Le modèle à la Renaissance 271160909X


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French Pages 225 [116] Year 1986

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Le modèle à la Renaissance
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L'OISEAU DE MINERVE Collection dirigée par Jean Lafond

LE MODELE ALA RENAISSANCE Etudes réunies et présentées

par C. BALAVOINE J. LAFOND, P. LAURENS

LIBRAIRIE

PARIS PHILOSOPHIQUE 6, Place de la Sorbonne, V®

J.

VRIN

1986 .

AVANT-PROPOS

Ce livre rassemble, par les soins - communications à l'origine - qui ont groupe de recherche du Centre d'Etudes On constatera que ces études

de C. Balavoine et de P. Laurens, les travaux été entrepris sur la notion de modèle par le

Supérieures de la Renaissance. réfèrent la notion aussi bien aux modèles conçus et mis en œuvre au cours de la période qui va du XIVe au XVIIe siècle qu'aux modèles par nous (re)construits, et appliqués, au titre de grilles de lecture, à ce passé. La fonction dominante qui est assignée au modèle dans chacune des contri-

butions nous a par ailleurs conduits à répartir les articles en trois grandes rubriques : le modèle y est envisagé successivement dans son rapport à la description et à l'interprétation qu'il permet, à la norme ou au type, socio-culturel en particulier, auquel il renvoie, à la productivité enfin dont il se montre porteur. Mais la plasticité de la notion déborde les catégories où on aurait dessein de l'assujettir. Et un même modèle pouvant remplir plusieurs fonctions, il va de soi que la distribution retenue n'a

La loi du 1 1 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41 d'une

part,

que

les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non FE a une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but

d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » ( alinéa F” de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. : ©

Librairie Philosophique J. VRIN,

ISBN

2-7116-0909-X

36.2643

1986

d'autre fin que d'intelligibilité, ni de valeur que d’abord indicative et signalétique. Les domaines et les cas soumis à l'analyse ne prétendent pas davantage épuiser la question, et le livre aurait atteint son but s'il pouvait inciter à reprendre et à prolonger l'enquête. Notre démarche n'aurait en effet guère de sens si elle devait porter à croire qu'elle implique une mise en perspective et des conclusions définitivement arrêtées. Rien ne serait plus contraire à la pratique d'une recherche entend collective. Rien de plus contraire également à l'esprit d ‘une collection qui se donner à tâche de ne jamais fermer sur elle-même la réflexion. JL

LA NOTION DE MODELE

Le Dictionnaire de Robert donne pour première définition du modèle : «ce qui sert ou doit servir d’objet d’imitation pour faire ou reproduire telle ou telle

chose»

(1). Et, bien qu'ils ne soient pas classés selon les deux catégories du fait

- «ce qui sert» - et de la norme - «ce qui doit servir» -, les exemples qui suivent cette définition montrent qu’il y a lieu de distinguer les deux plans. Le modèle du peintre, le modèle de tel personnage dans un roman relèvent de la représentation :

l'artiste n’a cherché qu’à en donner une image et que cette image soit plus ou moins

fidèle n'importe pas ici. En revanche, «l'enfant modèle», le «modèle d'écriture» impliquent une norme, la reconnaissance d’une valeur, que tous les enfants, ou tous ceux qui écrivent, doivent ou devraient viser à atteindre. Certains emplois du mot couvrent le champ qui sépare les deux acceptions, mais l’ambiguité tient, dans bien des cas, à ce flottement entre le modèle destiné à fournir un double, une copie (2) et le modèle idéal, érigé en norme du vrai, du bien ou du beau. Avant même de recourir aux textes canoniques de Platon et d’Aristote

sur l’imitation rappelons que dans la tradition grecque, l’art se doit d’imiter la Nature. Mais quelle fonction assigne-t-on à ce modèle naturel ? En tant que la Nature

est la norme (3) par excellence, le tableau sera d’autant plus remarquable

que le

modèle aura été plus fidèlement reproduit. C’est en ce sens qu’ont été indéfiniment

alléguées

les

anecdotes

bien

connues

des

peintres

Zeuxis

et Parrhasius.

«Zeuxis,

écrit Bayle, avoit si bien peint des raisins, que les oiseaux fondoient dessus pour les bequeter. Parrhasius

peignit

un

vrai rideau qui cachoit l’Ouvrage

rideau

si artistement,

de son Antagoniste

il demanda que l’on tirat vite ce rideau,

que

Zeuxis

le prit pour un

, & tout plein de confiance

afin de montrer ce que Parrhasius avoit

fait. Aiant connu sa méprise il se confessa vaincu, puis qu’il n’avoit trompé que les oiseaux, & que Parrhasius avoit trompé les Maitres mémes de l’Art» (4). Dans

l’admiration qu’il porte à la nature, Léonard de Vinci reprend apparemment la même esthétique lorsqu'il déclare : «Le tableau qui est le plus exactement conforme

à l’objet imité est celui qui doit recevoir le plus d’éloges» (5). Dès l’antiquité cependant, une autre conception prévaut, qui ne constitue plus le modèle en norme idéale. Dans son De statua, Alberti citera l'exemple du peintre antique Démétrius, qui «échoua à obtenir la plus haute louange parce qu'il était plus jaloux d'exprimer la ressemblance que d’atteindre la beauté». La représentation de la Nature n’en est pas moins le but de l’art, mais le modèle n’est ici qu’un point de départ. Pour Alberti, c’est à l’artiste-de choisir ce qu’«il y a de plus beau» dans la Nature, et de Vorganiser en usant de l’«inspiration rationnelle de l'esprit» et du travail de «la

main» (6). Le modèle n’est dès lors qu’un point de départ, une incitation à l'œuvre,

Jean

LAFOND

La notion

qui est dépassée par l’intervention de l’artiste. Intervention multiple, puisqu’elle exige sélection, organisation et habileté manuelle, mises au service de ce qui n’est

jamais totalement donné dans le modèle, la beauté (7). | Limitation, la mimesis, platonicienne et aristotélicienne.

est, on le sait de reste, au centre de la pensée Chez Platon, elle déborde méme trés largement

la finalité esthétique. Dans son Art et sens, Michel D’Hermies montre comment

Vimitation de modèles est nécessaire pour que l'être humain, en participant aux Idées vraies, seules réelles, trouve sa juste place dans l’ordre de la nature. De 1à deux mimétiques : d’une, savante», celle du philosophe, qui «inscrit dans la mobilité du devenir le schème aperçu comme stable par l’intelligence», l’autre, où l’apparence est prise pour l’image authentique, qui, «pour être maitress e, se fait l’esclave de cette mobilité» (8). Il y a donc une bonne et une mauvaise imitation, la seconde étant 9 lot du sophiste et de tout artiste qui ignore l’Idée ou s’en détéurné pour ne s attacher qu’au sensible. Le paradigme des trois lits, exposé au livre X de la Répusé À porte condamnation de l’imitation au troisième degré, qui est celle de l'écrivain ou du peintre : l’ouvrier divin crée la forme du lit, l’ouvrier humain, le menuisier, copie la forme en la matérialisant, l’artiste enfin, qui «imite» le lit, ne fait

que restituer «l’apparent tel qu’il apparaît», «l’analogue de la réalité» , et non as réel

tel qu’il est» (9). Le poéte qui a le talent «d’imiter toutes choses» shit tiene couronné pour ce talent, mais invité à quitter la cité : le plaisir que procure son œuvre ne peut

que détourner ses lecteurs du bien et du vrai (10). Aristote

reprend

la définition

de

l’art

comme

mimésis,

mais

sans plus

admettre la condamnation portée contre l’art. L’imitation et le plaisir de l’imitation

sont bons, puisque l’homme

doit sa supériorité sur les autres êtres à son aptitude

à imiter, et cela dès son jeune âge. Et ils sont à l’origine de la poésie (11). L'art n'est donc nullement condamnable, et il ne s'oppose pas à une nature vraie Il est au

de modèle

l’Idée relève de l’intellect divin, l’artiste est réputé travailler selon une notion intérieure de la forme, qui est comparable à l’Idée divine (15). Le problème, pour les théoriciens de la Renaissance, ne sera pas de remettre en question ce modèle intérieur, mais d’en expliquer l’origine - est-il inné, est-il acquis par l’expérience ? - et de déterminer son statut : s’agit-il de l’image d’une beauté qui dépasse la pure subjectivité de l'artiste, comme le pensent Alberti et Raphaël, ou de toute image ou idée conçue par l'artiste qui précède le tableau ou le‘poème, comme le veut Vasari (16) ? Avec le maniérisme de la fin du XVIe siècle, l’hostilité aux règles, aux canons mathématiques - ceux d’un Léonard par exemple - la revendication de la liberté individuelle ne contreviennent pas à une théorie très stricte, dogmatique, de l’art. Mais, comme le souligne Panofsky, on prend alors conscience des contradictions : grand admirateur

de Michel-Ange, Vincenzo Danti oppose clairement ritrarre et imitare ; soit la repro-

duction exacte du réel et la reproduction de la réalité telle qu’elle devrait être vue. Dans le premier cas, du modèle on tire une copie (comme on «tire un portrait»), dans le second, le disegno interno sert à corriger le disegno esterno, et le modèle intérieur

est finalement de plus de poids que le modéle naturel (17). La querelle entre une

vue

naturaliste de l’art et une vue idéaliste n’ira qu’en s’amplifiant, du XVIe au XIXe siècle. Si Léonard entend rester fidèle à la nature, Michel-Ange déteste la peinture hollandaise, faite à ses yeux uniquement «pour tromper la vue extérieure», et, si l’on en croit Vasari, il se refusait à faire «le portrait de qui que ce soit, parce qu’il

abhorrait

l'exécution

d’une

image

ressemblant

à un modèle

vivant,

à moins

que ce modèle ne fût d’une extraordinaire beauté» (18). La prééminence du modèle intérieur ne saurait être plus explicite : le canon idéal n'appartient qu’à l'esprit du peintre. Et, sur cette voie, on comprend que les artistes qui entreprirent de suivre

la «manière» de Michel-Ange aient considéré la fidélité à la nature comme de bien

télisme l’ont été très généralement grâce à cette notion. Or, elle se situe au centre ss rapports à établir entre le modèle et sa représen tation. Chez le Cicéron de l'Orator, l'Idée platonicienne descend du ciel intelligi ble et supra-céleste dans l'esprit humain, où elle devient pure pensée, et modéle intérieur . L’Idée, qui se révèle à l'homme dans la dialectique, devient une notion esthétique et od comprend que la Renaissance, dans son souci de valoriser l’art et de donner prestige a l’artiste

moindre intérêt que l’exaltation de l’art. Délivrés du modèle naturel, ils n’en devenaient pas pour autant libres de renoncer à l’autorité du modèle. Ce modèle se trouvait simplement déplacé de la nature vers les œuvres d’art des grands maitres. Le modèle de l’art, c’était l’art lui-même. La réaction ne se fera guère attendre. Contre un naturalisme jugé trop dépendant de l’objet représenté, celui du Caravage,et contre un maniérisme oublieux du référent obligé qu'est la nature, le classicisme des années 1650 restaurera la théorie de l’idée, du modèle intérieur, érigée à présent en système du beau. Ce «beau idéal» entend concilier les aspirations divergentes du recours à la nature et de l’affirmation du réel - ce qui est - et de l’idéal - ce qui doit être (19). Si je me suis arrêté aussi longuement sur les analyses de Panofsky, c’est qu’elles n’intéressent pas seulement les arts plastiques, dont les théoriciens font du reste retour à Platon, Aristote et Cicéron. Le problème posé est un problème philosophique qui engage la métaphysique et la psychologie de l’art. Les théoriciens de l’art littéraire, qui s'appuient sur les mêmes textes fondateurs, ne l’ignorent pas. L'interprétation - erronée, mais constante - qu’ils donnent du wt pictura poesis ne pouvait que les conduire à rechercher les points d’accord entre littérature et peinture. La description fait ainsi à leurs yeux tableau et doit être traitée comme

corps humain qu’Apelle portait dans l'esprit (14). Quand, avec saint Thomas d'Aquin,

l’art de la description, et la figure de l’enargeia, qui fait voir les choses comme si elles étaient présentes, en devient la figure majeure.

contraire

ce qui l’accomplit.

«Achever

l’inachevé»

(12), tel est son

but.

Encore

faut-il qu’il s’exerce dans le sens de la nature, qu’il prolonge . Chez Aristote «art écrit M. D’Hermies, n’est pas illusion - non pas bien qu’il imite, mais parce qu'il

imite. I explore le possible. L’imitation manifeste ce dont la natures est capable - un petit pan de mur jaune -, elle va plus loin que celle-ci ne pourrait faire seule

mais dans son sens et seulement jusqu’o elle le tolére...» (13). : Des amalgames se sont assez tot produits entre les positions aristoté licienne

et platonicienne, des compromis ont été conclus. Erwin Panofsky a développé dans Idea. A concept in Art Theory, les différents avatars de la notion d’idée de

l'Antiquité à l’âge classique. Les compromis passés entre le platonisme et l’aristo-

se soit emparé du thème cicéronien et l’ait développé. Melanch ton se réfère à Cicéron pour rapprocher, dans la même phrase, l’idée platonic ienne et l’image parfaite du

telle. Le même illusionisme qui prévaut dans l’esthétique picturale commande donc

Jean

LAFOND

La notion de modèle

La notion de modéle est de toute maniére commune aux deux domaines. Du Bellay attaque les néo-latins qui s’évertuent à restaurer une antiquité maintenant révolue et partiellement ruinée. Ceux qui reconstruisent un vieil édifice en réutilisant ses ruines sont incapables de le rétablir dans sa splendeur première. Les néolatins ou les néo-grecs ne peuvent pas davantage retrouver «la forme» des Latins et des Grecs par «ces fragments recueillis» que sont ici un nom, là un verbe, un vers ou une phrase (20). «Finablement j’estimeroy l’Art pouvoir exprimer la vive energie de la Nature, si vous pouviez rendre

estant manque

cette fabrique renouvelée semblable à l’antique,

l’Idée de la quele faudroit tyrer l'exemple pour la redifier» (21).

Du platonisme, Du Bellay, suivant Speroni qu'il démarque ici, garde la notion d’Idée mais c'est à peu près tout. Rien ne laisse entendre que son image, «l'exemple», soit condamnée ou condamnable. Rien non plus qui aille à tirer argument de l’in-

fériorité de «l’exemple»

par rapport à l’Idée, comme

la démonstration pourrait

y porter. L’Idée représente le modèle du plus haut niveau, la conception proprement spirituelle, la forme pure. «L'exemple» est son double, cette image qui permet de faire entrer la forme dans la matérialité de l’œuvre. Au total, nous sommes beaucoup

plus près d’Aristote que de Platon. Ce que confirmerait la révérence de Speroni à Aristote, cité et loué quelques pages auparavant, comme «il mio maestro» (22).

Ce n’est pas en fait ce débat qui retient le plus l’attention des théoriciens de la littérature, qui s’en tiennent à l’idée dominante de l’obligation pour l’art d’imiter la nature (23). Leur intérêt se porte, comme du reste c’était déjà le cas pour Cicéron et

Quintilien,

sur

l’imitation

des

œuvres

considérée

comme

la

voie

royale

de

la

création littéraire. Le problème, qui est chez les Anciens d’ordre pédagogique, a été trop souvent abordé pour que nous croyions nécessaire d’y revenir, après les

excellents travaux auxquels il a donné lieu. Le dernier en date est celui de Terence

Cave,

qui consacre un chapitre de sa remarquable étude, The Cornucopian

Text, à

limitation dans son rapport à la copia (24). Ce qui est en jeu, de Quintilien à Erasme et

Du Bellay, c’est la nature de limitation, qui pose le problème, capital à la Renaissance et au XVIIe siècle, de la traduction (25), et c’est l’usage du modèle. Quels sont les modèles à imiter, et comment les imiter ? La théorie, qui est liée à la formation scolaire par la pratique de la lecture/écriture, suppose une hiérarchie et unclassement desauteurs selon le mode d’écriture et le genre, une définition des contraintes de chaque style ou

type d’œuvre, une connaissance exacte des moyens de l’écrivain. Les mauvais modèles

ne sont pas seulement pour Quintilien les mauvais écrivains, ce sont aussi pour chaque

orateur, ceux dont le style ne convient pas à l’œuvre entreprise ou au tempérament de celui qui entend s’en inspirer. Au reste, les mêmes conseils valent pour limitation et pour la traduction. «Ne se point asservir» à l’auteur qu’on traduit, dit Dolet ;ne point

oe «copiste» de l’auteur qu’on imite, disent Erasme et du Bellay . Dans les deux cas,

il s’agit de s'approprier le modèle, et, comme le pensait déjà Quintilien, d’entrer = ou et de rivaliser avec lui. De 1a, chez du Bellay, la théorie bien connue # er devant être «bien digéré» pour être converti

|

l

aphores alimentaires dominaient déjà le Cice-

ronianus, avec toutefois une insistance, que ne connait pas du Bellay, sur l’aspect subjectif de toute œuvre, qui est speculum animi, miroir de l’âme de son auteur, et

par là même inimitable (27). Cette consubstantialité du texte, fat-il chargé d'emprunts,

à son auteur (28), c'était déjà par avance

la formule des Essais de Montaigne. L’imi-

tation n’y est plus qu’un moyen de se dire, le modèle étranger ayant fondu dans le texte nouveau en une appropriation si parfaite qu’elle interdit tout départ entre l'emprunt et le propre. La théorie répond à la pratique, mais elle ne va pas pour autant sans poser problème. On peut se demander devant tel poème ou telle prose ce qui permet de conclure à la parfaite assimilation du ou des modèles originaires. La règle érasmienne, qui fait de la disparition des emprunts, devenus méconnaissables, le critère de la qualité de l’innutrition, donc de l’œuvre, est-elle autre chose qu’un idéal à peu près irréalisable ? L’appropriation est-elle souvent autre chose qu’un leurre, qui masque la présence sous-jacente du modèle ? Des écrivains aussi différents que Montaigne, Giraudoux et Aragon ne sont pas loin de le penser. «Parmy tant

d'emprunts je suis bien aise, écrit l’auteurdesÆssais, d'en pouvoir desroberquelqu’un, les

desguisant et difformant à nouveau service» et l’image était précisée, dans l’édition de 1588, à propos des «larrecins» dont certains font parade : «comme ceux qui desrobent

les chevaux, je leur peins le crin et la queuë, et parfois je les esborgne» (29). Pour Ribaudeau,

le philologue

de Siegfried,

«le plagiat est la base de toutes les littératures

tout le monde

copie, seulement il y a ceux qui sont malins,

excepté de la première, qui d’ailleurs est inconnue». Et Aragon :«Mais copier, alors c’est mal vu, remarquez

ils changent les noms par exemple, ou enfin ils s’arrangent pour prendre des bouquins épuisés» (30). Ce sont là propos qu’on peut juger purement épigrammatiques. Au moins mettent-ils en lumière cet aspect volontiers ignoré qu’est, dans la production de du texte, le travail d’appropriation et d’occultation qui le nourrit et le détache ses «sources» et de ses modèles. Mais la difficulté est peut-être moins de masquer le modèle que d’appliquer la règle, que donnent toutes les rhétoriques depuis Quintilien, de ne pas s’en tenir à un modèle mais de recourir à plusieurs selon les nécessités de chacun des moments du discours, autrement dit, de pratiquer une habile contaminatio. Comment parvenir à fondre la multiplicité, sinon l’hétérogénéité des emprunts, dans l’unité d’une œuvre qui doit donner l’impression constante d’une venue homogène ? De plus, cette homogénéité n’étant jamais qu’effet d’homogénéité, le jugement du lecteur relève d’une culture, d’un goût et diffère selon les publics et les temps. L’admiration que ses contemporains ont portée à Ronsard fait place, à peine un siècle plus tard, au mépris : limitation qu’il pratiquait est alors jugée trop étroite et servile. Mais modèles les classiques tomberont sous la même critique, lorsque la prégnance des manifeste trop comme romantiques aux grecs et latins dans leur œuvre apparaîtra

moins pour n'être pas la marque d’un certain académisme. Malgré une conception

s’élabore exigeante que n’est la nôtre de l'originalité en littérature, l’époque même où et plagiat de l'accusation à soumise le classicisme voit l’œuvre de Guez de Balzac valila t concrètemen apprécier à a y le débat est exemplaire de la difficulté qu’il (pour ne dité de l’imitation, Le P. Goulu accuse Balzac «d'emprunter bien souvent dont il anciens, des cabinets les dans pas dire dérober) des perles et des diamans n’imite Balzac que répond lui pare sa nouvelle Eloquence» (31). Frangois Ogier

qu’elle «quasi jamais», et que, de toute façon, «l’imitation est tousiours loüable, lors

patron...» (32). est accompagnée d'industrie, lors que nous choisissons un excellent

10

Jean

La notion

LAFOND

Sur le fond, Goulu et Ogier sont d’accord. L’imitateur l'important est de «considérer l’artifice que l’auteur a pris pour modèle, selon Goulu (33), de dérober «l’art tost que leurs paroles», selon Ogier (34). Tous deux

suppose

n’est pas «le copieur», et suiui pour faire l’ouvrage» et l’esprit des anciens plus admettent que limitation

«le larçin», et qu’«il n’est question que de le couvrir», de lui apporter

«un tel desguisement, que la chose change de face, & ne puisse reconnüe de ceux à qui elle apartient, s’ils reuenoient aujourdhuy Tous les Anciens en ont usé ainsi, et certains rhéteurs ont donné éviter d’être découvert : Hermogène conseille de pratiquer le l’ordre» dans les différents passages empruntés, la «dilatation»,

pas mesme estre au monde» (35). des recettes pour «renversement de qui correspond a

l’amplification, la «restriction» à la condensation (36). Et Ogier produit une longue liste d'auteurs

modernes,



l’apport

du

modèle

est considérable. Car «finalement

ce ne seroit jamais fait que d’entreprendre de faire le procez à tous les larrons, qui

ont esté depuis deux mille ans» (37). La métaphore du vol pour désigner l’imitation parcourt ainsi condamnation

et éloge de Balzac (38), comme si la notion allait de

soi et que le départ ne fût qu’entre le larcin habile et bien caché et le larcin maladroit, seul condamnable. Un tel discours critique, dont, sous l’influence de la conception romantique de l'originalité, la critique n’a pas suffisamment souligné l’intérêt, annonce l’idée moderne

que,

dans

la mesure



il est

«absorption

et transformation

d’une

mul-

tiplicité d’autres textes», tout texte est le produit d’une active et féconde inter-

textualité.

Plus généralement, et pour conclure sur ce point, cet emploi de la notion

de modèle

renvoie

à une

esthétique

de la représentation, où modèle

et «copie»

fonctionnent en couple. A la Renaissance et à l’âge classique, la première fonction

affichée de l’art est l’attention et le privilège accordés au modèle naturel. La liberté de l’artiste n’est pas menacée par cette reconnaissance, la Nature intervenant comme

réservoir de formes, d’images et pierre de touche de l’authenticité de l’œuvre (39). Pour limitation des œuvres antiques, elle se comprend dans le système des auto-

rités que la Renaissance garde du Moyen-Age, avec la différence capitale, que ces autorités sont à présent placées dans la distance de l’éloignement, de la différence. La philosophie et l'archéologie mettent en perspective le passé, et malgré certaines

erreurs, l’attitude de l’érudit, comme celle de l’artiste n’est plus celle de la révérence

aveugle (40). Sur ce point, la position de Montaigne fait date, qui récuse le discours d'autorité pour se tourner vers la saisie, contradictoire, inachevée et inachevable,

d'une

modèle

pensée, (41).

d’un

être, des modalités

Position

d’une écriture qui s’invente son propre

qui n’aura pas d’avenir

immédiat

: de Balzac

aux

grands

classiques, la hiérarchie des valeurs et la constitution de genres définis marqueront,

dans la théorie et toute une part de la littérature ,le retour vers le dogmatisme du modèle préétabli. Mais, qu’on prenne pour modèle la nature ou les Anciens - eux-mêmes

étant considérés comme les plus parfaits interprètes de la nature - l’imitation n’est ni duplication ni répétition. Il est admis que l’œuvre ne se conçoit pas sans un art de la variation où se donne concertée de son modèle.

à admirer l'intervention de l’écrivain dans la reprise

Dans

ces dernières

décennies,

manifesté pour la notion de modèle

11

de modèle

un

regain

d'intérêt

: des sciences exactes

très remarquable

s’est

le mouvement a gagné

les sciences humaines, et en particulier l’histoire. L'emploi le plus proche du sens commun a été, en histoire des mentalités, celui de «modèle culturel». Ainsi, lorsque Georges Duby entend expliquer comment la culture aristocratique du Moyen-Age a influencé les milieux non-aristocratiques et comment

elle a été, en retour, influencée pas ces mêmes

milieux, il montre

qu'il

faut tenir compte d’un double mouvement : les modèles culturels de la noblesse ainsi du sentiment dynastique - se diffusent alors dans les couches sociales immédiatement inférieures, et, à l’inverse, la noblesse adopte, avec la chevalerie par exemple,

un modèle qui, au XIe siècle, ne concerne que l’aventurier ou le domestique des grands (42). Le modèle culturel joue un rôle déterminant «comme facteur de la cohésion de certains groupes et de leur isolement par rapport à d’autres». «Modèles

concrets»,

«types

exemplaires

d’accomplissement humain»

fonctionnent en tant

que «moteur des mouvements de vulgarisation», à travers tout spécialement l'élite des juvenes - jeunes clercs et jeunes chevaliers - qui se rencontrent dans les cours

princières. Le conflit des modèles ne va pas sans échange de valeurs entre les groupes,

mais ces échanges sont précisément, «ce que, faute de mieux, on appelle la culture». Au cours du colloque où G. Duby avait développé ce thème, Jean Delumeau, dans

une intervention, reprendra la même thématique pour l’appliquer au XVIe siècle (43). Dans cette perspective, l'emploi du modèle permet d’associer un phénomène

culturel à un groupe social. La compréhension historique ne se réduit dès lors ni à

une étude des «classes» dans leurs rapports avec l'infrastructure économique, ni, inversement, à une interprétation où l’histoire des idées serait appelée à commander

directement les phénomènes culturels.

