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LA PAROLE DU PRÉDICATEUR
Cette publication a bénéficié du concours de l'Université de Nice Sophia-Antipolis et du Comité Doyen Jean Lépine de la ville de Nice
Conception et réalisation : Rosa Maria Dessi et Michel Lauwers
Illustration de la couverture : Masaccio et Masolino (?), La prédication de saint Pierre Florence, Cappella Brancacci.
Édité par Z'éditions, Nice Diffusion : C.l.D., Paris
© Centre d'Études Médiévales Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines Université de Nice Sophia-Antipolis - 1997 ISBN 2-910897-33-8
COLLECTION DU CENTRE D'ÉTUDES MÉDIÉVALES DE NICE VOLUME l
"' LA PAROLE DU PREDICATEUR
ve -xve siècle
ÉTUDES RÉUNIES PAR ROSA MARIA DESSl ET MICHEL LAUWERS
NICE 1997
A V ANT-PROPOS
L'ouvrage que nous proposons ici est le résultat de travaux menés principalement au Centre d'Études Médiévales de l'Université de Nice, dans le cadre d'un programme de recherches défini en association avec le CNRS, entre 1993 et 1996 (URA 1561: Pouvoir et pouvoir de !'Écrit). Son élaboration s'est accompagnée de plusieurs séminaires et ateliers de recherche qui se sont tenus à Nice, ainsi qu'à Auxerre grâce à la complicité de Dominique Iogna-Prat et au soutien de l'UMR 5605 (CNRS - Université de Bourgogne). Lors de la définition du projet qui est à l'origine de ce livre consacré à la «parole du prédicateur», un questionnaire fut proposé aux différents chercheurs sollicités, dont on peut reprendre les principaux éléments: - A-t-il existé au Moyen Âge une pastorale efficace et la prédication y a-t-elle participé ? Plus précisément : la « parole du prédicateur» eut-elle une utilité pratique et immédiate? Relève-t-elle de la rhétorique ? Et dans ce cas, comment définir la rhétorique chrétienne ? Ou bien faut-il voir plutôt dans l'idée même d'une prise de parole publique réservée au clergé une représentation que l'institution ecclésiale se donnait d'elle-même, et dont la fonction se situerait donc davantage sur un plan idéologique ? - La« parole du prédicateur» doit-elle être envisagée en soi ou comme un élément faisant partie d'un ensemble de rites et de procédures variées, y compris coercitives, d'où elle aurait tiré quelque efficacité (pratique et/ou idéologique)? Par ailleurs, dans quelle mesure la « parole du prédicateur » a-t-elle servi de modèle ou de matrice à d'autres genres de discours, à d'autres types de prise de parole? Futelle à l'origine de pratiques sociales particulières ? En répondant, chacun à leur manière, à l'une ou l'autre de ces questions, en suscitant de nouvelles interrogations, les auteurs de ce volume ont assurément enrichi l'historiographie du sujet. Nous tenons à remercier très vivement tous ceux qui ont accepté de participer au projet et qui ont bien voulu nous confier leur texte. Nous avons une dette particulière envers Nicole Bériou : à son amitié
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et à sa compétence, nous devons de nombreux conseils qui ont constitué une aide précieuse tout au long de la préparation de cet ouvrage. Que Uwe Brunn, Guido Castelnuovo et Daniel Russo, qui nous ont prêté une assistance d'autant plus indispensable qu'elle fut de dernière minute, trouvent également l'expression de notre gratitude. Enfin, nous sommes reconnaissants à Monique Zemer, directeur du Centre d'Études Médiévales, d'un soutien qui nous a permis de mener à bien cette entreprise.
Rosa Maria DESSl et Michel LAUWERS
ABRÉVIATIONS
AA.SS. A.B. A.F.P. A.H.D.L.M.A. B.l.S.l.M.E. C. C. Ser.Lat. C.C. Cont.Med. C.S.E.L. D.A.C.L D.H.G.E. D.S. D.T.C. M.E.F.R.M. M.G.H. P.L.
s.c.
Acta sanctorum Analecta Bollandiana Archivum Fratrum Praedicatorum Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge Bullettino dell'/stituto storico italiano per il Medio Evo Corpus Christianorum. Series Latina Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique Dictionnaire de Spiritualité Dictionnaire de théologie catholique Mélanges de l'Écolefrançaise de Rome. Moyen Âge Monumenta Germaniae Historica Patrologie latine Sources chrétiennes
ROSA MARIA DESSÎ et MICHEL LAUWERS
INTRODUCTION PRAEDICATORES ET PROPHÈTES à Jacques Le Goff
L
a diffusion de l' « évangile » - et donc la prédication - est inscrite dans les textes fondateurs du christianisme. Alors que les fidèles, formant un « sacerdoce royal », y sont chargés de « proclamer les hauts faits de Celui qui (les) a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière » (1 Pt 2, 9), une sorte de récit des origines évoque la manière dont le jour de la Pentecôte, l'Esprit Saint investit les apôtres d'une mission de parole (Act 2, 1-13). L'Apôtre par exceJience, Paul, rappelle d'ailleurs que sa « parole » et sa « prédication » lui viennent de l'Esprit Saint (1Cor2, 4). Très tôt, les Pères de l'Église se sont préoccupés de pastorale. Certains rédigèrent des traités consacrés à la prédication. Dans le De doctrina christiana, Augustin (t 430), évêque d'Hippone, transpose à la prédication chrétienne les règles de la rhétorique antique ; selon le modèle cicéronien, le sermon doit instruire (docere), charmer (delectare) et fléchir (flectere) l'auditeur. Et avec la Regula pastoralis, rédigée au début de son pontificat (590), le pape Grégoire le Grand propose un petit traité sur la vie et les devoirs de l'évêque, essentiellement consacré à la prédication, envisagée notamment en fonction de la nature des auditeurs. Dans un contexte où le christianisme se faisait idéologie dominante, la prédication était appelée à jouer un rôle essentiel dans la cohésion et la "reproduction" de la société. Envisagée dans cette perspective comme un instrument de pastorale ou de propagande, la prédication médiévale a fait l'objet de nombreux travaux, qu'évoque Nicole Bériou dans la conclusion de ce volume. Attentifs aux modalités du « faire croire » 1, les historiens se 1. Pour reprendre le titre d'un recueil qui a marqué, au moins en France, une étape importante dans l'historiographie: Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des TMssages religieux du Xlf au XV" siècle. Table Ronde organisée par l'École française de Rome, 22-23 juin 1979, Rome, 1981.
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sont en particulier intéressés, au cours des dernières décennies, à la «prédication effective» et à sa «réception» par les fidèles. Et de fait, alors que les traités pastoraux d'Augustin et de Grégoire, largement diffusés, faisaient autorité, les représentants de l'institution ecclésiale - parfois soutenus par le pouvoir souverain - rappelèrent souvent l'obligation pour les ministres du culte de répandre la Parole de Dieu2 et de la rendre compréhensible pour les fidèles3 • Ce n'est toutefois qu'à partir du X~ siècle que les reportationes et les notes d'auditeurs permettent dans certains cas à l'historien d'apprécier la manière dont le prêche était reçu. Tirant, entre autre, argument de l'absence à peu près totale, pour une bonne partie du Moyen Âge, de documents relatifs à des prises de parole concrètes (et entendues), certains historiens ont cru pouvoir interpréter la prédication médiévale comme une sorte de rituel. Selon Emmet McLaughlin, celle-ci fut.avant tout une parole ritualisée, qu'il eût été difficile de distinguer des prières et autres formules liturgiques4. Et pour Giles Constable, la prédication fut pendant longtemps un moyen d' «expression» plus que de> et celui des «conjoints ». Selon ce modèle d'organisation tripartite, la transmission de la doctrine et la parole publique étaient, par fonction, réservées au premier « ordre ». En d'autres termes, la prédication fut liée à une certaine conception de l'ordre social. L' « ordre » des «recteurs» étant incarné par les évêques, la parole de l'Église fut envisagée comme un monopole épiscopal. Le monopole du premier « ordre » fut rappelé lorsque les autorités ecclésiastiques entreprirent d'exclure ou de disqualifier des prises de parole gênantes, en particulier dans le contexte des concurrences en-
INTRODUCTION
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tre évêques et prêtres, entre clercs séculiers et moines : dans la Gaule du Midi au ve siècle, ainsi que le montre Jean-Pierre Weiss, ou aux VIIr et IXe siècles, alors que le pouvoir se restructurait autour de l'épiscopat et que la pastorale constituait un élément-clé de cette restructuration8. On sait que les adversaires des prises de parole monastiques se sont fréquemment appuyés sur l'autorité de Jérôme : « le moine a pour vocation de pleurer [les péchés], non pas d'être docteur». Dans un contexte de concurrence, sinon de polémique, entre évêques, prêtres et moines, des solutions de compromis, fondées sur une répartition des tâches, furent aussi imaginées : ainsi, la rédaction de "dossiers pastoraux" par les moines, dès le ve siècle comme le montre l'exemple provençal, qui déboucha dans certains cas sur une véritable «pastorale du livre», pour reprendre l'expression de Dominique Iogna-Prat. Utilisée au moins jusqu'au Xf siècle, l'idéologie tripartite coexista avec un idéal "monastique" de la prédication - "monastique" désignant ici un mode de vie détaché des liens terrestres, ascétique et contemplatif. Pour Grégoire le Grand lui-même, qui se trouve justement être l'un des principaux promoteurs de la théorie des trois «ordres», la prédication idéale devait être marquée de l'empreinte monastique : comme le montre Bruno Judie, il y a, dans l'œuvre de Grégoire, une aspiration des «recteurs» à la vie contemplative des moines. Ce sont d'ailleurs des moines qu'au début du Vit siècle, le pape Grégoire envoya « évangéliser » les Anglo-Saxons. Et tandis qu'en Irlande et en Bretagne les moines assurèrent la cura animarum, les auteurs anglo-saxons, tels que Bède le Vénérable (t 735), reprirent les idées de Grégoire : le bon doctor ou praedicator doit mener tout à la fois une vie active de pasteur et une vie ascétique de contemplation9. D'une autre manière, certains textes carolingiens témoignent de l'emprise du modèle monastique sur la « parole du prédicateur » : c'est ainsi que le capitulaire de Raoul de Bourges ( t 866) fait
8. Une lettre d' Alcuin adressée à Charlemagne, vers 798, condamne la manière dont certains évêques interdisent aux prêtres et aux diacres de prêcher dans les églises (Ep. 136. dans M.G.H. Epistolarum, t. 4 (Karolini Aevi), 2, 1895, p. 208-210). Alcuin dénonce vigoureusement le monopole exercé par les évêques sur la prédication. Car si ceux-ci sont les successeurs des apôtres, les autres prêtres le sont des soixante-douze disciples envoyés deux par deux par le Seigneur, selon lÉvangile de Luc ( 10, 1). 9. A. THACKER, « Monks, Preaching and Pastoral Care in Early Anglo-Saxon England », dans J. BLAIR et R. SHARPE éd., Pastoral Care be/ore the Parish, Leicester - Londres - New York, 1992, en part. p. 152 et suiv.
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du quatrième chapitre de la Règle de saint Benoît le canevas même de la prédication« au peuple » 10 • Ainsi donc, la théorie des trois « ordres », qui réserve très explicitement la « prédication » aux évêques (et parfois aux prêtres), n'a pas exclu une parole idéalement et dans certains cas effectivement assurée par des moines. Une telle situation renvoie à la tension constitutive du statut du prédicateur, tout à la fois membre d'un ordo et prophète. Si Grégoire le Grand et les hagiographes du haut Moyen Âge ont valorisé le modèle de l' évêque-prophète 11 - qui assume les deux exigences, de pastorale et de prophétie - , en même temps, en raison de l'extrême difficulté qu'il y avait à concilier les préoccupations quotidiennes liées au ministère épiscopal ou sacerdotal et le détachement nécessaire à une prédication "prophétique", il fallut souvent se tourner vers les moines. Convaincu que la réforme de l'Église devait passer par un renouveau de la prédication, le pape Grégoire le Grand fit donc appel aux moines, qui présentaient l'avantage d'être, en tant que contemplatifs, détachés du monde, non seulement des prophètes en puissance, mais aussi des « parfaits » 12 • De même, à partir du Xe siècle, de nombreuses églises épiscopales en quête de renovatio allèrent
10. «Cap. XIII. DE PRAEDICATIONE SACERDOTUM. Hol1amur uos paratos esse ad doc:endas plebes ... et ad peragendum bonum opus hortetur. Modum autem praedicationis hic est: lnprimis dominum deum diligere ... qui diligunt eum [= Regula Benedîcti, c. 4] » (Capitulaire de Raoul de Bourges, éd. P. BROMMER, dans M.G.H. Capitula Episcoporum. t. 1, 1984, p. 242-243, qui reprend le cap. XXI du premier capitulaire de Théodulphe d'Orléans (qui a toutefois un autte titre, sans référence à 1a «prédication»), éd. P. BROMMER, p. 117-119). 11. Sur ce modèle : C. LEONARDI, « Modelli di santità tra secolo V e VII », dans Santi e demoni nel/'alto Medioevo occidentale (secoli V-XI). Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'alto medioevo, XXXVI, t. l. Spolète. 1989, en part. p. 278-280. Voir aussi sur ces questions : M. CRISTIANI, « Praedicator, Propheta, Doctor. 0 maestro cristiano di fronte ai segni dei tempi. Prospettive pedagogiche bonaventuriane », dans Doctor Seraphicus, t. 39, 1992, p. 75-91. 12. Grégoire le Grand insiste par ailleurs beaucoup sur le comportement du prédicateur et sur ta nécessité pour celui-ci de mener une vie exemplaire. Augustin, dont le De doctrina christiana a beaucoup inspiré Grégoire, avait évoqué le cas des prédicateurs vivant mal : « celui qui parle avec sagesse et éloquence, mais par contre vit mal, instruit certes beaucoup de gens, avides d'apprendre, tout en étant selon l'Écriture inutile à son âme [Sir 27, 22] «(De doctrina christiana, IV, 27, 59). Moins sOr de l'efficacité d'un tel enseignement, Grégoire insiste plutôt sur le risque de perdition pour les sujets quand les pasteurs sont mauvais (Règle Pa.rtorale 2, 3) (cf. B. JUDIC, Introduction à la Règle pastorale, dans Sources Chrétiennes, t 381, Paris, 1992, p. 3940). La faveur du monachisme et des idéaux qu'il incarnait sous le pontificat de Grégoire le Grand entraîna après la mort du pape, à Rome, une réaction anti-monastique.
INTRODUCTION
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chercher leur pasteur dans les abbayes réformées de Gorze ou de Cluny 13 • Les réformateurs du siècle n'ont pas agi autrement. Le même idéal monastique et prophétique, que vinrent renforcer le besoin d'une purification du corps ecclésial et le modèle de la vita apostolica, amena les ermites itinérants, étudiés dans ce volume par Patrick Henriet, à prendre la parole et à revigorer ainsi la prédication chrétienne. L'ascétisme des ermites légitimait leur prise de parole. En ce sens, le rôle des ermites, au siècle, n'est pas sans analogies avec celui des moines à l'époque de Grégoire le Grand. Les uns et les autres bénéficièrent d'ailleurs du soutien d'une papauté soucieuse de réforme. Ainsi que l'écrit Patrick Henriet, il n'y a donc pas lieu d'opposer "hiérarchie" et "inspiration". La prédication des ermites met d'autre part clairement en évidence l'une des raisons de l'aspiration des «recteurs» à l'idéal représenté par les «continents»: la nécessité d'une regénération de la société chrétienne par un agent qui soit, d'une manière ou d'une autre, extérieur à cette société, comme l'est du reste tout prophète 14 • À l'itinérance du prédicateur correspondait la circulation d'une parole sacralisée au sein de la société, q\IÎ renvoie elle-même à la diffusion de la caritas parmi les chrétiens. Les idées du pape Innocent III relatives à l'ordo praedicatorum, qui se concrétisèrent à l'occasion du quatrième concile du Latran (1215) et avec la prédication des Mendiants, n'étaient pas éloignées d'une telle conception de la parole de l'Église 15 • À la fin du Moyen Âge encore, des prédicateurs itinérants, étrangers ou plutôt extérieurs aux groupes auxquels ils s'adressaient, entreprirent de regénérer la société chrétienne: ainsi en fut-il des frères Mendiants charismatiques de Toscane parcourant le contado qu'évoque Charles-Marie de La Roncière, des romiti italiens et des autres ermites annonçant la fin du monde, et peut-être même des «croyants» lollards, circulant de maison en maison, qu'étudie Simon Forde.
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13. Dominique IOGNA-PRAT évoque le cas de Cluny dans ce volume. Pour Gorze : P.G. JESTICE, «The Gorzian reform and the light under the bushel », dans Viator, t. 24, 1993, p. 51-
78. 14. N'est-ce pas aussi dans cette perspective qu'il faudrait interpréter les récits évoquant le succès de certains prédicateurs auprès de populations qui leur étaient étrangères et ne comprenaient pas leur langue ? 15. Cf. M. MACCARRONE, «"Cura animarum" e "parochialis sacerdos" nelle costituzioni del N concilio Lateranense (1215) », dans IDEM, Nuovi studi su Innocenzo li/, Rome. 1995, notamment p. 292-300.
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L'indétermination relative du statut du prédicateur, due aux manipulations du schéma triparti et à la force du modèle prophétique, ainsi que l'idéal néo-testamentaire du « sacerdoce royal » de tous les fidèles. expliquent en un sens les revendications émanant du troisième «ordre». À vrai dire, la prise de parole par les lafcs ne semble guère siècle : une ..mutation" que peravoir posé de problème avant le sonne ne mettra sans doute en cause - celle de l'Église - entraîna alors dans tout l'Occident contestations et/ou réformes. Or contesta~ taires et réformateurs prirent la parole. Tandis que les uns dénonçaient les représentants de l'institution ecclésiale, les autres n'hésitèrent pas à faire appel aux simples fidèles pour imposer leurs idéaux de réforme. D'une manière ou d'une autre, la parole de l'Église fut mise en cause, parfois usurpée. Les prises de parole répétées des laïcs parurent alors d'autant plus suspectes qu'elles sapaient le fondement des modèles nouveaux bâtis par l'Église à la faveur de la réforme grégorienne: à l'image d'une société organisée en trois « ordres » se substituait en effet une bipartition fonctionnelle laies I ecclésiastiques. Dans ce contexte. tous ceux qui étaient revêtus du sacerdoce furent prédicateurs de droitu'. formant lordo praedicatorum. Parce que Ja prédication était désormais liée au sacerdoce. auquel accédait la majorité des moines, toute opposition entre la fonction sacerdotale I pastorale et la fonction monastique disparut. au moins juridiquement. Une sorte de coïncidence entre les deux fonctions fut même réalisée, sur le plan institutionnel, avec la création des ordres Mendiants. sans doute déjà préparée par la prise de parole des moines cisterciens. Les frères franciscains et dominicains se présentèrent comme des moines dont l'office consistait à prêcher aux foules. En même temps, grâce au charisme que leur conférait leur état de moine. ils purent se dire « prophètes >>, selon le modèle incarné par François d' Assise 17 • Si, à l'occasion de la nouvelle donne ecclésiologique. les moines furent intégrés, en tant que prêtres, à l'ordo praedicatorum. les laîcs
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16. Sur l'évolution capitale qui mène à« l'enracinement de la prédication dans le sacrement de l'ordre», il n'y a guère de travaux récents: il faut toujurs renvoyer à M. PEUCHMAUJID. « Le prêtre ministre de la parole dans la théologie du XII" siècle (Canonistes, chanoines et moines)», dans Recherches de Théologie Ancienne et Médiévale. t. 29, 1962, p. 52-76. 17. N. BÉRIOU, « Saint François, premier prophète de son ordre dans la sennons du Xllf siècle », dans Les textes prophétiques et la prophétie en Occident (Xlf siècle}. Actes de la Table ronde de Chantilly, 30-31mai1988. Rome. 1990, p. 245-266.
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INTRODUCTION
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en furent alors catégoriquement exclus et passèrent pour « hérétiques » quand ils ne respectaient pas les nouvelles normes. La prédication n'a toutefois pas été immédiatement un thème crucial de la lutte contre les hérétiques. Les textes polémiques du Xf siècle, et même pré-vaudois en général, n'y font guère allusion. Ce n'est que vers la fin du XI.r et au X& siècle, alors qu'elles prenaient conscience d'un éclatement de la parole publique, de la multiplicité des prises de parole 18 , que les autorités ecclésiastiques réagirent, sévissant notamment contre les Vaudois, les Humiliés et autres pénitents laïcs qui prétendaient annoncer l'Évangile. Si l'on en croit Laura Gaffuri, l'exigence de réfutation de l'hérésie joua un rôle essentiel dans les choix pastoraux qu'attestent les sermonnaires de cette époque. Tout en condamnant et en disqualifiant les paroles illégitimes, il importait aux ecclésiastiques de distinguer les formes de la parole de l'Église - alors caractérisée par le sermo modernus - et de fonder la supériorité de celle-ci. Dans ce volume, Franco Morenzoni montre bien qu'un certain type de réflexion sur la parole du prédicateur - à l'origine des Artes praedicandi - est né dans ce contexte antihérétique. L'une des stratégies ecclésiastiques consista à (re)définir la dimension prophétique, alors qualifiée d' «inspirée», de la prédication. Ainsi retrouve-t-on, dans les textes de la fin du XI.f et du X& siècle, une tentative pour concilier inspiration, prophétie et grâce d'une part - autant de notions qui ne sont certes pas identiques - et fonction, technique, rhétorique d'autre part. Les scolastiques abordè18. Outre l'article fondateur de J. LE GoFF et J.-Cl. SCHMITT,« Au XIII" siècle. Une parole nouvelle», dans Histoire vécue du peuple chrétien, dir. J. DELUMEAU, t. 1, Toulouse, 1979, p. 257-279, il faut citer les travaux de C. CASAGRANDE et S. VECCHIO («Clercs et jongleurs dans la société médiévale», dans Annales E.S.C., t. 34, 1979, p. 913-928; Les péchés de la langue. Discipline et éthique de la parole dans la culture médiévale, trad. franç., Paris, Cerf, 1991), de E. ARTIFONI (« 1 podestà professionali e la fondazione retorica della politica comunale », dans Quademi storici, t. 63, 1986, p. 687-719; « Retorica e organizzazione del linguaggio politico nel Duecento italiano », dans Le forme della propaganda politica 11el Due e nel Trecento, dir. P. CAMMAROSANO, Rome, 1994, p. 159-182; « Gli uomini dell'assemblea. L'oratoria civile, i concionatori e i predicatori nella società comunale », dans La predicazione dei frati dalla metà del '200 alla fine del '300, Spolète, 1995, p. 141-188) et de C. DELCORNO, « Professionisti della parola : predicatori, giullari, concionatori », dans Tra storia e simbolo. Studi dedicati a Ezio Raimondi, Florence, 1994, p. 1-21. C'est également au XIII" siècle qu'au sein du monde universitaire se développa une réflexion nouvelle sur le « pouvoir des mots » : le rôle de l'interlocution, avec la prise en compte du locuteur et de l'auditeur, l'importance accordée à la notion d'« intention», l'élaboration d'un modèle intégrant les énoncés canoniques et déviants (discours incorrect, incomplet ou redondant) caractérisent cette réflexion, mise en évidence et étudiée par 1. ROSIER, La parole comme acte. Sur la grammaire et la sémantique au Xllf siècle, Paris, 1994.
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rent même, de la manière la plus explicite, la question des rapports entre «prédication» et «prophétie». Mais la tension constitutive de la prédication médiévale fut alors d'autant plus difficile à gérer que se multipliaient les revendications de laïcs susceptibles de se dire euxmêmes « inspirés » ou « touchés par la grâce ». Cette difficulté explique sans doute, au moins en partie, les voies différentes qu'adopta l'entreprise de sauvegarde de leur monopole à laquelle s'adonnèrent les prédicateurs : si dans leurs sermons, comme le montrent Carla Casagrande et Silvana Vecchio, certains exaltèrent volontiers l'origine divine de leur parole - et ils le firent jusqu'à la fin du Moyen Âge-, les auteurs d'Arles praedicandi, qui pouvaient craindre de laisser libre cours à des prédicateurs non autorisés et non professionnels, accordèrent, dans la définition qu'ils donnaient de la prédication, de moins en moins de place à l'inspiration divine. De même, une prédication détacliée du contexte liturgique et même de l'espace ecclésial, comme celle qui s'institutionnalisa avec les Mendiants, pouvait être confondue avec les prises de parole des «hérétiques», qui s'adressaient à leurs prochains dans les rues et sur les places publiques. Aussi fut-il urgent pour les ecclésiastiques d'affirmer que les nouvelles pratiques homilétiques renvoyaient à d'autres motivations que celles qui animaient les contestataires. et que ces derniers n'avaient aucune raison de se revendiquer de la parole "itinérante" du Christ. S'adressant à des hérétiques plus ou moins imaginaires, l'auteur d'un traité polémique des années 1200 écrit par exemple: «Vous nous objectez que, le plus souvent, [le Christ] prêchait en d'autres lieux que dans le Temple ou les synagogues, mais c'était à cause de la multitude de la foule qui venait à lui, afin que celle-ci ne constitue pas une gêne pour les ministres du Temple et des synagogues ... »19• Les contestataires qui prirent publiquement laparole au siècle ne partageaient évidemment pas un tel respect pour les ministres du culte.
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La parole du prédicateur redéfinie, valorisée, parfois exaltée, une sorte d'impérialisme du sermon - ou tout au moins de la parole de 19. « Si obicitis nobis quod sepius predicabat in aliis locis quam in templo uel in sinagogis. uerum est. Sed propter turbarum multitudinem ad se uenientium. ne essent impedimencn ministris templi et sinagogarum... » (ms. Reims, B.M. 495, f" 99 r-v). Ce manuscrit, ainsi que d'autres traités polémiques du même genœ et de ta même époque. fait l'objet d'une étude de Monique ZERNER actuellement sous presse, ainsi que d'une édition entreprise sous sa dim:tion à l'Université de Nice.
INTRODUCTION
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l'Église - s'affirma à partir du XIIf siècle. La reconnaissance d'un « Dieu rhétorique » et la confiance en une parole de sagesse susceptible d'ordonner le monde, qu'évoque Enrico Artifoni, semblent renvoyer à une telle situation. Sans doute l'idée d'une parole de prédication comme matrice de toute parole - qui n'est pas sans rappeler J'image antique de la «prédication-mère», cultivée par exemple par Césaire d'Arles - renvoie-t-elle aussi, comme le suggère Anita Guerreau-Jalabert, à une donnée structurelle de l'Occident médiéval. Mais elle prit alors un relief particulier.
À la fin du Moyen Âge, en raison des solides bases institutionnelles, juridiques et techniques sur lequelles il reposait désormais, l'ordo praedicatorum ne risquait plus guère d'être ébranlé par les aspirations des laïcs. Une autre menace pesait sur la Chrétienté et la prédication : l'absence d'idéal prophétique. Aussi, alors que des préoccupations d'ordre social, en syntonie avec les politiques de renforcement de l'État, éloignaient la parole de l'Église de l'exégèse biblique, certains prédicateurs - comme Bernardin de Sienne, Vincent Ferrier ou Savonarole - s'efforcèrent, de diverses manières, de "refonder" la dimension prophétique de leurs discours. Les nouveaux Wanderprediger de la fin du xve et du début du xvr siècle constituèrent une autre réponse au besoin diffus de vrais prophètes. La soif de prophétie publique caractéristique de cette époque peut être interprétée comme une sorte d'ultime recours à une forme très élevée de consolidation et de vérification collective du credo, avant le processus amenant à la profession jurée de la foi : les prédicateurs seront alors soumis au contrôle des évêques et devront même prêter serment. En fait, les prétentions de certains laïcs à prendre la parole, celles des Lollards par exemple, mirent moins en cause les prérogatives ecclésiastiques 20 qu'elles ne préparèrent le terrain à la restauration du sermo antiquus et à l'Évangélisme.
20. N'adoptant pas les formes du sermon ecclésiastique, les prises de parole des Lollards n'étaient pas vraiment« hérétiques». Sans doute est-ce la raison pour laquelle la question de la prédication, ainsi que le montre Simon FORDE, ne fut pas explicitement invoquée, lors des procès, dans les accusations portées à leur encontre.
-ILA PAROLE DE L'ÉGLISE, PRIVILÈGE ÉPISCOPAL?
JEAN-PIERRE WEISS
LE STATUT DU PRÉDICATEUR ET LES INSTRUMENTS DE LA PRÉDICATION DANS LA PROVENCE DU Ve SIÈCLE
u ~ et au ve siècle se déroulent les grands conciles qui définissent la théologie du Deus christianorum (Trinité et christologie) et mettent au point la doctrine de la grâce. Cette période se termine par le concile de Chalcédoine de 451. Naît alors l'impression à la fois d'achèvement et d'épuisement de la pensée. Tout a été dit, et les maiores, les Pères de l'Église du passé, constituent une tradition à laquelle il convient désormais de se tenir. L'autre trait dominant du ve siècle est constitué par les invasions barbares. En résulte un grand bouleversement qui comporte un effondrement de la culture latine. La Provence est partiellement épargnée parce que ce n'est que vers 475 que les Visigoths vont prendre possession de l'ensemble de cette région. Marseille avec Cassien, ainsi que Lérins et ses moines constituent des réduits où la culture latine et en partie la culture grecque se maintiennent. La communauté des moines de Lérins forme des évêques, mais aussi des prêtres dont la culture est sans doute supérieure à celle de la moyenne du clergé local. Conscients de leur mission, nos moines vont faire bénéficier leur environnement de leurs travaux littéraires et théologiques, mais aussi semer quelque peu le trouble. La doctrine de la grâce, influencée notamment par la théologie grecque, que véhiculent aussi bien Cassien que les Lériniens n'est en effet pas conforme à celle d'Augustin et à celle des disciples provençaux de l'évêque d'Hippone. Quand, comme Salvien de Marseille et Vincent de Lérins, ils sont de simples prêtres, leur magistère éventuel prête à contestation. Au début du De magistro, Augustin pose à son fils Adéodat la question suivante : « Que faisons-nous quand nous parlons ? » Adéodat répond : « À mon avis, soit nous enseignons (docere), soit nous apprenons (discere) »1• Se demander qui doit enseigner et donc est magister, et qui doit apprendre et donc est discipu-
A
l. AUGUSTIN, De magistro, l, l, éd. Kl.D. DAUR, dans C.C. Ser.Lat., t. 29, Turnhout, 1970, p. 157-203.
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lus revient à se poser la question à qui incombe la charge de la prédication. Après avoir essayé de répondre à cette question, nous verrons que même des clercs non appelés à prêcher eux-mêmes sont amenés à faire des travaux théologiques qui relèvent en réalité du magistère. Pour finir, nous étudierons dans quelle mesure les instruments de la prédication ont été élaborés dès le ve siècle.
