La géographie humaine du monde musulman jusqu'au millieu du 11e siècle: [1] Géographie et géographie humaine dans la litterature arabe des origenes à 1050 [2éme ed. Reprint 2017] 9783111330419, 9783110985641


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French Pages 476 Year 1973

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La géographie humaine du monde musulman jusqu'au millieu du 11e siècle: [1] Géographie et géographie humaine dans la litterature arabe des origenes à 1050 [2éme ed. Reprint 2017]
 9783111330419, 9783110985641

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La géographie humaine du monde musulman jusqu'au milieu du 11e siècle

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES — SORBONNE SIXIÈME SECTION : SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES CENTRE DE RECHERCHES HISTORIQUES

Civilisations et Sociétés 7

MOUTON - PARIS - LA HAYE

ANDRÉ MIQUEL

La géographie humaine du monde musulman jusqu'au milieu du 11e siècle Géographie et géographie humaine dans la littérature arabe des origines à 1050

MOUTON - PARIS - LA HAYE

A MES P A R E N T S

© 1987 Mouton & C° and École pratique des Hautes Études Première édilion

1967.

D e u x i è m e é d i t i o n 1973.

Avertissement

Ce livre n'est pas celui qu'il aurait dû être. Ou plutôt, il vient avant celui auquel on avait initialement pensé. Etudier les géographes arabes, dresser le panorama de l'Orient musulman au Moyen Age, c'était là une entreprise qu'on pouvait aborder de deux manières. En historien bien sûr : alors, il fallait peindre, à partir de ces textes et autant qu'ils le permettaient, le tableau d'un monde tel qu'il avait existé dans les faits. Mais l'idée était ancienne, les sentiers déjà battus, soit qu'on ait exploité les richesses de ces œuvres pour éclairer tel ou tel point particulier de l'histoire de l'Islam, soit que, en une visée plus ambitieuse à laquelle le nom de Maurice Lombard reste attaché, on ait véritablement voulu écrire l'histoire totale de cet Orient. Certes, il y avait, sur ce terrain même, encore beaucoup à faire. Mais le labeur du métier d'historien, plus encore mon insuffisance en ce domaine, me dirigèrent ailleurs, vers des terrains qui me paraissaient vierges. Pourquoi, me disais-je, ne pas explorer les oeuvres de l'intérieur et, au lieu de m'essayer à dégager, à couper d'elles une réalité objective, celle de l'histoire, pourquoi ne pas prendre ces textes comme un tout, en les considérant comme témoins non pas tellement d'une réalité que d'une représentation de celte réalité, en visant, en un mot, non pas le monde recréé par notre recherche, à mille ans de distance, mais le monde senti, perçu, imaginé peut-être par les consciences d'alors ? Qu'était-ce que la mer, un fleuve, une ville, l'impôt, les frontières, non pas en l'an mil, mais vus par un musulman de l'an mil ? Plonger au-dedans des textes, participer de leur Weltan-

VI

Géographie humaine du monde

musulman

schauung et, s'agissant de morts, tenter « de saisir ces nuances fugitives de leur personnalité (qui échappent à l'analyse scientifique, mais qui reçoivent une valeur du sentiment intuitif de la communication humaine et de l'expérience de l'amitié) » (Lévi-Strauss), voilà qui m'apparaissait comme une entreprise exaltante et neuve : qui valait, en tout cas, la peine d'être tentée. Mais dangereuse aussi : car, pour essayer de comprendre ces textes de l'intérieur, il fallait à coup sûr leur appliquer des méthodes d'investigation éprouvées et sérieuses, mais aussi, pour juger d'eux avec toute la sympathie nécessaire, garder perpétuellement présents à la pensée les critères auxquels ils se référaient, les traditions qui les modelaient, les moyens d'expression dont ils disposaient. En un mot, l'étude des concepts, des idées, des images, supposait qu'on eût d'abord éclairé le climat dans lequel cette géographie avait pris naissance et auquel il fallait perpétuellement la rapporter. Par là et par là seulement, on pouvait éviter le danger des explications littéraires traditionnelles ou des faux comparatismes, qui nous enferment dans une référence inconsciente et constante à notre propre sensibilité. J'avoue avoir été, à ce point de ma recherche, découragé, presque hésitant : dans mon impatience à dresser le tableau d'un monde mental que mes premières lectures me faisaient déjà présager comme passionnant, l'étude préalable à laquelle je me voyais forcé, sous peine de manquement à la probité, m'apparaissait comme un obstacle, ou, pire, comme une redite après les travaux de Hammer-Purgstall, Reinaud, Ferrand, ~Wùstenfeld, Lelewel, de Gœje, Schwarz, Blachère, Minorsky, Munaggid et de tant d'autres, sans oublier la somme de toutes ces recherches : la magistrale Littérature géographique arabe de Kratchkovsky. Ceux qui m'avaient encouragé à entreprendre ce travail me firent alors remarquer que l'occasion m'était fournie de m'attaquer, par le biais des géographes, à une étude des formes fondamentales de la culture arabomusulmane du Moyen Age. Cette culture s'exprime d'un mot, l'adab, mot-clé, presque magique et en tout cas fort mal connu, qui recouvre l'ensemble des comportements sociaux, et en particulier tous ceux qui touchent, justement, à la culture conçue comme un héritage collectif. Ici encore, partie difficile à jouer, qui le restera, de toute façon, tant qu'un dépouillement systématique de tous les textes où ce mot apparaît n'aura pas été mené à bien. Mais à tout le moins pouvais-je me dire qu'à défaut d'exhaustivité, ma recherche sur les formes de la culture arabo-musulmane était, vue à travers les géographes, originale, rationnelle en tout cas, en ce sens qu'elle porterait sur un ensemble de textes bien délimités, dont elle pourrait faire un inventaire complet : qu'en un mot, avec les géographes, je tenais ce que les sociologues appellent une « population ». Il n'y avait plus qu'une difficulté, mais de taille : définir la géographie. Sur un point au moins, je ne pouvais hésiter longtemps : ce que je voulais étudier, c'était une espèce de conscience moyenne, cette définition écartant a

Avertissement

vu

priori la recherche spécialisée et théorique des savants, dont la technicité, dans cette société comme dans les autres, échappait au plus grand nombre :je laissai donc de côté les traités de cartographie ou de géographie mathématique et astronomique pure, dont l'étude relève de l'histoire des sciences. Il me restait alors une masse énorme de textes qui, à défaut de m'amener jusqu'à la perception d'une conscience populaire, cette grande absente de la littérature arabe classique, me donnait au moins l'image fidèle du public moyen de l'époque : public cultivé et non spécialisé, formé à Z'adab, capable, en cela, de s'intéresser à toutes les lumières du siècle, fussent-elles puisées à la géographie des mathématiciens, pourvu qu'on les mît à son niveau et qu'on les exprimât en un langage compris de tous : en un mot, comme le dit Griinebaum, qu'on les « littérarisât ». Ce premier clivage fait, nouvelle question : dans toute la production littéraire ainsi retenue, qui baptiser du nom de géographes, et où était la géographie ? Certes, en priorité, dans les œuvres qui s'étaient voulues telles, mais il n'y avait pas que celles-là. Les thèmes géographiques, s'intégrant peu à peu à la culture de l'honnête homme, gagnaient de proche en proche, passaient chez les encyclopédistes, les anthologues ou même dans les œuvres d'un propos plus restreint et fort éloigné a priori des préoccupations des géographes. Il fallait donc débusquer la géographie de ces repaires : je l'ai fait selon les principes exposés au tableau des auteurs, auquel je renvoie une fois pour toutes. Restait, relativement à la définition de la géographie, une dernière question, qui devait vite se révéler, à l'examen, comme un de ces faux problèmes nés de notre répugnance à sortir de nos propres systèmes de références et de classification. Dans le principe, je devais être amené à choisir entre une des trois formes fondamentales de la géographie : mathématique, si l'on étudiait la terre dans ses relations avec les astres, physique, si l'on s'en tenait à la terre en ellemême, et humaine, si l'on s'attachait à ses habitants. Ayant exclu, avec les textes des astronomes et des cartographes, la première de ces trois géographies, je n'avais plus, en bonne logique, qu'à trancher entre les deux autres. Mais ces calculs étaient vite déjoués : je constatai en effet, ainsi que je l'ai dit un peu plus haut, que les thèmes de la géographie mathématique n'étaient pas absents des textes littéraires, lesquels se contentaient de les adapter à leurs formes d'expression et à leur public, mais ne les répudiaient pas. Ce que j'avais laissé de côté avec les cartographes et les astronomes, c'était donc seulement l'expression mathématique, savante et abstraite, de ces thèmes, mais non ces thèmes euxmêmes. Je pressentais déjà ainsi que tout choix entre les trois formes idéales de la géographie ne pouvait être qu'arbitraire, et que les textes ne m'y aideraient pas. Arbitraire pour arbitraire, je tentai un instant d'isoler, dans mes lectures, les thèmes de géographie humaine, d'un côté, ceux de géographie physique et astronomique, de l'autre. Peine perdue : les thèmes, chevauchant sans façon les limites que je voulais leur imposer, s'enchevêtraient sans arrêt et c'était moi,

vin

Géographie

humaine

moi seul, qui décidais, appartenance.

du monde

musulman

ici ou là, selon nos critères d'aujourd'hui,

de leur

Il fallait se résigner à l'évidence : la géographie arabe ne montrait en rien qu'elle fût moindrement consciente de recouvrir trois domaines différents. Ses titres pouvaient bien, le cas échéant, abuser le chercheur en lui laissant croire à une spécialisation quelconque, en réalité elle demeurait une science globale, insécable. Fondamentalement moniste, elle ne séparait pas la terre ni l'homme des autres créations ou créatures de l'univers, ne traitait pas différemment le métal de la plante, la ville d'un être vivant, l'homme du cosmos. Je la pris donc comme elle voulait être : comme un tout. Pourquoi, dès lors, parler de géographie humaine ? Parce que, pour opposer à la géographie des savants cette géographie-ci, à la fois totale et littéraire, on n'a pas trouvé d'expression aussi appropriée. Si l'on veut bien en effet ne pas la considérer seulement dans le sens strict où nous l'enfermons aujourd'hui, lorsque nous parlons de géographie humaine, on conviendra, pour trois raisons, de sa justesse. D'abord, géographie humaine, cela veut dire, certes, comme on s'y attend, que l'étude qu'on entame par ce livre porte sur des textes et des thèmes géographiques où les hommes tiennent la meilleure part, et ce d'autant plus qu'à la diversité et à la richesse de leurs situations et de leurs activités, la géographie mathématique ou physique n'oppose guère, à quelques exceptions près, que des stéréotypes. Mais l'homme déborde ici son propre cadre : géographie humaine, cela veut dire aussi que l'homme est partout dans la géographie totale, plus exactement en son centre, puisqu'il est au centre de cette création dont la géographie prétend être comme l'image : centre moral, auquel, d'après l'Islam, toute la création est soumise et destinée, centre rationnel et logique, car l'homme est à lui seul, pour l'Islam comme pour la Grèce, un reflet de l'univers, un microcosme. Au propre, le monde entier est humain, car il se comporte selon des mécanismes et des lois que l'homme résume : comme le disent les textes, les mers ont leurs biles, et la terre vieillit tout autant que nous. Un des thèmes les plus anciens et les plus essentiels de la géographie arabe, du reste hérité de la Grèce, à savoir la relation entre le caractère et le comportement de l'homme, d'une part, sa situation sur la terre et sous un astre, d'autre part, ce thème donc, qui fonde à lui tout seul toute une géographie humaine, toute une explication de la présence et des activités de l'homme ici-bas, n'est guère que la réciproque, en mineur, de ce thème majeur qui veut que, de tout phénomène intéressant la création, l'homme soit un des termes ou, à tout le moins, l'illustration. Enfin géographie humaine, cela signifie, à l'opposé de l'esprit désincarné de la mathématique des étoiles, une géographie faite par des hommes, une science dont l'homme n'est pas seulement objet, mais sujet. Ici, des êtres vivants interviennent, transparaissent, avec leur religion, leur philosophie, leurs goûts, leurs inquiétudes. Les ressorts humains de ceux qui font alors la géographie

Avertissement

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sont fondamentaux dans sa définition : à eux seuls, ils suffiraient à la distinguer de celle de nos géographes, qui rougiraient, je pense, de se faire ou de se laisser ainsi deviner, en tant que sujets, au travers de leurs productions. Ainsi définie comme émanant d'hommes et prenant pour objet à la fois l'homme et le cadre naturel qui tient à lui en vertu de la disposition du monde, la géographie pouvait être étudiée successivement dans son histoire et dans ses thèmes. Le présent livre se propose la première de ces deux investigations. Il faut parler aussi, plus brièvement, de limites spatiales et chronologiques. Ecrite en arabe et par des Musulmans, cette géographie se consacre évidemment en priorité à l'Islam, mais il lui arrive parfois, sous des formes diverses, de traiter des terres étrangères. Fallait-il, ici encore, trancher arbitrairement alors que les textes ne le faisaient pas ? Après tout, la géographie humaine du monde musulman, c'est aussi celle des rapports de ce monde avec ses voisins, de l'idée qu'il se fait de peuples plus lointains encore, et même de la terre entière. Respectant la vo'e que je m'étais tracée, je me suis refusé, pour l'étude future des thèmes de cette géographie, à scruter l'objectivité historique de ces textes pour me consacrer uniquement, en sociologue de la littérature, à l'image qu'ils donnaient : je laisse à d'autres, plus compétents, le soin de décider si l'on peut faire fond sur telle description de Byzance ou de la Chine, et me pose cette autre question : avec quels yeux les voyait-on, du côté de Bagdad, il y a mille ans 1 Quant à la date de 1050, elle est considérée, par les historiens et les sociologues de l'Islam, comme un tournant décisif, en raison des événements qui prennent place à compter de cette époque : triomphe politique de l'élément touranien, réapparition de l'Occident, officialisation du sunnisme, essor des cultures non arabes, essoufflement économique. La géographie n'échappe pas à cette grande mutation. Certes, son existence même n'est pas plus compromise que celle des autres formes de pensée arabe : l'astronomie, la description de la terre ou celle des pays se prolongent, quelquefois vigoureusement, après l'an mil. Ce qui change, mais alors radicalement, c'est l'esprit de cette géographie, indice de bouleversements profonds intervenus dans les consciences. Quand on compare Muqaddasï à un Ibn ùubayr ou à un Ibn Battuta, on constate la disparition, entre temps, d'un phénomène colossal sur lequel reposait toute la géographie d'avant le XIe siècle : je veux parler de la mamlaka, de cet Empire musulman qui, même déclinant, soutenait l'ensemble de la production géographique jusqu'à l'an mil et qui, ensuite, disparaît, et pour cause, totalement des œuvres, même sous la forme de souvenir. Le fait est symbolique de l'état de choses qui s'instaure au XIe siècle. Alors, l'écroulement définitif du grand rêve d'un monde musulman politiquement, économiquement et culturellement uni sous un même califat, d'une part, le triomphe officiel de l'orthodoxie, d'autre part, semblent installer la géographie dans un climat de prudence et dans une optique à courte vue, qu'illustrent à merveille ces deux genres

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Géographie humaine du monde

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fondamentaux que sont la compilation et le journal de voyage. La première produit des œuvres honnêtes, mais renonce au spectacle du monde ; les leçons qu'il peut offrir appartiennent désormais à l'histoire : celle d'Ibn tJaldûn, par son caractère universel, extra-musulman, mais aussi par le pessimisme foncier qui s'attache à une méditation sur le passé des hommes et sur ce qu'ils ont fait du monde qui leur était donné, cette histoire est comme le glas de la géographie de l'Islam : celle-ci livrait un témoignage, celle-là dresse un constat. Quant au journal de voyage, certes précieux pour l'historien d'aujourd'hui, mais insoucieux de grands desseins, ce qui l'occupe, c'est d'aligner, les uns après les autres, les pays et les jours, et non plus, comme on le faisait au I V e /X e siècle, de faire du temps et de l'espace le simple moyen d'une information et de les soumettre l'un et l'autre à la construction ordonnée et totale d'un empire. Restent les difficultés contre lesquelles on ne peut rien : les textes disparus, les lacunes dans ceux qui existent, les attributions douteuses, les manuscrits encore inconnus, qui dorment un peu partout, d'autres repérés, qui attendent la publication. A défaut de pouvoir les résoudre, j'ai, dans le texte ou les notes, signalé ces problèmes chaque fois qu'ils se posaient. Ils ne me paraissent pas du reste, compte tenu du volume des textes dont nous disposons heureusement, devoir remettre fondamentalement en cause les conclusions auxquelles on est amené sur l'histoire ou les thèmes de la géographie arabe. La transcription adoptée pour les mots arabes relève du système dit « serré », à quelques variantes près : l' alif maqsûra a été rendu par â et, dans des références empruntées à d'autres auteurs, le qâf (q) a été gardé dans sa transcription originelle : k ; le hamza (') n'a pas été conservé à l'initiale. Enfin, quelques mots devenus d'orthographe courante en français, comme Irak, cadi, Bagdad, ont été maintenus tels quels. On aura deviné, par les pages qui précèdent, de quels conseils et encouragements je suis redevable : à M. C. Pellat, d'abord, qui a accepté de diriger ce travail, et l'a fait avec autant d'autorité que de bienveillance; à MM. R. Blachère et H. Laoust, qui m'aidèrent, avec lui, à choisir ce sujet ; à M. G. Wiet, qui m'a communiqué plus d'un texte ; mais aussi à M. F. Braudel, qui a reçu ce livre dans une collection publiée sous le patronage de la V / e Section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Paris,

septembre 1966.

Tableau des auteurs

N.B. — Les pages qui suivent s'inspirent de deux préoccupations différentes : 1. A. On a voulu d'abord, sous la forme du tableau des auteurs proprement dit, dresser le répertoire des écrivains dont les œuvres offrent, à un titre quelconque, un rapport avec la géographie ou les thèmes géographiques (excepté la géographie mathématique et astronomique pure) : en d'autres termes, on s'est proposé de présenter ici synoptiquement les noms qui apparaissent dispersés dans le texte ou les notes des différents chapitres. Chaque rubrique comporte, sous le nom de l'auteur, une brève définition de son œuvre et une bibliographie : bibliographie de base, dans le cas de grands auteurs, ténors de la littérature arabe, plus poussée pour des cas moins connus ou litigieux et, naturellement, pour les géographes proprement dits. Le cas échéant, on a fait entrer dans ces rubriques des discussions sur des points de détail, qui eussent alourdi au-delà du tolérable l'annotation de l'ouvrage. B. On distinguera : — les auteurs dont les œuvres ont été conservées, sous la forme d'un ensemble cohérent (texte édité ou manuscrit) et bien individualisé;

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Géographie humaine du monde

musulman

— les auteurs (signalés par une astérisque) dont les œuvres sont perdues ou connues seulement par des extraits ou de simples mentions qui en sont faits par les écrivains postérieurs. Il va de soi que, dans le cas de polygraphes, les œuvres prises ici en compte, qu'elles soient conservées ou perdues, sont celles-là seules qui intéressent notre sujet, dans l'esprit défini en A. C. Les auteurs sont classés par ordre chronologique, selon la date de leur mort (ou d'autres repères, quand celle-ci est inconnue). Par auteurs, on entend les créateurs d'une œuvre écrite ou, dans le cas d'une œuvre disparue, présumée comme écrite, et l'on exclut les simples informateurs : on ne signale pas, par exemple, Hâlid al-Barïdï, informateur de Muqaddasï (trad., § 123), ni ces prisonniers musulmans de Byzance dont Ibn Hawqal (p. 195) enregistre les dires. En revanche, on signale, entre autres, 'Umàra b. Hamza, la distance chronologique entre lui et Ibn al-Faqîh, qui le cite, impliquant transmission d'une œuvre écrite, ou, a fortiori, ûazâl, séparé de ses transmetteurs par une distance encore supérieure. 2. Le canevas de l'histoire des thèmes géographiques étant ainsi tracé à travers le tableau des auteurs étudiés au présent volume, il nous a paru utile d'indiquer à sa suite, d'ores et déjà, lesquels, parmi ces auteurs, devaient être retenus, en un prochain livre, pour l'étude non plus de l'histoire, mais du contenu des thèmes géographiques, autrement dit pour l'étude du monde tel qu'il est vu par la géographie d'alors, ce qui revenait à poser la question : dans l'immense production de la littérature arabe, où les thèmes géographiques, en tant que pièce essentielle du bagage de l'honnête homme, se répandent un peu partout, où est la géographie, comment se cerne-t-elle, et qui est géographe ? On a cru pouvoir s'en tenir aux critères suivants : A. Au plan de la chronologie, d'abord, sont retenus seulement les auteurs dont l'œuvre est attestée comme ayant été composée avant les années 1050 ; si la date de composition n'est pas attestée, on prend en compte, autant qu'on puisse la déduire des dates de naissance ou de mort, la maturité de l'auteur, selon qu'elle se situe, fondamentalement, avant ou après 1050. Telle est la raison, par exemple, de l'exclusion de 'Udrî et de Bakrï (cf, chap. VIII, p. 269, note 1). Pour le cas spécial représenté par Bîrùnï, cf. chapitre VI, p. 223-227. B. Au plan de la thématique, et compte tenu du problème posé, qui est de cerner la géographie, on exploitera dans le prochain volume : a) Entièrement : les œuvres dont le propos est en rapport direct avec la géographie, à savoir celles dont il est question aux chapitres III (sauf SâbuStï : cf. infra, b), IV, V et VIII, plus, au chapitre V I I : Hamdânî,

Tableau des auteurs

XIII

le Calendrier de Cordoue, Râzï, W a r r â q et le dictionnaire d'Isljâq b. al-Iiusayn. P a r exploitation intégrale, on veut dire qu'on enregistre,, d a n s des œuvres qui se veulent géographiques, toutes les données, y compris celles qui ne sont pas strictement géographiques : car, pour prendre cet exemple, l'histoire, telle qu'elle a p p a r a î t chez un Ibn Hawqal ou un Muqaddasï, fait partie intégrante des masâlik wa l-mamâlik. b) Partiellement : les œuvres des encyclopédistes, anthologues et polygraphes, pour leurs sections ou passages t r a i t a n t de la géographie (au sens restreint ou large : ethnographie, biologie). Il s'agit donc, ici, d'extraire la géographie d'un propos plus général qui la dépasse. Il en résulte qu'il faut, dans ce cas, s'en tenir strictement à la géographie, l'histoire, les sciences religieuses ou les traditions rapportées par les auteurs en question faisant partie d'une construction d'ensemble et ne p o u v a n t être, comme dans le cas précédent, rapportées à la géographie. Les auteurs exploités sont ceux des chapitres II et VI, plus, au chapitre I I I : Sâbustï, et, au chapitre V I : Ta'âlibï et Ibn an-Nadïm. c) P a s du t o u t : les écrivains (historiens, anthologues, polygraphes et autres) dont le propos est carrément extérieur à la géographie (y compris la « géographie » topographique des hitaf, qui n'est q u ' u n e forme de l'histoire pure), chez lesquels, donc, la géographie n'est que d'occasion : servante de l'histoire, préoccupation littéraire, etc. Sont ainsi exclus les auteurs des chapitres V I et VII, hormis ceux que l'on a cités en b. P o u r les auteurs visés ici, on se contentera de quelques références sur des points jugés intéressants parce qu'illustrant les rapports des thèmes géographiques avec la littérature d'adab. C. Sur un plan plus strictement méthodologique, on ne citera, au prochain volume, les œuvres disparues et conservées chez les auteurs postérieurs que si ces auteurs sont extérieurs au cadre chronologique défini en 1 C. P a r exemple, on cite Ibrahim b. Y a ' q û b (conservé p a r Bakrï et Qazwïnï, qui composent après 1050), mais non H â r u n b. Y a h y â (conservé par I b n Rusteh, qui entre dans les limites chronologiques de notre étude). Conform é m e n t à ce qui a été dit en 1 B, on prend en compte, pour définir ces œuvres disparues, non pas la taille même des vestiges conservés (c'est ainsi q u ' o n citera les Magrûrûn ou Gazai, des œuvres desquels les vestiges sont très modestes), mais la possibilité de rapporter effectivement à leurs a u t e u r s les textes qui leur reviennent : on exclut, par exemple, dans cet esprit, Sinân b. T â b i t b. Qurra, cité par Bîrûnï, mais d'une façon si imbriquée qu'elle ne permet pas la distinction (cf. chap. VII, p. 257, note 3). D. Les noms d'auteurs ou d'œuvres ainsi retenus pour le prochain volume figurent en une liste spéciale (II), sous la forme abrégée qui sera la leur dans l'annotation dudit volume.

I. —

T A B L E A U D E S A U T E U R S É T U D I É S A U P R É S E N T VOLUME

Mûsâ b. Nusayr (Abu 'Abd ar-Rahmàn). Le célèbre conquérant de l'Afrique du Nord et de l'Espagne, mort en 98/716-717, aurait laissé un récit des « merveilles » rencontrées lors de son expédition africaine ; il est le personnage central des légendes relatives à la Ville du Cuivre et au Fleuve de Sable, reprises notamment par Ibn al-Faqïh. Cf. Mas'ûdï, Prairies, § 409. Kalbï (Abu n-Nâdir Muhamiriad b. Mâlik b. as-Sâ'ib b. Bisr al-Kalbï). Mort en 146/763, ce lexicographe de la tendance d'Asma'ï (ç.p.) écrit une description des points d'eau de la péninsule arabique (manâhil al-Arab), malheureusement perdue. Cf. C. Brockelmann, dans El, t. II, p. 730, et chap. VII, p. 246, note 1. 'Umàra b. Hamza. Mawlâ d'al-Mansûr, qui l'envoya à Constantinople ; mort en 199/814. Son récit a été utilisé par Ibn al-Faqïh (vers 290/903), aux p. 137-139. Compte tenu de la distance chronologique entre les deux personnages, il faut donc estimer que l'œuvre de 'Umàra était rédigée. Cf. les références bibliographiques données par de Goeje, op. cit., p. 137, note e. Nadr b. Sumayl (Abu 1-Hasan an-Nadr b. Sumayl al-Mâzinï at-Tamïmï). Mort vers 204/818-819. Un des représentants de la littérature, à base de lexicographie, relative aux toponymes de la péninsule arabique, mais aussi à certains traits de civilisation, à certains noms de plantes, d'animaux ou de phénomènes météorologiques. A écrit également un Kitâb al-anwâ', toutes œuvres qui semblent perdues. Cf. GAL, t. I, p. 101 ; Reinaud, p. LI. T a m ï m b. B a h r a l - M u t t a w w i ' î . S a n s d o u t e o r i g i n a i r e d e s r é g i o n s f r o n t i è r e s d e l ' I s l a m , si l ' o n en c r o i t sa nisba, ee p e r s o n n a g e e s t c o n n u p o u r a v o i r laissé, d e s p a y s t u r c s d ' A s i e c e n l r a l e , v i s i t é s e n t r e 1 1 3 / 7 6 0 et 1 8 1 / 8 0 0 , u n e d e s c r i p t i o n d o n t on t r o u v e d e s I r a e e s c h e z I b n H u r d â d b e h , à t r a v e r s l e q u e l o n t pu le c o n n a î t r e d ' a u t r e s a u t e u r s , n o t a m m e n t Y a q i i t e t , a v a n t lui, I b n a l - F a q ï h ( m a n u s c r i t

de Meshed). Cf. Hudûd

al-'âlam,

p. 13, 26, 208-26!), 272, 181.

xvi

Géographie

humaine

du monde

musulman

* F'azârî ( I b r a h i m h. H a b i b al-Fazârî). l ' n des r e p r é s e n t a n t s les plus allirmés de la g é o g r a p h i e a s t r o n o m i q u e i n d i e n n e . F c r i t vers la lin du 1 1 e - V I I I e sièele. Cf. S. Maqlnil A h m a d , « D j u g h r â f i y â », d a n s El (2), t. II. p. 591, X. L e v l z i o n , « Ibn H a w q a l , t h e c h e q u e and A w d a g h o s t », d a n s Journal of African History, I X , 1968, p. 223, et s u r t o u t la r e m a r q u a b l e édition d ' u n Kitâb al-Ga'râfiyya p a r les soins de M. H a d j - S a d o k (Bulletin d'Eludes Orientales, D a m a s , X X I , 1908, p. 7-311). Celle-ci pose a priori un p r o b l è m e . Il s'agit là d ' u n t e x t e de Zuhrï ( v i e / x n e siècle), mais qui se dit inspiré p a r F a z â r î . Kn vertu des principes énoncés supra, p. X V (C), on s e r a i t t e n t é d'inclure, grâce à Z u h r ï , F a z â r î d a n s la liste des a u t e u r s exploités. Mais l ' é d i t e u r signale (p. 33) la légèreté et l'imprécision avec lesquelles Z u h r ï cite ses sources : F a z â r î , n o t a m m e n t , n'est cité q u ' u n e fois (§ 1), et l ' o u v r a g e de Z u h r ï , qui p o r t e des t r a c e s n o m b r e u s e s et é v i d e n t e s de ses origines espagnoles, s'éloigne ainsi c o n s i d é r a b l e m e n t du m o d è l e qu'il p r é t e n d suivre. F,n o u t r e , l'esprit de l'adab, qui se t r a d u i t , e n t r e a u t r e s m a n i f e s t a t i o n s , p a r un g o û t prononcé p o u r les merveilles ('agfi'ib), a v i s i b l e m e n t l i t t é r a r i s é les t h è m e s de la g é o g r a p h i e a s t r o n o m i q u e : on a peine à croire, p a r exemple, q u e « le m a n q u e de rigueur » et la « f a n t a i s i e » de la description d u globe t e r r e s t r e (p. 16-47) soient i m p u t a b l e s au s a v a n t de profession q u e fut F a z â r î . F n fonction des principes énoncés supra, loc. cit., i.f., on n ' a donc pu q u e r e n o n c e r à p r e n d r e en c o m p t e un F a z â r î aussi incertain (sauf a u x cas, très r a r e s , de références générales à la g é o g r a p h i e a r a b e en son e n s e m b l e ) . Mâ sâ' Allah. Savant juif, astronome célèbre, mort en 205/820. Auteur d'un livre de météorologie, fondé essentiellement sur des considérations astrologiques (cf. l'art., cité ci-dessous, de Levi délia Vida, p. 271 sq.), et d'un ouvrage, qui nous est parvenu de façon fragmentaire, sur les prix des denrées. Cf. Carra de Vaux, Penseurs, t. II, p. 204-205 ; M. Steinschneider, Die arabische Literatur der Juden, Francfort-sur-le-Mein, 1902, p. 15-23 (détail des œuvres, p. 16 sq.) ; GAL, Suppl., t. I, p. 391-392 ; G. Levi délia Vida, « U n opusculo astrologico di Mâsâ'allâh », dans RSO, X I V , 1933-1934, p. 270-281 (avec aperçu d'ensemble sur son œuvre) ; Pellat, Milieu, p. 230 ; Kratehkovsky, p. 65 (70), 68 (72), 73 (76). * Kalbï (Abu I-Mundir H i s â m b. Muhammad al-Kalbï). Mort vers 206/ 820 et fils de Muliammad al-Kalbï. Représentant de la tendance lexicographique arabe « large », également représentée par Nadr

Tableau des auteurs

XVII

b. Sumayl (q.v.), HiSâm semble également élargir, dans son Kitâb istiqâq al-buldân (De l'étymologie des noms de pays), malheureusement perdu, le champ de l'enquête lexicographique aux toponymes de pays autres que l'Arabie. Cf. C. Brockelmann, dans El, t. II, p. 730-731 ; GAL, t. I, p. 144-145 et Suppl., t. I, p. 211-212. * Asma'ï (Abu Sa'id 'Abd al-Malik b. Qurayb al-Asma'ï). Célèbre lexicographe, mort en 213/828, dont les recherches ont porté, en particulier, sur les toponymes de la péninsule arabique à l'exclusion de tout autre pays. Sa Gazïrat al-'Arab a été exploitée notamment par Yâqût. Cf. B. Lewin, dans El (2), t. I, p. 739-740. * Abu 'Ubayd (al-Qâsim b. Sallàm al-Harawï). Né vers 154/770, mort vers 223-224/837-838, ce grammairien, exégète et juriste poursuit, en matière de lexicographie et de toponymie, notamment dans son ùarlb al-musannaf, la tendance de Nadr b. Sumayl, dont il s'inspire (q.v.). Cf. GAL, t. I, p. 105-106 et Suppl., t. I, p. 166-167 ; Kratchkovsky, p. 120 (126) ; H. L. Gottschalk, dans El (2), t. I, p. 161162. 'Arràm b. al-Asbag (as-Sulamï al-A'râbï). Mort en 331/845, un des représentants de la lexicographie arabe, s'intéressant strictement à la Péninsule, mais en dépassant le cadre de la simple toponymie, comme Nadr b. Sumayl (q.v.). Son Kitâb asmâ' gibâl at-Tihâma wa makânihâ (Noms des montagnes et situation de la Tihâma) a été repris par Abu 1-Aë'at al-Kindï (q.v.), ce dernier inspirant à son tour Abu 'Ubayd ("Ubayd Allah) as-Sakûnï (q.v.). Cf. chap.VII (et la note p. 127 de la traduction en arabe de l'œuvre de Kratchkovsky) et Bakrï, Mu'gam ma sta'gam, cité dans Kratchkovsky, p. 278 (277). tJuwârizmï (Muhammad b. Miisâ al-Huwârizmï). Célèbre astronome de l'époque d'al-Ma'mûn (813-833 de J.-C.), auteur du premier Kitâb sûrat al-ard (De la représentation de la terre). Chef de file de la géographie mathématique, il livre toutefois des connaissances qui s'apparentent au goût général du temps. Mort entre 220 et 230 (835-844) ou, selon d'autres, après 232/846-847. Cf. E. Wiedemann, dans El, t. II, p. 965-966 ; GAL, t. I, p. 257 et Suppl., t . I, p. 381382 ; Kratchkovsky, p. 91 sq. (98 sq.) et passim. Azraqî (Abu 1-Walïd Muljammad b. 'Abd Allah b. Abmad al-Azraqï). Mort en 244/858, représentant, avec Fâkihï, de la littérature de description et d'histoire des lieux saints de l'Arabie. Cf. J . W. Fiick, dans El (2), t. I, p. 849-850. * Gazâl (Yahyà b. al-Hakam al-Bakrî al-Gayyâni al-Gazâl). Ambassadeur de 'Abd ar-Raljmân II successivement auprès de l'empereur André

MIQUEL.

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byzantin Théophile et des Normands du Jutland, a laissé des récits qui ne nous sont connus que de façon très fragmentaire et dans des textes largement postérieurs : Ibn Difrya ( x i i e - x m e siècles) et Maqqarï (xvi«-xvii e siècles) (voir bibl.). Vit de 153/770 à 250/864; par ailleurs connu comme courtisan et poète. Cf. Lévi-Provençal, « U n échange d'ambassadeurs entre Cordoue et Byzance au ix® siècle», dans Byzantion, XII, 1937, p. 1-24; Vasiliev, Byzance et les Arabes, t. I, p. 186-187 (avec bibliographie) ; H. Pérès, La poésie andalouse en arabe classique au XIe siècle, Paris, 1953, 2 e éd., p. 44-45, 5 4 ; Kratchkovsky, p. 133-134 (135-136); A. Huici Miranda, dans El (2), t. II, p. 1062,*et les ouvrages cités à la bibl. (s.v. « Gazai »). Gâljiz ('Amr b. Batir al-Gâhiz). Un des plus grands polygraphes et prosateurs arabes, situé à l'époque essentielle des débuts de la géographie arabe, dont il est, en un sens, l'un des pionniers. Cf. Reinaud, p. LII-LIII ; Kratchkovsky, p. 123-126 (128-130); surtout C. Pellat, dans El (2), t. II, p. 395-398 (avec bibliographie); cf. également les références données au chap. II, passim. * Garmï (Muhammad [ou Muslim] b. Abî Muslim al-Garmî). Ce personnage, dont le nom est incertain (Garmï ? Hurramï ?) et dont les œuvres ont à peu . près entièrement disparu, aurait écrit, sous le califat d'al-Wâtiq (228-233/842-847), un livre sur l'organisation et les coutumes des Rüm, Avares, Bulgares, Slaves et tJazars, livre dont les données ont été utilisées par Ibn tfurdâdbeh, p. 105108 (et peut-être p. 113); trad., p. 77-80 (ou p. 86), le passage p. 106-107 (trad., p. 78-79) étant en tout état de cause exclu : récit des Compagnons de la Caverne emprunté à Muhammad b. Mûsà (q.v.). Cf. Mas'ûdï, Tanbïh, p. 257-258; Vasiliev, Byzance et les Arabes, t. I, p. 203 ; Marquart, Streifzilge, p. 28-30 ; GAL, Suppi, t. I, p. 404; Kratchkovski, p. 131-132 (134); Hudûd al-'âlam, p. 319-320, 419, 422-423, 430. * Sallâm (dit l'Interprète). Fonctionnaire du califat, accomplit, pour le compte du calife al-Wâtiq (cf. ci-dessus), un voyage dp vingt-huit mois en Asie centrale pour examiner la muraille de Gog et Magog (la grande Muraille de Chine). En rapporte un récit (rédigé à l'intention d'al-Wâtiq, mais dont il communique verbalement les principales informations à Ibn Hurdâdbeh) où le merveilleux domine et qui a été repris, après Ibn îjurdâçjbeh auquel ils l'empruntent, par Ibn al-Faqlh et Ibn Rusteh. Notons au passage que, comme Sallâm est secouru au retour par 'Abd Allâh b. Tâhir, que certains chroniqueurs font mourir en 842, et compte tenu d'autre part de la date et de la durée du voyage de Sallâm, nous pouvons fixer la mort de 'Abd Allâh b. Tâhir à la date la plus couramment *Voir Addenda, page 401

Tableau des auteurs

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avancée : 230/844. Cf. Ibn Hurdâdbeh, p. 162 sq. ; Ibn Rusteh, p. 149-150 (trad., p. 167, note 7, avec bibliographie) ; Ibn alFaqih, p. 301 ; Reinaud, p. LV-LVI ; Kratchkovsky, p. 131 (134), 137-141 (139-141); Hudud al-'âlam,

p. 225, 451.

Relation de la Chine et de l'Inde (Ahbâr as-Sïn wa l-Hind). Ouvrage composé en 237/851 par un auteur anonyme. Fondamental par sa date (il est le premier des ouvrages connus sur les voyages vers l'Extrême-Orient) et par la qualité de l'information (cf. l'introduction de Sauvaget). Démarqué par nombre d'auteurs postérieurs. Sur les problèmes posés par la Relation, cf. Kratchkovsky, p. 141-142 (141-142); et surtout Sauvaget (cf. bibl.), passim. 'Àbd al-Hakam (Abu 1-Qâsim 'Abd ar-Rahmân b. 'Ali b. 'Abd al-Hakam). Mort en 257/871, auteur d'une histoire de l'Égypte et du Magrib, qui figure parmi les œuvres inaugurant le genre topographique des hitat. Cf. GAL, t. I, p. 154 et Suppl., t. I, p. 227-228. * Muljammad b. Musâ. Le personnage désigné sous ce nom aurait accompli deux voyages pour le compte du calife al-Wâtiq : le récit du premier, en Asie Mineure, à la recherche de la caverne des Sept Dormants, a été conservé en partie par Ibn Hurdâdbeh (p. 106-107) et Mas'ûdî (cf. infra) ; le second, chez les Bazars, était en relation avec l'expédition de Sallâm l'Interprète. Le personnage est sans doute Muljammad b. Mflsâ b. Sâkir, qui a pu parfois, ici comme en d'autres cas, être mal distingué de son homonyme, comme lui célèbre astronome et mathématicien, Muhammad b. Miisà altJuwârizmï, de la mort duquel la date est incertaine (Muhammad b. Miisà b. Sâkir mourant, lui, en 259/873). Si l'on admet (cf. J. Ruska, «Banû Musâ», dans El, t. III, p. 792) qu'il y avait une assez grande différence d'âge (sans doute de l'ordre d'une génération) entre les deux hommes, Muhammad b. Mûsà b. Sâkir étant le plus jeune et arrivant à l'âge d'homme sous al-Ma'mun (813-833 de J.-C.), la date des voyages accomplis sous le califat d'al-Wâtiq renverrait à un homme dans la force de l'âge pour Muljammad b. Mûsà b. Sâkir, à un vieillard pour Muhammad b. Musâ al-Huwârizmï. C'est ce qui nous fait opter pour le premier, malgré Muqaddasï (cité infra), qui cite expressément Muhammad b. Mûsà al-Huwârizmï à propos du voyage ches les tJazars, offrant ainsi un exemple de plus de la confusion fréquente entre les deux hommes, tandis que Mas'ûdî (Tanblh, p. 134 ; trad., p. 186, reprenant Prairies, § 730), à propos du voyage en Asie Mineure, expressément référé au règne d'al-Wâtiq, explicite non moins formellement le nom du voyageur en Muhammad b. Musâ b. Sâkir. Cf. Muqaddasi, éd. de Goeje, p. 362; Ibn Uallikàn, t. IV, p. 247-249; Kratchkovsky, p. 130-131 (133-134).

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Géographie humaine du monde

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Kindï (Ya'qûb b. Ishâq al-Kindï). Le célèbre philosophe et savant, né au début du ix e siècle de J.-C., mort après 256/870 (peut-être en 260/874), est notamment l'auteur d'un traité sur les mers, le flux et le reflux. Ses œuvres en rapport avec la géographie ont été conservées en traduction latine ou à l'état de fragments par les auteurs postérieurs, notamment par Mas'ûdï. Cf. Mas'ûdï, Tanbïh, trad., p. 77 ; GAL, t. I, p. 230-231 et Suppl., t. I, p. 372-374 ; Kratchkovsky, p. 99-100 (105) et passim. * Abu 1-As'at al-Kindï ('Abd ar-Rahmân b. 'Abd al-Malik). Représentant de la toponymie lexicographique, cité par Yâqût comme ayant écrit un livre sur les montagnes de la Tihâma, lequel livre, au témoignage de Bakrï, se serait inspiré de l'ouvrage de 'Arrâm b. al-Asbag (q.v.). L'ouvrage d'Abu 1-As'at aurait à son tour inspiré Abu 'Ubayd ('Ubayd Allâh) as-Sakûnï (q.v.). Vie par ailleurs inconnue. Cf. références chap. VII, p. 246, note 1, etBakrî, Mu'gam ma sla'gam, cité dans Kratchkovsky, p. 278 (277). Fâkihï (Abu 'Abd Allah Muhammad b. Ishâq b. al-'Abbâs al-Fâkihï). Mort en 272/885, représente, avec Azraqi, la littérature de description et d'histoire des lieux saints de l'Arabie. Cf. F. Rosenthal, dans El (2), t. II, p. 775. * Marwazï (Abu 'Abbàs Ga'far b. Ahmad al-Marwazï). Mort vers 274 /887, ce personnage aurait écrit un Kitâb al-masâlik ma l-mamâlik qui semble perdu. Cf. Fihrist, p. 150 ; Yâqût, Udabâ', t. VII, p. 151 ; Kratchkovsky, p. 127 (131). Ibn Qutayba (Abu 'Abd Allâh Muhammad b. Muslim). Sur les rapports de ce célèbre polygraphe, mort en 276/889, avec la géographie, cf. chap. II. Sur Ibn Qutayba, cf. G. Lecomte, Ibrt Qutayba, op. cit. Balâdurï (Ahmad b. Yahyà b. Gâbir b. Dâwud al-Balâdurï). Mort probablement en 279/892, le premier en date des grands historiens arabes prouve la spécificité et l'originalité de ce genre littéraire, notamment en ce qui concerne ses rapports avec la géographie. Cf. F. Rosenthal, dans El (2), t. I, p. 1001-1002. Afcmad b. Abi Tâhir Tayfûr (Abu 1-Fadl). Mort en 280/893, auteur d'une histoire de Bagdad, dont seule la sixième partie nous est parvenue et qui comprenait peut-être une introduction topographique comme celle de l'ouvrage d'al-Hatïb al-Bagdâdï. Cf. C. Huart, dans El, t . II, p. 379 ; GAL, t. I, p. 144 et Suppl., t. I, p. 210. Dïnawarï (Abu Hanïfa Ahmad b. Dâwud ad-Dïnawarï). Mort en 282/895, auteur d'un Kitâb al-qibla, d'un Kitâb al-anwâ' et d'un ouvrage de botanique (Kitâb an-nabât) à base lexicographique. Sur Dïnawarï historien, mêmes conclusions que sur Balâdurï (q.v.). Cf. B. Lewin, dans El (2), t. II, p. 308 ; Kratchkovsky, p. 118 (124).

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* Sarabsï (Abu l-'Abbâs Ahmad b. Muhammad b. at-Tayyib b. al-Farâ'iqï as-Sarafasï). Disciple du philosophe et savant Kindï (Ya'qub b. Isljâq), aurait composé «un bel ouvrage sur les voies et les royaumes, les mers et les fleuves, les histoires des divers pays, etc.», un «abrégé des livres de la logique», un livre «sur l'utilité des montagnes » et un autre sur « les bases de la philosophie et la science approfondie des lois stellaires». Précepteur et familier du calife al-Mu'tadid, qui le fit ensuite périr en 286/899, il est donc contemporain d'Ibn tJurdâdbeh. Cf. Ibn Rusteh, p. 6 (trad., p. 4, note 1) ; Mas'udï, Prairies, § 268, 277, 297-298 ; t. II, p. 307-309 ; t. V I I I , p. 179; Tanblh, trad., p. 77, 89, 109; Ibn an-Nadïm, Fihrist, p. 261-262; GAL, t. I, p. 210-211 et Suppl., t. I, p. 375, 404; Kratchkovsky, p. 127-128 (131); Rosenthal, Sarahsï, op. cit., p. 59-60 et passim ; Dunlop, « Balkhï », dans El (2), t. I, p. 1034. Ibn tJurdâdbeh (Abu 1-Qàsim 'Ubayd Allah b. 'Abd Allah). Auteur du Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik, le premier ouvrage de ce titre qui nous soit parvenu, composé en 232/846, avec adjonctions postérieures, de la main de l'auteur, vers 272/885. Représentatif des ouvrages de documentation technique à l'usage des fonctionnaires. Certains passages toutefois, qui appartiennent sans doute à la révision de 272, font place, de façon encore modeste, à des thèmes courants de Vadab. Du reste, Ibn Hurdàdbeh a composé également des ouvrages d'histoire et d'adab. Cf. Mas'udï, Prairies, § 503 et t. VIII, p. 88-100 ; Muqaddasl, p. 4-5 ; Reinaud, p. LVII ; De Goeje, introd. au t. VI de la BGA ; C. Van Arendonck, dans El, t. II, p. 422; GAL, t. I, p. 258 et Suppl., 1.1, p. 404 ; Blachère, EGA, p. 17-22 ; Kratchkovsky, p. 147150 (155-158). Ya'qûbï (Abu l-'Abbâs Aljmad b. Abï Ya'qub b. 6 a ' f a r b. Wahb b. Wâdifo al-Ya'qubï)*. Mort dans les dernières années du ix e siècle ou les premières années du x e , auteur d'un Kitâb al-buldân (Les pays) composé en 276/889-890. Importance de l'apport personnel, de la documentation prise sur le vif et du voyage. Rédigé sans doute dans le même but que l'ouvrage d'Ibn tfurdâçjbeh, mais les thèmes puisés à l'information directe interviennent ici de façon décisive. Le même souci se retrouve dans l'œuvre historique de Ya' qiibl, mais celle-ci reste néanmoins radicalement différente de la géographie des Buldân (cf. chap. VI i.f.). Cf. Yâqut, Udabâ', t. V, p. 153-154 ; Reinaud, p. L X I ; De Goeje, BGA, t. VII, p. VII-VIII ; C. Brockelmann, dans El, t. IV, p. 1215-1216 ; GAL, 1.1, p. 258-260 et Suppl., 1.1, p. 405 ; Wiet, introd. aux Pays, op. cit.; Blachère, EGA, p. 110-116; Kratchkovski, p. 515-154 (158-161); Y. Marquet, « le sï'isme au ix e siècle à travers l'histoire de Ya'qub! », dans Arabica, X I X (1-2), février-juin 1972, p. 1-45 et 101-138. *Yoir A d d e n d a ,

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* Hârûn b. Yafryà. Prisonnier de guerre des Byzantins, visite Constantinople, Salonique et Rome. Laisse de ce périple un récit utilisé par les auteurs postérieurs, notamment par Ibn Rusteh, ce qui rend peu probable la date de 300 /912 avancée pour son aventure*. L'affirmation de M. Izzedin (cité infra), selon laquelle la liberté de ses mouvements à Constantinople, et accessoirement son intérêt pour les églises et sa désaffection pour les mosquées, s'expliqueraient par sa qualité de chrétien, est réfutée par M. Canard, « Les relations politiques et sociales entre Byzance et les Arabes », dansDumbarton Oaks papers, XVIII, 1964, p. 45-46, qui montre que cette liberté de mouvement était plus fréquente que nous n'aurions tendance à le supposer. Cf. Marquart, Streifziige, p. 206-270 ; Vasiliev, Byzance et les Arabes, t. II, p. 382-394 ; GAL, t. I, p. 260-261 ; M. Izzedin, dans REI, 1941-1946, p. 41-62 ; Wiet, Atours, p. 134, note 3 (avec bibliographie) ; Kratchkovsky, p. 132-133 (135). * Abu 'Abd Allah Muhammad b. Isljâq. Voyageur (avant 290/903) et sans doute marchand, compte tenu du caractère de ses notations (cf. Sauvaget, Relation, p. XXXIII) ; son récit de voyage aux Indes et en Insulinde a inspiré Ibn Rusteh. Cf. Kratchkovsky, p. 136137 (138). Ibn al-Faqïh (Abu Bakr Afomad b. Muhammad b. Ishâq b. Ibrahim al-Hamadânï). Iranien d'origine, compose aux alentours de 290/903 une sorte d'encyclopédie de la culture générale de l'époque, intitulée Kitâb al-buldân. L'ouvrage ne nous est connu que par un résumé rédigé sans doute au v e /xi® siècle. Il est de toute façon capital, par la systématisation de l'esprit de l'adab à l'intérieur même de la géographie. Un texte d'une leçon plus complète que celle de la B(jA, mais malheureusement réduit à la première moitié, se trouve dans le manuscrit de MeShed qui contient la Risâla d'Ibn Fadlân et les deux Risâla-s d'Abû Dulaf Mis'ar (cf. références dans V- Minorsky, « A false Jayhâni », dans BSOAS, XIII, 1949-1950, p. 89, note 5, et introd. à l'édition de la deuxième Risâla d'Abû Dulaf Mis' ar, op. cit. p. 2, note 3, avec bibliographie). Sur Ibn al-Faqïh, qui composa également une anthologie de poèmes et était connu par ailleurs comme traditionniste, cf. Fihrist, p. 154; Yâqût, Udabâ', t. IV, p. 199-200 ; De Goeje, introd. au t. V de la BGA ; El, t. II, p. 398 (art. anonyme); GAL, t. I, p. 260 et Suppl., t. I, p. 405-406; Blachère, EGA, p. 67-69; Kratchkovsky, p. 156-159 (162-164), II. Massé, dans El (2), t. III, p. 784-785. Ibn Rusteh (Abû 'Ali Afomad b. 'Umar). Iranien d'origine, compose immédiatement après 290/903 une encyclopédie intitulée Kitâb al-a' lâq an-naflsa (Les atours précieux), dont la septième partie seulement a été conservée et qui présente, en les juxtaposant par larges tranches *Voir Addenda, page 401

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alternées, les thèmes traditionnels de l'adab et des connaissances géographiques désormais classiques. Cf. De Goeje, introd. au t. V I I de la BGA, p. V - V I I ; Marquart, Streifziige, p. 25-26 (avec arguments peu convaincants sur la date de composition des Atours, comme le remarque très justement W . Barthold, dans El, t. I, p. 345) ; C. Van Arendonck, dans El, t. II, p. 435 ; GAL, t. I, p. 260 et Suppl., 1.1, p. 406 ; Wiet, Atours, op. cit., p. V I I I ; Blachère, EGA, p. 18-19 et 32-33; ICratchkovski, p. 159-160 (164-1B5)*. A b u Zayd as-Sïrâf! (MuJjammad b. Yazïd). Auteur d'un supplément à la Relation de la Chine et de l'Inde (q. v.), rédigé vraisemblablement dans les premières années du x® siècle, comme on peut en juger d'après Mas'ûdi (Prairies, § 351), qui a été en rapport avec lui. Ni voyageur, ni marin, «simple érudit que la géographie intéresse» (Ferrand, Voyage, p. 13), il nous donne un ouvrage qui témoigne de quelques progrès faits dans la connaissance de l'Extrême-Orient, mais surtout de l'invasion des récits de voyage par le merveilleux et les thèmes de l'adab. Cf. G. Ferrand, Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine, rédigé en 851, suivi de remarques par Abu Zayd Hasan (vers 916), Paris, 1922; Sauvaget, Relation, p. X X V , notes 2-3 ; Kratchkovsky, p. 141-142 (141-142). Tabarî (Abu 6 a ' far Mufcammad b. Garîr at-Tabarï). Mort en 310/923, un des plus grands historiens de la littérature arabe. Sur la spécificité de l'histoire par rapport à la géographie, mêmes conclusions qu'à prop o s de Balâdurî (q. p.). Cf. R. Paret, dans El, t. IV, p. 607-608 ; GAL, t. I, p. 148-149 et Suppl., t . I, p. 217-218. * ô a y h â n ï (Abu 'Abd Allah Muljammad b. Ahmad b. N a s r al-ôayhânï). Vizir de la dynastie sâmânide, compose, vers les années 900 de J.-C., un Kitâb al-masâlik wa l-mamalik qui reprend, en le développant, l'ouvrage d'Ibn tJurdâdbeh et a lui-même été largement exploité par les géographes postérieurs : Idrîsï en a n o t a m m e n t repris la description de l'Asie, mais, avant lui, tous les géographes du i v e / x e siècle l'ont largement mis à contribution. Les données concernant la vie et le nom m ê m e de Gayhânï sont d'une extrême confusion : Ibn an-Nadïm l'appelle, par exemple, Aljmad b. Muljammad et Y â q û t Muftammad b. Ahmad. On le confond souvent, par ailleurs, avec son fils, Abu 'Ali (Muljammad b. Muhammad). Les renseignements dont nous disposons sur la vie des deux h o m m e s sont les suivants : a) Abû 'Abd Allah est vizir de Naçr I b. Ahmad, qui règne de 261/874 à 279/892. Il écrit son ouvrage entre 2 7 9 / 8 9 2 et 295/907 (GAL).

*Voir Addenda,

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b) Le même personnage est nommé régent à l'avènement du jeune Nasr II b. Ahmad, âgé de huit ans, en 301/913 (selon Yâqût). c) Ibn Fadlàn (Risâla, p. 76) est reçu, à son voyage aller, en 309/ 921, par Gayhânï (sans précision) et par Nasr I I ; la date implique que le souverain sfimânide a alors seize ans, et Ibn Fadlàn le décrit en effet comme « un jeune homme imberbe » (gulâm amrad). Gayhânï est désigné comme kâtib (et non plus vizir) de « l'émir du tJurâsân », mais il porte le titre d'as-say'1 al-'amîd («soutien vénérable» : sur ce titre, cf. Risâla, trad. Canard, p. 54, note 51), qui ne peut s'appliquer, à l'évidence, qu'à un homme de l'âge et de la position d'Abû 'Abd Allah (et non de son fils). d) Balljï (mort en 322/934) est en relation avec Abu 'Alï alGayhânï, vizir de Nasr II b. Ahmad (Fihrisl). e) Gayhânï succède, à la fin du règne de Nasr II (301/913-331/ 943), au vizir Abu I-Fadl al-Baramï (selon Muqaddasï ; personnage désigné sous sa simple nisba dans l'éd. de Constantinople ; l'éd. de Berlin, plus récente, ajoute : Abu 'Abd Allah). f ) Abu 'Alï al-Gayhânï succède, en 326/937-938, au vizir Abu 1-Fadl ai-Bal'amï et meurt accidentellement en 330/941-942 (selon Ibn al-Atïr, cité par Dunlop et Minorsky). g) «Le fils de Gayhânï» (Ibn al-Gayhânï) est donné comme le premier vizir de Nûh b. Mansur, dont le règne commence en 366 /976 (selon Muqaddasï). De ces renseignements souvent confus (cf. les hésitations de D. M. Dunlop, «Bal'amï» et «Balkhï», dans El [2], t. I, p. 1015 [1], 1034 [1]), il ressort toutefois que les Gayhânï désignés en e) et f) sont sans nul doute un seul et même personnage : Abu 'Alï, mort en 330/941942 et dont le Gayhânï désigné en g) serait alors le fils (Muqaddasï peut avoir désigné, en e), réellement Abu 'Alï ; mais l'additif du manuscrit de Berlin inciterait à penser qu'il a pris, en réalité, le fils pour le père et du même coup, en g), le petit-fils pour le fils). Remarquons enfin qu'en d), si Balbï avait connu Abu 'Abd Allah, le Fihrist l'eût sans doute mentionné. On peut donc conclure de tout cela que le géographe Abu 'Abd Allah al-Gayhânï est mort sous le règne de Nasr II, à coup sûr entre 309/921 et 322/934, plus précisément, peut-être, vers 313/925-318/ 930, et q u ' à cette époque, tout en jouissant de la même considératioi;, il n'était plus le «vizir» dont parle Muqaddasï (trad., § 10). Cette dernière conclusion est confirmée par le fait que Bal'amï accède au vizirat, après Abu Ya'qûb an-Nïsâbûrî (cf. Muqaddasï, éd. de Goeje, p. 337), vers 310/922 (cf. Barthold, cité par Dunlop, op. cit., p. 1015), sans que les textes réfèrent, pour cette période, à un vizirat de Gayhânï.

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Cf. Mas'ûdï, Tanbïh, p. 109 ; MuqaddasI, trad., § 10-11 et éd. de Goeje, p. 241, 337-338; Tawhïdï, al-Imtâ' wa l-mu'ânasa, t. I, p. 78-89 ; Fihrist, p. 138, 154 ; Yâqut, Udabâ', t. XVII, p. 156-159 ; De Goeje, introd. au t. V de la BGA, p. VII, X I ; Reinaud, p. L X I I I L X I V ; Marquait, Streifzuge, p. 160-206 ; K. V. Zetterstéen, «Nasr b. Afomad », dans El, t. III, p. 932-933 ; GAL, t. I, p. 262 et Suppl., t. I, p. 407 ; Barthold, Hudud al- 'âlam, p. 23 sq. ; V. Minorsky, « A false Jayhânï», dans BSOAS, XIII, 1949-1950, p. 89-96 ; du même, introd. à la deuxième Risâla d'Abû Dulaf Mis'ar, op. cit., p. 24 ; Kratchkovsky, p. 219-226 (219-224); D. M. Dunlop op. cit.-, A. Miquel, «L'Europe occidentale dans la relation arabe d'Ibrahim b. Ya'qùb», dans Annales E.S.C., X X I , n° 5, septembre-octobre 1966, s.v. «Mayence», note 3. Bayhaqï (Ibrahim b. Muhammad al-Bayhaqï). L'auteur des Mahâsin wa l-masâwi' (vers 295-320/908-932) n'utilise que rarement des thèmes géographiques, et toujours comme prétexte à dictons ou développements moraux. Cf. GAL, Suppl., t. I, p. 249 ; C. Brockelmann, dans El (2), t. I, p. 1166. Ibn Fadlân (Ahmad b. Fadlân b. al-'Abbâs b. R â s i d b . Hammâd). Ce personnage, dont le nom même est incertain (cf. une discussion à ce sujet dans l'intr. de S. Dahan à la Risâla, p. 37-38) et la vie enveloppée de mystère, a laissé, de sa participation à une ambassade chez les Bulgares de la Volga, en 309-310/921-922, une relation que nous ne possédons sans doute que dans une version abrégée (si, comme le pense M. Canard, op. cit., p. 43, cet abrégé a été fait par un vizir sâmânide de Bubârâ, ce pourrait être ôayhânï lui-même : cf. chap. III, p. 94, note 4). La Risâla a été largement exploitée par les géographes postérieurs (cf. S. Dahan, op. cit., p. 41) : elle représente, tant sur le plan du style que sur celui de la méthode (rôle de l'observation personnelle), une étape importante de la géographie arabe. Cf. Reinaud, p. L X X I X - L X X X ; W . Barthold, dans El, t. II, p. 3 9 8 ; GAL, t. I, p. 261-262 et Suppl., t. I, p. 406 ; Kratchkovsky, p. 184-186 (186-187) ; S. Dahan, introd. à l'édition de la Risâla, p. 45 sq. ; et surtout M. Canard, introd. et conclusion à la traduction de la Risâla, op. cit., p. 41-48 (avec bibliographie); et M. Canard, dans El (2). t. III, p. 782. * Abu 'Ubayd as-Sakuni. Sous ce nom, que Yâqut livre après celui d'Açma'ï, il faut sans doute voir un lexicographe préoccupé de toponymie arabique : Bakrï déclare, dans son Mu'gam mâ sta'Qam (cité dans Kratchkovsky, références ci-après), avoir fait des emprunts à un livre sur les montagnes et autres lieux de la Tihâma, dû à Abu 'Ubayd Allah 'Amr b. BiSr as-Sakuni, qui s'inspirait lui-même d'Abû

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1-AS 'at al-Kindï (q. v.), ce dernier s'inspirant à son tour de "Arrâm b. al-Asbag (q. v.). Cf. Yâqut, Mu'{jam al-buldân, 1.1, p. 11, traduction anglaise par W. Jwaideh, The introductory chapters of Yâqût's Mu'jam al-buldân, Ley de, 1959, p. 11 ; Kratchkovsky, p. 278 (277). * Merveilles de la mer ('Agâ'ib al-bahr). Ouvrage perdu, cité dans Sûlï, Abbâr ar-Râdl wa l-Muttaqî, Le Caire, 1935, publ. par J. Dunne, p. 6. Antérieur à 322/934, puisque RSdï, dans la bouche duquel Sûlï met cette citation, n'est donné dans l'histoire que comme prince héritier et qu'il monte sur le trône en 322/934. Cf. Afrmad Amïn, Zuhr al-Islâm, t. I, p. 27 ; Sauvaget ; Relation, p. X X X , § 3. * Balbï (Abu Zayd Ahmad b. Sahl al-Balbi). Né vers 235/849-850, mort en 322/934, qualifié par Brockelmann de « fondateur de l'école classique de la géographie arabe». Compose, vers 308-309/920 ou un peu plus tard, un atlas commenté du monde de l'Islam, dont la trame s'est conservée chez les auteurs de masâlik wa l-mamâlik du iv e /x® siècle. Cf. De Goeje, dans ZDMG, X X V , p. 42-58 ; C. Huart, p. X-XVI de l'introduction au Kilâb al-bad' wa t-ta'rït de Maqdisï (Mutahhar b. Tàhir) (q. v.) ; Barthold, dans Hudûd al-'âlam, op. cit., p. 15 sq. ; Kratchkovsky, p. 195-197 (198-199); D. M. Dunlop, dans El (2), t. I, p. 1033-1034. * Ibn (Abî) 'Awn al- Kâtib, ou Ibn an-N5gim (Abu IsJjâq Muhammad (ou Ibrahim) b. Ahmad). Mort en 322/934, au début du règne d'ar-Râdï qui le fit exécuter comme hérétique (il était disciple du Sï'ite Salmagânï), ce personnage, dont le nom est très incertain, composa, selon Mas'fidï (Tanbïh, p. 75; trad. 109-110, 503), un Kitâb annawâhï wa l-âfâq (Des contrées et des horizons), «où il rapportait des traditions (atbâr) sur les pays et nombre de merveilles ('agâ'ib) qui se voient sur terre et sur mer ». L'ouvrage est malheureusement perdu. A ne pas confondre avec Ibn Abî 'Awn (ou Abu 'Awn) IsftSq b. 'Alï, astronome qui aurait repris les tables astronomiques (zï§) de Huwarizimï (cf. Yâqut, Buldân, trad. Jwaideh, p. 10-11 et note 1; Kratchkovsky, p. 340 (342)). Cf. Fihrist, p. 147 ; Kratchkovsky, p. 179-180 (183-184); Laoust, Ibn Batta, p. X X X V I I I , note 8 6 ; Sourdel, Vizirat, p. 486, note 4. Wa§§â' (Abu t-Tayyib Muhammad b. Afomad b. Istiâq b. Yaljyâ alWa§5â'). Mort vers 324-325/936, l'auteur du Muwattâ n'est en rapport avec la géographie que par de très rares thèmes, où le propos initial est oublié au profit de l'utilisation, morale ou sociale, qui peut en être faite. Cf. C. Brockelmann, dans EI, t. IV, p. 1186; GAL, t. I, p. 129.

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Ibn 'Abd Rabbih (Abu 'Umar ('Amr) Aljmad b. Muhammad). Mort en 328/940, l'auteur d'al-'Iqd al-farïd, célèbre anthologie d'adab composée en Espagne, fait intervenir la géographie sous quelques thèmes traditionnels : image malheureusement déformée par une recherche systématique du curieux. Cf. C. Brockelmann, dans El, t. II, p. 375-376; GAL, t. I, p. 161 et Suppl., t. I, p 250-251. * Wakl' (al-Qàdï) (Abu Muhammad Bakr b. Hayyân b. Sadaqa). Mort en 330/941, auteur d'un livre d'anwâ' et d'un recueil de traditions sur les routes (turuq) et les pays (buldân), resté inachevé et malheureusement perdu. Cf. chap. VII, p. 246, note 3 ; Fihrist, p. 114; GAL, Suppl., t. I, p. 225 ; Kratchkovsky, p. 123 (128). • Sinân b. Tâbit b. Qurra (Abû Sa'ïd). Mort en 331 /943, fils du célèbre mathématicien et astronome Tâbit b. Qurra, compose, sous le titre d'Anwâ', un calendrier dont Bïrûnî, dans ses Âtâr, nous a conservé des fragments, d'une façon malheureusement trop imbriquée pour qu'on puisse attribuer à chacun des deux auteurs ce qui lui revient en propre. Cf. GAL, 1.1, p. 244-245 et Suppl., t. I, p. 386. Hamdânï (Abû Muhammad al-Hasan b. Alimad b. Ya'qûb b. Yusuf b. Dâwud al-Hamdâni ; dit aussi Ibn al-Hâ'ik ou Ibn Abï d-Dumayna). Originaire de l'Arabie du sud, meurt à San'â', en 334/945. Savant renommé en diverses disciplines (généalogies, alchimie, astronomie et philologie), il est connu notamment par un ouvrage sur l'histoire de l'archéologie du Yémen (al-Iklïl min ahbâr al-Yaman), un traité de minéralogie et d'alchimie ( K i t â b al-gawharatayn al-'atïqatayn al-mâ'i'atayn min as-safrâ' wa l-baydâ') et une description de l'Arabie ( S i f a t Gazïrat al-'Arab), où il se montre un incontestable savant, par son sens critique, le sérieux de sa documentation et le souci de confronter un sujet traditionnel aux acquisitions de la science de son temps, Cf. Yâqût, Udabâ', t. VII, p. 230-231 ; GAL, t. I, p. 263-264 et Suppl., t. I, p. 409 ; Kratchkovsky, p. 166-170 (170-172) ; O. Lôfgren, dans El (2), t. III, p. 126-128 ; pour l'Iklll, voir éd. et trad, partielles par Nahib Amin Faris, Princeton, 1938 et 1940, O. Lôfgren, Uppsala, 1954*. Ibn al-Qâss (Abû l-'Abbâs Alimad b. Abï Aljmad at-Tabarî al-Àmulî). Jurisconsulte Sâfi'ite, qui, sur la base de leur orientation par rapport à la qibla, traite de l'ensemble des pays, et notamment de leur situation, de leurs principales caractéristiques et de leurs curiosités. L'œuvre, intitulée Dalâ'il al-qibla (Des indications de la qibla), appartient à une collection privée et est malheureusement encore manuscrite. Cf. chap. VI, p. 235, note 1 ; GAL, 1.1, p. 191 et Suppl, t. I, p. 306-307; Kratchkovsky, p. 236-237 (230-232); Girgis Efendi Safà, «Ta'rîf ba'd mabtûtât maktabatï», dans al-Ma5riq, "Voir Addenda, page 401

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XVI, 1913, p. 439-442 (avec présentation de deux brefs extraits de quelques lignes, relatifs à Constantinople [inspiré de Hârûn b. Yaljyà, q.v.] et à Basra). Qudâma b. Ga'far (Abu I-Farag al-Kâtib al-Bagdâdï). Né sans doute vers 270/883, mort en 337/948; un des plus purs représentants de la géographie politique, rédigée à l'intention des fonctionnaires du califat. Son Kitâb al-harâg wa sinâ'at al-kitâba (De l'impôt foncier et de l'art du secrétaire), encyclopédie écrite dans cet esprit autour des années 316-320/928-932, ne nous est malheureusement parvenu qu'en ses derniers développements, eux-mêmes publiés seulement de façon partielle. Qudâma est aussi l'auteur d'anthologies, d'ouvrages de critique, d'histoire et, avec moins de certitude quant à leur attribution, de philosophie. Cf. Fihrist, p. 130 ; Yâqût, Udabâ', t. XVII, p. 12-15; Reinaud, p. L X - L X I ; De Goeje, introd. au t. VI de la BGA, p. X X I I - X X I I I ; C. Brockelmann, dans El, t. II, p. 1158 ; G AL, t. I, p. 262 et Suppl., t. I, p. 406-407 ; Blachère, EGA, p. 19-20, 53-54 ; Kratchkovsky, p. 160-162 (165166) ; A. Makkï, Qudâma b. ùa'far et son œuvre, op. cit. ; Sourdel, Vizirat, p. XXV-XXVI, 16. Ibn Serapion. Entre 289/902 et 334/945, un auteur nommé Suhràb, ce qui peut n'être qu'un pseudonyme, donne du Kitâb sûrat al-ard de Huwârizmï une nouvelle version qu'il attribue à un Ibn Sarâbiyun par ailleurs inconnu. Nom d'auteur et titre d'ouvrage demeurent, semble-t-il, à jamais perdus, mais il est clair que l'ouvrage lui-même continue la tradition de la sûrat al-ard en l'amplifiant : tout en gardant, des origines du genre, les thèmes et un certain esprit de classement (par exemple, la notation par coordonnées géographiques), il les développe parfois à la manière de Yadab. Cf. GAL, t. I, p. 261 et Suppl., t. I, p. 406 ; Kratchkovsky, p. 97-99 (103-105); A. Seippel, op. cil., p. 12-14. * Magrûrûn (al-). Sous ce terme d'« Aventuriers», la tradition désigne huit jeunes gens qui, embarqués à Lisbonne au iv e siècle, auraient exploré les parages de Madère et des Canaries. Ont laissé un récit (la distance chronologique entre eux et leurs transmetteurs s'accommodant mal d'une tradition orale) conservé, de façon très fragmentaire, par Idrïsî, repris à son tour par Abu Hâmid al-Garnâtî et 'Umari. Cf. bibl. et Kratchkovski, p. 134-135 (136-137); D. M. Dunlop, « Bahr Muhït », clans El (2), t. I, p. 963. * 'Alî as-Sallâmï. Mort en 344/955, auteur d'une histoire des gouverneurs du Hurâsàn, perdue. Cf. Kratchkovsky, p. 164 (168). Merveilles de l'Inde (Kitâb 'agâ'ib al-Hind). Faussement attribué au capitaine (nâhudâ) Buzurg b. Sahriyàr ar-Ramhurmuzï, ce livre,

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écrit vers 339/950, témoigne de l'envahissement des récits relatifs aux mers de l'Inde par la légende. Cf. GAL, Suppl., t. I, p. 409-410 ; Kratchkovsky, p. 143 (143) ; Sauvaget, Relation, p. X X I X - X X X (rectifier les termes de la note 3 de la p. X X I X : le nom de [b.] Sahriyâr apparaît peut-être dans le texte lui-même, § 46, sous la forme Sahriyârï) ; J.W. Fiick, « Buzurg b. Shahriyâr », dans El (2), t. I, p. 1398-1399; S. Maqbul Ahmad, «Djughrâfiyâ», op. cit., p. 598 (1). Râzî (Abu Bakr Ahmad b. Muliammad ar-Râzï). Historien et géographe de l'Espagne musulmane, de la vie duquel l'histoire comporte quelques incertitudes (estimations diverses de la date de sa mort, Lévi-Provençal la fixant à 344/955 ; cf. aussi la date de naissance avancée (du 1-higga 274/avril 888), par rapport à la date de la mort de son père : rabï' II 273/septembre-octobre 886). Auteur d'une Description de Cordoue (Sifat Qurtuba), perdue, et d'un ouvrage plus étendu, portant sur les routes, les ports, les villes et les divisions administratives de l'Espagne. Ce dernier ouvrage, sorte de masâlik wa l-mamâlik espagnols, a été conservé dans une version portugaise, celle-ci ayant été traduite à son tour en castillan. Cf. GAL, t. I, p. 156-157 et Suppl., t. I, p. 231 ; Kratchkovsky, p. 165-166 (169); E. Lévi-Provençal, dans El, t. III, p. 1215-1216 (avec bibliographie) ; du même, introd. à la traduction de « La description de l'Espagne d'Ahmad ar-Râzï», dans al-Andalus, XVIII, 1953, p. 51 sq. Mas'udï (Abu 1-Hasan 'Ali b. al-Husayn b. 'Alï al-Mas'ûdï). Un des plus grands encyclopédistes musulmans, né à Bagdad, mort au Caire en 355 ou 356/956-957. Grand voyageur, il a composé une foule d'ouvrages dont deux seulement nous ont été entièrement conservés : les Murug ad-dahab (Prairies d'or) et le Kitâb at-tanbïh wa l-isrâf (Livre de l'avertissement et de la révision), résumé de l'ouvrage précédent. Représentant exemplaire, avec des options sî'ites, de l'adab pour la première moitié du i v e / x e siècle. Cf. Fihrisl, p. 154 ; Yâqut, Udabâ', t. X I I I , p. 90-94 ; C. Barbier de Meynard, introd. à la traduction des Prairies, p. I-XII ; B. Carra de Vaux, introd. à la traduction du Tanbih, p. I - X I I (très pertinent); Huart, Littérature, p. 182-183; De Goeje, introd. au t. V I I I d e l à BGA, passim; C. Brockelmann, dans El, t. III, p. 457-458; GAL, t. I, p. 150-152 et Suppl., t. I, p. 220-221 ; Blachère, EGA, p. 201204; Kratchkovsky, p. 171-182 (177-185). Abu Dulaf Mis'ar (b. al-Muhalhil al-Hazragï al-Yanbu'ï). Esprit curieux et grand voyageur, fixé quelque temps à la cour du Sâmânide Nasr II b. Ahmad. Il est connu par deux Risâla-s : la première,

xxx

Géographie humaine du monde musulman fort justement suspecte quant à ses données, est relative à un périple en Asie centrale, en Malaisie et en Inde ; elle a été copiée par Ibn an-Nadïm, Fihrist, p. 346,1. 30 sq., p. 350,1.15 sq. ; d'autres rédactions de la même œuvre se trouvent dans la deuxième version de la Cosmographie de Qazwïni et chez Yâqût (Buldân, t. III, p. 440 i.f.). La seconde Risâla, relative à l'Iran et à l'Arménie et composée sans doute peu après 341/952-953, représente un effort louable pour mettre à l'épreuve de l'observation personnelle le thème des «merveilles». Les deux Risâla-s sont connues par le même manuscrit de MeShed qui contient l'ouvrage d'Ibn Fadlân. Cf. Fihrist, p. 346, 347, 350; Reinaud, p. LXXVIII-LXXIX ; Ferrand, Relations, t. I, p. 89 ; Marquait, Streifzuge, p. 74-95 ; GAL, t. I, p. 262-263 et Suppl., t. I, p. 407; Kratchkovsky, p. 186-189 (187-190); V. Minorsky, dans El (2), t. I, p. 119 (avec bibliographie) ; du même, introd. à l'édition de la deuxième Risâla, op. cit. (essentiel); S. Dahan, introd. à la Risâla d'Ibn Fadlân, op. cit., passim.

