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French Pages [216] Year 2014
Collection kuBaBa
Hélène NutkoWICz et Michel Mazoyer
Série antiquité
La disparition du dieu dans La BiBLe et Les mythes hittites essai anthropologique
LA DISPARITION DU DIEU DANS LA BIBLE ET LA MYTHOLOGIE HITTITE ESSAI ANTHROPOLOGIQUE
Reproductions de la couverture : La déesse KUBABA de Vladimir Tchernychev ; Illustration : Solitude, Josiane Chagot
Président de l’association : Michel Mazoyer
Comité de rédaction Trésorière : Valérie Faranton Secrétaire : Charles Guittard
Comité scientifique Série Antiquité Sydney Aufrère, Sébastien Barbara, Marielle de Béchillon, Nathalie Bosson, Dominique Briquel, Sylvain Brocquet, Gérard Capdeville, Jacques Freu, Charles Guittard, Jean-Pierre Levet, Michel Mazoyer, Paul Mirault, Dennis Pardee, Eric Pirart, Jean-Michel Renaud, Nicolas Richer, Bernard Sergent, Claude Sterckx, Patrick Voisin, Paul Wathelet
Ingénieur informatique Patrick Habersack ([email protected])
Ce volume a été imprimé par © Association KUBABA, Paris © L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris www. harmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-04876-5 EAN : 9782343048765
COLLECTION KUBABA Série Antiquité
Hélène NutkoZicz et Michel Mazoyer
LA DISPARITION DU DIEU DANS LA BIBLE ET LA MYTHOLOGIE HITTITE ESSAI ANTHROPOLOGIQUE
Association Kubaba, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne 12, Place du Panthéon 75231 Paris Cedex 5
Bibliothèque Kubaba Série Antiquité
Daniel Arnaud, Les Métamorphoses de la sagesse au Proche-Orient Asiatique Sydney H., Aufrère, Thot Hermès l’Égyptien. De l’infiniment grand à l’infiniment petit. Sydney Aufrère et Michel Mazoyer (éd.), De Hattusa à Memphis Jean-Paul Brachet, Le salut pour la traversée de l’eau(WXGHVXUOD tradition latine et indo-européenne 5pJLV%R\HU(VVDLVXUOHKpURVJHUPDQLTXH Jean-Pierre De Giorgio, Fabrice Galtier - Textes réunis par Le Monstre et sa lignée, Filiations et générations monstrueuses dans la littérature latine et sa postérité. Patrick Ettighoffer, Le Soleil et la lune dans le paganisme scandinave du mésolithique à l’âge du Bronze récent (De 8000 à 500 Av. J.-C. Valérie Faranton et Michel Mazoyer ; Homère et l’Anatolie 2 Jacques Freu in honorem )UpGpULF%ODLYHHW&ODXGH6WHUFN[/HP\WKHLQGRHXURSpHQGXJXHUULHU LPSLH Dominique Briquel, Le Forum brûle. Catherine Cousin, Le monde des morts Valérie Faranton, La Nature et ses images dans le roman grec Jacques Freu, Histoire politique d’Ugarit. ——, Histoire du Mitanni. ——, Suppiliuliuma et la veuve du pharaon. Jacques Freu et Michel Mazoyer, série Les Hittites et leur Histoire en cinq volumes. Daniel Gricourt, Dominique Hollard - Préface de Bernard Sergent Cernunos, Le dioscure sauvage, Recherches comparatives sur la divinité des Celtes. Richard-Alain Jean, Anne-Marie Loyrette, La Mère, l’enfant et le lait en Egypte ancienne. Éric Pirart, L’Aphrodite iranienne. ——, L’éloge mazdéen de l’ivresse. ——, L’Aphrodite iranienne. ——, Guerriers d’Iran. ——, Georges Dumézil face aux démons iraniens. ——, La naissance d’Indra. ——, Corps et âmes du mazdéen. Le lexique zoroastrien de l'eschatologie individuelle. ——, Kutsa. Michel Mazoyer, Télipinu, le dieu du marécage. ——, La vie cultuelle du dieu hittite Télipinu.
Michel Mazoyer, (éd). Homère et l’Anatolie. Michel Mazoyer et Olivier Casabonne (éd.), Mélanges en l’honneur du Professeur René Lebrun. Bernard Sergent, L’Atlantide et la mythologie grecque. ——, Une Antique migration Amérindienne. Claude Sterckx, Les mutilations des ennemis chez les Celtes préchrétiens. ——, Mythes et Dieux Celtes. Hélène Vial, Aphrodite-Vénus et ses enfants
SOMMAIRE
Ouverture
11
Michel Mazoyer La disparition du dieu dans la littérature hittite
13
Hélène Nutkowicz Le Dieu disparu dans la Bible
81
Annexe le dieu disparu en Égypte
1
Synthèse
19
Conclusion
2
OUVERTURE
Le thème du dieu disparu, prégnant lors des moments de crises et dont l’aspect universel touche chaque individu, n’a pas manqué de nous questionner. Aussi, sommes-nous partis plus particulièrement à la recherche des réponses apportées dans l’antiquité tant par les Hittites que les Judéens de l’Ancien Testament. Leurs chemins se sont en effet croisés au cours du premier millénaire avant n. è. en Israël et Juda, et plus particulièrement lors des VIIIe et VIIe siècle avant n. è., au cours de la période néo-hittite. La présence des Hittites connue par l’archéologie, les récits et les unions exogames parfois interdites par les textes de lois de l’Ancien Testament attestant du brassage de ces populations, ont semblé des éléments historiques suffisants justifiant notre questionnement. Il nous a semblé digne d’intérêt d’étudier les points de convergence et les similitudes tout autant que les différences dans leur façon d’aborder ce vécu. Nous avons choisi l’approche anthropologique et philosophique de leur pensée et des solutions apportées lors de ces douloureuses occurrences. Ils ont partagé les constatations, les explications et les moyens permettant de surmonter les crises engendrées par leurs attitudes et leurs manques. Et, leur spiritualité les a menés vers une intense remise en cause morale, aussi chacun de ces deux peuples a-t-il apporté ses interprétations et ses solutions, souvent très proches.
LA DISPARITION DU DIEU DANS LA LITTERATURE HITTITE
LA DISPARITION DU DIEU DANS LA LITTERATURE HITTITE Michel Mazoyer
Introduction La thématique du dieu disparu se trouve dans beaucoup de textes hittites du deuxième millénaire. Il semble que le Mythe de Télipinu, qui date du XVIè siècle avant notre ère, soit le premier texte qui ait mis en valeur la disparition d’une divinité. Ce mythe, qui raconte la disparition du dieu agraire Télipinu, victime d’une faute et l’acquisition par celui-ci de la fonction de fondateur, offre une documentation très riche – la plus riche – sur la disparition d’un dieu. Il présente un arrière-plan historique et semble évoquer l’acquisition par le roi Télipinu1 de la souveraineté ainsi que la mise en place d’une nouvelle dynastie. Mais, au-delà se trouve exprimée une idéologie qui repose sur une conception renouvelée du monde, prenant appui sur des relations entre les dieux et les hommes – et aussi entre les rois et ses sujets – inédites jusque-là. Ce cadre idéologique est celui qui prévaudra jusqu’à la fin de l’époque néo-hittite2, soit au VIIè siècle avant notre ère. Le Mythe de Télipinu présente trois versions, plusieurs fragments et sert de matrice à un grand nombre de Mythes parallèles, mettant en scène différents dieux : sans cesse recopié, il a été transformé au gré des nécessités, des époques et des circonstances, adoptant alors de multiples formes. Le départ des dieux Le départ d’un dieu est évoqué dans plusieurs textes ; dans toutes les occurrences, il entraîne la déstructuration de l’espace et du temps, laquelle est symbolisée, par des gestes de divinités ou des manifestations météorologiques particulières. Dans le Mythe de Télipinu3, le dieu met sa chaussure gauche au pied doit et la chaussure 1
Roi de l’Ancien royaume hittite (1550-1530 Av. JC). Sur ce roi, voir FREU et MAZOYER, 2007a, p. 133-152, 189-248. 2 Du XIIe siècle au VIIe ; voir FREU et MAZOYER, 2012. 3 Pour le mythe de Télipinu, voir MAZOYER, 2003, p. 31-159.
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droite au pied gauche lorsqu’il décide de se retirer ; dans le mythe qui leur est consacré, les divinités Anzili et Zukki quittent leur temple en inversant la position de leur soutien-gorge. Dans le Mythe de Télipinu, l’absence du dieu fait apparaître du brouillard et sa disparition provoque l’interruption du cycle nature : la maturation des plantes cesse, la reproduction des animaux et des hommes est suspendue ; les femelles gravides n’enfantent plus et la sécheresse s’installe. Dès lors, les dieux et les hommes sont dépourvus de nourriture et leurs existences respectives sont menacées, d’autant que ce brouillard envahit la fenêtre du temple de Télipinu et produit l’effacement des limites entre le monde profane et le monde sacré. En envahissant les étables et les bergeries où se trouvent les animaux destinés aux sacrifices, le brouillard provoque l’extinction du feu du foyer sacrificiel ; la fumée qui en résulte et qui se répand dans tout le temple occasionne l’asphyxie des dieux ; dès lors, est consacrée la rupture entre le monde céleste et le monde terrestre : les dieux ne reçoivent plus les offrandes des hommes, signe que le lien sacrificiel n’existe plus. Aussi la famine qui menace les hommes frappe-t-elle également les dieux au cours du banquet que le dieu Soleil organise pour remédier à la situation : « Le Soleil fit une fête, et invita les mille dieux. Ils mangèrent et ne se rassasièrent pas ; ils burent et ne se désaltérèrent pas » (Tél, A 1 1920’). Il faudra retrouver Télipinu, le purifier, et refonder le royaume pour inverser la situation. Deux mythes ultérieurs, le Mythe de Télipinu et de la Fille de l’Océan et le Mythe de la disparition du Soleil4, évoquent pareillement la déstructuration de l’espace et du temps, en raison de la disparition du dieu Soleil. Le Mythe de Télipinu et la fille de l’Océan Le Soleil, à la suite d’une révolte indéterminée, disparaît au fond de l’Océan. Le mal s’installe alors sur la terre, l’obscurité règne sans interruption, entraînant des catastrophes naturelles : cessation de l’activité des hommes et des espèces vivantes, infertilité du monde en raison du manque de lumière, dangers permanents : les hommes n’ont plus de repère et vivent dans un climat d’insécurité et d’angoisse, 4
Pour ces deux mythes, voir MAZOYER, 2003, p. 163-215.
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puisqu’ils peuvent se faire attaquer par les bêtes sauvages, qui ellesmêmes n’ont plus de repères et sont d’autant plus dangereuses. On peut imaginer que cette humanité évolue à l’instar des premiers hommes évoqués par Lucrèce dans le De rerum natura. L’apparition d’une nuit continue représente une menace sérieuse pour la fondation comme pour la civilisation. Le dieu de l’Orage appelle alors son fils Télipinu et l’envoie au fond de la mer quérir le Soleil. La façon dont il s’adresse à son fils Télipinu montre les liens de confiance qui les unissent : le dieu de l’Orage (appela Télipinu], [son fils ch]éri, le meil[leur] : [Allez], Télipinu, toi-même. Va au fond de l’Océan] [ramène] le dieu Soleil du [ci]el du fond de l’Océan (Mythe de Télipinu et la fille de l’ Océan, 9-10). Télipinu se rend au fond de l’Océan et terrifie Océan auquel « personne ne résiste ». Ce dernier est alors contraint de donner à Télipinu le Soleil mais aussi de laisser partir sa fille. Télipinu ramène cette dernière auprès du dieu de l’Orage dans le ciel. Mais Océan se plaint auprès du dieu de l’Orage et demande une compensation. Ce denier lui donne, en échange de la jeune fille enlevée, mille présents, mille moutons, c’est-à-dire une dot considérable. La fille de l’Océan symbolise les eaux courantes, si bien qu’en revenant avec elle, Télipinu permet de renforcer le pouvoir de son père, Océan devenant son allié. Par ailleurs, lorsqu’il enlève la fille de l’Océan, Télipinu dessine les contours d’une première structure matrimoniale, archaïque, celle du mariage par rapt, fondé sur un contrat entre les différentes parties. Par là-même il garantit au royaume qu’il a fondé une structure permettant le renouvellement des générations humaines. Le Mythe de la Disparition du Soleil Le Soleil pour des raisons inconnues s’installe au fond la mer dans sa chambre. Le Gel qui s’ensuit s’installe dans le ciel comme sur la terre. Tous les pays et tous les animaux sont immobilisés, la terre entière est immobilisée. Le dieu de l’Orage tente de retrouver le dieu du Soleil. Il envoie plusieurs dieux à sa recherche, ZABABA, LAMMA, Télipinu, Gulsa et la déesse mère annaপanna. Mais les grandes divinités échouent dans leur mission, et sont saisies par le Gel. Le dieu de l’Orage lui-même est saisi par le Gel : « Voici en quels termes s’exprime le dieu de l’Orage : « Ma main est col[lée] au bol. [Mes 17
pieds] ils (les) ont collés. Si mes pieds et mes main(s] tu les as pris ?] mes yeux tu ne saisiras ! » (Mythe de la disparition du Soleil, 39-41.) Le texte est ensuite cassé. Suit un mugawar5, un rituel destiné à faire rentrer le dieu solaire, que nous étudierons ultérieurement. De ce mythe on peut retenir que le départ du Soleil comporte les points suivants : 1. La disparition du Soleil provoque l’apparition du Gel, présenté ici comme un démon. Le Gel qui s’étend sur la terre. 2. Les divinités du ciel sont elles-mêmes atteintes par le gel. Le dieu de l’Orage est lui-même atteint, ses mains restent collées mais il garde sa souveraineté puisque ses yeux, expression de la souveraineté ne sont pas touchés. 3. Aucun dieu n’est capable de lutter contre le Gel. Chaque divinité qui participe à la recherche, d’après le texte, trouve la mort au cours de cette recherche, c’est-à-dire qu’elle perd ses facultés inhérentes. Le panthéon est donc désorganisé et ses divinités inopérantes. Et par là-même les hommes sont paralysés dans leurs différentes activités : la guerre (ZABABA), la chasse et la cueillette (LAMMA), l’agriculture et la fondation (Télipinu), MA et Gulsa (la reproduction humaine). On notera que dans le Mythe de Télipinu et le Mythe de la disparition du Soleil, les dieux envoyés à la recherche de la divinité disparue échouent dans leur mission ; il faut, dans les deux cas, l’intervention des hommes pour que le dieu revienne. La faute commise Le départ d’une divinité résulte toujours d’une faute commise, soit par les hommes, soit par un autre dieu. Cette thématique apparaît nettement dans le Mythe de Télipinu. Dans ce texte, la disparition du dieu semble causée par une négligence cultuelle à son égard. Dans un mythe parallèle, postérieur, connu sous le titre Le Mythe du dieu de l’Orage, la disparition du dieu de l’Orage semble imputable à son propre père. 5
LAROCHE, 1964-1965, p. 3-29.
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D’autres mythes évoquent cette même thématique avec des responsabilités diverses : le Mythe de la Disparition du dieu de l’Orage de Nérik, dans lequel ce sont les hommes, qui sont responsables de la disparition du dieu, car ils ont ensanglanté la terre. Dans le Mythe de Télipinu et de la fille de l’Océan, le départ du Soleil est causé par une conjuration, de nature indéterminée, tandis que dans le Mythe de la Disparition du Soleil, le départ de ce dernier pourrait s’inscrire dans une remise en question de son autorité. Outre les mythes, les prières, elles aussi, évoquent différentes fautes commises à l’égard d’un dieu. Quelques-unes sont mentionnées dans la Prière de Kummani. A titre d’exemple, citons les motifs suivants : on a eu recours à un mauvais oiseau pour effectuer un augure ; on a souillé du pain destiné à un défunt ; des mots qui sont sortis de la bouche ont offensé le dieu ; une montagne ou un lieu sacré ont été profanés. La faute commise est responsable de la rupture de l’harmonie entre les dieux et les hommes ou entre les dieux entre eux ; elle substitue à la communication le silence de la divinité, ce qui a pour conséquence de générer angoisse et souffrance. Cette attitude des divinités est à l’origine de l’apparition d’une conscience morale dans la culture anatolienne – les individus adoptent un regard réflexif et s’interrogent sur la faute qu’ils ont commise ainsi que sur les moyens de la racheter. Ce mouvement est tout à fait perceptible dans la Prière de Kantuzzili6, où l’individu, victime de la colère de son dieu qui l’angoisse, passe en revue les actions qu’il aurait pu commettre pour provoquer un tel courroux. Ainsi le Prince Kantuzzili met-il en valeur le fait qu’il n’a jamais parjuré le nom de son dieu, qu’il n’a jamais transgressé le serment, qu’il n’a jamais mangé la nourriture sacrée de son dieu, ni bu la boisson du dieu, ni fait ce qui lui était interdit et qu’il n’a jamais souillé sa personne. La colère du dieu Qui commet une faute provoque l’irritation du dieu, dont l’âme, en proie à la colère, devient impure. Plusieurs termes sont utilisés dans les textes pour désigner la colère des dieux ; ils sont même parfois associés entre eux, ce qui indique que la colère puisse prendre divers aspects : le verbe ša- signifie « avoir de la rancœur, du ressentiment »; il peut être suivi de la particule réflexive -za ; le verbe karpiya6
FREU et MAZOYER, 2007, p. 317-320.
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répond mieux à ce que nous entendons par le fait « d’être irrité » ; le verbe lelaniya-, traduit la « colère incontrôlable » et correspond au français « être en furie » ; le verbe kardimiya- a un sens voisin), ainsi que l’adjectif kardimiyauwant-. Les substantifs sawatar –« la rancœur » –, karpi – terme générique de la colère – et wasdul – dont le sens est difficile à appréhender – se rencontrent également d’une façon récurrente dans les textes. Face à la colère d’un dieu, on tente d’apaiser son courroux pour que celui-ci puisse revenir parmi les mortels. Mais il peut aussi se produire que celle-ci s’accroisse. Ainsi, dans le Mythe de Télipinu, le dieu irrité se retire-t-il, dans un premier temps, du monde civilisé ; lorsque l’Abeille, envoyée à sa recherche, le retrouve, elle accroît sa colère et le rend furieux en le tirant de force de son sommeil. Le dieu frappe alors de son foudre le sol et le monde souterrain, il ébranle les fondations des maisons et entraîne la mort des hommes comme des animaux. L’irritation du dieu renvoie à l’image d’un dieu proche des mortels, capable de subir des passions et des émotions. Cette colère ressentie par Télipinu rend son âme impure et nécessitera une purification, sans laquelle le dieu ne pourrait reprendre ses activités. Où se rend le dieu disparu ? Lorsqu’une divinité disparaît, le lieu dans lequel elle trouve refuge n’est pas toujours clairement identifié ; il peut arriver que l’on ait des indices, mais il peut aussi se produire que l’on ignore tout du lieu qui l’abrite.
Lieux de refuge
Divinités concernées
Steppe (gimra)
Télipinu (Mythe de Télipinu)
Océan Soleil (Mythe de la disparition du Soleil, Mythe de Télipinu et de la fille de l’Océan) Les Enfers
Dieu de l’Orage de Nérik7
Rivière sacrée
Dieu de l’Orage de Nérik
7
MAZOYER, 2003, p. 217-219.
20
Ciel
Télipinu (Prière de MurÎili II à Télipinu8)
Montagne
Télipinu (Prière de MurÎili II à Télipinu)
Pays ennemi
Télipinu (Prière de MurÎili II à Télipinu)
Ni les mortels ni les dieux ne savent, dans un premier temps, en quel lieu le dieu disparu s’est réfugié, même si l’endroit où se réfugient les divinités est à mettre en relation avec leurs fonctions. Ainsi on remarque que, dans le Mythe de Télipinu, le dieu ne quitte pas le territoire hittite, mais se réfugie dans la steppe située près de la ville de Liপzina, à environ 80 kilomètres de la capitale hittite. Cela pourrait mettre en évidence les liens fondamentaux qui existent entre le dieu et la nature sauvage à ce moment du mythe. ntant d’une double nature – nature chtonienne et nature céleste –Télipinu peut aussi se rendre auprès des ennemis, sur le champ de bataille ou se réfugier dans le ciel. Les conséquences de la disparition d’un dieu Selon le Mythe de Télipinu, le dieu quitte son temple, s’éloigne du monde civilisé et se rend dans la steppe, comme nous venons de le voir. Là, il s’enfonce dans un marécage, où une plante d’eau pousse au-dessus de lui : ainsi, parmi les transformations qui s’opèrent du fait du départ du dieu, on observe que la nature du dieu s’est elle-même altérée : dieu des techniques agricoles initialement, ce dernier est devenu un dieu de la steppe et veille sur la végétation sauvage. Mais les champs sur lesquels il veillait sont abandonnés, les villes et les lieux de culte sont dévastés. Lorsque l’Abeille envoyée à sa recherche, le retrouve, il est en train de dormir à même le sol, à la façon d’un berger. Selon nos analyses, il apparaît que Télipinu serait devenu, au cours de ce séjour, un dieu de la fondation. On dispose, en effet, d’un texte bilingue qui retrace la fondation du temple du Soleil à Liপzina (CTH 726). Dans ce texte, Télipinu, assimilé au dieu de l’Orage, creuse le sol en compagnie de Lelwani, la déesse du monde souterrain. La disparition du dieu Télipinu entraîne la disparition du royaume. La première partie du mythe ne mentionne aucune présence humaine et 8
MAZOYER, 2011, p. 74-89 ; SINGER, 2002, p. 54-56.
