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French Pages 732 [744] Year 1975
La géographie humaine du monde musulman jusqu'au milieu du 11e siècle
ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES — SORBONNE SIXIÈME SECTION
: SCIENCES
ÉCONOMIQUES
ET
SOCIALES
CENTRE DE RECHERCHES HISTORIQUES
Civilisations et Sociétés 37
MOUTON
PARIS - LA HAYE
ANDRÉ MIQUEL
La géographie humaine du monde musulman jusqu'au milieu du 11e siècle Géographie arabe et représentation du monde : la terre et l'étranger
MOUTON PARIS - LA HAYE
ISBN 2-7132-0044-X et 2-7193-0442-5 © 1975 Mouton & C° and École Pratique des Hautes Études
« L'amour, c'est l'espace et le temps rendus sensibles au cœur. »
(Proust, La Prisonnière)
POUR
CLAUDE
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Voilà déjà sept ans que j'annonçais, dans le premier tome de cette Géographie humaine du monde musulman (Paris-La Haye, 1967), le présent livre, qui devrait n'être lui-même que le premier d'une série, avant la description de la nature et des hommes composant les pays d'Islam, aux IIIe¡IXe et IVe¡Xe siècles de notre ère. Pour définir la perspective dans laquelle s'inscrivent les deux ouvrages parus, je reprends les termes d'un article, « Comment lire la littérature géographique arabe du Moyen Age ? », paru dans les Cahiers de Civilisation médiévale, Centre d'Etudes Supérieures de Civilisation Médiévale de l'Université de Poitiers, XV (2), avril-juin 1972, p. 97-104 \ « Par littérature géographique arabe, on entend l'ensemble de la production rédigée en cette langue à partir de l'installation du califat abbasside de Bagdad ( I I e siècle de VHégirejV11Ie siècle après J.-C.), et se proposant la description de tout ou partie de la terre. Ces textes ont des origines diverses : cartographie de l'école de Ptolémée, revue et corrigée selon les acquis de la connaissance concrète des nouvelles terres où l'Islam s'installe, mais aussi littérature technique à l'usage des fonctionnaires, pour la connaissance des frontières, des itinéraires de la poste et du cadastre, enfin relations de voyages, rédigées à l'intention de commerçants surtout. 1. Reproduit avec l'aimable autorisation du C.E.S.C.M.
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Dans le courant du IVe/Xe siècle, ces divers courants se fondent en deux genres principaux : l'encyclopédie pour public cultivé mais non spécialisé, d'une part, et la description, pays par pays, du monde musulman, d'autre part. On se contentera pour l'instant de cette mise en place sommaire, les définitions complémentaires devant être dégagées en fonction même de l'utilisation qu'on veut faire de ces textes. *
La première voie offerte est celle de l'histoire. Ces textes offrent en effet une matière de choix à tous ceux qui se proposent de les utiliser comme moyens, en l'occurrence comme une source, souvent de premier ordre, pour la connaissance du monde musulman au Moyen Age. Leur originalité, de ce point de vue, est frappante. Dans une littérature si souvent préoccupée de problèmes théoriques, ces textes-ci rendent un son original, inspirés qu'ils sont, au moins pour beaucoup d'entre eux, d'un souci d'observation concrète. ,L'histoire de la vie quotidienne du monde musulman classique, de ses phénomènes économiques, de ses productions, peut s'y enrichir considérablement, comme le montre, de nos jours, une foule de travaux. Il y a des dangers, certes. Dans la mesure où les écrivains se proposent d'intégrer cette connaissance concrète au bagage encyclopédique de l'honnête homme, la tendance est trop souvent à considérer telle ou telle donnée comme un article de cette connaissance, livrable, sans aucune mise à jour, d'un auteur à l'autre. Le thème de l'impôt foncier ^harâg^ d'une province célèbre, par exemple, peut se retrouver intact à un demi-siècle d'intervalle, comme si, entre temps, l'histoire eût -été immuable. Le problème est ainsi posé de savoir si certains encyclopédistes entendent peindre vraiment la réalité ou assurer la permanence d'un certain répertoire de la connaissance de l'honnête homme. Sans doute l'historien est-il prémuni contre ce danger : la permanence du thème agit sur lui, a priori, comme un signal de doute méthodique. Mais ce danger n'est pas le seul. Aucun auteur ne pousse, on s'en doute, le souci d'objectivité aussi loin que l'entend la science aujourd'hui. Tous, peu ou prou, consciemment ou non, laissent percer les options politicoreligieuses qui les inspirent, à tel point qu'ils corrigent parfois leurs œuvres, selon deux versions successives qui ménagent les interrogations, les inquiétudes ou les révisions de leurs engagements. Mais, dira-t-on, ici encore, l'historien de profession sait comment corriger une vision personnelle, parfois partiale, des choses. Une antipathie suspecte et répétée pour tel pays ou telle dynastie, ou, au contraire, un éloge résolu de tel autre, une invocation, une prière, invitent à établir la relation entre l'auteur et une tendance politique ou religieuse, relation qui permettra à l'histoire de ne prendre les renseignements donnés à cette occasion qu'avec la prudence scientifique indispensable.
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Il reste que, même s'il surmonte ces obstacles qui sont le lot presque normal de sa discipline, l'historien ne saurait venir à bout d'une autre difficulté. Difficulté ? A dire le vrai, il ne se la pose pas comme telle, pour la simple raison que sa démarche se situe en dehors. Sans lui faire, donc, aucun procès de tendance, constatons qu'il considère ces textes de l'extérieur, qu'il les prend comme des objets utilisables pour sa discipline à lui, en un mot qu'il ne les pénètre pas, puisque aussi bien ce n'est pas son propos. Mais un problème reste posé, qui est de savoir si l'objectivité, l'objectivisme même, de l'historien épuise tout le champ d'interprétation de ces textes. On devine que nous ne le pensons pas. Une autre voie s'offre, qui est de faire ¿'histoire de cette géographie. Les textes en question se voient ainsi promus comme sujets d'étude pour eux-mêmes, et non plus pour une discipline, l'histoire, que leur seule raison d'être serait de servir. Faire non plus l'histoire avec ces textes, mais l'histoire de ces textes, c'est, d'abord, les replacer dans le contexte culturel où ils se sont élaborés, puis développés : ainsi avons-nous fait au premier tome de cette Géographie humaine du monde musulman. Ce titre peut sembler réduire l'ensemble du domaine géographique à ce qui n'en est, comme on nous l'apprend aujourd'hui, qu'une partie. En réalité, il ne s'agit pas d'un sous-ensemble, mais de l'ensemble en sa totalité, dont l'épithète « humaine » est une spécification essentielle, et non pas le signe d'une de ses partitions possibles. Tout d'abord, au niveau le plus immédiat de la perception, l'épithète doit s'entendre dans le même sens qu'aujourd'hui : de plus en plus à partir de ses origines, les thèmes de géographie humaine se taillent dans cette littérature une part considérable. Mais il y a plus : entre macrocosme et microcosme, cette géographie, héritière de l'antiquité, tisse un réseau complet de relations. Tout ce qui est humain est cosmique, tout ce qui est cosmique est humain. Si l'homme reproduit en petit le modèle universel, la réciproque n'est pas moins vraie : les tempêtes, par exemple, sont la bile de la mer, et la terre vieillit; sans doute le fait-elle non pas en bloc comme l'homme, mais par parties, ce qui assure, pendant que la décrépitude se produit ici, la régénération ailleurs. Mais, une fois réservés les droits de l'antagonisme posé, de décret divin, entre mort et vie, homme et univers, il reste que la vie du monde respecte, en son principe sinon en ses modes, l'exemple qui lui est fourni par l'homme : c'est par référence (de l'ordre de la différence) à celui-ci qu'est posée et expliquée la vie universelle. Et du reste, toute la création n'est-elle pas faite à destination de l'homme ? Les astres, les climats, sont là pour modeler sa complexion physique et son tempérament. Les plantes et les animaux le servent, et ne servent que lui; tout comme leur existence est prévue, par le Créateur, en fonction de l'homme, leur étude ne s'attache pas à eux comme le fait notre botanique ; elle ne se propose pas leur connaissance en soi, mais la connaissance de leur utilité : végétaux et ani-
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maux ne sont qu'aliments possibles, peaux ou textiles, teintures, aromates, voire (s'ils ne sont pas, dans la réalité des faits, utilisables ni utilisés) curiosités qui doivent guider l'esprit de l'homme sur le mystère du monde : de ce point de vue, même le merveilleux n'est pas gratuit; il est le signe qui nous fait savoir qu'à travers lui, Dieu nous interroge. Enfin, l'homme n'intervient pas seulement comme objet, mais aussi comme sujet de cette connaissance. Rien de moins désincarné que cette science, où les choix politiques, on l'a dit, interviennent, mais aussi le récit des aventures vécues, des amitiés nouées, l'amour et le regret du pays natal, les préférences culinaires, et tant d'autres irruptions de l'individu. N'oublions pas, surtout, les intentions littéraires : réussies ou non, elles prétendent donner à l'œuvre la sanction de l'écriture consciente, poser le rédacteur non pas seulement comme enregistreur d'un donné, mais comme auteur. Ainsi, par la place de l'homme, sujet au moins autant qu'objet de cette littérature géographique, les parallélismes, confrontations, comparaisons, commencent à s'imposer : et d'abord, avec la géographie constituée enfin (à partir du XIXe siècle) comme science véritable, où l'homme-sujet s'efface au profit exclusif de l'objet de l'étude : l'homme en tant que phénomène, ou la terre, avec ou sans lui, en tout cas sans cet a priori finaliste qui est, on l'a dit, une dominante de nos textes. Telle quelle, cette comparaison nous invite, on le pressent, à une grande tentation : celle d'étudier ces textes non plus comme livrant les signes extérieurs d'une civilisation ou d'une culture, mais comme étant cette civilisation, cette culture elles-mêmes. L'étude des mentalités, à laquelle on est ainsi convié, sera précisée un peu plus loin, dans ses domaines, ses modes et ses paliers. On se contentera ici, à ce stade de l'exposé, de revenir, dans cet éclairage nouveau, sur quelques-uns des points dont on vient de traiter. On remarquera tout d'abord que sont levées les difficultés qui tenaient à l'intervention, dans la connaissance, d'un sujet sous quelque aspect que ce fût. Car ce que se propose une étude des mentalités, c'est de réintégrer ce sujet dans l'objet même de la connaissance qu'elle se propose, côte à côte avec ce qui, pour ce sujet, était déjà objet de connaissance. Il s'agit, en d'autres termes, de poser, comme but de la recherche, la relation entre objet et sujet qui, jusque-là, n'existait pas. Un exemple : soit, d'un côté, une certaine connaissance de la terre et, de l'autre, le sujet (auteur, école, tendance) qui l'expose. Le nouvel objet de connaissance, sur quoi se fonde l'étude des mentalités, c'est bien la relation entre ces deux termes, et non plus chacun des deux termes pris un à un. Plus le sujet intervient, disait l'historien, et plus l'appréciation réelle de l'objet qu'il nous propose est difficile; nous disons, nous : plus le sujet intervient, et plus enrichie est la relation qui le lie à l'objet de sa connaissance. Ainsi voit-on que le propos est ici, non pas l'étude du monde tel qu'il
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fut dans la réalité, mais celle du monde perçu, approuvé, corrigé, remodelé, rêvé même par les consciences. Prenons le thème de Bagdad, centre du monde musulman, mais centre déclinant dès le IVe/Xe siècle; on continue à en chanter la louange, mais on en déplore aussi la décadence, on en craint la ruine. Pour nous, ce qui importe, c'est de mettre en rapport la fausseté historique d'une glorification inchangée avec la vérité dramatique du rêve poursuivi. Sinon, comment juger d'un auteur qui entonne à la fois les deux airs, celui du panégyrique et celui du thrène ? Clichés, dira l'historien de la littérature. Nous dirons, nous : distorsion entre le rêve et le réel, et drame d'une conscience déchirée. La question posée déborde, on s'en doute, le cadre d'une seule civilisation. L'intérêt de la recherche est de viser à comparer les civilisations entre elles : celles-là mêmes, bien sûr, qui vécurent aux temps de l'Islam, depuis l'Extrême-Orient jusqu'à Byzance et à l'Occident chrétien, mais, tout aussi bien, n'importe quelle autre, le but commun à ces recherches, sur quelque aire culturelle qu'on les mène, étant bien d'étudier, sinon d'éclaircir toujours, ce qui, en chaque civilisation, appartient aux héritages propres et ce qui relève de la « pensée sauvage » au sens où l'entend l'anthropologie d'aujourd'hui.
Mentalités, qu'est-ce à dire ? Le mot, sans doute parce que le français courant le connote, trop souvent, de façon péjorative, est volontiers récusé, tout comme le sont « Weltanschauung », « paysage mental », « psychisme collectif ». Mais peu importent les mots, à la vérité. Qu'on désigne l'entreprise comme on le voudra, pourvu que l'on soit bien d'accord sur l'entreprise elle-même, qui est d'apprécier la relation entre le monde tel qu'il est et la représentation que l'on s'en donne. S'agissant de la civilisation arabo-musulmane du Moyen Age, la première question à poser est celle du c h a m p m ê m e de la r e p r é s e n t a t i o n , des limites de l'objet sur lequel elle s'exerce. On peut ici distinguer trois registres principaux, qui correspondent du reste assez bien à l'apparition même des thèmes dans la littérature géographique arabe. Le premier, issu de la géographie astronomique, au croisement des influences ptoléméennes et persanes, couvre la représentation du monde global. Les questions principales sont celles de la place de la terre au sein de l'univers, des influences astrales et zodiacales auxquelles elle est soumise, de sa répartition en « climats », de sa description générale enfin, avec ses mers, montagnes et fleuves. Ce registre s'enrichit d'un autre, venu, lui, des préoccupations de la géographie des administrateurs et des voyageurs, à savoir : la description des peuples étrangers. Ainsi s'élabore, au total, la représentation de la terre, en son ensemble ou région, mais Islam non compris.
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Une autre tendance se développe à partir de la description même de la terre que Von fient d'évoquer. C'est ce que l'on pourrait appeler la géographie physique, à la condition expresse de ne pas oublier ce que l'on a dit plus haut, touchant la permanence d'une relation entre les phénomènes ou le milieu physique et l'homme. Cette précision rappelée, on décrira cette géographie-là comme se proposant, de fait, l'étude d'un milieu : non plus seulement montagnes, mers ou fleuves, mais aussi végétaux, animaux, phénomènes météorologiques, étude des sols. Un tournant important se situe au début du IVejXe siècle : sous des influences écloses en milieu iranien, cette peinture se limitera à celle du monde arabo-musulman et de lui seul, dans l'esprit de ce que l'on appelle « l'atlas de l'Islam ». Une fois resserré le champ de la géographie, un autre mouvement, comme par compensation, s'opère : en profondeur celte fois. Tout en restant limitée au monde musulman, la description ajoute, à la peinture du milieu, celle des hommes, dans l'esprit, à la fois, des administrateurs et des voyageurs. Ainsi s'élabore définitivement une géographie totale de l'Islam, dont les champs principaux seraient la géographie administrative (circonscription ou Etats, itinéraires, impôts), la géographie économique (productions, courants d'échanges, prix), la géographie religieuse (écoles, hérésies, confessions non musulmanes), la géographie du quotidien enfin (langues, coutumes, géographie biologique, techniques). Le champ ou, si l'on veut, l'objet de la représentation, étant ainsi cerné, il importe de savoir à quel palier de la société ou de la culture, dans quelles couches ou catégories de la population cette représentation s'opère. Première constatation : la conscience populaire, de masse, est absente, de cette littérature-là comme de la littérature arabe classique en général : sur ce dernier plan, on signalera au passage que les exceptions comme les Mille et une Nuits (si exception il y a) s'expliquent par des considérations très précises, tenant à des circonstances historiques bien délimitées, dans le détail desquelles on ne pourrait entrer ici. S'agissant de la géographie, un exemple unique de littérature de colportage (un calendrier espagnol sur la diffusion duquel nous ne sommes que fort mal renseignés) et certains dictons ou proverbes, très rares au demeurant, et chez un seul auteur, ne sauraient valablement nous autoriser à parler de littérature populaire. Un autre niveau est, en revanche, parfaitement repérable : celui des œuvres savantes, émanant de spécialistes. On rangera dans cette catégorie, tout d'abord, des traités qui, dans la tradition de la géographie astronomique et mathématique, s'attachent à situer sur le globe quelques points principaux qu'ils définissent par le chiffre : longitude et latitude. Rien qui débouche, ici, sur une description ou une représentation ; simplement, la notation brute, sans commentaire, le tableau, la liste. Pour notre propos, ces ouvrages ne présentent pas d'autre intérêt que de nous permettre d'apprécier le degré d'erreur ou de vérité d'une connaissance, et rien de plus.
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Mais il n'y a pas que ces textes : dans la première moitié du Ve/XIe siècle, un authentique savant, Bîrûnî, décrit par exemple avec force détails et dans une langue parfaite, l'Inde. Aucun doute : il tranche sur tous nos autres textes qui, du coup, prennent l'allure d'une littérature moyenne, ce qu'elle est du reste, dans la réalité : elle s'adresse, on l'a dit, à un public d'« honnêtes gens », cultivés mais non spécialistes. Constituant la majorité, presque l'exclusivité, de nos textes, c'est elle évidemment qui fonde notre étude et en délimite le champ social : c'est cette vision moyenne, illustrée par elle, qui nous intéresse, et non, malgré ses incontestables mérites, celle d'un Bîrûnî. A supposer qu'un spécialiste de l'Occident de la Renaissance, soucieux d'étudier, dans sa discipline, une représentation du monde, se fonde sur des textes « moyens » comme les nôtres, intégrerait-il à ses données celles d'un Léonard de Vinci ? La littérature populaire étant hors de question, et la littérature savante relevant d'un autre niveau d'analyse, nous voici donc en présence d'une littérature qui se situe entre elles deux. Encore faut-il lever un préalable : on n'aura rien fait, on ne sera habilité à poursuivre aucune recherche, si cette littérature moyenne n'est pas homogène, si elle ne constitue pas, au sens sociologique du terme, une « population » apte à justifier l'enquête qui se fonde sur elle. Mais avant que d'en arriver là, force nous est de revenir encore sur la littérature savante : du reste ces quelques mots nous mettrontils sur la voie d'une définition de la littérature moyenne, par référence à celle des savants. On pourrait nous objecter en effet que, si nous définissons la littérature moyenne comme celle de gens cultivés mais non spécialistes (au contraire de la littérature, spécialisée, des savants), la représentation du monde que nous fondons sur cette littérature moyenne ne laisse pas d'être amputée de certains éléments peut-être essentiels, ceux-là mêmes que les savants prennent en charge. En fait, il n'en est rien : les thèmes de la géographie mathématique, par exemple, sont présents dans nos textes aussi, mais digérés, simplifiés, passés au moule de la « littérarisation ». Nous ne les perdons pas, nous les récupérons, au contraire, mais transformés : au pire, mal assimilés, mal compris; au mieux, simplifiés et présentés dans l'esprit d'une vulgarisation intelligente. En tout cas, c'est bien le passage à la formulation moyenne qui crée la différence entre nos textes et ceux des technides savants, entre une culture moyenne et la spécialisation ciens, entre un savoir qui se veut aussi communication et une science qui se veut d'abord recherche. Reste à définir ce qu'on entend par moyen. L'un de ces géographes, Muqaddasï, déclare, dans la préface de son livre, s'adresser aux administrateurs, aux commerçants et à tout homme soucieux de s'instruire. Ce voisinage est éclairant : aucun de ceux-là ne prétend à une haute technicité. Ce qu'ils attendent du livre, c'est un ensemble de connaissances de base pour une documentation pratique ou une culture. Et c'est bien ce que
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ce livre, comme tous les autres qui nous intéressent ici, leur offre en effet. A cela, rien d'étonnant : nos auteurs sont eux-mêmes représentatifs •d'une moyenne. Socialement d'abord : si l'on s'adresse à l'administrateur, au marchand ou à l'honnête homme, c'est parce qu'on est soi-même — ou qu'on pourrait être — selon le cas, honnête homme, marchand ou administrateur. Mais tous trois sont personnages d'intervalle, non d'extrêmes : le fonctionnaire n'est ni le premier venu, ni le vizir ou le calife. Le marchand n'est ni le petit boutiquier du souk, ni le noble; il est, en réalité, le grand commerçant du voyage lointain, à la Chine par exemple. L'honnête homme, enfin, s'il se distingue de son homologue français par certaines différences sociales, lui ressemble néanmoins par une définition instinctive du savoir et du goût : culture plus que science, et des lumières sur tout plutôt que l'approfondissement total d'un champ de savoir. Autre définition de cette moyenne : sur le plan politico-religieux. Dans la vie de l'Islam, fondée sur des options qui représentent des engagements politiques autant que des choix théologiques ou juridiques, nos auteurs se caractérisent par leur appartenance à un Islam moyen, qui récuse les extrémistes des deux plus grandes tendances sunnite et chiite. Politiquement, ces mêmes auteurs peuvent appartenir à l'ethnie arabe ou iranienne, mais ils récusent tous le « jusqu'au-boutisme » des nationalismes culturels de l'une ou de l'autre. A deux exceptions près, tous écrivent en arabe, tous sont représentatifs d'un Islam ethniquement et culturellement diversifié, mais qui entend s'exprimer dans un langage unique, celui qui transmit la Révélation coranique et qui donna au monde musulman son unité : l'arabe. Moyenne, enfin, comme on vient de le laisser entendre, par la culture. Dans les œuvres qu'elle produit, cette géographie se fonde à la fois sur les lectures et l'expérience vécue, l'abstrait et le concret, le refus d'une spécialisation outrancière et l'éclectisme du savoir, un style à l'occasion relevé, toujours correct, mais jamais inaccessible, le désir d'oeuvrer pour le plus grand nombre joint à la conviction d'appartenir à cette élite que définit la possession d'une connaissance. Pour ces auteurs, la culture est finalement une sorte de passeport social, le ferment unitaire de toute une « classe » moyenne : moyens en effet, le fonctionnaire, le commerçant et l'honnête homme définis plus haut le sont par la culture autant et même plus que par la position sociale. Il nous semble donc que cette triple moyenne, sociale, politico-religieuse et culturelle, définit assez bien cette « population » dont nous parlions plus haut, et fonde en droit l'étude d'une représentation du monde par un Islam moyen. Sans doute fera-t-on remarquer que les géographes ne sont pas les seuls à pouvoir être définis comme tels. On voudra bien convenir toutefois que, s'il existe d'autres « populations » peut-être aussi homogènes, la leur apparaît, compte tenu du thème de cette étude, la mieux fondée
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en droit : car, cette description du monde, elle est la seule à se la proposer véritablement comme objet. Elle est la seule à pouvoir valablement engager la recherche, sinon l'épuiser.
