibid., p. 4. 55. Cf. le compte-rendu abrégé de la rencontre des 29-30 mars, Crónica del Encuentro CELAM-Teólogos de la liberación, 4 pp. dact., DocAmer, p. 2.
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en contexte les affirmations d’un auteur. À ce propos, au cours de la discussion, les théologiens d’Amerindia ne purent éviter de faire référence à la récente notification concernant Jon Sobrino, victime, selon Bonavía, de l’«intento, por parte de ciertas corrientes ideológicas, de promover una satanización mediática de su teología», à partir de l’extrapolation de passages isolés de ses écrits christologiques, suivant un modus operandi déjà notoirement utilisé dans le passé aux dépens d’autres théologiens56. Concernant la notification de la CDF, si l’on s’en tient aux notes d’Amerindia, il semble que le CELAM n’ait fait aucun commentaire spécifique. En réponse à Carlos Mesters et à José Oscar Beozzo qui firent observer que la publication du document de la curie romaine à la veille même d’Aparecida n’était pas de bon augure pour le climat de la conférence, invitant le CELAM à solliciter auprès de Rome «algún gesto de benevolencia, de cercanía, en relación a Jon Sobrino», Mariadaga aurait en effet répondu ne pas connaître «el trasfondo de la notificación»57. Relié d’une certaine façon à la polémique issue du document de la CDF, un autre point sensible soulevé au cours des deux journées de Bogotá touchait à l’urgence d’un changement dans les formes d’exercice de l’autorité à l’intérieur de l’Église, ainsi qu’à un renouvellement substantiel de la pratique et de la conception de cette fonction. La question fut notamment soulevée par Pablo Bonavía au cours de l’échange qui suivit l’exposé de María Clara Bingemer sur le caractère nécessairement contextuel de toute théologie. «Sin […] posibilidad de explorar, de ejercer un mínimo de creatividad, de responsabilidad, de riesgo – aurait exprimé le théologien de Montevideo –, se hace muy difícil abrirse a lo nuevo y asimilarlo críticamente, decir una palabra significativa y sobre todo asumir una práctica que refleje en contextos diversos la novedad de Cristo»; aucun apostolat authentique, aurait-il poursuivi, faisant plus spécifiquement référence à un des axes cardinaux de la conférence d’Aparecida, n’était possible en présence d’«un temor paralizante»58. D’autres débats encore furent suscités par l’exposé de Bingemer, dont le but était essentiellement – tel qu’on peut en déduire des notes sur la discussion qui s’ensuivit – d’offrir des éléments de clarification sur la genèse et les développements, y compris les plus récents, de la théologie de la libération en Amérique latine: une théologie contextuelle dont le principe originel et fondateur se situe dans l’expérience, essentiellement spirituelle, de l’«encuentro con el Señor en el rostro del pobre» et dans 56. Cf. BEOZZO – BONAVÍA, Memoria (n. 46), p. 19. 57. Ibid., p. 18. 58. Ibid., p. 11.
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le principe corrélatif «que el Evangelio sea vivido y trasmitido como buena noticia en medio del pecado estructural» et «en medio del conflicto»59. Ce n’est que sur la base de cette expérience spirituelle première que serait apparue, ensuite, la question d’une méthode théologique, d’une christologie et d’une ecclésiologie qui trouvent leur élément vertebrador dans l’option pour les pauvres. Une option dont Bingemer souligna par ailleurs le caractère «transculturel» et «trans-contextuel», s’agissant en effet, comme l’observerait également Gutiérrez en rappelant un des points primordiaux de sa propre élaboration théologique, d’une option fondamentalement «théocentrique»: «Hemos de ser claros en cuanto a la razón fundamental de la preferencia por los pobres: no es porque los pobres sean buenos sino porque Dios es bueno. […] Lo fundamental es el amor de Dios que es a la vez universal y preferente»60. C’est tout particulièrement dans la pénétration de cette dimension théocentrique essentielle de la pauvreté qu’au cours du débat qui suivit l’exposé de Gutiérrez le 30 mars, en clôture de la rencontre – et bien qu’exprimé avec des formes et accents différents – l’élément fondamental de continuité dans l’histoire de l’Église latino-américaine des cinquante dernières années fut collectivement cerné. On y vit le point de départ également d’une réflexion renouvelée sur ce que signifie être chrétien dans un contexte encore fortement marqué par la pauvreté et par d’inacceptables inégalités structurelles. Si d’autres questions furent soulevées par les participants à la rencontre de Bogotá – l’émergence de nouveaux sujets, l’ordination d’hommes mariés pour répondre à ce qui apparaissait comme une véritable urgence eucharistique dans plusieurs régions du continent, la crise des croyances et de la démocratie, la croissance exponentielle et la visibilité politique et médiatique du pentecôtisme ou encore l’urgence écologique –, le plus grand défi auquel l’Église latino-américaine devait faire face, à Aparecida comme à Medellín, restait le constat d’une pauvreté persistante et d’inégalités croissantes à l’intérieur d’un continent encore très majoritairement catholique. «Que persista la pobreza, que es muerte temprana e injusta, es un signo de que se ha abandonado el Evangelio», observa notamment Gustavo Gutiérrez, pour qui, à l’heure d’Aparecida, la théologie de la libération conservait intacte sa plausibilité en tant qu’«hermenéutica de la esperanza […] en un continente en el que los rostros de la pobreza siguen ampliándose y profundizándose»61. 59. Ibid., p. 8 et p. 6. 60. Ibid., pp. 10, 17. 61. Ibid., pp. 7, 19.
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Plausibilité que le CELAM reconnaissait d’une façon ou d’une autre puisque, à la fin de la rencontre, l’organisme affirma sa volonté de garantir la pleine possibilité de communication à tous les participants à la conférence: «en Aparecida, entre otros grupos, estará la gente di Amerindia, con la que podrán comunicarse libremente aquellos participantes […] que lo deseen», souligna ainsi Andrés Stanovnik, pour qui le dialogue de Bogotá «tuvo algo de emocionante»62. Bien qu’exprimé différemment, le bilan à chaud de Gutiérrez était analogue: «En momentos en que se dice que la teología de la liberación ha muerto (a mí no me invitaron al entierro…) esta reunión ha sido un regalo»63. «Signo importante de un nuevo tiempo», comme en convinrent tous les participants64, la rencontre de mars 2007 ouvrit en effet la voie à la présence à Aparecida de théologiens de la libération, qui, bien qu’extra-muros, offrirent leur aide à une soixantaine d’évêques et à autant de participants à la conférence de mai65. Cette présence, comme nous l’avons signalé en amorçant cette contribution, ne manquerait pas d’être bien identifiable dans le document final qui, en réaffirmant certaines options fondamentales de l’Église latino-américaine des conférences précédentes – une lecture de la réalité basée sur les «signes des temps», l’option préférentielle pour les pauvres, l’engagement envers la promotion humaine et la défense de la dignité de la personne, la nécessité de l’inculturation de l’Évangile – identifieraient dans certaines intuitions fondamentales de la théologie de la libération une contribution permanente à l’Église et à la pratique pastorale latino-américaine. Fondazione per le scienze religiose di Bologna Università di Modena e Reggio Emilia Via S. Vitale 114 IT-40125 Bologna Italia [email protected]
62. 63. 64. 65.
Silvia SCATENA
Ibid., p. 21 Ibid., pp. 20-21. Cf. Crónica del Encuentro CELAM-Teólogos de la liberación (n. 55), p. 4. Cf. FUNDACIÓN AMERINDIA, Proyecto especial (n. 30), pp. 9-10 et pp. 20ss.
NOUVELLE «BIBLIOGRAPHIE OBLIGATOIRE» DANS LE DIALOGUE THÉOLOGIQUE CATHOLIQUE – ORTHODOXE? LE CONCILE DE CRÈTE ET LES CONCILES POSSÉDANT UNE AUTORITÉ UNIVERSELLE DANS L’ÉGLISE ORTHODOXE
La vie de l’Église orthodoxe a été marquée en 2016 par la réunion en Crète (Grèce) du Saint et Grand Concile, aboutissement d’un long cheminement commencé il y a plus d’un demi-siècle. La réaction et l’évaluation théologiques des textes adoptés par le concile de Crète restent encore modestes, en raison probablement de sa contestation par quatre grandes Églises orthodoxes locales qui ont choisi de ne pas y participer. Bien évidemment, la publication des Actes du concile fournira des informations importantes pour mieux comprendre le travail conciliaire. Parmi d’autres textes adoptés, celui sur les relations de l’Église orthodoxe avec l’ensemble du monde chrétien est à souligner en raison de son importance pour tout dialogue impliquant l’Église orthodoxe1. C’est dans ce contexte que nous voulons honorer le prof. Joseph Famerée qui a consacré une importante partie de sa recherche théologique au dialogue entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe. Pour ce faire, le présent essai tentera de se placer dans une perspective plus spécifique, celle qui touche particulièrement la conciliarité de l’Église. Pourtant, notre objet d’étude ne sera pas le document du Concile évoqué ci-dessus qui porte sur le dialogue œcuménique, mais un passage de son encyclique qui considère la question de l’identité et de la nature de l’Église orthodoxe. Car, outre les six documents élaborés dans le cadre du processus préparatoire, le concile de Crète a adopté aussi une encyclique et un message préparés par un comité spécial peu de temps avant sa convocation2. 1. Le Concile de Crète a adopté 8 documents: une encyclique, un message conciliaire et 6 documents qui avaient été élaborés auparavant dans le cadre du processus préparatoire: l’importance du jeûne et son observance aujourd’hui, les relations de l’Église orthodoxe avec l’ensemble du monde chrétien, l’autonomie et la manière de la proclamer, la diaspora orthodoxe, le sacrement du mariage et ses empêchements, la mission de l’Église orthodoxe dans le monde contemporain. Pour les textes, voir A. MELLONI (éd.), The Great Councils of the Orthodox Churches. Decisions and Synodika. Crete 2016 (CCCOGD, 4/3), Turnhout, Brepols, 2016; et le site officiel du concile: www.holycouncil.org (GR, EN, FR, RU). 2. Après amendements dans le comité spécial, la synaxe des Primats du 17 juin 2016 décida de transformer la proposition constantinopolitaine pour ce qui devait être le message
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L’encyclique du Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe réuni en Crète en 2016 reprend les points évoqués pendant les travaux du Concile, tout comme des sujets considérés importants qui n’ont pas pu être traités dans les schémas préconciliaires.
I. CONCILES POSSÉDANT UNE AUTORITÉ UNIVERSELLE Ce document officiel établit une liste de conciles réunis à Constantinople couvrant une période de presque mille ans, entre le IXe et le XIXe siècle, et reconnus comme ayant une «autorité universelle» dans l’Église orthodoxe. À présent, l’enjeu est de discerner la portée de cette liste dans le dialogue œcuménique mené par l’Église orthodoxe3. On sait qu’après le schisme avec l’Église de Rome, l’Église orthodoxe n’a pas la prétention d’avoir réuni des conciles œcuméniques, même si elle avait le droit naturel de le faire. En Crète, l’Église orthodoxe affirma officiellement que «le travail conciliaire se poursuit sans interruption dans l’histoire par les conciles plus récents possédant une autorité universelle (καθολικοῦ κύρους)» (I.3). Bien que l’Église orthodoxe reste l’Église des sept conciles œcuméniques, il est tout à fait possible, dans le futur, qu’elle demande à ses partenaires d’élargir la thématique du dialogue en s’appuyant justement sur la reconnaissance «universelle» des conciles énumérés par l’encyclique. Si on prend un par un les conciles énumérés, la liste compte dix conciles. Si on les considère d’un point de vue thématique (en voyant les conciles du XIVe siècle comme formant un tout et ceux du XVIIe siècle comme ayant un but commun, bien qu’ici les choses soient différentes), on peut diviser ce nombre en deux. Voici le texte de l’encyclique: I.3. Dans son unité et sa catholicité, l’Église orthodoxe est l’Église des conciles depuis l’Assemblée des Apôtres à Jérusalem (Ac 15,5-29). L’Église est en soi un Synode établi par le Christ et guidé par le Saint-Esprit, selon la parole apostolique «L’Esprit saint et nous-mêmes, nous avons décidé» (Ac 15,28). Par les conciles œcuméniques et locaux, l’Église annonça et annonce le mystère de la Sainte Trinité, révélé par l’Incarnation du Fils et Verbe de Dieu. Le travail conciliaire se poursuit sans interruption dans l’histoire par les conciles plus récents possédant une autorité universelle, notamment: le Grand concile (879-880) convoqué au temps de Photius, patriarche du Concile, à cause de son ampleur considérable, en encyclique conciliaire. Ce qu’on appelle aujourd’hui le message du Concile n’est qu’un résumé de l’encyclique. 3. Le professeur I. MOGA indique ce point dans son étude: Future Perspectives on Orthodox-Catholic Dialogue on the Basis of Current Documents of the Great and Holy Synod of Crete, dans Journal for the Study of Religions and Ideologies 17 (2018), no 51, 21-37.
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de Constantinople; ceux convoqués au temps de saint Grégoire Palamas (1341, 1351, 1368), où fut confirmée la vérité de la foi, portant surtout sur la participation de l’homme aux énergies divines incréées et sur la procession du Saint-Esprit; en outre, les saints et grands conciles réunis à Constantinople: celui de 1484 pour réfuter le concile d’union de Florence (1438-1439); ceux des années 1638, 1642, 1672 et 1691 pour réfuter les thèses protestantes, ainsi que celui de 1872 pour condamner l’ethno-phylétisme comme hérésie ecclésiologique.
Pour comprendre un certain nombre d’éléments marquant dans l’adoption de cette liste, il faut brièvement replacer les conciles évoqués dans leur contexte: Le concile de 879-8804 convoqué à Constantinople par l’empereur sous le pontificat de Photius et Jean VIII, avec des représentants de tous les grands patriarcats, fut un concile d’union entre les partisans de Photius et de l’ancien patriarche de Constantinople Ignatius, mais aussi entre Photius et Jean VIII. Parmi d’autres, le Horos du concile condamna toute modification du texte original du Symbole de Nicée-Constantinople et reconnut Nicée II comme 7e concile œcuménique. Les conciles dits «hésychastes» tenus à Constantinople en 1341, 1347, 1351, 1368 représentent la canonisation dogmatique de la théologie de saint Grégoire Palamas (1296-1359). Ces conciles confirmèrent la tradition orthodoxe sur la distinction en Dieu trinitaire entre l’essence divine, qui reste au-delà de toute connaissance pour la créature, et les énergies divines incréées par lesquels Dieu est réellement présent dans le monde. Ils donnèrent ainsi une base théologique à la communion réelle entre Dieu et l’être humain, à la participation de la créature au Créateur, à la déification de l’homme par la grâce éternelle et incréée de Dieu. Le concile de Constantinople (1483-1484) marque officiellement la rupture entre l’Orient orthodoxe et l’Occident catholique. Réuni dans l’église de Theotokos Pammakaristos, siège du patriarcat après la chute de Constantinople, en la présence des quatre patriarches de l’Orient, le concile rejeta le concile d’union de Ferrare-Florence. Il définit la méthode par laquelle les catholiques romains seront reçus dans l’Église orthodoxe: par le sacrement du saint chrême et après signature d’une profession de foi dénonçant les erreurs latines. 4. Pour les décrets de ces conciles, voir: A. MELLONI (éd.), The Great Councils of the Orthodox Churches. Decisions and Synodika. From Constantinople 861 to Constantinople 1872 (CC.COGD, 4/1), Turnhout, Brepols, 2016; et I. KARMIRIS, Τα δογματικά και συμβολικά μνημεία της Ορθοδόξου Καθολικής Εκκλησίας, 2 t., Athènes, s.n., 1952-1953 [2e éd. 1960-1968]. Pour le décret du concile de 1368, voir: A. RIGO, Gregorio Palamas e oltre. Studi e documenti sulle controversie teologiche del XIV secolo bizantino, Firenze, Olschki, 2004, pp. 99-134.
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Les conciles du XVIIe siècle ont adopté des décrets et approuvé des «confessions de foi» pour consolider l’unité de la foi orthodoxe contre les influences calvinistes. Leurs décisions représentent en fait des réactions et des réfutations conciliaires de la confession calviniste attribuée au patriarche de Constantinople Cyrille Loukaris, publiée à Genève en 1629. Le concile de Constantinople anathématisa en 1638 Cyrille Loukaris. La confession calviniste de ce dernier fut condamnée par un autre concile de Constantinople en mai 1642. Quelque mois plus tard, le concile de Iassy (Roumanie) examina et approuva après modifications la «Confession orthodoxe de l’Église catholique et apostolique orientale» du métropolite de Kiev, Pierre Moghila, orientée contre l’uniatisme et le calvinisme. Une décision anti-calviniste fut prononcée trente ans après, en janvier 1672, par un concile de Constantinople, tandis qu’en mars de la même année le concile de Jérusalem (Bethléem) approuva une nouvelle confession de Foi orthodoxe, celle du patriarche Dosithée de Jérusalem. Le concile de Constantinople de 1691 clôt la série de ces conciles du XVIIe siècle orientés contre les tendances calvinistes. Il examina le terme μετουσίωσις (transsubstantiation) utilisé par Dosithée dans sa confession en l’acceptant comme signifiant μεταβολή (changement). Le dernier concile dans la liste de Crète, celui de 1872, condamna le nationalisme ecclésiastique (phylétisme) dans le contexte spécifique du XIXe siècle. Il a été provoqué directement par la reconnaissance ottomane de l’Exarchat des Bulgares à Constantinople. Puisque la distinction fondée sur l’origine ethnique et linguistique serait contraire à la catholicité de l’Église, le Concile déclara schismatiques les évêques bulgares de cet exarchat.
II. LA
TRADITION CONCILIAIRE DE L’ÉGLISE
Comment est-on arrivé à cette liste? Rappelons que considérer un ou plusieurs conciles comme ayant valeur universelle est une préoccupation qui remonte très loin dans l’histoire de l’Église orthodoxe5. Notre attention se portera cependant sur la préparation effective du Saint et Grand Concile, car les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît. En effet, aucun des six documents préparés auparavant au niveau panorthodoxe et ensuite adoptés en Crète ne mentionne cette énumération de conciles. On 5. Pour la diversité des opinions orthodoxes sur le nombre des conciles œcuméniques, voir l’article polémique de M. JUGIE, Le nombre des conciles œcuméniques reconnus par l’Église gréco-russe et ses théologiens, dans Échos d’Orient 115 (1919) 305-320.
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ne la trouve pas non plus dans les autres textes discutés lors des conférences préparatoires, qui n’ont pas été abordés en Crète faute de consensus. À première vue, cette liste de conciles est donc un ajout qui n’a pas été envisagé au niveau panorthodoxe au cours de la période préparatoire du Concile. C’est pourquoi, par approches successives, nous tenterons de révéler quelques-uns des facteurs qui ont contribué à l’évocation de ces conciles dans le texte de l’encyclique. Il faut tout d’abord remonter au tout début du processus de préparation du Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe. La première conférence panorthodoxe de Rhodes, en 1961, approuva une très longue liste de sujets (presque une centaine) supposés faire l’objet du futur concile et classés en 8 catégories: 1) Foi et dogme; 2) Culte divin; 3) Gouvernement et discipline ecclésiastiques; 4) Relations des Églises orthodoxes entre elles; 5) Relations de l’Église orthodoxe avec le restant du monde chrétien; 6) L’Orthodoxie dans le monde; 7) Sujets théologiques en général; 8) Problèmes sociaux6. Le catalogue des sujets, qui voulait couvrir presque tous les aspects de la vie de l’Église, avait été établi quelques mois auparavant par le Patriarcat de Constantinople et adopté avec des changements mineurs par les participants à cette première conférence panorthodoxe7. On est en droit de se demander en quoi cette riche liste des thèmes destinés à être étudiés au futur prosynode est intéressante pour notre étude. C’est parce que sa première section – Foi et Dogme – contenait un point C) qui devait traiter les textes symboliques dans l’Église Orthodoxe8. Ce point C) était structuré en quatre sous-points: a) Textes faisant autorité dans l’Église orthodoxe9; b) Textes ayant une autorité relative; c) Textes ayant une valeur auxiliaire; d) Établissement et publication d’une confession de foi orthodoxe unique10. 6. Liste complète dans: V. IONITĂ, Towards the Holy and Great Synod of the Orthodox Church. The Decisions of the Pan-Orthodox Meetings since 1923 until 2009, trad. R. RUS (Studia Oecumenica Friburgensia, 62), Fribourg/CH, Institute for Ecumenical Studies; Basel, Reinhardt, 2014, pp. 125-130. 7. Voir la liste de propositions contantinopolitaines dans La conférence panorthodoxe de Rhodes, dans Irénikon 34 (1961) 398-402. 8. Il était encadré par les points B (Les sources de la Révélation) et D (La notion et l’autorité de l’Église). 9. Autre traduction: «Textes authentiques de l’Église orthodoxe». 10. L’invitation à l’évaluation théologique des sujets lancés par Rhodes trouve alors une réponse appuyée dans la réaction de Mgr Basile Krivochéine, Archevêque de Bruxelles, qui en 1964 publia une étude importante sur les textes symboliques dans l’Église Orthodoxe. Voir: B. KRIVOCHÉINE, Les textes symboliques dans l’Église Orthodoxe, dans Messager de l’Exarchat du Patriarche Russe en Europe Occidentale 12 (1964), no 48, 197-217; no 49, 10-23; 13 (1965), no 50, 71-82; ainsi que: La composition et la publication d’une confession unique de la foi orthodoxe, dans Messager de l’Exarchat du Patriarche Russe en Europe Occidentale 14 (1966), nos 54-55, 71-74.
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Cependant, vu l’ampleur et la complexité des sujets, la révision du catalogue proposé en 1961 à Rhodes fut indispensable. L’Église orthodoxe eut besoin de quinze ans pour accomplir cette tâche. La quatrième conférence panorthodoxe (Chambésy, 1968) procéda à la réorganisation de la liste des sujets du futur concile, mais ce n’est qu’à la première conférence panorthodoxe préconciliaire (Chambésy, 1976) que la liste fut révisée. Les cent sujets proposés en 1961 pour le futur concile devinrent alors dix, car on voulut éviter les sujets dogmatiques et donner priorité à des sujets d’ordre plutôt pastoral, pratique et d’organisation de la vie de l’Église11. C’est ainsi que toute la première section (foi et dogme) proposée à Rhodes en 1961 fut supprimée, y compris le point C) sur les textes symboliques faisant autorité dans l’Église orthodoxe. Force est de constater qu’une tentative pour considérer les textes faisant autorité dans l’Église orthodoxe était présente au début de la préparation du concile. Ceux qui se sont engagés pleinement dans cette démarche ne pouvaient bien évidemment pas ignorer les «monuments»12 de l’Église de l’époque postérieure aux conciles œcuméniques qui expriment authentiquement sa foi et son enseignement théologique à travers des décisions conciliaires. Leur évaluation cherchait surtout à identifier et à proposer les critères nécessaires pour opérer le bon choix parmi le grand nombre des décisions théologiques d’après le 7e concile œcuménique. Et aucun texte théologique ne peut avoir d’autorité s’il n’est sanctionné par une décision conciliaire ou incorporé dans les actes d’un concile. Un texte symbolique exposant conciliairement la foi et l’enseignement de l’Église doit en effet exprimer à la fois l’identité foncière avec l’enseignement de l’Écriture, des conciles œcuméniques et des saints Pères et la fidélité orthodoxe dans la manière dont il est formulé. De plus, il doit préciser et compléter ce qui jadis n’avait pas été dit suffisamment ou ce qui avait été exprimé avec une clarté insuffisante, les questions elles-mêmes n’étant pas encore, à cette époque, suffisamment mûres et éclaircies dans la conscience ecclésiale, ou bien les fausses doctrines auxquelles il s’agissait d’opposer l’enseignement ecclésial n’existant pas encore13. 11. Voir I. BRIA, L’espoir du Grand Synode orthodoxe, dans RTL 8 (1977) 50-54, pp. 51-52. La conférence a proposé les sujets suivants: 1. La diaspora orthodoxe; 2. L’autocéphalie et la manière dont elle doit être proclamée; 3. L’autonomie et la manière dont elle doit être proclamée; 4. Les diptyques (c.-à-d. l’ordre de préséance des Églises dans leur commémoration liturgique); 5. La question du nouveau calendrier; 6. Les empêchements au mariage; 7. La réadaptation des prescriptions ecclésiastiques concernant le jeûne; 8. Les relations des Églises orthodoxes avec le restant du monde chrétien; 9. L’Orthodoxie et le mouvement œcuménique; 10. La contribution des Églises orthodoxes locales à la réalisation des idéaux chrétiens de paix, de liberté, de fraternité et d’amour entre les peuples. 12. D’après le nom consacré par KARMIRIS, Τα δογματικά και συμβολικά μνημεία (monuments) (n. 4). 13. KRIVOCHÉINE, Les textes symboliques dans l’Église Orthodoxe (n. 10), pp. 204-205.
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Quoi qu’il en soit, après la première conférence panorthodoxe préconciliaire de 1976 la question sembla close au niveau de la préparation du Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe. Cependant, d’autres facteurs plus récents contribuèrent à la présence de cette liste dans le document officiel du concile de Crète. L’objet principal pris en considération changea lui aussi, car les textes faisant autorité dans l’Église de la 1e conférence de Rhodes deviendront les conciles ayant une autorité universelle. La reprise récente du thème semble se situer dans un contexte nouveau qui n’existait pas dans les années 60 du siècle passé. Il s’agit du dialogue théologique officiel entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe. Avant la rencontre de Ravenne, la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe s’était réunie à Belgrade en septembre 2006. Au cours de cette 9e session plénière, qui étudia la manière dont la conciliarité et l’autorité dans l’Église expriment sa nature sacramentelle, la délégation de l’Église de Moscou releva des objections au sujet du paragraphe sur la conciliarité au niveau universel dans l’Église. Ces réserves visaient à la fois l’énoncé selon lequel, après la rupture entre l’Orient et l’Occident, la convocation d’un concile œcuménique au sens strict du terme est devenue impossible, et le texte sur le rôle de l’Église de Constantinople dans le fonctionnement de la conciliarité en orthodoxie14. Ce qui est devenu le 39e paragraphe du document de Ravenne dit que l’«harmonie entre l’Église et les Conciles est si profonde, même après la rupture entre l’Orient et l’Occident qui rendrait impossible la convocation de Conciles œcuméniques au sens strict du terme, que les deux Églises ont continué de tenir des conciles chaque fois que des crises sérieuses surgissaient. Ces Conciles réunissaient les évêques des Églises locales en communion avec le Siège de Rome ou, bien que compris de manière différente, avec le Siège de Constantinople»15. La description en miroir de la conciliarité de l’Église orthodoxe et de l’Église catholique romaine au niveau universel, même amendée par l’affirmation: «bien que comprise de manière différente», était discutable pour la délégation russe. L’interpellation russe mettait le doigt sur la difficulté majeure pour certaines Églises orthodoxes de considérer la communion 14. Voir K. WARE, The Ravenna Document and the Future of Orthodox-Catholic Dialogue, dans The Jurist 69 (2009) 766-789, p. 786. 15. COMMISSION MIXTE INTERNATIONALE POUR LE DIALOGUE THÉOLOGIQUE ENTRE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE ET L’ÉGLISE ORTHODOXE, Conséquences ecclésiologiques et canoniques de la nature sacramentelle de l’Église: comunion ecclésiale, conciliarité et autorité, Ravenne, 13 octobre 2007. http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/ chrstuni/ch_orthodox_docs/rc_pc_chrstuni_doc_20071013_documento-ravenna_fr.html (consulté le 20 mai 2019 – c’est nous qui soulignons).
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avec le Patriarcat de Constantinople comme une condition obligatoire à la catholicité ou bien comme un critère indispensable à la conciliarité de l’Église. Sans vouloir entrer dans les détails de cette affaire, il est même probable que ces objections de fond ont relancé la question épineuse de la reconnaissance d’un concile comme œcuménique ou général dans le monde orthodoxe après le VIIIe siècle. Il n’est donc pas étonnant que cette question se retrouve évoquée peu après dans une réaction publique du professeur Vlassios Phidas de Chambésy, qui dressa une liste de «grands» conciles orthodoxes réunis après Nicée II16. Afin de justifier la thèse des prérogatives du patriarcat de Constantinople, vis-à-vis des autres sièges, manifestées dans la convocation de conciles, il en vient à affirmer que le Patriarcat de Constantinople est «dans la conscience orthodoxe le garant de la discipline canonique et de la communion ecclésiale de l’Église orthodoxe» et, par conséquent, «un élément indispensable dans la fonction conciliaire de l’Église orthodoxe»17. Selon l’auteur, le Patriarche de Constantinople exerce «cette autorité exceptionnelle par règle ecclésiale en engageant le processus du système conciliaire». Pour arriver à cette conclusion, le professeur Phidas établit une liste de conciles réunis pour la plupart à Constantinople après le VIIIe siècle, «sous l’égide du Patriarcat œcuménique»: il commence avec «les grands conciles de Constantinople réunis sous le patriarcat de saint Photios» (861 et 879-880), reprend les deux conciles constantinopolitains de 1156 et 1157, et continue avec les conciles dits «hésychastes» du 14e siècle, conformément à l’énumération de l’encyclique de Crète: 1341, 1351 et 1368. Les «grands conciles» constantinopolitains de 1484 et de 1642, puis celui de Moscou (1666) suivent dans cette liste qui s’achève au XIXe siècle avec le concile de 1872 qui condamna l’ethno-phylétisme «comme hérésie ecclésiologique» contre l’unité de l’Église. Cette liste de conciles est importante précisément à cause de son auteur, qui a contribué personnellement à la rédaction du texte devenu ensuite l’encyclique du concile de Crète18. Son influence sur le sujet évoqué est bien perceptible 16. V. PHIDAS, Le primat et la conciliarité de l’Église dans la Tradition Orthodoxe, dans Episkepsis 38 (2007), no 671, 36-42. 17. «Dans ce sens, le Patriarche œcuménique a continué à convoquer, également après le schisme du XIe siècle, des conciles ‘généraux’ ou panorthodoxes pour envisager des problèmes cruciaux de chaque époque, comme, par exemple, les conciles précités à titre indicatif…» (ibid., p. 41). 18. Le texte discuté quelques jours avant le Concile dans le comité spécial a été préparé à Chambésy par une équipe grecque conduite par les professeurs Konstantinos Delikostantis et Vlassios Phidas. Voir B. GALLAHER, The Orthodox Moment. The Holy and Great Council in Crete and Orthodoxy’s Encounter with the West. On Learning to Love the Church, dans Sobornost 39 (2017), no 2, 26-71, pp. 57-58.
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également dans le discours des théologiens constantinopolitains qui se sont investis dans la préparation et le déroulement du Concile19. D’autre part, dans l’histoire de la préparation du concile de Crète, il est important de noter la préoccupation propre à la délégation de l’Église serbe pour la mention explicite de ces conciles dans le message final du Concile. Dix jours avant la réunion du concile en Crète, le synode de l’Église orthodoxe serbe publia un message concernant la convocation du Saint et Grand Concile qu’il envoya aux autres Églises orthodoxes. Parmi d’autres, le 4e point du message propose la confirmation conciliaire de la valeur œcuménique du concile de 879-880 et du concile hésychaste de 135120. Dans le comité spécial pour la préparation de ce qui est devenu ensuite l’encyclique du concile, le représentant du Patriarcat de Serbie avait beaucoup insisté pour que ce point soit pris en charge par le concile de Crète21. En même temps, des théologiens qui espéraient voir en Crète une nette démarcation orthodoxe vis-à-vis du christianisme occidental se saisirent de la question. Dans un manifeste publié peu de temps avant le Concile, le métropolite grec Hierotheos (Vlachos) dressa une liste de conciles qu’il considérait comme importants dans l’histoire de l’Église orthodoxe22. On y trouve sans surprise le concile de 879-880 et les conciles hésychastes de 1341, 1351 et 1368, le concile de 1484 et les décisions conciliaires «antiromaines» de 1756 et de 1848, tout comme les réponses «anti-protestantes» de 1576, 1578 et 1581 du patriarche Jérémie II de Constantinople aux 19. Voir par exemple l’approche du théologien J. Chryssavgis qui, dans une conférence donnée le 31 janvier 2016 au séminaire St-Vladimir à New York, énuméra quelques «grands» conciles du deuxième millénaire chrétien: 1156, 1341, 1351, 1368, 1484, 1590, 1593, 1638, 1642, 1672, 1691, 1718, 1722, 1727, 1782 (J. CHRYSSAVGIS, Toward the Holy and Great Council. Retrieving a Culture of Conciliarity and Communion [Faith Matters, 1], New York, Greek Orthodox Archdiocese of America, 2016; https://www.orthodoxcouncil. org/preparation-of-a-council-a-critical-reflection#_ftnref13 [consulté le 20 mai 2019]). 20. Voir la traduction en anglais sur le site officiel de l’Église orthodoxe serbe: «4) Confessing the unity and unbroken conciliar Tradition of the Orthodox Church, we think that it is not true that there were no synods within the Orthodox Church during the centuries; although it stands as true that in the newer centuries we have not held a single pan-Orthodox or ecumenical Synod. Bearing in mind their dogmatic-ecclesiological importance and panOrthodox endorsement, our local Church proposes that the ecumenical importance of the Holy Synod of 879/880, held in the time of Saint Photius of Constantinople, should be confirmed, and that the hesychastic Synod held in 1351 should be confirmed as well. In proposing the conciliar confirmation of these Holy Synods, we have in mind the word of Saint Maximus the Confessor: ‘The God-revering rule of the Church recognizes as holy and confirmed those synods which have been confirmed by rightness of the dogmas’». http://www.spc.rs/eng/ referring_holy_and_great_council_orthodox_church (consulté le 20 mai 2019). 21. GALLAHER, The Orthodox Moment (n. 18), pp. 63-64. 22. Voir H. VLACHOS, Just Before the Holy and Great Council. http://orthochristian. com/94354.html (consulté le 18 mai 2019).
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théologiens luthériens de Tübingen. Sa liste reprend aussi le concile de 1590 qui a consenti à l’élévation de l’Église de Moscou au rang de patriarcat et le concile de 1872 qui a condamné l’ethno-phylétisme. Il n’est pas exclu que la réception conciliaire des conciles du XVe et XVIIe siècles dans le texte de l’encyclique puisse être interprétée comme affirmant un certain rigorisme ecclésiologique orthodoxe. Il me semble cependant que l’argument principal dans la méthodologie théologique du concile est celui de la tradition conciliaire ininterrompue de l’Église. La liste finale des conciles présente dans l’encyclique est le fruit de négociations menées entre les différentes délégations des Églises orthodoxes locales. Les Pères du Concile voulaient éviter le «télescopage» de tout un millénaire dans lequel l’Église n’aurait pas pu manifester sa nature conciliaire; ce qui allait dans le sens de l’Église serbe. Si selon les théologiens orthodoxes, l’Église en soi est un grand synode ou un synode continu, alors on doit reconnaître la manifestation de cette nature synodale même après l’époque du 7e concile œcuménique. Le message de Crète le dit expressément: «L’Église orthodoxe exprime son unité et sa catholicité dans le Concile. Sa conciliarité façonne son organisation, la manière par laquelle elle prend des décisions et la détermination de son destin» (§ 1). Dans cette perspective, la place naturelle du concile de Crète n’est pas dans la succession directe de Nicée II, mais dans la continuation d’autres grands conciles de l’Église orthodoxe réunis après le VIIIe siècle. III. L’IDENTITÉ FONDAMENTALE ENTRE L’ÉGLISE ORTHODOXE ET L’ÉGLISE UNE Avant de passer aux considérations finales, il est important de noter que cette liste de conciles se trouve au sein de la première partie de l’encyclique, dans le contexte de l’affirmation de l’Église en tant que corps du Christ, icône de la Sainte Trinité 23. Ce texte est fort intéressant pour le dialogue œcuménique, car il résume la manière dont les Pères du concile ont voulu proclamer que l’Église orthodoxe est le visage véritable de l’Église du Christ à travers l’histoire24. En fait, le texte de l’encyclique qui traite sur la conciliarité de l’Église est précédé par un paragraphe qui situe l’Église orthodoxe dans «la continuité 23. Elle est décrite comme une communion divino-humaine à l’image de la sainte Trinité, un avant-goût et une expérience des eschata dans la sainte Eucharistie, comme une Pentecôte permanente, une voix prophétique, une présence et un témoignage du Royaume du Dieu d’amour, comme le corps du Christ qui «rassemble», transfigure et alimente le monde (I.1). 24. Voir BRIA, L’espoir du Grand Synode orthodoxe (n. 11), p. 54.
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authentique de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, telle qu’elle est confessée dans le Credo et confirmée par l’enseignement des Pères de l’Église» (I.2.). Il s’avère que les mots utilisés dans la construction de la phrase pour exprimer l’identité de l’Église orthodoxe avec l’Église une confessée dans le credo peuvent conduire à des interprétations différentes25. Le verbe utilisé ici par l’encyclique orthodoxe pour montrer la continuité avec l’Église du Christ est «αποτελώ», traduit en français par «constituer». C’est ainsi que le message du Concile exprime la phrase: «Fidèle à la tradition apostolique unanime et à l’expérience sacramentelle, l’Église orthodoxe constitue la continuité authentique de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, comme elle est confessée dans le symbole de foi et confirmée par l’enseignement des Pères de l’Église» (§ 1, ma traduction). Cependant, la version française officielle de l’encyclique du concile, telle que publié sur le site du concile26 traduit le verbe «αποτελώ» par «être»: «L’Église orthodoxe, fidèle à cette tradition apostolique et expérience sacramentelle unanime, est la continuité authentique de l’Église une…» (I.2.). Il me semble qu’en utilisant le verbe «αποτελώ», qui est moins fort qu’«être», les rédacteurs du texte ont cherché à éviter l’affirmation pure et simple que l’Église orthodoxe «est» l’Église du Christ, tout en la mettant dans la «continuité» avec l’Église une. D’ailleurs, on est vite tenté de faire ici l’analogie avec le langage inclusif de Lumen gentium 8. Afin de pouvoir reconnaître des éléments ecclésiaux au-delà des limites visibles de l’Église catholique, la Constitution dogmatique de Vatican II emploie la formule «subsiste dans» (subsistit in) pour exprimer l’identification de l’Église du Christ avec l’Église catholique. C’est la réception du Concile qui nous dira sans doute si «constituer» dans la perspective orthodoxe de Crète est totalement interchangeable avec «être», l’Église orthodoxe n’ayant pas de magistère en charge de se prononcer officiellement face aux diverses interprétations27. On pourrait certes interpréter cette phrase de Crète soit a) dans un sens inclusif, comme exprimant le fait que l’Église orthodoxe est la continuité de l’Église une, mais qu’il y a quand même une distinction entre les deux; soit b) dans un sens exclusif, c.-à-d. que l’Église orthodoxe est l’Église une, sainte, catholique et apostolique. 25. Bien que les langues officielles du Concile soient le grec, le russe, le français et l’anglais, on doit s’appuyer sur la version grecque du texte, car il paraît que c’était le grec qui était la lingua franca pendant les sessions préparatoires. Voir GALLAHER, The Orthodox Moment (n. 18), pp. 57-58. 26. https://www.holycouncil.org/official-documents (consulté le 9 mai 2019). 27. Voir surtout les documents de la Congrégation de la Doctrine de la Foi: Communionis notio (1992), Dominus Iesus (août 2000) et les Réponses de 2007.
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La suite du texte ne facilite guère la compréhension, puisque le verbe sus-cité ne lie pas directement l’Église orthodoxe à l’Église une. Le complément direct de l’Église orthodoxe n’est pas l’Église des Apôtres, mais sa «continuité», reconnue comme «authentique»: τήν αὐθεντικήν συνέχειαν («l’Église orthodoxe constitue la continuité authentique de l’Église une… »). Rappelons que l’approfondissement théologique mené pendant la période de préparation du Concile signalait déjà cette perspective comme problématique, si elle était appliquée à la question de l’identité de l’Église orthodoxe: «Elle [l’Église orthodoxe] ne continue pas seulement l’Église ancienne, elle est cette Église ancienne a notre époque, elle lui est identique dans sa foi et sa doctrine»28. Le paragraphe de l’encyclique qui suit la liste de conciles semble, à première vue, confirmer l’interprétation exclusive dont on a parlé cidessus. Il affirme qu’«en dehors du corps du Christ “qu’est l’Église” la sainteté est inconcevable» (I.4.). On dirait qu’ici le texte orthodoxe diffère de celui de Lumen gentium 8 qui reconnaît qu’il y a dans les autres Églises non catholiques «des éléments nombreux de sanctification et de vérité», c’est-à-dire de salut. Le texte de l’encyclique de Crète est cependant ambigu, car il parle de l’Église en général sans faire mention directe de l’Église orthodoxe. De nouveau, la question demeure ouverte selon que l’on veut lire «Église du Christ» ou «Église orthodoxe»29. Personnellement, je pense que les Pères du concile ont souhaité développer une approche inclusive de l’Église orthodoxe, ouverte et non fermée sur elle-même. Ils s’insèrent dans la longue tradition de l’Église qui veut offrir le témoignage de la foi chrétienne orthodoxe dans la réconciliation et non pas dans la polémique. En procédant ainsi, le Concile montre qu’il est bien conscient de la grande responsabilité pastorale et missionnaire de l’Église orthodoxe dans le monde d’aujourd’hui, une responsabilité de «dimension œcuménique» comme disait le père Bria30. IV. CONSIDÉRATIONS
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Les raisons de l’existence de cette liste dans un texte officiel du Concile sont nombreuses. Elles relèvent avant tout du souci des Pères de recevoir conciliairement les conciles les plus importants de l’histoire de 28. KRIVOCHÉINE, La composition et la publication (n. 10), p. 72. 29. Si on suit la logique et la cursivité de cette première partie de l’encyclique, on peut penser que cette ambiguïté est due aussi à l’insertion de textes successifs dans la proposition initiale. 30. BRIA, L’espoir du Grand Synode orthodoxe (n. 11), p. 54.
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l’Église orthodoxe. Ce faisant, ils s’engagent pleinement dans cette démarche qui met à l’honneur la pratique conciliaire de l’Église orthodoxe entière. Cette liste de conciles traduirait ainsi l’identité ecclésiale de l’orthodoxie à l’échelle universelle après l’époque des conciles œcuméniques. On pourrait donc dire que, dans le respect de la grande tradition de la conciliarité, le Saint et Grand Concile de Crète, par son encyclique, a essayé de lier organiquement à la tradition des sept conciles œcuméniques l’histoire de plus de douze siècles qui suivit le concile de Nicée II. Ce faisant, les Pères de Crète se placent délibérément eux-mêmes dans la continuité conciliaire naturelle de l’Église. Il est même probable qu’en procédant ainsi ils voulaient en même temps infirmer toute appréciation erronée du concile de Crète. Il importe particulièrement qu’il ne soit considéré ni comme le premier concile panorthodoxe ou général depuis le schisme de 1054, ni comme le 8e concile œcuménique. Le concile de Crète s’inscrit organiquement dans la tradition conciliaire de l’Église orthodoxe qui remonte au concile apostolique de Jérusalem (I.3) et qui n’a pas été mise entre parenthèses depuis le VIIIe siècle. Il est important de noter que le concile de Crète reste prudent et ne tranche pas la question de l’œcuménicité de ces conciles. Il ne qualifie aucun des conciles comme étant œcuménique31. Plusieurs facteurs ont contribué à la présence de cette liste dans le document officiel du concile de Crète. On a jugé utile de montrer que cette préoccupation spécifique pour la confirmation de la continuité authentique de l’enseignement de la foi orthodoxe à travers les décisions conciliaires remonte à la période du début du processus qui amena l’Église orthodoxe au concile de Crète. L’élément principal qui changea après 1961, quand une première liste de sujets pour le futur concile fut proposée par Constantinople, se situe principalement au niveau du contexte. Ce ne sont plus des textes symboliques, comme le voulait Rhodes, mais bien des conciles qui ont été reconnus avec une valeur universelle dans l’Église orthodoxe. Ce changement formel était inspiré, nous l’avons rappelé ci-dessus, par le besoin de mettre le concile de Crète dans la 31. La question de l’équivalence entre autorité universelle et œcuménique est déjà une source d’interprétations différentes. Voir le Message du Saint-Synode de l’Église de Grèce à tous ses fidèles au sujet du Concile de Crète (27 janvier 2017) qui affirme: «Il convient de mentionner également que le Saint Concile ne s’est pas référé seulement à l’autorité des Conciles œcuméniques mais, pour la première fois, lors de celui-ci, ont été reconnus comme Conciles “d’une validité universelle”, c’est-à-dire comme œcuméniques, le Grand Concile qui siégea sous le Photius le Grand…» (c’est nous qui soulignons). https://orthodoxie. com/message-du-saint-synode-de-leglise-de-grece-a-tous-ses-fideles-au-sujet-du-concile-decrete/ (consulté le 18 mai 2019).
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continuité de la grande tradition conciliaire de l’Église orthodoxe. Notre présentation a aussi montré que cette préoccupation légitime a parfois interféré avec des convictions diverses cherchant ainsi à justifier leurs buts. La liste finale de conciles présentée dans l’encyclique est le fruit des négociations menées entre les différentes délégations des Églises orthodoxes locales. Si elle est honorable et parfaitement compréhensible dans sa motivation d’ensemble, elle reste toutefois questionnable au niveau de sa pertinence «universelle» pour le monde orthodoxe. Certains pourraient la considérer comme à peine pertinente, car soit incomplète, soit trop étendue. D’autres insisteront peut-être sur la nécessité d’une réflexion plus appuyée pour parvenir à dégager d’abord des critères théologiques communs. Si l’on considère ces conciles du point de vue théologique, il est certes difficile pour cette liste de répondre à toutes les attentes. Pour cela, il convient de rappeler qu’au début des années 1960, dans l’effort de considérer l’autorité des «textes symboliques» de l’Église, les théologiens de l’école néo-patristique insistèrent également sur l’application d’un critère qui touchait à la formulation même de la foi orthodoxe. L’application de ce critère eut comme conséquence directe la mise en question des «textes symboliques» de la période post-byzantine et particulièrement ceux approuvés par les conciles du XVIIe siècle, dans le contexte polémique de la confrontation entre les catholiques et protestants. Si l’Église orthodoxe dut préciser sa position face aux autres traditions chrétiennes, elle le fit en s’inspirant des modèles occidentaux et dans un langage étranger à la tradition orthodoxe. Bien que considérées comme orthodoxes dans le fond, ces confessions furent regardées, à cause de la prétendue «captivité occidentale» de la pensée théologique orthodoxe de l’époque, comme trahissant une influence occidentale évidente32. Elles auraient ainsi utilisé des arguments protestants contre les catholiquesromains et des arguments catholiques-romains contre les protestants33. C’est à ce titre que ces «textes symboliques» de l’Église orthodoxe furent considérés comme ayant une autorité limitée, qui ne pouvait pas être normative pour la doctrine orthodoxe. Il n’est donc pas étonnant de voir Mgr Basile Krivochéine de Bruxelles affirmer catégoriquement que les textes symboliques orthodoxes postérieurs au XVe siècle 32. G. FLOROVSKY, The Ethos of the Orthodox Church, dans The Ecumenical Review 12 (1960) 183-198; cité ici d’après ID., Aspects of Church History (The Collected Works of Georges Florovsky, 4), Belmont, MA, Nordland, 1975, p. 13. 33. J. MEYENDORFF, The Significance of the Reformation in the History of Christendom, publié d’abord dans The Ecumenical Review 16 (1964) 164-179; cité ici d’après ID., Orthodoxy and Catholicity, New York, Sheed & Ward, 1966, 119-140, p. 135.
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ne peuvent être considérés comme des documents symboliques obligatoires revêtus d’autorité et placés au même rang que les décisions des conciles œcuméniques, puisque, du fait même de leur origine, ils ne sont pas revêtus d’un caractère ecclésial général, que le niveau de la pensée théologique y est généralement peu élevé, qu’ils se détachent souvent de la Tradition patristique et liturgique et qu’ils sont marqués par l’influence de la théologie catholique romaine dans leur forme et parfois même dans leur sens. Ils n’ont d’importance qu’en tant que témoignages historiques de la conscience ecclésiastique et théologique et de sa constance dans l’essentiel tout au long de l’histoire de l’Église34.
Les considérations qui précèdent amenèrent bien des théologiens orthodoxes à accorder aux décisions de ces conciles un caractère plutôt conjoncturel et donc une autorité inférieure à celle des conciles œcuméniques. Il n’en demeure pas moins que la rencontre et le dialogue entre l’Orient et l’Occident, aussi pénibles qu’ils furent parfois à l’époque, ont pu avoir des conséquences positives. Une bonne partie de la théologie orthodoxe développée pendant ces siècles a été stimulée par les influences occidentales. C’est pourquoi les décisions de ces conciles ne peuvent pas être en premier lieu le fruit d’un développement naturel interne de la théologie orthodoxe. Cependant, toute démarche réaliste doit reconnaître que le développement interne naturel de la théologie était presque impossible pendant les vraies «captivités» du monde orthodoxe, d’abord arabe et ensuite ottomane. Les rencontres théologiques entre l’Orient et l’Occident ont contribué à produire des réactions authentiques et créatrices pour l’orthodoxie entière, tout particulièrement jusqu’à la fin de l’ère byzantine. Authentiques, parce que fondées sur la vraie tradition de l’Église. Créatrices, parce qu’elles apportaient des précisions importantes, qui n’ont pas été affirmées auparavant, tout en exprimant la vérité du salut dans des termes ou des expressions adaptés aux générations successives des chrétiens. Il convient de rappeler l’épineuse question pneumatologique dont l’ombre plane sur les rencontres entre Orientaux et Latins depuis Photius et jusqu’au concile de 1484 rejetant l’union de Florence. Le dialogue eut des conséquences importantes dans la précision de la théologie trinitaire et de la pneumatologie orthodoxes. Car c’est à la suite du concile de Lyon que les Byzantins prirent connaissance du reproche, adressé par les théologiens latins, de ne pas envisager un lien éternel entre le Saint-Esprit et le Fils comme fondement de leur collaboration dans l’économie du salut. Dans leurs réponses théologiques, ils essayèrent par conséquent de mettre 34. KRIVOCHÉINE, Les textes symboliques dans l’Église Orthodoxe (n. 10), pp. 8081.
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en évidence le lien éternel de l’Esprit avec le Fils, exprimé cependant en des termes différents de celui de «procession»35. Il faut aussi noter que l’attitude de l’Église byzantine dans son ensemble envers le dialogue avec Rome à l’époque des conciles dits «hésychastes», qui ont reçu le dogme des énergies divines incréées, témoigne non pas d’un repli sur soi-même, mais d’une ouverture et du désir de refaire la communion. En effet, il a été bien souligné que, dans l’intervalle qui sépare l’époque du pape Jean VIII et du patriarche Photius de la chute de Constantinople, les Grecs et les Latins n’ont pas cessé de se considérer réciproquement comme des parties de l’unique chrétienté. Le schisme était «accepté comme un fait, mais pas comme une situation permanente»36. Le concile de 1484 marque un moment décisif dans la conscience des chrétiens d’Orient, car ses décisions scellent en quelque sorte la séparation douloureuse entre l’Orient et l’Occident chrétiens. Cette liste sera-t-elle tout à fait satisfaisante au niveau panorthodoxe? On l’apprendra lors du long et déjà très difficile processus de la réception des documents de Crète par la conscience catholique de l’Église. Je l’ai rappelé ci-dessus, sa qualité d’universalité est directement liée à sa réception par l’Église entière. Sans vouloir surestimer ce texte de l’encyclique, je pense toutefois qu’il est révélateur d’une tendance significative au sein de l’Orthodoxie contemporaine: celle de la valorisation de la tradition conciliaire de l’Église orthodoxe entière dans la continuité authentique de l’enseignement de la foi, après l’époque des conciles œcuméniques. Il reviendra aussi à la réception orthodoxe de dire dans quelle mesure l’utilisation de cette liste peut s’envisager dans le dialogue œcuménique. Personnellement, je pense que la considération de la tradition conciliaire de l’Église orthodoxe plus récente pourrait porter ses fruits dans le dialogue mené par l’Église orthodoxe avec l’Église catholique. D’ailleurs, ce ne serait pas une nouveauté absolue. Le Document de Bari (1987) de la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe évoquait déjà positivement «le concile de Constantinople, célébré conjointement par les deux Églises en 879-880» (§ 53). Comme ce concile établit que «chaque siège conserverait 35. Voir l’argumentation de D. STANILOAË, Le Saint-Esprit dans la théologie byzantine et dans la réflexion orthodoxe contemporaine, dans Credo in Spiritum Sanctum. Atti del congresso teologico internazionale di Pneumatologia in occasione del 1600o anniversario del Concilio di Constantinopoli e del 1500o anniversario del Concilio di Efeso, Roma, 22-26 marzo 1982, t. 1 (Teologia e filosofia, 6), Roma, Libreria Editrice Vaticana, 1983, 661-679, p. 661. 36. J. MEYENDORFF, Byzantium and Rome. The Union Attempts, publié d’abord dans Cahiers de La Pierre-qui-vire 1961, 324-334; cité ici d’après Orthodoxy and Catholicity (n. 33), 79-90, p. 79.
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les anciennes coutumes de sa tradition… qui lui sont propres», les membres de la commission mixte ont considéré relevant de conclure par sa mention le chapitre sur la relation des sacrements de l’initiation chrétienne à l’unité de l’Église. Dans ce processus de la réception des décisions conciliaires, le travail des théologiens est important et nécessaire pour proposer une réflexion critique sur les possibilités du cadre renouvelé, dessiné par l’Église orthodoxe en Crète. C’est ici qu’il nous faut revenir plus particulièrement aux travaux exceptionnels de deux grands théologiens: le père André de Halleux et le père Dumitru Stăniloaë. J’ai choisi délibérément ces modèles car l’un était de Louvain et l’autre de Bucarest, et parce qu’ils ont marqué le dialogue entre l’Orient et l’Occident par leurs œuvres savantes et rigoureuses, fortement ancrées dans la tradition authentique de l’Église. Ils ont essayé en même temps d’aborder créativement des thèmes importants pour le dialogue qu’on peut retrouver dans les décisions des conciles sus-cités comme le Filioque et le palamisme. Ils ont aussi servi leurs Églises par l’engagement direct dans le dialogue théologique officiel entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe qui était en train de produire ses premiers fruits. Il convient de rappeler que les deux Pères et professeurs ont participé activement à la rédaction finale du premier document d’accord théologique catholique-orthodoxe, celui de Munich en 1982, un document avec une forte valeur symbolique37. Les deux théologiens appréciaient la complémentarité que leur apportait la tradition de l’autre, tout en étant convaincus que le vrai dialogue théologique ne doit pas s’édifier sur une perspective minimaliste, mais réaliste. Faculté de théologie de Bucarest Strada Sfânta Ecaterina 2-4 Bucarest 040155 Roumanie [email protected]
Sorin SELARU
37. La deuxième rédaction du texte à Munich a été assurée par un comité restreint, formé par trois représentants orthodoxes et trois catholiques, qui a travaillé deux jours: l’archevêque Kyrill de Vyborg, le père Staniloaë et le professeur Farandos, pour les orthodoxes; le cardinal Willebrands, le père de Halleux et le père Tillard, pour les catholiques.
CE QUE LE PAPE DOIT À SAINT PAUL AUX ORIGINES DE LA LÉGITIMITÉ DU MINISTÈRE PÉTRINIEN
En 1647, le pape Innocent X, par Saint-Office interposé, condamnait la proposition d’un obscur auteur1 «port-royaliste» semblant attribuer, aux origines de l’Église de Rome et de son épiscopat, une importance égale aux apôtres Pierre et Paul. Pourquoi s’intéresser à cette vieille histoire, «la querelle des “deux chefs”, si embrouillée et tortueuse»2? À cause des enjeux sous-jacents, d’actualité dans le champ œcuménique, domaine de prédilection de J. Famerée, et aussi en ecclésiologie catholique – autre lieu d’investigation de notre collègue louvaniste. La «porte d’entrée» peut sembler étroite; elle permet en fait d’ouvrir une perspective sur un sujet immense: rien moins que les origines de l’Église de Rome et du pontificat romain, et leur légitimité respective. Il nous sera aussi donné de rappeler comment un auteur a prétendu, en retraçant cette controverse, démontrer que les positions soutenues au XVIIe siècle en venaient à l’être, à nouveau, en plein XXe siècle3. Tout cela au risque, une fois n’est pas coutume, de ne pas suivre l’opinion d’Y. Congar4, ce qui, nous l’espérons, nous sera pardonné par l’éminent connaisseur de son œuvre qu’est J. Famerée. I. UNE CONTROVERSE ET SES
SUITES
1. Les origines C’est un ami d’Antoine Arnauld, M. de Barcos, qui glissa, dans la préface du livre de ce dernier De la fréquente communion une formule mentionnant en passant «les deux chefs de l’Église qui n’en font qu’un», à 1. Toutefois passé à la postérité grâce à un portrait de P. de Champaigne. 2. A.G. MARTIMORT, Le gallicanisme de Bossuet, Paris, Cerf, 1953, p. 598. 3. Nous renvoyons d’emblée à A. GARUTI, S. Pietro unico titolare del primato. A proposito del decreto del S. Uffizio del 24 gennaio 1647 (Collectio Antoniana, 6), Bologna, Ed. Francescane, 1993, et à son compte-rendu par B. NEVEU dans RHE 89 (1994) 719721. 4. «[…] querelle à laquelle notre Denzinger, avec l’univocité trompeuse inhérente à ce genre de recueils, continue de nous faire prêter une attention qu’elle ne mérite sans doute pas» (Y. CONGAR, S. Paul et l’autorité de l’Église romaine d’après la Tradition, dans CONGRESSUS INTERNATIONALIS CATHOLICUS STUDIORUM PAULINORUM [éd.], Studiorum Paulinorum Congressus Catholicus 1961, t. 1 [Analecta Biblica, 17], Roma, Pontificio Istituto Biblico, 1963, 491-516, p. 508).
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savoir Pierre et Paul5. Énoncé peu explicite, et qui sur le moment passa inaperçu. Mais le contexte portait à la suspicion: la primauté romaine avait été mise en cause (Richer, M.A. de Dominis); les docteurs de Cologne avaient condamné comme «fausse, téméraire et contraire à l’opinion des Pères et des historiens» «l’opinion d’après laquelle s. Paul aurait été le cofondateur de l’Église romaine»6. Cela en référence à Dominis, qui semblait avoir avancé cette opinion pour contester la succession de Pierre dans les pontifes romains. L’évêque de Lavaur, A. de Raconis, dénonça la proposition dans un livre opposé à la Fréquente communion, comme tendant «à combattre l’unité de l’Église et à ruiner sa constitution monarchique». Condamnation reprise par tous les adversaires de Port-Royal. En recourant aux théories condamnées précédemment, [les adversaires d’Arnauld] voulaient affirmer avant tout que, comme elles, la proposition des deux chefs tendait à la ruine de la papauté, au renversement de sa primauté et à la destruction de la constitution originelle de l’Église7.
Il fallait répliquer. Barcos, l’auteur même de la proposition attaquée, s’en chargea dans deux ouvrages successifs publiés anonymement8. Le fond de la thèse était que s. Paul était, aussi bien que s. Pierre, Évêque de Rome; qu’il avait reçu de Jésus-Christ après sa résurrection la primauté de l’apostolat sur les Gentils, comme s. Pierre l’avait reçue précédemment sur les Juifs; que le premier n’était pas inférieur à l’autre dans cette dignité; que l’un ne dépendait pas de l’autre; qu’ils n’étaient tous deux ensemble qu’un même Chef, et qu’ils ne devaient avoir ensuite que les Papes Évêques de Rome pour Successeurs9. 5. Voir A. DE MEYER, Les premières controverses jansénistes en France (16401649), Louvain, Van Linthout, 1919, 399-444; B. NEVEU, Saint Paul et Rome. À propos d’une controverse sur la primauté pontificale, dans Homo religiosus. Autour de Jean Delumeau, Paris, Fayard, 1997, 446-452; CONGAR, S. Paul et l’autorité de l’Église romaine (n. 4), p. 509; Préface, dans A. ARNAULD, Œuvres, t. 26, Paris, S. d’Arnay, 1779, pp. LVLXIV. 6. DE MEYER, Les premières controverses jansénistes en France (n. 5), p. 401. 7. Ibid., p. 402. 8. [M. DE BARCOS], De l’Autorité de S. Pierre et de S. Paul qui réside dans le Pape, successeur de ces deux Apôtres, où sont représentés les sentiments des Écritures, des saints Pères, et particulièrement des Papes et de toute l’Église romaine sur cette matière, pour servir de réponse aux accusations atroces et injurieuses qu’on a formées contre cette proposition du livre De la fréquente communion, Que S. Pierre et S. Paul sont deux Chefs de l’Église, qui n’en font qu’un, s.l., 1645; ID., La Grandeur de l’Église romaine, établie sur l’autorité de S. Pierre et de S. Paul, et justifiée par la doctrine des Papes, des Pères et des Conciles, et par la Tradition de tous les siècles, pour servir de défense à l’écrit De l’Autorité de saint Pierre et de saint Paul, et de réponse à trois livres publiés contre cet écrit […], s.l., 1645 (l’ouvrage compte 738 pages in 4°). 9. Cité d’après Préface (n. 5), p. LVIII.