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les structures politiques et religieuses de l’ntat semblent avoir disparu. En effet, ce sont les dieux qui tentent de faire rentrer le dieu disparu, contrairement à ce qui passe dans le Mythe du dieu de l’Orage de Nérik où les prêtres tentent de faire rentrer le dieu absent, preuve s’il en est que les structures religieuses et étatiques se sont maintenues dans ce texte plus tardif. Le Mythe de la Disparition du dieu de l’Orage de Nérik est une variante du Mythe de Télipinu et les écarts qu’il présente sont tout à fait intéressants : le dieu de l’Orage de Nérik, un des fils du dieu de l’Orage, quitte son temple parce que sa ville a été souillée : du sang a été versé. Selon le texte, le dieu quitte « l’humanité ensanglantée, rouge comme le sang » (Ro 13-14) ; cette image est interprétée comme l’évocation de la destruction de la ville de Nérik et de la disparition de ses habitants. Se dessine donc d’ores et déjà une différence avec le Mythe de Télipinu dans lequel le départ du dieu est causé par l’interruption des cultes. Toutefois, le dieu de l’Orage de Nérik se comporte comme Télipinu ; il est en proie au ressentiment (sai) et emporte des biens. Mais il s’agit, cette fois, de biens propres au roi et à la reine, en particulier la naissance, la vie et la longévité, alors que Télipinu emportait les biens agraires et la reproduction des espèces. Au titre des différences entre les deux mythes, signalons que le dieu de l’Orage de Nérik est une divinité souveraine, alors que Télipinu est une divinité agraire. Lorsqu’il disparaît, le dieu de l’Orage de Nérik s’enfonce dans une fosse (hattessar) et se réfugie, logiquement, dans le monde souterrain, rejoignant les divinités d’autrefois. Mais les hommes semblent savoir où s’est réfugié le dieu et des prêtres se rendent à Néra et à Lala où ils exécutent des sacrifices, dans une fosse, pour apaiser le dieu. Ils s’adressent notamment aux divinités anciennes pour demander leur concours. Rappelons que dans le Mythe de Télipinu, ce sont les dieux qui organisaient la recherche du dieu disparu ainsi que les rituels destinés à le faire rentrer.
De nombreuses prières et une foule de rituels s’inspirent librement du Mythe de Télipinu et évoquent la disparition d’un dieu. Quelques-uns de ces textes que nous mentionnerons sont la Prière de Kantuzzili, la Prière de MurÎili II à Télipinu, la Prière de MurÎili II à la déesse solaire d’Arinna, la Prière de Puduhépa à la déesse solaire d’Arinna, la Prière d’un mortel, des fêtes comme la Fête de Lawanzatiya, la Fête 22
d’Halziyawas, la Fête d’AN.TAH.SUM, et aussi certains rituels du Kizzuwatna, s’inspirent du départ du dieu. Dans la Prière à Télipinu, MurÎili II9 évoque la mauvaise fièvre, l’épidémie, la famine, les sauterelles que le dieu vengeur a fait naître dans le pays hittite. Il se disculpe ensuite d’une faute qu’il n’aurait pas commise. Dans la Prière de Puduhépa à la déesse solaire d’Arinna10, le départ de la divinité a provoqué la maladie du roi Hattusili. De même, dans la Prière d’un mortel,11 le suppliant est malade. Dans la Prière de MurÎili II à la déesse solaire d’Arinna12, le lieu où la déesse s’est réfugiée est conjectural : elle se trouve soit dans le ciel, soit dans la mer, soit dans l’Océan, soit en pays ennemi. Toutefois les techniques utilisées pour faire rentrer les dieux sont analogues quel que soit le lieu de leur refuge. Comment faire rentrer un dieu disparu ? Lorsqu’il s’agit de faire rentrer une divinité, il s’agit, en premier lieu de localiser le lieu où elle s’est réfugiée. Ainsi, dans le Mythe de Télipinu, les dieux et l’Aigle commencent-ils à chercher Télipinu, mais leur quête reste vaine. Les grands dieux comme les petits tentent de le retrouver, le dieu de l’Orage lui-même participe à cette quête. Il se rend dans sa ville mais trouve la porte fermée, c’est-à-dire qu’il n’y a plus ni activité ni présence de la divinité. Il apparaît donc que Télipinu a quitté sa ville, désormais ville morte. C’est alors que, sur les conseils de la grande déesse annaপanna, il envoie l’Abeille à la recherche du dieu. Cette dernière parviendra à retrouver Télipinu près de la ville de Liপzina (à 80 km environ de HattuÎa, la capitale hittite). Elle a pour mission de réveiller le dieu et le traiter à l’aide de son miel; cependant, du fait de la longueur du trajet parcouru, l’Abeille n’a plus de miel et échoue partiellement dans sa mission de le faire rentrer. Dès lors, il conviendra d’utiliser d’autres rituels, plus spécifiques ; ces derniers sont conçus par la déesse Kamrusepa, la divinité de la magie : la déesse envoie chercher un mortel sur la montagne Ammuna et lui confie plusieurs rituels à exécuter. Elle lui transmet ainsi les connaissances magiques qui contribueront à faire rentrer Télipinu ;
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MAZOYER, 2011, p. 74-89. FREU et MAZOYER, 2008, p. 346-356. 11 FREU et MAZOYER, 2007, p. 320-325. 12 MAZOYER, 2008, p. 303-310. 10
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elle-même exécute conjointement un grand nombre de rituels, que l’on peut présenter ainsi : 1. Les invocations de magie sympathique : on a recours à des plantes cultivées, à caractère émollient, mais aussi à du galaktar et du parhuena, substances que l’on peut rapprocher du nectar et de l’ambroisie. 2. Le rituel du talliyatar : on asperge les chemins d’huile fine, de façon à aider le dieu à rentrer sans se blesser. 3. L’utilisation de l’aile de l’aigle destiné à faire rentrer le dieu. 4. Le rituel des karas, destiné à redonner à Télipinu sa virilité : il s’agit de couper les testicules de 12 béliers et à « traiter » la colère du dieu avec ceux-ci. 5. Les rituels de purification, pour lesquels on a recours au feu et à l’eau. On purifie le dieu et on empêche que sa colère ne revienne. 6. Le rituel des পimma, destiné à rétablir la solidarité entre les dieux agraires, les dieux souterrains et Télipinu. 7. Les rituels d’invocation : on a alors recours à l’aubépine pour arracher la colère du dieu. Autres moyens de faire rentrer le dieu Comme il a été signalé, dans le Mythe de Télipinu et la fille de l’Océan, le dieu de l’Orage envoie son fils Télipinu au fond de l’Océan. Celui-là, à qui « personne ne résiste », enlève la fille de l’Océan et ramène le Soleil. Il a donc recours à la contrainte pour ramener la divinité disparue. Dans le Mythe de la Disparition du Soleil, le Soleil s’est réfugié au fond de l’Océan ; le dieu de l’Orage envoie différents dieux à la recherche du Soleil, lesquels échouent dans leur mission, car ils sont immobilisés par le gel. Les hommes mettent alors en place un mugawar destiné au dieu de l’Orage et au Soleil. On dresse deux tables, l’une destinée au Soleil, l’autre à Télipinu, le dieu « manipulateur du « Soleil » et on place dessus des objets et des substances destinées à faire rentrer le Soleil. Le rituel s’étend sur trois jours.
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On connaît une quinzaine de dieux qui font l’objet d’un mugawar ; dans le cadre de ce rituel, on attire l’attention de la divinité en attisant sa convoitise. Les règles de ce rituel sont fixées par les dieux et c’est une magicienne – dont la rétribution est indiquée précisément – qui prononce les paroles sacrées, comme indiqué dans le Mythe de la disparition du Soleil, dans le passage suivant. 8’-13’ : Aucune parole des [dieux] je n’ai altérée. Si Télipinu est fâché contre quelqu’un, moi, je prononce [les parol]es divines et je l’[év]oque. Le Soleil déclare : « Que les paroles des dieux soi[ent] en marche! 11’ Où est ma ration ? » annaপanna parle ainsi : « Soleil, si tu accordes un bienfait à quelqu’[un], qu’il [don]ne à toi neuf (moutons). Que celui qui est pauvre te donne un mouton ». L’évocation du [Soleil] et de Télipinu. Fin. Dans le mugawar décrit dans le Mythe de la disparition du Soleil, on dispose, sur une table placée près de la fenêtre, différents objets évoquant la fonction des dieux évoqués (ici, le Soleil et Télipinu), ainsi que de la nourriture et de la boisson. La nuit, on place un feu tiré du brasero, on brûle du parfum et on fait des conjurations ; le temple est ensuite fermé pour le reste de la nuit. Le matin, on fait des conjurations, on brûle du parfum et on place de la viande crue sur la table du Soleil et de Télipinu. Ces cérémonies se répètent durant trois jours. Dans la Prière de MurÎili II à Télipinu apparaît une autre forme de mugawar : les prêtres brûlent du parfum pour le dieu disparu et ils lui offrent un gros pain et une libation. Ces présents sont associés à des hymnes où l’on vante les hauts faits du dieu, cérémonie appelée «waliya ». Puis les hommes se justifient et montrent qu’ils n’ont pas commis de faute à l’égard du dieu ; cette partie du mugawar est appelée arkuwar, c’est-à-dire plaidoyer. En ce qui concerne ce plaidoyer au dieu (arkuwar), on confesse l’offense commise ou au contraire on se disculpe. Plusieurs arguments peuvent disculper un individu qui pourrait être à l’origine de la colère du dieu. On démontre qu’on est innocent et qu’on n’a commis aucune faute à son égard ; c’est ce que l’on lit dans la Prière de Muwatalli au dieu de l’Orage de Pihassassi. Comme le souligne la Prière de MurÎili II au sujet de la peste, les hommes, à l’imitation des serviteurs, peuvent plaider leur cause et présenter leur défense face aux dieux : le coupable, à l’imitation du serviteur, peut solliciter le pardon des dieux. Ainsi, dans la Prière de Kantuzzili, le plaignant rappelle ceci : 25
« Jamais je n’ai retiré un bovin de l’enclos, jamais je n’ai retiré un mouton du parc à moutons, MurÎili, le roi, ton serviteur, la reine ta servante et les princes tes serviteurs dans le pays hittite sont scrupuleusement attentifs à ton culte : tes পimma, tes rituels, tes fêtes ils entreprennent de les célébrer sans cesse »13. On peut aussi adresser un hymne à la divinité, dans lequel on mentionne les pouvoirs et les attributs du dieu et où l’on raconte, parfois, des épisodes de sa légende. Dans La prière de MurÎili II à Télipinu, on célèbre le dieu en lui rappelant, à deux reprises, qu’il est un dieu puissant et vénérable. Dans ce même texte, on souligne que le dieu n’est nulle part aussi honoré que dans le pays hittite : « 18-27 : Et toi, Télipinu, tu es un dieu vénérable. Et pour toi, ô mon dieu, à la vérité, c’est dans le pays hittite que des temples sont construits) solidement ; mais pour toi dans aucun autre pays il n’en exist[e] en plus (des nôtres). Des fêtes, des rituels, dans le pays hittite, de manière [pro]pre et sacrée, on t’en offre constamment ; mais dans aucun autre pays on ne t’en offre en plus des (nôtres). Des temples élevés orn[és] d’argent et d’or te sont consacrés, dans le pays hittite ; mais pour toi dans aucun autre p[ays il n’en existe en plus (des nôtres)] ».
Dans le Mythe de la disparition du dieu de l’Orage de Nérik, on utilise des moyens plus conventionnels pour faire rentrer le dieu, c’est-à-dire des sacrifices de boisson et de nourriture. En effet, les hommes qui semblent savoir où s’est réfugié le dieu de l’Orage de Nérik, envoient des prêtres à Néra et à Lala, où ils exécutent des sacrifices dans une fosse. Ils s’adressent notamment aux divinités anciennes pour demander leur concours. Dans le Mythe de Télipinu, la collaboration entre les dieux et les hommes constitue un élément essentiel pour le retour du dieu. Il en va de même dans le Mythe d’Illuyanka où la collaboration d’Inara et du mortel Hupasiya permet au dieu de l’Orage de vaincre son ennemi, le serpent Illuyanka. De la même manière, dans le Mythe de la disparition du Soleil, on s’adresse à Télipinu pour faire rentrer le Soleil. Comme nous l’avons précédemment indiqué, on place deux tables devant la fenêtre du 13
MAZOYER, 2007b, p. 318
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temple – une pour le Soleil, une pour Télipinu – au-dessus desquelles on place les mêmes offrandes, dont certaines sont en rapport avec les limites de la fondation : porte, lucarne?, fenêtres, verrou, serrure, barre. Dans les prières aussi, on a recours à diverses divinités pour faire rentrer un dieu disparu : dans la prière de Puduhépa à la déesse solaire d’Arinna : Puduhépa sollicite l’intervention des enfants et de la petite fille du couple souverain, Zintuhi, Mezzula, le dieu de l’Orage de Zipalanda. Elle demande à ces divinités de transmettre sa plaidoirie au dieu de l’Orage. Elle pense que le couple souverain sera sensible à l’intervention de leur enfant et de leur petite fille. Puduhépa promet, en échange, des présents aux divinités sollicitées. La prière de Muwatalli concernant le culte de Kummani : les dieux du monde souterrain sont évoqués pour apaiser le dieu irrité. Il s’agit de la déesse Istanu et des Anumaki, divinités du monde souterrain. On a aussi recours à Lelwani dans la Prière de Puduhépa à la déesse solaire d’Arinna : « Lelwani, ma maîtresse, ce que tu dis au dieu, il l’écoute». La place importante qu’occupent les dieux du monde souterrain s’explique par le fait que les dieux dont le culte a disparu se réfugient dans cette partie du cosmos, comme on le voit en particulier dans le Mythe du dieu de l’Orage de Nérik : le dieu de l’Orage de Nérik, s’est mis en colère, il est descendu dans la fosse. Il est allé jusqu’aux quatre coins sombres ; le prêtre abat un mouton dans la fosse et y jette de la nourriture et de la boisson. Dans la prière de Muwatalli au dieu de l’Orage de Pihassassi trois pains de sacrifice sont offerts aux dieux mâles et aux dieux femelles, ainsi qu’au dieu Soleil, qui voit tout et est capable de témoigner de l’innocence de l’orant, puis de la nourriture est présentée à la déesse solaire d’Arinna et au dieu de l’Orage de Pihassassi, à Hépat, au dieu de l’Orage des cieux, au dieu de l’Orage du Hatti, au dieu de l’Orage de Zippalanda. L’orant demande à Lelwani d’intervenir auprès des autres dieux. On peut, enfin, purifier le lieu souillé. De cette façon, on permet au dieu de rentrer puisque l’on rétablit, au sein d’un espace domestiqué, l’équilibre rompu à la suite de la faute. Prévue comme punition dans les lois hittites dans le cas de crimes religieux, la purification est exprimée par le verbe suppiyahh-. Il en va de même dans la Prière à
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TeÎub de Kummani14 dans laquelle on tente de réconcilier TeÎub, le dieu de l’Orage, avec le monde de la nature : « Si quelque montagne ou quelque sinapasi, un lieu sacré, a été profané et qu’il a présenté une plaidoirie à TeÎub, voici que [moi, « Mon Soleil, Muwatalli], je vais y porter réparation dès maintenant. En ce qui concerne les villes habitées, on se rendra dans les villes où existe un sinepsi afin d’y apporter réparation], on le reconsacrera conformément à la cérémonie de la resacralisation, et (quelques lacunes existent), [on] resacra[lisera] d’après ce que l’on connaît ». Dans la même prière prononcée par le roi, ce dernier promet de réparer les fautes commises dans les sanctuaires. On rend de nouveau sacré un temple qui a été souillé. Le retour du dieu Dans le Mythe de Télipinu, le retour du dieu a pour effet de refonder le royaume. Il a pour effet d’entraîner la restructuration de l’espace et du temps, rendue possible par la disparition du brouillard et de la fumée, par la remise en état du foyer et du feu sacrificiel, qui est l’expression de liens nouveaux en train de s’instaurer entre les hommes et les dieux : le dieu fondateur remet au roi une égide suspendue aux branches du chêne vert. À l’intérieur de cette égide se trouvent tous les biens nécessaires au royaume : outre les biens agraires, source de prospérité économique, emportés par le dieu au début du mythe, l’égide contient des biens strictement politiques : l’obéissance des sujets, le respect des autres peuples, la paix. Ces biens politiques, totalement absents au début du mythe, montrent que le dieu Télipinu est devenu un dieu fondateur. Le tableau ci-dessous permet de mieux appréhender la situation avant le départ du dieu et à son retour : Biens emportés par le dieu Télipinu Biens rapportés par le dieu dans l’égide Biens économiques
Les céréales
Le dieu Immarni La fécondité des céréales, des bœufs, des moutons, des hommes La graisse de mouton 14
FREU et MAZOYER, 2008, p.337-347.
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Les céréales Le dieu GIR Le vin, les troupeaux, la fécondité, la procréation
Biens politiques Néant La soumission Le respect La gloire Le clou de fondation + Un dieu au nom inconnu Conséquences pour la société Mannitti, salhanti15 et la satiété (ispiyatar) On remarque dans le Mythe de Télipinu l’absence de la deuxième catégorie dumézilienne (la troisième chez les Hittites), c’est-à-dire l’absence de biens en relation avec la guerre. Cette absence des valeurs guerrières dans l’image idéalisée du roi représente une rupture avec l’idéologie antérieure – c’est-à-dire celle qui précède l’avènement du roi Télipinu –, selon laquelle le souverain hittite était essentiellement un guerrier. Au terme de cette nouvelle idéologie, les dieux envoient la fécondité aux hommes ; à charge pour eux de garantir par leur travail et leur structure sociale la production des biens agricoles, qui servent à honorer les dieux dans le cadre des sacrifices. Ce bonheur implique la présence continue des dieux et la stabilité politique. On comprend dès lors l’importance de la présence divine dans le royaume, ici celle du dieu fondateur, garant de tous les biens nécessaires au royaume. Dans la Prière de Muwatalli concernant TeÎub de Kummani, les dieux du pays reviennent et reprennent la place qui était la leur. On ne relève aucune transformation radicale comme dans le Mythe de Télipinu.
15
LAROCHE, 1965, p. 38.
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Dans ce mythe le dieu revient avec une nouvelle fonction, celle de fondateur16. Dans les deux mythes évoquant la disparition du Soleil, le Mythe de Télipinu et la fille de l’Océan et le Mythe de la disparition du Soleil, le Soleil reprend ses fonctions et entraîne un retour à un temps cyclique, fondé sur l’alternance jour/nuit et sur le rythme des saisons. Mais le plus important concerne l’organisation du cosmos. Dans le premier mythe, le mariage d’atépinu et Télipinu entraîne un nouveau pouvoir cosmogonique, du fait de l’alliance rendue possible entre Océan et le dieu de l’Orage. Ce dernier domine ainsi le panthéon. Dans le second cas, outre la disparition du gel, suggérée dans le texte, le Soleil retrouve son culte et est honoré comme protecteur des limites, à l’instar du dieu fondateur Télipinu. Comment retenir le dieu ? Nous avons présenté, précédemment, les prières et rituels destinés à faire rentrer le dieu disparu ; évoquons à présent quelques rituels destinés à retenir les dieux. Au cours de la fête d’AN.TA.SUM, les cérémonies exécutées sur la montagne de Puskurunuwa17 tendent à retenir les dieux, toujours susceptibles de disparaître. Ces rituels ont pour objet de garantir la sécurité du royaume et maintenir la division harmonieuse de l’espace. Ces rituels sont exécutés dans le temple de l’égide. Le roi monte sur la montagne où les dieux procèdent à son rajeunissement. Cette même thématique semble se retrouver dans le sanctuaire de Yazilikaya. Au cours de la fête annuelle du KI.LAM18, les éléments consubstantiels de la gimra se rendent à HattuÎa et, au cours d’une longue procession, défilent devant le couple royal. La situation est donc inversée par rapport au Mythe de Télipinu, puisque le monde sauvage se rend jusqu’au palais royal pour renforcer le monde civilisé. Il s’agit là d’enraciner le pouvoir royal. De façon analogue, au cours de fêtes du mois, les montagnes sacrées, Télipinu, l’aigle sacré se rendent auprès du couple royal pour l’enraciner.
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Déjà GONNET, 1990, p. 51-47. FREU et MAZOYER, 2007, p. 363-366. 18 SINGER, 1983-1984. 17
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L’analyse de la Fête d’automne de Télipinu19 montre, qu’à côté d’éléments communs à d’autres fêtes hittites – ablution des statues et des objets cultuels du dieu, restauration du temple de Télipinu – se trouvent des procédés montrant la finalité spécifique de la cérémonie, destinée à régénérer le culte du dieu Télipinu, c’est-à-dire, qu’il s’agit de faire en sorte que le dieu ne quitte plus le royaume. Plusieurs rituels méritent notre attention. Ainsi, le troisième jour, on honore Télipinu en célébrant le rituel du chêne vert. Cet arbre, qui est un des symboles de Télipinu et du royaume, joue un rôle essentiel au moment de la fondation du royaume. À ses branches est suspendue une égide qui contient tous les biens du royaume. Les « Seigneurs du rituel » (LÚ.MEŠ. hazziuwas ishes), sans doute des prêtres, emportent le chêne vert sur le Mont Katala, situé près de Kasha ; au pied de cet arbre, ils procèdent à un sacrifice et mangent. Le prêtre de Télipinu substitue au vieux chêne un nouveau chêne placé près de la stèle de Télipinu. Le quatrième jour, la cérémonie se déroule à Kasha. Le rituel central de cette journée est celui de l’ablution, effectué au bord de la rivière. Les effigies de Télipinu, de atépinu, du Soleil et celle du dieu de l’Orage, ainsi que les objets cultuels du dieu, sont transportés sur un char jusqu’à la rivière. Là on fait descendre Télipinu et on ouvre le coffre contenant le matériel cultuel pour le placer sur un « tapis rouge ».
Pendant le rituel de l’ablution, les পimma sont célébrés, rituels qui avaient pour effet de communiquer à Télipinu, alangui par son exil, la puissance des divinités associées. Il s’agit donc d’une cérémonie destinée, comme le rituel du chêne vert, à mettre en valeur l’idée d’une régénérescence de la fondation. On rapporte ensuite les effigies au temple avec un accompagnement de musique instrumentale. L’ensemble de la célébration a pour effet de redonner au dieu une puissance intacte. Le cinquième jour, à Kasha, se déroule le rituel du colmatage du toit. Simultanément, à anপana, on sacrifie et on consomme le repas cultuel. Le prince, quatre prêtres de Kasha (LÚ.MEŠ.SANGA URU.Kasha), la prêtresse Ammamma (MUNUS.Ammamma) et le 19
Sur la fête d’automne de Télipinu, HAAS et JAKOB ROST, 1984, p. 10-91, 204236 ; MAZOYER, 2011, p. 25-72.
