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LE SILENCE À LA RENAISSANCE
S.I . R .I . R Société Internationale de Recherches Interdisciplinaires sur la Renaissance
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LE SILENCE À LA RENAISSANCE Sous la direction de Marie-Thérèse Jones-Davies, Marie-Madeleine Martinet Textes réunis par Margaret Jones-Davies, Florence Malhomme
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© 2015, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-54252-2 (printed version) ISBN 978-2-503-56347-3 (online version) D/2015/0095/169 Printed on acid-free paper
Collection S.I.R.I.R. —◆—
La Société Internationale de Recherches Interdisciplinaires sur la Renaissance s’attache à la valorisation des études humanistes dans l’Europe moderne du XIVe au XVIIe siècle. Par sa perspective interdisciplinaire, elle vise à la confrontation des sources et des méthodes des différentes disciplines des sciences humaines – philosophie, philologie, études néo-latines, littératures modernes, histoire, histoire des arts. En dépassant les frontières habituellement tracées entre les savoirs disciplinaires aussi bien que les strictes délimitations historiques ou géographiques, elle cherche non seulement à comprendre la place éminente que la philosophie de l’homme a occupée dans l’élaboration de la culture occidentale à l’âge moderne, mais encore les conditions qui lui permettent aujourd’hui encore de s’affirmer comme déterminante pour la pensée, la littérature et les arts. Ouvrages publiés 1. Misère et gueuserie au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Centre de recherches sur la Renaissance, 1976 2. Les Cités au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Centre de recherches sur la Renaissance, 1977 3. L’Or au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Centre de recherches sur la Renaissance, 1978 4. Devins et charlatans au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Centre de recherches sur la Renaissance, 1979 5. Monstres et prodiges au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1980 6. Emblèmes et devises au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1981 7. Le Paradoxe au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1982 8. Vérité et illusion dans le théâtre au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1983 9. Le Dialogue au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1984
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col l e c t ion S . I . R . I . R .
10. Les Mythes poétiques au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1985 11. La Satire au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1986 12. Le Roman de chevalerie au temps de la Renaissance, dir. M.-T. JonesDavies, Paris, Touzot, 1987 13. Diable, diables et diableries au temps de la Renaissance, dir. M.-T. JonesDavies, Paris, Touzot, 1988 14. L’Image de Venise au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1989 15. Le Monde animal au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1990 16. Langues et nations au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Klincksiek, 1991 17. Expérience, coutume, tradition au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Klincksiek, 1992 18. Le Mariage au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Klincksiek, 1993 19. Inventions et découvertes au temps de la Renaissance, dir. M.-T. JonesDavies, Paris, Klincksiek, 1994 20. L’Histoire au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Klincksiek, 1995 21. L’Étranger : identité et altérité au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Klincksiek, 1996 22. Rumeurs et nouvelles au temps de la Renaissance, dir. M.-T. JonesDavies, Paris, Klincksiek, 1997 23. L’Auteur et son public au temps de la Renaissance, dir. M.-T. JonesDavies, Paris, Klincksiek, 1998 24. Les Sermons au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Klincksiek, 1999 25. L’Oisiveté au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2000 26. Mémoire et oubli au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Champion, 2002 27. Culture : collections, compilations au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Champion, 2005 28. L’Intériorité au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, Paris, Champion, 2005
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29. Le Plaisir au temps de la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, éd. M. Jones-Davies, F. Malhomme, M.-M. Martinet, Turnhout, Brepols, 2010 30. Certitude et incertitude à la Renaissance, dir. M.-T. Jones-Davies, éd. M. Jones-Davies, F. Malhomme, Turnhout, Brepols, 2011.
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Couverture de l’ouvrage : Harpocrate, Dieu du silence, in A. Alciat, « In silentium », Livre des emblèmes, Paris, Wechel, 1536
Table des matières —◆—
Avant-propos Margaret Jones-Davies
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Le silence à la Renaissance dans la tradition hermétiste et pythagoricienne et dans la pratique de l’intersubjectivité 17 Jean-Claude Margolin Adages, apophtegmes et emblèmes du silence à la Renaissance Jean Céard
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Prière et silence à l’époque de la Renaissance et de la Réforme Daniel Ménager
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Les voix du silence de la création artistique en Italie au XVIe siècle (De Léonard de Vinci au Titien) Jean Lacroix
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Poésie silencieuse et peinture parlante Marie-Madeleine Martinet
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Dire le silence : aspects du motif du silence dans l’œuvre de Du Bellay Edith Karagiannis-Mazeaud
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Voices of silence and silence of voices in some English literary texts of the Renaissance Eloisa Paganelli
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Silence and the Audience in Renaissance Drama : The Case of G. A. Bredero’s Dumb Knight (1618) Ton Hoenselaars
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The Picture of Nobody : Shakespeare’s Paperless Person Richard Wilson
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ta bl e de s m at i è r e s
La « réduction au silence ». Politiques du silence dans l’œuvre de Shakespeare. Margaret Jones-Davies « I like your silence » : Theatre and Audience in Shakespeare’s Plays James Ronald (Ronnie) Mulryne
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« The rest is silence » : Productions of Hamlet and the Politics of Silence 185 Margaret Shewring Index Nominum
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À la mémoire de Marie-Thérèse Jones-Davies
Avant-propos —◆— Margaret Jones-Davies
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u début de l’époque moderne, le silence est l’arme de la religion contre la parole humaniste, bavardage sans règles de la nouvelle culture. La rhétorique permettant de jongler avec le sens, enlevait au langage tout fondement, et devenait une menace pour les vérités établies. Contre l’équivoque et les figures de style trompeuses, on réaffirme le silence apaisant de la théologie et de la dévotion. On maintient la mémoire vive des cloîtres qui, dans toute l’Europe, préservaient contre le bruit du monde le trésor du silence, même et peut-être surtout après leur désacralisation par la Réforme. Le silence était pour l’Église le refuge contre la Renaissance déjà frappée par cette « maladie épidémique », ce délire des mots des philosophes du jour et des ignorants qui sera le cauchemar d’un autre religieux, à la fin du XVIIIe siècle, l’Abbé Dinouart, dans son petit traité sur l’Art de se taire (1771). Mais la Renaissance n’abandonne pas le silence aux religieux. Elle va se réapproprier la beauté du silence, lui donner un fondement humaniste. Elle remonte aux sources hermétistes et pythagoriciennes dont la Renaissance se servira pour maintenir au-delà de toute controverse contemporaine l’aspect sacré du silence ( J.-Cl. Margolin). Ainsi la dévotion trouvera une justification « moderne » dans la renaissance des anciens mythes du silence. Jusqu’aux poètes métaphysiques du XVIIe siècle anglais, la tradition religieuse poétique maintiendra le silence comme accès à la spiritualité contre l’utilisation « déformée » qu’en fait la sorcellerie (E. Paganelli). Car la Renaissance ne remet pas en cause la valeur de la prière qu’elle soit silencieuse ou jaculatoire. Les anciennes références médiévales aux écrits de saint Bernard sont toujours d’actualité puisque selon le saint médiéval le silence « est tout ce qui peut apaiser les puissances de l’âme » (D. Ménager). Les débats sur les valeurs respectives du silence et de la parole perdurent pendant toute la Renaissance. Ils sont condensés dans les adages, dans les emblèmes qui invitent plus à la discussion qu’à l’affirmation de lieux communs traditionnels ( J. Céard). Plus le silence s’échappe des temples sacrés, plus la
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margaret jones-davies
plurisémie fait exploser le mot silence en une multiplicité de synonymes : il est lâcheté, il est prière, il est beauté, il est solitude, il est néant existentiel. Du Bellay, souffrant d’une surdité dont il ne cherchera pas à atténuer la souffrance, ira jusqu’à se moquer de ceux qui soutiennent que « les mystères de la Théologie ne doivent estre descouvers et quasi comme prophanez en langage vulgaire ». Ainsi le silence, même sacré, ne résiste pas aux jeux, aux audaces ou au réalisme de la pensée humaniste. Il perd graduellement de son aura sacrée même si l’acceptation plus tardive de son infirmité amènera le poète, dans son Hymne à la Surdité, à renouer avec une conception traditionnelle du silence comme accès à ses voix intérieures (E. Karagiannis-Mazeaud). Les définitions du silence peuvent se contredire. Le silence était traditionnellement la parure de la femme mais il sera aussi le signe de la force morale masculine comme dans le Chevalier Muet du hollandais Bredero (T. Hoenselaars). Le silence est moral mais il peut tout aussi bien être immoral. Principe de précaution à une époque où la prudence demeurait l’une des quatre vertus politiques, il peut paraître ambigu pour un lecteur contemporain. Lorsque Shakespeare refuse de prendre parti dans l’affaire Mountjoy et se tait, le silence est un refuge pour celui qui a su toute sa vie se dérober aux pièges du fanatisme religieux et qui cherche à effacer tout ce qui favoriserait le passage terrifiant vers une identité posthume qui ne serait que fictive (R. Wilson). En effet le silence est passage. La Renaissance est passage. Les « transformations silencieuses » – c’est le titre du livre de François Jullien (2009) – sont à l’œuvre pour accéder à la modernité. En ceci « la réduction au silence » de discours traditionnels pour reprendre l’expression de Michel de Certeau, est une donnée propre aux renaissances d’une pensée religieuse et politique qui se renouvelle. Shakespeare illustre ce temps de la pause, repéré depuis Homère, du silence nécessaire à la pensée qui s’élabore. (M. Jones-Davies). Mais parfois le silence – signe d’une non violence des transformations politiques de la société – est caricaturé et devient le silence violent de la censure. On joue les pièces de Shakespeare dans les pays de l’Est avant la chute du mur de Berlin comme alibis pour dénoncer les atrocités d’un régime. Alors la mise en scène est en quelque sorte silencieuse : les parallélismes implicites, les sous-entendus se confrontent au silence de la censure et le déconstruisent (M. Shewring). Mais c’est dans l’expression artistique que l’histoire du silence, telle qu’elle se manifeste au début de la modernité, est la plus signifiante. Dans L’École du silence (1994) Marc Fumaroli retrouvera dans « le sentiment des images au XVIIe siècle » l’inspiration du silence et de la grâce. Fragile condition de la créativité artistique, de plus en plus menacée par le bruit du monde, du negotium, le silence sacré, protecteur, est la toile de fond de l’art pictural, « cet art
avant-propos
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muet », encore imprégné de thématiques religieuses. Mais bientôt, on cherchera à faire jusque dans la découverte de nouveaux procédés techniques – chez Le Titien par exemple – de plus en plus d’« économie de longs silences » ( J. Lacroix). Devenu dimension spatiale de la peinture définie depuis l’Antiquité comme poésie muette, le silence la structure en des figures de style asymétriques ou non qui dessinent sur la toile de nouvelles géométries. Dans les « vies coites » on en distingue sa fonction, soulignée par l’ombre : « le silence rapproche », là où « la parole s’enfonce » (M.-M. Martinet). Dans un autre lieu où alternent parole et silence, le théâtre, le silence retrouve son aspect merveilleux dans des descriptions qu’on a pu en faire. Le lieu physique du théâtre est comme un temple du silence, comme si la Renaissance, tout en marquant une distance par rapport au silence antique ou médiéval, ne voulait pas perdre la magie du silence divin. Alors les théâtres deviennent de nouveaux lieux de silence, puisque les paroles entendues par les spectateurs s’intériorisent dans l’esprit et l’imagination comme une parole sacrée s’intériorise et se tait ( J. R. (Ronnie) Mulryne). Le silence fut le dernier thème d’études choisi par ma mère, Marie-Thérèse Jones-Davies pour la S.I.R.I.R. qu’elle fonda en 1976. Cela ne manqua pas d’émouvoir les participants de ce colloque qu’elle n’eut pas le temps de mener à bien. Que dans le silence de sa mémoire renaisse l’inspiration qui fut la sienne.
Marie-Thérèse Jones-Davies photo : Ton Hoenselaars, Amsterdam, 2005
Le silence à la Renaissance dans la tradition hermétiste et pythagoricienne et dans la pratique de l’intersubjectivité —◆— Jean-Claude Margolin
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e silence n’est pas un concept, dont une démarche cognitive serait en mesure de découvrir et d’analyser les éléments constitutifs. Il n’est pas davantage un objet empirique perceptible par une intuition sensible. L’appellerons-nous signe ? Terme peu adéquat, car tout signe renvoie à un signifié : or quel est le signifié du silence ? Peut-être a-t-il lui-même un sens, ou plutôt une pluralité de sens, dont le caractère dénombrable ou non-dénombrable fait problème. Le silence peut tout et ne rien dire (notons la féconde plasticité du verbe dire) et il est subordonné aux interprétations que l’on en donne selon les circonstances, et selon les interprètes. Il ne peut s’investir ni dans une époque ni dans une ère culturelle déterminée, car par sa nature même (si tant est qu’on puisse parler de sa nature), il échappe à tout repère spatiotemporel. Dire que le silence est une absence perceptible de bruit, de son ou de parole, ne nous avancera guère, même si cette définition n’est pas récusable et qu’elle implique un ou plusieurs auditeur(s). On se contentera pour le moment, à la lumière d’expériences communes les moins contestables et les plus universelles, de lui attribuer une valeur existentielle sans autre détermination. Indéfinissable en soi, il apparaît évidemment comme lié, tout d’abord, à l’expérience humaine du langage et de la communication, même si, par extension, allégorie ou métaphore, des philosophes, des poètes ou des romanciers ont pu évoquer le silence des espaces infinis (Pascal), le silence qui règne au sommet du Mont Ventoux (Pétrarque) ou le silence de la mer (qui n’a pas le même sens chez Érasme, commentateur d’un psaume de David1 ou de quelques 1
Psaume XXXVIII : « Dixi custodiam vias meas ». Après avoir glosé sur l’emploi du verbe silere appliqué à cette attitude de David qui veut « garder sa route sans laisser sa langue s’égarer, et qui gardera à la bouche un bâillon tant que devant lui sera l’impie »,
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proverbes des parémiologues grecs2 et chez Vercors). C’est que la plasticité sémantique de ce vocable lui attribue souvent le sens de calme ou de repos. Le silence fait donc partie de l’expérience de l’homo loquens, ou plutôt, de l’homo colloquens, que le « colloquant » soit un homme, ou par extension métaphorique ou allégorique, un autre être vivant3, voire un objet familier, un dieu ou le Dieu unique, voire la nature, dans son animation, son humanisation, sa poétisation ou sa sacralisation romantique4. Mais sa pluralité de sens apparaît immédiatement : elle est fonction des multiples situations (et pas seulement des situations langagières) dans lesquelles est impliqué l’homme dans le monde et face à ses semblables, à moins qu’il ne crée lui-même ces situations. Dans son commentaire du Psaume XXXVIII, Érasme distingue les verbes latins silere et obmutescere, encore que le premier puisse revêtir deux aspects fort différents : tantôt, il s’applique à un silence que je qualifierai de naturel (même s’il n’est pas passif ), tantôt (comme c’est ici le cas dans l’attitude de David) à un silence conscient et volontaire. Quant à obmutescere, il s’ap-
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trad. Bible de Jérusalem, 39/38-32, p. 1751. Voir Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami…, Amsterdam, Oxford, North-Holland Publishing Company, 1969-, (= ASD V-3, p. 208, l. 398 : « Non ita David. Siluit a conviciis, at non siluit a bonis ». Voir mon article, « Érasme et le silence », in Mélanges sur la littérature de la Renaissance à la mémoire de V.-L. Saulnier, Genève, Droz, 1984, p. 163-178. Voir plus loin, p. 23 et notes 53, 54 et 55. C’est là sans doute le degré zéro du silence, car ces proverbes expriment une opinion commune fort banale. Voir par exemple les adages 1026, 2403 ou 3097, qui sont consacrés au silence : ad. 1026 Πολλὰς φιλίας ἀπροσηγορία διέλυσεν (Apost. 14, 59 a), Multas amicitias silentium diremit (le silence détruit de nombreuses amitiés) ; ad. 2403, Σιγὴς ἀκίνδυνον γέρας (Apost. 7, 97), Silentii tutum præmium (gratification assurée du silence) ; ad. 3097, Γυναιζί Κόσμον ἡ σιγὴ φέρει (Sophocle, Ajax, 293), Silentium mulierem ornat (le silence est une parure de la femme). Ces adages sont assez courts, titres grecs et latins, citations et commentaires compris (une vingtaine, une quinzaine et une dizaine de lignes respectives) et, disons-le, assez superficiels ; ils ont pourtant le mérite de souligner un double aspect du silence, négatif avec le premier, positif avec les deux autres, encore que son application à une traditionnelle misogynie, même édulcorée par un compliment, devrait nous le faire commenter en toute réserve. Notons toutefois que les Latins utilisent fréquemment, surtout en poésie, l’adjectif substantivé muti (les muets) pour désigner les animaux, et que le très jeune enfant est désigné par le vocable infans, c’est-à-dire celui qui ne parle pas. Laissons de côté le cas de mutisme auquel se réfère également Érasme : le mutisme involontaire de l’individu humain, muet de naissance ou à la suite d’une blessure ou d’un accident pathologique, voire d’un choc psychique. Encore une fois, les cas de mutisme ou de silence – et donc leur signification –, relatifs à des situations singulières, ne sont pas susceptibles d’être rangés dans des catégories ou des listes exhaustives et dénombrables. « Le flot fut attentif », lisons-nous dans le Lac de Lamartine.
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plique à un silence auquel vous contraint une force morale, mais quand Érasme se réfère au cas de martyrs qui n’ont pas parlé, refusant de trahir leur foi, silere et obmutescere se confondent pratiquement, le premier verbe ayant le sens fort du second, et l’on peut se demander si l’humaniste ne cède pas simplement à son désir philologico-littéraire de varietas : « Siluerunt martyres in tormentis, non prædicabant vires suas… »5 (les martyrs se sont tus dans leurs tortures, ils ne mettaient pas leurs forces en avant). Il ajoute cependant, avec peut-être une trop grande subtilité philologique : « Plus est obmutescere quam silere, sed utroque vehementius est silentio obmutuisse » (Il y a plus dans obmutescere que dans silere, mais plus forte encore que ces deux attitudes, est celle qui consiste à avoir gardé le silence par un acte volontaire). Ajoutons, pour finir, que l’acte volontaire de garder le silence peut aussi correspondre à un acte de lâcheté, quand ce silence appararaît comme un moyen de se disculper, un refus d’assumer un acte délictueux ou criminel, voire une manière de détourner sur d’autres (ceux-là, innocents) les soupçons de culpabilité. Si le silence – état ou acte volontaire – est universel, lié (comme nous l’avons noté) à aucune époque, à aucune civilisation déterminée, à aucune spécificité humaine6, n’est-il pas paradoxal de s’interroger sur le silence au temps de la Renaissance ? La réponse, c’est qu’il ne s’agira pas ici de disserter sur le silence en général et sa plasticité polysémique, mais sur le silence, lié à des courants de pensée, de caractère philosophique, religieux ou mystique, qui ont établi des relations indissociables entre le silence, le non-dit, le secret, l’occulte, l’invisible, la solitude, ou la théologie négative (même si l’on doit donner à cette dernière expression un champ plus étendu que celui du christianisme7. C’est donc du silence que l’on qualifie généralement de mystique qu’il sera question ici, avec, pour points de référence, parmi les différents courants hermétiques ou occultistes qui ont fleuri dès la fin du Moyen Âge et surtout dans la première partie du XVIe siècle, la conception judéo-kabbaliste du nom innommable de Dieu et sa critique dans l’exégèse chrétienne (chez 5 6
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Enarratio Psalmi XXXVIII, ASD V-3, p. 208, l. 398. Ce qui ne veut pas dire qu’il est indifférent ou extérieur par rapport aux recherches comparatives dans le domaine de l’ethno-sociologie ou de la sociologie religieuse. C’est ainsi que, pour s’en tenir à des remarques banales, mais largement vérifiées par les faits, la conversation avec des Nordiques, notamment les Suédois, est beaucoup plus entrecoupées de silences (le plus souvent non significatifs) que dans une conversation entre gens du Midi. Et le croyant bouddhiste n’a pas, à l’égard du silence, la même conception ni la même attitude que le prédicateur chrétien et occidental. On a pu parler de théologie négative, à propos de Pythagore et du pythagorisme (dont il sera question plus loin).
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Érasme et chez Pontus de Tyard), l’influence du pythagorisme sur le mysticisme chrétien, et les rapports entre le platonisme et la philosophie ficinienne. Que ces courants de pensée et ces pratiques de la parole-silence (puisque ces deux termes, formellement opposés8 sont indissolublement liés dans ce que l’on pourrait appeler une dialectique psycho-éthique) ne soient pas les plus « porteurs » de la Renaissance en Occident, c’est un fait. La philosophie et la littérature s’appuient davantage sur ce mode de communication que constitue le dialogue, qu’il soit ou non entrecoupé de silences. D’autre part la volonté pédagogique et éthique d’une diffusion des connaissances la plus large possible (même Érasme, qui n’a écrit qu’en latin, applaudit à la traduction de certaines de ses œuvres en langues vernaculaires9) apparaît bien comme opposée à cette stratégie impérative du secret et à cette volonté de conserver les connaissances les plus hautes à l’intérieur d’un petit cercle d’initiés. On comprend dès lors les réticences de la plupart des humanistes européens (y compris Érasme), mais aussi de l’Église officielle, à l’égard de cette forme de mysticisme conservateur et syncrétiste.
Le silence et la sacralisation du logos : l’innommable nom de Dieu Le problème philosophico-théologique du nom ou des noms de Dieu10, que l’on trouve posé dans la Bible (Ancien et Nouveau Testament) et dans ses multiples commentaires, talmudiques, kabbalisiques ou patristiques, plonge ses racines dans des courants de pensée et de sensibilité de l’Égypte pharao-
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Mais qui donnent prise à ces multiples oxymores, abondamment utilisés à cette époque (comme le « silence éloquent », etc.). Voir notamment ce passage de la Paraclesis (« Exhortation au pieux lecteur », dans la traduction de Y. Delègue (Les Préfaces au Novum Testamentum…, Genève, Labor et Fides, 1990, p. 75) : « Je voudrais que toutes les femmes les plus humbles lisent les Évangiles, lisent les Épîtres de Paul. Puissent ces livres être traduits en toutes les langues, de façon que les Écossais, les Irlandais, mais aussi les Turcs et les Sarasins soient en mesure de les lire et de les connaître […]. Puisse le paysan, au manche de sa charrue en chanter des passages, le tisserand à ses lisses en moduler quelque air, ou le voyageur alléger la fatigue de sa route avec ces récits […] ». Laissons de côté la question de la multiplicité des noms des dieux et des déesses de l’Antiquité, liée à des fonctions différentes, qui pose des problèmes spécifiques, dont les mythographes du XVIe siècle se sont ingéniés à découvrir la signification allégorique et morale.
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nique et de l’hellénisme antéplatonicien, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’analogies ou de similitudes externes dont il est très difficile de démêler la direction, ou l’avant et l’après, ou encore les éléments historiques par rapport aux traditions mythologiques ou légendaires. Dans l’immense galerie des divinités égyptiennes, grecques ou latines, la figure d’Harpocrate (évoquée par l’Anthologie Palatine et Plutarque, et souvent représentée dans la statuaire et la peinture) et celle d’Angeronia beaucoup moins connue, mais « ressuscitée » par les mythographes italiens du milieu du XVIe siècle, Giraldi11, Conti12 ou Cartari13, émergent comme celles d’un petit dieu et d’une déesse du silence. En fait, en ce qui concerne Harpocrate14, connu comme le jeune Horus, fils d’Isis, difficilement conçu après la mort d’Osiris, assassiné par Seth, élevé par sa mère dans des marais pour le cacher de Seth, mais dont le don prophétique sera, beaucoup plus tard, l’effet d’une interprétation de Plutarque et des mythographes de la Renaissance. En effet, il est souvent représenté avec un doigt sur la bouche, comme pour conseiller, voire imposer le silence15, ce qui ne correspond pas à l’interprétation qu’en a faite la mythologie égyptienne, qui associe son enfance à la fécondité des produits de la terre16, en tant que fils d’Osiris, dieu de la végétation. Notons, à propos de ce personnage ambigu et de sa plasticité sémantique (quand on passe d’une civilisation ou d’une époque à une autre) l’emblème qu’Alciat a
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L. G. Giraldi (ou Gyraldus), De Deis gentium varia etmultiplex historia…, Basileæ, per Ioannem Oporinum, 1548. N. Conti (Natalis Comes), Mythologiæ sive explicationum fabularum libri decem, Venezia, Manuzio, 1551. V. Cartari, Gli Imagini degli dei, Venezia, Marcolini, 1556 ; trad. fr. Les Images des dieux par A. Du Verdier, Lyon, Honorât, 1581, p. 479. Transcription grecque (Harpocrates) du nom égyptien Hor-pa-khered, qui signifie Horus l’Enfant. Voir les commentaires d’Annibal Caro, inspirés des figures et des commentaires de Cartari, dans ses Imagini. Voir aussi A. Gros de Beler, La Mythologie égyptienne, Paris, Éd. Molière, 2003, p. 36 sq. Il y a plus : d’après les documents rassemblés par Yves Bonnefoy dans son Dictionnaire des Mythologies, Paris, Flammarion, 1981, I, p. 59 O a-b, tantôt Harpocrate est représenté assis sur les genoux de la déesse Isis, parfois en train d’être allaité par sa mère. L’iconographie gréco-romaine reprend celle d’Horus, l’Enfant de l’Égypte pharaonique. Les Grecs l’ont fait proche d’Éros, et le jeune Harpocrate échange la mèche de la jeunesse contre les boucles du petit dieu de l’amour, avec parfois les ailes d’Éros, tandis que, dans le bras gauche, il tient la corne d’abondance, symbole de la fécondité. Ce sont avant tout les Romains qui ont interprété l’index sur la bouche comme une incitation à ne pas divulguer les secrets de l’initiation aux mystères isiaques.
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intitulé « Silentium »17, dont l’interprétation « sacralisante » est atténuée, si l’on peut dire, par la légèreté et l’humour d’un humaniste qui n’est pas plus un dévot d’Osiris, d’Isis ou d’Horus-Hermocrate, qu’un disciple orthodoxe des exégètes grecs ou romains18. Quant à Angeronia, associée à Tacita (à moins qu’il s’agisse d’un doublet), elle était d’après les mêmes mythographes, qui s’appuient sur quelques auteurs anciens et sur des fragments archéologiques), la déesse du silence, déesse, en vérité, de second ou de troisième ordre. Beaucoup plus important pour notre propos, et d’influence durable dans l’histoire de la pensée, est le rôle de Pythagore, qui a conservé, histoire et légende mêlées, la réputation de prophète et de mystique (les deux étant d’ailleurs inséparables), parmi ses autres attributions scientifiques, métaphysiques, ou de philosophie pratique, qu’il s’agisse des mathématiques, de la musique, de l’unité de l’esprit (le Nous), ou de prescriptions alimentaires, elles-mêmes révélées à ses disciples sous le sceau du secret. Le silence pythagoricien est lié à deux autres valeurs, ou à deux autres états ou manières d’être : le secret et la solitude. Les disciples (ou futurs disciples, s’ils se sortent bien de leurs épreuves), membres de cette assemblée (homokoeion), étant eux-mêmes des homokooi, se contentent d’écouter en silence la leçon (ou akousma, ou encore symbolon) du maître. Cette expérience ascétique dure cinq années, au cours desquelles les auditeurs doivent se soumettre à l’interdiction absolue de ne pas divulguer au dehors les secrets qu’ils ont partagés avec leurs compagnons19. L’enseignant est d’ailleurs protégé par ce vœu de silence20. À propos de la nature du silence selon Pythagore, nous possédons le témoignage de Porphyre dans sa Vita Pythagoræ21 : « Ce qu’il disait à ses disciples, personne ne peut le dire avec certitude. Car ce n’était pas un silence ordinaire qu’ils observaient. Mais ce qui devait être mieux connu de chacun, c’est, en premier lieu, que l’âme est immortelle, et que tout ce qui arrive se présentera à nouveau selon les anciens cycles, et que rien n’est absolument nouveau ». 17
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Emblème no 11, dans chacune des éditions (1577, 1591, 1599, 1602, etc.) des Emblemata cum comentariis de Claude Mignault (1536-1606), et dans sa traduction française (avec commentaire) de 1583, Paris, J. Richer. Voir B. Tannier, « L’Hermétisme à la Renaissance », in Histoire et secret à la Renaissance, éd. F. Laroque, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997, p. 85-97, notamment p. 86. Voir C. H. Kahn, Pythagoras and the Pythagoreans : A Brief History, Indianapolis, Cambridge, Hackett Publishing Company, 2001. On connaît l’exemple (sans doute légendaire) de ce disciple-traître, qui aurait révélé à l’extérieur la réalité des nombres irrationnels. Vie de Pythagore, éd. et trad. É. des Places, Paris, Les Belles Lettres, 1982.
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Ainsi la relation du maître à l’élève s’opère à l’opposé de ce que sera plus tard celle de Platon, ou plutôt celle de Socrate et de ses propres disciples, fondée sur le dialogue, l’échange des paroles et des idées, même si, dans de nombreux cas, le dialogue consiste pour les moins hardis de ses élèves, à approuver les arguments du maître par de brèves formules du type : « Comme tu as raison, Socrate ! », ou « Bien évidemment », ou « Tout à fait ! ». Et pourtant, Platon est, à bien des égards, un disciple de Pythagore, quand il prône l’intérêt du logos silencieux, par rapport au logos parlé. Plus d’un penseur de la Renaissance reconnaîtra dans ses travaux littéraires ou philosophiques, cette double paternité. Mais le silence de Pythagore est surtout représenté par les courants hermétistes et les textes attribués à cet Hermès Trismégiste22, dont C. G. Jung affirmait qu’il fut « l’une des figures les plus remplies de contradictions du syncrétisme hellénistique, duquel sont émanés les développements décisifs de l’Occident »23. Cette conception du silence, dont le maintien farouche est lié à l’interdiction de livrer des secrets ou des vérités révélées à une foule, parfaitement incapable de les assimiler et dont la logorrhée vulgaire risquerait d’en souiller le caractère divin ou transcendant, et de s’éloigner à jamais de l’Unité recherchée, pourrait être qualifiée d’aristocratique, si l’on se plaçait dans l’optique d’une hiérarchie sociale, socio-économique ou socio-politique. Mais, comme on l’a vu, il s’agit d’une opposition entre initiés et non-initiés, qu’il faut situer sur un terrain moral et religieux, dont sont exclues toutes considérations sociologiques ou politiques. D’ailleurs, sous sa forme religieuse et initiatique, le pythagorisme présente des quantités de points communs avec l’orphisme24, analogie qu’avait déjà relevée Hérodote25 : au « bœuf sur la langue » des pythagoriciens correspond la « porte sur la langue » des orphiques ou la « clé sur la langue » des mystères d’Éleusis26, marqués, entre bien d’autres signes
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« Hermès le Très Grand », plutôt que « Hermès trois fois Grand » (selon l’interprétation traditionnelle). C. G. Jung, Les Racines de la conscience : études sur l’archétype, trad. fr. Paris, BuchetChastel, 1971, p. 127. Si Orphée est surtout connu par sa voix, ses chants et les sons de sa lyre, capables de charmer les animaux les plus sauvages, sa recherche d’Eurydice aux Enfers, et sa mort, déchiqueté par les bacchantes, il est aussi le mage qui, par son regard silencieux et sa vision transcendante, acquiert le pouvoir de transfigurer la Nature. Enquête, II, 81. Voir aussi l’Index analytique établi par P.-E. Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1966. Voir G. E. Mylonas, Eleusis and the Eleusinian Mysteries, Princeton, Princeton University Press, 1981.
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symboliques et leurs rapports avec Déméter, déesse de la vie et de la fécondité, et de la mort et de ses rites, dispensant les richesses de la Terre. Mais, en dehors de ces analogies, échanges, ou « contagion » philosophico-religieuse à l’intérieur de la civilisation hellénique, on découvre les mêmes interdits dans l’enseignement de la kabbale juive, et chez Platon27, mais aussi, chez Virgile, au Livre VI de l’Énéide, ou chez les Romains, quand ils ont promulgué l’interdiction de la diffusion des livres de Numa28. Cette association du silence et du secret (on pourrait y ajouter la solitude et la négativité) dans la tradition pythagoricienne et hermétiste, aboutit, par des cheminements divers, à ce que l’on appelle traditionnellement en Occident, et dans un contexte principalement chrétien, la théologie négative, représentée, entre autres, par le légendaire ou Pseudo-Denys l’Aréopagite29 et par des philosophes comme Nicolas de Cues et ses disciples de la Renaissance, tels que Charles de Bovelles30. Mais ce thème du Dieu caché (Deus absconditus) et du Dieu innommable n’a sans doute jamais connu une aussi grande densité théologico-philosophique que dans le Tétragramme biblique, ou l’impossibilité physique jointe à l’interdiction éthico-religieuse de prononcer le nom de Dieu, représenté par ces quatre lettres hébraïques YHWH, même si l’introduction de voyelles à l’intérieur de ce bloc consonantique par des exégètes qui n’avaient pas le sentiment de proférer un blasphème, nous a permis d’écrire et de prononcer Yahvé ou Jéhovah. Rappelons toutefois une exception : celle du Grand-Prêtre qui, le jour de Kippour, était seul habilité à prononcer le nom de Yahvé. Ce silence, cette solitude et cette invisibilité directe de Dieu, même
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Voir notamment, dans ses Œuvres complètes (texte grec et traduction française), l’édition de ses Lettres, texte établi et traduit par J. Souillé (t. 13, 1), 4e éd. Paris, Les Belles Lettres, 1977. Second roi (légendaire) de Rome, après son fondateur (légendaire) Romulus, passant pour pratiquer une politique religieuse fondée sur le secret et le silence. Voir Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, trad. de R. Genaille, Paris, GarnierFlammarion, 1965. Les Grecs avaient voulu faire de lui un disciple de Pythagore. Voir surtout A. Storchi Marino, Numa e Pitagoras, Naples, Liguori, 1999. Voir, dans les Œuvres complètes de Denys l’Aréopagite, éd. et trad. M. de Gandillac, Paris, Aubier, 1943, les deux ouvrages fondamentaux : la Hiérarchie céleste et les Noms divins. Voir aussi la première édition parisienne (J. Higman et W. Hopyl, 1499) des Opera omnia de l’Aréopagite par Lefèvre d’Étaples. Voir mon ouvrage, Lettres et poèmes de Charles de Bovelles, édition critique, introduction et commentaire du ms. 1134 de la Bibliothèque de l’Université de Paris, Champion, Paris, 2002.
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quand il se manifeste (par la voix et les manifestations cosmiques qui l’accompagnent) sont particulièrement représentées dans l’Exode31, et dans cette théophanie, qu’il nous est difficile de caractériser comme un face à face, et encore moins comme un dialogue entre Dieu et Moïse. Le prophète écoute et grave dans son esprit les paroles de Dieu l’Indicible, mais garde lui-même, tout au long de sa présence au sommet du Sinaï, un silence de crainte et d’adoration. La tradition rapportée dans les écrits ésotériques, et notamment dans la Kabbale, veut que Dieu se soit servi des lettres imprononçables ou silencieuses qui composent son nom sacré, pour créer autour de Lui les quatre points cardinaux, formant ainsi un espace, lui-même sacré. On en trouve la confirmation dans le commentaire de la Genèse contenu dans le Livre des Lumières ou Zohar32, où l’on découvre l’affirmation que les quatre lettres du nom divin sont « déployées » aux quatre points cardinaux de l’univers, dirigés par les quatre archanges. Leur conjonction formerait un signe unique, qui désignerait précisément l’ineffable Tétragramme. On connaît les « substituts » de ces lettres silencieuses : Elohim, Elohei-ha-chammaïm (c’est-à-dire Dieu du Ciel), Adonai, Ha-Kadosh (l’Un saint), Kyrios (c’est-à-dire Seigneur) dans la Bible des Septante, ou encore, Hypsistos, d’autres encore en hébreu, en grec33 ou en latin34. Ce qu’on appellera, notamment dans le contexte chrétien, la théologie négative, plonge ses racines dans la tradition biblique et kabbalistique du « Dieu caché », ou surtout (mais cela revient au même) du « Dieu Innommable », ou « Inexprimable », ou « Indicible ». Mais nous trouvons ces formules, qui rusent de leurs multiples énoncés négatifs pour tourner l’absence de qualification de Dieu. Il s’agit en fait du Nous créateur, du NousDieu, antérieur à toutes les choses créées qui, elles, portent un nom déterminé
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Voir toute la partie du Livre II de la Bible qui correspond à l’Alliance contractée au Sinaï entre Dieu et le peuple hébreu, par la médiation de Moïse. Ou plutôt Sefer Ha-Zohar, titre que l’on traduit aussi par « Livre de la splendeur ». Traité ésotérique datant vraisemblablement de c. 1300 et composé par Moïse de Leon, de Grenade ; particulièrement abondant et « doctrinal » sur les symboles numériques, dans un univers gouverné par Dieu, « l’inconnaissable » (En sof ). Voir la Bible des Septante. Voir la traduction de la Vulgate latine.
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ou spécifique35. Dans le Pimandre36, l’une des pièces maîtresses du Corpus Hermeticum, il est écrit : « Il est celui qui existe avant la nature humide »37, ou encore : « la forme archétype, le préprincipe antérieur au commencement sans fin »38. Réalité à la fois connaissable et inconnaissable, à propos de laquelle A.-J. Festugière utilisait la formule gnostique agnosia-gnosis39. De Dieu, on ne peut qu’énoncer ce qu’il n’est pas, en faisant silence sur toutes ses qualifications positives (dont le nombre illimité rendrait n’importe quel énoncé inacceptable). C’est donc « le Dieu invisible » (Pimandre, V, 7), « le Dieu trop grand pour avoir un nom » (V, 10), et même « celui qui n’est absolument aucune chose » (II, 12), « celui qui n’est pas fait de matière, qui n’est pas dans un corps, celui qui n’a point de couleur, point de figure, celui qui ne change pas, qui n’est pas altéré, celui qui est toujours »40. Et chez Asclépiade41, on trouve encore ceci : « où il est, où il va, d’où il vient, comment il se comporte, de quelle nature il est, tout cela nous est inconnu »42. Mais cette innomination, expression de notre inconnaissance de Dieu, n’est pas ignorance. On découvre là cette tradition de nescience consciente qui va de Socrate à Nicolas de Cues, et à leur postérité à l’époque de la Renaissance, et au-delà. Les détours linguistiques utilisés pour nommer le divin sans prononcer le nom de Dieu sont indiqués dans la Hiérarchie céleste43 de Denys l’Aréopagite, par l’expression de ἀνόμοιοι ὁμοιόΤηΤεϛ (dissimilia signa, dans la traduction
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Voir l’imposition des noms, tâche déléguée par Dieu à Moïse (Exode, 3, 13-15). Voir, dans la traduction latine de Ficin, les éditions des incunables (Trévise, 1475 ; Ferrare, 1472 ; Venise, 1481, 1483, 1491, 1493 ; Paris, 1494, avec commentaire de Lefèvre d’Étaples) et de toutes celles, échelonnées tout au long du XVIe siècle. Pimandre, I, 6. Ibid., I, 8. Voir, en particulier, en dehors de sa thèse, Contemplation et vie contemplative selon Platon (Paris, Vrin, 3e éd. 1967) : « Stobæi Hermetica, XXIII-XXV (Scott), Notes et interprétation », Revue des études grecques, 53, 1940, p. 59-80, et Hermétisme et mystique païenne, Paris, Aubier-Montaigne, 1967. Fragments, Stobée, II a, 14. Asclépiade de Phlionte (2e moitié du IVe siècle av. J.-C.) qui, de platonicien et disciple de Socrate qu’il était, s’est affilié à l’école d’Élis, fondée par Phédon, autre disciple de Socrate, avant de gagner celle d’Érétrie, fondée par son ami Ménédème. Propos rapportés par Diogène Laërce dans ses Vies… des philosophes. 2, 136 C-145 C. D’après l’édition des œuvres de Denys établie par Lefèvre d’Étaples (Opera, Paris, Jean Higman, 1498-1499) : voir la note 29. Voir aussi l’édition synoptique de Dom Chevallier, Dionysiaca, Paris-Bruges, Desclée de Brouwer, 1937 et 1949.
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latine de Traversari44). L’indicibilité du nom de Dieu apparaît comme une transgression radicale du sensible, car toutes les qualités ou les vertus exprimées par le langage qui s’adresse d’un homme à d’autres hommes et qui demeurent forcément limitées et inscrites dans une nature sensible, sont inadéquats à la théarchie divine : d’où cette autre pseudo-définition ou plutôt pseudo-présentation de Dieu, qui s’exprime par cette auto-affirmation de son Être, dans une subjectivité transcendante et solitaire : Je suis celui qui suis, ou Je suis qui suis, selon la traduction traditionnelle de l’hébreu45. Ce silence et cette transcendance absolue de Dieu, fort bien assimilées et même assumées par Bovelles, l’un des plus fervents admirateurs de Denys, se heurte cependant à son christianisme traditionnel, comme cela apparaît dans son court traité, intitulé, après celui de Marsile Ficin46, De raptu S. Pauli libellus47, lorsqu’il oppose l’umbraculum humanitatis (forme substantielle, ou encore, forme humaine, distincte de la matière corporelle dans laquelle elle s’incarne) à l’assumpta humanitas, c’est-à-dire la transcendance du Dieu de l’Ancien Testament qui, tout en surveillant et assistant les hommes, quand la nécessité l’y contraint, reste séparé d’eux, et l’Incarnation du Nouveau, quand le Fils de Dieu a assumé pleinement la condition humaine, et dont la parole ou les paroles, d’inspiration divine, restent néanmoins, avec ou sans allégorie, à la portée des hommes. On pourrait songer également à Érasme, qui connaissait également les adeptes de la théologie négative, et qui a évoqué plusieurs fois, en l’admirant, le silence des mystiques48 mais dont la propre théologie et les règles de la méthode qu’il lui a annexées49 s’expriment par une pédagogie de la communication directe, par une pédagogie de la parole concrète, de la parole vivante (d’où son attrait pour les sermons et la prédication50), qui lui a 44
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Voir l’ouvrage de J. Miernowski sur les Signes dissimilaires. La quête des noms divins dans la poésie française de la Renaissance, Genève, Droz, 1977. Qui écorche un peu, disons-le, la grammaire ordinaire. Voir mon article « La notion de raptus chez Marsile Ficin et Charles de Bovelles », Actes du XLIIe Colloque international d’Études humanistes, Centre d’études supérieures de la Renaissance (Tours, 7-10 juillet 1999), in Les Cahiers de l’Humanisme, vol. II, Marsile Ficin ou les mystères platoniciens, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 267-297. Transcrit, résumé et commenté dans mon Bovelles, op. cit., p. 80-107, 501-577. Mais le même Érasme ne voulait rien savoir des écrits mystiques des juifs, en ne faisant aucun effort pour s’en approcher et tenter de les comprendre, comme il l’indique dans de nombreux textes, qui vont tous dans le même sens : voir, entre autres, S. Markish, Érasme et les juifs, trad. fr. Lausanne, L’Âge d’homme, 1979. Voir notamment la Ratio sive Methodus veræ theologiæ, Bâle, Froben, 1519. Voir les propres sermons d’Érasme, et son traité sur la formation du prédicateur, l’Ecclesiastes, sive de ratione concionandi, Bâle, Froben et Episcopius, 1535.
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fait modifier, dans la première édition de sa traduction du Nouveau Testament51, dans les premiers mots du Prologue de l’Évangile selon saint Jean le traditionnel In principio erat Verbum (Au commencement était le Verbe) par sa proposition révolutionnaire, In principio erat Sermo (Au commencement était la Parole52).
Extension et généralisation du silence : son insertion dans le logos humain Si nous descendons des sommets du logos divin, indicible en tant que tel, mais interprétable, de façon à la fois diverse et convergente, par les commentateurs, herméneutes ou exégètes inscrits dans l’histoire ou forgés poétiquement ou mythographiquement (comme Hermès Trismégiste, Orphée et tous les autres prisci theologi) à l’horizontalité du logos humain, nous nous déployons plus rationnellement sur le plan de la communication interhumaine, frisant parfois, il faut bien l’avouer, la banalité du sens commun, réfractaire à toute analyse quelque peu rigoureuse. Ainsi en est-il de quelques adages d’Érasme qui, malgré leurs sources honorables de la parémiologie grecque et leurs sources littéraires encore plus honorables, ne sont pas en mesure de conceptualiser la question de l’insertion du silence (et de son polysémantisme) dans un dialogue véritable53. Par exemple, lorsque dans l’adage 1026, Multas amicitias silentium diremit (le silence détruit de nombreuses amitiés54), il se contente de reconnaître l’expérience banale de deux anciens amis (ou prétendus tels) qui, ne se revoyant plus (ou ne cherchant plus à se revoir), ou cessant de se donner de leurs nouvelles, finissent par voir s’émousser, puis disparaître, des liens qu’ils avaient cru solides. Ou encore, cet adage 2403, Silentii tutum præmium (avantage assuré du silence55), qui exprime cette opinion commune que « trop parler nuit » et que le silence est souvent la meilleure garantie contre le danger que peut entraîner une parole imprudente). Ou, nouvel avatar
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Novum Instrumentum, Bâle, Froben, 1516. Pour rendre l’original grec logos. Voir la longue note d’Andrew J. Brown dans son édition critique du « Novum Testamentum ab Erasmo recognitum », ASD VI-2, 2001, p. 13, col. 1 et 2. On pourrait risquer ici l’expression de degré zéro du silence. Tiré d’Apostolos, 14, 59 a : Πολλὰϛ φιλίας ἀΠροσηγορία διέλυσεν. Voir ASD II-3, p. 50. Tiré d’Aristide (dans sa défense de Périclès), repris par Plutarque dans ses Apophthegmes. Voir ASD II-5, p. 298-299.
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du silence, l’adage 3097, Silentium mulierem ornat (le silence est une parure de la femme56), qui ne fait que répéter l’une des nombreuses formulations de la misogynie traditionnelle, à propos de sa soumission « naturelle » à la gent masculine, seule habilitée à porter la parole et à commander, sans qu’il prenne d’ailleurs à son compte (mais sans non plus le combattre) un tel préjugé. On remarquera pourtant qu’en dépit de leur banalité, ces exemples ont le mérite de souligner un double aspect du silence, tantôt négatif (avec l’adage 2403), tantôt positif avec les deux autres57, encore que son application à une traditionnelle misogynie, même édulcorée par un compliment, devrait nous le faire commenter en toute réserve. On n’insistera pas davantage sur ses préceptes de civilité puérile58 qui impliquent le silence du jeune enfant, quand il prend un repas à la table des adultes, et qui ne le rompt que pour répondre aux paroles qui lui sont adressées59. On trouvera évidemment un Érasme plus original dans les dialogues qu’il a imaginés entre un maître et son élève60, lorsqu’il préconise en son nom une véritable interlocution, toute hiérarchie trop révérentieuse étant, tout au moins en apparence, abolie entre les deux interlocuteurs61. Pour les humanistes de la Renaissance, Érasme en tête, qui ont fait du langage, c’est-à-dire de la relation entre des signes et des « choses » (au sens le plus général, disons : le référent) et du discours (au sens également le plus général62) à la recherche de la vérité ou du sens, le silence constitue un élément indissociable de cette communication. Mais ce silence ne s’inscrit pas seule-
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Tiré de Sophocle, Ajax, 293. Γυναιζί κόσμον ἡ σιγὴ φέρει. Voir ASD II-7, p. 94. Et cela, malgré l’apparence de compliment faite aux femmes par le terme de κόσμον, ou le verbe latin ornat, qui édulcore cette misogynie traditionnelle. Voir notamment le De civilitate morum puerilium libellus, Bâle, Froben, 1530. « Un enfant assis à la table des adultes ne doit parler que s’il y est forcé ou si quelqu’un l’invite à prendre la parole », trad. F. Bierlaire, in La Civilité puérile d’Érasme de Rotterdam, in Notulæ Erasmianæ III, « La Lettre volée à la Maison d’Érasme », Anderlecht, 1999, p. 65. Voir, par exemple, dans les Colloquia, (éd. L. E. Halkin, F. Bierlaire, R. Hoven, Opera omnia…, I-3, Amsterdam, 1972) : Monitoria pædagogica (p. 161-163), Lusus pueriles (p. 163171), Confabulatio pia (p. 171-181), Euntes in ludum (p. 182-183), Inquisitio de fide (p. 363-374). On pourrait aussi évoquer les remarques ou plutôt les conseils qu’il recommande au fou : celui qui, ayant conscience de ses insuffisances intellectuelles (et qui n’est donc pas si fou !) prend le parti de se taire dans une discussion, s’oppose au fou ordinaire qui parle sans cesse à tort et à travers, sans d’ailleurs comprendre le sens de ses paroles intempestives. Sens qui englobe toutes les formes ou variétés de communication, relations ordinaires ou extraordinaires entre deux ou plusieurs sujets humains.
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ment dans le flux des paroles ou de la phonologie : il est une modalité de la parole humaine. Même s’il ne porte pas ce nom, dans les communications graphiques (pictogrammes et idéogrammes) picturales, gestuelles, dans les emblèmes et autre représentations allégoriques, le silence reste présent et prégnant, ayant troqué sa modalité sonore ou auditive (ou, si l’on préfère, son insonorisation ou son inaudition) en une modalité visuelle (obscurité, invisibilité, dissimulation, « blanc », points de suspension, immobilisations, mimiques) qui soulignent, accommodent, modifient ou détruisent la parole d’expression courante. On connaît le texte de Montaigne sur la polysémie de communications, qui ne sont ni graphiques ni orales, mais gestuelles63. Après avoir choisi l’exemple des enfants, dont « les mouvements discourent et traitent », « poussés à recourir au geste par l’impuissance même de leur langue »64, et celui des amoureux « qui se courroucent, se réconcilient, se prient, se remercient, s’assignent, et disent enfin toutes choses des yeux »65, il emploie une page pleine pour se lancer dans cette copia verborum, avalanche de verbes à la première personne du pluriel du présent de l’indicatif, éloquente sémiologie du geste. Écoutons ces quelques lignes, dans les premières pages de cet immense chapitre de l’Apologie de Raymond de Sebonde : Quoi des mains ? nous requérons, nous promettons, appelons, congédions, menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, nombrons, confessons, repentons, craignons, vergognons, doutons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons […]. De la tête, nous convions, reonvoyons, avouons, désavouons, démentons, bienveignons, vénérons, dédaignons […]. Quoi des sourcils ? Quoi des épaules ? Il n’est mouvement qui ne parle, et un langage intelligible sans discipline, et un langage public […]. Je laisse à part ce que particulièrement la nécessité en apprend soudain à ceux qui en ont besoin : et les alphabets des doigts66, et grammaires en gestes67 et 63
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M. de Montaigne, Apologie de Raimond de Sebonde, Essais, Livre II, chap. 12, éd. P. Michel, Gallimard, coll. Folio, 1965, p. 157-158. Citation de Lucrèce, De la nature, V, v. 1030-1031. Citation du Tasse, Aminta, acte II, chœur, v. 34-35 : « E’l silentio ancor suole / Haver prieghi e parole » (Et le silence sait d’ordinaire prier et parler). Voir les nombreux alphabets figurés et/ou mnémotechniques (ceux de Jacobus Publicius, Cosmas Rossellius, Trithemius, et autres « Bildschriften »), que l’on trouve dans les ouvrages de Massin ; on retiendra ici le plus synthétique : La Lettre et l’Image, Paris, Gallimard, 1973. Voir, par exemple, la Grammatica figurata de Mathias Ringmann (et mon article : « Mathias Ringmann’s Grammatica figurata, or Grammar as a Card-game », in Image and Symbol in the Renaissance, Yale French Studies, 47, 1972, p. 33-46 ; version française, Bulletin de l’Association Guillaume Budé, mars 1979, p. 72-87.
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les sciences qui ne s’exercent et ne s’expriment que par iceux. Et les nations que Pline dit n’avoir point d’autre langue […]68.
Ou encore, dans le chapitre « De trois commerces » : « Je connais mes gens au silence même, et à leur sourire, et les découvre mieux à l’aventure à table, qu’au conseil »69. Autre point : en sous-titrant notre ouvrage sur les rébus picards du début de la Renaissance « des images qui parlent »70, nous avons voulu, Jean Céard et moi, souligner d’entrée de jeu que ces dessins silencieux, ou pictogrammes, présentant souvent une structure quasi-surréaliste, s’éveillaient à la parole, une fois opérées la reconnaissance des images contenues dans l’espace du rébus et leur phonétisation, exprimée dans l’ordre que nous inspire la succession ordinaire des mots de l’écriture. Il ne s’agit pas seulement ici d’une « peinture silencieuse », selon l’expression consacrée, mais, grâce au décodage effectué, d’une sorte de dégel de paroles purement virtuelles, dissimulées dans des dessins, qui représentent eux-même tantôt des objets, des personnages, des plantes, des animaux, tantôt des scènes ou des actions dont il faudra non seulement découvrir le sens précis, mais leur coordination phonétique, avec ou non, à la fin du décryptage, quelque surdétermination de valeur morale, philosophique, religieuse, ou d’intérêt socio-historique. Le silence premier de ce type de communication se dissimule, si l’on peut s’exprimer ainsi, et si l’on me permet cette extension sémantique, dans l’exhibition neutre ou insignifiante de dessins qui ne vous disent rien, à première vue. Autre dissimulation, en grande faveur à la Renaissance (et par la suite) de façon à la fois ludique, et allégorique, souvent « sophistiquée », susceptible de toutes sortes d’interprétations, des plus philosophiques aux plus vulgaires (sinon carrément obscènes71) : les anamorphoses. Pour me référer à celle qui est la plus connue et qui résume à elle seule la culture humaniste de la Renaissance, œuvre d’Holbein le Jeune et intitulée Les Ambassadeurs72, il faut bien admettre que, pour le non-initié, même s’il possède certaines connaissances sur la civilisation de la Renaissance, la tache allongée en diagonale au premier plan, sous la petite table sur laquelle reposent quelques instruments
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Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VI, xxx. M. de Montaigne, Essais, Livre III, chap. 3, op. cit., p. 1287. Rébus de la Renaissance : des images qui parlent, Paris, Maisonneuve et Larose, 1986. Voir par exemple mon article, « Aspects du surréalisme au XVIe siècle : fonction allégorique et vision anamorphotique », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 39, 1977, p. 503-530. À Londres, National Gallery.
