Le cinéma de Daniel Kamwa: Parcours esthétique et identitaire 2296130488, 9782296130487

C'est l'un des meilleurs comédiens et réalisateurs africains. Le public l'a découvert dans les années 70,

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French Pages 177 [167] Year 2010

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Le cinéma de Daniel Kamwa: Parcours esthétique et identitaire
 2296130488, 9782296130487

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Le cinéma de Daniel Kamwa Parcours esthétique et identitaire

CHARLES SOH T.

Le cinéma de Daniel Kamwa Parcours esthétique et identitaire

L’HARMATTAN

© L'HARMATTAN, 2010 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-13048-7 EAN : 9782296130487

A Mongo Beti, le passant… la trace...

Remerciements Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont, à des degrés divers, aidé et soutenu dans l’élaboration de ce livre : Jean-Marie Mollo Olinga, Françoise Guerin et Maurice Canta pour leurs suggestions. L’auteur

Figure 02 D. Kamwa Produire comment ? Pour qui ? Pourquoi ? Les enjeux sont importants. La première difficulté est de réussir à faire des films susceptibles de reconquérir un public habitué à consommer des spectacles n’offrant le plus souvent qu’un cocktail dévastateur de violence, de pornographie et de dépravation. On a, pour ainsi dire, à sauver de la perdition toute une jeunesse qui a subi un sérieux lavage de cerveau. Daniel Kamwa

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Avant- propos Mars 2008. Nous échangeons chaleureusement et amicalement à l’entrée du cinéma théâtre Abbia à Yaoundé. Nous venons d’assister à la projection de Mâh Saah-Sah, le dernier film de Daniel Kamwa. Certains saluent le génie de l’artiste réalisateur. D’autres font le silence, sceptiques. Les propos élogieux se mélangent aux critiques. Le débat s’anime. L’interrogation est là, elle est au cœur de toute œuvre artistique. Les amis, universitaires et cinéastes que j’ai invités à cette soirée pour m’aider à comprendre cette dernière trouvaille de Daniel Kamwa afin de l’inscrire dans son parcours artistique global sont unanimes, au terme du riche échange, pour dire qu’un film sera toujours plus que ce qu’on pourra en dire. Les mots évoquent en effet assez difficilement la séquence, le raccord d’un plan récolté sur le vif de l’action, la profondeur de champ. Si une image vaut mille mots, ne vaudrait-il pas mieux, de temps en temps, s’asseoir et poser des questions sur ces images qui en elles-mêmes sont porteuses d’interrogations et de propositions ? N’est-il pas normal de susciter des réactions, des sentiments, des verbalisations, des réflexions… des livres aussi, autour des films ? De partager et échanger des mots en prolongeant la profondeur de certaines œuvres cinématographiques dont la durée de vie serait éphémère si les spectateurs et les chercheurs ne s’en appropriaient pas? Il s’agit ici, dans ce modeste ouvrage, de proposer, pour les générations actuelles et à venir, une expédition esthétique dans l’œuvre de Daniel Kamwa, et une synthèse actualisée des propos autour du cinéaste. Nous avons retrouvé et condensé dans cet ouvrage ses paroles et ses écrits, ainsi que la plupart des textes publiés sur ses films des années 70 à ce jour. Nous avons tenté d’éclairer, de creuser la filmographie de l’artiste sans prétendre aucunement à l’exhaustivité analytique. Esthétiquement et thématiquement, nous avons navigué au fil des films de Daniel Kamwa pour les comprendre et alimenter la lecture filmique par l’écrit. Nous espérons ainsi susciter un échange nourri entre le livre, les films, le milieu éducatif et le public cinéphile, cet ouvrage a pour objectif de répondre à quelques questions essentielles, parmi des milliers, dont les suivantes : si le nom de Kamwa est connu dans le milieu cinématographique camerounais, africain et international depuis des années, que savons-nous réellement des singularités précises de son œuvre ? Quelles démarches esthétiques et identitaires en rejaillissent ? 11

Daniel Kamwa est venu au cinéma tout à fait par hasard. Il a commencé sa carrière comme acteur de théâtre en suivant, dès 1966, une formation de comédien. Il a ensuite joué divers rôles dans plusieurs pièces de théâtre en France, en Belgique, en Italie, en Iran et un peu partout en Afrique. Il s’est accompli en devenant réalisateur et en jouant le principal rôle dans la plupart de ses films. En même temps, il prêtait sa voix pour doubler les films américains. Au-delà des défis relevés par le talentueux cinéaste, qu’a apporté le cinéma de Daniel Kamwa dans l’imaginaire collectif des Camerounais, des Africains et de la communauté internationale des cinéphiles? Que pouvons-nous toucher, goûter, regarder et sentir dans ses films ? Par quel fragment ? Quelle écoute ? Quel angle ? Quel éclairage ? Comment recoller les morceaux sans dénaturer l’œuvre originale ? Comment relier et intégrer des films qui s’étalent sur une quarantaine d’années dans un continuum d’idées, de déroulement d’une pensée cohérente ? Comment capter cette pensée sans prétendre détenir d’illusoires vérités ? Tel est le propos de cet ouvrage : Formuler et répondre humblement à quelques interrogations autour du parcours de l’artiste Kamwa en nous défendant d’admirer béatement, ou d’attaquer bêtement ses films.

Charles SOH T.

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I. Le cinéma au Cameroun : naissance et premiers pas Les historiens situent la naissance du cinéma camerounais autour des années 1960 avec la sortie de Point de vue N°1 de Urbain Dia Moukouri. Un peu avant, en 1963, Sita Bella et Jean-Paul Ngassa avaient réalisé, avec la collaboration de réalisateurs français, respectivement Tam-Tam à Paris et Aventure en France. Ces trois oeuvres ont stimulé d’autres jeunes cinéastes, notamment Thomas Makoulet Zanga et Loïse Lecourt Nkoua, qui ont à leur tour réalisé une série de courts métrages entre 1968 et 1972. La trajectoire historique du cinéma camerounais est similaire à celle des autres pays d’Afrique francophone : création d’actualités (Cameroun Actualités), suivi de la mise en place de la première structure administrative de promotion du cinéma national en 1964. A partir de 1968, ces structures s’étoffent avec la création de la Direction de la Cinématographie en 1972 et le Fonds de Développement de l’Industrie Cinématographique (FODIC) en 1973. Grâce à cet organisme phare, le cinéma camerounais connaît ses heures de gloire. La créativité est en verve, la production est soutenue, les sorties sont régulières : Le prix de la liberté (1978) de Dikongue Pipa, Notre fille (1980) de Daniel Kamwa, Ribo ou le soleil sauvage de Henry-Joseph Nama (1978), Les Brûlures d’Urbain Dia Moukouri (1978). En une décennie d’existence, le FODIC dont le budget annuel s’élevait à 500.000.000 (cinq cent millions de FCFA), aide à la production de 41 films camerounais, ce qui place le Cameroun au deuxième rang en Afrique francophone, derrière le Sénégal, qui produit 53 films à la même époque. Même si on peut reprocher à ces films d’être majoritairement des courts métrages, on ne peut s’empêcher de reconnaître que pour un pays africain à peine sorti de la période coloniale (indépendance en 1960), c’était un signe encourageant pour l’avenir de la production cinématographique nationale, le court métrage ayant fait ses preuves partout ailleurs comme étant avant tout une école d’apprentissage du métier. Cet élan fut malheureusement brisé par la crise économique des années 1980 qui entraîna la fermeture du FODIC et le démembrement complet des structures d’aide à la production cinématographique au Cameroun.

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1. Diversité culturelle, Afrique en miniature Peut-on, doit-on parler d’un cinéma camerounais alors que le pays rassemble dans son espace géographique les cultures les plus diverses représentatives de la quasi-totalité des cultures et des peuples d’Afrique ? Situé au fond du Golfe de Guinée, le Cameroun est à la fois traversé par la zone sahélienne, la savane et la forêt humide et dense. Ses peuples sont, selon les régions, des pasteurs nomades, des éleveurs, de vigoureux cultivateurs sur les flancs des collines de l’Ouest, ou même des pygmées au fond des forêts du Sud et de l’Est. Dans cet espace se côtoient les peuples divers qui ont en commun d’appartenir au même pays. Chaque ethnie se reconnaît et trouve sa place dans cet espace pluriel, creuset d’échanges, de tolérance et d’harmonieuse cohabitation. Par-delà cette diversité réelle, il existe des éléments culturels constitutifs du socle de la nation, sortes de dénominateurs communs qui cimentent une unité profonde, enfouie dans los racines du terroir. Partout au Cameroun, en forêt comme en savane, on vénère les ancêtres, la piété est tournée vers le passé malgré la forte présence des Eglises chrétiennes (au Sud) et de la religion musulmane (au Nord). Dans ce pays, l’influence des religions classiques côtoie celle des cultes traditionnels. Au lendemain de l’indépendance, un réseau de villes s’est implanté au Cameroun (Douala, la capitale économique, Yaoundé, la capitale politique, Garoua dans le Nord, Bafoussam à l’Ouest, Bamenda dans le Nord-ouest et Buea dans le Sud-ouest), et le village rencontrait la ville dans un choc des cultures. La structure sociale traditionnelle était ainsi transformée par les nouveaux comportements liés à l’urbanisation. Chacun se sentait libre, tout se payait, les bidonvilles étaient plus nombreux, les emplois se faisaient de plus en plus rares. La situation n’a pas beaucoup changé aujourd’hui, bien au contraire. La population est jeune, surtout en milieu urbain, qui est celui du cinéma, car les premiers réalisateurs camerounais recherchaient leur public parmi les citadins, parmi la jeunesse enthousiaste des villes. Le réflexe didactique fait que ces premiers réalisateurs ont d’abord cherché à éduquer les masses au lieu de se mettre servilement à la remorque de leur clientèle comme c’est le cas en Europe et aux Etats-Unis. Ayant souvent fait de bonnes études à l’étranger et ayant été formés dans les écoles occidentales, ils revenaient pour puiser dans leurs racines les thèmes de leurs films : choc entre la culture occidentale et africaine, choc entre l’ancien et le nouveau, conflit de générations, etc.

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Dans cet environnement, le septième art s’est implanté presque au forceps, imposé par la seule volonté de quelques pionniers. On se serait attendu à ce que les légendes, les épopées de la forêt vierge et des savanes, les contes de fée inspirent les premiers films camerounais. Il n’en a rien été. En l’absence d’un art véritablement figuratif, le cinéma camerounais s’est d’abord voulu documentaire (raconter une histoire simple comme La grande case bamiléké, premier film de Jean-Paul Ngassa), puis s’est employé à éduquer les masses. 2. La formation des cinéastes camerounais Pour comprendre ce qui a pu apporter quelque matériau esthétique, technique et thématique au cinéma camerounais, il faudrait évoquer la littérature orale. Dans ce pays, souvent, le soir, au coin du feu, des histoires sont contées, des épopées sont récitées avec une certaine solennité. Les grands parents rassemblent leurs progénitures et leur font des contes à travers lesquels sont véhiculées des valeurs telles l’honnêteté, la bravoure, l’intégrité, au détriment des comportements avilissants come la fourberie, la lâcheté, le mensonge, etc. Dans la culture du Nord Cameroun où le griot joue encore un rôle important, l’art de bien dire est hautement prisé. Ailleurs, dans le Sud et l’Ouest Cameroun, beaucoup de fêtes sont marquées par des exhibitions de danses. Les deuils, les veillées funèbres, les mariages, les naissances, les baptêmes et la célébration de la nomination d’un parent à un haut poste de responsabilité dans l’administration sont autant d’occasions d’expression artistique, de danses, de chants, etc. C’est en fait autant de théâtres populaires animés par des professionnels traditionnellement reconnus, qui vont de village en village pour l’animation, en retour d’un plat de riz, de banane-plantain arrosé d’une bière et du vin de palme, et parfois aussi, d’un peu d’argent. Il y a à travers ces « ballets » une « histoire », une manière de faire, de vivre, d’envisager la joie, la tristesse, la souffrance et la mort. C’est une philosophie de vie traduite par le plaisir du mouvement, de l’émotion esthétique, de la communion des gestes et des musiques populaires reprises en chœur par les foules présentes. Cette philosophie de vie a inspiré bien des séquences des films camerounais sans en être le socle, ni le support permanent de sa source d’inspiration. Elle a surtout servi d’école de comédie à quelques acteurs et réalisateurs camerounais, dont Daniel Kamwa, qui a commencé sa carrière par le théâtre populaire avant de passer derrière la caméra. Ainsi, formés au théâtre, certains se sont rendus à l’étranger où ils ont suivi des formations pratiques (service d’information, télévision, comme par 15

exemple Thomas Makoulet), d’autres y ont suivi des stages (Daniel Kamwa au Cours Simon et chez Peter Brooks). Il y en a comme Arthur Si Bita qui ont une formation universitaire et sont venus au cinéma plus tard. Quelques autres ont suivi la « voie royale » des Ecoles de formation professionnelle aux métiers du cinéma en France. Beaucoup ont été acteurs et un petit nombre a été formé à Moscou, à Belgrade, à Rome ou au Canada. Ces formations ont-elles exercé une influence déterminante et durable sur la vision du monde des réalisateurs camerounais ? Si l’on considère qu’un artiste est toujours le fruit artistique de son environnement et du milieu qui l’entoure, force est de constater que les réalisateurs camerounais ont été à la fois influencés par l’0ccident, le souvenir de leur vie en Europe, et le socle, la culture africaine qui les a nourris. La plupart de leurs œuvres expriment cette dichotomie, ce conflit intérieur entre la culture africaine altérée, vernie par la culture occidentale. Leurs œuvres ont été composées soit pour satisfaire le public africain et aller dans le même sens que lui, soit pour s’opposer à lui et le choquer pour le conscientiser. Le public visé par les cinéastes africains est à la fois européen et africain, raison pour laquelle la plupart des films camerounais sont produits en français, langue comprise par l’intelligentsia nationale qui vit en ville et qui côtoie les Européens dans les salles de cinéma. 3. Un pays Babel Au Cameroun, le problème de la langue se pose avec acuité. Réalisateurs et acteurs sont évidemment des lettrés, la langue française ou anglaise leur est familière. Si au Sénégal trois ou quatre langues coexistent et en Côte d’Ivoire, une vingtaine, au Cameroun, on en compte une centaine. Pourquoi un cinéaste camerounais se priverait-il d’audience en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Togo, au Bénin ou en Algérie, pour le seul plaisir de faire entendre les dialogues en une langue locale du Cameroun ? D’autant que les citadins, qui sont en fait le seul public touché par les films, vivent dans des quartiers cosmopolites. Certains y parlent un français raffiné, d’autres, plus nombreux, parlent une langue véhiculaire quelconque (français de base, français camerounais, pidjin, etc.). Nous y reviendrons. 4. Les structures administratives Le cinéma camerounais a vu le jour grâce à la force de travail des pionniers. Il a par la suite été aidé par quelques structures administratives mises en place par le gouvernement. En 1964, en effet, le gouvernement 16

crée Cameroun Actualités, qui remplace une structure coloniale de production filmique qui existait depuis 1927 et qui avait notamment contribué à la production de films ethnographiques. Progressivement s’installent les structures administratives d’aide à la production, dont notamment, la création de la Direction de la Cinématographie au sein du Ministère de l’Information et de la Culture (1972), le tout culminant à la création du Fonds de Développement de l’Industrie Cinématographique (FODIC) en 1973. Notons que le FODIC n’entrera effectivement en activité qu’en 1977 avec le financement du deuxième long métrage de Dikongue Pipa, Le prix de la liberté. Dans le souci de rassembler tous les éléments de production filmique au même endroit et dans un cadre digne de ce nom, le gouvernement entame en 1979 la construction de l’immeuble du cinéma (celui qui abrite actuellement les Ministères de la Culture et de la Communication). Tout y était prévu. Ce bâtiment devait en effet abriter la Direction de la Cinémathèque, Cameroun Actualité, le FODIC, les services techniques, des salles de montage et des auditoriums ainsi qu’une salle de projection. Grâce au FODIC, le Cameroun était au peloton de tête des pays africains ayant compris que le cinéma était bien plus qu’un art, une activité économique à part entière pouvant générer des recettes par la billetterie et la taxe instaurée sur la projection en salle de films longs métrages. Rappelons brièvement les principales missions assignées par l’Etat au FODIC : - Produire les films cinématographiques camerounais sur financement direct avec le concours d’autres institutions financières (banques, etc.) ; - Réaliser les journaux filmés ; - Améliorer les conditions de distribution et de location des films au Cameroun ; - Construire et moderniser les salles de cinéma ; - Octroyer des prêts pour l’équipement des salles de cinéma ; - Equiper les laboratoires, les auditoriums, les salles de montage ; - Valoriser le cinéma camerounais en mettant à sa disposition diverses formes de soutien financier. Grâce aux actions du FODIC, le Cameroun disposait, dans les années 80, de près de 77 salles de cinéma sur l’ensemble du territoire national. Chaque province était dotée d’au moins une salle entièrement équipée pouvant abriter parfois plus de 500 spectateurs. La subvention de l’Etat qui était passée de 25 millions en 1977 à 500 millions en 1979, permettra 17

au FODIC d’acquérir un matériel de production à la mesure de ses ambitions, à l’époque, notamment trois caméras 16 mm, trois nagras et ses accessoires, 1 caméra 35 mm et ses accessoires, un groupe électrogène pour les tournages en dehors des centres urbains. Le FODIC va ainsi participer à la construction de cinq salles de cinéma et à la production de onze films : - 3 films de Dikongue Pipa (Le prix de la Liberté - 1978, Histoires drôles, drôles de gens - 1982, Canon Kpak-kum - 1981) - 2 films d’Arthur Si Bita (Les Coopérants –1982, Black Jesus1983) - 2 films d’Alphonse Beni (Anna Makossa – 1979, Saint Voyou1980) - 1 film de Daniel Kamwa (Notre fille- 1980) - 1 film de l’Abbé Nama (Ribo ou le soleil sauvage- 1978) - 1 film de Pie Claude Ngoumou (Medzang Beti – 1983) - 1 film de Jules Takam (L’appât du gain – 1982) - 1 film de Jean – Claude Tchuilen (Suicides- 1983) Cette belle envolée du FODIC parti pour faire du Cameroun le premier pays producteur de films au sud du Sahara est brutalement stoppée par la double crise économique et le manque subit d’intérêt au cinéma affiché par les autorités administratives. De conflit en conflit, le FODIC est finalement mis à mort et enterré en 1986.

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II. Daniel Kamwa

Figure 03 D. Kamwa

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C’est dans ce contexte de gestation douloureuse de l’art cinématographique au Cameroun que se révéla un cinéaste talentueux et inspiré, Daniel Kamwa. La question s’est posée de savoir quel réalisateur camerounais exprimait au mieux par la richesse thématique et esthétique de son œuvre les préoccupations et les enjeux culturels du Cameroun d’hier et d’aujourd’hui. En présence d’une centaine de films courts et longs métrages produits par les réalisateurs camerounais entre 1963 et 2008 (sortie de Mâh Saah-Sah de Kamwa), en présence de films étapes ayant marqué un tournant dans l’évolution de l’art cinématographique au Cameroun et en Afrique, de productions plébiscitées par le public et qui témoignent de l’état d’esprit d’une époque, d’un fait de culture, d’une identité culturelle spécifique, en présence des items nouveaux développés par la nouvelle vague (sida, drogue, violence, trafics divers) représentée par la génération intermédiaire : Bassek Ba Kobhio, Jean- Marie Teno etc., en présence de tous ces films et de leurs créateurs, force est de constater que, traversant les époques et les générations, Daniel Kamwa appartient à la fois à la première et à la dernière génération. Il est le trait d’union, l’élément constant qui scelle l’unité du cinéma camerounais avec sa culture, ses langues et son terroir.

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Figure 04 D. Kamwa et Manu Dibango en 1969

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1. Kamwa et l’identité du cinéma camerounais Les lendemains de l’indépendance furent marqués en Afrique noire par un vigoureux mouvement de recherche et de reconquête identitaire, de restauration symbolique de la dignité africaine. Les littératures, les arts, les lettres, notamment les romans contribuèrent avec brio à réhabiliter, à revendiquer les bonheurs et les joies de l’identité africaine. Au Cameroun, l’accession à la souveraineté nationale en 1960 se conjugua avec un extraordinaire foisonnement culturel. Ce moment postcolonial fut marqué par la volonté de réorganiser la mémoire collective pour faire vivre sur les écrans du Cameroun envahis par les films occidentaux, une autre histoire, celle du Camerounais, tournée au Cameroun, jouée par les Camerounais. S’il est vrai que les premiers films réalisés par les Camerounais datent des années 60, force est de reconnaître que Pousse-Pousse de Daniel Kamwa sorti en 1975 et Muna Moto de Dikongue Pipa (1975) marquent la véritable naissance du cinéma camerounais de fiction. Si les écrits avaient jusque-là porté la voix identitaire du Cameroun dans le monde, désormais, les images, les voix, les paysages, les décors vont à partir de ces instants « rétablir la vérité » d’un pays, de ses femmes, de ses hommes, de ses rêves, de ses indicibles espoirs, en rupture avec l’Afrique inventée par la mémoire coloniale occidentale. 1975, année de sortie de Pousse-Pousse, est située au cœur d’une période charnière dans l’évolution politique, économique et culturelle du Cameroun. Le Cameroun vivait un virage décisif marqué notamment par la réflexion des intellectuels sur l’identité culturelle camerounaise. Le cinéma contribuait à mieux comprendre cette démarche, ce souci d’identification des faits de culture qui aident à la définition de l’identité culturelle, « joli bouquet de fleurs »1 qui décore notre existence quotidienne, mais qui nous est devenu si familier que nous avons tendance à l’ignorer alors qu’il fonde notre être profond. Culture riche, diversifiée, qui va de l’art culinaire au mode d’habitat, des habitudes vestimentaires à l’organisation sociale traditionnelle et qui fonde l’existence communautaire au sein des différentes ethnies qui composent le puzzle camerounais. Si la littérature, la radio, les articles de presse avaient exprimé à loisir ce foisonnement identitaire, le cinéma, puissant outil de médiation iconique, n’avait pas encore investi ce champ et donné 1

Engelbert Mveng, L’identité nationale camerounaise, publication du Ministère de l’Information et de la Culture, juillet 1976, P. 27. 22

par la pleine mesure de son talent spécifique sa contribution à ce bouillon. En 1975, les films de Daniel Kamwa (Pousse-Pousse) et de Dikongue Pipa (Muna Moto) arrivaient à point nommé pour répondre à l’appel du terroir et faire en sorte qu’on découvre le Cameroun en vrai à l’écran, et que chaque culture ethnique constitue un maillon nécessaire du complexe culturel collectif du Cameroun profond. Cette éclosion du cinéma camerounais par ces deux longs métrages donna un coup de fouet à la production nationale. A cette époque, le Cameroun apparaissait en Afrique comme un modèle en matière d’organisation cinématographique. Appartenant à la fois à la première et à la dernière génération, Daniel Kamwa est le trait d’union, l’élément constant qui scelle l’unité du cinéma camerounais depuis ses débuts jusqu’à nos jours. Ses films définissent cette identité et traduisent parfaitement ses mutations, ses doutes, ses hésitations et ses difficultés de toutes sortes. En effet, en dehors des romans, et dans une moindre mesure de quelques pièces de théâtre qui racontent le Cameroun, nulle part ailleurs que dans les films de Daniel Kamwa, on retrouve enregistrée par l’œil de la caméra, la manière de vivre, d’être, de se comporter, de parler, d’agir qui est le reflet évident de l’héritage culturel du Cameroun profond. C’est dans ces films qu’on retrouve, repris à l’écran, les thèmes du divorce, du conflit de générations, du conflit interne qui fait rage chez les jeunes de 20 à 30 ans, entre leur identité culturelle africaine et les valeurs étrangères acquises à l’école et en milieu urbain.

Figure 05 Une scène de Boubou Cravate 23

2. L’homme et l’œuvre Né à Nkongsamba le 14 avril 1943, Daniel Kamwa qui vit à Paris fait partie de cette catégorie des cinéastes contraints de vivre à l’étranger pour exprimer pleinement leur talent. Comédien, réalisateur, scénariste, il appartient à la grande lignée des auteurs/réalisateurs, hommes-orchestres qui portent seuls leurs projets de film. Il commence sa carrière en tant qu’acteur au théâtre. Artiste au sens complet et authentique du terme, Kamwa a suivi des cours d’art dramatique au Centre International de la Recherche Théâtrale Peter Brooks, puis au Cours Simon et à l’Actors Studio. Il est également diplômé de l’Académie Internationale de la Danse où il a suivi une formation de danseur. Désirant exprimer l’identité culturelle de son pays d’origine, Daniel Kamwa passe derrière la caméra et devient l’un des pionniers du cinéma de fiction au Cameroun. 3. L’homme de théâtre Venu au cinéma par le théâtre, Daniel Kamwa a suivi dès 1966 une formation de comédien et il a joué divers rôles dans plusieurs pièces de théâtre en France, en Belgique, en Italie, en Iran, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, etc. Il a aussi prêté sa voix au doublage des films. En tant qu’acteur et metteur en scène au théâtre, il a joué dans de nombreuses pièces dont voici les principales : - Une saison au Congo (mise en scène de Jean- Marie Serreau) - Le marchand de Venise - Le Manège (avec Marpessa Dawn) - Un garçon de la bande (avec Gérard Depardieu) - Ciel… où sont passées les dattes de tes oasis (Avec Roger Hanin) - Madame (de Rémo Forlami) - Le testament des chiens - Dames souris, êtes-vous là ? - Les Voisins - Orghas (mise en scène de Peter Brooks en Iran) 4. L’homme de cinéma Lors du concours lancé par le FESTAC (Festival des Arts Nègres et de la Culture), Daniel Kamwa sort de l’anonymat en remportant le premier prix d’un montant de vingt millions de francs CFA qui lui permettra de réaliser son premier film, Boubou cravate, en 1973. 24

Avec Pousse-Pousse, son film événement, il accède à la notoriété internationale. Malgré ses occupations, Daniel Kamwa trouve encore aujourd’hui le temps de poursuivre sa formation, notamment dans le domaine du cinéma virtuel. Son œuvre est riche et variée. En plus de 40 ans de carrière, Daniel Kamwa a réalisé onze courts métrages et quatre longs métrages. 2007/2008 : Production/Réalisation de Mâh Saah-Sah, fiction 92 min. 2004 : Divers exercices de styles en DV et HDV – Prises de vues suivies de montage. 2002/2003 : Formation à la prise de vue et au montage sur système virtuel. Stages à TV5, chez VM Productions et à l’UNESCO. 1997/98 : Production/Réalisation de Le Cercle des Pouvoirs, fiction de 105 min. 1993/94 : Production/Réalisation de Totor, fiction de 91’ Sélection Cannes Junior 1995. Prix UNICEF James Grant. Fespaco 1995 1990/91 : Réalisation/animation de Vidéo-Lire, magazine littéraire 5 x 27 min. France2. 1986/87 : Messe à Mélen, documentaire de 11 min. - Label de Qualité CNC. 1983/84 : Les Fleurs du terroir, film d’entreprise de 19 min. pour l’ONCPB. 1982 : -> CAMAIR Dix ans d’essor, film d’entreprise de 45’ pour Cameroon Airlines. -> Nous les Fous du volant, docu-fiction de 10 min. commandité par l’Association des Assureurs Camerounais. 1981 : Production/Réalisation de : Notre Fille, fiction de 91 min. Prix d'Interprétation masculine à Carthage 1982. Danse Automate, Danse, documentaire-fiction de 6 min. 1980 : Production/Réalisation de AKUM, documentaire-fiction de 22 min. 1979 : Production/Réalisation de La Ligne de Cœur, fiction de 15min

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1977 « Les Dieux Noirs du stade » : Portrait de Chantal REGA. Production SFP. 1975 : Production-Réalisation de Pousse-Pousse, long métrage de fiction de 115 min. Grand-Prix du Meilleur Scénario 1974 au concours de l’ACCT. Ses meilleures réalisations ont été distinguées : Pousse-Pousse remporte le grand prix ACCT du meilleur scénario ; Notre fille gagne le prix d’interprétation au Festival du film de Carthage et Totor est sélectionné à Cannes Junior et obtient le prix UNICEF James Grand. 5. Kamwa, l’acteur Réalisateur doublé d’un excellent acteur, Daniel Kamwa a tenu les principaux rôles dans ses films et dans bien d’autres : Un gamin de la bute, rôle de boxeur Trafiquants d’armes, rôle de passeur Boubou Cravate - rôle de diplomate Pousse-Pousse - rôle de Pousse - Pousse Notre fille - rôle de ministre L’homme pressé - rôle de ministre, avec Alain Delon Le Cercle des Pouvoirs - rôle de journaliste A la télévision Vidéo-livre - créateur/animateur Zadig A la mémoire d’Hélène - rôle de commissaire, avec Roger Hanin Mon seul amour - rôle de médecin Kamwa, voix de doublage dans des films et des séries télévisées Brisco country Junior - rôle principal (série télé de 28 épisodes) L’ombre ou la proie- rôle de narrateur (cinéma) Gorilles dans la brume - le guide (cinéma) Primary color -le père de la maîtresse du président (cinéma) The legend of 1900, un voyageur (cinéma) Under cover, rôle principal (film télé, 6 épisodes) Michael Kael au Katengo- un journaliste (cinéma) 26

Early Edition, un journaliste (cinéma) The truth about Charlie (cinéma) Shadow chaser (cinéma) True crime (cinéma) Les nouveaux professionnels (cinéma) Path to paradise (cinéma) Urgences, divers rôles dans plusieurs épisodes (télé) Profiler, divers rôles dans plusieurs épisodes (télé) The Crow, divers rôles dans plusieurs épisodes (télé) Starsky et Hutch, divers rôles dans plusieurs épisodes (télé) Cette liste, qui est loin d’être exhaustive, témoigne de son riche parcours. Il pratique aussi plusieurs disciplines sportives, à savoir : l’équitation, le judo, le karaté et l’aïkido dont il est ceinture noire. Il s’adonne également à la danse africaine moderne et au jazz. A ses heures perdues, il est chanteur, batteur et percussionniste dans un orchestre.