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Seigneur de la maison de anপana versent de l’argile devant la porte du temple avec des pioches et des pelles ou des bêches incrustées d’argent ou en argent massif (selon les textes) ; ils emportent l’argile neuf fois sur le toit où les jeunes filles de Kasha chantent. Le colmatage du toit semble avoir une signification pratique en automne – il s’agit de mettre en état le temple au début de l’automne – mais il a surtout une signification cultuelle, comme le suggèrent la périodicité de neuf ans et les personnages qui y sont associés. Ce colmatage effectué tous les neuf ans devait avoir pour effet de rendre le temple inaltérable, c’est-à-dire d’éviter l’interruption des cultes. La présence de chanteuses sacrées, sur le toit, MUNUS.KI.SIKIL semble le prélude à un mariage mystique. De façon analogue, le Mythe de Télipinu s’accompagne de la restauration des cultes. La solidarité entre les dieux et les hommes Le départ du dieu cause, comme nous l’avons montré, la désolation et la destruction dans le monde des hommes comme dans le monde des dieux. Si les hommes sont de condition inférieure aux dieux, leur présence est néanmoins indispensable à la survie du cosmos. De même, la présence des dieux est indispensable à la survie du monde terrestre. Les hommes respectent les cultes et garantissent aux dieux les sacrifices. Les dieux assurent la prospérité de la société humaine. Il est à cet égard significatif que la première étape de la fondation soit la remise en état de fonctionnement du foyer sacrificiel. Cette collaboration des hommes et des dieux est un élément nécessaire à la survie du monde. Ainsi dans le Mythe de Télipinu, sur les conseils de la déesse de la magie, les dieux menacés par la disparition du dieu Télipinu et l’effondrement du royaume hittite se rendent-ils sur la montagne pour chercher un mortel auquel ils enseigneront les rituels destinés à faire rentrer le dieu disparu. Ces rituels ont une valeur propédeutique et seront utilisés à chaque fois que les hommes tenteront de faire rentrer un dieu. Il appartiendra dès lors aux hommes de respecter fidèlement les instructions des dieux, de répéter les paroles sacrées avec exactitude. L’harmonie de l’univers repose donc sur la collaboration des trois parties de celui-ci. Le ciel, la terre, le monde souterrain. Le rôle de l’homme se définit dans le cadre de cette harmonie universelle. Cette harmonie universelle est bien représentée par l’image du chêne vert qui se dresse lors de la fondation, lorsque le dieu rentre dans le pays hittite. La partie supérieure du chêne vert représente le ciel, le 32
tronc, le monde chtonien, les racines le monde souterrain. Au niveau du tronc du chêne est suspendue l’égide qui contient tous les biens nécessaires au royaume. Puis deux lances, un carquois, un arc, un cerf, un bouclier. Ces trois parties forment un tout et constituent l’axe du Cosmos. Cet arbre toujours vert souligne la régénérescence perpétuelle du cosmos. L'arbre du Monde, ou « pilier du monde » est un élément de la cosmogonie germanique qui symbolise l'union de l'Homme et du Cosmos (des dieux avec la meilleure matière) et qui est le lien qui unit la Terre et le Ciel. C'est à cet arbre qu'Odin resta suspendu neuf jours et neuf nuits, encore selon la mythologie scandinave et l'Edda, accomplissant ainsi un sacrifice. Il y apprit le secret des runes. On en déduit que le bonheur sur la terre et la prospérité du royaume sont issus de l’équilibre du monde et de l’harmonie de ses différentes parties. Le mythe de Télipinu, un archétype Le mythe du dieu disparu est un mythe universel, se rencontrant dans de nombreuses religions. Si, en Mésopotamie, la tradition littéraire des « mythes de combats » est bien attestée et évoque la réaction de la divinité face à une agression – elle quitte alors sa position – le Mythe de Télipinu ne relève pas tant de cette tradition que d’un autre genre mésopotamien, celui de la Lamentation, dont la thématique principale est appuyée sur deux piliers : le départ des dieux et les conséquences – néfastes – de ce dernier (PACE, 2014, p. 190). Le Mythe de Télipinu et la légende de Déméter sont partiellement séparées dans le temps ou dans l’espace ; pourtant, on peut relever d’étroites analogies entre ces deux mythes, au point qu’on a pu voir là une influence du mythe hittite sur la création du mythe grec. En effet, Déméter, comme Télipinu, irritée par une faute commise à son égard interrompt ses fonctions agraires et s’écarte des dieux et des hommes. La version la plus archaïque du Mythe de Déméter est à lire dans l’Hymne homérique à Déméter, composé au VIIe ou VIe siècle. D’autres versions, plus récentes, existent, mais c’est ce texte qui retiendra essentiellement notre attention, car c’est lui qui présente le plus grand nombre de points communs avec le Mythe de Télipinu, comme nous allons le montrer. Toutefois, certaines versions tardives, comme l’Hymne au Calathos de Callimaque, comportent aussi des 33
analogies avec le Mythe de Télipinu, différentes de celles de l’Hymne homérique à Déméter20. Les points de convergence entre l’Hymne à Déméter et le Mythe de Télipinu sont nombreux et significatifs. Il ne s’agit pas à présent de tracer un tableau exhaustif de celles-ci mais de relever celles qui sont le plus signifiantes. 1. La faute commise. Dans la version archaïque du mythe grec, Koré, fille de Déméter, est enlevée par Hadès, ce qui provoque le courroux de la déesse. Zeus, dans un premier temps, n’intervient pas ; on suppose qu’il cherche à imposer une forme de mariage atypique, un mariage exogamique. Dans la version de Callimaque, la déesse est victime d’une négligence cultuelle : Erysichton a pénétré, avec vingt compagnons, dans le bois saint consacré à Déméter – « Ils courent, effrontés, au bois de Déméter » – accomplissant une sorte de profanation du lieu consacré à la déesse. De plus, ils abattent le peuplier noir, commettant ainsi un acte sacrilège. L’interdiction d’abattre les arbres des bosquets sacrés pour la charpente ou le feu est une caractéristique de la religion grecque, comme de la religion hittite. Le dieu hittite Télipinu est, lui aussi, comme nous l’avons vu, victime d’une négligence cultuelle, puisque les hommes ne semblent plus capables de lui offrir les sacrifices qui lui reviennent ni d’honorer son culte. Dans le mythe grec, comme dans le mythe hittite, nous sommes donc en présence d’actes qui remettent violemment en cause la dignité de la divinité concernée. 2. La relation à l’espace. Déméter erre en quête de sa fille. Le poète archaïque décrit une course hagarde, au hasard, sans repère, qui rappelle l’errance de Télipinu. Dans la version du mythe, réécrit à l’époque hellénistique, on relève, au contraire, une abondance de précisions sur le parcours de la déesse. Loin d’être perdue, elle semble avoir planifié son voyage. En ce qui concerne Télipinu, si le dieu semble errer, il semble aussi avoir une destination précise, puisqu’il se rend près de Liপzina, la ville où officie le dieu Soleil du ciel, en tant que dieu fondateur. 3. La disparition du dieu. Une fois informée de la culpabilité de Zeus, la Déméter archaïque s’écarte de l’assemblée des dieux et du vaste 20
Sur Déméter, voir DAUDIGNON, 1999-2000, qui présente de bonnes analyses et une bonne bibliographie.
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Olympe, pour aller se réfugier sur la terre, aux environs d’Eleusis. La ville est déjà entourée de remparts et dotée d’institutions mais Déméter reste en marge de ce lieu : elle fait halte hors des murs, près d’une route. Une thématique analogue se lit dans le Mythe de Télipinu: le dieu, informé de la culpabilité des hommes, s’écarte de son temple et de sa ville ; il refuse de demeurer dans l’espace administré par les hommes et pour les hommes et se rend dans la nature sauvage (gimra), près de la ville de Liপzina. Comme Déméter, il fait halte en dehors de l’enceinte de la ville et il vit comme un marginal : il est retrouvé couché à même le sol. Déméter, quant à elle, prend l’aspect d’une vieille femme et se place dans la situation d’une nourrice, se mettant au service de Métanire. Si, dans le mythe archaïque, Déméter se place en position de marginale, dans la réécriture du mythe par Callimaque, la déesse est présentée comme celle qui donne « les lois bonnes » aux cités. Ce faisant, elle est au centre de l’agora, au sein de la vie civilisée et apparaît comme une divinité poliade. Une thématique semblable se dessinait dans le Mythe de Télipinu, puisqu’il passe d’une situation de marginal à celle d’une divinité centrale autour de laquelle s’organise tout le royaume. 4. Les conséquences du départ. Le retrait de Déméter entraîne les mêmes conséquences que la disparition de Télipinu. Divinités agraires, ils provoquent, en se retirant, la stérilité du sol et la famine. Selon le poème de Callimaque, Déméter transmet à Triptolème la connaissance de l’agriculture. Alors qu’il est présenté comme un des rois justiciers dans l’hymne archaïque, Triptolème devient, dans la version hellénistique, le jeune apprenti de Déméter. Il s’agit là d’une création récente apparue à la faveur de l’impérialisme athénien : Déméter aurait déjà enseigné l’agriculture au jeune Triptolème dans la plaine du Raros et celui-ci en partance pour Athènes aurait civilisé le monde entier. Télipinu, comme on l’a vu, remet au roi hittite différents biens parmi lesquels l’agriculture et donc les connaissances qui s’y rapportent. Outre des analogies entre les gestes et la structure des textes, on relève des similitudes entre les deux divinités. Déméter et Télipinu représentent la « fertilité réglée » ; Déméter est la déesse des plantes dont la pousse nécessite le travail agricole. Mais le travail des champs est présenté à la fois comme un enseignement que la déesse dispense aux hommes, et comme un don qu’on fait à Déméter dans le but d’être chéri par elle. 35
Dans des versions locales attiques, ce sont les hommes qui indiquent à Déméter ce qui est arrivé à sa fille et non Hélios. En récompense, la déesse leur transmet le savoir de l’agriculture. Dans l’Hymne archaïque, les hommes possèdent déjà le savoir-faire de l’agriculture avant même que la déesse n’arrive à Eleusis. Déméter n’y enseigne pas l’agriculture mais de nombreuses allusions soulignent la nécessité de sa présence dans ce domaine : la déesse fait lever le grain des labours féconds après ses retrouvailles avec Perséphone. Callimaque, dans l’Hymne du Calathos, chante « comment la première elle coupa les chaumes, fit la moisson sacrée des javelles et la fit fouler aux pieds par les bœufs, alors que Triptolème faisait l’apprentissage de sa noble science » (v. 21-22). Dans ce texte, Déméter manipule donc les instruments aratoires ; elle est la divinité des paysans et des techniques agricoles. La même thématique se retrouve dans le Mythe de Télipinu. Le dieu, qui est le représentant de la fertilité agricole, manipule les instruments aratoires, trace les sillons dans le sol, sème et coupe les moissons ; comme la déesse grecque, il est lié d’une façon spécifique à l’araire et au labourage civilisé. En remettant les biens agraires au roi, il lui enseigne implicitement les techniques agricoles. Déméter et Télipinu sont communément producteurs de céréales. Ils président l’un et l’autre à la germination, produisant tout ce qui vient de la terre. Leur pouvoir s’étend à la fertilité du bétail. Par ailleurs, ils ne se contentent pas de produire des céréales, ils les donnent aux mortels et ainsi elle leur prête une vertu civilisatrice. Déméter veille sur l’espace cultivé qu’elle permet de distinguer de la sauvagerie des terres incultes. C’est elle qui a garanti le passage entre l’âge d’or, où la terre produit tout spontanément, et l’âge de bronze où la terre est cultivée selon les règles fixées par Déméter. Télipinu se rattache à une civilisation de type agraire et écarte le royaume hittite de l’état de nomadisme qui pouvait caractériser les Hittites des origines. Les deux divinités sont logiquement associées à la reproduction humaine, soit que celle-ci dérive de la fertilité de la nature, soit qu’on lui donne une dimension politique. Déméter et Télipinu sont, in fine, associés à la richesse ; celle que la déesse apporte aux hommes est personnifiée par Ploutos ; Télipinu, comme on l’a vu, remet au roi la prospérité représentée par trois termes salhanti, mannitti et ispiyatar. On relèvera enfin les relations de ces deux divinités avec les cultes. Lorsque Télipinu rentre dans son temple, il remet en état de fonctionnement le foyer sacrificiel, qu’il confie au roi hittite. Les 36
mortels cultivent la terre à l’imitation de Télipinu. Les Mystères d’Eleusis illustrent la fonction d’enseignement de la déesse grecque. Après avoir fait lever le grain, elle va enseigner aux rois justiciers l’accomplissement du ministère sacré. Elle leur expliqua « les beaux rites, les rites augustes ». Si nous avons évoqué ici succinctement quelques-unes des analogies existant entre les deux divinités, il convient également de souligner les différences substantielles existant entre elles, afin de définir, dans le cadre d’une même thématique, la singularité de chaque civilisation. Il semble en effet que le rapprochement de Télipinu avec Déméter ne suffise pas à épuiser les différents traits de la personnalité du dieu hittite. Lorsque Déméter arrive à Eleusis, elle découvre un monde déjà organisé, où l’espace agraire est habité, organisé et les cités édifiées. La déesse se distingue donc de Télipinu qui, dans la religion hittite, a pour fonction de défricher le sol et de délimiter l’espace civilisé. Dans le monde grec, la fonction consistant à découper le sol, à assurer la délimitation de l’espace, à faire passer le sol de l’état sauvage à un état civilisé incombe à Apollon. Autres points communs entre Apollon et Télipinu : tout d’abord, ce sont des divinités jeunes, les fils préférés du souverain du panthéon ; ils symbolisent un espace civilisé éternellement jeune et vigoureux. De plus, ces deux divinités ont des relations ambiguës au monde sauvage comme au monde civilisé. En effet, ce sont Télipinu comme Apollon qui construisent le premier foyer sacrificiel, intègrent dans le territoire qu’ils ont construit les biens nécessaires à quoi ? et écartent tout ce qui pourrait menacer le territoire. Pourtant, ils sont proches du monde sauvage ; souvenons-nous qu’Apollon, malgré la toutepuissance de Déméter en tant que divinité agraire, garde des liens avec le monde agraire : il est lié aux pâturages et aux animaux d’élevage, intermédiaires entre le monde sauvage et le monde civilisé. De nombreux rituels soulignent les liens du dieu avec la fécondité et le renouvellement des générations. De la même façon, avant de fonder le royaume hittite, Télipinu vivait, comme nous l’avons dit, dans le monde sauvage. Mais c’est du monde sauvage que le dieu hittite apporte le sac de berger, l’égide, qui contient tous les biens nécessaires à la civilisation. Ainsi Apollon et Télipinu assurent-ils la jonction entre le monde sauvage et le monde civilisé. Par ailleurs, les liens de Télipinu et Apollon avec les eaux de pluie constituent une autre spécificité de ces dieux. Il s’agit, pour reprendre 37
la terminologie hittite, de dieux de l’Orage, ils sont cependant pourvus, l’un et l’autre, de caractères chtoniens, qui leur permettent de maîtriser les eaux courantes. Outre les liens de Télipinu avec Déméter et Apollon, certains aspects propres à Télipinu apparentent ce dieu au grec Dionysos. Bien qu’associé au monde sauvage, il apparaît parfois pourvu de la fonction de fondateur. Nous nous appuierons, pour le montrer sur l’inscription – souvent étudiée – relative à la fondation du culte de Dionysos et à l’instauration de trois Thiases de Ménades à Magnésie de Méandre21. L’original de ce texte peut dater du IIIe siècle, époque marquée par l’influence des Attalides et par un renouveau du dionysisme visant à la mise en valeur de la mythologie nationale. Ce texte – en réalité, un mythe de fondation – présente des éléments proches de ce que nous lisons dans le Mythe de Télipinu. Dionysos furieux de voir son culte négligé, lors de la fondation par les Magnètes, disparaît pour réapparaître, un jour de grand vent, dans le creux d’un arbre. Il apparaît – comme Télipinu – sous l’aspect d’un dieu boudeur, au point que l’auteur peut écrire : « Télipinu, jeune dieu agraire, fils du dieu de l’Orage, me semble pouvoir incarner un antécédent de Dionysos ». Une délégation du peuple des Magnètes est envoyée à Delphes. Voici quelle fut la réponse de l’oracle : « Habitants de la ville sacrée près des eaux de Méandre, Magnètes défenseurs de nos richesses, vous êtes venus apprendre de ma bouche ce que signifie l’apparition de Bacchos, couché dans le creux d’un arbre. C’est en jeune garçon qu’il est venu à vous, car lorsque vous avez fondé votre ville, vous n’avez pas construit de temples bien taillés à Dionysos. Mais il est temps encore, peuple généreux. Fonde des sanctuaires en l’honneur du dieu qui aime le thyrse. Choisis un prêtre bien conformé sans souillure. Allez dans la plaine sacrée de Thèbes afin de prendre des Ménades appartenant à la race d’Ino, filles de Cadmos, qui vous enseigneront les cérémonies et les rites sacrés, et qui fonderont dans la ville des thiases de Bacchos… ». Ainsi, ce texte qui relate la réinstallation du culte de Dionysos présente-t-il une catastrophe comme le point de départ d’une fondation, laquelle apparaît comme le résultat de la colère d’un dieu et de sa disparition.
21
TASSIGNON, 2004, p. 315-335.
38
Par ailleurs, Télipinu, comme Dionysos sont à mettre en relation avec la vigne et sa culture : c’est lui qui donne la vigne au roi hittite à la fin de son Mythe comme Dionysos la transmet aux Hommes22. Par ailleurs, la folie instantanée, ou la violence, dont Télipinu peut faire preuve – en particulier lorsqu’il est réveillé par l’Abeille – n’est pas sans évoquer le comportement de Dionysos. Comme Télipinu, Dionysos est une divinité agraire, car associé aux techniques agricoles. D’autres divinités grecques semblent pourraient être rapprochées du dieu fondateur hittite. Nous pensons, par exemple, au personnage d’Aristée, fils d’Apollon de Thymbre et de la nymphe Cyrène de Thessalie. À la jonction des deux civilisations, il incarne un dieu jeune, un dieu des paysans, des techniques agricoles. Comme Télipinu, il possède un caractère civilisateur. Ainsi, le dieu hittite semble regrouper de nombreux traits qui seront, plus tard, diversifiés dans le monde grec et répartis entre plusieurs divinités, les plus emblématiques étant Apollon, Déméter et Dionysos. Permanence de la thématique La disparition d’une divinité est un des thèmes récurrents de la mythologie hittite comme de la mythologie grecque. Il en va de même dans la mythologie romaine où le thème du dieu disparu semble évoquer l’Anatolie, y compris à une époque tardive. Nous pensons en particulier à un passage de la Vie d’Auguste, où Suétone évoque un dîner secret donné par Auguste, que tout le monde appelait le banquet des « douze » dieux23 ; les convives y paraissent, en effet, travestis en dieux et en déesses, et Auguste lui-même est déguisé en Apollon, selon les reproches d’Antoine, qui énumère dans une lettre tous leurs noms avec une cruelle ironie, ou encore ces vers anonymes rapportés par Suétone : « Dès que cette tablée sacrilège eut embauché un maître de chœur Et que Malia vit six dieux et six déesses. Lorsque César jouait des parodies impies de Phébus. Lorsqu’il se nourrissait des nouveaux adultères des dieux. Alors toutes les volontés des dieux s’éloignèrent de la terre. Et Jupiter lui-même s’enfuit loin de son trône d’or. Il donnait constamment des repas, mais toujours dans les règles et non 22 23
FARANTON, 2014, p. 93, 103. NACARRO, 2013, p. 2003-208.
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sans tenir compte des règles, et non sans tenir compte des rangs et des personnes » (Divus Augustus LXXIV ; H. Ailloud, trad., p. 12024). Un autre passage de la Vie d’auguste du même livre semble faire écho au départ de Télipinu : certains auspices ou prodiges étaient considérés par lui comme infaillibles : si le matin il se chaussait de travers, mettant au pied droit son soulier gauche, il voyait là un signe funeste… (Divus Augustus XCIII). Les dieux étaient constamment présents dans la vie des Hittites. L’expression les « mille dieux » indique qu’ils sont imbriqués dans leur vie. On comprend dès lors que la disparition des dieux soit devenue une explication aux malheurs auxquels se ramènent aussi bien les malheurs collectifs ou individuels. Si on connaît de nombreux moyens pour faire rentrer des dieux disparus, on dispose de nombreux rituels pour attirer les dieux des ennemis. Il s’agit particulièrement de lތevocatio et de la devotio. Le but des combats est donc de prendre les dieux de l’ennemi pour en enrichir son panthéon, mais aussi de détruire l’adversaire en vouant un territoire vidé au dieu de lތOrage. Ce type de destruction se retrouve probablement dans la Proclamation dތAnitta dans laquelle Hattuša est gardée par le dieu de lތOrage et vouée à l’abandon. Récapitulation La thématique du dieu disparu constitue un des éléments clef de la religion hittite. Il fournit une explication à l’organisation du panthéon, une explication « philosophique » à l’ordre du monde. La place du dieu Télipinu, dieu agraire et fondateur, celle du dieu Soleil s’expliquent par la disparition de ces divinités propice à la réorganisation des leurs fonctions. Dieu agraire au début de son mythe, le dieu Télipinu revient doté d’une nouvelle fonction, celle de dieu fondateur. La disparition des dieux entraîne aussi une réorganisation du monde. Le départ du Soleil entraîne une nouvelle alliance entre le dieu de l’Orage et Océan. La disparition des dieux et leur retour après une phase de destruction et de malheur amène à l’humanité une aube nouvelle fondée sur la fécondité, la prospérité et la paix, une régénérescence du monde. Les dieux qui disparaissent sont souvent associés à la fondation. Outre Télipinu et le Soleil, le feu divinisé, Anzili et Zukki (les divinités du destin), la divinité MA et le dieu de l’orage de Nérik. 24
AILLOUD, 1954, p. 120.