LESTA TUT DU PRÉDICATEUR
La mission de prêcher appartient à l'évêque. Ce dernier s'inscrit, en effet, dans la succession apostolique, préside à la liturgie dont la prédication fait partie intégrante et est le gardien de la foi. Cela ne signifie nullement que seuls les évêques ont assuré la prédication dans I' Antiquité. Il est même arrivé qu'un simple laïc, en l'occurence Origène, ait prêché2• L'Orient et l'Occident n'ont pas la même tradition. Déjà avant la paix de l'Église, Paul de Samosate a permis à des prêtres de prêcher3. Grégoire de Naziance, Basile de Césarée et Jean Chrysostome ont prêché avant d'accéder à l'épiscopat". Jérôme, prêtre lui-même, prend parti, en s'appuyant sur saint Paul, pour la prédication des prêtres 5 • La situation est différente en Occident et en particulier en Afrique où les prêtres ne participeront pas à la prédication avant la fin du Ne siècle. C'est en 390 que le vieil évêque d'Hippone, V alère, un Grec qui parle mal le latin, fait nommer Augustin prêtre et le charge d'annoncer la parole de Dieu. Nous le savons par le biographe d'Augustin, qui écrit dans la Vita Augustini: «(L'évêque Valère) a donné au même prêtre (Augustin) le pouvoir de proclamer l'évangile et de prêcher très fréquemment contrairement à l'usage et à la tradition des Églises africaines »6 • Devenu évêque à son tour, Augustin délèguera le droit de prêcher à ses prêtres ; son collègue Aurelius de Carthage fera de même7 • 2. A. OLIV AR, La predicaci6n cristiana antigua, Barcelone, 1991. p. 533. 3. A. OLIVAR, La predicaci6n ... , p. 532, qui s'appuie sur EUSÈBE DE CBsARÊE, Histoire ecclésiastique, VIII, 30, l O. 4. A. OLIVAR, Lapredicacion .. ., p. 535. 5. J~RÔME, Epistulae (désormais Ep.), 52, 8; il se fonde sur 1 Cor. 14, 30-33. 6. «(Valerius episcopus) eidem presbytero (Augustino) potestatem dedit coram in ecclesia euangelium praedicandi ac frequentissime tractandi, contra usum quidem et consuetudinem Africanarum ecclesiarum » (POSSIDIUS, Vita Augustini. 5, 3, éd. A.A.R. BASTIENSEN et c. CARENA, Milan, 1975, p. 142). 7. Cf. AUGUSTIN, Ep. 41.
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Quand un prêtre assure la prédication, il arrive que des précautions soient prises. C'est ainsi qu'Augustin fait quelquefois prêcher ses prêtres en sa présence8• À Jérusalem, chacun des prêtres pouvait prendre la parole à la messe s'il le souhaitait, et l'évêque parlait en dernier. Si nous en croyons la pélerine espagnole Égérie, cela ne contentait pas certains auditeurs qui trouvaient que 1' office était trop long9 • Constatons pour notre part que dans ce cas la prédication des prêtres restait de quelque manière sous le contrôle des évêques. Saint Éphrem, un diacre, fait état d'une forme de limitation du droit de la prédication des prêtres en écrivant dans un de ses poèmes : «Ils offrent au Seigneur, comme une couronne de fleurs, l'évêque ses homélies, les prêtres leurs panégyriques, les diacres leurs lectures » 10 •
D'après cette spécialisation, les évêques prononcent les homélies, c'est-à-dire expliquent la Bible, les prêtres font des panégyriques, c'est-à-dire font l'éloge des saints, les diacres assurent les lectures liturgiques. L'évolution mène donc progressivement à la prédication des prêtres. Elle sera remise en cause, du moins en Gaule, par une décrétale du pape Célestin11 • n s'agit d'une lettre adressée en 431 aux évêques de Gaule dont six sont nommés par leur nom. Parmi eux figurent Venerius. évêque de Marseille. dont certains administrés ont contesté la doctrine de la grâce d'Augustin, et de Léonce, évêque de Fréjus, dont dépendent les Lériniens qui appartiennent à la même sensibilité que les Massîlienses. Cette lettre qui a trait à la prédication des prêtres fait l'objet d'interprétations variées. Faisant allusion à notre texte, Charles Pietri écrit que « les prêtres qui dirigent les catéchèses n'assurent pas nécessairement la prédication; Célestin indique bien aux évêques de Gaule combien il désapprouve ce mode d'intervention ... » 12 • Réginald Grégoire interprète la pensée du pape d'une façon plus nuancée puisqu'il écrit que la décrétale de Célestin 1
8. A. OuvAR, La predicaciOn ... , p. 540. 9 .. Cf. P. VAN DER MEER, Saint Augustin pasteur d'âmes, t. l, Colmar· Paris, 1959, p. 32, et ÉTHÊIUE, Journal de Voyage, trad. H. PÉllŒ. dans S.C., t. 21, Paris, 1948, p. 199. 10. Cité par A. OUVAR. La predicaciôn .. ., p. 534. 11. Câ.EsTJN I, Ep. XXI. l, dans P.L., t. 50, col. 528. 12. Ch. PIETRI, Roma Chrîstiana, t. 1, Rome, 1976, p. 634.
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« signifie opportunément aux évêques de Gaule que Ja prédication
leur appartient ; ce droit ne doit nullement être dévolu à des prêtres dont l'orthodoxie apparaît peu sûre » 13• A. Olivar répond avant tout à Charles Pietri quand il précise que « cette disposition papale a été fréquemment interprétée d'une manière trop absolue. comme si le pape ne reconnaissait pas aux prêtres un droit à la prédication ou comme si à Rome seul avait prêché le souverain pontife, et non les prêtres » 14 • Comme le lecteur non averti pourrait être perplexe en lisant successivement ces interprétations divergentes sous la plume de savants avisés, il convient de préciser les tenants et les aboutissants de la lettre. Il importe de noter que l'évêque de Rome n'écrit pas ce texte proprio motu mais sur demande de Prosper et de Hilaire, disciples provençaux d'Augustin, qui précédemment s'étaient déjà plaints auprès d'Augustin du caractère peu orthodoxe de la doctrine des maîtres provençaux, expression qui nous permet de désigner à la fois les Marseillais et les Lériniens 15 • Les deux dénonciateurs ne reprochent pas tellement à des prêtres de prêcher, mais de soulever dans leurs prédications des questions inopportunes (indisciplinatas quaestiones) et de prêcher avec obstination des choses contraires à la vérité (pertinaciter eos ... praedicare aduersantia ueritati). Les évêques de Rome sont volontiers plus juristes que théologiens. Ils n'aiment pas tellement examiner si telle doctrine, certes hérétique, est effectivement enseignée par ceux qui font 1' objet de dénonciations. Pour ce qui est de la doctrine, Célestin se contente de dire que la tradition doit l'emporter sur la nouveauté 16 • Pour le reste, il prend le problème par le biais de la discipline ecclésiastique. Profitant du fait que les personnes incriminées sont des prêtres, il souligne que la mission de prédication appartient à l'évêque. Se fondant sur des textes scripturaires, il rappelle quelques principes. Il écrit en particulier : « Nous lisons dans l'Écriture que le disciple ne doit pas être au-dessus du maître, ce qui signifie que personne ne doit aux dépens des docteurs revendiquer
13. R. GIŒGolRE. Homéliaires liturgiques médilvaux, Spolèœ, 1980, p. 12. 14. A. OLIVAR. l.ApredicaciôtL., p. 530. 15. Cf. Epis tula Prosperi ad Augustinum el Epistula Hilarii ad Auguslinum, dans Aux tnt1ines d'Adrumète et de Provence, dans Bibliothèque Augustinienne (désormais B.A.). r. 24. Paris, 1962, p. 392-435. 16. 01..ESTIN L Ep. XXL 1, 2, dans P.L.. t 50, ool. 529 : .. desinat, si ita res sunt. il1CeUm! oouitas uetwltltem "·
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l'enseignement » 17 • Et un peu plus loin, il continue : «S'ils sont au nombre des prêtres, qu'ils sachent que du point de vue de la hiérarchie, ils vous sont subordonnés. Qu'ils sachent ceux qui donnent un mauvais enseignement qu'il vaut infiniment mieux pour eux d'apprendre que d'enseigner. Car que faites-vous dans vos églises si ceux-là assurent l'essentiel de la prédication ? » 18 La décrétale, dont nous venons de citer les passages essentiels, appelle plusieurs remarques. Elle concerne une affaire particulière avec une argumentation ad rem. Il ne convient donc pas de lui donner une valeur générale. Dès que la prédication des prêtres pose des problèmes, il est normal que l'évêque de Rome rappelle que la responsabilité de la prédication appartient au seul évêque. Cela n'est pas une raison pour déduire de notre texte, comme le fait Ch. Pietri 19, que les prêtres n'assuraient pas la prédication à Rome où l'évêque était seul et les lieux de culte nombreux. Ainsi que le précise le même Ch. Pietri20, l'unité de la liturgie était garantie par le fermentum, la parcelle d'hostie, qui était communiquée à chaque église pour en constituer le levain. Indépendamment des problèmes de doctrine dont nous ne parlerons pas ici, il devait y avoir en Provence un problème spécifique qui pouvait conduire à retirer aux prêtres le droit de prêcher. En 431, Lérins avait déjà fourni deux évêques : Honorat et Hilaire d'Arles. Quelques années plus tard, d'autres Lériniens deviendront évêques. Il se trouve cependant que vers les mêmes années deux prêtres éminents font ou ont fait partie de la communauté de Lérins : Salvien de Marseille et Vincent de Lérins. Il ne serait pas étonnant que ces deux prêtres aient pu donner l'impression de sortir de leur rang et de l'emporter en prestige sur des évêques. Le rappel à l'ordre du pape Célestin pourrait donc avoir un rapport avec nos deux prêtres, dont nous ignorons cependant la date d'ordination, ou des prêtres de même qualité, puisque nous sommes à une époque où sans doute certains évêques, non issus de Lérins, étaient moins cultivés que des prêtres formés, par exemple, à Lérins. Prestige intellectuel et hiérarchie ecclésiastique pouvaient donc entrer en rivalité. En partant de 17. « Legirnus supra rnagistrurn non esse discipulurn (Luc VI, 40), hoc est, non sibi debere quernquarn in iniuriarn doctorurn uindicare doctrinarn ». 18. « Sciant se, si tarnen censentur presbyteri, dignitate uobis esse subiectos. Sciant quod sibi ornnes qui male docent, discere rnagis ac rnagis cornpetat quarn docere. Nam quid in ecclesiis uos agitis, si illi summarn teneant praedicandi ? ». 19. Ch. PIETRI, Roma ... , p. 634. 20. Ch. PIETRI, Roma ... , p. 630.
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Salvien de Marseille et de Vincent de Lérins, nous allons essayer de conforter cette hypothèse. Gennade a écrit vers 470 un De uiris illustribus, c~est-à-dire une histoire littéraire où il traite des écrivains ecclésiastiques. Dans la rubrique consacrée à Salvien de Marseille, il dit de ce dernier qu'il était magister episcoporum21 • On peut certes. dans un premier temps, donner à l'expression une signification banale. Avec Vincent, Salvien a assuré à Lérins la formation intellectuelle de Véran et de Salonius qui deviendront tous les deux évêques, l'un sans doute à Vence, l'autre à Genève 22 • Il a donc été le maître de deux futurs évêques. Mais c'est sans doute à juste titre que G. Lagarrigue. commentant l'expression magister episcoporum, écrit que «cette tournure est employée par Gennade dans un contexte trop élogieux et trop en liaison avec les abondants écrits et mérites littéraires de Salvien pour que l'on puisse y voir une simple allusion plaisante au fait qu'il instruisit à Lérins les deux fils d'Eucher ». Aussi précise+îl : «En tout cas ·Marseille était aussi un centre religieux et ascétique, où bien des sancti ont pu faire à Salvien la réputation d'un magister episcoporum »23 • Nous sommes tenté, pour notre part, de rapprocher cette expression d'une autre remarque de Gennade. Celui-ci précise en effet que Salvien a écrit de nombreuses homélies « faites pour les évêques »24• Par ailleurs, Bucher de Lyon nous apprend que Salvien ainsi que Vincent « se distinguent par leur éloquence et leur savoir » (eloquentia pariter scientiaque praeeminentibus)25 • Peut-être, à la suite de la décrétale de Célestin, notre prêtre n'a-t-il pas pu continuer à mettre en œuvre son éloquence ; il se contente donc d'écrire des homélies pour les évêques tout en devenant, d'une certaine manière, leur maître. À notre avis, ce n'est pas sans humour que Gennade, un ami des Lériniens, attribue au prêtre Salvien le titre de magister episcoporum. Il sait en effet très bien que le titre de magister renvoie doublement à la fonction même d'évêque. Ce dernier est magister à la 21. GENNADE, De uiris illustribus, 68, éd. E.C. RICHARDSON, dans Texte und Untersu· chungen zur Geschichte der a/tchristlichen Literatur (désonnais T.U.), t. 14/l, Leipzig, 1896, p. 84-85. 22. Cf. SALVŒN DE MARSEILLE, Ep. 8, 2, éd. G. LAGARRIGUE, dans S.C, t. 176, Paris, 1971, p. 118 : « (Sal. et Ver.) qui fuerunt discipuli quondam mei »; et BUCHER, lnstructionum Libri, 1, praef, éd. C. WOTKE, dans C.S.E.L.• p. 65-66. Textes cités par S. Piucoco, L'isola dei santi, Rome, 1978, p. 47. 23. G. LAGARRIGUE,« Salvien de Marseille», dans D.S., t. 14, Paris, 1988, col. 290. 24. Trad. G. LAGARRIGUE,« Salvien... »,col. 291. 25. EuCHER, lnstructionum libri, I, praef, p. 66, cité par S. PRICOCO, L'isola ... , p. 47.
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fois par son enseignement et par le pouvoir hiérarchique qu'il exerce. Le deuxième sens ressort clairement du passage où Eucher écrit à son fils Salonius : « ... tu as été éduqué sous l'autorité du vénérable Honorat, je veux dire de celui qui a été d'abord le maître des îles et ensuite celui des Églises »26 • On voit qu'ici Honorat est magister aussi bien dans ses fonctions d'abbé de Lérins que dans celles d'évêque d'Arles. Le vocable implique donc bien à la fois le pouvoir hiérarchique et le magistère. Ce ne sont pas là des attributs d'un prêtre qui, selon la décrétale de Célestin, doit être un disciple qui apprend, et non un maître qui enseigne, un subordonné qui obéit, et non un supérieur qui commande. Nous voyons ainsi que Gennade transforme en éloge une réputation qui aux yeux des autorités ecclésiastiques devait être une critique. Salvien lui-même nous permet d'entrevoir l'ambiguïté de sa situation. Prenant, pour ainsi dire, un pseudonyme, il commence son Ad Ecclesiam de la façon suivante : « Timothée, le plus petit serviteur de Dieu, à l'Église catholique, répandue dans le monde entier »27 • G. Lagarrigue écrit à ce sujet : « Pour souligner l'importance de son propos, Salvien, toute modestie mise à part quoi qu'il en dise (Lettre IX, 14-16), le présente comme une sorte de lettre encyclique émanant de l'apôtre Timothée ... »28 • Ajoutons qu'il emploie l'expression minimus seruorum qui est paulinienne et que, contrairement à saint Paul qui se contente d'écrire à des Églises particulières, Sal vien s'adresse à l'Église universelle. Compte tenu de la présentation que Salvien fait de son œuvre, il ne faut pas s'étonner qu'encore au ve ou au vr siècle, l' Ad Ecclesiam sera précédé de la mention Prologus Timothei episcopi29 • La plupart des manuscrits de l'œuvre de Salvien tiennent l'auteur lui-même pour un episcopus dans leurs incipit et explicit30 • Voilà donc un prêtre, empêché de prêcher en raison de son rang, auteur de nombreuses homélies faites pour les évêques, qui devient en quelque sorte évêque à titre posthume avant que la science moderne ne lui enlève à nouveau ce titre.
26. BUCHER, Instructionum libri, I, praef., p. 65. 27. « Timotheus, minimus seruorum Dei, Ecclesiae catholicae toto orbe diffusae » (SALVIEN DE MARSEil.LE, Ad Ecclesiam, éd. G. LAGARRIGUE, dans S.C., t. 176, Paris, 1971, p. 138-344). 28. G. LAGARRIGUE, « Salvien... », col. 294. 29. Cette mention est effectivement suivie d'un prologue édité par G. MORIN, dans Revue Bénédictine, t. 43, 1931, p. 196, et réédité dans P.L. Supplementum, t. 3, col. 203. 30. Cf. G. LAGARRIGUE,« Salvien... »,col. 291.
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Vincent, dont nous savons qu'il était prêtre à Lérins, a plusieurs points communs avec Salvien de Marseille. Avec ce dernier, il a, en se distinguant par son éloquence et son savoir3 1, instruit Salonius et Véran, les deux fils d'Eucher. Lui aussi a composé un ouvrage qui a une portée universelle : le Commonitorium. Enfin, comme Salvien, il a pris un pseudonyme, celui de Peregrinus, l'Étranger. Conformé· ment à ce que nous avons écrit ailleurs32, nous pensons que ce pseu· donyme, qui renvoie par ailleurs à la condition du chrétien, étranget sur terre, et à celle du moine. étranger au monde, est aussi à mettre en rapport avec une autre lettre du pape Célestin, datée du 28 juillet 428, où ce dernier incite les chrériens à ne pas choisir de préférence comme évêques des peregrini, c'est-à-dire des hommes étrangers à la cité qu'ils doivent prendre en charge. Le pape qui s'en prend dans la même lettre aux palliati, allusion aux moines de Lérins vêtus du pal· lium, précise en effet: «Il ne faut pas donner la préférence à des étrangers (peregrini). venus d'ailleurs et jusque là inconnus, au détriment d'hommes qui, au témoignage de leurs concitoyens (ciuium), sont méritants » 33 • Il s'agit là d'une réaction contre les moinesévêques venant de Lérins 34 • À la date de cette lettre, Arles avait déjà pris le peregrinus Honorat comme évêque ; plus tard, elle fera de même. malgré l'incitation de Célestin, pour Hilaire d'Arles. Si l'esprit de notre lettre avait été respecté, les Lériniens auraient sans doute, contrairement à ce qui se passera en réalité, été le plus souvent écartés de l'épiscopat, puisqu'à une exception près, celle de Maxime, les moines de Lérins dont nous connaissons le nom ne sont ni des Provençaux, ni des citoyens des villes dont ils deviendront les évêques. Peut-être est-ce parce qu'il était respectueux de l'esprit de la lettre de Célestin que Maxime a refusé vers 433, à la mort de Léonce, l'évêché de Fréjus dont il n'était pas citoyen, tout en acceptant, après l'avoir décliné, vers 434 celui de Riez. Il était en effet de Chateauredon qui faisait partie de la ciuitas Reiensis. Pour en revenir à Vincent, constatons qu'un Lérinien éminent, resté prêtre, prend pour pseudonyme le 31. EUCHER. lnstitutionum libri, I, praef. éd. p. 66. 32. J.-P. WEISS,« Vincent de Lérins». dans D.S., t. 16, Paris, 1993, col. 822·832. 33. CâESTIN 1, Ep. IV. IV, 7, dans P.L., r. 50, col. 434: «Nec peregrini et extranei et qui ante ignorati sint, ad exclusionem eorum qui bene de suorum ciuium merentur testimonio,
praeponantur... ». 34. À propos des moines de Urins devenus évêques: l·P. WEISS, «La fondation de la communauté des moines de Lérins», dans Bulletin de l'Assodation GuillauflU! Budé, fasc. 4, 1988, p. 346-350.
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nom de Peregrinus. Ce faisant, il revendique une condition qui, du moins aux yeux du pape Célestin, n'est guère susceptible de mener à l'épiscopat. La comparaison entre Salvien de Marseille et Vincent de Lérins nous suggère que des prêtres prestigieux, moines d'origine, pouvaient au ve siècle par l'éminence de leur savoir porter ombrage à des évêques dont la culture et la formation laissaient à désirer. Il est donc vraisemblable qu'après la parution de la décrétale de 431, le droit de prédication ait été effectivement retiré aux prêtres de Prov~nce. C'est en effet la disparition de ce droit qui explique le mieux son rétablissement officiel par le concile de Vaison de 529, qui a pour objet des problèmes de discipline ecclésiastique. Il est significatif que cette mesure est prise l'année même où le concile d'Orange condamne la doctrine de la grâce dont on soupçonnait au ve siècle les maîtres provençaux d'être les adeptes. Dans les actes du concile de Vaison, nous lisons : « Pour l'édification de toutes les Églises et pour le profit de tout le peuple, nous avons décidé de donner le pouvoir de prêcher (uerbumfaciendi) aux prêtres non seulement dans les cités, mais aussi dans les paroisses ; lorsque le prêtre, empêché par quelque maladie, ne pourra pas prêcher (praedicare) par lui-même, les diacres liront les homélies des Pères »35 • Nous voyons que les prêtres obtiennent un droit de prédication sans restriction. Comme cela ressort du texte luimême et comme le confirme A. Olivar36 , l'expression uerbum facere est synonyme de praedicare. Il est important de noter que les prêtres ne sont pas seulement autorisés à prêcher dans les cités où leur prédication peut facilement être contrôlée par l'évêque, mais aussi dans les paroisses où ils échappent à ce contrôle. La mesure est certainement due à la grande misère intellectuelle du siècle, qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies intellectuelles. En cas de défaillance du prêtre, on aura recours au diacre qui n'a certes pas le droit de prêcher mais, comme il est amené par fonction à lire des textes liturgiques, il peut aussi être habilité à lire des sermons des Pères.
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35. «Hoc etiam pro aedificatione omnium ecclesiarum et pro utilitate totius populi nobis placuit, ut non solum in ciuitatibus, sed etiam in omnibus parrocciis uerbum faciendi daremus presbyteris potestatem ita ut, si presbyter aliqua infirrnitate prohibente per ipsum non potuerit praedicare, sanctorum patrum horniliae a diaconibus recitarentur » (cité par A. OLIVAR, La predicaciôn ... , p. 543; éd. des actes du concile de Vaison par C. DE CLERCQ, dans C.C. Ser.Lat., t. 148A, Turnhout, 1963, p. 78-81). 36. A. OLIVAR, Lapredicaciôn ... , p. 501.
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Nous voyons ainsi que pour la prédication des prêtres en Gaule, deux dates et deux textes sont importants. En 431 la décrétale du pape Célestin met un tenne à la prédication des prêtres, qui auparavant existait au moins sporadiquement, sinon la publication de ce texte aurait été superflue. Deux points sont en cause : les prêtres visés prêchent une doctrine peu sûre; mais surtout certains d'entre eux ne se tiennent pas à leur place qui est ce1le du disciple (discipulus) soumis (subiectus) à son évêque. En 529, où à Orange la doctrine suspectée est condamnée et où l'Église a besoin de tous les talents, la prédication des prêtres est rétablie en une décision solennelle et officielle. Mais déjà au ve siècle s'annonçait le manque de culture et de formation; aussi s'acheminait-on dès cette époque vers la constitution d'instruments de travail pour esprits défaillants.
VERS LA CONSTITUTION D'INSTRUMENTS DE TRAVAIL
Vincent de Lérins a voulu écrire une œuvre qui, si elle nous avait été conservée telle quelle, eût été bien singulière et aurait manqué d'unité. Il voulait à la suite d'une œuvre originale et magistrale publier en seconde partie le dossier de textes qui a servi aux évêques réunis au concile d'Éphèse de 431 pour affiner la christologie. Cette œuvre, qui aurait été sur le plan esthétique un assemblage hétérogène, a connu un destin qui nous semble révélateur du passage qui s'est opéré en ce milieu du ve siècle de l'œuvre originale aux excerpta et autres instruments de travail. L' œuvre évoquée est le Commonitorium. Comme nous l'avons écrit ailleurs37 , il est dans un premier temps indispensable de bien saisir le sens du mot commonitorium qui est, à notre avis, un terme caractéristique de cette période de transition38 • La tâche nous est facilitée par le travail de R.M.J. Poirel qui a étudié avec précision le sens que ce vocable revêt au V siècle39 • Dans la langue juridique, il désigne en particulier la "note" que l'on remet à un protecteur qui se 37. J.-P. WBISS, «Vincent. .. », col. 822-832, dont nous serons amené, pour les besoins de notre argumentation, à reprendre de larges extraits. 38. Dans les Lettres l *-29* d'AUGUSTIN et de ses correspondants éditées par J. DIVJAK, dans B.A., t. 46B, Paris, 1987, nous relevons trente occurrences du mot commonitorium. Cf. aussi, datant des années 429-431, MARIUS MERCATOR, Comnwnitorium oduersus haeresim Pelagii, dans P.L., t. 14, col. 1680, et Commonitorium super nomine Caelestii, dans P.L., t. 14, col. 1686. 39. R.M.J. PoIREL, De utroque commonitorio Lerinensi, Nancy, 1895, p. 1-28.
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charge d'obtenir pour vous un service auprès d'une personne haut placée et, éventuellement, à travers elle auprès de l'empereur. La décision prise en retour par les autorités prend, elle aussi, la forme d'un commonitorium. Dans la littérature ecclésiastique des Quaestiones et Responsiones, le mot commonitorium se rapporte aussi bien à la question posée par le disciple qu'à la réponse fournie par Je maître. En droit ecclésiastique, le terme désigne l'exhortation qu'un évêque adresse à son Église au sujet de la discipline ou du dogme, ou les instructions qu'il donne à un de ses représentants. Il s'ensuit que, quand il s'agit d'affirmations et non de questions, le commonitorium se fait volontiers acte d'autorité à l'égard du destinataire qui peut être une communauté ecclésiale. Le même mot prend cependant aussi le sens d"'aide-mémoire" ; il peut alors concerner, en particulier, un dossier de textes derrière lequel l'auteur s'efface4(>. Si nous nous posons la question du sens que Vincent donne au mot commonitorium, nous nous heurtons à une première difficulté. Le Commonitorium de notre auteur est double. Vincent a composé deux commonitoria qu'il distingue clairement l'un de l'autre en opposant istud commonitorium41 à hoc commonitorium42 • Seul le premier commonitorium est conservé. Nous connaissons l'existence primitive du second de la façon suivante. Après une préface où Je caractère double de l'ouvrage n'est pas signalé, nous lisons le premier commonitorium; à la fin de ce dernier, l'auteur nous annonce un deuxième commonitorium précédé d'une seconde préface43 • En fait intervient une lacune, expliquée dans tous les manuscrits par une phrase qui précise que le deuxième commonitorium a disparu 44 • Suit une conclusion générale où Vincent résume brièvement le premier commonitorium et beaucoup plus longuement le second45 • Grâce à l'étendue de ce résumé, nous pouvons nous faire une idée assez précise de ce second commonitorium dont Gennade, qui écrit vers la fin du ve siècle, nous dit qu'il a été volé46 • Étonné de la longueur du deuxième résumé,
40. Cf. J.-P. WEISS,« Vincent...», col. 824. 41. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, XXVU, 38, éd. R.S. MOXON, dans Commonitorium of Vincentius of Lerins, Cambridge, 1915, p. 111. 42. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, XXVIll, 40, éd. p. 119. 43. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, XXVIII, 40, éd. p. 119. 44. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, XXVIIl, 40, éd. p. 119: « Secundum commonitorium interlapswn est». 45. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, XXIX-XXXIX, éd. p. 118-136. 46. GENNADE, De uiris, 65, éd. p. 83.
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le lecteur peut cependant se demander si Vincent n'a pas étrangement prévu dès le départ la disparition de la seconde partie de son œuvre47 • Maintenant que nous avons évoqué la question des deux commonitoria, il nous est plus facile de cerner le sens que Vincent donne au vocable concerné. À vrai dire, il nous semble que notre auteur joue sur le sens du mot commonitorium qui précisément s'y prête. À lire préface et conclusion de l'œuvre, le sentiment prévaut qu'il se veut l'auteur d'une sorte d'"aide-mémoire" simplement destiné à pallier les défaillances de son esprit. Dans le résumé du deuxième commonitorium, il constate qu'il n'arrive même pas à retenir l'ordre des pièces de son dossier4 8 • Si nous l'en croyons, il écoute, lit, apprend, reproduit ; bref, il est, comme nous dirions aujourd'hui, un simple "récepteur" qui ne songe nullement à "émettre" un message destiné à autrui. De toute évidence, Vincent tient à convaincre qu'il a écrit un commonitorium qui n'est qu'un "aide-mémoire" à usage personnel. En donnant au mot commonitorium ce sens, il souligne en quelque sorte qu'il n'est qu'un discipulus qui se contente de prendre des notes et qui ne songe nullement à donner un enseignement (docere). Il se conforme donc en tous points aux prescriptions du pape Célestin49 • Qu'en est-il en réalité? Le deuxième commonitorium est pour l'essentiel un dossier de textes écrits par des Pères de l'Église et lus au concile d'Éphèse (431). Nous le savons grâce à la présentation que Vincent fait de la seconde partie de son œuvre50, au résumé qu'il en propose51 et aux actes du concile d'Éphèse qui contiennent précisément le dossier patristique que nous venons d'évoquer5 2• Mais c'est justement ce deuxième commonitorium qui a disparu, qui a été volé53 • Or le premier commonitorium est de tout autre nature. Il s'agit bien d'un ouvrage personnel qui revêt d'ailleurs la plus grande importance dans l'histoire de la théologie. C'est là que nous trouvons la fameuse définition de l'orthodoxie qui consiste à retenir« ce qui a été 47. J.-P. WEISS,« Vincent...», col. 823·824. 48. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, XXIX, 42, éd. p. 123. 49. J.-P. WEISS, «Vincent... »,col. 824. 50. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, XXVIII, 40, éd. p. 119. 51. VINCENT DE LÉRINS, Comnwnitorium, XXIX, 42-XXXIII, 43, éd. p. 121-135. 52. E. SCHWARTZ. Acta conciliorum oecumenicorum, t. l (Concilium ephesinum) en 3 vol., Berlin, 1921 • 1929. 53. J.-P. WEISS, «Vincent. .. ».col. 825: si l'ensemble de !'oeuvre avait été édité, il y aurait eu juxtaposition d'une oeuvre personnelle et d'un dossier de textes dont sans doute surtout les introduction, transitions et conclusion auraient été de la main de Vincent. Pour l'essentiel ce dossier se serait présenté comme une sorte d'extrait des actes du concile d'Éphèse. qui ont connu tout de suite une large diffusion.
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cru partout, toujours et par tous» (quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est) 54 • C'est encore là que Vincent définit avec clarté le concept de progrès de la doctrine, qui est croissance sans altération et avec préservation d'identité. Le bébé devient homme, la semence se fait moisson 55 • Il y a donc développement continu, mais non addition. Catholiques et protestants revendiqueront l'auteur du Commonitorium comme une autorité qu'ils opposeront les uns aux autres. Nous voyons donc que notre humble prêtre devient uolens nolens un docteur de l'Église et que son œuvre a davantage l'allure d'une encyclique que d'un aide-mémoire. Pour se justifier et se faire petit, Vincent défend une position qui pourrait se résumer ainsi : estce de sa faute si, comme il le pressent au début du Commonitorium 56 , son "aide-mémoire" à usage exclusivement personnel lui a glissé des mains pour tomber dans le domaine public? Pouvait-il prévoir que le second commonitorium serait, selon la version de Gennade, volé ? Est-ce de sa responsabilité, si seule la partie de son œuvre qui a une allure quelque peu magistrale a été conservée ?57 Le contraste qu'il y a entre l'envergure de l'œuvre et l'humilité affichée par l'auteur s'explique sans doute par le contexte de la décrétale du pape Célestin qui demande aux prêtres de rester à leur place. L'époque elle-même fait d'ailleurs preuve d'humilité à l'égard des prestigieux Pères de l'Église du passé. Si le deuxième commonitorium avait été effectivement publié, ce qui, à notre avis, est douteux, puisque Vincent aura probablement hésité à éditer son œuvre sous une forme aussi composite, nous y trouverions le dossier de textes patristiques du concile d'Éphèse, qui aurait parfaitement illustré le quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est. Les pièces de ce dossier proviennent en effet d'auteurs de tout l'espace méditerranéen (ubique) puisque y sont représentés l'Égypte, la Cappadoce, l'Italie et l'Afrique. Les auteurs en sont relativement nombreux puisqu'ils sont dix (omnes). Les premiers siècles du christianisme y ont leur place (semper). Voici les Pères dont des textes ont été retenus : Pierre, Athanase et Théophile qui étaient évêques d'Alexandrie ; Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée et Grégoire de Nysse qui sont tous les trois Cappadociens ; deux évêques de Rome : Félix et Jules ; Am54. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, Il, 3, éd. p. l O. 55. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, XXIII, 28-30, éd. p. 88-93. 56. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, 1, éd. p. 6. 57. J.-P. WEISS,« Vincent...», col. 825.