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III. Au fil des films 1. Boubou Cravate ou l’histoire du Nègre parvenu

Figure 06 Une scène dans Boubou Cravate

BOUBOU CRAVATE BUBU-TIE Fiche technique et artistique : Production : Réalisation : Nouvelle : Scénario-Dialogue : Camera : Musique : Interprètes :

DK7 & CIA Paris Daniel KAMWA Francis BEBEY Daniel KAMWA Robert CHATEAU Francis BEBEY & classiques Marpessa DAWN ; James CAMPBELL ; Françoise PETIT ; Daniel KAMWA ; Max AMYL…

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Synopsis : Un diplomate africain de retour au pays natal après un long séjour en Europe se retrouve assis entre deux chaises : « moitié boubou - moitié cravate ». Grâce à la magie du masque et du tam-tam, son domestique lui fera subir une nouvelle initiation à sa culture ancestrale lui permettant de se définir en tant qu'être rattaché à une culture originale. Adapté d’une nouvelle de Francis Bebey intitulée Jimmy et l’égalité, Boubou Cravate est le premier court métrage de Daniel Kamwa. Sorti en 1973 en caméra 35, ce film de 30 minutes met en scène un jeune diplomate camerounais écartelé entre les habitudes de vie d’Europe et les traditions africaines. Ce couple de bourgeois noirs de retour en Afrique vit comme en Europe. Tout est dans les manières et l’apparence. La façon d’être doit traduire son degré de « civilisation » par référence naturellement à l’Europe. Mais voilà qu’un jour, le mari décide de naturaliser quelque peu sa tenue. Il quitte la veste pour le boubou, mais garde la cravate qu’il ne peut quitter, qu’il n’ose quitter. Sa secrétaire qui est aussi sa maîtresse, le désapprouvent. Son épouse est furieuse. Une de ses relations européennes le trouve bien ainsi, mais l’homme qui subit les attaques de son domestique et de sa maîtresse se trouve ébranlé. L’on verse ensuite dans la danse incantatoire rythmée au tam-tam par son domestique, et marquant ainsi le retour aux sources. Dans ce film, Daniel Kamwa pose à sa manière le problème de la rencontre conflictuelle entre l’Europe et l’Afrique. Deux mondes, deux modes de vie, deux espaces d’expression, deux cultures différentes. Ce film raconte symboliquement, sous son histoire immédiate et explicite, une autre histoire, celle de l’homme et de sa relation difficile avec luimême, avec son identité, tiraillé entre sa culture, celle qui l’a nourri, et la culture au sein de laquelle il se sent épanoui. Au lendemain des indépendances, ils étaient nombreux, ces pseudo-intellectuels africains qui, au prétexte d’un séjour court ou long (diplomatie, stages, études supérieures) en Europe, se sentaient ou se croyaient transfigurés, devenus « blancs ». Ils n’étaient plus noirs que de « peau » et regardaient de haut leurs congénères. Ils étaient intarissables sur le « métro », les « Champs Elysées », « l’avenue de Wagram », la « Tour Eiffel », etc. Ils suscitaient et suscitent encore l’admiration de certains de leurs compatriotes qui se délectent des histoires venues d’ailleurs. Le titre « Boubou cravate » traduit le mélange incongru de la culture africaine et occidentale et portraiture la situation de ces Africains d’hier et d’aujourd’hui perdus dans une sorte de no man’s land culturel. Au 30

fond d’eux-mêmes, ils se croient vidés de tout ce qui, en eux, est africain, donc « ridicule et détestable », ils ont honte de leur africanité qui les rabaisse. Ils sont Européens ; et l’affirment en clamant « de moi, il n’y a que la peau qui est noire, tout le reste est blanc ». Oubliant qu’un « morceau de bois jeté dans la mer ne deviendra jamais poisson », ils rejettent la culture du boubou et adoptent celle de la cravate. Sans jamais devenir Français, Anglais ou Américain, ils ont superficiellement rompu avec leur culture d’origine, d’où leur écartèlement au carrefour de plusieurs civilisations. Il y a, dans ce film, la recherche acharnée d’une atmosphère marquante, l’étude intimiste des relations humaines, l’ambiguïté, le refus d’une résolution claire au récit et une mise en scène foncièrement audiovisuelle comme vecteur de trouble et de profondeur. Il est révélateur de constater que ce premier film de fiction de Kamwa aborde d’emblée le couple « homme /femme », car il en sera ainsi dans nombre des films qu’il réalisera par la suite : Pousse-Pousse, où le mariage souffre du manque d’argent, Notre fille, où la cupidité familiale fait obstacle à la mise ensemble du couple, Mâh Saah-Sah où l’amour a encore raison de l’argent et de la richesse d’un richissime homme d’affaires qui veut briser un couple heureux. Boubou Cravate se révèle assez vite comme un huis clos psychologique, une étude clinique des relations sentimentales avec soi-même, dans lesquelles sont éclaboussés au grand jour, en lumière crue, les remuements intérieurs de l’âme humaine. Ces multiples espaces aux antagonismes fortement marqués, structurent la plupart des films de Daniel Kamwa. Nous retrouvons cette thématique de l’écartèlement dans Pousse-Pousse et dans Notre fille, qui posent le problème de la rencontre des cultures différentes et parfois antagonistes. Ce modèle structurel de la multiplicité d’espaces (Occident/Afrique/religion chrétienne/animisme/islam) est le socle culturel à la base de plusieurs films qui traduisent le conflit intérieur qui taraude l’homme africain tiraillé, écartelé entre l’Occident et l’Afrique, entre la modernité et la tradition. Boubou Cravate révèle le cul-de-sac culturel et psychologique du diplomate qui se traduit par le lapsus du discours, des trous qui se révèlent dans la communication, du vide qui s’ouvre sur ses certitudes et sur les nôtres. Ce film se joue ainsi à fleur de peau dans un pays et à une époque où le doute identitaire avait envahi les esprits. Le frémissement des cadrages est celui d’une attention portée à l’humain, révolte muette, confession d’écartèlement. Bien que le cinéaste n’apprécie guère les recours interprétatifs psychanalytiques autour de ses films, on ne peut s’empêcher de constater qu’il y a dans ce film une 31

dimension œdipienne par le thème de l’enfermement sur soi-même (prisonnier entre le boubou et la cravate), un lieu clos, en marge du monde réel. 2. Notre fille ou la dictature de la solidarité africaine

Figure 07 Affiche de Notre fille Fiche technique et artistique Titre : NOTRE FILLE Un film de : DANIEL KAMWA Production : DK7 : 54, Av. Jean Jaurès 75019 Paris Tél/Fax 33(0)144.840.947 Durée : 90 minutes

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FICHE ARTISTIQUE Daniel KAMWA : Stanislas AWONA : Nicole OKALA : Berthe MBIA : Elise ATANGANA : François NJOUMONI : Francis MESSI : Pie Claude NGOUMOU : Berthe EBE EVINA : Florence NIASSE :

Onana André Mbarga Mme Onana Colette Charlotte Mbarga le boy d’Onana l’étudiant à l’ENAM le curé le chasseur la coépouse la secrétaire

FICHE TECHNIQUE Œuvre Originale : Scénario et Dialogues : Réalisateur : Directeur de la Photo : Ingénieur du Son : Chef Monteur : Chef Electricien : Musique : Mixage :

Guillaume OYONO MBIA Daniel KAMWA Daniel KAMWA Henri CZAP Gérard BARRA Philippe GOSSELET Ivan MARTIN André-Marie TALA Michel BARLIER

Synopsis : Papa Mbarga, père de famille nombreuse et chef de village, s’apprête à aller rendre visite à sa fille Charlotte qui travaille dans un grand Ministère de la capitale, Yaoundé. Sur recommandation du Conseil de Famille, le vieux est décidé à faire comprendre à sa fille, la seule qui ait vraiment réussi, qu’il faut qu’elle renonce à son mariage, car elle doit s’occuper de ses nombreux frères et sœurs au titre de la solidarité familiale dont elle-même a bénéficié pour achever ses études. Mais les Africains d’aujourd’hui, formés à l’école des blancs agissent-ils selon le mode de raisonnement basé sur la bonne vieille sagesse de leurs ancêtres ? Adapté d’une pièce de théâtre de Guillaume Oyono Mbia, Notre fille ne se mariera pas, ce film a été tourné à Nkolbissong, dans la banlieue de Yaoundé en 1980.

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C’est une comédie de mœurs basée sur l’histoire d’une famille africaine démunie, dont le seul membre ayant « réussi », Charlotte Mbarga, travaille à Yaoundé, dans la capitale, où, dit-on, elle « commande » tout le monde. La famille qui attend d’elle qu’elle soit reconnaissante pour tout ce qu’on a fait pour assurer son éducation s’organise pour lui rendre visite et lui dire de vive voix qu’elle ne doit pas se marier, car son mari pourrait profiter de ses biens qui, selon sa famille, doivent revenir prioritairement aux membres du clan et du village. Son père, Papa Mbarga, le chef de la famille, est chargé de se rendre à Yaoundé accompagné de quelques membres pour, en lui rendant visite, s’assurer qu’elle n’est effectivement pas mariée. Malheureusement pour la famille, il se trouve qu’en recevant l’éducation occidentale, Charlotte a aussi oublié les exigences rigoureuses de la tradition et de la solidarité africaine.

Figure 08 Une scène de Notre fille A la limite du ridicule, Colette, l’amie intime de Charlotte est une vraie parvenue. Elle ressemble au personnage du diplomate dans Boubou Cravate. Venue d’Europe, elle se sent une Européenne noire de peau. Elle est fière de mener une existence superficielle, coupée des racines africaines et du contexte social où elle vit. A l’instar du diplomate dans Boubou Cravate, Colette pose, par son comportement et son langage, le problème de la double inculturation et des personnages perdus au carrefour ambigu de plusieurs civilisations. Si Charlotte semble plus attentive aux problèmes de la société et de la famille africaine, Colette (jouée par Nicole Okala) exagère dans les manières. Elle pousse aux limites de la grossièreté l’étalage du fait qu’elle a séjourné un temps en

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Europe. Complètement déracinée, elle ne comprend pas pourquoi Charlotte devrait sacrifier son bonheur à l’autel des exigences des parents qui redoutent que l’homme qui veut épouser leur fille prenne ce qui leur revient de droit. C’est une vision bizarre, mais qui pose, de nos jours, un réel problème au sein des familles. Dans ce film, Kamwa pose un questionnement esthétique fondamental : comment filmer une femme tourmentée ? Comment dépeindre de manière audiovisuelle l’aliénation d’une femme apparemment libre ? Mais aussi, comment répondre et réfléchir à la façon de transcender un film de commande (basé sur une œuvre préexistante) en un film personnel ? Ici, le réel se mélange au fictionnel. Dans Notre fille, on retrouve surtout le goût du théâtre de Daniel Kamwa. La caméra se déploie près du plancher, la mise en scène est théâtralisée. L’art théâtral se mélange à l’art cinématographique, les gros plans décrivent les profondeurs du visage et de l’âme humaine dont le trouble est nourri par les objets, les cadrages, les murs lézardés, mais aussi le son en contrepoint. Dans ce film, le son joue un rôle clé. Au fur et à mesure du progrès de la dramaturgie au village, les dialogues et les bruits rendent compte de la tension traduisant les attentes de la famille. La révolte, le vouloir vivre de Charlotte se traduit par un basculement des dialogues qui deviennent hachés, tendus et plus rapides.

Figure 09 Une scène de Notre fille N. OKALA, B. MBIA et L. MAMBA

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La caméra de Daniel Kamwa donne un visage aux personnages, aux décors. Si l’œuvre théâtrale ne fait pas ressortir avec netteté le conflit des générations, le film, par la magie de l’image et la caméra qui explore les décors et les sentiments internes et externes, portraiture à merveille la rencontre conflictuelle de deux mondes, celui de Charlotte qui ne demande qu’à vivre, et celui d’un village tout entier qui exige de tout partager, quitte à l’empêcher de vivre sa vie. Elle est prisonnière d’ellemême, écartelée entre le désir de vivre sa vie et celui du respect des ancêtres et de la famille. Ce conflit est ressorti à merveille dans la séquence des retrouvailles avec les parents au domicile de Charlotte. Tous les protagonistes y sont présents : Charlotte, son amie Colette et son mari, la famille. On a pris la boisson à crédit chez le barman du coin, sans demander l’avis de Charlotte. Elle viendra payer, c’est normal. Tout est fait à son compte, tout est à sa charge, et cela paraît normal, y compris les frais de transport de la famille (six personnes) qui embarque dans un car au village à destination de Yaoundé et qui espère la trouver à son bureau pour qu’elle paye. Pour bien souligner l’incompréhension, la caméra entre en plan d’ensemble, le plan se resserre, passe par le plan américain pour remonter et ressortir le gros plan sur les visages de Mbarga, de Charlotte, de Colette et de la maman. Chacun est dans son monde, et chaque génération lit et comprend à sa manière les exigences sociales de son temps.

Figure 10 Une scène de Notre fille S. AWONA, Elise ATANGA dans le car 36

3. Totor ou l’histoire merveilleuse de la relation entre l'enfant et la tortue magique

Figure 11 Affiche de Totor Fiche technique et artistique Titre : TOTOR Un Film de : Daniel KAMWA Production : DK7-COMMUNICATIONS/TAMO DK7 : 54, Av. Jean Jaurès 75019 Paris. Tél/Fax : 33 (0) 144 840 947 FICHE ARTISTIQUE GAYLORD EDNA BOKALLI Marcel MANZOUER Hélianne BOLITCHITCHI Mapéta DANIEL KAMWA LOUISE MOUNGUI BOUAMBO Marthe DJAMANI Jean KEDI Marie MENSAH Julia MAHOUWA Aloÿs NYAMBA Henriette SANTONGA Claude

Mèntse Ngâ'nsi Isaac Rébecca Citadin Le Patriarche Mère-Sirène La Mère Le Père Yola Petite Sirène Djemiah Mme Djemiah Le Circonciseur 37

FICHE TECHNIQUE DANIEL KAMWA HENRI CZAP ISAAC JULES NJEUYI JULES TAKAM JEAN-PIERRE HOUEL JEAN-CLAUDE VOYEUX PHILIPPE GOSSELET ALAIN TENENBAUM GUY BOULANGER MARTHE NJEUYI

Auteur-Réalisateur Producteur Directeur Photo Directeur de Production Assistant Réalisateur Ingénieur du Son Mixeur Chef Monteur Chef Décorateur Musique/Music Créateur de Costumes

Synopsis Par une nuit de pleine lune, on frappe de grands coups répétés sur la porte d'une vieille case. Puis soudain, c'est une violente altercation entre un homme et une femme, suivie d'un brusque incendie. La modeste case est réduite en cendres malgré les efforts désespérés des quelques rares voisins. Un fragile gamin de 9 ans, nommé Mèntse, réussit cependant à échapper au drame du feu. Mais il est pourchassé par l'homme qui se prétend son père ! L'enfant réussira malgré tout à se sortir des dangers de la forêt. Blessé, il est recueilli par des pygmées qui le soignent et lui donnent l'occasion de passer le rite de la circoncision. Un jour, sur une plage, il assiste, émerveillé, à la naissance d'une tortue qu'il adopte et lui donne le nom de "Totor". Totor grossit bien vite, devenant l'objet de diverses convoitises au hasard des rencontres de plus en plus palpitantes ! Et, d'aventure en aventure, voulant un jour échapper à tous ceux qui convoitent sa chère amie Totor, celle-ci l'entraîne, en compagnie de Ngâ'nsi, dans les profondeurs de la mer, les amenant à découvrir une merveilleuse cité sous-marine ! C’est un film de fiction long métrage de 91 minutes tourné en 1994 au Cameroun, dans la région de Kribi, avec des plages, des forêts et des villages de pygmées. C’est l’histoire de Mèntse, enfant orphelin recueilli et élevé par les pygmées. L’enfant qui s’interroge constamment sur son passé décide de quitter ses parents adoptifs pour remonter le cours de ses origines et de son passé. Dans ses pérégrinations, il est recueilli par un méchant couple, Issac et son épouse, qui le maltraite et l’humilie à la moindre occasion.

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Figure 12 Une scène de Totor Abandonné, seul au monde, il reporte son affection sur une tortue qu’il surnomme Totor. Cette relation va le mener au monde des merveilles jalonné d’histoires extraordinaires, dont celle d’une relation affectueuse et complice entre une tortue et l’enfant qui s’interroge chaque jour sur ses origines. On peut regretter que ce film n’ait pas connu le succès à la mesure de la compétence mise en œuvre par Kamwa pour le fabriquer. Le réalisateur le regrette d’ailleurs et déclare : «Rien ne permet, pour l’instant, de mesurer son pouvoir attractif sur le public puisqu’il n’est pas sorti. C’est encore un inédit, commercialement parlant. A part une avant-première à Douala et à Paris, il n’a pas été distribué. Par contre il a participé à plusieurs festivals où il a reçu un bon accueil ; en l’occurrence Cannes Junior, Namur, JCC de Carthage Tunisie, Les Films du Monde à Montréal, Frankfort, Mannheim/Heidelberg, New York, le Fespaco au Burkina Faso où il obtint le Prix James Grant pour l’Enfance, etc. Voilà ! Mais il reste malgré tout un inédit ». A la question de savoir ce qui manque au film, Kamwa répond : « …..Il lui manque surtout un distributeur. Depuis quelques années déjà, c’est ce qui manque crucialement à la plupart des films africains. Je dirais même que c’est ce qui manque de plus en plus aux cinéastes indépendants de par le monde. Aujourd’hui, distribuer nos films coûte presque aussi cher que les produire. Et comme beaucoup d’autres dans ce marasme, Totor ne peut que subir la loi du marché. Mais, avis aux amateurs, son édition DVD est lancée » Ce film initiatique et très divertissant retrace le parcours de cet enfant pris au piège de la méchanceté du genre humain. Le film possède un 39

charme chaleureux indéniable et son atmosphère se colore d’une large palette, allant et venant de la vision cauchemardesque à la poésie tendre d’un enfant en manque d’amour. C’est ainsi une véritable recherche plastique à laquelle s’adonne Daniel Kamwa. On retrouve dans ce film des influences picturales qui s’imposent comme un signe de parenté entre l’univers de peintre et celui du cinéaste. 4. Pousse-Pousse ou le procès de la cupidité et de l’égoïsme

Figure 13 Affiche de Pousse-Pousse Fiche technique et artistique Titre : POUSSE-POUSSE Un film de : DANIEL KAMWA Production : DK7 : 54, Av. Jean Jaurês 75019 Paris Tél/Fax 33(0)144.840.947 Durée : 110 minutes – Format 35mm. 1.66 – Son Optique. VO : Français FICHE ARTISTIQUE Daniel KAMWA : Marthe NDOME EWANE : Madeleine HAPPY :

Pousse-Pousse Rose Hélène 40

Marcel MVONDO : Edouard TCHAPTCHET : Paulinette MPACKO : Bibi KOUO : Arlette DIN BELL : Aché EVELE : Pierre ZOGO :

Papa Besséké Papa Koffi Mami Frida Awa Bernadette Aïcha Métro (le Prof)

FICHE TECHNIQUE Oeuvre Originale : Scénario et Dialogues : Réalisateur : Directeur de la Photo : Assistant : Ingénieur du Son : Chef Monteur : Chef Electricien : Musique :

Daniel KAMWA Daniel KAMWA Daniel KAMWA Henri CZAP Patrick BLOSSIER Dominique MION Bernard LEFEVRE Pierre LAGARDE André-Marie TALA

Synopsis Pousse-Pousse aime Rose et veut l’épouser. Mais la coutume veut que pour épouser une fille on verse une dot à ses parents. Ceci n’enchante pas tellement Pousse-Pousse, car le peu d’argent qu’il gagne il le verse petit à petit au marchand de cycles pour acquérir plus tard le pousse-pousse à moteur dont il rêve. Cependant, son amour pour Rose l’emporte sur ses ambitions et notre héros se trouve obligé de récupérer tout l’argent versé en acompte sur son outil de travail, afin de satisfaire la demande de son futur beau-père. Or, malgré cet argent et malgré de nombreux cadeaux, l’intraitable Papa Besséké se montre de plus en plus exigeant, de plus en plus gourmand. Méfiant, il enferme sa fille à double tour le jour même du mariage, estimant qu’il n’a pas encore touché son dû. C’est alors que Bernadette, la sœur de Rose et Hélène, la sœur de Pousse-Pousse passent à l’action avec leurs amies. Premier long métrage camerounais, Pousse-Pousse remporte en 1974, un an avant le tournage, le Grand Prix du meilleur scénario de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT). Le film est réalisé l’année suivante avec une aide substantielle du gouvernement camerounais. Sa sortie fut un événement au Cameroun et en Afrique. De longues files d’attente et des bagarres eurent lieu devant les salles pour 41

l’achat des tickets, et le film fit salle comble dans toutes les villes du pays et un peu partout en Afrique noire. Si Muna Moto de Dikongué Pipa sorti la même année eut la faveur de la critique, Pousse-Pousse bénéficia de celle du public et devint le premier film africain à avoir une sortie commerciale exceptionnelle sur l’ensemble du continent. Pousse-Pousse est une comédie de mœurs, un film miroir dans lequel les Camerounais se reconnaissent. C’est un engagement subtil, mais décisif, qui pose un problème réel, celui de la dot dont le coût exorbitant décourage certains jeunes moins motivés que Pousse - Pousse. C’est d’ailleurs ce que chante le célèbre musicien camerounais André-Marie Tala dans l’air qui meuble les espaces son du film :

Figure 14 Une scène de Pousse-Pousse avec le musicien A. Marie Tala « Qu’adviendra-t-il du pauvre ? Qu’adviendra-t-il du pauvre ? Que va faire le pauvre ? Le mariage est devenu une affaire d’argent ». Pousse-Pousse (joué par Kamwa) est un travailleur sympathique et volontaire. Il est amoureux de Rose (jouée par Marthe Ndomé Ewané), mais le père de Rose, Papa Bésséké (joué par Marcel Mvondo II) est insatiable. Pour donner sa fille en mariage, il exige des cartons de whisky, des pagnes, de l’argent en espèce, un triporteur et bien d’autres choses. Ses exigences devenant excessives à la veille de la date de 42

célébration du mariage, Pousse-Pousse lui donne toutes ses économies, mais Papa Besséké exige toujours plus. Le mariage aura lieu in extremis, Papa Besséké ayant été berné par Rose (sa fille) et ses amies, avec la complicité de la mère de Rose, son épouse.

Figure 15 Une scène de Pousse-Pousse Besséké en mobilette

Figure 16 Une scène de Pousse-Pousse D.Kamwa et Ndomé

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Figure17 Remise du prix du scénario pour Pousse-Pousse Tourné dans les rues de Douala en une dizaine de jours, PoussePousse évoque la question de la tradition ancestrale, de la dot et celle, plus générale, du statut de la femme africaine et de la prise de conscience de son rôle social. A l’arrière-plan se profilent aussi d’autres questions sociales et politiques (antagonismes tribaux, pauvreté, débrouillardise). N’ayant pas voulu faire œuvre de contestation vive par rapport à ces questions, ce film est davantage une comédie de mœurs qu’un film critique au sens large du terme. Alors que la plupart des films des années 70 se déroulaient à la campagne, Daniel Kamwa fait vivre son principal personnage en pleine ville, au cœur de la capitale économique du Cameroun, et le film est traversé par l’architecture urbaine. Au cœur de la ville, Kamwa met en scène les costumes africains en général et camerounais en particulier ; il met en scène les mœurs et les coutumes du Cameroun (danses, arts culinaires, chants, traditions orales, etc.). Sans le dire explicitement, la caméra filme, portraiture, explore les couloirs des traditions ancestrales qui freinent l’évolution sociale, mais elle le fait dans la bonne humeur, en nous faisant rire. Pousse-Pousse fustige les habitudes grossières des pères qui « vendent » leur fille en mariage au plus offrant, et donne un tableau alarmant d’une société où les hommes ont l’air dignes et fiers alors qu’ils sont en réalité des mendiants déguisés.

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Figure 18 Une scène de Pousse-Pousse Le marché aux filles Le film fonctionne sur deux niveaux de lecture dramatique : il y a d’un côté l’idylle entre Pousse-Pousse et Rose, et de l’autre les relations conflictuelles entre le père de Pousse-Pousse et celui de Rose, qui se nourrissent de la révolte sourde et silencieuse de Rose, de ses sœurs et de sa mère face à la cupidité de Papa Besséké. L’intrigue évolue en paliers pour explorer les relations qu’entretiennent les familles dont les enfants sont promis au mariage. Malgré les difficultés de toutes sortes, Pousse Pousse, garçon vaillant, travailleur et ambitieux, déploie toutes les stratégies pour épouser sa dulcinée. Pousse-Pousse est un film audacieux pour son époque. Il fascine par une intrigue qui traduit fidèlement les travers de la société et la nature des relations humaines, au premier niveau et, à un niveau plus réaliste, les relations entre pays, relations d’intérêt, d’égoïsme. En fait, certains critiques affirmaient à l’époque qu’en filigrane du conflit opposant Pousse-Pousse à Papa Besséké se profilent les relations complexes entre la puissance coloniale (la France) et la jeune nation (le Cameroun) qui vient d’accéder à l’indépendance. Pousse-Pousse est la jeune nation camerounaise fière de son indépendance, débordant d’enthousiasme et d’énergie et gouttant à pleines dents aux joies de la liberté nouvelle, heureuse de sortir de l’enfance, prête à tous les sacrifices pour achever son indépendance et prendre en main son destin. Papa Besséké représente l’ancienne puissance coloniale qui promet, ne donne jamais sans poser de 45

condition, prête à tout prendre et à exploiter les ressources encore abondantes de la jeune nation camerounaise. En cédant toujours face aux exigences de papa Besséké, Pousse-Pousse traduit la docilité des jeunes nations africaines indépendantes face au dictat de la puissance néo coloniale, et traduit en même temps la fougue de ces jeunes nations soulevées par le souffle exaltant de l’indépendance qui marque le grand commencement, le début d’une longue aventure. A l’instar des pays africains qui, au lendemain des indépendances, se soumettaient sans rechigner au diktat de la puissance coloniale, espérant que cette soumission leur permettra de conquérir leur indépendance économique et leur liberté totale, Pousse - Pousse travaille et se soumet de bonne foi aux caprices de Papa Besséké, en lui donnant tout ce qu’il peut rassembler. La mise en scène de Kamwa est à la fois insolite, intense et sarcastique. Les principaux personnages (Pousse-Pousse, Rose, Papa Besséké) sont à la fois témoins et acteurs d’une intrigue dont le prétexte se trouve être l’idylle entre Pousse-Pousse et Rose. C’est aussi cela le mariage, le début d’une longue aventure. Pour avoir droit à cette aventure, Pousse-Pousse ne recule devant aucune difficulté pour donner satisfaction à celui qui en tient la clé. Il est prêt à sacrifier son triporteur, son bien le plus précieux, pour satisfaire Papa Besséké. En fait, dans le film, Rose représente à la fois une valeur réelle et une valeur symbolique. Elle est la fiancée, la dulcinée dont Pousse-Pousse est follement amoureux, elle est aussi le symbole d’un rêve fou, celui de la conquête de la félicité, du bonheur inaccessible ou plutôt dont le chemin d’accès est jonché de mille travers et d’embûches. Elle symbolise l’indépendance et la liberté, bonheurs à l’accès difficile. Son nom, Rose, est tout indiqué, elle est la rose, fragile, docile, éphémère et aussi illusoire et symbolique que l’indépendance des pays africains. Le bouquet de fleurs qu’elle tient en main le jour des noces, et qui sera fané le soir même, traduit parfaitement l’enthousiasme et l’effervescence qui ont traversé les pays africains au lendemain des indépendances, mais qui se sont vite estompés lorsque les populations ont compris, quelques années plus tard, que le colon était sorti par la porte pour revenir par la fenêtre. Pousse-Pousse, Rose et Papa Besséké constituent un triumvirat qui traduit la relation entre trois instances condamnées à s’entendre, mais engagées dans un jeu dans lequel tout le monde se tient. Mû par l’égoïsme et la cupidité, Papa Besséké pratique un culte du « tout pour moi » aussi dévastateur que celui de la puissance coloniale au lendemain des indépendances. A la fin du film il est presque fou, « enivré » par sa folie de la conquête matérielle. Il est la risée du quartier, de son épouse et de ses 46

enfants, et le mariage a lieu contre son gré. C’est la preuve que les indépendances sont conquises et jamais données, et les puissances coloniales n’acceptent de céder un peu de liberté qu’à leur corps défendant. Mais ces indépendances étant irréversibles, elles ont lieu envers et contre la résistance des pays colonisateurs. Ce qui frappe dans ce film, c’est précisément l’ambiguïté inexplicable de l’espace, de l’esthétique et des protagonistes. Rien n’est vraiment doux, clair et net. La musique d’André-Marie Tala donne des notes sous forme de comptine. Il y a un décor bruité de marché africain qui rôde en fond sur la bande son. L’inquiétude et le trouble grandissent dans le film à mesure que les préparatifs du mariage se mettent en place. Au-delà du décalage poétique que cette comptine faussement naïve apporte au film, le reste de la partition musicale d’André-Marie Tala est nourrie d’une grande profondeur, à tel point que certaines paroles résonnent dans l’écho du film en sagesse qui rappelle les comptines le soir au coin du feu. C’est du fond de cette musique que remonte l’écho de la cupidité de Papa Besséké qui entre en opposition avec les promesses d’amour de Pousse-Pousse et de Rose, sorte de mise en scène suréaliste des protagonistes à arrière-pensée, d’un monde replié sur lui-même et rempli de cavités, de couloirs, de pièges, de cages et de labyrinthes. Ici, la réalité s’inscrit dans un irréel et interminable assemblage de pièces, de cases, de bars, de puzzle terrible d’un amour qui ressemble à bien des égards au fruit défendu. On se rend compte, en examinant attentivement la répartition des séquences, que Daniel Kamwa recule souvent devant l’ellipse, attentif qu’il est à marquer l’écoulement du temps par la variation des menus détails du décor naturel de la ville de Douala, et l’accumulation des objets divers acquis peu à peu par Pousse-Pousse pour tenter d’obtenir les faveurs de son futur beau-père.

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5. Le Cercle des Pouvoirs ou le piège de la corruption rampante

Figure 19 Affiche Le Cercle des Pouvoirs Fiche technique et artistique Titre/Title : LE CERCLE DES POUVOIRS Un Film de : Daniel KAMWA & Jules TAKAM Production : DK7-COMMUNICATIONS/TAMO * 1997 Durée : 1h55mn. Format : 35mm - 1.66 Distribution : DK7-Communications / Circuit : Multiciné FICHE ARTISTIQUE DANIEL KAMWA AMBROISE MBIA AISSATOU GIDJIR GAYLORD KAMWA MARCEL MVONDO MAX NDONGO ONANA

Jisset Moni-Sam Sifoh Dina Akalon Atchori 48

RENE SIMO FRANCOISE KAMGA VINCENT TATANG MADELEINE HAPPI PIUS NJAWE YVES NELLE HENRI DOOL YANNICK D. WAMO CATHERINE DJOBONG PIERRE AUBRIET J.-L. MAROLLEAU GASPARD ZE NGABA PAULINETTE MPACKO MADELEINE NDOUMBE

Fomi Mme Moni-Sam Le Prince Mami-Nyanga Mberet Le Commissaire Mondialiste Bien-Aimé Finola Dr. Bonnard Le Banquier Titus Grand-Mère Mboko

FICHE TECHNIQUE Idée Originale Scénario Adaptation/Dialogues Mise en Scène Production/Réalisation Directeur de la Photo Ingénieur du Son 1er Assist. Réalisateur Montage Musique Orignale 1er Assist. Opérateur Régisseur Scripte Costumes & Défilé

"N'deussa"Jules TAKAM D. KAMWA/J. TAKAM DANIEL KAMWA D. KAMWA/J. TAKAM DANIEL KAMWA HENRI CZAP JEAN PIERRE HOUEL J.P. DIKONGUE PIPA S. BASTIEN-GROULT TOM YOM'S Gérôme ALMERAS Blaise NNOMO ZANGA ZENABOU POMBOURA MADE JONG

Synopsis Jisset est un journaliste brillant et populaire. Il travaille au "Perroquet", un hebdomadaire indépendant et mène une enquête serrée sur les agissements troubles de Moni-Sam l'un des plus gros hommes d'affaires du pays qui, au lendemain de la dévaluation de la monnaie locale, le francs CFA, trafique et tire profit des combines qui mènent même aux sacrifices humains. Au cœur de cette enquête, Jisset fait la connaissance de Sifoh, une jeune et jolie mannequin-styliste dont il

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tombe amoureux, et que par ailleurs Moni-Sam cherche à attirer dans sa sphère d'influence. Au risque de sa vie, Jisset veut profiter du vent démocratique qui semble aujourd'hui souffler sur l'Afrique pour démonter, dans son pays, les mécanismes du pouvoir et de l'argent. Mais la rivalité amoureuse autour de Sifoh ajoutée à l'enquête dérangeante que mène le journaliste poussent Moni-Sam à vouloir éliminer Jisset par tous les moyens, y compris par la sorcellerie. Dans ce film, Kamwa sort de la neutralité bienveillante de ses précédents films qui faisaient la part belle à l’aspect purement culturel et identitaire. Dans Le Cercle des Pouvoirs, il attaque de front l’establishment et dénonce ses frasques et ses excès. La dénonciation est accusatrice.

Figure 20 Une scène dans Le Cercle des Pouvoirs Aïssatou GIDJIR (Sifoh) Moni-Sam incarne les députés, les hommes d’affaires opulents et arrogants qui se pavanent sur les écrans de télévision dans nos pays, qui font des discours incendiaires pour soutenir le parti du « Président National bien aimé ». Pour réussir socialement, ils sont prêts à tout, ils sont maîtres dans l’organisation de la fraude électorale, et ils n’hésitent pas à signer un pacte avec le diable pour entrer dans le cercle de la magie noire et offrir en sacrifice leurs proches. Pour eux, la richesse et la

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réussite sociale n’ont pas de prix. Ce film dénonce le détournement de la démocratie prise en otage par des délinquants à col blanc qui usent et abusent des pouvoirs qu’ils tiennent des milieux mafieux et des cercles ésotériques. Excellent dans son interprétation, Ambroise Mbia qui joue le rôle de Moni-Sam traduit à merveille l’attitude de cette élite corrompue qui aspire à la richesse et à la réussite sociale à tout prix. Son nom est prémonitoire (Moni c’est l’argent) et traduit sa cupidité et son appétit insatiable pour l’argent. Il épouse bien le rôle et traduit avec la justesse du geste et du propos vocal l’arrogance de ces parvenus qui nous gouvernent et qui maîtrisent les techniques du discours démagogique. Ce film dénonce aussi les conditions de travail précaires des journalistes africains fragilisés par le pouvoir des hommes politiques et soumis aux pressions et aux harcèlements du pouvoir de l’argent.