Mais le modèle a pris, pour les historiens, comme pour les ethnologues, un sens plus spécifique en raison du succès remporté par la notion dans les sciences dites «exactes», de l’économétrie à la mathématique. L'origine de cet emploi est-

elle technologique, comme le veut Noël Mouloud dans son article de l’Encyclopaedia Universalis ? Il est certain que quelques dictionnaires, dont l’Encyclopaedia Britannica, accordent beaucoup plus de place à la «modélisation» qu’au modèle. Et le «modèle réduit» n’est pas sans suggérer l’idée que l’imitation à une échelle moindre ou plus généralement différente peut être féconde pour la compréhension d’un phénomène

type

complexe. Là encore, la République de Platon fait figure de proto-

: n'est-ce pas pour mieux comprendre l’homme que Platon prend le détour

de construire une société parfaite ? Le modèle est ici plus grand que la réalité qu'il cherche à saisir, mais il en est, aux yeux de Platon, d’autant plus intelligible. La république idéale grossit les traits, à la façon d’une loupe, et elle introduit de l’ordre là où semblait régner la confusion ou la complexité. Claude Lévi-Strauss a accordé, on le sait, une attention toute particulière à la miniaturisation et à sa fonction dans l’œuvre d’art (44). Le plaisir que nous éprouvons à voir représentée une collerette de dentelle dans tel portrait de Clouet à l'intégration, «perçue comme nécessaire», du contingent dans une tiendrait la question de savoir «si le structure. De 1à naîtrait l'émotion esthétique. D’où modèle réduit, qui est aussi le «chef-d'œuvre» du compagnon, n’offre pas, toujours

Jean

LAFOND

La notion de modéle

et partout, le type même de l’œuvre d’art» (45). L'objet y compense en effet «la

renonciation à des dimensions sensibles par l'acquisition de dimensions intelligibles», et le spectateur ne verrait plus dans la représentation «un homologue passifde l’objet», mais «une véritable expérience sur l’objet». D’autres solutions sont virtuellement

données en même temps que celle qui a été choisie par l’auteur du modèle réduit,

et c’est la conscience de ces virtualités, c’est-à-dire des permutati ons possibles, qui fait

à son

même»

tour

du

spectateur

un

créateur,

«à

meilleur

titre que

le créateur

lui-

(46). Ainsi conçu, le modèle réduit, ou la maquette, présente deux des principales caractéristiques du modèle : il élimine certaines des données au profit d’une intelligibilité supérieure de l’ensemble, et il donne à voir «le tableau général des permutations» qu’on peut opérer dès qu’on reproduit à une autre échelle l’objet considéré. Dans Tristes Tropiques déjà, Lévi-Strauss rendait hommage à Rousseau,

«notre maitre, notre frère», et «le plus ethnographe des philosoph es», qui pose le problème social à travers «un modèle théorique de la société humaine qui ne correspond à aucune réalité observable», mais permet, comme le dit Rousseau,

de

déméler

l’homme»

«ce

qu’il

y

a d’originaire

et

d’artificiel

dans

la nature

actuelle de

(47). Ce modèle, l’ethnographe le construit pour «étudier ses propriétés

et les différentes manières dont il réagit au laboratoire, pour appliquer ensuite ses

observations à l'interprétation de ce qui se passe empiriquement et qui peut être

fort éloigné des prévisions» (48). La démarche, on le voit, suppose la construction

d’un modèle par abstraction de certaines données, sa mise à l'épreuve en laboratoire,

où ses réactions sont testées et ses résultats validés, son intervention enfin dans la réalité empirique qu’il s’agit Par son moyen d'éclairer. En simplifian t le réel, il constitue un instrument d’analyse dont l'efficacité tient à l'élimination du brouillage créé par la complexité des faits et il autorise ainsi une meilleure lecture des rapports que les données retenues entretiennent entre elles (49). Dans le meilleur des cas - en économétrie par exemple - il doit permettre la prévision, toute modification

des rapports établis dans la situation de départ conduisant à déduire du modèle la

situation d’arrivée qui en résulte.

Il va de soi que, dans la simplification qu’il opère, le modèle trouve tout autant ses limites que sa productivité, Mme Blondel-Mégrelis fait apparaître ces deux

aspects

complémentaires

montré, doit son système aux modèles mathématiques qu’il reçoit ou qu’il construit. Chez le philosophe allemand, la mathématique sert deux fois de modèle, pour les

exemples particuliers qu’elle offre et pour l’image d’organisation qu’elle fournit :

elle est «modèle

de systématicité», étant «l'image simple qui permet de voir, nai:

vement réalisé, un monde que l’on est en

train de mettre en œuvre sur un terrain

plus général, ou plus concret, ou plus réel, ou moins fictif, ou moins imaginaire...» (51). L'usage du terme modèle intervient du reste chez M. Serres à maintes reprises, du Nicolas de Cues de la Docte ignorance à l’'Entretien de Pascal avec M. de Saci, envisagé comme «modèle réduit des Pensées», ou de la vision, qui fait fonction de

modèle de la connaissance de Platon à Descartes , à l’image du cône, qui fonde ie point de vue dans la perspective classique (52).

Je n’évoquerai pas ici l’abondante littérature à laquelle le problèm e a donné lieu dans la relation du modèle aux différentes théories scientifi ques, système cosmologique de Galilée ou théorie des catastrophes de René Thom (53). Après celui d'Alain Badiou (54), l'ouvrage de Bernard Walliser tente de définir le concept de modèle, d’en distinguer les types, d’analyser les fonctions qu’il remplit, aux plans syntaxique, sémantique et pragmatique (55). L’auteur associe le concept de modèle

à celui de système. Que le modèle soit concret - la maquett e - ou abstrait - un ensemble

de signes -, il «recouvre toute représentation d’un système réel, qu’elle soit mentale ou physique, exprimée sous forme verbale, graphique ou mathématique». B. Walliser insiste en effet sur l’unité de la notion, qui englobe des types extrêmes, mais avec passage progressif de l’un à l’autre, sans qu’il y ait rupture. On peut ainsi passer, dans un même domaine, des modèles physiques (la maquett e représentant un relief géographique), aux modèles symboliques les plus abstraits (l'équation des courbes qui décrivent ce même relief) (56). De toute façon, «tout modèle est exprimé dans un langage plus ou moins formalisé» (57), le moins formalis é étant le langage littéraire, le plus formalisé correspondant aux langages mathématiques, ceux de l’informatique par exemple. Entre les deux, se situent les langages iconiques et logico-

mathématiques. Dans tous les cas, il faudrait redire ici ce que dit Jean Pouillon des

mythes, qui, fonctionnant comme des modéles structuraux, «ne représentent pas la réalité», et visent à rendre compte «non seulement de ce qui est effectivement donné, mais aussi de ses variantes concevables» (58).

Haüy. L’avance considérable que René-Just Haüy a fait faire à l'étude des minéraux

C’est bien ainsi que l'entend un historien, qui est aussi un philosophe, Leszek Kolakowski, lorsqu’il construit ce qu’il appelle le «modèle idéal» du «subjectivisme religieux», qui est destiné à mieux cerner la spécificité des «chrétiens sans

«a constitué quelque chose comme le support du progrès théorique , une sorte de tremplin pour la pensée», mais elle fut, à partir d’un certain développement, «un lest qui l’a freinée» (50). De là, la nécessité de passer d’un modèle qui a épuisé,

leur commune opposition aux théories de la grâce et à la conception de la communauté religieuse que formulent alors la Réforme et la Contre-Réforme. La notion de «subjectivisme religieux» va donc servir à éclairer leur démarche et à ordonner des positions

dans

l’étude

qu’elle

a consacrée

a la cristallographie de

a son origine dans «une certaine métaphorique de la vie», qui donne au cristal une organisation comparable à celle des êtres vivants. Cette métaphor ique de la génération

momentanément

ou non, ses possibilités d'interprétation à un autre modèle. Mais,

on vient de le voir dans la mesure où attaché. Ainsi en ou la psychanalyse

Galilée

réactive

par l'exemple de la cristallographie, il s’applique à un autre domaine que est-il du modèle linguistique pour lacanienne. Et le phénomène n’est pas

le modèle

mécanique

le bon modèle est productif celui auquel il était jusqu'ici l’ethnologie levi-straussienne propre à la science moderne :

d’Archiméde,et Leibniz,

Michel

Serres l’a

13

église» du XVIIe siècle (59). Ces hommes ne partagent à peu près rien d’autre que

apparemment difficiles à situer dans une même perspective, aucun des individus ou des groupes en question n'étant l’image-étalon de cet «idéal-type» qu’est, pour l’auteur, le subjectivisme religieux. Car, comme chez Max Weber (60), l'intérêt du modèle élaboré tient à ce qu’il évite la dispersion dans la poussière des faits, dans cette empirie dont le positivisme croit pouvoir tirer une image «vraie» du réel. A l’occasion d’un débat sur l’histoire, Raymond Aron, qui tient, rappelons-le au

Jean

passage, Max Weber pour l’un des plus grands, sinon le plus grand sociologue de notre temps, rappelait opportunément que, «en derniére analyse, toutes les sciences ne saisissent que des objets construits, des abstractions», et «qu’aucune connaissance

strictement

empirique

ne

s’élève

à

la dignité

philosophique»

(61).

Ou,

comme

aime à dire R. Aron, dans une formule devenue célèbre : «la théorie précède l’histoire». C'est en quoi nombre de critiques lancées contre Max Weber, Lucien Febvre ou L. Kolakowski ne portent guère : certaines erreurs de fait, quand ce ne sont pas

simplement des divergences d'interprétation, ne sauraient ruiner une construction qui a le mérite de rendre intelligibles des ensembles ou des individus, et Pierre Chaunu a raison d’associer les noms de L. Febvre et de L. Kolakowski dans le même éloge : «ils ont procuré des modèles acceptables et enrichissants pour un lecteur agnostique, rationaliste, chrétien.» (62). Concluons. De l’auctoritas qui fonde le texte littéraire, dans l’Antiquité, au Moyen-Age (63) et encore à la Renaissance, au refus de l’auctoritas, tel qu’il se manifeste de Montaigne à Hugo, le texte littéraire ne change de statut que pour

être de plus en plus son propre modèle, texte généré et générateur à la fois (64).

à voir, ce sont moins les faits eux-mêmes que la loi qui les organise en système. Il occupe par là-même une situation originale, puisque, maquette ou figuration symbolique, il est à la jointure du concret et de l’abstrait, qu'il médiatise, et entre lesquels il a pour fonction d’établir une circulation incessante.

Jean LAFOND

On

-

1

Mais, très tôt, on le constate avec Quintilien, la répétition du modèle, fat-il considéré comme forme idéale, n’est pas sa propre visée. La tension qui, au plan théorique,

se manifeste entre le modèle et son double favorise plus qu’elle ne gêne la pratique du bon écrivain : le texte premier ne produit le texte second que dans la modification,

sinon

la

trahison,

volontaire

ou

non,

du

texte

générateur.

Et

2

truit, et sans cesse

révisable,

répond

au nominalisme

implicite de la démarche

d’un système (modèle statique)». Je me référerai à ce

-

Cf. le Vocabulaire de Lalande au mot «norme».

destiné à produire à de multiples exemplaires un «modèle de grande série».

3

est repris, toujours à Bayle, Dictionnaire historique et critique, art. Zeuxis. Le méme théme et pour le portrait raisins», de propos de Zeuxis, pour la peinture d’un «garçon chargé mort. L'article de sa causer de d’une vieille femme qui aurait fait rire le peintre au point cette esthétique de fait que Perrault Bayle donne toutes les références, et cite la critique

-

du trompe-l’œil. 5

Idées/Arts, Gallimard, par A. Blunt, La théorie des arts en Italie de 1450 à 1600, semble différente». opinion son 1966, p. 55. A. Blunt ajoute qu’en «d’autres passages,

Cité

-

Il signale néanmoins l'importance accordée par Léonard au miroir pour juger de la -

fidélité du tableau à la réalité. A. Blunt, op. cit., p. 28 (pour l'exemple de Démétrius) et p. 29. const: Pour la sélection des traits les plus beaux, Zeuxis sert également de référence Pour peindre

Héléne, comme

le lui demandaient

ante.

les Crotoniates, il obtient d’eux qu’on

réunisse les plus jolies filles de Crotone, il en choisit cinq et «prenant de chacune ce

avec qu’elle avoit de plus beau, il en forma le Portrait d’Helene» (Bayle, art. Zeuxis, renvoi à Elien et Cicéron). Cette idée de l'insuffisance du modèle unique se retrouve chez Raphaëlet Michel-Ange : voir Erwin Panofsky, Idea. A Conceptin Art Theory, Columbia,

par cette «multivocité sémantique»

«Fictif réalisé» pour S. Bachelard (67), «fiction surveillée» pour (68), il a dès lors surtout valeur de représentation, mais ce qu’il donne

de

paru quatre ans plus tard (1970),

«représentation simplifiée et plus ou moins formalisée d’un

De la «copie» dans les arts plastiques à l’objet industriel, le «modèle de fabrique» étant

que lui attribue Suzanne Bachelard (66), s’est prêté de longue date à un jeu subtil

scientifique. N. Mouloud

le sens

le Supplément,

-

tique (65). Quant à la notion de modèle socio-culturel, il semble bien qu’elle doive et puisse informer utilement toute réflexion sur les phénomènes culturels, tant dans la diachronie que dans la synchronie. entre l’idée de norme et celle de représentation, de figuration. A mesure que le sens normatif perdait de son intérêt, le sens figuratif étendait ses emplois. Et, à une époque où le chercheur scientifique se montre peu enclin à confondre les lois qu’il établit avec une causalité effective et une vérité fondée dans le réel, le modèle cons-

introduit

dans

seulement

sens, si important de nos jours, dans la seconde partie de cet article.

été empruntés à la phonologie ou à la poétique de Jakobson - a fécondé naguère le terrain de l’ethnologie et de la psychanalyse, cependant que certaines linguistiques exploitaient les modèles fournis par les théories de l'information ou de la cyberné-

le mot de modèle,

c’est

que

processus (modèle dynamique),

tère propre à la littérature : «il n’y a pas de texte(s) unique(s)» (G. Genette), «l'œuvre tend irrésistiblement à se redire» (M. Blanchot).

Le modèle réduit et le modèle théorique ouvrent de tout autres horizons. De Platon à nos jours, leur fonction principale est d’intelligibilité. Le modèle vise en effet ici à rendre compte d’une organisation du donné, et il reçoit sa valeur heuristique de l’approche nouvelle qu’il autorise, tout spécialement quand son emploi, transposé de tel champ du savoir à tel autre, dégage des perspectives jusqu'alors inexplorées. L'utilisation des modèles de la linguistique structurale - qu'ils aient

notera

qu’est

la critique

moderne ne fait que théoriser cette pratique millénaire lorsqu'elle souligne ce carac-

Plus généralement,

15

La notion de modèle

LAFOND

1968, p. 68, A. Blunt, op. cit., p. 111-114.

8

-

Michel D'Hermies, Art er sens, Masson et Cle, 1974, p. 138. On trouvera aux Le oni

«Art et nature», p. 113-131, sur Aristote, et «Mimesis et illusion», P- 133-146, sur

Platon, des analyses très remarquables, que j’ai mises ici, trop rapidement, à contribution : L'art et l'illusion, Bibl. des on s’y reportera, ainsi qu’au livre classique d’E.H. Gombrich, Sciences humaines, Gallimard, 1974, qui traite à maintes reprises de la mimesis (cf. p. 31 sq., 171 sq.).

Jean

Platon, La République, voir également

X, 597a,

III, 393-395

LAFOND

598b

(trad.

(le modèle

La

Robin, Bibl. de la Pléiade). Sur limitation,

littéraire),

V 472

(l'Etat

modèle),

VI

501

27

10

Platon, op. cit., III, 397.

28

11

Aristote, La

29

fût-ce celle parce 12

IV,

1448b

: l’imitation

des bêtes les plus repoussantes

qu’elle

«instruit»

est source

de la connaissance.

et des cadavres, est contemplée

et «fait raisonner».

Même

thème

1, 1X, 23

1641, p. 29, cité par J. Cousin,

francais», Revue des Cours et Conférences,

13

14 15

M.

D’Hermies,

op.

cit.,

p.

125.

Et

p.

mars

1933,

118-119,

«Rhétorique latine et Classicisme p. 596.

sur

l’art

«complément,

non

redou-

E.

Panofsky,

op.

cit.,

p.

39-43.

Pour

Panofsky,

Thomas

d’Aquin

réalise

une

synthése

grandiose d’aristotélisme et de néo-platonisme. 16

E. Panofsky,

op. cit.,

p. 66. Le problème

théoriciens cités par Panofsky. 17

18

19

posé court à travers tous les exemples et les

E. Panofsky, op. cit., p. 81. Mon commentaire emprunte à la théorie de Zuccari, exposée P. 85-86, les expressions de disegno interno et disegno esterno, que Zuccari emploie exactement dans le sens de l’opposition établie par Danti. À. Blunt, op. cit., p. 111, qui cite, dans les deux cas, les Vite de Vasari (VII, p. 271 et 268). L’hostilité au naturalisme se retrouvera dans le scandale causé par la peinture du Caravage, et, plus tard, par celle de Courbet. E. Panofsky, op. cit., p. 71 sq., sur le maniérisme et les théoriciens Zucchari et Lomazzo, sq. sur le classicisme et l’esthétique de Bellori, dont un texte capital, de 1664, est donné dans l’appendice II, p. 154-177. et p. 103

20

J. de Bellay, La Deffence et illustration, éd. H. Chamard, Didier, 1948, p. 78-79. Sur le modèle littéraire, on consultera l’article de G. Mathieu-Castellani «Statut et fonction du modèle»

in Cahiers de l'U.E.R.

21

J. du Bellay, op. cit., p. 80-81,

22

J. du Bellay, op. cit., p. 72,n note que

23

Cf.

qu’ici du

Bellay

Froissart,



2, 1977 Valenciennes, p. 5-20.

est poeta

imitator»

(Poétique,

p. 3). Mais, comme

le dira

Terence

Cave,

The

Cornucopian

Text, Problems of Writing in the French

par Peletier, en 1555. Cf. T. Cave, op. cit., p. 54 sq. et R. Zuber, Les «Belles Infidéles»

et la formation du goût classique,

26

A. Colin,

1968, p.21

J. du Bellay, op. cit., p. 42. Voir également, p. 46.

sq.

peu famélique

P.U.F.,

1965, III, XII, p. 1056. Au

XVIIe

siècle,

conseille le plagianisme dans son Masque des orateurs

J.

Giraudoux,

p.

16. Aragon,

F.

Siegfried,

La

1, VI,

mise

in

à mort,

Théâtre

complet,

Bibl.

de

la

Pléiade,

p. 455, cité par A. Compagnon,

p. p. J. Body,

La seconde

main,

Le

1979, p. 34.

Goulu,

Première

Partie

des

Lettres

de Phyllarque

F. Ogier,

Apologie

pour Monsieur

de Balzac,

Paris,

à Ariste,

C. Morlot,

33

F. Goulu, op. cit., p. 253.

34

F. Ogier, op. cit., p. 12-13.

35

Cf. F. Ogier, op. cit., p. 13, F. Goulu, op. cit., p. 258.

36

F. Goulu,

37

F. Ogier, op. cit., p. 18-19.

38

Cette

op.

Paris,

N.

Buon,

3ème

1627,

p. p. Jean

Jehasse,

organise

premières avec

cit., p. 258.

métaphore

qu’elle

est

pages

l’allusion

longuement

filée

le texte, puisque et qu’elle à

Mercure

chez

F.

la première

se retrouve

Ogier

dans ce que

et à Prométhée,

: on pourrait

partie de l’Apologie J. Jehasse

qui évoque

aller jusqu’à

la développe

appelle

le larcin

dire

dès les

sa «péroraison»

«héroïque»

constitué

par la pratique balzacienne (p. 65-66). 39

Pierre

de

touche,

parce

que,

selon

Aristote

et les théoriciens

qui s’en

inspirent,

l’art

ne saurait créer contre la nature. Cf. M. d’Hermies, op. cit., p. 123. 40

Cf.

Panofsky,

op.

cit.,

p.

50

et

p.

206,

riorise l’objet artistique et personnalise 41

tance

entre

Voir

sur

«sujet»

ce

et

point,

Univ. de Lyon,

«objet»,

la thèse

n 9 16

: la Renaissance,

dans la culture comme

d’André

de

Tournon,

et structures du Moyen-Age,

culture

Paris-La Haye,

et groupes

1967,

sociaux,

Ibid., p. 34.

46

Ibid., du

p.

beau

tualisme

36. au

exté-

une dis-

dans l’invention de la perspective.

Montaigne.

La glose et l'essai,

Presses

Mouton, Paris-La Haye, 1969, ch. XVII

Actes

du

féodale», pp. 299-308.

colloque

de

l’E.N.S.,

1966,

Mouton,

p. 138 sq.

C. Levi-Strauss, La pensée sauvage,

45

Panofsky,

1983.

G. Duby, Hommes Niveaux

selon

l’artiste en tant que sujet. Elle instaure

«La vulgarisation des modéles culturels dans la société

Renaissance,

Les problèmes de la traduction sont posés par Dolet, en 1540, par Du Bellay, en 1549,

que le lion est fait de

Univ. de Saint-Etienne, 1977, p. 10-11.

2, od Speroni loue le style d’Aristote (f. 128). H. Chamard

Oxford, Clarendon Press, 1979. 25

32

associe le nom

: «Rerum

métaphorisme lorsque,

il rappelle

éd., 1628, p. 176.

42

bient6t Pascal : «on ne sait ce que c’est que ce modéle naturel qu’il faut imiter» (Laf. 586, Sellier 486). La pensée en question est une variation intéressante sur la notion de modèle esthétique. 24

31

de Platon à celui d’Aristote. Mais dans le passage nous avons cité plus haut, du Bellay se contente de traduire pour l’essentiel Speroni.

J.-C. Scaliger

Montaigne, Essais, éd. Villey-Saulnier,

Seuil,

blement», de la nature. E. Panofsky, op. cit., p. 6-7. Voir également p. 17.

à ses sources,

(1667).

30

: «Il faut que le

poète corrige les défauts de la nature, et qu’il achève ce qu’elle n’a fait qu’ébaucher»,

Discours de la poésie,

de l’écrivain

T. Cave, op. cit., p.45 (citation de la page 652 du Ciceronianus). un rhéteur quelque

avec plaisir,

dans la Rhétorique,

(éd. Voilquin et Capelle, Garnier). Cf. Boileau, Art poétique, III, v. 1-2. La Rhétorique, 1, X1, 26. En bon aristotélicien, le P. Le Moyne écrit

L'image,

la réduction

mouton assimilé.

législateur, peintre du modèle divin). Poétique,

T. Cave, op. cit., p. 45-6. On notera que P. Valéry utilise le même condamnant

(le

notion de modèle

La critique

portée

Plon,

1962, p. 33-40.

par Etienne

Gilson

contre

toute

réduction

du

plaisir

plaisir de la connaissance vaudrait sans doute tout autant contre l’intellec-

de Lévi-Strauss que contre celui d’Aristote (E. Gilson, Les arts du beau,

Vrin,

1963, p. 105-108, sur le plaisir de l’imitation chez Aristote).

47

C. déjà

Levi-Strauss, citée p.

l'ethnographie,

Tristes

339,

tropiques,

Plon,

1955,

p. 421-423.

La formule

est tirée du Discours sur l'origine de l'inégalité. Quant

il tient

à la constitution

d’un

«type», qu'aucune

société

fidèlement, mais qui précise la direction où l’investigation doit s'orienter».

de

Rousseau,

à l'apport de «ne reproduit

19

18 Jean

48

Ibid., p.49.

49

Jean

Pouillon

du

réel,

que

aisément cité

écrit

ainsi

: «un

l’on tente

la structure»,

par

modèle

pour

lui faire

in Les

B. Walliser, Système

La notion

LAFOND

subir

Temps

les variations

modernes,

et modèles,

Le

nov.

Seuil,

qui

permettent

1966,

Paris,

p.

781.

1977,

p.

de lire plus

Et Jean

143

Marika

Blondel-Mégralis,

lographie Haüy

de

Haüy»,

«Le

modèle

in Revue

ne rend pas seulement

et la théorie

philosophique,

: analyse

1981,

3, p.

intelligible le groupement

Michel

Serres,

t. I, p.

69.

sens

Le

Cet

système

emploi

contemporain

de

du

: «ce

Leibniz

modèle

qui

et ses

paraît

réalise

de

à

modèles

M.

Serres

P. Chaunu, Le temps des réformes,

63

Sur

manière

effective

un

général, ce qui est, à peu près, l'inverse du sens platonicien» 52

Voir, successivement, de structure

$3

Cf.

René

54

n.

3,684,

Thom,

Modèles

donnée

à

S.

mathématiques

Deligorges

1981). Je laisse également

dans

sens

P.U.F., assez

du

la

Nouvelles

de lois posé en

1974

n 9 2798

de côté les usages linguistiques de la notion

et

théories

tique

(juillet-

de modèle,

S.

p. 158 sq. )

idéologique

du

mot

F. Maspero,

modèle,

1969, Althussérien, A. Badiou

particulièrement

à propos

l’objet

d’une

critique

mathématiques», pirouettes

in

sévère

Critique

dialectiques

d’Yvon 368,

de l’auteur

de parade». Je remercie mon

Gauthier,

janvier n’ont

1978

dans (pp.

d’égal que

collègue G. Chaix

critique

de Levi-Strauss, dont le

Le travail de Badiou

«L’épistémologie 25-28)

le ballet

: pour

Y.

linguistique

de m’avoir communiqué

des

modèles»,

p.p.

P.

Gauthier,

«les

qui

leur sert

Le concept de

modèle, devenu introuvable, et de m’avoir signalé l’article d’Y. Gauthier. 55

B. Walliser, op. cit., (cf. la note 49).

56

Ibid., p. 3, 116,

57

Ibid., p. 125.

58

Jean

«La

ce sens,

pas 4 demander plus

fonction

mythique»,

«c’est justement

in Le temps de la réflexion,

parce

que

les mythes

sont

1980, Gallimard,

des modéles qu’on

n’a

s’ils sont vrais ou faux : ils doivent étre opératoires ou, pour le dire

simplement,

parlants»

; il servent

à

répondre

aux

questions

métaphysiques

et

idéologiques que se posent leurs utilisateurs. L. Kolakowski, Chrétiens sans Eglise, trad. par Anna

Posner, Gallimard,

1969, p. 23 sq.

Cf. p. 23, l’idée que la structuration du domaine étudié exige qu’on donne «un caractére homogène (...) aux critères de choix premiers» et qu’on distingue «ces critères premiers des critères seconds». «Les critères de choix constituent des modèles idéaux servant à classer les faits étudiés - et en ce sens ils précèdent les faits». Voir également, p. 51, la «remarque

ré eyne

sur le concept

des serie dans

S.

du

de structure».

réflexions suscitées par l’Idealtypus de Max Weber est celle de Paul

l'essai d’épistémologie

qu’est

Comment

on écrit l'histoire,

Le Seuil, 1971,

sur

(Les Arts

les Beaux-Arts,

9.

p.

Vappli-

(Problémes de linguisun

exemple

typique

et

modèle

et justification trouvera

de justification

des

modèles»,

dans ces mêmes

«pré-scientifiques»,

Dans

je

conclusion,

cette

modèle,

du

retiens

qui

des

analyses

de

l’auteur

«n’est en aucun cas une imi-

ou théorique. tation des phénomènes» mais «donne à voir», qu’il soft iconique que, N. Mouloud, in Encyclopaedia Universalis, à l’entrée modèle. Rappelons est

l’idéaltype

Max

Weber,

références

du

et scientificité», qui récuse l’opposition la notion de vérité et de

«Modélisation

abstrait-concret»

«caractère

Aux

issus

les modèles

pour

plus fructueuse

n'étant pas pertinente, comme l’ont montré E. Mach et P. Duhem.

cit.,

op.

Bachelard,

de

notions

t. I, p. 3-19. On

1979,

Maloine,

et de modèles

«scientifiques»

aussi

une

une

fiction,

«utopie»,

ayant

valeur

pour

heuristique.

fournies jusqu'ici, il faudrait ajouter celle du Traité de l'argumentation e», de Perelman et Olbrechts-Tyteca, en particulier pour ce qui touche à «l’anti-modél sur questions : Secundus Joannes de pp. 488-495. CI. Balavoine «A la suite des Basia limitation»,

124.

M. Thellier,

et

un article de René Thom,

modèles

«Diuinus

Pouillon,

p. 95. En

Delattre

des

«Elaboration

Colloque

du

Actes

in



C'est

des rapports

même»

discipline.

historiques

aspects

«Quelques

des

le thème

68

linguistes

13-14).

p.

l’étude

leçon

la logique symbolique

de 1976,

Gallimard,

«Tel»,

1,

générale,

fausseté d’un modèle 67

a été

française

des procédures

en linguistique

que

et il croit

et de la cybernétique

de l'information

Bachelard,

Larousse,

1966,

texte, énigme, Le Seuil,

l'œuvre

Dix-septième

594,

p.

conflit des modèles à l’intérieur d’une même 66

de

Badiou, Le concept de modèle,

c’est

in fine). Voir les pages 139, 429, 519, 560 sq., 574. Benveniste regrette l’attrait qu’éprouvent certains

Actes

A.

d'Alain

E.

des

pascalien», p. 647 sq. Bourgois

l'esthétique

«le vrai modèle

de

1958,

la Pléiade,

de

; Bibl.

Dieux

cation

littéraires,

discours serait «une variante ds l’épistémologie bourgeoise».