CE QUE LE PAPE DOIT À SAINT PAUL
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Pour Barcos, promouvoir la primauté de saint Paul ne pouvait porter atteinte à celle de saint Pierre, les fondements étant les mêmes. Une telle dualité dans la direction supérieure de l’Église ne tendait pas au schisme mais à l’unité, car bien qu’étant tous les deux chefs, ils n’en constituaient, en pratique, qu’un seul. Rome ne voulut pas rester indifférente10. Nous renvoyons aux auteurs pour les circonstances de la condamnation11. Le 24 janvier 1647, un décret du Saint-Office énonçait: cette proposition «Saint Pierre et saint Paul sont les deux princes de l’Église qui font un seul», ou: «ils sont les deux coryphées de l’Église catholique et ses chefs les plus éminents qui sont liés entre eux dans la plus grande unité», ou: «ils sont le double sommet de l’Église universelle, étant unis en un de la façon la plus admirable», ou: «ils sont les deux pasteurs et chefs suprêmes de l’Église qui forment une seule tête», interprétée en ce sens qu’elle suppose une égalité en tous points (omnimodam) entre saint Pierre et saint Paul, sans subordination et sans soumission de saint Paul à saint Pierre dans le pouvoir suprême et le gouvernement de l’Église universelle, le très saint Seigneur [Innocent X] l’a estimée et déclarée hérétique12.
Les deux écrits de Barcos étaient également condamnés. 2. Des rebondissements La question, apparemment oubliée, rebondit au début du XXe siècle. D’abord, et de façon officielle – puisqu’elle donna lieu à une condamnation, certes implicite étant donné le statut de l’auteur incriminé – avec un article, à visées œcuméniques, du prince Max de Saxe dans la revue Roma et l’Oriente de 1910. Au sujet de la constitution de l’Église […] est renouvelée tout d’abord l’erreur condamnée depuis longtemps par notre prédécesseur Innocent X, et qui insinue que saint Paul doit être considéré comme un frère égal en tout à saint Pierre; ensuite, avec non moins de fausseté, est manifestée la conviction selon laquelle l’Église catholique n’était pas, aux premiers siècles, le gouvernement d’un seul, c’est-à-dire une monarchie; ou que la primauté de l’Église romaine ne s’appuie pas sur des arguments valides13. 10. Ce qu’expliquent à leur façon les éditeurs d’Arnauld: les adversaires de Barcos «avaient saisi en effet (nous ne le disons qu’avec peine) le côté faible de la Cour de Rome, qui ne témoigne jamais plus de zèle que lorsqu’il est question de près ou de loin de son autorité» (ibid., p. LVI). 11. Voir DE MEYER, Les premières controverses jansénistes en France (n. 5); GARUTI, S. Pietro unico titolare del primato (n. 3), qui présente au chapitre 3 (pp. 105-135) l’avis des qualificateurs romains; NEVEU, Saint Paul et Rome (n. 5). 12. H. DENZINGER, Symboles et définitions de la foi catholique, éd. par P. HÜNERMANN pour l’éd. originale et J. HOFFMANN pour l’éd. française, Paris, Cerf, 2001, no 1999. 13. PIE X, Lettre Ex quo nono aux délégués apostoliques à Byzance, en Grèce, en Égypte, en Mésopotamie, etc. (26 décembre 1910) (DENZINGER, Symboles et définitions de
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On sait moins que l’historien L. Duchesne fut pris à partie pour avoir soutenu des erreurs du même ordre, que des censeurs lui attribuaient. Il le fut d’abord par un zélote du combat anti-moderniste14: Voici donc les deux apôtres simultanément dans la capitale. Y sont-ils au même titre? Paul est-il le simple auxiliaire de Pierre, ou bien partage-t-il avec lui la charge de diriger l’Église de Rome? À ces questions, le lecteur de l’Histoire ancienne de l’Église sera incapable de trouver une réponse satisfaisante. Si quelque conclusion paraît se dégager du récit de Mgr Duchesne, c’est que «la succession des évêques de Rome… se rattache aux apôtres Pierre et Paul» (t. I, p. 92); c’est que «l’Église de Dieu qui habite Rome peut avoir hérité collégialement de l’autorité supérieure de ses fondateurs apostoliques» (p. 94).
Or l’argumentation des papes du IIIe siècle, citée plus loin par Mgr Duchesne, se présentant comme successeurs de saint Pierre, n’est juste qu’à la condition expresse que saint Pierre ait été le seul fondateur de l’Église romaine, le seul évêque, le seul représentant de l’autorité du Christ à Rome.
L’auteur s’en prend ensuite à l’hypothèse d’une autorité collégialement exercée. Nous n’avons pas trace de réponse de l’historien à ces accusations; mais on a conservé celle qu’il fit à un dénonciateur italien anonyme15. Ainsi donc, à l’aube du XXe siècle, se trouvait formulée la problématique qui, nous allons le voir, allait être à nouveau posée à la fin de ce même siècle. Entre temps, la question n’avait pas été oubliée par les manuels de théologie, qui l’envisageaient dans la perspective apologétique qui leur est habituelle16. la foi catholique [n. 12], no 3555). Voir N. EGENDER, Le prince Max de Saxe. Précurseur de l’œcuménisme et «fou pour le Christ», dans Irénikon 88 (2015) 323-347. 14. A. MICHEL, L’Histoire ancienne de l’Église de Mgr Duchesne est-elle un péril pour la foi?, Lille, [Éditions des «Questions ecclésiastiques» nov-déc. 1911-janv-fév. 1912], p. 31. 15. F. MORES, Louis Duchesne. Alle origini del modernismo, Brescia, Morcelliana, 2015, cite p. 165 la Protesta, écrite par Duchesne en 1911 en réponse à des accusations portées contre l’orthodoxie de son Histoire ancienne de l’Église. Il est accusé d’avoir appelé les papes du IIe siècle successeurs des apôtres, et non successeurs de saint Pierre seul. Duchesne se défend en admettant ne vouloir certes pas contester cette dernière qualification, mais dit ne pas pouvoir ne pas adopter les termes utilisés, à propos des papes d’alors, par leur contemporain saint Irénée, qui s’exprime comme lui et appelle les papes successeurs des apôtres. Il rappelle qu’Eusèbe parle généralement des deux apôtres, rarement de Pierre seul. Il avait précisé qu’il ne songeait pas à mettre en cause la différence de position entre Pierre et Paul, ni le fait que l’héritage reçu par Lin, Anaclet, Clément est la succession de Pierre; il n’a jamais fait sienne une chimère comme celle de l’Ecclesia biceps; ne nie pas même que Pierre ait été le premier missionnaire de Rome, le premier chrétien de Rome; il dit simplement ne pas en avoir la preuve. On sait que l’ouvrage de Duchesne fut mis à l’Index en 1912. 16. Voir par ex. B. BARTMANN, Précis de théologie dogmatique, t. 2, Mulhouse, Salvator; Tournai, Casterman, 19414, p. 192; M. NICOLAU – J. SALAVERRI, Sacrae theologiae
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II. COMMENT LE PROBLÈME EST
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POSÉ
EN TERMES D’ÉVÊQUES ET D’ÉPISCOPAT PRIMITIFS
Ce qu’il importe de noter, c’est que la question est posée, s’agissant de Pierre et de Paul et de leur importance respective aux origines du pontificat romain, en termes d’évêque(s) et d’épiscopat primitifs. On le voit bien chez Barcos: «Cette unique Primauté, cette unique Chaire et cette unique dignité pontificale a été commune à saint Pierre et à saint Paul»17, les papes évoquant «le trône de s. Pierre et de s. Paul»18. C’est une chose indubitable dans le style de toute l’Église qu’on donne à saint Paul la qualité d’évêque de Rome en lui attribuant cette qualité [de Pasteur] dans la même proposition et dans les mêmes termes qu’on l’attribue à saint Pierre19.
Caractéristique est, à cet égard, la lecture que Barcos fait des expressions d’Irénée, sous l’intitulé «Que saint Irénée égale s. Paul à s. Pierre et le fait comme lui évêque de Rome, en disant qu’il a fondé avec lui l’Église de Rome»20, le chapitre suivant visant à démontrer «que saint Irénée met expressément saint Paul au nombre des évêques de Rome, comme saint Pierre»21. Les consulteurs du Saint-Office, cités par A. Garuti22, ont sur ce point la même conviction (même s’ils n’en tirent pas les mêmes conséquences), ou des points de vue approchant. Pour certains, Pierre et Paul furent évêques de Rome in solidum, sans que cela n’enlève rien au fait que Pierre soit seul chef du collège apostolique. L’erreur de Barcos a été de considérer les deux chefs de l’Église de Rome comme «ex aequo». D’autres nient que Paul ait été vraiment évêque de Rome. Pierre fut le seul évêque de Rome proprie et simpliciter, en tant que vicaire du Christ et chef de tous les apôtres; Paul ne le fut que d’une certaine façon, aliquo modo, comme associé dans la fondation de ce siège et coadjuteur dans le gouvernement, subordonné à Pierre. Ou bien on peut admettre que Paul a indubitablement exercé les pouvoirs épiscopaux à Rome sans en être proprement évêque, comme «coadjuteur», «suffragant» et «délégué» de Pierre, se trouvant donc à proprement parler non pas évêque de Rome, mais évêque à Rome. summa, t. 1, Madrid, B.A.C., 19553, p. 644, n° 433. Voir aussi, dans une perspective plus «neutre» (et pour cause…), J. TURMEL, Histoire de la théologie positive du concile de Trente au concile du Vatican, Paris, Beauchesne, 19062, pp. 226-228, comme toujours bien informé. 17. La Grandeur de l’Église romaine (n. 8), p. 7. 18. Ibid., p. 75. 19. Ibid., p. 202. 20. Ibid., p. 241. 21. Ibid., p. 247. 22. S. Pietro unico titolare del primato (n. 3), pp. 124-135.
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Moyennant quoi les théologiens témoignent bien d’un certain primat de Paul associé à Pierre, dès lors qu’on a exclu le primat de gouvernement et de juridiction réservé à Pierre: primat quant à la prédication et au magistère, car si Pierre a reçu les claves potentiae, Paul a reçu les claves scientiae. Mais le primat de Paul a fini avec lui, alors que celui de Pierre se prolonge dans les pontifes romains. On affirme donc une certaine complémentarité entre les apôtres, qui forment ensemble l’Apex apostolatus. Restant sauf l’Apex pontificius de Pierre, la plénitude de l’apostolat ne réside vraiment que dans l’un et l’autre réunis. On conclura qu’on peut donc appeler l’Église de Rome cathèdre et siège du seul Pierre, qui en a été le véritable évêque, alors que Paul était simplement un collaborateur. Son autorité dérive de Pierre, constituée par le Christ Pasteur de l’Église, et son évêque est successeur de Pierre, et non de Paul ou de l’un et de l’autre. On exclut donc une omnimoda aequalitas entre les deux apôtres, qui n’admettrait pas l’infériorité et la subordination de Paul à Pierre dans le primat. La présence et le martyre de Paul, avec Pierre, dans l’Église de Rome contribuent à sa dignité, mais le primat dont elle jouit doit être référé au pouvoir concédé au seul Pierre. Subordination de Paul à Pierre, au moins quant au gouvernement, au titre du mandat qui lui a été confié par le Christ; impossibilité pour deux évêques de siéger au même titre dans la même chaire, fut-ce celle de l’Église des saints Pierre et Paul: telles sont les convictions de base. Une fondation pourrait être le fait de deux apôtres; mais le cas de figure est récusé, car qui dit «fondateurs» dit «évêques», et on ne saurait concevoir qu’un seul évêque par siège. Relevons qu’est ainsi justifié le caractère monarchique, seul envisageable, du gouvernement de l’Église. Relevons aussi que, si ces conclusions s’opposent à celles de Barcos, les unes et les autres partagent un certain nombre de prémisses: ainsi, saint Pierre aurait été un évêque, auquel auraient «succédé» les pontifes romains, le litige portant sur ce qu’il en est d’un éventuel «co-épiscopat» de Paul. Mais, nous le verrons, ce qui est en cause n’est rien moins que la relation du pontife romain à son Église, et donc la source de sa légitimité. III. À ROME,
AUJOURD’HUI
Pierre apôtre, bien sûr, mais aussi évêque, premier évêque de Rome: des indices qui ne sont pas insignifiants semblent montrer, que, en faisant de saint Pierre le premier «pape», on continue de faire de lui le premier d’une série qui commence avec lui, faisant donc nombre avec ses «successeurs». Les conséquences théologiques de cette option nous apparaîtront sans tarder.
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C’était le cas hier, dans les listes officieuses de papes par ordre alphabétique, où saint Pierre apparaît entre Pie IX et saint Pontien23. C’est encore le cas, comme en témoignent, à peu de nuances près, les éditions successives de l’Annuario pontificio24. Quant au site Internet du Vatican, il désigne Pierre comme premier pape25, comme le fait la plaque de marbre portant les noms des 147 papes inhumés dans la basilique Saint-Pierre26. Si Pierre était pape, il était évêque – de Rome, ce qu’on ne précise pas. Dans une telle perspective, il n’y a évidemment pas place à ses côtés pour Paul. C’est Pierre, l’unique évêquepape, premier d’une série, qui est pris en considération, non l’apôtre cofondateur, eût-il un statut unique. IV. AU XXe SIÈCLE,
UNE RENAISSANCE DE LA CONTROVERSE
1. Les propositions de J.-M.R. Tillard C’est l’œuvre de J.-M.R. Tillard qui va, au XXe siècle, susciter quelque chose comme une renaissance de la controverse27. L’histoire est invoquée, qui permet de poser les questions tout différemment: en termes de fondation d’Église par des apôtres, et non de premier évêque. Tillard entend montrer que, pour la Tradition de l’Église indivise, la primauté reconnue à Rome est liée non pas d’abord à la personne de son évêque mais à la signification particulière de l’église locale de Rome parmi 23. Par ex. A. BATTANDIER, Annuaire pontifical catholique, Paris, La Bonne Presse, 1900, p. 54. 24. Ainsi pour 2017 p. 8*: «S. PIETRO (en majuscules et non en minuscules comme pour le suivant, S. Lino) di Bethsaida in Galilea, Principe degli Apostoli, che ricevette da GESÙ CRISTO la suprema Pontificia Potestà da trasmettersi ai suoi Successori; risiedette prima in Antiochia, quindi, a quanto riferisce il Cronografo dell’anno 354, per anni 25 in Roma, dove incontro il martirio nell’anno 64 o 67 dell’era volgare». La formule ici transcrite en italiques se trouve déjà dans l’Annuario de 1915, n’a pas changé depuis; il y figurait la mention: «Sulla Cattedra Romana pontificiò per anni 25, m. 2, giorni 7», formule supprimée en 1945 ou 1946. Depuis 2013 (première année avec mention de Francesco), l’Annuario met en valeur le titre «vescovo di Roma», le détachant sous le nom du pape sur une page précédent celle portant les autres titres. 25. Voir http://w2.vatican.va/content/vatican/it/holy-father/san-pietro.html (consulté le 2 mars 2019): «Pietro, 1° Papa della Chiesa Cattolica. Fine pontificato 64 o 67». 26. «Summi Pontifices in hac basilica sepulti». Le premier nom est bien celui de «S. Petrus» – il est vrai qu’il figure en caractères deux fois plus grands que les suivants (plaque gravée entre 1924 et 1936) (SOPRINTENDENZA PER I BENI ARTISTICI DI ROMA, La Sagrestia della Basilica Vaticana [Roma sacra, Itinerari 23-24], Roma, Elio de Rosa, 1995, pp. 48-49). 27. Voir J.-M.R. TILLARD, L’évêque de Rome, Paris, Cerf, 1982, deuxième partie; ID., Église d’Églises. L’Ecclésiologie de communion (Cogitatio fidei, 143), Paris, Cerf, 1987, pp. 356-384.
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l’ensemble des églises locales. Il est essentiel de rappeler cette transcendance du siège (la sedes) et sa priorité sur celui qui s’y assied comme évêque (le sedens)28.
La position de l’évêque de Rome dans le concert des évêques tient à la place de l’Église locale de Rome et de son siège épiscopal (la sedes). Ce sont la primauté et l’autorité de cette Église et de ce siège qui expliquent celles de l’évêque, non l’inverse29.
A contrario, rien dans le Nouveau Testament n’indique une succession de qui que ce soit à Pierre. Cela revient à dire qu’il n’y a dans le Nouveau Testament nulle trace d’une institution de la papauté comme telle par le Christ, nulle trace d’une intuition qu’aurait eue la communauté primitive et selon laquelle le rôle joué par Pierre chez elle aurait dû être confié après sa mort à un ministre […] chargé de le perpétuer30.
Il faut prendre en compte l’histoire ultérieure: d’une part, la reconnaissance, très tôt, de la primauté de l’Église romaine comme telle et, d’autre part, la conscience du rôle que joue en cette primauté la qualité particulière de Pierre (avec celle de Paul) et spécialement sa propre primauté au sein du groupe apostolique ont poussé à combler ce silence. On est venu à appliquer, mutatis mutandis, à l’évêque de Rome, chargé à titre particulier de veiller sur le témoignage de Pierre, les textes scripturaires concernant celui-ci31.
Le rôle important de l’Église de Rome conduira à reconnaître que la place de cette Église est «providentielle», voulue par Dieu. Dans le «fourmillement des communautés» et la diversité des interprétations, il est requis «de se tourner vers la communauté qui a recueilli l’ultime message des deux coryphées de l’Évangile»32. Qu’en est-il, dès lors, du rôle et de la légitimité de l’évêque de cette Église? Au moment où se dessine la nature de l’épiscopat, il deviendra clair que l’évêque de l’Église de Rome joue un rôle capital dans la fidélité de son Église à cette fonction. […] [Les Églises] verront en quelque sorte que la primauté de Pierre se répercute et s’actualise, de fait, en une primauté de l’évêque qui est son vicaire dans et pour l’Église fondée sur sa confession glorieuse33. 28. 29. 30. 31. 32. 33.
TILLARD, L’évêque de Rome (n. 27), p. 92. TILLARD, Église d’Églises (n. 27), p. 356. Ibid., pp. 376-377. Ibid., p. 377. Ibid. Ibid.
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Tillard, soulignons-le, reconnaît une dimension providentielle dans ces déplacements: les Églises diront donc que la primauté de l’évêque de Rome, ainsi liée à une volonté de Dieu manifestée dans l’histoire même des Églises, est de source divine, d’institution divine. […] dans l’Esprit Saint, l’Église percevra que la primauté romaine appartenait elle aussi au dessein de Dieu sur son Peuple, qu’elle était non seulement permise mais positivement voulue par Dieu34.
Les conséquences que Tillard tire de ces constatations ne relèvent pas directement de notre étude. On notera simplement qu’il souligne avec vigueur que c’est l’Église de Rome qui fonde la primauté de son ministre, tout en affirmant que cette reconnaissance implique une dimension providentielle. 2. La réaction des auteurs «romains» Des auteurs, dont la sensibilité peut être qualifiée de «romaine», ont réagi aux positions de Tillard35, y voyant notamment une «liquidation»36 du décret de 1647. A. Garuti, principal représentant de cette école37, reconnaît qu’on a affaire à deux traditions diverses38: l’une met l’accent sur les éléments communs aux deux apôtres et souligne l’origine doublement apostolique de l’Église de Rome, l’autre, sans ignorer ces éléments, met en lumière le caractère exclusivement pétrinien du ministère de l’évêque de Rome. Cette dernière prend en compte l’autorité épiscopale en tant que telle, qui, pour l’Église de Rome, sur la base de Mt 16,18-19, remonte au seul Pierre. Les titres de Vicarius Petri, cathedra Petri, sedes Petri, sedes apostolica, même utilisés «avec une certaine fluidité et des nuances diverses, soulignent la “pétrinité” de l’Église de Rome»39. C’est au titre de cette théologie que Tillard est soumis à une critique sans concessions. 34. Ibid., pp. 377-378. 35. Sont également mis en cause J.-J. VON ALLMEN, La primauté de l’Église de Pierre et de Paul. Remarques d’un protestant, Fribourg/CH, Éditions Universitaires; Paris, Cerf, 1977, ainsi que W.-R. FARMER – R. KERESZTY, Peter and Paul in the Church of Rome. The Ecumenical Potential of a Forgotten Perspective, New York – Mahwah, NJ, Paulist, 1990. 36. GARUTI, S. Pietro unico titolare del primato (n. 3), p. 138. 37. Renvoyons à deux autres critiques de Tillard: M. FOIS, Il Vescovo di Roma, dans La Civiltà Cattolica 139 (1988) 502-507; A. MARCHETTO, Chiesa e papato nella storia e nel diritto. 25 anni di studi critici, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2002, pp. 334-335 sur la deuxième partie de L’évêque de Rome, pp. 343-345 sur Église d’Églises. 38. GARUTI, S. Pietro unico titolare del primato (n. 3), pp. 143-146. 39. Ibid., p. 151.
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Le problème est celui de la relation entre primauté de l’évêque de Rome et Siège romain, donc de l’origine de la primauté elle-même. La distinction entre sedes et sedens est qualifiée de «tendancieuse»40 et finit par annuler la spécificité pétrinienne de la primauté. Si la primauté du pontife romain vient de la primauté de son Église locale, il s’ensuit que le rapport des deux apôtres quant à l’origine du primat apparaît au même niveau. Paul aurait donc une importance égale à Pierre dans la primauté de l’Église romaine, même si elle ne se répercute pas de la même façon dans le ministère de son évêque. On ne perçoit donc plus la spécificité de Pierre par rapport à Paul dans la succession et dans la primauté de l’évêque de Rome. La relation de l’évêque de Rome avec le Christ n’est pas plus claire. Or, sans relation personnelle du Christ à Pierre et de Pierre au Christ, les définitions de Vatican I deviennent incompréhensibles. Il faut tenir que la primauté de l’évêque de Rome ne dérive pas de son siège, mais de Pierre, qui l’a reçue directement et immédiatement du Christ, avant sa venue à Rome. Et, suite à sa venue, elle s’est transmise à ceux qui lui succèdent dans la chaire de l’Église romaine. La primauté est une prérogative de l’évêque de l’Église de Rome, qui est l’Église de Pierre et de Paul; elle est héritée de Pierre, à qui le Christ a confié immédiatement la primauté sur l’Église, personnellement, et à travers lui, à ceux qui lui succéderaient dans sa mission, et non dans sa chaire. Pour que la primauté appartienne à la constitution divine de l’Église, il faut que la primauté ait été conférée personnellement par le Christ à Pierre. S’il fallait la relier à la prédication et au martyre de Pierre et Paul à Rome, on n’aurait aucune certitude quant au nœud de la primauté de l’évêque et de son siège avec la volonté du Christ. On pourrait toujours attribuer la primauté non à la volonté du Christ, mais à un développement vu comme événement providentiel. On distinguera donc la «primauté» de la prééminence de l’Église de Rome, qui vient du fait historique de la prédication et de la mort des deux apôtres à Rome, mais ne crée pas la primauté, qui a une origine divine. L’Église de Rome est siège apostolique par excellence en tant que siège de Pierre; Paul n’en constitue qu’un ornement en tant qu’Église particulière. Garuti récuse donc, non seulement les conséquences, notamment dans l’ordre œcuménique, que Tillard peut tirer de ses analyses, mais leur fondement même. On ne peut être fidèle à la tradition catholique qu’en voyant dans le pape le successeur de Pierre, sans que l’on puisse invoquer, comme source de sa légitimité, qu’il soit l’évêque de l’Église fondée par Pierre et Paul. Une évaluation plus exacte du décret de 1647 aurait permis d’éviter des errements incompatibles avec la doctrine des conciles Vatican I et II. 40. Ibid., p. 179. Nous rendons compte ici des pages 179-189.
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V. RETOUR SUR
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LES ORIGINES
On l’a vu, un auteur comme Garuti ne récuse pas la présence, dans l’histoire, de deux traditions distinctes. Ce qui nous intéresse en l’occurrence est de percevoir comment l’on est passé de l’une à l’autre – donc en quoi la première, chronologiquement, garde une authentique légitimité théologique – la question étant alors de savoir comment articuler deux perspectives. On peut tenir, avec l’ensemble des auteurs, qu’au commencement fut, non pas le pape successeur de Pierre41, non pas même l’Église de Rome, mais la tradition des apôtres Pierre et Paul, tradition apostolique par excellence, réalité première à tous égards, et qui le restera à jamais: car l’Église est, avant tout, une grandeur d’ordre idéologique, dont la raison d’être est de défendre le message dont elle vit. Cette tradition est inséparable – réalité seconde – d’une Église, née de cette tradition et chargée de la défendre: l’Église de Rome, Église des apôtres Pierre et Paul, de leur témoignage, de leur martyre – témoignage suprême –, de leurs tombeaux (limina apostolorum). Église apostolique par excellence, celle à laquelle on recourt lorsqu’on veut connaître la tradition authentique. Enfin, réalité troisième – ce qui ne veut pas dire facultative – il y a l’évêque de cette Église. Évêque chargé, à un titre unique, de par son ministère même, de la garde et de la promotion de la tradition de son Église, l’Église de Rome. Telle est la théologie d’Irénée, à la fin du IIe siècle, quand l’évêque de Rome n’est pas encore le successeur de Pierre, mais l’évêque de l’Église «fondée» par 41. «On sait que cette primauté ne fut pas fondée tout d’abord sur ce que l’évêque de Rome était le successeur de Pierre […]. Cette idée, qui ne se fait jour qu’au commencement du IIIe siècle, et acquiert une forme distincte, à Rome, au cours du IVe siècle, était encore inconnue, par exemple, de saint Augustin» (J. RATZINGER, Le nouveau peuple de Dieu, Paris, Aubier, 1971, p. 49). «La conscience que l’Église de Rome est l’Église apostolique par excellence a précédé de deux siècles la conviction explicite que son évêque était le successeur de Pierre, ayant à ce titre une mission au service de l’Église tout entière» (R. MINNERATH, Les listes des premiers évêques de Rome, dans Connaissance des Pères 78 [2000] 13-20, p. 20); «Les premières mentions de l’Église de Rome au IIe siècle, cherchent explicitement dans l’Église romaine le principe apostolique, non le principe pétrinien. […] À Rome comme ailleurs, l’attention se déplace de l’Église locale vers son évêque» (ID., La tradition doctrinale de la primauté pétrinienne au premier millénaire, dans M. MACCARONE [éd.], Il primato del successore di Pietro. Atti del simposio teologico, Roma 2-4 dicembre 1996, t. 2, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 1998, 117-143, p. 118; également ID., The Petrine Ministry in the Early Patristic Tradition, dans J. PUGLISI [éd.], How Can the Petrine Ministry Be a Service to the Unity of the Universal Church?, Grand Rapids, MI – Cambridge, Eerdmans, 2010, 34-48, p. 36. Voir aussi Y. CONGAR, Ministères et communion ecclésiale, Paris, Cerf, 1971, pp. 98-99, ainsi que, plus largement, les études réunies dans Pietro e Paolo. Il loro rapporto con Roma nelle testimonianze antiche. XXIX Incontro di studiosi dell’antichità cristiana, Roma, 4-6 maggio 2000 [Studia Ephemeridis Augustinianum, 74], Roma, Institutum Patristicum Augustinianum, 2001).
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Pierre et Paul42. Sachant que, quand Irénée (Adversus Haereses III,3,3) énonce que, après avoir fondé et édifié l’Église de Rome, Pierre et Paul «transmirent à Lin la charge de l’épiscopat», il s’agit d’une relecture: il n’y a pas à Rome, et de l’avis général jusqu’au milieu du IIe siècle, d’épiscopat personnalisé43. C’est à partir du IIIe siècle – les auteurs s’accordent, et Garuti ne le nie pas – que cette théologie «première»44 va être peu à peu «recouverte» par une théologie «seconde». L’évêque de l’Église de Rome représente alors – certes au service de la défense d’une tradition – la réalité première, ou du moins la plus manifeste. La théologie de la succession apostolique au service de la protection de la paradosis, déjà présente chez Irénée, va contribuer à mettre en valeur le titulaire de la succession, désormais individualisé. Elle va aussi, par le biais notamment de la théologie de la cathedra de Pierre – illustrée par un Cyprien, mais entendue à Rome en un sens qui valorise l’évêque de la Ville – contribuer à mettre en valeur celui auquel succède le titulaire de cette cathedra: Pierre; car une chaire ne peut être occupée que par une seule personne, à laquelle ne succéderont que des individus uniques. Et le premier à occuper cette chaire, en qui et par qui est né l’épiscopat, devra être évêque: ce que, dira-t-on, fut Pierre. Pierre, non plus cofondateur, mais évêque: position tenue dès le IIIe siècle, à Rome comme à Carthage. Se trouve ainsi posée la question, non résolue, on l’a 42. Voir E. LANNE, L’Église de Rome «a gloriosissimis duobus apostolis Petro et Paulo fundatae et constitutae ecclesiae» (AH III,3,2), dans ID., Tradition et communion des Églises. Recueil d’études (BETL, 129), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1997, 101-138. 43. Voir par ex. M.-Y. PERRIN, À propos de l’émergence de la «Grande Église»: quelques notations introductives, dans RSR 101 (2013) 489-497, p. 490: «À une direction collégiale des Églises avait succédé une présidence unique qui permit une représentation plus lisible de la succession apostolique»; E. NORELLI, Comment tout a commencé. La naissance du christianisme, Montrouge, Bayard, 2015, pp. 177-179. «Les contradictions et les incohérences des reconstructions de listes épiscopales [romaines] s’expliquent d’ellesmêmes. Il n’y avait pas de succession monarchique à la tête des Églises avant le milieu du IIe siècle. C’est clair à Rome jusqu’à Anicet [v. 160]. Certainement les collèges de presbytres qui se cooptaient avaient un président. Celui-ci émergea comme une figure d’unité lorsque les besoins s’en feront sentir. On éprouvera alors le besoin de faire remonter la succession monarchique aux origines» (MINNERATH, Les listes des premiers évêques de Rome [n. 41], p. 19). 44. Ou, au moins, antérieure: les origines sont toujours voilées… Y eut-il, «aux origines», une valorisation de la figure de Pierre seul, comme le pense M.F. Baslez, se fondant sur 1 P et les actes apocryphes de Pierre, pourtant d’origine syrienne? La mise en valeur des deux figures apostoliques aurait représenté une tradition alternative, sinon postérieure (voir M.F. BASLEZ, Comment les chrétiens sont devenus catholiques. Ier-Ve siècle, Paris, Tallandier, 2018, pp. 198-199). Sur la figure de Pierre, voir R. BURNET, Pierre: le «Prince des apôtres»?, dans ID., Les douze apôtres. Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 1), Turnhout, Brepols, 2014, 131-255.
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vu, quinze siècles plus tard, de la place réservée à Paul: comment imaginer un autre évêque, un autre sedens dans la cathedra originaire? Pierre évêque, mais aussi le pape considéré comme successeur, mais aussi «vicaire» de Pierre: avec toutes les nuances qu’il faut donner à ce terme, allant jusqu’à la représentation, quasi sacramentelle, d’un vivant. Théologie qui sera, mais toujours à partir du IIIe siècle (seulement), fondée sur les «promesses» de Jésus à Pierre en Mt 16,18-19. Pierre est donc bien le princeps apostolorum, vivant et agissant pour la défense de la foi dans le premier des évêques. P. Batiffol avait bien formulé les choses: Avec saint Irénée, la pensée catholique s’attache à dire que le κήρυγμα des Apôtres, criterium de la foi, est authentiqué par la succession ou διαδοχή des évêques. Avec saint Cyprien, cette même pensée s’attache à dire que l’épiscopat est légitimé par cette même διαδοχή. Dans cette seconde perspective, on a intérêt à faire de l’Apôtre un évêque. Mais on ne saurait supposer deux Apôtres occupant ensemble le siège à Rome: il faut que l’Apôtre Paul s’efface et que Pierre soit seul évêque: le siège de Rome est cathedra Petri. On ne parlait pas ainsi du temps d’Irénée, mais au temps de Cyprien ce langage est consacré45.
Ainsi se trouvent posées les deux traditions dont nous avons fait état. Certes, on n’oublie pas que l’Église de Rome est bien l’Église de Pierre et de Paul, les deux apôtres que fête la liturgie (aux origines obscures, mais datables du IIIe siècle) le 29 juin; que célèbrent les homélies de Léon le Grand, pourtant le plus éminent représentant de la persistance de Pierre dans ses successeurs, héritiers et vicaires de l’apôtre-évêque. Mais on voit bien où porte dorénavant l’accent, dès lors qu’il s’agit de dire la légitimité d’un ministre: on a affaire à la théologie devenue traditionnelle, celle dont les «Romains» du XXe siècle se feront les défenseurs face aux dérives «œcuménistes». Une imposante basilique pourra perpétuer la mémoire romaine de l’apôtre Paul; l’iconographie romaine aura beau disposer symétriquement, par rapport au Christ, l’un et l’autre apôtre46; les papes pourront invoquer, notamment avec un Nicolas Ier, «l’autorité de Pierre et de Paul», au nom desquels ils posent leurs actes les plus importants47: dans 45. P. BATIFFOL, Cathedra Petri. Études d’Histoire ancienne de l’Église (Unam Sanctam, 4), Paris, Cerf, 1938, p. 173. 46. Voir A. DONATI (éd.), Pietro e Paolo. La storia, il culto, la memoria nei primi secoli, Milano, Electa, 2000; C. PIETRI, Roma christiana. Recherches sur l’Église de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie de Miltiade à Sixte III (311-440), Roma, École française de Rome, 1976, t. 1, pp. 315-356; t. 2, pp. 1413-1445, résumé dans ID., Pierre (Saint Pierre Apôtre), dans P. LEVILLAIN (éd.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994, 1376-1377. 47. «Pourtant c’est Nicolas Ier qui inaugure ce qui deviendra ensuite une habitude de la papauté, celle de se référer à l’autorité de Pierre et de Paul» (Y. CONGAR, L’ecclésiologie du haut Moyen-Âge, Paris, Cerf, 1968, p. 209).
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la mémoire de la Ville, la priorité pétrinienne sera toujours de mise. La basilique de la route d’Ostie ne comptera plus guère48; l’art des mosaïques et des sarcophages fera, le plus souvent, de Paul le témoin de ce que le Christ fait pour Pierre, nouveau Moïse recevant, seul, la Loi nouvelle49; l’importance de la référence par les papes aux deux apôtres sera euphémisée50. Et l’on poussera à bout, le Moyen-Âge venu, l’association du pape à Pierre plutôt qu’à son siège, quand on en viendra à estimer que le pape pourrait ne plus être évêque de Rome51, voire ne plus être évêque – il est vrai que le pape, demeurant le successeur de Pierre, n’est plus alors son vicaire, mais celui du Christ. Logique dont on peut, peut-être, retrouver quelque chose dans le fait qu’un pape ayant renoncé à son ministère choisisse de se faire appeler «pape émérite» plutôt qu’«évêque de Rome émérite»52. Logique, aussi, qui conduira au XIXe siècle à envisager l’infaillibilité du magistère du pontife romain indépendamment de celle de l’Église53.
EN
VI. COMMENT IL
FAUT POSER LA QUESTION
TENANT COMPTE DE L’HISTOIRE ET EN HONORANT LA PROVIDENCE
Reconnaissons-le: entre une Église qui est à l’origine de la légitimité de celui qui occupe son siège «cathédral», et un sedens à qui la sedes doit sa prééminence, les perspectives semblent opposées. Les théologiens romains 48. Voir M. DOCCI, San Paolo fuori le mura. Dalle origini alla basilica delle «origini», Roma, Gangemi Editore, 2006, p. 133. B. Neveu cite un témoignage de 1685 d’un pèlerin français soulignant l’état de délabrement de la basilique, «aussi mal entretenue qu’une église de nos villages, ou peu s’en faut» (NEVEU, Saint Paul et Rome [n. 5], p. 450). 49. Voir les références de la note 46 ci-dessus. 50. Selon GARUTI, S. Pietro unico titolare del primato (n. 3), p. 186, Zapelena aurait voulu abandonner la formule papale solennelle auctoritate SS. Apostolorum Petri et Pauli. 51. Sur la nature du droit par lequel sont associés primat pétrinien et épiscopat romain, voir NICOLAU – SALAVERRI, Sacrae theologiae summa (n. 16), pp. 645-646, nn. 439-447 qui présentent les trois positions «classiques» sur cette question dite «difficile», auxquelles renvoie aussi S. PIÉ-NINOT, Ecclesiologia. La sacramentalità della comunità cristiana, Brescia, Queriniana, 20082, p. 553. Voir aussi Y. CONGAR, Église et papauté, Paris, Cerf, 1994, pp. 56-58. 52. Choix critiqué par Mgr R. FISICHELLA, http://www.lastampa.it/2017/05/03/vaticaninsider/ ita/vaticano/fisichella-non-condivido-lespressione-papa-emerito-i4FjrBUWEUsbGmPUxjp3XP/pagina.html, ainsi que par le théologien D. VITALI (Corriere della Sera, 6 mai 2013) ou le canoniste G. GHIRLANDA (Cessazione dall’ufficio di Romano Pontefice, dans La Civiltà Cattolica [2 mars 2013], no 3905, 445-462). 53. Voir J.-F. CHIRON, Infaillibilité pontificale et consensus Ecclesiae. Enjeux théologiques, dans S. DE FRANCESCHI (éd.), Le pontife et l’erreur. Anti-infaillibilisme catholique et romanité ecclésiale aux temps posttridentins (XVIIe-XXe siècles). [Actes de la journée d’études de Lyon (7 mai 2009)] (Chrétiens et sociétés. Documents et Mémoires, 11), Lyon, LARHRA – RESEA, 2010, 11-37.
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contemporains, tout en reconnaissant la succession historique d’un point de vue à l’autre, considèrent non seulement qu’en rester au premier ne rend pas compte de la Tradition catholique, mais que le second point de vue rend obsolète, et de fait illégitime, le premier. Une théologie peut-elle en «recouvrir» une autre, plus ancienne, plus originaire, au point de la disqualifier? D’ailleurs, une théologie exclut-elle l’autre? Ces questions ont été posées par B. Neveu en termes de théologie «positive» (gallicane), fondée sur les sources, par définition les plus originelles possible, s’opposant à une théologie «spéculative» (romaine), s’en tenant, dans une perspective de développement du dogme sous l’autorité du magistère, à l’état ultime de la réflexion théologique – en ce qui nous concerne, celui de Vatican I, repris par Vatican II54. La question du «développement du dogme» se trouve ainsi posée. A-t-on affaire à une évolution homogène, ou à la succession de théologies, non pas contradictoires, mais différentes55? Quoi qu’il en soit des épistémologies respectives, nos auteurs optent donc pour l’une ou l’autre tradition. Et il est vrai que, si l’on se demande si c’est le siège qui est à l’origine de la primauté de celui qui l’occupe, ou l’occupant qui donne à son siège la prééminence qui lui est reconnue, il semble que l’on doive raisonner en termes d’alternative. Y est-on vraiment réduit? Ut unum sint s’essaie à revaloriser la fonction du pape comme évêque de Rome, Église de Pierre et de Paul, tout en réaffirmant qu’il est successeur de Pierre56. Un effort de synthèse du même ordre semble avoir été fait par les rédacteurs de l’actuelle liturgie d’intronisation du nouvel évêque de Rome, autrement dit l’entrée dans «le ministère pétrinien de l’évêque de Rome»57. 54. Voir NEVEU, Saint Paul et Rome (n. 5) ainsi que son compte rendu de l’ouvrage de Garuti dans RHE (n. 3), p. 719. 55. S’agissant de la primauté pontificale, notamment d’un millénaire à l’autre, plutôt que «d’un développement continu, logique ou organique», idée «problématique» tant du point de vue historique que théologique, «il est plus juste de parler d’une pluralité de formes de réalisation, effectives ou possibles, du ministère pétrinien», Vatican I ne pouvant être le critère de jugement ultime (H.J. POTTMEYER, Le rôle de la papauté au troisième millénaire. Une relecture de Vatican I et de Vatican II, Paris, Cerf, 2001, p. 24). Voir aussi K. SCHATZ, La primauté du pape. Son histoire, des origines à nos jours, Paris, Cerf, 1992, passim. A. Marchetto parle au contraire d’«un primato che va sviluppandosi a partire dal suo embrione evangelico» (ID., Chiesa e papato nella storia e nel diritto [n. 37], p. 356). 56. Dans son encyclique, Jean-Paul II mentionne 21 fois l’«évêque de Rome», soit bien plus que le «successeur de Pierre». À deux reprises (nos 4 et 88) les titres sont associés. 57. UFFICIO DELLE CELEBRAZIONI LITURGICHE DEL SOMMO PONTEFICE, Inizio del ministero petrino del Vescovo di Roma Benedetto XVI, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2006 (avec des études d’ordre historique, théologique et liturgique). Révélatrice
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En fait, voir dans le pape l’évêque de Rome aussi bien que le successeur de Pierre a, depuis le IIIe siècle, conduit à envisager Pierre comme le premier évêque de la Ville, au titre d’une succession épiscopale conçue comme homogène depuis ses origines et hors de toute référence paulinienne. Mais considérer le pape comme évêque de Rome, c’est aussi – et ce doit être d’abord – voir en lui l’évêque de l’Église de Pierre et de Paul, alors que l’appellation «successeur de Pierre» peut plus directement renvoyer à la théologie des auteurs «romains»: une théologie fondée, sans autre médiation, sur une interprétation de Matthieu 16, à perspective d’emblée universelle, sans lien particulier avec une Église locale. On doit donc comprendre «évêque de Rome» comme renvoyant au ministère de service (épiscopal) de l’Église de Pierre et de Paul – et il n’est pas anodin que ce soit cette appellation qui se soit faite la plus discrète au cours des siècles, quand cette dimension locale était perdue de vue; «successeur de Pierre» renvoyant à la lecture traditionnelle de Mt 16, mettant donc l’accent sur une primauté personnelle (et d’emblée universelle). L’enjeu est donc aujourd’hui de redonner au titre d’évêque de Rome la dimension ecclésiale qui est la sienne, l’ancrage d’un ministre dans une Église locale, en faisant porter l’accent, non seulement sur le ministère (épiscopal), mais sur l’Église dont le ministre est l’évêque; non plus sur Pierre, premier évêque de Rome, mais sur l’Église de Rome, Église de Pierre et de Paul, dont le pape est l’évêque. Il s’agirait donc d’envisager le pape dans une perspective qui veut ainsi souligner son enracinement dans une Église locale dont il est le ministre58, sans pour autant faire de l’apôtre Pierre un évêque qui, en tant qu’évêque, serait le premier d’une série: la légitimité du pape, même considéré comme successeur de Pierre, ne l’impose pas59, l’histoire et l’exégèse tendent à récuser ce point de vue60. Une telle insistance n’oblige est la parole adressée au pape lors de la remise du pallium, rite essentiel de la célébration: «Aujourd’hui […] tu succèdes à Pierre dans l’épiscopat de cette Église qu’il a engendrée à la foi en même temps que l’Apôtre Paul». Voir la présentation du nouveau rituel pour le «Commencement du ministère pétrinien de l’évêque de Rome» (2005) dans PIÉ-NINOT, Ecclesiologia (n. 51), pp. 577-584. 58. Ce que Jean-Paul II exprime explicitement, Ut unum sint 90 § 1. 59. Nous nous séparons en cela de J.W. O’MALLEY, A History of the Popes. From Peter to the Present, Lanham, MD, Sheed and Ward, 2010, p. 11, qui estime pouvoir faire de Pierre le premier pape, à l’exemple de l’Annuario Pontificio (et à la différence de E. Duffy, comme il le note p. 331). 60. «Un point semble bien acquis: l’appel exclusif à la “succession de Pierre” pour la [la “‘primauté’ romaine”] fonder s’avère tout à fait insuffisant. D’abord, parce que l’idée de succession est elle-même ambiguë, dans la mesure où on la déporterait, de la succession légitime des évêques de Rome après la mort des apôtres Pierre et Paul, vers une thèse historique qui ferait de Pierre le premier “évêque” de Rome – ce qui serait faux, puisqu’il
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pas à faire de l’Église le fondement de la légitimité de son évêque; mais, dans la mesure où elle ne sépare pas sedes et sedens, elle tend à honorer l’état antérieur de la théologie, celui du IIe siècle; elle n’exclut pas la présence de Paul aux côtés de Pierre dans la fondation de l’Église de Rome, alors que faire de Pierre le premier évêque de Rome a eu pour effet, non seulement de mettre l’accent sur le ministre plutôt que sur l’Église, mais de faire disparaître la figure de Paul, puisque, si l’on peut envisager deux apôtres fondateurs, on ne peut admettre qu’un seul évêque par siège. Quant à l’appellation «successeur de Pierre», devenue traditionnelle, elle doit être comprise en référence à l’épiscopat romain du pape: à elle seule, elle ne saurait définir le pontife romain – pas plus, d’ailleurs, qu’aucun titre pris isolément. Cette volonté d’équilibre empêche le retour aux dérives médiévales; elle ne tranche pas entre l’une et l’autre position; sans doute laisse-t-elle dans l’ombre quelques problèmes non résolus – mais il est sans doute inévitable qu’une évolution historique conduise le magistère à associer les théologies plutôt qu’à choisir entre elles, au prix, peut-être, de quelques apories, à commencer par un Pierre possiblement «évêque de Rome» et un silence prudent sur la place de Paul – et moyennant quelques exceptions en sens opposés, quand Jean-Paul II affirme qu’il est pape en tant qu’évêque de Rome61, alors que la Congrégation pour la doctrine de la foi, au détour d’une formule, a (sans doute en connaissance de cause) pris le parti des adversaires de la position reprochée à Tillard62. était “apôtre” – et qui privilégierait l’aspect purement juridique de l’institution, comme si Pierre avait mis en place lui-même l’ordre de sa succession légitime – ce qu’il est impossible de prouver historiquement sur la base de la documentation existante. Mais en outre, on laisserait alors de côté deux points essentiels auxquels la tradition patristique ancienne s’est toujours montrée très attachée: d’une part, la fondation du rôle propre départi à l’église de Rome par le double martyre de Pierre et de Paul; d’autre part, l’importance de la fonction remplie aux origines de l’Église par Paul lui-même en tant qu’apôtre des Nations» (P. GRELOT, Pierre et Paul fondateurs de la «primauté» romaine, dans Istina 27 [1982] 228-268, p. 265). 61. «On ne peut pas être pape sans être évêque de Rome: c’est une vérité dogmatique, ecclésiologique, et si je suis évêque de Rome en étant pape, je suis plutôt pape en étant évêque de Rome (se sono Vescovo di Roma essendo Papa, sono piuttosto Papa essendo Vescovo di Roma)» (allocution au clergé romain, 4 mars 1986, cité par N. FILIPPI, Essenza e forma di esercizio del ministero petrino. Il Magistero di Giovanni Paolo II e la riflessione ecclesiologica, Roma, Pontificia Università Gregoriana, 2004, p. 24). Rappelons la formule de Ut unum sint no 90: «L’évêque de Rome est l’évêque de l’Église qui demeure marquée par le martyre de Pierre et par celui de Paul […]: “ainsi l’Église de Rome devenait l’Église de Pierre et de Paul”». 62. «Se basant sur le témoignage du Nouveau Testament, l’Église catholique enseigne, comme doctrine de foi, que l’évêque de Rome est successeur de Pierre dans son service primatial dans l’Église universelle; cette succession explique la prééminence de l’Église
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Retenons que la position plus ancienne n’est pas disqualifiée – comment pourrait-elle l’être? Les théologiens et les exégètes les plus fiables l’ont reçue; comment récuser l’histoire la plus assurée? Surtout quand on considère qu’elle peut apporter une vraie légitimité au ministère du pontife romain – voire que c’est elle qui permet d’assurer au mieux cette légitimité, tout en ouvrant la voie à des perspectives œcuméniques. Et rappelons les modalités que Paul VI a voulu maintenir pour son élection, toujours limitée au Sacré-Collège, censé représenter l’Église romaine, même s’il ne comprend plus que des évêques de l’univers catholique: c’est l’évêque de Rome, à ce titre pasteur universel, qui est élu63. Évêque de Rome, donc de l’Église de Pierre et de Paul. La théologie plus primitive est-elle la meilleure? Peut-être pas, mais elle doit être au moins prise en considération – ne serait-ce que parce qu’elle existe: n’est-elle pas celle qui honore le mieux les données historiques, à commencer par celle, unanimement reconnue, de l’apparition tardive d’un épiscopat personnalisé à Rome? Ne permet-elle pas de prendre du recul par rapport à une lecture devenue massivement traditionnelle, mais exégétiquement problématique, des passages «pétriniens» des évangiles, à commencer par Mt 16? Et n’est-elle pas, comme Tillard a voulu le montrer, compatible avec une relecture de cette histoire en terme de providence – une providence qui honore la médiation qu’est l’histoire? Car si Pierre et Paul sont ce qu’ils sont – apôtres, à des titres divers –, c’est bien parce que Dieu y est pour quelque chose, et est donc pour quelque chose dans le statut de leur Église et de son évêque. Faisons donc le pari qu’on peut à la fois honorer la tradition devenue dominante, le pape successeur d’un Pierre dont on n’affirme plus qu’il a été évêque, et la tradition antérieure, le pape évêque de l’Église fondée par Pierre et Paul. On continuera à débattre du titre qui vaut au pape d’être pasteur universel: est-ce comme successeur de Pierre, l’apôtre à qui le Christ a confié les clés du Royaume? Ou est-ce parce qu’évêque de l’Église de Pierre et de Paul, Église apostolique par excellence, il est à ce titre pasteur universel? Il est compréhensible (et souhaitable) que le magistère de Rome [soul. par nous; en note, réf. à Ignace et Irénée], enrichie aussi par la prédication et le martyre de saint Paul» (CDF, La primauté du successeur de Pierre dans le mystère de l’Église, dans Documentation catholique 95 [1998] 1016-1020, pp. 1016-1017. La référence à Ignace et à Irénée pour légitimer l’affirmation laisse songeur. On notera également la mention de Paul, à titre de «plus» appréciable mais secondaire). 63. Sur les questions posées par cet état de choses, nous renvoyons à J.-F. CHIRON, Statut théologique du cardinalat et ecclésiologie contemporaine, dans Mélanges de l’École française de Rome – Italie et Méditerranée modernes et contemporaines 127/2 (2015) 289-303.
CE QUE LE PAPE DOIT À SAINT PAUL
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ne tranche pas; il revient aux théologiens de préciser les choses, en fonction des éléments qu’ils souhaitent, les uns et les autres, souligner. Et de le faire, si possible, en évitant toute forme d’excommunication, fut-elle fondée sur un décret de 1647. Faculté de théologie Université catholique de Lyon Place Carnot 23 F-69002 Lyon France [email protected]
Jean-François CHIRON
PRIMAUTÉ ET COMMUNION SELON JEAN CHRYSOSTOME
La vie et l’œuvre de Jean Chrysostome méritent particulièrement d’être interrogées sous l’angle du thème «primauté et communion». Une telle étude se justifie d’abord par une considération de portée générale: du fait que ce Père de l’Église jouit d’une autorité exceptionnelle pour les Églises d’Occident comme pour les Églises d’Orient, il est très précieux de connaître ses positions en matière ecclésiologique – et donc, entre autres, sur le thème que nous allons ici traiter. Mais des questions plus spécifiques justifient cette étude: Jean Chrysostome aurait-il été, à partir de son ordination diaconale et jusqu’à son départ pour Constantinople, impliqué de quelque manière dans le schisme qui opposa l’évêque d’Antioche à l’évêque de Rome? À l’inverse, n’a-t-il pas manifesté un sens profond de la primauté lorsqu’en 404, à la veille de son second exil, il fit appel au pape Innocent? Le sujet que nous abordons a fait jadis l’objet de certaines controverses entre orthodoxes et catholiques – les premiers affirmant que Jean Chrysostome n’avait pas reconnu de primauté à l’évêque de Rome, ou, tout au moins, que celle-ci se limitait à une primauté d’honneur; les seconds soutenant au contraire qu’il avait reconnu au successeur de Pierre un véritable pouvoir, et même une autorité de juridiction universelle1. Nous nous proposons, quant à nous, de traiter la question de manière très sereine, en recueillant les textes importants sur le sujet et nous efforçant d’en dégager l’exacte portée – sans chercher à leur faire dire ce qu’ils ne disent pas, sans non plus minimiser leur signification réelle. Nous n’avons pas d’autre dessein que de restituer le plus honnêtement possible la position qui fut celle de Jean Chrysostome en la matière, avec l’espoir que cette position puisse elle-même contribuer au rapprochement entre les Églises2. 1. Voir sur ce point M. JUGIE, Saint Jean Chrysostome et la primauté de Saint-Pierre, dans Échos d’Orient 11 (1908) 5-15; ID., Saint Jean Chrysostome et la primauté du Pape, ibid., 193-202. La tonalité de ces écrits est apologétique et parfois même polémique, en réponse à des écrits également polémiques d’historiens ou de théologiens orthodoxes. Il est clair que la réflexion sur la primauté de Pierre et de ses successeurs ne doit plus se développer aujourd’hui dans un climat de controverses. Cela n’empêche évidemment pas de tirer profit des travaux menés par M. Jugie, compte tenu de leur remarquable documentation; c’est grâce à eux que nous avons repéré, dans l’œuvre de Jean Chrysostome, un certain nombre de textes importants pour notre sujet. 2. On pourra aussi se reporter à l’étude de C. ALZATI, Giovanni Crisostomo e la comunione con le Chiese d’Occidente, dans L. BIANCHI (éd.), San Giovanni ponte tra Oriente et Occidente (Atti del X Simposio, Isola di Tinos [Grecia], 16-19 settembre 2007), San Leopoldo, Padova, 2009, 47-64.
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Une première étape est nécessaire: il importe d’abord de préciser comment Jean Chrysostome a perçu le rôle de l’apôtre Pierre; lui a-t-il reconnu une prééminence par rapport aux autres apôtres, et, si oui, de quelle nature? Ensuite seulement nous en viendrons à la question centrale: nous nous demanderons quelle place Jean Chrysostome a reconnue à l’évêque de Rome. I. LA
FIGURE DE
PIERRE SELON JEAN CHRYSOSTOME
Pour Jean Chrysostome, en premier lieu, il ne fait aucun doute que Pierre soit allé à Rome et qu’il y soit mort. On lit de fait dans sa deuxième homélie sur l’épître aux Romains: Votre foi, dit-il [= Paul], est annoncée dans le monde entier (Rm 1,8) […] Il a bien dit: «est annoncée», montrant qu’il ne faut rien ajouter ni retrancher à ce qui a été dit: c’est en effet l’office du messager de transmettre seulement ce qui a été dit. C’est pourquoi le prêtre est appelé un messager: il n’annonce pas ses propres pensées, mais les pensées de celui qui l’envoie. À la vérité Pierre a prêché à cet endroit (ἐκεῖ)…3.
Dans ce contexte, où Jean commente l’épître aux Romains, le mot traduit par «à cet endroit» (ἐκεῖ) ne peut que désigner la ville de Rome. Et dans la dernière homélie sur cette épître, Jean évoque la mort que Pierre et Paul ont tous deux subie dans cette même ville: Comme un corps immense et robuste, cette ville a deux yeux étincelants qui sont les corps de ces saints. Le ciel, resplendissant sous les rayons du soleil, ne brille pas d’un aussi vif éclat que la ville de Rome, qui envoie par toute la terre la lumière de ces deux flambeaux. C’est de là que Paul sera enlevé; c’est de là que Pierre le sera. Songez et soyez saisis de stupeur devant le spectacle que Rome contemplera au dernier jour: Paul se levant tout à coup de ce tombeau avec Pierre et élevé au-devant du Christ. Quelle rose magnifique Rome envoie au Christ! Quelles couronnes a-t-elle sur la tête, de quelles chaînes d’or est-elle ceinte, quelles fontaines possède-t-elle! C’est pour cela que j’admire cette ville, non pour la richesse de son or, ni pour ses colonnes et son faste, mais pour ces colonnes de l’Église4.
Et un peu plus loin: Le corps de Paul est pour cette ville un rempart plus sûr que toutes les tours et les innombrables retranchements; et de même le corps de Pierre. Car pendant sa vie, Pierre a reçu des marques d’honneur de la part de Paul: «Je montai à Jérusalem, dit celui-ci, pour faire la connaissance de Pierre» 3. In epist. ad Rom., 2; PG 60, 402. 4. In epist. ad Rom., 32; PG 60, 678.
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(Ga 1, 18). C’est pourquoi, lorsque Pierre est mort, la grâce [divine] a trouvé bon de faire de lui le compagnon de Paul5.
Cela reconnu, comment Jean Chrysostome a-t-il considéré Pierre par rapport aux autres apôtres? Il lui a certes reconnu une primauté, mais comment a-t-il envisagé celle-ci? Pour répondre à cette question, il faut d’abord lire ce qu’il écrit à propos de la confession de Césarée (Mt 16,1619): «Et vous, qui dites-vous que je suis?» […] Que fait Pierre, la bouche des apôtres, lui qui est toujours plein d’ardeur, le coryphée du chœur des apôtres? Alors que tous ont été interrogés, c’est lui qui répond […] «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant». Que dit alors le Christ? «Heureux es-tu, Simon, Fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela» […] «Et moi je te le dis, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église», c’est-à-dire, sur la foi de la confession. Il lui montre par-là que beaucoup croiront, il lui donne le sentiment de sa dignité (ἀνίστησιν αὐτοῦ φρόνημα), il l’institue pasteur […] «Et moi je te donnerai les clefs du royaume des cieux». Que signifient ces mots «Et moi je te donnerai»? Comme le Père t’a donné de me connaître, de même moi aussi je te donnerai […] Que lui donnes-tu, dis-moi? […] Des choses qui sont le propre de Dieu: remettre les péchés, rendre l’Église inébranlable dans un tel flot de circonstances, donner à un pêcheur une résistance plus forte que le roc – alors que toute la terre combat contre lui –, voilà ce que le Christ promet de lui donner. Le Père, parlant à Jérémie, disait: «Je te placerai comme une colonne d’airain et comme un rempart» (Jr 1,18): mais celui-ci était placé pour une seule nation, tandis que lui (= Pierre) l’est pour toute la terre6.
On relève d’abord les expressions «bouche des apôtres» et «coryphée du chœur des apôtres»: Jean reconnaît bien à Pierre une prééminence sur les autres apôtres. On remarque aussi l’accent qui est mis sur «la foi de la confession»: c’est sur cette foi que l’Église sera bâtie7. Il y a en tout cas un don spécifique du Christ à l’adresse de Pierre: «il lui donne le sentiment de sa dignité», «il l’institue pasteur», et il lui accordera «les clefs du royaume». Jean Chrysostome indique le sens de cette dernière expression (rendre l’Église inébranlable et doter le pêcheur d’une ferme résistance), et précise en outre que le don ainsi octroyé est «pour toute la terre»: la mission confiée à Pierre a une portée universelle.
5. Ibid., 680. 6. In Mt, 54; PG 58, 533-534. 7. Voir In epist. ad Gal., 2: «Il reçut le surnom de Pierre à cause de sa foi sans faille et immuable devançant tous les autres, s’écria: “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant”; c’est à ce moment que les clés du royaume des cieux lui furent remises» (PG 51, 375). Pierre est aussi appelé «le fondement de la foi» dans VIII homilia, habita postquam presbyter Gothus… (PG 63, 499).
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D’autres textes confirment que, pour Jean Chrysostome, Pierre est le destinataire d’un don propre. Ainsi dans une homélie sur l’évangile de Jean, à propos de l’appel de Simon: Jésus dit: «Tu es Simon, fils de Jonas: tu seras appelé Céphas» (Jn 1,42) […] Il ne dit pas: «je t’appellerai Pierre et je bâtirai mon Église sur cette pierre», mais «tu seras appelé Céphas». La première manière de parler indique plus de pouvoir (αὐθεντίας) et d’autorité (ἐξουσίας). Mais le Christ n’étale pas aussitôt dès le début toute l’étendue de son autorité (ἐξουσίας); pour le moment il emploie un langage plus humble. C’est seulement lorsque Pierre eut donné le témoignage de sa divinité qu’il dit avec plus d’autorité: «Tu es heureux, Simon, parce que c’est mon Père qui te l’a révélé». Et encore: «Et moi je te dis que tu es Pierre»…8.
Ou encore dans une homélie sur l’évangile de Matthieu, à propos de l’épisode où des collecteurs d’impôts demandent à Pierre si leur maître ne paie pas les didrachmes (Mt 17,24): Comme le Christ était le Premier-né, et que parmi ses disciples Pierre paraissait être le premier, c’est à lui qu’ils s’adressent […] [Jésus dit: prends le statère] et donne-le-leur pour moi et pour toi. As-tu vu l’excès d’honneur? […] Les disciples ont éprouvé un sentiment humain […] Pourquoi as-tu préféré Pierre à nous? Est-il par hasard plus grand que nous? […] Ils interrogeaient indéfiniment: qui est plus grand? Lorsque trois [disciples] parurent préférés à tous les autres [= lors de la Transfiguration], ils n’éprouvèrent rien de semblable; mais lorsque l’honneur revint à un seul, alors ils en furent affectés9.