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du savoir et de l’art de l’époque, ne lui dit rien (selon la formule consacrée), c’est-à-dire qu’il est incapable pour le moment de lui donner le moindre sens73. On pourrait dire également que, dans son étonnement, il reste muet, ou, plus familièrement, qu’il n’y entend rien. Il apprendra ce qu’il lui reste à faire (un déplacement le long du mur où est accroché le tableau) pour substituer à sa vision frontale une vision latérale, d’où surgira la tête de mort, qui lui parlera doublement : d’abord en se faisant connaître et reconnaître en tant qu’ellemême ; ensuite, en sollicitant sa réflexion et sa culture pour qu’il puisse l’interpréter comme la représentation la plus « parlante » de ces « vanités » picturales : la mort, présente, mais dissimulée et silencieuse, comme un Memento mori qui s’insinue auprès de ces deux ambassadeurs, dans le dynamisme et l’épanouissement de leur jeunesse et dans leur familiarité apparente des sciences et de la musique de leur temps. Dans le jeu paradoxique et dialectique de la folie et de la sagesse, qu’Érasme a maîtrisé de la manière inédite et profonde que l’on sait74, revenons, pour finir, à l’adage d’Alciat75 sur le Silence, dont le poème sous-jacent a été rendu ainsi en français par Barthelemy Aneau : Fol se taisant ne differe du sage ; De la Follie est temoing le language, Doncq’ par le doigt la bouche close, et mue En Harpocrate Egyptien se mue.
Ainsi, dans cette présentation unique (car jamais aussi fortement exprimée que dans l’Éloge de la Folie) d’une folie immanente à la raison, et se métamorphosant en sagesse sans rien perdre de ses attraits, au point de se confondre avec elle, le silence calculé et intelligemment observé, est le gardien le plus solide d’une personnalité dans son intimité. Celle-ci ne cherche pas à se replier hors du monde, en se fermant aux autres76 ; mais, dans ce que l’on appelle
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Voir l’analyse que j’en ai donnée dans mon article, « Sur quelques usages de la cryptographie à la Renaissance », in Études sur la représentation de la vie publique, la mémoire et l’ intimité dans l’Angleterre et l’Europe des XVIe et XVIIe siècles, éd. F. Laroque, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997, p. 131-144. Avant tout, dans l’Éloge de la Folie, mais aussi tout au long de son œuvre. Voir également les divers auteurs de « déclamations » et les jeux littéraires des rhétoriqueurs. Voir la note 17. Bovelles applique à la solitude, ou plutôt, à ses diverses formes, la même distinction que l’on peut appliquer au silence, celui qui vous soustrait à la terre des hommes, et celui qui favorise au contraire la communication et sa participation à une recherche commune de la vérité.
le silence à la renaissance dans la tradition hermétiste 33
parfois son for intérieur77 qui, rappelons-le, n’est pas une forteresse, mais une sorte de tribunal de sa conscience. Si les pythagoriciens faisaient de la loi du silence un précepte absolu, accessible ou applicable seulement à une élite morale et intellectuelle, leur maître, dans son double enseignement mathématique et métaphysique, voulait étendre sa doctrine, dans des conditions requises et quand le temps le permettrait, à tous les esprits guidés par la raison, raison évidemment universelle, et solidaires de la communauté des hommes. Ses premiers disciples, et tous ceux qui sont venus après eux, se chargèrent de diffuser sa pensée, dans tous les domaines de la science et de la philosophie, en développant et réalisant toutes ses potentialités. C’est ainsi que, grâce à eux et à ces lointains épigones de la Renaissance, le logos divin sacralisé et « indicible » a pu s’irradier, et parfois se transformer, par oubli apparent (ou provisoire) de sa transcendance, dans un logos humain, dont les usages infiniment variés, ont inséré le silence et le secret dans une pratique quotidienne de l’intersubjectivité et dans une volonté laborieuse de recherche de la vérité. Ainsi savoir se taire, et savoir parler à propos, deux postures à la fois physiques, intellectuelles et morales, qu’Érasme distinguait à juste titre sur un plan empirique, circonstanciel et factuel, se complètent et s’organisent tout au long d’une communication à hauteur d’hommes dans laquelle le silence, la parole audible et l’écoute de l’autre constituent dans leur unité structurelle le phénomène humain et interhumain par excellence, sans oublier que la lecture, que l’on appelle silencieuse depuis saint Augustin, ses Confessions et son témoignage sur Arnobe78, est précisément l’une des modalités d’un silence interactif, dont la nature profonde ne diffère guère de la communication ordinaire entre deux sujets parlants.
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Le terme for vient du latin forum, espace d’une ville où se dressait, parmi d’autres édifices et galeries, le tribunal public. Dans un passage des Confessions, saint Augustin évoque la manière dont saint Ambroise pratiquait une lecture silencieuse, attitude mentale, véritable conversion de tout l’être, à la limite un choix d’existence : « Lisait-il, ses yeux couraient sur les pages dont son esprit perçait le sens ; mais sa voix et sa langue se reposaient. Souvent, quand je me trouvais là – car sa porte n’était jamais défendue, l’on entrait sans être annoncé – je le voyais lisant tout bas et jamais autrement. Je demeurais assis dans un long silence […] puis je me retirais », VI, 3, 3, trad. P. de Labriolle, Paris, Les Belles Lettres, 1933, I, p. 120. Dans un autre passage (VIII, 12, 28), il parle de lui-même, montrant que l’acte de lecture est déjà proche de la prière. On connaît sa fameuse et assez mystérieuse sommation : Tolle, lege ! (Prends, lis !).
Adages, apophtegmes et emblèmes du silence à la Renaissance —◆— Jean Céard
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n sait à quel point l’humanisme, dans sa célébration de la dignité de l’homme, valorise la parole. Quand Rabelais veut prouver la supériorité de la nouvelle éducation sur l’ancienne, il confronte le jeune Eudémon, formé par des précepteurs acquis aux idées nouvelles, et le petit Gargantua, « institué » par des « sophistes » : Eudémon se révèle un orateur accompli ; quant à Gargantua, « il se print à plorer comme une vache, et se cachoit le visaige de son bonnet, et ne fut possible de tirer de luy une parolle, non plus q’un pet d’un asne mort »1. À ce silence, on opposera un silence tout autre, celui que met en scène, au Tiers Livre, l’épisode de Sœur Fessue : celle-ci est entreprise et engrossée au dortoir par dam Royddimet, mais se tait. Sa grossesse devenant apparente, elle est interrogée par la mère abbesse, qui s’étonne de ce silence ; à quoi Sœur Fessue réplique que, si elle s’est tue, c’est que, comme le veut la règle, dit-elle, « on dortouoir, y a silence sempiternelle » ; l’abbesse riposte : « Meschante que tu es, pourquoy ne faisois tu signes à tes voisines de chambre ? » « Je (respondit la Fessue) leurs faisois signes du cul tant que povois, mais persone ne me secourut ». « Mais (demanda l’abbesse) meschante, pourquoy incontinent ne me le veins tu dire, et l’accuser reguliairement ? Ainsi eusse ie faict, si le cas me feust advenu, pour demonstrer mon innocence. Pource (respondit la fessue) que craignante demourer en peché et estat de damnation, de paour que ne feusse de mort soubdaine praevenue, ie me confessay à luy avant qu’il departist de la chambre : et il me bailla en penitence non le dire ne deceler à persone »2.
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F. Rabelais, Gargantua, chap. XV. Ibid., Tiers Livre, chap. XIX.
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Il y a bien deux sortes de silence, illustrées par ces deux récits, pour ne pas dire ces deux caricatures : celui qui se tait parce qu’il est incapable de parler ou n’a rien à dire se distingue de la personne qui mesure ou retient sa parole. Adages, apophtegmes et emblèmes se plaisent à fixer ces deux sortes de silence : les adages le font en de brèves formules qui ont volontiers l’allure de proverbes ou de locutions proverbiales ; les apophtegmes sont d’heureuses et spirituelles expressions que des personnages, célèbres ou non, ont, dans telle ou telle circonstance, données à une idée ; les emblèmes, qui associent le plus souvent une image et une « devise », qui offrent au regard et à la pensée une complexe combinaison de signes visuels et verbaux, tâchent, au contraire des adages ou des apophtegmes, de proposer des compositions neuves, et qui, facétieuses ou graves, parfois énigmatiques, amusent, étonnent ou déconcertent. Ces trois genres sont abondamment pratiqués à la Renaissance : rappelons seulement les Adages d’Érasme, que les hommes de son temps ont lus avec passion ; ses Apophtegmes, aujourd’hui moins connus certes, mais qui ont suscité beaucoup d’imitateurs et de continuateurs ; et, pour les emblèmes, ceux d’Alciat, qui, eux aussi, ont créé un véritable genre. Au reste, notons que la langue latine (puisque c’est en latin que parlent le plus souvent les adages, les apophtegmes et les emblèmes) use de deux termes : silentium et taciturnitas. Si les Adages d’Érasme, classés iuxta locos communes, ne connaissent que le second terme (« Taciturnitas laudata et illaudata »3), les textes et les commentaires des divers adages usent souvent de silentium. Lycosthenes, qui dispose iuxta locos communes ses Apophtegmes, propose une entrée intitulée « De silentio et taciturnitate »4. Le silentium est simplement l’absence de paroles ; la taciturnitas consiste à retenir sa parole. Cette distinction,
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Sous ce titre sont mentionnés les adages : 1. Silentii tutum præmium (2403) ; 2. Mulierem ornat silentium (3097) ; 3. Alia commitenda, alia celenda (2920) ; 4. Quod scis, nescis (2499) ; 5. Qui obticescit (2811) ; 6. Qui continet arcanum (2966) ; 7. Muti citius loquentur (3469) ; 8. Caput sine lingua (979) : 9. Muta persona (978) ; 10. Muti magistri (118) ; 11. Mutus magis quam scapha (1743) ; 12. Mutus Hipparchion (1693) ; 13. Ne gry quidem (703) ; 14. Acanthia cicada (414) ; 15. In sinu gaudere (213) ; 16. Areopagita taciturnior (3906) ; 17. Manum ad os apponere (4013) ; 18. Bacchæ more (545) ; 19. Magis mutus quam pisces (429) ; 20. Rana Seriphia (431) ; 21. Reddidit Harpocratem (3052) ; 22. Statua taciturnior (3299) ; 23. Taciturnior Pythagoreis (3272) ; 24. Amyclas perdidit silentium (801) ; 25. Doryphorematis ritu (3414). Dans l’édition de Francfort, Iohannes Petrus Zubrodt, 1670, qui compile les adages d’Érasme et ceux de divers autres auteurs, comme Hadrianus Junius, Bovelles, Polydore Vergile, Gilbert Cousin, etc., cette liste comporte encore vingt entrées supplémentaires. C. Lycosthenes, Apophthegmata, Paris, Jacques du Puy, 1560, p. 1000-1005.
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que les auteurs ne se préoccupent même pas d’établir, est classique, et fixée notamment par l’usage pastoral ; saint Benoît, dans sa Règle, l’utilise couramment, et note, par exemple, au chapitre 6, intitulé « De taciturnitate », que, quand le Prophète déclare « Posui ori meo custodiam », « J’ai mis une garde à ma bouche » (Ps. 39 (38), 2), il montre que même les bonnes paroles doivent parfois être tues à cause de la taciturnité (« A bonis eloquiis interdum propter taciturnitatem debet taceri »), et donc qu’il faut rarement donner licence de parler aux disciples accomplis « propter taciturnitatis grauitatem ». La taciturnité est la maîtrise de la parole, vertu qui, mal pratiquée, peut se tourner en défaut. On ne s’étonnera pas que le silence de celui qui reste simplement coi fasse surtout l’objet d’adages. Celui qui, consulté ou engagé dans une discussion, n’a rien à dire et se contente d’approuver les avis des autres est un « caput sine lingua ». Celui qui, dans une délibération, une discussion, ou même dans un banquet, alors que tous les autres parlent, est seul à se taire, on l’appellera, par allusion au théâtre, une « muta persona », un personnage muet. Celui qui se tait alors qu’on attend de lui qu’il parle peut être dit « Mutus Hipparchion », par allusion au citharède Hipparchion, qui, un jour, troublé par le bruit du théâtre, se trouva soudain sans voix. « Qui obticescit », « celui qui reste coi », conviendra pour désigner l’homme qui, frappé de peur ou d’étonnement, demeure silencieux, comme le petit Gargantua. Gargantua est encore un enfant ; mais, de ses maîtres, s’ils étaient compétents, il aurait dû apprendre à commencer à user de la parole à bon escient ; or, il ne sait que se taire. Cette « taciturnité » immodérée est un défaut ; au lieu de le faire accéder à l’humanité, elle le maintient en enfance, dans l’état de l’infans, de celui qui ne parle pas. On pourrait le dire, en usant d’un adage répertorié par Érasme, « statua taciturnior », « plus taciturne qu’une statue », adage qui, dit Érasme, s’emploie, « in hominem vehementer infantem ac tacitum », pour caractériser « un homme qui s’obstine à ne pas parler et à se taire », de ce silence qui est celui de qui ne sait pas parler, comme l’enfant. De fait, plusieurs adages relatifs à qui reste coi font, significativement, appel à des animaux. Le plus connu est « Magis mutus quam pisces », « Plus muet que les poissons », adage qui, dit Érasme, s’emploie « In hominem immodicæ taciturnitatis », « pour définir un homme d’une taciturnité sans mesure ». Mais on peut encore l’appeler « Rana Seriphia », car, dit-on, les grenouilles de l’île de Sériphos (l’une des Cyclades ou des Sporades) n’y crient pas, alors que, transportées ailleurs, elles retrouvent leur voix et se remettent à coasser ; on peut donc user de cette expression « in homines canendi dicendique imperitos », « pour des hommes inaptes à chanter ou à parler »). Autre comparaison animalière : « Acanthia cicada », « Cigale acanthienne » ; on
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dit, en effet, que les cigales d’Acanthus (ville, au reste, mal située), à la différence de toutes leurs congénères, ne chantent point. Cette expression proverbiale, déclare Érasme, convient « in indoctos atque infantes, aut musices imperitos » (« pour les gens indoctes ou infantes, ou pour les gens ignorants de la musique »). En dehors des adages, je ne vois pas que ce type de silence soit mentionné. Je ne connais qu’une exception. C’est un emblème de Paul Jove, dans son Dialogue des devises5. Il rapporte que le marquis du Vast, c’est-à-dire du Guast, homme de guerre au service de Charles Quint, se plaignait d’avoir autour de lui en son camp une foule d’hommes qui multipliaient les suggestions, mais qui, « quand venoit le point du danger, et qu’il estoit besoing de monstrer sa prouesse, et de n’avoir les mains engourdies, se taisoient, et ne comparoissoient point au besoing, lors que luy mesme s’y trouvoit avec l’espee en la main ». « Pour exprimer ceste sienne conception, écrit Paul Jove, je paignis celuy instrument mecanique, qui est tout plein de petits marteaux en une roue, qui fait un grand bruit, et que l’on met sur les clochiers aus saints jours du temps de tenebres, pour donner signe des offices sacrez au lieu des cloches, lesquelles en ce temps là par une accoustumance commune en reverence de la mort de Jesuchrist, ne sonnent point : et au lieu d’icelles supplit au besoing le bruit que fit cestuy tel instrument, lequel en verité ha une bizarre presence. Et son mot dit, Quum crepitat, sonora silent. C’est à dire, que quand l’on ha besoing à bon escient, et que le S. Marquis foudroyant avec ses armes entre aux dangers : ces braves, et les robbes longues des Conseillers tremblent de peur, et ne respondent point aux bravades qu’ilz ont faites de paroles ». En revanche, adages, apophtegmes et emblèmes traitent volontiers du silence qui consiste à mesurer ses paroles. Le premier adage que mentionne la liste des adages d’Érasme iuxta locos communes est le suivant : « Silentii tutum præmium », « C’est un sûr avantage que le silence » ; Érasme commente : « Silendo nemo peccat, loquendo persæpe », « Personne ne fait faute en se taisant, en parlant très souvent ». Et il rappelle le mot de Xénocrate : « Je me suis parfois repenti d’avoir parlé, jamais de m’être tu ». Le contraire de ce silence, c’est ce dont traite Lycosthenes sous le nom de « garrulitas » ou de « loquacitas »6. Les apophtegmes qui se rapportent à ce sujet sont légion. C’est le mot de Démocrite, interrogé sur un personnage qui parlait abondamment de tout : « Moi, je ne le trouve pas habile à parler, mais
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P. Jove, Dialogue des devises, trad. fr. Lyon, G. Rouillé, 1561, p. 116-117. C. Lycosthenes, op. cit., p. 425-427 et 620-630.
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tout à fait inhabile à se taire »7. Ou encore le mot d’Héraclite, à qui l’on demandait pourquoi il se taisait : « Parce que, répondit-il, vous, vous parlez »8. Ou cette réplique d’Isocrate à un bavard qui lui demandait de lui enseigner à parler : « Soit, mais je te demande une double rétribution, l’une pour que tu apprennes à parler, l’autre pour que tu apprennes à te taire »9. Ou bien ce mot de Cléanthe, qui un jour se taisait et à qui quelqu’un déclara : « Pourquoi te tais-tu ? C’est quand même agréable de parler entre amis » ; « oui, répondit Cléanthe, c’est agréable, mais, plus c’est agréable, plus il faut laisser ce soin aux amis »10. Comme il faut bien arrêter les citations, terminons avec cette observation de Zénon à l’adresse d’un jeune homme qui ne cessait de parler en abondance à tort et à travers et ne prenait pas le temps d’écouter : « Nous avons deux oreilles, et seulement une bouche » (« Binas habemus aures, os unicum »). Gilbert Cousin mentionne ce mot à propos de l’adage : « Audi, vide, sile », « Écoute, regarde, tais-toi ». Plusieurs adages invitent à modérer sa langue pour mieux garder un secret. Ainsi « Areopagita taciturnior », « Plus taciturne qu’un aréopagite » : les aréopagites ne jugeaient que pendant la nuit, et il leur était défendu de divulguer le secret des délibérations. Plus généralement, tout n’est pas bon à dire, et même aux amis, selon Érasme, « alia commitenda, alia celenda », certains secrets peuvent être confiés, mais d’autres doivent être tus. Citons encore l’adage « Quod scis, nescis » (« Ce que tu sais, tu ne le sais pas »), emprunté à une réplique de Térence, et dont le tour énigmatique, cher aux hommes de la Renaissance, est encore renforcé par la suppression des premiers mots : « Si sapis (Si tu es sage), quod scis, nescis ». Qui use immodérément de sa langue risque, en effet, de provoquer des malheurs. Plusieurs fois, à Amyclées, on avait à tort annoncé l’approche des ennemis et ainsi semé le trouble dans la ville ; aussi fut-il interdit à quiconque de répandre une telle nouvelle ; mais un jour les ennemis s’en approchèrent 7
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C. Lycosthenes, op. cit., p. 1001 : « Democritus cum animaduertisset quendam multa imperite disputantem : Hic, inquit, non dicendi peritus mihi videtur, sed omnino tacendi imperitus. Maximus serm. 20 ». Ibid. : « Heraclitus Ephesius rogatus a quibusdam, cur taceret, Ut vos, inquit, loquemini ». Ibid., p. 426 : « Isocrates orator, cum locuteleius quidam nomine Carcon in disciplinam eius recipi vellet, duplicem mercedem postulauit. Illi vero causam interroganti, dixit : Alteram quidem peto ut loqui discas, alteram autem ut tacere ». Ibid., p. 1001 : « Cum quidam ad tacentem Cleanthem dixisset, Tu quid taces ? atqui iucundum est cum amicis confabulari. Iucundum quidem, respondit Cleanthes : sed quo iucundius est, eo magis in hoc amicis oportet concedere ».
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vraiment et personne, en raison de cette interdiction, n’osa rien en dire, si bien que la ville fut prise. De là le proverbe « Le silence perdit Amyclées », « Amycleas perdidit silentium ». Se taire inconsidérément ne vaut pas mieux que parler inconsidérément, la vertu de taciturnité peut tourner au vice. On a vu qu’à l’égard de celui qui n’a rien à dire, on fait appel, à titre de comparaison, à la trilogie animalière du poisson, de la grenouille et de la cigale. À l’égard de la louable taciturnité, les adages proposent une autre trilogie, qui rassemble un dieu, une déesse et un sage. Le dieu, c’est Harpocrate, divinité d’origine égyptienne, qui, le doigt sur la bouche, invite au silence : d’où l’adage « Reddidit Harpocratem » (« Il a fait renaître Harpocrate »). La déesse, du reste mentionnée à cette occasion par Érasme, c’est Angerona, Angérone, déesse romaine assez mystérieuse, dont une statue la représentant l’index posé sur sa bouche fermée se voyait dans le temple de Volupia, et à qui était offert un sacrifice le 21 décembre, mais que la Renaissance considère d’abord comme la déesse du silence. Enfin le sage est Pythagore, qui exigeait de ses disciples un silence de cinq ans, d’où l’adage « Taciturnior Pythagoreis », « Plus taciturne que les pythagoriciens ». D’une certaine façon, un tel silence n’a pas besoin de mots pour se faire entendre. Il est suffisamment signalé par un geste, un de ces gestes dont la version comique nous est offerte par les « signes du cul » de sœur Fessue qui s’estime obligée au silence. Au demeurant, le geste par excellence est celui qui, par lui-même, est une invitation au silence, comme le doigt sur la bouche d’Harpocrate ou d’Angerona, qui, du reste, conduit Érasme à ranger parmi les adages de la bonne taciturnité celui-ci : « Manum ad os apponere », « Mettre la main devant sa bouche », pendant que Gilbert Cousin relève chez Varron ce proverbe venu de Lucilius : « St Harpocrates digito significat », « Du signe de son doigt Harpocrate fait Chut ! ». On n’est pas surpris que, cette fois, les emblèmes aient plaisir à figurer ces gestes. Pierre Coustau11 représente la déesse Angerona le doigt sur la bouche, et la commente par ce quatrain : Qui n’a pouvoir de s’imposer silence Et bien user de taciturnité, De céte dame apreigne la science De moderer telle loquacité.
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P. Coustau, Le Pegme avec les Narrations Philosophiques, mis de Latin en Françoys par Lanteaume de Romieu Gentilhome d’Arles, Lyon, Barthelemy Molin, 1560, p. 144-146.
adages, apophtegmes et emblèmes du silence à la renaissance 41
Suit une « narration philosophique », dont voici le début : « Les anciens adoroient en grande crainte et reverence, au temple de Volupia, Angerone Deesse de silence : estimans la gloire de seler et taire les choses être si grande, qu’elle meritoit d’être mise en la protection et sauvegarde de quelque Dieu. En quoy Pytagoras usa de telle religion, que plus tost apprenoit ses disciples à se taire qu’à parler, et n’avoit homme pour son disciple, qui ne se fut teu cinq ans. Car qui est celuy qui peut jamais bien parler, si non qu’il ait long temps pratiqué silence ? Et de ce est ce dit ancien : il se faut tousjours taire, sinon quand la taciturnité nuit ». Après quoi, Coustau stigmatise vivement les membres des conseils qui osent, contre leur serment, divulguer les avis de leurs confrères et le secret des délibérations. Alciat, quant à lui, non sans humour, évoque Harpocrate12 ; l’image représente un grave personnage qui, assis à une table dans une étude, lit, en tenant un doigt sur sa bouche. Suit un court poème, ainsi traduit : Quand l’ignorant ne sonne mot, Il semble à cil qui est sçavant : Et n’est de sagesse remot, Si non quand il parle souvent : Ta bouche ait donc les doigts devant, Pour ne parler qu’avec science. Lors Harpocrate iras suyvant, Qui nous figuroit le silence.
Selon le commentaire, « Il vaut mieux se taire que de trop parler. Le fol ne sçauroit mieux monstrer sa folie et son ignorance, qu’en parlant. Periandre demandoit un jour au Philosophe Solon, pourquoy il demeuroit muet en une grande assemblee, veu que là tant de gents discouroyent de divers affaires : si c’estoit par faute d’avoir que dire, ou bien qu’il fust fol. Solon respondit, que le fol ne peut se taire. Le divin Platon, interrogué à quoy on peut connoistre les personnes, Par la parole, dit-il, comme on connoit les pots de terre par le son qu’ils rendent. Les Egyptiens appelloyent Harpocrate, le Dieu du silence, lequel, pour ne parler, fermoit sa bouche et ses levres avec le doigt ». Nombreuses sont les variantes de cette célébration du silence. N’en retenons que deux, qui louent, l’une le silence convenable à l’amour humain, l’autre le silence qui sied à l’amour de Dieu. Dans les Amorum Emblemata (1608) d’Otto Vænius, voici Cupidon, le doigt sur les lèvres. Le latin explique :
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A. Alciat, Emblematum liber, Augsburg, Steyner, 1531, Emblema XI, « Silentium » ; trad. fr. Les Emblemes, Cologny, Jean de Tournes, 1615, p. 9-11.
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« Pressant ses lèvres de ses doigts, Amour interdit d’aimer à qui veut avoir le cœur fendu », c’est-à-dire incapable de secret. Le français traduit : Loyal et secret. Par la pesche ou l’oison silence on signifie, Le taire au fait d’Amour est bien le plus requis ; Le caquet au contraire engendre force ennuis. Qui se tait en Amour n’est troublé de l’envie.
Remercions le traducteur de nous indiquer le sens de la branche de pêcher et de l’oison… Une variante, moins heureuse, de ce motif se trouve dans les anonymes Emblemata amatoria publiés en 1690, où Cupidon, sans dire mot, se contente de faire voir à la bien aimée la peinture de son cœur blessé. Voici le quatrain explicatif : Faire, sans dire. Cupidon n’aime pas les fleurs de l’eloquence, L’effet dit beaucoup plus que les plus grands discours, Aussy voit on souuent muets les vrays amours, C’est aimer que bien faire, et garder le silence.
Quant à l’amour divin, Georgette de Montenay, dans ses Emblemes Chrestiens (Emblematum Christianorum centuria, 1584), convie le fidèle à suivre l’injonction de saint Paul (1 Co, 6, 20) : « Glorifiez donc et portez le Christ dans votre corps ». Le quatrain qui suit l’image retrouve une expression dont Érasme fait un adage : « In sinu gaudere », qui signifie, précise-t-il, « sentir en soi un plaisir secret », et se dit de ceux qui aiment. Plus complexe est l’emblème que propose Achille Bocchi dans ses Symbolicæ quæstiones (1555). Il l’intitule : « Silentio Deum cole », « Rends par le silence un culte à Dieu ». L’image comporte deux inscriptions ; l’une, en latin, dit : « Manet in se monas », « L’un demeure en soi » ; l’autre en grec : « On se repent souvent d’avoir parlé, jamais de s’être tu ». Suit une devise, qui fait écho à la seconde inscription et semble ne reprendre que l’éloge classique du silence : « Sæpe loqui nocuit, nunquam nocuit tacuisse », « Il a souvent nui de parler, jamais il n’a nui de se taire ». Mais le poème qui est censé la développer semble convier à un bien plus haut sens : en son centre il imprime en lettres capitales un mot d’Hermès Trismégiste qu’il invite le lecteur à faire sien, « Reuocanda mens a sensibus, diuina cui mens obtigit », « Celui qui reçoit en partage l’esprit divin doit soustraire son esprit aux sens ». Au lecteur de s’interroger sur la congruence de ces diverses suggestions. C’est dans leur écart que gît sans doute la moelle du sens. Au reste, nous sommes prévenus dès le début du livre : « In Bocchianis symbolis intelligi
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plus, quam exprimi », « Les symboles de Bocchi donnent à entendre plus qu’ils n’expriment ». Si les adages, les apophtegmes et les emblèmes ne traitaient de bien d’autres sujets que du silence et de la taciturnité, on aurait envie de dire qu’ils sont faits pour la louange du louable silence, tant leur brièveté semble accordée à cet argument. Mais peut-être est-il permis de dire, plus exactement, que le goût des hommes de la Renaissance pour ces formes extrêmement brèves convient à leur sentiment que seule est digne d’intérêt une parole mesurée, et même avare de mots. On met souvent l’accent sur l’attachement des hommes de la Renaissance à la copia verborum. Érasme, dans son De copia, explique clairement en quel sens il entend l’idée de copia : « Ceux qui affectent maladroitement le laconisme peuvent bien employer peu de mots : dans ce peu de mots, pourtant, beaucoup, pour ne pas dire tous, sont superflus. À l’inverse, ceux qui font gauchement étalage d’abondance disent quelquefois trop peu, tout en parlant sans mesure, parce que manifestement ils omettent beaucoup de choses qu’ils devraient dire »13. Entre le laconisme affecté et le vrai silence, il y a autant de distance qu’entre l’abondance sans mesure et la vraie éloquence. Le privilège de l’homme, c’est la parole, mais non moins le silence. Selon le lexicographe Festus, cité par Gilbert Cousin14, on appelle « tacitus », un personnage à l’esprit fin (argutus), « quia potest aliquando tacere », « parce qu’il peut se taire quelquefois ». Cousin cite ce mot à l’adage « Si tacent, satis dicunt » (« S’ils se taisent, ils en disent assez »). Cet adage résume fort bien les adages, les apophtegmes et les emblèmes du silence à la Renaissance.
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Trad. in J. Chomarat, Grammaire et rhétorique chez Érasme, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 716. Commentant l’adage « Si tacent, satis dicunt » (in Adagia, Francfort, Iohannes Petrus Zubrodt, 1670, p. 677), Cousin écrit : « Festus Pomp. in verbo Tacitus : Tacitus, inquit, etiam argutus, quia potest aliquando tacere ».
Prière et silence à l’époque de la Renaissance et de la Réforme —◆— Daniel Ménager
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l y a deux ans, on pouvait voir sur les écrans de Paris et de province, un film intitulé : Le Grand Silence. L’auteur, Philip Gröning1, avait partagé pendant plusieurs mois la vie quotidienne des moines de la Grande Chartreuse, faite, comme on sait, de recueillement, de prière et de silence. Tout cela dans le cadre magnifique des Préalpes françaises, où les hivers sont longs et où (même si l’on est moine) on guette avec impatience les signes avant-coureurs du printemps. L’évocation des saisons et des jours, les jeux de lumière, le rythme des offices avaient inspiré le cinéaste en question dont l’œuvre fut applaudie aussi bien par les croyants que par les incroyants. Ce film enracinait une conviction diffuse : la prière réclame le silence, elle s’épanouit dans celui des montagnes isolées ou des grands déserts. Elle s’étiole au contraire dans les villes bruyantes. Est-ce une vision romantique ? Loin de là. Les Chartreux existaient quand même avant Lamartine ! L’union intime du silence et de la prière se rencontre chez les plus grands spirituels médiévaux : saint Bernard, saint Bonaventure et bien d’autres. Mais avant d’explorer ce thème, il faut s’intéresser à un autre : la prière a-t-elle besoin de mots ? Que vaut ce qu’on appelle parfois la prière silencieuse ? Qui la recommande et pourquoi ? Je terminerai par l’un des plus grands mystiques et poètes de l’histoire, saint Jean de la Croix, qui a entendu mieux qu’un autre le double appel des mots et du silence. « Doit-on prier vocalement ? » (« Utrum oratio debeat esse vocalis »), se demande saint Thomas dans la Question 83, article 12 de la Somme théologique2.
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L’auteur du film donne, parfois, la parole aux moines. Mais on sait que les Chartreux ne sont pas de grands bavards. Il leur arrive pourtant d’écrire. Dans les années 50, on lisait beaucoup, en France et ailleurs, le livre d’un chartreux américain, Thomas Merton, qui avait pour titre : La Nuit privée d’ étoiles. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Paris, Desclée, 1953, t. 37, p. 153. Dans les lignes qui suivent, c’est toujours cette traduction qui sera citée.
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Je commence par lui en raison, d’abord, de son admirable clarté ; ensuite parce que, au lieu d’ouvrir son développement par la thèse qui serait : « Oui, il faut prier avec des mots », saint Thomas soulève d’emblée des difficultés. Il y en a trois, de valeur inégale. Il me semble que la plus importante est la troisième, parce qu’elle s’appuie sur un passage de l’Évangile3. « La prière doit être présentée à Dieu dans le secret : “Lorsque tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton père dans le secret”4. Or la voix publie notre prière. Nous ne devons donc point en user »5. L’association entre le silence, le secret et la prière semble irréfutable. Pourtant, saint Thomas « rebondit », comme on dit aujourd’hui, et cela grâce à une autre citation des Écritures. « Avec ma voix j’ai crié vers le Seigneur. Avec ma voix j’ai adressé ma prière au Seigneur ». Cela vient du Psaume 41, verset 2. Saint Thomas aurait pu citer d’autres passages des Psaumes, tant ils associent la prière, la parole et même le cri. La tradition juive fait remarquer à ce propos que les Psaumes ne disent pas : « Écoute notre prière », mais « Écoute notre voix », laissant entendre que Dieu agrée une prière dépourvue de mots, comme dans cet autre passage : « Tu écoutes la voix des larmes »6. D’une façon ou d’une autre, le silence est exclu de ce type de prière qui a pour elle l’autorité des Psaumes. Saint Thomas est donc obligé d’admettre qu’il y a deux types de prière : celle qui est liturgique se fait à voix haute, sous la conduite du prêtre, tandis que la prière individuelle (oratio singularis), « celle que chacun offre en son nom propre, pour soi-même ou pour autrui […] ne requiert pas nécessairement une expression vocale »7. Les choses pourraient en rester là. Ce serait compter sans la subtilité du docteur angélique. Il considère en effet que, même dans la prière personnelle, celle que l’on fait dans sa chambre, les paroles sont bien nécessaires. Là encore, trois raisons, dont la plus forte me semble être la première. « La parole, écrit-il, est un moyen d’exciter intérieurement la dévotion qui permet à l’âme de s’élever à Dieu
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Les deux autres objections sont les suivantes. 1 : Dieu entend le parler du cœur. Donc pas besoin de prières vocales. 2 : « La prière doit élever l’âme à Dieu, or les paroles tout comme les autres choses sensibles, nous arrachent à l’essor de la contemplation. Il ne faut donc pas user de paroles en priant » (p. 122). « Tu autem cum orabis, intra in cubiculum tuum et, clauso ostio tuo, ora Patrem tuum, qui est in abscondito » (Mt, 6, 6). Ce verset est toujours cité dans les traités sur la prière. Peut-être est-ce un logion du Christ. Saint Thomas d’Aquin, op. cit., p. 123. J. Eisenberg, A. Steinsaltz, L’Homme debout : essai sur la prière juive, Paris, Albin Michel, 1999, p. 254. « La voix des larmes » est une expression fréquemment employée dans les prières du Nouvel An juif. Saint Thomas d’Aquin, op. cit., question 83, article 12, p. 124.
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dans la prière »8. Suit une remarquable réflexion sur le rôle des signes linguistiques, considérés comme beaucoup plus que de simples media. La parole exprime une pensée, mais, par une sorte de choc en retour, elle agit aussi sur les affects. C’est sans doute l’expérience qui a convaincu saint Thomas de l’effet des paroles sur celui qui les prononce, mais aussi la tradition patristique. Il cite en effet saint Augustin, et un passage de la Lettre à Proba, qui figure toujours dans les traités sur la prière : « Excitons-nous, plus fortement, par la parole et autres signes pour accroître en nous le saint désir »9. Pascal dira plus tard, avec une certaine brutalité : « Prenez de l’eau bénite »10. Tous les signes, linguistiques ou non, agissent en effet sur l’affectivité, ce qui est ratifié, me semble-t-il, par la science moderne. Je ne veux pas quitter saint Thomas sans mentionner une autre raison qui milite en faveur de l’usage des paroles dans la prière : « Enfin la prière s’adjoint des paroles par une sorte de débordement de l’âme sur le corps »11. Voilà un saint Thomas lyrique, ce qui ne doit pas étonner : il est pénétré des Psaumes où, à chaque pas, nous rencontrons ce genre de « débordements ». Résumons : saint Thomas et ceux qui le suivent accordent la palme à la prière orale, aux dépens, dirons-nous, de la prière purement silencieuse. Que son enseignement soit repris à l’époque tridentine par le néo-thomisme ne saurait surprendre, car c’est aussi l’âge de la rhétorique. Il a pourtant fort à faire pour s’imposer car l’évangélisme et la Réforme, sont plutôt hostiles à la prière vocale, assimilée au rabâchage de la piété formaliste, immortalisée par les premiers précepteurs de Gargantua. Mais les positions des uns et des autres résistent à la simplification. Érasme s’est exprimé plusieurs fois au sujet de la prière, mais le seul traité systématique, au reste assez bref, est le Modus orandi Deum, écrit pour le jeune comte Laski12. Il se pose la même question que saint Thomas : « An sufficiat tacitus animi petentis affectus ? »13. Il semble avoir une préférence pour la prière silencieuse, mais il observe aussi avec saint Thomas et saint Augustin : « Ex ipsa vocis agitatione, nascitur nunquam affectus animi »14. Dans un passage bien connu de la Paraclesis15, il avait déjà encouragé le chant personnel des 8 9 10
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Ibid. Épître 130, Migne, P. L. 33, col. 494-509. B. Pascal, Pensées, éd. M. Le Guern, no 397, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », p. 680. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, question 83, article 12. Érasme, Modus orandi Deum, AMS, V, 1, p. 111-176. Cet opuscule date de 1524. Ibid., p. 166. Ibid. Id., Paraclesis, in Y. Delègue, J.-P. Gillet, Les Préfaces [d’Érasme] au Novum Instrumentum, Genève, Droz, 1990, p. 74-75.
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Psaumes, derrière une charrue pour le paysan, sur la route pour le voyageur, chez elle pour la ménagère. Si le cœur déborde d’amour pour le Seigneur, il ne peut que chanter. Saint Augustin, qui avait peut-être fait les vendanges comme les étudiants d’aujourd’hui, avait écrit que la joie profane pouvait se répandre en paroles et même en simples vocalises, mais que le degré supérieur de la joie était silencieux : « Qu’est-ce donc que la jubilation ? C’est comprendre, sans pouvoir l’expliquer en paroles, ce que l’on chante dans le cœur. Ceux en effet qui chantent à la moisson, aux vendanges ou dans tout autre travail fait avec ferveur, commencent par dire en chansons leur joie exultante. Puis, comme remplis d’une joie trop grande, ils laissent les syllabes des mots et en viennent au cri de jubilation »16. Les débordements religieux de l’âme, on les rencontre aussi à chaque page des Confessions. Ici, dans le Modus orandi Deum, c’est surtout au chant liturgique que s’intéresse Érasme, et, d’une manière plus générale, à l’effet produit par la beauté des lieux, les ornements sacerdotaux, les génuflexions17. Tout cela, pour lui, est un puissant adjuvant de la prière. À condition, précise-t-il, que la liturgie soit bien réglée, que la musique religieuse soit digne de Dieu. On croirait lire un auteur de la Contre-Réforme. Luther est beaucoup plus radical. Ce qu’il préfère, c’est la prière silencieuse. Il faut « user de peu de paroles, mais de beaucoup d’intentions et de pensées profondes. Moins il y a de paroles, meilleure est la prière ; plus il y a de paroles, pire est la prière »18. À l’appui de cette affirmation, deux citations : Mt, 6, 7 et Jn, 4, 24. Le verset de Matthieu fait suite à celui qui a été cité tout à l’heure : « Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer »19. Si nous en avions le temps, nous pourrions montrer que Matthieu méconnaît la grandeur de la prière païenne et son économie de paroles20. Laissons cela de côté. La citation de Jean recommande plus fortement le silence. Elle est empruntée au grand discours de Jésus à la Samaritaine : « Dieu est esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent doivent adorer en esprit et en vérité »21. Luther a déformé, sans doute inconsciemment, la pensée de l’évangéliste. Celui-ci ne proscrit 16
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Érasme, Enarratio in Psalmum 32, P. L., 36, col. 283. Voir A. Michel, La Parole et la beauté, Paris, Albin Michel, p. 164. Id., Modus orandi Deum, op. cit., p. 166. M. Luther, Le Notre Père, Œuvres, Genève, Labor et Fides, I, 1957, p. 145. Traduction œcuménique de la Bible. Vulgate : « Orantes autem nolite multum loqui sicut ethnici ; putant enim quia in multiloquio suo exaudiantur ». Voir à ce sujet les Moralia de Plutarque : voir la note 23. Traduction citée. Vulgate : « Spiritus est Deus, et eos, qui adorant eum, in Spiritu et veritate oportet adorare ».
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pas les paroles, il demande plutôt qu’elles correspondent à la pensée du cœur. Ce qui compte, c’est l’opposition luthérienne entre la prière vocale et la prière silencieuse, ainsi définie : « C’est désirer, soupirer, et demander intérieurement du fond du cœur »22. Luther éprouve une sainte horreur à l’égard du babillage23. Il cite alors, toujours dans son Explication du Notre Père, l’exemple de cet ermite qui, selon saint Jérôme, « porta durant trente ans une pierre dans sa bouche parce qu’il voulait apprendre à garder le silence »24. Il rejette donc la prière des moines, qui, selon lui, passent leur temps à « brailler et à marmotter »25. Mais si excessif que soit le « docteur hyperbolique », comme l’appelait Érasme, il est bien obligé de concéder que la prière muette est un art difficile, ce qu’ont souligné tous les maîtres de la vie intérieure : l’esprit, n’ayant plus à quoi s’attacher, se met à vagabonder, ou, comme dit Montaigne, parlant des débuts de sa retraite, à faire le « cheval eschappé »26. Luther en vient alors à reconnaître la nécessité de la prière vocale, du moins pour ceux qui débutent dans la vie spirituelle : « Aussi doit-on se tenir aux paroles et s’élever en prenant appui sur elles, jusqu’à ce que les plumes poussent et que l’on sache voler sans l’art des paroles »27. Parlant de sa propre façon de prier, il avoue même que, lorsqu’il est débordé et que son âme est sèche, il court dans sa chambre ou à l’église et récite « de bouche » les Dix commandements, le Notre Père ou le Symbole des Apôtres28. Ce qui ne l’empêche pas de dire, fort de l’autorité de saint Jérôme29et d’une partie de la tradition, que toutes les œuvres du croyant sont une prière muette. Vous attendez Calvin, et vous n’avez pas tort car il nous réserve quelques surprises. Bien entendu, pour lui comme pour Luther, la prière par excellence est le Notre Père, longuement commenté dans l’Institution de la religion chré-
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M. Luther, Le Notre Père, op. cit., p. 145. Mais la condamnation de celui-ci n’est pas moins forte chez un païen comme Plutarque : voir, dans les Moralia, l’opuscule De garrulitate, qui eut une grande influence au XVIe siècle (voir R. Aulotte, La Tradition des « Moralia » au XVIe siècle, Genève, Droz, 1965, p. 200-223) et qu’Érasme cite souvent, notamment dans sa Lingua. M. Luther, Le Notre Père, op. cit., p. 150. Cet ermite un peu extravagant s’oppose à Démosthène qui plaçait des cailloux dans sa bouche pour apprendre à mieux articuler ! Id., Le Grand Catéchisme, Œuvres, op. cit., VII, p. 105. M. de Montaigne, Essais, I, 8, « De l’oisiveté », éd. P. Villey, V.-L. Saulnier, Paris, P.U.F., 1999, p. 33. M. Luther, Le Notre Père, op. cit., p. 151. Id., Une Manière simple de prier, Œuvres, t. VII, p. 198. P. L., t. XXVI, col. 186.
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tienne30. Bien entendu, il recommande lui aussi la prière dans le secret. Et tout comme les prophètes, il a horreur de ceux qui ne font que remuer les lèvres en priant. C’est tout le culte calvinien de l’intériorité qui se retrouve dans le long chapitre de l’Institution consacré à l’oraison. L’autre souci de Calvin, notamment dans la prière liturgique, est l’intelligibilité de la prière. Ici, il s’inspire de Paul, qui consacre un long développement de la Première aux Corinthiens au culte chrétien31. L’apôtre des Gentils avait affaire, vous le savez, à ceux qui priaient « en langues », c’est-à-dire dans un langage inventé par eux et incompréhensible pour les autres. De son côté, Calvin se battait contre les libertins spirituels et leurs « gazouillis » incompréhensibles32. Il veut donc comme l’Apôtre des Gentils que la parole soit compréhensible : « Je prieray de voix ; je prieray d’entendement »33. Mais le plus inattendu, du moins pour moi, est la suite du chapitre IX : « En l’oraison particuliere, la langue mesme n’est point necessaire, sinon d’autant que l’entendement n’est point suffisant à s’esmovoir soymesme »34. Ici, on retrouve le thomisme35. Mais il y a plus. Calvin ajoute ceci : « Combien que aucunes fois les meilleures oraisons se facent sans parler, neantmoins souvient il advient que l’affection du cœur est si ardante qu’elle poulse et la langue et les autres membres sans aucune affectation ambitieuse »36. Et Calvin de citer l’exemple biblique d’Anne, la future mère de Samuel, qui, devant l’autel, « parlait en elle-même. Seulement ses lèvres remuaient. On n’entendait pas sa voix » (1 Sm, 1, 13). Il fait part aussi de sa propre expérience : « Les fideles experimentent journellement le semblable quand, en leurs prieres, ilz jettent des voix et souspirs sans y avoir pensé »37. Voilà donc celui qu’on présente (sottement) comme l’austère Réformateur de Genève faisant l’éloge de la prière jaculatoire ! Pour un peu, il danserait devant l’arche !
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J. Calvin, Institution de la religion chrétienne (1541), éd. O. Millet, Genève, Droz, 2008, chap. IX, p. 1174-1203. Co, 14, 15. Voir Contre la secte phantastique et furieuse des libertins qui se nomment spirituels, Calvini Opera, VII, col. 145-252. 1 Co, 14, 15 ; cité dans l’Institution de la religion chrestienne, op. cit., chap. IX. J. Calvin, Institution de la religion chrestienne, op. cit., chap. IX, p. 1170. On le retrouve aussi dans un passage du commentaire des Livres de Samuel, Calvini Opera, XXIX, col. 270. J. Calvin, Institution de la religion chrestienne, op. cit., p. 1170-1171. Ibid.
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Finalement, plus on avance dans le XVIe siècle, plus une sorte de consensus s’établit entre la prière protestante et la prière catholique38. D’un côté comme de l’autre, on veut de l’intériorité. D’un côté comme de l’autre, on veut que la prière soit compréhensible. D’un côté comme de l’autre, on accueille la prière silencieuse comme la prière labiale. À ceux qui se sentiraient trop secs de cœur, certains signalent l’existence de recueils de « prières jaculatoires », qui peuvent les stimuler. C’est ce que fait saint François de Sales dans un passage de son Introduction à la vie dévote39. Aucune suspicion à l’égard de la parole pourvu qu’elle jaillisse des profondeurs du moi. Le silence en lui-même aurait-il perdu ses vertus ? On se doute bien que la relation entre prière et silence déborde la seule question de la prière silencieuse. Il y a toujours eu des âmes qui ont trouvé dans le silence extérieur l’une des conditions de la prière. Les ermites, bien entendu, mais aussi les moines qui bâtissent leur couvent le plus loin possible des villes : chartreuses et autres monastères cisterciens. Parmi ceux qui ont fait la louange de leur silence, je ferai une place particulière à saint Bernard à cause de son admirable lyrisme. Le silence, il le recommande plusieurs fois dans ses Lettres40, à ceux qui ont choisi la même voie que lui ou à ceux qui sont tentés de le faire. Il entend par là tout ce qui peut apaiser les puissances de l’âme. Dans les abbayes cisterciennes, il y a aussi un silence des pierres, qui ne racontent pas d’histoires, fussent-elles les plus pieuses41. En revanche, la musique est à l’honneur, parce qu’elle n’est pas une rupture du silence mais une manière de le rythmer42. Si l’on n’accepte pas de vivre dans ce silence, inutile de suivre saint Bernard. Il arrive à celui-ci, dans ses Lettres, de déformer curieusement, ad majorem Dei gloriam, comme diraient les Jésuites, le sens de tel ou tel verset biblique. Le psalmiste avait écrit (38, 2) : « Je me suis enfermé dans le silence » (« ponam ori meo custodiam »). Voilà sans doute ce que font, à des degrés divers, tous les moines. Mais il ajoutait (38, 3) : « Et plus qu’il n’était bon, je me suis tu » (« et silui absque ullo bono »). Il y a donc des silences excessifs, 38
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C’est au fond la conclusion à laquelle aboutissait, de son côté, T. Cave dans sa Devotional Poetry, Cambridge, The University Press, 1969. Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, II, 1, Œuvres complètes, éd. de la Visitation d’Annecy, Annecy, Monastère de la Visitation, 1892-1964, III, p. 95. Je n’ai pu préciser à quel recueil l’auteur faisait allusion. Saint Bernard, Lettres, Paris, Cerf, I, 1997 ; II, 2001. Voir G. Duby, L’Art cistercien, Paris, Flammarion, 1989. C’était aussi l’opinion de saint Augustin : voir La Musique, in Les Confessions, précédées de Dialogues philosophiques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1998, livres III et IV.
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des silences qui ne sont pas agréables à Dieu. Et saint Bernard le sait mieux que quiconque, lui qui était nourri de la prière des Psaumes. Que sont-ils donc, en effet, sinon un univers de paroles, un carrefour sans cesse renouvelé d’échanges linguistiques43 ? Les partisans de la prière silencieuse l’ont parfois oublié. En fait, Bernard le sait très bien. Ce à quoi il aspire, c’est à une prière purifiée et discrète qui aura pour seuls témoins Dieu et ses anges. Voilà ce qu’il dit dans un extraordinaire passage du Sermon 86 sur le Cantique des cantiques. Comme elle est belle, s’exclame-t-il, la prière nocturne, « lorsque le sommeil de la nuit instaure un profond silence […]. Comme elle est calme et sereine quand les cris et les bruits ne viennent pas l’interrompre »44. On n’en finirait pas de citer les spirituels médiévaux qui ont choisi la nuit pour prier en silence. Prière collective (celle des matines) ou prière individuelle. Ils ont trouvé de dignes héritiers chez les spirituels de la Réforme tridentine, comme Louis de Grenade, très lu en France et en Espagne, à la fin du XVIe siècle45. Il se réfère à saint Bernard lorsqu’il écrit, dans son Traité de l’oraison que « la meditation de mynuict » est la meilleure, parce que « le sommeil de la nuict donne repos et silence à toutes choses ». Voilà pourquoi, comme le dit Bernard, l’Épouse « demandoit le secret de la chambre et le silence de la nuict, lorqu’elle vouloit prier et chercher son Dieu et Seigneur »46. À la Renaissance (et j’entends le mot au sens large), cette expérience religieuse fascine aussi les humanistes qui sont restés dans le siècle. Pétrarque est l’un d’eux. On sait que son frère Gérard avait choisi d’entrer à la Chartreuse de Montrieux47. À deux reprises48, Pétrarque lui rend visite, mais brièvement : pas plus d’un jour et d’une nuit. Pour quelqu’un qui n’a cessé d’écrire que les religieux ont choisi la meilleure part, pourquoi des séjours si brefs ? Il en tire cependant un assez gros livre, le De otio religioso (Le Repos des religieux). Nouveau paradoxe : voilà que le silence engendre un flux de paroles. Va-t-il nous introduire dans le secret des Chartreux, nous le faire vivre et respirer ? Point du tout. Il se contente d’écrire, avec un beau lyrisme, qu’il a vu (ou en43 44
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Voir P. Bauchamp, Psaumes nuit et jour, Paris, Seuil, 1980, passim. Saint Bernard, Sermons sur le Cantique, Paris, Cerf, 2007, V, p. 407-408. Voir aussi D. Ménager, La Renaissance et la nuit, Genève, Droz, 2005, p. 167. Voir La Méditation au XVIIe siècle, éd. C. Belin, Paris, Champion, 2006. Louis de Grenade, Traité de l’oraison et de la méditation, Œuvres spirituelles, Rouen, 1638, III, 2, p. 11 Sur Gérard, voir H. Cochin, Le Frère de Pétrarque et le livre « Du repos des religieux », Paris, Bouillon, 1903, rééd. Genève, Slatkine, 1975. La Chartreuse de Montrieux se trouvait dans l’actuel département du Var. En 1347 et 1353.
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trevu) des « visages vénérables » et qu’il a écouté « avec ravissement ce divin silence et cette psalmodie d’anges »49. Un silence qu’on écoute : voilà, à coup sûr, une belle formule, mais qui nous laisse un peu sur notre faim. Le reste est un discours très général sur les vacations de l’âme, nourri de souvenirs augustiniens et de sagesse antique. L’édition de Christophe Carraud rapproche à juste titre ce passage d’une lettre de Pétrarque où il rappelle le souvenir heureux que lui a laissé le monastère des Camaldules, à Pratovecchio50. Une phrase en tout et pour tout pour un silence qui a mérité deux heures de film, comme je le disais en commençant, voilà qui est bien peu ! Ce silence-là, en fait, a poursuivi Pétrarque toute sa vie. Revenons à la phrase que je viens de citer. Elle définit bien l’une des fonctions du silence religieux. Elle nous dit en somme que le silence en lui-même n’a pas grande valeur. Il est plutôt la condition de l’écoute attentive. Si l’on observe le silence, alors on peut entendre les chœurs des anges, ceux qui devant Dieu chantent sans cesse le « Hosannah »51. À défaut de ces chœurs, les sages de l’Antiquité entendaient, grâce au silence nocturne, la musique des sphères. Et ils avançaient des explications ingénieuses pour expliquer le silence en question52. À l’égard de celui des Chartreux, Pétrarque éprouve ce que Baudelaire appelle « cette nostalgie du pays qu’on ignore »53. Puisqu’il ne s’est pas fait moine, il peut au moins tenter de transposer dans le siècle leur manière de vivre. Ce sera le loisir lettré, qu’il décrit dans La Vie solitaire54, antérieure d’un an au De otio religioso et qui fait la part belle au silence. Loin des villes bruyantes, grâce au silence de la nature, il est facile d’élever son âme vers Dieu55, dans une atmosphère qui préfigure plus ou moins les élévations rousseauistes56et les harmonies lamartiniennes. Autant que je sache, le frère de Pétrarque est resté muet. Ainsi sans doute le voulait la règle de son ordre. Ce qui n’a pas empêché Pétrarque de le faire
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« Devotum silentium et angelicam psalmodiam », Le Repos religieux, éd. C. Carraud, Grenoble, Jérôme Millon, 2000, p. 31. Ibid., note 18, p. 198. Isaïe, 6, 3. Voir notre livre, La Renaissance et la nuit, op. cit. Ch. Baudelaire, « L’Invitation au voyage », Le Spleen de Paris, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1951, p. 247. L’églogue latine Parthenias, écrite par Pétrarque après l’une des deux visites à son frère, met bien en scène la divergence de leurs itinéraires : Opere, Milano, Mursia, 1963, p. 366-373. Voir l’édition C. Carraud, Grenoble, Jérôme Millon, 1999. F. Pétrarque, La Vie solitaire, I, 2, op. cit., p. 45-65. Voir, en particulier, dans l’Émile, la « Profession de foi du vicaire savoyard ».