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Le mythe de Télipinu constitue l’archétype à partir duquel s’est répandue la thématique du dieu disparu. Il a sans doute été écrit dans les premières années du règne du roi Télipinu (1550-1520) et s’appuie sur une révolution idéologique, qui marquera la civilisation hittite jusqu’à l’époque néo-hittite. Ainsi dans le relief d’Ivriz la thématique qui date du VIIIe siècle apparaît clairement. On rappellera que la majorité des spécialistes s'accordent toutefois pour situer son écriture entre le VIIIe et le VIIe siècle. Il est notable que le Mythe de Télipinu a été copié régulièrement copié tout au cours de l’empire hittite. À côté de la version la plus ancienne en ductus archaïque se trouvent de nombreuses copies en ductus impérial et de nombreuses versions plus ou moins modifiées et le fait que le mythe ait été conservé à l’époque néo-hittite permet de supposer qu’il a joué un rôle dans la composition du Mythe. On sait qu’il a existé à cette époque de nombreuses corrélations entre la mythologie anatolienne et la mythologie grecque. La religion, la mythologie et l’idéologie grecque subissent une influence marquée de la civilisation anatolienne25. La thématique de la disparition d’un dieu est aussi un texte qui a servi de base à plusieurs rituels hittites et en particulier au mugawar, qui sera utilisé tout au cours de l’époque impériale. De nombreuses prières s’inspirent du mythe de Télipinu. Citons par exemple la Prière au dieu de l’Orage de Télipinu, qui s’adresse au dieu disparu. Cette influence de l’Anatolie sur le monde grec s’observe au-delà, à l’époque tardive par exemple dans les romans grecs. Comme l’a montré récemment Faranton, « ils s’inscrivent pour une part, dans la continuité de la littérature grecque classique, ils sont aussi fortement marqués par les cultures et les traditions anatoliennes. ». De fait ils sont remplis de réminiscences orientales et particulièrement anatoliennes. Au-delà du domaine cultuel le mythe de Télipinu, c’est toute une conception du monde, de la société, de la relation entre les dieux et les hommes qui se trouvent représentés. On comprend dès lors que des points de convergences entre le monde anatolien et le monde biblique aient pu se réaliser. Les cultures antiques n’étaient pas refermées sur elle-même mais ouvertes sur les 25
L’influence de l’Anatolie sur l’Iliade a été souvent mentionnée. On connaît aussi la place du Mythe de Kumarbi sur la Théogonie d’Hésiode. De nombreux dieux et héros grecs sont marqués par une influence d’origine anatolienne. Voir notamment FARANTON et MAZOYER, 2014.
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autres civilisations. La circulation des hommes entre l’Anatolie et l’ngypte a certainement eu une influence sur certains éléments de la civilisation matérielle de la Syrie et du pays de Canaan dans des domaines divers (céramique, armes, vêtements, style des bâtiments, pratiques funéraires…). Israël a pu profiter de ces apports extérieurs si on admet, ce qui est la thèse dominante actuellement, que son peuple était avant tout autochtone en Palestine et l’héritier des Cananéens. Comme on l’a vu ivoires et sceaux hittites, objets égyptiens et/ou égyptisants ont été retrouvés dans la région et il est probable que des éléments immatériels, idées religieuses et « politiques » les ont accompagnés. Le souvenir des peuples et des empires de l’âge du Bronze était au contraire devenu incertain quand les chapitres du livre sacré qui prétendent retracer des épisodes de leur histoire ont été écrits. Comme le fait remarquer Freu26, l’empire égyptien conquérant des XVIIIème-XXème dynasties, qui a imposé à Canaan sa domination pendant des siècles, l’empire hourrite du Mitanni, et l’empire hittite étaient peut-être oubliés des rédacteurs de la Bible. En revanche le partage d’idées a sans doute été déterminant à l’époque néo-hittite, comme on l’a vu à propos du dieu disparu.
26
FREU, parution en cours.
42
SUR LA TRANSCRIPTION DES MOTS
Les noms écrits en lettres capitales représentent des logogrammes. Il s'agit soit de sumérogrammes (lettres capitales romanes), soit d’akkadogrammes (lettres capitales italiques).
TRADUCTIONS
Mythe de Télipinu 1ère version
A, I (lacune d’environ douze lignes) 1’ Télipinu [ 2’ « ne tourm[ente pas 3’ Avec la gauche il fit traîner, à gauche [ 4’
(traces) ________________________________________
5’ Le brouillard envahit les fenêtres, la fumée [envahit] la maison ; 6’ dans le foyer les bûches furent étouffées ; [sur les autels] 7’ les dieux furent étouffés ; dans l’enclos les moutons furent étouffés de même que dans l’étable 8’ les bœufs. La brebis refusa son agneau, 9’ et la vache refusa son veau. ______________________________________________ 43
10’ Télipinu Immarni,
s’est
mis
en
route,
il
emporta
le
grain,
11’ šalপianti, mannitti, ainsi que la satiété ; à la campagne, 12’ dans la prairie, dans les marécages aussi Télipinu allait ; dans un marécage 13’ il s’enfonça, et une fleur d’eau (?) courut au-dessus de lui. Ensuite 14’ le grain, le blé ne mûrirent plus ; les bœufs, les moutons, les humains ne 15’ se reproduisent plus, alors les femelles gravides n’enfantent plus. _________________________________________
16’ [Et] les montagnes se desséchèrent, desséchèrent, aussi les bourgeons ne
les
bois
se
17’ sortent plus, les prairies s’asséchèrent, les sources s’asséchèrent et dans le pays 18’ la famine apparaît. Les humains et les dieux périssent de la famine. 19’ Soleil, le grand, fit une fête, et invita les mille dieux. Ils mangèrent, 20’ et ne se rassasièrent pas ; ils burent, et ne se désaltérèrent pas. ___________________________________________
21’ Le dieu de l’Orage se fit du souci pour Télipinu, son fils : « Télipinu, 22’ mon fils est absent (du pays), il s’est mis en colère, il a emporté tout le bien. » 44
23’ Les grands dieux (et) les petits dieux se mirent à chercher Télipinu. Le Soleil 24’ envoya l’Aigle rapide : « Va ! 25’ fouille les hautes montagnes, ____________________________________________
26’ fouille les va[llé]es profondes, fouille le flot bleu. » 27’ [L’A]igle partit, et ne le trouva pas, et au Soleil 28’ il rapporta la nouvelle: « Je n’ai pas trouvé le vénérable Télipinu. » 29’ Le dieu de l’Orage dit à NIN.TU : « Comment faire ? 30’ nous périssons de [f]aim. » MA dit au dieu de l’Orage : « Fais quelque chose, 31’ dieu de l’Orage. Va! cherche toi-même Télipinu. » ___________________________________________
32’ [Alo]rs (?), le dieu de l’Orage se mit à la recherche de Télipinu. À la porte de sa ville, 33’ il [arri]ve et ne parvient pas à l’ouvrir, alors il cassa la serrure et le verrou. 34’ [ ] le dieu de l’Orage, il séjourna à l’intérieur, il s’ installa (dans la ville). MA 35’ [envoya l’Abei]lle : « Va, toi, cherche Télipinu. » ________________________________________
36’ [Le dieu de l’Orage d]it [à annaপanna] : « Les grands dieux (et) les petits dieux l’ont cherché partout, et 45
37’ [ne l’ont pas trouvé] (rature). Elle s’en va et c’est elle 38’ [ l’Abeille, qui va le trouver !]. Ses [ai]les sont petites, elle-même est petite 39’ et en outre on les choisit (eux) de préférence ! »
(lacune de 15 lignes)
II 1’(trace) ________________________________________
2’ mais la méchanceté [ 3’ et à toi, ô Télipinu[ 4’ il broya le malt et l’orge [ 5’ pararit, et ensuite le bien [ 6’ au seuil il coupa. Télipinu [ 7’ un arôme suave [ 8’ et s’étouffant de nouveau[ _____________________________________ 9’ Voici l’eau qui fait tourner (?) est posée 10’ et de ton âme, ô Télipinu[ 11’ ensuite vers le roi [tourne] ton âme avec bienveillance ! ________________________________________
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12’ Voici du galaktar est posé[ 13’ Qu’il soit apaisé ! Voici du parœ[uena est posé]. 14’ Que ton être se tourne (?) [vers le roi (?)] __________________________________________ 15’ Voici une noix est posée [ 16’ Qu’il soit couvert d’huile! Voici une figue est posée et ] de même que [la figue] 17’ est douce, que [l’âme] de [Télipinu] 18’ ainsi s’adoucis[se] ! _________________________________________
19’ De même que l’olive [tient] l’huile dans son cœur, [de même que le raisin] 20’ tient le vin dans son cœur, toi, ô Télipinu, [pour le roi (?) 21’ tien[s] ainsi le bien dans ton âme et dans ton cœur ! __________________________________________
22’ Voici une amande est posée et de Télipinu[ 23’ qu’elle adoucisse. De même que le malt et l’orge sont unis intimement, qu’ainsi, [ô Télipinu], 24’ ton âme et celles des hommes so[ient] unies intimement ! [De même que le blé] 25’ est propre, qu’ainsi l’âme de Télipinu devienne propre ! [De même que le mi]el 26’ est doux, de même que le beurre est doux, 27’ qu’ainsi l’ â[me] de Télipinu s’adoucisse, qu’ainsi 47
elle soit douce ! _________________________________________
28’ Voici, ô Télipinu, j’ai humecté tes chemins d’huile fine, 29’ viens, Télipinu, à travers les chemins humectés d’huile ! 30’ Qu’il y ait du bois de šahi, et du feuillage spécial ! 31’ De même que le « bon roseau » (?) est prêt, 32’ ainsi, toi, ô Télipinu, sois prêt ! _________________________________________
33’ Télipinu vint, furieux. Il lance des éclairs, 34’ il tonne, et en- dessous, il frappe la terre noire. 35’ KamruÎepa l’aperçut et ( à l’aide de) l’ai[le] de l’aigle 36’ [l]e (?) fit se mouvoir ; et la colère l’a [mise en échec].
III
1 la fu[reur] l’a mise en échec [et la faute 2 l’a] mise en échec, la rancœur l’a mise en échec. _________________________________________ 3 Kamrušepa dit de nouveau aux dieux: « Al[lez] ! 4 ô dieux! voici apantali, qui ga[rde] les moutons du Soleil. 5 Castrez (?) 12 béliers, moi je traiterai les [war]kuš deTélipinu. 6 J’ai pris pour moi une aile, mille yeux et ensuite les karaš 48
7 des béliers de KamruÎepa, je les ai répandus. ___________________________________________
8 Et pour Télipinu, au-dessus de lui j’ai brûlé (des brindilles enflammées) 9 ici et là ; ainsi de Télipinu 10 de son corps le mal j’ai ôté, la fa[u]te 11 j’ai ôté, la colère j’ai ôté, la fureur, 12 j’ai ôté, le warku j’ai ôté, la rancœur j’ai ô[té]. _________________________________________ 13 Télipinu est en colère, son âme, [le] fond de [son êt]re 14 (comme) les brindilles ont été étouffés ; de même que ces br[indilles] 15 se sont consumées, que de Télipinu la colè[re], 16 la fureur, la faute, la rancœur ainsi se consum[ent] ! 17 De même que [le malt] est sec et qu’[on] ne l’empor[te] pas à la campagne 18 pour en faire de la semence et qu’on n’en fait pas du pain 19 et qu’on ne le place pas dans l’entrepôt, que de Télipinu la colè[re, la fureur], 20 la faute, la rancœur ainsi [soient] asséchées. ____________________________________________
21 Télipinu est furieux, son âme, le fo[nd de son être] 22 (comme) le feu sont allumés, de mê[me] que ce feu [s’éteint], 49
23 que la colère, la fureur, la rancœur ain[si s’éteignent] ! ___________________________________________
24 Laisse (ta) colère, ô Télipinu ; [laisse (ta) fu]reur, 25 laisse (ta) rancœur ! De même que (l’eau) dans le roseau 26 ne [re]monte pas, que de Télipinu [la colère, la fureur], 27 la rancœur ne revi[ennent] pas non plus ! » ___________________________________________
28 Les dieux sous l’aubépine, [au lieu du ras]semblement, 29 sous l’aubépine [ont fixé ?] l’Avenir. 30 Et tous les dieux sont assemblés, [Papaya (?)], Is[tuštaya], 31 les Gulšeš, les MA.MEŠ, alki, Miya[tanzipa] 32 Télipinu, le dieu Protecteur, apantal[i, 33 et auprès des dieux, les œi[mma (?)] de l’Avenir 34 je les ai cé[l]ébrés, et [je] l’ (Télipinu) [ai] purifié: _________________________________________
C
9’ du corps] de Télipinu [j’ai ôté] le mal, 10’ j’ai ôté [la colè]re, [j’ai ôté] la fu[reur, 50
11’ j’ai ôté [la faut]e, [j’ai ôté] la rancoeu[r, l2’ j’ai ôté la [méchante] langue, [j’ai ôté] le ma[uvais lien (?)] ______________________________________________
13’ ] et [ (lacune d’une dizaine de lignes)
[24’’](?) Toi, aubépine, au printemps, tu te revêts de blanc, [25’’](?) mais à la moisson, tu te revêts de rouge, le bœuf passe sous toi,
A, IV
1 alors [à lui], tu arraches le c[ui]r, (lorsqu’)un mouton 2 [pass]e sous toi, alors à lui, tu arraches la toison. O Télipinu, 3 arrache [co]lère, fureur, faute, rancœur ! ___________________________________________ 4 Le dieu de l’Orage est venu furieux, et l’homme du dieu de l’Orage 5 l’arrête. (Le contenu de) la marmite est près de déborder, la cuillère l’en empêche. 6 Et [en] outre que les paroles du mortel que je suis, 51
7 retiennent la colère, la fureur et l’irritation de Télipinu. ____________________________________________
8 Que la colère, la fureur, la faute, la rancœur 9 de Télipinu s’en aillent. Que la maison les laisse, que le pilier central les laisse, 10 que la fenêtre les laisse, que les gonds, que la cour centrale 11 les laissent, que la grande porte les laisse, que les propylées les laissent, 12 que la voie royale les laisse ! Qu’ils n’aillent pas dans le champ fertile, dans le jardin, dans le bois, 13 qu’ils prennent la route du Soleil de la terre ! _________________________________________
14 Le portier ouvrit les sept portes, il tira les sept verrous. 15. En bas dans la terre noire, des chaudrons de bronze se dressent, leurs couvercles 16 sont de plomb, leurs poignées sont en fer, ce qui entre dedans, ensuite, 17 ne peut pas en sortir et périt à l’intérieur. 18 Que (les chaudrons) prennent la colère, la fureur, 19 la faute, la rancœur de Télipinu, et qu’ils ne reviennent pas ! ___________________________________________
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20 Télipinu revint chez lui, il s’occupa de son pays. 21 Le brouillard quitta la fenêtre, la fumée quitta la maison. 22 Les autels des dieux furent en ordre, le foyer laissa (brûler) la bûche. 23 Dans l’enclos il laissa aller les moutons, dans l’étable 24 il laissa aller les bœufs ; la mère s’occupa de son enfant, le mouton s’occupa de son agneau, 25 la vache s’occupa de son veau, Télipinu du roi et de la reine et les pourvut 26 de vie et de force pour l’avenir. ____________________________________________
27 Télipinu s’est soucié du roi. Devant Télipinu 28 se dressa un chêne vert et au chêne vert une égide (en peau) de mouton, est suspendue. 29 dedans est placée de la graisse de mouton ; dedans est placée (la présence bienfaisante) du grain, de GÌR et du vin ; 30 dedans est placé un troupeau, 31 dedans est placé l’avenir, la procréation est placée ; _________________________________________
32 dedans le doux message de l’agneau est placé ; dedans 33 [le res]pect (?) et la gloire (?) sont placés ; dedans (se trouve) aussi le dieu [ ] 34 dedans un clou de fondation favorable est placé, [de]dans 53
35 [le šalh]anti, le m[annitti et la satiété sont placés].
(lacune de longueur indéterminée)
Traduction d’un texte dތevocatio hittite
II 1 [Elle] lai[sse] trois chalumeaux [ 2 de la graisse de mouton du liqu[ide 3 lié. Sur la table [ 4 Elle place une cruche de vin. À gauche elle suspend des rubans devant la table. 5 Elle [fai]t neuf chemins de bonne huile, neuf chemins de miel, neuf chemins de purée dތor[ge]. 6 Ensuite elle [pren]d un tissu blanc, un tissu rouge, un tissu bleu 7 et elle déroule auprès des chemins pour les dieux ennemis. 8 Elle prend du feu du braséro. 9 Elle jette sur le foyer un assemblage d « ތaromates ». Elle fait une fumigation. 10 La magicienne tient dans la main [droite] de la l[ain]e de mouton, une aile dތaigle, le galakt[ar], le parhuena des dieux, [un clou] de fondation favorable, 11 au moyen du iš-[ ]celui qui a été envoyé par le Grand échanson 12 celui-là le tient. 13 Elle (la magicienne) détourne les dieux de la ville ennemie 14 et ensuite parle ainsi avec insistance : 54
15 « Voici, pour vous les dieux de la ville ennemie, jތai placé un pichet pƯপu gravé. 16 Jތai placé à [droite] et à gauche des tables dressées pour vous. 17 Jތai déroulé en-dessous des chemins pour vous à lތaide dތun ruban blanc, rouge, (et) bleu. 18 Que ces rubans soient pour vous des chemins. 19 Partez sur ceux-ci! 20 Tournez-vous avec bonté vers le roi ; 21 Ensuite quittez votre pays !» 22 Lorsque la magicienne achève de prononcer ces paroles, 23 elle sacrifie un mouton aux dieux mâles de la ville ennemie, 24 elle sacrifie un mouton aux déesses femelles de la ville ennemie 25 [Et] ils cuisent les foies, le cœur par le feu 26 et elle les [pose] de nouveau sur la table du dieu, 27 [et] elle verse trois fois de la bière au vin 28 et (chacun) est appelé pour manger 29 Pour se rendre favorables les dieux de la cité ennemie, une mesure de bière, trois pains chauds, [un pain] aux légumineuses, un pain doux. 30 Pour se rendre favorables les dieux de la cité ennemie, elle rompt [trois] pains chauds, un pain aux légumineuses, un pain doux. 31 Elle prend un morceau 32 [et] elle le pose de nouveau sur la table du dieu. 33 Elle [rend favorable] chacun des [dieux] mâles et des déesses femelles de la ville ennemie. 34 Et lorsqu’elle dispose les gobelets, 35-36 on enlève tout ce qui est placé [devant] les dieux. 55
III
2 elle évo[que 3 Et [elle dit sans arrêt de cette façon : 4[
elle coupe et]
5[
] les dieux au moyen de [
] coupé [
]
6[
] à l’intérieur, avec bonté, soyez détournés, soyez tournés !
7 Lorsqu’elle achève de détourner les dieux de la ville ennemie sur les chemins, 8 le roi sތhabille à la manière du roi, 9 il va et verse à la ville ennemie soit du vin au moyen d’une cruche, soit du vin au moyen d’un récipient à libation
La Disparition du Soleil
a, I?
1’ 2’
] de moi [ il d]it quand [pou]r le dieu de l’Orage wa[l
3’ Le vén]érable Soleil son fils et quand [ 4’
] que ton parfum près de moi apparaisse ________________________________________
5’ [Si] je prends [le Soleil] et je le cache, que peut 56
faire le
dieu de l’Orage ?
6’ [ ] Lorsqu’ils se mirent à se vanter, la fille de l’Océan, 7’ du [ciel] appela et l’Océan l’entendit et l’Océan mit une marmite (?) 8’ [ ] sur son épaule (?) et où le dieu Soleil tombe- t-il ? [ ]. Tombe-t-il 9’ soit [ ], soit dans un four, soit dans un arbre, soit dans un buisson ? 10’ [
]
le froid s’installa (?) [.