NarSabi (Abu Bakr Muhammad b. Ga'far an-NarSabï)- Mort en 348/959, compose, vers 332/943, pour le souverain sâmânide Nub b. Nasr, une histoire de Buhârâ, qui nous est parvenue dans une traduction persane du vi e /xn e siècle. Cf. GAL, Suppl., t. I, p. 211 ; Kratchkovsky, p. 164 (168). Kindï (Muhammad b. Yusuf b. Ya'qûb at-Tugïbï). A ne pas confondre avec le philosophe et savant de même nom (Ya'qûb b. Isljàq), ni avec Abu 1-AS'at al-Kindï (qq.v.). Mort en 350/961, celui-ci est l'auteur d'une histoire des gouverneurs et cadis d'Egypte, qui figure parmi les œuvres inaugurant le genre topographique des hitat, auquel le même auteur consacre du reste un ouvrage spécial, perdu. Cf. GAL, t. I, p. 155-156 et Suppl., t. I, p. 229-230. Isfrâq b. al-Husayn. Au milieu du ive/x® siècle, selon toute vraisemblance, cet auteur, dont la vie reste inconnue, compose en Espagne un Kitâb âkâm al-margart fî dikr al-madâ'in al-mashùra bikull makân (Les collines de corail, ou De l'évocation des villes célèbres de tous pays), sorte de compendium géographique puisé, sans qu'elles soient citées, aux sources classiques de la géographie arabe, notamment Uuwârizmï, Ibn Uurdâdbeh, Ya'qûbï et Ibn Rusteh. Il n'est pas sûr, contrairement à ce qu'on avait longtemps cru, qu'Isljâq ait inspiré Idrîsï et Ibn tJaldûn. Cf. GAL, Suppl., t. I, p. 405 ; Kratchkovsky, p. 233-234 (229-230) ; A. Codazzi, introd. à la traduction des Akâm, op. cit, p. 373-381. Calendrier de Cordoue. Ouvrage rédigé vers les années 350/961, c'est un almanach donnant, pour l'Espagne d'alors, les renseignements

Tableau des auteurs

xxxi

touchant principalement l'astrologie, la météorologie, la botanique, l'agriculture et les fêtes (chrétiennes). Cf. Dozy, préface à l'édition du Calendrier de Cordoue de l'année 961, Leyde, 1873 ; Pellat, introd. à la nouvelle édition du Calendrier, op. cit. (à compléter avec F. Viré, «La volerie dans l'Espagne du x e siècle à travers le Calendrier de Cordoue», dans Arabica, X I I , 1965, p. 306-314); du même, «Dictons, anwâ' et mansions lunaires», dans Arabica, t. II, 1955, p. 39-41. Istabrî (Abu Isljâq Ibrahim b. Mutiammad al-Fârisï al- Karbï al-Istafarl). Le premier représentant authentique du genre des masâlik wa l-mamâlik; mort après 340/951. Sur la base de l'atlas de Balbî, il développe une géographie totale de l'Islam, divisé en grandes entités régionales : si l'organisation du propos se ressent encore du schéma squelettique de l'atlas, du moins les grandes options des masâlik sont-elles prises, et, surtout, l'information personnelle systématisée comme fondement de la méthode, en même temps que le voyage. L'ouvrage d'Istabrî a été démarqué en turc et en persan (notamment, en cette langue, sous le titre à'Askâl al-'âlam : sur ce manuscrit, cf. V. Minorsky, «A false Jayhânî», dans RSOAS, X I I I , 1949-1950, p. 156-159). Cf. Muqaddasi, éd. de Goeje, p. 475 ; Reinaud, p. L X X X I sq. ; El, t. II, p. 596 (art. anonyme) ; Kramers, «La question Balhï-Istahri», op. cit.; G AL, Suppl., t. I, p. 408 ; Kratchkovsky, p. 196-198 (199-200), avec autres références. * Ibn Marduya (Abu Bakr Aljmad b. Mûsà). Mort en 352/963, cet auteur, par ailleurs inconnu, aurait composé un dictionnaire géographique intitulé Mu'gam al buldân. Cf. GAL, Suppl., t. I, p. 411. Ibwân as-Safâ' (Frères de la Sincérité). Confrérie de tendances ismaéliennes et hermétiques, qui a laissé, au iv e /x e siècle (cf. Massignon dans Der Islam, t . IV, p. 324) une suite d'essais (rasa'il), qui constituent une manière d'encyclopédie philosophique où la géographie n'intervient guère que sous la forme des principes classiques de la sûrat al-ard et des thèmes théoriques touchant les rapports de l'homme à son environnement, physique et surtout astral. Cf. Tawfrïdî, /m/5', t . II, p. 5 ; T. J . de Boer, dans El, t. II, p. 487-488 ; Massignon, dans Der Islam, IV, 1913, loc. cit. ; GAL, t. I, p. 236-238 et Suppl., t. I, p. 379-381 ; Kratchkovsky, p. 229-233 (226-229) (avec bibliographie); Y. Marquet, dans El (2), t. III, p. 1098-1103. * Warrâq (Muljammad b. Yûsuf al-Qarawï al-Warrâq). Géographe espagnol, né en 292/904 à Guadalajara et qui, après avoir séjourné longtemps à Cairouan, revint vivre à Cordoue sous le règne d'al-Hakam II. Mort en 363/973. Auteur d'un Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik traitant de l'Ifrîqiya, largement mis à contribution

xxxii

Géographie humaine du monde

musulman

par les auteurs postérieurs, et surtout par Bakrî, dont il est une des sources essentielles. Cf. Pons-Boigues, Ensayo bio-bibliogràfico sobre los historiadores y geografos arabigo-espanoles, Madrid, 1898, p. 80, note 1 ; GAL, Suppl., t. I, p. 233 ; Kratchkovsky, p. 165 (169); R. Brunschvig, «Un aspect de la littérature historico-géographique de l'Islam» dans Mélanges Gaudefroy-Demombynes, Le Caire ( I F A O ) , 1935-1945, p. 147-158; E. Lévi-Provençal, «Abu 'Ubayd al-Bakrï», dans El (2), t. I, p. 161. * Sïrâfî (Abu Sa'ïd al-Hasan b. 'Abd Allah as-Slràfî). Célèbre philologue, mort vers 368/979, représentant de la tendance lexicographique arabe « large» de Nadr b. Sumayl (q.v.). A écrit un Kitâb Gazïrat al-'Arab dont Yâqût et Bakrî nous ont conservé des extraits. Cf. F. Krenkow, dans El, t. IV, p. 463-464. Maqdisï (Mutahhar b. Tâhir al-Maqdisï). Ce Palestinien, dont la vie nous est à peu près inconnue, rédigea dans le Sigistân, vers 355 /966, à la demande d'un ministre sâmânide, une encyclopédie appelée Livre de la création et de l'histoire (Kitâb al-bad' wa t-ta'rii}), dont la texture rappelle celle des Prairies d'or, de Mas'ûdï, mais qui s'en différencie par certains traits profondément originaux, notamment par la constance de l'inquiétude philosophique. Cf. Huart, introd. aux divers tomes de l'édition de la Création, op. cit. ; du même, Littérature, p. 282-283, 289,299 ; GAL, Suppl., t. I, p. 222 ; Kratchkovsky, p. 226-229 (224-226). * IbrShîm b. Ya'qûb (al-Isrâ'ïlï at-Turtûisî). Marchand juif espagnol, qui voyage en Europe vers 354/965. Il laisse une relation connue par quelques extraits chez Bakrî (pour les Slaves) et Qazwïnï (pour quelques villes de l'Europe occidentale). Cf. G. Jacob, Studien, fase. I, II, IV ; GAL, Suppl., t. I, p. 410 ; Kratchkovsky, p. 190-192 (190-192), 275 (274); E. Lévi-Provençal, « A b u ' U b a y d al-Bakrï», dans El (2), t. I, p. 161 (1) ; M. Canard, « Ibrahim b. Ya'qub et sa relation de voyage en Europe», dans EOLP, t. II, p. 503-508; T. Kowalski, introd. à l'édition d'Ibrahim b. Ya'qûb d'après Bakrî, op. cit. ; A. Miquel, «L'Europe occidentale dans la relation arabe d'Ibrahim b. Ya'qûb», dans Annales E.S.C., X X I , n° 5, septembre-octobre 1966*. Huwàrizmï (Abu 'Abd Allah Muhammad b. Ahmad b. Yflsuf al-Huwârizmï al-Kâtib). Fonctionnaire de la dysnatie sâmânide, écrit vers 365-381 /976-991 une encyclopédie des termes techniques des diverses sciences. Cet écrivain, dont la vie nous est par ailleurs inconnue, ne doit être confondu ni avec l'astronome Muhammad b. Mûsà alHuwârizmï (q. v.), ni avec le poète et épistolier Abu Bakr Muhammad b. al-'Abbâs al-Huwàrizmï, mort en 383/993 (sur ce dernier, cf. R. Blachère et P. Masnou, Choix de séances de Hamatfanì, Paris, "'Voir Addenda, page

401

Tableau

des auteurs

xxxm

1957, p. 26, note 5), ni avec Bîrûnï (q. v.), parfois désigné sous cette nisba (par Y â q û t notamment). Cf. Van Vloten, introd. au Kitâb mafâtïh al-ulûm (Clés des sciences), op. cit. ; E. Wiedemann, dans El, t. II, p. 965 ; GAL, t. I, p. 282-283 et Suppl., t. I, p. 434-435 ; Kratchkovsky, p. 240-241 (234-235); Sourdel, Vizirat, p. 17-18. Ma'n b. Fri'ûn (? ou Furay'ïn ou Farïgûn). Elève de Balbï, auteur d'une encyclopédie intitulée Gawâmi' al-ulûm (Encyclopédie des sciences), illustratrice, mais de façon encore plus poussée dans la concision, de la tendance représentée par Huwârizmî (cf. ci-dessus) : simple enregistrement de termes techniques. Cf. GAL, Suppl., t. I, p. 435 ; Sourdel, Vizirat, p. 18, note 1. Hudud al-âlam (Des limites du monde). Ouvrage anonyme, rédigé en persan (372/982-983), dans la tradition de la géographie universelle de la sûrat al-ard, et avec intérêt marqué, à l'intérieur du monde musulman, pour les régions non arabes. Cf. Minorsky et Barthold, introduction et commentaire de l'édition des Hudùd, op. cit. ; Kratchkovsky, p. 224-226 (223-224) ; Lazard, Prose persane, op. cit., p. 53-54. * Muhallabï (al-Hasan b. Muftammad (Ahmad) al-Misrï al-Muhallabï). Mort en 380/990, compose un Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik d'allure très classique, autant qu'on en puisse juger par les nombreux mais très courts extraits conservés par Yâqût et Abu 1-Fidâ'. L'ouvrage est aussi appelé Kitâb al-'Azîz ou al-'Azïzl, du nom du calife f a t i m i d e al-'Aziz, m o r t en 386/996*, a u q u e l il est dédié. Cf. Hâgéï Halîfa, t. V, p 512, n° 11875; Reinaud, p X C I I - X C I I I ; Kratchkovsky, p. 234-236 (230) ; S. Munaggid, op. cit., p. 43, sq. ; W. Jwaideh, op. cit., p. 11, note 9 (avec bibliographie; compléter avec Yâqût, Buldân, t. II, p. 145; t. IV, p. 3 4 7 ; t. V, p. 419). Tanûljï (Abu 'Alï al-Muhassin b. 'Ali at-Tanûbî). Mort en 384/994, auteur A'al-Farag ba'd as-sidda (La détente après l'épreuve), anthologie d'adab, d'allure moralisante, où les t h è m e s géographiques n'interviennent que comme prétexte à contes ou développements parénétiques. Cf. R. Paret, dans El, t. IV, p. 689 ; GAL, t. I, p. 161-162 et Suppl., t. I, p. 252-253. Ibn an-Nadïm (Abu 1-Farag Muhammad b. Ishâq b. Abï Ya'qûb). Le célèbre auteur du Fihrist (Index), composé en 377/987-988, est indiqué ici pour divers passages de son œuvre touchant à la géographie (cf. chap. VI). Cf. J. Fuck, dans El, t. III, p. 863-865 ; GAL, t. I, p. 153 et Suppl., t. I, p. 226. * Dâraqutnï (Abfi 1-Hasan 'Ali b. 'Umar b. Aljmad ad-Dâraqutnï). Célèbre h o m m e de lettres et traditionniste (306/918-385/995), qui composa notamment, sous le nom de Kitâb al-mu'talaf, un dictionnaire d'ethniques, repris et complété par al-tJatïb al Bagdâdï (q. v.). André

MIQUEL.

•Voir Addenda, page 402

3

xxxiv

Géographie

humaine

du monde

musulman

Cf. GAL, t. I, p. 173-174 et Suppl., El (2), t. II, p. 139-140.

t. I, p. 275 ; J. Robson, dans

Kindï ('Umar b. Muhammad al-Kindï). Vie à peu près inconnue; fils de Muhammad b. Yûsuf al-Kindï (q. v.), lui-même mort en 350/961. Auteur d'un ouvrage sur les mérites ( f a d â ' i t ) de l'Egypte. N e pas confondre ces deux auteurs avec le philosophe et savant Ya'qûb b. Ishàq al- Kindï, ni avec Abu 1-AS'at al Kindï (qq. v.). Cf. GAL, 1.1, p. 155-156 et Suppl., t. I, p. 230. * Ibn Zûlâq (Abu Muhammad al-Hasan b. Ibrâhïm b. Zûlâq al-Laytï). Mort en 387 /998, compose, sur l'Egypte, un ouvrage de géographie topographique (hitat) et de particularités et mérites (al-hasâ'is wa l-fadâ'il). Cf. GAL, t. I, p. 156 et Suppl., t. I, p. 230. Ibn Hawqal (Abu 1-Qâsim Muljammad an-Nasïbî). Héritier spirituel d'Istabrï, dont il reprend l'œuvre en la refondant, sous le titre de Kilâb surat al-ard, il est avec Muqaddasï le représentant par excellence des masâlik wa l-mamâlik, par l'ampleur de la documentation personnelle et, plus encore peut-être, le souci de mettre exactement à jour les renseignements qu'il livre. On estime qu'il a travaillé plus de vingt ans à la rédaction de son ouvrage, lequel a dû connaître sa forme définitive vers 378/988. Cf. Reinaud, p. L X X X I s. q. ; C. Van Arendonk, dans El, t. II, p. 4 0 7 ; GAL, t. I, p. 263 et Suppl., t. I, p. 408 ; Kratchkovsky, p. 198-205 (200-205) ; Wiet, introd. à la traduction du Kilâb siïrul al-ard, op. cil.; A. Miquel, dans El (2), I.

III,

p.

810-811.

Muqaddasï (Abu 'Abd Allah Sams ad-Dïn Muhammad b. Aljmad b. Abï Bakr al-Bannâ' as-Sâmï al-Muqaddasï al-BaSSàri). Le plus grand représentant du genre des masâlik wa l-mamâlik, qu'il porte à sa perfection, par la qualité de l'information personnelle, l'ampleur de l'héritage recueilli et surtout la mise au point d'une méthode de classement et de présentation du donné. Avec son Ahsan at-taqâsïm fï ma'rifat al-aqâlïm (La meilleure répartition pour la connaissance des provinces), composé vers les années 375/985-380/990, la géographie humaine du monde musulman trouve définitivement son sujet, son vocabulaire et sa méthode. Cf. D e Goeje, introd. au t. IV de la BGA, p. V I - V I I ; J. H . Kramers, dans El, t. III, p. 757 ; GAL. t. I, p. 264 et Suppl., t. I, p. 410-411 ; Kratchkovsky, p. 210-218 (208-215); complément de bibliographie dans trad. A. Miquel, introd., op. cit., passim. * Uswânï (Abu Muljammad 'Abd Allah b. Aljmad b. Sulaym al-Uswànï). Voyageur qui effectua, auprès des Nubiens et pour le compte du chef fâtimide Gawhar, une ambassade qui prit place vers les années 359/969-363/973. Le tableau des pays visités, composé entre 365/ 975 et 386/996, nous a été partiellement conservé par Maqrïzï, luimême démarqué par Manûfï et Ibn Iyâs ( i x e / x v e siècle). Cf. GAL,

Tableau

des auteurs

xxxv

Suppl., t. I, p. 410 ; Kratchkovsky, p. 192-193 (192-193) ; G. Troupeau, dans Arabica, I, 1954, p. 276 sq.; Y. F a d l I l a s a n , « Ibn S u l a v m al-Aswânî », dans El (2), t. I I I , p. 973. SâbuStî (Abü I-Hasan 'Ali b. Muhammad a5-Säbuäiti). Cs personnage, dont le nom exact est mal connu et qui serait mort vers 388-399/998-1008, aurait été bibliothécaire du calife fâtimide al-'Azîz. De son œuvre, en majorité perdue, ne subsiste plus que le Kitäb ad-diyärät (Les monastères), dont les parties sauvegardées traitent essentiellement des couvents irakiens. Cf. Yäqüt, Udabâ', t. X V I I I , p. 16-17 (Abu 'Abd Allah Muliammad b. Isfoäq aS-§âbastï); Ibn IJallikän, t. III, p. 8-9 ; G AL, Suppl., t. I, p. 411 ; Kratchkovsky, p. 242 (235-236) ; K. 'Awwâd, introd. à l'édition des Diyârât, op. cit. Abu H a y y â n at-'I'awhïdï ("Ali b. Muljammad b. al-'Abbâs). L'auteur des Muqâbasât et du Kitâb al-Imiâ', mort après 400/1009, n'utilise de thèmes géographiques ou en rapport avec la géographie qu'autant qu'ils peuvent se prêter, par l'abstraction, à des développements philosophiques et moraux. Cf. GAL, t. I, p. 283 et Suppl., t. I, p. 435-436 ; S. M. Stern, dans El (2), t. I, p. 130-131. Ibrahim b. Wasîf Sâh. Rédige aux alentours de l'an 1000 un Abrégé des merveilles (Muhlasar al-'agâ'ib), qui marque, venant après les Merveilles de l'Inde, un renforcement du légendaire dans les récits relatifs à l'Orient. La seconde partie du livre est consacrée à l'histoire pré-islamique de l'Egypte. Cf. Carra de Vaux, introd. à la traduction de l'Abrégé, op. cit.; C. F. Seybold, compte rendu de cette traduction dans Orientalistische Literaturzeitung, I, 1898, p. 146-150 (important : rectifie un certain nombre d'interprétations du traducteur, signale la distinction entre l'auteur de l'Abrégé et un homonyme, contemporain de Soliman le Magnifique, et fixe la datation de l'œuvre : réviser sur ce point l'affirmation de S. Maqbul Ahmad, dans «Djughrâfiyâ », op. cit., p. 601 [1], qui déclare qu'Ibrahim écrit en 605/1209 [mauvaise interprétation d'une phrase de Seybold, p. 147 : «Aus der Datierung der Handschrift ergab sich von selbst, dass der Verfasser... vor 606 gelebt haben muss » ; ou référence trop stricte à F. Wüstenfeld, Geschichtschreiber (cité infra, chap. I, p. 28, note 1), dont Seybold, ibid., déclare : «auch in Wüstenfeld, Geschichtschreiber n° 373 a, herrscht U n g e nauigkeit und Konfusion»]); Sauvaget, Relation, p. X X V I . Miskawayh (ou Ibn Miskawayh) (Abü 'Ali Ahmad b. Muhammad b. Y a ' qüb). Mort en 421/1030, l'auteur du Tahdïb al-ahlâq est avant t o u t préoccupé de considérations et développements philosophiques : les thèmes géographiques n'interviennent donc qu'autant qu'ils fournissent, à un degré supérieur d'abstraction, matière à philosopher. Sur Miskawayh historien, m ê m e s conclusions que pour Balâçlurï.

xxxvi

Géographie humaine du monde

musulman

Cf. El, t . III, p. 429 (art. anonyme) ; GAL, t . I, p. 417-418 et Suppl., t. I, p. 582-584. Ta'âlibï (Abu Mansûr 'Abd al-Malik b. Muhammad b. Ismâ'ïl at-Ta'âlibï). Ce célèbre polygraphe, mort en 429/1038, consacre à la géographie, dans son anthologie des Latâ'if al-ma'ârif(Fleurs de la connaissance), un chapitre essentiel pour l'appréciation de la place tenue par cette discipline dans la culture fondamentale de l'époque. Cf. C. Brockelmann, dans El, t. IV, p. 768-769 ; GAL, t. I, p. 337 sq. et Suppl., t. I, p. 499 sq. * ûundigânï (Abu Muhammad poursuit, semble-t-il, la avec un livre, perdu, sur rences au chap. VII, p.

al-Aswad al-ôundigânï). Mort en 433/1041, tradition lexicographique d'Asma'i (q. v.), les eaux de la péninsule arabique. Cf. réfé246, note 1.

Abu 1-Hasan 'Alï ar-Raba'î (b. Muhammad b. Sugâ' al-Mâlikï). Mort en 435/1043, auteur d'un ouvrage de topographie historique sur Damas et la Syrie (Kitâb al-i'lâm fï fadâ'il as-Sâm wa Dimasq). Cf. GAL, t. I., p. 403 et Suppl., t. I, p. 566 ; S. Munaggid, introd. à l'édition de Yl'lâm, Damas, 1951. Birûnï (Abu r-Rayhân Muframmad b. Aljmad al-Bïrûnï). Un des plus grands et des plus complets savants musulmans du Moyen Age, né dans le ijuwârizm en 362/973, mort sans doute à Gazna, après 442/1050. Se situe en marge de notre étude, pour les raisons expliquées au chap. VI. Cf. D. J. Boilot, dans El (2), t. I, p. 1273-1275 (qui donne l'état des questions et une bibliographie ; y ajouter Kratchkovsky, p. 244-262 [245-258]). Husrï (Abu Ishâq Ibrahim b. 'Al! b. Tamïm al-Husrï). Mort vers 452/1060, l'auteur du Zahr al-âdâb montre, en prenant quelques thèmes géographiques comme prétexte à développements stylistiques, à quel point les données classiques de la géographie sont alors intégrées à la culture de l'honnête homme. Cf. GAL, t. I, p. 314-315 et Suppl., t. I, p. 472-473. * Qudâ'ï (Abu 'Ali Muhammad b. Salâma (Sâlim) b. û a ' f a r b. Aljmad b. Hakmûn al-Qudâ'ï). Mort en 454/1062, un des premiers représentants, pour l'Egypte, du genre topographique des bifat. Cf. GAL, t. I, p. 418-419 et Suppl., t. I, p. 584-585. Hatïb (al-) (Abu Bakr Ahmad b.'Alï b. Tâbit al-Hatib al-Bagdâdï). Mort en 463/1071, historien de Bagdad, célèbre surtout pour l'introduction de son œuvre, consacrée à la topographie de la ville. Composa aussi, en supplément à une œuvre de ce genre écrite par Dâraqutnï (q.v.), un dictionnaire d'ethniques intitulé Kitâb almu'tanaf fi takmilat al-mu'talaf wa l-muhtalaf. Cf. W. Marçais, dans El, t. II, p. 981 ; GAL, t. I, p. 400-401 et Suppl., t. I, p. 562.

Tableau des auteurs

II. —

LISTE

DES A U T E U R S *

A

EXPLOITER

POUR UNE ÉTUDE DU CONTENU DES THÈMES

Cal FAD FAQ GÀH GÀH GÀH GAZ GAZ HAM

(a) (h) (t) (C) (n)

: : : : : : : :

xxxvn

GÉOGRAPHIQUES

Calendrier de Cordoue. Ibn Fadlân, Risala. Ibn al-Faqih, Kitâb al-buldân. Gahiz, Kitàb al-amsâr wa 'agâ'ib al-buldân. Gâhiz, Kitâb al-hayawân. pseudo-Gâhiz, Kitâb at-tabassur bi t-tigâra. Gazai, « Relation de voyage à Constantinople ». Gazai, « Relation de voyage chez les Normands ».

: Hamdânî,

Sifat

Gazïrat

al-Arab.

HAW : Ibn Hawqal, Kitâb sûrat al-ard. Hud : Hudûd al-'âlam. HUn : Ibn Hiurdâdbeh, Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik. H U W (m) : Huwârizmï (Muhammad b. Ahmad), Kitâb mafâtïh al-'ulûm. B U W (s) : Huwârizmï (Muhammad b. Miisâ), Kitâb sûrat al-ard. IBR (e) : Ibrahim b. Ya'qub, «Relation de voyage en Europe occidentale ». IBR (s) : Ibrahim b. Ya'qûb, «Relation de voyage chez les Slaves». IHW : Ibwàn as-Safâ', Rasâ'il. ISH : Isljâq b. al-Husayn, Kitâb âkâm al-margân. 1ST : Istabrï, Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik. MAG : Magrùrùn (al-), «Récit de voyage». MAQ : Maqdisi, Kitâb al-bad' wa t-ta'ril}. MAS (p) : Mas'udï, Prairies d'or. MAS (t) : Mas'udï, Kitâb at-tanblh wa l-isrâf. Merv : Merveilles de l'Inde. MIS (a) : Abu Dulaf Mis'ar, De itinere asiatico. MIS (b) : Abu Dulaf Mis'ar, ar-Risâla at-tâniga. M§A : Mâ §â' Allah, Kitâb al-as'âr. MUH (f) : Muhallabï, extraits chez Abû I-Fidâ'. MUH (m) : Muhallabï, extraits chez S. Munag^id. MUH (y) : Muhallabï, extraits chez Yâqùt. MUQ : Muqaddasï, Ahsan at-taqâsîm fi ma'rifat al-aqâllm. NAD : Ibn an-Nadïm, Fihrist. •Voir

Addenda,

page

402

xxxviii

Géographie humaine du monde musulman

QUD RÀZ Rei RST SÀB SER SIR

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Qudâma b. Ga'far, Kilâb al-harâg wa çinâ'at al-kitâba. Râzî, «Description de l'Espagne». Relation de la Chine et de l'Inde. Ibn Rusteh, Kitâb al-a'lâq an-nafîsa. SâbuStï, Kitâb ad-diyârât. Ibn Serapion, Kitâb 'agâ'ib al-aqâllm as-sab'a. Abu Zayd as-Sïrâfî, Supplément à la Relation de la Chine et de l'Inde. Ta'âlibï, Latâ'if al-ma'ârif. Uswânï, Kitâb af}bâr an-Nûba. Warrâq, Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik. Ibrâhïm b. Wasïf Sàh, Muhtasar al-agâ'ib. Ya'qûbï, Kitâb al-buldân.

Bibliographie

N. B. — Trois ouvrages de base n'ont paru ou ne m'ont été accessibles que lorsque la rédaction et l'annotation du présent livre étaient déjà trop avancées pour qu'il me f û t possible de m ' y référer systématiquement. Ce sont : 'U.R. Kafcljâla, Mu'gam al-mu'allifln, Damas, 1376-1380/ 1957-1961, 15 vol. ; H. Laoust, Les schismes dans l'Islam, Paris, 1965 ; G. Wiet, Introduction à la littérature arabe, Paris, 1966. Abd el-Jalil (J.M.), Histoire de la littérature arabe, Paris, 1960. Abrégé : Abrégé des merveilles : voir Ibrahim b. Wasïf Sâh. Abu Dulaf Mis'ar, De itinere asiatico commeptarius, pubi, et traduction latine, par C. de Schloezer, de la première Risala, d'après le texte reproduit par Y â q û t et Qazwïnï (la pubi, de la Risàia par A. von Rohr-Sauer d'après le manuscrit de MeShed m'est restée inaccessible ; mais V. Minorsky, dans Oriens, V, 1952, p. 23, souligne que cette rédaction diffère très peu du texte fourni par Yâqût et Qazwïnï).

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Abu Dulaf Mis'ar, ar-Risâla at-tâniya, publ. par P. G. Bulgakov et A.B. Khalidov, Moscou, 1960 (édition préférable, sur le plan du texte, à celle de V. Minorsky, Abu Dulaf Mis'ar travels in Iran, Le Caire, 1955, malheureusement entachée d'omissions et de coquilles : cf. éd. Bulgakov-Khalidov, p. 19). Abu 1-Farag al-Isfahânï, Kitâb al-agânï, Bûlâq, 1285 et suiv., et Leyde, 1305, 21 t. en 6 vol. ; index d'I. Guidi, Leyde, 1895-1900, 2 vol. Abu 1-Fidà', Géographie, publ. par M. Reinaud, au t. II de la Géographie d'Aboulféda : I, I e partie, trad, par M. Reinaud, Paris, 1848; II, 2 e partie (et index), trad, par S. Guyard, Paris, 1883. Abu Yûsuf Ya'qûb, Kitâb al-harâg, trad, par E. Fagnan, Paris, 1921. Abu Zayd as-Sïràfî, supplément à la Relation de la Chine et de l'Inde (q.v.). Ce supplément se trouve à la suite de la traduction de la Relation, dans G. Ferrand, Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine, Paris, 1922 (le supplément d'Abû Zayd fait l'objet des p. 74 à 140 du livre II de la traduction). Agânï : voir Abu 1-Farag al-Isfahânï. Afomad Amïn, Duhâ al-Islâm, Le Caire, 1365/1946, 1356/1938 et 1368/ 1949, 3 vol. Ahmad Amïn, Fagr al-Islâm, avec préface de Taha Husayn, Le Caire, 1380/1961. Afomad Amïn, %uhr al-Islâm, Le Caire, 1376/1957-1380/1961, 4 vol. AIEO

: Annales de l'Institut d'études orientales de la Faculté des Lettres de l'Univçrsité d'Alger. Aristote, Histoire des animaux, trad, par J . Barthélemy-Saint-Hilaire, Paris, 1883, 3 vol. Aristote, Traité de la génération des animaux, trad, par J. BarthélemySaint-Hilaire, Paris, 1887, 2 vol. Aristote, Traité des parties des animaux, publ. par P. Louis, Paris, 1956. A SI : Actes du Symposium international d'histoire de la civilisation musulmane, Paris, 1957. Bakrï (al-), Description de l'Afrique septentrionale, trad, par M. Guckin de Slane, Alger-Paris, 1913. Balâdurî (al-), Kitâb futuh al-buldân, publ. par de Goeje (Liber expugnatonis...), Leyde, 1866. Battâni (al-), Kitâb az-zïg as-sâbi', publ. par C. A. Nallino (Opus astronomicum), Milan, 1903. Bayhaql (al-), Kitâb al-mahâsin wa l-masâwi', Beyrouth, 1380/1960. BEO : Bulletin d'Etudes orientales de l'Institut français de Damas.

Bibliographie

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BGA : Bibliotheca geographorum arabicorum, publ. par M. J. de Goeje, Leyde (se reporter aux auteurs ci-dessous indiqués) : t. I : Istabrï t. II : IbnHawqal t. III : Muqaddasï t. IV : Index et glossaire t. V : Ibn al-Faqïh t. VI : Ibn tfurdâçjbeh et Qudàma (éd. partielle) t. VII : Ibn Rusteh et Ya'qûbï t. VIII : Mas'ûdî(Tan6î/!) Bïrûnï (al-), al-Atâr al bâqiya 'an al-qurûn al-hâliya, publ. par C.E. Sachau (reproduction hélioplan de l'éd. de 1878), Leipzig, 1923 ; traduction anglaise par Sachau ( The chronology of ancient nations), Londres 1879. Bïrûnï (al-), al-Hind ( Kitâb fï tahqïq ma li l-Hind min maqùla maqbûla fl l-aql aw mardùla), publ. par C.E. Sachau, Londres, 1887, traduction anglaise par Sachau (Alberuni's India), Londres, 1910, 2 vol. Blachère (R.), Le Coran, Paris, 1947-1950, 3 vol. Blachère (R.) : voir EGA. Blachère (R.), Histoire de la littérature arabe des origines à la fin du X Ve siècle de J.-C., Paris, 1952-1966, 3 vol. parus. Brockelmann (C.), Geschichte der arabischen Literatur, Leyde, 1943-1949, 2 vol. ; Supplément, Leyde, 1937-1939, 3 vol. Brunschvig (R.), « Un aspect de la littérature historico-géographique de l'Islam» : voir tableau des auteurs, s.v. « Warrâq». BSOAS : Bulletin of the School of Oriental and African Studies, Londres. Bubârî (al-), al ùâmï as-sahlh, trad, par O. Houdas et W. Marçais (Les traditions islamiques), Paris, 1903-1914, 4 vol. Buzurg b. Sahriyâr : voir Merveilles de l'Inde. Cahen (C.), « Mouvements populaires et autonomisme urbain dans l'Asie musulmane du Moyen Age», dans Arabica, V, 1958, p. 225-250, VI, 1959, p. 25-56 et 233-265. Calendrier de Cordoue, publ. et trad, par C. Pellat, Leyde, 1961. Canard (M.), « Ibrahim b. Ya'qûb et sa relation de voyage en Europe », dans EOLP, t. II, p. 503-508. Canard (M.) : voir Ibn Fadlàn. Carra de Vaux (B.), Les penseurs de l'Islam, t. I et II, Paris, 1921. Codazzi (A.) : voir Isljàq b. al-Husayn. Croiset (A. et M.), Histoire de la littérature grecque ; les références renvoient, avec indication de tomaison, à la grande édition en 5 vol., t. IV et V, Paris, respectivement 2 e et I e éd., sans date; sans indication de tomaison, à l'édition abrégée en 1 vol., 10« éd., Paris, s.d.

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Dahabï (ad-), Taikirat al-huffâz, Hyderabad, 1375-1377/1955-1958. Darmaun (H.) : voir EGA. Dînawarî (ad-), Kitâb al-ahbâr at-tiwâl, publ. par I. Kratchkovsky, Leyde, 1912. Dozy (R.), Supplément aux dictionnaires arabes, Leyde-Paris, 1927, 2 vol. EGA : Extraits des principaux géographes arabes du Moyen Age, publ. par R . Blachère et H. Darmaun, Paris, 1957. El : Encyclopédie de l'Islam, 4 vol. et Supplément, Leyde, 1908-1934 et 1938. El (2) : Encyclopédie de l'Islam, nouvelle édition, en cours, Leyde, 1954 et suiv. EOLP : Etudes d'orientalisme dédiées à la mémoire de Lévi-Provençal, Paris, 1962, 2 vol. Ferrand (G.), Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks relatifs à l'Extrême-Orient du VIIIe au XVIIIe siècles, Paris, 1913-1914. Ferrand (G.), Voyage du marchand arabe Sulaymdn : voir Abu Zayd as-Sïràfî. Fihrist : voir Ibn an-Nadim. Gâtiiz (al-), Kitâb al-amsâr wa 'agâ'ib al-buldân, publ. par C. Pellat, dans al-Maàriq, mars-avril 1966, p. 169-205. Gâbiz (al-), Kitâb al-bayân wa t-tabyïn, publ. par A.M. Hârun, Le Caire 1367-1368/1948-1949, 4 t. en 2 vol. Gâtiiz (al-), Kitâb al-buhalâ', Beyrouth, 1380/1960 ; trad, par C. Pellat, Le livre des avares, Paris, 1951 (les corrections à apporter au texte de l'éd. de Beyrouth sont suggérées en appendice à la traduction). ôâfriz (al-), Kitâb fahr as-Sûdân 'aid l-Bîdân, publ. par G. van Vloten (p. 57-85 de Tria opuscula auctore al-Djahiz), Leyde, 1903. û â ^ i z (al-), Kitâb al-hayawân, publ. par A.M. Hârun, Le Caire, 1356-1364/ ' 1938-1945, 7 vol. Gâfciz (al-), Kitâb al-qawlfï l-bigâl, publ. par C. Pellat, Le Caire, 1375/1955. (jâhi? (pseudo-), Kitâb at-tabassur bi t-tigâra, publ. par H.H. 'Abd alWahhâb, tiré à part de RAAD, Damas, 1351/1932; trad, par C. Pellat (« Gâljiziana, I»), dans Arabica, I, 1954, p. 153-165. Nos références renvoient à la traduction. Gâfriz (pseudo-), Kitâb at-tâg fi ahlâq al-mulûk, trad, par C. Pellat (Le livre de la couronné), Paris, 1954. Gàhiz (al-), Kitâb al-tarbV wa t-tadwïr, publ. par G. van Vloten (p. 86-157 de Tria opuscula auctore al-Djahiz), Leyde, 1903 ; nouvelle publ. par C. Pellat, Damas (IFD), 1955. Nos références renvoient à ce dernier texte.

Bibliographie

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Gâtjiz (al-), Magmû' rasâ'il al-ùâhiz, pubi, par P. Kraus et M. Tâhâ alI.Iâgirî, Le Caire, 1943. Comprend : Risala al-ma'âd wa l-ma'âs, p. 1-36 ; Kitâb kitmân as-sirr wa hifz al-lisân, p. 37-60 ; Risàia fî l-gidd wa l-hazl, p. 61-98 ; Risâlat fasi ma bayn al-'adâwa wa l-hasad, p. 99-124. Trad, inédite par C. Vial. Gâtiiz (al-), Risàia ila Fath b. IJâqân fï manàqib at-Turk wa 'àmmat gund al-hilàfa, pubi, par G. van Vloten (p. 1-56 de Tria opuscula alidore al-Djahiz), Leyde, 1903. GAL : voir Brockelmann. Gazai (al-) : relation de voyage à Constantinople, dans Maqqarï (al-) : R. Dozy, G. Dugat, C. Krehl et W. Wright, Analectes sur l'histoire et la littérature des Arabes d'Espagne par al-Maqqarï, t. I, Leyde, 1855-1860, p. 223, 630-634 (le texte de Maqqarï contenant aussi certains détails renvoyant à l'ambassade au Jutland). Gazai (al-) : relation de voyage chez les Normands du Jutland : texte arabe d'Ibn Difoya, dans A. Seippel, Rerum Normannicarum fontes Arabici, Oslo, 1928, 21. en 1 vol. (p. 13-20 du texte arabe et X-XI de l'annotation). Pubi, plus ancienne par R. Dozy, Recherches sur l'histoire et la littérature de l'Espagne pendant le Moyen Age, t. II, Paris-Leyde, 1881 (p. L X X V I - L X X X V I I I du texte et 267-278 de la traduction). Nos références renvoient à l'éd. Seippel. Griinebaum (G. von), L'Islam médiéval, histoire et civilisation, Paris, 1962. Hâggï Halifa, Kasf az-zunûn, pubi, par G. Fliigel, Leipzig, 1835-1858, 7 vol. Hamdânî (al-), Sifat Gazïrat al-'Arab, pubi, par D. H. Millier, Leyde, 1884 et 1891, 2 vol. Sauf indication spéciale, nos références renvoient au texte arabe du t . I ; on se méfiera de la vocalisation de celui-ci, parfois hésitante ou franchement fausse. Heyd (W.), Histoire du commerce du Levant au Moyen Age, pubi, française par Furcy Raynaud, t. I, Leipzig, 1923 ; reproduction anastatique de l'éd. de 1885, réimprimée, Amsterdam, 1959. H u a r t (C.), Littérature arabe, Paris, 1939. Jludûd al-'âlam, pubi, et trad, par V. Minorsky, Oxford, 1937 (les p. 3 à 44 sont une traduction de la préface russe de V. Barthold à une I e éd. restée inachevée). Husri (al-), Zahr al-àdàb, pubi, par 'A.M. al-Bagâwî, Le Caire, 1372/1953, 2 t. en 1 vol. Huwârizmï (al-), Kitâb az-zïg, pubi, par O. Neugebauer (The astronomical tables of al-Khwârizmt), Copenhague, 1962. Huwârizmï (al-), Kitâb sûrat al-ard, pubi, par H. von Mzik, Leipzig, 1926. Reproduit en photochromographie en 1963.

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Huwârizmï (al-), Kitâb mafâtïh al-'ulûm, publ. par G. van Vloten, Leyde, 1895 (préférée à la publ. anonyme par « Idârat at-tibâ'a al-munlriyya », Le Caire, 1342/1923). I b n ' A b d Rabbih, al -Iqd al-farïd, publ. par Ahmad Amin, 'A.S.Härün, A. az-Zayn et I. al-Abyârî, Le Caire, 1367-1369/1948-1950, 6 vol. Ibn Diljya : voir ûazâl. Ibn Fadlân, Risâla fï wasf ar-rihla ilä bilâd at-Turk wa r-Rus was-Saqâliba, publ. par S. Dahan, Damas, 1379/1959 (sur la base de l'éd. russe de Kovalevsky-Kratchkovsky de 1939); trad, (sur la base de la 2 e éd. de Kovalevsky, 1956) par M. Canard, dans AIEO, XVI, 1958, p. 41-146 (fondamental). Sans précision supplémentaire, nos références renvoient au texte arabe de l'éd. Dahan. Ibn al-Faqïh, Muhtasar kitâb al-buldân, au t. V de la BGA, Leyde, 1885 ; trad, partielle par M. Hadj-Sadok : voir Ibn tjurdâçjbeh. Ibn Hallikân, Wafâyât al-a'yân, Le Caire, 1367/1948, 6 vol. Ibn Hawqal, Kitâb sûrat al-ard, publ. par J.H. Kramers, t. II de la BGA, 2 e éd., Leyde, 1938 ; trad, par G. Wiet (Configuration de la terre), Paris-Beyrouth, 1964. Sans indication supplémentaire, nos références renvoient au texte arabe. Ibn y u r d a d b e h , Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik, au t. VI de la BGA, Leyde, 1889 (texte et traduction). Sans autre indication, nos références renvoient au texte arabe. Les p. 178-183 (trad., p. 138-144) sont précédées, dans le manuscrit, d'une nouvelle basmala, et le style du passage (cf. p. 180 i.f.) ne rappelle guère celui d'Ibn Hurdädbeh : cf. la note h de la p. 177. Trad, partielle (avec textesd'Ibn al-Faqïh et d'Ibn Rusteh) dans M. Hadj-Sadok, Description du Maghreb et de l'Europe au I I I e / I X e siècle, Alger, 1949. Ibn Manzûr, Lisân al-Arab, Beyrouth, 1374-1376/1955-1956, 15 vol. Ibn al-Muqaffa", al-Adab as-sagïr, suivi d'al-Adab al-kabïr, Beyrouth, 1380/1960. Ibn al-Muqaffa', Kallla wa Dimma, trad, par A. Miquel, Paris, 1957. Ibn al-Muqaffa", Risâla fï s-§ahâba, p. 117-134 des Rasâ'il al-bulagâ', publ. par M. Kurd 'Ali (q.v.). Ibn an-Nadim, Fihrist, publ. par G. Flügel, Leipzig, 1871-1872, 2 t. en 1 vol. Nos références renvoient au texte arabe du t . I. Ibn Qutayba, Kitâb adab al-kätib, Le Caire, 1377/1958. Ibn Qutayba, Kitâb al-anwâ', publ. par M. Hamidullah et C. Pellat, Hyderabad, 1375/1956. Ibn Qutayba, Kitâb al-ma'ârif, Le Caire, 1353/1934.

Bibliographie

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Ibn Q u t a v b a , Kitab as-si'r-wa s-sii'arâ', publication partielle, avec introduction et trad. par M. Gaudefoy-Demombynes, Paris, 1947. Ibn Qutayba, Kitäb 'uyüri al-ahbär, Le Caire, 1925-1930, 4 vol. Ibn Rusteh, Kitäb al-a'läq an-nafisa, au t. VII de la BGA, Leyde, 1892 ; trad. par G. Wiet (Les atours précieux), Le Caire, 1955. Sans autre indication, nos références renvoient au texte arabe ; avec mention de la traduction, à la trad. Wiet. Autres traductions (partielles) : M. Hadj-Sadok, Description (voir Ibn üurdädbeh) et D.A. Khvolson, Saint-Petersbourg, 1869 (sous le nom d'Ibn Dasta ; autre version de cette traduction dans le Journal du Ministère de l'Education nationale, Saint Petersbourg, t. CXL, p. 657-771). Ibn Serapion, Kilâb 'agâ'ib al-aqâlïm as-sab'a, ms. du British Museum en 68 fol. (Add. 23379). Publ. et t r a d . partielles par G. Le Strange, dans J R A S , 1895, p. 1-76, 255-315. Nos références s'entendent ainsi : chiffre simple : éd. Le Strange; chiffre suivi de a (recto) ou de b (verso) : fol. du manuscrit. L'éd. H. von Mzik («Das Kitäb 'agâ'ib al-aqâlïm as-sab'a» des Suhrâb, Leipzig, 1930) ne m'a été accessible qu'en fin de travail, mais les références aux folios du manuscrit s'y retrouveront facilement. Ibrahim b. Waslf Sah, Mufrtasar al-'agä'ib, trad. par B. Carra de Vaux (Abrégé des merveilles), Paris, 1898, à corriger d'après les remarques faites par C. F. Seybold (cf. références au tableau des auteurs), p. 148 sq. Ibrahim b. Ya'qüb, Relatio Ibrählm b. Ya'kûb de itinere slavico, quae tradilur apud al-Bakrï, publ. par T. Kowalski, Cracovie, 1946. Ibrahim b. Ya'qüb, notices diverses sur des villes ou pays d'Europe occidentale dans Qazwïnï, Ätär al-biläd (q.v.), passim. Traduction de certaines notices dans G. Jacob, Ein arabischer Berichterstatter aus dem 10. Jahrhundert, Berlin, 1891, 2« éd. (t. I des Studien in arabischen Geographen, du même, q.v. ; repris plus tard [Ein arabischer Berichterstatter (Artikel aus Qazwînîs « Athâr al-bilâd»). Berlin, 1896, 3 e éd.], mais sous une forme confuse). Trad., avec essai de classement, par A. Miquel, « L'Europe occidentale dans la relation arabe d'Ibrâhîm b. Ya'qüb», dans Annales E.S.C., X X I , n° 5, septembre-octobre 1966. Sans autre indication, nos références renvoient au texte de Qazwïnï; avec mention de la traduction, à la traduction parue dans Annales. IFAO : collections de l'Institut français d'Archéologie orientale du Caire. IFD : collections de l'Institut français d'Etudes arabes de Damas. Ibwän as-safä', Rasä'il,

Beyrouth, 1376-1377/1957, 4 vol.

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Isfräq b. al-Husayn, Kitäb âkâm al-margän fl dikr al-madä'in al-mashüra bikull makân, pubi, et trad, par A. Codazzi (« Il compendio geografico di Ishäq b. al-Husayn»), dans Rendiconti della Reale Accademia dei Lincei, Classe di scienze morali, storiche et filologiche, VI, n° 5, p. 373-463, Rome, 1929. Istabrì (al-), Kitäb al-masâlik u>a l-mamälik, pubi, par M. G. 'Abd al-'Äl al-Hïnï, Le Caire, 1381/1961. Ancienne pubi., t. I de la BGA, Leyde, 1927. Nos références renvoient à l'éd. Hïnï. Jacob (G.), Ein arabischer Berichterstatter : voir Ibrahim b. Ya'qüb. Jacob (G.), Studien in arabischen Geographen, Berlin 1891-1892, 1 vol. en 4 fase, (le fase. 1 [p. 1-34] est constitué par Ein arabischer Berichterstatter, q.v.). J. As. : Journal Asiatique. JRAS : Journal of the Royal Asiatic Society, Londres. Jwaïdeh (W.) : voir Yâqût, Mu'gam al-buldän. Kabhala ('U.R.), Mu'gam al-mu'allifln, Damas, 1376-1380/1957-1961, 15 vol. Kowalski (T.) : voir Ibrahim b. Ya'qüb. Kramers (J.H.), « La question Balbï-Istabrï et l'atlas de l'Islam», dans Acta Orientalia, X, 1932, p. 9-30. Kratchkovsky (I. J.), Arabskaïa geografitcheskaïa literatura, MoscouLeningrad, 1957. Trad, partielle par S.A.D. 'Utmän Hââim, Le Caire, 1963. Dans nos références, la mention de l'éd. originale est suivie, entre parenthèses, par celle de la traduction. Kurd 'Ali (M.), Rasä'il al-bulagâ', Le Caire, 1365-1946. Laoust (H.), La profession de foi d'Ibn Batta, Damas ( I F D ) , 1958. Laoust (H.), Les schismes dans l'Islam, Paris, 1965. Lazard (G.), La langue des plus anciens monuments de la prose persane, Paris, 1963. Lecomte (G.), Ibn Qutayba, l'homme, son œuvre, ses idées, Damas (IFD), 1965. Lecomte (G.), «L'introduction du Kitâb adab al-kâtib d'Ibn Qutayba», dans Mélanges Massignon, t. I l l , p. 45-64, Damas (IFD), 1957. Lévi-Provençal (É.), La péninsule ibérique au Moyen Age d'après le « Kitâb ar-rawd al-mi'târ » : voir Magrûrun (al-). Lévi-Provençal (Ë.) : voir Râzï (ar-). Lisân al-'Arab : voir Ibn Manzûr. Magrürün (al-), fragments de récit de voyage à Madère et aux Canaries, conservés par Idrïsï ; traduction dans le Kitâb ar-rawd al-mi'târ,

Bibliographie

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publ. par Ë. Lévi-Provençal (La péninsule ibérique au Moyen Age), p. 16-18 du texte arabe et 23-24 de la traduction, Leyde, 1938. Nos références renvoient à cette édition. Autres références plus anciennes, pour le texte d'Idrïsî, dans Kratchkovsky, trad., p. 150, note 119. Le même texte d'Idrïsî est reproduit par Abü Hamid al-Ciarnâtï et Ibn Fadl Allah al-'Umarï (cf. Fagnan, Extraits inédits relatifs au Maghreb. Géographie et histoire, p. 30-31, 90-91, Alger, 1924). Makkï (A.), Qudâma b. ôa'far et son œuvre, thèse dactylographiée, Paris, 1955. Maqdisî (al-), Kitâb al-bad' wa t-ta'rïh, publ. et trad. par C. Huart, Le livre de la création et de l'histoire (faussement sous le nom d'Abü Zayd al-Balhï), Paris, 1899-1919, 6 vol. Nos références renvoient à la traduction ; dans les cas où la référence au texte a été jugée indispensable, elle a été notée entre parenthèses après la référence à la traduction. Maqrïzî : voir Uswânï. Marquart (J.), Osteuropäische und ostasiatische Streijzüge, Leipzig, 1903. Mä Sâ' Allah, Kitâb al-as'är, ms. Bibl. bodléienne, Marsh 618, fol. 224 b230 a. Mas'üdl (al-), Murüg ai-iahab, publ. et trad. par C. Barbier de Meynard et J . Pavet de Courteille (Les prairies d'or), Paris, 1861-1877, 9 vol. ; nouvelle trad., sous le même titre, par C. Pellat, Paris, en cours de publication. Nos références renvoient, par tomaison et pagination, à l'éd. ancienne ; par §, à l'éd. Pellat (§ 1-1440, correspondant à t. I à IV de l'éd. ancienne). Mas'üdl (al-), Kitâb at-tanbïh wa l-isrâf, t. V I I I de la BGA, Leyde, 1894; trad. par B. Carra de Vaux (Le livre de l'avertissement), Paris, 1896. Nos références renvoient, pour des raisons de commodité, à la traduction; dans les cas où on l'a jugé utile, on a indiqué, entre parenthèses, la pagination du texte arabe. Merveilles de l'Inde (Kitâb 'agâ'ib al-Hind), faussement attribué à Buzurg b. Sahriyâr, publ. par P. A. van der Lith, avec trad. par L. M. Devic, Leyde, 1883-1886 ; nouvelle trad. par J . Sauvaget (posthume), aux p. 189-309 du t. I du Mémorial Sauvaget, Damas (IFD), 1954. Nos références renvoient à cette dernière traduction. MIFAO

: Mémoires publiés par l'Institut français d'Archéologie orientale du Caire. Mille et une Nuits, Le Caire, 1957-1959, 13 vol. Minorsky (V.) : voir Hudûd al-'âlam. Miquel (A.) : voir MuqaddasI.

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Géographie humaine du monde

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Bibliographie

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plus reproduire que ne l'avait fait la BGA le chap. X I X du livre VII, lequel reprend, les isnâd-s en moins, le Kitâb futûh al-buldân de Balâdurî). Nos références sont à interpréter comme suit : chiffre simple : texte arabe de la BGA ; mention de la traduction : traduction de la BGA ; chiffre précédé de M : éd. Makkï. RAAD : Revue de l'Académie arabe de Damas. Râzï (ar-) : «Description de l'Espagne», trad, par Ë. Lévi-Provençal, dans al-Andalus, XVIII, 1953, p. 51-108. REI : Revue des Eludes islamiques. Reinaud (M.), Introduction générale à la géographie des Orientaux (t. I de la Géographie d'Aboulféda ; cf. Abü 1-Fidä'), Paris, 1848. Reitemeyer(E.), Die Städtegründungen der Araber im Islam nach den arabischen Historikern und Geographen, Leipzig, 1912. Relation de la Chine et de l'Inde (Ahbär as-Sln wa l-Hind), pubi, par J . Sauvaget, Paris, 1948. Rosenthal (F.), Ahmad b. at-Tayyib as-Sarahsï, New Haven, 1943. RSO : Rivista degli Studi orientali. Sâbustï (aä-), Kitäb ad-diyârât, pubi, par K. 'Awwâd, Bagdad, 1951. Sahl b. Härün, Risala ilä Muhammad b. Ziyâd wa ilä banî 'ammihi..., dans Gähiz, Kitäb al-buhalä' (q. v.), p. 16-22. Sauvaget (J.), Historiens arabes, Paris, 1946. Sauvaget (J.), Introduction à l'étude de l'Orient musulman, Paris, 1946, 3 e éd. (posthume), refondue et complétée par C. Cahen, Paris, 1961. Sauvaget (J.) : voir Relation. Seippel (A.) : voir Gazai (al-). Sourdel (D.), Le vizirat 'abbâside de 749 à 936, Damas (IFD), 1959-1960. Steinschneider (M.), Die arabische Literatur der Juden, Francfort sur-leMein, 1902. St. Ist. : Studia Islamica, Paris, 1954 et suiv. Supplément : voir Abü Zayd as-Sïrâfï. Ta'âlibï (at-), Latä'if al-ma'ärif, pubi, par P. de Jong, Leyde, 1867. l a b a r i (at-), Annales quos scripsit... at-Tabarl, pubi, par M. J . de Goeje, Leyde, 1879-1901, 15 vol. en 3 t . Tanbïh : voir Mas'ûdï. Tanûhï (at-), al-Farag ba'd as-sidda, Le Caire-Bagdad, 1375/1955, 2 t. en 1 vol. Taton (R.) (sous la direction de), Histoire générale des sciences, t. I, La science antique et médiévale, Paris, 1958. Tawhïdï (Abu Hayyân at-), al-Imta' iva l-mu'ânasa, pubi. par. Ahmad Amin et A. az-Zayn, Le Caire, 1373/1953, 3 vol. A n d r é MIQUEL.

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L

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Introduction

La géographie arabe 1 est fille du califat de Bagdad : par certaines de ses composantes, certes, elle plonge bien au-delà de l'installation des Abbassides en Irak, mais, dans les faits, ne serait-ce qu'à considérer l'apparition des premiers textes 8 , elle eût été, nous le verrons, impossible sans la rencontre de vieux thèmes avec le double héritage de l'orient indo-persan et de l'occident grec. Et c'est parce que la renaissance abbasside a tiré des couvents où elle dormait l'antique science, qu'à l'heure du Moyen Age occidental, celle-là même des serments de Strasbourg 8 , des œuvres naissent qui vont ressusciter l'écho de voix que l'on croyait perdues. Née des grands courants de pensée qui ont agité le siècle arabe des lumières, la géographie du temps participe à plein de ses inquiétudes et de leur expression ; première caractéristique : elle sera vite, autant qu'un champ de recherches, un genre littéraire qui aura ses noms. Mais aussi, dans le grand débat qui a présidé à sa naissance, et qui intéresse avant tout le rôle et la place, dans le monde, de l'homme nouveau créé par l'Islam et la conquête, elle sera, dès ses débuts, un exposé de situations humaines 1. Pour un exposé d'ensemble, ef. S. Maqbul Ahmad, dans El (2), t. II, p. 590 sq., a v e c bibliographie, et Kratchkovsky, op. cit. 2. Ibn Burdàfjbeh, Kitâb al-masdlik wa l-mamâlik (232/846-272/885); Ya'qubi, Kitab al-buldûn (276/889) (pour ne parler que des œuvres qui nous sont parvenues). 3. 842 ap. J.-C.

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et les rares chapitres de ce que nous appellerions géographie physique envelopperont au premier chef des problèmes humains 1 ; d'où sa seconde caractéristique : en concevant ce terme au sens large, on peut dire qu'au moins à ses débuts, la géographie arabe est tout entière géographie humaine dans la mesure où, non contente de faire des hommes l'objet de son étude, elle a tendance à considérer le milieu où ils vivent comme leur posant un certain nombre de problèmes. Troisième caractéristique enfin : cette géographie du monde musulman sera, dans sa quasi-totalité, d'expression arabe 2 ; la main qui l'écrit peut être persane 3 par exemple, il n'importe : l'esprit qui la conçoit reste, malgré les divergences locales, parfois violentes, éminemment représentatif de «cette conviction claire et puissante que partagèrent tous les Musulmans du Moyen Age, de quelque origine qu'ils fussent, d'appartenir à une civilisation arabe qui reflétait le dessein du Créateur» 4 : sentiment qui définit, fondamentalement, cette civilisation et explique, venant d'étrangers par la race, d'aussi remarquables monuments en langue arabe que les Âtâr de Bïrûnï ou le Mu'gam de Yâqût. Ainsi que le souligne très justement R. Blachère \ il serait faux de croire que les diverses influences qui ont présidé à l'élaboration de la géographie arabe ont «joué séparément et à tour de rôle». D'où la tentation, pour éviter les redites à quoi entraînerait une étude uniquement chronologique, de distinguer plutôt entre des tendances, à condition d'admettre que rares sont non seulement les générations, mais même les auteurs qui ne participent pas de plusieurs de ces mouvements. Il nous a paru toutefois qu'à sérier ainsi les choses, on risque de les fausser tout autant. La perspective chronologique en effet ne doit, dans ces débuts, être restituée ni de façon accessoire, ni dans un cadre aussi diffus que celui des débuts du califat abbasside en général, mais bien réintégrée à chaque instant dans la perspective littéraire, qu'elle seule éclaire, et ramassée autour des années décisives qui président à la naissance de la géographie. Or, dans l'incertitude où nous plongent parfois le mystère d'époques aussi lointaines, la fantaisie des transmetteurs, l'adultération ou la perte d'ouvrages fonda1. P a r e x e m p l e le problème des mers ou des i l e u v e s et ses i m p l i c a t i o n s pour celui d e la foi : cf. M u q a d d a s ï , trad., § 39 sq. On e x c e p t e r a les considérations d e m a t h é m a t i q u e pure, dans la mesure où, i n t é r e s s a n t la seule science, elles sonL s a n s r é s o n a n c e dans la c o n s c i e n c e m o y e n n e reflétée par la littérature. 2. L e s d e u x e x c e p t i o n s v r a i m e n t notables s o n t celles de Persans : l ' a u t e u r a n o n y m e des Hudiid at-'âlam et Nâsir-i t i u s r a w : cf. infra, appendice. 3. N o t a m m e n t celle des premiers auteurs : Ibn Burdâçlbeli, Ibn R u s t e h . 4. Cette d é f i n i t i o n est de R. E t t i n g h a u s e n , La peinture arabe, G e n è v e , 1962, p. 11. 11 c o n v i e n t t o u t e f o i s de ne p a s perdre de v u e qu'elle d é f i n i t une m o y e n n e , en dehors des m o u v e m e n t s de résistance n a t i o n a l e ( S u ' û b i y y a ) . Elle s e m b l e s u r t o u t v a l a b l e pour la l a n g u e , d o n t la p r i m a u t é , de fait ou de droit, est dans l'ensemble i n c o n t e s t é e , au m o i n s dans t o u t e la période d e s d é b u t s du califat abbasside. 5. EGA, p. 14. P o i n t de v u e d u même ordre dans J. M. A b d - e l - J a l i l , p. 136-137.

Littérature,

Introduction

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m e n t a u x 1 , une chose au moins est sûre : au témoignage des écrivains e u x - m ê m e s I b n Hurdâdbeh est bien, par son propos, le premier géographe 3, le premier écrivain à lancer dans le siècle le nouveau genre de l'étude des pays. Si l'on admet que ce phénomène décisif eut lieu autour des années 236-267/850-880 4 , on se place dès lors à une époque où les grands mouvements de la pensée future viennent d'être tracés, les grandes options proposées. Trois facteurs décisifs vont peser sur l'avènement de l'esprit géographique : le premier, qui porte ici les fruits des lumières du siècle d'al-Ma'mûn (199-218/813-833), c'est, des années 205/820 à 256/870, l'apogée de la grande école des traducteurs de Bagdad. 6 Le second, c'est la vigueur des disciplines traditionnelles et notamment de l'histoire 6 , le troisième, enfin, le problème posé, autour des deux grands noms de Gâhïz et d'Ibn Qutayba 7 , de la formation des élites et des esprits. Ce n'est qu'une fois passés en revue les éléments de ce cadre chronologique qu'on pourra aborder l'étude des différents courants de la géographie jusqu'au milieu du xi e siècle après J.-C. 8 1. EGA, p. 9. 2. Cf. Mas'ûdî, Tanblh, p. 109 ; Muqaddasï, trad., 5 10 sq. 3. Les auteurs géographiques citent bien Gâhi? (cf. Muqaddasï, |trad., § 13 bis), mais c'est un polygraphe qui s'occupe, à l'occasion, de géographie : sur le problème, cf. infra, chap. II. E t du reste, Gâhi? mourant en 255/868, le problème n'est pas modifié fondamentalement quant aux dates. On ne tient, ici non plus, aucun compte dei astronomes ni des cosmographes purs. 4. La première version du Kitâb al-masdtik est de 232/846 et sa mise au point définitive de 272/885. Nous aurons l'occasion de revenir (cf. infra, p. 90) sur le problème posé par ces deux versions. 5. Cf. infra, chap. I. Pour la plupart chrétiens non bagdadiens de naissance, mais en relation constante avec le califat : cf. Abd-el-Jalil, op. cit., p. 133, et R. Arnaldez, « Sciences et philosophie dans la civilisation de Bagdad sous les premiers 'Abbâsides >, dans Arabica, IX, 1962, p. 357 sq. 6. Ibn Sa'd meurt en 230/845 et Balàduri en 279/892. 7. Morts respectivement en 255/868 et vers 270-276/883-889. 8. Nous retrouvons ici un des repères fondamentaux de R. Blachère dans sesExtraits.

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|), la configuration générale des mers aussi (cf. Nallino, commentaire de Battâni, Opus astronomicum, p. 166 sq.). 4. Rapport des masses terrestres et aquatiques dans l'équilibre du globe, mouvement des fleuves, phénomènes d'attraction, marées : un bon exemple dans Tanbïh, p. 45-46. 5. Nous savons que Huwàrizmï lui-même fait place dans son œuvre à des thèmes d'adab (sur ce mot, cf. chap. II) : cf. la classification des édifices les plus somptueux

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naître l'élément étranger qu'est la mécanique revient à constater que, si l'astronomie peut donner naissance à une géodésie, au sens large du terme, ce n'est pas d'elle seule, en vertu d ' u n e espèce de nécessité interne qui ferait sortir la nouvelle science t o u t armée des carnets des savants. Le retour au point de vue synchronique, à un examen, m ê m e rapide, des autres disciplines dont l'éclosion ou l'essor accompagnent les premiers balbutiements de la science géographique s'impose d ' a u t a n t mieux que cette géodésie elle-même, si tributaire qu'elle reste de l'astronomie pure, n'échappe pas à la coloration particulière de son siècle : d'abord, le développement établi, qui la fait dériver de l'astronomie, m ê m e s'il est dans l'ordre naturel des choses a été considérablement facilité, dans le cas précis qui nous occupe, p a r la traduction, parallèlement aux traités d'astronomie pure, des Géographies de Ptolémée et de Marin, qui ont pu préfigurer assez bien, aux y e u x des savants arabes du m e / i x e siècle — et ce non plus de façon théorique, mais dans la pratique, le poids de l'autorité et de la raison aidant — les voies dans lesquelles pouvaient s'engager les techniques de présentation de la t e r r e . 2 II convient de noter, d ' a u t r e part, que cette curiosité pour l'astronomie appliquée n'est pas quelque chose d'artificiellement plaqué sur les productions du siècle, d'imposé d u dehors à la mentalité des contemporains : bien au contraire, elle recoupe u n goût du concret et de l'observation empirique des astres déjà signalé. 8 Enfin, l'intérêt porté à la géodésie s'explique, t o u t a u t a n t q u e dans u n prolongement naturel de l'astronomie pure, par des considérations religieuses : il importe, à u n e c o m m u n a u t é désormais épandue très loin a u dehors de son territoire d'origine, de connaître assez bien la configuration générale du globe pour y trouver, aux heures canoniques, la direction de la prière. 4 P o u r toutes ces raisons, et une fois la p a r t faite au rôle générateur de la m a t h é m a t i q u e astronomique pure, il convient de réintégrer au monde, reprise par Ibn Rusteh, p. 83, et, dans le Kitâb (éd. von Mzik, p. 106, 108), le thème des sources et du delta du Nil : ces notations restent toutefois très rares e t sèches, et n'enlèvent rien à la présentation mathématique et sévère de l'ouvrage. 1. Il faudrait, en tout état de cause — ce qui n'est pas le lieu ici — reposer le problème aux origines, dans le cadre de la science grecque. 2. Sur l'absence de l'œuvre de Strabon parmi ces traductions, cf. infra, p. 270. 3. Cf. Nallino, dans El, p. 505-506. Cet intérêt et les nécessités de la communauté nouvelle expliquent, comme on l'a dit (cf. p. 12, note 1), que ces oeuvres juxtaposent, dans la répartition des climats, une nomenclature de tradition ptoléméenne et celle des lieux les plus célèbres d'Arabie : un exemple avec tJuwârizmï, introd. de von Mzik, p. I X - X . 4. Cf. Schoy, «kibla», dans El, t. II, p. 1045-1047. Muqaddasï illustre assez bien la façon dont s'est développée cette science de la qibla. Venant plus d'un siècle après les premiers géographes, il ne la mentionne plus au nombre des rubriques qui composent la science géographique totale (trad., § 2) ; la question de la qibla ne réapparaît que dans son cadre d'origine, c'est-à-dire dans le chapitre réservé à la description générale du globe et des « climats» (trad., § 95).

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la géodésie au grand ensemble des sciences de la terre qui se sont développées dans le même cadre historique. La même remarque vaut pour l'astrologie, la seconde des deux composantes de la sûrat al-ard. L'exemple de l'influence solaire prouve bien l'incapacité de cette recherche à se satisfaire de conditions idéales : dans le même contexte, à côté de l'idée fondamentale de la conjonction se fait jour celle des effets non plus du soleil en tant qu'astre, mais du phénomène physique du rayonnement. Et ainsi, de même que les considérations propres au siècle et l'observation concrète de la conformation du globe viennent tempérer, dans la géodésie, ce que la science des sphères peut avoir de trop schématique, de même la physique de la terre vient proposer à l'astrologie un système de relations plus naturelles entre la vie et le milieu où elle se développe : la relation perçue, étudiée, de l'homme à la nature prendra le pas sur la relation théorique de l'homme à son astre. Si donc la cartographie de la sûra, sous ses aspects géodésiques et astrologiques, joue un rôle fondamental dans l'élaboration de la géographie arabe, c'est, au total, beaucoup moins par l'importance de ses thèmes 2 que comme moteur et cadre des recherches dont il nous faut maintenant parler. Les sciences de la terre : la physique du globe L'étude du milieu physique, qui vient doubler, puis reléguer à l'arrièreplan la climatologie 3 théorique des cartographes, a pour elle quelques grands noms et un programme. Les œuvres d'Aristote, d'Apollonius de Tyane, de Zosime, et tant d'autres disparues 4 couvrent un domaine fort vaste, où se mêlent la météorologie, l'hydrographie, l'orographie, la pédologie et la minéralogie, cette dernière avec sa dynamique, l'alchimie. 5 1. Théorie générale de l'influence des planètes mâles ou femelles (p. 38) et parallélisme du feu interne des entrailles, qui opère la maturation de l'embryon, avec le feu solaire (p. 11). 2. Quelques pages à peine dans les traités de masälik wa l-mamâlik comme ceux d'Ibn Hawqal ou Muqaddasï. 3. Au sens défini plus haut, p. 12, note 1. 4. Cf. M. Steinschneider, Die arabischen Übersetzungen aus dem Griechischen, Leipzig, 1889-1893, 2 vol., et les articles de \'EJ, notamment : R. Walzer, « Aristütälis », EI (2), t . I, p. 651-654 (documentation bibliographique très abondante) ; M. Plessner, « Balïnûs », ibid., p. 1024-1026 ; sur Zosime le Panopolitain, cf. bibl. par C. Pellat, Le Livre des avares, p. 345. 5. Sur cette dernière, cf. E. Wiedemann, « kïmiyâ' », dans El, t. II, p. 1068-1076 (avec bibliographie, mais compléter avec J. Ruska, « Alchemy in Islam », dans Islamic Culture, X I , 1937, p. 30-36 ; « Arabische Alchemie », dans Archeion, X I V , p. 425-535) ; cf. également P. Kraus, « Djâbir b. Hayyân», dans El (2), t. II, p. 367-369. Sur la météorologie (traductions d'Aristote et de Théophraste), cf. B. Lewin, « al-âthâr al-'ulwiyya », dans El (2), t. I, p. 758-759.

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Le programme de cette recherche relative au milieu, il est, au sein d ' a m b i tions plus vastes, tracé par ô â h i z vers les années 227-230/842-845, d a n s 1t Kitâb at-tarbï' ma t-tadwïr1, lorsque l'auteur demande « depuis q u a n d ont paru les montagnes, et les eaux coulé des collines ; quelle est la plus ancienne, des vallées de Bactres, du Nil, de l'Euphrate... ; d'où vient la terre de ces vallées, d'où l'argile qui s'étend du pied des montagnes à leur sommet ; quelles mers elle a emplies, quelles dépressions comblées, et combien de terre s'est ainsi formée, combien de sources ont vu le jour... 2 ; quelle était la n a t u r e de l'eau a u x origines, aux t o u t premiers t e m p s qu'elle était versée dans son réceptacle; si c'était une nappe (bahr) saumâtre, qui se changea ensuite en eau douce et limpide, ou une eau douce et limpide qui se changea en une nappe s a u m â t r e » . 3 Q u a n t à Mas'udï, il déclare : « Les climats des lieux diffèrent même s'ils ont, comme nous l'avons dit, des latitudes ou d ' a u t r e s conditions communes, par suite de circonstances particulières. P a r exemple, s'il y a des vapeurs froides dans les profondeurs de la terre, et qu'elles apparaissent au dehors en certains lieux, alors m ê m e que ces lieux sont soumis à des planètes dont l'influence est chaude, l'influence du froid de la terre y domine et détruit l'action des astres ». 4 L ' o n a ainsi « diversifié les pays en quatre manières : premièrement par contrées, deuxièmement par l'élévation ou la dépression des lieux, troisièmement par leur proximité des chaînes montagneuses ou des mers, quatrièmement par la n a t u r e du sol en chaque lieu ». 5 E t Mas'udï de conclure : « Le caractère de chaque lieu s'imprime sur ce qui y vit» 6 , car « les effets et influences des lieux sur le t e m p é r a m e n t varient sous trois r a p p o r t s : avec l'abondance des eaux, avec la qualité des bois, avec l'altitude ou la dépressitude (sic) du lieu ». 7 Y a-t-il, d a n s ces conditions, étude désintéressée des phénomènes n a t u rels, je veux dire en eux-mêmes et pour eux-mêmes ? Il f a u t répondre p a r la négative. A l'heure en effet où s'élabore ce qu'on peut appeler le nouvel esprit scientifique du i n e / i x e siècle, l'ensemble des phénomènes physiques prend sa place, à la f a v e u r des traductions du grec, dans le réseau serré des implications qui relient les unes aux autres les composantes de l ' u n i v e r s . 8 1. P. X I I de l'introd. de C. Pellat. Un autre programme de connaissances, mais plus sujet à caution, étant donné les incertitudes quant à la date de composition et au genre de l'œuvre, est donné par l'interrogatoire de la sage esclave Tawaddud des Mille

et une Nuits

(cf. infra,

p. 39). Sur le Tarbï,

cf. infra,

chap.

II.

2. P. 26. 3. P. 29. Cf. encore, entre autres questions, le débat entre l'explication mythologique et l'explication mécanique de la marée (p. 91). 4. Tanblh, trad., p. 68. 5. Ibid., 6. Ibid., 7. Ibid.,

p. 46. p. 47. p. 46.

8. Cf., sur ces constructions d'ensemble, P. Duhem, op. cit. ; Browne (cité p. 16, note 6), p. 130. A n d r é MIQUEL.

infra, 5

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Géographie humaine

du monde

musulman

Rien, comme nous le disions en commençant, qui soit moins parcellaire que cette science, rien non plus qui soit aussi dynamique : chaque être, chaque phénomène y sont le résultat d'un jeu de forces où interviennent les influences des astres et des quatre éléments fondamentaux. L'étude de l'apparence extérieure et mobile du monde est donc, en dernière analyse, celle de la vie : ces minéraux qui se transmuent, ces tempêtes qui sont la bile de la mer 1 et cet homme enfin, qui est la merveilleuse réduction du macrocosme, participent tous de ce monde en travail. Un des géographes, comme on le dira, les plus pénétrés de ce nouvel esprit 2 , Ibn Rusteh, évoquera, pour clore un de ses plus beaux passages, cette harmonie de forces ordonnée par le mystère imprescriptible de la force souveraine 3 : « Tous les astres partagent avec le soleil une influence sur les climats, sur la spécialisation des individus et des espèces, sur la formation de chaque individu et ses conditions d'existence, suivant la nature des localités et la situation de leurs habitants, et tous les phénomènes qu'on peut y observer. Mais outre son action sur les climats, le soleil concourt à la formation des individus et des êtres animés, ainsi que des mélanges variés, comme les groupes urbains, le caractère, les mœurs, les religions, les mines, les plantes, et la naissance d'un être vivant, avec la permission de Dieu ». Les sciences de la terre : les êtres uivants

Sauf la réserve faite plus haut 4 , l'étude de l'être animé est ainsi la plus complexe, la moins théorique 5 qui soit : au premier rang, la médecine 9 , déjà illustrée par la rencontre de la Grèce et de l'Orient à Gunday-Säbür 7 , associe aux deux grands noms de Galien et d'Hippocrate ceux de Rufus d'Ëphèse, Aetius, Oribase, Paul d'Égine, Alexandre de Tralles, Dioscoride et 1. Ibn Rusteh, p. 8 7 ; trad., p. 95-96. 2. Cf. infra, chap. yi. 3. P. 103 ; trad. p. 114. 4. L'intégration des minéraux au cycle vital. 5. La moins scientifique au sens aristotélicien du terme. Cf. Duhem, op. cit., t. II, p. 71. 6. Sur elle, on pourra s'en tenir à L. Leclerc, Histoire de la médecine arabe, Paris, 1876, 2 vol. ; B. Carra de Vaux, « tfbb», dans El, t. IV, p. 779-780; surtout E. G. Browne, La médecine arabe (traduction française par H. P. J. Renaud), Paris, 1933 (on négligera l'introduction de A. K. Chehade à son livre sur Ibn an-Nafis et la découverte de la circulation pulmonaire, Damas [IFD\, 1955). E n arabe, l'œuvre de base reste Ibn Abï Uçaybi'a, 'Uyùn al-anbä' fi (abaqät al-a(ibbä', publ. par A. Müller, Le Caire, 1299/1882, 2 vol. On trouvera un exemple du succès de l'école de ö u n d a y Sâbûr dans Gähi?, Buhald' (trad., p. 147-148). L'embryologie exposée dans le Kallla wa Dimna (trad., p. 43 sq) est, elle, d'inspiration indienne (cf. F. Gabriel!, « L'opéra di Ibn al-Muqaffa' », dans RSO, X I I I , 1931-1932, p. 203). 7. Cf. Browne, op. cit., p. 24-25.

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Théodose 1 ; elle domine les autres sciences de la vie par l'ampleur de ses matériaux, par la prééminence de son objet, par ses implications aussi : s'il est vrai qu'elle se subdivise en plusieurs champs de r e c h e r c h e e l l e est aussi, comme l'homme au centre de l'univers, située à un carrefour : p a r un certain côté, elle touche à ce que nous appellerions l'ethnologie », p a r les caractéristiques de l'hominien qu'elle met en lumière, elle s'intègre à la science plus vaste de la zoologie, où l'influence d'Aristote est souveraine *, par la pharmacologie, avec Galien, Hippocrate et surtout Dioscoride, elle ouvre la voie à la botanique 6 , parce qu'elle est enfin, à cette époque, la science très vaste de l'adaptation de l'homme au milieu, elle n'est pas absente d'un certain ordre de recherches domestiques, et n o t a m m e n t de l'agronomie Science grecque et géographie A ce point de notre recherche, nous nous sentons à n'en pas douter assez loin des considérations de géographie pure ; mais n ' y a-t-il pas au juste, dans cette espèce de dépaysement, comme une première caractérisation, par la négative, de cette géographie qui seule nous intéresse ? Si, t a b l a n t sur le phénomène historique des traductions du grec et de leur développem e n t postérieur en une science arabe, nous cherchons, dans le parterre des fleurs nouvelles, celle qui nous appartient en propre, nous ne pouvons guère, pour l'instant, que désigner à l'évidence celles que nous ne reconnaissons pas : la géographie est bien faite d'astronomie, mais le Zïg d ' I b n 1. Cf. R. Walzer, «Djàlïnûs», dans El (2), t. II, p. 413-414; B. Carra de Vaux, «Buqràt», dans El, t. I, p. 804 et Browne, op. cit. Sur Théodose en particulier, cf. Browne, p. 19 ; Ibn al-Faqlh, p. 223 (Tayâdus) : ne pas confondre avec tagdduritûs (8eo8• baiîd », dans El (2), t. I, p. 1077-1078 (mais cette institution remonte, bien que l'article ne le signale pas, à l'Empire achéménide) ; Qudâma, trad., p. 144-145; chap. III, p. 85, note 3. 4. Le premier en date semble être celui de Ma 5â' Allah, mort en 205/820, mais le plus célèbre est le Tabassur bi t-tigâra, attribué à ôâhi? : sur ces œuvres, cf. infra, chap. III i. f . 5. E n relation, eux aussi, avec les impôts (taxes perçues sur les voyageurs), l'organisation de la poste et le maintien de la sécurité en présence de mouvements de foule parfois considérables. L'on verra infra (chap. IV i f.) les développements propres du thème. 6. La géographie politique d'Ibn tjurdâdbeh ou de Qudâma ne fera qu'intégrer à un cadre plus vaste ces thèmes administratifs. •Voir Addenda, page 40IS

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des notions d'art militaire, d'irrigation ou de police par exemple. E t si, comme nous le verrons au chapitre suivant, le problème de la formation intellectuelle du fonctionnaire (kâtib) est un de ceux qui vont le plus agiter la conscience du rn e /ix e siècle, il n'existe pas, en revanche, lorsqu'il s'agit de sa formation professionnelle, de divergences fondamentales. Assez tôt en effet, après les ébauches que constituent la Risâla fï s-sahâba1, d'Ibn al Muqaffa' ou le Kitâb al-harâg d'Abû Yûsuf Ya'qub, on verra des écrivains comme Saybânî, 'Abd Allah al-Bagdâdï et Ibn Qutayba 3 , pourtant si divisés sur la culture générale (adab) de cet homme nouveau, s'accorder, dans les faits, sur sa formation technique, à savoir : quelques disciplines différenciées selon l'affectation du fonctionnaire, et un programme de base, commun à toutes les catégories et visant à la formation du scribe-arpenteur-juriste. 4 La tradition : les sciences philologiques. Géographie, iranisme et langue arabe. Tous sont d'accord, au demeurant, pour réserver à la mise en forme des actes administratifs, à l'expression, une place de choix. » L'élaboration d'une langue arabe en tant qu'instrument de chancellerie va évidemment de pair avec le souci des califes abbassides « d'affirmer, par réaction contre leurs prédécesseurs, le caractère religieux de leur fonction et l'aspect profondément musulman de la communauté qu'ils dirigent »6, mais elle s'explique aussi par la vivacité, en matière de langue, d'une tradition « nationale» déjà établie : car la communauté musulmane a, sur ce point, défini une culture originale. Les modèles, elle les trouve dans la prose pro1. Dans Rasa il al-bulaga , op. cit., p. 117-134. Adressée au calife al-Mansûr, elle passe en revue certaines questions touchant l'armée, la justice et l'impôt. 2. Ce Livre de l'impôt foncier, rédigé à l'intention de Hârun ar-RaSïd, est consacré aux principes qui règlent la perception de l'impôt et à des notions de justice criminelle et de finances publiques ; son auteur, un des fondateurs de l'école Ijanafite, est surtout connu pour avoir été le premier Grand Cadi : cf. J. Schacht, s. v., dans El (2), t. I, p. 169 et infra, p. 97 (compléter avec GAL, t. I, p. 177 et Suppl., t. I, p. 668). Il faudrait évoquer encore, dès la fin du califat umayyade, les Rasâ'il de 'Abd al-Hamïd (citées supra, p. 21, note 5). 3. Ibrahim b. Muhammad a5 Saybânî est, ainsi que le montre D. Sourdel (« Le Livre des Secrétaires de 'Abdallah al Bagdâdï», dans BEO, X I V , 1954, p. 116, note 2), l'auteur de la Risâla al-'adrâ' (La lettre vierge), sur la technique épistolaire et les connaissances requises du kâtib. Cf. infra, chap. II, où l'on verra que Gâhi?, par son épître sur les fonctionnaires, joue également un rôle important. 4. L'expression de «scribe-géomètre-ingénieur », qui est de D. Sourdel (op. cit., p. 122, note 90), nous paraît un peu étroite, compte tenu des disciplines indiquées à la fois par Bagdâdï (même art., p. 115-127) et par Ibn Qutayba (cf. G. Lecomte, op. cit., p. 59-60). Du reste, D. Sourdel l'élargit lui-même ( Vizirat, p. 569) en « styliste, géomètre, juriste ». 5. Cf. les art. cités, et, sur les modalités de cette préférence, infra, chap. II. 6. Cf. Sourdel, Vizirat, p. 61.