La jalousie des autres apôtres, dans cet épisode, confirme précisément que Pierre s’est vu reconnaître une primauté par rapport à eux. Dans une homélie sur la parabole des talents, Jean Chrysostome lui applique les titres que nous avons déjà rencontrés et en ajoute d’autres encore: Pierre, le coryphée du chœur des apôtres, la bouche des disciples, la colonne de l’Église, le soutien de la foi, le fondement de la confession, le pêcheur de l’univers, celui qui a tiré notre race de l’abîme de l’erreur pour la conduire au ciel, l’apôtre partout plein d’ardeur et de confiance, et plus encore plein d’amour, ou de franchise, s’approche du maître alors que tous les autres se taisent, et il lui dit: «Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il pèchera contre moi?» (Mt 18,21)10.
Certes, Pierre a renié Jésus par trois fois; mais Jésus l’a ramené à sa dignité première et lui a confié «l’autorité sur les Églises de toute la terre 8. Hom. in Jo, 19; PG 59, 122. Voir aussi In Mt, 87; PG 58, 741: «Celui qui avait bâti l’Église sur la confession de Pierre et l’avait fortifiée au point de la mettre à l’abri de tous les dangers et de tous les supplices, celui qui avait donné à cet apôtre les clés des cieux et l’avait investi d’une si grande autorité (ἐξουσίας)…». 9. In Mt, 68; PG 58, 566, 568. 10. De decem millium talent. debitore homilia; PG 51, 20.
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(τὴν ἐπιστασίαν τῆς οἰκουμένης ἐκκλησίας)»11. Jean Chrysostome souligne aussi que le Ressuscité est d’abord apparu à Pierre seul, lui le «coryphée de tous»12. Le dialogue entre Jésus et Pierre, à la fin de l’évangile de Jean, permet spécialement de souligner la mission propre de l’apôtre: «Simon, fils de Jonas, n’aimes-tu plus que ceux-ci?» […] Et pourquoi donc, sans s’arrêter aux autres, lui parle-t-il ainsi à leur propos? C’est qu’il était l’élu entre tous les apôtres, la bouche des disciples, le coryphée du chœur (c’est pour cela que Paul vint un jour l’interroger de préférence aux autres). Et il lui montre en même temps qu’il doit être désormais tout à la confiance, parce que la faute de son reniement a été effacée. Il lui remet la primauté (προστασίαν) sur ses frères. Il ne dit pas mot du reniement, il ne reproche pas le passé, il dit seulement: «Si tu m’aimes, sois à la tête des frères» (προΐστασο τῶν ἀδελφῶν) […] Il l’interroge une troisième fois, et une troisième fois il lui donne le même ordre, montrant par-là quelle estime il a de la primauté (προστασίαν) sur ses propres brebis, indiquant que c’est par excellence le plus grand signe de l’amour envers lui13.
M. Jugie traduisait προστασίαν par «gouvernement» ou «prélature»14: traduction excessive, dans la mesure où, dans le contexte de son étude, elle laissait penser qu’on pouvait reconnaître à Pierre un pouvoir de juridiction comparable à celui du pape dans l’histoire ultérieure. Mais il ne faudrait pas non plus, par un excès inverse, minimiser la portée du mot employé par Jean Chrysostome: le mot προστασία signifie bien «prééminence», «présidence», «primauté». Bien plus, Jean est conscient de ce que la mission de Pierre a une portée universelle; on lit en effet, peu après le passage qui vient d’être cité: [Jésus dit à Pierre :] «Suis-moi». Par ces mots il montre sa sollicitude et le grand amour qu’il a pour lui. Et si l’on me demandait comment il se fait que ce soit Jacques qui ait reçu le siège de Jérusalem, je répondrais que ce n’est pas pour un seul siège, mais pour la terre entière (τῆς οἰκουμένης) que Pierre a été institué docteur par le Christ […]. Pierre aimait beaucoup Jean […]. Comme Jésus lui avait dit de grandes choses, lui avait remis la terre entière (τὴν οἰκουμένην), avait annoncé son martyre, et avait attesté que son amour était plus grand que celui des autres, il désirait avoir Jean pour compagnon, et il dit: Et celui-ci, Seigneur, que lui arrivera-t-il? […] En répondant à Pierre: «Toi, suis-moi», Jésus lui laisse entendre à nouveau la sollicitude qu’il a pour lui et l’intimité si étroite dont il le favorise15. 11. De poenitentia, hom. 5; PG 49, 308. 12. In epist. ad Cor., 38; PG 61, 327. 13. Hom. in Jo, 88; PG 59, 477-478 et 479. 14. JUGIE, Saint Jean Chrysostome et la primauté de Saint-Pierre (n. 1), p. 10. 15. Hom. in Jo, 88; PG 59, 480. Voir aussi De decem millium talent. debitore homilia: au moment où il disait «Qui pourra être sauvé?», Pierre n’avait pas encore reçu le commandement (τὴν ἀρχὴν), mais il montrait déjà la sollicitude qui convient à un chef (ἄρχοντι), ayant le souci de la terre entière (τῆς οἰκουμένης)»; PG 51, 21. Voir encore
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Les Actes des apôtres confirment l’autorité de l’apôtre. Ainsi à propos de l’élection de Mathias: «Pierre se leva au milieu des disciples et dit». C’est parce qu’il est ardent, et parce que le Christ lui a confié le troupeau, et parce qu’il est le premier du chœur, qu’il est toujours le premier à prendre la parole […] Quoi donc? [Au lieu du tirage au sort] est-ce que Pierre ne pouvait pas choisir lui-même? Il le pouvait, évidemment; mais il s’en abstient, pour ne pas paraître agir par faveur. D’ailleurs, il n’avait pas encore reçu le Saint-Esprit […] Pierre a pleine autorité sur cette affaire, parce que c’est à lui que tous ont été confiés. C’est à lui en effet que le Christ a dit: «Et toi, à ton tour, affermis tes frères»16.
Jean Chrysostome note aussi que Pierre, lors de l’assemblée de Jérusalem, laissa d’abord les partis en présence débattre entre eux, avant de faire entendre sa propre parole: «Voyez, Pierre permet que la discussion précède, et c’est alors seulement qu’il parle»17. Enfin, il décrit ainsi le rôle de l’apôtre: Semblable à un général, il parcourait les rangs, examinant si telle partie était bien ordonnée, si celle-là avait besoin de sa présence. Voyez-le courir partout, se trouver partout le premier. Lorsqu’il fallut élire l’apôtre [Mathias], ce fut lui qui s’en occupa en premier. Quand il fallut parler aux Juifs pour leur dire que les apôtres n’étaient pas ivres, quand il fallut guérir le boiteux, haranguer la foule, Pierre était toujours devant les autres; de même pour se présenter devant les chefs du peuple, pour l’affaire d’Ananie, pour opérer des guérisons par la seule ombre de son corps, c’est toujours Pierre qui était là. Partout où était le danger, partout où il y avait une direction à donner, il était là; au contraire, là où tout était calme, il laissait le champ libre à tous, bien loin d’exiger des honneurs spéciaux18.
Aux yeux de Jean Chrysostome, l’épisode même de l’incident survenu à Antioche entre Pierre et Paul ne met pas en cause cette prééminence de l’un sur l’autre. Certes, d’un côté, cet épisode atteste que Paul n’est pas d’un rang inférieur19, et que les deux apôtres sont vraiment «les colonnes qui soutiennent le toit de la foi, les remparts, les yeux du corps de l’Église»20. D’un autre côté, cependant, Pierre est bien aux yeux de Paul lui-même le «coryphée», et c’est en raison de sa primauté qu’il vient justement le rencontrer à Antioche. Cela ressort de la phrase que nous avons In Jo, 73: plus tard, Pierre recevra «la gestion de la terre entière (τῆς οἰκουμένης τὴν οἰκονομίαν)»; PG 59, 395. 16. Hom. 3 in Ac Ap; PG 60, 33 et 36. 17. Hom 32 in Ac Ap; PG 60, 236. 18. Hom. 21 in Ac Ap; PG 60, 165. 19. Cf. Hom. in illud, in faciem ei restiti; PG 51, 379. 20. Ibid., 373.
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déjà citée: «C’est qu’il était l’élu entre tous les apôtres, la bouche des disciples, le coryphée du chœur (c’est pour cela que Paul vint un jour l’interroger de préférence aux autres)»21. D’après un autre passage encore, Paul était conscient du «droit de préséance» (προεδρίαν) qu’il fallait reconnaître à Pierre, et il «le respectait au plus haut point parmi tous les hommes»22. Les autres apôtres s’étaient assurément jalousés entre eux, mais précisément, après la venue du Saint-Esprit, il n’en fut plus ainsi: «Partout ils laissent le premier rang (τῶν πρωτείων) à Pierre, et quand il faut parler en public c’est lui qu’ils mettent en avant, bien que de tous il paraisse le plus rustique»23. Les citations que nous avons rassemblées sont toutes convergentes. Elles n’autorisent évidemment pas à projeter sur la figure de Pierre, telle que l’a comprise Jean Chrysostome, la représentation de la papauté qui s’est imposée au Moyen Âge et à l’époque moderne. Mais elles montrent avec évidence que Chrysostome a reconnu à Pierre une autorité spéciale parmi les apôtres; elles montrent aussi qu’il n’a pas seulement entendu cette autorité au sens d’un «honneur» mais bien d’un «pouvoir» (du moins là où il y avait une «direction» à donner); elles montrent enfin qu’il percevait dans la mission donnée à Pierre une mission non point limitée à un seul peuple mais destinée à «la terre entière (οἰκουμένη)». Ces conclusions se dégagent de l’ensemble des textes; elles étaient d’ailleurs explicitement formulées par un penseur orthodoxe du XIXe siècle, Vladimir Soloviev: Saint Jean Chrysostome a victorieusement réfuté d’avance les objections contre la primauté de Pierre, qu’on tire encore aujourd’hui de certains faits de l’histoire évangélique et apostolique (la défaillance de Simon dans la cour du grand-prêtre, ses rapports avec saint Paul, etc.). Nous renvoyons nos lecteurs orthodoxes aux arguments du grand docteur œcuménique […] Le prince des apôtres, à qui tous ont été confiés par le Christ, était, selon notre saint auteur, en puissance de nommer de son propre chef le remplaçant de Judas, et si, à cette occasion, il a fait appel au concours des autres apôtres, ce n’était nullement une obligation, mais l’effet de son bon plaisir24. 21. Hom. in Jo, 88; PG 59, 478. 22. Hom. in illud, in faciem ei restiti; PG 51, 378. 23. In Mt. 50; PG 58, 506. 24. V. SOLOVIEV, La Russie et l’Église universelle, Paris, Albert Savine, 1889, p. 153. Ce texte est cité par Jugie dans son article Saint Jean Chrysostome et la primauté de SaintPierre (n. 1), p. 15. Un auteur vieux-catholique, M. MICHAUD, a voulu réfuter cette interprétation dans un article intitulé L’ecclésiologie de Saint Jean Chrysostome, dans Revue internationale de théologie 11 (1903) 491-520; mais M. Jugie relève que cet auteur «passe sous silence les textes les plus explicites sur la primauté» (voir l’article cité ci-dessus, p. 6, n. 3).
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Mais c’est une autre question de savoir comment Jean Chrysostome a compris le ministère de l’évêque de Rome en son temps. On doit naturellement s’attendre à ce que, voyant en lui le successeur de Pierre, il lui ait aussi reconnu une «prééminence» ou une «primauté». Mais l’a-t-il explicitement affirmé? Et, si oui, que recouvrait à ses yeux une telle «primauté»? Tels sont les problèmes qu’il nous faut considérer dans la seconde partie de cette étude.
II. JEAN CHRYSOSTOME ET L’ÉVÊQUE DE ROME Sur le premier point – Jean Chrysostome a-t-il explicitement affirmé la primauté de l’évêque de Rome? –, aucun des textes conservés ne permet de répondre avec certitude par l’affirmative. On pourrait certes alléguer un passage du Dialogue sur le sacerdoce, où on lit à propos de Jésus: «Pourquoi a-t-il versé son sang? Pour acheter ces brebis qu’il confiait à Pierre et à ceux qui sont venus après lui»25. A.-M. Malingrey remarque à cette occasion que «Jean ne manque jamais de souligner la réalité de la succession apostolique», mais aussi «le lien qui unit les fidèles de tous les temps aux premiers disciples»26. Le passage cité ne concerne donc pas seulement les successeurs de Pierre, ni même les évêques en général; il concerne plus largement tous ceux qui ont charge d’âme, et ne permet donc pas, comme tel, de fonder la primauté de l’évêque de Rome27. Cependant, s’il n’est pas possible de trouver dans les écrits de Jean Chrysostome des propos explicites au sujet d’une telle primauté, celle-ci n’est-elle pas impliquée à travers certains épisodes de sa vie et par tel ou tel passage de son œuvre? 1. Le schisme d’Antioche et son dénouement Une objection peut certes venir à l’esprit, en raison du «schisme d’Antioche». De fait, dans cette dernière ville, Jean était uni à l’évêque Flavien qui, lui, avait pris parti pour l’évêque Paulin et qui de ce fait n’était pas uni à l’évêque de Rome. Sans reprendre toute l’histoire du schisme (qui commença en 331), rappelons au moins les faits les plus importants 25. J. CHRYSOSTOME, Dialogue sur le sacerdoce, II, 1; éd. A.-M. MALINGREY (SC, 272), Paris, Cerf, 1980, p. 103. 26. Ibid., p. 103, n. 6. 27. M. Jugie lui-même, si attaché à démontrer jadis l’attachement de Jean à cette primauté, expliquait que le passage en question ne pouvait pas être invoqué dans ce sens; voir JUGIE, Saint Jean Chrysostome et la primauté du Pape (n. 1), p. 193, n. 2.
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pour notre sujet: au début de l’année 381 Jean Chrysostome avait été ordonné diacre par Mélèce, à un moment où les relations entre Antioche et Rome étaient excellentes. Or Mélèce, qui présidait alors le concile de Constantinople, mourut dans la suite de la même année, et les Pères conciliaires ne reconnurent pas Paulin comme évêque légitime d’Antioche mais choisirent un autre successeur en la personne de Flavien. Les Occidentaux (à commencer par Ambroise) protestèrent énergiquement. Les Orientaux furent invités à se rendre à Rome pour surmonter la crise à la faveur d’une réunion conciliaire; ils envoyèrent trois représentants, porteurs d’une lettre qui défendait la légitimité de Flavien comme évêque d’Antioche. Mais c’est Paulin qui, lors de ce concile romain, fut reconnu comme évêque légitime. Cela, toutefois, n’implique pas que Flavien ait été excommunié (l’historien Sozomène écrira plus tard: l’évêque de Rome et les autres évêques «gardaient le silence» envers lui28). Jean Chrysostome fut en tout cas ordonné prêtre par Flavien dans l’année 386; certes, il devait souffrir du schisme29, mais «on chercherait vainement dans ses œuvres des paroles d’acrimonie ou de révolte contre l’évêque de Rome»30. La situation évolua de toute manière dans les années suivantes; en effet Paulin (avant sa mort en 388) s’était donné un successeur, Evagrios, sans avoir respecté les règles canoniques; les Occidentaux réagirent alors et, comme ils ne purent faire comparaître Evagrios et Flavien en concile, le pape Sirice demanda au patriarche Théophile d’Alexandrie de régler le conflit; Théophile provoqua la réunion d’un concile à Césarée de Palestine, en 393, et ce concile produisit une lettre qui reprenait à son compte la position de Sirice: La lettre du religieux évêque Sirice contenait une direction pour le jugement à porter, où il était dit qu’il ne devait y avoir qu’un seul évêque à Antioche, celui qui était légitimement et canoniquement élu, en conformité avec la règle de Nicée définissant clairement que l’ordination faite par un seul est illégitime et ne saurait être acceptée. En conséquence, acceptant avec joie la doctrine exacte de l’évêque Sirice, au sujet des canons ecclésiastiques, nous nous sommes conformés à sa lettre et avons déclaré qu’il fallait ratifier tout cela; nous avons décidé légitimement et justement que nous ne connaissons qu’un évêque à Antioche, le religieux évêque Flavien31. 28. SOZOMÈNE, Histoire ecclésiastique, VII, 11, 3 (éd. G. SABBAH – L. ANGLIVIEL BEAUMELLE – A.-J. FESTUGIÈRE – B. GRILLET [SC, 516], Paris, Cerf, 2008, p. 113). 29. Voir Hom. 11 in epist. ad Eph.; PG 62, 83-86. 30. JUGIE, Saint Jean Chrysostome et la primauté du Pape (n. 1), p. 195. 31. Cité d’après la trad. française de JUGIE, ibid. Jugie utilise la traduction anglaise de E.W. BROOKS (éd.), The Sixth Book of the Select Letters of Severus, t. 2, London, Williams & Norgate, 1903, p. 223. DE LA
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L’année suivante, Flavien participa à un synode d’évêques orientaux à Constantinople, à côté de Théophile d’Alexandrie32. Ce seul fait était révélateur: «En communion avec Alexandrie, Flavien ne pouvait être en rupture ouverte avec Rome»33. Rien, il est vrai, ne permet de dire que le pape Sirice ait aussitôt confirmé les décisions du concile de Césarée. Mais il y eut en tout cas (en 398 seulement, d’après Sozomène) une réconciliation solennelle entre Rome et Antioche; or c’est Jean Chrystostome qui, alors qu’il venait d’être élu évêque de Constantinople, fut le principal artisan de cette réconciliation – ainsi que le rapporte Sozomène: Il est en tout cas sûr qu’à peine arrivé à l’épiscopat, comme les Églises d’Égypte et d’Occident étaient encore en dissentiment avec celle d’Orient à cause de Paulin et qu’il y avait à cause de cela dissension publique dans les Églises de tout l’Empire, il demanda à Théophile de collaborer avec lui pour la réconciliation de Flavien avec l’évêque de Rome. L’accord obtenu, on choisit pour cela Acace évêque de Beroé et Isidore, ce même Isidore à cause duquel Théophile s’était opposé à l’élection de Jean. Arrivés à Rome, quand l’ambassade eut réussi à leur gré, ils refirent voile pour l’Égypte. Puis Acace se rendit en Syrie, portant à Flavien des lettres de paix des Égyptiens et des évêques d’Occident. Ainsi les Églises furent enfin débarrassées de la discorde et recouvrèrent entre elles la communion34.
Les faits rapportés sont fort instructifs. Ils montrent d’abord que la situation de Jean Chrysostome comme diacre ordonné par Mélèce, puis comme prêtre ordonné par Flavien, n’impliquait de sa part aucune opposition à l’évêque de Rome; simplement, Jean était tributaire d’un schisme qui ne dépendait pas de lui – schisme d’ailleurs modéré car, nous l’avons dit, les relations entre Rome et Antioche étaient très bonnes au moment de son ordination diaconale par Mélèce; et quant à Flavien, l’évêque de Rome et les autres évêques d’Occident ne l’excluaient pas de la communion mais «gardaient le silence» vis-à-vis de lui. Il est d’autre part certain que Jean, le premier, souffrait du désaccord entre son évêque et le successeur de Pierre. En tout cas – et c’est sans doute le point le plus important à retenir –, dès que Jean (devenu évêque de Constantinople) eut la liberté d’agir comme il le voulait, il se hâta de rendre possible une réconciliation solennelle entre Flavien et l’évêque de Rome. Il manifestait par là toute 32. Théophile avait été chargé par le pape Sirice de régler, lors de ce synode, un conflit entre Bagadios et Agapios qui se disputaient le siège de Bostra en Arabie et qui avaient fait appel à l’évêque de Rome; le synode restitua l’évêché à Bagadios (voir JUGIE, Saint Jean Chrysostome et la primauté du Pape [n. 1], p. 195). 33. Ibid. 34. SOZOMÈNE, Histoire ecclésiastique, VIII, 3, 3-4; SC 516, p. 245.
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l’importance qu’il attachait à une telle réconciliation. Cela n’impliquait-il pas, du fait même, la reconnaissance d’une autorité qui revenait en propre au successeur de Pierre? 2. L’appel de Jean Chrysostome à Innocent Les dernières années de la vie de Chrysostome apportent sur ce point une confirmation décisive. On connaît les circonstances qui occasionnèrent les épreuves de Jean durant ces années: d’une part, il s’attira l’inimitié de l’impératrice Eudoxie et plus largement de la cour impériale (du fait de ses griefs contre un mode de vie qu’il jugeait non conforme à l’idéal évangélique); d’autre part, suite aux péripéties de la controverse entre des moines égyptiens et le patriarche Théophile d’Alexandrie, il fut lui-même déposé et condamné lors du synode du Chêne en l’année 40335. Jean connut alors un premier exil, puis revint à Constantinople. Or en 404, après une nuit pascale qui avait été marquée par de grandes violences, alors qu’il était menacé par la perspective d’un second exil, Jean voulut faire appel à l’évêque de Rome, Innocent. Étant lui-même captif dans sa maison, il ne pouvait pas se rendre auprès de ce dernier, mais il lui écrivit une lettre importante et envoya une délégation (composée de quatre évêques et de deux diacres) pour la lui transmettre. Cette lettre s’ouvrait par ces mots: À mon maître, le très vénérable et très saint évêque Innocent, Jean, salut dans le Seigneur. Bien avant notre lettre, Votre Piété a entendu parler, je pense, de l’illégalité qu’on a osé commettre ici. La grandeur de ces crimes n’a pas laissé un seul endroit du monde qui ne perçoive un écho de cette affreuse tragédie; au contraire, la rumeur publique a ébruité les faits jusque dans les coins les plus reculés de la terre; elle a partout provoqué force lamentations et gémissements. Mais comme il ne faut pas seulement se lamenter sur de tels événements, mais redresser la situation et envisager les moyens de calmer cette terrible tempête qui souffle sur l’Église, nous avons jugé nécessaire de pousser messeigneurs les très honorés et très pieux évêques Démétrios, Pansophios et Eugénios à abandonner leurs Églises, à braver une si vaste mer et à entreprendre un long voyage à l’étranger pour accourir auprès de Votre Charité et, après avoir tout exposé clairement, à faire en sorte que s’opère le plus rapidement possible le redressement de la situation36. 35. On pourra se reporter à R. BRÄNDLE, Jean Chrysostome (349-407). «Saint Jean Bouche d’or». Christianisme et politique au IVe siècle, trad. de l’allemand par C. CHAUVIN (Cerf-Histoire), Paris, Cerf, 2003, pp. 123 et sv. 36. JEAN CHRYSOSTOME, Lettre à Innocent, dans PALLADIOS, Dialogue sur la vie de Jean Chrysostome, éd. A.-M. MALINGREY – P. LECLERCQ, t. 2 (SC, 342), Paris, Cerf, 1988, 69-95, p. 69.
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Jean décrit alors longuement, avec grande précision, les événements qui sont survenus depuis l’arrivée de Théophile jusqu’à la nuit pascale de 404; mais il ne se contente pas d’informer l’évêque de Rome (ainsi que les évêques de Milan et d’Aquilée, à qui la lettre est également adressée); il lui demande aussi d’intervenir en sa faveur: […] pour qu’une telle confusion ne gagne pas toute la surface de la terre, veuillez déclarer par écrit qu’une procédure effectuée ainsi en violation de la loi, en notre absence et de façon unilatérale, alors que nous ne refusions pas un jugement, reste sans aucune valeur – n’en ayant d’ailleurs en soi aucune –, et que ceux qui ont commis de telles illégalités sont passibles de la peine prévue par la loi de l’Église; quant à nous qui n’avons pas été pris en flagrant délit, qui n’avons été convaincus d’aucune faute, dont la culpabilité n’a jamais été démontrée, veuillez nous gratifier d’une prompte réponse, de votre charité et de tout le reste comme auparavant37.
Si Jean Chrysostome fait ainsi appel à l’évêque de Rome, c’est bien qu’il lui reconnaît une autorité spécifique et, plus précisément, le pouvoir de «casser» le jugement qui a été illégalement prononcé à son encontre. Certes, il écrit tout à la fin que «la même lettre a été adressée aussi à Vénérius, évêque de Milan et à Chromace, évêque d’Aquilée»38; l’intention de Jean est donc aussi d’alerter plus largement les évêques d’Occident – au moins à travers deux d’entre eux, dont les sièges jouissent d’une autorité particulière. Mais c’est à l’évêque de Rome que la lettre est d’abord adressée, et c’est à lui que Jean Chrysostome demande d’intervenir. En outre, juste avant la dernière phrase sur l’envoi de cette lettre aux évêques de Milan et d’Aquilée, Jean écrit ces lignes très significatives: Ainsi donc, lorsque vous aurez réfléchi sur tout cela et qu’auprès de messeigneurs les évêques, nos frères très pieux, vous vous serez informé de tout plus exactement, veuillez nous fournir l’aide de votre zèle. De cette manière, en effet, vous serez utile non seulement à nous, mais également à l’ensemble des Églises, et vous recevrez de Dieu la récompense, de celui qui sans cesse fait tout en vue de la paix des Églises. Porte-toi bien et prie pour moi, très vénérable et très saint maître. Quant à moi, qu’il me soit donné de jouir de ta sincère amitié39.
Outre que Jean parle ici de l’évêque de Rome comme de son «maître», on remarque la référence à «l’ensemble des Églises»: c’est à elles toutes que cet évêque de Rome sera «utile» en venant à l’aide de l’évêque menacé d’un nouvel exil. Jean laisse ainsi entendre que la décision attendue d’Innocent doit avoir une portée universelle. 37. Ibid., p. 91. 38. Ibid., p. 95. 39. Ibid., pp. 93-95.
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La primauté reconnue à l’évêque de Rome est confirmée par le fait que d’autres aussi, dans les mêmes circonstances, intervinrent auprès d’Innocent: soit du côté adverse (ainsi Théophile d’Alexandrie annonça-t-il à l’évêque de Rome la déposition de Jean, puis lui fit remettre les actes relatifs au synode du Chêne), soit au contraire en faveur de Jean (les délégués de ce dernier n’apportèrent pas seulement la lettre que nous avons évoquée, mais une autre lettre écrite par quarante évêques favorables à Jean, et une troisième lettre émanant du clergé de Constantinople). Les démarches de ce type se poursuivirent encore lorsque Jean eut été envoyé en exil. Comme l’église Sainte-Sophie et le sénat avaient été incendiés, les adversaires de Jean répandirent l’accusation selon laquelle celui-ci, avant son départ, aurait mis le feu à ces édifices, et déclarèrent aussi que Jean aurait fait disparaître de précieux objets qui se trouvaient dans le trésor de son église; mais, de manière significative, les partisans de Jean envoyèrent alors des démentis au pape; et lorsque certains, parmi eux, furent à leur tour maltraités à la suite des manœuvres déclenchées par les ennemis de l’évêque exilé, c’est encore vers l’évêque de Rome qu’ils se tournèrent. Celui-ci, en l’occurrence, estima que l’affaire devait être réglée par un concile œcuménique. On ne peut en tirer argument pour sous-estimer son rôle, mais y voir plutôt l’expression d’une attitude très remarquable: l’évêque de Rome, tout en intervenant personnellement pour «casser» le jugement qui avait été rendu contre l’évêque de Constantinople, avait le souci de rassembler les évêques divisés et de leur faire retrouver la concorde et la paix. Quant à lui, en tout cas, il ne voulut pas avaliser les mesures prises contre Jean Chrysostome; bien au contraire, il fit savoir à Théophile d’Alexandrie que l’Église de Rome entendait s’en tenir aux canons du concile de Nicée, il déclara la nullité des mesures qui avaient été prises depuis le synode du Chêne, il affirma que Jean n’avait pas cessé d’être l’évêque légitime de Constantinople et qu’il devrait donc comparaître à ce titre lors du futur concile. Celui-ci (qui devait se tenir à Thessalonique) ne put en fait avoir lieu – en raison de l’opposition rencontrée chez l’empereur d’Orient et les évêques hostiles à Jean. Mais Innocent n’en resta pas moins ferme sur ses positions. Quant à Jean lui-même, alors en exil et désormais près de sa mort, il écrivit à l’évêque de Rome pour le remercier de ce qu’il avait fait à son égard: Notre corps est sans doute retenu sur un seul coin de la terre, mais l’âme parcourt l’univers sur les ailes de la charité. Aussi, quoique nous soyons séparés par de si grandes distances, je suis toujours auprès de Votre Piété, toujours en votre présence; par les yeux de l’amour je vois la force de votre grande âme, la sincérité de votre dévouement, votre constance inébranlable,
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et ces inépuisables consolations que vous ne cessez de me prodiguer avec tant de courage. Plus les flots s’amoncellent, plus se multiplient les récifs et les écueils, plus aussi s’accroit votre vigilance; les coups redoublés de la tempête ne sauraient la prendre en défaut. Ni la longueur des routes, ni l’intervalle du temps, ni la difficulté des affaires ne peuvent ralentir votre ardeur; vous imitez en tout les meilleurs des pilotes, qui montrent principalement leur science et leur activité lorsqu’ils voient les ondes mutinées, la mer bouleversée, la nuit plus lourde et plus terrible que le jour. C’est avec empressement que nous vous rendons grâces; nous désirerions vous adresser fréquemment de nos lettres…40.
Mais Jean ne se contenta pas d’exprimer une telle gratitude envers l’évêque de Rome. De nouveau il lui adressa un appel depuis sa terre d’exil: Si cela eût dépendu uniquement de Votre Piété, tout serait maintenant rentré dans l’ordre, les maux dont nous souffrons auraient disparu aussi bien que les scandales, les Églises jouiraient des bienfaits de la paix et d’une sérénité parfaite […] Mais en réalité cette réparation n’a pas eu lieu […] J’en appelle seulement à votre amour pour la justice, et, bien que ces hommes aient jeté le désordre partout et qu’ils soient atteints d’une maladie qu’on peut juger incurable, lorsque vous entreprendrez d’y porter remède, ne perdez pas courage, considérez plutôt la grandeur d’une telle réparation. C’est une noble lutte que vous avez à soutenir dans l’intérêt du monde entier, pourrait-on dire, pour relever des Églises abattues, pour réunir des peuples dispersés, pour la défense du clergé qu’on persécute, des évêques qu’on a bannis, des constitutions de nos pères qu’on a foulées aux pieds41.
L’expression «dans l’intérêt du monde entier» est révélatrice: Jean, ici encore, a bien conscience de la portée universelle qui s’attache à l’autorité de l’évêque de Rome en tant qu’il préside à la communion des Églises. Plus largement, l’ensemble de sa lettre atteste sa pleine reconnaissance de cette autorité. Dans la situation dramatique de son dernier exil, Jean Chrysostome voit en l’évêque de Rome celui qui a été son recours suprême au milieu de l’épreuve et auquel, jusqu’au bout, il peut continuer d’en appeler... Le témoignage de Jean Chrysostome est, on le voit, d’un très grand intérêt pour une réflexion sur la figure de l’apôtre Pierre et sur la question du ministère pétrinien. Les textes que nous avons rassemblés dans la première partie montrent que Jean a pleinement reconnu l’autorité de Pierre parmi les apôtres, et ils aident à préciser la nature exacte de cette autorité. 40. Lettre de saint Jean Chrysostome au Pape Innocent, dans PG 52, 535; J. BAREILLE (éd.), Œuvres complètes de Jean Chrysostome, t. 6, Paris, Louis Vivès, 1866, pp. 221-222. 41. Ibid., p. 223.
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Quant à celui qui est, comme évêque de Rome, successeur de l’apôtre Pierre, il faut certes reconnaître qu’aucun texte de Jean Chrysostome n’affirme explicitement sa primauté; mais nous avons montré que celle-ci est impliquée par l’attitude qui a été la sienne à divers moments de sa vie, et plus que tout par la manière dont il a fait appel à Innocent en l’année 404. La réaction de celui-ci nous a paru elle-même très instructive. La primauté dont il s’agit n’est pas de l’ordre d’un pouvoir qui justifierait toute intervention dans les questions régionales ou locales; elle se manifeste par contre comme cette autorité qui permet de «casser» une décision irrégulière ou injuste; elle fait droit autant que possible à la dimension de la synodalité (Innocent, nous l’avons dit, voulait convoquer un concile pour surmonter le conflit à propos de Jean), mais elle n’en est pas moins une autorité personnelle au service de la communion des Églises et, par ce fait même, dotée d’une portée universelle. Centre Sèvres Rue de Sèvres 35bis FR-75006 Paris France [email protected]
Michel FÉDOU
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Que le lecteur veuille bien m’excuser de commencer par deux citations relativement longues. En 2009, Joseph Famerée écrivait: En dépit d’un engagement ô combien fécond et irremplaçable au service de l’Évangile, les femmes sont maintenues dans un statut mineur, à l’écart des postes de pouvoir au sein de l’Église catholique (comme d’ailleurs la plupart des laïcs masculins). Aussi faut-il commencer par libérer la vie et l’enseignement de l’Église catholique de tout androcentrisme en instaurant un véritable partenariat hommes-femmes. Il faut également faire en sorte que les fidèles des deux sexes soient associés à l’élaboration des décisions ecclésiales importantes et que les femmes (laïques, religieuses) notamment accèdent à des postes de responsabilité et de direction, de la paroisse à la Curie romaine. Cela implique un plus grand «découplage» du pouvoir de décision et du ministère ordonné (presbytéral, épiscopal). Enfin, un processus graduel (accès des femmes aux ministères institués du lectorat et de l’acolytat, au ministère ordonné du diaconat; ordination presbytérale d’hommes mariés) devrait permettre de discerner plus sereinement la question controversée de l’ordination presbytérale de femmes et d’éviter un schisme au sein de l’Église catholique, de même que l’aggravation de la séparation avec l’ensemble des Églises orthodoxes1.
On lit ici à la fois la préoccupation pastorale d’un ecclésiologue, mais on discerne aussi sa conscience œcuménique, particulièrement à l’égard de l’orthodoxie. Pour sa part, il y a quelques mois, l’archiprêtre Dimitri Smirnov, responsable de la commission synodale du patriarcat de Moscou pour les questions de famille, déclarait: Pédagogue? En russe il n’y a pas de forme féminine de ce mot, car ce n’est pas l’affaire des femmes. Les femmes manquent de longueur de vue. Il y a un proverbe russe (nous en avons beaucoup, ils sont tous géniaux): «À cheveux longs, intelligence courte». Leur psychisme est ainsi fait. Or quand un petit garçon entre en première année de l’école primaire, il faut absolument contrôler ses processus d’apprentissage et surtout son éducation. Une femme en est incapable, pour des raisons de santé: elle crie, elle est hystérique, c’est ainsi qu’elle essaie de maîtriser sa classe, mais, bien sûr, c’est la classe qui prend le dessus. Les petits garçons turbulents n’ont qu’un 1. J. FAMERÉE, Le christianisme est-il misogyne? Place et rôle de la femme dans les Églises. Cycle de conférences organisé par la Faculté de théologie et la Fondation Sedes Sapientiae (février-mars 2009), dans RTL 40 (2009) 599-602, p. 602. Les interventions ont été publiées dans ID. (éd.), Le christianisme est-il misogyne? Place et rôle de la femme dans les Églises (Trajectoires, 22), Bruxelles, Lumen Vitae, 2010.
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but: pousser leur enseignante à bout, jusqu’à ce qu’elle perde ses moyens. Et leur slogan principal est: «Hourra, on travaille pas!» Et le résultat de cela est que les enfants se mettent à refuser de travailler et n’aiment plus l’école2.
Penser que Smirnov se montre ici facétieux serait une erreur: il emploie certes des formulations qui choquent la conscience des démocrates contemporains, mais ces déclarations sont typiques de son bagout. Ce prédicateur est représentatif d’une pratique pastorale bien présente en Russie et dans nombre d’Églises orthodoxes. On peut s’interroger sur la nature du vertigineux fossé qui sépare les positions de ces deux théologiens. En tout cas, je ne crois pas m’avancer trop en postulant que la théologie orthodoxe qui s’est développée en Occident au XXe siècle est davantage en accord avec Famerée qu’avec Smirnov. Assurément, la divergence de vues ne tient pas à une différence confessionnelle. Un lecteur qui ne connaît pas la réalité de l’Église orthodoxe dans les aires où elle est majoritaire dans la société comprendra que ce qui peut apparaître comme évident dans les sociétés occidentales, en relation avec le statut des femmes, ne l’est pas forcément dans toutes les communautés chrétiennes. I. DISTINCTION ENTRE MISOGYNIE ET THÉOLOGIE DES MINISTÈRES Il faut convenir qu’il n’a pas fallu attendre l’apparition du christianisme, que ce soit dans ses versions orientales ou occidentales, pour voir les femmes dominées par les hommes dans la société. En cela, le christianisme orthodoxe, dont il sera ici davantage question, ne diffère pas des autres expressions chrétiennes traditionnelles ni de la majorité des groupes religieux: cette domination semble être un fait historique et anthropologique généralisé. Quant à elle, la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes est un phénomène marquant de notre histoire actuelle. Ce défi est celui de toute l’humanité, il l’est également pour les traditions chrétiennes. Pour autant, est-ce à dire qu’il faut ordonner, dès aujourd’hui et partout, des ministres féminins à toutes les fonctions particulières que l’on 2. Conférence de l’archiprêtre Dimitri Smirnov, responsable de la commission synodale du patriarcat de Moscou pour les questions de famille, aux prêtres responsables des paroisses et aux assistants paroissiaux du diocèse de Syzran, lors du forum pédagogique orthodoxe de Syzran (Russie), le 2 juillet 2019 (http://syzran-eparhia.ru/2007-pravoslavnyj-pedagogicheskijforum-prodolzhaetsya.html). On peut visionner les deux parties de la conférence sur les pages suivantes dédiées à ce prédicateur très réputé dans son pays. Première partie http://www. dimitrysmirnov.ru/blog/cerkov-98860/; Deuxième partie http://www.dimitrysmirnov.ru/blog/ cerkov-98923/
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trouve dans les Églises? Quelles sont ou quelles étaient les raisons sousjacentes à la longue pratique chrétienne d’ordonner aux ministères pastoraux uniquement des chrétiens de genre masculin3? Ces raisons sont-elles d’ordre circonstanciel ou absolu? En théologie des ministères4, la réponse à cet ensemble de questions ne peut pas être binaire, mais l’égale dignité des hommes et des femmes est un élément beaucoup plus fondamental d’anthropologie théologique, qui devrait rendre impossible tout recours à une ecclésiologie misogyne. Or, pourtant, la misogynie existe dans les Églises qui ne font que refléter les pratiques en vigueur dans les cultures où elles vivent et où les femmes ont longtemps joué des rôles subalternes dans la fonction publique. Dans certaines Églises, la misogynie est peut-être en train d’être dépassée, mais pas entièrement; dans d’autres, on est loin d’en avoir même pris conscience. Par exemple, si les rites de purification de la femme avaient leur raison d’être à une certaine époque, on ne peut plus soutenir, aujourd’hui, aucune interprétation somatique de l’impureté d’une femme qui a ses règles ou qui vient d’accoucher. Dans les Églises orthodoxes, il est fréquent que les femmes s’abstiennent de recevoir la communion eucharistique, parfois même de vénérer les icônes, en période de menstruation. Quant à la parturiente, elle ne met pas un pied à l’église avant le quarantième jour qui suit l’accouchement, lorsqu’elle se présente à la porte du temple pour le rite de ses relevailles et de sa purification. Sur le plan pastoral, tout au plus peut-on revaloriser cette «impureté» en la qualifiant de période de repos, si la personne en ressent et en exprime le besoin5. 3. Chaque fois que c’est possible, je m’abstiens d’utiliser l’expression, certes très commode, de «ministère ordonné» pour désigner certains ministères par rapport à d’autres, c’està-dire l’ordination de quelques-uns à un service particulier. En effet, on remarquera que tout chrétien baptisé-chrismé est ordonné (la chrismation étant l’équivalent d’une imposition des mains) au ministère commun de tous les fidèles, qui est participation au triple ministère royal, sacerdotal et prophétique du Christ, venu pour récapituler l’humain total. 4. En théologie orthodoxe, la terminologie propre aux ministères n’est pas aussi formalisée que dans d’autres traditions chrétiennes; généralement, on y utilise indifféremment les termes de ministère, service ou diaconie; les notions de charisme, de charge, d’office, de fonction, etc. ne sont pas non plus définies de manière aussi tranchée que, par exemple, en droit canonique catholique romain. 5. S’il est vrai que, depuis environ un siècle, la mortalité maternelle a considérablement chuté par rapport aux siècles et millénaires antérieurs, on ne peut ignorer que la mise en quarantaine des femmes qui venaient d’accoucher et de leur nouveau-né pouvait être interprétée comme une mesure de précaution plutôt que comme une mesure de rabaissement misogyne à l’égard de la mère. Dans cette compréhension, l’«impureté» correspondrait davantage à une forme de reconnaissance de fragilité, tant de la mère que de l’enfant, d’ailleurs. Il faut aussi remarquer que ce rite, d’origine judaïque, est à rapprocher de la fête mariale du 2 février, appelée Sainte-Rencontre dans la tradition grecque et Chandeleur dans le rite latin, qui commémore, quarante jours après la Nativité du Christ, la purification de la Vierge, oxymore par excellence.
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En fait, pour aborder notre sujet, il convient de remarquer la distinction entre deux problèmes: d’une part, les conditions de vie des femmes dans l’Église et, d’autre part, la question non résolue de l’ordination éventuelle de certaines d’entre elles à certains ministères. Le premier problème, combattre la misogynie, aurait déjà dû être résolu dans l’Église6. Prescrire des états d’impureté physique et spirituelle en raison de la nature féminine, restreindre la capacité des femmes à prendre pleinement part à la vie des communautés ecclésiales au simple titre qu’elles sont femmes n’est tout bonnement pas acceptable et ne mérite pas de considérations théologiques très développées, mais des actions concrètes et engagées dans la dynamique des communautés chrétiennes. La théologienne Élisabeth Behr-Sigel (1907-2005), qui a certainement été la plus inspirée et inspirante des théologiennes et théologiens orthodoxes sur ces questions7, synthétise de manière claire et actuelle cette pleine égalité entre femmes et hommes, qui devrait être une évidence d’anthropologie théologique: Transcendant sans la nier ou l’occulter la différence sexuelle, l’image de Dieu est présente en la femme comme en son partenaire mâle. Le Verbe, en se faisant chair, a assumé pour la sauver, toute l’humanité. L’Église, comme l’ont souligné récemment d’éminents théologiens orthodoxes, est essentiellement une communion – koinônia – de personnes: une communion en Christ par l’Esprit-Saint, qui exclut toute discrimination fondée sur l’appartenance ethnique, le statut social ou le sexe (Ga 3,28). Quant à la diversité des ministères, c’est-à-dire des services, dans l’Église, elle s’articule sur la diversité des charismes: dons accordés par l’Esprit souverain, non à un groupe 6. On se souvient, douze ans avant que les femmes n’obtiennent le droit de vote en République française, du titre tragique d’E. MOUNIER, La femme aussi est une personne, dans Esprit 45 (juin 1936) 291-297. Il plaide vigoureusement pour une prise de conscience de la pleine égalité des femmes et des hommes. Commentant le titre de son article, Mounier commence par ces mots: «Aussi. Tout lecteur, j’espère, déchirant la bande de ce numéro, aura ressenti une gêne, voire un outrage de cet adverbe qui alourdit une formule légère de promesse» (p. 291). Il poursuit en redéfinissant la soumission dans une perspective de liberté et non d’aliénation: «Elles [les petites filles] sont installées dans la soumission, non pas cette soumission qui peut couronner, au-delà de la personne, le don de soi par un être libre, mais celle qui est en dessous de la personne, renoncement anticipé à sa vocation spirituelle» (p. 293); et en interrogeant la pertinence des notions de natures féminine et masculine: «Qui parle de mystère masculin? Elles [les jeunes femmes], elles sont des errantes. Elles errent en elles-mêmes, à la recherche d’elles ne savent quelle nature. Elles tournent autour de la cité dont les portes leur sont closes» (p. 293). Enfin, quand il écrit: «Le personnalisme, qui ne mesure point l’importance d’une cause au tapage qu’elle déchaîne sur la place publique, se doit de proclamer que la situation moyenne de la femme est aujourd’hui, avec celui de la misère sociale et celui du mensonge institutionnel, le principal scandale du régime» (p. 294), l’Église peut se sentir interrogée au moins autant que ne l’était le régime interpellé par Mounier. 7. Voir C. D’ALOISIO, Élisabeth Behr-Sigel. A Father in the Faith, dans Syndesmos News 19 (2006) 1-4. Aujourd’hui encore, il n’y a quasiment aucune publication en théologie orthodoxe sur la question des ordinations de femmes qui ne se réfère à des travaux de Behr-Sigel.
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défini par le sexe, mais à des personnes. Personnes uniques, et en cette unicité mystérieuse irréductible à quelque stéréotype culturel du masculin et du féminin8.
Ce n’est donc pas le problème de misogynie qu’il convient de considérer ici, mais la seconde question, celle de l’éventualité d’ordonner à certains ministères dans l’Église locale des femmes – des femmes et non les femmes, car il ne s’agit pas de les ordonner toutes, mais de considérer l’ordination de quelques-unes d’entre elles, à l’image de leurs «partenaires mâles», selon l’expression de Behr-Sigel ci-dessus –, après élection ecclésiale9. II. LE DIACONAT
FÉMININ DANS LA DIVERSITÉ DES MINISTÈRES
Or, à ce propos, une remarque s’impose. La primitive Église connaissait une grande diversité de ministères particuliers; chacun faisait l’objet d’un établissement ad hoc10. L’établissement dans le ministère, de manière générale, avait lieu en trois temps: l’élection, l’ordination (au sens d’une imposition des mains pour conférer au candidat des charismes spirituels adéquats) et la prise de fonction en assemblée11. Aujourd’hui, on est contraint d’admettre que les ministères sont peu diversifiés: alors que tout service d’Église est réputé important et authentiquement spirituel, la pratique ecclésiale la plus courante considère que certains ministères ne valent pas un établissement approprié (les fonctions présumées mineures dans la liturgie, les fonctions enseignantes, les fonctions d’intendance et d’administration, etc.), alors que l’établissement dans d’autres ministères est ritualisé 8. É. BEHR-SIGEL, L’Ordination de femmes – Une question posée aussi aux Églises orthodoxes, dans EAD. – K. WARE, L’Ordination de femmes dans l’Église orthodoxe, Paris, Cerf, 1998, 17-50, p. 42. 9. Je n’aborde pas ici cet énorme défi actuel en théologie orthodoxe des ministères qu’est la problématique de l’élection des quelques-uns préposés à des offices particuliers. À elle seule, cette question mérite une longue étude. 10. Le premier des ministères, auquel tous les fidèles sont appelés, est celui du laïcat, dans lequel on entre par l’initiation chrétienne – baptême-chrismation-communion –, qui correspond au sacerdoce royal et prophétique commun à tous les membres de l’Église. Chez les théologiens orthodoxes, cet important chapitre de l’ecclésiologie a été particulièrement mis en valeur par Nicolas Afanassieff. Voir notamment ses œuvres N. AFANAS’EV, Sluzhenie mirjan v Cerkvi [Le ministère des laïcs dans l’Église], Paris, Bureau de pédagogie religieuse auprès de l’Institut de théologie orthodoxe, 1955 (en russe); ID., The Ministry of the Laity in the Church, dans The Ecumenical Review 10 (1958) 255-263; ID., L’Église du Saint-Esprit (Cogitatio fidei, 83), Paris, Cerf, 1975, pp. 35-121. Pour une étude approfondie de la théologie d’Afanassieff, voir C. D’ALOISIO, Institutions ecclésiales et ministères chez Nicolas Afanassieff (Religio), Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2020 (en cour de parution). 11. Voir, par exemple, N. AFANAS’EV, Jekkleziologija – Vstuplenie v klir [Ecclésiologie – L’entrée dans la cléricature], Paris, Voda Zhivaja, 1968, pp. 12-14 (en russe).
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presque à outrance (diaconat, presbytérat, épiscopat)12. C’est pourquoi l’immense majorité des fidèles réduisent souvent leur idée des ministères au seul qu’ils rencontrent, le presbytérat. Le renouveau de la diversité des ministères dans l’Église locale est, à lui seul, un sujet d’énorme intérêt ecclésiologique. Par conséquent, la question à examiner en premier lieu en lien avec d’éventuelles ordinations de femmes est bien celle de leur ordination au ministère presbytéral. Par extension, la question de l’ordination au presbytérat se prolonge évidemment à l’épiscopat, en raison du caractère pastoral de ces deux ministères, de leur connexité et de la concentration de pouvoirs que l’on observe chez les ministres de rang épiscopal. Ordonner des femmes pour des ministères que, même lorsqu’ils sont exercés par des hommes, même célibataires13, la pratique de la majorité des Églises dévalorise pourrait être interprété comme une manière de contourner la question des ordinations féminines. Pourtant, dans les dernières décennies, on remarque que la question des ordinations de femmes a été traitée essentiellement sous cet angle: c’est principalement en relation avec le diaconat féminin que des théologiens orthodoxes ont abordé les ministères de femmes. Peut-être peut-on comprendre cela comme une première étape dans la prise en compte de la question des ordinations de femmes, car la restauration du diaconat féminin est, sans nul doute, moins sujette à polémique que les ordinations de femmes. Parmi les théologiens orthodoxes à avoir abordé la restauration d’un diaconat féminin, le précurseur a été Evangelos Théodorou. Dès 194914, au travers d’une étude à la fois historique et ecclésiologique, il a plaidé pour la réactivation de cet ancien ministère qui, en Orient, a existé depuis les temps apostoliques jusqu’au XIIe siècle et que la tradition canonique orthodoxe n’a jamais aboli15. Dans la foulée des nombreux 12. Sans parler de l’extrême ritualisation des distinctions honorifiques relatives à ces trois ministères. Voir à ce propos C. D’ALOISIO, Point de vue ecclésiologique et pastoral sur les titulatures cléricales et les distinctions honorifiques, dans A. LOSSKY – G. SEKULOVSKI – T. POTT (éds), Liturgie et religiosité – 64e Semaine d’études liturgiques – Paris, Institut Saint-Serge, 26–29 juin 2017 (Studia Oecumenica Friburgensia, 86), Münster, Aschendorff, 2018, 343-352. 13. Car, même dans l’Église orthodoxe et quoique cela soit infondé en théologie, les clercs célibataires disposent souvent d’une préséance sur leurs confrères mariés. 14. Pour une bonne synthèse de sa proposition, voir E. THEODOROU, L’institution des diaconesses dans l’Église orthodoxe et la possibilité de sa rénovation, dans Contacts 146 (1989) 124-144. 15. De timides expériences avaient eu lieu longtemps avant la consultation de Rhodes en 1988 sur «La place de la femme dans l’Église orthodoxe et la question de l’ordination de femmes» et peu après: en effet, saint Nectaire d’Égine (1846-1920), lorsqu’il se trouvait responsable d’une communauté monastique sur cette île grecque, aurait procédé à des
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travaux de Théodorou, d’autres théologiens ont consacré des publications à ce propos16, si bien que, en 1988, une consultation ad hoc s’est tenue à Rhodes (Grèce), rassemblant des délégués officiels de l’ensemble des Églises orthodoxes, sur «La place de la femme dans l’Église orthodoxe et la question de l’ordination de femmes»17. Les délégués des Églises patriarcales, autocéphales et autonomes18 – c’est devenu tellement rare que cela vaut la peine de le souligner – ont réussi à s’accorder sur le principe de la restauration du ministère de diaconesse. Néanmoins, l’accord de tous les orthodoxes pour restaurer le diaconat féminin est longtemps resté lettre morte. On peut certainement conjecturer que le substrat ecclésial, généralement très conservateur dans les Églises orthodoxes19, n’a pas encouragé les évêques ouverts à cette option à mettre cet accord en pratique; mais, surtout, il faut dire que personne ne savait, et aucun accord général n’existe d’ailleurs à ce propos jusqu’à ce jour, en quoi consiste précisément le ministère des diaconesses20. Le profil de ordinations diaconales féminines de deux moniales; l’archevêque Christodoulos d’Athènes (1939-2008), lorsqu’il était métropolite de Démétrias (Volos), a procédé à des ordinations diaconales d’abbesses de monastère. 16. Il faut remarquer que, si l’on en juge par le volume des publications scientifiques, la réflexion théologique sur les questions d’ordination de femmes préoccupe davantage les communautés hellénophones et américaines de l’orthodoxie que les Églises d’autres sphères culturelles. 17. Pour les actes de cette réunion, voir G. LIMOURIS (éd.), The Place of the Woman in the Orthodox Church and the Question of the Ordination of Women – Interorthodox Symposium, Rhodos, Greece – 30 October-7 November 1988, Kateríni, Ecumenical Patriarchate – Tertios, 1992. 18. À cette époque, les Églises orthodoxes autonomes étaient encore invitées à part entière comme Églises régionales lors des réunions inter-orthodoxes, en particulier dans les étapes qui devaient mener à la tenue du Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe, qui a finalement eu lieu en 2016, mais qui n’est pas actuellement reconnu par l’ensemble des Églises orthodoxes régionales. À partir de 2009, les Églises autonomes n’ont plus été invitées comme telles aux rencontres inter-orthodoxes. Pour un commentaire de cette question, voir C. D’ALOISIO, À propos du concile général de l’Église orthodoxe, dans Le Messager Orthodoxe 157 (2014) 4-25 et ID., Authenticité et autorité du futur concile général de l’Église orthodoxe, dans A. JOIN-LAMBERT – A. LIÉGEOIS – C. CHEVALIER (éds), Autorité et pouvoir dans l’agir pastoral, Namur, Lumen Vitae; Paris, Éditions jésuites, 2016, 337-351. 19. Il est important de remarquer que la consultation de 1988 à Rhodes coïncide avec la fin des régimes communistes d’Europe de l’Est: si l’on ne peut que se réjouir de la liberté qu’ont trouvées les sociétés d’Europe orientale à cette occasion, on ne peut ignorer que le renouveau des Églises orthodoxes dans ces régions s’est traduit, sur le plan pastoral, par un regain de nationalisme, de conservatisme moral et de misogynie. 20. Les tâches qu’accomplissait une diaconesse, dans le christianisme ancien, consistaient principalement dans l’assistance aux fidèles féminines, notamment, dans le cadre liturgique, pour procéder aux onctions (l’usage oriental connaît une onction baptismale, mais aussi des onctions pour les malades) et, au-delà des temps rituels et comme les diacres masculins, pour apporter la communion aux malades et coordonner l’action caritative de l’Église.
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fonction diffère d’un auteur à l’autre21. Il a fallu attendre 2004 pour que l’Église autocéphale de Grèce, qui n’est pas réputée pour son ouverture à la nouveauté – mais le diaconat féminin est une antique institution! –, adopte une décision conciliaire autorisant les évêques diocésains à procéder aux ordinations diaconales de femmes. Pour certains, cependant, cette avancée n’en est pas vraiment une, tellement le nouveau ministère est restreint dans ses possibilités d’action. En effet, dans le cadre de l’Église autocéphale de Grèce, le diaconat féminin est limité aux abbesses, pour un exercice au sein de leur monastère, et il est précisé que la «consécration» [καθοσίωσις] diaconale féminine ne correspond pas à un degré de sacerdoce [βαθμὸς ἱερωσύνης]. Cette décision, à la fois trop floue et trop précise, dénote la grande disparité d’opinions qui a dû être observée au moment de la prise de décision lors du concile de cette Église autocéphale en octobre 200422. De son côté, le patriarcat d’Alexandrie et de toute l’Afrique a également décidé, en 2016, de restaurer le ministère diaconal féminin23. Beaucoup ont salué cette avancée24. Les fonctions que ce patriarcat semble vouloir recouvrir par cette ordination sont essentiellement kérygmatiques et catéchétiques. Comme dans le cas de l’Église de Grèce, on ne dispose que de peu de renseignements sur la mise en pratique de ces dispositions synodales. Il est probable que la promotion d’une restauration du diaconat féminin représente l’alliance objective, au sein de l’Église orthodoxe, de deux tendances: celle qui envisage le diaconat comme une première étape vers l’accession de femmes aux ministères pastoraux et celle qui envisage le diaconat comme l’ultime aboutissement du cheminement de femmes dans la cléricature. III. MINISTÈRES PASTORAUX FÉMININS La véritable question revient donc à interroger les raisons qui ont présidé à l’exclusion des femmes de tout ministère pastoral au sein des Églises. 21. À vrai dire, on notera que le diaconat masculin, lui aussi, se trouve être un ministère ecclésial en crise, depuis de longs siècles, dont les fonctions ne sont pas définies de manière très claire au plan pratique. Dès lors, on peut difficilement s’étonner de la désuétude dans laquelle est tombé le diaconat féminin et de l’hésitation quant aux fonctions qui peuvent lui être attachées aujourd’hui. 22. Voir http://www.ecclesia.gr/greek/holysynod/deltia_typou/2004-10-8_2.html; voir aussi Service orthodoxe de presse 292 (novembre 2004) 8-10. 23. Voir http://www.patriarchateofalexandria.com/index.php?module=news&action=details&id=1207. 24. Voir, par exemple, C.F. FROST, Women Deacons in Africa; Not in America, dans Public Orthodoxy (2 mars 2017), https://publicorthodoxy.org/2017/03/02/alexandria-deaconesses/.
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Dans toutes les traditions théologiques, d’innombrables études ont été publiées sur le sujet; il serait présomptueux de vouloir les synthétiser en quelques paragraphes. Je me bornerai à énoncer les principales catégories d’arguments d’ordre ecclésiologique et anthropologique que l’on peut trouver dans les études actuelles de théologie orthodoxe. On peut rappeler que le pastorat consiste dans une multitude de tâches que la théologie des ministères classe souvent, selon une typologie ternaire, en fonctions royales, sacerdotales et prophétiques. 1. Femmes déjà en charge pastorale Avant d’aborder les arguments eux-mêmes, il faut souligner que, dans certaines Églises qui pratiquent l’ordination de femmes au pastorat, ce ministère recouvre des fonctions qui, dans d’autres Églises, peuvent aussi être assumées par des femmes (et des hommes), quoique sans ordination ad hoc. C’est le cas, par exemple, pour les tâches de prédication liturgique et extra-liturgique, ainsi que d’accompagnement pastoral des fidèles assumées par des pasteures dans les Églises réformées et que peuvent accomplir des femmes dans les Églises catholique et orthodoxe. Ces dévolutions de tâches sans ordination adéquate posent problème aux plans ecclésiologique et pastoral, car elles nient les étapes essentielles de l’établissement d’une personne dans un ministère particulier que sont l’élection au ministère et la collation liturgique des charismes adéquats. Or, objectiver le processus d’élection à un ministère, inviter l’Église entière à invoquer l’Esprit Saint pour la collation des charismes à l’impétrant, puis installer la personne dans ses charges concrètes sont des éléments qui, notamment, montrent la confiance dans l’efficacité de l’épiclèse communautaire pour obtenir de Dieu les dons nécessaires aux fonctions ministérielles visées, augmentent la transparence du fonctionnement de l’organisme ecclésial et rendent l’exercice du ministère opposable. Une première étape dans l’ordination de femmes aux ministères pastoraux – presbytérat et épiscopat – consisterait à simplement procéder à une sorte d’ordination partielle, à savoir à un établissement explicite uniquement dans les charges pastorales que des femmes (et des hommes!) exercent déjà réellement, en trouvant une nomenclature appropriée pour ces ministères25. Cet établissement pourrait avoir lieu de manière ternaire, 25. En s’inspirant des énumérations de ministères chez saint Paul, on pourrait instituer, pour les fonctions qui touchent à l’administration, des cybernètes et, pour les fonctions qui ont trait à l’enseignement, des didascales. Ces deux appellations présentent l’avantage d’être des termes épicènes, ce qui permettrait, du moins en français, d’utiliser la même titulature pour les ministres féminins et masculins.
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à savoir par l’élection publique26, puis la collation des charismes par une ordination (imposition des mains) liturgique et, enfin, par l’installation publique de la ministre dans ses charges pastorales. Dans cet ordre d’idées, dans les conclusions de la consultation de Rhodes de 1988 sur «la place de la femme dans l’Église orthodoxe et la question de l’ordination de femmes», sont énumérées des tâches qui, d’ores et déjà, concernent des femmes dans la pratique: Parmi ces tâches, nous pouvons mentionner les suivantes: a/ éducation chrétienne à tous les niveaux, des écoles de l’Église jusqu’à l’enseignement théologique supérieur dans les séminaires; b/ direction spirituelle des couples mariés et des familles, préparation au mariage, préparation au baptême et secours à ceux qui se trouvent en difficulté; c/ administration ecclésiastique, participation aux organes de décision au niveau de la paroisse, du diocèse et de l’Église nationale; d/ service social incluant l’action en faveur des personnes âgées, des hôpitaux, des opprimés et des oubliés; e/ travail en faveur des jeunes; h/ représentation dans différents secteurs du mouvement œcuménique; et i/ publications et communication. Toutes ces tâches doivent être conçues comme diaconie de soutien, comme dimension pastorale complémentaire, en harmonie avec le ministère sacerdotal spécifique du clergé27.