Figure 21 Une scène dans Le Cercle des Pouvoirs Ambroise MBIA (Moni-Sam) La représentation de la violence sous toutes ses formes : corruption, démagogie, mensonge, magie noire, violence physique dans Le Cercle des Pouvoirs est indissociable de la connaissance empirique de cette violence qui se traduit au cinéma par la notion de point de vue de la caméra et de la profondeur de l’image muette ou parlante. Il s’agit pour Daniel Kamwa de se représenter, et de penser en termes de point de vue des cadrages. Les plans d’ensemble ici sont sublimés par la profondeur de champ qui achève la plupart de ces cadrages. Cette profondeur joue un grand rôle, car tout ce qui est au fond des images, floues ou nettes, y 51

relève toujours de la mort qui rôde. Ce n’est pas seulement une toile de fond, mais le fond même du film. Ainsi, l’enfant est poursuivi dans son sommeil et attrapé par la mort ; les cercles du pouvoir sont ceux de la mort où on gagne de l’argent au péril de sa vie, etc. C’est un va-et-vient entre le réel et l’irréel, entre le proche et le lointain, lorsque la cruauté des hommes est mise en lumière. En fin de compte, ceux qui croyaient détenir tous les pouvoirs (mystiques et temporels) se révèlent n’être que de misérables pantins pathétiques. La musique de Tom Yom’s est sévère, sobre. Le faux happy end est polanskien. L’escroc est démasqué et arrêté. 6. Mâh Saah-Sah, l’amour est plus fort que l’argent

Figure 22 Affiche de Mâh Saah-Sah

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Fiche technique et artistique Titre du film : Mâh Saah-Sah Durée : 91 minutes - Ratio : 16/9 - Son Stéréo. Réalisateur : Daniel KAMWA Production : Coconut Dream/DK7-Communications FICHE TECHNIQUE RÉALISATEUR IMAGE INGÉNIEUR DU SON ASSISTANT CAMERAMAN ASSISTANTE DE PRODUCTION ASSISTANT RÉALISATEUR 2ème ASSISTANT & CASTING MONTEUR IMAGE MONTEUR SON & MIXAGE RÉGISSEUR PERCHEMAN ÉLECTRICIEN CHAUFFEUR

DANIEL KAMWA NATHALIE DURAND JULIEN SICART LAZARE PEDRON EDNA KAMWA KINGUE JEAN JEAKI GALLOTEY FÉLIX ADDO NAZIM MESLEM FREDRIC BURES PEFOURA NDAM IDRISS ACHIROU MOULIOM TCHOUBEU MARTIAL KOUAKEP EMMANOU

SCENARIO ORIGINAL & DIALOGUES DANIEL KAMWA TRADUCTION EN BAMOUN SAMUEL NJOYA PRODUCTION COCONUT DREAM COPRODUCTION TAMO/DK7-COMMUNICATIONS PRODUCTEUR DÉLÉGUÉ DANIEL KAMWA MATERIELS DE PRISE DE VUES IRIS CAMERAS MATERIELS DE PRISE DE SON TAPAGES FICHE ARTISTIQUE ABDEL AZIZ NCHANKOU NCHARE MFOUEMOU BEA FLORE MAPON ADAMOU NJOYA NJIWAT (copain de Nchare) POYOUOKO SAMMUEL ACHIROU (l’oncle de Nchare) BEL LAMY NCHOUTPOUEN (la mère de Mapon) IBRAHIM NJANKOUH MOUMPAIN (le père de Mapon) PÈRE MAMA MUISSE MOLUH (Député et rival de Nchare) ACHIROU MOULIOM MOULIOM (le cousin de Mapon) PASMA MEWOUO NGOUTANE (la femme d’Achirou) FOUPOUEN SAMUEL LE PASTEUR 53

VESSAH YAYA ACHETEUR 1 (complice de Moluh) NDAM SALIFOU ACHETEUR 2 (complice de Moluh) NJI RAINATOU PEKURE MFOPARA (1ère femme de Moluh) NJI NSANGOU ISSAH NJI-MÂH’NKAM (le Gd. Dignitaire) NDIA MOUN OUMAROU CAPITAINE NJIGNIERT M. AROUNA LE MAIRE JERRY LAND LE GRIOT DINALY NGOUNGOURE MECAREM FILLE AÎNÉE D’ACHIROU PENKATOU JOUERETOU 2ème FEMME de MOLUH NJAPNDOUKE MARLISE 3ème FEMME de MOLUH BRONOU BENOÎT BÉBÉ BENOÎT PENGA WAP AICHA PETITE SŒUR DE MAPON MBOUMBOUO FADIL ALLOTEY PETIT FRÈRE DE MAPON ABDEL AZIZ NJOYA ALLOTEY FILS CADET D’ACHIROU NJI JACKY JOHN SPENCER PRINCE YERIMA NJOYA GARDIEN CHEZ MOLU NCHARE MOLUH GENERAL ADJUDANT MOUNCHIKPOU ADAMOU GENDARME 2 KOUTOU JÉRÔME NCHARE ADOLESCENT AMINA MAPON ADOLESCENTE TAMFOR NSO FOUMBAN NDAM (le circonciseur) EDNA KAMWA INFIRMIÈRE AU DISPENSAIRE PASCALINE INFIRMIÈRE À LA CLINIQUE IDRISS NDAM FÉLIX CHEZ MOLUH NJI MONGOU MAMA YOBA LE BARMAN NSANGOU ISSOFA LE CAMELOT AU MARCHÉ NJAPNDOUNKE FRANCINE SECRÉTAIRE À LA MAIRIE NGOUM JOUEM MARIAMA CONSERVATRICE DU MUSÉE CHOUMTOU AJANATOU VENDEUSE AU MARCHÉ DAOUDA MOUCHILI CHAUFFEUR DE MOLUH ARTISTES DE DOUBLAGE AUDITORIUM : Direction artistique :

AVIA SYNCHRO FILMS Marie-christine Darah

NCHARE MAPON NJIWAT ACHIROU NCHOUTPOUEN

Fabien Gravillon Mbembo Sydney Kotto Pascal Nzonzi Marie-Christine Darah 54

MOUMPAIN MOLUH MOULIOM NGOUTANE LE PASTEUR NJI-MÂH’NKAM CAPITAINE LE MAIRE LE GRIOT FILLE AÎNÉE ACHIROU 3ème FEMME de MOLUH JOHN SPENCER GARDIEN CHEZ MOLU ADJUDANT GENDARME 2 CONSERVATRICE DU MUSÉE VENDEUSE AU MARCHÉ

Frantz Contiac Emile Abossolo M’bo Bruno Henry Martine Maximin Michael Kamwanga Jean-Baptiste Tiémélé Jacques Orth Gérard Essomba Thadié Tuemne Patricia Mengue Edna Kamwa Antoine Tomé Joseph Momo Eriq Ebouaney Cédric Ido Mariam Abdou Pasma Touré

Ce film a été tourné entièrement en décors naturels au Cameroun, dans l’agglomération de Foumban et ses environs. Synopsis C’est l’histoire de deux jeunes gens, Nchare et Mapon, follement amoureux l’un de l’autre. Ils sont d’autant plus voués à s’entendre qu’ils viennent tous deux d’un milieu social défavorisé. Nchare est orphelin, les parents de Mapon sont pauvres, et il règne dans ce village une ambiance de mendicité déguisée. Le travail de la terre, le petit artisanat et le commerce au détail parviennent à peine à satisfaire les besoins fondamentaux des familles. La caméra de Kamwa, sur fond de la musique de Tom Yom’s nous balade dans les dédalles de l’idylle entre Nchare et Mapon, jusqu’au jour où l’enfant mis au monde par la mère de Mapon dans une église tombe gravement malade. Ils n’ont pas les moyens de le soigner. C’est alors qu’entre en scène un député du parti au pouvoir. Personnage flamboyant et riche, il offre de soigner l’enfant, mais lorgne en retour les charmes de Mapon qu’il veut épouser en seconde ou même en troisièmes noces. Croulant sous les dettes, les parents de Mapon cèdent sous la pression de l’argent et du réalisme social : Nchare ne fait pas le poids face à cet homme riche qui est un bon parti pour leur fille et pour toute la famille qui a besoin d’argent, de rêve et de promotion sociale. Mapon et Nchare s’organisent pour résister. 55

Finalement, alors que tout semble fin prêt pour le mariage entre Mapon et le richissime homme politique qui a arrosé de ses billets de banque prêtres, maires, voisins, etc., pour les inviter aux noces, elle s’enfuit en pleine cérémonie pour rejoindre Nchare, et le film s’achève sur une séquence de poursuite à moto lorsque les amis de Nchare viennent au secours de Mapon. Sorti en 2008, Mâh Saah-Sah est pour ainsi dire l’œuvre synthèse du cinéma de Daniel Kamwa. Au fil des séquences, on retrouve les principaux thèmes de son art cinématographique. L’amour en souffrance dans le contexte social africain, le poids de l’argent face à l’amour, l’attitude arrogante et méprisante des hommes de pouvoir qui se croient tout permis (thème qu’on retrouve dans Le Cercle des Pouvoirs avec le personnage de Mony- Sam qui est aussi député), le thème de la dot qu’on retrouve dans Pousse-Pousse, ou encore le poids de la tradition et des parents sur l’émancipation des jeunes qui aspirent à vivre leur bonheur autrement, sans se sentir coupables (thème qu’on retrouve dans Notre fille). Dans ce film, le langage cinématographique de Kamwa a mûri. La caméra entre en contrepoint avec le son pour produire le sens. Les cadrages sont raffinés, les plans d’ensemble alternent avec les plans moyens. Les gros plans sur les visages rendent compte des souffrances internes, notamment dans les séquences de rencontre entre Mapon et Nchare dans les prémisses du film, ou encore dans les séquences de milieu de film lorsque les parents de Nchare doutent et se demandent comment faire face à cet homme riche qui promet de résoudre leurs problèmes financiers contre la main de leur fille. Les plans américains sont nombreux dans les séquences d’affrontement, notamment lorsque Nchare affronte verbalement le député dans sa résidence, ou encore lorsque les amis de Nchare provoquent des échauffourées pour enlever Mapon et la soustraire de la scène du mariage. Même si on peut regretter la longueur excessive de certains plans séquences qui alourdissent le film, Mâh Saah-Sah est un film plaisant, une heureuse synthèse de l’œuvre cinématographique de Daniel Kamwa.

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Figure 23 Le sultan des Bamoun avec les acteurs de Mâh Saah-Sah

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Figure 24 Prix remporté par D. Kamwa au Fespaco 2009

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IV. Daniel Kamwa : de l’écrit à l’image Comme nous l’avons indiqué au début de cet ouvrage, en Afrique, l’écrit, dont la technique ne nécessite aucun investissement de base, a précédé le cinéma dont le coût de production n’était pas à la portée des Africains. Alors que l’école locale formait avec peu de moyens ceux qui avaient des prédispositions à l’écriture et qui pouvaient s’y lancer avec un cahier et un crayon, aucune école locale ne donnait la moindre indication sur comment fabriquer un film. L’écriture est donc en Afrique une présence complète, une technique à l’accès démocratique, d’autant que ce sont souvent les enfants des familles démunies semblaient plus assidus à l’école, raison pour laquelle l’écriture s’est rapidement mise à la portée d’un grand nombre, ce qui a fait éclore une littérature solide et variée. Pour que naisse un cinéma négro-africain, il a fallu attendre le moment de l’indépendance. Si nous prenons l’exemple du cinéma de Kamwa qui a porté à l’écran Jimmy et l’égalité et Notre fille ne se mariera pas, on peut remarquer que ces œuvres s’interrogent sur l’identité, sur les rapports entre soi et les autres, d’où l’on est venu et ce que l’on est devenu, thématique que l’on expose sur un mode emprunté au roman classique. Comme l’explique Kamwa lui-même, «D’un mode de communication à l’autre, il y a forcément des aspects qui ne peuvent pas être traités de la même manière. Il y a des détails qui sont privilégiés au détriment d’autres. Le contexte et l’état d’esprit du moment peuvent jouer. C’est le propre même de l’adaptation » Toujours par rapport à cette nouvelle de Francis Bebey, Jimmy et l’égalité, on remarque que le film tente, parfois laborieusement, de traduire en images la nouvelle de Francis Bebey, qui est un mélange à la fois comique, sarcastique et dramatique. Ce film a le mérite d’illustrer en images une thématique répandue en Afrique, et il faut saluer le talent de Daniel Kamwa et de Georges Anderson, qui jouent à merveille, respectivement, les rôles de cuisinier et de diplomate, même si on peut regretter que la mise en scène hésite, que les cadrages sont parfois approximatifs, surtout dans les trois dernières séquences. En effet, passés les moments d’euphorie liés à l’apparition à l’écran d’images d’Africains tournées par les Africains, le public est aujourd’hui plus exigeant, plus regardant sur la qualité des œuvres. Lorsqu’on pose ce regard 59

rétrospectif, on ne peut s’empêcher de constater qu’il y avait mieux que Boubou Cravate pour traduire en images le conflit, l’exil intérieur d’un Africain parvenu qui singe le Blanc. Adapté de la pièce de théâtre de Guillaune Oyono Mbia, Notre fille ne se mariera pas, le film Notre fille de Daniel Kamwa prolonge à l’écran cette pièce de théâtre à succès qui avait remporté le deuxième prix du Concours Théâtral Africain organisé par l’ORTF, actuelle RFI, en 1969. Les premières représentations sur scène au Cameroun furent données fin 1969 par la troupe les « Négrostar » dirigée par Adolphe Claude Mballa. En deux parties, le film respecte la structure de l’œuvre théâtrale qui est composée de deux actes. La première partie du film qui s’étire des prémisses au départ des parents pour Yaoundé correspond à l’acte premier du théâtre et aboutit au nœud dramatique majeur N°1. De la pièce au film, on peut remarquer une sorte de déplacement du rôle principal qui, dans la pièce, est tenu par Mbarga, et qui dans le film repose plutôt sur Charlotte, mise en orbite par le fait qu’elle est au cœur de toutes les conversations. C’est autour d’elle, par elle, à cause d’elle et pour elle que se construit la dramaturgie filmique. Le lecteur ou le spectateur de la pièce de théâtre reconnaîtra Mbarga (joué par Stanislas Owona) comme le héros de la pièce, mais le spectateur filmique reconnaîtra Charlotte (jouée par Berthe Mbia) comme l’héroïne. Les deux œuvres fonctionnent avec des personnages typiques représentant un aspect culturel fondamental de la société au sud Cameroun. Ces œuvres portraiturent deux facettes d’un même problème, l’enjeu du mariage de la jeune fille et le fait que les parents attendent qu’elle rembourse « ce qu’ils ont investi sur elle pour l’envoyer à l’école ». La caméra de Daniel Kamwa donne un visage aux personnages et aux décors. Si l’œuvre théâtrale ne fait pas ressortir avec netteté le conflit des générations, le film, par la magie de l’image et la caméra qui explore les décors et les sentiments internes et externes, portraiture à merveille la rencontre conflictuelle de deux mondes, celui de Charlotte qui s’oppose à celui du village tout entier. Ici, la différence de lecture et la perspective d’énonciation rejoignent les grands classiques, notamment Orson Welles dans Macbeth, ou Olivier dans Hamlet, deux réalisateurs qui avaient essayé, avec des résultats inégaux, de créer par le cinéma l’équivalent du théâtre. C’était l’époque où régnait sur tout le cinéma l’impératif de vraisemblance : une image donnée s’apparentait à la réalité. Le passage du théâtre au cinéma exige que la pièce de théâtre soit réécrite, refondue en mode film, que les 60

prémisses soient bien définies, que les nœuds dramatiques ressortent, que les conflits soient « musclés » pour les rendre cinématographiques (urgence de l’action), que le tout se déroule rapidement en entonnoir pour se déverser en tumulte dans le bassin de la résolution. Sur ce plan, Daniel Kamwa qui est venu du théâtre et qui maîtrise les arts du théâtre et du scénario a su recadrer les dialogues, les redéfinir, profiler les personnages pour les besoins du cinéma (tel André Atangana, joué par Daniel Kamwa qui est plus posé, plus serein et moins loquace dans le film que dans la pièce). Le caractère spécifiquement cinématographique de certaines séquences introduites (comme celle de la danse à la fin du film, ou celle de la chanson jouée par Archangelo de Moneko dans le car qui conduit les parents à Yaoundé, et qui n’existe pas dans la pièce) prouve que le réalisateur ne s’est pas laissé embrigader, brider par la structure et les exigences de la forme. Il s’est inspiré de l’œuvre et lui a par la suite insufflé l’esprit spécifiquement cinématographique. En fin de compte, Les deux modes de communication traitent, avec les moyens spécifiques de chacun, le thème central qui fonde le projet artistique, celui du conflit des générations. Décors, costumes, maquillages, lumières, couleurs sont les moyens d’expression du théâtre. Dans le film, la réplique est donnée par les plans d’ensemble très longs, le découpage alterné et parfois brutal (comme dans la scène de la poursuite du bélier) pour montrer le jeu des acteurs. Dans le film, l’écran est transformé en scène ayant des entrées et des sorties, comme si on avait multiplié autour de l’écran des côtés cour et des côtés jardin. Le théâtre de Guillaume Oyono Mbia repris en film produit un effet de cinéma qui est une brèche ouverte, une porte qui donne dans un vestibule par lequel on passe d’un décor à l’autre, pour dire la même chose avec des mots et un support différent. C’est le flux d’un mouvement d’action qui donne à la totalité du film un caractère de parabole et d’artifice. Ce problème de parabole et d’artifice se situe entre deux extrêmes : d’un côté le théâtre qui est la reproduction/révélation du monde, d’un monde créé par Guillaume Oyono Mbia et porté sur scène, de l’autre le cinéma qui crée un monde de rêve, des images qui rendent concret ce qui n’était qu’image. C’est la théorie de la distanciation créée par Brecht. Le théâtre implique la co-présence de l’acteur et du spectateur. Dans le film, l’acteur a été filmé, il est absent mais présent. Le film est mis en boîte une fois pour toute, et la projection passe et repasse les mêmes images qui sont « sealed off ». Le film de Daniel Kamwa est ainsi « figé » dans la pellicule, il est mis en boîte, et à moins de reprendre la caméra, le film est fait. En revanche la pièce de G.O.Mbia 61

est créée à chaque représentation. Les voix changent, le jeu, la personnalité, les décors, les lieux. Tout change chaque fois qu’une troupe décide de porter sur scène Notre fille ne se mariera pas. Certains critiques affirment que le film est « figé » par rapport à la pièce qui peut revivre autrement, et qui peut s’adapter à l’air du temps et aux exigences des personnages au fil des représentations. Ici, et contrairement aux films/livres qui ont cours aujourd’hui, le cinéma d’action n’a pas cédé face à la mise en scène des acteurs et la position d’un problème qui est resté constant : le conflit des générations. La nature, le monde que portraiture G.O.Mbia sont rédimés par les images produites par Daniel Kamwa. On parle ici de réincarnation, de résurrection en images de la pièce. Ainsi, l’image, comme la bande sonore, devient le moyen de révélation de la beauté du monde, du chant de l’oiseau, du souffle du vent, du bêlement de la chèvre, du vrombissement de l’autocar du vieux transporteur grec ou du ricanement des villageois saouls. 1. Texte théâtral et texte filmique chez Daniel Kamwa Disons d'emblée que les deux dialogues sont écrits non pour être lus, mais pour être dits et joués. Si à l'écoute d'une pièce de théâtre le spectateur admet volontiers le jeu de la double énonciation, celle de l'acteur-personnage mêlée à celle de l'auteur-texte, il est rare qu'une telle perception fonctionne au cinéma, car elle est précisément perçue comme indice de théâtralité. Le spectateur de cinéma, au contraire et à tout moment, a l'impression que c'est le personnage qui a l'initiative complète de sa parole, qu'il "invente" ses phrases à chaque réplique. Le dialogue est ainsi très rarement mis au compte d'une instance énonciative, puisqu’il est entièrement pris en charge par les acteurs. On notera que dans les deux cas, les écarts qui séparent le texte écrit de sa réalisation scénique ou filmique résident dans le faible degré d'existence institutionnelle du dialogue filmique écrit, et sur le fait que le dialogue filmique suppose toujours, après l'étape de la réalisation scénique, l'enregistrement, donc la disparition physique des acteurs dont seules subsistent les ombres à l'écran. Comme nous l’avons souligné, le dialogue filmique est enregistré une fois pour toutes sur la bande optique du film, c'est ce que Raymond Bellour appelle l"'immutabilité"2, alors que le dialogue théâtral est toujours soumis aux variations et aux improvisations propres aux différentes représentations. A l'instar de l’acteur au théâtre, l’acteur 2

Raymond Bellour, Cinéma et narrativité, Ed. L’Harmattan, Paris, 2005, p. 23. 62

filmique doit veiller à ce que son texte soit parlant. Dans les deux textes, le respect des accents, des sonorités régionales et locales comme par exemple les exclamations « ah ! », « Aakié », « Ah ka », « Hi yéée ! » et des particularités linguistiques de l'époque sont de rigueur ainsi que le jeu d'assonances et de consonances. La recherche des sonorités produit sur le spectateur l’effet voulu par le metteur en scène (au théâtre) et le réalisateur (au cinéma). De fait, le propre du discours théâtral c'est de dire "nous sommes au théâtre". Or, il n'en est rien du texte filmique. On pourrait même dire que le propre du texte filmique est de dire : "nous ne sommes pas au cinéma". Il n'y a pas de dialectique auteur-public comme lors des multiples représentations de Notre fille ne se mariera pas, puisque le texte est fixe, « immutable », "mis en boîte" une fois pour toutes, d'où la fréquence au cinéma de la modalité assertive. Le récit filmique suppose toujours que "cela s'est passé ainsi", tel qu'il nous le montre. 2. Kamwa, témoin de son temps Le cinéma de Daniel Kamwa a vu le jour à une période où le Cameroun subissait d’intenses mutations sociales et culturelles subséquentes aux bouleversements politiques et culturels qui agitaient le continent aux lendemains des indépendances. Ces mutations, le cinéaste les vit à ce point quotidiennement qu’il a fait du choc de l’ancien et du nouveau le sujet de son premier film : Boubou Cravate. C’est un sujet unique, mais dont les approches sont multiples, car elles dépendent, selon les films de Kamwa, soit de son degré de conscience politique du moment, soit de l’étape de formation culturelle qu’il traverse, soit aussi parfois de choix délibérés. Ainsi, les films qui ont eu un important succès populaire comme Pousse-Pousse et Notre fille présentent sous une autre forme ce choc entre l’ancien et le nouveau. Cet affrontement exprimé parfois sous l’énoncé « tradition contre modernité » se retrouve comme thème dans les films de nombreux cinéastes africains et montre à leur manière cette vision dichotomique simpliste faite par certains Européens qui divisent le monde en deux : le bien et le mal, la ville et le village, le développé et le sous-développé, le centre et la périphérie, la tradition et la modernité. C’est donc en fonction de cette dichotomie reprise sous plusieurs formes que Kamwa témoigne de son temps et rend compte par la caméra des hésitations, du désarroi et du doute qui agitent l’Africain au lendemain des indépendances. Les grandes tendances thématiques des films de Kamwa s’articulent autour de cette mouvance : tendance politique (Le Cercle des Pouvoirs), tendance culturelle (Totor), tendance 63

moraliste (Notre fille), tendance commerciale (Pousse-Pousse). Chaque film comportant de fait plusieurs dimensions, il nous a semblé judicieux de les classer en fonction de la tendance dominante, c'est-à-dire, de ce qui reste comme effet principal sur le spectateur. Si dans certains films il a choisi de laisser prédominer les éléments de divertissement (scènes comiques comme dans Notre fille et Pousse-Pousse), il n’en demeure pas moins que sa prise de position sur les réalités africaines en général et camerounaises en particulier sera perçue après coup comme un véritable coup de gueule, un appel à la prise de conscience de ses concitoyens face aux multiples dangers qui les guettent. Pour la tendance politique, par exemple, le cinéaste analyse le réel à travers des critères sociaux, économiques et politiques. Dans Le Cercle des Pouvoirs, film hautement politique, le choc de l’ancien et du nouveau est expliqué en termes d’affrontement des classes sociales aux intérêts antagonistes, en termes de pouvoir de l’argent, de la dévaluation du franc CFA, en termes de choix économiques et de démocratisation, en termes de dépendance et d’indépendance, tout cela lié au changement de la donne économique consécutif à la dévaluation. L’effet principal recherché est la prise de conscience par le spectateur des rouages qui le conditionnent, et le réalisateur l’invite implicitement à se « révolter » contre cette « corruption », ce détournement de la démocratie.

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V. L’esthétique filmique de Daniel Kamwa

Figure 25 Une scène dans Le Cercle des Pouvoirs Pour bien cerner la philosophie esthétique d’un réalisateur, il est impératif de passer de longues heures avec lui, de le fréquenter assidûment, de le questionner pour mieux comprendre les fondements esthétiques de son œuvre. C’est ce que nous avons fait en ayant de longs entretiens avec Daniel Kamwa à qui nous avons soumis plusieurs séries de questionnaires. Ses réponses nous permettent de mettre en ordre ce fatras pour en dégager sa philosophie de la réalisation et de son art. Pour ses films, Kamwa suit attentivement tous les ateliers et toutes les étapes de la fabrication : conception de l’idée du film, rédaction du scénario, découpage, casting, répétitions, tournage, montage, post production, etc. Ce qui est important pour lui, c’est d’abord qu’il ait en tête une idée claire de ce qu’il veut faire dans son film. Le tournage n’est que la phase d’exécution de ce plan. Nombreux sont en effet, ceux qui ont une imagination débordante, mais beaucoup plus rares sont ceux qui sont capables d’en faire part clairement aux autres. Le plus grand talent d’un réalisateur c’est de savoir faire partager au public son imagination. 65

Kamwa consacre beaucoup de temps à la préparation. Il fonctionne sans story board, car il estime que cela étrique son temps de méditation et de maturation de l’idée du film. Sur le tournage, il est plutôt spontané, mais il aime également respecter le schéma qu’il a noté sur un bout de papier et qui le ramène vers le fond du film, car le passage à la réalité du tournage est souvent difficile, cette réalité peut en effet bouleverser le concept original et faire oublier le projet initial. C’est un effort de tous les instants pour parvenir à garder à l’esprit l’idée première derrière chaque scène. En général, plus le film est maîtrisé comme Le Cercle des Pouvoirs, plus il est facile de coller à l’idée originale. Les choix de Kamwa ne sont pas toujours réfléchis, ils sont parfois instinctifs. Le piège c’est qu’un film est fait d’assemblage de petits morceaux. Si le réalisateur se laisse distraire par une prise en particulier, il peut perdre le fil. Kamwa réalise ses films en sachant que les deux principaux problèmes rencontrés par tout metteur en scène sont : premièrement, imaginer comment tel ou tel petit morceau du puzzle va s’intégrer dans l’ensemble, et, deuxièmement, où placer la caméra ? Quand on regarde un film et qu’on se sent mal à l’aise, que tout semble étrange, c’est en général parce que le réalisateur n’a pas su où placer la caméra. Et si tout le film vous semble bizarre, c’est parce que les différents morceaux qui le composent s’assemblent mal. Sur scène, une pièce de théâtre peut être à mourir d’ennui, mais vous parviendrez néanmoins à la suivre car elle fonctionne selon une continuité évidente. Elle a été jouée de nombreuses fois avant de vous être présentée. Pour un film, par contre, il n’y a que peu de répétitions et le tournage se fait généralement sans respecter l’ordre des séquences. On peut donc très vite se perdre. Quand Kamwa rédige un scénario de film, il s’assure d’avoir clairement à l’esprit de quel point de vue l’histoire est racontée. Il est toujours plus efficace de se placer du point de vue d’un personnage en particulier, que de se disperser en tout sens. Il en va de même quand commence le tournage. La même scène filmée du point de vue du narrateur et de l’acteur sera différente. Et à ce propos, il convient de remarquer que le cinéma africain a tendance à rejeter systématiquement les liaisons très coulées, les fondus enchaînés de style classique tels qu’ils apparaissent dans les films de Spielberg ou de Martin Scorsese, les surimpressions, les champs contre champs classiques. Dans les films de Kamwa, les ruses du comique et de la farce, genre authentiquement africain, ont pleinement réussi à exprimer le climat mental et social du Cameroun à un moment donné de son histoire. 66

Produit d’un cinéma « pauvre » et artisanal qui doit échapper aux lois et aux contraintes stylistiques et psychologiques des genres commerciaux, le cinéma de Kamwa trace son chemin et se présente comme l’expression esthétique réussie d’une tendance. Par rapport aux grandes industries cinématographiques qui ont naturellement développé un cinéma de genre (Etats-Unis, Inde, Mexique, Brésil), où le cinéma se développe à l’intérieur de lois fortes, économiques et esthétiques, le cinéma africain dont Kamwa est un pur produit met à la disposition du spectateur un film dont l’esthétique tente de lutter contre l’invasion d’une idéologie extérieure qui veut conditionner un autre cinéma, celui où l’auteur laisse libre cours à sa créativité et laisse la caméra aller à sauts et à gambades. L’Afrique noire en général et le Cameroun en particulier ont des cultures suffisamment originales pour bouleverser les normes acquises, à condition de ne pas se laisser dévorer par le cinéma tel qu’il est, tel que l’occident l’a presque unanimement développé et accepté : un cinéma de spectacle où les méandres d’une psychologie plus ou moins conventionnelle sont au service du divertissement. Kamwa est persuadé que l’Afrique doit s’approprier son cinéma en mettant en place son esthétique propre qui s’inspire de l’esthétique universelle, mais en ayant une spécificité africaine, car l’importance de l’esthétique est à la fois une question de langage et d’indépendance, c’est- à- dire de capacité à exister et à s’identifier comme tel. En raison du fait que le pouvoir du cinéma occidental sur l’homme occidental réside dans la force d’un spectacle conçu pour fasciner, la question de l’esthétique pour un cinéaste comme Kamwa se pose comme un choix fondamental. Faut-il fonctionner comme le cinéma occidental qui est une industrie fortement structurée et régie par la loi du profit ? Faut-il vivre son cinéma comme un art ? Comme un produit de consommation ? Kamwa a choisi d’échapper à la fascination, car ses premiers films sont en fait des documentaires transformés. Les films de Kamwa posent chacun une grande question sur le destin culturel et philosophique de notre continent. Si à l’exception de Pousse-Pousse la plupart de ses films n’ont pas rencontré un grand public en Afrique, ce n’est pas par défaut d’intérêt, mais par défaut de la fascination de l’image cinématographique. Nombreux sont en effet les Camerounais qui pensent que leurs cinéastes ne « savent pas encore faire des films comme les films américains et européens », signifiant par là qu’ils ne savent pas encore faire des films comme ceux qui occupent leurs écrans et qui les font rêver : film de violence, de sexe, de trahison, de vengeance

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poursuivant le crime, tous faits avec des moyens hors de la portée des cinéastes africains. En fait, au Cameroun comme partout en Afrique, la masse des spectateurs a été conditionnée par les films occidentaux. Le choix du spectateur habitué au cinéma de fascination était déjà fait avant l’arrivée en salle des films des cinéastes camerounais. Fallait-il en tenir compte dans le conditionnement de départ ? Le rapport film-spectateur, cinéastepublic ou cinéma-peuple est fondamental, et le cinéaste africain qu’est Kamwa se doit de parler un langage compris par le public africain, par la masse des spectateurs urbains. Une formule de Sembène Ousmane nous donne un excellent point de départ. « En Afrique, dit-il, le cinéma marque plus par les images que par l’expression ou les gestes. Et le geste est plus important que le parler. Le seul moyen pour nous d’avoir une dimension, c’est de trouver une voie qui nous soit propre »3. Certes, le cinéma de Kamwa n’a pas réinventé le cinématographe en créant des formes tout à fait inédites, mais il a, par une approche originale, donné la pleine mesure du talent d’un cinéaste africain en quête de formes nouvelles pour exprimer l’art de vivre de l’Afrique par l’image. Donnons ici quelquesuns des éléments composant l’esthétique cinématographique de Daniel Kamwa, et qui sont représentatifs de la forme par laquelle il exprime son art : le jeu des acteurs et les gestes, les cadrages, les raccords, le flashbacks et les refrains.