60

65

(ibid.).

morphogénèse,

Langue,

cf. P. Zumthor,

et l’idée que

la nature,

l’art et de

de

les plus positifs

aspects

des

un

C'est

pour la syntaxe de la phrase ou celle du récit (cf. A. J. Greimas, Sémantique structurale,

l’usage

59

64

1968,

voisin

et p. 489.

1975, p. 15.

Fayard,

Vauctoritas et la lecture des auctores,

«Tel»,

à la philosophie de l'histoire,

1975,p. 93-95.

157-8, 656. Voir également la définition

de Les

p. 284).

à un colloque», p. 490

«Posface

R. Aron, op. cit.,

et les

ensemble

et de modèle, p. 4, et le chapitre sur «le paradigme

l’interwiew août

ibid., pp. 677

la cristal-

(citation,

mathématiques, d’un

1981, pp. 492-545.

62

(p. 294).

relever

Gallimard,

in Introduction

61

exemple,

283-309

écrit l'épistémologie»,

Perrin,

des formes cristallines, il dégage

cette «cause générale des formes qui permet de les prévoir» 51

d’un

l'historien

: «Remplacer

du visible compliqué par de l’invisible simple». 50

145-175. Sur cet essai, voir R. Aron, «Comment

types, concepts», pp.

ch. 7, «Théories,

n’est pas une structure, c’est une simplification

de modèle

Atti

del

1981),

in

du

Actes

Poeta,

ou

Convegno

Mondadori

la

Congrès

transcendance

mondiale

1984,

néo-latin de

scientifico

t. I, p. 387-400.

de

Virgile di

Tours dans

studi

su

(1976),

la

Virgilio

1978

Vrin

Poétique

de

J.C.

; P. Laurens, Scaliger»,

in

(Mantoue-Rome-Naples,

MODELE

ET

INTERPRETATION

FROISSART

ET

LA

NUIT

DU

la «fantaisie» de Pierre de Béarn

LOUP-GAROU

(1)

:

modèle folklorique ou modèle mythique ?

- Ma foi, dit-il, nous ferions bien de dormir, car il est tard. Il prit son fusil qu’on avait déposés

mit

dans

une

et son couteau de chasse, dans notre chambre, et les

armoire

dont

il retira

la clef.

. - je n’aime pas a avoir des armes prés de moi quand je dors. Mérimée,

Lokis.

Au livre III de ses Chroniques, Froissart raconte le voyage qu'il fit, à l’au-

tomne de 1388, dans le midi pyrénéen ainsi que le séjour d’une dizaine ou d’une

douzaine de semaines qu'il effectua, à partir du 25 novembre (date de son arrivée à Orthez), à la cour de Gaston Phébus, comte de Foix et de Béarn. Cette partie des Chroniques est connue sous le titre commode de «Voyage en Béarn».

|

Au chapitre IX de l’édition Diverres (XIV de l’édition Kervyn de Lettenhove),

un écuyer «ancien et moult notable homme» narre à Jean Froissart une bien étrange

histoire. Ce dernier en effet s’était enquis de l’état du frère bâtard de Gaston Phébus, Pierre de Béarn, «se il estoit riches homs et point marié». Son interlocuteur lui répond

par l’affirmative, mais, ajoute-t-il, ni sa femme ni ses enfants ne vivent avec

lui. Etonnement

du chroniqueur

|

! L’écuyer fournit alors l'explication suivante :

«Messire Pierre de Berne a de usaige que nuit en dormant il se

relieve et s’arme, et trait son espee et se combat, et ne scet a qui, voire

se

on

n’est

trop soigneux

de li. Mais ses chambrelans

|

et ses varlés, qui

dorment en sa chambre et qui le veillent, quand ilz l’oent ou voient, ilz lui

vont au devant et l’esveillent, et li dient comment il se maintient, et il leur dit qu’il n’en scet riens et qu’ilz mentent. Et aucune fois on ne lui laisse

nulles armeures ne espee en sa chambre ; mais quant il se relevoit et nulles

il n’en trouvoit, il menoit un tel terribouris et tel brouillis que il sembloit que tous les deables d’enfer feussent la dedens avecques lui, si que pour

|| |

|

|

|

23 La nuit du loup-garou

Joël H. GRISWARD

le miex on les lui a laissiez, car par my ce il s’oublie a lui armer et desarmer,

et puis si s’en reva couchier.» (2)

Ce Pierre de Béarn a épousé Florence de Biscaye, fille du comte de Biscaye autrefois

décapité par Pierre le Cruel et qui était venue se réfugier auprès de Gaston Phébus. De cette union sont nés un garçon et une fille, aujourd’hui installés avec leur mère en Castille où règne un cousin de la dame. ii Intrigué, Froissart - qui désire en savoir davantage gatoire :

o «Sainte Marie Pierre de Berne celle seul en une chambre, telles escarmouches ? mies

! di je lors a l’escuier, et dont peut ores venir a messire fantasie que je vous ay oy recorder, que il n’ose dormir et quand il est endormis, il se relieve tout par li et fait Ce sont bien choses a esmerveiller.

«Par ma foy, dist l’escuier, on lui a bien demandé, mais il ne scet a

Pierre

de

Berne

une

espee

de

Bourdiaux

que

il portoit, et s’en

vint ireusement, pour la cause de ses chiens que il veoit mors, assaillir le dit ours, et la se combati

a lui moult longuement

et en fu en grant peril

de son corps, et reçut grant paine aingois qu’il le peust desconfire. Finablement il le mist a mort, et puis retourna a l’ostel en son chastel de Languidendon en Bisquaie, et fist aporter l’ours avecques lui. Tous et toutes se merveilloient de la grandeur de la beste et du hardement du chevalier,

comment il avoit osé assaillir et desconfire. «Quand

sa femme, la contesse

monstra que elle eust en sa chambre, et fu rement desconfortee, dist a son mari : «Mon seigneur,

de Bisquaie, le vit, elle se pasma et

trop grant douleur. Si fu prinse de ses gens et portee ce jour et la nuit ensuivant et tout le lendemain duet ne vouloit dire que elle avoit. Au tiers jour elle

je n’aray jamais santé jusques a ce que j’aye esté en

pelerinage a Saint Jacques. Donnez moy congié d’y aller, et que je y porte

Pierre, mon filz, et Andriene, ma fille. Je vous le requier.» «Messire Pierre lui accorda trop legierement. La dame

se parti en

bon arroy, et emporta et fist porter devant li tout son tresor, or, argent et joyaulx, car bien savoit que plus ne retoumeroit, mais on ne s’en prenoit

point garde. Toutefois fist la dame son voyage et pelerinaige, et prinst achoison

d’aler veoir le roy

de

t que encores lui pour celle cause n’amera son mari, et tient et maintien de ce qu'il fait riens n’est ce avant qu’il muire, et que

- poursuit son interro-

dire dont il li vient. Et la première fois que on s’est apperçut, ce fu la nuit ensuivant d’un jour ouquel il avoit es bois de Bisquaie chacié a chiens un ours merveilleusement grant. Cel ours avoit occis quatre de ses chiens et navrez pluseurs, tant que tous les autres le redoubtoient. Adonc prinst messire

et, en chagant, comme elle vit l’ours, et que son pere l’avoit chacié une fois une voix lui dist, et si ne vit riens : tu mourras de «Tu me chaces et si ne te vueil nul dommaige, mais male mort.» vit ours parce «Dont la dame ot remembrance de ce, quant elle t le roy dam commen nt qu’elle avoit oy dire a son pere, et li souvint voireme ne jamais elle, pasma se ce Pietre l’avoit fait decoler et sans cause, et pour

Castille, son cousin, et la sci

et vint

devers eulx. On lui fist bonne chiere. Encores est elle la, et ne veult point retourner ne renvoier ses enfans. bte génie a en la propre nuit dont le jour messire Pierre avoit a | occis, endementres que il se dormoit en son lit, ceste e lui advint. Et veult on dire que la dame le savoit bien, si tost

mescherra du corps

envers ce qu'il li avendra.» (3)

nt la véridicité de l’histoire. Puis il Là-dessus, l’écuyer termine son récit en assura en semble ?». Froissart répond qu’il y demande à Froissart son avis : «Et que vous refois

les écrits qui rapportent qu’aut croit, et, pour justifier son opinion, il allègue s et les femmes en bêtes et en les dieux et les déesses changeaient les homme oiseaux :

un chevalier chaçant es «Aussi peut estre que cel ours avoit esté ou déesse en son temps, pourquoy forests de Bisquaie. Si courrouça ou dieu t la sa penitence, si comme Acteon il fu müez en fourme d'ours, et faisoi fu müez en cerf.»

on, en amputant toutefois Et le chroniqueur raconte à l’écuyer le mythe d’Acté celui-ci de sa fin horrible et carnassiére.

i te, vous m’avez fait à vostre comp «Ainsi peut il avenir de Yours dont e. l’eur pour disist ne elle que chose ou savoit et que la dame y scet autre

Si la doit on tenir pour excusee.» (4) Texte

tout

es utilise erlui-même les term FE a fait extraordinair e ! L'auteur

de l'épisode est constituée esmerveiller (p. 82) et merveille (p. 84). La pierre d'angle désigner ce phénomène, Pour (5). Béarn de par le «somnambulisme» de Pierre 84), lequel signifie vision’, ‘halluci(p. 82 et Froissart a recours au mot fantasie

la folie, gination, du délire aux frontières de nation’ et renvoie au domaine de l'ima aît appar qu’il tel asie, Phant mieux par l'allemand des fantasmes. Ce mot est éclairé au à des œuvres pour

donnés par Robert Schumann par exemple dans certains titres reste ny a-t-il pa 12 ou Phantasie, opus 17 (6). Au opus e, tiick asies Phant : piano «fantasie» d’un «malade ien dans ces pages relatives à la quelque chose de schumann les d’un halluciné ? par fantosme», aux cauchemars somnambu

|

i

un délire guerrier : «...nuit En Cette «fantaisie» consiste exclusivement en

dormant il se relieve et s’arme, et trait son espee et Se combat, et ne scet a 2om se combattre (p. 82) / ... et ne (p. 80) / ...qu’il se leva en dormant pour mouches ? (p. 82)». De P ss i escar endormis, il se relieve tout par li et fait telles

PE est clairement précisé que le héros ne peut sé passer de ses armes, qU sentent pour lui un besoin, une nécessité :

25

24

Joël H. GRISWARD

La nuit du loup-garou

«Et aucune fois on ne lui laisse nulles armeures ne espee en sa chambre ; mais quant il se relevoit et nulles il n’en trouvoit, il menoit un tel terri-

bouris et tel brouillis que il sembloit que tous les deables d’enfer feussent

la dedens avecques lui, si que pour le miex on les lui a laissiez, car par my ce il s’oublie a lui armer et desarmer, et puis si s’en reva couchier.» (7) La cause de cette escrime fantastique, nocturne et solitaire est apparemment inconnue ; en revanche on date très précisément l'apparition de cet étrange compor-

tement :

«Et la première fois que on s’en appercut, ce fu la nuit ensuivant d un jour ouquel il avoit es bois de Bisquaie chacié a chiens un ours merveilleusement grant.» _ «Et vous di que en la propre nuit dont le jour messire Pierre avoit chacié et tué l’ours et occis, endementres que il se dormoit en son lit,

ceste fantasie [lui advint | .» (8)

Ainsi le texte établit une relation directe, explicite entre la chasse à l’ours et la

«maladie par fantosme», voire entre la mise à mort de l'animal et la fantaisie. Il existe une coincidence à tout le moins temporelle entre les deux faits : que révèle ou que masque cette concomitance ? La nature de la relation entre les deux données se réduit-elle à la seule simultanéité ? Et comment comprendre la terreur que provoque chez la comtesse Florence de Biscaye le retour triomphal du chasseur et la

haine que, dès cet instant, celle-ci éprouvera à l'égard de son mari :«ne jamais pour celle cause n’amera son mari»

? Que vient faire ici cette histoire d’ours parlant et

de chevalier métamorphosé ? Nous sommes en présence d’une maniére de puzzle dont les pièces nous seraient livrées éparses : de quelle «syntaxe» ledit puzzle reléve-t-il ? Le sens de l'aventure passe par l’exact ajustement des morceaux et la

reconstitution de l’ensemble, par la reconstruction du modèle éclaté. Certes, Froissart nous propose lui-même un modèle interprétatif : Actéon. Mais outre que le mythe grec ne paraît guère opératoire que pour la fin de l’anecdote, la métamorphose, il

ne rend en rien compte de la frénésie nocturne non plus que du lien qui unit cette dernière à la mort de l'ours, l'ours autour de la figure duquel tout semble graviter. L’ours ? Quel ours ? Celui du folklore ou celui du mythe ?

ab

Dans

un

article séduisant

: «Froissart et la nuit

(...). Et c’est une fausse étymologie stérile qui fait de l’ours l'emblème de Pierre de Berne». (10)

Fausse étymologie, sans doute, mais l’on n’oubliera pas que pour saisir la mentalité médiévale l'attention prêtée aux fausses étymologies est souvent plus utile et plus féconde que le recours aux vraies (11). Ainsi M. Zink demande-t-il à l’ours

de l’aider à éclairer l’énigmatique passage, mais non point n'importe quel ours :

Yours ici retenu est celui du folklore. D’une façon universelle, mais singulièrement dans les Pyrénées, cet animal est considéré comme un agresseur sexuel. Ce caractère, par les qui est à mettre en relation vraisemblablement avec la croyance répandue humains, des manière la à naturalistes anciens selon laquelle les ours s’accouplent (tentative transparait nettement dans les rites carnavalesques du folklore pyrénéen

de viol sur le personnage de la Rosette). Le ressort explicatif du texte de Froissart

serait donc la sexualité.

s'explique

du

chasseur»,

paru

en

en question. D'emblée, il a compris que l’ours détenait la clef de cette étrange affaire :

«ll est remarquable», écrit-il, «que cette histoire d’ours soit arrivée à un nommé

Pierre de l’Ours (9). Non seulement, en effet, le mot Berne a pour premier élément

de l’ours dans les langues germaniques ; non seulement la ville de Berne,

en Suisse, a placé l’ours dans ses armes. Mais encore, ce cas, loin d’être l'exception, est la règle ; très souvent les familles dont le nom commence par le radical Beront des armes parlantes en relation avec ce mot, c’est-à-dire qu’un ours figure sur

La terreur de la comtesse, au retour de chasse de son mari,

par la crainte d’une agression sexuelle

: «elle a soudain peur de lui en

l’associant à l’ours et peur pour lui en l’associant à son père. Ne peut-on comprendre qu’elle a peur

de lui parce qu'elle l’associe à son père par l’intermédiaire de l'ours,

et de l’inqui représente une menace sexuelle? (12)». Il y a tout un jeu du désir pal’ombre terrifiante, plane, terdit, de la fascination et de la répulsion sur lequel est l’ours précisément Or ternelle (13). Un père naguère décapité, donc «castré». une fournit Renart de Roman du le héros d’un conte populaire dont la branche XXI dans sa sexuaversion médiévale et qui montre l'homme, le male, menacé à son tour «dévirilisé» d’étre lui-méme redoute lité par le plantigrade (14). Pierre de Berne dans le temps même où sa femme craint pour lui une mutilation

en sorte que l’objet

du mari et l'imde sa frayeur se révèle être à la fois une possible agression sexuelle possibilité d’une semblable agression. à nouveau l’ensemble Il ne saurait être question de reprendre et d'examiner

on avec le du dossier constitué par notre collègue toulousain. De la confrontati

de Béarn, somnambule Camels de Camois de Méliador (sorte de double de Pierre Imperialia de Gervais Oria des épisode un comme lui mais sans lien avec l’ours), avec avec le conte de vampirisme, le avec de Tilbury, avec le songe d’Henry Beauclerc, de l’indangereux l’aspect incarne l’ours Jean de l’Ours, avec C.G. Jung pour qui que la telle fantastique l’histoire : conscient, Michel Zink dégage une «cohérence» folklorique modèle d’un partir à élaborée conte l’écuyer au chroniqueur a dû être issu du «folklore traditionnel de l’ours» (15). Sous

février 1980 dans la revue Poétique, Michel Zink a entrepris l’analyse de l'épisode

le nom

leur blason (...). L'ours apparait donc comme l’animal totémique de Pierre de Berne

ses arabesques

dentelées

ou et ses entrelacs subtils, cette lecture peu

| absolument : prou psychanalytique ne me semble pas rendre compte est donné qui et ure l’avent de 1. de ce qui forme à mes yeux le nœud l’ours contre combat le entre lien comme tel par le contenu - à savoir le et la «fantaisie» du héros ;

; 2. du schéma narratif qui organise ladite aventure éléments constitutifs i de les 3. du systéme de relatio ns qui articule fous l’ensemble

considéré

: le somnambulisme,

le combat

contre

la béte,

parlant, la métamorphose la terreur et la fuite de la femme, l’animal d’un chevalier en ours.

26

tendance

Joé1H. GRISWARD

Aux «implications sexuelles latentes dans tout le texte (16)» j’aurais plutôt à substituer

une

omniprésence

d’«implications

guerriéres

manifestes».

Au mécanisme du sexe s’opposerait le registre de la guerre, à l’ours et la poupée

l'ours et le soldat.

Le terme de «somnambulisme»

ne doit pas faire illusion : la «fantaisie»

nocturne de Pierre de Béarn consiste essentiellement et exclusivement en une frénésie

guerrière dont la littérature médiévale en langue française n'offre point d’autre exemple. Ce délire guerrier - qui survient la nuit - opére une espéce de dédoublement de la personnalité du héros qu’il plonge dans un état second. Non seulement c’est

«en dormant» que cette fantasie lui survient, mais encore lui-méme ne se rend-il compte de rien : «et il leur dit qu’il n’en scet riens et qu’ilz mentent» / «mais il

ne scet a dire dont il li vient» (17). La figure voisine la plus proche, et non la moins éclairante, est fournie par une saga islandaise, datée des environs de 1230, l’Egilssaga ou Saga du scalde Egill. L’ouverture (I, 2-8) décrit la vieillesse d’un berserkr, Ulfr, lequel désormais «retraité» mène la vie tranquille d’un riche fermier : «Mais parfois quand le soir tombait, il devenait ombrageux et peu de gens pouvaient alors converser avec lui ; il somnolait le soir, le bruit courait

qu'il était hamrammr (c'est-à-dire qu’il se métamorphosait et errait la nuit) ;

il avait reçu le nom de Kveldülfr, Loup du soir.»

Quand le «Loup du soir» fut sur le point de mourir, il se métamorphosa, ses compagnons en firent autant ; ils massacrèrent les gens qui se trouvaient à leur portée ; puis Ülfr fut pris de faiblesse, il se coucha et mourut peu après (18). Le protagoniste de cette étrange affaire est un loup-garou, c’est-à-dire un

homme-loup

(alfr) membre

d’une confrérie de guerriers. Le rapprochement que

Suggere son «somnambulisme» belliqueux avec la «fantaisie» batailleuse du frère

bitud de Gaston Phébus, nous introduit non dans le monde du folklore mais dans l'univers des mythes germaniques, et plus généralement indo-européens, du guerrier : doué du pouvoir de métamorphose, celui-ci possède et extériorise dans ses moments de crise une véritable nature animale. Tels les «ber-serkir» (à enveloppe - d'ours)

que le chapitre 6 de I’ Ynglingasaga dépeint da la façon suivante. :

|

«Quant à ses hommes, ils allaient sans cuirasse, sauvages comme des

chiens et des loups. Ils mordaient leurs boucliers et étaient forts comme des ours et des taureaux. Ils massacraient les hommes et ni le fer ni l’acier

ne pouvait rien contre eux. On appelait cela «fureur de berserkr» (19). G. Dumézil commente

: «les berserkir d’Odhinn

27

La nuit du loup-garou

ne ressemblaient pas seulement à

des loups, à des ours, etc., par la force et par la férocité ; ils étaient à quelque degré

rs oe mêmes. Leur fureur extériorisait un être second qui vivait en eux, et ss ices du costume (cf. les tincta corpora des Harii), les déguisements auxquels

ont peut-être allusion le nom de berserkir et son équivalent ùlfhedhnar («hommes

à peau de loup») ne servaient qu’à aider, à affirmer cette métamorphose, à l’imposer aux amis et aux ennemis épouvantés .» (20) La «maladie par fantosme» de Pierre de Béarn ne serait-elle pas une transposition médicalisée garou» ?

et historicisée

de cette

«fureur

de berserkr»

ou de

«loup-

eur) réside Le centre de gravité du récit de Froissart (et/ou de son informat

pas en dans le combat contre l’ours. La simple lecture révéle que l’on ne se trouve

la description d’un présence de la narration purement réaliste d’une chasse, mais de sion d’un affronl'impres à ent exploit hors du commun. Tous les détails concour

tement exceptionnel, d’une sorte de duel héroïque. ours merveilL’adversaire est signalé comme une espèce de monstre : «un beste» (21). la de grandeur la de leusement grant | Tous et toutes se merveilloient «hardement du chevalier», A la «grandeur de la beste» répond complémentairement le

terme d’un combat lequel ne parvient à triompher de |’ours monstrueux qu’au : «la se combati méme vie sa pour singulier particulièrement éprouvant et périlleux grant paine». recut et corps, son de a lui moult longuement et en fu en grant peril : «comment inouie audace d’une De l’avis même des témoins il s’agitJa d’un acte ‘ il avoit osé assaillir et desconfire». parfaite en s’avèrent tement Les conditions dans lesquelles se réalise l’affron que les conçoit avec les conditions mêmes de la chasse à l'ours telles ction contradi la réalité cynéde plan le Sur et expose Gaston Phébus dans son Livre de chasse. seu! et l’ours assaille Béarn de Pierre : gétique on se trouve en face d’un non-sens attaquer pour deux moins au d’être à pied ;or le comte de Foix recommande des l'animal sur lancer de ou d’épieux un ours, et précise qu’il convient d’être armé Et l'épée. à corps à corps de armes de trait mais qu’en aucun cas il ne faut engager ence conséqu en suggère Tout ! ux» Pierre tue l'ours avec sa seule «espée de Bourdia

scène ou à la mise en discours de que le modèle qui a servi de matrice à la mise en

cette chasse extraordinaire est un combat-type d'initiation ou de promotion guerrière. tueur d'ours, Ider fils de Nuth, J'ai montré ailleurs, à propos d’un autre ue notamment, étroitement voire inque l’ours apparaît, dans le monde germaniq duel victorieux tiation guerrière (22) : le trinsèquement lié aux rites et mythes d'ini

e et rituel, du guerrier germanique. contre un ours signale l’exploit-type, initiatiqu tat le plus immédiat de la victoire Or la conséquence la plus spectaculaire, le résul ières est acquisition de la fureur dans ce combat d'initiation ou de promotion guerr er chapitre

irlandais ferg ‘colére’). Dans le premi (latin furor ; germanique wut ; de cé tout récemment dans l'esquisse 44 d’Horace et les Curiaces - précisé et nuan et notion cette analysé a l Dumézi G. La courtisane et les seigneurs colorés (23)

ologie du héros-guerrier indo-européen : montré qu’elle était fondamentale dans l'idé de changer de comfureur frénétique «dans laquelle l'homme se dépasse au point era É ;

insensible portement, parfois de forme, devient une sorte de monstre infatigable, ou méme invulnérable, infaillible dans son estoc et insoutenable dans son reger $ sto

Cet état de transe , cette rage que l’ancien français exprime par le mot «ire», CO lére’ (cf. ireusement dans le texte de Froissart) se manifeste pour la sews sen à l'occasion de la lutte prodigieuse que représente le combat initiatique. Sur le

28

Joé1H. GRISWARD

domaine

occidental

lirlandais Cûchulainn

offre l'exemple

le plus démonstratif.

Son cas a été longuement étudié dans Horace et les Curiaces et repris briévement dans Heur et malheur du guerrier (25). Le héros irlandais, tout jeune encore, a

vaincu les trois fils de Nechta. Toujours en transe et portant les tétes des trois fréres,

il s'approche de la ville, terrifiant. Leborchann la sorcière signale son arrivée :«un guerrier arrive en char, dit-elle, sa venue est effrayante... Si l’on ne se met pas en

garde contre lui cette nuit, il tuera les guerriers de l’Ulster !». Le roi Conchobar renchérit

29

La nuit du loup-garou

: «Nous connaissons ce Voyageur qui arrive en char, c’est le petit garçon

fils de ma sœur ; il est allé jusqu’aux frontières de la province voisine, ses mains

sont toutes rouges de sang ; il n’est pas rassasié de combat et si l’on n’y prend garde, par son fait periront tous les guerriers d’Emain !». A ce Cûchulainn porteur de

trophées et en proie à la ferg, à ce personnage devenu menace pour les siens que son retour effraie, on applique une double médication : on fait sortir à sa rencontre

un groupe de femmes entièrement nues, «impudiques», avec à leur tête une parente

de Cûchulainn, sa cousine ou sa tante. Puis profitant de ce qu’il détourne pudi-

quement les yeux, on s’empare de lui et on le plonge dans trois cuves d’eau succes-

sives (26). Dans son commentaire G. Dumézil, en même temps qu’il précise la valeur initiatique du scénario, insiste sur la solidarité étroite de ces scènes pittoresques :

«Ce petit drame en trois scènes», écrivait G. Dumézil, «est adaptation romanesque, ramenée aux catégories usuelles de l’expérience, vidée de son ressort mystique et colorée

suivant

légende

de

la moralité romaine, d’un scénario comparable à celui qui, dans la l’Ulster irlandais , constitue l’histoire du premier combat, du combat

initiatique, du célèbre

héros

Cûchulainn»

(30). L’auteur d’Horace et les Curiaces

qui, dans Heur et malheur du guerrier, avait déja

«pris ses distances» vis

vis de ses

analyses de 1942, est revenu tout derniérement sur le probléme du furor romain et sur le cas du jeune Horace, lequel en définitive ne reléverait pas de la théorie du furor guerrier ou de la ferg irlandaise, ni du berserksgangr scandinave : «Cette

comparaison

rapproche

deux

espéces

appartenant

en effet

à un même genre, mais des espèces éloignées. S’il s’agit bien dans les deux cas du

«risque d’excés» que comporte tout combat victorieux, les ressorts

sont différents. Dans le cas de COchulainn, c’est le combat

même

qui a dé-

veloppé en lui un état second qui s’exprime dans son corps méme par des

transformations monstrueuses, effrayantes, et auquel sa volonté, sa raison

n’ont pas de part. Le traitement qui lui est appliqué a pour objet de le ramener à la normale, pour le temps de vie «civile» qui suivra sa victoire,

«Dans son triple exploit Cûchulainn gagne cet état de ferg, cette

tout en lui conservant, en vue des besoins futurs, la possibilité de retrouver cet état second, avec les étrangetés, les difformités qui le manifestent. Rien

la retrouver avec certaines des «formes» où elle s'exprime, qui fera la valeur

concevant et appliquant le plan qui fatigue ses trois adversaires et les lui livre successivement. Aprés le combat, ce n’est pas dans la continuation d’un

colère, cette fureur transfigurante que nous avons essayé de caractér iser plus haut : c’est cette ferg, une fois acquise, ou plutôt, c’est la faculté de

incomparable du héros et lui permettra de vaincre ses ennemis comme il a vaincu d’abord les trois fils de Nechta. Mais cette ferg est embarrassante autant qu’elle est précieuse : l’enfant n’en est pas maître, au contraire c’est elle qui le possède. Revenant à sa ville, avant d’exercer sa nouvelle qualité de protecteur, il constitue un danger public. Il faut donc le refroidir , et c’est à quoi s’emploient les deux médications que le roi lui fait appliquer : le

spectacle des femmes

nues d’abord, qui le contraint à baisser les yeux,

puis l’immersion dans les cuves, qui le calme.» (27)

Ep Ledit scénario d'initiation guerrière s’est conservé à Rome où, sous forme d Histoire, il structure l'épisode archi-célébre du combat des Horaces contre les

Curiaces (28). La encore le retour du vainqueur de l'adversaire triple se heurte à une interven tion féminine hostile :

«Les

armées rentraient dans leurs foyers. En tête marchait Horace,

portant devant lui les triples dépouilles. Sa sœur, une jeune fille, fiancée à l’un

des Curiaces,

vint à sa rencontre et le joignit devant la porte Capène.