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fane de 'Abd al-Hamïd, Ibn al-Muqaffa', Madà'inï ou Sahl b. Hàrûn 1 ; quant à l'école, elle a sa doctrine : l'exemplarité — d'ailleurs inimitable — du Coran et son corollaire, la recherche au désert de la langue la plus pure ; ses écoles : Basra et Kûfa surtout 2 ; ses noms : al-Halïl, Sibawayh, Kisâ'ï 3 et tant d'autres. Les recherches lexicographiques, les réflexions grammaticales, l'enregistrement des monuments, surtout poétiques, de la vieille langue, ont une telle résonance, religieuse et sentimentale, que non seulement toutes les disciplines leur sacrifient peu ou prou 4, mais même que certaines sciences étrangères, venues par les traducteurs, seront remodelées dans un cadre arabe à la faveur des recherches linguistiques. 6 La géographie, quant à elle, doit plus que des thèmes à cette philologie : presque son existence. Ibn Hurdâçlbeh, Ibn al-Faqïh, Ibn Rusteh, pour ne parler que de ceux-là parmi les premiers géographes, sont des Persans, et Qudâma est né chrétien. 6 Mais, en même temps, ces non-Arabes ne sont pas géographes de façon exclusive ou systématique ; ils restent avant tout des polygraphes 7 , et nous pouvons voir dans cette conjonction des deux 1. Morts respectivement vers 132/750, 139/757, 215-231/830-845 et 244/858. 2. Sur ces écoles, et pour une vue d'ensemble de la grammaire arabe, cf. H. Fleisch, Traité de philologie arabe, t. I, Beyrouth, 1961, p. 1-49 ; Abd-el-Jalil, op. cit., p. 117 sq. Le premier minimise avec raison l'influence grecque en matière de sciences de la langue (p. 23-26; compléter la bibliographie avec A. Schaade, «balâga», dans El [2], t. I, p. 1012 ; Georr, op. cit., p. 40 sq.). 3. Morts respectivement vers 175/791, 177/793 et 183/799. 4. Muqaddasî par exemple consacrera des pages entières à des questions de vocabulaire (trad., § 18-19, 58/2, 92-93 et passim) et sera très attentif à noter le degré de pureté de l'arabe parlé ici ou là (cf. notamment trad., § 58/6; éd. de Goeje, p. 128 et passim). 5. Le cas le plut remarquable est celui de Dinawari (mort peut-être vers 281-282/894895, et en tout cas avant 290/902-903 : cf. B. I.ewin, dans El (2), t . II, p. 308) ; ayant reçu la culture hellénistique, il s'intéresse aux sciences, astronomie et botanique notamment, mais il les aborde dans l'esprit lexicographique et selon la tradition péninsulaire qui étaient en honneur chez les philologues irakiens, desquels il a reçu aussi l'enseignement. Cf., sur les applications de la lexicographie arabe, dans El (2), t . I, les articles de B. Lewin (« Açma'î», p. 740 [1]) et J. Hell («Bàhilï», p. 949). 6. Son père était du reste en relation avec Ibn Hurdâdbeh : cf. Ajûni, t. X I X , p. 133. Si l'on considère les premiers géographes, soit ceux dont les œuvres paraissent jusqu'à l'année, arbitrairement fixée, de 318/930, et si, éliminant les relations de voyage, les ouvrages de théorie pure et les opuscules spécialisés, on s'en tient (cf. le tableau des auteurs) à ceux qui ont conçu véritablement — ceci est essentiel pour le propos qui nous occupe — une œuvre géographique, on constate que seul Hamdânl est Arabe de souche ; en revanche, on trouve, comme non-Arabes Çajam, Persans essentiellement) : Ibn Hurdâdbeh, MarwazI (Ga'far b. Ahmad), Ya'qObI, Saraljsl (Animad b. af-Tayyib), Ibn al-Faqïh, Ibn Rusteh, Gayhânï et Baltjl ; Qudâma, on l'a dit, est un Chrétien converti ; quant à Gâljiï, qui intervient ici par son Kilûb al-amfûr (cf. chap. II), cf., sur ses origines, Pellat, Milieu, p. 51-54. Le cas d'Ibn an-Nâglm me reste obscur. 7. L'histoire, chez Ya'qûbï et MarwazI, la philosophie, chez Sarabsï, la musicologie, chez Ibn Hurdâdbeh, le comportement (âdSb), chez MarwazI et Ibn Uurdfidbeh, la

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faits racial et littéraire la marque même de la politique suivie, dès l'avènement du califat abbasside, par ses clients (mawâlï) iraniens, politique qui tendait à prouver, par opportunisme et engagement sincère à la fois 1 , leur aptitude à prendre en charge 2 l'unité linguistique et morale de la communauté. C'est cette « conviction claire et puissante 3» qui explique, sur le plan littéraire, que ces étrangers par la race aient voulu faire de l'arabe une langue à la fois p u r e 4 et moderne, adaptée a u x multiples besoins du monde nouveau. Or, dans cette entreprise, quasi systématique, d'élaboration d'une langue polyvalente, la géographie, au même titre que l'histoire, la littérature scientifique ou la prose d'agrément, avait son rôle à tenir 6 , et c'est peut-être ainsi, en dernière analyse, qu'il f a u t expliquer le succès, au moins dans une élite, du nouveau genre à ses débuts. On peut dire en effet que, si la géographie a réussi, c'est parce que, loin d'être un genre privilégié, elle n'était q u ' u n genre parmi d'autres, et cela n'est paradoxal que d'apparence : car si elle s'est ainsi affirmée d'emblée, c'est que son avènement servait, à son heure, le grand dessein d'unification poursuivi par les Persans, qu'elle présentait ensemble l'attrait pour l'inédit et les lettres de noblesse de la langue, en un mot qu'elle concourait, avec les autres disciplines, au monopole de la langue à l'exclusion de tout monopole racial. La tradition : les sciences

religieuses

Les années 850 après J.-C. sont également décisives pour l'histoiie des sciences religieuses arabes, en ce sens qu'elles marquent la fin de la période d'élaboration, a v a n t les développements ultérieurs. 6 Les grandes répartitions de l'ensemble musulman — sunnisme, si'isme, bârigisme — sont acquises. La science de la tradition (hadït) ne sera, certes, vraiment codifiée critique littéraire, chez Marwazï et Qudâma, la poésie, chez Ibn al-Faqlh, sont autant de préoccupations fondamentales, qui donnent lieu à des traités distincts. 1. Cf., pour l'exemple typique des Barmécides, D. Sourdel, « Barâmika», dans El (2), t. I, p. 1066-1067. 2. On retrouvera chez les géographes le thème du 'aijami donnant des leçons de pur arabe aux Arabes eux-mêmes : cf. par exemple MuqaddasI, trad., § 213. 3. Cf. supra, p. 2, note 4. 4. Des maîtres en philologie, comme Sibawayh, Kisâ'î, al-Farrâ', sont iraniens. Tradition vivace : un monument de la grammaire arabe, le Mufafçal, sera écrit par un Persan, ZamabSarï, au début du v i e / x u » siècle. 5. Cf. le propos d'Ibn Hurdâ(]beh : traduire Ptolémée de la langue 'ajamiyya en arabe, pour le rendre compréhensible (éd. de Goeje, p. 3). 6. Ceci a été remarquablement mis en lumière, dans l'ensemble de ses ouvrages, par H. Laoust, qui place au iv«/x" siècle l'époque où l'orthodoxie engagera, de façon décisive, son existence contre les mouvements dissidents. Cf. également Lecomte, op. cit., p. 47. On notera, comme dates exemplaires, 232/847, début de la réaction antl-mu'tazilite avec le califat d'al-Mutawakkil, et 241/855 : mort d'Ibn Çanbal, le plus tardif des quatre imams.

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Géographie humaine du monde

musulman

qu'avec les recueils célèbres de Buhârï et de Muslim comme l'exégèse coranique (tafsïf) avec Tabarï a , mais le Musnad d'Ibn Hanbal, l'une des gloires de la pensée religieuse arabe, a déjà paru et surtout, à défaut d'autres maîtres, hadît et tafsïr sont bien vivants dans les consciences, ne fût-ce que par les enseignements des prédicateurs et par des recueils qui circulent dès cette d a t e . 3 La jurisprudence (fiqh) a ses quatre écoles (madàhib) *, et deux grands noms au moins illustrent la mystique, ceux d'al-Hasan al-Basrï et de Muhâsibï. 6 La théologie dogmatique (kalâm), enfin, est en pleine gloire avec l'école mu'tazilite, florissante sous les califats d'alMa'mûn, d'al-Mu'tasim et d'al-Wâtiq. 6 Ces recherches, au même titre que les autres, auront leur rôle à jouer dans la géographie future, non pas seulement dans la lettre des textes 7 , mais surtout par les options spirituelles ou politico-religieuses qu'elles entraîneront chez les auteurs. 9 C'est qu'avec elles, plus encore qu'avec les études philologiques, qui n'en sont qu'un prolongement, on entre enfin dans un domaine de valeurs spécifiquement arabes, qui engagent l'essence même de la communauté en tant que telle. Certes, on note encore, sur certains points, des présences é t r a n g è r e s m a i s si l'on considère les moteurs de cette recherche, on voit à l'évidence que ce n'est plus dans la résurrection grecque qu'il faut les chercher, mais bien dans les exigences de la communauté. Quant aux résultats, on est frappé par l'originalité foncière des concepts élaborés, soit qu'ils appartiennent en propre à l'esprit musulman 1 0 , soit que d'anciens concepts aient été remodelés et profondément transformés : la puissance assimilatrice de l'Islam, comme elle a adapté à son credo même les figures étrangères des prophètes bibliques et du Christ, a fait de même ici pour l'héritage hellénique. A ce titre, l'apport de la 1. Morts en 256/870 et '261/875. 2. Mort en 310/923. 3. Cf. I. Goidziher, cité par Lecorate, loc. cit., note 1, et J . S c h a c h t , Esquisse d'une histoire du droit musulman ( t r a d . p a r J. et F. Arin), Paris, 1953, p. 30-33. 4. Abu H a n ï f a m e u r t en 150/767, Mâlik en 179/795, Sâfi'ï en 2 0 4 / 8 2 0 ; sur Ibn H a n b a l , cf. supra, p. 25, note 6. Sur l'histoire du droit m u s u l m a n j u s q u ' à cette époque, cf. S c h a c h t , op. cit., p. 9-55. 5. Morts en 110/728 et 243/857. Cf. un exposé des tendances et caractéristiques de cette « m y s t i q u e » dans P e l l a t , Milieu, p. 93 sq. (voyez n o t a m m e n t p. 102). (i. Soit j u s q u ' e n 232/847, d a t e de l ' a v è n e m e n t d'al-Mutawakkil (cf. supra, p. 25, note (i). 7. Cf. le rôle que le fiqh et ses méthodes j o u e n t chez u n M u q a d d a s i : cf. infra, chap. V I I I . 8. Cf. infra, chap. I X . 9. On pense é v i d e m m e n t a u x rapports — d'interférence et d ' o p p o s i t i o n — de la philosophie grecque et du mu'lazilisme. A u t r e exemple, p o u r le hadît c e t t e fois, dans I. Goidziher, « É t u d e s islamologiques » (dans Arabica, VII, 1960, p. 11-12 [trad. p a r G. H . Bousquet);, et dans T. W. J u y n b o l l , s.v., dans El, t. II, p. 201-202. 10. Concepts juridiques tels qu'igmâ', istihsân, istislâh..., création originale du hadil c o m m e élément du droit (cf. Schacht, op. cit., p. 31), etc.

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arabe

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Grèce, lorsqu'il existe, n'est plus guère qu'une modalité : les Mu'tazilites eux-mêmes 1 ne mettent pas en cause le primat des valeurs ¡islamiques, et les démarches grecques sont simplement réemployées, comme les matériaux des anciens temples dans les nouvelles constructions : on conviendra par exemple que la doctrine du Coran créé, même si elle se situe dans un contexte rationaliste où la Grèce joue son rôle, a une signification et un contenu émotionnel purement musulmans. C'est donc, au bout du compte, sur un terrain neuf que nous nous trouvons, et véritablement « national » : car, si les autres disciplines faisaient la part belle aux étrangers, Persans surtout, pour l'élaboration d'une culture fondamentalement composite, ici au contraire, les grands noms de la science sont ceux ou bien d'Arabes de souche, ou bien de Persans qui, loin de s'affirmer comme tels — ne fût-ce qu'en gardant un nom aux consonances étrangères — sont au contraire déjà intégrés au noyau arabe de la communauté. » On a pu ainsi mesurer, dans la hiérarchie des sciences, le degré d'originalité et de puissance d'une langue et d'une mentalité arabes et aussi, à travers les rapports des cultures et des traditions, le rôle subtil et complexe, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir 3 , des divers groupes ethniques et linguistiques à l'intérieur d'une communauté musulmane de langue arabe. L'histoire au contraire, jusqu'au milieu du ix e siècle de J.-C., nous offre une construction d'une incomparable et rigide unité. 1. Il faudrait dire, pour les débuts de l'école : surtout pas eux, puisqu'ils se posent en défenseurs de l'orthodoxie contre la pensée grecque ; on n'a retenu ici que la méthode employée, cette argumentation rationaliste qui, quoi qu'ils en aient, fait d'eux des héritiers, lointains mais hardis, de cette pensée, et les entraîne souvent fort loin de l'orthodoxie (voyez par exemple le cas d'Abû ' Isa al-Warrâq). 2. Pour le droit, trois des quatre imams (Mâlik, Sâfi'î, Ibn Hanbal) sont arabes de souche ; le quatrième, Abu Hanïfa, est d'ascendance iranienne, mais son père est déjà membre de plein droit de la tribu des Banu Taym Allah. Pour le hadit, sans parler d'Ibn Hanbal, Muslim, l'un des deux grands maîtres de cette discipline, est a r a b e ; l'autre, Bubârî, est persan, comme les auteurs des quatre autres recueils officiels (çahih), au reste beaucoup moins importants, mais on remarquera, en tout état de cause, qu'il ne s'agit pas ici de science créatrice, mais d'enregistrement d'un donné déjà établi, où seule joue une tradition arabe, pure ou syncrétiste (cf. Juynboll, op. cit., p. 205 [1]) ; la même remarque, avec plus de nuances toutefois, joue pour Tabarï et le tafsir. La science de la lecture du Coran (qirâ'a) est aux mains d'Arabes ou de Persans arabisés (cf. R. Blachère, Introduction au Coran, Paris, 1959, p. 118 sq.). Pour la mystique, le grand maître, al-Hasan al-Baçrï, est irakien par son père, mais lui-même est arabisé, né à Médine, et, quoique connaissant le persan, ne s'exprime qu'en arabe. Pour le kalâm, nous avons affaire, en majorité, à des mawâli de grandes tribus arabes (par exemple Wâçil b. ' A f â ' , 'Amr b. 'Ubayd, Abu 1-Hudayl al-'Allâf), très arabisés, et dont Gàhi?, comme eux mu'tazilite et comme eux arabe de cœur, sinon d'origine, incarnera assez bien les sentiments ; cf. Pellat, Milieu, p. 54. 3. Dans le volume qui suivra celui-ci.

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Géographie

La tradition:

humaine

du monde

musulman

l'histoire*

T e r r a i n r é s e r v é 1, r e c h e r c h e qu'il f a u t placer, du p o i n t d e v u e d e la s t r i c t e a r a b i c i t é , a u s o m m e t d e la h i é r a r c h i e d e s s c i e n c e s t r a d i t i o n n e l l e s , t e l l e n o u s a p p a r a î t l ' h i s t o i r e e n ce m i l i e u d u i x e siècle a p r è s J.-C. E l l e e s t e n e f f e t le s e u l d o m a i n e o ù les i n f l u e n c e s é t r a n g è r e s n ' o n t p a s d u t o u t j o u é . » N o n q u e l ' h i s t o i r e a r a b e , q u i n'a c o n n u , s e m b l e - t - i l , a u c u n e t r a d u c t i o n d e s g r a n d e s œ u v r e s g r e c q u e s \ ne s ' i n s p i r e p a s p o u r a u t a n t de c o n s i d é r a t i o n s o u d e p r o c é d é s d u m ê m e ordre : o n p e u t , par e x e m p l e , n o t e r q u e l ' e s p r i t d e l ' h i s t o i r e q u i i n t e r v i e n d r a , il e s t vrai, u n p e u p l u s t a r d , d a n s la d e u x i è m e m o i t i é d u i x e siècle de J . - C . 4 , n ' e s t p a s si éloigné, mutatis mutandis, d e celui des a u t e u r s grecs : la c o n c e p t i o n t o t a l i s a n t e de l ' h i s t o i r e u n i v e r s e l l e c o m m e r é p e r t o i r e de l ' e x p é r i e n c e é d i f i a n t e d e s n a t i o n s 5 , c o n j u g u é e a v e c le m o u v e m e n t inverse, p a r lequel l ' e n s e m b l e d u d o n n é h i s t o r i q u e e s t relié à l ' é v é n e m e n t c e n t r a l q u i e n e s t la c h a r n i è r e — R o m e p o u r P o l y b e , l ' I s l a m p o u r Tabarï — , s e r e t r o u v e d a n s les d e u x cas. E t p e u t - ê t r e f a u t - i l , e n l'occurrence, ne p a s s e c o n t e n t e r d e v o i r là c o m m e u n é t r a n g e a c c o r d , à q u e l q u e s siècles d ' i n t e r v a l l e , m a i s b i e n r a p p o r t e r l ' a v è n e m e n t d e la n o u v e l l e h i s t o i r e 6 à celui d ' u n e g é n é r a t i o n e t h n i q u e m e n t e t culturellement très m ê l é e 7 , ouverte a u x influences et n o t a m m e n t à 1. Sur l'histoire, cf. D. S. Margoliouth, Lectures on arabic historians, Calcutta, 1930; Sauvaget-Cahen, Introduction, p. 24-39 et passim ; Sauvaget, choix de textes traduits dans Historiens arabes, Paris, 1946 ; F. Wiistenfeld, Die Geschitschreiber der Araber und ihre Werke, Gôttingen, 1882 ; Pellat, Milieu, p. 139 sq. ; du même, Langue et littérature, p. 142 sq. ; Blachère, Littérature, t . I, p. 128 sq. ; Ahmad Amïn, Çuhà al-Islâm, t. II, p. 319-360 ; Historians of the Middle East (sous la direction de B. Lewis et P. M. Holt), Oxford, 1962 ; H.A.R. Gibb, « ta'rïkh », dans El, Suppl., p. 250-263. 2. On se place sur le terrain de la conception même de l'histoire (cf.. infra), et non sur celui des matériaux qu'elle traite, où, bien évidemment, le contexte extra-musulman intervient : cf. Abd-el-Jalil, Littérature, p. 124-125. Les influences persanes floc. cit. et H u a r t , Littérature, p. 173-174) ne font que confirmer un mouvement déjà lancé et valent par leur contenu plus que par leur esprit. 3. Les œuvres d'Hérodote, Xénophon, Thucydide, Polybe, Diodore, Strabon, Plutarque (cf. toutefois infra, p. 213 (n. 6) et 216), Dion Cassius, semblent inconnues. 4. Quatre grands noms : Balâdurî (mort vers 279/892), Dïnawarï (mort vers 281282/894-895 : cf. p. 24, note 5), Ya'qubï (mort après 292/905) et Tabarï (224/839-310/ 923). 5. On rapprochera sur ce point l'histoire-éthique de Plutarque et le thème des tagârib al-umam {cf. Ahmad Amïn, Zuhr al-Islâm, p. 201 sq.). 6. En dernière analyse, peut-être, à une constante de la pensée humaine : l'antinomie fondamentale de la connaissance historique (cf. Pensée sauvage, p. 342 sq.), qui expliquerait du reste l'échec d'un Tabarï, abandonnant son propos universaliste à l'apparition de l'Islam. 7. Intervention de Persans, arabisés peut-être (je songe surtout à Ya'qubï et Balâdurï), mais tout imprégnés de la culture composite de l'Irak d'alors, et de surcroît, pour certains, grands voyageurs, notamment dans les pays de carrefour : Irak bien

*Voir Addenda, page

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cette éthique gréco-persane alors à la mode, volontiers encline, on l'a vu, à consigner, derrière les cas exemplaires des rois, les leçons morales du passé. Si l'apparition de l'histoire annalistique ou encyclopédique reste ainsi liée « au grand mouvement culturel qui imprima l'élan à toutes les recherches scientifiques comme à l'activité littéraire proprement dite » S il n'en reste pas moins que, bien avant le ix e siècle, dans le secret de la péninsule arabique, une autre histoire a vu le jour. 2 Celle-ci, rien ne la rapproche de sa devancière grecque 3 , tant est grande la distance entre le propos de cette dernière et celui des Médinois. Je dis médinois de façon symbolique, car c'est dans la ville du Prophète que, pour une large part, l'histoire arabe est née* sûr, mais aussi Syrie et É g y p t e . Cf. C. H. Becker, « Balàdhurî », dans El (2), t. I, p. 1001-1002 (et Sourdel, Vizirat, p. 22, qui confirme l'origine iranienne) ; B. Lewin, « DInawarî », dans El (2), t . II, p. 308 ; C. Brockelmann, « Y a ' k u b ï » , dans El, t. IV, p. 1215-1216; R. Paret, «Tabari», dans El, t. IV, p. 607-608." 1. Abd-el-Jalil, op. cit., p. 123. 2. Sur cette histoire, cf. H u a r t , Littérature, p. 59 sq., 173 sq. ; Abd-el-Jalil, p. 79, 81, 83, 127-128; Sauvaget-Cahen, Introduction, p. 24-31. 3. Sinon quelques parallèles de surface, comme celui qu'on pourrait établir entre la méthode des Vies et celle des Tabaqât. 4. Puisque c'est là, a u t o u r du Prophète, que se sont d'abord trouvés ceux auxquels on pouvait demander les traditions nécessaires. Malgré l'obscurité qui enveloppe ces débuts (cf. Sauvaget-Cahen, op. cit., p. 31), on constate que, j u s q u ' a u milieu du II e siècle de l'Hégire (année 767 de J.-C.), les historiens connus (on fait abstraction des simples Informateurs comme llm 'Alihas. W'ahb h. Muiuibliih*. les l'iinlonrs i-oiium- T h i i v i l . b. Sarya [ou Sariyya ; cf. Pellat, introd. à ô à h i ï , Kitâb at-tarbV, p. X V I I , 21]), sont nés à Médine (Zuhrï, m o r t en 124/742 ; Musa b. ' U q b a b. Abl 'AyyâS, m o r t en 141 /758 ; Ibn Is^âq, m o r t vers 151 /768). Seuls de cette période M u l j a m m a d al- Kalbl ( m o r t en 146/763) et Abû Mitjnaf ( m o r t en 157/774) sont nés en Irak, mais ils a p p a r t i e n n e n t à u n milieu arabe ou arabisé t o u t imprégné de traditions, et leurs grand'père et arrièregrand'père respectifs ont c o m b a t t u aux côtés de 'Ali : c'est q u ' e n effet, j u s q u ' à la chute des Umayyades, l'histoire reste dominée, au travers des dissensions internes (Abû Mlbnaf p a r exemple représente u n point de vue irakien et k û f i e n , foncièrement antiumayyade), par la tradition arabe, particulièrement vivace à la cour de Damas, et les historiens ou les t r a n s m e t t e u r s ( ' U b a y d b. Sariyya, Wahb, Zuhrï) feront le voyage de Syrie (sur le cas, moins clair de 'Awâna b. al-I^akam, cf. Saleh el-Ali, dans El [2], t. I, p. 782-783). Ce n'esf qu'ensuite, comme en d'autres domaines, q u e l ' I r a k intervient de façon plus prononcée avec Sayf b. ' U m a r ( m o r t après 170/786-787), Abû 1-Yaq?ân (Suhaym b. Haf?, à ne pas confondre avec le Compagnon du P r o p h è t e , appelé également Abu 1-Yaqîàn, mort en 190/805-806), a l - H a y t a m b . ' A d ï (mort vers 206-209/821-824), HiSâm al-Kalbl (mort en 204/819), Abû ' U b a y d a (mort vers 210/825), Ibn HiSâm (mort en 218/834), Abû N u ' a y m al-Mulâ'i (mort en 219/834, au reste connu comme informateur), Madâ'inï ( m o r t vers 215-231/839-845), Ibn Sa'd ( m o r t en 230/845), etc., mais on p e u t considérer qu'il s'agit là d'écrivains travaillant sur u n donné déjà acquis (Ibn Sa'd en particulier a été secrétaire de Wâqidî [cf. ci-après] et I b n HiSàm s'inspire d ' I b n Ishâq) et qui reste, malgré les prises de position divergentes, f o n d a m e n t a l e m e n t arabe (cf. les titres donnés p a r C. Pellat dans Milieu, p. 142, 144) ; du reste, la t r a d i t i o n péninsulaire reste vivace avec Ibn Zabâla à Médine (il écrit son histoire de la ville

•Voir A d d e n d a , page 404

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Géographie humaine du monde

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et, même exportée l , elle garde jalousement ses souvenirs. Répondant en effet à « une exigence interne et naturelle de la communauté musulmane» 2 , elle vise à garder en l'état, in illo tempore, les actes essentiels des Arabes et du Prophète. Les récits qu'elle colporte sont de deux ordres 3 : il y a, d'un côté, une histoire exclusivement populaire, celle des faits de gloire des tribus (aygâm) et de Muhammad (magâzl), sorte d'épopée en prose et vers mêlés, fondée sur la répétition et l'enregistrement mécanique du passé national par la voie orale et sur leur corollaire : le passage progressif à la légende. Mais, de bonne heure, le souci de lutter contre la dégradation continue du souvenir des instants ou des gestes fondamentaux, la nécessité de se référer au passé pour y retrouver, une fois le Prophète mort, des exemples et des conseils, ont entraîné leur consignation par écrit, selon une méthode d'investigation plus rigoureuse. L'acte d'écrire, bien que simple support d'une transmission restée profondément populaire et orale 4 , fait intervenir une démarche plus scientifique, celle de la chaîne de garants (isnâd), fondement même du hadït : l'histoire est ainsi comme une parente de la science de la tradition, et ce d'autant plus qu'au-delà des méthodes, elle s'en rapproche aussi par une remarquable communauté des fins. La frontière est en effet imprécise et les empiétements fréquents, entre la notation du fait historique, la collecte philologique et l'enregistrement d'une jurisprudence ou d'un dogme fondés sur un passé idéal 6 : en ce sens, l'histoire est réellement « une discipline auxiliaire des sciences de la loi». « Mais l'unité de style, si patente en elle, n'implique pas l'unité de vues : car, si elle participe du hadït pour la rigueur de la méthode, elle est tout autant, pour ses données, tributaire en 198/814 : cf. Ibn Rusteh, trad., p. VI, 63 [et note 3], 66, 81 [et note 4), 84 [note 5] ; J. Sauvaget, La mosquée omeyyade de Médine, Paris, 1947, p. 26), Azraqï à La Mekke (mort en 244/858), az-Zubayr b. Bakkâr, biographe et généalogiste des QurayS (mort en 2 5 6 / 8 7 0 ; cf. DahabI, Tadhira, t. II, p. 528) et Wâqidï (mort en 208/823), cadi de Bagdad, mais né à Médine. Dans un troisième temps enfin, qui déborde le cadre chronologique de ce chapitre, soit après les années 246/860 —• ou, si l'on préfère, parallèlement à une vision plus large de l'histoire : Balàdurî, Tabarî... — le genre des monographies s'étend à la Haute-Mésopotamie, à l'Iran et au Hurâsân, avec des auteurs originaires de ces contrées : cf. Huart, op. cit., p. 177 (les notices sur les auteurs sont à chercher dans DahabI, Taikira, s.v.). 1. Dans l'espace (les Médinois et les Mekkois en Irak) ou dans le temps (en 272/885 par exemple, Fâkihi compose encore à La Mekke une histoire de cette ville). 2. Abd-el-Jalil, op. cit., p. 125. 3. Sauvaget-Cahen, Introduction, p. 25 sq. 4. Cf. L. Massignon, Parole donnée, Paris, 1962, p. 234, 237. 5. Ce qui explique que les historiens sont en même temps philologues ( A b û ' U b a y d a et, à la limite, Açma'I, plus philologue qu'historien) ou traditionnistes (l'énorme majorité des premiers historiens arabes est consignée dans la Tadkirat al-huffâ} de DahabI ; cf. également, en matière de transmission, le double rôle de Wahb b. Munabbih ou d'Ibn 'Abbâs pour le hadit et pour l'histoire). 6. Sauvaget-Cahen, op. cit., p. 31.

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de ses flottements : ce qu'elle enregistre avec lui, au gré des options déformantes des auteurs, ce sont les divisions internes, jadis fixées, avant l'Islam, sur l'honneur des clans et l'antagonisme des tribus, et transposées désormais, depuis la mort du Prophète, en des affrontements politiques plus vastes autour de la dévolution du califat. Ainsi naît le genre des ahbâr (récits rapportés), de style uniforme mais de contenu varié, où se rencontrent, sous la même estampille de la tradition, les généalogies (ansâb), les vies de Muhammad et de ses Compagnons, les tableaux de générations (tabaqât) de personnages célèbres, l'histoire de telle ville, de tel groupe ethnique, professionnel ou social 1 : en un mot, l'art des monographies. Histoire, géographie et tradition.

Science grecque et science arabe

Il manque, certes, à cette histoire une composante nécessaire : celle de la continuité synthétique d'un récit regroupé autour de quelques dates majeures. Jusqu'à Wâqidî 2 , la datation ne sera cultivée que de façon épisodique et finalement accessoire, puisque aussi bien l'essentiel n'est pas tant, dans l'ensemble, d'enregistrer un déroulement historique que de remonter à un passé désormais arrêté. Le caractère fragmentaire de l'histoire arabe à ses débuts n'est, de ce point de vue, que le résultat de la projection dans l'actualité, au hasard des besoins de la politique, de la jurisprudence ou de l'exégèse, de tel ou tel aspect du passé idéal pris comme système de référence. C'est par là que l'histoire est, fondamentalement, la science de la tradition. Non que son existence soit traditionnelle au sens courant du terme, puisque son apparition est liée au mouvement, jeune encore, de l'Islam, mais parce qu'elle vise, avec le hadït et les sciences de la langue, à maintenir et à rendre précisément traditionnelle cette irruption, dans l'histoire, du phénomène dont elle est fille. Ainsi chargée des valeurs du passé, elle se situe, semble-t-il, à l'opposé d'une certaine géographie, de celle qui, par une démarche inverse de la sienne, emprunte au dehors une science très ancienne, certes, mais dont la renaissance fait, au milieu du in e /ix e siècle, figure de révolution. La distance entre le donné islamique, vieux à peine de deux cents ans, mais en voie de fixation, et le donné grec, plusieurs fois séculaire, mais alors dans toute la fraîcheur de sa résurrection, n'est qu'un des aspects de la grande controverse où va se trouver plongé l'Irak d'après 850. Celle-ci va être d'autant plus âpre que les deux sciences arabe et étrangère ne vont pas se contenter de s'opposer de part et d'autre d'une frontière idéale qui délimiterait leurs domaines respectifs, mais bien s'atta1. Tradition vivace : plus tard, soit à partir de la fin du i n e / i x e siècle, la nouvelle fonction du wazir aura ses ahbâr : cf. Sourdel, op. cit., p. 6-7. 2. Cf. Sauvaget, Introduction, 2« éd., p. 33. André Miquel.

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quer sur leurs propres terrains. L'astronomie grecque, par exemple, va mettre à rude épreuve la conception de l'architecture terrestre et cosmique telle qu'elle découle du Coran et du hadlt. Inversement, les pratiques en honneur dans la Péninsule, touchant l'observation des étoiles, le traitement des maladies ou la connaissance des simples, se heurteront d'aventure à celles que recommandaient les maîtres grecs. 1 Or, au centre de ces interférences, dans ce brassage des connaissances de tous ordres et de toutes origines qui caractérise la Bagdad cosmopolite des années 850, la géographie s'affirme précisément, on l'a vu, comme le symbole de la totalité, du refus de la spécialisation ou de l'exclusive. Aucune autre discipline ne peut lui disputer l'honneur d'avoir été comme elle ouverte à toutes les influences sans exception. C'est par cette vocation éminente à représenter l'ensemble du grand mouvement scientifique d'alors que la géographie, touchant à toutes les autres recherches, est autre chose que chacune d'entre elles. Sa relation avec l'histoire*, qui nous occupe ici, est de cet ordre. 2 Comme les autres sciences, l'histoire intervient, pour une large part, dans les œuvres géographiques, par exemple à l'occasion d'un lieu célèbre : on voit alors apparaître un de ces ahbâr dont nous avons parlé, appuyé ou non sur une chaîne de garants. 3 Cette histoire que nous appellerons traditionnelle, pour la distinguer de celle qui voit le jour dans la deuxième moitié du m e / i x e siècle, loin de déformer la géographie à son profit, s'intègre au contraire parfaitement, on y reviendra 4 , à son propos. Même chez un auteur comme Ibn al-Faqïh, où elle tient un rôle prépondérant, elle ne réussit pas à faire de l'ouvrage une histoire, par le simple fait que, dans l'énorme majorité des cas, les développements de cet ordre sont reliés à un propos qui ne ressortit pas à l'histoire, mais à la description du monde, et qui, n'étant perdu de vue à aucun stade du déroulement sinueux de l'œuvre, suffit à lui conférer une unité à laquelle l'histoire, avec les autres sciences, se plie. Inversement, et même si l'on ne peut parler de soumission de la géographie à l'histoire, ne peut-on du moins établir, à l'origine, une filiation de l'une à l'autre ? Cela nous paraît tout à fait problématique. Dire en e f f e t 8 que la géographie se trouve d'abord dans les ouvrages d'histoire, comme ceux de Wâqidï, sous la forme de monographies, relève, nous le craignons, d'une erreur d'interprétation. Car ces passages ne peuvent être qualifiés de géographiques que parce que l'on se réfère inconsciemment, pour en juger, à l'image que les textes postérieurs, voire notre conception 1. 2. 3. 4. 5.

On renverra, pour l'ensemble de ces questions, aux ouvrages déjà indiqués. Pour les rapports de la géographie et de l'histoire, on se reportera au chap. VI i. f. Cf., entre autres exemples, Muqaddasi, trad., § 51, 81, 123, 187 et passim. Infra, chap. V, à propos d'Ibn al-Faqîh. Cf. Blachère, Extraits, p. 10-11 (repris par Abd el-Jalil, Littérature, p. 136).

*Yoir Addenda, page 404

Aux sources de la géographie arabe

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moderne, donnent de la géographie. En réalité, tout ce que nous avons le droit de dire, c'est qu'il existe alors, d'un côté des descriptions de villes ou de pays qui appartiennent au genre historique, et, de l'autre, il faut y insister, des ouvrages d'un ton et d'un style nouveaux, qui sont aussi radicalement différents de l'histoire que de toutes les autres disciplines auxquelles ils empruntent une part de leurs données. On retiendra donc en définitive de la géographie que son originalité fondamentale n'est pas tant d'être née avec les préoccupations du siècle 1 que d'en avoir présenté une vue d'ensemble, qualification qui la rend, entre toutes, apte à donner la meilleure image des affrontements qui marquent le monde de sa naissance, pris entre la nouveauté et la tradition. 1. Elle n'est pas la seule, en effet : les sciences théoriques, pour une large part, sont dans ce cas.

CHAPITRE II

Les orientations décisives du IIIe/IXe siècle; V

géographie et adab ; Gahiz et Ibn Qutayba

Le problème de Z'adab 1 Poser, comme on le doit, le problème des relations entre les diverses disciplines ainsi inventoriées, c'est, en réalité, traiter de l'élaboration d'une culture sur deux plans essentiels : compte tenu des prédominances, arabes ou étrangères, qui jouent selon les branches du savoir, on peut prôner, selon les résistances ou les assimilations possibles, l'unité ou la pluralité de la culture ; ensuite, selon le but qui lui est assigné — approfondissements parallèles de disciplines prises une à une ou interpénétration en vue d'un savoir moins technique, mais plus vaste —, on choisit de spécialiser ou au contraire, de littérariser a les thèmes, on opte ou pour les cénacles de 1. J e suis largement redevable, pour ce chapitre, aux ouvrages de M. C. Pellat touchant l'ensemble de l'œuvre gâl}i?ienne et l'adab. Sur Gâhi? et Ibn Qutayba < géographes», cf. Kratchkovsky, p. 123-126 (128-130), 66-67 (71). 2. L'expression est de G. E. von Grunebaum, op. cit., p. 249-252, 281-282.

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savants ou pour l'avènement d'un public moyen. La discussion sur l'objet du savoir, à quoi se réduit en définitive ce double débat, se sublime dans le problème de l'adab. On donne en général à ce mot le correspondant français de culture, qui ne le serre pas de très près s mais a au moins le mérite d'indiquer en quel sens s'est faite une des deux options signalées. Si le genre de l'adab domine en effet, de façon écrasante, la prose arabe, c'est donc que celle-ci s'est délibérément prononcée non pour la publication de problèmes ou de résultats strictement, techniques*, mais pour l'élaboration d'une mentalité moyenne, avec les dangers que cela comporte. 2 De fait, la mode qui s'incarne dans l'adab se propose d'instruire en amusant, en touchant à tout, en parlant de tout sans insister sur rien, sans approfondir ou du moins sans retomber dans cette autre spécialité qu'est la spéculation pure, elle considère, en un mot, que le goût est affaire de connaissances plus que de science, d'ampleur plus que de profondeur. Facile, donc plaisant, cet adab, qui a marqué la prose arabe presque à ses origines, a pris dès le berceau les proportions d'un monstre. Né de cette éthique composite dont on a parlé, à la fois hindoue, grecque et surtout persane, il transforme très vite son programme en englobant celle-ci dans un ensemble plus vaste. 3 Quittant en effet le domaine un peu austère 4 que lui avait assigné un Ibn al-Muqaffa', il aspire, de code moral qu'il était, à devenir un système d'étude qui tient en une formule : de tout un peu, et en une méthode : l'agrément. Il va ainsi, à travers une prose souple et subtile, s'élever à la hauteur d'un genre littéraire, avant de se figer — et avec lui la prose arabe — en une sorte d'institution qui couvrira et, pour certains, paralysera désormais l'art d'écrire, voué définitivement aux mauvais génies de la digression, de la parenthèse et du coq-à-l'âne. Cette ankylose, perceptible, nous le verrons, à travers l'évolution de la géographie, procède avant tout de la nécessité interne d'un genre qui 1. La traduction française est impossible, en vertu des valeurs multiples prises par le mot au cours de son histoire, dont l'étude reste à faire. Cf., en attendant cette étude d'ensemble, Griinebaum, op. cit., p. 274 sq ; Gabrieli, s.v., dans El (2), t. I, p. 180-181 ; Nallino, Littérature, p. 7 sq. ; Pellat, Langue et littérature arabes, p. 127-128 ; R. Paret, < Contribution à l'étude des milieux culturels dans le Proche-Orient médiéval : 1'« encyclopédisme » arabo-musulman de 850 à 950 de l'ère chrétienne », dans Revue historique, C C X X X V , janvier-mars, 1966, p. 47-100. 2. « Littérarisation de toute pensée qui marque la fin de la contribution de l'Islam médiéval au progrès de l'humanité » (Griinebaum, op. cit., p. 282). Vue à nuancer, certes, mais il reste qu'en façonnant le goût du public pour le facile, en faisant de celui-ci la clé d'un succès qui reste au Moyen Age la fin essentielle de l'acte d'écrire, l'adab n'a pas, tant s'en faut, encouragé la recherche pure. 3. Le processus de cette évolution est mal connu, dans la mesure où nous ignorons presque t o u t d'auteurs essentiels comme 'Abd al-Hamld, Sahl b. Hârûn ou Madâ'inï (sur l'importance de ce dernier, cf. Pellat, Milieu, p. 144-145). Mais peut-être faut-il, dans ce processus, laisser une part importante au phénomène gâhi?ien : cf. infra, p. 45. 4. La tentative d'égaiement par la fable (cf. Kallla wa Dimna, trad., p. 9) n'enlève rien au ton sentencieux de l'ensemble. •Voir Addenda, page 101

Les orientations décisives du IIIe/IXe

siècle

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encourage à la facilité et aux redites, à la compilation et aux banalités plus qu'à la recherche originale, nécessité qui se renforce naturellement, en l'espèce, par le rôle écrasant et stérilisateur qu'y prennent inéluctablement les pionniers, très tôt devenus modèles. De ces maîtres du m e / ix e siècle, chez qui Y'adab élabore son programme et ses méthodes, Gàhiz et Ibn Qutayba restent les figures les plus représentatives. 1 C'est avec eux, d'une part, que Yadab choisit d'être, sous certaines variantes, une culture moyenne, avec eux aussi qu'il délimite les choix possibles entre les diverses influences traditionnelles ou étrangères, la légère distance chronologique qui sépare Gâhi? d'Ibn Qutayba 2 pouvant être considérée, sur le plan de la mentalité collective, comme symbolique de deux attitudes successives par rapport aux sciences nouvelles : l'ouverture et le repli. Gâhiz : son importance

dans l'élaboration

de la géographie

arabe

Une étude d'ensemble sur (jâfriz pourrait ici normalement trouver place, compte tenu de sa situation chronologique, qui le fait contemporain des premières œuvres géographiques connues 3 , et de l'importance de son œuvre : dans l'élaboration de la culture arabo-islamique, Gâhiz intervient en effet non seulement en tant que personne, par la vertu de son génie propre, mais aussi en tant que personnage, par l'autorité que lui confère une légende 4 désireuse d'accréditer sous son nom des thèmes et des styles dont il assume ainsi, volens nolens, la paternité. Sans parler toutefois des dimensions que requerrait une pareille étude 5 , il nous a paru plus opportun d'aborder l'œuvre de Gâljiz en fonction des thèmes qui serrent au plus près ceux que nous retrouverons chez les géographes : dans cet esprit, une place devra, bien entendu, être faite aux fragments conservés du Kitâb al-amsâr wa 'agâ'ib al-buldân (Livre des métropoles et des curiosités du monde), qui pourront donner la mesure d'une certaine géographie gâljizienne. « Mais celle-ci, compte tenu de la personne de l'auteur et de 1. Par leurs mérites propres et aussi par la grâce du temps. Cf. p. 36, note 3. 2. né vers 160/776, meurt en 255/868 (cf. Pellat, Milieu, p. 50). Ibn Qutayba, né en 213/828, meurt sans doute en 276/889. 3. D'Ibn Uurdâdbeh, qui met, rappelons-le, la dernière main à son œuvre en 272/885, la première rédaction étant de 232/846. 4. « Chaque époque a son Gâhi? (Hamadânï, Maqûma jûhifiyya, pourtant assez critique à l'égard de la prose de Gàhi? : cf. éd. de Beyrouth, avec commentaire de Muhammad 'Abduh, 4« éd., 1959, p. 75). 5. Entreprise par M. C. Pellat, à qui je suis redevable des orientations de lecture signalées. 6. D'autres œuvres sont perdues (exemples : Kitâb al-ma'âdin wa l-qawl fi jawâhir al-ard [Des mines et pierres précieuses], Kitab al-afnâm [Des idoles], etc.), ou ne répondent guère à l'annonce du titre, arbitrairement choisi par le copiste (cf. Kitâb al-tarbi', introd. de C. Pellat, p. X , note 1) : exemple : Kitâb al-awfân wa l-buldân (Des patries et des pays).

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du monde

musulman

l'unité 1 de son œuvre, ne saurait être isolée du contexte de la culture gâhizienne dans son ensemble. Or, la somme de cette culture n'est pas à chercher dans un répertoire des thèmes confiés aux divers livres et opuscules spécialisés 2 — tâche qui demeure arbitraire parce qu'opérée du dehors et a posteriori par le lecteur, obérée aussi par toutes les œuvres perdues qu'elle laisse forcément dans l'ombre —, mais dans les ouvrages mêmes que Gàljiz a conçus comme une somme, soit au plan d'un programme de connaissances et de questions à approfondir, soit au plan de l'exécution dudit programme, en un m o t : le Kitâb at-tarbV wa t-tadwïr (Du carré et du rond) et le Kitâb al-hayawân (De la création animée).3 Le Kitâb at-tarbï' wa t-tadwïr : une inquiétude

nouvelle

Le livre du carré et du rond4 est une épître (risâla) adressée à un personnage auquel on prête, par ironie, d'éminentes qualités et qu'on somme de donner un avis magistral sur une foule de questions, dont l'énoncé est la partie essentielle de l'œuvre. Sont ainsi abordés trois domaines fondam e n t a u x de recherches : l'histoire universelle, la religion, le monde. L'étude de la première couvre les données bibliques, mythologiques e t eschatologiques, l'histoire des nations et les traditions relatives à l'Arabie pré-islamique 5 ; elle dessine ainsi le cadre d'ensemble à l'intérieur duquel 1. Dont les études de C. Pellat (bonne vue d'ensemble dans E l [2], t. II, p. 395-398) tendent fort justement à rétablir l'idée, trop obscurcie par la légende et les infortunes de la transmission. 2. On nous objectera que, même sous un titre spécialisé, les écrits de Gâhi? touchent à tout. Cela n'est pas si sûr. Une fois la part faite aux avatars des textes et à la fantaisie des titres, on constate qu'en réalité les essais (rasà'il) comme les grandes œuvres (Bayân, Bubalà') restent caractérisés par un dessein parfaitement net. C'est précisément ce dessein et sa délimitation, selon les cas, dans l'ordre apologétique, littéraire, politique, moraliste, ethnographique, etc., qui nous incitent à voir dans ces œuvres l'illustration, sur tel ou tel point qu'elles approfondissent, d'une conception générale de la connaissance, ce qui nous autorise, le cas échéant, à faire référence à ces ouvrages pour éclairer tel point du Tarbl' ou des Hayawân. Reste l'objection chronologique : l'illustration dont nous parlions ne tient pas, puisque les HayawHn prennent place à la fin de la carrière gâhizienne (immédiatement avant 232 : cf. Pellat, Inventaire, n° 57, et introd. au Tarbl', p. XII). Je vois là,pour ma part, un argument inverse : une encyclopédie comme les Hayawân ne s'improvise pas, elle se porte des années durant. La même remarque vaut pour le catalogue qu'est le Tarbl' : à quelque date qu'il ait été mis par écrit (il l'a été, en fait, vers 227-230/842-845, soit plus de vingt ans avant la mort de &âhi? : cf. Pellat, Inventaire, n° 164, et introd. au Tarbl', p. XII), il apparaît bien que ces problèmes innombrables sont ceux-là mêmes qui ont agité l'auteur toute sa vie durant. 3. Il s'agit, en fait, on le verra, de la création dans son ensemble. Sur ce titre, cf. p. 45, note 3. 4. Titre dû sans doute à un copiste (Pellat, op. et loc. cit.), qui l'a tiré du § 30 de l'ouvrage. 5. Bible, mythologie, eschatologie : § 38, 39, 40,43,47, 60, 63, 76, 77, 188; religions

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viendra, à son heure, s'inscrire la nouvelle religion. Celle-ci, du reste, n'est pas t a n t abordée par son histoire propre qu'à travers les problèmes, d'ordres divers, qu'elle suscite. 1 Elle met ainsi en cause une certaine conception de la connaissance du monde dont la place et l'intérêt sont primordiaux, puisqu'elle englobe les sciences cosmologiques et mathématiques, la physique, la géographie générale et la géologie, la zoologie, l'ethnographie, la médecine et la magie. 2 Le TarbV n'est pourtant pas un simple catalogue, il ne présente pas, da façon statique, quelques connaissances prises au hasard, mais « les problèmes les plus délicats qui se posent à la conscience d'un rationaliste musulman du m e siècle de l'Hégire. 3 » Il est sans doute ainsi le premier ouvrage qui développe, de façon systématique et dynamique, le problème, évoqué au début de ce chapitre, des interférences entre les diverses préoccupations du siècle. E t le titre apocryphe de l'ouvrage, qui évoque, à travers on ne sait quelle quadrature du cercle, une inquiétude fondamentale de l'esprit, reconquiert ainsi une authenticité que la stricte histoire lui refuse. Le chemin est considérable entre cette inquiétude et un examen d'une autre sorte, celui de l'esclave Tawaddud des Mille et une Nuits4 : ici, la connaissance, devenue stéréotypée, est instrument de succès social et objet d'une joute dont la mise en scène n'est pas sans rappeler certains «jeux» de notre époque. Rien de cela dans le TarbV, où l'esprit cherche, pour son propre compte, à dépasser les contradictions possibles de deux sortes de systèmes : le patrimoine de la tradition arabe et le rationalisme de la gensée grecque. 6 Une bonne part de l'attitude de Gâhiz s'explique par cette confrontation entre les nécessités du sentiment, qui le lient à la première, et celles de l'esprit, qui l'inclinent à la seconde; confrontation d'autant plus délicate que la position de fiâhiz, sur le premier des deux termes, n'est pas forcément la diverses : § 133, 137, 163-164 ; histoire et civilisation des nations étrangères : § 44, 45, 46, 48, 155, 156 ; Arabie pré-islamique : § 38, 41, 134-135, 145. 1. Légende musulmane : § 63 ; théologie, mystique, philosophie jurisprudence ( f i q h ) , problème de l'imamat : § 43, 73, 74, 130, 133, 135, 136, 157-160, 171. 2. Cosmologie, mathématiques, musique : § 64, 147-148, 150-153 ; physique (optique surtout) : § 167-170, 173-174, 1 7 7 ; géographie générale (pûrat al-arçt, merveilles du monde) et géologie : § 39, 44, 46, 47, 51, 63, 64, 78, 80, 175 ; zoologie (bestiaire naturel ou légendaire) : § 40, 41, 42, 44, 49, 50, 53, 56, 73, 78, 79, 1 4 6 , 1 8 0 , 1 8 1 , 1 8 7 , 1 8 8 ; ethnographie (aptitudes des races, description des techniques) : § 48, 64, 78, 172 ; médecine (théorie des humeurs) : § 144, 152 ; magie (sous diverses formes) : § 68-70, 75, 76, 139-142, 176, 183, 184. 3. Pellat, op. cit., p. X . 4. Cycle bagdadien du x" siècle, déjà touché par l'ankylose de Yadab. Cf. E. Littmann, dans El (2), t. I, p. 369-375 (avec renvoi, p. 375 [1], à l'étude de J. Horovitz, t D i e Entstehung v o n Tausendundeine Nacht», dans The Rtview of nations, n ° 4, avril 1927). 5. Pour l'exposé, qui suit, de l'attitude gâbUienne, nous renvoyons aux divers ouvrages de C. Pellat.

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même selon qu'il s'agit de patrimoine spirituel ou de patrimoine scientifique. C'est pour pour celui-ci que Câtiiz ressent, en vertu de son rationalisme mu'tazilite\ la nécessité d'une réforme ; mais il reste entendu que la révision des vieilles données de la mythologie arabe dans le cadre d'un système de pensée mieux adapté aux temps nouveaux ne doit pas se faire au détriment du patrimoine spirituel.a La Perse, vue sous cet angle, paraît dangereuse à ôâhiz, sans doute parce que voisine, présente même dans les mœurs, l'armature du califat ou la littérature d'adab à la manière d'un Ibn al-Muqaffa'. Devant le succès de l'Iran et les conséquences qu'il entraîne, d'une part sur le plan politique avec la remise en cause de la préséance arabe 3 , d'autre part sur le plan religieux avec la résistance vivace du zoroastrisme, sur le plan de la culture enfin avec la contamination du système de valeurs traditionnel4, Cafti? refuse la rencontre et se tourne vers la Grèce, qui est loin et qui est morte. J e veux dire par là qu'elle offre l'avantage de fournir un système de pensée et de connaissances sans menacer, de façon directe et présente comme le fait la Perse, l'arabisme dans ses sources vives. Le rationalisme qui inspire la démarche grecque comme celle des Mu'tazilites permet, aux yeux de Gâhiz, de rénover l'Islam sans en mettre en cause les fondements et notamment le substrat arabe. L'attitude de Càhiz vise donc, au fond, à préserver du contact de la Perse les structures traditionnelles de la société et de la mentalité arabes, tout en élargissant, par le contact avec la Grèce, le champ des connaissances de cette société : c'est une attitude expansive sur le plan du savoir et défensive sur celui des valeurs. 6 Elle est très perceptible dans le TarbV et dans les orientations que l'ouvrage suggère, chemin faisant, à la faveur des problèmes évoqués. L'idée centrale est qu'il faut récuser toute interprétation des faits qui ne tient son autorité que du mythe. ' En s'attaquant, sur ces questions, à des per1. Sur le mu'tazilisme, cf. A. N. Nader, Le système philosophique des Mu'lazila, Beyrouth, 1956 ; Ahmad Amln, Duhti al-Islâm, t. III, p. 21-207. 2. Ceci est une constante de l'attitude moderniste arabe : les Salafiyya du xix* siècle situeront eux aussi leur mouvement dans un contexte de progrès scientifique par imitation de l'Occident et de traditionalisme moral par refus du matérialisme de ce même Occident. 3. Sur le mouvement nationaliste de la Su'ûbiyya, cf. D. B. Macdonnald, dans El, t. IV, p. 410. Sur les raisons de l'attachement de Gàhi? à l'arabisme, cf. Pellat, Milieu, p. 54. 4. E t ce d'autant plus que les valeurs iraniennes — honneur, noblesse, chevalerie... — sont très proches du système traditionnel arabe, qui peut bien les assimiler, mais y perd un peu le souvenir de ses origines et la gloire de les avoir inventées par lui-même (cf. Grûnebaum, op. cit., p. 279; B. Farès, L'honneur chez les Arabes avant l'Islam, op. cit.). Au fond, le danger, avec la Perse, c'est qu'elle est trop proche, à tous les points de vue. 5. On verra (p. 47-48 et 61) qu'il convient de nuancer un peu ce jugement. 6. Un exemple : celui de la marée (§ 175), à propos duquel Gâhi? combat le mythe selon lequel le flux et le reflux sont produits par un ange qui trempe son pied dans

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sonnages aussi légendaires que K a ' b al-Aljbâr ou 'Ubayd b. Sariyya, 1 Gâljiz entend bien, sans doute, par souci national, dégager l'univers mental des Arabes de tous les emprunts étrangers qui se sont accrédités sous ces noms prestigieux. ' Mais il veut aussi, en faisant table rase, revenir à une saine interprétation du monde fondée sur trois critères : la raison, l'observation, le Coran. 3 La raison est donc celle qu'on emprunte à la Grèce, chaque fois que les données de sa science sont recevables au regard du dogme musulman», chaque fois aussi qu'est possible un mode de discussion dialectique inspiré de la philosophie grecque : « Direz-vous que les corps célestes ont une couleur ? demande Gâhiz. 5 Si oui, c'est qu'ils assument toutes les modalités de la forme corporelle, ce qui est contraire à l'opinion reçue ; s'ils sont sans couleur, c'est que le ciel n'est pas entièrement réductible à la nature céleste ». Grecque encore la croyance à la vie propre de l'idée 6 : « Le beau (,husn, xaXov), étant synonyme de liberté, de mérite, de noblesse et d'absolu, ne laisse aucune prise au temps, qui ne le flétrit ni ne l'altère ; il se moque des amulettes, des précautions, des cachotteries, des pinceaux et du fard ». Cette primauté de la raison Çaql), le monde en effet, qu'il s'agit d'étudier, en offre, par son ordre, le spectacle : aussi bien Gâljiz ouvre-t-il la porte, sur le plan de la théorie pure où se place le TarbV, à une attitude fondamentale de l'esprit : l'acte de la vue, l'observation directe Çiyân), dont on verra l'importance à propos des Hayaœân, mais que le TarbV, déjà, fonde en droit, comme moyen privilégié de connaissance, complémentaire du raisonnement. « J ' a i vu, écrit Gâljiz 7 , des gens renâcler à la vérité lorsqu'elle est connue par une démarche de l'esprit (istinbât a n ), mais je n'en ai jamais vu qui s'entêtent lorsqu'elle est connue de visu Çiyâna") », et plus loin : « La tradition, lorsque son origine est fondée et sa propagation par conséquent valable, prouve la vérité avec autant de force que le témoignage direct Çiyân) ». 8 Ce que Gâljiz entend ainsi promouvoir, avec ce l'eau ou l'en retire. La tradition remonterait au Prophète lui-même : références dans TarbV, p. 196. X. Ou Sarya : cf. références p. 29, note 4. 2. Cf. Pellat, op. cit., p. XV-XVII. 3. La sunna du Prophète n'est pas citée une seule fois dans le Tarbi'. 4. Nombreux exemples d'interprétations grecques : théorie des humeurs (§ 144, 152), philosophie platonicienne et aristotélicienne (§ 83), théorie de la musique selon Euclide, Mûristus (cf. H. G. Farmer, dans El, Suppl., s.o.) et Pythagore (§ 150), théorie de la balance (§ 172 : garas/un, ¿apia-ricov ; cf. E. Wiedemann, dans El, t. II, p. 802-805), etc. 5. § 174. Autre exemple : § 62 (à propos des personnages mythologiques de haute taille et de longue vie). Cf. toutefois infra, p. 47, note 5. 6. Le passage est peut-être interpolé (cf. Pellat, p. VII-VIII), mais le ton reste en accord avec le reste de l'œuvre. 7. § 129. 8. § 81. Les droits de la tradition orale imposent d'ajouter, comme le fait Gâhiç : • et donne & l'esprit la même satisfaction que l'information orale [directe, sans inter-

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« réalisme rationaliste» 1 , c'est une science vraiment humaine, dégagée de toutes les mentalités mythiques et magiques : mutatis mutandis, un positivisme avant la lettre. Reste, dira-t-on, que l'étude du monde, même ordonné, ne s'ouvre pas entière à la r a i s o n r e s t e , en d'autres termes, la part imprescriptible du mystère, c'est-à-dire de Dieu. E t pourtant, même ici, la raison garde sa place, car le concept de merveilleux Çagïb)3, qui est le signe de l'irréductibilité à cette raison, admet plusieurs approches. La première consiste à considérer que le merveilleux est, en fait, un caractère tranchant sur l'ordre prédominant d'une série, mais qui reste a priori justiciable de l'examen rationnel. Lorsque Gâhiz, par exemple, conteste les caractéristiques « merveilleuses » de la chauve-souris 4 , réduites par lui de soixante-dix à sept seulement, il ne fait guère que cerner une sorte de champ d'originalité dans l'ordre d'une espèce animale, que décrire les apparents mystères comme des phénomènes perceptibles, analysables et limités. Le merveilleux n'est donc, à la limite, que l'occasion de la recherche : ceci est fort visible en un passage du TarbV où Gâhiz, de façon systématique, pose le pourquoi de l'inquiétude rationnelle devant des phénomènes qu'une tradition paresseuse explique par le seul m y t h e 6 : pourquoi l'or, au contraire du verre, ne se fabrique-t-il pas ? 6 Pourquoi l'habitude, en matière de poisons, entraîne-t-elle l'immunité ? Pourquoi la couleur noire s'impose-t-elle aux autres couleurs, qui toutes à leur tour s'imposent à la blanche ? Inquiétude donc, mais pas seulement, au bout du compte, intellectuelle : car le propos de ô â h i z 7 se teinte, en fin d'ouvrage, d'une très nette religiosité qui éclaire a posteriori l'attitude du penseur face à la divinité de la création. Admettre le mythe sans réflexion, cela revient sans doute à médiaire : sarnâ'] », Gâhi?, après avoir ainsi fait du ' iyàn une sorte de critère idéal, ajoute encore : « Cela posé, la tradition ne fait pas connaître (comme le ' i y â n ) les choses dans le détail de leur être ( t a k a y y u f ) , mais seulement dans leur ensemble. » 1. Fortifié par le contact avec la Grèce, mais déjà en germe à Baçra : cf. Pellat, Milieu, passim ; El (2), loc. cit. 2. Sur la conception mu'tazilite d'une construction rationnelle de l'univers, et sur ses limites, cf. Hayawàn, t. I, p. 33 ; Nader, op. cit. ; et dans El (2), t. I, p. 360 (TJ. de Boer, « 'àlam ») et 418 sq. (L. Gardet, « Allah »). Un exemple de la croyance à cette construction est donné par les IJayaivân, avec les deux ordres de preuve de la création : l'infiniment grand et l'infiniment petit (cf. infra). 3. Du développement duquel on verra l'importance (cf. chap. Y). Pour l'étude qui suit, nous nous en tenons aux exemples où la raoine 'gb est prise en son sens fort de « merveilleux », en laissant par ailleurs de côté les parties du Tarbi' dont l'appartenance au texte initial est douteuse (indiquées typographiquement dans l'éd. Pellat). 4. § 181. 5. § 78, 79. 6. On remarquera au passage que ôàhiz semble refuser pour son compte la croyance à la transmutation de l'or. 7. On se souviendra, ici encore, que le mu'tazilisme se propose avant tout, par le recours à l'argumentation rationaliste, une meilleure défense de la foi : cf. p. 27, note 1.

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refuser de s'interroger sur le mystère, mais aussi à imiter les adversaires du Prophète, qui ironisaient sur la merveille de sa prédication et, laissant leurs esprits en friche, reculaient devant l'effort de réflexion nécessaire : car « les cœurs sont secs, sourds a u x appels et aux questions, paralysés par la routine ». 1 Ainsi donc, l'inquiétude, la recherche sont plus que la règle d'or : l'action de grâces par excellence. E t si le mystère semble décidément sur certains points inattaquable 2 , l'acte de dévotion sera non pas d'inventer, pour l'expliquer, un conte à dormir debout, mais de poser « un doute méthodique » 3 qui préserve au moins la possibilité de recherches futures : en ce qui concerne les récits relatifs à la longévité des personnages du passé, « nous ne trouvons, écrit Gâhiz 4 , pour ou contre eux, aucun témoignage péremptoire, aucune preuve formelle : la recevabilité de leur message nous interdit de les réfuter, mais l'absence de tout argument probant nous interdit de les considérer comme fondés». C'est donc, poursuit Gâhiz, le doute qui prévaut, synonyme non pas d'arrêt de la recherche, mais d'acharnem e n t à celle-ci, avec ce qu'elle entraîne de difficultés, physiques ou morales. Que le «merveilleux», ainsi réinterprété, soit la source d'une attitude spirituelle, que la recherche, formant l'intelligence, donne en même temps à l'homme les moyens de sa conduite, expliquent que le TarbV s'achève sur une série de sentences. E t par là, l'adab exclusivement moralisateur des pionniers de la prose arabe s'intègre, pour le polariser, à cet adab plus vaste qu'est pour Gâhiz la recherche totale. L a Grèce sert à la fois ici de symbole et de cadre : de symbole, car, en demandant à ses sages, et à eux exclusiv e m e n t 6 , les règles de la conduite humaine, Gâhiz entend bien montrer que la Grèce est la seule qui ait réussi à englober harmonieusement la totalité de la connaissance, par l'intégration de la démarche scientifique au système plus vaste de la formation de l'esprit. D'où l'importance du cadre ainsi tracé : les maximes finales du TarbV, même habillées à la grecque, ressemblent en fait de fort près à celles d'Ibn al-Muqaffa' et peuvent venir de l'Iran aussi bien que de l ' o u e s t 6 ; que l'Iran, pour les raisons qu'on a dites, ne soit pas mentionné ici, importe peu, puisque aussi bien un peu de son esprit demeure. Ce qui s'opère en réalité, sous le patronage 1. § 204-205. 2. P a r exemple sur le nombre infini (§ 37).

3. Pellat, introd. au TarbV,

p. XV. Cf. Kilâb

al amsâr, p. 171 : « le doute, de par

la volonté de Dieu, mène à la certitude. » Même idée dans Tarbi', p. 19. 4 . § 59. 5. Ce couronnement moral du Tarbi' est placé uniquement sous des noms grecs (Hippocrate, Platon, Polémon, Démocrite, Aristote, etc. : § 190 sq. ; à noter toutefois la présence [§ 194] du médecin juif Mâsargis, au reste simple t r a n s m e t t e u r [traducteur du syriaque en arabe]) ; on trouvera n o t a m m e n t (§ 190) le f a m e u x « tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien». 6. Un t e x t e comme celui du § 197 rappelle les aphorismes de Kallla

ou de l'Adab a$-$agir, et le Kallla est expressément cité au § 156.

tva

Dimna

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conciliateur de la Grèce, c'est l'intégration de l'adaô-éthique à Yadab-recherche. Peut-être tenons-nous là, en définitive, une des clés de l'évolution et de l'élargissement du genre. E t a n t donné que la géographie, comme toutes les productions de la littérature arabe, porte l'empreinte de Yadab, ce n'est pas sortir du sujet qui nous occupe que de marquer le pas un instant. 1 A qui tente de définir ce concept fuyant et multiforme, une double vérité s'impose, apparemment contradictoire en ses deux propositions : d'une part, on l'a dit, Yadab, quand il est conçu par un Gâljiz : comme un programme et un esprit de recherche, est, objectivement, tout à fait différent de Yadab quand il est traité par un Ibn al-Muqaffa' : comme un recueil de maximes. Mais d'autre part, il apparaît que, dans l'esprit des Arabes — lesquels, d'ailleurs, n'ont guère éprouvé le besoin d'une distinction au niveau du mot —, il s'agit là d'une seule et même chose, vague certes puisqu'elle admet des traductions aussi diverses que culture, politesse, honneur, étiquette, code inhérent à telle ou telle activité, mais qui retrouve pourtant une assez forte unité sous le vocable commun de « règles pour une conduite », que celle-ci intéresse le corps, le cœur ou l'esprit. Il n'y a donc, dans ce concept de Yadab tel qu'il est ressenti par les Arabes, aucune coupure entre Ibn al-Muqaffa' et ftâhiz, entre un code moral et une démarche de la connaissance. Tout se tient, et le savoir ne se dissocie pas. Or, nous venons de le voir, il en était déjà ainsi pour Gâhiz lui-même : car il a, pour son compte, refusé cette dissociation, en transformant une morale jusque là édictée en une recherche devant figurer, au même titre que les autres — voire avant elles, on l'a vu, puisqu'elle couronne l'édifice — dans ce programme général de la connaissance qu'est précisément, pour lui Gahiz, Yadab. E t non content de s'en tenir à l'énoncé théorique du TarbV, il a prêché d'exemple dans certaines de ses œuvres qu'il a voulues réservées à cet ordre de problèmes 2 : la morale et les maximes de Yadab précédent y sont, certes, partout présentes 3 , mais l'esprit n'est plus le même. En effet, différence essentielle, elles ne sont plus présentées comme sous le masque définitif et intangible de la norme une fois pour toutes énoncée, mais comme le prétexte et le point de départ d'une étude, celle des moteurs réels de la conduite humaine, que l'on confronte ainsi avec la règle idéale. On quitte donc, en un sens, la morale pour la psycho1. De la même façon, nous serons amené, pour mieux comprendre les orientations de certains géographes, à nous interroger sur l'évolution de l'adab après ôâhi?. 2. Gàhi?, Magmù' (cf. bibl.). Je suis redevable, pour ce passage, aux observations de C. Vial consignées dans l'introduction à sa traduction de ces oeuvres (en préparation). 3. Cf., entre autres exemples, les chaînes de causes et d'effets ( M a j m û ' , p. 17 et passim) et les répertoires (ibid., p. 20, 21, 24 et passim), si fréquents chez un Ibn al-Muqaffa'.

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logie, et la règle du catéchisme pour la méditation personnelle du philosophe, voire du s a v a n t . 1 Si donc les Arabes ont tendance à considérer l'adab comme un tout, c'est peut-être en vertu d'une habitude littéraire instaurée malgré eux par des écrivains comme Gâljiz, dont on sait le prestige. J e dis bien habitude littéraire, car, étant donné le respect qui s'attache ici aux modèles, il suffira, pour accréditer les maximes ou les contes moraux comme une pièce indispensable du bagage des connaissances humaines, non pas que Gâhiz ait eu de bonnes raisons de le faire, mais qu'il l'ait fait, tout simplement. C'est là sans doute, dans ce poids des modèles, qu'il f a u t selon nous chercher la raison de l'intégration définitive de l'éthique aux œuvres d'adab après Gâhiz. 2 Avec cette différence essentielle toutefois, on y insistera encore, que l'esprit de l'œuvre tend à être oublié au profit de sa seule contexture, l'architecture interne au profit de la seule carapace. Le Kitâb al-hayawàn : l'ébauche d'une géographie

humaine

L'œuvre maîtresse de Grâliiz, ce Livre de la création animée (Kitâb alhayawân)3, qui domine l'ensemble de sa production et sans doute de sa vie même 4 , procède de plusieurs sources 6 : le fonds arabe, plus ou moins légendaire, facile alors à inventorier grâce aux travaux des critiques ou lexicographes, mais aussi, bien sûr, l'érudition livresque, traductions grecques surtout, avec, au premier plan, Aristote, dont on cite le Livre des animaux. Cette simple mention pose à elle seule un problème : car, si elle renvoie, de prime abord, à l'Histoire des animaux, on peut t o u t aussi bien penser aux deux traités sur les Parties des animaux et la Génération des animaux.a La question est importante, car elle dépasse le simple problème des sources 1. Cf. p. 6-7 (plaidoyer pour l'étude des causes et motivations), 75 (• la fonction crée l'organe"), 77 (description clinique de la rétention d'urine et de son influence sur le caractère), etc. 2. Celles des géographes, on le verra, aussi bien que les autres. 3. La traduction par « création animée • rend mieux compte, selon nous, du sujet que celle, plus courante, par » animaux » ; car l'homme, on le verra, est au centre du système et, du reste, il s'agit en fait, de façon très générale, de création, animée ou non. Cf. p. 51, note 1. 4. Cf. supra, p. 38, note 2. 5. Sur ces sources, cf. l'introduction de l'éd. A. M. Hàrûn. On retiendra, en particulier, d'une part la trad. du Livre des animaux (sic) d'Aristote par Ibn al-Bitrïq (p. 14 ; cf. ci-dessous, note 6) et, d'autre part, les ouvrages arabes, à but essentiellement lexicographique, composés, avant ûâhi?, sur divers animaux (p. 16). Il faut ajouter, aux deux sources signalées ici, l'expérience personnelle : cf. infra, p. 52-53. 6. Les trois œuvres semblent avoir été connues par une traduction de Yahyà b. al-Bitriq : cf. R. Walzer, «Aristûtàlïs », dans El (2), t. I, p. 653 (1). Il faudrait ajouter deux autres traités moins importants sur la Marche des animaux et le Mouaement des animaux.

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pour toucher à celui de l'élaboration, dans son ensemble, de l'esprit araboislamique du m e /ix e siècle. En effet, les trois œuvres en question sont très différentes d'allure, les Parties et la Génération, qui se font d'ailleurs suite se présentant comme des traités théoriques, régulièrement mis en forme et s'adressant à une élite cultivée, mais non spécialisée, l'Histoire au contraire consistant en une série de notes, dispersées et fragmentaires, sans doute de la main d'Aristote, destinées à être distribuées, comme thèmes de travail ou de recherche, à ses disciples, donc œuvre de technicien, dans une prose à peine élaborée. 2 Or, une lecture parallèle d'Aristote et de Gâhiz montre assez que c'est l'Histoire, en son contenu comme en sa forme, qui est passée dans le Kitâb al-hayawân, et non les deux autres traités. 3 Et du même coup, ce que Gâhiz offre au public cultivé de son époque se trouve être — à peine dégagée, la prose mise à part, du cadre de la fiche de recherches — l'ancienne pâture des spécialistes, et non plus ces traités ordonnés et généraux qu'Aristote réservait en son temps à un public du même genre, à ces 7tsTiaiSsu;^évoi cités, dans la préface des Parties, comme justiciables de la dernière des deux démarches de l'esprit ainsi présentées : « En tout genre de spéculation et de recherche, la plus banale comme la plus relevée, il semble qu'il y ait deux attitudes possibles : à l'une convient le nom de science de l'objet, à l'autre celui d'une espèce de culture (tï)V S' otov TtoiiSeíav Tivá) ». Un changement est donc intervenu dans le concept de culture. Elle n'est plus l'ordre aristotélicien de l'exposé théorique, soucieux de synthèse et d'organisation ; elle réside désormais dans une exaltation de l'esprit de curiosité, qui a pour corollaire, sinon l'inexistence d'un ordre interne, d'un dessein d'ensemble4, du moins l'incapacité à le disposer en pleine lumière, à regrouper un propos autour de lui, la tendance à laisser l'acte d'écrire 1. Aristote le dit expressément au livre I de la Génération et à la fin des Parties. 2. Cf. l'introduction de P. Louis à son éd. des Parties (cf. bibl.), qui définit les nsKtxiSeujjtévoi (Parties, I, 1, 639) comme « ceux qui ne sont pas précisément des savants, mais qui ont reçu une certaine culture générale » : cf. le début des Parties, dont nous donnons la traduction infra. « Il y a, écrit P. Louis, dans l'expression rf)v toO 7TpàYHaTOî è7tKTT7)(i7]v (science de l'objet), un pléonasme qui s'expliquerait par le fait qu'Aristote s'adresse à un public d'hommes cultivés et non de techniciens» (op. cit., p. 1, note 1). On va parfois jusqu'à attribuer aux disciples d'Aristote une partie de la rédaction de l'Histoire (cf. Louis, op. cit., p. X X ) , et même à estimer que la mise en forme définitive de l'œuvre est postérieure à Aristote, ce qui expliquerait la caractère apocryphe des livres I X et X (cf. Groiset, Littérature grecque, t. IV, p. 709, note 1). 3. Le parallélisme des thèmes chez Aristote et 6âhi? pourrait être exposé systématiquement ; à titre d'exemples : pour la salamandre : Histoire (éd. J . Barthélemy-SaintHilaire), t. II, p. 215 ; Hayawân, t. V, p. 309-310 ; t. VI, p. 434-435 ; sur l'influence du climat et des eaux quant aux caractéristiques d'une espèce : Histoire, t. I, p. 271 sq. ; t. III, p. 86 sq., 114 sq., 121 sq., ; Hayawân, t. III, p. 434-435 et passim. Pour un inventaire plus complet de ce parallélisme, cf. T. al-Hâèirï, « TaUrîë nuçûç aristatàliyya min Kitâb al-hayawân», dans Maijallat Kultiyyat al-Âdâb, Alexandrie, 1953 et suiv. 4. Cf. p. 38, note 1.

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siècle

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s'éparpiller dans les sollicitations de l'instant. Mais où chercher les raisons de cet é t a t de choses ? D a n s une méconnaissance des textes, qui a u r a i t interdit à Gâhiz de consulter, en dehors de celle de l'Histoire, les traductions des Parties et de la Génération ? D a n s une inclination propre à notre auteur ? Il est bien difficile de se prononcer à coup sûr. T o u t au plus peut-on noter que, pour ce cas particulier, la sélection opéi ée historiquement entre les trois ouvrages d'Aristote semble répondre à une certaine tendance de l'esprit a r a b e d'alors. C'est Gâhiz lui-même qui l'a défini dans un de ces passages où il s'essaie avec bonheur à la psychologie des peuples : il note le don de l'improvisation et du verbe, la prédominance d'une spontanéité naturelle ( f i t r a ) qui ne s'attache ni a u x causes ni a u x visions globales, mais qui se met en branle sur un détail particulier, lequel déclenche invention et jeu ; c'est, au propre, un génie qui papillonne. 1 Posée en ces termes, pourtant, l'irréductibilité de cette a t t i t u d e à un esprit venu de la Grèce reste du domaine de l'abstraction et l'on n'explique pas, dans les faits, le phénomène historique en cause, qui n'est rien de moins que « l'inefficacité relative de l'héritage grec ». 2 Selon nous, cette inefficacité tient beaucoup moins à l'absence d'une tradition dialectique chez les Arabes d'alors q u ' à une croyance innée aux vertus de cette absence. On veut dire par là que les Arabes, au départ, n'étaient pas, bien évidemment, moins doués que d'autres pour recueillir la succession des Grecs, mais qu'ils ne l'ont pas, fondamentalement, voulu, persuadés qu'ils ont été d'emblée de la supériorité des structures sociales et mentales du groupe auquel ils appartenaient, et par conséquent décidés à aborder la Grèce non d a n s l'esprit d'humilité qui est celui de la leçon 3, mais dans une optique utilitaire qui visait, a v a n t tout, à l'utilisation de la pensée grecque 4 au profit d ' u n e civilisation arabe et islamique dont les valeurs, posées a priori comme supérieures, ne pouvaient être engagées dans le débat. L ' a t t i t u d e d'un Gâhiz, p o u r t a n t marginale et qui représente la limite extrême des concessions consenties, est t o u t à fait p r o b a n t e à cet égard, dans la mesure, on l'a vu, où le b u t qu'il vise, à travers les emprunts qu'il fait à la Grèce 5 , 1. Cette définition est du Kitâb al-bayân iva t-tabijin (citée dans Alimad A m ï n , Fagr al-Islâm : cf. supra, p. 18, note 1). E t A h m a d Amïn de conclure (p. 37) : « Disons, si v o u s le voulez, que la langue est plus déliée que la capacité de réflexion. » Cf. ce que disent Grunebaum, op. cit., p. 291, sur « la vision atomisante », et Blachère, Littérature, t. I, p. 3 0 sg. 2. Grunebaum, op. cit., p. 254. 3. û à h i ? ( H a y a u i â n , t. III, p. 268) déclare expressément que les Arabes n'ont rien à envier a u x « philosophes » ( c'est-à-dire aux Grecs) pour la connaissance des a n i m a u x . 4. Quand ce n'est pas à « l'effort concerté pour éliminer la n o t e étrangère » : cf. Grunebaum, toc. cit., et infra, à propos d ' I b n Qutayba. 5. Soit au plan de la connaissance — et l'appétit de savoir, un peu brouillon, du n é o p h y t e joue peut-être aussi son rôle dans l'inaptitude à la dialectique — , soit au plan de certains procédés méthodologiques (cf. p. 41), dont on peut se demander, après tout, s'ils n'ont pas perdu, en quittant la Grèce, leur vertu dialectique pour devenir de simples instruments d'exposition. André MIQUEL.

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Géographie humaine du monde musulman

n'est pas autre chose que la conservation rigoureuse et même l'épuration du patrimoine arabe et des structures de la civilisation islamique. Il reste que, dans les limites du cadre ainsi tracé, dont on peut dire, en schématisant, qu'elles sont celles qu'imposent une réaction d'auto-défense, une répugnance marquée à mener jusqu'à leur terme, comme le fit la Grèce, les exigences du raisonnement discursif, l'esprit du siècle pouvait, selon ses processus et ses moyens propres, s'ouvrir à des connaissances venues du dehors. Ce fut, au fond, le mérite de Gâhiz de le comprendre. Si l'on songe qu'avant lui, la littérature arabe, poésie mise à part, ne nous présente guère, en son état connu, que des textes dont le propos se situe entre les considérations religieuses, les maximes morales, les développements philologiques et l'évocation de souvenirs traditionnels, on voit d'emblée en quoi réside l'apport principal de cet auteur, notamment dans les Hayawân : dans l'ouverture du monde de la vie aux nouvelles recherches de l'homme. Le thème révolutionnaire donc, c'est celui de la création, non plus réduite aux considérations théoriques de l'astrologie, mais cernée d'une part dans sa réalité concrète, observée, et d'autre part, dans sa totalité, dans l'ensemble des relations et des implications qui relient l'un à l'autre, de façon dynamique, les divers éléments qui la composent. 1 Relisons, à ce propos, la notice que les Hayawân consacrent à la ville d'al-Ahwâz * : « La capitale [de la région] d'al-Ahwâz transforme tout Hâîimite qu'elle héberge en lui conférant une bonne part du naturel et du caractère de ses habitants à elle. Or, laid ou beau, mal bâti ou charmant, un HâSimite se distingue toujours, par quelque trait du visage ou du caractère, de [l'ensemble] des Qurays et des Arabes. 3 Si donc al-Ahwàz peut, sur un Hàëimite, opérer de telles mutations et quasiment en faire un autre homme, le faire déchoir, le dégrader et imprimer sur lui ses effets avec une telle évidence, que penser alors de son influence sur des hommes d'une autre race ? L'esprit taré des gens d'al-Ahwâz et la nature hostile de leur pays font que, malgré d'im1. Cette référence au réel, après tout naturelle dans une œuvre comme les Hayawân, se constate aussi dans d'autres ouvrages, comme le Baydn ou les Bubalâ', dont le propos initial se situe non plus dans le monde extérieur, mais dans des considérations morales ou théoriques. Le souci de localisation géographique, par exemple, distingue radicalelement l'étude des mœurs, telle qu'elle est pratiquée dans les Bubalâ', de l'œuvre d'un La Bruyère ; même remarque pour le Bayân (à opposer, dans le même esprit, à l'ouvrage d'un Quintilien) : plus de trois cents noms de lieux et autres éléments géographiques ou toponymiques, organisés autour de quelques grands thèmes privilégiés qui ne sont autres, déjà, que ces amfâr sur lesquels, après ôàhi?, les géographes insisteront : Baçra, Küfa, l'Irak, le Sàm, le Hurâsàn, Médine, La Mekke : cf. l'anecdote rapportée par Muqaddasï (trad., § 61). 2. Choisie (t IV, p. 140-143) comme exemple des effets ^néfastes du climat. Le choix de l'interprétation, en quelques passages, s'inspire de l'annotation de l'éditeur. On lira, p. 142 i.f., muqâm au lieu de ma'àm. 3. Thème traditionnel (cf. Kitâb al-arnfûr, p. 180 sq.), mais qui va être prétexte à un développement d'inspiration et de ton nouveaux.