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Sembène Ousmane dans « Sembène Ousmane parle », Ecrits d’ici et d’ailleurs, N° 73, Dakar, 1997. 68

1. Le jeu des acteurs et les gestes

Figure 26 Une scène dans Notre fille « Parfois, déclare Kamwa, les acteurs ne sont pas comme j’avais imaginé les personnages. Même lorsqu’on écrit en ayant une idée précise du profil, celui-ci est toujours légèrement différent de ce qu’on avait à l’esprit » En effet, chaque acteur est toujours un compromis entre celui qu’on a imaginé et celui qui est là sous les yeux. Par exemple, Kamwa avait-il imaginé le personnage de Moni-Sam dans Le Cercle des Pouvoirs comme l’a interprété Mbia ? Il s’agit, dans ce film, d’un personnage central, qui traverse toute une série d’évènements et autour duquel gravitent de nombreux rôles secondaires. Sommes- nous satisfaits de son jeu ? De ses gestes ? Notons d’abord que quand Kamwa écrit le scénario, il essaye toujours d’imaginer les acteurs et leur jeu. Parfois, il en parle avec les acteurs pressentis. C’est important parce que le réalisateur veut être compris, il veut que les acteurs sachent où il veut en venir avec telle ou telle idée, tel ou tel mouvement de caméra. Pour cela, les acteurs ont besoin d’information. Ils ont le bénéfice de leurs corps et de leur jeu, mais c’est le réalisateur qui en est le gestionnaire, c’est lui qui sait amener l’acteur à s’élever dans son jeu, à donner le meilleur de lui-même 69

pour épouser le rôle que Kamwa lui a confié. Ils ont une certaine liberté d’action, mais à condition de ne pas dépasser les limites fixées par Kamwa. L’acteur ne doit pas souffrir d’être dirigé, il ne doit pas vivre cette mainmise du réalisateur sur son talent comme une frustration. Il doit faire confiance aux yeux du réalisateur, à son jugement comme à un miroir. Un bon miroir ne trahit jamais ! En général, les acteurs qui se prêtent au jeu ainsi fixé par Kamwa y prennent du plaisir. Ils peuvent improviser, ne pas apprendre leur texte par cœur, mais rester dans les limites fixées par les exigences esthétiques du réalisateur. A ce sujet, Kamwa est particulièrement attentif au jeu du corps, aux gestes. De quel geste s’agit-il ? Il s’agit simplement des gestes qui « marquent » les spectateurs : gestes spectaculaires, gestes authentiquement africains, camerounais, surtout lorsque l’ont sait qu’en Afrique l’envahissement du cinéma américain a fait que le héros s’appelle d’abord Django, Sharon Stone, Bruce Willis, etc. La découverte et l’exploitation à divers niveaux du geste africain est fondamentale, car il existe un geste américain, français, japonais (dans les films de Kurozawa par exemple) et un geste chinois. Ce geste propre, le cinéma de Kamwa en témoigne dès le départ. Pensons à la démarche du diplomate dans Boubou Cravate, à sa façon de se tenir à table, à sa manière de se vêtir. Pensons aux gestes de Pousse- Pousse dans PoussePousse, à sa façon de chevaucher son triporteur, de porter les fruits à l’hôtel, de répondre à Papa Besséké son beau-père, etc. Pensons aux gestes de Mbarga dans Notre fille lorsqu’on lui dit que sa fille « commande » tout le monde à Yaoundé, pensons au réveil matinal en pays beti dans Notre Fille, aux interpellations et interjections (akié, ékié), aux salutations rituelles du matin, etc. Pensons au repas de « Nkui » dans Pousse-Pousse, au discours électoral de Moni-Sam dans Le Cercle des Pouvoirs, à la rencontre entre Jisset et Sifoh à l’aéroport dans le même film. Tout cela traduit le geste africain sans l’exagérer. Gestes authentiquement africains, camerounais pour certains, mais qui sont ancrés dans le vécu quotidien des acteurs camerounais avec leurs spontanéités et leurs codes de lecture et de compréhension, car il ne suffit pas de donner le « Nkui », (mets traditionnel de l’ouest Cameroun) à manger avec les mains pour que cela incarne la réalité africaine. Et à ce propos, Kamwa applique dans ses films les recettes acquises lors de ses formations dans les écoles de théâtre. Il fait la différence entre les tics quotidiens et les tics d’acteur, c’est- à- dire, ces gestes qu’on fait pour rendre son jeu plus convainquant : hochements de tête, haussements des sourcils, ponctuations des mains, doigt pointé, etc. Il les utilise 70

abondamment dans Le Cercle des Pouvoirs, et on les retrouve dans les attitudes des acteurs confirmés que sont Jisset (Kamwa) et Moni-Sam (Ambroise Mbia). Ces tics qui renforcent l’expression scénique dans le cinéma de Kamwa sont typiques d’une gestuelle dont le moteur est la parole : on pense d’abord texte, et ensuite action. 2. Les cadrages

Figure 27 Une scène dans Pousse-Pousse Le repas de fiançailles Le cadrage peut être défini comme la fenêtre rectangulaire prélevée par l’objectif de la caméra dans le champ visuel. Les unités de lieu, de temps et d’idée sont harmonieusement mises en place par la valeur esthétique des cadrages. Le cadrage des images permet des effets, comme dans Pousse-Pousse lorsque Papa Besséké s’enivre des biens qu’on lui donne pour l’amener à accepter le mariage de sa fille avec PoussePousse, il est filmé obliquement, ce qui évoque l’instabilité. Les danseuses des cabarets de Douala présentées en contre-plongée sont ainsi en léger déséquilibre. Encadrer une photo derrière des grilles est un effet facile qui symbolise le personnage en prison, parfois au sens direct, qui laisse planer une menace sur sa liberté (Jisset dans Le Cercle des Pouvoirs). Le cadrage de Daniel Kamwa mène parfois à des images très recherchées, d’une préciosité gratuite. Cadrage de la conversation entre Moni-Sam et le banquier tout au début du Cercle des Pouvoirs, cadrage 71

des jambes lors de la poursuite du voleur à la tire au marché central de Douala (dans Pousse-Pousse), l’image du fantôme apparaissant dans une aura blanche au cimetière (Le Cercle des Pouvoirs) est effrayante. Cette image porte ce que tout personnage étrange véhicule d’inquiétant. A la méchanceté d’être maléfique s’ajoute le sacrilège de ceux qui viennent d’un autre monde pour hanter les vivants (ici le fils de Moni-Sam) et les emporter dans l’au-delà. Dans le même film, un cadrage astucieux pose un problème amusant : Kamwa décrit des policiers qui traquent et rançonnent les vendeurs à la sauvette sur les trottoirs de Douala. Il filme les vendeurs à la sauvette qui s’éloignent légèrement de leurs marchandises lorsqu’ils voient arriver les policiers rançonneurs. Ces vendeurs à la sauvette se comportent un instant comme s’ils étaient de passage devant ces étals, comme si ces marchandises ne leur appartenaient pas. Kamwa pouvait les prendre de face, devant les marchandises, comme si la caméra était leur regard. Mais en les cadrant derrière l’étalage, il pose l’équilibre « voirêtre-vu ». Ici, les cadrages sur le semblant de désordre qui règne dans les cases, sur le bric-à-brac des boutiques et sur le désordre qui se dégage des rues et des marchés des villes camerounaises n’est pas sans signification. La composition des images en souligne les lignes verticales, horizontales ou obliques, et suscite chez le spectateur satisfaction et inquiétude selon le cas. Il y a ici un mélange harmonieux d’improvisation et d’instinct d’artiste. On sait que Stanley Kubrick composait et dessinait même les plans qui lui semblaient intéressants. Tel n’est pas le cas de Daniel Kamwa, mais on en retient que raison ou sentiment amène un cinéaste à choisir une image. Il cherche à définir les goûts : selon les individus, selon les groupes sociaux, selon les cultures, les images seront différentes. Les cadrages de Kamwa sont parfois à l’image des masques africains, filmés et figés sans la symétrie des formes, leurs formes étant plus souvent aiguës qu’arrondies.

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3. Le gros plan

Figure 28 D. Kamwa Une scène dans Notre fille Loin d’être un instrument du culte des vedettes comme dans le cinéma occidental, le gros plan de Daniel Kamwa traduit une certaine profondeur de la pensée du personnage, exprime par la force du cadrage serré le combat intérieur qui a lieu en lui, tels, par exemple, les gros plans sur le visage de Moni-Sam lorsqu’il est obligé de sacrifier son fils au cercle mystique. Tout cela exprime à la fois le désarroi et la peur. Le gros plan sur le visage de Jisset lorsqu’il est licencié du journal « Le perroquet » exprime à la fois la surprise et l’incompréhension. Dans le langage cinématographique de Daniel Kamwa, le gros plan sur le visage des personnages nous invite à entrer dans leur imagination ou dans leur mémoire pour préparer le flash-back (comme le gros plan sur le visage du fils de Moni-Sam qui, dans le rêve, est traqué par le fantôme dans (Le Cercle des pouvoirs) ou pour donner une vision irréelle (comme dans Boubou Cravate lors de la séquence du dialogue d’incompréhension entre le domestique et son patron). Parfois, les gros plans de Kamwa semblent détourner le sens de l’aventure racontée en l’orientant vers d’autres perspectives. Dans Notre fille, il veut montrer le clivage entre le monde moderne et la tradition. Charlotte cherche une voie médiane, elle veut appartenir à 73

la fois à la modernité et à la tradition. Dans la séquence finale, son amie Colette, très émancipée, singe de manière ridicule et risible l’accent parisien. Assises dans le salon chez les Atangana, elles expriment chacune son point de vue sur la famille qui a envahi la maison de Charlotte. Lorsque Mbarga entre, après un plan américain sur Maria, la caméra se tourne en gros plan vers les deux femmes, excluant par làmême Chantal et ses conflits qui n’existent plus qu’en négatif par leur absence. Le sens de cette séquence du film est transformé par l’utilisation judicieuse et originale du gros plan. 4. Le face-à-face et le champ/contre-champ Le cinéma de Daniel Kamwa a été fortement marqué et inspiré par le théâtre. Il a dû faire des efforts pour s’affranchir des conventions scéniques, et il est l’un des rares, sinon le tout premier cinéaste africain à transférer au cinéma cette tradition de scène à l’italienne qui était étrangère à l’Afrique. En tant qu’élite intellectuelle, Kamwa connaissait bien le théâtre qui l’a inspiré et qui a nourri son talent avant de le faire passer devant et derrière la caméra. Chez Peter Brooks et au Cours Simon où il a suivi ses cours d’acteur de théâtre, les élèves montaient des spectacles d’après des éléments de leurs traditions ethniques qu’ils collectaient pendant les vacances. Kamwa a ainsi pu monter avec succès ses premières œuvres sous la conduite de ses enseignants qui l’ont conforté dans le fait qu’il était plus doué dans la comédie des mœurs. Comédien de théâtre, il a transféré au cinéma les usages de la scène. Dans Notre fille, par exemple, adapté d’une pièce de théâtre, Kamwa aligne les personnages les uns à côté des autres comme sur la scène. Pour éviter cet alignement, le cinéma occidental les place face à face pour les photographier alternativement l’un l’autre et donner une impression de conversation. Ainsi filmé, le spectateur voit le visage pendant qu’on entend les paroles qui lui sont adressées, et sur le visage se dessine l’impact de ce qui lui est dit : selon que la discussion est mesurée ou violente, les visages se succèdent à l’écran lentement ou en vitesse, conférant à la séquence un rythme paisible ou rageur. Se regarder dans les yeux, s’affronter et parler franchement, tout cela traduit dans le cinéma de Kamwa une opposition de personnages exprimée par le champ/contre-champ. Dans ses films, les scènes de violence (comme dans le western ou dans les films occidentaux avec bagarres et coups de poing), sont pratiquement inexistantes. Il a horreur des scènes de violence, du sang qui coule, etc. C’est pudique et c’est africain. Dans la culture africaine, la 74

violence est mal acceptée, les palabres sont le lieu de rencontre où se traitent les différends. Ce fond culturel explique la rareté dans le cinéma de Kamwa de l’opposition champ-contre-champ comme dans les films hollywoodiens, et en général dans l’arsenal des figures de style du cinéma africain. 5. Le changement de plan L’alternance champ-contre-champqui souligne le rythme et le passage d’un plan à un autre (panoramiques, travellings ou zooms), revêt une importance particulière en ce sens qu’elle assure au réalisateur camerounais la maîtrise de l’espace et du temps de jeu des acteurs. Daniel Kamwa utilise abondamment le panoramique vertical ascendant en entraînant l’œil du spectateur vers le toit des cases (dans Notre fille), vers le sommet d’un immeuble (Le Cercle des Pouvoirs), et au-delà, vers le soleil. Ce procédé d’école sert en particulier à marquer les coupures entre les séquences, à introduire une ponctuation. Ce n’est cependant pas une image neutre comme le fondu enchaîné très utilisé qui sert uniquement de transition. Selon Daniel Kamwa, « le panoramique vertical « élève » l’esprit et la vision du soleil, comme dans Totor, où cette figure de style évoque le temps qui passe et les souffrances de l’enfant orphelin ». La cime des arbres ou des immeubles peut avoir une signification propre : puissance de la nature ? Présence des génies ? 6. Plongée et contre plongée De temps en temps, Kamwa utilise la plongée et la contre-plongée notamment dans Pousse-Pousse et Le Cercle des Pouvoirs. Dans le langage habituel, la contre-plongée connote une exaltation du personnage. Filmant la dispute entre Papa Besséké et son épouse, Kamwa prend les deux personnages en légère plongée et contre-plongée. Le mari est pris en légère plongée et la femme en contre plongée. De cette séquence, il ressort que la femme de Papa Besséké est porteuse de la morale et elle critique sévèrement la cupidité de son mari qui veut tout avoir pour accepter que sa fille épouse Pousse-Pousse. Ici, la plongée et la contre-plongée sont utilisées en liaison avec la morale. Les images sont un peu déroutantes parce qu’elles sont contraires à la vraisemblance optique, la femme étant notamment plus petite que le mari. Dans Le Cercle des Pouvoirs, Kamwa filme en gros plan et en plongée le fils de Moni- Sam, comme s’il en faisait le juge de son père. Dans le même film, il cadre encore en contre- plongée les danseuses dans une boîte de nuit. Là, il ne s’agit pas de magnifier un personnage, mais de mettre la caméra 75

à hauteur « stratégique » pendant que l’objectif enregistre les trémoussements des danseurs. 7. Les raccords Dans l’école classique, le fondu enchaîné et le fondu au noir marquent le passage d’une partie du film à une autre. A l’instar de la plupart des cinéastes africains, Kamwa utilise la technique qui consiste à filmer une surface neutre (par exemple la route qui serpente dans Notre fille) qui vient peu à peu occuper tout le champ se rapprochant du bus qui roule ; la caméra ne voit plus qu’un côté et deux roues qui s’effaceront comme un rideau devant une nouvelle scène. Ce procédé ressemble à celui d’une association d’idées : tel geste, tel bruit évoque dans notre mémoire toute une scène. Mais chez certains, les associations d’idées se font à partir des sons, chez d’autres à partir des mots ou de gestes. Dans Le Cercle des Pouvoirs, les raccords sont fréquents lorsque le réalisateur présente alternativement Moni-Sam dans ses opérations mafieuses avant de revenir sur Jisset qui enquête. C’est une technique classique qui consiste à alterner les activités de deux personnages en rivalité. Ici, Moni-Sam et Jisset sont en rivalité sur au moins deux plans : gagner l’amitié de Sifoh et réussir chacun de son côté dans son entreprise. Les deux protagonistes se retrouvent vers la fin du film lorsque Moni-Sam exige et obtient que Jisset soit licencié du journal « Le Perroquet », mais ce n’est que partie remise, puisque à la fin du film, grâce au reportage de Jisset Moni-Sam est démasqué et humilié. Les raccords suivent pas à pas les deux personnages et expriment la rivalité dans un style semblable à l’utilisation des raccords par Sergeo Leone dans les scènes de poursuite dans Le bon, la brute et le truand. C’est une approche esthétique qui a l’avantage d’aérer le film en facilitant la lecture des séquences entremêlées par le chevauchement d’actions composées pour la plupart de nœuds dramatiques mineurs. 8. Les flash-back et les refrains Maître de l’espace, Kamwa navigue aussi dans le temps, et ses films utilisent très rarement le retour en arrière. Deux séquences du Cercle des Pouvoirs utilisent le flash-back, la séquence du souvenir de Moni-Sam qui vit en flash back les engagements pris à la tontine et qui l’ont amené à sacrifier son fils. Pour cela, Kamwa aide le spectateur à se repérer en employant des images superposées qui se différencient bien nettement des images du présent, plus bleues ou plus foncées. Parfois, comme dans Pousse-Pousse, Kamwa fait revenir la séquence de la mendicité de Papa 76

Besséké sous plusieurs formes et à plusieurs reprises. Des images apparaissent parfois dans le cours de certaines actions, comme des lieux communs dont se charge la conversation quand on n’a rien à se dire, et cela même est révélateur du souci esthétique d’assurer toujours une transition par les raccords. Notons que dans les premiers films de Kamwa (Pousse-Pousse, Notre fille), les inserts étaient rares. Ils sont plus nombreux dans Le Cercle des Pouvoirs, ce qui témoigne d’une évolution sensible de son langage cinématographique. Dans ce film, les inserts (très gros plans sur les objets) sont assez nombreux : insert sur la pendule au mur, sur la montre de Jisset, sur le téléphone, sur la cravate de Moni-Sam, etc. 9. Nature et décors Commençons par faire remarquer que dans les films de Daniel Kamwa, les beaux paysages, les vues panoramiques et les décors splendides sont rares. La composition des images est plutôt simple. Il aurait, par exemple, été judicieux et esthétiquement intéressant que dans Notre fille la caméra cadre en vue panoramique les merveilleux décors des forêts du sud Cameroun. Dans ce cinéma centré sur l’homme, la nature sauvage est rarement mise en scène. La caméra se déplace, se meut de manière particulière pour saisir les personnages à l’intérieur d’un cadre défini, plus ou moins ouvert. Parfois, on trouve une disposition des personnages rappelant la représentation théâtrale (Notre fille) face au cercle des spectateurs. Ce type de mise en scène trahit un manque d’inspiration. Elle bride la caméra qui reste d’autant plus figée que la parole, signe d’appartenance à une communauté, fait progresser le discours en laissant l’image statique : peu de travellings, peu de variation de l’échelle de cadrage. S’il faut esquisser une typologie des décors dans les films de Kamwa, on pourrait dire que la scénographie est coordonnée avec une mise en lumière du passage d’un lieu à un autre (passage du village à la ville dans Notre fille, signifiant le passage d’un monde à un autre, où les règles ne sont pas les mêmes et où les acteurs perdent pied et ne reconnaissent plus les comportements des leurs), passage du monde réel au monde mystique (dans Le Cercle des Pouvoirs, lorsque Moni-Sam recherche la richesse à tout prix et explore un espace qui lui était jusquelà inconnu, où il perd pied, dont il ne connaît pas les règles), passage du célibat à l’état d’homme marié (lorsque Pousse-Pousse aspire à ce statut où il espère trouver le bonheur et par lequel il espère être socialement reconnu). C’est une démarche à la fois physique et symbolique, 77

développant à partir de données précises l’éclatement et le dénouement d’une crise. Les conflits (mariages contrariés, rivalités professionnelles ou politiques, rivalités amoureuses) sont montrés dans leurs péripéties. Toutes les séquences qui traitent de ce passage d’un topos à l’autre contribuent à élaborer un temps dispersé, gouverné autant par le souvenir obsédant, le désir et l’imagination, que par le réel hostile. Au temps fragmentaire correspond un espace morcelé, régi par la violence nourrie par les nœuds dramatiques (mineurs et majeurs). Dans les films de Kamwa, il existe une connivence profonde entre temps et espace. La caméra cadre des objets riches de connotations dans l’imaginaire collectif : affiches ou photos (comme dans Pousse-Pousse), objets d’art africain, ou encore la fréquence des avions dans son film documentaire Akum qui symbolise la tentation d’évasion ou de retour au pays natal. 10. La place du héros La plupart des films de Daniel Kamwa ont été créés pour faire valoir un certain type de héros incarné par un acteur. L’acteur célèbre domine le récit filmique et, par sa seule présence, cristallise autour de son personnage l’aventure racontée. Réalisateur, metteur en scène et principal personnage de ses films, Kamwa a su tailler sa personnalité d’acteur à la mesure du rôle social et personnel qu’il voulait conférer à son héros. Notons en passant que les vedettes africaines ont peu de chance de correspondre aux normes du cinéma américain ou européen. Elle sont pour la plupart des non-professionnels et les usages ne sont pas propices à la vedettisation. Les héros de Kamwa sont de type moderne, ils sont parfois actifs (Le Cercle des Pouvoirs), ou passifs (Pousse-Pousse, Notre fille, Totor). A propos de l’absence du vedettariat à l’américaine dans les films de Kamwa, on peut invoquer les traditions culturelles africaines où les individus sont rarement mis en vedette, ce qui compte c’est la famille, le village, le clan. Les individus sont perçus comme étant des membres d’une collectivité. Chacun doit apprendre à se plier au groupe, à tenir le rôle qui lui est assigné. Le succès populaire de Pousse-Pousse est en partie lié au fait que le héros (D. Kamwa) attire la sympathie et dirige l’action. Le réalisateur s’exprime à travers lui et le spectateur s’identifie à lui. 11. Les ressorts de l'action Selon les objectifs poursuivis par Daniel Kamwa (éduquer le peuple, châtier les mœurs en riant, etc.), selon les mobiles qui animent ses 78

personnages, on peut classer ses films en plusieurs catégories : l’amour et la cupidité (Pousse-Pousse), la crise d’identité (Boubou Cravate), le pouvoir politique (Le Cercle des Pouvoirs), les effets néfastes de la magie noire (Le Cercle des Pouvoirs). Ces thèmes impulsent la machine dramatique. La classification selon ces critères est pertinente, car les personnages, au niveau du scénario, les auteurs, au niveau de la réalisation, les décors, les styles des dialogues ou de la musique varient selon les thèmes. L’action se résume au moteur qui fait avancer la dramaturgie : action de conquête face à l’action de résistance (PoussePousse /Papa Besséké, Moni-Sam/Sifoh, Moni-Sam /Jisset, etc.) A travers les dénouements heureux ou malheureux des films, certains critiques distinguent l’action positive de l’action négative. Lue sous cet angle, cette coloration morale donnée à l’action permet de constater que la plupart des films de Kamwa s’achèvent par un dénouement positif pour la société : Pousse-Pousse finit par épouser Rose malgré la cupidité de papa Besséké. De même, malgré son pouvoir maléfique, Moni-Sam est finalement dénoncé par le journal « Le Perroquet », il est limogé du gouvernement et incarcéré. Ici, le dénouement est fermé, le résultat est clairement exposé sans que l’on fasse appel à l’imagination du spectateur pour le laisser concevoir à sa guise une conclusion. L’autre conséquence de cette action dramatique qualifiée par certains de simpliste c’est que l’histoire se déroule de façon linéaire, sans retour en arrière. Le procédé du flash-back qui décrit le souvenir qui se déroule dans l’esprit d’un personnage n’est que très rarement utilisé dans les films de Kamwa. Ce procédé qui complique la vision et l’interprétation du spectateur suppose aussi chez le réalisateur une volonté de manier le temps. Kamwa n’est pas une exception, mais il apparaît que les cinéastes africains éprouvent d’énormes difficultés à manier le temps en l’insérant dans l’unité d’action. D’autres dénouements illogiques, ou plutôt se référant à une logique extérieure à l’histoire contée, sont ceux qui font appel à un pouvoir magique : dans Le Cercle des Pouvoirs, Jisset n’a d’autre choix que de faire appel au prince qui oppose sa magie positive à la magie négative de Atchori. C’est cette magie puissante qui sauve Jisset et permet de conclure positivement le film. Un tel dénouement, chez un auteur cultivé, qui vit en Europe, à la pointe du progrès, produit une sensation de malaise. Est-ce donc le seul moyen de faire triompher la justice ? La lutte contre une force adverse ou une forme d’évolution intérieure du personnage permet de retrouver une intensité qui met face à face les forces antagonistes, décomposant l’action en nœuds dramatiques majeurs et mineurs. 79

Il apparaît en fin de compte que la notion de genre filmique se lit par rapport au type d’action. Lorsque le cinéaste s’est inspiré d’une nouvelle (Boubou Cravate), d’une pièce de théâtre (Notre fille), on perçoit en filigrane l’influence du genre littéraire source. Mais même lorsqu’il a écrit son scénario sans s’inspirer d’une œuvre antérieure, il est clair qu’un genre s’est imposé à lui et lui a imposé un certain style, un certain langage, un certain décor. On peut regretter que Kamwa n’ait pas intégré la danse dans ses films : tout au plus présente-t-il des séquences dansées pour faire pittoresque, meubler des décors ou des cérémonies de mariage ou de funérailles. On est déçu de constater qu’il intègre très timidement de tels éléments dans son action. Dans Notre fille, par exemple, le voyage en car est l’occasion de chants et, à la conclusion, une danse s’esquisse qui détend l’atmosphère et crée une ambiance bon enfant. 12. Espoir d’un nouveau langage Lorsqu'on observe attentivement la trajectoire esthétique du cinéma de Daniel Kamwa, on se rend compte qu'il y a une évolution certaine dans l'expression, la technique de la caméra, le mélange synchrone de l'image et du son pour produire le sens. Alors que dans Boubou Cravate les caméras étaient presque fixes, les plans courts comme ceux des cinémas du premier temps (Lumière, Méliès etc.), dans les films les plus récents (Le Cercle des Pouvoirs et Mâh Saah-Sah), Kamwa libère la caméra, il multiple les angles de prise de vue, le son est mieux utilisé pour compléter l'expression de l'image, comme par exemple dans la séquence de l'enfant qui dort, et dans son sommeil il est poursuivi par un fantôme. Nous avons, dans cette séquence, un excellent exemple d'utilisation d'une musique de circonstance avec superposition des écrans et utilisation simultanée de l'espace-temps. Dans ce film, les angles de prise de vue ainsi que les mouvements de caméra qui apportent du neuf sont nombreux. On peut dire qu’ici, Kamwa a atteint la maturité artistique et physique, son art est plus cohérent, plus authentique. Le public, qui est habitué aux normes filmiques internationales, est sensible à cette mutation positive qui permet à Kamwa, dans un nouveau langage, d'apporter au répertoire mondial de nouvelles approches esthétiques intimement liées au cinéma africain.

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VI. Les registres du sonore dans le cinéma de Daniel Kamwa Rappelons, pour bien nous situer sur le plan purement technique et même historique, que dans le muet, l’action se racontait à tous les temps. On se projetait dans l’image sans se soucier des durées exactes, on se promenait dans le passé et le futur en interprétant les gestes, les mimiques, les signes exagérés des personnages. Dans les années trente, le son entra en scène et tira le cinéma vers un nouveau réalisme, celui de la durée, de la continuité sonore. Mais le déroulement sonore ne supporte ni l’accélération, ni la coupure. La bande son se calque sur ce que l’oreille entend d’habitude. Pour être réaliste, pour paraître naturel, le son s’ajuste à la bonne vitesse sur le continuum auditif. A partir de là, l’image se synchronise à son tour sur le développement sonore, et le cinéma accède à une impression de réalité totalement nouvelle. L’action se raconte désormais au présent de l’indicatif, et l’énonciation filmique est portée par la modalité assertive, c’est le règne de l’ici maintenant. Réaliste, le son impose à l’image un parcours régulier, un dépassement, on a accès aux dialogues, à la saveur du texte. Dans les films de Kamwa, le travail des comédiens (texte et geste vocal), celui de l’ingénieur du son (timbres, modulations, plans sonores), le travail du monteur (décors sonores, continuité synchrone), celui des musiciens (phrasé, instrumentation) s’harmonisent au mixage comme une partition déjà travaillée rejoint le pupitre du chef d’orchestre pour être jouée. Les différents registres du sonore s’assemblent pour former la bande son, bande qui n’est pas écoutée pour elle-même, mais dans son rapport à l’image, puisqu’elle doit compléter et enrichir ce que l’on voit à l’écran. En raison du fait que les films de Kamwa sont tournés en décor naturel ou en extérieur, le mélange des éléments composés du son est d’abord détaché du film avant de rejoindre la bande image sur le même support, sans possibilité d’autonomie (piste optique des films). Les registres du sonore ne sont donc ici développés que dans leur confrontation à l’image qu’ils contribuent à vivifier. Prenons, pour illustrer, un extrait de Pousse-Pousse. Pousse-Pousse vient d’acheter son triporteur flambant neuf. Heureux, il le ramène à la maison. Les badauds le suivent avec admiration. La séquence commence lorsque sa sœur voit 81

le triporteur pour la première fois et il la transporte pour l’accompagner au marché Nkololoun où elle vend de la nourriture. Cette séquence de deux minutes trente est traversée par les principaux éléments constitutifs de la bande film, à savoir : la bande image composée d’images, mais aussi d’inserts graphiques qui sont inscrits sur la bande image. Il y a aussi la bande son composée de trois pistes : le dialogue, le bruit et la musique. Ces éléments composites s’intègrent en une sorte de danse magique et harmonieusement rythmée pour produire le sens du film. Voici l’extrait du dialogue de la séquence : Bruits et trépidations de la ville. Les voitures passent dans un bruit assourdissant. Pousse-Pousse surgit au loin fièrement assis sur son triporteur. Il est suivi par une bande de badauds qui l’acclament : Les enfants : ouéh ! ouiéh big boss, big boss !. A l’entrée de la maison, ils sont chassés par Hélène, (jouée par Madeleine Happy,) la sœur de Pousse-Pousse. Hélène : Allez, partez, petits curieux. Qu’est-ce que vous avez à regarder… eh, Pousse-pousse ! Qu’est ce que je vois là ? Elle est vraiment bien à toi ? Pousse-Pousse : Eh ! oui ! Hélène : Tu as donc fini par l’acheter ? Pousse-Pousse : Eh, comme tu vois ! j’ai payé son prix, il m’appartient. Hélène : Tu en parlais tellement ! Pousse-Pousse : ouais ! Hélène : Moi je m’apprêtais même à aller vendre mon riz au Camp Yabassi. Tu peux me prendre ? Pousse-Pousse : Allez, viens, on y va ! Hélène : Attends que je prenne au moins mes affaires (bruits des ustensiles et des assiettes qu’on charge dans le triporteur). Pousse-Pousse : Ne la bouscule pas, eh ! Elle m’a coûté plus qu’une femme, cette machine, il faut la prendre gentiment. Hélène : Il faut qu’elle te rapporte au moins une gentille épouse (elle monte à bord du triporteur-Les enfants suivent en criant et en chantant de joie). Pousse-Pousse : Dis-donc, tu me disais tout à l’heure de penser à me trouver une femme. Est-ce que toi-même tu penses à te trouver un nouveau mari ? J’espère que tu mets beaucoup d’argent de côté. 82

Hélène : Ce sont les hommes qui doivent doter les femmes et non le contraire. Tu dois doter ta future femme dès maintenant. Pousse-Pousse : Tu crois que papa va m’aider ? Hélène : Il va te dire que ça porterait malheur, puisque notre arrière-grand-mère n’avait pas été dotée. Pousse-Pousse : Ah ! ah ! ah ! Hélène : Cette histoire de dot n’est pas bien quand même, les hommes nous achètent comme des chèvres. Et si nous les achetions aussi, est-ce que nous pourrions disposer d’eux comme ils disposent de nous ? Pousse-Pousse : Eh bien essayez toujours, vous verrez bien ! Hélène : Tu sais, Rose t’aime bien, elle serait une bonne épouse pour toi Pousse-Pousse : ah oui, tu crois ? Hélène : Et tu devrais te dépêcher parce que celle-là, elle ne va pas traîner longtemps. Je l’aime mieux que sa sœur Bernadette. C’est dommage qu’elle ait raté son certificat. Pousse-Pousse : Tant mieux qu’elle ait raté son certificat. Parce que sinon elle me coûterait trop cher. Tu sais combien son père a demandé à un gars qui voulait épouser Bernadette ? Neuf cent mille francs ! Hélène : Parce qu’elle fréquente l’école de secrétariat ? Pousse-Pousse : Ah ! ah ! ah !Dis-donc, où veux-tu que quelqu’un trouve une somme pareille ? Hélène : Neuf cent mille francs pour une fille ? 1. Les dialogues Comme on le voit dans cet extrait, le dialogue est à la fois texte linguistique et geste vocal. La parole annonce une réalité souvent différente de l’image, qui se promène dans le passé ou le futur : « Tu me disais tout à l’heure ». C’est par le pouvoir de représenter que les mots agissent sur le spectateur, mais dans la pratique, et concrètement, les mots existent qui immergent dans des situations, des actions, des jeux de force ou d’influence. En écoutant s’exprimer un personnage de Kamwa, nous avons une multitude d’informations sur lui et sur son entourage, son niveau culturel, son niveau socioprofessionnel, ses origines (par son accent). Dans Notre fille, les dialogues regorgent de termes et d’expressions de la langue locale (fông, sud Cameroun), des exclamations « Aya », 83

« Ah », « Aakié », « Eéekié » qui marquent l’émerveillement, la surprise ou l’admiration, le reproche, la désapprobation, etc. Nous sommes ici au Sud Cameroun, et le dialogue est d’autant plus marqué que les personnages sont en contexte (au village), et que le film est adapté d’une pièce de théâtre, ce qui n’est pas le cas de Pousse-Pousse, ou du Cercle des Pouvoirs où les dialogues s’efforcent d’être neutres (ils ne sont pas régionalement marqués). Au-delà de simples éléments ayant trait à l’histoire, le dialogue nous offre une multitude de renseignements sur l’état permanent des personnages. On comprend pourquoi Kamwa adapte le langage à l’humour de ses personnages comme on le voit dans le dialogue ci-dessus avec Hélène, où les deux acteurs parlent de choses sérieuses sur un ton comique et bon enfant. Ici, on peut remarquer que Kamwa fait « parler » le silence qui suspend les dialogues et dévoile le sous-entendu, la dissimulation. L’œil se reporte sur les visages, les regards, les expressions de la physionomie, de sorte que nous avons tendance à réciter à mi-mot le non-dit. Dans cette séquence, les répliques guident le découpage en champs-contre champs entre Pousse-Pousse et Hélène, elles gèrent les codes du silence qui les entoure. Les répliques peuvent évoquer d’autres lieux, d’autres temps. La parole nous envoie vers des situations passées ou futures, relançant dans l’instant présent de nouvelles versions entre les personnes. Dans ces dialogues, les mots créent des images mentales qui échauffent des visages qui parlent. Les échanges de paroles tendent à convaincre, à obliger, à susciter la sympathie ou le désir, à imposer des représentations plus ou moins exactes, plus ou moins mensongères ou incomplètes. Entre Jisset et Sifoh, le dialogue est poli, mais les mots sont récurrents qui indiquent qu’ils sont en passe d’entrer dans une relation amoureuse. On parle pour émouvoir, réconforter, détendre, relancer. Alors que entre Jisset et Moni-Sam, le dialogue est poli mais musclé, le discours fait exister ce qu’ils pensent l’un de l’autre et fait ressortir la rivalité et l’antagonisme qui les opposent. Conscient du fait que chaque milieu social a son langage, son vocabulaire, ses tournures, ses expressions, Kamwa crée un langage marqué socialement (Notre fille et Pousse-Pousse), (dans Le Cercle des Pouvoirs), et ce langage permet au spectateur et aux acteurs de se reconnaître comme appartenant au même groupe social, à la même région ou au même pays. C’est un autre aspect identitaire qui préside à la conception et à la production des dialogues filmiques dans le cinéma de Kamwa. Chaque milieu mis en scène en dialogues dans les films de 84