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parler, par la voix de « Monicus » dans l’une de ses églogues latines57. Comment un moine vit-il le silence ? On l’a entrevu avec saint Bernard. On le verra mieux avec Jean de la Croix, qui, au reste, connaissait par cœur les Sermons sur le Cantique des cantiques58. Il ne suffit pas en effet de vanter les bienfaits spirituels du silence. Il faut tenter de le faire vivre dans les mots du poème. Dans cet art, Jean de la Croix est incomparable. Les bien modestes propos qui vont suivre ne s’intéresseront pas à sa mystique, qui a fait couler beaucoup d’encre, au détriment parfois de la lettre de ses poèmes. Quelques mots donc (des mots bien profanes) sur le plus parfait d’entre eux peut-être : le « Cantique Spirituel ». On en possède deux versions59. La première comporte trente-neuf strophes ; la seconde quarante. Mais ce sont des strophes brèves. La lira, considérée par les poéticiens comme une des plus belles strophes de la poésie espagnole, combine en effet deux hendécasyllabes et trois heptasyllabes60 ; elle permet au poète de reprendre souvent son souffle et au lecteur de se reposer, de recueillir en silence ce qu’il vient de lire ou d’entendre. Toutes proportions gardées, elle peut rappeler la « strophe » des Psaumes. Si je tente cette comparaison un peu risquée, c’est parce que dans ceux-ci, on rencontre souvent, à la fin ou à l’intérieur du texte61, un mot qui a dérouté et déroute toujours les hébraïsants : selah. Selon Luther, il exhorte « à faire halte et à se reposer quand un article particulier apparaît au cours de la prière, pour bien considérer l’intention, en négligeant, durant ce temps, les paroles »62. Cette explication est reprise, mais parmi d’autres, par Blaise de Vigenère, grand hébraïsant, dans son Dictionaire du Psaultier : ce serait « une note de pause, pour reprendre son haleine ou changer de ton » ou encore un mot signifiant que la voix doit céder la place aux instruments63. En fait, Vigenère, pourtant très savant, y perd son latin ou plutôt son hébreu. Les lexicographes actuels se montrent très prudents. Je lis ainsi dans le Dictionnaire d’hébreu et d’araméen bibliques : « terme inexpliqué de l’art musical »64. J’en aurai fini avec ce mot énigmatique quand j’aurai rappelé que sela (sans h) est l’avant57 58
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Citée note 52. Voir J. Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, Alcan, 2e éd. 1931. Nous nous référons à l’édition des Poésies, traduction de B. Lavaud, introduction de B. Sesé, Paris, Garnier-Flammarion, 1993. Ibid., p. 185. En tout, soixante et onze fois. M. Luther, Explication du Notre Père, op. cit., p. 146. B. de Vigenère, Le Psaultier de David…, éd. P. Blum-Cuny, Paris, Le Miroir volant, p. 569. Paris, Le Cerf, 1999, p. 264.
prière et silence à l’époque dela renaissance et de la réforme 55
dernier mot du Quart Livre de Rabelais, et que la Briefve Declaration, qui est sans doute ou peut-être du même auteur, lui donne comme synonyme « Certainement »65. Revenons aux strophes du Cantique spirituel. Elles sont conçues, me semble-t-il, pour conjuguer harmonieusement prière et silence. Ce merveilleux poème ne célèbre pas, en effet, le silence. Si on l’envisage d’un point de vue thématique, on lit que les fleuves sont « sonores » et que les brises « murmurent »66. C’est au nom des « agréables lyres » et du « chant des sirènes » que l’Époux conjure les « oiseaux légers » et les « cerfs bondissants »67de ne pas déranger le sommeil de l’épouse. Sans doute, le poème se dirige-t-il vers le silence, mais jusqu’à la fin subsiste le chant de la « douce philomèle »68. Il est impossible, bien sûr, de lire ces strophes en faisant abstraction du propre commentaire de Jean de la Croix. Que dit-il de la « symphonie silencieuse » (14, 3)69et de la « solitude sonore » (14, 4) ? N’attendons pas du commentaire qu’il fasse un sort à ces images d’un point de vue rhétorique. Il ne s’attarde pas sur l’admirable oxymore que constitue la « symphonie silencieuse ». Ce qui l’intéresse, d’abord, c’est l’idée de concert spirituel, c’est-àdire « une connaissance calme et paisible sans bruit de voix. On y goûte à la fois les douceurs de l’harmonie et le repos du silence »70. Quant à « la solitude sonore », il s’agit encore d’une mélodie silencieuse pour les sens et les puissances naturelles », mais « pleine d’ondes sonores pour les puissances spirituelles, qui, solitaires, vides de toute forme, de toutes représentations naturelles, sont aptes à recevoir spirituellement, dans des flots d’harmonie, le concert éclatant des excellences de Dieu ». On peut en avoir une idée, par exemple, avec le verset de l’Apocalypse (14, 2), qui évoque la « voix d’un grand nombre de musiciens, tirant de leurs cithares des mélodies ravissantes »71. Le point important est que ce concert ne peut être perçu que « dans la solitude et l’abstraction de toutes les choses extérieures »72. Le terme d’« abstraction » est bien le plus important. Il dessine un paysage spirituel qui n’est pas 65
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F. Rabelais, Œuvres complètes, éd. M. Huchon, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994, p. 701 et 713. Jean de la Croix, Cantique spirituel A, 13, 4 et 13, 5, op. cit., p. 67. Ibid., 29 et 30. Ibid., 38, 2. « Mélodie silencieuse », dans la traduction de Mère Marie du Saint-Sacrement, Paris, Cerf, 1981, p. 55. Jean de la Croix, Le Cantique spirituel A, explication du chant, op. cit., p. 128. Ibid. Ibid., p. 129.
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celui de Pétrarque. Cependant en d’autres endroits de son commentaire, on a le sentiment que saint Jean de la Croix accorde davantage à l’expérience sensible. Ainsi quand il explique l’expression « murmure des brises amoureuses » (13, 5), qui rappelle évidemment l’expérience mystique d’Élie dans le Livre des Rois73. Le voilà alors qui distingue les sens spirituels, comme l’ouïe, de ceux qui le sont moins, comme le toucher. Va-t-il s’engager dans la voie du néoplatonisme à la manière florentine ? Pas du tout. Les sens ne donnent aucun accès à la connaissance de Dieu. Le silence lui-même n’a pas de valeur en soi. Il permet seulement de percevoir le concert divin. Bien entendu, le problème est de savoir si le commentaire dit la même chose que le poème et si la part des sens n’est pas plus grande dans celui-ci que dans celui-là. À cette question, je répondrais volontiers par l’affirmative, mais, comme vous le savez sans doute, je ne fais pas partie des spécialistes de Jean de la Croix. Je suis passé, dans ce bref exposé, de questions assez techniques (la prière vocale, par exemple) à d’autres qui le sont beaucoup moins. Comment faire une gerbe de tous ces épis ? Les considérations de la piété ne pâlissent-elles pas, comparées aux envolées mystiques d’un Jean de la Croix ? Pour ma part, je ne le crois pas. Dans tout cela, une vaste question se trouve posée : la place du corps dans la prière. Pour saint Thomas et son école de pensée, il est loin d’être un ennemi. Avec son aide, avec le mouvement des lèvres et le son de la voix, il est possible de bien prier. Même si le silence des cloîtres favorise le recueillement, on peut prier partout, y compris dans le tohu-bohu. Érasme n’est pas loin de le penser. Sottise, s’insurgent ceux qui voient dans le silence matériel la condition sina qua non de l’élan de l’âme vers Dieu. Notre modernité, ou notre post-modernité, prend plutôt ce parti, car derrière Pétrarque, elle distingue des ombres poétiques qui sont plus proches, et qui ont hanté les grands monastères : Reverdy à Solesmes, Max Jacob à Saint-Benoît sur Loire. Oserai-je dire que cette modernité-là pèche parfois par naïveté ? Il existe des silences angoissants, des silences qui ne permettent pas d’entendre les divins concerts de l’Apocalypse. Le silence ne porte pas de fruits sans ascèse préalable. C’est peut-être ce qu’a voulu dire saint Jean de la Croix.
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1 Rois, 19, 12.
Les voix du silence de la création artistique en Italie au XVIe siècle (De Léonard de Vinci au Titien) —◆— Jean Lacroix
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es trois arts-sœurs, comme on les nomme en Italie, que sont peinture, sculpture et architecture, le premier, à l’évidence, raison de bon sens, est celui qui est le plus désireux et constitutivement chargé de silence(s). Il va en être, en Italie au XVIe siècle, par conséquent prioritairement beaucoup question, sans pour autant négliger le second et le troisième. Et d’un double point de vue : génétique d’abord, sociologique ensuite. Deux autres raisons majeures, en sus de la précédente, font que néanmoins, ne fût-ce que par opposition, il devra être mention des deux suivantes (sculpture et architecture), plus bruyants d’abord, plus « encombrés » et encombrants ensuite, et structurellement plus complexes. La première est d’ordre esthétique : il s’agit de la concurrence idéologique constante entre ces « arts » figuratifs, déjà amorcée au siècle précédent, au Quattrocento, de la perception que peuvent en avoir les artistes eux-mêmes, surtout si leur talent et leur vocation les conduisent à en pratiquer plus d’un ; il s’agit d’un topos récurrent aussi bien au Quattrocento qu’au Cinquecento, celui des mérites comparés de la peinture et de la sculpture auquel se prêtent volontiers, en premier lieu, les acteurs et les responsables de l’un et l’autre art ; un débat théorique-pratique par conséquent qui s’exerce fort longtemps dans le cadre des corporations qui deviendra caduque, à Florence, en 1571. La seconde raison, d’ordre plus politique et sociologiquement encore plus marquée, est évidemment liée au contexte sécessionniste et révisionniste de cet autre siècle de crise (après celui du XIVe siècle) qu’est le XVIe siècle avec son double « choc » de la Réforme et de la Contre-Réforme : temps troublés de longs débats passionnés, de censures voire d’interdits et aussi de sanctions diverses qui atteignent par exemple le « culte des images » et conduisent à leur « procès » et à leur stricte réglementation. L’art y est donc un des enjeux
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majeurs de cette période polémique, et l’art avec sa vocation figurative, celle qui requiert par définition la primauté de l’œil1. Pour toutes ces raisons, c’est d’abord vers un silence « complet », génétiquement parlant, à triple composante, prédominant, omniprésent que l’on va s’acheminer pour le décrypter au fil des décennies et de part et d’autre de ces deux grands « chocs » plus hauts évoqués, fauteurs l’un comme l’autre d’un autre type de civilisation au XVIe siècle, soit : – d’un côté, avec la première génération d’artistes, celle des premières décennies : celle des Mantegna (disparu en 1506), Giorgione (en 1510) et autres Botticelli disparu la même année que celui-ci, des Léonard de Vinci et des Raphaël (disparus à un an de distance, en 1519 et 1520), des frères Bellini (Giovanni, en 1507, Gentile en 1516), des Piero di Cosimo (1521) et, plus tardivement du Vénitien Carpaccio (1529), après le Florentin Andrea del Sarto (en 1521) et après l’Ombrien Luca Signorelli (en 1523) jusqu’au Corrège (en 1534) ; – d’un autre côté, celle d’artistes dont l’existence plus « avancée » au cours de ce XVIe siècle mouvementé ainsi que la carrière se déroulent durant l’interminable Concile de Trente ou plus encore connaissent l’héritage de cette période de réaction et de rudes controverses : cette génération d’artistes, plus « centrale » et davantage que la précédente est ainsi, pour n’en nommer que les figures les plus en vue, celle de la décennie, en gros 15501560, durant laquelle disparaissent Pontormo l’extravagant (en 1556), un peu plus tard le sculpteur Baccio Bandinelli (en 1560) ou encore Michel-Ange (en 1564) ; puis au-delà de 1570, Benvenuto Cellini (1571) ou son compatriote Vasari, premier théoricien-historien de la peinture en ce XVIe siècle (1574), et le Vénitien Tiziano (Le Titien) (en 1576) par lequel nous achèverons notre étude ; au-delà encore de 1580, et pour en terminer avec cette liste fort incomplète, les Vénitiens encore Véronèse (en 1588) et Le Tintoret (en 1594). Mais par-dessus tout, deux figures prépondérantes qui, l’une comme l’autre, traversent tout le XVIe siècle sont à retenir pour l’enquête qui va suivre : d’une part, celle de Michel-Ange le Florentin, mort nonagénaire en 1564 et, d’autre part, le Vénitien le Titien mort, lui, quasi centenaire en 1576,
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Cf. Par la vue et par l’ouïe : littérature du Moyen Âge et de la Renaissance, éd. M. Gally, M. Jourde, Fontenay-aux-Roses, E.N.S., 1999.
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soit largement plus d’une décennie plus tard que le Concile de Trente (15451563) tellement marqué par le bruit et par la fureur. Dans ces conditions, et l’on va vite s’en rendre compte, c’est, chez tous ces peintres notamment ceux des toutes premières générations du Cinquecento, un silence omniprésent, incontournable que souhaitent, désirent et expriment tous les artistes italiens pratiqué par tous de trois manières principales : – silence antérieur d’abord, prélude à l’œuvre-à-venir, et déjà inhérent au projet de l’artiste (dessins, croquis, schémas, esquisses ou même annotations) ; – silence contemporain de la genèse de l’œuvre en cours d’exécution plus ou moins longue en fonction de la nature de l’art pratiqué (en sculpture mais, davantage encore, lors du vaste chantier d’architecture) ; et, dans ce domaine, la main plus qu’en peinture soucieuse de la juste touche, du coloris adéquat ou de la couche devient l’outil primordial infiniment moins « silencieuse » que dans le cas du tableau ou de la fresque ; – et pour finir, parachevant l’intégralité de l’acte créateur, vient le temps d’un silence postérieur à l’œuvre achevée ou inachevée, livrée et exposée aussi à l’air libre au public et aux foules majoritairement analphabètes et relativement incultes ; c’est-à-dire aux bruits de la cité. À l’air libre ou, à l’opposé, dans le silence du cloître ou de l’église : cas du David dans les toutes premières années du Cinquecento dont l’anormal gigantisme a dû alimenter passablement la rumeur d’un côté ; et de l’autre, cas des peintures du plafond de la Sixtine, autre prouesse de Michel-Ange dont la lente et acrobatique genèse avait suscité de la part de l’artiste et vis-à-vis du pape qui le dérangeait par une visite importune, plus qu’une protestation en faveur du silence créateur des prophètes et des sibylles, de la célèbre Cène de Léonard de Vinci à Milan, à Santa Maria delle Grazie2. Quelle qu’en soit sa nature, fresque ou tableau, l’œuvre picturale tout particulièrement se doit d’être « détachée » de son créateur, en mesure d’affronter seule les regards des contemporains comme de la postérité, faisant face aux bruits et aux vicissitudes des événements de cette époque (guerres, moti, changements fréquents de régime, assassinats nombreux, etc.). Silence d’opposition mais en même temps silence d’une certaine gloire conquise et d’une perfection atteinte, ce que proclament les poèmes de Michel-Ange ou encore 2
Cf. J. Rudel, La Peinture italienne de la Renaissance, Paris, P.U.F., 1996 ; F. Leroy, La Peinture italienne du Moyen Âge, Paris, P.U.F., 1996.
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des sonnets, des lettres de Raphaël. En somme, un silence à double sens, d’auto-défense et d’affirmation de soi qui est par la même occasion, défense et illustration de l’Art de peindre3. Dans ces conditions, par ailleurs, parler « peinture » et de silences à son sujet – on va s’en rendre compte – ce n’est pas toujours chose aisée, au début du moins du XVIe siècle. Cependant il convient ici de rappeler qu’en italien penna désigne la plume à l’origine de l’écriture mais pennello, de son côté, son diminutif désigne le pinceau qui étend les couleurs et élabore les formes : dans les deux cas, cela revient à juger de l’essence de cette « aile » susceptible d’envol et de vol, à l’origine céleste et peut-être même célestiale. Autant dire que tout écrit et toute peinture se rattachent à une inspiration plus qu’humaine. Autant souligner qu’écrit et peinture relèvent l’une comme l’autre d’une fonction sacrée jusqu’à un certain point, ce que, déjà, à la fin du XIVe siècle, Cennini avait noté dans un des très rares traités de peinture du Moyen Âge, écrit vraisemblablement vers 1390 : Le Livre de l’Art4. D’ailleurs, au sujet de la peinture comme de la plume-pinceau (penna), Léonard nous a laissé ses observations sous forme d’« aphorismes »5 au raccourci impressionnant : l’un de ces aphorismes touchant la peinture évoque ce langage muet des « oreilles » et des « yeux »6, dans le cadre, il est vrai, de la peinture religieuse à finalité sacrée ; une manière de célébrer les vertus du « silence » génétique évoqué chez l’artiste fuyant tout contact nocif avec le vulgaire, cet artiste seul capable de convertir la laideur en beauté7. Quant aux plumes (penne), elles nous valent dans le silence de l’azur d’origine divine, un aphorisme qui associe l’écrit au vol des oiseaux8.
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Cf. Raffaello Sanzio, Tutti gli scritti, éd. E. Camesasca, Milano, Rizzoli, 1956. Voir notamment les lettres adressées à son oncle (28 avril 1508 ; juillet 1514), à Francia (5 septembre 1508) ainsi qu’à Calvo (15 août 1514) aux pages II, 15 et V, 31 ; III, 21 ; VI, 37. Voir notre étude « L’œil du peintre selon Cennino Cennini : Il Libro dell’Arte (1437) entre filiation et innovation », Revue des langues romanes, Université P. Valéry, Montpellier III, numéro consacré à « Le déguisement dans la littérature au Moyen Âge », 13/2, 2009, p. 501-514. Leonardo da Vinci, Aforismi, novelle e profezie, Roma, Newton Compton editori, 1993. Ibid., section V, p. 75. Ibid., section IV, p. 61. Ibid., section V, p. 66.
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Peindre et/ou écrire la peinture ? C’est la question que l’on peut se poser au sujet des artistes italiens, peintres en priorité, et plus particulièrement ceux de la première génération. En d’autres termes, y a-t-il chez le peintre italien du XVIe siècle commerçant, dilemme ou bien étroite connivence ? S’agit-il pour lui de peindre même sans éprouver le besoin d’un support occasionnel (bribe d’écriture, au dos ou en marge d’un dessin) comme nous avons pu le constater au Musée Fabre de Montpellier qui conserve le Ve sonnet de Raphaël, très lacunaire en vérité9 ? Ou bien l’artiste peintre éprouve-t-il l’impérieux besoin de « doubler » l’acte pictural d’un acte peut-être secondaire et idéologiquement second, étranger en apparence au sujet de l’image que ce même artiste a voulu donner à son tableau du moment, cas justement du sonnet raphaëlien de Montpellier griffonné sur un dessin relatif à la Disputa10 ? Quoi qu’il en soit de la version retenue, le silence coexistentiel à l’œuvre est à ce prix : éviter la rumeur, fuir les importuns et les critiques bavards et incompétents (Raphaël : carestia di buon giudici, Lettre à Castiglione, 1514), se méfier de toute divulgation tapageuse ; au XIVe siècle, déjà, Pétrarque humaniste ne recommandait-il pas, au mépris du vulgum pecus mis à l’écart, la tenue d’un secret et le choix de voies silencieuses, voix poétiques par excellence ? Et de Pétrarque Raphaël ne se recommande-il point, qu’il adore imiter ? Ce qui a changé par rapport au siècle précédent (le XVe siècle) et plus encore par rapport au siècle antérieur (le XIIIe siècle, celui de Giotto), ce sont deux aspects qui, paradoxe, renforcent la notion de silence comme celle de l’image. Le premier est lié à l’ouverture en direction d’une appréciation de l’œuvre d’art (peinture) davantage « scientifique » ; le silence propre à la conception comme à l’élaboration de celle-ci devenant en quelque sorte un silence mesurable et la production quantifiable, l’esprit mathématique, pourtant déjà la base de certains traités, de Ghiberti à Pacioli, de Leon Battista Alberti à Piero della Francesca, devenant la clé de voûte de la recherche et de la pratique picturales, l’écran bien visible des Anciens (Vitruve pour Raphaël ou Alhacen déjà pour Ghiberti) devenant gage d’un silencieux effet de miroirs. Le second aspect, corrélatif du premier, est la montée et la réclamation d’une autonomie de l’artiste-peintre contre les contraintes du système toujours 9 10
Rapporté, fragmentaire, in Raffaello Sanzio, op. cit., p. 87. Cf. G. Milanesi, La Scrittura di artisti italiani : sec. XIV-XVII, Firenze, Le Monnier, 1876, notamment « Rime di Raffaello », Urbino, 1876 ; « Dell’autografo nel museo di Montpellier », Bologna, 1875.
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en vigueur des corporations, de la création contrôlée, en vase clos, hiérarchisée. Raphaël, encore lui, peste contre la privation de liberté11 tout comme il s’élève, mais il est loin d’être une voix isolée dans ce domaine, contre un règne de la violence et d’une cacophonie infernale, contre les guerres à répétition qui laissent Rome et l’Italie exsangues ; autre forfaiture préjudiciable à une sereine conduite artistique et à une production picturale harmonieuse et vivifiante, guère plus supportables que celle consistant à « obéir à des patrons ». En d’autres termes, tend à s’établir et à s’affirmer un silence culturel plus engagé dans le quotidien de la cité mais encore prisonnier du rituel des cours comme l’a souligné B. Castiglione, près de dix ans après la disparition de Raphaël (1528) dans son Courtisan, ce qu’a analysé Sylvie Deswarte dans une étude sur l’artiste courtisan12. Nous sommes en présence d’un silence devenu vrai culte citadin, symbolique de plusieurs cités italiennes dont le saint patron règne et ordonne comme saint Jean-Baptiste à Florence ou comme saint Marc à Venise, deux saints respirant la paix et la prospérité (le négoce). Un rayonnement que revendique hautement, bien au-delà du savoir-faire proclamé par les nombreux Canti carnascialeschi de la fin du XVe siècle et des débuts du XVIe siècle, un artiste à sa manière dans l’art de la diplomatie comme Machiavel (mort en 1527) et qui, pourtant, n’était pas spécialement attiré ou passionné par les arts figuratifs. Or, ce diplomate-historien florentin vient à recommander à son fils, dans sa dernière lettre du 2 avril 1527, soit un mois avant sa mort, l’étude « des lettres et de la musique »13, une manière d’exploiter silence et sérénité à la différence de la vie turbulente que ce père a menée, une quinzaine d’années durant ; justement, conduit à définir le silence dans une lettre de années précédentes (du 19 mai 152114), soit bien longtemps après la cessation d’activités en tant que diplomate au service de la République florentine en 1512, voici en quels termes il le définit : devant parler du silence, je dirai : « ils » [les politiques] étaient plus cois que les moines quand ils mangent.
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Ière lettre à son oncle (1508), in Raffaello Sanzio, op. cit., p. 23. S. Deswarte, « Considérations sur l’artiste courtisan et le génie au XVIe siècle », in La Condition sociale de l’artiste : XVIe-XXe siècles, Actes du colloque du Groupe des chercheurs en histoire moderne et contemporaine du C.N.R.S, 12 octobre 1985, éd. J. de la Gorce, F. Levaillant, A. Mérot, Saint-Étienne, C.I.E.R.E.C., 1987, rééd. 1992, p. 13-28. N. Machiavel, Lettre no 23 à son fils Guidi (2 avril 1527), Œuvres, éd. C. Bec, R. Laffont, coll. « Bouquins », 1996, p. 1260. Ibid., p. 1257.
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Une manière de relier la vie artistique et de ces artistes italiens fort croyants du XVIe siècle à deux définitions possibles du silence aux siècles précédents que donne par exemple le Lexique des symboles chrétiens de Michel Feuillet15 : le silence comme absence de bruit qui est en réalité présence de Dieu et le silence monacal qui s’ajoute à un tel brevet de croyance, à un tel signe d’humble allégeance et qui est, lui, ouverture à la parole divine. De telles significations du silence, à vrai dire, s’appliquent davantage à des peintres du Quattrocento ou même antérieurement qui sont fréquemment des frères comme Fra Angelico, Lippi père et fils. Ce, ces silences d’ordre spirituel élevé, on pourrait d’ailleurs aisément les retrouver dans les prescriptions de règles d’ordres médiévaux16 comme l’ordre des Bénédictins (VIe siècle) où l’on notera « taire et écouter sied au disciple »17, l’obligation de ne point parler à table si divulguée18 à laquelle se réfère Machiavel, ou encore, plus tard, au début du XIIIe siècle, chez les Pères du Carmel, ordre fondé un an à peine avant la règle des Franciscains approuvée seulement oralement en 1210 (1521 : regula non bullata), par conséquent en 1209 chez qui le silence se trouve défini par la Bible, soit « observation de la justice », mais en fait, règle souple (assouplie) quant à son observance de régler son discours et de bien peser ses mots ; au fond, la dénonciation-précaution de tout langage oiseux qui pourrait par-là s’avérer stérile et même délétère ; ce que saint Benoît bien antérieurement recommandait aux siens lorsqu’il prescrivait « de ne pas aimer beaucoup parler »19. Ceci est rappelé, pour justifier en partie ce qui est encore l’attitude « religieuse » de la création artistique chez les peintres de la première, des premières générations, revenons-en à eux ; à l’un des leurs, de tous ces peintres florentins, vénitiens, romains ou autres, tous arts confondus, qui, eux aussi, sont sur leurs gardes quant à l’emploi d’un langage-bavardage, fer de lance d’âpres polémiques ou de médisance ; comme par exemple, la célèbre lettre-programme de L’Arétin au sujet de la fresque inachevée du Jugement dernier de MichelAnge, si typique d’un fauteur de troubles, propagateur de fausses rumeurs et de propos outranciers : vraie lettre de chantage envers le peintre, autrefois, des sibylles et des prophètes de la Sixtine et présentement de ce Jugement dernier
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M. Feuillet, Lexique des symboles chrétiens, Paris, P.U.F., 2004 ; voir également U. Proch, Breve dizionario dei termini e dei concetti biblico-teologici più usati, Leumann, Elle Di Ci, 1988. Règle des moines (de Pacôme au Carmel), éd. J.-P. Lapierre, Paris, Seuil, 1982, p. 30-31. Ibid., chap. 6, p. 70-71. Ibid., Règle de Saint Pacôme, p. 30-31. Ibid., p. 67.
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dont L’Arétin, peintre raté, dénonçait en termes peu amènes, empreints de fiel, le non-conformisme provocant au nom d’une prétendue orthodoxie de nature tridentine (L’Arétin meurt en réalité en 1556, c’est-à-dire à mi-parcours de l’interminable Concile de Trente achevé seulement en 1563). Rien de plus vile que cette manière « arétine » de vouloir « faire du bruit » autour ou au sujet d’une œuvre d’art de cette envergure. Restons-en avec Michel-Ange, mais dans un autre contexte (de sculpture et non plus de fresque) pour rappeler chez celui-ci, l’adjuvant appréciable de la plume au bénéfice du pinceau dans le cadre de La Nuit (tombeaux de Giuliano et Lorenzo Medici, San Lorenzo, Florence) ; répliquant à un critique compatriote prétendant « faire parer » la statue, Michel-Ange réplique par un quatrain vengeur et par ce silence de mépris que retourne à son infortuné destinataire, la statue elle-même : Il m’est doux de dormir, plus encore d’être de pierre et tandis qu’au-dehors ne règnent que fracas et honte ne point voir et ne point entendre est ce qui m’échoit de grâce parle bas, ne me réveille pas.
Est-ce dans le droit fil de ce refuge si bénéfique et si fécond qu’est le sommeil michélangelesque de La Nuit, que l’on peut juger a posteriori de la réflexion léonardienne sur le profit à retirer du sommeil, d’un sommeil devenu littéralement créateur dans son silence biologique, et sur le diagnostic du dormeur en apparence si semblable au repos éternel mais qui, en réalité, serait la porte ouverte et la condition d’une survie post mortem de l’œuvre d’art (section I, aphorisme sur la nature) ? On serait porté à le penser tant les deux attitudes nous paraissent proches. Certes, et au prix d’une projection vers l’avant, cette fois, dans le cours du XVIe siècle, on pourrait partiellement attester, toujours dans la perspective de silences génétiques artistiques contemporains de l’œuvre et non plus postérieurs à celle-ci, œuvre achevée, de l’attitude d’un Calvin avec son Institution de la religion chrétienne (1536) soit huit années après le Courtisan de Castiglione. Calvin est à un double titre amené à faire l’éloge a contrario du silence protecteur de l’œuvre mise à nu : en effet, d’un côté, il oppose c’est-àdire rappelle la biblique assimilation de Satan à un « lion bruyant »20 en face de l’imposante et silencieuse présence d’un Dieu de paix, antinomie également illustrée dans les écrits si divers des artistes italiens du XVIe siècle, tou-
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J. Calvin, Institution de la religion chrétienne, Paris, Éd. de la Différence, 1991, p. 66-68.
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jours en quête passionnée, exigeante, accaparante de vérité c’est-à-dire de beauté, objectif premier de la pratique de leur art21. Et, d’un autre côté, ce même Calvin témoigne d’un double langage, de deux attitudes malgré tout assez éloignées l’une de l’autre atténuant celle, radicale, polémique d’une double phobie initiale de l’image et de la lettre22, c’està-dire ce qui semble être une disqualification sans appel de l’art d’écrire comme de l’art de peindre. La première de ces positions, en effet, et compte tenu de ce qui vient d’être dit, conduit à l’immolation pure et simple de tous les arts, y compris de l’« art sacré »23 ; elle proclame par conséquent l’élimination des idoles, de « toutes les statues qu’on taille ou qu’on peint pour figurer Dieu »24 soit « de toute figure visible qui soit propre à représenter les mystères de Dieu »25. Mais, d’un autre côté, et comme pour corriger ce que de trop systématiquement négatif pourrait avoir la condamnation susdite, Calvin a pleinement conscience que, au XVIe siècle encore, et dix ans environ avant l’ouverture du si draconien et si répressif Concile de Trente, « les images servent encore de livres »26 pour un vaste public si majoritairement analphabète ; et, en contradiction avec une attitude plus rigide et moins tolérante que celle de saint Augustin qui ne voulait voir dans ces « images » que « peu d’honnêteté » ou d’« indécence »27, offensant par là-même la majesté divine, les deux arts figuratifs que sont, chez Calvin, l’art de peindre et l’art « de tailler » (sculpter) sont dons de Dieu28 y compris un art annexe comme celui « d’engraver » (la gravure). Il suffirait donc que les artistes (italiens du XVIe siècle) fassent de ces deux vocations artistiques hautement spirituelles, une pratique raisonnable et contrôlée ; que peinture, sculpture ou gravure puissent se contenter uniquement « des choses qu’on voit à l’œil »29, opérant de la sorte une visiontransposition mesurée30. Tels sont les deux versants de la conception calvinienne extraits de réflexions empruntées au livre I mais à deux chapitres différents de ce livre introductif (XI et XIV). 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
Ibid., Anges, diables et péché, extraits du Livre I. Ibid., introduction, p. 12. Ibid., p. 11. Ibid., p. 19. Ibid., p. 21. Ibid., p. 24. Ibid., p. 25-26. Ibid., p. 34-35. Ibid., p. 35. Ibid., p. 43.
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Une autre voix d’importance, protestante elle aussi, luthérienne, près de vingt ans auparavant, avait dénoncé avec vigueur l’un des moteurs de la dégradation morale de l’Église de ce temps, dégradation déjà soulignée par Calvin ; le présent auteur, celui des Quatre-vingt-cinq thèses de 151731, Luther donc, consacre tout de même, à l’aube du Cinquecento, trois de ces « thèses »32 à ce réel tapage outrancier, de nature financière, tapage concernant l’argent, dieu malfaisant, et si mal employé par la Papauté lors de la construction en cours de la Basilique Saint-Pierre ; cela en face de la publicité affichée de la vente des Indulgences, mal endémique et rumeur plus qu’insistante qu’un sonnet de Michel-Ange, artiste devenu romain, répercutera aussi, dénonçant véhémentement le gaspillage éhonté des papes romains, et d’abus qui s’apparentent, dans ce domaine, à d’authentiques sacrilèges. Ce même Michel-Ange se plaint plus d’une fois, dans sa correspondance, d’être bien mal ou point du tout rétribué pour ses œuvres diverses (peintures, sculptures ou réalisations architecturales) à la gloire de saint Pierre et de la Papauté. Là encore, silence mais brisé, reconsidéré par une âpre polémique, une vraie levée de boucliers en la matière ; on n’aurait aucune peine à en retrouver des accents semblables dans les lettres, les mémoires ou les « journaux intimes », de Cellini (sa Vita scritta da me medesimo) à Pontormo, mort en 1556, de Raphaël à Mantegna, mort, lui, un demi-siècle auparavant. Ainsi, des/les voix d’artistes se font entendre de plus en plus souvent, bien avant le Concile de Trente du milieu du XVIe siècle, pour que soit davantage respecté et sauvegardé le silence nécessaire à leur création, de plus en plus revendiquée individuellement comme le montre, orgueilleux défi, la « signature » de Michel-Ange, à la fin du XVe siècle déjà, en travers du buste de la très jeune fille de sa première Pietà (de Saint-Pierre, Vatican). Plume ou/et pinceau, compagnonnage fréquent, complicité même ; dans les deux cas, penna et/ou pennello évoquent l’aile que le silence revêt, et qui seule, chacun(e) en son domaine, doit emporter l’adhésion du spectateurlecteur contre les contraintes du dehors ; un silence qui est aussi de protestation ou du moins de résistance contre toute codification, interdit ou censure appelée à faire « autrement », c’est-à-dire à faire taire. Or, qui dit « aile » dit « oiseau ». Celui évoqué, invoqué à l’occasion par l’artiste du XVIe siècle, sans être primordial et prépondérant comme il le sera, à notre époque, chez Henri Matisse ou chez Bernard Buffet, l’oiseau, de deux 31
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M. Luther, Les Quatre-vingt-quinze thèses (1517), disputation académique destinée à montrer la vertu des Indulgences, éd. M. Arnold, Strasbourg, Oberlin, 2004. No 51, p. 59 ; no 82, p. 65 et no 86, p. 66.
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manières, fait alors les délices de plusieurs peintres du XVIe siècle : soit il fait l’objet, familier d’un environnement humain, de recherches anatomiques (aile par exemple) chez Léonard de Vinci qui, par ailleurs, prestige de l’écrit « accompagnateur » de la peinture, le met volontiers en scène comme protagoniste (ou antagoniste) de ses novelle, facezie ou proverbes, se prêtant ainsi à de fulgurantes apparitions, à d’incessantes métamorphoses33 ; soit, cet oiseau est l’un des éléments caractéristiques de la métamorphose à double sens : du divin à l’humain et, réciproquement, de l’humain en direction du divin (l’oiseau de Minerve). Cet oiseau-là, sous cette forme, devient l’agent silencieux mais propitiatoire de prophéties comme, par exemple, il l’était déjà à la fin du Quattrocento pour Pic de la Mirandole, auteur des Quatre-vingt-quinze thèses (de 1486), qui le cite, une seule fois certes, mais qui, dans cette citation (une énumération à vrai dire parmi les auteurs-acteurs de métamorphoses divines) lui réserve une place de choix sous ce label34 ; figuration de l’ange à sa manière (plus rarement du démon, chez Giotto comme aussi chez Dante avec son Lucifer du basenfer), l’oiseau-devin, l’oiseau sacralisé35, l’oiseau, créature divine le deviendra sous le pinceau d’un Botticelli (l’allégorie du Printemps) ou bien, plus intimement, sous celui d’un Raphaël (La Madone au chardonneret). Dans les deux cas, dans les deux « situations » plus haut définies, il s’impose à la fois comme vecteur, relais miraculeux entre Ciel et Terre, agent de sainteté c’est-à-dire, en définition, comme silence matriciel et porteur d’aspirations d’artistes vers le Haut, vers cette Beauté au départ d’essence néo-platonicienne que Michel-Ange, dans ses écrits (sonnets) désespérera de pouvoir atteindre36. Quoi qu’il en soit de la très longue quoique épisodique collaboration entre écriture et peinture, chez l’artiste du XVIe siècle également préoccupé d’une minutieuse préparation dans l’accomplissement d’une œuvre d’art. 33
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Leonardo da Vinci, op. cit. : oiseau des facezie : l’épervier, p. 63 ; oiseaux des proverbes : l’oiseau, p. 66, les étourneaux, p. 70, la chouette et les hiboux, p. 72 ; oiseaux des novelle : merle et faucon, p. 42 § 9 ; le petit oiseau, p. 44 § 14 ; la pie, p. 45 § 15 ; l’aigle et le hibou, p. 49 § 27 ; la chouette, p. 51 § 34. J. Pic de la Mirandole, Neuf cents conclusions philosophes, cabalistiques et théologiques (1486), éd. B. Schefer, Paris, Allia, 1989, p. 95. Voir notre étude « À l’écoute des Confessions : l’oiseau de saint Augustin », Sénéfiance, no 54 (thème : déduits d’oiseaux au Moyen Âge), éd. C. Connochie-Bourgne, publications Cuer-Ma, Université de Provence, 2009, p. 139-153. La gent ailée pourrait ainsi revêtir une fonction symbolique dans le cas de mythes païens aussi anciens que celui de Léda, par exemple.
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(« Carnets » de Léonard, « Cartons » de Raphaël, esquisses de Pontormo, etc.), le temps n’est plus de « la lettre peinte » comme dans l’Annonciation de Simone Martini37, le temps n’est plus de l’effacement de la figure de l’artiste de la toile ou de la fresque (fréquence désormais de l’auto-représentation de l’artiste, ou de la signature bien voyante). Le temps en revanche est venu, pour beaucoup d’artistes du XVIe siècle, de prendre conscience de manière plus affirmée qu’au Quattrocento, de nouvelles exigences dans la quête de la Beauté comme, corrélativement, de nouvelles conditions de l’élaboration de la création artistique, picturale au premier chef mais point uniquement : et ceci conformément aux préceptes et aux directives néo-platoniciennes de la fin du siècle précédent ; celle d’un Pic de la Mirandole par exemple, appelant l’oiseau dont il a pu être question plus avant à figurer, une fois au moins, au nombre des Neuf cents conclusions (de 1486) parmi les responsables « délégués » (comme plus en arrière, Dante scripteur « inspiré » de son « poème sacré ») de la magie du divin dans le cycle des vicissitudes humaines, de l’art notamment38 ; d’un Marsile Ficin également, recommandant, dans son De vita, traité de l’étude ou autre activité spirituelle39, c’est-à-dire l’isolement idéal si nécessaire à toutes méditations et à toute création d’ordre littéraire et artistique ; à ceci près que, dans l’ouvrage de Marsile Ficin, le peintre ne figure pas au tout premier plan de ses préoccupations intellectuelles puisqu’il est plutôt porté à reconnaître, prioritairement, la nécessité « vitale » de l’étude des lettres et de la musique40 ; la musique, toutefois, est partie intégrale chez certains artistes peintres du XVIe siècle (Léonard de Vinci par exemple) du temps de la création de leurs œuvres. Sur le peintre toutefois, réfléchira activement Marsile Ficin, relatif à l’espace et à la lumière41. Par ailleurs, il est bon de rappeler ici, que l’un comme l’autre de ces penseurs éminents dont on vient de nommer l’une de leurs œuvres les plus célèbres, à leur époque déjà, sont les hôtes et les protégés du milieu médicéen, de Laurent le Magnifique, lui aussi chantre du silence bénéfique au sein de la création dans ses propres œuvres poétiques et « philosophiques » ; cour
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In J. Paris, L’Annonciation, Paris, Éditions du Regard, 1997, p. 13. Le Titien y est aussi représenté sur ce thème. J. Pic de la Mirandole, op. cit., note 14, p. 95. M. Ficin, De vita, I, III, éd. A. Biondi, G. Pisani, Pordenone, Edizioni Biblioteca dell’Immagine, 1991, p. 41. Ibid., I, chap. 11, p. 15. Id., Quid sit lumen, éd. B. Schefer, Paris, Allia, 1998.
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médicéenne florentine comme le seront d’autres cours italiennes au XVIe siècle, hébergeant et protégeant d’autres artistes, des arts figuratifs, à Urbino, à Venise, à Ferrare ou à Rome42. Ce sont là toutes les observations et recommandations si propices à l’établissement ou à la conservation d’un silence renforcé dans le cadre de la réalisation de la création artistique à préserver le plus que faire se peut, des turbulences, tribulations et dévastations du dehors. Car, ce silence exigeant est, pour l’artiste du XVIe siècle, d’abord celui de l’Absence ; mais il tend de plus en plus au cours des premières décennies de ce siècle de crise à devenir celui des corps (du nu comme du vêtu), c’est-à-dire de concevoir l’art, en particulier l’art pictural comme le support d’une immense héroïsation de l’homme ; ce silence, pierre de touche de l’évolution de la peinture au long du XVIe siècle, vrai trait d’union entre tous les peintres, de Léonard de Vinci jusqu’au Titien et au-delà va trouver son apothéose dans le silence gestuel, du geste sacralisé tend isolé qu’intégré à d’amples créations, de Vasari à Michel-Ange avec ses 520 m2 peints de la Sixtine jusqu’au Paradis du Tintoret (avec ses 120 m2), le plus « vieux » des peintres vénitiens du XVIe siècle (il mourra, en effet, en 1594, six ans après la disparition de Véronèse). Ce geste, sacralisé encore, mais de plus en plus en vue dans la seconde moitié du XVIe siècle, se présente en fait, à la fois comme métaphore et comme métonymie d’une création encore conçue d’essence divine (numen/lumen).
Le silence de l’absence : un silence spatio-temporal À l’origine était le silence, en peinture notamment : en majesté d’abord et sous l’œil de la Divinité. On rappelle encore ici, en guise de prélude à cette partie de notre enquête, qu’au XIVe siècle, Dante poète chrétien qui, comme il a déjà été cité, n’est que le scripteur délégué, inspiré de son « poème sacré » (La Divine Comédie), Dante dont par ailleurs la « culture » est si répandue parmi les peintres du Quattrocento comme du Cinquecento, et déjà au XIVe siècle, de Giotto – mort seize ans après lui – jusqu’à Luca Signorelli, Raphaël, Michel-Ange plus particulièrement et bien d’autres, Dante donc, n’use en tout et pour tout qu’à sept reprises (sept, chiffre « sacré » !) du terme de « silence » (silenzio) dans les quatorze mille vers et plus de la Divine Comédie :
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Cf. La Condition sociale de l’artiste, op. cit., notamment en ce qui concerne l’artiste courtisan.
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une seule fois en Enfer, aucune mention au Purgatoire, mais en revanche pas moins de six mentions au Paradis43 ; or, le sixième emploi, au ciel de Mars pourtant, surgit, re-surgit là où le poète florentin exilé, banni de sa cité natale, évoque précisément le berceau de ses ancêtres et, au nombre de ceux-ci, le plus illustre d’entre eux, son trisaïeul Cacciaguida auquel pas moins de trois chants sont consacrés (XVI, XVII, XVIII). Voici en quels termes, ce vénérable ancêtre qui est en même temps pour Dante l’occasion rêvée de faire l’éloge de temps (civiques) anciens de paix et d’harmonie, s’exprime au sujet du silence dont il tisse un vibrant éloge : Benigna volontade in che si liqua sempre l’amor che drittamente spira come cupidità fa ne la iniqua silenzio puose a quella dolce lira e fece quietar le sante corde che la destra del cielo allenta e tira44 (Paradis, XV, 1-6). Ce silence dantesque, primordial, est le seul des six silences paradisiaques, avec le cinquième du dernier parcours de l’Au-delà (Paradis, XXVII, 18) où le mot-clé de silenzio qui est aussi le suprême remède, à se trouver en exergue, en tête de l’hexamètre. Or, un tel aboutissement, en cette fin du « voyage de la vie », n’est point le fruit du hasard puisque Dante convoque, à l’appel de la transcendance et pour le proche Salut, d’autres arts comme par exemple la peinture (ou l’enluminure) si bien représentée au chant des orgueilleux (Purgatoire, XI), un des tout premiers de l’ascension le long des flancs des sept terrasses du Mont Purgatoire : ces arts figuratifs sont successivement sous la houlette d’abord de l’enlumineur Oderisi da Gubbio (XI, 79, puis, conjointement sous la coupe d’un prestigieux tandem de peintres de l’époque de Dante, Cimabue et Giotto, XI, 94-95). De surcroît, l’ascension s’effectue grâce au concours d’un accompagnement musical dont il a été question, par ailleurs, dans notre étude, dont aurait usé Léonard de Vinci pour sa Joconde. Dante, ici, par conséquent, lors de ses rencontres avec les pénitents du purgatoire, cite en seconde position, et juste 43
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Les silences de la Divine Comédie : les deux précédents à V, 89 et XIII, 31 ; les trois suivants à XX, 18, XXVII, 18 jusqu’au tout dernier du Paradis et du « poème sacré », XXXII, 49. On aura remarqué, en tout, la présence du chiffre 7, chiffre sacré. « Volonté de bien ou toujours / se coule l’amour qui droitement souffle / comme cupidité fait en volonté mauvaise / mit en silence cette douce lyre / et au repos les saintes cordes / que la main du ciel relâche et tire » (trad. L. Portier).
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après Caton (L, 91 sq.) Casella renommé musicien et instrumentaliste de son temps (II, 76 sq.) : ce musicien s’avère être comme l’annonciateur idéal de la proche ascension, dès l’Antipurgatoire, prélude au Purgatoire lui-même ; mais ce pénitent musicien est si évanescent qu’il se retire sur un sourire des plus silencieux tout comme le feront Virgile à la fin de ce même Purgatoire (XXX, 40-54) et encore saint Bernard, autre guide, le dernier, tout à la fin du Paradis (XXXIII, 49). Une manière prestigieuse s’il en est, de sacraliser au plus haut niveau de la spiritualité, les six silences sacrosaints paradisiaques. La musique accompagnatrice ne s’arrête point là, avec Casella, puisque ce dernier précède de fort peu un autre musicien également instrumentiste (il est luthier), Belacqua qui, à la différence de son « confrère » garde la position assise (IV, 123 sq.) ; autre précieuse précision sur de tels personnages porteurs de silences. Bien plus : ces musiciens « accompagnateurs » précèdent par leur art intrinsèque sacrés du silence, les peintres précédemment cités, toscans, et premiers pénitents déjà distingués par leur prestigieuse réputation du temps même de Dante : le premier avec l’onor qu’il répand autour de lui, le second, pareillement, distingué par les deux termes élogieux de grido et de fama. Tels apparaissent, sous la plume de Dante, d’abord Oderisi da Gubbio l’enlumineur, le tandem Cimabue-Giotto ensuite ; à ce trio d’artistes on pourrait en ajouter un quatrième cité entre le premier et les deux autres (XI, 83), ce Franco Bolognese dont Dante mentionne « les pinceaux » (pennelleggia) et qui fut peut-être élève de Oderisi de sorte qu’à l’onor deux fois rappelé au sujet d’Oderisi, pourrait venir s’ajouter une troisième mention de ce même terme onor voisin de Franco Bolognese. En résumé, la réputation dont à son tour Dante les gratifie et l’éloge sans réserve qu’il fait ainsi de ces artistes, ses contemporains, pourraient fort bien être assimilés à un silence, brisé, semblable à la gloire recherchée par les artistes du XVIe siècle si souvent frustrés (à les entendre, c’est-à-dire à les lire) ; mais, chez Dante (début XIVe siècle), dont la Divine Comédie coïncide avec le début de l’exil de la Papauté en Avignon, l’éloge et ces mentions de reconnaissance de la haute valeur spirituelle de tels arts rejoignent en réalité la liste des scènes gravées et des figures muettes, historiques sur les marches de la montée vers la porte du premier des paradis, le Paradis terrestre. Une autre manière de visualiser ces silences artistiques successifs pour Dante qui est aussi un pénitent comme d’autres. Cette longue ouverture dantesque en relation étroite avec le silence de l’Absence s’imposait pour justifier l’attitude de certains des peintres du XVIe siècle dont la peinture, plus que leurs écrits bientôt convertis en « traités », peut suggérer voire illustrer une telle thématique. Là-dessus, nous pensons
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plus particulièrement à l’un d’eux, bien qu’il appartienne encore au Quattrocento mais à cette dernière génération de peintres qui disparaissent lors de la toute dernière décennie qui voit aussi la disparition de deux figures éminentes, telles que Laurent de Médicis (en 1492) protecteur des arts et humaniste lui-même et Savonarole son « ennemi » à tous égards, détracteur virulent des arts avec leurs images profanes qu’il expédie dans « le bûcher aux Vanités ». L’artiste auquel nous pensons plus particulièrement est Piero della Francesca ; celui-ci, en effet, est non seulement l’auteur de l’un de ces traités de peinture (le De prospectiva pingendi) qui fleuriront par la suite, tout au long du XVIe siècle, mais encore il s’inscrit avec d’autres, parmi les derniers peintres héritiers des valeurs et des codes du Quattrocento : il disparaît l’un des premiers de cette ultime décennie, la même année que Laurent de Médicis (en 1494), Pollaiuolo (en 1496), Benozzo Gozzoli en même temps qu’Andrea del Castagno, l’année suivante (1497). Pour en revenir à présent à Piero della Francesca, notre « modèle », peintre toscan lui aussi, de Borgo San Sepolcro, il se distingue en effet de tous les autres, compatriotes ou non, par les yeux grands ouverts sur le monde, caractéristiques de ses personnages, comme si ceux-ci se montraient tout étonnés d’exister ; ils se distinguent également par leur pose hiératique, quasiment pétrifiée : deux manières, croyons-nous, de signifier, pour user d’un anachronisme en relation avec la photographie et le cinéma, l’« arrêt sur l’image » ou bien ils incarnent par leur regard comme par leur posture une image silencieuse, religieuse devenue toutefois plus humanisée parce que saisie dans le quotidien. Les critiques ou historiens de l’art ont d’ailleurs, à cet égard, noté que la figure géométrique du cercle, illustrée jusque dans la forme de certains tableaux (le Tondo Doni de la « Sainte Famille » de Michel-Ange) et popularisée dans les mentalités de bonne heure, par le « O » de Giotto par exemple, devenu énoncé proverbial, tendait, au cours du XVIe siècle, à disparaître au profit d’autres figures plus ouvertes et moins enclines à l’enfermement et aux silences, telles que l’ellipse ou la diagonale. Bref, ce silence-là, le silence de l’Absence, si marqué au sceau d’une ecclesia formée à la parole sacrée (d’essence divine) mais qui doit se garder d’une divulgation ostentatoire propice aux rumeurs déviantes, ce silence-là tend à s’atténuer considérablement chez les peintres du Cinquecento. Ce silence, certes, est encore l’héritage terriblement organique, cérémoniel, prégnant légué par l’art religieux, médiéval, des chapelles et des cloîtres, des absides et des colonnades y compris dans le cadre, « au négatif », d’une diabolisation et d’une tératologie affirmée, symboles « parlants » (les gargouilles par exemple) de vénalité, de vulgarité, de dégradation aux antipodes de tout silence salvateur :
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le plus bas des langages, perverti par Satan dont Baudelaire, bien plus tard, par un sens aigu de la provocation, fera un être « au rêve silencieux »45. Ce legs va être transmis, qu’on le veuille ou non, aux générations successives des XVe et XVIe siècles, et cette fois au positif, dans le cadre des mirabilia auxquels va se prêter, à l’avenir, la personnalisation affirmée du peintre, par exemple sous la forme de l’autoportrait inclus dans la représentation, scénique et plus civique désormais, de la fresque ou du tableau grand format : c’est le cas de Benozzo Gozzoli pour sa fresque de L’Adoration des Mages incluant aussi des personnages médicéens (Palais Riccardi-Medici de Florence, de la Via Larga) ; c’est aussi le cas pour Michel-Ange, se peignant sur la peau d’un écorché de son Jugement dernier. Chez d’autres, la personnalisation passera par une formation latine (… pinxit). Silences réitérés, affichés mais aussi silences brisés, pour la plus noble des causes dans tous les cas, c’est-à-dire violent désir croissant chez tous les peintres de se faire connaître mieux mais sans ostentation déviante et, surtout, sans la moindre idée d’une banalisation et d’une vulgarisation qui serait synonyme de détérioration et même de sacrilège46. Si d’un côté l’artiste au XVIe siècle se trouve confronté bien plus qu’au siècle précédent, siècle relativement de paix grâce à la « politique d’équilibre » œuvre de Laurent de Médicis, aux turbulences politico-militaires dont le Sac de Rome (1527) n’est que l’un des aspects les plus notoires de cette période troublée, d’un autre côté, et tout à fait paradoxalement, en dépit de la dureté et de l’ampleur de la réaction tridentine, l’artiste du XVIe siècle est naturellement conduit à faire du silence l’antidote protestataire des agitations et des controverses si nombreuses du monde extérieur. Par exemple, le rigorisme excessif des Pères du Concile de Trente favorise en quelque sorte la réserve, une extrême réserve liée de près au silence. Le Catéchisme dudit Concile, à cet égard, qui fait suite immédiatement (en 1566) aux interminables sessions conciliaires, édicte des préceptes majeurs, au nombre de quatre : impassibilité, clarté, agilité et subtilité. Le premier d’entre eux (l’impassibilité), à lui seul, a trait au silence doctrinal et tactique. À noter par ailleurs que certains écrits largement antérieurs à la stricte législation réactionnaire tridentine, écrits profanes, eux, comme le Traité des joies de Paradis 45
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C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, XCII, Les Litanies de Satan, « Prière » : « Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs / du ciel où tu régnas, et dans les profondeurs / de l’Enfer où, vaincu, tu rêves en silence ». Cf. U. Eco, Art et beauté dans l’esthétique médiévale, trad. fr. Paris, Grasset, 1997. Voir également, J. Delumeau, Injures et blasphèmes, Paris, Imago, 1989.
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(1492) ou encore l’Aiguillon de la crainte divine pour bien mourir, ne dissocient pas écrire et peindre, ou bien, version différente dissociée de ces arts, du couplage précédent, recommandent chaudement le prestige « parlant » des couleurs chargées de symbole et des peintures « morales »47. Certes, et a contrario à ces « joies de paradis » et à ces promesses de salut « sous conditions », les enfers renommés comme ceux de Luca Signorelli (au Dôme d’Orvieto) ou de Michel-Ange à la Sixtine, si différents des scènes macabres des fresques de l’Orcagna au Camposanto à Pise, au XIVe siècle, sont l’apothéose du Mal ; ils dénoncent en de si visibles dimensions, l’anarchie et la cacophonie à l’échelon corporel de la nudité : très bruyantes manifestations si « parlantes » pour le public d’alors sous le pinceau de ces peintres-là. Il est non moins vrai qu’en sens contraire et toujours dans son contexte funeste bien autant que funèbre et macabre, une figuration picturale comme celle du Chevalier, la Mort et le Diable de Dürer (mort en 1528), au lendemain du Sac de Rome ne pouvait pas mieux rappeler aux vivants de son époque, la loi imprescriptible d’un memento mori, avertissement aussi silencieux que peut l’être, sur un tombeau, l’épitaphe48. Il est tout aussi vrai que, dans une autre figuration (fresque) tout aussi monumentale que deux des précédentes, Léonard de Vinci avec sa célèbre Cène (1495-1497), milanaise, de Santa Maria delle Grazie, avait su, lui, théâtralement suggérer, révéler la tragédie d’une trahison ( Judas) après un jeu subtil de mains de la part de Jésus comme de ceux de ses apôtres : silences à la fois brisés et complices comme pour mieux schématiser la violente opposition entre une parole divine soigneusement contrôlée et des paroles ou gesticulations de la part de certains apôtres présents, de part et d’autre de la Sainte Table. Le rappel de telles représentations picturales ne pouvait mieux illustrer à la fois le silence de l’Absence dont il vient d’être question et les silences corporels aussi bien que gestuels qui vont faire l’objet, à présent, successivement, de notre enquête.