Reste à fixer la méthodologie de notre démarche. Tout d'abord, on ne distinguera pas artificiellement entre les séquences isolées et les œuvres globales. Sans doute ces dernières, qui se proposent la géographie comme propos exclusif ou du moins principal, constituent-elles le pivot même de la recherche. Mais dans la mesure où la géographie tend à faire partie du bagage intellectuel de l'honnête homme, entendu au sens le plus large, il faudra bien la débusquer aussi des repaires où elle se cache, derrière des titres qui ne la signalent pas : comment refuser la contribution considérable qu'une encyclopédie comme celle de Mas'ûdï, sous un titre aussi enigmatiquement poétique que celui de « Prairies d'or », apporte à notre investigation ? La géographie sans les géographes n'a pas moins de valeur que celle des géographes eux-mêmes : aussi bien est-ce la même, simplement intégrée à des œuvres dont le propos la dépasse, Ainsi isolera-t-on des thèmes, qu'on notera tels quels de façon à élaborer l'encyclopédie géographique totale, rassemblant toutes les œuvres qui se la partagent. La méthode suivie ne sera pas si différente de celle que l'on suit pour l'étude thématique des textes littéraires, qui commence par l'inventaire patient des mots et de leurs associations, et où le plan, l'organisation et aussi les intentions stylistiques ne se dégagent que peu à peu, en partant de l'intérieur des textes, par l'analyse formelle et l'étude des réseaux de relations, des récurrences, des fréquences, voire des silences. Ce faisant, on verra s'élaborer, thème après thème, l'image du monde perçu, différente ou non de celle du monde réel. Dira-t-on qu'on arrive ainsi, et qu'on doive viser, à récuser totalement ¿'histoire, le réel ? A la vérité, on ne le peut ni ne le doit. Pour apprécier la distance éventuelle entre le réel et le perçu, la référence au premier est évidemment indispensable. Deux exemples entre mille : quand tel auteur, évoquant la faune de l'Asie centrale, parle de rhinocéros, sans doute sera-t-on, a priori, d'autant plus tenté de taxer sa notation de merveilleux, que le thème du rhinocéros se croise avec celui de la licorne. Mais on n'aura rien fait, pour apprécier le degré même de ce merveilleux, tant qu'on n'aura pas signalé l'existence, en Asie centrale, de gisements de rhinocéros fossile que, peut-être, le voyageur (celui qui rédige ou celui dont on s'inspire) a pu voir. Autre exemple : si l'on sait qu'un même mot, celui de Burgân, peut désigner à la fois les Bulgares du Danube et les Burgondes (ou Bourguignons) il faudra bien discerner où sont les uns et les autres si l'on veut savoir, sur ce point très précis, où commencent et où finissent les brumes qui obscurcissent la carte de l'Europe et si, oui ou non, les 2
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Burgân sont un seul et même peuple pour l'auteur qui écrit ce mot ? Ainsi étudiés, inventoriés, les thèmes (ou les fiches, si l'on préfère) constitueront un corpus dont le classement et l'organisation dépasseront finalement l'étude des auteurs pris un à un. Ce à quoi doit tendre la recherche ainsi menée, cest à une lecture globale de l'ensemble des textes, un peu comme si chaque auteur écrivait pour tous, comme si, en lieu et place d'œuvres plus ou moins diversifiées, il n'y avait qu'une seule œuvre écrite par le Musulman moyen, au sens où nous l'avons défini. C'est ici que doit prendre toute sa valeur —- et se vérifier à l'analyse — la définition de la « population » opérée plus haut. Or, tel semble bien être le cas dans la réalité : si l'on constate, sur tel thème particulièrement privilégié, massif pourrait-on dire, une convergence d'ensemble des auteurs intéressés, si, là où ils parlent tous ensemble, ils parlent comme un seul, n est-on pas fondé à penser que, pour un thème moins fréquent, là où un seul parle, il parle comme tous les autres le feraient ? La réponse à la question revêt une importance extrême sur un point particulier et essentiel, celui de la quantité, de l'aptitude à juger de la pertinence d'un thème à partir de sa fréquence : nos textes sont parfois trop incertains ou mutilés, et trop d'autres nous manquent, pour qu'on récuse tel ou tel thème sous le prétexte qu'il n'apparaît pas assez fréquemment. D'où l'importance de notre « population » : représentatif de tout un ensemble d'auteurs, un auteur et un seul peut donner à un texte isolé l'autorité collective que lui auraient peut-être conférée, sous la forme de citations plus nombreuses, des hasards plus heureux dans la transmission des textes. A partir des notations qui révèlent ou trahissent la mentalité des auteurs, à partir des formulations réfléchies ou automatiques de l'écriture, on recompose et restructure la conception générale du monde à la lumière de laquelle s'éclairent toutes les attitudes individuelles, y compris celles qui, pour un historien, marquent un dangereux hiatus avec la réalité. Pour l'essentiel, cette conception est celle que se font des Musulmans, et des Musulmans orientaux. Musulmans, d'abord : l'étude du monde, et particulièrement du monde étranger, se réfère, de façon raisonnée ou inconsciente, au système de valeurs incarné dans l'Islam. Musulmans d'Orient : pour l'essentiel, le monde que l'on nous présente est vu de Mésopotamie et d'Iran, les peuples étrangers les mieux connus sont ceux avec lesquels ces pays entretiennent les relations les plus fréquentes et les plus proches, les produits du commerce les plus régulièrement notés sont ceux qui prennent le chemin de ce cœur du monde musulman qui a nom Bagdad. Dernier problème, dernière objection : pour être valable, l'étude ne peut être menée que dans la synchronie : or, ainsi qu'on l'a clairement laissé entendre, cette littérature a une histoire. A cette question fondamentale, on pourra répondre que l'étude, telle qu'on Ventreprend, porte sur un siècle et demi d'histoire, du milieu du IIIe//Xe siècle à la fin du IVe/Xe, et que ce laps de temps, pour une littérature qui compte qua-
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torze siècles d'existence, réduit déjà considérablement l'objection : sommesnous aussi fondés à parler, par exemple, pour l'Occident, de littérature du Moyen Age ? Mais cette réponse ne saurait satisfaire. Plus sérieuses sont les considérations qui tiennent à l'unité de la période envisagée : elle s'identifie avec la grande période du califat abbasside de Bagdad, depuis le moment où fleurit une civilisation universelle d'expression arabe jusqu'au moment où la destinée de l'Islam s'apprête, avec le Ve/XIe siècle, à changer de mains. Jusqu'à l'apparition du pouvoir politique turc, puisque c'est de lui qu'il s'agit, le monde musulman, malgré ses variations provinciales, reste un tout dans lequel les clivages, politiques ou autres, ne compromettent pas fondalement les échanges de l'économie et de la culture. Que tout change avec le VejXIe siècle, la littérature géographique nous le prouve, et abondamment. Les grandes constructions d'ensemble qu'elle a élaborées jusque-là ne se maintiennent plus que comme des survivances parfois mal remises au goût du jour, ou alors s'émiettent dans la dispersion spatiale ou temporelle du journal du voyage. Les Maghrébins, jusque-là absents ou presque, font dans cette littérature une entrée remarquée : preuve que l'ancienne vision orientale laisse la place à d'autres points de vue. Enfin et surtout, un concept essentiel, celui de « domaine de l'Islam », qui se forme et s'exalte aux IIIe/IXe et IVe/Xe siècles, au point d'inspirer l'un des genres essentiels de cette géographie (V « atlas de l'Islam » développé et approfondi), ce concept-là disparaît ensuite, sans laisser la moindre trace, après l'an mil. Est-ce assez dire que, par référence aux époques précédentes, où la géographie arabe n'existe pas, et aux époques qui suivent, où elle s'engage dans des voies si différentes, sous un climat si changé, l'époque qui nous intéresse apparaît fortement singularisée, assez, en tout cas, pour être traitée dans la perspective d'une synchronie rigoureuse ?
Sans doute l'étude des mentalités requiert-elle, d'ores et déjà, d'immenses moyens qui dépassent les possibilités du chercheur isolé, et sans doute la littérature dont il vient d'être question n'épuise-t-elle pas, on l'a dit, même si elle est privilégiée du fait même de l'objet qu'elle se propose, toute la représentation que se fait, du monde où il vit, un Islam si divers de peuples, de tendances et d'expressions. L'analyse demandera, de toute façon, à être confrontée, d'un côté, avec des approches plus partielles et, de l'autre, avec celles qui se proposeront d'étudier les mentalités à d'autres époques de la civilisation de l'Islam, classique ou moderne. Il faudra surtout, comme on l'a souligné, quelle confronte ce monde avec d'autres, d'Orient et d'Occident. Devant un champ si immense, illimité même, et avec des moyens combien imparfaits, avec une méthodologie qui ne se précisera, trop souvent dans ses détails, qu'au fur et à mesure de la recherche,
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sans aucune expérience ou presque pour la porter, décidément, la tâche peut apparaître immense et périlleuse. Mais ce n'est pas une raison pour en rester au stade des problématiques x. »
Je voudrais insister un peu sur ce dernier point. Mon but a été, a été seulement, dans l'esprit défini, de dresser, plume en main, le bilan d'une représentation, de livrer celle-ci comme un témoignage brut. Je mentirais si je parlais de tâche, encore plus de labeur : mes vieux géographes furent mes compagnons. Chemin faisant, dans la paix qu'ils m'apportaient, je les évoquais, tantôt passionnés d'aventure, tantôt repliés sur les livres de leurs prédécesseurs ou sur cette tradition que Proust fait « à la fois orale, déformée, méconnaissable et antique et directe, ininterrompue, vivante. » J'enregistrais leurs dires, leurs dires francs et clairs, mais je me souvenais, avec Proust encore, que parfois aussi, sous les réticences, les rêves cachés, les regrets ou les silences, « une vérité plus profonde que celle que nous dirions si nous étions sincères peut quelquefois être exprimée et annoncée par une autre voie que celle de la sincérité. » Paris, octobre 1972. N. B. — Au moment de publier ce livre, ma reconnaissance évoque tous les amis qui m'ont aidé (et pas seulement de leurs conseils ou de leurs observations), le personnel de la bibliothèque des « Langues 0 », mes étudiants, à qui je dois, au cours de nos séminaires de recherches, bien des suggestions, enfin la VIe Section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes et les éditions Mouton, qui auront permis, à ce livre comme au précédent, de voir le jour. Sans oublier, naturellement, l'imprimerie Paillart, ni Mlle Marthe Briata, qui a bien voulu se charger de la composition des index ; avec sa diligence et sa compétence coutumières. 1. loi prend fin l'article paru dans les Cahiers de Civilisation
Médiévale.
Sources et ouvrages de référence
On indique ici, outre les principaux ouvrages consultés pour l'élaboration du présent volume, quelques compléments à la bibliographie du volume précédent : le lecteur voudra bien se reporter à cette dernière pour tout ouvrage cité ne figurant pas dans la liste ci-dessous. Ahrweiler (H.), Byzance et la mer, Paris, 1966. Bakrï (al-), Description de l'Afrique septentrionale, trad, par M. Guckin de Slane, rééd., Paris, 1965. Bakrï (al-), öugräfiyat al-Andalus wa Orüba, pubi, par 'A. R. 'Ali al-Haggï, Beyrouth, 1387/1968. Bakrï (al-) : voir Warrâq. Barthold (W.), Turkestan down to the Mongol Invasion, Londres, 1968. Besnier (M.), Lexique de géographie ancienne, Paris, 1914, avec renvois cartographiques à Die Welt der Antike (Atlas antiquus), pubi, par Veb Hermann Haack, 11 e éd., Gotha, 1956. Blachère (R.), Chouémi (M.) et Denizeau (C.), Dictionnaire arabefrançais-anglais, 2 v. parus, Paris, 1967 et suiv. Braudel (F.), Civilisation matérielle et capitalisme (XVe-XVIIIe siècles), Paris, 1967.
xxii
Géographie
arabe
et représentation
du
monde
Bréhier (L.), Les institutions de l'Empire byzantin, Paris, 1970. Brooks (E. W.), « Arabie lists of the Byzantine Themes », dans Journal of Hellenic Studies, XXI (1901), p. 67 sq. Canard (M.), Histoire de la dynastie des H'amdanides de Jaztra et de Syrie, Alger, 1951. Canard (M.) : voir Vasiliev. Dainville (F. de), La géographie des humanistes, Paris, 1940. Desmaisons ( J . J . P.), Dictionnaire persan-français, 4 v., Rome, 19081914. Devic (L. M.), Le pays des Zendjs, Paris, 1883. Dévissé (J.), « La question d'Audagust », dans Robert (D. et S.) et Dévissé (J.), Tegdaoust I, Recherches sur Aoudaghost, Paris, 1970, p. 109-156. Dozy (R.), Supplément aux dictionnaires arabes, Leyde-Paris, 2 v., 1927. ôàhiz (al-), extr. du Kitâb al-ahbâr wa kayfa tasihh, publ. et trad, par Ch. Pellat, « Al-Gâhiz, les nations civilisées et les croyances religieuses », dans Journal Asiatique, CCLV (1967), p. 65-105. Géographie I : renvoi à : Miquel (A.), La géographie humaine du monde musulman..., t. I. Ghaleb (E.), Dictionnaire des sciences de la nature (al-Mawsua fï 'ulùm. at-tabï'a), 3 v., Beyrouth, 1965-1966. Glykatzi-Ahrweiler (H.), « Recherches sur l'administration de l'Empire byzantin aux i x e - x i e siècles », dans Bulletin de Correspondance Hellénique, L X X X I V (1960), p. 1-111. Honigmann (E.) : voir Vasiliev. Janin (R.), Constantinople byzantine, développement urbain et répertoire topographique, Paris, 1964. JESHO : Journal of the Economic and social History of the Orient, Leyde, 1957 et suiv. Kahhâla ("U. R.), Mugarn al-mu a l l i f l n , 15 v., Damas, 1376/19571381/1961. Kindï (al-), Rasa il al-Kindî a l - f a l s a f i y y a , publ. par M. 'A. H. Abu Rida, 2 V., Caire, 1369/1950-1372/1953. Kramers ( J . H.), « L'influence de la tradition iranienne dans la géographie arabe », et « La littérature géographique classique des Musulmans », dans Analecta Orientalia, Leyde, I, 1954. Lemerle (P.), Le premier humanisme byzantin, Paris, 1971. Lewicki (T.), Arabie external Sources for the History of Africa to the south of Sahara, Wroctaw-Warszawa-Krakow, 1969. Lombard (M.), L'Islam dans sa première grandeur (V11 Ie-X Ie siècles), Paris, 1971. Lombard (M.), Monnaie et histoire d'Alexandre à Mahomet, Paris-La Haye, 1971.
Sources
et ouvrages
de référence
xxm
Marquart (J.), Èrânsahr nach der Geographie des Ps. Moses Xorena'i, Berlin, 1901. Marquart (J.), Osteuropäische und ostasiatische Streifzüge, Leipzig, 1903. Ostrogorsky (G.), Histoire de l'Etat byzantin, trad, française par J . Gouillard, Paris, 1969. Pellat (Ch.) : voir Gâhiz. Planhol ( X . de), Les fondements géographiques de l'histoire de l'Islam, Paris, 1968. Rosenthal (F.), A History of Muslim Historiography, Leyde, 1968. Sorre (M.), Les fondements de la géographie humaine, 2 v., Paris, 19511954. Ta'âlibï (at-) Latä'if al-ma'ärif, trad, anglaise par C. E. Bosworth, " Edinburgh, 1968. Tegdaoust : voir Devisse. The Times Atlas of the World, Londres, 1968. Vasiliev (A. A.), Byzance et les Arabes : I : La dynastie d'Amorium (820-867), éd. française par H. Grégoire et M. Canard, avec le concours de C. A. Nallino et E. Honigmann, Bruxelles, 1935. I I / l : La dynastie macédonienne (867-959), éd. française par M. Canard, Bruxelles, 1968. 11/2 : La dynastie macédonienne (867-959), extraits des sources arabes, trad, française par M. Canard, Bruxelles, 1950. I I I : Die Ostgrenze des Byzantinischen Reiches von 363 bis 1071, nach griechischen, arabischen, syrischen und armenischen Quellen-, par E . Honigmann, Bruxelles, 1935. Warräq (al-), dans trad, partielle de Bakrï (al-) par V. Monteil, « AlBakri (Cordoue, 1068), Routier de l'Afrique blanche et noire du Nord-Ouest », dans Bulletin de l'I.F.A.N., Dakar, X X X (1968), p. 39-116.
Liste des auteurs (abréviations)
Pour des raisons de commodité, on reprend ici, avec quelques adjonctions, la liste parue dans le précédent volume. Cal FAD FAQ G À H (a) G À H (h) G À H (t) GAZ (C) ÒAZ (n) HAM HAW Hud HUR HUW (m)
: : : : : : : : : : : : :
Calendrier de Cordoue. Ibn Fadlàn, Risala. Ibn al-Faqîh, Kitâb al-buldân1. Gâhiz, Kitâb al-amsâr wa 'agd'ib al-buldân. Gâhiz, Kitâb al-hayawân. pseudo-ôâhiz, Kitâb at-tabassur bi t-tigâra. Gazai, « Relation de voyage à Constantinople ». ôazâl, « Relation de voyage chez les Normands ». Hamdânï, Sifat Gazïrat al-'Arab. Ibn Hawqal, Kitâb sûrat al-ard. Hudûd al-'âlam. Ibn Hurdâdbeh, Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik. Huwârizmï (Muhammad b. Ahmad), Kitâb mafàtîh al'ulûm.
1. La traduction (posthume) de H. Massé, revue par Ch. Pellat, est désormais parue (Damas, IFD, 1973). Je n'ai pu m'y référer, ce livre étant déjà confié à l'impression.
xxvi
Géographie arabe et représentation du monde
H U W (s) IBR (e)
: Huwàrizmï (Muhammad b. Mûsâ), Kitdb sûrat al-ard. : Ibrahim b. Ya'qub, « Relation de voyage en Europe occidentale ». IBR (s) : Ibrahim b. Ya'qûb, « Relation de voyage chez les Slaves » (pour des raisons de commodité dans la consultation, on indiquera, après la référence à l'éd. Kowalski, la référence à l'éd. al-Haggï). IHW : Ihwân as-Safà', Rasâ'il. ISH : Ishâq b. al-Husayn, Kitâb âkâm al-margân. 1ST : Istahrï, Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik. KIN : Kindï, Rasail al-Kindï al-falsafiyya. MAG : Magrurùn (al-), « Récit de voyage ». MAQ : Maqdisî, Kitâb al-bad' wa t-ta'rlh. MAS (p) : Mas'udï, Prairies d'or. MAS (t) : Mas'ûdï, Kitâb at-tanbïh wa l-isrâf. Merv : Merveilles de l'Inde. MIS (a) : Abu Dulaf Mis'ar, De itinere asiatico. MIS (b) : Abu Dulaf Mis'ar, ar-Risâla at-tâniya. MSA : Ma sà' Allah, Kitâb al-as'âr. MUH (f) : Muhallabï, extraits chez Abû 1-Fidà'. MUH (m) : Muhallabï, extraits chez S. Munaggid. MUH (y) : Muhallabï, extraits chez Yâqût. MUQ : Muqaddasï, Ahsan at-taqâsïm fl marifat al-aqâlïm. NAD : Ibn an-Nadïm, Fihrist. QUD : Qudâma b. Ga'far, Kitâb al-harâg wa sinâ'at alkitâba. RAZ : Râzî, « Description de l'Espagne ». Rei : Relation de la Chine et de l'Inde. RST : Ibn Rusteh, Kitâb al-a'lâq an-nafïsa. SÀB : Sàbustï, Kitâb ad-diyârât. SER : Ibn Serapion, Kitâb 'agâ'ib al-aqâlïm as-sab'a (avec références à l'éd. von Mzik). SIR : Abû Zayd as-Sïrâfï, Supplément à la Relation de la Chine et de l'Inde. TA'A : Ta'âlibï, Latâ'if al-ma'ârif. TAM : Tamïm b. Bahr al-Muttawwi'ï, « Relation de voyage en Asie centrale », dans Y â q û t , Mu gam al-buldân, II, 24. USW : Uswânï, Kitâb ahbâr an-Nûba. WAR : Warrâq, Kitâb al-masâlik wa l-mamâlik.
Liste des auteurs
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WAR (m) : Warräq, dans trad, partielle de Bakrï par Y. Monteil, citée supra. WAS : Ibrahim b. Wasïf Sah, Muhtasar al-'agaib. YA'Q : Ya'qûbï, Kitäb al-buldän. Remarque sur l'annotation : comme dans le précédent volume, on a jugé utile de distinguer, par un t r a i t vertical placé en marge, les notes qui ont paru mériter une attention plus particulière.
Avant-propos
E n t a m e r la représentation musulmane du monde p a r une réflexion sur ce qui n'est pas — ou n'est p a s seulement — musulman a de quoi surprendre, puisque la géographie dont il est question ici est, d'abord, une géographie très précisément musulmane, d'esprit et de sujet. Mais l a notion même de domaine de l'Islam (mamlakat al-Islam) ne s'est p a s imposée d'emblée. Chronologiquement, la réflexion globale sur l'image de la terre ( sûrat al-ard) est première par rapport à la description de l'Islam : encore à l'aube du i v e / x e siècle, Ibn Rusteh et Ibn al-Faqïh participent, dans des styles différents, de cette vision d'ensemble. Quant aux géographes-administrateurs, s'ils s'intéressent évidemment, pour des raisons politiques, à la connaissance historique, géographique et culturelle de l'Islam, ils sont loin, très loin, de lui assurer une exclusivité quelconque dans leurs œuvres. Néanmoins, avec l'intérêt qu'elle porte à l'Islam — chez Y a ' q û b ï surtout, me semble-t-il — cette géographie administrative rejoint, à partir du i v e / x e siècle, la nouvelle école cartographique de Balhï, lequel bloque la description de la terre, la sûrat al-ard, dans l'introduction d e son atlas et réserve finalement celui-ci, dans son écrasante majorité, a u monde de l'Islam. De cette conjonction des deux tendances naît, avec l'appoint de l'observation personnelle Çiyân) systématisée, la géographie dite des routes et des É t a t s ( al-masâlik wa l-mamâlik)
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Géographie arabe et représentation du monde
qui est, par définition, la géographie de l'Islam. Encore ne doit-on pas, ici non plus, parler d'exclusivité : la grande tradition de la sûra totale qui fait à l'Islam, sur la carte du monde, toute sa place, mais rien que sa place, n'est pas éteinte : au delà de la période qui nous occupe, elle a pour elle, au moins, les deux grands noms d'Idrîsï et d'Abù I-Fidâ'. Le présent ouvrage suit donc, dans sa distribution, la chronologie du genre géographique. Mais il y a plus, t a n t il est vrai qu'à l'intérêt purement scientifique des débuts, dans l'exaltation née de la découverte des œuvres grecques, se sont ajoutés bien vite, presque immédiatement, les impératifs très précis d'une solidarité musulmane au delà même des frontières de l'Islam. La fixation des terres étrangères sur la carte permettait en effet à tout Musulman exilé, pour peu qu'il eût la culture nécessaire, de trouver, dans un paysage dépourvu de mosquées et de leur niche (mihrâb) indiquant la direction de la Mekke, le point exact de l'horizon vers où lancer sa prière. Il est vrai, au reste, qu'en nombre de cas ces Musulmans de la diaspora étaient organisés en communautés, avec leurs lieux de culte : pouvait-on alors leur refuser, avec l'indication du pays de leur résidence, leur juste place sur l'image de la terre ? Enfin, cette description du monde n'a pas toujours été, à l'usage, exempte de visées belliqueuses ou de préoccupations défensives à l'égard des peuples du dehors : dans la foulée, ici encore, de géographes-administrateurs comme Ibn Hurdâdbeh, Gayhânî ou Qudâma, un Ibn al-Faqïh, tenant d'une géographie purement culturelle dans le goût général du temps, peut écrire ceci, qui laisse entendre la confrontation toujours possible entre l'Islam et ce qui n'est pas lui : « Nous ne mentionnons le R û m (Empire byzantin) que parce qu'il fait face au Sâm (Syrie-Palestine) et à la Gazïra (Haute-Mésopotamie) » L'étranger 2 , donc, et la terre dans son ensemble, ont droit dans cet ouvrage, sur le double plan de la chronologie et de la culture, à une place d'honneur. C'est ensuite seulement que l'on pourra, si l'on ne présume pas trop de ses forces ni du destin, s'attaquer au reste, à l'essentiel : en réduisant l'espace, mais en faisant exploser la vision, selon la stricte manière de la géographie arabe, on essaiera de représenter ce domaine musulman qui fut, pour ses habitants du Moyen Age, le lieu privilégié d'une terre des hommes, elle-même conçue comme le point idéal et immobile de l'univers. 1. FAQ, 136. 2. Plus précisément : l'étranger vivant en dehors de l'espace musulman.
CHAPITRE I
La terre indivise
Pourquoi terre indivise ? Y a-t-il, dans les œuvres de la première géographie arabe, un sentiment quelconque d'une communauté de destin qui lie les uns aux autres les habitants du globe, et tous les hommes ensemble à l'être même de celui-ci ? Ce serait trop sans doute que de parler, avant la lettre, d'un humanisme. Car il est vrai, comme en matière de jugements portés sur les nations 1 , que la conviction de la prééminence de l'Islam gêne la perception et l'énonciation, noir sur blanc, d'une destinée humaine globale. Gardons-nous cependant de nous enfermer dans les insuffisances de la conscience claire. A l'ombre de l'héritage grec, vaille que vaille réassumé, et aussi de la cosmogonie coranique, la terre est bien, d'entrée de jeu, présentée comme un tout inscrit dans cet autre tout qu'est l'univers. Avant que de répartir les hommes à sa surface 2 , elle se doit de rassembler ses fils en oubliant leurs différences et, peut-être, en les oubliant eux-mêmes dans cette unité qu'elle prétend être. Aucun doute : il existe bien une terre com1. Cf. infra, c h a p . I I , « L e s rois d u m o n d e . . . », i. /., et III 2. Cf. les c h a p i t r e s s u i v a n t s .
sq.,
pass.
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Géographie
arabe et représentation
du
monde
pacte, indivise, que les auteurs proposent à leur public dans le cadre d'une étude globale de l'univers 1 : et cette étude est de droit divin 2 . Entendue ainsi, la géographie, qui n'est qu'une fille de la très noble astronomie 3 , se dégrade avec les auteurs, sous l'effet de trois influences. D'abord, l'évolution même de la géographie arabe, vers une description du domaine du seul Islam, fait de plus en plus reléguer la vieille sûrat al-ard à quelques pages de prologue ou de conclusion. La littérarisation des thèmes scientifiques accentue le mouvement, en les polissant aux moules de Yadab : déjà perceptible chez un Mas'ùdï 4 , l'incertitude des données techniques se ressent davantage dans la géographie de bonne compagnie à la manière d'un Ibn al-Faqïh ou dans l'empirisme d'un autodidacte comme Muqaddasï 5 . Enfin et surtout, la cosmographie grecque ou hindoue se gauchit au contact de la tradition iranienne sous ses deux aspects géopolitique et cartographique : nul doute qu'en substituant à la vision linéaire, par zones ou « climats », de l'héritage hellénistique une vision étoilée des grands ensembles humains autour de la Perse, et en représentant les terres et les mers sous la forme d'objets ou d'animaux familiers, l'Iran a pesé très fort sur la dilution des concepts reçus de la Grèce, sur leur adaptation à des œuvres qui se sont voulues, dans le goût de Yadab, plus littéraires, mieux conformes au plaisir de l'honnête homme du temps 6 . La terre et V univers L a terre, c'est l'énigme par excellence de la création divine 7 : on ne s'étonnera donc pas de voir des croyants sacrifier, sur ce point, à leur 1. C'est à une vision totale (gumla) q u ' a s p i r e l ' a s t r o n o m e : c f . R S T , 6. 2. Ibid., 7-8, trad. 6. 3. Outre R S T , cité d a n s la note précédente, cf. plaidoyer pour l'astronomie pure, mère des a u t r e s sciences t r a i t a n t de l'influence des astres, chez M A S (t), 19-20. 4. C o m p a r a i s o n éolairante, entre deux eneyolopédistes sérieux : d'un côté, la m a t h é m a t i q u e , assez bien assimilée, d'un R S T (7-22), de l'autre celle, codifiée et non plus raisonnée, d'un M A S (p), § 190 sq. 5. A u t o d i d a c t e au moins en ce domaine : il a des lectures, mais c'est sur le terrain qu'il a p p r e n d la géographie. L'incertitude des données scientifiques est p a t e n t e , p a r e x e m p l e t r a d . , § 95 sq. P o u r F A Q , qui fait du chiffre un objet figé, « de vitrine » [cf. Géographie I , 106), c f . p. 3 sq. 6. L a cosmographie coranique pourrait constituer un quatrième facteur de littérarisation des données scientifiques. Mais il semblerait, en t o u t é t a t de cause, moins net : t r a d i t i o n s m u s u l m a n e s et données étrangères a p p a r a i s s e n t le plus s o u v e n t c o m m e j u x t a p o s é e s , sans interférence des unes a v e c les autres, c o m m e si l'on évit a i t naturellement, a v e c leur rencontre, un d é b a t déroutant et d a n g e r e u x : j u x t a position p a t e n t e chez R S T , 3-5 sq., F A Q , 3 sq., M A S (p), § 34-36 et 187 sq. Une exception, sur un problème limité (le nombre des mers), chez M U Q , 15-19. 7. Q u e le problème de la connaissance et de la description de la terre est lié à celui-là m ê m e , philosophique, de la création, c'est u n fait dont, plus q u e tous a u t r e s peut-être, Maqdisï a conscience : I, 107 sq., 126-131, II, 2 sq. : c f . également le titre de son œ u v r e , « L i v r e de la création et de l'histoire » ( K i t â b al-bad' wa t-ta'rïh).