Reconnaissant sur l’épaule de son frère le manteau qu’elle avait elle-même

offert à son fiancé, elle dénoua sa chevelure et, d’une voix coupée de sanglots, appela le mort par son nom. Indigné de voir les larmes offenser sa victoire et insulter a l’allégresse publique, Horace dégaina et transperça la jeune fille...» (29)

de

tel dans le cas d’Horace

: pendant le combat, il garde son sang-froid,

état second inexistant qu’il tue sa sceur : avec sa rigueur de Romain, il juge

offensante son succés un péché, expiation»

pour lui et criminelle envers la patrie la douleur qui accueille et il ne se retient pas de la chatier. Son action est simplement tout humain, qui appelle non pas médication, mais sanction ou (31).

Cette «perspective corrigée» qui, tout en maintenant le lien de parenté, marque les différences, souligne davantage encore la proximité des figures du champion celtique et du chasseur béarnais.

Le modéle a travers lequel s’est constitué le discours sur la maladie et les

déboires familiaux de Pierre de Béarn, est un récit mythique d’initiation guerriére

parallèle à celui qui raconte en Irlande l'initiation de Cûchulainn et à Rome - mais a un degré moindre et avec des nuances - l’aventure du jeune Horace. Au lieu d’une

analyse plus ou moins dissociative et qui traite les motifs séparément, ce rapprochement fait apparaître la solidarité des diverses scènes et propose la lecture d’une «Histoire» clairement articulée. A la suite et au cours de son combat victorieux contre l'ours, Pierre de Berne (qui porte l’ours dans son nom), Pierre de l’Ours, tueur d'ours, a acquis le furor caractéristique du guerrier. Mais cette fureur spécifique, cette «ire» qui le possède, qu’il ne maîtrise pas et dont les accès le prennent la nuit tels ceux des berserkir ou des alfhedhnar (32), constitue un danger dont son retour terrifique

Joël H.

est à la fois

l'indice et la révélation.

La nuit du

GRISWARD

Une

femme,

sa femme

(sa parente), intervient

dont le comportement, moralement ou socialement «impudique», représente un scandale : cette scène d’«antagonisme sexuel» se situe très exactement à la place attendue à l’intérieur du schéma, simplement il est remarquable qu’elle présente une inversion par rapport au modèle irlandais : à la femme qui s’offre est substituée la femme qui se refuse. En revanche on ne peut manquer d'être frappé par la similarité des attitudes entre la sœur d’Horace et Florence de Biscaye : la vue de l’ours dans un cas, du manteau dans l’autre, éveille chez l'épouse le souvenir douloureux du père décapité, chez la sœur celui du fiancé mort, souvenirs qui entraînent la haine du personnage féminin à l’égard du triomphateur. Mais le parallélisme et la conformité au «modèle mythique» ne s’arrêtent pas là : il faut méthodologiquement intégrer au somnambulisme, à la frénésie guerrière, l'ours qui parle ! Michel Zink réalise cette intégration en rappelant l’anecdote fameuse rapportée par Gervais de Tilbury et relative à la femme de Beaucaire :

| Gervais de Tilbury ] «semble donc admettre que le somnambulisme, dont tous

les faits qu’il rapporte relèvent au sens littéral et étymologique, et la métamorphose appartiennent au même ordre de phénomènes» (33). Le détour par les Otia Imperialia ne s'impose peut-être pas. La mythologie guerrière du domaine germanique nous fournit d’autres éléments de solution.

de la sœur. L'acte comporte donc à la fois «risque de mort» et «notion de crime» : «Comment ne pas se souvenir», écrit G. Dumézil, «que l’exploit initiatique comporte souvent, par lui-même, un aspect «crime», que l’initié en sort coupable et qu’il doit être non seulement calmé mais pénalement déchargé par une procédure à la fois déjà magique et juridique ? Et que, d’autre part et parfois conjointement, l’exploit initiatique a souvent un contre-coup mécanique qui anéantit ou amenuise ou même

tue d’abord pour un temps l’initié... ?

réexaminer le problème

du «premier péché»

pour le vainqueur une souillure : le monstre en effet a rang de brahmane et il est en outre chapelain des dieux ; en le tuant, Indra commet donc un crime, un brahmanicide, Coupable, il devra expier sa faute : il répartira son péché en trois tiers sur la terre, les arbres, les femmes. Ainsi s’éclaire le péché du troisième Horace ! Ainsi s’éclairent la faute inhérente au meurtre de l’ours et la sentence de culpabilité pro-

noncée et par l’ours lui-même et par la femme du «meurtrier» :

«Et vous di que en la propre nuit dont le jour messire Pierre avoit chacié et tué l'ours et occis, endementres que il se dormoit en son lit, ceste

à enveloppe d’ours» qui incarne le type de combattant le plus pur ! La fabuleuse saga islandaise de Hrôlfr Kraki - qui met en scène un «guerrier-fauve» célèbre, Bodhvar Bjarki - réunit un complexe de thèmes qui éclaire singulièrement l'épisode froissardien de Pierre de Béarn et renforce l'hypothèse de l’enracinement de ce

comme fantasie lui advint. Et veult on dire que la dame le savoit bien, si tost

elle vit l’ours, et que son père l’avoit chacié une fois et, en chagant, une voix lui dist, et si ne vit riens : «Tu

guerriers des Indo-Européens, et plus parti-

Bôdhvar Bjarki est le héros-initiateur type. Il possède avec l'ours des affi-

sous la forme d’un ours gigantesque, cependant que sa personne d’être humain ne

mentalement à l’ensemble mythique que nous scrutons.

Toutefois, l'ours parlant s'intègre par une autre espèce de relation à la

«fantaisie»

/ furor

l'Histoire romaine

du

héros, à son

«somnambulisme»,

Le scénario reconnu sous

d’Horace et les Curiaces ne s’interrompt pas avec le meurtre

de la sœur. La suite aussi vaut d’être examinée : Horace tue sa sœur, mais quelque légitime qu’apparaisse son geste, il n’en constitue pas moins un crime, en conséquence de quoi

il doit être

châtié

ou

soustrait

au châtiment

par une expiation.

Il en sera

quitte pour une purification : la cérémonie expiatoire du sororium tigillum, la poutre

me

chaces

et si ne te vueil nul dommaige,

mais tu mourras de

| male mort.» elle qu parce l'ours vit elle quant Dont la dame ot remenbrance de ce, Pietre dam roy le comment avoit oy dire a son pere, et li souvint voirement l’avoit fait decoler et sans cause, et pour ce se pasma elle, ne jamais pour mescherra celle cause n’amera son mari, et tient et maintient que encore lui envers ce fait qu'il ce de riens n’est du corps avant qu'il muire, et que ce qu'il li avendra» (39).

nités magiques et mystiques : comme Pierre de Ber- ne, il porte le nom de l'ours dans son propre nom, lequel signifie «Petit Ours de combat» (Bjar - ki) ; au chapitre 33 et avant dernier de la Hrôlfr Kraka Saga, il livre bataille devant le roi Hrôlfr

de Froissart (36). L’ours qui parle, c’est-à-dire l’homme-ours, appartient bien fonda-

: celui des «trois péchés du guerrier», et plus précisément

tel qu’il se manifeste dans la geste d’Indra (38). Dans le mythe

indien, la victoire - à caractère initiatique - d’Indra sur le Tricéphale occasionne

La métamorphose en ours fait intrinsèquement partie des réalités, rituelles

participe pas au combat, son corps somnolant quelque part en arrière (34). Son père se nomme Bjôrn, ‘ours’, sa mère Bera, ’ourse’, et ce père vit comme ours le jour, comme homme la nuit (35). Toute la saga de Bjôrn et de son fils Bôdhvar brasse des thèmes et baigne dans une ambiance homologues à ceux de la chronique

(37). L’initiation de Cûchulainn n'offre

pas ces traits. En revanche - et c’est la «perspective corrigée» à laquelle il a été fait allusion plus haut - le «roman d’Horace» rejoint dans son second et troisième volet un autre «thème de deuxième fonction» à la lumière duquel G. Dumézil invite à

ou mythiques, de la fonction guerrière. Souvenons-nous du ber-serkr, de «l’homme

dernier dans l'idéologie et les mythes culièrement des Germains.

loup-garou

A la notion explicite de faute se trouvent associées, non moins explicites, la menace du

châtiment

et

l’annonce

de l’expiation.

Comme

Horace,

comme

Indra, le frére

: sa chasse constitue un de Gaston Phébus est, dans sa victoire même, . i crime dont il sera châtié. ‘donc une présente pyrénéen héros Vainqueur, furieux, criminel et puni, le romain irlandais, eurs triomphat des celle a carriére superposable, mutatis mutandis, «coupable»

et indien. Il est à remarquer que le modèle reflété par le Voyage en Béarn emprunte

dans le même

temps aux deux types irlandais et romain, aux deux «espèces» dont il

fournit une manière de synthèse : avec Cûchulainn Pierre de Béarn a en commun a révélé et qu’il ne seh le furor, cet état second que le combat initiatique lui-même

de culpabilité, trise pas ; avec Horace (et Indra) il partage la notion

aspect crimine

33

Joé1H. GRISWARD La

nuit du

loup-garou

lié au triomphe guerrier, le risque de mort .

Modèle

Ce titre est, bien

folklorique ou modèle mythique ? Cohérence ou structure ? Les

FROISSART,

«heurs et malheurs» de Pierre de Béarn constituent une série structurée de faits qui sans contrainte ni distorsion s’articule sur un modèle d'initiati on guerrière. Initiation pervertie et qui tourne à vide... Folklore et mythologie, le débat n’est pas

University

Manchester,

au film de Terence

Edited

1953,

by A.H.

Fisher.

Diverres, French Classics, Manchester

pp. 80-81.

Id., ibid., pp. 84-86. a répéter pendant

des

le sommeil

fonctions

cérébrales

caractérisée par une sorte d'aptitude

les actions dont on a contracté l’habitude, ou à marcher et

à exécuter divers mouvements, sans qu'il en reste, après le réveil, aucun souvenir (Littré). Les Kreisleriana opus 16 portent également

le sous-titre Phantasien.

Voyage en Béarn, p. 81.

D. Simak raconte l'initiation du dernier des robots, en qui l’on a implanté l’interdiction de se livrer à n’importe quelle forme de violence, et en particulier l’inter-

Id.,

p.

82

chagoit

diction de tuer. Un combat contre un ours libérera en lui la colère meurtrière et lèvera toutes ses inhibitions... Cherchez le modèle !

et

83

- Cf. le titre du

un jour es fourests

chapitre

de Biscaie

La

leçon

donnée

par

tous

les

: «Comment

un grant

advint la nuit après qu'il se leva en dormant

monseigneur

Pierre de

Bierne

ours qu'il occist de son espee, dont il

pour se combatre.

manuscrits

pour

Béarn

est

‘Berne’

et

pour

Béarnais

*Bernois’ ; en conséquence le frère de Gaston Phébus est appelé Pierre de ‘Berne’.

«J'avais donc presque abandonné la partie quand un jour, quelque part dans les montagnes, un gros grizzli m’apercut. Je ne sais pas ce qu'il

Michel

Zink,

Cf. Bernard M.

Id.,

ibid.,

et

la nuit

du

chasseur»,

Poétique,

41,

février

1980,

pp.

63-64.

Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval, collection

Aubier-Montaigne,

Zink, art.

c'est,

qu’il détestait. Quoi qu’il en soit, je le vis brusquement débouler, foncer sur moi, bombant le dos, la gueule ouverte, rugissant, tendant les griffes. Si j'en avais eu le temps, j'aurais sans doute tourné les talons et pris la fuite. Mais je n’en eus pas le loisir. Et l’endroit ne se prêtait pas à la course. En ces circonstances, avec l'animal à deux pas de moi déjà, ma terreur se transforma brusquement en colère. Peut-être était-ce d’ailleurs du désespoir plus que de la colère. A l'instant où il se précipita sur moi, je me dis, salaud,

«Froissart

GUENEE,

historique,

lui arriver quelque chose demandé par la suite ce une épine dans la patte. peut-étre quelque chose

Paris,

1980, p.

184 et suiv.

cit., p. 65.

p. 66

encore

: «Et

une

si Florence

fois, parce

doit protéger la sienne

que

l'épisode

[ sa Fleur

] contre son mari,

de l’ours a associé dans son esprit son mari

et son père». Id., ibid., p.67 et n. 23.

Id., ibid. , p. 75. Id., ibid., p. 74. Voyage en Béarn, pp. 81-82. G. p.

tu pourras peut-être m’estropier, m’écrabouiller, mais je t’en ferai autant. De

ce qui se passa ensuite, je ne me rappelle qu’une seule chose, mais fort distinctement. Juste avant qu’il me touche, poussé par cette colére toute neuve en moi, je levai mon javelot et sautai sur lui comme il fongait sur moi.

Béarn,

Somnambulisme : affection

que la comparaison ici dégage et éclaire, ce sont des ensembles organisés où non seulement les thèmes mais les relations structurelles entre ces thèmes sont homologues. Un modèle n’est pas une lecture : lecture folklorique et modèle mythique ? Dans un superbe roman de science - fiction, Héritiers des étoiles, Clifford

humeur, il avait dû Je me suis souvent dents, peut-être, ou aspect lui rappela

Press,

un hommage

en

Id., ibid., pp. 82-84.

nouveau ; et la saga de Hrôlfr Kraki utilise des motifs de Jean de l'Ours. Mais ce

avait, il était de fort méchante pour le mettre dans cet état-la. que ¢’avait pu être. Une rage de Bon, je ne le saurai jamais. Mon

entendu,

Voyage

19

DUMEZIL, 83

- Voir

Mythes

aussi

(une

traduction

dans

les Penguin

G. DUMEZIL,

et dieux

Heur

de

des

et malheur

l’Egilssaga

a

Germains,

du

guerrier,

été

publiée

coll.

Mythes

«collection

par

et religions,

Hier»,

Hermann

PUF,

Palsson

PUF,

1969,

p.

et Paul

1939, 128

Edwards

Classics).

Heur et malheur du guerrier, p. 127.

20

Id., ibid., pp. 127-128.

21

Sur la mesure de l’exploit accompli par Pierre de Béarn, voir M. Zink, art. cit., p.61,n.4.

confus, vague. Quand je retrouvai mes esprits, j'étais debout, couvert de

22

Joël

javelot dans la gorge. Et cela suffit pour effacer une fois pour toutes mes inhibitions. J'avais tué, je pouvais recommencer.» (40)

23

Je ne me souviens pas trop de la suite. Tout le reste est pour moi

sang,

un

couteau

sanglant à la main.

L’ours était étendu par terre, mon

H.

GRISWARD,

indien», G.

DUMEZIL,

thèque

La

et le Tricéphale.

33-eme

courtisane

des Sciences

humaines,

année,

et

24

G. DUMEZIL,

Heur et malheur du guerrier, pp.

26

Horace

ler Mars

mars, «la

«aventure» - avril

colorés,

Gallimard,

arthurienne

1978, p. 282 Esquisses de

1983, pp.

à un

mythe

et n. 27. mythologie,

Biblio-

181-191.

lever

chemise

17-18,

Mont-Aimé

au du

aux

27-33

et passim.

pp. 37-38 - Au dossier déjà conséquent

jour,

et

observée

les femmes

dents»...

relatif aux

«femmes

pp. 44-50), il faut sans doute verser une étrange

et les Curiaces,

(Horace

connue au

D'une

2, mars

Horace et les Curiaces, NRF, Gallimard, 1942, p. 17.

et les Curiaces,

coutume



les seigneurs

NRF,

25

impudiques»

Joël H. GRISWARD

«lder

Annales E.S.C.,

(cité

encore

montaient par

Germaine

au

siècle

au sommet Maillet,

Champagne, Comité du Folklore Champenois, Châlons sur Marne,

dernier du

: au

matin

du

mont

et saluaient

et

mystérieuse

Claire

1983, p. 36).

-

Joé1H. GRISWARD

27

Horace et les Curiaces, p. 41.

28

Idem., pp. 89-140.

29

Tite-Live,

30

Heur et malheur du guerrier, p.

31

La courtisane et les seigneurs colorés, p. 182.

I, 26.

32

Cf. Heur

33

Art.

34

N’est-il pas ici, comme

35

Lucien

17.

et malheur du guerrier,

p.

128

GERSCHEL,

Pierre de Béarn, celui qui

«Un

épisode

accès

L’article de Kraka

L. Gerschel

- Voir

aussi,

G.

fournit Dumézil,

«en

trifonctionnel

Hommages à Georges Dumézil, Latomus, 36

: «Ces

leur prenaient

surtout

le soir».

cit., pp. 73-74.

(pp.

dormant...

dans

se combat

la saga de



Hrolfs Kraki»,

dans

THEATRE ET MODELE DANS L’ANGLETERRE DES TUDORS Jeux du modèle et modèles du jeu

vol. 45, Bruxelles, 1960, pp. 104-116.

105-110)

Mythes

un

et dieux

résumé des

détaillé de la Hrôlfs Saga

Germains,

«Le

premier

duel»,

pp. 93-98.

37

Horace et les Curiaces, p. 121.

38

Heur et malheur du guerrier, pp. 11-42 et La courtisane et les seigneurs colorés, pp. 181-183

39

Voyage en Béarn, pp. 83-84.

40

Clifford

D.

pp. 89-90.

SIMAK,

Héritiers

des

étoiles,

coll.

Présence

du

futur,

Denoél,

Paris,

1978,

L'application au corpus théâtral de la fin du Moyen-Age = de la premiére Renaissance anglaise de la notion de modéle, sans doute parce qu’elle propose une

relation fortement pertinente, fait lever mille problémes relatifs au statut SRE

aux règles techniques de ces formes théâtrales.

significations essentielles, comme

rendement de l'étude s’avére tel en fait qu’il convient, pour une réflexion limitée à

du Re quelques pages, de circonscrire un trop luxuriant débat à une mince partie Cyc se des typée très forme la on, explorati première une disponible. On choisit, pour à la paraît, forme cette si Même (1). 1500 d’avant Moralités et accessoirement des et iquement géograph implantée largement moins cours, en lumière des ré-examens

de première diachroniquement qu’il n’avait d’abord semblé, elle constitue un témoin

(2). importance dans l'étude de l’évolution théâtrale à la Renaissance les deux aspects tour à tour rons considère nous Dans les limites ainsi fixées rene : forme une à appliquée modèle de notion la fondamentaux que recèle

une forme qui fut longtemps populaire parce que l'une des expressions majeure culture

a un moment

crucial

de la civilisation du pays. Envisageant

ve

s

d’abor

(ou = fonction idéologique de ce théâtre, on cherchera à préciser de quel Jess

md modèles) il a été volens nolens le reflet. Ensuite, de fagon inverse et

on se demandera à quels égards et de quelle façon le système qui institué en un modèle

opératoire

vu

ue

_

oi

tenu pour normatif, et constitue une intluen

ubséquente. éà i = double enquéte, se —. - pIOduc(tÈlca()tn cnn patie autour de cette ss «» tee sen on rappellera trois phases. En premier lieu, et pour plus de clarté, es ess pere vues qui ont constitué la première définition du modèle E op + » er une proposera on temps, deuxième un informant les Cycles. Dans “ee fai e t renforcen en nelle, tradition thèse la t qui, si elles nuancent fortemen bilité,

accroissant

sa

pertinence

au

substrat

culturel

de

la

période

ae

:

ment à song Cette contre-définition du modèle idéologique nous amene naturelle

: ame enfin l’autre aspect de la relation de la notion de modèle % ce veces

Brera Er désormais dans ses aspects techniques et fonctionnels : s’ils r de ensemble un théâtrale nce performa la de quelle mesure - à l’univers de patrons, sinon de règles et de concepts fonctionnels.

36

I -

André LASCOMBES

LE CYCLE COMME IDEOLOGIQUE Cette

thése

repose,

EXPRESSSION D’UN MODELE reconnaissons-le,

sur

de

solides

DE LA CONVICTION arguments.

premier temps, l’école critique qui la formule met exclus ivement

Dans

un

I’accent sur la

dimension religieuse de la période et sur le caracté re didactique et apologétique du théatre des mystéres ou Cycles. Pour elle, celui-ci constitue, à l’évidence,ce qu'il

est, à la lettre : l'aventure du Salut pour une humanité dont le mythe chrétien retrace l’histoire (3). Dans la logique d’une conception utilitairement théologique,

les éléments étrangers à l’argumentation

doctrinale, tels que joyeusetés et grossiéretés, sont un incongruité qu’il importe d'intégrer au schéma interprétatif. Un premier âge

de la critique, jusqu’au lendemain de la Deuxiè me Guerre Mondiale, y verra par conséq

uent un ensemble de concessions, regrettables mais inévitables, au goût d’un

public dont il fallait, fat-ce en flattant sa grossié reté, élever l’âme (4). Les choses changent pour la génération critique qui assiste à la résurrection spectaculaire des Cycles (5), éprouve leur vertu théâtra le et bénéficie par ailleurs

de réappréciations, plus subtiles et plus généreuses, des mentalités religieuses des XVe et

XVIe siècles. Ainsi, pour V. H. Folve, l’un des meilleurs exponents de cette tendance, le rire qui résonne en maints Jeux du Cycle et emprunte les dehors

de la basse

démarche

matérialité

homilétique(6).

est intrinsèquement

religieux

et partie

intégrante de la

Plus récemment encore va se compliquer un peu plus la notion de l'idéolo

gie qui sous-tend le Cycle. L’élargissement de la docume ntation relative à l’activité théâtrale, la réappréciation du rôle de cette dernière dans la vie sociologique, poli-

tique et religieuse de la ville marchande des Lancastre, des York et des premiers Tudor, poussent

à reconnaître que le spectre des fonctions du Cycle est plus large

qu'il ne semblait. Si la visée doctrinale reste la justification première pour le pouvoir religieux qui assure l'élaboration ou la révision textuel le, fournit pour ainsi dire la commandite idéologique et met grâce à son propre prestige l’entreprise à l'abri des vulgarités paiennes comme des fulminations d’une élite, on ne peut plus méconnaitre les autres dimensions de l'énorme machine festive. D’abord la fonction économique qui, selon les circonstances en module l’expansion, le déclin, la survie (7). Ensuite un rôle complexe de cohésion civique dont l’importance apparaît mieux : au-delà de la défense des intérêts des groupes au pouvoir, il est clair désormais que la festivité et la cérémonie dont le Cycle fait partie célèbrent les multiples valeurs culturelles Structurant l'existence des groupes, hétérogènes mais interdépendants, qui constituent la communauté (8).

Cette vue désormais banale, imposée par les sciences

humaines, que théâtre et festivité participent à l'élaboration de l'identi té culturelle, implique 1a conclusion que, le théâtre d’une époque ne peut être valablement estimé qu’auta nt que sont pris en compte les multiples aspects du phénomène socio-culturel au sein duquel il se constitue. Or il semble qu’à ce jour, l'inventaire des fonctions de ce théâtre demeur e borné au seul plan des idéologies explicites ou affichées : celles du didactisme catéchétique,

de la

37

Théâtre et modèle

de Putilitarisme économique et politique, celle aussi d’une pragmatique sociabilité.

Ce bilan fonctionnel exclut toutefois assez curieusement tout ce

qui de près ou de loin touche à l’activité réceptrice qui est une importante partie de l’acte de la communication théâtrale. Il évite de prendre en compte un ensemble de documents, pourtant fort connus, suggérant des prolongements plus irrationnels à cette fonctionnalité des Cycles. Il évite aussi de répondre à la question

troublante de savoir comment et pourquoi une forme théâtrale, confinée à des fonctions aussi normatives et parfois même policières, se seraitcomme les documents

et l’histoire

le suggèrent, implanté si fortement et longuement

dans les ARS

culturelles du temps. Sans minorer la vertu que peuvent avoir eu pour accré iter ce théâtre les éléments rappelés jusqu'ici et qui constituent un modèle de pra, il faut, nous semble-t-il, enquêter du côté des sources de la fascination qu'il a ke

pour comprendre dimension.

II -

pleinement

son statut culturel, et donc lui restituer sa véritable

LES FASCINATIONS DU MODELE : LE MYTHE ET LE JEU Même si chacun incline spontanément à lire dans le passé ce que le présent

lui suggère, ce n’est pas céder à un anachronisme facile que de chercher à rie i dans la forme théâtrale ici considérée les indices, assurément Giscrets mais se e tables, d’une relation entre le jeu et les auditoires du temps qui ne s oe yee is la fonction normative. Ce serait plutôt réagir contre un autre anachronisme Va ea

paresseusement conservé d’une époque antérieure qui projetait sur I Cag

des Cycles ses propres valeurs : rôle catéchétique et goût de la rigueur m

utres.

oil

Pour

se convaincre

;

d’ailleurs, et avant de passer a —

weg

faits, que l’on ne préte pas au spectateur médiéval des émois sit

Sa = sak

On rappellera le témoignage, ambigu et suspect il est vrai dans ses e ae

ts

des oppositions presque toujours «religieuses» à ce théâtre. Plus qu meni

a

des interdits et condamnations vigoureuses - répétés au fil des re us Le ra

et généralement dirigés contre les pratiques sauvages d’un ritue new ai dansé (9), on notera ici l’argumentation développée par un es cité. apécti: qui dénonce haineusement la vanité, mais aussi la Varennes oe nee culaire, du théâtre religieux (10). Compte tenu de ce qu il $ agit d'un > P

gande, on retiendra seulement que le déferlement d’émotions violentes

le scandaleux effet de ces spectacles

pr

est un intéressant écho des ae ). Ces effets

rapportées par certains commentateurs de la vie religieuse du vx

dou àl'impact

supposent une participation imaginative et une mise en a AT es, de la représentation que la seule mise en jeu du modèle normati d e PE Que cette réponse hystérique soit en partie à attribuer à la a ‘win cite d’une période historiquement déterminée n’est pas douteux. Ss pe A mînifeste #

toute la réponse. D’une part, toute la période pré- et proto-m

rf théatre ef celui

susceptibilité à l’icéne théâtrale qu’il faudra bien que l'historien Anv des mentalités

tentent

d’expliquer

un jour. D’autre part, et A res

en théâtre depuis 1951 des Cycles et des Moralités a PE

:

de juger de la force étonnante que recéle leur dramaturgie, et des

A

attentif

sf fets qu’ils opérent

38

39

André LASCOMBES

Théâtre

et modèle

toujours sur les foules banalement agnostiques de l'Occident contemporain. Il convient donc de faire l'hypothèse qu’il y a dans le théâtre dit religieux de la fin du Moyen-Age

de valeurs essentiellement politiques.

que

dans sa magistrale étude (16), nous avons pu suggérer que Mummings ou Disguisings, pas qu’ils soient destinés à des Entrées, ou à des fêtes civiques, ne ae contentent

anglais un élément qui dynamise sa vertu spectaculaire et qui nous paraît, tout autant dans les raffinements de sa dramaturgie,

résider dans la nature même

de ce qui

le constitue. Notre hypothèse repose sur un premier constat : la proximité étonnante que conserve la pensée mythique avec les autres constituants de la culture et l’on

bornera ici le rappel

au domaine de la religion. Un second constat la confirme :

l'importance, quantitative et qualitative à la fois, d’aspects récurrents et cohérents de cette pensée dans la fable qui constitue la diégèse des Cycles. Présentons brièvement quelques faits à l’appui de ces deux remarques.