Kamwa dévoile le nom pour bien spécifier l’endroit : Camp Yabassi, marché Lagos, Nkolouloun, etc. 2. Les voix La voix est un élément du jeu de l’acteur, de sa personnalité. La voix est son et en conséquence, elle en possède toutes les caractéristiques : hauteur, puissance, timbre, modulation mélodique. La voix parlée et chantée est, comme l’écrit Tourneaud, essentiellement un geste, autrement dit « un mouvement du corps en vue d’exprimer le sentiment ».4 Autant que notre visage, notre voix nous distingue de l’autre. Elle révèle nos états d’âme, elle est plus qu’un simple phénomène sonore, elle est créatrice d’émotion. Support acoustique de la parole, la voix s’exprime dans le temps et la durée sous forme de synthèse, de modulation, de mélodie dont découle un message signifiant en fonction du code de la langue parlée, message chargé par ailleurs d’une valeur esthétique et aussi affective. En fait, comme l’écrit Michel Chion, « dans un film, ce n’est pas seulement d’intelligibilité qu’il s’agit : il s’agit du privilège donné à cet être sonore qu’est la voix sur tous les autres, de la même façon que le visage humain n’est pas une image comme les autres. Paroles, cris, soupirs ou chuchotements, la voix hiérarchise tout autour d’elle »5. Lors d’une séance de visionnage du Cercle des Pouvoirs, un étudiant de l’Université de Yaoundé I a eu cette remarque : « Les personnages de Daniel Kamwa mangent les mots, ils escamotent les syllabes et oublient les finales…Ils veulent parler comme les Français de France, mais ça sent l’artifice, il y a un aspect vernis ». Il a raison sur plusieurs plans. Dans Le Cercle des Pouvoirs, on est gêné de constater que Sifoh parle d’une voix fluette, en rupture totale avec le rôle qu’elle joue. Le personnage de Bien Aimé, le fils de Sifoh qui est dans la vie le fils de Kamwa, parle avec un accent fortement parisien, alors que le film est censé mettre en scène des personnages camerounais résidant au Cameroun. Cette suprématie de la voix sur l’ensemble des bruits environnants dans les films est soutenue par la diction et l’intonation qui sont pour ainsi dire « les marques déposées » de la voix humaine. Entre chair et texte parlé, la voix propose une identité, un visage vocal, c'est-à-dire que l’âge, le sexe, le caractère vocal ou psychologique sentent plus dans le timbre modulé par la langue, l’articulation des 4 5

J.C. Tourneaud, Le son au cinéma, Paris, Klincksieck, 1996, p. 26 Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, Paris, Cahiers du Cinéma, 2003, p. 67 85

syllabes. La voix de Kamwa est plus grasse, plus mûre, plus posée dans Le Cercle des Pouvoirs que dans Pousse-Pousse où il est encore jeune et plus enthousiaste. Dans Pousse-Pousse, certains acteurs ou actrices comme les sœurs de Rose ont une articulation difficile à comprendre au premier coup, même pour le spectateur camerounais. On est obligé de « tendre l’oreille ». C’est le cas, par exemple, dans la scène qui a lieu dans le bordel, où on entend la voix acousmatique de Papa Bésséké, pendant que la caméra cadre Pouse-Pousse en plan moyen. Les jets de paroles de Papa Besséké, les filets de voix, les respirations et les soupirs nous renseignent sur celui qui parle hors champ. De même, dans Le Cercle des Pouvoirs, dans la scène où Moni-Sam demande un crédit qui lui est refusé, lorsqu’il s’énerve, l’intonation, le débit, l’accentuation (le geste vocal, en somme) traduisent l’état du personnage, son trouble, son désir, ses intentions. Ici, le sous-entendu naît de la confrontation entre le visage vu et le geste vocal entendu, de l’interaction entre le visage qui exprime l’agacement et la voix qui le traduit. Ici, le pays des voix est un espace fascinant, un paysage coloré à visiter. Les voix s’équilibrent mutuellement dans ce qu’elles ont de mélodique dans la façon d’agencer les mots. Dans les films de Kamwa, c’est comme une symphonie, un accord. La voix ajoute à l’image une plus-value expressive qui facilite la compréhension des personnes et affine la justesse du ton. 3. L’ambiance Tournés en décors naturels, les films de Kamwa offrent à l’œil et à l’oreille l’ambiance typique de l’espace africain. Le chant du coq, le caquètement des poules, les aboiements des chiens (dans Notre fille), la couleur sonore du marché et les ambiances sonores des bidonvilles d’Afrique (dans Pousse-Pousse). Le lieu scénique déborde l’écran et se donne par le décor sonore. Une atmosphère est reproduite par le micro, composée, faite de plusieurs sources sonores, petites ou grandes, de détails sonores proches ou lointains, comme la voix qui interpelle de loin : ah Mbarga ô ! dans Notre fille. Ce sont des sons indices ou symboles capables de « dire » le lieu ou le moment, sons ambiance qui balisent l’espace et le temps. Tourné en décor naturel, le lieu scénique est installé grâce à une panoplie de sons soigneusement choisis pour leur discrète expression ou au contraire leur ostensible signification. Il faut régler l’intensité de ces ambiances, en rappelant qu’une idée forte n’a pas besoin d’un son fort, 86

mais d’un son cohérent, émergeant, captant la curiosité auditive. Il faut arranger les intervalles et les écarts entre les bruits, si ceux-ci doivent entrer en rapport par leur succession ou par leur rythme. Dans la scène de la poursuite des vendeurs à la sauvette (Le Cercle des Pouvoirs), par exemple, les bruits d’ambiance se font entendre avec leur reverbérance, leur couleur, leurs résonances. Le champ diffus informe sur « l’esprit des lieux », le décor visuel et l’acoustique se répondant mutuellement et traduisant l’ambiance typique d’une scène de poursuite dans un marché d’Afrique. Dans la scène où l’acteur Pousse-Pousse est suivi par les enfants dans les rues de Douala, les échos détachés font que l’ambiance place le spectateur au cœur du lieu scénique en lui donnant l’acoustique de la situation filmique, sorte de background apte à délimiter une unité de temps, de lieu ou d’action. Contrairement à ceux qui pensent que l’ambiance se résume au simple enregistrement du lieu scénique, une sorte de bruit de fond, une étude un peu approfondie de la bande son des films de Kamwa révèle que l’ambiance va bien au-delà ; elle définit le lieu où des sons soigneusement choisis forment un paysage sonore, un univers auditif qui complète et souvent déborde le décor visuel. C’est différent des films américains où les bandes son ont l’air préalablement faites, comme du réchauffé que l’on plaque sur la bande image. Exemple, vous entrez dans une pièce, vous entendez un téléphone qui sonne. Vous savez déjà que c’est le même téléphone qui sonne dans beaucoup d’autres séries. La bande son de chaque film de Kamwa est intégralement refaite. Pousse-Pousse reflète l’ambiance sonore du Cameroun des années 1974 avec les musiques d’André-Marie Tala qui étaient alors à la mode. Chaque film de Kamwa reflète la couleur musicale de l’espace camerounais au fil des années, comme par exemple la musique de Tom Yom’s dans Le Cercle des Pouvoirs et dans Mâh Saah-Sah reflète respectivement l’ambiance de la ville de Douala des années 90 et des années 2000. 4. La musique La musique a d’autres usages que la « musique tapisserie », musique de remplissage. Les chansons font partie du scénario, et D. Kamwa s’assure, avant le début du tournage, d’avoir un air musical qui adhère au thème du film et participe à la construction de sa cohérence thématique. Dans Pousse-Pousse par exemple, les paroles de la chanson d’AndréMarie Tala soulignent les souffrances de Pousse-Pousse et de ceux qui 87

aspirent au mariage sans avoir les moyens de payer la dot. Chantée en langue bandjoun (langue de l’ouest Cameroun), voici la traduction du refrain : Où va le pauvre ? Que va devenir le pauvre ? Le mariage est devenu une affaire de riche. Lorsqu’on donne naissance à un enfant de sexe féminin. Est- ce à dire qu’on a récolté des sacs de café à vendre ? Lorsqu’on donne naissance à un enfant de sexe féminin. Est-ce à dire qu’on a récolté des sacs de cacao à vendre ? Comment peut-on exiger d’un jeune homme des perles en or ? Qu’attendez-vous de lui ? N’est-ce pas l’inciter au vol ? Où va le pauvre ? Que va devenir le pauvre ? Que va devenir celui qui est sans le sou ? Est-il condamné à rester célibataire ? Cette chanson traduit la déception de Pousse-Pousse, aussi bien en termes de réaction qu’en termes d’intentions. La mélodie, le rythme, la respiration du phrasé prennent en compte l’état affectif ou intentionnel du personnage, suscitant une identification plus forte aux tourments, désirs, espoirs ou angoisses des uns et des autres. La musique d’André-Marie Tala suit pas à pas les pensées des principaux personnages, explicitant à chaque instant ce qui les anime ou les émeut. Le thème de la dot et les cadeaux divers au père de la fiancée sont récurrents dans les chansons d’André-Marie Tala dans Pousse-Pousse. C’est le cas de la chanson intitulée Gotam (Ma Chérie). Chantée en langue bandjoun, dont nous donnons ici un extrait traduit en français. Cette chanson est le cri du cœur que lance Pousse-Pousse à sa dulcinée. Ma chérie, je t’avais dit de venir me voir. Tu n’as pas dit oui, tu n’as pas dit non. Que veux-tu que je fasse ? Viens donc me voir. Viens donc à moi.

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C’est un rythme typiquement africain et camerounais, mélange de la musique traditionnelle bamiléké, du makossa (Douala) et de la rumba. Le spectateur est pris par la main, on l’amène à comprendre l’enjeu et les conflits. La musique a aussi comme fonction esthétique de commenter dans l’avant -coup le danger (comme dans Le Cercle des Pouvoirs), lorsque le fantôme poursuit l’enfant dans les rêves, d’annoncer le surgissement probable d’un incident (comme la présence inattendue du sorcier devant la villa de Moni-Sam - Le Cercle des Pouvoirs). Comme une sorte de bande annonce, elle renforce la maîtrise supposée du spectateur sur le devenir des personnages, ou alors elle commente synchroniquement l’effet de surprise, l’inattendu d’une situation nouvelle. Elle renforce ainsi le coup de théâtre, la bifurcation imprévue de l’intrigue. Avec un petit retard, elle amplifie les conséquences de la nouvelle donne et son retentissement dans le conflit entre les personnages. La musique connaît aussi d’autres emplois. Elle dirige le regard du spectateur en un point de l’écran (comme dans la scène de la porte qui s’ouvre chez Sifoh pour laisser entrer Jisset dans Le Cercle des Pouvoirs), sur une attitude, sur un mouvement. Ici, le cinétique musical accroche le cinétique visuel : le motif mélodico-rythmique vient désigner, accentuer les gestes, le rythme, l’activité des personnages. Les mouvements cherchent à se synchroniser, se rencontrer, se souligner mutuellement. La musique travaille aussi la mémoire du spectateur à propos d’un personnage ou d’une situation. Le leitmotiv réactualise dans la conscience un élément préalablement associé : une tension, un désir, un but, un conflit. Dans la séquence de la poursuite de l’enfant, par exemple, l’ostinato-rythmique marque le retour d’une hantise, d’une difficulté, d’un manque. L’enchevêtrement des thèmes, des musiques évoque le tiraillement des héros entre plusieurs univers, entre des pôles contradictoires de l’action qui se disperse sur trois instances, Sifoh, Jisset et Moni-Sam. La musique permet aussi de dater une époque, musique de André-Marie Tala dans Pousse-Pousse, celles de Tom Yom’s dans Le Cercle des Pouvoirs et Mâah Sah-Sah. Elle permet également de situer un pays (toutes les musiques dans les films de Daniel Kamwa situent le spectateur en Afrique et spécifiquement au Cameroun), une contrée. Par ailleurs, la musique offre une palette de styles, un éventail de genres susceptibles de se fondre dans la fiction en respectant l’aire culturelle et l’espace historique pour mieux l’étayer. La mélodie annonce 89

un « je », une subjectivité allant/devenant, mais l’espace d’énonciation filmique s’emplit de la beauté des timbres, de l’alliage des sonorités. L’accompagnement développe plusieurs lignes instrumentales, déroule plusieurs niveaux de « commentaire ». Le spectateur, s’identifiant aux personnages ou à la situation, revit les émotions qui remontent à la surface, aidées par la présence des images. L’enchaînement spontané des souvenirs, des sentiments favorise le retour à « l’enfant intérieur », à la rencontre de Pousse-Pousse avec lui-même, par exemple. Dans cet unisson entre l’image et la musique qui l’accompagne et la souligne, la musique nous rassure et nous restaure dans notre identité. On se dit : « Oui, c’est bien un film camerounais, avec une musique bien du Cameroun, qui se déroule dans un décor camerounais. ». 5. Les langues Le conflit fait rage depuis plus de cinquante ans entre les partisans de la version originale (VO), ceux de la version originale sous-titrée (VOS) et ceux de la version doublée (VD). Quelles langues doivent parler les films africains ? Doivent-ils parler le français ? L’anglais ? La langue locale (celle du réalisateur) ? Ou une langue véhiculaire ? Nombreux sont les Africains qui parlent deux ou trois langues, mais la diversité linguistique est parfois très fortement marquée. Les fantômes du génocide culturel rôdent un peu partout. Pour les puristes, parler français c’est dépayser l’acteur. D’autres, dont Kamwa, répondent que ceux qui parlent cette langue sont plus nombreux dans les couches susceptibles d’aller au cinéma. C’est une question de réalisme. L’accent africain est-il un obstacle à l’internationalisation du film en dehors de l’espace africain ? Certains affirment que se limiter à une langue locale, c’est restreindre la diffusion et renoncer à la projection dans les Etats voisins ou en Europe et ailleurs. D’autres cinéastes prônent l’authenticité et préfèrent les versions originales sous-titrées. Les arguments sont variés. Il convient de souligner qu’en milieu urbain, le seul d’ailleurs pour lequel les circuits de distribution existent, la question linguistique se présente autrement que dans les villages. Si le cinéma muet était bien compris par tous par la force de la pantomime, des mimiques et des gestes exagérés, ce cinéma était, on le sait, handicapé par le fait que la seule image ne raconte pas tout le film. Les films de Kamwa parlent tous français, avec de temps en temps, des séquences parlées en jargon local (pidjin). Seul Mâah Sah-Sah sorti en 2008 a une bande originale en langue bamoun, langue locale du 90

Cameroun. Mais pour l’essentiel, Kamwa ne se pose pas de questions, il écrit et réalise ses films en français standard. Dans une interview qu’il nous a accordée, à la question de savoir comment il vivait sa relation entre sa langue maternelle au Cameroun et le français qui est la langue du colonisateur, il a répondu : « De mon point de vue, le cinéma, en tant que art de spectacle et de communication, a besoin d’efficacité, et la langue, appuyée par l’image, est un formidable facteur d’efficacité. Certes, elle ne peut pas à elle seule remplacer l’impact de l’image, laquelle est la force motrice du 7ème art. Je ne suis pas de ceux qui ont des états d’âme ou qui font des complexes par rapport à l’utilisation du français dans les films ou les écrits africains. Le choix d’une langue dans la réalisation d’un film est à la fois artistique et stratégique. Artistique d’abord, parce que je crois qu’il faut qu’il y ait une harmonie esthétique entre le thème, le lieu, l’époque, les personnages, etc. Stratégique ensuite, parce que le message, le contenu du film vise à atteindre le plus grand nombre possible de spectateurs. »6. 6. Les bruits et le bruitage Les bruits jouent un rôle essentiel dans la création de l’atmosphère. Bruits des voitures qui passent, bruits typiques des villes africaines, klaxons, sifflets des policiers, etc. Dans l’extrait du dialogue étudié (entre Pousse-Pouse et Hélène), le bruit couvre et rythme tout le parcours entre la maison de Pousse-Pousse et le marché où sa sœur Hélène vend de la nourriture. Bruits des voitures qui passent, trépidations urbaines. Dans Notre fille, on reconnaît le bruit caractéristique d’un village situé au cœur de la forêt : oiseaux ou quadrupèdes arboricoles, grenouilles, insectes, sans compter les tôles des toitures qui grincent en se dilatant au soleil et rétrécissent à la fraîcheur ou au tambour de la pluie. Tout cela est harmonieusement combiné pour ne pas alourdir le dialogue. Dans Pousse-Pousse, on reconnaît à l’oreille le bruit des marchés africains où on marchande, où on se bouscule. Dans ces films, il ne suffit pas d’enregistrer le réel, il faut le composer, le construire. Ici, le bruit que certains appellent effet est mixé avec suffisamment de « présence » pour être haussé à l’état d’indice agissant directement sur l’avancée narrative. Bruits de pas, porte qui claque (dans Le Cercle des Pouvoirs), cliquetis, moteur qui démarre, événement soudain. Ainsi, l’imagerie auditive est à double articulation. Il faut d’abord que le matériau sonore entendu désigne clairement l’objet source. Or, un phénomène sonore définit assez 6

D. Kamwa, interview réalisée par l’auteur 91

faiblement son objet à travers un mode de production mécanoacoustique. Il y a toujours une infinité d’ébranlements sonores, une multiplicité d’imageries spécifiques qui, toutes, appellent une lecture, un décodage (son-objet) particulier selon le mode de production sonore : choc ! ploc ! dring ! bang ! tonk ! boum ! etc. Ce décodage peut rester sans réponse précise, de sorte que seule la présence est détectée, signalée, mais cette présence flotte, hypothétique, en quête d’identification. Parfois, la réponse est claire, univoque (porte qui s’ouvre, voiture qui démarre) et l’objet est identifié avec certitude, hors de toute suggestion engendrée par le contexte. Dans l’espace des bidonvilles que la caméra cadre dans PoussePousse, la légèreté des matériaux, l’entassement des habitants et le goût général pour la radio entraînent un tapage perpétuel. Ces nuances, on peut le regretter, sont mal rendues dans les films de Kamwa où la gestion de certains bruitages est superficielle. Exemple, le triporteur de PoussePousse ne fait jamais aucun bruit significatif de l’effort qu’il exerce sur les pédales et sur la chaîne de son engin. Il faut cependant rendre justice à Kamwa d’avoir réussi à faire que dans ses films, l’audible, en tant qu’image du monde, déchoie au rang d’indice, tandis que le visible s’élève au rang d’objet, parfois même de réel. Nous interprétons un regard, un mouvement des lèvres à peine perceptible, un haussement d’épaules. Nous guettons les gestes, les déplacements silencieux, les coups d’œil. Nous cherchons sur les visages les désirs, les émotions, les projets, les réactions. Kamwa a su éviter les sons stéréotypés qui fonctionnent comme des sonnettes, comme des signaux convenus qui, finalement, nous renvoient à tous les films qu’on connaît déjà. Il a créé ses propres bruits par le jeu de la caméra qui filme en ambiance naturelle, définissant ainsi sa propre ambiance avec des sons réguliers qui collent à l’image particulière qu’il met en scène. 7. Rythme et danse Par l’alternance des bruits, des lumières et des ombres, le rythme est donné par la musique et le pas de danse. Les films de Kamwa ne sont ni des films d’action au sens hollywoodien, ni des films de musique au sens des films réalisés en Inde. Il n’y a pas d’angoisse, pas d’inattendu, pas de héros qui s’ébroue au rythme d’une musique de circonstance comme c’est le cas dans les films de Bruce Lee ou de Jean-Claude Van Damme. La danse est fréquemment filmée (comme le concert dans PoussePousse, ou la danse « ben sekin » dans Le Cercle des Pouvoirs), mais elle apparaît souvent comme une image que l’on insère pour meubler le 92

temps et le décor. On parle toujours de l’omniprésence de la danse en Afrique, mais elle n’apparaît curieusement pas dans la plupart des films réalisés par les cinéastes africains. Elle n’a pas dans les films de Kamwa, par exemple, le même poids qu’elle a sur la société camerounaise. Ici, la musique et la danse apparaissent comme de simples ponctuations filmiques, alors qu’elles rythment la vie de tout un peuple.

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VII. Les grands thèmes du cinéma de Daniel Kamwa Nombreux sont les thèmes qui traversent le cinéma de Daniel Kamwa : Citons, entre autres : l’argent, le travail, le sacré, la magie et le fétichisme, la démagogie politique et la corruption, l’image de la femme, etc. 1. L’argent

Figure 29 Une scène dans Pousse-Pousse L’argent est au cœur de tous les conflits. C’est lui qui nourrit l’intrigue et dynamise l’action dramatique. Tout s’exprime en termes de profit, de bénéfice, de cadeaux, de dons, etc. Pousse-Pousse a besoin d’argent pour acheter son triporteur, il en a besoin pour satisfaire son beau-père, il en a besoin pour séduire Rose, sa dulcinée. Dans Le Cercle des Pouvoirs, tout commence par la dévaluation du franc CFA. Cette crise monétaire pousse l’homme d’affaires véreux qu’est Moni-Sam à user de tous les privilèges pour maintenir son niveau de vie. Dans ce film, l’argent est parfois recherché par des voies mystiques, dans des tontines spéciales où la richesse et le bien-être social sont reçus en retour 95

de la vie d’un être cher offert en holocauste aux cercles magiques. Dans ce cas, l’argent est donné par des puissances surnaturelles plutôt que gagné par des moyens économiques. Moni-Sam rencontre le magicien Atchori qui lui promet la fortune et le bonheur. Il est pris au piège de l’argent facile. Dans Pousse-Pousse par contre, l’argent est gagné à la sueur du front de Pousse-Pousse qui travaille avec acharnement pour gagner son pain et mériter la confiance de Rose. Dans le cinéma de Kamwa, on n'est pas esclave de l’argent. L’argent est utile pour vivre, pour assurer certaines transactions. L’argent est nécessaire pour payer la dot d’une femme. En raison du fait que cette somme est d’un montant très élevé, les familles (Papa Besséké) spéculent sur le mariage comme sur une marchandise. Hélène, la sœur de PoussePousse le confirme en ces termes : « les hommes nous achètent comme des chèvres ». Cette spéculation va parfois jusqu’à faire divorcer une fille pour la marier à un prétendant plus fortuné. Notre fille aborde cette question, et le film est traversé par les fantasmes du père, des oncles, de la mère et de ses co-épouses : avoir « une maison en dur », acheter une auto, acheter un fusil, des pagnes, etc. Dans Mâh Saah-Sah, le richissime député use de sa fortune pour tenter d’attirer les charmes de la jeune fiancée. Il n’y parvient pas, l’amour triomphe. L’argent est donc tout autre chose qu’un outil d’échanges économiques. En lui-même, il n’assure ni la puissance, ni la sécurité, ni la satisfaction des besoins. Pour y parvenir, celui qui en possède doit d’abord s’assurer (avec sa fortune ou autrement) l’appui de sa famille, d’un clan ou d’un groupe social qui l’aide, le défend et travaille avec lui. Tout s’achète et se vend. Inspirés de la culture de l’ouest Cameroun où la grandeur de l’homme se mesure à la force de son travail, les films de Kamwa valorisent le travail qui est la clé de la réussite sociale, et dans ses films, comme dans la tradition bamiléké, l’argent du riche est parfois suspecté de provenir des cercles mystiques (Famla, etc.)

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2. Le travail

Figure 30 Une scène dans Notre fille Commençons par classer les films de Kamwa selon les professions qu’exercent leurs personnages : journaliste, homme d’affaires, homme politique, policiers (Le Cercle des Pouvoirs), fonctionnaires, paysan (Notre fille), diplomate, cuisinier (Boubou Cravate), vendeurs à la sauvette, conducteur de triporteur (Pousse-Pousse). La majorité des personnages desdits films sont des travailleurs de la production primaire : dockers au port de Douala, manœuvres, vendeurs à la sauvette, commerçants, domestiques. La répartition professionnelle est manifestement sans rapport avec le réel ; elle affirme l’appartenance urbaine et intellectuelle du réalisateur. Les méthodes de travail ne sont pas décrites. La plupart du temps, Kamwa filme un paysan en pleine activité, il filme un commerçant en le décrivant comme tel dans les dialogues. Dans Notre fille, Kamwa n’a guère montré les beaux champs de la région du sud Cameroun qui auraient fait de belles images. Les travaux féminins sont représentés : vente de la nourriture au marché (Hélène dans Pousse-Pousse). En général, le travail est valorisé en tant que moyen de subsistance et d’accomplissement social.

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3. Le sacré La notion de sacré est très souvent associée de façon automatique et presque exclusive à la notion de divin, de religieux. Cette conception limite l’univers du sacré qui peut être conçu comme un ensemble de valeurs pas toujours religieuses, mais auxquelles une communauté humaine attache la plus haute importance. Le sacré est un fait de culture, et il peut avoir des sens différents d’une culture à une autre. Prêtres, pasteurs, imams, etc. sont ostensiblement absents. On n’y retrouve même pas le culte des ancêtres (l’huile versé sur les crânes), ni des scènes où on donne à manger aux ancêtres comme c’est courant dans la tradition bamiléké dont il est un pur produit. Il convient de distinguer deux univers dans ses films, ce qui explique sans doute cette absence : celui du village et celui de la ville. Cette distinction a son importance dans la mesure où il apparaît clairement dans ses films que ces univers sont différents, en ce sens que c’est dans les villes que les valeurs d’autrefois sont foulées au pied, c’est là que les tabous disparaissent. Notons aussi que c’est en ville que les masques perdent leur signification rituelle, leur caractère sacré pour devenir d’uniques objets de commerce et de honteux trafics. La ville est le lieu de la remise en cause perpétuelle de l’élément autrefois sacré. Le village, lui, demeure fidèle au passé, on y reconnaît encore les valeurs sacrées (solidarité, amour, fraternité, etc. Comme dans Notre fille), et on a du mal à comprendre « le comportement des gens de la ville » (Mbarga dans Notre fille) qui ont perdu « le sens des choses sacrées et utiles pour un homme » (Mbarga dans Notre Fille). L’élément sacré existe toujours, mais il faut le rechercher plutôt dans le cadre rural, car, en ville, les anciennes valeurs sont quelque peu ignorées. Seuls comptent l’instinct de conservation, la capacité d’adaptation et l’effort pour survivre. Les anciens rites qui reliaient l’homme à son terroir n’y ont plus cours : le sacré devient autre chose : l’argent, la puissance, les plaisirs, l’alcool et les femmes, et cet univers urbain menace d’envahir l’espace rural, avec tous les bouleversements que cela entraîne. C’est la raison pour laquelle, du village à la ville, on passe d’un monde à un autre, c’est un basculement topologique (dans Notre fille), d’où le traumatisme profond ressenti par le patriarche Mbarga et sa suite qui ne comprennent pas comment « on peut vivre comme ça ! ». Le sacré est aussi parfois représenté par les objets d’art qui marquent le passage au sacré : comme par exemple dans Boubou Cravate lorsque le couple est ramené à un mode de vie plus Africain par un cuisinier, maître des traditions qui brandit un masque sur les têtes inclinées. 98

Dans son film Akum, Daniel Kamwa présente une heureuse cohabitation entre la religion chrétienne et le culte traditionnel consacré à la déesse Mitchouni, déesse de la terre et de la fécondité. Il traduit ici l’adhésion des africains à leurs valeurs sacrées. En Afrique, on mélange les cultes. Après la messe, les fidèles n’hésitent pas à s’adonner à leurs pratiques fétichistes. 4. La magie et le fétichisme

Figure 31 Une scène dans Le Cercle des Pouvoirs Parlant du Cercle des Pouvoirs, Kamwa affirme : « Il y a deux cercles magiques dans le film : le sorcier maléfique qui fait croire à tous ceux qui veulent bien l’écouter qu’il peut les aider à accéder au pouvoir et à s’enrichir, moyennant des sacrifices imprécis au départ et qui mèneront à sacrifier un proche pour pouvoir s’en sortir, et le guérisseur Atchori qui essaye d’aider les gens qui sont dans une mauvaise passe et risquent leur vie. C’est une réalité africaine aujourd’hui. Mais, même en France, l’Eglise ne remplissant plus son rôle, on voit se développer des marabouts de toutes sortes.» Le cinéma de Kamwa est traversé par ces pratiques de magie et de sorcellerie très fréquentes dans la tradition africaine. On interroge le devin qui annonce qui est qui, qui veut quoi, et il prescrit, bien sûr contre paiement en espèces ou en nature, le traitement, généralement le « blindage » contre les esprits et les pratiques

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maléfiques des ennemis. Dans Le Cercle des Pouvoirs, Moni-Sam offre l’aumône à un mendiant au bord de la route. C’est le prince des ténèbres, et cette pièce à lui offerte signe l’alliance magique entre eux. Moni-Sam est désormais prisonnier de ses pratiques magiques. Il se verra contraint d’offrir son fils en sacrifice. L’autre sorcier, Atchori, est le gourou de Jisset qu’il protège contre les pratiques maléfiques du gourou de MoniSam.