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La terre indivise
religion. Pas une terre en réalité, mais sept, nombre dégagé par la tradition pour répondre aux sept cieux coraniques. Terres inconnues, et pour cause, imprécises, dont l'ensemble repose sur un taureau, le taureau sur un poisson, le poisson sur l'eau, l'eau sur un roc, le roc sur un ange, l'ange sur un roc encore, et ce roc sur le vent. Au gré des auteurs, l'architecture hésite ; certains la complètent avec l'image du coq, dont la tête soutient le trône de Dieu, les ailes couvrant les deux horizons et les ergots enserrant l'ensemble du monde terrestre et infernal. Mais voici qui est plus net : le poisson bougeant trop, Dieu créa les montagnes pour stabiliser la terre : ainsi le dit expressément le Coran. Autour de notre globe, les sept cieux : dans l'ordre, l'émeraude,
Fig. 1. — Mouvement diurne des astres (v. légende p. 9, n. 2 ; d'après RST, 8 et 14-15) 3
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Géographie
arabe
et représentation
du
monde
l'argent, le rubis, la perle, l'or, la topaze et, sommant le tout, la lumière. L a palette du Créateur, terre et ciel, baigne à son tour dans l'eau, l'élément premier Les géographes ne se préoccupent guère d'harmoniser les systèmes : imagerie musulmane et cosmographie étrangère coexistent sans interférer 2 . Mais au moins se retrouvent-elles d'accord sur trois thèmes essentiels dont le principe, une fois posé, permet à la tradition grecque et indienne de développer librement ses données : car tout le monde sait que la terre est fixe, qu'elle est ronde et qu'elle marque le centre de l'univers. Fixe : les montagnes, on l'a dit, en sont la preuve divine. A peine laisse-t-on entendre, avec Ibn Rusteh, qu'on a eu vent d'un mouvement du globe autour de son axe 3 . Mais ce sont là arguties de savants, et la tendance générale, quasi unanime, est à l'immobilité absolue. Même accord sur une terre ronde : on ne peut si facilement récuser les données de l'expérience. Ibn al-Faqïh lui-même, dont la science est pourtant si prudente, s'enhardit sur ce point jusqu'à parler du bombement des mers : « On a pu dire que la mer, elle aussi, est sphérique et arrondie : la preuve en est que si vous gagnez le grand large, la terre et ses montagnes finissent par disparaître tout à fait à vos yeux, sans que vous puissiez rien voir des plus hautes cimes ; mais si vous revenez vers la côte, ces mêmes montagnes réapparaissent peu à peu avec leur relief, et lorsque vous vous rapprochez encore, vous percevez le sol et les arbres 4 . » Bien sûr, il y a rotondité et rotondité : celles du disque, du cylindre, de la sphère ou de la demi-sphère. Mais la sphère l'emporte tout de même, et de très loin : la symétrie exige en effet qu'elle puisse répondre à cette autre sphère, l'universelle, qui l'englobe. A une différence près cependant : le monde est creux, mais la terre est pleine 5 . Terre centrale, enfin 6 , perdue comme un point dans l'immensité de 1. Coran, X V I , 15, X X I , 9, X X I I I , 88, X L I , 11, L X V I I , 3 ; F A Q , 3 ; M A S (p), § 34-36, M A Q , I, 135 sq., 149 sq., I I , 2-6, 44-49, 55-57, 63-64, I I I , 11 ; W A S , 7-8. S u r cette cosmologie, cf. T . F a h d , dans Sources orientales ; la naissance du monde, P a r i s , 1959, p. 249-256. 2. Cf. supra, p. 4, n. 6. 3. R S T , 24. 4. F A Q , 153 ; repris d a n s MAS (p), § 203. 5. H U R , 4, R S T , 8, 12, 23-24, F A Q , 4, M A Q , I I , 38-39 (avec allusion à la théorie d'une terre concave, d o n t le milieu serait « c o m m e u n bol »), M A S (p), § 187, (t), 11-12, 45, H A M , 3-4, M U Q , 58, Hud, 50. 6. Ici encore, quoi qu'en dise Nallino (« Astronomie », d a n s E l , I, p. 507 (2), 1. 4 5 sq.), il est possible q u ' I b n R u s t e h ait fait montre d'une certaine originalité : on p e u t en effet soupçonner qu'il a entendu parler, mais de fort loin, des h y p o t h è s e s héliocentriques d ' A r i s t a r q u e de S a m o s . Cf. p . 23 i. /. : hiya (al-ard) fl gànib as-samâ' min as-samâ' illà (lire : Ici) fï l-wasaf : « l a terre serait située sur un c ô t é d u ciel, et n o n au centre ». L e p a s s a g e est altéré, m a i s « le sens ne p a r a î t p a s d o u t e u x » : cf. t r a d . Wiet, p. 21, n. 1.
La terre indivise
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l'espace 1 , mais un point privilégié : à l'envi, les auteurs se transmettent l'image du « jaune dans l'œuf », réceptacle médian de la vie. Maqdisî renchérit sur la comparaison : la terre représenterait le jaune, le blanc de l'albumine l'air et la coquille le ciel, mais un ciel ovoïde, alors qu'il est rond dans la réalité 2 . L'équilibre du système est assuré par l'attraction universelle, antidote du vide : c'est elle qui, associée à l'argument coranique, réputé du reste prioritaire, prouve la position centrale de notre globe 3 . L'ordonnancement de l'espace autour de la terre laisse en suspens, on s'en doute, plus d'un problème. Maqdisï, par exemple, s'interroge sur la Voie lactée : amas d'étoiles, autre sphère céleste, nuage, ancienne N
Fig. 2. •— Mouvement annuel du soleil sur l'écliptique (v. légende p. 9, n. 3 ; d'après RST, 14-17).
1. MAS (p), § 187, I H W , I, 166. 2. H U R , 4, FAQ, 4-5, RST, 8, MAQ, II, 38, MAS (p), § 187, 197, 1326, (t), 15, H U W (m), 215 sq., MUQ, 58. 3. MAS (t), 13-14, 17, 47, I H W , 1 , 1 6 2 , MUQ, 58.
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Géographie arabe et représentation du monde
orbite du soleil ou simple illusion d'optique 1 ? Tous ou presque, en tout cas, paient tribut au système ptoléméen des cercles : concentriques au zodiaque, excentriques, ou épicycles. L'orientation de base est fournie par les quatre secteurs cardinaux 2 , distribués de part et d'autre d'un point central nommé Coupole (qubba). Ce lieu éminent de la voûte céleste se situe au zénith de son correspondant ici-bas : pour la géographie arabe, héritière en cela de la tradition indienne, le milieu de notre globe, entre sud et nord, entre est et ouest, porte le nom d'une ville du Mâlwâ, Arïn 3 . Sur ce cadran idéal s'inscrivent, de l'Orient vers l'Occident, les mouvements diurnes des astres ; mais trois points échappent, comme
1. MAQ, II, 27. Autre interrogation : sur le relief de la lune, qui reçoit sa lumière du soleil : II, 26. 2. RST, 24, MAS (p), § 187, (t), 12, 19, 37. 3. D'une mauvaise lecture pour Uzayn, lui-même déformation du nom originel : Uggayn. Cf. Blachère, EGA, 39, n. 8, et S. Maqbul Ahmad, « Djughrâfiyâ », dans El (2), II, 591, RST, 8, 22, MAS (p), § 188, H U W (m), 218.
La terre indivise
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en t o u t e sphère qui tourne, à la mobilité : les deux pôles et le centre, à savoir le point-Terre. L e système fait de Dieu un maître-tourneur ou, selon d'autres, un m a î t r e - m e u n i e r 1 : la meule en question, celle d'Orient, est faite de deux hémisphères superposés, l'un fixe et l'autre mobile, ce qui permet à Ibn Rusteh de dire que « la sphère tourne c o m m e la pierre de la meule pour qui se t r o u v e sous le pôle, et passe c o m m e le m a n c h e de la meule pour qui se t r o u v e sous la coupole » 2 . L'ensemble se complique au jeu apparent et annuel de certains astres allant d'ouest en est, soleil en tête sur son écliptique : mais, une fois encore, ce sont là constructions marginales de s a v a n t s 3 . L a base du savoir reçu par les honnêtes gens est faite de la vieille tradition des sept sphères planétaires, la huitième é t a n t réservée a u x étoiles, n o t a m m e n t a u x constellations du Zodiaque, et la neuvième é t a n t l'enveloppe universelle (al-muhlt) 4 . Les Ihwân as-Saf§' donnent du système une des meilleures illustrations 5 . P o r t a n t à onze le nombre des sphères, p a r adjonction de la terre et de l'atmosphère, ils peuvent ainsi, selon leurs tendances illuministes, réserver une place de choix au soleil, promu milieu du monde a v e c cinq sphères au-dessous de lui et cinq au-dessus. E t ils concluent, j o u a n t des mot de markaz (place, ou centre) et de wasat (milieu) : « Puisque le soleil est dans la sphère 1. RST, 8, 14-15, MAS (p), § 195, 201-202, (t), 15-16, MUQ, 58. 2. Cf. íig. 1. Légende : T : centre do la sphère céleste et de la terre, elle-même grossie pour les besoins de la clarté. W-Q-E : équateur céleste. Q : qubbat al-falak : coupole de la sphère céleste, q : qubbat al-ard : coupole de la terre. Hn : horizon du point terrestre n, cercle tangent à la terre au point n. Hq : horizon du point q, cercle tangent à la terre au point q. — : sens de rotation des astres. M : manche de la meule. La formule employée par Ibn Rusteh appelle, en son imagerie, quelques explications. Il faut d'abord supposer, pour la cohérence de la comparaison, que la sphère céleste représentée ici ne se meut, comme la meule d'Orient, que dans sa moitié supérieure, celle du nord (N), soit N-W-Q-E. Le mouvement de l'hémisphère supérieur de la meule est obtenu par un manche appelé ganâh (littéralement : aile, mais la traduction par « aile de moulin » (cf. trad. Wiet, p. 7) fait évidemment confusion), placé latéralement sur la meule supérieure. Placé en q, sur l'équateur de la terre, le spectateur voit passer (yagrï) le manche (ganâh), comme les astres, d'un bout à l'autre de son horizon. Au contraire, au pôle (n), le manche est invisible, ou du moins réduit à un point, lequel, comme les astres, décrit une révolution (;yadüru) parallèle à l'horizon. 3. RST, 14-17, MAS (p), § 197 (simple mention, sans explication), (t), 16. Mouvement nié par IHW, II, 38-39 : cf. Nallino, dans El, I, p. 508 (2). Sur le mouvement du soleil sur l'écliptique, cf. fig. 2 ; légende : T : terre ; So : soleil ; W-P-E-A : équateur céleste ; H-P-e-A : écliptique ; N-W-S-E : cercle transpolaire (ad-dâ'ira al-mah{üta 'alâ aqfâb al-falakayn) ; P : équinoxe de printemps ; A : équinoxe d'automne ; e : solstice d'été ; H : solstice d'hiver ; I : inclinaison de l'écliptique (23°33' d'après le calcul rectifié d'al-Ma'mün). 4. RST, 17-18, MAS (p), § 195-198 (avec incertitudes sur la neuvième sphère), (t), 14 (et n. 1-2, avec mêmes incertitudes), 18, IHW, II, 30. A noter le parallélisme de vocabulaire, al-muhït étant aussi le nom de l'Océan entourant la terre. 5. Loc. cit. et II, 26 sq. Cf. fig. 3.
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Géographie arabe et représentation du monde
universelle (falak) comme le roi sur la terre, que les étoiles (kawàkib) lui sont ce que les troupes, les auxiliaires (a'wân) et les sujets sont au roi, que les sphères (aflâk) sont comme les provinces (aqâlïtn), les zones du Zodiaque (burug) comme les pays (buldân), les degrés et les minutes comme les villages (qurâ), il suit de là, par la nécessité de la sagesse divine, que le soleil a reçu pour place le milieu du monde... cependant que la terre en recevait le centre pour sa place à elle » 1 . Ainsi soleil et terre peuvent-ils poursuivre à égalité leur duo, le premier marquant le milieu de la dimension universelle et l'autre le point privilégié et unique, le centre commun de tout le système. L'ensemble
Terre : vie, mort et résurrection
Pour nombre de géographes, familiarisés avec les conceptions grecques, c'est l'Océan, la mer verte, environnante et ténébreuse, qui joue le rôle de limite continue de notre globe 2 . Pour d'autres, plus sensibles aux traditions orientales, s'étale, sur tout l'horizon de la terre, mais hors de portée des hommes, la montagne Qâf, nouvel avatar de la cime cosmique, dont le ciel nous renvoie la couleur. Au delà sont des mondes connus de Dieu seul, ou peut-être la vie future elle-même. Montagne-mère et d'apparence humaine, avec une tète et un visage, Qâf voit passer le soleil dans sa course ; plongeant dans l'émeraude cosmique, elle transmet, par les autres montagnes, ses filles, les mouvements telluriques lorsque Dieu décide de bouleverser, sous les pieds d'un peuple à châtier, les principes premiers de la stabilité 3 . La vie, on le voit, n'est pas l'apanage des hommes sur un globe inerte. Au reste, tout, l'expérience et les assertions des anciens, invite à croire aux transformations de la surface de la terre, et notamment aux mouvements des mers et des cours d'eau, « dans la suite des âges » 4 : les flots jadis en plein Irak, les incertitudes des grands fleuves mésopotamiens, ou celles de l'Oxus, ne sont que quelques-uns des signes prouvant que la terre abrite un lent travail de mutation 5 . E t comment, à 1. Sâra markazuhâ (as-sams) wasaj al-'âlam, et plus wasat al-'âlam bihâdâ l-i'tibdr (noter l'accent mis sur la posé) kamâ anna mawdi' al-ard fï markaz al-'âlam.
loin : fasâra mawdi'uhâ fï spécificité du s y s t è m e pro-
2. R S T , 85, Q U D , 231, M A S (p), § 187, 193, 214, 272-275, 284, 289, 292-293, (t) 43, 84, 100-103, 120, 247, 437, I S T , 16, 17, 33, 50, 75, H A W , 5, 10, 11, 12, 35-36, 60-61, 1 5 8 , 168, 190-191, 202, 276, 344, 347, 388, 527, M U Q , t r a d . § 33, 35, 38, 43 (n. 70), 47, 51, 106-108. 3. R S T , 23-24, M A Q , I I , 6, 35, 44, 46, I I I , 146. Voir les influences p r o b a b l e s d a n s M. Streck, E l , II, 654-656 (allusion explicite à l ' E l b o u r z iranien dans MAQ, I I , 44, et I I I , 146). L ' a s s o c i a t i o n a v e c l'émeraude est facilitée p a r l'absence de distinction f o n d a m e n t a l e entre vert et bleu : hudrat as-samâ' (le vert d u ciel), dit MAQ, II, 6. 4. M A S (p), § 213, 234, (t), 2, 84. ' 5. Y A ' Q , 278, 309, R S T , 94-95, MAS (p), § 229, 235, (t), 97.
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la réflexion, s'en étonner, q u a n d on sait q u e notre globe est, à partir des q u a t r e éléments, le produit de combinaisons successives et changeantes ? L a terre et l'eau, sous l'effet de la vapeur suscitée par le feu solaire, sont en transformation perpétuelle, et ces q u a t r e éléments à leur tour ne traduisent, selon les vieilles théories de la Grèce, q u ' u n e situation d'équilibre entre des principes antagonistes, ainsi que l'expose excellemment K i n d î 1 . A d e u x éléments chauds, l'air et le feu, s'opposent deux éléments froids, la terre et l'eau ; à deux éléments secs, terre et feu, deux éléments humides, eau et air ; à deux éléments lourds (ou centripètes), terre et eau, deux éléments légers (ou centrifuges), air et feu ; enfin, à d e u x éléments vifs, terre et feu, d e u x éléments lents, eau et air 2 . Les résultats p e u v e n t être consignés selon le modèle de la figure 4, où > note l'association et -H—> l'opposition. E n réalité, oppositions et associations sont plus subtiles que ne le laisserait croire le simple classement. Des q u a t r e catégorisations retenues en effet, deux seulement sont d'ordre purement qualitatif et absolu : le classement par chaud-froid ou p a r sec-humide isole c h a q u e fois deux paires irréductibles l'une à l ' a u t r e et à l'intérieur desquelles chaque élément possède toutes les qualités de la définition : j Terre =
E a u J Froid
j Terre =
F e u J Sec ^
Froid
:
Air
Eau
Humide
Sec
: +
+
-
+
C h a u d j Air =
Humide : -
-
CViaud : +
Terre
^
\
-
t -
-
j Air =
Centripète : ( lourd ) Centrifuge : ( Ieger)
Eau j
+
Vif
-
Lent
t>
-
:
+ -
+
+ i
> ^
-
1
yf
Feu
Fig. 4. — Les quatre
\ t •t
éléments d'après
-
les données de
+
'
>
Kindï
1. K I N , I I , 40 sq. 2. J e t r a d u i s p a r « vif » et « l e n t » sarï' fï l-haraka et ba(V al-haraka, par lesquels K i n d i (II, 43) exprime l'intensité p l u s ou moins g r a n d e de la force, centrifuge ou centripète, à laquelle s o n t soumis les éléments considérés : cf. infra.
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Géographie
arabe
et représentation
du
monde
Les deux autres classements, au contraire, font intervenir la notion de quantité, mais selon des modèles différents. Le classement par centripète (lourd) et centrifuge (léger) emprunte encore à l'esprit des deux classements précédents en ce qu'il oppose fermement les deux catégories considérées ; mais à l'intérieur de chacune de ces deux catégories, une relation quantitative intervient entre les deux éléments, l'air étant moins centrifuge que le feu et l'eau moins centripète que la terre : Centrifuge (léger) D'où vient la relation quantitative à l'intérieur de chacun des ensembles ? Il faut se référer, pour la comprendre, au quatrième classement. Les notions de vif et de lent traduisent en effet l'intensité plus ou mois grande de la force, centripète ou centrifuge, à laquelle sont soumis les éléments. De ce point de vue, la terre subit les forces centripètes aussi puissamment que le feu les forces centrifuges, l'eau et l'air recevant, chacun dans son ordre, lesdites forces de façon plus molle. On a donc : f Terre =
Feu \ Vif >
Lent j Eau =
Air
où le signe = traduit cette fois non plus une identité qualitative, mais une égalité quantitative. Il est clair par ailleurs que, la terre subissant les forces centripètes plus vivement que l'eau, et le feu les forces centrifuges plus vivement que l'air, on peut écrire : Terre >
Eau
et
Feu >
Air,
par où l'on retrouve la formule du troisième classement. Ainsi les troisième et quatrième classements sont-ils aussi indissolublement liés qu'aujourd'hui, dans la physique moderne, les notions de poids et de gravitation. Cette liaison peut se transcrire selon une hiérarchie verticale qui, du plus lourd au plus léger, combine continu et discontinu. Il y a continuité, dans l'ordre du poids, entre les quatre paliers où se situent les quatre éléments, et discontinuité, rupture, entre les deux niveaux de l'ordre centripète et de l'ordre centrifuge : N 2
Feu
P 4
Air
P 3
Eau
P 2
Terre
P 1
N 1 |
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Dans l'échelle ainsi constituée, distinguons une zone médiane (P 2 — P 3) et une zone marginale ( P I — P 4) : Fau
P
Air
P
Eau
P
Terre
P
N 2
N 1
31
Zone marginale
'1
On voit alors que le système des quatre classements (fig. 4 et 5) revient à poser, pour chaque élément d'un niveau et d'une zone donnés : 1) que cet élément est en opposition totale avec l'élément qui se difïé-
Fig. 5. — Autre présentation des quatre d'après les données de Kindï
éléments
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Géographie
arabe
et représentation
du
monde
rencie de lui à la fois par le niveau et la zone (terre-air et eau-feu) ; 2) que le même élément combine, avec les deux éléments qui diffèrent de lui soit par le niveau seul, soit par la zone seule, deux associations et deux oppositions : tel est le cas pour terre-eau, terre-feu, eau-air et air-feu. Tout le système tend ainsi à distinguer une opposition absolue (entre intermédiaires et extrêmes d'un ordre différent) et une opposition tempérée par l'identité (entre les extrêmes, entre les intermédiaires, entre intermédiaires et extrêmes de même ordre) : souci de ménager la liberté, l'invention du monde et de la création 1 , que confirme, par la négative, l'inexistence de l'identité absolue. A la différence de l'éternité pure, mais désincarnée, celle des sphères célestes, de la cinquième essence, le monde sublunaire, le nôtre, est celui de la vie toujours recommencée : « Tandis que la sphère tourne, entraînant les étoiles fixées sur elle, les qualités essentielles se produisent, et les quatre éléments, le feu, l'eau, l'air et la terre se répandent... Les qualités essentielles se meuvent, emportées par le mouvement des substances supérieures et des corps célestes, se réglant sur leurs rotations, sur leur marche, sur la trace qu'ils décrivent dans les cieux. Le mouvement des qualités essentielles se transmet aux éléments d'en haut, et celui des éléments d'en haut, aux éléments d'en bas... Selon cette disposition, tous les mondes se tiennent, s'enchaînent, ils sont unis l'un à l'autre en acte, ils se renferment l'un l'autre en puissance, et ils portent le cachet de l'art divin, la marque de la sagesse, les signes évidents de la puissance suprême. Les effets s'ordonnent à leurs causes, rendant témoignage du Créateur dans ses œuvres et dans la suite admirable de ses lois » 2 . Ainsi la terre est-elle, au vrai, un grand corps qui vit. Son printemps est comme le sang, chaud et humide : soumise à l'air, douce et portée sur les activités digestives, elle vit alors à l'Est, surtout pendant les trois premières heures du jour, en subissant la loi du vent du Sud et la tutelle de la Lune, de Vénus, du Bélier, du Taureau et des Gémeaux. Puis vient la bile de l'été, chaude et sèche, synonyme de feu, de Sud, d'amer, de forces mentales et animales : le vent est à l'Est, le jour culmine en ses quatrième, cinquième et sixième heures, Mars, le Soleil, le Cancer, le Lion et la Vierge font la loi. Avec l'automne, froid et sec, on entre au royaume de l'atrabile, du Nord, de la terre, de l'âcreté, des tendances préhensives ; le vent est au Nord lui aussi, le temps aux septième, huitième et neuvième heures, les influences à Saturne, à la Balance, au Scorpion et au Sagittaire. E t le cycle se referme sur le cortège de l'hiver, sur le froid et l'humide, l'eau, la 1. Cf. infra, p. 55-56. 2. MAS (t), 12-14. Cf aussi ibid., 11,16-18, 22, (p), § 213, 1326,1329-1331, 1336, KIN, II, 40 sq., HUR, 157, RST, 24, I g W , II, 57-59, MUQ, 58.
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pituite, l'Ouest, le sel, les forces répulsives, les dixième, onzième et douzième heures, Jupiter, Mercure, le Capricorne, le Verseau et les Poissons On dira peut-être que le macrocosme n'est pas seul responsable des destinées de la terre : l'histoire que font les hommes, pour le mal généralement, explique notamment que le désert vienne si souvent remplacer les jardins et l'eau vive : « Je me souviens dit un personnage cité par Mas'ûdï 2, de l'époque où une femme de Hîra pouvait prendre son panier, le placer sur sa tête et n'emporter qu'un seul pain comme provision parce que, jusqu'à son arrivée en Syrie, elle ne traversait, sans interruption, que des villages florissants, des champs continus et des vergers couverts de fruits, arrosés par des étangs abondants et des canaux d'eau vive. Tu le vois aujourd'hui, ce n'est plus qu'un désert aride. C'est ainsi que Dieu en use avec le monde et ses habitants. » Ne nous y trompons pas : le Créateur, le Juste, le Vivant ne saurait opter pour la mort que lorsqu'il est forcé au châtiment de ses fils, responsables du cataclysme en dernière analyse. Le cas est plus net encore, du souvenir de l'ancienne Arabie Heureuse : c'est pour punir ses peuples infidèles que Dieu a réduit au désert l'admirable paysage dont la verdure et l'ombre sans faille pouvaient défier un cavalier pend a n t tout un mois de marche 3 . Il s'agit là pourtant de phénomènes discontinus, qui ne relèvent pas du cycle universel et régulier de la mort et de la résurrection. Car le vieillissement de la terre lui appartient en propre : non seulement il n'a rien à voir avec une quelconque influence humaine, mais il échappe à t o u t modèle analogique que pourrait fournir le microcosme : si le lit des fleuves, par exemple, « a ses périodes de jeunesse et de déclin, de vie et de mort, de dessèchement et de résurrection, comme l'animal et la plante », c'est néanmoins à cette différence près, qui creuse la distance, que toutes les parties de l'animal et de la plante se développent, vieillissent et meurent ensemble, tandis que la terre « décroît et vieillit portion après portion », ce qui assure les renouvellements indispensables : mourante ici, elle fleurit ailleurs 4 . Y aurait-il finalement deux histoires sur terre, celle des hommes et celle du globe ? En réalité, les astres — et Dieu — remettent de l'ordre dans t o u t cela. Un texte essentiel des Ihwàn as-Safà' 5 nous démontre que ni la biosphère ni la noosphère n'échappent à ces influences et que la civilisation, sous la forme des villes, des cultures, du nombre
1. 2. 3. 4. 5.