Par ailleurs, il faut remarquer que la fonction de président (προεστώς, προϊστάμενος, ἡγούμενος), à titre ordinaire et non délégué, est déjà éventuellement assumée par des femmes, dans un certain contexte ecclésial, celui des communautés monastiques féminines: la supérieure est désignée comme προεστῶσα ou ἡγουμένη et assume pleinement toutes les charges propres d’un προεστώς ou d’un ἡγούμενος masculin, notamment quant au gouvernement et à l’enseignement. En outre, hormis la présidence de l’eucharistie, elle peut, en l’absence d’officiant presbytéral ou épiscopal, présider les offices liturgiques. 26. Il faut rappeler que, théologiquement, l’élection à un ministère ecclésial constitue un exercice de discernement de la volonté de Dieu pour son Église, qui requiert ascèse de tout le corps ecclésial pour se mettre à l’écoute de l’Esprit Saint. Même lorsque l’élection a lieu par la voie d’un vote, il convient que le scrutin ne soit pas l’aboutissement d’une campagne électorale comparable aux primaires fratricides des partis politiques. 27. Paragraphe 29 de La place de la femme dans l’Église orthodoxe et la question de l’ordination des femmes – Conclusions du Congrès théologique interorthodoxe (Rhodes, 30 octobre – 7 novembre 1988), dans Contacts 146 (1989) 94-108, p. 104. Sur les circonstances de la rédaction de ces conclusions qui sont le fruit d’un compromis entre des sensibilités distinctes, voir É. BEHR-SIGEL, La consultation interorthodoxe de Rhodes (30 octobre – 7 novembre 1988) – Présentation et essai d’évaluation, ibid., 81-93, pp. 85-86.
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Quant à elle, l’épouse de prêtre est appelée πρεσβυτέρα28, qui est le substantif féminin de prêtre (presbytre); dans la communauté paroissiale où sert son mari, la presvytera est généralement un personnage considérable, assez voire très présent dans la résolution de questions pastorales. Dans certaines régions, il n’est pas rare que les paroissiens lui fassent avec déférence le baise-main, comme à son mari29. Ces usages témoignent d’un certain partage de charge pastorale avec le mari prêtre. En définitive, sans que cela ne soit explicité, la pratique des Églises orthodoxes prête déjà à des femmes des tâches que la typologie classique fait relever des fonctions royales (tâches de gouvernement ecclésial) et prophétiques (tâches d’enseignement). Il ne manque que l’élection publique30, puis la collation des charismes correspondants. 2. Logique genrée et ordre naturel Cette première mesure partielle d’ordination de femmes dans des ministères qu’elles exercent déjà, qu’on aurait mauvais goût de nier puisqu’elle ne ferait que rendre publique une pratique consensuelle déjà existante et demander à Dieu de bénir ce qui se pratique déjà, induirait naturellement une interrogation, plus fondamentale, sur la pertinence d’adopter une logique genrée pour étudier les ministères ecclésiaux, en particulier le pastorat31. Que la théologie sur l’Église et sur l’homme exige la différenciation radicale des sexes pour définir les fonctions ecclésiales n’est pas une 28. Dans d’autres langues où l’orthodoxie est culturellement enracinée depuis longtemps, on trouve des titres équivalents – khouria en arabe, matushka en russe, preoteasă en roumain, etc. – qui sont l’équivalent masculin du titre presbytéral de leur mari – respectivement khoury, batjushka, preot –, et l’épouse d’un diacre, en grec, s’appelle διακόνισσα (féminin de διάκονος). 29. À proprement parler, lorsque les laïcs et les diacres embrassent la main d’un prêtre ou d’un évêque orthodoxe, il ne s’agit pas d’un baise-main, mais de la suite d’une demande de bénédiction: le fidèle ayant demandé la bénédiction, le pasteur y répond normalement en figurant de la main, par le croisement du pouce et de l’annulaire, les quatre lettres de l’alphabet grec «IC XC» pour Ἰησοῦς Χριστός. Le fidèle embrasse donc ainsi l’initiale et la finale de ces deux mots, comme une sorte d’icône verbale du nom de Jésus-Christ. Toutefois, dans la conscience populaire, cette signification symbolique de la demande de bénédiction est souvent omise, et le baise-main est devenu une marque de respect et parfois, hélas! de servilité, ce qui devrait inciter à une remise en question de cette pratique, à la lumière des réalités et enjeux pastoraux. 30. Cependant, il ne faut pas omettre que cette étape fait également défaut dans le cas de la plupart des ordinations d’hommes. 31. La théologienne grecque Spyridoula Athanasopoulou-Kypriou plaide vigoureusement pour un dépassement de la logique genrée et pour l’acceptation de ne plus faire dépendre l’assomption de charges pastorales du sexe du candidat ou de la candidate: S. ATHANASOPOULOUKYPRIOU, Women’s Ordination and the Eschatological Body. Towards an Orthodox Anthropology beyond Sexual Difference, dans P. VASSILIADIS – N. PAPAGEORGIOU – E. KASSELOURIHATZIVASSILIADI (éds), Deaconesses, the Ordination of Women and Orthodox Theology, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2017, 221-230. Voir aussi EAD.,
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évidence, tout comme ne l’est pas la référence à la masculinité – indéniable – de Jésus-Christ comme prototype du prêtre32. Ce sont là les principaux arguments que l’on retrouve chez les théologiens orthodoxes opposés à l’ordination de femmes aux ministères pastoraux. Selon ces objections, la logique genrée de la différenciation sexuelle structurerait l’ordre naturel. Les adversaires de l’ordination pastorale de femmes rappellent que, en Jésus-Christ, selon Paul, il n’y a certes plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni mâle ni femelle33, mais, contrairement aux deux premières oppositions – l’opposition ethnique (juif/grec) et l’opposition des statuts sociaux (esclave/homme libre) –, la différenciation sexuelle serait antérieure à la Chute et ne serait donc pas sujette à quelque restauration ou dépassement par la Résurrection. Outre le fait que la lecture historique du récit de la Chute ne résiste pas à un examen exégétique avisé, ce qui remet en question la notion d’antériorité de la distinction sexuelle sur les distinctions ethniques ou sociales, il faut remarquer que, comme on le sait concernant le diaconat féminin, l’Église n’a jamais admis l’exclusion totale de femmes de certains ministères. On voit mal pourquoi cet argument vaudrait spécifiquement pour les ministères pastoraux, alors que, du Ier au XIIe siècles, des diaconesses ont été régulièrement ordonnées. Pour la théologie, la logique de l’ordre naturel qui articulerait le féminin au masculin, irréfutable au plan historique en raison de la prédominance patriarcale dans toutes les régions où le christianisme est implanté (tout comme dans quasiment toutes les régions du monde), peut être, au mieux, qualifiée de théologoumène, voire même être considérée comme une assertion péremptoire. Il n’est pas possible de suivre, par exemple, Paul Evdokimov, quand il affirme que «le masculin est en rapport ontique avec le Verbe et le féminin est en rapport ontique avec l’Esprit Saint»34, ou encore que «dans les dominantes de son être, le masculin est christophore, le féminin est pneumatophore»35. On ne peut pas être d’accord avec Evdokimov à ce sujet, car, tant selon l’enseignement néotestamentaire que The Eschatological Body. Constructing Christian Orthodox Anthropology beyond Sexual Ideology, dans Journal of Eastern Christian Studies 69 (2017) 323-332. 32. Dans ses travaux, Maria Gwyn McDowell critique, notamment, l’outrance des métaphores dans la description des ministères dans la liturgie byzantine, elle-même tellement emprunte de symboles. Voir, par exemple, M.G. MCDOWELL, Seeing Gender. Orthodox Liturgy, Orthodox Personhood, dans Journal of the Society of Christian Ethics 33 (2013) 7392. Pour McDowell, le caractère anticipatif de la liturgie ne l’exempte pas des contingences historiques ni de la faiblesse de la communauté à devenir ce à quoi elle est appelée (p. 79). 33. Voir Ga 3,28. 34. P. EVDOKIMOV, La femme et le salut du monde – Étude d’Anthropologie chrétienne sur les charismes de la femme, Tournai – Paris, Casterman, 1958, p. 26. 35. Ibid., p. 257.
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patristique36, christophorèse tout comme pneumatophorèse sont un seul chemin de sanctification sur lequel tous sont appelés, hommes et femmes. Si ces formulations peuvent charmer certains par leur poésie, – ce qui tranche avec beaucoup de théologiens orthodoxes qui n’ajoutent pas cette charge poétique à leurs spéculations –, elles ne se fondent cependant pas sur quelque argument théologique, mais sur une taxinomie anthropologique aujourd’hui datée: Si l’homme se prolonge dans le monde par l’outil, la femme le fait par le don de soi. Dans son être, elle est liée aux rythmes de la nature, accordée à l’ordre qui régit l’univers. C’est par ce don que toute femme est virtuellement mère et porte au fond de son âme le trésor du monde […]. La femme pourrait accumuler des valeurs intellectuelles, mais ces valeurs ne donnent pas la joie. La femme intellectualisée à outrance à l’égale de l’homme et constructrice du monde se verra dépouillée de son essence, car c’est la féminité comme manière d’être et mode d’existence irremplaçable, que la femme est appelée à apporter à la culture. L’homme crée la science, l’art, la philosophie et même la théologie en tant que systèmes, mais ceux-ci aboutissent à une terrible objectivation de la vérité. La femme, heureusement, est là; et elle est prédestinée à devenir porteuse de ces valeurs, le lieu où elles s’incarnent et vivent37.
En d’autres termes, l’homme décide, la femme reçoit les décisions et les met en œuvre. Quelques années avant cette publication d’Evdokimov, Emmanuel Mounier contredisait cette essentialisation de la différence entre les femmes et les hommes: La maternité mise à part, dont d’ailleurs nous connaissons mal les retentissements généraux, nous n’avons aucune connaissance positive des composantes naturelles d’une féminité considérée comme une différenciation spirituelle fondamentale dans l’essence de l’humanité. Il y a des caractères sexuels psychologiques secondaires, qui ne sont que des épiphénomènes de l’individualité biologique. Ce serait une grave erreur de les prendre pour des attributs essentiels; une plus grave erreur pratique serait de croire qu’on développe la vocation spirituelle de la femme en les accentuant38.
Evdokimov représente pourtant une tendance progressiste chez les théologiens, car il cherchait à formuler des choses favorables à l’égard des femmes; il était même en dialogue réel avec la culture qui lui était contemporaine, qu’il connaissait et appréciait. Beaucoup de théologiens orthodoxes ne se sont jamais donné cette peine! Leurs affirmations de subordination 36. Voir par exemple, 1 Co 6,15; Ga 2,20; 3,27; 4,4-7.19; Ph 1,21; Rm 8,14-16; 1 Co 6,19; Ep 2,22. 37. EVDOKIMOV, La femme et le salut du monde (n. 34), pp. 180-181. 38. MOUNIER, La femme aussi est une personne (n. 6), p. 295.
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de la femme ou, plutôt, de la «nature» féminine à la «nature» masculine font référence à des textes patristiques bien connus (notamment chez Tertullien39, Augustin et Épiphane de Salamine) pour montrer que la logique patriarcale des textes bibliques n’est pas circonstancielle, mais qu’elle est un article de la révélation40. Pour sa part, la vision anthropologique d’Evdokimov sur les «charismes de la femme» s’est communiquée comme une référence dans des Églises orthodoxes d’Europe orientale. Beaucoup se réfèrent à lui – pour la bonne raison qu’Evdokimov a produit de significatives études théologiques, notamment dans les domaines de l’anthropologie et de la pneumatologie –, par exemple Chrysostome Constantinidis, qui a été professeur de dogmatique au séminaire théologique du patriarcat œcuménique sur l’île de Chalki jusqu’à la fermeture de celui-ci en 1971, et un important prélat orthodoxe pendant toute sa carrière cléricale. Cet enseignant de premier plan, qui a formé plusieurs générations d’influents hommes d’Église, a prononcé une conférence lors de la consultation de Rhodes de 1988 susmentionnée et dont il était le président. Dans son intervention, intitulée «Sacerdoce et femmes dans une perspective ecclésiologique», il déclare que, bien que l’homme et la femme participent du sacerdoce royal, seul l’homme est porteur du «sacerdoce ordonné», car il représente le témoignage et le sacrifice du Christ incarné. L’homme «pénètre sacramentellement» les éléments du monde afin de «sanctifier et transformer la vie créée et pour renforcer en elle le royaume de Dieu. Il pénètre comme un «membre “violent” ». Les femmes, pour leur part, 39. Pour rappeler de quoi il est question, il faut relire, par exemple, quelques passages où Tertullien considère l’homme masculin comme l’image de Dieu, la mort comme le salaire de la femme, cette «porte du diable»: «Tu enfantes dans les douleurs et les angoisses, femme; tu subis l’attirance de ton mari et il est ton maître. Et tu ignores qu’Ève, c’est toi? Elle vit encore en ce monde, la sentence de Dieu contre ton sexe. Vis donc, il le faut, en accusée. C’est toi la porte du diable; c’est toi qui as brisé le sceau de l’Arbre; c’est toi qui la première as déserté la loi divine; c’est toi qui as circonvenu celui auquel le diable n’a pu s’attaquer; c’est toi qui es venue à bout si aisément de l’homme, l’image de Dieu. C’est ton salaire, la mort, qui a valu la mort même au Fils de Dieu. Et tu as la pensée de couvrir d’ornements tes tuniques de peau?». TERTULLIEN, La toilette des femmes, éd. M. TURCAN (SC, 173), Paris, Cerf, 1971, pp. 43-45. 40. Selon l’ecclésiologue Hervé Legrand, quoique présent dans les Écritures et prolongé dans la tradition ecclésiale ancienne, l’androcentrisme n’est pas une doctrine révélée. Il définit celui-ci comme «cette vision anthropologique, partagée par les théologiens les plus classiques et les plus influents comme s. Augustin et s. Thomas d’Aquin, selon laquelle la femme est relative à l’homme sans que la réciproque soit jamais envisagée, parce que l’homme est vu comme le sexe exemplaire de l’humanité –, anthropologie qui n’est certainement pas révélée». Il renvoie à l’ouvrage fondamental de K.E. BØRRESEN, Subordination et équivalence. Nature et rôle de la femme d’après Augustin et Thomas d’Aquin, Oslo, Universitetsforlaget; Paris, Mame, 1968. Voir H. LEGRAND, Les ministères dans l’Église locale, dans B. LAURET – F. REFOULÉ (éds), Initiation à la pratique de la théologie – Dogmatique 2, t. 3, Paris, Cerf, 1983, 181-285, p. 262.
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agissent selon «leur nature et leur structure ontologique»; elles ne peuvent pas prétendre avoir «l’accès au sacrement des Saints Ordres sans se trahir elles-mêmes et leur nature». «Les exigences de leur nature signifient qu’elles sont appelées à servir le sacerdoce royal en conformité à leurs propres dons et tempérament»41. Dans tout cet article, on cherche vainement des arguments consistants pour étayer cette thèse. Il n’est pas superflu de répéter que ces références sont parmi les plus ouvertes à l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’Église, car elles voient dans les deux sexes deux éléments complémentaires de l’unique nature humaine. Dans d’autres contextes orthodoxes, on en est encore à des schémas de subordination plus rustique. En fait, si la logique de cet «ordre naturel» devait être considérée comme un élément irréfutable de la Révélation, si donc l’homme était l’agent actif de la présence divine, celui qui peut être créatif, qui a la Parole, tandis que la femme était le silencieux et fécond réceptacle de la Grâce, il s’imposerait à la conscience politique des chrétiens séjournant en Occident, dans des sociétés démocratiques, soit de s’exiler vers des fiefs bénis de patriarcalisme où les femmes demeurent solidement soumises à la gent masculine, soit de s’employer, par zèle proprement missionnaire, à la militance anti-égalitaire entre les femmes et les hommes dans les sociétés dont la loi fondamentale postule l’égale dignité de tous les êtres humains. Car c’est bien dans la temporalité de l’histoire que cette égalité s’entend en démocratie, non dans une vie future où le masculin et le féminin seront transcendés42. À ce type d’affirmations, la théologienne protestante France Quéré répond avec verve: C’est merveille de voir les trois monothéismes se défendre d’une misogynie qui fait d’eux, quoi qu’ils disent, des conservatoires d’injustice. Sur ce point, leur œcuménisme ne laisse rien à désirer. Vous dites donc que notre christianisme a apporté la dignité aux femmes? Prudence! Quelle dignité? La plus importante, répondez-vous, celle des êtres devant Dieu. On ne voit pas Dieu 41. C. KONSTANTINIDIS, Priesthood and Women in Ecclesiological Perspective, dans LIMOURIS (éd.), The Place of the Woman in the Orthodox Church (n. 17), 117-132, pp. 130131. 42. En raison de la décision des Églises anglicanes d’ordonner des femmes aux ministères pastoraux, de nombreux prêtres anglicans, avec leurs communautés, ont intégré l’Église orthodoxe, surtout en Grande-Bretagne et aux États-Unis, espérant y trouver l’Église qui serait la plus conservatrice possible en matière de statut des femmes. Cette incorporation de personnes et de communautés – dont la raison d’être dans l’orthodoxie est une négation du questionnement même sur les ordinations de femmes et, plus généralement, sur la logique genrée dans l’Église orthodoxe – s’accompagne généralement d’une atmosphère pastorale moralisatrice et d’une réticence œcuménique a priori envers les communautés issues de la Réforme.
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en face, mais de dos assez souvent, et il l’a bon. La dignité devant Dieu, cela veut dire qu’elles sont philosophiquement valeureuses, théologiquement estimables, exégétiquement méritantes, et qu’au ciel, où du reste ces notions de sexe, obsessionnelles ici-bas, se dissipent dans l’unité d’une harmonie parfaite, elles siègent à la droite du Seigneur. Désormais grâce au christianisme, c’en est fait des discriminations, sauf, il est vrai sur quelques points de détail temporaires qui méritent à peine d’être mentionnés, les honneurs terrestres qui sont du vent, les responsabilités, pesantes et corruptrices, l’autorité qui, m’a confié un vénérable prélat, est la plus humble façon de servir. Pourpre cardinalice et blanc tablier, on ne distingue pas43.
Et selon Quéré, la tradition chrétienne a souvent formulé sa théologie du mépris de la femme en théologie admirative, «par simple transposition de vocabulaire»: On appelle réceptivité la passivité, douceur la faiblesse, et cela donne un ange qui collabore intensément au salut. Je ne crois pas ce discours moins aliénant que l’autre, car il commande encore une nature, un rôle et fige la liberté féminine dans une bien commode humilité!44.
Selon elle, l’attitude de Jésus à l’égard des femmes ne porte jamais à imaginer une discrimination à leur égard. Que les autres personnages de l’Évangile rabaissent les femmes au niveau où les maintenait la société de l’époque, cela va sans dire, mais Jésus ne les rabaissait jamais. De nos jours, Spyridoula Athanasopoulou-Kypriou abonde dans le sens de France Quéré, tout en enrichissant l’argumentation par des références à des études philosophiques contemporaines. Elle insiste sur la nécessité de dépasser l’essentialisme genré pour rendre possible l’expression d’une anthropologie chrétienne enracinée dans une compréhension eschatologique du corps humain45. La tradition liturgique byzantine offre un terrain particulièrement intéressant pour ce type d’exploration: les réalités historiques y sont constamment en dialogue avec l’accomplissement eschatologique de l’humain par la résurrection du Christ. C’est ce qu’exploite Ashley Purpura pour considérer, de manière audacieuse, que l’hymnographie liturgique foisonne de jeux de mots sur le genre, notamment lorsque les textes qualifient les femmes par des attributs masculins46. L’herméneutique de l’héritage liturgique byzantin revêt une importance certaine, quand on sait que, en 43. F. QUÉRÉ, Les femmes de l’Évangile, Paris, Seuil, 1982, p. 168. 44. Ibid., p. 166, n. 1. 45. ATHANASOPOULOU-KYPRIOU, Women’s Ordination and the Eschatological Body (n. 31), pp. 221-230. 46. A. PURPURA, Beyond the Binary. Hymnographic Constructions of Eastern Orthodox Gender Identities, dans The Journal of Religion 97 (2017) 524-546.
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l’absence d’organe universel de magistère dans l’orthodoxie, l’hymnographie constitue un élément considérable dans la formulation de la doctrine de l’Église. 3. Bleu pour Jésus et les garçons, rose pour Marie et les filles Parmi les arguments que l’on rencontre contre l’ordination pastorale de femmes, l’un des plus fréquents, – surtout dans le contexte catholique romain, mais il est souvent adopté par des théologiens orthodoxes –, est celui qui consiste à dire que le prêtre représente le Christ, voire qu’il agit in persona Christi. Jésus était un homme masculin, le prêtre tient la place que tenait Jésus, donc le prêtre doit être un homme masculin. Dans un chapitre où il essaie de rencontrer les préoccupations des théologiens orthodoxes attentifs à la question des ordinations de femmes, Boris Bobrinskoy, parle d’un «caractère iconique de la masculinité du prêtre»47, mais Élisabeth Behr-Sigel répond à cet argument en précisant que le Christ a assumé toute la nature humaine: christologiquement, la descriptibilité de l’icône couvre le masculin et le féminin de l’humain. Selon Behr-Sigel, «insister lourdement sur la masculinité du Christ […], n’est-ce pas tomber dans une forme de nestorianisme, c’est-à-dire nier l’union réelle en Christ du tout de l’homme au tout de Dieu»48? Si Jésus-Christ n’est pas l’archétype de tout être humain, mais si certaines de ses spécificités naturelles humaines le restreignent à un sous-ensemble de l’espère humaine, cela pose de manière nouvelle un problème que les querelles christologiques de la grande période conciliaire, qui court de Nicée I (325) à Nicée II (787), avaient résolu. Pousser plus loin cet argument «iconique» pourrait plaider pour une supériorité hiérarchique de ceux qui ressemblent le plus possible au Jésus historique; je laisse le lecteur imaginer les paramètres de ce type de discriminations (l’âge, l’origine ethnique, la langue parlée, le statut marital, etc.). Ce raisonnement est d’autant plus récusable qu’il mène à confiner le ministère pastoral à une fonction liturgique de type théâtral où l’identité 47. B. BOBRINSKOY, Le Mystère de l’Église. Cours de théologie dogmatique (Théologies), Paris, Cerf, 2003, p. 241. 48. É. BEHR-SIGEL, Discerner les signes du temps (Théologies), Paris, Cerf, 2002, p. 151. Même si la publication de Behr-Sigel ici choisie est antérieure à celle de Bobrinskoy susmentionnée, le débat entre ces deux théologiens, membres actifs de la même communauté paroissiale, était constant, très respectueux et profond. Le livre de Bobrinskoy avait circulé auparavant, sous forme de polycopié de l’Institut de théologie orthodoxe SaintSerge de Paris, où il enseignait, tandis que les arguments de Behr-Sigel étaient régulièrement exprimés par cette théologienne, dans les conférences et les rencontres auxquelles elle participait. J’ai eu l’occasion personnellement de les entendre débattre sur ces questions.
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masculine serait amplifiée par rapport à une identité féminine, comme dans ces conventions de couleurs destinées à distinguer les bébés garçons, en bleu, des bébés filles, en rose. En théologie liturgique, on considère que l’une des proclamations majeures de la liturgie eucharistique est celle de la double temporalité dans laquelle se meut l’Église en Eucharistie: toujours dans le monde historique, l’Église baigne dans une lumière eschatologique de Résurrection. Tout particulièrement dans la liturgie, l’eschatologie est déjà inaugurée; la proclamation apostolique de Ga 3,28 y est déjà actuelle, même si elle n’est pas encore accomplie dans la temporalité historique de la vie sociale. Les femmes, lit-on parfois49, devraient plutôt considérer Marie, la Mère de Dieu, comme leur propre archétype. Cette réflexion est particulièrement contradictoire avec les paroles du Christ dans l’Évangile, notamment lorsqu’il réfute la parole d’une femme de la foule qui proclame heureuse celle qui l’a porté et allaité: «Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent»50! On soulignera d’ailleurs qu’à la formule de béatitude qui lui est proposée par une femme de la foule à l’intention de sa mère, Jésus réplique par une béatitude au masculin («μακάριοι οἱ ἀκούοντες...»). Marie est certes l’instrument d’élection de la grâce divine, qui a, plus que tout autre être humain, écouté et observé la parole de Dieu, mais, à sa suite, c’est à la même écoute et à la même observation que tous sont appelés, hommes et femmes. Devenir théotokoi par la grâce est une commune vocation des chrétiens féminins comme masculins. Saint Syméon le Nouveau Théologien résume cela: Bienheureux qui a vu formée en lui la lumière du monde, car, ayant en lui le Christ comme un embryon, il sera pris pour sa mère, comme l’a promis celui-là même qui ne ment pas: «Ma mère, mes frères, mes amis, les voici!» Qui? «Ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’accomplissent»51.
Cette inhabitation du Christ en chaque fidèle, homme ou femme, est le sens qu’on peut également donner aux paroles de saint Paul en Ga 4,4-7 et 4,19. 4. Tradition historique et racines eschatologiques Parmi les arguments qui reviennent constamment dans les considérations sur l’éventualité d’ordonner des femmes au ministère pastoral, le plus 49. Chez EVDOKIMOV, voir La femme et le salut du monde (n. 34), pp. 207-221. 50. Lc 11,27-28. 51. SYMÉON LE NOUVEAU THÉOLOGIEN, Traités théologiques et éthiques, éd. J. DARROUZÈS, t. 2 (SC, 129), Paris, Cerf, 1967, p. 321.
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habituel est celui de l’inertie du corps ecclésial: ce qui ne s’est jamais pratiqué n’a pas à l’être. On ne peut néanmoins pas exclure que l’absence, dans l’histoire, d’ordinations pastorales de femmes est d’ordre conjoncturel. De la même manière qu’on n’a pas été dans la situation de s’interroger sur l’opportunité de célébrer l’eucharistie avec d’autres espèces que du pain et du vin – sauf peut-être dans des circonstances exceptionnelles, comme celles de l’univers concentrationnaire du XXe siècle –, ainsi ne s’est-on jamais trouvé, dans le contexte orthodoxe du moins, dans une situation telle qu’on doive trancher urgemment la question d’ordonner des femmes à des ministères pastoraux. Cet argument peut être utilisé a contrario: s’il n’y a pas de nécessité objective de considérer cette question, pourquoi donc se la poser? Si la promotion de l’idée d’ordinations féminines prenait la forme d’un acharnement polémique, cela poserait problème. En effet, on peut être déterminé, pour ce qui est essentiel, à aller jusqu’au martyre pour témoigner de la foi en la résurrection, au sens noble de cette manifestation de foi dans les premiers siècles de notre ère, mais la promotion d’ordinations féminines ne peut pas se substituer à l’essentiel de la foi et devenir une idéologie égalitaire; car la finalité de la vie chrétienne n’est pas dans l’exercice d’un ministère pastoral, mais dans la déification, qui n’est pas moins accessible aux pasteurs qu’à tous autres ministres ecclésiaux et, bien entendu, aux laïcs. Cette remarque étant faite, l’on peut noter que, dans les sociétés occidentales du XXIe siècle, le rôle des femmes dans la société ayant connu une évolution vers l’accession virtuelle à toutes les fonctions dans la société, la question des ordinations de femmes, dorénavant, se pose et doit être considérée comme pertinente et même urgente. Alors que, dans les sociétés contemporaines, des femmes peuvent accéder, du moins en théorie, à toutes les fonctions civiles ou militaires52, la discussion théologique sur la virtualité d’élire des femmes aux ministères pastoraux n’a pas encore eu lieu dans toutes les familles d’Églises. Seules les Églises issues de la Réforme et les Églises de la communion anglicane ont connu, quoique récemment à l’échelle de l’histoire, des délibérations et des décisions à ce propos. Comme Élisabeth Behr-Sigel, on peut penser que, par le fait même qu’elle est en dialogue ecclésial avec les Églises issues de la Réforme, l’orthodoxie reconnaît un certain caractère 52. Néanmoins, il n’est pas superflu de souligner qu’avant le 27 octobre 2019, la Belgique n’a jamais connu ni chef d’État ni chef de gouvernement qui fût une femme; à propos de la fonction royale, la loi salique n’a d’ailleurs été abolie qu’en 1991. En France, la présidence de la république n’a encore jamais échu à une femme et la fonction de Premier ministre n’a été assumée par une femme qu’à une seule occasion et pendant moins d’un an.
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ministériel aux ordinations pastorales du protestantisme53. Pareille discussion aura lieu, tôt ou tard, dans toutes les Églises, tant quant à la virtualité d’élection qu’à l’opportunité circonstancielle de l’élection. Il y a lieu de distinguer ces deux questions. La discussion théologique qui, au cours des dernières décennies, s’est ouverte sur le statut des femmes dans l’Église et leur éventuelle accession à des ministères particuliers dans toutes les traditions chrétiennes, s’étend chaque jour davantage, même aux communautés les plus culturellement réticentes à l’envisager. Cela produit un effet indéniable: ce qui était hors de question commence à faire débat. Et l’on peut conjecturer que le débat se poursuivra et que les critères sous-jacents à la discussion deviendront toujours plus théologiques. Les réticences exprimées tournent généralement autour de l’épouvante que suscite dans les lieux ecclésiaux de décision la crainte du schisme. Il faut, en effet, reconnaître que les chrétiens, assez œcuméniquement, maîtrisent la méthodologie de la division des communautés, mais le mouvement inverse, celui du retour à l’unité, est historiquement très faible. On conviendra donc que la précaution devant ce qui pourrait entamer les fragiles éléments d’unité de l’Église orthodoxe représente une considération louable de théologie pratique. Cependant, la sainte crainte du schisme éventuel ne doit pas occulter un autre schisme, interne aux communautés respectives, à savoir la sortie de la communion ecclésiale des membres que le patriarcalisme insupporte existentiellement. En Occident, notamment, il est extrêmement difficile, surtout pour les jeunes générations, de se soustraire à la conscience foncière de l’égalité des femmes et des hommes en dignité. Au demeurant, cette égalité ou, plutôt, cette unité correspond à la visée eschatologique proclamée par Paul en Ga 3,28. En constatant que l’administration ecclésiale et l’enseignement, domaines où des femmes pourraient d’ores et déjà déployer des charismes spirituels dont elles sont pourvues, échéent exclusivement à des hommes masculins, des chrétiens perdent confiance dans le fonctionnement de l’Église et, tout simplement, cessent de la fréquenter. Pour certains fidèles, il est devenu intenable que l’image des organes de décision dans l’Église soit uniquement celle d’assemblées de barbes (et de barbes blanches). 53. La théologienne orthodoxe Élisabeth Behr-Sigel (1907-2005) était encore protestante au moment de ses études à Strasbourg. Elle a d’abord étudié la philosophie en raison du fait que les femmes étaient exclues des études de théologie. Quand ses études en philosophie ont été accomplies, la faculté de théologie protestante avait ouvert l’accès aux étudiantes, ce qui a permis à Élisabeth Sigel d’y étudier la théologie et même d’assurer un ministère pastoral. Cependant, à son mariage, elle a dû cesser le ministère, car, même admise aux études en théologie et, ensuite, à des fonctions pastorales, une femme mariée ne pouvait pas se maintenir en fonction.
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L’autre argument pratique récurremment énoncé à l’encontre des ordinations pastorales féminines consiste à dire que ce n’est pas la pénurie de candidats à l’ordination presbytérale, circonstance peut-être purement passagère, qui doit motiver un acte ecclésial qui se veut positif. L’Église ne doit pas répondre à sa propre difficulté circonstancielle historique par une mesure qui serait d’ordre palliatif. Cependant, il faut noter que l’Église est aussi un organisme qui, dans son cheminement historique, est appelé à chercher constamment à devenir davantage lui-même, eu égard au fait que ses racines sont dans l’eschaton, non dans le passé. L’anthropologie chrétienne la plus fondamentale est bien en Ga 3,28 et non en 1 Co 11,3-1054. Les arguments en faveur de l’ordination de femmes aux ministères pastoraux sont plus rarement explicités que les arguments défavorables à cette éventuelle nouvelle pratique. Toutefois, l’urgence du témoignage de l’Évangile et de sa proclamation de l’égale dignité de tous les êtres humains plaide en faveur de mesures impérieuses de prise en compte de cette absence d’arguments contraires. C’est bien pour cela qu’une feuille de route devrait être établie: dés-uniformisation des pratiques ecclésiales régionales, puis élection-ordination-installation de ministres pastoraux sans discrimination de genre. En effet, l’histoire du christianisme montre que la réponse ecclésiale à certaines questions est parfois étonnante. Par exemple, le christianisme primitif a dû composer avec le fait social de l’esclavage et ne baptiser et donc n’ordonner les esclaves qu’avec l’assentiment de leurs maîtres, allant parfois jusqu’à racheter l’esclave à ses anciens maîtres pour le faire entrer dans la fraternité chrétienne55. On peut supposer que l’une des raisons qui ont présidé à cette économie au sujet de l’éventuelle ordination pastorale des esclaves tient au fait qu’un pasteur doit pouvoir être libre d’assumer des fonctions de direction au sein de la communauté qu’il sert, et que cette condition, par définition même de leur statut social, n’était pas remplie dans le cas des esclaves. Ordonner un esclave à une fonction dirigeante, n’était-ce pas donner à son maître la haute main sur l’administration ecclésiale? Quelques siècles plus tard, devant les abus autoritaires de certains empereurs, l’Église d’Orient a restreint l’élection épiscopale aux candidats de rang monastique56. Cette prescription canonique, réaction du corps 54. Comme en attestent d’ailleurs les versets suivants, en 1 Co 11,11-12. 55. On peut trouver des considérations sur cette question notamment chez Nicolas Afanassieff, dans N. AFANAS’EV, Vstuplenie v Cerkov’ [L’entrée dans l’Église], Moscou, «Palomnik» Centr po izucheniju religij, 1993, pp. 18-34 (en russe). 56. Littéralement, le canon ne prescrit pas cela: il enjoint celui qui a été élu et ordonné évêque à ne plus cohabiter avec son épouse, mais à l’envoyer continuer sa vie dans un monastère. C’est la pratique qui a voulu que, dès lors, on en arrive à restreindre l’élection épiscopale aux moines. Voir canon 12 du concile œcuménique quinisexte in
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catholique ecclésial à l’intervention indue du pouvoir d’État dans son fonctionnement, visait sûrement à garantir que les évêques fussent pauvres et dépourvus d’attaches mondaines, comme il sied normalement aux moines. Les hommes mariés, responsables de la subsistance de leur famille et donc tributaires de la volonté impériale, ne pouvaient pas résister à l’autoritarisme avec autant de ferveur qu’un Maxime le Confesseur ou un Théodore Stoudite. Toujours en vigueur actuellement, la restriction des élections épiscopales aux moines aurait tout lieu d’être réévaluée57, ainsi que la prise d’habit des prêtres-moines qui ne s’accompagne pas d’une vie monastique réelle – qui devrait être caractérisée par l’obéissance à un père spirituel de la communauté monastique, l’expérience de pauvreté par la non-possession et l’abstinence totale de relations conjugales –, mais qui est purement nominale58. Sans aucun doute, la question des ordinations de femmes relève-t-elle d’une dynamique similaire: toutes les sociétés humaines dans lesquelles l’Église a séjourné dans l’histoire étaient et, dans une certaine mesure, demeurent foncièrement patriarcales. Les sociétés agricoles, dans lesquelles la notion de pater familias laissait peu de place à la liberté sociale des autres personnes de la maison, ne pouvaient pas même laisser germer la question des ordinations de femmes, pas plus qu’à l’époque de l’esclavage il n’était possible de concevoir le baptême autonome et a fortiori une ordination quelconque d’esclave. Trullo, dans G. PAPATHOMAS, Le Corpus Canonum de l’Église (1er-9e siècles) – Le texte des Saints Canons ecclésiaux (Bibliothèque nomocanonique, 30), Katérini, Épektasis, 2015, p. 881. 57. La question sort du cadre de cette contribution, mais signalons qu’elle constitue, elle aussi, un sujet de préoccupation pastorale et ecclésiologique actuelle. À ce propos, le théologien du droit canon Boumis qualifie cette restriction de mesure circonstancielle. Selon lui, le retour à la norme exacte (ἱεροκανονικὴ ἀκρίβεια) n’exigerait pas de nouvelle disposition doctrinale, mais une simple décision synodale. Voir P. BOUMIS, La restauration de l’épiscopat marié est-elle possible?, dans Service orthodoxe de presse 215 (février 1997) 27-30. 58. C’est notamment en lien avec ce problème d’un monachisme factice de clercs célibataires que s’est développé un autre phénomène: dans le haut clergé (même si cette expression ne recouvre pas une réalité établie dans l’Église orthodoxe), une proportion non négligeable de ministres sont homosexuels. Aucune monographie scientifique – ni même un ouvrage journalistique comme celui de F. MARTEL, Sodoma, Paris, Robert Laffont, 2019 – ne relate cette réalité, mais il s’agit d’une évidence pratique pour tout protagoniste de la vie des Églises orthodoxes. Quand on y a fréquenté les cercles cléricaux, on a vu et entendu cela fréquemment. À vrai dire, il s’agit là d’une expérience concluante qui montre la possibilité d’ordonner au diaconat, au presbytérat et à l’épiscopat des personnes homosexuelles. Les défauts subjectifs des ministres ne tiennent pas à leur orientation sexuelle, mais à leurs qualités humaines, comme pour chaque personne. On ne peut que regretter, cependant, la culture de la dissimulation qui accompagne ce phénomène et la mutation du processus d’élection au ministère en cooptation par des pairs.
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De fait, il n’est pas déraisonnable de croire qu’un accord pourrait facilement intervenir quant à la virtualité d’élection de femmes aux ministères diaconal, presbytéral et épiscopal, dans la mesure où peu d’arguments d’ordre théologique ont été avancés, à ce jour, à l’encontre de l’idée de ces ordinations. La véritable réponse serait, en quelque sorte, dans la reconnaissance d’absence d’argument théologique pour discriminer – en théologie, mais pas dans l’histoire et la sociologie, hélas! – les baptisés masculins et féminins, dans l’élection à des ministères ecclésiaux particuliers. IV. DISTINGUER VIRTUALITÉ ET OPPORTUNITÉ «Tout m’est possible, mais tout ne m’est pas profitable»59. Selon toute probabilité, c’est à ce niveau et à celui-là seulement que l’on constatera des avis de théologie pratique divergents: l’ecclésiologie ne permet pas de trancher de manière définitive la question de l’opportunité de procéder à des ordinations de femmes aux ministères pastoraux dans les Églises qui ne connaissent pas encore cette pratique. Deux critères pourraient éclairer la prise de décision en cette matière: l’acceptation de la non-uniformité des pratiques ecclésiales d’une région à l’autre60, d’une part, et l’équilibre entre le «schisme du dedans» (les départs de fidèles que l’androcentrisme insupporte existentiellement) et le «schisme du dehors» (les divisions dues aux dissensions entre communautés), d’autre part. De fait, les fractures sont inévitables; dès lors, quels critères théologiques utiliser pour pondérer les unes par rapport aux autres? Si l’on peut raisonnablement s’accorder sur la pleine valeur théologique des ordinations de femmes à tous les ministères ecclésiaux (pastoraux ou autres), la question de l’opportunité d’établir des femmes aux ministères particuliers demeure une question à régler de manière non uniforme dans toutes les Églises régionales. La question relève de la théologie pratique et des ressorts qui lui sont propres; elle mérite un examen approfondi, au cas par cas, région par région. Il faut constater que, dans la plupart des sociétés où l’orthodoxie est enracinée depuis de nombreux siècles, le substrat clérical de l’Église empêche tout épanouissement de cette virtualité qui reste purement imaginaire aujourd’hui, même pour le diaconat féminin. Toutefois, l’Église n’est pas la seule société humaine à avancer lentement: 59. 1 Co 6,12. 60. La non-uniformité ne serait pas une nouveauté dans l’Église, mais un retour à une norme ancienne; en effet, c’est le développement des moyens de communication qui contribue à l’uniformisation des pratiques et des traditions ecclésiales.
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dans les sociétés civiles occidentales, théoriquement égalitaires quant à l’accès de femmes à des fonctions dirigeantes dans la société, la pratique est encore loin de la théorie. Peut-être faut-il se résoudre à constater que seules les Églises orthodoxes d’Europe occidentale et d’Amérique vivent dans des contextes sociaux qui permettraient de considérer des ordinations de femmes aux ministères pastoraux. La discussion fraternelle à ce propos a commencé, grâce aux nombreuses publications théologiques sur ces sujets, sans néanmoins que cela n’ait énormément d’applications pratiques dans l’immédiat. On imagine difficilement comment, pour résoudre la question des ordinations de femmes, il serait possible d’éviter le passage par l’étape jurisprudentielle, c’est-à-dire non par un débat académique, mais par un jugement conciliaire sur un cas concret qui aura été suscité par un évêque audacieux. Dans cette perspective pratique, pour commencer à sortir de l’impasse de l’absence d’ordination pastorale de femmes dans l’Église orthodoxe, et pour susciter un réel débat, une double mesure serait à mettre en œuvre. Tout d’abord, il conviendrait de consacrer le principe pastoral de la nonuniformité des modalités d’organisation de la vie des communautés chrétiennes; il est plus qu’urgent de cesser de vouloir imposer à toutes les communautés de perpétuer le tableau médiéval des formes ecclésiastiques de l’âge ottoman de l’orthodoxie. Dans un second temps, dans une Église locale (épiscopale) donnée, il faudrait avoir le courage historique de procéder – de manière non dissimulée, mais après effort pédagogique auprès des fidèles de l’Église locale –, à une ou plusieurs ordinations presbytérales féminines. Ces premières expériences seraient probablement vouées à la dérision, feraient l’objet de manifestations hostiles; les presbytres féminines ainsi ordonnées exerceront alors un ministère très critiqué, mais la porte serait tout de même ouverte à la discussion conciliaire, sur base d’une expérience existentielle et non uniquement spéculative. En vertu du caractère spirituel reconnu aux conciles dans la théologie, l’Église orthodoxe pourra espérer que la réponse qui sera donnée, dans l’Esprit Saint, consacrera l’espérance des visionnaires de l’égalité. Ne pas procéder à ces expériences audacieuses correspond à une négation de l’incarnation historique du christianisme61. 61. Le théologien Nicholas Denysenko propose une méthodologie pour procéder à la restauration du diaconat féminin, il suggère de suivre le modus operandi qui a été celui des membres du concile de Moscou de 1917-1918, qui a, entre autres résolutions, restauré l’office de patriarche au sein de l’Église autocéphale de Russie. Les trois étapes de ce modus operandi, selon Denysenko sont: i. Que les pasteurs sondent les esprits pour savoir ce que
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V. CONCLUSION Dans la citation de Joseph Famerée au début de ce texte, on peut lire toute sa prévenance à l’égard de ce que l’Église catholique romaine pourrait entreprendre dans la perspective de valoriser davantage la contribution de femmes dans l’exercice de fonctions jadis exclusivement réservées à des clercs masculins; il se préoccupe de ce que certaines avancées pourraient entamer la confiance mutuelle que l’orthodoxie et le catholicisme se portent mutuellement, surtout depuis la deuxième moitié du XXe siècle et dans certaines régions du monde. Dans la déontologie œcuménique à laquelle devraient se tenir également les orthodoxes, il ne serait pas superflu que la réciproque se vérifie, à savoir que les recherches en théologie orthodoxe ne soient pas une entrave à la poursuite du dialogue et du chemin vers l’Unité avec l’Église catholique romaine et avec les autres Églises. Dans cet esprit, un travail commun pourrait être effectué par des théologiens de différentes traditions mais d’une même aire géo-culturelle, afin de favoriser les convergences dans l’exploration de la volonté de Dieu pour son unique Église. Il ne faut pas non plus négliger que les christianismes sont, avec la plupart des philosophies agnostiques et athées, les seuls courants philosophiques à viser une authentique égalité des femmes et des hommes. Dans une première approche de leurs doctrines respectives, la plupart sinon toutes les traditions religieuses aliènent, même en théorie, la femme à l’homme. La réflexion sur les ministères ouverts à des femmes correspond donc aussi à un enjeu de témoignage et de dialogue interconvictionnel. Enfin, il faut rappeler que l’unique pasteur authentique du peuple ecclésial, théologiquement, est le Christ lui-même; ce n’est qu’en participant de son ministère que les pasteurs assument également ce service. Cependant, la co-responsabilité pastorale s’observe, en pratique, bien au-delà des seuls pasteurs établis de manière rituelle et permanente; on ne peut pas neutraliser, en effet, les dons que l’Esprit Saint fait germer dans le peuple ecclésial. Par ailleurs, les normes de la vie contemporaine permettent de relativiser le caractère absolu de la masculinité ou de la féminité des le corps ecclésial attend d’un ministère diaconal renouvelé; ii. Qu’une discussion large ait lieu dans les communautés sur l’opportunité de procéder à ce renouveau du diaconat; iii. Que soit laissée une possibilité pour que la volonté de Dieu se manifeste de manière éventuellement surprenante. Voir N. DENYSENKO, Bishops and Synods. Testing the Spirits, dans Public Orthodoxy (28 novembre 2017), https://publicorthodoxy.org/2017/11/28/bishops-and-synodstesting-the-spirits/.
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individus: par exemple, tous les parents portent en eux une portion de paternité et de maternité – si tant est que ces notions revêtent un caractère absolu, ce qui n’est pas démontrable –, mais cela n’a pas grande importance dans la relation entre les personnes. Car, s’il est bien un élément de révélation, donc de foi, qui se trouve au cœur de la vision chrétienne de l’être humain, c’est bien dans la reconnaissance du caractère irréductible et unique de chaque individualité humaine. Chaque homme, chaque femme, chaque personne, quel que soit son sexe, son genre, son orientation sexuelle, est l’unique enfant de Dieu le Père, précieux par-dessus tout pour son Créateur personnel, et catholiquement récapitulé par le Verbe incarné. Si la société humaine n’est pas toujours prête à reconnaître cette vérité de foi que proclame l’Évangile, les communautés chrétiennes, elles, se doivent de la proclamer verbis et factis, à temps et à contre-temps, parfois au moyen de formes étonnamment nouvelles. Les options prises par l’Église dans l’histoire, et l’ordination des seuls hommes à des ministères pastoraux en est une, doivent être entendues en considérant la hiérarchie des priorités ecclésiales. En effet, l’Église vit dans l’histoire et compose avec les circonstances historiques, sans pour autant renier ce qu’elle est, c’est-à-dire sans renier que sa raison d’être consiste à témoigner de l’espérance qui l’anime62. Le témoignage de son espérance, le corps ecclésial le définit comme sa mission, fondée sur la transmission ininterrompue de la foi des Apôtres; pour l’accomplissement de sa mission apostolique dans le monde, il était indispensable que l’Église ancienne veillât, avant toute chose, à la perpétuation du ministère de présidence eucharistique63, en raison du caractère constituant de l’Eucharistie pour l’Église. C’était là l’élément ministériel le plus important pour permettre la traversée de l’histoire; évidemment, la présence et la participation active de tous les fidèles s’entendent implicitement dans la présidence, car on ne se préside pas soi-même. Cette priorité de perpétuation du ministère de présidence eucharistique est loin d’avoir été facile à mettre en œuvre. Les études historiques montrent aujourd’hui, parfois de manière flagrante, combien l’exercice du ministère épiscopal n’a pas toujours été, dans la pratique, à la hauteur de l’attente théologique, mais l’épiscopat a existé avec constance, malgré l’indignité de certains voire de beaucoup des porteurs de ce ministère. Grâce à cela, l’Église, dans son imperfection, a pu rester ce qu’elle était, sans toutefois le devenir aussi authentiquement qu’on l’eût pu espérer. Chaque fois que l’histoire le lui permet, l’Église doit devenir 62. Voir 1 P 3,15. 63. Voir C. D’ALOISIO, Eucharistie et espérance, dans Irénikon 84 (2016) 52-63.
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davantage elle-même. À cet égard, qui peut affirmer de manière théologiquement argumentée que les ordinations de femmes ne seraient pas une étape dans les retrouvailles de l’Église avec elle-même, une plus grande fidélité à ses racines eschatologiques? Institut orthodoxe Saint-Jean-le-Théologien Institut de recherche RSCS Université catholique de Louvain Grand-Place 45 / L3.01.01 BE-1348 Louvain-la-Neuve Belgique [email protected]
Christophe D’ALOISIO
LE DIACONAT, UN MINISTÈRE EN MAL DE CONSISTANCE?
D’après le dictionnaire, la consistance est l’état d’un corps relativement à sa solidité, à la cohésion de ses parties. Au sens figuré, le mot désigne l’état de ce qui est solide et cohérent. Dans l’un et l’autre sens, le substantif connote la fermeté et la solidité. Le verbe consister renvoie à ce qui relève de l’essence ou des propriétés, à ce qui fait tenir debout ou maintenir ferme. Et avec la préposition en ou dans, le verbe renvoie à des synonymes comme comporter, comprendre et se composer qui tous connotent les éléments ou propriétés ou composantes d’un tout. Ce qui nous reconduit à l’étymologie latine où le verbe consistere signifie tenir ensemble. L’antonyme inconsistance met bien en lumière ce qui se joue dans la consistance d’une chose, à savoir son intérêt théorique, sa pertinence ou sa portée pratique, son utilité. Quant à l’inconsistance d’une personne, elle désigne sa légèreté, sa frivolité, sa superficialité ou encore sa versatilité. En quoi consiste le diaconat? Qu’est-ce qui le constitue comme tel? De quoi se compose-t-il? Quelle est sa nature ou son essence? Quelles sont les composantes de ce qui le constitue? Et de là l’attention aux éléments qui le font tel, le composent, interagissent entre eux et par conséquent, dans une vision systémique, le font néanmoins tenir ensemble. Comme il s’agit d’un «ministère», il est question – n’en déplaise aux esprits essentialistes – d’un agir ou pour le moins d’un faire imputable à un sujet, à un acteur en rapport à des tâches à accomplir, avec leur contenu propre, général, particulier ou spécifique, concrètement à l’adresse de tiers ou au bénéfice de la collectivité. De plus, cet agir s’inscrit autant qu’il se déploie dans un contexte, celui de l’Église dans son environnement, c’est-à-dire en tenant compte des relations qu’elle entretient avec le monde qui l’entoure, sans oublier que ces relations sont elles-mêmes fonction de l’interprétation que l’Église a de sa présence et de sa mission en ce lieu. Les ministères sont au service de l’Église et de sa mission; et ils s’exercent pour le monde d’aujourd’hui. S’interroger sur la consistance du diaconat, cela ne peut donc se limiter à un simple traitement doctrinal du sujet, a fortiori hors contexte. Celui-ci en appelle à la réception du diaconat sur le terrain, à son articulation avec l’épiscopat et le presbytérat ainsi qu’avec les ministères confiés à des laïcs, aux pratiques diaconales en cours, aux enseignements qu’on en retire. Tous ces éléments interagissent entre eux et font système dans l’Église en fonction de son environnement
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tel qu’il est, des bouleversements de tous genres qui les traversent et des évolutions de plus en plus rapides. Autant dire la complexité de la tâche: la doctrine ne suffit pas et la pratique requiert d’être réfléchie dans un va-et-vient avec la doctrine qui la sous-entend et une compréhension de la mission et de ses impératifs en ce lieu. À l’ère du changement ne faut-il pas penser la consistance du ministère diaconal dans sa dimension évolutive et sa capacité d’adaptation aux exigences de la communication de l’Évangile «dans le monde d’aujourd’hui»1? C’est pourquoi dans un premier temps je rappellerai brièvement les bouleversements en cours et l’indispensable positionnement de l’Église face au Royaume de Dieu qui (sur)vient. C’est en effet la tâche commune à tous les ministères de disposer l’Église à sa mission (I). J’évoquerai ensuite la situation du diaconat: celui-ci doit aussi traverser les changements en cours et trouver sa place au service de l’Évangile dans le contexte de la diversité des ministères; le diaconat contemporain demeure polymorphe quoi qu’il en soit de l’indéniable investissement paroissial de la majorité des diacres (II). La doctrine telle qu’elle a évolué jusqu’à ce jour assure au diaconat permanent une relative consistance théorique qu’il n’avait pas aux débuts de son rétablissement à la suite du dernier concile (III). Pourtant, selon mon opinion, la consistance pratique du diaconat est et demeure problématique malgré tout du fait du carcan sacerdotal qui entoure, sinon conditionne autant la perception que l’exercice de ce «degré inférieur de la hiérarchie» (LG 29a) (IV). Je présenterai alors ce qui me semble devoir être approfondi doctrinalement autant que pastoralement: je l’exprimerai dans la nécessité de croiser à tous les niveaux – du Christ, de son corps ecclésial et des fidèles – diaconie et sacerdoce (V). Je terminerai par des considérations sur l’apport de la liturgie, entendue comme pratique, pour consolider la consistance du diaconat (VI): il n’y a pas d’eucharistie sans lavement des pieds (VII). Il me semble en effet qu’une mise en œuvre plus conséquente, sinon plus audacieuse de la fonction liturgique des diacres contribuera à la crédibilité de leur ministère dans le jeu liturgique comme dans la vie ecclésiale sur le terrain. Le point d’interrogation du titre de cette étude suggère d’emblée au lecteur et, par lui, aux acteurs de la vie ecclésiale qu’ils sont non seulement parties prenantes du questionnement autour du diaconat, mais aussi artisans de sa réception «dans le monde d’aujourd’hui». C’est du moins la modeste prétention de l’auteur de ces pages. 1. Le monde change et il change de plus en plus vite. D’ailleurs, les Pères conciliaires de Vatican II l’avaient déjà remarqué: «le mouvement même de l’histoire devient si rapide que chacun a peine à le suivre» (GS 5 §3). À l’ère du changement, celui-ci relève désormais de la normalité et l’adaptation au changement devient une valeur de base.
LE DIACONAT, UN MINISTÈRE EN MAL DE CONSISTANCE?
I. LES BOULEVERSEMENTS EN COURS ET LA
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MISSION DE L’ÉGLISE
Le contexte des Églises euro-atlantiques est celui d’une société sécularisée où la religion a cessé de jouer le rôle de structure de régulation des rapports sociaux; sur le plan culturel, cela a entraîné une véritable exculturation de la foi2. À cela s’ajoutent deux facteurs: la mondialisation et l’individua(lisa)tion. Cela ne signifie pas pour autant la disparition d’une religiosité diffuse ni de ses références sacrales qui échappent désormais à l’encadrement ecclésial. Sécularisation, individua(lisa)tion, mondialisation, désinstitutionalisation du religieux sont autant de facteurs à prendre en compte dans nos Églises euro-atlantiques. Aujourd’hui comme hier, la communication de l’Évangile se doit de tenir compte des destinataires de cette Bonne Nouvelle que l’Église entend partager. Nos contemporains ne s’identifient pas à l’Église catholique ou ne s’y réfèrent pas autant que dans un passé encore récent. La sociabilité ecclésiale connaît de ce fait des profonds bouleversements et détermine par conséquent diverses modalités d’affiliation et d’appartenance. L’évolution d’un christianisme par héritage a un christianisme par choix ne peut être niée: être chrétien requiert plus que jamais de décider de le devenir! 3 Un nombre croissant de personnes, souvent à distance de l’institution ecclésiastique et des pratiques cultuelles et dévotionnelles, se caractérisent comme des seekers, des chercheurs de sens, dirions-nous en français4. Dans leur questionnement existentiel et leur quête spirituelle, ceux-ci ne se contentent plus de leurs propres héritages culturels et religieux. Parmi eux, il y en a qui tiennent à se situer dans la nébuleuse catholique. Sensibles au monde qui change, ils se désignent subjectivement en référence au catholicisme, mais ils répugnent à se replier sur une identité fermée à tout dialogue. Ils bricolent chemin faisant leur adhésion au «message» autant que leur affiliation 2. Cf. D. HERVIEU-LÉGER, Catholicisme, la fin d’un monde, Montrouge, Bayard, 2003. Ce processus de déliaison entre la culture catholique et l’univers civilisationnel reflète à la fois la profanisation progressive d’une culture modelée par la religion et le refoulement culturel de l’Église. 3. «Nous nous dirigeons de plus en plus vers un christianisme de choix»: BENOÎT XVI, Lumière du monde. Le pape, l’Église et les signes des temps. Un entretien avec Peter Seewald, Montrouge, Bayard, 2011, p. 200. 4. Je renvoie à l’étude de sociologie religieuse de W.C. ROOF, A Generation of Seekers. The Spiritual Journeys of the Baby Boom Generation, San Francisco, CA, Harper, 1993; et par la suite à son article: Spiritual Seeking in the United States. Report on a Panel Study, dans Archives des Sciences Sociales des Religions 109 (2000) 49-66. Cela se rapproche de la catégorie du «pèlerin» chez D. HERVIEU-LÉGER, Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999. Sur l’interpellation que cela adresse à l’Église catholique, je renvoie entre autres à l’ouvrage coordonné par M. LAMBERIGTS, 50 ans après le Concile Vatican II. Des théologiens du monde délibèrent, Roma, Libreria Editrice Vaticana; Paris, FIUC, 2015, pp. 77-81.
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à l’«institution». D’une manière ou d’une autre, ils ont un pressentiment tacite, sinon même un désir explicite d’avoir quelque chose à transmettre de ce qu’ils ont reçu dans leur parcours personnel5. Quoi qu’il en soit, ils le f(er)ont à leur gré. Cela vaut pour ceux qui se tiennent «à distance» de l’institution ecclésiastique et même du vécu quotidien d’une communauté ecclésiale. Les personnes qui s’identifient plus fortement au catholicisme et qui s’intègrent dans la vie ecclésiale sont, de leur côté, devenues moins nombreuses et représentent une population âgée et vieillissante. Elles découvrent, parfois à leur corps défendant, que l’Église a bel et bien les «apparences d’un petit troupeau» (cf. LG 9b). Mais n’est-ce pas la vocation du peuple messianique d’avoir reçu par grâce de prier et de travailler «pour que le monde entier dans tout son être (lat. totius mundi plenitudo) soit transformé en peuple de Dieu, en Corps du Seigneur et en temple du Saint-Esprit» (LG 17 in fine cf. Ad gentes 7e ou c)? Ce peuple devient ainsi germe du salut auquel est ordonnée l’humanité6. Vu sous l’angle de ce qu’il opère, on doit parler de germination, d’un processus en cours et forcément inachevé. Le germe est de soi principe de développement7. Ce qui se joue ici et maintenant, c’est l’accueil du Royaume au cœur de ce monde en vue de son humanisation pour porter l’histoire à son accomplissement. La mission n’a de sens que parce que (le Royaume de) Dieu (sur)vient au cœur de ce monde pour convoquer à sa communion de vie tous les êtres humains, sans exception et sans exclusive (cf. LG 2; Dei verbum 2; Ad gentes 2b). Elle requiert l’engagement de tous les fidèles pour accueillir le Royaume déjà présent et à l’œuvre dans l’histoire. Pour le dire autrement qu’avec cette métaphore typique des évangiles synoptiques, la mission de l’Église et l’engagement des fidèles n’ont de sens que pour l’accueil de cet amour plus grand que les écrits johanniques qualifient de plénitude de vie (et de vie en abondance) alors que la littérature paulinienne parle de la grâce de Dieu devant laquelle – infinie douceur –, l’être humain 5. Cf. V. LE CHEVALIER, Ces fidèles qui ne pratiquent pas assez… Quelle place dans l’Église?, Namur, Lessius; Paris, Éditions jésuites, 2017, avec son insistance sur le désir de transmettre qui est déjà acte de foi, pp. 13, 79, 82. 6. Cf. LG 13d in fine «[…] tous les êtres humains universellement appelés par la grâce de Dieu au salut» et GS 22 §5 «sous des formes diverses ordonnées au peuple de Dieu»; cf. aussi LG 16. De plus, il convient d’ajouter que par son Esprit, Dieu leur offre à tous d’être associés, d’une façon connue de lui, au mystère pascal – mystère de don, de don de soi, de livraison de sa vie (cf. GS 22d). 7. Traiter de l’Église, sacrement et germe du salut, cela doit s’entendre à l’intérieur de la triade que celle-ci constitue avec le Royaume de Dieu qui (sur)vient au cœur de l’histoire de l’humanité [visitée par Dieu et appelée à son accomplissement]. Cf. C. THEOBALD, Urgences pastorales du moment présent. Comprendre, partager, réformer, Montrouge, Bayard, 2017, pp. 148-173.