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broise représente Milan, et Cyprien Carthage. Ils ont en commun d'être morts. Ils sont donc tous des maiores, terme qu'utilise Vincent pour désigner les Pères de l'Église58 • Le plus "jeune" de ces morts est Ambroise de Milan, décédé en 397. Le concile d'Éphèse a eu lieu en 431. Augustin est décédé en 430. On conçoit que l'évêque d'Hippone, qui pourtant aurait pu enrichir le dossier est un mort "trop jeune" pour pouvoir faire partie des maiores et partager leur autorité. Pour un peu il aurait encore pu lui-même être convoqué à Éphèse comme père conciliaire. Le respect témoigné aux Pères, aux maiores, mène tout naturellement à la confection d' excerpta. Ce n'est d'ailleurs pas seulement dans le domaine religieux que l'on publie des textes du passé qui font autorité. Entre 429 et 438 est compilé le Code Théodosien qui fait connaître une partie de la législation impériale promulguée depuis Constantin59 • Sans doute peu après la composition du Commonitorium (434), Vincent de Lérins publie des excerpta d'Augustin dont le titre est Excerpta sancte memorie uicentii lirinensis insule presbiteri ex uniuerso beate recordacionis agustini episcopi in unum collecta60 • Ces extraits rassemblent des textes épars où Augustin précise sa pensée sur le Christ et la Trinité ; ils constituent ainsi une première "somme théologique augustinienne". Certains de ces passages auraient pu trouver aisément leur place dans le dossier de textes utilisé par les pères conciliaires d'Éphèse, si Augustin était mort plus tôt. Aussi les Excerpta sont-ils, à notre avis, une sorte de complément au résumé du deuxième Commonitorium. Il nous semble en effet que. dans un contexte qui a trait à la Trinité et au Christ, Vincent ait annoncé dans son Commonitorium ces Excerpta en écrivant : « Que cela soit dit en manière de disgression ; ailleurs, s'il plaît à Dieu, nous en parlerons et en traiterons plus longuement »61 • Même si le milieu des maîtres provençaux a eu avec Augustin des différends sur la grâce, il n'est nullement étonnant que l'un des leurs ait publié un recueil de textes de l'évêque d'Hippone portant sur la Trinité et la christologie. Nos maîtres provençaux, qui vivent sous la menace des Visigoths de 58. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, II, 3, éd. p. 11. Les textes des papes Jules et Felix ne sont pas authentiques. 59. Cf. M. LE GLAY, J .•L. VOISIN, Y. LEBOHEC, Histoire romaine, Paris, 1991, p. 409. 60. VINCENT DE LÉRINS, Excerpta, éd. (après nouvel examen des mss) R. DEMEULENAERE. dans C.C. Ser.Lat., t 64, Turnhout, 1985, p. 197-231. Les Excerpta y sont précédés par le Commonitorium, p. 125-195. 61. VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, XVI, 22, éd. p. 65-66.
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religion arienne, sont, dès lors qu'il s'agit de la Trinité et du Christ, sur les mêmes positions qu'Augustin. Vers 450, le très augustinien Prosper, adversaire des maîtres provençaux, publie à son tour des Sententiae ex operibus sancti Augustini qui ont trait en particulier à la grâce62 • La période de 430 à 440 semble être une période de crise. Le magistère des prêtres pose problème aussi bien au niveau de la prédication qu'à celui des œuvres théologiques susceptibles de faire autorité. Deux d'entre eux ont joué un rôle important: Salvien de Marseille et Vincent de Lérins. Sans doute non autorisés à prêcher, ils nous ont laissé des œuvres marquantes. Salvien de Marseille développe dans son De gubernatione Dei une théologie politique qui permet de repenser les problèmes en fonction de l'invasion des barbares, et définit dans son Ad Ecclesiam une théologie morale contraignante ; Vincent de Lérins compose son célèbre Commonitorium. Nos deux prêtres exercent ainsi, un peu à leur corps défendant, un magistère qui fait d'eux des magistri episcoporum. Pour garder cependant leur rang, ils affirment leur petitesse et s'effacent derrière des pseudonymes. Ils se rendent compte de la nécessité de réaliser des instruments. de travail pour des clercs moins compétents qu'eux. Vincent en particulier a eu l'idée, qu'il l'ait effectivement publié ou non, de se procurer le dossier de textes patristiques du concile d'Éphèse, et a composé la première "somme augustinienne". Portant notre attention sur le ministère de la parole, nous allons maintenant examiner dans quelle mesure les instruments d'aide à la prédication ont été élaborés dès le ve siècle.
LES INSTRUMENTS DE LA PRÉDICATION AU Ve SIÈCLE Pour ce qui est de la Gaule, il est relativement facile de faire le tour des sermons conservés du ve siècle. Ils sont tous d'origine provençale et appartiennent à la mouvance lérinienne. Hilaire d'Arles, évêque d'Arles de 430 à 449, nous a laissé un Sermo de uita sancti Honorati. Il y fait l'éloge de son prédécesseur sur le siège épiscopal 63 • Valérien de Cimiez, qui est déjà évêque de Cimiez en 439 et l'est
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62. PROSPER D'AQUITAINE, Liber sententiarum, éd. M. GASTALDO, dans Ser.Lat., t. 68A, Turnhout, 1972, p. 219-365. 63. HILAIRE D'ARLES, Sermo de uita sancti Honorati, éd. M.-D. VALENTIN, dans S.C., t. 235, Paris, 1977.
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encore en 462, a légué à la postérité vingt homélies64• Nous disposons également des sermons de Fauste de Riez, qui a été évêque de Riez dans la deuxième moitié du V siècle65• Nous avons enfin un recueil d'homélies qui pose des problèmes complex.es et qui se présente comme l'œuvre d'un mystérieux Eusèbe le Gallican66 • Notre intention est de partir de ces œuvres et de quelques autres rares indications pour examiner s'il existait au ve siècle de la part des auteurs d'homélies un effon pour constimer des instruments d'aide à la prédication destinés à d'autres prédicateurs. Selon une tradition signalée par Réginald Grégoire, Hilaire d'Arles serait l'auteur d'un homéliaire intitulé Homiliae in totius anni festiuitatibus expeditae67 • Apparemment il ne nous reste rien de cette œuvre; nous ne pouvons cependant pas affirmer d'emblée que parmi les sermons anonymes dont nous disposons68 ne se trouve pas l'un ou l'autre texte de cet évêque d'Arles. Comme nous l'avons déjà fait remarquer, nous savons par Gennade que Salvien de Marseille a composé de nombreuses homélies «faites pour les évêques»•. Ces deux informations laissent supposer que dès le V siècle. il y avait en Provence des évêques qui n'étaient plus à même de rédiger eux-mêmes leurs homélies et que se constituaient des homéliaires qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Aussi notre enquête nous semble-t-elle justifiée. Deux œuvres présentent un intérêt particulier pour notre propos : les Homélies de Valérien de Cimiez70 et la collection d'homélies dite d'Eusèbe le Gallican71 • Les deux, chacune à sa manière, sont au service de r officium sermonis12 • Les Homélies de Valérien constituent stricto sensu plutôt un sermonnaire, alors que la collection gallicane tient de l'homéliaire proprement dit. Nous appelons en l'occurrence sermonnaire une série de sermons qui, traitant de questions tbéologj64. VALeRŒN DECIMIEZ, Homiliae 20, dans P.L, t. 52. col. 691-758. 65. FAUSTE DE RIEZ, Semwnes, éd. A. BNœL&RECHT, dans C.S.E.L.. t. 21, 1891. p. 221347. Sous la forme oil ils ont été publiés dans cette édition, ces sermons ne sont sans doute pas authentiques. li sera quesrion plus loin d'antres sermons de Fauste de Riez. 66. EUSÈBE LE GAWCAN, Ct>llectio Ho~liarum 76 et Semwnes extrauagantes 9, éd. F. GLoRJE, dans C.C. Ser.Lat., t. 101-lOIA·lOIB, Tumbout, 1970.1971. 67. R. GRÉGOIRE. Homélia.ires .. ., p. 44. 68. Nous pensons à des homélies de la collection gallicane. Cf. la note 66. 69. GENNADI!, De uiris, 68, éd. p. 84-85. 70. Cf. la note 64. 71. Cf. la note-66. 72. !A ministère de la parole se dit nocamment semumis olficium ou ller1'flJllJs mmisterium ; cf. A. OLIVAR, la predicac:iôn ... , p. 572.
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ques ou morales, n'ont pas nécessairement comme point de départ un passage précis de la Bible et qui, sauf exception, ne se rattachent pas à une date précise de l'année liturgique. En revanche, un homéliaire regroupe des homélies au sens étroit que ce terme a fini par prendre. Selon la définition de A. Olivar une homélie est en effet un commentaire en forme de prédication d'une lecture biblique liée à une date précise du cycle liturgique73 • Les Homélies de Valérien de Cimiez sont au nombre de vingt7 4 ; elles ont, chacune, une longueur conforme aux besoins de la prédication. À première vue, le lecteur pourrait se croire simplement en présence d'un recueil de sermons prononcés par Valérien à Cimiez au cours de son épiscopat. Rapidement, il se rend cependant compte qu'il ne s'agit pas d'une juxtaposition de sermons, mais d'une sorte de traité. Le titre De bono disciplinae de la première « homélie » pourrait être celui de l'ensemble des sermons. Il arrive d'ailleurs qu'un sermon se termine sur une phrase de transition qui annonce le suivant75 • Ce traité moral qui invite à la domination des passions et à la pratique des bonnes actions se présente comme une psychomachie où les vertus sous la conduite de la Disciplina font la guerre aux vices commandés par l'Auaritia. Pour l'essentiel, il comporte une double progression pédagogique76 • Valérien mène le lecteur des vertus de la vie quotidienne à celle de la vie héroïque du martyr, et d'une théologie de la grâce qui insiste sur l'importance de la volonté humaine confortée par la grâce du Créateur, à la grâce du Christ qui s'avère nécessaire pour toute réalisation : « il nous appartient donc de vouloir le bien, et au Christ de le réaliser » 77 • Il y a donc là un enseignement moral qui peut être repris tel quel dans la prédication, puisque chaque homélie peut être utilisée isolément et fonctionne comme un sermon bien construit.
73. A. OLIVAR, La predicaciôn ... , p. 490. 74. Elles sont complétées par l' Epistula ad monachos, dans PL, t 52, col. 755-758. 75. Cf. Hom. L 8, éd. col. 696: «Mulla quidem superabant adhuc, dilectissimi, quae disciplinae ratio suadebat aperire : quae interim putauimus differenda, ne otiosis auribus fastidium pareret longa narratio. Sane ne quid in hoc opere subtraxisse uidearnur, elaborabimus ut ea quae religiosis actibus competunt sequenti tempore disseramus ». 76. Cf. la conférence de J.-P. WEISS, «Valérien de Cimiez et la pédagogie de la grâce»: compte rendu dans les Cahiers d'Histoire. Chroniques. La Société Lyonnaise d'Études Anciennes, t. 18/4, Lyon, 1973, p. 398-399. 77. « Nostrum igiturest bene uelle, Christi uero perficere »(Hom. XI. 4, éd. col. 726).
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Ce sont avant tout les trois homélies intitulées De bono martyrii78 qui nous laissent supposer qu'à l'instar du prêtre Salvien de Marseille, l'évêque Valérien a écrit des sermons « faits pour les évêques». Ces homélies doivent certes préparer les fidèles à accepter éventuellement l'idée du martyre, puisque l'arien Visigoth est «devant les portes», mais surtout les inciter à prendre exemple sur les martyrs pour la conduite de leur vie morale. Commençons par noter que l'ensemble des sermons de Valérien ne comporte aucun nom propre non biblique, sauf celui de Thècle, une sainte légendaire très vénérée au ve siècle aussi bien en Occident qu'en Orient79 • À aucun moment l'évêque de Cimiez ne cite donc dans notre groupe d'homélies le nom du martyr de sa ville, alors que d'après la tradition locale, le lecteur attendrait celui de PonsaE,_ Il fait ainsi, à trois reprises, le panégyrique d'un martyr anonyme dont nous ne connaissons pas non plus 1' origine ~ l'éloge peut donc être prononcé partout où une cité se vante d'avoir un martyr parmi ses ancêtres. Le martyr est simplement appelé notre concitoyen (ciuis)81 • Depuis sa mort s'est constitué un grand lieu de pèlerinage où l'on vient de partout, mais, en particulier, des endroits privés de martyrs. Ce concitoyen est le patron (patronus) que nous avons dans le ciel. Les choses se passent, en une sorte de platonisme inversé, « au ciel comme sur la terre ». La patron protège en effet ses clients, les concitoyens, en les recommandant (commendare) à Dieu. Pour avoir accès à l'empereur. il faut avoir recours aux amis (amici) de ce dernier ; de même, la cité doit solliciter la protection du saint local pour avoir un intercesseur auprès de Dieu. Tout cela peut se passer aussi bien à Cimiez que partout ailleurs où le rapport entre patron et client garde un sens. Ces trois sermons sur le martyre sont donc, semble+il, destinés à des évêques, qui peuvent les utiliser comme des produits tout faits ; mais, s'ils ont quelque talent, ils peuvent facilement introduire un nom propre ou remplacer le nom d'instruments de torture convenus82 par celui qui a
78. Hom. XV, XVI et XVII, éd. col. 738-746. 79. Cf. Hom. XVII, 6, éd. col. 746. 80. Cf. J.-P. WEISS, «Une œuvre de la Renaissance carolingienne: la Passio11 de Pons de Cimiez», dans Hommaf?e à René Braun, Nice, 1990, p. 203-222. 81. Hom. XV, 5, éd. col. 740. Pour les rapports entre patron et clients. voir l'Hom .. XV, 4, éd. col. 740, et J.-P. WEISS, «Valérien de Cimiez et la société de son temps», dans Mélanges Paul Gonnet, Nice, 1989, p. 285-286. 82. Cf. Hom. XVI, 2, éd. col. 742.
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été effectivement appliqué au saint de leur cité, ou encore pratiquer telle autre modification de leur choix. En 1929, A.M. Riberi a publié les Homeliae de bono martyrii complétées par un inédit intitulé Homelia in dedicatione ecclesiae83 • Selon lui, les quatre homélies sont du même auteur, l' Homelia in dedicatione se rapporte à San Dalmazzo di Pedona, et Valérien est un évêque de cette localité du versant italien des Alpes Maritimes. En fait, l' Homelia in dedicatione n'est pas écrite dans le même style que les autres sermons, et le vocabulaire employé appartient sans doute à une époque un peu postérieure à celle de Valérien. Le fait même que, comme l'écrit A.M. Riberi, on peut identifier à travers l' Homelia in dedicatione un paysage précis indique que cette homélie n'a pas été composée par Valérien qui évite toute allusion à un endroit déterminé. Pour nous, le regroupement des trois homélies avec une homélie issue d'une région voisine et d'époque rapprochée est un indice sup.. plémentaire de leur utilisation comme sermonnaire dès le ve siècle84 • Bien que certains critiques estiment que les Homélies de Valérien aient été adressées à des moines85 , nous maintenons notre hypothèse selon laquelle elles étaient plutôt destinées à des évêques et à la prédication urbaine. Nous avons vu en particulier que les Homeliae de bono martyrii supposent comme auditeurs des citoyens d'une ciuitas. Nous ne pensons pas non plus que les sermons de Valérien aient une couleur spécialement ascétique86• Le souci constant de Valérien est de montrer que ce qu'il exige des fidèles est relativement facile à réaliser'. C'est ainsi que, si le pardon des offenses vous est trop pénible, vous pouvez toujours songer au fait qu'en pardonnant à l'ennemi vous accumulez des charbons ardents sur sa tête88 • Par ailleurs, le général des vices est l'Auaritia 89 , c'est-à-dire l'amour de l'argent, passion à laquelle sont exposés les hommes du siècle qui naviguent, commercent et s'agitent. Si l'ouvrage était conçu pour les moines et
83. A.M. RmERJ, S. Dalmau.o di Pedona e la sua abbazia, Turin, 1929, p. 332-347 (homélies De bono martyrii), 325-331 (Homelia in dedicatione ecclesiae, rééd. dans P.L. Supplementum, t. 3, col. 184-188). 84. Notons cependant que le manuscrit utilisé par A.M. Riberi est du XVf siècle et qu'il a disparu depuis. 85. Cf. A. OUVAR, LapredicaciOn .. ., p. 453. 86. Cf. 1. FoNTAINE, «France 1 »,dans D.S., t. 5, Paris, 1964, col. 800. 87. Cf. par exemple Hom. Il, 2, éd. col. 687. 88. Hom. XW, 5, éd. col. 733. 89. Hom. XX, éd. col. 751-755.
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les ascètes, c'est le péché d'orgueil qui aurait le pas sur le péché de cupidité. Or tel n •est pas le cas. La collection d'homélies dite d'Eusèbe le Gallican pose de redoutables problèmes. Pour les uns, dont F. Glorie, auteur d'une édition critique qui fait autorité, il s'agit d'un homéliaire dont Césaire d'Arles a jeté les bases et qui a trouvé sa forme définitive au Vir siècle00 • L'œuvre a été compîlée à partir de textes de Novatien (IIr siècle). de Cyprien de Carthage (IIr siècle), d'Eusèbe de Verceil (W siècle), d'Augustin (IVe-Ve siècles), d'Hilaire d'Arles (VC siècle), de Fauste de Riez (Ve siècle), d'Eusèbe d'Alexandrie (version latine du V ou siècle) et d'autres auteurs. J. Leroy, auteur d'une thèse sur cet homéliaire, soutient que la collection a été constituée dès le V siècle par Fauste de Riez91 • D'autres encore estiment que Fauste de Riez n'est pas le compilateur, mais l'auteur de la totalité ou de la pluralité de ces homélies111 • Nous nous contenterons ici de verser au dossier quelques réflexions que nous suggèrent les travaux de trois de nos élèves à qui nous avons proposé d'étudier quelques homélies tirées de la collection gallicane93 • Nous pensons en effet que la connaissance du dossier ne peut avancer que par l'étude systématique de chacune des homélies. Il y a, nous semble-t-il, consensus sur un point: l'homélie 35 en l'honneur de Maxime de Riez est incontestablement une œuvre de Fauste de Riez. Ce dernier y fait l'éloge de celui qui a été son prédécesseur immédiat. à la fois comme abbé de Lérins et comme évêque de Riez. F. Mongondry a fait une étude parallèle de cette homélie et de l'homélie 72 en l'honneur de saint Honorat en se demandant si les deux homélies sont du même auteur. Elle a cru pouvoir répondre affirmativement à cette question et est donc arrivée à la conclusion que l'homélie en l'honneur de saint Honorat est également de Fauste de
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90. F. OLoRIE, dans C.C. Ser.Lat., t. 101, Turnhout, 1971, p. VIII et IX. 91. F. GLORIE, dans C.C. Ser.Lat., t. 101, Turnhout, 1971, p. Vll. 92. Cf. en particulier G. MORIN, « La collection gallicane dite d'Eusèbe d'&nèse et les problèmes qui s'y rattachent », dans Zeitschrift jür die neutestamemliche Wissenscho.ft und die Kun.de der alteren Kirche, t. 34, 1935, p. 92-115, et É. GRIFFE, «Les sermons de Fauste de Riez. La Collectio Gallicana du Ps. Eusèbe», dans Bull. littér. eccl., t. 61, p. 27-28. 93. M. GtRAUD, Eusebius Gallicanus. Les homélies en l'honneur de saints martyrs. Tra· duction et commentaire. Ces homélies sont-elles du même auteur?, T.E.R .• Nice, 1986; F. MONGONDRY, Eusebius Gallicanus. Homélies en l'honneur de saints confesseurs. Traduction et commentaire. Ces homélies StJnt-elles du même auteur ?, T.B.R.. Nice. 1990; J. ZANOLE1TI, La prédication pascale en milieu lérinien. Traduction et commentaire de quelques lwmAlies de Ptlques tirées du corpus dit d'Eusèbe le Gallican, T.E.R., Nice, 1995.
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Riez. M. Géraud a étudié en se posant la même question quatre homélies en l'honneur de saints martyrs: Blandine et ses compagnons (hom. 11). Ephypodius et Alexandre (hom. 55), Genès (hom. 56) et Roman (hom. 57). Il ne lui a pas été possible d'établir l'unicité de l'auteur. Il ne serait pas étonnant que l'homélie qui traite du saint arlésien Genès soit d'Hilaire d' Arles94, et que l'éloge des saints lyonnais Alexandre et Ephypodius ainsi que celui de Blandine et de ses compagnons aient été composés et prononcés par un évêque de Lyon. Ces homélies constituent un ensemble de sermons pro sanctis sans doute rédigés au ve siècle par des auteurs de la mouvance lérinienne, qui ont pu être intégrés au Vf siècle par Césaire d'Arles dans un homéliaire. Les homélies consacrées à des saints précis participent moins que d'autres d'une des caractéristiques de notre corpus : le remploi. Il y a en effet dans la collection gallicane des centons formés en partie de textes qui la constituent. À notre avis, ces centons, qui ne sont pas dans la manière des Lériniens du ve siècle, ne peuvent être antérieurs au siècle. Il faut donc essayer de dégager de la collection les textes du Ve siècle. Les homélies de saints citées plus haut en font, semble+il, partie. Quand une homélie reprend d'une façon quasi textuelle les passages d'une autre homélie, il convient d'examiner si tel détail, telle variante, tel vocable ne peut indiquer qu'une version du texte est antérieure à l'autre. C'est ce que J. Zanoletti a essayé de faire pour les homélies 12 et 12A95 • La première n'est qu'un fragment de sermon, la deuxième en est l'ampliation. Dans l'homélie 12, le Christ descend aux enfers pour réclamer son dû. Il est métaphoriquement un agent du fisc, non seulement bien connu, mais décrié, du ve siècle: «c'est un envahisseur, et non un débiteur; c'est un agent du fisc, et non un pécheur »96 • Celui qui amplifie l'homélie ne comprend plus ce qu'est un exactor qui vient exiger l'impôt, parce que cet agent
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94. Cf. Clauis Patrum Latinorum, n° 966. 95. Hom 12, dans C.C. Ser.Lat., t. 101, Turnhout, 1971, p. 141-143; Hom. 12A. dans C.C. Ser.Lat., t. 101, Turnhout, 1971, p. 145-150; J. ZANOLEm, La prédication .. ., p. 205-218. 96. « lnuasor est, non debitor; exactor est. non peccator » (Hom. 12, 2, éd. p. 142). J. ZANOLETII, la prédication .. ., p. 212-213, cite SALVŒN DE MARSEILLE, De gubematione Dei, V, 17. Voir aussi la note de G. LAGARRIGUE dans son édition du De gubematione Dei, dans S.C., t. 220, Paris, 1975, p. 324: «Le contribuable qui ne pouvait payer les tributs sur la propriété terrienne voyait son champ vendu par l'exactor (Cod. Theod. XI, 7, 4, a. 327; XI, 9. 1-2, a. 323, 337) et était lui-même chassé sans aménité (Cod. Theod. XI, l, 35, a. 429). Themistius, Or. quinquen. 6-7, éd. W. DINDORF, p. 137, déclare que les exactores doivent être plus redoutés
que les Barbares».
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de l'État romain a disparu au plus tard avec la fin de l'Empire d'Occident (476) et l'occupation de l'ensemble de la Prm.:ence par les Visigoths à la même époque. Il aménage donc la phrase en écrivant : «c'est un envahisseur, et non un débiteur; c'est un voleur par effraction, et non un pécheur »97 • Ne saisissant plus l'antithèse debitorlexactor, concise et claire pour un lecteur ou un auditeur du ye siècle, il l'a remplacée par l'opposition debitorleffractor qui manque de cohérence. La logique le conduit ensuite à changer un terme de la phrase qui suit. La version primitive précise : uenit iubere. Si l' exactor donnait effectivement des ordres, l' effractor en revanche a, dès l'abord, recours à la violence. Aussi lisons-nous dans l'homélie 12A: pugnare uenit. Le fait que dans l'homélie 12A, c'est avec une framea, arme germanique par excellence, que le Christ vient combattre dans les enfers ne fait que confirmer notre hypothèse d'une datation tardive de ce texte98 • La forme primitive du passage est reproduite par le sermo extrauagans 8 qui est un centon fabriqué plus tard à partir de plusieurs textes de la collection gallicane99 • Intéressante est la reprise par l'homélie 20 de l'antithèse debitorlexactor sous une forme glosée : ... quem debitorem suum putabat, creditorem et exactorem esse cognoscit100 • C'est là sans doute un texte qui date d'une époque où il convenait d'expliquer exactor au lecteur ou à l'auditeur en' ajoutant un mot explicatif, celui de créancier, au risque de compromettre, pour ce qui est du style, la symétrie de l'antithèse, qui est au ye siècle une des marques de l'écriture des auteurs de la mouvance lérinienne. Ces quelques considérations nous permettent de dire qu'il y a dans notre corpus des œuvres du ye siècle. C'est le cas des homélies de saints évoquées plus haut et sans doute de l'homélie XII. Certaines de ces homélies sont effectivement de Fauste de Riez. Quand il s'agit d'œuvres composites, il est difficile de distinguer les textes empruntés des textes originaux. En architecture, les pierres qui font l'objet d'un remploi sont déplacées; en littérature, textes primitifs et textes plagiés coexistent. La collection gallicane comprend des initia et principia sermonum101 qui proposent des déclarations de modestie à prononcer en 97. « Inuasor est iste, non debitor ; effractor est, non peccator » (Hom. l 2A, 2, éd. p. 146). 98. Hom. 12A, 3, éd. p. 148. 99. Sermo extrauagans 8, 2, dans C.C. Ser.Lat., t. 1018, Turnhout, 1971, p. 883. 100. Hom. 20, 2, dans C.C. Ser.Lat.. t. 101, Turnhout, 1971, p. 240. 101. Hom. 67-71, dans C.C. Ser.Lat., t. lOIA, Turnhout, 1971, p. 751-769.
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début d'homélies notamment par des évêques invités à prêcher devant d'autres évêques 102 • Ces formules protocolaires, qui sont sans doute le produit des ateliers de Césaire d'Arles, sont tout à fait conformes au code de politesse et d'urbanité clérical du siècle précédent. Le lecteur a l'impression que ces préambules pourraient convenir aussi à des prêtres qui prêcheraient en présence d'évêques. Ils donneraient alors, à environ un siècle de distance, toute garantie au pape Célestin qui, dans sa lettre de 431, déconseillait la prédication des prêtres dans la mesure où ils ne seraient pas soumis à leurs évêques et n'auraient pas de doctrine sûre. Dans l'exorde suivant, l'accent est mis sur l'obéissance: «En prenant, sur la demande de si grands évêques, la charge de prononcer le sermon, je le fais non pas tant par une présomptueuse audace, mais en vertu de mon esprit d'obéissance et de soumission » 103 • La variante suivante souligne que le prédicateur qui va prendre la parole est, pour reprendre les termes du pape Célestin, un « disciple » qui ne demande qu'à être instruit par son « maître » : « Si, en présence de Messeigneurs les évêques, je me charge du ministère de la prédication, ce n'est pas par une présomptueuse audace, mais dans l'idée d'avoir l'occasion de recevoir d'eux une instruction et de bénéficier, en étalant mon incompétence, de leurs remarques magistrales » 104 • Ce genre de déclaration d'humilité, qui dans la bouche d'un évêque relève d'une courtoisie respectueuse du savoir-vivre clérical de l'époque, prendrait un sens différent dans la bouche d'un prêtre. Or nous avons vu que, revenant sur les dispositions antérieures, le concile de Vaison de 529 chargera à nouveau les prêtres d'une mission de prédication. Celle-ci ne pourra, bien entendu, s'accomplir qu'au nom et sous l'autorité de l'évêque. Aussi pouvons-nous dire que si, par hypothèse, prêchant en présence d'un ou de plusieurs évêques, les prêtres commençaient leur homélie par une déclaration liminaire sur le modèle de celles de la collection gallicane, ils montreraient effectivement combien ils respectent l'esprit qui a animé la décrétale du pape Célestin de 431. 102. Cf. A. OLIVAR, La predicaciôn .. ., p. 563. 103. « Quod, praecipientibus tantis domnis, ministerium proferendi sermonis assumo, fado hoc non taro praesumptionis ausu, quam subiectionis obsequio »(Hom. 70, dans C.C. Ser.Lat., t. lOIA, Turnhout, 1971, p. 765). 104. « Quod, praesentibus dominis meis, offtcium sermonis assumo, facio hoc non praesumptionis ausu, sed quondam acquirendae ab eis instructionis ingenio : ut, dum coram eis prodimus imperitiam, acquiramus de eorum correctione doctrinam » (Hom. 67, dans C.C. Ser.Lat., t. lOIA, Turnhout, 1971, p. 751).
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CONCLUSION
Au Ve siècle, la prédication en Provence est marquée par des événements politiques et culturels importants. Les bouleversements causés par les invasions barbares et la mobilité des personnes brouillent les limites du savoir et du pouvoir. Normalement, ce sont les notables locaux, non retirés du monde, qui devraient constituer le vivier de l'épiscopat. Mais à Lérins, parmi les moines venus d'ailleurs où les aristocrates sont nombreux, se forme une « sorte de nouveau collège d'où sortent les évêques » 105 • L'arrivée de ces palliati et peregrini cause en Provence des perturbations attestées par la lettre du pape Célestin de 428. Il peut arriver aussi que dans cette communauté de moines, il y ait des « princes du savoir » qui, pour des raisons qui nous échappent, n'ont pas été appelés à devenir «princes de l'Église». Prêtres, ils peuvent, semble-t-il, être chargés de l' officium sermonis. Se pose alors la question de savoir comment un évêque éventuellement peu cultivé peut confier le magistère de la parole à un prêtre qui lui est supérieur en savoir et en éloquence, alors que luimême reste responsable de la doctrine prêchée, puisque c'est en fin de compte à lui qu'incombe la prédication. La décrétale du pape Célestin de 431 règle le problème. Dorénavant, les prêtres de Provence ne prêcheront plus. Mais, malgré cela, certains d'entre eux exerceront, sous une autre forme, un magistère. Salvien de Marseille adressera, sous le nom de Timothée, son Ad Ecclesiam à l'Église universelle; Vincent de Lérins, le Peregrinus, écrira le Commonitorium qui fait encore aujourd'hui autorité. Salvien de Marseille ira même jusqu'à composer des homélies pour les évêques. Par ailleurs des évêques fourniront de leur côté aide et assistance à leurs collègues. C'est ainsi que Valérien de Cimiez semble avoir rédigé un sermonnaire pour mettre à la disposition d'autres évêques un instrument de travail susceptible de les guider dans leur prédication. La collection gallicane contient en particulier des sermons du ve siècle issus de la mouvance lérinienne. S'y rencontrent notamment des homélies de Fauste de Riez. En revanche nous pensons que l'idée de constituer autour de ces textes un homéliaire ne date pas du ye siècle. C'est au vr siècle que 105. Cf. CÉLEsTIN 1, Ep. IV, 4, 7, dans P.L., t. 50, col. 434: « ... ne nouum quoddam, de quo episcopi fiant, institutum uideatur esse collegium ».