MAS (p), § 1329-1330 (t), 20-26. MAS (p), § 231. Coran, X X X I V , 14-16, ISH, 435-436, MAS (p), § 213, 1251 sq. MAS (p), § 213 sq. ; de façon plus brève et allusive : MAS (t), 103. I, 180.
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des prophètes, de la justice des rois et du croît de la démographie, obéit, en des phases alternées de bonheur et de catastrophe, aux sphères qui nous gouvernent. L'éternel retour embrasse ainsi toute l'histoire de la terre et, avec elle, de l'univers : vieille, au temps où vit Mas'ùdï, de six mille ans, et gouvernée alors par la conjonction de Jupiter et de la Vierge, cette histoire est promise ensuite à de nouvelles rencontres astrales : au total, soixante-dix-huit mille années, qui chiffrent le cycle complet de la naissance des mondes à leur résurrection 1 . L'espace
Terre ." formes, dimensions,
représentation
Disque ou sphère, et quoique simple point perdu dans l'immensité universelle, la terre est encore trop vaste pour se ranger tout entière sous le regard des hommes. De cette grandeur, la marche donne une première approximation : selon certains, on mettrait cent vingt ans pour parcourir seulement le quart du globe, dont soixante-dix sur le territoire des peuples de Gog et Magog. D'autres auteurs estiment à cinq cents années de marche l'étendue totale du globe, dont un tiers est cultivé et habité, un tiers désertique et un tiers sous les eaux ; les Noirs représenteraient à eux seuls un soixantième de la terre entière et l'Egypte un soixantième du pays des Noirs 2 . Un pas de plus, et l'on aspire à la délimitation même des terres habitées, par référence à leur contraire : les solitudes se situent à l'extrême sud et à l'extrême nord, là où le soleil pèche par excès ou par défaut. E t l'on essaie de préciser les choses, soit vers 60° au nord, tandis qu'au sud les chiffres sont beaucoup plus flottants : de 16° 35' à 51°, la vie se ralentissant, de toute façon, au delà de 19° 3 . La méthode se raffine encore avec l'introduction de la dimension est-ouest. La répartition, ainsi obtenue, des terres par quarts est une des divisions majeures de la géographie arabe : on y reviendra au chapitre suivant. Ici, à propos de la terre indivise, on se contentera de signaler qu'il y a bien, comme on le disait en commençant, présentation globale non seulement de la terre entière, mais, à un échelon plus réduit, de la terre des hommes. Après Ptolémée, on en donne quelques évaluations : ce quart privilégié où nous vivons abrite 7 mers, 25 lacs, 200 montagnes, 240 ou 290 cours d'eau, 230 sources, 7 climats, 4 200 à 17 000 et même 24 600 villes, gouvernées par quelque 1 000 rois, ces chiffres ne touchant que l'essentiel à l'intérieur de chaque catégorie visée. E t Maqdisî de définir le phénomène de cette terre vivante : 1. MAS (p), § 348 (d'après Abu Zayd as-Sïrâfi), 1333-1334, WAS, 13. 2. HUR, 93, FAQ, 59, MAS (p), § 408, HAW, 527, MUQ, 62 (avec données un peu différentes), WAS, 114. Cf. également chap. II, « Les rois du inonde... ». 3. RST, 9, 99-101," QUD, M 51, MAS (p), § 188, 1327 (t), 40-41, 102, IHW, I, 163, HUW (m), 217, HAW, 526-527, MUQ, 59, Hud, 50-51.
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par l'agriculture, la science, une société policée et la croyance à un Créateur 1 . Mais revenons à toute la terre : car c'est elle que se propose, au plus haut de son effort, l'ambition du chiffre héritée de Ptolémée, d'un Ptolémée revu et corrigé par les savants du siècle d'al-Ma'mun. De l'équateur aux pôles et depuis la longitude zéro, à l'extrême Occident, on hésite, pour le plus grand cercle du globe, entre 6 400 et 9 000 parasanges ; pour son diamètre, entre 2 100 et 2 545 2 . De la mesure de la terre découle, comme le nôtre, le système des longueurs. On en devine, au vu des chiffres donnés ci-dessus, les hési-
il
Fig. 6. — Le système des mesures a pris le mille comme unité de base. Les chiffres désignent selon les cas le multiplicateur ou le diviseur de l'opération à effectuer pour passer d'une unité à l'unité voisine 1. H U R , 5, R S T , 22, MAS (p), § 191-192, 1327, I H W , I, 160, 163-165, 170-179, MAQ, I, 51-52, H U W (m), 217. Les thèmes relatifs à la civilisation seront développés au chapitre I I , « Les rois du monde... ». 2. Les chiffres sont parfois donnés en milles, le mille valant un tiers de parasange (mais cf. n. suivante) ; cf. H U R , 4, R S T , 17-20, MAS (p), § 190, 194, 200, 207, 1326, 1367 i. f. (avec chiffres extraordinairement exagérés : 72.480 parasanges pour la seule terre habitée !) (t), 43-44, I H W , I, 160-169, MAQ, I I , 40-41, MUQ, 59.
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tations. C'est que les unités de base, mille et parasange, l'un et l ' a u t r e en rapport théorique de un à trois 1 , varient considérablement : de 19 à 25 parasanges, p a r exemple, pour un degré terrestre 2 . L'incert i t u d e s'accroît du fait que la terre est une sphère non pas p a r f a i t e , mais tassée sur ses pôles et renflée en sa partie centrale : le même chiffre de 19, pris à l'équateur, t o m b e à 3 pour les régions septentrionales 3 . É t r a n g e terre, en vérité, que celle qui se dessine sous ces chiffres, ou alors il f a u t , pour en sauver l'image et plus juste et plus ronde, q u e l'unité de longueur soit extensible ou réductible quasi à merci : ce sont là, on le voit, des bases bien m o u v a n t e s pour l'établissement d ' u n système de mesures 4 . Ces variations sur la forme exacte du globe interfèrent avec un a u t r e t h è m e , celui de la m o n t é e ou de la descente, qui se situe lui-même à plusieurs niveaux d'interprétation. P o u r les Ihwân as-Safâ', le t e r m e d'asfal (bas) doit s'entendre comme le centre du globe, dont la visée donne l'axe vertical du corps de c h a q u e individu, debout sur la terre et la t ê t e vers le p o i n t correspondant du ciel, le h a u t (fawq) s . Mais cette explication scientifique se croise avec une autre, beaucoup plus r é p a n d u e et pour ainsi dire d'expérience, qui f a i t du nord, le p a y s des montagnes plus ou moins inconnues, la région h a u t e de la terre : ainsi descend-on des régions iraniennes vers l'Irak, la Syrie, l ' É g y p t e et le Magrib 6 . De là vient que les fleuves sont réputés couler d u nord au sud, à l'exception du Nil, de l'Indus et de quelques autres moins notables, comme l'Halys ou l'Oronte, le rebelle Çâsi), l'inversé (maqlùb) 7 . Enfin, les traditions relatives au centre du monde 8 a m è n e n t parfois tel auteur à faire coïncider cime et milieu de la terre ; de l'Arabie, où cette perfection se réalise, on descend alors vers l ' E g y p t e ou vers l ' I r a k , comme du goulot d ' u n e outre vers son f o n d 9 . On devine, à cette dernière image, un des soucis de cette géographie : rendre la terre sensible. Mais comment ? Les comportements scientifiques, ici encore, doivent compter avec le souci de vulgarisation. Les 1. Mais parfois de 1 à 4 : MAS (t), 44. 2. H U R , 4, RST, 17-18, MAS (p), § 1 9 0 , 1326 (t), 44-45, I H W , I, 169, M U Q , 58. 3. I H W , I, 169 ; 1° = 19, 15, 13, 10, 7, 5 ou 3 parasanges, selon les climats. 4. H U R , 4, RST, 22, MAS (p), § 190, 1326 (avec erreur du double sur l'équation coudée-doigt) (t), 44, 61 (et n. 3), HAW, 526, MUQ, trad. § 115 (et n. 20). Cf. fig. 6. 5. I H W , I, 161. 6. FAQ, 78, MAS (t), 69-70, 88, H U W (m), 218, MUQ, 16. 7. FAQ, 225 (thème complémentaire de la circulation de l'eau sur les m o n t a g n e s ) , M A S (t), 242, 300, H A W , 153 (avec confusion entre Jourdain et Oronte : cf. MUQ, trad. § 55 bis et n. 111), MUQ, trad., i n d e x géogr. s. v. « Maqlub » et a Maqlûba ». 8. Cf. chap. II et X . 9 . FAQ, 23, 161 : l'Irak ('irâq) aurait reçu ce nom par comparaison a v e c les replis de cuir renforçant le bas d'une outre.
La terre indivise
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premiers, dont on relève de ci de là les traces 1 , procèdent, en leur méthode, de la Grèce et s'expriment par le chiffre, la ligne et les figures simples : longueur, largeur, cercle, triangle et carré inspirent la démarche 2 . Mais, comme on vient de le dire, cette réduction de l'espace à des formes géométriques n'est pas exclusive d'autres préoccupations originaires, elles, de la Perse, qui se proposent une terre non seulement sensible, mais familière, sans pour autant refuser, au demeurant, toute référence à la géométrie. Que Ptolémée lui-même soit appelé, par ignorance ou naïveté, à la rescousse 3 , peu importe : c'est bien l'Iran qui, massivement, impose ici sa tradition, parfois à travers son vocabulaire propre. Rehaussés par la couleur, sous des dominantes bleues, rouges, vertes et bises, voici les cinq emblèmes privilégiés : la rondelle (quwdra), le manteau court (itaylasàn), attaché aux épaules, les boyaux (musrân), la sâbûra (trompette ?) et l'oiseau 4 . Bien sûr, t o u t cela est stylisé, car il ne s'agit pas, on y insiste, de rompre avec la géométrie : aussi bien les images citées ont-elles été choisies pour évoquer, dans l'ordre, le cercle parfait, le cercle imparfait ou le croissant, la spirale ou la volute ou toute autre courbe, le triangle ou le secteur de cercle, et enfin, avec l'oiseau, la panoplie de tous ces thèmes. Il reste cependant que, même si le dessin est simplifié jusqu'à retrouver les figures essentielles, sa simple annonce par une formule comme « cela ressemble à un taylasàn » ou « telle province est représentée par un oiseau » ramène l'espace terrestre à une' géométrie domestiquée et familière. E t cette adéquation peut aller si loin qu'elle aspire à évoquer bien autre chose que de simples analogies de forme : la vie, l'air qu'on respire, le charme même d'un pays. Ainsi la Transoxiane, qu'Istahrï et Ibn Hawqal célèbrent comme un jardin enchanteur, suscite-t-elle, par le jeu combiné
1. H U W (s), pass., HUR, 157-158, SER, 7, 8, 12 sq. et pass., IHW, I, 163. 2. IST, 15, MAS (p), § 193, HAW, 5, MUQ, 28 (attaque voilée contre le système de représentation figurative), 62. 3. Encore qu'il semble n'avoir pas proscrit tout à fait certaines présentations figuratives : cf. G. Dagron, « Une lecture de Cassiodore-Jordanès : les Goths de Scandza à Ravenne », dans Annales E.S.C., X X V I (1971), p. 296, 1. 10. 4. FAQ, 3-4, 119, SER, 51, 57, 61-64, 67, 69 et pass., MAS (p), § 191, 193, MUQ, 10-11. Ce vocabulaire, limpide alors, nous est aujourd'hui quelquefois difficile, même si les formes auxquelles il renvoie sont claires : cf. le dessin donné dans la Géographie d'Abû l-Fidd', éd. M. Reinaud, t. II, trad., I, 1, p. 22. Sur la quwâra, cf. Dozy, Supplément, II, p. 417 (mais voir d'autres possibilités avec la racine kwr dans Lisân al-'Arab, s. v., et Desmaisons, Dictionnaire persan-français, III, p. 145). Pour Sâbûra, on peut penser à la trompette [cf. êabbûr, dans Lisân, éd. de Beyrouth, IV, 393, et Sabûr, dans Desmaisons, II, 357) ou [au museau d'] une variété de poisson (Dozy, I, 720, Desmaisons, loc. cit., s. v. « Sapûr »). Sur cette cartographie, cf. S. Maqbul Ahmad, dans El (2), II, p. 592 (1), et la collection rassemblée par K. Miller, Mappae arabicae, 3 v., Stuttgart, 1926-1927. Cf. aussi exemples graphiques dans Abu I-Fidâ', I, 22, et H U W (s), pl. 2.
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Géographie
arabe et représentation
du
monde
des divers thèmes à mi-chemin entre le géométrisme et le en guise de carte ce jardin lui-même Le domaine
Terre
: limites
réelles et mythiques
figuratif,
2
La terre meurt, en principe, là où commence l'océan qui l'environne. Mais parfois, bien avant de toucher l'eau, elle se perd elle-même avec les connaissances des hommes. Atteint ici, l'océan recule ailleurs, loin au delà d'un sol tout autant mystérieux. Ainsi la terre se dérobet-elle sous l'eau ou dans les espaces infinis des continents perdus : la masse africaine, les steppes asiatiques, le grand Nord. Vraies ou non, les limites sont plus stables, mieux ordonnées dans le sens est-ouest que dans le sens nord-sud. En longitude, une symétrie assez poussée oppose, au pays extrême-oriental de Kankadiz, la région sud-marocaine du Sus al-aqsâ ; au peuple mythique de ôâbulqà, celui de Gâbulsâ ; au Wâq-Wâq, le Japon peut-être, et à la Corée, pays d'énigmes et d'enchantements, les îles Fortunées de l'extrême Occident. En ces derniers lieux, réalités et légendes s'interpénétrent : à l'est, les marins des mers de Chine font de la Corée le pays des faucons blancs, la terre si douce et salubre qu'elle garde tous ceux qui y touchent. Mais d'autres, plus soucieux de secret, laissent entendre qu'il existe, après la Chine, « un peuple qui se tient caché dans des tanières à cause de la violente chaleur du soleil », ou encore un pays de l'or, avec des fourmis géantes et des arbres étranges, tandis que, plus au nord, personne, hormis Dieu, ne sait ce qui se passe. Même mélange des genres dans les récits relatifs à l'Occident du bout du monde : le thème des îles Fortunées ou Éternelles trouve un éclat nouveau avec le voyage, qui paraît bien réel, des Magrûrûn. Si l'on en croit ces « Fils de l'aventure », embarqués à Lisbonne, ils auraient navigué onze jours par vent d'est pour arriver à une « mer aux vagues énormes, aux nuées épaisses, aux écueils nombreux, à peine éclairée par une faible lumière ». L a peur les fait piquer vers le sud, pendant douze jours, jusqu'à l'île des moutons : Madère ? Encore douze jours, dans la même direction, et c'est une autre île (dans l'archipel des Canaries ?), où nos héros sont faits prisonniers par « des hommes blonds, presque roux, aux cheveux non crépus, de haute taille ». Entrevue avec le roi, désireux de connaître les raisons de cette équipée. 1. Cf. fig. 7 ; les cartes sont extraites de l'édition d'Istahrï par M. G. 'Abd al-'Âl al-Hïnï, op. cit., et sont typiques de l'école de l'atlas de Balhï : cf. K. Miller, op. cit., pass., IST, 195-205, et cartes d'Istahrï et d'Ibn Hawqal dans HAW, 464, 496. Sur les délices de la Transoxiane, cf. IST, 161 sq„ HAW, 473-474, 483-484, 492-494. La lecture même des cartes pourra être faite à partir des explications de G. Wiet (HAW, trad.). 2. Voir fig. 17-20.
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Il en rit, car il a lui-même lancé sur cette mer quelques-uns de ses esclaves, qui y ont navigué t o u t u n mois « j u s q u ' à ce que la lumière du jour leur fît d é f a u t ». Après quoi, les Magrurûn, yeux bandés, sont placés, p a r vent d'ouest, dans une embarcation : ils voguent p e n d a n t ce qui leur paraît être trois jours et trois nuits et abordent « chez les Berbères », dans le sud du Maroc 1 . Au nord, on ne pose guère que quelques jalons vers l'inconnu. A Bordeaux, une statue semble arrêter du geste t o u t e entreprise sur la m e r : ainsi dit Ibrâhïm b. Y a ' q ù b , qui semble connaître le littoral français de l'Atlantique et de la Manche. Sans doute n'est-il pas le seul en son temps : au niveau des textes en t o u t cas, c'est bien la tradition de la géographie antique, et non l'expérience vécue, qui fait fixer a u x îles Britanniques — douze, précise Ibn Rusteh — la limite du monde. On ne sait guère si Thulé la mystérieuse, noyée dans les brumes de son lac, relève de cet archipel ou doit être placée plus à l'est : le même Mas'ûdï, d ' u n livre à l'autre, change d'avis et finit p a r opter pour les confins du Maeotis (la mer d'Azov), car il est bien connu que « celui-ci s'avance en direction du pôle » 2 . Le nord et la nuit : quelques points seulement, et encore flottants, brillent sur ce qui, aujourd'hui, v a de l'Europe du Nord-Ouest à la Sibérie orientale : ici, l'imagination se donne libre carrière et compose la carte des peuples selon ces couplets phonétiques si chers à l'arabe : Yâgûg-Mâgûg (Gog et Magog), Mansak-Màsak, Nâsik-Mutanassik, Tâwïl-Hâwïl, ce dernier ressemblant comme un frère au Hàbïl (Abel) de la tradition musulmane 3 . Mais le sud est-il mieux partagé ? Mas'ûdï, p o u r t a n t a u t e u r sérieux, pense u n m o m e n t faire de l'équateur la limite du monde habité : c'est donner la mesure de l'incertitude qui v a régner au delà. Dans l'immensité de la mer, on signale la légendaire île Équatoriale, l'île de jacinthe, et l'île de B â r a h , non loin de la « coupole terrestre ». Après, c'est le vide, mis à p a r t l'éternel W â q - W â q : ici, Madagascar 4 . 1. Sur la Corée et l'Extrême-Orient, cf. chap. III. Sur les thèmes évoqués ici, cf. HUR, 93, RST, 85, FAQ, 3, MAS (p), § 188, 274, (t), 41, 100, MAQ, II, 64, IV, 57-58, 88 sq., MAG, 16-18 et 23-24 (ne pas confondre cette île des moutons avec celle dont parle Sallâm l'Interprète, entre les Khazars et les Bulgares : cf. Abu Hàmid al-Andalusï al-ôarnâtï, Tuhjat al-albdb, éd. G. Ferrand, dans Journal Asiatique, t. CCVII, juillet-septembre 1925, p. 233-234), HUW (m), 217-218, MUQ, 14, WAS, 29-30 et 32 (avec version ôâbursâ), Hud, 51, 58. Sur le thème du voyage des Magrurûn, voir toutefois les réserves de Kratchkovsky, op. cit., 134-135 (136-137). 2. HUR, 93 RST, 85, QUD, M 51, MAS (p), § 188, 297 (t), 41, 98, 100, IBR (e), 390 (trad., 1053-1054) et passim. Sur le thème des Colonnes d'Hercule ou de la statue aux approches de l'Océan inconnu, cf. chap. X I , « La mamlaka face à la mer » et « Frontière et légende ». 3. FAQ, 3, MAQ, II, 64. 4. Cf. RST, 83, MAS (t), 41 (en contradiction avec données signalées supra, p. 16, il. 3), Hud, 58, 188, IHW, I, 170, IjUW (m), 218, M. Reinaud, Introduction..., 4
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Géographie
arabe et représentation
du monde
L a moisson, 011 le voit, est maigre. Sans doute n'a-t-on traité ici des limites du monde qu'autant qu'elles ne coïncident pas avec celles du domaine musulman (mamlaka), qu'on étudiera plus l o i n 1 . Sans doute aussi la description des peuples étrangers ou mythiques 2 recouvret-elle, à l'occasion et de façon plus ou moins formulée, la perception des frontières du monde. Mais ce sont là, presque partout, presque toujours, notations éparses, de rencontre, et pas seulement pour l'étran-
Fig. 7. — Fonds de cartes d'Is}ahrï. a : cercle (quwâra) et lignes : le désert de Perse (le nord est en haut à gauche ; il sera seul reproduit dans les schémas s u i v a n t s ) C C X X I I . Sur le W â q - W â q , cf. G. Ferrand, s. v., d a n s EI, IV, 1164-1168, la confusion des d e u x ou trois W â q - W â q étant due à la croyance, héritée de la tradition antique, en une Afrique australe très étirée en direction de l'est : cf. la m a p p e m o n d e de Ptolémée dans Die Well der Antike, Gotha, 11 e éd., s. d., carte 1. 1. Chap. X I . 2. Chap. I l l sq., et I X .
La terre indivise
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ger ou l'inconnu : le brouillard baigne même certaines bordures de la mamlaka. Concluons : si sentiment de la globalité il y a, il existe beaucoup plus dans la conception de la terre comme un point irréductible et singulier de l'univers, dans la croyance en sa vie cyclique, dans le touchant souci de la représenter comme une chose familière, que dans l'effort de préciser où elle commence et où elle finit. Aussi bien la grande question, au fur et à mesure que se développe la géographie arabe, est bien de savoir en priorité ce qui se passe sur la terre même,
F i g . 7. — Fonds de cartes d'Is(ahrî b : volutes ( musran ) : la H a u t e - M é s o p o t a m i e
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Géographie arabe et représentation
du
monde
à portée d'une connaissance sûre : et, comme une priorité des priorités, quels sont les hommes qui y vivent, et comment ils s'y répartissent.
FiS.7. — Fonds de cartes d'Isfahrï c : cercles, volute, triangles (sâbùra) : le Sigistân
La terre
Fig. 7. —
Fonds
de cartes
indivise
d'Isfahrï
d : lignes, triangles, croissants (faylasân pendant) : le Kirmân
Géographie
arabe
et représentation
du
monde
Fig. 7. — Fonds de cartes d'Jstahrï e : variations sur le cercle : l'Irak
F i g . 7. —
Fonds
de cartes
d'Isfahrï
f : v a r i a t i o n s sur cercle, t r i a n g l e e t v o l u t e : le F â r s
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Géographie arabe et représentation du monde
Fig. 7. — Fonds de caries d'Istahrï g : thèmes floraux et espace rectangulaire sur le module d ' u n tapis : l'Arménie et les régions subcaucasiennes
Fig. 7. — Fonds
de cartes
d'Istalirî
l'oiseau : m e r R o u g e , golfe P e r s i q u e , o c é a n I n d i e n ( b a h r F â r i s ) .
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Géographie
arabe
et représentation
du
monde
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CHAPITRE II
La terre partagée
On a déjà laissé entendre que l'image du monde, musulman ou total, est tributaire des courants divers que l'Islam recueille en son héritage cosmopolite. De la Grèce à la Chine, les influences se juxtaposent, s'entrecroisent ou s'éliminent, au gré des écoles, des auteurs, voire des pages d'un même livre. Schématiquement, on peut distribuer le monde soit en étoile, autour d'un centre, soit par bandes longitudinales, la première de ces deux répartitions admettant elle-même un traitement à . deux niveaux, géopolitique ou plus résolument scientifique. Ainsi s'élaborent un ou plusieurs claviers de représentations possibles sur lesquels viennent courir les thèmes qui en sont tout à la fois l'origine et l'illustration : les rois du monde, les grands groupes humains et le centre (omphalos) de la terre. Terre étoilée, ou impératifs
et conflits de la
géopolitique
Chaque peuple a tendance à se croire, comme sur une feuille rayonnante, le centre commun à toutes les nervures. Ainsi en fut-il notamment
32
Géographie arabe et représentation du monde
de la Chine, l'Empire du Milieu. La géographie arabe ne connaît plus guère cette tradition qu'à l'état de vestiges, et sous des formes dérivées : à elles seules, de par décret divin, la Chine et l'Inde accapareraient les huit dixièmes des merveilles de ce monde 1 . Le plus souvent, la suprématie se renverse au profit des régions irano-mésopotamiennes, îrànsahr ou, si l'on préfère, Irak, sous ses deux versants arabe ('arabï) et persan Çagamï) : ce faisant, on pousse le luxe jusqu'à faire reconnaître une pareille prééminence par les Chinois eux-mêmes 2 . Bien sûr, l'Islam, ici, vient après d'autres : après l'Iran, justement, auquel il emboîte le pas. Ibn al-Faqïh, enveloppant sous le nom de Perse (Fàrs) les régions allant de la Bactriane à l'Adarbaygân et de l'Arménie à l'Arabie, appelle cet ensemble quintessence (safwa) ou nombril (.surra) de la terre. Quoi d'étonnant puisque ces qualifications, reprises à l'envi, recouvrent en même temps le domaine du grand ancêtre, Sem, fils de Noé, lequel reçut en partage le territoire compris entre le Nil, les Turcs et Byzance 3 ? On a beau souligner, le cas échéant et comme en passant, le caractère conventionnel de ces sortes de répartitions autour d'un point central 4, il reste que tous ceux qui adoptent cette distribution des terres habitées soulignent avec force, sur la mappemonde, ce noyau que constitue l'Islam arabo-iranien, ce cœur v i v a n t de l'humanité qui l'enserre 5 . Sans doute ce noyau est-il double, arabe et iranien justement, ce qui fait hésiter à placer le centre des centres ou, comme le dit Ibn Rusteh, le cœur dans la poitrine 6 : à la Mekke ou plus au nord, sur la Mésopotamie et ses marges ? Le conflit, ainsi qu'on le dira plus loin 7, existe, ce n'est pas niable : comme toutes les formes de la culture du temps, la géographie reflète, côte à côte avec l'arabicité, les prétentions de ce nationalisme culturel avant la lettre que f u t la suûbiyya persane. Mais ces débats s'effacent lorsqu'il faut, globalement, affirmer l'Islam face à l'étranger ; alors, il n'est plus de nuances : en s'installant dans l'Orient mésopotamien et persan, l'Islam reprend à son compte ses traditions immémoriales et notamment celles qui font de cet Orient, en vieil Empire qui se respecte, le nombril du monde, Yomphalos à partir duquel on glisse, de plus en plus loin, vers la barbarie : preuve de l'unité essentielle que cet Islam, au delà même 1. Merv., p. 190 ; à noter toutefois que cette attribution prend place dans une répartition de la terre par quarts : Inde et Chine font partie du quart oriental, lequel rassemble au total les neuf dixièmes des merveilles du monde. 2. Rel., § 24, n. 2 (p. 50), repris dans SIR, 87, et MAS (p), § 344. 3. YA'Q, 233-236, RST, 104 (« la poitrine »), FAQ, 197, QUD, 234 et M 52-53, MAQ, IV, 50-51. 4. QUD, 234. 5. Sur la répartition des grands groupes humains, cf. injra, « Les rois du monde et leurs peuples... » 6. RST, 104. 7. Chap. XI, « La mamlaka, pôle à deux ou trois pôles ».