La lecture sans préjugés de documents aisément accessibles (12) permet de

vérifier

personnellement

que

dans

une

société

prioritairement

et explicitement

chrétienne, celles des Lancastre et des Tudor, les attitudes mentales et les pratiques de la religion, tout modelées qu’elles soient par l’orthodoxie, sont colorées par la tradition culturelle concurrente des religiosités et rituels autochtones. On n'hésite guère après cela à confirmer le verdict rendu par ceux qui ont considéré les modes de la religion populaire en divers secteurs de l’Europe durant ces périodes (13) :

en Angleterre non plus il n’y aurait pas deux zones distinctes et impeccablement

tranchées de la pensée et de la pratique religieuses. Là autant qu'ailleurs, la culture chrétienne

reçue

serait, de facon infiniment

diverse selon moments,

milieux et personnes,

ou exprimée au travers du prisme que constitue un substrat demeuré étymo-

logiquement paien, et surtout mythique. Ce que l’on préfère appeler métissage

plutôt que contamination, dans cet

espace fondateur de la culture prémoderne qu’est le domaine religieux, est d’ailleurs présenté comme inévitable par Alan Watts lorsqu'il tente de déchiffrer certains

des rapports formels qu’entretient le message chrétien en ses aspects les plus fonda-

mentaux avec certains schémes mythiques que la parole évangélique a préciséement choisi d’intégrer pour les sublimer (14). Cette mise en contiguité, sinon cette conni-

vence, du mythos chrétien et de mythes antérieurs (ou concurrents dans le cas anglais)

s'accompagne d’un trait qui l'explique en partie : l’aptitude dont (Occident va len-

tement se déprendre et qu’il excluera par conséquent de façon croissante de ses appréciations critiques) à considérer d’un même mouvement, et la spiritualité du

discours chrétien, et le mythe palpable,

qui la véhicule appréhendé

dans sa réalité la plus

faisant ainsi des étapes majeures du message mythique, Création, Rédemption, Parousie) des événements qui ne sauraient signifier hors le truchement des espèces physiques. Cette intégration de la réflexion spirituelle avec l’omni-

présente et vigoureuse matérialité des représentations qui la soutiennent donne sa

tonalité spécifique à la religion anglaise d’avant la Réforme et explique la proximité

où elle demeure des formes et voies de la pensée mythique. On a depuis longtemps reconnu l'importance dans toutes les formes d’art, du XIVe au XVIe anglais tout au moins, du «métissage culturel» (15) ainsi que la prévalence de la pensée mythique dans les pratiques et les représentations de l’époque. Ces deux caractéristiques se retrouvent bien sûr dans les diverses formes de l’activité uéâtrale, et même dans celles du théâtre civique que l’opinion critique crédite

i

|

|

Mekhous

Exploitant certains documents et perspectives proposes par G.

de célébrer l’ordre religieux et le consensus

troublées ;

aux périodes

politique, même

mais que sous les évidences qui sont de rigueur dans ce discours, tout un imaginaire affleure et parfois même foisonne, dans le langage comme dans les actes de ces cérémonies. L'analyse y suggère que le faste, la grandiloquence ou la beauté parfois sont très sensuelle des images, tant verbales que visuelles, offertes aux participants

civique propres a satisfaire chez le spectateur tout autre chose que l'amour de l’ordre U spérité (17). v

re

perse

rd

Mi

plus fruste encore, il est aisé de voir qu'il flatte

rites ancestraux les appétits primordiaux mis en scène, en même temps qu’il célèbre des ; ennise la sociabilité villageoise (18). er s ne foi, la de théâtre des Cocos ns qu'il est sous l'égide a in oe

didactique : remp à jamais dans ces abimes de turpitude, l’excuse du programme de gref er De ailleurs, d Moralité la pour le salut des âmes lui permet, comme à

sr

registre Aue fable chrétienne des arguments qui ne relèvent a priori ni du

tes À ces Salen catéchétique. Appel semble étre davantage fait, en certains de | i . appétits ou pulsions des esthétique ou infraesthétique, ou encore à

anthropologique devant des situations reflètant les instances Sere We arcs

l’étre ; célé : : ds ee vertige du sang versé durant la création ou la décréation de

indirecte, de la vie physiologique ; goût de la victoire ou terreur

dé oes fe

de la

pour ces ote od 4 L’abondante étude génétique qui a été menée atteste que tels éléments (épisodes greffés ou amplifiés, personnages RS, formes = ol ou inventés) proviennent, soit du fond profane, soit de diverses

rs pe de l’art catéchétique, selon une technique du «patchwork» conforme en a principes de l’esthétique médiévale et à ceux de la production ger À KE: foi a à s’agit là, somme toute, d’un autre exemple de cette utilisation et utilitaire

où l’art médiéval fournit souvent

de la marge

à la fois une oe

avoir été pour étude des passages qui semblent, à certains indices, Rs des Cycles prioritairement chargés de vertu spectaculaire.

On doit constater tout d’abord l’importance, ag

Cycle : du triple foyer thématique autour duquel s’organise le

eran

on

Pe

fiante et une glose éclairante. Mais cette étude ne va pas a notre sens ak

la clé de la fascination. Celle-ci est à chercher ailleurs, et en premier

she iol

=

les a

ee

M PE

ae

rlea ramet

ee

‘ : MOA Passion. Sans oublier bien sûr que ces trois themes constituent tiques du récit biblique et du message évangélique, on ne peut La a owe “#4

sur l’attention

prioritaire

tique du Cycle.

Cette

priorité

qu’accorde

est d’abord

à certains de leurs aspects

quantitative.

age mes de quedécteeoupGans Estimée en ter tete

spectaculaire (donc en «Jeux» qui sont les unités du ; Cycle) on i Faésenten jat moments DEF premiers Ages et le Sixième, qui englobent les trois de la FE plus de la moitié du Cycle. De plus, si les épisodes

50 et 75% de l’ensemble diégétique précédant le Sixième

Age,

Paar

ai

40 André

Théâtre

LASCOMBES

dramatique de ce dernier, les épisodes de la Nativité et de la Passion occupent aussi plus de la moitié

de la fiction dramatisée (21). Et, l’on s’en doute, les effets specta-

culaires de ce surdéveloppement strictement statistique. message

Notons

ont tout autant

de signification que |’évaluation

d’abord que l’amplification signifie pour le public, qui reçoit un

d’autant mieux souligné que la structure fractionnée en Jeux implique des

recouvrements

importants

du

récit. Songeons

aussi

à l’autre

versant, celui des

émetteurs. Dans une ville où une fraction importante de la population responsable est concernée par la mise en œuvre du Cycle, cette amplification implique une plus large participation des groupes professionnels à telle ou telle partie de la diégèse. L’acerbité des revendications pour conserver ou obtenir ce genre de participation

témoigne que celle-ci n’est pas sans conséquence (22). Un troisième effet réside bien sûr dans l’inflation des moyens dramaturgiques utilisés. Dans les Jeux ainsi développés

et multipliés, ce ne sont pas seulement

le nombre

rôles qui s’accroissent, ce sont aussi des rôles nouveaux

et la longueur des

qui se créent. Même si cette

prolifération et cette expansion ne visent pas toujours à exploiter les valeurs intrin-

sèquement mythiques du passage, on suggère que la charge sémantique ou émotive suscite d’abord le processus (23). Une fois dûment vérifiée l'importance spectaculaire de ces trois noyaux

diégétiques dans l’ensemble

du drame

des Cycles, il faut donc tâcher de voir en quoi

ce qu'ils récélent est susceptible de l'expliquer.

du mythe

On connaît l'analyse que fait

C.

Levi-Strauss

des qualités modélisantes

: cette structure, apurant le désordre du concret, permet par réduction

du sensible à l’intelligible la prise de possession, mentale et esthétique tout ensemble, du concept ou du mystère ainsi formalisé (24). Largement structurée par le mythos

chrétien, ainsi que par les noyaux du mythe concurrent, le Cycle possède certains des caractères et des charmes de la structure modélisée. Cette grandiose machine déroule devant le spectateur nanti en quelque sorte d’un regard cosmique la somme fabuleuse des Ages du monde, et la geste épique des Actions qui les scandent entre les deux seuils de la Création et du Jugement : plaisir plus raffiné et sidération plus impressionnante que ceux de Gullivert à Lilliput (25). Le mythe dont est tissée

la fable du

Cycle

suffirait

donc

déjà à constituer le plus séduisant des modèles.

Par ailleurs, l’on sait quelles secrètes affinités existent entre le mythe et le mode dramatique. Là où il ne donne pas à imaginer, le théâtre propose, à travers

le

code

complexe

de

la

réalisation

scénique,

une

formalisation

particulièrement

suggestive du mythe raconté. Comme on le verra plus avant, le schéma dialogique du récit dramatisé excelle à restituer la dimension événementielle dont la structure du mythe propose le déroulement. De surcroît, le code choisi par la dramaturgie de

ce théâtre est particulièrement adéquat au récit mythique. Code symbolique accordé

à la mimésis d’une réalité le plus souvent surnaturelle, il transcrit dans la continuité

scénique la discontinuité du processus mythique avec une souplesse efficace. Indexant ici l’ailleurs, réalisant l’abstrait ou absence, il est un si merveilleux truchement > i : 3

qu'il semble bien, comme on le verra dans les formes théâtrales subséquentes, disposé a survivre au dépérissement puis a l’éviction du mythe.

41

et modèle

Ces généralités toutefois ne rendent pas totalement compte de l'attrait particulier que paraît posséder le triple noyau mythique dont on a noté la présence

prépondérante. Pour chercher à expliquer cet attrait, on notera dans le Cyele un autre

trait curieux,

soit la coexistence

de deux

pensées contradictoires dans | ‘argu:

mentaire qu’il déroule. D’une part, la progression dynamique de le pensée chrétienne (surtout

néo-testamentaire)

tire sans

Parousie,

relâche

orientée

par l'attente, tournée vers | Avènement

l’humanité

puis la

vers son salut à travers les épreuves de la

Rédemption. À ce premier récit un autre se conjoint, antagoniste en ses valeurs. Tissé d’entropie, polarisant tout l'intérêt vers le passé, il exploite les thèmes et différents aspects du principe d’inchoation, qui est la figure focale de ce récit. Dans ce principe

d’inchoation

en effet, et dans la description que donne le triple noyau

diégétique mentionné de ce que l’on peut appeler l'effet de seuil, réside une partie du sens du mythe raconté (26). Celui-ci décrit en effet l'aventure humaine comme

un parcours entre la Création, seuil d’émergence de ce qui deviendra le plan de l’humain, et le retour de la fraction élue à cette Parousie qui la guérit de toutes les

imperfections de la distance et de l’absence. Or les trois moments-clé aus mythos chrétien, ceux qui expriment l’essentiel de la doctrine, sont aussi ceux ou $ ame-

nuise, en modalités diverses, la distance qui sépare les deux plans, divin et humain, du Monde. On peut voir de fagon plus précise ce qu'il en est pour chacun des trois

page

' des Ce qui fait partie de la puissance spectaculaire

J eux

cons

acrés à la?

Création et ses séquelles, c’est la restitution scénique, chaque fois réalisée ve ie

saisissante simplicité, du dialogue de l’Homme et de son Dieu. La naiveté anth doré qui cei pomorphique de la Présence auguste, ou bien la solennité du masque au contrai mais s, spectaculaire la Figura ne sont pas d’accessoires médiations

@habiles et essentielles traductions du fait surnaturel (et rationnellement scandaleux) de l'écart comblé, de l’originelle césure abolie, l’actualisation mimétique i du retour aux proximités du Commencement. outreamet Soutenant par ailleurs cette affirmation physique de la Présence

ps cuidante, la parole massivement entretenue entre ce Dieu qui est Verbe e i mac preuve autre une écoute qui foule la ou ses descendants, constitue pour du

mythe,

une

autre

essence

de

la fascination.

Comment

cette oa

qui fait jaillir pan après pan une natura naturata sous mon ee serait-elle pas habitée d’une puissance persuasive qui transmue 4 : message dogmatique. L’éviction du Jardin, la distance SPIE Noë

puis Abraham

AREA

me sane eae

et le divin, clôt cet ensemble qu'avait traumatique

l'irruption sur scène de l’Actant divin. stérilité d’Anne La Nativité déploie ensuite ses épisodes (p arfois depuis la Mages et les Roisdes gloire de et toujours depuis l’Annonciation) jusqu’au cortege ents. Innoc des ene a et sanglantes et ironiques conséquences de la Fuite en Egypte Cette deuxième

mise en proximité du divin et de

’hum

tiguité et monstrueux mystère de la contiguite, un mode plus saisissant encore. Du terrifiant ’entour itué n° ; oe liéde plus ee qui i n’est cette deuxième mimésis propose une image

l’homme mais au profond de son corps, dans ce foyer anthropo te sepa SA de la vie qu’est le ventre, et dans cette matrice de mythes ques

-

ER 42

André LASCOMBES

Outre la ferveur spirituelle qui bien évidemment nourrit la méditation sur le mystére

de cette Incarnation, toutes les versions du Cycle expriment un intarissable émerveillement pour les espéces les plus physiques de la miraculeuse anastomose : elles le font en redites multiples, explorant par associations thématiques et en dissonances

tonales ce sujet étymologiquement fascinant qu’est la mise au foyer matriciel du

principe du Monde. Et si les auteurs et réviseurs des Cycles de Wakefield et de Chester

associent à la Nativité les épisodes carnavalesques du Festin et de l’Affrontement

des Bergers, si celui de Lincoln, réputé le plus marial, met des verdeurs de fabliau

a commenter le scandale du «ventre virginal qui lève» (27), puis à constater de tactu la parturition paradoxale, c’est que ces dramaturges avisés cherchent inlassablement à mettre au foyer de l’attention spectaculaire les diverse s figures de ce lieu liminal qu’est le Ventre. Le troisième temps fort parachéve le schéma rédempteur. L’ensemble de l'épisode de la Passion connaît du point de vue du dogme deux culminations successives : la mort du Crucifié puis l’image glorieuse de Sa Résurrection. Il est frappant de constater que les Cycles en proposent une image partielle ou orientée.

Même quand l’ensemble du mythos scripturaire est traité, un intérêt très nettement soulign

é va aux étapes de la Passion conduisant l’'Homme-Die u à Son Agonie (28). Et si importe le Procès de Jésus, il n’est pas douteux que la véritable apogée de ces Jeux

est dans la mimésis montrant la Méditation assurément sur constant de la célébration religieuse nisant paraît satisfaire aussi le besoin

descente vers la mort du Dieu Incarné. le mystère central de la Rédemption et lieu en cent formes de la dévotion, l’Image de l’Agoconcurrent, inséparable de l’exercice religieux,

d’éprouver physiquement et par les modalités les plus apres la dissolution du corps

créé.

Il ne faut pas nécessairement lier cet attrait pour les images du corps annihilé à la fascination pour le macabre que manifeste la période et qui a été abondamment commentée. Dans un ouvrage qui a mis à mal les naïves lectures du «réalisme gothique», F. P. Pickering a montré que les représentations théatrales aussi bien qu’iconographiques

de la Crucifixion

sont

des élaborations conventionnelles

dérivées d’une longue série traditionnelle selon un code de grande ancienneté (29). C'est précisément ce côté répétitif et figé par une volonté emblématique qui amène à considérer que cette forme, sans doute fagonnée par une suite d’«autorités», véhicule aussi dans sa permanence des valeurs jugées essentielles par la culture courante jusqu'aux périodes considérées. Quoi qu’il en soit, on notera que ces dramatisations, qu’elles aient ou

non profité des leçons de l’iconographie, excellent à structurer les scènes qu’elles proposent autour du thème très physique de la dé-création. L'opposition, manichéenne, n’est pas seulement entre le Christ et les hommes, qui refusen t Sa Parole, ou entre le bien

et le mal, mais scéniquement

aussi, entre les corps musculeux, actifs et victori eux des bourreaux placides qui s’affairent,et le corps passif, sanglant et blème du Crucifié. Avec un art consom mé

43

Théâtre et modèle

de la focalisation, le texte écrit (et donc celui de la repré-

sentation) promène l'attention au long des phases de la torture (extension, dislocation, fracture, transpercement) et également d’un membre à l’autre du corps supplicié. Affectés aux quatre bourreaux, les quatre membre s sont tour à tour

balayés par un regard à la fois verbal et visuel. Procédé de répétition et oa sement tout ensemble, qui exacerbe les émotions suscitées. A l'horreur - 3 #0 de la violence policière et du sang répandu, nan spontanémen : a nation singe humain qu’est le spectateur, on croit deviner que s’ajoute ou se se : me

oe ae q :

bientôt ici, dans l’atmosphère d’intense sobriété des scènes, une — anatomique et clinique, faite d’austére sympathie et de patience consentie

dans cette dissolution hâte mais intensément, lit reflet prospectif de notre inéluctable agonie.

la dérision de notre corps,

Evoqué dés le meurtre d’Abel et le trépas de Lazare, rappelé a ee anticipations et réminiscences multiples au long du Cycle, la figure du oe — bien sùr exemplaire dans les Passions. Si cette figure stimule la macérati —

ten

fins derniéres et la méditation sur le mystére de la Rédemption, la ae

images avec celles du trépas sanglant complaisamment on ng ee A

formes de dévotion, par l’iconographie et les récits des Passions

aye

es, ioe

spectacles de la torture civile (30), atteste à quel gout profond s’a sera de catéchése : le goût tout anthropologique qui incline l’esprit à consi où le créé va se dissoudre.

Pe

ones

ei —_— On a cherché par ces quelques exemples a documenter = des Cycles, explicitement didactique et chrétien, tient en fait un di —— romani

réduit pas au logos de la catéchése, mais qui s’enracine aussi mer rete dans la complexité psychique. Exploitant les ambiguités du mo sp dont il se réclame, porté par ailleurs par les tendances de sa forme :

or ati

sae

sous les significations déclarées qu’il affiche, une emprise ae e i = tibsastait des qualités mémes du mythe qu’il véhicule avec le pm AE" sis cars Sea 4e très excessif, aux périodes que l’on considère, d opposer au c — ean

toire culturel autonome qui lui serait antagoniste. Tout au contrat series de raison à dire que ce théâtre, argument didactique sans A

sat

mere

tique aussi qui ébranle pulsions et passions, exploite des . ween Sels

registre chrétien en sollicitant chez cérébraux du mythos et du logos.

le spectateur

comme

les

on ane ae pave Ce faisant, cette forme théâtrale assume une foncti sa rer Hg ture dialectique, dans ses relations avec le modèle

À pere re de propagande, elle milite pour l’ordre qui la porte, et se es eg vey: e rs exhortations. Elle libère dans le même temps (comm il fête dans toute société d’ordre et de tradition) les appétits *

ou ignorés. Ainsi la fonction purgative et de défoulement

normatif.

PS

i

Etabli

Cr

dans

cette

be respirati on

a

equ

ener

fonctionnelle, alternativement

à apie

policiére et

ii ì nnel et «sauvage», mo , ratio 31), fondant sa pratique sur les deux modes est moin

=

Lee

culturel n’a pas (dans une société où le différentiel à ici ics qui seraient a ee gare

accusé que nous inclinons parfois à le penser) à choisir entre

selon une naive dichotomie, l’un élitaire, l’autre populaire.

Comm

André

LASCOMBES

indice, c’est «Tout-un-chacun» qui est le destinataire fascination (32).

de la leçon

et le compte de la

Une forme théatrale qui s’installe ainsi dans la durée et qu institutionnalise l’ampleur du consensus à toutes chances, en méme temps qu’elle véhicule

un modèle idéologique ou culturel admis du plus grand nombre, de devenir modèle elle-même. C’est bien ce qui advient au Cycle longtem ps perçu comme la norme spectaculaire, inspirateur fécond de formes nouvelles durant la majeure partie de l'ère Tudor. C’est dans cette fonction, elle-même de conserv ation et novation, de

maintien et d'adaptation d’un modèle mécanicien, qu’il convien t maintenant d’en-

visager le Cycle. On se contentera sur ce vaste sujet d’esquisser, à propos des grands éléments de la dramaturgie, l’ampleur de la fortune d’un tel modèle. On s’attardera seulement à dégager certains liens de filiation entre le Cycle et les formes subséquentes sur un point à notre sens trop négligé : l’art de gérer le personnage.

Le moment semble à peine venu où l'opinion unanime juge sereine ment les héritages légués aux élizabéthains & aux jacobéens par les praticiens antérieurs,

dont

les

auteurs

et

réfacteurs

des

Cycles

(33).

Chacun

admet

cependant

pour l'essentiel que les vertus du code mimétique dont on a vanté plus haut l'adéquation

à transcrire

scéniquement

dramaturges, dont

le mythe

continueront

Shakespeare,

très tard

à avoir pour certains

un attrait supérieur aux séductions nouvelle

s de l'illusion naturaliste. Si l’auteur du Conte d'Hiver et de la Tempête renonce aux

procédés un peu trop didactiques des chœurs de Henri V, il n’en persiste pas moins à

entrainer

ses

auditoires

par

les

ressources

subtiles

d’une

dramaturgie

qui

vise comme celle du Cycle à faire entendre et voir, au travers de ce qui est montré, l'essentiel qui ne peut l’étre. Lusage de ce code, ainsi perpétué par la nature de la transcription à opérer, Pest aussi par l’attachement qu’un certain public conserv e aux formes de la médiation

théâtrale imposées par le Cycle. Cette médiation, préservant

Spectateur,

télescopant

aussi

la similarité

l’espace-temps

du

ontologique

représenté

entre

spectacle

et celui dans

lequel

et vit

l’auditoire, installe celui-ci au Cœur du spectacle. Les circonstances techniques de la réalisation théâtrale accentuent encore cette proximi té. Présenté dans un lieu familier

de l’espace citadin et sous la lumière banale du jour, le spectacle est joué - pour l'essentiel semble-t-il (34) - par des membres des groupes professionnels ou religieux qui ont avec l’auditoire

suscite

un

rapport

circonspect (35).

des liens étroits. Cette proximité spatiale et existentielle

spectaculaire

d’une qualité particulière et sur lequel on sera très

Alors qu’elle se définit dirait-on d’abord par une claire conscience

du jeu et par une connivence tout intellectuelle avec la démarche mimétique des acteurs, un basculement peut, semble-t-il, survenir, engloutissant le spectateur (parfois du

moins) qui

45

Théâtre et modèle

épouse le rôle joué , à travers l’acteur, dans une immersion quasi-physioDans

logique. ce paradoxe apparent du spectateur en proie à l’oxymore réside peut-être le secret d’une Participat ion susceptible d’inclure l’émoi physiologique mais respectant toujours une dista nce critique.

Si les formes subséquentes du théâtre Tudor (de l'itterluds aux ete

et comédies) ont profondément altéré cette relation, ne fùt-ce qu'en modifiant a nature de la diégèse dramatique, elles creusent obstinément (du moins pour res de celles qui ne répudient pas tout le passé) cette voie royale de la théatra sores spectateur a licence de construire sa participation en réglant alternativement # y invitait on son auditoire ans tissement et la distanciation. Henry Medwall n’a pas oublié la leçon, Shakespeare l’étincelant Fulgens and Lucrece ; le jeune de la participation régulateur brillant ce III Richard son de centre qui installe au ucester. Ù i :le PROS

à l’aspect le plus populaire de la dramaturgie

Speaatnchîlgr ak

On ne s’étonnera pas de constater que si le Cycle a trouvé en lui sa figure Le la plus fascinante, le personnage du théâtre religieux va se révéler, assez Brera être l’élément le plus fécond et le plus fragile de cette forme, le plus propre a susc des

descendances

évolutives,

a

subir

des

l’activité

a

dramatique,

la

Ce sont

radicales.

mutations

3

onction modélisante du personnage.

imi ees

poo

comme

ce dernier

regard

plus au

n'apparaît

a post-proppien comme une naive existence ancrée dans la ne i cay modèle, un essence par est il concertée par le propos du dramaturge,

nicien du terme.

de

réduction,

Le dramaturge des Cycles construit le sien selon un triple principe, et

d’intensité

Limité

(36).

d’ambiguité

à

un

ar

= quelques

ou

= ce personnage qui relève de l'esthétique du type n’est au mieux abe ae ata champ le parcellaire. Ignorant l’ambition de déployer davantage charger l’image des nuances du vérisme, le dramaturge Ree see ‘ Lara pour disposer sur le secteur circonscrit l'unique couleur d un oe oe cu moral. Méme s’il s’agit d’une des Figurae du débat cosmique (et de ee image

perfection)

de

sa

représentation

en

un

se Suse

personnage

ayes

d’in traits, simples et précis (37). Réduction qui est en soi facteur | e la répétition. procédé,cine aa re Say vi ient SE peut-étre en ses formes simplistes, es par maint effet, la répétition s’annexe

tuation. On mentionnera précisément

celles qui ont inspiré spé riche

et d’abord celle de la multiplication concertée des penne procédé rables

d =

a des effets divers selon le statut mythique et | ampleur

wagon

par

l'importance

de

leur

statut

mythique

ou de es

médiéval suscite un effet de résonance et d amp

_

a

se ‘infer

vos

En empilant des personnages différents dans des roles vices . pr

le dramaturge

at

se

ges

les techniques du Aion

sa

aaa

à en

os cabana

d’autant plus net que chacun offre déja un sens plus aaah plus nite nts plus outré. Au-delà du personnage individuel, exponent d’un type, 5 a RER

que l’on a appelé diaphore théâtrale que physique

dessine un masque

art

peut-être, mais de vertu sensible, car il est fait

des ré

: des diffractions des divers rôles (38). En appréciant le personnage du drame élisabéthain me ne oe à quel point le goût demeure dans cette dramaturgie pour . * ares

typique ou allégorique.

L’une des finalités du soliloque ou

e la

est sans doute de maintenir au point foyer du lieu scénique, où se

mer

2

à

I

SSSSSSPNS=’?'

46

LE

EE

André LASCOMBES

Théâtre

goniste, cette intensité de la relation et du sens qu’il ostense, C’est d’ailleurs pour

eee 47

et modèle

effervescente qui est à bon droit tenue

valoriser aussi cet ordre de personnages que ce théâtre conserve le goût de l’orchestration. Dans le genre influencé par la tragédie de vengeance, par exemple, on trouve des exemples probants de ces séries architecturées où s’exacerbe le sens des rôles qui les constituent. Ainsi de la Tragédie Espagnole de Kyd, ou de cette hyperbole

TT

pour l’âge d’or du théâtre anglais.

du chaos familial qu’est aussi le Roi Lear avec ses aligne ments manichéens de la Victime ou du Méchant. Ailleurs, dés Marlowe peut-être, et de façon plus savante encore chez Shakespeare, cet effet de masque procède moins de ces mises en résonance des rôles que d’une orchestration linguis tique des échos. La trame des images, la lourde chaine des métaphores tissent dans le verbe dramatique un système de références indirectes dont la critique a bien noté la qualité musicale (39). Ce n'est rien enlever au génie élisabéthain que de soulign er qu’il s’agit là de

André LASCOMBES

l’analogue d’un procédé ancien tout aussi efficace, ainsi adapté aux ressources d’une autre dramaturgie. Si nous nous tournons maintenant vers les person nages les moins remarquables, a la fois par la médiocrité du Statut mythiq ue et la ténuité du rôle dramatique,

nous

observons

une

autre

1

-

Plays,

ES 2

-

pour

souvent

productive

d’humour.

3

-

se survit en avatars successifs tout au long de la périod e culturellement

existants,

&

K. S. Block

A. W.

York

: Russel, rpt.

dans

les recueils suivants

1970

; Two

Digby

Plays,

; The de

recensement

OS

ES

de

: Non

Corpus

Cycle Plays and

Christi

; The

; The York

Fragments,

Plays, H. Craig ed. EETS

ES

70, rpt.

1967

; The

1969.

toutes

les sources

susceptibles

d’aider

de tous ordres, du

XIVe

cours

of Early English

Drama,

de Toronto)

(projet Records

Mystery

120, rpt. 1960

ES 71, rpt. 1973

F. J. Furnivall ed. EETS

262,

Chester

; The Ludus Coven-

1963. Ensuite les fragments de Cycles

SS

Coventry

: The

1974

ed. EETS,

Pollard eds. EETS

réunis 1,

soit

et cérémonielles

University

à

évaluer

siècle à 1642, est en ; les premiers

in The Malone Society (Collections VII, 1965 pour le Kent ; Collections

1980, Norfolk & Suffolk).