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menses richesses et de vastes domaines, on ne les voit guère aimer, quand il s'agit de leurs garçons ou de leurs filles, ce qu'on aime d'ordinaire dans les grandes villes (amsâr), où chacun consent, parfois de façon durable, les efforts qu'autorisent sa richesse et ses moyens ; or, c'est par l'argent, comme vous le savez, que les hommes se font connaître : car enfin, il suffit que quelqu'un, ailleurs qu'à al-Ahwâz, acquière un petit rien pour qu'aussitôt il ne se sente heureux qu'une fois donnés des précepteurs à ses enfants et assurées à ses femmes des satisfactions qui n'ont rien à voir avec celles du passé. Ici au contraire, le sort n'a pas voulu qu'on participe, si peu que ce soit, aux artisanats célèbres de la terre, aux gloires de la culture ou aux renommées des écoles. J e n'ai pas vu, aux garçons et aux petites filles du pays, de bonnes joues rouges, avec du sang à fleur de peau, ni rien d'approchant. Al-Ahwâz est une machine à tuer l'étranger : non que les fièvres, en particulier, l'y saisissent plus vite qu'un autre, mais c'est dans la déclaration de l'épidémie ou dans la disparition de la fièvre que ce pays marque son originalité. En effet, quand la fièvre, ailleurs qu'ici, abandonne quelqu'un, cela veut dire qu'il n'en reste en lui aucune séquelle : si elle l'a quitté, c'est qu'il a trouvé en lui-même le principe de sa guérison, et il restera guéri aussi longtemps qu'en s'abstenant des mélanges, il ne réunira pas en ses entrailles des principes de corruption. Tout autre est le cas d'alAhwâz : ici, la fièvre, après avoir quitté le malade, le reprend, qu'il ait ou non absorbé une impureté ; c'est donc bien qu'il ne s'agit plus ici de gloutonnerie, de mélanges ou d'excès, mais que c'est le pays lui-même qui est en cause. Autre désagrément : al-Ahwâz accumule les vipères dans sa montagne, qui domine et écrase ses maisons, et les scorpions dans ses habitations, ses cimetières et les chaires (manâbir) [de ses moquées]. E t s'il y avait au monde une chose pire que les scorpions et les vipères, al-Ahwâz n'aurait pas été en reste pour la produire et reproduire. Le malheur est qu'il existe, au-delà de la ville, sur des terres salées, des étangs aux eaux lourdes et, dans la ville même, des canaux où viennent se déverser les conduites d'évacuation des latrines, des eaux de pluie et des bassins à ablutions. D'autre part, quand le soleil monte et qu'il reste longtemps face à la montagne, elle attire les scorpions sur ses rocailles ; puis, quand les pierres, sèches et chaudes, sont devenues comme a u t a n t de tisons, elles renvoient aux habitants d'al-Ahwâz tout ce qu'elles ont reçu. E t quand la vapeur malsaine, venue des étangs et des canaux, se conjugue, pour tomber sur la ville, avec le rayonnement de la montagne, l'atmophère se corrompt et avec elle tout ce qu'elle peut embrasser». C'est peu que des monographies de ce genre aient été reproduites par des géographes de tempérament aussi différent que Muqaddasï ou Y â q û t . 1 1. Sur la notice de YâqOt, inspirée de celle-ci, cf. Mu'jam, t. I, p. 286 (rapportée & Hamdânl). Muqaddasï, quant à lui, déclare, à propos d'al-Ahwâz, qu'elle est « la poubelle du monde • (mazbalat ad-dunyd : éd. de Goeje, p. 403) et 11 dit de ses habitants

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Géographie humaine du monde musulman

N o n s e u l e m e n t elles o n t pu, c o m m e n o u s le v e r r o n s plus loin, p a r t i c i p e r d i r e c t e m e n t à l ' a v è n e m e n t d ' u n c e r t a i n e s p r i t d e la g é o g r a p h i e

arabe,

m a i s a v a n t t o u t , elles o n t , en s y s t é m a t i s a n t l ' é c h a n t i l l o n n a g e des o b s e r v a t i o n s e t en é l a b o r a n t , c h e m i n f a i s a n t , l ' é t u d e d u m o n d e à t r a v e r s celle d e s p h é n o m è n e s h u m a i n s , o u v e r t la v o i e a u x r e c h e r c h e s f u t u r e s e t é b a u c h é , d a n s les f a i t s , les différentes c o m p o s a n t e s de la g é o g r a p h i e h u m a i n e , à s a v o i r : d ' u n e p a r t , la r e l a t i o n — d é s o r m a i s é t u d i é e e m p i r i q u e m e n t



d e l ' h o m m e a u m i l i e u p h y s i q u e ( r é p a r t i t i o n des t y p e s h u m a i n s , g é o g r a p h i e m é d i c a l e , g é o g r a p h i e des r é g i m e s a l i m e n t a i r e s e t de la t o i l e t t e ) e t , d ' a u t r e part,

même

lointaine,

d ' u n e a n a l y s e d e t y p e m a r x i s t e ne s a u r a i t , p o u r c e t t e époque,

en un d o m a i n e s é p a r é q u ' a u c u n e p r é f i g u r a t i o n ,

rattacher

a u x données p r é c é d e n t e s , la g é o g r a p h i e des s t r u c t u r e s sociales : c i r c u l a t i o n des biens et d e s p e r s o n n e s , o r g a n i s a t i o n s p o l i t i q u e s e t g r o u p e s s o c i a u x , g r o u p e s r e l i g i e u x e t c o u t u m e s , aires linguistiques e t

culturelles.1

qu'« on ne les voit guère, malgré l'abondance des biens, l'incroyable prospérité du commerce et la qualité de leur artisanat, apporter à l'organisation de leur vie la distinction que d'autres y apporteraient en pareil cas. Quand leurs enfants sont grands, ils les chassent à l'étranger et leur imposent l'épreuve du voyage et du gain, les faisant errer de pays en pays. Le sort leur a refusé toute science et toute culture » (op. et loc. cit.). Le thème est développé plus amplement, un peu plus loin aussi de l'original gâhi?ien, al-Ma'ârif, p. 410 et 411 de la même édition. Il se retrouve aussi chez Ta'âlibî, Latâ'if p. 107-109. 1. Ces différentes composantes d'une géographie ne sont pas à chercher dans le propos même de l'auteur ( H a y a w â n , t. I, p. 42), qui énumère pêle-mêle divers aspects de cette culture qu'on appelle adab, mais dans les livres eux-mêmes (selon l'esprit défini, p. 38, note 2). Sur les types humains, il suffirait de rappeler l'intérêt porté par Gâhi? à l'étude des peuples et des grands groupes ethniques, principalement Arabes, Persans, Zang et Turcs. Citons toutefois, à titre d'exemple, Hayawân, t. V, p. 35-36 (théorie de la « maturation » des races). Sur les considérations médicales et les effets du milieu physique sur l'espèce, cf. Hayawân, t . I, p. 157 (longévité au Fargâna) ; t. I I I , p. 434-435 (effets du désert sur les étrangers) ; t. IV, p. 135, 139 (effets du site du Tibet, de Mossoul et du pays des Zang) ; Bayân, t. I, p. 94 (considérations médicales) ; Bigâl, p. 86 (changement des caractères acquis d'une race lors du transfert d'un pays dans un autre), etc. Sur l'alimentation, cf. Hayawân, t. III, p. 525-526 (sur quelques mets des Arabes); t. IV, p. 46 (sur certains usages alimentaires à al-Ahwâz) ; t. V, p. 429 (sur la fabrication de l'hydromel en Égypte : repris par Ibn al-Faqïh, p. 6 6 ) ; Bubalâ', p. 117 et passim. Sur la toilette et le costume, cf. Hayawân, t. IV, p. 172 (sur un rapport inverse entre fécondité et soins intimes) ; Bayân, t. II, p. 88, 342 ; t. I I I , p. 6, 97, 101, 114 et passim (considérations générales sur l'habillement et le port du turban) ; Bubalâ', p. 123 (sur les sandales du Sind). Sur la circulation des biens et les lieux d'origine de divers produits, cf. Hayawân, t. I I I , p. 143 (sabres hindous); Bubalâ', p. 59, 66, 78-79 et passim; sur la circulation des personnes, cf. Bubalâ', p. 123. Sur les groupements ethniques ou sociaux impliqués dans les luttes politiques, cf. Bubalâ', p. 60-61, 105 ; sur la poste, long exposé dans BiQâl, p. 55-72. Sur les religions, cf. Hayawân, t. V, p. 157 sq. (Juifs, Zoroastriens, Chrétiens), 327-328

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Ce à quoi aboutit ainsi l'œuvre gâhizienne, c'est à peindre, a u sein d'une création totale 1 et en relation avec elle, les activités et les a t t i t u des de l'animal humain. Il y a donc plus q u ' u n e découverte de thèmes : u n esprit, dont la littérature géographique, après ôâhiz, profitera et s'inspirera. Même s'il est abusif, au sens moderne du mot, de parler d ' u n h u m a nisme de Gâhiz, convenons du moins qu'il est le premier, en l ' é t a t actuel de nos connaissances, à poser le problème de l'homme dans le monde, particulièrement en ces Hayawân qui, sous les fioretti de l'adab, sont, t o u t a u t a n t q u ' u n e anthologie d'histoire naturelle, une revue de la création : « Sachez, écrit ô â h i z 2, que le caillou n'est p a s moins p r o b a n t de Dieu que la montagne, ni le corps h u m a i n que la v o û t e céleste qui embrasse notre monde. Dans ce domaine, le petit et l'insignifiant sont du m ê m e ordre q u e l'immense et l'important. Ce ne sont pas les choses, dans leur réalité, qui diffèrent, mais seulement les hommes qui les interprètent». E t , après avoir développé le thème selon lequel, en matière d'études zoologiques, les critères h u m a i n s de b e a u t é et d'utilité, de mal ou de bien, ne sauraient avoir cours, Gâhiz, plus loin, insiste encore : « L a grenouille n'est pas plus probante de Dieu que le papillon ». 3 Ainsi, l'étude du réel, sans aucune exclusive, est désormais fondée en droit : de m ê m e que la géographie astronomique se prévalait des desseins divins pour justifier de sa nécessité, de même, avec Gâhiz, au nom du même principe, on assiste à la promotion littéraire des choses et des êtres. Dans cette création totale, qui embrasse le cloporte comme l'ange, l'homme trouve à la fois sa limite et sa gloire. Limite, car, réintégré dans les hiérarchies de l'univers, il est situé sous les anges et assimilé à une espèce animale parmi d'autres, celle des a n i m a u x à poils, rapproché du singe, e t sa voix mise en parallèle avec celle du chat. Mais gloire de cet « hominien », car non seulement, placé, de par sa nature, à mi-chemin de l'échelle de la création, il en est le centre et, à ce titre, le représentant le plus souvent cité, mais surtout, s'il se distingue des autres animaux, c'est moins p a r ses traits physiques que par l'ensemble des qualités de l'intellect qui le font précisément homme : sens associatif (igtimâ'), de la communication (bayân), usage de la main, calcul, écriture, surtout — en un rappel des données fondamentales du mu'tazilisme — capacité d'agir (istitâ'a), et celle-ci, qui a été donnée aussi a u x êtres supé(sur les rapports entre religion et intelligence) ; t. VII, p. 25-29 (sur la circoncision) ; sur quelques coutumes, cf. Hayawân, t. VI, p. 145-147 (jeux des Arabes) ; Bubalâ', p. 83 (usages de la table chez la petite noblesse terrienne d'origine persane). Quant aux considérations linguistiques et culturelles, cf. Hayawân, t. IV, p. 21-23 ; t. V, p. 289-290 ; Bubalâ', p. 122 ; Bayân, t. I, p. 18, 92, 144 ; t. II, p. 323 et passim. 1. On voit qu'il ne s'agit pas seulement de création animée, comme le titre de Hayawân le laisserait croire. 2. Hayawân, t. III, p. 299. 3. Ibid., p. 371.

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rieurs, djinns et anges, fixe à l'homme son rôle d'animal pensant et sa place : à l'articulation des deux cycles biologique et céleste. 1 La même nouveauté règne dans les méthodes : le discours se caractérise par l'insistance qu'il apporte à mettre en valeur les tableaux vécus : « J'ai vu, chez nous, à Basra», ne cesse de répéter ûâljiz, préfigurant par là une mise en avant de l'anecdote personnelle qui va jalonner les meilleures pages d'un Ya'qûbï ou d'un Muqaddasï. « J'ai fréquenté, dit un des héros des Buhalâ'a, les grands et les pauvres, j'ai servi les califes et les mendiants, j'ai eu commerce avec les ascètes et les brigands, j'ai fréquenté les prisons comme j'ai assisté aux réunions pieuses, j'ai été allaité aux bonnes et aux mauvaises mamelles du destin et j'ai connu des époques fertiles en événements curieux». E t Muqaddasï, un peu plus d'un siècle après, sur le même thème 3 : « J'ai étudié le droit et les lettres, pratiqué l'ascétisme et la dévotion, enseigné le droit et les lettres, fait le prône en chaire, appelé à la prière sur les minarets, tenu le rôle d'imam dans les mosquées, prononcé les sermons dans les mosquées-cathédrales, fréquenté les écoles, invoqué Dieu dans des réunions, pris la parole à des séances, partagé le pâté des mystiques, le potage des moines et la bouillie des matelots, déguerpi des mosquées la nuit, voyagé dans les solitudes, erré dans les déserts, pratiqué souvent et sincèrement l'abstinence, et puis mangé ouvertement des aliments interdits, acquis l'amitié des dévots de la montagne du Liban et fréquenté quelquefois les gouvernants, possédé des esclaves et puis laissé charger des paniers sur ma tête, manqué de peu et à plusieurs reprises la noyade, vu la route de mes caravanes coupée, servi les cadis et les grands, adressé la parole aux puissants et aux vizirs, lié amitié, chemin faisant, avec les libertins, vendu des produits au marché, connu les prisons ou les accusations d'espionnage. » Ainsi, ce qui, après 1. Sur la création des êtres supérieurs, djinns et anges, eux aussi rangés en classe» hiérarchisées (marâtib), cf. Hayawân, t. I I I , p. 231-235 (discussion sur les ailes des anges) ; t. VI, p. 190-194. Sur l'homme défini comme animal à poils, cf. Hayaœdn, t. V, p. 484 ; semblable au singe : t. I, p. 2 1 5 ; rapproché du pigeon : t. I I I , p. 163-168, 211 et passim; changé en cochon : t. IV, p. 72 (donné sous toutes réserves par Gàhi? ; sans doute réminiscence de contes d'origine grecque (épisode de Circé) : cf. Griinebaum, op. cit., p. 331-332 ; notation probante, toutefois, car elle s'inscrit dans la même intention de ne pas isoler l'homme dans la création, mais au contraire de le relier aux autres espèces) ; sa voix mise en parallèle avec celle du chat : t. IV, p. 21-23, avec, en manière de conclusion : i quand les manifestations de la connaissance et des besoins sont rares, rares sont aussi les manifestations de l'émission de la voix ». Sur les références concernant l'homme dans son ensemble, cf. Hayawân, index, s.v. «insân». Sur les caractéristiques intellectuelles de 1'« hominien», cf. t. I, p. 42 sq., 71 ; sur Vistitâ'a, cf. t. V, p. 442-453, où l'homme est présenté comme l'animal qui doit penser et bien penser (fonction rendue d'autant plus nécessaire par le rappel de l'exempla des anges et peuples châtiés). 2. Buhalâ', p. 59 (extrait d'un ensemble beaucoup plus long : p. 56-62). 3. Éd. de Goeje, p. 44 (extrait de p. 43-45) ; trad., § 83-87.

Les orientations

décisives du II Ie//Xe

siècle

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ô â h i z , gagne droit de cité dans les lettres arabes, même à travers la simple imitation d'un modèle, c'est l'observation empirique, fondée en dans le TarbV

et en fait dans les Hayawân

droit

et dans toute l ' œ u v r e gàhi-

zienne, c'est l'aventure personnelle, toute cette magie de l'instant vécu, de ce ' i y â n 1 dont Muqaddasï fera l'un des fondements de sa méthode. Allons plus loin : quand on f a i t la somme des passages où un auteur comme celui-ci se réfère à sa propre expérience, on peut dire que, sur bien des points, l'attitude de la meilleure géographie arabe n'est guère autre chose que la systématisation de la référence personnelle dont Gâhiz a jeté les bases vers le milieu du m e / i x e siècle, avec cette réserve essentielle, que l'expérience du réel devient objet même de recherche, et non plus seulement, comme chez Gâljiz, contexte ou illustration, ce qui a pour corollaire, quelquefois dans les intentions et presque toujours dans les faits, une présentation sobre, voire sèche, laissant peu de place aux considérations morales et aux soucis de style qui font, ici, la différence fondamentale d'avec la "manière d'un

Gâhiz.2

N e confondons pas pourtant, en la matière, l'apparence extérieure d'une écriture, le jeu des mots, bref ce qu'il est convenu d'appeler, comme plus haut, le style, dont la fonction est l'expression d'une pensée, avec la f o r m e même de l'esprit qui la pense, f o r m e que le style, certes, n'a pas pour objet d'exprimer, à de rares exceptions près, mais qu'il ne peut s'empêcher 1. Ce sens de l'observation et du détail concret a été bien|mis"en lumière ¡par C. Pellat ( M i l i e u , p. 63, 223-224 et passim). Comme exemples de références à une observation personnelle, citons Bijjâl, p. 54; Bubalâ', p. 25; Hayawân, t. I I I , p. 261; t. IV, p. 316 ; t. V I I ; p. 41. Formulation très nette du même principe, t. I I I , p. 361 : « Les choses ne sont pas comme les gens le prétendent, et il n'est pas d'erreur plus scandaleuse, de théorie plus ridicule ni plus révélatrice d'un entêtement forcené ou d'une légèreté par trop grande que de parler en sachant qu'on va contre l'observation du réel ». 2. Sur les intentions^ parfois ¡contradictoires, d'un Muqaddasï en matière de style, cf. trad., § 16-17, 20. Chez lui, écrire se caractérise finalement par une application mécanique des règles stylistiques d'alors, non par une recherche, avec ce que cela comporte, comme chez Gàhi?, de souplesse : cf. infra, chap. I X . Sur le style de Ôâhi?, cf., en attendant l'étude souhaitée par C. Pellat ( M i l i e u , p. 146), les remarques pertinentes de J. M. Abd-el-Jalil, Littérature, p. 114 (avec citation de W . Marçais). Par considérations morales, j'entends le propos du moraliste, ce qu'est Gàhi? à bien des égards, et non une intention moralisatrice à la mode d'Ibn al-Muqaffa' : ce dernier aspect de l'adab, s'il est encore, stylistiquement parlant, présent dans certaines œuvres de Gâhi? (cf. supra, p. 44, note 3), ne subsiste plus dans les textes géographiques qu'à l'état de vestiges (cf.. supra, p. 20 et note 4) et disparaît complètement chez un auteur comme Muqaddasï. Muqaddasï lui-même laissait entrevoir la double nécessité de systématisation et de dépouillement lorsqu'il déclarait (trad., § 13 bis), à propos du Kitâb al-am$âr, que ôâhi? avait inséré dans son livre, « pour détendre un lecteur qui s'ennuierait», des incidentes et des anecdotes, à dire le vrai un peu moins qu'Ibn al-Faqïh, mais encore trop sans doute dans un livre de dimensions restreintes (§ 13). Même attitude chez Mas'udï, Prairies, t. I, p. 206-207 (cité dans Pellat, Milieu, p. 68, note 7).

ol

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de trahir. Si donc nous voulons étudier la pensée, non plus dans son contenu comme tout à l'heure, mais dans sa l'orme, ne reslons pas confinés dans les limites de son expression, qui, n'en étant que l'épiphénomène, demeure ambiguë et fuyante à l'examen — puisqu'aussi bien, si son existence est nécessaire à la pensée, sa spécificité, elle, ne l'est pas — et attachons-nous plutôt à ce qui lui préexiste, c'est a-dire aux démarches mêmes de la pensée, aux structures et aux attitudes mentales, telles qu'elles apparaissent au travers, et presque à F insu, des fantaisies de l'expression. Si donc, en ce domaine, nous recherchons les points de comparaison possibles, que constatons-nous ? Comme fxâhiz, des auteurs aussi représentatifs, dans diverses tendances de la géographie, qu'Ibn Hurdâdbeh, Ibn Rusteh, Ya'qûbï ou Muqaddasî ont lendance à procéder, dès qu'ils s'évadent du cadre de l'observation partielle, et de la monographie pour tenter de s'élever à des considérations générales, par le schéma classique du catalogue, dont la devinette, les listes de spécialités (hasâ'is) ou rémunération ne constituent guère qu'autant de spécimens. 1 E t même dans la description détaillée, je note les mêmes symptômes, la même propension à une systématique rudimentaire : une notice comme celle d'al-Ahwâz préfigure, 1. Cf., chez Gâhiz, Buhala , p. 78 (les vipères du Siëistân.î les serpents d'Ëgypte et les couleuvres d'al-Ahwâz), 79, 1. 12-13 (liste de spécialités); Hayawân, t. IV, p. 106 (sur les particularités de quelques pays) ; t. VII, p. 230 (énumération de lieux avec indication des effets correspondants sur la psychologie des hommes). Plus probante est la citation de ûâhiz par Muqaddasî — dans l'esprit sans doute du Kitâb al-am?âr —, qui s'intègre parfaitement (trad., § 61) à un chapitre entièrement consacré à un catalogue des spécialités (hasâ'is) des pays (catalogue de même esprit chez Ibn al-Faqîh, p. 92-93) ; comparer de même Bayân, t. II, p. 297 : « Nous n'avons pas vu de ville plus proche qu'al-Ubulla, ni plus douce pour l'eau, plus égale pour les montures, plus favorable aux commerçants, plus secrète aux gens pieux... » et Muqaddasî, § 63 : « Point de gens aussi nombreux ni aussi ignobles que les chantres de Nïsâbûr, ni aussi avides qu'à La Mekke, ni plus pauvres qu'à Yatrib, ni plus chastes qu'à Jérusalem », § 78 (classification des caractéristiques des adeptes des diverses écoles juridiques), etc. Présentations de même esprit chez Ya'qubi (trad., p. 5, à propos de la population de Bagdad : « Nul n'est plus instruit que leurs savants, mieux informé que leurs traditionnistes, mieux doué pour le raisonnement que leurs théologiens, plus fort en syntaxe que leurs grammairiens, plus sûr que leur lecteurs, plus expert que leurs médecins », etc. ; trad., p. 235 [citation de Ya'qubi par Nuwayri : sur les différentes catégories de musc]) ; Ibn Rusteh (trad., p. 122 : « Ni au Yémen, ni au Tihama, ni au Hidjaz, on ne rencontre une cité plus grandiose, plus populeuse, où les richesses soient plus abondantes, la nourriture plus délicate », p. 147-148 : énumération des richesses de Rome, etc.) ; Ibn Hurdàdbeh (beaucoup plus rarement : cf. infra, p. 56 et note 3 ; voir toutefois trad., p. 123, 133 : « La ville la plus favorisée de la nature est ar-Rayy, avec ses beaux quartiers d'as-Sorr et d'as-Sarbân ; celle qui l'emporte par l'industrie de l'homme est Djordjân ; la ville la plus productive, Naisâbour»); Ibn al-Faqîh, p. 29 (sur les mérites de la Yamàma), 35 (sur le Yémen), 92, etc. (le même auteur développe également le thème de la répartition [exemple p. 84 : « La violence a été répartie en dix parts, dont neuf sont allées aux Berbères et la dixième au reste de l'humanité » ; cf. également p. 92]). Sur ce mode de pensée, voir références ci-après, p. 55, note 2.

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les considérations du moraliste mises à part, deux démarches f o n d a m e n t a les de l'esprit des géographes : d ' u n e p a r t le pointillisme de l'observation c o n j u g u é avec l'aptitude, concurrente et concomitante, au tableau d'ensemble 1 et, d ' a u t r e p a r t — et c'est ici que nous retrouvons la t e n d a n c e signalée —, la systématisation, en ce domaine, de l'opposition t r a d i t i o n nelle des vieux t h è m e s arabes de la satire et du panégyrique, des qualités et des d " luts ( a l - m a f â h i r wa l-matâlib), appliquée soit à un sujet unique source ... , • 'rmiietjons. soit à plusieurs sujets soumis à des j u g e m e n t s en f o r m e de confrontations, de hiérarchies ou de parallèles. 2 Cet engouement pour t o u t ce qui est comparaison, catégories, classification, échelle ue valeurs n'est certes pas un t r a i t distinctif du seul û â h i z , et lui-même rapporte du reste expressément à des dictons ou à l'opinion générale quelques-unes de ces sentences. Aussi bien la l i t t é r a t u r e 1. Comparer la n o t a t i o n de Gâhiz sur les joncs des e n f a n t s , d a n s la notice sur al-Ahwàz (supra, p. 49), avec M u q a d d a s ï , éd. de Goeje, p. 397 (à propos d ' u n insecte analogue au ver luisant : « L a région de l'incandescence, vue au j o u r , est verte»). Sur le parallélisme pointillisme-vue d'ensemble, cf. p a r exemple Ibn H a w q a l , p. 419 (« B u s t est, a p r è s Zarang, la plus grande ville sur le territoire du Sigistân. C'est u n toyer de pestilence. On s'y habille c o m m e en Irak, et o n y r e t r o u v e noblesse et aisance. On y voit des maisons de commerce qui f o n t le relais avec l ' I n d e , des palmiers, des raisins. C'est u n p a y s t r è s fertile. ») et Muqaddasï, t r a d . , § 148-149, qui j u x t a p o s e , à p r o p o s de Tibériade, les n o t a t i o n s sur le gravier de la mosquée à : « T o u t le p o u r t o u r d u lac est j a l o n n é de villages et de palmiers, et les b a t e a u x y v o n t et viennent... La m o n t a g n e , t r è s h a u t e , domine le p a y s ». 2. Sur le double c o u r a n t satirique et p a n é g y r i q u e et l'esprit de classification (particularités, mérites, d é f a u t s ) , cf. K r a t c h k o v s k y , p. 124 (128 i.f.), 128 (132), 162 (166 i.f.) ( a v e c accent mis sur la période u m a y y a d e ) ; Blachère, Littérature, t. I, p. 24 sq., 30 sq. ( a v e c n o t a t i o n des contradictions du c a r a c t è r e arabe d a n s la ô â h i l i y y a ) ; G r u n e b a u m , op. cit., p. 287 sq. ; Sauvaget-Cahen, Introduction, p. 2 5 ; A. Trabulsï, La critique poétique chez les Arabes, D a m a s (IFD), 1956, p. 215 sq. L ' a p p l i c a t i o n des d e u x t h è m e s c o n j u g u é s (cf., p o u r Gâhiz, Pellat, Milieu, p. X I I , note 1, et aussi la Risdla fi manâqibai-Turk, p. 45, qui f a i t des mafâbir wa l-matâlib u n t h è m e obligé des connaissances h u m a i n e s ) est une c o n s t a n t e chez les géographes. On se référera, à t i t r e d ' e x e m p l e , à la notice d ' I b n H a w q a l citée à la n o t e précédente, et à ce passage, choisi e n t r e t a n t d ' a u t r e s , de M u q a d d a s ï (éd. de Goeje, p. 118) : «Baçra a des bains excellents, poisson e t d a t t e s à profusion, v i a n d e , légumes, cotonnades, laitages, science, négoce. Malheur e u s e m e n t , l'eau y est insuffisante, le climat c h a n g e a n t et pestilentiel, les séditions extraordinaires». U n tel mécanisme m e n t a l de compensation était d é j à dans la notice de (jâhi? sur al-Ahwâz, où la pestilence v i e n t à r e n c o n t r e du b o n h e u r suggéré de l'eau vive, l'avarice à r e n c o n t r e de la richesse ; il est plus n e t toutefois, s'agissant t o u j o u r s de ô â h i ? , lorsqu'il est appliqué à une collection de s u j e t s : cf. Bukalâ', p. 116 : « Il est c o u r a n t de dire que l'eau d u Tigre et de l ' I n d u s est plus salubre que celle de l ' E u p h r a t e e t d u fleuve de Bactres..., que l'eau proche des n a p p e s de n a p h t e est plus p r o f i t a b l e que celle qui se r e n c o n t r e près des nappes de goudron » (inspiré de la t r a d . de C. Pellat, p. 140-141); cf. encore Hayawân, t. I, p. 157 (sur les durées de la vie en divers p a y s ) ; Fahr as-Sùdân, p. 67-68 (sur les qualités intellectuelles comparées des divers groupes h u m a i n s ) ; et les références portées ci-dessus, p. 54, note 1, auxquelles n o u s n o u s en t i e n d r o n s également p o u r les comparaisons établies p a r les géographes entre des s u j e t s différents.

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arabe, avec Ibn al-Muqaffa' notamment, en offrait déjà avant lui de nombreux exemples. 1 II n'entre pas dans les limites tracées à notre recherche de déterminer la part respective des influences arabes, grecques ou orientales dans l'élaboration de pareils schèmes de pensée.11 Constatons simplement qu'au niveau littéraire, ûâbiz leur a donné définitivement des lettres de noblesse et qu'ainsi, après avoir introduit, on l'a vu, une méthode nouvelle d'investigation des faits, son prestige accrédite, pour leur exposé, des méthodes traditionnelles. Et la meilleure preuve en est qu'un Ibn tJurdâdbeh, moins à cause d'une manière qui lui serait propre que parce que, contemporain ou presque de GShiz, il ne subit pas encore son influence de façon aussi pregnante que les générations suivantes, éprouve beaucoup plus de répugnance, non pas à penser de la sorte — qui le saura jamais ? —, mais à écrire dans cet esprit, je dirais presque : à écrire tout court, dans la mesure où un tel acte, le libérant de la notation technique et quasi arithmétique à laquelle il entendait se borner, l'eût engagé, venant, comme d'autres, quelques décennies après, à se livrer ou, à tout le moins porté à se trahir. Il suffisait, en d'autres termes, de donner à une certaine formulation de l'œuvre littéraire le temps de devenir classique et de s'inscrire dans les faits pour qu'on la vît ensuite s'appliquer tout naturellement à des domaines comme l'exposé des itinéraires, où l'on n'eût pas pensé peut-être, au temps qu'elle s'élaborait, qu'elle dût un jour trouver place. 3 1. Cf. Gâhi?, HayawOn, t. "VII, p. 203 (devinette sur les choses les plus étonnantes au monde) ; Fahr as-Sûdân, p. 58 : « D'après Luqmân, il est trois sortes d'hommes qui se révèlent dans trois sortes de circonstances : le sage face à la colère, l'intrépide face à la crainte, le frère face à tes besoins ». Pour Ibn al-Muqaffa", cf. Kallla, trad., p. 56-57, 96, 116, 147, 150, 161, 181, 183, 191 et surtout 214-225, long écheveau de ces sortes d'apophtegmes, dont nous extrayons celui-ci : « Il est trois solitudes : celles d'une mer sans eau, d'un pays sans roi et d'une femme sans époux». Dans la même tendance naturelle à classer, citons la variante de la chaîne (exemple pris, entre t a n t d'autres, à VAdab a$-sat Orient sont totalement absents), 50, 59, 81 a, 88,105, 112 (début de l'histoire du « petit navire •). Le personnage de Polyphème, qu'on retrouvera au troisième voyage de Sindbad, est ébauché au § 133; les femmes de l'Ile dont il est question au § 14 sont une variante, sur le plan sexuel, du mythe de la femme dévoreuse, de la sirène. 2. Cf. supra, p. 124, note 3. 3. Cf. supra, p. 19-20; Walzer et Gibb, « a k h l â j , - d a n s El (2), t. I, p. 337 (1). 4. Il s'impose aux Indes (§ 1, 14 [début] et 90), à Ceylan (§ 103), à l'Afrique (§ 32), au Wâq-Wâq et aux lies lointaines (§ 7, 14). Rappel des principes musulmans : § 86 (p. 275), et aussi 13, 14, 32, etc. Un passage (p. 202) est particulièrement révélateur :

Les gens du voyage

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expression de l'homme véritable, présente c o m m e un ennoblissement, et ce n'est pas sans fierté qu'un Africain proclame : « D i t e s aux Musulmans de venir chez nous, puisque maintenant nous voilà devenus leurs frères, musulmans comme eux ». 1 On voit pourquoi l'Orient et la mer s o n t des t h è m e s de prédilection 3 : ils cumulent, en leur insolite, les sentiments contradictoires d'attirance et de refus que l'homme éprouve toujours pour un monde qui se définit comme extérieur à la Loi. On s'explique ainsi la dualité — ou la duplicité — fondamentale des Merveilles : au souci de localiser les faits dans le t e m p s et dans l'espace 3 répond l'invocation à Dieu, qui intervient d'autant plus sûrement que les faits, accrédités c o m m e on vient de dire, dépassent les normes de la crédibilité et de la raison. 4 D e la m ê m e façon, plus la légende se renforce, plus le vrai se fait a priori plus lointain, et plus le désir d'y croire devient m a n i f e s t e . 8 T o u t se passe donc comme si l'on voulait à la fois attirer le lecteur par la bizarrerie des thèmes, le convaincre de leur véracité par la rigueur de la méthode et le dissuader, au n o m des impératifs religieux, de s'y complaire ou tout au m o i n s de s'en inspirer. h'adab, qui substitue ainsi, chemin faisant, le goût du merveilleux à l'esprit de recherche, vise peut-être, en définitive, à beaucoup plus q u ' u n art d'écrire ou de connaître : en reportant dans « un autre monde» la soif du bizarre, de l'irrationnel et du péché que t o u t h o m m e porte en lui, il présuppose et préserve tout à la fois l'homogénéité sans faille du m o n d e extension de la notion de qibla à diverses religions. Plus révélatrice encore est l ' i r r u p t i o n des t h è m e s de l'histoire m u s u l m a n e : le s t r a t a g è m e de M u ' â w i y a à Çiffïn et le souvenir d e la révolte d'esclaves (celle des Zang du B a s - I r a k en 877-883) sont p a t e n t s au § 7. 1. Merveilles, § 32 i.f. 2. Le souci de ne laisser é c h a p p e r rien de ce qui peut p r ê t e r à des développements s u r le bizarre r e n d plus n a ï v e encore l ' a f f i r m a t i o n d u § 20 i.f. : « Si n o u s nous laissions aller à d é n o m b r e r t o u t ce qui résulte de l ' a c c o u p l e m e n t d'espèces différentes, nous fatiguerions l ' a t t e n t i o n d u lecteur et nous nous écarterions de n o t r e dessein qui est de t r a i t e r spécialement des merveilles de l ' I n d e . » 3. Les d a t a t i o n s sont f r é q u e n t e s : § 1, 9, 10, 29, 32, 33, 37, 41, 48, 60, 81 b, 83, 93, 107, 112, 125,1127, c i t a n t des faits compris e n t r e 288/900-901 et 342/953-954. L a citation des sources intervient plus f r é q u e m m e n t encore : § 1-2, 3-5, 6, 7,;8, 9, 10, etc.-Sur l ' u s a g e de ces citations, cf. S a u v a g e t (cité supra, p. 117, note 2). 4. Cf. § 13, 14, 15, 24, 27, 77, 117, 127. 5. Voir p a r exemple § 5 (sur le t h è m e : t r o p ' b e a u p o u r être vrai, et p o u r t a n t . . . ) , 92, d é b u t (souci de ne pas faire rejaillir sur l'ensemble d u récit une imprécision, a u r e s t e minime, due au r é d a c t e u r seul) ; opposer à ce souci divers passages qui m o n t r e n t l ' e n j o livement des thèmes depuis le Supplément (l'idole d'or p u r , à Ceylan. d o n t le poids est e x t r a o r d i n a i r e [Supplément, p . 119), passe la m e r dans les Merveilles [§ 73] et se v o i t flanquée d ' u n a r b r e de cuivre [ibid., § 3] d o n t on p e u t se d e m a n d e r s'il ne r e p r é s e n t e pas une a d a p t a t i o n d u t h è m e de l'arbre merveilleux de m ê m e genre, à R o m e ou à Const a n t i n o p l e [cf. Ibn Hurdâçjbeh, p. 116; I b n a l - F a q ï h , p. 7 2 ; I b n R u s t e h , p. 79, 128]). A l'intérieur même des Merveilles, l'insistance sur le f a b u l e u x s'opère a u t r e m e n t : le t h è m e se dédouble ou se relance en se r é p é t a n t , parfois m o t p o u r m o t (§ 34, 36, 77-78).

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de l'Islam. Et c'est peut-être, en dernière analyse, à ce souci latent d'apologétique que les mers et les terres étrangères doivent, comme nous le disions plus haut 1 , d'être apparues en priorité dans la littérature du voyage. La route du nord et les voyageurs officiels : Ibn

Fadlân

Vers le nord, les préoccupations commerciales, pour n'être absentes ni de la réalité ni des œuvres 2 , s'intègrent toutefois à un contexte d'ensemble où les visées politiques tiennent une place majeure. Le souci de défendre les frontières du Caucase et du ijuràsân 8, d'exporter la foi aussi, ont été, dès l'époque umayyade 4, des obligations dévolues au pouvoir califal ou aux principautés frontalières. 5 La nécessité de connaître l'adversaire ou le feudataire éventuel, ses coutumes, son territoire, explique le nombre des expéditions ou missions entreprises, et que la littérature arabe ait pu nous conserver, des rapports consignés à cette occasion, le souvenir et parfois le texte : si M u h a m m a d b. Mïisa, Garmï* et Sallâm l ' I n t e r p r è t e ne nous sont connus, au mieux, que par des extraits de leurs œuvres repris par d'autres écrivains, « l'histoire a préservé trois récits essentiels, l'un d'Ibn Fadlân et les deux autres d'Abù Dulaf Mis'ar. Tous portent le titre classique de Risâla qui nous fixe assez sur les intentions des auteurs et la délimitation de leur propos ' : il s'agit de fournir, en réponse à une demande supposée ou réelle, les renseignements touchant un sujet quelconque, mais précis, circonscrit, dont la caractéristique est moins à trouver dans son intitulé que dans les dimensions, toujours 1. P. 115. 2. A titre d'exemple, citons seulement le Kitâb al-tabaçsur bi t-tijâra du pseudoÔâiji?, p. 157 i.f., 159. 3. Par où passe aussi la route terrestre avec la Chine : cf. Sauvaget, Relation, p. X X X V I I , note 2. 4. Ajouter aux ambassades arabes en Chine, citées par Sauvaget (loc.cit.), pour l'époque umayyade, la lettre de l'empereur de Chine à Mu'âwiya, citée par ôâhi?, Ifayawân, t. V I I , p. 113. 5. N o t a m m e n t aux Sâmânides (et à leur vizir ôayhânï), qui ont joué leur rôle dans l'organisation des voyages d'Ibn Fadlân e t d'Abû Dulaf Mis'ar. Sallâm l'Interprète, dont il sera question plus bas, a, de la même façon, été aidé par les Tâhirides. Cf. Risâla d'Ibn Fadlân, p. 76, et autres références au tableau des auteurs. 6. Le premier de ces personnages, vraisemblablement le célèbre mathématicien et astronome Muljammad b. Musa b. Sâkir, a parfois été confondu avec son homonyme, non moins célèbre que lui et comme lui mathématicien et astronome, Muljammad b. Mûsâ al-Uuwârizmï. Cf. infra, p. 145-146, et tableau des auteurs (auquel on renvoie égal e m e n t pour Garmï et Sallâm). Sur Garmï, cf. aussi infra, p. 146. 7. Accessoirement, le volume des extraits conservés nous est garant, par référence au caractère limité de ce propos, que le temps n'a pas été ici l'occasion de pertes trop importantes.

"Voir Addenda,

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modestes, du développement auquel il donnera lieu. Déjà largement accréditée dans les lettres arabes S la risâla aborde ainsi la littérature administrative, dont elle est, sur un point essentiel, celui des frontières, la composante et le prolongement. Composante, car ses données sont intégrées, dans l'esprit qu'on a dit plus h a u t a , aux œuvres des kuttâb : Ibn ÎJurdâçJbeh reproduit Sallâm 3 , cependant que Gayhânï systématise le procédé, empruntant à une foule de voyageurs et peut-être à Ibn Fadlân lui-même. 4 Mais prolongement aussi, car, parallèlement à l'utilisation qui est faite d'elle par la géographie administrative, la risâla vit aussi, littérairement, de sa vie propre. Si donc, au lieu de rester confinée dans les cadres que sa définition première lui assigne — archives des chancelleries ou œuvres qui en sont l'émanation —, la risâla subsiste en même temps comme une forme originale, c'est qu'elle répond beaucoup plus qu'à des préoccupations officielles : à un goût, déjà connu, pour le bizarre, qui s'offre ici au public de l'adab sous la forme de la Grande Muraille de Chine devenue, chez Sallâm, le rempart de Gog et Magog, ou encore sous les traits des peuplades de la Volga visitées par Ibn Fadlân. Il n'y aurait, à tout prendre, entre la risâla et les récits de marins, d'autre différence qu'une variation géographique dans le champ de l'insolite, et l'on s'explique que la risâla partage le sort commun à tous ces thèmes en passant, elle aussi, dans les recueils d'adab.5 Elle n'échapperait donc à la géographie administrative que pour retomber dans le catalogue des connaissances générales du siècle : cheminement classique, si, comme on l'a vu plus haut 8 , les administrateurs ne sont eux-mêmes que les produits et les représentants de cette culture, si leurs œuvres, par conséquent, ne remettent pas fondamentalement en cause le processus général qui porte tout thème nouvellement apparu, fût-il technique au départ, à s'inscrire dans un répertoire de connaissances essentiellement littéraire. On peut donc, d'ores et déjà, poser en principe 1. Peu importe, au fond, que l'œuvre d'Ibn Fadlân s'intitule kilâb, si l'on en croit le manuscrit, ou risâla, si l'on suit Yâqût (cf. Canard, trad.. p. 42, note 8) et l'usage courant : ce sont les traits essentiels de l'œuvre qui comptent et qui en font, sous cet intitulé ou sous un autre, une risila (« mémoire », plutôt qu'« épltre ») : il faudrait, naturellement, reposer ici le problème de l'influence des modèles, de Gâhi? notamment ; la risâla touche aussi, avec Kindï, aux sujets scientifiques (cf. Fihrisl., p. 255-261, passim) et, avec Sarabsï, à l'historiographie (sur l'expédition d'Aljmad b. al-Muwaffaq, futur calife al-Mu'tadid, contre Bumârawayh : cf. Rosenthal, op. cit., p. 59). 2. P. ¿4. 3. P. 162 sq. du Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik. 4. Cf. supra, chap. III, p. 93, 94, note 4. Sur d'autres emprunts, cf. Muqaddasî, éd. de Goeje, p. 346 (345, note b) ; Wiet, introd. aux Atours précieux d'Ibn Rusteh, p. V I - V I I ; S. Maqbul Ahmad, « Djughrâfiyà », dans El (2), t. II, p. 595 (2). 5. Sallâm est exploité, entre autres, par Ibn al-Faqïh (p. 298-301, cf. p. 301, note h). Voir autres références chez Ibn Rusteh, trad., p. 167, note 7. 6. P. 104-106.

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q u e le passage de la risâla à l'adab se fera par les voies que nous avons indiquées, n o t a m m e n t par la systématisation du merveilleux et l'effacem e n t progressif de la découverte au profit de la redite. En même t e m p s , comme pour toutes les autres formes d'expression déjà passées en revue, on estimera, sans grande crainte d'erreur, que la véritable postérité de la risâla est à chercher en dehors des données où l'adab la fige, qu'ici encore l'originalité profonde d'un genre est indissociable de sa nécessaire évolution. La grande innovation de la risâla a y a n t été de consigner les choses vues dans l'ordre d ' u n itinéraire, de systématiser la relation entre le t e m p s vécu et l'espace parcouru, ses héritiers véritables seront, d ' u n e p a r t les masâlik wa l-mamâlik du i v e / x e siècle, et, plus encore, au-delà de l'époque qui nous occupe, le journal de voyage (rihla) tel que l'illustrer o n t , aux v i e / x u e et v m e / x i v e siècles, un Ibn Gubayr ou un Ibn B a t t ù t a . Au bout du compte, le périple d ' I b n Fadlân ne différerait guère de ceux de ses grands successeurs que p a r le caractère intéressé de son o b j e t . R é p o n d a n t à un souci extérieur au lieu d'être à soi-même sa propre j u s t i fication, il s'enferme à l'avance, du m ê m e coup, dans des paysages déterminés au lieu de se maintenir perpétuellement disponible à de n o u v e a u x horizons. Mais, ces réserves faites, la technique de consignation des f a i t s est p a r t o u t identique : le premier, Ibn F a d l â n établit cette relation fond a m e n t a l e espace-temps qui sera u n des traits distinctifs de la rihla : genre intermédiaire, donc, entre la géographie et l'histoire, puisque, comme la première, il s'exprime dans un espace, mais en le réordonnant selon des critères temporels qui relèvent de la seconde. 1 D e u x dates essentielles jalonnent l'œuvre d ' I b n Fadlân : le d é p a r t de B a g d a d au 11 safar 309/21 juin 921 et l'arrivée au pays des Bulgares, le 12 m u h a r r a m 310/12 mai 922. E n t r e ces deux dates, décrits au hasard du chemin, les Huwârizmiens, les Turcs, les Petchénègues et les B a c h k i r s 2 interviennent non seulement comme sujets d'observation, mais, plus encore, comme acteurs d'une histoire vécue, leur attitude, amicale, indifférente ou hostile, c o m m a n d a n t directement l'avenir de la mission e t suscitant, chez l ' a u t e u r lui-même, ces réactions diverses de joie e t de désespoir, de frayeur et de quiétude, qui donnent à la Risâla un e x t r a ordinaire accent de vérité. On peut voir par là q u ' u n e telle œ u v r e doit ressortir en principe à deux ordres différents, selon que l'évrivain y intervient en t a n t qu'observateur ou en t a n t que personne : dans le premier cas, elle énonce une vérité scien1. P a r t i c u l i è r e m e n t de l'histoire annalistique, telle qu'on la p r a t i q u e alors. L a d i f f é rence e n t r e la risâla et la géographie « classique » e s t soulignée par S. D a h â n , op. cit., p. 28. 2. A u x q u e l s il f a u t é v i d e m m e n t ajouter les B u l g a r e s , mais aussi d e u x peuples v o i s i n s : les R u s s e s ( R u s ) , décrits d'après certains s p é c i m e n s résidant c h e z les Bulgares (cf. t r a d . , p. 1 1 0 aq.) et les O a z a r s , sur lesquels l'auteur ne possédait q u e des i n f o r m a t i o n s orales (ibid., 11. 135, n o t e 362).

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tifique, statique, fondée sur le témoignage direct Çiyân) e t dont l'expression relève des techniques de la description, de la note ou du portrait, tandis qu'elle se réfère, dans le second cas, à une vérité singulière et dynamique, vécue plus qu'observée, et dont la présentation s'inspire, cette fois, spontanément des techniques du récit. Ce dernier aspect de l'œuvre a porté certains critiques, qui en estiment le volume excessif pour u n compte rendu officiel de mission, à contester que nous soyons en présence du véritable rapport dressé par Ibn Fadlân à l'issue de son voyage. 1 Le texte actuel, qui ne nous dit rien, au demeurant, du voyage de retour, alors que le récit de ce voyage existait originellement, au témoignage de Y â q û t 2 , serait donc un démarquage fait à partir de la leçon officielle et ne r e t e n a n t de celle-ci que les détails propres à attirer la curiosité du public cultivé de l'époque. Mais, à vouloir ainsi que l'œuvre originale ait été plus conforme à son propos officiel, sommes-nous si sûrs que nous ne nous inspirons pas, pour en juger, de critères qui sont les nôtres a u j o u r d'hui, et non ceux du r v e / x e siècle ? Ne traçons-nous pas, entre gens cultivés et fonctionnaires, entre adab et administration, une limite dont nous avons vu qu'elle risquait fort d'être imaginaire ? Même si l'on a d m e t que le texte d ' I b n Fadlân s'est allégé, en passant au public, de considérations strictement politiques, on p e u t penser que ces variations n ' o n t pas altéré profondément le visage de l'œuvre tel qu'il a été dessiné plus h a u t , et rien ne prouve, en t o u t cas, que t o u t ce qui nous paraît a u j o u r d ' h u i incompatible avec le caractère officiel d'un r a p p o r t n'ait pas fait partie du t e x t e initial et ait été r a j o u t é après coup, dans une version spécialement destinée à un public plus vaste. Il n'était pas concevable, en effet, pour que le calife f û t convaincu de la véracité de l'ouvrage 3 , que celui-ci f û t a m p u t é , précisément, de ce qui lui donnait un incomparable accent de vérité, à savoir l'intervention d'une aventure personnelle, mais aussi le souci du style, dans la mesure où celui-ci est destiné à m e t t r e en relief l'aspect vécu de cette aventure. Or, si l'on note, à juste titre, q u ' I b n Fadlân s'exprime selon les normes de la prose littéraire d'alors et non selon la technique dépouillée de certains géographes 4 , l'on convient par là que le meilleur moyen de capter l'at1. Cf. Canard, op. cit., p. 43, 142-143. 2. Buldán, t. I, p. 486. M. Canard, dans sa conclusion à la trad. de la Risâla, op. cit., situe le retour à Bagdad en 311/923. 3. R. Blachère (EGA, p. 94-95) pose en effet le problème de la véracité de la Risâla dans son rapport avec le lecteur auquel elle était destinée, mais c'est, comme on va le voir, un problème de forme et non de fond. Faut-il rappeler que le souci de la forme passe parfois encore, de nos jours, pour une des marques de la correspondance diplomatique ? 4. Cf. S. Dahân, op. cit., p. 28, les traits caractéristiques de cette prose étant l'art du récit continu (qu'on opposera aux nomenclatures des géographes-administrateurs) et de l'effet littéraire (dont on verra quelques exemples infra ; à noter que cette recherche ne va jamais jusqu'à la prose rimée ou sa/j').

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t e n t i o n du l e c t e u r é t a i t de l u i p r é s e n t e r u n r a p p o r t où les e x i g e n c e s d e l ' i n f o r m a t i o n se c o n c i l i a i e n t a v e c l ' a g r é m e n t d e la l e c t u r e , e n u n m o t , de m é n a g e r , ici encore, l e s droits de l'adab. Le souci du s t y l e , a c t e d ' h o n n e u r v i s - à - v i s du calife, a priori s u p p o s é l e t t r é e n t r e l e s lettrés, est, d a n s le c a s d ' I b n F a d l â n , d ' a u t a n t p l u s n é c e s s a i r e q u e le v é r i t a b l e l e c t e u r e t u t i l i s a t e u r d e l ' o u v r a g e d e v a i t être, a u - d e l à d e s a p p a r e n c e s du p o u v o i r r e p r é s e n t é e s par le calife ou le p â l e vizir H â m i d b. al-' A b b â s , le célèbre kalib, à la f o i s a n c i e n e t f u t u r v i z i r l u i - m ê m e , "Alï b. 'Isa, d o n t on c o n n a î t les d o n s l i t t é r a i r e s . 1 R e s t e r a i t à d é b a t t r e d u p r o b l è m e du m e r v e i l l e u x , d o n t o n s ' e s t p l u à t r o u v e r d e ci d e là d e s t r a c e s dans la Risâla.2 On éliminera, b i e n é v i d e m m e n t , de ce m e r v e i l l e u x les p a s s a g e s q u i t i r e n t l e u r o r i g i n a l i t é s o i t d e s s u j e t s e u x - m ê m e s , p a r e x e m p l e l'extraordinaire r é c i t d e s f u n é r a i l l e s d ' u n n o b l e russe», s o i t d e s q u a l i t é s de la prose d ' I b n F a d l â n : « I l a v a i t , déclare-t-il à p r o p o s d ' u n T u r c , épilé sa b a r b e t o u t en g a r d a n t q u e l q u e s p o i l s au m e n t o n , e t c o m m e il é t a i t v ê t u d ' u n e p e l i s s e , il p a s s a i t , v u d e loin, à t o u t c o u p p o u r u n b o u c » . 4 E n t o u t cela, il y a , c e r t e s , d é p a y s e m e n t p u r o u t r a n s f i g u r a t i o n littéraire, m a i s rien q u i ne s o i t s t r i c t e m e n t vrai. L o r s q u e Ibn F a d l â n , e n r e v a n c h e , a g r é m e n t e s o n r é c i t d e q u e l q u e s t r a i t s réso1. Cf. Risâla, p. 114, note 8 ; Sourde], Vizirat, t. II, p. 414 sq., 520-521 (et notes 1, 2) et passim. Hâmid b. al-'Abbâs est explicitement désigné, dans la Risâla (p. 114 i.f.), comme l'auteur de la lettre d'introduction auprès du roi des Bulgares. 2. Cf. EGA, p. 97. 3. P. 155-165 ; trad., p. 122-134. Il faudrait citer de même, entre bien d'autres traits, tous ceux qui tirent leur étrangeté de leur opposition aux coutumes de l'Islam (cf. p. 9293, 94, 115, 131-132 et passim). Mais, à la différence de ce qui se passe dans la Relation, le Supplément ou les Merveilles de l'Inde (cf. supra, p. 120, 125, 130-131), la notation de ces différences s'inspire ici de soucis en réalité politiques : la conversion des Bulgares est la mission dévolue en propre à Ibn Fadlân (cf. en particulier, sur cette attitude, les p. 117, 131-132 [déjà citées], 134). 4. P. 101. Autres exemples : p. 120, à propos d'un Bulgare : « C'était un homme imposant, gros et corpulent, avec une voix qu'on eût dite sortant d'une jarre. • P. 83-87 : notations concrètes sur le froid au Buwârizm, les vêtements qu'il nécessite et certaines coutumes ou attitudes qu'il inspire, le tout représentant la transcription vécue, expérimentale, du thème théorique de la relation de l'homme au sol et au climat : cf. supra, chap. I et II, p. 14-16 et passim). Un dernier exemple est plus intéressant encore, car il nous montre de quel profit pourrait être pour l'étude de la littérature arabe, de ses motifs et de ses techniques, l'observation du cheminement de certains thèmes fondament a u x . Soit le thème de l'habileté du Turc, dont Gâhi? traite dans le contexte général du partage des qualités diverses de l'être humain entre les grands groupes ethniques du globe (cf. Risâla ilâ Fath b. tfâqân, passim) ; Ibn Fadlân (p. 103) représentele stade du passage du thème théorique à son illustration vécue : « Un jour que ce Turc nous accompagnait à cheval, je l'ai vu, une oie venant à passer, bander son arc, presser sa monture, tirer sur sa cible et l'abattre. » Voici enfin, avec Hamadânï (Maqâma asadiyya, éd. M. 'Abduh, Beyrouth, 1957, p. 33 [et note 7) — 35), dans la prose rimée propre à cet auteur, un Turc qui « prend un arc, le bande, fait voler une flèche dans les airs, puis une autre qui fend la première en plein vol. »

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lument merveilleux, on n'a guère le choix qu'entre deux opinions : ou bien le lecteur de la Risâla, considéré comme un représentant éminent des milieux lettrés tout autant que comme un personnage investi de fonctions officielles, devait être à même de faire le départ entre l'information véritable et certains traits légendaires, assez rares du reste, destinés à la rendre plus attrayante, ou bien alors, tout simplement, ce merveilleux est moins merveilleux qu'il n'y paraît, dans sa présentation ou même dans sa réalité. Une analyse des quelques passages de la Risâla généralement incriminés convainc vite, tout d'abord, qu'Ibn Fadlân ne prend jamais à son compte les récits extraordinaires : pour Gog et Magog, il note, fidèle à sa mission, ce qui se dit à propos d'une peuplade réputée voisine des régions visitées, tout en prenant soin de citer ses sources sans s'engager lui-même, et l'on conviendra qu'un merveilleux présenté de cette façon perd, à ce compte, beaucoup de sa crédibilité La description du rhinocéros est de la même veine, mais en outre elle se trouve, elle, objectivement recouper certaines réalités entretenues par les traditions locales. a Enfin, la forme épique sous laquelle est dépeinte une aurore boréale 3 n'enlève rien à la réalité du phénomène; encore faut-il souligner qu'Ibn Fadlân, malgré le trouble où le jette la nouveauté du phénomène, ne voit, dans les formes étranges qui balaient l'atmosphère, que des « apparences» d'hommes et de chevaux, des « ombres» plus ou moins imaginaires 4 ; s'il parle d'un combat de djinns, c'est, ici encore, la tradition locale qui le lui souffle, et il retrouve en d'autres endroits, pour des phénomènes de même ordre 5 , les justes appréciations que nous lui connaissons. 6 1. Risâla, p. 136-140; trad., p. 108-110 : passage assez bref, par conséquent, et présenté comme emprunté à un informateur (parfois même, l'information est au second degré : cf. p. 137 i. f.-138). On dira qu'Ibn Fadlân prétend avoir été mené, selon les dires de ses hôtes, aux ossements d'un spécimen de Gog et Magog (p. 139-140 : passage, du reste, très altéré) ; mais nulle part, l'auteur ne déclare expressément avoir reconnu dans ces ossements des débris humains, et il aurait même, si l'on en croit Yâqût (Buldân, t. I, p. 88, qui donne une leçon beaucoup plus concise et prudente quant aux dimensions des ossements), déclaré formellement son scepticisme à ce sujet. 2. Souvenirs, notamment, d'animaux anciens comme le mammouth ou le rhinocéros du nord (rhinocéros anliquitalis), certains auteurs allant jusqu'à penser que le rhinocéros « n'avait pas encore disparu en Sibérie à cette époque » : Risâla, p. 141-142; trad., p. 112-113, et note 271. 3. P. 123-124 ; trad., p. 95-96 et note 198. 4. Amlâl an-nâs wa d-daœâbb... aSbâh tuSbihu n-nâs... atabayyanuhâ wa ataàayyaluhâ. 5. P. 125-127. 6. Il n'y aurait guère, en définitive, que ce qu'Ibn Fadlân déclare sur le serpent « gros comme un arbre» qui porterait une marque indélébile de merveilleux. C'est,du reste, un des thèmes favoris de Vadab, comme le remarque justement M. Canard (trad. p. 100, note 211) ; Yâqut, lui (Buldân, t. I, p. 487-488), ne mentionne pas le fait, ce qui doit nous inciter à nous demander {cf. également supra, note 1) si le texte suivi par lui, plus bref en général, ne représentait pas une version plus fidèle de l'original, les additions du manuscrit de MeShed allant, ici comme ailleurs, dans le sens du merveilleux et de l'adab.

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Ce n'est pas, au total, de merveilleux qu'il faudrait parler à propos de la Risâla, mais d'émerveillement : différence essentielle qui sépare la convention littéraire, avec ce qu'elle implique de références aux normes culturelles d'un groupe, de l'intervention directe de la personne. En effet, des thèmes qui, par leur caractère insolite, relèvent du domaine de l'adab, ne sont, dans la Risâla, jamais traités précisément comme l'adab a coutume de le faire : non pas livrés bruts, comme des articles de savoir que l'on se repasse, de lettré à lettré, selon la règle mécanique d'un jeu, mais réservant toujours les droits de celui qui les présente, soit qu'ils nous viennent, en t a n t qu'aventures, dans l'émotion singulière où ils ont été vécus, soit que, recueillis d'une autre bouche, ils laissent percer l'incertitude, la critique ou le doute de l'écrivain. Si l'on peut parler d'adab à propos de la Risâla, ce ne peut donc être qu'au plan de la forme qu'elle revêt, du souci de style manifesté par un auteur qui se sait devoir être lu par un public de connaisseurs. En dehors de là, par l'allure personnelle et la vérité constante du voyage, la Risâla occupe, selon nous, une place tout à fait à part dans les lettres arabes. Le cas est d'autant plus remarquable qu'à l'époque d'Ibn Fadlân, les thèmes du nord sont largement accrédités dans l'adab1 : on eût donc pu s'attendre qu'un récit intervenant après les premières œuvres consacrées à ces contrées, celles de Sallâm et de Crarmï, se comportât vis-à-vis d'elles comme le Supplément d'Abû Zayd as-Sïrâfï par rapport à la Relation, c'est-à-dire en systématisant les données dans le sens du merveilleux. Le parallèle est d'autant plus valable que non seulement les situations chronologiques sont exactement semblables dans les deux cas 2 , mais surtout que, pour Ibn Fadlân, les œuvres-modèles étaient déjà — à travers le thème de Gog et Magog chez Sallâm, par exemple — largement ouvertes au merveilleux, infiniment plus, en tout état de cause, que la Relation, dont on a vu plus haut les mérites. A quoi donc attribuer ceux d'Ibn Fadlân ? Au caractère officiel du compte rendu de mission ? Mais il n'est pas besoin de rappeler les limites de l'argument. Pourquoi ne pas songer, comme on l'a fait pour Ya'qûbï et la littérature administrative, à l'intervention de personnalités qui, ici comme dans tous les pays du monde, éprouvent le besoin de quitter les sentiers battus, de voir et de réfléchir par elles-mêmes ? Ya'qubï, Ibn Fadlân, plus tard Ibn Gubayr, et t a n t d'autres 3, la liste serait longue de ceux qui maintiennent les droits de la spontanéité : les masâlik wa l-mamâlik, au moment de leur t . Voir, par exemple, au tableau des auteurs, les références relatives au récit de Sallâm l'Interprète. 2. On a vu que la Relation est de 237/851 et le Suppément d'Abu Zayd des années 303-304/915-916 (supra, p. 121, note 4). Sallâm et Garmî sont tous deux en relation avec le califat d'al-Wâtiq (227/842-232/847) et la Risâla d'Ibn Fadlân date des années 309-311 / 921-923 (cf. supra, p. 134, 135, note 2). 3. Autre cas éclatant, en dehors de la géographie pure : l'autobiographie d'Usâma b. Munqid, au v ° / x i e siècle.

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meilleure production, soit au iv e /x e siècle, ne feront pas autre chose que reprendre, dans un climat de syncrétisme qui emprunte aux genres éprouvés de la géographie d'alors, cette autre tradition, combien vivace, de l'observation directe et vécue. La route du nord : Abu Dulaf Mis'ar ; le voyage réel et le voyage

imaginaire

Abu Dulaf Mis'ar 1 est un héros de roman : poète qui eut ses heures de célébrité, en même temps que minéralogiste compétent, il fait sa cour, entre les années 330/940 et 380/990, successivement aux Sâmânides de Buhârâ 2, à leurs vassaux, les princes saffârides du Sigistân 3 et au célèbre as-Sâhib Ibn 'Abbàd, vizir des Buyides à ar-Rayy. Mais il fréquente les truands aussi bien que les princes et s'affilie à la célèbre compagnie des Banû Sâsân. Dans cette vie longue de près de quatre-vingt-dix ans*, les séjours citadins semblent avoir été coupés de nombreux voyages et Ibn an-Nadïm, qui aurait connu Abu Dulaf personnellement, le qualifie de « globe-trotter » (gawwâla). 5 Son œuvre n'est pas moins originale : il compose, presque simultanément«, deux risâla-s aussi dissemblabes qu'on puisse l'imaginer, l'une, sur les Turcs, accessoirement sur l'Inde et la Malaisie, l'autre sur l'Iran et l'Arménie. Aussi sérieux et personnel dans la seconde que plagiaire et suspect dans la première, il hésite ainsi, d'oeuvre à œuvre, entre les procédés de l'adab et l'observation directe, comme s'il s'ingéniait, jusque dans ses écrits, à confirmer l'image d'une personnalité double. Cet Arabe de souche vivant en milieu iranien, cet homme connu pour son amour des pierres comme pour avoir composé un poème célèbre dans l'argot des coquillards, est décidément plus qu'un écrivain : une figure, et des plus grandes parmi toutes celles qui illustrèrent, en Orient, une vie et une 1. A distinguer de son homonyme, Abu Dulaf al-'Igli (al-Qàsim b. 'Isa), fondateur d'une petite dynastie locale dans la région comprise entre Ispahan et Hamaçjân, mort en 225/839-840. Cf. K . V. Zetterstéen, «al-IJâslm», dans El, t. I I I , p. 8 4 4 - 8 4 5 ; E. Marin, « Dulafides », dans El (2), t. I I , 6 3 9 ; Abu Dulaf II, trad., p. 50, 9 8 ; Ibn Rusteh, trad., p. 179 (et note 4), 204, 242. 2. A propos des Sâmânides, il convient de poser, comme on l'a fait, le problème des rapports éventuels d'Abû Dulaf avec le vizir de cette dynastie, le géographe âayhânl (cf. la trad. de Minorsky de la deuxième Risâla, op. cit., p. 14, 24). En réalité, si Abu Dulaf a sans doute connu l'œuvre de Gayhânï, dont il a pu s'inspirer pour les détails de sa première Risâla concernant les Turcs (cf. Minorsky, loc. cit.), il est en revanche à peu près sûr (cf. tableau des auteurs) que Gayhânï était mort à cette époque : Abû Dulaf n'a pu connaître, au mieux, que son fils, Abu 'Ali al-Gayhànî, mort en 330/941-942. 3. Cf. Minorsky, op. cit., p. 17-18 ; Muqaddasï, éd. de Goeje, p. 337. 4. Selon Ta'âlibï, cité par Minorsky, op. cit., p. 9. 5. Voir références au tableau des auteurs. 6. Minorsky, op. cit., p. 26.

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littérature picaresques avant la lettre. 1 Car le trait essentiel de cette dernière est d'émaner d'auteurs qui, tout en disposant de la culture requise par leur groupe, sont privés, dans ce groupe, de la position sociale qu'elle leur assigne, ou bien ont refusé de la prendre, ou bien encore, tout en l'occupant, manifestent vis-à-vis d'elle de l'impatience ou du détachement. Vies ou âmes de picaros, ils font passer dans leurs oeuvres ce divorce entre ce qu'ils sont et ce qu'ils pourraient ou devraient être : ainsi, leur production n'est pas t a n t caractérisée par la composition d'œuvres en rupture de ban avec les normes culturelles de leur siècle — ici par la langue choisie, là par le sujet, là encore par l'intrusion de l'auteur dans son livre — que par la juxtaposition de ces œuvres avec d'autres qui, elles, respectent lesdites normes : geste de défi ou d'honneur, par lequel on montre à la fois et l'aptitude que l'on a à respecter les Muses et le plaisir qu'on p rend à les violer. 2 Abu Dulaf est dans ce cas. Faut-il disserter, pour un protecteur ou un mécène 3, des Turcs ou de l'Inde ? Qu'à cela ne tienne : rompu que l'on est aux goûts du public lettré, on décrira, d'après un itinéraire de fantaisie, les principaux pays ou tribus qu'on prétend avoir visités, un peu avec les souvenirs que l'on a effectivement retenus aux lieux où l'on a voyagé — mais infiniment moins nombreux ou lointains qu'on ne le dit —, beaucoup en compilant les œuvres des prédécesseurs. 1 L'invention frise l'insolence, car le «je», qui intervient régulièrement dans cette première Risâla, n'est jamais le constat d'un témoignage direct : simplement un exercice de style assuré de l'impunité. De là naissent quelques paysages fantastiques, où les poivriers se racornissent sous l'effet du vent et où les 1. Pour l'Orient, cf. l'étude de R. Blachère et P. Masnou dans l'introd. à leur Choix de séances de Hamaiâni, Paris, 1957, p. 10-13. 2. Cyrano et Régnard illustrent assez bien, par leurs aventures, les « vies » dont nous parlions ; leurs œuvres juxtaposent le Voyage dans la lune ou le Voyage en Laponie au goût pour les genres affirmés que sont la tragédie pour le premier et la comédie pour l'autre. Furetière et Le Sage représentent, eux, les « âmes • : le second, qui cultive à la fois la comédie, genre classique, et le roman picaresque ou d'aventures avec Gil Blas ou les Aventures de Beauchêne, poursuit une vie systématiquement exempte d'honneurs ; le premier est un Académicien, mais son mépris des conventions littéraires ou sociales va jusqu'à la composition du Roman bourgeois et de fables, et surtout jusqu'à braver, par la publication de son dictionnaire, l'Académie qui l'exclura. 3. Ces deux hypothèses sont envisagées par V. Minorsky dans El (2), t. I, p. 119, et Oriens, V, 1952, p. 24 : « A b u Dulaf, toujours à court d'argent, a pu fabriquer) s o n factum... pour s'assurer une récompense plus abondante. » 4. Cf. Marquart, Streifziige, p. 77 sç.,| 83 sq. ; seconde Risâla, trad. Minorsky, p. 12-18, où il est montré qu'AbQ Dulaf est sans doute allé de Bubârâ au Sigistân, mais que sa prétendue expédition jusqu'aux provinces de Nan-Chan et de Kan-Sou (à 500-700 k m au sud de la frontière méridionale de l'actuelle Mongolie Extérieure) ne laisse pas d'être suspecte en raison de l'incroyable désordre de la nomenclature des tribus turques traversées ; tous les renseignements qui se rapportent à la Malaisie et à l'Inde, maigres au demeurant, sont des emprunts.

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serpents, confinés sur une montagne magique, tuent, rien qu'en les regardant, tous ceux qui s'en approchent. 1 Mais ces traits d'insolite outrancier sont assez rares. 4 Dans ce jeu — puisqu'il ne s'agit, après tout, que de cela —, Abu Dulaf garde l'habileté de rester en deçà des limites imposées, à une espèce de moyenne dans le dépaysement, au-delà de laquelle il risque de passer pour un simple fabulateur. Car, si la règle du merveilleux Çagïb) est en effet, pour lui donner le plus de force et d'attrait, non pas de le créer de toutes pièces, mais de le rendre vraisemblable en l'inscrivant dans un contexte plus ou moins authentique qui lui sert de garant, il importe chaque fois d'en doser les effets. Et comme la règle devient d'aut a n t plus valable que l'on se rapproche de terrains connus, on comprend pourquoi les Turcs d'Abû Dulaf représentent assez bien cet amalgame idéal de bizarre et de quotidien par lequel seul, pour reprendre l'expression célèbre, l'artiste peut les «figurer». C'est pourquoi il n'est pas besoin de suivre V. Minorsky lorsqu'il affirme 3 , au vu du caractère décousu de cet itinéraire, que le destinataire de la Risâla ne pouvait vivre que loin de Buljârâ : en admettant que l'on connût alors exactement l'emplacement des tribus turques, rien ne prouve que le protecteur d'Abû Dulaf ait été dans les dispositions d'esprit que nous lui prêtons aujourd'hui, avec notre souci d'information objective et précise. Comme on peut présumer, au contraire, qu'Abû Dulaf a modelé sa Risâla dans le sens requis par la personnalité du demandeur 4 , il n'est pas besoin de chercher, avec l'éloignement géographique, une cause extérieure à t a n t de tranquille et plaisant désordre : si la Risâla n'est pas une étude en forme, mais un mémoire récréatif, si elle se préoccupe moins de vérité que de thèmes à la mode, c'est, tout simplement, parce que son destinataire lui-même voulait qu'elle f û t cela. Ainsi nous est prouvé, si besoin en était, que les pays du nord, tout comme les mers orientales, sont devenus, vers le milieu du i v e / x e siècle, de simples articles au catalogue de l'adab. Tout autre apparaît, nous l'avons dit, la seconde Risâla, qui porte, elle, sur l'Iran et l'Arménie. Les thèmes y deviennent l'affaire personnelle de l'auteur et non plus le prétexte à une démonstration mondaine de sa culture, à l'exercice social d'un savoir. Cet examen passé, pourrait-on dire, Abu Dulaf revient à ce qu'il aime : les roches, les plantes, la thérapeuti1. Risâla, p. 15, 19. 2. Un cas remarquable est celui de la notation relative à la péninsule malaise ( Kalah), signalée justement (p. 18) comme le terminus de la navigation vers l'Orient ; mais les circonstances historiques qui en ont fait un terminus (cf. supra, p. 114, note 5, p. 123, note 1) deviennent ici comme le pendant, à l'est, des lies Fortunées à l'Occident, une sorte de « bout du monde > magique, « point extrême pour les navires, qui ne peuvent, sous peine de naufrage, aller au-delà. » 3. Dans Oriens, op. cit., p. 24. 4. A plus forte raison si, comme on l'a v u plus haut (p. 140, note 3), cette composition est dictée par un besoin d'argent.

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que... Ici, il ne procède plus par emprunts littéraires, mais travaille de mémoire, d'après des observations consignées au cours du voyage, selon un itinéraire parfaitement clair. 1 II suit ainsi une méthode originale qui n'est pas sans rappeler celle qui va connaître t a n t de succès avec les masâlik wa l-mamâlik. Mais est-ce un hasard que cette parenté entre les deux genres ? Au moment même où Abu Dulaf compose, les masâlik wa lmamâlik connaissent, avec Istahrï, leur première illustration vraiment caractéristique. Dans l'impossibilité où nous sommes de tracer le jeu des influences éventuelles 2 , constatons du moins que ce milieu du iv/x e siècle propose aux écrivains, parallèlement aux modèles culturels qui s'incarnent dans Vadab, un autre type d'homme, de savoir et de style. L'homme, c'est le voyageur, courant le monde pour son plaisir ou du moins en trouvant du plaisir aux obligations qui lui imposent ces courses, vivant comme il peut, parfois très mal selon les exigences de la faim ou celles de la morale, et subordonnant tout à la possibilité de voir, de ses yeux, le plus grand nombre de choses. De cette vie, les auteurs des masâlik wa l-mamâlik ont été les illustrateurs exemplaires et Muqaddasï nous en a laissé un tableau mémorable à travers lequel il ne nous est pas interdit d'imaginer, avant lui, Abu Dulaf, puisqu'il a, comme lui, « revêtu les robes d'honneur», mais aussi «connu les républiques de gueux». 3 Le savoir, c'est donc celui qu'on cueille, avec la vie et l'aventure, au fil des routes : paysages, itinéraires, monuments ou «merveilles», villes, produits du sol ou de l'industrie des hommes, tarifs commerciaux, tableaux de mœurs, célébrités ou spécialités locales. 4 Tout cela ne va pas sans quelques contradictions : car le goût du concret jure avec cet autre engouement qu'Abû Dulaf, en bon lettré, éprouve pour les choses insolites (a'âgïb), la quasitotalité des exemples cités dans ce dernier cas se rapportant soit aux souvenirs archéologiques de l'Iran, soit aux phénomènes naturels. Prenons 1. Cf. Minorsky, introd. à la Risâla, p. 20, 21, 23 ; P. G. Bulgakov et A. B. Khalidov, dans leur éd. de la même Risâla, p. 22, 23, où ils déclarent, sans plus de précision, que l'intérêt de l'auteur pour les sciences naturelles et médico-pharmacologiques est lié à son appartenance aux Banû Sâsân. Pour mon compte, je trouve dans l'exposé de ces préoccupations des accents classiques : des références à l'influence des lieux sur la santé ou ie comportement des êtres humains (Risâla, p. 38, 40) sont tout à fait dans l'esprit de Gâhi?, et les célèbres scorpions de Nasïbïn ou Sahrazûr ( H a y a w â n , t. IV, p. 226 ; t. V, p. 358) sont rappelés à la p. 18 de la Risâla. 2. La deuxième Risâla, comme on l'a dit, ne porte pas trace de réminiscences littéraires ; inversement, Abu Dulaf n'est pas cité et ne parait pas copié par Istabri, Ibn Hawqal ou Muqaddasï. 3. Trad., § 85-86; une partie du texte est citée supra, p. 52. 4. Cf. Risâla : sur les fleuves : p. 13 et passim ; sur les montagnes : p. 18 ; sur les itinéraires : p. 20, 22, 3 0 ; sur les monuments et merveilles : p. 11, 13, 20, 21, e t c . ; sur les villes ; p. 33, 39 et passim ; sur les produits : p. 7, 10, 11, 12, etc. ; sur les prix ; p. 17 ; sur les caractères et les mœurs : p. 18, 32 ; sur les hommes célèbres : p. 32 ; sur les spécialités locales : p. 32, 37-38.