La terre partagée
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de ses diversités, récupère d'un coup dès qu'il se pense par rapport à autrui. Terre écartelée : Hamdânï
et la cartographie
astrologique
Telle un écu, la terre peut, au sens héraldique du terme, se représenter écartelée. Au reste, sa distribution en quatre quadrants, loin d'être incompatible avec la notion d'un centre, la suppose très souvent : Ya'qûbî par exemple, qui ordonne sa description suivant cette méthode, commence par le milieu commun à t o u t quadrant, Bagdad en l'occurrence. Même procédé chez son prédécesseur Ibn î j u r d â d b e h , mais celui-ci a soin de rappeler tout d'abord une autre orientation, où le chiffre quatre procède du sacré : par rapport aux murs de la Ka'ba, où chacune des parties du monde trouve, pour sa prière, la direction (iqibla) qui lui est propre 1 . Qu'on rattache ou non, en tout cas, cette démarche au concept explicite d'un centre, placé ici ou ailleurs, et qu'elle soit simple parenthèse dans le texte, ou au contraire, principe même de la présentation du donné géographique, il reste que la répartition de la terre selon quatre quadrants est finalement d'une assez grande constance d'un auteur à l'autre. Mais il y a terre et terre, celle des hommes et celle qu'ils n'habitent pas : d'où superposition des classements, la terre vivable, avec ses quatre secteurs, n'étant elle-même qu'un des quatre secteurs de la terreglobe. Cette distinction à deux paliers est fondamentale : elle court, on y insiste, à travers toute la géographie arabe. Il peut, certes, lui arriver d'oublier l'un de ces deux paliers en route : ainsi Muqaddasï, qui retient ce mode de répartition de la terre-globe, mais adopte, pour la description de l'Islam, meilleure part de l'œcoumène, une distribution par provinces, ou encore, à l'inverse, Ya'qûbî, lequel, t o u t en traitant du même Islam par quarts est, nord, sud et ouest, ne souffle mot de la terre dans son ensemble 2 . Mais peu importe : l'essentiel est que les deux répartitions existent, parfois du reste chez un même auteur 3 , et qu'on puisse y voir comme deux traitements, deux projections d'une même démarche. La plus grande terre, d'abord. La croyance quasi unanime veut que l'humanité soit bloquée sur un seul de ses quarts, parfois appelé du nom du nord (ar-rub' as-simâlï). Dénomination imparfaite : le septentrion est désert, tandis que l'œcoumène déborde, en revanche, au delà 1. H U R , 5, 18, 72, 118, Y A ' Q , 268 sq. 2. MUQ, trad. § 97 et pl. III, Y A ' Q , 232-233, 268 sq. A noter, chez ce dernier auteur, que la description de l'Islam ne suit pas l'ordre annoncé p. 268 (est, ouest, sud, nord), mais qu'elle p e u t s'ouvrir à des excursus sur les peuples étrangers c o m pris dans le quadrant intéressé. 3. H U R , loc. cit., et 4-5, 157-158. Cf. aussi les références comparées des n. 1 et 2 de la page suivante.
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Géographie arabe et représentation du monde
de l'équateur, comme on l'a vu au chapitre précédent. En tout cas, même si l'on embrasse, en négligeant ses déserts, l'ensemble de cette partie du globe, depuis les îles Fortunées, à l'ouest, jusqu'au WâqWâq plus ou moins mythique de l'Extrême-Orient, et depuis les approches ténébreuses du nord jusqu'aux fournaises insupportables et aveuglantes du midi sub-équatorial, l'homme apparaît bien perdu sur une terre trop grande pour lui et dont Dieu, jaloux de ses mystères, s'est finalement réservé l'écrasante majorité 1 . Reste le pays habité. De tous les auteurs qui font place à un mode de présentation selon quatre quadrants 2 , Hamdânï est le plus systématique, le plus volontaire dans son souci de procéder à une répartition rigoureuse et scientifique. C'est de l'astrologie, au sens noble, qu'il tire les principes de sa méthode : chaque portion de l'œcoumène, fixée sur la carte par le jeu des latitudes et des longitudes 3 , suppose une troisième dimension, à la verticale, sous les astres qui lui donnent ses traits majeurs. Mais avant que de s'interroger sur l'esprit même de ce classement, force est bien de donner l'intégralité de ce texte essentiel, qui résume les données d'une astrologie grecque orientalisée dans la lumière de l'Islam.
LES
ENSEIGNEMENTS
DE ET
DES
CLAUDE LA
CARACTÉRISTIQUES
[Hamdânï,
PTOLÉMÉE
SUR
LA
RÉPARTITION
DISTRIBUTION DES
ÊTRES
DE
L'ŒCOUMÈNE
éd. D. H. Müller, t. I, Leyde, 1884)
al-burûg) [p. 31] S e l o n le s a v a n t C l a u d e P t o l é m é e , le c e r c l e d u z o d i a q u e ( d d ' i r a t s e d i v i s e e n q u a t r e p a r t i e s n o m m é e s t r i a d e s (mutallatät) parce que chacune d'elles g r o u p e trois signes d a n s la d é p e n d a n c e d e l'un des q u a t r e éléments n a t u r e l s : feu, t e r r e , a i r , e a u . Il s u i t d e l à q u e l ' œ c o u m è n e se r é p a r t i t e n q u a t r e q u a d r a n t s d o n t c h a c u n e m p r u n t e s a n a t u r e à l'une des q u a t r e t r i a d e s , en v e r t u d u p r i n c i p e q u e le c o n t e n a n t i m p r i m e a u c o n t e n u les c a r a c t é r i s t i q u e s d e s a n a t u r e . L a p r e m i è r e t r i a d e , c e l l e d u f e u , c o m p r e n d le B é l i e r 4 , le L i o n e t le S a g i t t a i r e ; l a s e c o n d e , c e l l e d e l a t e r r e , l e T a u r e a u , l a V i e r g e 6 e t le C a p r i c o r n e ; l a t r o i s i è m e , c e l l e d e l ' a i r , les G é m e a u x , l a B a l a n c e e t le V e r s e a u ; l a q u a t r i è m e , c e l l e d e l ' e a u , le C a n c e r , le S c o r p i o n e t l e s P o i s s o n s . L a t r i a d e d u B é l i e r r e l è v e d u n o r d - o u e s t ; elle e s t s u c c e s s i v e m e n t s o u s
1 . H U R , 4 - 5 , 1 5 7 - 1 5 8 , F A Q , 4 (chez q u i l ' œ c o u m è n e n e r e p r é s e n t e p l u s q u e le d o u z i è m e d u g l o b e ) , M A S (p), § 1 8 7 , 9 7 3 , 1 3 2 6 , 1 3 2 9 sq., (t), 3 7 - 4 1 , I H W , I , 1 6 0 , 1 6 3 , H U W ( m ) , 2 1 7 , I S T , 6, H A W , 9 - 1 0 , M U Q , t r a d . § 9 7 . 2 . Y A ' Q , 2 6 8 , M A s ' ( p ) , § 1 8 7 - 1 8 8 , 1 3 2 6 - 1 3 2 7 , 1 3 2 9 sq., (t), 5 0 , I H W , I , 1 6 0 , 1 6 3 , H U W (m), 217, H A W . 9-10, M U Q , t r a d . § 95-97. et
3 . E x p o s é d é t a i l l é , p . 2 6 - 2 8 , d e s d i f f é r e n c e s e n t r e les t r o i s é c o l e s g r e c q u e , i n d i e n n e arabe. 4. L i t t é r a l e m e n t : l ' a g n e a u ( al-hamal). 5. E n a r a b e : l'épi
(as-Sunbula).
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l'influence sidérale de Jupiter (al-Mustarï) , qui appartient au nord, puis de Mercure (Mirrih), qui appartient à l'ouest. La triade du Taureau, relevant du sud-est, est en opposition avec la précédente ; elle est sous l'influence sidérale de Vénus (Zuhara), qui appartient au sud, puis de Saturne (Zuhal), qui appartient à l'est. La triade des Gémeaux relève du nord-est ; elle est sous l'influence sidérale de Saturne, qui appartient à l'est, puis de Jupiter, qui appartient au nord. La triade du Cancer, qui est en opposition avec la précédente, relève du sud-ouest ; elle est sous l'influence sidérale de Mars, qui appartient à l'ouest, puis de Vénus, qui appartient au sud. Cela posé, poursuit Ptolémée, et puisque l'œcoumène doit se diviser en a u t a n t de parties qu'il y a de triades, on dira qu'en latitude la démarcation est donnée par Je parallèle (hatt) qui passe au niveau de notre mer, entendez la mer d'Alexandrie, depuis le lieu appelé Colonnes d'Héraklès 2 jusqu'au golfe d'Issos 3 et à la dorsale montagneuse qui lui fait suite du côté de l'est. Le parallèle ainsi tracé délimite les régions nord et sud. En longitude, la démarcation est donnée par le méridien [hatt) qui passe par le golfe Arabique 4 , la mer 5 appelée Egée, le Pont 6 et le lac nommé Maeotis ' . Le méridien ainsi tracé [p. 32] délimite les régions est et ouest, et les quatre quadrants dont la répartition est obtenue avec ces deux lignes (parallèle et méridien) se trouvent correspondre, par leur position, aux triades. Le premier quadrant de l'œcoumène, entendez celui du nord-ouest, s'étend vers la région nommée Celto-Galatie 8 , que couvre aussi l'appellation d ' E u r o p e 9 et dont les peuples sont les Slaves, les Francs, les Espagnols 10 et les Turcs de l'ouest installés dans l'Empire byzantin (Rum) et la région de Qàlïqalà u . Le quadrant 1. Sur Jupiter, Mercure, Vénus et Saturne, cf. les articles de H a r t n e r et Ruska dans El, I I I , p. 585, 800-801, IV, p. 1309-1310, 1708-1709. 2. Le gué d'Héraklès : magâz Irâqilïs. Les références concernant les indications topographiques données dans les notes seront cherchées dans M. Besnier, Lexique de géographie ancienne, Paris, 1914. 3. Littéralement : au golfe appelé Istïqûs ('IGÇIXÙC, Y.È'KTTOÇ). 4. La mer Rouge, dite aussi mer de Qulzum (du nom de l'ancienne Klysma, dans les parages de Suez). 5. Le mot de lug§, employé ici pour désigner la mer, semble évoquer une superficie qui n'est ni celle du golfe (halïg, qui traduit le grec xâXnoç : cf. supra, n. 3), ni, à l'autre bout, celle de la mer entière (bahr = OdcXaaca). Il veut donc rendre très exactement le grec TréXayoç de l'expression jréXayoç Alyatov ; le même souci de fidélité à l'original se reflète dans le décalque Igiyûn, auquel les géographes arabes préfèrent l'expression de « golfe de Constantinople » qui désigne chez eux, de façon assez vague, la partie nord-orientale de la Méditerranée conduisant à la mer Noire. 6. Funfus, décalque assez fidèle ici encore (l'arabe transcrivant par b ou / le son p qu'il ignore), si l'on songe que le m o t est le plus souvent connu sous sa forme alté-
rée de Nïfas.
7. Ma'ûtïs ou Mawtïs, selon la vocalisation adoptée : c'est la mer d'Azov, parfois supposée communiquer avec la Caspienne. Arabe buhayra = grec Xi[ivï). 8. QSltûgâlàtiyâ : par conséquent Celtique (soit, pour la géographie antique, l'ensemble des populations de l'Europe occidentale, centrale et septentrionale) et Asie Mineure.
9. Awrûfâ. 10. As-Saqâliba, Faranga, al-Isbân.
11. A l'époque où Hamdânï écrit (première moitié du x e siècle), il n'y a pas encore de Turcs installés en Asie Mineure et notamment dans la région d'Erzerum (Qàlïqalà) : il faudra attendre pour cela la poussée selgûqide. Tout au plus peut-on penser, en ce début du x e siècle, à la présence de Turcs dans les armées arabes de la
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Géographie arabe et représentation du monde
opposé, à savoir celui du sud-est, s'étend vers la région nommée Ethiopie 1 orientale, autrement dit la partie méridionale de l'Asie Majeure 2. Le troisième quadrant, celui du nord-est, s'étend vers la région nommée Scythie 3 , ou partie septentrionale de l'Asie Majeure. Le quadrant opposé, à savoir celui du sud-ouest, s'étend vers la région dite Éthiopie occidentale, que recouvre l'appellation de Libye 4 . On entend ainsi : par nord-ouest, l'Empire byzantin et les pays au delà, vers l'ouest ; par nord-est, le Hurâsân et les pays au delà, vers l'est ; par sud-est, le Sind 6 , l'Inde et les pays au delà, vers l'est ; par sud-ouest, l'Abyssinie, le pays des Zang 6 et les pays au delà, vers l'ouest. Ptolcmée dit aussi que chacun des quadrants mentionnés touche, par certaines de ses régions, au centre commun de l'œcoumène et que la situation de ces régions est ambivalente, selon qu'on la rapporte à l'ensemble du quadrant dont elles relèvent ou à la communauté de l'œcoumène Prenons le quadrant dit de l'Europe, défini, dans le cadre d'ensemble de l'œcoumène, comme celui du nord-ouest : les régions qui viennent rejoindre la partie centrale de l'œcoumène sont sous l'attraction du secteur (zâwiya) opposé au secteur de leur quadrant d'appartenance, autrement dit : sous l'attraction du sud-est. Tous les quadrants sont dans ce cas, chacun d'eux se modelant sur un couple de triades en opposite : contrairement aux autres régions de l'ensemble du quadrant, lesquelles répondent au prinoipe qui le gouverne, les régions centrales participent [aussi] du même principe que le quadrant opposé, principe par conséquent antagoniste de celui qui gouverne le quadrant dont elles relèvent. Ainsi donc, il convient de prendre chaque fois en considération non seulement les astres des triades sur lesquelles les quadrants se modèlent, mais aussi les astres qui influencent les autres triades, [p. 33] On ne prendra donc en considération, pour un lieu donné, les seuls astres de la triade intéressant le quadrant d'appartenance qu'autant qu'il ne s'agit pas de ces régions qui forment le centre de l'œcoumène : car ici, il faudra tenir compte, en même temps que des astres influençant les triades respectives, de Mercure 8 , qui occupe une position centrale et commune. En vertu de cette répartition, il faut donc que les pays situés au nord-ouest, c'est-àdire ceux du premier quadrant — lequel représente la partie nord-ouest de l'œcoumène, sous le nom d'Europe — se modèlent sur la triade du nord-ouest, à savoir : Bélier, Lion, Sagittaire. Quant aux astres influents, il faudra les chercher dans ceux conquête (notamment Bugâ, général du calife al-Mutawakkil, en 851-852) et aux incursions des princes sâgides d'Âdarbaygân. L'expression « Turcs de l'ouest » est peut-être une tournure péjorative (révélatrice des sentiments anti-turcs de certains milieux arabes de l'époque) pour désigner les Byzantins ou « Romains » (Rûm). 1. ItyûfiyS, c'est-à-dire l'ensemble des peuples noirs au sud de l'Ëgypte. 2. Pour les anciens, c'est le Nil qui marque la limite des mondes asiatique et africain. 3. Suqüliyd. 4. Lîbû (vocalisation incertaine). 5. Ou basse vallée de l'Indus, distinguée du reste de l'Inde parce qu'elle est une province musulmane. 6. L'ensemble des populations noires des côtes orientales de l'Afrique. 7. L'idée (cf. la suite du passage) est que, par ces régions médianes, transitent d'un quadrant à l'autre des influences contraires. Le texte dit littéralement : « pour chacun des quadrants susmentionnés, si on le considère en ses parties touchant au centre de l'œcoumène entière, on peut dire que sa position, par référence à l'ensemble du quadrant, est inverse de sa position par rapport à l'ensemble de l'œcoumène ». 8. 'Utârid : cf. Hartner, dans El, t. IV, p. 1116-1117.
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qui président à cette triade, soit Jupiter et Mars, considérés aux premières heures de la nuit Les nations qui habitent ce quadrant et en relèvent intégralement 2 sont celles qui peuplent le pays des Slaves, la Bretagne 3 , la Galatie, la Germanie, la Bastarnie 4 , l'Italie, la Gaule, l'Apulie, la Sicile, la Taurinie, la Celtique et l'Hispanie 5 . La plupart de oes noms se caractérisent par un h, par exemple ùàlàtiya, dont l'articulation se relâche en ûâlafiyah, et aussi Ifâliyah, Abùliyah6 (celle-ci étant une grande ville, à la même latitude qu'Amorium) 7 , Siqïliyah (ou Siqilliyah), Tûrïniyah (sur la latitude de Qûrîniya) 8 , et autres noms comme Malatyah 9 , sur la latitude de Salamya. Les habitants de ces pays, poursuit Ptolémée, sont d'ordinaire, par la vertu nécessaire de la triade intéressée et des astres qui la régissent de concert, peu enclins à la soumission, amoureux de la liberté, des armes et de la fatigue, hostiles aux gens de police et d'ordre 10, portés aux grands desseins. E t comme Jupiter et Mars s'unissent pour les régir à l'occasion de la phase désignée par les premières heures de la nuit, comme, d'autre part, les principes premiers de la triade sont masculins et les seconds féminins, il arrive que ces gens-là soient aussi peu jaloux en matière de femmes et aussi peu préoccupés de leur possession, que passionnés et jaloux dès qu'il s'agit de mâles : s'adonner à ces pratiques n'est pas considéré par eux comme répréhensible ou déshonorant, et les subir engage si peu, dans la réalité, une réputation de virilité et d'énergie, qu'on ne renonce pas à être traité ni à se traiter soimême en homme, et en homme serviable, loyal, fidèle à ses proches et généreux. Voilà pour les pays premiers nommés l l . L a Bretagne, la Galatie, la Germanie
1. 'asiyyât : première veille de la nuit (Vénus-Vesper). 2. al-umam al-kulliyya, dit le texte, littéralement : « les nations qui relèvent du tout, qui sont de plein exercice », par opposition aux régions centrales, qui viendront tout à l'heure. 3. Barafâniyâ. 4. ûarmâniyâ, Bâslarâniya (pays des Bastarnes, peuple installé au nord de la Dacie). 5. Ifâliyâ, ùàliyâ, Abûliyâ, Siqïliyâ, Tûrïniyâ (du nom des Taurini, de la région de l'actuelle Turin : cf. Ptolémée, I I I , 1, 31), Qâlfïqâ, Sibâniyâ. 6. Allusion à un fait de prononciation arabe à la pause, l'articulation dentale du t indice du féminin [là' marbûta, supprimé d'ordinaire dans les transcriptions en langues européennes) se relâchant en un simple souffle ; en outre, hésitation, pour la voyelle a précédant la finale, entre une valeur brève et une valeur longue. L a notation revient à établir un parallélisme entre la terminaison arabe et la terminaison -a ou -T) du grec. 7. Erreur sur le définition du mot d'Apulie et sur les latitudes, Amorium ('Ammûriya) étant légèrement plus basse : cette dernière erreur est imputable à la carte de Ptolémée : cf. carte 1, dans Die Welt der Antike, cité supra, p. 21, n. 4. 8. J'avoue ma perplexité devant cette transcription, aucune des identifications possibles (Chauranaei, Choarene, Corone, Coronea) n'étant recevable pour les latitudes. Peut-être faut-il penser à la région du mont Coronus (bordure sud-ouest de la Caspienne : cf. Ptolémée, V I , pass.), que la cartographie ptoléméenne place en effet à cette latitude, ou encore, ce qui revient au même pour la localisation, à une métathèse dans la transcription du grec 'Ypxavta, qui désigne cette région. 9. Salamya (ou Salamiyya) étant une ville de la région d'Emèse (Homs, Hims), il ne peut s'agir, comme l'indique le texte, de Malatya (Mélitène), dans la région du haut Euphrate, mais de Malte (Malta). 10. Rectifier en nizâm le texte de l'éd. Mûller (nazâfa : propreté). 11. Sans doute ceux des Slaves, qui aussi bien n'apparaissent pas dans l'énumération qui suit. 5
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arabe
et représentation
du
monde
et la Bastarnie, quant à elles, [p. 34] se modèlent plus particulièrement sur le Bélier et sur Mars, ce qui rend leurs habitants la plupart du temps farouches, téméraires et d'un tempérament proche de celui des bêtes fauves, je veux dire furieux, sans foi ni loi. L'Italie, l'Apulie, la Gaule et la Sicile se modèlent sur le Lion et le Soleil : leurs habitants sont policés, généreux et serviables. La Taurinie, la Celtique et l'Hispanie se modèlent sur le Sagittaire et Jupiter : leurs habitants sont de tempérament pacifique et aiment l'ordre Les régions qui, dans ce quadrant, tirent vers la zone centrale de l'œcoumène — y compris certaines régions de l'Arabie —, sont la Thrace 2 , la Macédoine ou Égypte 3 , l'Illyrie, l'Hellade 4, l'Achaïe 6 , l'île de Crète 6 , le pays appelé Cyclades 7, les rivages de l'Asie Mineure, c'est-à-dire ceux de l ' Ê g y p t e 8 et l'île de Chypre 9 . Toutes ces régions du quadrant, qui regardent vers le sud-est, se modèlent, en plus de ce que Capricorne. nous avons d i t 1 0 , sur la triade du sud-est, à savoir : Taureau, Vierge Elles sont régies concurremment par Vénus et Saturne, sans oublier Mercure. Leurs habitants sont donc de complexion plus ambiguë, de qualités moyennes pour le corps et l'esprit ; policés, ils sont [avec cela], par le fait de Mars, violents et rebelles ; épris de liberté, par le fait de Jupiter, ils se séparent en a u t a n t d'individualités qui ont chacune leur manière propre et se régissent à leur guise, selon une conduite qu'elles se créent ; par le fait de Vénus, ils aiment la musique, les jolies chansons, l'étude, les parures soignées et coquettes 12 ; par le fait de Mercure, ils pratiquent l'entraide, se plaisent à user de justice et d'hospitalité envers l'étranger, cultivent l'art d'écrire et de parler ; enfin, par le fait de Vénus considérée aux premières heures de la nuit, ils sont portés à tenir cachés les secrets. Mais, si l'on veut considérer à part et plus en détail encore lesdits pays, on dira que les habitants des Cyclades, des rivages de l'Asie Mineure et de Chypre se modèlent plus particulièrement sur le Taureau et Vénus : aussi sont-ils la plupart du temps délicats, soucieux d'élégance, préoccupés des choses du corps, et par dessus t o u t désireux de le satisfaire par les joies de la table, de la boisson, de la toilette, de la chair, des parfums et des sons. Les habitants de l'Hellade, de l'Achaïe et de la Crète se modèlent [p. 35] sur la Vierge et Mercure : logiciens avant tout, ils aiment apprendre et font passer les choses de l'esprit avant celles du corps, prenant leur plus grand plaisir intellectuel à la philosophie, à la science et aux mystères de la nature. Les gens de Macédoine l s , de Thrace et d'Illyrie se modèlent sur le Capricorne et Saturne :
1. Même correction que ci-dessus, n. 10 de la page précédente. 2. Le texte donne à choisir entre deux orthographes : Tardqâ et Taraqa. 3. Deux orthographes : Mâqâdûniyâ et Maq(a)dûniya : il arrive, comme ici, que les auteurs arabes donnent ce nom à la région du delta du Nil. 4. llûriya, Allas (ou al-Lâs). 5. Le texte dit : « Hâyâ ou, originellement, Ahâyâ ». 6. Iqrïfïs. 1. Qûqalâdas. 8. Il f a u t sans doute comprendre : ceux qui regardent du côté de l'Êgypte, c'està-dire de la Méditerranée (par opposition à la mer Noire). Au reste peut-on lire également : ceux de l'Êgypte et de l'île de Chypre. 9. Qubrus. 10. Soit : en plus des influences déjà signalées. 11. Désignée ici sous sa qualification de 'Adrâ'. 12. wa l-gihàd wat-tanazzuf jï tadbirihim. Il semble bien, compte tenu de l'ensemble du contexte, qu'il faille rattacher le terme de gihàd (effort) à ce qui suit. Mais il est vrai qu'il est précédé de ta'allum (étude), qui peut inviter à penser à un effort vers les choses de la religion. 13. Sans doute ici la Macédoine grecque, compte tenu de l'environnement.