On trouvera dans H. Craig (English Religious Drama of the Middle Ages, Oxford, Clarendon Press,

1955)

et

Rosemary

Woolf

(English

Mystery

Plays,

London

: RKP,

1972)

des

l’importance au cœur des Cycles des concepts

fondateurs de la doctrine. 4

-

Craig, op. cit., partage encore cette vue.

"

A partir de 1951 en Angleterre. Voir J.R. Elliott, Jr. «A Checklist of Modern Productions of the Medieval Mystery Cycles in England», RORD 13/14 (1970/71), 259-66, ainsi que C. Gauvin

& A. Lascombes,

Etudes Anglaises, XXV-1

6

-

«Regards

neufs sur le théâtre religieux anglais du Moyen-Age»,

(1972), 3-13.

Cette vue, qu’ont en partie inspirée les remarquables travaux de G. R. Owst (Preaching in Medieval England,

A

Peut-être en a-t-on dit assez pour suggérer que les Cycles , précisément parce qu ils ne répugnent pas à exprimer un champ culturel largement ouvert à la diversité, accessible au très haut et au plus bas, consti tuent une forme fondamentale du théâtre, que la mutation ne parviendra pas à totale ment ostraciser. Transférant dans des formes inspirées par un matériau culture l neuf l’essentiel d’une esthétique mimétique accomodée vaille que vaille à la nouvelle relatio n de l’être au monde, leur forme obsolescente

(ist,

études solides et clairvoyantes, soulignant

Mais

on s’abstiendra de parler ici, fût-ce succinctement, d’un trait qui est à la fois une véritable. dimension et une complexe fonction de la dramaturgie, et qui requerrait une étude a part entiére.

programme

Cycles

les activités théâtrales

XI,

une science plus sûre du dialogisme et le souci de répondre aux postulations

ambiguïté

Corpus

quatre

Mills eds. EETS, SS 3, OUP,

M. Eccles ed. EETS

menés par comté

L'époque d’Elisabeth ou de Jacques, qui n’a pas totalement répudié les valeurs médiévales, conserve dans son théâtre le goût de ces mitoses du rôle. Exploitées avec

une

les

M.

ed. New

EETS

1967

Plays,

&

G. England

diverses

87, rpt.

Un

Called

Plays,

ed.

priorité

volumes intéressent York, Chester, Coventry. Voir aussi les défrichements documentaires

logie du temps.

Cycles,

Davis

Macro

en

Lumiansky

L. T. Smith

et piéces N.

être habitées Par un personnage unique, le récit dramatique est d'essence collective, conforme en cela aux réalités sociol ogiques comme à l’idéo-

des

ici

M.

Towneley

fréquemment utilisée (et dont l'effet est quelquefois aléatoire, peut-être parce qu’elle est mal maîtrisée) (41) semble être une variant e de la gestion «opératique» du rôle, et une fagon sans doute de suggérer que hors les protagonistes, fonctions

nage

R.

triae or Plaie

technique intéressante du soulignement. D’une façon

de l'esthétique concurrente, ces gémellisations ou triplements se trouvent un peu partout, en brefs bourgeonnements greffés sur l'intrigue interrompue, en pauses ironiques, critiques, ou contre-points d'humo ur (41). En ces moments s’exprime, dans le théâtre de Shakespeare surtout, le troisième caractère constitutif du person

considére

Cycle,

qui peut paraître aller à l’encontre de la promot ion envisagée, ces rôles minces que sont les emplois divers de l’Auxiliaire (soldat , émissaire, conseiller) se répètent à deux, trois, voire cing ou six répliques du personnage. En fait, cette technique,

assez massives

On

CUP,

1926,

et Literature and

Pulpit in Medieval England,

CUP,

1933), est excellement exposée in V. A. Kolve, The Plaie Called Corpus Christi, London E. Arnold, 1966, chap. 6 & 7.

7

-

Reprenant à la gestion

l’idée

qui inspirait diverses éditions ou commentaires

économique

des Cycles

(Th. Sharp,

1825,

pour

de documents

liés

Coventry ; J. C. Bridge,

1914, pour Chester), le travail de F. M. Salter (Medieval Drama in Chester, Toronto U. Pe

1955) est la premiére expression remarquable de cette fonction, depuis réguliérement illustrée.

:

48

André LASCOMBES

Anticipée qui

par

diverses

prònent

du

théâtre

multiples

analyses

uniquement

Years at Coventry,

P.

Clark

&

l'ampleur

fonctionnelle

Ceremony

in Drama»,

en

impressives doctrinale,

pour cette

entamer vue

la conviction

s’impose

lorsque

de ceux l’historien

L’excellent spectacle

19

aspects de la festivité civique. Outre Salter, op. cit., voir Ch. Phytian Adams,

1500-1700,

et

trop

thèse

ou de la ville s’efforce de considérer la représentation théâtrale parmi les

«The Communal

REED,

la

supra

note

P.

Slack

London

de la festivité

civique.

CD,

XI (1977),

2. J. Heers

Angleterre»,

1430-1530» ed.,

Revue

«Les

du

Nord,

in Crisis and : RKP,

55

Order in English

1972,

Egalement

139-46,

métiers

pour

Th.

ainsi que

une

(1973),

du

en France

193-206 ,avance

: OUP,

«Ritual

parus

des

vues

similaires. David Wilkins (Concilig Magnae Britanniae et Hibernia, 446-1717,

Towns,

restitution

B. Stroup,

les volumes

et les fêtes médiévales

et E. K. Chambers (The Medieval Stage, Oxford

London,

de

du nord

ou,

1-124)

démontre

«A

Tretise

Scraps 11

of miracle’s pleyinge»

from

Ancient

MMS,

Wright,

ed.

20

Frances édition

A.

1841-43,

Par

On

par

exemple,

Religious Soc., 13

John

Houses

LXI,

Myrc,

Festial,

in the Diocese

1915-27,

E.E.T.S.

of Lincoln,

ES.

16,

rpt.

1420-49,

2 vols. ; Visitations of the Diocese

Kraus

peut

tabuler

;

A. H. Thomson of Norwich,

Visitations

1492-1532,

ed. A. Jessopp, Camden Soc. NS. 43, 1884. Voir E. Delaruelle, op. cit., R. Manselli, La Religion populaire au Moyen-Age : problémes de méthode et d'histoire, Paris : Vrin, 1975, J. Toussaert, Le sentiment religieux en Flandre à la fin du Moyen-Age, Paris : Plon, 1963, et enfin, l'excellente et trop brève RPK,

1969.

Alan

Watts, Myth

1954,8 15

of

ed. Cant. York AD.

étude de Peter Heath, The English Parish Clergy on the Eve of Reformation,

14

Les

and

Ritual

in Christianity,

London,

.

inventaires

explicatifs

de

C.

J.

P.

Cave

New-York

(Roof Bosses

Thames

in Medieval

London : &

Hudson,

Architecture,

CUP, 1948) et G. L. Remnant (A Catalogue of Misencords in Great Britain, Oxford :

Clarendon

Press,

1969)

y

font

de

fréquentes

18

Glynne

Wickham,

Early

A. Lascombes,

English

Stages,

1300-1660,

références

les

commentaires

London

: AKP,

1963-81,

3 vols.

Sur ce théâtre, on consultera, plutôt que E. K. Chambers (The Folk Play, Oxford, inachevée mais Suggestive de R. J. Tiddy (The Mummers’ Play, OUP,

:

YORK

7

2

WAKEFIELD

2

1 | 40u5

CHESTER

2

1

i

3

:

(Lincoln)

22 23

rpt. 1972) et, avec le travail plus récent d’Alan Brody (The English Mummers and their Plays, London, 1969) les commentaires éclairant le précieux recueil de E. C. Cawte,

A. Helm et N. Peacock (English Ritual Drama, A Geographical Index, London, The Folklore Society,

1967).

Voir

pour

1916. Voir aussi P. Collins, quatre

aux

rapportée

Cycles

6eme Age

Chester,

la femme que

25


hésitation entre le modèle de

l'œuvre du Dieu fabricateur.

Dans un tout autre domaine, celui du langage, une autre coupure,

(en même temps coupure épistémologique) naît de l’altération profonde et définitive de la relation entre les mots et les choses ou les essences. Pour tout le seizième

siècle, il y a entre ces deux réalités adéquation et continuité : la théorie des signes

ou des sceaux est la meilleure expression de ce rapport ontologique. Or voici qu au

penser que cette évolution était pour ainsi dire

dix-septième siècle, pour des raisons diverses (crise économique et politique, demi une distorsion entre réalités et apparences : or, les mots sont du côté des apparences ’ crise du libre arbitre : si l’homme est libre, dans l’ordre du langage aussi il est capable

participe le plus de la logique, - reste qu’au bout du compte nous nous retrouvons dans un tout autre système de pensée, dans un autre monde, sous-tendu par une

du discours seul, dans son fonctionnement interne (logique, dialectique) ou dans

la uenustas et celui de Vargutia —

fonctionnement)

; on peut même

préférence donnée au second et analyse de son

inscrite dans la nature même de l’épigramme, parmi les objets littéraires celui qui

de créer des associations neuves ; etc...), ce rapport cesse d’être affirmé. vad pcb Sur le langage cesse d’être métaphysique et devient métalinguistique : c’est l'étude

202

Pierre LAURENS

son rapport avec l’auditeur (art de persuader, rhétorique)

: ainsi pour Pierre de la

Ramée, pour Pascal et aussi pour la Logique de Port-Royal. La Dialectique de Pierre de la Ramée, pour prendre un exemple bien connu, n’est pas autre chose qu’une étude de fonctionnement : à une première

Maximilien.

(En fait Leibniz compte pour ce vers plus de 1617 combinaisons). La présentation même de l’essai de Leibniz affecte la rigueur d’un traité mathématique. Alors que le thème sous-jacent est : «penser, c’est calculer», la forme générale de l’ouvrage est par problèmes, théorèmes, applications.

partie, d’analyse, de recherche (inuentio) des éléments simples ou «catégories» succéde une deuxiéme partie, consacrée aux combinaisons : le modéle de la gram-

On peut en juger par l'intitulé des chapitres :

et discerner derrière une telle méthode l’influence de l’Ars magna de Lulle, œuvre marginale en son temps et non enseignée en Sorbonne (d’où son effet différé), puis

les complexions.

ments, par le moyen desquels on peut discourir sur tous les sujets». On est fasciné alors par l’idée, analogue au principe des cadenas à secret, d’un mécanisme de six cercles ou couronnes concentriques, divisés chacun en neuf cases par autant de rayons et permettant d’obtenir toutes les combinaisons de six fois neuf termes par

etc...

maire (mots et syntaxe) informe en fait logique et rhétorique. Peut-on aller plus loin

révélée ou diffusée par Raymond Sebond, mise au premier rang par Giordano Bruno ? De nombreuses traductions font connaitre au dix-septiéme siécle cette «méthode qui fournit un grand nombre de termes universels, d’attributs, de propositions et d’argu-

rotation des cercles autour de leur axe commun. Le dix-septième siècle admire, en d’autres termes, l'inventeur de la combinatoire, mot qui revient constamment dans les recherches du temps. Sous le titre de Polygraphia noua et uniuersalis ex combinatoria arte detecta (1663), puis dans son Ars magna sciendi siue combinatoria (1669), le Père Athanase Kircher,

jésuite et physicien, présente son projet de constitution d’une écriture universelle, alphabet et algèbre de la pensée, ou, comme

logique».

203

La théorie épigrammatique

l’a nommée

Couturat, «algèbre de la

Mais le rêve de cette époque trouve peut-être son expression la plus

complète dans le petit livre du jeune Leïbniz, De Arte combinatoria (1660), encore un projet de combinatoire universelle. Il y invente le triangle harmonique, capable

de produire tous les nombres à partir de l’unité, selon une raison simple ; instaure l'analyse des séries ; énonce la loi qui permet de calculer toutes les variantes possibles ou utiles d’un système donné. L’intéressant est la volonté affirmée d’application de la méthode à tous les domaines : juridiques (les cas), musical (art de la fugue), métrique (fins d’hexamètres, vers protéiques).Leibniz utilise ici les recherches menées avant lui notamment par Erycius Puteanus, dans ses Thaumata pietatis : c’est ainsi qu’il cite après lui un vers de Porphyrius, dont les mots sont susceptibles de X arrange-

ments ou complexions ; un autre de J.C. Scaliger ; et le plus célèbre de tous, de Bernard Bauhusius, jésuite de Laon, dans une épigramme sur Marie : «Tot tibi sunt dotes, Virgo, quot sidera caelo» (ou bien : Tor tibi dotes sunt..., Sunt tibi tot dotes..., Tot dotes tibi sunt..., etc... Puteanus dans ses Thaumata, p. 3.50, énumére toutes les variations utiles de ce vers,

soit 1022 = le nombre d’étoiles décompté alors par les astronomes). A peine moins

connu le vers de Georg Kleppisius, susceptible de 1617 variations, sur la conjoncture des trois soleils qui en l’année 1617 resplendirent dans le ciel de Dresde, où s'étaient réunis les trois soleils terrestres de la maison d’Autriche, Mattias, Ferdinand et

Problème 1-

étant

donné

un nombre

et un exposant, trouver

Problème 3étant donné le nombre de classes et le nombre des objets dans les classes, trouver les complexions des classes. Problème 6- étant donné un certain nombre d’objets à faire varier, dont un ou plusieurs sont répétés, trouver la variation dans l’ordre. Comparons a présent avec l'ouvrage d’un Tesauro, au chapitre intitulé «Teoremi per fabricare concetti arguti» : 1.-

Dato themate, notiones abditas indagare.

3. -

Dato

2. -

On

Data nisci.

themate,

etc...

pourrait

|

simplici metaphora, animaduersiones argutas commi-

pour

enthymema

urbanum

ratione

confingere.

finir rapprocher trois dates : Tesauro

1654,

nouMasen 1660, Leibniz 1660. Mieux vaut encore donner la parole a l’un de nos efforcé sommes nous nous que lien le veaux théoriciens. Morhof confirme clairement

d'établir, puisque lui-même prend soin de rattacher son art de l’épigramme à la | théorie générale de l'invention : qui, en savants dé négligeable non nombre un peu depuis a «Il y vue de favoriser l’improvisation

dans

le discours comme dans l'écriture, se sont

ex tempore proposé une «oiconomia» ou méthode qui leur permette de disserter

ee (ici, il cite Aristote, Rhét. 2, 22 : plus on dispose d'éléments concernant

plus il est facile de parler)... C’est pour cette raison que Lulle a imaginé jadis ssf

modes généraux du discourir, selon lesquels on puisse conduire toutes ses —_

de là est né cet Ars lulliana, popularisé depuis par maint volume et MEET

je que | @hommes aussi savants qu’illustres. C’est sur le même fondement . ee n nous que bâti son Ars combinatoria ; (puis il cite deux autres auteurs

:

;

fournir l'abondance s nommés) : Becker lui aussi a conçu un Organon destiné à

mots et de concepts nécessaire à tout sujet (...). Janus Caecilius Frey, dans un PZ é livre intitulé Méthode

nouvelle et ultra-rapide pour l'acquisition des pane mm

dx ae langues et de l'éloquence (1628) montre entre autres choses comment les ion gories d’Aristote et aussi les lieux dialectiques peuvent Servir l'improvisat n'importe quel sujet...» (52).

Pierre LAURENS

204

Pierre LAURENS

SOURCES

1

-

La théorie épigrammatique

PRINCIPALES

Théorie de l’épigramme

Robortello (Francesco), Eorum omnium, quae ad methodum et artificium scribendi epigrammatis spectant, explicatio. Ex Aristotelis libro de Poetica magna ex parte desumpta, et aussi : Explicatio eorum omnium quae ad quaestiones de salibus pertinent, in : F. R. paraphrasis in librum Horatii Explicationes, pp. 35-41 et 51-58, 1548.

Minturno

(Jules-César), Poetices libri septem, Lyon 1561 (cf. livre 3).

Correa

(Francesco),

De

toto eo poematis

genere,

Venise 1569. -, De epigrammate, Bologne 1590.

Pontanus

(Jacobus),

ou

Spanmiiller,

Avignon 1600 (chap. 49 à 55).

quod epigramma

dicitur

Poeticae

Institutiones,

Ingolstadt

1594,

(Antonio), Tractatio de Poesi et pictvra, Lyon 1595, chap. 14.

Rubio

(Antonio), Poeticarum Institutionum liber, Mexico city 1605 (pp. 280373).

Gallo

Cottunius

(Nicolas), De conscribendo epigrammate, Paris 1653.

Colletet

(Guillaume), Epigrammes, avec un Discours sur l'épigramme, Paris 1653.

Lancelot

(Claude) et Pierre Nicole, Epigrammatum Delectus ex omnibus tum ueteribus tum recentioribus poetis accurate decerptus, cum Dissertatione de uera pulchritudine et adumbrata, Paris 1659.

Vavasseur

(P. François), De epigrammate liber, Paris 1669.

Masen

(Jacob), Ars noua argutiarum epigrammatica et epigraphica, Cologne 1660.

Mohrof

(Daniel), De arguta dictione tractatus, Lübeck 1705.

Weise

(C.), De Dictione arguta, Leyde, 1638.

2

-

Traités De salibus

Outre les dissertations latines des aristotéliciens Robortello et Maggi : Pontano

Possévino

Raderus

Mercier

(Antonio), De Poeta libri sex, Venise 1559. L’épigramme est discutée au chap. 5 (pp. 411-5), aprés l’élégie. -, L’Arte poetica, Naples 1563 (libro terzo, p. 278-281).

Scaliger

(G. G.), De sermone, 1502.

Castiglione (B.), Il Libre del Cortegiano , 1518 (livre Il).

3

-

Traités De comoedia

(Matthaeus), éd. Martial, Ingolstadt 1602, 1609, Introd., chap. 4. (Vincenzo),

Opusculum

exemplis traduntur. Milan 1626, 1632.

in

quo

Accessere...

Epigrammata...

complurima

ueterum

exempla

scriptorum

nobilissima,

(loannes), De conficiendo epigrammate, Bologne 1632.

Carlo di San Antonio di Padova, De Arte epigrammatica siue de ratione epigrammatis rite conficiendi libellus, Cologne 1650.

205

Outre la dissertation de Robortello : Minturno

( Antonio), De poeta IV, p. 303-347.

Lopez Pinciano (Alonso), Philosophia antigua poetica, 1596 (Epist. IX).

206

Robortello, a

4

-

207

La théorie épigrammatique

Pierre LAURENS

Explicationes...,

ueteribus

: tragoedia,

p.33

comædia,

:

poematum

epopeia,

genera

dithrambica

haec

ferme

: grandia

connumerantur

sunt

haec

poemata

;

sed breuia satyra et quam appellauit Horatius epistolam et Stavius syluam.horum omnium

Théorie de l’argutia

particulam

quandam

ualde exiguam

J.C. Scaliger, Poetices libri VII,

existimauerim

esse epigramma,

1561, repr. 1964, pp. 169 ss.

Ainsi le père Cotton, De conficiendo epigrammate, ch. IX, p. 24 ; Pontanus (Spanmiiller)

Cavalcanti

Sarbiewski

Peregrini

Gracian Tesauro

Retorica, livre

Poeticarum

V («Urbano»).

varie

Par

1958.

de

exemple

partim

l’espèce

poétique

: claro

es que

seguira

el estilo

de

la specie

que

Vergilii).

Possevin

solus ; Dramaticum,

(Matteo), Delle acutezze, che altrimenti spiriti, vivezze e concetti volgarmente si appellano, Génes 1639.

: genera cum

item

epigrammatum

aliae personae

sunt Narratiuum,

inducuntur

; Mixtum,

cum

cum

loquitur poeta

partim poeta loquitur,

alii loquentes introducuntur.

J.C. Scaliger, loc. cit.

Raderus, Introduction, ch. IV: Colletet,

(Baltasar), Agudeza y Arte de ingenio, Huesca 1648.

(Emanuele

Institutionum libri III, ch. V, p. 128. - Pour Pinciano, le style de l’épigramme

fonction

sigue (cf. la Rota

(Kasimir’), De acuto et arguto (c. 1619), in Praecepta poetica, Cracovie

Turin 1654.

en

même

Discours

tous

bas et le moindre

), 17 Cannocchiale aristotelico, o sia delle argutezze heroiche,

sur l'épigramme,

les genres

d'écrire,

p. 69: «Elle

quoique,

reçoit

comme

aussi toute sorte de sujets, voire

j’ai déjà dit, le médiocre

lui soit plus ordinaire et même

ou plutôt le

convenable ».

Robortello, Explicationes..., pp .39-40. Minturno, De poeta, V, pp. 411-415 Pline, Lettres

; L’Arte poetica, pp. 278-281.

VII, 0, 9.

Parménion, AP.

IX 342

; Cyrille, ibid., 369.

J.C. Scaliger, Poetices libri VII, pp. 169-171. Sidoine

Apollinaire,

Carmina

Pline, Lettres

III, 21, 2.

Martial, Epigr.

VII, 25.

Vavasseur,

De epigrammate,

J. Hutton, Pontano,

The

Greek

IX, 268

VII,

11.

p. 51.

Anthology

De sermone,

; Epist.

in Italy

1, 6 ; IL, 5 ; VI,

to

the year

1800,

Ithaca N.Y.

1935, p. 43.

1.

P. Jove, Elogia uirorum illustrium, Bâle 1577, s.v. «Martialis», p. 145. Tiraboschi, Hieron.

Storia

delle

lettere

Tiraboschii de M.

italiane,

11, Rome

1782,

I, 28 ; T. Serrano,

Super iudicio

et aliis argutae aetatis Hispanis ad Clementinum

Val. Martiale.,.

Varnettium epistulae duae, Ferrare 1776. Muret, éd. de Catulle 4 Venise chez Paul Manuce,

1554.

Montaigne, Essais, II, 10 («Des Livres»). Rapin,

Réflexions

Modernes,

sur

la poétique

(1674), Genève Droz

d'Aristote

et sur

les ouvrages des Anciens

et des

1970, p. 132.

Balzac, Entretiens, II, p. 333 (in Oeuvres 1854, t. Il). Colletet, op. cit., p. 91. M. Peregrini, Delle acutezze, B. Graciän,

La pointe

p.

12. LI),

(Disc.

ou l'art du génie

L'Age d'homme

1983, p. 327.

Cité par Hutton, The Greek Anthology, p. 56. Marino,

La

galeria

del

sottile, / il tuo ingegno, de la puntura il mele». 30

Raderus, loc, cit.

cavalier

M.,

il tuo stile,

n.

31

(Marco

Valerio

Marziale)

:« ... Sa,

quasi

ape

/ in cui di sale e temperato il fele, / pungere, e trar

Pierre LAURENS

31

Cascales, Cartas filologicas, p. 120.

32

Colletet, op. cit., p. 75.

33

Colletet, op. cit., p. 83.

34

Pontanus, loc. cit.

35

Colletet, op. cit., p. 83.

36

Robortello,

grammatis salibus

op.

cit.,

LE MODELE HIEROGLYPHIQUE A LA RENAISSANCE

p.

37

scribendis,

oratoriis

dicit oratoribus,

(nam

mimica

quam

conatus

: Ac

quae

a

tradita fuit. in caeteris

ipsos non est

Cicero

plane

eadem

ueteribus, Uno

autem

epigrammatum

dedecet) de

et a

quare

ratio

lib.

Cicero

mimicos

oratoribus

non

tradere,

praeceptionum

praesertim

quod

scriptores

oratoriis

esse

Cicerone

excepto,

superiores,

salibus

uidetur

pares sunt,

inutile erit totam

Epigrammata

locos

Cicéron, De orat. II, 248

; V. Gallo, Opusculum in qui Epigrammata...

p. 106. 38

L.

Guicciardini,

Venise

1572,

St.

Detti

e fatti piacevoli

Guazzo,

La

e gravi,

Venise

civil conversazione,

1569

Venise

in eo etiam

volentibus

scribere

traduntur, Ch. X,

; id., L'Hora

1581

de

inter-

di ricreazione,

; L. Domenichi,

Facezie

e motti arguti, Florence 1548. T. Garzoni, La piazza universale, Venise 1587 (Disc. 109), pp. 773-5. H. Garimberto, Concetti divinissimi, Venise 1562. L. Pinciano,

Philosophia

V. Gallo, Opusculum...

antigua poetica,

Madrid

1596,

Epist.

nona,

encore

f. 4, pp.

386

ss.

C.

a S. Antonio

Patauino, De arte epigrammatica, ch. V. N. Mohrof, De arguta dictione (ch. VI), p. 108 ss. J. Masen, Ars nova argutiarum, Cologne, 1660, p. 10. Ibid.

référence implicite. Et l’on se demandera in fine ce qui, derrière le modèle hiéroglyphique vu par la Renaissance, règle et limite ces jeux d'écriture, et si l’'Hiéroglyphe ne

serait pas,

op. cit., p. 31.

E. Tesauro, 11 cannocchiale aristotelico , Turin 1670, hg. von A Buck, («Teoremi prattici per fabricar concetti arguti»).

à discerner les racines et à mesurer la résistance. Ensuite parce qu'il apparaït comme un modèle à suivre. Il se trouve que sur ce point le problème a été depuis mal posé, faute de discriminations suffisantes. Car le modèle ici à nouveau se dédouble : suivant qu’il est Signe ou Texte, il stimule différemment l’'émulation créatrice. On suivra donc le Modèle dans plusieurs sens, posant qu'ils s’engendrent et se complètent. On se fondera, pour ce faire, non sur l'emploi du mot, rarement

exprimé, mais sur ce qui est de la notion la trace : de la révérence affichée à la

M. Peregrini, Delle acutezze, ch. IX, p. 145 ss. J. Masen,

la réponse a été donnée et que le déchiffrement a, enfin, eu lieu ? Parce que histoire de leur approche, avec ses partis pris d’adoration et d’écart, ses ignorances involontaires et ses méconnaissances calculées, son respect de l’Interprétation horapollinienne (2) et sa libre interprétation, a encore sur les mentalités qui s’y livrérent beaucoup a nous dire. Modèle, 1’hiéroglyphe l’est à la Renaissance doublement. Tout d’abord parce qu’il joue, en ce moment d’effervescente interrogation sur les langages, le rôle

d’un modèle philosophique de perfection non verbale ; de ce statut on cherchera

(ch. VIII), pp. 43 ss.

F. Vavasseur (Pére), De epigrammate liber (ch. VII), pp. 54 ss. N. Mercier, De conscribendo epigrammate, p. 127 ss. ; cf.

La question des hiéroglyphes n’est pas close (1). Pourquoi, dira-t-on, puisque

illam artem,

in promptu habere. 37

in epi-

II de orat.

1968, pp. 548 ss.

$1

Martial, Epigr. IV, 32.

52

On confrontera l’analyse qui précède avec les thèses, contradictoires entre elles, présentées par K.H. Mehnert, Sal Romanus et Esprit Français, Bonn 1971 et par A. Nowicki, Die Epigrammatheorie: in Spanien vom 16 bis 1 7 Jahrh., Wiesbaden 1974.

à côté de

«la peinture

mexicaine»,

du caractère

chinois et de la lettre

alphabétique, un inévitable Modèle (3).

I

-

HIEROS OU LA SACRALISATION

Dans le hiéroglyphe, nécessairement, le sacré sautait aux yeux. On n’a peut-être pas assez pris garde que le nom même des signes de l'écriture égyptienne

que l’antiquité dûment attestait, déterminait déjà leur appréhension. On sait que le

contre-sens qui croyait l’écriture hiéroglyphique réservée à l'expression des choses sacrées perdurera, à travers même Warburton, qui pourtant partiellement le réfute.