__________________________________________
11’ [L’Océa]n dit au Soleil : « Ce qui à toi [ 12’ ] le Soleil alla dans l’Océan, dans sa chambre, [et] la marmi[te] 13’ il (la) couvrit [avec] de la cire et ensuite, à son sommet il la fer[ma] avec (un couvercle) de cuivre. 14’ [Et] il dit : « Continuez de vous vanter jusqu’à ce que [ ] [la fille de l’Océan 15’ appe(?)]lle et l’Océan [entendit les paroles] de sa fille 16’
]une femme [en]ceinte (?) au dieu de l’Orage [ »
17’
Qu]e prévo[ient-ils] de fai[re]? 57
___________________________________________
18’ ] tes fils di[sent 19’ à sa sœur] il di[t «
b, I
1’
] la monta[gne
________________________________________ 2’
] tes fils dis[ent
3’
] le dieu de l’Orage [parla à son] épouse (?) : «
4’
] et à moi il dit ceci [
5’ [Mes en]fants, si un homme est tué, [ils le font revivre]. 6’ [Si un b]oeuf, un mouton est mort, ils le font revi[vre]. 7’ Et [tes] enfants, que prévoient-ils de faire? Le G[el] 8’ a immobilisé tout le pays, il a asséché l’eau. 9’ Le Gel est puissant. » (Le dieu de l’Orage) dit au Vent, son frère : 10’ « L’eau des montagnes, les jardins, la prairie, que ton 11’ haleine les traverse et que (le Gel) ne les immobilise pas. ___________________________________________
58
12’ (Le Gel) [a] immo[bilisé] l’herbe, les pays, les bœufs, les moutons, les chiens et les por[c]s. 13’ Il [n]’immobilisera pas les enfants dans leur cœur, ni les graines. S’il [tente de les immobiliser], 14’ à mon avis, une couche de g[ra]isse les saisira à l’intérieur. 15’ Alors il ne les immobilisera pas, comme il [a immobilisé] chaque chose entièrement. » 16’ Il s’en alla, et dit au dieu de l’Orage : « Voici ce qui se passe [ 17’ Le Gel dit à son père et à sa mère : 18’ ‘Vous mangez et buvez ceci 19’ et vous ne vous êtes préoccupés de rien’. Le berger et le vacher [disent] : 20’ ‘Celui-ci a immobilisé le pays et le dieu de l’Orage ne le sai[t] même pas !’ » ________________________________________
21’ Le dieu de l’Orage envoya chercher le dieu Soleil : « Al[lez], faites venir le Soleil ! » 22’ Ils [p]artirent. Ils cherchent le dieu Soleil partout et ne le trouv[ent] pas. 23’ [Le dieu] de l’Orage déclare : « Pour quelle raison ne l’avez- vous pas trou[vé]? 24’ Voyez ! mes membres (sont) chauds. 25’ Comment [celui]-ci (peut-il) être mort ? » Et il envoya ZABABA : 26’ « [V]a, amène le Soleil. » Et le Gel saisit ZABABA. 27’ « [Al]lez, appelez le dieu LAMMA. Le Gel pourra-t-il immobiliser celui-ci ? 59
28’ [N]’est-il pas l’enfant de la campagne ? » Et le Gel s’empar[a] de lui aussi. 29’ « Allez, appelez Télipinu. Celui-ci est mon fils 30’ [vén]érable. Il défriche, laboure, il conduit l’eau, [ ] l’orge/le grain aussi. 31’
] il taille la pierre.» Et le Gel le saisit. _________________________________________
32’ [Allez], appelez Gulša (et) annaপanna. Si ceux-là sont morts, 33’ celles-ci sont-elles mortes aussi ? Le Ge[l] [est-il venu] à leurs portes aussi ? » 34’ Le Gel dit au dieu de l’Orage : « Tu tues et tu envoies 35’ [celles-ci] et tous sont morts et déjà ce bol 36’ tu [ne] tiens [plus]. Et les frères de Hašamili sont 37’ des [en]fants, et le Gel ne les a pas saisis» 38’ [
] Il appela ceux-ci. Le dieu de l’Orage [di]t au Gel :
39’ « Ma main s’est col[lée] au bol, 40’ [Mes pieds] ils (les) ont collés. Si mes pieds et mes main[s] 41’ [tu les a pris (?)], mes yeux tu ne les saisiras pas ! » ________________________________________
42’ [le Gel] dit au dieu de l’Orage: « Vois-tu de mes fils [ 43’
]quant à moi je vais au ciel
44’
] fais revivre [les mains] et les pieds ! » 60
(lacune de longueur indéterminée)
c 1’ 2’ 3’
]
dieu (?) [
4’
] les dieux les paroles/tes (?) [
5’
]Le Soleil chez [lui rentra
6’
] de l’hydromel (?) il posa
7’
] il laissa
8’
] et lui, l’eau [ ________________________________________
9’
] pur [
(lacune de longueur indéterminée)
b, IV
1’
] il tourna et il a visé la lune [
2’ ] il envoya [ les [ma]gicienn[es] 3’
] dans les grandes portes. Les magiciens (et)
] « Moi je suis Annanna » ___________________________________________ 61
4’
] la réponse de l’oracle (?), je ne l’ai pas pris et avec la droite
5’
] la réponse de l’oracle (?), et je l’[ai pr]is. [Aucune] parole des dieux, dans le foyer, comme de la paille
[ 6’
] je n’ai versé. Ma bouche, ma tête, le verrou [
7’ išgaraqqaš et je l’ai placé dessus, la tête ____________________________________________
8’ Aucune parole des [dieux] je n’ai altérée. Si 9’ Télipinu est fâché contre quelqu’un, moi, je prononce [les parol]es divines 10’ et je l’[év]oque. Le Soleil déclare : « Que les paroles des dieux soi[ent] en marche! 11’ Où est ma ration ? » annaপÎanna parle ainsi : « accordes un bienfait à quelqu’[un],
Soleil, si tu
12’ qu’il [don]ne à toi neuf (moutons). Que celui qui est pauvre te donne un mouton ». 13’ L’évocation du [Soleil] et de Télipinu. Fin. ___________________________________________
14’ Voici la ration : une marmite (?) en bronze et un couvercle en bron[ze], 15’
] en bronze. Sur le couvercle (sont) posés une porte en bronze,
16’ une lucarne (?) en bronze, deux fenêtres en bronze, un verrou en bronze, une bêche en bronze, 17’ [une serrure] en bronze, une branche de vi[gn]e, une branche 18’ de [
], une petite table (?) en bois -šunila, de la cire, tuhhu[ 62
19’ trois marmites (?) avec trois sources contenant de l’eau. 20’ ils [ ] et leurs trois supports. ___________________________________________
21’ un grand [pain ordi]naire, un pot de vin, un pot de marnuwan, un pot d’hydromel (?), un pot de vin au m[iel], 22’ [un bol d’hui]le, un bol de miel, un bol de graisse de mouton, de la laine blanche, de la laine bleue, de la laine rouge, de la laine vert foncé, 23’ [de la laine noi]re, de la laine nouée en pelote, les meilleurs parfums réunis de bois [de] šahi, 24’ de bois [parnull]i, du doux roseau et elle l’arrose avec de l’huile fine. ___________________________________________ 25’ [En] outre (?) ainsi dans la maison elle pla[ce] deux tables près de la fenêtre 26’
] et après avoir po[sé] un gros pain, elle pose sur la table
27’ ces ustensiles : une marmite (?) en [bron]ze avec un couvercle, une porte en b[ronze], 28’ une lucarne (?) en bronze, deux fenêtres en bronze, sur la table pour le Soleil elle (les) po[se]. ________________________________________
29’ une serrure de bronze, une bêche de bronze, un verrou en bronze sur la table pour le So[leil], 30’ elle pose. Et entre les deux tables neuf gros pains (de) grosse (taille) dans un panier [elle] po[se] , 31’ et dessus, elle [pose] de la présure, du fromage et à côté de lui des laines et 63
32’ trois récipients de vin (contenant) du marnuwan, de l’hydromel (?), trois marmites (?) (contenant) de l’eau ave[c] 33’ un bol d’huile fine, un bol de miel, les meilleurs parfums réunis, voici ce qu’[elle] prépa[re] (?). _________________________________________
34’ Elle place une table préparée pour le Soleil, elle place une table prépar[ée] 35’ pour Télipinu, quand le dieu [a] fini de s’installer et de manger, 36’ à la nuit, devant le dieu, [elle] plac[e] un feu tiré du brasero, 37’ Elle brûle un parfum suave. La « magicienne du Seigneur du dieu » fait des conjurations, 38’ par trois fois elle fait le tour (des divinités en sacrifiant), elle ferme le temple 39’ et sort. Ce jour-là elle ne fait rien (d’autre). _________________________________________
40’ Lorsqu’il fait jour, le « Seigneur du dieu » va devant le dieu, 41’ il brûle un parfum suave, il fait des conjurations, par trois fois il fait le tour (des divinités en sacrifiant), 42’ il rompt un gros pain pour le Soleil, (le) pose sur la table du Soleil et il offre au Soleil du marnu[wan, de l’hydromel(?)], 43’ du vin. Il [rompt] un gros pain sucré pour Télipinu, 44’ (le) pose sur la table de Télipinu. Du marnuwan, de l’hydromel (?), du vin [à Télipinu] 45’ on of[fre]. Un bouc, un mouton au Soleil et à Télipinu [on offre] de concert. __________________________________________ 64
46’ De [la viande sacr]ée et crue du mouton : l’épaule, la poitrine, la tête, les pieds, 47’ [pour le Soleil] il pose. La poitrine du bouc, l’épaule, la tête, les pi[eds], 48’ [pour Tel]ipinu il pose de la même manière. Le f[oie] 49’ [le] coeur il cuit sur le foyer. [Il] romp[t] un gros pain. 50’’
] mouton sur la table du Soleil il pose [
51’’ sur la] table il pose et du marnuwan et de l’hydromel(?) 52’’ [à Té]lipinu il offre et ensuite [
a, IV?
1’ (traces) 2’
] du pâté en croûte, un pot de graisse [
3’ [pour le dieu Soleil, pour] Télipinu il [pose]. ________________________________________
4’ ] le troisième jour on les garde. Le [premier jo]ur une vésicule biliaire et du bou[c] 5’
] On [
] Lorsque pour manger il est favorable,
le Seigneur du dieu devant [le dieu] 6’ [se rend]. [Un parfum sua]ve s’exhale, il fait des conjurations, il fait trois fois le tour (des divinités en sacrifiant) 7’
] un pain sucré, un pain šilha il rom[pt], sur la 65
table du Soleil 8’ [il (les) [place]. Pour le Soleil il [pose ] [une vé]sicule et de même pour Télipinu il rompt 9’ [sur sa table] il (le) pose et de même une vésicule de bouc il (lui) offre et du marnuwan, 10’ [de l’hydromel (?), du vin] on offre au Soleil et à Télipinu. ________________________________________
11’ le « Seigneur du di]eu » devant le dieu s’en va, un parfum suave s’exhale. 12’
] alors pour se rassasier, les gros pains, des vésicules
13’
la via]nde sacrée il enlève. Le cuisinier
14’
un gros pa]in sucré il rompt. Sur la table du Soleil
15’ [il le pose,
pou]r Télipinu
de même il pose 16’’
] ________________________________________
17’’
[Lorsque] c’est prêt à manger, le « seigneur du dieu »
18’’ [va devant le dieu, un parfum suave s’exhal]e, les conjurat[ions], par trois fois, 19’’ [il fait le tour (des divinités en sacrifiant)]. Soleil il pose 66
] Pour le
20’’
] pour [Té]lipin[u
A, I
1 Jadis lorsque l’O[céan 2 le ciel, la terre (et) l’espèce humai[ne 3 et il/elle se révolta, et [le Soleil du ciel] 4 et il/elle emmena en bas et il/elle le [cacha (?)]. ________________________________________
5 Et dans le pays le mal s’insta[lle (?)], 6 [l’o]bscurité règne et à l’Océan 7 personne [ne] résiste et le dieu de l’Orage 8 [appela Télipinu], [son fils ch]éri, le meil[leur] : _______________________________________
9 « [Allez], Télipinu, toi, [va (au fond) de l’Océan], 10 [ramène] le dieu Soleil du [ci]el (du fond) de l’Océan. ________________________________________
11 Télipinu alla (au fond) de l’Océan, et [l’Océan] eut peur de [lui], 12 il lui [donna sa] fille, 13 il lui donna le Soleil et Télipin[u ramena le Soleil] 14 et la fille de l’Océan (du fond) de l’Océan, 67
15 et il les a[mena (?)] auprès du dieu de l’Orage.
________________________________________
16 L’Océan envoya un message au dieu de l’Orage : « Télipin[u], 17 ton fils, [a pris (?)] ma fille pour épouse, 18 et il l’a emmenée et à moi que donnes-tu ? » 19 Le dieu de l’Orage dit à MA : « [Voici (?)] 20 [un frère (?)] du fleuve est venu du fond de la mer, il a demandé [une dot 21 Vais-je la lui donner ? comment ne pas la lui don[ner] ? » ________________________________________
22 MA parla ainsi au dieu de l’Orage : « Donne-lui[ 23 tu (l’) as prise ici comme (ta) bru, ce[ « 24 Et à lui, pour sa femme il don[na] mille (présents). 25 Il lui donna mille bœufs, mille moutons, et [ 26
]ses frères[
27
]et[
C
1’ 2’
] il entend[it ]les moutons il ramena[ 68
3’
]quand l’Océan [
4’
] la terre[
5’
] la mer [
6’
] et Télipinu ________________________________________
7’
]à la maison il amen[a
8’
] grand la porte [
9’ 10’
] da-a-[ (traces)
D, I?
1’
]Il donna à l’Océan[
2’
] et Télipinu ré[pond
3’
] et Télipinu [
4’
] Télipinu répond
5’
] Celle qui t’est chère et [
6’
] je coucherai et vous à lui [
7’
i]štarnenašši ne [
8’
] ils emportèrent et [
9’
] je prends [
10’
] il répond [
11’
(traces) 69
12’ (traces)
B, IV 1’ (traces) 2’ [V]oici ce qui appartient à [ 3’ un attelage [ 4’ un joug, une araire, il a mis (?)[ 5’ cuits, de la cire, un [ 6’ une présure, un fromage, deux [ 7’ huit nourritures : du miel, du parh[uena 8’ une figue, une olive [a]vec [ 9’ du blé (?), des brindil[les 10’ de la graisse de mouton suave [ 11’ [un] bois [
Ro A, I
1 Cette tablette, le scribe, pour le dieu, 2 (la) récite journellement et prononce l’hymne au dieu : _________________________________________
3 « Toi, ô Télipinu, tu es un dieu puissant (et) vénérable, 4 Muršili, le roi, ton serviteur, 70
5 et la reine, ta servante, m’ont fait ve[n]ir et (m’ont dit) : « Va, 6 Télipinu, notre seigneur, 7 notre dieu principal, évoque-le. » ____________________________________________ 8 Que Télipinu, le vénérable, (soit) là-haut dans le ciel, 9 parmi les dieux, qu’il (soit) dans la mer ou encore qu’il (soit) allé se promener dans les montagnes 10 qu’il (soit) allé à la bataille dans un pays ennemi, ___________________________________________
11 que maintenant le parfum le plus suave, 12 l’huile du cèdre t’appelle. De nouveau 13 reviens dans le temple et voici que je 14 t’évoque avec un gros pain et une libation. 15 Sois appelé et pour ce que 16 je te dis, vers moi, ô dieu, tiens 17 l’oreille penchée et écoute. __________________________________________
18 Et toi, Télipinu, tu es un dieu vénérable. 19 Et pour toi, ô mon dieu, à la vérité, c’est dans le pays hittite que des temples 20 sont construits) solidement ; mais pour toi dans aucun autre pays 21 il n’en exist[e] en plus (des nôtres). Des fêtes, 22 des rituels, dans le pays hittite, de manière [pro]pre et sacrée, 71
23 on t’en offre constamment ; mais dans aucun autre 24 pays on ne t’en offre en plus des (nôtres). 25 Des temples élevés orn[és] d’argent et d’or te sont consacrés, 26 dans le pays hittite ; mais pour toi 27 dans aucun autre p[ays il n’en existe en plus (des nôtres)].
Ro II A
1 Des [bols], des rhytons en argent, en or, en pierres précieuse[s], 2 [d]ans le pays hittite te sont consacrés. 3 Des fêtes : des fêtes du mois, des fêtes de l’année, 4 des fêtes d’hiver, de printemps, 5 d’automne, des holocaustes, des fêtes 6 du mugawar, te sont consacrés dans le pays hittite ; 7 en revanche dans aucun autre pays 8 on n’en célèbre pour toi. ___________________________________________
9 Ta statue, Télipinu, [c’est dans le pays hittite], qu’elle 10 est vénérée. Mur[šili, le roi, ton serviteur], 11 la reine, ta servante et les princes, [tes] ser[viteurs], 12 [dans le pays hittite] (sont) scrupuleusement attentifs à ton culte 13 tes পimma, Télipinu, tes rituels, tes fêtes ; 14 [ils entrepr]ennent de les célébrer sans cesse ; 72
15 et chaque chose qu’ils t’offrent est sacrée et pure. 16 Et tes temples, tes rhytons, 17 tes bols, tes objets de culte sont entourés de crainte. 18
] est [r]ecompté. Et [à proxi]mité de tes objets,
19 [
] personne ne se tient. __________________________________________
20 [Toi, Tél]ipinu, tu es un dieu vénérable. 21 [Et ton nom] est vénérable parmi les noms. 22 [et tes statues] sont vénér[ables] parmi les dieux.
(lacune d’environ dix lignes) Vo A, III
(lacune d’environ six lignes)
1’ les f]i[ls du roi 2’ [et tourne-toi] avec bienveillance [vers le pays hittite] 3’ [ ô Tél]ipinu, di[eu] puissant. 4’ maintiens en vie le roi, la reine, et les enfants du roi et 5’ donne-leur la vie pour l’avenir, la santé, de longues années, 6’ la force, dans leur âme 7-8’ place [la lum]ière et la joie. _________________________________________ 73
9’ Donne-leur des ¿ls, des ¿lles, des descendants, 10’ donne-leur le respect et la gloire, 11’ donne-leur la croissance du grain, de la vigne, 12’ du bétail, des humains ; 13’-14’ donne-leur l’arme victorieuse et brandie de l’homme, ô dieu, et le pays ennemi 15’ place-le sous leurs pieds et le [
]
__________________________________________
16’-17’ Du pays hittite la mauvaise ¿[èvre], l’épidémie, la famine, les sauterelles emporte-(les). _________________________________________
18’ À ces pays ennemis, (qui sont) agités, 19’ révoltés, qui ne respectent ni toi, Télipinu, 20’ ni les dieux du pays hittite 21’-22’ qui veulent brûler vos temples,
Vo A, IV
1-2 qui cherchent sans cesse à dérober les rhytons, les bols, les objets de culte en argent, en or, qui 3-4 veulent ravager les champs, vos terres, les vignobles, les jardins, les bois, _________________________________________ 74
qui veulent enlever les laboureurs, les vignerons, les jardiniers, les meunières 7-8 à ces pays ennemis donne la mauvaise ¿èvre, l’épidémie, la famine, les sauterelles. ____________________________________________
9 Mais au roi, à la reine, aux princes, au pays hittite, 10-11 [donne] la vie, la santé, la force, les longues années, l’avenir, la joie, la croissance du grain, 12 de la vigne, des arbres fruitiers, des bœufs, des moutons, des chèvres, des porcs, des mulets, des chevaux, (la croissance) de la cam[pagne avec ses animaux], 14 de l’espèce humaine pour l’avenir, 15 qu’il croisse et que la pluie [ 16 que les vents de la fécondité arrivent. 17 Que dans le pays hittite la prospérité et la fécondité règnent. » 18 Et l’assemblée crie : « Qu’il en soit ainsi. »
_________________________________________
19 Fin de la 1re tablette : Lorsque le scribe 20 présente devant Télipinu, pour le roi, tous les jours un arkuwar.
x
signe inintelligible
§
paragraphe 75
[ ]
entoure les éléments perdus dans une cassure
]
restauration de la partie gauche du mot
[
restauration de la partie droite d'un mot
[( )]
délimite les restaurations effectuées à partir d'un duplicat
(
délimite les additions de la traduction française
> délimite un signe présent dans le cunéiforme à effacer > absent dans le cunéiforme
...
indique des groupes de mots intraduisibles
!
signe hors norme
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LE DIEU DISPARU DANS LA BIBLE
LE DIEU DISPARU DANS LA BIBLE
Hélène Nutkowicz
Traversant les narrations bibliques, les textes de lois, prophétiques et de sagesse, ce concept met en scène des situations de crise et d’angoisse se dénouant diversement. Des circonstances particulières amènent à les constater. La dissimulation, le mutisme, l’absence et/ou certains signes divins répondent aux diverses interrogations et appels des orants et prophètes, dont parfois, les motifs ne sont pas clairement élucidés, et tantôt sont abondamment exposés et détaillés. Les effets bénéficient d’un même traitement dont certains se résument brièvement et, d’autres sont dépeints avec minutie. Procédés, motifs et effets diffèrent, reflétant des situations et des pensées spécifiques qui inscrivent la tragédie en leur cœur.
I MANIFESTATIONS Elles sont diversifiées et la sémantique en diffuse la richesse et les variations. Expressions et termes particuliers sont employés dans certains contextes, découvrant cette préoccupation et la recherche d’explications à ses causes et ses conséquences. L’éloignement Selon les formes empruntées par ses démonstrations, l’ « absence divine » peut faire siennes des modalités diverses, et plus particulièrement celle consistant à se dissimuler. Deux verbes se rapportent spécifiquement à cette notion en référence à Dieu : star, et tlam, signifiant tous deux : « cacher/se cacher ». Le premier reste le plus fréquemment utilisé27. L’emploi de variations sur la formule anthropomorphique et symbolique : star pnîm, « cacher la/les
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Le verbe : star est attesté vingt-six fois dans l’expression « cacher sa face/ses
faces », et deux fois dans le verbe « se cacher », et :tlam quatre fois, dont deux en référence à Dieu, une fois à ses yeux et une autre à ses oreilles.