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Césaire d'Arles prend conscience de l'ampleur de la misère intellectueHe de l'Église de Provence. Dorénavant il conviendra de faire feu de tout bois et, en particulier, de restituer aux prêtres leur mission de prédication. Cela se fera en 529 au concile de Vaison. Dans l'atelier de Césaire seront confectionnés des homéliaires qui constitueront pour les clercs des aides à la prédication. En cas de besoin, on se contentera, pour assurer l'instruction des fidèles, de la lecture de sermons de Pères de l'Église par des diacres. Une époque se termine. La siècle explique en grande partie que dorécrise intellectuelle du navant les Pères de l'Église, les maiores, deviendront la source inépuisable de toute prédication.
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GRÉGOIRE LE GRAND, UN MAÎTRE DE LA PAROLE
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ans l'œuvre du pape Grégoire le Grand, la prédication occupe une place très importante. Il faut entendre la prédication comme l'exposé, le commentaire, l'explication dûment autorisés de la parole sacrée à destination du public des fidèles chrétiens en général. La prédication fait partie tout spécialement des devoirs de l'évêque. Sans doute l'œuvre majeure de Grégoire - les Moralia in Job n'appartient pas à l'éloquence de la chaire. Les commentaires sur Job sont nés, semble+il, dans un cercle relativement limité d'auditeurs choisis et correspondent plutôt à l'approfondissement de la vie spirituelle par des moines ou de pieux laïcs. Cependant dans ce vaste commentaire se manifeste aussi le souci de Grégoire envers les praedicatores. Ce souci devient central quand il est lui-même promu évêque en 590 dans les circonstances dramatiques que l'on connaît. Or l'accession de Grégoire au pontificat est marqué par la rédaction d'un petit traité sur les devoirs du pasteur, la Règle pastorale, sorte de manuel de la ligne pastorale que Grégoire veut suivre et qu'il propose à ses confrères dans l'épiscopat. Dans ce traité la part de la prédication est considérable; en effet, la troisième partie du Pastoral qui couvre plus des deux tiers de l'ensemble est entièrement consacré à l'art de prêcher en fonction de la nature des auditeurs, des catégories morales ou sociales auxquelles ils appartiennent. Le Pastoral manifestait ainsi d'un point de vue théorique une évidente priorité à la prédication au peuple. Et ceci n'est pas resté théorique; dans le même temps Grégoire s'engageait effectivement dans la pratique de l'homélie; il compose des sermons sur l'évangile du jour au cours de l'année liturgique 590-591 et les regroupe ensuite en un recueil de quarante homélies à la demande de nombreux fidèles et pour faire face à des copies "pirates" qui circulaient déjà 1• Les quaL Les Homélies sur l'Évangile sont disponibles seulement dans la P.L., t. 76, col. 1071· 1314. qui reprend l'édition des Mauristes. Cf. R. ÉTAJX, «Note sur la tradition manuscrite des Homélies sur l'Évangile de Saint Grégoire le Grand», dans J. FONTAINE éd., Colloque Grégoire le Grand. Paris, 1986, p. 551-560, et« Répertoire des manuscrits des homélies sur l'Évangile de saint Grégoire le Grand», dans Sacris Erudiri, t. 36, 1996, p. 107-145, ainsi que G.
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rante homélies sur l'Évangile forment donc un document exceptionnel sur la pratique de la parole chez Grégoire, d'une parole publique et d'une parole écoutée à en juger par le succès que ces homélies ont rencontré 2 • On ne doit pourtant pas négliger non plus les Homélies sur Ézéchiel. Postérieures, elJes ont longtemps passé pour un commentaire d'Ézéchiel dans le même style que celui de Job, c'est-à-dire un approfondissement spirituel réservé au cercle monastique de Grégoire. Michel Banniard a récemment démontré q~'il ne fallait pas s'en tenir à cette opinion courante : les homélies sur Ezéchiel ont été elles aussi adressées à un public composite, pas très différent de celui des homélies sur l'Évangile. On notera cependant qu'une différence demeure entre les deux recueils : dans un cas il s •agit de commenter des
PFEILSCHJFfER,
Die authentische Ausgabe der 40 Evangelienhomelien Gregors des Gro.uen,
Munich, 1900. Seule traduction intégrale en français : Les quarante homélies ou Sermons de Saint Grégoire le Grand pape sur les évangiles de l'année, traduits en françois, Paris, 1665 [par le sieur de Laval]: traduction de certaines homélies dans R. WASSELYNCK, Saint Grégoire le Grand. Homélies pour les dimanches du cycle de Pâques, Namur, 1962 qui reclasse certaines homélies selon un ordre des lectures postérieur à Grégoire. La Règle pastorale (ou Pastoral) est disponible dans les S.C., t. 381-382, Paris, 1992. Sans autre indication les références aux lettres (ep.) de Grégoire renvoient au C.C. Ser.lat., t. 140-140A, les références aux Moralia au C.C. Ser.lat., t. 143-143A-l43B. 2. Le nombre officiel de quarante homélies correspond certainement à une volonté symbolique comme le montre l'homélie 16 qui commente le séjour de Jésus dans le désert pendant quarante jours (Mat. 4, 1-11 ). Au début du Carême, Grégoire rappelle les précédents de Moïse (Ex. 34, 28) et d'Élie (ill Reg. 19, 8). Le chiffre quarante, c'est le Décalogue multiplié par les quatre évangiles ou bien le corps (composé des quatre éléments) affligé dix fois, ou bien encore la période du jeûne qui d'ailleurs dure en fait trente six jours, soit la dîme de l'année, comme Cassien l'avait déjà indiqué (cf. H. MEYER et R. SUNTRUP, Lexikon der mittelalterlichen 2'.ahlenbedeutungen, Mittela/terschriften 56, Münster, 1987, col. 709-723). Grégoire a certainement prononcé d'autres homélies. On conserve des traces de sa prédication en dehors des recueils officiels sur les Évangiles et sur Ézéchiel: Oratio de mortalitate (P.L., t. 76, col. 13111314), sous le titre denuntiatio pro septiformi letania comme app. IX dans l'édition du Registre des lettres (S.C., t. 371); Chartula de laetania maiore, dans M.G.H. epîst.., t. l, ep. 2, 2 et app. IV dans S.C., t 371. Cf. aussi C. LAMBOT, «Sermon pseudo-ambrosien attribuable à S. Grégoire le Grand», dans Revue Bénédictine , t. 54, 1942, p. 12-15: sermon 34 dans ceux faussement attribués à AMBROlSE, dans P.L.. t. 17, col. 671 ; M. BANNIARD, « Zelum discretione condire : Langages et style de Grégoire dans sa correspondance », dans Papauté, nwnachisme et théories politiques (Mélanges Pacaut), Lyon, 1994, p. 29-46: en été 602, ep. 13, 1 adress~ à la collectivité des Romains est un petit senno ad populum qui complète les Homélies sur l'Evangile. Il est ainsi légitime de penser que Grégoire a voulu ce chiffre de quarante homélies, chiffre qui correspond aussi aux quarante chapitres de la troisième partie de la Règle pastorale, comme si les quarante homélies constituaient l'application concrète de la méthode exposée dans ce programme épiscopal qu'est le Pastoral. Les Dialogues aussi reposent sur un nombre voulu de chapitres (cf. A. DE VOGÜÉ, dans l'introduction à l'éd. des S.C., t. 251, p. 54-55), même si on n'y retrouve pas le nombre quarante. Peut-être ce nombre de quarante avait-il pour Grégoire l'intérêt de rappeler le carême, donc la préplll'lltion à Pâques et au baptême. L'objectif final du prédicateur n'est-il pas d'annoncer la venue du Ressuscité?
GRÉGOIRE LE GRAND
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lectures "liturgiques", dans l'autre c'est Grégoire lui-même qm choisit les extraits d'Ézéchiel à cause de leur difficulté 3 •
LES HOMÉLIES DANS LEUR ENVIRONNEMENT LITURGIQUE
La prédication de Grégoire, c'est-à-dire de l'évêque de Rome, s'insère dans un cadre formel assez contraignant et en tout cas fortement ritualisé. Un certain nombre d'églises, de basiliques, sont désignées comme des "stations" où, à un jour précis, les fidèles sont invités à se rassembler pour entendre leur évêque. On sait en outre par l' oratio de mortalitate que Grégoire organise ce rassemblement sous la forme d'une procession. Dans le cas exceptionnel de l'épidémie, sept processions avaient été organisées pour confluer en même temps vers la basilique de Sainte-Marie-Majeure. Dans le cas des homélies sur l'Évangile, une seule procession avait dû précéder la cérémonie. Le rassemblement s'était opéré auprès d'une église, par exemple près de la basilique du Latran, pour se rendre vers la station désignée. Le pape est à cheval : on sait par sa correspondance qu'il devait avoir
3. Édition des Homélies sur Ézéchiel par C. MOREL, dans S.C.. t. 327, Paris. 1986 et t. 360, Paris, 1990. Cf. M. BANN1ARD, Viva voce. Communication écrite et communication orale du N au Vllf siècle en Occident latin, Paris, 1992, en part. p. 148-156. Il faut maintenant s'appuyer sur les travaux de A. CHAVASSE, « Aménagements liturgiques à Rome au VU" et VIII" siècles», dans Revue Bénédictine, t. 99, 1989, p. 75-102, repris dans La liturgie de la ville de Rome du~ au Vllf siècle. Studia Anselmiana/Analectll liturgic:a, t. 18, Rome. 1993. Voir aussi du même auteur: «Le calendrier dominical au Vf siècle », dans Revue des Sciences Religieuses, t. 38, 1951, p. 234-246; «Les plus anciens types du lectionnaire et de l'antiphonaire romains de la messe», dans Revue Binédic:tine, t. 62, 1952, p. 3-94; «Après Grégoire le Grand, l'organisation des évangéliaires aux Vif et Vllf siècles», dans Rituels. Mélanges offerts au Père P.M. Gy. éd. P. DE CLERCK et É. PALAZZO, Paris, 1990, p. 125-130. Sur le contexte plus général de l'homilétique: A. OLIVAR, «L'objet de l'homilétique patristique», dans La MaisonDieu, t. 177, 1989, p. 19-33, et du même auteur: La predic:aciôn cristiana antigua, Barcelone, 1991, en part. p. 318-323, 579, 624, 920. Cf. aussi J. l.oNGÈRE, La prédication médiévale, Paris, 1983, p. 32 et 196; E. McLAUGHLIN, «The Word Eclipsed? Preaching in the Early Middle Ages», dans Traditio, t. 46, 1991, p. 77-122 (qui insiste sur le caractère plutôt rare de l'homélie en tant que parole originale de commentaire et d'explication sur !'Écriture et même sa disparition dans le haut moyen âge au profit de pratiques purement rituelles issues à la fois des origines chrétiennes et de l'environnement culturel du haut moyen âge). Plus spécialement sur Grégoire : C. DAGE.NS, « Grégoire le Grand et le ministère de la parole : les notions d'ordo praedicatorum et d' officium praedic:ationis », dans Forma futuri. Studi in 011ore del cardinale Michele Pellegrino, Turin, 1975, p. 1054-1073; V. RECCHJA, «Il praedicator nel pensiero e nell'azione di Gregorio Magno», dans Salesianum, t. 41, 1979, p. 333-375.
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une monture convenable4 ; il est escorté par les diacres de l'Église et les officiels du palais. II est accueilli à la porte de l'église, puis s'avance tandis qu'on allume sept chandeliers devant lui, qu'on brûle de l'encens et que le chœur chante un psaume. Il va prendre place sur un trône derrière l'autel ; on peut encore s'en faire une idée à partir du trône conservé aujourd'hui dans l'église Saint-Grégoire-le-Grand, et qui passe pour avoir été celui du pape ; il représente en tout cas ce qu'est le mobilier du Vf siècle5 • Au cours de la célébration de la messe avait lieu la prédication durant laquelle le pape restait normalement assis. On sait que certaines homélies de Grégoire composées par lui ont en effet été lues par des notaires (c'est la première série) tandis que contrairement à l'habitude, et malgré sa santé défaillante, Grégoire prononça lui-même les vingt homélies de la deuxième série. Dans certains cas, on peut encore aujourd'hui se faire une idée du cadre matériel de cette prédication, de son environnement architectural et visuel, qui devait nécessairement impressionner les auditeurs. On sait d'ailleurs par une lettre à Serenus de Marseille que Grégoire était sensible à l'utilité des images dans l'instruction chrétienne6 • Plusieurs homélies sont prononcées à Saint-Jean-de-Latran. En tête de certaines d'entre elles, on trouve parfois l'indication in basilica Constantiniana: c'est une référence directe à l'une des grandes constructions de Constantin, une basilique immense où siège l'évêque de Rome et qui conservait, près de trois siècles après Constantin, toute la gloire de la Rome chrétienne7 • Deux homélies sont prononcées dans une basilique Sainte-Marie, certainement Sainte-Marie-Majeure, déjà lieu de confluence des processions contre la peste. L'homélie de Noël de 590 et l'homélie de Pâques du 15 avril 591 (hom. 8 et 21) ont eu pour cadre cette vaste nef toujours debout avec les superbes mosaïques de l'arc triomphal et des murs de la nef ; l'abside aussi comportait des mosaïques remplacées au siècle par celles que nous voyons actuellement. L'histoire de Samson capturé à Gaza par les
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4. Cf. ep. 2, 50 à Pierre sous-diacre en Sicile, en juillet 592 : « tu nous as fait remettre un mauvais cheval (caballum) et cinq bons ânes. Je ne peux pas monter ce cheval parce qu'il ne vaut rien ; je ne puis monrer les bêtes qui sont bonnes parce que ce sont des ânes "'· 5. F.H. DuDDEN, Gregory the Great, t. l, lA>nd.res, 1905, p. 251-258; M. ANDRIEU, Les Ordines romani du haut moyen âge, lA>uvain, 1948, J. RICHARDS, Consul of God. The life and times of Gregory the Great, Londres, 1980, p. 118-125. 6. Lettres à Serenus de Marseille: ep. 9, 208 et 11, 10. Cf. M. BANN1ARD, Viva voce... , p. 108-111 et F. HÉBER-SUFFRIN, É. PALAZZO, «L'image dans l'espace liturgique au moyenâge», dans La Maison-Dieu, t. 177, 1989, p. 149-166. 7. C .. PŒTRI, Roma Christiana, Rome, 1976, p. 4-11.
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Philistins (hom. 21) serait-elle liée à une image existante dans cette basilique? Quatre homélies sont prononcées dans une basilique Saint-Laurent qui doit être Saint-Laurent-hors-les-murs que le pape Pélage II, prédécesseur de Grégoire, venait de refaire à neuf (hom. 19, 24, 31 et 40). Dans l'homélie 19, Grégoire évoque l'assemblée qui remplit les murs de l'église (ecclesiae parietes implemus) : il s'agit d'opposer la foule apparente des fidèles et la réalité de ceux, le petit nombre, pauci, qui seront élus ; néanmoins le terme concret peut aussi évoquer ce cadre architectural neuf dans lequel se trouve cette assemblée. D'ailleurs, un peu après, Grégoire donne les exemples d'Étienne et de Paul. L'un fut le premier martyr et l'autre participa à sa persécution ; pourtant, Paul vient avant Étienne dans la sainte Église : tamen eumdem ipsum in sancta Ecclesia laboribus antecessit quem persequendo martyrem fecit. C'est une bonne leçon pour ne pas présumer de sa propre ..élection" ni désespérer du prochain apparemment soumis aux vices. Or sur l'arc triomphal de Saint-Laurent-hors-les-murs, la mosaïque figure à gauche du Christ en majesté Paul, puis Étienne (à droite se trouvent Pierre et Laurent). Ainsi Paul sous les yeux des auditeurs du sermon se trouvait bien avant Étienne8• Dans l'homélie 14, une image frappante sur laquelle on reviendra présente les ovium pascua. L'homélie fut prononcée à Saint-Pierre et nous connaissons mal aujourd'hui le décor de l'ancienne basilique. Ces pâturages de brebis évoquent néanmoins un décor de mosaïques encore présent à SaintsCosme-et-Damien ou plus grandiose à Saint-Apollinaire in Classe à Ravenne. Il convient donc de donner toute son importance à l'espace de la parole de prédication. Il faut préciser maintenant le temps de cette prédication. Sur ce point, l'édition des Mauristes fournit beaucoup d'indications contradictoires. Il faut en effet tenir compte à la fois des indications de Grégoire lui-même, d'une part dans la lettre-préface à Secundinus de Taormina, d'autre part dans le texte même des homélies, et aussi des indications figurant en tête de chaque homélie pour les affecter à telle 8. A. CHAVASSE, «Aménagements... », situe l'homélie 19 le mercredi 28 mars 591 mais ne lui affecte pas de station; l'édition des Mauristes indique Saint-Laurent sur la foi de nombreux manuscrits, mais certains manuscrits de leur apparat indiquent Saint-Pierre. Par ailleurs, sur les quatre homélies situées à Saint-Laurent rien n'empêche que telle ou telle ait été prononcée dans une autre église Saint-Laurent comme Saint-Laurent in Damaso par exemple. Sur l'assistance nombreuse: A. OLIVAR, La pndicacîon .. ., p. 758.
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fête du temporal ou du sanctoral. Les travaux d'Antoine Chavasse ont clairement montré que les indications de certains manuscrits précisant telle ou telle fête sont des additions postérieures portées en fonction de la place des péricopes dans des évangéliaires postérieurs à Grégoire (ou postérieurs au début de son pontificat). Il faut en réalité partir des indications sûres, celles de Grégoire lui-même. Les homélies ont été recueillies dans l'ordre dans lequel elles ont été prononcées. A. Chavasse repère cependant quelques exceptions à ce principe, exceptions qui restent malgré tout explicables9 • On peut résumer par ce tableau : hom. 1
=
hom. 2
=
hom.3
=
hom.4
=
hom. 5
hom.8
= = = =
hom.9
=
hom. 10
=
hom. ll
=
hom. 12
=
hom. 13
=
hom.6 hom. 7
, dut se défendre devant le pape Martin V. Plusieurs dépositions recueillies à cette occasion insistent sur le fait que certains fidèles vénéraient davantage la tablette que l'hostie65 • Le trigramme, dont le culte rencontra un grand succès et qui allait devenir le motif iconographique identifiant Bernardin, peut alors être interprété comme le symbole d'une nouvelle forme homilétique. d'une parole-sacrement. En 1460, dans 63. « Abbi per regola che ogni volta che si pl'Wica a utile e a sa.lute d'anima sempre si predica el Vangelo »ou encore:« fa' che tu dica quello che sia salute de' popoli e sempre predicarai il Vangelo » (BERNARDINO DA SIENA, Prediche volgari sui Campo di Siena 1427, t. 2, p. 1331-1332). En interprétant ainsi la prédication, Bemadin suivait la Règle de saint François: Regula Bul/ata, c. IX, dans K. EsSER, Die Opuscula des hl. Franziskus von Assisi, Grotlaferrata, 1976, p. 370 (cf. c. DELCORNO, « lntroduzione »,dans BERNARDINO DA SIENA. Prediche volgari, t l, p. 9). Déjà, dans sa Summa de arte praedicandi (vers 1222), Thomas de Chobham entend «montrer qu'il n'y a aucune contradiction entre l'affinnation qui prétend que ce qu'il faut prêcher ce sont les Évangiles, et la place qu'il réserve concrètement à la présentation des vertus ». Le but des Évangiles est d' «enseigner ce qui est juste, utile et honnête » (F. MoRENZONI, Des écoles aux paroisses. Tlwnuis de Clwbham et la promotion de la prédication au début dii Xl/f siècle, Paris, 1995, p. 119). 64. Sur la fonction apotropaïque des images : D. RIGAUX, « Usages apotropaïques de la fresque dans l'Italie du Nord au xvc siècle», dans Nicée Il. 787-1987. Douze siècles d'images religieuses, Paris, 1987, p. 317-331. 65. « Item ita decipit simplicium animas cum hile tabula, quod quidam in Viterbio dixerunt se habere maiorem fidem et devotionem in bac labula nominis lesus quam in hostia quae eleva· tur a sacerdote in missa ; et specialiter quadam roulier dixit : "Maiorem fidem babe-0 in bac labula quam ad modicum de pasta quae elevatur in missa" ; et sic ex toto evacuat per banc tabulam nominis Iesus fidem et reverentiam Corporis Christi. De hoc testificari potest quaedam fidelis roulier, nomine Angelina, quae moratur in hospitali Viterbii, quod est contra ecclesiam Fratrum Praedicatorum ». Et encore : « Item fr. Bemardinus in eadem civitate Bononiensi dixit in publica praedicatione, quod non est necesse depingi imaginem cricifixi aut sanctorum, sed sufficit pro omnibus irnaginibus labula nominis lesus » (selon les Articuli contra fr. Bernardinum de 1432, éd. E. LoNGPRÉ, «S. Bernardin de Sienne et le nom de Jésus», dans Archivum franciscanum hi.vtoricum, t. 30, 1937, p. 173, 180) ; on pourrait continuer les citations. Cf. aussi D. ARASSE, « Iconographie et évolution spirituelle : la tablette de S. Bernardin de Sienne », dans Revue d'histoire de la Spiritualité, t. 50, 1974, p. 433-456.
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un sermon prononcé pour louer saint Bernardin, Jacques de la Marche rappelle à son public padouan que le prédicateur franciscain « par la bouche de l'Esprit Saint fut annonciateur de ce très doux Nom, lequel n'était auparavant pas dans l'usage, ni dans les dévotions >>66 • C'est, je pense, dans la même perspective qu'il faut interpréter les représentations sacrées et les récitations de laudi insérées dans le prêche67 : celles-ci créaient un lien avec les éléments liturgiques de la messe68 • Le succès de la prédication bemardinienne est à rechercher non seulement dans les résultats tangibles d'un discours efficace, autrement dit dans l'adoption ou non par le public des modèles de comportement proposés. mais aussi dans les formes ..compensatoires", aux marges du discours. qui canalisaient le défoulement des émotions. On peut en effet envisager comme une espèce de "compensation", me semble+il, la condamnation symbolique des pécheurs par les fidèles présents au prêche : cette condamnation se manifestait par exemple par Je crachat collectif contre les sodomites - « qui parut comme un 66... per la bocha del Spirito Santo fo annonciatore de questo dolcissimo Nome, Io quale prima non era in uxo né in devoùone apn:sso le penone ,. (C. DEI.CORNO. « Due prediche volgari di Iacopo della Marca recitate a Padova ne! 1460 .... dans Alti dell'lstituw W!IU:to di scienze. lettt!re ed a11i, t. l28, 1969-1970, p. 114). Sans doute Jacques de la Marche a-t-il encore à l'esprit le souvenir des accusations d'hérésie lancées contre Bernardin en 1426 et les interdictions donc il fut lui même victime: en 1428, l'éveque de Macerata lui défend de montrer la tablette bemardinienne lors de sa prédication. ainsi que l'atteste la lettre envoyée par l'évêque au Coaseil de Cn:denza : « continentibus quod penitus non vul! quod tabula reliera per fratrem J.acobum Ontinis Minorum mostreœtur populo prout factum est. hactenus nisi tali cultus füerit per sedem apostolicam approbatus (.. .)».Le conseil marqua son accord avec l'évêque: «( ... )Et davis qua domini priores ex bona causa includi fecerunt dicta tabula ne mosrraretur... ,. (le posqge est cité en entier par P. JANSEN, Démographie i!I wciiti dans les Marches à la fin du MQym Âgt: Macerata aux XIV et XV' siècles, thèse d'habilitation. Bordeaux. 1995. p. 571571). 67. Cf. R.M. DEsst Écritures lai'qltes.... t. 1. p. 76-78. et. en dernier lieu: B. WILSON. Mu· sic and Men11tmts ..., p. 66-70. Dans le sermonnaire de Bernardin Aquilano da Fossa, terminé en 14&4, tm trouve de très lœgs passages d'une Représentation Sacrée à réciter le dimanche des Rameauit (C. DE l..OLLIL « Ricerche abruz:zesi ». dans Bullettilw dell'lstituto Storico ltalia110 per il Medio Eve>, t 3. 1887. p. 80..100. repris et traduit dans R. RUSCONI, Predkazimie e vira religiosa .... p. 196-198). 68. À propos des rapports entre prédicateur et prêtre, on peut également évoquer le cas du Dominicain Vincent Ferrier. Selon les dépositions de Toulousains qui évoquent. en 1454, son arrivée dans leur ville et sa prédication de Pâques, en 1416. Vincent Fenier avait prêché devant une foule nombreuse, autant préoccupée du charisme prophétique de sa parole - il est inspiré par Dieu (univer:sus populus angelum 11e11ie11tem a Deo missum reputabal) - que de ln nécessi1:6.SC lier sa tâçhe de prédicateur au pouvoir sacerdotal. Quand Vincent Ferrier arrive sur la place Saint·Étienne, il pone une chape de Dominicain, puis il revêt les habits liturgiques pour dire la messe qu'il .célèbre alto voce, cum œntu ; et celle-ci finie, il reprend la chape noire et prêche : B. MONTAGNES. « Prophéti11me et eschatologie dans la prédication de saint Vincent Ferrier», ~ Fin du nwnde el sipes detJ temps. Visionnaires et prophètes e11 France méridionale (fin Xllf ·début XV" sièc/e)(Cahiorsde Fanjeaux. 27), Toulouse, 1992, p. 334-335, 341.
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tonnerre »69 - ou par le bûcher de vanités71l. Sans doute ce genre d'action commune, rituelle, est-il aussi à mettre en rapport avec l'évolution de la justice dans les villes italiennes au cours du xve siècle. Car, tout en se défendant de se mêler des affaires "séculières.., Bernardin fut en fait un subtil défenseur de lappareil répressif de l'État. Les liens entre la prédication et l'exercice de la justice, ainsi que la bonne formation juridique de certains prédicateurs sont connus et ont été mis en évidence par plusieurs études71 • Mais c'est aussi sur un plan moins directement "politique", en tout cas plus implicite, relevant davantage de l'ordre de la représentation, que les prédicateurs eurent à affronter le problème des conflits privés et des vengeances12 • Dans la société de la fin du Moyen Âge, les méthodes privées de résolution des conflits ont continué à fonctionner, même après l'affirmation d'un fort appareil judiciaire communal, mais furent progressivement englobées par une justice de nature publiquen. Dans un tel contexte, on pourrait interpréter les rituels en marge du prêche comme des formes de vengeance symbolique, mises en scène par le prédicateur qui agirait alors en étroite coHaboration avec l'État. Il s'agit là d'une hypothèse qu'il conviendrait de vérifier, notamment en examinant précisément la manière dont les prédicateurs trouvèrent des réponses à l'affaiblissement du système privé de résolution des litiges. 69. Selon l'expression du reporœteur du prêche prononcé à Florence en 1424, dans BERNARDINO DA SIENA. Le predicM volgari ( Quare.dmale fiorentino del 1424J, t 2. éd. C. CANNAROZZI, Pistoia, p. 48, cité dans Z. ZAFARANA, « Bernardino nella storia della predicazione popolare ... »,p. 67. 70. « El tumulto è grande, el popolo fremisce. Era la chiesa e la piazza di Santa Croce tutta piena di cittadini e di contadini, di donne e d'uomini che erano parecchie migliaia. El grido de' fanciugli garzoni era grande che convenne chc frate Bernardino lasciasse la predica e venne di chiesa in sulla piazza con moiti frati, e fcce ardere el capannuccio che v'era da quattro œnto tavolieri da giucare, parecchie zane di dadi, più di quattromila paia di naibi vecchi e nuovî di grandissima quantità. e imposti legati spenzoloni intorno intomo con moiti capelli e balzi di donne e aitre cose, con moira stipa da piè, che mai vedesti el più bel fuoco ,. (BERNARDINO DA SIENA, Le prediche volgari [Quaresimale fiorentino del 1424], t. 2, p. 87). 71. J.-CI. MAIRE-VIGUEUR, «Bernardino et la vie citadine... », p. 279-281; M. MoNTESANO, « Aspetti e conseguenze della predicazione civica di Bernmdino da Sieaa ,.. ·dans La religion civique ... , p. 265-275; L. FAVINO, «Giovanni da Capestrano e il diritto civile», dans Studi medievali, t. 36, 1995, p. 254-284. 72. Sur ! 'interprétation sociologique de la messe et les liens entre ce sacrement et ta justice. cf. J. Bossv. « Sociographie de la messe ... », p. 59. 73. A. ZORZI, «"lus erat in armis". Faidc e conflitti tra pratiche sociali e pratiche di governo », dans Origini de/Io Stato, dir. G. GHIITOLINI, A. MOLHO, P. SCHIERA, Bologne, 1994, p. 609-629 et M. VAU.ERANI, Il sistema giudiziario del comune di Perugia. Ctmflitti, reati e processi ne/la seconda metà del XI// secolo, Pérouse, 1991. Sur la résolution des conflits de nature privée en Italie au xve siècle, cf. T. KUEHN, Law, Family. and Women. Towanl a Legal Anthropology of Renaissa11ce /ta/y, Chicago, 1993.
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Comme l'a déjà remarqué Jean-Claude Maire-Vigueur, un important changement s'opéra entre Bernardin et les prédicateurs de l'Observance franciscaine de la deuxième moitié du XVe siècle: Jacques de la Marche, Albert de Sarteano, Jean de Capistran, Michele Carcano ou encore Bernardino de Feltre74 • Le modèle homilétique proposé par Bernardin fut certes repris, imité par nombre de prédicateurs franciscains sur le succès desquels il est inutile d'insister, mais ceux-ci ne purent maintenir l'équilibre entre la sauvegarde du charisme du prédicateur inspiré et l'action sur le "terrain": ils agirent plus ouvertement en prêtant leur parole à la société et au pouvoir urbains. Les prédicateurs franciscains firent la propagande des États, cherchèrent à sauvegarder la primauté du pape sur le concile. Les échanges épistolaires et les registres de l'Observance franciscaine montrent d'une manière éclatante l'évolution des liens entre princes, pape et prédicateurs. Le processus qu •avait craint - mais en même temps provoqué - Bernardin et que Savonarole essayera de freiner devint alors irréversible. Désormais, la prédication des Mendiants fut, ouvertement, un instrument de propagande de l'État princier et de la monarchie pontificale. De ce point de vue, il y avait une grande distance entre Bernardin et ses disciples. De l'autre côté des Alpes, la guerre incitait les prédicateurs à participer à la propagande pour la royauté et à la sacralisation du pouvoir roya1 75 • À partir de 1440, la célébration du roi comme personne sacrée et la propagande du centralisme monarchique s·accentua encore dans la prédication76• Quant aux prédicateurs italiens, on peut remarquer que «Bernardin n'a pas à proprement parler de doctrine politique; tout dans sa pensée est subordonné à une économie du Salut individuel » 77 • En effet un certain nombre de citations platoniciennes, nombreuses dans 74. J.-CI. MAIRE· VIGUEUR,« Bernardino et la vie citadine... "· p. 273. 75. Voir à ce propos les remarques de C. BEAUNE, Naissance de la nation France, Paris, 1985, p. 347, et par exemple le sermon prononcé après la défaite de Courtrai ( 11 juillet 1302), éd. J. LECI.ERQ, « Un sermon prononcé pendant la guerre de Flandre sous Philippe le Bel "· dans Revue du Mayen Âge latin, t. 1. 1945, p. 165-172. cité et analysé par E.H.KANTOROVICZ, Mourir pour la patrie et autres textes, Paris. 1984. p. 125-127: J, KRYNEN. L'empire du roi. Idées et croyances politiques en France. X/JT-XV siècle, Paris, 1993, p. 635-636. C. BEAUNE fait au.ssi remarquer que, « lors de chaque entrée royale dans une ville, la cérémonie se termine par une messe dont la liturgie est celle du jour. Seul le sermon s'adapte à l'événement» (Naissa11ce de la nation France, p. 77). 76. H. MARTIN. Le métier de prédicateur.... p. 471. 77. J.-Cl. MAIRE-VIGUEUR, « Bernardino etla vie citadine... », p. 262.