C’est que, entre les hiéroglyphes et la connaissance que la Renaissance pouvait en

avoir et devait. transmettre, s’interposaient plusieurs écrans qui, additionnant leurs prestiges propres, en orientaient dans ce même sens la lecture. I- 1. Un texte sacré

Quand en 1419 Cristoforo Buondelmonti rapporte à Florence un manuscrit qu’il a trouvé a l’île d’Andros, il peut légitimement penser qu'il détient là les secrets

Claudie BALAVOINE

Le modèle hiéroglyphique

de la Sagesse égyptienne. Le titre le promettait,qui attribuait à un auteur au nom mythique cette explication soudainement révélée de l’écriture hiéroglyphique : «Les Hiéroglyphes d’Horapollon du Nil, étude publiée par lui-même en égyptien et traduite en grec par Philippe». Tout, déjà, concourait à la sacralisation : la distinction ouverte entre les hiéroglyphes et la langue commune (cet «égyptien» utilisé par Horapollon), les relais des deux traductions qui rejettent dans un en deçà préservé l'écriture prétendue sacrée, et ce nom d’«étude» qui laisse supposer que l’on a

sauvage, sans montrer de complaisance pour personne, comme les chiens. Le prophète, parce que le chien regarde avec plus d’attention que les autres animaux les images des dieux comme le fait le prophète. L’embaumeur des animaux sacrés, parce que lui aussi regarde les animaux sacrés, dépouillés et découpés, auxquels il doit rendre les devoirs funèbres. La rate parce que, de tous les animaux, le chien a la rate la plus légère. S’il est touché par la mort ou atteint de la rage, c’est la rate qui en est la cause, et ceux qui s'occupent de cet animal lorsqu’on l’ensevelit deviennent pour la plupart hypocondriaques au moment de mourir ; car en aspirant les exhalaisons du chien ils en subissent l'infection. L’odorat, le rire et l’éternûment, parce que ceux qui sont gravement atteints d’hypocondrie ne peuvent ni sentir, ni rire, ni éternuer (13).

affaire à tout autre chose qu’à un dictionnaire (4). Il ne pouvait étre question,

dans ces conditions, de traiter les Hieroglyphica d’Horapollon comme un simple outil susceptible d’aider au déchiffrement des inscriptions hiéroglyphiques dont on avait, en Italie même, d’énigmatiques exemples (5). Les hiéroglyphes et Horapollon vont donc se prêter, et pour longtemps, le dangereux appui de leur aura religieuse. Le modèle hiéroglyphique à la Renaissance n’est point, à quelques rares exceptions près, le caractère égyptien, mais ce qu’en dit Horapollon. Ce qu'il en dit. Car la caractéristique essentielle de l’ouvrage, qui le conforte

dans son statut de texte sacré, mais parallèlement crée ce vide où vont s’engouffrer

la spéculation du quattrocento et l’imagination du siècle suivant, c’est qu’il n’est pas illustré. Il nomme et commente des signes qu’il ne montre pas. Des égyptologues ont pu, à notre époque, faire figurer dans leur commentaire la reproduction de l’hiéroglyphe égyptien authentique qui, dans plus de la moitié des cas, se retrouve sous la glose horapollinienne (6). Mais ni l'édition princeps que donne Alde Manuce en 1505, ni les autres éditions du texte grec, ni la traduction latine de Bernardo Trebazio en 1515, ni celle de Filipo Fasanini en 1517 ne comportent la moindre représentation (7). Il

faudra attendre la traduction française de 1543 pour qu’apparaisse, au-dessus de chaque «explication», l'illustration très libre du signe commenté (8). Et cet événement

mineur aucune

éditions

des avatars hiéroglyphiques n’aura, sur la perception du modèle en cause, incidence (9). On peut même penser que l’absence de gravures dans les en

grec

et en

latin était, d’une

certaine

manière,

liée au respect



aux

écritures saintes, tout se passant comme s’il fallait déjà une profanation linguistique pour que l'illustration soit possible (10).

d’Horapollon se désignaient aussi comme texte intouLes Hieroglyphica chable par leur absurdité même. On se rappelle en effet que les 189 «hiéroglyphes», répartis en deux livres, présentent la séquence suivante : un titre (apocryphe «Comment ils représentent l’éternité», «Comment ils représentent le mariage» (11), la description du signe et sa signification où l’on retrouve le titre qui en a été extrait, enfin, et c’est là que la rationalisation d’Horapollon, qui ignore la valeur phonétique

des signes qu’il décrit, tourne souvent au vertige interprétatif, une «explication» vient dans la plupart des cas justifier la relation (12). Qu’on en juge par l’exemple du chien :

Quand ils veulent écrire indifféremment l’hiérogrammate, ou le prophète, ou l’embaumeur, ou la rate, ou l’odorat, ou le rire, ou l’éternûment, ils peignent un chien.

L’hiérogrammate parce que celui qui veut devenir un parfait hiérogrammate

doit s'exercer souvent à la récitation, crier continuellement et avoir un air

Quand le détour métonymique se complique à ce point, on ne peut, si la vénération pour l’origine égyptienne interdit d’en rire, que se croire en présence de mystères insondables. Il faut donc partir de cette substitution des Hieroglyphica aux hiéroglyphes pour saisir le statut du modèle hiéroglyphique à la Renaissance. C’est elle qui explique l'impasse où s’enferme la vénération proclamée des néo-platoniciens ; elle, donc, qui devait nécessairement produire la cécité aux vestiges de l'écriture hiéroglyphique; elle aussi, on le verra, qui rend compte des clivages qui s’opérent au niveau de la

fécondation artistique du modèle en question.

1-2

Wn parti pris d aveuglement

Les hiéroglyphes, revus et corrigés par Horapollon, furent immédiatement annexés par le néo-platonisme florentin. Les manifestations de cet engouement ont été passés au crible (14) : on ne s’y attardera pas ici. On essaiera plutôt d’en comprendre la raison d’être et la signification.

Marsile Ficin joue assurément dans ce phénomène un rôle pivot. Nul en effet n’était mieux placé que lui pour jeter sur les «hiéroglyphes» (15) la lumière ploti-

nienne.

Dans

les Ennéades,

qu’il traduit, les hiéroglyphes

égyptiens

enrôlés pour démontrer que les Idées sont des êtres et des substances :

se trouvent

C’est ce qu’ont saisi, me semble-t-il, les sages d'Egypte, que ce soit par une science exacte ou spontanée : pour désigner les choses avec sagesse, ils

et en propon’usent pas de lettres dessinées qui se développent en discours des images dessinent sitions et qui représentent des sons et des paroles ; ils temples les dans dont chacune est celle d’une chose distincte ; ils les gravent donc est gravé signe pour désigner tous les détails de cette chose ; chaque un non et coup une science, une sagesse, une chose réelle saisie d’un seul raisonnement ou une libération (16).

apporter On voit l'eau que les hiéroglyphes pouvaient, dans cette perspective, on a mais ; l'analyse de Plotin au platonisme (17). Ficin reprend à son compte

Le modèle hiéroglyphique

Claudie BALAVOINE

oublié de remarquer qu’il lui fait subir un infléchissement non négligeable : Les prétres égyptiens, pour signifier les objets divins, n’employaient pas de lettres mais des figures complétes de plantes, d’arbres, d’animaux, car Dieu a sans doute une connaissance des choses qui n’est pas une pensée compléte

et discursive,

mais en quelque sorte leur forme

simple et directe (18).

Cette citation permet de mesurer le parti pris déformant que Ficin projette sur les «hiéroglyphes». La description en est, en effet, doublement erronée. Tout d’abord la «figure complète» est loin d’être exclusive et l’on trouve la tête du lion, la queue du crocodile, le cœur de l’homme (19). Ficin perçoit le texte horapollinien à travers Ammien Marcellin (20), bel exemple de superposition d’autorités qui, utilisées par une volonté de méconnaissance, finissent par dénaturer le modèle qu’elles prétendaient éclairer. Mais cette réduction ficinienne ne semble pas avoir eu d'incidence sur la postérité plastique et littéraire des «hiéroglyphes», qui ne se prive pas de recourir aux figures incomplètes et de réintégrer les objets et le corps humain, soigneusement écartés par le philosophe à l'écoute de la pensée divine.

Plus lourde de conséquences semble avoir été le glissement, de la sagesse du mode d'écriture à la divinité des sujets dont elle traite. Certes, là encore, les

autorités antiques ne manquaient pas pour insister sur la volonté des prêtres égyptiens de dérober au profane la connaissance des secrets de la religion. Le témoignage de

Plutarque, en particulier, dut peser lourd, lui qui invoque à l’appui de cette thèse

Pythagore qui «tenta d’imiter leur langage symbolique et leur enseignement mystérieux en enveloppant d’énigmes sa doctrine» (21). L’argumentation des Pères de l'Eglise à qui la référence hiéroglyphique permettait de justifier, pour l’incré-

dulité païènne, un certain ésotérisme du langage biblique, ne pouvait que conforter

le parti pris des néo-platoniciens et leur volonté bien connue de trouver au christianisme et au paganisme une commune mesure (22). Il fallait sauter sur l’aubaine horapollinienne sans trop y regarder. Les premiers «hiéroglyphes», après tout, se

prétaient assez bien à la thèse, eux quiexposent comment les Egyptiens représentaient

Péternité, l’univers, les divisions du temps, un dieu, ou l’âme (23). A condition d'ignorer soigneusement les significations anecdotiques telles que un homme qui n’a pas quitté son pays, pour la tête d’âne ; un homme outragé par de fausses accusations

tica), qui correspond à la réalité de la coexistence, à un moment donné, de l'écriture hiéroglyphique et de l’écriture démotique, est faite par Hérodote et Diodore (26). Clément d’Alexandrie ajoute l’hiératique «dont usent les hiérogrammates» (27) ; Porphyre complique encore les choses en opposant l'écriture épistolographique

mentionnée

Kircher. On sait que ce savant jésuite apprit le copte (29). Mais cette clef future

du déchiffrement des hiéroglyphes lui ferma la porte qu’elle eût pu lui ouvrir. Kircher en effet voulut voir dans le copte cette écriture épistolographique et populaire de l'Egypte ancienne dont parlaient les textes grecs. En imaginant que ce que l’on

appelle aujourd’hui le démotique, et qui n’est que l’extrême simplification, pour une

écriture cursive, des caractères hiéroglyphiques, recourait aux lettres grecques, il consolidait jusqu’à l’opacité complète la frontière, déjà trop marquée,entre le pho-

nétique et le symbolique. L'opposition de démos et de hiéros, dont on n’a pas fini de repérer la constance, l’aveuglait donc sur ce démotique d’Hérodote et Diodore

que Clément appelait épistolographique ; elle le rendait, en revanche, d’une clairvoyance parfaite sur le hiératique qu’il définit comme «cursive des hiéroglyphes». On

lique

On

voit

qu’étaient

comment,

censés

en

sacralisant obstinément

constituer

les

Horapollon, la lecture néo-platonicienne

hiéroglyphes

cette

manquait

le modèle

éclairés

Les

originel, bien entendu,

La distinction entre l'écriture sacrée et l'écriture populaire (hiéra et dèmo-

ces conditions,

pourquoi

il se jette, à raison perdue,

«lecture». Que Ron premier ouvrage sur 1a question, le Prodromus

hiéroglyphes sont bien une écriture mais non l'écriture composée mots,

noms,

et

parties

du

que

pareil

a

discours

déterminées

dont

nous

de

usons

en général : ils sont une écriture beaucoup plus excellente, plus sublime et plus proche des abstractions, qui, par tel enchaïnement ingénieux des symboles, ou son équivalent, propose d’un seul coup à l'intelligence du sage un raisonnement complexe, des notions élevées ou quelque mystère insigne caché dans le sein de la Nature ou de la Divinité (30).

par

L'occultation confirmée

nouvelle

lettres,

mais aussi le modèle substitutif. Les conséquences de cette obstination ne sont pas minces, et sur l’histoire de la lecture du modèle en question, et sur celle de ses avatars. 1-3

dans

l'étude scientifique du copte et celles de l'interprétation la plus follement inventive des hiéroglyphes n’est pas une rencontre fortuite mais une connexion nécessaire. On ne s’étonnera pas de retrouver, comme principe de déchiffrement de ces derniers, la thèse néo-platonicienne :

d’écriture symbo-

prétendument

mieux,

Coptus sive Aegyptiacus, qu’il publie en 1636, pose en même temps les bases de

«hiéroglyphe» (25).

le Modèle

comprend

dans le déchiffrement des hiéroglyphes : sa connaissance du copte joue comme une caution scientifique qui tout à la fois libère et garantit sa démarche intuitive dans

et qui en est malade, pour le basilic ;ou un roi qui fuit l’homme bavard, pour l’éléphant

et le porc (24)... Ficin, prudent, n’avait cité que le deuxième

par Clément à l’hiéroglyphique et à la symbolique (28). Sa division ne

reflète pas la réalité scripturale de l'Egypte de son temps, mais peu importe : Tous ces classements se recoupaient pour dire où passait la ligne de démarcation, entre le profane et le sacré, entre l'écriture cursive et la figure symbolique. Que l’on ajoute à cette dichotomie, explicite ou implicite, le glissement ficinien, et l’on voit s’ouvrir la voie où se perdit Athanase Kircher ; que l’on s’y tienne simplement, comme Warburton, et le signe, toujours, ne se peut entendre. Il n’est pas impertinent d'intégrer à ce repérage de la réception à la Renaissance du modèle hiéroglyphique les errances, érudites et prolixes, du Père Athanase

On

imagine

aisément

ce

Aegyptiacus que Kircher ne publia qu’en

priori

put

donner

dans

cet

Oedipus

1652-1654, dépensant une érudition ency-

clopédique pour retrouver cette mentalité égyptienne avec laquelle il lui faut, à tout

214

os.

Claudie BALAVOINE

Le modèle hiérogly phique

neuf à l’investigation, c’est qu'il cite, à l’appui de sa these, le même texte continùment exploité par les tenants des hauts mystères de la représentation hiéroglyphique :

prix, miraculeusement coifcider, puisqu’elle seule lui permet de (croire) tenir ce sens général sur lequel les signes hiéroglyphiques et le système symbolique prédéterminé mis en application par le déchiffreur découpent le sens. L'hypersacralisation de l’hiéroglyphe, dont il n’était pas alors concevable

qu’il pat dire autre chose que le sacré, et le dire autrement que par symboles, ne devait

pas, avec Kircher,

déchiffrement peut se lire comme

Enfin pour répondre à toutes les subtilités que le P. Kircher oppose à tant de témoignages (34), nous remarquerons qu'ils sont pleinement confirmés par l’excellent Traité d’Horapollo, qui regarde particulièrement les Anciens Hiéroglyphes, ou Hiéroglyphes propres. Tous ont rapport à la vie civile, et ne pouvaient jamais être employés aux spéculations abstruses de la Philo-

sa vérité scripturale. L'histoire de son

cesser d’occulter

l’histoire d’une désacralisation, et ce n’est pas

seulement la découverte fortuite d’une pierre à la triple inscription qui explique qu’il fallut attendre le XIXe siècle pour qu’il ait enfin lieu. Le Modèle devait perdre au préalable sa majuscule ; l'intérêt pour la Divine Sagesse et ses secrets, s’estomper, voire s’inverser ; le rêve d’une écriture transcendante procédant par symboles intuitivement perçus, à la fois universelle et secrète, céder la place à un autre, opposé et si semblable, celui de la Science. Car c’est sans jeu de mots que l’on passe du Modèle

à révérer

et

à suivre,

au

modèle

scientifique

: il suffit

d’ôter l’écran

sophie et de la Théologie (35).

Malgré cette critique vigoureuse et décisive des théories kirchériennes, Warburton est cependant à son tour victime de l'illusion symbolique. Ayant réussi à évacuer du signifié la dimension religieuse, il ne peut totalement en dépouiller le signe. Aussi est-il amené à réintroduire, sous l'influence probable de Clément d'Alexandrie, une catégorie hiéroglyphique qui rappelle fort la conception ficinienne, à la différence près, cependant, que l’on est redescendu sur terre, et qu’il s’agit désormais de la fabrication d’une écriture secrète et non plus de l'intuition des mystères divins :

du

sacré pour s'intéresser au système à l’œuvre ; reste à savoir si l’on ne fait pas alors simplement glisser le sacré de l’Exemple érigé en modèle au système permettant de rendre compte de tous les exemples. 1-4

La preuve par Warburton

Les errements de la lecture hiéroglyphique en témoignent exemplairement, et l’étape ultérieure que franchit Warburton au XVIIIe siècle illustre bien ce néces-

saire et laborieux renoncement à cette sacralisation impérialiste de l’écriture égyptienne ancienne (31). En replaçant en effet les hiéroglyphes dans une histoire générale de l'écriture, comme le stade intermédiaire entre les pictogrammes mexicains et l’abstraction des idéogrammes chinois, il devait du même coup cesser d’en faire un mode

d'expression Nous

avons

ésotérique vu

et sacré pour

les premiers

y voir enfin

commencements

des

une véritable écriture Hiéroglyphes

chez

:

les

Mexicains, et leur fin chez les Chinois. Parmi ces deux peuples ils n’ont

jamais

été employés

au Mystère et au Secret. Tenons

215

donc pour certain

que cette pratique qui a eu lieu en Egypte dans le temps intermédiaire

de leur progrès, est dûe à une cause extérieure, et est étrangère à leur nature (32).

Et il conclut, après avoir fait l’exégèse des textes de Jamblique et de Clément d'Alexandrie : Les Egyptiens donc employaient (...) leurs Hiéroglyphes propres à faire connaître 'nuement et simplement leurs Loix, leurs Réglemens, leurs Usages publics, et leur Histoire : en un mot, tout ce qui avait rapport aux matières civiles (33). La preuve qu'est intervenu un changement de mentalité qui permet de poser autrement le problème, alors qu'aucune découverte décisive n’a apporté de matériau

En effet, la méthode d'exprimer l’Hiéroglyphe tropique par des propriétés similaires, a dû nécessairement produire du raffinement, et du recherché, au sujet des qualités plus cachées et plus abstruses des choses : et un pareil examen, fait par des personnes dont le goût était alors de méditer sur des matières de Théologie, et de Philosophie, a naturellement occasionné une nouvelle espèce d’Ecriture Zoographique, appelée par les anciens Symbolique et employée au secret. Les spéculations sublimes auxquelles elle servoient l’exigeoient,et elle y était très-propre par Flélégance de ses figures (36). Warburton, on le sait, n’entrevit pas la valeur phonétique des signes hiéroglyphiques. La suite est connue, et nous ne poursuivrons pas ici l’histoire du modèle hiéroglyphique entendu comme un Modèle d'expression figurée. On a vu comment la lecture de la Renaissance, qui substitue le texte d’Horapollon aux témoignages monumentaux, infléchit jusqu’au milieu du XVIIIe siècle la perception des hiéroglyphes (37). Comment, en prenant le mot à la lettre, ce qui n’était pas a priori de

contestable méthode, on a épaissi ce «voile sacré» dont parlent Des MalpeinesWarburton et qu’eux-mémes, après l’avoir un instant écarté, laissent pesamment

retoraber sur le vrai secret des hiéroglyphes. On suivra à présent le jeu actif du modèle hiéroglyphique, non plus objet d’une contemplation ou d’une étude, mais déclencheur d’un processus créatif.

216

Il

-

Claudie BALAVOINE

DE

L’ECRITURE

MODELE

AU

MODELE

D’ECRITURE

Une remarque préliminaire s'impose qui justifie l’ordre hiérarchique ici adopté et oriente la perspective de ce chapitre à tous égards second: Les tentatives d’expression hiéroglyphiques de la Renaissance sont sans commune mesure avec exaltation sans réserve du modèle égyptien. Je veux dire que, contrairement à ce qui s’est écrit et se répète (38), elles restent très en deça. De ce hiatus indéniable et peut-être inévitable on donnera quelques preuves et quelques raisons. Il-1

L'écriture monumentale

Ce n’est peut-être pas un hasard si le projet voire l’essai d’une écriture hiéroglyphique se formule clairement, dès le XVe siècle, dans le champ de l'inscription monumentale, et dans lui seul. Car le modèle alors pour l'artiste n’est plus le texte, mais la surface de l’obélisque, non plus le symbole, avec ses irradiations de sens et la trop souple potentialité de ses avatars, mais le signe, précis, répétable, enchaïnable. De fait c’est le regard de l’architecte qui d'emblée perçoit le hiéroglyphe comme une

clairement en faveur d’une référence directe au modèle monumental c’est la syntaxe qu'il élabore. On peut juger la question secondaire (43) ; elle est, dans notre perspective, décisive. Non seulement, en effet, Horapollon ne livrait qu’un vocabulaire symbolique sans jamais suggérer les modalités de son intégration syntaxique, mais la relecture néo-platonicienne interdisait que l’on fit de ces divins symboles, réservés à l'intuition contemplative, l'instrument d’une pensée discursive. Or la syntaxe est, chez Colonna, toujours visible : l’ordre des figures, leur place, les nœuds et les liens qui les regroupent, picturalement la traduisent. Le rapport de génitif est, par exemple, rendu par l’adjonction à la figure d’une partie de l’objet complémentaire :

langage par hiéroglyphes. On ne peut douter que L. B. Alberti ait regardé avec une attention aiguë les vestiges égyptiens que Rome lui livrait à l’abandon (39). Le témoignage qu'il en donne dans le De re aedificatoria, trop souvent cité isolément, mérite d’être

replacé dans son contexte. Abordant en effet, au chapitre 4 du livre VIII, le cas des tombeaux, Alberti s’efforce de définir les caractéristiques de l'inscription idéale recourir

à l'écriture habituelle

ou

aux

piquante et chercher à atteindre ce lepiditatis miraculum

exemples.

C’est

alors que

sans transition

apparente

dont il livre quelques

il invoque

les hiéroglyphes

bronze dorées. Les un œil ils signifiaient roi, par un cercle le genre, et ils disaient

que chacun ne connaissait que son propre alphabet et qu’il viendrait un jour où la connaissance s’en perdrait comme on l’a vu chez nous pour les Etrusques...

de

liaison

vaut

ici

démonstration

: les

hiéroglyphes

constituent

une écriture, de qualité supérieure au système alphabétique car les caractères pictographiques restent toujours lisibles, mais capable, comme une autre, de raconter sur les tombeaux des histoires très humaines. Alberti suit en cela Ammien Marcellin sans qu’Horapollon, à supposer qu’il en eût connu le manuscrit, n’infléchisse l’angle de cette conception pragmatique. Cependant les exemples qu’il cite ensuite (le chien sur le tombeau de

Diogène, les guépes sur celui d’Archiloque), s’ils répondent parfaitement à la con-

natura

est exprimée

par

un

autel sur lequel se voit un œil (deus) et un

vautour (natura) (44) ; mais les «due pedi hircini sur lequel repose l’autel sont là

pour équivaloir la fonction génitive (45). La main qui tient la lampe à huile joue le

in his perquam odiosa),

Les anciens incrustaient dans le marbre des lettres de Egyptiens se servaient de signes de la façon suivante : par un dieu, par un vautour, la nature, par une abeille un temps, par un bœuf la paix et autres choses du même

L'absence

ainsi deo

signes et images (40) : elle doit

toujours être concise (nimia prolixitas cum alibi, tum maxime

cision épigrammatique qu’il impose à l'inscription funéraire, n’ébauch ent en rien une syntaxe hiéroglyphique sans laquelle il semble difficile que l'écriture en question puissent dire grand chose. Ce pas décisif est franchi à la même époque par un autre passionné d’archéologie et d’architecture, dans un ouvrage où le texte se fait, le plus souvent, pure description d’édifices et autres artefacts, subordination initiale qui laisse l'œil et l’esprit libres de lire/écrire des figures, On ne peut, en effet, éviter d’annexer pour démonstration le cas exemplair e, même s’il reste isolé, de Francesco Colonna, On ne reproduira pas ici les planches bien connues de l’Hypnerotomachia Poliphili (41). Mais l’on osera se demander, après la pertinente analyse de Giovanni Pozzi, comment joue ici le modèle en question. Il n’est pas certain, nous dit-on, que Francesco Colonna ait connu Horapoll on (42). Et, de fait, aucune des interprétations qu’il donne des figures décrites d’après des

monuments réels ou fictifs, ne rencontre le fameux texte. Mais ce qui parle le plus

écriture, alors qu’un Dürer, qui colle au Texte, utilise d’une toute autre façon le

qui peut

217

Le modèle hiéroglyphique

même rôle pour traduire le possessif dans vitae tuae (autrement dit vitae tui) ;l’adverbe

:

est toujours «attaché» au verbe qu'il contrôle, ainsi de I’ olivier fixé au timon pour misericorditer gubernando.

Ces exemples

suffisent à montrer comment la relation symbolique verti-

cale, exclusivement

valorisée

par le néo-platonisme

tative

Colonna

reste

d’accéder à la pensée divine, est ici zontale : la démarche du récepteur amené à projeter sur ces prétendus gage discursif dont justement, selon de

Francesco

ficinien

pour qui elle permet

complétée, et corrigée, par une relation horis’en trouve radicalement modifiée puisqu'il est hiéroglyphes (46) les structures mêmes du land’autres, ils feraient l'économie, Mais la ten-

sans

postérité

: seul après

lui à composer

des

inscriptions hiéroglyphiques, le Père Kircher, fidèle continuateur de l’appréhension intuitive pronée par le néo-platonisme, laissera tomber la syntaxe (47). On peut se demander pourquoi les déchiffrements du Poliphile, faux dans leurs exemples mais

Si près de la vérité de l'écriture égyptienne monumentale dans leurs principes (48),

ont ainsi tourné court. Deux autres avatars des hiéroglyphes, les emblèmes gravés par Dürer et les Emblèmes écrits par Alciat, apportent quelques éléments de ré-

ponse.

Claudie BALAVOINE

IL-2

Le modèle hiéroglyphique

Quand le signe se fait image On

pourrait

définir

une

bonne

partie

de la production

plastique

de la

Renaissance comme la transmutation de textes en images. I] n’est évidemment jamais

question alors de retrouver l’image originelle dont, parfois, le texte lui-même procède (49). L'interprétation des Hieroglyphica d’Horapollon par Dürer illustre avec éclat cette forme de détournement.

On doit à Karl Giehlow d’avoir identifié dans les dessins accompagnant une

traduction

latine

manuscrite

d’Horapollon

due

à son

ami

Pirkheimer,

la main

de

Dürer (50). Le fouillé du graphisme, volontiers réaliste, situe d’emblée cette très

libre interprétation aux antipodes de la stylisation hiéroglyphique. Il me paraït peu probable que Dürer ait alors entendu préparer une édition illustrée d’Horapollon. La reprise de certaines figures, comme le chien portant une étole, pour le portrait emblématique de l'Empereur dans l’Arc de triomphe gravé de Maximilien, suggère plutôt qu’il s’agit là d’esquisses jetées sur des brouillons de traduction que lui aurait passés Pirkheimer (51). Il semble établi, d'autre part, que les dessins qui accompagnent chaque «hiéroglyphe» du premier livre d’Horapollon dans la traduction latine du codex viennois (52) ne sont pas, à deux exceptions près, de la main de Dürer. Les deux découvertes convergent. Non pas pour déplorer, après Karl Giehlow, la perte d’une ou deux centaines de dessins originaux de Dürer, mais pour définir l'attitude de l’artiste à l'égard du modèle hiéroglyphique.

Que l’on se reporte au portrait bien connu de Maximilien. On peut aisément identifier aux pieds du monarque une tête de lion et deux pieds dans l’eau, soit, à

suivre

Horapollon

à la lettre, la vigilance et «une chose impossible», à entendre,

probablement, comme le dénominateur commun superlatif de toutes les qualités qu’additionnent les divers symboles : la grue étant la vigilance (à nouveau), le chien

Un abime heuristique sépare donc les hiéroglyphes du Poliphile de ceux d’un Dürer ou d’un quelconque illustrateur des Hieroglyphica. Dans le premier cas, la fi-

gure

est donn

e, par un bas-relief, une monnaie, voire un obélisque, et c’est le sens

qui se cherche-crée ; dans le second, le sens est proposé par un texte, et c’est la figuration qui librement s’invente. Dans.le premier, celle-ci doit non seulement être circonscrite à l’objet, et donc privée de tout décor, mais aussi se limiter aux marques minimales d’identification et donc exclure toute décoration superflue ; dans le second, rien ne lui interdit de multiplier les traits insignifiants, de s'intégrer dans un contexte

iconographique différent ou de s'accompagner d’un environnement proliférant et gratuit (57). La dichotomie du modèle hiéroglyphique est ainsi, au niveau de l’inter-

prétation plastique, patente : au signe égyptien du modèle originel, si peu suivi, s’ oppose

la fécondité du modèle intermédiaire qui lui est par la Renaissance si vite substitué, ce

texte horapollinien qui peut, lui, indéfiniment produire des images. Confondre ces deux directions ne peut qu’aboutir à un contre-sens sur la réception de l’une et de l’autre. C’est pourtant ce qui n’a pas manqué de se produire à propos des Emblémes.