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faces » en est un témoin attesté à vingt-six reprises28. Cette expression est essentiellement rapportée à Dieu se cachant de l’homme, et dont la forme fixe s’est perpétuée quels que soient les textes dans lesquels elle figure29. Seul le verbe : star est mentionné avec : pnîm, concernant YHWH, et la formule usuelle peut affirmer : « Il cache sa/ses faces » (Psaume 10, 11), qui évoque tant le visage (Genèse 38, 15), le regard (nzéchiel 6, 2), la personne ou l’être (Exode 33, 14), le devant (Jérémie 1, 13), ou la présence (Job 16, 8). Il évoque un dieu qui se dérobe à l’homme et semble disparaître. Les verbes synonymes : bu, « cacher », Ñpan, « cacher/protéger/défendre », kad, « renier/cacher/exterminer », Óman, « cacher/enfouir/réserver », ne sont pas employés dans cette construction ni en référence au Dieu disparu30. L’un d’entre eux, tlam, « cacher/être caché/ignorer/se détourner/fermer (les yeux/les oreilles) », peut également être cité en relation à Dieu se dérobant à l’homme, qui n’est pas accompagné du terme « face/faces ». Douze des vingt-neuf occurrences de cette expression, sont mises en évidence dans les Psaumes, et dans neuf d’entre eux, la formule est inscrite dans un contexte de lamentation individuelle31 s’adressant à 28 Quatre attestations figurent dans le Pentateuque : Exode 3, 6 ; Deutéronome 31, 17. 18 ; 32, 20, douze dans les Psaumes : 10, 11 ; 13, 2 ; 22, 25 ; 27, 9 ; 30, 8 ; 44, 25 ; 51, 11 ; 69, 18 ; 88, 15 ; 102, 3 ; 104, 29 ; 143, 7, dix dans les Prophètes : Isaïe 8, 17 ; (50, 6) ; (53, 3) ; 54, 8 ; 59, 2 ; 64, 6 ; Ézéchiel 39, 23. 24. 29 ; Michée 3, 4 ; Jérémie 33, 5 ; et deux dans les textes de Sagesse : Job 13, 24 ; 34, 29. 29 Plusieurs modèles standard de phrases sont attestés, qui sont souples, et peuvent adopter une forme négative, interrogative, accompagnée d’un suffixe et d’un second verbe, ou encore d’un suffixe et d’une préposition et d’autres verbes, BALENTINE, 1983, p. 46s. La polysémie du verbe couvre un espace qui s’étend du rôle définissant en certaines occurrences les spécificités de YHWH qui peut : « cacher, couvrir, tenir secret » (Proverbe 25, 2 ; Isaïe 29, 15), se détourner (Psaume 10, 11), et également être imploré par l’orant de l’« abriter, le protéger » (Psaume 17, 8 ; 64, 3) et dont les gémissements ne lui sont pas inconnus (Psaume 10, 11). Ce verbe s’applique également à la nécessité humaine de « se couvrir la face » pour Moïse en sa présence (Exode 3, 6), « se mettre à l’abri » devant le danger (Proverbe 22, 3), « être épargné » par la colère divine (Sophonie 2, 3), et « être hors de vue » (Genèse 31, 49). 30 BALENTINE, 1983, p. 46s. 31 COTTRILL, 2008, p. 10-12, note une différence entre l’identité historique et rhétorique, qui est dépendante d’un contexte social. GERSTENBERGER, 1988, p. 9, met en exergue deux sortes de Psaumes, les uns personnels ou privés et les autres publics. MOWINCKEL, 1967, p. 42s., voit dans le « je » une formulation définissant parfois le peuple et la congrégation. Parfois, le « je » et le « nous » alternent dans un
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YHWH, où s’expriment les chagrins de l’homme durant son existence, tout autant que ses joies. Ainsi, l’orant dans une supplique le questionne, qui l’oublie et en détourne cruellement sa face (Psaume 10, 11), ou bien l’interroge sur la durée des épreuves qu’il doit endurer : « Jusqu’à quand me cacheras-tu ta face ? » (Psaume 13, 2)32, le supplie dans ce verset qui emploie la forme impérative réaffirmée par la répétition : « C’est ta face que je recherche, YHWH, ne me cache point ta face » (Psaume 27, 9), en requiert de ne pas la lui dérober (Psaume 69, 18), le questionne (Psaume 88, 15 ; 143, 7), et le prie (Psaume 89, 47 ; 102, 3). Le Psaume 44, 25, exprime cette même interrogation posée par le peuple33. La lamentation renforce cette observation exprimant un reproche : « Mais tu as caché ta face » (Psaume 30, 8), dont l’affirmation peut figurer dans un Psaume de louange. Et, le Psaume 104, 29 après avoir observé cette dramatique situation en évoque les conséquences34. Dieu, dans ces occurrences, est le sujet qui se cache, se détourne, se dissimule et démontre ainsi sa désapprobation et sa colère35. Cette expression semble en certaines occurrences se rapporter à l’absence divine du lieu de culte36, aussi l’expression : « faire briller sa face » semble-t-elle le parallèle inversé lié à la théophanie (Psaume 27, 8)37, mais peu de textes l’attestent. Certains prophètes dépeignent l’absence divine à l’aide de cette formulation, ainsi Michée, dans la plus ancienne référence à ce même Psaume concernant l’individu, le peuple et la congrégation. Selon GUNKEL, 1998, p. 82s., l’identité du « je » est celle d’un individu ayant adapté le langage du culte centralisé, puis s’en est libéré en le personnalisant pour son objet spirituel. 32 TERRIEN, 2003, p. 159, souligne à quel point la répétition à quatre reprises de l’adverbe interrogatif : jusqu’à quand, dénote tant l’anxiété que l’impatience. 33 BRUEGGEMANN, 2007, p. 10-11, met en exergue l’aspect interactif et le rôle du dialogue dans le mode cultuel de l’alliance, de la foi et de la vie pour Israël. 34 Trois occurrences s’appliquent à une situation où l’homme est concerné et se détourne. Ainsi, Moïse cache son visage parce qu’il redoute de regarder Dieu (Exode 3, 6). L’orant affirme qu’il n’a pas dérobé son visage aux insultes car la honte ne pouvait l’atteindre (Isaïe 50, 6). Le troisième passage est discuté (Isaïe 53, 3), qui évoque un être dont les hommes détournent leur face. Selon une seconde interprétation, il s’agit de Dieu et non de l’orant dont les hommes se détournent, BALENTINE, 1983, p. 66. Par ailleurs, le psalmiste peut également observer que Dieu n’abandonne pas toujours les malheureux et reconnaît : « Il n’a pas caché de lui son visage » (Psaume 22, 25). 35 JOHNSON, 1947, p. 156. 36 WEISER, 1974, p. 101. 37 BEYERLIN, 1970, p. 125s.
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concept du détournement divin, et dans un oracle de jugement, prévient-il les chefs coupables de la maison de Jacob et Israël que la détresse et la souffrance les attend puisque : weyasetƝr pnyw mƝhem btƝt, « Il cachera/détournera sa face d’eux à ce moment » (Michée 3, 4). Cette dernière expression définit cependant un espace de temps limité, un intervalle provisoire où rien n’est définitif. Isaïe (8, 17), avise son auditoire fautif et responsable : weikîtî layhwh hammasetîr pnyw mibƝyt yataq¿b, « J’attendrai YHWH qui voile sa face à la maison de Jacob », et dont les exigences ont provoqué la colère divine, alors que Dieu n’est pas en cause. YHWH prend la parole pour reconnaître (Isaïe 54, 8) : hisetaretî pnay regat mimmƝk, « Je t’ai, un petit moment, dérobé ma face ». Si ce dernier récit d’Isaïe, se doit d’être interprété comme une référence à la destruction d’Israël, la notion du temps implique également une limite. L’infidélité évoquée en Ézéchiel (39, 23. 24), expose aussi la raison pour laquelle YHWH a détourné sa face de son peuple. Jérémie (33, 5) révèle la colère divine manifestée envers Jérusalem et qui s’est déchaînée après qu’il en ait détourné sa face. Elihou, dans le livre de Job, se propose d’analyser ce choix de YHWH afin d’en saisir les motivations qui questionne (13, 24) : « Quand il cache sa face qui pourra le voir ? » (34, 29). Seules trois occurrences de cette formule s’appliquant à YHWH, sont assurées dans les deux derniers chapitres du Deutéronome. L’une d’elle, se rapporte au serment divin fait au patriarche Moïse et anticipant la trahison de Dieu par son peuple apostat : bayyôm hahûu… wehisetaretî pnay, « Ce jour-là… je (leur) déroberai ma face » (Deutéronome 31, 17)38, qui s’affirme plus vigoureusement encore dans le Cantique qui suit (Deutéronome 32, 20). En outre, la complexité polysémique du terme : pnîm, « face/faces », enrichit l’approche de ce thème. Ainsi, Dieu en se détournant, distrait sa colère puisqu’en effet ce terme, désigne également l’irritation divine (Psaume 34, 17). Aussi, aucune ambiguïté ne semble apparaître dans l’expression : star pnîm, qui peut alors signifier : « cacher/détourner sa colère » témoignant du choix de ne pas en faire état et/ou de l’écarter, et rejoignant le concept de la colère à l’origine de son détournement. Mais, elle peut aussi signifier qu’en raison de sa 38
DRIVER, PLUMMER et BRIDGE, 1902, p. 341, interprètent cette expression comme le fait de retirer sa faveur à son peuple, sans pour autant qu’il s’agisse d’un châtiment. Pour BRUEGGEMANN, 2001, p. 273, ces versets correspondent à la théologie du texte et à la promesse du jugement dont les textes prophétiques se font l’écho.
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colère, YHWH se détourne. Le Psaume 51, 11 prend ici tout son sens, où l’orant, conscient et coupable, requiert de la divinité de « détourner sa colère » de ses péchés tout en « détournant ses faces », dans un contexte inversé, en signe de pardon39. Ce texte évoque l’ire divine et ses conséquences. YHWH peut ainsi et aussi éviter à l’orant le pire que pourrait être l’expression de son irritation et de ses conséquences, quand bien même il connaît les péchés humains. Cette forme de générosité à l‘égard de l’espèce humaine imprègne un texte qui manifeste à quel point les effets peuvent éventuellement en être poignants. Aucune de ces significations n’exclut l’autre, qui se complètent, se cumulent et sont dépendantes des contextes. Par ailleurs, une affirmation divine exprimée devant Moïse souligne l’impossibilité pour l’être humain de voir Dieu : wayy¿umer l¿u tûkal lireu¿t uet pny kî l¿u yiruanî hudm wy : « Et il dit : « Tu ne saurais voir ma face, car nul homme ne peut me voir et vivre » (Exode 33, 20), et réitère : ûpnay l¿u yƝruû : « Mais mon visage/ma face ne sera pas vu(e) » (Exode 33, 23), témoignant du défaut de réciprocité. L’apparente ambiguïté de cette formulation souligne le désir de protection de son peuple par YHWH, en raison du danger de mort encouru, et sans signifier son abandon, comme le pose l’interrogation récurrente de l’orant des Psaumes. S’adressant à YHWH, lors de l’exil, le prophète déplore (Isaïe 45, 15) : ukƝn uath uƝl misetatƝr, « Vraiment, tu es un Dieu caché/qui se cache », n’employant pas la seconde partie de la formule, « ta/tes faces ». Dans cette représentation, le prophète témoigne de sa profession de foi, qui espère le renouveau de la présence divine et perçoit douloureusement son absence40. Dans le même temps, cette observation exprime et donne forme à la conscience d’un dieu qui n’est pas disparu, puisque le fait de se cacher, se soustraire, se dissimuler n’est aucunement équivalent à celui de s’absenter. En outre, la disparition du sanctuaire à ce moment mène vers d’autres chemins et d’autres seuils permettant l’accès à Dieu. Affirmé dans un contexte de souffrance et d’inquiétude, ce motif est particulièrement présent dans les textes de lamentations et les prophètes, dont l’objet, le plus souvent, après l’avoir éprouvé, est d’en 39
DALGLICH, 1962, p. 145. TERRIEN, 1978, p. 321s. Selon BLENKINSOPP, 2002, p. 258-259, cette affirmation comporte une connotation positive. BRUEGGEMANN, 1984, p. 170, observe, qu’à compter de l’oracle de Cyrus dans le Second Isaïe, l’action divine dans l’histoire est dorénavant cachée. 40
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appeler à YHWH. Si la colère divine à l’origine de ce choix est parfois clairement assurée (Psaume 27, 9), le péché et/ou l’iniquité qui l’entraînent, le sont tout autant (Psaume 51, 11), qui provoquent la disparition et l’abandon divins41, apparents. D’autres expressions évoquant son absence sont transmises par des pages qui témoignent du choix de cette démonstration de mécontentement envers son peuple, par laquelle YHWH lui retire sa faveur42. L’orant des Psaumes l’interpelle : « Pourquoi, ô YHWH… te dérobes-tu au temps de la détresse ? » (Psaume 10, 1) ou l’implore : « Ne te dérobes point à ma supplication » (Psaume 55, 1), où le verbe : tlam, « cacher/se cacher/se dérober », représente une divinité s’efforçant de se soustraire et éluder la réponse espérée ou attendue. Employé une seule et unique fois dans l’expression : « détourner sa face », le verbe : sbab, usité dans le serment divin qui annonce la fin d’Israël, affirme un courroux annonciateur du jugement et du châtiment qui s’ensuivra, puis assure : wahasib¿tî pnay, « Je détournerai ma face » (Ézéchiel 7, 22)43. Et, l’unique occurrence de cette construction : « Et il ne détournera pas sa face de vous, si vous revenez à lui » (2 Chroniques 30, 9), dans la promesse d’Ézéchias, emploie le verbe : sûr, qui prend ici le même sens. Les verbes : star, sbab et sûr, apparaissent ainsi interchangeables en ces circonstances particulières44, mettant en scène une image de YHWH qui se tourne vers un ailleurs afin d’éviter l’orant et/ou le peuple. D’autres concepts portent témoignage du sentiment de distance établi par YHWH d’avec son peuple. L’un d’eux s’exprime au travers de l’affirmation de la mise à l’écart divine, aussi le reproche suivant taraude-t-il le poète : « Pourquoi, ô YHWH, te tiens-tu éloigné ? » (Psaume 10, 1), à moins qu’il le supplie de ne pas se mettre à distance (Psaume 22, 12. 20 ; 35, 22 ; 38, 22 ; 71, 12), car l’angoisse est proche, explique-t-il. L’usage dans ces poèmes, du verbe : raq, « être/rester loin/éloigner/s’éloigner/s’abstenir/se garder de », évoque Pour BLOCK, 1998, p. 484, excepté en Job 13, 14 et nzéchiel 34, 29, toutes les occurrences de cette expression constituent la réponse implicite ou explicite à la trahison de l’alliance. 42 ANDERSON, 1972, p. 243. 43 COOKE, 1936, p. 82, note que cette expression n’est attestée nulle part ailleurs à propos de YHWH. Selon CARLEY, 1974, p. 49, cette formule est à comprendre en termes de bénédiction invoquant Dieu, qui cependant se détourne afin qu’une malédiction s’abatte dorénavant sur son peuple, pays et/ou temple. 44 BALENTINE, 1980, p. 149. 41
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l’expérience vécue par l’orant de la distance tant dans le temps que l’espace, selon deux axes de séparation, l’un cosmologique et l’autre historique45, d’avec Dieu se tenant à l’écart, et qui : « retire sa protection »46. Prophètes et lois évoquent, en outre, une autre approche. YHWH prévoit le comportement déviant de son peuple, et annonce sa probable absence. Il présage son regret, alors que le peuple constatera que son Dieu n’est plus : qrab, « près » de lui (Deutéronome 31, 17), et cette formule s’accompagne des autres expressions de sa colère dont une des conséquences devant l’infidélité est augurée par l’expression : wehisetaretî pnay, « Et je détournerai/cacherai ma face », qui ferme tout accès à l’aide divine face à la détresse populaire. L’emploi de cette formule positive peut, par ailleurs, témoigner d’une promesse mensongère affirmée par les chefs et seigneurs de la maison de Jacob et Israël : « Certes, YHWH est au milieu de nous » (Michée 3, 11), afin de se rassurer. De fait, l’emploi de cette expression, constitue la réponse divine à la trahison de son peuple, qui n’en perçoit plus l’immanence et s’emplit du sentiment que Dieu n’est plus au milieu de lui47. Sommeil, oubli Parmi les manifestations d’absence, l’ensommeillement divin, est mis en cause, lors des épreuves vécues par le peuple qui interpelle Dieu avec inquiétude dans une sorte de lamentation populaire48, alors qu’il constate la suspension du lien divin. De fait, l’emploi du verbe : yÎan, est attesté une unique fois lorsqu’il s’agit de Dieu qui se voit ainsi apostrophé : « Pourquoi : yÎan, « dors-tu » (n’agis-tu pas) (Psaume 44, 24). Constatant le sommeil de Dieu le psalmiste en requiert dans sa prière : « Réveille-toi », afin que justice lui soit rendue (Psaume 35, 23), ou que les peuples barbares prêts au combat soient châtiés (Psaume 59, 5-6)49. Cette formule semble exprimer une
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Pour KSELMAN, 1982, p. 183-184, ces deux axes sont annoncés dans les versets du Psaume 22, 2-3, élaborés dans le verset 4 (aspect spatial), et 5-6, 10-11 (aspect temporel). 46 LINSDTRÖM, 1994, p. 76. 47 FRIEDMAN, 1977, p. 147. 48 BATTO, 1987, p. 153-177, rapporte qu’au contraire, dans le Psaume 121, Dieu est présenté comme éternellement vigilant et ne dormant jamais. OESTERLEY, 1953, p. 248, y voit une sorte d’irrévérence formelle. 49 DUHM, 1899, p. 25.
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apparente inattention divine lors de périodes de détresse50. Pour autant, la mise en en parallèle du Psaume 121, 4, affirmant à l’inverse que le gardien d’Israël : « ne s’endort ni ne sommeille », souligne une vision opposée et dont l’objet se veut alors rassurant puisque YHWH veille. L’oubli s’inscrit parmi les diverses formes adoptées dans l’espace de l’absence divine, et par trois fois cette notion, où le sujet du verbe : Îka, « oublier » est Dieu, est associée à la représentation de dieu cachant sa face/ses faces (Psaume 10, 11 ; 13, 2 ; 44, 25)51. Ainsi, la question suivante émerge : « Oublies-tu notre misère et notre oppression ? » (Psaume 44, 25b). Et, le texte des Lamentations (5, 20) interroge : « Pourquoi nous oublies-tu si obstinément, nous délaisses-tu de si longs jours », associant les verbes : Îka, et tzab, « abandonner », qui après ce reproche proteste et requiert : « Ramènenous vers toi, YHWH, nous voulons te revenir ; renouvelle pour nous les jours d’autrefois » (5, 21). L’impératif négatif est également assuré, qui use de ce verbe dans ses suppliques, et exige : « N’oublie pas à jamais l’existence de tes pauvres » (74, 19). Une autre forme grammaticale où Dieu est évoqué à la troisième personne du singulier, est également présente dans un texte des Psaumes qui affirme : « Il n’oublie point le cri des humbles » (9, 13), tandis qu’un autre assure à l’inverse : « Dieu est sujet à l’oubli, il cache sa face ; jamais il ne voit (rien) » (10, 11), unissant trois formes d’absence et/ou d’abandon, et 50
BRIGGS, 1906, p. 382. DAHOOD, 1965, p. 267-268. ANDERSON, 1972, p. 345, 436. KRAUS, 1959-1960, p. 58, reprend à son compte la théorie de l’origine mythique et rituelle de cette formule, mais récuse tout lien avec le culte de la divinité de la végétation, déjà perdu lorsque appliquée à YHWH dans la tradition biblique. COHEN, 1945, p. 139. Ces auteurs considèrent à juste titre que le sommeil de YHWH en Psaume 44, 24 doit être admis comme métaphore. WIDENGREN, 1958, p. 149203, propose d’interpréter l’expression : « Réveille-toi » comme une formule cultuelle vestige du culte de Tammouz, divinité mourante et renaissante de la végétation. WEISER, 1962, p. 39, se montre plus prudent, quant au lien possible entre cette expression et la liturgie type dédiée à Tammouz. WEIPPERT, 1984, p. 7587, après avoir comparé les textes du Proche-Orient ancien qui décrivent des divinités n’exerçant pas leur activité durant la nuit lorsqu’ils dorment, suggère que certains en Israël considèrent que YHWH dort lorsque les innocents sont oppressés. BATTO, 1987, p. 164-177, après avoir étudié ce motif dans le contexte procheoriental, conclut que les auteurs de l’Ancien Testament se sont appropriés ce motif de la « divinité dormante », et l’ont employé comme motif de requête auprès de YHWH afin de les secourir en des temps d’oppression. 51 Le nombre d’attestations où Dieu est le sujet de ce verbe s’élève à dix-sept : Psaumes 9, 13; 10, 11. 12 ; 13, 2 ; 42, 10 ; 44, 25 ; 74, 19 ; 23, 77 ; 1 Samuel 1, 11; Lamentations 2, 6 ; 5, 20.