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les sermons sur la justice de Jacques de la Marche ou de Michele Carcano, sont absentes de la prédication de Bernardin de Sienne". Michele Carcano conçoit la guerre comme juste quand elle est menée pour défendre la patrie contre les ennemis : « Nous ne devons pas combattre les citoyens. mais les eooemis de la pa~ trie, comme le dit le droit civiL En effet, la cité doit être défendue de ses ennemis, pour qu'elle ne soit pas opprimée »79•
Dans un sermon De re publica, Bernardin de Feltre va plus loin encore : il met sur le même plan, comme exemples de sacrifice pro patria, le Christ et les apôtres, Brutus, Fabius et Scipion : Capitanus noster Christus nonne posuit vitam pro re publica christiana ?80• Certes, l'idée que le choix du martyre, le suicide et la guerre pro patria sont des actions justes n'était pas nouvelle. maisla présence de citations tirées des auteurs anciens et surtout des Institutes, à côté de 78. C. DELCORNO, «La città nella predicazione franœscana del Quattrocento», dans Alle origini dei monti di pietà. I franceacani /ra etica ed economia nt11lla Slteietà del Tart:lo Medioevo. Studi in occasione delle celebnuioni nel V Centenario della morte del beato Michele Car· cano da Milano ( 1427·1484) fondatJ" dans IDEM, "Ordo Fratemitatis" ... , t 3, p. 1280). 104. E. ARTJFONI (« Gli uomini dell'assemblea... »,p. 179) fait référence ici aux sermons de Pier della Vigna. 105. Dante, Purg., VIU, 147. 106. Sur la prédication de Robert d'Anjou, voir les travaux en cours de J.-P. BOYER. en parti1:11lier: «La "foi monarchique": royaume de Sicile et Provence (mi-Xlll"-mi-XIV" siècle) », dans Le forme della propaganda politica ne{ Due e nef Trecento, dir. P. CAMMAROSANO, Rome, 1994, p. 85-110; «Ecce rex tuus. Le roi et le royaume dans les sermons de Robert de Naples"'• dans Revue Mabilfon, n.s., t. 6, 1995, p. 101-136. 107. A. GHISALBERTI, « Albertano da Brescia e la genesi dell'umanesimo civile europeo », dans Studi Umanîstici Piceni, t. 15, 1995, p. 53-62. 108. Or la justice est un atttibut de la souveraineté. Sur la "prédication" d'un autre juge, le préfet Cencîus au XI" siècle, voir la contribution de M. LAUWERS dans ce volume. Cenains historiens anglo-saxons parlent de « predicateurs juridiques » (D. PRYDS, « Monarchs, Lawyers, and Saints: Juridîcal Preaching on Holiness »,dans Models of Holiness in Medievttl Semions, éd. B.M. KIENZLE, Louvain-La-Neuve, 1996, p. 141-156; EADEM, «"Rex praedicans": Robert d'Anjou and the Polirics of Preaching », dans De l'homélie au sermon. Hi.~toire de la prédico· tion médiévale (Actes du Colloque international de Louvain-La-Neuve (9-11 juillet 1992), éd. J. HAMEssE et X. HERMAND, Louvain-La-Neuve, 1993, p. 239-262).
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Au XVe siècle, d'autres formes de prises de parole laïques eurent lieu, notamment dans les confréries 109 • Mais à ma connaissance, l'emploi du sermo modernus n'est alors pas attesté. Le discours tenu par les laïcs est désigné comme sermo exhonatorius ou oratio ; il est prononcé au siège de l'association, devant un public de confrères, en des occasions prévues par les statuts. L'usage de prendre la parole dans les moments les plus solennels de l'année liturgique et sociale, comme le Jeudi Saint ou l'élection des nouveaux officiers de la confrérie, est déjà attesté dans les statuts du début du XIVe siècle110• Les discours prononcés à cette occasion soulignent souvent, en recourant aux citations bibliques et aux Pères de l'Église, l'importance de l'obéissance et de la modestie. La mort d'un confrère était une autre occasion importante pour prononcer une allocution. Analogues sans doute à cette forme de "prédication" confraternelle, des prises de parole laïques avaient lieu, à la même époque, dans la patrie de la devotio modema. Au sein des maisons de la Vie Commune, des collationes réunissaient régulièrement les frères (désignés parfois par le terme de collatiebroeders) et les laïcs qui souhaitaient entendre leurs sermons semi-publics 111 • Cette forme de "prédication" était à ce point courante que sa pratique est évoquée, sous forme d' exemplum, par Thomas a Kempis dans la vie du frère Florent 112 • Une telle pastorale favorisa sans aucun doute la diffusion 109. G.G. MEERSSEMAN, « Predicatori laici ... »,p. 1273-1289. 110. RF.E. WEISSMAi"I, « Sacred eloquence ... »,p. 267. D;ms les compagnies de Battuti de Padoue, une exhortation était prononcée pendant le Carême et le Jeudi Saint (G. DE SANDRE GASPERlNI, Statuti di confraternite religiose di Padova nel medioevo, Padova, 1974, p. 342 pour Je texte). Les statuts de la confrérie de S. Croce de Montalcino, rédigés en 1463, contiennent le texte d'un « exordio » sur la Passion de Christ, prononcé Le Jeudi Saint par le Prieur (extraits du discours édités par G.M.MONTI, Le confraternite medievali e dell'Alta e media ltalia, t. 2, Venise, 1927, p. 109-l IO; t. l, p. 227-228, d'après lé ms. Sienne, Bibl. Comunale, A-X-51, f' 17b-20b: « Charissimi frategli, noi soliamo ricorrere alla Vergine Maria acciô che lei per sua pietà et misercordia si degni impetrare la gratia dal suo dolcissimo figliuolo per certi prieghi che noi solavamo adomandare. Pensate frategli che il nostro Signore Jesu Christo ha fornito el corso della sua sancta precatione: et fece la cena co' discepoli suoî del suo sacratissimo cOipo et sangue... ». Et: « Pensate frategli che ll'ora di terça si diceva per tutte le piaçe di Jerusalem che el nostro Signore è preso da' Giuderi. De' frategli pensate che fusse andato a la sua madre et dire queste novelle con che pianto et con che lamento le potrà dire ... »). 111. G. EPINEY-BURGARD, Gérard Grote (1340-1384) et les débuts de la Dévotion Moderne, Wiesbaden, 1970, p. 163-164. 112. Pendant la collation du frère Florent, à laquelle confluent « plures ad audienduum verbum Dei», un homme qui écoutait le sermon assis au bord d'un puits s'endort et y tombe la tête la première ; par miracle, il en sort indemne (THOMAS A KEMPIS, Vita Domini Florenci, dans Opera Omnia, t 7, éd. M.I. PoHL, Fribourg Br., 1902-1922, p. 156-166).
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des idéaux de la devotio moderna. Les frères de la Vie Commune avaient également l'habitude de lire l'Écriture Sainte et les grands auteurs spirituels en prenant des notes personnelles. L'usage de recopier certains passages des œuvres qu'ils lisaient est à l'origine des rapiaria, sorte de florilèges ou recueils de citations, qui servaient de support à la méditation 113 • En Italie, dans la deuxième moitié du XVe siècle, se développa une autre forme d'art oratoire, toujours insérée dans un cadre confraternel, mais plus savante et adressée à un public restreint. Les humanistes, tels ceux qui se réunissaient dans l' Accademia Platonica de Florence, prononçaient des discours dans les confréries les plus proches du pouvoir: dans la Compagnie Médicéenne de' Magi, des personnages comme Donato Acciaiuoli (t 1478), Cristoforo Landino (t 1498), Giovanni Nesi (t 1522), et dans la Compagnia del Vangelista, Politien (t 1494) ont pris la parole, à divers moments de leur vie 114• Les influences exercées par les confréries sur les Académies platoniciennes ont déjà été soulignées, de même que les liens entre certains humanistes prononçant de telles allocutions et le courant des Piagnoni, les partisans de Jérôme Savonarole 115 • Les sermons des humanistes, basés sur le modèle épidictique et non pas scolastique, commencent par un exordio où, de manière rhétorique, l'auteur fait état de sa fai., blesse par rapport à la tâche qu'il doit accomplir 116• Il en est ainsi dans
ll3. Cf. T. MERTENS,« Rapiarium »,dans D.S.. t. 13, 1988, p. 114-119. 114. Leurs discours sont conservés dans plusieurs manuscrits et demeurent dans certains cas inédits. Cf. P.O. KRISTEU.ER, «Lay Religious Traditions and Florentine Platonisme », dans IDEM, Studies in Renaissance Thought and ùtters, Rome, 1965, p. 105 ; IDEM, /ter ltalicum, t. 1, Londres, 1963; G. P. PACINI, «La predicazione laicale nelle confratemite »,dans Ricerche di StQria Sociale e Religiosa, t. 17-18 (ù confraternite in ltalia tra Medioevo e Rinascimento), 1980, p. 13-27.
115. C. VASOLI, «Giovanni Nesi tra Donato Acciaiuoli e Girolamo Savonarola. Testi editi e inediti »,dans Memorie Domenicane, n.s., t. 4, 1973, p. 103-179, ici p. 107. 116. C. DELCORNO {« Predicazîone volgare dei secc, Xill-XV », dans Dizionario critico della letteratura italiana, t. 3, éd. V. BRANCA, Turin, 1986, p. 539) remarque que, dans cette documentation, s'épuise le modèle scolastique du sermon qui est remplacé par le modèle épidictique de la louange et du blâme, d'origine humaniste, déjà prédominant dans la prédication coram papa. Bien qu'exceptionnellement, cette prédication coram papa pouvait être prononcée par des « vîri sed sine dignitate aut sacro ordine in studiis humanitatis tantum docti », comme on le lit dans le De caeremonîs de 1488 (cf. J. O'MALLEY, Praitle and Blame in Renaissance Rome. Rhetoric, Doctrine and Reform in the Sacral Orators of the Papal Court, c. 1450-1521, Durham, 1979, p. 32). Les sermons prononcés par des jeunes dans cette circonstance étaient aussi fréquents (cf. Ibidem, p. 26 ; P.0. KRISTELLER, «Lay Religious Traditions ... », p. 103106; R. TRExl.ER, « Ritual Florence: Adolescence and Salvation in the Renaissance», dans The
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les discours de Giovanni Nesi, qui se présentent comme un mélange de citations bibliques et de références à la pia philosophia d'origine ficinienne 117 • Les citations les plus fréquentes sont tirées de l'Ancien et du Nouveau Testament, mais aussi des Pères de l'Église et de Bernard de Clairvaux. Parmi les scolastiques, seuls Thomas d'Aquin et Pierre Lombard sont cités. Parmi les orateurs et les philosophes anciens, on trouve Aristote, Cicéron, Varron, les poètes Ovide et Virgile, les vaticinia d'Orphée et des Sybilles. La référence à la charité est constante, ainsi qu'aux œuvres chrétiennes qui confèrent au bien commun la haute expérience de l' amor Dei 118 • Mais bien qu'influencés par la méthode de la divisio propre au sermo modernus, les discours de Giovanni Nesi et des autres humanistes ne sont pas bâtis à partir d'un thema. Les données relatives à cette "parole de religion", humaniste et savante, mais aussi à celle, plus commune et le plus souvent anonyme, dont on peut retrouver des traces dans les statuts des confréries, attestent un certain nombre de points communs - outre le fait d'avoir été prononcée par des laïcs : les thèmes du discours, comme la charité mais aussi l'eucharistie, ou les jours de l'année choisis pour l'allocution ; cependant, formes et contenu peuvent varier fortement. Malgré les travaux d'Eugenio Garin et d'autres après lui, on ne dispose toujours pas d'une étude d'ensemble sur les prises de parole des humanistes. Il faut certes se garder de toute généralisation : la "prédication" des humanistes n'est pas "une'', et il conviendrait de distinguer les périodes et les personnalités. Récemment, Ronald Weissman a montré combien l'attitude des humanistes était conforme aux gestes, aux rites et aux thèmes de la piété confraternelle. Pour eux, la mortification ne correspondait cependant pas à l'accomplissement d'une pénitence (après contrition et satisfaction), mais au début d'un long processus de purification spirituelle, dans lequel les rites de pénitence renvoient plutôt à une conception platonicienne de la purgation et de l' ascèse 119 • Arguant du fait que le clergé Pursuit of Holiness in Late medieval and Renaissance religion, éd. C. TRINKAUS - H.O. 0BERMAN, Leyde, 1974, p. 220). 117. C. V ASOLI, «Giovanni Nesi... », p. 110 ; cf. aussi O. ZORZI PuGLIESE, « Two sermons by Giovanni Nesi and the language of Spirituality in Late Fifteenth Century, Florence », dans Bibliothèque d"Humo.nisme et de Renaissance, t. 42, 1980, p. 641-656. 118. c. VASOU, «Giovanni Nesi... »,p. 114. 119. R.F:E. WEISSMAN, « Sacred eloquence ... »,p. 264.
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et les institutions de l'Église sont rarement cités dans les sermons des humanistes en tant qu'exemples à imiter, R. Weissman souligne le caractère « anti-ecclésiastique » de ces sermons, signe d'une « décléricalisation » de la religion opérée par l'humanisme florentin120. Cette "absence" de l'Église - mais aussi l'absence de critiques ou d'invectives contre la corruption des clercs, par ailleurs fréquentes dans la littérature humaniste - renvoie plutôt, me semble-t-il, aux règles et à la logique qui sous-tendaient les discours et les écrits des laïcs et des ecclésiastiques. Si les prêtres avaient l'habitude de prêcher en tant qu'ecclésiastiques à des laïcs (ou coniugati), même quand ils s'adressaient à eux dans une confrérie 121 , les confrères, quant à eux, parlaient comme des laïcs, en prononçant une exhortatio, aux autres confrères qui se réunissÎlient «en un lieu saint » 122 • Pourquoi auraientils dû prêcher l'exemple des clercs ? Pensaient-ils enseigner les Écritures, leur sens caché? Non, et sans doute n'ont-ils jamais prétendu proclamer l'annonce. Tout au plus - et ceci n'est pas sans importance - , une exigence de réforme, l'espoir en une renovatio qu'expriment clairement, par exemple, les derniers sermons de Giovanni Nesi ainsi que son Oraculum de novo seculo terminé en 1496 - sont étroitement liés à l'aventure de Savonarole et aux Piagnoni 123 • V expression des idéaux de réforme resta enfermée dans la rhétorique des Académies et des compagnies d'humanistes, alors que la seule parole qui eût été considérée à même d'actualiser ces idéaux était celle du prophète. Les allocutions tenues par les humanistes et les autres confrères ne furent donc pas condamnées par les autorités ecclésiastiques ; au contraire. celles-ci les sollicitaient. L'institution ecclésiale n'intervint 120. IDEM, « Sacred eloquence... », p. 266. 12L Je me pennets de renvoyer à mon article:« "Exempla" et pratiques sociales à la fin du Moyen Âge. À propos de l'usage des exempla dans les confréries (Italie, XV" siècle)», dans Les "Exempta" médiévaux: nouvelles perspectives (Colloque de Saint-Cloud, 1994), dîr. J, BERLIOZ, M.·A. POLO DE BEAULIEU, Paris, 1997' sous presse. 122. «Se la somma et înfallîbile verita Christo lesu, dilectissimi fratelli questa sera nuova-
mente venuti in questo santo Juogo ... »(discours tenu dans la Compagnie de' Magi à l'occasion de l'entrée d'un membre, en 1476-1477, par ALAMANNO RINUCCINI, Lettere ed orazîoni. éd. V.R. GruSTINIANI, Florence, 1953, p. 145). 123. B. GARIN, « L'attesa dell'età nuova e la "renovatio" »,dans L'attesa dell'età nuova nella spiritualità della fine del Medioevo. Todi, 1962, p. 9-35, repris dans IDEM, L'attesa. dell'età nuoi•a. Ricerche di storia della cultura dal X// al XVI seco/o, Naples, 1969 (que je citerai). p. 379 ; C. V ASOLI, « Nesi tra Donato Acciaiuoli e Girolarno Savonarola... », p. 110111 ; IDEM.« Umanesimo e escatologia »,dans L'attesa della fi11e dei tempi ne[ Medioevo, éd. o. CAPITAN! et J. MIETHIŒ, Bologne, 1994, p. 266-270.
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que lorsque les laïcs se présentaient comme des prophètes: ce n'était pas le cas des humanistes. mais ce fut celui des "romiti". Ou lorsque les laïcs s'appropriaient des prérogatives paroissiales, comme le firent les Disciplinés de San Vitale à Vérone, étudiés par Giuseppina De Sandre Gasparini. En 1427, ceux-ci furent accusés d'avoir engagé un chapelain, qui célébrait la messe quand il le voulait ; mais surtout, les Disciplinés eux-mêmes, qui sunt artifices et meri seculares, s'adonnaient à toutes sortes de cérémonies liturgiques et organisaient des prédications, les jours de fête, pendant la matinée, provoquant la défection des paroissiens à la messe 124 • Les confrères avaient en outre fait construire un campanile, dont la cloche avertissait les confrères et les autres fidèles du début des offices. Une telle action programmée représentait une concurrence trop forte pour la paroisse et dépassait les prérogatives dévolues aux confréries. En 1430, les Disciplinés se virent interdire la plus grande part de leurs initiatives 125 • C'est qu'ils avaient usurpé la majeure partie des activités assurées par la paroisse, y compris le ministère de la prédication. Concernant celle-ci, les documents ne livrent cependant aucun élément qui puisse permettre d'apprécier de quelle manière et par qui elle était assurée. En tout état de cause, il me paraît nécessaire de nuancer l'interprétation des historiens qui évoquent !'"appropriation" de la parole sacrée et de l'espace liturgique par les laïcs à la fin du Moyen Âge. En réalité, en dehors de cas très particuliers et à l'exception des individus ou des groupes désignés précisément comme « hérétiques », les laïcs qui ont pris la parole sur des arguments "religieux" l'ont fait sans recourir aux formes du prêche ecclésiastique : le sens tropologique. allégorique ou anagogique du texte sacré fut toujours réservé à ceux qui avaient l'office et la science 126 •
LA PAROLE RÉÉCRITE
Au XVe siècle, dans les villes d'Italie, les confréries furent aussi à l'origine de certaines pratiques d'écriture, qui ne sont pas sans rapport avec la prédication. Une masse de livres fut alors produite, qui ren124. G. DE SANDRE GASPARINI, Confratemite e "cura animarum" p. 310. 125. lbidem, p. 354. 126. Selon l'affirmation de Ale.xandre de Halès dans ses Quaestiones disputatae antequam 29, n. 7), t, 1. éd. PP. COUEGD S. BONAVENTURAE, Florence, 1960, p. 581. cité dans F. MORENZONJ, Des écoles p. 58.
LA PROPHÉTIE, L'ÉVANGILE ET L'ÉTAT
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fermait des textes de genres différents que, faute de mieux, on peut classer parmi la littérature "religieuse" ou de "dévotion" : laudi, poésies religieuses, prières, extraits de sermons, de textes hagiographiques, exempla, etc. Il s'agissait de livres de dimensions variables, mais le plus souvent de format réduit, destinés à des lecteurs appartenant à la bourgeoisie marchande, mais également à des catégories sociales moins élevées. Les études de Christian Bec sur les "marchands écrivains" 127 de Florence, et plus récemment celles d' Armando Verde 128, montrent bien l'ample diffusion des livres de dévotion tout au long du xve siècle: «si un homme d'affaires ne possède qu'un livre, c'est un missel, et( ... ) s'il ne possède que quelques livres, ce sont d'ordinaire des extraits de la Bible, des œuvres d'auteurs mystiques ou bien encore des Vies de saints » 129 • Il faudrait aller au-delà de cette constatation, s'interroger non seulement sur le nombre de ce type de recueils dans les bibliothèques des laïcs, en dresser la liste, mais aussi essayer de comprendre l'origine et les modalités de leur production. Armando Petrucci distingue dans l'Italie du XVe siècle les copistes de profession et les "écrivants" par passion - il écrit scrivente, "ceux qui écrivent". Cette distinction correspondrait à deux mondes séparés de production livresque: l'un de culture humaniste et latine, faisant partie d'un macrocircuit public, ouvert, et l'autre, de culture vulgaire, faisant partie d'un microcircuit privé et clos 130 • Sans rien enlever à ces remarques pertinentes, on peut s'interroger sur le contexte social et sur les modalités de production des livres pour lesquels la demande coïncide avec l'offre : autrement dit, les 127. C. BEC, Les marchands écrivains: affaires et humanisme à Florence (1375-1430), Paris, 1967; IDEM, Les livres des florentins (1413-1608), Florence, 1984; G. CIAPPELLI, «Libri e letture a Firenze nel XV secolo. Le "Ricordanze" e la ricostruzione delle biblioteche private », dans Rinascimento, t. 29, 1989, p. 267-291. 128. A. VERDE, « Libri tra le pareti domestiche. Una necessaria appendice a "Lo Studio Fiorentino 1473 - 1503" », dans Tradit:ione medievale e innovazione umanistica a Firenze nei secoli XV - XVI, (Memorie domenicane, t. 18, 1987, p. 1-225); IDEM, Lo Studio Fiorentino 1473-1503. Ricerche e documenti, Pistoia - Florence, 1973-1985, 4 vol. 129. C. BEC, Les marchands écrivains.. ., p. 394. 130. « À l'intérieur du microcircuit fermé du livre en langue vulgaire, la demande est organisée et filtrée par le copiste même, si bien qu'elle coïncide pratiquement avec l'offre. À l'intérieur du macrocircuit du marché libre, au contraire, la demande est arbitraire et occasionnelle, liée à la volonté d'une aristocratie financière et culturelle restreinte qui possède soit le moyens économiques de commander ou d'acheter les livres, soit les bibliothèques permettant de les thésauriser» (A. PETRUCCI, «Pouvoir de l'écriture, pouvoir sur l'écriture dans la Renaissance Italienne », dans Annales E.S. C., t. 43, 1988, p. 828)
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ROSA MARIA DESSÎ
livres dont les mêmes personnes sont à la fois "écrivants", auteurs et lecteurs 131 • Or l'examen d'un certain nombre de livres ayant circulé dans les confréries ou composés par des confrères m'amène à penser qu'en réalité, le deuxième type de production, le circuit privé, n'était pas vraiment "fermé" ou limité aux seuls groupes de parenté. Bien qu'en dehors des circuits publics, les "écrivants" par passion ou par dévotion - les laïcs qui s'adonnaient à ce travail de copie n'imitaient-ils pas l'occupation principale des moines? n'écrivaient cependant pas de manière isolée. Les hommes et les femmes du Moyen Âge n'écrivèrent d'ailleurs jamais "seuls" ou pour eux-mêmes. Au XIVe et au XVe siècle encore, ceux qui tenaient la plume déclaraient le faire pour leur ordre religieux, leur confrérie, ou pour leur famille. Le cas des livres de famille, ou de Ricordanze, est maintenant assez bien connu. Les études portant sur ce phénomène massif qu'a constitué l'écriture familiale ont permis de mettre en cause une vision "individualiste" des hommes de la Renaissance. Mais il me semble que la présence de textes de religion au sein même des entreprises d'écriture familiales n'a pas encore retenu l'attention qu'elle mérite. L'étude de ces textes montre que ceux-ci circulaient de mains en mains, que les "écrivants" allaient les copier dans les bibliothèques des confréries ou des couvents, se les prêtaient. Les récits issus de la prédication, les poésies, les prières, les règles de vie chrétienne, les traductions de livres bibliques et tous les volgarizzamenti en général témoignent d'une production qui forcément était ouverte et mobile. Il me semble que l'on pourrait parler à ce propos d'un circuit de production (et d'échanges) semi-privé 132 • 131. « À côté du commerce réglé des libraires et des stationnaires ou de l'activité organisée des botteghe de copistes, deux formes de circulation du manuscrit ont une grande importance : d'un côté, le commerce à large échelle du livre d'occasion. exercé par des marchands de toute nature, les notaires et les hommes de loi ou même des particuliers; de l'autre, la production du manuscrit en dehors de tout marché, par les lecteurs eux-mêmes, obligés de devenir copistes pour pouvoir devenir lecteurs. À un monde où, paradoxalement, la pratique d'écriture n'implique aucunement un geste de lecture, succède une société où les usages lettrés de l'écrit commandent une demande croissante de livres - et de livres organisés selon de nouvelles formes» (R CHARTIER,« Le livre, XIlr'-XVIlf siècle: périodisation production, lecture», dans Produtione e commercio della carra e del libro. Secc. Xlll-XVlll, (Ani della Ventitreesima settimana di Studi dell'Istituto intemazionale di storia economîa "F. Datini", Prato, 15-20 avril 199l, 23). Prato, 1992, p. 976-986). 132. Sur le prêt de livres. non seulement panni les humanistes, mais aussi dans des milieux moins doctes, les études commencent à donner quelques résultats. Cette pratique était également courante . Et encore que «ce n'est pas prêcher suffisamment que de prêcher la vie et l' œuvre du Christ en passant, comme si c'était seulement une histoire ou une chronique - sans parler de ceux qui, le passant entièrement sous silence, prêchent le droit canon et les autres lois et doctrines humaines. Il en est également beaucoup qui prêchent et expliquent le Christ en ne faisant que compatir avec lui, tonner contre les juifs et autres procédés puérils. En réalité, il convient et s'impose de le prêcher en faisant en sorte de faire grandir et d'entretenir la foi en chacun ... » 167• Si la prédication« a salute d'anima », selon l'expression de Bernardin de Sienne. ne disparut pas, l'Évangélisme déplaça tout de Olême les termes en mettant en avant le Texte, et en rétablissant une fusion nouvelle du prêtre et du prédicateur. de la messe et de l'homélie. Luther et le Groupe de Meaux incarnent cette synthèse et optent, dans la prédication au peuple, pour le retour au sermo antiquus 161 • Mais la Chrétienté était désormais divisée.
Ed, va. S. 289, dans MARTIN LtlTBRO, L'Anticristo: Replica nd Amb'°"o Catanno, éd. L RONCHI DE MJCHELIS, Turin. 1989. 167. Et il continue: «Laquelle foi grandit et est entmenue quand on me dît pourquoi le Christ est venu, quel usage et quel profit on peut faire de lui, c'est oe qui se produit quand on sait interpréter la liberté chrétienne que nous tenons de lui ainsi que notre qualité de rois et de prêtres » (MARTIN LUTHER, De la libenl du Chrétien. Préfaces à la Bible. La naissance tk l'allemand philosophique, trad. et commentaires par P. BüUgen, Paris, 1996, p. 48-49). Bn tant qu' «intendants de l'Évangile», les pretres sont les «savants consacrâ qui doivent prêcher aul autres le Christ, la foi et la liberté clnétienne ». Luther reprend le verset de Paul, 1 Cor 4 : « Nous ne voulons être tenus par le gens pour rien de plus que pour des servîteurs du Christ et des in~ tendants de l'Évangile» (De la liberté du Chrétien. ... p. 47). 168. J. O'MALLEY, «Luther the preacher », dans The Martin Luther Quinœntennial. Detroit, 1985. p. 3-16.
ROBERTO RUSCONI
LE POUVOIR DE LA PAROLE
REPRÉSENTATION DES PRÉDICATEURS DANS L'ART DE LA RENAISSANCE EN ITALIE*
A
xvr
u début du siècle, le fidèle qui serait entré dans une église semblable à celle du monastère vénitien de Sant' Antonio in Castello, peinte par Vittore Carpaccio, vers 1515, dans La vision du prieur Francesco Ottobon 1, aurait pu voir des représentations de saints, exposées à la vénération des dévots, au-dessus des différents autels latéraux, soit sous forme de figures autonomes, soit entourées par les histoires tirées de leur légende hagiographique (fig. 1).
1. En règle générale, dans l'art de la Renaissance italienne, la représentation des prédicateurs et de la prédicatiort ne constitue pas la raison principale pour laquelle une peinture était exécutée : Je plus souvent, celle-ci servait à assurer le culte d'un saint et à favoriser la piété des fidèles. Il est dès lors très important de mettre en évidence le contexte religieux et iconographique de telles représentations. Dans l'Italie du XVe siècle, la prédication faite au peuple en langue vulgaire constituait un phénomène d'une telle importance, sur le plan social comme sur le plan culturel, que la tradition iconographique des saints de l' Antiquité chrétienne en fut influencée de façon significative: tant par le poids accordé à leur activité évangéJisatrice que par les modalités de représentation de cette activité, étroitement
* De précédentes versions de ce texte ont été présentées et discutées, à des moments divers, à l'lnstiîute for Advanced Study (Princeton, NJ.), à l'University of Iowa, aux Universités de Padoue, Vérone et Trieste, à I' Annual Meeting of the Renaissance Society of America (New York), à la Ohio State University, à la Harvard University et à l'Istituto ltaliano di Cultura de Los Angeles. J'ai tenu compte, pour la rédaction finale, des critiques et des suggestions qui m'ont été faites et dont je suis très reconnaissant. Dans les notes, les renvois bibliographiques concernant les artistes et leurs œuvres sont limités à l'essentiel et à l'indication d'éventuelles reproductions en couleurs. J'éviterai d'entrer dans les questions relatives à l'attribution et à la datation. 1. Autrefois dans l'église S. Antonio in Castello à Venise. Reproduction en couleurs dans P. HUMFREY, Carpaccio. Catalogo completo dei dipînti, Firenze, 1991, p. 127.
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REPRÉSENTATION DES PRÉDICATEURS DANS L'ART
liées aux usages des temps les plus récents 2 (fig. 2). Il est encore plus révélateur qu'avec une fréquence sans cesse croissante au cours du xve siècle, les prédicateurs contemporains furent aussi représentés selon des modalités inspirées par la pratique de leur prédication effecti ve3. 2. À la fin des années 1420, le peintre Jean de Fiesole, dit Fra Angelico, exécute pour les Dominicaines du monastère Saint-PierreMartyr de Florence un triptyque représentant une Vierge en majesté et l'Enfant Jésus, entourés des saints Dominique, Jean Baptiste, Pierre Martyr et Thomas d' Aquin4 • N'ayant pas, dans ce cas, la possibilité de placer sur une prédelle l'histoire du saint tutélaire du monastère, le frère peintre recourt à un expédient. Il l'inscrit en haut, dans l'espace compris entre les arcs gothiques des compartiments : à gauche, un sermon de l'inquisiteur dominicain (fig. 3), et à droite, son assassinat par un hérétique. L'épisode de la prédication du Frère Prêcheur ici représenté est déjà attesté dans les récits hagiographiques du XIIr siècle. Selon ces récits, à Milan, devant l'église Saint-Eustorge, l'évêque d'une église cathare avait ouvertement contredit Pierre de Vérone, en présence d'une foule d'auditeurs. Pour le confondre et prouver la vérité de la foi chrétienne, Pierre avait eu recours à un prodige : lapparition miraculeuse d'un nuage protégeant les fidèles des ardeurs du soleils. Le prédicateur est placé par le peintre dominicain sur une place toscane, en plein air, monté sur une grossière chaire de bois dont on peut presque compter les planches et les clous. L'épisode ne semble cependant pas utilisé, dans le tableau, pour illustrer la prédication du 2. En ce qui concerne l'évolution de l'iconographie d'un saint, fondateur présumé d'un or-
dre mendiant dédié à la prédication, on verra au moins J. COURCELLE - P. COURCELI..E , Iconographie de saint Augustin, t. 2 (Les cycles du XV siècle), Paris, 1969. Intéressant aussi le cas particulier étudié par K. JANSEN, « Mary Magdalen and the mendicants : the preaching of penance in the late Middle Ages», dans Journal of Medieval History, t. 21. 1995, p. 1-25. 3. Pour ne pas alourdir l'apparat du texte, j'ai préféré, dans les notes qui suivent, renvoyer à quelques-uns de mes travaux. Outre ceux-là, cf. R. RUSCONI, « ''Trasse la storia per fame la tavola" : immagini di predicatori degli ordini mendicanti nei secoli XUI e XIV », dans La predicazione dei frati dalla metà del '200 alla fine del '300. Atti del XXII convegno intemazionale di studi francescani. Spoleto, 1995, p. 405-450. 4. Reproduction en couleurs dans J. GUIL.LARD - M. GUILLARD, Fra Angelico. Peintures sur bois et fresques du couvent Saint-Marc de Florence, Paris, 1986, p. 40, fig. 19. 5. Pour l'iconographie de la prédication de saint Pierre Manyr: R. RUSCONI, « lfalsi credentes nell'iconografia della predicazione », dans C. ALzATI dir., Cristianità ed Europa. Miscel· lanea di studi in onore di Luigi Prosdocimi, Roma-Freiburg-Wien, 1994, en particulier p. 325329 (renvoyant à la bibliographie essentielle).