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g a r d e t o u t e f o i s q u e les premiers o n t leur raison d'être dans la p e r s o n n a l i t é du destinataire d e la Risâla : si l'on e s t e n droit d e penser, c o m p t e t e n u des régions décrites d a n s l ' œ u v r e c o m m e des relations qui o n t m a r q u é la v i e d ' A b u D u l a f , q u e ce destinataire d e v a i t être e n rapport plus ou m o i n s direct a v e c les princes s â m â n i d e s ou b û y i d e s 1 , on c o n v i e n d r a alors qu'il é t a i t normal q u ' u n protégé de ces princes r a p p e l â t d a n s son livre les m o n u m e n t s et les l é g e n d e s d'un p a y s d o n t ils p r é t e n d a i e n t reprendre en c h a r g e les t r a d i t i o n s 2 : le g o û t du m o n u m e n t p e u t n'être ainsi qu'une parure n o b l e j e t é e sur c e t t e p i t o y a b l e nécessité de v i v r e qui a t t a c h e l ' é c r i v a i n a u m é c è n e . Mais il en v a t o u t a u t r e m e n t pour les p h é n o m è n e s n a t u r e l s : ici, A b u Dulaf reproduit bien t o u t ce qui se dit, d e réel ou d'étrange, m a i s s o n intérêt personnel et presque son honneur de spécialiste lui f o n t u n devoir, c h a q u e f o i s qu'il le peut, de se rendre c o m p t e par l u i - m ê m e d e s c o n d i t i o n s du p h é n o m è n e cité. D e u x e x e m p l e s célèbres, entre bien d'autres, t é m o i g n e n t de son souci de s o u m e t t r e les d o n n é e s traditionnelles sur le m e r v e i l l e u x au contrôle de l ' i n v e s t i g a t i o n directe Çiyân)3 : Abu Dulaf est, à notre connaissance, le premier a u t e u r arabe à décrire les s o u r c e s d e pétrole de B a k o u 4 ; p a r f a i t e m e n t conscient du caractère m y t h i q u e des récits colportés sur la m o n t a g n e de D e m â v e n d , il la gravit « au péril d e sa v i e » jusqu'à m i - h a u t e u r , assez pour se rendre c o m p t e que les v a p e u r s d e la m o n t a g n e n ' o n t de causes q u e naturelles. 1 1 T a n t de choses à dire, dans l ' i m p r o v i s a t i o n de la route ou du s o u v e n i r , 1. Les raisons invoquées par Y. Minorsky (introd. à la Risâla, p. 25-26) en faveur d'un destinataire résidant en Irak, non susceptible, par conséquent, d'être choqué par les exagérations d'Abu Dulaf, doivent être rejetées au nom des mêmes principes que ceux que l'on a déjà invoqués pour la première Risâla. 2. Cf. P. G. Bulgakov et A. B. Khalidov, op. cit., p. 22. Ce goût du passé iranien et daylamite va parfois jusqu'au nationalisme (Su'ùbiyya), étrange chez un Arabe, dont la plume sert ainsi, par conviction ou intérêt, le camp traditionnellement adverse. Cf. p. 31 (trad., p. 51), où il est dit que les Arabes ont détruit, dans la région d'ar-Rayy, toute trace des anciens monuments iraniens. La même exploitation politique des «merveilles» peut être décelée chez Muqaddasï : cf. trad., § 88, note 1. 3. Un cas unique, à ma connaissance, d'exagération manifeste et impudente (trad., p. 60 : « my listeners will take this for an exaggeration on my part, though I have stated only what I have witnessed ») concerne Nïsâbûr, où une tige de rhubarbe pourrait peser jusqu'à 40 kg et un coing jusqu'à 1,3 kg {ibid., avec commentaire, p. 107). 4. P. 12 ; trad., p. 35. 5. Risâla, p. 34-35 ; trad., p. 54-55 ; le point culminant de l'Elbourz (Demâvend, Dunbàwand) est en effet un massif volcanique dont l'activité était sans doute plus forte qu'aujourd'hui, ce qui donne leur juste prix aux risques qu'Abfl Dulaf dit avoir courus. Il a très bien noté les phénomènes, sulfureux notamment, et il conclut fort justement : « The smoke which is taken for the breath (des êtres mythiques enfermés dans la montagne) is simply the vapour of t h a t sulphurous spring. And this combination gives an air of plausibility to what the common people allege ». Sur cette montagne, cf. M. Streck, dans El (2), t. II, p. 108-109 (ne signale pas Abu Dulaf). On comparera Abu Dulaf avec Ibn al-Faqïh, p. 274-279. A n d r é MIQUEL.

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ne supportent qu'un style spontané qui suit, comme il le peut, les sollicitations de l'œil ou de l'esprit. « Les pommes, à Ispahan, restent fraîches sept années durant et les charançons n'y attaquent pas le blé. On y voit des ruines superbes ». 1 La moisson serait abondante, s'il fallait relever les notations de ce genre, typiques d'une expression désordonnée, truffée de coq-à-l'âne, qui caractérisera tant de passages des masâlik wa l-mamâlik.2 Que manque-t-il donc à Abû Dulaf, malgré le mode de vie, le savoir et le style qu'il propose, pour être vraiment géographe, au sens où l'est son contemporain Istahrï ? Précisément la conscience de cette vocation, qui lui eût fait, d'une part, élargir le champ de vision trop restreint d'une risâla et, d'autre part, regrouper ses données autour de quelques grandes rubriques, territoriales ou autres : en un mot, de trouver, comme les masâlik wa l-mamâlik, le moyen terme attendu entre la partitio mundi à la mode de la sûrat al-ard, trop schématique et théorique, et l'observation concrète du monde, qui mène à la vérité, sans doute, mais à travers une expression désordonnée. On ne saurait, bien entendu, faire à Abû Dulaf le procès de n'être pas géographe, puisqu'il ne visait pas après tout à cela. Son mérite est ailleurs : dans sa personnalité ambiguë, vivant d'attitudes contradictoires et opposant, aux formules dépassées de la mode, les engagements libres de la personne. Pour tout dire, mérite de la contestation, mais exprimée dans les formes que lui prête, on l'a vu, la mentalité picaresque. Or, des protestations de ce genre ne valent pas seulement par l'image qu'elles donnent d'un certain type de mentalité. Les inquiétudes d'Abu Dulaf, rapprochées de celles qui se font jour au même moment dans les masâlik wa l-mamâlik d'Istahrï 3 , témoignent qu'en ce milieu du iv e /x e siècle, la curiosité de quelques lettrés évolue de façon décisive et proclame périmés un certain nombre de modèles : périmé le rapport d'ambassade 4 , traité cavalièrement, bâclé même, et qui se voit opposer le plaisir du voyage en soi ; périmée l'excursion imaginaire dans les livres et les dires d'autrui, car l'époque arrive de l'aventure personnelle ; périmé enfin l'au-delà des frontières, au profit de la découverte chez soi. Si l'on ne peut établir de liaison formelle 1. Risâla, p. 41 ; trad., p. 60. 2. On peut même, en tenant compte du goût croissant pour la prose rimée ( s a f ) qui se manifestera dans les masâlik, prévoir la transformation des notations comme celles d'Abu Dulaf dans le style de Muqaddasî. Soit (Risâla, p. 17) la phrase suivante : « l'Arménie connaît des prix modérés, mais parfois des sécheresses redoutables» : Armlniyyatu rahisatu l-as'âr wa rubbamâ kâna l-qahtu bihâ 'animan giddan. On peut très bien envisager, chez un Muqaddasî, le schéma suivant : Arminiyyatu / rahisatu l-as'âr / qalilatu l-amtâr / rubbamâ kâna..., avec institution de doublets phonétiques. 3. Il faut repenser, ici encore, au caractère exceptionnel et précurseur de l'œuvre de Ya'qûbï. 4. N'oublions pas que la première Risâla est rédigée à l'occasion d'une ambassade destinée à traiter, pour le compte des Sâmânides de Bubàrâ, l'affaire des « mariages turcs ».

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entre un Abu Dulaf et un Istahrï, du moins la commune présence, en leurs œuvres, de ce manifeste d'un nouveau style témoigne-t-elle, dans la littérature géographique d'alors, de l'intervention de changements décisifs. Les routes du nord-ouest et du sud : l'Europe et l'Afrique Les préoccupations déjà signalées se retrouvent aux routes d'Europe et d'Afrique. Les ambassadeurs et agents de renseignements, ici encore, jouent un rôle essentiel : le pôle des visées extérieures du monde musulman est évidemment Byzance, engagée avec lui dans un subtil complexe de guerres et d'échanges 1 : 'Umâra b. Hamza la visite, avec tant d'autres 3 , au nom du calife, et ûazâl pour le compte de l'émir de Cordoue. Mais Byzance, malgré son importance, n'épuise pas l'activité diplomatique : le même ûazâl, quelque temps après, se rend dans le Jutland pour y trouver un modus vivendi entre les envahisseurs normands de l'Espagne e t l'émir 'Abd ar-Rahmân II, tandis que, vers les années 359/969-363/973, Uswânï opère en Nubie et chez les Bedja, comme envoyé du général fàtimide ôawhar. 3 Ces personnages officiels, toutefois, ne sont que les points de mire d'une immense piétaille vivant, sous toutes ses formes, la même aventure de conquête, d'argent ou de curiosité : soldats ou prisonniers 4, commerçants qui passent au travers des guerres, et tous ceux-là aussi en qui l'explorateur sommeille. Muliammad b. Miïsâ, que nous avons 1. Cf. M. Hamidullah, « L'Europe et l'Orient musulman», dans Arabica, VII, 1960, p. 281-300 (avec bibliographie) ; A. Vasiliev, Byzance et les Arabes, passim ; M. Canard, « Les expéditions des Arabes contre Constantinople dans l'histoire et dans la légende », dans J. As., 1926, p. 61-121. Du même, une étude d'ensemble des rapports militaires, diplomatiques, économiques et culturels entre Byzance et l'Islam : «Les relations politiques et sociales entre Byzance et les Arabes», dans Dumbarton Oaks papers, n° 18, p. 35-56. Voir aussi Mas'udî, Prairies, t. II, p. 335 sq., et Muqaddasï, trad., § 123. 2. Il ne saurait être question de passer en revue toutes les ambassades arabes dans l'Empire byzantin, sur lesquelles on renverra aux ouvrages et articles déjà cités, mais d'indiquer celles qui semblent avoir donné lieu à des relations de voyage : à ma connaissance, celle de 'Umâra, reprise par Ibn al-Faqïh (cf. tableau des auteurs) en est jusqu'à présent le seul spécimen, qui a d'ailleurs échappé à l'habituelle sagacité de Kratchkovsky. J e n'ai pas retrouvé trace, chez Ibn Hawqal, de cet agent de renseignements que S. Dahan (introd. à la Risâla d'Ibn Fadlân, p. 17) donne, d'après cet auteur, comme étant resté vingt ans à Constantinople, sur l'ordre de H â r û n ar-Ra5id. L'histoire est connue, mais elle remonte à des sources beaucoup plus tardives, et son authenticité est très contestable : cf. Kratchkovsky, p. 129-130 (133). 3. Sur Mûsà b. Nuçayr, cf. tableau des auteurs. 4. Sur des récits d'échanges de prisonniers, cf. Mas'udî, Tanbih, p. 255 sq. (à noter, parmi ces échanges, celui qui comprend ôarmï) ; récits recueillis oralement de prisonniers ou autres voyageurs musulmans dans l'Empire byzantin chez Ibn Hawqal, p. 195 sq. Cette tradition de voyage, forcé ou non, vers Constantinople, restera vivace jusqu'à une époque tardive : voir la traduction du récit du HSgg 'Abd Allah b. Muhammad, qui visita Constantinople sous Andronic I I Paléologue (1282-1328), par M. Izeddin, dans J. As., 1958, p. 453-457.

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déjà trouvé sur les routes du nord parcourt en Asie Mineure, vers les années 845 de J.-C., la région de la Caverne des Sept Dormants. Garmî, prisonnier des Byzantins, écrit un ouvrage sur leur Empire et les peuples voisins. 2 Hârun b. Yaljyâ, surpris par des pirates sur les rivages de Palestine, sans doute à l'extrême fin du ix e siècle, visite, sur les chemins de sa captivité, Constantinople, Salonique, les pays slaves du sud, Venise, Pavie et Rome, où il recueille des renseignements sur la France, la Bourgogne et la Grande-Bretagne. Le Juif espagnol Ibrahim b. Ya'qùb, pour des raisons commerciales ou religieuses 3 , entreprend en Europe, vers 354/965, un très long périple qui le mène de la Bretagne — peut-être de l'Irlande ou même de l'Islande — en Pologne et du Schleswig à la Sicile, en passant par les Pays-Bas et l'Allemagne de l'empereur Othon le Grand, qui le reçoit à sa cour. A l'extrême ouest, enfin, le iv e /x e siècle voit huit jeunes hommes, que l'histoire a surnommés les Fils de l'Aventure (alMagrûrûn), quitter par mer Lisbonne et explorer les parages de Madère et des Canaries. On a beau jeu, certes de dénoncer le caractère parfois suspect des prétendus résultats de ces expéditions. 4 C'est qu'en effet, si la réalité de ces voyages peut être à peu près sûrement affirmée, et tout autant celle des récits qui les consignèrent, le doute règne, en revanche, sur la forme et le contenu originels de ces récits, tant les épaves conservées sont réduites, et grande la distance chronologique entre ces originaux et les textes dans lesquels, aujourd'hui, nous les lisons. 6 Sur le plan quantitatif, donc, on peut à peine, devant quelques pages ou même quelques lignes, parler d'œuvres, au sens courant du terme, le récit des Magrûrûn, ou du moins ce qu'il en reste, occupant, de par sa minceur, une position extrême audelà de laquelle le souvenir des voyageurs est réduit à la simple mention d'un nom, sans qu'on puisse savoir si ce nom, en son temps, était bien synonyme d'un récit de voyage effectivement sanctionné par l'écriture. 6 1. Cf. supra, p. 132. Sur l'identification du personnage, cf. t a b l e a u des a u t e u r s . 2. Ibid. 3. Cf. Canard, dans EOLP, op. cil. 4. K r a t c h k o v s k y , par e x e m p l e , p. 135 ( 1 3 7 ) , p e u t , après de Goeje, t r o u v e r , d a n s le récit des MaQrùrûn, des traces é v i d e n t e s d e « folklore ». 5. Si le mal parait m o i n d r e , a priori, p o u r u n ' U m â r a b. H a m z a , reproduit p a r Ibn a l - F a q ï h , un M u h a m m a d b. Mûsâ ( p a r Ibn H u r d â d b e h et Mas'ûdï), un flarmî (par Ibn H u r d â d b e h ) , u n H â r u n b. Y a h y â (par Ibn R u s t e h ) , q u e dire pour U s w â n ï , c o n n u s e u l e m e n t à travers Maqrîzï ( x i v e - x v B siècles), à son t o u r repris par M a n û f ï e t Ibn I y à s ( x v e siècle ; cf. G. T r o u p e a u , dans Arabica, I, 1954, p. 276-277), pour I b r a h i m b. Y a ' q û b , t r a n s m i s par Bakrï ( x i e siècle) e t Qazwïnï ( x i n e siècle), pour les Magrûrûn (Idrïsï [ x n e siècle], repris par A b u H â m i d a l - û a r n à t ï [ x n e siècle] et ' U m a r ï [ x i v B siècle]), et s u r t o u t p o u r Gazàl ( I b n D i h y a [ x n e - x m e siècles] e t Maqqarï [ x v i e - x v n e siècles]) ? Le p r o b l è m e e s t repris infra, p. 147-148. 6. Tel e s t le cas, n o t a m m e n t , de Hâlid a l - B a r l d ï ( M u q a d d a s î , trad., § 123, o ù X'isnâd d o n n é n ' e s t pas i n c o m p a t i b l e , dans le principe, a v e c la p r o d u c t i o n , par c e p e r s o n n a g e et e n son t e m p s , d'une relation écrite) et des e n v o y é s de H â r u n ar-Ra5îd en A r a b i e

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Mais en définitive, si t o u t jugement sur l'authenticité des fragments conservés, t o u t effort en v u e de leur exploitation apparaissent ainsi très difficiles, cela tient moins au caractère discontinu et parcellaire des t e x t e s sauvés qu'aux formes dans lesquelles la littérature arabe a pu les reprendre et les couler, depuis le t e m p s de leur rédaction jusqu'à celui de leur consignation par des écrivains pour la plupart largement postérieurs. Les modes de l'adab, sa recherche du merveilleux, parfois aussi une certaine tradition poétique arabe ont si bien marqué, sur plus d'un point, les t e x t e s conservés que chacun des auteurs doit être jugé non pas en lui-même, mais toujours dans son rapport à son transmetteur et selon un double critère : la distance chronologique qui sépare ce transmetteur de ses sources et son goût plus ou moins prononcé pour les formes homologuées de l'art d'écrire. Aussi peut-on établir, semble-t-il, quatre degrés dans l'appréciation de la fidélité a u x t e x t e s anciens. L'image la plus sûre naît sans doute du rapport entre un écrivain reconnu pour sérieux et un modèle assez rapproché dans le t e m p s : c'est le cas pour Muhammad b. Mûsà et ûarmî, démarqués et cités par Ibn Hurdâdbeh, ou pour Hârun b. Y a h y â à travers Ibn R u s t e h . 1 La fidélité aux sources diminue lorsqu'elle est compromise par le seul effet de la distance chronologique entre d e u x auteurs, m ê m e si l'on a d m e t leur goût de la recherche objective, c o m m e pour les Magrûrûn2 et Idrïsï, ou pour U s w â n ï 3 et Maqrïzî, qui ne nous livre, du t e x t e de son modèle, que la matière de quelques paragraphes. Les m ê m e s déficiences 4 peuvent se faire jour lorsque le modèle est cité par du sud (Idrïsï, éd. J a u b e r t , t. I, p. 64, cité p a r K r a t c h k o v s k y , p. 129 [132]). Il convient de ne p a s oublier, enfin, t o u t e s les sources orales (cf. p a r exemple supra, p. 145, n o t e 4), qui ne p e u v e n t t r o u v e r leur place dans le p r é s e n t chapitre, conçu c o m m e u n répertoire des sources écrites (connues d i r e c t e m e n t ou non). 1. Sur le premier et son sens critique, cf. K r a t c h k o v s k y , p. 130 (133) ; sur ô a r m î et l ' e x a c t i t u d e de sa description a d m i n i s t r a t i v e de l ' E m p i r e b y z a n t i n , ibid., p. 132 (134) ; H â r u n b. Y a h y â , s'il se laisse aller, dans sa description de R o m e , à u n goût du m e r veilleux qui n ' e x c l u t d'ailleurs p a s un fond de réalité, nous a d o n n é , en t o u t é t a t de cause, sur Gonstantinople, des renseignements d ' u n e x t r a o r d i n a i r e intérêt. R e s t e é v i d e m m e n t le problème m ê m e du volume, e x t r ê m e m e n t r é d u i t , de ces e x t r a i t s : la perte la plus sensible semble affecter l ' œ u v r e de Garmî, plus a m p l e à l'origine q u e les a u t r e s (cf. K r a t c h k o v s k y , p. 132 ;'. f . [135]). 2. Le b u t de leur expédition est donné c o m m e s t r i c t e m e n t scientifique : r e c o n n a î t r e la configuration et les limites de la mer des Ténèbres (océan). 3. Il nous livre une r e p r é s e n t a t i o n assez e x a c t e du système du Nil et de ses a f f l u e n t s , en m ê m e t e m p s q u ' u n t a b l e a u r e m a r q u a b l e m e n t détaillé et précis de l'organisation territoriale et politique de la Nubie et des B e d j a . Mais le f a i t m ê m e que ce t a b l e a u soit r e p r o d u i t fidèlement p a r Maqrizï, s'il t é m o i g n e , chez celui-ci, d ' u n e conception élevée de son h o n n e u r d'écrivain, le f a i t t o m b e r dans u n a u t r e t r a v e r s : l'absence d ' u n e conception de l'histoire. T o u t se passe c o m m e si les q u a t r e siècles qui le s é p a r e n t d ' U s w â n ï é t a i e n t passés sur ces p a y s sans y rien changer. 4. On p r e n d r a ce t e r m e , bien e n t e n d u , t o u j o u r s sur le plan de l'appréciation o b j e c t i v e d ' u n e réalité historique, é t a n t e n t e n d u que, p o u r l'étude sociologique des m e n t a l i t é s , les t e x t e s n ' o n t pas moins de valeur que les a u t r e s .

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un écrivain assez peu éloigné de lui dans le temps, mais dont nouf connaissons le goût avéré pour les formes littéraires en honneur dans son siècle : q u ' I b n al-Faqïh ait déformé 'Umâra b. Hamza dans le sens du merveilleux ou qu'il se réfère à lui parce qu'il trouve en cet auteur comme un modèle, précisément, au regard de ses propres tendances, le résultat est le même : l'envahissement du récit par le prodige 1 . Enfin, les atteintes les plus graves seront portées à l'original lorsque l'utilisation de formes littéraires conventionnelles se conjugue à la distance chronologique : que restet-il de l'œuvre d'Ibrahim b. Ya'qflb, mutilée, confondue avec d'autres, éparpillée aux quatre coins de l'ouvrage d'un Qazwïnï, vulgarisateur honnête, certes, mais pour lequel l'apprentissage du savoir est rarement séparable du plaisir que procure l'insolite ? E t ce Gazai qu'on nous présente, quatre ou huit siècles après, dans les mêmes formes stéréotypées de l'amour courtois et de l'honneur 2 , s'était-il vraiment comporté ainsi dans ces affaires en principe sérieuses que sont une ambassade et la rédaction des rapports que l'on en donne ? 3 On le voit, la distance chronologique doit être, en tous ces cas, jugée à deux niveaux : à celui de la connaissance historique, on devra évidemment faire de sérieuses réserves sur l'authenticité de l'œuvre transmise ; mais précisément l'ampleur de la défiguration historique des textes originaux est la preuve, sociologique cette fois, de son remodelage en fonction du système culturel accrédité dans les consciences. Ce sont les Arabes du Moyen Age, et non pas nous, qui désignent ce remodelage, une fois de plus sous le même terme d'adab. 1. Même si celui-ci existait, dans son principe, à la cour de l'empereur byzantin, les modes sous lesquels il nous est présenté ici (Ibn al-Faqïh, p. 137-139) n'en demeurent pas moins extravagants. p 2. Lévi-Provençal (repris par A. Huici Miranda, dans El (2), t. II, p. 1062) a pu noter (« U n échange d'ambassadeurs entre Cordoue et Byzance au i x e siècle », dans Byzantion, X I I , 1937, p. 1-24) l'inquiétante constance des mêmes thèmes dans le récit des deux ambassades de Gazai à Constantinople et au Jutland : ruse pour éviter l'entrée à l'audience du souverain par une porte-joug, amitié amoureuse avec la reine et envoi de poèmes. Lévi-Provençal en concluait que le récit du Jutland était « une contamination postérieure », l'ambassade à Constantinople recouvrant seule une réalité historique. Kratchkovsky, p. 133-134 (136), a fait justice de cette hypothèse, mais l'article de Lévi-Provençal n'en demeure pas moins essentiel, dans la mesure où il démontre la constance de ces thèmes : il se réfère en effet à une chronique-compilation sans doute antérieure aux textes d'Ibn Diljya et de Maqqari, mais où, déjà, ces thèmes existaient : thèmes, par conséquent, dont l'aura poétique et merveilleuse ne pouvait que s'aflirmer au cours des âges*. 3. Même si l'on admet, comme plus haut (p. 135-136, 141), que cette rédaction ellem ê m e n'est pas incompatible avec certaines formes littéraires, il n'en demeure pas moins étrange, ici, que les souvenirs des ambassades de ûazâl se réduisent exclusivement à ces formes.

•Voir

Aildcndii.

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Les débuts d'une « géographie spirituelle des intercessions » On connaît, à travers certaines remarques de Goldziher et d'autres études plus r é c e n t e s u n e littérature née des thèmes, rites ou lieux de pèlerinage. Si le genre des manâsik al-hagg ou des traités de rituel 2 n'intéresse pas notre propos, il n'en est pas de même des Pilgerfiihrer « à base topographique». Ceux-ci, dont l'apparition semble avoir été assez tardive 3 , sont en réalité des œuvres à deux visages : l'un, que l'on pourrait appeler de topographie profane, regarde en effet les lieux et observe parfois, à cette occasion, leurs particularités ou leurs productions ; l'autre, qui nous fait reprendre les termes employés à propos de Massignon \ vise une « géographie spirituelle des intercessions », pour laquelle les lieux décrits « ne sont pas des sites attirants pour les yeux », mais ceux-là mêmes que regroupe, au-delà des différences de situation sur le globe, la commune et active mémoire des saints qui les hantèrent. On voit bien, certes, en quoi cette littérature, en son souci de décrire les pays et les villes, est tributaire des œuvres géographiques : particulière à un ensemble régional, elle s'inscrit dans la tradition des monographies»; générale, comme c'est le cas avec Harawï (mort en 611/1215), elle puise au genre, non moins établi alors, des masâlik wa l-mamâlik. « Il est beaucoup plus difficile, en revanche, de lui trouver, à l'époque qui nous occupe, des antécédents en tant que géographie spirituelle. Les seuls livres qui, à ma connaissance, se présentent avant l'an mil comme des répertoires systématiques de lieux saints, se situent dans une perspective radicalement différente : le Livre des monastères (Kitâb ad-diyârâf), de Sâbustï, le seul que l'histoire nous ait conservé, n'est ni plus ni moins qu'un recueil très profane, tout comme devaient l'être, avant lui ou à son époque, ceux qu'avaient composés, sur ce même sujet, quelques-uns des plus grands noms de la littérature arabe : HiSâm b. MuJjammad al-Kalbï et Abu 1-Farag al-Isfahànï, pour ne citer que ces deux-là. 7 Recueil profane, en effet, disions-nous, et à plus d'un titre : au regard de la religion islamique, d'abord, car les monastères dont parlent ces Musulmans sont 1. « Muhammedanische Tradltionen... », dans ZDPV, II, 1879, p. 1 4 ; Muhammedanische Studien, t. II, p. 318, note 2. Dernier état de la question dans J. Sourdel-Thomine introd. à la trad. de Harawï, Kitâb az-ziyârât, D a m a s (IFD), 1957. 2. Voir références chez J. Sourdel-Thomine, op. cit., p. X X X , notes 2, 3. 3. A de très rares exceptions près, représentant d'ailleurs des œuvres disparues : cf. Muhammedanische Studien, loc. cit., et J. Sourdel-Thomine, p. X X X - X X X V . 4. Cf. V. Monteil, introd. à Parole donnée, p. 27 sg. 5. Cf. infra, chap. VII. Genre lui-même développé à partir du thème de la comparaison et des mafâbir wa l-matâlib : cf. supra, chap. II, p. 54, note 1, p. 55, note 2. 6. Et, comme lui, accessoirement à la littérature des « merveilles » : cf. J. SourdelThomine, p. X X X V I I . 7. Autres noms dans K. 'Awwâd, introd. à l'éd. du Kitâb ad-diyârât, p. 22-26.

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e x c l u s i v e m e n t chrétiens, mais aussi en un sens absolu, p a r l'absence totale, en ces r a p p o r t s , de la m o i n d r e religiosité. Qu'est-ce q u ' u n m o n a s t è r e p o u r S â b u s t ï ? A v a n t t o u t , le lieu d'origine d ' u n certain n o m b r e de t r a ditions historiques (ahbâr) où le couvent intervient, à l'occasion des vicissitudes politiques d o n t il f u t le témoin, des personnages célèbres qu'il accueillit ou des poèmes qu'il inspira. Mais ces récits, qui occupent l'énorme m a j o r i t é de l'ouvrage, sont introduits, pour chaque couvent, p a r quelques lignes stéréotypées, qui nous le p r é s e n t e n t comme un lieu d o n t la fonction essentielle est le plaisir : celui des yeux, qui s ' a t t a r d e n t au m ê m e p a y s a g e de verdure, de fontaines et de cours d'eau, et aussi ceux que procure, à la foule des villes, chrétienne ou m u s u l m a n e , lors de la fête annuelle d u saint surtout, le vin tiré a u x pressoirs du m o n a s t è r e et bu d a n s des t a v e r n e s voisines où les filles ne m a n q u e n t pas. Vu p a r ce b o u t , le m o n a c h i s m e chrétien, en Mésopotamie n o t a m m e n t , est, p o u r un lettré m u s u l m a n de l'époque, s y n o n y m e de ripaille et c'est, f o r t j u s t e m e n t , au m o t d'adab encore que recourt l'éditeur du Kitâb ad-diyârât p o u r caractériser, dans ses thèmes, ses formes et son esprit, cette l i t t é r a t u r e du plaisir.1 Or, à p a r t i r du x i e siècle, on assiste, en ce domaine particulier, à un r e n v e r s e m e n t de la t e n d a n c e : l'histoire et la topographie des couvents chrétiens s o n t abandonnées p a r les Musulmans, au moins sous la f o r m e s y s t é m a t i q u e où nous les a v o n s connues, et prises en charge p a r les Chrétiens eux-mêmes, dans un esprit, on s'en doute, t o u t d i f f é r e n t 2 , c e p e n d a n t q u e les Musulmans se p r é p a r e n t , de leur côté, à t r a v e r s l ' é t u d e de leurs p r o p r e s sanctuaires et l'essor du culte des saints, à inaugurer réellement une géographie spirituelle qui leur a p p a r t i e n n e en propre. Ce double mouvem e n t n'a p a s de quoi s u r p r e n d r e : il est permis d'y voir le r é s u l t a t des nouvelles conditions politiques et religieuses faites a u x deux c o m m u n a u tés. Chez les Chrétiens, la prise en charge de c e t t e l i t t é r a t u r e des couvents s'inspire, à n ' e n pas douter, d ' u n souci d'apologétique, de défense et illust r a t i o n des monastères, alors menacés p a r le renouveau de l'orthodoxie m u s u l m a n e et, plus encore, p a r le raidissement général de l'Islam à la suite de l ' i m p a c t des Croisades. Ce sont ces mêmes raisons qui expliquent, avec plus de nuances, du côté m u s u l m a n , le désir de promouvoir une hagiog r a p h i e spécifiquement islamique, soit que les écoles, en ordre dispersé, recherchent, chacune pour leur propre compte, les g a r a n t s que c o n s t i t u e n t 1. Op. cit., p. 19 : l'auteur (que l'on a p r é c é d e m m e n t qualifié d'adlb) « n e parle q u e de ce qui p e u t procurer plaisir et a g r é m e n t (ma ladda wa tâba) : belles histoires, jolies descriptions... Il écrit dans le s t y l e é l é g a n t et c h a r m a n t des plus grands lettrés d e ce i v ° / x e siècle». Sans partager l ' e n t h o u s i a s m e de l'éditeur pour la manière d'un SâbuStî, on p e u t lui reconnaître de la simplicité, de l'aisance et parfois, malgré les f o r m u l e s s t é r é o t y p é e s , quelques trouvailles heureuses : e n bref, une certaine a t t e n t i o n p o r t é e au s t y l e , laquelle est une d e s m a r q u e s de l'adab. 2. Voir les n o m s cités dans K. ' A w w â d , op. cit., p. 27 sq.

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tel ou tel groupe de lieux saints, tel ou tel personnage dont elles se réclam e n t , soit qu'on devine, au-delà des préférences personnelles des auteurs, u n e volonté de donner, dans une vision syncrétiste et globale, le dénominateur commun de l'Islam à l'ensemble des lieux saints, un souci « de reconstruire, par une réconciliation entre Sunnites et Chiites, l'unité primitive de l ' I s l a m » . 1 Si, à partir du x i e siècle, les efforts de conciliation islamo-chrétienne qui avaient pu être tentés j u s q u e là, sur le plan social et politique 3 , semblent réduits à néant, si, sur le plan religieux, chacune des deux comm u n a u t é s se m o n t r e désormais soucieuse de s'affirmer essentiellement en se distinguant de l'autre, on s'étonnera moins que, sur le plan littéraire, cet autre syncrétisme soit rompu, que représentait le t r a i t e m e n t d ' u n thème chrétien, celui des monastères, selon les normes en usage dans la littérature arabo-musulmane du x e siècle. Auteur marginal 3 si l'on s'en t i e n t aux limites historiques imposées à cette étude, Sâbustî ne l'est plus si on le replace dans l'évolution d'ensemble de ce genre que nous avons appelé la géographie spirituelle. Car il est u n peu, à l'itinéraire religieux d ' u n Harawï ou au récit de pèlerinage d ' u n Ibn Gubayr, ce que la géographie théorique, sous sa forme administrative ou cartographique, est a u x masâlik wa l-mamâlik. Ici aussi, les thèmes livresques seront appelés à être revus, vivifiés par l'expérience visuelle et directe, à cette différence que, d'une p a r t , le phénomène se produira, pour cette géographie spirituelle, avec quelques siècles de retard et, surtout, qu'il ne naîtra pas de simples motifs personnels de curiosité, mais de raisons plus profondes ressortissant, on l'a vu, à de nouvelles circonstances historiques. Le schéma de l'évolution, toutefois, reste le même et substitue, il faut y insister, à une expérience livresque la confrontation avec les lieux d'une expérience personnelle, qui est ici celle de la foi. Conclusion On a posé, chemin faisant, deux termes essentiels de cette géographie du voyage, termes opposés et en m ê m e temps indissociables : le témoignage 1. H. Laoust, Le précis de droit d'Ibn Qudàma, Damas ( I F D ) , 1950, p. X X (cité dans J. Sourdel-Thomine, op. cit., p. X X , qui cite également, avec Harawï, quelques autres exemples de ce syncrétisme chez les pèlerins). Sur l'ensemble des problèmes évoqués ici, cf. J. Sourdel-Thomine, p. X X I I - X X I I I ; D. Sourdel, « dayr», dans El (2), t. II, p. 201 ; II. Laoust, La profession de foi d'Ibn Datta, Damas (IFD), 1958, p. X X V I I I , X C I I sq. ; C. Cahcn, « dliimma», dans El (2), t. II, p. 234 sq. (dans une perspective plus historique et socio-économique que culturelle) ; G Graf, Geschiehte der chrisllichen arabischen Lileratur, Vatican, 1944-1953, 5 vol., t. I, p. 52-77 ; t. II, passim. 2. On pense notamment au rôle joué par les kuttâb d'origine chrétienne : cf. D. Sourdel, Vizirat, passim, et « Dayr Kunnâ », dans El (2), t. II, p. 203-204. 3. Et donc justiciable, en soi, du chapitre « La géographie sans les géographes».

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direct Çiyân) et les données d'une culture (adab). Ces deux constantes voisinent toujours et toujours s'affrontent ou se modèlent l'une l'autre, soit chez un même auteur, soit au niveau d'un jugement global sur l'ensemble des œuvres. 1 II semblerait à première vue normal, au terme d'une étude sur les voyages, d'essayer de préciser ce qu'est, pour un Musulman de cette époque, l'acte de voir; mais précisément celui-ci ne peut jamais être défini de façon absolue, jugé en lui-même, autrement dit en dehors de tout rapport avec les données de la culture qui est celle des voyageurs. Il importe donc de s'attacher maintenant à étudier les thèmes, l'esprit et les mécanismes de l'adab, en définissant en même temps ses rapports avec l'expérience personnelle : ainsi qu'on l'a dit plus haut 2 , c'est à Ibn al-Faqïh qu'on demandera d'éclairer cette recherche. 1. Dans le premier cas, on pensera par exemple à un Abu Du] ai Mis'ar; dans le second, on opposera les données de la Relation au traitement qu'elles subissent dans le Supplément ou les Merveilles. 2. P. 108.

CHAPITRE V

lbn al-Faqïh ou la géographie vue par

l'adab

L'œuvre d'Ibn al-Faqih et le problème de sa transmission D'entrée de jeu, après une invocation d'une extrême concision, lbn alFaqih déclare : « Il existe, selon al-Fadl b. Yaljyà \ quatre classes d'hommes : les rois, que distingue leur mérite, les ministres, dont la précellence est fondée sur la sagacité et le jugement, les nobles, qui s'élèvent par leur aisance, et tout homme moyen (awsât) qui, par l'apprentissage de la culture (ta'addub), gagne sa place avec les précédents. Hors de ceux-là, il n'y a que déchets et écume, qu'un torrent de débris, d'abjections et d'ordures, un compagnonnage de la médiocrité dont le commun souci a nom pain et sommeil. A Mu'âwiya qui lui demandait de parler des êtres humains, alAtinaf 2 répondait : «Il y a les têtes, que la chance place tout en haut, les « épaules », qui doivent leur grandeur à leur conduite et la somptueuse publi1. Sur ce Barmécide, cf. D. Sourdcl, dans El (2), t. II, p. 750. Les passages d'Ibn al-Faqih cités ici se trouvent p. 1-3 du KitSb al-buldûn. 2. Sur ce notable et général tamlmite, cf. C. Pellat, dans El (2), t. I,p. 313-314.

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cité qu'elles se font, et les lettrés (udabâ'), qui peuvent rejoindre les rangs des précédents en se cultivant (ta'addub). Après eux, les hommes sont comme des bêtes : affamés, ils courent au pré, rassasiés, ils courent au lit ». B u z u r g m i h r \ lui, conseillait à qui voulait parvenir au plus degré jamais a t t e i n t par les maîtres de la culture (âdâb), de fréquenter un roi ou un ministre : le zèle, disait-il, qu'ils apportent à connaître l'épopée et l'histoire des rois 2 , la culture (âdâb) et ses maîtres vous inciteront à cette recherche. Le moyen de s'approprier ce savoir ? L'exercice de l'intelligence, car une telle q u ê t e est la matière de notre être e t la culture (âdâb) n'est pas séparable de l'effort». Il ne reste plus à Ibn al-Faqïh, après quelques citations du même ordre, q u ' à demander au lecteur de bien accueillir un ouvrage inspiré d'un aussi noble dessein, « r e n f e r m a n t toutes sortes de traditions (ahbâr) sur les différents pays, sur les m o n u m e n t s et autres merveilles Çagâ'ib) que l'on p e u t voir d a n s les provinces » 3 , u n livre enfin « dont t o u t e la substance est faite de t r a d i t i o n s (ahbâr), de poésies, de citations et de sentences, enregistrées sur le vif p a r une mémoire toujours à l'écoute». Cette entrée en matière, assez fracassante, nous est précieuse à plus d ' u n titre, car la définition, par Ibn al-Faqïh, des lignes de force de son ouvrage n'est pas seulement utile en soi : elle intervient, t o u t a u t a n t , si l'on posé le problème de la fidélité de notre t e x t e à l'original. Le Kitâb al-buldân (Livre des pays) se présentait, lorsqu'il f u t composé vers 290/903, comme une encyclopédie, en cinq volumes, du monde de l'Islam, alors que nous ne le connaissons a u j o u r d ' h u i que par le résumé (muhtasar) qui en f u t fait par un certain 'Ali as-Sayzarï en 413/1022. 4 Une œuvre ainsi transmise appelle, dans le principe, de sérieuses réserves ; mais une chose est la réduction quantitative — qui reste, hélas 1 acquise — de l'original », et une autre, l'esprit même dans lequel f u t effectuée cette réduction. Nous serons, semble-t-il, en droit d'étudier l'œuvre d ' I b n al-Faqïh selon des approximations suffisantes si nous nous rassurons sur deux ordres de fidélité : l'une tient au respect des intentions de l'œuvre originale, et p e u t donc, à ce titre, être jugée de façon absolue ; l'autre, qui intéresse la m a tière traitée, doit l'être au contraire de façon relative, par référence au 1. Sur ce personnage célèbre des légendes iraniennes, qui apparaît notamment dans le Kalila wa Dimna, cf. H. Massé, dans E.I (2), t. I, p. 1399. 2. Ma 'rifat ayyâmi l-mulûk wa aàbârihim. 3. Littéralement: les districts (kuwar, choisi par euphonie avec ahbâr, qui précède). 4. Références dans Kratchkovsky, p. 156-158 (162-163) ; on signale ici, pour mémoire, la thèse selon laquelle l'auteur du résumé serait Ibn al-Faqïh lui-même, thèse difficilement défendable, comme le souligne de Goeje (introd. au Kitâb al-buldân, p. VIII). 5. Le manuscrit conservé à Me5hed*eût donné sans doute un t e x t e plus complet, mais il est malheureusement réduit à la première partie de l'œuvre : cf. V. Minorsky, « A false Jayhânï», dans BSOAS, X I I I , 1949-1950, p. 89, note 5, et introd. à la deuxième Risâla d'Abû Dulaf Mis'ar, op. cit., p. 2, note 3 (avec bibliographie).

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maintien, lors du passage au Muhiasar, non pas évidemment du v o l u m e b r u t des divers thèmes, mais de leurs proportions respectives, entre eux e t par r a p p o r t à l'ensemble. Le premier point ne paraît pas soulever de difficultés : une première certitude est la cohérence de l'ouvrage, le corps du livre répondant pleinement, on y reviendra, aux intentions de la préface. Cette cohérence posée, on doit logiquement en inférer une unité d'inspiration, soit que le livre ait été entièrement refondu par Sayzarï, soit que le transmetteur, scrupuleusement soucieux de son rôle, ait mis son honneur, en s'effaçant derrière le maître, à conserver le ton et l'esprit de l'œuvre originale. A ce point du débat, on se retournera vers ceux-là mêmes qui eurent sur nous le privilège de connaître le Livre des pays en sa forme complète et l'on conclura, si la définition qu'ils nous en donnent s'accorde à son t o u r avec le texte q u e nous avons sous les yeux, à une filiation directe entre l'original et son abrégé. Or, la définition attendue est p r o b a n t e : « Ibn al-Faqïh, déclare MuqaddasI, a suivi une voie originale 1 : il ne mentionne guère que les villes les plus importantes, ne précise ni districts ni zones militaires e t introduit dans son œ u v r e des sciences qui n'y ont point leur place ; t a n t ô t il se détache de ce monde, t a n t ô t il le convoite ; ici, il suscite nos larmes, là il nous amuse et nous divertit». E t plus loin 3 : « C'est t o u t un, dit le m ê m e auteur, que de lire Ibn al-Faqïh ou Gâhiz. » Lignes essentielles pour notre propos puisque les qualités qu'elles prêtaient en leur temps à l'œuvre originale sont les mêmes encore qui définissent, pour les lecteurs d'aujourd'hui, l'abrégé de Sayzarï, et donc que nous pouvons considérer celui-ci comme fidèle 3 : le disciple aussi bien que le m a î t r e se maintiennent dans la voie d'une culture moyenne que la préface citée, la lettre même du t e x t e d u Muhtasar et le propos de Muqaddasï s'accordent à définir par l'absence de technicité, la volonté d'éclectisme et le souci d'intéresser le lecteur à t o u t prix, toutes caractéristiques que nous avons déjà rapportées, chemin faisant, à l'adab. Il n'est pas étonnant, en dernière analyse, que la raison fondamentale de la fidélité de l'abrégé à l'original doive ainsi être recherchée au niveau plus général de leur commune fidélité aux normes d'une culture, 1 . « U n e autre voie», dans la traduction que j'ai donnée de ce passage (§ 13) : cet t autre » doit s'entendre par rapport à la sùrat al-ard et Balbï, dont il est question immédiatement avant. 2. Ed. de Goeje, p. 241. 3. C'est aussi l'avis de de Goeje (introd. au Kiiâb at-buldân, p. VIII), qui note, après Loth, que presque tous les passages de l'original cités par Yâqût se trouvent dans l'abrégé : cela peut donner à penser que la réduction opérée n'est pas, même en volume, aussi ample que le laisseraient croire les chiffres bruts (les 5 volumes de l'original [cf. Muqaddasï, trad. § 13 bis] contre le résumé, les 1 000 feuillets du même original [cf. Fihrist, p. 154 et Yâqût, Udabâ', t. IV, p. 199-200] contre les 330 p. de l'éd. de Goeje). La discussion sur ce point précis sera reprise plus bas.

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sous le commun patronage d'un Gâhiz définitivement fixé par la légende dans un rôle d'amuseur. 1 Reste à juger de la fidélité aux divers thèmes originaux ou, comme on l'a dit, à apprécier l'importance et les volumes relatifs des thèmes les uns par rapport aux autres. Une première approximation peut être cherchée dans l'étude des dominantes : compte tenu de ce qu'on sait de la personnalité d'Ibn al-Faqïh et, le cas échéant, de l'œuvre originale, on déterminera a priori quels devaient en être les thèmes majeurs et on se demandera s'ils prévalent encore dans le Muhtasar. Or, la postérité nous a conservé de notre auteur trois images essentielles : comme son nom complet d'Abfl Bakr Ahmad b. Muhammad b. Ishâq b. Ibrâhïm Ibn al-Faqïh al Hamaçlânî nous l'indique, il était iranien, originaire d'une des plus glorieuses villes de Perse, l'antique Ecbatane. Sa famille y était apparemment fort connue, et particulièrement ce Muhammad b. Ishâq dont le fils, par son nom, fit passer à l'histoire la qualité de juriste (faqïh). Tradition familiale, donc, de jurisprudence et de connaissance de la tradition orale, qui est, à n'en pas douter, le second trait dominant de la formation de notre personnage : Y â q u t 3 le donne, après son père, comme traditionniste et cite, en bonne méthode, ses maîtres et ses élèves. Point essentiel toutefois : il semble que la spécialisation de la famille en ces matières ait été avant tout profane, fondée sur les ahbâr plus que sur le hadît, ce qui expliquerait à la fois et la seconde nisba d'Ibn al-Faqïh, celle d'al-Aljbârï (maître en traditions profanes), et que son nom ne figure pas dans les répertoires usuels où sont consignées les vies des pieux muhadditûn.a Si, en revanche, le Fihrist et Yâqùt lui font l'honneur de leurs rubriques, c'est bien, précisément, en t a n t que maître en culture profane, le terme d'adïb4 définissant incontestablement sa troisième et suprême qualité. Iranien, il ne pouvait, en bonne logique, que consacrer à la Perse une p a r t essentielle de son œuvre, prévision que le Muhtasar ne dément pas, les pages relatives au pays natal occupant environ, selon qu'on entend l'expression au sens restreint ou au sens large, un peu moins d'un quart ou d'un 1. Cf. supra, p. 37 (et note 4), 45, 59, 65. Ajouter a u x références données la formule d'Ibn H a z m (citée dans Grilnebaum, op. cit., p. 228, note 2), pour qui Gâhi? est « l'un de ces hommes frivoles qui sont dominés par le désir de plaisanter et l'un de ceux qui induisent en erreur, mais cependant, comme nous l'avons vu, un homme qui, dans ses livres, n'avance jamais un mensonge délibérément et avec assurance, bien qu'il expose s o u v e n t les mensonges des autres » : phrase embarrassée, dont les hésitations montrent bien le conflit entre une légende reçue et un jugement personnel, sensible à l'inquiétude êâhi?ienne, à toute une recherche qui se méfie du dogmatisme. 2. Cf. supra, p. 155, note 3. 3. La Taikirat al-huffâi de Dahabï, notamment, un des exemples les plus complets du genre. 4. Le Fihrist et Yâqut (foc. cit.) le classent expressément « parmi les gens de Vadab » (min ahl al-adab).

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tiers du volume total. 1 Féru de traditions orales, Ibn al-Faqïh se devait de bâtir un livre inspiré d'elles : fidèle au programme tracé dans la préface, le Muhtasar, dont il est difficile de penser, ici encore, qu'il diffère de l'original, est fondé, en sa quasi-totalité, sur une science empruntée aux récits, aux sentences et aux citations poétiques. 2 Enfin, puisque, au témoignage même de Muqaddasî, l'ouvrage original puisait aussi évidemment à l'esprit de ï'adab, il est normal d'estimer que tous ces thèmes nés du goût pour l'insolite, l'éclectique et le littéraire ne devaient pas occuper dans l'original une place moins grande que dans le Muhtasar, où ils régnent décidément à peu près sans partage. Cette domination devant faire l'objet même de notre étude, on nous permettra, afin de ne pas allonger inutilement cette discussion sur l'authenticité du Muhtasar, de nous contenter ici d'une sorte de contre-épreuve, au demeurant importante pour la connaissance de l'original. Il existe un thème dont nous savons, de façon certaine, qu'il a fait les frais du passage de l'original à l'abrégé. La formule de Muqaddasî, citée plus haut, est en réalité, dans sa version intégrale : « C'est tout un que de lire Ibn al-Faqïh, ou de lire Gâhiz et la grande Table astronomique ».8 L'assertion est à première vue étrange, qui associe ainsi un maître delà prose littéraire et la géographie astronomique, et elle semble battre en brèche ce que nous avons dit du caractère présumé de l'original. Mais elle pose aussi un autre problème : on voit mal comment un Sayzarî, cent ans après la parution du Kitâb al-buldân et alors que celui-ci circulait toujours 4 sous sa forme originale, aurait pu lui infliger impunément un traitement aussi radical. Les deux questions que nous venons de soulever sont en réalité justiciables des mêmes réponses. Si Sayzarî a pu agir comme il l'a fait sans qu'une voix se soit élevée pour lui demander compte de son attitude envers une œuvre pourtant très en faveur auprès des lettrés s, c'est, ou bien que le 1. P. 195-286 (Fârs, Kirmân, Ûabal, Àtfarbaygân), 301-314 (Tabaristàn), le seul û a b a l o c c u p a n t les p. 209-284, sur le total des 330 p. du Mubtasar. 2. Ibn al-Faqîh était également connu en s o n t e m p s par une anthologie critique de poètes « modernes » : cf. Fihrist et Y â q û t , loc. cit. 3. Az-zij al-a'jam : ce p e u t être le ziij de M u h a m m a d b. Musa al-tfuwârizmï, qui f u t en effet très répandu (cf. C. A. Nallino, « A s t r o n o m i e », dans El, t . I, p. 506), ou celui d ' A b u Ma'Sar (cf. de Goeje, op. cit., p. V I I I ) . 4. E t pour des siècles encore, puisque Y â q û t , a u v n e / x n i e siècle, le connaît visib l e m e n t toujours sous cette forme : cf. supra, p. 155, note 3. C'est aussi l'avis de de Goeje, op. cit., p. V I I - V I I I . 5. Y â q û t le cite très s o u v e n t : cf. les références données par de Goeje, op. cit., p. V I I I I X , et ci-après, p. 159. On objectera peut-être que l'appropriation de l'œuvre d'autrui n'est p a s v u e alors avec les m ê m e s y e u x qu'aujourd'hui. Mais une chose e s t la p r o t e c t i o n légale des originaux — qui n'est pas si ancienne — et une autre le j u g e m e n t porté sur le plagiat : u n Muqaddasî sait très bien dire, par exemple, qu'un û a y h â n î a copié I b n B u r d â d b e h (éd. de Goeje, p. 241), et u n Y â q û t , précisément à propos d'Ibn a l - F a q ï h que, p o u r t a n t , il estime assez pour l'exploiter a b o n d a m m e n t , ne m a n q u e p a s de lui reprocher d'avoir démarqué û a y h â n î sans le citer : salaba kitâba l-ôaghâni, dit-il (loc. cit.), littéralement : il a écorché l'ouvrage de û a y h â n î , il s'en e s t i n d û m e n t paré (formule reprise du Fihrist, loc. cit.).

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Muhtasar, à l'époque de Y ä q ü t , soit deux siècles après sa composition, était encore inconnu, ce qui paraît à peine probable, ou bien que Y ä q ü t , disp o s a n t de l'œuvre originale, préférait naturellement se fonder sur elle p l u t ô t que sur son abrégé, que celui-ci p a r conséquent était tenu précisém e n t pour ce qu'il était : un résumé, n i plus — car alors Y ä q ü t l'eût signalé, sans doute en bien, et exploité —, ni moins — car, dans ce cas, le m ê m e Y ä q ü t n ' e û t pas m a n q u é de mettre ses lecteurs en garde contre le caractère déformé et infidèle de l'ouvrage. Si donc le résumé pouvait passer, j u s q u e d a n s son insignifiance même, pour conforme à l'original, c'est que les parties du Kitäb al-buldän résolument supprimées lors du passage au Muhtasar n'étaient pas intimement ressenties comme relevant de l ' œ u v r e véritable. Ce dont il f a u d r a i t s'étonner en fin de compte, ce n'est pas q u e la m o d e alors prévalente eût, par la main de Sayzarï, donné à l'original, en le spécialisant définitivement dans Yadab, une unité qui lui m a n q u a i t : ce serait que des thèmes de géographie astronomique figurassent dans l'original. Mais cet étonnement ne serait pas de mise : à moins de p r e n d r e le m o t de Muqaddasï comme une simple boutade on peut penser q u e le chiffre est lui aussi intégrable dans Yadab : il n'est pas, en effet contradictoire avec le propos d'ensemble, essentiellement littéraire, de Yadab, d a n s la mesure où, comme nous l'avons d i t 2 , ce chiffre-là n'est pas le signe d'une recherche, par définition mouvante, mais, à l'égal des autres t h è m e s de Yadab, une réalité désormais figée, « un objet de vitrine». Ce qu'on pourra conclure alors, c'est que Yadab, lorsqu'on le réduit, comme le fait le Muhtasar, à ses lignes essentielles, lorsqu'on le cristallise, si on nous permet cette image, en vient à ne plus tolérer m ê m e les simples apparences de la technicité, même la plus légère mise en question du caractère littéraire d ' u n ensemble par t o u t ce qui, de près ou de loin, s'apparente a u x sciences exactes. » Mise en présence d'un Kitäb al-buldân qui intégrait, sous la forme stéréot y p é e que l'on a dite, les tables astronomiques à la connaissance générale des pays, la postérité était amenée à considérer qu'il s'agissait, avec les premières, de thèmes marginaux, rapportés même, et qui pouvaient être détachés de l'œuvre originale, sans détriment pour elle et même à son a v a n tage. Mais alors, si tel est bien le cas, si vraiment des pans entiers du Kitâb al-buldän sont tombés lors du passage au Muhtasar, cela doit nous rassurer d ' a u t a n t sur le compte des autres thèmes, dont on peut penser, sous bénéfice d'inventaire et par rapport à un volume total initialement donné, que 1. A prendre au sens suivant : les renseignements géographiques sur les villes sont aussi secs que dans une table astronomique (laquelle se contente d'en donner la position sur le globe), propos qui serait confirmé par le texte cité p. 155, 1. 16-17. 2. P. 106, note 1. 3. On renvoie, ici encore, à la note de la p. 106, déjà citée, où l'on montre c o m m e n t les rares exemples de notations chiffrées sont traités dans un contexte qui précisément les littérarise.

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les amputations qui les affectent connaîtront un volume d'autant plus réduit qu'elles seront plus élevées en ce qui concerne les thèmes astronomiques, ou, en d'autres termes et comme on pouvait s'y attendre, que la fidélité à la littérature d'adab est en raison inverse de la fidélité à la géographie astronomique, qu'elle doit accuser par conséquent, au stade final, un relief d'autant plus saisissant que seront davantage oubliés les souvenirs de la littérature technique. L'inventaire qui reste à établir, s'il est probant, doit compléter à nos yeux l'analyse des dominantes, mais selon une démarche inverse : alors que cette analyse, telle qu'on l'a poursuivie jusqu'ici, consistait à poser les chances d'une conformité de l'œuvre originale aux données du Muhtasar, nous tablerons maintenant sur les thèmes que nous savons, par référence au texte de Yâqût, avoir appartenu à l'original et nous les utiliserons, comme autant de tests, pour apprécier cette fois, jusque dans la lettre des textes, la conformité de l'abrégé aux leçons du Kitâb al-buldân. Dans son édition du Muhtasar, de Goeje a systématiquement indiqué les passages qui se retrouvent chez Yâqût, soit mot pour mot, soit sous une forme plus développée, mais dans tous les cas d'une façon telle qu'aucun doute ne peut être émis quant à leur origine. Le nombre total de ces concordances entre l'original, démarqué par Yâqût, et l'abrégé est si élevé que de Goeje avait renoncé à en dresser la liste dans la préface de son édition, alors qu'il avait pu, au contraire, mener cette opération à bien pour les passages de l'original qui se trouvent chez Yâqût, mais sont absents de l'abrégé. 1 Reprenant l'apparat critique de de Goeje, nous avons voulu, pour notre compte, nous faire une idée du chiffre minimum des concordances signalées : pour ce faire, nous avons laissé de côté tout emprunt dont le volume nous paraissait trop réduit, schématiquement de l'ordre du mot ou de la ligne, pour ne retenir exclusivement que les emprunts d'un volume supérieur, les passages véritablement. 2 Le dépouillement donne exactement le chiffre minimum de cent trente-deux passages, total auquel de Goeje ne peut opposer que trente et une rubriques citées par Yâqût et entièrement disparues du Muhtasar3 : le rapport des deux nombres permet ainsi de fixer 1. Op. cit., p. ix-x. 2. Toutes ces différences de volume apparaissent très clairement dans l'apparat, grâce à la constante et admirable rigueur de de Goeje. 3. De Goeje (loc. cit.) donne exactement 57 exemples, mais il faut retrancher de ceuxci : I o 2 passages qu'Ibn al-Faqïh a lui-même empruntés à Balàçjuri (cités loc. cit., p. IX, 1. 8-9, 36-37) ; 2° 9 autres qui ont été, certes, réduits lors du passage à l'abrégé, mais dont celui-ci garde tout de même la trace, dans des proportions variables (p. IX, 1. 12-13, 15-16 [2 exemples], 25-27, 29-30, 31-32, 34-35, 38-39, p. X , 1. 5 - 6 ) ; 3» enfin, 15 passages sans doute intégralement disparus, mais appartenant à des thèmes qui, eux, ont subsisté ici ou là dans le Muhtasar : Uswân, Barda'a, Barahüt, 'Aqarqüf (pour deux passages disparus), Gundaysâbûr, Nïsâbûr, Sàbûrtjwast, ôayl.mn, Hadramawt, al-Hüz, Empire Byzantin (pour deux passages disparus),, Zamzam et 'Àna sont autant de A n d r é MIQUEL.

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autour de 81 % l'indice minimum de fidélité du Muhtasar à l'original. 1 Fidélité relative sans doute, puisque, l'abrégé ne pouvant, par définition, conserver les thèmes dans un volume identique à leur volume initial, c'est leur présence en lui, et non leur impossible maintien en volume absolu, qui doit être prise en compte. Mais, dans les limites ainsi tracées, le taux élevé de conservation des thèmes, joint à la permanence de l'esprit de l'original, doit nous rassurer définitivement et nous habiliter à faire d'Ibn al-Faqïh une étude valable à partir des données du Muhtasar. Traits généraux de l'œuvre d'Ibn

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Présentée comme elle l'est dans la préface de l'ouvrage, la géographie ou connaissance « des pays » consiste à recueillir tout ce qui s'est dit ou écrit à leur propos. L'exhaustivité ainsi conçue comporte deux corollaires : d'abord, la science sera livresque, toute ambition totalisante ne pouvant se satisfaire qu'à travers la chose lue, et non à travers la chose vue : regarder, certes, mais chez les autres. 2 De fait, l'inspiration n'est pas, chez Ibn alFaqïh, un phénomène personnel : elle est héritée, comme le reste, et tarit dès que fait défaut non pas l'idée de la chose à dire, mais le souvenir de la chose dite. Une province comme l'Àdarbaygân doit l'exiguïté de sa place dans le livre à la rareté des récits qui la concernent : un peu d'histoire, quelques noms de villes, de parcimonieuses indications sur l'impôt foncier, et c'est t o u t . 3 Inversement, la richesse des traditions explique la place importante tenue par des pays comme l'Arabie, la Syrie-Palestine, avec Damas et Jérusalem, et enfin, naturellement, l'Irak. 4 Prisonnier, inconsrubriques amputées, certes, des passages cités par de Goeje, mais par ailleurs bien présentes dans le Muhtasar, contrairement aux trente et une rubriques retenues, dont il n'est pas jusqu'au nom qui n'ait disparu lors de la réduction à l'abrégé. Ce dernier chiffre n'est sans doute qu'un minimum, car il est fort probable, comme l'indique de Goeje (p. X, 1. 7-10), que Yâqût a, plus d'une fois, démarqué Ibn al-Faqïh sans le citer. Mais il faudrait alors augmenter aussi, pour les mêmes raisons, le chiffre de cent trentedeux. Toutes ces adjonctions seraient, on le voit, d'un ordre résolument problématique. Notre méthode a, sur ce plan, l'avantage de mettre en relief des quantités chiffrables ; mais elle en a un autre, dans le cadre même de la méthode chiffrée ainsi retenue : en ne prenant en compte, pour les concordances entre le texte de Yâqût et le Muhtasar, systématiquement que les emprunts de passage (les emprunts de ligne ou de mot étant, on l'a dit, exclus), autrement dit en fixant le chiffre de ces concordances à leur plafond le plus bas, nous savons que le rapport établi est vraiment l'indice minimum de la fidélité du Muhtasar au Kitâb al-buldân. 1. Rapport des 132 thèmes conservés par l'abrégé à l'ensemble des 163 thèmes (132 + 31) traités dans l'original. 2. « Il a fait son livre avec ceux des autres » (ahadahu min kutubi n-nds) : Fihrist et Yâqût, loc. cil. 3. P. 284-286. 4. P. 16-41, 91-127, 161-192.

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cient ou volontaire, de ce système, Ibn al-Faqïh le pousse jusqu'à ses dernières limites : car, s'il est une attitude plus rigoureuse, au regard du système, que de toujours récuser l'observation directe Çiyâri) au profit de la citation, c'est bien de traiter la première, elle aussi, comme une pièce de ce savoir emprunté et d'agir en sorte qu'il n'y ait pas deux domaines possibles de la connaissance, mais un seul : celui-là même qu'on hérite d'autrui. Dans cet esprit, Ibn al-Faqïh ne répugne pas, lorsque l'occasion s'en présente, à parler témoignage, à la seule condition qu'il ne s'agisse pas du sien, qu'il puisse produire en sa faveur la sanction de l'écriture, la garantie du déjà dit. Lorsqu'il cite, à propos de l'Arménie, l'expérience personnelle de Ya'qûbï 1 , c'est en vertu des mêmes motivations déjà étudiées à propos de Gâhiz 2 : les pionniers qui ont l'audace d'enfreindre la norme et de se citer eux-mêmes subissent presque immédiatement 3 — treize ans à peine séparent le Kitâb al-buldân de Ya'qûbï de celui d'Ibn al-Faqïh — le jeu de la prodigieuse puissance assimilatrice de la culture d'alors ; ils deviennent modèles, comme tels exploitables à merci, imitables en soi, hors du contexte vivant et personnel où se plaçait la composition de leurs œuvres. Ce n'est pas parce qu'il a vu, de ses yeux, l'Arménie que Ya'qûbï est cité, mais pour la simple raison qu'il est Ya'qûbï, c'est-à-dire un auteur, presque un aîné et par conséquent une autorité possible. Encore ne s'agit-il là que d'un écrivain regardé, on y reviendra plus loin, comme marginal. Que sera-ce alors avec un Gâljiz, dont l'autorité, explicitement invoquée ou non, suffit à fonder la réalité de certains faits concrets ? 4 En tout cela, il ne s'agit pas seulement de regarder dans l'œuvre des autres, il faut aussi voir le monde avec leurs yeux, et le critère de la connaissance n'est pas le fondement sur lequel elle a été acquise : c'est qu'elle soit déjà acquise, tout simplement, ou considérée comme telle. Second corollaire de l'exhaustivité : puisqu'il s'agit de rapporter toutes les traditions que suscite l'énoncé du nom d'un pays, on voit clairement que l'étude de ce pays pour lui-même, la géographie si l'on préfère, cédera le pas bien souvent à d'autres disciplines, aussi dissemblables d'elle, dans le principe, que l'histoije, la lexicographie, la morale ou la poésie. Il n'y a ici de géographiques, au fond, que l'argument choisi et, par voie de conséquence, le système de classement des traditions rapportées ; pour le reste, ce « livre des pays » se distingue d'autant moins de l'encyclopédie profane telle qu'on la concevait alors, que l'argument lui-même en arrive bien souvent à être perdu de vue : comme le monastère chez SâbuStï, il cesse 1. P. 290 i. f . 2. Cf. supra, p. 37, 45. 3. Au moins pour l'exemple cité ici ; pourl'ensembleducas Ya'qQbI,c/'.plusloin,p. 188. 4. Explicitement invoquée p. 116 (à propos d'al-Ahwâz), 253 (sur les palmiers de Baçra) ; sur un cas de démarquage de thèmes gâljiiiens, sans citation du nom de Gâljiî, cf. infra. |>. ll>8. noie .">.

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d'indiquer le lien, clairement perçu, de l'exposé, pour n'être plus, par le jeu des digressions, des associations d'idées ou des automatismes de l'écriture, que l'occasion lointaine, et quelquefois même oubliée, de la phrase. A la limite, il ne s'agit pas de disserter à propos du pays, mais à partir de lui ; bien loin de justifier à lui seul une recherche, il n'est même plus le lieu géométrique du récit : tout au plus un prétexte à récitation. La terre, de but qu'elle était, devient moyen et même artifice. S'il y a ici une géographie, elle n'est que de rencontre. Ce caractère accessoire de la géographie, telle que nous la concevons, par rapport à la science « des pays », au sens où l'entend Ibn al-Faqïh, s'accroît encore de toute la différence qui sépare l'esprit des deux disciplines. Alors qu'aujourd'hui la géographie, comme toute recherche, s'attache surtout à des faits dominants dont elle s'emploie à préciser les causes, Ibn al-Faqïh au contraire consigne en priorité les faits qui échappent à l'ordre commun, et partant, ne sont apparemment justiciables d'aucune explication, chacune des deux disciplines considérant ainsi comme marginal ce qui est prioritaire pour l'autre. La connaissance des merveilles, inspirée sans doute des plus vieilles traditions est apparue très tôt dans la littérature arabe et même, on l'a vu, au sein de la littérature technique. 2 Quoi d'étonnant à la retrouver ici, chez un auteur aux goûts duquel elle s'adapte si bien, trop bien même puisqu'elle y revêt la forme extrême d'une géographie de l'insolite où ne serait consigné que ce qui échappe au spectacle quotidien, et systématiquement noté que ce qui n'est pas systématique ? Le procédé est ici poussé si loin que la frontière est parfois imprécise entre l'ordre de l'usuel et celui du merveilleux, celui-ci envahissant l'autre et le poussant dans ses derniers retranchements, soit que les objets et les êtres du monde courant ne soient vus qu'autant qu'ils participent, d'une façon ou d'une autre, du monde de l'insolite 3, soit que le merveilleux s'entende, comme on le verra, au sens élargi de spécifique, auquel cas on peut ranger sous cette rubrique un thème quelconque, à la condition qu'il se rapporte à un seul lieu ou pays à l'exclusion de tout autre. Cette extension systématique du merveilleux explique que le mot de 'agïb qualifie des sujets aussi dissemblables que l'artisanat chinois, les chevaux grecs, la faune du Nil, les produits du Yémen, Bagdad, les palmiers deBasra, les étoffes d'Ispahan, les soies de la Caspienne, le phare d'AIexan1. Sur le t h è m e et ses origines, cf. C. E. D u b l e r , dans El (2), t. I, p. 209-210. 2. Cf. supra, n o t a m m e n t c h a p . I, p. 12, n o t e 5 ; chap. III, p. 75, n o t e 2. 3. U n e x e m p l e (p. 325) : celui des fourmis, grosses c o m m e d e s c h i e n s sloughis, qui g a r d e n t l'or dans les p a y s c o m p r i s entre le t i u r â s â n et l'Inde, e t d o n t on distrait l ' a t t e n t i o n e n leur j e t a n t de la v i a n d e . E x e m p l e t y p i q u e : l'originalité d e s chiens sloughis (salüqiyya), v e n u s d'Arabie d u s u d ou, selon d'autres sources, des I n d e s , e s t un t h è m e célèbre de c e genre de littérature (voir références chez G. W i e t , t r a d . d ' I b n R u s t e h , p. 151, n o t e 4). Il se croise ici a v e c le thème de l'animal gardien du trésor, q u ' o n r e t r o u v e par e x e m p l e au d e u x i è m e v o y a g e d e Sindbad et d a n s les Merveilles de l'Inde (§ 81 a).

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drie ou l'église d'Édesse 1 , quand ce n'est pas, pour le pays égyptien par exemple, pêle-mêle une pla.ate textile ou un arbre phosphorescent, la pierre qui flotte et le bois qui sombre, les phénomènes magnétiques, la sécheresse et le nom même de l ' Ë g y p t e . 2 U n e pareille accumulation de curiosités n'est pas seulement la manifestation d'une recherche déterminée. E l l e répond aussi à des intentions littéraires et sociales. L ' œ u v r e n ' é t a n t pas séparable de son public, ni l ' a c t e d'écrire, comme on l'a d i t s , de la démonstration que l'on en fait, le merveilleux se révèle répondre, en même temps qu'à un goût, à une fonction sociale, qui est d'attacher le public à l'œuvre et d'adapter l'œuvre à l ' a t t e n t e du public, selon un principe d'efficacité extrêmement simple, à savoir que la curiosité va aux curiosités. D a n s le même esprit, on ne saurait concevoir une connaissance exposée de façon strictement scientifique, suivant la règle d'or de l'économie du style ; l'œuvre, ici, se présente résolument comme une composition littéraire. L e développement classique sur le mélange nécessaire du sérieux et du plaisant, ainsi que les intentions de l'écrivain, clairement affirmées dans la préface et dans le corps du livre 4 , rattachent décidément Ibn a l - F a q ï h à la tradition des prosateurs des m e / i x e et i v e / x e siècles. Il ne saurait, certes, être question de comparer, sur le vu des résultats, son art à celui d'un Câhiz, par exemple. Mais, pour être moins heureux, le souci du style n'en est pas moins évident dans la lettre du texte, ni surtout moins expressément formulé dans les intentions. Ce n'est pas un hasard si le Kitâb al-buldân invoque justement, avec celui d'autres écrivains célèbres, le patronage d'un ô à h i z loué surtout pour les qualités formelles de son œuvre », ni si la conception de l'ouvrage et le but qu'on lui assigne relèvent aussi peu des préoccupations individuelles que notre tradition à nous a si longtemps assignées au métier d'écrivain : ici, le m o t de composition retrouve son sens propre, car il s'agit, au vrai, d'ajuster ( t a ' l î f ) , en vue de la constitution d'un tout, des pièces qui ne sauraient qu'être prises à autrui ; l'art de la prose est donc synonyme de l'emprunt (intihâl), puisque, comme le dit expressément Ibn a l - F a q ï h en des pages essentielles 8 , c'est par la référence, parfois littérale, 1. Longue liste de ces « merveilles p. 251-255. 2. Respectivement p. 66, 76 et 67. 3. Supra, p. 118. 4. Sur le mélange des genres, cf. p. 41-46 ; sur la profession de foi littéraire, p. 1-3, 193-195. 5. P. 195 : « un style ample et une expression aisée » (bilafzin ¿câlin wa mabratjin sahlin). 6. Ces théories littéraires sont exposées aux p. 193-195, déjà citées, et notamment p. 193, 1. 9 sq., donnant, d'après «l'opinion des sages», ce conseil aux prosateurs et aux poètes :« Si, dans leur admiration pour eux-mêmes et pour leur œuvre, ils gardent assez de tête pour ne pas en revendiquer [immédiatement] la paternité, qu'ils aillent donc soumettre leur production aux connaisseurs, en l'englobant [, selon les cas,] dans un

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a u x œ u v r e s des précédesseurs qu'on assurera à la sienne la c a u t i o n d e ce m ê m e s u c c è s qui les a v a i t déjà s a n c t i o n n é e s . E m p r u n t é à l'orbe social, l ' o u v r a g e y retourne, par l ' e f f e t d'une science prise a u x a u t r e s et d'un s t y l e c o n ç u s e l o n les normes. « L e livre est f a i t pour s'acquérir u n e p l a c e d a n s les c œ u r s et il n e les attire q u ' a u t a n t qu'il v e i l l e à la p u r e t é de son l a n g a g e , à la f l u i d i t é de ses m o t s et à la qualité d e s o n propos » P r é é m i n e n c e de la lecture sur l'observation, r é p u g n a n c e m a r q u é e p o u r la spécialisation et la t e c h n i c i t é , g o û t n o n m o i n s affirmé pour l'insolite, souci du s t y l e , récit r é p o n d a n t aux sollicitations de la s p o n t a n é i t é , allure littéraire d e l'ensemble, t o u s les traits q u ' o n v i e n t d'indiquer découlent, en d é f i n i t i v e , des trois i n t e n t i o n s m a j e u r e s d'une c o n n a i s s a n c e qui se v e u t éclectique, t h é o r i q u e e t sociale : i n t e n t i o n s qui, au-delà d ' I b n al-Faqïh, c a r a c t é r i s e n t f o n d a m e n t a l e m e n t cette littérature d'adab d o n t il est u n des plus purs représentants. C'est donc à u n e é t u d e de c e t t e f o r m e de p e n s é e e t de c u l t u r e q u e nous convie, en dernière analyse, la lecture du Kitâb albuldân. C e t t e étude, disons-le d'emblée, ne p e u t être q u e partielle e t provisoire. Partielle parce que, même si Vadab a e n v a h i , dans son a p p é t i t insatiable, à peu près t o u s les domaines des lettres arabes, a u x q u e l s il a i m p o s é u n m a s q u e u n i f o r m e en c o n s e n t a n t c h a q u e fois le m i n i m u m d e c o n c e s s i o n s indispensables au genre i n t é r e s s é 2 , il reste q u e ces v a r i a t i o n s , ensemble d'essais, de poèmes, de discours ou de récits (a/iftâr). S'ils recueillent une audience, s'ils voient qu'ils répondent à une attente, s'ils bénéficient d'une approbation, qu'ils revendiquent [, alors seulement,] la paternité de leur œuvre. » Texte essentiel, car il montre que l'agrément collectif donné à une œuvre ne peut naître que de la conformité de cette œuvre à des normes dûment approuvées, à des habitudes définitivement contractées, par conséquent que l'emprunt (de ton, d'esprit ou de matière) est si nécessaire qu'il se confond avec l'acte même d'écrire : d'où l'association constante des deux mots à'iddi'a (revendication) et d'intihàl, traduit en général par «emprunt »ou «plagiat«, mais qui, en fait, est à ranger au nombre de ces antonymes (didd, pluriel addàd) dont la langue arabe est si fière : assumer une œuvre comme étant de soi, tout en la composant à partir de l'emprunt. En même temps, on notera une autre ambiguïté : celle de la critique littéraire ainsi conçue, qui, tout en imposant d'écrire selon une norme, flétrit le plagiat s'il est insolemment et systématiquement pratiqué (on ne conçoit pas en effet ce public de « connaisseurs » s'en faisant accroire au point d'approuver comme étant d'un auteur nouveau une œuvre déjà existante, quelle qu'elle soit, et Ibn alFaqïh se garde bien, de fait, de donner des conseils dans le sens d'un plagiat total). Cette ambiguïté ne semble pas toutefois spécifique de la critique arabe : le problème de la règle et de la novation, de 1'« imitation » et de 1'«esclavage» est en effet inhérent à toute forme de critique. 1. P. 194 ; j'ai condensé le texte, qui dit exactement : «... une place dans les cœurs et une position dans l'auditoire ; c'est seulement à proportion de la pureté de son langage, de la fluidité de'ses mots et de la qualité de son propos qu'il attire les cœurs et qu'il excite ceux qui en écoutent [la lecture] à se sentir proches de lui...» 2. Il envahit même la littérature religieuse : un exemple assez net me parait en être le Livre des pénitents ( Kitâb at-tawwâbin), d'Ibn Qudâma, jurisconsulte hanbalite mort en 620/1223. L'éditeur, G. Makdisi, qui n'a pas manqué d'être frappé par ce trait, signale fort justement (Damas, IFD, 1961, p. XVIII), comme source fondamentale de l'œuvre, « un fond littéraire musulman si abondant et varié qu'il serait vain d'établir un rapport direct entre chaque récit et sa source précise. »

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si légères soient-elles, sont a u t a n t de nuances à étudier, et donc q u ' a v e c Ibn al-Faqïh on n'en considère q u ' u n e parmi d'autres. Provisoire parce que seule une étude systématique et complète de l'ensemble de la l i t t é r a t u r e d'adab et de ses thèmes, étude qu'il f a u d r a bien entreprendre u n jour, pourrait permettre, si on la poursuivait n o t a m m e n t avec les moyens de la mécanographie, de frayer la voie à une véritable sociologie culturelle du m o n d e arabo-musulman du Moyen Age. Ces remarques faites, on étudiera en Ibn al-Faqïh à la fois le représent a n t de l'adab et son a d a p t a t e u r au genre de la science « des pays », e t on se demandera en quoi l'œuvre ainsi élaborée ressortit à une géographie en général et à une géographie humaine en particulier. Sources,

composantes et thèmes du K i t â b al-buldân

L'inspiration du Kitâb al-buldân doit être envisagée sous trois aspects, selon les périodes de l'histoire, les g r a n d s ensembles géographiques et les diverses disciplines où elle s'alimente. Historiquement, la quasi-totalité des données se partage entre trois grandes époques : la création et les âges bibliques, d'une part, l'antiquité grecque et persane, ensuite, le paganisme a r a b e et l'ère de l'Islam, enfin. Il n'y a rien là d'original, comme on s'en doute, par r a p p o r t à Yadab et à la littérature des merveilles. 1 Mais encore faut-il déterminer la façon même d o n t s'ordonnent, dans la pensée d ' u n écrivain musulman du Moyen Age, ces différentes tranches du temps. Or, u n e étude des héros historiques 2 est, sur ce point, nous semble-t-il, assez révélatrice, si l'on table, ici encore, sur les proportions et les volumes respectifs. Il existe en effet, dominant tous les autres, ceux qu'on peut appeler les héros d'une histoire et les héros de l'histoire : les premiers, cités de dix à vingt fois dans l'ouvrage, incarnent, de façon privilégiée, l'une des étapes indiquées plus h a u t : A b r a h a m et Moïse pour les temps bibliques, QubâcJ (Qavâdh), Chosroès I Anûsirwân et Chosroès II Abarwïz (Parvïz) pour la Perse et, pour l'Islam, ' U t m â n , 'Alï, Mu'âwiya, al-Haggâg, asSaffâh, al-Mansur, H â r û n ar-Rasïd et a l - M a ' m u n . 3 Au-dessus d'eux, q u a t r e héros transcendent les histoires pour incarner l'histoire en général : Salomon participe non seulement de la Bible, mais aussi de l'histoire universelle, en considération de tous les monuments qu'il fit bâtir, de p a r le monde, aux génies qu'il commanda, circulant ainsi, sans égard pour la 1. On renverra sur ce p o i n t à l'article de C. E. Dubler, déjà cité. 2. On laisse de c ô t é les penseurs e t écrivains, pour ne retenir que les personnages s t r i c t e m e n t historiques, d o n t Ibn al-Faqîh rapporte les actes o u les propos. 3. L a Grèce n'a p a s de tels héros, représentée qu'elle e s t s u r t o u t p a r ses penseurs, n o m b r e u x au demeurant, mais dont a u c u n n'est cité dans les proportions indiquées i c i ; ce point sera d'ailleurs repris plus bas. Sur Alexandre, cf. ci-après. Sur les personn a g e s cités ici, cf. i n d e x du Kitâb al-buldân.