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les trois verbes correspondant : Îka, « oublier », star, « cacher » et ruh, « voir », et ajoute une supplique : « N’oublie point les humbles » (10, 12). La redondante prière de Hannah contient une formule proche : « Si tu daignes… te souvenir d’elle et ne point l’oublier » (1 Samuel 1, 11). La littérature prophétique mentionne cette notion dans des contextes proches, et Osée en est le témoin privilégié, qui rapporte cette divine promesse menaçante : « Moi de même, j’oublierai tes enfants » (Osée 4, 6), instaurant l’oubli divin comme conséquence de leurs péchés52. L’emploi de ce même verbe souligne tant la culpabilité d’Israël qu’une équivalence avec le châtiment divin, alors que Dieu chasse son peuple de sa mémoire et choisit ainsi une forme d’abandon de celui-ci, conséquence de l’oubli de la loi et de celui de Dieu. Isaïe rapporte l’affirmation du peuple qui, lors de l’exil, proteste en rapprochant deux verbes afin de renforcer l’expression de sa douleur : « YHWH m’a : tzab, « délaissé », le Seigneur m’a : Îka, « oublié » (49, 1415), à un moment où, dans un vide cultuel, il n’a pas encore expérimenté, perçu, et/ou intériorisé la transcendance de la présence divine hors du sanctuaire et de ses célébrations par sa spiritualité. Aussi, le psalmiste devient-il un instrument de la révélation53. L’abandon, le rejet Le thème de l’abandon divin peut s’enrichir d’autres formulations sémantiques. Parmi l’une d’elles, un complément descriptif peut être associé à l’expression « cacher ses faces », ainsi le verbe : tzab, « abandonner/délaisser », figurant dans le Psaume 27, 9 : « Ne me cache point ta face… ni ne m’abandonne ». Parfois, ce terme figure seul, dans un impératif négatif à l’adresse de Dieu : « Ne m’abandonnes pas » (Psaume 71, 9. 18), qui exprime également l’appréhension de l’orant54. Celui-ci peut aussi affirmer avec espoir que YHWH n’abandonne pas son peuple (Psaume 94, 4). L’émouvant appel du poète du Psaume 22 : uƝlî uƝlî lmh tazabetnî, « Mon Dieu, Mon Dieu, à quoi/pourquoi m’as-tu abandonné »55, loin de me : Îûta, 52
WOLFF, 1961, p. xxx, 1, 40, 226. WEINFELD, 1972, p. 367s. TERRIEN, 1978, p. 337. 54 MELANCHTHON, 2001, informe de l’emploi de ce verbe quarante-quatre fois en référence à Dieu, cinq dans la torah, trois en Josué et 2 Rois, huit en Esdras/Néhémie, quatorze dans les Psaumes/Lamentations, et quatorze dans les prophètes (tableau 2 : 1). 55 Selon TERRIEN, 1978, p. 321, cette expression de douleur, montre que l’auteur était un poète de la présence cultuelle, mais ignorait le mythe de l’espace saint, 53
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« porter secours », et : diberƝi Îauagtî, « de mes paroles plaintives » (Psaume 22, 2), ajoutant « Mon Dieu : qru, « j’appelle » de jour et tu ne me : tnh, « réponds/exauce » pas », même de nuit, je ne trouve pas de : dûmîh, « silence (je ne me tais pas)/repos » pour moi » (Psaume 22, 2-3), manifeste par son langage et sa perception de la distance et du silence divins une souffrance, un désespoir et une inquiétude affirmés clairement : « Car : Ñrh, « l’angoisse/l'ennemie/la peine » est proche et nul n’est là pour : tzar, « m’aider/me secourir/me soutenir » (Psaume 22, 12). Une double interprétation peut être apportée au cri du psalmiste : lmh, « à quoi » et/ou « pourquoi », qui cherche à savoir à quel sort il est destiné icibas et dans le même temps questionne la compréhension de son sort et des malheurs advenus et à venir. À propos de l’exil, le prophète Isaïe (54, 7-8), restitue les paroles divines de consolation destinées au peuple et se rapportant au renouveau de Jérusalem56 : beregat qÓ¿n tazabetîk, « Pour un court moment, je t’ai délaissée » (54, 7), reliant cette réalité à la formule « cacher sa face ». Et Sion accuse : « YHWH m’a abandonné » (Isaïe 49, 14). Pour autant, Dieu peut, au contraire, s’obliger envers son peuple à ne pas l’abandonner (Isaïe 41, 17). Dans le récit de 1 Samuel 28, 15, Saül constate avec désespoir et accuse : « Dieu m’abandonne » adoptant le verbe : mtal, « trahir/agir perfidement »57. Divers verbes ou formulations expriment le rejet ou certaines de ses nuances, alors que Dieu, toujours actif, et qui ne se contente plus de se détourner, de se cacher, d’agir sur lui-même, s’emploie à écarter et repousser son peuple alors proscrit. Pris de colère, il s’adresse au prophète Jérémie, lui ordonne de transmettre son refus de toute médiation possible : « Quand Moïse et Samuel se présenteraient : lipenê, « devant » moi, mon âme ne se tournerait pas vers ce peuple » et en exige : Îla, « renvoie-le » hors de ma présence, et qu’il : yÑu, « sorte » (15, 1). Cette fois, Dieu n’est plus le sujet du détournement, mais sa demande exprime la nécessaire mise en mouvement du peuple, conséquence de son rejet absolu, exigée pour un ailleurs destructeur et spécifiée avec dureté dans les vers suivants. substituant la réalité d’un acte de prière offerte par l’ensemble de la communauté du peuple de Dieu. 56 WATTS, 1987, p. 237, rappelle la métaphore employée par le prophète où Dieu compare sa cité à une femme abandonnée pour un court instant, désolée, et qui dorénavant recouvre l’affection de son époux après leur union malmenée (Isaïe 54, 6-8). 57 Voir le récit p. s.
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Figurant parmi les termes plus usités, le verbe : muas, « rejeter/dédaigner/mépriser »58, adopte tant Dieu que l’homme comme sujet. Psaumes et narrations mentionnent ce motif, et les prophètes témoignent de cette forme de rupture. Ainsi, Osée 4, 6 met en parallèle le rejet par le peuple et ses représentants religieux, de la connaissance et de l’intelligence des lois divines et de l’alliance, et celui, en réponse et par réciprocité, de Dieu qui explique : « Puisque tu as : muas, « rejeté » toi la : datat, « l’intelligence/connaissance/sagesse », wuemeuseuk mikahƝn lî, « Ainsi je te rejette/je ne souffre pas que tu exerces mon sacerdoce ». Osée 9, 17 évoque les mêmes causes produisant les mêmes effets : « Mon Dieu les : « rejette/dédaigne/méprise » avec mépris, car ils ne l’ont pas écouté ». Parfois employé de concert avec un autre terme équivalent, il ajoute à la violence du rejet. Parmi les questions inquiètes que posent à Dieu les prophètes, l’une d’elles dans son extrême préoccupation et infortune, interroge : hamus muaset uet yehûdh uim beÑiyyôn gtalh napeÎek, « As-tu complètement repoussé Juda, Ton âme a-t-elle pris Sion en dégoût ? » (Jérémie 14, 19), qui relie les deux verbes : muas et gtal, « rejeter/répudier/avoir en abomination »59. Leur association renforce l’intensité du rejet et le désespoir du prophète. Dieu prenant son peuple en horreur, le repousse et le rejette, et cause et conséquence se retrouvent dans un même verbe. Il est trop tard, les prières du peuple, sincères ou non, n’ont plus d’effet, le jugement divin est tombé60. Ce verset éclaire l’angoisse du prophète face à la situation dramatique, qui supplie : zek¿r ual tper berîtek uitnû, « Souviens-toi, ne romps/découds pas ton alliance avec nous » (Jérémie 14, 21), et présente une défense individuelle préoccupée de son destin et de ses souffrances : « Souviens-toi de moi » (15, 15)61. Par ailleurs, lui annonçant le courroux divin et ses conséquences, Jérémie avertit le peuple : kî muas yhwh wayytt¿Î uet dôr tebertô, « Car YHWH rejette, abandonne la génération de sa colère », usant conjointement des deux termes : muas, « rejeter » et : nÓaÎ, « délaisser, abandonner » (7, 29), et cette autre association consolide la puissance du détournement divin annoncé et la vulnérabilité de 58
Ce terme est attesté une fois dans le Pentateuque, six dans Josué/1 et 2 Rois, trois dans les textes de sagesse, sept dans les Psaumes et treize dans les prophètes avec Dieu comme sujet, (voir tableau 2 :1) dans MELANCHTHON, 2001, (n. 28). 59 Ce terme est assuré trois fois dans le Pentateuque, et deux dans les prophètes avec Dieu comme sujet, (voir tableau 2 :1) dans Melanchthon, 2001, (n. 28). 60 FRETHEIM, 2002, p. 230. 61 GERSTENBERGER, 1963, p. 401, rappelle que dans ce texte le destin du prophète est mis en relation avec les péchés du peuple et sa punition. Sa rébellion est la cause immédiate de sa détresse, et sa souffrance est représentative de la souffrance divine.
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Jérusalem et du royaume de Juda, assaillis par les armées babyloniennes (33, 5). Ce concept est encore évoqué dans un texte de loi : wegtalh napeÎî uetekem, « Mon âme vous aura en horreur » (Lévitique 26, 30), qui conclut ainsi la liste des futurs malheurs du peuple idolâtre. Cet oracle de jugement trouve un parallèle en Amos 5, 21 et Ézéchiel 29, 5 ; 32, 4. Aussi, cette expression du désespoir mène-t-elle vers l’interrogation existentielle de la brisure de l’alliance à ce moment, ou plus précisément de la vitalité de la relation contractuelle entre YHWH et son peuple, à moins que l’élection ne se soit transformée en rejet puis suspendue, expliquant son abandon. L’emploi, juxtaposé, des verbes : bar, « choisir » et muas, en diverses occurrences, soulève et répand la clarté sur cette problématique. Ainsi, Dieu promet : « Je rejetterai cette ville que j’avais choisie » (2 Rois, 23, 27). Et, dans le Psaume 78, 67-68, il rejette le tabernacle de Joseph, et ne choisit pas la tribu d’Ephraïm mais celle de Juda qu’il aime62. La parole divine transmise par Jérémie (33, 24), accuse et dénonce ceux qui affirment : « Les deux familles que YHWH avait : bar, « élues », il les a : muas, « rejetées ». Dans cet esprit, Isaïe évoquant l’alliance (41, 9), cite les paroles divines adressées à Israël et Jacob : « Je t’ai choisi et je ne te rejette pas ». De fait, ces textes, n’évoquent jamais formellement le rejet de l’alliance par Dieu. Et, si la colère divine à la suite des péchés commis par le peuple, ses prêtres et ses dirigeants, provoque leur rejet puis leur châtiment, elle reste limitée dans le temps et l’espace, du fait que leur objet absolu demeure la prise de conscience et le retour du peuple vers son Dieu63. La formulation du Psaume 89 met en exergue l’action divine, et lui reproche : « Tu l’as délaissé et rejeté, ton élu » (39), qui assemble les deux verbes : zna et muas. Les prophètes ne manquent pas d’user de ce même vocabulaire. Le verbe : zna, « délaisser/devenir infidèle » peut accompagner également l’expression « cacher ses
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KÖHLER, 1957, p. 81-82, relie le concept de rejet au statut du dogme, équivalent au concept de choix. Le Psaume 78, 67-68, prendrait du sens seulement après 722/721. Ainsi, l’élection se tient côte à côte avec le rejet et en conséquence la nécessité du renouvellement ou de la réélection du peuple, car la première alliance aurait été brisée. Néanmoins, VRIEZEN, 1953, p. 98-108, comprend le rejet d’Ephraïm comme une conséquence de son idolâtrie. 63 RAITT, 1977, p. 59-82.
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faces » (Psaume 88, 15)64, ou non, qui figure dans une critique à l’attention de Dieu renversant le reproche usuel dont celui-ci use envers son peuple : « Tu nous as délaissés/tu nous as été infidèle » (Psaume 60, 3. 12), ou exprimant un questionnement : « Pourquoi m’as-tu délaissé ? » (Psaume 43, 2 ; 74, 1). Il implique le rejet, le bannissement et figure également dans des contextes évoquant l’intention de tuer (Psaume 60, 3. 12). Parfois employé à l’impératif par l’orant dans sa prière, le verbe : nÓaÎ, « repousser »65, attesté en Psaume 27, 9, exprime la profondeur de son désarroi : « Ne repousse pas ton serviteur avec colère ». Ce dernier verbe s’enrichit de variations polysémiques, telles : « jeter/rejeter/délaisser », aussi YHWH menace-t-il : lkƝn hinenî wenÎîtî uetekem nοu wenÓaÎetî uetekem weuet htîr uaÎer ntatî lkem… mƝtal pny, « C’est pourquoi voici, je vous abandonnerai entièrement et je vous rejetterai vous et la ville que je vous ai donnée… de devant ma face » (Jérémie 23, 39), où ce terme jumelé avec le verbe : nÎh, « négliger/abandonner/oublier » accompagné d’un infinitif, renforce l’intensité du rejet et laisse entrevoir la fureur divine. Parfois, le poète, dans sa souffrance, affirme qu’il a été : graÎ, « chassé/rejeté » de la vue divine, mais sans pour autant porter d’accusation ou proposer d’explication à cette situation (Psaume 31, 23 ; Jonas 2, 5). Assuré à deux reprises dans les textes bibliques, le terme : nuar, « rejeter avec horreur/rompre »66, s’applique à la rupture de l’alliance dont le psalmiste accuse Dieu (Psaume 89, 40), et au sanctuaire (Lamentations 22, 7)67. Enfin, le verbe : rph au hiphil, peut signifier également : « abandonner/quitter/laisser » (Deutéronome 4, 31)68. Anticipant sa récusation par son peuple, Dieu 64
YARON, p. 239, propose de traduire ce verbe dans le Psaume 88, 15 par : « être en colère ». Ce verbe est attesté 13 fois dans les Psaumes, 2 fois dans les prophètes, et un en Esdras/Néhémie, (voir tableau 2 :1) dans MELANCHTHON, 2001, (n. 28). 65 En référence à Dieu, il est assuré 4 fois en Josué/ 1 et 2 Rois, 3 fois dans les Psaumes et 7 dans les prophètes, (voir tableau 2 :1) dans MELANCHTHON, 2001, (n. 28). 66 Ce verbe est attesté par deux fois en référence à ce thème dans les Psaumes/Lamentations, (voir Tableau 2 : 1), dans MELANCHTHON, 2001, (n. 28). 67 Dans cette autre occurrence, son sens n’est pas absolument certain, puisqu’il peut signifier : « détruire ». 68 Ce verbe est distribué trois fois dans le Pentateuque, une fois en Josué/1 et 2 Rois, une fois en Esdras/Néhémie, 1 fois dans les Psaumes, en référence à Dieu, (voir Tableau 2 : 1), dans MELANCHTHON, 2001, (n. 28).
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affirme : Ils me rejetteront » (Deutéronome 31, 20), qui utilise le verbe : nuaÑ,69 au piel, et indique également le fait de : « irriter/outrager/mépriser/blasphémer »70. Autres aspects anthropomorphiques YHWH peut préférer d’autres modes de rejet, fermer ses différents sens à son peuple et s’enfermer, afin de lui murer tout accès, mais sans pour autant s’absenter. Ainsi, le psalmiste en témoigne, et l’implore de : uzan, « prêter l’oreille/être attentif », à sa prière (Psaume 55, 2), d’incliner vers lui son : u¿zen, « oreille » (Psaume 31, 3) ou la lui prêter (Psaume 143, 1). Ce choix, figure aussi dans les prophètes, et Michée rapporte l’assertion suivante, qui prédit : « Ensuite ils crieront vers Dieu, mais il ne les écoutera point » (Michée 3, 4), qui est couplée avec l’expression « cacher ses faces » et l’emploi du verbe : Îmat, « entendre/écouter/apprendre/exaucer/obéir » souligne le choix divin de ne prêter aucune attention ou écoute à son peuple. Le psalmiste peut affirmer au contraire, que YHWH : « a entendu/exaucé » sa supplication (Psaume 6, 9), ou l’implorer d’écouter sa prière (Psaume 143, 1). Jérémie assailli de tous côtés, persécuté et victime de complots, se tourne vers Dieu, et l’adjure instamment : haqeÎîbh yhwh uƝly, « ncoute-moi avec attention/Prête-moi ton oreille YHWH » (18, 19). Isaïe (1, 15) complète et restitue la promesse divine : « Dussiez-vous accumuler les prières, j’y resterai : ƝrƝÎ, « sourd », qui argumente : « vos mains sont pleines de sang », aussi aucune réponse n’est-elle à attendre, Juda est seul71. Habacuc (1, 2), expose son désespoir et son impatience : « Jusques à quand, ô YHWH, t’implorerai-je sans que tu « entendes » mon appel ? » devant le silence divin. La Lamentation (3, 56) emploie l’expression : « Ne dérobe pas ton oreille alors que je supplie pour ma délivrance », qui requiert l’attention divine. Le poète 69
Ce verbe est attesté une fois en référence à ce thème dans le Pentateuque, dans les Psaumes/Lamentations et dans les prophètes, (voir Tableau 2 : 1), dans MELANCHTHON, 2001, (n. 28). 70 Le motif du rejet figure dans des modèles de phrases différents. Il peut être affirmatif (29 occurrences), négatif ou suppliant (9 fois), interrogatif (11 fois), conditionnel ou futur (15 fois), ou confirmer une situation (40 fois), et cette cinquième catégorie reflète des variations considérables. Par ailleurs, l’auteur considère le motif de rejet comme trouvant son plus ancien usage et le plus significatif dans les Psaumes de lamentation, qui est adapté plus tard par les prophètes, MELANCHTHON, 2001, (n. 28), p. 49-53, 215s. 71 BRUEGGEMANN, 1984, p. 18.
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implore : « Dirige tes : patam, « pas/passage » vers Juda, exprimant le désir de retour de celui qui s’éloigne (Psaume 74, 3). Le psalmiste témoigne du raisonnement des malfaisants qui admettent, afin de se rassurer, que YHWH ne : ruh, « voit » jamais (rien) (Psaume 10, 11)72. Isaïe (1, 15), témoin de l’exaspération divine, rapporte encore ces paroles de YHWH : « Quand vous étendez les mains, je détourne de vous mes : tayin, « yeux/regards/face/source », qui n’admet aucune espérance du peuple, où ce terme rassemble des réalités complémentaires, causes et conséquences, puisque Dieu distrait son regard et/ou sa face, ne constituant plus la source de protection de son peuple. Dieu est questionné par le psalmiste : « Pourquoi tiens-tu ta : yd, « main »73 à l’écart ? nloigne ta : yemnî, « (main) droite » de ton : qereb, « intérieur (du corps) » ! » (74, 11). Le champ polysémique du terme : yd, cumule les significations de : « force/puissance/sphère de pouvoir », et de « direction », exprimant avec vigueur le retrait de la force divine du peuple, dorénavant hors de sa sphère de protection, et que Dieu cesse de mener vers la bonne direction. La seconde partie du verset, exprime une demande de soutien, de secours, puisque « se tenir à la droite de » signifie : « soutenir//protéger », alors que Dieu cache sa main et se cache au plus profond de lui-même. Néanmoins, le prophète constate qu’en certaines occurrences : « La main de YHWH n’est pas trop courte pour sauver, ni son oreille trop dure pour entendre. Il a détourné sa face de vous et cessé de vous écouter » (Isaïe 59, 1-2). D’autres formulations sont attestées, où le poète affirme en appelant à Dieu : « Je suis : graz, « coupé/retranché/rejeté », de devant tes yeux » (Psaume 31, 21). Dieu est toujours le sujet qui fuit et refuse de lui accorder le moindre témoignage de sollicitude ou même d’intérêt. L’emploi de nombreuses métaphores anthropomorphes attribuées à Dieu, met en exergue le rôle symbolique de la main, lorsqu’elle n’est pas tendue et/ou donnée afin d’apporter l’appui espéré, et du regard, qui se dirige vers un ailleurs, marquant l’abandon. Ce rejet fait ainsi penser à la plainte du psalmiste : « Ma voie est cachée à YHWH, mon droit échappe à Dieu » (Psaume 40, 27).
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REINDL, 1970, p. 92s. La main et/ou le bras divin sont, la plupart du temps, attestés en des occurrences où Dieu joue un rôle de guerrier, KORPEL, 1990, p. 111-112. 73
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L’orant peut réclamer la présence divine en employant le terme suivant : uôr, « Fais luire/éclaire » ta face sur ton serviteur » (Psaume 31, 17), ou bien encore : « nclaire mes yeux » (Psaume 13, 4). Le cri de désespoir rapporté par Jérémie (8, 19), emprunte une formulation qui reste rare et où Dieu entend et écoute une voix, un cri sous forme de questionnement de son peuple venant d’un pays lointain, qui constate et affirme dans le même temps que Dieu n’est plus en terre de Sion, que son roi n’y est plus, et : « ose penser l’impensable »74, auquel ni Jérusalem ni le temple ne peuvent offrir de refuge pour ce désastre à venir75. Outre les verbes marquant le rejet divin, d’autres formulations se rapportent au même motif et l’enrichissent. L’interrogation conditionnelle et divine : mî yitenƝnî bammidebr melôn u¿reîm weuetezebh uet tammî weuƝlekh mƝuitm : « Qui me placera/mettra/établira dans le désert, dans un refuge/auberge/hôtellerie de voyageurs ? Je pourrais laisser/délaisser/quitter mon peuple, m’en aller loin de lui » (Jérémie 9, 1), souligne subtilement la complexité de la situation et ne manque pas d’employer le verbe : tzab. Son accent poétique exprime avec délicatesse les émotions, le chagrin et la souffrance de Dieu, mettant son cœur à nu76, et le doute qui l’étreint. Ce questionnement laisse entendre une hésitation face à la possibilité d’abandon. De fait, en cette occurrence particulière, Dieu n’envisage pas vraiment d’être absent à son peuple, seul responsable par l’inversion des rôles et d’une telle déloyauté, qu’il ne souhaite pas le : ydat, « connaître » (Jérémie 9, 2). Aussi, sa malignité et sa folie causent-t-elle sa perte et son rejet. L’emploi du pronom interrogatif qui, souligne le souhait divin d’établir une distance géographique d’avec son peuple et le choix du désert, désignant un lieu écarté et inhabité, confirme cette réalité. L’image du verset ajoute le désir de partir, quitter un peuple devenu insupportable, et s’établir dans une auberge de voyageurs, simple maison où seuls les besoins vitaux peuvent être assouvis et lieu d’une telle simplicité que la paix intérieure peut éventuellement s’y recouvrer. Les voyageurs restent, en outre, reliés à la notion de passage, d’où la durée et l’attachement sont absents, et auxquels Dieu n’est pas tenu de s’attacher ou de s’intéresser, car ils ne sont pas son peuple. La souffrance qu’endure Dieu atteint un degré tel qu’il 74
BRUEGGEMANN, 1973, p. 362. STULMAN, 2005, p. 99-100. 76 FRETHEIM, 2002, p. 156, remarque qu’il n’est pas demandé aux lecteurs de la compassion, ou de s’identifier soit à un prophète soit à Dieu. 75
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implique le retrait vers des lieux de repos et le choix de la solitude et de la tranquillité. Dans le même temps, l’existence historique du royaume de Juda est parvenue à sa fin, conséquence concrète de l’abandon divin. L’aspect poignant du poème unit réalités et tourments inconsolables, tant du peuple que de Dieu, qui ne s’ouvrent sur aucune possibilité. Les formules qui expriment le silence divin évoquent une réponse qui ne vient pas. Quelques occurrences l’attestent. Le poète presse YHWH de ne pas se détourner en : Îah, « silence » (Psaume 28, 1 ; 83, 2), ou de ne pas : raÎ, « se taire »77 (Psaume 35, 22) ou encore de lui : tnh, « répondre » (Psaume 143, 1). Dieu se refuse à accorder la moindre attention à son peuple en certaines occurrences78, et Habacuc en témoigne qui l’interroge avec inquiétude : lmh taarîÎ, « Pourquoi… gardes-tu le silence ? » (1, 13). Ézéchiel 14, 3, porteur de la parole divine répond aux anciens d’Israël venus l’interroger par un questionnement : « Est-il possible que je me laisse interroger par eux », adoptant le verbe : draÎ lƝul¿hîm, qui signifie : « interroger/chercher/consulter/implorer/demander du secours à Dieu », et en 20, 3, leur répète avec fermeté: uim uidrƝÎ lkem, « Je ne me laisserai pas consulter par vous », choisissant le silence devant l’idolâtrie79. Michée 3, 7 affirme, en ce qui concerne les faux prophètes : « Aucune réponse ne leur viendra de Dieu », et cette communication interrompue dépeint le symptôme de la défaveur et de l’abandon divins. nvoqué en Job 34, 29, le silence divin associe détournement et mutisme lors d’une période d’infinie détresse : « Et s’il (quand il) est silencieux qui le lui reprochera ? Si (quand) il cache sa face, qui pourra le voir ? [il domine] et sur les nations et sur les individus », soulignant à quel point Dieu conserve à l’esprit les intérêts tant des individus que de son peuple, qui cherche à prévenir les hommes sans foi de continuer à régner et ruiner leur peuple80. Et, lorsque Dieu semble se cacher ou cesser d’influencer les événements qui se déroulent sur la terre, laissant un tyran régner sur une nation, il le 77
KORPEL et de MOOR, 2011, p. 35, ont décompté vingt-neuf occurrences de verbes et noms exprimant le silence divin, et parmi eux le verbe : Îah, attesté en Isaïe 6, 23 ; 42, 34 ; 57, 11 ; 64, 31 ; 65, 6. 78 KORPEL et de MOOR, 2011, p. 59-70, remarquent avec une infinie justesse qu’un Dieu silencieux peut cependant être attentif ou avoir des raisons de garder le silence. 79 BLOCK, 1997, p. 426, souligne l’incongruité de leur démarche, alors qu’ils ont participé aux manifestations d’idolâtrie. 80 DRIVER et GRAY, 1921, p. 301.