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accepte en sa liberté d’être justifié, c’est-à-dire en définitive rendu à luimême en sa condition de fils et fille de Dieu. Telle est la Bonne Nouvelle dont il s’agit de faire part. La mission ne consiste donc pas à faire entrer le monde dans l’Église mais à y attester les germes de l’humanité nouvelle restaurée dans son image et sa ressemblance avec son créateur. Cette mission ne se déploie donc pas dans un «désert» comme si Dieu n’était pas déjà à l’œuvre au cœur de ce monde. C’est pourquoi, «tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l’Église le considère comme une préparation évangélique et comme un don de celui qui illumine tout être humain pour que finalement il ait la vie» (LG 16). C’est à cette mission que les ministres de l’Église, diacres y compris, disposent les communautés ecclésiales et les fidèles qui les composent8. À l’instar de tous les ministères, le diaconat ne peut être pensé et mis en œuvre en dehors d’une vision de la mission de l’Église en ce lieu et de l’engagement de tous les fidèles pour le Royaume déjà présent et à l’œuvre dans l’histoire! II. LE
DIACONAT PERMANENT
DANS LE CONTEXTE ÉVOLUTIF DE L’ÉGLISE ET DE SA MISSION
Ces dernières décennies sont celles de l’émergence progressive et de la diffusion plus large du ministère diaconal dans nos Églises euro-atlantiques. En tant que fait social, sur le terrain des diocèses, et dans le chef des intéressés, le rétablissement du diaconat permanent s’est traduit – certes avec des accents différents – par un «investissement ecclésial de tous les instants» vécu «sur le mode du dévouement et de l’obéissance»9. Les diacres 8. Je reprends cette formule à J. DORÉ – M. VIDAL, Introduction générale. De nouvelles manières de faire vivre l’Église, dans IID. (éds), Des Ministres pour l’Église (Documents d’Église), Montrouge, Bayard; Paris, Centurion – Fleurus – Mame – Cerf, 2001, p. 14. 9. Cf. P. PORTIER – Y. ABIVEN, Les diacres, agents de modernisation de l’institution ecclésiale? Éléments pour une sociologie de l’engagement diaconal, dans B. DUMONS – D. MOULINET (éds), Le diaconat permanent. Quarante ans d’expérience française, Paris, Cerf, 2007, 127-166, ici pp. 153-154. On pourrait ajouter selon ces mêmes auteurs que l’engagement diaconal est sans doute lié à un militantisme plus «affilié» qu’«affranchi». Celui-ci est typique du militantisme des laïcs investis en Église comme une expression de la «formule post-moderne de l’engagement», d’après la sociologue Céline BÉRAUD [La participation des laïcs à la vie ecclésiale. Approche comparée avec les modalités d’engagement en milieu associatif profane, dans La Maison-Dieu 241 (2005) 7-21]. Le militantisme des «laïcs engagés» en Église ou ailleurs répond de nos jours à un besoin de réalisation de soi, parfois fondé sur une finalité hédoniste, sans impliquer une disponibilité permanente et toujours réversible. En revanche, l’engagement «affilié» des diacres fait coïncider identité
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sont en effet apparus comme des personnes engagées pour la cause de l’Évangile et le service de l’Église. Sociologiquement parlant, leur arrivée sur la scène ecclésiale a été comme celle d’un personnel d’appoint, zélé et loyal, pour faire face aux besoins de la pastorale tels qu’ils se présentaient dans les Églises locales, compte tenu de la diminution de nombre de prêtres. En la période pré-conciliaire comme au moment de la décision de rendre possible son rétablissement, le diaconat permanent avait été perçu comme une manière de faire face à la pénurie de prêtres. Ce n’était certes pas la seule raison de la restauration de ce ministère mais elle a joué fortement en sa faveur10. En «terres chrétiennes», la réalité paroissiale avait fini par imposer une vision cadastrale de l’Église dont l’action pastorale était destinée à couvrir tout le territoire diocésain. À cette époque-là comme encore de nos jours, dans certains milieux ecclésiastiques et souvent dans l’imaginaire de fidèles catholiques, le ministère presbytéral était considéré comme le ministère par excellence, les autres ministères ou services déployés dans la vie ecclésiale étant vus comme des tâches d’assistance, voire de suppléance. D’où l’inquiétude de fidèles et de pasteurs devant la diminution du nombre de prêtres dans les Églises de vieille chrétienté «habituées à une large gamme de service»11. Cette diminution est pour beaucoup la raison de leur désarroi puisque les prêtres faisaient (presque) tout et (souvent) tout seuls dans l’animation pastorale. Le rétablissement du diaconat permanent a pour une part permis la pérennité de cette vision cadastrale de la pastorale12. Les diacres étaient, à cet égard, un appoint bénéfique en même temps que leur arrivée sur la scène ecclésiale, en particulier en paroisse, mettait bien en lumière individuelle et identité collective; il est (encore) le «fruit d’une socialisation homogène dans une famille, une école, des groupes tous marqués par l’ethos catholique et la culture du “service”» (p. 154). 10. Cf. P. WEBER, Vatican II et le diaconat permanent, dans A. HAQUIN – P. WEBER (éds), Diaconat 21e siècle. Actes du Colloque de Louvain-la-Neuve (13-15 septembre 1994), Bruxelles, Lumen Vitae; Paris, Cerf; Montréal, Novalis; Lausanne, Labor et Fides, 1997, 77-99; B. DUMONS, À la découverte des chemins du rétablissement (1943-1962), dans ID. – MOULINET (éds), Le diaconat permanent (n. 9), 17-46; cf. aussi D. MOULINET, La restauration conciliaire (1959-1964), ibid., 47-68. 11. Cette expression est de la COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, Le diaconat. Évolution et perspectives, dans Documentation catholique 100 (2003) 58-107, ici p. 91. 12. Je reprends cette qualification au journaliste J. MERCIER, Célibat des prêtres. La discipline de l’Église doit-elle changer?, Paris, DDB, 2014, pp. 330-331. Il la considère comme une «fausse bonne idée» dès lors qu’il s’agirait de boucher les trous de la pastorale dans ce qu’il appelle une «Église cadastrale» du passé; pour lui, à l’heure d’internet et des réseaux, le modèle d’avenir est «celui de petites communautés en diaspora, constituées autour de pôles eucharistiques» (p. 331).
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le monopole ministériel des prêtres qui avait régné jusque là et qui se perpétuait même dans l’imaginaire ecclésial13. Quoi qu’il en soit, les diacres étaient là sur le terrain: du point de vue paroissial, ils venaient assister le curé pour faire face aux besoins de la pastorale. Mais dès le départ, pourrait-on dire, le diaconat permanent contemporain ne s’est cependant pas enfermé dans cette pastorale cadastrale «au service du curé». Il a tendu très tôt à être polymorphe, selon les pays et les visées des autorités ecclésiales. Il n’en demeure pas moins que les différents lieux d’insertion des diacres se résumaient à leur milieu professionnel – insertion initialement fortement privilégiée en France – à leurs engagements associatifs, pluralistes ou confessionnels – qu’ils soient de type social, syndical ou ecclésial – à la paroisse et en particulier aux aspects plus sectoriels de la pastorale comme l’accompagnement des couples et des familles. Le benchmark, si l’on peut dire, de ces terrains d’engagements diaconaux se veut la volonté de servir qui détermine chez les intéressés – et bien souvent leur entourage, concrètement leur couple – la conscience d’être envoyés pour servir «sur le mode du dévouement et de l’obéissance». Dans certains pays plus que d’autres, comme la France par exemple, le rétablissement du diaconat s’est au départ démarqué d’un investissement principalement, sinon exclusivement paroissial: les diacres étaient à l’œuvre dans des services d’Église, des associations caritatives et humanitaires, confessionnelles ou pas. Ils ont vite offert l’image d’un «investissement de tous les instants» auprès des pauvres et des laissés pour compte ce qui, jusque là, avait bien souvent été assuré par les congrégations religieuses, avec en plus la force de leurs appareils institutionnels respectifs. Autrement dit, l’émergence du diaconat s’est avérée dès le départ sensible à la diaconie de la charité et les diacres y ont pris largement leur part pour assumer cette dimension constitutive – et pas consécutive – de la mission de l’Église14. Il n’empêche que, vu la prégnance dans l’imaginaire ecclésial du monopole ministériel des prêtres, les diacres y étaient également perçus comme des suppléants des prêtres, même si d’aucuns estimaient qu’ils suppléaient aussi à l’apostolat des laïcs dans certains domaines. Il y a un autre fait à alléguer dans l’émergence du diaconat, c’est que paradoxalement les diacres se présentaient, du moins dans certains cercles, ou étaient perçus 13. Sur le poids des représentations sacerdotales dans un imaginaire paroissial et corrélativement au monopole sacerdotal, je renvoie à mes réflexions dans Les ministères de laïcs dans la mission de l’Église, dans Esprit & Vie (nov. 2010), hors-série no 2, 37-53, ici pp. 40-44. 14. Cf. É. GRIEU, Un lien si fort. Quand l’amour de Dieu se fait diaconie (Théologies pratiques), Bruxelles, Lumen Vitae; Montréal, Novalis; Ivry-sur-Seine, l’Atelier, 2009.
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«au service de l’évêque». Sous l’effet d’un certain archéologisme déterrant des réalités du passé pour les transposer sans plus dans un contexte actuel radicalement différent, la référence à des textes patristiques n’était pas étrangère à cette vision du diaconat: alors qu’il s’agissait de trouver leurs marques dans la vie ecclésiale, certains diacres tenaient à se présenter «au service de l’évêque» pour ne pas être (ou se sentir retenus) sous l’autorité d’un curé. Un autre fait mérite d’être évoqué. Le rétablissement du diaconat permanent s’est opéré dans les Églises locales diocésaines simultanément, parfois même dans la foulée de l’émergence de laïcs en charge ecclésiale, missionnés et même le plus souvent rémunérés15. Bien plus, c’est même d’une manière générale la présence sans cesse croissante – du moins jusqu’il y a peu – de fidèles laïcs au service des communautés paroissiales et autres qui a constitué le terreau de ce recrutement de laïcs missionnés et même de l’interpellation de certains d’entre eux en vue du diaconat. Les tâches assumées par ces fidèles laïcs, bénévoles ou rémunérés, et par ces diacres, étaient précédemment accomplies par des prêtres. Dans l’imaginaire ecclésial, elles étaient et sont encore spontanément associées au ministère de ces derniers. C’est ainsi que s’est déployée une multiplicité de services et ministères, divers et complémentaires, qui nous permet de parler d’une pluriministérialité effective dans nos diocèses d’Europe occidentale. Celle-ci a dans les faits compensé la diminution du nombre de prêtres dans la pastorale paroissiale. Ces dernières années l’apport des diacres en paroisse connaît une importance accrue dès lors que, par la retraite professionnelle, bon nombre d’entre eux se rendent disponibles, parfois même à la demande expresse, voire pressante, des autorités diocésaines pour assurer la pérennité de cette pastorale16. La paroisse étant en termes simples «l’Église en un lieu pour tout et pour tous», elle entend assurer une prise en charge pastorale du tout-venant qui se tourne encore vers l’Église catholique pour lui offrir l’essentiel dont il a(urait) besoin pour grandir dans la foi et faire Église. Dans les faits, sa pastorale se consacre aux enfants à catéchiser et aux 15. Cf. A. BORRAS (dir.), Des laïcs en responsabilité pastorale? Accueillir de nouveaux ministères (Droit canonique), Paris, Cerf, 20012. 16. Les diacres ne sont certes pas les seuls à venir à la rescousse de la pastorale paroissiale; ils sont même désormais précédés par l’arrivée de prêtres allochtones, avec qui ceux-ci se doivent, peu à peu, de collaborer bon gré mal gré. Ces circonstances risquent de détourner le diaconat et les autres ministères vers la sauvegarde, voire survie de l’institution paroissiale entendue comme couverture intégrale du territoire diocésain. Cf. A. BORRAS, Quand les prêtres viennent à manquer. Repères théologiques et canoniques en temps de précarité, Paris – Montréal, Médiaspaul, 2017, pp. 159-172 (le recours à des prêtres venus d’ailleurs) et 172-181 (le recours à des diacres permanents).
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fidèles pratiquants du dimanche, la plupart du troisième âge; elle est cependant ouverte et accueillante aux personnes qui, sans être pratiquantes régulières ou habituelles, se désignent encore elles-mêmes comme catholiques souvent «en recherche» et que j’ai qualifiées plus haut de seekers. Ces personnes sont en général absentes de la vie habituelle des paroisses. Elles se donnent néanmoins des occasions pour s’y retrouver aux grands moments de l’existence ou à l’occasion de certains événements, en tout cas toujours selon leurs attentes et à leur gré17. Les diacres sont souvent présents à ces moments ou à ces événements. Dans un «univers catholique coupé de ses marges»18 où les fidèles peu ou pas pratiquants ne se sentent pas ou plus à l’aise, les diacres jouent alors un rôle d’accueil et d’accompagnement. Par leur disponibilité, ils ne sont pas étrangers à la diversité des itinéraires de vie et des cheminements chrétiens et, par leur écoute et leur proximité, ils favorisent une sociabilité ecclésiale où les liens tissés en pastorale ne sont pas sans incidence dans la vie sociale des localités. On notera cependant peu d’investissement de diacres dans les communautés dites nouvelles – appartenant souvent dans l’espace francophone à la mouvance du renouveau charismatique – qui constituent pourtant pour un certain nombre de fidèles, une offre non seulement de ressourcement mais aussi, pour une part d’entre eux, un lieu d’engagement. À la fréquentation, voire l’insertion dans ces communautés, il faut ajouter l’attrait que représentent pour d’autres catholiques les monastères ou abbayes que d’aucuns qualifieront de «lieux-sources», ou «hauts lieux pour des temps forts». Ces catholiques peuvent à leur gré trouver également ce qu’ils cherchent pour leur ressourcement spirituel, leur recherche de sens, leur cheminement évangélique. Mais le ministère diaconal n’est pas repérable dans ces autres lieux d’Église. Si les paroisses, sous la figure bien souvent de pôles paroissiaux, et les communautés ou mouvements spirituels sont l’objet d’une fréquentation habituelle, même à rythme mensuel et non plus strictement hebdomadaire, les lieux-sources sont fréquentés sporadiquement, ponctuellement, parfois même une fois ou l’autre dans leur existence par les individus qui s’y rendent. J’attire l’attention sur la sociabilité ecclésiale de ces réalités ecclésiales: la paroisse détermine une sociabilité plutôt territoriale, mais pas 17. Cf. A. BORRAS, La paroisse, et au-delà…, dans Études 402 (2005) 137-148; et plus récemment, ID., La communauté des fidèles à l’épreuve des reconfigurations paroissiales, dans Revue de droit canon 67 (2017) 447-464. 18. L’expression est du sociologue Y. RAISON DU CLEUZIOU, Une revanche du catholicisme festif? Les rites catholiques sur le marché du rituel en France aujourd’hui, dans La Maison-Dieu 283 (2016) 125-138, ici pp. 129-131.
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exclusivement puisqu’il y a les paroissiens dits d’élection et, de nos jours, des seekers qui s’y réfèrent au gré de leur cheminement religieux. En revanche, les mouvements ecclésiaux et autres communautés associatives comme d’ailleurs les lieux-sources impliquent une sociabilité plutôt affinitaire. À la vérité, aujourd’hui comme hier, la sociabilité ecclésiale ne se limite donc pas à la réalité paroissiale, elle se vit dans d’autres lieux d’Église. Les diacres seront souvent insérés dans des associations, confessionnelles ou pluralistes, impliquées dans le domaine caritatif ou humanitaire. C’est là qu’ils côtoient des concitoyens engagés comme eux dans les missions spécifiques de ces organismes et qu’ils se mettent au service de la dignité des personnes et contribuent au lien social et au vivre-ensemble dans nos sociétés dualisées par la précarisation économique, sociale et affective. C’est là que les diacres œuvrent, avec d’autres certes, à l’humanisation de ce monde – et au Royaume qui y (sur)vient – en tant qu’artisans d’espérance. La question est de savoir si cet investissement est suffisamment thématisé de sorte qu’il puisse interpeller et nourrir l’engagement des fidèles en vue de cette humanisation. C’est donc sur différents terrains que, par leur ministère, les diacres œuvrent à l’humanisation de ce monde autant qu’ils contribuent à l’intégration ecclésiale des fidèles et à leur socialisation en les disposant à prendre leur part dans la communication de l’Évangile qui les fait vivre. L’engagement caritatif et humanitaire des diacres favorise sans doute une communication de la Bonne Nouvelle susceptible d’offrir aux catholiques et à leurs contemporains des raisons d’espérer. La consistance de leur ministère doit désormais se vérifier dans ces autres lieux de sociabilité plus affinitaire où se trouvent autant sinon plus que dans le réseau paroissial ces seekers qui se tournent encore vers l’Église. III. UNE DOCTRINE POURTANT
RELATIVEMENT CONSISTANTE
Les Pères conciliaires ont envisagé le rétablissement du diaconat permanent sur la base d’une «théologie de fortune» plutôt minimaliste. Cela ne doit pas nous étonner outre mesure d’autant plus que le diaconat n’était plus exercé de manière permanente depuis des siècles dans l’Église latine. Sur la base de cette «théologie de fortune» s’est ensuite engagé tout un approfondissement doctrinal aussi bien du côté du magistère que du côté de la théologie19. 19. Cf. A. BORRAS, Le diaconat au risque de sa nouveauté (La Part-Dieu), Bruxelles, Lessius, 2007; ID., Le diaconat permanent. Questions et perspectives, dans NRT 138 (2016) 568-584; ID., Lo specifico del diacono nella diakonia ecclesiale, dans L. GARBINETTO –
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Je vais l’évoquer à gros traits en soulignant cependant les prolongements théologiques dont il convient de tirer profit pour donner plus de consistance au diaconat dans la pastorale. En tout premier lieu, dans la foulée de ce qui fut entrevu par le concile de Trente, Vatican II a effectivement voulu rétablir le diaconat en tant que «degré inférieur de la hiérarchie» (LG 29a, cf. CIC 1917 c. 108 § 3) lequel déjà, «depuis l’antiquité», était inséré dans le ministère ecclésial d’institution divine (cf. LG 28a). Les Pères conciliaires ont ensuite affirmé en termes négatifs que les diacres étaient ordonnés «non pas pour le sacerdoce, mais pour le service/ministère» (LG 29a). Cette formule ne reprend pas la précision «ministère de l’évêque» mais, quoi qu’il en soit, celui-ci se comprend comme le «ministère de la communauté» dont l’évêque est le pasteur (cf. LG 20b). En termes positifs, le rétablissement du diaconat a pour finalité le service/ministère et pas le sacerdoce, c’est-à-dire la présidence ecclésiale et eucharistique qui concerne les sacerdotes, à savoir l’évêque et les prêtres20. Cette affirmation a ensuite été explicitée par une triple précision. La première est celle relative à la «force nécessaire» de la grâce sacramentelle. Sans dire explicitement que le diaconat était sacramentel – chose discutée dans la doctrine antérieure à Vatican II –, les Pères ont néanmoins affirmé la sacramentalité de la grâce conférée dans le diaconat (LG 29a et Ad gentes 16f pour une aide «plus efficace», lat. efficacius)21. La deuxième précision concerne la triple diaconie: la liturgie, la Parole et la charité. Dans le chef des diacres, la triple diaconie désigne d’une manière globale leur ministère qui est de l’ordre du service22. Et enfin la troisième précision S. NOCETI (éds), Diaconato e diaconia. Per essere corresponsabili nella Chiesa (Fede e annuncio, 101), Bologna, EDB, 2018, 91-105. 20. Comme le souligne la COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE les allusions explicites de Vatican II au diaconat lui appliquent des catégories non pas sacerdotales, mais ministérielles (Sacrosanctum concilium 35d; LG 20c, 28a, 29a et 41d; Orientalium Ecclesiarum 17; Christus Dominus 15a; Dei verbum 25a; Ad gentes 15i et 16f). Cf. COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, Le diaconat. Évolution et perspectives (n. 11), p. 101. 21. Cf. B. POTTIER, La sacramentalité du diaconat, dans NRT 119 (1997) 20-36; A. BORRAS – B. POTTIER, La grâce du diaconat. Questions actuelles autour du diaconat latin (La Part-Dieu), Bruxelles, Lessius; Paris, Cerf, 1998, pp. 73-95; M. MANCEAU, La sacramentalité du diaconat. Service du frère et service de l’autel, dans Cahiers de l’Atelier 491 (2001) 44-59; D. GONNEAUD, La sacramentalité du ministère diaconal, dans RTL 36 (2005) 3-20; A. BORRAS, Un caractère diaconal?, dans NRT 129 (2007) 45-63; ID., Le diaconat au risque de sa nouveauté (n. 19), chap. 3 et 4, respectivement pp. 85-110 et 111-130. 22. «Distinguer pour unir», rappelait à ce propos André Haquin, et il ajoutait: «Les tâches diaconales sont distinctes dans leur expression, mais intimement reliées entre elles autour du cœur qu’est le service ou le ministère». Cf. A. HAQUIN, Diaconat permanent et liturgie, dans ID. – WEBER (éds), Diaconat 21e siècle (n. 10), 131-161, ici p. 158.
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est à la fois relative à la finalité (le service), aux destinataires (les fidèles) et à la modalité (la communion): les diacres «servent le peuple de Dieu, en communion avec l’évêque et son presbytérium» (LG 29a). Cette «théologie de fortune» se concrétisait en dernier lieu par la présentation d’une double liste des tâches susceptibles d’être exercées par les diacres: la première liste selon la séquence «liturgie, Parole et charité» (LG 29a) et la seconde selon la séquence «Parole, charité et liturgie» (Ad gentes 16g). La triple diaconie est une manière générale de présenter les charges des diacres qui est ensuite spécifiée de façon plus caractéristique dans ces listes. Celles-ci sont purement exemplatives; elles ne doivent pas être absolutisées23. La portée de cette trilogie demeure large et donne de ce fait lieu au caractère polymorphe de ce ministère. Pour les Pères conciliaires, le diaconat était marqué par la dominante du service. C’est bel et bien la diaconie de la charité qui colore en un certain sens la diaconie de la Parole et celle de la liturgie24. C’est après le concile que le pape Paul VI aborda explicitement le «caractère indélébile» du diaconat et sa «grâce particulière» (en 1967, dans le préambule du motu proprio Sacrum diaconatus ordinem). Par le biais du caractère sacramentel, il ouvrait ainsi la voie au thème de la «configuration» en tant que référence au Christ, participation à sa mission et affectation au service de l’Église. En 1972 le même pape rappelait la fonction, c’est-à-dire la finalité du diaconat pour «conduire le peuple de Dieu dans la variété des ministères du Christ dans son église en vue du bien de tout le corps» (dans le préambule du motu proprio Ad pascendum). Le Code de 1983 reprenait la mention du caractère pour les trois degrés du sacrement de l’ordre qui consacre et envoie pour conduire (lat. pascere) le peuple de Dieu (ancien canon 1008). Il évoquait la triple fonction d’enseigner, de sanctifier et de gouverner pour les trois degrés et caractérisait leur action «dans la personne du Christ» (lat. in persona Christi), y compris pour le diaconat. Ces deux éléments ont été supprimés dans le nouveau canon 1008: celui-ci ne mentionne plus désormais les tria munera25. 23. «La lettre G de la relatio confirme que ce sont là des exemples empiriques pris du droit en vigueur et du témoignage de l’histoire passée, l’autorité se réservant la possibilité de modifier, restreindre ou amplifier ce type de tâches, données comme exemples et non comme exprimant l’essence du diaconat». Cf. H. LEGRAND, Le diaconat dans sa relation à la théologie de l’Église et des ministères. Réception et devenir du diaconat depuis Vatican II, dans HAQUIN – WEBER (éds), Diaconat 21e siècle (n. 10), 13-41, ici p. 10 faisant référence aux Acta Synodalia de Vatican II, vol. III, per. III, pars I, pp. 260-261. 24. La métaphore de la dominante se trouve chez B. SESBOÜÉ, Quelle est l’identité ministérielle du diacre?, dans J. DORÉ (éd.), L’Église à venir. Mélanges offerts à J. Hoffmann, Paris, Cerf, 1999, 223-257, p. 245. 25. BENOÎT XVI, Litterae apostolicae motu proprio datae Omnium in mentem. Quaedam in Codice Iuris Canonici immutantur, 26 octobre 2009 (= OiM), dans AAS 102
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Quant au nouveau canon 1009 § 3, il attribue l’action «dans la personne du Christ», aux sacerdotes, l’évêque et les prêtres, et caractérise le diaconat comme habilitation au service26. Ces retouches des nouveaux canons furent d’ailleurs préparées par le Catéchisme, en particulier dans son édition définitive de 1997. Celui-ci reprenait différents éléments de l’approfondissement magistériel postconciliaire tel le «caractère» (Catéchisme de l’Église catholique, no 1570, cf. LG 41 et Ad gentes 16) ou encore celui de la configuration au Christ serviteur (LG 24a) – tête/chef de l’Église (no 1581) – moyennant une grâce spéciale de l’Esprit Saint (no 1581). Le Directoire de 1998 revenait ensuite pour sa part sur le thème du caractère (no 21 et 28) et les Normes de la même année reprenaient celui de la configuration (no 5 et 7)27. Il y a eu par la suite, à un autre niveau d’autorité, le document de la Commission théologique internationale de 2003 qui n’a rien fait d’autre qu’entériner l’affirmation désormais claire de la sacramentalité du diaconat à l’intérieur du sacrement de l’ordre. Les trois degrés de l’ordre «représentent» sacramentellement le Christ qui, par son Esprit, continue à conduire et à édifier son corps ecclésial pour qu’il assume par lui, avec lui et en lui, sa fonction messianique au cœur de ce monde. Il est venu pour servir et donner sa vie (Mc 10,45), en réconciliant l’humanité par sa mort et sa résurrection pour la conduire par l’Esprit Saint vers son accomplissement. Selon les termes du nouveau canon 1008, les trois degrés ont tous comme commun dénominateur la fonction de «servir le peuple de Dieu». La prise en compte de la sacramentalité incite à se poser la question des potestates, à savoir des pouvoirs liés à réception de l’ordination. J’y reviens bientôt à propos du diaconat. Bien plus, les trois degrés instituent dans le ministère «apostolique» dans le sens qu’ils s’inscrivent dans la foulée de la mission confiée par le Christ aux douze apôtres d’être les témoins par la force de son Esprit. Cette charge est un «véritable service» (lat. verum servitium) que les Pères conciliaires ont qualifié, avec l’Écriture Sainte, de «diakonia», terme qu’ils (2010) 8-10. Voici la traduction française du nouveau canon 1008 dans OiM selon le site du Vatican: «Par le sacrement de l’Ordre, d’institution divine, certains parmi les fidèles sont constitués ministres sacrés par le caractère indélébile dont ils sont marqués; ils sont consacrés et députés pour servir, chacun selon son rang, à un titre nouveau et particulier, le Peuple de Dieu». 26. Traduction française du c. 1009 § 3 dans OiM selon le site du Vatican «Ceux qui sont constitués dans l’Ordre de l’épiscopat ou du presbytérat reçoivent la mission et la faculté d’agir en la personne de Christ Chef, les diacres en revanche deviennent habilités à servir le Peuple de Dieu dans la diaconie de la liturgie, de la Parole et de la charité». 27. Cf. S. DEL CURA ELENA, art. Diaconado, dans PROFESORES DE LA FACULTAD DE TEOLOGÍA DE BURGOS (éds), Diccionario del Sacerdocio, Madrid, BAC, 2005, 185-199, ici pp. 193-195.
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traduisent en latin par ministerium (LG 24a). L’évêque et les prêtres président et consolident le «nous ecclésial» dont ils garantissent l’apostolicité en le mettant dans la communion de toute l’Église. Mais ce n’est pas la seule façon de sauvegarder l’apostolicité de la foi: au quotidien de la vie ecclésiale, d’autres ministères et en particulier le diaconat contribuent à la sauvegarde de l’apostolicité par une pratique évangélique fidèle à la foi reçue des apôtres. Le diaconat fait partie intégrante du ministère de la succession apostolique. Bien plus – et j’aime le souligner –, il est «sacrement du ministère apostolique» (Catéchisme de l’Église catholique, no 1536)28. Les diacres prennent part à leur manière (lat. suo modo) à la mission que les apôtres et leurs successeurs ont reçue du Christ par l’Esprit Saint à travers la médiation de l’Église. En vertu de leur ordination, les diacres participent du ministère du témoignage de la foi apostolique et, pour leur part, de sauvegarde de l’identité apostolique et par conséquent évangélique de l’Église locale – sans oublier cependant que tous les fidèles, en vertu de leur baptême, ont à vivre l’apostolicité de l’Église par une pratique de l’Évangile en ce lieu. Comme les autres ministres ordonnés, les diacres ne créent pas l’apostolicité de la foi de l’Église locale, ils la reçoivent pour l’attester et la promouvoir. C’est à cet effet qu’ils sont appelés et envoyés pour entraîner le peuple de Dieu à devenir diaconal. Il importe, à mes yeux, de bien prendre la mesure de leur participation sacramentelle au ministère apostolique. Elle s’inscrit à l’intérieur de leurs relations à l’évêque qui sauvegarde l’Église locale qui lui a été confiée dans sa communion avec l’ensemble des Églises en même temps qu’il promeut la communion de son Église avec l’aide du presbytérium. Leur participation à l’apostolicité du ministère se vit sur le terrain au service des communautés présidées par les prêtres29. En d’autres termes, dès lors que le diaconat a été réactivé dans une Église locale et que des diacres 28. Cf. également, et avec ces mêmes références, la COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERLe diaconat. Évolution et perspectives (n. 11), p. 102. 29. La focalisation du ministère des diacres sur la foi vécue ne signifie pas que les prêtres et a fortiori l’évêque en soient exclus. Ceux-ci œuvrent tout autant à l’apostolicité de la foi, c’est-à-dire à la vie évangélique, par leur action de convoquer et d’envoyer la communauté ecclésiale; par le ministère des diacres celle-ci est accompagnée dans l’incarnation en ce lieu du témoignage de sa foi apostolique. Ce thème de la «sauvegarde» de l’apostolicité entendue comme pratique évangélique est présent dans les écrits de la théologienne italienne Serena Noceti; il rejoint ce que j’ai, pour ma part, exprimé en termes de promotion de l’apostolicité de la foi vécue. Cf. S. NOCETI, Presbiterato e diaconato. Una proposta di interpretazione teologico-sistematica, dans GARBINETTO – NOCETI (éds), Diaconato e diaconia (n. 19), 35-43. C’est d’ailleurs dans la foulée de cette focalisation sur la dimension apostolique/évangélique qu’il faut aussi entendre la relation entre le jeu liturgique et la vie ecclésiale dans le ministère des diacres (voir plus loin la septième section de cette étude). NATIONALE,
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sont ordonnés et envoyés, il revient à ceux-ci de veiller à l’apostolicité de la foi vécue – à l’incarnation de l’Évangile en ce lieu –, en communion avec l’évêque et le presbytérium (LG 29a). C’est sur la base de ce commun dénominateur du service (de l’apostolicité) du peuple de Dieu – et de sa mission (évangélique) – que le canon 1009 § 3 distingue désormais les deux degrés sacerdotaux du ministère de présidence, l’épiscopat et le presbytérat, et le degré du diaconat avec son habilitation à la triple diaconie. La distinction entre le diaconat et les autres degrés ouvre à une considération plus adéquate de leurs spécificités respectives, et en particulier de l’habilitation à servir propre à chacun de ces degrés. L’ordination sacerdotale de l’évêque et des prêtres les habilite à conduire le peuple de Dieu au nom du Christ, le bon pasteur, le vrai berger, dans la puissance de l’Esprit Saint. Leur ministère de présidence ecclésiale comporte la présidence de l’eucharistie in persona Christi30. Je n’entre pas ici dans les considérations de la potestas sacra de l’épiscopat – et mutatis mutandis du presbytérat – et je me contente d’affirmer que dans l’épiscopat (qui confère la «plénitude du sacrement de l’ordre, cf. LG 21b) la potestas sacra contient, selon les termes classiques (et non traditionnels)31, la potestas ordinis (conficiendi sacramenta) – le pouvoir d’ordre – à laquelle est inhérente ou du moins intrinsèquement liée la potestas jurisdictionis seu regiminis – le pouvoir de juridiction ou de gouvernement (mais qui dépend pour sa mise en œuvre, son exsecutio, d’une mission canonique, c’est-à-dire de la provision d’un office, cf. cc. 146-156). Les prêtres (comme les diacres) reçoivent la potestas ordinis, à savoir le pouvoir ou pour mieux dire l’habilitation de célébrer les sacrements, mais ils ne reçoivent pas le pouvoir de juridiction (ou de gouvernement) qui relève essentiellement de la fonction épiscopale (cc. 129, 134, 135, 381 et 391). Ces précisions étant faites, l’ordination est et demeure une habilitation sacramentelle à servir le peuple de Dieu. C’est ce que reprend le nouveau canon 1008 comme finalité aux trois degrés. Qui dit habilitation, dit pouvoir légitime de servir et cette légitimité découle de la grâce du sacrement. 30. Cette qualification de l’agir (du ministère) sacerdotal doit, selon moi, être référée au ministère de présidence eucharistique. L’expression in persona Christi a un Sitz im Leben eucharistique et y désigne spécifiquement l’action du Christ ressuscité qui se rend présent dans l’eucharistie; celui-ci agit certes dans les autres sacrements où les ministres exercent leur fonction in nomine Christi. Je regrette l’usage extensif de la qualification in persona Christi pour caractériser le ministère de l’évêque et des prêtres. Il majore indûment le ministère sacerdotal. Je m’en explique à l’occasion de mon étude sur les nouveaux canons promulgués par le Motu proprio Omnium in mentem. Cf. A. BORRAS, Les diacres d’après les nouveaux canons 1008 et 1009 § 3, dans RTL 43 (2012) 49-78. 31. Cf. L. VILLEMIN, Pouvoir d’ordre et de juridiction. Histoire théologique de leur distinction (Cogitatio fidei, 228), Paris, Cerf, 2003.
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C’est pourquoi la Commission théologique internationale avait déjà dit en son temps que, tout en reconnaissant l’étroitesse de cette approche du point de vue ecclésiologique, on ne pouvait omettre la question des potestates: «Les deux autres degrés de l’ordre, l’épiscopat et le presbytérat, donnent une capacité, en raison de l’ordination sacramentelle, pour des tâches qu’une personne non ordonnée ne peut pas (validement) réaliser. Pourquoi devrait-il en être autrement pour le diaconat?»32. Dans cette perspective, le diaconat affecte et habilite des fidèles à servir selon la triple diaconie alors que l’épiscopat et le presbytérat affectent et habilitent au ministère sacerdotal de présidence ecclésiale et eucharistique33. L’habilitation inhérente au diaconat doit être «activée» pour ainsi dire et c’est le rôle de la lettre de mission qui est le vecteur de son exsecutio. Le baptême ne fait pas de soi du fidèle un «ministre», c’est l’ordination. C’est ici que se dessine, selon moi, la distinction entre le pouvoir légitime de servir des diacres pour les missions qui leur sont attribuées et l’exercice de services ou ministères confiés à des fidèles laïcs. Ceux-ci sont aptes (lat. habiles, cf. c. 228 § 1) en raison de leurs charismes (ou idonéité) et moyennant l’appel de l’Église. En fonction de ce qui a été exposé jusqu’à présent, force est de constater que l’ordination diaconale ne peut être l’officialisation de ce que l’on faisait déjà (comme semble l’induire Ad gentes 16f). Elle n’est pas déclaratoire mais instituante. En ce sens, je paraphrase volontiers pour le diaconat ce qui est affirmé par Vatican II à propos du ministère sacerdotal (LG 10b): il n’y a pas une simple différence de degré entre la diaconie de tous (diaconie commune) et le ministère diaconal (diaconie ministérielle) comme si celui-ci était le prolongement, voire l’officialisation de celle-là. Pour le diaconat également, l’ordination sacramentelle produit une différence constitutive qui habilite des fidèles au service de tous, au nom du Christ, avec son autorité et la puissance de son Esprit34. Doctrinalement parlant, la distinction entre ministère de présidence et diaconie ministérielle renvoie à la contribution respective de l’évêque et des prêtres, d’une part, et des diacres, d’autre part, dans l’édification de l’Église en ce lieu. J’aime citer ici les propos d’Henri Denis (qui s’appliquent a fortiori à l’épiscopat!): «alors que le presbytérat, par suite de 32. COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, Le diaconat. Évolution et perspectives (n. 11), p. 83. 33. Je renvoie à mon étude A. BORRAS, Ministère diaconal et «potestas sacra», dans DUMONS – MOULINET (éds), Le diaconat permanent (n. 9), 251-277. 34. La CTI l’a très bien compris quand elle écrit a contrario: «Si l’on niait sa sacramentalité, le diaconat représenterait une forme de ministère enraciné dans le baptême seulement» (Le diaconat. Évolution et perspectives [n. 11], p. 93).
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la présidence eucharistique, exprime davantage le rassemblement ecclésial toujours donné par le Christ dans son principe (le prêtre est toujours, en effet, dans le monde comme un “vœu” de communauté ecclésiale), le diaconat, lui, serait davantage l’expression du rassemblement ecclésial en train de se faire»35. Tous contribuent au «nous ecclésial» et servent l’apostolicité de l’Église dont ils sont les garants, mais chacun selon sa mission: l’évêque et les prêtres par leur ministère de présidence de la communauté convoquée dans la foi reçue des apôtres et les diacres par la promotion de l’apostolicité de la foi par la fidélité à l’Évangile. L’accent ne doit-il pas être mis chez ces derniers sur l’apostolicité de la foi vécue par et dans le peuple de Dieu, autrement dit sur l’apostolicité de l’Évangile comme Parole vivante et en définitive comme praxis du Royaume? Par son ancrage sacramentel dans la diaconie du Christ et la configuration à ce dernier induite par l’ordination, le diacre n’est-il pas appelé, consacré et envoyé au service des communautés pour les entraîner dans la diaconie du Christ et en faire par l’action de son Esprit le peuple de la diaconie36? Au vu de l’évolution doctrinale de ces dernières décennies, ce qui me semble fécond pour la consistance du diaconat, c’est l’appropriation théorique et pratique de cette distinction entre ministère de présidence et diaconie ministérielle. Selon mon opinion, cette distinction est d’une importance majeure: elle mérite à ce titre-là d’interpeller le diaconat permanent sur le terrain pour l’orienter vers une mise en œuvre plus cohérente dès lors qu’il est dégagé du sacerdoce ministériel. Cela me semble d’autant plus requis que, dans les faits, le diaconat est encore interprété – pensé et mis en œuvre – dans les franges du ministère sacerdotal37. Et c’est bien là, du point de vue des pratiques d’Église et de l’imaginaire ecclésial, ce qui met à mal sa consistance doctrinale. 35. H. DENIS, Le diacre dans la hiérarchie, dans P. WINNINGER – Y. CONGAR (éds), Le diacre dans l’Église et le monde d’aujourd’hui (Unam Sanctam, 59), Paris, Cerf, 1966, 143-148, pp. 146-147. 36. L’accent sur la foi vécue n’est certes pas proprement exclusif au ministère diaconal. Cf. par exemple BORRAS – POTTIER, La grâce du diaconat (n. 21), pp. 131-134; A. BORRAS, Repères pour une théologie du diaconat, dans Prêtres diocésains 1371 (1999) 644-662; ID., Jalons pour une théologie du diaconat, dans Esprit & Vie 112 (2004) 3-17; ID., Le diaconat au risque de sa nouveauté (n. 19), pp. 100-105, 146-147; ID., Lo specifico del diacono nella diakonia ecclesiale (n. 19), pp. 98-101. Voir plus loin dans la cinquième section mes considérations sur l’ancrage dans la diaconie du Christ et le lien à son sacerdoce, ainsi que le rapport à la diaconie «commune» de tous les fidèles. 37. À propos de l’alignement du diaconat sur le sacerdoce des prêtres, je renvoie à S. SANDER, Das Amt des Diakons. Eine Handreichung, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 2008, en l’occurrence pp. 77-91. Cf. A. BORRAS, Diaconat, liturgie et diaconie, dans ET-Studies 19 (2018) 187-204.
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IV. UN DIACONAT
DANS LES FRANGES DU MINISTÈRE SACERDOTAL
Comment en est-on arrivé là? Sur l’arrière-fond de l’abandon progressif par les diacres de la diaconie de la charité vers la fin du premier millénaire, se confirmait la pratique d’un cursus clérical à l’instar d’un cursus honorum où le diaconat en venait à être de plus en plus perçu et pratiqué comme une étape ritualisée vers le ministère sacerdotal des prêtres38. L’abandon de la diaconie par les diacres et la ritualisation de leur ministère comme préalable obligé au sacerdoce ministériel ont fait que, dans la visibilité de l’espace liturgique, les diacres ont été considérés comme des auxiliaires cultuels des prêtres alors que précédemment, aux origines, l’exercice de leur ministère s’entendait principalement comme une aide à l’évêque dans tous les domaines de la vie ecclésiale, y compris la liturgie. Au fil des siècles, le ministère des diacres n’a eu de visibilité pour les fidèles que dans la liturgie d’autant que par ailleurs leur investissement dans la vie ecclésiale était réduit à peu de chose en raison du caractère éphémère de cette étape rituelle du diaconat vers le ministère sacerdotal. Cet alignement des diacres sur le ministère des prêtres en qualité d’auxiliaires cultuels est un phénomène qui a persisté après le rétablissement de l’exercice permanent de leur ministère. Deux, sinon trois facteurs expliquent cette persistance dans nos diocèses euro-atlantiques. Il y a tout d’abord la diminution du nombre de prêtres (telle que perçue) par rapport au passé et puis, plus récemment, l’accès des diacres à la retraite provoquant un (ré)investissement dans le domaine paroissial. Dans ces circonstances, bon nombre de fidèles considèrent les diacres permanents comme des remplaçants des prêtres surtout là où ceux-ci ont encore exercé jusqu’à ce jour la plupart, sinon la totalité des services indispensables à l’édification de la communauté ecclésiale et à l’annonce de l’Évangile en ce lieu. Le manque de consistance du ministère diaconal est en ce sens tributaire du monopole ministériel des prêtres. Tant que ceux-ci font presque tout dans la vie ecclésiale – ou sont perçus comme tels – il y a peu de place – ou pas du tout – pour un diaconat «consistant». De plus, s’ajoute le cas échéant un troisième facteur, celui de la sacralisation du «sacerdoce» des prêtres là où le ministère sacerdotal est interprété dans un sens sacral et sacralisant au sens commun des sciences de la religion, à savoir en référence à ce qui n’est pas profane. Au pire, c’est 38. Le ministère diaconal s’est en effet vidé de son contenu: par le bas, moyennant la délégation des tâches les plus humbles à des clercs mineurs, sous-diacres ou autres; par le haut en devenant une étape vers le sacerdoce. Cf. A. FAIVRE, Servir. Les dérives d’un idéal. D’un ministère concret à une étape ritualisée, dans HAQUIN – WEBER (éds), Diaconat 21e siècle (n. 10), 57-76.
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le sacré païen détaché de l’histoire – du profane – et des exigences concrètes de l’amour du prochain où la religion est vécue comme une consolation face au tragique de l’existence. Là où prédomine ce sens religieux autour de ces «hommes du sacré» que sont les prêtres, les diacres risquent bien, par leur proximité à l’autel, d’être assimilés à leur sacralité. Alors que, la plupart du temps, en raison de leur mariage et de leur vie professionnelle, ils vivent la vie commune des fidèles laïcs, leur ministère peut paradoxalement contribuer à la séparation cléricale par rapport aux autres fidèles. Assimilés à la prétendue sacralité des prêtres, les diacres courent ainsi, par surcroît, le risque de contribuer – à leur corps défendant – à l’infériorisation des fidèles laïcs, sujets passifs du ministère des clercs. Ils n’en ont certes pas la volonté explicite mais ils sont perçus de la sorte par les gens encore sensibles à cette sacralité commune39. Comment dépasser cet imaginaire ecclésial de bon nombre de fidèles? Comment sortir de cette vision étriquée du ministère diaconal?
V. POUR SORTIR DE L’IMPASSE, CROISER DIACONIE ET SACERDOCE Comment dégager le diaconat du carcan sacerdotal? Au risque de sembler paradoxal, je tenterais une réponse à partir du rituel d’ordination des diacres; celui-ci se réfère à cette thématique traditionnelle de l’«assistance» prêtée par les diacres à l’évêque et aux prêtres. Lors du dialogue initial d’engagement il est demandé aux ordinands s’ils sont disposés à accomplir leur fonction «avec charité et simplicité de cœur, pour aider l’évêque et ses prêtres, et faire progresser le peuple chrétien»40. Selon les termes de cette question rituelle, leur mission aurait une double facette: aider l’évêque et les prêtres et faire progresser le peuple chrétien.
39. Dans un contexte italien, par exemple, où le catholicisme est vécu à bien des égards en termes de religiosité populaire et de pratiques dévotionnelles, on pourrait s’attendre à un rapprochement du ministère des diacres à la perception commune plutôt sacralisante du ministère presbytéral pour satisfaire les besoins religieux des fidèles. Pourtant, dans les faits, on doit constater que bien souvent les diacres contribuent à redéfinir le rapport entre le «sacré» et la vie commune des gens, la «sécularité», en favorisant une inculturation de la foi. On se reportera à ce propos à l’interprétation des enquêtes opérées en Italie du Nord. Cf. A. CASTEGNARO – M. CHILESE, Uomini che servono. L’incerta rinascita del diaconato permanente. Con un saggio di Serena Noceti, Padova, Edizioni Messaggero – Facoltà teologica del Triveneto, 2015, en particulier pp. 83-84, 103-104 et 223-227 (sur la nature «amphibie» du diacre) ainsi que le tableau p. 228. 40. C’est la deuxième question du dialogue d’engagement, cf. Pontifical romain, L’ordination de l’évêque, des prêtres, des diacres, rites de l’ordination de plusieurs diacres p. 145 no 200; rites de l’ordination d’un seul diacre p. 170, no 228.
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Les diacres sont tout d’abord présentés (ou requis) au service du ministère de l’évêque et des prêtres et leur aide concerne leur ministère non seulement «sacerdotal», mais aussi «prophétique et royal» dès lors que l’épiscopat et le presbytérat comprennent l’exercice des tria munera du Christ-tête de son corps ecclésial. Leur aide concerne l’intégralité de leur ministère, dans la liturgie certes, comme dans tous les autres domaines de la vie de l’Église. À y réfléchir, n’est-ce pas la seconde facette de leur mission qui détermine la finalité de l’aide qu’ils procurent à l’évêque et aux prêtres? «Faire progresser le peuple chrétien», cela s’entend du sacerdoce commun à tous les fidèles, mais également des autres dimensions de la vocation baptismale de tous: la dimension prophétique de tous les fidèles appelés à attester la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu et la dimension royale de leur vocation au service du Royaume de Dieu qui (sur)vient pour porter l’histoire de l’humanité à son achèvement. En d’autres termes, les diacres aident à faire progresser le peuple chrétien par (et pour) l’annonce en paroles et en actes de l’Évangile ainsi que par (et pour) le service de l’humanité. Les dimensions prophétique et royale s’articulent à la dimension sacerdotale par laquelle tous les fidèles prennent part, en vertu de leur baptême, au seul et unique sacerdoce du Christ par lequel celui-ci a aimé les êtres humains «jusqu’à l’extrême» (cf. Jn 13,1). Par leur plongeon (baptême) dans le seul et unique sacrifice du Christ qui se rend en grâce au Père et remet en grâce notre humanité, les fidèles s’offrent par le Christ, avec lui et en lui: ils entrent ainsi dans la diaconie du Christ-Serviteur, se laissent emporter dans son unique sacerdoce et prennent part à la communion de grâce divine par l’action de l’Esprit Saint41. À ce stade, le sacerdoce du Christ croise sa diaconie. Par celle-ci, il a donné sa vie «en rançon pour la multitude» (cf. Mc 10,45). Telle est sa diaconie – son «service» – puisqu’il est venu pour servir et non pour être servi. Sa diaconie ne se réduit donc pas à sa serviabilité. Elle est de l’ordre du don de soi – de l’oblation – et de l’abaissement – de la dépossession (cf. Ph 2,8). La diaconie du Christ est ancrée dans l’humanité qu’il a assumée en tant que Fils moyennant son obéissance filiale jusqu’à la mort sur la croix, là où se révèle sa «gloire», c’est-à-dire ce qu’il est vraiment, comme Fils, le «Serviteur du Père» (cf. Jn 8,28-29; 12,28; 13,31-32; 17,12; He 2,9.17; 5,8-9; Ph 2,7).
41. A. GRAU, «Diaconie du Christ». De l’analogie pratique à la catégorie théologique, dans Communio 26 (2001) 29-51, ici pp. 48-49.
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Avant de se donner, le Fils s’est reçu du Père et c’est dans sa condition filiale qu’il a été jusqu’au bout du don de soi. Dans cette perspective, la diaconie du Christ se situe en amont de son sacerdoce – ou préalablement à celui-ci – bien qu’intrinsèquement liée à lui. Elle manifeste la surabondance du don du Fils au Père dans l’Esprit Saint. Le sacerdoce du seul et unique grand-prêtre qui nous remet en grâce avec Dieu et avec les êtres humains, c’est son «sacrifice», son don de soi dans l’oblation au Père et pour la multitude42. La diaconie du Christ résulte de la condition humaine qu’il a pleinement assumée et son sacerdoce manifeste l’offrande de l’humanité adressée au Père moyennant sa participation au mystère pascal. Puisque la diaconie du Christ est intrinsèquement liée à son sacerdoce, par le baptême les fidèles du Christ prennent autant part à son sacerdoce qu’à sa diaconie. On peut légitimement parler d’une «diaconie commune» autant que d’un «sacerdoce commun» à tous les fidèles dans le corps ecclésial du Christ. Le peuple sacerdotal qu’est l’Église est tout autant un peuple diaconal. Les diacres configurés au Christ-Serviteur manifestent sa diaconie et entraînent de ce fait le peuple de Dieu à devenir un peuple tout entier diaconal. À l’instar d’un sacerdoce «ministériel» on peut parler d’une diaconie «ministérielle»: l’un et l’autre au service de la condition conjointement sacerdotale et diaconale des fidèles au sein du peuple de Dieu. Ce qui se joue dans la diaconie ministérielle, c’est la condition filiale de notre humanité rétablie dans sa dignité par l’événement du salut dans le Christ: ancré dans l’humanité assumée et sauvée par le Christ, le ministère des diacres se traduit dans un «service» de la fraternité – ecclésiale et partant universelle – d’hommes et de femmes, enfants d’un même Père 42. Il importe de prendre la mesure de la diaconie du Christ où son abaissement jusqu’à la mort sur la croix (Ph 2,8) en nous aimant jusqu’à l’extrême (Jn 13,1) traduit le pardon inconditionnel «pour la multitude». Dans l’eucharistie où se conjugue le sacerdoce/sacrifice du Christ à sa diaconie/abaissement, la tension entre le «vous» de la consécration du pain et du vin, dans et pour l’assemblée, et la «multitude» de la diffusion aux absents, l’Église signifie qu’il lui est impossible de ne pas «engager» («embarquer», cf. B. Pascal) l’humanité inconditionnellement pardonnée dans et par cette oblation du Christ que le ministre rend présente; les participants à l’eucharistie sont projetés en quelque sorte dans cette universalité du pardon acquis par le Christ par le seul et unique sacrifice qui nous remet en grâce. On peut parler de la «nature centrifuge et missionnaire de la présence eucharistique». Cf. M. ROUILLÉ D’ORFEUIL, Des personnages en quête d’Auteur. Une histoire de la charité (Cogitatio fidei, 305), Paris, Cerf, 2018, pp. 245-250. À cet égard, cette dimension universelle d’un pardon inconditionnel est rituellement suggérée par l’association du «pour la multitude» avec la consécration du calice préalablement présenté par le diacre et ultérieurement élevé par lui pour l’assemblée pour être ensuite offert pour la communion. La diaconie ministérielle des diacres dans la liturgie rejoint celle de la charité, l’amour-agapé du Christ ayant été offert inconditionnellement «pour la multitude». Voir mes considérations sur le service du calice par le diacre, plus loin dans la septième section.
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et confiés les uns aux autres comme des frères et des sœurs pour faire de ce monde un monde plus fraternel. Parce qu’elle est fondée dans la diaconie du Fils, la consistance du diaconat résulte de la filiation adoptive des êtres humains acquise dans le Fils unique; elle engage à un service de la fraternité humaine au nom du Royaume de Dieu (sur)venu de façon décisive autant que définitive en ces temps qui sont les derniers (He 1,1). C’est en s’engageant dans cette voie que les diacres aide(ro)nt à faire progresser le peuple chrétien. Quelles conséquences en tirer sur le plan ecclésial? Si la mission de l’Église consiste à attester les germes de l’humanité nouvelle restaurée dans sa dignité, les diacres ont pour fonction aussi bien de rendre le tissu ecclésial plus fraternel que de s’inscrire dans tous les combats pour la dignité humaine et l’honneur de Dieu. Celui-ci n’a-t-il assumé pleinement notre humanité pour lui faire part de sa divinité? Croiser diaconie et sacerdoce – chacun dans leur triple dimension, christique, commune/ecclésiale et ministérielle –, cela entraîne donc d’abord et avant tout comme conséquence d’engager le ministère des diacres sur le chemin de la fraternité. On est donc loin de leur réduction à la qualité d’auxiliaires cultuels des prêtres! Certes, tous les fidèles du Christ ont reçu en vertu du baptême cette mission d’attester l’humanité nouvelle restaurée dans sa condition fraternelle par le pardon inconditionnel «pour la multitude», mais les diacres la reçoivent au titre de leur ordination pour disposer et entraîner le peuple de Dieu à devenir plus fraternel, à la suite du Christ, le Fils qui s’est fait le serviteur de tous. C’est par ce biais qu’ils contribuent à la sanctification du peuple de Dieu en manifestant l’amour-agapé du Christ qui s’est offert pour la multitude. Au service de la diaconie commune, il y a la diaconie ministérielle, c’est-à-dire le ministère diaconal; la première se conjugue au sacerdoce commun et la seconde au sacerdoce ministériel, ou pour mieux dire au ministère sacerdotal. À ce stade de notre réflexion, on mesure combien le lien intrinsèque entre diaconie et sacerdoce requiert de les distinguer sans les séparer, de les unir sans les confondre. L’élucidation de ce lien montre comment le ministère diaconal peut se libérer du carcan du ministère sacerdotal en se référant en revanche au sacerdoce commun. Sur la base de la réflexion proposée jusqu’à présent, le ministère des diacres consiste(rait) à faire progresser le peuple de Dieu dans le service de la fraternité en manifestant la surabondance du don du Fils au Père dans l’Esprit (diaconie du Christ) par l’aide procurée à l’évêque et aux prêtres dont le ministère de présidence rend sacramentellement présente l’offrande de l’humanité au Père par la participation au mystère pascal
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(sacerdoce du Christ). Dans cette perspective, l’identité du diaconat au sein du ministère apostolique est à chercher, aujourd’hui comme hier, dans le service de la charité – l’amour-agapé – du corps ecclésial, de sa sanctification autant que de son témoignage pour qu’il laisse pressentir la charité de Dieu qui l’anime. VI. UNE CONSISTANCE À
CONSOLIDER (À BON ESCIENT)
DU CÔTÉ DE LA LITURGIE
Ma conviction est que ce qui se donne à voir dans la liturgie reflète et d’une certaine façon conforte ce qui se vit dans la pastorale. Sur base de l’axiome selon lequel ce qui se joue dans la liturgie se noue dans la vie ecclésiale (et vice versa!), le rôle liturgique des diacres doit être considéré comme un lieu de vérification de la consistance de leur ministère, principalement pour deux raisons. Tout d’abord, à cause du minimalisme de leur ministère liturgique. Telle qu’elle est effectivement exercée sur le terrain dans l’Église latine, leur fonction d’assistance de l’évêque et des prêtres ne donne pas, selon moi, suffisamment de visibilité ni de corps à leur ministère. J’ose même dire que le service liturgique des diacres n’est pas digne de leur rang: il ne peut en effet se réduire à celui de servants de messe (lat. ministrantes). Ce qu’il est bien souvent. À quoi cela nous avance-t-il d’avoir des diacres réduits à l’acolytat? Ce minimalisme dans l’assistance de l’évêque et des prêtres ne contribue pas non plus à faire progresser le peuple chrétien dans la conscience de la diaconie commune à tous les fidèles que la diaconie ministérielle des diacres a pour mission de promouvoir et de développer. Leur engagement liturgique ne peut être minimaliste en raison même de la nature de la liturgie. Et c’est la seconde raison pour laquelle je m’arrête sur le ministère liturgique des diacres. Une juste compréhension de la liturgie autant qu’une correcte mise en œuvre peuvent aider à consolider le ministère des diacres au quotidien, sur le terrain, selon la diversité de leurs profils et des missions qui leur sont assignées. La liturgie est de soi un agir, celui de Dieu par la médiation de l’Église en prière. Cet agir appartient au corps ecclésial du Christ, il le manifeste et l’affecte en même temps qu’il atteint chacun des membres qui y prennent part moyennant la participation active de tous et selon la diversité des fonctions de chacun (cf. Sacrosanctum concilium 26). C’est l’assemblée qui «célèbre» en prenant part, par exemple, à l’action eucharistique sous la présidence d’un seul – évêque ou prêtre – assisté d’un diacre avec la collaboration d’un ensemble de ministres (chantres, lecteurs, etc.); tous
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et chacun doivent y jouer seulement et totalement leur rôle (cf. Sacrosanctum concilium 28)43. Cet agir liturgique est de l’ordre de la communication qui s’exprime sur un triple registre vocal (par les paroles, le dialogue avec l’assemblée, le chant et… le silence), gestuel (le corps et ses attitudes, individuelles et collectives, l’occupation de l’espace) et symbolique (par des supports tels le lieu, les vêtements, les luminaires, etc.). Son langage est performatif au sens que lui donnent les sciences du langage: il réalise ce qu’il dit. Il n’est pas simplement descriptif ou constatif, par exemple de ce que Dieu a accompli et il ne se limite pas à informer de l’histoire du salut. Il est à proprement parler un acte de parole (angl. speech act), c’est-à-dire une action changeant réellement la position des sujets parlants du simple fait de l’énonciation44. C’est la dimension perlocutoire du langage: la relation des sujets n’est plus la même après qu’avant. Le langage liturgique a une incidence existentielle en même temps qu’il institue la communauté; le langage manifeste en ce domaine qu’il est à la fois le lieu et l’instrument par lequel le «nous ecclésial» s’institue. Si l’assemblée eucharistique – pour ne parler que de cette action liturgique – constitue le sujet (historique) de l’action liturgique, c’est en son sein que se déploient des relations multiples et variées, par le jeu du président (évêque ou prêtre) en vis-à-vis avec l’assemblée (et vice versa) et des autres acteurs liturgiques en fonction des rôles assignés à chacun, parmi lesquels il y a le rôle liturgique du diacre. Les relations qui s’établissent dans la liturgie construisent le «nous ecclésial». Dans cette action du sujet ecclésial (l’assemblée) et des sujets qui le constituent (les fidèles dans leur diversité), il y a la bipolarité assemblée – présidence (corps ecclésial du Christ et figuration symbolico-sacramentelle de sa tête) mais les autres acteurs liturgiques y apportent leur part spécifique (à condition que la fonction de présidence n’absorbe pas tous les rôles!). L’évêque ou le prêtre conduisent le peuple de Dieu dans la fidélité à l’Évangile et le rassemblent dans l’action de grâce pour écouter la Parole de Dieu et rendre grâce pour la merveille du salut. En convoquant 43. Cf. A. BORRAS, La liturgie comme manifestation d’une Église tout entière ministérielle, dans La Maison-Dieu 286 (2016) 101-135. 44. Je renvoie ici à J.L. AUSTIN, Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970, en l’occurrence pp. 119, 136-144. Certes, la fonction constative de nature informative et la fonction performative de type communicatif ou allocutif sont en tension comme deux pôles du langage. On lira plus en particulier J. LADRIÈRE, Le langage dans le culte. 2) La performativité du langage liturgique, dans Concilium 82 (1973) 53-64. Ce à quoi nous accorde le langage liturgique c’est à la réalité qu’il rend présente (p. 58); à cet effet l’affectivité comme réceptivité constitutive rend capable de s’accorder à cette réalité (p. 60). Cette attention à l’opérativité liturgique m’a été suggérée par Serena Noceti; je la développe ici dans la foulée de ses propos (Cf. NOCETI, Presbiterato e diaconato [n. 29], pp. 40-42).
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les fidèles pour l’eucharistie au nom du Christ et dans son Esprit, ils font mémoire du seul et unique sacrifice qui sauve l’humanité et les entraînent à entrer dans le don que le Christ a fait «pour la gloire de Dieu et le salut des hommes». La communion au corps eucharistique du Christ consolide, par l’action de l’Esprit Saint, l’unité de son corps ecclésial. C’est ainsi que leur ministère sacerdotal fait de l’Église un peuple tout entier sacerdotal. Les diacres «assistent» l’évêque ou le prêtre. Nous comprenons désormais le sens de cette «assistance»: «assister» ne signifie pas simplement «se trouver à côté» des pasteurs, mais «être auprès» d’eux pour les seconder afin qu’ils accomplissent utilement leur ministère de présidence ecclésiale et eucharistique. Alors que l’évêque et les prêtres président le rassemblement ecclésial, les diacres sont les «animateurs» (lat. instimulatores) de la diaconie de l’Église45. Leur diaconie ministérielle – avons-nous dit et répété – est au service de la diaconie commune à tous les fidèles. Les diacres entraînent l’Église à devenir un peuple diaconal. Dans cette perspective, comment leur ministère liturgique donne-t-il à voir le «nous ecclésial» en train de se faire? Dans cet agir à la fois communicationnel et performatif qu’est la liturgie – dans les relations qu’elle induit sur les plans interpersonnel et collectif –, comment les diacres contribuent-ils à la constitution du «nous ecclésial»? L’examen, au moins sommaire, du rôle des diacres dans l’eucharistie46 nous instruit sur leur ministère en général, et celui-ci s’y trouve conforté pour autant qu’ils jouent vraiment leur rôle, celui de diacres et non pas de servants de messe, ni même de lecteurs ou d’acolytes. La manière dont 45. Le Motu proprio Ad pascendum de 1972 présentait le diacre comme «animateur du service ou de la diaconie de l’Église» (lat. instimulator famulatus seu «diaconiae» Ecclesiae). Le mot latin instimulator connote bien la portée incitative, la fonction d’entraînement, le rôle d’impulsion du ministère diaconal (PAUL VI, Motu proprio Ad pascendum, du 15 août 1972, dans Documentation catholique 69 [1972] 855). Dans leur introduction, les Normes pour la formation de 1998 citent le passage quand elles écrivent: «sa tâche [du diacre] est d’être ‘l’interprète des nécessités et des désirs des communautés chrétiennes’ et ‘l’animateur du service, c’est-à-dire de la diakonia’, qui est une partie essentielle de la mission de l’Église» no 5). 46. Vu les limites de cette étude, je ne puis envisager leur ministère dans les autres actions liturgiques, notamment les autres sacrements. Cf. entre autres HAQUIN, Diaconat permanent et liturgie (n. 22), 131-161; O. WINDELS, Le ministère diaconal en liturgie, dans NRT 119 (1997) 397-404; O. DE CAGNY, Le diacre dans la liturgie romaine. Serviteur de l’évêque, serviteur du peuple chrétien, dans Communio 26 (2001) 53-63; P. FAURE, La signification du diacre à partir de ses actes liturgiques, dans La Maison-Dieu 249 (2007) 23-52; A. BORRAS, Le ministère liturgique des diacres dans sa relation au Christ Serviteur et au ministère de l’évêque et des prêtres et Le service liturgique des diacres, dans SERVICE NATIONAL DE PASTORALE LITURGIQUE ET SACRAMENTELLE DE LA CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES DE FRANCE, Le ministère liturgique des diacres. Guide pastoral (Guides Célébrer), Paris, Cerf, 2013, respectivement pp. 11-20 et 21-27.