Il. 3 De l'Hiéroglyphe à l'Emblème Entre ces deux concepts, à tort considérés comme deux réalités concrètes simples, et qui méritaient d’être au préalable précautionneusement définis, on a jeté

de bien hasardeuses passerelles. Il faut dire que les auteurs de livres d’emblémes, dont il sera maintenant question, avaient tout fait pour brouiller les pistes, et en tout premier lieu le père du genre, Alciat lui-même, qui eut le malheur de glisser sans

explication dans le De verborum

abusivement citée :

à l’étole signifiant la justice, le basilic qui couronne Maximilien, l’éternité, le taureau, la tempérance, etc. (53). L'organisation de ces «emblèmes» autour de l’empereur

significatione la phrase suivante, trop souvent et

Les mots dénotent, les choses sont dénotées.

Bien que parfois les choses

semble obéir à des raisons d’équilibte iconographique plus qu’à une mystérieuse syntaxe. Si l’on peut, à la rigueur, interpréter la place des deux pieds dans l’eau,

dénotent aussi, comme les hiéroglyphes chez Horus et Chérémon, sujet sur lequel j'ai composé un petit recueil en vers auquel j’ai donné le titre d’Emblemata (58).

comprendre «il s’assied sur la vigilance». La place des prétendus hiéroglyphes est,

La critique moderne a entériné cette déclaration et fait, sans autre forme de procès, des hiéroglyphes le modèle de I’embléme en s’appuyant sur les références répétées

précisément sous les pieds du monarque, comme : «il surmonte les choses impossibles», il est difficile de transposer au lion ce+te lecture de la sou-mission et de

de toute évidence, non signifiante. Ils ne sont pas à lire, mais à déchiffrer comme les figures d’un badge (54) ou le corps d’une devise multiple.

Telle est bien l'interprétation plastique qui prévaut à la Renaissance (55). Et l’on ne doit pas s’étonner que les gravures qui accompagnent la traduction française

des Hieroglyphica parue chez Jacques Kerver en 1543 soient si proches de la liberté

qui anime les figures de Dürer (56). Elles procèdent d’un même rapport au modèle

hiéroglyphique qui passe, désormais, par le texte, édité voire traduit, d’Horapollon. Le Texte revient donc perturber la possible attention aux signes. Mais que l’on ne s’y trompe pas : l'attitude de l'artiste qui traduit ce texte en images s'oppose radicalement à la spéculation néo-platonicienne ; elle ne prétend pas entraïner le regard

vers des mystères insondables mais offrir à la sagacité du lettré un code simple, à décrypter à l’aide du dictionnaire hiéroglyphique dont il peut alors disposer.

des emblématistes aux hiéroglyphes, le rôle de l’image et une apparente identité d'inspiration entre certains emblèmes et certains «hiéroglyphes» horapolliniens. Aucun de ces arguments ne résiste à un examen attentif.

Il est souvent dangereux de prendre au pied de la lettre les références complaisamment explicites. A partir d’Alciat la mention de l'écriture égyptienne et de sa divine sagesse est devenue un topos des introductions aux livres d’emblèmes. Mais il y est essentiellement question de secrets à interdire au vulgaire (59). L’éloge

de

l’ésotérisme

hiéroglyphique

s’inversera

d’ailleurs

logiquement

en critique a

la fin du XVIe siècle quand l'emblème, absorbé par des visées didactiques, se dégagera

de cette génante paternité (60). Paternité de toutes façons purement «spirituelle» puisque

limitation

du

prétendu

modèle

se fait de moins

en moins perceptible.

Mais l’image, dira-t-on. On notera qu’Alciat n’en fait pas mention, pas plus

220

Claudie BALAVOINE

que de la valeur énigmatique de l’écriture égyptienne (significare ne met pas l’accent sur l'énigme). Et pour cause. Au niveau de l’illustration, ce sont les emblémes qui servent de modèle aux «hiéroglyphes» horapolliniens et non l'inverse, comme on risque malheureusement de le laisser entendre en insistant sur l’édition illustrée de 1553 : celle-ci consacre effectivement à chaque «hiéroglyphe» une page où se superposent,

de haut en bas, une grande image, un titre énonçant de manière concise le concept

ainsi illustré et un texte en prose expliquant la correspondance des deux ; mais elle ne préfigure pas pour autant l’emblema triplex (61). Les dates sur ce point ne laissent aucun doute. Ce sont les Emblemata d’Alciat, plus précisément l’édition Wéchel de 1536, et l’Hécatomgraphie de Corrozet parue en 1540, où chaque emblème surmonté de la gravure correspondante occupe une pleine page, qui servirent de toute évidence à Jacques Kerver de modèle. Quelque chose passe, cependant, de l’«hiéroglyphe» à l'emblème, mais les guillemets sont ici essentiels, car la fécondation se fait de texte à texte, exclusivement. Alciat le disait bien, qui référait son œuvre à Horus (Horapollon). Il faut

malgré tout y regarder de plus près : le modèle en question ne se repère peut-être pas où on l’attend, où on l’a vu, dans la reprise emblématique des res hiéroglyphiques. Il est indéniable que l’on peut citer Horapollon à propos de plus d’un emblème, et les commentateurs d’Alciat, dès le XVIe siècle, ne se sont pas privés de le faire. On trouve de fait, dans les Hieroglyphica, le lion qui dort les yeux ouverts pour symboliser celui qui veille (1, 19), le taureau qui ne couvre jamais la femelle

après qu’elle a conçu, pour la tempérance (I, 46), la mouche pour l’effronterie (I, 51),

le porc pour l’homme vicieux (II, 37), la cigogne pour l’amour filial (II, 58), la vipère pour la haine du mari (II, 59) et le matricide (II, 60) ... Mais il faut préciser : 1° - que dans pratiquement tous les cas on peut indiquer une autre source dont les

emblèmes semblent souvent plus proches, glyphes» les plus utilisés sont précisément fin du livre Il ; 3° - que le plus souvent l'emblème à un autre signifié, ou l’inverse,

tels les naturalistes ; 2° - que les moins égyptiens, comme le signifiant «hiéroglyphique» pour peu que la signification

heurte la tradition culturelle occidentale. Ainsi aucun emblème

221

Le modèle hiéroglyphique

les «hiéroceux de la est lié par du modèle

ne fera du pélican

le symbole de l’insensé et de l’impudent (I, 54). Sans aller jusqu’à une inversion

aussi radicale de la référence horapollinienne, Alciat, qui connaît bien ce texte (62), se plait à donner au signe «égyptien» une toute autre lecture. Ainsi pour le castor (I, 65), «l’homme qui se fait du tort en se mutilant lui-même», qui devient chez lui l'emblème de la rançon salvatrice (63).

On pourrait multiplier les exemples de ces écarts mais il serait tout aussi hasardeux d’en conclure trop vite qu’ils réfutent la thèse généralement admise des

Hieroglyphica modèles des emblèmes. Ils permettent au contraire de n’évacuer la notion de modèle que pour mieux la réintroduire, en la détachant de celle de source à laquelle” trop volontiers on la réduit. Si les Hiéroglyphes d’Horapollon ne constituent pas une source importante des emblèmes, ils n’en jouent pas moins, ils n’en jouent que plus, à leur égard, le rôle de modèle.

C’est au niveau de la structure du texte grec qu’il faut chercher le modèle

des recueils emblématiques. Dans l’organisation, ou plus exactement l’absence apparente d'organisation, d’abord:ce désordre des signes ne pouvait manquer d’appa-

raître, à une époque éprise de docta varietas comme une élégance à suivre. Enfin, et surtout, c’est la structure de chaque «hiéroglyphe» qui conisitue un indéniable pattern pour l’épigramme emblématique, sans que le titre, ajouté par les éditeurs, soit même en cause (65). Enoncé du symbole, énoncé de la signification, explication de la relation, telle est la véritable tripartition qui structure tout «hiéroglyphe» et, après lui, tout emblème. Tel est l'apport nouveau et irrésistible des Hieroglyphica, cet argumentum des Emblemata, ce modèle de langage : non l'éventail des objets symboliques dont une part était trop exotique, l’autre connue par d’autres sources, non la liste banale des concepts qu'ils signifient, mais le lien syntaxique, ce parce que, qui fait pour la Renaissance la réelle supériorité de l’écriture hiéroglyphique, où les signes ne sont pas arbitraires mais toujours explicables. On s'arrêtera là, à cet impact de la structure «hiéroglyphique», car peutêtre, à tout prendre, la juste réponse se trouvait-elle incluse dans la question du Modèle, qui impliquerait - toujours ? - la mise en jeu d’une structure. I - 4 Jeux d'écriture

On se trouve ainsi amené de la notion de Modèle à celle d’Ecriture, circonscrite par ses modèles mêmes. Car ces contre-sens sur l’hiéroglyphe et ces clivages

dans les divers modes d'expression qu’il engendre quadrillent en fait le champ limité

des inventions scripturales et l’on ne doit pas s'étonner qu'ils rencontrent parfois, par hasard et par nécessité, la vérité du signe égyptien. On sait, en effet, que contrairement à une erreur trop communément

répandue, la part du phonétique n’y est ni exclusive ni même prépondérante puisque le caractère idéogrammatique de l’hiéroglyphe est originel, persistant et spectaculaire. Originel parce que chaque signe,ou presque, peut signifier l’objet qu'il représente (66) : persistant

parce

que

le graphisme hiéroglyphique

se perpétue

dans

|’inscription

monumentale jusqu’au IVe siècle de notre ère (67) ; spectaculaire parce que la fréquence des homophones exigeait la présence didéogrammes qui déterminaient le sens exact du groupe de signes a valeur phonétique et souvent les dépassaient en taille (68). Quand a nombre

ces demiers ils se subdivisent en caractéres exclusivement phonétiques, en

sensiblement

égal a celui des lettres de nos alphabets, et en figures-rébus où

pour sa seule sonorité. un signe, qui peut aussi avoir valeur idéogrammatique, vaut

Ces didactiques explications visent bien à réintroduire la notion de modèle clos où trois modaen rappelant que l'expression graphique fonctionne en système

lités sont simplement possibles : ou bien les signes arbitraires n’ont (plus ?) rien à voir avec le sens, ou bien ils gardent une valeur symbolique, ou bien, figures prises

phonétiquement,

ils

participent

des

deux

catégories

précédentes.

L’hiéroglyphe

égyptien, pour combiner ces trois registres, s’avère donc bien, en définitive, le modèle global de tout système d’écriture (69).

On redescendra, pour conclure, de ce modèle général au modèle historique. La «lecture» de l’hiéroglyphe pourrait bien être exemplaire pour tenter de cerner la notion de modèle à la Renaissance. On y voit en effet s’y déployer la divinisation où elle sacralise, n’autorisant que du priscum., qui paralyse dans la mesure même

222

Claudie BALAVOINE

Padoration, à la rigueur la sympathie intuitive (70). Pour que l’utilisation du modèle devienne possible il faut, dans tous les cas, qu’une profanation ait lieu. Elle peut alors, et peut-être doit-elle aller très loin, jusqu’au dépeçage de l’objet modèle, texte ou signe, dont on intègrera des éléments dans un autre contexte ou dont on reprendra la structure ou la syntaxe, en changeant à plaisir le vocabulaire. Mais ces

deux attitudes, qui semblent pourtant s’exclure, convergent, en l'occurence, dans une même passion de la création. La première cherche en effet, à travers le mystère

hiéroglyphique, à entrevoir les secrets de la Création divine

spéculation XVIe

10

sur les Hieroglyphica

siècles, der

Kaiserhauses,

cf.

Karl

Renaissance...», XXXII,

Sur le probléme

se déploie

Giehlow,

«Die

Jahrbuch

surtout

en Italie au

Hieroglyphenkunde

der kunsthistorischen

XVe

et au début

des Humanismus Sammlungen

in der

der Allerh.

1, Vienne et Leipzig, 1915.

que pose la traduction latine de Pirkheimer illustrée par Diirer, cf. infra,

M, 2 11

; la seconde multiplie

Par le basilic (1, 1) et deux

corneilles (1, 9). Ce «titre» donne parfois le signifiant au lieu

du signifié : «Ce qu’ils signifiaient en écrivant le vautours» (I, 11). 12

un modèle même si, fondamentalement et à un autre titre, il ne finira jamais, pour lEcriturede l’être.

13

pour être enfin

La du

Allegorie

les possibilités d'écriture. Ce qui reste fermement - et délibérément ? - exclu c’est l'objectivité scientifique et la passivité que, d’une certaine maniére, elle implique. L’hiéroglyphe

223

Le modèle hiéroglyphique

Les 20 premiers hiéroglyphes du livre II sont, cependant dépourvus d’explications et l’on

attribue à Philippe généralement la fin de ce livre qui n’a plus grand chose à voir avec

lu devait à tous égards cesser d’être perçu comme

les hiéroglyphes authentiques et démarque les naturalistes.

1, 39. Cf.

Karl

Leipzig,

Giehlow,

op.

cit.

n.

9,

Ludwig

1923, reprint Nieuwkoop,

Egypt and his hieroglyphs, Copenhague, «Hiéroglyphe(s)»

Claudie BALAVOINE

Ennéades,

Volkmann,

Bilderschriften

der Renaissance,

1969, qui le résume, E. Iversen, The myth of Ancient 1961, plus rapide.

renverra désormais au(x) commentaire(s) d’Horapollon.

V, 6, traduction E. Bréhier. La traduction de Ficin paraît en 1492.

Cf. E. Iversen, op. cit. , p. 60 sq. Opera omnia, IL, p. 1768, , traduction André Chastel. C’est nous qui soulignons. Respectivement Ammien

des

Sur l’intérêt soulevé par la lecture des hiéroglyphes voir Madeleine V. David, Le débat sur

1965

les

écritures

et l'Hiéroglyphe

aux

XVIIe

et XVIIIe

et la réédition de la traduction, par Léonard

siécles...,

Paris,

avant

S.E.V.P.E.N.,

dés

des Malpeines, de Warburton, Essai

ici, sont

accessibles

dans la traduction anglaise de G. Boas, The Hieroglyphics of Horapollo, Bollingen series XXII, New York, 1950, et prochainement à travers la traduction française de 1553, Les sculptures ou gravures sacrées d'Qrus Apollon, Niliaque, éditée et annotée

par Claude-Françoise Brunon.

C’est le terme qu’emploie Des Malpeines dans sa traduction pour désigner chacun de ces «stades» de l'écriture, ed. cit., p. 103 sq.

On admet, avec

vécu sous

Zénon

Francesco Sbordone, Hieroglyphica,

Naples

1940, qu’Horapollon aurait

(fin du Ve siécle) et aurait enseigné dans une des derniéres écoles

paiennes d’Egypte ; sur Philippe on ne sait rien.

Cf. S. Morison, Introduction à C.C. Marzoli, Calligraphy, 1535-1885, Milan, 1962. Pour ces correspondances cf. F. Sbordone, op. cit. n. 4, et B. Van de Walle et J. Vergotte, «Les Hiéroglyphes d’Horapollon», Chronique d’Egypte, no 35-36, 1943. Le texte grec seul n’est jamais illustré. Mais le succès de l’édition Kerver de 1543 entraîne la reprise des bois pour la traduction latine de Jean Mercier en 1551.

Sur cette édition (ou plus exactement sur celle de 1553 qui la modifie légèrement) cf. M.F. Brunon, «Signe, figure, langage : les Hieroglyphica d’Horapollon » in L’Embléme à la Renaissance, Paris, S.E.D.E.S., 1982, p. 29-47, et notre discussion infra LE, 3.

XVII,

oiseaux

celui d’Horapollon, 1472

en

8-10,

fauves».

des

et

particulier

Diodore

Mais

sculptant

: «en

d’Ammien

manuscrit

Le

dans la traduction latine du

téres ressemblent

sur les Hiéroglyphes des Egyptiens, précédé de «Scribble» par Jacques Derrida et «Transfigurations» par Patrick Tort, Paris, Aubier-Flammarion, 1977. Les Hieroglyphica d’Horapollon, dont il sera beaucoup question

I, 19 ; 1, 70 ; Il, 4.

Marcellin,

nombreuses

les espéces

est connu

à Florence trois ans

de Sicile, dont les premiers livres sont connus

Pogge, est plus complet, cf. III, IV, 1 : «Ces carac-

les uns à diverses espéces d’animaux,

les autres aux membres du corps

humain, d’autres enfin à des instruments mécaniques». 21

De Iside, 10.

22

Cf. H. Sottas et E. Drioton, Introduction

23

à l'étude des Hiéroglyphes, 1922, ch. Vil. L'éternité par le basilic (1), l'univers par l’ouroboros (2), l’année par Isis ou ss palmier,

le mois par un rameau ou un croissant de lune, l’année en cours par le quart d’une aroure et l'âme (7). (3-4-5) ; le faucon signifie, entre autres, un dieu (début de 6) 24 25 26

Respectivement

I, 23

; IE, 61

; II, 87

; Il, 50.

d’ailleurs la signification puisqu'il fait de l’ouroboros, qui signifie En “i soma eal = le monde chez Horapollon, le symbole de l'éternité, loc. cit., n. 18. Hérodote

y consacre

une ligne en II, 36

; Diodore

est un peu plus détaillé en I,

Ixxxi,

4 et III, iii, 4. 27

Clément, Stromates V, iv, 20-21.

28

Porphyre,

Vie

de

Pythagore

II.

Ces textes sont

édités tardivement,

en

1550

are

D, Sr premier et seulement en 1610 pour le second. On sait qu'en fait les trois : ture (hiéroglyphe, hiératique, démotique) n’ont coexisté qu’à une époque assez, ues,s iau glyp yphiq hiéro érogl on cursive des caractères è mati sfor tran une , est qui tique hiéra iture L’écr els, à è elle sert aux documents offici apparaî les

hiéroglyphes : t en méme temps que seconds sont réservés à l’inslittérature, aux traités scientifiques et religieux quand les égénérescence de l'écricription monumentale. Quant au démotique c’est une sorte scat

: Ile siècle. ture hiératique, encore plus cursive et qui finit par la supplanter au I

224

Claudie BALAVOINE

29

Kircher

fut

chargé

de

la

publication

d’un

lexique

copto-arabe,

accompagné

d’une

grammaire, découvert par Pietro della Valle. 30

53

Respectivemem,

54

Sur

Prodromus p. 260-261.

31

Warburton religieux

(1698-1779)

était,

malgré

tout,

: prêtre anglican qui finit évêque,

lui-même

totalement

il publia d'importantes

Il ne pouvait donc accéder à une totale lucidité sur les hiéroglyphes.

engagé

dans

le

55

études bibliques. 56 -

Ed,

33

Ibid., p. 145.

34

Il s’agit des obélisques et du temple de Sais.

35

Ibid., p. 147.

36

Ibid., p.151.

37

Il faut attendre l’abbé Barthélémy pour que l’attention soit attirée sur les monuments : «Ces questions et tant d’autres semblables ne pourront jamais étre éclaircies par les témoignages des auteurs grecs et latins (...). C’est aux monuments qu’on doit recourir.»

(Recueil

«Sed On

d'antiquités

tituli erant les trouvera

Renaissance

égyptiennes,

étrusques,

grecques

et romaines,

publié

par

58 59

vautour pour

45 46

aut

scripti

quos



en

particulier

Giovanni

epigrammata

dans

Pozzi

L. Volkmann

leur

consacre

48 ao

51

chez Ammien où

nuncupabant,

Il

l’exemple

s’agit

en

fait, pour

au

-

aut notati signis et

p. 14-23 une

étude

et dans L’Embléme : «Les

hiéroglyphes

Triomphe

serait

presque

Pastoureau,

Traité

d’Héraldique,

Paris,

Picard,

de

César

tenté

par

d’y

Andrea

voir

une

Mantegna

influence.

cité

par

L. Volkmann,

Pour quelques

exemples

insignifiance des détails du décor est à ne jamais perdre de vue

fondamentale

musée

du

Capitole

verborum

significatione

La

positive

1530,

I, 16. à ses Symbolicarum

Bocchi

Quaes-

1555. cum

Emblemata

Boissard,

modéle

du

Lyon,

introductif d'Achille

Bologne, J.J.

de

l'introduction

référence

libri quatuor,

le poème

particulier

en

Cf.

61

-

hiéroglyphique

tetrastichis

demeure

Metz,

latinis,

jusqu’à

la fin du

1584.

XVIIe

qu’en

fit Giorgio

Valla,

la nature

cité,de

la

libre

/XCVII,

Ferdinand

une traduction latine des Hiero-

fait déceler un ordre par catégories de signifiants qui pourrait avoir été celui d’un lexique utilisé par Horapollon mais qu’il aurait perturbé faute de le comen

peut

On

prendre.

cf.

1546,

de

l'édition

retrouve

l’on

que

cependant

notera

On

surtout a

d’Alciat,

assez comparable de titres portant sur le signifié

proportion

une

les Emblemata

dans

et de titres donnant le signifiant. signe

Chaque

effet

en

peut

représente,

qu'il

l’objet

signifier

pour

même

toujours

| les dieux et le plus souvent pour les figures humaines complètes. L'écriture hiéroglyphique persiste jusqu’à la fin du IVe siècle, alors que sa version

67

iv, 8-11.

d’une

cit., p. 29.

l'élève de F. Fasanini qui donna

Embl. CLII «A ere quandoque salutem redimendam».

-

de

cursive subit une importante évolution cf. n. 27.

Natura).

interprétation

qui était à cette époque de

XVII,

Brunon, art.

glyphica.

63

65

latine

Cf. C.F.

Il fut à Bologne

62

à la

68 frise

unanimement

-

romaine

tenue pour

duction de l’Oedipus Aegyptiacus (reproduit par M. V. David, op. cit., n. 1. Sur la valeur idéographique des hiéroglyphes cf. infra II, 4. Ce qui n’empêche évidemment Pas qu'en dehors du texte la reproduction du modèle plastique se fasse parfois très étroite.

Vienne, Hofbibliothek, n° 3255, C’est très probablement la traduction dont Pirkheimer,

dans une dédicace à Maximilien du printemps 1515, dit qu'il l’a achevée depuis un an.

le

qu’on

nom

donne

leur

de

|

«déterminatifs».

en

le scribe

haut,

équilibrait

groupait

l’ensemble

par

souvent,

l’idéogramme

en

-

les

pouvaient

mots

Geoffroy

Tory,

à propos

des

Egyptiens

qui

dans

rébus en

(1529,

Champfleury

: «telle façon

avaient

toutes

de

at

les superposant, les signes |

déterminatif

grand que les autres signes. 69

Comme

s’écrire indifféremment de gauche à droite et de droite à gauche, de haut shales et et

f° 426)

Resverie

leur Ceremonies

(70) -

; facilement

voit

qui

se trouvait

ainsi plus

en fait juste quand

... fut premièrement escriptes,

afin que

il écrit

inventée des le vulgaire

et

isi leurs secrets et mystères». Sçaisir les ignares ne pussent entendre ne er ne forme infé rieure Mais les rébus sont trés vite traités avec condescendance comme u

Cf. op. cit., introduction. Repris par L. Volkmann, op. cit., p. 82-93,

L'écriture qui se lit au verso des dessins, et qui a été identifiée par K. Giehlow comme celle de Pirkheimer, est en effet beaucoup plus irrégulière et raturée que ses lettres

D’ot

de bas

III qui figure dans l’intro-

autographes.

52

Giehlow

Voir

60

64

Marcellin, Histoires,

Pan symbolise

égyptienne cf, L. Volkmann, p. 15 sq. On connaît son «obélisque» en l’honneur

ro Ie

50

la nature

Cf. Alciat, Emblemata,

conservée

K.

du

tionum.,.. libri quinque,

le

«Le fonctionnement de la syntaxe ne posait pas de problémes au moins dans le cas de transcriptions linéaires» (G. Pozzi, ibid., p. 16). L'œil pour dieu se trouve chez Macrobe, Saturnales, 1, 21, à propos d’Osiris et le

44

l'exemple cit., p. 27.

De

G. Pozzi, art. cit., p. 24.

43

; 1, 58 ; Il, 94 ; I, 40 ; I, 1 ; I, 44.

Michel

siècle, mais elle ne concerne plus le genre littéraire de l'emblème.

V'Hypnerotomachia Poli phili», p. 15-27. Il aurait pu cependant connaitre la traduction

42

badge,voir

dans l'interprétation de l’image emblématique.

imaginibus.»

41

Cf. op.

Cette

57

(op. cit.). Il aurait été, en particulier, à l’origine du projet de Nicolas V de remise en honneur de certains obélisques (cf. K. Giehlow, op. cit. p. 30-31).

40

Hieroglyphica,L19 de

ou L. Volkmann, op. cit., p. 68.

A la suite de K. Giehlow et L. Volkmann

39

notion

de cette illustration voir, en attendant l’édition de C.F. Brunon, son article cité n. 8

n. 1, p. 117.

comte de Caylus, I, p. 69). 38

la

1977, p. 62 et 218.

32

cit,

225

Le modèle hiéroglyphique

d’écriture. Nous reviendrons ailleurs sur ces jeux d’écriture. ve à sais Sur une attitude comparable à l’égard du Modèle poetique notre

art.

«La

Poétique

de J.C.

:

Scaliger

; Se i

ir Virgile

- cf.

inaire» in La : pour une mimèsis de l’imag

d Statue et Il'Empreinte..., edd. C. Balavoine et P. Laurens, Paris,i Vri in,

1986.

TABLE

CO

UME PROPOS;

iront

Jean LAFOND

BA

NOTION:

MODELE

DES

ET

DE

MODBIF

MATIERES

tale

Rai

202 Soe occa sess

cat

e

INTERPRETATION

Joél H. GRISWARD FROISSART ET LA NUIT DU LOUP-GAROU la «fantaisie» de Pierre de Béarn : modèle folklorique ou modèle NUTT) Cl te, cc cm eee ee Cure Era Sa à ett te:

André LASCOMBES THEATRE ET MODELE DANS L’ANGLETERRE DES TUDORS Jeux du modèle et modèles du jeu .....................

35

Jean-Claude MARGOLIN

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FONCTION DE MODELE DANS LA PENSEE CREATRICE BOVELLEST. TRE den à de ee g

Catherine CHEVALLEY

KEPLER

MODELE

ET

LE

ET

MODELE

ASTRONOMIQUE

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Pierre AQUILON UN PAROISSIEN MODELE. Tours, 1562 André STEGMANN LE MODELE DU PRINCE... MODELE

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91

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101

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117

PRODUCTIVITE

Jean-Louis BAILLY

MODELES

77

NORME

Alain COLAS ENTRE LA NOBLESSE ET LA BOURGEOISIE. UN MODELE SOCIAL AU XVe SIECLE : LES OFFICIERS DU ROI ....

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CHEZ

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Pierre BEHAR LE MODELE DANS tes ue ae

LA DRAMATURGIE

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Denis L. DRYSDALL ALCIAT ET LE MODELE

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DE L’EMBLEME

Pierre LAURENS

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DU MODELE IDEAL AU MODELE OPERATOIRE LA THEORIE EPIGRAMMATIQUE AUX XVIe et XVHE SBC LE PS PR es ME, PERS Claudie BALA VOINE LE MODELE HIEROGLYPHIQUE

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A LA RENAISSANCE

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Imprimerie de la Manutention à Mayenne — 14 avril 1986— Ne9443