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ils aiment à posséder, m o n t r e n t un caractère malgracieux et s'embarrassent peu de morale. Le deuxième quadrant, celui du sud-est, comprend la partie méridionale de l'Asie Majeure. Englobant l'Inde l'Extrême-Orient 2 , le Mukrân 3 , le Kirmân 4 , le Fârs 6 , la Babylonie 6 , la Basse-Mésopotamie 7 et l'Assyrie 8 , il occupe une position sud-est par rapport à l'ensemble de l'cecoumène. Il doit donc se modeler sur la triade du sud-est, à savoir : Taureau, Vierge, Capricorne. Les astres qui régissent ces p a y s sont Vénus et Saturne, considérés aux premières heures du jour 9 . Les caractéristiques des h a b i t a n t s du q u a d r a n t relèvent par conséquent de celles de ces deux astres : c'est ce qui explique qu'ils exaltent Vénus ou, comme ils disent, Isis 10 ; q u a n t à Saturne, ils l'appellent... 11 et le soleil Mithra 12 . N o m b r e u x parmi eux sont ceux qui prédisent l'avenir. Ils placent les organes de la génération sous la protection de la divinité qui préside, selon le sexe, à la génération, à savoir J u p i t e r ou Vénus, ce qui revient à ennoblir l'acte de la génération et ses organes, p a r référence à ces astres. Pleins d'ardeur, ils passent leur temps à s'accoupler ; ils dansent, sautent, aiment la parure, la toilette et les transactions 13 , t o u t cela par l'effet de Vénus. Par celui de Saturne, ils n'assaisonnent guère leurs mets, et l'on en voit certains, comme les Brahmanes, ne jamais manger de viande. P a r le même effet, leurs m œ u r s sont aussi frustes que possible : ils prennent leurs femmes en public, sans se cacher, et n'enterrent pas leurs morts, subissant en cela l'influence de la phase désignée par les premières heures du jour. Ils abhorrent l'accouplement entre mâles ; en certaines régions, il en est qui approuvent l'union avec la mère, la sœur ou la fille, et ils les engrossent. Ils se manifestent les uns aux autres leur volonté d'expiation en p o r t a n t la main à leur c œ u r 14 . Ils peuvent malgré t o u t s'élever [p. 36] aux plus hautes choses et y rivaliser [de zèle], par l'effet d'une vertu qu'ils p o r t e n t au cœur et qui se modèle sur celle du soleil, et s'ils sont dans l'ensemble, par l'effet de Vénus, assez délicats et efféminés dans leurs vêtements, leurs parures et les choses du corps, ils n'en ont pas moins u n esprit violent et belliqueux qui se modèle sur Saturne, [astre] de l'Orient. Le système se divise en trois séries, conformément au nombre des signes zodiacaux de la triade comme à celui des astres qui la régissent 1 S . Le Taureau et Vénus
1. Y compris le Sind {cf. supra, p. 36, n. 5). 2. Sîn, le mot désignant tous les pays situés à l'est de l'Inde, Chine comprise. 3. Ou Makrân (Gédrosie). 4. La Carmanie. 5. La Perside. 6. Littéralement : Babel, Babylone [Babil). 7. Littéralement : le confluent des deux Fleuves (multaqà an-nahrayn). 8. Atûr. 9. gadawât (Vénus-Lucifer). 10. Jsïs. 11. Lacune dans le manuscrit. Les lignes qui suivent a p p a r t i e n n e n t également à u n texte peu sûr (ex. 1. 15 : lire hiya et non fï). 12. Mitra. 13. Ainsi dit le texte : bay'. Mais cette version est peu compatible avec le contexte. Peut-être faut-il lire mat' ou tamattu' : plaisirs, jouissance (ou muta' : unions passagères ?). 14. Suivent, dans le texte, deux lignes a p p a r e m m e n t interpolées et relatives à une brève jurisprudence de l ' a t t i t u d e expiatoire. 15. A savoir Vénus, Saturne et, pour les régions centrales, Mercure.
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intéressent H a m a d â n 1 , le Fârs, les deux Mäh 2 et, plus à l'est, le Sïn. Ici, on s'habille, comme le fait Vénus, de vêtements de couleur, dont on couvre le corps t o u t entier, à l'exception de la poitrine, on aime la bonne chère, la vie douce et facile, le bienêtre, les émotions de l'art, et l'on s'abandonne aux pratiques de Vénus. La Vierge et Mercure intéressent Babylone et l'Irak voisin, la Basse-Mésopotamie, la HauteMésopotamie 3 , le ë â m 4 et l'Assyrie : leurs habitants sont cultivés, ils pratiquent la philosophie, l'astronomie, les sciences doctrinales, l'observation des étoiles et la dialectique 6 ; ils sont intelligents et fins. Le Capricorne et Saturne intéressent l'Inde, le Sind, le Mukran, le Sigistân 6 et les régions voisines, tous peuplés de gens repoussants, au teint foncé, malpropres, laids, négligés, d'un naturel semblable à celui des bêtes fauves, et de mœurs brutales. Les régions du quadrant situées vers la zone centrale de l'œcoumène, et notamm e n t la partie de l'Arabie qui y est comprise, sont, par exemple, l'Idumée, la Syrie, la Palestine 7, l'ancien territoire juif d'Iliyâ' 8 — nom qui se dit en hébreu Yirûsalam, arabisé en Urâialam —, l'Arabie fertile 9 , entendez la steppe arabique, avec le Nejd, le Iledjaz, le 'Arüd 10 et la Phénicie, c'est-à-dire le Yémen -11, et toutes les régions voisines. Ces pays sont également 1 2 sous l'influence de la triade du nord-ouest, à savoir : Bélier, Lion, Sagittaire, et sont régis aussi par Jupiter, Mars et Mercure. Cela fait que les habitants de ces régions sont, plus que d'autres, versés dans le commerce, qu'ils aiment les affaires, la ruse, la tromperie ; mais ils donnent si généreusement qu'ils en méprisent l'argent ; ils montrent de la pondération, du jugement et de la finesse, savent échanger tout en ménageant leurs intérêts propres : en un mot, ils sont, comme le veulent les étoiles qui les régissent, personnages à d e u x faces et deux paroles. Ceux de la Syrie l 3 , autrement dit du pays des Israélites, de [p. 37] l'Idumée et de l'antique Judée se modèlent plus particulièrement sur le Bélier et Mars, ce qui les rend téméraires et peu au fait de la réalité de Dieu, le Tout Puissant, le 1. L'ancienne Ecbatane, au pied de l'Elvend. 2. Le mäh d'al-Basra (Bassora) et celui d'al-Küfa désignent les deux villes de Nehavend et de Dïnawar parce que leurs revenus étaient affectés au paiement des pensions des habitants des deux grands centres irakiens fondés par les Arabes. Sur le sens du mot persan mäh (région, province, ou Médie), cf. YA'Q, trad., p. 69, n. 2, p. 72, n. 5, et L. Lockhart, « Dïnawar », dans El (2), II, p. 307.
3. al-Gazïra. 4. Nom arabe de l'ensemble syro-palestinien. 5. qiyâs : raisonnement analogique, syllogisme. 6. Ou Séistân : l'ancienne Drangiane.
7. Idümä, Sürit/a, Filastïn.
8. Déformation d'Aelia, dans Colonia Aelia Capitolina, nom imposé p a r Hadrien à Jérusalem. 9. Cf. infra, n. 7 de la page suivante. 10. Mot d'acception flottante : région de la Mekke et Médine, ou de la Mekke seule, ou depuis la Mekke jusqu'au Yémen : cf. Yäqüt, Mu ¿am al-buldân, s. v. 11. Fûnïqâ : allusion à l'origine sud-arabique prêtée aux Phéniciens. Il s'agit ici de la façade yéménite sur la mer Rouge : comparer avec infra, quatrième quad r a n t , i. f . 12. Comme on va passer aux influences du quadrant opposé, qui transitent par cette zone centrale, cet « également », ainsi que le « aussi » qui suit, doit s'interpréter comme sous-entendant : outre l'influence des signes et astres intéressant le quad r a n t d'appartenance. 13. Sous-entendez : dans sa partie méridionale.
14. biläd al-Yahüd al-'atlqa.
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Très Grand Ces gens-là, poursuit Ptolémée, sont fourbes, inconstants et volages malgré une certaine énergie, heureux et riches. Ceux de la Phénicie, entendez : du Yémen, de la Palmyrène 2 et des déserts, c'est-à-dire de Mahra 3 , se modèlent sur le Lion et le Soleil : ils ont l'esprit pacifique, le cœur compatissant, et étudient volontiers les astres. Ils glorifient, plus que t o u t autre, le soleil et se proternent d e v a n t lui. Les gens du Nejd, du Hedjaz et des plaines 4 qui en relèvent se modèlent sur le Sagittaire et J u p i t e r : d ' u n bon naturel, bien faits, ils vivent simplement, du lait caillé 5 de leurs chamelles ; efficaces dans le commerce et les transactions, ils suivent de saines doctrines, sont pétris de mérite et de prestige. Leur pays est riche et abonde en aromates. Si Ptolémée 6 lui a donné le nom d'Arabie, c'est parce que la plupart des Arabes vivent au désert ; q u a n t au n o m d'Heureuse l'Arabie le doit au fait qu'elle est le pays le plus riche en prairies naturelles, avec système de libre pâture sous la garde de cavaliers, qui remplacent ici les ouvrages de défense. L'allusion aux aromates se justifie par les fleurs des sables, camomille, lavande et t a n t d'autres, le Yémen a j o u t a n t , à une foule d'aromates, la rose et la plupart des plantes mentionnées par le Grec Dioscoride 8 dans son « Traité des simples » ; on y trouve aussi des pierres précieuses exemptes de fissure 9 , sauf sur les côtes, pour les spécimens qui approchent ou même dépassent le poids d ' u n mitqâl10. L ' a m b r e est rejeté sur les rivages ; à Mahra et au pays des Banû Magïd u , sur les bords de la mer du Yémen, à l'est comme à l'ouest, il existe des c h a m e a u x détecteurs d ' a m b r e : leurs terrains de pâture se t r o u v a n t sur les rivages, la bête flaire l'ambre qui s'y trouve ; elle s'agenouille et perd t o u t e vivacité. Q u a n d le propriétaire s'en vient la rechercher, il trouve l'ambre t o u t à côté ; mais s'il t a r d e trop, le chameau, comme pris de passion, perd très vite ses forces et peut même périr sous l'effet de la crainte qu'il éprouve pour cet ambre 12 . [p. 38] Le troisième quadrant est celui du nord-est, ou de l'Asie Majeure l s . Les régions qu'il renferme sont l'Arménie, Supérieure et Inférieure 14, la Sogdiane avec 1. Nouvelle interpolation, sur l ' a t t i t u d e impie des Hébreux. 2. Tadmur. 3. Le mot semble désigner les confins, n o t a m m e n t orientaux, du H a d r a m a w t . 4. tahâ'im, pl. de tihâma : plaine côtière de l'Arabie occidentale. 5. Corriger la leçon yahbizûna (ils f o n t cuire [le pain]) en yugbinûna. 6. Ce qui suit est peut-être une digression, mais pas une interpolation comme les deux précédentes : tout H a m d â n ï est là dedans, avec sa connaissance attentive et touchante de la terre natale. Passage essentiel pour juger de l'adaptation, dans un climat oriental et arabe, des données grecques. 7. Littéralement : « fertile » (hasïba), qui a déjà été employé supra, (p. 40, n. 9). 8. On se souviendra, comme preuve de l'authenticité du passage, de la culture grecque de H a m d â n ï : cj. Géographie 1, p. 247-253. Dioscoride : Diyûsqûrïdis. 9. Je propose de corriger la leçon 'ars, peu intelligible, de l'éd. Mùller en gard. 10. « Il est presque impossible, dans l ' é t a t actuel de notre information, de ramener à coup sûr à notre système une mesure mentionnée dans un document » (J. Sauvaget, Introduction à l'étude de l'Orient musulman, éd. post., revue par C. Cahen, Paris, 1961, p. 89). A titre indicatif, une perle d'un demi-mitqâl est déjà considérée comme une très belle pièce : Û À H (t), 156. 11. Installés dans la pointe sud-ouest de la péninsule, entre Zabid et Aden. Sur Mahra, effectivement beaucoup plus à l'est, cf. supra, n. 3. 12. Texte et sens littéral incertains. 13. Tout au moins la partie septentrionale (cf. supra, p. 39). 14. Sans doute Armenia Major (ou montagneuse) et Armenia Minor (ou occidentale) de l'Antiquité.
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sa capitale S a m a r q a n d , le T a b a r i s t â u l e G u r g â n 2 , le Mûqân 3 , l '  d a r b a y g â n , le pays des Khazars 4 , le û ï l â n 6 , le pays des Alains 6 , Gog et Magog 7 , le Hurâsân, je Tibet 8 , le Turkestan, le p a y s des Tuguzguz 9 et la Sauromatique 10 ou pays des Amazones, ces femmes qui s ' a m p u t e n t d ' u n sein pour pouvoir lancer le javelot n . E n raison de l'influence de J u p i t e r et de Saturne, ce q u a d r a n t est essentiellement voué à la richesse et à l'opulence. Ils exaltent J u p i t e r , sont très riches en mercure et en soufre 12 ; ils m a n g e n t et boivent proprement, cultivent la philosophie et la théologie, sont justes, libres, nobles et forts, détestent le mal, la calomnie et l'intrigue ; fidèles dans leurs affections, ils sacrifient volontiers leur vie pour ceux qui leur sont proches ou tous ceux qui leur d e m a n d e n t secours pour une noble et bonne cause ; peu portés aux excès de la chair, ils restent modérés et chastes ; richement habillés, libéraux, ils pensent et raisonnent t o u t à la fois avec distinction, finesse, astuce et profondeur, par le jeu de Jupiter conjugué, vers l'est, à Saturne. A l'intérieur de cet ensemble, les Gémeaux et Mercure intéressent plus particulièrement les régions du Gurgân, du Tabaristân et de l'Arménie. Ici, encore que les m œ u r s restent bonnes, le mérite évident, on est plus vif, peut-être plus pervers, plus imaginatif 13 , plus doucement retors et plus renfermé, en raison de Mercure, qui se déplace avec vivacité et reste longtemps invisible. La Balance et Vénus intéressent particulièrement les régions de la Bactriane 14 et du èàs 15 : les gens y sont riches, amateurs de musique, de bien-être, de douceur, de confort et de raffinement. Le Verseau et Saturne intéressent la Sogdiane, la Sauromatique ou pays des Amazones au sein coupé, et les régions apparentées, c'est-à-dire les pays des Turcs et des Khazars : ces gens sont fiers, violents, inhumains, durs, robustes, sauvages et bourrus : de vrais t e m p é r a m e n t s de fauves. Quant a u x autres régions — celles qui tirent vers la partie centrale de l'œcoumène, y compris certaines portions de l'Arabie ou des pays voisins —, ce sont l'Âdarbaygân, les marches du Diyâr Rabï'a et du Diyâr Mudar 16 [p. 39], qui regar-
1. L'actuel Mazandaran, sur les rives sud de la Caspienne. 2. Région des rives sud-est de la Caspienne. 3. Steppe située au sud du cours inférieur de l'Araxe (région sud-ouest de la Caspienne). 4. Peuple installé sur la basse Volga. 5. Région côtière du sud-ouest de la Caspienne. 6. al-Ldn : peuple installé sur le versant nord du Caucase. 7. Peuple légendaire ( Y â g û g wa Mâgùg) installé derrière sa « muraille », identifiée parfois à la Grande Muraille de Chine. 8. Tubbal. 9. Peuplade t u r q u e de l'Asie centrale. 10. Les Saupo|iàTca (Sarmates) passaient pour être issus de l'union des Scythes et des Amazones. 11. Je corrige la leçon yalqayna l-harb (elles soutiennent la guerre) en yulqlna al-hirâb. Mais je reconnais q u ' u n texte voisin, injra, p. 43, n'est pas plus explicite. 12. « Les d e u x corps purs », ou « simples » (al-gawharatayn al-'atïqatayn), dont sont censés provenir les m é t a u x . Allusion aux richesses minières du Zagros et du Hurâsân. 13. Le t e x t e donne la racine hyl, qui peut avoir ce sens comme celui d'arrogance. Peut-être faut-il lire hiyal : artifices, ruses, stratagèmes. 14. Le pays de Bactres (Balh). 15. Le pays de l'actuelle T a c h k e n t . 16. Régions de la Haute-Mésopotamie, avec Mossoul et a r - R a q q a comme centres.
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dent vers le sud-ouest 1 tout en jouxtant la zone orientale des places-frontières 2 du Sâm, appelées en grec Bithynie, Phrygie, Cappadoce, Lydie et Cilicie (c'est-àdire Qâlïqalâ) 3 ; joignons-y tout un côté de la Syrie et la Palmyrène. Lesdits pays sont également 4 sous l'influence de la triade du sud-ouest, à savoir : Cancer, Scorpion, Poissons, et sont régis aussi par Mars, Vénus et Mercure, ce dernier étant l'astre commun, à vocation centrale. C'est ce qui, dans la plupart des cas, explique le culte préférentiel rendu à Vénus, que l'on désigne sous des appellations aussi variées que possible. Mars reçoit, lui, entre autres noms celui d'Adonis 5, et on l'adore. Ces deux étoiles président à des mystères où se pratique l'usage de la lamentation 6 . Les gens de ces pays sont malheureux, d'esprit vil, harassés, portés au mal ; la solde les pousse à la guerre, à la vie des camps, au pillage et au butin, et on les trouve dans les rangs des esclaves prisonniers de guerre. Ces dispositions s'expliquent par la situation orientale où se trouvent Vénus et Mars, laquelle situation correspond à celle de ces pays. On aime donc la tromperie et la fraude, la prodigalité et le gaspillage, les beuveries et l'ivresse. E t du fait que Mars connaît son exaltation 7 au moment du Capricorne — lequel relève du trigone 8 de Vénus — et Vénus au moment des Poissons — lesquels relèvent du trigone de Mars —, les femmes sont ici très portées à conseiller leurs maris, très tendres avec eux, très bonnes ménagères, dévouées sans relâche à l'égal de servantes, et par conséquent épuisées, fatiguées et soumises. Les gens de Bithynie et de Phrygie se modèlent plus particulièrement sur le Cancer et la Lune ; les hommes sont donc en général pieux et humbles ; les femmes, elles, sont la plupart du temps sensibles aux effets de cette tendance orientale et masculine de la lune (Ptolémée entendant par là que la lune, régissant un pays qui relève de l'Orient alors qu'elle-même relève de l'Occident, subit dans sa nature une attraction vers l'est) 9 : aussi ces femmes sont-elles viriles, autoritaires et belliqueuses comme toutes celles qui redoutent et fuient l'approche des hommes ; elles aiment les armes et s'amputent du sein droit pour pouvoir mener une vie guerrière, laissant à nu la partie ainsi [mutilée], afin qu'au moment de se disposer en bataille, il ne puisse venir à l'idée de personne que leur sexe est celui des femmes. Les habitants de l'est de la Syrie, de la Pamphylie 10 , de la Cappadoce et de la Palmyrène se modèlent sur le Scorpion et Mars : ils sont en général de manières téméraires et sottes, braves mais fourbes, méchants et d'une sensualité telle que leurs débordements les épuisent. Ceux de [p. 40] Lydie et de Cilicie (c'est-à-dire de Qâlïqalâ) 11 se modèlent sur les
1. Soit vers le quadrant opposé. 2. Les tugûr sont les marches de l'Empire, enjeu incertain de la lutte avec Byzance : ici, dans le secteur syrien, notamment Tarse et Mopsueste. 3. Bïtûniya, Furûgiya, Qabâdûqiya, Lûdiya, Qïlïqiya (l'identification, suggérée par la phonétique, avec Qâlïqalâ (Erzerum), est erronée). 4. Cf. supra, p. 40, n. 12. 5. Adûnïs. 6. niyâha : lamentation sur un mort. 7. saraf (et non Sarf) : situation d'une planète dans le signe où elle a le plus d'influence (on dit aussi : dignité). 8. Ici intervient, épisodiquement à vrai dire, une nouvelle classification : le trigone (tatlït, tandis que mutallata désigne la triade de signes zodiacaux) est une association de signes du zodiaque, mais séparés cette fois par cent vingt degrés. 9. Cette « masculinisation » produite par l'est et le soleil ne tient pas compte du fait que les genres des deux planètes sont inversés par rapport au grec. 10. Fanfûliya. 11. Cf. supra, n. 3.
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Poissons et Jupiter : souvent grands propriétaires de troupeaux et de biens, grands commerçants, ils aiment la liberté, sont serviables, loyaux dans leurs aiïaires et hommes de confiance dans leurs transactions. Le quatrième quadrant est celui du sud-ouest, ou des Noirs 1 . Il renferme le pays des Zang, l'Abyssinie le pays des Bedja 3 , la Nubie 4 , le Fezzan et le pays de Cairouan : de l'Afrique 6 relèvent Cairouan, le Sus 6 , le pays des Noirs qui vont t o u t nus 7 et le ( j à n a 8 . Autres dénominations appliquées à ces pays : Numidie, Gétulie ' et autres noms grecs. Ce quadrant, qui se modèle sur la triade du Cancer, est régi par Vénus et Mars en situation occidentale, Ptolémée entendant par là que ces deux astres doivent être considérés comme méridionaux du côté de l'ouest, Vénus é t a n t en effet [l'astre] du sud et Mars étant au sud lorsqu'il connaît son exaltation. Cette conjonction fait que la royauté 10 échoit souvent, en ces pays, à deux enfants d'une même mère, le fils régnant sur les hommes et la fille sur les femmes. C'est là une coutume qu'ils observent régulièrement et se t r a n s m e t t e n t [d'âge en âge]. D'une n a t u r e très ardente, ils sont t o u t occupés de la possession des femmes ; celles-ci se marient en état de virginité, mais peuvent ensuite se partager entre plusieurs époux, t a n t est grande leur passion et vif leur intérêt p o u r les choses du sexe. Délicats, aimant la parure, ils s'accoutrent comme des femmes, subissant en cela l'influence de Vénus. Mais en même temps, ils restent virils et mâles, bravent la mort et les dangers, par l'effet de Mars. Ils sont méchants, pervers, menteurs, trompeurs, fourbes et tarés. A l'intérieur du quadrant, le Cancer et la Lune intéressent plus particulièrement les régions de l'Afrique 11 et de la Numidie. Du fait que la lune, conformément à sa nature, relève de l'ouest, les habitants de ces régions aiment la société et le commerce, qui les rend extrêmement prospères. La Nubie, l'Abyssinie t o u t entière, le pays des Zang et les régions avoisinantes du sud de l'Inde 12 se modèlent sur le Scorpion et Mars : ici, on est plus près de la bête fauve que de l'homme, on aime les querelles, les inimitiés, les litiges, les haines, on fait peu de cas de la vie, on n'a n i pitié ni compassion, et parfois même [p. 41] on en a si peu pour soi q u ' o n se suicide par le feu, la pendaison ou la chute dans le vide. Le Fezzan, avec les régions proches, le Sus et le pays des Umayyades 13 sont soumis à Jupiter et a u x Poissons : de nature libre, leurs habitants se traitent avec cordialité et bonne humeur,
1. as-Sûdân. 2. al-Habas. 3. Buga : occupants de la région comprise entre le Nil et la mer Rouge d'une part, la Haute-Égypte et l'Érythrée d'autre part. 4. an-Nùba. 5. D'ordinaire, le mot d'Ifrlqiya désigne la partie orientale de l'Afrique du Nord. Il semble s'étendre ici largement au delà de ce domaine et recouvrir l'ensemble du continent, tout comme le mot d'Africa, qui connut avant lui la même ambiguïté. 6. Le Sud marocain. 7. Le terme de Sudan peut désigner comme ici, de façon plus précise, les populations de la zone sub-saharienne. 8. Gâna. 9. Nûmldiya, ôâiûliya. 10. Corriger la leçon bimulkin en yamliku. 11. Cette fois au sens restreint du terme (cf. supra, n. 5). 12. Cf. supra, p. 21, n. 4. 13. Sans doute faut-il comprendre : le nord du Maroc (par opposition au Sus, qui en est le sud), qui, en cette première moitié du i v e / x e siècle, passe sous le contrôle politique des Umayyades d'Espagne (règne de 'Abd ar-Rahmân III).