Les silences corporels : le nu, le vêtu Dénudé ou paré, le corps est à la fois l’agent et l’expression la plus immédiatement visible tel que le « voient », peint ou sculpté, les artistes du XVIe 47
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In Ars moriendi (1492) ou l’art de bien mourir, éd. P. Girard-Augry, Paris, Dervy-Livres, 1986 : respectivement p. 99 pour le premier traité et p. 176 pour le second traité. Cf. J. Ziegler, Les Vivants et les Morts (essai de sociologie), Paris, Seuil, 1975.
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siècle. La Beauté, objectif primordial de tous les peintres et sculpteurs du XVIe siècle, s’exhibe plus librement qu’auparavant, celle du/des corps ; elle bénéficie des progrès de la « science » anatomique et, conjointe à celle-ci, de la pratique (clandestine) de la dissection. Le Flamand Vésale (mort en 1564) n’est pas étranger à de telles nouvelles pratiques, à de tels progrès opérés chez l’homme qui avait été si longtemps, dans les arts compris, l’image de la Divinité, un homme passablement occulté en tant qu’être vivant et ne l’étant que sous l’apparence de la création divine, périssable mais aussi susceptible de Salut sous certaines conditions, et sous l’œil « muet » de Dieu. Au fond, Vésale contre Galien, encore cité par Marsile Ficin (De vita). Ces silences s’écrivent et se peignent (ou se sculptent) au pluriel, en raison des cent manières qu’ils ont de se montrer et de s’affirmer tant dans leur nudité originelle que sous les parements culturels, en général, somptueux ; en somme, l’Homme total, intégral « vu » et saisi dans la misère comme dans l’opulence, dans le silence de l’oubli comme dans la clameur propagée de la réussite sociale et autre. Masaccio, au Quattrocento, avait en quelque sorte donné le la avec son couple de douleur, Adam et Ève, si abattu et extérieurement bouleversé (physionomie aidant) d’être chassé du paradis terrestre, avec leur dégaine si humaine d’homme et de femme dénudée : la Faute personnifiée, en crise, par la chair (grimaces à l’appui) si offensée d’exclus, de bannis désormais. À l’opposé de cette attitude, et le Trecento, dans le cadre de corps drapés cette fois, avait déjà, lui aussi, remodelé des corps d’hommes et de femmes revêtus d’une dignité quasi sacerdotale, ces corps entre lesquels « circule » librement désormais l’air, comme pour mieux en faire ressortir le volume c’est-à-dire l’intégralité, l’intégrité aussi, dans le cadre d’une cité à dimensions humaines. Nous ajouterons pour notre compte, volume pourrait suggérer prestige, honorabilité ; et aisance gestuelle pourrait signifier noblesse à visages humains. Dans les deux cas opposés, dans deux situations aussi différentes, spirituellement et charnellement, le silence déjà s’établissait ou s’abolissait, hommage muet mais éloquent rendu à deux destinées contraires dans l’histoire de l’humanité. Au XVIe siècle à présent auquel nous retournons, et bien avant le XVIIe siècle jugé par certains critiques « siècle de la fragmentation »49, l’heure de l’horloge d’abord (1600), puis bientôt celle infinitésimale des minutes rythme
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Cf. Lettere sull’arte di Pietro Aretino, éd. M. Cancogni, Milano, Maurizio Baroni Edit., 2000.
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un temps universellement familier ; la Vérité incontournable de Dieu fait progressivement place à celle de l’Homme, de plus en plus souvent « vu » au premier plan dans la nature comme dans la culture de son époque. Au XVIe siècle, l’occupation de nouveaux espaces non seulement élargit la vision du spectateur comme cela a déjà été dit (dimension encore « religieuse » mais point seulement comme on le verra avec Titien), mais donnent une autre dimension dilatée au silence inhérent à la pratique de l’art, un art devenu de nature citadine et « patriotique » à l’échelon local, régional. Et les silences corporels, en leur diversité, de par leur nature si variable (où le gigantisme par exemple prend toute sa part), se trouvent naturellement et directement impliqués dans une telle perspective infiniment plus « terrestre » que dans la peinture ou dans la culture des deux siècles précédents. Les corps donc, se dévoilent ou se revêtent ad usum Delphini, désormais. Tout à la gloire de la cité dont les artistes sont originaires ou les habitués de leurs « cours » : cité du Lys, fleur mariale de tant d’Annonciations ; cité des Doges et de ses Lions ailés, byzantins et de son Bucantauro, sans oublier la cité par excellence et son blason coiffé de la tiare papale, la cité de saint Pierre qui confond sa destinée de Ville élue avec celle de l’Univers tout entier (dont un écho est la bénédiction pontificale Urbi et Orbi). À quoi assiste-t-on à présent ? À l’anoblissement du silence jadis si personnalisé des artistes, en quête dès lors de reconnaissance par les puissants du jour : papes, empereurs, monarques, princes et ducs… et banquiers ou autres notables laïques de la cité où le pouvoir de l’argent compte énormément, gage extérieur de respectabilité à Florence comme à Venise. Dans pareil contexte renouvelé de la plus grande sociabilité et notoriété de l’artiste du XVIe siècle, deux artistes appartenant l’un comme l’autre aux deux premières décennies du Cinquecento, Léonard de Vinci le Toscan et Raphaël l’Ombrien, annonçaient ou préfiguraient, chacun à sa manière, l’avènement d’un nouveau style de vie entraînant de sérieuses modifications dans leurs pratiques artistiques (picturales dans ce cas). Pour le premier nommé, en effet, ses deux tableaux consacrés religieusement d’une part à la Sainte Famille et, d’autre part, à la Vierge au rochers, pouvaient encore symboliser la plénitude muette pénétrée par la reconnaissance ou par la manifestation du sacré, l’habit, dans de telles situations rituelles et liturgiques, signifiant alors maintien et dignité révérenciels du/des personnages, mais aussi vénération et rayonnement spirituel de tels individus porteurs de Foi ; mais à l’opposé, le portrait que Léonard de Vinci fait de « sa » Joconde (Monna Lisa del Giocondo, épouse de notable) un sujet bien éloigné des madones ou des saintes, et si différent, d’esprit, du tombeau d’Ilaria del Carretto
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(Dôme de Lucques) sous le ciseau de Jacopo della Quercia, qui est pourtant celui d’une notable de la cité toscane mais encore auréolée comme une sainte femme dans sa position de gisant et au sein d’une cathédrale. Pour le second nommé plus haut, Raphaël, sous forme restreinte de tableaux ou, plus amples, de fresques, le sacré ne fait plus obstacle au profane : par exemple, à côté de La Madone (Vierge) au chardonneret, déjà citée, peut figurer le portrait d’une laïque comme La Belle Jardinière (Louvre) ; de bien plus grandes dimensions, à présent, comme c’est le cas de la somptueuse et très théâtrale École d’Athènes ou encore La Chambre d’Héliodore, respectivement de 1509-1511 et de 1511-1514 (Vatican) ; ces fresques communiquent certes, chacune à sa manière, comme un impression immuable, stable d’Éternité qui impose le silence au spectateur, impression qui se dégage (dans la première de ces fresques) de si nobles personnages drapés, rangés, hiérarchisés, mais intégrés désormais dans un décor plus laïque que sacré. Côté sculpture à présent, et chez un Michel-Ange admirateur des Portes florentines du Baptistère de Santa Maria del Fiore, on se souvient que l’admirateur du chefd’œuvre de Ghiberti disait de ces portes qu’« elles étaient dignes de figurer au paradis » ; une autre manière de voir et de juger d’un art exposé aux regards des citadins florentins mais encore empreint de sacré, exclusivement, intégralement, spectaculairement à la différence de ce que nous présentent Raphaël et Léonard, de manière mixte. On ne s’étendra pas davantage sur l’un des deux sujets le mieux et le plus fréquemment traité par la critique de l’art, à commencer par l’apport (peinture-écriture) des Vite de Vasari (1511-1574), le premier des artistes peintres à avoir accordé leurs voix à ses compatriotes au milieu du siècle (1550). De ce silence-là qui fait descendre l’homme de son piédestal de croyant pour le multiplier au masculin comme au féminin, tout au long du siècle, par une série multiforme de représentations tant individuelles que collectives, il en était déjà question, dès le début du siècle, avec les deux batailles commandées respectivement à Léonard et à Michel-Ange et dont les cartons, dira un critique, un temps exposés sous les regards des citoyens de Florence, furent, tout ce temps-là « l’école du monde » : monde dénudé, monde habillé, l’homme tout entier, incarnation plus seulement d’obédience religieuse mais désormais profane (les Vénus, au pluriel, de Botticelli jusqu’au Titien par exemple), des Madones de Raphaël ou d’autres Dames ou jeunes Filles jusqu’aux Sibylles accompagnées de Prophètes de la Sixtine (1536-1541) de Michel-Ange. Silences corporels, bientôt convertis en silences gestuels qu’avait inaugurés en son temps, au tout début du siècle, le David michélangelesque que les contemporains florentins avaient pris l’habitude de nommer Il Gigante (Le Géant).
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Le silence gestuel, jusqu’au Titien En opposition au hiératisme frontal de source byzantine (en pied comme en position assise), conforté par des yeux grands ouverts dans la Lumière et favorisé par l’art de la mosaïque, la véritable révolution corporelle, picturale d’une civilisation de plus en plus marquée par l’argent s’exerce en faveur d’un « faire », vrai modus vivendi de l’art pictural, lié à la toute puissance musculaire des personnages ou modèles sculptés et peints. Le geste au XVIe siècle, le geste pictural en premier lieu, sert donc à montrer la grandeur de l’homme dans la cité terrestre : celui qui y agit, ordonne, co-ordonne, distribue, finalise. Geste emphatique, certes, geste sociologique qui vise à replacer cet homme-là parmi les siens, dans le cadre effervescent (vénitien, florentin, romain) des cités marchandes au premier chef. Ils sont très nombreux les artistes du XVIe siècle, quelque soit la branche de leur art c’est-à-dire de leur savoir-faire, à soigner en un temps raccourci, accéléré, l’exécution du chef-d’œuvre auquel ils aspirent et fruit de commandes qui les harcèlent (cas de Raphaël par exemple ; cas des Vénitiens à commencer par Titien, plus tard ; cas intermédiaire de Michel-Ange). Ils sont nombreux à présent, avant, pendant et après le Concile de Trente, à déplorer le silence qui tend à les fuir, dans une solitude que l’extérieur leur conteste et leur ronge de plus en plus (cas de Pontormo et de Cellini). Des confessions de peintres, fort tardives telles que celle du Bernin50, prennent encore tout leur sens, confession qui fait dire à ce peintre, sculpteur et architecte du XVIIe siècle : « À deux heures de la nuit, seul avec quatre torches (28 novembre 1680) »51. De tels propos ne sont pas sans faire comprendre, rétrospectivement, la vive réaction, cent quatre-vingts ans plus tôt, éprouvée par Michel-Ange, juché sur son échafaudage, pour le plafond de la Sixtine, chassant à sa manière le pape en personne dans sa solitude silencieuse créatrice, dont il prétendait rester maître. Ces gestes si variés, gestes d’un corps d’homme certes, mais plus seulement celui de la main affecté à la bénédiction comme à la menace, abondent dans les tableaux et dans les fresques du XVIe siècle. On en donnera ci-dessous quelques exemples particulièrement révélateurs à cet égard : le doigt levé du Jean-Baptiste de Léonard (Louvre), la main refermée sur la fronde du David de Michel-Ange (Florence), signe à lui seul, et gigantisme mis à part, d’une éclatante victoire du 50
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Cf. R. T. Petersson, Bernini da Roma a Parigi, trad. it. Viareggio, Lucca, Mauro Baroni Editore, 2000, introduction p. 10-11. In M. Fagiolo dell’Arco, L’Immagine al potere : vita di Giovan Lorenzo Bernini, Roma, Bari, GLF editori Laterza, 2001.
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plus petit et du plus frêle sur le plus colossal ; celui du Persée de Benvenuto Cellini, brandissant et tenant à bout de bras le trophée de sa victoire, la tête de Méduse (Florence) ; encore le bras levé du très jeune et très athlétique Christ, si lourd de menaces, dans le Jugement dernier de Michel-Ange, à l’abri duquel, par une torsion-esquive se tient la jeune Vierge ; également l’index replié du prophète Isaïe au plafond de la Sixtine ou, sur la même surface, le célèbre jeu de mains qui seulement s’effleurent, entre le Créateur et Adam ; enfin, sans plus allonger une liste qui pourrait l’être aisément, les mains calmement croisées de la Joconde, prolongement serein de son beau visage. Avec le Titien choisi, proposé, comme limite ad quem de notre enquête, se clôt donc un XVIe siècle qui, pour ce peintre, infiniment plus que chez ses compatriotes et contemporains (pour certains), Mantegna, Giorgione, Véronèse et Le Tintoret, grâce à son génie, est comme un condensé, une accumulation des « silences » qui ont fait jusqu’ici l’objet de nos réflexions. Pour plusieurs raisons, le choix de Titien nous paraît exemplaire : – une raison tout d’abord de nature biologique et chronologique : c’est-à-dire vu la longévité exceptionnelle de ce peintre vénitien, mort presque centenaire en 1576, témoin donc privilégié d’une évolution de la peinture et de la condition d’artiste dans la société de son époque ; Titien citoyen de Venise « décor du final de ce grand opéra qu’est la vie de l’artiste » comme l’a définie Paul Morand52, et « où l’on se fait vieux » ajoute cet amoureux de la Cité des Doges en citant des peintres plus qu’octogénaires, toutes générations confondues, comme Giovanni Bellini, Longhi ou encore Guardi. Mais Venise est, en même temps, l’archétype d’une forme-miroir de silence dont ce même P. Morand dit encore qu’« elle n’est que le fil interrompu par de longs silences »53, et dont Georg Simmel, dans son ouvrage de « découvertes » de cités mythiques, intitulé Rome, Florence, Venise (1898), dit qu’« elle nous met dans l’état d’esprit crépusculaire de l’irréel »54. – ensuite, et c’est là une autre raison majeure de notre choix, d’ordre plus sociologique, parce que la notoriété du Titien de son vivant, son organisation de directeur artistique si différente du système des corporations antérieur qui aura vécu, peu de temps avant sa mort (en 1571), ses vues de type scénographiques novatrices aussi en font l’interlocuteur rêvé d’artiste devenu peintre « officiel » à Venise, voix particulièrement autorisée, porteuse de 52 53 54
P. Morand, Venises, Paris, Gallimard, 1971, chap. I « Le palais des anciens », p. 14. Ibid., chap. II, p. 105. G. Simmel, Rome, Florence, Venise, Paris, Allia, 1998, p. 44-45.
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la splendeur et du rayonnement culturel et artistique de la république vénitienne ; Venise, donc, cité du Titien, mais aussi « ville de l’artifice où les hommes marchent comme sur une scène », ville-opéra par conséquent, comme la voit Georg Simmel55, en même temps qu’elle est « ville immémoriale ». – enfin, dernière raison mais également celle qui, à nos yeux, nous paraît tout aussi essentielle que les précédentes : de nature poétique et biographique celle-là. Le Titien est, sans doute, le peintre de tout le Cinquecento sur lequel nous sommes le mieux renseignés du fait, entre autres, d’une abondante correspondance avec les plus Grands de son temps. Pour toutes ces raisons, il nous est apparu de lui consacrer, pour finir, une place à part dans l’optique d’une recherche sur le silence de la création artistique et dans la perspective d’une ville qui fut longtemps à la tête d’une « civilisation ». L’étude la plus poussée et biographiquement, et de loin, la plus riche quant au matériau de ce type dont nous nous sommes servi, est constituée et éditée par les soins d’Annie Cloulas, à partir des Archives de Simancas56. C’est en très grande partie celle que nous avons le plus utilisée, et notamment la très suggestive étude de près d’une centaine de pages de cette historienne de l’art archiviste (étude datée de 1967). De cet ensemble-ci de précieux documents on relèvera, entre autres, et faute de notations esthétiques sous la plume du Titien, carence fâcheuse qu’est la première à déplorer Annie Cloulas, un long parcours auto-commenté s’étendant sur quarante années, soit de 1536, six ans après la première rencontre de Charles Quint et de l’artiste, jusqu’en 1576, six mois encore avant sa mort. Une très longue, très ample fresque ou moisson de témoignages « en direct » qui nous renseigne très utilement sur les pratiques et sur les modalités d’un art toujours aussi exigeant, tel qu’il avait été à l’époque de Léonard de Vinci et de Raphaël, plus d’un demi-siècle auparavant, tel encore qu’il le sera à celle de Michel-Ange, par la suite. Parmi de nombreuses observations tant sur son propre travail d’artistes que sur celle de ses confrères et, le plus souvent, de ses compatriotes, se fait jour, chez lui la nécessité fondamental d’un ordre supérieur et d’une harmonie synonyme de paix pour concevoir, élaborer et peaufiner un tableau, et trouver, par exemple dans le cas d’un portrait voire d’un autoportrait devenu, depuis 55 56
G. Simmel, op. cit., p. 44. A. Cloulas, « Documents concernant Titien conservés aux archives de Simancas », in Mélanges de la Casa de Velázquez, 1967, vol. 3, p. 197-288.
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des décennies, de mise chez les artistes de la Péninsule, la touche juste, celle du costume, des traits du visage, du coloris ou de la position du sujet. Or, l’une des ces observations vise justement à corriger ce qui a longtemps été l’obsession de ceux-ci, à savoir la nécessaire mais ô combien astreignante lenteur de la genèse d’une œuvre peinte, bien au-delà de la fresque demandant couramment plusieurs années. Celle-ci, reprise par l’auteur de Bernini da Roma a Parigi, au sujet de son modèle, né il est vrai tout à la fin du siècle plus de vingt ans après la disparition du Titien57, rappelle le prix à accorder à une invention de ce siècle-là et dont sut à plein profiter le peintre vénitien ! Il s’agit de la technique dite alla prima, plus tard appelée de façon plus suggestive « la peinture directe ». Cette innovation d’importance pour la carrière et pour la création artistiques consistait à « jeter » sur la toile préparée à bon escient de longue date, lignes, contours et couleurs ; autant dire, pour le peintre exécutant, de jouir désormais d’une économie considérable du temps jusque-là tributaire d’une longue gestation, en lieu et place de plusieurs séances de travail et de poses, comme à l’opposé l’exigeait l’ancienne pratique par couches successives de peinture, enduits compris dans le cas spécifique de la fresque58. Économie de temps (et de fatigue) voulait dire par conséquent limitation des zones de silence primitivement requises pour l’exécution d’une œuvre donnée, à commencer par l’obligation de plus en plus fréquente, dans les cas de poses d’un notable ou d’un puissant de l’époque. Une telle vitesse d’exécution, dès lors, n’était pas sans influence sur une synthèse plus maîtrisée et capable de viser juste, vite et bien, c’est-à-dire d’atteindre dans les meilleurs délais possibles la perfection de la beauté, objectif lancinant chez l’artiste italien de cette époque. Ce qui, par voie de conséquence, pouvait également signifier une économie de long silence et, partant, la possibilité ouverte à multiplier ces commandes auxquelles le peintre des débuts du siècle, tel Raphaël, avait tant de mal à satisfaire. À ce sujet, la double comparaison qui va suivre avec, d’abord le plus italien, le plus romain des peintres français Nicolas Poussin, au XVIIe siècle, né comme le Bernin tout à la fin du XVIe siècle (1594) et, d’autre part, avec le plus « médiéval » quoique moderne (XXe siècle) des peintres français égale-
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Cf. R. T. Petersson, op. cit. Cf. Word, Picture and Spectacle, éd. C. Davidson, Kalamazoo, Medieval Institute Publications, Western Michigan University, 1984 ; T. J. Mc Gee, Improvisation in the Arts of the Middle Ages and Renaissance, Kalamazoo, Medieval Institute Publications, Western Michigan University, 2003.
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ment, Georges Rouault, nous paraît des plus instructives et des plus éclairantes dans le cadre de tous ces débats relatifs au(x) silence(s) de l’art. Avec Poussin, en premier lieu donc : Nicolas Poussin n’est-il pas connu pour l’une de ces formules bien frappées, et d’autant plus éloquentes qu’elle est très ramassée dans sa formulation ? Voici ce qu’écrit ce peintre, par ailleurs si marqué par la peinture du Titien : « Nous faisons un art muet »59. Si l’on se réfère un instant, pour ne citer que celui-ci, à l’un de ses tableaux les plus célèbres, Les Bergers d’Arcadie (Louvre), on n’aura aucun mal à être frappé par la scène de ces bergers devant le tombeau où s’inscrit Et in Arcadia ego, parole sculptée et non plus « parole peinte » qui suscite comme un culte du silence : un silence qui peut s’établir, de connivence avec le spectateur vers lequel l’un des acteurs se tourne en joignant son index en même temps que l’un de ses compagnons. De Rouault ensuite : en sa compagnie et avec le XXe siècle cette fois, Georges Rouault, né en 1871 soit exactement trois siècles après la disparition de Cellini, nous offre une peinture dont c’est devenu un poncif de dire qu’elle rappelle tant l’art du vitrail que celui de l’enluminure ; et revoilà, par ce biais, l’Oderisi da Gubbio du Purgatoire de Dante60. Rouault d’abord, si soucieux de sacré en peinture, c’est l’admirateur bien connu des peintres comme Fra Angelico au Quattrocento mais surtout comme Michel-Ange au Cinquecento qu’il définit superbement : « le sombre a l’œil des solitaires modernes ». Un Rouault, par conséquent, épris de silences dans l’exécution de ses œuvres, que « les autres » peuvent à tout moment contaminer ou rompre61, silences que nécessairement tout artiste digne de ce nom et soucieux, comme lui, du sacré, voudrait voir le plus souvent possible présider à l’incessant et exigeant labeur de l’artiste œuvrant62. Mieux, une autre dimension de sa poétique, effleurée çà et là chez certains des peintres qui ont en tout premier lieu illustré notre enquête, est celle de se considérer, lui aussi et après Nicolas Poussin, comme une créature qui demeure muette quant à l’essence de son art63, incapable d’expliquer lumineusement son œuvre, un faire qui côtoie l’indicible, « équi-
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Sur l’art sacré, voir un intéressant document d’un auteur du XIVe siècle, le théologien anglais John Wycliff (1329-1384), On the Truth of Holy Scripture, éd. I. C. Levy, Kalamazoo, Medieval Institute Publications, Western Michigan University, 2001. G. Rouault, Sur l’art et sur la vie, Paris, Denoël/Gonthier, 1971, La lettre à Vollard, p. 183. Ibid., p. 16. Ibid., p. 19. Ibid., p. 28.
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libre précaire, dit-il, d’ordre et de mesure, de la vue et de l’ouïe mais aussi de l’esprit et du cœur »64. De tous les silences successivement envisagés dans ce tour d’horizon forcément incomplet de la création artistique italienne au XVIe siècle, le plus tenace, le plus constant, le plus cultivé aussi est sans conteste le silence inhérent à la nature et à la gestation de l’œuvre d’art ; et ce, en dépit des nombreuses pressions dont il fut l’objet au cours de ce siècle-là. Un silence que l’on peut résumer en quelques mots : tragiques événements militaro-politiques (les descentes des armées étrangères) ; crise spirituelle profonde (les deux chocs successifs de la Réforme puis de la Contre-Réforme) ; instabilité foncière des régimes disparates (de la république au principat à Florence) ; mais surtout, abolition du système des corporations au profit d’un autre système, courtisan, contrôleur et commanditaire d’œuvres au service d’un pouvoir tout-puissant, détenteur aussi de l’argent. De la convergence comme de l’enchaînement de ces révolutions des codes, des mentalités et des valeurs, il s’ensuit qu’essaie de vivre, de survivre, un esprit de création artistique. Œuvre conjointe de passion et de raison, ce/ces silence(s) n’en disparaîtra(ont) pas aussi facilement qu’on aurait pu le penser, dans les décennies ultérieures. Picasso, au XXe siècle, ne définissait-il pas l’œil de l’artiste « l’œil dément de l’animal debout » ? Même si un abîme sépare une telle conception moderne de l’art et de l’œuvre d’art et celle que, de manière plus anonyme et plus artisanale, pouvait formuler un Cennino Cennini dans son traité de la fin du XIVe siècle (vers 1390), Il Libro dell’Arte. Si la ferveur du croyant chez l’artiste, au siècle de la Réforme et de la Contre-Réforme, ces deux puissantes « machines de guerre » qui, au nom du spirituel, s’élèvent contre les excès déviants et les débordements du Temporel tend vers une plus grande humanisation65, c’est au dévoilement de l’identité accrue et de la paternité affirmée de l’auteur (pictor primus) que l’on assiste. Le fameux cri du Corrège (anch’io son pittore), qu’il ait été réellement prononcé ou pas, nous semble, bien au-delà d’une véhémente récrimination contre l’oubli ou le mépris à l’égard de l’artiste et de l’œuvre d’art, relever d’un silence brisé en l’occurrence à l’adresse de ses contemporains, mais au fond davantage d’un silence revendiqué, de protestation, analogue à ce que pouvait contenir de silence secret, la définition léonardienne de la cosa mentale. Doit-on, pour autant opposer, pour plus d’une raison à la labilité de la pein64 65
G. Rouault, op. cit…, p. 14. Cf. Christianisme. Dictionnaire des temps, des lieux et des figures, éd. A. Vauchez, Paris, Seuil, 2010.
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ture la pérennité de l’écriture bien antérieurement proclamée ? On pourrait tout à fait, à la rigueur, tenir pour un état de fait pareille dichotomie apparemment irréductible. De la métaphore du Pouvoir, religieux d’abord, celui du Spirituel, rayonnant, omniprésent, la peinture et les peintres en sont progressivement venus, malgré le sévère contrôle de la réglementation tridentine à privilégier la métonymie : un seul élément de forme ou de nature humaine pouvant signifier un tout. La métaphore du corps social à cet égard (à travers l’œuvre de Jean de Salisbury par exemple)66 ne date certes pas du XVIe siècle. Ce qui, en revanche, porte la signature de ce siècle-là, c’est l’inversion qui s’est opérée, bien plus qu’au Quattrocento, entre le langage politique et le langage pictural et, plus largement artistique si l’on y rattache celui de la sculpture et celui de l’architecture. Au Moyen Âge, de bonne heure et longtemps, gouverner fut un art67 jusqu’à ce que l’Art, tous les arts ci-dessus mentionnés, glorifient à leur tour le politique : de l’écrit tôt sacralisé, en priorité, la civilisation italienne de la Renaissance est passée à un art dirigé, contrôlé où l’écrit est devenu ce qui orne, enjolive, illustre et commente68. Et si, d’une manière générale, l’évolution du personnage du peintre en tant que personne et en tant qu’individu a longtemps été en retard sur le lettré (cf. Christine de Pizan), le peintre a progressivement comblé ce retard au siècle de la Réforme et de la Contre-Réforme et a fini par s’éterniser, lui, dans et par l’épitaphe69.
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Cf. J. Blanchard, J.-Cl. Mühlethaler, Écriture et pouvoir à l’aube des temps modernes, Paris, P.U.F., 2002, notamment le chap. III, p. 59-85 consacré à la Cour et au courtisan (artiste compris). Cf. J. Blanchard, J.-Cl. Mühlethaler, op. cit., p. 11. Voir l’étude de J.-Cl. Schmitt, « Les reliques et les images », à partir de l’ouvrage de H. Belting, Image et culte. Une histoire de l’ image avant l’ époque de l’art (1995), in Les Reliques : objets, cultes, symboles, Actes du colloque international Université du LittoralCôte d’Opale, 4-6 septembre 1997, éd. E. Bozoki, A.-M. Helvétius, Turnhout, Brepols, 1999, p. 145-159. À ce propos, l’excellente revue périodique du Point/Références vient de publier (juin 2010) une synthèse anthologique des composantes, des thèmes, des sortes de mort en évidence et en usage dans nombres de civilisations (textes fondamentaux) à partir de Gilgamesh jusqu’aux textes sacrés hindous, numéro spécial intitulé Penser la mort. Voir également et pour terminer, dans le cadre très général cette fois de cette étude (la création au sens large, philosophique), la parution très récente aussi de l’ouvrage de P. Audi, Créer : introduction à l’esthétique, Lagrasse, Verdier, 2010.
Poésie silencieuse et peinture parlante —◆— Marie-Madeleine Martinet
L
a maxime selon laquelle la poésie est peinture parlante et la peinture poésie silencieuse paraît symétrique ; or elle ne l’est pas, car elle suppose un rapport au temps, et donc à l’écoulement dissymétrique, dont le silence est un élément. Le mode de signification du silence lui-même soulève de nombreuses questions ; est-il image ou moment, signe ou indice ?
Simonide, le discours et l’image La relation entre le discours et l’image établie par la maxime est à situer dans un contexte intellectuel suscité par le fait qu’elle est attribuée à Simonide, l’auteur de l’art de la mémoire, comme l’indique le résumé donné par Cornelius Agrippa dans son ouvrage sur la vanité des sciences (traduit en anglais en 1530) : Emonge these Artes, the Arte of Memorie is also accoumpted, whiche (as Cicero saithe) is nothinge els, but a certaine induction, and order of teachinge, consistinge of places, and Images, as it wer in a paper, deuised, first in Caracters by Simonides Melito, afterwarde broughte to perfection by Metrodorus Sceptius1.
« Induction » et « order of teaching » relève du discours qui sert d’armature, et qui dans son ordre suppose le déroulement du temps, « places » relève d’une spatialisation déjà acquise et traditionnelle du discours (les lieux qui sont aussi les lieux de la rhétorique), et « images » introduit l’image comme contenu. Le paragraphe suivant, qui met en doute ces pratiques au titre de la « vanité » des sciences qui colore l’ouvrage, accuse cet art de charger la mé-
1
H. C. Agrippa, Of the Vanitie and vncertaintie of Artes and Sciences, Englished by Ia. San. Gent., London, Wykes, 1569, « Of the Arte of Memorie », chap. 10, p. 24.
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moire avec « the Images of infinite thinges, and woordes », la relation est donc inversée : les images servent de support, et les mots, comme les choses, sont leur contenu. Notons en outre que la mémoire selon Cicéron fait partie de la prudence, science qui articule dans l’action la prévision avec la connaissance du passé ; il y a donc un rapport au temps. C’est dans tout ce contexte qu’il faut lire la maxime.
Le silence en épigrammes et négations Le silence en rhétorique, dans cet univers où les images sont placées dans le temps autant que dans l’espace, relève-t-il de l’analogie ou de la contiguïté ? Notons d’abord, pour ce qui est du silence comme interruption sur un axe syntagmatique, que l’analogie musicale est peu opérante en anglais, car « silence » se dit « rest » et l’on ne trouve « silence » que dans un texte du XVIIIe siècle (traduction de Rameau, 1752, citée dans l’Oxford English Dictionary), donc d’influence française. D’autre part, les textes qui traitent de ce sujet, et entre autres pour le rapport entre le mot et l’image, prennent toujours appui sur la parole parlée, non sur le texte écrit, à l’inverse des études actuelles. Puttenham, dans The Arte of English Poesie cite (III, 12) une figure qu’il appelle « the Figure of Silence », qui est l’Aposiopèse, ainsi définie : when we begin to speake a thing, and breake of in the middle way, as if either it needed no further to be spoken of, of that we were ashamed, or afraide, to speake it out. It is also sometimes done by way of threatening2.
Notons d’abord que le silence est rangé parmi les figures, les effets syntaxiques, et qu’il agit non par effet d’analogie avec un sens mais par la disposition avec les éléments voisins de la phrase. De plus il est dans les « figures of defect », à la suite de l’« éclipse » (ou ellipse) et du zeugma, l’existence de cette catégorie supposant que l’absence de mots produit en elle-même un effet ; et dans les « auricular figures », ainsi définies : « there will appear some sweete or unsavery point to offer you dolour or delight ». Dans ce traité, la maxime de Simonide sur la peinture parlante et la poésie muette n’est pas présentée en symétrique. Comme il arrive souvent dans les textes de la Renaissance pour les formules à quatre termes, il y a progression
2
[G. Puttenham], The Arte of English Poesie (1589), éd. G. Doidge Willcock, A. Walker, Cambridge, Cambridge University Press, 1936, rééd. 1970, p. 166.
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dans le sens à l’intérieur de la symétrie dans la forme, la première formule est acquise au début, et la deuxième démontrée dans le cours de l’expression. Dans les « figures rhetorical » (III, 19), « Antimetabole or the Counterchange » est ainsi définie : Ye haue a figure which takes a couple of words to play with in a verse, and by making them to chaunge and shift one into others place they do very pretily exchange and shift the sence, as thus […]. If Poesie be, as some haue said, A speaking picture to the eye : Then is a picture not denaid, To be a muet Poesie3.
Cette deuxième définition est présentée dans une double négation, qui souligne son caractère frappant. La formule se retrouve encore rangée parmi les épigrammes dans le quatrain « Of Poesie, and Paynting » de John Davies of Hereford : If Poesie be, as still in truth, it is, A speaking Picture, which the Eares discry ; Then must a Picture needs be made, by this, A silent Poesis, subiect to the Eye4.
Les rimes sont significatives : « which the ears descry » rime avec « eye » ; la poésie est orale, pour l’oreille, et « descry », souvent employé pour la vue, s’applique ici à la perception par l’oreille, préparant l’analogie avec la peinture.
Les histoires de la poésie et de la peinture comme poésie silencieuse Cette dissymétrie de la poésie et de la peinture est aussi fouillée par les théoriciens de l’histoire de l’expression. C’est à titre de « filles de l’imagination » qu’elles sont rapprochées par Sandys, dans la préface au lecteur pour la traduction des Métamorphoses d’Ovide, où il cite la maxime de Simonide, soulignant la similitude entre la poésie orale et la peinture. Il invente un historique dans lequel, dans ces deux sciences anciennes, les hiéroglyphes ont de peu suivi la poésie, et précédé l’écriture ; ce sont les hiéroglyphes, images signi-
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G. Puttenham, op. cit., p. 208-209. J. Davies, « Of Poesie, and Paynting. Epi. 308 », Wits Bedlam, London, Eld, 1617, p. 76.
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fiantes, qu’il prend pour exemple, et qu’il place ainsi chronologiquement entre la poésie orale et l’écriture. Dans l’analogie symétrique qu’il fait ensuite, il met en premier la poésie qui décrit une œuvre d’art, avec en vis-à-vis la peinture qui imite actions et passions, ce qui insiste sur leurs relations réciproques ; ainsi la peinture signifie non en paroles mais en faisant apparaître les passions dans les visages, et comme image de l’esprit ; le silence donne accès à l’inaccessible et suppose une théorie de l’expression : And for thy farther delight I haue contracted the substance of euery Booke into as many Figures (by the hand of a rare Workman, and as rarely performed, if our iudgments may be led by theirs, who are Masters among vs in that Faculty) since there is betweene Poetry and Picture so great a congruitie ; the one called by Simonides a speaking Picture, and the other a silent Poesie : Both Daughters of the Imagination, both busied in the imitation of Nature, or transcending it for the better with equall liberty : the one being borne in the beginning of the World ; and the other soone after, as appeares by the Hieroglyphicall Figures on the Ægyptian Obelisques, which were long before the inuention of Letters : the one feasting the Eare, and the other the Eye, the noblest of the sences, by which the Vnderstanding is only informed, and the mind sincerely delighted : and as the rarest peeces in Poets are the descriptions of Pictures, so the Painter expresseth the Poet with equall Felicitie ; representing not onely the actions of men, but making their Passions and Affections speake in their faces ; in so much as he renders the liuely Image of their Minds as well as of their Bodies ; the end of the one and the other being to mingle Delight with Profit. To this I was the rather induced, that so excellent a Poem might with the like Solemnity be entertained by vs, as it hath beene among other Nations : rendred in so many languages, illustrated by Comments, and imbelished with Figures : withall, that I may not proue lesse gratefull to my Autor, by whose Muse I may modestly hope to be rescued from Obliuion5.
Junius, dans son histoire de la peinture, compare la poésie et la peinture du fait que ce sont des arts d’imitation : Both busie themselves about the imitation of all sorts of things and actions’ we see it daily how Poëts and Painters do with a bold hand describe not onely the shapes of their devised Gods, demi-gods, Worthies, other ordinary men, but they strive also by a mutuall emulation to set forth the manifold actions of men6. 5
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G. Sandys, « To the Reader », Ovid’s Metamorphosis Englished Mythologiz’ d And Represented in Figures. An Essay to the Translation of Virgil’s Æneis, Oxford, Lichfield, 1632, Sig.*. The Painting of the Ancients, in three Bookes… Written first in Latine by Franciscus Junius, F. F. And now by Him Englished, with some Additions and Alterations, London, Hodgkinsonne, 1638, I, 4, p. 53.
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Après avoir cité plusieurs sources antiques pour cette analogie, il donne la préférence à la formulation de Simonide : yet hath Simonides expounded this point somewhat neatlier when he affirmeth that Picture is a silent Poësie, as Poësie is a speaking Picture7.
Et il enchaîne sur la représentation du temps : and upon occasion of these words sayth Plutarch, the things represented by Painters as if they were as yet adoing before our eyes, are propounded by Orators as done already : seeing also that Painters doe expresse with colours what Writers doe describe with words ; so is it that they doe but differ in the matter and manner of Imitation, having both the same end : and he is the best Historian that can adorne his Narration with such forcible figures and lively colours of Rhetorike, as to make it like unto a Picture8.
Au présent de la peinture s’oppose la narration de la poésie. La parole se réfère au passé et elle signifie indirectement (« propound »), le silence est du présent et exprime directement son sens (« express »).
Poésie, peinture et théâtre ou l’ombre et le silence C’est souvent le théâtre, art à la fois de parole et de vue, qui est l’objet de cette analogie. Alors la représentation est action. Heywood approfondit l’idée ; la parole sans image est ombre, l’image sans parole n’a pas d’action : Why should not the liues of these worthyes, presented in these our dayes, effect the like wonders in the Princes of our times, which can no way bee so exquisitly demonstrated, nor so liuely portrayed as by action : Oratory is a kind of a speaking picture, therefore may some say, is it not sufficient to discourse to the eares of princes the fame of these conquerors : Painting likewise, is a dumbe oratory, therefore may we not as well by some curious Pigmalion, drawe their conquests to worke the like loue in Princes towards these Worthyes by shewing them their pictures drawne to the life, as it wrought on the poore painter to bee inamored of his owne shadow¡ I answer this. Non magis expressi vultus per ahenia signa Quam per vatis opus, mores animique virorum Clarorum apparent. The visage is no better cut in brasse, Nor can the Caruer so expresse the face 7 8
The Painting of the Ancients..., op. cit., p. 54. Ibid.
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As doth the Poets penne whose arts surpasse, To giue mens liues and vertues their due grace. A Description is only a shadow receiued by the eare but not perceiued by the eye : so liuely portrature is meerely a forme seene by the eye, but can neither shew action, passion, motion, or any other gesture, to mooue the spirits of the beholder to admiration : but to see a souldier shap’d like a souldier, walke, speake, act like a souldier : to see a Hector all besmered in blood, trampling vpon the bulkes of Kinges. A Troylus returning from the field in the sight of his father Priam, as if man and horse euen from the steeds rough fetlockes to the plume in the champions helmet had bene9.
Le rapport du texte à son référent est un rapport d’ombre, ici opposée à la représentation imagée. Ainsi l’on a d’un côté l’ombre, de l’autre le silence, mis en symétrie, l’ombre étant significative au théâtre puisque dans l’un de ses sens le mot signifie « acteur ». L’étude des textes qui définissent les objets signifiants et muets, comme le cadran solaire, révèle la conception que la Renaissance se faisait de la notion de signification, et du rôle de l’ombre en corrélation avec le silence pour la définir : For, lo, the Dial, which doth houres direct (Life’s-guider, Daye’s-divider, Sun’s-Consorter, Shadow’s dull shifter, and Time’s dumb Reporter)10.
Le cadran signifie par division – en choisissant une heure par opposition aux autres, et c’est l’ombre qui établit la relation avec le sens selon la position du soleil – « sun’s consorter » superpose les rapports de cause et de sens, et « shadow » étant l’indice. L’ombre signifie ainsi par contiguïté de contraste et par indexicalité muette.
Le silence de la peinture ou le sens de l’ombre C’est dans un genre pictural lié au silence, la nature morte, que des questions sur la signification se manifestent en relation avec l’ombre : ce genre s’appelait antérieurement « vie coite » en français. Le Grove Dictionary of Art donne cette explication :
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T. Heywood, An Apology For Actors, London, Okes, 1612, s. p. Du Bartas : His Divine Weekes and Workes, trad. J. Sylvester, London, Lownes, 1621, Fourth Book of the Fourth Day of the Second Week, p. 511, v. 750-752.
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In France vie coye (Fr. : « silent life ») later became nature morte, analogous to the Italian natura morta and the German Stilleben.
fondée sur le glissement habituel de silence à mort. Si l’on peut considérer la nature morte comme emblématique, « vanité », renvoyant à un sens symbolique, on peut aussi étudier ses particularités internes. Elle s’oppose à la peinture d’histoire en ce qu’elle n’est pas narrative. Ainsi la peinture d’histoire, qui servait souvent de modèle, est une poésie muette, mais poésie tout de même parce qu’elle est l’équivalent du langage, et qu’elle peut se construire en narration. Donc tout en étant muette pour l’oreille, elle agit comme si elle était parlante pour la pensée. À l’inverse, la nature morte est silencieuse dans la forme et aussi dans le sens puisqu’elle ne reproduit pas une trame narrative, elle n’est pas une historia. Elle a une caractéristique voisine qui la distingue aussi de la peinture héroïque : elle n’a pas le même cadrage cernant la scène importante, et elle n’apparaît pas comme s’enfonçant dans une fenêtre où l’on verrait la scène ; le découpage narratif, qu’elle n’a pas, semble ainsi être lié à une composition où les actions sont situées dans un espace allant en profondeur vers l’arrière plan. Inversement, les natures mortes se distinguent par un sens du relief où le volume est donné plus par l’impression qu’elles viennent vers l’avant que par le cadrage, par un effet d’hyperbole11, relief souligné par les ombres, particulièrement importantes dans ce genre. Ainsi la parole s’enfonce, le silence se rapproche. Ce sont les objets de contiguïté, miroirs sans images et ombres, les métonymes, qui deviennent symboles12. Or l’ombre, qui construit la nature morte, articule la contiguïté et la similitude13, caractéristique du silence comme nous avons vu au début. Le silence, par négation, a soulevé en rhétorique un faisceau de questions sur l’idée de sens.
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L. Stevenson, « Fruits of Illusion », Oxford Art Journal, 16, 1993, p. 81-85. M. E. Blanchard, « Still Life », Yale French Studies, Towards a Theory of Description, 61, 1981, p. 276-298. Voir C. Lock, « A Returning of Shadows », Literary Research/Recherche Littéraire, 29, 1998 (http://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/300/literary_research-ef/n28-n36/old29/ clock.htm).
Dire le silence : aspects du motif du silence dans l’œuvre de Du Bellay —◆— Edith Karagiannis-Mazeaud Pour Nils
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e la Deffence aux poèmes français ou latins de Du Bellay et même à ses lettres, en passant par les riches nuances des chants IV et VI de L’Énéide qu’il traduit, le motif du silence revient sans cesse sous sa plume, tantôt discret, tantôt impérieux. Ceci peut paraître singulier à une époque où est réputé « fade et de peu de goût » ce qui est « sans aucune parole »1, et où la production de la Pléiade paraît a priori toute tournée vers la « voix », le « bruit », la « gloire ». C’est d’ailleurs une place dialectique que ce poète « plus sourd qu’un essourdé rivage » et nourri de tradition humaniste donne d’abord au silence : celle de contrepoint d’un discours poétique si souvent défini en termes de sonorités, qu’il entreprenne d’y « murmurer », « dire », « chanter », « sonner », « faire resonner »2 la renommée des uns, les misères des autres, célébrant, déplorant ou blâmant un monde exprimé aussi à travers des notations visuelles. Cette question a déjà intéressé la critique : en 1995, George Hugo Tucker étudiait « les allégories du silence, allégories de la réécriture chez Du Bellay »3. En 2002, deux articles mentionnent Du Bellay dans des études sur le non dit, l’indicible et les limites du langage : l’un, de François
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Voir François d’Amboise à propos de la devise de Galeas Marie Sforza, Traité des devises, Paris, Rolet Boutonné, 1620, p. 44. Voir par exemple « La Complainte du Desesperé », v. 49-54, 65-66, 76, Œuvres de l’ invention de l’autheur, éd. H. Chamard, in Œuvres poétiques, Paris, STFM, 1982-1985, 8 vol., IV, p. 87 sq. Sauf mention contraire, toutes les références à Du Bellay renvoient à cette édition. G. H. Tucker, « Les allégories du Silence, allégories de la réécriture chez Joachim du Bellay », (Ré)interprétations : études sur le seizième siècle, éd. J. O. Brien, Michigan Romance Studies, 15, 1995, p. 33-54.
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Rigolot, « Le rideau de Timanthe ou les silences éloquents de la Renaissance »4, l’autre, de Claudie Martin-Ulrich, « Le génie de l’indicible : Érasme et Du Bellay »5. Il sera donc ici très peu question de ce que Du Bellay ne dit pas ou, par la voie de la prétérition, dit ne pas dire, bref de ce que, par des silences très consciemment mis en scène et paradoxaux, il suggère, inscrit en creux, finit par dire après « avoir délibéré de ne plus dire »6, ou encore invite à taire. L’espace de cette communication ne permet pas non plus de parler de « cet’honneste silence » qui séduit l’amant de L’Olive et de celui, rusé, des courtisanes, ni de deux autres questions si importantes : la place du silence dans le topos de la rivalité des artes et la supériorité accordée à la voix poétique, thème majeur dès le Songe ou les Antiquitez ; l’étude des silences dans la scansion, où se rencontrent musique et poésie : par exemple, celle d’une aspiration possible après l’apostrophe dans L’Olive ou celle du rôle des pauses dans le discours, comme dans l’« ode au Prince de Melphe »7. Notre enquête, menée à partir des occurrences du silence dans les lettres et les poèmes de Du Bellay, ne prétend donc pas à l’exhaustivité. Le silence y est le plus souvent exprimé par ce terme-même, orthographié avec ou sans majuscule et avec une ou deux « l »8 ou encore par le verbe taire/se taire, taceo en latin et l’épithète « muet ». Trois axes majeurs s’esquissent : le silence subi ; le silence imposé aux autres ; le silence choisi, nécessaire à la fécondité de l’écriture, comme terme de la réflexion poétique. Le premier visage du silence dont parle Du Bellay répond à des données existentielles : c’est celui qui résulte d’une surdité qu’il appelle son « malheur » et qu’il ressent comme une privation essentielle, celle des sons du monde extérieur, ainsi modelé selon une perception particulière. L’art permet au poète d’évoquer cet environnement sans son. Tantôt, il le crie en termes de souffrance, l’absorbant au cœur d’un réseau d’images tendant à transcrire l’enfermement, l’isolement. Tantôt, il l’évoque avec un certain humour, comme une infirmité dont il tire aussi parti dans ses relations amicales ou amoureuses. Tantôt encore, les images du silence extérieur suscitent aussi
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F. Rigolot, « Le rideau de Timanthe ou les silences éloquents de la Renaissance », Rhetorica, 20/4, 2002, p. 319-333. C. Martin-Ulrich, « Le génie de l’indicible : Érasme et Du Bellay », in Limites du langage : indicible ou silence, éd. A. Mara-Brunel, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 53-60. J. Du Bellay, « Ode au Prince de Melphe divisee en treze pauses », v. 8, STFM, V, p. 349. Ibid., V, p. 348. Id., Épître « Au lecteur », L’Olive, STFM, I, p. 15, l. 91.
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l’ouverture de l’incessant discours intérieur dont le poète est habité aux forces ou aux phénomènes de la Nature. De sa surdité résulte un enfermement au sens propre du terme, le sentiment d’un silence qui l’isole de toute une partie de la vie sociale, lui barrant l’accès à certaines charges et parfois à la cour. Une lettre qu’Eustache du Bellay, l’évêque de Paris, adresse au cardinal Jean du Bellay, témoigne que cette surdité est bien réelle, et sans quasi aulcune esperance de guerison […]. Et, au temps qui court, il est besoing avoir gens cler voyant et oyant-mesmes pour le faict de la religion, et en l’estat qu’il est, ce luy est chose impossible d’y vacquer9.
Du Bellay lui-même, dans une lettre de 1559 à Jean de Morel, se désole de ne pouvoir aller saluer Madame Marguerite avant son départ en Savoie, en raison de ceste fascheuse et importune surdité qui me contrainct de demourer continuelement enfermé en une chambre […]10.
Dans sa production poétique, ce motif du silence subi, de l’impossibilité de percevoir des sons extérieurs, est continuellement présent. En 1552, « La complainte du Desespéré » montre à quel point la privation de l’ouïe peut influencer le caractère, l’attitude devant une vie Ou tout cela que l’on nomme Les bienheuretez de l’homme, Ne me sçauroit esjouyr, Privé de l’aise qu’apporte A la vie demy-morte Le doux plaisir de l’ouyr11.
Le « Desespéré » ne perçoit en effet pas même l’écho de sa propre voix : Mesme la voix pitoyable, Dont la plainte larmoyable Rechante les derniers sons, Dure et sourde à ma semonce
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J. Du Bellay, Lettre VII « L’évêque de Paris au cardinal du Bellay », Lettres de Joachim du Bellay publiées pour la première fois d’après les originaux par Pierre de Nolhac, Paris, Charavay frères, 1883, rééd. Genève, Slatkine reprints, 1974, p. 83-84. Id., Lettre VI « A Jean de Morel », Lettres, op. cit., p. 39. Id., « La Complainte du Desesperé », op. cit., v. 283-288, p. 101.
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Dedaigne toute response A mes piteuses chansons12.
A fortiori ne perçoit-il celle des autres, ce qui pose le problème des moyens de communication, dans le domaine amoureux par exemple. Le silence résultant de la surdité se voit renforcé par le mutisme qui accompagne l’émotion amoureuse. Dans la tradition de l’ode « À l’aimée » de Sappho, alors connue à travers les versions partielles et les réécritures de Catulle13, de Pétrarque puis de l’édition aldine du Traité du Sublime de Longin en 155514, l’amant, en présence de l’aimée, est frappé par l’impossibilité de s’exprimer. Dès L’Olive, Du Bellay développe ce motif en français : Ce que je sen’, la langue ne refuse Vous decouvrir, quand je suis de vous absent, Mais tout soudain que près de moy vous sent, Elle devient et muette et confuse15.
Un autre sonnet montre que l’obsession créée par le désir amoureux qu’inspire la dame se trouve, chez l’amant, condamnée au silence. Dialoguant avec ce « penser », le poète prend conscience que, réussir à l’exprimer, c’est se libérer de cette souffrance : Si de parler au moins eusses l’usage, Tu me rendrois de tant de peines vide, Toy en repos, et elle pitoyable16.
L’écriture poétique permet ainsi de briser le silence/souffrance d’abord suscité par la vue de la dame, puis imposé par celle-ci à la voix de l’amoureux, le privant d’un moyen d’expression pour lui essentiel et le réduisant aux seuls langages des yeux et de l’écriture, Puisque vos yeux appris à decevoir De ma parole empêchent le devoir, Et que les miens esblouys de les voir Font office de langue17.
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J. Du Bellay, « La Complainte du Desesperé », op. cit., v. 313-318, p. 102. Catulle, « Ad Lesbiam », LI, Carmina Catulli, Venice, Vindelinus de Spira, 1472. F. Pétrarque, « Vegggio senza occhi, et non o lingua, et grido », Canzoniere, sonnet 34. J. Du Bellay, Sonnet XXVIII, v. 1-4, L’Olive, op. cit., p. 51. Ibid., Sonnet XLIII, v. 12-14, p. 64. J. Du Bellay, « A une dame », v. 221-224, Recueil de poesie, in Œuvres Poétiques, éd. D. Aris et F. Joukovsky, Paris, Garnier, 1993, p. 176.
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Substitut de la « vive » parole, l’écriture devient donc le lieu par excellence de la liberté, d’un discours vainqueur du silence imposé et doublement subi. La revendiquant comme telle, le poète refuse la manière pétrarquiste en vogue à la cour, qui bride la franchise de l’amant. En revanche, il n’abandonne pas le recours à l’integumentum mythologique propre à la poésie, qui ennoblit les réalités existentielles et permet de transmettre des vérités essentielle, comme l’enseigne Dorat, héritier des Anciens et de Clément d’Alexandrie18. Là, ce silence est aussi celui de la surdité de l’Autre, de l’incommunicabilité qui entoure la fin d’Adonis. Évoquée en filigrane, la figure du poète, au premier plan, se superpose à celle du jeune amoureux de Vénus qui, blessé, vit seul la mort dans la forêt au cœur du printemps. Son cri n’est pas entendu de la déesse et il gît, selon les Métamorphoses d’Ovide, sur un parterre d’anémones qui naissent de son sang : Je [me] vois, faisant un cry non entendu, Entre les fleurs du sang amoureux nées, Pasle, dessoubz l’arbre pasle estendu […]19.
Vers 1559, tout le groupe de sonnets qui termine le recueil des Amours (XXIV-XXIX), l’un des derniers composés par Du Bellay, prend pour axe ce silence résultant de la privation de perception sonore du monde extérieur. Le poète retravaille le jeu dynamique entre l’ouïe et deux autres sens, la vue et le goût, entre le féminin et le masculin, la jeunesse et la vieillesse. L’écriture transpose la tension entre l’amour suscité par la beauté de la dame, perçue par la vue mais devinée seulement par l’ouïe, et le silence imposé à l’amant par une surdité désormais irrémédiable, mise en relation avec la vieillesse, le monde froid, obscur, de la mort, et sur le mode métaphorique, avec la perte du goût. La situation du poète empire en effet avec le temps. Par l’opposition entre un passé idéalisé et un présent stylisé, il tient à le faire savoir au lecteur : Quand je pouvois (ce qu’ores je ne puis) Gouster le miel de ce tant doux langage, Vous me cachiez ce celeste visage, Et ces beaux yeux dont esclave je suis. Et maintenant que mes tristes ennuys Me font plus sourd qu’un essourdé rivage,
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Voir P. de Ronsard « Hynne de l’Autonne », v. 77-82, Les Hynnes, in Œuvres complètes, éd. J. Céard, D. Ménager, M. Simonin, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 19931994, t. II, p. 561, et Clément d’Alexandrie, Stromates, V, ix. J. Du Bellay, sonnet XLV, v. 9-11, L’Olive, op. cit., p. 65.
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Vous souhaitez voir une froide image Errant au fond des éternelles nuictz20.
Aussi, adresse-t-il au dieu Amour cette prière qui place l’ouïe au-dessus de la vue, physique et même mentale : Je puis bien voir ceste grande beauté, Mais je ne puis, ô quelle cruauté ! Ouïr la voix d’une si belle Dame. Helas, Amour, le plus puissant des Dieux, Rends moy l’oüye et m’aveugle les yeux, Car je la voy assez des yeux de l’âme21.