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ils jouent leur rôle construit leur identité autant que celle-ci se consolide par celle-là. La consistance du diaconat se consolide dans la liturgie. Ainsi, comme dans la pastorale ou plus largement dans les missions qui leur sont attribuées, la fonction liturgique des diacres se vit en référence à la diaconie du Christ autant qu’à la mission du peuple de Dieu tout entier diaconal. VII. PAS D’EUCHARISTIE SANS LAVEMENT DES PIEDS D’une manière générale, en fonction du rôle qui leur est imparti, les diacres sont pour leur part des animateurs de la participation active des fidèles au sens où celle-ci leur permet d’entrer dans l’offrande que le Christ fait de lui-même pour vivre en communion avec Dieu (cf. Sacrosanctum concilium 11). La charité en est bel et bien la finalité en même temps qu’elle en demeure la cause aussi bien dans sa source trinitaire – l’amour-agapé – que dans son expression christique – son oblation sur la croix. Dans l’ordre de la diaconie de la Parole – (du Verbe) de Dieu qui parle au milieu de son peuple par la médiation des Écritures proclamées et accueillies dans la foi par l’action de l’Esprit Saint (cf. Sacrosanctum concilium 7a) –, les diacres posent des gestes qui, d’emblée, favorisent les relations dans l’assemblée et celles des fidèles entre eux autant qu’avec la Parole qui les rassemble; c’est d’ailleurs celle-ci qui les convoque et sur base de laquelle, au terme de leur rassemblement – d’une table à l’autre – les fidèles seront envoyés pour en vivre et attester l’amour-agapé trinitaire. «Le ministère de la Parole conduit au ministère de l’autel qui, à son tour, comporte l’exercice de la charité», lit-on dans le Directoire pour le ministère pastoral des évêques à propos du ministère diaconal47. Le jour de leur ordination, en recevant l’évangéliaire, les diacres se sont entendu dire les paroles suivantes: «Recevez l’Évangile du Christ que vous avez mission d’annoncer. Soyez attentif à croire à la Parole que vous lirez, à enseigner ce que vous avez lu, à vivre ce que vous avez enseigné»48. Dans la procession d’ouverture de l’eucharistie, l’évangéliaire est porté par le diacre, signifiant ainsi qu’il «porte» l’Évangile dans le jeu liturgique comme dans la vie ecclésiale. S’il n’y a pas de procession d’ouverture, il importe de ne pas négliger le rôle d’accueil par le diacre de l’assemblée qui est venue, ce «venir» étant déjà une réponse à la convocation dont l’assemblée et partant la 47. Cf. CONGRÉGATION DES ÉVÊQUES, Directoire pour le ministère pastoral des évêques Apostolorum successores, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2004, no 92. 48. Cf. Pontifical romain, L’ordination de l’évêque (n. 40), p. 158 no 210; p. 176 no 238.
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communauté ecclésiale médiatisent dans l’espace et dans le temps le mystère d’alliance de Dieu avec son peuple et, par lui, avec toute l’humanité. Il est donc important d’accueillir les fidèles qui «sont venus». En commençant à «faire assemblée» ils disent déjà leur vocation d’être appelés et, au terme de la célébration, leur mission, leur qualité d’être envoyés. En tant qu’instimulator, le diacre va entraîner l’assemblée et les fidèles dans l’action liturgique. Au seuil de la célébration eucharistique il est «au service des portes» pour que chacun se découvre appelé et se sente chez soi en Église. La monition d’accueil par le diacre avant la salutation liturgique par le président n’est donc pas seulement une formule de politesse. Elle prépare les fidèles à être réunis «au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit». Notons déjà qu’au terme de la «réunion», l’envoi sera fait non pas par le président, mais par le diacre. Revenons à l’évangéliaire. Une fois le diacre arrivé au pied de l’autel, l’évangéliaire est «déposé» sur cette table du sacrifice qui rappelle le tombeau dans lequel le Christ a été déposé et dont il a été libéré par la fidélité de Dieu. L’autel évoque le don du Christ – le seul et unique médiateur (1 Tm 2,5) – qui s’est offert librement et par amour pour l’humanité, une fois pour toutes «pour la gloire de Dieu et le salut du monde». Jusque là le ministère de la Parole se traduit tout simplement dans les gestes posés par le diacre; par la suite il sera exercé dans la proclamation de l’Évangile49 et, le cas échéant, dans l’homélie où il actualise la Parole de Dieu en tant que garant de l’apostolicité de la foi vécue. Si elles sont faites avec justesse, proclamation et homélie produisent et renforcent le «nous ecclésial» des fidèles, «auditeurs de la Parole». Notons qu’à ce stade, la vénération de l’évangéliaire (ou du lectionnaire) avant l’Évangile fait écho à la vénération de l’autel au début de l’eucharistie. Par le biais de cette double vénération, l’autel devient en quelque sorte le lien symbolique entre les deux tables que le diacre sert. Celui-ci passe d’une table à l’autre après la prière universelle – en principe dans ses attributions50 –, soit en la préparant, soit en la prononçant; il se fait 49. Cette Parole proclamée ne vient pas du diacre, mais de Dieu. D’où les rites qui précèdent, accompagnent et suivent sa proclamation: la demande de bénédiction pour que le Seigneur soit «dans son cœur et sur ses lèvres», la démarche de prendre l’évangéliaire ou le lectionnaire déposé sur l’autel – lieu du sacrifice –, son encensement éventuel, la prière pour demander la pureté du cœur et enfin, la vénération de la Parole. 50. Sa (re)mise en œuvre par la réforme liturgique a précédé de quelques années le rétablissement effectif du diaconat permanent. De ce fait, ce sont les fidèles laïcs qui l’ont prise en charge aussi bien pour la rédaction que pour la lecture des intentions. Il ne semble pas opportun de ce fait que le diacre fasse la prière universelle à la place des laïcs. Cf. FAURE, La signification du diacre à partir de ses actes liturgiques (n. 46), p. 48: «En revanche, ce pourrait être le rôle du diacre de veiller à la qualité de la rédaction et du déroulement liturgique de cette prière qui ne sont pas toujours en très bon état» (c’est moi qui souligne).
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ainsi l’interprète de l’assemblée en prière en même temps que, par les gestes posés, il la dispose à la prière. Ces actes manifestent ainsi le rôle de go-between des diacres entre l’assemblée et celui qui la préside – entre le sacerdoce commun de tous et le ministère sacerdotal de l’évêque ou du prêtre51. Bien plus, s’il joue bien son rôle, le diacre va non seulement montrer qu’il sert l’assemblée «d’une table à l’autre» mais qu’il l’entraîne dans ce passage de la diaconie du Christ à son acte sacerdotal d’oblation. Le service du calice suggère alors toute la portée de ce passage. Ce service est plus une affaire de gestes que de paroles. Il gagne à se déployer dans toute sa visibilité. C’est en effet le même diacre qui a proclamé l’Évangile du salut enraciné dans le mystère pascal qui signifie à l’assemblée le don que le Christ a fait de sa vie52. C’est en effet en s’unissant à son sacrifice que l’assemblée devient à son tour une «éternelle offrande à la gloire du Père» moyennant l’action de l’Esprit Saint. Voilà bien la fonction performative de la liturgie dont le langage reçoit de la foi – faut-il le rappeler – sa performativité caractéristique53. Le diacre y contribue par son service de l’autel: il y dispose ce qui doit l’être, en apportant les oblats54 pour le sacrifice de la nouvelle alliance. Sur la coupe de bénédiction, celle du sang du Christ, le diacre prononce des paroles qui disent bien la finalité de l’action eucharistique: «comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité». C’est bien là la finalité de l’amour-agapé trinitaire. En présentant ensuite la coupe à celui qui préside, le diacre manifeste par le geste ce qui a été exprimé en paroles dans la prière universelle, à savoir l’union de toute la vie des êtres humains à l’offrande du Christ qui a assumé 51. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille comprendre le diaconat comme un medius ordo. Sur le caractère problématique de cette qualification et ses conséquences, je renvoie aux judicieuses réflexions de DEL CURA ELENA, art. Diaconado (n. 27), pp. 195196. 52. Les témoignages de la tradition sur le service du calice par le diacre sont bien plus nombreux que les allusions à son rôle de proclamation de l’Évangile: la mémoire et la piété des fidèles ont manifestement été marquées par les quelques hautes figures de diacres martyrs qui ont versé leur sang pour le Christ. Cf. FAURE, La signification du diacre à partir de ses actes liturgiques (n. 46), p. 41. 53. LADRIÈRE, Le langage dans le culte. 2) La performativité du langage liturgique (n. 44), pp. 63-64. 54. Dans les célébrations plus festives, la procession avec le pain et le vin met mieux en lumière qu’ils nous sont donnés. Paradoxalement ces offrandes – les oblats – représentent d’abord ce que l’assemblée a reçu: celle-ci donne ce qu’elle a reçu, et à travers ses offrandes elle présente la vie du monde. Cela nous rappelle que ce n’est pas en rigueur «nos» offrandes qui sont présentées, mais ce que «nous» avons reçu. Il y a sans doute encore beaucoup à faire pour que les catholiques acquièrent un juste sens de l’offertoire qui les prémunit d’une vision païenne des offrandes pour le sacrifice.
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notre humanité. Dans la doxologie finale de la prière eucharistique, tandis que le prêtre élève la patène, le diacre élève le calice55. Le geste de l’élévation de la coupe du sang versé pour la multitude suggère à nouveau l’union des fidèles au Christ et les incite à entrer dans le seul et unique sacrifice qui rétablit l’humanité dans l’alliance56. Par la suite, si la sainte communion a lieu sous les deux espèces, c’est au diacre qu’il revient de présenter le calice aux communiants (Présentation générale du Missel Romain no 137) pour que leur existence unie au Christ se déploie selon la charité divine «pour la gloire de Dieu et le salut du monde». De toute évidence, s’ils sont accomplis avec justesse, le service de l’autel, en général, comme le service du calice, en particulier, sont en quelque sorte chargés de redondance performative pour forger le «nous ecclésial». Au terme de l’eucharistie, le ministère de la Parole du diacre se traduira après la bénédiction par une brève monition – action communicationnelle s’il en est – au moment de l’envoi de l’assemblée pour qu’elle vive de ce qu’elle a reçu en prenant part à la diaconie et au sacerdoce du Christ57. Le diacre est en effet traditionnellement le ministre de l’envoi de l’assemblée (cf. Présentation générale du Missel Romain no140). Au terme de la célébration eucharistique, le diacre est toujours «au service des portes» où sa fonction d’instimulator manifeste dans l’envoi de l’assemblée quelle est «en sortie» et que tous les fidèles, chacun à sa manière propre, entrent dans cette dynamique missionnaire au cœur de ce monde où le Royaume de Dieu (sur)vient. Tout se tient, dans l’action eucharistique comme dans la vie ecclésiale. On mesure à ce stade à quel point le ministère liturgique des diacres contribue à l’authenticité de l’eucharistie: «il n’y a pas d’eucharistie sans lavement des pieds»58. Ce que je viens d’esquisser pour l’eucharistie mériterait d’être développé pour toutes les autres actions liturgiques où le ministère diaconal est exercé. Son déploiement liturgique dit son engagement ecclésial. Celui-ci est certes diversifié. Le diaconat, ai-je déjà dit, est un ministère polymorphe par les missions assignées et par les personnes qui les assument au quotidien. En d’autres termes, il y a une variété de figures diaconales que l’on peut globalement classer selon une triple typologie. Il y 55. L’art de célébrer la messe. Présentation générale du Missel Romain, 3e édition typique 2002, Paris, Desclée – Mame, 2008, ici no 135. 56. DE CAGNY, Le diacre dans la liturgie romaine (n. 46), p. 62. 57. On pourrait aller judicieusement au-delà du trop court «Allez dans la paix du Christ». Cette invitation gagnerait à être déployée pour marquer davantage la dynamique missionnaire de la liturgie (cf. WINDELS, Le ministère diaconal en liturgie [n. 46], p. 402). 58. La formule est du théologien anversois E. VAN WAELDEREN, Diakens. Wakers en voortrekkers in een diaconale Kerk, dans Collationes 22 (1992) 341-354, p. 344.
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aurait parmi les diacres des «samaritains» plus sensibles aux besoins d’autrui, des «prophètes» plus sensibles aux enjeux collectifs, ou encore des «bergers» exerçant un rôle d’animation au service des communautés59. Ces figures «idéaltypiques»60 mettent chacune l’accent sur un aspect du ministère diaconal, sans pour autant nier ou négliger les autres. C’est donc ensemble que ces figures expriment la variété de tonalités de ce ministère. Ces figures ne sont pas sans incidence sur la façon dont le diacre exerce son service liturgique. Voyons à gros traits les styles liturgiques qu’elles induisent sur le terrain. Les «diacres-samaritains» seront liturgiquement portés à la prière d’intercession pour tout être humain et pour notre monde; ils prient avec les croyants en présentant leurs joies, leurs peines, leurs blessures et leurs péchés à la lumière de la grâce de Dieu. Ils président volontiers des célébrations pénitentielles non sacramentelles. Ils procèdent à la bénédiction des malades et des mourants. Ils saisissent opportunément les occasions qui se présentent pour prier avec les blessés de la vie qu’ils écoutent, accueillent, rencontrent et réconfortent. Les «diacres-prophètes» seront sensibles au partage de la Parole de Dieu, à l’animation de la prière ancrée dans le vécu de leur milieu et à une relecture sociale de l’Écriture. Ils portent le cri des hommes et des femmes de ce temps et en particulier la clameur des pauvres. Dans la liturgie des heures, ils sont conscients non seulement de prier pour les autres, mais à la place des autres – de ceux et celles qui ne peuvent pas ou n’osent pas prier tellement la misère les affecte ou le désespoir les guette. Les «diacres-bergers» sont attachés à leur participation à l’action eucharistique et aux autres sacrements. Ils sont portés à présider les assemblées de prière le dimanche autour de la Parole de Dieu à défaut d’eucharistie; au fil des jours par la prière des heures ils auront à cœur d’introduire les croyants pour qu’à leur tour ceux-ci entrent dans la prière de l’Église. Ces figures déterminent donc des styles liturgiques particuliers qui seront le reflet du ministère diaconal propre à chacun, mais toujours en communion avec l’évêque et le presbyterium qu’ils ont pour mission d’aider afin de «faire progresser le peuple chrétien». 59. Cette typologie a été dressée par le Prof. P.M. Zulehner à partir d’une vaste enquête dans les diocèses germanophones (Allemagne, Autriche, Suisse). Elle a été reprise par mon collègue flamand K. DEPOORTERE, Typologie van het permanent diaconaat. Een kleurenpalet, dans J. VAN DER VLOET – R. VANDEBROECK (éds), Het permanent diaconaat op zoek naar zichzelf. 35 jaar diakens in Vlaanderen (Cahiers voor praktische theologie, 6), Antwerpen, Halewijn, 2006, 129-147, pp. 138-141. 60. Ces figures diaconales sont des sortes d’«idéaltypes» au sens du sociologue Max Weber, à savoir des constructions conceptuelles accentuant par la pensée certains éléments de la réalité. Cf. M. WEBER, L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales [1904], dans ID., Essais sur la théorie de la science, trad. J. FREUND, Paris, Pocket, 1992, 117-213, pp. 172-173.
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EN GUISE DE CONCLUSION Au terme de ce parcours, sans doute prend-on mieux la mesure des composantes à prendre en compte pour assurer la consistance du ministère diaconal. Tout n’a pas été dit. Ce n’était pas le but. Il s’agissait de montrer que, dans le contexte des bouleversements qui affectent nos sociétés occidentales et par conséquent les Églises locales euro-atlantiques, les acquis théoriques sur le plan doctrinal gagnent certes à être approfondis, mais dans une attention aux pratiques en cours où le diaconat est encore tributaire d’un monopole ministériel effectif ou attendu des prêtres et bien souvent dans le cadre de la pastorale paroissiale. La réception du diaconat dans les Églises locales montre déjà que le caractère polymorphe de ce ministère est un atout pour le déploiement de la mission sur différents terrains et à la rencontre de nos contemporains qui se tournent encore vers l’Église catholique. Face à ce que j’ai considéré comme le minimalisme du rôle liturgique des diacres, j’ai voulu mettre en lumière cet autre atout que représente le potentiel de sens de leur agir liturgique. Selon mon opinion, il peut – et doit – contribuer à donner plus de consistance au ministère diaconal: ce qui se joue dans la liturgie se noue dans la vie ecclésiale, et vice versa. Les diacres y assistent l’évêque et les prêtres pour faire progresser le peuple chrétien aussi bien dans le sacerdoce commun à tous les fidèles que dans la diaconie qui leur est commune en vertu de son ancrage baptismal dans la diaconie du Christ. Croiser diaconie et sacerdoce – tout en valorisant la première en la sortant du carcan du second –, cela permet en effet de donner toute sa portée ecclésiologique au ministère diaconal au service du Royaume qui (sur) vient dans le monde, après en avoir indiqué ses références christologique (au Fils unique qui nous fait fils adoptifs), sotériologique (en vertu de l’humanité pleinement assumée par lui et restaurée dans sa dignité filiale et fraternelle) et eschatologique (en attestant les germes du Royaume qui conduit ce monde à son achèvement). Car, au bout du compte, c’est bien en fonction du Royaume de Dieu que les diacres disposent les fidèles à prendre leur part dans la mission de l’Église. Ancrée dans la diaconie du Christ, leur diaconie ministérielle joue un effet d’entraînement de la diaconie commune à tous les fidèles; elle est comme le catalyseur de la diaconie ecclésiale. Mais c’est – et ce sera – toujours dans l’aujourd’hui de Dieu et en fonction des besoins de la mission que les diacres œuvre(ro)nt pour nos frères et sœurs en humanité, «des pauvres surtout et de tous ceux et celles qui souffrent» «dans leurs joies et leurs espoirs, leurs tristesses et leurs angoisses» (cf. GS 1). Dans une Église ballottée par les mutations en cours et confrontée aux circonstances actuelles de la mission, assurer la consistance
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du diaconat requiert donc aujourd’hui discernement et créativité. À l’heure de l’exculturation de la foi dans nos Églises euro-atlantiques et dans un monde menacé par la «déculturation de l’humain»61, on mesure en effet la nécessité d’un diaconat en phase avec les exigences de la communication de l’Évangile: l’évangélisation implique d’entrer en «conversation»62 avec nos contemporains tels qu’ils sont pour «incarner l’Évangile» au cœur de ce monde63. L’Église a besoin des diacres pour cette communication incarnée de la Bonne Nouvelle du Royaume, cette plénitude de vie que Dieu offre à l’humanité, cet amour plus grand, la grâce de son alliance. L’Évangile résonne en effet dans un monde où l’Esprit de Dieu est déjà à l’œuvre. D’où l’ouverture aux signes du Royaume, aux traces de Dieu. Les diacres croiseront les seekers, ces «chercheurs de sens» dans la diversité de leurs engagements et selon la variété de leurs profils, «samaritains», «prophètes» et «bergers». N’est-ce pas dans cette rencontre avec leurs contemporains, là où l’Église les envoie, que les diacres forgeront leur identité? N’est-ce pas dans cette altérité que le diaconat trouvera sa consistance? Il y va de sa capacité d’adaptation «aux besoins de la mission». À cet effet, il n’est pas question de figer le diaconat dans des figures du passé (des diacres «de l’évêque»), ni dans son expression cultuelle ou même sacrale (en fonction des besoins religieux), ni de l’enfermer dans la pastorale cadastrale (du maintien du quadrillage paroissial). Les Églises locales diocésaines lui donneront corps – et consistance – par l’attention aux défis de la fraternité dont le monde a tant besoin et aux signes du Royaume qu’il revient au peuple de Dieu d’attester. L’identité des diacres ne peut se trouver que sur les chemins de la fraternité en raison même de la filiation adoptive acquise par le Fils unique. 61. L’expression est de M. GAUCHET, La liberté religieuse, quarante ans après. La conscience chrétienne face aux dilemmes de la société des individus, dans CONFÉRENCES DE LA FACULTÉ NOTRE-DAME, Le temps de l’écoute. «Vers un nouveau rapport entre Église et âge moderne» (Benoît XVI), Paris, École cathédrale – Parole et Silence, 2006, 111-128, ici p. 126. 62. Cf. PAUL VI, Encyclique Ecclesiam suam, dans Documentation catholique 61 (1964) 1057-1093, col. 1073. Mais cet échange ne peut produire des fruits que dans une conversation … «amicale» (no 16), et «avec douceur», dirait le pape FRANÇOIS (cf. exhortation apostolique Gaudete et exsultate du 19 mars 2018, sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel, no 73 in fine). 63. C’est bien l’accent que met mon collègue milanais L. BRESSAN, Il diaconato. Questioni aperte, dans Credere oggi 39 (2019) 9-20, en particulier pp. 17-18 où le diaconat est envisagé en vue de cette incarnation de l’Évangile pas seulement par le témoignage des individus, mais par son inscription dans la «texture» ou le tissu ecclésial. En amont cela suppose le dépassement d’une vision corporative d’un diaconat refermé sur lui-même; en aval cela engage une gestion de la réforme de l’Église qui fasse mieux apparaître la charité divine qui l’anime.
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Par leur ministère en communion avec l’évêque et les prêtres, il leur revient pour leur part de rendre le tissu ecclésial plus fraternel et de l’inscrire dans tous les combats pour la dignité humaine. La fraternité ecclésiale ne prétendelle pas être signe et germe de la fraternité universelle? Dans cette perspective, la consistance du diaconat dépendra aussi de la conscience ecclésiale de tous les fidèles, pasteurs et autres ministres y compris, de s’atteler dans la reformatio que Dieu attend sans cesse de son Église – et chaque fois à nouveaux frais. Faculté de théologie Université catholique de Louvain Grand Place 45 / L3.01.01 BE-1348 Louvain-la-Neuve Belgique [email protected]
Alphonse BORRAS
III YVES CONGAR TRAJECTOIRE ET INFLUENCE
VRAIE RÉFORME, VRAI CONCILE I. HUMANI GENERIS EN SON
TEMPS
12 août 1950. En Italie, c’est à quelques semaines près la mort de Salvatore Giuliano et le lancement de la Caisse du Mezzogiorno. Dans le monde, ce sont les débuts de la guerre de Corée et l’avancée rapide des troupes communistes nord-coréennes, dirigées par Kim Il-Sung. Pour L’Église catholique, la date est celle de la parution d’Humani generis. L’encyclique n’évoque pas le genre humain comme unique famille humaine, comme aurait dû l’y inciter celle de Pie XI contre le racisme: débutant par le même incipit, Humani generis unitas, cette encyclique rédigée en 1938 ne fut jamais publiée. Non, ce que l’Humani generis de Pie XII décrit du genre humain, c’est l’inclination à la discorde et à l’errance de la vérité, et le péril du temps présent, qui voit grossir de nouveaux écueils pour les principes de la culture chrétienne. Le latin de curie pacellien est solennel, quasi rythmique: humani generis in rebus religiosis ac moralibus discordia et aberratio a veritate probis omnibus, imprimisque fidelibus sincerisque Ecclesiae filiis, vehementissimi doloris fons et causa semper fuere, praesertim vero hodie, cum ipsa culturae christianae principia undique offensa cernimus1.
Parue au cœur de l’année jubilaire, cette encyclique décisive fixe une fois pour toutes la théologie de l’histoire de Pie XII et ouvre pour l’Église catholique une nouvelle phase de répression. Cette dernière est tout à fait différente de celle qui avait flagellé la recherche et le savoir historicothéologique avant la Première Guerre mondiale, lorsque Pie X – qui à dessein sera béatifié en 1951 et canonisé en 1954 comme modèle non des chrétiens mais de la papauté – s’était convaincu que les nombreux ferments de renouveau dans l’Église n’étaient qu’une seule et vaste hérésie, multiforme, qu’il convenait de dénoncer et d’extirper, pour libérer l’Église du «modernisme». Pie XII ne nomme pas son adversaire, mais en décrit le procédé, dans un rapport à soi-même et à son propre magistère, qui devait être pour tout théologien «la norme la plus proche et universelle de vérité» 1. «Les dissentiments et les erreurs des hommes en matière religieuse et morale, qui ont toujours été pour tous les honnêtes gens et avant tout pour les vrais fils de l’Église la cause d’une très vive douleur, le sont particulièrement aujourd’hui où nous voyons de toutes parts attaqués les principes mêmes de la culture chrétienne» (Documentation catholique 47 [1950] 1153-1168, c. 1153).
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A. MELLONI
en matière de foi et de mœurs. Le danger, le pape l’identifie dans tout ce qui se rapporte aux tendances de la culture moderne, toutes catégorisées en -ismes, et qui ne se réfèrent pas à la philosophie «immuable». Il condamne ceux qui fouillent dans la Tradition pour trouver des concepts «vagues» dans les textes des Pères de l’Église, «en particulier grecs». Il stigmatise «le retour aux sources primitives» à l’aide desquelles expliquer des prises de position du magistère, qui avec le temps «ont cessé d’être l’objet de dispute». Il culpabilise ceux qui, dans les séminaires et les écoles, enseignent que les méthodes des théologiens doivent être «complètement réformées» pour propager le règne du Christ dans toutes les cultures. Ces paroles ne sont génériques qu’en apparence: c’est seulement en première lecture qu’elles peuvent apparaître comme une tentative, vouée à l’échec, de revendiquer l’autosuffisance du magistère romain. En réalité, elles esquissent le profil de personnes, de milieux, de mouvements qui ne s’attendaient pas, même de la part de Pie XII – le pape de Mystici corporis, le pape de Divino afflante Spiritu –, à cette fermeture totale et intrinsèquement totalitaire. Se trouvaient ainsi reniés et exposés à des procédures disciplinaires et doctrinales, tous les mouvements de renouveau qui, après la répression antimoderniste, avaient survécu à l’ère du soupçon et reconstruit au sein du catholicisme romain un noyau de pensée fort, et dans le même temps isolé, par rapport à un clergé globalement imprégné d’une piété ingénue. Comment expliquer autrement que le fascisme et le nazisme se soient enfoncés dans le corps de l’Église catholique comme un couteau dans le beurre, ne rencontrant que de rares résistances qu’une poignée de béatifications peuvent seulement signaler par contraste, à travers de tardives solennités, organisées à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle? II. VRAIE ET FAUSSE RÉFORME EN SON TEMPS Le mouvement liturgique, le mouvement biblique, le mouvement œcuménique, le mouvement du ressourcement patristique sont frappés de suspicion, qui n’avait d’abord atteint que le seul Marie-Dominique Chenu. Il avait suffi de son discours inaugural au cours de théologie du Saulchoir en 1936 pour mettre en marche, grâce aux délations internes et aux mécanismes d’instrumentalisation de délation, typiques du Saint-Office, la mise à l’Index des livres prohibés et la condamnation. Cette dernière l’empêchera même d’accéder à la pourpre cardinalice aux titres de dommages et intérêts, geste que Jean-Paul II et ses successeurs apprendront à concéder à des octogénaires qui ont payé très cher leur fidélité à l’Église et au Christ. Certains centres d’étude, en particulier celui qui édite les Sources chrétiennes
VRAIE RÉFORME, VRAI CONCILE
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à Lyon, sont de fait démantelés2. Certaines figures, comme Hans Urs von Balthasar, qui quitte cette année-là la Compagnie de Jésus, se retrouvent à la dérive, poursuivies par des vetos et des interdictions irréfutables. Le sort réservé à Yves Congar est pire encore: le dominicain, élève et camarade de Chenu, avait commencé à collectionner les «ennuis» (comme on disait dans le prudent jargon d’alors) avec Rome dès le milieu des années 1930, lorsqu’il lançait la collection Unam Sanctam3. Mû par une irrésistible passion pour l’unité de l’Église, Congar est une figure centrale, à peine cernée à travers les titres principaux d’une œuvre gigantesque, composée d’études et d’excavations documentaires impressionnantes, fruit d’un travail historique qui réduit au silence toutes les critiques méthodologiques et d’une vivacité intellectuelle qui en quarante ans, avant que la maladie n’en réduise la productivité sans jamais pourtant en avoir raison: Chrétiens désunis (1937), Vraie et fausse réforme dans l’Église (1950), Jalons pour une théologie du laïcat (1953), Vaste monde, ma paroisse (1959), La Tradition et les traditions (1960-1963), Esquisses du mystère de l’Église (1963), L’Église de saint Augustin à l’époque moderne (1970), Je crois en l’Esprit Saint (1979-1980) – telles sont les pierres milliaires qui délimitent à peine un immense archipel d’essais, d’interventions, d’articles, de conférences, de recensions, de bulletins, d’éditions, formant un patrimoine ayant peu d’équivalents. C’est dans cette géographie congarienne que s’insère son œuvre sur «vraie et fausse réforme», achevée en 1947, dans l’ébullition du Paris de la mission de France et d’un catholicisme en quête de liberté. L’œuvre ne voit pas tout de suite le jour; elle a été écrite pour des raisons que nous connaissons bien aujourd’hui. Après Humani generis, elle se trouve dans la ligne de mire du Saint-Office, au moment où l’on évoque sa possible traduction en italien: il n’y a là aucun hasard. Son ombre portée s’étend encore deux ans plus tard, lorsque le maître général de l’ordre dominicain se précipite à Paris, destitue trois provinciaux de l’Ordre, éloigne de la capitale quatre théologiens de pointe et, au nom de Rome, muselle les théologiens. Paru en 1950, le livre n’est pourtant pas mis à l’Index, ni en 1952, ni en 1954, lorsque Congar, torturé dans sa loyauté de théologien et de dominicain, est poussé au bord du suicide par une machinerie répressive aux nuances inquiétantes. Mais Vraie et fausse réforme continue à 2. E. FOUILLOUX, La collection «Sources chrétiennes». Éditer les Pères de l’Église au siècle, Paris, Cerf, 1995. 3. J.-P. JOSSUA, Le Père Congar. La théologie au service du peuple de Dieu, Paris, Cerf, 1967; J. FAMERÉE, L’Ecclésiologie d’Yves Congar avant Vatican II: Histoire et Église. Analyse et reprise critique (BETL, 107), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1992. XXe
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poser problème et restera une pierre d’achoppement. Preuve inquiétante, sa nouvelle édition ne sort qu’en 1968: Congar, en aval de Vatican II, se rend alors compte que «cette manière particulière d’affronter la réalitéÉglise» (selon les termes de l’introduction de 1968) avait encore une valeur après le Concile, précisément pour répondre aux objections et à l’équivoque que ce livre entendait dissiper et qui continuait à le poursuivre, au fur et à mesure qu’il était relu4: la réforme non comme une pâle adéquation à une mondanité changeante qui disperse la vérité, mais la réforme comme recherche de fidélité à l’évangile du temps, qui dialogue avec le temps – non parce qu’elle est faible, non par nostalgie de quelque sens religieux, mais parce qu’elle est Évangile. Et, comme Évangile, elle ne prévient pas mais guérit les scléroses institutionnelles et politiques dont «l’Église du temps» n’est pas et ne peut pas être exempte. III. CONGAR,
UN THÉOLOGIEN EXPOSÉ
Lire aujourd’hui Vraie et fausse réforme ne signifie pas seulement se mesurer à une telle question, mais en comprendre son caractère dramatique, propre à la temporalité dans laquelle cette question devient un livre, et un livre qui expose Congar à une persécution dont nous connaissons aujourd’hui les phases et le dénouement. Or, Congar, comme s’il n’avait rien d’autre à faire, tient des journaux. Bien sûr, il y a celui qu’il écrit durant son enfance dans la Grande Guerre; bien évidemment, il y a celui tenu durant le concile Vatican II, que j’ai eu la chance d’étudier. Et il y a celui qu’il rédige durant la persécution théologique qui le frappe par vagues – à la fin des années 1930, puis dans l’immédiat après-guerre, et encore dans les années 1950. Les efforts mis en œuvre pour retarder la réédition de Vraie et fausse réforme de l’Église ne lui épargnent alors rien et, au contraire, conduisent à une manœuvre de large ampleur pour faire condamner et le livre et, avant tout, le poids que tient l’histoire dans le penser et le «théologuer» congarien5. Hasard? Le Journal d’un théologien n’a jamais été traduit en italien dans un paysage éditorial religieux qui se 4. Ce n’est pas un hasard si l’introduction de M. Camisasca à la réédition de 1995 termine sur une note polémique sa relecture de la construction historique de l’ecclésiologie de Congar et du dynamisme pastoral, au sens roncallien du terme, de sa recherche. Considérant que certaines expressions sont «difficiles à comprendre», il se demande si «le monde» a un «mouvement qui se réalise en lui-même, signifiant» ou si bien plutôt s’il n’est pas «au contraire le Christ, l’Église, le signifié, le sens, le salut de l’humanité». Il pousse ici de manière significative à l’indistinction entre le Christ et l’Église, qui rappelle les tentatives de condamnation de Vraie et fausse réforme, de 1952. 5. A. MELLONI, Congar, Architect of the Unam Sanctam, dans Louvain Studies 29 (2004) 222-238.
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paie d’une para-historiographie concordiste et de libroïdes de pieux bavardages. Ces journaux offrent dans le même temps un journal de voyage, de captivité et de guerre. C’est vrai de l’année 1952: elle est au centre du livre de Congar, épuisé depuis longtemps chez l’éditeur, mais interdit de republication dans une Église qui s’avance vers le déclin dramatique du pontificat pacellien. Alors que les manœuvres des cardinaux (le «pentagone», comme le rebaptise le journaliste Carlo Falconi) «encerclent» le pape, alors qu’est commise «l’operazione Montini», qui chasse le substitut au poste d’archevêque de Milan – siège certes prestigieux, mais privé de la pourpre cardinalice et de l’accès à Pie XII, ce qui fut, dans le cas de Montini, un exil –, Congar est entraîné dans une guerre dont il est lui-même le champ de bataille. Autour de Congar, une sarabande d’accusations, de calomnies, de menaces, de moins en moins voilées, l’emprisonne dans des silences impalpables, des solidarités réticentes, des procédures polies et idiotes qui l’accablent au point de le conduire au bord du désespoir. Tout ceci arrache Congar à sa passion de faire de la théologie historique et le contraint à condamner l’institution ecclésiale. Contre elle, Congar ne proteste pas au nom de droits individuels, mais au nom des normes de la vérité évangélique emprisonnée dans un système qui n’est ni la vérité, ni l’Église mais un cadre à combattre6 – non pour défendre la dignité de son livre, mais pour défendre l’Église d’une régression à l’égard de laquelle il aura les mots les plus durs. Ce «système» commence à envelopper Congar à partir de la mi-19467, alors qu’à Rome débute une manœuvre d’encerclement dont le théologien ne comprend pas immédiatement la portée. Sa réaction initiale est prévisible, dans la mesure où il reconnaît à la personne de Pie XII une certaine dignité intellectuelle8. Mais il est extrêmement lucide dans sa dénonciation des personnes qui, à l’abri de la mystique du pape, commettent des actes dont ils ne peuvent être appelés à répondre devant qui que ce soit. Lorsque en 1952, c’est au tour de Vraie et fausse 6. J.-P. JOSSUA, Signification théologique de quelques retours sur le passé dans l’œuvre d’Yves Congar, dans A. VAUCHEZ (éd.), Cardinal Yves Congar. 1904-1995. Actes du colloque réuni à Rome les 3-4 juin 1996 (Histoire), Paris, Cerf, 1999, 93-103 et A. MELLONI, Le système et la vérité dans les journaux d’Yves Congar, dans G. FLYNN (éd.), Yves Congar. Théologien de l’Église, Paris, Cerf, 2007, 207-224; en version anglaise, The System and the Truth in the Diaries of Yves Congar, dans G. FLYNN (éd.), Yves Congar Theologian of the Church (Louvain Theological Pastoral Monographs, 32), Leuven, Peeters, 2005, 277302. 7. Y. CONGAR, Écrits réformateurs, éd. J.-P. JOSSUA (Textes en main), Paris, Cerf, 1995, pp. 294-295. 8. Y. CONGAR, Journal d’un théologien. 1946-1956, éd. É. FOUILLOUX, Paris, Cerf, 2000 [désormais JT], en particulier «Voyage à Rome avec le Père Féret. Mai 1946», 15 mai 1946, p. 84.
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réforme d’être mise en discussion, se renforce chez Congar la conviction – à travers l’exemple de Lacordaire et d’un verset du bréviaire – de devoir rendre service à la vérité, par le «seul» don de sa capacité de travail. IV. CONGAR,
JUGE DU
«SYSTÈME»
CURIAL
Lorsque se manifestent les réserves d’Ottaviani contre Vraie et fausse réforme – Congar cherche en vain un espion, une équivoque, un motif pour ce qui est en réalité l’expression typique d’un pouvoir qui se défend lui-même – le théologien dominicain établit sa description de la situation sur la base d’une nette opposition: l’antithèse système/vérité, à l’image de l’opposition entre «la» Tradition, avec sa stratification multiforme et diachronique, et la tradition (avec un t minuscule), entendue comme une nostalgie du déjà-vu. Une telle antithèse explique comment une Église engagée sur le tournant du totalitarisme doctrinal d’Humani generis a peur d’un livre sur la vraie réforme de l’Église. Roncalli, nonce à Paris, s’en tire par une plaisanterie: il raconte à Le Bras l’histoire d’un prêtre d’Istanbul qui voulait mener une «croisade eucharistique», et à qui il aurait rétorqué de ne pas parler de croisade à Constantinople (afin de ne pas exacerber les tensions par le souvenir de la croisade de 1204); de la même manière, Congar ne devait pas parler de «réforme» à Rome…9. Congar, en revanche, n’accepte pas les médiations, et encore moins les médiations spirituelles de soumission vis-à-vis d’une accusation sans fondement et qui est née (comme ce fut le cas pour d’autres) seulement après le 15 juin 1951. À cette date, un ami comme Jean Gribomont, ne se doutant en rien des mécanismes du village curial, réussit à faire publier, sur sa propre initiative, dans l’Osservatore romano, une recension favorable et non signée au sujet de Vraie et fausse réforme. Loin de les satisfaire, elle a au contraire déchaîné les gardiens du «système». Les efforts, couronnés de succès pour ralentir la publication de Chrétiens désunis10 puis de Vraie et fausse réforme de l’Église sont pour Congar la preuve que «le système» ne veut pas d’une véritable recherche et regarde avec la même rancœur les prêtres-ouvriers et la réforme de la théologie. Du «système» font partie des dominicains «romains» à divers titres, qu’ils exercent des charges à la curie générale, ou qu’ils soient intégrés dans les sacrées congrégations avec des postes à responsabilité: Congar rencontre Cordovani et Philippe, Suarez et Browne, Ciappi et Gagnebet, à côté d’autres 9. JT, p. 202. 10. Dès le 22 mars 1940, Cordovani avait attaqué l’ouvrage dans L’Osservatore Romano, sans citer ni l’auteur ni l’œuvre.
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personnages moins connus, professeurs à l’Angelicum ou ailleurs11. À l’exception de Cordovani, irrémédiablement disqualifié par l’affaire Chenu, et de ceux qu’il considère comme les théologiens de l’école du cardinal servite Lépicier (catégorisés d’un simple «pouah!»), Congar est disposé à expliquer sans ambages ses positions. Mais ce qui lui semble intolérable, c’est la désinvolture avec laquelle quelques dominicains – surtout le maître général et, en particulier, durant la grande «purge» de 1954 – acceptent de courir le risque de compromettre l’autonomie intellectuelle de l’Ordre au nom d’une servilité qui contredit la raison d’être des frères prêcheurs, dont la liberté intellectuelle constitue, aux yeux de Congar, le charisme particulier pour servir l’Église. L’image que se fait Congar des milieux curiaux est tout aussi intéressante: le monde des congrégations romaines lui est étranger; il restera pour lui toujours lointain, sur le plan intellectuel comme sur le plan de l’expérience. Congar ne se dispense pas pour autant d’en comprendre les nuances et les différences. Sur les chefs de la Curie, Congar n’a pas de préjugés. Lorsque s’avance Montini, substitut de la Secrétairerie d’État, Congar lui reconnaît une «ouverture intellectuelle» et une «perception des problèmes du monde qui réfléchit et qui pense» – ce que personne d’autre n’a noté, à part Pie XII en personne12. Ce faisant, Congar se distingue du jugement du père Dumont et du groupe Unitas, qui voient les limites indépassables du substitut en matière œcuménique. Telle est l’appréciation de Congar, quand bien même il perçoit aussi chez Montini la peur de l’indifférentisme et la sous-évaluation des fautes de l’Église, ou encore la mésestimation de la pensée critique exprimée dans la revue liturgique La Maison-Dieu, sur la réforme du bréviaire («pour une fois que Rome entreprend une réforme…» dit Montini)13. Congar encore n’acceptera jamais la condamnation, sur la base du théorème montinien qu’une hypothèse à Paris peut devenir théorie à Madrid et doctrine à Buenos Aires14. Le dominicain reconnaît que la maladie du pape avantage les immobilistes et les réactionnaires de la Curie, en 11. L’interrogatoire conduit par Gagnebet est narré dans JT, «Affaires de Rome [Séjour à Babylone], 14 décembre 1954», pp. 313-315. 12. JT, «Voyage à Rome avec le Père Féret. Mai 1946», 15 mai 1946, p. 84. Mgr Devreesse lui explique que «sauf Pie XII, Mgr Montini et quelques rares autres, il n’y a ici aucune ouverture intellectuelle, aucune perception des problèmes du monde qui cherche et qui pense; qu’à la Congrégation des Universités et Séminaires, en particulier, c’est à cet égard le néant». 13. JT, pp. 104, 107-108: Congar tient du comte Carlo Lovera di Castiglione que Montini «paraît étroit en ce domaine», et pp. 134-135, le père Dumont rapporte d’une entrevue avec Montini l’impression «que Rome est très sur la réserve dans les questions œcuméniques» et il relate que le prélat a indiqué au maître général que «dans l’Ordre de saint Dominique, tout le monde ne gardait pas une fidélité doctrinale assez rigoureuse; que tous n’étaient pas d’aussi bons théologiens que le P. Cordovani...». 14. JT, p. 202.
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même temps qu’elle paralyse des hommes comme Montini15, mais il ressent «une peine et un scandale profond16», – tant et si bien que dans le complot qui éloigne Montini de Rome, Congar ne voit rien de similaire à ce qu’il a lui-même dû subir à partir de 1946. Différente est son attitude à l’égard du cardinal Giuseppe Pizzardo, originaire de Savone: le préfet de la Congrégation pour les Séminaires, que Congar rencontre en 1937, réussit à impliquer Congar et Féret dans la première crise, le 25 mai 1946 – la démonstration par l’absurde en est l’attitude du père Gemelli qui explique aux dominicains parisiens que parler avec Pizzardo n’en vaut pas la peine17. Mais avec le temps, Congar reconnaît en lui une «nullité» qui exprime et qualifie le «grand village» mesquin qu’est la Rome «de fin de pontificat»18, dans laquelle la Suprême congrégation dirigée par le cardinal Ottaviani fait la pluie et le beau temps – un Ottaviani, acteur de sa persécution, dont les dehors joviaux masquent la dureté répressive. Le père Boyer d’Unitas n’hésite pas à juger Ottaviani «assez ouvert» et en avril 1952, Mgr Blanchet évoque auprès de Congar l’«ouverture croissante» du chef du Saint-Office, qui à cette époque devient précisément le référent des frères de Taizé-le-Cluny, alors à la recherche d’interlocuteurs. Mais Congar ne cède rien à sa rigueur philologique: en peu de temps, il se rend compte que les textes qui sortent de cette institution sont privés de la préoccupation dominante de la Parole de Dieu, signés en revanche de la volonté d’autojustification de «l’Église» (la hiérarchie). Pour Congar, tout ceci est simplement tragique. C’est justement la bonhomie trastévérine de l’inquisiteur qui convainc Congar que le problème est le «système». Ce système ne donne pas à Congar la satisfaction narcissique du théologien incompris, mais la conviction d’être la victime d’une injustice subie à cause de la prévalence d’un mode de pensée «totalitaire et paternaliste»19. Dans une page dramatique de son journal, il dit se sentir comme un père dont l’épouse ou l’enfant est malade, et qui devant cette détresse, trouve des ressources insoupçonnées pour lutter de toutes ses forces; 15. JT, «La crise de 1954», 21 septembre 1954, pp. 276-277. 16. JT, «Vraie et fausse réforme dans l’église menacée, février 1952», 13 mai 1952, p. 211. 17. JT, Conversation du 31 mai 1946, p. 131. 18. Le 16 avril 1952, Michelin est «navré de voir la petitesse de la Rome papale dirigeante», autour d’un pape «influencé par son entourage. Et pas même toujours par son Brain Trust jésuite. Mais par sa gouvernante et par le cardinal Pizzardo». Au sujet de ce dernier, il écrit que le cardinal «est une nullité totale; à Rome, tout le monde rit de lui. Mais c’est un parfait domestique... C’est étrange qu’il ait été créé cardinal par Pie XI, qui jugeait autrement les hommes...», JT, pp. 200-201. 19. JT, 12 février 1954.
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mais après la disparition de l’aimée, «toute la fatigue accumulée, d’un seul coup, l’écrase et il est là, sans force, sans avenir»20. Congar n’attaque pas Pie XII mais soutient qu’à la Suprême congrégation – qui, comme on le sait, avait le pape pour préfet – il y a toujours un acte initial arbitraire, parfois faux et mensonger, expression d’un système qui enchaîne ennui et stupidité21. La mécanique qui substitue à la recherche de la vérité une «théologie» d’école s’érigeant en magistère22 est pour lui l’expression d’un régime «policier, autocratique, totalitaire, crétin»23. «Véritable appareil tyrannique de Rome»24, soif d’autorité qui veut tout soumettre25, système tentaculaire dont le cauchemar psychédélique de la colonnade du Bernin26 est pour Congar le symbole – c’est cela, «le» système. Une «Gestapo» catholique qui se meut avec la «sévérité du bourreau qui appuie sur le déclic de l’appareil à tuer» et vis-à-vis duquel la victime «ne peut s’attendre à aucune justice». La raison en est prestement exposée: C’est un système. Le système est dominé par la «Suprême Congrégation» – à laquelle ils font le front de donner le qualificatif de «saint» (office). C’est un système policier, où la décision policière, ni n’a à donner de raison, ni n’est accessible à quelque mise en question. Elle est sans appel. Qui est atteint par elle est comme versé dans un autre monde, où il n’y a plus de justice et de miséricorde; où, avec la plus grande bonne foi et en toute candeur, tous les Browne vous piétinent. Ils ne se doutent même pas, n’étant que système, qu’ils marchent sur du vivant. Vérité. Désaccord intellectuel avec le système romain. Découverte (19501951, puis à Rome, 1954-1955) que ses bases textuelles ou historiques sont fabriquées ou truquées ou gauchies, etc.
20. JT, 15-16 mars 1952, p. 188. 21. JT, 23 octobre 1952, p. 221. 22. Congar dénonce le fait que ses censeurs le jugent à l’aune de jugements personnels et lui contestent précisément le droit de faire porter la critique, comme il l’entend, sur leurs propres thèses: «le tragique de la situation actuelle et de la façon dont s’exerce concrètement le magistère ordinaire romain, c’est que ce magistère fait sans cesse de la théologie et exprime, avec l’autorité du magistère catholique, des positions d’école théologique», ibid. 23. «Totalitaire» apparaît à six reprises dans le JT, mais n’est nulle part dans le journal conciliaire. On note également 12 occurrences de «Gestapo» pour désigner le Saint-Office, 3 de «crétins», et 2 de «nullité». 24. Congar, qui après l’interrogatoire de Gagnebet en décembre 1964 avait rejeté l’idée, à peine l’avait-il envisagée, d’un passage au protestantisme, à l’orthodoxie ou à la communion anglicane, se demande à nouveau, près d’un an après, que faire: «si je ne puis servir Dieu, servir la vérité, qu’en passant outre à certaines dispositions canoniques de l’Appareil tyrannique de Rome?», JT, «Et Lazarus similiter mala», 13 novembre 1955, p. 404. 25. JT, «Lettre à sa Mère», 10 septembre 1956, p. 426. 26. JT, «Affaires de Rome [Séjour à Babylone]», 27 novembre 1954, p. 293.
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Ma philosophie actuelle, coexistant avec un certain «absolu», avec la satisfaction de quelques joies élémentaires, mais aussi avec mon effort spirituel de fidélité à la Foi et à la Croix, est: je suis un type foutu27.
Foutu? Pourtant non. Neuf ans après Vraie et fausse réforme de l’Église, que l’ancien nonce à Paris avait lue, sur laquelle il avait ironisé, et dont il avait tiré des étincelles invisiblement incorporées à son mode de penser chrétien, l’ancien nonce annonçait la convocation d’un concile général, ouvert aux autres Églises, invitées à participer au banquet de la grâce. Congar aurait été nommé parmi les periti de la commission théologique préparatoire par une astucieuse manœuvre de Jean XXIII. Mais elle laisse au dominicain la sensation d’être appelé à démontrer sa loyauté envers la vérité, sans rien taire de ce qui aurait pu rallumer le feu de la persécution sous ses pieds28. Le 11 octobre 1962, lorsque commence le Concile, Congar ne parvient pas à assister à la cérémonie trop baroque à son goût – et inutile pour celui qui, dans la grisaille de la préparation, s’était convaincu avec quelque raison que le «système» serait prompt à avaler aussi le Concile29. Ainsi, il n’est pas à Saint-Pierre lorsque le pape Jean prononce son discours Gaudet mater Ecclesia, lançant le concile de l’aggiornamento, qui était la «vraie réforme», celle dont il avait eu l’intuition en 1950, et dont la possibilité lui paraissait située dans des lendemains alors extrêmement lointains, inspiré d’une réflexion célèbre de Larcordaire: «j’ai toujours pensé que les instants les plus propices pour semer et planter sont ceux des tourments de la tempête». Un concile, un vrai concile d’aggiornamento, allait lui donner raison30. Università di Modena – Reggio Emilia Istituto per le scienze religiose di Bologna Università di Bologna Via san Vitale 114 IT-40125 Bologna Italia [email protected]
Alberto MELLONI
27. JT, «Et Lazarus similiter mala», p. 433. 28. Voir A. MELLONI (dir.), Atlante storico del Concilio Vaticano II, Milano, Jaca Book, 2015. 29. A. MELLONI, Yves Congar à Vatican II. Hypothèses et pistes de recherche, dans VAUCHEZ (éd.), Cardinal Yves Congar. 1904-1995 (n. 6), 117-164. 30. G. ALBERIGO, L’amore alla chiesa. Dalla riforma all’aggiornamento, dans A. ALBERIGO – G. ALBERIGO (éds),“Con tutte le tue forze”. I nodi della fede cristiana oggi. Omaggio a Giuseppe Dossetti (Testi e ricerche di scienze religiose, 9), Genova, Marietti, 1993, 169-194; republié dans ID., Transizione epocale. Studi sul concilio Vaticano II, Bologna, Il Mulino, 2009, 527-552.
TRANSGRESSER LES FRONTIÈRES
De ses études sur Yves Congar1, Joseph Famerée n’a pas seulement retenu les idées mises en avant par l’exceptionnel ecclésiologue et œcuméniste que fut cet auteur. Marchant dans ses pas, il a appris, en le fréquentant pendant plusieurs années, comment on devient ecclésiologue et œcuméniste. Il y a une chose en particulier qu’il a retenue: on ne devient œcuméniste et ecclésiologue qu’en allant à la rencontre de l’autre, en quittant son propre univers, transgressant les frontières confessionnelles et culturelles. Congar a beaucoup lu et étudié, cela ne fait pas de doute, mais il répétait: «plus que par les livres, ce fut grâce à ces amis orthodoxes, protestants, anglicans, que je fus introduit dans la connaissance intime des réalités de l’œcuménisme»2. Fixé sur la formation académique, l’étude et la recherche, on finit parfois par perdre de vue l’importance des rencontres dans la formation d’un professeur. Aussi, il n’est pas superflu de réfléchir au rôle des rencontres dans la formation d’un théologien qui est appelé à élargir ses horizons et à transgresser des frontières. C’est sans doute là une condition essentielle si on ne veut pas se contenter d’être un simple répétiteur des savoirs acquis. Autrement, ces savoirs ne sont jamais renouvelés ou remis en question, n’étant pas confrontés par des contacts vivants. Il n’y a rien, en effet, qui ne déstabilise davantage ni ne fasse réviser les idées reçues que la plongée dans des mondes inconnus. Ces plongées nous apprennent que les choses sont toujours plus complexes qu’elles ne nous sont apparues jusque-là, dans les livres ou les études en chambre. De plus, l’éloignement de notre monde familier nous permet de voir les choses dans une autre perspective et de renouveler les points de vue. À partir de deux expériences, celle d’Yves Congar et celle de Joseph Famerée, qui sur ce chapitre a suivi son maître, je voudrais réfléchir à la 1. Notre collègue a d’abord réalisé son mémoire de licence en théologie sur Yves Congar (J. FAMERÉE, L’ecclésiologie du P. Congar de «Chrétiens désunis» à «Vraie et fausse réforme» [1937-1950], Louvain-la-Neuve, Faculté de théologie, licence, 1987) et ensuite sa thèse de doctorat, Histoire et Église. L’ecclésiologie du Père Congar de «Chrétiens désunis» à l’annonce du Concile Vatican II [1937-1959], Louvain-la-Neuve, Faculté de théologie, doctorat, 1991, thèse qui est publiée sous le titre L’ecclésiologie d’Yves Congar avant Vatican II. Histoire et Église. Analyse et reprise critique (BETL, 107), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1992. 2. J. PUYO, Une vie pour la vérité. Jean Puyo interroge le Père Congar, Paris, Le Centurion, 1975, p. 77.
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G. ROUTHIER
contribution des rencontres à notre formation théologique et au développement du savoir. De manière plus spécifique, je parlerai des rencontres qui nous conduisent à transgresser des frontières ou à aller au-delà du périmètre qui définit notre monde familier. I. YVES CONGAR,
PASSEUR DE FRONTIÈRE
Il nous faut d’abord rappeler brièvement le parcours exceptionnel d’Yves Congar qui osa transgresser plusieurs frontières nationales, culturelles et confessionnelles: vers l’Allemagne, l’Angleterre et l’Orient, principalement. Chaque fois, en plus de franchir une frontière nationale, il franchissait une frontière culturelle et confessionnelle. On retiendra d’abord ses séjours répétés en Allemagne, dès 1930. Il n’allait pourtant pas de soi de franchir la frontière qui séparait la France et l’Allemagne, au cours de l’entre-deux-guerres. Pour un Français, transgresser cette frontière était un geste osé. L’audace apparaît encore plus grande quand on sait qu’à l’âge de dix ans, Congar avait vu l’église de son village incendiée, connu l’occupation allemande et son père pris en otage. Aller à la rencontre des «Allemands, le Boches, les canailles les voleurs les assassins le incendiaires»3 (sic), tenait de la gageure. Douze ans seulement après la fin du premier conflit mondial, il entreprend sa découverte de la tradition luthérienne grâce à des séjours d’été en Allemagne (19301931). Cette fréquentation des lieux de l’autre (Düsseldorf et Berlin), qui l’amène sur le terrain de son interlocuteur, en fait un homme de frontières. Naturellement, dans cette découverte, il y a l’étude et les lectures. Il s’abonne, par exemple, à la revue Die Hochkirche, découverte à la bibliothèque de Düsseldorf lors d’un premier séjour en Allemagne et il suivra un cours sur Luther donné à Paris par Étienne Gilson (1932). Toutefois, chez Congar, on peut presque parler de la priorité des rencontres, des contacts ou de la fréquentation directe des terrains ou des milieux associés aux autres confessions chrétiennes. Aussi, l’étude s’accompagne toujours ou est précédée de rencontres et de contacts directs. Sa fréquentation des lieux du luthérianisme éveille Congar et le conduit à étudier Luther, sa pensée et son œuvre – ce qu’il fera toute sa vie4 – sa visite des grands lieux luthériens se prolongeant par une plongée dans ses écrits. Cela le conduira 3. L’ENFANT Y. CONGAR, Journal de la Guerre 1914-1918, Paris, Cerf, 1997, p. 31. L’édition reproduit telles quelles les fautes du jeune écrivain de 10 ans. 4. «J’ai beaucoup étudié Luther. Il ne se passe guère de mois où je ne revienne à ses écrits. Je ne crains pas de le dire: j’ai pour lui de l’admiration» (PUYO, Une vie pour la vérité [n. 2], p. 59).
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à considérer Luther comme «un géant», «un homme religieux», «un des plus grands génies religieux de toute l’histoire», «à l’origine d’une œuvre religieuse de première grandeur»5. Il pressent, dès le commencement, «qu’il y avait quelque chose de très profond à comprendre et à trouver chez Luther»6. Il en sera de même avec Barth dont il fréquente les écrits et sur lequel il va donner cours; il l’invitera également à un symposium en 1934 à Juvisy. Cette connaissance d’expérience, et pas seulement livresque, de la Réforme le conduira à publier tout au long de sa carrière une série d’études sur Luther et sa réforme7. On peut observer la même démarche dans sa découverte de la tradition orthodoxe. Certes, au moment de sa formation au Saulchoir, Congar avait déjà connu la tradition orientale à travers le séminaire russe établi à Lille et confié aux dominicains. Par la suite, à Paris, il fréquente le cercle franco-russe. Plus tard encore, ce contact avec la tradition orthodoxe devait s’approfondir, à Paris d’abord, à travers les rencontres du cercle francorusse (où il rencontre Berdiaeff) et des cours de l’Abbé Gratieux sur Khomiakov et le mouvement slavophile. En 1937, il rencontre dom Lambert Beauduin et séjourne à Amay où, en plus de rencontrer dom Lialine, il rencontre l’abbé Couturier. C’est à la suite de ces contacts que l’orthodoxie retiendra son attention, et ce, dès ses toutes premières publications en 1931 et de manière constante par la suite8. 5. Ibid., pp. 59-61. 6. Y. CONGAR, Appels et cheminements 1929-1963, dans Chrétiens en dialogue. Contributions catholiques à l’œcuménisme (Unam Sanctam, 50), Paris, Cerf, 1964, p. XV. 7. Y. CONGAR, Une volonté de «catholicité évangélique» en Allemagne: la Haute Église luthérienne, dans L’Unité de l’Église 10 (1931) 398-403; ID., Catholiques et protestants devant l’incarnation du Christ, dans Cahiers de Neuilly 10 (avril 1951), 12-40; ID., Le débat sur la question du rapport entre Écriture et Tradition, au point de vue de leur contenu matériel, dans RSPT 48 (1964) 645-657; ID., Sur «L’angoisse de Luther», dans RSPT 60 (1976) 638-648; ID., Lutherana. Théologie de l’eucharistie et christologie chez Luther, dans RSPT 66 (1982) 169-197. Rappelons que la troisième partie de Y. CONGAR, Vraie et fausse réforme dans l’Église, Paris, Cerf, 1950, est toute entière consacrée à la Réforme. Pensons aussi à son important ouvrage Martin Luther. Sa foi, sa réforme. Études de théologie historique (Cogitatio fidei, 119), Paris, Cerf, 1983. Enfin, Congar a porté seul la responsabilité des Cahiers pour le protestantisme publiés aux Éditions du Cerf. 8. Voir Y. CONGAR, Théologiens orthodoxes et protestants, dans La Vie Intellectuelle 13 (1931) 212-214; ID., Pensée orthodoxe sur l’unité de l’Église, dans La Vie Intellectuelle 29 (1934) 394-414; ID., «Ecclesia ab Abel», dans M. REDING (éd.), Abhandlungen über Theologie und Kirche. Festschrift für Karl Adam, Düsseldorf, Patmos, 1952, 79-108; Y. CONGAR, Marie et l’Église dans la pensée patristique, dans RSPT 38 (1954) 3-38; ID., Conscience ecclésiologique en Orient et en Occident du VIe au XIe siècle, dans Istina 6 (1959) 187-236; ID., Primauté des premiers conciles œcuméniques, dans B. BOTTE – Y. CONGAR et al., Le Concile et les conciles, Paris, Cerf; Chevetogne, Éd. de Chevetogne, 1960, 75-109; ID., Les saints Pères, organes privilégiés de la Tradition, dans Irénikon 35 (1962) 479-498; ID., Quatre siècles de désunion et d’affrontement. Comment Grecs et Latins se sont appréciés réciproquement au point de vue ecclésiologique, dans Istina 13 (1968) 131-152; ID., La
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Cet élargissement de l’espace intellectuel s’effectue également en direction de l’anglicanisme par des séjours répétés en Angleterre, en 1936, 1937 et 1939, puis à l’été 1947 et enfin en 19569. Aussi, après ses séjours en Angleterre et son expérience vivante de l’anglicanisme, il peut écrire: «Mais comment faire pour que les richesses de son héritage moral et religieux ne périssent pas dans une éventuelle union à Rome (…)»10. Dans une réflexion rétrospective, il écrira: J’aime l’Église anglicane pour son admirable patrimoine, son culte, son éthos à la fois religieux et humaniste, respectueux et libre. (…) Si longtemps après, je suis encore sous le charme des Complies, que je n’ai pas oubliées. J’ai connu ensuite Mirfield, Ely (dont la cathédrale m’a toujours attiré)11.