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chronologie, au milieu des antiquités de l'Orient gréco-romain, de la Perse el de l'Arabie. 1 Alexandre* lui ressemble par plus d'un trait et les citations de l'ouvrage rapprochent parfois les deux héros 2 ; de même que Salomon pouvait être « le matin à Istahr et le soir à S a n ' â ' 3 , de même Alexandre a reçu de Dieu « la grâce de pouvoir parcourir le monde d'une extrémité à l'autre»* : phrases symboliques, à travers la dimension spatiale, d'une même aptitude à voyager dans le temps et même hors de lui, qu'incarne, ici encore, la fonction de bâtisseur à travers les âges 6 ; conquérant grec et fondateur de la ville égyptienne qui porte son nom, Alexandre se voit, par son épopée orientale, attribuer en bloc la paternité de toutes les villes d'Iran, du Hurâsàn et de Transoxiane, et la légende le promène, sous le même nom ou sous celui de Dû 1-Qarnayn (l'Homme a u x deux Cornes), depuis la muraille de Gog et Magog, à l'est, jusqu'à la fabuleuse Ville de Cuivre, aux extrémités occidentales du monde, où son souvenir rejoint, une fois de plus, celui de Salomon. 6 A côté des deux héros, dans la perspective d'une histoire providentielle qui fait de lui l'épanouissement et le terme de l'universelle humanité, l'Islam a placé ses deux plus légendaires figures, ses deux patrons les moins contestés : Muhammad et ' U m a r reprennent et subliment, dans le cadre du monde nouveau mais chacun plus spécialement dans son ordre, l'œuvre des deux Anciens, comme si la sagesse de Salomon ne faisait que préfigurer la piété de Muljammad et les courses d'Alexandre qu'annoncer l'Empire auquel le glaive de ' U m a r donnera l'impulsion décisive. 7 1. On le signale, entre autres lieux, à Palmyre, à Alexandrie, à Lydda, à Ecbatane, à IstaJjr (Persépolis) et au Yémen, sans parler, bien entendu, de Jérusalem. Sur lui, cf. p. 34, 35, 37, 73, 82, 90, 91, 94, 95, 97-99, 101, 102, 110, 112, 117, 143,173, 219, 264, 279 : au total, on le voit, une vingtaine de citations. 2. Cf. p. 84-86, 90-91 (à propos de la Ville de Cuivre, Madinat al-baht ; littéralement : la ville d'aétite [cf. Dozy, t. I, p. 121]. Je traduis par « cuivre» eu égard à la version plus courante du thème [madinat an-nuhàs], qui se trouve par exemple dans les Mille et une Nuits, t. VII, p. 63 sq., et chez Mas'ûdï, Prairies, § 409), 143 (Constantinople), 219 (Ecbatane). 3. P. 34. 4. P. 88. 5. La légende d'Alexandre est résumée par Ibn al-Faqïh en cette phrase (p. 50) : Il a parcouru les «climats »et fondé les villes (dawwahtt l-aqâlîm tua mctddana l-mudun ; sur ce sens du verbe dawwaàa, cf. Muqaddasî, trad., p. 395). Il est d'ailleurs curieux de constater que ce traitement pan-historique d'Alexandre (seul ou associé à Dû 1-Qarnayn : cf. El, t. I, p. 987-988 [E. Mittwoch] ; t. II, p. 568-569 [anonyme]) n'est pas empêché par une discussion (p. 71) où Ibn al-Faqïh tranche, au nom de la chronologie, pour une distinction entre les deux héros. 6. Sur ce dernier point, cf. références supra, note 2. Sur Alexandre-Dû 1-Qarnayn, cf. p. 50-52, 70, 71, 84-86, 88, 143, 160, 219, 243, 244, 262, 296, 298-300, 316, 322, 325 : volume de citations de même ordre que pour Salomon. 7. Sur Muhammad, cf. p. 3, 9, 17-20, 23-25, 33, 36, 47, 58, 67, 69, 75, 76, 84, 92, 94, 95, 96, 103, 126, 132, 142, 143, 156, 168, 191, 192, 222, 283, 316, 318 ; sur'Umar, p. 20, 24, 43, 47, 57, 59, 65, 66, 97,101, 103, 105, 111, 128, 129, 132, 164, 165,170,184,. 186, 188, 189, 217, 218, 228, 230, 257, 261, 268, 293, 315. •Voir Addenda. page

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Territorialement, le Kitâb al-buldân s'intéresse, de façon exclusive ou presque, au monde de l'Islam — la province du Sind n'intervenant qu'épisodiquement — et confirme donc la tendance déjà notée en ce sens à propos de la sûrat al ard et de la géographie administrative ; elle ne se tolère, audelà des frontières, que quelques excursions classiques, avec des récits touchant l'Empire byzantin, certaines informations traditionnelles sur le globe terrestre et enfin, sur l'Extrême-Orient, des données strictement démarquées de la Relation.1A l'intérieur des frontières islamiques, l'exposé, on l'a déjà souligné, s'attache en priorité à l'Iran, à l'Irak, à la SyriePalestine et à l'Arabie. 2 C'est ainsi une géographie assez résolument orientale, dont les choix s'expliquent par l'origine iranienne d'Ibn al-Faqïh et par la conciliation que cette littérature entend opérer, dans la distribution du monde autour d'un centre, entre la vieille tradition persane qui fixe l'omphalos de la terre aux régions de Médie-Mésopotamie, et les exigences de la croyance musulmane, qui le transfère plus au sud, aux villes saintes d'Arabie. 3 Position syncrétiste, donc, mais peut-être pas seulement au plan de la pure connaissance : derrière cet apparent dosage d'ancien et de nouveau, au-delà de cet équilibre que la lettre du texte ménage savamment entre ce qui est arabe et ce qui ne l'est pas, il n'est pas exclu que se cachent des intentions religieuses et politiques sur lesquelles on pourra revenir lorsqu'on sera allé plus avant dans l'étude du Kitâb al-buldân. Restent à passer en revue les diverses disciplines dont l'ensemble, a priori assez hétérogène, compose l'œuvre d'Ibn al-Faqïh. Une première approximation peut être recherchée dans un simple classement des maîtres invoqués. On n'aura aucune peine alors à distinguer une inspiration arabomusulmane d'une inspiration grecque. D e la première relèvent ces trois rubriques essentielles que sont la géographie, la tradition et la littérature. La première, dont on ne s'étonnera pas de constater qu'elle joue un rôle assez modeste, est placée sous l'unique patronage d'Ibn Hurdâdbeh, cité une seule fois mais qui a inspiré, directement ou à travers Gayhânï », quelques passages sur les itinéraires, l'impôt foncier ou les circonscriptions administratives*. 6 La tradition, elle, pèse d'un poids beaucoup plus consi1. Voir à ce sujet le jugement sévère de Sauvaget, op. cit., p. X X I V . Les passages cités se trouvent respectivement p. 136-151, 3-9 et 9-16. 2. Voir les références supra, p. 157, note 1, p. 160, note 4. Au total, un peu moins de 200 pages représentant presque les deux tiers de l'ouvrage. Une province aussi importante que l'Egypte occupe 22 pages à peine ( p. 56-78), le Magrib 13 (p. 78-91). 3. Cf. supra, p. 73-74. 4. P. 203. On ne parlera pas de la géographie astronomique, représentée par les quelques notions indiquées plus haut, note 1, avec une citation (p. 4) de Muhammad b. Musa al-Huwârizmî. Sur le problème d'Abû Ma'Sar, cf. p. 157 note 3, et de Goeje, op. cit., p. X I I . 5. Cf. de Goeje, p. X I - X I I , e t supra, p. 157, note 5. 6. Cf. pour les itinéraires, p. 133, 303, 305, 318-319, 325, 327- 328, 330 ; pour l'impôt, p. 76, 103, 133, 147, 263, 286, 328 ; pour l'organisation territoriale et administrative, •Voir Addenda,

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dérable 1 : on entend ici sous ce terme et la tradition religieuse, constituée par les citations coraniques et le hadït, et la tradition profane, elle-même sous ses deux formes essentielles : la littérature moralisante des ablâq (sentences, dictons, m a x i m e s ) 2 et celle des ahbâr (récits profanes), dont le point d'aboutissement est l'histoire, représentée par des emprunts à Balâdurî. 3 L'ensemble de cette littérature profane fait, sous un masque arabe, une assez large place à l'Iran, lequel, d'une part, a joué un grand rôle dans l'élaboration d'une éthique areligieuse, mi-savante, mi-populaire, et, d'autre part, a su intégrer, en jouant le jeu de l'unité linguistique, bon nombre de ses traditions nationales au trésor de l'histoire de la communauté islamique. 4 A v e c la littérature proprement dite, nous entrons au contraire dans un domaine résolument marqué par les modes de pensée arabes : les vers se taillent la part du lion, avec plus de cent cinquante citations et quelques-uns des plus grands noms de cette poésie : Dû r-Rumma, Abu Nuwâs, Abu l-'Atâhiya, Abu Tammâm (at-Tâ'I), Butiturï. Chez les prosateurs, rien d'étonnant à ce q u e soient cités en priorité ceux qui passent alors pour les maîtres de l'adab : Gàhiz sans doute, explicitement cité ou démarqué 5 , mais surtout Madâ'inï, de l'œuvre duquel on n'a décidément pas fini de déplorer la perte. 8 Les pionniers de la prose arabe, en revanche, ne sont guère favorisés : même si leur manière a pu inspirer plus d'un passage de cette littérature des ahlâq citée plus haut, leurs noms apparaissent à peine et seule une formule consent à rappeler leur souvenir. 7 C'est qu'ils p. 133, 263, 303, 321-322 (sur ces d e u x derniers exemples, toutefois, voir infra, l a note 4 de la p. 171). 1. On ne s a u r a i t é v i d e m m e n t épuiser t o u t e s les références qui la c o n c e r n e n t , t a n t le v o l u m e des données est immense : o n se r e p o r t e r a p o u r cela, de façon générale, à l'index d u Kitâb al-buldân. 2. Cf. d e u x exemples caractéristiques de ces f o r m u l e s , p. 148 et 243-244. 3. Plus s o u v e n t utilisé que ne le laisseraient croire les d e u x seules citations qui sont f a i t e s de son n o m , p. 303 et 321 : cf. de Goeje, op. cit., p . X I I . Y a ' q u b ï n ' e s t cité (sous le n o m d ' A h m a d b. W â d i h al-Isfahânï) que p a r exception (p. 290-292), à propos de l ' A r m é n i e , sans q u ' o n puisse dire s'il s'agissait d ' u n e m p r u n t à son œ u v r e historique ou géographique (G. W i e t , dans sa t r a d u c t i o n du Kitâb al-buldân de Y a ' q u b ï , range le t e x t e (p. 232-233] d a n s la série des « f r a g m e n t s » de Y a ' q u b ï se t r o u v a n t chez d ' a u t r e s a u t e u r s , sans préciser à laquelle des deux œ u v r e s il p o u v a i t a p p a r t e n i r , et en é m e t t a n t d'ailleurs l ' h y p o t h è s e qu'il s'agit p e u t - ê t r e d ' u n e c o m m u n i c a t i o n faite o r a l e m e n t à I b n a l - F a q ï h : cf. i n t r o d . d e G. Wiet, p . IX). 4. Cf. supra, p . 19, 28-29. 5. Cité p . 116 (sous son n o m de ' A m r b. B a h r ) , 195, 253 ; d é m a r q u é p. 296, à propos des migrations des poissons, des distances de Baçra à l ' A f r i q u e et à la Chine et de l'expérience des m a r i n s à ce s u j e t (cf. Hayawân, t . I I I , p . 261-263). 6. Cf. Pellat, Milieu, p. 144 ; Madâ'inï est cité p. 39, 105, 115, 161, 175, 192, 318. 7. « ' A b d a l - H a m ï d est la racine, Sahl b. H â r u n la b r a n c h e , I b n al-Muqaffa* le f r u i t et A l j m a d b . Yusuf (cf. D. Sourdel, dans El [2], t . I, p. 288) la fleur» (p. 194). I b n al-Muqaffa' est cité deux a u t r e s fois, mais de f a ç o n t o u t aussi accessoire, p. 284 (à propos de l'étymologie d u nom d ' À d a r b a y g â n ) e t 317 ( c o m m e seul e x e m p l e , avec a l - F a d l b. Sahl, vizir d u calife a l - M a ' m u n , de P e r s a n s célèbres depuis l ' a v è n e m e n t de l'Islam).

Ibn al-Faqïh

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représentent une phase de l'adab — celle qu'on a qualifiée plus haut à'adabéthique — beaucoup moins intéressante, pour un compilateur comme Ibn al-Faqïh, que celle qui a suivi : l'adaft-recherche à la manière, précisément, d'un Crâljiz ou d'un Madâ'inï 1 a été une véritable mine de renseignements pour notre auteur et pour t a n t d'autres, qui en systématisèrent les données et en firent peu à peu un arfaô-répertoire. 2 Face à cet Orient, la place de la Grèce apparaît bien restreinte. Elle n'a pour elle que l'autorité d'un petit nombre de maîtres, au premier rang desquels Hippocrate, Platon et Aristote s, mais surtout, de même que son héros national, Alexandre, lui était retiré au bénéfice d'un syncrétisme historique soucieux de ménager l'avènement du monde arabo-islamique, de même tout se passe, avec les philosophes et les savants de la Grèce, comme si la substance propre de leur pensée leur avait été arrachée : Théodose, Hippocrate, Dorotheos ou Festos ne sont guère que des survivances perdues dans la masse et dispersées aux quatre coins du livre, Aristote n'existe que comme auteur d'une brève et banale lettre à Alexandre, où il lui dit comment régir ses sujets et garder ses trésors en sûreté, Platon enfin devient bâtisseur d'un rempart légendaire en Egypte. 4 Le Kitâb al-buldân intègre ainsi les quelques rares données grecques qu'il utilise à un adab qui fait la preuve, une fois de plus, de ses capacités d'assimilation. Car enfin, étant donné la disparité des époques, des pays et des disciplines où l'ouvrage d'Ibn al-Faqïh puise son inspiration, on s'attendrait à trouver un livre incohérent. Or, c'est l'inverse qui se produit : jusqu'au cœur de ces passages où nous éprouvons le plus de peine à saisir le déroulement du plan d'ensemble et, parfois, la suite même du propos entamé quelques lignes plus haut, jamais nous n'avons le sentiment de changer de ton ni de style. Cette remarquable unité de l'ouvrage tient, selon nous, au traitement qu'y subit la connaissance : elle est, on l'a dit, 1. Leur parenté d'esprit est soulignée par C. Pellat, op. cit., p. 144-145, Madâ'inï, antérieur du reste à Gàhi?, m a n i f e s t a n t pour l'histoire un g o û t plus marqué que s o n cadet : goût qui est sans aucun d o u t e la raison de sa faveur auprès d ' I b n al-Faqïh. 2. Sur t o u s ces points, cf. supra, p. 19-21, 44-45, 64, 68. 3. P. 152, 238, 301 ; 60, 330 ; 160. Sont é g a l e m e n t cités : D o r o t h e o s (Sidonius), auteur de p o è m e s astronomiques (p. 5 [et note d] ; cf. Croiset, Littérature grecque, t. V , p. 450, note 5), H e r m è s (p. 7 ; Croiset, t. V, p. 842-843 ; voir aussi Gâhi?, Kitâb attarbl', éd. Pellat, p. 18-19 de l'index), F e s t u s (p. 152 ; ou Casthos, Coslus : cf. chap. I, p. 17, n o t e 6), Themistios (p. 207 [et note i] ; Croiset, t. V, p. 872-877) et T h é o d o s e (p. 223 ; p l u t ô t , d'après le c o n t e x t e , le grammairien Théodose d'Alexandrie, d e la f i n du i v e siècle [cf. Croiset, t. V, p. 973], que le diacre Théodose, auteur d'une relation de v o y a g e en Terre sainte [ v i e siècle ; sur lui, cf. introd. de C. Gildemeister à l'édition de cette relation (De situ sanctae terrae, B o n n , 1882), p. 3-14], ou l'astronome et m a t h é maticien T h é o d o s e de Tripoli [cf. Croiset, t. V, p. 705], dont les t r a v a u x furent repris par Nàçir a d - D ï n at-Tusï]). Le n o m « Qânbus d e la p. 296 m e reste obscur. Sur Apollonios, cf. ci-après, p. 170, n o t e 1. 4. P. 60, d o n t on rectifiera le t e x t e selon la leçon indiquée n o t e l.

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Géographie humaine

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connaissance moyenne, et elle ne veut ni ne sait considérer, comme l'avait fait un Gâhiz, d'un côté un patrimoine grec essentiellement scientifique et, de l'autre, une donnée arabo-musulmane fondée sur la tradition historique et littéraire. Elle ne le veut ni ne le peut pour la bonne raison qu'elle est, elle, quelques décennies après Gâhiz, désormais engagée à plein, et sans possibilité, semble-t-il, de réflexion sur elle-même, dans un processus tout entier animé par la tradition, et qu'elle ne saurait en concevoir d'autre. La preuve en est qu'elle traite Gâhiz, dont elle oublie l'esprit pour n'en conserver que la lettre, précisément comme un objet de tradition et une pièce du patrimoine collectif. Pratiquant et même accélérant la littérarisation des thèmes, une connaissance de ce genre retient de la Grèce, qu'instinctivement elle t raite en ce sens, seulement ce qui peut s'intégrer au système déjà constitué. 1 Or, le système est vaste, puisqu'il réunit, au fonds arabe venu de la Péninsule 2 et aux notions héritées de la Perse, l'énorme acquis de la science et de la pensée du m e / i x e siècle, désormais enregistré et codifié par Vadab comme autant d'articles de savoir obligés. Ces dernières connaissances ont bien pu, pour une part, naître de la Grèce, il n'en reste pas moins qu'elles sont désormais arabisées et rapportées aux maîtres, comme Gâhiz, qui les acclimatèrent. Ainsi, tout naturellement, c'est le donné traditionnel, arabo-musulman ou arabisé, qui est premier dans la connaissance comme dans l'inconscient d'Ibn al-Faqïh, la Grèce ne jouant plus chez lui qu'un rôle, très mineur, d'appoint ; effacées les frontières qui délimitaient l'apport original et spécifique de son génie, tantôt elle se voit carrément oubliée à propos de thèmes pourtant nés d'elle s , tantôt on lui impose de les mêler à 1. Un b o n e x e m p l e p e u t en être t r o u v é avec Balïnâs (Apollonius), d o n t on rappelle régulièrement l'origine ( a r - R û m î ) et qui intervient, ici, seulement d a n s l'histoire de la Perse sassanide. A noter que, de tous les Grecs cités, c'est un personnage t r è s composite, à demi légendaire et, s u r t o u t , présenté comme magicien et personnage historique (et n o n c o m m e penseur), qui l'emporte, e t de loin, p a r le n o m b r e des citations (p. 212, 214, 240, 246, 265, 266, 274, 296), sans a t t e i n d r e , toutefois, le même v o l u m e que les héros persans ou arabes cités plus h a u t . Sur Balïnâs (ou Ballnus), cf. M. Plessner, d a n s El (2), t . I, p. 1024-1026. 2. On ne pense p a s seulement a u x t r a d i t i o n s , mais aussi à certaines connaissances « t e c h n i q u e s » : cf. supra, p. 32. 3. P a r exemple, c'est sous le n o m d ' A b u Ma'Sar ou de Huwârizmï, et non sous ceux des m a î t r e s grecs, que sont citées les connaissances de géographie a s t r o n o m i q u e d u Kitâb al-buldân : supra, p. 157, note 3. Même indigence des citations grecques (p. 5, 1. 7-10, p. 7, 1. 4-5) pour l'ensemble des données de la sûra, en d é b u t de livre (p. 3-9). S u r t o u t , le g r a n d t h è m e de la relation homme-sol-climat est t r a i t é , p. 151 sq., d ' u n e f a ç o n m é c a n i q u e , sous la forme de phrases qui sont a u t a n t de « leçons » ou de « résumés » ; on p e u t bien citer, à l'occasion (p. 152 i. f.j, H i p p o c r a t e et Festus, il reste que ces n o t i o n s sont intégrées à un c h a p i t r e d o n t le c o n t e n u est en fait u n t h è m e littéraire : « éloge de l ' a r c h i t e c t u r e » ( f l madh al-birtâ'), p. 151-155, auquel répond la « critique de l ' a r c h i t e c t u r e » ( f i damm al-binâ'), p. 156-161.

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des thèmes parallèles venus, eux, de la tradition littéraire arabe tantôt enfin, on lui fait endosser, p u r e m e n t et simplement, ces derniers. 2 Ainsi oublié, amalgamé ou annexé, l'héritage grec se dilue dans l'adab, selon u n t r a i t e m e n t qui n'est pas sans rappeler — nous reviendrons plus loin sur ce point — celui que nous avons vu p r a t i q u e r par Ibn Q u t a y b a . 3 On peut se demander toutefois s'il entre, dans le propos d ' I b n al-Faqïh, u n e volonté aussi délibérée à r e n c o n t r e de la Grèce en t a n t que telle. Après tout, nous sommes avec lui dans une phase et une forme de l'adab, celui q u ' o n a qualifié plus h a u t d'adaft-répertoire, où les mécanismes du système sont parfait e m e n t rodés et jouent pour ainsi dire d'eux-mêmes. La Grèce n'est, de ce point de vue, q u ' u n cas parmi d'autres, et elle participe de la loi générale qui veut que t o u t donné technique ou même spécialisé, si peu que ce soit e t dans quelque ordre que ce soit, passe, a v a n t d'être digéré par l'adab, dans les moules qu'il impose, à savoir ceux d'un certain standard littéraire. 4 Qu'on parle ainsi, au départ, de différences spécifiques dans les époques, les contrées ou les disciplines qui f o n t l'inspiration du Kilâb al-buldân, on retombe toujours, en fin de compte, sur le même puissant syncrétisme de l'Islam, étrangement minimiste e t universaliste à la fois, qui embrasse l'histoire en la r a p p o r t a n t à son propre avènement, la terre en l ' o r d o n n a n t a u t o u r de cet Orient qui le v i t naître, et la connaissance en la modelant a u x normes de l'adab. Techniques

et mécanismes

dans l'œuvre d'Ibn

al-Faqlh

Si nous avons parlé plus h a u t de mécanismes, c'est qu'en effet les a u t o m a tismes jouent un rôle prépondérant dans le Kitâb al-buldân. Il i m p o r t e donc, 1. Exemple typique p. 238 : des considérations de physique médicale, attribuées notamment à Hippocrate et relatives, ici encore, au rapport homme-pays, sont doublées par le thème moral correspondant, très courant dans la littérature arabe (cf. l'essai de Gàhi? qui porte ce titre), de l'attachement au pays natal (al-hanin ilà l-walan). 2. P. 330, par exemple, où Platon expose les défauts propres à chaque nation (Turcs, Byzantins, Bazars, etc.), alors que le thème de la répartition des qualités ou tares entre les nations est spécifique de la littérature arabe d'alors : cf. ôàhiz, Risâla ilà Fath b. HâqSn, p. 38-46 et passim ; Ibn al-Faqïh, p. 119; Qudâma, M 153, etc. 3. Cf. supra, p. 62,66 . Une remarque de même ordre peut être faite pour l'Iran, dont les sages (Buzurgmihr, AnûSirwân...) sont des personnages fondamentaux de la littérature des ahlâq. Mais Ibn al-Faqïh et, avant lui, Ibn Qutayba ne font ici que poursuivre un mouvement engagé bien avant eux, puisqu'il remonte, avec le Kalila par exemple, aux origines mêmes de la prose arabe. Le problème de la place de l'Iran dans le système d'Ibn al-Faqîh sera repris plus bas, p. 186. 4. Certaines données de géographie administrative, par exemple, sont vues à travers le système des ahbâr : c'est à partir de Madâ'inI que sont citées (p. 105) les divisions administratives de Syrie, à partir de BalâdurI que sont donnés les districts ( k u w a r ) et cantons (rasâtiq) du Tabaristân (p. 303), ainsi que les quatre divisions fondamentales du Hurâsân (p. 321).

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pour bien cerner ce rôle, de distinguer les techniques, en tant qu'elles sont mises au point et pratiquées par un écrivain conscient, et les mécanismes, qui interviennent dès que ces techniques commencent à échapper à leur utilisateur. Le Kitâb al-buldân est fondé, on l'a dit, sur le discours indirect, l'auteur ne parlant que par personne interposée. Ce serait donc, dans le principe, l'application, à la science des pays, d'un procédé cher à la tradition (hadit) et à l'histoire. Transmission orale, par conséquent, dont C. Lévi-Strauss note fort justement qu'elle permet, en t a n t qu'« appréhension concrète d'un sujet par un autre», « contact vécu avec des personnes», un rapport au réel beaucoup plus intimement ressenti qu'il ne l'est dans une civilisation fondée sur le document écrit. 1 Un grammairien arabe, Zaggâgï (mort en 337/949), donne par la sémantique une illustration probante du sentiment profond de cet accord : rattachant, de façon très étroite, le mot de hadit à sa racine hdt, dont la notion de base est celle de fait, d'événement, Zaggâgï montre que cette racine exprime à la fois et l'idée pure de fait (hadat) et sa réalisation (ihdât), et la relation (hadit) que l'on en fait. 2 Dans une théorie qui estime ainsi que l'être, conçu, réalisé ou relaté, est tout un, ce hadit que nous traduisons fort improprement par parole ou tradition, est en réalité la recréation du fait au niveau de la communication, il ne se conçoit que rapporté à la réalité vivante du hadat devenu chose (muhdat). On voit tout ce que cela emporte, dans les consciences, sur la puissance vivifiante du hadit : il s'agit, au vrai, de parole créatrice. On dira, certes, qu'Ibn alFaqîh s'inspire de sources écrites. Mais, d'une part, bon nombre de ces sources, et notamment celles qui se rapportent aux premiers temps de l'Islam, émanent elles-mêmes de traditions orales dont elles ne sont, après tout, que l'enregistrement matériel, et, d'autre part, la connaissance résolument profane ne participe pas fondamentalement, quant à elle, d'un esprit très différent. La citation ne vise pas seulement, en effet, à lui donner une autorité qui la garantisse, elle a plus d'ambition que cela : dans un système qui conçoit la connaissance comme une série de relais successifs jusqu'à la réalité originelle, citer un maître revient à mettre le lecteur devant la réalité du fait invoqué, ainsi perçu dans la spontanéité de ses origines, que ce maître invoque son témoignage personnel ou, à son tour, une autre autorité. Ce n'est pas un hasard si la formule qâla (un tel dit que) 1. Anthropologie structurale, Paris, 1958, p. 400 sq. 2. Al-Idâh fi 'ilal an-nahiv, éd. M. al-Mubàrak, Le Caire, 1378/1959, p. 57 (à propos de la théorie du mafdar ou nom verbal, la phrase donnée étant : Zayd a frappé) : « le masdar, c'est l'[expression du] procès [pur] ( h a d a t ) et le procès, c'est ce que Zayd fait passer à l'acte (ahdatahu Zayd), puis qu'on rapporte (huddija 'arihu), le verbe {fi'l) étant cette relation du procès (hadit 'anhu). » Il n'est pas inintéressant de noter que hadit a pour synonyme, dans le même passage, le mot à'ibbâr (action de rapporter un babar, pluriel ahbâr), ce qui nous indique que la tradition historique et profane désignée sous ce mot participe des mêmes concepts analysés ici.

Ibn

al-Faqlh

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annonce indistinctement les traditions orales comme les emprunts aux textes écrits : dans les deux cas, elle témoigne que la perception de la vérité passe par une communication. Il serait donc faux de dire que l'acte même de voir ('iyân) est absent de Vadab et qu'il n'entre pas dans les sources, dûment agréées, de son information. Comme toutes les connaissances, celle-ci ne peut pas ne pas se donner pour but, en définitive, la représentation, aussi concrète que possible, du réel ; seulement, plutôt que de toucher elle-même ce réel du doigt, elle préfère le faire toucher aux autres. On pourrait, certes, épiloguer sur ce qui apparaîtrait comme une incapacité à voir ou à penser par soi-même, chaque génération s'appuyant ainsi sur les précédentes et n'étant ellemême source de vérité qu'autant qu'elle a disparu. Un tel jugement, pourtant, serait erroné, car il ne tiendrait pas compte d'un fait historique, à savoir que l'adab a progressé, sinon en profondeur, du moins en volume, par les matériaux qu'il a ajoutés, patiemment et régulièrement, à son trésor. Ce qu'il faut dire, donc, c'est que, dans cette cohésion exceptionnelle qui marque cette institution qu'est l'Islam, le système culturel n'est pas élaboré selon des normes différentes de celles des systèmes religieux, politique, juridique ou social, qui d'ailleurs tous interfèrent. Il serait impensable que l'Islam n'eût pas connu, à chaque génération, ses génies courant hors des sentiers battus. Seulement, ces génies sont soumis, en quelque domaine que ce soit, au consensus omnium (igmâ'), légalement édicté ou tacitement approuvé, qui les adopte, totalement ou en partie, après les avoir conformés aux normes du système : on l'a noté pour Gàhiz, largement contesté, de son vivant, par ce représentant du système qu'est Ibn Qutayba, et intégré, une génération après, mais dans l'esprit du système, au patrimoine indivis de la collectivité. Celle-ci, l'umma, n'est pas seulement, on le voit, une communauté religieuse, mais, globalement, le corps social en l'ensemble de ses attitudes, et lorsqu'Ibn al-Faqlh traite la connaissance comme une tradition communiquée, il ne fait pas autre chose, très modestement mais très logiquement eu égard au système dont il relève, que se définir comme membre de cette umma. Le principe de la relation — ici, celle de l'auteur à son siècle et à son public — trouve une autre illustration dans l'opinion même qu'on porte sur les choses. La tendance à s'exprimer en termes de valeur, par rapport à un modèle présupposé, et le goût pour les jugements contradictoires inspirent la présentation fréquente du donné sous la forme d'un parallèle que l'on établit soit entre deux objets de l'étude, soit entre les qualités et les inconvénients d'un même objet. Cette confrontation (munâzara) a sans doute ses lettres de noblesse dans la littérature iranienne, mais elle a pu aussi puiser aux plus vieilles traditions de la péninsule arabique. 1 Quoi 1. Cf. Pellat, Milieu,

p. 246, et supra, p. 54, note 1, p. 55, note 2.

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qu'il en soit, à l'époque où écrit Ibn al-Faqïh, elle est devenue une manière d'exposition privilégiée dans la littérature d'adab et le prétexte, chez des lettrés ou de hauts personnages, à des séances où l'on improvise, en ce style, sur un thème donné 1 . Au total, donc, rien que de classique, dans la mesure, notamment, où les thèmes traités sont souvent largement traditionnels, et l'on n'insisterait pas là-dessus si le procédé, loin de n'être jamais que ce cadre, commode et obligé, où l'on présente de vieux thèmes figés une fois pour t o u t e s n ' a p p a r a i s s a i t pas aussi, à l'égal d'un bon nombre de tous ceux qu'utilise l'adab, comme recouvrant des forces intactes et indéfiniment susceptibles de modeler n'importe quelle connaissance présentée pour en faire, à travers lui, précisément un article de l'adab. E t tel est bien le cas en effet : appliquée d'abord à des thèmes classiques — littérature des ahlâq ou opposition entre Basra et Kûfa, par exemple 3 —, la munâzara tend peu à peu à s'étendre à n'importe quel objet ou pays. Ibn al-Faqïh traite de l'Egypte sur ce mode 4 et, après lui, les auteurs des masâlik wa l-mamâlik, Muqaddasï en tête, en feront un procédé systématique de leur exposé. Lorsque la relation établie porte sur plus de deux termes, elle devient principe de classement et de catalogue. Ce mode de présentation du donné, fort en honneur dans la littérature arabe, a lui aussi, sans doute, des antécédents dans la littérature persane. 6 Définitivement accrédité à l'époque d'Ibn al-Faqïh et appliqué aux thèmes les plus divers, il sera, comme la munâzara, largement utilisé dans les masâlik wa l-mamâlik, qui présenteront sous cette forme les particularités (hasâ'is), ethniques, économiques, culturelles ou autres, des pays. 6 Ibn al-Faqïh, à l'occasion, peut préfigurer cette géographie 7 , mais, dans l'ensemble, le procédé de la nomenclature reste, chez lui, d'inspiration essentiellement littéraire. Qu'il reprenne 1. Cf. Kitâb al-buldân, p. 167-173, 175-176. 2. Qui permettraient, dans la pensée de C. Pellat (op. cit., p. 32-33), en ce qui concerne les vieilles métropoles irakiennes, de s'en tenir à des évocations passéistes pour éviter « de sonder un présent moins glorieux. » 3. Cf. p. 223 : « L'eau est le principe vital de toute chose et son principe de mort, sa prospérité et sa dissolution. » La sentence est rapportée à Théodose, mais celui-ci est d'autant plus facilement assimilable à l'ensemble de cette littérature d'inspiration originellement iranienne, que ce goût de l'antithèse (on peut penser à « la langue » d'Ésope), voire la contradiction, semblent inhérents à la fameuse « sagesse des nations». Sur Basra et Kufa, cf. les p. 167-173, 175-176 déjà citées. Compléter avec p. 184-187 (encore sur les défauts de Kûfa). 4. P. 74-75, qui traitent des tares Çuyûb) de l'Egypte, après des pages élogieuses (voir notamment les mafâhir des p. 58 i. f., 66). 5. Cf. supra, chap. II, p. 54, note 1, p. 55, note 2, p. 56, note 1. 6. Le pionnier du genre, Ya'qûbî, traduit bien cet état d'esprit lorsqu'il écrit (trad., p. 185) : « Les districts d ' É g y p t e portent le nom de leurs chefs-lieux : en effet il y a dans chaque district une ville renommée pour une spécialité quelconque. » 7. P. 251-255, où les produits interviennent avec les autres curiosités Çagaib) des pays cités.

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l'énoncé des caractéristiques des peuples, qu'il énonce les mérites respectifs des diverses localités du t j u r â s à n ou, plus généralement, de quelques villes ou pays célèbres S il s'inspire, ici encore, moins d ' u n esprit que d ' u n système, moins d ' u n Gâhiz, chez qui ces formules n ' é t a i e n t q u ' u n m o y e n parmi d ' a u t r e s d'exposer les résultats d ' u n e recherche personnelle, que d ' u n Ibn Q u t a y b a , chez qui elles deviennent des fins en soi et une espèce de catéchisme de la connaissance profane. Dans bon nombre de passages du Kitâb al-buldân, elles répondent, de fait, à des questions a r b i t r a i r e m e n t posées 2 et reprennent, à l'évidence et presque dans la littéralité du texte, les classifications pratiquées par Ibn Q u t a y b a . 3 A la limite, le culte de la différenciation revient à un résultat e x a c t e m e n t inverse de celui que se propose t o u t e systématique : la négation m ê m e du concept au profit de la seule v a r i a n t e . 4 Nous commençons ainsi à percevoir la p a r t des a u t o m a t i s m e s : la v a riante, dans la mesure où elle représente un t r a i t curieux, où elle exprime une certaine distanciation p a r r a p p o r t à la norme ou au concept commun, est une modalité, entre t a n t d'autres, du procédé qui consiste à ne p r e n d r e en compte que l'extraordinaire. La systématique pratiquée, on l'a dit, touche u n i q u e m e n t ce qui n'est pas systématique ; or, si elle est déjà une méthode consciemment et régulièrement appliquée, peut-on s'étonner que, pris à son piège, Ibn al-Faqïh soit si souvent dépassé p a r le procédé qu'il met en jeu ? L ' a u t o m a t i s m e du merveilleux peut, à t r a v e r s les mécanismes impliqués, revêtir plusieurs formes : t a n t ô t , le cadre réel, topographique n o t a m m e n t , du sujet s'estompe pour mener le récit à mi-chemin du conte ; le « il était une fois, en un pays lointain » est très perceptible, par exemple, dans les notations relatives à l'Extrême-Orient. Démarquées, on l'a dit, de la Relation, elles brouillent les contours géographiques si précis de l ' œ u v r e originale et t r a n s f o r m e n t ainsi le curieux en féérique. 8 Ailleurs, le même ré1. P. 330, 319-320, 114 (1. 11 sq.), 135 (1. 3 sq.). 2. P. 114, 135, 319-320, d é j à citées. 3. Voir p a r exemple, p. 106 t. f., le schéma classique : « u n tel f u t le premier à...» (à propos d'al-Walïd), utilisé s y s t é m a t i q u e m e n t p a r Ibn Q u t a y b a (cf. références données p a r G. W i e t dans sa t r a d . d ' I b n R u s t e h , p. 221 sq, notes 2 sq.), alors que Gâhi? ne le p r a t i q u e que de façon t r è s rare, lorsqu'il correspond à une réalité ( H a y a w â n , t. I, p. 82, à propos d ' a l - H a g g â g et de la c o n s t r u c t i o n de navires cloués et goudronnés, et non plus cousus ; repris p a r Ibn R u s t e h , t r a d . , p. 227) : ici encore, différence de p o i n t s de vue, Gâhi? u t i l i s a n t u n système au profit d ' u n e recherche, tandis q u ' I b n Q u t a y b a f a i t e n t r e r de force toutes les données possibles dans le cadre du s y s t è m e devenu fin en soi. 4. P. 31-32, à propos des variétés de d a t t e s de la Y a m â m a . 5. Processus renforcé encore par la littérarisation du t h è m e de l ' E x t r ê m e - O r i e n t , n o t a m m e n t par la munâ^ara entre Chine et I n d e . La féérie est t r è s perceptible p. 15, p a r exemple : la reine, située par la Relation ( § 4 , notes 4 et 5) a u x Laquedives-Maldives, est ici d a n s un p a y s « au bord de la mer» ; de la même façon, l'absence d'indications t o p o g r a p h i q u e s ou de distances, en isolant les n o m s des pays, en f a i t ceux de p a y s de légende, coupés les uns des a u t r e s et rejetés d a n s une a u r a imprécise. A n d r é MIQUEL.

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sultat est obtenu par l'accumulation désordonnée de la notation, laquelle, relevant d'une écriture automatique, s'emballe, pourrait-on dire, et fait boule de neige autour d'un sujet initial peu à peu enfoui dans les profondeurs. 1 Plus efficaces toutefois apparaissent deux processus déjà notés, dans lesquels il est bien difficile d'établir les parts respectives de l'intention consciente et des automatismes : on veut parler, d'une part, delà découverte de nouveaux champs dans l'insolite 3 et, d'autre part, de l'irruption de l'insolite en des thèmes qui relevaient jusque là de l'ordre naturel : passe encore que les lieux saints d'Arabie deviennent prétexte à légende, mais il est plus curieux qu'une banale orange grossisse au point d'intercepter la vue entre deux personnes et que l'exposé de notions aussi connues que le Nil et sa faune ou le nom de l'Ëgypte se fasse à la fois sur le mode normal et sur le mode merveilleux. 3 L'accélération de la légende est la conséquence de ces phénomènes. Quantitative, elle transforme le donné vraisemblable en prodige par une simple multiplication : empruntant à Ibn Hurdâdbeh sa description de Rome, Ibn al-Faqïh fait passer de 1 200 à 24 000 le nombre des églises et de 40 000 à 600 000 celui des bains. 4 Plus souvent, l'accélération signalée s'effectue en gauchissant ou en bouleversant carrément la réalité même du donné : il ne suffit plus, par exemple, comme dans la Relation, que l'on brûle, à Ceylan, le corps des rois morts, il faut encore qu'on les y coupe en q u a t r e 6 ; le poisson et le taureau de Nehâvend, en pierre au témoignage d ' A b ü Dulaf Mis'ar, sont taillés ici dans une neige qui ne fond pas 6 ; enfin, et pour s'en tenir à ce dernier exemple, le thème d'Alexandrie la blanche voit son sens résolument renversé : la splendeur et l'activité diurnes de la ville, si éblouissante, dans l'aurore de sa fondation, que ses habitants doivent, pour protéger leurs yeux, y marcher voilés de noir, deviennent, en passant d'Ibn tJurdâtlbeh à Ibn al-Faqîh, luminescence et magie nocturnes dans une ville aux rues désertes. 7 1. Fait p a t e n t pour les m ê m e s données sur l'Extrême-Orient, et n o t a m m e n t p. 15 déjà citée, où la confluence des données de la Relation et de celles de la tradition arabe rend le processus c u m u l a t i f . Mais la m ê m e remarque p e u t être faite pour l'ensemble du livre : la peur inconsciente de laisser perdre u n babar entraine à noyer sous l'anecd o t e la réalité de s u j e t s aussi palpables, pourrait-on dire, q u e Ba?ra, K u f a , B a g d a d ou l'Arabie. 2. Par e x e m p l e le t h è m e de la Ville de Cuivre, qu'Ibn al-Faqîh semble être le premier, à m a connaissance, à exploiter s y s t é m a t i q u e m e n t : p. 84 sq. 3. Sur les lieux saints, cf. p. 16-24 ; sur l'orange, p. 67 ; sur les d e u x t h è m e s é g y p t i e n s cités, cf., pour le Nil, p. 61-65 et, pour le n o m de Miçr, p. 56-57, 67. 4. P . 149-150 (cf. Ibn H u r d â d b e h , trad., p. 87). Autre e x e m p l e p. 22, n o t e e. 5. P. 10 (cf. Relation, § 51) : m ê m e si le t e x t e d'Ibn al-Faqïh garde trace du souvenir d'une consécration s y m b o l i q u e e t cosmique du cadavre selon les quatre points cardin a u x , il n'en donne o b j e c t i v e m e n t aucune preuve et la n o t a t i o n fait s i m p l e m e n t figure de r e t o u c h e apportée dans le sens du merveilleux. 6. P. 259 (cf. A b ü Dulaf Mis'ar II, p. 29). 7. P. 71-72 (cf. Ibn H u r d â d b e h , p. 160).

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En tout cela, qu'il s'agisse de techniques délibérées ou de purs automatismes, l'écrivain, écrasé sous le poids de ses sources, est rivé à sa mémoire, livré sans défense à ses sollicitations, acculé à un exposé d'ordre essentiellement quantitatif, qui progresse, non en profondeur, mais à l'horizontale, par glissements, digressions et parenthèses. L'entassement des données, le recours perpétuel au thème voisin, parallèle ou contraire, le passage constant d'une formulation à une formulation plus merveilleuse, font de la lecture du Kitâb al-bu'dân une espèce de parcours en bordées et tout se passe en effet comme si la contrainte du souvenir à livrer et la hantise de le laisser perdre déviaient sans arrêt l'exposé de part et d'autre du principe linéaire qui devrait être le sien. Un lecteur d'Occident s'étonnera moins, une fois admis que l'ordre intime du livre repose en fin de compte sur la digression, de voir Ibn al-Faqïh écrire : « Il y a quatre merveilles en Syrie-Palestine : le lac de Tibériade, la Mer Morte, les pierres de Baalbek et le phare d'Alexandrie» ou encore, à propos des limites de l'Irak : « L'Irak s'étend jusqu'à Basra, Basra confine à al-Ahwàz, qui confine au Fàrs, qui confine au Kirmân, qui confine à Kâbul, qui confine à Zarang, qui confine à l'Inde» 2 ; porté par le mouvement du texte, on finira par se laisser mener tout naturellement de l'Irak au Paradis. 3 Étrange monde, en vérité, que celui qui se dégage de cette connaissance : brouillés les contours par lesquels l'univers se révèle concrètement à nous dans la vie courante, seuls émergent les détails qui échappent précisément à l'ordre naturel des choses. Dans une discipline où l'auteur, moins pédagogue que magicien, veut charmer beaucoup plus qu'enseigner et où le lecteur, moins élève que proie offerte, ne demande après tout qu'à se laisser prendre, ainsi, l'un tirant l'autre, s'élabore en définitive, comme nous le disions, une véritable géographie de l'insolite. Mais il est temps de voir en quoi la science des pays, telle qu'elle nous est présentée par le Kitâb albuldân, peut être qualifiée et de science et de géographie, humaine ou non. La « science des pays » : une science à sa

manière

On commencera par se demander s'il n'existe pas, dans l'oeuvre d'Ibn alFaqïh, certains principes pouvant être considérés comme relevant d'une méthode et d'un esprit scientifiques. Tout ce qu'on a dit sur l'esprit et les procédés du livre accuse sans doute une très grande distance entre une connaissance de ce genre et une description de la terre au sens où nous 1. P. 118. 2. P. 162. 3. P. 174 i. f.-175, par l'intermédiaire du fleuve de Kiifa, i'Euphrate, considéré comme l'un des quatre fleuves du Paradis. Mouvement de même ordre p. 176 sq. : des monuments des environs de KQfa aux noms de leurs bâtisseurs, puis aux constructions des Abbassides.

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l'entendrions. Mais si l'on se garde des jugements systématiques et si l'on sait regarder l'œuvre en profondeur, par delà le vêtement que lui impose le siècle, on sera surpris de constater en définitive qu'elle s'inspire de démarches ayant, certes, des visées différentes des nôtres, mais dont le sérieux suffit à laver Ibn al-Faqïh de toute accusation de désinvolture. C'est bien, au contraire, à la découverte d'un écrivain prenant son rôle très à cœur et uni, consciemment ou non, à un système de connaissances très cohérent, que doit nous mener la présente analyse. E t d'abord, les difficultés causées, dans la lecture du texte, par l'intervention des mécanismes indiqués ne doivent pas être l'occasion commode de renoncer à discerner les articulations d'ensemble de l'œuvre. Pour peu qu'on y regarde, on dégagera un plan parfaitement charpenté, comportant une alternance régulière d'exposés «géographiques» et d'intermèdes : après la préface et la description de la terre, premier arrêt avec les thèmes indiens et chinois ; ensuite, l'Arabie décrite, une nouvelle détente est offerte au lecteur sous la forme de deux thèmes littéraires : le mélange du sérieux et du plaisant et l'éloge du voyage. L'exposé reprend avec les régions de l'ouest, s'interrompt sur la louange et la critique de l'architecture, passe à l'Irak et marque encore une pause sous la forme d'une seconde préface, véritable profession de foi littéraire. Reparti cette fois pour l'Iran et le nord-ouest, l'auteur s'arrête ensuite un instant au mur de Gog et Magog, avant de terminer sur les régions du nord et du nord-est. 1 Ainsi, à moins de faire à Ibn al-Faqïh un procès d'intention, force est bien de convenir que l'ensemble de ce plan reflète une réelle unité dans le propos : l'usage même de l'intermède, conçu, selon les meilleures traditions de Yadab, pour délasser le lecteur d'un exposé réputé difficile, confirme bien que ce qui est premier dans la pensée d'Ibn al-Faqïh, ce ne sont pas ces digressions d'allure plus ou moins littéraire, mais bien la science des pays, celle-ci fût-elle différente de la nôtre. Si nous sommes parfois désarçonnés, au niveau de l'ensemble ou à l'échelon plus modeste du développement d'un thème, par l'allure louvoyante de l'exposé, n'en concluons pas pour autant au manque d'unité de celui-ci. Comme tout baroque, car c'est bien de cela qu'il s'agit, un pareil art d'écrire peut bien muser de ci de là avec la ligne droite, mais il ne saurait l'oublier : mouvement « autour d'un vecteur» 2 , peut-être, mais le vecteur existe. 1. Préface : p. 1-3 ; description de la terre et des mers : p. 3-13 ; Chine et Inde : p. 1316 ; Arabie : p. 16-41 ; sérieux et comique, éloge du voyage : p. 41-56 ; Ouest ( Ë g y p t e , Magrib, Syrie-Palestine, Haute-Mésopotamie et Empire byzantin) : p. 56-151 ; louange et critique de Varchitecture : p. 151-161 ; Irak : p. 161-192 ; nouvelle préface : p. 192-195 ; Iran, Àdarbaygàn et Arménie : p. 195-298 ; Gog et Magog : p. 298-301 ; Tabaristàn et Hurâsân : p. 301-330 (les rubriques en italique sont celles des « intermèdes »). 2. P. Gharpentrat, dans N.N.R.F., octobre 1959, p. 702, à cette différence que le baroque en architecture tend à renforcer le vecteur par le jeu des courbes. Ici, tout ce à quoi peut prétendre l'orientation linéaire de l'exposé, c'est à ne pas être oubliée.

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Cette unité réelle, si profonde qu'on la discerne même à travers les démarches les moins conscientes, ne vient pas seulement du propos choisi, abstraitement considéré en soi, mais de la convergence de ce propos avec u n e méthode, en d'autres termes de l'application, à un propos géographique, d ' u n e systématique qu'on a déjà définie comme celle de l'inaccoutumé. E n allant au fond des choses, on est amené à réviser le j u g e m e n t courant, qui définit cette science des pays comme le t r a i t e m e n t d'un sujet géographique par des disciplines qui, dans leur énorme majorité, ne le sont pas. Car, en réalité, ce n'est pas leur définition comme histoire, tradition, éthique ou poésie qui inspire les choix de l'auteur, mais bien le principe du merveilleux qui guide le choix de ces disciplines : elles ne sont présentes q u ' a u t a n t qu'elles s'identifient à l'extraordinaire, et la géographie ellemême n ' a d ' a u t r e raison d'intervenir que celle-là. C'est donc, ici encore, une raison profonde d'unité qui se cache derrière l'apparente diversité du donné. P o u r que la définition des disciplines où s'alimente le Kitâb al-buldân revête un caractère aussi accessoire au regard du principe de base qu'est le merveilleux ('agïb), il f a u t donc q u e celui-ci recèle en lui-même un principe objectif de classement, que, loin d'être soumis a u x fluctuations personnelles du jugement de valeur, il puisse inspirer, de façon régulière et sûre, les choix que l'auteur sera amené à opérer entre tous les m a t é r i a u x que lui proposent lesdites disciplines. E n son sens premier, la racine 'gb, telle qu'elle nous est expliquée dans le Lisân al-'Arab \ désigne l'impossibilité de référer un fait à la norme commune, e t le Coran l'applique en effet à des cas de miracles et de prodiges 2 , d'où il ressort que, si ba'ïd désigne ce qui s'éloigne de l'ordre courant, 'agïb, qui en serait le superlatif, désignerait, lui, ce qui en est radicalement c o u p é . 3 Ibn al-Faqïh, d a n s un même passage *, applique le terme à des spécialités locales, à des m o n u m e n t s et a u x principales merveilles du monde, m o n t r a n t ainsi, sous u n e apparente hétérogénéité, qu'en fait le critère reste t o u j o u r s le même : la normale é t a n t représentée par une espèce de base ou p a r l'ensemble des pays, il n'est pas interdit de qualifier de 'agïb telle variété d'animal relevant d'une espèce p a r ailleurs connue, ou tel produit a p p a r t e n a n t en propre à un pays donné, ou encore le Nil parce qu'il coule dans un sens réputé inverse de celui des autres fleuves de la terre. On p e u t donc, on le voit, m e t t r e sous le m o t de'agïb des traductions aussi diverses qu'anormal, rare, voire exclusif ou spécifique 1. Éd. de Beyrouth, 1374-1376/1955-1956, 15 vol., t. I, p. 580-581. 2. Par exemple XI, 75 (la « femme d'Abraham » qualifiant de 'agit, c'est-à-dire d'impensable, l'idée qu'elle puisse concevoir un enfant à son âge) ; XIII, 5 (sur le thème : la chose impensable n'est pas la Résurrection, mais qu'on pense la Résurrection impensable). 3. Coran, L, 2-3 ; au total, 27 citations coraniques de la racine. 4. P. 251-255. 5. Cf. p. 76, où on passe, de façon significative, du sens de spécifique au sens d'extraordinaire : « On compte au nombre des merveilles ('a$â'ib) égyptiennes le jais, pierre

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mais on prendra garde, en tout cas, à deux faits : l'un est que l'idée de magnificence ou tout autre jugement de valeur ne s'attachent au mot que de façon secondaire et accessoire : on ne le verrait guère, par exemple, s'appliquer en ce sens *au crocodile ou à une particularité de fruit, lesquels ne sont merveilleux qu'au sens premier du terme, le seul valable en toutes circonstances ; l'autre fait, il faut y revenir, est que, sous les apparences de la diversité, le 'agïb désigne toujours, en définitive, ce qui est justiciable d'un critère de différenciation : et pour qui sait la fortune qu'un tel critère a connue dans les sciences humaines depuis Saussure, le choix, fait par la vieille science des pays, d'un tel principe méthodologique n'apparaîtra pas si mauvais. Mais qui nous dit quelle n'en était pas consciente ? Ibn al-Faqïh, après tout, ne fait pas autre chose que fonder en droit cette systématique lorsqu'il déclare : « Tout pays a reçu une grâce qui lui est singulière, certains agréments dont les autres sont privés et qui reviennent régulièrement, comme autant de sujets de fierté, dans l'éloge que font de lui ses habitants » a , et ailleurs, en un texte plus significatif encore : « Sans la grâce du Très-Haut, qui a donné en propre à chaque pays quelque chose qu'il a refusé aux autres, c'en serait fait du commerce et de l'artisanat, personne ne s'expatrierait ni ne voyagerait, les échanges disparaîtraient et l'on ne verrait plus ni acheter ni vendre, ni recevoir ni donner».8 On n'a pas oublié, par ailleurs, que ce 'agïb pouvait être, pour certains auteurs comme Gâhiz l'occasion d'une recherche. L'optique, certes, change avec Ibn al-Faqïh. J e sais bien qu'en de rares occasions il tente lui aussi de briser l'enveloppe mystérieuse d'un phénomène pour accéder à la vérité 5 , mais, dans la quasi-totalité des cas, le merveilleux, chez lui, est noire, piquetée, qui flotte sur l'eau, et l'ébène, qui y sombre. Or, quoi de plus étonnant (a'jjab) qu'un bois qui sombre ou une pierre qui flotte ? Il y a diverses sortes de bois qui sombrent dans l'eau : l'ébène, le Slz (variété proche de l'ébène : cf. Lisân, t. V, p. 363), le jujubier et Vâhendâl (littéralement : arbre de fer, du persan âhen (fer) et ddr (arbre, bois), contaminé en dâl : cf. BGA, t. V, Glossaire, p. XV). 1. Sauf, bien entendu, dans une pensée de type spinoziste, qui ménage en toute chose, derrière l'apparente monstruosité et sub specie aeternitatis, la possibilité d'un plan divin : on a vu à ce propos, supra, p. 42-43, 51, l'attitude d'un Gafti?. 2. P. 119. 3. P. 251. Le thème du voyage est, certes, largement exploité dans la littérature d'adab, mais, alors qu'on en a vu plus haut (p. 114-115) une justification morale, on en voit ici, dans le principe des différences réciproques qui le fonde, une justification logique. Né de ces différences, le voyage crée à son tour l'activité, mais aussi la connaissance : cf. Kitâb al-buldân, p. 50 : « Sans tous ceux qui quittent leur pays, on ignorerait la terre, de l'Espagne à la Chine » : thème qui fait le contre-point de cet autre, non moins célèbre, dont on a déjà parlé, à savoir l'attachement au pays natal : cf. Ibid. 4. Cf. supra, p. 42-43. Même leçon chez Mas'ûdï, Prairies, § 249 : « Sans la tendance qu'a l'esprit humain à nier ce qu'il ignore et à rejeter tout ce qui sort du cercle habituel [de ses connaissances], nous pourrions parler d'un grand nombre de merveilles. » 5. Par exemple, p. 215, où il apporte, de seconde main du reste, la réfutation de l'existence d'une pierre pouvant changer de couleur.

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l'occasion d'un enregistrement et non pas d'une recherche, le signe d'un état, fixé et comme tel consignable, et non pas un point de départ. La recherche revient donc, non à pénétrer ce qui se cache derrière l'extraordinaire, mais à inventorier cet extraordinaire lui-même, dont il suffit qu'il existe en tant que tel. Cela posé, le propos d'une investigation ainsi définie, une fois de plus, à l'horizontale et non en profondeur, n'est pas moins ambitieux que celui de toute connaissance. Volontiers annexionniste, cette science des pays s'ouvre, à l'occasion, de nouveaux champs de curiosité >, ou encore, elle peut présenter, sur un thème donné, la synthèse des connaissances reçues jusqu'à ce jour-là 2 , mais surtout elle regroupe, à un échelon plus élevé, un ensemble de thèmes qui composent une véritable géographie : géographie physique avec les roches, les fleuves, la faune et la flore, géographie économique avec les produits et les échanges, géographie humaine avec les caractéristiques ethnologiques ou biologiques, les centres religieux et les circonscriptions administratives. En tout cela, certes, on ne note guère que le fait curieux ou marginal, et non, comme nous le ferions, ce fait de base qui fonde, avant tout autre, la connaissance ; la géographie n'affleure, en définitive, une fois de plus qu'au travers de l'insolite 3 : l'organisation territoriale spéciale aux Kurdes 4 acquiert ici plus de relief que les divisions administratives courantes et toutes les pommes du monde ne parviennent pas à équilibrer celles de Sîrâz et du Liban, qui présentent cette drôlerie, l'une d'être mi-partie douce et mi-partie acide, l'autre de n'exhaler de parfum qu'après avoir été plongée dans l'eau d'un certain affluent de l'Euphrate 6 : c'est un peu comme si une géographie de la France insistait avant tout sur l'enclave de Valréas ou le figuier de Roscoff. Mais, cela posé, et si l'on veut, encore une fois, éviter les procès d'intention, il s'agit bien d'une connaissance qui opère sur une base territoriale, comme l'indique le titre même de l'ouvrage, et son propos n'est pas moins géographique, au départ, que, de nos jours, telle carte touristique ou tel guide des curiosités. La différence est décidément ailleurs : tandis que le Kitâb al1. N o t a m m e n t par la philologie (étymologies, noms de villes, controverses sémantiques : cf. p. 26 sq., 56-57, 59-60, 258, 284 ; interférence des noms et des qualités d'un produit [dattes], p. 29-30, qui n'est pas sans rappeler la manière d'un Gâhi? dans le Tabassur [cf. aussi Ya'qûbî, p. 365-366, à propos du musc]) ; autres « nouveautés » avec des traditions sur le flux et le reflux (p. 9) et des notations sur le feu Saint-Elme et les mouettes (p. 13). 2. Elle acclimate, on l'a vu, les thèmes de la Relation sur la Chine et l'Inde, en les englobant dans le contexte plus général des mers orientales (p. 9-16). 3. C'est le 'agib, dans les sens divers qu'on a définis, qui inspire les notations de géographie physique (cf., par exemple, p. 60-61, 76, 124-127, 207, 296), économique (p. 50, 204-205) ou humaine (p. 107, 118, 151 sq., 330) ; pour la géographie administrative, qui touche essentiellement des régions ou des cas célèbres, cf. les références données supra, p. 167, note 6. 4. P. 203-204. 5. P. 117-118.

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buldân se propose de répartir territorialement un ensemble de connaissances touchant des pays considérés chaque fois sous l'angle de leur originalité irréductible, la géographie, au sens où nous l'entendons, s'attache à n'oublier jamais, même dans l'étude des pays les plus singuliers, les lois générales des mécanismes physiques ou humains ; celle-ci traite la terre, avec les hommes qui sont dessus, comme un objet, celle-là réintroduit dans son étude, par les choix délibérés auxquels procède l'auteur, une visée éminemment subjective. Mais, tout compte fait, cette originalité, dans les intentions ou les résultats, n'empêche pas la vieille géographie des pays d'être aussi sérieuse ni aussi vaste que l'autre. S'il faut trouver une différence, celle-ci ressortit, en dernière analyse, à l'esprit même de la connaissance telle que l'ont conçue respectivement le Moyen Age, d'un côté, et les temps modernes, de l'autre, ou, en d'autres termes, ici une science et jadis un savoir. Géographie humaine ou humanisme géographique ? Si géographie il y a, dans l'esprit que l'on a dit, en quoi la connaissance des curiosités des pays peut-elle être considérée comme une géographie humaine ? On répondra : par son objet, certes, dans la mesure où elle véhicule des notions qui se rapportent à la situation ou à l'activité des hommes sur la terre. Mais celles-ci, on l'a vu, sont rares et n'interviennent que comme éléments, parmi d'autres, d'un donné plus général qui se situe dans un autre ordre, celui de l'inaccoutumé. C'est ailleurs, et dans une lumière différente, qu'est perçue la présence de l'homme dans le monde. Le rôle des traditions profanes (ahbtir), par exemple, peut paraître aberrant dans une connaissance qui se veut, au départ, géographique. En fait, si l'histoire intervient, c'est parce qu'elle est ressentie d'instinct comme inséparable de l'espace où elle s'inscrit. L'homme que nous présente Ibn alFaqïh est un être saisi globalement, dans le milieu que la nature et son histoire lui assignent. Mais, d'autre part, comme l'histoire n'intervient ellemême qu'autant qu'elle produit des ahbâr spécifiques de tel ou tel pays, la systématisation du 'agïb dans les ordres conjugués des événements et des situations revient, en fin de compte, à expliquer fondamentalement l'originalité, en chaque pays, des populations qui y vivent. On dira, certes, que notre géographie à nous est aussi soucieuse que celle-là de rattacher la présence, les activités et les attitudes des êtres en un pays à leurs raisons historiques. Mais cette perception globale de l'homme, qui rapprocherait, sur ce point, l'optique d'Ibn al-Faqïh de celle de la science contemporaine, n'intervient pas, chez lui, que pour un pays donné, à l'échelon provincial si l'on préfère. Paradoxalement, au moins en apparence, la juxtaposition des différences produit ici, au niveau le plus général, le sentiment de l'unité. A ce niveau en effet, ne l'oublions pas, ce à quoi vise cette connaissance,

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c'est à peindre un monde en son ensemble, celui de l'Islam. Serons-nous étonnés de constater, une fois de plus, que le système culturel proprement dit se fonde sur les mêmes principes que le système juridique ou religieux ? C'est une des traditions les plus répandues en Islam que celle qui voit dans la divergence des opinions au sein de la communauté un effet de la grâce divine. 1 Le même sentiment est perceptible ici : sur la base du principe d'irréductibles originalités locales, s'élabore en fait la construction d'un ensemble conçu comme un organisme vivant, dont les différentes parties sont reliées entre elles selon les lois d'une circulation interne. 2 Ce thème antithétique, d'une unité globale opposée à la diversité des éléments, se prête sans doute, par la deuxième de ses propositions, à une exploitation facile dans la littérature d'adab, selon le sain principe, on l'a vu, que « l'ennui naquit un jour de l'uniformité». Mais, à ne lire que ce volet du diptyque, on laisserait échapper la justification même de ce goût pour les particularités, à savoir la croyance profonde en ce que l'unité ne peut naître, fondamentalement, que de la conjonction des différences. 3 On voit donc par quoi cette géographie humaine diffère de la nôtre : alors que nous ne pouvons opérer, à l'échelle d'un ensemble, que par généralisations et abstractions, en oubliant peu à peu les particularités provinciales, un Ibn al-Faqïh prétend au contraire édifier d'autant mieux son tableau d'ensemble qu'il accusera d'autant plus, qu'il oubliera d'autant moins les singularités locales. Si ce procédé nous paraît tenir de la gageure, c'est sans doute parce que nous ne vivons pas, de l'intérieur, la perception de cette vérité, qui nous paraît, à nous, contradictoire ; mais la science des pays, au iv e /x e siècle, ne vise pas moins que la nôtre à donner de l'homme une image totale, à l'échelon de son pays ou du monde. Cette optique se concevra d'autant mieux que l'on se rappellera ce qui a été dit, d'une part sur l'intervention de l'auteur, en tant que sujet, dans cette connaissance, et d'autre part, sur la dimension sociale de l'adab, dont la géographie du Kitâb al-buldân est fille. La science contemporaine et la connaissance, au sens où l'entend Ibn al-Faqïh, diffèrent en effet profondément quant aux fins qu'elles se proposent en prenant l'homme sur la terre pour objet de leur étude. La première, en le traitant, réellement, comme un objet, vise à décrire des lois, des phénomènes, bref à éliminer, autant que faire se peut, l'intervention du sujet dans la connaissance ; réciproquement, 1. Cf. références dans I. Goldziher, «Ikhtilâf», dans El, t. II, p. 487. 2. Cf. supra, p. 180, note 3. 3. On objectera sans doute que le hadii sur les divergences conçues comme grâce divine n'est intervenu que pour entériner une situation de fait, lorsque la communauté s'est trouvée effectivement divisée, sans aucun espoir de retour vers l'unité. Mais le sentiment de ces différences, si évidemment perçues à l'intérieur du monde islamique, empêche-t-il cet autre sentiment, de l'unité islamique cette fois, dès que ce monde se perçoit globalement, par différence, notamment, avec les mondes étrangers, le R ü m en premier lieu (cf. chap. III, p. 99, note 3) ?

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la connaissance qu'elle attend de cette étude de l'homme n'a pas pour fin première d'intervenir, par exemple pour en améliorer les conditions ou en modifier les usages, dans la situation des sujets qui procèdent à cette étude : ce rôle étant accessoire, et réservé aux techniques, la connaissance de l'homme vise, en tant que science, à accroître, au-delà desdits sujets, le patrimoine commun de la recherche humaine. Elle est donc foncièrement idéaliste et universalisante : humaniste, si l'on préfère. Au contraire, la science des pays, à la manière d'Ibn al-Faqïh, est fille d'une société, science militante, et vise moins à connaître l'homme qu'à former un certain type d'homme. Fille d'une société, disions-nous, dans la mesure où l'intervention de l'auteur, en tant que représentant de cette société et à ce titre seulement, est partout perceptible dans l'œuvre. Science militante dans la mesure où, née de cette société, elle y retourne pour en former les fils. Tout ce que nous avons dit sur l'inspiration du livre, puisée sans cesse à l'expérience du corps social, sur la littérarisation des thèmes, l'exhaustivité et le merveilleux, conçus pour attirer à cette connaissance le plus vaste public possible, sur le rôle social du style enfin, fait pour lier l'un à l'autre un public féru de règles et un auteur dont tout le génie personnel consiste à les bien jouer, tout cela caractérise éminemment cette littérature comme expression d'une société 1 : en l'occurrence celle qui, dans la Bagdad des califes abbassides, s'est composée, ethniquement, politiquement et culturellement, à partir d'éléments disparates et qui s'exprime, de façon privilégiée et la poésie mise à part, dans Vadab. S'il y a ici un humanisme, ce ne peut être qu'au sens où on parle, par exemple, de l'humanisme du XVII® siècle français, c'est-à-dire dans la mesure où l'époque propose, à tout homme suffisamment doué et volontaire, un idéal élevé, certes, mais pas hors d'atteinte. Elevé, disions-nous : aussi bien, quand on parlera de public moyen, comme semble y inviter la lettre même du texte d'Ibn al-Faqïh cité plus h a u t o n prendra garde à faire la différence : si c'est, à n'en pas douter, à l'homme moyen, jugé sur les qualités fondamentales de l'espèce, que s'adresse cet appel, le but reste bien l'instauration d'une élite ou, plus exactement, l'installation, parmi une élite déjà existante et fondée sur le sang, le rang et l'argent, de n'importe quel roturier doté, en guise de passeport social, d'une culture ; de la même façon, l'expression de culture moyenne, déjà employée, ne doit pas faire illusion : elle vise le contenu de cette culture — en ce sens, elle est moyenne entre les rudiments possédés par le vulgaire et la spécialisation savante —, et non pas son public, qui reste une élite. Au total, morale bourgeoise, et c'est pourquoi l'idéal qu'elle propose, loin d'être hors d'atteinte à l'instar d'un modèle véritablement humaniste, reste aussi évidemment lié à une société et à la conquête d'un rang. Par là se font jour les limites de cet humanisme : si cette culture nous 1. Cf. supra, p. 107. 2. Les awsât (p. 153) ; cf. également, pour ce qui suit, chap. II, p. 66, note 2.

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apparaît si souvent codifiée en un système, c'est parce qu'elle doit justement, comme nous le disions, servir de passeport 1 et qu'il faut bien que les initiés s'y reconnaissent, pour savoir s'ils doivent accepter ou rejeter tout candidat à l'admission en leurs rangs. Dans son objet, donc, une telle culture ne vise à rien moins qu'à changer les normes du système : répugnant à la recherche en profondeur qui risquerait d'en compromettre les bases, elle se donne tout entière à l'extension du système en largeur, dans les normes déjà fixées : elle enregistre, comme nous le disions, mais elle ne crée rien par elle-même. 2 Dans son esprit, elle est universaliste, certes, mais au sens où l'entendait l'Islam, dont elle est alors, avec d'autres formes, politiques, culturelles ou sociales, l'incarnation temporelle. Tout comme l'Islam du Moyen Age n'admet, mis à part le privilège concédé aux Juifs et aux Chrétiens, d'avenir universel que par lui et qu'au travers de son message égalitaire qui transcende les nations et les races, de même l'adab ne conçoit de culture, au-delà des différences locales, que transcrite en des règles qui ne sont pas précisément l'expression d'un humanisme universel, mais l'émanation, hic et nunc, d'un humanisme particulier. C'est donc dans l'unité d'une culture et d'une foi qu'est saisi cet homme global dont nous parlions plus haut et il faut bien se rendre à l'évidence que, pour n'en être pas moins humaine que la nôtre, cette géographie-là l'est, tout de même, en un sens très différent. Humaine, oui, car c'est à l'homme, spatialement et temporellement situé, qu'elle s'intéresse en son énorme p a r t ; géographie, oui, puisqu'elle répartit ses notions selon des données de base territoriales, qu'elle respecte dans l'ensemble. Mais c'est l'association des deux termes qui revêt ici une signification résolument opposée à la nôtre. Les sciences humaines, et avec elles la géographie qui porte ce titre, même si elles vivent de plus en plus aujourd'hui dans la conviction que leur objet est un, au-delà des variations spatiales et structurelles, s'interdisent néanmoins tout a priori et posent la démonstration de cette unité, dont la nature reste à découvrir, comme fin de leur recherche ; avec Ibn al-Faqîh, au contraire, tout se passe comme si l'unité de l'homme était présupposée : un peu comme un article du dogme, dirions-nous, dans la mesure ou cette science des pays est, sur ce point encore, le corollaire temporel d'une religion révélée. De la même façon que la croyance islamique, au spectacle des dissensions de la communauté, a dû admettre, on l'a vu, leur existence, mais ce sans rien sacrifier de l'exigence unitaire, mieux même : en tournant ces divergences à la gloire de l'unité, de même la géographie arabo-islamique procède-t-elle avec le monde, deux siècles plus tard environ. Il semble, on l'a dit, qu'elle se soit au départ contentée, en ce qui concerne le monde de l'Islam, de mettre au point des données cartographiques et administratives, et que sa curiosité pour les faits proprement 1. Cf. le texte, si probant, traduit p. 163, note 6. 2. Cf. supra, p. 99-101.

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humains se soit d'abord exercée au dehors, comme si le sentiment inné de la cohésion du monde islamique, l'incapacité à trouver, dans ce bloc sans faille et dont principes et règles de vie sont connus, le moindre prétexte à notation, avaient reporté aux frontières le don de s'intéresser à la diversité du monde. 1 Mais, après tout, peut-être cette attitude cachait-elle déjà quelque angoisse : car, à constater, sur des terres étrangères, des usages si éloignés de la règle islamique, on se dispensait, quoi qu'on en eût, de voir qu'à l'intérieur aussi, cette règle, conçue stricto sensu, admettait bien des variations, tout autant qu'en histoire l'exaltation du passé permettait de fermer les yeux sur « un présent moins glorieux ». 2 Dans cette optique, l'attitude de la géographie, avec Ibn al-Faqïh, revient à renverser la tendance en s'inspirant de ce qu'avait fait, avant elle, la tradition religieuse. Prenant son parti, chez elle cette fois, je veux dire à l'intérieur des frontières islamiques, des divergences, des curiosités et des aberrations, elle les interprète, on l'a vu, comme autant de mécanismes nécessaires à l'unité organique de l'ensemble. Dans ce désir passionné d'unité, dans cet aspect social, militant et formateur de la connaissance, se retrouve la griffe d'un autre écrivain. Ibn Qutayba, certes, n'est cité qu'une fois dans le Kitâb al-buldân s, mais sa leçon y est présente à toutes les pages. Avec Ibn Qutayba, Ibn al-Faqïh incarne cette « littérature patriotique »4 qui recueille avec soin — et les livre comme autant de points de dogme — les dires des maîtres : la part de la Grèce, on l'a dit, y est minime, et si l'Iran y est quantitativement mieux traité, il s'intègre néanmoins, comme chez Ibn Qutayba, à un système encyclopédique dont l'armature est, fondamentalement, arabo-musulmane 6 : système synonyme, avons-nous dit, de cohérence et de 1. Cf. supra, p. 115, 131-132. 2. Cf. C. Pellat, cité supra, p. 174, note 2. 3. P. 314 i. f. 4. Cf. supra, p. 68, note 1. 5. On a vu l'importance des modes de pensée arabes (abbâr, lexicographie, etc.) ; un autre trait de ce syncrétisme arabo-musulman serait à chercher dans l'appropriation des passés nationaux, conçus, on l'a dit, dans l'optique providentialiste d'une histoire qui se sublime dans l'Islam : cas du passé national iranien, mais aussi récupération du passé syrien avec la découverte de la tête de saint Jean Baptiste (p. 107), la construction de mosquées dans les villes anciennes (exemple p. 112 : cas de Mopsueste), du passé égyptien avec Moïse, etc. Ce syncrétisme a ainsi tourné des forces d'opposition dont les textes gardent le souvenir : un des exemples les plus célèbres est la résistance du peuple syrien aux projets du calife umayyade 'Umar b. 'Abd al-'Azïz, qui voulait réduire la mosquée de Damas (p. 108 ; cf. Muqaddasï, trad., § 143-144). De la part d'Ibn al-Faqïh, ce syncrétisme n'a rien d'étonnant : il représente très exactement la tendance d'Ibn Qutayba, laquelle souligne le rôle éminent qui doit être joué par l'Iran, mais dans une civilisation d'expression et d'idéal arabes ; il est intéressant de constater à ce sujet la parfaite concordance de points de vue entre Ibn al-Faqïh et Ibn Qutayba sur le thème de la défense et illustration du Hurâsân : opposition de la critique gahi-

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contrainte 1 , où l'homme est enfermé dans une sorte de savoir révélé qui est, sur le plan profane, le pendant de la vérité religieuse. Tout se passe d'ailleurs, le plus souvent, comme si les deux ordres n'interféraient pas et ce n'est pas le moindre paradoxe de constater que, malgré le climat où elle baigne, cette géographie est fondamentalement laïque et que Dieu n'y joue qu'un rôle très modeste, finalement réductible à une source de traditions parmi d'autres. Alors que l'entreprise gâhizienne, en bonne élève de la Mu'tazila, ne concevait pas sa recherche en dehors de la démonstration d'un ordre providentiel au sein du monde, il semble, avec Ibn al-Faqîh, que, cet ordre étant donné une fois pour toutes à l'instar de l'unité de l'Islam, on puisse faire l'économie de sa formulation. Mais faut-il s'étonner de cet apparent paradoxe ? Après tout, une entreprise qui se donne comme but la culture pour la culture ne peut pas traiter Dieu dans une autre optique que celle-là : concurrencé, en t a n t que source de merveilleux et de connaissance, par la tradition profane, il s'efface à proportion de cette concurrence. 2 Ici encore, le Kitâb al-buldân répond parfaitement à sa logique interne : le savoir étant révélé, l'œuvre baigne dans l'évidence, en se contentant, sur le plan profane, de prendre ce savoir aux maîtres accrédités et en se dispensant, sur le plan religieux, de s'y référer. Si une telle géographie rejoint en fin de compte la nôtre dans un humanisme exclusif de Dieu, ce ne peut être, sur ce point aussi, que par des voies très différentes : l'absence de Dieu ne signifie pas que cette connaissance, comme la nôtre, l'ignore ou le met entre parenthèses, mais plutôt qu'elle le suppose une fois pour toutes. Conclusion

On a peut-être eu le sentiment, en lisant ces lignes, d'avoir affaire à un auteur et à un genre marginaux. Rien ne serait plus faux que de penser de la sorte. Chronologiquement, Ibn al-Faqîh se situe à une place essentielle dans l'histoire de la géographie arabe : venu après les premières œuvres, fondamentalement techniques, de la géographie administrative ou cartoïienne de l'avarice (p. 316-317, où l'origine gâhi?ienne du thème est très nette, fiâhi? étant désigné par la périphrase de «calomniateur des tjurâsâniens» : at-tâ'in 'ala ahl ifurâsân) à l'exaltation du tjurâsân défenseur du califat, expressément confiée à Ibn Qutayba (p. 314-315). On retrouve ainsi des positions connues : pour û â h i ï , défiance vis-à-vis de l'Iran, pour Ibn Qutayba, assimilation de ce même Iran, l'un comme l'autre entendant sauvegarder la primauté de l'expression et de la culture arabes et divergeant en fin de compte — la Grèce jouant le rôle de test — sur le caractère ouvert ou clos de cette culture : cf. supra, p. 39-44, 62-68 ; C. Pellat, « Djâhi? • dans El (2), t. II, p. 396-397 ; G. Lecomte, Ibn Qutayba, p. 347-358. 1. Supra, p. 65. 2. Exemple significatif : pour Jérusalem (p. 99-101), on ne cite pas une fois le nom, pourtant coranique, d'al-masgid al-aq$à.

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graphique à la manière d'un Ibn tJurdâtjbeh ou d'un Huwârizmî, postérieur aussi à quelques-uns des textes les plus importants —• Relation en tête — parmi ceux qui traitent de l'étranger, antérieur, enfin, à Balbï, le Kitâb albuldân se situe très exactement à l'époque de Y a ' q ù b ï 1 et de Gayhânï. C'est dire que son influence jouera en deux directions : d'une part, il renforcera la tendance, manifestée très tôt, mais de façon velléitaire, par la géographie technique sous toutes ses formes, vers une ouverture aux thèmes de l'adab, d'autre part, il contribuera à fixer au monde de l'Islam la curiosité des écrivains. E n ces deux sens, il déterminera, de façon décisive, les options prises par des genres aussi essentiels que la géographie administrative avec Qudâma et la surat al-ard avec Balhï a , dont la conjonction sera une des bases du genre des masâlik wa l-mamâlik. L'influence ainsi prêtée à l'œuvre d'Ibn al-Faqïh a dû être d'autant plus profonde qu'elle s'est exercée dans les règles : alors qu'un Ya'qubi, par l'originalité de son information et sa pratique du voyage à l'intérieur de l'Islam, fera longtemps figure de précurseur, Ibn al-Faqïh, lui, en jouant le jeu d'une littérature dans les normes, se donne tous les atouts pour être accrédité très t ô t comme modèle. » Ainsi, en bon représentant de l'adab, il n'a guère créé par lui-même, mais, pour l'avenir de ce genre complexe qu'est la géographie arabe, il a fait beaucoup plus : situé à une articulation cruciale du genre, il a donné l'estampille de l'adab, c'est-à-dire des lettres de noblesse littéraire, au genre lui-même d'abord, au cadre dans lequel il opérera désormais de façon privilégiée, ensuite, et, enfin, à bon nombre de ses thèmes : sûrat al-ard à l'usage du public cultivé, curiosités du monde, particularités des provinces, notions sur la route maritime d'Extrême-Orient, récits historiques spécialement marquants, impôt foncier, itinéraires, et t a n t d'autres. En tout cela, on l'a vu, rien de systématique, certes, q u a n t à la géographie elle-même ; mais il suffit qu'un thème géographique prenne place, ne fût-ce qu'à l'occasion et même en filigrane, dans une oeuvre aussi évidemment en accord avec le système des valeurs culturelles de l'époque, pour que les écrivains postérieurs trouvent dans ce précédent une justification et même 1. Avec un léger décalage, ce qui a permis la citation indiquée plus haut, p. 168, note 3. 2. Cf., pour Qudâma et Balbï, supra, p. 81-85, 97-99, et, sur l'ensemble, chap. III, passim. 3. Si l'on met à part la citation de Ya'qùbï par Ibn al-Faqïh lui-même (supra, p. 168, note 3), on constate que l'accréditation de Ya'qubi comme modèle a été beaucoup plus lente à s'opérer que celle d'Ibn al-Faqïh : alors que celui-ci est cité par Muqaddasï (trad., § 13, 13 bis, 35 ; éd.de Goeje, p. 68, note f , 210, 212, 241), le premier auteur qui rite expressément Ya'qQbî, en tant que géographe, est Idrlsl, au v i ' / x i i » siècle (cf. G. Wiet, introd. à la traduction de Ya'qùbï, p. X X , et supra, chap. III, p. 102, note 5). Sur le cas d'Ishâq b. al-Husayn, cf. tableau des auteurs.

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un encouragement à reprendre et à développer le thème en question, derrière l'autorité, avouée ou non, du vieux maître et, qu'importe ? dans un esprit peut-être différent. Cela seul suffirait pour faire d'Ibn al-Faqîh un personnage important de la géographie arabe; dans un système où l'invocation d'une autorité commande directement les destinées d'un genre ou d'un thème, il tient le rôle décisif pour l'avenir de cette géographie ; non son créateur, certes : son parrain.