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ils s o n t actifs, r e f u s e n t l ' h u m i l i a t i o n et l a soumission, p r a t i q u e n t la r e c o n n a i s s a n c e et la p i é t é ; ils e x a l t e n t e t a d o r e n t J u p i t e r , à q u i Us s o n t r e d e v a b l e s de t o u t cela et q u ' i l s a p p e l l e n t A m m o n 1 . Q u a n t a u x régions q u i t o u c h e n t à la p a r t i e c e n t r a l e de l ' œ c o u m è n e , ce s o n t les régions en deçà de C a i r o u a n , les a p p r o c h e s de l ' É g y p t e , A s s o u a n , l ' É t h i o p i e m o y e n n e a v e c N à s i ' , S a w à k i n , ' A y d à b 2 , le p a y s des m i n e s 3 et enfin, a u Y é m e n , A b y a n 4 , s u r la m e r d ' A d e n . L a n a t u r e 5 de ces c o n t r é e s relève de celle de leur s e c t e u r , m a i s a u s s i — et t o u t p a r t i c u l i è r e m e n t le Y é m e n — de celle des p a y s q u i l e u r f o n t f a c e s , à s a v o i r c e u x d u n o r d - o u e s t , ou encore de la t r i a d e d u Bélier, p a r t i c u l i è r e m e n t s o u m i s e a u Lion et a u Soleil. P a r ailleurs, la n a t u r e de ces m ê m e s régions se m o d è l e s u r celle d u n o r d - e s t , q u i est à l'opposé, e n d ' a u t r e s t e r m e s p a r t i c i p e à la t r i a d e des G é m e a u x régie p a r S a t u r n e , J u p i t e r et aussi Mercure, c o m m u n à ces d e u x a s t r e s lorsqu'ils s o n t en p o s i t i o n o c c i d e n t a l e . O n s ' e x p l i q u e p a r là q u e ces régions s o i e n t sensibles a u x r é v o l u t i o n s des c i n q astres q u i c o n c o u r e n t t o u s à les régir. L e u r s h a b i t a n t s s o n t d o n c p i e u x , d é v o t s , a d o r a t e u r s résolus et fidèles d u Dieu T r è s - H a u t . Ils e x a l t e n t aussi les génies, p r a t i q u e n t v o l o n t i e r s la l a m e n t a t i o n s u r les m o r t s , qu'ils c a c h e n t en t e r r e , t o u t cela p a r l ' e f f e t d ' u n e n a t u r e a c c o r d é e a u x d e r n i è r e s h e u r e s d u j o u r ou, si l'on v e u t , a u x a s t r e s q u i régissent ces c o n t r é e s , lorsqu'ils s o n t s u r l e u r déclin. Ces gens s u i v e n t des u s a g e s divers, des c o u t u m e s variées : ils se c o n s a c r e n t à obéir à leur S e i g n e u r et m e u r e n t , dans cet e s p r i t , à force d ' a b s t i n e n c e et de p r i v a t i o n s 8 . Si o n les s o u m e t , ils s o n t c o n s t a n t s et r e c o n n a i s s e n t leur é t a t de s u j é t i o n ; s'ils s o u m e t t e n t , ils s o n t i n s o l e n t s et orgueilleux ; p o r t é s a u x g r a n d s desseins, à la générosité, ils p r e n n e n t foroe f e m m e s , et leurs f e m m e s de n o m b r e u x é p o u x . D ' u n e sensualité affirmée, ils p e u v e n t s ' u n i r à leurs s œ u r s . Les h o m m e s o n t u n e a b o n d a n t e p o s t é r i t é , et les f e m m e s u n e grossesse p l u t ô t b r è v e , t a n t l e u r p a y s e s t riche en force g é n é r a t r i c e . Bien des m â l e s aussi y o n t l ' â m e f a i b l e , efféminée. Il leur a r r i v e de t r a i t e r à la légère les o r g a n e s de la vie, » ' e m b a r r a s s a n t p e u , p a r e x e m p l e , d e l ' a b s t i n e n c e d u e p e n d a n t les périodes m e n s t r u e l l e s , t o u t cela p a r l'effet d e l ' a s s o c i a t i o n à V é n u s , d a n s sa p h a s e d é c l i n a n t e , des a s t r e s d é f a v o r a b l e s . Si l ' o n v e u t e n t r e r d a n s le détail, o n dira q u e le p a y s d e C a i r o u a n et l ' E g y p t e [p. 42], p a r t i c u l i è r e m e n t d a n s le b a s p a y s , se m o d è l e n t sur les G é m e a u x et M e r c u r e : l e u r s h a b i t a n t s s o n t réfléchis, i n t e l l i g e n t s et sagaces en t o u t e s choses, s u r t o u t en p h i l o s o p h i e , en gnose et en théologie. Ils s ' a d o n n e n t à la d i v i n a t i o n , t o u c h e n t à t o u t a v e c c o m p é t e n c e et p r a t i q u e n t les m y s t è r e s . E n u n m o t , ils excellent d a n s les
1. Ammùn. 2. Y â q û t (Mu gain, s. e.) cite Nâsi', s a n s plus, c o m m e « u n lieu de l ' A b y s s i n i e » : s u r ces difficultés de localisation, cf. C. F . B e c k i n g h a m , « H a b a s h », d a n s El (2), I I I , 7 : p e u t - ê t r e B â d i ' ( i n f r a , p. 161). S u r S a w à k i n e t ' A y d à b , p o r t s d e la m e r R o u g e , cf. A . G r o h m a n n , d a n s El, IV, 192-193, e t H . A. R . Gibb, d a n s El (2) I, 805-806. 3. L e s célèbres g i s e m e n t s d ' o r et d ' é m e r a u d e , e n t r e h a u t Nil et m e r R o u g e : cf. Y A ' Q , t r a d . , 189-190. 4. Ou I b y a n : c'est la région d ' A d e n . 5. L e passage q u i s u i t e s t f a i t p o u r i n t é g r e r la région d u Y é m e n , d n o t H a m d â n î est originaire, à u n jeu d ' i n f l u e n c e s b e a u c o u p plus riche que t o u t e s les a u t r e s régions d e la t e r r e . 6. Il ne p e u t s ' a g i r de la t r i a d e opposée, d o n t le t o u r v i e n d r a plus b a s . Ce f a c e à f a c e , e n t r e secteurs voisins, p e u t s ' e n t e n d r e c o m m e de p a r t et d ' a u t r e de la Méditerranée. 7. A j o u t e r à S a t u r n e , J u p i t e r e t M e r c u r e , ainsi m i s en c a u s e , les d e u x a s t r e s du q u a d r a n t d ' a p p a r t e n a n c e : V é n u s et M a r s .
8. Corriger ihtisân en ihtisân.
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sciences théoriques. Ceux de la Thébaïde , des Oasis et de la Troglodytique 3 , se modelant sur la Balance et Vénus, sont d ' u n naturel vif et actif. Leur p a y s est fertile, prospère et opulent. Ceux du Yémen, d'Aden, d ' A b y a n et de l'Abyssinie moyenne se modèlent sur Saturne et le Verseau : gros mangeurs de viande et de poisson, ils errent à la recherche de nourriture 4 , chassés des pays de la f a i m vers les zones fertiles. Leur vie est comme celle de bêtes sauvages que rien n'arriverait à rassasier. Ainsi s'achève cette description générale et schématique de l'adaptation, a u x astres et aux constellations zodiacales, de chaque nation et de ses caractéristiques. Nous allons maintenant reprendre, dans l'esprit de ce qui précède, mais plus en détail, Vadaptation aux constellations du zodiaque : vues sous cet angle, les choses seront plus faciles à concevoir. Les pays qui se modèlent sur le Bélier sont la Bretagne 6 , la Galatie, la Germanie, qui est le pays des Slaves, et la Bastarnie ; pour les paya qui touchent au centre de l'œcoumène : la Syrie ancienne, la Palestine, l ' I d u m é e et la Judée. Se modèlent sur le Taureau : la Parthie la Perside et la Médie ' ; pour les pays du centre : les Cyclades, Chypre et les rivages de l'Asie Mineure. Se modèlent sur les Gémeaux : pour les régions lointaines : le Gurgân, le T a b a r i s t â n et la M a t i è n e 8 ; pour les régions proches, ou centrales : Cairouan, la Marmarique 9 et la basse Égypte. A p p a r t i e n n e n t au Cancer : pour les marges éloignées : la Numidie, la Carchédonie 10 et l'Afrique 1 1 ; pour les régions proches, ou centrales : la Bithynie, la Phrygie et la Colchide 12 . Appartiennent au Lion : pour les marges éloignées : la Sicile, l'Italie, la Gaule et l'Apulie ; pour les régions proches, ou centrales : le Yémen, c'est-à-dire la Phénicie, la Chaldée 13 et l'Osroène u . A la Vierge a p p a r t i e n l e n t : pour les marges éloignées : la Babylonie, la Basse-Mésopotamie, la H a u t e Mésopotamie, les pays d'Assyrie 15 [p. 43] et la Cilicie ; pour les régions proches, ou centrales : la Pamphylie, l'Hellade, l'Achaïe, la Crète et Assur, Ptolémée entend a n t , par Cilicie, Qâlïqalâ 16 , par Pamphylie le Caucase 17 et p a r Hellade la Grèce 18 . A la Balance a p p a r t i e n n e n t : pour les marges éloignées : la Bactriane, o'est-à-dire le pays de Bactres 19 , le Hurâsân et le p a y s de Siraca 20 ; pour les régions proches, ou centrales : la Thébaïde, les Oasis et la Troglodytique. Au Scorpion a p p a r t i e n n e n t :
1. Tîbâyis. 2. Utvâsïs : décalque du grec, en place du mot employé en arabe : svâha, pl. wàhât. 3. Turùglûdûtïqà : le pays entre Thébaïde et mer Rouge. 4. De pâturages, dit exactement le texte : yantagi' ûna. 5. Le texte donne à choisir entre deux orthographes : Barâ(âniyâ, quasi semblable à supra, p. 37, n. 3, et Barâttâniyâ, qui se v e u t évidemment plus fidèle. 6. Fdrâtiyâ. 7. Mïdiyâ. 8. Mâfiyanâ : région du nord-ouest de la Perse. 9. Mârmârïqâ : les régions entre l'Égypte et la grande Syrte. 10. Qârhadûniyd, Carchedon é t a n t un a u t r e nom de Carthage. 11. E n t e n d u e ici au sens restreint [cf. supra, p. 44, n. 5 et 11). 12. Qûlhïqâ. 13. « Hâldayâ, c'est-à-dire la Chaldée (al-Kaldâniyâ) ». 14. Vrhiniyâ : la région d'Edesse, en Haute-Mésopotamie. 15. Atûriyâ. 16. Cf. supra, p. 43, n. 3 et 11. 17. al-Qabq. 18. Yûnân. 19. Baqtriyanâ, Balh. 20. Sîrïqâ, Siraca : Saraljs, dans le Hurâsân.
La terre partagée
47
pour les marges éloignées : la Metagonitide 1 , la Mauritanie 2 , qui est le pays des Espagnols 3 , et la Gétulie ; pour les régions proches, ou centrales : la Syrie, la Commagène 4 et la Cappadoce. Au Sagittaire appartiennent : pour les marges éloignées : la Taurinie, la Celtique et l'Hispanie, c'est-à-dire l ' E s p a g n e 6 ; pour les régions proches : les pays de l'Arabie fertile 6 . Au Capricorne appartiennent : pour les marges éloignées : l'Inde, le Mukrân, le Sigistûn et Tarsia 7 ; pour les régions proches : la Macédoine, c'est-à-dire l ' É g y p t e 9 , la Crète 9 et l'IIlyrie. Au Verseau a p p a r t i e n n e n t : pour les marges éloignées : lo pays de S a m a r q a n d , la Sogdianc et l'Oxiane 10 ; pour les régions proches, ou centrales : le Yémen, Aden, A b y a n et l'Abyssinie moyenne. Appartiennent aux Poissons : pour les marges éloignées : le Fezzan, la Nasamonitide 1 1 et le pays des Garamantes 12 ; pour les régions proches, ou centrales : la Lydie, la Cilicie 13 et la Pamphylie. Apprenons maintenant les caractéristiques de Mercure. Pour l'essentiel, le système des q u a d r a n t s de l'œcoumène est soumis à trois astres h a u t s et à un représent a n t des astres bas, Vénus ; les deux astres de lumière 14 et Mercure ne participent au système q u ' a u t a n t que leurs domiciles 15 coïncident avec les triades. Alors, la plupart de leurs caractères se f o n t sentir sur trois zones de l'œcoumène. Le soleil influe sur l'Orient, en avivant les caractères de Saturne et de J u p i t e r . Il apporte les royautés stables et dures l e , les longues vies, l'art de faire les choses a u grand jour et fastueusement, la divulgation des secrets. La lune influe sur l'Occident, dont les caractères s'accordent aux siens. Elle y avive les caractères de Vénus et de Mars, m e t t a n t en évidence les cultes divins, faisant enterrer les morts, cacher les secrets et dérober bien des mystères, mais inspirant les prophéties, les livres [sacrés], la révélation et les codes m o r a u x 1 7 , installant les royautés aux pouvoirs flottants 18 , selon qu'elle va vers son plein ou décline pour se cacher. Mercure, enfin, influe sur les régions centrales en raison de la brièveté de son p i v o t 1 9 et de la position médiane de ses oaractères par r a p p o r t à ceux des astres,
1. Mâtâgûnïtis : région du cap Metagonium, sur la côte méditerranéenne du Maroc actuel. 2. Mâwrîtâniyâ. 3. Andalus : cf. supra, p. 44, n. 13. 4. Qûmâgïnâ. 5. Sibdniyâ, al-Isbân. 6. ard al-'Arab al-'âmira : cf. supra, p. 40, n. 9, et 41, n. 7. 7. Le texte dit : Tarâqiya, et l'on pense évidemment à la Thrace (cf., sous une orthographe un peu différente, supra, p. 38, n. 2), mais elle fait partie de la zone centrale (ibid., mais voir infra, n. 13) et surtout, ici, jure avec les pays orientaux. J e propose Tarsia, un cap (cf. supra, n. 1) entre Fârs et Kirmàn. 8. Cf. supra, p. 38, n. 3 et 13. 9. P o u r t a n t citée déjà plus h a u t (avec orthographe Qrïfas). 10. Uksiydniyâ : les régions de l'Oxus. 11. Nasamânïtis : le pays des Nasamones, a u sud-est de la grande Syrte. 12. ùâràmântïqà. 13. La Cilicie a déjà été citée, comme relevant des régions éloignées, et la P a m phylie aussi, mais comme relevant de la zone centrale. 14. An-nayyirân : soleil et lune. 15. Cf. C. A. Nallino, « Astrologie », dans El, I, p. 502-505. 16. Corriger gabriyya en gabrï. 17. Littéralement : les peines légalement fixées : hudud. 18. Le sens est clair, mais le texte, ici et j u s q u ' à la fin, est assez peu sûr. 19. Cf. Nallino, op. cit.
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Géographie
arabe et représentation
du
monde
t a n t ô t funestes et t a n t ô t favorables, t a n t ô t mâles et t a n t ô t femelles 1 , t a n t ô t diurnes et t a n t ô t nocturnes, etc. C'est que [p. 44] le domicile de Mercure se situe aux Gémeaux, au-dessus du centre de l'œcoumène, en d'autres termes vers la Mekke et Médine 2 : là, Mercure révèle la logique parfaite, a p p o r t e la philosophie, ouvre t o u t e s grandes, sur l'intelligence et la finesse, les portes du savoir, délie les esprits et les attitudes, rend les langues gracieuses et embrase les cœurs pour le genre d'activités mentionnées à propos des régions centrales des divers quadrants. On voit s'associer les caractères de t o u t e s les triades et des couples d'astres qui les régissent. Mais, pour ces derniers, leur effet est différent selon qu'ils touchent[, en ces régions centrales,] les triades en rapport avec leur propre secteur ou les autres : d a n s le premier cas, ils manifestent les meilleurs de leurs signes ; dans le second, la tendance se renverse, les influences dépérissent et se gâtent 3 ... [Ainsi en est-il] pour Saturne et Jupiter, astres du nord-est : s'ils touchent au sud-ouest, leurs signes sont mauvais, et semblablement s'ils régissent un peuple à l'ouest de la terre ; de même, si Mars, Vénus ou la Lune 4 régissent un pays à l'Orient, les signes qu'ils manifestent sont mauvais.
Sans doute objectera-t-on que d'autres textes t r a i t e n t du problème plus à fond et, par endroits, plus clairement que celui-ci. Plus rigoureusement aussi : car H a m d â n ï s'égare, à l'occasion, hors de l'astrologie pure. Mais précisément, ce refus de la spécialisation radicale, cette situation à mi-chemin, ces regards ouverts sur d'autres thèmes que ceux qui sont fournis par une discipline et une seule, rappellent assez bien l'esprit de la géographie arabe à sa m a t u r i t é , en t a n t que science des grands publics et des confluences. E t puis, il est une autre différence, plus décisive encore : ce qui creuse la distance entre H a m d â n ï et les traités classiques de l'astrologie arabe, c'est la visée originelle : on ne t e n t e pas ici d'expliquer l'astrologie, mais bien, au t r a v e r s et au moyen de l'astrologie, la terre, et la terre des hommes. Dès lors, ces égarements hors du sujet astrologique, vers ces thèmes, finalement privilégiés, que sont les qualités des peuples, la délimitation du centre du monde ou la description de l'Arabie, ne sont pas, en réalité, hors du sujet : ils sont le sujet lui-même. La première impression que l'on retire de la lecture de H a m d â n ï est que, p a r t a n t de prémisses claires et rigoureusement ordonnées, l'auteur aboutit, dans le détail, à une confusion extrême où on ne les reconnaît plus. Le t o u t est de savoir si c'est là une faiblesse ou, au contraire, une a t t i t u d e réfléchie dont il convient de saisir les nuances et l'esprit. Au départ donc, t o u t est simple, organisé sur des r y t h m e s pairs : les deux « luminaires », soleil et lune, sur les deux parties du monde, est et ouest ; les q u a t r e astres, Vénus, Mars, J u p i t e r et Saturne, aux 1. Cf. MAS (t), 38. 2. Nouvelle preuve de l'adaptation de l'astrologie grecque au contexte musulman. 3. Lacune dans le texte. J'ai changé, pour plus de clarté, l'ordre de la phrase arabe qui précède. 4. Respectivement astres du sud-ouest et astre de l'ouest. Corriger, dans ce passage, la première forme dabarâ, dabara, en la deuxième.
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partagée
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Géographie
arabe et représentation
du monde
quatre points cardinaux, sud, ouest, nord et est ; entre ces points, les quatre éléments et les quatre triades, associations de constellations du zodiaque (fig. 8). Première complication avec le rôle propre de la lune et du soleil, qui brouillent la répartition stricte entre moitié ouest et moitié est : dans la mesure où ils influent respectivement 1 sur Vénus (à l'exclusion de Jupiter) et sur Jupiter (à l'exclusion de Vénus), le système des quatre astres doit subir, par rapport à la situation de la figure 8, une tendance à une légère rotation dans le sens — 7t. Mais ici intervient, avec l'apparition des trigones, la quatrième dimension. L a répartition des signes zodiacaux selon des intervalles de 180° doit s'entendre en effet sur la base de la succession de ces signes par rapport à la course du soleil en un an, c'est-à-dire dans le temps, soit l'ordre accoutumé : Bélier-Taureau-Gémeaux-Cancer-Lion-ViergeBalance-Scorpion-Sagittaire-Capricorne-Verseau-Poissons. On a donc les attributions suivantes : à Vénus : Capricorne 2 et, par voie de conséquence, Taureau et Vierge ; à Mars : Poissons 3 et, par voie de conséquence, Cancer et Scorpion. Soit la répartition, dans l'ordre du temps, que donne la fig. 9. Restent à placer Saturne et Jupiter. Il apparaît
Fig. 9. •— Trigones de Vénus (d'après Hamdànï) 1. Cf. supra, 2. Cf. supra, 3. Cf. supra,
p. 47. p. 43. p. 43.
et
Mars
La terre partagée
51
que le Cancer et le Taureau sont les signes dont l'identification respective à Mars et à Vénus est la plus évidente : non contents de figurer 2 n ici, ils se caractérisent, à la figure 8, par leur position adjacente (-)par rapport à la situation cardinale des deux astres. Il est donc naturel de rattacher, sur cette dernière base, le Bélier à Jupiter et les Gémeaux à Saturne. La répartition complète des trigones s'opère dès lors selon la fig. 10.
Fig. 10. —
Trigones
des quatre astres
(d'après Hamdâni)
La liste des trigones s'établit comme suit : Mars : Poissons-Cancer-Scorpion Vénus : Taureau-Vierge-Capricorne Saturne : Gémeaux-Balance-Verseau Jupiter : Bélier-Lion-Sagittaire, où il apparaît que chacun des quatre astres se voit attribuer ici non pas les moitiés respectives de chacune des deux triades adjacentes à sa position cardinale, comme en figure 8, mais l'ensemble de la triade située, selon +
4
entre cette position cardinale et la position cardinale
de l'astre suivant. C'est dire que ce classement compense la tendance inverse, due à l'action des deux luminaires et qui allait, elle, dans le
52
Géographie arabe et représentation du monde
sens — 7t : autre manière de montrer que la position cardinale des quatre astres n'est qu'une situation d'équilibre, non exclusive d'influences contradictoires. La même liberté règne dans les triades. E t d'abord pour les astres : il n'y a pas, au sens propre, passage continu d'une influence astrale à l'autre, effacement progressif du premier astre par le second, mais globalement, pour l'ensemble de la triade, un faisceau des influences : c'est à peine si, en approchant des bords de la triade, elles se colorent plus volontiers au contact de l'astre intéressé. Prenons par exemple le quadrant nord-ouest : il doit s'entendre, au vrai, comme une zone jupitéro-martienne, où les deux influences jouent en conjonction : à preuve la Bretagne, qui relève du Bélier mais subit plutôt Mars, ou l'Espagne, qui relève du Sagittaire mais subit plutôt J u p i t e r 1 . Il faudrait, à la limite, considérer que les quatre quadrants devraient ainsi s'intituler jupitéro-martien, martio-vénusien, vénuso-saturnien et saturno-j upitérien. Au reste cette interpénétration des influences et de leurs champs à l'intérieur de la triade joue-t-elle aussi entre les signes zodiacaux. On n'a pas été sans remarquer, si l'on a comparé le texte de Hamdânï et la figure 8, qu'il y a parfois décalage entre la situation géographique des pays et leur position par rapport à une constellation du zodiaque 2 . La raison dernière doit en être cherchée dans le refus, ici encore, d'une succession spatiale absolue 3 . Reprenons le quadrant déjà cité : si l'on peut garder, comme une tendance du nord vers l'ouest, la succession, dans cet ordre, des deux astres (Jupiter et Mars) et des trois signes du zodiaque (Bélier-Lion-Sagittaire), aucun d'eux ne peut néanmoins prétendre, sur un territoire quelconque, à une possession exclusive : c'est globalement, à eux tous, que les signes, comme les astres, composent la triade. Les choses se compliquent encore par le jeu du cinquième astre, Mercure, préposé aux régions centrales de l'œcoumène. Ce n'est pas assez de dire que celles-ci, de par leur situation, sont sensibles à toutes les influences du système, sans parler de celles de leur astre propre. Ce noyau de la terre fait plus que cela : il véhicule, comme par osmose, 1. Cf. supra, p. 37-38. 2. Tel est le cas n o t a m m e n t du secteur Hamadân-Fârs-Sïn, donné comme relev a n t du Taureau (supra, p. 40 et 46) ; on peut songer é v i d e m m e n t à renverser l'ordre de la triade, au mépris de l'ordre m ê m e annoncé dès le début, supra, p. 34. Mais cela reporterait le m ê m e genre de difficultés sur le secteur Inde-MukrânSigistân. Mêmes difficultés pour les secteurs Bretagne et Italie du quadrant nordouest [supra, p. 37-38 et 46). 3. Sans doute est-on t e n t é d'invoquer l'insuffisance d'information géographique. Mais elle peut difficilement jouer au niveau de considérations aussi vastes que la position de l'Iran par rapport à la Chine ou à l'Inde, ou de la Bretagne par rapport à l'Italie.
La
terre partagée
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les influences d'un quadrant entier à tous les autres. Par lui s'échangent les effets de la lune et du soleil, des astres d'un quadrant et de ceux du quadrant opposé ou voisin 1 . Au vrai, il brouille les cartes, comme s'il s'ingéniait à contester tous les titres de propriété que les grandes lignes du système tendaient à mettre en place. Et enfin, il faut revenir sur le temps. Il influe, on l'a dit, par le rôle des trigones, mais aussi il modèle, selon les heures ou les saisons, les effets des astres 2 . Attachons-nous maintenant à étudier un peu plus en détail, à travers les signes du zodiaque, les interférences entre la classification spatiale et la succession temporelle. Sur le schéma des signes disposés selon les quadrants, comme à la figure 8, indiquons, de 1 à 12, la suite des mois, le Bélier étant le premier signe de l'année. La succession de 1 à 12 donne le schéma de la figure 11.
1. Exemples : le secteur italien, occidental, soumis au soleil, astre de l'Orient ; la Babylonie et le Gurgân, secteurs « éloignés », soumis à Mercure, astre du centre ; la Bactriane, de la Balance (nord-est), soumise à Vénus, astre du sud ; le Fezzan et le Sus, secteurs « éloignés » (quadrant sud-ouest), soumis à Jupiter, astre du nord. 2. Exemples : supra, p. 37, 39, 43-44. 6
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Géographie arabe et représentation du monde
Cette succession combine remarquablement les éléments d'équilibre et de déséquilibre, de continuité et de discontinuité. Dans chaque quadrant, on passe du premier au troisième signe par une progression arithmétique de raison + 4. En outre, on peut passer de chaque signe d'une triade au signe correspondant de la triade opposée, par une progression arithmétique de raison -(- 1 ou — 1, ou, sur le plan de la géométrie, par une simple ligne droite. Mais la discontinuité s'installe en ce qu'on ne peut passer, par une arithmétique constante, d'une triade voisine 1 . Il y a donc finalement deux groupes de triades irréductibles l'un à l'autre : nord-ouest — sud-est et nord-est — sud-ouest, comme il est montré en figure 12.
Fig. 12. — Répartition des signes du zodiaque en deux couples opposés de triades
Revenons maintenant à la succession indiquée dans la figure 11 : elle est fondée sur deux principes : la droite, on l'a dit, qui joint les 1. Sans doute peut-on isoler deux moitiés, impaire et paire (nord et sud), dont les termes spatialement les plus éloignés (3 et 9, 4 et 10) sont séparés par la même distance arithmétique, de raison + 6. Mais l'unité de chaque moitié est factice puisque, sur le schéma, le passage du chiffre inférieur au chiffre extrême (de 3 à 9, de 4 à 10) voit rompre, par l'opération — 10, le rythme normal de la progression arithmétique de raison + 4 : 4 - 4 + 4 — 10 + 4 + 4.