Si ses rencontres et ses contacts s’intensifient au moment où il embrasse le métier d’enseignant, au début des années 1930, ce goût et ce désir de rencontrer l’autre s’enracinent dans son enfance. Il relatera ces diverses expériences, d’abord ce premier contact, «plus mystique», dans la chapelle de Sedan, prêtée aux catholiques par les protestants pour qu’ils y tiennent leur culte, alors qu’ils ne disposaient plus d’église, à la suite de son incendie. C’est dans cette chapelle, note Congar, «que ma conscience religieuse s’est éveillée»12. Il y a ensuite ce contact avec la tradition orthodoxe qui se révélait à lui «dans la liturgie orientale»13. Il ajoutera: «Tout en me familiarisant avec la liturgie byzantine à laquelle, déjà, de très belles célébrations du séminaire russe de Lille m’avaient initié, je me documentais à la bibliothèque»14. À partir de la même année 1931, en effet, son écoute pour la vie et la pensée, actuelles et passées, des autres chrétiens, luthériens et orthodoxes, ne cessera de s’amplifier. Pionnier, en 1931, il consacrait un dossier des Documents de la Vie intellectuelle à la question du ministère ecclésiastique des femmes, dans les Églises anglicanes et protestantes15. pensée de Möhler et l’ecclésiologie orthodoxe, dans Irénikon 12 (1935) 321-329; ID., Église de Pierre, Église de Paul, Église de Jean. Destin d’un thème œcuménique, dans A. BLANE – T.E. BIRD (éds), Russia and Orthodoxy. Essays in Honor of Georges Florovsky, t. 3: The Ecumenical World of Orthodox Civilization, Leiden – Paris, Mouton, 1974, 163-179; ID., Unité de foi, diversité de formulation théologique entre Grecs et Latins dans l’appréciation des Docteurs occidentaux, dans Revue des sciences religieuses 54 (1980) 21-31. 9. Il faudrait ajouter son exil de 1950. L’anglicanisme est toutefois l’objet explicite et particulier d’assez peu de travaux. On verra Y. CONGAR, The Origins of the Anglican Ministry, dans Blackfriars 17 (1936) 699-703 et ID., Position des Orthodoxes et des Anglicans en regard d’une position «protestante» en ecclésiologie, dans Irénikon 23 (1950) 298-308. 10. CONGAR, Appels et cheminements (n. 6), p. XXVI. 11. Ibid., pp. XXV-XXVI. 12. Ibid., p. XII. 13. Ibid., p. XX. 14. Ibid., p. XVIII. 15. Y. CONGAR, La question du ministère ecclésiastique des femmes, dans Les Documents de la Vie intellectuelle, 3e année (20 décembre 1931) 381-408.
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Tout au long de sa vie, il a été nourri par ces rencontres, mais il est vrai «que les occasions ne sont données qu’à ceux qui sont comme en attente d’elles»16. C’est ainsi qu’il s’enrichit de contacts multiples, démarche initiée dès le début de son enseignement, en 1931. Il y a chez Congar un désir jamais rassasié de rencontrer l’autre, en chair et en os, sur son terrain, et pas simplement à travers les livres. Il y a cette curiosité qui lui permet de plonger dans de Nouveaux Mondes, aussi bien culturels, intellectuels que religieux. Tout cela constitue ce que Congar appellera «les premières bouffées d’air œcuménique»17. Comme il l’observait, au cours des années qui suivirent son ordination, «je naissais d’une sorte de seconde naissance, en venant au monde des “autres”, qui est aussi le monde réel»18. Pour parler de son parcours, surtout au cours des premières années, c’est le terme «révélation», plus que «découverte»19 qui revient sous sa plume. Par exemple: La lecture de ces textes [de la revue Die Hochkirche] […], me révéla quelque chose d’un monde nouveau20; […] et j’avais avec plusieurs des Pères attachés à l’œuvre [Amay] des conversations qui me révélaient quelque chose des profondeurs, soit de la tradition orientale, soit des problèmes de l’unité21. Un séjour au collège théologique de Lincoln, en 1937, […] fut pour moi une révélation22.
II. RECEPTIVE ECUMENISM ET CATHOLICITÉ Pour Congar, élargir son horizon voulait dire s’enrichir du vrai qui avait été conservé dans les Églises séparées. Avant que l’expression ne soit forgée, il pratiquait ce que l’on désigne aujourd’hui du nom de receptive ecumenism. Ainsi écrivait-il, déjà en 1930, à propos de la Hochkirche et du Conseil œcuménique des Églises: mais le Vrai, mon Dieu, qu’ils tiennent déjà et celui-là auquel ils tendent; allez-vous laisser votre Église fermer dessus des paupières lourdes et ridées?23. 16. CONGAR, Appels et cheminements (n. 6), p. XXXII. 17. Y. CONGAR, Mon témoignage, dans Journal d’un théologien 1946-1956, éd. É. FOUILLOUX, Paris, Cerf, 2000 [désormais JT], p. 23. 18. CONGAR, Appels et cheminements (n. 6), p. XXV. 19. On retrouve aussi ce terme, par exemple, dans JT, p. 22: «Le séjour à [Düsseldorf]… me fut l’occasion d’une découverte [la Hochkirche]». 20. CONGAR, Appels et cheminements (n. 6), p. XIV. 21. Ibid., p. XVIII. 22. Ibid., pp. XXV-XXVI. 23. Ibid., p. XV, note 3.
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En fait, pour Congar, le travail d’ecclésiologie commande la plongée dans d’autres mondes de manière à assumer toutes les richesses de la tradition. Le parcours de Congar invite ceux qui marchent sur ses traces, comme l’a fait Joseph Famerée, à considérer avec attention le «trésor chrétien» qui se trouve dans le corps religieux des autres traditions chrétiennes, «éléments parfois de grands prix» qui appartiennent à l’Una Catholica qui ont parfois «trouvé une mise en valeur particulière en dehors du corps visible de l’Église». Ainsi, ce qu’il y a de vrai dans l’expérience religieuse luthérienne manque à l’Église catholique et réclame, par sa nature même, de lui être réintégré. Ce qu’il y a de pur dans la piété protestante ou orthodoxe, ou dans cette Pietas anglicana […], manque à l’Église catholique: non à sa substance, bien sûr, qui est réellement catholique, mais à l’expression, à l’explicitation, à l’incarnation de ses principes vivants, ou du moins à la plénitude de cette expression et de cette incarnation24.
C’était la notion de catholicité qui le conduisait à embrasser toutes les richesses contenues dans les diverses traditions chrétiennes. À ses yeux, la catholicité ne conduit pas seulement à trouver son bien dans la tradition ancienne (latine et orientale), mais également dans les autres traditions chrétiennes dont les richesses sont appelées à être réintégré[es] au corps total et unique de la vérité totale et une, à l’Église une et catholique.
Ainsi, la catholicité exige l’assomption de la très grande diversité d’expériences religieuses – entendons: de manières de sentir ou de réaliser la vie chrétienne et de construire l’objet religieux – [sont] non seulement légitimes, mais nécessaires à la vie de l’Église25.
Congar veut assumer cela aussi, s’enrichir de toute cette diversité et la saisir concrètement, dans l’histoire, dans sa contingence et sa détermination propre. Une pensée «catholique» est une pensée en mesure d’assumer toutes les richesses des nations. On a là une clé de la fécondité de son travail: la rencontre des autres traditions ou expressions du christianisme avec la conviction, comme il le soulignait déjà en 1937 dans Chrétiens désunis, que, d’une part, les autres confessions chrétiennes contiennent des valeurs moins honorées dans l’Église catholique et que, d’autre part, en ne cultivant pas ces valeurs, le catholicisme s’est durci de manière unilatérale et, du coup, a perdu de sa catholicité. 24. Y. CONGAR, Chrétiens désunis. Principes d’un «œcuménisme» catholique (Unam Sanctam, 1), Paris, Cerf, 1937, p. 319. 25. Ibid., p. 140.
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III. JOSEPH FAMERÉE,
DISCIPLE DU PÈRE
CONGAR
Dès les premières étapes de ses études théologiques à l’UCLouvain (Licence en Théologie – 1987), Joseph Famerée se consacre à l’étude de l’ecclésiologie d’Yves Congar. Il poursuivra et approfondira sa connaissance de Congar au moment de son doctorat26. Depuis, il a consacré plusieurs études à son maître en théologie27. L’influence de Congar sur l’ensemble de sa carrière est manifeste. Ainsi, son enseignement s’est déployé dans les domaines de l’ecclésiologie, de l’œcuménisme et des traditions chrétiennes orientales. De plus, il a abordé plusieurs thèmes que l’on retrouve chez Congar28. Toutefois, l’essentiel ne me semble pas là. Il n’y a pas que des thématiques ou des contenus en cause. Il y a un geste et une manière de découvrir et d’apprendre. C’est en cela que Joseph Famerée est disciple de Congar, poursuivant dans ce chemin ouvert par le dominicain français, chemin qui représente une manière d’apprendre et qui passe par la rencontre des autres, le séjour sur le terrain de l’autre et l’entrée dans sa culture. Le parcours de Joseph Famerée est parsemé de séjours qui lui font transgresser des frontières, non seulement géographiques et culturelles, mais également confessionnelles. Cela est présent au moment de sa formation. D’abord, immédiatement après sa thèse sur Congar, il réalise un séjour postdoctoral d’un semestre (de la mi-janvier au début juillet 1994) à l’Université Aristoteles de Thessaloniki, séjour qui inclut une semaine 26. Voir supra, n. 1. 27. Voir J. FAMERÉE, «Chrétiens désunis» du P. Congar 50 ans après, dans NRT 110 (1988) 666-686; ID., L’ecclésiologie du Père Yves Congar. Essai de synthèse critique, dans RSPT 76 (1992) 377-419; ID., Orthodox Influence on the Roman Catholic Theologian Yves Congar, o.p. A Sketch, dans St. Vladimir’s Theological Quarterly 39 (1995) 409-416; ID., Aux origines de Vatican II. La démarche théologique d’Y. Congar, dans ETL 71 (1995) 121-138; ID., «Yves Congar nous interroge encore». À propos de quelques ouvrages récents, dans RTL 28 (1997) 376-387; ID., L’unité selon Yves-Marie-Joseph Congar, dans Unité des chrétiens 105 (1997) 8-11; ID., Formation et ecclésiologies du «premier» Congar, dans A. VAUCHEZ (éd.), Cardinal Yves Congar 1904-1995. Actes du colloque réuni à Rome les 3-4 juin 1996 (Histoire), Paris, Cerf, 1999, 51-70; ID., L’apport du Père Congar à la théologie du XXe siècle, dans Gregorianum 83 (2002) 507-516; ID., Originalité de l’ecclésiologie du Père Congar, dans Bulletin de littérature ecclésiastique 106 (2005) 89112; ID., De la catholicité à la diversité et de l’unité à la communion et La Tradition et les traditions, dans ID. – G. ROUTHIER, Yves Congar (Initiations aux théologiens), Paris, Cerf, 2008, 57-79 et 117-147; ID., True or False Reform: What Are the Criteria? The Reflections of Y. Congar, dans The Jurist. Studies in Church Law and Ministry 71 (2011) 7-19. 28. Voir, par exemple, J. FAMERÉE, Le ministère du pape selon l’Orthodoxie, dans RTL 37 (2006) 26-43; ID., «Communion ecclésiale, conciliarité et autorité». Le document de Ravenne, dans RTL 40 (2009) 236-247; ID., Sensus fidei, sensus fidelium. Histoire d’une notion théologique discutée, dans RSR 104 (2016) 167-185; ID., Conciliarité de l’Église. Théologalité, pluralité, historicité, dans RSR 106 (2018) 443-460.
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chez les moines du Mont Athos29. Sa recherche porte alors sur les théologiens orthodoxes grecs du XXe siècle. Par la suite, du mois d’août 1994 au mois de janvier 1995, il prolonge cette plongée dans le monde orthodoxe par un séjour d’un semestre à la Faculté du Saint Vladimir’s Orthodox Theological Seminary de Crestwood (New York). Invité comme Visiting Fellow son attention se porte alors sur les théologiens orthodoxes russes les plus importants du XXe siècle. Cette année à l’étranger lui fait quitter son alma mater, l’Université catholique de Louvain, où il avait reçu jusque-là sa formation universitaire. Elle le fait passer également de l’Europe du Nord à l’Europe du Sud, de la Belgique, membre fondateur de l’Union européenne en 1958, à la Grèce qui n’y adhéra qu’en 1981. Déplacement géographique; déplacement culturel également. Le changement de monde ne s’arrête pas là, cependant. Il s’agit du passage d’un pays de culture catholique à un pays de culture orthodoxe. Ensuite, c’est le déplacement vers l’Amérique du Nord, le Nouveau Monde façonné par le pluralisme religieux, et une plongée dans l’orthodoxie russe cette fois. Ces séjours prolongés comportent non seulement un dépaysement culturel et un désinstallement, en plus de la découverte d’autres mondes, mais comportent également la perte de ses repères familiers et le renoncement à son monde. Bien avant, cependant, soit en mars 1990, Joseph Famerée avait entrepris ses pérégrinations à l’étranger par un séjour à l’Istituto per le scienze religiose de Bologne afin d’y mener des recherches sur le concile Vatican II. Il s’immergeait alors dans une équipe internationale et multidisciplinaire, ce qui l’ouvrait déjà à d’autres mondes. Cet habitus acquis au moment de sa formation devait se poursuivre par la suite, à l’occasion de séjours d’enseignement et de recherche, à l’Institut d’Études Supérieures en Théologie Orthodoxe à Chambésy (mars 2005) et à nouveau à Thessaloniki (2016), pour me limiter aux instituts œcuméniques30. Au terme des mélanges qui lui étaient offerts à la suite de sa retraite, Hervé Legrand réfléchissait à son itinéraire dans un article intitulé «Comment devient-on ecclésiologue et œcuméniste? Quelques apprentissages 29. Il séjournera à nouveau à Thessaloniki, un séjour d’enseignement et de recherche à la Faculté de théologie de l’Université Aristoteles et au Monastère Vlatadon (Institut d’études patristiques), cette fois, en avril-mai 2016. 30. Aux séjours déjà énumérés, il faudrait ajouter des séjours à Iasi, à la Faculté de théologie orthodoxe de l’Université Alexandru Ioan Cuza, en Roumanie (1996), à l’Institut d’Études Supérieures en Théologie Orthodoxe à Chambésy (1997) à la Faculté de théologie orthodoxe de Iasi (Roumanie), du 21 au 29 mai 2006; à la Faculté de théologie de Thessaloniki (Grèce), du 4 au 8 avril 2016; chargé de cours invité (quart temps) à la Faculté autonome de théologie protestante de l’Université de Genève en 2019.
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initiaux»31. Disciple de Congar, Hervé Legrand relatait alors à quel point les séjours à l’étranger et dans des milieux confessionnels différents du sien et ses rencontres avec des gens d’autres cultures32 avaient contribué à la formation de l’œcuméniste et de l’ecclésiologue qu’il était devenu. Il conclut son excursus sur le sujet par ces lignes: s’adonner à l’ecclésiologie et à l’œcuménisme exige d’aller chez les autres; ces disciplines ne supportent pas une approche livresque; entrer autant que possible dans l’expérience chrétienne vécue des autres chrétiens en fait partie33.
Ces séjours à l’étranger et ces contacts avec ces autres mondes religieux et culturels ont été des occasions d’apprentissage à «devenir plus catholique», comme l’écrit H. Legrand. À nouveau, on croise la notion de catholicité à laquelle faisait appel Congar. Œcuméniste34 et ecclésiologue, voué à l’enseignement des théologies orientales, Joseph Famerée pourrait à son tour nous raconter à quel point il a été formé par la rencontre des autres et par ses séjours prolongés dans les lieux des autres, comment ces contacts et ces rencontres lui ont permis de progresser dans la voie de la connaissance et dans la recherche de la vérité que nous ne possédons jamais dans sa plénitude et sa totalité. CONCLUSION «L’action élargit la pensée» écrivait Blondel35. Il faudrait ajouter que la véritable rencontre de l’autre, différent de soi, de même que le séjour dans la durée dans la maison de l’autre, sans qu’on y transporte son propre univers, élargissent également notre pensée. Déjà, dans son manifeste de 1937, M.-D. Chenu écrivait: Être présent à son temps […] Théologiquement parlant, c’est être présent au donné révélé dans la vie de l’Église et l’expérience actuelle de la chrétienté. […] Le théologien vit de cela: ses yeux sont grands ouverts sur la chrétienté en travail. 31. Dans G. ROUTHIER – L. VILLEMIN (éds), Nouveaux apprentissages pour l’Église. Mélanges en l’honneur de Hervé Legrand, o.p., Paris, Cerf, 2006, 503-539. 32. Séjour à Bonn en 1958-1959, enseignement au Caire de 1959 à 1961, à Rome, à Strasbourg et à Athènes, de 1964 à 1968. 33. H. LEGRAND, Comment devient-on ecclésiologue, dans ROUTHIER – VILLEMIN (éds), Nouveaux apprentissages pour l’Église (n. 31), p. 530. 34. À ce que nous avons dit plus haut, il faudrait ajouter sa participation au Groupe des Dombes. 35. M. BLONDEL, L’Action (Quadrige), Paris, Presses Universitaires de France, [1893] 1993, p. 410.
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Puis, après avoir énuméré divers phénomènes ou ferments qui travaillaient cette chrétienté, il concluait: Autant de «lieux» théologiques en acte […] Mauvais théologiens ceux qui, enfouis dans leurs in-folio et leurs disputes scolastiques, ne seraient pas ouverts à ces spectacles, non seulement dans la pieuse ferveur de leur cœur, mais formellement dans leur science36.
Aussi, pour le théologien, la recherche de la vérité passe non seulement par la recherche assidue, disciplinée et rigoureuse dans les sources et l’étude, mais aussi par la rencontre, la fréquentation exigeante de l’autre, avec toute sa différence. Il ne s’agit pas, on l’aura compris, de simple tourisme académique, mais d’une plongée dans une expérience qui m’oblige à un dépassement et m’ouvre de nouvelles perspectives. Cette sortie de soi, qui s’oppose à la recherche du même, contribue non seulement à l’intelligence de l’Évangile dans le temps, pour emprunter la formule au titre d’un ouvrage de Chenu, mais contribue certainement à la construction d’un monde plus harmonieux. Ceci dit, l’enjeu ne se situe pas seulement sur le plan des conditions et des modalités de l’apprentissage ni ne peut être réduit au domaine du vivre ensemble. On l’a vu plus haut, sur le plan théologique, l’enjeu est celui de la catholicité. Aujourd’hui, en matière d’information sur les réseaux sociaux, les algorithmes, à partir de l’information que l’on génère à la suite de la consultation de certaines nouvelles, analysent nos intérêts et connaissent non seulement les sujets qui nous passionnent, mais sont également informés de nos orientations idéologiques. Par la suite, lorsque nous fréquentons les diverses plateformes, ils nous dirigent vers l’information qui correspond à nos idées et à nos préférences idéologiques. En somme, ils nous fournissent l’information qui nous plaît. Aussi, nous ne lisons que des choses familières et avec lesquelles nous sommes d’accord. Il n’y a plus d’altérité et nous ne sommes plus confrontés à des options différentes des nôtres ou à des informations qui remettraient en question nos façons de voir et nos convictions. Nous ne sommes jamais dépaysés, mais toujours confortés dans nos points de vue. Le fonctionnement des réseaux sociaux ne nous ouvre pas à des mondes étrangers ou à des espaces inconnus qui nous obligent à sortir de notre zone de confort et sujets à opérer des déplacements salutaires. Les parcours d’Yves Congar et, à sa suite, de Joseph Famerée, adoptent une logique inverse de celle développée par les réseaux sociaux, préoccupés par la recherche du même et la constitution de tribus qui rassemblent 36. M.-D. CHENU, Une École de théologie: le Saulchoir, Paris, Cerf, [1937] 1985, pp. 142-143.
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des personnes liées par une communauté d’intérêts. L’université, son nom d’origine latine lui indique déjà son programme, elle est constituée de plusieurs facultés où l’on s’adonne à la recherche dans plusieurs disciplines et à partir de diverses méthodes, ouvre sur plusieurs mondes et aucune question ne lui demeure étrangère. La vie universitaire nous conduit à transgresser des frontières, à aller au-delà des mondes connus et des univers maîtrisés. Qu’à la suite d’une lignée de devanciers, et le nom de Joseph Famerée est désormais inscrit dans cette lignée, nous nous engagions dans l’étude et la rencontre des autres. Faculté de théologie Université Laval Pavillon Félix-Antoine-Savard, local 846 Rue des Bibliothèques 2325 Québec (Quebec) G1V 0A6 Canada [email protected]
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IV OUVERTURE
ÉVANGÉLISATION DES CULTURES ET ENGAGEMENT POUR LE DÉVELOPPEMENT DES SOCIÉTÉS EN CONTEXTE AFRICAIN INTRODUCTION Dans sa Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, le Concile Vatican II affirme: «La fin de la culture est le développement intégral de la personne, le bien de la communauté et celui du genre humain tout entier»1. Une telle affirmation achève de nous convaincre de l’importance incontournable de la culture pour mieux penser le développement humain intégral. La prise en compte de la culture dans sa globalité et son dynamisme est de la plus grande importance pour l’Afrique dont le développement ne saurait être pensé sans la culture. Dans cette perspective, l’évangélisation des cultures revêt une importance capitale pour la transformation des sociétés. Elle représente, comme le souligne le pape Jean-Paul II, la forme la plus profonde et la plus globale pour évangéliser une société, car à travers elle, le message du Christ pénètre dans les consciences des personnes et se projette dans l’ethos du peuple, dans ses activités, dans ses institutions et dans ses structures2. De fait l’évangélisation est l’annonce, à tout homme et à tout l’homme, du salut de Dieu accompli en Jésus-Christ en vue de la transformation, de manière effective, de celui à qui est annoncé l’Évangile, ainsi que de l’environnement dans lequel il vit. Aussi, l’évangélisation doit favoriser, encourager et former des chrétiens actifs et engagés qui cherchent la transformation de la société afin que davantage de justice, d’intégration des différentes couches de la population et de meilleures conditions de vie puissent s’opérer avec un maximum de participation de tous. Dans cette perspective, la nouvelle évangélisation en Afrique doit être à l’écoute des appels des hommes et des femmes de ce continent, en vue d’apporter, au cœur de leur histoire, de leurs joies et de leurs peines, la nouveauté de Dieu, source de renaissance véritable. C’était déjà le mérite du décret Ad gentes d’avoir perçu et souligné le lien intrinsèque entre l’annonce de l’évangile et l’interprétation de la 1. Gaudium et spes, § 59. 2. Voir l’Osservatore Romano, 20 octobre 1992, p. 9. Sur ce point on lira avec profit E. PISANI, La mission évangélisatrice de l’Église d’Evangelii nuntiandi à Evangelii gaudium, dans L. SANTEDI KINKUPU (éd.), La mission évangélisatrice de l’Église dans l’Afrique aujourd’hui. Défis et perspectives, Kinshasa, Éditions du Secrétariat Général de la CENCO, 2015, 182-194.
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condition présente de l’humanité. Dès lors, dans l’accomplissement de sa mission évangélisatrice, l’Église est appelée à lire et à déchiffrer les nouveaux scénarios qui au cours des temps se sont créés dans l’histoire de l’humanité, pour les habiter et les transformer en des lieux de témoignage et d’annonce de l’Évangile. L’Évangile de Jésus-Christ devrait apporter des réponses nouvelles face aux questions spirituelles, économiques, écologiques, sociales, politiques et éthiques que se posent les hommes et les femmes de notre temps. En hommage au collègue et ami Joseph Fameré qui a consacré son labeur théologique entre autres à repenser le visage de l’Église, je me propose de montrer combien la question de l’évangélisation des cultures peut aider l’Église en contexte africain à apporter sa contribution spécifique au développement de l’homme et des sociétés. À la suite de cette proposition, je vais dégager quelques défis, qui apparaissent également comme des exigences majeures pour penser un développement intégral des sociétés africaines. I. LE
DIALOGUE ENTRE FOI ET CULTURE COMME PÉTRIN D’UNE NOUVELLE HUMANITÉ
La culture est une réalité vaste et pluridimensionnelle. Selon Gaudium et spes, elle embrasse tout ce dont l’homme se sert pour affiner et développer ses capacités, pour dominer et soumettre le monde, pour promouvoir les progrès des mœurs et des institutions et enfin pour exprimer et conserver les grandes expériences et aspirations spirituelles. Toute vraie culture et tout développement humain authentique conduisent à travers une éducation appropriée à libérer l’homme de diverses formes d’esclavage et d’aliénation afin de donner à la destinée humaine toute son ampleur et son achèvement. Les cultures concrètes dans lesquelles vit et évolue l’homme dans l’histoire constituent le lieu de la dramatique divine, le lieu de l’accueil chaleureux de la communication de Dieu aussi bien que de son refus. L’évangélisation des cultures considère que la culture est le cosmos de l’homme. Aussi, l’évangélisation apparaît comme une ouverture à l’autre, un exode à son monde, à sa culture. Elle est indissociable d’une pneumatologie où l’Esprit Saint est à l’œuvre dans le monde et les cultures; il est «l’oxygène salvifique sur tous les hommes et sur tous les peuples»3. 3. L. MARTÍNEZ SAAVEDRA, La conversion des Églises latino-américaines. De Medellín à Aparecida (1968-2007), Paris, Karthala, 2011, p. 110, cité par PISANI, La mission évangélisatrice de l’Église (n. 2), p. 191.
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Il est donc important que la foi chrétienne puisse informer l’ensemble du comportement chrétien consolidant ainsi ce que le pape Jean-Paul II appelle «une culture chrétienne» qui renouvelle, développe et unifie les valeurs historiques passées et présentes pour répondre d’une façon adéquate aux défis de notre temps. Dans cette perspective, l’inculturation, comme dialogue exigeant entre foi et culture, conduit l’évangélisation à promouvoir cette culture chrétienne non au sens d’une connaissance intellectuelle mais au sens où l’on parle, par exemple, de culture politique ou de culture d’entreprise, c’est-à-dire de ce qui structure la perception globale d’une situation ou la compréhension profonde de ce qui convient de vivre ou de faire quand il est question des choix essentiels et des décisions radicales pour une personne, un pays, un peuple. La visite du pape Jean-Paul II à l’UNESCO en 1980 est restée une grande référence historique pour les nations du Tiers-Monde, les seules qui, comme il le dit lui-même dans Mémoire et Identité, aient reconnu la vérité de son propos, quand il a invité toutes les nations à protéger leur identité culturelle. Il évoquait en effet l’expérience de son propre pays, la Pologne, en ces termes: Je suis fils d’une Nation qui a vécu les plus grandes expériences de l’histoire, que ses voisins ont condamnée à mort à plusieurs reprises, mais qui a survécu et qui est restée elle-même. Elle a conservé son identité, et elle a conservé, malgré les partitions et les occupations étrangères, sa souveraineté nationale, non en s’appuyant sur les ressources de la force physique, mais uniquement en s’appuyant sur sa culture. Cette culture s’est révélée en l’occurrence d’une puissance plus grande que toutes les autres forces4.
La culture douée d’une si grande puissance n’est rien d’autre que celle définie par le concile Vatican II en Gaudium et spes comme l’expression du dynamisme de la nature sortie des mains du Créateur. Une perspective anthropologique ample est ici à l’horizon, où l’homme est perçu dans son mouvement de transcendance, en lequel la théologie chrétienne lit l’acte créateur de Dieu. Si l’on conçoit ainsi la culture dans toute son ampleur: culture non pas seulement dans le sens de «otium» (loisir), mais aussi culture comme «paideia» (éducation); culture dans sa triple dimension de mémoire, d’œuvres et de milieu, mais aussi culture envisagée comme sujet humain concret dans lequel s’enracine cette triple dimension, ou encore comme projet anthropologique, socio-historiquement situé, alors elle peut devenir ce levier actif qui manque peut-être à l’Afrique pour se soulever et se 4. JEAN-PAUL II, Mémoire et identité. Conversations au passage entre deux millénaires. Trad. F. DONZY, Paris, Éditions de Noyelles, 2005, p. 104.
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développer. Il est donc important de promouvoir aujourd’hui en Afrique une grande réflexion sur la culture envisagée comme creuset, pétrin d’humanité, à partir duquel l’Église peut s’engager réellement au service du développement, de la justice et de la paix. Dans cette perspective, les cultures africaines, pourraient devenir cette force qui permettrait aux fidèles et aux Églises d’Afrique d’inventer, à partir du moteur de leur génie créateur, une humanité nouvelle source de développement authentique pour les fils et filles de ce continent5. II. QUELQUES DÉFIS
MAJEURS POUR UNE CULTURE
DE DÉVELOPPEMENT AUTHENTIQUE EN
AFRIQUE.
1. Le défi des croyances et des pratiques liées au rapport avec le monde invisible La croyance dans le monde invisible est si forte dans nos milieux que, même des personnes scolarisées et des intellectuels manquent souvent de discernement lorsqu’il s’agit de phénomènes attribués aux forces occultes. Cette attitude est aux origines de la culture du «maraboutage» et d’une multitude de comportements qui empêchent, généralement, beaucoup d’Africains de créer des conditions du développement durable liées à la rationalité, à la confiance mutuelle et à l’engagement collectif pour la construction du bien commun6. En effet pour connaître la cause de tout ce qui perturbe le cours de leur vie, femmes et hommes recourent quasi spontanément, en milieu africain, au monde invisible. Il arrive que ceux-ci attendent des forces invisibles à la fois les raisons et les solutions des problèmes qui peuvent être résolus par un simple effort de réflexion et d’activité créatrice. Du coup, des gens finissent par s’installer dans une sorte de passivité et de démission au moment où ils doivent assumer leur responsabilité humaine. Recourir aux forces invisibles et expliquer tout par elles prend le pas sur la quête des causes naturelles des phénomènes historiques. De nombreux Africains communiquent du coup plus avec le monde invisible qu’avec celui dans lequel ils vivent. Ils attendent de lui tout ce qu’ils devraient recevoir d’une 5. Nous renvoyons ici à notre étude intitulée Le paradigme d’une théologie de l’invention. Pour un travail de transfiguration de nos sociétés, dans L. SANTEDI KINKUPU (éd.), La théologie et l’avenir des sociétés. Cinquante ans de l’École de Kinshasa (Chrétiens en liberté), Paris, Karthala, 2010, 455-476. 6. Sur cette question, nous renvoyons à l’étude remarquable et combien suggestive de N.Y. SOEDE, Inventer une Afrique autre. Monde invisible, Développement et christianisme, Abidjan, Éditions Paulines, 2017.
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relation humaine responsable avec le monde visible: sécurité, santé, bienêtre, etc. Dans cette perspective, le rapport des personnes avec le monde invisible passe par le sanctuaire des oracles et des faiseurs de gris-gris. Beaucoup de gens consultent les tradithérapeutes, les prêtres traditionnels ou les marchands de forces occultes et même des prêtres catholiques pour se protéger contre des esprits malveillants. Du coup, dans les rapports sociaux, chacun a peur de l’autre, et l’on se méfie l’un de l’autre dans un champ social où l’on sait pourtant que l’on doit vivre ensemble et collaborer pour le bienêtre collectif. Il est évident que dans une telle ambiance, rien d’efficace et de permanent ne peut se construire en vue du développement humain7. Cette logique engendre une culture du mensonge, du faux et un individualisme qui aggravent les problèmes du manque d’engagement de beaucoup d’Africains pour le développement intégral de leur continent. Elle offre à quelques-uns un environnement propice à l’instauration d’un ordre d’intimidation et de domination des autres. Loin de nous l’idée d’affirmer que les modèles traditionnels des rapports sociaux sont purement négatifs. Nous reconnaissons qu’il s’agit de données culturelles qui ne manquent pas d’être porteuses de valeurs, mais qui présentent aussi des limites, comme toute réalité sociale. Dans la perspective du développement intégral de l’Afrique, il importe de relever les structures mentales et sociales, les habitudes et les comportements dont l’Afrique doit se libérer si elle veut rompre avec les problèmes de développement liés aux effets démobilisant de son rapport avec le monde invisible. Nous ne devons donc pas nous priver d’une analyse critique de nos cultures afin d’inventer une nouvelle culture susceptible d’être le vecteur d’un développement intégral de l’homme africain et des sociétés africaines. 2. Le défi de l’éducation Selon Africae munus, l’un des freins majeurs au développement de l’Afrique est certainement la réalité de l’analphabétisme. Le pape Benoît XVI y affirme que c’est un fléau égal à celui des pandémies. Certes, poursuit-il, il ne tue pas directement, mais il contribue activement à la marginalisation de la personne – qui est une forme de mort sociale –, et le rend incapable d’accéder à la connaissance. Alphabétiser l’individu, c’est en faire un membre à part entière de la res publica, à la construction de laquelle il pourra contribuer8. 7. CONFÉRENCE ÉPISCOPALE CENTRAFRICAINE, Réflexion chrétienne sur la sorcellerie, Bangui, Imprimerie Saint Paul, 1997, p. 34. 8. BENOÎT XVI, Exhortation apostolique post-synodale, Africae munus, no 76.
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Le défi est immense dans ce domaine en Afrique. De fait, on sait qu’au moins 162 millions d’Africains sont totalement analphabètes9. Une telle situation entraîne des conséquences néfastes dans divers secteurs de la vie sociale. Au niveau de la santé: que de maladies sont provoquées ou aggravées par l’ignorance! Des milliers de paysans et de villageois d’Afrique sont exposés aux pires endémies du fait qu’ils n’ont pas accès, à travers l’alphabétisation de base, à l’enseignement des rudiments d’hygiène et de prophylaxie. La malnutrition, spécialement la malnutrition infantile, est une conséquence directe et funeste de l’ignorance. L’ignorance joue aussi dans le sous-développement mental et le recours à la sorcellerie comme unique mode d’explication des échecs. Face à ce défi, le combat à mener pour le développement authentique de l’Afrique est double. D’une part, il concerne l’investissement en personnel et en moyens. À ce sujet, Africae munus (n° 77) invite les communautés et les institutions catholiques à répondre généreusement à ce grand défi, qui est un laboratoire d’humanisation, et à intensifier leurs efforts, selon leurs moyens, pour développer seules ou en collaboration avec d’autres organisations, des programmes efficaces et adaptés aux populations. D’autre part, le combat à mener concerne la perspective même de nos systèmes éducatifs. À la suite de Kä Mana, soulevons ici quelques questions10. 1°. Éduquer, c’est raconter. Depuis toujours et partout, tout un univers de vie a rythmé des peuples en racontant des récits comme construction d’un monde où les humains doivent vivre. Quels récits racontons-nous aux jeunes générations d’Africains et d’Africaines d’aujourd’hui, dans les familles, dans les écoles, dans les églises, dans les lieux publics pour les former à devenir les bâtisseurs de l’avenir? Avons-nous à notre disposition un ensemble des récits qui servent consciemment de repères collectifs dans nos systèmes éducatifs pour forger l’imaginaire de nos enfants et solidifier leur caractère par rapport au développement humain authentique en Afrique? 2°. Éduquer, c’est intégrer. Intégrer une personne dans une communauté de vie, de vision, de valeurs, de destin et d’aspirations. Plus globalement, il s’agit de l’intégrer dans l’humanité. Quelle conception notre société a-telle de la communauté et de l’humanité où l’éducation doit intégrer les 9. Voir sur ce point l’étude de S. SEMPORE, Veilleurs, où en est la nuit?, dans Panorama inter-Églises 59 (1992), no 1, 13-20. 10. Nous renvoyons ici à son ouvrage, La mission de l’Église africaine. Pour une nouvelle éthique mondiale et une civilisation de l’espérance (Collection foi et action), Bafoussam, CIPCRE – CEROS, 2005, pp. 186-195.
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personnes, particulièrement les enfants qui grandissent à côté des adultes? Il s’agit ici de l’intégration au niveau du sens commun, du sens civique, du sens moral et du sens spirituel. 3°. Éduquer, c’est prendre le parti de l’interculturalité. Aucun peuple ne peut prétendre tout inventer pour sa vie et sa survie. Depuis les temps les plus reculés de l’humanité, les civilisations se rencontrent, se confrontent, engagent leur destin et inventent leur avenir dans des conflits ou des dialogues. Les connaissances, les croyances, les pratiques sociales comme les arts de vivre se développent dans d’innombrables échanges. Dans ce processus, il faut savoir intégrer ce qui vient d’ailleurs et qui est nécessaire pour une transformation positive de soi et de sa propre culture. Sachant que toutes les productions culturelles de valeur deviennent ipso facto un patrimoine commun de l’humanité, il convient de se défaire de tout complexe d’infériorité afin d’intégrer les langues, les savoirs, les connaissances, les croyances, les pratiques sociales et les arts de vivre des autres, tant qu’ils nous confortent dans notre être et dans notre humanité, sans nous précipiter dans les gouffres de l’aliénation, de l’esclavage et de la corruption par la domination. Que devons-nous faire, en Afrique, pour intégrer avec fécondité le patrimoine de l’humanité qui nous vient des autres? Comment faire pour que des savoirs, des connaissances, des pratiques et arts de vivre d’ailleurs deviennent une puissance intérieure pour la construction de notre avenir. 4°. Éduquer, c’est bâtir. Bâtir des personnalités, forger des tempéraments, construire une structure d’esprit, un socle, des piliers et des leviers qui permettent aux membres d’une communauté d’être ensemble, de vivre ensemble, d’agir ensemble et d’espérer ensemble, à partir des repères qu’ils considèrent comme les fondements et les principes de leur être au monde. Il s’agit de former un arsenal d’outils intellectuels, éthiques et spirituels pour maîtriser le monde, l’organiser et y vivre. Quelle structure d’esprit voulons-nous forger dans nos sociétés africaines d’aujourd’hui? Quelle intelligence individuelle et collective voulons-nous développer et épanouir face aux grands problèmes de nos sociétés actuelles? Kä Mana estime avec raison que ces questions doivent être au cœur de notre combat pour une éducation au service du développement intégral de l’humain et des sociétés africaines. En effet nous croyons en une société qui se construit sur base des valeurs spirituelles et éthiques comme socle de tout développement. Dans cette perspective, les universités d’Afrique, par-delà leur rôle classique de vivier du savoir et de la formation, doivent être davantage conçues comme de hauts lieux où s’élaborent les principes et les stratégies de développement. La science, le savoir, n’acceptent pas la fatalité ni la futilité, mais s’efforcent de construire librement l’avenir.
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Envisagée à cette lumière, la science est un moyen d’empêcher le fatalisme envers l’avenir. Celui-ci n’est plus un destin à subir, mais un projet et une tâche à accomplir pour un futur harmonieux de l’humanité. Ajoutons encore un autre défi. Il sera le dernier. 3. Le défi de la constitution de l’ordre social juste et des sujets éthiques engagés dans le champ de l’action politique Aborder la question du développement en Afrique aujourd’hui nous oblige à réfléchir sur des institutions qui créent les conditions pour rendre à chacun la part du bonheur qui lui est due. C’est la condition d’une paix véritable, car elle introduit l’harmonie dans l’ordre des choses. Les évêques congolais avaient à juste titre déclaré à ce sujet: Quand une société perd les repères fondamentaux comme ceux du bien commun, de l’organisation sociale de la vie, de l’engagement pour l’intérêt de tous, lorsqu’une société s’enferme dans l’accoutumance à la violence et dans la perversion des mœurs; quand les dirigeants d’une nation n’ont plus le sens de leurs responsabilités et qu’ils se pervertissent dans la recherche d’un enrichissement facile et sans scrupule, dans la criminalité économique, où voulez-vous qu’elle aille sinon vers son effondrement? Il est donc temps de rappeler à notre peuple et à nos dirigeants qu’il existe des valeurs fondamentales sans lesquelles la vie, le progrès, le développement, la paix et le bonheur de la nation ne sont pas possibles11.
Ce dont il s’agit, en profondeur, c’est de penser l’organisation, la gestion et l’administration des peuples et des nations à partir des grandes valeurs spirituelles, éthiques et rationnelles, pour mettre le souci de l’humain au cœur des pratiques du pouvoir politique, de l’organisation socio-économique et de toutes les sphères de la vie. L’enjeu, ici, c’est la construction d’une culture de la démocratie locale et la gestion communautaire du bien-vivreensemble sur tous les plans de l’existence collective: les terroirs des villages, les quartiers et les villes, les nations et les régions, les continents et les grandes aires de civilisation, qui constituent, ensemble, l’espace mondial. L’espace où il est impératif aujourd’hui d’articuler les diversités et de rassembler les richesses humaines en fonction et au service d’un bonheur mondial et des exigences des générations futures12. 11. CONFÉRENCE ÉPISCOPALE NATIONALE DU CONGO, «La justice grandit une nation» (Pr 14,34). La restauration de la Nation par la lutte contre la corruption, Kinshasa, Éditions du secrétariat Général de la CENCO, 2009, n. 16. Sur ce point on lira avec profit J.M.V. KITUMAINI, Nouveaux enjeux de l’agir socio-politique de l’Église face aux défis de la société en Afrique. Application à l’Archidiocèse de Bukavu (RDC) à travers ses magistères successifs (Églises d’Afrique), Paris, L’Harmattan, 2011. 12. Cf. KÄ MANA, Pour une bonne gouvernance mondiale, dans Congo-Afrique, n° 243 (2008), p. 201.
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Pour cela, il faudrait que l’Église investisse dans la formation d’un leadership éthique engagé pour la construction d’un ordre social juste. Il ne fait pas de doute que la construction d’un ordre social juste relève de la compétence de la sphère politique. Cependant, une des tâches de l’Église consiste à former des consciences droites et réceptives aux exigences de la justice pour que grandissent des hommes et des femmes soucieux et capables de réaliser cet ordre social juste par leur conduite responsable13. Dans plusieurs pays africains, grâce aux Commissions Justice et Paix, l’Église s’est engagée dans la formation civique des citoyens et dans l’accompagnement du processus électoral. L’Église joue ainsi un rôle important dans l’éducation des populations et l’éveil de leur conscience et de leur responsabilité civique. Il nous semble qu’il faudrait aller plus loin et mener le combat à tous les niveaux pour l’émergence des sujets éthiques engagés sur le plan de l’agir collectif14. La théologie fondamentale pratique de J.B. Metz se présentait justement comme une théologie du sujet qui entend penser la contribution de la foi à l’avènement de sujets en résistance à l’apathie caractéristique des sociétés modernes avancées, largement dénoncée par les néo-marxistes de l’école de Francfort. J.B. Metz et J. Milbank, chacun à leur manière, restent suggestifs pour mobiliser la vigilance critique de l’espérance chrétienne. Mais comme l’a bien perçu J.-L. Souletie, ni l’un ni l’autre n’arrive pourtant vraiment à montrer comment l’espérance peut-être à la source, non plus d’une réforme de la société, mais de son invention, au moment où la mondialisation présente cette société comme aux limites de son effondrement économique, écologique et politique. C’est une véritable aptitude à construire les sujets qu’il est nécessaire de manifester15. C’est ici qu’il nous semble que la théologie africaine avec l’expérience des Églises aux prises avec la société se trouve peut-être en meilleure posture pour honorer ce cahier des charges d’une théologie qui pense la foi comme puissance de renouvellement de l’histoire et de la société. Tel est l’enjeu du combat de l’Église pour le développement de nos sociétés. Il ne s’agit pas seulement de gouverner autrement et de gérer autrement les entités et aires multiples de la riche diversité humaine, mais de former des sujets qui s’engagent au nom de grandes valeurs morales 13. BENOÎT XVI, Africae munus, nos 22-23. Voir aussi P. VALADIER, Un christianisme d’avenir pour une nouvelle alliance entre raison et foi, Paris, Seuil, 1979, p. 215. 14. Cf. C. NSAL’ONANONGO OMELENGE, La théologie politique négro-africaine. La constitution des sujets éthiques comme mission prophétique des Églises négro-africaines à l’heure des rendez-vous politiques, Kinshasa, Mediaspaul, 2016, p. 205. 15. J.-L. SOULETIE, L’espérance dans la postmodernité. Pour un débat critique avec la théologie de J.-B. Metz, dans SANTEDI KINKUPU (éd.), La théologie et l’avenir des sociétés (n. 5), 337-350, p. 350.
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et spirituelles à faire éclore un esprit où l’intérêt de chaque personne, les droits des diverses communautés, les attentes de chaque groupe social et les espérances de tous se gèrent selon les valeurs fondamentales de l’humain. Il s’agit concrètement de travailler pour l’émergence d’un leadership à même de comprendre son rôle prophétique principalement comme un service, de faire passer le bien commun avant les intérêts particuliers, et d’orienter son action sur les valeurs de convivialité humaine, suivant une architecture sociale construite sur les piliers de la vérité, de la justice, de l’amour et de la liberté, selon l’intuition du saint pape Jean XXIII dans l’encyclique Pacem in terris. Dans cette perspective, la bonne gouvernance deviendrait l’instauration d’une dynamique sociétale nouvelle, qui libère les énergies créatrices de tous les membres d’un groupe humain, à l’échelle à la fois locale et nationale, et qui permet en même temps de penser un croisement entre l’éthique et le théologal. Car le regard chrétien n’est pas seulement éthique, il est aussi théologal. La vie théologale pour se déployer passe par la condition humaine, sa finitude, sa faillibilité, sous peine d’être en proie aux illusions et aux mirages. Reprise dans un mouvement qui la réfère à Dieu, la vie éthique s’ouvre à un au-delà d’elle-même qui la prévient de la prétention à être l’ultime pour l’être humain16. Ce croisement entre l’éthique et le théologal est, pensons-nous, la condition du développement réel, un développement au sens plein et global. CONCLUSION L’Église, comme Peuple de Dieu, est appelée à travailler non seulement à sa propre croissance intérieure, mais aussi à l’achèvement et à la libération du monde. Le salut dont elle est porteuse n’est pas l’attente passive d’un autre monde, il est transformation du monde présent par l’action personnelle et communautaire de tous les chrétiens17. Il est, de ce fait, une réalité solidaire et intégrale, un engagement concret dans le jeu des solidarités humaines qui doit conduire à transformer les cœurs et les institutions. L’évangélisation des cultures s’inscrit dans ce mouvement de la contribution de l’Église au développement des sociétés.
16. Sur ce point voir aussi l’étude suggestive d’É. GAZIAUX, L’éthique chrétienne ou pour une éthique en tension entre deux ordres, dans SANTEDI KINKUPU (éd.), La théologie et l’avenir des sociétés (n. 5), 389-402. 17. Voir CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU ZAÏRE, Notre foi en Jésus-Christ, Kinshasa, éd. du Secrétariat général de la Conférence épiscopale du Zaïre, 1975.
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L’Église a donc un rôle social. Celui-ci n’est pas un rôle de suppléance provisoire dû à un déficit de l’action des pouvoirs. En réalité, on doit affirmer que par son engagement pour le développement des sociétés, l’Église investit son sens évangélique de l’humain dans un travail créatif et charismatique d’invention de la société. L’espérance chrétienne en Dieu qui ressuscite Jésus d’entre les morts est appelée à montrer comment elle donne à des sujets brisés de prendre en charge la responsabilité de l’invention de la société. Il s’agit donc d’une espérance qui assume la rugosité de l’histoire et qui s’enracine dans la nouveauté permanente de Dieu. L’espérance en effet n’a pas à travailler en termes de suppléance, mais dans le sens de la créativité sociale, pour inventer partout sur la planète des «laboratoires possibles» de l’invention de la société18. C’est cette espérance qui nous pousse à nous engager pour transfigurer nos vies, nos communautés, nos sociétés. La tâche immense demeure celle de former des sujets éthiques dans le champ de l’action politique collective. Cette tâche se comprend dans la manière dont les communautés chrétiennes africaines doivent se resituer face à l’avenir de leur continent, c’est-à-dire dans la manière dont elles pensent leur futur et dont elles ré-imaginent le rôle de la mission dans la vie de leurs peuples. Faculté de théologie Université catholique du Congo Avenue de l’Université 2, B.P. 1534 Limete Kinshasa [email protected]
Léonard SANTEDI KINKUPU Recteur
18. Voir sur ce point SOULETIE, L’espérance dans la postmodernité (n. 15), 337-350.
THE SCOPE OF REDEMPTION LIFE IN THE UNIVERSE*
Other heavenly bodies, other histories, other creatures in whom the mystery of being is manifest, may replace us1.
I. EXORDIUM This tribute to my friend and colleague Joseph Famerée takes its cue from one of his beloved theologians, Yves Congar. The legacy of this powerful thinker is very much alive, as Famerée wrote in an overview of his most recent writings a mere two years after the Dominican’s death2. This assessment of the Cardinal is given in the monumental work on The Modern Theologians edited by David Ford: Because of his role in the ressourcement (return to sources), which was a hallmark of Vatican II, and his initiatives in the accompanying ecumenism between Catholics, Protestants and Orthodox, Yves Congar may well have had more influence on church history than any other theologian in this volume3.
In this contribution, we take as a starting point Congar’s overriding concern in his short book of 1959: he calls it “Le salut des Autres” – The Redemption of the Others. Congar had in mind those who are outside the Church: that is, the believers of the other world faiths, as well as the unbelievers. The problem of the scope of redemption may be speculatively extrapolated to the plurality of worlds, which will be the topic of this chapter. Indeed, Congar himself broached the question “has God peopled the stars?” in a short annex tucked away at the very end of his book, The Wide World, My Parish; in the original French, Vaste monde, ma paroisse. Vérité et dimensions du salut4. * I would like to express my thanks to my friend and neighbor Dr. Andrea Beagthon of Imperial College (London) for her close reading of the text. 1. P. TILLICH, Man and Earth, in ID., The Eternal Now, New York, Scribner, 1963, 6678, p. 77 (collection of sermons 1955-1963). 2. J. FAMERÉE, Yves Congar nous interroge encore, in RTL 28 (1997) 376-387. 3. F. KERR, in the introduction to the section Reconceiving Roman Catholic Theology, in D. FORD (ed.), The Modern Theologians, Oxford, Blackwell, 19972, p. 103. 4. Y. CONGAR, Dieu a-t-il peuplé les astres?, in Vaste monde, ma paroisse. Vérité et dimensions du salut, new edition with a preface by J.M. TILLARD, Paris, Cerf, 2000, 208-213.
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Our treatment of the question is ecumenical, exactly as Joseph Famerée, stalwart member of the Groupe des Dombes, likes to approach theological questions himself. Thus, this corpus of writings on the plurality of inhabited worlds includes the points of view of not only a Catholic (Yves Congar), but of a Lutheran (Paul Tillich), an Anglican (Clive Staple Lewis) and an Orthodox (Olivier Clément). If Earth is not the only inhabited planet; if there exist organisms on other planets or their moons either within our solar system or around other stars – exoplanets and their moons –; and if these organisms are feeling and thinking beings, then what becomes of these “unbaptized”? We are better equipped than ever to find “hard” evidence but must remember that astronomy and space exploration have not thus far come up with any proof. Theologians, for the most part, remain prudent on this score, and they write about the topic – if at all – at the margins, conscious of the paucity of biblical witnesses regarding the question. If we widen the sources to the Tradition and the traditions, there are still very few texts which inquire into the question of “the redemption of other worlds”. We have to be “catholic” in identifying our sources! Thus, I take it that the novel situation arises where the questions for theology emerge from within a third corpus which is neither theological/biblical nor scientific, but rather literary. Science fiction, or “scientific fiction” as it was known originally, has filled silos of pulp. For the purpose of this tribute to my friend Joseph, as well as for a larger work in progress, Deep Space. Astrobiology and Theology at the Cross-Roads, I have winnowed a mass of chaff to come up with a handful of wheat: a sample of three works of science-fiction works that shed light on the plurality of worlds and the consequences for Christology, especially soteriology. II. THE SCOPE OF REDEMPTION SCIENCE-FICTION, THEOLOGY AND ASTROBIOLOGY There are several reasons, in my opinion, to start out with the corpus of “scientific fiction” rather than with Scriptures, the teachings of the Church or aeronautics. The first reason has to do with the history of ideas: well before theologians contemplated the plurality of inhabited worlds and the questions raised by them, especially those related to the redemption The book was originally published by the Éditions de Témoignage chrétien in the collection significantly called “Bibliothèque de l’homme d’action” in September 1959. The English version, translated by D. ATTWATER, was published in 1961 with the title The Wide World My Parish. Salvation and Its Problems, Baltimore, MD, Helicon Press, 1961.
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by Christ and the “mission” of humankind to other worlds, and well before the technology was in place, these topoi had been anticipated by writers of fiction. Flights of fancy precede actual flights: “Tintin walked on the moon before Neil Armstrong”. We will discuss one remarkable instance of an Anglican writer who wrote extensively about the theme as a writer of fiction or “fantasy”, notably in his Cosmic Trilogy, while later expressing a somewhat more critical theological view, and who also wrote about cosmology as a historian of literature: C.S. Lewis. The second reason for our choice to give precedence of fiction over doctrine has to do with my interest in interpreting the Zeitgeist. The task of theology lies, as ever, in the correlation between the situation and the message, according to the fundamental methodological insight of Paul Tillich. Astrobiology as the quest for life in the Universe represents a venture into “terra incognita” for all the people involved, be they in the “hard sciences” or in theology. The Scriptures contain no systematic cosmology, and speculations regarding biological existence on places outside the Earth are absent from the biblical record. Yves Congar’s first response to the question “Has God peopled the stars?” was to say “There is no point being subtle about it. There is nothing in the Bible that touches the matter”5. Fortunately for us, Congar did have something to say, as we shall shortly show. The corpora of fiction and doctrine are not hermetically closed. They borrow from each other and seek validation or justification in each other: including, in the short story Insiliconation, by appealing to the religious notion of blasphemy. And of course, Scriptures and theology are shaped to some extent by scientific discoveries of their day, as are the literary works of science-fiction. For our topic, feats, insights and speculations in space travel, in astronomy and in exo-biology (astrobiology) “trickle down” slowly in the collective awareness, and inform, to some extent, both artists and scholars. From the immense array of science fiction writings, I have chosen three works which are driven by explicit theological questions. The pioneering work of Jules Verne, for example, does not meet my criteria because his main preoccupation was with technology. The first book is by C.S. Lewis, Out of the Silent Planet with its exploration of a cosmology of prelapsarian planets. The second work is The Sparrow by Mary Doria Russell, a story that crystalized around the quincentennial of “1492”, the discovery of the New World. She asks: what would it mean to discover a new world, this time around Proxima Centauri; how would one conduct a mission there? Finally, a short story published in 2017 by Eric Reitan depicts the 5. CONGAR, The Wide World My Parish (n. 4), p. 186.
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awakening in a human colony on Mars of religious feelings in robots (called “synths”) and the discovery of a new incarnation, in this case more specifically an “insiliconation”. 1. Cosmology of the Fall. C.S. Lewis First, then, Out of the Silent Planet. We will concentrate on the first volume of Lewis’ ‘cosmic trilogy’, published in 1938. But let me start with a preliminary confession: for many years, I shared the common prejudice regarding science-fiction – that is a literary genre that is distinctly low brow, in fact barely to be considered as literature at all – and I had never read any. The garish colours of their covers signaled to me I could safely ignore them. My exposure to the “canonical writings” of the pioneers, from H.G. Wells and Jules Verne to the mid-20th century Stanislas Lem, A.C. Clarke and C.S. Lewis and to our contemporaries Ursula LeGuinn and Mary Doria Russell is both recent and fairly intensive6. I have learned to descry recurrent patterns. One such pattern is the cast of characters: each represents an archetype, or a vice. For instance, the Faustian motif in the (mad) scientist, or the greed of the entrepreneur. (And yes, it is still a man’s world, even when the spaceship ventures out to faraway worlds: The Sparrow by Maria Doria Russell is the only novel where several women are “agonists”, not merely seductive or seduced). In the story told by Clive Staples Lewis (1898-1963), we encounter a fanatical scientist and a materialistic businessman. The latter is keen to mine the resources of Mars, its gold and gemstones; but the former is more dangerous. He shares with the capitalist the typical colonial disrespect for the “natives”. More strikingly, Weston the scientist believes in the right of the higher forms of life to supersede the lower. Life, in his opinion, has absolute claims, “for she has pursued her relentless march from the amoeba to man and from man to civilization”7. “Today, in her highest form – civilized man – and in me as his representative, she presses forward to that interplanetary leap which will, perhaps, place her forever beyond the reach of death”8. A third member of the team did not sign up, but was taken along to Malacandra (aka Mars), for a reason that gradually unfolds. The kidnapped man Ransom is a Cambridge philologist who resembles Tolkien and C.S. Lewis himself. The subtitle of the book could also have been, 6. The change of heart regarding science-fiction goes back to my participation (20152016) in the research program Astrobiology and the Humanities funded by NASA and the John Templeton Foundation, at the Center of Theological Inquiry (CTI), in Princeton (NJ). 7. C.S. LEWIS, Out of the Silent Planet, New York, Macmillan, 1976 [1938], p. 147. 8. Ibid., p. 148.
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I suggest, Surprised by Joy. Paradise beckons, with glimpses of Dante’s Paradiso and Milton’s Paradise Lost. The leitmotiv is the conversion of Ransom’s perception: nothing is as he expected. The first lesson he learns is a radical change of perspective. Where he had previously seen terrifying empty darkness, he discovers light, glorious living light. To explore the skies, then, is to experience a foretaste of Heaven9. A nightmare, long engendered in the modern mind by the mythology that follows in the wake of science, was falling off him. He had read of “Space”: at the back of his mind for years had lurked the dismal fancy of black, cold vacuity, the utter deadness, which was supposed to separate the worlds. He had not known how much it affected him till now – now that the very name “Space” seemed a blasphemous libel for this empyrean ocean of radiance in which they swam. He could not call it “dead”: he felt life pouring into him from it every moment. How indeed could it be otherwise, since out of this ocean the worlds and all their life had come? He had thought it barren: he saw now that it was the womb of worlds, whose blazing and innumerable offspring looked down nightly even upon the earth with so many eyes (…) Space was the wrong name. Older thinkers had been wiser when they named it simply the heavens10.
Having landed on the planet, before anything else he learned that Malacandra was beautiful; and he even reflected how odd it that this possibility had never entered into his speculations about it. The same peculiar twist of imagination which led him to people the universe with monsters had somehow taught him to expect nothing on the strange planet except rocky desolation or else a network of nightmare machines11.
The protagonist who embarked nolens volens on a mission into outer space recognizes his apprehensions. The tellers of tales in our world make us think that if there is any life beyond our own air it is evil12.
Ransom must have been a keen reader of The First Men in the Moon (1901) as a boy, just like the young Lewis. The incipit of our novel states that the author would be sorry if any reader supposed he was too stupid to have enjoyed H.G. Wells’s fantasies, or too ungrateful to acknowledge them. 9. The two subsequent volumes of the Cosmic Trilogy are markedly different, reflecting the writer’s preoccupation with national-socialism and technocracy. Through Perelandra and That Hideous Strength, Lewis contributes to the war effort by reviving the Arthurian legend and by depicting the valiant “remnant” of authentic Britons. 10. LEWIS, Out of the Silent Planet (n. 7), p. 29. 11. Ibid., p. 41. 12. Ibid., p. 131.
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According to the entry in the Oxford Companion to English Language, edited by Margaret Drabble, Out of the Silent Planet is “the first of three science fiction novels with a strong Christian flavour”13. An unsympathetic understatement in my opinion, as Lewis’ ambition reaches further than to provide readers with Christian flavour, even of the “strong” kind. Science fiction is often a vehicle for commentary on class and politics. The perils and/or promise of modern technology constitute another important theme. By contrast, Lewis uses the form of the “scientific fiction” to provide his readers not only with entertainment but with a kerygmatic rendering of faith – “mere Christianity”, as he calls it. Lewis “peoples” the planet Malacandra with sentient, rational beings. At first, Ransom thinks of the extraterrestrial intelligences (E.T.) he encounters as strange animals; but he discovers, added to their animal features, “as though Paradise had never been lost and earliest dreams were true, the charm of speech and reason”14. They also have adequate astronomical knowledge to point out to Ransom the planet whence he came, and he finds that it is called Thulcandra, the silent planet. Again, the writer invites his readers into an noetic techouva, literally a metanoia. For where we imagined dumb darkness, there is light and wisdom. Indeed the representative from Christianity, ever since he had discovered the rationality of the hrossa had been haunted by a conscientious scruple as to whether it might not be his duty to undertake their religious instruction; now, as a result of his tentative efforts, he found himself being treated as if he were the savage and being given a first sketch of civilized religion – a sort of hrossian equivalent of the shorter catechism15.