Ce que Du Bellay désirerait véritablement recevoir de la dame, c’est d’abord un remède à cette surdité qui l’enferme avant tout en lui-même, davantage peut-être que tout d’autre : Vous m’asseurez de me pouvoir guerir Du mal qui rend mon oreille essourdie : O plaisant mal ! ô douce maladie, Si tel remède il me faut requerir ! […] Faictes moy doncq’ceste vois escouter, Dont la douceur j’aymerois mieux gouster, Que d’Orpheus la harpe enchanteresse22.
Ironie ? Adunaton ? Non, ou du moins, selon nous, pas seulement. Dans ce mouvement opposé au traditionnel et misogyne Silentium maximum mulierum ornamentum23, la grâce de l’amour permet d’envisager la possibilité d’un remède : la vue de l’aimée est capable d’éveiller les voix intérieures du poète, dans une douceur très éloignée du furor ou « forcènement » ficinien. Elle peut transformer la surdité en ouverture féconde de l’esprit, en intelligence de l’Autre : Ne doubtez donc que je ne vous entende, Bien que ma voix response ne vous rende, Pour n’usurper sur mes yeux ce devoir.
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J. Du Bellay, Sonnet XXVI, v. 1-8, Les Amours, STFM, II, p. 250. Ibid., Sonnet XXVII, v. 9-14, p. 250-251. Ibid., Sonnet XXVIII, v. 1-4, 9-11, p. 251. Voir V. Cartari, Les Images des dieux des anciens, chap. « Venus », trad. A. du Verdier, Lyon, B. Honorat, 1581, p. 612.
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De vostre voix les doulceurs nompareilles A mon esprit donneront des oreilles, Pour vos propos sainctement concevoir24.
Dans le registre plus anti-pétrarquiste de celui qui veut « d’Amour franchement deviser »25, ce silence ouvre aussi au poète les voies du jeu : il lui sert de prétexte pour inviter la dame à le regarder dans les yeux. Le ton plaisant joue sur la compensation offerte par la vue : Si cest humeur qui l’oreille me serre Ne me permet autre bien recevoir, L’œil qui fera d’autant plus son devoir Vous respondra, si vous daigniez l’enquerre26.
Le poète-amant se permet même, non sans un humour qui roule sur l’ambiguïté des termes, d’aller plus loin : la dame lui apparaît comme Ceste beauté, dont la saincte merveille, Sans le plaisir qu’on reçoit par l’oreille, Me peut donner tous les plaisirs des dieux27.
Ce double mouvement de fermeture et d’ouverture s’observe aussi dans le domaine de la communication avec les amis. Il permet de saisir combien ils comptent pour le poète. Le silence devient alors l’un des éléments du réseau d’images évoquant la mort et fait surgir le langage des analogies entre microcosme et macrocosme. Bien sûr, l’enfermement dû à la surdité permet à Du Bellay de reprocher avec espièglerie son silence à l’ami qui l’oublie. À Jean de Morel, il écrit : Monsieur et frère, à ceste heure congnoys-je veritablement que je suis sourd, puys que je demeure si longuement sans entendre ung seul mot de votz nouvelles […]. Il me desplaist que ma disposition ne me permect de vous aller voyr […]28.
Toutefois, dans ses poèmes, Du Bellay opte en général pour une stylisation plus sombre. Le silence extérieur contribue à unifier un univers à la fois hostile et écrin destiné à mettre en valeur les voix intérieures du solitaire. Il lie macrocosme et microcosme.
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J. Du Bellay, Sonnet XXIX, v. 9-14, Les Amours, op. cit., p. 252. Id., « Contre les Petrarquistes », Divers Jeux Rustiques, v. 2, STFM, V, p. 69. Id., Sonnet XXIV, v. 5-8, Les Amours, op. cit., p. 248. Ibid., Sonnet XXV, v. 12-14, p. 249. Id., Lettre I « A Jean de Morel », Lettres, op. cit., p. 23, 24-25.
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Dans le célèbre sonnet « France, mere des armes, des arts et des lois », c’est à travers le silence de la figure maternelle et allégorique de la France, muette aux appels de son enfant, que s’exprime cette détresse que le poète, à la mode des élégiaques latins, dit ressentir à Rome, loin du cercle parisien : France, France respons à ma triste querelle : Mais nul, sinon Echo, ne respond à ma voix29.
La solitude, le silence, au sens propre et figuré, sont alors rendus sensibles et amplifiés par l’évocation d’une nature perçue à la fois à travers l’expérience et la tradition humaniste, dite dans un verbe tissé de mots concrets et de figures allégoriques et mythologiques, les uns s’appuyant sur les autres : l’image tactile et visuelle de la neige et celle d’Écho, cette figure insaisissable, viennent en même temps préciser et élargir, concrétiser et élever celle de l’hiver et de ses « frimatz », chargés, ailleurs aussi, de dire la désolation, le sentiment de mort. Tantôt le poète associe chagrins sentimentaux et « triste sépulture », comme dans « Le chant de l’amour et de l’hyver » où il souhaite, au lieu où reposeront ses cendres, Que les oiseletz s’y taisent et que sa « harpe » désormais muette soit attachée Au croc d’une vieille souche […]30.
Tantôt il évoque la maladie d’un proche : son ami Robert de La Haye, poète lui aussi et donc nouvel Apollon, en danger de mort. Le Laurier se dessèche et la fontaine Hippocrène arrête son cours, N’oyant plus la voix sacree, Qui agree Aux bois, qui sont tousjours verds Et la nombreuse cadance De la danse Qui s’animoit soubs tes vers31.
Parfois même, le poète a le sentiment de réduire la nature au silence par le vacarme de son propre discours intérieur : comme plus tard Baudelaire, Du Bellay se dit hanté par « le soing rongeard »32 suscité par tant d’« ennuis » et d’« angoisse profonde », par
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J. Du Bellay, Sonnet IX, v. 7-8, Les Regrets, STFM, II, p. 59. Id., « Le chant de l’amour et de l’hyver », v. 193, 199, Divers Jeux Rustiques, op. cit., p. 54, 55. Id., « Hymne de Santé au seigneur Robert de La Haye », v. 37-38, Divers poèmes, STFM, V, p. 266. Id., « La Complainte du Desespéré », v. 281, op. cit., p. 101.
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L’eternelle tempeste Qui brouille dedans ma teste Mile tourbillons encloz33.
Les « mile regrez tranchans » qui l’habitent l’isolent totalement des sons mélodieux de la nature bruissante de vie : Si d’avanture j’arrive Sur la verdoyante rive, J’essourde le bruit des eaux : Si au bois je me transporte, Soudain je ferme la porte Aux doulx goziers des oyseaux34.
À ces silences de la surdité s’oppose aussi le silence bénéfique du repos universel, amplifié et magnifié par l’évocation de la nuit. Elle devient l’écrin cosmique du chant du poète solitaire, qui se sent exclu de ce moment de paix. Dès L’Olive, le silence est associé au crépuscule et au moment où l’humide et noire nuit Un coy sommeil, un doulx repos sans bruit Epant en l’air, sur la terre et soubz l’onde35.
Mais ces tourments, du poète amoureux s’amplifient, Or’que la nuit son char etoilé guide, Qui le silence et le sommeil rameine […]36.
Et à nouveau, dans « La Complainte du Desespéré », le silence est une composante du décor nocturne ramené aux éléments essentiels : O nuict ! ô silence ! ô lune ! […] Pourquoy ont la terre et l’onde Mais pourquoy a tout le monde Conspiré pour me facher37 ?
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J. Du Bellay, « La Complainte du Desesperé », op. cit., v. 208-210, p. 97. Ibid., v. 295-300, p. 101. Id., Sonnet XXVII, v. 2-4, L’Olive, op. cit., p. 50. Dans « La Complainte du Desesperé », il évoque également ce moment où « Dessoubz le voyle nocturne / Tout se fait paisible et coy : / Toute manière de beste / Au sommeil courbe la teste / Dedans son privé recoy », v. 266-270, op. cit., p. 100. Ibid., Sonnet LIV, v. 1-4, p. 73. Id., « La Complainte du Desesperé », op. cit., v. 163-168, p. 94-95.
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Ces correspondances entre silence nocturne et universel du macrocosme, silence résultant de la surdité et d’une activité mentale incessante, ouvrent en effet l’écriture poétique à une dimension qui transcende l’individualité du poète en même temps qu’elle affirme sa singularité : les voix de l’inspiration, celles de la « tourbe sacrée » qui se manifestait dans les lieux privilégiés de la nature, […] au tour des rivages Et par les antres sauvages Imitateurs de ma voix38,
fuient ce sourd « Desespéré » et se taisent, même sous la forme de l’Écho, restauré dans sa forme mythologique, intemporelle39. Cette ouverture au sacré est ouverture diachronique, sur la nuit des temps. Le silence du poète est mis en résonance avec un autre, grandiose, antérieur et extérieur à son monde historique mais analogue à son monde intérieur, qui parlera aussi à Baudelaire : celui des origines du monde, de la Théogonie, cette « Theologie allegoricque »40, et de la Genèse : Quelque part que je me tourne, Le long silence y sejourne Comme en ces temples devotz, Et comme si toutes choses Pesle mesle estoyent r’encloses Dedans leur premier Caös41.
Ainsi, de ce silence subi, attesté par sa biographie, Du Bellay tire parti pour dresser l’image d’une persona poétique d’exception. Tournée en signe d’élection, la surdité fait du poète le dernier maillon d’une chaîne d’or de poètes malheureux – Orphée, Amphion, Stésichore, Homère, Euripide, Plaute, Ovide –, évoqués par divers procédés dynamiques tels la prétérition : Je tays la mort d’Eurypide Et la tortüe homicide. Je laisse encore la faim De ce miserable Plaute, Et les peines de la faulte De l’amoureux escrivain42. 38 39 40
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J. Du Bellay, « La Complainte du Desesperé », op. cit., v. 304-306, p. 102. Voir ci-dessus. P. de Ronsard, Abbrege de l’Art Poetique Françoys, A Alphonce Delbene, Œuvres complètes, op. cit., II, 1994, p. 1175. J. Du Bellay, « La Complainte du Desesperé », op. cit., v. 319-324, p. 102. Ibid., v. 397-402, p. 106.
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Dominé par les voix et les pouvoirs de l’écriture, véritable revanche, le silence de la surdité est un signe. Il ouvre au poète l’accès à un univers de référence surplombant le quotidien. En dehors du champ poétique, Du Bellay refuse d’ailleurs d’assimiler surdité et malheur : au cardinal du Bellay, il écrit à propos des stoïciens que l’homme n’est point malheureux pour la perte de choses externes, mais seulement pour avoir commis quelque acte méchant43.
Pour redonner voix à ces prédécesseurs et assurer le « bruit » des vivants dignes de mémoire, il engage la Lutte contre le silence de l’Ignorance et de la mort, comme déjà Lemaire de Belges dans la Plainte du Desiré. Il se peint en nouvel Orphée, face à Cerbère, Qui fist les trois aboys Tous ebahiz se taire […]44.
Dans le monde de la mort, le sommeil équivaut à un silence que le chant du poète a le pouvoir de briser : Que n’ay-je encor la lyre Thracienne, Pour réveiller de l’enfer paresseux Ces vieux Cesars, et les Umbres de ceux Qui ont basty ceste ville ancienne45 ?
Même si, comme les néo-platoniciens, les élégiaques latins et Virgile46, Du Bellay évoque très souvent les Enfers en termes d’obscurité, cette idée de force, de ferveur vitale du lyrisme et de l’esprit, opposée au silence et à la paresse de l’oubli, est centrale à la poésie de la Pléiade. Dès L’Olive, le poète amoureux se voit renaître à l’avenir en cygne horatien47. Sa mission sera, par l’énergie de son chant, d’« arracher » au silence de la mort le nom de l’aimée, nouvelle Eurydice : Moy que l’amour a faict plus d’un Leändre, De cest oiseau prendray le blanc pennage, […] Iray chanter au bord oblivieux,
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J. Du Bellay, Lettre VIII « Au cardinal du Bellay », Lettres, op. cit., p. 55. Id., « Du iour des Bacchanales au Seigneur Rabestan », ode VII, v. 35-36, Vers Lyriques, STFM, III, p. 31. Id., Sonnet XXV, v. 1-4, Les Antiquitez de Rome, STFM, II, p. 23. Voir par exemple le « Chant du Desespéré », v. 13-18, Vers Lyriques, op. cit., p. 37. Horace, Ode II, XX.
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D’où arrachant vostre bruit non pareil, De revoler icy hault envieux Luy feray voir l’un et l’autre soleil48.
En effet, la première vocation du poète, telle qu’elle est définie en 1549-1550 à la fois par la Deffence puis la préface des Odes de Ronsard, est bien de faire « entendre » le nom de ceux qui sont dignes de mémoire, de transmettre les leçons dont ils sont porteurs pour la postérité. Ainsi, le poète se rendra « immortel entre les siens »49, à l’instar d’Homère assurant la mémoire des héros de la guerre de Troie : Qui eust sceu de Mars les enfants […] Si ores l’envieux silence A leurs noms faisoit violence50 ?
Dans la tradition grecque et horatienne où le « bruit » représente pour l’homme la récompense terrestre de ses « faictz »51, vouer un ennemi au silence équivaut à une véritable malédiction : l’absence de bruit, de cette renommée assurée notamment par le chant élogieux d’un bon poète, signifie la mort. Par exemple, Du Bellay reprend ce topos dans un plaidoyer en faveur du mécénat adressé « A Monseigneur Reverendiss. Cardinal de Chastillon » où Maints vivants ont eu bruit, Dont or’ la longue nuit Ensevelist la gloire : Pour ce qu’ils n’ont point eu Qui leur morte vertu Feist vivre en la mémoire52.
Le Léthé ou silence de l’oubli, assimilé à une mort par noyade où le nom/ renom est englouti avec le corps, est évoqué plusieurs fois dans le Recueil de Poesie et la Musagnœomachie en contrepoint à l’écriture poétique, source d’immortalité53. Dans l’ode « A Madame la Contesse de Tonnerre », qui célèbre des figures féminines célèbres – Penthasilée, Sémiramis, Camille, Marphise, 48 49
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J. Du Bellay, Sonnet LIX, v. 1-2, 11-14, L’Olive, op. cit., p. 77-78. Id., La Deffence et Illustration de la Langue Françoyse, Paris, STFM, 2000, I, XI, p. 76. Toutes les références renvoient à cette édition. Id., Ode XII « A Carles », v. 29-32, Recueil de poesie, STFM, III p. 132. Id., Discours au Roy sur la Poesie (1560), v. 55-56, STFM, VI, p. 163. Id., « A Monseigneur Reverendiss. Cardinal de Chastillon », v. 37-42, Recueil de poesie, Vers liriques, STFM, I, p. 106. Voir également l’ode XII « A Carles », ibid. Voir Vers Lyriques, Ode I, « A la Royne », v. 36 sq., STFM, III, p. 88.
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Bradamante, Corinne, Sappho –, le poète invective les plumes masculines « trop envieuses » Qui es eaux oblivieuses [ont laissé] noyer le renom De tant de celestes dames, D’ont ores les tristes lames Couvrent le corps et le nom54 !
Il s’agit bien ici, d’un côté, de lutter contre le Silence, dressé en figure allégorique de l’oubli ou mort par « crasse ignorance »55. Associé à l’Obscurité, ce silence est fermeture au monde et à la connaissance. Dans la Musagnœomachie, Du Bellay transpose en français, à partir des Métamorphoses d’Ovide (XI, 592), la description de l’antre où « le Sommeil endurci / tient l’Ignorance embrassée ». Aucun bruit n’y parvient : Le chant du coq reveillant, Du chien la soingneuse cure N’habite au lieu sommeillant, Que le long Silence emmure : L’oye à l’éclatant murmure N’est en ce clos obscurci56.
Or, pour Du Bellay comme pour Speroni, à ceux qui coupés du monde par le silence ne sommeillent pas, la Nature laisse « entendre » les secrets de la philosophie, « non pour devenir Grecz mais pour estre faicts phylosophes »57. Diffuser le savoir, le publier, permet de lutter contre les pédants, les charlatans, tous ceux qui misent sur le silence pour en tirer une autorité leur permettant de monnayer leurs services au plus haut prix, excluant ainsi les autres des bénéfices, ou qui, se parant des plumes du savoir, ne cherchent par le silence qu’à s’en assurer le monopole ou l’exclusivité58. Dès la Deffence, Du Bellay se moque ainsi de 54
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J. Du Bellay, ode XVI « A Madame la Contesse de Tonnerre », v. 37-42, Recueil de Poesie, Vers Lyriques, STFM, III, p. 147. Id., Deffence, op. cit., I, X, p. 69. Id., La Musagnoeomachie, v. 49-56, STFM, IV, p. 5-6. Id., Deffence, op. cit., I, X, p. 72. Pour Jean Dorat aussi, dans le domaine de la philosophie, le silence est contestable et, de la part du maître, assimilable à une ruse pour attiser la curiosité de ses disciples, comme le montre la figure de Silène : « […] les jeunes gens et les nymphes ont ligoté Silène à la deuxième Églogue de Virgile, dans laquelle Chromis et Mnasylus “assaillent le vieillard qui souvent, en leur faisant espérer un chant, s’était joué de l’un et de l’autre […]”. Silène représente Épicure qui ne transmet les principes de son école que forcé par ses disciples », Mythologicum, éd. P. Ford, Genève, Droz, 2000, p. 55.
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ceux « qui soutiennent que les mysteres de la Theologie ne doivent estre descourvers et quasi comme prophanez en langage vulgaire »59. Il s’insurge contre les théologiens qui ne permettent pas de « transporter » les disciplines de ces paroles mortes en celles qui sont vives et volent ordinairement par les bouches des hommes60.
Il traduit Turnèbe61 pour mieux le diffuser, dénonçant le scandale de celui qui, à la cour, pratique « la nouvelle manière de faire son proffit des lettres » sans jamais publier l’œuvre attendue et ainsi [...] son silence aux Roys cherement a vendu62.
Le propos n’épargne d’ailleurs pas les princes : Du Bellay rappelle également comment Alexandre, « ce roy ambitieux », s’était plaint à Aristote son maistre pour ce qu’il avoit divulgué les sciences acroamatiques, c’est-à-dire qui ne se peuvent apprendre que par l’audition du précepteur63.
Mais de l’autre côté, il s’agit aussi et avant tout d’imposer silence aux railleurs afin de rendre aux grands contemporains leur stature d’exemple à l’usage des générations futures. C’est ainsi que Du Bellay commente notamment un anagrammatisme grec des Xenia sur le nom d’Anne de Montmorency : 59
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J. Du Bellay, Deffence, I, IV et I, X, op. cit., p. 31 et 67-68, où il dénonce ces « venerables Druydes, qui pour l’ambitieux desir qu’ilz ont d’estre entre nous ce qu’estoit le philosophe Anacharsis entre les Scythes, ne craignent rien tant, que le secret de leurs mystères, qu’il faut apprendre d’eux, non autrement que jadis les jours des Chaldees, soit decouvert au vulgaire, et qu’on ne creve (comme dict Ciceron) les yeux des Corneilles » (c’est nous qui soulignons). Ibid., I, X, p. 70. Le poème lui recommande : « Le plus seur toutefois seroit en tout se taire : / Et c’est un beau mestier, et fort facile à faire, / Le faisant dextrement. Fait courir qu’entrepris / Tu as quelque poëme et œuvre de hault pris, / Tout soudain tu seras montré parmy la ville, / Et seras estimé de la tourbe civile », J. Du Bellay, La nouvelle Maniere de faire son profit des Lettres : traduite de Latin en François…, STFM, V, v. 137-140, op. cit., p. 122. Ibid., v. 168, p. 125. C’est ce que l’on reproche aussi à Démosthène, qui « non seulement prenoit argent pour parler, mais aussi vendoit son silence bien cherement […]. Mais on peut luy pardonner, parce que jamais ne parloit pour autruy, que premierement il n’eut par longues veilles medité ce qu’il entendoit dire », P. Coustau, Le Pegme… avec les Narrations Philosophiques, mis de Latin en Français par Lanteaume, Lyon, Macé Bonhomme, 1560, p. 57. Id., Deffence., I, X, op. cit., p. 69 : « Tu n’as pas bien fait d’avoir publié tes livres des sciences speculatives, pour autant que nous n’aurons rien par dessus les autres, si ce que tu nous as enseigné en secret vient à estre publié et communiqué à tous, et je veux bien que tu saches que j’aimerois mieulx surmonter les autres en intelligences des choses haultes et tresbonnes, que non pas en puissance », trad. J. Amyot, 1559, dans Deffence, éd. cit., note 3, p. 69.
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[…] Lui, maintenant, il est encore plus grand et il vainc la déesse aveugle. Alors donc, que tous les railleurs se taisent, et aussi bien momar (la raillerie] elle-même, Et qu’ils sachent qu’il leur est antios [« opposé »]64.
Cette idée est sans cesse répétée jusqu’en 1560, dans le Discours au roi sur la poesie : Qui penseroit que l’homme apres sa sepulture, Du bruit qu’il a laissé n’eust sentiment ni cure65.
En 1549, le poète se menace d’ailleurs lui-même de cette malédiction, en réponse à des médisances concernant « Olive ». La dame l’a précisément séduit par « Ce hault penser, cet’ honneste silence »66 qui la différencie des courtisans. Mais on fait courir le bruit qu’elle aurait tenu à l’égard du poète des propos défavorables : S’il a dict vray, seiche pour moy l’ombrage De l’arbre sainct, ornement de mes vers, Mon nom sans bruit erre par l’univers […]67.
Surtout, les bons poètes du temps présent doivent sortir de leur mutisme, tandis que les mauvais devraient rester silencieux. Dans la préface de L’Olive, Du Bellay explique le ton acerbe qu’il adopte contre les « rimasseurs » : il n’a d’autre raison, écrit-il que d’« eveiller le trop long sillence des cignes et endormir l’importun croassement des corbeaux »68. À partir de l’Épître II, i d’Horace qu’il refaçonne sur le tour de l’Art poétique, le poète suggère deux solutions pour éradiquer ces poètes « barbares » qui infestent la cour : ou bien qu’ils « fussent fouettez à la cuysine, juste punition de ceulx qui abusent de la pacience des princes et grands seigneurs par la lecture de leurs ineptes œuvres » ou « qu’on leur donnast de l’argent pour se taire, suyvant l’exemple du grand Alexandre, qui usa de semblable liberalité en l’endroict de Cherille, poëte ignorant »69. Cette exigence d’excellence poétique se retrouve dans le sonnet VIII de L’Olive : 64
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J. Du Bellay, Xenia, STFM, VIII, p. 70-71 : « Nunc cæcam uincit maior et ipse Deam. / Hic igitur taceant Momi momarque vel ipsum, / Infestumque sciant antion esse sibi », trad. Geneviève Demerson. Id., Discours au Roy sur la Poesie (1560), v. 49-50, op. cit., p. 163. Id., Sonnet LXV, v. 11, L’Olive, op. cit., p. 83. Ibid., Sonnet XCVIII, v. 1-3, p. 110. Id., « Au lecteur », Seconde préface, ibid., p. 15. Ibid., p. 16.
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Je mourroy’ cygne, ou je meurs sans mot dire70. Cependant, pour les « cygnes » comme pour les princes, le silence peut s’avérer un choix indispensable. Il offre une parade à des contraintes extérieures parfois difficilement supportables. À la cour, notamment, le silence/secret fait partie de la discrétion et de la prudence indispensables autant au prince qu’à ses serviteurs. Après Budé, Alciat l’avait rappelé, puis Jean Dorat, le maître71 : le secret est indispensable à qui mène de grandes entreprises et à tous les arts, notamment à la conduite de l’État et, en général, à la politique. C’est d’ailleurs l’époque où Henri II fait orner l’une des portes de sa chambre, au Louvre, de ce Centaure/Minotaure interprété comme l’une figure du secret nécessaire aux entreprises politiques chez les Romains72. Savoir se taire est en effet une des qualités politiques du roi de France, essentielle dans la guerre qui l’oppose au “rusé” Charles Quint : L’Empereur est tesmoing, et le sont comme luy Ceulx qui ont travaillé pour vous donner ennuy […] Combien de vos desseings les secrets sont couvers […]73.
Pour le poète, vis-à-vis des princes, le silence est un moyen de protection en même temps qu’une garantie de loyauté. Il lui est difficile de se faire entendre d’eux, puisque Les grands ont aujourdhuy les oreilles de cire, Mais ilz les ont de fer, pour escouter les vers74.
Néanmoins, celui qui fréquente la cour doit parfaitement contrôler son discours, écrit ou oral, et faire taire les propos excessifs, car « longues sont les
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J. Du Bellay, Sonnet VIII, v. 14, ibid., p. 33. « Clauum regendæ nauis nulli sociorum dederat Ulysses. varia enim et multiplex est in sapientibus rerum cognitio et non effutienda mysteria artium quæ quidem communicare uoluisset socijs sed non erant capaces » ; dans son explication du chant IX de l’Odyssée, il enseigne que sous la figure d’Ulysse le navigateur, il faut comprendre celle de l’homme politique à la tête de l’État, capable par son savoir de « prendre garde à la patrie, c’est-à-dire au bonheur des citoyens » : en effet, il « n’avait cédé la manœuvre du gouvernail du navire à aucun de ses compagnons. Car la connaissance des choses chez les sages est variée et multiforme, et il ne faut pas parler inconsidérément des mystères des arts, que certes Ulysse aurait voulu divulguer à ses compagnons, eussent-ils été capables de les recevoir », Mythologicum, op. cit, p. 9. Voir notamment l’emblème « Les secretz conseils ne sont à reveler », A. Alciat, Toutes les Emblèmes, Lyon, Guillaume Rouille, 1558, rééd. Paris, Aux Amateurs de Livres, 1989, p. 33. J. Du Bellay, Discours au Roy sur la Tresve de l’an M.D.L.V., v. 55-56, 59, STFM, VI*, p. 7. Id., Sonnet CLIV, v. 13-14, Les Regrets, op. cit., p. 176.
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mains des princes et des rois »75. Si le poète veut rester dans l’entourage des grands, il doit savoir ne pas voir, ne pas parler, ne pas entendre. La liberté de penser est à ce prix : O combien est heureux qui n’est contraint de feindre Ce que la vérité le contraint de penser, Et à qui le respect d’un qu’on n’ose offenser, Ne peut la liberté de la plume contreindre76 !
Cependant, un tel silence sera-t-il jamais récompensé ? : Que me sert-il que je suyve Les princes, et que je vive Aveugle, müet et sourd, Si apres tant de services Je n’y gaigne que les vices Et les bons jours de la court77 ?
De même, vis-à-vis des courtisans, pour réussir simplement à survivre dans ce milieu, le silence s’impose, a fortiori si l’on est poète : Si tu veulx seurement en Court te maintenir, Le silence [Ronsard], te soit comme un decret78.
À table, par exemple, il faut savoir ruser, garder un silence calculé sur certains sujets et surtout éviter de blesser : Cousin, parle tousjours des vices en commun, Et ne discours jamais d’affaires à la table Mais sur tout garde toy d’estre trop veritable Si en particulier tu parles de quelqu’un […]79.
Le monde de la cour est en effet celui de toutes les passions, à commencer par l’ambition, l’envie, la jalousie, l’inconstance. On y est confronté aussi au silence rusé de celui qui se tapit dans un souci d’efficacité, guettant sa proie ou sa vengeance, tel Vulcain qui commence par épier Mars et Vénus avant de les piéger :
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J. Du Bellay, Sonnet CXLI, v. 8, Les Regrets, op. cit., p. 166. Ibid., Sonnet XLVIII, v. 1-4, p. 89. Id., « Discours sur la louange de la vertu et sur les divers erreurs des hommes, à Salm. Macrin », v. 109-114, Œuvres de l’ invention de l’autheur, v. 109-114, STFM, IV, p. 149. Id., Sonnet CLX, v. 1-2, Les Regrets, op. cit., p. 165. Ibid., Sonnet CXLII, v. 1-2, p. 166.
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Pres du lict, […] Le jaloux se tappissoit, Mordant ses deux levres, d’ire80.
Les relations des princes et des courtisans ou celles des courtisans entre eux s’inscrivent dans des rapports de force excluant toute confiance spontanée ou excessive. En règle générale, comme le recommande Érasme dans les Adages, il faut donc savoir taire ses secrets, même à ses amis, et réduire au silence toute proposition qui risque d’éveiller le moindre doute quant à sa propre fiabilité : Ne commets ton secret à la foy d’un chacun, Ne dy rien qui ne soit pour le moins vray-semblable […]81. Même en amitié, le silence est la condition de la liberté : Qui baille à son amy la clef de son secret, Le fait de son amy son maistre devenir82.
Prudence, voire ruse, et sobriété sont donc de mise. Gare aux mots d’esprit susceptibles de fâcher, et en particulier à toute attaque ad hominem. Le jeune poète devra à tout prix se les interdire. Tout d’abord, il risque d’y perdre un allié : Souvent, pour un bon mot on perd un bon amy83….
Ensuite, il risque d’y perdre la face : Ceulx que de tes bons motz tu vois pasmer de rire Si quelque outrageux fol t’en veult faire desdire, Ce seront les premiers à se moquer de toy84.
Enfin, il risque même sa vie : Amy, je t’apprendray […] […] ce qu’en tes écrits plus éviter tu dois. Ne t’attache à qui peult, si sa fureur l’allume, Vanger d’un coup d’espée un petit traict de plume, Mais presse (comme on dit) ta levre avec le doy85.
Par-delà l’humour de l’antiphrase, la surdité et la propension à se taire peuvent donc, dans la mesure où celui qui en est atteint n’est pas contraint de 80
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J. Du Bellay, « Ode au seigneur des Essars sur le discours de son Amadis », Œuvres de l’ invention de l’autheur, VIII, v. 71, 73-74, STFM, IV, op. cit., I, p. 168. Id., Sonnet CXLII, v. 5-6, Les Regrets, op. cit., p. 166. Ibid., v. 3-4. Du Bellay reprend ici la leçon d’un adage d’Érasme. Ibid., Sonnet CXLIII, v. 5, p. 167. Ibid., Sonnet CXLI, v. 12-14, p. 166. Ibid., Sonnet CXLI, v. 9-11, p. 166.
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briller par son discours, s’avérer une bonne fortune, une bénédiction, un refuge de liberté à la cour : Mais il est taciturne : ô bien heureux celuy A qui le trop parler ne porte point d’ennui, Et qui a liberté de se taire à son aise Sans que son long silence à personne déplaise86.
En contrepoint de ce monde de la cour ou de celui de l’Urbs, tout vacarme et voix captieuses, Du Bellay montre aussi en Jean Morel d’Embrun une incarnation de l’idéal horatien et pétrarquiste de l’otium. Le silence dont est entouré celui qui vit à la campagne apparaît comme l’un des éléments essentiels de la béatitude : Cet homme-là, une vie tranquille et sûre le retient et l’arrache à des milliers de périls ; lui, il cultive sans bruit (tacitus) ses heureuses campagnes87.
Ce silence de l’otium est aussi un élément indispensable à la créativité poétique, un antidote au silence de l’inspiration, que le poète craint par-dessus tout. À Rome, à la fois éloigné des honneurs prodigués par Madame Marguerite, sa protectrice et mécène et pris dans le bourdonnement du negotium, Du Bellay redoute que cette source, en particulier la veine néo-platonicienne, se tarisse. Deux poèmes de cette époque évoquent cette crainte d’un silence résultant de la fuite du furor au sens néo-platonicien, amoureux ou poétique, qui frapperait le poète-prophète. Ce silence serait analogue à celui de la Sibylle lorsqu’Apollon, instigateur aussi du furor mystique, quitte Delphes pour l’Hyperborée : certes, la présence du dieu la contraint à chanter « d’un mugler espovantable » qui Mesle l’obscur au véritable. Mais quand le Dieu s’en est allé, Soudain son courage affolé Devient rassis, et la prophete Clost soudain la bouche muette.
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J. Du Bellay, « Hymne de la surdité. A P. de Ronsard Vand. », Divers jeux rustiques, v. 125-128, op. cit., V, p. 191. Voir aussi une formulation approchante dans l’emblème « A la statue de la Deesse Angerone. Silence » de P. Coustau, Le Pegme, op. cit., p. 144, dont l’édition princeps, en latin, date de 1555, comme les Jeux Rustiques. « Hunc, hunc tuta quies ereptum mille periclis / Detinet ; hic tacitus rura beata colit », J. Du Bellay, « In uitæ quietioris commendationem ad I. Morellum Ebrod. », v. 3-4, Elegiæ, trad. fr. Geneviève Demerson, STFM, VII, p. 56-57.
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Il en va de même pour Du Bellay : Mal voluntiers chante la bouche De l’Amour qui au cueur ne touche88.
Cette hantise le conduit à réaffirmer la nécessité du mécénat : honos alit artes, et à tourner l’émotion sacrée, manifestation du furor mystique, en argument rhétorique : Ores je suis muet, comme on voit la Prophete Ne sentant plus le Dieu, qui la tenoit sujette, Perdre soudainement la fureur et la voix. Et qui ne prend plaisir qu’un Prince lui commande ? L’honneur nourrit les arts89 […].
L’ars, travail et savoir-faire, peut donc compenser et relayer le furor : refusant de se voir définitivement réduite au silence, la Muse du poète trouvera en la vertu de son protecteur cette autre source capable de stimuler l’écriture : Donques, Magny, te tairas tu ? Non, tu chanteras la vertu De ton grand Avanson, qui use De plus grand’ doulceur à ta Muse, […] Comme un Mecene dont la gloire Doit à Virgile sa memoire90.
En effet, à Rome, le vacarme des affaires ne favorise pas ce « silence amy des Muses »91 que Du Bellay, dès la Deffence, recommandait au futur poète : Bien te veux-je avertir de chercher la solitude et le silence amy des Muses, qui aussy (afin que tu ne laisses passer cete fureur divine, qui quelquesfois agite et echaufe les espris poëtiques et sans la quele ne fault point que nul espere faire chose qui dure) n’ouvrent jamais la porte de leur sacré cabinet, si non à ceulx qui hurtent rudement92.
Cette idée est reprise dans l’« Hymne de la surdité » qu’il dédie fin 1556 à Ronsard, lui aussi atteint de ce mal : le silence de la surdité est bénéfique au poète. Il lui permet de se concentrer sur ses voix intérieures maîtrisées et com-
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J. Du Bellay, « A Olivier de Magni sur les perfections de sa dame », Divers Jeux rustiques, v. 45-48, 51-52, op. cit., p. 60, 61. Id., Sonnet VII, v. 9-13, Les Regrets, op. cit., p. 58. Ibid., « A Olivier de Magni », v. 173-176 et 179-180, p. 173. Id., Deffence, II, XI, op. cit., p. 169. Ibid., p. 170.
dire le silence : aspects du motif du silence
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posées en chants, disant la splendeur d’un monde recréé et dominé par l’ars. Ce plaisir dépasse de loin celui de l’audition, des sons naturels extérieurs, incontrôlables : O que tu es heureux, quand le long d’une rive, Ou bien loin dans un bois à la perruque vive Tu vas, un livre au poing, meditant les doulx sons Dont tu sçays animer tes divines chansons, Sans que l’aboy d’un chien ou le cri d’une beste Ou le bruit d’un torrent t’étourdisse la teste. Je crois qu’alors, Ronsard, tu ne souhaites point Ny le chant d’un oyseau ny l’eau d’une montagne, Ayant avecques toy la Surdité compagne, Qui faict faire silence, et garde que le bruit Ne te vienne empescher de ton aise le fruict93.
Ainsi, il existe un Silence désirable, préférable au Bruit et indispensable à la création poétique, exprimant le besoin d’un langage autre. Face au Silence maléfique d’Ovide, Du Bellay dresse, fin 1556, une contre-figure allégorique du Silence, bénéfique divinité d’une nouvelle mythologie. Dans l’ekphrasis qui clôt l’invocation à la déesse Surdité, « nourrice de sagesse, / nourrice de raison », ce dernier siège à sa droite, tandis qu’elle trône dans un palais […] cavé bien avant soubs une roche dure [,] Un antre tapissé de mousse et de verdure […] Là se void le Silence assis à la main dextre, Le doigt dessus la levre : assise à la senestre Est la Mélancholie au sourcil enfonsé : L’Estude tenant l’œil sur le livre abbaissé Se sied un peu plus bas : l’Ame imaginative Les yeux levés au ciel, se tient contemplative Debout devant ta face94 […].
Ces trois figures – Silence, Mélancolie, Étude –, constituent les trois aspects du tempérament mélancolique, celui des grands génies, exprimés par la Mélancolie de Dürer. Le doigt dessus la lèvre rapproche aussi ce Silence de la figuration d’Hermès en dieu du silence, dans l’emblème LXII Silentio deum cole des Symbolicarum quæstionum de Bocchi, publiées l’année précédente à Bologne. Le
93 94
J. Du Bellay, « Hymne de la Surdité. A P. de Ronsard Vand. », op. cit., p. 192-193. Ibid., v. 227-228, 231-236, 244, p. 195-196.
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edith karagiannis-mazeaud
texte commence par l’adage « Sæpe loqui nocuit, nunquam nocuit tacuisse »95. Par ce silence fécond, la poésie se rattache donc aussi aux mystères96. Subi, imposé ou choisi, tantôt à combattre, tantôt à cultiver, le Silence aux multiples visages occupe dans la poétique de Du Bellay une place centrale, originale et dynamique. Il s’y écrit d’une encre polysémique riche d’observation et d’interrogations, d’une expérience personnelle physique et sociale liée à la surdité, ressentie, pensée, transposée, dépassée et recomposée par l’art, en résonance à la fois avec les grands textes humanistes, en particulier ceux de Virgile et Ovide, et les phénomènes naturels, les Autres, le Moi. Vécu en termes de fermeture, comme la privation d’un moyen essentiel de perception, souffrance associée à la solitude et à la mort, il est aussi le signe de l’essentiel combat qu’il faut mener contre l’Ignorance, synonyme de la mort par oubli, en particulier contre ceux qui, égoïstement, la cultivent, pour s’assurer un injuste pouvoir. À la cour, à Rome, il s’avère cependant une bénéfique règle de comportement, arme efficace au service de la prudence et de l’otium. Il est en effet nécessaire pour combattre des ruses et un vacarme susceptibles de provoquer un autre silence, celui du tarissement poétique : permettant l’ouverture du Moi à l’intelligence de l’Autre, et surtout sa mise en résonance avec les grandes forces universelles, lien entre le microcosme et le macrocosme, il s’avère, finalement, signe d’élection et condition essentielle à la créativité, à l’expression dominée d’un Moi dont l’activité mentale incessante peut seulement être ordonnée par l’art. Figure d’une mythologie nouvelle, le Silence participe alors d’une stylisation de la persona du poète, image même du Génie Mélancolique, soucieux de dominer son monde par l’art, et de proclamer la supériorité de l’harmonie qu’il est capable d’engendrer.
95
96
A. Bocchi, Symbolicarum quæstionum de universo genere quas servo ludebat libri quinque, Bologna, Nova Academia Bocchiana, 1555, p. 132. Jean Dorat enseigne dans son cours le lien étymologique liant le silence au terme même de mystère et à la notion d’initiation. Dans son interprétation mythologique du chant XII de l’Odyssée, à propos de mys, il faut ajouter, précise-t-il, « que Myeïn signifie “initier et instruire aux mystères”, et que myzein signifie “murmurer, se taire”. Car ceux qui assistent à des rites secrets ne doivent pas en révéler les mystères », Mythologicum, op. cit., p. 42-43.
Voices of silence and silence of voices in some English literary texts of the Renaissance —◆— Eloisa Paganelli
I
n such a deformed silence, witches whisper / Their charms » (III, iii, 58-59), says a looker-on in John Webster’s Duchess of Malfi, observing the sinister atmosphere which permeates one of the court scenes in the drama. The ominous remark refers to the forces of evil which at that very moment are hatching their plots in an unnatural silence. These forces are here embodied by concrete human beings, the two diabolic brothers of the widowed Duchess against whom they are planning a monstrous persecution for having secretly remarried. The evil forces at work have nevertheless supernatural demoniac connotations ; the silence in which they are casting their spell is « deformed », has lost, that is, its implications of quiet and has turned into its opposite : it does not prefigure a calm, but a great approaching storm. It is no mere coincidence that an approaching storm is explicitly mentioned, in the context, with reference to one of the two brothers, the Cardinal, who « lifts up’s nose, like a foul porpoise before a storm » (III, iii, 52-53). The silence of witches, or of devils, traditionally associated, is generally characterized by some form of distortion and deception. The most complex example is offered by the witches in Shakespeare’s Macbeth. Although very loquacious when among themselves, or when working their spells, they become niggard of speech in the presence of human beings. They can resort to silent gestures as when, first meeting Macbeth and Banquo, they put their fingers on their lips to silence Banquo, or they can hide their prophecies in riddles as when they eventually address Banquo : «
1 Witch 2 Witch 3 Witch
Lesser than Macbeth, and greater. Not so happy, yet much happier. Thou shalt get kings, though thou be none (I, iii, 65-67).
In appearance these are a series of contradictions in terms which, conveying no intelligible message, amount to a paradoxical dumb speech – in other terms
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eloisa paganelli
to the silence of voices ; but in fact they are a series of propositions whose underlying meaning is blurred by the ellipsis of time indicators : they would be perfectly clear once the ellipses were removed or filled in1 ; in this light they are no longer dumb but speaking. Macbeth can rightly call the witches « imperfect speakers » as he realizes that they speak and do not speak at the same time. It is only when Macbeth presses them to say more, that they answer him with the absolute silence in which they vanish. The same pattern is more or less repeated when Macbeth goes to the witches’ cave in the attempt to know more about his future destiny. The witches’ first words in answer to Macbeth state that they are doing « A deed without a name » (IV, i, 49) ; once more a definition which, being in appearance unintelligible, is in this sense dumb ; but in fact, as in the case of the previous riddles, the words have an underlying meaning ; they are a covert allusion to Macbeth’s crime which is so horrid that it defies definition and can appropriately be said « without a name ». There follow, in answer to Macbeth’s further questions, the four bewildering apparitions ; the first three are accompanied by a mysterious voice which should clarify them but in fact makes them more obscure as the words pronounced have no apparent connection with the apparitions, the existing link being now blurred by reticence2. The fourth apparition – the almost infinite row of kings further multiplied in a mirror – is on the contrary a sort of dumb show, but it is also the only intelligible one, as Banquo’s ghost clarifies it through the silent gesture of pointing at that row as his own issue. Thus the only really silent apparition is also the only clearly speaking one : not surprisingly it throws Macbeth into despair3.
1
2
3
The missing time indicators would clarify the riddle introducing a temporal distinction between present and future. The third prophecy refers to the dynasty of the Stuarts whose founder, Walter Steward, was descended from Fleance, Banquo’s son. See R. Holinshed as reported in the 2nd series of the Arden edition of Macbeth, edited by K. Muir, London, Methuen, Cambridge, Harvard University Press, 1964, Appendix A, p. 180. The reticence lies in the fact that the words do not say what or whom the apparitions represent ; thus the connection between visual and verbal representation is completely obscured. For the identification of the symbolic apparitions see the already quoted edition of Macbeth, IV, i, note referring to l. 68, 76, 86. The elliptical language of the witches’ prophecies is pointed out by A. Serpieri, « Macbeth : il tempo della paura », Retorica e immaginario, Parma, Pratiche, 1986, p. 193-266. For historical information concerning the symbols of royalty in this apparition see Macbeth, op. cit., notes 119 and 121.
voices of silence and silence of voices
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The ambiguities, reversals and distortions of the devil’s alternating silence and intricate chatter are in striking contrast with the manifestations of God who either mysteriously reveals himself through his silence, or simply, and equally mysteriously, does not ; but between these two alternatives there is no entangled interplay. The religious poets of the English Renaissance give voice to both experiences in their verse. Habington, a minor poet of the period, celebrates God’s eloquence in the silence of the firmament : […] the bright firmament Shootes forth no flame So silent, but is eloquent In speaking the Creators name4.
For George Herbert in his poem A True Hymne and John Donne in his Litanie, God compensates for man’s deficiencies in words. Thus in Herbert’s lines : […] if th’ heart be moved, Although the verse be somewhat scant, God doth supplie the want (11, 16-18).
And in Donne’s verse : Heare us, for till thou heare us, Lord We know not what to say ; Thine eare to’our sighs, teares, thoughts gives voice and word (st. xxiii).
While the devil deducts meaning and though speaking to the ear, is silent to the mind, God supplies meaning and though silent to the ear, is in fact speaking to the mind. Paradoxically, God communicates through his ear (that is his listening) : we have just heard that it is his ear which gives « voice and word » to man ; in another passage of John Donne’s already quoted Litanie, it is by opening his ears that God enables men to close theirs to sinful suggestions : That we may locke our eares, Lord open thine (st. xxv).
But the religious poetry of the English Renaissance also resounds with complaints about God as Deus absconditus, his mysterious refusal to communicate with man’s soul.
4
« Nox nocti indicat Scientiam », l. 9-12, in The Metaphysical Poets, éd. H. Gardner, London, Penguin books, 1967, p. 155.
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eloisa paganelli
Once more the organ involved is God’s ear which, in a striking example of synaesthesia – as in G. Herbert’s Deniall – becomes silent ; a heartrending experience for the believer and the wreck of his verse for the poet : When my devotions could not pierce Thy silent eares ; Then was my heart broken, as was my verse (l. 1-3).
Herbert’s poem Home is entirely centered on the experience of God’s « staying » away which is so bitter that to overcome it the poet is led to do violence to his own verse : And ev’n my verse, when by the ryme and reason The word is, Stay, says ever, Come (l. 75-76).
In his turn man may be rapt in silence because he lacks words to express his wonder at his Creator’s love. Donne in the xi sonnet of his Holy Sonnets can only say : Oh let mee then, his strange love still admire (l. 9) ;
or in sonnet XII, meditating on Christ’s death, « wonder at a greater wonder » (l. 11). Referring to the mystery of the Passion, a famous preacher of the period, Lancelot Andrewes, is more explicit about man’s impasse with words : « In silence we may admire it, but all our words will not reach it » ; or, in the same key, « here, all words forsake us, and every tongue becommeth speechlesse »5. The idea that silence has a voice more powerful than words seems to be a wide-spread one in the English literature of the period ; it is once more G. Herbert who in The Familie, referring to « griefs without a noise » remarks : Yet speak they louder, then distemper’d fears. What is so shrill as silent tears ? (l. 19-20).
The idea finds frequent expression on the stage and here, more often than not, silence involves human relationships. In Webster’s Duchess of Malfi the persecuted and now imprisoned Duchess is reported to be musing for hours while « her silence, /… expresseth more than if she spake » (IV, i, 9-10). The most relevant example is of course Cordelia’s famous silence in Shakespeare’s King Lear, its relevance being due also to the fact that it triggers off the whole drama. Faced with her two sisters’ hyperbolical protestations 5
L. Andrewes, « Sermon 2 of the Passion », Sermons, éd. G. M. Story, Oxford, Clarendon Press, 1967.
voices of silence and silence of voices
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of love for their father, Cordelia juxtaposes her silence as the voice of true love. « What shall Cordelia speak ? », she asks herself half-dismayed, in her first aside, after hearing her sisters’ flattery. But soon adds : « Love, and be silent » (I, i, 62-63) ; and in her second aside she clarifies to herself the reason for her silence : « I am sure my love’s / More ponderous than my tongue » (I, i, 77-78). What she states to herself is already very dangerous as it goes against the rule of the court. Consequently, when she publicly declares she will say « nothing » about her love for her father, that word resounds like a thunderbolt, a most shocking, unexpected scandal which suddenly marks off the up to now favourite daughter as a stranger in the royal court. Right enough she is banished and excluded from it as not belonging to an environment where silence rather than flattery is a true scandal, the scandal of truth. As is well known words are unstable in their significance but the range of their possible meanings is after all limited. With silence, on the contrary, the range is potentially unlimited : it may be, for instance, the issue of great repressed emotion. A case in point is John Ford’s play The Broken Heart : the whole tragedy, significantly set in Sparta, is a drama of silence, of half-pronounced statements, of subdued expressions, of half-guessed hints – all resulting from stoical emotional repression culminating in the great court dance of act V. In this impressive scene the queen of Sparta, Calantha, keeps on dancing, seemingly unperturbed, while a series of deaths are announced to her, including that of her prospective husband. Silence is often maintained at a great price : Cordelia pays a great one, but Calantha pays a greater since she literally dies of a broken heart, as prefigured by the title of the play and confirmed by her dying words : … Oh, my lords, I but deceived your eyes with antic gesture, […] But it struck home, and here, and in an instant. […] They are the silent griefs which cut the heart-strings ; Let me die smiling (III, v, 67-76).
Calantha’s co-protagonist, Penthea, equally frustrated in her love by the imposition of her brother who has forced her to marry an old man, is also a character of subdued emotion and silent suffering, but her silence is a strenuous, unavailing effort to forget the past : her former love, she states, is now « buried in an everlasting silence, / And shall be, shall be ever » (II, iii, 69-
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70). For that self-imposed silence Penthea too pays a dear price, as it leads her into that condition which, in Freudian terms, is called self-oblivion, ending in derangement and death6. In its endless range of possible meanings silence may also imply spite, hatred, a secret, the unmentionable or simply ambiguity. At the end of Shakespeare’s Othello, Iago’s silence (« Demand me nothing … / From this time forth I never will speak a word » V, ii, 300-301) sounds like hatred and spiteful contempt, but the motive of this hatred is left unexplained : in the course of the play Iago gives too many different reasons for it to be credited with one or with all. Thus Iago leaves a mystery behind, perhaps because he does not want to, or cannot explain it, its motive lying buried in the depths of his psyche7. Whatever its reasons, Iago’s state of mind is clear enough ; just the contrary of what can be said about another disturbing silence occurring at the end of Shakespeare’s last play, The Tempest. Here Antonio, Prospero’s brother and the chief villain in the piece, remains ominously silent among the general reconciliation and rejoicing : his silence implies an ambiguity concerning his repentance, which can neither be absolutely excluded nor safely admitted. This is the typical case where whoever is silent says nothing. It is to be regretted that the most famous silence, that evoked in Hamlet’s dying words – « the rest is silence » – has now been, to quote Shakespeare’s 73rd sonnet, « consum’d with that which it was nourished by » – worn out, that is, by its own wide resonance. Coming as it does at the end of a drama which has probed and questioned all fundamental human concerns, this silence leaves us with the bare facts of Hamlet’s tragic adventure which Horatio is asked to relate. The curtain of an impenetrable silence falls on the unanswerable questions which in the course of the drama have been raised, torturing Hamlet as they 6
7
For an ampler discussion of the play see my essay « The Broken Heart by John Ford : Between Memory and Oblivion », in Mémoire et oubli au temps de la Renaissance, éd. M.-T. Jones-Davies, Paris, Champion 2002, p. 137-144. The different and sometimes intricate reasons Iago gives for his hatred are : 1. the Moor promoted Cassio instead of him who was much more deserving (I, i, 9-40) ; 2. quite likely, as the rumour goes, Othello betrayed him with his wife Emilia (I, i, 304-388) ; 3. he is himself in love with Desdemona, partly because of his jealousy of Othello (II, i, 286 sq.) ; 4. he suspects that Cassio too betrayed him with Emilia (II, i, 302). A. Serpieri has advanced the theory that Iago is, in Freudian terms, a figure of Puritan sexual repression which begets envy and therefore hatred of the world (« Otello » : l’Eros negato, Milano, il Formichiere, 1970).
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are perpetually torturing humanity : the mystery of human life, of the allpervading presence of evil and folly, of the intricate relationship between appearance and reality, the mystery which lies in the depths of man and woman – above all the mystery of death and of « The undiscovered country, from whose bourn / No traveller returns » (III, i, 79-80). Hamlet’s silence is of course also the silence which follows his own death, but at the same time it is the silence of his final repose : if « the rest is silence », silence is also rest.
Silence and the Audience in Renaissance Drama : The Case of G. A. Bredero’s Dumb Knight (1618) —◆— Ton Hoenselaars
D
uring the early modern period, the concept of silence was central to the execution of rhetoric and of poetry, both as oral and as written practices. Rhetoric also directly fed into the complex discourse of diplomacy and politics (Machiavelli) as well as the discussion of appropriate behaviour in a more general sense (Castiglione). Silence was by its very nature a theme, too, that invited reflections of a paradoxical nature. Sir Philip Sidney revived the classical notion that poetry was « a speaking picture » (as Aristotle defined the notion of mimèsis), and, by extension, George Puttenham argued that painting might be described as « mute poetry » or, as Abraham Fraunce put it, as a form of « dumb poetry »1. Silence and speech feature prominently in David Schalkwyk’s refreshing Speech and Performance in Shakespeare’s Sonnets and Plays2. And, as Laetitia Coussement-Boillot and Christine Sukič have demonstrated, there are also numerous alternative ways to explore the theme, notably as it manifests itself in the early modern encounter with the Other, as in the case of the sign language in Sir Francis Drake’s World Encompassed, or where it concerns the phenomenon of the dumb show, in particular on those occasions when it served to cross the cultural and linguistic divide on the London stage3. 1
2
3
See G. Alexander, Writing after Sidney : The Literary Response to Sidney, 1586-1640, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 283, note 2. D. Schalkwyk, Speech and Performance in Shakespeare’s Sonnets and Plays, Cambridge, Cambridge University Press, 2002. « Silent Rhetoric », « Dumb Eloquence » : The Rhetoric of Silence in Early Modern English Literature, éd. L. Coussement-Boillot, C. Sukič, Cahiers Charles V, no 43, Paris, Université Paris Diderot, 2007, especially L. Niayesh, « “Devils Coated in the Shapes of Men” : The Dumb Shows in The Stukeley Plays », p. 121-134. See also D. Mehl, The
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ton hoenselaars
For a proper assessment of the theme of silence, the early modern stage – both for its representation of many of these literary concerns and for being an oral and performative medium in its own right – deserves our full attention. The stage literature of the period, and I am limiting myself to the English situation here, abounds with instances where silence is explicitly discussed or defined dramatically, implicitly. The occurrence of the words « dumb », « dumbly », « dumbness », « silenc’d », « silence », « silencing », « silent », « silently », or « tongue-tied » in the work of Shakespeare alone is stunning, certainly when one also realizes that this represents only the tip of the iceberg. Imagine the actual moments where the Shakespearean scene hinges on one form of silence or another. There is a vast number of examples ranging from the implicit stage directions, physical gestures inherent in the lines, to the famous dumb shows. There are also some highly informative characters in this respect, like Silence in the second part of Henry IV, or Lavinia seeking to communicate without her tongue in Titus Andronicus, or Brutus in the tent scene of Julius Caesar who observes such stoic silence after the death of Portia. And how do we interpret the mysterious absence of an answer from Isabella when she is invited to marry the Duke in Measure for Measure, or Henry the Fifth’s ambivalent intervention vis-à-vis princess Katherine of France, as he stops her mouth with a kiss ? This essay will not be addressing these intriguing Shakespearean references to silence or those characters disinclined to speak, or simply unable to break the silence, hampered as they are by language barriers or speech impediments of various kinds4. Instead, it seeks to reflect on the manipulation of « silence » between the actors and the audience in the course of the theatre performance, and gauge the references to expected silence or unexpected acoustic interventions including animal sounds as well as applause.