CHAPITRE VI

La géographie sans les géographes : encyclopédistes, polygraphes, historiens et autres

Puisque la géographie tend à s'intégrer au système de connaissances tel qu'il se fixe à la fin du m e /ix e et au début du iv e /x e siècles, notre étude ne serait pas complète si elle ne s'attachait pas à préciser la place de cette géographie à l'intérieur dudit système et les formes qu'elle peut revêtir, concurremment avec d'autres disciplines, dans le cadre d'un propos qui ne se définit pas par la seule géographie. Ce propos est parfois encyclopédique 1 : alors, dans une œuvre qui vise à faire la somme des connaissances du temps, la géographie intervient comme une composante parmi d'autres. Composante, elle l'est aussi dans les anthologies d'adab, mais l'esprit est ici différent : car si ces œuvres se définissent, comme les encyclopédies, par un propos non limité et par l'emprunt à des sources multiples, elles s'en différencient en ce qu'elles visent, dans l'optique d'une littérature d'agrément, à doter l'honnête homme d'un savoir à vrai dire moins exhaustif qu'éclectique, selon le principe éprouvé du 1. On reprend ici, en la développant, une distinction annoncée p. 108. André MIQUEL.

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tout un peu, beaucoup plus qu'à dresser l'inventaire complet de la connaissance. Enfin, la géographie peut tout aussi bien participer d'une œuvre dont le propos se situe dans l'ordre particulier d'une seule discipline : on pense ici, d'une façon sinon exclusive, du moins prioritaire, à l'histoire. Les encyclopédistes : Ibn

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On s'étonnera peut-être de trouver à cette place l'auteur des Atours précieux (al-A'lâq an-nafïsa), composés immédiatement après 290/903. L'opinion couramment admise 1 est en effet que l'ouvrage, dont nous n'avons conservé que la septième partie, relative aux connaissances géographiques, devait se présenter comme une encyclopédie sans doute, mais réservée aux fonctionnaires, à la manière, par conséquent, d'un Qudàma quelques années plus tard. Cette opinion a le désavantage de tracer, une fois de plus, entre fonctionnaires et public cultivé, une ligne de clivage dont on a déjà dit, à propos de la géographie administrative, qu'elle pouvait bien ne correspondre à aucune réalité, dans la mesure où l'homme de l'administration (kâtib) est envisagé comme le spécimen parfait du lettré (adïb). On reconnaît toutefois que cet argument ne suffirait pas à faire ranger ici Ibn Rusteh car, arbitraire pour arbitraire, mieux vaudrait alors conserver le classement traditionnel. Si l'on s'est décidé, en définitive, pour cette présentation, c'est pour de tout autres motifs. Pour peu qu'on y réfléchisse, en effet, on conviendra que rien n'autorise à penser qu'Ibn Rusteh ait pu écrire à l'intention précise des gens de l'administration, califienne ou provinciale. On pourrait, tout d'abord, faire remarquer qu'aucun passage des Atours ne semble signaler au lecteur l'existence ou les préoccupations de ces fonctionnaires, mais il y a plus : si nous savons, certes, peu de chose sur la vie et la formation d'Ibn Rusteh, nous en connaissons assez néanmoins pour être en mesure de trancher. Homme de cabinet qui n'a quitté son Iran natal que pour le pèlerinage de la Mekke 2 , il passe la plus grande partie de sa vie à compiler les matériaux qui composeront son encyclopédie. 3 De cela, c'est lui-même qui se porte 1. R. Blachère, EGA, p. 18, classe Ibn Rusteh parmi ceux qui écrivent pour les « secrétaires de l'administration califienne », mais il hésite sur la caractérisation de son œuvre (compendium, encyclopédie, mémento) et concède (ibid. et p. 32-33) qu'il s'agit d'un travail beaucoup plus étendu, en tous cas d'une portée beaucoup plus générale que celui d'Ibn Uurdâdbeh », d'« un ouvrage de vulgarisation d'une allure plus littéraire*. 2. Atours, trad., p. 79. 3. De Goeje, introd. au t. V I I de la BGA, p.VII, a donné une image vraisemblable de ce qu'elle pouvait être : « quod attinet partes operis deperditas, praecedentia probabiliter de creatione et de rébus coelestibus egerunt, sequentium argumentum fuisse historiçum verisimile est. » P. 29,1. 20 sq. : « auctor promisit se alio loco de aedificatione Kaabae a Koraischitis dicturum esse. • On retrouve là le schéma classique de l'encyclopédie à la manière d'un Mas'udi ou d'un Maqdisï, bien différent de celui de l'encyclopédie « administrative i à la manière d'un Qudâma.

La géographie

sans les géographes

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garant : entamant sa description d'Ispahan dans les formes de la risâla, par une réponse à une question supposée, Ibn Rusteh déclare 1 : « Tu m'as demandé de te décrire Ispahan, de te parler de son sol, de son climat, de sa salubrité, du régime de ses eaux, de ses vicissitudes, des caractéristiques qui la distinguent des autres cités, célèbres pour leurs qualités et renommées pour leurs merveilles. J ' y habite. Or les récits que j'ai insérés dans cet ouvrage sur les autres villes ne proviennent que de rapportsparfois véridiques, parfois fragiles, ou de légendes sur lesquelles j'ai dû m'appuyer" en me fiant à des personnes dont il aurait été peut-être nécessaire de redresser les renseignements avant de les accepter. Mes connaissances sur l'évolution des pays que j'ai passés en revue, sur les distances qui les séparent, sur leurs merveilles, sur leurs mérites respectifs et leurs caractéristiques, ont été acquises avec les plus grandes difficultés, tout comme cette enquête aurait été malaisée pour quiconque aurait poursuivi le même but, de sorte que personne ne peut m'adresser des reproches. Mais ce que je vais dire d'Ispahan, c'est le fruit de mon expérience personnelle, ou d'informations sur lesquelles il était impossible de broder, parce que je ne me suis pas contenté d'un témoin unique ». a Imagine-t-on pareil homme, s'il avait voyagé 3 , passant sous silence ses fatigues et la qualité de son information ? Tout ce qui est dit témoigne, a contrario, par rapport à l'exception que constitue Ispahan, d'une connaissance orale ou livresque 4 , soucieuse de ces particularités (hasâ'is) et de ces merveilles Çagâ'ib) dont on a vu le rôle prépondérant dans la littérature d'adab.6 Mais ici, une objection doit être levée, qui consisterait à retourner contre nous l'argument avancé tout à l'heure et à nous faire convenir que, si toute culture à l'usage des gens d'administration est bonne pour les lettrés, la réciproque va d'elle-même et donc qu' Ibn Rusteh, à travers son encyclopédie, peut s'adresser au fonctionnaire aussi bien qu'à 1'« honnête homme». Mais encore faudrait-il, pour que l'objection restât valable, que nous eussions au moins, tout comme pour Qudâma, cet autre encyclopédiste, un indice des relations d'Ibn Rusteh avec les milieux de l'administration. Or son livre ne reflète, on l'a dit, aucune trace de pareilles préoccupations, contrairement à celui de Qudâma, qui prend bien soin, lui, de 1. Atours, trad., p. 175. 2. Souligné par nous. 3. Réserve faite, ici encore, de l'Arabie. 4. On notera qu'aucune référence n'est faite à des pièces d'archives ou à d'autres documents administratifs. 5. Le seul cas évoqué qui se rapprocherait de la littérature administrative serait celui du régime des eaux, a priori en rapport avec le problème de leur distribution : cf. par exemple Qudâma, chap. X V I du livre V I I ( Kitâb al-harûtj, M 112-115) ; tJuwàrizmï, Mafâtih al-'ulOm, p. 68 sq. Mais le thème, ¡tel qu'il est traité aux p. 154 i. f. -155 ou 158 (trad., p. 179- 180, 184) des Atours n'a guère d'implications administratives.

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présenter la partie géographique de son œuvre dans le cadre même de la carrière du fonctionnaire. 1 S'il en est ainsi d'Ibn Rusteh, c'est peut-être donc que son but se situe ailleurs. Songeons, en effet, à la situation d'Ispahan vers les années 290/903. Pour quels fonctionnaires Ibn Rusteh caresserait-il un projet aussi ambitieux ? Bagdad est bien loin et l'administration en place à Ispahan est à l'échelon provincial : résidence d'un gouverneur 2 , la ville dépend encore directement du pouvoir central 8 et ne joue pas ce rôle effectif de capitale qui a été ou sera, grâce aux dynasties locales, celui de tant de villes dans l'Orient des m e / i x e et i v e / x e siècles : Nîsâbûr sous les Tâhirides, à un degré moindre al- Karag sous les Dulafides, mais encore Zarang sous les Saffârides, surtout ar-Rayy, avec une des branches de la famille bûyide, et la Buhfirâ des Sâmànides, où les besoins de l'administration suscitent, à l'époque même d'Ibn Rusteh, un écrivain du poids de Gayhânï. * Mais si Ispahan ne tient, sur le plan de l'administration pure, qu'une place modeste, il n'en est pas de même pour la vie intellectuelle dont elle est le siège. 5 Toutes les écoles semblent y être représentées, avec une vigueur souvent synonyme de violences 8 : Hanafites, Sâfi'ites, tJurramites, Qarmates, Sûfls, Sï'ites 7 , mais surtout Mu'tazilites et Hanbalites; les deux 1. P r é f a c e au livre V I : flarâg, M 45. D u reste, les Atours ne f i g u r e n t pas dans la liste, très e x h a u s t i v e , des œ u v r e s q u e D. Sourdel ( Vizir ai, p. 1 sq.) déclare avoir syst é m a t i q u e m e n t exploitées c o m m e sources d ' i n f o r m a t i o n p o u r son é t u d e sur l'administ r a t i o n califienne. A u t r e s a r g u m e n t s ici m ê m e , p . 192, note 3 et p. 201. 2. Voir, p o u r cette époque, chez Y a ' q u b ï (lequel écrit en 276/889), la liste des dist r i c t s r e l e v a n t de la ville : Kitâb al-buldân, p. 275. 3. C'est l ' é p o q u e des énergiques califats d ' a l - M u ' t a d i d (279/892-289/902) et d'alM u k t a f î ( m o r t en 295/908). Ce n ' e s t q u ' u n e t r e n t a i n e d ' a n n é e s après la composition des Atours q u e la ville subira les entreprises des Ziyârides et des Buyides : cf. M. Nazim, « M a r d â w i d j », dans El, t. I I I , p. 289-290. 4. Sur les r a p p o r t s de Balbï avec la m ê m e a d m i n i s t r a t i o n , cf. supra, p. 81 ; pour Maqdisï et t f u w â r i z m i , cf. p. 212 et t a b l e a u des a u t e u r s . 5. Cf. Y â q u t , Buldân, t. I, p . 209 (1) : « a u c u n e ville n ' a p r o d u i t a u t a n t de s a v a n t s et d ' i m a m s ». Voir, p a r exemple, p o u r la l i t t é r a t u r e juridico-religieuse à l'époque qui nous occupe, U a h a b l , TaUkira, t . II, p. 517 (1. 7), 573 (7), 706-707 ; t . I I I , p . 784, 945 (cf., p o u r ce dernier exemple, t . II., p. 740 i. f.). P o u r les lettres, il suffira de citer l ' a u t e u r du Kitâb al-agdni, A b u 1-Farag, n é à I s p a h a n en 284/897. 6. Cf. Y â q u t , loc. cit. : « Depuis t o u j o u r s , I s p a h a n e t sa région o n t subi des dévast a t i o n s du f a i t des violences et d u f a n a t i s m e q u i o n t mis a u x prises, de f a ç o n p e r m a n e n t e , les Sâfi'ites et les H a n a f i t e s . » M u q a d d a s i (éd. de Goeje, p. 384), f a i t de ces désordres la m a r q u e d e la province du Gibâl t o u t entière. 7. L e s H a n a f i t e s s'y sont l o n g t e m p s m a i n t e n u s , p u i s q u e M u q a d d a s i (éd. de Goeje, p . 395), c o n f i r m a n t le témoignage de Y â q u t cité à la n o t e précédente, i n d i q u e que, dans le passé, les gens d ' I s p a h a n , s u i v a n t en cela une p r a t i q u e Ijanafite, p r o n o n ç a i e n t deux fois, lors du d e u x i è m e appel à la prière (iqâma), les formules du p r e m i e r (adûn) : cf. H . L a o u s t , La profession de foi d'Ibn Balla, D a m a s , IFD, 1958, p. 134, note 2. Sur les Sâfi'ites, cf. la n o t e précédente. Sur les t f u r r a m i t e s , encore r é p a n d u s d a n s la région

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g r a n d s n o m s du m u ' t a z i l i s m e i s p a h a n i e n sont A b u B a k r M u h a m m a d arR â z î 1 et A b û B a k r M u h a m m a d az-Zubayrï, de l'école du célèbre A b u 1-Hudayl. P e r s o n n a g e considérable q u e ce Zubayrî, très e n cour a u p r è s du g o u v e r n e u r d ' I s p a h a n , réunissant a u t o u r de lui, n o u s dit-on, j u s q u ' à mille personnes et considéré c o m m e un des r é f u t a t e u r s attitrés du t r a n s f u g e m u ' t a z i l i t e Ibn ar-Râwendï. A sa m o r t , laquelle a dû survenir v e r s les a n n é e s 900-910 de J.-C., il laisse, à I s p a h a n m ê m e , u n e école d o n t le représ e n t a n t le plus célèbre e s t A b û Muslim a n - N a q q â s . 2 d'Ispahan au moment où écrit Mas'ûdï (milieu du x s siècle), cf. Tanbih, p. 453-455. Le même auteur (ibid., p. 501) fixe à Ispahan, en 260/874, les origines du mouvement qarmate (à prendre sans doute au sens large indiqué par Massignon dans EI, t. II, p. 813). Le sufisme est représenté par la tradition de Sufyân at-Tawrï, avec Ahmad b. Mahdï b. Rustem, ascète mort en 272/885-886, disciple d'Abu Nu'aym et de Qubaysa, eux-mêmes disciples de Sufyân (Oahabï, op. cit., t. I, p. 204 ; t. II, p. 597-598 ; Ahmad b. Mahdï enseigne bien à Ispahan, puisqu'un autre Ispahanien, Muhammad b. Yahyà b. Mandeh [op. cit., t. II, p. 741] dit de lui [t. II, p. 598] : « Depuis quarante ans, notre pays n'avait pas connu d'esprit aussi sûr »). Quant à Abû Nu'aym, on ne le confondra pas avec son homonyme plus célèbre, le sûfï Ahmad b. 'Abd AUâh b. Ahmad, né en 336/948, à Ispahan lui aussi : cf. Qahabî, t. III, p. 1092, et J. Pedersen, dans El (2), t. I, p. 146-147. Quant aux doctrines Sï'ites, elles étaient sans aucun doute répandues à Ispahan comme dans l'ensemble de l ' I r a n ; les témoignages toutefois semblent plus rares et Ispahan, en tout cas, n'est pas tenue alors pour une ville de Sï'isme extrémiste, comme Qumm (elle a même pu être qualifiée, à certaines époques, de « sunnite », en comparaison de Qumm : cf. C. Cahen, » Mouvements populaires et autonomisme urbain dans l'Asie musulmane du Moyen Age», dans Arabica, VI, 1959, p. 29, note 2 : peut-être verra-t-on là une preuve de l'action menée à Ispahan par les Hanbalites : cf. ci-après p. 196, note 2). Quoi qu'il en soit, même modéré (ou tu par dissimulation légale : taqiyya), le Sï'isme, à Ispahan et à l'époque qui nous intéresse, est assez prouvé par la place que lui réserve Ibn Rusteh (cf. infra, p. 199) et par ce qu'écrit Ya'qûbï, en 276/889 (trad., p. 77) : « Salmân le Persan était, dit-on, originaire de la région d'Ispahan, d'un village nommé Gayyân : telle est du moins la tradition transmise de génération en génération par les habitants d'Ispahan. » A noter que ôayyàn est évidemment un doublet de Gayy, nom désignant une des deux villes qui composent l'agglomération d'Ispahan (cf. Ya'qûbï, trad., p. 76) ; sur la vénération de Salmân par les âï'ites, cf. G. Levi délia Vida, dans EI, t. IV, p. 120-121 ; noter enfin qu'à côté de la tradition courante qui fixe la tombe de Salmân en Irak, à al-Madà'in, une autre, non moins vivace, montre ledit tombeau au même village de Gayyân : cf. Yâqût, Buldân, t. II, p. 195-196. 1. Abû Bakr Muhammad b. Ibrahim al-Maqâni'ï (?) ar-Ràzï. Sur lui, cf. Ahmad b. Yahyà b. Al-Murtadà, Tabaqât al-Mu'tazila, éd. S. Diwald-Wilzer, WiesbadenBeyrouth (Bibliotheca Islamica, t. XXI), 1961, p. 102. 2. Les renseignements recueillis sur Abû Bakr Muhammad b. Ibrahim az-Zubayrï proviennent, en l'absence d'une édition des œuvres du cadi Abû 1-Hasan 'Abd alû a b b à r (cf. infra) et d'Abu Sa'ïd al-Bayhaqï, de deux ouvrages composés, à partir des deux auteurs signalés (cf. S. M. Stem, dans El [2], t. I, p. 61 [2]), par Ahmad b. Yahyà (T : Tabaqât al-Mu'tazila, cité à la note précédente; K : Kitâb al-milal wa n-nihal, éd. partielle, sous le titre d'al-Mu'tazilah, par T. W. Arnold, Leipzig, 1902). L'Encyclopédie de l'Islam (t. III, p. 844 [2], art. de H. S. Nyberg), qui signale Zubayrî comme transmetteur, à Ispahan, des] doctrines; d'Abû 1-Hudayl, ne donne pas ses

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Tradition mu'tazilite puissante, donc, et qui trouve devant elle, ici comme partout ailleurs, au premier rang des résistances, les Hanbalites emmenés par les élèves du propre fils du fondateur de l'école, SâlUi b. Ahmad b. Hanbal. Né en 203/818-819, ce Sâlih, qui a été cadi de Tarse avant d'exercer, pendant au moins vingt-cinq ans, les mêmes fonctions à Ispahan, meurt en cette ville au mois de ramadan 266 (avril-mai 880), ses deux fils Ahmad et Zuhayr — ce dernier mort en 303/915-916 — perpétuant la tradition. 2 Les textes nous ont gardé le souvenir de l'affrontement, sources. A. N. Nader (Le système philosophique des Mu'tazila, Beyrouth, 1956) reprend sur ce point, sans y ajouter, les données àefi'EI. Z. H. ô â r Allah, al-Mu'tazila, Le Caire, 1366/1947, ignore le personnage, tout comme les ouvrages classiques de biographies et de références. Az-Zubayrï est de la descendance d'az-Zubayr b. al-'Awwâm, Compagnon du Prophète ( K 52, T 90). Sur son succès à Ispahan, cf. mêmes références. Sur ses disciples, et notamment an-NaqqâS, K 62, T 103-104. Sur sa lutte contre Ibn ar-Râwendî, mort en 245/859, K 53, T 92. Sur l'existence d'une école zubayrite à Ispahan, K 61, T 102. Le personnage a dû vivre jusqu'à un âge assez avancé. Il est à Sâmarrâ quand meurt Abu 1-HudayI, sous le califat d'al-Wâtiq (227/842-232/847), au dire même de Zubayrî, mais plus probablement, selon Ibn al-Murtadâ, qui corrige sur ce point l'affirmation même de Zubayrî, dans les premières années du califat d'al-Mutawakki), en 235/849-850 ( K 28). Voir à ce sujet Carra de Vaux, «Abu 1-Hudhayl», dans El, t. I, p. 95, références pour une autre date : 226/840-841 (indications non reprises par H. S. Nyberg, dans El [2], t. I, p. 131). Zubayrî, d'autre part, est cité (T XVII et 48) comme s'entretenant avec Ibn Yazdâd, dernier vizir d'al-Ma'mun (de 215/830 à 218/833), mort en 230/844-845 (cf. Sourdel, Vizirat, p. 232-234). La tabaqa (classe chronologique, génération si l'on préfère) de Zubayrî est la huitième, celle de Gubbâ'î ( K 45, T 80), lequel meurt en 303/915-916. Il nous est dit par ailleurs que le maître de Zubayrî a été Yahyâ b. BiSr al-Arraëànï (T 90) ; or, ce Yahyâ, élève d'Abû 1-Hudayl (T 78) appartient à la septième tabaqa, celle d'Abu Ya'qûb Yûsuf b.'Abd Allah b. Ishâq aS-Sahhâm (T 72), le maître de Gubbâ'î (T 80), celle aussi de Gâhi?, lequel meurt en 255/868-869. Enfin, le cadi Abu 1-Hasan 'Abd al-Gabbâr b. Muhammad (ou Ahmad) b. 'Abd al-Gabbâr al-Hamadânï a vu, à Ispahan, la fille de Zubayrî, alorsj qu'elle était très âgée (T 90) : or, ce cadi (sur lui, cf. T XVI et S. M. Stem, dans El [2], 1.1, p. 61 [2]) vécut à Bagdad jusqu'au jour où as-Sâhib Ibn 'Abbâd l'appela à ar-Rayy (ceci en 360/971). On peut donc conjecturer qu'il a vu la fille de Zubayrî sur son itinéraire Bagdad-Rayy et donc que celle-ci a dû naître vers 277/890-287/900. Les renseignements recueillis concordent assez bien et permettent d'imaginer la vie de Zubayrî comme prenant place entre les années 204-205/820 et 297/910. 1. Cf. Laoust, Ibn Batta, p. XVII. 2. Cf. Abu I-Husayn Muhammad b. Abï Ya 'la, Jabaqât al-Hanâbila, éd. M. Hâmid al-Fïqï, Le Caire, 1371/1952, 2 vol., t. I, p. 50, 173, 175, 176; t. II, p. 49, 64, 66. Les principaux renseignements donnés sont consignés dans le tableau ci-dessous (en fin de note), où le trait continu indique la filiation, le trait interrompu un enseignement et le pointillé les générations (tabaqât). On notera, comme élève de Sâlih b. Ahmad et de Zuhayr b. Sâlih, le très important Abu Bakr al-tjallâl, mort en 311/923 (sur lui, cf. Laoust, Ibn Batta, p. XXIV-XXV et passim). Le rôle de Sâlilj a été considérable, non seulement sur le plan intellectuel, mais sur le plan politique : les Tabaqât (t. I, p. 173) déclarent qu'il recevait du Huràsàn un abondant courrier, dans lequel on le chargeait d'interroger son père sur un certain

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e x t r ê m e m e n t v i o l e n t , des d e u x t e n d a n c e s : é t a n t d o n n é qu'elles s o n t en p l a c e , c o m m e on v i e n t de le v o i r , d è s la d e u x i è m e m o i t i é d u i n e / i x e siècle, o n p e u t , s a n s g r a n d e c r a i n t e d ' e r r e u r , r é f é r e r à I s p a h a n e t à l ' é p o q u e qui n o u s o c c u p e ce q u ' u n M u q a d d a s I , q u a t r e - v i n g t s a n s p l u s t a r d , é c r i r a des c o n f r o n t a t i o n s a c h a r n é e s qui se d é r o u l e n t en I r a n a u t o u r des d e u x p r o b l è m e s f o n d a m e n t a u x q u e s o n t le c u l t e d e M u ' â w i y a e t l a c r é a t i o n du C o r a n . 1 On c o n c é d e r a a l o r s que, d a n s c e t t e a t m o s p h è r e , la c o m p o s i t i o n encyclopédie

n'est

peut-être

pas,

comme

d'une

nous nous l'imaginerions au-

j o u r d ' h u i , u n e t â c h e c o n ç u e sous l ' a n g l e désintéressé de la p u r e s c i e n c e , a d m i n i s t r a t i v e ou a u t r e , m a i s p l u t ô t u n e œ u v r e e n g a g é e , qui e n t e n d bien dire son m o t d a n s les c o n f r o n t a t i o n s a u milieu desquelles elle n a î t . A v a n t nombre de questions. Sâlih jouait ainsi les intermédiaires entre le fondateur de l'école et ce Hurâsân si essentiel dans l'histoire de la diffusion des doctrines hanbalites (cf. Laoust, op. cit., p. X I I I , X V I I , X X V I I ) : l'indication, si elle est authentique, prouverait que Sâlih aurait été nommé à Ispahan avant 241 /855 (date de la mort d'Ibn Hanbal), et par conséquent qu'il y résida au moins vingt-cinq ans : on peut juger par là de son rôle dans l'implantation du hanbalisme en cette ville. Sur les rarraorts entre le hanbalisme et le sufisme de l'école de Sufyàn at-T 3 ""'". citée plus haut, p. 194, note 7, cf. Laoust, op. cil., p. L X . Al.\mad b. yanhnl (mort. 241 /8R.r>) Sâlilj b. Ahmad (mort 260/880) •Jbràhïm b. Sa'dân al-îslahân ï Abu Hafs 'Umar alIsfahani Abu Ya'qûb Ishàq al-Isfahûni

'Abd Allah b. Ahmad (morl à Bagdad en 290/903) Abu 1-Qâsim alrBagawï Muhammad b. da'far al-tJarâ'itï Yabyâ b. Sâ'id 'Ab, et ce n'est certes pas par hasard que le livre s'ouvre en forme de plaidoyer pour l'interprétation personnelle (igtihâd), le libre débat (munâzara) et la controverse ( m u ' â r a d a ) . 4 Cette liberté de ton et le caractère critique de la méthode suivie laisseraient croire, comme pour Mas'ûdî 6 , à des prises de position peu orthodoxes. Mais, ici encore, Maqdisï échappe aux classements rigides : on pourrait croire, certes, son Islam assez tiède si l'on constate que la liberté de pensée qu'il revendique est mise au service d'une connaissance approfondie des doctrines et des religions étrangères mieux m ê m e : qu'il est soucieux de démontrer la valeur de celles-ci et, par des rapprochements évidents entre elles et l'Islam, d'atténuer les divergences' : « N o u s concilions, dit-il, les croyances musulmanes et les idées des anciens» 8 , mais il a j o u t e aussitôt : 1. Compte t e n u de l'érudition d e Maqdisï et de la célébrité de l'œuvre de Mas'ûdî, du v i v a n t m ê m e de son auteur, c o m m e on l'a v u , on p e u t penser que cette dernière a é t é mise à contribution : voir n o t a m m e n t , a v e c leur annotation, les passages s u i v a n t s de la Création : t. I, p. 130, 158, 193; t. II, p. 41, 43, 59, 87, 134 sq., 155 ; t. III, p. 7, 9 , 28, 31, 32, 35, 58, etc. 2. Cf. par e x e m p l e t. IV, p. 58-59 (données sur l'Inde différant de celles de la Relation et des Merveilles ; comparer a v e c p. 58, début : donnée traditionnelle sur la Corée : cf. Prairies § 382), 62 (sur les R u s s e s ) . 3. Procédé c o n s t a n t pour lequel on se contentera de deux e x e m p l e s illustrant le passage d u t h è m e à ses variations : t. I I I , p. 6 4 (sur la source d'Ismaël) et, plus généralement, ibid., p. 39-79 (histoire critique de divers prophètes). 4. Cf. t. I, p. 29-31. 5. Cf. p. 207, n o t e 3. 6. Plus que les nombreuses références à la pensée étrangère (cf. i n d e x des t. I-V de la Création), c'est leur valeur qui nous importe ici : or, la Création t é m o i g n e d'une réelle, directe et profonde connaissance de c e t t e pensée, c o n n u e dans ses œ u v r e s m ê m e s ou leurs traductions : cf. par e x e m p l e t. I, p. 20-21 (Aristote) ; t. I , p . 126-129 (Plutarque) ; t. III, p. 118-119 (littérature iranienne) ; t. I, p. 134-135 ; t. V , p. 31, 32-35 (pensée j u i v e e t chrétienne). 7. Cf. t. IV, p. 20 sq. (Sabéens), 26-28 (Mazdéens), 32-40 (Juifs), 44 i. f . - 4 6 (Chrétiens). 8. T. II, p. 3 3 ; m ê m e idée t. II, p . 20, 30 (à propos de théories sur l'origine d e la pluie : i T o u t cela e s t possible e t admissible ; nous n'y v o y o n s rien qui réfute le Coran ou soit de nature à anéantir la religion >).

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« tant que nous ne trouvons pas de texte péremptoire dans notre livre sacré ou de tradition authentique de notre Prophète. Mais lorsque nous rencontrons un texte ou une tradition contraire à l'avis des anciens, celui-ci est par 1 nous rejeté avec dédain et considéré comme à éviter ». La recherche, donc, se tempère à la certitude de la foi : musulman éclairé, peut-être, mais musulman convaincu, Maqdisï apparaît comme refusant ce qu'on pourrait appeler l'aventure scientiste et intransigeant sur les points vitaux du dogme islamique : les condamnations les plus explicites de la Création visent le dualisme et l'anthropomorphisme, l'Islam étant présenté comme l'essence même de la vérité religieuse et de la croyance au Dieu unique. 9 Mais quel Islam ? Les sympathies de Maqdisï sont, à première vue, difficiles à saisir : on dirait, certes, qu'il a un penchant au sî'isme, s'il ne manifestait pas son horreur, ici comme toujours, des extrémistes et beaucoup d'indulgence pour ceux qui, finalement, sont les moins éloignés de l'orthodoxie, je veux dire les Zaydites. 3 De la même façon, on le taxerait 1. L e t e x t e de la t r a d u c t i o n dit : p o u r . 2. L e t o n d e v i e n t violent lorsqu'il s'agit de c r i t i q u e r les théories sur l ' é t e r n i t é d u m o n d e ou d u t e m p s , ou sur le bien et le mal c o n ç u s c o m m e êtres en-soi : cf. t . I, p. 82-84, 1 0 8 - 1 1 7 , 1 2 3 (critique de la cinquième essence) ; t . I I , p. 65,126-127. T o u t e s ces critiques sont r é s u m é e s à t . I I , p. 88 (« q u e l q u e s - u n s de ces n o v a t e u r s qui se d é r o b e n t sous le voile de l'islamisme e x p l i q u e n t c e t t e légende d ' u n e m a n i è r e qui c o n d u i t à l'hérésie»). D ' o ù les a c c u s a t i o n s portées c o n t r e les Mazdéens (t. I, p . 80-81) et les Chrétiens (t. I I , p. 35, 47 ; t. IV, p. 43-44 ; t . V, p. 32-35). A l'opposé, cf. t . V, p. 31 ( M u l j a m m a d p r é d i t p a r l ' É v a n g i l e : allusions précises à J e a n X I V , 16-17, 26 ; X V I , 7) ; t . I I , p. 203 (credo du déisme m u s u l m a n : « la base de la religion de t o u t h o m m e religieux sur la t e r r e est de croire » q u e Dieu est c r é a t e u r , q u ' i l est bon et qu'il j u g e r a les h o m m e s a p r è s leur m o r t ) . A u t o t a l , d o n c , large i n t é r ê t p o u r les religions e n t a n t qu'elles p r o c l a m e n t ces principes, et d é f i a n c e envers elles d a n s la mesure où elles s ' e n éloignent. 3. L a curiosité ou la s y m p a t h i e p o u r les Si'ites sont perceptibles, e n t r e a u t r e s passages, à t. I, p. 140 ; t . V, p. 2 i. f., 74 sq., 130-141 ( p a r e u x c o m m e n c e l'exposé des diverses sectes ou écoles), 240-243 (califat de H a s a n b. 'Ali) ; t . V I , p. 51-52, 53-54, 76-78, 84-86, 98, 107-108, 122 (révoltes et m a r t y r o l o g e Si'ites). H u a r t (t. V, p. VI) estime que Maqdisï réserve a u x Si'ites, d a n s son histoire, la m ê m e place q u e Y a ' q û b ï ou Mas'ûdï. J e n ' e n suis pas si s û r : les références s o n t é v i d e m m e n t n o m b r e u s e s , c o m m e on v i e n t de le voir, et le t i t r e de calife est r e f u s é a u x U m a y y a d e s ( w i l â y a , dit-on à p r o p o s de leur g o u v e r n e m e n t [t. V I , p. 1 (1) sç.], e t Yazïd b. M u ' â w i y a e s t e x p r e s s é m e n t m a u d i t : t . V I , p. 9 [8]. E n r e v a n c h e , les c r i t i q u e s ou les éloges p o r t é s sur les califes a b b a s s i d e s [exemples t. V I , p. 90 (contre a l - M a n s û r ) / 9 4 - 9 5 ( p o u r al-Mahdî), 99 (pour H â r u n ar-Ra5ïd), 110 (pour al-Ma'niûn)] ne c o m p r o m e t t e n t ni ne Justifient leur q u a l i t é de califes, r e c o n n u e une fois p o u r t o u t e s : t . VI, p. 57 [56] sq.). Mais le sens critique, t o u j o u r s en éveil, de Maqdisï ô t e à b e a u c o u p de p a s s a g e s la valeur p a r é n é t i q u e qu'ils d e v r a i e n t r e v ê t i r sous la plume d ' u n Si'ite c o n v a i n c u : t . V, p. 199 (« il e s t assez sot », dit ' U m a r à p r o p o s de 'Alï ; a f f i r m a t i o n i m m é d i a t e m e n t corrigée p a r u n e glose é m a n a n t d ' u n lecteur Sï'ite o u t r é : cf. la n o t e 1 de H u a r t , loc. cit. ; si s y m p a t h i e Si'ite il y a, elle cède d o n c le pas, p o u r Maqdisï, à l ' a u t h e n t i c i t é d u had.lt), 202 ( b é n é d i c t i o n Si'ite d ' A b u L u ' l u ' a , m e u r t r i e r de ' U m a r : simple m e n t i o n , sans d o u t e inspirée d ' u n souci d ' e x h a u s t i v i t é q u a n t a u x t r a d i t i o n s relatives à c e t t e m o r t ) ; t . V I , p. 10-13 ( m a r t y r e de H u s a y n , m a i s [p. 13] : « rien q u e dans ce que n o u s a v o n s exposé, il y a encore des

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de mu'tazilisme s'il ne se défiait ouvertement d'un empire exclusif de la raison en matière religieuse et s'il ne recourait pas, pour l'eschatologie par exemple, a u x données d'une orthodoxie très stricte \ dont il refuse en retour les outrances, comme il refuse, au total, toutes celles de la pensée de son t e m p s . 2 On le tiendrait donc volontiers pour un ennemi des systèmes : éclairé, certes, mais ferme en sa foi et, en fin de compte, moins rationaliste que raisonnable : pour tout dire, un sage. Maqdisï en effet ne sépare pas la quête de la vérité de celle du bonheur. Vérité, d'abord : peu d'œuvres portent alors, comme celle-ci, d'entrée de jeu une condamnation aussi radicale d'un savoir tout fait, utilitaire et ampoulé tel qu'il s'incarne, nous le savons désormais, dans l'adab en cette fin du i v e / x e siècle : après avoir critiqué « les gens à hauts bonnets» 3 , les habitués des réunions mondaines, qui ne recherchent le savoir ni pour Dieu éléments suspects n o m b r e u x , car certaines personnes n i e n t q u e Yazïd ait d o n n é l'ordre de m e t t r e H u s a y n à m o r t , ou qu'il y ait consenti), 28-29 (réserves sur les t r a d i t i o n s Sï'ites considérant al-Haggâg c o m m e u n fléau de Dieu). Ces j u g e m e n t s objectifs p o r t é s p a r Maqdisï sur le Sï'isme concordent a v e c t . V, p. 130-131, où les Sî'ites sont classés en trois groupes : les justes, qui p o r t e n t à 'Alï respect et affection, les moins justes, qui se laissent aller à l'invective contre ' U t m à n , et les outranciers i n s u p p o r t a b l e s , à savoir les S e p t i m a m i e n s (Sab'iyya), q u i divinisent 'Alï. D ' o ù l'éloge de la m o d é r a t i o n z a y d i t e (t. V, p . 140) e t la c o n d a m n a t i o n p é r e m p t o i r e des B â t i n i y y a (iiid., p. 140-141). 1. Sa connaissance de la pensée m u ' t a z i l i t e et la s y m p a t h i e qu'il n o u r r i t p o u r elle c o m m e p o u r la dialectique m u ' t a z i l i t e s o n t évidentes : cf. t . I, p. 88, 89, 91, 96-98 ; t. I I I , p. 133 (ce dernier p o i n t sur le miracle c o m m e signe de la p r o p h é t i e , ce qui est aussi la position de Maqdisï : t . I I I , p. 146) ; t. V, p. 149-152. Toutefois, l ' i n t e r p r é t a t i o n p u r e m e n t symboliste, chère à certains Mu'tazilites, des données de l'eschatologie m u s u l m a n e , est refusée au profit des thèses plus p r u d e n t e s de l'orthodoxie ou, d u moins, mise en balance a v e c elles : cf. t. I, 153-156, 189, 192-193 ( c o n f r o n t a t i o n d e s d e u x écoles à propos d u « p o n t » [as-sirâlJ et de la balance | a l - m i z â n ] : c o m p a r e r t o u t e s ces données avec L a o u s t , Ibn Balla, p. 95-100 [et leurs notes]). A u t o t a l , donc, g o û t du r a tionalisme, mais défiance p o u r les excès de ce rationalisme : cf. t. I I I , p. 46, 116 (contre le r e f u s de certains rationalistes de croire a u x miracles : c o m p a r e r avec t . I I I , p. 146, cité ci-dessus). 2. De l'orthodoxie, il refuse les t r a d i t i o n s a b r a c a d a b r a n t e s (exemple t. I I , p. 89, à p r o p o s du gigantisme d ' A d a m ) . Même défiance p o u r les outrances des {Jâriëites (t. V. p. 141-147), des Sùfîs (t. V, p. 147-149 : voir n o t a m m e n t le refus de croire c o m m e c o m m e eux à la possibilité de l'union m y s t i q u e ; t. V, p. 156 : contre leur f a n t a i s i e i m a g i n a t i v e et leur laxisme), des Murgi'ites (t. V, p. 152-154 : ici encore, c o n d a m n a t i o n des outrances), des K a r r â m i t e s (t. V, p. 153 : c o n d a m n a t i o n de leur assimilation de la foi à une simple parole), des Mugabbirites (t. V, p. 154-156 : c o n d a m n é s dans la poésie de la p. 156), des R â w e n d i t e s (qui divinisent al-Mançur : t. V I , p. 83), d'alM u q a n n a ' (t. V I , p. 96), de B â b e k ( m a u d i t à t . VI, p. 115 [118]), etc. D a n s le m ê m e esprit, c o n d a m n a t i o n des fables colportées p a r les c o n t e u r s (qussâs : t. II, p . 47) et r e f u s des « singularités » (t. I I I , p. 129) ; à l'opposé de ces incertitudes, rappel des bases nécessaires : les obligations canoniques : t. V, p. 47-58. 3 . L a qalansuwa, indice de h a u t s personnages : c f . Sourdel, Viziral, p. 688, et W . B j ô r k m a n , d a n s El, t . II, p. 718. J e modifie légèrement la t r a d u c t i o n de H u a r t , t. I , p. 4-5 (3-4 et 5-6).

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Géographie

humaine

du monde

musulman

ni pour eux-mêmes, mais « pour se montrer au premier rang », Madqisï déclare : « J ' a i fait un livre ni trop élevé.^ni par trop insuffisant, auquel j'ai du moins épargné les fioritures coupables, les balivernes de lavandières, les racontars de vieilles femmes, les affabulations de conteurs et les récits apocryphes de traditionnistes suspects». La recherche de la vérité, on l'a vu, est plus modeste et plus exigeante tout à la fois : réservant les droits de l'intervention divine dans les phénomènes, elle a, en revanche, les pouvoirs d'explorer tout ce qui lui est ainsi permis. Certes, ici encore, on ne débouche pas sur un humanisme, au sens moderne du mot, et les clés du savoir suprême, comme celles de la morale restent en définitive entre les mains de Dieu. Mais du moins l'essai est-il loyalement tenté déconsidérer, audelà des pays et des époques, la science comme un tout et comme un effort continu des hommes. Si l'on réconcilie ainsi, sur les problèmes fondamentaux de la création, Plutarque et le Coran, Démocrite et la tradition arabe 9 , ce n'est pas toutefois au simple plan d'une recherche qui motiverait, comme chez d'autres auteurs, le double appel à la pensée grecque, en tant que stimulant de ladite recherche, et à la tradition arabe conçue comme complément obligé et paravent commode de la première. Une inquiétude plus profonde, métaphysique pour tout dire, anime Maqdisï. Héritier fidèle, en cela, de l'exemple grec, il fait de son œuvre, comme Gâbiz avant lui, la quête du salut autant que du savoir : ce souci de ramener toutes les religions à une même certitude s , de faire la somme de toutes les civilisations possibles, de toutes les réflexions accumulées sur les mystères de l'au-delà, cet appétit porté à la connaissance des secrets de la vie et de l'âme 4 , témoignent ici, autant que du savoir d'une société et d'une époque, de l'intensité d'une aventure tout intérieure et personnelle : d'où, même au travers des citations, les accents lyriques de la méditation sur la mort et sur l'espérance, qui constitue un des sommets de l'œuvre : « Parmi les anciens, il en est qui affirment que la création est acte de grâce, de générosité et de bienveillance, et donc que Celui qui est la grâce et l'excellence suprêmes n'a pas à manifester sa bonté à tout moment ; qu'aussi bien, lorsqu'il aura fait disparaître ce monde, il en créera un nouveau... Mais d'autres reportent la création dans la vie future, en sorte que chaque jour voit se lever une résurrection et commencer un monde nouveau. D'autres 1. Cf. t. IV, p. 2-3 : les athées et les matérialistes ne sauraient avoir de puisqu'ils en nient la source, qui est Dieu. 2. Cf. t. II, p. 44-45 ; même syncrétisme, t. II, p. 90-122 : traditions diverses sur l'âme et la vie. 3. Cf. supra, p. 213, note 8. 4. Sur les 22 chapitres de l'œuvre, 10 au total (I-VI, V I I I - X et X I I ) sont à travers l'Islam ou les autres religions, à ces problèmes : fondement de la preuves de l'existence de Dieu, de ses modes, de la prophétie, eschatologie, sur l'âme et sur le monde.

principes, d'origines

consacrés, certitude, réflexions

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enfin invoquent les mots attribués à Mugira b. Su'ba, selon qui toute m o r t voit se lever une résurrection » C'est dire, au total, dans quel contexte s'inscrivent les données géographiques de la Création. Leur exposé est conçu dans le cadre plus vaste de la recherche métaphysique que l'on vient d'évoquer, la connaissance des phénomènes de l'univers et de la terre répondant chaque fois à la double question : est-ce licite au regard de Dieu ? est-ce utile à sa connaissance ? On ne s'étonnera donc pas que les développements sur les phénomènes météorologiques, les mers ou les dimensions de la terre soient inséparables de leurs prolongements dialectiques, par lesquels Maqdisî s'efforce de répondre à ces deux questions. 3 On en pourrait, du reste, dire a u t a n t de l'histoire, laquelle est conçue comme un ensemble de faits retenus pour leur signification, et dont l'enchaînement ou la localisation dans le temps, soucis m a j e u r s de l'historien, apparaissent ici comme tout à fait secondaires. 3 L'histoire, comme la géographie, se plie a u x exigences d'une encyclopédie qui trouve dans la constance de son propos philosophique une rigueur et une unité décidément très fortes. Dès lors, l'inventaire des thèmes géographiques de la Création doit logiquement nous livrer ce qui, dans la conscience d'un musulman du i v e / x e siècle, est ressenti comme connaissance fondamentale pour la recherche qu'on a dite. Or, cet inventaire se résume aux données traditionnelles de la sûra, aux informations classiques sur le monde extérieur à l'Islam et, enfin, à un tableau général des provinces de ce même Islam, le t o u t conçu dans l'optique du temps, qui fait fixer, par le Créateur, le centre du monde à l'Arabie et à l'ancienne Médie * ; au total, on le voit, les thèmes auxquels la culture d'alors, par la voie de Yadab, réduit la géographie. L'originalité de la Création tient donc, en dernière analyse, à l'esprit dans lequel ce donné est repensé ; mais l'intervention d'une méditation philosophique et personnelle ne remet pas en cause les cadres mêmes du système culturel à l'intérieur duquel elle s'exerce. 1. T. II, p. 198-199 (236) : traduction de Huart modifiée. Sur al-Mugïra, cf. H. Lammens, dans El, t. III, p. 683. Les thèmes développés ici ne sont du reste pas sans rapport avec la gnose : cf. T. J. de Bœr, « Ikhwàn aç-Çafâ' », dans El, t. II, p. 488. 2. Cf. t. II, p. 24-35, 37-49 ; t. IV, p. 53, i. f.-54 (1. 1-4) ; opinion sur la licéité de la science expressément formulée à t. IV, p. 22. 3. A preuve l'extrême rareté des dates données. 4. Ce qui explique que le seul itinéraire détaillé soit celui qui joint l'Irak à l'Arabie : t. IV, p. 85-86 (les deux centres du monde étant définis à t. IV, p. 51, 77, 92-93). Les données indiquées sont groupées au chap. X I I I (t. IV, p. 47 sq.) de l'œuvre. Si l'on y ajoute les quelques renseignements du chap. V I I (t. II, p. 1 sq.), sur l'univers et les phénomènes naturels, on voit que cette « géographie » n'occupe, avec deux chapitres sur u n total de vingt-deux, qu'une place réduite dans l'œuvre. Quant à l'originalité de quelques passages (signalée supra, p. 213, note 2), elle ne met pas en cause la thématique d'ensemble.

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Géographie humaine du monde

L'encyclopédie

musulman

des « Frères de la Sincérité » (Ihwân as-safâ')

On s'attardera moins sur une autre encyclopédie, celle des Ihwân as-safâ' ou « Frères de la Sincérité », au demeurant beaucoup plus connue. Rédigée en forme d'essais (rasa'il), elle émane d'une confrérie de Basra, dont l'activité se situe au i v e / x e siècle de J.-C. 1 Les tendances gnostiques et isma A liennes s'affirment ici pleinement, dans les principes comme dant, leurs conséquences philosophiques. 2 Pour ce qui touche, en particulier, aux problèmes de la connaissance, le système des Ihwân est tout entier ramené à la primauté, chronologique et principielle, du monde spirituel sur le monde sublunaire. D'où les propriétés de l'investigation scientifique, définie comme fondamentale, exhaustive et rationnelle. Fondamentale, d'abord : allant au-delà du débat traditionnel sur la licéité de la connaissance, les Ihwân posent la recherche comme noble en soi, la marque de l'homme étant de réfléchir sur les causes et les conditions du monde où sa nature corporelle le jette, pour entrevoir, à travers cette réflexion, les principes suprêmes qui lui seront révélés seulement après sa mort, dans la pure unité de l'esprit ; la science, exercice de l'esprit, est donc l'antichambre de son « royaume». 8 1. Cf. Massignon, d a n s Der Islam, t. IV, 1913, p. 3 2 4 ; L a o u s t , Ibn Batta, p. L I V ; e t K r a t c h k o v s k y , p. 230 (227), d'où il ressort qu'il f a u t distinguer entre la d a t e d ' a p p a rition de ces textes (ou, si l'on préfère, de leur passage de la confrérie à u n p u b l ' ° plus v a s t e ) et celle de leur rédaction. Si la première est fixée a u x années 950-98 r ,-C. (ce q u i justifie la place q u ' o n leur assigne ici, dans une r e v u e chronologique ties encyclopédies), la première doit être assez l a r g e m e n t antérieure et se situer vers les années 900-920. Sur les diverses tendances philosophiques des Ihwàn, cf. les t r a v a u x d ' Y . Marq u e t (avec bibliographie), n o t a m m e n t dans R E I , X X X , 1962, p. 71, note 27, p. 139, ilote 97. dans El (2), t. I I I , p. 1098-1103, et dans Arabica (cité note suivante, i.f.). 2. E t p e u t - ê t r e aussi sociales, encore qu'il soit difficile d'apprécier, c o m p t e t e n u d u c a r a c t è r e secret de la confrérie, la réalité de leur influence dans le siècle ; mais l'existence d ' u n esprit corporatiste chez les //juiûn est indéniable, et il t r o u v e , d a n s l'histoire sociale de Basra et le souvenir des m o u v e m e n t s zang ou q a r m a t e (cf. Massig n o n , art. « K a r m a t e s » et «sinf», dans El, t. II, p. 8 1 7 ; t. IV, p. 455), des a n t é c é d e n t s évidents. Ce corporatisme s ' e x p r i m e : 1° p a r l'apologie du métier (sind'a) : t. I, p. 287 ; 2 ° p a r le parallélisme strict établi entre activités intellectuelle e t manuelle : t. I, p. 284 (classement des activités techniques prolongeant celui des sciences, donné à t. I, p. 266 sq. ; les sinâ'âl o n t , comme les sciences, leurs principes de base [agriculture, tissage et construction], sans lesquels a u c u n e activité h u m a i n e , même intellectuelle, n ' e s t possible) ; cf. également t. I, p. 286 (le métier est, c o m m e toutes les activités, une inspiration) ; 3° p a r l'assimilation de t o u t e activité h u m a i n e , même intellectuelle, à une technique (sinâ'a) : t. I, p. 282-283 (classement de ces activités selon le genre et le n o m b r e des outils employés, les activités intellectuelles se c a r a c t é r i s a n t p a r l ' e m p l o i d ' u n outil interne ou organe, la langue, les activités manuelles p a r l'emploi d ' u n outil e x t e r n e ) ; m ê m e conception à t. I, p. 427, où la logique (maniiq) est définie c o m m e l'outil du philosophe. Autres t e n d a n c e s sociales des Ihwân indiquées plus bas, p. 220. Cf. aussi Y. M a r q u e t , « La place du travail dans la hiérarchie ismaélienne... », d a n s Arabica, V I I I , 1961, p. 225-237. 3. Cf. t. I, p. 167-169 et passim.

La géographie sans les géographes

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La géographie, désignée ici sous son nom grec (gugrâfiyâ), est ainsi validée à u n double t i t r e : en t a n t qu'exigence intellectuelle, comme connaissance des conditions concrètes de notre ^-ésence sur la terre, et en t a n t que prélude à la méditation sur les '•stres. Elle s'intègre ainsi à une connaissance e x h a u s t i v e 2 du monde sublunaire. Mais pas à n ' i m p o r t e quel niveau : car la réflexion sur le monde, si elle est totale, doit naturellement retrouver cet ordre fondamental dont le monde, en sa totalité même, offre précisément la preuve. Où se place donc la gugrâfiyâ des Ihwân ? Avec les sciences fondamentales, c'est-à-dire m a t h é m a t i ques, exactement après l'arithmétique, la géométrie et l'astronomie, et a v a n t la musique, donc avec t o u t e s celles qui donnent les lois des nombres, des rapports, de l'ordre, en u n mot, a u sens grec du terme : de l'harmonie. ' On ne s'étonnera donc pas, compte tenu des modalités de l'investigation scientifique ainsi définie, que, dans son sens strict, la géographie présentée ici 4 soit en définitive réduite non pas même à la sûra, mais à son a r m a t u r e essentielle, et soucieuse d'en tirer a r g u m e n t beaucoup plus que d'en exposer les données. D ' u n e part, en effet, elle vise, a v a n t toute chose, à fixer la place et le rôle de la terre au sein de la contruction universelle et, d ' a u t r e p a r t , lorsqu'elle consent à descendre de la cosmographie à la géodésie, de l ' é t u d e de la terre dans ses rapports avec les astres à celle de la terre en elle-même, c'est, encore et seulement, pour illustrer le même principe f o n d a m e n t a l d'harmonie : les mers, les lacs, les fleuves, les montagnes et m ê m e les villes n'interviennent pas sous leurs noms concrets 6, mais sous la forme de r a p p o r t s numériques t e n d a n t à prouver, parallèlement à 1. Cf. t. I, p. 1 5 8 - 1 5 9 ; c e t t e m é d i t a t i o n ne d é v o i l e du r e s t e rien du m y s t è r e (i?, désormais enfermé dans un rôle figé, comme sujet ou origine des histoires les plus diverses et de toutes les affirmations possibles : cf. Tanûbï, p. 82-83 ; Wa55â', p. 37, 94 sq., 114, 257, 279 ; sur l'importance de Gâhi? chez Ta'âlibï, c f . plus loin. 3. L'immensité du 'Iqd al-farid se réduit, en fait, à ces trois composantes : sur l'éthique (éthique des rois, esprit dans lequel mener les guerres, étiquette, codes divers : conversation, table, éducation, amour, argent, etc.), cf. t. I, II et III, p. 1-62 ; sur les traditions profanes (proverbes, exhortations, consolationes, généalogies, mérites des Arabes, correspondances, discours, actes administratifs célèbres, conseils, histoire de l'Arabie et de l'Islam, histoire de la littérature et de la chanson, récits relatifs a u x traits de moeurs : femmes, faux prophètes, avares, etc.), cf. t. III, p. 63-498 ; IV ; V ; V I , p. 3-218, 382-475 ; sur les sciences (biologie, zoologie, géographie, médecine et hygiène, alimentation), cf. t. VI, p. 218-382.

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p e r m e t d'assurer à l'œuvre une apparence d ' u n i t é 1 : toutefois, la forme antithétique ainsi revêtue par une présentation des thèmes qui se t r o u v e recouper la vieille distinction entre bien et mal, t o u t comme la fréquence des passages en forme de contes 2 , rapprochent déjà Tanûhï de la seconde t e n d a n c e : celle des auteurs qui se proposent essentiellement de moraliser à partir de thèmes connus. Cet adab normatif est représenté par B a y h a q ï (vers 295-320/908-932), lequel reste p o u r t a n t encore, sur plus d ' u n point, tributaire aussi de la tendance précédemment définie 3, et surtout p a r alWa§§â', mort vers 324/936, dont l'œuvre, extraordinairement précieuse pour l'histoire des mœurs, est t o u t entière consacrée et a u x principes généraux du savoir-vivre et à leur application particulière à tel ou tel cas concret, sous le triple patronage du zarf (élégance), de la muruwwa (virtus) et, précisément, de Y adab (culture et savoir-vivre). Enfin, certains auteurs, plus portés à la spéculation pure, entreprennent de bâtir, sur les thèmes qui leur sont donnés par la culture de leur siècle, une série de développements dont l'abstraction est la m a r q u e dominante : tel est le cas n o t a m m e n t de Tawljïdï et Miskawayh 4 , dont les œuvres s'efforcent de répondre, avec les m a t é r i a u x du temps, à quelques inquiétudes fondamentales : l'âme, les sentiments, le possible, le destin, la m o r t , la connaissance. Si originale et personnelle que soit cette dernière démarche, menée à partir des thèmes de Yadab, mais les utilisant à une recherche philosophique elle risque fort, p o u r t a n t , comme les deux autres tendances de Yadab des polygraphes, de rester m a r g i n a l e p o u r l e sujet qui nous occupe. D ' a b o r d , en effet, t o u t e géographie, humaine ou non, se définit, dans l'ensemble de cette littérature et à l'égal de tous les autres thèmes abordés, comme un prétexte à la spéculation abstraite ou à l'énoncé de maximes, selon les t e m p é r a m e n t s que l'on vient de passer en revue 6 : philosophie et éthique 1. Tous les thèmes (historiques, littéraires ou autres) étant présentés, dans l'esprit général ainsi défini, sous la forme de couples antithétiques : péril-salut, prison-liberté, passion-calme reconquis, etc. Mais les données elles-mêmes puisent à un fonds inchangé : traditions sur l'histoire biblique et celle de l'Islam, éthique, médecine, etc. 2. Cf. le tailleur et le calife (p. 218-221) ; l'homme, l'esclave et les brigands (p. 269271) ; l'homme échappant au lion (p. 290-291) ; l'homme, la femme et le singe (p. 294295) ; les fauves qui se vengent de la mort d'un lionceau (p. 297), etc. 3. Moins que dans les thèmes, qui sont ceux qu'on a déjà indiqués, c'est dans leur formulation que Bayhaqï se montre normatif, ainsi que le suggère d'ailleurs le titre de son œuvre : « qualités et défauts », « avantages et inconvénients » (al-mahâsin wa lmasâwi'), les divers thèmes abordés ne l'étant pas en tant que thèmes de connaissances ou de recherches, mais en t a n t qu'occasion de ces sentences, dictons et apophtegmes qui relèvent du fonds, désormais traditionnel, de l'éthique arabo-musulmane d'alors. 4. Ce dernier considérant toutefois l'éthique comme le couronnement de cette réflexion : c f . M. Arkoun, « D e u x épltres de Miskawayh», dans BEO, X V I I , 1962, p. 8. 5. Point de vue souligné par M. Arkoun, op. cit., p. 14, 17. 6. Dont il n'est pas besoin de souligner qu'ils interfèrent, les trois tendances indiquées n'étant que des dominantes. Citons, comme exemple de cette utilisation des thèmes dans l'esprit signalé : WaSSâ', p. 169 : thème indien (érémitisme) pour illustrer

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en voie d'islamisation définitive, la très f o r t e m a r q u e de la religion m u s u l m a n e d o n n a n t à t o u t e s ces œuvres, au-delà des variations personnelles, u n e incontestable u n i t é . 1 Ensuite, lorsque les a u t e u r s p a r v i e n n e n t à la f o r m u lation concrète de certains thèmes susceptibles d'intéresser notre propos, ceux-ci sont t o u j o u r s a t t a q u é s , selon un esprit que nous connaissons bien, sous l'angle des raretés (nawâdir), pa* quoi l'adab m a r q u e un de ses g o û t s f o n d a m e n t a u x . 2 E n f i n , q u a n d la géographie elle-même paraît devoir, le théine de l'amour-sorcicr, dont il importe de se défaire; de même, réapparition en force des thèmes du Kalila wa Dimna (designé par « un livre indien») chez Ibn 'Abd Rabbih (t. I, p. 10, 43, etc.) ; considérations sur l'art de bâtir réduites à des aphorismes (ibid., t. VI, p. 2 2 3 ) ; de même pour l'alimentation et l'hygiène (siyâsat al-abdân) : ibid., t. VI, p. 290-382, etc. ; éthique des rois à travers l'histoire d'Alexandre et du roi de Chine (Tanubî, p. 201-202). Pour les considérations philosophiques, cf. Tawhïdî, Muqâbasâl, p. 122-123, 207-209 : sur les mérites et l'essence (mais non les thèmes) de l'astronomie ; même abstraction pour les considérations sur les faits biologiques ou psychologiques ( I m t â ' , t. I, p. 153-155), pour la philosophie de la iu'ûbiyya (fait significatif : le géographe ô a y h â n î n'est cité qu'à titre de défenseur du nationalisme iranien : ibid., t. I, p. 78-79) ; réduction des données zoologiques, botaniques et minéralogiques a u x considérations philosophiques sur l'âme et ses modes, le corps, l'instinct, la vie, la fixité ou l'évolution : ibid., t. II, p. 42, 104 sq. ; t. III, p. 101, 123, 136, 141, etc, ; pour Miskawayh, cf., à titre d'exemple, le traitement philosophique des thèmes de la psychologie et de la médecine : Tahdib, p. 7 sq. ; de même, considérations très générales pour le thème, par ailleurs si riche pour la géographie humaine (cf. supra, p. 220, notes 4, 5), de la coopération humaine et de la répartition des tâches dans une société : Tahdib, p. 1 8 ; spéculation aussi sur les trois règnes de la nature : ibid., p. 1 4 ; réflexions sur l'instinct : ibid., p. 7 3 ; sur la concordance entre «climats» et caractères humains :

ibid., p. 74. On notera, à propos de l'Extrême-Orient (voir, pour la Chine, une autre référence à la note ci-après), que celui-ci a donc quitté le domaine de l'observation sensible pour devenir simple sujet de la littérature d'agrément : sur ce problème, cf. chap. IV, p. 123 sq. 1. On a évoqué plus haut (chap. I, p. 19-20) le problème de l'élaboration d'une éthique proprement musulmane. C'est un fait que les souvenirs étrangers se font, à travers les œuvres des polygraphes de l'adab, de plus en plus lointains et conventionnels, l'écrasante majorité des exemples choisis ressortissant désormais à une histoire spécifiquement islamique : al-WaSSà' ne cite guère, hors de l'Islam, et seulement à l'occasion d'apophtegmes, que Salomon (p. 21, 24, 27), les classiques quatre rois du monde (Chosroès, César, rois de la Chine et de l'Inde : p. 18) et Jésus (p. 15); chez Ibn 'Abd Rabbih domine de même l'adab arabe ou arabisé mis à la mode par Ibn Qutayba dans ses ' Uyûn al-afcbâr (cf. les personnages conventionnels, sources de dictons et de sentences, que sont ArdaSïr, Pervïz, Aristote, etc.) ; pour citer davantage les maîtres grecs (cf. par exemple Imtâ', t. II, p. 35-37), Tawljidï ne les englobe pas moins dans une philosophie dont l'inspiration, même si elle a été vivement attaquée de son temps, demeure pourt a n t marquée par la société musulmane (cf. Margoliouth, dans El, t. I, p. 91) ; Miskawayh enfin, quoique plus profondément nourri de la pensée grecque, la pose néanmoins comme désormais connue et son œuvre s'intègre pleinement à la pensée et à l'éthique de son temps, le but poursuivi étant l'intégration de concepts grecs dans des modes de pensée islamiques (cf. R. Walzer, « akhlàk, » dans El [2], t. I, p. 335, 338, et M. Arkoun, op. cit., p. 14, 15 [1. 17-18], 16 [1. 4-11]). 2. Les observations de Kratchovsky, p. 243 (236), relatives à Tanubî, pourraient être appliquées à d'autres auteurs. Il peut exister, certes, dans ces œuvres, non seulement,

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g l o b a l e m e n t , r é c l a m e r e t t r o u v e r s a p l a c e a u sein d e ces a n t h o l o g i e s , elle ne laisse p a s de décevoir t r è s v i t e nos espérances. Car on p o u r r a i t , a p r è s t o u t , p r é t e n d r e a p r i o r i t r o u v e r ici, s o u s le t h è m e d e s m é r i t e s r e s p e c t i f s d e s p a y s u n e sorte de p a n o r a m a des connaissances obligées en m a t i è r e de géograp h i e : e t d e f a i t , la g é o g r a p h i e d ' I b n ' A b d R a b b i h f a i t p l a c e a u x d o n n é e s t r a d i t i o n n e l l e s s u r les m e s u r e s d e la t e r r e , la r é p a r t i t i o n d e s g r o u p e s h u m a i n s , le r é g i o n s c e n t r a l e s ( A r a b i e , I r a k , p l a t e a u i r a n i e n ) , les p r o v i n c e s e t e n f i n les i i e u x s a i n t s . 2 M a l h e u r e u s e m e n t , ce s y s t è m e g é o g r a p h i q u e , t e l q u ' i l e x i s t a i t p a r e x e m p l e c h e z u n I b n a l - F a q ï h , l e q u e l le c o n s t i t u a i t , o n l'a vu, par référence à un principe topographique soigneusement respecté, é c l a t e ici s o u s l ' e f f e t d e la r e c h e r c h e s y s t é m a t i q u e d e s nawâdir et d u désir d e v a r i e r à t o u t p r i x la p r é s e n t a t i o n d u d o n n é . Il e s t s y m p t o m a t i q u e , d e ce p o i n t d e v u e , q u e la d e s c r i p t i o n des d i v e r s e s p r o v i n c e s c h e z I b n ' A b d R a b b i h soit centrée, de l ' u n e à l'autre, s u r des t h è m e s d i f f é r e n t s 3 , e n l e v a n t ainsi a u x renseignements donnés t o u t caractère de nécessité. R e s t e q u e n o u s p o u v o n s être, une fois de plus, prisonniers d e

notre

comme le dit Kratchkovsky, des notations relatives à une géographie de la flore et de la faune (animale ou humaine), mais bien d'autres, touchant à des sujets intéressant divers aspects de la géographie. Malheureusement, ces données sont toujours occasionnelles et marginales parce qu'obérées par ce constant souci de trouver à toute force le curieux, le détail échappant à la norme commune sur laquelle est fondée précisément, pour nous, toute connaissance digne de ce nom. Sur ces nawddir, qui ne sont autres que les merveilles Çayâ'ib) déjà vues, cf. Bayhaqï, p. 104-107 (sur quelques cas de croisements étranges où se lit le souvenir des Hayawân de Gâhi? : wâq-wâq, chiens salâqiyya, autruche, girafe, etc., et aussi métissages humains) ; WaSSâ', p. 207-209, 249-251 (thème de la pomme comme sujet de particularités [ôasô'/s] ; même traitement du thème du curedents, dont l'emploi est présenté comme spécifique des populations arabo-musulmanes : p. 210 sq.) ; Ibn 'Abd Rabbih, t. I, p. 152 sq. (récits exemplaires sur les chevaux) ; t. VI, p. 218-247 (citations relatives aux vêtements, au mulet et à l'âne, à la médecine, au rapport entre le soleil et la formation de l'embryon, aux animaux issus d ' u n croisement [les mêmes, à peu de choses près, que pour Bayhaqi, cité plus haut]), 271-281 (sur la médecine, les drogues et quelques cures : ventouses, cautérisations) ; Tanûbï, p. 87-88 (thème de l'impôt foncier [frarâg] d'al Ahwàz et d'Égypte comme simple occasion de récits) ; Tawhïdï, Muqâbasât, p. 232 (thème de la marée abordé seulement sous l'angle d'une théorie signalée par l'auteur lui-même comme tout à fait en dehors des théories couramment admises : celle de deux sphères célestes, entre les sphères de la lune et de la terre, et qui commanderaient l'une le flux et l'autre le reflux) ; Imtâ', t. I, p. 143 sq., 159 sq. (curiosités du monde animal et rapports entre l'animal et l'homme). 1. Tafâdul al-buldân : Ibn 'Abd Rabbih, 'Iqd, t. VI, p. 247 sq. 2. Mesure de la terre et répartition des grands groupes humains : 'Iqd, t. VI, p. 247, 267 ; délimitation des régions centrales et traditions correspondantes : ibid., p. 247-251 ; tableau desprovinces : p. 251 sq. (moins l'Occident, sans doute supposé connu des lecteurs d ' I b n 'Abd Rabbih ; voir toutefois, sur ce problème, infra, à propos de Ta'alibi, p. 233, note 3) ; traditions relatives aux lieux saints d'Arabie et de Jérusalem : p. 255-265. 3. Divisions territoriales pour la Syrie-Palestine, cours d'eau et villes pour la HauteMésopotamie, villes pour l'Irak, productions pour le F â r s e t le tfurâsân, monuments et mosquées pour l'Égypte : 'Iqd, t. VI, p. 251 sq.

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propre système de pensée et que nous ne saurions décemment, sous le prétexte que la science s'identifie pour nous au contraire du particulier et de l'aberrant, contester à d'autres formes de culture le droit de définir comme connaissance précisément celle-là seule de l'aberrant. On conviendra certes, que le concept de merveilleux est, chez Ibn 'Abd Rabbih, mené jusqu'à un point extrême où, par le jeu de sa logique interne, il en arrive à se détruire. Pousser l'exigence du curieux jusqu'à l'intérieur même du concept, vouloir, en d'autres termes, ne considérer comme curieux que ce qui n'est jamais curieux de la même façon, revient à se couper de toute démarche rationnelle : le merveilleux n'étant plus qu'une collection d'objets hétéroclites définis par cela seul qu'en passant de l'un à l'autre on varie le donné, on perd de vue le merveilleux en t a n t que tel, c'est-à-dire en t a n t que catégorie générale des êtres et des phénomènes tranchant sur l'ordre normal de la nature. Or, nous connaissons, dans l'adab, une tendance, raisonnable et rationnelle cette fois, qui vise à élaborer ce concept, par l'enregistrement patient et systématique des phénomènes du merveilleux, conçus comme tels et sans souci de variation à l'intérieur de la catégorie, une tendance qui trouve, dans cette collecte, un authentique principe de recherche ou, tout au moins, d'organisation de la connaissance. La démarche en question, je veux dire celle d'Ibn al-Faqïh, reste heureusement vivace dans l'adab des polygraphes, où elle est représentée, loin des outrances d'un Ibn 'Abd Rabbih, par Ta'âlibï, l'auteur des Agréments de la connaissance (Lata'if al-ma'ârif), mort en 429/1038. La valeur de cette œuvre tient moins à son propos, qui est celui de l'adab, qu'à sa démarche : si les Latâ'if en effet dirigent l'esprit du lecteur vers le merveilleux, ce n'est pas dans le sens de la surenchère propre à Ibn 'Abd Rabbih, selon une devise qui serait un peu : à merveilleux, merveilleux et demi, mais selon la méthode déjà étudiée à propos d'Ibn al-Faqïh. Répudiant un merveilleux, synonyme d'occasion et de désordre, qui tiendrait aux dissemblances réciproques des thèmes les uns avec les autres, on préfère, à l'opposé, utiliser le merveilleux comme un moyen de traiter ces thèmes dans l'unité, en les recensant méthodiquement au sein d'une relation globale qui les unit tous, quels qu'ils soient et quelles que puissent être les différences de thème à thème, dans la catégorie globale du merveilleux. 1 Principe méthodologique d'autant plus riche que ce merveilleux doit s'entendre, comme chez Ibn al-Faqïh, en un sens très large, recouvrant, autant que les cas résolument étranges, tous ceux qui ne doivent leur caractère singulier qu'à la façon exemplaire dont ils illustrent une réalité. Mais il y a plus : comme les Latâ'if sont conçus dans des dimensions assez 1. On peut dire, d'une autre façon, que deux thèmes peuvent être semblables et pourtant relever du concept d'extraordinaire, tandis que, pour la géographie d'Ibn 'Abd Rabbih, deux thèmes ne sauraient être extraordinaires que s'ils sont, d'abord, dissemblables.

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réduites on aura chance de discerner, à travers l'œuvre, beaucoup mieux qu'un ensemble de thèmes : ceux qui sont perçus comme fondamentaux, même dans les limites d'un abrégé, pour l'esprit cultivé et non spécialisé de l'adab. De plus, étant donné que la thématique des Latâ'if, pour s'inscrire dans des volumes modestes, n'en est pas moins fort vaste en ses visées, on pourra délimiter la place qu'y tient la géographie, en d'autres termes : juger de la géographie de l'adab non plus en elle-même, comme nous l'avons fait à propos d'Ibn al-Faqïh, mais par rapport, cette fois, à l'ensemble des connaissances de l'adab. Or, que nous apprennent les Latâ'if ? D'abord, que la géographie tient, dans la culture de l'honnête homme, une place considérable. a Ensuite, que cette géographie est orientale et, à l'occasion, étrangère, l'Occident semblant répudié du domaine géographique de l'adab.3 Enfin, qu'elle est fondamentalement littéraire : l'astronomie et les mathématiques n'y ont aucune place, la tendance étant conforme à celle de l'ensemble de l'ouvrage, qui accuse, à cette époque où l'adab se fige, la prédominance des thèmes et des valeurs littéraires. 4 Nous ne nous étonnerons guère de trouver, au premier rang des sources de Ta'âlibï pour cette discipline 6, Gâhiz, fort 1. 133 pages, ce qui est peu p o u r une anthologie de ce genre. 2. 41 pages (92-133), sur les 133 des Latâ'if, soit à peine u n peu moins du tiers du volume total. 3. L ' É g y p t e constitue l ' e x t r ê m e limite vers l'ouest, les incursions à l ' é t r a n g e r é t a n t représentées p a r la Chine et les p a y s t u r c s . Les rubriques sont les s u i v a n t e s : L a Mekke (p. 92-93), Médine (p. 93-94), Syrie (p. 94-97), Ë g y p t e (p. 97-102), Yémen (p. 102), Baçra et Kflfa (p. 102-104), B a g d a d (p. 104-107), al-Ahwâz (p. 107-109), F â r s (p. 109110), I s p a h a n (p. 110-111), Mossoul (p. 111), a r - R a y y (p. 111-112), ; 3 Tabaristân |(p. 112), Ôurgân (p. 113-114), Nïsàbûr (p. 114-116), J u s (p. 117-118), H e r â t (p. 118-119), Merv (p. 119-120), B a l b (p. 120), B u s t (p. 121), Gazna (p. 122-123), Sigistan (p. 123-124), B u b â r â (p. 125), S a m a r q a n d (p. 126-127), Chine et Turcs (p. 127-128), H u w â r i z m (p. 129-130), citations diverses en manière de conclusion (p. 130-133). A n o t e r que l'absence de l'Occident d a n s l ' œ u v r e d ' I b n ' A b d R a b b i h {cf. supra, p. 231, note 2) p e u t t r o u ver en effet u n e raison d a n s ce mépris où l'adab géographique semble tenir t o u t ce q u i n ' e s t pas l'Orient : à d é f a u t de la province, le m o t de Magrib lui-même n ' a p p a r a î t , à m a connaissance, que d e u x fois dans la p a r t i e géographique des Latâ'if (p. 109, 115, à propos des p a y s i m p o r t a n t certains p r o d u i t s du F â r s et de Nïsâbur). 4. T o u t e la p a r t i e des Latâ'if q u i précède les t h è m e s géographiques (p. 3-92) est ent i è r e m e n t composée de t r a d i t i o n s p r o f a n e s , de dits et récits sur les s u j e t s l e s p l u s divers : personnages illustres, poètes, n o m s et surnoms, etc., les sciences ( m ê m e celles qui se p r ê t e n t à des d é v e l o p p e m e n t s d a n s Yadab, c o m m e la zoologie ou la médecine) n ' a p p a r a i s s a n t pas. 5. Autres sources, orales parfois, p. 101, 102, 110, 118, 131. Sur I b n al-Faqïh, cf. plus loin (p. 234, n o t e 5). Un p r o b l è m e est posé p. 126, à propos de la fabrication du p a p i e r à S a m a r q a n d , Ta'âlibï se r é f é r a n t à « l ' a u t e u r (sâhib) des masâlik wa l-mamâlik ». J e n'ai pas r e t r o u v é , chez I b n H u r d à d b e h ou Içtabrî, de t e x t e identique à celui de Ta'âlibï. mais le t h è m e du p a p i e r de S a m a r q a n d est c o u r a n t chez les a u t e u r s géographiques d u I V e / X e siècle : cf. Içtaljri, p. 162 ; Ibn H a w q a l , p. 465 ; Muqaddasï, éd. de Goeje, p . 326. Il n ' e s t p a s exclu, à propos de ce dernier a u t e u r , q u e Ta'âlibï l ' a i t

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abondamment cité l . Aux données prises à ôâhiz, qui intéressent les productions des divers pays et les particularités de leurs climats ou des êtres vivants qui les peuplent, viennent s'ajouter les traditions (ahbâr) relatives à leurs monuments et à quelques traits essentiels de leur histoire. 2 Le composé obtenu à partir de ces divers éléments n'est rien d'autre que la géographie à la manière d'Ibn al-Faqîh, c'est-à-dire une géographie humaine, dans le sens déjà défini 3 : humaine parce qu'elle répudie la géographie purement astronomique ou physique au profit d'un tableau plus général du monde où l'homme reste la pièce essentielle : tableau qui procède lui-même, on l'a dit, par la systématisation de cas exemplaires et qui s'exprime dans les formes littéraires accréditées par le prestige d'un Gâhiz. 4 On dira peut-être que le nom d'Ibnal-Faqïh n'apparaît pas dans lesLatâ'if ; mais l'esprit est identique, et parfois la leçon même du t e x t e . 6 Ainsi donc, au point extrême de la chronologie imposée à cette étude, on constatera, d'une part, que la géographie de l'adab ne fait que reprendre, auteur après auteur, les mêmes thèmes au mépris de l'évolution des contextes historique et géographique 6, mais, d'autre part, que cette géographie, fondamentalec o n n u de près : cf. Ahsan at-taqâslm, éd. de Goeje, p. 354 (à propos de G u r g â n , « mi-en plaine, mi-en m o n t a g n e » : sahliyya gabaliyya : m ê m e expression dans Latâ'if, p. 1 1 2 i . f . ) , 370 (yaqtulu t-gnrabâ' : « elle t u e les étrangers », est-il dit à propos de l'eau de la ville ; c f . Latâ'if, p. 113 : qattâla li l-

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voit, et de surcroît fort intelligemment choisis, 1 Toutefois, ils ne font guère, là encore, par leur absence même d'originalité 2 , que confirmer l'existence et l'importance, pour un public cultivé, des thèmes que nous connaissons déjà. Plus marquante à nos yeux est la lacune qui concerne la géographie humaine elle-même, je veux dire celle qui se conçoit et se pose comme telle, avec les grands auteurs représentatifs du genre des masâlik ma l-mamâlik. Le Fihrist en effet cite bien toutes les formes de la géographie : mathématique avec Muhammad b. Milsâ al-Huwârizmî, géodésique et cartographique avec Kindï, Sarahsi et Balhi, administrative avec GayhSnï ou Qudâma 3, mais jamais, à ma connaissance, n'apparaissent les noms de Ya'qùbï, d'Istafari ou d'Ibn Hawqal. * On serait donc tenté de conclure que, si les thèmes de géographie humaine sont enregistrés dans les productions intellectuelles du siècle, le concept même de géographie humaine reste encore à découvrir. E t tel semble être en effet le cas : l'absence, dans le Fihrist, du genre des masâlik wa l-mamâlik ne pouvant avoir pour raison un quelconque parti pris 6 , on est en droit de penser que, si Ibn an-Nadïm n'a pas mentionné de telles œuvres, c'est bien parce qu'il en ignorait l'existence. E t comme nous le connaissons pour être parfaitement au courant de toutes les productions circulant alors sur le marché du livre, nous poserons, sans grande crainte d'erreur, que ce marché manifeste, en ces années cruciales 890-990 où elle se forme, peu d'intérêt et beaucoup de réserves à l'encontre de la géographie humaine des masâlik. On retrouverait ainsi les conclusions avancées plus haut 6 , à savoir que l'originalité du genre et de sa méthode — le voyage à l'intérieur de l'Islam —, qui rompt si évidemment avec le système culturel de l'époque incarné dans Vadab, fait que le public tient encore la géographie humaine des masâlik pour un genre marginal et ne l'accréditera que beaucoup plus tard : il faudra, pour cela, attendre, au fond, l'époque de Yàqût, soit le début du v i i e / x m e siècle. Terminons par 1. Cf. K r a t c h k o v s k y , p. 2 3 9 (233). 2. E t cela m ê m e lorsque l'information est, e n soi, personnelle e t originale : les d o n n é e s fournies par e x e m p l e sur la Chine p a r u n moine nestorien r e v e n u (le ee p a y s e n 3 7 7 / 9 8 7 (cf. Fihrist, p. 3 4 9 - 3 5 0 ) ressortissent, à quelques détails près, au f o n d s c o m m u n des t h è m e s et d e s préoccupations t o u c h a n t ce p a y s : cf. S a u v a g e t , Relation, p. X X V I I I , n o t e 3, q u i souligne cette i d e n t i t é . 3. Cf. r e s p e c t i v e m e n t p. 275, 255-261, 261-262, 138, 138 et 130. 4. A b s e n c e é t o n n a n t e q u e celle de Y a ' q û b ï , p o u r t a n t c o n n u aussi c o m m e h i s t o r i e n et qui p a r t a g e a v e c Ibn a n - N a d ï m (cf. K r a t c h k o v s k y e t F i i c k , op. cit.) de solides c o n v i c t i o n s Sï'ites. L ' a b s e n c e d e Muqaddasï t r o u v e sa raison dans la d a t e de son œ u v r e , c o m p o s é e en 3 7 5 / 9 8 5 , mais corrigée par la suite et s a n s d o u t e non p u b l i é e a v a n t les années 3 8 0 / 9 9 0 , le Fihrist é t a n t , lui, de 3 7 7 / 9 8 8 . I,a première édition de l ' œ u v r e d'Ibn H a w q a l e s t , e n r e v a n c h e , antérieure à 3 5 6 / 9 6 7 . 5. Contre lequel p l a i d e n t le sérieux e t l ' e x h a u s l i v i t é m a n i f e s t é s par Ibn a n - N a d ï m , qui enregistre j u s q u ' a u x recueils de contes, fables, légendes ou m y t h e s ( b u r â f â t ) : cf. p. 3 0 4 - 3 0 8 . fi. Chap. V, p. 188.