What does one “naturally” expect in a foreign civilization, a fortiori from an alien civilization on another planet? Yves Congar answers: The only certainty that theology contributes here is that, if living beings endowed with understanding exist elsewhere, they too are in God’s image, for he is the creator and master of Mars or Venus just as he is of the Earth. They would, then, have a natural religion analogous to ours, though in forms we cannot imagine. We say “analogous” in order to allow for the unknown forms of their spiritual life (…) In whatever forms they were expressed, the affirmations of these intelligences would refer to identically the same God as do ours and in their spiritual content would be really identical with them. Monotheism implies that16. 13. M. DRABBLE (ed.), The Oxford Companion to English Literature, Oxford, Oxford University Press, 2000, s.v. Lewis. 14. LEWIS, Out of the Silent Planet (n. 7), p. 59. 15. Ibid., p. 70. 16. CONGAR, The Wide World My Parish (n. 4), pp. 186-188.
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On Malacandra, according to C.S. Lewis’s fancy, three distinct species are endowed with reason: they are all considered to be hnau, and no one is bent on exterminating the others. Ransom’s unearthly interlocutors are struck especially by one thing about his world: the fact that we had only one kind of hnau: they thought this must have farreaching effects in the narrowing of sympathies and even of thought. ‘Your thought must be at the mercy of your blood (…). For you cannot compare it with thought that floats on a different blood’17.
Finally, another far-reaching insight relates to the nature of Earth among the other worlds. Asking in his own way about the dimensions of salvation, Lewis involves us in a scenario where Heilsgeschichte is turned inside out. Instead of a geocentric narrative where redemption starts with the children of Noah, then moves outward to Abraham and ultimately includes all the adoptive brothers and sisters of Jesus whom we confess to be Christ, the writer conceives of a great plurality of worlds that are not in the thralls of sin. Earth is the “silent planet” because of the prevailing influence of the Bent One. The inhabitants of Malacandra, far from having only a “natural religion”, in Congar’s words, have been given an understanding of the cosmic drama that exceeds the wisdom of Ransom and the people of the silent planet, because the good “principalities” share their revelations liberally. Ransom is charged with a reverse mission. If we could even effect in one percent of our readers a change-over from the conception of Space to the conception of Heaven, we should have made a beginning18.
2. Divine Providence and the Calling of Human Mission: M.D. Russell The second book in my purview is The Sparrow, by the anthropologist Mary Doria Russell (b. 1950)19. It relies on a different conceit: successful SETI – Search for Extraterrestial Intelligence – followed by the exploration of an alien inhabited world. The Sparrow was sparked by the haunting image of a pair of tortured hands. One of the missionaries, the linguist and priest Emilio Sandoz, will receive this cruel treatment on the other world as a result of tragicomic quiproquo. The second source of inspiration were, in 1992, the quincentennial celebrations of “the discovery of the New World”; they made the writer wonder about the discovery of a new world 17. LEWIS, Out of the Silent Planet (n. 7), p. 110. 18. Ibid., p. 167. 19. M.D. Russell must have been put under considerable pressure to write the sequel, Children of God (1998). Here, we limit the discussion to the more powerful Sparrow.
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in the twenty-first century, given the extreme difficulties of communicating between civilisations. Finally, we must know that the mission to Rakhat – that is the planet we call Alpha Centauri – is a Jesuit undertaking, deftly organised by the Order while the United Nations are divided in the debate on why precious human resources should be invested in efforts to contact the other world. Most of the book’s humans are good Catholics, a fact that must be related to the writer’s early years at Sacred Heart Elementary School. In the novel, in August 2019, an astronomer in Arecibo (Puerto Rico) captures ET signals, in the form of complex songs, coming from Alpha Centauri, four light years away. His Jesuit friend immediately starts planning a mission to the singers. Naturally he at first meets with scepticism. The agnostic physician Anne Edwards (who will eventually embark on the voyage of the Stella Maris) is baffled and asks: Emilio, sometimes I can’t tell when you’re joking. Do you mean a mission or do you mean a mission? Are we talking science or religion? ‘Yes’, he said simply (…)20.
The prologue of the novel clarifies the theological motivations of the undertaking: The Jesuit scientists went to learn, not to proselytize. They went so that they might come to know and love God’s other children. They went for the reason Jesuits have always gone to the farthest frontiers of human exploration. They went ad majorem Dei gloriam.
And, as a sobering afterthought, the writer adds: “They meant no harm”. Why do the Jesuits in Russell’s story have the passionate desire to explore Rakhat, at the peril of their own lives? When in 1686 Bernard de Fontenelle responded to the public’s interest in astronomy, in the wake of the comet of 1681, he invented a dialogue with the Marquise de G*** about the plurality of “possible worlds”. The philosopher, wary of the Church’s strictures, was careful to explain that other worlds could not have among their inhabitants any children of Adam. Thus the logic of “one earth – one humankind descended from Adam – redeemed in the unique Second Adam” was not questioned. Likewise, in 1679 the Lutheran theologian Johann Andreas Schmidt expressed the view that the Moon could not be inhabited: its climate would be unsuitable for vineyards, which meant no wine, and therefore no Communion. As a consequence, there could be no beings endowed with souls living on the Moon: QED21. Four 20. M.D. RUSSELL, The Sparrow, London, Black Swan, 1996, p. 122. 21. O. MORTON, The Moon. A History of the Future (Profile Books), London, Economist Books, 2019.
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centuries later, these constraints are no longer present, at least in the novel about the planet Rakhat. The theological rationale for this mission had been worked out decades before there was any evidence of other sentient species in the universe: mere considerations of scale suggested that human beings were not the sole purpose of creation. So. Now there was proof. God had other children22.
One should ask whether the reasoning holds. Russell posits a logical continuity where there is in fact a hiatus, between the astronomical application of the post-Copernican Mediocrity principle – Earth does not occupy a central position in the Universe – and the assertion of a belief, namely that human beings are not the “sole purpose of creation”. To say that “God has other children” reverberates with many biblical stories: about the rivalry between siblings, starting with Cain and Abel, and Esau and Jacob; but also Mary of Magdala, Peter and Paul in the early Church. In the story, the Jesuits and the laypeople on the spaceship conceive of their mission as being collaborators in God’s design to save and to redeem all. Sandoz remembers the letter of the seventeenth century Jesuit Isaac Jogues to his mother, to whom he wrote straight from the mission field: All the labors of a million persons, would they not be worthwhile if they gained a single soul for Jesus Christ?
And so, indeed, the Father General ponders, What a burden man like Sandoz carried into the field. Over four hundred of Ours to set the standard, he thought, and remembered his days as a novice, studying the lives of sainted, blessed and venerated Jesuits. (…) Meeting torture and death with a joy that defies easy understanding, even by those who share their religion, if not their faith. So many Homeric stories. So many martyrs like Isaac Jogues. Trekking eight hundred miles into the interior of the New World – a land as aliens to a European as Rakhat is to us now, Giuliano suddenly realized. Feared as a witch, ridiculed, reviled for his mildness by the Indians he’d hoped to gain for Christ23.
How can the emissaries of God’s love suffer so much pain and doubt? The title of the book is an allusion to the words of Jesus of Nazareth, “Not one sparrow can fall to the ground without your Father knowing it”24. But, as a fellow priest says of Emilio’s fate: “the sparrow still falls”25 and the abyss of theodicy looms large as the plot thickens and we become onlookers of an inescapable tragedy, a comedy of errors that costs many lives. 22. 23. 24. 25.
RUSSELL, The Sparrow (n. 20), p. 145. Ibid., p. 170. Mt 10,29. RUSSELL, The Sparrow (n. 20), p. 499.
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By contrast, the science fiction of C.S. Lewis distills a sense of harmony, of effortless living up to the ideals that seem unattainable to humankind: no waste, no pilfering of resources; a durable chastity, continent and monogamous. Ransom becomes the harbinger of hope, for out of the skies (the heavens really) the redemption of Earth is on its way, the decisive battle to be fought by God (Maleldil) against the “prince of this world” who still enslaves many, even anno Domini 1938. Keep in mind that on Malacandra, there co-exist peacefully three sentient species, and from the start Ransom receives plentiful trustworthy information from the aliens and the native supernatural entities, equally benevolent. In The Sparrow on the other hand, the terrible irony of the mission to Rakhat is that the team first encountered a peace-loving vegetarian species, the Runa. The second sentient species, the dominant one on the planet, is the killer species: refined, decadent, ruthless even by human standards. There will be a revolution of the exploited Runa, helped by the remnants of the Jesuit mission. Sparrow imagines interplanetary communication and the clash of civilisations if ever there was one. It also contains a more intimate narrative, namely the spiritual awakening of one man, a priest who gradually experiences himself what he has taught others for many years: “God has something in mind for me”. The mission has its origin in his passionate desire to discover the inhabitants of Rakhat. “And I heard myself saying Deus vult, like Marc, but it still seemed like some kind of huge joke”26. On landfall, the crew lets him step out alone, into the sunlight of stars he’d never noticed while on Earth, and fill his lungs with the exhalation of unknown plants and fall to his knees weeping, with the joy of it when, after a long courtship, he felt the void fill and believed with all his heart that his love affair with God had been consummated27.
At that moment, the fictional Jesuit might have said, slightly modifying the words of Yves Congar: Vastes mondes, ma paroisse. In the French original of Congar’s book, the source of the quote appears nowhere, but the English translation does establish the genealogy. It was John Wesley (1703-1791) who first wrote “I look upon the world as my parish”. He continued: I mean that in whatever part of it I am, I judge it meet, right and my bounden duty to declare unto all that are willing to hear, the glad tidings of salvation28. 26. Ibid., p. 225. 27. Ibid., p. 238. 28. J. WESLEY, Journal, June 11, 1739, quoted from CONGAR, The Wide World My Parish (n. 4), p. 1.
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The words “the world as my parish” deflect criticism addressed to him because of his itinerant ministry which led him to encroach upon the parishes of other priests of the Church of England. In fact, as a fellow of Oxford’s Lincoln College, Wesley was exempt from the parish boundary law. With his younger brother Charles, he undertook an unsuccessful mission to Georgia in 1735; he ministered to the illiterate industrial poor and is known to have travelled thousands of miles every year, mostly on horseback. The Moravians, an offshoot of Lutheranism, were of paramount importance for the founder of the Oxford Methodists, and the Brethren conceived of the world as their field. They sang hymns about reaching inhabitants near Greenland’s icy mountains and India’s coral strand29. So although the question examined by Cardinal Yves Congar, “Has God peopled the stars?” would have been far outside Wesley’s ken, he would have approved of the inquiry into the “dimensions of salvation”. Wesley could not have imagined that his bounden duty to declare the glad tidings of salvation would also include a mission to worlds other than the third planet (Earth). It is, in my opinion, legitimate to extrapolate, in order to make room for the cosmic dimension of God’s creating and redeeming love. We may assume that the author of the gospel according to John when he wrote “God so loved the world that He gave his only Son, that whoever believes in him should not perish but have eternal life” was not proposing to extend the dimensions of salvation to the rest of the solar system, much less to exo-planets and their moons or other galaxies beyond the Milky Way. Yet, because John used the Greek word kosmos30 when he could have used the word for earth, it now seems to us consistent with the grammar of revelation to ask about redemption on a possible plurality of viable worlds. Yves Congar, Paul Tillich and Olivier Clément show us examples of theologians wrestling with faith in the age of space. Indeed, already in 1938, C.S. Lewis speculated on matters of belief and space travel, as do our contemporaries Mary Doria Russell and Eric Reitan by means of their science-fiction. 3. A Saviour for Synths. Insiliconation, by E. Reitan Our third “scientific fiction” on the scope of redemption differs from the Christian apologetics put forward by C.S. Lewis throughout his entire oeuvre, and from the sympathetic treatment of the societas Iesu by Mary 29. M. MARTY, The Christian World. A Global History, New York, Modern Library, 2007, p. 129. 30. John 3,16-19.
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Doria Russell. Eric Reitan’s Insiliconation is part of a collection of short stories provocatively called The Book of Blasphemous Words, edited by C.J. Miles IV. The book is part of a series by “A Murder of Storytellers” – a murder, we learn by the way, is the proper word for a gathering of crows (similarly, a “parliament of owls”; “a pride of lions”, etc.). We are again on Mars, where the survival of the colonists depends on the labour of robots, also called “synths”. A movement not unlike a postcolonial liberation theology is brewing, which demands human rights for these intelligent machines. One day, the Catholic Archbishop of Mars Colony, Emmanuel Beckett, learns of rumours regarding the religious aspirations of the synths. It was absurd. Religious feelings presupposed not only consciousness, but spiritual consciousness (…) Mars couldn’t survive without synth labor, but that wouldn’t stop extremists on one side from calling for their destruction, and on the other side from crying out for liberation of all things. (…) Soon enough there’d be people clamoring to let synths attend mass.
In a sermon meant to quell the strange rumblings, his Excellency expounds the classical doctrine of human uniqueness. Sentience required subjectivity, and the capacity to be the subject of experiences was not something matter possessed. Subjectivity was essentially spiritual – something breathed into matter by God, not something that emerged from matter just when you arranged it the right way31.
However, the sermon sounds flat even in his own ears. And when he went to bed that night he dreamed of synths, kneeling in the mines, their multifaceted eyes turned upward, and their coppery fingers clasped together. Murmuring prayers. Crying for a savior32.
Soon, Beckett comes face to face with it – or him. The news reports started calling it the Synth Messiah, and the label persisted despite Beckett’s fervent protests to anyone who cared to listen. Not many seemed to care. It was almost as if the Catholic Revival had never happened. The eyes of Mars Colony were fixed on the synth. How could the words of a mere human, Archbishop or otherwise, compare with the seductive novelty of a preaching robot33?
31. E. REITAN, Insiliconation, in C.J. MILES IV (ed.), The Book of Blasphemous Words, Tulsa, OK, A Murder of Storytellers, 2017, 239-257, p. 243. 32. Ibid., p. 244. 33. Ibid., p. 247.
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To make the short story even shorter, I excise the parts about the plot to ensnare the Synth saviour, in order to arrive at the showdown. The robot proclaims the Prologue: in the beginning was the Word … and the Word was made silicone and dwelt among us. When the priest asks: “How dare you?” the machine asks: “why are you angry with me?”. Beckett then attempts to return to the higher moral ground of human exceptionalism. “You’re a synth”, he hissed. “A man-made machine. Only God can create life”. But the synth points out the mysterious nature of life as it emerges, no one can really determine how precisely, or when. “If God can breathe life into dust, why not into the work of human hands34”? The Archbishop says to the synth: “God so loved the world that He gave his only begotten Son (…) Why should He do it again? Is one incarnation insufficient? The words gave him a new flare of confidence. ‘Was the crucifixion not enough? This is the blasphemy your programmers preach!’35.
We ask: are those questions truly blasphemous? This contemporary fiction raises authentic questions, similar to the ones formulated by Yves Congar sixty years ago. Venturing beyond the purported interplanetary common ground of “natural religion”, Congar asked: As for the question whether, if these beings exist, they also would have been called by God to the life of grace and a supernatural revelation, no other answer can be given than this: “It is possible”. Why not? But we know nothing whatever about it: it belongs to the realm of God’s inviolable and sovereign freedom. Could there have been an Incarnation in one of these inhabited worlds? Could the Word of God have taken flesh there and become a Martian, for instance, as we know that he became a man of this earth in Jesus Christ, brother of us sinful children of Adam? Or could the Father have been incarnated there, or the Holy Spirit?36.
Reitan’s short story gives another turn of the screw. The synth asks: ‘How many times, Emmanuel Beckett, have you excluded the synths from the Holy Eucharist?’ Beckett released a sharp, involuntary laugh. ‘I’ve never included them!’ ‘And why not?’ ‘Because Jesus was God made flesh’. He said the words with an aura of triumph – the final punctuation mark to this absurd affair. But even as the men around him responded with approval, the deeper meaning of his own words opened up before him, like a dark pit in the center of his world.
When the officers start leading away the synth, Beckett meets his gaze. 34. Ibid., pp. 254-255. 35. Ibid. 36. CONGAR, Wide World My Parish (n. 4), p. 187.
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They were expressive eyes. He wondered how he couldn’t have seen that before, seen past the facets and the stiff alloys to the intensity of emotion that burned within them. Not anger. Not righteousness37.
The Synth Messiah is dismantled; no crucifixion, no displays of humiliation. Just the cold efficiency of a wellrun corporate machine (…) Emmanuel Beckett found himself waiting for the resurrection38.
Congar, as we have shown, is willing to speculate about a specific revelation to creatures who inhabit other worlds: arguing from what we know by revelation about the incarnation of the Word in Jesus Christ, theologians think it is not contradictory, and therefore it would not be impossible, that the Word of God, or one of the Persons of the Blessed Trinity, should unite himself to any creature39.
However, he reins in the audacity of his reasoning by disqualifying it as a scholastic exercise and leading the reader back to the experiential truth of the Christian creed. What matters for us and concerns us vitally is that which really exists, namely God’s actual plan where we are. And for us this plan has only name: Jesus Christ. We therefore keep within the bounds of what Revelation tells us when it declares that from henceforth Jesus Christ – ‘our’ Christ – is King, and can but be King, of all that is created: not simply of this earth, but of the whole of God’s work, of the myriads of stars shining in the vault of the heavens40.
Congar, it seems, opens a window – you may ask whether God peopled the stars; whether on another planet the Godhead might have become incarnate in the Spirit, or in the Father. He then closes the door by stating the lasting truth of the creed: Christ is seated at the right hand of the Father. Because of this progressive-conservative stance, I would place him in the middle, in between, on the one hand, Paul Tillich, the Lutheran “theologian of culture”, and, on the other hand, Olivier Clément, the French Orthodox thinker. Olivier Clément offered a fascinating meditation on cosmology which he chooses to understand as an ecclesial gnosis (a word that has no pejorative meaning for him). Four essays clarify the content of his cosmology, where 37. 38. 39. 40.
REITAN, Insiliconation (n. 31), p. 256. Ibid., p. 257. CONGAR, Wide World My Parish (n. 4), pp. 187-188. Ibid., p. 188.
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he discusses recent scientific developments and the intuitions of the Church Fathers. A third influence is found in the work of philosophers/scientists: Tsiolkovsky, Fedorov, Berdiaev. Clément puts forward his theological understanding of Le sens de la Terre. The four essays gathered under that title are the following: La cosmologie, gnose ecclésiale; Le mystère de l’être; La cosmologie et l’histoire du salut; Technique et résurrection. Space not permitting, I cannot give a detailed commentary on Clément’s view. Let it be sufficient to state for him, Orthodox cosmology is unabashedly … geocentric. It must be geocentric because it is christocentric. The dimension and the truth of redemption place the earth at the heart of the cosmos, not physically but spiritually. It follows that the remotest galaxies are specks of dust that gravitate around the Cross41. In Paul Tillich’s thought, we also detect the shock waves of the spacerace and the unprecedented adventure of Sputnik I and II. This successful venture of manmade satellites on Earth’s orbit represent “a realm created by man quite beyond the realm that was given him by nature when he first emerged from earlier forms of life”42. Technology modifies the ways humankind views itself and it changes the understanding of the Christian tradition. Tillich’s sermon is based on Psalm 8: “what are human beings, that Thou art mindful of them?”. After Copernicus, Tillich asks, what remains, in our present view of reality, of the importance of the earth and the glory of man? Further, since it seems possible that other beings exist on other heavenly bodies, in whom the divine is also manifest, and of whom God is mindful, and also whom He has crowned with glory and honor, what is the meaning of the Christian view of human history and its center, the appearance of the Christ?43.
The sermon ends with the call to be aware of the “eternal present”. Instead of the iterations of Christ’s central role (Congar and Clément), we find in Tillich’s theology the ultimacy of the “eternal presence” as the durable answer for the ultimate concern of human beings. Only the eternal can save us from the anxiety of being a meaningless bit of matter in a meaningless vortex of atoms and electrons44.
41. O. CLÉMENT, Le Christ Terre des Vivants. Essais théologiques (Spiritualité orientale, 17), Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 1976. The quote reads: “Les galaxies les plus lointaines sont des poussières qui gravitent autour de la Croix” (p. 88). 42. TILLICH, Man and Earth (n. 1), p. 68. 43. Ibid., p. 77. 44. Ibid.
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CONCLUSION C.S. Lewis astutely pointed out in 1962, in the epilogue of his study about what he calls the Model, in other words the cosmology that prevailed until the seventeenth century: There is no question here of the old Model being shattered by the inrush of new phenomena. The truth would seem to be the reverse: that when changes in the human mind produce a sufficient disrelish of the old Model and a hankering for some new one, phenomena that support new one will obediently turn up. I do not mean that these phenomena are illusory. Nature has all sorts of phenomena in stock and can suit many tastes. (…) Fifty years ago, if you asked an astronomer about life on other worlds, he was apt to be totally agnostic about it or even to stress its improbability. We are now told that in so vast a universe, stars that have planets and planets that have inhabitants must occur times without number. Yet no compulsive evidence is at hand. But is it irrelevant that in between the old opinion and the new we have had the proliferation of science fiction and the beginnings of space travel in real life?45.
In this written token of my friendship for Joseph Famerée, I have attempted to show the relevance of recent developments: the real-life observation of stars and their planets and moons, of “black holes”, of the actual “missions” to Mars by the NASA and other space agencies, as well as the proliferation of the literary genre of “scientific fiction”, for our current Model or cosmology. In the age of Astrobiology, we may be on the cusp of discoveries relating to “life in the Universe”: the problem of the origin of life; the distribution of life in the solar system and beyond, on exo-planets; and the plausible scenarios for the end of life altogether. How does this quest transform the Christian faith? In reflecting on the “dimensions and the truth of salvation” in the new context of the (possible) plurality of inhabited words, Christian theology is placed before an alternative. According to Yves Congar and to Olivier Clément, whatever lives in the Cosmos is within the realm of the Trinity, and especially under the reign without end of Jesus whom we confess as the Christ. Other theologians, notably Paul Tillich, envisage a plurality of histories. Jesus whom we call the Christ is the centre of our history; if human beings were to settle on Titan or Europa, Christ would still be their Redeemer, God’s Word who came to dwell with us, of Davidic lineage, the son of Mary, a Jewish man of the period of the Second Temple, who suffered 45. C.S. LEWIS, The Discarded Image. An Introduction to Medieval and Renaissance Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 1964 (reprinted by Canto, 2010), p. 222.
THE SCOPE OF REDEMPTION: LIFE IN THE UNIVERSE
385
under Pontius Pilate. However, if we were one day to discover a viable planet, analogous to Earth, inhabited by multi-cellular conscious beings, of a completely unknown class, I believe it would be consistent with Revelation that God would provide, out of God’s depths of grace, a different path within their history. Until God be “All in all”. Theologicum Institut Catholique de Paris Rue d’Assas 21 FR-75270 Paris Cedex 06 France [email protected]
Anne Marie REIJNEN
ABRÉVIATIONS
AAS AAV AS BETL CCCM CCCOGD CDF DH DHGE DOML NRT PG PL RHE RSPT RSR RTL SC
Acta Apostolicae sedis Archivio Apostolico Vaticano Acta synodalia Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis Corpus Christianorum. Conciliorum Oecumenicorum Generaliumque Decreta Congrégation pour la doctrine de la foi Enchiridion Symbolorum (Heinrich Denzinger) Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques Dumbarton Oaks Medieval Library Nouvelle revue théologique Patrologia graeca Patrologia latina Revue d’histoire ecclésiastique Revue des sciences philosophiques et théologiques Recherches de science religieuse Revue théologique de Louvain Sources chrétiennes
INDEX ONOMASTIQUE ABIVEN Y. 301 ACACE DE CONSTANTINOPLE 262 ACEVEDO P. 199 ADAM K. 345 AFANASSIEF N. XLI, 273, 289 AGAPIOS 262 AGUIAR RETES C. 204 ALAIN DE LILLE 88 ALBERIGO A. 342 ALBERIGO G. XXXVI, XXXVII, 64, 67, 80, 179, 342 ALLMEN J.-J. VON 241 ALZATI C. 253 AMAURY DE BÈNE 88 AMBROISE DE MILAN 89, 261 ANACLET (PAPE) 236 ANASTASE LE BIBLIOTHÉCAIRE 89, 111 ANGLIVIEL DE LA BEAUMELLE L. 261 ANSELME DE CANTORBÉRY 88, 92, 104 ANSELME DE LAON 88 ANTONCICH R. 201 APINTILIESEI C.C. XLI ARCILLA A.S. 38 ARISTOTE 89 ARIZ HUARTE J. 38 ARMSTRONG N. 371 ARNAULD A. 233-235 ARRIGHI J.-F. 67 ASKANI H.-C. VII, XV, 126, 129 ASKANI V. 113 ASSMANN H. 200 ATHANASOPOULOU-KYPRIOU S. 279, 284 ATHÉNAGORAS (PATRIARCHE) – SPYROU A. 26, 74, 84 ATTWATER D. 370 AUBERT R. 7, 183 AUGUSTIN D’HIPPONE 30, 53, 89, 93, 96, 99-100, 102, 104, 108, 110, 145, 243, 282, 335 AUSTIN J.L. 320
AYMANS W 180 AZAR M. XLI AZUAJE J.L. 204 BADINI-CONFALONIERI L. XXXVIII BAECHER C. 133 BAGADIOS 262 BALDANZA G. 34, 45, 50, 52 BALDISSERI L. XL BALET J.-D. XXXVI BALTHASAR H.U. VON 108, 137, 335 BALTY J. XXXIX BALTY J.C. XXXIX BARBOLLA M. 16 BAREILLE J. 266 BARTH K. 345 BARTMANN B. 236 BASLEZ M.F. 244 BATIFFOL P. 245 BATTANDIER A. 239 BATTOCCHIO R. 181 BAUBÉROT J. XXIX, XXXVI BAUDOUX M. 57 BAUMER I. XXXVI BAUSENHART G. 188 BEA A. 24, 61, 64-65, 69, 73-74, 78, 83 BEAUDUIN L. 58, 345 BEDNARSKI F. 40, 43, 47-48, 55 BEHR-SIGEL É. 272-273, 278, 285, 287-288 BENOÎT XVI – RATZINGER J. XX, 168, 172, 179-180, 191, 196-197, 201, 210, 243, 247, 299, 308, 328, 361362, 365 BEOZZO J.O. 198-199, 203-204, 208212 BÉRAUD C. 301 BERDIAEV N. 345, 383 BERNANOS G. XXIII BERTETTO D. 17 BERTIN F. 89-95, 97-106, 109, 111 BERTONE T. 201
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INDEX ONOMASTIQUE
BERTSCH L. 178 BIANCHI L. 253 BIELER L. 96 BINGEMER M.C. 209-210, 212-213 BIRD T.E. 346 BIRMELÉ A. VIII, XVI, XXXV, XXXIX, 144, 160, 165, 173-174 BLANCHET É. 33, 48-51, 54-55, 340 BLANE A. 346 BLONDEL M. 351 BOBRINSKOY B. 285 BOÈCE 88-89 BOEVE L. XXIX BOGARIN ARGANA R. 50 BOILEAU N. XI BOMBONATTO V.M. 207 BONAVÍA P. 199, 205-212 BOONEN P. 178 BORDEYNE P. XXXVII BORGES DE PINHO, J.E. XXXIX BOROVOI V. 66, 67 BORRAS A. VIII, XIX, XXXVIII, 304307, 311-313, 320-321, 329 BØRRESEN K.E. 282 BOSC J. 4 BOSSCHAERT D. XLI, 71 BOSSUET J.-B. 233 BOTERO SALAZAR T. 51, 55 BOTTE B. 345 BOULGAKOV S. 102 BOUMIS P. 290 BOURGINE B. XI, XXI, XXVIII-XXX, XXXVII-XLI, XLIII BOUYER L. 22-23 BOYER C. 18, 20, 22-23, 340 BRÄNDLE R. 263 BRÉHIER E. 99 BRENZ J. 135 BRESSAN L. 328 BRETON N. 10 BRETON S. 95 BRIA I 220, 224, 226 BRIGHENTI A. 196, 200, 204, 207 BRITO E. XXXVII BROOKS E.W. 261 BROWN G. 23 BROWNE M. 41, 52, 338 BUCER M. 135 BÜCHEL H. 135
BÜHLER P. 147 BÜRKI B. XXXVI BUNGE A.W. 197 BURKHARD D. 193 BURNET R. 244 BUSQUETS J. XXXV CAAMAÑO J. 201 CABANEL P. 5 CABRERA OVALLE J.E. 204 CAGGIANO A. 44 CALCIDIUS 89 CALVIN J. 166 CAMELOT P.-T. 34-35, 38-39 CAMISASCA M. 336 CANNUYER C. XXXIX CAPITON W. 135 CAPRILE G. 46 CARGNELLO M. 210 CARLI A.M. 38 CARRARO G. 32, 38, 40-41, 45 CARRERO Á.D. 201 CASTEGNARO A. 315 CASTELLANO I.M. 38 CASTRILLÓN HOYOS D. 200 CAZAUX A. 39, 48-49, 51, 53, 55 CERNARA A.J. 30 CHAPMAN M.D. 16 CHAR R. 145 CHARLES LE CHAUVE 88-89 CHARRIÈRE F. 21 CHARUE A.-M. 81 CHAUVIN C. 263 CHAVANCE Y. 144 CHENAUX P. VII, XIV, 15, 17, 21, 27 CHENU M.-D. 5, 334-335, 339, 351352 CHEVALIER C. 275 CHEZA M. XXXVI, 198, 205, 209 CHILESE M. 315 CHIRON J.-F. VIII, XVIII, 246, 250-251 CHRISTE Y. 104 CHRISTIANS L.-L. XLII CHRISTODOULOS D’ATHÈNES 275 CHROMACE D’AQUILÉE 264 CHRYSSAVGIS J. 223 CIAPPI M.L. 338 CICÉRON 89 CICOGNANI A. 67, 69-70
INDEX ONOMASTIQUE
CIPRIANI J.L. 202 CLARKE A.C. 372 CLÉMENT (PAPE) 236 CLÉMENT O. 370, 379, 382-384 CLIFFORD C.E. 75 CODA P. 181 CODINA V. 207 COLLINET R. XXXVIII COLOMBAN DE LUXEUIL 87 COLOMBO P.S. 81 COLOSIMO J.-F. 12 COMBES A. 39 CONCHA CORDOBA L. 44 CONGAR Y. VIII, XIV, XIX-XXI, XXIVXXVI, XXVIII-XXXVIII, XL-XLI, 15, 19-20, 25, 27, 57-58, 60-62, 64-66, 71-72, 76-77, 79-82, 84-85, 154, 173, 183, 192, 233, 313, 331, 335349, 351-352, 369-371, 374-375, 378-379, 381-384 CONSTANTINIDIS C. 282-283 CONSTAS N. 95, 105 COPELLO S.L. 38 COPERNIC N. 383 CORDOVANI M. 338-339 COSTERMANS M. XXXVI COURTOIS L. XXXIX COUTURIER P. XXV, 345 CRAWFORD J.E. 38 CRISTIANI M. 96-97 CROSS F.L. 156 CROWLEY P.G. 192 CULLMANN O. 25 CYPRIEN DE CARTHAGE 189, 244-245 DABAG M. 192 DAEM J.V. 33-34, 36, 39-40, 43, 4655 D’ALOISIO C. VIII, XIX, XLI, 272-275, 294-295 DAMASCENO ASSIS R. 204 DANIÉLOU J. 79 DANTE (D. D. ALIGHIERI) 373 DA SILVEIRA E. 57 DAX L. 135 DE ARRIBA Y CASTRO B. 38 DE BARCOS M. 233-235, 237-238 DE BARROS CAMARA J. 32, 52 DEBERGÉ P. XXXVI
391
DE CAGNY O. 321, 325 DECLERCK L. VII, XIV, 24, 46, 56, 68, 77 DE DOMINIS M.A. 234 DE FONTENELLE B. 376 DE FRANCESCHI S. 246 DE GIORGI F. 15 DE HALLEUX A. XXVIII, XXXIII, XXXVI, XXXVIII, XL, 231 DEHON L. XXXIII, XXXVIII DEL CURA ELENA S. 309, 324 DELHAYE P. XXIX DELIKOSTANTIS K. 222 DEL ROSARIO A. 38 DE LUBAC H. 89, 369 DELVILLE J.-P. XXX, XXXIX DÉMÉTRIOS 263 DE MEY P. VII, XIV, XXIX, 59, 62-63, 71-72, 75-76, 85 DE MEYER A. 234-235 DE MORI G. 207 DENAUX A. XXIX, XXXVII, 59 DENEKEN M. VII, XV, XLI, 157 DENIS H. 312-313 DENIS P. 10 DENYS L’ARÉOPAGITE 88-89, 94-95, 97, 100, 102, 104, 107, 109 DENYSENKO N. 292-293 DENZINGER H. 233, 235, 387 DE PAYEN É. XL DEPOORTERE K. 326 DE PROVENCHÈRES C. 57 DE RACONIS A. 234 DERROITTE H. XLII DESCARTES R. 18 DESCHÂTELETS L. 44 DE SMEDT E.-J. 72, 183 DESTIVELLE H. 25-26, 58, 74, 79 DETTMAN Y ARAGON A.M. 38 DEZZA P. 34-35, 37-38, 40, 43-44, 48-49, 54-55 DICKINSON J. 23 DIETER T. 124, 153 DOCCI M. 246 DÖPFNER J. 69 DOLBEAU S. XI DONATI A. 245 DONNELLY D. XXIX, XXXVII, 63 DONZY F. 359
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INDEX ONOMASTIQUE
DORÉ J. XXXVI, 301, 308 DOSSETTI G. 342 DRABBLE M. 374 DUCHESNE L. XVIII, 236 DUFFY E. 248 DUMAS B.A. 200 DUMONS B. 301-302, 312 DUMONT C.-J. XIV, 57-60, 64,67-69, 71, 73-74, 77-80, 82-83, 85, 339 DUNS SCOT J. 35, 53, 88 DUPONT A. 30 DUPREY P. 26, 67, 80-81 DUPUY B. 81, 84 DURÁN G. 201 DUROUX B. 201 DUSSEL E. 197 DYCK C.J. 138 ECKHART (MAÎTRE) 88, 140 EDELBY N. 57, 64, 77, 79, 81, 83 EGENDER N. 236 EGGENSPERGER T. XXXVIII EID É. 67 ENCREVÉ A. 4-5 ENNS F. 146 ÉPIPHANE DE SALAMINE 282 ERRÁZURIZ OSSA F.J. 195-196, 204205 ESCALANTE L.F. 197 EUDOXIE 263 EUGÈNE IV (PAPE) 26 EUGÉNIOS 263 EVAGRIOS 261 EVDOKIMOV P. 280-282, 286 FABRO C. 33, 35, 37, 47-50, 52-55 FAGGIOLI M. 75 FAIVRE A. 314 FALCONI C. 337 FAMERÉE J. VII, XI, XIII, XIX-XXI, XXIII-XXIX, XXXVI-XLI, 16, 46, 63, 76, 85, 87, 131, 144, 160, 168, 177, 186, 193, 215, 233, 269-270, 293, 335, 343, 348-353, 369-370, 384 FARANDOS P. 231 FARES A. 38 FARMER W.R. 241 FATTORI M.T. XXXV FAURE P. 321, 323-324
FEDOROV N.F. 383 FÉDOU M. VIII, XVIII, 267 FELICI P. 40, 50-52 FÉRET H.-M. 19, 81, 337, 339-340 FERRACCI L. 7, 59 FESTUGIÈRE A.-J. 261 FILIPPI N. 249 FISICHELLA R. 246 FITZGERALD M.L. 38 FLAVIEN 260-262 FLICHE A. 183 FLOROVSKY G. XXXIII, XXXVI, 228, 346 FLYNN G. 337 FOCANT C. XXXV, XL FOIS M. 241 FONES S. 204, 206, 208-209, 211 FORD D. 369 FOSSION A. XLII FOUILLOUX É. VII, XIII, XXXV-XXXVI, 4-9, 14, 17, 57, 335, 337, 347 FRANÇOIS (PAPE) – BERGOGLIO J.M. 11, 79, 159, 177, 182-187, 190-192, 195-196, 199-200, 202, 209, 328 FRANIC F. 38 FREUND J. 326 FRICK R. 30 FRIGERIO T. 209 FRINGS I. 66 FROEHLICH K. 25 FROST C.F. 276 FUSI G. 30 GAGNEBET M.-R. 338-339, 341 GAILLARDETZ R.R. 71 GALLAHER B. 222-223, 225 GALLI C.M. XL, 195, 201 GARBINETTO L. 306, 310 GARUTI A. XVIII, 233, 235, 237, 241244, 246-247 GAUCHET M. 328 GAZIAUX É. XXXVII, XL, 366 GEISER E. 147 GERBER-GEISER N. 147 GESCHÉ A. XXVIII, XXXVII GEYBELS H. XXIX GHIRLANDA G. 246 GIAMETTA C. XLI GILROY N.T. 44
INDEX ONOMASTIQUE
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GILSON É. 88-90, 102, 344 GIRALDO JARAMILLO A. 204 GIRARD P. 38 GISEL P. XXX, XL GIULIANO S. 333, 377 GOMES JUNQUEIRA D. 38 GONNEAUD D. 307 GOTTSCHALK D’ORBAIS 88 GOTTSMANN A. 17 GRABMEIER J. 190 GRATIEUX A. 345 GRAU A. 316 GREENACRE R.T. XXIX, XXXVI GRÉGOIRE DE NAZIANZE XXVIII GRÉGOIRE DE NYSSE 88-89, 93, 103 GRÉGOIRE PALAMAS 217 GREILER A. 30 GRELOT P. 249 GRIBOMONT J. 338 GRIEU É 303 GRILLET B. 261 GROESSENS G. XXXVII GROOTAERS J. 62, 67, 70 GRULLON ESTRELLA J.D. 204 GUEIT J. XXIX, XXXVI GUILLEMIN T. 10 GUT B.W. 38 GUTIÉRREZ G. 200-202, 208, 210211, 213-214
HILAIRE DE POITIERS 89 HILBERATH B.J. 188 HINCMAR DE REIMS 88 HOEBEL T. 183 HOECK J.M. 57, 79 HOEFFNER J. 32-33, 39-40, 49-50, 5354 HOFFER P.J. 52 HOFFMANN J. 235, 308 HOFFMANN M. 134 HOMEYER J. 178 HONORIUS III 88 HORACE 89 HOUTART F. 197 HUBMAIER B. 137 HÜNERMANN P. 188, 235 HUGUES DE SAINT-VICTOR 88 HULSBOSCH L. XXIX HUMMES C. 196, 204, 206, 208 HURLEY D.E. 32, 36, 39, 42, 44-45
HALIFAX (LORD) – WOOD E.F.L. 22 HALL S.G. XXXVIII HALLENSLEBEN B. XXXVI HAMER J. 20 HAMMERSCHMIDT R. 178 HANSON M. 152 HAQUIN A. XXXVI, 46, 302, 307-308, 314, 321 HÂRLAOANU P.-C. XXXIX HARTEL W. 189 HASCHKE D.M. 189 HAURÉAU B. 110 HEIL G. 102 HENNEAU M.-É. XXX, XXXVIII-XXXIX HENNECKE C. 177 HERMANIUK M. 61-62, 72 HERVIEU-LÉGER D. 299 HICKEY J.A. 38 HIEROTHEOS (VLACHOS G.) 223
JACHYM F. 42 JACQUES (AUTEUR DE L’ÉPÎTRE) 106 JACQUES (FRÈRE DU SEIGNEUR) XVII, 179, 257 JAMES C. 23 JANS J. XXIX JANSSENS J.B 57 JEAN VIII (PAPE) 217, 230 JEAN XXIII (PAPE) – RONCALLI A.G. XLI, 4, 11, 24-25, 59-60, 62, 70, 338, 342, 366 JEAN CHRYSOSTOME VIII, XVIII-XIX, 180, 253-267 JEAN DE LEYDE 134 JEAN-PAUL IER (PAPE) – LUCIANI A. 11 JEAN-PAUL II (PAPE) – WOJTYLA K.J. XXVII, 11, 79, 146, 162, 164, 195196, 200, 247-249, 334, 357, 359 JEAUNEAU É. 89-90, 97, 107
ICKX J. 17 IL-SUNG K. 333 INNOCENT I (PAPE) XIX, 253, 263-267 INNOCENT X (PAPE) 233, 235 IONITĂ V. 219 IRÉNÉE DE LYON 236-237, 243-245, 249-250 ISIDORE 262
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INDEX ONOMASTIQUE
JÉRÔME (SAINT) 26, 89, 109 JÉSUS DE NAZARETH – CHRIST XVI, XIX, XXIV-XXV, XXVII, XXXIII, XXXVIII, 26-27, 72, 91, 94-95, 101, 104-107, 111, 116, 126-128, 132-134, 136, 139-142, 146-148, 151-152, 154155, 160-161, 165-169, 172-173, 177-179, 182-183, 185, 187-188, 191-193, 196-197, 200-201, 205, 212-213, 216, 224-226, 234, 236238, 240, 242, 245-246, 250, 254259, 263, 271-272, 279-280, 282, 284-286, 293, 298, 308-313, 316325, 327, 333, 336, 345, 357-358, 360, 366, 370-371, 375, 377, 379, 381-384 JIMÉNEZ CARVAJAL J.E. 201, 204 JOBIN G. XXXVIII JOGUES I. 377 JOIN-LAMBERT A. XL, 193, 275 JONES S. XXXVI JOSSUA J.-P. 173, 335, 337 JOURNET C. 18 JUGIE M. 218, 253, 257, 259-262 KÄ MANA 362-364 KAMB GANZ A. XI KARMIRIS I. 217, 220 KARRER L. 185 KASPER W. 183 KAPUST A. 192 KASSELOURI-HATZIVASSILIADI E. 279 KÉCHICHIAN P. XXX KEOGH D. 197 KÉRAMÉ O. 79, 83 KERESZTY R. 241 KERR F. 369 KHOMIAKOV A. 345 KHOURY J. 64 KITUMAINI J.M.V. 364 KOMONCHAK J.A. 30, 61, 64, 67, 80 KRAÜTLER E. 207 KRIVOCHÉINE B. 219-220, 226, 228229 KRONENBERG F. 178 KÜNG H. 180-181 KWAKWA N’KAKALA F. XLI KYRILL (GOUNDIAÏEV V.M.) 231
LABRADOR T. 38 LACASTE B. 44 LACROIX V. X LACUNZA MAESTROJUÁN J.L. 209, 211 LADRIÈRE J. 320, 324 LAMBERIGTS M. VII, XIV, XXIX, XXXV, XXXVII, XLI, 24, 56, 62-63, 71, 299 LAMONT D.R. 44 LANE L.T. 47, 53 LANNE E. XIV, 57, 63, 67-73, 77-79, 82-85, 244 LARRAIN M. 203 LARRAONA A. 38 LAURET B. 282 LAVENIA V. XXXVIII LEBBE V. XL LE BRAS G. 338 LE CHEVALIER V. 300 LECLERCQ P. 263 LEDURE Y. XXXIII, XXXVIII LEE F.G. XXXVIII LEEMANS J. XLI, 71 LEFEBVRE M. 11 LEGORRETA ZEPEDA J. 198 LEGRAND H. XXX, XXXVII, XL, 58, 168, 282, 308, 350-351 LEGUINN U. 372 LEHMANN K. 144, 178, 180-181, 190 LEM S. 372 LEMÉNAGER A. 44 LÉON LE GRAND 245 LÉON XIII (PAPE) – PECCI V.G.R.L. 34, 47, 156, 183 LÉPICIER A.-H.-M 339 LESOING B. 22-23 LEVADA W. 197 LEVILLAIN P. 245 LEWIS C.S. XX, 370-375, 378-379, 384 LIALINE C. 345 LIBÂNIO J.B. 195 LIÉGEOIS A. 275 LIÉNART A. 69, 168 LIENHARD M. 147 LIMOURIS G. 275, 283 LIN (PAPE) 236 LOBET B. XXX LOCKE J. 156
INDEX ONOMASTIQUE
LOPES DE MOURA A.I. 44 LÓPEZ HERNÁNDEZ E. 207, 209 LÓPEZ RODRÍGUEZ N.J. 200 LÓPEZ TRUJILLO A. 197, 200, 206 LOSSKY A. 274 LOUIS XIV 3 LOUKARIS C. 218 LOVERA DI CASTIGLIONE C. 339 LUNA TOBAR A. 206 LUNEL F. 10 LUSSIER P. 44 LUTHER M. XL, 18, 134-136, 149, 162-164, 344-345 MACCARONE M. 243 MAFFEIS A. XLI, 16, 19, 22-23 MAIER H. 179 MAJELLA AGNELO G. 204 MALINGREY A.-M. 260, 263 MALLÈVRE M. XL MANCEAU M. 307 MARADIAGA Ó.R 195, 200, 204, 208211 MARCHETTO A. 241,247 MARCOCCHI M. 18, 22 MARELLA P. 38 MARIE DE MAGDALA 377 MARIE DE NAZARETH XXX, XXXII, XXXIX, 285-286, 345, 384 MARITAIN J. 18 MÁRQUEZ TÓRIZ O. 37-39, 42, 44, 48, 51 MARROU H.-I. 3 MARTEL F. 290 MARTIMORT A.G. 233 MARTIN J.-M. 78 MARTINELL M. XXXV MARTÍNEZ, M. 207 MARTÍNEZ SAAVEDRA L. 198, 202, 205, 209, 358 MARTY M. 379 MASELLA A. 38 MASI R. 35, 39-40, 47, 52 MATERNE P.-Y. XXXVIII MATHIAS (APÔTRE) 258 MATTHIJS J. 134 MAURER I.C. 39 MAURRAS C. 18 MAX DE SAXE XVIII, 235-236
395
MAXIME LE CONFESSEUR VII, XV, 8790, 94-96, 99-100, 104-105, 107110, 223, 290 MAXIMOS IV SAIGH 64-65, 79 MAYER A.C. VIII, XVII, 194 MAYER P.A. 31, 34, 37, 41, 47-48, 50-52 MAYEUR J.-M. 7 MCCOOL G.A. 30 MCDOWELL M.G. 280 MCPARTLAN P. XL MÉLANCHTHON P. 136 MÉLÈCE 261-262 MÉLITON DE CHALCÉDOINE XIV, 26 MÉLITON DE HILIOUPOLIS ET THEIRA 85 MELLONI A. VIII, XX, XXXV-XXXVI, 215, 217, 336-337, 342 MENDES DE ALMEIDA L. 200-202 MERCIER D.-J. 22, 54 MERCIER J. 302 MESTERS C. 209-210, 212 METTLER A. 25 METZ J.-B. 365 MEYENDORFF J. 94-95, 228, 230 MICHAUD M. 259 MICHEL A. 236 MIGNE J.P. 90, 180 MILBANK J. 365 MILES IV C.J. 380 MILLER L. 147, 152-154 MILTIADE LE JEUNE 245 MILTON J. 373 MINNERATH R. 243-244 MIRANDA M.F. 207, 209 MODREGO Y CASAUS G. 42, 49 MOELLER C. 76, 78 MOGA I. 216 MOGHILA P. 218 MOÏSE 246 MOLTMANN J. XLI MONET C. XIII MONZIO COMPAGNONI G. 24 MORAN D. 93 MORES F. 236 MORGAIN S.-M. XL MORTON O. 376 MOSSAY J. XXVIII MOULINET D. 301-302, 312
396
INDEX ONOMASTIQUE
MOUNIER E. 272, 281 MÜLLER G.L. 190, 201-202 MÜLLER H. 193 MÜLLER L. 189 MÜNTZER T. 134 MUÑOZ R. 207 MURRAY P.D. XXXVIII NDLOVU D. 152 NECTAIRE D’ÉGINE 274 NEILL S.C. 4 NESTORIUS XXIII, XXXVIII NEUNER P. 182, 185 NEVEU B. 233-235, 246-247 NEWMAN J.H. XLI, 22, 186 N’GUESSAN M.H. XLI NICOLAS IER (PAPE) 245 NICOLAU M. 236, 246 NIJMÉ É. 83 NISSIOTIS N. 75-76, 84 NOCETI S. 181, 307, 310, 315, 320 NOEMI J. 201 NORELLI E. 244 NSAL’ONANONGO OMELENGE C. 365 OLAECHEA LOIZAGA M. 43 O’MALLEY J.W. 248 O’MEARA J.J. 96 ONCLIN W. 36, 40 ORIGÈNE 89, 93, 100, 108 ORTEGA F. 201 OSWALD M. XXX OTTAVIANI A. 61, 65, 338, 340 PAGANO S. 17 PALLADIOS 263 PANNENBERG W. 144 PANSOPHIOS 263 PAPAGEORGIOU N. 279 PAPATHOMAS G. 290 PARÉ M. 44, 52 PARMENTIER É. VII, XV, XXX, XXXVIII-XL, 124, 157 PARRA F. 201 PARTELI C. 205 PASCAL B. 317 PATRICK D’IRLANDE 87 PAUL DE TARSE VIII, XIII-XIV, XVIII, 233-250, 254-255, 257-259, 277, 280, 286, 288, 346, 377
PAUL VI (PAPE) – MONTINI J.B. VII, XIV, XXIII, XLI, 6, 11, 15-27, 29, 41, 47, 52-53, 74, 80, 84, 250, 308, 321, 328, 337, 339-340 PAULIN 260-262 PAWLEY B. 23 PAWLOWSKI A. 65 PELLISTRANDI B. 3 PERRIN M.-Y. 244 PESCH O.H. XXXVII PHIDAS V. 222 PHILIPPE M.-D. 338 PHILIPS G. 61, 71, 80-81, 183 PHILON D’ALEXANDRIE 89 PHOTIUS IER 216-217, 222-223, 227, 229-230 PIATTI P. 17 PIDAULT A. XI PIE IX (PAPE) – G.M.M. FERRETTI 183, 239 PIE X (PAPE) – G.M. SARTO 235, 333 PIE XI (PAPE) – RATTI A.D.A. 15-17, 23, 333, 340 PIE XII (PAPE) – PACELLI E.M.G.G. XX, 11, 15, 19-21, 23, 29, 54, 333334, 337, 339, 341 PIÉ-NINOT S. 246, 248 PIERRE (APÔTRE) XVIII, 21, 25-27, 61, 78, 81-82, 162, 167, 191, 199, 233251, 253-267, 346, 377 PIETRI C. 245 PIÑERA B. 206 PINOCHET A. 203 PINTONELLO A. 42 PIRES J.M. 207 PIRES M. 38 PIROTTE J. XXXVI-XXXVII, XXXIX PISANI E. 357-358 PIZZARDO G. 23, 44, 340 PLATON 89-90, 99 PLOTIN 96, 99 PONCE PILATE 385 PORTIER P. 301 POTT T. 274 POTTIER B. 307, 313 POTTMEYER H.J. 188, 247 POULAT É. 7 POZZI R. 39-40
INDEX ONOMASTIQUE
PRECHT C. 201 PRESTIGE G.L. 22 PRIGNON A. XXIX, 46-48, 53-55 PROCLUS 110 PROSPERI A. XXXVIII PROU J. 44 PUGLISI J. 243 PURPURA A. 284 PUSEY E. 16 PUYO J. 343-344 QUARRACINO A. 200 QUÉRÉ F. 283-284 QUINN J.R. 192 QUIROGA Y PALACIOS F.
38
RAHNER K. 179 RAISON DU CLEUZIOU Y. 305 RAMÍREZ R. 204 RANCIÈRE J. 192 REDING M. 345 REES W. 189 REFOULÉ F. 282 REHBERG A.E. 17 REIJNEN A.M. IX, XX, XXX, XXXVIII, 385 REITAN E. XX, 371, 379-382 REMENYI M. 191 RÉMOND R. 3 RENDEIRO F. 38 RETAMALES S. 210 REYES V. 38 REYMOND B. XXXVI RIBEIRO DE OLIVEIRA P.A. 207 RICHARD P. 207 RICHER E. 234 RIES, J. XXXIX RIGO A. 217 RIMOLDI A. 25 RINGLET G. XXX ROBLES E. 203 RODRIGUES P. XXX, XL ROMAN E.-I. XXXIX ROMOLI D.A. 38 ROOF W.C. 299 ROQUES R. 92-93, 106 ROSALES J. 38 ROSCHINI G. 34-35
397
ROUILLÉ D’ORFEUIL M. 317 ROUSE R. 4 ROUSSEAU J.-J. 18 ROUSSEAU O. 64, 79, 83 ROUTHIER G. VIII, XX, XXIX-XXXI, XXXVII-XXXVIII, 30, 62, 85, 349, 351, 353 ROUX H. 5, 76 ROY-LYSENCOURT P. 30 RUGGIERI G. XXXVII, 64-65 RUIZ GARCÍA S. 207 RUS R. 219 RUSCONI R. XXXVII RUSSELL M.D. XX, 371-372, 375, 377, 379-380 SABBAH G. 261 SÁENZ R. 196, 204 SALAVERRI J. 236, 246 SALLMANN M. 25 SANTEDI KINKUPU L. IX, XX, 357, 360, 365-367 SANTOS A.J.M. 38 SARTORIO U. 202 SATTLER M. 136 SAUVAGE M. 40 SAUVAGE P. 198, 201-202, 205, 209 SAVARESE F. 44 SAVINO P. 42 SCAILLET T. XXXVII SCANNONE J.C. 184, 201 SCATENA S. VIII, XVII, 21-22, 195, 198, 200, 214 SCHATZ K. 247 SCHELKENS K. XXIX, XXXVII, 30, 59, 62-63 SCHMEMANN A. 76 SCHMIDT J.A. 376 SCHÖNBORN C. 185 SCHÜRMANN H. 191 SCHUTZ R. 21-22 SCOLAS P. XXIX-XXX, XXXVII-XLI SCOT ÉRIGÈNE J. VII, XIV-XV, 87-89, 91-97, 99-110 SCRIMA A. 64 SECKLER M. 187 SEEWALD P. 201, 299 SÉGUY J. 8
398
INDEX ONOMASTIQUE
SEILING J. 146 SEKULOVSKI G. 274 SELARU S. VIII, XVII, 231 SEMERARO C. 17 SEMPORE S. 362 SENA DE OLIVEIRA E. 54 SERVAIS P. XL SERVET M. 144 SESBOÜÉ B. 308 SEVRIN J.-M. XXXVI SHEN C.H. XL SHOFANY S. 64 SIEBEN H.J. 188 SILVA SANTIAGO A. 51 SIMONS M. 135, 137 SIRICE 261-262 SIXTE III (PAPE) 245 SKIRA J.Z. 62, 72 SMIRNOV D. 269-270 SOBRINO J. XVII, 196-198, 207, 209, 212 SODANO A. 195 SOEDE N.Y. 360 SOETENS C. XXXV, 62 SOLOVIEV V. 259 SOULETIE J.-L. 365, 367 SOZOMÈNE 261-262 SPADARO A. XL, 195 STAFFA D. 32-36, 39, 41-49, 51-55 STĂNILOAË D. XLI, 230-231 STANOVNIK A. 204, 209-210, 214 STAVROU M. VII, XIV-XV, 111 SUAREZ A. 204 SUAREZ L. 40, 338 SUCHLA B.R. 95, 100 SUENENS L.-G. 69 SUESS P. 199, 207 SYMÉON LE NOUVEAU THÉOLOGIEN 286 TANNER N.P. 29 TAPPOUNI I.G. 44 TAULER J. 140 TAVELLI F. 201 TEDESCHI J. XXXVIII TERME J. 165 TERTULLIEN 282 THEOBALD C. XXXIX, 300 THÉODORE STUDITE 104, 290 THEODOROU E. 274-275
THÉOPHILE D’ALEXANDRIE 261-265 THIJSSEN F. 58 THILS G. XXXII, XXXVII, 62-63, 186 THOMAS D’AQUIN VII, XIV, 29-56 THOMASSET A. XLI THUNBERG L. 108 THURIAN M. 21-23 TIHON P. XXXVI TILLARD J.-M. R. XVIII, 173, 231, 239-242, 249-250, 369 TILLICH P. 369-371, 379, 382-384 TILMANN K. 40 TIMMERMANS C. XI TOLKIEN J.R.R. 372 TORRES S. 199, 203-208 TOUROVETS A. XXXIX TRANVOUEZ Y. 8 TREVISOL A. 198 TROUILLARD J. 95-96 TSIOLKOVSKY C.E. 383 TURCAN M. 282 TURMEL J. 237 TURNER R.D. XLI ULRICH L. 188 UZUKWU E.E. 184 VALENTINI D. 207 VALINHO GOMES P. XI VAN BELLE G. XXXVI VAN BRAGHT T.J. 138 VAN CANGH J.-M. XXXVII VANDEBROECK R. 326 VAN DER VLOET J. 326 VAN WAELDEREN E. 325 VASSILIADIS P. XXXIX, 279 VAUCHEZ A. XXXVI, 337, 342, 349 VELASCO I.B. 38 VELATI M. 20, 62 VÉNÉRIUS DE MILAN 264 VERGAUWEN G. XXXVI VERHEYDEN J. XI VERNE J. 371-372 VICOVAN I. XXXIX VIDAL M. 301 VIEIRA ALVERNAZ I. 38 VILANOVA E. XXXV, 80 VILLA BOAS A. 209 VILLEMIN L. XXXVII, 311, 351
INDEX ONOMASTIQUE
VIRGILE 89 VISCHER L. 76 VITALI D. 246 VORGRIMLER H. 183 WADDAMS H. 22 WAGNER H. 188 WAGNON H. XXIX, 46 WAINWRIGHT G. XL WALDENFELS B. 192 WALL B.P. 42 WARE K. 221, 273 WEBER M. 326 WEBER P. 302, 307-308, 314 WELLS H.G. 372-373 WELYKYJ A. 69, 71
399
WESLEY C. 379 WESLEY J. 378-379 WIDMER P. 147 WIEGER M. 151 WILLEBRANDS J. 24, 26, 58-59, 69, 71, 231 WINDELS O. 321, 325 WINNINGER P. 313 WOLF H. 184 ZAPELENA T. 246 ZELIS G. XXXVII ZIZIOULAS J. XLI ZOGHBY E. 79, 81, 83 ZULEHNER P.M. 326
BIBLIOTHECA EPHEMERIDUM THEOLOGICARUM LOVANIENSIUM
SERIES III 131. C.M. TUCKETT (ed.), The Scriptures in the Gospels, 1997. 132. 133. 134. 135. 136. 137. 138. 139. 140. 141. 142. 143. 144. 145. 146. 147. 148. 149.
XXIV-721
p. 60 € J. VAN RUITEN & M. VERVENNE (eds.), Studies in the Book of Isaiah. 75 € Festschrift Willem A.M. Beuken, 1997. XX-540 p. M. VERVENNE & J. LUST (eds.), Deuteronomy and Deuteronomic Literature. 75 € Festschrift C.H.W. Brekelmans, 1997. XI-637 p. G. VAN BELLE (ed.), Index Generalis ETL / BETL 1982-1997, 1999. IX337 p. 40 € G. DE SCHRIJVER, Liberation Theologies on Shifting Grounds. A Clash of 53 € Socio-Economic and Cultural Paradigms, 1998. XI-453 p. A. SCHOORS (ed.), Qohelet in the Context of Wisdom, 1998. XI-528 p. 60 € W.A. BIENERT & U. KÜHNEWEG (eds.), Origeniana Septima. Origenes in 95 € den Auseinandersetzungen des 4. Jahrhunderts, 1999. XXV-848 p. É. GAZIAUX, L’autonomie en morale: au croisement de la philosophie et 75 € de la théologie, 1998. XVI-760 p. 75 € J. GROOTAERS, Actes et acteurs à Vatican II, 1998. XXIV-602 p. F. NEIRYNCK, J. VERHEYDEN & R. CORSTJENS, The Gospel of Matthew and the Sayings Source Q: A Cumulative Bibliography 1950-1995, 1998. 2 vols., VII-1000-420* p. 95 € 90 € E. BRITO, Heidegger et l’hymne du sacré, 1999. XV-800 p. 60 € J. VERHEYDEN (ed.), The Unity of Luke-Acts, 1999. XXV-828 p. N. CALDUCH-BENAGES & J. VERMEYLEN (eds.), Treasures of Wisdom. Studies in Ben Sira and the Book of Wisdom. Festschrift M. Gilbert, 1999. XXVII-463 p. 75 € J.-M. AUWERS & A. WÉNIN (eds.), Lectures et relectures de la Bible. Festschrift P.-M. Bogaert, 1999. XLII-482 p. 75 € C. BEGG, Josephus’ Story of the Later Monarchy (AJ 9,1–10,185), 2000. X-650 p. 75 € J.M. ASGEIRSSON, K. DE TROYER & M.W. MEYER (eds.), From Quest to Q. Festschrift James M. Robinson, 2000. XLIV-346 p. 60 € T. ROMER (ed.), The Future of the Deuteronomistic History, 2000. XII265 p. 75 € F.D. VANSINA, Paul Ricœur: Bibliographie primaire et secondaire - Primary 75 € and Secondary Bibliography 1935-2000, 2000. XXVI-544 p. G.J. BROOKE & J.-D. KAESTLI (eds.), Narrativity in Biblical and Related 75 € Texts, 2000. XXI-307 p.
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