Fig.1-VittoreCarpaccio(ca. 1460-1526) La vision du prieur Francesco Ottobon. Veni se, Galleria del!' Accademia.
Fig. 2 - Ambrogio da Fossano, dit Bergognone (actif entre 1481 et 1522) : Saint Augustin assiste à un sermon de saint Ambroise (panneau de prédelle, ca. 1490). Turin , Galleria Sabauda (autrefois à Pavie, Certo a di S. Ambrogio).
Fig. 3 - Fra Angelico (ca. 1395 - 1455) : Tryptique de Saint Pierre Martyr (ca. 14 15). Détail : une prédication de saint Pierre Martyr. Florence, Museo di S. M arco.
Fig. 4 - Fra A ngelico (ca. 1395 - 1455) : Tabernacle des Linaioli (ca. 1434). Détail de la prédelle : une prédication de saint Pierre. Florence, M useo di S. M arco.
Fig. 5 - Sano di Pietro ( 1406 - 1481): Bernardin de Sienne prêche sur la place S. Francesco à Sienne (1455). Sienne, Cathédrale, Salle du chapitre.
Fig. 6 - Sano di Pietro (1406 - 1481 ) : Bernardin de Sienne prêche sur la place du Campo à Sienne (1445). Sienne, Cathédrale, Salle du chapitre.
Fig. 7 - F ra Angelico (ca. 1395 - 1445): P olYotiq ue de Pé rouse. Panneau de préde lle : la vocatio n de sain t Nicolas (ca. 1437). Rome, Pinacoth èque Vaticane (autrefoi s à Pérouse, S. Domeni co, chapelle S. Nicola).
Fig. 8 - Maître de Abruzzes (ca. 1480) : Retable du bienheureux Jean de Capistran. Détail : la prédicati on sur la place de la cathédrale de L' Agui la. L' Agui la, Museo Nazionale.
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Fig. 9 - Gio anni Boccaccio. Deca111ero11, Veni e. G. et G. De Gregori. 20.Vl. 1492.
Fig. l 0 - Masucci o Salernitano, Novellino, Venise, G. et G. De Gregori, 21.YII.1492.
Fig. 11 - Ate lier de Erri : Po lyptyque de sa int Vincent Ferrier. Détail : le prodige des chevaux e mballés. Wien, Kunsthi stori sches Museum .
Fig. 12 - Giovanni Bellini (ca. 1432 - 1516) : Polyptyque de saint Vincent Ferrier ( 1464 ?). Venise, SS. Giovann i e Paolo.
Fig. 13 - La uro Padovano : Polyptyque de aint Vincent Ferrier ( 1464 ?). Détail de la prédelle : une prédication de aint Vincent Ferrier. Venise, SS . Gi ovanni e Pao lo.
tr'COMPENDIO DI REVELATIONE DELLO lNVTILE SER VO Dl IESV CHRISTO FRATE HIERONYMO DA FERRA'
RA DELLORDINE DE FRA î1 PREDlCATORl ..
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•
Fig. 14 - Gi rolarno Savonarola da Ferrara, Compendio di Rivelazione, Florence, P. Pacini, 23.IV 1496 (frontispice).
Fig. 15 - Girolam o Savona rola. Predich e per tutto / 'a11110, et O . Scoto. 1.llI. 1539 (frontis pice). B. Venise,
Fig. 16 - Girolamo Savonarola, Prediche per quadragesima, Venise, C. Arrivabene, 20. YIII.1519 (frontispice).
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saint inquisiteur, mais plutôt le miracle qu'il opère devant son public, soulignant ainsi le pouvoir de la parole du prédicateur. 3. L'appartenance de Fra Angelico à l'ordre des Frères Prêcheurs l'amène, sans aucun doute, à porter une singulière attention aux caractéristiques de la prédication effective dans les cités toscanes des premières décennies du XVe siècle. Sur le Tabernacle des Linaioli, exécuté par le peintre vers 14346 , les scènes de la vie de saint Marc sont placées dans les panneaux de la prédelle : au centre, l'évangéliste est représenté en train de reporter par écrit les paroles d'un sermon prononcé en plein air par saint Pierre, sur fond d'une place qui aurait dû se trouver à Rome, mais qui reproduit sans équivoque l'urbanisme florentin (fig. 4 ). Deux époques chronologiquement différentes s'entrecroisent dans la représentation comme l'indiquent, en premier lieu, les vêtements des personnages: les deux saints de l'époque apostolique sont vêtus "à l'antique", alors que la foule des assistants porte les riches habits de la Renaissance. Détail renvoyant davantage aux usages de la prédication de l'époque, un personnage porte l'encrier de saint Marc, attentif à noter, avec plume et papier, les paroles de saint Pierre, au moment même où le sermon est prononcé. S'il était admis dans la tradition chrétienne que l'Évangile selon saint Marc était fondé sur l'enseignement de saint Pierre à Rome, dans l'iconographie s'était imposée l'habitude de représenter ce fait sous la forme d'une dictée du texte. L'innovation opérée par Fra Angelico - restée toutefois isolée dans l'ensemble des représentations de saint Marc - reflétait presque directement la pratique de certains ecclésiastiques et laïcs dévots qui allaient écouter les sermons et en reportaient immédiatement le texte par écrit. Dans les années précédant l'exécution du tableau, tout cela s'était vérifié en particulier lors des cycles de sermons prononcés à Florence en 1424 et 1425, et à Sienne en 1425 et 1427, par le plus célèbre prédicateur "populaire" de la première moitié du XVe siècle, frère Bernardin de Sienne7 •
6. Reproduction en couleurs dans J. OUR.LARD - M. GUILLARD, Fra Angelico ... , p. 73, fig.41. 7. Cf. R. RUSCONI, « Reportatio »,dans Medioevo e Rinascimento, t. 3, 1989, en particulier p. 22-25 (renvoyant à la bibliographie essentielle).
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REPRÉSENTATION DES PRÉDICATEURS DANS L'ART
4. La première image du plus grand représentant de l'Observance franciscaine, mort à L'Aquila le 20 mai 1444, est due au peintre siennois Sano di Pietro et à la commande d'un polyptyque par la Compagnie de la Vierge à Sienne, en 1445, pour l'autel de sa chapelle8 • Un an après la mort du prédicateur qui fut, comme le peintre qui a exécuté le tableau, également membre de la confrérie, aucun récit hagiographique n'avait encore été composé pour promouvoir le culte et la canonisation de Bernardin. D'une telle situation découle l'inhabituelle fidélité des détails avec lesquels sont représentés deux sermons en plein air prononcés par Bernardin de Sienne, dont soit le peintre, soit les autres membres de la confrérie, avaient pu être les témoins : le premier avait eu lieu sur la place située en face de l'église SaintFrançois (fig. 5), l'autre sur la place du Campo, au fond de laquelle se dresse le Palais Public (fig. 6). Dans les deux panneaux, une toile de couleur rouge, tendue au milieu de la place, sert à séparer dans la foule les hommes et les femmes. Dans l'iconographie traditionnelle, on faisait référence à la pratique d'une telle séparation en représentant les femmes assises à terre ou accroupies contre la chaire, et les hommes debout derrière elles (fig. 7). La séparation physique des auditeurs selon leur sexe, que représente Sano di Pietro, reflétait la pratique voulue par Bernardin de Sienne et par beaucoup d'autres prédicateurs de pénitence9 • Sur les panneaux de Sano di Pietro, les auditeurs sont par ailleurs tous indistinctement agenouillés : les hommes, tête nue, couvre-chef à la main, et les femmes, tête couverte, sans exception 10• En vérité, le bienheureux Bernardin de Sienne n'est pas vraiment en train de prêcher, bien qu'il se tienne debout, en chaire: le frère 8. Cf. M. MALI.ORY· G. FREULER, « Sano di Pietro's Bernardino Altarpiece for the Compagnia della Vergine in Siena »,dans The Burlington Magazine, t. 133, 1991, p. 186-192. Reproduction en couleurs des deux panneaux sur la couverture de S. NtGRO, Le braclle di San Griffone. Novellistica e predicazione tra '400 e '500, Bari, 1989, et dans l'Enciclopedia Bemardiniana, t. 2: V. PACELLI- M.A. PAVONE dir .• lconografia, L'Aquila, 1981, tav. 1. 9. Pour une autre représentation d'une toile analogue, on ven-a le compartiment d'une prédelle de l'atelier du Vecchietta (Pietro di Lorenzo, 1410-1480). actuellement conservé à Liverpool, Walker Art Gallery (détail central reproduit en couleurs sur la couverture de L BElLOSI dir., Francesco di Giorgio e il Rinascimento a Siena, 1450-1500, Milano, 1993). 10. La dévotion féminine était soulignée par la perspective adoptée, comme cela apparaît clairement dans l'importance attribuée, au contraire, aux magistratures citadines dans une réplique due à Neroccio di Bartolomeo Landi: cf. V. PACELLI - M.A. PAVONE dir .. /conografia.,., fig. 92. De manière générale, sur les caractéristiques de l'iconographie bemardinienne: R. RUSCONI, « "Predicô in piazza" : politica e predicazione nell'Umbria del •400 », dans Signorie in Umbria tra Medioevo e Rlnascimento: /'esperienza dei Trinci. Congresso storico intemazionale. Foligno, 10-13 dicembre 1986, Perugia, 1989, p. 113-141.
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bénit la foule qui l'a écouté, dans un cas avec un crucifix, et dans l'autre avec la tablette de bois dont il avait imaginé le motif iconographique pour promouvoir la dévotion des fidèles au Nom de Jésus. 5. Remarquable innovation dans le domaine de l'iconographie religieuse, le Nom de Jésus devint l'attribut de Bernardin de Sienne dans les images de dévotion, dès avant sa canonisation à Rome au cours du Jubilé de 1450. La nouvelle dévotion soutenue par Bernardin à travers ses sermons fut donc à l'origine d'un motif iconographique qui permettait de l'identifier, d'abord comme bienheureux, ensuite comme saint 11 : soit sous la forme d'un soleil immatériel suspendu audessus de l'index levé du prédicateur, soit au moyen de l'image de la tablette elle-même. En un certain sens, le pouvoir des paroles prononcées depuis la chaire était devenu, au cours du XVe siècle, une condition de la sainteté, au même titre que le martyre dans les premiers siècles de l'ère chrétienne. À partir du milieu du xve siècle, de nombreux prédicateurs "populaires", pour la plupart frères de l' Observance franciscaine, ont été proposés à la vénération des fidèles, dans la perspective d'une reconnaissance officielle de leur sainteté par l'Église de Rome mais sans résultat concret, du moins à l'époque. Selon l'exemple de saint Bernardin, l'attribut iconographique adopté pour distinguer chacun d'entre eux est directement issu du contenu de leur prédication, et en particulier des nouvelles formes de dévotion qu'ils entendaient propager depuis la chaire: Jacques de la Marche, mort en 1474, est représenté avec une ampoule contenant le sang de Jésus 12 , et Bernardin de Peltre, mort en 1494, avec les symboles du Mont de Piété13 • Un autre frère de l'Observance franciscaine, Jean de Capistran, est représenté, dans les peintures réalisées dans les décennies qui ont 11. Cf. V. PACEW, « D Monogramma del Nome di Gesù », dans V. PACEILI - M.A. PAVONE die., lconograjia .. ., p. 183-205, avec la reproduction de quelques tables originales; pour des dessins de la tablette dans les manuscrits de reportationes des sermons de Bernardin, cf. p. 189 et fig. 690-691. Toujours importantes, les observations de D. ARASSE, «Iconographie et évolution spirituelle: la tablette de saint Bernardin de Sienne», dans Revue d'histoire de la spiritualité, t. 50, 1974, p. 433-456. 12. Voir les indications bibliographiques générales dans R. RUSCONI, «Giovanni da Capestrano: iconografia di un predicatore nell'Europa del '400 », dans Predicazione francescana e società veneta nel Quattrocento: committenza, ascolto, ricezione. Atti del II convegno intemazionale di studi francescani. Padova, 26-28 rnarzo 1987, Padova, 19952, p. 27, n. 8. 13. Aux indications données dans R. RuscoNI, « Predico in piazza ... »,p. 28, n. 11, on peut ajouter R. CRom PASI dir., Bernardino da Feltre a Pavia. la predicazione e la fondazione del Monte di Pietà, Como, 1994.
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suivi sa mort, en 1456, avec la bannière de la Croisade qu'il a prêchée contre les Turcs, à l'occasion du siège de Belgrade où précisément i1 mourut : cette représentation devait favoriser la dévotion des fidèles et la canonisation du prédicateur. Dans le polyptyque d'un maître anonyme des Abruzzes, peint vers les années 148014. les épisodes figurés dans chaque compartiment sont extraits de la légende hagiographique du frère, déjà imprimée en italien vulgaire en 1479. L'unique et importante exception à cette règle est une scène de prédication tenue à Aquilée en 1426 (fig. 8), dont la source était constituée par les souvenirs d'un représentant local de l'ordre qui avait assisté à l'événement durant son enfance 15 • Dans ce cas, ce n'est pas non plus une prédication en acte qui a été représentée. En effet, le prédicateur, figuré en chaire, à l'extérieur de la cathédrale de L'Aquila, en face de son auditoire, est en train d'exorciser un démoniaque, témoignant ainsi des pouvoirs thaumaturgiques attribués à la tablette portant le Nom de Jésus qu'il tient dans les mains. En fait, tout au long du XVe siècle, par la propagande, les prédicateurs itinérants de l'Observance franciscaine ont renforcé la puissance de cette nouvelle forme de dévotion qu'avait initiée Bernardin de Sienne; Jacques de la Marche, en particulier, se chargea de rassembler tous les récits de miracles opérés par 1' intermédiaire de ce culte et les diffusa par le biais d'un recueil d' exempla à l'usage des prédicateurs 16• 6. Des finalités et des stratégies analogues furent poursuivies par les prédicateurs "populaires" d'autres ordres religieux, qui attirèrent d'ailleurs sur eux l'attention et les sarcasmes des conteurs et des illustrateurs des premières œuvres imprimées. Le 20 juin 1492, la première édition entièrement illustrée du Decameron de Boccace, écrit entre 1349 et 1359, était imprimée à Venise par les frères Giovanni et Gregorio de Gregori1 7 • Correspondant à la dixième nouvelle de la
14. Reproduction en couleurs dans M. CENTOFANTI et al., L'Aquila. Città di piaue. Spazi
urbani e tecniche costruttive, Pescara, 1992, p. 32. 15. Cf. R. RUSCONI, «Giovanni da Capestrano... »,p. 32-47. 16. Sur le recueil des Miraculafacta uirtute sacri nominis lesu, voir D. LASIC. De vita et operibus S. /acobi de Marchia. Studium et recensio quorundam textuum, Falconara M. (Ancona). 1974, p. 279-365. 17. Cf. V. MASSENA. PRINCE D'ESSLING,./.es livres à figures vénitiens de la fin du XV" siècle et du commencement du XVf, Florence. 1907-1914, n° 640. Sur la vignette ici évoquée, on verra aussi R. RUSCONI, « La predicazione fra propaganda e satira alla fine del medio evo »,
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sixième journée, une vignette condense le contenu du récit, déjà résumé dans une rubrique : « Frère Cipolla promet à des paysans de leur montrer la plume de l'ange Gabriel», que celui-ci aurait perdue au moment de l' Annonciation. Des charbons ayant été substitués à la plume par certains citoyens de Certaldo, dans le but de tourner en ridicule le prédicateur, celui-ci les présenta à ses auditeurs, depuis la chaire, en affirmant qu'il s'agissait des charbons sur lesquels avait été brûlé saint Laurent, dont la fête devait être célébrée deux jours plus tard (fig. 9). Frère Cipolla appartenait à l'ordre des Antonins, lesquels avaient une réputation de religieux avides et trompeurs, au moins dans la littérature des nouvelles à partir de la deuxième moitié du xve siècle. Même récit stéréotypé contre un prédicateur dominicain dans la quatrième nouvelle du Nove/lino de Masuccio Salemitano, publié en 1476. Le contenu du récit est encore une fois exactement résumé dans la rubrique: «Frère Jérôme de Spolète, portant l'os d'un corps mort, fait croire au peuple de Sorrento qu'il s'agit du bras de saint Luc; un complice le contredit ; lui prie Dieu de démontrer le contraire par un miracle ; le complice fait semblant de tomber mort, et lui, en priant, le ramène à la vie; grâce au faux miracle, il ramasse beaucoup d'argent, devient prélat et continue à tromper avec son complice». Dans la· vignette de l'édition imprimée à Venise, toujours par les frères de Gregori, le 21 juillet 1492 18 , le frère montre, depuis la chaire, la relique aux fidèles, tandis que frère Mariano, le complice, pour faciliter la simulation, prend l'expression d'un personnage de la Commedia dell' Arte (fig. 10). 7. Dans un contexte de véritable rivalité dévotionnelle, destinée à susciter une adhésion toujours plus grande de la part des fidèles, les frères dominicains ont obtenu en 1455, soit un lustre après la canonisation du Franciscain Bei\nardin de Sienne, la reconnaissance officielle de la sainteté d'un autre célèbre prédicateur itinérant, appartenant à leur ordre, le catalan Vincent Ferrier. Dans ce cas aussi, l'attribut iconographique de la figure du saint fut tiré de l'aspect répudans A. MEU.ONI - D. MENOZZI - G. RUGGIERI - M. TOSCHI dir., Cristianesimo nella storia. Saggi in onore di Giuseppe Alberigo, Bologna, 1996, p. 539-561. 18. Cf. V. MASSENA, PRINCE o'ESSUNG, Les livres à figures vénitiens .... n° 668. Voir aussi B. BRESLAUER, «The First Illustrated Edition of Masuccio's Novellino Venice 1492 »,dans M. VON ARNIM dir., Festschrift Otto Schafer zum 75. Geburstag, Stuttgart, 1987, p. 191-206, et R. RUSCONI, «La predicazione fra propaganda e satira... ».
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té le plus caractéristique de sa prédication : l'appel à la conversion en vue de l'imminence de la fin des temps, que favorisèrent les affirmations contenues dans la lettre pontificale de Nicolas V 19 • Prédicateur de l'avènement imminent du Christ juge, le frère dominicain apparaît, ainsi que plusieurs épisodes de sa vie, dans un compartiment du polyptyque exécuté pour l'église Saint-Dominique de Modène par l'atelier des Erri, dans les années 1470: au milieu de la place - qui aurait dû accueillir un sermon prononcé à Perpignan en 1415, mais qui reproduit probablement l'église même de SaintDorninique de Modène -, au milieu de la foule des femmes qui se pressent pieusement pour écouter les paroles du prédicateur, on distingue une femme échevelée, sautant sur ses pieds20• Il s'agit vraisemblablement d'une possédée dont la guérison, survenue pendant la prédication du frère dominicain, avait été représentée dès la première fresque mettant en scène Vincent Ferrier, à la fin des années 20. dans la petite église de Macello, dans les environs de Pinerolo, en Piémont21. Dans un autre compartiment du polyptyque, un prodige survenu plus tard est aussi représenté, directement lié à la prédication faite par le Dominicain, et lui aussi extrait de la biographie hagiographique de saint Vincent Ferrier, rédigée par son confrère Pietro Ranzano de Palerme, tout de suite après la canonisation - cette biographie constitue la principale source d'inspiration des sujets représentés dans le polyptyque de Modène. Alors que le frère est en chaire, en train de prêcher, en plein air, des chevaux, emballés. font irruption sur la place mais ne blessent aucun des assistants (fig. 11). Un récit semblable est déjà attesté dans les récits hagiographiques consacrés à un autre Do-
19. Voir par exemple l'imprimé dévotionnel, exécuté à Milan vers 1480, reproduit dans AM. HIND. Early ltalian Engraving, Part l : Florentine Engravings and Anonymous Prints of Other Schools, vol. 4, New York-London, 1938, pl. 445. Sur les représentations de ce prédicateur dominicain: R. RUSCONI, « Vicent Ferrer e Pedro de Luna: sull'iconografia di un pœdicatore fra due obbedienze », dans Conciliarismo, stati naz:ionali, iniz:i dell'Umanesimo. Atti del XXV convegno storico intemazionale del Centro di studi sulla spiritualità medievale, Spoleto, 1990, p. 213-234. 20. Reproduction en couleurs dans D. BENATI, La Bottega degli Erri e la pittura del Rinascimento a Modena, Modena, 1988, p. 155, fig. 123. Le programme iconographique réalisé pour l'église comprenait divers polyptyques, chacun consacré à l'histoire d'un saint de l'ordre dominicain : saint Dominique, saint Pierre Martyr et saint Thomas d'Aquin. 21. Cf: R. RuscoNJ, « Vicent Ferrer... », en particulier p. 215-220.
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minicain, saint Pierre Martyr de Vérone, et dans l'iconographie qui en découle22 • Un autre polyptyque, exécuté pour l'église Saints-Jean-et-Paul de Venise23 , insiste davantage encore sur le pouvoir thaumaturgique des paroles du prédicateur dominicain. L'image centrale du saint, peinte par Giovanni Bellini, le représente avec un attribut très particulier : un flambeau allumé qu'il tient dans la main droite (fig. 12). Dans l'aire vénitienne, en effet, saint Vincent Ferrier avait la réputation d'être un protecteur efficace contre la peste24 • Si la grande image évoque le pouvoir d'une parole enflammée, audessous, dans un compartiment de la prédelle, vraisemblablement œuvre de Lauro Padovano25 , le frère dominicain apparaît sur le point d'opérer une guérison: il est en effet représenté debout, sur la chaire qui se détache de la place, devant une église, pendant qu'il ouvre les bras et lève les yeux au ciel, en appelant un prodige pour deux malheureux estropiés, agenouillés dans une attitude de supplication près de l'autel érigé au pied même de la chaire (fig. 13). 8. Un autre frère dominicain, Jérôme Savonarole, était arrivé à Florence de sa ville natale, Ferrare, en 1482 et s'était mis à prêcher dans la cité toscane, sans grand succès semble-t-il, peut-être à cause de son fort accent et surtout des thèmes de ses sermons, qui n'étaient pas particulièrement agréables à ses auditeurs 26 • Pourtant, grâce aux paroles enflammées qu'il prononçait en chaire, frère Jérôme fut en mesure d'exercer une sorte de dictature spirituelle sur la cité toscane, après la chute des Médicis en 1494, et jusqu'à sa fin tragique sur le bûcher en 1498. Au frontispice de l'édition florentine du Compendio di Revelazione, imprimée en 1496, une œuvre qui est à la fois son autobiographie prophétique et son manifeste idéologique, le Dominicain est re-
22. On verra, à ce propos, la recherche annoncée par Daniel Russo sur l'iconographie du saint. 23. Reproduction en couleurs dans M. OLIVARI, Giovanni Bellini, Firenze, 1990, p. 23, fig. 20. 24. Sur cet aspect, voir les indications bibliographiques sommaires données par R. Rusc0NI,« Vicent Ferrer... », p. 220-221, n. 23. 25. Reproduction en couleurs dans M. OLIVARI, Giovanni Bellini ...• p. 27, fig. 26. Dans un séminaire intitulé « Corpi discordanti nell' iconografia dei santi nel Rinascîmento italiano » (à l'Université de Turin, 26 avril 1993), je me suis intéressé aux représentations des prodiges opérés dans le cadre de la prédication du frère dominicain. 26. Cf. G. SAVONAROLA, Prediche sopra l'Esodo, éd. P.G. RICCI, vol. 1, Roma, 1956, p. 50; Prediche sopra Ruth e Michea, éd. V. ROMANO, vol. 1, Roma, 1961, p. 122-123.
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présenté alors qu'il prêche dans une église, du haut d'une chaire27 : à ses pieds, la foule des fidèles semble soigneusement répartie, les hommes séparés des femmes par des toiles tendues le long de la nef dans l'édifice (fig. 14). Comme Bernardin de Sienne, dans la première moitié du XVe siècle, Savonarole prétendait aussi à une séparation effective des fidèles qui venaient écouter ses sermons. Quelques années avant les Réformateurs allemands~ Savonarole avait bien compris le rôle que pouvait jouer l'imprimerie à caractères mobiles, à des fins de propagande religieuse et politique. Un jeune notaire florentin, ser Lorenzo Vi voli, avait pris l'habitude d'assister à ses sermons : au début, c'était sans doute moins par dévotion que par pratique professionnelle qu'il rapportait par écrit les paroles du prédicateur prises sur le vif. Devenu ensuite un fervent partisan du frère, il en transcrivait les sermons avec une très grande fidélité, et Savonarole en revoyait personnellement le texte avant la publication imprimée définitive. Dans une édition posthume des sermons du Dominicain, imprimée à Venise le 1er mars 1539, une incision le représente en chaire et le notaire à l'œuvre (fig. 15)28 • À plusieurs reprises, Jérôme Savonarole avait associé sa propre action de prédicateur en faveur d'une réforme des mœurs à l'usage d'allumer, au pied de la chaire, un «bûcher des vanités». Bernardin de Sienne l'avait déjà fait, dans la première moitié du siècle ; Jean de Capistran aussi, mais uniquement lors de sa mission en Allemagne, ainsi que Bernardin de Feltre dans les dernières décennies du XVe siècle29 • Le pouvoir des paroles incendiaires d'un prédicateur de pénitence et de réforme pouvait avoir des effets incontrôlables, et même se retourner contre lui, comme le rappelle synthétiquement l'image reproduite au frontispice d'une autre édition des œuvres de Savonarole, les 27. Cf. E. TlRELLI éd., lmmo.gilli e azione riformatrice. Le xilografie degli incu1iaboli savonaroliani nella Biblioteca Nazionale di Firenze. Firenze, 1985, p. 61-68. 28. G. SAVONAROLA, Prediche per tutto l'anno: cf. V. MASSENA, PRINCE D'EsSLINO, Les livres à figures vénitiens ...• n• 1477. Sur l'activité du tachygraphe: V. ROMANO,« Predicazioni savonaroliane e anività redattrice dei primi editori »,dans La Bibliofilia, t. 69, 1967, p. 277-308 (en part. p. 293-295), et G.C. GARFAONlNl, « lntroduzione », dans L. VIOU, Le giornate, éd. 0.C. GARFAGNINI, Firenze, 1986, en part. p. VIl-XXXUL . 29. Voir la bibliographie dans R. RUSCONI. Giovanni da Capestrano .... p. 50-51, n. 51, à laquelle il faut ajouter au moins T.M. IZBICKJ, « Pyres of Vanities: Mendicant Preaching on the Va.nit)' of Women and lts Lay Audience», dans T.L. AMOS - E.A. GREEN - B.M. KIENZLE éd,. De ore Domini. Preaèher and Word in the Middle Ages, Kalamazoo (Mi.), 1989, p. 211-234, et A. RIZZI, Ludus/ludere. Giocare in /talîa alla fine del medio evo, Roma. 1995, en particulier p. 126-132.
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Prediche per quadragesima, imprimée à Venise le 20 août 151930 : la foule des fidèles regarde, désolée, une chaire vide, tandis que de l'autre côté, le frère est enveloppé par les flammes du bûcher, audessus duquel un cartouche porte le verset biblique: Verbum Dei non est alligatum (2 Tm. 2, 9) (fig. 16). Le comportement de Jean de Capistran était apparu assez singulier à ses auditeurs allemands, au point qu'une nonne avait résumé, en une brève annotation, les caractéristiques de la prédication du frère : praedicauit manibus et pedibus more italico31 • La pratique des « bûchers de vanités », que le prédicateur avait allumés sur les places allemandes, avait semblé si particulière qu'elle fut représentée au frontispice de l'édition de sa vie et de ses sermons en latin, imprimée à Augsbourg par Johann Müller en cette même année 151932 • À deux ans de distance seulement, en 1521, un autre prédicateur appartenant à un ordre Mendiant, le frère augustin Martin Luther jetait sur un bûcher, allumé en place publique, non plus les « vanités » de la Renaissance (armes, jeux, riches vêtements), mais des «inutilités» médiévales, comme les livres de droit canonique et de théologie, et même la lettre pontificale de Léon X par laquelle l'excommunication lui avait été signifiée. 9. Dans les peintures et les fresques exécutées en Italie au cours du siècle, il y a donc d'indubitables reflets de l'intense activité de prédication des frères des ordres Mendiants, dans les églises et sur les places. La finalité dévotionnelle de telles œuvres et les techniques de la représentation artistique laissent apparaître à plusieurs reprises, sur les surfaces peintes, les usages concrets de la prédication de ce temps. On pourrait même tenter de reconstituer, avec prudence, l'aspect des chaires de bois, dont certaines furent certainement provisoires et destinées à n'être utilisées qu'en plein air: même si la majorité des sermons représentés en plein air ont certainement eu lieu, dans la réalité - et selon les récits dont se sont inspirés commanditaires et artistes - , à l'intérieur des bâtiments ecclésiastiques. On pourrait aussi mieux définir l'emplacement de la foule des fidèles qui assistaient aux sermons, même si, dans ce cas aussi, l'iconographie se charge des
xve
30. Cf. y. MASSENA, PRINCE D'EsSLJNG, Les livres à figures vénitiens ... , n° 1458. 31. Cité par K. RUH, Johannes von Capestrano, dans K. RUH dir., Die deutsche Literatur des Mittelalters. Veifasserlexicon, t. 4, Berlin-New York, 1983, col. 565. 32. Reproduit dans R. RUSCONI, «Giovanni da Capestrano ... », fig. 10.
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conventions qui ont pour but de souligner la séparation physique des hommes et des femmes. Au fur et à mesure que la représentation des prédicateurs et de leurs sermons se détache des sources littéraires, en général hagiographiques, et se réfère à des contemporains, en se fondant alors sur les souvenirs des commanditaires, c'est la réalité concrète des événements et du phénomène de la prédication qui transparaît. Manque cependant, dans de telles représentations, le contenu intrinsèque du sermon. S'il est parfois évoqué dans des cartouches où se trouve transcrit l'incipit des sermons (en particulier pour Bernardin de Feltre), le plus souvent, c'est l'attribut iconographique des prédicateurs, vénérés comme saints ou bienheureux, qui renvoie au trait le plus caractéristique de leur sermon : comme si les thèmes de la prédication pouvaient se condenser en une image synthétique. Le caractère sacré des représentations, en général liées à un culte, s'est accentué avec le temps, comme 1' atteste, en particulier sur les panneaux figurant la vie d'un prédicateur, l'apparition répétée de prodiges, le plus souvent thaumaturgiques. directement liés à sa prédication : ce ne sont donc pas les paroles du prédicateur qui se donnent à la vue des fidèles. mais bien le pouvoir d'une parole dont l'exercice faisait en quelque sorte du prédicateur un saint".