Figure 32 Une scène de Le Cercle des Pouvoirs Magie noire C’est un monde rythmé par le combat feutré des magiciens qui protègent chacun son poulain. Comme dans la société traditionnelle africaine, le magicien a sa place, sa parole est sacrée, et il est vénéré comme étant celui qui a accès au monde de l’au-delà, celui qui peut passer de ce monde à l’autre et revenir nous mettre en garde contre le danger qui rôde. Il est considéré comme celui qui « nous aide » en communiquant avec les ancêtres qui nous mettent en garde contre les pièges de la vie et nous « transmettent » leurs doléances afin que des sacrifices soient faits pour échapper à leur colère. Signe de cette communication avec l’au-delà, dans Le Cercle des Pouvoirs, le prince est assis au cœur de la forêt autour du feu. Les enfants sacrifiés avancent vers lui et il étend ses mains sur eux comme pour les bénir et les protéger, alors qu’il est en réalité leur bourreau. A ce moment, on entend la voix de l’épouse de Moni-Sam, qui, paniquée, dit à sa mère : « Depuis

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la mort de Christina, je fais trop de cauchemars, j’aimerais qu’on aille voir ce grand guérisseur dont tu m’as parlé. » Bien-aimé, le fils de Moni-Sam, en jouant avec l’ordinateur, est électrocuté mystiquement et son hospitalisation n'y fera rien, le sorcier Atchori aura raison de la médecine moderne en prenant la vie de l’enfant. Atchori l’affirme : « Le jour, on t’admire, la nuit on creuse ta tombe.» 5. La démagogie politique et la corruption Ce thème est très présent dans les derniers films de Kamwa, notamment dans Le Cercle des Pouvoirs et Mâh Saah-Sah. Dans Le Cercle des Pouvoirs, Moni-Sam incarne l’homme politique démagogue et menteur. Au cours de son meeting lors de la campagne pour les élections législatives, il promet de lutter contre la corruption, de créer l’école gratuite, alors que dans la réalité, comme on le voit dans le film, il est le premier corrompu et corrupteur. Il déclare : « Vous me ferez député le jour de l’élection, je n’en doute pas... Je travaille beaucoup... Je veux que les choses changent... Si je suis élu comme le laisse croire votre enthousiasme, les choses changeront... Je ne peux plus supporter d’entendre, démocratie, moralisation... Je vous promets liberté, prospérité, solidarité ». Dans Mâh Saah-Sah, le député promet ciel et terre aux habitants du village. Il est généreux, il assiste les familles endeuillées même lorsqu’il n’est pas concerné. Tout cela pour donner de lui la fausse image du bienfaiteur alors qu’en réalité ses actions n’ont d’autre but que de séduire les femmes. Le thème de la démagogie politique et de la corruption est développé avec beaucoup d’aisance et de hardiesse dans Le Cercle des Pouvoirs. En d’autres temps, on aurait craint que le film soit censuré, tant il met le doigt sur un problème réel et dénonce les méthodes bien connues des hommes politiques africains qui, à la faveur de l’instauration du multipartisme, ont détourné la démocratie en faisant des promesses jamais tenues à un électorat naïf, conscient du fait que les urnes sont bourrées et que de toutes les façons, Le Cercle des Pouvoirs (magique, politique, affairiste) l’emportera. Ces hommes politiques africains que Moni-Sam représente ont fait de la corruption leur meilleur moyen de réussite sociale. Ils sont de connivence avec les douaniers pour l’importation frauduleuse de leurs marchandises, ils sont de connivence avec les inspecteurs des impôts pour ne pas payer les impôts, ils usent de passe-droit et narguent le peuple. Conscients du fait que les gens ont faim et qu’ils sont pauvres, ils vont jusqu’à acheter des voix en distribuant de l’argent et des sacs de riz lors des campagnes électorales. 101

Saluons le courage artistique de Kamwa qui a osé faire ce qu’il n’avait jamais fait dans aucun de ses films, attaquer de front et dénoncer les turpitudes des hommes politiques qui enfoncent l’Afrique dans la misère et appauvrissent les peuples en détournant massivement leurs ressources. Moni-Sam représente cette classe sociale d’hommes politiques africains qui ont su profiter du prétexte démocratique pour abuser du pouvoir de corruption que leur confère leur appartenance au cercle des pouvoirs. Ici, corruption et démagogie politique se donnent la main dans une affreuse danse mystique contre les peuples qu’on dépouille de manière éhontée. Pour mieux asseoir sa stratégie, Moni Sam veut inviter Sifoh à rejoindre son comité de soutien et souhaite que Jisset soit son directeur de campagne. Il pense pouvoir corrompre tout le monde. L’intégrité de Jisset et Sifoh nous rassure que tout n’est pas perdu et qu’il y a en Afrique des populations intègres, prêtes à vivre leur vie en toute honnêteté : « Dans une démocratie digne de ce nom, les électeurs sont en droit d’exiger la transparence totale à l’égard de tous ceux qui aspirent à gouverner.», déclare Jisset. Moni-Sam reconnaît la réalité de la corruption et la revendique même : « La démocratie en Afrique, dit-il, ce n’est pas comme dans les grands pays où vous avez fait vos études … Je peux vous écraser comme un ver de terre. ». Nous sommes soulagés lorsque Jisset est vainqueur de ce bras de fer, malgré son licenciement du journal « Le Perroquet » qui a entre temps été acheté par Moni-Sam, qui a imposé au Directeur, contre forte récompense, de licencier Jisset. Nous sommes encore plus heureux lorsque le film s’achève sur la déchéance totale de Moni Sam, signe qu’en Afrique, la corruption et la démagogie politique peuvent remporter quelques victoires épisodiques, mais ne remporteront pas la victoire finale. Cette dénonciation est d’autant plus salutaire que la société africaine en général et camerounaise en particulier est atteinte dans toutes ses couches par le fléau de la corruption. Saluons la présence, dans Le Cercle des Pouvoirs, de Pius Njawé, le directeur de publication du quotidien Le Messager paraissant à Douala au Cameroun. Pius Njawe joue le rôle du policier, alors que dans la vie, en tant que journaliste, il est constamment victime du harcèlement et des tracasseries de la police et de la justice camerounaises.

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6. La femme

Figure 33 Une scène dans Notre fille (D. Kamwa et Bintou) La femme est un acteur incontournable du cinéma de Daniel Kamwa. Elle est l’épouse (Madame Besséké dans Pousse-Pousse), la mère, la grand-mère, la sœur (Hélène), l’amie (Sifoh dans Le Cercle des Pouvoirs) et/ ou la fiancée (Rose dans Pousse-Pousse). Elle est à l’image de la femme africaine dans l’évolution progressive de son comportement vers l’émancipation. De Rose, la soumise qui attend tout de son père, qui a raté son certificat et qui ne compte que sur le revenu et la force du travail de son futur mari (dans Pousse-Pousse) à Sifoh (dans Le Cercle des Pouvoirs), la mère célibataire qui tient un magasin de prêt- à- porter et qui « fait la ligne » comme on dit des femmes qui vont acheter en Europe pour venir revendre en Afrique, il y a eu un passage de témoin entre les générations et les années. Dans les premiers films de Kamwa (Pousse-Pousse, Boubou Cravate et Notre fille), elles sont hypocritement dociles. Elles en donnent toutes les apparences : elles sont respectueuses de l’autorité sociale : le père (pour Rose), le mari (pour Madame Besséké), et l’institution familiale (pour Charlotte dans Notre fille). Respectueuses en apparence, elles sont en fait au fond d’elles-mêmes révoltées, contestataires, mais elles savent 103

quelles sont les formes de contestation admises par la société dans laquelle elles vivent. Elles font de la résistance silencieuse mais toute aussi ravageuse. Face à la cupidité de son mari, Madame Bésséké garde le mot mesuré, elle cultive le silence contestataire, une forme de soustexte. Rose n’ose dire le moindre mot à son père, même lorsqu’elle est persuadée avec ses amies et ses sœurs qu’il exagère et qu’il pourrait, par cette cupidité, mettre en péril son union avec Pousse-Pousse.

Figure 34 Une scène dans Notre fille. Le repas sous l’arbre au village Les femmes forment un camp et s’organisent pour obtenir de Papa Besséké ce qu’elles veulent, sans le heurter de front et sans le laisser soupçonner un seul instant que son autorité de chef est remise en question. Le mariage aura finalement lieu in extremis et c’est lui qui, malgré son autoritarisme, finit dans le ridicule en étant la risée du quartier. Entre l’héroïne de Pousse-Pousse et celle du Cercle des Pouvoirs, il y a la dimension de la sensibilité. Rose est fragile comme la fleur dont elle porte le nom. Elle est soumise, attentive, attentionnée et aimante. Sifoh est, quant à elle, une rompue des combats pour la vie. Elle a eu un enfant avec un homme qui vit en Europe, elle s’en occupe seule et en a les moyens. Elle tient son magasin et sait se méfier des faux joueurs et des aventuriers qui recherchent le plaisir d’un soir ou une 104

amitié basée sur le calcul. Sa forte personnalité irrite Moni Sam, le macho, visiblement habitué à obtenir des femmes ce qu’il veut, grâce à sa prestance, son argent et son influence sociale. Sifoh n’est pas impressionnée par ces attributs, elle le repousse poliment mais fermement, et donne de la femme africaine l’image rassurante de celle qui sait ce qu’elle veut, où elle veut mener sa vie et avec qui. Elle est différente de la femme vue par Dikongué Pipa dans Muna Moto et Le prix de la liberté, où elles sont superficielles et versent dans le cliché.

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VIII. Kamwa et son public Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Kamwa déclare « qu’un cinéaste qui ne tient pas compte de son public au moment de concevoir et de mettre en film ses idées n’a pas d’avenir. C’est le public qui fait vivre l’œuvre, c’est lui qui, en s’y reconnaissant apprécie le film ». A l’instar du cinéaste américain ou européen, le cinéaste africain doit tenir compte des attentes du public, il doit comprendre ses réticences. Le public des villes ne réagit pas de la même manière que celui des campagnes. Il est important de comprendre les ressorts et les motivations du public cinéphile, ceci permet de mieux tailler la production et la programmation à ses besoins et au climat mental de l’époque. Les difficultés financières auxquelles sont confrontés les cinéastes africains ont eu tendance à faire oublier qu’il existe un public africain sans qui les films africains n’auraient pas de raison d’être. On a tendance à reprocher à ce public de préférer les films occidentaux aux films africains, d’être naïf et de préférer les « mauvais films venus de loin ». En raison du fait que les films africains sont oubliés par la distribution qui ne les considère pas comme des films « rentables », à l’exception de quelques-uns (ceux de Sembène, de Cissé ou de Diop Mambety), parce qu’ils sont ignorés par les critiques et qu’on s’interroge très peu sur leurs conditions de production, le public africain qui vit en zone rurale sans électricité n’a pas accès aux films produits par les Africains. Conséquence, le public africain des films africains est très peu nombreux. Aujourd’hui, la situation est encore plus grave, avec l’invasion des vidéos clubs et la fermeture de la plupart des salles de cinéma. Au Cameroun, selon une enquête menée dans le cadre d’un mémoire de fin d’études à l’ESSTIC7, il ressort qu’en 1985, les services du Ministère de la Culture faisaient état de l’existence de 72 salles de cinéma au Cameroun, dont huit dans la seule ville de Yaoundé. En 1998, il n’en restait plus que 23, et aujourd’hui, la dernière salle encore ouverte dans la ville de Yaoundé, le cinéma théâtre Abbia, vient de fermer ses portes. Sur l’ensemble du territoire national, il ne reste plus aucune salle 7

Mémoire de fin d’étude de Messanga Obama, soutenu à l'Ecole Supérieure des Sciences et Techniques de l'Information et de la Communication ( ESSTIC) 107

ouverte, les locaux ont été transformés en supermarchés. Dans ce cas, comment peut vivre le cinéma camerounais ? Dans un article paru dans la revue culturelle Patrimoine8, Arthur Si Bita, cinéaste camerounais, se lamente sur la mort du cinéma camerounais qui n’a pas produit un seul long métrage digne de ce nom depuis plus d’une décennie. Il est étrangement absent des festivals et même du festival « Ecrans noirs » organisé à Yaoundé par un Camerounais. Notons qu'entre temps, il y a eu un léger frémissement avec la production de trois longs métrages à succès : Les Saignantes de Jean–Pierre Bekolo, Paris à tout prix de Joséphine Ndagnou et Le silence de la forêt de Bassek Ba Kobhio. Est-ce le début de la reprise ? Rien n'est sûr. Ces films ont-ils tous trouvé un distributeur à la hauteur des ambitions et du talent des réalisateurs ? Par le passé, nous avons connu pareille situation. Faute d’un distributeur qui accepte de le mettre dans son circuit, Totor de Daniel Kamwa n’a pas connu le succès escompté, très peu de cinéphiles africains ayant eu l’occasion de le visionner. Pour diverses raisons, les distributeurs ne formulent leur analyse qu’en termes d’étroitesse des marchés : dans telle région, le revenu est trop bas pour que les gens puissent s’acheter le ticket d’une séance de cinéma, il est par conséquent inutile d’y installer un lieu de projection. On néglige les cinébus, on ne cherche pas des formules adaptées aux conditions de nos pays africains. Pourtant, pour que les populations s’adaptent, pour qu’elles viennent au cinéma, il est impératif qu’on commence à s’intéresser à ses besoins, qu’on écoute ses doléances et qu’on mette en place un réseau qui tienne compte du fait que les campagnes africaines abritent 70 et parfois 75% des populations, et les points de projection devraient tenir compte de ces données ainsi que du pouvoir d’achat des populations. Autre question : les réseaux de distribution classiques savent-ils quels films les spectateurs africains souhaiteraient voir pour se distraire et pour s’informer ? Lorsqu’on ne cherche pas la cause profonde de la non-fréquentation des dernières salles qui peinaient à rester ouvertes et qui ont finalement rendu les armes, et qu’on ignore les besoins de certaines franges de la population qui restent marginalisées, on ne peut attendre du cinéma qu’il se fasse et se vende lui-même. Aujourd’hui, force est de constater que le cinéma de Kamwa et des autres cinéastes africains souffre de cet envahissement de l’écran par le cinéma occidental. Le succès populaire de Pousse-Pousse s’expliquait à l’époque par le fait que dans les années 70, il y avait au Cameroun plus 8

Article de Arthur Si Bita « Certificat de genre de mort », Patrimoine, Mai 2004 108

de 70 salles de cinéma, dont au moins une par chef-lieu de département. Ces salles avaient une fréquentation régulière, suivie, et le public cinéphile aimait les films africains. Les données ont changé. Les vidéos clubs ont pris le relais et proposent des films au prix imbattable de 50 francs CFA, et la télévision qui diffuse des films à la chaîne cloue le spectateur chez lui. L’imaginaire cinématographique doit avoir un rôle croissant, et l’on comprend l’ardeur des cinéastes africains qui se sont attribués une mission, se démarquer des cinémas riches, faute de moyens, sans doute, mais surtout dans le souci de faire un autre cinéma, un cinéma de formation, un cinéma militant, un cinéma de développement. Mais jusqu’à présent, l’effet de ce cinéma-là a été nul, il n’est pas devenu un cinéma social et rentable qui permette de se perpétuer en nourrissant les cinéastes et les techniciens. Les films importés obéissent, eux, aux lois des genres définis par l’industrie. Peut-être faut-il explorer et s’inspirer de la piste des cinémas égyptien et indien, ainsi que celle de Nollywood, le cinéma nigérian, qui connaissent un succès retentissant en Afrique et au Moyen-Orient, malgré l’invasion des films américains.

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IX. Conclusion Depuis la sortie du Cercle des Pouvoirs en 1977 et l’échec commercial de Totor, Kamwa était entré dans une sorte d’hibernation artistique. C’est onze ans après (2008) qu’il met Mâh Saah-Sah sur le marché. L’heure de la retraite serait-elle en train de sonner ? Est-il fatigué, épuisé par les combats titanesques qui jalonnent le parcours de la conception à la sortie d’un film d’auteur ? Longtemps avant lui, les Dikongué Pipa, les Arthur Si Bita et bien d’autres avaient, faute de moyens, été forcés de rendre les armes. Contrairement à d’autres cinéastes africains, les cinéastes camerounais abandonnent à la fleur de l’âge, dans la vigueur de leurs quarante ans, poussés hors du métier par l’absence de moyens et l’amateurisme qui caractérisent l’organisation de la profession au Cameroun. Depuis une vingtaine d’années, le gouvernement camerounais a d’autres priorités que la promotion du cinéma national, trop coûteux, diton, et peu rentable politiquement pour le Ministre dans sa province d’origine en termes de voix électorales ou de notoriété politique, seuls éléments sur lesquels le prince les juge et les maintient ou non en fonction au sein du gouvernement. Soyons réaliste, me disait dernièrement un haut fonctionnaire au Ministère de la Culture : « que gagne notre Ministre à se battre pour financer à concurrence de 800.000.000 de francs (huit cent millions de francs CFA) un film long métrage réalisé par quelqu’un qui pourrait à la fin s’avérer être un opposant ? Qu’est- ce qu’un tel investissement rapporte en termes de voix au Ministre dans sa province natale ? Rien. » Et de conclure : « Lorsqu’on pose la question de cette manière, on se demande pourquoi ces pseudo réalisateurs ne comprennent pas. ». Voilà, semble-t-il, le cœur des enjeux. La politique du donnant donnant, qui se mesure à l’aune de la récompense politique dans sa région d’origine, et des dividendes (pour sa carrière et pour sa longévité au gouvernement) que pourrait récolter un Ministre de la Culture qui accepterait de financer un film long métrage. La question ne se pose pas en termes de moyens, mais, semble t-il, en termes de stratégie, d’efficacité politique. Notons, pour s’en réjouir, la création, depuis peu, d'un compte d'affectation destiné à soutenir la culture dans son ensemble. Le cinéma pourrait en bénéficier et ce fonds pourrait aider au financement de projets portés par 111

les jeunes cinéastes. Il faudra attendre quelques années pour juger de la manière dont ce fonds est géré. Les cinéastes ont leur part de responsabilité dans cette déchéance. Ils n’ont pas su saisir l’âme de leur public, ils n’ont pas su l’intéresser à leurs œuvres en produisant des films qui l’accrochent véritablement et qui le « tiennent aux tripes ». C’est la vérité implacable des finances dans toute activité de production cinématographique ou autre. Peut-on fabriquer sans vendre ? Ne faut-il pas que les cinéastes camerounais commencent par produire des films qui plaisent et recherchent les moyens de les présenter de la façon la plus séduisante qui soit tout en étant attentifs au progrès ? Trop de considérations sont en jeu autour de la production d’un film, et celui qui finance a, qu’on le veuille ou non, un droit de regard sur le contenu, la thématique, le choix des acteurs, etc. C’est une forme de censure qui ne dit pas son nom, mais qui, d’une manière ou d’une autre, bride le créateur. Le cinéma africain en général et camerounais en particulier est ainsi coincé entre le marteau de la dépendance économique et l’enclume de la pendaison esthétique. Il n’en reste pas moins que le parcours esthétique et identitaire de la carrière de Daniel Kamwa fonctionne en fin de compte comme un miroir de la société camerounaise. Un enjeu de revendications sournoises et efficaces, révélateur d’une société camerounaise en détresse, sans repère. Son œuvre rend compte à merveille des souffrances, des hésitations et des indicibles espoirs d’une société taraudée par le doute. Ici, la polysémie des mots et des concepts nous révèle les dimensions diverses de l’esthétique du cinéma africain. C’est donc à travers les yeux et la conscience idéologique de Pousse-Pousse, de Jisset, de Charlotte, de Colette et des autres que nous assistons à cette mise en scène de nos misères, de nos doutes et de nos souffrances enfouis au fond des peurs que nous portons en bandoulière. Par le biais de ses films, Daniel Kamwa a considérablement influencé la culture populaire camerounaise des années 70 à nos jours. Sa filmographie est un parcours inédit, et il a eu la patience, avec ses propres mots, de nous expliquer son approche personnelle, en décrivant ce à quoi il est sensible. A une époque où le cinéma est de loin la première forme d’art populaire, il n’est pas surprenant que les pionniers et les plus inspirés comme Kamwa aient entraîné à leur suite des centaines d’émules, léguant ainsi un riche patrimoine artistique et esthétique aux futures générations, laissant leurs empreintes à travers les cultures.

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X. Daniel Kamwa parle Une interview réalisée par l’auteur Les années d’initiation

Figure 35 D. Kamwa parle Charles Soh : Qui êtes-vous ? Parlez-nous de vous. Comment êtesvous venu au cinéma ? Où et comment avez-vous attrapé le virus de la caméra ? Daniel Kamwa : Je commencerais par vous dire que je suis né à Nkongsamba le mercredi 14 avril 1943 au petit matin, à 04h30 exactement ; je suis, on le voit, un lève tôt. J’ai passé ma prime jeunesse dans cette ville où j’ai effectué mon cycle primaire à l’école principale groupe I. J’ai fait ma 6ème au Lycée Professionnel de Douala qui, sauf erreur de ma part, s’appelait en fait Ecole Professionnelle. Là, en début du 3ème trimestre, ma prof principale et prof de français (une Française), estimant que j’avais davantage de prédispositions littéraires que techniques, me conseille, après m’avoir fait passer un test psychotechnique pour confirmation, de changer d’orientation et me 113

recommande au proviseur du Lycée Joss. Etablissement qui nous faisait un peu peur en secret, il faut l’avouer, parce que le gros de l’effectif était composé de Blancs. J’y entre donc l’année suivante en 5ème. Mais très vite, avant même que je ne termine mon cycle secondaire, la chance me sourit, car, grand amateur des arts martiaux que j’étais, la Fédération Française de judo et disciplines assimilées, répondant favorablement à une demande de stage, m’offre l’opportunité d’aller poursuivre mes études en France, parallèlement à la pratique assidue de ces sports. Je dis chance parce que, déjà, l’insécurité régnait à Douala du fait de la lutte acharnée entre le Pouvoir colonial en place et l’UPC qui exigeait l’indépendance immédiate du Cameroun. Et j’habitais le quartier Congo !... Alors, après mes vacances scolaires passées à Nkongsamba, au lieu de retourner à Joss, j’embarquais au début de l’automne 1958 sur le Général Mangin, un gros paquebot de la compagnie Fabre et Frayssinet, qui m’emmena jusqu’au port de Marseille, le 24 octobre au matin. Je venais d’avoir tout juste 15 ans et demi. Le jour même, selon les indications contenues dans la lettre que j’avais reçue, je devais prendre un train de Marseille Saint Charles pour Paris gare de Lyon, puis le métro jusqu’à Maubert Mutualité, pour me rendre ensuite au 34 rue de la Montagne Sainte Geneviève, Paris 5ème, siège de la Fédération (FFJDA), aujourd’hui Judo International. Logé sur place, c’est là que je devais poursuivre pendant quelques années ma double activité de praticien des arts martiaux et d’étudiant. Jusqu’au jour où… C.S. : Comment s’est faite votre initiation dans ce métier ? D.K. : Comme de bien entendu, c’est par les arts martiaux que se fait mon premier contact avec le cinéma. Suite à une séquence de démonstration de judo, d’aïkido et de karaté à la télévision, un régisseur général me contacte pour me faire faire de la figuration dans un film américain dont certaines séquences extérieures se tournaient place du Tertre, sur la Butte Montmartre. Autant qu’il m’en souvienne, ce film avait pour titre « Bon Voyage ». Est-ce qu’on lui a conservé ce titre à sa sortie, je n’en sais rien ; je ne l’ai jamais vu. Toujours est-il que mon parcours dans ce métier commençait par un bon voyage !... Y ayant pris goût, j’ai jugé nécessaire de bien le pratiquer et, pour ce faire, il fallait commencer par le bon bout : apprendre les techniques de base. D’abord comme comédien. Un peu plus tard comme réalisateur. Et tout récemment encore comme opérateur de prises de vues et monteur. Toujours apprendre pour essayer de progresser encore. 114

C.S. : Qui sont les maîtres qui vous ont inspiré et influencé ? D. K. : Mon métier de comédien, j’ai commencé à l’apprendre au Cours René Simon, au 36 boulevard des Invalides à Paris, dans le 7ème. J’ai bourlingué ensuite de Jean-Marie Serreau à Peter Brook, en passant par des stages Jerzy Grotowski et Actors’ Studio. J’ai beaucoup joué au théâtre et à la radio ; à la télévision aussi, mais un peu moins. Quant au cinéma, l’offre était vraiment trop maigre dans l’Hexagone et en Europe. Quand bien même les Etats-Unis tentaient de sauver les apparences avec un Sidney Poitier (formidable acteur noir), aucun de nous à l’époque ne pouvait espérer devenir un jour son homologue en France, quels qu’auraient pu être nos talents respectifs. Et je signale que la situation, 35 ans plus tard, n’a pas beaucoup évolué, contrairement à l’Amérique. Mais ce n’est pas ici le lieu de ce débat-là. Cette sorte d’impasse m’a sans doute poussé, encouragé à franchir le pas pour aller de l’autre côté de la caméra, à devenir cinéaste. Mais plutôt que de passer le concours de l’IDHEC (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques,) je choisis de m’inscrire à l’Université de Paris VIII Vincennes, laquelle, bénéficiant de certaines réformes dues aux revendications des évènements de Mai 68, enseignait les Arts du Spectacle et le Cinéma. Le contenu trop théorique des cours et l’insuffisance des équipements techniques pour les travaux pratiques me conduisent à entreprendre l’écriture et le tournage d’un sujet qui deviendra « Boubou Cravate ». Tâche ardue et de longue haleine, mais j’en suis venu à bout, et cela a été une très riche expérience, un apprentissage sur le tas qui vaut son pesant de savoir-faire. C.S. : Parlez-nous de Boubou Cravate qui fut votre premier court métrage. C’est un film adapté d’une nouvelle de Francis Bebey. Vous mettez en scène un diplomate déraciné, tiraillé entre les habitudes occidentales et la réalité de son statut d’Africain. Il est une sorte de parvenu, caricature d’un Nègre qui singe le Blanc. Pourquoi avoir choisi Boubou Cravate plutôt qu’une autre nouvelle ou un autre roman ? D.K. : La nouvelle de Francis Bebey a pour titre « Jimmy et l’Egalité ». L’adaptation que j’en ai faite m’a inspiré le titre de « Boubou Cravate », parce que, justement, cela soulignait davantage l’ambiguïté du personnage principal masculin assis entre deux chaises : boubou pour la tradition et cravate pour la modernité. C’était un thème très tendance à l’époque, traité par beaucoup de cinéastes africains ; et par nombre d’écrivains également. Les films comme « Et la neige n’était 115

plus » ou « Les Tam-tams se sont tus », pour ne citer que ceux-là, et sans oublier le théâtre et d’autres genres littéraires, abordaient le même sujet, stigmatisant des comportements divers qui ne pouvaient naître que d’un complexe psycho-sociologique. Le fait est qu’au lendemain des indépendances, nombreux sont ceux qui, (intellectuels et autres), ayant accédé nouvellement aux responsabilités administratives et politiques ont, consciemment ou non, cru devoir singer les anciens maîtres pour, pensaient-ils, mieux asseoir leur autorité. Ce qui n’a pas manqué d’interpeller certains de ceux qui voulaient à la fois divertir et éduquer par le cinéma. Et il faut croire que cette problématique n’était pas que fiction germant dans l’esprit des seuls cinéastes en mal de caricatures. Pour preuve, quelques années plus tard, ici et là, en Afrique, pendant une longue période, on a beaucoup entendu parler de campagnes politiques visant à promouvoir le retour à l’authenticité prônées, orchestrées et médiatisées par tel ou tel chef d’Etat du continent. Le culte de l’authenticité, d’aucuns en ont usé et abusé jusqu’à la caricature de l’excès contraire ; jusqu’à des crimes, parfois au nom de l’identité africaine. C.S. : Qu’avait cette nouvelle de spécial, de particulier ? D.K : Ce qu’il faut déjà retenir, c’est que parmi la trentaine de nouvelles que j’avais lues à l’époque, celle-ci avait particulièrement retenu mon attention. Peut-être parce qu’elle m’apportait de meilleurs arguments pour dire ce que j’avais à dire à ce moment-là. On a tous, à un moment ou un autre, l’âme réformiste. C.S. : Qu’a pensé Francis Bebey de cette adaptation ? D.K : Francis m’avait donné carte blanche pour l’adaptation. Quand il a visionné la copie de travail en salle de montage, il s’est écrié en rigolant : « Eh ben dis-donc, j’espère que tu ne seras pas étonné qu’on te cherche les poux dans la tête ?... Sacré Daniel ! » Puis il m’a embrassé, ajoutant : « Au fait, tu voulais aussi utiliser ma musique, je crois ?... Tu peux y aller, je te donne mon accord. » Je lui avais demandé l’autorisation de me servir d’un de ses morceaux, en l’occurrence « O Biya » (attention, en langue duala), et il avait réservé sa réponse pour plus tard. Je peux donc en conclure qu’il a estimé que je n’avais pas trahi l’esprit de sa nouvelle Jimmy et l’égalité. Il faut se rappeler que c’est l’époque où Francis Bebey était encore en fonction à l’Unesco. Son sens de l’humour bien connu l’avait conduit, de retour d’un voyage professionnel au Ghana, à écrire cette nouvelle, pour relater un fait réel

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né d’un malentendu relationnel entre un diplomate africain et son domestique. C.S. : Les critiques ont estimé que ce film n’a pas connu le succès escompté parce que la nouvelle n’était déjà pas un chef-d’œuvre. Qu’en pensez-vous ? D.K : Je plains sincèrement ces critiques qui écrivent et/ou disent n’importe quoi à propos de n’importe quelle création. Comment ont-ils pu apprécier ou mesurer ce pseudo succès escompté pour estimer ensuite si le film l’a atteint ou pas ? Le lien avec la nouvelle n’a pu s’établir qu’après avoir vu le film. C.S. : Pensez-vous que cette nouvelle de Bebey était la meilleure œuvre de l’époque pour rendre compte de l’écartèlement entre la tradition et la culture occidentale ? D.K. : Le meilleur traitement du sujet, je n’en sais vraiment rien, et ce n’est sûrement pas à moi d’en juger, même si je les avais toutes lues, ce qui est, du reste, loin d’être le cas. Sujet à la mode, miroirs tendus aux sociétés africaines d’alors ; nous étions un certain nombre à vouloir être, avec nos outils et nos moyens respectifs, les témoins actifs de cette époque-là. Il y a eu de nombreuses variations sur le même thème. J’ai commis ma propre version ; voilà tout. Aux autres (critiques, historiens, spectateurs, etc.) de les apprécier toutes à leur juste valeur. C. S. : Certains critiques pensent que les personnages de Bebey sont plus vivants dans la nouvelle que dans le film. Qu’en pensezvous ? D.K. : Une fois qu’une œuvre est produite, chacun est libre d’en penser ce qu’il veut à travers le prisme de son propre vécu, de ses propres fantasmes ou préjugés. Les personnages vivent comme on veut bien les faire évoluer dans tel ou tel environnement contextuel qu’on leur a choisi, plus ou moins de bonne foi. A l’instar des œuvres elles-mêmes, qui sont scrutées par les uns et les autres, il y a de bonnes et de mauvaises critiques. Il y a des articles qui s’en tiennent à une analyse éclairée et argumentée du sujet, d’autres qui ne visent qu’à déstabiliser la personne même de l’auteur en lui faisant un mauvais procès. C.S. : Que pensez-vous des agrandissements, des amoindrissements, des ellipses, etc. qui caractérisent le passage de l’écrit à l’écran ?

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D.K. : D’un mode de communication à l’autre, il y a forcément des aspects qui ne peuvent pas être traités de la même manière. Il y a des détails qui sont privilégiés au détriment d’autres. Le contexte et l’état d’esprit du moment peuvent jouer. C’est le propre même de l’adaptation. C.S. : Quel fut le budget du film ? D.K : Tout cela est tellement ancien que je n’ai plus le souvenir précis des détails. J’avais tourné en 16mm et je crois que ce film a dû me coûter, en argent dépensé, quelque 30.000FF (trois millions de F.CFA), ce qui représentait déjà une grosse somme pour l’époque et pour un court métrage de 30mn. C.S. Quels sont les organismes et les institutions qui vous ont aidé à le boucler ? D.K. :.Faire un premier film n’est jamais chose facile. Et il ne suffit pas d’avoir un sujet auquel on croit de toutes ses forces. Pour ma part, je dois reconnaître que j’ai eu une sacrée chance : le fait d’avoir pour interprète principale féminine Marpessa Dawn. Pour ceux qui ne le savent pas, je rappelle que Marpessa Dawn, grande actrice noire américaine, par ailleurs vedette inoubliable du film de Marcel Camus « Orfeu Negro », énorme succès et Palme d’Or 1959 à Cannes, était encore très appréciée et jouissait d’un certain prestige en ces temps-là dans les milieux professionnels parisiens. Etonnante rencontre tout de même ! Qu’est-ce qui pouvait prédire qu’un jour j’entrerais de plainpied dans cet univers sélectif du cinéma et que je serrerais dans mes bras une dame qui eut la Palme d’Or à Cannes l’année qui a suivi mon arrivée en France ? Toujours est-il que je connaissais Marpessa pour avoir été son partenaire au théâtre à Paris et en tournée, en 1969, dans une pièce américaine dont j’avais signé l’adaptation française, « Home Free/Le Manège ». Sa présence dans Boubou Cravate m’avait facilité l’obtention du matériel et de la pellicule à un coût raisonnable, et même la signature d’une coproduction avec le Consortium Audiovisuel International, société qui n’existe plus aujourd’hui. C.S : Le film a été tourné où ? en combien de temps ? D.K : Tous les intérieurs ont été tournés à Paris, dans des décors mis à ma disposition grâce aux relations amicales. Les prises de vues ont duré une semaine. Quant aux extérieurs, j’ai utilisé, avec sa permission, quelques scènes de la ville de Dakar tournées par un confrère qui montait son film dans les mêmes locaux que moi.