4
Elizabethan Dumb Show : The History of a Dramatic Convention, London, Methuen, 1965 ; S. R. Homan, « The Uses of Silence : The Elizabethan Dumb Show and the Silent Cinema », Comparative Drama, 2, 1968, p. 213-228 ; F. Kiefer, « A Dumb Show of the Senses in Timon of Athens », in In the Company of Shakespeare : Essays on English Renaissance Literature in Honor of G. Blakemore Evans, éd. T. Moisan, D. Bruster, Madison, London, Fairleigh Dickinson University Press, 2002, p. 139-158. Full-length studies devoted to silence in the world of Shakespeare further include A. T. Thaler, Shakespeare’s Silence, Cambridge, Harvard University Press, 1929 ; P. C. McGuire, Speechless Dialect : Shakespeare’s Open Silences, Los Angeles, University of California Press, 1985 ; H. Rovine, Silence in Shakespeare : Drama, Power, and Gender, Lewiston, Queenston, Lampeter, The Edwin Mellen Press, 1987.
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Andrew Gurr’s seminal study of theatre conditions in early modern London, gives us a vivid picture of the playgoing audiences in Shakespeare’s time, and for those interested in the audience’s silence or the sound(s) it made to comment on the play in progress, it is a treasure trove that one would ignore at one’s own peril5. The audience, we learn, was entitled to its own judgement, but a « general silence », certainly in cases of dislike, was emphatically appreciated (2, 10). In addition to being « hist with an open disgrace » (2, 11 ; 2, 109), or being « hooted » (2, 150), or having the gallant cry « meaw » (2, 35), there was also the rare occasion of (French) players allegedly « pippinpelted from the stage » (2, 150). On occasion, the noise-makers are mentioned explicitly. Sir John Davies speaks of « the clamorous fry of [the] Innes of court » (2, 18). Edmund Spenser associates theatre noises with « womens cries, and shouts of boyes, / Such as the troubled Theaters oftimes annoyes » (2, 24), an association partly confirmed by John Fletcher in the Epilogue to Henry VIII, where he speaks of « the youths that thunder at a playhouse » (2, 101). In terms of volume, it seems to have been amazing to experience the very decibels that an audience might generate, « to see a Crowd / Of Civill Throats stretch out so lowd » (2, 82), and with applause added, the sound would have been deafening, as appears when Nathaniel Field imagines with utter dread, « the monster [that] clapt his thousand hands, / And drownd the sceane with his confused cry » (2, 87). It were wrong merely to think of the sounds of the audience as a source of annoyance. There was also the appreciative clapping of hands. Joseph Hall – correcting our post-Romantic tendency to expect and to observe near-perfect silence in the auditorium – also describes how the audience’s clamour may be a source of delight, « the Theatre [echoing] all aloud, / With gladsome noyse of that applauding crowd » (2, 27), as does Michael Drayton when, as a mark of praise, one may hear « Showts and Claps at ev’ry little pawse » (2, 43). Naturally, audience sounds were not a specifically English problem, although it has received relatively more attention than the phenomenon in other countries. References are also available to other countries, like the Low Countries, from which the play Dumb Knight originates that I shall be discussing in greater detail below. In his Apology for Actors, Thomas Heywood uniquely 5
A. Gurr, Playgoing in Shakespeare’s London, 2nd edition Cambridge, Cambridge University Press, 1996, Appendix 2. For a deft and balanced interpretation of the facts, see the sub-chapter « Auditorium Behaviour », p. 45-49.
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records a « wonder » which « happened at Amsterdam in Holland », where a « company of our English comedians » acted « the last part of the four Sons of Aymon », in which the lazy colleagues of the diligent Rinaldo, conspired among themselves to kill him, waiting some opportunity to finde him asleepe, which they might easily doe, since the sorest labourers are the soundest sleepers, and industry is the best preparative to rest. Having spy’d their opportunity, they drave a naile into his temples, of which wound immediately he dyed. As the actors handled this, the audience might on a sodaine understand an outcry, and loud shrike in a remote gallery, and pressing about the place, they might perceive a woman of great gravity strangely amazed, who with a distracted and troubled braine oft sighed out these words : « Oh my husband, my husband ! ». The play without farther interruption proceeded : the woman was to her owne house conducted, without any apparant suspition ; every one conjecturing as their fancies led them6.
Striking about this account of the performance is the unexpected (« sodaine ») nature of the « outcry, and loud shrike in a remote gallery », the temporary distraction as the audience turn to seek out the source of the noise, and the professional, business-as-usual signal we receive upon the immediate resumption of the play. At a first glance, references such as these could create the impression of a rowdy theatre, even if we make allowances for the fact that the early modern consensus about the audible participation of audiences may have been more flexible and relaxed than it has since tended to become in our own theatre environment. Conversely, given the fact that Gurr draws on a hundred unusually productive years of English theatre history, one could also argue that the disruptive effect of the audience in the place where we have come to expect « silence » was really rather modest during the late sixteenth and the early seventeenth centuries. A closer look at an instance of this phenomenon in our present-day theatre should teach us that it is good not to generalize too quickly. In the summer of 1997, audiences at Shakespeare’s Globe in London displayed some distinctly anti-French behaviour at the performances of Henry V. Gisèle Venet has described it accurately : 6
A. Cohn, Shakespeare in Germany in the Sixteenth and Seventeenth Centuries : An Account of English Actors in Germany and the Netherlands and of the Plays Performed by them during the Same Period, London, Asher & Co, 1865, rééd. New York, Haskell House Publishers, 1971, p. 122-123.
silence and the audience in renaissance drama
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Trop souvent l’histoire scénique d’Henry V recoupe en effet des moments d’un patriotisme insulaire quelque peu agressif malgré le « fair play » légendaire. On l’a retrouvé certains soirs de juin 1997 où le brouhaha qui suivait les propos les plus méprisants tenus en scène sur l’arrogance et l’impréparation des Français rejoignait un militantisme anti-européen presque palpable dans l’air mouillé. La critique anglaise, capable de recul, s’en alarme et le regrette. Le choix de la pièce pour l’ouverture du nouveau Globe ne s’était-elle pas voulue exclusivement commémorative de celle de 15997 ?
Clearly, a record of this nature is far from representative of audience response around the turn of the second millennium – in Andrew Gurr’s terms this would be an « extreme » rather than a « normative » feature of audience behaviour (45) – and if this does not caution us sufficiently against generalization, the canonical status which this instance has already acquired in the literature about Shakespeare’s Globe should. Perhaps, the plays of Shakespeare and his contemporaries have also in part contributed to create the impression that audiences could be rowdy, particularly when these plays themselves represent stage productions in the form of a play-within-the-play. The scholars’ vocal interference in the « Show of the Nine Worthies » in Love’s Labour’s Lost would deter any amateur from ever treading the stage again. The audience’s response, as Holofernes puts it, is « Not generous, not gentle, not humble »8. Notorious, too, are the interruptions of the stage audience present at the performance of Pyramus and Thisbe in A Midsummer Night’s Dream, as is Hamlet’s behaviour at the strolling players’ presentation of « The Mousetrap », and perhaps we should not forget Christopher Sly’s response to the players in The Taming of the Shrew either. One thinks one understands why Prospero, presenting the Masque of Ceres to Miranda and Ferdinand should caution them with the words, « No tongue, all eyes ! Be silent »9. But if this so, it is worth remarking that in comparison with the theatrical entertainments put on in Love’s Labour’s Lost or A Midsummer Night’s Dream, The Tempest is surprisingly different. It is not the audience who ultimately destroy the illusion of the performance here. In
7
8
9
W. Shakespeare, La Vie du roi Henry V, translated by J.-M. Déprats, introduced and annotated by G. Venet, Paris, Gallimard, 1999, p. 397-398. See also P. Franssen, « The Wrong Globe : Zooming in on Shakespeare’s Theatre », Folio, 7/1, 2000, p. 26-32. Id., Love’s Labour’s Lost, V, ii, 617. Unless otherwise noted, all citations of Shakespeare’s plays are from The Norton Shakespeare, edited by S. Greenblatt, W. Cohen, J. E. Howard, K. Eisaman Maus, 2nd edition New York, Norton, 2008. Id., The Tempest, IV, i, 59.
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The Tempest it is the producer, Prospero, himself. The unusual situation in The Tempest is, perhaps, not so different from that in Hamlet, where the most vocal member in the stage audience also happens to be the initiator of the entertainment. Clearly, when Shakespeare dramatises the destruction of theatrical illusion through the audience’s failure to observe discreet silence, matters are never clear-cut, and seem inspired at least as much by professional trepidation as by considerations about their immediate dramatic purpose. By the same token we find Shakespeare boldly exploring the borderline between the actors and the auditors, inviting the latter even to break the silence, as when Hamlet asks the audience for its opinion of him : Am I a coward ? Who calls me villain, breaks my pate across, Plucks off my beard and blows it in my face, Tweaks me by th’ nose, gives me the lie i’th’ throat As deep as to the lungs ? Who does me this ? Ha10 ?
In The Taming of the Shrew Petrucchio also consciously pursues a verbal response. In the speech announcing that he has « politicly » begun his « reign » over Katherina and explains the procedure, he concludes with the famous words : This is a way to kill a wife with kindness, And thus I’ll curb her mad and headstrong humour. He that knows better how to tame a shrew, Now let him speak. ’Tis charity to show11.
Also the manipulation of silence in the final scene of The Winter’s Tale – discussed in J. R. Mulryne’s essay in this collection – suggests that despite the perhaps relatively noisy conditions in the early modern auditorium, a playwright like Shakespeare would not shrink from exploiting silence, although, as also Gurr notes, the type of theatre for which the play was originally devised would have affected any such strategy. However flexible and creative Shakespeare may be amidst the acoustics of the theatre, it is difficult to find an equivalent to the non-Shakespearean, Dutch play, 10 11
W. Shakespeare, Hamlet, II, ii, 549-553. Id., The Taming of the Shrew, IV, i, 161 and 188-191. Naturally, the incitation to a response also occurs at the very end of a number of early modern plays, like As You Like It, A Midsummer Night’s Dream, and The Tempest. Here the situation is different, it would appear, because there is no better moment for the audience’s sound or noise to destroy the illusion of the play.
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Stommen ridder (1618), or The Dumb Knight, by the Amsterdam playwright G. A. Bredero. Bredero’s Dumb Knight capitalizes on the gap between the stage and the auditorium, the actors and the audience, as a structural device. In the rest of this paper, I shall discuss the theme of silence and its execution in Bredero’s play, and briefly compare Bredero’s strategies to those of Lewis Machin’s in his « historicall comedy » entitled The Dumbe Knight (1608)12. Although the resemblances between the two plays are not without interest, I do not suggest a connection between these plays in terms of source or influence. Yet, we might re-identify as an international motif the « trial of silence » in early modern drama, which, it should be obvious, both warrants and rewards further research, certainly when we note that the motif recurs in situations that do not derive from the romance tradition like the plays by Bredero and Machin, as when Ophelia in Hamlet curiously promises Laertes that she will not tell anyone what he has just said, and proceeds to tell Polonius all at once as soon as he asks her : Laertes Farewell, Ophelia, and remember well What I have said to you. Ophelia ’Tis in my memory locked, And you yourself shall keep the key of it. Laertes Farewell. Exit. Polonius What is’t, Ophelia, he hath said to you ? Ophelia So please you, something touching the Lord Hamlet13.
Bredero’s Dumb Knight is a tragicomedy based on one of the stories in the 8-volumes of chivalric Palmerin romances attributed to the sixteenth-century Portuguese writer Francisco de Moraes. Bredero’s Palmerin, in the course of his wanderings, finds himself on the island of Calfa. Here, Palmerin encounters the local princess Earthly Diana and her cousin Gentleness. Both women fall hopelessly in love with the stranger, for his looks and his heroic deeds, and Palmerin himself does not remain unaffected by their charm either. However, since « all beauty », as the play has it, « engenders lust » (« want alle schoon baart lust »), Palmerin, in order to preserve his status as a chivalric hero, decides to remain loyal to his dead beloved Margaret who resembles Earthly Diana, and so feigns dumbness14. 12
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L. Machin, The Dumbe Knight. A Historicall Comedy, Acted Sundry Times by the Children of his Maiesties Reuels, London, 1608. W. Shakespeare, Hamlet, I, iii, 84-89. G. A. Bredero, Stommen Ridder, éd. C. Kruyskamp, Culemborg, Tjeenk Willink/Noorduijn, 1973, p. 98, l. 716. Here and elsewhere in this paper, the English translation of the Bredero materials is my own.
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However, the cousin named Gentleness cannot muster the restraint that Palmerin imposes on himself together with his symbolic silence. At an unguarded moment, Gentleness kisses Palmerin on the cheek, and is subsequently shamed by Earthly Diana. Unable to bear the disgrace, Gentleness commits suicide. It is only when one of the suitors to Gentleness accuses Earthly Diana of murdering her, that Palmerin speaks again, defends her honour in public, and marries her. The plot of Bredero’s Dumb Knight is far from spectacular, and would on occasion seem to deserve the scorn heaped on the romance material notably by Cervantes in his Don Quixote, but also by Francis Beaumont in his Knight of the Burning Pestle. The plot may be far from spectacular – spectacular defined here in theatrical terms, meaning of visual interest to the spectator or the « beholder » – and is more of an occasion for the rhetorical elaboration on matters of the heart for the audiece to appreciate – audience here defined as that section of the theatre-goers (particularly in the Dutch rhetoricians’ theatre) that came to the play as auditors, as the « hearers » who came in order to listen. One could argue that the material selected by Bredero – with its reliance on audience attentiveness and silence – was ideally suited to the rhetorician’s theatre tradition in which he worked. Paradoxically, though, with « silence » as a central and symbolic device to express the tempted hero’s loyalty to the distant beloved, the play also has an obvious problem. Until the middle of the final scene, the play’s hero speaks rarely, and this only in asides, and never in dialogue. In order to make up for this curious phenomenon in a literary genre that relies for its effect not just on silence but also on speech, Bredero cleverly introduces a loquacious young lady by the name of Amorosa. As a commoner, she provides comic and colourful verbal relief, commenting on the serious main action with great dexterity. She will babble on, and interestingly also engage with the theatre audience from what Robert Weimann would identify as the platea position. Interestingly, the loquacious Amorosa’s contact with the theatre audience elaborates on the play’s main theme of loyalty and of keeping one’s word of honour. This manifests itself clearly when the main plot turns to the fate of the Moorish monarch Brandemant. Brandemant has failed to keep his princely word of honour to a lady whom he had promised to marry. As a consequence his crown now burns on his forehead, and can only be removed by someone who has been perfectly loyal – by the play’s own man of rare and proven virtue, the dumb knight. As the Moorish Brandemant is still tugging at the scalding iron on his head, Amorosa in a light-hearted vein turns to the audience, and comments
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on his fate. She then turns to the individual members of the audience. She wishes to know what « Melis Sillymouth » (or « Melis malmongt », l. 1183) thinks of all this. Next she turns to other men, including one with an « Old Testament face » (« ouwe testaments aansicht », meaning smug or poker face, l. 1184), as well as « Peter Babblemouth » (« Pietje Babbelbeck », l. 1185) : Hoor hier ghy haperde boonen, Die u trouwicheyt by al de wereldt schier uytgestamert hebt, Om dat ghy Lijsje met een oor de Stijfster ghekamert hebt (l. 1185-1187).
« Listen here », says Amorosa, « listen here, you corrupted fellows. You certainly make sure to tell the world of your loyalty at great length. And why ? What you won’t say is that you have no qualms about renting a room to have sex with Lizzy One Ear, she who starches your clothes ». And it is not only the men who are accused of breaking their oaths. So are the women in the audience : Komt hier ghy wyven en ghy weeuwen die garen broeckt, Komt hier, daar aan de kroon u eerbaarheyt versoeckt (l. 1188-1189).
« Come here », Amorosa continues, « come here, you housewives and widows who love to be around men, why don’t you test your loyalty by trying to remove Moorish Brandemant’s burning crown ? ». Then comes the punch line : Ghy weet wel wie ick mien, al swijghje nou stil, Houtet mijn ten besten dat ick niemandt noemen wil (l. 1190-1191). You know quite well whom I mean, even though you’re silent now. I hope you won’t mind if I do not mention any names here.
Against the noble silence of the Dumb Knight, Amorosa pitches the silence of the audience, which she interprets as tantamount to secrecy and hypocrisy. Amorosa’s ironically apologetic promise not to name names – representing her own promise to remain silent – finishes the statement with a neat flourish. Later in the play, Amorosa returns to address the audience. On this occasion, she foils the character of Earthly Diana who has just displayed her passion for the Dumb Knight. What follows is Amorosa’s own candid description of what it is to be in love – although what she really describes is what it is like to paint the town red in the company of a real man. At the end of her verbally brilliant evocation of her physical delights, she turns to the audience, just like before, though now with the question,
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Of hier gheen ouwe Hoender eters onder den hoop zijn (l. 1440). If there are no old hen eaters among you lot.
The question, though, meets only with blank silence, so she needs to answer it herself. Amorosa concludes that there are no womanizers in the auditorium : Neen, zy zijn al inde kroegh met de neus int nat, of in de kaatsbaan (l. 1441). No, there are no womanizers here, because, they are already at the tavern, up to their noses in drink, or at the bowling alley.
Again, in a play that deals with the loyalty test as the hero undergoes it with silence, in a play that puts silence centre stage, also the silence of the audience is involved by way of a counterpoint : the audience’s silence marks not loyalty but adulterous practice and hypocrisy ; the audience’s silence – ironically explained by its members’ absence at the tavern or the brothel – further marks its preference for the instant satisfaction of its physical needs, rather than platonic love and other matters of the mind that the play presents. Interestingly, the audience’s silence lasts only as long as the play itself. Because at the end of the official play Amorosa remains on stage and addresses the theatre audience once again. The same character whom, as we have seen, criticized those who had gone ahead to the tavern, now cries out : Elementen ! ’k heb sulcken dorst ! Hoort volckje, blijf wat staan, ick moet jou allegaar wat vraghen : Zel ghy jou ghelt of tijdt uytgaende ook beklaghen ? Maar statet jou wel an, zo doet my lustich na, En klapt eens in u hant, en roept eenstemmigh ja (l. 2464-2468). Heavens ! I am thirsty ! Hear, all of you, don’t go yet. I have a question to all of you. Would you when you leave the auditorium say that your money was ill spent ? If you like what you saw, though, do this after me. Clap your hands, and in a single voice cry « yes ».
With the official play done – so the play displaying how the Dumb Knight regains his voice, and Earthly Diana achieves the object of her passion – the audience, too, regains its voice. Not only is it allowed to break the magic spell with its applause ; it is even invited to open its mouth, to speak, to communicate its approval. Bredero’s Dumb Knight both reflects on and exercises speech and silence. The basic structure of the world in which this takes place is rather traditional, and it goes unchallenged. It is a world in which, as Christine Froula has for-
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mulated it in another context, « speech and silence are tied to an archetypal – and arbitrary – hierarchy of gender »15. Here, self-control and silence are noble male qualities, if not virtues ; the loquacity that serves to set it off is a common and thoroughly feminine quality16. In its elevation of « silence » to a male virtue, the Bredero play closely resembles Lewis Machin’s Dumb Knight of 1608. Without meaning to suggest a direct historical connection between the Dutch play and the English play – we are dealing with the repetition of a motif or theme here – it is worth noting that in Machin’s play, Philocles, who is desperately in love with Mariana, the King of Sicily’s sister, swears utter silence after receiving kiss from her17. It is only when her reputation is endangered, as well as her life, that Philocles declares her innocence in public. Also the subplot of Machin’s Dumb Knight shows resemblances to Bredero’s Dumb Knight. The names of two of the prominent characters in this subplot – namely Orator Prate, as well as Mistress Colloquintida – aptly suggest the way in which their verbal pyrotechnics contrast with Philocles’s self-imposed silence. There is little to redeem the Machin play, but rather than relegate it to silent oblivion, it is worth recalling how the Sicilian Orator Prate actually recommends Shakespeare’s Venus and Adonis, and – certainly within the context of speech and silence – that he does so since it is the best aid to public speaking : « A book that neuer an Orators clarke in this kingdome but is beholden vnto, it is called maides philosophie, or Venus and Adonis »18. Like Machin’s play, Bredero’s Dumb Knight is not enlightened in gender terms, nor is it a scientific treatise, like the Abbé Dinouart’s L’Art de se taire, that intriguing prose pamphlet dating from 1771, which draws on classical rhetoric, Castiglione’s instructions on social etiquette, and Machiavelli’s advice to the ruler, in order to develop a code that may help the eighteenthcentury individual reader manoeuvre his way through the then current reli-
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C. Froula, « When Eve Reads Milton : Undoing the Canonical Economy », Critical Inquiry, 10, 1983, p. 343. On this topic, see also C. Luckyj, « A moving Rhetoricke » : Gender and Silence in Early Modern England, Manchester, Manchester University Press, 2002. For anyone in search of direct connections between G. A. Bredero and the London Stage, the texts to investigate would be his Griane and Shakespeare’s The Winter’s Tale. Not only do both plays draw on similar material ; both also have a Time chorus at the centre, marking the passing of almost 16 years. See G. A. Bredero, Griane (1616), éd. F. Veenstra, Culemborg, Tjeenk Willink-Noorduijn, 1973. L. Machin, The Dumbe Knight, op. cit., STC 17398, sig. F 1 r.
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gious rapids19. Bredero’s Dumb Knight is not such a treatise. As a consequence it leaves us with more questions than we may ever be able to answer about the participation and the relative silence of the audience in the tradition of the rhetorician’s theatre. Certainly Bredero himself will not be able to help us any further. The Dumb Knight was the last play he wrote before his death in 1618, which also explains the ironic comment in a dedicatory sonnet that heads the 1619 edition of the play : « With this Dumb Knight », the sonnet argues, « his [Bredero’s] own mouth was closed up [met dees’ stomme is hem oock de mont gesloten] »20. One hopes that – despite the obvious handicap that a 400 year gap imposes – the research currently being conducted at Shakespeare’s Globe in London may help enhance our understanding of the phenomenon.
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Abbé Dinouart, L’Art de se taire, éd. J.-J. Courtine, C. Haroche, Grenoble, J. Millon, 2004. G. A. Bredero, Stommen Ridder, op. cit., p. 57, l. 12.
The Picture of Nobody : Shakespeare’s Paperless Person —◆— Richard Wilson
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t the end, « his nose was as sharp as a pen » as he « babbled of green fields » (Henry V, II, iii, 15). In September 1615, a few weeks before Shakespeare began to make his will and a little over six months before his death, Thomas Greene, town clerk of Stratford, wrote a memorandum of an exchange biographers treasure as the last of the precious few records of the dramatist’s spoken words : « W Shakespeares tellyng J Greene that I was not able to beare the enclosinge of Welcombe »1. John Greene was the clerk’s brother, and Shakespeare, according to earlier papers, was their « cousin », who had lodged Thomas at New Place, his Stratford house. So the Greenes had appealed to their sharp-nosed kinsman for help in a battle that pitted the council against a consortium of speculators who were, in their own eyes, if « not the greatest […] almost the greatest men of England »2. The plan to enclose the fields of Welcombe north of the town was indeed promoted by the steward to the Lord Chancellor, no less. But the predicament for Shakespeare was that it was led by his friends the Combes, rich money-lenders from whom he had himself bought 107 acres adjacent to the scheme. This land was his daughter Susanna’s dowry, and he raised her interest in its deve-
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T. Greene, memorandum September 1615, repr. in E. K. Chambers, William Shakespeare, Oxford, Clarendon Press, 1930, II, p. 143. Chambers thought the ‘I’ of the note was Greene himself ; but the consensus is that it refers to Shakespeare, since as Edgar Fripp logically objected : « Why should Shakespeare tell John Greene, Thomas Greene’s brother, what John Greene had long known and Shakespeare perfectly well knew was known to him ? And why should Thomas Greene, in his confidential note-book, then enter such an inane memorandum ? », E. Fripp, Shakespeare Man and Artist, Oxford, Oxford University Press, 1938, II, p. 814, n. 4. T. Greene, quoting W. Combe, memorandum December 10 1614, quoted M. Eccles, Shakespeare in Warwickshire, Madison, University of Wisconsin Press, 1961, p. 137 (not in Chambers).
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lopment by investing in a half-share of tithes on Welcombe’s corn and hay. Thus at the very close of his life, Shakespeare was pitched into the thick of the economic conflict tearing English society apart, as he now had to weigh his rental income from arable farming against the potential profits from sheep3. The only certain losers from enclosure of Stratford’s green fields would be the tenants, who when sheep ate fields, in a notorious image of More’s Utopia, must « depart away » with babes and chattels on their backs4. Shakespeare had set these pathetic words in Sir Thomas More, where More’s lines were assigned to asylum-seekers. When it came to evictions on his own turf his last recorded utterance that he « was not able to beare the enclosinge » was harder to read. Was his parting word on the most divisive social problem of his age that he could not bear or bar the change ? It seems more than chance that Shakespeare’s final statement is such a textual crux we cannot tell whether he babbled how he could never suffer, prevent or carry enclosure of these fields. As Terence Hawkes has commented, « an entire spectrum of potential meaning » is offered up by the indeterminacy of these famous last words, as if the unresolvable ambiguity in the text were a signifier of deep confusion not only about the barriers which bar real estate, but about the bearing on the writer of the weight of his own sad time : Plurality invests all texts, but none more so than this. Its very subject guarantees it a talismanic, even votive status which offers to propel the words beyond the page. They present, after all, a record of oral utterance on the Bard’s part, significant beyond the context of their saying5.
« We must bear all » says Henry V (Henry V, IV, i, 215) ; Hamlet : death « makes us rather bear those ills we have » (Hamlet, III, i, 80-83) ; Gloucester : « I’ll bear / Affliction till it do cry out itself » (Lear, IV, vi, 75) ; and Macbeth : « bear-like I must fight the course » (Macbeth, V, vii, 2). But « I had rather bear with you than bear you », sighs Touchstone (As You Like It, II, iv, 8) ; and « He’s a bear indeed that “baas” like a lamb » say the citizens in Coriolanus (II, 1, 11). We would like to know whether the author of these lines was a « bear » or « lamb ». For human beings cannot bear much reality, quips Hawkes after Eliot, which is why they tell tales « to paper over the 3
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For the details of Shakespeare’s 1602 purchase of the 107 acres in Old Stratford and Welcombe, see M. Macdonald, « A New Discovery about Shakespeare’s Estate in Old Stratford », Shakespeare Quarterly, 45, 1994, p. 87-89. T. More, Utopia, trans. R. Robinson, éd. R. Marius, London, Dent, 1994, p. 26-27. T. Hawkes, « Playhouse-Workhouse », in That Shakespeherian Rag : essays on a critical process, London, Methuen, 1986, p. 10-11.
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cracks »6. The dramatist would spin many stories about « poor naked wretches » (Lear, III, iv, 29) dispossessed by England’s agricultural revolution. Yet when at the end his townsmen gave him a leading part to play in history it appears he retreated behind what Stephen Greenblatt calls the « double consciousness » through which the actor hid himself from view7. W. H. Auden thought the poet should « Sing of human unsuccess / In a rapture of distress »8. In Shakespeare’s case it often seems that this may indeed be « the tune of our catch », yet always « played by the picture of Nobody » (Tempest, III, ii, 121-122). « The picture of Nobody » is a spectre that haunts every biography of a writer who, in the concluding words of James Shapiro’s 1599 : A Year in the Life of William Shakespeare, « held the keys that opened the hearts and minds of others, even as he kept a lock on what he revealed about himself »9. Such for instance is the fastidiously reticent Shakespeare of Charles Nicholl’s The Lodger, a study of the only other record of the Bard’s voice, his testimony in the 1612 Mountjoy case, when he withheld facts from the Court of Requests with similar tact or taciturnity. The stakes in this French farce were not nearly so high – a dowry he brokered for marriage of his London landlord’s apprentice to the daughter of the Huguenot house – but his solemn testimony in court, where he claimed on oath not to remember the sum, was flatly contradicted by another witness who stated he had lately visited « Shakespeare to understand the truth », and learned that « as he remembered » it was « about £ 50 », to leave us with an identical impression that (as the judge told the jurors on the similarly uncomfortable occasion when Samuel Beckett took the stand) the dramatist « does not strike one as a witness on whose word one would place a great deal of reliance »10 : He went « to Shakespeare to understand the truth » : something many have done since. This seems to imbue [Shakespeare’s] deposition with a note of betrayal, a refusal to involve himself. He was probably the only person who could swing the court. But he does not. Caution prevails : a man must be care6 7
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T. Hawkes, op. cit., p. 21. S. Greenblatt, Will in the World : How Shakespeare Became Shakespeare, London, Jonathan Cape, 2004, p. 155. W. H. Auden, « In Memory of W. B. Yeats ». J. Shapiro, 1599 : A Year in the Life of William Shakespeare, London, Faber and Faber, 2005, p. 373. Justice O’Byrne summing up in Sinclair v Gogarty, The Irish Times, 24 November 1937, quoted in J. Knowlson, Damned To Fame : The Life of Samuel Beckett, London, Bloomsbury, 1996, p. 259.
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ful what he says in court. In his failure to remember, his shrug of non-involvement, he sides with the unforgiving father and against the spurned daughter. And so the deposition, a unique record of Shakespeare speaking, contains also this sour note of silence. He follows the example of his own Paroles […] whose last words are, « I will not speak what I know » (All’s Well, V, iii, 263). « Mr Words » has spoken enough11.
« He can say nothing touching any part or point » : for Nicholl, this last entry in the court record sums up not merely Shakespeare’s tight-lipped discretion in the Mountjoy affair, but a cold-hearted detachment that characterises all his deeds and works, an indifference sealed in the hurried, perfunctory signature appended to his deposition : « Willm Shaks ». It is with this « frozen gesture » of a scrawl « abruptly concluded with an omissive flourish » that Nicholl opens and closes The Lodger, since its impatience seems to epitomise the uncaring aloofness of the unsatisfactory witness he calls « the gentleman upstairs » : « The pen blotches on the ‘k’ and tails off. It will do. It will get him out of that courtroom, away from these questions and quarrels. The signature attests his presence at that moment, but in his mind he is already leaving ». Nicholl’s last glimpse of the busy writer bidding curt good day to the litigants thus evokes an entire life of emotional and moral withdrawal : « He walks down to the wharf at Westminster Stairs to catch a boat downriver. He does not know if he will see them again, and we do not know if he did »12. This picture matches the idea of « Ungentle Shakespeare » that has become fixed in biographies, of the shifty tax-evader in that « upstairs room » who lives out the artful dodging of Matthew Arnold’s sonnet : « We ask and ask – Thou smilest and art still, / Out-topping knowledge »13. In 1975 Samuel Schoenbaum could pity « the poet-dramatist of superhuman powers » as a « baffled mortal » faced by the « sordid and mercenary » scandal in the court of law14. But Peter Ackroyd reflects current disbelief when he notes that the Mountjoy case shows how whenever Shakespeare is « called to account he becomes non-committal or impartial, maintaining studied neu-
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C. Nicholl, The Lodger : Shakespeare on Silver Street, London, Allen Lane, 2007, p. 271-272. Ibid., p. 3 and 272-273. K. Duncan-Jones, Ungentle Shakespeare : Scenes from His Life, London, Thomson Learning, 2001, p. 262 ; M. Arnold, « Shakespeare », in The Poems of Matthew Arnold, éd. K. and M. Allott, London, Longman, 1965, p. 48-49. S. Schoenbaum, William Shakespeare : A Documentary Life, Oxford, Oxford University Press, 1975, p. 213.
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trality. He withdraws ; he becomes almost invisible »15. So Nicholl is not alone in seeing in Paroles his creator’s self-portrait as an « actor with nothing inside »16. Repeatedly the dramatist figures now as an « Unpolitical Man » whose discretion is an abstention that only serves what in Bingo, his play about the Welcombe enclosure, Edward Bond calls « the Goneril society »17. Ben Jonson, who considered « rashness of talking should not only be retarded by the guard and watch of our heart, but fenced in », was appalled that « in his writing (whatsoever he penned) he never blotted a line », which the jealous rival mistook for careless talk. But as Wittgenstein would complain : « His pieces give me an impression as of having been dashed off by someone who can permit himself anything so to speak. And I don’t like it »18. For a post-structuralism that values rashness, it is this « omissive flourish » by a « creator of language » who is spirited from the scene of writing which produces the « subjectivity effect » Joel Fineman termed « Shakespeare’s “Perjur’d Eye” » : a presence in lying misrepresentation19. Like Nichol, Finemann reads this perjury in the haste with which the dramatist shortened his own signature to « Willm Shakspere » and « ‘Wm Shakspē » in legal papers, a cursory marker that betrayed the hypocritical « relation between “Will” and “writing” ». For the « Shakespeare » who « never blotted a line » he penned for players was the same writer who acknowledged « What wit sets down is blotted straight with Will » (Lucrece, 1299), so knew his letters were blotched by the rashness with which he signed himself : « Will I am ». As Jonathan Goldberg comments, in Shakespeare’s six signatures he never spells his name the same way twice, as if his only sense of being is in his secretary hand20. What Jonson’s complaint therefore suggests is a Will who writes as if his cursive hand has neither beginning nor end, and is indeed a free
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P. Ackroyd, Shakespeare : The Biography, London, Chatto & Windus, 2005, p. 464. C. Nicholl, op. cit., p. 267. Cf. Thomas Mann’s 1918 « Reflections of an Unpolitical Man », with its disastrous defence of German spiritual inwardness (Innerlichkeit) ; E. Bond, Bingo, London, Eyre Methuen, 1974, « Introduction », p. ix. L. Wittgenstein, Culture and Value, éd. G. H. von Wright, trans. P. Winch, Oxford, Blackwell, 2006, p. 98. J. Fineman, The Subjectivity Effect in Western Literary Tradition : Essays Towards the Release of Shakespeare’s Will, Cambridge, MIT Press, 1991, p. 169 & 214. For a brilliant Derridean riff on the « rashness » of Shakespeare’s hermeneutic openness, see E. Fernie, « The last act : Presentism, spirituality and the politics of Hamlet », in Spiritual Shakespeares, éd. E. Fernie, London, Routledge, 2005, p. 186-211, esp. p. 194. J. Goldberg, Shakespeare’s Hand, Minneapolis, Minnesota University Press, 2003, p. 129.
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hand : « frozen in static motility, between a departure always initiated and an arrival prospectively postponed in anticipation of a destination forever deferred »21. Always running on, the free Will post-structuralism celebrates for his « free and open » text comes to resemble the Derrida who in his last interview disclosed how he never stopped writing so as to stave off his own death : « This is not a striving for immortality ; it’s something structural. Each time I let something go, each time some trace leaves me, “proceeds” from me. I live my death in writing ». Whenever « I leave a piece of paper behind, I go away, I die », the dying philosopher reflected22. And the elective affinity is only increased by Derrida’s memory in Paper Machine of the performative crisis when he generated « endless drafts with a special drawing quill », before reluctantly « putting a stop to them » in type, a final « signal of separation, of severance, the official sign of departure for the public sphere »23. So Derrida’s reminder of how writers have always imagined manumission as a resistance to the dead hand of authority perfected in mechanical writing suggests Shakespeare’s multifarious signatures, unreadable equivocations, missing manuscripts, and undocumented biography might all be traces of his « free hand » within the early modern textual economy ; as if he had always intended to leave no paper behind, to remain a paperless person, at the very instant when as Miguel de Cervantes similarly feared, the technological basis of literature was becoming the great and terrifying new « paper machine » : It happened, that as they passed through one street, Don Quixote looked up and saw written upon a door in great Letters : « Here are Books printed », which pleased him wondrously, for till then he had never seen any Press, and he desired to know the manner of it24.
Towards the end of Don Quixote the Doleful Knight wanders into a busy Barcelona printing-house, « where he saw in one place drawing of sheetes, in another Correcting, in this Composing, in that mending : Finally, all the Machine that is usuall in great Presses ». Here he is introduced to the Author, « a good comely proper man » but « somewhat ancient », whom he wishes luck before asking about the book being printed : « they answered him that 21 22
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J. Fineman, op. cit., p. 168. J. Derrida, Learning to Live Finally : The Last Interview, trans. P.-A. Brault, M. Naas, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2007, p. 32-33. Id., Paper Machine, trans. R. Bowlby, Stanford, Stanford University Press, 2005, p. 20. M. de Cervantes, The History of Don Quixote of the Mancha, trans. T. Shelton, London, Blount, 1620, repr. London, David Nutt, 1896, IV, chap. 62, p. 195.
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it was called The Second Part of the Ingenious Knight, Don Quixote de la Mancha ». What is disconcerting is how the Don instantly wants his book « turned to ashes ». For as Carlos Fuentes remarks, this representation of representation is surely the first time a character learns he is condemned to be a mere fiction. Thus, « The act of reading is both the starting point and the last stop on Don Quixote’s route ». For Fuentes, this episode of chill foreboding, printed a year after Cervantes’ death, marks the true birth of literature, as it is where « reality loses its defined frontiers, feels itself displaced, transfigured by another reality made of paper and words. Where are the limits between Dunsinane and Birnam Wood ? ». Only Shakespeare foresees the coming of the book, Fuentes believes, with the same dark misgivings about literary posthumousness as make Don Quixote sorrowful. And when Cervantes leaves open the page where the reader knows himself read and the writer written, it is easy to imagine these two who died on the same date in 1616 were the same man, that « Will Shakespeare, the comedian with a thousand faces, wrote Don Quixote ». For what these exact contemporaries both foresee is that the figurative birth of the author will mean the actual death of the writer himself. Fuentes likens the Sad Knight to the Black Prince who also knows he is a paper ghost composed of « Words, words, words » (Hamlet, II, ii, 192). But the alarm at the coming book that for the novelist announces « the thing called literature » had been rung by Shakespeare in 1613 with an even closer parallel to Cervantes, when the page Fidele played by Imogen was asked to identify his lost master, and the time of Cymbeline was punctured with a similarly uncanny reply : « Richard du Champ »25. For as editors note, this French « champion » translates as Richard Field, printer of Shakespeare’s poems and his Stratford friend, while Fidele is an anagram of a faithful page. At the time of Cymbeline the King’s Men occupied the playhouse beside Field’s printshop in Blackfriars, where « the topography of print could be measured in feet »26. So, no wonder that this most bookish play turns on a metaphor of printing as parenting ; nor that it is the text where the Folio is first projected as « the world’s volume » (III, iv, 137). The literariness of Cymbeline signals prescience about the new « paper machine ». But what makes Shakespeare so like his Spanish double is the melancholy with which he mourns his lost 25
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C. Fuentes, « Cervantes, or The Critique of Reading », in Myself with Others : Selected Essays, London, Andre Deutsch, 1988, p. 53-54, 58, 63 and 69-70. A. Johns, The Nature of the Book : Print and Knowledge in the Making, Chicago, Chicago University Press, 1998, p. 68.
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printer. For Richard Field would, in fact, never print him again. And without « such another master », Shakespeare’s page would never recover fidelity to life : There is no more such masters. I may wander From east to occident, cry out for service, Try many, all good ; serve truly, never Find such another master (Cymbeline, IV, ii, 372-376).
« All that he hath writ / Leaves living art, but page, to serve his wit » : the final words on his memorial tablet underline what the bust above celebrates, and critical fashion would now restore : the image of Shakespeare as a sole author poised quill in hand over his sheet of paper, absorbed in that rapt scene of writing Jonson so resented and his editors Heminge and Condell evoked when they recalled « His mind and hand went together, and what he thought, he uttered with that easiness that we have scarce received from him a blot in his papers »27. This is the Bard generated by the First Folio as « a figure for Art itself », existing, as Leah Marcus puts it, « in lofty separateness from the vicissitudes of life », yet in trance-like communion with future ages ; and enshrined in portraits like Virginia Woolf ’s, when her Orlando bursts in on « a rather fat, rather shabby man’ sitting at the servants » table, who looks through him with « eyes globed and clouded », as he « turned his pen in his fingers this way and that way and then, very quickly wrote half-a-dozen lines »28. And it is the myth of absent-minded genius devouring reality that inspires films like Shakespeare in Love and Molière, where a love affair cues Twelfth Night or a month in the country Le Bourgeois Gentilhomme29. Yet the Stratford memorial also hints at a Cervantine disenchantment with the deadliness of a paper personality, when in the imagery of Cymbeline it insists print leaves the dramatist’s « living art » with « but page, to serve his wit ». For « Living art » is what is lost by the bookmen in Love’s Labour’s Lost to buy the eternity of funereal print (I, i, 1-14). So this is a tribute which adds a sharp twist to the critical debate about whether Shakespeare ever intended his « living art » to be engraved, for it confirms how at the time of his death even his 27
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H. Condell, J. Heminge, « To the great Variety of Readers », repr. in W. Shakespeare, The Norton Shakespeare, éd. S. Greenblatt, W. Cohen, J. Howard, K. Eisaman Maus, New York, Norton, 1997, p. 335. L. Marcus, Puzzling Shakespeare : Local Reading and Its Discontents, Berkeley, California University Press, 1988, p. 24 ; V. Woolf, Orlando : A Biography, London, Penguin, 2006, p. 20. See R. Gottlieb, « Lit-Flicks », New York Review of Books, vol. 54, no 14, September 27 2007, p. 20-22.
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close colleagues sensed the playwright’s paper immortality to be an eclipse of reality, experiencing the painful birth of the ageless author in Derrida’s and Fuentes’ terms, as the death of the mortal wit. Together with Fidele’s lost faith, Shakespeare’s Stratford « graving » throws a sombre shadow over the theory floated by Lukas Erne in Shakespeare as Literary Dramatist, that the playwright had always desired publication of his words, and had them printed as expertly as possible, until some point about 1602 when he began to authorise the novel idea of a folio of his collected Works. Erne himself thinks that the primary push for publication came not from Shakespeare but « printers, publishers, and booksellers’ eager to cash in on ‘an enterprise with little or no prestige »30. But what the tombstone and Cymbeline instead seem to mourn is the falling-away of the dead and blackened page, the printed spectrality that demands the human sacrifice that theatre’s living « Golden lads and lasses all must, / As chimney-sweepers, come to dust » (IV, ii, 262). This is a penman who can never forget that together with soot, wormwood and urine, his ink is « made of gall » (I, i, 102)31. But as his book and grave both loom closer, so Shakespeare’s apprehension about the stigma of print deepens, we deduce, and the print-shop becomes, as for Cervantes, not the house of life but a place of death to add to the other perils of representation in an age when, if the author shows his face, he does so as the trailing snail, « whose tender horns being hit / Shrinks backward in his shelly cave » (Venus, 1033). « Thus far, with rough and all-unable pen / Our bending author hath pursued the story » : what is striking about Shakespeare’s idea of authorship, it emerges from those few occasions like the one in the Epilogue of Henry V when he takes a bow, is how his authority is « bent » by the same bonds of subjection he gave his protagonists, who in scene after scene he imagines in an attitude not of self-determination or intentionality, but of « rough and all-unable » yet wily or peasant-like subservience. We like to imagine that « Printing opened up a world previously undreamed of, in a sense of liberating writers from the constraints of aristocrats », authorising an emancipation which had « already been happening in the theatre with its paying audience »32. Yet whe-
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L. Erne, Shakespeare as Literary Dramatist, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 33. For the noxious constituents of printers’ ink, see M. De Grazia, P. Stallybrass, « The Materiality of the Shakespearean Text », Shakespeare Quarterly, 44, 1993, p. 281-282. D. Bergeron, Textual Patronage in English Drama, 1570-1640, London, Ashgate, 2006, p. 142.
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never Shakespeare refers to « the author », we notice, it is either in a traditional context of culpability – as Hamlet is said to be the « most violent author / Of his just remove » (Hamlet, IV, vi, 76) – or the dozen times he uses the word in a modern literary sense, of authorial evasion – as when Malvolio « will read politic authors » to « baffle Sir Toby » (Twelfth, II, iv, 141). So, at a time when the credibility gap opened up by printing is being bridged by a new book culture of good will and trust, Shakespeare’s authors remain always associated with hermeneutic crisis, like the « strange fellow » who makes Ulysses « strain » at his « drift » : « That no man is the lord of anything … Till he communicate his parts to others » (Troilus, III, iii, 90 : 11)33. On the Shakespearean stage where books are promiscuously « sluttish », as they « wide unclasp the tables of their thoughts / To every ticklish reader » (IV, vi, 61-62), characters who « read much » are depicted as myopic or treacherous, like Cassius and Brutus (Julius, I, ii, 22)34. So when Troilus swears his love by « truth’s authentic author » (Troilus, III, ii, 168) ; French « authors faithfully affirm » law (Henry V, 1, ii, 43) ; or Gower retails « what mine authors say » (Pericles, I, i, 20), credit is precisely what is strained, as in these plays, we discover, there is no « author in the world / Teaches such beauty as a woman’s eye » (Love’s, IV, iii, 291 : 17). Bent double, « our humble author » (2 Henry, IV, Epi, 23) is as much a « crooked figure » for this playmaker as his suspect text (Henry V, Pro. 15). So like the Foucault who told Americans that though « We are accustomed to seeing the author as a genial creator. The truth is quite the contrary : the author is a functional principle by which, in our culture, one impedes the free circulation of fiction », it seems Shakespeare never forgets the restriction of his own scene of writing, nor how « Our bending author » is obliged to bow low to the authorising institutions, even as his servile pen is subjected to the discourse of « the story »35. Thus, when he represents his twisted conditions of production in Hamlet he has the naughty « fellow » who speaks the Prologue to The Mousetrap insist not only upon collective ownership of the play, but on the cravenly contorted « stoo-
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A. Johns, op. cit., p. 31-37. F. Kiefer, Writing on the Renaissance Stage : Written Words, Printed Pages, Metaphoric Books, Newark, University of Delaware Press, 1998, p. 292. M. Foucault, « What Is an Author ? », trans. J. V. Harari, in The Foucault Reader, éd. P. Rabinow, Harmondsworth, Penguin, 1984, p. 118-119. Cf. C. Connors, « Derrida and the Fiction of Force », Angelaki, vol. 12, no 2, 2007, p. 13 : « It’s deliberately orotund this chorus […] as well as excessive, in its very humility. It needs to invoke pardon, since it’s a crooked not a perfect figure ».
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ping » required to present it on demand : « For us and for our tragedy, / Thus stooping to your clemency / We beg your hearing patiently » (III, ii, 133-135). Between stage and page, when he takes a bow Shakespeare comes forward, he states, expressly « not in confidence » of either « author’s pen or actor’s voice » (Troilus, Pro, 23-24). Editors like to think Shakespeare spoke such « curtain » speeches in self-effacing cameo roles. But in 1599 Shapiro contends that the Epilogue of 2 Henry IV, which finishes by affirming « I will bid you good night, and so kneel down before you – but to pray for the Queen », is « the closest we get » to the author revealing his true or singular self, for there what began with « Shakespeare modestly curtsying » abruptly shifts as he catches himself and « explains to his audience that while it may look as if he’s kneeling “before them”, he’s not ; he’s kneeling in prayer for Elizabeth ». Like the makers of Shakespeare in Love, which has its « self-schooled, self-scanned, self-honoured, self-secure » Bard authorised by Gloriana’s gala appearance on the stage of the Globe, Shapiro notices no contradiction between his capitalist entrepreneur, « who offers himself as a merchant » to an audience of investors, and this servile grovelling to feudal authority36. But in Secret Shakespeare I keyed Shakespeare’s recurring allegiance test, in which subjects are suborned to present subjection, to the « Bloody Question » of a loyalty divided between Queen and Pope that conditioned the writer’s subject position in this age of vows, as one born into a Catholic milieu who resisted the resistance to Elizabeth’s « war on terror » whilst making a drama out of the quiet refusal to be put on oath. There was an affinity, I argued, between Shakespeare’s truth games and the enigmatic gazes of Caravaggio, who in pictures like The Calling of St Matthew, where no one meets Christ’s eye or answers his call, repeats the same hermeneutic puzzle of a self performing secrecy, as Leo Bersani and Ulysse Dutoit put it : « at once presenting and withdrawing itself », as if we were being solicited « by a desire determined to remain hidden »37. For the compulsion with which painter and playwright both return to such scenarios of invigilation or interpellation confirms how these artists in the doorway of modernity see their own calling as the representation of subjectivity itself : 36
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J. Shapiro, op. cit., p. 41 ; M. Arnold, « Shakespeare », in The Oxford Authors : Matthew Arnold, éd. M. Allott, R. Super, Oxford, Oxford University Press, 1986, p. 8. L. Bersani, U. Dutoit, Caravaggio’s Secrets, Cambridge, MIT Press, 1998, p. 8-9 ; R. Wilson, Secret Shakespeare : Studies in Theatre, Religion, and Resistance, Manchester, Manchester University Press, 2004.
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What shall Cordelia speak ? Love, and be silent… Unhappy that I am, I cannot heave My heart into my mouth (King Lear, I, i, 60 ; 90-91).
« Now, our joy… what can you say… ? Speak… speak again… mend your speech » (81-93) : as Stanley Cavell notes in an aside on asides, it is in staging the problem of performative utterance that the dramatist speaks, for « Doesn’t it figure… that it is Shakespeare who creates, as the first aside in King Lear – Cordelia’s perplexity over what to say or to do – a question of ambiguity between speaking and silence, which the aside… precisely embodies ? ». For Cavell the convention by which an aside is both « overheard and unheard » foregrounds Shakespeare’s performative crisis by « suggesting that this is the condition of words of the play as a whole »38. Thus, at the instant when a new rule of art is promulgated that to be an « authentic author » it is necessary to « look in thy heart and write ! ». Shakespeare, like Brecht prevaricating before the Committee on Un-American Activities, makes a drama out of resistance to the imperative « That I… Must, like a whore, unpack my heart with words », by demonstrating that although « you would pluck out the heart of my mystery » (Hamlet, II, ii, 561-563 ; III, ii, 336), « You cannot, if my heart were in your hand » (Othello, III, iii, 176)39. So Shakespeare in Love got him exactly inside-out when Tom Stoppard imagined his existential crisis to be a writer’s block, since what these execution metaphors reveal is how this most secretive of writers identified « windy suspiration of forc’d breath » (Hamlet, I, ii, 79) with a racked confession, and self-expression itself with guts spilled upon the scaffold40. By contrast, it is Shakespeare’s very reluctance to present himself as an author, allied to the stage-fright he betrays when he has « great clerks… Throttle their practised accents in their fears » (Dream, V, i,
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S. Cavell, « The Interminable Shakespearean Text », in Philosophy The Day After Tomorrow, Cambridge, Havard University Press, 2005, p. 57. Where Cavell’s interpretation differs from mine, however, is in his emphasis on Shakespeare’s staging of « stifled speech » and « suppressed expression » (p. 56). Sir P. Sidney, « Astrophel and Stella », 1, l. 14, in The Poems of Sir Philip Sidney, Oxford, Clarendon Press, 1962, p. 165. For the association of « forced breath » with torture and execution, see E. Hanson, Discovering the Subject in Renaissance England, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; K. Eisman Maus, Inwardness and Theater in the English Renaissance, Chicago, Chicago University Press, 1995 ; and R. Wilson, Secret Shakespeare, op. cit.
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93-97), that makes his texts such apt illustrations of Foucault’s theory that this « Visibility is a trap »41. The « masked philosopher » who traced psychiatry to the confession-box connected his desire to publish anonymously and « write without a face » to his sensation, as a gay teenager in Vichy France, that « the obligation of speaking was both strange and boring. I often wondered why people had to speak »42. Yet it is Foucault’s realisation that resistance leans upon what it opposes which offers a key to Shakespeare’s « sweet and witty soul », the « honey tongue » with which the poet is said to have accommodated himself to the demands from the great to speak, despite notoriously associating flattery with spaniels licking candy43. So, rather than searching for some authentic Shakespeare, it might be timely to recall his own image of himself as that « bending author » who bows to the power that he bends, and to do so by considering how he presents his own professional calling not as the self-advancing « trick of singularity » (Twelfth, II, v, 132) of literary individualism,
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For Shakespeare’s « narcissistic » terror of exposure, see M. A. Skura, Shakespeare the Actor and the Purposes of Playing, Chicago, Chicago University Press, 1993 ; « Visibility is a trap » : M. Foucault, Discipline and Punish : The Birth of the Prison, trans. A. Sheridan, Harmondsworth, Penguin, 1977, p. 200. « Masked philosopher » : « Le Philosophe masqué », anonymised interview with C. Delacampagne, Le Monde, 6 April 1980, 1 & 17, quoted in D. Macey, The Lives of Michel Foucault, London, Hutchinson, 1993, p. 426 : « For someone like me, and I am not a great author, but simply one who manufactures books, one likes [the books] to be read for their own sake » ; « To write without a face » : Michel Foucault, The Archaeology of Knowledge, trans. A. Sheridan, London, Tavistock, 1972, p. 17 ; « speaking was strange and boring » : « An Interview with Stephen Riggins » (Toronto, June 1982), in M. Foucault, The Essential Works, 1 Ethics, éd. P. Rabinow, London, Allen Lane, 1997, p. 121-122 : « Silence may be a much more interesting way of having a relationship with people […]. This is something that I believe is really worth cultivating. I’m in favour of developing silence as a cultural ethos ». M. Foucault, « Sex, Power, and the Politics of Identity » (interview with B. Gallagher and A. Wilson, Toronto, June 1982, originally pub. in The Advocate, 400, August 7 1984), Discipline and Punish, op. cit., p. 168 : « For instance […] the medical definition of homosexuality […] which was a means of oppression, was a means of resistance as well, since people could say, “If we are sick, why do you condemn us ?” ». « Honey tongued » : F. Meres, Palladis Tamia : Wit’s Treasury, London, 1598, f. 281 v-2, repr. in S. Schoenbaum, op. cit., p. 140. For the « tactfully suppressed grievance that Shakespeare did not love dogs as he should », because he associated sycophancy with spaniels licking candy, see W. Empson, The Structure of Complex Words, London, Chatto and Windus, 1951, p. 176.