La terre partagée
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secteurs opposés (1-2, 3-4, 5-6, 7-8, 9-10, 11-12), et l'arc de cercle, qui comble les vides laissés entre les couples ainsi créés, mais qui les comble selon des rotations régulières de raison différente et de signe trigonométrique contraire : de 2 à 3 :
2
4
de 4 à 5 : -
2
de 6 à 7 : +
2 71
de 8 à 9 : -
2
™
de 10 à 11 : +
2
4
-
6 4
6
On obtient donc, si l'on transcrit l'opposition par -f-
2 7U - , la succession Li
totale de 1 à 12 dans les termes suivants : 2 i +
2
2s
2n
4
2
2
n
2
6
n
2
2
n
2 4
n
2 n
2n
6
2
2
On met ainsi en évidence, isolées par l'élément — +
2 tc , 2 , 2 7r 2 4 2'
.
Peuvent
se re
2 iz +
4
trois séries
, . .~ P r e s e n t e r comme à la ngure ld.
Ainsi apparaît-il clairement que la triplicité du système obtenu se réduit à l'unité dès lors que, par rapport à la série médiane, figurée en trait plein, on fait subir aux deux autres séries, représentées en • • • i , tirete et en pointillé, des rotations respectives de +
2 7T ^
et
—
2 7t. ^
Qu'est-ce à dire ? Continuités et discontinuités, équilibres et déséquilibres, unité et multiplicité, rigueur d'ensemble et exceptions de détail, tout revient finalement à poser, dans la figuration de l'univers, la totalité même de celui-ci, pris entre l'ordonnance rigoureuse de la création et la complexité vivante de l'être. E t si, dans l'ensemble, les principes de la répartition de base sont infiniment plus difficiles à saisir dans les régions centrales que sur les marges, c'est bien, précisément, parce que la vie culmine en ce centre, tandis que, sur les marges, elle tend à disparaître. Ainsi la taxinomie de la géographie astrologique tend-elle, à travers ses principes et les raffinements où elle les disperse,
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Géographie
arabe
et représentation
du
monde
à refléter la réalité multiforme des choses de la terre : une terre écartelée, disions-nous, mais il faut bien voir que cet écartèlement est voie moyenne, entre l'éparpillement insaisissable de la vie et l'unité, rigoureuse et seule rationnelle sans doute, mais où la vie ferait défaut
Terre découpée
: les sept climats de la
Grèce
La Grèce, comme on vient de le voir à travers un Ptolémée revu par Hamdânï, n'ignorait pas le concept de centre : à preuve ce terme d'omphalos sous lequel sa tradition à elle désignait, à Delphes, le lieu où siégeait la Pythie. Pour la géographie arabe toutefois, son souvenir reste attaché à une division terrestre fondée sur le chiffre, les longitudes y revêtant, du reste, beaucoup moins d'importance que les latitudes. Du sud au nord, Fcecoumène apparaît divisée en sept zones, les climats (arabe iqlïm, pl. aqâlïm) 2 . Division fondamentale : non seulement elle inspire l'exposé de toutes les œuvres qui, dans l'esprit des redécouvertes du règne d'al-Ma'mùn, se réclament de la sùrat al-ard (représentation 1. Comparer avec supra, p. 14. 2. Cf. A. Miquel, s. p., dans El (2).
La terre partagée
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de la terre), mais encore on la retrouve, au nom des principes de la culture générale (adab), dans bon nombre de livres qui ne relèvent pas directement de cette école ou même la récusent explicitement 1 . Tantôt, les climats se désignent d'après leurs pays les plus remarquables : Qudâma, par exemple, énumère successivement, en oubliant le septième au passage 2 , les climats de Méroé (Marâyis), d'Assouan, d'Égypte, de Tarse (Antarsûs), de Rhodes (Rùdas) 3 et du Pont (Buntûs). Ailleurs, c'est l'astrologie, une fois encore, qui dicte ses lois : ainsi chez les Ihwân as-Safà' ou Mas'udï. Il va de soi, compte tenu de la forme de la terre, et aussi des variations des mesures de base 4 , que la superficie des climats va en s'amenuisant du sud au nord 5 . Quant à la délimitation même des latitudes, elle se fait d'après la durée du jour à l'équinoxe, matérialisée par la longueur de l'ombre portée d'un gnomon G. Système imparfait, qui néglige les régions équatoriales, sub-équatoriales et du grand Nord ; système hybride, coincé entre l'à-peu-près empirique et les partis pris de la théorie : les Ihwân 7 déclarent carrément que « ces sept climats ne sont pas des divisions naturelles, mais, pour ainsi dire, des tracés imaginaires établis par les rois de l'antiquité, qui sillonnèrent le quart habité de la terre pour connaître les limites du monde. » Alors, pourquoi s'entêter dans cette répartition, à commencer par les Ihwân eux-mêmes ? C'est qu'elle ménage, ici encore, les droits du centre, en l'espèce le quatrième climat, le vieux pays de Babylone. Mas'ûdï 8 pousse l'audace jusqu'à soutenir que les sept climats « ont été disposés circulairement, le quatrième, qui est le climat de Babylone, se trouvant au centre entouré des six autres. » « Cette délimitation des climats n'est pas la plus usuelle », écrit en note le traducteur, Carra de Vaux. On ne saurait mieux dire ; mais en voulant ramener à toute force des alignements de parallèles à une distribution circulaire, Mas'ûdï ne fait que pousser à son terme, sous une forme mar1. H U W (s), 4 sq., FAQ, 5-6, R S T , 9, HAM, 26 sq., Q U D , 230 et M 57 sq., S E R , 7 sq., MAS (p), § 189, 1360, (t), 54-55, IST, 15 (récusation), I H W , I, 165-179, MAQ, IV, 47 sq., H A W , 2, 527 (récusation), MUQ, trad., § 98 sq. 2. Mais il est vrai que son t e x t e (p. 230) est très mutilé. Hamdânï, loc. cit., donne une version plus détaillée, avec décalque de noms grecs également, ainsi qu'un exposé des différences entre écoles grecque, indienne et arabe. 3. Sur cette graphie, cf. Y â q û t , Mugam al-buldân, s. v. TA'À, 127 (avec détails sur cet artisanat et développement, en contrepoint, du thème des spécialités (hasâ'is) de l'Inde, plus nombreuses qu'en n'importe quel pays : TA'A, 124-125). 6. Références supra, p. 107, n. 9. 7. Merv, 192 (la cruche comme symbole de la sagesse préservée).
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Géographie arabe et représentation du monde
sous une forme ou sous une autre, est toujours mis en avant et en même temps jamais en cause, qu'il s'offre et se dérobe à la fois au débat. Dans un jeu ainsi faussé, où il faut non pas comprendre la foi à travers la coutume, mais expliquer la coutume par la foi, l'existence, chez les Chinois ou les Hindous, d'une coutume apparentée à telle coutume musulmane ne saurait en aucune façon être interprétée comme un fait musulman en soi, et il en est bien ainsi en effet puisqu'aucun des peuples observés n'a reçu la révélation de l'Islam. On voit donc que la confrontation n'est qu'apparente, qu'elle ne dépasse pas le stade du simple enregistrement du fait, qu'elle n'est pas fondée en droit, et c'est pourquoi un auteur ne déclare jamais : ceci se rapproche (ou s'éloigne) de l'Islam, mais toujours, en une attitude mentale radicalement différente : ceci est (ou n'est pas) une coutume suivie dans le monde musulman. Au bout du compte, il faut chercher dans cette exclusivité de la vraie foi, dans cette aristocratie de la vérité, l'obstacle majeur à l'élaboration définitive du strict concept d'humanité, en sa forme parfaite de l'identité fraternelle. Pour ces croyants, il y a peut-être des degrés dans l'humanité des comportements, mais jamais à coup sûr dans la foi, et, au fond, la seule faveur que l'on accorderait aux Chinois et aux Hindous, par rapport à tels sauvages des îles, serait de les considérer, non pas certes comme des hommes qui, de par leurs coutumes, seraient sur le chemin de la vérité, mais au mieux, et pour parodier une formule célèbre, comme des Musulmans à qui la grâce aurait manqué 1 . 1. L ' a t t i t u d e d ' u n Gâhiz (cf. Pellat, d a n s Taqâfat al-Hind, op. cit., supra, p. 76, u. 2), m ê m e si elle est plus éclairée et vise à une connaissance du d e d a n s (cf. l'esprit de son Kitâb al-asnâm (Livre des idoles) défini d a n s Hayawân, I, 5-6), e s t aussi i n t r a n s i g e a n t e sur le principe m ê m e de la foi : ihtalafa (al-Hind (va l-Arab) fï gihati l-'illa ma'a ttifâqihimâ 'alâ gumlati d-diyâna (« H i n d o u s et A r a b e s se r a p p r o chent s u r l ' a t t i t u d e religieuse d a n s son ensemble, m a i s divergent s u r le plan d u « m o t e u r » [de la religion]) ( H a y a w â n , I, 5). Q u a n t à la grâce, ( j à h i z en ressentait d é j à la nécessité lorsqu'il o p p o s a i t ( H a y a w â n , V , 327-328) la h a u t e intelligence des Grecs, des Hindous et d e s Arabes de la G à h i l i y y a à leurs p r a t i q u e s païennes fondées sur la tradition et la transmission, et concluait que l'imitation des ancêtres et l ' e x a l t a t i o n des aînés étaient des maladies coriaces, q u i requéraient u n traitem e n t de choc. On voit q u e l'idée qui se d é g a g e n e t t e m e n t d u p a s s a g e est celle d'une g r â c e révolutionnaire a c c o r d é e a u Prophète d e l ' I s l a m . On t e m p é r e r a en ce s e n s les considérations de C. L é v i - S t r a u s s d a n s Tristes tropiques, c h a p . X X X I X , i. f., et X L . Mêmes réserves chez F A Q , 65, où, d a n s u n e optique voisine, l ' a u t e u r r a p p o r t e , à p r o p o s de l a suppression, p a r les conquérants m u s u l m a n s de l ' É g y p t e , de la c o u t u m e de l'offre d'une vierge a u Nil, la parole de ' A m r b. a l - ' À s : « Voilà q u i ne s e f e r a j a m a i s p l u s sous l ' I s l a m , car l ' I s l a m abolit ce qui est v e n u a v a n t lui » ; t r a d i tion de m ê m e ordre, a p p l i q u é e a u x transactions, chez R S T , 229.
CHAPITRE IV
L'Afrique Noire, ou un continent entrevu
L ' A f r i q u e : u n m y s t è r e à p e u près total p o u r l ' a n t i q u i t é
classique
M a i s u n m y s t è r e attirant, a u moins p o u r c e u x q u i v e u l e n t
trafiquer
d ' o r , d'ivoire, d'esclaves ou d e f a u v e s . L ' I s l a m , q u a n d il s'installe d a n s l'histoire,
recueille
à
la
fois
les
incertitudes
d'une
vieille
tradition
l i v r e s q u e ou légendaire et les inquiétudes des gens d ' a f f a i r e s , q u e soutiennent, à l'occasion, les politiques 2 . 1. Bon résumé, avec extraits des textes essentiels, dans C. Coquery, La découverte de l'Afrique. L'Afrique noire atlantique, des origines au XVIIIe siècle, Paris, 1965 ; pour l'ouest, recueil des textes arabes, traduits et annotés, dans J. Cuoq, Recueil des sources arabes concernant le Bilâd as-Sùdân, depuis le V I I I e siècle jusqu'au XVIe siècle, encore sous presse et dont je n'ai pu tirer tout le parti nécesssaire. 2. On trouvera un inventaire de nombre de thèmes de ce chapitre dans Devic, op. cit., dont l'ouvrage couvre l'ensemble des textes de la littérature arabe s'intéressant au sujet ; mais ce sujet, à vrai dire, est limité par Devic à l'Afrique orien-
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Géographie arabe et représentation du monde
Des savants péremptoires et des marchands tenaces L'héritage antique est représenté par Ptolémée (fig. 19), qui dessine la carte du continent d'une main résolue, voire imaginative, et par Galien, dont l'autorité cautionne une ethnographie stéréotypée de la race noire 1. En face, ceux qui entendent voir les choses de leurs
Nu
Lamto
.Aden
SOCOTRA
. « bedja » et « 'afar »). Comparer avec HAW, 56 : les Bedja ont un parler commun, mais certains possèdent un dialecte propre. 3. Supra, p. 162. On reviendra plus loin sur les routes commerciales, avec o Quelques percées sur les techniques et le commerce ». 4. Supra, p. 160 : le processus de sédentarisation est soit à peine esquissé (passage éventuel du stade pastoral au commerce), soit pleinement réalisé {ibid., n. 5). 5. MUH (f), I, 167. 6. MAS (p), § 875-876, HAW 50-53, USW, 272, 277. Cf. aussi YA'Q, 334-335, WAS, 106. 7. Sur le baqf des Bedja, cf. supra, p. 154, n. 7.
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Géographie arabe et représentation
du
monde
fique, à grands coups de mariages mixtes 1 . Mais l'assimilation ethnique et politique a t o u t de même, semble-t-il, m a r q u é plus de points q u e la conversion religieuse. Les Bedja sont païens, à l'exception d'une t r i b u islamisée, celle des H a d â r i b , déclare Mas'udï 2 . P o i n t du t o u t , rétorque I b n Hawqal, qui vient après lui : ces H a d â r i b sont chrétiens, convertis peut-être, mais alors en surface. E t q u a n t à d'autres prétendus Musulmans, ils ont gardé, sous le vernis de l'Islam, leurs pratiques païennes. Ainsi l'Islam « est-il tombé malade », et n'est-il plus qu'un « nom » s . « Exsangue », dit encore, à son propos, Uswânï 4 . Mais peut-être a-t-il joué son principal rôle dans cette assimilation d o n t nous parlions un peu plus h a u t . E t si elle lui doit une p a r t de ses succès, peut-on parler d'un Islam faible ? E n fait, même formelle, son existence a p u contribuer à doter ces tribus d ' u n e apparence de sens communautaire, si précaire, si occasionnel soit-il : r e p r e n a n t le t e x t e d ' I s t a h r ï , qui dit que les Hadârib « vivent dispersés », Ibn H a w q a l y a j o u t e ces mots essentiels : « ou en groupes unis » 5 : preuve que, déjà, un processus est en marche, qui s'accélérera a u x siècles suivants 6 . Rien d ' é t o n n a n t à cette esquisse de rapprochement du monde b e d j a et de l'Islam arabe : entre les deux rives de la mer Rouge se perçoit u n e sorte de f r a t e r n i t é latente. La description du pays b e d j a f a i t voisiner ce qui, pour une mentalité arabo-musulmane, constitue a u t a n t de t r a i t s aberrants, avec d'autres où l'Arabie se retrouve 7 : « un morceau de Yémen » en terre d'Afrique, dit Ibn al-Faqïh 8 . D'un côté, des hommes qui m u t i l e n t leurs e n f a n t s et suivent un système résolum e n t matriarcal 9 , de l'autre un peuple accroché, t a n t qu'il le p e u t , au nomadisme et au désert ; un peuple qui « suit l'herbe » et t r a n s h u m e 1. MAS (p), § 875, USW, 272, 277, 286. 2. MAS (p), § 876. 3. H A W , respectivement 56, 50-51, 54, 56, USW, 278. FAQ, 78, relève, lui, des traces de judaïsme chez les Bedja. 4. Littéralement : affaibli [da'lf) : USW, 272. Sans doute faut-il comprendre que cet Islam se réduit à l'énoncé de la profession de foi (sahâda) : ibid., n. 3. 5. IST, 32, HAW, 56. Dans tout ce passage relatif à la Nubie et aux B e d j a , I b n Hawqal donne u n texte qui, par sa longueur, n'a plus rien à voir ou presque avec le canevas fourni par son prédécesseur : la quasi-totalité du contenu des pages 50 à 59 est d ' I b n Hawqal, à trois brèves exceptions près, dont celle-ci, rectifiée de surcroît. Le gonflement général du donné et les corrections de détail confirment, de la p a r t d'un auteur sensible a u x intérêts fâtimides, l'attention portée à l'hinterland nilotique de l ' É g y p t e . 6. Cf. J. S. Trimingham, « Habash », dans El (2), t. III, p. 5-6, et E. Ullendorfï, « E r y t h r é e », ibid., t. II, p. 728-729. 7. Pour les détails de la description, c f . infra, p. 189 sq. 8. FAQ, 252, qui semble mêler des t r a i t s a p p a r t e n a n t a u x pays b e d j a et nubien (pour ce dernier, cf. n o t a m m e n t infra, p . 193, n. 10), pays qu'il ne désigne pas, a u reste, n o m m é m e n t . 9. YA'Q, 336, USW, 267-268, 270-271.
L'Afrique
Noire
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de la mer aux vallées intérieures ; un peuplé, enfin, qui, pas plus que l'Arabie, ne vivrait sans le chameau, véhicule de la guerre et de la course, sacrifice toujours prêt pour l'hôte qu'une folle prodigalité se doit d'honorer 1 . Trois tribus émergent de la nomenclature d'Uswânï 2 : les Hadârib, superficiellement islamisés, comme on l'a dit, tiennent en lisière les Zanâfig, ces derniers constituant, à la vérité, moins une tribu qu'une classe soumise : ils paient un droit de protection aux princes hadârib, qui se transmettent de l'un à l'autre, par voie d'héritage, leur contingent de population assujettie 3 . Quant aux tribus de l'intérieur (dâhila), résolument païennes et même adoratrices de Satan, elles peuplent le désert du pays de 'Aiwa, « de la mer salée aux approches de l'Abyssinie » : faut-il penser, ici encore, aux Danqalï 4 ? Ibn Hawqal, quant à lui, ébauche une répartition territoriale des tribus selon quatre secteurs principaux. Le groupe le plus important, installé dans la région des mines avec les tribus arabes immigrées, semble bien être, une fois de plus, celui des Hadârib. Il est le seul dont on nous cite les divers clans : 'Arïtlka, Sutbarû, Hutama, 'Ankabïrâ, Nagrïrû, ôanîtïka, Wàhïka et Harbïb, ces deux derniers fondus en un seul. Autre indice de la puissance des Hadârib : ils tiennent sous leur autorité les populations côtières de la région de Sawâkin : Raqâbât et Handïbât. Plus au sud, en allant vers la dépression du Baraka, un autre secteur du pays bedja abrite les Bïwâtika, perdus dans l'immensité du désert. Puis viennent, dans la région du Baraka proprement dit, les Kadbam (ou 'Agât), les 6âsa, installés sur la côte, et enfin, en tirant vers la Nubie, les Bâriya et les Bâzïn, déjà cités. Plus au sud encore, entre le Baraka et le pays de Massaoua (Bâdi'), quatrième et dernier habitat, celui des tribus dites « de l'intérieur », appellation qui semblerait recouper celle d'Uswânï : ici vivent les Mâtin, les Duhra, les SItrâb, les ôarkây, les Duhunt et surtout les Qas'a, les plus puissants de tous 5 . 1. YA'Q, ibid., USW, 268-269, HAW, 50-51, 56. 2. Elle suit, par certains traits, celle de Ya'qûbï dans son Histoire : cf. J . Cuoq, op. cit., § 24 (avec renvoi à C. Conti-Rossini, Storia di Etiopia). 3. USW, 272. Cf. aussi supra, p. 160 (autre définition, territoriale celle-là, des Zanâfig ; encore faut-il remarquer qu'ils se retrouvent dans le même état de sujétion, au profit des Nubiens cette fois), et infra, n. 5. YA'Q, 336-337, sépare lui aussi territorialement les deux populations, avec leurs princes respectifs et leurs capitales : Hagar et Baqlïn. 4. USW, 277. 5. HAW, 55-56, et supra, p. 160, n. 5 (pour les Bâzïn). J'emprunte la localisation des Hadârib (région des mines et de 'Aydâb, contiguïté avec la Haute-figypte) à USW, 272. Sur la région de Massaoua (Bâçli'), supra, p. 161 (et n. 6)-162. A noter, à propos des Raqâbât et des Handïbât, soumis aux Hadârib (que HAW, 55 i. /., appelle, en la circonstance, Hadrabiyya), qu'ils sont dits hufarâ' 'alûl-Hadrabiyya : 13
166
Géographie
arabe et représentation
du
monde
Résumons ce p a y s b e d j a : une lanière de terre entre mer et Nil ; u n carrefour entre Haute-Égypte, Nubie et Abyssinie ; une mosaïque de tribus à qui l'on cherche et une unité interne et une ressemblance avec cette Arabie qui dépêche ici quelques-uns de ses fils ; un désert enfin, mais un désert t o u t rehaussé d'or et de pierreries 1 , et vital pour le commerce des deux côtés de la mer Rouge : un désert, donc, fouillé et parcouru. En somme, chez les B e d j a comme en Nubie, on est en p a y s de demi-connaissance. Mais que dire alors de l'Abyssinie lointaine, t o u t entière logée dans ce premier climat 2 qui constitue le b o u t d u m o n d e de l'hémisphère nord ? Sans doute lui rattache-t-on parfois des terres moins inaccessibles : le m ê m e Ibn H a w q a l qui étend le pays b e d j a j u s q u ' e n face d'Aden hésite et, renversant le sablier des pénét r a t i o n s , pousse la mouvance abyssine très loin vers le nord, j u s q u ' à ' A y d â b 3 , soit sur t o u t e la moitié méridionale de la côte ouest de la m e r Rouge. Ainsi avait déjà fait Mas'ûdï, avec plus de discrétion, il est vrai, et en insistant sur la désolation de ces rivages 4 . Mais l'Abyssinie véritable, celle dont on rappelle à l'occasion les r a p p o r t s passés et présents avec l'Arabie 5 , est localisée bien au delà, comme m o r d a n t sur le pays des Zang et participant du fabuleux faceà-face de l'Afrique et de l'Extrême-Orient 6 . C'est un pays « sans fin », d o n t la spécificité, toutefois, se perçoit assez bien 7 : il a une capitale, A n k o b e r 8 , et une reine qui le dirigerait, au t e m p s d ' I b n H a w q a l 9 , depuis une trentaine d'années. Mais cette dernière notation reste isolée, la tendance générale é t a n t au rappel du souverain traditionnel, le « p a y a n t une redevance de protection ( h u f â r a ) aux II. » (sur ce sens de la racine A/Y, cf. Dozy, Supplément, t. I, p. 386). Or, c'est le même terme de hujara, et avec le m ê m e sens, que U S W (supra, n. 3) applique a u x Zanâfig, n o m qu'Ibn Hawqal ignore pour sa part. 1. Jnfra, « La terre d'Afrique : une m i n e ». 2. R S T , 96. 3. Supra, p. 133, n. 6, 161, n. 6, 162, n. 1 et 6, et aussi H A W , 10, 12, 16. 4. MAS (p), § 877 (autorité abyssine sur Zayla', Massaoua (Bâdi') et l'île de Dahlak), 898 ; cf. aussi S I R , 130, qui parle d'Abyssinie pour la partie sud du littoral occidental de la mer Rouge. Sur Bâdi', supra, p. 161 (et u. 6)-162. 5. Par exemple H U R , 145, MAS (p), § 877, 1007, H A W , 24. 6. MAS (p), § 244, Hud, 163-164, IST, 19, H A W , 16. 7. H A W , 16 (« c'est une contrée (nâhiya) [bien délimitée, ajoute G. W i e t ] et u n vaste royaume »), 59 (« pays sans fin, avec des solitudes et des déserts difficiles à traverser »). Toutefois, l'Abyssinie est moins vaste et moins peuplée que la Nubie : IST, 32, H A W , 56. 8. Ku'bar : MAS (p), § 877, WAS, 106-107 ; mais voir C. F. Beckingham, dans El (2), III, 7 (1), et J. Cuoq, op. cit., annotation du § 25 (citation de Conti-Rossini). S u r (jarmï, qui renverrait en réalité a u x Garamantes, cf. références supra, p. 134, n. 1. 9. H A W , 16, 59.
L'Afrique
Noire
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Négus (an-Nagâsï), un des rois de ce monde x , et un roi chrétien 2 . Finalement, c'est bien l'Abyssinie qui apparaît comme le payscharnière de l'Afrique, puisqu'elle touche à tout le monde noir : les Zang, mais aussi les Bedja, la Nubie et même l'Afrique soudanaise de l'ouest, jusqu'à l'Atlantique, le territoire abyssin recouvrant ainsi une notable part de l'Éthiopie antique 3 . La voilà donc, cette Abyssinie, pour reprendre l'image esquissée plus haut à cheval sur les deux branches du chevron africain, par l'effet d'une confusion que facilitent et les incertitudes du système Nil-Niger 5 et l'hypothèse de la grande flèche sableuse joignant à leur extrémité les deux branches du chevron 6 . De quelque côté qu'on l'envisage, elle est comme la citadelle de l'Afrique profonde et dérobée : au bout des pays soudanais, pour qui regarde depuis l'ouest, au fin fond de la vallée du Nil, pour qui rêve, depuis le nord, aux sources du fleuve, au delà du pays zang, enfin, pour ces commerçants qui s'affairent sur les côtes de l'océan Indien. Panorama
des pays
: les Zang de l'océan
Indien
Par bilâd az-Zang, ou Zangistân 7 , la géographie arabe entend les pays riverains de l'océan Indien occidental, depuis le golfe d'Aden jusqu'aux parages du Mozambique, pays qu'elle regroupe sous un unique vocable référant aux populations de langue bantou 8 . C'est une Afrique côtière, donc, étirée, sans profondeur aucune, sporadique, connue seulement d'escale en escale ; et ce n'est pas à la terre qu'il faut demander compte des dimensions et des limites du pays, mais à la mer : courant parallèlement à un rivage trop souvent vu en pointillé, seule la navigation permet d'établir une échelle continue des distances 9 . 1. HUR, 17, MAS (p), § 714, 877, 1085, ISH, 452-453, et supra, p. 61. 2. MAQ, IV, 65, WAS, 106-107. 3. Supra, p. 133, 159, 166, et Devic, op. cit., p. 37-39. De même conserve-t-on l'image du pays chaud par excellence (où le soleil brûle les visages : Al0to