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Notre fille C.S. : Pourquoi avoir choisi d’adapter cette pièce de théâtre de Guillaume Oyono Mbia ? Qu’avait-elle de fascinant ? D.K : Je dirais, encore une fois, que c’est parce que cela m’a plu. Contrairement à Francis Bebey, je ne connaissais pas Guillaume Oyono Mbia, et ne l’avais jamais rencontré auparavant. En tant que comédien, j’avais participé à l’enregistrement de son texte à RFI dans le cadre du Concours Théâtral Interafricain et Premières Chances sur les Ondes. Cela nous avait beaucoup plu, comédiens et techniciens confondus. C’était une période très faste, très productive. Nous enregistrions en moyenne deux ou trois pièces par semaine venant de partout, surtout d’Afrique. Le plus souvent les textes avaient besoin d’être adaptés. Ces émissions ont bien marché pendant plusieurs années consécutives. Puis il a été décidé, pour des raisons de politique de coopération culturelle sans doute, que les enregistrements se feraient de manière itinérante dans les stations radio de différents pays africains francophones d’où étaient originaires la plupart des auteurs. La formule consistant à envoyer le réalisateur et quelques techniciens effectuer les prises de son sur place en faisant travailler les comédiens locaux. Bon an mal an, la formule s’est poursuivie, et nous, à Paris, ne produisions plus que des émissions dites de prestige. Puis le rythme s’est ralenti et tout s’est arrêté, je dirais, du jour au lendemain. Pour en revenir à G.O. Mbia, je crois d’ailleurs que cette pièce, Notre Fille ne se mariera pas, avait gagné un prix. Mais ce n’est pas le fait d’avoir été primé qui m’avait donné envie de l’adapter. C’est bien plus tard que j’en avais eu l’idée. Après mon film Pousse-Pousse, fruit d’un scénario original dont j’étais le seul auteur, j’avais pensé que pour mon nouveau long métrage, ce serait un bon exercice que de partir d’une œuvre déjà existante. Peu importait la forme : théâtre, roman, récit ou nouvelle. Après mon mariage, je sortais aussi d’une période (19761981) où j’avais fait pas mal de documentaires, de films d’entreprise et de films publicitaires. C’est alors qu’en lisant ou relisant plusieurs textes, je suis retombé sur Notre fille. Je gardais toujours mon exemplaire des textes enregistrés à la radio, de surcroît, celui-ci avait été publié entre-temps. En le relisant avec quelques années de recul, je crois que j’ai encore mieux perçu l’humour grinçant de son auteur, son approche critique de la société, non pas seulement camerounaise mais africaine, en tout cas de mon point de vue. Et comme je m’inscrivais déjà dans cette démarche de satire sociale, j’étais rassuré de constater que je 119

n’étais pas le seul à vouloir fustiger nos travers, que nous soyons citadins ou villageois, à vouloir nous tendre un miroir afin que nous nous y observions de temps en temps, au hasard de nos loisirs. Je suis donc allé à la rencontre de Guillaume Oyono Mbia et je lui ai fait part de mon souhait d’adapter sa pièce à l’écran. Pour finir, il a aussi accepté de jouer un rôle dans le film. C.S. : Quelles difficultés spécifiques avez-vous éprouvées à passer du théâtre au film ? D.K. : Je dois dire, tout bien pesé, que j’ai eu bien plus de mal avec Notre Fille ne se mariera pas qu’avec Jimmy et l’égalité. Déjà, l’adaptation en soi n’est pas chose aisée, aiguillonné qu’on est entre l’envie de faire œuvre de création et de rester néanmoins fidèle à l’idée originale. De plus, entre un court métrage et un long métrage, il y a forcément un plus long travail de réflexion et d’écriture, même s’il s’agit d’une œuvre originale personnelle. Dans le cas d’espèce donc, la difficulté pour moi fut double parce que je voulais écrire un long métrage en choisissant de partir d’une pièce de théâtre. C.S. : Certains critiques vous ont accusé d’avoir transféré le théâtre au cinéma, d’avoir fait du théâtre filmé. Qu’en pensez-vous ? D.K : Sans désinvolture aucune, je dirais que s’il fallait, à tout prix, chercher à plaire à tout le monde, nombre d’initiatives intellectuelles ne verraient jamais le jour. Les créations artistiques et littéraires sont, je crois, de toutes les inventions de l’esprit celles qui s’exposent le plus facilement aux critiques les plus diverses. Cependant, elles sont nécessaires. Il y a, parmi ceux qui critiquent, professionnels ou amateurs passionnés, des gens sérieux dont le travail ouvre de nouvelles pistes et concourt ainsi à élaborer de nouvelles grilles de lecture d’une production intellectuelle. Cela peut être profitable à tous : auteurs, lecteurs, spectateurs, etc. Je ne rejette donc pas systématiquement toutes les critiques. Il y en a de bien constructives et objectives. J’essaie toujours, autant que faire se peut, de tirer leçons de celles-ci. Bien souvent, malheureusement, il y a des brouilleurs de pistes, des cracheurs de venin dont les critiques, gratuitement méchantes, ne sont que le résultat d’une grande ignorance enveloppée de grandiloquence, et qui parfois cachent mal une certaine forme de jalousie. Vis-à-vis de celles-là, je préfère souvent adopter le principe du bien faire et laisser braire ! C.S. : Le film a été tourné où ?

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D.K : Tout s’est tourné à Yaoundé et dans sa proche banlieue, à Nkolbisson, notamment. J’en profite ici pour remercier à nouveau tous ceux qui m’ont apporté leur concours en mettant à ma disposition une case, un appartement ou une villa. Je pense particulièrement à Mr et Mme Ebe Evina pour leur villa du quartier du Lac et à M. Maurice Ngassa Kamga, Inspecteur d’Etat, pour son appartement du quartier Bastos. C.S. : Comment avez-vous choisi les personnages ? Y-a-t-il eu casting ? D.K. : Bien sûr qu’il y a eu des séances de sélection de comédiens. Ne vivant pas à Yaoundé, il me fallait aller au contact des artistes qui exerçaient sur place. Pour cela le Centre Culturel Camerounais a été le cadre idéal, à la fois comme lieu et comme ressource. Et plus tard comme décor de commissariat. J’ai largement puisé dans la troupe de l’Ensemble National. Pour la petite histoire, Ambroise Mbia qui devait jouer le rôle principal (André Onana) devant partir en mission, j’ai dû le remplacer au pied levé pour ne pas retarder le tournage, ce qui aurait pu compromettre financièrement le film. C.S. : Quelles différences pouvez-vous établir entre l’adaptation en film d’une nouvelle et d’une pièce de théâtre ? D.K. : Pour ma part, comme je l’ai dit plus haut, je me sens plus libre dans l’adaptation d’une nouvelle que dans celle d’une pièce de théâtre. C.S. : Quel fut le budget du film ? D.K : Environ 6.560.000FF, on dirait aujourd’hui 1.000.000 €uros, soit 656.000.000F.CFA. C.S. : Quels organismes et institutions vous ont aidé à le boucler ? D.K. : Le Fonds Sud du Ministère français des Affaires étrangères ; le Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud, de l’Agence de la Francophonie ; le CNC (avances après réalisation) ; DK7Communications ; TAMO (TransAfrica Media Organization) et des crédits techniques.

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Pousse-Pousse C.S. : Il est le premier long métrage de l’histoire du cinéma camerounais. Est-il, plus de 30 ans après, toujours un motif de fierté pour vous ? D.K. :Evidemment, oui ! Et pour de nombreuses raisons que je ne peux même pas énumérer de manière exhaustive. D’abord, parce qu’il a eu beaucoup de succès. Succès à la fois populaire et commercial ; aussi bien au plan national, continental qu’international. Il a même été doublé en russe et diffusé en URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques). Ensuite, parce que c’est mon premier long métrage. Son succès m’a ouvert beaucoup de portes et m’a fait tellement connaître qu’aujourd’hui encore, on m’appelle souvent du surnom que j’en ai hérité :Pousse-Pousse. Il faut dire que c’était un pari assez fou que d’écrire, produire, réaliser et interpréter le rôle principal, assumer tout cela à la fois. Oui, sans excès d’autosatisfaction, c’est toujours et encore un motif de fierté pour moi parce que j’ai la conviction que ça a été un grand motif de fierté pour pas mal d’autres Camerounais aussi, toutes tribus confondues. C.S. : D’où et comment vous en est venue l’idée ? D.K. : C’est tout simplement ce qu’on pourrait appeler une vraie idée du terroir. L’inspiration m’est venue au lendemain de vacances passées au Cameroun. En effet, sortant d’une longue période de travail intense avec Peter Brook dans le cadre du Centre International de Recherche Théâtrale, j’avais éprouvé un besoin profond d’aller me ressourcer au pays. J’avais, pendant mon séjour, assisté à plusieurs tractations d’avant mariage et/ou mariage dont celui de mon frère, à Douala. De retour à Paris, j’avais la tête tellement remplie d’impressions de toutes sortes que je n’ai pas pu résister à la tentation d’en faire un sujet de film. J’ai écrit le scénario en moins de trois mois et, lorsque j’en ai eu l’opportunité, je l’ai présenté au concours de l’ACCT (Agence de Coopération Culturelle et Technique). Heureuse initiative qui a réellement amorcé la pompe à finance. C.S. : Quels organismes ont financé le film ? D.K. : L’ACCT, par le versement du montant du Prix du meilleur scénario 1974 ; le Ministère français de la Coopération par une contribution symbolique consistant en la prise en charge des dépenses de montage. Une subvention de l’Etat camerounais, qui voulait que son cinéma fût représenté avec d’autres productions culturelles nationales au 122

2ème Festival Mondial des Arts Nègres, le FESTAC 1977, qui devait se tenir à Lagos au Nigéria. Pour la petite histoire, le malentendu né de Boubou Cravate s’étant dissipé et Pousse-Pousse ayant gagné le concours du meilleur scénario de l’ACCT, mon projet avait dû avoir les faveurs des membres de la Commission de Subvention ad hoc ; contrairement aux rumeurs malveillantes qui voulaient faire croire que, par pur favoritisme tribal, j’avais été désigné d’office par le Directeur de la cinématographie d’alors, Jean-Paul Ngassa. Bien entendu, tout cela ne pouvait pas suffire à boucler le budget. J’avais donc dû y aller de mes propres économies et, pour asseoir les structures et administrer la production, j’avais créé la société TAMO qui pouvait dès lors me conférer un statut juridique me permettant d’avaliser les crédits de postproduction, avec l’appui de ma banque. C.S. : Comment avez-vous choisi les acteurs ? D.K. : Encore moins que pour Notre fille, je n’avais aucune relation avec les comédiens camerounais. Je partais du principe que je devais travailler avec des amateurs. Le choix devait donc être très attentif, très pointu. Après une série de présélections organisées à Douala, Yaoundé et Garoua, j’ai eu la chance de tomber sur des personnes qui se sont finalement révélées particulièrement douées. Sachant que j’avais affaire à des garçons et filles qui n’avaient, pour la plupart, jamais fait ni théâtre ni cinéma, il me fallait tout simplement être très patient et user d’une méthode très dépouillée dans la direction d’acteurs. Ce n’était pas une mince affaire, ayant moi-même mon propre personnage à construire et à développer. Feu Pierre Dessiji qui devait me servir d’assistant avait quitté la production au milieu du casting. Un poste lui avait été offert au Ministère de l’Information et de la Culture et il avait sauté sur l’occasion. Il venait de rentrer de sa formation à Paris et c’était pour lui une aubaine. Me voilà donc quasiment tout seul à devoir me dépêtrer de tous les problèmes artistiques et logistiques. Heureusement que j’avais auparavant fait un gros travail de repérages et de préparation basé sur un solide découpage technique. Et j’avais aussi, pour me soutenir, une formidable équipe technique qui avait très envie que le film se fasse. Henri Czap, directeur de la photo et cadreur, était souvent débordé par tous ces curieux indisciplinés qui voulaient être aux premières loges. Déposant sa caméra, il essayait tant bien que mal de les chasser à coups de cailloux pour les éloigner du champ ; mais ils revenaient aussitôt. Il faut dire que c’était pour eux un évènement exceptionnel, le tournage d’un film dans les rues de Douala, un vrai spectacle. Même les policiers 123

venus assurer le service d’ordre étaient dépassés. Ils étaient parfois aussi encombrants que la foule. Ils chassaient les badauds, mais prenaient leurs places, en plein dans l’axe de la caméra. La présence de Pierre Zogo, ami de longue date, directeur de production et acteur sur le film, m’a été d’un bon soutien moral. Je me rappelle qu’un jour, on avait failli louper une scène cruciale, laquelle nous avait valu deux jours de planification, à cause d’un excès de coquetterie. L’action devait se dérouler au passage à niveau de la pharmacie du rail : les deux futurs mariés, venant en sens opposé l’un de l’autre, lui sur son pousse-pousse et elle dans un taxi, devaient s’y croiser et ne pas se voir du fait du passage d’un train juste à ce momentlà, masquant le champ de vision de l’un et l’autre. Pierre, s’étant mis d’accord avec le chef de gare, nous avait dit à quelle heure précise il fallait faire le clap. A 15-20 minutes de l’heure fatidique, la scripte, Arlette Duverdier, s’aperçoit que l’actrice avait refait sa coiffure à son goût, sans rien dire à personne. Or, il s’agissait de coiffure en raccord par rapport à d’autres. Tout était à recommencer, et on n’a rien pu faire pour retarder le train qui était un vrai train de passagers venant de la gare de Douala et en partance pour Yaoundé. Marthe Ndomé Ewané qui jouait à mes côtés le rôle principal féminin a dû avoir l’une des plus grandes peurs de sa vie jusque-là. Je l’ai sortie du taxi avec une telle violence que j’aurais pu la scalper, tellement je lui tirais les cheveux. Heureusement, pendant qu’on la recoiffait dans un coin de la pharmacie, Pierre, grâce à ses relations, a réussi à négocier le détournement amical d’un autre train qui, lui, devait aller sur Nkongsamba. Le temps de nous apprêter, il est venu nous faire un peu de figuration au passage à niveau avant de repartir dans la bonne direction de son voyage. Gros soulagement pour toute l’équipe qui s’était beaucoup investie pour la mise au point du programme de la journée. Le calme revenu, je m’en suis voulu d’avoir été aussi violent. Marthe croyait sans doute bien faire en retouchant sa coiffure. C’est la première fois qu’elle faisait ce métier ; elle ne pouvait pas être familiarisée avec tous ces problèmes de détails qui paraissent parfois superflus. Je suis allé lui parler et la rassurer. D’ailleurs, l’incident m’avait donné l’occasion d’expliquer aux noninitiés le pourquoi et le comment de différents types de raccords. Puis on s’est offert un bon coup à boire le soir. Inutile de dire qu’à partir de ce jour-là, tous avaient retenu la leçon ; chacun et chacune s’appliquait désormais à limiter les risques de faux raccords. C.S. : A votre avis, qu’est-ce qui a plu dans le film ? Qu’est-ce qui explique sa réussite auprès du public ? 124

D.K. : Il m’est personnellement difficile de donner des explications rationnelles ou pseudo objectives. Peut-être que les critiques et/ou les historiens de l’art seraient mieux placés que moi pour le faire s’ils en ont le loisir. Comme ça, de prime abord, je pourrais me hasarder à dire que d’une part l’ensemble du film était réussi et que d’autre part il est arrivé au bon moment. Le contenu correspondait sans doute à certaines des préoccupations populaires d’alors et la forme a facilité sa mise en phase avec les attentes du public. Et ce qui est encore plus extraordinaire, c’est que son succès a largement débordé les frontières nationales. C.S. : Ce film a fait de vous la fierté du Cameroun sur le plan de l’expression de son identité culturelle nationale. Ce succès se prolonge-t-il jusqu’aujourd’hui ? D.K. : Je sais que la télévision algérienne l’a programmé il n’y a pas longtemps ; je sais aussi que la Cinémathèque française, qui a souhaité en détenir une copie, le projette de temps à autre. Mis à part cela, je n’ai pas d’autres informations relatives à sa circulation. Il bénéficie du statut de films classiques qui fait qu’on peut le ressortir de façon évènementielle. Comme c’est malgré tout encore un inédit pour la télévision française et camerounaise, on peut dire qu’il lui reste toujours des espaces de visibilité. C.S. : Si vous aviez à refaire Pousse-Pousse aujourd’hui qu’y ajouteriez-vous ? Qu’y retrancheriez-vous ? D.K. : J’attends la signature d’un contrat avec un producteur me demandant de lui faire un remake de Pousse-Pousse et je serais alors en mesure de répondre à cette question en retravaillant le scénario. C’est clair que la question ne se pose pas aujourd’hui de la même manière qu’il y a 30 ans. Aussi, la réflexion autour de ce thème et la manière de le traiter seraient-elles différentes. C.S. : Au vu de l’évolution de votre art et d’une meilleure maîtrise des moyens de production, qu’auriez-vous apporté de neuf à ce film ? D.K. : D’autant plus que moi, j’ai mûri, que les moyens techniques ont beaucoup évolué, mais que surtout les mentalités et les goûts du public ont changé. C’est dire qu’on y apporterait inévitablement du neuf, mais du neuf qui ne serait nullement une garantie absolue de succès. Mais le jeu en vaut peut-être la chandelle, sait-on jamais.

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Totor C.S. : Qu’est-ce qui explique qu’il n’ait pas connu le succès attendu ? D.K. : Rien ne permet, pour l’instant, de mesurer son pouvoir attractif sur le public, puisqu’il n’est pas sorti. C’est encore un inédit, commercialement parlant. A part une avant-première à Douala et à Paris, il n’a pas été distribué. Par contre, il a participé à plusieurs festivals où il a reçu un bon accueil ; en l’occurrence Cannes Junior, Namur, JCC de Carthage- Tunisie, Les Films du Monde à Montréal, Frankfort, Mannheim/Heidelberg, New York, le Fespaco au Burkina Faso où il obtint le Prix James Grant pour l’Enfance, etc. Voilà ! Mais il reste malgré tout un inédit. C.S. : Qu’est-ce qui a manqué au film ? D.K. : Il lui manque surtout un distributeur. Depuis quelques années déjà, c’est ce qui manque crucialement à la plupart des films africains. Je dirais même que c’est ce qui manque de plus en plus aux cinéastes indépendants de par le monde. Aujourd’hui, distribuer nos films coûte presque aussi cher que les produire. Et comme beaucoup d’autres dans ce marasme, Totor ne peut que subir la loi du marché. Mais, avis aux amateurs, son édition DVD est lancée. C.S. : Qu’avait Pousse-Pousse que Totor n’avait pas ? D.K. : Deux films, deux thèmes, deux époques, 20 ans les séparent. Difficile donc de les comparer, d’essayer d’établir des parallèles entre eux. C.S. : Le film a été tourné où ? D.K. : Tout le film s’est tourné dans la région de Kribi. Les plages, les forêts, les villages de pygmées, etc. C.S. : Comment avez-vous choisi les acteurs ? D.K. : Comme pour mes autres films, mais en privilégiant les comédiens locaux pour leur permettre de se perfectionner. C.S. : Quels organismes vous ont fourni le budget de production ? D.K. : DK7-Communications a bouclé le budget avec les soutiens du Fonds Sud Cinéma, le CNC et l’aide de l’Agence de la Francophonie.

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Le Cercle des Pouvoirs C.S. : C’est une chronique des maux qui minent l’Afrique en général et le Cameroun en particulier : corruption, magie noire, menace sur la presse, fraudes en tous genres. Un film courageux, osé. Qu’est-ce qui vous a inspiré le thème de ce film ? D.K. : L’idée originale est de Jules Takam. Il avait un scénario intitulé N’deusa dans lequel il me réservait le rôle principal. Après plusieurs tentatives infructueuses de mise en chantier de son projet, j’ai été amené à reprendre les choses en main, en commençant par la réécriture et l’adaptation du scénario de départ, puis la production. C.S. : Est-ce un film de dénonciation ? Une satire sociale ? D.K. : A chacun d’en juger vraiment. C’est vrai, ce qui saute aux yeux, c’est sans aucun doute sa facette satire sociale. Et qui dit satire sociale dit dénonciation de certains travers qui minent une société et l’engage sur la voie de la décadence. C’est une tentative circonstancielle de secouer la classe intellectuelle assoupie. C’est une invite à la réflexion générale. C.S. : N’avez-vous subi aucune pression ni censure du film ? D.K. : Le contraire eût été étonnant. Il a bien failli ne pas sortir au Cameroun. La veille de l’avant-première, les bobines avaient été saisies au cinéma Abbia, et ordre aurait été donné de censurer le film. Et ce n’est qu’après diverses péripéties et un nouveau passage devant une commission de censure élargie que le visa d’exploitation lui a été accordé. Pour autant, les pressions, qui ne venaient d’ailleurs pas des seules autorités camerounaises, n’ont pas cessé. L’aide à la finition et à la diffusion m’est passée sous le nez. Et les pourparlers en vue de la programmation du film dans le circuit des Centres Culturels Français se sont brusquement interrompus. Je suis d’ailleurs étonné aujourd’hui que la télévision camerounaise (CRTV) le diffuse aussi souvent. Soit dit en passant, toutes ces diffusions faites à la CRTV ne m’ont rien rapporté à ce jour. Je n’ai même jamais été ni contacté pour en discuter ni tout simplement informé par le Directeur des Programmes ou le Directeur Général. S’ils ne connaissent pas mon adresse, rions un peu, ils peuvent toujours passer par l’ambassade du Cameroun à Paris, par TV5, par RFI, ou encore, en dernier recours, par la Mairie de Paris. C.S. : Comment avez-vous choisi les personnages ?

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D.K. : La question se répétant pour chaque film, j’apporterai la même réponse, au risque de me répéter à mon tour. Une nuance cependant, j’ai tenu à renouer avec des acteurs de Pousse-Pousse qui pouvaient avoir le profil de certains personnages de ce nouveau film. C’est ainsi que m’ont rejoint Madeleine Happi, Paulinette Mpacko et Marcel Mvondo II. Pour Ambroise Mbia, je n’ai pas eu besoin de réfléchir pour l’engager ; le connaissant bien, à la fois l’homme et le comédien, j’étais quasiment sûr de la qualité de sa prestation et de la substance qu’il était capable d’apporter au personnage de Moni-Sam. Je n’avais qu’une seule crainte en réalité, celle de l’entendre me dire en plein milieu du tournage qu’il doit partir en mission. Ayant à assurer le rôle de Jisset, le journaliste, je n’étais pas en situation cette fois de le remplacer comme ce fut le cas pour Notre fille. Heureusement tout s’est bien passé. J’avais écrit au Ministre pour solliciter, pour la durée du tournage, les permissions d’absence pour tous ceux qui dépendaient comme lui du Ministère de la Culture. Lui, en tant que Directeur des Archives Nationales, devait néanmoins retourner à Yaoundé deux jours par semaine aux frais de la production. J’avais donc organisé le plan de travail en conséquence. Quant à la présence de Pius Njawé, en témoignage de l’admiration que j’ai pour son travail, c’était vraiment une occasion à ne pas rater. Cela nous amusait beaucoup tous les deux de lui donner cette possibilité fictionnelle de parodier ceux-là mêmes qui le harcèlent fréquemment.Une manière d’exorcisme, si l’on peut dire. Pour les autres rôles, j’ai auditionné de nombreux prétendants dans les locaux de la MJC de Douala. C.S. : Quels organismes vous ont aidé à boucler le budget du film ? D.K. : Encore une question à laquelle je n’aurai pas de variation dans ma réponse. Sauf que certains de ceux qui devaient m’aider m’ont lâché. Bien des promesses n’ont pas été honorées. La distribution du film s’est brusquement écourtée. Ce qui fait qu’au total, je reste largement déficitaire et endetté, malgré la vente forcée de mon appartement pour combler certains trous. En somme, le film n’a pas fait sa carrière. C.S. : On a beaucoup critiqué les accents trop français dans le film alors qu’on est en contexte africain, qu’en pensez-vous ? D.K. : On dirait qu’il y a beaucoup de « on » qui critiquent un peu tout de manière systématique. Sans doute sommes-nous dans un contexte africain ; mais n’oublions pas que nous sommes aussi dans un mode de communication qui ambitionne de s’adresser à un public bien au-delà de 128

l’Afrique. Je n’ai pas cherché à gommer les accents (chacun a gardé le sien, si l’on prête bien l’oreille) ; je n’ai pas non plus voulu colorer ou folkloriser outrancièrement. J’ai par contre veillé à ce que tous articulent bien, de manière à être bien compris, non seulement des Camerounais, mais de la plupart des francophones. C’est ce même souci qui guide mon choix des mots et la construction de mes dialogues. C.S. : On a beaucoup critiqué le personnage de Sifoh. Pour de nombreux critiques, elle est passée à côté du rôle. Elle manque de tout. De présence, de voix, de tout pour le rôle important qu’elle tient dans le film. On dit aussi qu’elle récite son texte dans un accent typiquement parisien. Qu’en pensez-vous ? D.K. : Je sais parfaitement que beaucoup de langues se sont déliées pour commenter, ici et là, l’interprétation de Aïssatou Gidjir dans le rôle de Sifoh ; et les langues camerounaises sont particulièrement bien pendues quand il s’agit de dénigrer, parfois de manière systématique et sans discernement. Ce qu’il y a de formidable, c’est que très souvent, les mauvaises langues foncent bille en tête, sans se poser la moindre question ni sur le profil psychologique du personnage, ni sur ses rapports aux autres personnages dans le film. Par paresse intellectuelle ou par esprit de sape à l’aveuglette, on se contente de lire uniquement au premier degré. Heureusement pour elle, et pour moi qui l’ai embauchée, à côté des langues sauce poison, il y a aussi des langues sauce miel. A vrai dire, il ne faut pas avoir vécu longtemps à Paris pour lui trouver un accent typiquement parisien. Qu’elle ait pu, l’espace d’un film, travailler suffisamment sa diction pour donner cette illusion afin d’entrer avec aisance dans les habits de son personnage est une preuve de sa capacité à devenir une actrice remarquée. Au total, je dis que pour une première expérience, elle s’en est plutôt bien sortie. Dommage que les films ne se tournent pas fréquemment dans notre pays ; elle aurait sans doute déjà eu d’autres occasions d’exercer ses talents et, peut-être, de faire changer d’avis à certains de ses détracteurs et détractrices. Pour ma part, si une nouvelle opportunité se présentait, je n’hésiterais pas à lui redonner sa chance. Les thèmes et l’esthétique C.S. : Au cours d’une interview accordée à Guy Hennebelle, vous avez revendiqué l’intention d’inventer un style comique semblable à celui de la comédie italienne. Comment se caractérise ce style ?

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D.K. : Je me rappelle avoir effectivement donné, il y a longtemps, une interview à Guy Hennebelle, mais j’avoue ne plus me souvenir des détails de tout ce dont nous avions alors parlé. S’agissant de mon style, on ne peut pas cacher qu’il s’appuie sur le ressort de la comédie. La comédie satirique ayant à une époque eu les faveurs du cinéma et du théâtre italiens, c’est peut-être ce qui a pu provoquer le rapprochement. Partant du principe que le rire, utilisé à bon escient, peut aider à mieux faire passer certaines choses désagréables par nature, c’est vrai que j’ai toujours introduit une note d’humour dans tout ce que j’ai fait jusqu’à présent. Un critique parisien a même une fois, parlant de moi, fait allusion à Molière en Afrique ! C’était sans doute trop gentil. C.S. : Pensez-vous que le succès de vos films est dû au fait de son comique facile ou au fait que le public se reconnaît dans les personnages qui lui sont familiers ? Y a-t-il autre chose ? D.K. : C’est bien quand on arrive à faire rire le public, tout en faisant en sorte qu’il s’aperçoive intelligemment qu’il est en train de rire de lui-même. Qu’en fait il est le modèle vivant de son double qui apparaît dans le miroir qu’on lui tend au cinéma ou au théâtre. Après un moment de tentative de rejet, il y a souvent identification, puis adhésion, même si tout cela doit passer par un conflit psychologique personnel. C.S. : On vous accuse de vouloir tout faire à la fois. Acteur et réalisateur, ce qui fait que vous ne donnez pas le meilleur de vousmême dans aucune des deux disciplines ! D.K. : Depuis le temps que je suis dans ce métier, je pense, à en juger par les échos qui me sont revenus, avoir eu plus d’une fois l’occasion de donner le meilleur de moi-même. Certes, personne n’est au top tout le temps, et tout le monde ne m’a pas forcément vu à ces occasions-là. Mais, je crois que j’en aurai sûrement d’autres pour les fans qui me restent fidèles. En ce qui concerne ma prétendue propension à vouloir tout faire tout seul, c’est une accusation un peu hâtive et qui manque d’analyse en profondeur. Bien que je puisse aisément trouver de bons arguments de défense dans le contexte difficile qui singularise la production cinématographique africaine en général et camerounaise en particulier, je voudrais que ceux qui m’en font le reproche sachent que je ne suis pas un cas exceptionnel. Pour ne pas verser dans une vaine dialectique d’auto disculpation, je me contenterais d’affirmer ici que je suis à la disposition de tous ceux qui voudraient mettre le comédien à l’épreuve, ou au contraire apporter au producteur-réalisateur des expertises cinématographiques de bon niveau. 130

C.S. : Pensez-vous que vos films soient des films d’auteur ? D.K. : A ma connaissance, ce qui caractérise généralement le cinéma d’auteur, c’est le fait d’une activité cinématographique individuelle ou de groupe en marge de ce qu’il est convenu d’appeler le cinéma des grands studios, des majors, notamment aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, avec les grosses sociétés de production qui ont du personnel de tous ordres en permanence. Auteurs, réalisateurs, producteurs, artistes et autres techniciens sont sous contrat pour un ou plusieurs films, chacun ne remplissant que sa tâche, sous la supervision des financiers ou des patrons desdites sociétés ou majors. L’objectif commercial étant le plus souvent le moteur principal de chaque projet. A l’inverse, les films d’auteur sont portés à bout de bras par un individu qui, souvent faute d’argent, est amené à toucher à tout au moins au niveau de l’écriture, de la production et de la réalisation. C’est un artisan éclairé qui, par la force des choses, doit avoir appris à faire tous ces différents métiers. Il doit avoir suffisamment d’expertise pour éviter certains écueils et savoir s’entourer de tous ceux qui l’aideront à mener son projet à terme. L’histoire du cinéma relève que beaucoup de films se sont faits et se feront sans doute encore de cette manière-là. Certains ont même enrichi la cinématographie mondiale. Sans extrapoler le sens de la question, le terme film d’auteur n’a pour moi rien de péjoratif. Oui, on peut considérer que je fais des films d’auteur. Tout mon parcours me situe parmi ceux qui font du cinéma indépendant ; des films d’art et d’essai. Cinéma et langue C.S. : Qui emprunte la langue d’un autre avoue son déclin et annonce sa perte, dit Paul Viallaneix. Pensez-vous que ce propos s’applique au cinéma ? D.K. : J’avoue volontiers que je n’ai pas lu grand-chose de cet auteur qui a surtout beaucoup écrit, je crois, sur Jules Michelet et son œuvre monumentale relative à l’Histoire de France et à l’histoire de la Révolution Française. Aussi, une citation comme celle-là, sortie de son contexte et présentée comme une maxime ne me parle pas beaucoup. Pris au premier degré, en supposant qu’il ait raison, si cela devait s’appliquer au cinéma, ça le serait aussi pour tous les autres modes d’expression. Et comme cette affirmation semble avoir un caractère péremptoire, je lui rétorquerais modestement que qui maîtrise la langue de l’autre partage ses secrets et peut à tout moment deviner sa pensée, 131

augmentant ainsi ses atouts. Mais trêve de verbiages. De mon point de vue, le cinéma, en tant que art de spectacle et de communication, a besoin d’efficacité et la langue, appuyée par l’image, est un formidable facteur d’efficacité. Certes, elle ne peut pas à elle seule remplacer l’impact de l’image, laquelle est la force motrice du 7ème art. C.S. : Dans tous vos films, on s’exprime dans un français impeccable. Pensez-vous que les langues nationales seraient un frein à la distribution internationale des films ? D.K. : Je ne suis pas de ceux qui ont des états d’âme ou qui font des complexes par rapport à l’utilisation du français dans les films ou les écrits africains. Le choix d’une langue dans la réalisation d’un film est à la fois artistique et stratégique. Artistique d’abord, parce que je crois qu’il faut qu’il y ait une harmonie esthétique entre le thème, le lieu, l’époque, les personnages, etc. Stratégique ensuite, parce que le message, le contenu du film vise à atteindre le plus grand nombre possible de spectateurs. Il va de soi, pour ma part, qu’en cas de conflit, je privilégierais le choix esthétique. Or, il se trouve que jusqu’à présent, je n’ai pas été véritablement confronté à ce dilemme. Je fais essentiellement du cinéma urbain. L’action de mes films se situe en ville ; de grandes villes cosmopolites où le français est langue des bureaux aussi bien que des rues ; autrement dit, la principale langue officielle. Et si j’ajoute à cela le fait que les sujets abordés sont contemporains, je ne vois pas pourquoi je me gênerais d’utiliser le français, conscient par ailleurs de l’importance du marché francophone. Je ne suis pas foncièrement contre l’utilisation d’une langue nationale dans un film, quand bien même elle ne serait pas celle que je parle personnellement, à condition qu’elle serve mon propos. J’ai d’ailleurs un projet de film qui se tournerait au Nord Cameroun et en foufouldé, langue qui a un grand nombre de locuteurs dans des pays aussi éloignés que le Mali, la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée, le Niger ; sans oublier le Nigéria et le Tchad voisins où vivent de nombreux peuls. Ne réduisons donc pas le débat à une dimension uniquement sentimentale, voire tribale. On se dépêcherait de dire : ah ! il a fait son film pour telle ou telle tribu ; qu’il aille donc le montrer à ces gens-là ! Et, du point de vue pratique, ce n’est pas aussi facile à faire qu’à dire, parce qu’il me paraît improbable de réunir assez de comédiens parlant exactement la même langue nationale et répondant, bien entendu, à tous les critères de profil, d’âge, de sexe, de compétence, etc. pour occuper tous les rôles dans un grand film. C’est pourtant ce qu’exigerait une 132