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but as the more historically determined and contradictory desire to write without a face. « Speak the speech, I pray you, as I pronounced it to you – trippingly on the tongue » (Hamlet, III, ii, 1) – Hamlet’s instruction to the Players, so often misread as Shakespeare’s own artistic manifesto, reminds us how he analysed his situation in terms not of free will or self-determination, but of performance to order. So, how did this writer understand the symbolic revolution by which the modern cult of the sovereign author broke free of the old culture of calendar custom and state ceremonial ? Dialectically ; and time and again he depicted his art as a negotiation like that at Elsinore where, as Pierre Bourdieu saw, the surprise is that literary independence has to be instituted under the tutelage of an aristocrat who directs the play like a master of revels, confirming how Shakespeare did not « display towards external restraints the impatience which for us appears to define the creative project ». For although he would finally « owe his freedom of expression to theatre managers… and entrance fees paid by a public of increasingly diverse origin », impresarios like Philip Henslowe could « mould the taste of the age », which was why on Shakespeare’s stage, Bourdieu concluded, the first modern literary field was inaugurated in deference to rather than defiance of the licensing regime, and why even as he gained autonomy, the dramatic author declared ever more loudly his indifference to the public. Like the art-for-art’s sake it prefigured, the birth of the author involved a double rupture with power and profit. So for Bourdieu, the institution of the author began with that sweet Shakespearean refusal to reduce his theatre to either a capitalist commodity or political propaganda, when the playwright offered perfect proof of the reflexive theory that constraint makes freedom possible44. Shakespeare’s will to freedom, according to Bourdieu, was as much in relation to the playhouse as the patron. This ironic analysis is minutely substantiated by Andrew Gurr in The Shakespeare Company, where the dramatist’s autonomy is attributed to the « democratic, non-authoritarian management » of a joint-stock company that pretended « Motley’s the only wear » by flaunting the feudal livery of strolling players45. If the Lord Chamberlain’s Men remained « motley-minded » (As You Like It, II, vii, 44 ; V, iv, 40), 44
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P. Bourdieu, « Intellectual Field and Creative Project », trans. S. France, in Knowledge and Control : New Directions in the Sociology of Education, London, Collier-Macmillan, 1971, p. 162-163. A. Gurr, The Shakespeare Company, 1594-1642, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 19.
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Gurr explains, that was because « customary suits » (Hamlet, I, ii, 78) of a feudal household fitted their « family » firm, with joint ownership of assets, including play-texts, properties, costumes, and from 1599 the great Globe itself. This self-governance mimicked City livery companies, which also operated under royal charter, and of which players like Heminge and Condell were freemen (allowing them to enlist boys as apprentices). The complicity implied by the royal warrant « became a supreme paradox in 1603 », Gurr emphasises, « when the most democratic organisation in England came under the patronage of King James, the most despotic figure in the country »46. But the bad faith in such mock dependency was the dramatist’s anxiety from the start, for whenever he imaged a stage it was never a commercial playhouse but always the hall of a palace47. So, from the Induction of The Taming of the Shrew, when the Lord has his page Bartholomew dressed « like a lady » to mime love for Sly (Ind, i, 102) ; to the finale of The Tempest when Prospero, « last of the great house lords », directs his boy-player Ariel to stage « calm seas » (V, i, 318), Shakespeare’s given situation is always a false one where a sovereign or seducer programmes the performance of devotion or desire48. Thus Venus, « the lovesick Queen » who so resembles geriatric Elizabeth, sets the scene for a lifetime of passive aggression towards the patronage system he exploited, when in Shakespeare’s poem she implores Adonis to cease behaving like a dumb statue : « But when her lips were ready for his pay / He winks, and turns his lips another way » (89 ; 175). For in these texts the obligatory command performance is always a similarly forced occasion : There is a lord will hear your play tonight ; But I am doubtful of your modesties… (Shrew, Ind, i, 89-90). Now is the winter of our discontent Made glorious summer by this sun of York… (Richard III, I, i, 1-2). Our court shall be a little academe, Still and contemplative in living art (Love’s Labour’s, I, i, 13-14).
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A. Gun, op. cit., p. 88. For discussions of this paradox, see A. Kernan, Shakespeare, the King’s Playwright : Theater in the Stuart Court, 1603-1613, New Haven, Yale University Press, 1995, p. 178, 180 and 195 ; R. Wilson, « The Management of Mirth : Shakespeare via Bourdieu », in Shakespeare in French Theory : King of Shadows, London, Routledge, 2007, p. 123-139. « Last of the great house lords » : M. A. Skura, op. cit., p. 201. For Ariel as a boy-player, see D. Mann, The Elizabethan Player : Contemporary Stage Representations, London, Routledge, 1991, p. 41.
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Stir up the Athenian youth to merriments. Awake the pert and nimble spirit of mirth (Dream, I, i, 11-12). So shaken as we are, so wan with care Find we a time for frighted peace to pant… (Henry IV, I, i, 1-2). But indeed, sir, we make holiday to see Caesar, and to rejoice in his triumph. (Julius, I, i, 29-30). The king doth wake tonight and takes his rouse, Keeps wassail, and the swagg’ring upspring reels (Hamlet, I, iv, 9-10). If music be the food of love, play on, Give me excess of it… (Twelfth Night, I, i, 1-2). Come, shall we in, And taste of Lord Timon’s bounty (Timon, I, i, 272-273) ? Which of shall we say doth love us most That we our largest bounty may extend (King Lear, I, i, 49-50) ? If it be love indeed, tell me how much (Antony, I, i, 14) ?
The primal theatrical scene for Shakespeare is a test of loyalty to some lordly sponsor, yet always encountered with the same reserve : « If you look for a good speech now, you undo me ; for what I have to say is of mine own making, and what indeed I should say will, I doubt, prove mine own marring ». For it is the self-deconstructing posture of Shakespeare’s claim to be the maker and purveyor of his own meaning that it advances in self-cancelling reverse, backing into the limelight by for ever harking back to service in the great house, as cap-in-hand it proffers « First my fear, then my curtsy, last my speech » (1-6). Thus, Douglas Bruster and Robert Weimann show how with his prologues and epilogues Shakespeare honoured the group dynamics of the great hall ; while Leeds Barroll infers from his output that that he only wrote to order and if there was no commission « simply did not wish to write plays »49. A first among equals, he certainly affirmed that as Stanley Wells reminds us, he would remain a pre-eminent company man, who worked « exceptionally closely with fellow actors… for no other dramatist had so long a relationship with a single company », nor such solid bonds with other writers.
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D. Bruster, R. Weimann, Prologue to Shakespeare : Performance and Liminality in Early Modern Drama, London, Routledge, 2004, p. 40 and 153 ; L. Barroll, Politics, Plague and Shakespeare’s Theater, Ithaca, Cornell University Press, 1991, p. 17. See also T. Stern, Rehearsal from Shakespeare to Sheridan, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 116.
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Thus, Wells’ Shakespeare & Co. concludes that to locate this good companion in his milieu « only enhances sense of what made him unique »50. Likewise, Bart Van Es pinpoints A Midsummer Night’s Dream as a watershed where he first realised his collective personality in being at once a performer, sharer, and writer in a permanent « fellowship » exempt from market pressures. Shakespeare’s singularity arose, on this view, from the golden opportunity the 1594 Lord Chamberlain’s warrant afforded to cover all bases of the field51. As Emerson wrote, Shakespeare proves « the greatest genius is the most indebted »52. Such accounts are similar to Bourdieu’s thesis that reconstructing the professional world of the pre-eminent artist « allows us to understand the labour he had to accomplish, both against these determinations and thanks to them, to produce himself as the creator, that is, the subject of his own creation »53. But the question they pose is also Bourdieu’s, about what it was the writer gained from continuing to merge his individual interest in the faceless impersonality of a corporate brand. What was Shakespeare’s interest in disinterestedness ? And one answer that the plays themselves suggest is that it was the safety in numbers that gave him the freedom to write as he liked. In a system where for one of the band to roar too loudly, as his Peter Quince solemnly warns, « were enough to hang us all » (Dream, I, ii, 72), mutual « good will » between patrons and performers was cemented by subduing the playwright’s intentions and identity to the métier he worked in « like the dyer’s hand » (Sonnet 111) ; by « our good Will », the implied authorial personality behind the scenes, never, in fact, stepping out of the collective line : « If we offend it is with our good will. / That you should think we come not to offend / But with good will » (Dream, V, i, 108-110). « All for your delight / We are not here » (114-115) : if texts began to have authors, as Foucault theorised and Quince fears, to the extent that authors became subject to punishment, Shakespeare’s paradoxical signature vanishingact, his reduction to the missing person who is yet a universal cipher of the world’s « good will », also records the coincidence that (as Derrida countered) the « Strange Institution » of literature commenced around 1600 as « the right to say everything ». Thus, if the originator of modern authorship insured
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S. Wells, Shakespeare & Co., London, Allen Lane, 2006, p. 4-5, 27 and 231. B. Van Es, « Company Man : Another crucial year for Shakespeare », Times Literary Supplement, February 2 2007, p. 14-15. R. W. Emerson, Representative Men, éd. P. Schirmeister, New York, Marsilio, 1995, p. 188. P. Bourdieu, The Rules of Art : Genesis and Structure of the Literary Field, trans. S. Emmanuel, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 104.
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his freedom of expression by remaining invisible, hiding his face in the crowd or being dragged to the chair, this false modesty finessed the problem that prior to the securing of the public sphere the literary field had no other ground of authorisation. For « How is it possible to answer for literature ? » if it bows to no other institution and demands by definition « as large a charter as the wind » (As You Like It, II, vii, 48) : « A paradox : liberation makes it an institution that is an-institutional, wild and unconditional ». Derrida deduced that what literature’s claim to sovereignty therefore entailed was « not irresponsibility but rather a mutation in the concept of responsibility »54. And it is the vertigo of this process that does appear to be negotiated in A Midsummer Night’s Dream, the work above all which identifies « good will » as a precondition of literature when, in its closing pact, Puck takes upon his fictive persona responsibility for a theatre « No more yielding » to authority « than a dream ». On the strict understanding that the « play needs no excuse » when its creator is « dead » (V, i, 341-343 ; Epi, 15-16), Shakespeare’s « powerless theatre » thereby leaps its groundlessness to assert « the right to say everything, if only in the form of a fiction »55. In Shakespeare’s Athens free speech is gained by absenting authorial presence, since « We do not come, as minding to content you, / Our true intent is » (V, i, 113-114) : « Therein lies literature’s secret, the… power to keep undecidable the secret of what it says… The secret of literature is the secret itself… “the play’s the thing” » (Hamlet, II, ii, 581)56. So, if it is secrecy about its own origins and intentions which grants literature a permit « to say everything », what is intriguing is how Shakespeare’s self-concealment extends, as Richard Dutton argues, to the startling paradox that he was too altruistic a company man, too loyal to collective identity to push his name, too bound by ties that went beyond a « mere contractual framework » to be the single author of
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J. Derrida, « That Strange Institution Called Literature », in Acts of Literature, éd. D. Attridge, London, Routledge, 1992 ; J. Derrida, E. Roudinesco, For What Tomorrow… A Dialogue, trans. J. Ford, Stanford, Stanford University Press, 2004, p. 127. « Powerless theatre » : P. Yachnin, Stage-Wrights : Shakespeare, Jonson, Middleton and the Making of Theatrical Value, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1997, p. 12-13 and 21 ; J. Derrida, « The Future of the Profession or the University Without Condition (Thanks to the “Humanities” what could take place tomorrow) », in Jacques Derrida and the Humanities : A Critical Reader, éd. T. Cohen, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 27. J. Derrida, Geneses, Genealogies, Genres and Genius : The Secrets of the Archive, trans. B. Bie Brahac, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2003, p. 18-19.
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the book »57. Or as Jeffrey Knapp puts it, « Shakespeare worried throughout his career that the religion of the book might be inherently elitist, as The Tempest suggests »58. So, like Hamlet, he escaped such sovereignty by perpetual postponement ; and on the one occasion he claimed author’s rights it was to protest he was « much offended » with William Jaggard, the printer of the Folio, for falsely publishing a volume in his name59. Such self-protection is not the same as Eliot’s dictum that all art is « an escape from personality ». But if we take « our good Will » to be a founder of modern authorship, it is to agree that what happens in his writing is « a continual surrender of himself… to something more valuable… a continual self-sacrifice, a continual extinction of personality » : « Marry, if he that writ it had… hanged himself… it would have been a fine tragedy » (Dream, V, ii, 342-344)60. « Now he terrifies me », wrote Rilke of the Shakespeare of the Epilogues, « The way he draws / the wire into his head, and hangs himself / beside the other puppets, and henceforth begs mercy of the play »61. « Good Will’s » self-erasure, his drive to « hide himself from view » as if hanging beside his own creations, has indeed been decoded by Greenblatt as a burial « inside public laughter » of the « intense fear that once gripped him » of actual martyrdom. Having been traumatised by real executions of Catholics, the « genially submissive » yet « subtly challenging » writer excises his personality, on this view, « to ward off vulnerability »62. Thus, in contrast to Caravaggio, who paints his own decapitation, the death of the author here serves « a symbolic effacement… for, given rope to hang himself, [he] submits instead to an aesthetic closure »63. Such symbolic self-denial is enacted by the Williams of the plays, « ironically self-deprecating cameos like Hitchcock’s brief appearances in his films », a sly parade, typified by the bumpkin of As You Like It, in which Shakespeare associates his own name, Phyllis Rackin
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R. Dutton, « The Birth of the Author », in Texts and Cultural Change in Early Modern England, éd. C. Brown, A. Marotti, Basingstoke, Macmillan, 1997, p. 153-178, here p. 161. J. Knapp, Shakespeare’s Tribe : Church, Nation, and Theater in Renaissance England, Chicago, The University of Chicago Press, 2002, p. 54. S. Schoenbaum, op. cit., p. 219-220. T. S. Eliot, « Tradition and the Individual Talent », in Selected Essays, London, Faber and Faber, 1932, p. 17 and 21. R. M. Rilke, « The Spirit Ariel (After reading Shakespeare’s Tempest) », in Rilke : Selected Poems, trans. J. B. Leishman, Harmondsworth, Penguin, 1964, p. 74. S. Greenblatt, op. cit., p. 152 and 155. R. Wilson, « The Kindly Ones : The Death of the Author in Shakespearean Athens », op. cit., p. 160.
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notes, « with inarticulate, humble life obliterated by the textualized world of his betters »64. But such also is the resistance implied when these sweet Williams cheek masters, accuse the king, or skive at Hinkley fair (2 Henry VI, V, i, 21). Thus what these winking Wills personify is a truant evasion of textualized authority that Shakespeare makes the story of his life : his recalcitrance to the printed fix of authorship itself. For as A. D. Nuttall concludes in his own posthumous book, Shakespeare the Thinker, while his name did become « a selling point », because the public « certainly caught on to the fact that Shakespeare was the man behind the plays », this writer himself appears to have feared the ghostliness of typographic immortality as « a freezing, a cryogenic perpetuation of something mobile » and alive65. Assuredly, Shakespeare was the author of his authorship, who produced himself as the « subject of his own creation ». But he was also a showman embarrassed to be « a motley to the view » (Sonnet 110) ; and a « tongue-tied unlettered clerk », mumbling « Amen » to every « well-refinèd pen » (Sonnet 85). And so far from being indifferent to the dread « paper machine », he littered his texts with allusions to the violence of engraving, imprinting, pressing, branding, binding, and pressing : the morbid techniques of publishing which « throw into question any identification of the system with a sovereign author », and mark aversion to inscription of a name in characters66. Shakespeare would become « an institutionalized residue » coating a proper name67. But this writer who dreaded his coming book as a tombstone like those brass-lettered graves which spell « the disgrace of death » for the bookmen in Love’s Labour’s Lost (I, i, 1-3) ; and who blackened his most bookish figure with the « inky cloak » (Hamlet, I, ii, 78) of the letter that kills ; avoided « the Graver » come to « outdo the life » until the very last68. And even as his « project gather[ed] to a head » (Tempest, V, i, 1), when the future Folio was on his mind as « a book of all that sovereigns do », he 64
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P. Rackin, Stages of History : Shakespeare’s English Chronicles, Ithaca, Cornell University Press, 1990, p. 244 ; « ironically self-deprecating cameos » : M. Skura, op. cit., p. 139. A. D. Nuttall, Shakespeare The Thinker, New Haven, Yale University Press, 2007, p. 377-378. J. Goldberg, Voice Terminal Echo : Postmodernism and English Renaissance Texts, London, Methuen, 1986, p. 97. T. Cochran, Twilight of the Literary : Figures of Thought in the Age of Print, Cambridge, Harvard University Press, 2005, p. 232. « To The Reader », repr. in W. Shakespeare, The Norton Shakespeare, op. cit., p. 3346 : « This figure, that thou here seest put, / It was for gentle Shakespeare cut ; / Wherein the Graver had a strife / With Nature, to outdo the life […] ».
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sensed « He’s more secure to keep it shut than shown » (Pericles, I, i, 137-138). « O, like a book of sport thou’lt read me o’er », Shakespeare had predicted ; « But there’s more in me », he insisted, « than thou understand’st » (Troilus, IV, vii, 123-124). So, until the very end, the creator of « the world’s volume » (Cymbeline, III, iv, 137), who was such an unsatisfactory witness in his own sad time, aborted his « birth » as an author, intent on nothing more wilfully than that « Deeper than did ever plummet sound / I’ll drown my book » (Tempest, V, i, 56) : « like a face drawn in sand at the edge of the sea »69.
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M. Foucault, The Order of Things : An Archaeology of the Human Sciences, trans. anon., London, Tavistock, 1970, p. 387.
La « réduction au silence ». Politiques du silence dans l’œuvre de Shakespeare. —◆— Margaret Jones-Davies
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l y a des moments de l’histoire où les discours s’usent et meurent, où les mots sur lesquels s’appuient les croyances religieuses, politiques, culturelles ne font plus sens. Dans L’Écriture de l’histoire, Michel de Certeau fait le diagnostic de ces faillites du langage qui obligent à ce qu’il appelle une « réduction au silence »1. Il s’intéresse en particulier au discours religieux des XVIIe et XVIIIe siècles : Ce qui est expérimenté de la foi ne peut plus se dire dans un langage désormais affecté à une opération défensive et mué en muraille verbale d’une cité silencieuse2.
Depuis que les hérésies se sont solidifiées en religions rivales le discours de la foi ne parle plus de la même manière. Il ne se déplace plus dans un univers cosmologique d’idées et de mots qui étaient des choses. Le sens spirituel est désormais arrimé à un langage de pratiques3.
Il y a un glissement du discours de la foi à celui de l’éthique d’une société laïque et le discours de la foi qui faisait sens de toute la société est « réduit au silence », à la mystique, à la musique, à la peinture. Ce phénomène de « réduction au silence » explique, pour Michel de Certeau, l’apparition de lieux particuliers consacrés à l’expression du sens désormais limitée à de tels endroits et ne s’épanouissant plus comme évidence dans l’ensemble de la société. Par exemple, la construction et l’essor de théâtres comme lieux privilégiés du sens signale le moment où la société tout entière
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M. de Certeau, L’Écriture de l’ histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 196. Ibid, p. 197. Ibid, p. 179.
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cesse d’être elle-même le théâtre d’un langage du sens comme elle l’était au Moyen Âge4. Dans une telle optique d’une histoire du silence, le quart de siècle pendant lequel Shakespeare écrivit son œuvre est témoin de cette « réduction au silence ». En effet, l’on peut faire remonter ce phénomène de déplacements de discours à partir du moment où la sécularisation de la société rejette vers l’intériorité le discours de la spiritualité. Peter Brown fait remonter ce moment au XIIe siècle : The supernatural which had tended to be treated as the main source of objectified values of the group came to be regarded as the preserve par excellence of the exact opposite ; it became the preserve of intensely personal feeling5.
Dans ce nouveau monde que travaillent les dichotomies de la pensée nominaliste – la foi et la raison, le privé et le public, le spirituel et le temporel, l’universel et le particulier –, le silence joue un rôle spécifique. Il marque le moment de la perte de sens du langage lorsqu’il doit se déplacer du public vers le subjectif, du temporel vers l’exclusivement spirituel. Dans un ouvrage récent, François Jullien décrit ces transitions réelles bien qu’imperceptibles qu’il compare à la fonte de la neige ou au vieillissement. C’est le moment de ce qu’il appelle des « transformations silencieuses »6. Elles naissent dans le contexte d’un scepticisme par rapport au langage. Ce scepticisme a de nombreuses origines philosophiques. Stephen Penn met en garde contre la confusion que l’on peut faire entre le scepticisme nominaliste et le scepticisme de la philosophie traditionnelle ou hermétique relatif au langage7. Si, pour Ockham, « les mots et les concepts nous trompent »8, on peut en faire dire autant à Platon lorsqu’il dénonce les sophistes ou à Aristote qui définit l’aspect conventionnel du langage, ou aux défenseurs de la philosophie (dont l’objet sont les res) contre ceux de l’éloquence (dont l’objet sont les verba). Cette multiplicité des sources sceptiques par rapport au langage 4 5
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M. de Certeau, op. cit., p. 199, note 117. P. Brown, Society and the Holy in Late Antiquity, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 1982, p. 325 ; cité par D. K. Shuger, « Subversive Fathers and Suffering Subjects : Shakespeare and Christianity », in D. B. Hamilton, R. Strier, Religion Literature and Politics in Post-Reformation England, 1540-1688, Cambridge, Cambridge University Press 1996, p. 55. F. Jullien, Les Transformations silencieuses, Paris, Grasset, 2009. S. Penn, « Literary Nominalism and Medieval Sign Theory : Problems and Perspectives », in H. Keiper, C. Bode, R. J. Utz, Nominalism and Literary Discourse, New Perspectives, Amsterdam, Atlanta, Rodopi, 1997, p. 177. G. d’Ockham, Summa Logica, I, 51.
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explique que le silence, dans Shakespeare, peut être condamné ou révéré. S’il n’est que le refuge des obscuri viri de l’ancienne scolastique caricaturée9, la satire de Shakespeare est virulente. Holofernes ponctue ses inepties oratoires d’adages latins qui prônent le silence – « vir sapit qui pauca loquitur » (Love’s Labour’s Lost, IV, ii, 79, ou « pauca verba » IV, ii, 163). Et il ne ménage pas non plus ceux qui sont, selon Gratiano dans The Merchant of Venice, « reputed wise / For saying nothing » (I, i, 96-97) et dans l’antonomase « Justice Silence » (2 Henry IV, III, ii) on lit toute l’ironie contre celui qui n’a pas l’éloquence nécessaire pour rendre la justice. Le discours que Shakespeare réduit au silence ici est celui que Cicéron dénonçait, celui qui opère la séparation de la langue, lingua et du cœur, cor. Le thème est présent tout au long de la Renaissance et prend une coloration religieuse dans les joutes qui opposent les tenants de la scolastique et les réformateurs. Lorsque Philippe Mélanchton fait revivre le débat entre Pic de la Mirandole et Ermolao Barbaro quelque quatre-vingts ans plus tard en 1558, il insiste sur la nécessité de la liaison de la langue et du cœur qui était si chère à Cicéron et que la scolastique aurait déliée10. Mais le silence n’est pas que le refuge de ceux qui n’ont rien à dire. Il peut être l’occasion d’une pause essentielle pour éviter la précipitation de la pensée ou de l’acte11. Il est valorisé comme il l’a été par les défenseurs d’une philosophie encore scolastique, certes, mais illuminée par la redécouverte de l’hermétisme12 – on pense à Pic de la Mirandole13. Le silence, on le voit, est le lieu d’une pensée contradictoire dont on peut suivre les avatars dans l’œuvre de Shakespeare. Lorsque Shakespeare fait dire à Merlin, « priests are more in words than matter » (King Lear) ou à Hamlet « sweet religion makes a rhapsody of words » (Hamlet, III, iv, 49), le scepti-
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G. R. Potter, « La Renaissance et la Réforme en Allemagne », in La Renaissance, éd. M. Brion, Genève, edito-service, 1974, p. 257-258 ; illustration de la page de titre des Epistolæ obscurorum virorum, p. 259. Voir aussi M. Jones-Davies, « La voix suspecte : des crocodiles et des hommes » in Shakespeare et la voix, éd. J.-M. Maguin, P. Dorval, Montpellier, Presses de l’Université Paul Valéry-Montpellier III, 1999, p. 131-157. B. Vickers, In Defence of Rhetoric, Oxford, Clarendon Press, New York, Oxford University Press, 1988, rééd. Clarendon Paperbacks, 1990, p. 184-189. J.-F. Mattéi, La Barbarie intérieure, essai sur l’ immonde moderne, Paris, P.U.F, 1999, p. 128-129. Il appelle cette pause bienfaisante « l’éclair de la transcendance ». Hermès Trismégiste, éd. L. Ménard, Paris, Éditions de La Maisnie, 1977 ; Poimandrès : « Reçois le pur sacrifice verbal de l’âme et du cœur qui monte vers toi, ô inexpressible, ineffable, que le silence seul peut nommer », Livre 1, p. 16. B. Vickers, op. cit., p. 178-179.
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cisme s’attaque au discours religieux officiel qui tout au long de l’œuvre de Shakespeare subit un déplacement nécessitant le passage par le silence. Le silence est un sommeil de la raison du fanatisme dogmatique, qu’il soit catholique ou protestant, car Shakespeare tente de rejoindre les nouveaux courants d’une pensée de la tolérance qui dépasse les clivages confessionnels et qui s’inspire de la philosophie hermétique, l’apanage à la fois des catholiques et des protestants14. La dualité nominaliste entre foi et raison, enjeu essentiel des guerres de religion, reprend tout son sens, s’appuyant sur la redécouverte de l’augustinisme et du fidéisme. Dans Cymbeline (1609), Innogen, surnommée Fidele, s’endort dans ce silence de la foi pendant lequel la grâce peut opérer15. Les discours d’un monde en mutation s’abîment dans le silence. L’œuvre de Shakespeare témoigne de cette possibilité qu’a le langage de s’user. On y trouve des discours périmés ou déplacés, de ces « paroles gelées »16, en suspens dans le silence, rendues désormais inefficaces. Shakespeare décrit le crépuscule des mondes avec toute la poésie exigée par un humaniste qui refuse d’en faire violemment table rase mais qui enregistre ses métamorphoses comme une nécessité de fait.
La réduction au silence de la théorie politique de la résistance passive Roland Mushat Frye a montré que dans les deux dernières décennies du XVIe siècle cette théorie, jusqu’ici défendue par l’Église d’Angleterre, fut mise à mal par les guerres de religion avec la montée en puissance des monarchomaques, puisque selon eux, au nom de la religion qu’ils défendaient il fallait parfois envisager de tuer le roi17.
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F. Yates, Giordano Bruno and the Hermetic Tradition, London, Routledge and Kegan Paul, Chicago, University of Chicago Press, 1964, rééd. Paperback edition, 1978, p. 180-181. M. Jones-Davies, « Cymbeline and the Sleep of Faith », in Theatre and Religion, éd. R. Dutton, A. Findlay, R. Wilson, Manchester, Manchester University Press, New York, Palgrave, 2003, p. 197-217. F. Rabelais, Œuvres complètes, éd. J. Boulenger, L. Scheler, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1955, p. 692. Les paroles gelées sont suspendues au-dessus de la tête des combattants de la « grosses et félone » bataille entre les Arismapiens et les Nephélibates (Quart Livre, chap. 56). R. M. Frye, The Renaissance Hamlet : Issues and Responses in 1600, Princeton, Princeton University Press, 1984, p. 38-70 ; en particulier en ce qui concerne l’Église anglicane, p. 44 sq.
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Dans Richard II, on assiste à la réduction au silence du discours de la résistance passive au tyran. Gand, l’oncle du roi Richard, bien qu’éminemment conscient de la responsabilité de son neveu dans le meurtre de Woodstock et dans la fragilisation du royaume, représente la non-résistance violente à la violence du tyran : God’s is the quarrel – for God’s substitute His deputy anointed in His sight Hath caused his death, the which if wrongfully, Let heaven revenge, for I may never lift An angry arm against His minister (I, ii, 37-41).
La voix mourante de Gand devrait donner à ses longs discours une solennité exceptionnelle : « they say the tongues of dying men / Enforce attention like deep harmony » (Richard II, II, i, 5), mais ils n’ont aucun effet sur Richard. York impute même leur inefficacité au grand âge de Gand (II, i, 141142). Ils ont encore moins d’effets sur Bolingbroke qui prend le contre-pied de la théorie de son père et se décide à renverser le tyran. Ironie superbe, Bolingbroke réduit au silence le discours de son père par le silence. Renversement de l’idée classique selon laquelle la violence est du côté du logos prophorikos (où il est fait usage de la voix) tandis que la contemplation de la présence divine est du côté du logos endiathetos (intérieur, assimilable à la pensée)18. Le silence donne sa caution quasi divine à la révolution de Bolingbroke. Contre la logorrhée du tyran qui joue mot contre mot (V, v, 13-14), devant les tirades de Gand, ou de l’évêque de Carlisle – tous des représentants de l’ancien monde et de la non résistance violente – la révolution, si elle est violente, est silencieuse, comme si on voulait déplacer dans ce silence la force morale et l’exigence de prudence que la théorie de la résistance passive supposait. Un partisan de Bolingbroke, Ross dira : My heart is great, but it must break with silence Ere’t be disburdened with a liberal tongue (II, I, 228-229).
Richard s’adressera au nouveau roi qui lui a pris son trône en le qualifiant de « silent » : « Mark, silent king, the moral of this sport » (Richard II, IV, i, 290). La révolution silencieuse de Bolingbroke, qui n’est pas une révolution de velours, soutenue par le peuple, trouve sa légitimité sans avoir à utiliser de mots. C’est une nouvelle ère qui s’installe. Un langage non pas nouveau, mais 18
M. Fumaroli, L’École du silence, Paris, Flammarion, 1998 ; références à cette distinction dans Philon d’Alexandrie, Quod deterius, et à Plutarque dans ses Moralia, 777 c, p. 194-195.
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ramené à son intégrité première va devoir être réinventé. La duchesse d’York se proposera comme préceptrice d’un langage où lingua et cor feront un : And if I were thy nurse, thy tongue to teach « Pardon » should be the first word of thy speech (Richard II, V, iii, 111-112).
Bolingbroke devra réinvestir dans le discours de la royauté la substance des universaux que Richard a vidé de leur sens et il le fait, montant sur le trône, « in God’s name » (IV, i, 112). Détail que semble oublier James Calderwood lorsqu’il parle de la sécularisation du discours de la royauté « the surrender of a sacramental language to a utilitarian one in which the relation between words and things is arbitrary, unsure and ephemeral »19. C’est oublier les images de vases communicants des deux seaux du puits qui font de Bolingbroke le double inversé de Richard. Lorsque le roi soleil devient un roi de neige et se met à fondre, tandis que les mots se vident et ne le soutiennent plus, Bolingbroke devient le soleil que Richard a été. Le discours de la royauté absolue n’est pas un discours périmé dans Shakespeare. Par contre celui de la résistance passive a vécu. Bolingbroke a fondé son pouvoir dans le silence. Cette expérience du silence lui a permis d’accéder au trône. Devenu Henry IV, il s’appuie sur la conviction que la réserve est aussi un principe de gouvernement, cherchant à créer chez le peuple cette silencieuse admiration que suggère le mot « wonder ». Dans ses conseils à son fils Prince Hal, il rappelle que les causes de la chute de Richard étaient l’étalage de sa personne et sa logorrhée. Il lui conseille d’être « Ne’er seen but wondered at » (1 Henry IV, III, ii, 57). « I like your silence. It the more shows off your wonder » dira Paulina à Leontes, le tyran repenti de The Winter’s Tale (V, iii, 21). De la même façon, devant la tyrannie de Claudius, Hamlet n’a plus de mots pour justifier la théorie de la non-résistance passive. Le discours de la non-résistance n’est plus qu’une tentation d’inaction. Ses raisons pâlissent et très tôt, Hamlet, comme Bolingbroke, choisit l’arme du silence qui apparaît là aussi comme une prudence. Lorsque le fantôme disparaît à la fin du premier acte, Hamlet recommande à tous de mettre le doigt sur les lèvres à la façon d’Hermès, le dieu du silence : « And still your fingers on your lips, I pray » (Hamlet, I, v, 195). Hamlet, figure hermétique, se substitue au fantôme en attendant de pouvoir obéir à ses paroles. Lors de deux apparitions silencieuses
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J. Calderwood, « Richard II : Metadrama and the Fall of Speech », in G. Holderness, Shakespeare’s History Plays : Richard II to Henry V, Basingstoke, London, Macmillan, 1992, p. 122.
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devant Ophélie (II, i, 77-84) et devant Gertrude (III, iv, 117-123), « possédé par le fantôme », pour reprendre les paroles d’André Green20, Hamlet fait régner sur Elsinore les terreurs indicibles des enfers, et pousse Ophélie, devenue outil de la tyrannie de Claudius et dont l’amour l’encouragerait à la nonrésistance, à la folie, à un discours fou, ponctué de silences : « Her speech is nothing » (IV, v, 7). Par le silence et l’obscurité du dumb show il vient à bout des arguments de la non-résistance et peut confondre le tyran. En choisissant comme arme le silence Hamlet faire taire les mots qui ne sont plus que des bruits « buzz, buzz », depuis qu’il a ouvert les yeux sur l’état du royaume du Danemark. Le langage alors n’est plus alors que « the tune of the time » qui transporte leur auteur, comme Osric, « through and through the most fanned and winnowed opinions » (Hamlet, V, ii, 150-154). Ce long interim de cinq actes entre la parole du fantôme et le meurtre de Claudius est un peu comme le sommeil de Dieu (Richard III, IV, iv, 24), d’un Dieu caché et silencieux dont il ne faut pas attendre d’arguments. Hamlet ne répondra pas de ses actes par le langage. « The rest is silence » (V, ii, 311) et il laisse à Horatio le soin de dire la noblesse d’actions qui n’avaient plus de noms dans la logique périmée de la tyrannie de Claudius. Dans ces deux portraits de résistants à la tyrannie, Shakespeare montre que la rébellion emprunte au silence sa force et sa caution morale.
La réduction au silence du renoncement néo-stoïcien. Depuis la dissolution des monastères en 1539, l’idéal monastique du renoncement est mis à mal dans une société protestante qui refuse la valorisation de la chasteté aux dépens du mariage. Le néo-stoïcisme est en effet fortement contesté à l’époque où écrit Shakespeare21. Dans As You Like It, Rosalind parle ironiquement de « an old religious uncle who taught me to speak » (III, ii, 330). Le discours de ce chaste vieillard (il s’agit d’une fiction inventée par Rosalind qui se fait passer pour un homme aux yeux de son amoureux transi Orlando) était celui du renoncement. Rosalind fait bien comprendre par son ironie que de tels mots méritent d’être réduits au silence. L’ancien discours du renoncement est déplacé vers ce qu’il signifiait en fait : un désir de maîtriser 20
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A. Green, Hamlet et Hamlet, une interprétation psychanalytique de la représentation, Paris, Balland, 1982, p. 107. W. R. Elton, King Lear and the Gods, San Marino, The Huntington Library, 1968, p. 97-98.
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la peur de la mort. Saint Augustin ne cesse de mettre en parallèle l’héroïsme du martyr et l’héroïsme de la chasteté22. Le questionnement du renoncement sexuel va de pair avec un déplacement de ce qui le fondait, vers un refus de voir la souffrance corporelle comme un passeport positif et nécessaire vers la vie éternelle. Dans la cour du roi de Navarre dans Love’s Labour’s Lost, on a fait vœu de chasteté. Le discours que Shakespeare réduit au silence ici est celui que Cicéron dénonçait, celui qui opère la séparation de la langue, lingua et du cœur, cor. La cour du roi de Navarre est un souvenir des anciens monastères catholiques, liés qu’en sont les membres par les vœux de chasteté et de silence mais c’est aussi un lieu où cette logique sera réduite au silence non par la violence destructrice d’un Henry VIII mais par le souvenir de l’Académie de Poésie et Musique de J.-A. de Baïf23. L’idéal d’un autre silence que celui des adages d’Holofernes y est substitué. C’est celui de Boyet, « the heart’s still rhetoric disclosed with eyes » (Love’s Labour’s Lost, II, i, 215), cette nouvelle sagesse hermétique qui, on l’a vu, tentait de favoriser une union spirituelle entre catholiques et protestants. Le silence n’était plus une frustration de la parole mais le langage du cœur. Pour parler au cœur de Rosaline, Berowne n’aura pas de scrupules à se parjurer, à réduire au silence la rhétorique jacassante des Taffeta phrases, silken terms precise, Three-piled hyperboles, spruce affection, Figures pedantical… […] Henceforth my wooing mind shall be expressed In russet yeas and honest kersey noes (Love’s Labour’s Lost, V, ii, 406-409 ; 411-413).
La rhétorique du cœur est le silence d’Hermès. Armado a le dernier mot de la pièce : « the words of Mercury are harsh after the songs of Apollo » (V, ii, 919-920). Mais ces mots ne sont autres que l’annonce du silence de la mort. Car entre temps le psychopompe Mercure, sous les traits de Marcady24, a pénétré dans la cour du roi de Navarre, annonçant la mort du père de la princesse. Désormais pour apprendre la langue du cœur il faut s’exercer auprès de ceux qui connaissent le silence de la mort. Le discours du renoncement est déplacé 22
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P. Brown, The Body and Society : Men, Women and Sexual Renunciation in Early Christianity, New York, Columbia University Press, 1988, p. 405 sq. F. A. Yates, Shakespeare’s Last Plays, London, Routledge and Kegan Paul, 1975, p. 87. Love’s Labour’s Lost, éd. J. Kerrigan, London, New York, Dublin, The New Penguin, 1982 ; note 711 de l’acte V, scène ii, p. 232.
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comme si on en extrayait son essence en le transformant en compassion pour les mourants. Berowne devra passer douze mois à apprendre le langage du cœur auprès de « the speechless sick » (V, ii, 840), et comme le dira Berowne qui n’en perdra pas son humour, « move wild laughter in the throat of death » (V, ii, 844). Plus tard, Posthumus, dans Cymbeline, aura appris la dure leçon de Berowne, lorsqu’il dira à Innogen qu’il a réappris à aimer : « O Innogen I’ll speak to thee in silence » (Cymbeline, V, iv, 29). La réalité de la mort ne doit pas être pas un alibi pour l’abstinence sexuelle. Au contraire c’est Hermès, le messager silencieux de la mort qui apprend aux amants le langage du cœur. Dans Twelfth Night, Olivia prétexte le deuil de son frère pour se cloîtrer dans le renoncement puritain : elle est un double du roi de Navarre. Shakespeare lui oppose le silence de Viola, qui n’est autre que le déplacement du renoncement hypocrite vers la vertu de la Patience : She never told her love But let concealment like a worm i’ th’ bud Feed on her damask cheek : she pin’d in thought, And with a green and yellow melancholy She sat like Patience on a monument Smiling at grief (Twelfth Night, II, iv, 110-116).
Cette image du silence patient, annonce le « Love and be silent » de Cordelia (King Lear, I, i, 63), commentée par Freud dans « Le thème des trois coffrets » (1913). Ce silence patient est le silence du « dumb show » que Viola réussit à mettre en scène avec l’aide du capitaine réduit au mutisme (Twelfth Night, I, ii, 62), le silence nécessaire à la révelation de la vérité dans toutes les pièces où rôde Hermès. Il s’agit ici de réduire au silence la logique qui empêche le dénouement de la comédie, le mariage : « We cannot cross the cause why we were born » (Love’s Labour’s Lost, IV, iii, 216). On trouve le même scénario dans The Taming of the Shrew : « ha’ done with words » (III, ii, 115-116) dira Petruchio qui rappelle l’adieu de Berowne aux jeux stériles du langage. Dans Much Ado About Nothing, tant qu’elle s’oppose à l’amour, Beatrice est ironiquement appelée « Lady Tongue ». Measure for measure déconstruit la logique rigide d’une rhétorique qui met la chasteté au-dessus de la vie. La pièce met en scène le monde monastique des clarisses et des franciscains. Isabelle la novice clarisse doit choisir entre céder aux avances d’Angelo et sauver son frère ou sauver sa chasteté et perdre son frère. Si Isabelle tente de relier langue et cœur dans sa plaidoirie pour son frère (II, ii, 136-141), dans la cellule du condamné à mort il n’y aura plus que sa langue pour lui annoncer son échec et le préparer à la mort dans des accents
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stoïciens où transparaît le fanatisme des défenseurs d’une virginité inconditionnelle (III, i, 59-155). Le duc, déguisé en frère franciscain, montrera l’inanité d’un tel discours en le parodiant (III, i, 5-41). On entend dans sa tirade le débat qui oppose philosophie et éloquence à la Renaissance. Le duc est décrit par Lucio comme « the duke of dark corners » (IV, iii, 156-157), celui que les humanistes caricaturaient en reprenant la vieille image de Cicéron qui parlait de ces philosophes cachés in angulis ennemis de l’éloquence25. Obligé d’abandonner l’éloquence devant le machiavélisme d’Angelo et l’échec de l’éloquence d’Isabelle, il avance la figure silencieuse de Mariana et la mise en scène du « bed trick » qui consiste à mettre dans le lit d’un mari volage sa femme légitime en la faisant passer pour sa maîtresse. Le « bed trick » ne peut fonctionner que dans le silence : il faut veiller que « time may have all shadow and silence in it » (III, i, 247-248). Pour sauver le mariage en réduisant au silence le discours d’une virginité fanatique et puritaine, le duc ne fait que rappeler que catholiques et protestants pourraient se rejoindre sous la houlette de saint Augustin. En effet ce dernier – considéré au-dessus des conflits religieux puisque aussi bien protestants que catholiques se réclamaient de lui – avait mis en scène un dilemme semblable et avait conclu que dans un tel cas, la femme qui cédait au chantage ne commettait pas de faute mais agissait par amour de son mari ou de son frère26.
La « muette éloquence » des stratagèmes du silence Du « bed trick » dont on vient de parler au « dumb show », à la statue d’Hermione, inspirée de Giulio Romano dans The Winter’s Tale, aux bouches silencieuses des blessures sur le cadavre de César « sweet Caesar’s wounds, poor dumb mouths » (Julius Caesar, III, ii, 227), dont la rhétorique est plus efficace que celle de Brutus, partout dans son œuvre, Shakespeare peint des scènes dont certaines deviendront ces « images coites » qui caractérisent la
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Voir ma préface à la traduction de A. Markowicz, Mesure pour mesure, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2008, p. 16-18. W. Shakespeare, Measure for Measure, éd. I. Kamps, K. Raber, Boston, Bedford/St Martins, 2004. Le texte de saint Augustin (l’extrait de De Sermone Domini in monte secundum Matthæum), est cité intégralement, p. 227-228.
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peinture du XVIIe siècle27. On pense au « Coriolan » de Nicolas Poussin analysée par Marc Fumaroli dans L’École du Silence. Il faut réduire le discours à la muette éloquence si prisée depuis que Plutarque dans La Vie de Phocion rappelait que « la seule esquisse d’un geste de la part d’un homme qui sait vaut mille périodes et phrases »28. Dans le geste ou le visage, en effet, c’est l’activité du logos divin qui peut se manifester. C’est « the speechless hand » (Coriolanus, V, i, 67) de Coriolan the « gracious silence » (II, i, 192) de sa femme Virgilia, inspirée de la muse Tacita29, ou « the speechless dialect » d’Isabelle (Measure for Measure, I, ii, 188). Shakespeare suit la tradition qui, depuis Philon d’Alexandrie, oppose le logos endiatethos au logos prophorikos30. Francisca rappelle à la novice Isabelle la règle des clarisses « Then if you speak you must not show your face / Or if you show your face you must not speak » (I, iv, 12-13) conseil qu’Isabelle ne suit pas. Et lorsque la figure du silence, Mariana arrive voilée à la fin de la pièce, elle résiste au souhait du duc qui lui demande de « First let her show her face and after speak » : « Pardon my lord I will not show my face / Until my husband bid me » (V, i, 169-170) : c’est le visage et non les paroles qui sera révélateur de son identité. Volumnia dit à Coriolan, « Action is eloquence and the eyes of the ignorant / More learned than their ears » (Coriolanus, III, ii, 76-77) et juste avant le masque de Cérès, Prospero qui avait su « command the elements to silence » (The Tempest, I, i, 21) réduit aussi au silence la cacophonie de l’île : « No tongue, all eyes, be silent » (IV, i, 59). Et l’on se souvient que pour la princesse de Love’s Labour’s Lost « beauty is bought by judgment of the eye / Not uttered by base sale of chapmen’s tongues » (Love’s Labour’s Lost, II, i, 24). Mais la muette éloquence est mise à mal dans l’exemple le plus extrême et le plus emblématique du silence qu’est Lavinia dans Titus Andronicus puisqu’elle n’a même plus de mains pour signaler ce que sa langue arrachée ne peut plus dire :
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P. Quignard, La Nuit et le silence : Georges de La Tour, Paris, Flohic, 1995, p. 15, 67 ; M. Fumaroli, op. cit., p. 610, 212-213. Cité par M. Fumaroli, op. cit., p. 219. W. Shakespeare, Coriolanus, P. Brockbank, Methuen, The Arden Shakespeare, 1976, note 174 de l’acte II, scène 1, p. 161. M.-L. Demonet, Les Voix du signe : nature du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris, Champion, 1992, p. 261 ; C. Panaccio, Le Discours intérieur de Platon à Guillaume d’Ockham, Paris, Seuil, 1999, chap. 2, p. 53-93.
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Titus Speechless complainer, I will learn thy thought In thy dumb action will I be as perfect As begging hermits in their holy prayers (III, ii, 39-40).
Il est des lieux qu’un silence désespéré a vidé de substance. Les termes qui les décrivent sont souvent les mêmes, comme si Shakespeare ne pouvait chasser de sa mémoire un lieu tel qu’il aurait pu y faire l’expérience sensible du silence. Plashy, au nord est de Londres, est un tel lieu, lieu du deuil de la duchesse de Gloucester : There see But empty lodgings and unfurnish’d walls, Unpeopled offices, untrodden stones, And what hear there for welcome but my groans ? […] Desolate, desolate will I hence and die (Richard II, I, ii, 67-73).
La cour silencieuse du roi de Navarre, « the silent court » de Love’s Labour’s Lost est décrite avec des termes proches lorsque le roi regrette d’avoir fait subir à la princesse de France une expérience d’exclusion sociale et de silence : « O you have lived in desolation here, / Unseen, unvisited, much to our shame » (V, ii, 357-358). Lavinia, dans Titus Andronicus, langue arrachée et mains coupées, se promène dans les « silent walks » d’une sinistre forêt (II, iv, 8). Dans tous ces lieux, on semble voir en filigrane le désert intériorisé du sonnet 73 : That time of year, thou mayst in me behold, When yellow leaves, or none, or few, do hang Upon those boughs, which shake against the cold, Bare ruined choirs, where late the sweet birds sang (Sonnet 73, 1-4).
Alors il ne reste plus que la prière : « And my ending is despair / Unless I be relieved by prayer » (The Tempest, V, i, 334-335).
Au-delà des stratagèmes : le cœur du silence Le recours final à la prière, lorsque tous les langages se sont tus, marque l’influence unificatrice de saint Augustin dans le contexte des guerres de religion et explique sa présence dans la pensée de Shakespeare. Claude Panaccio décrit comment le thème du logos endiathetos fut exploité en contexte théologique par les premiers Pères grecs ; puis comment il fut transposé dans la théologie
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naissante de langue latine par des auteurs comme Tertullien ou Marius Victorinus ; pour en venir, finalement à regarder de plus près cette fameuse doctrine augustinienne, telle qu’elle s’édifie progressivement au fil des textes du grand docteur31.
Saint Augustin passe du discours intérieur de la prière récitée en silence dans une langue donnée (De magistro, I, 2) à cette notion de verbum in corde (notons le passage du grec au latin et la mention du cœur au lieu de la pensée) qui lui permet d’élaborer sa doctrine de la sainte Trinité. À la différence de la prière récitée en silence, le verbum in corde « n’appartient à aucune langue » (De trinitate, XV, 19 et Sermo 288)32. Shakespeare parle de l’abandon des langues : Mowbray en exil devra faire le deuil de sa langue maternelle et mourir d’une « speechless death » (Richard II, I, iii, 172) tandis que dans un registre plus comique le polyglotte Parolles dans All’s Well that Ends Well constate que son don des langues est rendu inutile devant le langage barbare parce qu’arbitraire des soldats français « I shall lose my life for want of language » (All’s Well that ends well, IV, i, 70). Alors atteint-il une forme de sagesse quand il dit enfin « I know more than I’ll speak » (V, iii, 251)33 ? Car c’est une faiblesse, propre aux femmes d’ailleurs, de devoir traduire en mots ce que l’on pense ; Rosalind dira : « Do you not know I am a woman ? When I think I must speak » (As You Like It, III, ii, 241-242). L’œuvre de Shakespeare témoigne de la faillite du langage dans un monde qui s’use (Timon of Athens, I, i, 3), un monde devenu si peu substantiel qu’il se définit comme un mot « the world is but a word » (II, ii, 157). Le silence qui en résulte ne se réduit pas au désespoir de la terrible mort muette du sens et des sens qui attend Mowbray à Venise dans Richard II. Il reste à l’âme torturée un lieu du silence qui ne ressemble pas à ces repaires lugubres et désolés qu’étaient Plashy (Richard II, I, ii), la cour silencieuse du roi de Navarre, « the silent court » (Love’s Labour’s Lost, II, i, 24), ou les « silent walks » de Lavinia (Titus Andronicus, II, iv, 8).
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C. Panaccio, op. cit., p. 95. Ibid., passages cités et commentés p. 110, 113. M. Jones-Davies, « Paroles intertextuelles, lecture intertextuelle de Parolles », « All’s Well that ends well » : nouvelles perspectives critiques, actes du colloque, Paris, 24-25 novembre 1985, organisé par l’Université Paul-Valéry, Montpellier III, Centre d’études et de recherches élisabéthaines, éd. J. Fuzier, F. Laroque, Montpellier, Publications de l’Université Paul-Valéry, Montpellier III, 1986, p. 65-80.
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Le silence est au contraire un lieu intérieur, hors de l’espace, mais pourtant bien réel, un lieu où l’on rencontre enfin le roc solide de la substance – où la douleur est invisible et inaudible : Richard ‘Tis very true, my grief lies all within And these external manners of lament Are merely shadows to the unseen grief That swells with silence in the tortur’d soul There lies the substance (Richard II, IV, i, 295-299).
Il ne faudrait pas comprendre ce texte comme un retour au silence héroïque des stoïciens devant la douleur. C’est le silence de la véritable douleur. La vérité se dirait-elle mieux par le silence comme le suggère Enobarbus : « Speak no more. That truth should be silent I had almost forgot » (Antony and Cleopatra, II, ii, 108) ? Shakespeare, pourtant, ne cesse de répéter qu’il faut « give sorrow words » (Macbeth, IV, iii, 209). Bien qu’elle comprenne l’inanité des mots devant la souffrance, « poor breathing orators of miseries », la reine Elisabeth dans Richard III en montre la nécessité : « Though what they do impart / help not at all, yet they do ease the heart » (IV, iv, 123-125). C’est qu’il y a mot et mot. Et le lieu dont parle Richard II, où la douleur « swells with silence » est une matrice, le cœur silencieux où, selon saint Augustin, naît le verbe mental qui « n’appartient à aucune langue »34, seul capable d’exprimer la vérité du cœur. C’est dans ce cœur du silence que puise le palefrenier lorsqu’il dit à Richard : « what my tongue dares not, that my heart shall say » (Richard II, V, v, 97). L’image du cœur ou d’une matrice qui engendre le verbe a été utilisée par saint Augustin pour décrire la relation entre le Père et le Fils (Verbum) dans le dogme de la Trinité et s’applique à la naissance du verbe chez l’homme : Il y a naissance d’un verbe, lorsqu’une pensée nous attire ou à pécher ou à bien faire. Médiateur entre le verbe et l’âme qui l’engendre, l’amour les unit l’un à l’autre et se noue en tiers avec eux deux en une étreinte spirituelle sans se confondre avec eux35.
La reine sans enfant de Richard décrit l’engendrement de la douleur, une douleur d’abord sans nom – « nameless woe » (Richard II, II, ii, 40) – car dans le cœur où naît le verbe mental, il n’y a aucune langue. La douleur, qui n’a pas encore de cette substance dont parlera Richard dans la citation de l’acte IV, s’allie à la pensée qui est une pensée de rien « As though on thinking on
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Saint Augustin, De trinitate, XV, xiv, 24, Œuvres, éd. M. Mellet, T. Camelot, Paris, Desclée de Brouwer, 1955, vol. 16, p. 491. Ibid., IX, 13, p. 99.
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no thought I think / Makes me with heavy nothing faint and shrink » (II, ii, 31-32)36. Dans ce lieu silencieux qu’est l’âme intérieure de la reine – « inward soul » (l. 28) – s’élabore l’engendrement de cette douleur future qui, lorsqu’elle naîtra (« now hath my soul brought forth her prodigy » l. 64) aura pour nom « Bolingbroke, my sorrow’s dismal heir » (II, ii, 63), le « silent king », ce roi né du silence de la douleur de la reine. Cette curieuse naissance de l’usurpateur dans le corps de la reine symbolise la naissance du verbe dans le cœur du silence. Shakespeare sait laisser mourir des discours, traces éphémères de ce monde qui s’use. C’est le propre d’une œuvre non idéologique, c’est sans doute le secret de sa modernité. On a dit de Shakespeare qu’il n’y a pas de philosophie dans son œuvre. Certes il n’y a pas de système philosophique. Son syncrétisme comme celui de saint Augustin était dicté par le désir de trouver un langage unificateur pour les hommes en guerre. Alors justement des discours meurent, doivent s’adapter sans se renier, sans rien perdre de la substance du monde. Curieuse condamnation de Shakespeare que celle de Wittgenstein, lui qui redonnait au discours de la foi une légitimité silencieuse comme l’a rappelé Jacques Bouveresse37. George Steiner raconte comment il reprochait à Shakespeare de n’avoir pas ménagé l’espace du silence au-delà des mots, d’avoir fait du monde un mot – « the world is but a word ». Le vocabulaire de Shakespeare n’est-il pas constitué de 30 000 mots, celui de Racine 3000 ? « What Wittgenstein asks Shakespeare is simply this : is language enough ? »38. Wittgenstein n’a donc pas écouté le silence de Shakespeare, ce silence qui remonte à la nuit des temps, ce silence des « tongueless caverns of the earth » (Richard II, I, i, 105) de la Genèse, le silence d’Hermès, mais surtout le silence d’Augustin qui faisait naître ce verbe « ni grec, ni latin, ni punique, ni d’aucune langue »39, ce verbe silencieux du cœur. 36
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Les pensées, qu’elles naissent dans la prison de Pomfret ou ailleurs, à la différence du silence n’ont pas de substance. C’est le sens du vers si souvent mal interprété de Measure for Measure, « Thoughts are no subjects / Intents merely thoughts » (V, i, 450). Le sujet, avant de prendre son sens moderne, est ce qui est sous les accidents, donc la substance. Voir le lexique de A. de Libera, La Querelle des Universaux, Paris, Seuil, 1996 ; J.-M. Fontanier, Le Vocabulaire latin de la philosophie, Paris, Ellipses, 2002. J. Bouveresse, Peut-on ne pas croire ? : sur la vérité, la croyance et la foi, Marseille, Agone, 2007, p. 253-267. G. Steiner, No Passion Spent : essays 1978-1996, London, Faber and Faber, 1996, « A Reading against Shakespeare », p. 126. Saint Augustin, Sermo 288, 3, cité par C. Panaccio, op. cit., p. 113.