33. Ces considérations finales sont inspirées pour l'essentiel, mais pas exclusivement, par les œuvres ici eltalllinées et reproduites, et ndlètent les conclusions d'une recherche menée depuis plusieurs années.
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LA PRÉDICATION, LES LOLLARDS ET LES LAÏCS (DIOCÈSE DE NORWICH, 1428-1429)
L
'étude consacrée aux Lollards que l'on présente ici repose sur une série de pièces d'archives concernant des procès intentés pour hérésie dans le diocèse de Norwich, entre 1428 et 1431 1• Ces documents nous donnent maintes informations sur la vie communautaire des Lollards, et livrent quelques indices sur la prédication des laïcs. Cependant, avant d'aborder cette dernière question, il nous a paru nécessaire de revenir sur le concept même de "prédication". Sa définition est d'autant plus problématique que les chercheurs sont aujourd'hui influencés par des idées modernes, et même en grande partie "protestantes" : ils considèrent généralement comme relevant de la "prédication" des sermons ayant une forme particulière, prononcés par des personnes désignées à cet effet, dans une église, un cimetière ou un autre lieu public, comme la place du marché. Et alors que durant la majeure partie du Moyen Âge, la prédication fut explicitement interdite aux laïcs, ce sont des représentants des autorités ecclésiastiques qui ont consigné par écrit les actions des laïcs - tels que les Lollards - et qui ont pu juger s'ils prêchaient. Or, dans leurs témoignages, ces ecclésiastiques véhiculent une définition étroite et "orthodoxe" de l'acte de prêcher. Nous nous efforcerons de montrer que la prédication ne peut cependant être réduite aux seules situations formelles que reconnaissaient les autorités ecclésiastiques. Notre opinion est qu'on devrait envisager un large éventail d'actes participant à la diffusion de la foi et attestant la volonté de donner vie à l'Évangile. Une telle manière de voir nous conduira à préciser ce qu'a pu représenter la prédication aux yeux des "hétérodoxes", avant d'examiner des témoignages plus spécifiques, provenant du Norfolk et datés du début du XVe siècle. On y verra une communauté très soudée de croyants lollards, et on appréciera la manière dont ceux-ci
t.
1. N. TANNER, Heresy Trials in the Diocese of Norwich, 1428-31, dans Camden 4th series, 20, Londres, 1977.
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ont pratiqué et diffusé leur foi. Les documents donneront un aperçu intéressant de la vie au quotidien à cette époque, des différentes formes prises par les relations sociales et des moyens de communication au cœur de cette société. La première partie de notre étude est consacrée à la question de la prédication par les laïcs, et à celle de son contenu, biblique ou non. Le sujet ayant été relativement peu traité, il me faudra, dans un premier temps, discuter de la terminologie. L'article consacré par John Gilchrist au « Laïcat au Moyen Âge », dans la New Catholic Encyclopedia, me paraît caractéristique de la manière dont on se représente le rôle des laïcs au sein de l'Église médiévale : « ... le rôle du peuple au sein de l'Église médiévale était essentiellement passif. La pauvreté et l'ignorance des laïcs furent principalement responsables du fait qu'il ne parvinrent jamais à établir un ..apostolat" ou une "théologie", rendant impossible toute proposition de coopération par le clergé lettré, si ce n'est de tenir l'épée matérielle, l'arme de l'Église » 2 • À l'opposé de la notion d'un laïcat passif et d'une absence d'apostolat de leur part, cet article cherche donc à cerner la pratique de la prédication par les laïcs. Mais ce n'est pas seulement le rôle des laïcs qui n'a été qu'incomplètement étudié, mais aussi les notions mêmes de "sermons" et de "prédication".
PROBŒME.s RELATIFS À LA TERMINOWGIE LATINE DE LA PRÉDICATION
L'un des résultats des discussions qui ont accompagné le colloque des Medieval Sermon Studies organisé à Louvain-la-Neuve en juillet 1992 concerne la sémantique du terme sermo3 • Les traductions modernes de ce terme, en anglais ou en français "sermon", ont perdu le vaste champ sémantique qu'il avait en latin. Les chercheurs devraient éviter de traduire sermo par "sermon", et préférer "discours" ou "exposé", au sens de "faire un exposé". En latin classique, 2. New Catholic Encyclopedia, t. 8, New York, 1967, p. 332. Je suis reconnaissant à Darleen Pryds (Newbetty Library, Chicago) pour m'avoir incité à poursuivre des recherches dans ce domaine, ainsi que pour les idées et les discussions que nous avons partagées pendant plusieurs années. Voir sa note de lecture: « Teaching the History of the Laity in the Late Medieval Church »,dans Medieval Sermon Studies, t. 32, 1993, p. 39-43. 3. Cf. S. FORDE et V. O'MARA, « 8th Medieval Sermon Studies Symposium», dans Medie~·al Sermon Studies, t. 30, 1990, p. 60.
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l'utilisation de sermo renvoyait à un discours informel, tandis qu' oratio, par exemple, désignait une allocution plus officielle. La distinction entre le formel et l'informel est présente en latin médiéval où sermo est un mot générique pour "discours'', tandis qu'existent des termes plus spécifiques, renvoyant à des contextes précis, formels, comme collatio ou (h)omilia. Ainsi, le mot "sermon", en anglais ou en français, qui implique un discours tenu par un clerc, dans une forme particulière, depuis une chaire, ne représente qu'une partie du champ sémantique plus vaste attesté en latin. De même, le terme pr(a)edicatio est ambigu: il dérive du verbe de la première conjugaison pr(a)edicare. Les définitions proposées par le dictionnaire de Lewis et Short sont: "crier en public" (comme le fait un crieur public) ; "annoncer" ; "faire l'éloge" (de quelque chose) ; "prêcher" (l'Évangile)4 • Dans le dictionnaire de Du Cange, nous avons : "verbum facere ad populum" ; "concionari in ecclesia "5 • Et dans celui de Niermeyer: "annoncer", "prédire" ; "exprimer" (une vérité), "exposer" (une doctrine), "prêcher" ; "prêcher l'Évangile" ; "prêcher devant" (une personne), "lire", "sermonner"6 • Mais pr(a)edicare est aussi lié à pr(a)edicere, verbe de la troisième conjugaison. Ce verbe n'apparaît pas dans les dictionnaires de latin médiéval de Du Cange ou de Niermeyer, car il a conservé son sens classique. Cependant, dans le dictionnaire de Lewis et Short, les définitions proposées sont : mentionner d'avance ; prévoir ou prédire ; avertir (de quelque chose) ; conseiller, prévenir ou ordonner; proclamer. Il y a bon nombre de verbes parallèles de ce genre en latin ; chaque fois, l'un est de la troisième conjugaison, l'autre de la première. En examinant plusieurs de ces verbes parallèles, on leur trouve effectivement un sens commun. Par exemple : capere
prendre ou saisir
(3ème conj.)
(=action achevée)
captare
se cramponner à
(1 ère conj.)
(= acte de zèle ou prolongé)
4. C. LEWIS et C. SHORT, A Latin Dictionary, Oxford, 1896, p. 1416. 5. C. DU FRESNE seigneur DU CANGE, Glossarium mediae et infimae latinitatis, Paris, 18401850, t. 5, p. 398. 6. J. NIERMEYER, Mediae latinitatis lexicon minus, Leiden, 1976, p. 830.
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pellere pulsare
pousser ou faire avancer quelque chose chasser ou battre ·
educere educare
sortir (ex.: un cheval d'une étable) éduquer (ex. : entraîner un cheval à une activité)
dicere dictare
dire, déclarer, affirmer dire fréquemment, affirmer de manière répétée
Il est clair, à la lecture de ces formes verbales parallèles, qu'à la troisième conjugaison, le verbe renvoie à une action simple, tandis qu'à la première conjugaison, il renvoie à une action itérative, progressive ou encore fréquentative. Il est alors clair que la troisième conjugaison est la plus ancienne des deux. En conséquence, pour predicere et predicare, nous trouvons le lien implicite suivant : predicere = prédire, et predicare = prédire de façon répétée, c'est-à-dire prêcher. On peut donc résumer ainsi les possibilités sémantiques du terme predicare: - bien entendu, il fait particulièrement référence à la ..prédication", c'est-à-dire une allocution publique, faite par un membre du clergé, en chaire, au pied d'une croix, etc. ; - il peut aussi signifier "annoncer" ; - et également "prédire" ou "prévoir", le lien s'instaurant 1) par le lien grammatical avec predicere, et 2) par l'un des deux sens du préfixe prae-, signifiant "avant" dans un sens temporel; - en considérant l'autre sens du préfixe prae-, "devant" dans un sens spatial, comme dans l'expression "faire quelque chose devant" ou "en face de", on en arrive au deuxième sens proposé par Niermeyer pour predicare : exprimer une vérité, exposer une doctrine ... Et ici, nous voyons apparaître un lien étroit entre predicare et docere (enseigner), qui nous conduit à des questions de contenu: en particulier la prédication et l'enseignement de la doctrine, l'interprétation de !'Écriture Sainte. En bref, nous avons "prêcbèr", "annoncer", "prédire" ou "prévoir", "exprimer I avancer un vérité", "exposer une doctrine". Et il existe d'autres termes, dont des synonymes, qui sont étroitement liés aux actes qui viennent d'être évoqués, par exemple ceux qui sont liés à
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sermo : collatio, disputatio et (h)omilia ; et à predicare : concionari, hortari I exhortari I adhortari et admonitio, docere et doctrina. L'idée-clé est que lorsque nous nous intéressons aux sermons et à la prédication, nous avons tendance à chercher les références à sermo et predicare, et à projeter sur le passé nos conceptions modernes. Cependant, la palette de possibilités sémantiques décrites ci-dessus indique que nous devrions envisager un plus large éventail d'activités que celui suggéré par le sens étroit et limité qu'ont ces termes en anglais ou en français moderne. Une telle approche recquiert un renouvellement de notre grille de lecture. Les chercheurs devraient notamment s'interroger afin de savoir si tel acte, décrit dans les documents, ne peut être rapporté à la "prédication", ou si les termes latins ne sont pas employés dans un sens plus large que celui qu'on leur prête habituellement: par exemple, "quelqu'un prononçant un discours" pour sermo; ..quelqu'un prévoyant quelque chose" ou "avançant une vériB té" pour predicare. Une étude minutieuse des sources latines pourrait ainsi révéler l'existence d'une multiplicité d'individus n'appartenant pas au clergé, mais assumant de telles activités. Il nous incombe maintenant de mieux cerner ces activités et de préciser quels types d'actes peuvent être concernés.
EMPWIS ET CONTEXTES DU VOCABULAIRE DE LA PRÉDICATION
Il faut d'abord replacer les termes relatifs à la prédication dans leur contexte, pourrait-on dire, "codicologique". En effet, il est important de se rendre compte que ce que l'on désigne comme des recueils de sermones n'est généralement pas représentatif des sermons prononcés. Les conceptions que les historiens anglais ont héritées, à travers les recherches concernant les sermons en anglais médiéval, sont fortement marquées par l' œuvre de G.R. Owst, datant des années 1920 et 19307• Pour promouvoir l'étude des sermons, celui-ci fit un certain nombre d'observations d'ordre général qui, à mon avis, sont aujourd'hui préjudiciables : il affirmait premièrement que les sermons représentent une forme de diffusion de masse, dont l'étude peut ce7, G.R. OWST, Preaching in Medievol England: An Introduction to Sermon Manuscripts of the Period c. 1350-1450, cambridge, 1926, et du même, Uterature and Pulpit in Medieval
England. A Neglected Chapter in the History of the Englislt People, 2ème éd., Oxford, 1961.
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pendant nous donner un aperçu de Ja vie quotidienne et des comportements au sein des paroisses ; deuxièmement, que les recueils de sermons constituent en général des versions particulières de sermons effectivement prononcés (qu'il s'agisse des notes préliminaires des prédicateurs, de notes de lecture sous forme de mots-clefs, de notes prises par certains membres de l'assistance, ou encore d'écrits réalisés après coup par les prédicateurs). Il y a, me semble+il, un consensus parmi les médiévistes pour admettre que les recueils de sermons ont pu avoir des objectifs très divers. C'est ainsi que le recueil d'un disciple de Wyclif, Philip Repyngdon, est certainement plus proche du commentaire biblique que du recueil de sermons-modèles, si par "recueil de sermonsmodèles" nous entendons le genre du Dorme Secure, grâce auquel les clercs paresseux pouvaient dormir en toute quiétude, sachant qu'ils disposaient d'un sermon prêt à l'emploi, fait à leur intention, qu'ils n'auraient plus qu'à lire. Le recueil de sermons de Repyngdon ressemble à une somme d'autorités très variées, basée sur un commentaire verset par verset des péricopes évangéliques de l'année liturgique: il s'agissait d'une tentative pour diffuser un tel savoir de manière pratique. C'est pourquoi Repyngdon choisit d'écrire sa compilation-commentaire non pas à partir d'un livre particulier du Nouveau Testament, mais à partir d'une sélection de passages dont l'exégèse était faite chaque dimanche. Probablement espérait-il que les prédicateurs partageant ses vues rigoristes liraient à fond cette compilation (à la fois au sens littéral et spirituel), y gagneraient une meilleure compréhension des péricopes, soit dans le seul but d'une lecture spirituelle enrichissante, soit pour s'en inspirer dans leurs propres sermons8. Il convient ensuite de replacer les termes étudiés plus haut dans un contexte historique. Ce qu'il est advenu de la prédication avant et après les troisième et quatrième conciles du Latran peut se résumer ainsi. Jusqu'au xr siècle prévalait le modèle ecclésiologique des trois ordres, dont celui des predicatores ou doctores, hérité de Grégoire le Grand. L'ordo predicatorum (c'est-à-dire le clergé séculier, et en particulier les évêques), qui avait une responsabilité pastorale, avait la 8. S. FORDE, « New Sermon Evidence for the Spread of Wycliffism », dans T. AMOS, E. GREEN et B. KlENZLE éd., De Ore Domini: Preacher and Word in the Middle Ages, Kalamazoo, 1989, p. 169-183.
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mission «d'enseigner par le verbe et l'exemple» (docendi verbo et exemplo); en d'autres termes, la prédication et l'instruction étaient presque interchangeables, et ne se limitaient pas au discours oral. Cependant, d'après Robert Sweetman, au cours des et XIr siècles, le très ancien modèle de perfection apostolique revêtit une signification nouvelle. Le centre d'intérêt passa de la vie communautaire décrite dans les Actes des Apôtres à la vie mendiante, consacrée à la prédication, que décrivent les Évangiles. En d'autres termes, la perfection apostolique fut de plus en plus fréquemment associée à un apostolat dans le monde, centré sur la prédication9 • Le nouveau modèle de perfection apostolique qu'avait fait sien le mouvement des chanoines réguliers attira plusieurs catégories de chrétiens. Il constituait une source essentielle d'inspiration pour le mouvement érémitique, qui lui aussi prit forme aux et XIr siècles. De nombreux ermites quittèrent la solitude pour errer à travers la campagne, en prêchant la pénitence à la façon des apôtres. Le nouvel idéal apostolique exerça également une immense fascination sur les laïcs, en particulier sur les citadins des régions d'Europe précocement urbanisées, comme l'Italie du Nord et les Pays Bas du Sud. Ce mouvement apostolique largement populaire fut d'une importance cruciale pour l'organisation de la «cure des âmes». Aux yeux d'un grand nombre de chrétiens, aussi bien orthodoxes qu'hétérodoxes, la vie apostolique et la mission de prédication qui y était liée constituaient un modèle pouvant être adopté par tout chrétien en quête de perfection. Aussi, la pastorale, ou du moins la prédication, incomba à tout chrétien de quelque ordre ecclésiastique que ce soit. Si des distinctions devaient être faites à cet égard entre les uns et les autres, l'autorité pour prêcher revenait aux ministres de l'Église dont la vie serait la plus conforme au modèle de vie apostolique. Dans cette perspective, les traditionnels praedicatores de l'Église ne correspondaient guère aux nouveaux idéaux, alors que les prédicateurs hétérodoxes, tels que les perfecti cathares, semblaient être des apôtres réincarnés 10 •
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9. R. SWEETMAN, Dominican Preaching in the Southern Low Cou11tries, 1240-1260, thèse non publiée, Toronto, 1989, p. 30-31. Pour un résumé de cette thèse: Dissertation Abstracts lntemational, t. 50A, 1989, p. 1771-A. 10. R. SWEETMAN, Dominican Preaching ... , p. 33-34.
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Le livre de Rolf Zerfass sur la prédication des laïcs donne la suite de cette histoire 11 • À partir du pontificat d'innocent m et du concile de Latran N, les autorités ecclésiastiques tentèrent de prévenir le changement, mais un peu tard. Une foule de synodes diocésains furent réunis, dans l'espoir de mettre un terme à la prédication par les laïcs ; les décrets s'efforcèrent de définir, réguler et contrôler les actes de prédication. Et c'est de ces efforts que résultent aujourd'hui les sens limités que Jes termes "sermon" et "prédication" ont gardé en anglais ou en français. Pourtant, les décrets synodaux émis entre le X:nt et le xvr siècle montrent, par leurs interdits mêmes, que la prédication par les laïcs était à l'évidence chose tout à fait courante. Les décrets consistèrent à : - limiter 1' exercice de la prédication au seul clergé (l'ordo doctorum ou predicatorum), sans le laisser s'étendre aux béguines par exemple; - stipuler que la prédication devait être publique, et donc ne pouvait être faite au sein de conventicula ou d' «écoles», et encore moins de « cavernes » ; - affirmer que la prédication devait être faite en des lieux réguliers, de préférence une église, c'est-à-dire pas dans les rues ou sur les places publiques ; - associer la prédication à l'instruction (doctor est l'équivalent de predicator) ; certaines décisions entendaient restreindre la lecture des ouvrages en langue vernaculaire par les laïcs; - stipuler que les prédicateurs devaient être « autorisés » ou disposer d'une «licence». C'est précisément à cette évolution que s'opposèrent Wyclif et les Lollards. Une déclaration faite en 1388 par un groupe de Lollards de Leicester établit que « tout laïc peut prêcher et ensei.gner les saints Évangiles en quelque lieu que ce soit » : quilibet laicus potest sancta evangelia ubicumque predicare et docere. L'autorité pour prêcher est un devoir imposé à tous les chrétiens et ne peut être réservé au clergé, ni réglementé par lui. Comme le dit clairement un passage d'un texte lollard, « si les prélats échouent en cela. le Christ a dit que les insensibles pleureraient, et qu'alors les seigneurs séculiers, à défaut des 11. R. ZERFAss; Der Streit um die Laienpredigt : eine pastoralgeschichtliche Untersuchung zu VersUlndnis des Predigtamtes und zu seiner E11twicldung im 12. u11tl 13. Jahrhundert, Freiburg im Breisgau. 1974.
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prélats, devraient enseigner et prêcher la loi de Dieu dans leur langue maternelle » 12 •
RÉSUMÉ DES CONSIDÉRATIONS PRÉCÉDENTES
En évoquant la prédication par les laïcs, je tente de mettre en évidence le rôle actif qu'ils ont joué. Je le fais en recourant à une nouvelle grille conceptuelle, à l'opposé des travaux qui considèrent comme déviants les laïcs, et en particulier les femmes laïques, qui s'aventuraient à "prêcher" (au sens étroit de ce terme), sans l'aÙtorisation de l'Église. Je préfère envisager un large éventail d'actes de prédication, parmi lesquels plusieurs pouvaient tout à fait être pratiqués par des laïcs, dont voici quelques exemples : - les personnes témoignant de l'Évangile par l'exemple même de leur mode de vie : les ermites, les communautés hétérodoxes, les mulieres sanctae ; - les personnes s'attachant à exhorter les autres, à les mettre en garde (concernant la morale, etc.): Margery Kempe; - les personnes enseignant la foi, peut-être dans des « conventicules » ou des « écoles » : les écoles lollardes ; - les personnes s'exprimant dans les lieux publics (rues, places ou autres endroits du même genre) à propos de la foi : les béguines ; - les personnes agissant en tant que conseillers spirituels : Pietro Pettinaio; - les personnes prononçant des sermons conventionnels (au sens que j'ai appelé étroit) : les prédicateurs "juridiques'', tels que Robert d'Anjou, le roi de Naples et de Sicile (1309-43), les rois d'Aragon ou les hommes de loi italiens ; - les visionnaires ou les prophètes, prédisant ce qui va arriver: Brigitte de Suède et bien d'autres. Ainsi la prédication ne peut être limitée au simple discours officiel. La transmission de la foi et la vie de l'Évangile font partie intégrante de ces actes de prédication dont la définition doit être très large. Nous pouvons maintenant nous intéresser au cas précis des 12. A. HUDSON, The Premature Reformation: Wycliffite texts and Lollard History, Oxford, 1988, p. 354. En ce qui concerne la prédication, voir plus particulièrement les p. 268-273, 353356.
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communautés lollardes du diocèse de Norwich au début du XVe siècle.
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On dispose donc d'une série de pièces d'archives relatives au procès qui ont eu lieu dans le diocèse de Norwich pendant les années ayant suivi le jugement de William White, premier Lollard actif dans le diocèse à avoir été condamné et exécuté pour ses croyances. Ces archives judiciaires constituent une source essentielle, qui fournit des descriptions détaillées des croyances et des pratiques de ces communautés lollardes depuis le début du XVe siècle. Elles nous permettront d'approcher la pratique de la prédication au sein des communautés lollardes d'East-Anglie dans les années 1420. Les documents utilisés pour cette étude ont été publiés; il s'agit des archives des procès pour hérésie qui ont eu lieu dans le diocèse de Norwich de 1428 à 1431, éditées par Norman Tanner à partir des Archives Diocésaines de Westminster (MS.B.2) 13 , et de celles du procès de William White, que l'on trouve dans les Fasciculi Zizaniorum, compilation carmélite antilollarde14. Nous nous concentrerons sur les douze premiers procés, datés de septembre 1428 à avril 1429, qui offrent le plus d'informations pour notre propos. Nous n'examinerons pas, en revanche, les missions et les tournées de prédication du début du lollardisme, dont nous avons trace, et qui se manifestèrent notamment par des prédications publiques tenues avec l'approbation des autorités officielles à Northampton dans les années 1390, ainsi qu'à Leicester et ailleurs au même moment. Nous n'envisagerons pas non plus les sermons écrits, et en particulier les sermons du cycle Wycliffite anglais. En utilisant un corpus documentaire restreint, nous chercherons à identifier les actes de prédication parmi de nombreux actes religieux relatifs à un groupe de Lollards bien situé dans le temps et l'espace.
13. N. TANNER, Heresy Trials ... Voir aussi l'article écrit par M. AsTON au sujet de ce livre: «William White's Lollard Followers », dans Catholic Historical Review, t. 68, 1982, p. 469497. Pour une approche contextuelle, voir aussi N. TANNER, The Church in Late Medieval Norwich. 1370-1532, Toronto, 1984; et pour une étude plus récente sur cette communauté lollarde, voir S. MCSHEFFREY, « Women and Lollardy: a reassessment »,dans Canadian Journal of History, t. 26, 1991, p. 199-223. 14. Fasciculi Ziwniorum Magistri Johannis Wyclif cum Tritico, éd. W. SHIRLEY, dans Rolls Series, t. 5, Londres, 1858.
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William White est considéré comme celui qui, à cette époque, a importé les croyances lollardes dans le diocèse de Norwich. White fut en effet l'un des principaux propagateurs des croyances et des pratiques lollardes dans les premières décennies du xve siècle. Il avait d'abord exercé son activité dans le Kent, mais au début de l'année 1428, l'archevêque de Canterbury l'avait forcé à abjurer sa foi. À la suite de cette abjuration, il s'était réfugié en Est-Anglie. À nouveau pris et jugé, cette fois à Norwich en septembre 1428, il fut brûlé comme hérétique et relaps. On reprochait à White trente croyances hérétiques ou erronées, dont une concernait la prédication. L'article 24 de l'acte d'accusation comporte la déclaration suivante: «Nous faisons connaître, dénonçons et précisons contre vous que, suite à votre abjuration et contrairement à elle, vous avez soutenu, affirmé, écrit et enseigné que "toute personne ayant la foi, même si elle n'est pas envoyée ou autorisée par un évêque ou un ordinaire, peut, en dépit de la constitution de l'Église établissant le contraire, prêcher librement la parole de Dieu, puisque (ce sont vos paroles) Wyclif, béni soit-il, démontre dans ses [écrits] que cette même personne est maudite si elle cesse, sous le prétexte de l'excommunication de l'Antéchrist, de rendre public l'Évangile du Christ devant le peuple affamé et assoiffé de la loi de Dieu". Le dit William White se déclara en cette cour coupable devant la loi pour avoir soutenu, affirmé, écrit et enseigné cet article après son abjuration citée plus haut » 15 •
Un leader lollard fut donc exécuté en 1428 pour avoir cru, entre autres, que tout chrétien ayant la foi (nom de code pour désigner un compagnon lollard) devait rendre public et prêcher en toute liberté l'Évangile du Christ; ceux qui partageaient une telle croyance furent aussi condamnés par les Lollards lorsqu'ils cédèrent devant l'opposition des ecclésiastiques. Il est intéressant et surprenant de remarquer, en parcourant les archives des procès pour hérésie, qu'il n'y est quasiment pas question de prédication ; par contre, nombreuses sont les références aux « écoles » ou aux « conventicules » hérétiques, considérés comme les principaux moyens de diffusion de l'hérésie. Bien entendu, la première série de procès, tenus de septembre 1428 à avril 1429, nous donne force détails quant à ces moyens de diffusion de la foi, évoquant l'enseignement, le prosélytisme, l'étude, la lecture et l'interprétation des textes. Sans doute la prédication a-t-elle constitué 15. Fasciculi Zizaniorum ... , p. 428-429.
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aussi une activité de ces communautés de foi essentiellement laïques. Cela se trouve tout d'abord confirmé par ce qu'implique la croyance de William White et des Lollards du Norfolk en général en un clergé constitué par tous les croyants: ils admettaient qu'un laïc assume des fonctions proprement sacerdotales, parmi lesquelles la prédication. Par ailleurs, la procédure et la raison d'être de ces procès, ainsi que la forme sous laquelle les archives ont été conservées, ont pu, volontairement ou non, omettre ou négliger les références à la prédication, alors que celle-ci avait effectivement eu lieu. Enfin, les communautés de Lollards ont pu considérer comme prédication des actes que les autorités ecclésiastiques n'ont pas reconnu, ou ont refusé de reconnaître comme tels. À la lumière de notre enquête sur la terminologie latine médiévale relative à la prédication et à la façon dont l'Église en a restreint la définition à partir des troisième et quatrième conciles du Latran, on peut conclure que la définition conventionnelle que nous avons du terme "prédication" est probablement trop étroite, et qu'en se limitant au point de vue des autorités ecclésiastiques, elle néglige certaines formes de prédication et d'occasions lors desquelles celle-ci était pratiquée.
PRÉDICATION ET DIFFUSION DE LA FOI SELON LES PRci::s
De l'étude de soixante procès, on ne peut tirer que quatre références directes à la prédication. Le premier procès, celui de John Wardon de Loddon, dans le Norfolk, comporte cette déclaration: « Wardon avait régulièrement accès, dans le village de Bergh Apton et en d'autres lieux, aux écoles, aux sermons et aux enseignements de ces hérétiques [nommément William White, Hugh Pye et Thomas Burell] » 16 • En 1430, le procés d'un chapelain, Robert Bert, de Bury St. Edmunds, dans le Suffolk, indique que « Robert a soutenu, affirmé et prêché devant la population du diocèse de Norwich qu'en aucune façon la dîme ne devrait être versée à un ecclésiastique en état de péché mortel; qu'aucune image du crucifix, de Marie ou d'un saint ne devait être honorée; et aussi qu'on ne devait pas faire de pèlerinage». Bert a cependant nié avoir tenu ou prêché de telles croyances 17 • Au
16. N. TANNER, Heresy Trials... , p. 33. 17. N. TANNER, Heresy Trials ... , p. 100.
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cours d'un autre procès, en 1430, John Skylan, de Bergh Apton, a abjuré la déclaration suivante : « Que les maudits Cayfaces, les évêques et leurs prêtres orgueilleux fassent, chaque année, de nouvelles lois et de nouvelles ordonnances, afin que soient tués et brûlés tous les chrétiens véritables qui voudraient enseigner et prêcher la vraie loi du Christ, dont la connaissance est cachée et rendue inaccessible au peuple de Dieu » 18 •
La quatrième référence est extraite du procés de Margery Baxter, sur lequel nous reviendrons, et décrit la façon dont les autorités ecclésiastiques ont empêché William White de «prêcher» (predicare) la parole de Dieu au peuple rassemblé devant son bûcher. Les attestations d' «écoles» ou de «conventicules » hérétiques sont beaucoup plus fréquentes dans les registres des procès ; et presque toujours, il était exigé des suspects qui se repentaient de préciser, lorsqu'ils abjuraient, qu'ils ne les fréquenteraient plus. Dans les premiers procés de Norwich, des passages narratifs très détaillés permettent d'identifier les différentes manières selon lesquelles les Lollards diffusaient leur foi. Héberger des hérétiques, fréquenter des réunions ou des écoles hérétiques, sont des accusations fréquentes. Celle dont fit l'objet John Godesell, fabricant de parchemins à Ditchingham, est tout à fait caractéristique ; on lui reprocha de « recevoir fréquemment dans sa maison des hérétiques bien connus, de les nourrir, les soutenir, les cacher et les entretenir; le même John Godesell [fut aussi accusé] de permettre à ces mêmes hérétiques, en toute connaissance de cause, de tenir des réunions et de faire lecture de livres en son domicile, et d'être lui-même un de leurs disciples » 19 • Godesell reconnut avoir accueilli des gens sous son toit à plusieurs occasions et énuméra six hérétiques - dont deux étaient prêtres « et d'autres » parmi ses relations. À Tunstall, village voisin, un charpentier nommé John Baker ou Ussher, fut jugé pour lollardisme. Il admit qu' «il avait eu un livre de John Bung, de Beighton, dans le dit diocèse, qui contenait le Pater Noster, l' Ave Maria et le Credo écrits
18. « That the cursed Cayfaces, bisshopes, and here proude prestes every yer make newe lawes and newe ordinances to killes and brenne aile trewe Cristis puple which wolde teche or preche the trewe lawe of Crist, whiche [law] they hede and kepe cloos from knowyng of Goddis puple » (N. TANNER, Heresy Trials ... , p. 147). 19. N. TANNER, Heresy Trials.. ., p. 60.
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en langue anglaise » 20 • Baker poursuivit en déclarant qu'outre le fait d'avoir reçu l'enseignement et le support du livre de John Bung. un charron du nom de John Pyry, originaire de Martham. autre village à l'est de Norfolk, lui avait enseigné d'autres erreurs et hérésies «par l'information et la doctrine » 21 • Bung utilisa la même expression (ex informacione et doctrina), suggérant que Pyry proposait également des matériaux pour la lecture et un enseignement formel. À côté des listes d'accusations et des abjurations, qui se limitent normalement aux croyances des suspects et ne se rapportent donc que de manière indirecte aux moyens de diffusion de la foi, les dépositions comportent généralement des récits plus vifs et détaillés. Deux d'entre elles, extraites des premiers procès de Norwich, complètent fort bien l'image que nous avons de la vie communautaire des Lollards. John Burell était domestique de la famille Mone, de Loddon. Au cours de son inculpation pour hérésie, il déclara que son frère Thomas lui avait enseigné trois ans plus tôt - c'est-à-dire vers 1425-26 - le Pater Noster, l'Ave Maria et «les préceptes de Dieu en anglais», c'est-à-dire les Dix Commandements, accompagnés des interprétations lollardes, par exemple, du premier commandement sur les fausses images 22 • Il apprit d'autres croyances hérétiques de son mai"t:re, Thomas Mone, qui «les dit fréquemment en présence du témoin23, et une fois en présence de John Josse, de Loddon, et d'autres de ses voisins » 24 • De telles prises de parole étaient, à l'évidence, courantes à Loddon, mais les documents utilisent ici le terme dicere, et non pas predicere, pour décrire cette activité. John Burell reçut un enseignement (docere) de son frère Thomas, de Richard Belward. membre d'une famille lollarde des environs de Earsham, active depuis plusieurs générations, de William Wright, de Thomas Mone et d'un autre disciple anonyme, sans doute l'ancien serviteur de Mone. Ainsi, la diffusion de la foi au sein des communautés lollardes avait pour éléments essentiels l'étude et la lecture de textes écrits et un enseignement verbal. Nous disposons par ailleurs d'un superbe récit à propos 20. N. TANNER, Heresy 21. N. TANNER, Heresy 22. N. TANNER, Heresy
Trials .... p. 69. Trials .... p. 69. Trials.. ., p. 73.