démarche consistant à produire un film qui se veut réellement authentique et identifiable par la langue qui véhicule son message. Sinon, on est amené à faire, comme j’en ai souvent vu, des films dans lesquels chaque comédien, ou presque, s’exprime dans sa propre langue maternelle ou régionale, tout en étant du même pays. Cela donne une sorte de tour de Babel, même pas une lingua franca servie comme langue nationale. Pour des oreilles non familiarisées, cela peut donner la couleur et la sonorité d’une langue unique ; il y en a, il faut le dire, qui sont assez proches. Les défenseurs de l’authenticité pour l’authenticité jubilent en disant : ce sont des films parlant africain. On pourrait presque croire, à écouter certains, que la qualité première et donc essentielle de ces films c’est de parler une langue africaine. Qui trompe qui ? Allez, je veux bien, dans un grand sursaut de prise de conscience hautement politique, participer à un vaste mouvement de réhabilitation d’une langue, mais alors d’une seule langue nationale, peu importe qu’elle vienne du Sud, du Nord, de l’Est ou de l’Ouest. On se mettrait tous à tout faire, tout produire dans cette seule et unique langue salvatrice : chanson, littérature écrite et orale, cinéma, télévision, radio, internet, etc. Ce serait peut-être bien là la naissance d’une vraie Nation. Et en deux ou trois générations, un miracle pourrait bien se produire. Mais surtout, qu’on ne me dise pas que pour faire un peu plaisir à tout le monde, on forgerait une espèce d’espéranto original, un savant mélange de nos 136 (paraît-il ?) langues villageoises. Belle utopie, n’est-ce pas ?... A en juger par ce qui se passe sur le terrain. J’ignore quelle est l’évolution actuelle de l’enseignement des langues africaines à l’Université de Yaoundé I. Mais dès notre plus tendre enfance, dans la sphère culturelle francophone, nous sommes scolarisés en français, au détriment de nos langues nationales. Au lendemain des indépendances, rien n’a été tenté politiquement, ou si peu, pour remédier à cela. Et selon les zones d’influence, le français et l’anglais ont achevé d’installer leur domination, au point qu’aujourd’hui, la majorité de notre jeunesse (j’espère me tromper !), non seulement ne parle pas, mais déjà, ne comprend presque plus rien de ce qu’on leur dit dans leurs langues maternelles respectives. Sans doute la trop grande diversité de ces langues a-t-elle contribué à favoriser leur déclin, laissant du coup tout le champ libre aux langues de la colonisation. Un attaquant qui se présente, balle au pied, face aux buts sans défenseurs et sans gardien, fait trembler les filets au bénéfice de son camp. C’est aussi footballistique que ça ! Si les politiques ont failli à leur devoir, qu’on ne 133

demande pas des comptes aux cinéastes et autres écrivains. Je ne pense pas que ce soit à eux, tout à la fois de déboiser, désherber, labourer et planter. En tout cas, moi, je n’ai jamais vécu le français comme une langue qui m’a colonisé ; mais comme un outil de travail efficace que j’essaie de maîtriser le mieux possible dans l’exercice de mon art, afin de pouvoir exprimer mes idées bien au-delà de mon cercle régional ou de ma patrie d’origine. En d’autres termes, pour aller loin avec le contenu de mon wagon, je suis dans la situation où je me dois de l’accrocher à une puissante locomotive. C.S. : Dans aucun de vos films, on ne dit un mot en langue baham, votre langue maternelle. Pourquoi ? D.K : D’abord, au risque de décevoir certains, l’occasion m’est ici offerte de dissiper un amalgame. Le fait que je m’appelle Kamwa a pu introduire dans l’esprit des gens une sympathique confusion laissant croire que j’étais inévitablement baham, étant donné que c’est le nom d’un grand chef baham. Eh bien, non, je ne suis pas Baham ; et j’ose espérer que ceux des Baham qui m’apprécient continueront de me témoigner leur estime. Je peux les assurer cependant que je comprends un peu le baham, mais sans pouvoir m’en servir pour exprimer clairement mes idées. En fait, je suis Bangoulap, de mère Bazou, et de par mon grand-père maternel, dans l’ordre nobiliaire je suis ``Mbveu’ngâ-nzeu``, (celui qui ouvre le chemin, l’éclaireur). Ma vraie langue maternelle est le bangangté ou plus exactement le medûmbà (medumba, pour faire simple). Cette langue, je crois pouvoir dire que je la maîtrise assez bien, du moins je la comprends et la parle couramment, malgré mon éloignement du terroir. Je peux donc prétendre être trilingue avec le français et l’anglais. J’ai d’ailleurs l’intention d’apprendre l’espagnol, ne serait-ce que pour savoir demander mon chemin s’il me prenait l’envie de visiter l’un des pays de ce vaste monde linguistique hispanophone. Au fait, parlant de chemin, j’en profite pour dire que du côté de la Cité Verte à Yaoundé, une rue porte le nom Kamwa. Cela dit, revenant à l’observation soulevée, il n’est pas tout à fait exact d’affirmer qu’on ne dit aucun mot en baham dans aucun de mes films. On ne peut quand même pas faire abstraction des belles chansons de Tala André-Marie chantées en bandjoun qui est, à quelques nuances près, la même langue que le baham. Il ne faut pas oublier que la bande originale d’un film est un lieu d’exposition très efficace pour une langue. Je pense d’ailleurs 134

que du point de vue de la vulgarisation d’une langue, les chanteurs sont imbattables. On se laisse facilement transporter par une belle mélodie, même sans en comprendre les paroles ; tandis que dans les échanges de répliques d’un film, dès qu’un spectateur ne peut plus suivre parce qu’il ne comprend pas la langue, il est vite frustré ; il peut même décrocher parfois. Bien sûr, il y a les sous-titres. Mais ça, c’est une autre paire de manches. Parce que, voyez-vous, ce n’est pas pour rien que tous les grands films américains diffusés en Afrique et dans d’autres pays francophones sont doublés en français. J’en parle savamment, moi qui travaille en partie dans le doublage. Dès qu’un grand film non français est destiné à un large public francophone, si ses producteurs et/ou distributeurs estiment qu’il a un potentiel commercial important, ils le font doubler quasi-systématiquement en français. C’est-à-dire que des comédiens français sont engagés pour enregistrer leurs voix en lieu et place de celles des acteurs dont on voit les images à l’écran. Et que dire, à l’inverse, de tous ces scientifiques du monde entier qui, bien que n’ayant pas l’anglais pour langue courante, se trouvent souvent dans l’obligation de communiquer en anglais afin de pouvoir dialoguer ou échanger avec le plus grand nombre possible de leurs collègues. On le voit, le problème de la langue n’est pas aussi simple que cela paraît. Je crains que perdure cette relation de dominants/dominés, et pas seulement en Afrique. A chacun d’apprendre à tirer son épingle du jeu. Il n’y a qu’à voir l’Europe. Son élargissement, avec ses 450/460 millions d’habitants, posera crûment ce problème des langues. Ne serait-ce qu’au niveau des institutions communes, les langues dominantes serviront plus que d’autres. Je n’irais pas jusqu’à dire que les langues minoritaires disparaîtront, mais dans quelques générations il y a fort à parier que leur usage pourrait souffrir du même complexe que nos langues maternelles aujourd’hui. C.S. : Certains critiques disent de vous, de Si Bita, de Dikongue Pipa que vous êtes les cinéastes de la première génération. Teno, Bassek, etc. seraient de la deuxième génération. Qu’en pensez-vous ? D.K. : Est-il bien nécessaire de commenter ce genre d’assertion. Il y a des personnes qui aiment bien classer les gens et les choses par catégorie, classe d’âge ou génération ; comme dans un catalogue. Personnellement, cela ne me dérange pas. C’est au moins la preuve qu’on s’intéresse à nous et/ou à ce que nous faisons. Les personnes qui le font ont leurs propres critères, leurs repères, leurs jugements, le tout en fonction peut-être des objectifs qu’elles assignent à leur travail. Si on parle en termes de chronologie on devrait sans doute penser à situer aux 135

places qui leur reviennent les Jean- Paul Ngassa, Urbain Dia Moukouri, Alphonse Béni, et j’en oublie peut-être. Et si on parle de générations, c’est par rapport à quoi ? Je ne sais pas. Et pourquoi, d’ailleurs, n’y en aurait-il que deux ? Ne m’y étant jamais intéressé, je manque d’éléments de réponse. C.S. : Quelles différences thématiques faites-vous entre les thèmes des films de la première génération et ceux des films de la deuxième génération ? D.K. : C’est le travail des critiques, des vrais, des historiens, des sociologues ou des universitaires dans le cadre de leurs recherches. Et ceux qui ont déjà défini les générations sont assez bien outillés pour faire ce travail. Je ne sens aucune envie ni nécessité de me lancer dans une analyse thématique des films de quelque génération que ce soit. Il faut bien laisser du travail aux autres, n’est-ce pas ? D’ailleurs, je n’ai pas le sentiment que je pourrais le faire proprement, et ce serait me faire violence que de bâcler le travail ; de pondre un texte sans intérêt pour personne. L’acteur africain et son métier C.S. : A votre avis, l’acteur africain ici et ailleurs vit-il de son métier ? D.K. : Seul chacun peut le dire vraiment. Il en va de même de tous les saltimbanques, toutes disciplines confondues. C’est un secteur professionnel très particulier, très difficile. Il n’y a pas de règles absolues. A Paris, par exemple, il y a ceux qui ont réussi à faire leurs trous et qui s’en sortent relativement bien, avec des hauts et des bas inévitables. Puis il y a tous les autres, bien plus nombreux, ma foi, qui galèrent comme mille diables. En ce qui me concerne, personnellement, ce serait malhonnête de me plaindre. Depuis trente ans que je suis dedans, j’ai appris à me défendre. Je peux dire que je m’en sors plutôt bien ; en ayant été plus souvent fourmi que cigale. N’empêche que, comme on dit vulgairement, c’est un métier où il y a beaucoup d’appelés, mais très peu d’élus. Et ce n’est pas seulement une question de talent. C’est surtout, je crois, une question d’environnement général aggravé par le fonctionnement même du métier d’intermittents du spectacle. Ce n’est jamais évident… C.S. : Quels sont les obstacles dans cette profession ?

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D.K. : Les obstacles sont nombreux : ils peuvent être d’ordre personnel comme d’ordre général. Au plan général, il y a déjà les problèmes de reconnaissance, de l’accès à des espaces de visibilité bien exposés. Et par-dessus tout ça, il y a le blocage psychologique des grands manitous de la production cinématographique et audiovisuelle. Ils regardent bien dans notre direction, mais un léger voile les empêche de nous voir. Pour l’instant, ils se refusent à croire que nous existons. Malgré les exemples probants de plus en plus nombreux et fréquents de la réussite fracassante des acteurs noirs américains (nos cousins les African-Americans), tout reste encore très figé dans la sphère culturelle francophone. Le type de regard qui est posé sur nous actuellement ne permet pas d’y entrevoir une quelconque volonté de favoriser toute percée commerciale durable des acteurs noirs originaires d’Afrique ou des Antilles. Périodiquement, il y a des fulgurances, des essais marqués qui ne se transforment pas. Mais nous devons être patients et optimistes pour l’avenir. Il y a des frémissements dans l’air. De timides promesses d’ouverture faites pour tenter d’apaiser nos ressentiments et contenir, du même coup, les plus revendicatifs d’entre nous. Pour information, un décret a été signé par le Premier ministre Lionel Jospin (Décret n°2001-142 du 14/02/2001) approuvant les modifications apportées par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) aux cahiers de charges des chaînes de télévision publiques, lesquelles modifications leur recommandent, j’abrège, « de veiller à ce que leurs offres de programmes témoignent de la richesse et de la diversité des cultures constitutives de la société française ; de contribuer, à travers ses programmes et son traitement de l'information et des problèmes de société, à la lutte contre les discriminations et les exclusions de toutes sortes ». Beau programme, n’est-ce pas ? Ne sommes-nous pas de ces cultures constitutives de la société française et ne résidons-nous pas en France ? Nous attendons ; et nombreux parmi nous restent très vigilants. C.S. : L’acteur doit-il se former ? Si oui, où ? D.K. : C’est toujours bien, je pense, de partir du bon pied. Acquérir les techniques élémentaires aide à construire de bonnes bases et permet de se libérer afin de donner avec maîtrise le meilleur de soi-même, sans que trop de technique tue l’émotion. Il y a des écoles, bien sûr, mais elles sont généralement très chères ; surtout à Paris, parce que la plupart sont privées. Il y a des lycées, ou même, pour ceux qui en ont le niveau requis, des universités qui offrent des possibilités de filières artistiques incluant notamment l’art dramatique. Par internet, on doit pouvoir trouver plein 137

de renseignements sur le sujet. Mais il y a aussi l’apprentissage sur le tas, en entrant dans une troupe permanente. Il suffit d’un peu de chance parfois ; qu’il faut savoir aider ou entretenir par la suite, évidemment ! Le cinéma camerounais C.S. : Il est au creux de la vague, quelqu’un lui a établi un certificat de genre de mort ! D.K. : A l’égard de la situation actuelle du cinéma camerounais, je ne peux avoir que des sentiments de désolation. C’est vraiment attristant d’observer une telle mécanique d’autodestruction et de se sentir impuissant. C.S. : Pensez-vous qu’il est vraiment mort ? D.K. : Ah ! Ce n’est pas moi qui ai établi son certificat de décès. Et comme chez nous on ne meurt jamais de mort naturelle, s’il est vraiment mort, c’est que quelqu’un l’a tué. C.S. : Qui l’a tué ? D.K. : Quelqu’un ou plusieurs personnes à la fois, que sais-je ? Des assassins potentiels ne manquaient pas. Certains pouvaient même s’ignorer qui ont cependant posé des actes de condamnation à mort. A vrai dire, le cinéma camerounais n’a jamais été qu’une très belle idée mal perçue d’ailleurs par nombre de ceux-là mêmes qui, à force de vouloir s’en servir, l’ont desservi jusqu’à ce que mort s’ensuive. C.S. : Peut-on le faire renaître ? Quelles mesures préconisezvous ? D.K. : Heureusement, une bonne idée ne meurt jamais définitivement. Il se trouve toujours des gens de bonne volonté qui se passent le relais pour la faire revivre et prospérer. Le tout est de savoir, l’objet de nos désirs relevant du domaine des pouvoirs publics, si l’Etat camerounais est réellement décidé à faire renaître son cinéma. Dans l’affirmative, il faudrait qu’il s’engage et nous le fasse savoir afin que nous puissions y apporter notre contribution. C.S. : Que pensez-vous du FODIC ? D.K. : Le FODIC était un bel instrument de développement du cinéma camerounais que Jean-Paul Ngassa, alors Directeur de la cinématographie, avait eu la bonne idée de mettre en place. Mais des fossoyeurs étaient déjà aux aguets, je crois. 138

C.S. : Pensez-vous qu’il faille le faire renaître autrement ? D.K. : Le concept, à mon avis, reste bon dans l’ensemble. Bien plus que l’instrument en lui-même, c’est surtout, je crois, tout son système de fonctionnement et sa gestion qu’il faut repenser totalement. Mais nous sommes au Cameroun. Et, comme tout le monde le sait, le dit et le pratique, le Cameron,, c’est le Cameroun ! C.S. : Pensez-vous que la télévision dans les pays africains soit quelque part responsable de la fermeture des salles de cinéma ? D.K. : Ce serait trop facile de désigner, d’emblée, la télévision comme seule cause de fermeture des salles de cinéma en Afrique. A mon avis, le principal facteur de disparition des salles c’est la trop grande médiocrité du niveau de vie des africains. Je sais qu’au milieu de cette misère, il se trouve des gens qui pètent dans la soie et roulent dans de grosses cylindrées. Ceux- là, de toute façon, n’ont jamais été de gros consommateurs de pellicule ; ils sont trop bien dans leurs villas de marbre équipées de paraboles motorisées et de lecteurs de DVD derniers cris. Les vrais cinéphiles se recrutaient dans la classe moyenne, chez les fonctionnaires, les cadres du secteur privé, les commerçants, les enseignants, les étudiants et les jeunes en général. Or, ils sont les principales victimes de la régression économique et de son corollaire, le chômage endémique. N’oublions pas que d’une manière générale, en Afrique aujourd’hui, le pouvoir d’achat de nos concitoyens est si faible qu’un individu peut regarder mourir sa femme ou son enfant faute d’avoir pu trouver 1.000FCFA (1,52€) pour lui acheter un antipaludéen quelconque ! Comment alors s’imaginer que l’idée d’aller au cinéma puisse seulement traverser l’esprit d’un tel individu ? Si ça se trouve, il ne mange même pas à sa faim. Résigné, il n’attend plus que sa propre mort. C’est vrai, je dramatise un peu. Mais les faits sont là. Les loisirs viennent après bien d’autres priorités autrement plus vitales. Je me rappelle la belle époque où les gens allaient voir plusieurs fois un film qui leur avait plu ; où, sans se faire prier, les parents offraient le cinéma aux enfants après un bon repas en famille. On prenait plaisir à sortir parce que le niveau de vie le permettait. Et aujourd’hui, au moment où presque tout le monde a du mal à joindre les deux bouts, il y a en même temps une hausse significative des prélèvements fiscaux qui pèsent lourdement, entre autres, sur les prix des places de cinéma. Résultat : des salles jadis prospères deviennent des casinos, des églises, des entrepôts, ou se ferment purement et simplement. Les rares qui restent encore en 139

activité ne passent le plus souvent que des films made in Hollywood, soit dit sans esprit de polémique ! C.S. : Et la prolifération des vidéos clubs ? D.K. : Les vidéos clubs ne font qu’occuper des créneaux de survie. Je dirais que c’est une activité cache-misère. En tout cas, ce n’est pas au plan économique que les vidéos clubs représentent une menace pour le cinéma. La menace, en réalité est d’ordre sociétal. Elle est plus grave parce que plus perverse ; car elle se situe au plan des mœurs. Rien n’étant mis en place pour tenter d’exercer un minimum de contrôle sur les contenus et la qualité des produits offerts à la libre consommation des enfants de tous âges, il ne nous reste plus qu’à prier pour que l’étendue des dégâts ne fasse pas de ravages irréversibles parmi les adolescents des deux sexes. Quel cinéma camerounais demain ? C.S. : Comment promouvoir les jeunes cinéastes ? D.K. : Il n’y a rien de tel qu’une dynamique professionnelle. Pour promouvoir les jeunes cinéastes, il faut déjà qu’il y ait une réelle activité cinématographique dans le pays ; et pour qu’il y ait cette activité, il faut que le cinéma national renaisse ; et pour que ce cinéma retrouve vie, il faut que l’Etat en décide ainsi et débloque les moyens d’une vraie politique culturelle générale. Cela fait quand même beaucoup trop de conditions qui nous font malheureusement défaut. Mais cela ne veut pas dire pour autant que les jeunes cinéastes n’ont aucune chance d’émerger. Au contraire, je dirais même qu’ils ont plus de chance aujourd’hui que par le passé, grâce aux nouvelles technologies de l’image. Ils peuvent se regrouper par affinité intellectuelle. En rassemblant des compétences complémentaires, ils peuvent travailler ensemble, soit sur des projets collectifs, soit à tour de rôle sur le projet de chacun des membres. Les petites caméras numériques, ainsi que leurs consommables, sont à des prix très abordables actuellement. En constituant une petite cagnotte communautaire, ils peuvent acheter ou louer, ne serait-ce qu’un caméscope tri-CCD pour commencer. Après le tournage, le montage virtuel est un procédé abordable et largement vulgarisé aujourd’hui. Les sujets de films ne manquent certainement pas ; il faut surtout savoir les traiter. Je recommanderais de ne pas chercher à faire très grand dès le départ ; car en s’attaquant à des projets compliqués et chers 140

on se heurte inévitablement à des difficultés qui engendrent le découragement et l’abandon. Et ce n’est pas bon pour le moral parce qu’on risque ainsi de devenir malgré soi un cinéaste frustré et aigri, qui passe l’essentiel de son temps à dire du mal des autres, en buvant sa bière ou son vin de palme au quartier. D’où l’importance de ne pas vouloir voir trop grand dès le début. Il sera toujours temps, après s’être fait la main sur de petits sujets, de s’intéresser à des projets plus ambitieux. De toute façon, on est plus crédible quand on a déjà réalisé un ou deux petits films sympathiques susceptibles de montrer son savoir-faire. Il y a plein de guichets d’aide à la production cinématographique des pays du Sud. Mais, en règle générale, il faut avoir déjà fait ses preuves pour prétendre y être éligible. Un secteur qui pourrait servir de tremplin idéal pour les jeunes cinéastes c’est la télévision ; mais j’ignore quelle est la politique de la CRTV en ce domaine, si seulement il en existe une ! Voilà brièvement ce que je peux dire pour le moment à ce sujet. C.S. : Comment financer le cinéma africain en général et camerounais en particulier ? D.K. : Vaste sujet ! Si notre cinéma marchait bien, il se financerait tout seul, par le simple mécanisme de la remontée des recettes, du retour sur investissements. Mais seulement, voilà, plus rien ne va plus ! Sans rire, c’est tout juste s’il ne faut pas toucher le jackpot dans un casino ou faire une casse pour pouvoir produire son film aujourd’hui. Cela me rappelle un réalisateur français qui avait dû se résoudre à commettre un hold-up il y a 15/20 ans pour essayer de financer la production de son film. Malheureusement pour lui et son projet, il s’était fait bêtement prendre. Cette petite anecdote pour illustrer combien il est difficile, partout dans le monde, de financer le cinéma. Je ne cherche nullement à établir quelque parallèle que ce soit entre le cinéma bien portant des pays développés et celui moribond de l’Afrique. Je tente simplement de rappeler la triste vérité qui atteste que le cinéma est à la fois un art et une industrie. Son essor durable, considérant le genre de films d’aujourd’hui et leurs coûts de production, semble dépendre beaucoup du PIB. (Produit Intérieur Brut) du pays concerné. J’ai dit plus haut que pour remplir les salles de cinéma, il fallait donner du pouvoir d’achat aux populations pour se soigner, se loger, se nourrir, s’instruire, etc. Bref, leur redonner les moyens de recouvrer leur dignité perdue, et alors leur reviendra l’envie de se cultiver, de se divertir ; de vivre normalement, disons. Et ce pouvoir d’achat dépend 141

forcément du niveau de développement, d’industrialisation de chaque pays. Autrement dit, il n’y a que les pays riches qui méritent d’avoir un cinéma viable, et l’exception culturelle ne serait pas pour nous. Mais une question fondamentale peut se poser : sommes-nous obligés de faire du suivisme, à savoir produire le même genre de films qu’ailleurs ? J’entends surtout l’Europe et les Etats-Unis. Justement, le formatage culturel qui semble s’imposer nous laisse-t-il un espace de singularisation ? Voilà, je pense, le vrai sujet à débattre pour savoir quel cinéma pour l’Afrique et comment le financer. C.S. : Quelles solutions préconisez-vous pour sortir le cinéma camerounais de la léthargie ? Formulez-nous quelques propositions D.K. : Je n’ai pas de recettes miracles, on s’en doute, pour ressusciter le cinéma camerounais. Comme je l’ai déjà dit, s’agissant d’un domaine qui relève d’abord de l’autorité de l’Etat, la réactivation de notre cinéma ne peut venir, dans un premier temps, que du bon vouloir des pouvoirs publics camerounais. Parce qu’il faut d’abord commencer par définir et mettre sur pied une vraie politique culturelle nationale. Dégager ses objectifs à court, moyen et long termes, et débloquer les moyens nécessaires à leur mise en œuvre. Attention, il ne s’agira pas du seul secteur cinématographique ! Je parle d’un vrai projet culturel national impliquant toutes les forces vives de la création intellectuelle et artistique. Je parle (que B. Pivot me permette d’emprunter le titre d’une de ses émissions), je parle de Bouillon de Culture ; une activité intense dans laquelle écrivains, conteurs, musiciens, danseurs, peintres, comédiens, metteurs en scène, cinéastes, etc. motivés par la liberté d’expression retrouvée, sont conviés à participer au développement harmonieux du pays. Cette grande émulation est nécessaire pour irriguer la créativité dans tous les sens : circulaire, transversal, vertical. Oui, il est important de rappeler aux dirigeants qui feignent souvent de l’ignorer que la culture n’est pas qu’un simple instrument de divertissement, c’est non seulement un puissant facteur de développement, mais aussi un outil capable, comme le football, de véhiculer l’image et la renommée d’un pays à travers le monde entier. En ce qui concerne l’activité cinématographique proprement dite, il faudrait mener une grande réflexion dans ses trois branches principales, à savoir la production, la distribution et l’exploitation. Produire comment, pour qui, pourquoi ? Les enjeux sont importants. Nous devons donc y réfléchir en profondeur et en abordant tous les aspects du 142

problème. La première difficulté est de réussir à faire des films susceptibles de reconquérir un public habitué à consommer des spectacles n’offrant le plus souvent qu’un cocktail dévastateur de violence, de pornographie et de dépravation. On a, pour ainsi dire, à sauver de la perdition toute une jeunesse qui a subi un sérieux lavage de cerveau. Ce qui nécessite une approche aussi pédagogique que récréative. C’est dire qu’il faut produire pour toute une population désœuvrée, cible facile des marchands de rêves. Il faut par conséquent produire bon marché, sachant que nous voulons attirer des spectateurs désargentés. C’est possible aujourd’hui grâce aux nouveaux outils numériques de plus en plus performants. C’est une question d’organisation et de pragmatisme. Au niveau de la distribution et de l’exploitation, c’est encore la filière numérique qui me paraît indiquée. Il faudrait envisager dans des quartiers stratégiques un réseau de petites salles dimensionnées et équipées de manière à alléger les coûts d’entretien et d’exploitation. Ces salles devraient fonctionner un peu à la bonne vieille manière des ciné-clubs d’antan, grâce à des animateurs spécialement formés. Ces salles, bien entendu, bénéficieraient d’un statut spécial (genre Art et Essai) leur permettant d’être à la fois subventionnées et entièrement détaxées, afin de garantir la pratique d’un prix d’entrée abordable. Les autres salles dites commerciales bénéficieraient d’une baisse des taxes à la condition contractuelle de programmer régulièrement les films africains grand public. La télévision serait, bien sûr, mise à contribution pour médiatiser l’opération d’une part, et programmer fréquemment les films nationaux et africains. Enfin, pour contribuer au financement du cinéma, une part non négligeable de la redevance audiovisuelle devrait lui être réservée. Le volet formation et perfectionnement ne devrait pas être négligé. Dans la mesure du possible, on pourrait envisager de signer des accords de parrainage avec des sociétés de production et de post-production des pays à intense activité cinématographique, en vue de prendre en stage quelque temps nos cinéastes en fin de formation. Sans prétendre être exhaustif, voilà, en vrac et fatalement dans le désordre, quelques idées qui me passent par la tête. Interviews réalisées en 2005 et 2006

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XI. Références Brahimi Denise, Cinémas d’Afrique francophone et du Maghreb, Paris, Nathan, 1997. Bakari, Imrhu & Cham Mbye eds, African Experiences of cinema, British Film Institute, London, 1996. Barlet Olivier, Les cinémas d’Afrique noire. Le regard en question, Paris, l’Harmattan, 1996. Clerc Jeanne-Marie, « La réception du cinéma des pays francophones par la critique française », revue de l’Institut de Sociologie, 1991. Convents Guido, A la recherche des images oubliées : préhistoire du cinéma en Afrique, 1897-1918, Bruxelles, OCIC, 1983. Diawara Manthia, African Cinema-politics and Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, 1992

Culture,

Diouf Mamadou, « histoires et actualités dans Ceddo d’Ousmane Sembène et Hyènes de Djibril Diop Mambéty », in Niang, 1996. Ngansop Guy Jérémie, Le cinéma camerounais en crise, Ed l’Harmattan, 1987. Niang Sada (dir), Littératures et cinémas en Afrique francophone : Ousmane Sembène et Assia Djebar, Paris, l’Harmattan, 1996. Séminaire « le rôle du cinéaste africain dans l’éveil de la conscience de la civilisation noire », Présence africaine, N° 90, 1994 Sud plateau, N° 0013, septembre 2002. Tomaseli Keyan, « Some Theoretical Perspectives on African Cinema : Culture, Identity and Diaspora “ in FEPACI, 1995. Ukadike Nwachukwu Frank, Black African Cinema, Beekely, U of California Press, 1994.

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XII. Annexes

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D. Kamwa, F. Bebey, A. Mbia, L. Ewandé, G.Essomba devant l’Ambassade du Cameroun

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XIII. Index des illustrations Figures 01 Daniel Kamwa. Image centrale – page de couverture - Boisson nuptiale 02 Daniel Kamwa

Pages 3 9

03 D. Kamwa

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04 D. Kamwa et Manu Dibango en 1969

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05 Une scène dans Boubou Cravate

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06 Aune scène dans Boubou Cravate

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07 Affiche Notre fille

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08 Une scène dans Notre fille

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09 Une scène dans Notre fille

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10 Une scène dans Notre fille

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11 Affiche Totor

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12 Une scène dans Totor

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13 Affiche de Pousse-Pousse

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14 Une scène dans Pousse-Pousse. Avec le musicien A. Marie Tala 15 Une scène dans Pousse-Pouse. Besséké en mobilette

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16 Une scène dans Pousse-Pousse. D. Kamwa et Ndomé

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17 Remise du prix du scénario de Pousse-Pousse à D. Kamwa

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18 Une scène dans Pousse-Pousse. Le marché aux filles

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19 Affiche Le Cercle des Pouvoirs

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20 Une scène dans Le Cercle des Pouvoirs

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21 Une scène dans Le Cercle des Pouvoirs. A. Mbia (Moni-Sam)

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22 Affiche Mâh Saah-Sah

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23 Le sultan bamoun et les acteurs de Mâh Saah-Sah

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24 Prix remporté par D. Kamwa an Fespaco 2009

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25 Une scène dans Le Cercle des Pouvoirs

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26 Une scène dans Notre fille

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27 Pousse-Pousse, le repas de fiançailles

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28 D. Kamwa, une scène dans Notre fille

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29 Une scène dans Pousse- Pousse

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30 Une scène dans Notre fille

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31 Une scène dans le Cercle des Pouvoirs

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32 Une scène dans le Cercles des Pouvoirs. La magie noire

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33 Une scène dans Notre fille

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34 Une scène dans Notre fille. Le repas sous l’arbre

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35 Kamwa parle

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Table des matières Remerciements .................................................................................................... 7 Avant- propos .................................................................................................... 11 I. Le cinéma au Cameroun : naissance et premiers pas ..................................... 13 1. Cultures diverses, Afrique en miniature ..................................................... 14 2. La formation des cinéastes camerounais .................................................... 15 3. Un pays Babel ............................................................................................ 16 4. Les structures administratives .................................................................... 16 II. Daniel ............................................................................................................ 19 1. Kamwa et l’identité du cinéma camerounais ............................................. 22 2. L’homme et l’œuvre ................................................................................... 24 3. L’homme de théâtre ................................................................................... 24 4. L’homme de cinéma ................................................................................... 24 5. Kamwa, l’acteur ......................................................................................... 26 III. Au fil des films ............................................................................................ 29 1. Boubou cravate ou l’histoire du Nègre parvenu......................................... 29 2. Notre fille ou la dictature de la solidarité africaine .................................... 32 3. Totor ou l’histoire merveilleuse de la relation entre l'enfant et la tortue magique .......................................................................................................... 37 4. Pousse - Pousse ou le procès de la cupidité et de l’égoïsme ...................... 40 5. Le cercle des pouvoirs ou le piège de la corruption rampante ................... 48 6. Mâh Saah-Sah, l’amour est plus fort que l’argent ...................................... 52 IV. Daniel Kamwa : de l’écrit à l’image ............................................................ 59 1. Texte théâtral et texte filmique chez Daniel Kamwa ................................. 62 2. Kamwa, témoin de son temps .................................................................... 63 V. L’esthétique filmique de Daniel Kamwa ...................................................... 65 1. Le jeu des acteurs et les gestes ................................................................... 69 175

2. Les cadrages ............................................................................................... 71 3. Le gros plan ................................................................................................ 73 4. Le face- à- face et le champ/contre champ ................................................. 74 5. Le changement de plan............................................................................... 75 6. Plongée et contre plongée .......................................................................... 75 7. Les raccords ............................................................................................... 76 8. Les flash- back et les refrains ..................................................................... 76 9. Nature et décors.......................................................................................... 77 10. La place du héros ..................................................................................... 78 11. Les ressorts de l'action ............................................................................. 78 12. Espoir d’un nouveau langage ................................................................... 80 VI. Les registres du sonore dans le cinéma de Daniel Kamwa .......................... 81 1. Les dialogues .............................................................................................. 83 2. Les voix ...................................................................................................... 85 3. L’ambiance ................................................................................................. 86 4. La musique ................................................................................................. 87 5. Les langues ................................................................................................. 90 6. Les bruits et le bruitage .............................................................................. 91 7. Rythme et danse ......................................................................................... 92 VII. Les grands thèmes du cinéma de Daniel Kamwa ....................................... 95 1. L’argent ...................................................................................................... 95 2. Le travail .................................................................................................... 97 3. Le sacré ...................................................................................................... 98 4. La magie et le fétichisme ........................................................................... 99 5. La démagogie politique et la corruption .................................................. 101 6. La femme ................................................................................................. 103 VIII. Kamwa et son public ............................................................................... 107 IX. Conclusion ................................................................................................. 111 X. Daniel Kamwa parle Une interview réalisée par l’auteur ........................... 113 176

XI. Références ................................................................................................. 145 XII. Annexes .................................................................................................... 147 XIII. Index des illustrations ............................................................................. 173 Table des matières ........................................................................................... 175

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