« I like your silence » : Theatre and Audience in Shakespeare’s Plays —◆— James Ronald (Ronnie) Mulryne
T
he Florentine chronicler, Raffaelo Gualterotti, writing in 1579 in reference to entertainments for the marriage of Francesco de’ Medici, second Grand Duke of Tuscany with Bianca Cappello, has this to say about the theatre in the Salone Cinquecento of the Medicis’ Palazzo Vecchio, in which the more dramatic of the entertainments were staged : « Era il luminoso e pomposo teatro, ripieno di vn mirabile silenzio » (my italics). It’s unusual enough to come across appreciative commentary by a contemporary witness on the visual characteristics of a theatre space, a space that was, Gualterotti tells us, « luminoso e pomposo » (brightly lit/glowing and visually striking). Spectacular effects in the Medici entertainments are repeatedly described and lauded by contemporary observers, but this assessment of the auditorium is unusual1. More remarkable still about Gualterotti’s remarks, and germane to the topic of this colloque, is the evocative phrase that follows (here in italics) : the theatre was, he says, « ripieno di vn mirabile silenzio », full of a wondrous silence. It’s a perception to which Gualterotti returns more than once in his descrizione of events in the Palazzo Vecchio. He refers at another point to « il silenzio, che pareua cosa mirabile fra tante gente » (the silence which seemed a wondrous thing among so many people). He adds, with uncharacteristic fervour, that this silence « haueua in se vna tacita eloquenza », embraced within itself an unspoken – a silent – eloquence2. Silence in the theatre, even 1
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See, for example, those cited in J. M. Saslow, The Medici Wedding of 1589 (New Haven, London, Yale University Press, 1996), where a great deal of informative discussion concerning the 1589 festival and festivals generally is offered, together with numerous references and bibliography. See also, Sir R.Strong, Art and Power : Renaissance Festivals 1450-1650, Woodbridge, The Boydell Press, 1974, second edition, 1984. R. Gualterotti, Feste Nelle Nozze del Serenissimo Don Francesco Medici… et della Sig[nora] Bianca Cappello, Firenze, nella stamperia de’ Giunti, 1579, p. 7, 17, 14.
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more than rests in music, he infers, is implicitly rich in meaning – « una cosa mirabile », as he terms it – within a medium that typically, though not invariably, derives its fount and origin from language. John Cage is not the only musician to have given a characteristically modern emphasis to age-old truths about the eloquence of silence, nor are Beckett and Pinter the only playwrights3. The debate between word and visual image, language and speaking picture, is neither a new, nor an exhausted one. Ben Jonson and Inigo Jones came to far-from-reticent verbal warfare four centuries ago on the relative merits of words and scenes4, and the succeeding history of theatre in England, continental Europe and the Far East could be informatively explored in terms of the prominence or the relative modesty of word and spectacle. Rather than attempt to interpret the shifting balance over the centuries between language and visual effect in Shakespeare’s plays – an endeavour that would be, in any case, bedevilled by a lack of descriptive reviews in Shakespeare’s own time and by a plethora of commentary on modern stagings – I want in the following brief paper merely to notice three or four instances in which Shakespeare draws particular attention to eloquent silence as a feature of his play-writing, and to comment on one of these in a little more detail. How does silence speak in Shakespeare, and what does it say5 ? My title comes from a culminating moment in one of Shakespeare’s late plays, the pastoral tragi-comedy The Winter’s Tale. This play, even so late in the writer’s career, emerges as in many respects experimental, probing and testing the limits of performance, taking risks with an audience’s credulity, and exploring its spectators’ tolerance for naïve tale-spinning. One can think 3
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Cage’s notorious composition 4’33” (1952) consisted of three movements without a single note being played, with the audience’s experience restricted to ambient noise in the auditorium. The piece generated a great deal of sometimes philosophically provocative discussion about the expressive qualities of silence. Samuel Beckett and Harold Pinter are celebrated as the pioneers of theatre that depends on the interaction of verbal activity and silent pauses in the service of meaning – though they were not by any means the first to employ this technique, as the present essay seeks to demonstrate. See, for example, M. Leapman, Inigo : the Life of Inigo Jones, Architect of the English Renaissance, London, Headline Book Publishing, 2004, especially p. 246-257 and references. Also D. J. Gordon, « Poet and Architect : The Intellectual Setting of the Quarrel between Ben Jonson and Inigo Jones », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 12, 1949, p. 152-175. For a different take on silence in Shakespeare, from a rather more novelistic understanding of the plays than that advanced here, see A. Thaler, Shakspere’s Silences, Cambridge, Harvard University Press, 1929, especially p. 3-63.
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right away of the author’s risk with dramatic illusion when the boy Mamillius snuggles down close beside his mother and her court ladies to tell an almost eponymous sad tale that’s « best for winter ». The episode fades into silence : Hermione Come on, sit down, come on and do your best To fright me with your sprites. You’re powerful at it. Mamillius There was a man – Hermione Nay, come sit down, then on. Mamillius Dwelt by a churchyard. – I will tell it softly, Yon crickets shall not hear it. Hermione Come on then, and give’t me in mine ear (II, i, 29-34)6.
It’s atmospheric, and instinct with both intimacy and threat as (to quote the Oxford stage direction) « Enter apart Leontes, Antigonus, and Lords ». The silent stage-picture speaks and speaks eloquently, setting the implicitly naïve and fantastic tale of « sprites and goblins » – you don’t need to hear it to know it – against the worldly suspicions, not so unreasonable as some commentators think, and the malign intentions nurtured by the king and his court. The two atmospheres, fantasy and suspicion, play against each other in a tense dialogue, one element in which is incontestably silence. A more overt, and creatively daring, playfulness concerning the contract between audience and stage occurs when at the play’s pivot Time enters as Chorus to invite the audience, in jocular vein, to : Impute it not a crime To me or my swift passage that I slide O’er sixteen years and leave the growth untried Of that wide gap […] (IV, i, 4-7).
Don’t call it a crime, he pleads with fake heavy-handedness, if I hereby violate all the conventions painstakingly built up over the years of my author’s playwriting, that is to say conventions of plausibility, continuous action and narrative order. The silence here is one of knowing complicity, the sharing of a relatively sophisticated joke among experienced and informed playgoers. Of course, the whole play is an old wives’ tale, built around an improbable story as told by the rascally Robert Greene in his romance
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All quotations are taken from S. Wells and G. Taylor, general editors, The Oxford Shakespeare edition of « The Complete Works », Oxford, Clarendon Press, 1986.
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Pandosto twenty years earlier7. Commentators have tried to account for the late turn in Shakespeare’s playwriting from tragedy to comic melodrama by speculating that writing mouldy tales like this – when the contemporary stage was occupied by tough pieces like Chapman’s The Revenge of Bussy D’Ambois or Beaumont and Fletcher’s The Maid’s Tragedy or Jonson’s Catiline His Conspiracy – stemmed from the playwright now enjoying slippered ease in Stratford-upon-Avon, away from all his London business hassles8. Jonathan Bate has, to the contrary, recently told the more probable tale of Shakespeare living in Stratford’s quiet surroundings much earlier than this – and composing not comedies but tragedies9. Silence, even the silence of Shakespeare’s workroom at New Place, doesn’t always or necessarily lead to comedy10. In an alternative vein, commentators have posited a tired and semi-senile retiree (some among us may know what they mean) too stressed to write the demanding stuff of history or tragedy. Far more probable, I suggest, is a different scenario ; that of a silent yet wondrously eloquent game of teasing implication played out between the dramatist and his audience, an audience by this date thoroughly versed in the characteristic strategies of a Shakespeare play. If the reader of this essay thinks this an undervaluing of the more painful of the play’s scenes, and its from time to time richly pressurised language, I would concur. Yet the silence of the witty contract between playwright and audience has not, I would contend, been sufficiently emphasised by critics and critical commentary. I want to come back to eloquent silences in The Winter’s Tale in a few moments, hoping to show that their sophisticated wit doesn’t rule out simultaneous and piercing insight. Let me mention, first, one or two instances in 7
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The reference is to R. Greene, Pandosto. The Triumph of Time, London, imprinted by Thomas Orwin for Thomas Cadman, 1588 ; subsequent editions 1592, 1595, 1607. The attribution of rascality arises chiefly from the pamphlets Greene published, in which notorious thieves and vagabonds exploit the gullibility of their fellow citizens. For the dating of these plays, see S. S. Wagonheim’s revision of The Annals of English Drama, 975-1700, London, New York, Routledge, 1989, originally edited by A. Harbage and revised by S. Schoenbaum (1941 and 1964). See J. Bate, Soul of the Age : the Life, Mind and World of William Shakespeare, Harmondsworth, Penguin Books, 2008. Shakespeare purchased New Place, just across the street from the Guild Chapel and the Grammar School, in 1597. Park Honan, in arguably the best biography of the dramatist interprets the move as a homecoming, in several senses, and hazards that « there are signs of his satisfaction at New Place », with the new residence bringing stability after sometimes unsettled times in London. See P. Honan, Shakespeare : A Life, Oxford, Oxford University Press, 1999, especially chapter 12.
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earlier plays. As a first example, there’s an emphatically silent and vividly nonappearing character in Antony and Cleopatra11 who will, Cleopatra fears, « boy my greatness » if she chooses to live on after Antony’s death as Caesar’s plaything : Antony Shall be brought drunken forth, and I shall see Some squeaking Cleopatra boy my greatness I’th’ posture of a whore (V, ii, 214-217).
The boy’s shrill voice never gets to speak, but its shadowed presence offers implicit commentary, and asks implicit questions, on the illusion before our very eyes of a boy-actor playing the Queen – another example, you may think, of the sophisticated and self-conscious irony of a master playwright, and company sharer, confident in his art, as well as in the team of actors who will interpret it, and in the audience who will enjoy it. Acting – performance – is throughout Antony and Cleopatra a topic of allusion that is both implicit and overt. The boy playing Cleopatra enjoys for a moment a double – or maybe a triple – role : as Cleopatra within the fiction, dressing up, as she or he does, to play the Queen, then as actor-performer momentarily seen in ironic perspective as the performer of Cleopatra, and finally as a credible career-actor in the country’s leading troupe – is his voice shrill and squeaking or does he sustain the royal illusion convincingly ? The crucial silence among the play’s cast, potential on-stage commentators, at this moment is, you may think, deafening. Other, more straightforward, instances suggest themselves. In Much Ado About Nothing – a resonant title in this discussion, given the range of meanings attached at this date to « nothing »12 – Claudio receives Hero’s hand from her father Leonato with a simple eloquence that puts eloquence to shame – until circumstances, superficially understood, prise the pair apart :
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For a theatre-conscious introduction to Antony and Cleopatra see R. Madelaine’s edition of the play in the Shakespeare in Production Series, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. See also J. R. Mulryne, « Cleopatra’s Barge and Antony’s Body : Italian Sources and English Theatre », in Shakespeare, Italy and Intertextuality, éd. M. Marrapodi, Manchester, Manchester University Press, 2004, p. 197-215. For an interesting discussion of the meanings of the play’s title, with emphasis on the word « nothing », see R. Sales, Shakespeare : « Much Ado About Nothing », Penguin Critical Studies Series, Harmondsworth, The Penguin Group, 1990, first published 1987, p. 23-28.
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Claudio
Silence is the perfectest herald of joy. I were but little happy if I could say how much. (To Hero) Lady, as you are mine, I am yours. I give away myself for you, and dote upon the exchange (II, i, 287-290).
We judge by reference to this silence the fevered witticism of Benedick and Beatrice, as well as the lugubrious hesitant stammering of the morose Don John. Much Ado is a play much occupied with speech mannerisms, with rhythm, vocabulary, phrasing – speech that alluringly covers up as much as it reveals. Of course, Claudio is later to fall prey to the deceptiveness of practised words, just as he is already self-deceived. His refuge, he half-perceives, lies in silence, for that’s where he’s most eloquent, as in his remorseful visiting of Hero’s supposed tomb, and his silent re-acceptance of her hand at the play’s end. It takes, once again, a confident playwright to tempt an audience watching a joyously word-spinning play to reflect (as elsewhere Hamlet does) on the insufficiency of words, words, words, however freely and finely spun. In stressful times, the spinning word-plates can come crashing down. An audience has to be persuaded, too, in a context of eloquence, that just as narrative complication resolves (at least in comedy) into explanation, so words at best resolve into silence. This necessary process accounts, perhaps, for the customary final dance of comedy which, though not silent, dispenses with words and thereby takes meaning into a further dimension. A complementary, and poignant, instance of silence occurs in Coriolanus, recruiting action and stage-picture rather than words to convey meaning. As Volumnia, late in the play, concludes her dangerous plea to her son – dangerous to Coriolanus that is – he makes the decision that will cost him his life. Volumnia reflects on the inadequacies of speech, failing to realise just how effective – tragically effective – her words have been : Volumnia
Come, let us go. This fellow had a Volscian to his mother. His wife is in Corioles, and this child Like him by chance. (To Coriolanus) Yet give us our dispatch I am hushed until our city be afire, And then I’ll speak a little (V, iii, 178-183).
The unexpected verb « hushed », colloquial in its directness, certifies the intimacy of the moment and underlines the eloquent humility, eloquent in
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its silencing, of this formerly voluble and over-bearing mother figure13. The stage direction – from the Folio, thought by scholars to be set from an autograph manuscript, and thus carrying additional authority and poignancy – says everything, while saying nothing : He holds her by the hand, silent (V, iii, 183 s. d.).
Dramatic punctuation such as this, more usually implicit rather than stated, plays as eloquent a part in Shakespeare’s work as rhythm and time signatures (also of course silent) in music. The implied extended pause, as Coriolanus, the audience and Volumnia assimilate the momentous significance of the hero’s imminent decision, speaks as eloquently as the words on the page. Coriolanus’s half-line takes up the dramatic impetus : O mother, mother ! What have you done ? Behold, the heavens do ope, The gods look down, and this unnatural scene They laugh at […] (V, iii, 183-186).
The words represent the eloquence of simplicity, with, as an informed audience understands, the unheard – or subliminally heard – eloquence of metaphor, though not of allusion, suppressed. The gods’ laughter is silent, but no less audible for that. The last words of a Shakespearean tragedy are typically, it may be worth noting, unelaborated, characterized you might say by resignation (the rhythms of the language may even strike you as plodding), as the creative form requires that language resolve into silence. « According to his virtue let us use him, / With all respect and rites of burial » (Julius Caesar) ; « Myself will straight aboard, and to the state / This heavy act with heavy heart relate » (Othello) ; « The oldest hath borne most. We that are young / Shall never see so much, nor live so long » (King Lear) ; « Our army shall / In solemn show attend this funeral, / And then to Rome. Come, Dolabella, see / High order in this great solemnity » (Antony and Cleopatra). Hamlet, we may think, is an exception, for it ends with a bang, not a whimper : « Go, bid the soldiers shoot. (Exeunt, marching, with the bodies ; after the which, a peal of ordnance are shot off) ». But even here words cede precedence to, or anticipate, mere noise.
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J. E. Phillips in his Introduction to Twentieth Century Interpretations of « Coriolanus » (Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1970), p. 12, notes that Coriolanus « remains silently adamant before the presence of his kneeling wife and weeping son » before the climactic moment registered in the Folio stage-direction.
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To return to The Winter’s Tale. My title quotation « I like your silence » marks a coup de théâtre that has remained active in the mind of creative writers and visual artists down the centuries. Among the most recent examples, a distinguished sculptor, Mr Greg Wyatt, unveiled in the summer of 2008, in the garden of New Place, Shakespeare’s last residence in Stratford-upon-Avon, a hugely evocative statue that depicts Hermione emerging from, or merging into, a clinging tree stump, proud yet feminine, a splendidly imaginative conflation of Shakespeare’s play of nature and art with Ovidian metamorphosis (see Illustration p. 184). Paulina’s words – the words of my title – are spoken as she displays for the first time, to the on-stage audience as to the public in the Globe’s yard and galleries, the supposed statue of the long-sequestered Queen. The words that precede and follow her revelation, and have inspired so much creative work as well as almost limitless commentary, edgily explore the boundaries between time and memory, statue and person, art and life. These are topics that invite full exploration14. I want, within the scope of this essay, however, to refer only to the silence that marks Paulina’s climactic revelation of the new, or the renewed, Hermione. The Winter’s Tale is a piece of theatre in which the idioms and rhythms of language play a role that is, even for Shakespearean drama, unusually decisive in guiding audience response. In the play’s opening scene we gather the tense and fragile vulnerability of Leontes’ court, not through what is said but through the manner of its saying – the stilted idiom of official courtesy that masks or hints at unease and the almost recklessly « free » idiom of the imperceptive highly-placed court servant. Hermione in the second scene, heavily pregnant, remains silent in the male-dominated court until she’s summoned to speak, an icon of femininity and of the oppressiveness that can come with child-bearing. Even when she’s invited to join the court dialogue the invitation comes in an idiom that hesitates on the edge of reproach : Leontes Tongue-tied, our queen ? Speak you […] (I, ii, 27).
Hermione’s reluctant eloquence takes on the excitable tones of a woman in the late stages of pregnancy, as she unconsciously arouses her husband’s suspicions through undue eagerness, as he sees it, to retain Polixenes’ presence at their court. In the absence of direct statement, an audience has to assess,
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Perhaps the most comprehensive study of the play is C. Frey, Shakespeare’s Vast Romance : A Study of « The Winter’s Tale », Columbia, Missouri, London, University of Missouri Press, 1980.
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through their experience of theatre, and their sensitivity to speech-rhythms, the currents of pride, affection and desire as they flow back and forth among the participants – rather in the way of post-Ibsen theatre, in Harold Pinter notably, where the unstated tensions between characters have to be repeatedly inferred if the play is to communicate. Until, that is, in Shakespeare’s play, Leontes’ aching jealousy bursts out in a rage that strangles expression and disables logic : Leontes (To Mamillius) Come, sir page, Look on me with your welkin eye. Sweet villain, Most dear’st, my collop ! Can thy dam – may’t be ? – Affection, thy intention stabs the centre. Thou dost make possible things not so held, Communicat’st with dreams – how can this be ? – With what’s unreal thou coactive art, And fellow’st nothing. Then, ’tis very credent Thou mayst co-join with something, and thou dost – And that beyond commission ; and I find it – And that to the infection of my brains And hard’ning of my brows (I, ii, 137-148).
This is utterance but scarcely speech. The sinews of language fall apart and sound takes the place of sense. However energetically commentators have tried to paraphrase Leontes’ ramblings, these disarticulated lines are little more than sound. For the audience, their meaning lies precisely in their inarticulacy, in a sense their wordy silence, rather than in words. The first phase of The Winter’s Tale culminates, that is to say, in noise not meaning – to which the counterpart at story’s end cannot be other than a resolved silence. Hermione’s stage life begins and ends, we may say, in complementary but vitally contrasted silences. If under the silence of the statue’s unveiling we hear the babel of previous voices and disturbed minds, that is, I believe, an apt culmination for this experienced but experimental play. Perhaps the most remarkable aspect of the silences of The Winter’s Tale is the playwright’s confidence that he can successfully deliver the effect implied by the chosen words of his text : « I like your silence ». Could he count on this silence ? Once again, we sense the old master confidently and perhaps humorously relying on his experienced knowledge of the stage, and the spell his hugely experienced textual and physical sense of theatre can cast. The moment would, certainly, be altogether lost if the text’s statement were not respected by the Globe audience, groundlings and all, in concert with the audience on stage. It’s hard to be sure whether the alleged unrelie-
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ved commotion of Elizabethan theatre was in fact the case15. Perhaps we may, acknowledging differences of date, place and culture, revert to Raffaelo Gualterotti and his astonished pleasure at the wondrous silence in the Palazzo Vecchio. In commonsense terms, Gualterotti may be understood as responding, merely, to an unexpectedly compliant audience in place of the riotous assembly that was customary, we are told, among audiences of the time, aristocratic or plebeian – in England as well as Italy. But to consider perhaps a little more deeply, Gualterotti may be understood as perceiving in a theatre space « ripieno di vn mirabile silenzio », full of a wondrous silence, the ideal conditions and the ideal outcome for the experience of theatre : that is to say, in his own words, « vn tacita eloquenza » (a silent eloquence). Ultimately, perhaps – to be brazen – all theatre tends towards silence, played out as it is not merely on a physical stage but in the spaces of the mind and the imagination. No-one, after all, has ever confused the stage’s « four or five most vile and ragged foils » with « the very casques / That did affright the air at Agincourt » (Henry V, IV, 0, 50 and Prologue, 13-14). To appreciate the meanings of theatre, in any but the crudest way, as Shakespeare so evidently understood, requires the silence of practised, at best of sophisticated, distance. Let me conclude with a wry reflection. One of the most marked idiosyncrasies of Shakespeare’s orthography is his spelling of « silence ». He renders the word as « scilens », flying in the face, surely, of the classical learning he imbibed during the 1570s in the schoolroom at the King’s New School, Stratford-upon-Avon16. Maybe this is the playwright’s lingering joke at the 15
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A. Gurr offers an authoritative discussion of the physical conditions of the Elizabethan and Jacobean playhouses, including « Auditorium Behaviour », in his Playgoing in Shakespeare’s London, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, especially p. 31-48. He cites contemporary writers to show that playhouse noise included shuffling by the audience, most of whom were on their feet, vocal response to the action – hissing and cries of applause and disagreement at any point – and even occasional throwing of missiles. He concludes however that « playhouse crowds, for all their violence and exhibitionism, seem to have adopted an effective if anarchic regime of self-regulation ». For the spelling « scilens » see W. W. Greg, The Editorial Problem in Shakespeare, Oxford, Clarendon Press, 1942, p. 115, where Greg designates this spelling, found most notably in Q1 2 Henry IV, « significant » as an indicator of Shakespeare’s authorship of the underlying copy. See also the same writer’s The Shakespeare First Folio, Oxford, Clarendon Press, 1955, p. 147-148, where the number of occurrences of « scilens » in the printed text of Q1 2 Henry IV is said to be eighteen. « There can be no reasonable doubt », Greg writes, « that the form comes from Shakespeare’s own pen » (p. 148).
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expense of the rhetorical eloquence, the metaphorical invention for which he is so famed – invention that prises theatre out of silence only to have it lapse, ultimately, if it is to be rich with meaning, and out of necessity, into silence once more.
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G. Wyatt, Statue of Hermione in The Winter’s Tale, Great Garden of New Place, Stratford-upon-Avon, photo copyright : William Mulryne
« The rest is silence » : Productions of Hamlet and the Politics of Silence —◆— Margaret Shewring
The catastrophe of Hamlet
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or many people the final moments of Hamlet include several crucial and, many critics would say, indispensable features : the presence of the full court on stage ; a long and intense fencing match ; the deaths of Laertes, Gertrude, Claudius and Hamlet ; and Hamlet, in his final lines, giving his « voice » to Fortinbras (Prince of Norway) as the next ruler of Denmark – before dying with the words « The rest is silence » (Folio, l. 3847). There follow memorable tributes to Prince Hamlet from Horatio : Now cracke a Noble heart : Goodnight, sweet Prince, And flights of Angels sing thee to thy rest1 (l. 3848-3850).
and Fortinbras : Let foure Captaines Beare Hamlet like a Soldier to the Stage, For he was likely, had he beene put on To haue prou’d most royally : And for his passage, The Souldiours’ Musicke, and the rites of Warre Speake lowdly for him. Take vp the body ; Such a sight as this Becomes the Field, but heere shewes much amis. Go, bid the Souldiers shoote (l. 3895-3904).
1
Quotations in this section of the essay are taken from the Norton facsimile of The First Folio of Shakespeare, prepared by C. Hinman, London, New York, Sydney, Toronto, Paul Hamlyn, 1968.
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There is also Horatio’s promise, just prior to Fortinbras’s military-style tribute, to reveal the truth : And let me speake to th’yet vnknowing world, How these things came about. So shall you heare Of carnall, bloudie, and vnnaturall acts, Of accidentall iudgements, casuall slaughters Of death’s put on by cunning, and forc’d cause, And, in this vpshot, purposes mistooke, Falne on the Inuentors heads. All this can I Truly deliuer (l. 3874-3881).
and Fortinbras’s acceptance of this offer : Let vs hast to heare it, And call the Noblest to the Audience (l. 3882-3883).
In her Introduction to a bilingual edition of Hamlet Marie-Thérèse JonesDavies wrote of the catastrophe of the play : It is to Horatio […] that the dying prince entrusts the charge to make his lifestory/history known to the world. Hamlet wants to safeguard the memory of his name […]. Horatio is the ideal person to relate for the ages to come the story of the prince. What counts for Hamlet is the memory that survives him and that will be expressed through Horatio’s words, linking the past and the future, giving the present a reason to exist and to the name of the prince a re-name/renown, that is to say a name/reputation that is repeated and will be repeated through time2.
How Horatio plays out this role, shaping and underlining the memory of Hamlet, marks one of the keys to individual interpretations of the play in performance. The staging of these final moments of Hamlet can often encapsulate the aims of a particular production, placing an interpretation in a political, famil-
2
« C’est à Horatio […] que le prince mourant confie la charge de faire connaître au monde son histoire. Hamlet veut sauvegarder la mémoire de son nom […]. Horatio est tout désigné pour relater aux âges à venir l’histoire du prince. Ce qui compte pour Hamlet c’est la mémoire qui lui survivra et s’exprimera en paroles, Horatio, trait d’union entre le passé et l’avenir, donne au présent sa raison d’être et au nom de Hamlet la renommée, c’est-à-dire le nom qui se répète et se répètera dans le temps ». This bilingual edition, prepared by F. Heurtematte and translated by J. Malaplate (Paris, José Corti, 1991), prints all three early texts of Hamlet with the Folio text given precedence, the Q2 variants printed at the foot of the page and Q1 printed as an Appendix. This quotation is taken from the Introduction, p. xvi-xvii. The translation given here is mine.
« the rest is silence » : productions of hamlet
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ial or philosophical context. Indeed, the delivery of the lines may have much to tell us about context and the fashions of performance at a given moment – embracing both the scope of the text played (which version – cut or un-cut ? which translation ?) as well as directorial and design choices. What reviewers tell us about these moments can, in turn, reflect both the development of theatre-journalism and the reviewers’ own perceptions and interests ; the events on stage often live for us only in the reviewers’ eye-witness accounts. Yet, if we were present in the audience, are the reviewers’ accounts a true reflection of what we ourselves would have highlighted as conveying the emphasis of a given production ? Let us start with the script. One of the many intricacies encountered in the interpretation of Hamlet is the relationship that has been presumed between the early texts. This is not the place to add further to scholarly attempts to untangle the degrees of authenticity between Q1, Q2 and the Folio versions3. Suffice it to say that evidence of revision in the text as a whole is clearly apparent and, in particular for the purposes of this discussion – the critical phrase « the rest is silence » does not appear in the earliest of the printed texts, the so-called « Bad Quarto », Q1 (1603). We may choose to believe that its inclusion in later editions is the result of a conscious reshaping of the text, or that it was omitted in 1603 because the provenance of Q1 was that of an imperfectly transmitted and much shorter version of an early performance text – printing some 85 lines for the catastrophe of the play as against the 357 lines of the Folio text from which my opening summary is taken. What I am seeking to highlight here is the extent to which the choice of script and the shaping of Hamlet (through both cutting and, sometimes, restructuring) has, in turn, shaped our understanding of the play and our reception of it in performance in the late twentieth and early twenty-first centuries. After all, as the Polish critic Jan Kott, writing his seminal study Shakespeare Our Contemporary in 1961, points out : Hamlet cannot be performed in its entirety […]. One has to select, curtail and cut. One can only perform one of several Hamlets potentially existing in this arch-play. It will always be a poorer Hamlet than Shakespeare’s Hamlet is ;
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For a recent summary of the debate see A. F. Kinney, éd., Hamlet : New Critical Essays, London, Routledge, 1991, p. 11-13. See also P. W. M. Blayney, The First Folio of Shakespeare, Washington, Folger Library Publications, 1991.
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but it may also be a Hamlet enriched by being of our time. It may, but I would rather say – it must be so4.
I want to focus on two contrasted approaches to Hamlet « of our time » as illustrated by the directorial choices of a handful of productions. The first approach highlights current political dangers in the face of oppressive regimes. The personal journey of Prince Hamlet takes him from his student days in Wittenberg to his need to right the wrongs done to his father and thus to himself and to Denmark. What Hamlet does, in this context, is to speak out against the apparently efficient and smooth-running ruling regime. In « speaking out », some twentieth-century productions of Hamlet have been able, in their turn, to confront a terrifying complicity of silence – the silence imposed upon theatre itself in an effort to censor its power to « reveal », in its content and spectacle, suppressed political truths. The second approach curtails and cuts the « arch-play » to probe the place of an individual’s anxiety in the face of the most urgent spiritual or existential question : « Who’s there ? » (Marcellus’s opening words of the play, on the battlements of Elsinore Castle) – words that in recent interpretations articulate a personal cry of uncertainty and isolation in the face of the new millennium and the sense of crisis that public fascination with the moment of the turn of the century engenders.
The « silence » that confounds censorship For Jan Kott, the most acutely compelling and deeply « contemporary » production of Hamlet, a production that stood out against a long-sustained conspiracy of silence, was that staged in Cracow in 1956 following the 20th Congress of the Soviet Communist Party, the Congress at which Nikita Khrushchev made far-reaching revelations about Stalin’s atrocities. For this production the director, Roman Zawistowski, cut the text of Shakespeare’s Hamlet to focus unswervingly on political oppression and surveillance. Zawistowski pitted the young, charismatic Prince Hamlet against the allseeing, all-powerful ruling regime. As another critic, Zdeněk Stříbrný, Polish
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Shakespeare Our Contemporary was first published in Poland as Sketches on Shakespeare in 1961. It was translated into French in 1962 and into English (with an introduction by theatre director Peter Brook) in 1964. English edition, London, Methuen, 1964, p. 48.
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like Jan Kott, wrote in 2000, the simplification of both Hamlet’s character and of the whole play in the 1956 Cracow production, made it frighteningly straightforward and effective. At Elsinore, every curtain was hiding a spy, everything was corroded by suspicion and fear. Hamlet feigned madness in order to deceive the tyrant and to show that politics itself was madness, when it was destroying all feelings of love and friendship. Above all, the mask of madness served him to brace himself for the decisive fight with the oppressor. His wit and bravery were rewarded by a magnificent funeral : his body was carried high by Fortinbras’s captains in reverence of the hero whose death was not a defeat5.
Sadly, I did not see the 1956 Cracow production but I did see (in its revival in London in 1990) a production which, I believe, spoke out in a comparably compelling way in the face of the attempt by another political regime to silence another national theatre. This was the Romanian production directed by Alexandru Tocilescu and first staged in Bucharest in the late 1980s, in the last days of the regime led by the Communist dictator, Nicolae Ceauşescu. The production played for over two hundred performances to packed houses. Tocilescu did not need to cut, or up-date, his production. The audience seems to have been all too aware of the parallels between the regimes of Claudius and Ceauşescu with their spying, scheming and sudden outbursts of violence. The setting for the court scenes was lavish – with chandeliers and a huge sweeping staircase, complete with red carpet, down which Claudius and Gertrude made their entrance to loud applause from their courtiers6. The applause was triggered by a gesture from the dangerously powerful Polonius. Ion Caramitru’s Hamlet was trapped within this glittering totalitarian regime as he sought to uncover the truth about his father’s death. This was a Hamlet who was spied on, and spying, in a climate of fear. For much of the four-and-a-half hour production the contemporary allusions were left to speak for themselves through the classic script. The British theatre director, Sir Richard Eyre, writing in the programme for the Bulandra Theatre’s visit to the National Theatre in London in 1990, makes the political
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Z. Stříbrný, Shakespeare in Eastern Europe, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 100-101. For an excellent discussion of modern, mainly British, productions of the play see A. B. Dawson, Hamlet, Shakespeare in Performance Series, General Editors, J. R. Mulryne and J. C. Bulman, Associate Editor, M. Shewring, Manchester, Manchester University Press, 1995. The setting was designed by Dan Jitianu and the costumes by Iuliana Mantoc and Niculæ Ularu.
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challenge implicit in the production clear. Describing the response of the audiences in Bucharest he writes : Hamlet was seen unambiguously as a man fighting for his freedom against Claudius/Ceauşescu and if he vacillated, accused himself of cowardice, cursed himself for his inaction, it only reflected the audience’s awareness of their own frailty. Line after line was greeted with the applause of recognition.
Tocilescu revised the Shakespearian scenic order by starting with the duel scene from Act V – as if all that was subsequently seen on stage was a remembered dream (or nightmare). As Joan Byles writes, this opening proved to be « a startling beginning » both to those familiar and those who were unfamiliar with the play. She describes the light as « brilliant and harsh » with the actors « in white fencing clothes complete with helmets » fighting their duel to the end in a scene in which all the principals lay dead. The lights then went out – « leaving the audience with a powerful image » from a scene that was « extremely menacing and frightening : a series of deaths with hidden causes »7. When the lights were turned on again it was to return to the start of Shakespeare’s play. It was not until the final moments of the Bulandra Theatre’s production that Tocilescu’s staging broke its silence in the face of the current totalitarian regime. Horatio could not be left to tell the whole story of « cruel, bloody and unnatural acts » that would explain the life and death of Hamlet. Instead, in response to an almost imperceptible gesture, Horatio was summarily stabbed to death by Fortinbras’s personal guards. Stříbrný notes : Fortinbras himself arrived as a new military dictator in red uniform, surrounded by his secret agents led by Rosencrantz and Guildenstern, who had not been put to death in England. With a vengeance, they returned to fortify the new regime of oppression and deceit. The dangers of the immediate political developments in Romania and some other parts of Eastern Europe were foreshadowed with a most alarming anticipation and urgent warning8.
As Joan Byles wrote in her review of the production : Horatio’s death is one of the greatest liberties the director takes with Shakespeare’s text, but given the hidden agenda, it is vitally necessary. Truth
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J. M. Byles, « Political Theatre : Hamlet in Romania », in Shakespeare Bulletin, 9, Spring 1991, p. 25-26. Z. Stříbrný, op. cit., p. 134-135.
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and truth tellers are not only the first casualties in declared wars, but in undeclared wars too9.
Certainly in Romania, theatre became the medium for public expression, offering the audience a form of resistance to the censorship that aimed to silence the theatre’s political voice10. The actor who played Hamlet, Ion Caramitru, became in real life one of the leaders of the revolution, riding on a tank to take over the state-run television station. He became a member of the Provisional Government and then one of Romania’s five vice-presidents, before returning to his career in the theatre. Michael Billington, reviewing the Bulandra Theatre’s production for The Guardian in September 1990 acknowledges that « conceived in 1985, the production is a brilliantly prophetic portrait of a society on the edge of the abyss »11. Another notable instance of attempted suppression of political dissent characterised the immediate pre-liberation history of what was then Czechoslovakia. As Vice-President Lukács explained privately, only Shakespeare’s plays were permitted during that tense period of confrontation between repressive authority and emerging democratic values, because Shakespeare had the status of an international cultural figure whose work was regarded as classic and therefore « safe »12. Lukács was in a position to know since, as close collaborator with playwright Václav Havel, he nurtured the work of Prague’s National Theatre and became its director. He also, famously, stood literally side by side with Havel (now President) on the theatre balcony when the Manifesto of a new Czechoslovakia was announced. An earlier Hamlet « for our time » had also spoken out in the face of political control in a society that, as theatre director Yuri Lyubimov saw it, was losing its Christian faith as it hovered « on the edge of the abyss ». Yet again the silence that was imposed by censorship on almost all theatre pro9 10
11 12
Byles, as in note 6 above. John Lahr, writing in the New Yorker, 30 June 2008, noted an ending with an uncanny similarity to that offered by Tocilescu’s company. The Public Theater’s outdoor production of 2008, directed by Oskar Eustis, ended with Fortinbras issuing the instruction « Go, bid the soldiers shoot », at which point his lieutenant drew a pistol and killed Horatio. Lahr writes : « This is a first ! Fortinbras then stamps out the eternal flame that pays tribute to the murdered king’s [Old Hamlet’s] memory » (p. 80). Saturday, 22 September 1990. Personal conversation with Ronnie Mulryne and Margaret Shewring following the launch of their exhibition « Making Space for Theatre », opened in Prague by The British Council in 1996.
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ductions was avoided by playing Shakespeare. In 1977, Lyubimov was given permission to stage Hamlet at the Taganka Theatre, a studio theatre on the outskirts of Moscow, with Vladimir Vysotsky in the title role13. In the Brezhnev era the Taganka became, in Michael Goldfarb’s words, « the visible centre of resistance for the intelligentsia » and Lyubimov’s Hamlet, « Vysotsky, was one of the most remarkable men in recent Russian history. He was a star actor and a singing poet, a combination artistically – and in his impact on stage – of young Marlon Brando and Bob Dylan »14. In 1989 Lyubimov re-staged his production with English actors. It opened at the Leicester Haymarket in a staging dedicated to Vysotsky, who died in 1980. In this re-staging Hamlet was played by the English actor Daniel Webb. A programme note explains that « Lyubimov’s theatre is a theatre of pictures. He paints with actors, with lights and with inanimate objects ». The production was designed by David Borowsky, whose staging was dominated throughout by a heavy curtain. As Michael Billington explains, « upstage is a timbered cross embedded in an aluminium wall. Downstage is a waiting, loam-filled grave. Grills, lit from below, are inset into the floor […]. But dominating everything is the Borowsky curtain which acquires its own sinister momentum »15. Lois Potter, describing the visual and practical effect of the curtain, notes, « Actors cling to it, hide behind it, crawl under it, wrap themselves in it ; the mad Ophelia sticks flowers into it. At the end, it sweeps Claudius straight onto Hamlet’s sword »16. Lyubimov, as Billington comments, used the curtain to convey « both Elsinore’s physical danger and its obsession with eavesdropping »17. For Billington, this was « a very Russian view of Hamlet : one that depended upon a lifetime’s experience of the arbitrariness of state power »18. Its ending was as disconcerting as the production as a whole. « Shakespeare’s first scene was almost entirely cut, and with it the Fortinbras plot and Denmark’s foreign policy »19. There was, therefore, no Fortinbras to speak the play’s closing words. This, in turn, allowed for a memorable shift in the 13
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Lyubimov used the play as translated into Russian by Boris Pasternak. He cut references to Fortinbras and to Denmark’s foreign policy. Michael Goldfarb writing in the programme for the 1989 re-staging of Lyubimov’s production at the Leicester Haymarket Theatre, England. The Guardian, 20 September 1989. Times Literary Supplement, 29 September-5 October 1989. M. Billington, The Guardian, 20 September 1989. Ibid. L. Potter, Times Literary Supplement, 29 September-5 October 1989.
« the rest is silence » : productions of hamlet
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resonance of the closing moments. Hamlet’s last words « have nothing to do with the future of Denmark. Instead he says, “Adieu, adieu, remember me…”, thus becoming the ghost of Horatio’s play »20.
The « silence » that is the last resort of personal isolation and crisis For Yuri Lyubimov, Hamlet is very much a play about Christian belief in the face of a politically repressive regime, but for our late twentieth and early twenty-first century sense of crisis and anxiety it is, perhaps, the loss of all spiritual meaning that is even more terrifying in its emptiness. I want, then, to focus finally on one production that evoked the silence of existential nothingness, and responded to the impending millennium by adapting Shakespeare’s words to shape a reading very much « of our time »21. In 1995, Peter Brook presented Qui Est Là ? at the Bouffes du Nord, Paris. The production, subtitled une recherche théâtrale de Peter Brook, combined, as Andy Lavender notes, « edited scenes from Shakespeare’s Hamlet with the writings of Artaud, Brecht, Craig, Meyerhold, Stanislavsky and Zeami Motikoyo »22. Preparatory workshops for this production centred on the problems of playing the Ghost. The simplicity of the portrayal by the African actor, Sotigui Kouyaté, struck Brook as conveying a strikingly noble Ghost. « In the production the Ghost’s first words were spoken in Bambara [a West African language] before also using French »23. A black actor, Bakary Sangaré, was cast as Hamlet. He, too, was African and had not known the story of Hamlet prior to this staging, so he had no preconceptions, no baggage of personal memory of other productions nor, indeed, of almost four hundred years of theatrical tradition. Work on the fragments that made up Qui Est Là ? encouraged Brook to stage his own production of Shakespeare’s play and, in autumn 2000, his Hamlet opened at the Bouffes du Nord before going on a world tour. Performed in English, this was « a streamlined skeleton of a play, cut down to an intermission-less two hours and twenty minutes, with eight
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L. Potter, op. cit. Shakespeare’s play, written in 1600, marked another millennium. A. Lavender, Hamlet in Pieces, London, Nick Hern Books, 2001, p. 48. Ibid., p. 55.
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actors and with a third of the original plot eliminated »24. In an interview with Margaret Croyden, Brook discussed his production’s rejection of a political interpretation : I took out Fortinbras because, for me, he is not relevant to the central tragedy […]. Instead, Horatio ends our play and carries the whole meaning of our play, and of the future, with him25.
Yet it is not Horatio’s words about the dead Prince that echo in the audience’s minds at the end of the production but the nagging question, reiterated by Horatio in the closing moments, « Who’s there ? ». Brook does not offer an answer. He merely notes, « How you take that question is your business… »26. In 1968 Brook wrote in The Empty Space, « I know of one acid test in the theatre […] when a performance is over, what remains ? »27. If my title for this paper is to be credited, what remains when the actors leave the stage is « silence » – a silence that lives on as a memory. Then, perhaps, that memory may be given expression as it allows us to re-live, and to communicate to others, the theatrical experience. We try, that is, to put into words exactly « what remains » of what we’ve experienced – as, like T. S. Eliot, it may be, we shore up these « fragments » in the face of silence28.
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M. Croyden, Conversations with Peter Brook : 1970-2000, New York, London, Faber and Faber, 2003, p. 252. On this occasion Hamlet was played by the black actor Adrian Lester. According to Croyden, the staging offered « just a minimalist space with a few pillows and small benches carefully and cleverly arranged geometrically by Chloé Obolensky. The floor was covered with a single blood-orange-coloured carpet, its six cushions – green, yellow and indigo – spread around the stage and moved about by the actors themselves ». Ibid., p. 259 and 266. In summer 2008 Greg Doran directed a production of Hamlet with the Royal Shakespeare Company. This production played at the Courtyard, Stratford-upon-Avon, with David Tennant as Hamlet and Patrick Stewart as both Old Hamlet and Claudius. Doran, too, chose to omit Fortinbras almost entirely. Instead, as Martin Hoyle writes, Doran’s « version ends with Horatio’s “flights of angels” ; the new man [Fortinbras] looms in the doorway, and that’s that » (The Financial Times, 9 August 2008). Ibid., p. 260. P. Brooke, The Empty Space, Harmondsworth, Pelican Books, 1972 ; first published London, McGibbon and Kee, 1968, p. 152. See The Waste Land, V, l. 431.
Index Nominum —◆—
Ackroyd, Peter, 138-139 Adam, 75, 79 Adonis, 97, 133, 149 Agrippa, Cornelius, 85 Alberti, Leon Battista, 61 Alciat, André, 8, 21, 32, 36, 41, 108 Alexandre, 106-107 Alhacen, Ibn al-Haytham, 61 Amphion, 102 Andrewes, Lancelot, 118 Aneau, Barthelemy, 32 Angelico, Fra, 63, 82 Angérone, 21-22, 40 Anne, 50 Antoine, 177 Apollon, 100, 111, 164 Aristote, 106, 123, 158 Arnold, Matthew, 138 Artaud, Antonin, 193 Asclépiade, 26 Auden, Wystan Hugh, 137 Baïf, Jean-Antoine de, 164 Bandinelli, Baccio, 58 Barbaro, Ermolao, 159 Bate, Jonathan, 176 Baudelaire, Charles, 53, 73, 100, 102 Beaumont, Francis, 130, 176 Beckett, Samuel, 137, 174 Belacqua, 71 Bellay, Eustache du, 95 Bellay, Jean du, 95 Bellay, Joachim du, 14, 93-114 Bellini, Gentile, 58 Bellini, Giovanni, 58, 79 Berenson, Bernard, 75 Bersani, Leo, 145 Billington, Michael, 191-192 Bocchi, Achille, 42, 113 Bolognese, Franco, 71 Bond, Edward, 139 Botticelli, Sandro, 58, 67, 77
Bourdieu, Pierre, 148, 151 Bouveresse, Jacques, 171 Bovelles, Charles de, 24, 27 Bradamante, 105 Brecht, Bertolt, 146, 193 Bredero, Gerbrand Adriaenszoon, 14, 123, 129-134 Brook, Peter, 193-194 Brown, Peter, 158 Bruster, Douglas, 150 Brutus, 124, 144, 166 Budé, Guillaume, 108 Buffet, Bernard, 66 Byles, Joan, 190-191 Cacciaguida, 70 Cage, John, 174 Calderwood, James, 162 Calvin, Jean, 49-50, 64-66 Camille, 104 Cappello, Bianca, 173 Caramitru, Ion, 189, 191 Carpaccio, Vittore, 58 Carraud, Christophe, 53 Carretto, Ilaria del, 76 Cartari, Vincenzo, 21 Casella, Pietro, 71 Cassius, 144 Castagno, Andrea del, 72 Castiglione, Baldassar, 61-62, 64, 123, 133 Caton, 71 Catulle, 96 Cavell, Stanley, 146 Céard, Jean, 13, 31 Ceauşescu, Nicolae, 189-190 Cellini, Benvenuto, 58, 66, 78-79, 82 Cennini, Cennino, 60, 83 Cerbère, 103 Certeau, Michel de, 14, 157 Cervantes, Miguel de, 130, 140-141, 143 César, Jules, 150, 166, 177 Chapman, George, 176
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index nominum
Charles Quint, 38, 80, 108 Cicéron, 86, 159, 164, 166 Cimabue, 70-71 Cléanthe, 39 Clément d’Alexandrie, 97 Cléopâtre, 177 Corinne, 105 Cloulas, Annie, 80 Condell, Henry, 142, 149 Conti, Natale, 21 Corinne, 105 Cousin, Gilbert, 39-40, 43 Coustau, Pierre, 40-41 Coussement-Boillot, Laetitia, 123 Craig, Edward Gordon, 193 Croyden, Margaret, 94 Cupidon, 41-42 Dante Alighieri, 67-71, 82 David, 59, 77-78 Davies, John, 87, 125 Déméter, 24 Démocrite, 38 Derrida, Jacques, 40, 143, 151-152 Deswarte, Sylvie, 62 Dinouart, Joseph Antoine Toussaint, 13, 133 Donne, John, 117-118 Dorat, Jean, 97, 105, 108, 114 Drayton, Michael, 125 Drake, Francis, 123 Dürer, Albrecht, 74, 113 Dutoit, Ulysse, 145 Dutton, Richard, 152 Élie, 56 Eliot, Thomas Stearns, 136, 153, 194 Elizabeth, Queen, 145, 149, 182 Emerson, Ralph Waldo, 151 Érasme, 17-20, 27-29, 32-33, 36-40, 42-43, 47-49, 56, 94, 110 Erne, Lukas, 143 Euripide, 102 Eurydice, 103 Ève, 75 Eyre, Richard, 189 Feuillet, Michel, 63 Festugière, André-Jean, 26 Ficin, Marsile, 27, 68, 75 Field, Nathaniel, 125 Field, Richard, 141-142 Fineman, Joel, 139-140 Fletcher, John, 125, 176
Ford, John, 119 François de Sales, 51 Fraunce, Abraham, 123 Froula, Christine, 132 Frye, Roland Mushat, 160 Fuentes, Carlos, 141, 143 Fumaroli, Marc, 14, 167 Galien, 75 Ghiberti, Lorenzo, 61, 77 Giorgione, 58, 79 Giotto, 61, 67, 69-72 Giraldi, Giglio Gregorio, 21 Goldberg, Jonathan, 139 Gozzoli, Benozzo, 72-73 Green, André, 135, 163 Greenblatt, Stephen, 137, 153 Greene, John, 135 Greene, Robert, 175-176 Greene, Thomas, 135 Gröning, Philip, 45 Gualterotti, Raffaelo, 173, 182 Guardi, Francesco, 79 Guast, marquis du, 38 Guillaume d’Ockham, 158 Gurr, Andrew, 125-128, 148-149 Habington, William, 117 Hall, Joseph, 125 Harpocrate, 21, 32, 40-41 Havel, Václav, 191 Hawkes, Terence, 136-137 Heminge, John, 142, 149 Henri II, 108 Henry VIII, 164 Henslowe, Philip, 148 Héraclite, 38 Herbert, George, 117-118 Hermès, 113, 162, 164-165, 171 Hermès Trismégiste, 23, 28, 42 Hermione, 166, 180-181 Hermocrate, 22 Heywood, Thomas, 89-90, 125 Hipparchion, 37 Hitchcock, Alfred, 153 Hoenselaars, Ton, 14 Holbein le Jeune, Hans, 31 Homère, 14, 102, 104 Horus, 21-22 Isaïe, 79 Isis, 21-22 Isocrate, 39 Jacob, Max, 56
index nominum
Jaggard, William, 153 James, King, 149 Jean de la Croix, 45, 54-56 Jéhovah, 24 Jésus-Christ, 48, 74 Jones, Inigo, 174 Jones-Davies, Margaret, 14 Jones-Davies, Marie-Thérèse, 15, 186 Jonson, Ben, 139, 142, 174, 176 Jove, Paul, 38 Judas, 74 Jullien, François, 14, 158 Jung, Carl Gustav, 23 Junius, Franciscus, 88 Karagiannis-Mazeaud, Edith, 14 Knapp, Jeffrey, 153 Kouyaté, Sotigui, 193 Lacroix, Jean, 15 La Haye, Robert de, 100 L’Arétin, Pierre, 63-64 Laski, comte, 47 Lavender, Andy, 193 Le Bernin, 78 Le Caravage, 145, 153 Le Corrège, 58, 83 Lemaire de Belges, 103 Le Tintoret, 58, 69, 79 Le Titien, 15, 58, 69, 76-82 Léonard de Vinci, 58-60, 67-70, 74, 76-78, 80-81 Lippi, Filippino, 63 Lippi, Filippo, 63 Longhi, Pietro, 79 Longin, 96 Louis de Grenade, 52 Lucifer, 67 Lucilius, 40 Lukács, Georg, 191 Luther, Martin, 48-49, 54, 66 Lycosthenes, Conrad, 36, 38-39 Lyubimov, Yuri, 191-193 Machiavel, Nicolas, 62-63, 123, 133 Machin, Lewis, 129, 133 Mantegna, Andrea, 58, 66, 79 Margolin, Jean-Claude, 13 Marguerite, Madame, 95, 111 Marphise, 104 Mars, 70, 104, 109 Martin-Ulrich, Claudie, 94 Martinet, Marie-Madeleine, 15 Martini, Simone, 68
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Masaccio, 75 Matisse, Henri, 66 Médicis, François Ier de’, 173 Médicis, Julien de, 64 Médicis, Laurent de, 64 Méduse, 79 Mélanchton, Philippe, 159 Ménager, Daniel, 13 Meyerhold, Vsevolod Emil’evič, 193 Michel-Ange, 58-60, 64, 66-67, 72-74, 7780, 82 Minerve, 67 Moïse, 25 Monna Lisa, 76 Montaigne, Michel de, 30-31, 49 Montenay, Georgette de, 42 Montmorency, Anne de, 106 Moraes, Francisco de, 129 Morand, Paul, 79 More, Thomas, 136 Morel d’Embrun, Jean de, 111 Motikoyo, Zeami, 193 Mulryne, James Ronald (Ronnie), 15, 128 Nicholl, Charles, 137-139 Nicolas de Cues, 24, 26 Numa, 24 Nuttall, Anthony David, 154 Oderisi da Gubbio, 70-71, 82 Orphée, 28, 102-103 Osiris, 21-22 Ovide, 87, 97, 102, 105, 113-114 Pacioli, Luca, 61 Paganelli, Eloisa, 13 Panaccio, Claude, 168-169 Pascal, Blaise, 17, 47 Penn, Stephen, 158 Penthasilée, 104 Pétrarque, François, 17, 52-53, 56, 61, 96 Philon d’Alexandrie, 167 Picasso, Pablo, 83 Pic de la Mirandole, Jean, 67-68, 159 Piero della Francesca, 61, 72 Piero di Cosimo, 58 Pinter, Harold, 174, 181 Pizan, Christine de, 84 Platon, 23-24, 41, 158 Plaute, 102 Plutarque, 21, 167 Pollaiuolo, Antonio, 72 Poussin, Nicolas, 81-82, 167 Pontormo, Jacopo da, 58, 66, 68, 78
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index nominum
Pontus de Tyard, 20 Potter, Lois, 192-193 Proba, 47 Ps.-Denys l’Aréopagite, 24, 26 Puttenham, George, 86-87, 123 Pythagore, 22-23, 40 Quercia, Jacopo della, 77 Quince, Peter, 151 Rabelais, François, 35, 55 Racine, Jean, 171 Rackin, Phyllis, 153-154 Raphaël, 58, 60-62, 66-69, 76-78, 80-81 Reverdy, Pierre, 56 Rigolot, François, 94 Rilke, Rainer Maria, 153 Romano, Giulio, 166 Ronsard, Pierre de, 104, 109, 112 Rouault, Georges, 82-83 Sandys, George, 87-88 Saint Augustin, 33, 47-48, 65, 164, 166, 168-171 Saint Benoît, 36, 63 Saint Bernard, 13, 45, 51-52, 54, 71 Saint Bonaventure, 45 Saint Jean, 27 Saint Jean-Baptiste, 62 Saint Jérôme, 49 Saint Marc, 62 Saint Matthieu, 48 Saint Paul, 42 Saint Thomas d’Aquin, 45-47, 56 Salisbury, Jean de, 84 Samaritaine, 48 Samuel, 50 Sappho, 96, 105 Sarto, Andrea del, 58 Satan, 64, 73 Savonarole, Jérôme, 72 Schalkwyk, David, 123 Schoenbaum, Samuel, 138 Sémiramis, 104 Seth, 21 Shakespeare, William, 14, 115, 118, 120, 124129, 133-155, 158-171, 174-183, 185-188, 190-193
Shapiro, James, 137, 145 Shewring, Margaret, 14 Sidney, Philip, 123, 146 Signorelli, Luca, 58, 69, 74 Simmel, Georg, 79-80 Simonide, 85-89 Sly, Christopher, 127, 149 Socrate, 23, 26 Spenser, Edmund, 125 Speroni, Sperone, 105 Stanislavsky, Constantin Sergueïevitch, 193 Steiner, George, 171 Stésichore, 102 Stříbrný, Zdeněk, 188-190 Sukič, Christine, 123 Tacita, 22, 167 Tocilescu, Alexandru, 189-190 Tucker, George Hugo, 93 Turnèbe, Adrien, 106 Vænius, Otto, 41 Varron, 40 Vasari, Giorgio, 58, 69, 77 Venet, Gisèle, 126 Vénus, 77, 97, 109 Vercors, 18 Véronèse, Paul, 58, 69, 79 Vésale, André, 75 Vigenère, Blaise de, 54 Virgile, 24, 71, 103, 112, 114 Vitruve, 61 Vysotsky, Vladimir, 192 Webb, Daniel, 192 Webster, John, 115, 118 Weimann, Robert, 130, 150 Wilson, Richard, 14 Wittgenstein, Ludwig Josef Johann, 139, 171 Woolf, Virginia, 142 Wyatt, Greg, 180, 184 Xénocrate, 38 Yahvé, 24 Zawistowski, Roman, 188 Zénon, 39