23. luratus : littéralement. un « témoin sous serment », mais simplement traduit par «témoin» dans ces passages. 24. N. TANNER, Heresy Trials .. ., p. 73.
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du groupe de Lollards que l'on vient d'évoquer, communiant ensemble le dimanche de Pâques 1428, et dénigrant ouvertement les règles d'abstinence du Samedi Saint, ainsi que la présence à l'église 25 • John Burret déclara au notaire diocésain : «En ce matin de Pâques 1428, il vit au "Botery", derrière la vieille stalle (scannum : haut établi) dans la cour de la propriété (mansio) de Thomas Mone de Loddon un quart de porcelet farci, cuit et froid. Burell soupçonnait la femme de Thomas Mone d'avoir conseillé de tuer, préparer et cuire ce porcelet; et selon lui, l'autre partie du porcelet avait été mangée la veille de Pâques par Thomas Burell, frère de John Burell, la femme de Thomas Mone, John Pert, serviteur du dit Thomas Mone, et un autre homme vêtu d'un manteau roux dont Burell dit qu'il ne connaissait pas le nom. Puis, le jour de Pâques, la femme de Thomas Mone envoya sa fille avec le reste du porcelet chez Thomas Burell. Quand on lui demanda comment il savait que ce porcelet avait été mangé de cette façon la veille de Pâques par le dit Thomas Buren, la femme de Thomas Mone, John Pert et l'autre homme qu'il ne connaissait pas, Buren répondit que ses soupçons venaient du fait qu'il avait vu tous ces gens se retirer discrètement, tandis que Thomas Mone était au marché à Horning, dans une pièce spéciale appelée "Le chesehous chambr", avant midi, la veille de la dite fête de Pâques, et ce à l'insu de Burell, qui ne les avait vu sortir de la dite pièce que le dimanche » 26 •
Selon un autre récit, tout aussi révélateur, Margery Baxter, de Martham, dans le Norfolk, soutint et héberga William White, transporta et cacha pour lui des ouvrages ; elle était par ailleurs en relation avec les Mone et les Belward de Earsham. La déposition faite à son encontre explique comment son mari lui faisait lecture, la nuit, et l'instruisait, à partir d'un livre, de la« loi du Christ» (un nom de code pour désigner la doctrine lollarde) et comment. elle-même faisait du prosélytisme dans la ville de Norwich. Margery était accusée entre autres de savoir que William White était condamné et recherché pour hérésie et de «[le] recevoir chez elle où il pouvait se considérer en lieu sûr (pro refugio), de l'avoir caché et protégé clandestinement pendant cinq jours consécutifs ; de l'avoir conseillé et aidé autant que possible ; d'avoir transporté les livres de William White de Yarmouth à Martham, où elle les avait dissimulés »27 • La déposition faite par 25. Les pratiques lollardes ayant trait au jeOne et à la cessation de travail sont décrites par A. HUDSON, dans Premature Reformation ... , p. 145-147. 26. N. TANNER, Heresy Trials ... , p. 75-76. 27. N. TANNER, Heresy Trials .. ., p. 41.
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Joanna Clifland, de Norwich, contre Margery comporte plusieurs déclarations faites par Margery à Joanna, dont l'une rapportant le témoignage de Margery sur l'exécution de William White:« Margery vit sur les lieux où il fut brûlé qu'au moment où le dit William White voulut prêcher la parole de Dieu, un démon, disciple de l'évêque Cayface, frappa le même William White au visage et obstrua de sa main la bouche du dit saint docteur pour qu'il lui soit impossible d'exprimer la volonté de Dieu »28 • Joanna Clifland raconta également trois épisodes relatifs au prosélytisme de Margery Baxter à Norwich, qui nous ramènent à la question du discours tenu sur la foi, qui plus est en public. Premièrement, «la dite Margery demanda au témoin (iurata) qu'elle et la susnommée J oanna, sa servante, viennent secrètement la nuit rejoindre la chambre de la dite Margery. Elle y entendrait son mari leur lire la loi du Christ, laquelle loi était écrite dans un livre. Le dit mari faisait communément de telles lectures à Margery, la nuit, et cette dernière déclara que son mari était le meilleur enseignant (doctor) de la Chrétienté »29 • Au cours du second épisode, «la dite Margery dit qu'elle avait eu un entretien au sujet de la loi du Christ avec Joanna West, une femme logeant dans le cimetière de Sainte Marie du Marais, et que cette Joanna était en bonne voie de trouver le salut » 30 • Le troisième épisode révèle les dangers d'un tel prosélytisme public. Margery aurait apparemment dit à Joanna Clifland : "Joanna, ton visage exprime ton intention d'aller faire connai"tre à l'évêque le conseil que je t'ai donné". Le témoin jura qu'elle n'avait jamais voulu révéler ce conseil, à moins que Margery ne lui donne des raisons de le faire. Ensuite, la dite Margery dit à ce témoin : "Et si tu m'accuses devant le dit évêque, je te ferai subir la même chose que ce que j'ai fait à un de ces frères carmélites de Yarmouth qui était le religieux le plus lettré de tout le territoire" 31 • Sur quoi le témoin demanda ce qu'elle avait fait à ce religieux. Margery répondit qu'elle avait discuté avec le dit religieux, critiqué sa vie de mendicité et lui avait dit qu'il ne serait pas «
28. N. TANNER, Heresy Trials ... , p. 47. 29. N. TANNER, Heresy Trials.... p. 47-48. 30. N. TANNER, Heresy Trials ...• p. 48. 31. Ce religieux était sans doute Thomas Netter (? - 1430) qui, bien que n'étant pas «de Yannouth » au sens strict, était prieur des Carmélites anglais depuis 1414, et certainement le cannélite le plus érudit de sa génération (et peut-être aussi le rédacteur des Fasciculi Zizaniorum). On sait également qu'il se trouvait à Norwich au moment du procès de William White, en septembre 1428. Je remercie Paul Chandler (Yarra Theological Union, Melbourne), qui a pennis cette identification.
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bien de sa part de lui faire l'aumône, à moins qu'il ne renonce à son habitude et qu'il retourne à la terre (aratrum) 32 ; cela plairait beaucoup plus à Dieu que de continuer à vivre comme les autres religieux. Ensuite, ce religieux demanda à Margery si elle avait quelque chose d'autre à lui dire ou à lui enseigner. Et Margery, affirma le témoin, fit au religieux un exposé complet (exposuit) des Évangiles en langue anglaise. Alors le religieux laissa Margery, affirme le témoin. Par la suite, le religieux accusa Margery d'hérésie. Et quand elle sut que le religieux avait porté une telle accusation contre elle, la même Margery accusa le religieux de lui avoir demandé de la connaître charnellement, et affirma qu'étant donné qu'elle n'avait pas voulu lui céder, le religieux l'avait accusé d'hérésie. En conséquence, Margery dit que son mari avait eu ensuite l'intention de tuer ce religieux qui en eut tellement peur qu'il ne dit plus mot et se retira tout honteux de ces contrées »33 •
Les documents décrivent en fait sept méthodes différentes, par lesquelles les Lollards peuvent diffuser leur foi. Premièrement, les Lollards assistaient et protégeaient les enseignants et prédicateurs itinérants, tels que Willliam White. À quoi pouvait s'ajouter le transport secret de livres trop dangereux pour être découverts sur ces personnes. Deuxièmement, il existait des écoles, de nature apparemment tout-à-fait conventionnelle. On y donnait un enseignement basé sur le Pater Noster, l'Ave Maria, le Credo et les Dix Commandements, dont on discutait en anglais, en s'appuyant sur la lecture et l'étude de textes rédigés également en anglais. Ces textes constituaient la base de l'étude et de l'apprentissage de la doctrine. Troisièmement, il y avait des réseaux de diffusion des textes destinés à la lecture, tant pour les individus que pour les groupes désireux de les étudier. Quatrièmement, la vie du groupe était celle d'une communauté de foi dont les membres appliquaient les principes en partageant des repas et en renonçant d'un commun accord aux pratiques religieuses qu'ils désapprouvaient, telles que les règles portant sur le jeûne, le dimanche ou les autres jours saints. Cinquièmement, nous avons des informations sur un enseignement privé, donné de nuit : de mari à femme, de maître à serviteur, de voisin à voisin. Sixièmement, les documents se rapportant à Margery Bax.ter donnent un exemple clair du prosélytisme comme proclamation publique de la foi. Enfin, dans certains cas, une prédication publique est attestée ; deux fois seulement, le nom du 32. Cf. A. HUDSON, Prem.o.ture Refonnaticm .... p. 337-346, pour ce qui concerne la politi· que wycliftenne de remise en cause de l'establishment. 33. N. TANNER, Heresy Trials .. ., p. 48.
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prédicateur est mentionné, et il s'agit d'un clerc : Robert Bert, le chapelain de Bury St. Edmunds, et William White, qui était lui-même prêtre.
COMMENT LES LOLLARDS CONSIDÉRAIENT LA PRÉDICATION ET LE SACERDOCE
Alors que les registres des procès n'apportent finalement que de maigres indices à l'idée que la prédication représentait un élément essentiel de la vie des communautés lollardes, l'examen des croyances des Lollards à propos de la prédication et des fonctions du sacerdoce suggère autre chose. Margery Baxter reconnaissait croire en un sacerdoce de tous les croyants : « tout homme ou femme ayant les mêmes opinions que Margery sont de bons prêtres, et la sainte Église a sa place dans les domiciles de tous les membres (omnium existencium) de sa secte »34 • Un autre Lollard, jugé en 1430, abjura ces deux articles : « Que tout homme ou femme qui est bon est un prêtre », et « Que les maudits Cayfaces, les évêques et leurs prêtres orgueilleux fassent, chaque année, de nouvelles lois et de nouvelles ordonnances, afin que soient tués et brûlés tous les chrétiens véritables qui voudraient enseigner et prêcher la vraie loi du Christ». Le dernier procès tenu à Norwich de William White complète ces informations. L'article douze affirme le sacerdoce universel des fidèles : «toute personne fidèle à Jésus-Christ est un prêtre de l'Église élue (electae) de Dieu » 35 • L'article vingt-quatre a é!é cité plus haut : «toute personne ayant la foi, même si elle n'est pas envoyée ou autorisée par un évêque ou un ordinaire, peut ( ... ) prêcher librement la parole de Dieu», puisque Wyclif démontre qu'une telle personne est maudite si elle cesse« de rendre publique l'Évangile du Christ au peuple... » 36 • Nous avons constaté que les Lollards étaient prêts à passer outre les règles de l'Église et à prendre d'autres risques pour vivre selon leurs croyances. Pourquoi n'y a-t-il alors que si peu de preuves tangibles de l'activité de prédication exercée par les Lollards? L'hypothèse selon laquelle ils n'auraient pas prêché, soit par peur des persécutions, soit parce qu'ils ne disposaient pas de lieux pour le 34. N. TANNER, Heresy Trials ...•
p. 49.
35. Fasciculi zizaniorum... , p. 423. 36. Voit la note 12.
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faire, ou encore par manque de connaissance ou d'expérience de la prédication, serait la plus simple. Mais d'après ce que nous avons pu voir jusqu'ici, je pense que cette explication ne doit intervenir qu'en tout dernier recours. Deux autres explications se présentent à nous : la première est que les archives et les procédures sur lesquels nous nous sommes appuyés sont formulées et structurées de telle façon que la prédication ne peut quasiment pas y être décelée ; la deuxième est que si les Lollards ont pu considérer qu'ils prêchaient, les autorités ecclésiastiques ont peut-être manqué de reconnaître dans leurs actes une forme de prédication.
LES PROCÉDURES DE QUESTIONNEMENT DES LOLLARDS ET LE TRAITEMENT DE LA PRÉDICATION HÉTÉRODOXE
Anne Hudson a décrit les procédures d'inculpation des Lollards accusés d'hérésie 37 • Elle montre comment les formulaires d'interrogatoire utilisés dans ces cas ont été rapidement rédigés pour les convocations de l'archevêché de Canterbury durant les mois de juillet et de novembre 1428. Dans ce qu'elle considère comme une ébauche de convocation faite par un canoniste, deux questions visent manifestement à obtenir du suspect qu'il révèle ses opinions sur la prédication : « [11. Également,] si une personne se doit de ne plus prêcher ni écouter la parole de Dieu, si elle a été excommuniée » ; et « [ 12. Également,] si tout diacre ou prêtre est en droit de prêcher la parole de Dieu sans l'autorité du Siège apostolique ou des évêques catholiques, et si toute personne sans discrimination (indifferenter) peut prêcher la parole de Dieu »38 • La première des deux questions est effectivement retranscrite dans la version finale de la convocation ; par contre, la seconde y est réduite à l'énoncé suivant : « si toute personne peut prêcher la parole de Dieu sans l'autorité du Siège apostolique ou des évêques catholiques » 39 • Quoi qu'il en soit, le questionnaire utilisé ensuite à Norwich apparaît différent et ne prévoit aucune enquête à ce sujet. Par ailleurs, nous savons que le notaire diocésain de Norwich utilisa pour la dénonciation, r abjuration, l'absolution qui empêche 37. A. HUDSON, « The Examination of Lollards », dans Journal of Theological Studies, n.s. t. 23, 1972, p. 407-419, réimprimé dans A. HUDSON, Lo/lards and their Books, Londres, 1985, p. 125-140. 38. A. HUDSON, Lollards .. ., p. 133. 39. A. HUDSON, Lollards .... p. 135.
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l'excommunication, la libération et le repentir, un formulaire tout aussi conventionnel. Les inculpations de Norwich ont répondu aux préoccupations de l'archevêché de Canterbury en mettant l'accent sur les écoles, les conventicules et la ·circulation de livres, considérés comme les voies principales de diffusion de la foi lollarde, dont ils s'inquiétaient alors. Les procédures et les techniques d'enregistrement des dépositions expliquent donc le peu d'informations à propos de la prédication. En fait, les renseignements donnés à ce sujet dans les dépositions contre les premiers Lollards à Norwich sont tout-à-fait fortuits ; les registres ultérieurs ne comportent pas les dépositions des témoins sous serment. Si les notaires ont bien sûr pris en compte ces déclarations, elles ont cependant été considérées comme superflues et écartées de la procédure finale. On peut ajouter que concernant la prédication hétérodoxe, l'Église disposait d'instruments particuliers, utilisés de longue date. L'article des Décrétales relatif à la prédication des hérétiques40, qui visait à l'origine les Vaudois de Metz, permet de comprendre dans quel cadre et sur quelles bases pouvait être lancée une enquête pour hérésie. Étaient pris en considération: les traductions de la Bible et d'autres livres rédigées en langue vernaculaire, la prédication pratiquée par des laïcs, hommes et femmes, les conventicules secrets, ainsi que la prédication faite en privé et non en public. Dans les premiers temps de la propagation du Wycliffisme, les autorités anglaises s'étaient concentrées sur la prédication. En 1382, l'archevêque Courtenay de Canterbury et la législation parlementaire ordonnèrent l'arrestation des prédicateurs hérétiques qui exerçaient leur activité dans les églises, les cimetières, sur les places de marché, au cours des fêtes foraines et d'autres rassemblements de masse41 • D'autres documents épiscopaux, un peu postérieurs, évoquent la prédication, qu'elle soit publique ou privée (publice vel occulte). La loi De heretico comburendo, adoptée en 1401 par le Parlement, renforça l'idée que la prédication hérétique constituait une caractéristique essentielle du mouvement lollard pouvant justifier une arrestation. Il y a d'autre part un certain nombre de cas qui attestent qu •au début du XV' siècle, l'Église s'appliquait à «autoriser» des prédicateurs. Ci40. Decretales V, tit. 7, De Hereticis, cap. 12, dans Corpus luris Cancmici. éd. E. FlUEDBERG, t 2. Leipzig, 1881, cot 784-787. 41. A. HUDSON, Premature Reformation... , p. 176-177.
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tons par exemple l'évêque Repyngdon de Lincoln, qui avait été à Oxford un important défenseur de Wyclif. L'un de ses premiers actes d'évêque fut de délivrer deux importants mandats: le premier, daté du 11 avril 1405, contre les prédicateurs non autorisés qui diffusaient des idées hérétiques dans les églises, les chapelles, les maisons privées et d'autres lieux encore de l'archidiaconé de Huntingdon ; le second, daté du 24 avril 1405, initiative de plus grande portée, visant à encourager les théologiens et les maîtres de la faculté des arts d'Oxford à devenir prédicateurs dans le diocèse de Lincoln. Repyngdon assura effectivement la mise en place à Oxford d'un réseau de dénicheurs, dans le but de repérer de potentiels prédicateurs42 • On peut donc conclure que les autorités ecclésiastiques traitaient séparément les problèmes de la promotion de la prédication orthodoxe et de l'opposition à la prédication hétérodoxe ; ce dernier pouvait donc ne pas être pris en considération lors des inculpations des hérétiques. En outre, il était dans l'intérêt des autorités ecclésiastiques de ne pas reconnaître la prédication hérétique comme une prédication perse. Les archives de Norwich montrent que lorsqu'un clerc prêchait une erreur ou une hérésie (outre le fait d'y croire, de l'affirmer et de l'enseigner), cela était consigné. Mais il ne s'agissait alors que des erreurs ou des hérésies prononcées par des prédicateurs masculins, exerçant leur activité en public. Il n'est jamais fait allusion à la prédication d'une femme ou d'un laïc, ou à l'existence d'une pratique privée de la prédication. Il est donc évident d'après les documents écrits laissés par les autorités diocésaines que seule était reconnue une définition restreinte de la prédication, à savoir : un discours prononcé en public par un membre masculin et autorisé du clergé, depuis une chaire ou le pied d'une croix de prédication. Mais quel aurait été le terme employé par les Lollards pour désigner la propagation verbale et publique de la foi, telle que nous l'avons vu plus haut : Thomas Mone s'adressant à sa famille et à ses voisins, Margery Baxter aux citoyens de Norwich et même à un Carmélite ? Dans cette étude, nous avons commencé par observer que le terme sermo avait un champ sémantique plus large (signifiant un "discours") que le terme moderne de "sermon'', et que 42. M. ARCHER, The Register of Bishop Philip Repyngdon, 1405-1419, (Lincoln Record Society, 57), Lincoln, 1963, p. 7-9 et 21-23. Cf. aussi S. FORDE,« Writings of a Reformer: A Look at Sermon Studies and Bible Studies through Repyngdon's Sermones super Evangelia Dominicalia ».Thèse non publiée, Birmingham, 1985, t. 1, p. 293-299.
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le champ sémantique attribuable à predicare et predicatio n'incluait pas seulement "prêcher" mais aussi "annoncer", "prévoir" ou "prédire", ou encore "rapporter" I "avancer une vérité" et donc "exposer une doctrine". Il ne semble pas, toutefois, que les milieux orthodoxes aient utilisé ces termes dans leur. sens élargi. La boucle est ainsi bouclée: il est fort probable que dans les années 1420, les Lollards du diocèse de Norwich ont annoncé et proclamé leur foi au peuple ou, dans les termes adoptés par le notaire diocésain, qu'ils l'ont simplement «communiquée» à d'autres, même si les inculpations dont ils firent l'objet ne mentionnent pas la prédication en public sous sa forme conventionnelle.
Traduit de l'anglais par Lisa Blangy
NICOLE BÉRIOU
CONCLUSION LA PAROLE DU PRÉDICATEUR, OBJET D'HISTOIRE
u début des années 1970, Jacques le Goff et Pierre Nora ont dressé un panorama des « nouveaux objets » de la recherche historique, où la langue et le livre avaient leur place, mais pas encore la parole 1• Faut-il s'en étonner? Certes, si l'on s'en tient à la période médiévale, la place de la parole dans la vie sociale fut alors d'autant et mieux assurée que l'écrit, malgré des progrès sensibles entre le le xve siècles, y demeura l'apanage de groupes assez restreints, et que bien des rapports humains, qu'ils soient hiérarchiques ou contractuels, dépendaient de la seule expression orale, souvent assortie de gestes rituels. Mais les paroles s'envolent, quand nul ne se soucie de les confier au parchemin ou au papier. Et il est plus facile d'en admettre le poids et l'audience, que de tenter de mesurer l'un et l'autre. Indirectement, il est vrai, la parole est entrée depuis longtemps dans le champ de la recherche historique, par le truchement de tous les documents écrits fondés sur l'enregistrement plus ou moins rigoureux des discours, des contrats, des témoignages de toutes sortes, des pl~doieries, etc. Tous ces textes ont été abondamment exploités depuis des décennies, et ils continuent à l'être, sans que nul ne se soit pour encore hasardé à les confronter les uns aux autres dans une étude synthétique sur les usages de la parole dans la société médiévale, comme M.T. Clanchy a tenté de le faire à propos de l'écrit2. Tout au plu~ trouve-t-on, dans un article de Jacques le Goff et de Jean-Claude Schmitt consacré à la « parole nouvelle » que fut la prédication du xnr siècle, un essai d'exploration, sur le mode énumératif, du foisonnement des autres paroles attestées en ce temps : paroles des héré-
A
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1. J. LB OOFF et P. NORA, Faire de /'Histoire. Ill: Nouveaux objets, Paris, Gallimard, 1974. 2. M.T. CLANCHY, From Memory to Written Record. England (1066-1307), Oxford, Blackwell, 19932• Les communications du Colloque d'Humanisme médiéval, organisé à Paris sous la direction de G. Hasenohr au début des années 1990 sur le thème de la parole au Moyen Âge, sont demeurées inédites.
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tiques. des maîtres et des étudiants, des gens de justice, des bourgeois et des citoyens dans leurs conseils de ville, des membres du Parlement, des petites vieilles et des jongleurs ...t avant que ne survienne le temps des paroles inspirées des mystiques et des « paroles déchaînées» des révoltés 3• On en retiendra surtout l'idée féconde que la parole du prédicateur, si on l'enferme dans la tour d'ivoire des textes de sermons qui en gardent la trace, perd une grande part de sa portée historique. Mieux vaut donc considérer dans un même mouvement ceux à qui elle s'adresse, son enracinement dans une société donnée, les modes de communication et de réception qu'elle met en jeu, les paroles distinctes et parfois concurrentes qu'elle côtoie. À des degrés divers, ce sont bien ces questionnements qui se devinent dans la trame des recherches qui ont donné lieu, précisément à partir des années 1970, à toute une série de publications relatives à la prédication, pour la période majeure qui court du au siècle. Tantôt l'accent a été mis sur le milieu d'apprentissage des prédicateurs, et spécialement celui des écoles, où bien des orateurs ont puisé l'aliment de leurs propos, comme on le pressent dans la structure même de l'étude consacrée par Jean Longère aux œuvres oratoires des maîtres parisiens, et comme on le voit plus explicitement dans l'article fondamental de Louis-Jacques Bataillon au sujet des liens entre lectio et praedicatio4• Tantôt, on est transporté de l' «amont» à I' « aval » de la prédication. La thèse de Michel Zink a montré en effet que la plupart des recueils de sermons en langue romane, compilés du xrr au début du xw siècle, étaient faits pour la lecture, à l'usage de moniales et de pieux 1aïcs5 • Ils s •enracinent pourtant dans une pratique
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3. J. LE GoFF et J.-Ct SCHMrrr, «Au Xllf siècle. Une parole nouvelle», dans Histoire vl~ eue du peuple chrétien, dir. J. DEUJMEAU, t. 1, Toulouse, Privat, 1979, p. 2~7-279. Sur l'attention alors pr&ée à la voix et à l'expression vocale, voir aussi P. ZUMTHOR. « Utteratus lillitreratus 1 Remarques sur le contexte vocal de l'écriture médiévale», dans Rtmwnia, t. 106, 1985, p. 1-18; IDEM, La lettre et la vmx, Paris, 1987. 4. J. LoNGtRE, Œuvres oratoires tks·maitres parisiens au xir siècle. Étude historique et doctrinale. Pa.ris, Études augustiniennes, 1975, 2 vol. : L-J. BATAU.LON, «De la lectio à la praedicatio. Commenlaires bîbliques et sermons au Xllf siècle i., dans Re11ue des Sciences Philosophiques et Thiologiques, t 70. 1986. p. 559~574, repris dans IDEM, la prédication au Xllf siècle en Franed et en Italie. Variorum, Aldershot, 1993, V. Voir aussi, pour des études plus particulièœs, F. MOIENZONJ, Des écoles aux pamis1es. Thottua de Chobham et la promotion de la pndicalion au début du XIII' mcle, Paris, Éludes augusl:inimnes, 199S ; N. BGRfou, la ptidication de Ranulplte de la Houblonnière. Sermons aux clercs et aux simples gens à Paris au Xllt' siècle, Paris, !!bides augustiniemm, 1987, 2 vot 5. M. l.INK. la prldicalion en langue ronu:ure avant 1300, Paria, Champion. 1976.
CONCLUSION
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de la parole de prédication comparable à bien des égards à celle qui nous est plus directement accessible en Italie, grâce aux notes des confrères dévots de Florence, assidus à suivre et à mettre par écrit les sermons de Giordano da Pisa6 • Dans les reportations des prêches du savant dominicain, la structure ferme et raffinée de son propos crée l'écart avec la plupart des textes qui ont été préservés en langue romane. De part et d'autre néanmoins, une semblable alchimie des cultures s'épanouit sans vergogne dans les développements narratifs des vies de saints et des exempla. Les exempla eux-mêmes, ces anecdotes faites pour convaincre d'une vérité utile au salut, ont focalisé l'attention fascinée de toute une génération d'historiens, de linguistes, de spécialistes de la littérature, à qui r on doit maintes explorations pertinentes de leur efficacité dans les domaines de la communication et de la réception du message religieux 7• À concentrer l'attention sur eux, cependant, le risque est réel de laisser l'arbre dissimuler la forêt. En ce sens, J' étude que David d' Avray a consacrée à la prédication des frères mendiants, sans négliger la part qui y est faite aux exempla, rétablit heureusement l'équilibre, au profit d'une analyse lucide et féconde de l'ensemble du système de communication mis en œuvre par les frères prêcheurs et les frères mineurs au xnr siècle8• L'acte de la parole, sa maturation, et ses chances de réception dans une société donnée, prennent ici relief et profondeur, en prélude aux divers actes de colloques et aux articles plus directement consacrés à la circulation des paroles des prédicateurs, «de la chaire à la nef »9 • Simultanément, au cours de la 6. C. DELCORNO, Giordano da Pisa e l'antica predicazione volgare, florence, Olschki,
1975. 7. Voir sunout J. BERLIOZ.« Les recherches en France sur les exempta médiévaux, 19681988 »,dans Exempel und Exempelsammlunget1, herausg. von W. Hauck und B. Wachinger, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1991, p. 288-317 (avec bibliographie): C. DELCORNO, Exemplum e letteratura tra Medioevo e Rinascimento, Bologne, Il Mulino, 1989. 8. D. D'AVRAY, The Preaching of the Friars. Sermons diffused from Paris before 1300, Oxford, Clarendon Press, 1985; voir aussi L.-J. BATAILLON, La prédication tm Xllf siècle ... ; H. MARTIN, Le métier de prédicateur en France septentrionale à la fin du Moyen Âge ( 13501520), Paris, Cerf, 1988; N. BÉRIOU et D. D'AVRAY, Modern Questions about Medieval Ser· mons. Essays on Marriage, Death, History and Sanctity, Spoleto, Centro ltaliano di Studi sull' Alto Medioevo, 1994. 9. Dai Pulpito alla Navata. La predicazione medievale nella sua recezione da parte degli ascoltatori (sec Xlll-XV), dans Medioevo e Rinascimento t. 3, 1989, p. 3-323 ; Predicazione francescana e Società veneta nel Quattrocento. Committenza, Ascolto, Ricezione (Padova, 1987). Padova, 1995 ; C. DELCORNO, « La difftazione del testo omiletico : osservazîoni sulle doppie reportationes delle prediche bernardiniane », Lettere italiane, t. 4, 1986, p. 457-477; IDEM, «La predicazione volgare in Italia (saec. XIII-XV). Teoria, produzione, recezione »,
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dernière décennie, l'attention des historiens s'est trouvée attirée sur la place et le sens d'autres paroles. à la fois distinctes et solidaires de celles des prédicateurs: paroles mauvaises et condamnables des péchés de langue. qui ont bien failli devenir le huitième vice capital au siècle 10 ; paroles chantées, ou professées à haute voix, ou murmurées, ou même silencieuses, de la prière11 ; paroles inspirées des prophètes. enfin. dont r écho se fait plus net à partir du XIVe siècle, tantôt au cœur même de la prédication, tantôt à la manière d'une variante informelle. voire provocante, de celle-ci. en réponse à la quête de sens surgie des crises de l'institution ecclésiale et. de la genèse tâtonnante des Temps modernes 12 •
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Les quinze contributions sur la parole du prédicateur suscitées par Rosa Maria Dessî et Michel Lauwers prolongent à certains égards les voies ouvertes par tous ces travaux, auxquels ils ont d'ailleurs eux• mêmes participé au cours de ces dernières années. Mais le choix réfléchi de mettre au singulier les deux mots-clés du titre a aussi conduit la plupart des collaborateurs de cet ouvrage à déplacer le regard, de l'analyse des textes de sermons et de l'observation des hommes investis de la mission de prêcher, à l'examen plus incisif d'un type de parole parmi d'autres, que l'on ne peut appréhender dans son fonctionnement et dans sa représentation sans convoquer le témoignage de documents de toute nature. L'exploration a le mérite de donner leur place, face à ceux qui prennent la parole, à ceux qui les entendent ......... ou plutôt à ceux qui les écoutent, et même, à ceux qui font parler~ sous la pression d'une forte demande, certains prédicateurs : tels les ermites du xr siècle, sollicités par la foule venue les débusquer de leurs retraits forestiers, ou les maîtres de la Parole choisis par les confréries ou les conseils de ville au sein des ordres mendiants pour assurer les prédications urbaines d' A vent et de Carême des XW et XV' siècle$. Revue Mabilltm. n.s. t. 4 (:::: t. 65). 1993. p. ~107; Il. ltUSCONI. « La piedîcaziooe: parole in ch.iesa. parole in piazza ,., dans Lo apal)o ûttterario dt1l Medioevt>. l: 11 Medioe1to latino. vol. D ·La circola:tione del testo, Salerne, 1994. p. S71·603. IO, C. CASAG&ANDE et S. VECCHIO, Lei péc:Ms de la langue. Disdpline et éthiq11e de la parole dans la culture médiiwùe, trad. franç .. Paris, Cert 1991. 1L Prier au Moyen Âge. Pratique.t et expériences (V"-XV' sîklesJ, dif, N~ BÊIUOU, J. BEIUJœet J. LDNŒRE. Turnhout, Brepols, 199L 12. Les texte1 prophétiques el la prophéttt en O