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une preuve a contrario : la géographie qui s'exerce dans les règles du système, je veux dire celle d'Ibn al-Faqïh, est, elle, enregistrée dans le Fihrist.1 La géographie et l'histoire On a déjà vu, avec Ibn al-Faqïh notamment, comment l'histoire pouvait s'intégrer, dans des proportions notables, au domaine de la géographie totalisante de Vadab. Reste à voir si le processus inverse existe, en d'autres termes si et sous quelles formes la géographie peut s'intégrer à son tour à une oeuvre d'intention strictement historique. Constatons tout d'abord qu'on ne saurait mettre au compte de la géographie la simple localisation topographique des faits de l'histoire 2 : telle ou telle distance, telle ou telle précision sur la situation d'une ville, ne trouvent en effet leur raison d'être que dans le propos d'un auteur soucieux simplement de préciser, à travers elles, le cadre où se déroule son récit. Rien, donc, qui ressortisse à la géographie : pour que celle-ci s'introduisît, véritablement, à plein au sein de l'histoire, il faudrait que des notations de ce genre devinssent plus étoffées et surtout plus systématiques, en dépassant l'occasion fournie par le récit et en constituant, par elles-mêmes, un tout indépendant du récit historique. Le cas des histoires régionales étant réservé au chapitre suivant, on dira donc que l'histoire universelle, qui seule nous intéresse ici et qui s'incarne dans les cinq grands noms de Balâdurï, Dïnawarï, Ya'qûbï, Tabarï et Miskawayh, n'offre pas d'exemples des développements que l'on vient de suggérer. De ce fait, il faut sans doute chercher la raison dans la résistance qu'opposent à ce genre de rencontres les formes et les méthodes de l'histoire, définies plus h a u t 3 comme spécifiquement arabes et porteuses d'une puissante et irréductible originalité. Ce ne peut être que par certains biais que quelques thèmes en relation avec la géographie peuvent se glisser dans cette forteresse, étant bien entendu, encore une fois, qu'ils ne composent pas une géographie et qu'ils restent, en tout état de cause, infiniment moins nombreux, si on les juge sur l'ensemble des œuvres des cinq auteurs cités, que dans les encyclopédies ou les anthologies. Pour quelques-uns de ces thèmes, il faut chercher, au sein de l'histoire, une origine semblable à celle qu'ils connurent dans une certaine géographie : je veux dire les préoccupations administratives. L'histoire de la conquête arabe, celle de l'occupation du sol, le détail de l'organisation militaire ou administrative, 1. P. 154 ; cf. également supra, chap. V, loc. cit., note 3, Autre confirmation : la citation d'un auteur des masâlik wa l-mamâlik, lorsqu'elle intervient chez un anthologue de Vadab (cf. supra, p. 233, note 5), est tout à fait accessoire et ne renvoie, ici encore, qu'à un thème isolé de l'adab, non à une œuvre d'ensemble. 2. Cf. supra, p. 235, note 2. 3. P. 28-31. André MIQUEL.

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l'indication des traits de mœurs même, s'expliquent, chez Balâçjurî et Miskawayh notamment, par le souci d'éclairer les origines historiques des rouages de l'Etat arabo-musulman. 1 De la même façon, l'importance de l'astrologie est connue de l'histoire comme de la géographie, les dominantes ou conjonctions astrales expliquant, pour la première, les événements et les personnages historiques 2 , tout comme elles rendaient compte, pour la seconde, des traits principaux des pays et de leurs habitants. Enfin, par le canal de Vadab, on voit, ici encore, affleurer à l'occasion les thèmes mêmes de la géographie : le cas le plus remarquable est celui de Ya'qûbî, chez qui l'histoire des peuples étrangers s'accompagne d'explications sur la situation de leurs pays, sur leurs mœurs et même, plus généralement, sur la terre dans son ensemble. 3 Servi qu'il est par son double tempérament de géographe et d'historien, Ya'qûbî est ainsi à deux doigts de réaliser un genre original, où la description du cadre géographique et humain viendrait naturellement précéder, étayer et expliquer celle des faits historiques qui s'y déroulent. Mais cette conception moderne des rapports entre histoire et géographie reste ici à l'état d'ébauche : d'abord, elle ne toucherait guère, en tout état de cause, que le donné étranger, et non celui de l'histoire islamique, un peu comme si cette dernière, inspirée d'un message religieux, trouvait sa justification en elle-même et n'avait rien à faire des contextes où elle s'inscrit. 4 Ensuite, aucune régularité dans la disposition de ces données géographiques, à l'intérieur des développements respectifs sur les divers peuples pris un à un, ne vient prouver l'existence d'une relation, perçue et réfléchie, entre ces données et le récit historique : jetées ainsi au hasard et sans apparence de nécessité, elles ne font que répondre aux occasions offertes par un propos qui reste, dans la lettre du texte comme dans l'esprit de Ya'qûbî, spécifiquement et uniquement historique. Ya'qûbî, au fond, n'a réussi de révolution que dans un sens : lorsqu'il est géographe, promoteur du genre et de la géographie humaine des masâlik wa l-mamâlik s, il intègre bien, à la description de la terre des hommes, l'évo1. Miskawayh était, ne l'oublions pas, au service d'un vizir bûyide et l'on a vu, en ce qui concerne BalâtJurï, quelle a été son influence sur un administrateur comme Qudâma : supra, chap. III, p. 97. Sur cette tendance de l'histoire arabe, cf. Pellat, Langue et littérature, p. 143. 2. Le procédé est systématique dans l'histoire de Ya'qûbî, les sources essentielles en la matière paraissant être Mâ 53' AUâh et Muhammad b. Mûsâ al-tJuwârizmï (cf. t. II, p. 7. et passim). 3. On retrouve ainsi, à propos de l'Extrême-Orient, d'une part les différentes mers et les sept climats, mais aussi des indications sur les peuples de l'Asie centrale : cf. Histoire, t. I, p. 84-85,182-183. Le même esprit préside à toute la partie anté-islamique de l'histoire de Ya'qûbî (t. I, p. 5-271) : pour l'Arabie traditionnelle, en particulier, on relèvera le passage sur les marchés de la péninsule (t. I, p. 270-271). 4. On retrouve un peu ainsi un processus de même ordre que celui qui a été signalé pour la géographie : cf. supra, p. 131-132, 185-186. 5. Cf. supra, p. 102-104.

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cation régulière d'une histoire 1 ainsi considérée comme une des conditions mêmes du milieu où ces hommes vivent, mais il n'opère pas le mouvement inverse : car, historien, il pressent, mais pressent seulement, et par simples touches, que la géographie peut, en retour, expliquer certains traits de cette histoire. » La raison dernière de cette différence de traitement, selon le sens que l'on adopte de l'une à l'autre de ces deux disciplines fondamentales de la science de l'homme, tient sans doute, on l'a dit, à la puissante spécificité qui est celle de l'histoire arabo-musulmane. Pièce essentielle d'un système culturel dont on a déjà éprouvé la rigueur et même la rigidité, elle ne sera, en son esprit et en ses formes, remise en question qu'autant que ledit système aura subi l'impact de changements intervenus dans le contexte historique ; il n'est donc pas étonnant, de ce point de vue, que la véritable ouverture de l'histoire à la géographie humaine s'opère seulement avec Ibn Baldûn, à la faveur des conditions nouvelles que le vm e /xiv e siècle, dans la ruine consommée de l'hégémonie arabe, impose à la société comme à la réflexion islamiques. 1. Supra, p. 103, notes 2 et 6. 2. L'Indication, par exemple, des mers et des terres qui entourent la Chine (Histoire, t. I, p. 182-183) suggère, mais suggère seulement, l'idée capitale d'un isolement du pays.

CHAPITRE VII

Les monographies et les dictionnaires

On regroupe, sous l'intitulé du présent chapitre, un ensemble, au demeurant mal connu d'oeuvres à premières vue disparates : car la monographie, qui se veut topographiquement limitée, mais exhaustive, s'oppose résolument au dictionnaire, topographiquement ambitieux, mais réduit à l'essentiel. Pourtant, le disparate le cède, et de loin, aux traits communs : le dictionnaire, comme on le verra plus loin, a pu n'être qu'une forme systématisée de la monographie, les deux genres participant, au moins à l'origine, de préoccupations de même ordre. Surtout, les œuvres traitées ici, quelles qu'elles soient, retrouvent une unité de conception dès qu'on les différencie, globalement, de toutes les autres : à l'opposé des cas traités dans les pages précédentes, monographies et dictionnaires se caractérisent par un sujet qui reste, au-delà des variations quantitatives du champ choisi, d'ordre strictement topographique. On serait dès lors tenté de les rapprocher d'ouvrages résolument géographiques, fondés, eux aussi, sur le même 1. Et à peine inventorié : cf. Kratchkovsky, p. 128 (131).

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principe, qu'il s'agisse de la géographie administrative avec Ibn tjurdâdbeh, de la sûrai al-ard avec Balbï ou de l'adab géographique avec Ibn al-Faqîh. 1 Mais une nouvelle distinction intervient ici, qui oppose la vision universelle de ces géographies à l'optique régionale des monographies sans doute, mais, tout autant, des dictionnaires. Car, pour être ambitieux, ainsi qu'on l'a dit, ceux-ci ne font guère qu'ajouter la monographie à la monographie et ils se montrent aussi incapables qu'insouciants d'une synthèse qui serait en contradiction avec l'option fondamentale de l'œuvre, laquelle récuse précisément la synthèse au profit de la rubrique. 2 Le propre des monographies et des dictionnaires est ainsi de se définir comme des genres intermédiaires. Cette commune caractéristique explique qu'ils soient, sous leurs formes originelles, historiquement assez instables et destinés à évoluer, comme on le verra, vers des genres plus amples ou même, pour prix d'une structuration plus nette, vers un gauchissement de leur propos initial : toutes tendances dont les aboutissements définitifs ne prendront place, pour une large part, qu'au-delà du terme chronologique assigné à cette étude. Mais pour l'heure, on peut, aux premiers siècles de la littérature arabe, répartir l'ensemble de ces œuvres en trois catégories fondamentales : les textes relatifs à l'Arabie, ceux qui traitent de pays ou de villes extérieurs à la Péninsule et, enfin, les ébauches de dictionnaires. La littérature arabique : ses diverses composantes Dans le climat d'érudition, de patriotisme et de religiosité mêlés qui préside à la collecte du patrimoine de la Péninsule, la recherche de la tradition arabique s'opère, pour les matières qui nous intéressent, en trois directions essentielles. La première est celle de la littérature des anwâ' 3, qui a connu elle même une évolution en deux phases. 4 Au sens propre, le mot désignait un système bédouin de comput et d'observations météorologiques, fondé 1. Et, bien entendu, des masâlik iva l-mamâlik, dont le cas sera traité au chapitre suivant. 2. C'est si vrai que ces notions générales sur le monde occuperont à peine deux maigres chapitres d'introduction dans le Mu'jam de Yâqût, qui constitue pourtant, par son ampleur et sa distribution alphabétique, comme le modèle achevé de ces dictionnaires. Le cas-limite est offert par l'ouvrage d'Ishâq b. al-Husayn al-Munaggim, dont il sera question plus loin : les rubriques ne sont ici précédées d'aucune introduction. On nous objectera sans doute la taille de certaines rubriques, par exemple de celles qui portent sur une province, voire sur un pays tout entier. Mais, mime ainsi, la rubrique ne participe pas — ce qui est le fait essentiel — d'un ensemble ordonné. Elle est à elle seule un tout, coupé de toute relation avec les autres composantes de l'ensemble terre. 3. Cf. les articles de C. Pellat dans Arabica, II, 1955, p. 17-41 (« Dictons rimés, anwâ' et mansions lunaires chez les Arabes »), et dans El (2), t. I, p. 538-540. 4. On fait abstraction ici du traitement purement mathématique des anwG' dans lequel s'illustrèrent notamment Tâbit b. Qurra, Ibn Uurdâdbeh etBIrûnï:ef. Arabica,op. cit., p. 38.

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sur les couchers acronyques de certaines étoiles et les levers héliaques de leurs opposites, les vingt-huit périodes annuelles ainsi déterminées s'étant confondues par la suite avec les vingt-huit mansions lunaires héritées, elles, des Indiens. Dans cette perspective, un Kitâb al-anwâ', tel que l'écrivent un Ibn Qutayba ou un Dïnawarï vise à donner les renseignements essentiels sur l'ensemble de ces mouvements astraux et sur les états correspondants de l'atmosphère terrestre. Le tout, agrémenté des sentences et dictons courants dans toute littérature populaire pour des faits de ce genre, est si furieusement arabe et même bédouin que les informations ainsi données n'ont guère de valeur en dehors du contexte désertique, alors qu'elles sont, pour l'essentiel, consignées par des érudits sédentaires vivant en Irak ; surtout, elles apparaissent très tôt comme des thèmes figés, qui n'ont plus de lien avec le contexte astronomique lui-même2 : aussi bien le but de ces enregistrements est-il avant tout littéraire, inséparable du souci de fixer un certain nombre de thèmes et de mots arabes « en voie de disparition ».3 On s'explique mieux, dans ces conditions, que la nécessité de maintenir ses prérogatives à l'information astrologique et météorologique ait amené la littérature des anwâ' à chercher son indispensable renouvellement hors des sentiers d'une lexicographie périmée : elle trouve ainsi un prolongement naturel dans les calendriers, mais y perd en même temps sa spécificité arabique. Car, en combinant la tradition des anwâ' à des héritages étrangers, les calendriers élaborent un système composite dont le syncrétisme porte la marque de la Mésopotamie abbasside et qui, fait fondamental, va servir à l'étude de pays autres que l'Arabie. Si l'on est ainsi amené à réserver pour plus tard l'étude des calendriers, force est de constater que, sur d'autres points que les anwâ', la tradition lexicographique reste extraordinairement vivace et que, de toutes les formes assignées à la recherche des traditions péninsulaires, elle est sans doute une des plus spécifiques. Il ne s'agit guère ici *, au fond, que de préciser les toponymes qui interviennent dans la poésie arabe et dans la tradition, religieuse ou profane : recherche qui s'intègre, comme les anwâ', à une investigation plus ample, visant à recueillir l'ensemble du patrimoine arabique. Le cas est particulièrement net pour an-Nadr b. Sumayl (mort vers 204/818-819) ou pour Asma'ï (mort en 213/828), cités comme maîtres dans ces deux disciplines à la fois. La recherche lexicographique, ainsi définie, reste inséparable de l'Arabie. Elle lui est, tantôt, limitée au sens topographique du terme, notamment avec Asma'ï ou 'Arrâm b. al-Asbag 1. Autres noms dans Arabica, op. cit., p. 36-37 ; cf. aussi Kratchkovsky, p. 118-119 (124-125). 2. Elles sont faussées, notamment, par le jeu de la précession des équinoxes. 3. Arabica, op. cit., p. 36. 4. Sur cette littérature, cf. Kratchkovsky, p. 118-123 (124-128).

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( m o r t en 331 /845). 1 D ' a u t r e s fois, elle excède le cadre strictement t o p o n y m i q u e pour éclairer par exemple des noms de plantes, d ' a n i m a u x , de phénomènes météorologiques, voire certains traits de civilisation, de vie m a t é rielle ou d'histoire, mais sans déborder jamais hors du cadre de la Péninsule, qui reste, au nom des impératifs signalés, l'unique référence : de cette méthode, a n - N a d r b. Sumayl, Hisâm a l - K a l b ï (mort vers 206/820), Abu ' U b a y d (al-Qâsim b. Sallâm) (mort en 223/837), 'Arrâm b. al-Asbag et SIrâfï (mort vers 368/979) 2 sont les meilleurs représentants. Avec Kalbï, du reste, il semblerait que se fît jour une ébauche d'évasion hors du dom a i n e arabique 3 ; mais ce n'est là qu'illusion, l'Arabie se taillant toujours la p a r t du lion et les rares noms cités en dehors de son domaine topographique référant à des villes qui demeurent liées à son histoire à elle et a u x souvenirs recueillis par sa tradition : Hïra, K û f a , Édesse. Rien donc qui s'élargisse, ici encore, à une quelconque vision, géographique et panoramique, du monde. Si criante que soit l'arabicité de cette recherche lexicographique, elle s'amplifie p o u r t a n t encore, comme on p e u t s'y attendre, lorsqu'on passe à la peinture du cœur de la Péninsule : l'évocation des Lieux Saints, qui est, on l'a déjà vu 4, une des pages obligées de t o u t e s les descriptions du monde, est évidemment née sur la place même, où elle a inspiré, à elle seule, des ouvrages entiers, les plus célèbres étant ceux d'Azraqï et de Fâkihï, morts respectivement en 244/858 et vers 272/885. Cette littérature, qui brasse descriptions, poèmes et récits, est en vérité assez éloignée de la géographie, à laquelle ne l ' a p p a r e n t e n t guère que les précisions topographiques qu'elle livre. S'il fallait la rapprocher d'autres genres littéraires, c'est à l'histoire q u ' o n songerait, je v e u x dire à celle qui est née, elle aussi, dans la Péninsule », ou encore à une certaine littérature de pèlerinage, précisément liée à 1. Compléter, sur ce point, l'aperçu de Kratchkovsky avec les noms d'Abû ' U b a y d as-Sakûnï, d'Abû 1-A5'at al- Kindï (qu'on ne confondra pas avec le savant cité au chap. III, ni avec les historiens cités infra, p. 254, notes 3, 4, 5), de Muhammad alKalbï (mort en 146/763) et d'Abu Muhammad al-Aswad al-Gundiganî (mort en 433/ 1041) : cf. Yâqût, Mu'gam al-buldân, t. I, p. 11 (références bibliographiques dans W. Jwaideh, The inlroductory chapters of Yâqùt's Mu 'jam al-buldâti, Leyde, 1959, p. 1112). 2. Ne pas confondre ce célèbre philologue avec Abu Zayd as-Sïrâfi, l'auteur du Supplément à la Relation, étudié au chap. IV. Sur cet aspect lexicographique arabique, mais élargi à d'autres sujets que la toponymie, cf. la note de la p. 127 de la traduction en arabe de l'ouvrage de Kratchkovsky. On rectifiera par ailleurs le lapsus du traducteur de Kratchkovsky, qui donne Abu 'Ubayda et non Abu 'Ubayd : op. cit., p. 120 (126). 3. Notamment avec ses deux Livres des pays ( Kitâb al-buldân al-kabir et Kilâb al-buldân as-sajir). Il faudrait citer ici également le cadi Wakï', mort en 330/941, par ailleurs auteur d'un livre d'anwâ', mais dont l'œuvre principale semble avoir été un livre de traditions (ahbâr) sur les routes (luruq) et les pays (buldân). Malheureusement, ce livre, resté d'ailleurs inachevé (cf. Fihrist, p. 114), ne nous est pas parvenu. 4. Supra, p. 73-74, 167 et passim. 5. Cf. supra, p. 29 sq.

Les monographies

et les

dictionnaires

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la monographie. 1 Mais si la description des Lieux Saints, et avec elle toutes les formes de l'évocation de l'Arabie, restent ainsi, en elles-mêmes, marginales par rapport à une géographie véritable, elles vont, au iv e /x e siècle, converger et trouver leur aboutissement dans une description générale de la Péninsule qui méritera, par bien des côtés cette fois, l'appellation de géographie. La géographie

de la Péninsule

arabique

:

Hamdâni

Le peu que l'on sait de Hamdânï 2 nous met en présence d'un Arabe de souche, vivant dans la Péninsule 3 , plus précisément en ses régions méridionales, et engagé à plein dans des intrigues, sans doute d'inspiration ismaélienne, menées contre le pouvoir zaydite local : vie relativement sédentaire, donc, mais politiquement agitée et placée parfois sous le signe de la prison, où Hamdânï, selon certaines traditions, serait mort en 334/945-946. 4 C'est, au fond, avec les engagements sentimentaux, politiques, mais aussi religieux que le mot recouvre alors, une manière de patriote 5 : on le voit à son œuvre, qu'il consacre en effet, de façon prioritaire, à l'Arabie. Les deux livres majeurs, l'un d'histoire et l'autre de géographie, que sont le Diadème

des généalogies

(al-Iklïl

f l l-ansâb)

e t la Description

de

l'Arabie

(Sifat gazïral al-Arab)* sont même beaucoup plus qu'arabes : Yéménites, pourrait-on dire, puisque Ylklïl rassemble des traditions sur les régions méridionales de la Péninsule et que la Description, à son tour, réserve à ces mêmes régions une place éminente 6, indice d'un particularisme jaloux, 1. Sur cette littérature, cf. supra, p. 149 sq. 2. Son nom même est incertain : il est parfois appelé Ibn a!-Hà'ik ou Ibn Abï dDumayna. 3. Une exception (cf. O. Lofgren, dans El [2], t . III, p. 127) : le voyage en Irak, terre d'élection de la grammaire e t de la lexicographie, voyage indispensable pour qui se v e u t , comme H a m d â n ï , spécialiste en ces matières. A cette exception près, les déplacem e n t s de H a m d â n ï se situent en Arabie même, n o t a m m e n t à La Mekke, où il semble avoir séjourné assez longtemps. 4. Sur la participation de H a m d â n ï aux luttes intestines du Yémen, qui m e t t e n t aux prises, entre autres intérêts, ceux des Ziyâdides, des Zaydites et des Qarmates, cf. les articles de C. van Arendonk et O. Lofgren, dans El, t . II, p. 262 et El (2), t. I I I , loc. cit. 5. Le m o t est de K r a t c h k o v s k y , p. 167 i. f . (170). 6. Si l'on fait abstraction de l'introduction astronomique et cosmologique (p. 1-46) et, d ' a u t r e p a r t , du long poème qui clôt l'ouvrage (p. 235-279), la matière des 189 pages restantes, qui composent réellement la description de l'Arabie, se r é p a r t i t comme suit : a. généralités sur l'Arabie : p. 46-51, 134-136, 173-176, 203-235, soit 42 pages ; b. régions hors de l'Arabie du sud ou passages p o r t a n t à la fois sur l'Arabie du sud et d'autres régions : p. 52,67-81,136-172,176-190, soit 65 pages (les régions carrément extérieures à l'Arabie [Egypte, Syrie, Irak], qui sont du reste celles où l'implantation arabe, après la conquête, f u t la plus forte |esprit confirmé par p. 130-133 : liste des tribus installées en ces pays ; autre exemples p. 129-130], sont traitées, comme t o u t ce qui n'est pas l'Arabie

•Voir

Addenda,

paye l

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allant de pair avec une indifférence marquée, voire une franche hostilité, pour la tradition higâzienne. 1 Toutefois, cette communauté d'inspiration ne rend pas les deux ouvrages semblables, tant s'en faut. Loin de faire double emploi, ils ont chacun, dans la pensée de Hamdânï, leur domaine réservé : leur définition va nous permettre, chemin faisant, de préciser les traits fondamentaux de la géographie de la Description. E t d'abord, celle-ci s'éclaire, précisément, par référence à Ylklll. En plus d'un passage, Hamdânï récuse, dans la Description, tout le domaine des traditions (ahbâr), qu'il déclare réserver, expressément et exclusivement, à Vlklïl.2 II entend, du reste, le mot A'ahbâr en un sens très large, puisqu'il dépouille la Description non seulement de tout ce qui est tradition historique, mais aussi, bien souvent, des données littéraires de convention : il y a, au propre, dans la Description, une manière allusive de traiter l'adab 3 qui n'est pas un des traits les moins originaux de l'œuvre, un peu comme si l'auteur, supposant connus ces thèmes, entendait réserver son livre à des renseignements plus intéressants et surtout moins rebattus. Ainsi débarrassée de l'histoire et de l'adab, la Description sera celle « des lieux habités, des routes, des eaux, des montagnes, des pâturages et des vallées » 4 : programme, on le voit, très précis, et non moins précisément exécuté dans le corps même de l'œuvre. Mais prenons garde que les rubriques qui constituent ainsi la géographie de Hamdânï sont traitées selon les techniques chères à la tradition péninsulaire, je veux dire dans le même esprit lexicographique déjà étudié. Par là, et quel que soit le terrain qu'elle aborde à la faveur de ce programme la Description prend tout naturellement place dans une lignée d'oeuvres soucieuses de mots plus que de réalités du sud, sous forme d'excursus) ; c. passages consacrés exclusivement à l'Arabie du sud : p. 51, 53, 54, 55-67, 81-134, 190-203, soit 81 pages. Une réserve toutefois : il se peut, d'après Qiftï, cité par O. Lôfgren (pp. cit.), que la Description ait fait partie d'un Kilâb al-masûlik wa l-mamâlik plus ample. 1. La Mekke et Médlne sont quasi absentes de la Description, et la tradition prête à Hamdânï des vers injurieux à l'adresse du Prophète. 2. Par exemple p. 67, à propos de Çan'â' (où Hamdânï renvoie, pour les abbâr relatifs à la ville, à « d'autres livres »), et 203 (renvoi au livre VIII de l'Iklil pour l'histoire des forteresses célèbres du Yémen). Autres références à l'Iklil p. 55, 57, 58 et passim. 3. Cf. par exemple p. 67 (simple allusion aux cuirs et aux aciers du Yémen), 132 («l'église d'Édesse fréquemment citée dans les dictons»), ibid. (Palmyre «l'antique») et passim. Le procédé de l'allusion est ainsi systématisé jusqu'aux abbâr eux-mêmes, pour lesquels, lorsqu'ils sont trop connus, on évite même la référence à l'Iklil, en se contentant d'une formule vague rappelant leur célébrité : cf. p. 74 (à propos du territoire des Sakâsik), 103 (quatre lignes à peine pour rappeler l'histoire du célèbre canton de Ma'rib. dont la description occupe les p. 102-103), etc. 4. P. 46. 5. En dehors des rubriques signalées, la Description traite, à l'occasion, d'orographie ou de pédologie (p. 67, 157-158), de météorologie (p. 154), de botanique (p. 155-156), de lieux de culte (p. 127), de productions agricoles ou minières (p. 196-203), etc.

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concrètes, de significations plus que d'objets. L'important, pour elle, n'est, pas tant de savoir ce qui est, que de savoir ce que parler veut dire. Mise en présence d'un nom de ville ou de montagne, elle ne se préoccupe pas d'évoquer la réalité vivante à laquelle il renvoie, mais seulement de préciser ce qu'on doit désigner sous ce nom. La nature cède ainsi le pas au bon usage, la description à la définition et la géographie au lexique : les mots étant ici des toponymes, les définir reviendra donc à localiser, sur la carte, les aires qui leur correspondent. Mais cette orientation préfigure, à son tour, un visage essentiel de cette géographie : comme les toponymes connaissent leur plus grande richesse non pas dans les villes, mais hors d'elles, dans l'infini foisonnement des lieux-dits, et comme, de toute façon, c'est au désert que la tradition poétique de la Péninsule •— et, par voie de conséquence, la lexicographie qui l'éclairé — trouvent leurs modèles et leurs cadres, il en résulte un déséquilibre fondamental pour cette géographie de l'Arabie : si les tribus et leurs domaines y tiennent une place considérable, les villes n'y apparaissent pas. 1 Géographie du mot, elle est, du même coup, une géographie de la campagne. Ces caractères s'affirment d'autant plus qu'ils tranchent, paradoxalement, sur un fond de géographie grecque, dont l'exposé, sur bien des points magistral, constitue comme une préface à la description proprement dite de l'Arabie. 2 A plusieurs reprises, Hamdânï prouve qu'il a, du texte de Ptolémée», non pas les approximations fournies par la tradition de l'adab, mais une connaissance précise et directe. 4 A ce retour aux sources nous devons une présentation de la mappemonde extrêmement originale dans la littérature arabe d'alors : non pas t a n t selon les sept « climats » traditionnels • que par zones délimitées au moyen de vingt-six parallèles en partant de l'Ëquateur. 7 De la même façon, la théorie des influences 1. La seule exception notable (p. 55-67) est une monographie consacrée à San'â', ville natale de l'auteur. 2. P. 1-46. 3. Dont le nom apparaît p. 10, 28, 31. 4. J'entends par là : sans autre intermédiaire que le traducteur éventuel. A remarquer en particulier l'absence de tout cliché littéraire (par exemple du thème du « jaune dans l'œuf », si en faveur alors pour symboliser la position centrale de la terre dans l'univers : cf. Ibn Hurdâdbeh, p. 4 ; Ibn al-Faqîh, p. 4-5 ; Ibn Rusteh, p. 8 ; Mas'ûdï, Prairies, § 1326, Muqaddasî, trad., § 96) et la forme grecque sous laquelle sont livrés les principaux noms de la fûrat al-ard (p. 10 sq. ; on se contentera ici d'un exemple particulièrement significatif : Ceylan est indiquée sous son nom de la géographie grecque [Taprobane, Tabrûbânâ], et non sous celui de Sarandïb). Autres auteurs cités : Hermès (p. 6) et Dioscoride (p. 37). 5. Aux sources indiennes également : le Sindhind est cité p. 27. 6. Ils interviennent p. 24-26. 7. P. 10 sq. Le même esprit est étendu à l'étude de l'Arabie : Hamdânï ne se contente pas d'en situer approximativement les villes, par référence aux « climats • ou aux parallèles, par exemple, mais il en donne les latitudes et longitudes : p. 44-46.

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solaires et astrales sur les êtres vivants et leurs caractères, dont a on vu quel rôle elle avait joué dans l'élaboration d'une certaine géographie humaine, inspire à Hamdânï l'un des exposés les plus complets et les plus remarquables qui nous soient parvenus sur la distribution du monde selon ces influences. 1 On voit en quel sens il est permis, véritablement, de parler de géographie à propos de la Description. Il y a, d'abord, souci de localisation au niveau de la planisphère, et ce d'une façon qui mérite que l'on s'y attarde quelque peu. Si l'Arabie est ainsi reliée à la terre dans son ensemble, c'est en vertu, non pas d'une concession quelconque aux modes de la sûrat al-ard revue par l'adab, mais d'un propos délibéré et fort cohérent. Hamdânï déclare expressément 2 qu'il existe deux ordres de données à inventorier à propos de l'Arabie : celles qu'elle partage avec le reste du monde et celles qui lui appartiennent en propre. Or, ces deux catégories s'éclairent admirablement dans la suite du texte : les données générales, ce sont les caractères naturels imposés, à l'Arabie comme aux autres pays du monde, par les influences astrales et zodiacales ; puis, une fois traité de cette question, c'est-à-dire de la distribution, déjà signalée, du monde selon ces influences 3, « reste », comme le déclare Hamdânï 4 , à parler de l'Arabie elle-même, de l'Arabie irréductible au monde, autrement dit de sa topographie, selon les thèmes ° et dans l'esprit que l'on a définis. La description de la Péninsule est ainsi reliée très fortement, dans la pensée de Hamdânï, à celle, qui lui est préliminaire, du monde. On dira, certes, que la géographie de l'Arabie proprement dite n'a presque rien à voir, étant donné son caractère essentiellement lexicographique, avec ce que nous entendons aujourd'hui par le terme de géographie. Mais ce qui est remarquable et qui nous permet de prendre la mesure de Hamdânï par rapport aux auteurs précédents, c'est précisément tout ce qui arrache cette description à la norme lexicographique pure en la tirant vers ce qui est, au-delà des mots, une géographie. Dans la mesure en effet où l'on explique ici, non pas seulement, comme c'est souvent le cas pour le lexicographe, les mots difficiles ou mal connus, mais tous les mots, on finit immanquablement par livrer avec eux, si leur énumération est complète, des catégories globales. La liste des plantes du Nagd, par exemple, contient plus que les noms eux-mêmes : une évocation, au vrai, du tapis végétal et du paysage du plateau 6 ; de la même façon, le Higâz tout entier se profile dans ce chapelet de toponymes qu'on égrène, du Yémen à la Syrie, pour désigner la chaîne côtière ; et puis, il y a les pistes, 1. 2. 3. 4. 5. 6.

P. 28-44. P. 28. P. 28-44, déjà citées. P. 46. Référence p. 248, note 4. P. 155-156.

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les puits, les vallées, les roches, les pluies, tous ces à-côté de la lexicographie 1 qui, nés à son ombre, la prolongent et surtout la dépassent en fait, magiquement, par ce qu'ils évoquent. E t cette terre, enfin, est partout animée d'hommes, puisque aussi bien les noms de ces lieux qui la composent s'accompagnent toujours de la mention des tribus qui les hantent. ' Au point extrême de ce glissement de la lexicographie à une manière de géographie 3, Hamdânï serre de très près, en quelques passages *, une présentation générale des lieux qui sera celle des masâlik wa l-mamâlik.5 E t pourtant, il ne s'agit, en tout cela, que de réussites partielles, de promesses avortées ; dès qu'il traite de l'Arabie, tout se passe comme si Hamdânï, par ailleurs si remarquable dès qu'il est question de la terre entière, s'enfermait dans un esprit et des techniques qui l'éloignent de la géographie véritable : quoi qu'il fasse et quelque prolongement qu'il donne à la lexicographie, sa description de la Péninsule, si riche par t a n t de traits, ne sort jamais de la méthode de la nomenclature commentée : en d'autres termes, la science grecque s'arrête aux portes de l'Arabie, qui lui substitue ses propres modes de pensée. Là n'est certes pas le moindre paradoxe de cette Description : nous disions tout à l'heure que la présentation de la Péninsule était directement liée à celle de la terre, qui la précède. C'est vrai, sans doute, mais au sens où se tiennent les deux volets d'un diptyque, ou les deux faces d'un miroir : l'Arabie est bien unie au reste de la terre, mais elle lui est en même temps irréductible. 6 Cette distinction, qui isole l'Arabie du monde tout comme elle juxtapose, sans les fondre, la 1. Cf. également, p. 248, note 5. 2. Il y a ainsi, notamment, une façon originale de traiter le thème des itinéraires, qui combine l'indication des distances, celle des latitudes des principaux points qu'ils Joignent et, enfin, celle des tribus dont ils traversent les territoires : cf. p. 130-133, 173-175. Le procédé de référence à la tribu est par ailleurs à peu près constant dès qu'il s'agit de montagnes, de vallées et de points d'eau. 3. Il faudrait dire un mot, sur le plan de la méthode, d'une part du souci d'information et de critique personnelles manifesté par Hamdânï (cf. exemple p. 74 : information demandée sur place, pour la localisation d'un toponyme ; p. 172-173 : critique d'une tradition ; p. 191-192 : remarquable passage sur le climat du Yémen, où les données astronomiques sont mises, avec rigueur, à l'épreuve de l'observation directe) et, d'autre part, d'une ébauche d'élaboration d'un lexique technique (cf. p. 157-158 : terminologie relative au relief). 4. Traitant de l'Arabie du sud, qu'il connaît bien, et directement. 5.''Exemple p. 104, à propos du canton (miblâf) de Dimàr : « canton riche, avec des chevaux de race, des raisins à profusion, des cultures, canton chargé d'histoire aussi »

(nafls kailr al-bayr •atlq al hayl katir al-a'nâb wal-mazàri'\wal-ma'âlir) ; comparer ce type de présentation, classique, avec celles que donne de son côté Muqaddasi, par exemple celles de 'Amman ou de Maâb : trad., § 186, 197. 6. Irréductible aussi, chaque partie de l'Arabie à toutes les autres, en vertu de la fidélité de cette nomenclature, qui reproduit à merveille les cloisonnements topographiques et tribaux.

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tradition péninsulaire et la science grecque, pose, en fin de compte, sur le plan de la culture, deux problèmes essentiels. Le premier touche aux conditions mêmes de l'acheminement des thèmes grecs jusqu'au cœur de cette forteresse : faut-il penser que, si les traductions du m e / i x e siècle se sont frayé un accès à l'Arabie du sud, c'est justement parce qu'elle était, depuis toujours, infiniment moins fermée aux marchandises et aux influences étrangères que le reste de la Péninsule, jalousement gardé par la nature et la tradition ? Sans doute faut-il répondre par l'affirmative, surtout si l'on songe aux relations maritimes très actives qui unissaient ce pays et l'Irak, et, en tout état de cause, t a n t qu'on n'a pas de preuve formelle que Hamdânï a lui-même rapporté cette science grecque de voyages hors du pays natal. 1 Quoi qu'il en soit, et une fois constatée, à travers Hamdânï, une présence des thèmes grecs en Arabie du sud, un deuxième problème se pose, qui touche à l'étude desdits thèmes non plus cette fois dans leur acheminement, mais à l'arrivée. Or, si l'on veut ainsi juger de l'impact d'une culture étrangère dans le contexte d'accueil de l'Arabie du sud, la réponse, ici, paraît simple pour la bonne raison qu'il n'y a pas de contexte d'accueil : si, même avec une personnalité aussi éclairée et ouverte que Hamdânï, l'esprit grec n'a droit de cité, en Arabie, que pour parler précisément d'autre chose que de cette Arabie, cela prouve que, dès qu'il s'agit d'elle, je veux dire de son terroir, de ses modèles, de ses formes les plus spécifiques, la culture de la Péninsule se révèle d'emblée allergique à tout corps étranger. 2 L'importance de Hamdânï tient donc, au bout du compte, à ce qu'il pose le problème de la rencontre entre l'Arabie et la Grèce dans son éclairage le plus cru. Au niveau d'une culture entendue comme patrimoine intellectuel du plus grand nombre 3 , la Grèce est confrontée à deux situations possibles : dans un contexte arabo-musulman, très mêlé par conséquent, tel qu'il existe en Irak et s'exprime dans cette culture composite qu'est l'adab, la Grèce est acceptée, mais au prix, on l'a vu, de transformations qui en changent le visage ; si, comme chez Hamdânï, le contexte est pure1. Il se peut toutefois, reconnaissons-le, outre la tradition relative au voyage en Irak (supra, p. 247 note 3), qu'ait joué ici une tradition familiale, Hamdânï ayant peut-être connu les théories de Ptolémée par son père, qui avait voyagé, ainsi qu'il est dit dans la Description (p. 200), en Irak, en Egypte et au 'Umân. 2. La même irréductibilité se fait jour en science : pour l'évaluation des latitudes et des longitudes, Hamdânï prend bien soin de citer, à côté de l'école indienne (le Sindhind) et de la tradition ptoléméenne, une tradition arabe et musulmane représentée par l'école d'al-Ma'mûn, mais aussi par « les calculateurs de San'â' » (hussdb San'â') : p. 26-27. 3. Patrimoine qu'exprime la littérature, au sens courant du terme ; ceci exclut la réflexion spécialisée (philosophique ou scientifique), laquelle est marginale par rapport à ce patrimoine et connaît, bien évidemment, pour le cas qui nous occupe, d'autres traitements de la pensée grecque.

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ment arabe elle garde ses caractères originaux, mais est traitée comme un produit d'importation culturelle non incorporable à ce contexte. Elle n'a donc le choix, en définitive, selon l'arabicité plus ou moins estompée de la culture à laquelle on la confronte, qu'entre un accueil qui implique aliénation et une sauvegarde qui vaut exclusion. Par voie de conséquence, si la géographie humaine véritable, celle des masâlik wa l-mamâlik, peut être considérée, sous un certain angle, comme la remise en cause, par l'expérience personnelle, des théories grecques touchant à la fois et la situation des terres sur la carte et les relations des hommes à ces terres, on voit que cette remise en cause pourra s'opérer seulement dans un milieu où des contestations de ce genre ont quelque chance d'aboutir : non pas, donc, dans une culture monolithique comme l'est celle de la Péninsule, où les apports extérieurs, lorsqu'ils y parviennent, restent étrangers et plaqués, mais au sein d'une culture composite, qui, parce qu'elle est née de la rencontre de traditions différentes, ne peut précisément s'élaborer, en tant que telle, qu'au prix de concessions réciproques de ces cultures les unes visà-vis des autres. En dernière analyse, c'est dans le contexte de la culture non pas arabe, mais arabo-musulmane, telle qu'elle se compose, en Irak surtout, avec le concours de l'Arabie, mais aussi de la Perse, de la Grèce et de l'Inde, et en tout cas hors du sol même de la Péninsule, que le genre des masâlik wa l-mamâlik, par bien des côtés héritier de cette culture, aura chance de voir le jour. La leçon de la Description est ainsi très claire : c'est la preuve, pour l'époque, et même avec toutes les chances d'une personnalité exceptionnelle comme celle de Hamdânî, de l'échec d'une géographie humaine en milieu arabe pur. La littérature provinciale sous le signe de l'histoire De ce genre littéraire qui consiste à raconter et exalter une terre au-dessus et parfois à l'exclusion de toutes les autres, la littérature arabique ne possède pas le monopole. Si elle est, pour des raisons religieuses évidentes, la première à voir le jour dans les lettres arabes, on peut raisonnablement poser que d'autres villes, d'autres pays suivront un exemple aussi illustre : nécessités administratives de connaissance du milieu local, zèle d'érudits provinciaux et, par-dessus tout, refus de céder la première place se conjuguent pour favoriser assez t ô t 2 l'éclosion de ce qu'on pourrait appeler, 1. Ce qui implique, compte tenu de ce qu'on vient de dire à ce propos, qu'il est dépouillé des thèmes de l'adab, dont le caractère composite altérerait sa pureté ; on a vu plus haut (p. 248, note 3) que tel était bien le cas. 2. Dès le i n » / i x e siècle, selon les plus anciens témoignages ou documents parvenus jusqu'à nous. Aperçus sur cette littérature dans Kratchkovsky, p. 163-165 (167-169) ; Cahen, < Mouvements populaires... », dans Arabica, VI, 1959, p. 250-251 (avec référence

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dans un autre contexte, une littérature de clocher 1 : on ne s'étonnera guère de la trouver particulièrement vivace en Egypte et dans les pays iraniens 2 , autrement dit là où un particularisme de base se renforce au souvenir d'une histoire spécifique, voire, dans le cas de l'Iran, à la survivance d'une langue nationale. On peut classer les œuvres composant cette littérature en trois catégories fondamentales : les monographies historiques appliquent à un domaine spatialement circonscrit la technique éprouvée des traditions profanes (ahbàr), employée par les histoires universelles 3 ; elles s'attachent parfois, de façon toute particulière, à la description des lieux, soit qu'elles lui réservent un chapitre spécial, comme c'est le cas chez al-Hatïb al-Bagdâdï, soit qu'elles évoluent globalement, sous cette influence, vers un genre spécial, celui de la topographie historique (les hitai), qui connaîtra sa plus grande vogue en É g y p t e 4 ; enfin, le thème de la défense et illustration du pays, avoué ou latent en toutes ces œuvres, peut s'accuser au point de les transformer en recueils de particularités (hasâ'is) et d'avantages ( f a d â ' i l ) à la gloire dudit pays 5 : un des exemples les plus célèbres de ces recueils est à R o s e n t h a l , Hislory of Muslim Historiography) ; GAL (voir références ci-dessous, notes 3 et suiv.). Impossibilité, en t o u t état de cause, d ' u n e recension t o t a l e : cf. K r a t c h k o v s k y , p. 166 (170). 1. L'expression est de C. Cahen, op. cit. 2. Le cas de l ' E s p a g n e sera e x a m i n é un peu plus loin. 3. Citons ici (cf. K r a t c h k o v s k y , p . 164 [168]) 'Ali as-Saliâmï, m o r t en 344/955, a u t e u r d ' u n e histoire des g o u v e r n e u r s du H u r â s â n , et NarSabï, m o r t en 348/959, a u t e u r d ' u n e histoire de B u l j â r à ; p o u r I ' É g y p t e : 'Abd a l - H a k a m , m o r t en 257/871 (histoire de la conquête de I ' É g y p t e et du Magrib : K r a t c h k o v s k y , ibid. ; GAL, t . I, p. 154) et M u h a m m a d b. Yûsuf a l - K i n d ï , m o r t en 250/961 (histoire des gouverneurs et cadis d ' É g y p t e : K r a t c h k o v s k y , p. 164-165 [168-169] ; GAL, t . I, p. 155 et Suppl., t . I, p. 229-230). Ce genre de t r a d i t i o n s historiques locales p e u t , d u reste, s'intégrer à des œ u v r e s plus vastes : cf. p a r exemple les listes d e préfets données p a r Y a ' q u b ï (Pays, passim) à l'occasion de la description des provinces. 4. P o u r la célèbre i n t r o d u c t i o n topographique à l'histoire de B a g d a d , d ' a l - H a t l b a l - B a g d â d l ( m o r t en 463/1071), cf. l'éd., avec t r a d u c t i o n et i n t r o d u c t i o n , de G. Salmon, Paris, 1904, 184 p. + index et t e x t e arabe. E n ce qui concerne B a g d a d , d u reste, la t r a dition est p e u t - ê t r e plus ancienne : cf. K r a t c h k o v s k y , p. 163 (167), p o s a n t le cas d ' A h m a d b. Abî T à h i r T a y f û r . P o u r les hitat d ' É g y p t e , a j o u t e r , a u x n o m s , d é j à cités (note précédente), de ' A b d a l - H a k a m e t M u h a m m a d al- K i n d ï , lesquels consacrent, à ces problèmes de t o p o g r a p h i e historique, soit u n c h a p i t r e de leur o u v r a g e historique, soit u n o u v r a g e particulier, les n o m s d'al-Qudâ'ï, m o r t en 454 /1062 (cf. K r a t c h k o v s k y , p . 165 [169] ; GAL, t. I, p. 418-419 et Suppl., t . I, p. 584-585), et d ' I b n Zulâq (sur ce dernier, cf. note suivante). L a t r a d i t i o n se p o u r s u i t , au-delà des limites chronologiques de c e t t e é t u d e , avec de n o m b r e u x auteurs, d o n t le plus i m p o r t a n t est Maqrïzi, m o r t en 845/1442. La Syrie est représentée par A b u 1-Hasan 'Ali a r - R a b a ' ï , m o r t en 435/ 1043 (cf. t a b l e a u des a u t e u r s ) . 5. On a d é j à n o t é , c h e m i n f a i s a n t (cf. n o t a m m e n t p. 54-56, 174-175), l ' i m p o r t a n c e de ces t h è m e s dans les l e t t r e s arabes et sans d o u t e les lettres orientales en général. Citons ici ' U m a r b. M u h a m m a d al- Kindî, fils d u Kindï cité a u x d e u x notes précédentes

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l'Abrégé des merveilles (Muhlasar al-'agâ'ib), composé vers l'an 1000 p a r Ibrahim b. Wasïf S â h . 1 On a déjà présenté cette œ u v r e 2 comme l'aboutissement d'une littérature de l'insolite, dont les thèmes se développent, selon un processus continu, dans le sens de l'accentuation du merveilleux : Ibrahim b. Wasïf Sàh est ainsi, pour l'époque qui nous occupe, le dernier jalon de cette chaîne qui, depuis le milieu du ix e siècle de J.-C. et de cinquante ans en cinquante ans environ, fait chaque fois s'ajouter l'extraordinaire à l'extraordinaire, à travers ces œuvres qui ont nom Relation, Supplément, Merveilles de l'Inde, et enfin, Abrégé. C'est à bon droit, p a r conséquent, qu'on peut parler d'une encyclopédie de l'insolite à propos de la première partie de l'Abrégé3, laquelle traite des mirabilia de l'ensemble du monde. Du même coup, le reste de l'œuvre, consacré à l ' Ë g y p t e seule et inspiré de puissantes traditions locales 4, vise à présenter le pays, à travers son histoire pré-islamique ou légendaire, ses monuments et son fleuve, comme la terre d'élection de ces mirabilia 5 : ainsi, tout comme il est l'aboutissement de la littérature des merveilles, l'Abrégé donne également, à t r a v e r s cette littérature qu'il applique à un pays de choix, une de ses formes les plus caractéristiques au genre des hasâ'is et des fadâ'il. D e cette littérature provinciale, souvent encore très mal connue », une certitude au moins se dégage : son silence absolu q u a n t à la géographie humaine. Silence fort explicable, du reste, dans la mesure où ces œuvres, relevant de l'histoire, affichent, comme on l'a dit au chapitre précédent 7 , une spécificité qui les rend irréductibles aux notations « extérieures », géographiques notamment. La topographie, à laquelle, on l'a vu, elles peuvent être conduites, n'est guère, de ce point de vue, que l'application (cf. K r a t c h k o v s k y , p. 165 [169] ; GAL, Suppl, t . I, p. 230), a u t e u r d ' u n livre sur les fadâ'il de l ' É g y p t e , et I b n Zûlâq, m o r t en 387/997, a u t e u r , p o u r l ' E g y p t e encore, d ' u n ouvrage à cheval sur le genre des fadâ'il et celui des bitat (cf. K r a t c h k o v s k y , ibid. ; GAL, ibid).). Les fadâ' il inspirent des poésies entières : cf. la Risâla fi mahâsin Içfahân (Epttre sur les charmes d'Ispahan), d'al-Mufaddal b. Sa'ïd al-Mâfarrubî, écrite, en vers pour sa plus grande p a r t i e , en 421 /1030 (cf. GAL, Suppl., t . I, p. 875). 1. Sur l ' o r t h o g r a p h e de ce n o m et la discussion relative à la d a t e de composition de l'Abrégé, voir références au t a b l e a u des a u t e u r s . 2. P. 124, 130. 3. P. 3-157 de la t r a d . de Carra de V a u x , op. cit. Cf. p a r exemple l'accélération d u f a n t a s t i q u e dans les récits de marins (p. 31-32, 38-39) et le cycle des îles f a n t a s t i q u e s (p. 45-54, 67-74). 4. Cf. Carra de V a u x , op. cit., p. X X I I I - X X I V . 5. Cf. l'eulogie qui ouvre cette deuxième p a r t i e (p. 161) et d o n n e le ton à t o u t e c e t t e histoire égyptienne ; sur les m o n u m e n t s , cf. i n d e x , s.v. « Memphis », « O c h m o u n », « P y r a m i des», etc. ; sur le Nil, passim et p. 343-350 (sur l'origine divine du fleuve). 6. T e x t e perdus, ou connus seulement p a r des citations éparses où le visage originel des œ u v r e s se dégage mal, ou encore m a n u s c r i t s , ou encore mal ou partiellement édités, les lacunes sont décidément immenses : cf. K r a t c h k o v s k y , loc. cit. et a n n o t a t i o n . 7. P. 239-241. A n d r é MIQUEL.

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d'un principe qui reste strictement historique, à savoir la fixation, dans l'espace, des faits qui constituent précisément l'histoire : rien là, donc, qui soit vraiment géographique, tant que cette topographie — ce qui est le cas — reste topographie et ne s'élargit pas, au-delà de l'inscription des lieux sur la carte, jusqu'à leur peinture et surtout jusqu'à l'évocation des activités qui s'y déroulent, non pas tel jour, privilégié et révolu, de l'histoire, mais tous les jours que Dieu fait dans la vie des hommes. 1 Mais quoi d'étonnant à cette attitude, si l'on songe qu'une histoire ainsi conçue est exclusivement fondée sur le récit rapporté (habar), qui laisse peu de place à des évocations de ce genre, dont la fraîcheur et l'existence même dépendent évidemment d'un contact personnel de l'auteur avec la réalité à décrire ? Ici, le souci permanent de l'autorité invocable, et cette conviction aussi que la vérité, pour être affirmée et crue, doit passer par un autre, paralysent les auteurs lorsqu'ils se confrontent à un pays : celui-ci, pour eux, est toujours une somme d'ahbâr disponibles, à propos des faits marquants de son histoire, de ses hommes célèbres, de ses mérites, et jamais une invitation à l'observation personnelle et directe ('iyân). Incapacité, à nos yeux du moins, majeure et formidable, qui fait qu'un écrivain comme al-Hatïb al-Bagdâdï peut passer la plus grande partie de son existence à Bagdad sans jamais en parler autrement que par ouï-dire. 2 On jugera par là des entraves qu'en ce système comme en d'autres, les données d'une culture opposent à l'exercice de la personnalité. E t l'on conclura, pour s'en tenir au sujet de cette étude, en invoquant une fois de plus le caractère révolutionnaire — et nécessaire — que revêtira, dans l'avènement de cette géographie humaine véritable que seront les masâlik wa l-mamâlik, l'apparition de personnes autant et plus que d'écrivains. On objectera peut-être, en se rappelant ce que nous disions au chapitre d'Ibn al-Faqïh, qu'il n'est pas impossible a priori que certains auteurs, tout en restant exclusivement tributaires de la méthode des ahbâr, débouchent sur une géographie et même, par certains côtés, sur une manière de géographie humaine. Mais encore faut-il — ce qui n'est pas le cas pour cette littérature provinciale — que l'auteur ne soit pas, comme ici, englué dans une histoire qui lui dicte la totalité de la matière de son livre. Ce qui fait le prix, on l'a vu, de l'œuvre d'Ibn al-Faqïh, c'est la systématisation de la collecte des ahbâr, collecte jamais close, par laquelle il arrive à s'intéresser à t o u t ce qui constitue, historiquement ou topographiquement sans doute, 1. Un exemple typique nous est donné par al-Hatïb al-Bagdâdï, trad. Salmon, p. 132-133 : la seule évocation des rues de Bagdad — non pas celles du Bagdad monumental qui fait le sujet de cette introduction topographique, mais les rues vivantes, avec le peuple qui les hante — intervient à l'occasion d'un événement : la réception d'un ambassadeur byzantin sous le règne d'al-Muqtadir. 2. Cf. trad. Salmon, p. 26-27.

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mais aussi économiquement, un pays. 1 Car c'est bien là, en définitive, que réside la faiblesse de cette littérature régionale : dans les traditions qu'elle nous livre, les pays, au vrai, n'apparaissent pas, ou du moins n'apparaissent que comme lieux d'une histoire dont chacun tient, à l'exclusion de toute autre source, sa singularité par rapport au reste du monde. L'histoire passe ainsi avant la terre, elle seule est grâce et ses événements exemplaires, absolus, dérobent aux regards la vie quotidienne des hommes. La littérature provinciale : les calendriers Les conditions historiques de l'expansion musulmane, qui met les Arabes en présence de civilisations où le calendrier semble une institution connue depuis les âges les plus lointains, tout comme les nécessités mêmes d'une connaissance plus approfondie du temps astrologique et du temps climatique, ont amené, ainsi qu'on l'a dit plus haut, l'élargissement du genre des anwâ' et son passage à celui de l'almanach. Les maillons de cette évolution sont désormais connus a , parfois même dans la lettre des textes : si trop de pertes, ici encore, affectent des ouvrages essentiels 3 , du moins la chance nous a-t-elle conservé un des exemplaires les plus remarquables de cette littérature, le Calendrier de Cordoue, composé vers 350/961 en Espagne. L'ouvrage se présente comme une liste, mois par mois et même jour par jour, des influences astrales, des phénomènes météorologiques, des productions ou des activités de la terre et, enfin, des fêtes, chrétiennes pour la plupart. En ces matières, l'Espagne confirme ce qui semble alors une des constantes de sa production littéraire : elle suit, avec un décalage chronologique variable, des impulsions venues de l'Orient, mais les enregistre dans un esprit bien à elle, que justifie l'originalité de sa place à l'extrémité des terres musulmanes et de son histoire au sein de cet ensemble : car le Calendrier, s'il sacrifie, jusque dans les mots eux-mêmes, à une tradition qui lui vient de l'est, ne s'en intéresse pas moins, en priorité, au pays où il 1. On opposera par exemple, aux caractéristiques ( ¿ a s â ' i » et avantages ( f a d â ' i l ) exposés dans cette littérature des provinces et puisés aux souvenirs de leur histoire, ceux que cite Ibn al-Faqïh : monuments et merveilles, sans doute, mais aussi faune et flore, climat, produits du sol ou de l'artisanat, etc. 2. Cf. Pellat, « Dictons », op. cit., p. 38 sq. 3. Tel est le cas notamment du Kitâb al-anwâ' de Sinân b. Tâbit b. Qurra, mort en 331/943, fils du célèbre mathématicien et astronome mort en 288/901 (cité supra, p. 244, note 4) : le Kitâb de Sinân est décidément trop imbriqué au texte des Âiâr de Bïrûnl (cf. éd. Sachau, p. 243, 244, 270, 275, 326) pour qu'on puisse vraiment lui attribuer, de façon précise, ce qui lui revient en propre à l'exclusion de son successeur : cf. Pellat, op. cit., p. 39. C'est pourquoi on n'a pu faire figurer Sinân au nombre des sources exploitables pour l'étude de la thématique de la géographie arabe, telle qu'elle est définie au tableau des auteurs.

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voit le jour. 1 Terre d'Espagne, seule ou presque, et saisie dans sa vie quotidienne, d'un bout de l'an à l'autre : on pressent que le traitement d'un pareil thème s'identifie à une véritable étude de géographie humaine : étude d'autant mieux conduite que l'auteur, visiblement éloigné des préoccupations de l'adab et exempt de toute ambition littéraire ou sociale s'efface, jusqu'à l'anonymat 3 , derrière son sujet, qui seul compte. Bien des traits apparentent ainsi le Calendrier aux œuvres des masâlik wa l-mamâlik, comme lui attentives aux réalités de la terre. J e sais bien que cette attention opère, dans les masâlik, sur un plan beaucoup plus vaste qu'elle ne le fait avec ce Calendrier presque exclusivement espagnol4 ; et puis, les masâlik connaissent, toujours dans l'ordre strict de la géographie humaine, d'autres préoccupations que l'art des champs, les fctes ou l'observation du temps. Mais, si les masâlik débordent ainsi largement le cadre de l'almanach, il n'en reste pas moins que les thèmes de celui-ci s'intègrent le plus naturellement du monde à la description de la terre dans les masâlik. On respire, en certains de leurs passages, notamment chez Muqaddasï, une fraîcheur puisée, comme celle du Calendrier, aux mêmes sources populaires, à la même expérience, quotidienne et sensible, du terroir et du temps. 5 Si les almanachs ou, de façon plus générale, les traditions populaires qu'ils reflètent assurent ainsi une part non négligeable de ces données concrètes qui font, on le verra, le prix des masâlik wa l-mamâlik, on peut à bon droit se demander si ces influences s'exercent en vertu des tempéraments singuliers des auteurs 6 ou des conditions mêmes de la circulation de cette littérature folklorique. Car la diffusion de ce genre de textes a pu être beaucoup plus vaste et intense que nous ne serions tentés de le supposer. Il n'est pas interdit de penser en effet que la rareté des échantillons parvenus jusqu'à nous est en raison directe du peu de soin qu'on a manifesté pour conserver une littérature à la fois aussi spécialisée, utilitaire et populaire, une littérature, par conséquent, dont les soucis, les thèmes et le public s'éloignaient à ce point des canons de l'art d'écrire. L'écran de la littérature consacrée 1. Sur ces influences et cette originalité, cf. Pellat, op. cit., p. 39 (et notes 4, 6), 41 i.f. 2. On comptera pour rien les toutes premières pages, de ton plus ample et plus r y t h m é , c o m m e il semble de règle pour une prélace, et les quelques allusions dont il est fait é t a t infra, note 4. 3. Puisque l'ouvrage conjugue deux sources d'information, sans citer le nom du compilateur : cf. Pellat, introd. au Calendrier, p. V I I I - X . 4. Très accessoirement tributaire de la tradition bédouine, dont il reproduit quelques noms ou thèmes fondamentaux. 5. Cf. exemple pour Muqaddasï : trad., § 148, 2 1 2 , 2 3 2 . Au sens large, on rapportera à cette inspiration les innombrables passages où les auteurs des masâlik donnent des indications sur les fêtes, les coutumes, les productions et les pratiques agricoles. 6. E t n o t a m m e n t de leur connaissance plus complète de telle ou telle terre, par exemple de leur pays natal : tel est le cas pour le Palestinien Muqaddasï, aux passages cités à la note précédente.

Les monographies

et les

dictionnaires

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peut ainsi nous masquer les véritables proportions d'une littérature de colportage, sur le problème de laquelle on r e v i e n d r a . 1 La littérature provinciale

: l'Espagne

et l'Afrique

du Nord

J u s q u ' a u milieu du v e / x i e siècle, la production géographique espagnole est dominée par les deux noms de Râzï (Ahmad b. M u h a m m a d ) et de W a r r â q , sensiblement contemporains, morts tous deux dans la deuxième moitié du i v e / x e siècle et tous deux sources du grand géographe Abu ' U b a y d alB a k r ï . 8 Leur œuvre reprend, en l'appliquant au Magrib et à l'Espagne, la tradition provinciale déjà étudiée : la Description de Cordoue (Sifat Qurtuba), de Râzï, suit, par exemple, le plan utilisé par Ahmad b. Abî T â h i r T a y f u r à propos de B a g d a d . 3 De la même façon, on peut considérer que la description de l'Espagne, également de Râzï, ou celle de l'Afrique du Nord, due à Warrâq, ne sont que des applications occidentales du genre de la géographie topographique provinciale qui fleurit alors plus à l'est et n o t a m m e n t en Egypte. Un tel jugement, toutefois, ne correspondrait q u ' i m p a r f a i t e m e n t à la réalité. Le contexte, très particulier, de cette géographie occidentale, n'est pas que d'ordre topographique. Il est, t o u t a u t a n t , dicté par des impératifs politiques 4 : pour des Occidentaux comme le sont Râzï et Warrâq, la p e i n t u r e 5 de l'Espagne où ils vivent et, par voie de conséquence, l'illustration de la dynastie u m a y y a d e qui la gouverne v o n t de pair avec la description de l'Afrique du Nord, essentiellement conçue comme le terrain f u t u r de l'expansion de cette dynastie au détriment des Fâtimides : ce n'est pas un hasard si Râzï et W a r r â q écrivent au m o m e n t même où les visées fâtimides sur l ' E g y p t e incitent le calife u m a y y a d e 'Abd arR a h m â n III, conscient du vide que cette poussée va créer en Afrique du Nord, à multiplier ses initiatives de l'autre côté de la Méditerranée. Râzï et W a r r â q , avec leurs descriptions respectives de l'Espagne et du Magrib, sont ainsi comme les deux incarnations d'une même politique. 8 1. Chap. IX, p. 342-343. 2. Une autre œuvre, le Magmû' al-muflaraq, est sans doute de la plume de Bakrl : cf. É. Lévi-Provençal, dans El (2), t. I, p. 160. Sur le cas de 'Udri et Bakrî, eux aussi géographes essentiellement occidentaux, cf. chap. VIII, p. 269, note 1. 3. Cf. É. Lévi-Provençal, dans El, t. III, p. 1215. Sur Tayfur, cf. supra, p. 254, note 4. Il faudrait signaler également, sur le modèle des histoires locales parues en Orient, une foule d'histoires de dynasties ou de villes nord-africaines : cf. GAL, t. I, p. 156-157 et Suppl., t. I, p. 231-232, et R. Brunschvig, « Un aspect de la littérature historico-géographique de l'Islam», dans Mélanges Gaudefroy-Demombynes, Le Caire (1FAO), 1935-1945, p. 151. 4. Cf. Brunschvig, op. cit., p. 147-158. 5. Naturellement très laudative : cf. Râzï, p. 59, 61-63 et passim. 6. Le cas de Warrâq est sans doute le plus probant : né en Espagne, mais ayant vécu de longues années à Cairouan, il a choisi de revenir ensuite au p a y s natal, prouvant

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On conviendra toutefois que ces intentions politiques ne sont pas l'apanage des œuvres de Râzï et de Warrâq, puisque, on l'a dit, les géographies topographiques et les histoires locales s'expliquaient largement, elles aussi, par un patriotisme de même ordre. Il n'y aurait donc, à tout prendre, en passant de ces œuvres à celles des auteurs espagnols, habitants d'un pays vraiment indépendant et par conséquent plus résolus dans leur souci de servir les intérêts de ce pays et de ses chefs, qu'une accentuation de la tendance commune, et rien de plus. La différence essentielle, de nature cette fois, est décidément ailleurs : le plan suivi l , les matières traitées a , un esprit scientifique indéniable 3 et, surtout, une aptitude remarquable à traiter globalement la peinture des lieux par quelques détails essentiels 4 composent à l'œuvre de Râzï et de Warrâq un visage tout à fait original : celui-là même des masâlik wa l-mamâlik qui naissent, à ce moment-là, en Orient. Un problème est ainsi posé : l'existence de relations éventuelles, sur ce point précis, entre cet Occident et le reste du monde islamique. Si l'on songe, d'une part, que Râzï et Warrâq sont à peu près contemporains par là ses sympathies. Par parenthèse, constatons que sa description du Magrib est celle d'un connaisseur, ce qui en explique la valeur, à la fois pour les buts que poursuivaient les Umayyades d'Espagne et par ses qualités intrinsèques : d'où la large utilisation qu'en a faite Bakrî. 1. Celui de l'œuvre de Warrâq, éparpillée dans l'ouvrage de Bakrï, nous demeure inconnu. Pour Râzï, la description de l'Espagne s'ordonne de la façon suivante : généralités et eulogie (p. 59-63), Cordoue (p. 64-65), autres districts (p. 65-99), nouveau retour à des généralités (montagnes et cours d'eau de l'Espagne : p. 100-104). 2. Le trait dominant est la conjonction de données traditionnelles avec l'expérience vécue et personnelle. Relèvent des premières : l'étymologie des toponymes (Warrâq, p. 63), l'histoire des villes (Warrâq, p. 140, 178 ; Râzï, p. 73, 76, 82 et passim), les abbâr et traditions légendaires (Warrâq, p. 12-13, 23, 113, 126, 301 ; Râzï, p. 81-82, 84-86 et passim), les merveilles (Râzï, p. 73, 79, 81, 90 et passim). Relèvent de la part personnelle des auteurs : la localisation des lieux (Warrâq, p. 24, 30,231,272 ; Râzï, p. 65,66, etc.), la description des villes (Warrâq, p. 12,25-26, 280 ; Râzï, p. 64 sq.), celle des cours d'eau (Warrâq, p. 210 ; Râzï, p. 101-104), des montagnes (Warrâq, p. 304 ; Râzï, p. 66, 76, 100-101), des itinéraires (Warrâq, p. 206-209 [itinéraire marin de Tanger à Ceuta], 217, 280, 281, 289 ; Râzï, p. 68, 74, 75, etc.), des coutumes (Warrâq, p. 292), des productions (Râzï, p. 62-63, 64, 66, etc.). 3. Le talent de l'observation directe, de la notation précise, va de pair avec une incontestable aptitude à la remarque générale : on comparera, sur ce plan, la distinction des deux Espagnes, chez Râzï (p. 60-61), à celle des quatre zones de Palestine chez Muqaddasî (trad., § 225-226). 4. Citons, pour Warrâq : p. 79 (Monastir), 108-109 (Tobna), 122 (Bizerte) ; pour Râzï : p. 64-65 (Cordoue), 66 (Elvira), 97 (Algésiras), 74, 76 et passim (divers paysages : vignes, vergers, verdure), 65, 76, 83 (moulins), 91 (pinèdes et eaux vives), et, plus significatif encore, p. 76 : cite Ibn Durayd, Kindî, Gâhi?, Ibn Qutayba (s.v. « Muhammad Abd-AUah »), Dïnawarî (s.v. « Abu Hanifa »), etc. Pour Muqaddasï, il suffira de signaler et ses prétentions à la poésie et sa forte culture juridique. 2. Appréciation flatteuse chez Ibn Hawqal (trad., p. 363). La critique de Muqaddasï, dont on a fait état plus haut (p. 58, 59) et selon laquelle Gâhi? a écrit un opuscule géographique par trop avare de renseignements précis, montre bien que, si Muqaddasï est empêché, par une certaine idée reçue à propos de Gâhi?, de saisir le sens profond de l'ensemble de la construction gàhi?ienne et la véritable personnalité de cet auteur, une fois de plus t a x é ainsi de désinvolture, il sent d'instinct que l'esprit du Livre des métropoles n'est pas à condamner, mais seulement ses dimensions : comparer cette attitude avec celle que Muqaddasï adopte (trad., § 11-13 bis) vis-à-vis d'Ibn al-Faqïh, de Balbï et même de ô a y h â n ï , attaqués sur l'esprit même dans lequel ils envisagent la connaissance. 3. Cf. supra, p. 238-239.

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Hawqal, étonne d'autant plus que nous connaissons le souci d'exhaustivité, le sérieux et l'érudition manifestés par le Fihrist et que, d'autre part, les thèmes de géographie humaine, pris en charge par l'adab, circulent, eux, largement dans le public cultivé de l'époque, éparpillés dans les recueils de merveilles, les récits de voyage à l'étranger et, naturellement, les œuvres que l'on vient de citer. Il faut donc conclure que l'indifférence, peut-être l'hostilité du public cultivé du iv e /x e siècle visent moins les thèmes de la géographie humaine que leur prétention à s'ériger, avec les masâlik, en un genre indépendant. L'analyse des motivations de l'exclusive ainsi lancée contre la jeune géographie conduit, semble-t-il, à des conclusions assez sûres. D'abord, si on veut définir cette attitude par la négative, on conviendra qu'on ne saurait lui donner pour raison un quelconque parti pris monopolistique, un malthusianisme littéraire ou tout autre sentiment de frustration jalouse de la part des tenants des genres accrédités. Aussi bien avons-nous montré, à partir des textes fondamentaux d'Ibn al-Faqïh \ que la culture littéraire (adab) jouait le rôle de passeport social égal en valeur à la richesse, au pouvoir ou au sang et que, s'il existe bien une élite, même une caste de lettrés, celle-ci reste par définition ouverte à tout postulant que ses moyens intellectuels et ses connaissances mettent à même de jouer les règles du jeu de l'admission, lesquelles n'ont de secret que pour les incapables. Mais c'est ici, précisément, que le bât blesse les auteurs des masâlik : de ce jeu, én effet, ils s'écartent en faisant intervenir, avec le voyage en pays d'Islam et l'ostentation de l'aventure personnelle, deux thèmes éminemment contraires, du moins pour cette époque, aux normes du système culturel qui s'incarne dans l'adab.2 E t ils sentent bien la difficulté, puisque tous invoquent ce patronage des prédécesseurs, cette imitation (inlihâl) où l'on voyait alors 3 la règle d'or de la consécration littéraire. Le malheur est que le procédé se retourne contre les masâlik : car, de tous les aînés ainsi appelés à la rescousse, en est-il vraiment un qui égale, au panthéon des grands écrivains, ceux que l'adab tient pour ses orfèvres : ôâhiz, Ibn Qutayba, les philologues, les poètes ? Sans vouloir s'essayer ici à une bourse des valeurs littéraires *, est-il déraisonnable de penser que, si Ibn tjurdâdbeh ou Qudâma par exemple 1. Supra, p. 153, 184-185. 2. Le mouvement que symbolise par exemple l'édition d'Içfabri par M. ô. "Abd al-'Àl al-Hînî, dans la collection «Notre héritage» (Turâtunâ), sous les auspices du Ministère de la Culture et de l'Orientation nationale de la République Arabe Unie (Le Caire, 1961), ce mouvement, donc, est récent et presque révolutionnaire : à combien d'étudiants et d'érudits arabes les noms des grands géographes d'avant l'an mil restent-ils inconnus 1 3. Supra, p. 163-164. 4. Périlleuse, étant donné la difficulté de l'exploration des documents, mais dont les contours pourraient être assez bien mis en lumière le jour où l'on aurait enfin défini, par une exploitation systématique des textes, le concept d'adab.

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ont les honneurs du Fihrist, c'est à leurs ouvrages de critique ou d'adab qu'ils le doivent, beaucoup plus qu'à leurs talents de géographes ? ' E t en quelle estime réelle ce public cultivé, si amateur d'exercices de style, pouvait-il tenir leurs œuvres géographiques, où l'expression, en tant que telle, occupe si peu de place ? 2 On s'explique mieux, si on concède au moins une part de bien-fondé à ces interrogations, l'ambition littéraire — naïvement proclamée et plus naïvement encore mise à exécution — des masâlik, au fur et à mesure que le genre affirme son indépendance. La référence de Muqaddasï au procédé, si en honneur alors dans l'art d'écrire, du mélange du sérieux et du plaisant 3 , l'utilisation de recettes éprouvées comme la controverse, la comparaison ou la devinette, l'usage, enfin, dans certains passages voulus nobles, de la prose assonancée (sag'), voire de la poésie 4, tendent au même but : la revendication, pour la géographie, du titre de littérature. E t l'on éclaire mieux, ce faisant, les raisons de l'attitude contradictoire où s'enferme un Muqaddasï, lequel postule pour son livre le droit et l'honneur de sacrifier aux normes littéraires, pendant qu'au même instant, en stricte méthode scientifique, il les conteste à ceux de ses prédécesseurs qui s'y essayèrent. • La contradiction est en effet inévitable pour peu qu'on pose avec rigueur les données du problème que Muqaddasï doit résoudre. Il est, d'un côté, parfaitement conscient des exigences auxquelles le soumet sa propre définition comme savant, mais, d'un autre côté, non moins soucieux de cette consécration comme écrivain qui seule assurera à son œuvre la diffu1. Même réflexion pour les autres géographes enregistrés par le Fihrist, lesquels sont des polygraphes, donc inscrits à plusieurs titres (à noter du reste, pour Qudâma, que le Kitâb al-barâg ne se présente pas comme un livre de géographie). On concédera que nous manquons singulièrement de preuves pour apprécier le degré d'estime dans lequel une conscience de lettré arabo-musulman du i v e / x e siècle tenait la géographie par rapport aux autres disciplines. Trancher hardiment du problème friserait le viol de conscience. J e me borne à constater qu'aucun des auteurs cités par le Fihrist n'est consigné au seul titre d'une œuvre géographique, et je m'interroge toujours sur l'étrange absence de Ya'qûbï, comme si ce pionnier des mas&lik, né trop tôt, avait porté jusqu'en son histoire le péché d'être un géographe de tempérament, comme il le dit lui-même, à peu de choses près, dans la préface des Pays. 2. Les conseils de Qudâma en cette matière sont strictement inspirés, comme on l'a dit au chap. III, de son souci très précis de formation du fonctionnaire : écrire clairement et pertinemment, beaucoup plus que bien écrire, telle pourrait être la devise de Qudâma lui-même, chez qui le style, loin d'être cultivé pour lui-même, est toujours asservi à l'expression d'une pensée. 3. L'ambition littéraire est affirmée p. 8 de l'éd. de Goeje (trad., § 20) ; exemple de style noble p. 113. Sur l'alternance du sérieux et du plaisant, cf. § 13 bis : « H m'arrive de composer de ci de là en prose rimée pour que le lecteur ordinaire y trouve une détente ». 4. On reviendra sur ces procédés un peu plus loin, lors de l'étude du style des auteurs. 5. Trad., § 13, 13 bis.

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sion nécessaire. 1 Or, sur ce dernier point, il prouve un sens très exact des impératifs auxquels le goût de son époque plie tout candidat à ladite consécration. Il sait très bien que l'adab, prodigieusement ouvert et capable d'assimiler tous les thèmes a pourvu qu'ils lui soient présentés dans les formes, est opposé, non pas, dans le principe, à la constitution en discipline autonome et de plein droit, sous la forme des masâlik, des divers thèmes géographiques jusque là éparpillés dans des œuvres tenues pour mineures, mais bien au traitement de ces thèmes dans un esprit non «orthodoxe». D'où l'indispensable référence aux aînés. E t comme un examen impartial de leurs œuvres fait assez voir que ces aînés n'ont pas trouvé l'équation idéale entre les nécessités de l'information savante et celles de l'expression 3 , c'est convenir qu'il reste, sur ce point essentiel de la communication avec le public, à innover, et donc que le genre n'a, dans la réalité, aucune tradition derrière lui. Concluons, sans trancher pour l'instant du problème de leur réussite en ce domaine 4 , que l'originalité des auteurs des masâlik fut au moins de saisir toute l'importance des questions d'expression. Soucieux d'adapter leur production aux goûts du public de leur temps, ils rompent avec la géographie des cénacles de techniciens ou de savants et, tout en se définissant eux-mêmes comme savants, entendent que leur œuvre, après celle d'Ibn al-Faqïh, se modèle suffisamment aux normes du système pour bénéficier de ce réseau de diffusion que mettent à sa disposition les milieux littéraires de Vadab. La géographie des masâlik peut maintenant se définir par tous ses traits fondamentaux : c'est une géographie réfléchie, en ce sens qu'elle est consciente d'elle-même et de son sujet, qui est l'Islam; une géographie humaine totale, parce qu'elle traite de tout ce qu'elle estime intéresser l'étude de l'homme sur son sol ; une géographie concrète, vécue dans l'aventure et rapportant en définitive la majeure part de ses données à l'observation directe ; et enfin, comme elle ne sépare pas l'enregistrement de ces données de la possibilité de les transmettre, une géographie rédigée. Ya'qûbï : une ébauche réussie des masâlik wa 1-mamâlik On a indiqué, au troisième chapitre, les rapports de Ya'qûbï avec la géographie administrative et montré comment, situé à une articulation chronologique essentielle de la jeune géographie arabe, il intervenait direc1. La volonté de faire œuvre accessible et utile est constante dans l'ouvrage : cf. trad., § 2, 5, 13 bis i.f., 20, etc. 2. Cf. supra, p. 100, 161, 164, 171 et passim. 3. Ibn al-Faqïh péchant par excès littéraire et Gayhânl par excès de méticulosité scientifique : trad., § 11, 13 bis. 4. Cf. infra, étude sur le style.

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Géographie humaine du monde

musulman

tement, par la révolution méthodologique du voyage, dans l'élargissement de la littérature administrative vers ce qui devait devenir les masâlik wa l-mamâlik. On a par ailleurs, au chapitre VI, souligné son rôle éminent d'historien. Il convient maintenant d'apprécier à sa mesure le caractère novateur de Ya'qûbï, que nous avons déjà promu pionnier d'un genre qui s'incarne en IstaJjrï, Ibn Hawqal et Muqaddasï : pionnier, c'est-à-dire, malgré tous ses mérites, en deçà encore de la géographie totale définie plus haut. Ce n'est pas, certes, qu'aucun des thèmes de cette géographie manque à l'appel : l'admirable Kitâb al-buldân, rédigé dans le dernier quart du m 6 / ix e siècle 1 , rassemble, malgré les mutilations qu'il a subies, des notions de géographie politique, administrative, sociale, ethnographique, linguistique, religieuse, agricole, industrielle et commerciale 2 ; c'est littéralement le programme des masâlik, et traité dans le même esprit qu'eux. Deux tests décisifs en font foi : la géographie physique pure, à la manière de la sûra, est bannie du Kitâb al-buldân s, tout comme en sont bannis les mirabilia Çagâ'ib) à la manière d'Ibn al-Faqïh, la seule concession au genre étant la géographie monumentale, elle-même appendice de cette histoire qui reste inséparable de l'œuvre de Ya'qûbï. 4 1. E n 276/889, selon G. Wiet, introd. a u x Pays, p. X I , vers 278/891 selon K r a t c h k o v sky, p. 151 (159). 2. On ne p e u t é v i d e m m e n t faire ici é t a t q u e de quelques exemples : cf., p o u r la géographie politique, le t a b l e a u d u Magrib (p. 342 sq) et les listes de préfets d u Sigistân ou du U u r â s â n (p. 282 sq., 295 sq.) ; pour la géographie a d m i n i s t r a t i v e , p. 276, 279, 292 (routes postales), 271-272, 275, 281 (divisions territoriales de préfectures), 324 sq. (mêmes divisions, p o u r les circonscriptions militaires de Syrie-Palestine), 279 (résidence de l ' a u t o r i t é préfectorale), 289 (trad., 103, 1. 11 : fixation de f r o n t i è r e a d m i n i s t r a t i v e ) , 293 (monnaies), 314 ( i m p ô t de la dîme ; le t h è m e d e l ' i m p ô t foncier [harâ