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contrôle néanmoins et ne lui permet pas de conserver son pouvoir indéfiniment. De fait, si Dieu n’inscrit pas son temps dans celui de l’humain, il ne perd pas sa souveraineté81. Le choix du mutisme divin est largement dépeint dans les récits du Premier Livre de Samuel. Ainsi, parmi les évocations narratives, deux textes se réfèrent à Saül confronté à l’absence divine (1 Samuel 14, 37 ; 28, 6). La première évoque la décision du souverain de poursuivre les Philistins durant la nuit après les avoir battu le jour (1 Samuel 14, 31-36). En dépit du blanc-seing donné par le peuple, le prêtre présent propose de s’adresser au Seigneur. Saül obtempère et le consulte afin d’en décider et connaître l’issue du combat, mais le récit confie au lecteur : wel¿u tnhû bayôm hahûu, « Il ne lui fut pas répondu pour ce jour » (1 Samuel 14, 36-37). La forme verbale du verbe : tnh, « répondre/être affligé » souligne jusqu’à l’absence du nom divin, et le pronom personnel neutre introduit le verbe employé impersonnellement et dont le sujet ne peut être déterminé. L’intervention du prêtre provoque une crise inattendue, tandis que le souverain n’a pas exprimé le moindre doute. Quel est l’intérêt de cette situation qui, en l’espace d’un instant, devient tragique ? Quelle démonstration le texte désire-t-il réaliser ? Unique réponse à cette crise, le silence, expression du langage divin82, renvoie le souverain à sa propre réflexion. Il ne doit pas attendre du ciel la réponse à ses questionnements intérieurs, mais la trouver en luimême. L’exigence divine implique un discernement et une attitude accomplis du souverain choisi. En cette occurrence, le silence joue un rôle spécifique. Interrompant la parole, le bruit et les bruits, il devient précieux, favorise le repli sur soi et son corollaire qu’est la réflexion. De fait, YHWH n’est jamais loin, et s’il est caché aux yeux des orants et/ou de son peuple, ne manque pas d’être attentif. Par cet état de fait, il livre un secret et attend du souverain qu’il a distingué pour ses nombreuses qualités et, responsabilisé une réponse. Dieu ne saurait répondre à toutes les questions et dénouer toutes les situations. Infiniment poignant, un autre évènement dont la dramaturgie dévoile plus précisément certains modes d’accès à la divinité, engloutit Saül face au silence divin, alors que les Philistins rassemblent leurs troupes, se préparant à attaquer l’armée d’Israël. À la vue de leur armée, le souverain est saisi d’effroi et : Îtl bayhwh, « consulte YHWH », qui : 81 82
GOOD, 1990, p. 459. CRAIG Jr., 2000, p. 50.
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« ne lui répondit pas », ni par les songes, ni les ourîm, et les prophètes/ voyants (1 Samuel 28, 5-6). La répétition de la conjonction négative renforce la valeur du silence divin. Saül qui, à certains moments, a été habité par l’esprit divin, ne voit plus rien, reste dans le noir de la nuit et l’absence de vision prophétique. Le prophète Samuel reproche au souverain qui l’a convoqué de l’au-delà : « Pourquoi as-tu troublé mon repos en me faisant évoquer ? », et ce dernier lui avoue : « ma détresse est grande », évoquant l’attaque imminente des Philistins. Puis il ajoute que Dieu : srh, l’ « abandonne », et ne : tnan, « répond/tire plus d’augure » plus, ni par l’entremise des prophètes ni par des songes » (1 Samuel 28, 15). En présence de Samuel, il omet la mention des : ourîm. Le roi se plaint au prophète défunt de ce que Dieu cette fois, ne lui réponde pas, comme si à aucun moment il n’avait vécu l’absence divine. Or, le narrateur sait qu’il n’en est rien, et que le silence divin perdure. Mais, la première occurrence (1 Samuel 14, 37), alors que Saül n’avait pas insisté afin d’obtenir une réponse, ne semble pas avoir pesé aussi lourd que la seconde. En outre, le silence divin se limitait : « pour ce jour » (1 Samuel 14, 37). Et, le roi ne doutait pas alors. Aussi interroge-t-il Samuel dont il attend les conseils sur ce qu’il doit entreprendre : « Pour que tu m’apprennes ce que je dois faire » et le texte compose un parallèle avec la recommandation du prophète le jour où il a oint le roi : « Je te dirai ce que tu feras » (1 Samuel 10, 8), mais l’analogie s’arrête là, puisque Saül est cette fois en demande. Samuel confirme le détournement divin de Saül en faveur de David, éclaircissant les circonstances avec des mots très durs qui ne laissent plus aucun doute : « Pourquoi me demandes-tu, alors que YHWH s’est : srh, « détourné » de toi/est devenu ton ennemi/adversaire pour ton rival » (1 Samuel 28, 16). La répétition d’une question introduite par le pronom interrogatif pourquoi, marque l’impatience du prophète agacé par un souverain qui donne le sentiment de ne pas pouvoir ou vouloir saisir la situation mais de fait se refuse à accepter la réponse de YHWH adoptant la forme du silence. Mais, son destin est résolu depuis longtemps (1 Samuel 13, 14 ; 15, 26). De fait, si dans ces récits, l’absence et le silence divin ne sont traduits par aucun terme, ces situations l’expriment clairement. Le souverain abandonné va vers sa disparition. Par ailleurs, l’homme dispose de divers moyens lui permettant d’établir un lien avec la divinité, et lorsqu’ils ne le permettent pas, Dieu envoie un signe de désintérêt et de défaveur. Ainsi, le récit figurant en 1 Samuel 3, 1 l’affirme : « En ces jours, la parole de 99
YHWH était : yqr, « précieuse/rare », la prophétie n’était pas : praÑ, « révélée/répandue ». Et, de fait, il évite le prêtre qui ne reconnaît pas sa voix lorsqu’il l’entend (3, 4-18). Dieu prend l’initiative, s’adressant à une personne dont il fait son prophète, ou pas83. Par ailleurs, le royaume de l’au-delà et ses habitants sembleraient un espace oublié de Dieu mais la réciproque paraît vraie également. Le Psaume 115, 16-17 l’exprime, définissant l’espace divin comme celui des cieux tandis que le shéol ne permet pas aux défunts de l’implorer ou l’apostropher. L’absence divine dans la mort est également attestée dans le Psaume 6, 6 qui affirme à Dieu : « Car dans la mort ton souvenir est effacé ; dans le shéol qui te rend hommage ? » et le Psaume 88, 11 questionne : « Est-ce pour les morts que tu fais des miracles ? ». Dans ce dernier texte, le poète déclare au sujet des défunts que Dieu n’en garde pas souvenir et qu’ils sont retranchés de sa main (Psaume 88, 6). Ces exemples évoquent la mutuelle séparation entre Dieu et les humains dans ce cadre particulier, mais expriment essentiellement un sentiment de négligence divine, qui s’enracine dans les crises traversées jusqu’à l’ultime qu’est la mort84. Néanmoins, cette approche se voit largement remise en cause par d’autres textes. Ainsi, le Psaume 139, 8 assure : « Si je fais du shéol ma couche, te voici encore ! », et le poète conscient, affirme : « Où me retirerais-je devant ton esprit ? Où chercherai-je un refuge (pour me dérober) à ta face ? » (139, 7), car aucun lieu, fût-il l’au-delà n’échappe à la clairvoyance divine. En outre, le questionnement adoptant la forme adverbiale : uayƝh, « où ? », exprime le sentiment de l’absence divine et ses manifestations. De fait, les actes divins, d’ores et déjà survenus dans le passé, et attestés par les prophètes en constituent le versant positif. Ce sentiment de désintérêt divin est assuré en Jérémie 2, 8, mettant en cause les responsables religieux qui n’ont pas demandé : « Où est Dieu ». Job 35, 10 pose encore cette même question, tout autant que Malachie 2, 17. Interrogations et demandes, accompagnant l’inquiétude liée à l’idée de l’absence divine, sont nombreuses. Pour autant, la diversité des situations met en exergue les actes passés de délivrance divins et l’attente de leur renouvellement. Certains parmi les textes de Jérémie évoquent aussi bien l’absence et la présence divine, qui font fleurir les questions. Celle posée en Jérémie 2, 6, 83 84
SANDERS, 2013, p. 136-137. BURNETT, 2013. p. 36-37.
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rapportant la parole divine reprochant aux Israélites d’avoir fui Dieu et n’avoir pas demandé : uayyƝh yhwh hamataleh u¿tnû mƝuereÑ miÑeryim, « Où est YHWH, qui nous a fait monter du pays d’Égypte ? », est parallèle à la structure employée par le prophète s’adressant au peuple et parodiant cette formule à propos des idoles : « Où sont tes dieux que tu t’es fait pour toi ? » (Jérémie 2, 28). Le psalmiste se voit poser la question suivante par ses ennemis : « Où est ton Dieu ? » (42, 4), qui est destinée à ajouter à sa détresse et son angoisse. Et, d’autres provocations figurent dans les textes du poète : « Pourquoi les peuples diraient-ils : où est leur Dieu ? » (Psaume 79, 10 ; 115, 2)85. Le Psaume de lamentation conservé en Isaïe 63, 11b-12a.15, emploie plus précisément cet adverbe interrogatif afin de le relier aux réalisations divines. Le texte adressé directement à la divinité, lui rappelle ses actes passés en faveur de son peuple comme modèle à appliquer à nouveau et souligne son inaction actuelle et son silence. Il figure encore en Jérémie 17, 15, qui place cette question railleuse dans la bouche des ennemis : uayyƝh debar yhwh, « Où est la parole de YHWH ? », et en Psaume 89, 50 : « Où sont tes anciens bienfaits ? ». Diverses attestations onomastiques révèlent cette même problématique, et l’adverbe : « où » s’y impose. Parmi les noms de cette sorte sont assurés : Ayyah, « où est Dieu » (Genèse 36, 24 ; 2 Samuel 37, 7 ; 21, 8 ; 1 Chroniques 1, 40), Ehud (Juges 3, 15-30 ; 4, 1) dont le sens est identique à celui d’Ichabod, « Où est la Gloire ? » (1 Samuel 4, 21), et Iezer, « Où est l’Aide ? » (Nombres 26, 30)86. Ithamar porte l’interrogation : « Où est le palmier-dattier ? » (Exode 6, 23), nom en apparence mystérieux, mais le palmier, emblème de la présence divine est considérablement attesté dans les descriptions du temple de Salomon (1 Rois 6, 29 ; Ézéchiel 40, 16. 22). Nombre d’entre ces personnages portant cette sorte de nom, proviennent d’une lignée sacerdotale dont la fonction cultuelle liée à l’origine familiale paraît notable et, le rôle de la papponymie n’est pas à exclure. Cette forme résulte de la même préoccupation, celle de l’absence divine.
85
GERSTENBERGER, 1988, p. 178s., remarque que cette formule paraît une charge standard contre les groupes, nations, et/ou peuples et plus rarement contre les individus. 86 BURNETT, 2005, p. 255-227; 2010, p. 27-42. ALBERTZ, 1978, p. 49-50.
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Un désir de compréhension Souhaitant connaître les motifs de l’adversité et des revers qui l’éprouvent, l’orant presse l’Être suprême de répondre à ses questions. Et, les prophètes détenteurs de la parole divine tentent d’en transmettent le secret. Alors que Dieu est interrogé par les orants et/ou par son peuple sur son « absence », son silence, son abandon, leurs questionnements adoptent des formes adverbiales dont l’une des plus usitée est : lmh : « à quoi/pourquoi » dénotant un désir de discernement tant des causes des drames vécus et futurs que de leur durée comme le démontre également l’emploi des adverbes : « combien », « combien de temps » et « jusqu’à quand ». S’adressant sans détour à Dieu, ces interrogations, caractéristiques des Psaumes de lamentations, s’intègrent généralement dans un ensemble plus vaste. Ainsi, la demande associée le plus souvent à la formule « cacher ses faces », emploie l’adverbe interrogatif : « pourquoi ? », à la quête d’explications87, qui prend la forme suivante : « Pourquoi dérobes-tu tes faces… ? » (Psaume 44, 25 ; 88, 15 ; Job 13, 24). S’enrichissant d’autres formulations et recherches d’explications, le répertoire peut ainsi ajouter cette dernière formule : « Pourquoi, YHWH, délaisses-tu mon âme…? » (Psaume 88, 15), où l’orant recherche une réponse et/ou une consolation. Job interpelle Dieu : « Combien ai-je de péchés et de forfaits à mon compte ? Fais-moi connaître mes fautes et mes erreurs » (13, 23), et ajoute : « Pourquoi me prends-tu pour un ennemi ? » (13, 24), unique questionnement proche de celui des Psaumes et en particulier du Psaume 44, 2588. Par ces interrogations, l’orant désire pénétrer les raisons de ses malheurs, et pour ce faire, ne peut que s’adresser à Dieu. 87 Le questionnement de l’homme envers l’homme ou celui de Dieu envers l’homme emploie ce même terme, BALENTINE, 1983, (tableau 5.1). GERSTENBERGER, 1988, p. 144, rappelle la connotation des questions employant le terme : « pourquoi », alors que parfois Dieu est ici responsable d’une condamnation inique, et que les accusations avec « pourquoi » sont employées afin de faire un procès à des criminels suspectés (Jérémie 26, 8-9), qui présupposent que l’accusé est coupable et l’accusateur dans son droit. 88 BALENTINE, 1983, p. 75-76, considère comme plausible que l’auteur de Job ait adapté l’une des formules usuelles des Psaumes. Il suggère que le contexte de lamentation de la formule : « cacher ses faces » est suivi tant par les prophètes que par Job. CULLEY, 1962, p. 46, analyse les diverses variations grammaticales connues, où les phrases peuvent être interrogatives ou négatives, substituent un nom à un suffixe, sont développées, peuvent adopter une forme plus courte et le sujet changer.
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La demande peut s’intégrer dans un questionnement adoptant des formes distinctes prenant la couleur de cris de désespoir, corollaires d’un extrême sentiment d’abandon, et qui sont autant de reproches et/ou de supplications, sans que le psalmiste ne demande explicitement à être sauvé par le Dieu qui se cache. S’adressant à la divinité, il en requiert des explications sous une forme accusatrice89, à propos de son éloignement lors de cette période de détresse (Psaume 10, 1), de son abandon (Psaume 22, 1), de l’oubli dont il semble la victime (Psaume 42, 10 ; Lamentations 5, 20), du fait qu’il soit négligé, délaissé (Psaume 43, 2 ; 74, 1 ; 88, 15), et que Dieu lui cache sa face (Psaume 88, 15). Le Psaume 44, 24, exprimant inquiétude et affliction, pose des questions plus précises et moins générales. Il interroge familièrement : « Pourquoi », afin de sortir Dieu d’un apparent sommeil, mais dont la communauté sait qu’il n’en est rien90. Il interroge encore : « Pourquoi tiens-tu ta main à l’écart ? » (Psaume 75, 11), « Pourquoi as-tu démoli ses clôtures ? » (Psaume 80, 13). L’orant peut encore s’interroger et demander pourquoi son âme « est affaissée » (Psaume 42, 6. 7. 12 ; 43, 5), puisqu’il ne perçoit pas dans sa conduite et son attitude de motif expliquant cette expérience. Le psalmiste, pas plus qu’il ne confesse de péché, ne trouve de réponse expliquant son expérience de l’absence divine. Les prophètes peuvent également tenter de percer Dieu à jour : « Pourquoi serais-tu comme un étranger dans le pays ? Pourquoi serais-tu comme un homme déconcerté ? » (Jérémie 14, 89), et le motif du rejet divin apparaît ici clairement dans cette incapacité (Jérémie 14, 19)91, ou le prier : Îûb, « Reviens… » (Isaïe 63, 17)92. D’autres d’expériences ne manquent pas d’apparaître tout au long des textes qui s’adressent à Dieu, pointant vers la limite temporelle future espérée, terme de la souffrance due à l’apparente absence. L’orant l’interpelle avec véhémence, mettant en lumière les mêmes concepts que sont l’oubli, la dérobade : tad unh : « Jusqu’à quand 89
MELANCHTHON, 2011, p. 108, rappelle que ces questions sont accusatoires par nature, qui ont à la fois pour objet des reproches, et sont employées afin d’affirmer la raison d’une demande et/ou d’une prière. 90 Voir page 8. 91 BRUEGGEMANN, 1998, p. 363. 92 D’autres attestations de cette interjection de l’homme vers Dieu sont assurées qui ne sont cependant pas liées au silence divin, mais à d’autres formes de questionnement : Josué 7, 7 ; Exode 5, 22 ; 32, 11 ; Nombres 11, 11 ; 21, 5, Job 7, 20 ; 10, 18.
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m’oublieras-tu avec persistance ? Jusqu’à quand me déroberas-tu ta face ?... Jusqu’à quand mon ennemi triomphera-t-il de moi ? » (Psaume 13, 1-2). Le Psalmiste questionne encore avec impatience : « Jusqu’à quand YHWH, te déroberas-tu ? » (89, 47). Une autre formulation, signe d’extrême inquiétude, est employée par le psalmiste, probablement lors de l’invasion babylonienne : « Est-ce pour toujours ? » (74, 1)93. La notion du temps, également attestée avec l’emploi de l’adverbe : mtay, « quand », met en exergue le sentiment, la perception, chez l’orant, tant de l’impatience pour la durée méconnue de ses tourments que de la limite possible de cette situation imposée et l’espérance d’une réparation. D’autres formes d’interrogations se reliant à l’éloignement divin dans l’espace-temps inconnu sont attestées, et l’orant questionne Dieu directement : « Quand me consoleras-tu ? » (Psaume 119, 82), « Quand feras-tu justice de mes persécuteurs » (Psaume 119, 84). Le Psaume 42, 2-3a évoque la recherche de Dieu par l’orant : « Mon âme aspire à toi, ô Dieu ! Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant ; quand reviendrai-je pour paraître en présence de Dieu ? », exprimant l’attente et le désir d’une limite dans le temps de la séparation. L’auteur ajoute encore : « Mets ton espoir en Dieu… » (12). Pour autant, aucune réponse n’est apportée, et la lamentation se poursuit (Psaume 43), qui ne cesse de l’implorer. Autres questionnements Leur ensemble trouve sa source dans l’urgence d’une réponse divine lors de situations insoutenables, tandis que les agresseurs poursuivent leurs actions, que l’oppression dépasse les limites du supportable, et que la mort gagne du terrain. L’orant considère Dieu comme à l’origine de ces situations, qui ne le protège pas, aussi s’est-il vu accuser mensongèrement (Psaume 35, 11s.) et, considéré comme un objet d’horreur (Psaume 88, 10). Et si, lors de ces nombreuses épreuves il n’a pas oublié Dieu et ne lui a pas été infidèle (Psaume 44, 18), il ressent le désintérêt divin. Aussi, pose-t-il ces deux questions : pourquoi et jusqu’à quand ? Certains textes révèlent la profondeur de cette prière. Le Psaume 13, attestant la répétition à quatre reprises de la question : tad unh, « Jusqu’à quand », en expose le cadre avec clarté. Les deux premières questions s’adressent directement à Dieu : « Jusqu’à quand, ô Seigneur, m’oublieras-tu avec persistance ? 93
Si la théologie de ce Psaume diffère de celle de Jérémie, son langage rappelle celui des cercles du prophète, TERRIEN, 2003, p. 542.
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Jusqu’à quand me déroberas ta face ? (13, 1-2), tandis que la troisième évoque la souffrance de l’orant : « Jusqu’à quand agiterai-je des projets en mon âme ? La : ygôn, « douleur/chagrin/affliction » étreindra-t-elle mon cœur chaque jour ? », et la quatrième introduit une information supplémentaire y ajoutant : « Jusqu’à quand mon : u¿yebî, « ennemi/adversaire » triomphera-t-il de moi ? » (13, 3). Le peuple interpelle et interroge Dieu, lui exprime son incompréhension et ses doutes, et contestant le bien-fondé de ses souffrances lui reproche une forme d’affectation : « Si nous avons oublié le nom de notre Dieu…, est-ce que Dieu ne l’aurait pas constaté, puisqu’il connaît les secrets du cœur ? » (Psaume 44, 21-22). L’orant sait avec certitude que l’absence de pardon et l’éloignement divin ont provoqué la crise actuelle, aussi face à cette situation est-il amené à poser la question : « pourquoi ». Tourments intérieurs et issus de l’extérieur cumulent leurs effets menant à cette autre question introduite par la locution adverbiale : « jusqu’à quand ». Pour autant, aucune réponse ne vient apporter de consolation, qui dévoilerait un terme possible à ces peines. Peut-être même, dans certains textes, l’idée d’abandon irrévocable se cache-t-elle au-delà de la situation actuelle, que mettent en lumière les interrogations usant de l’adverbe : « quand ». La tension reste dramatique, en dépit des demandes. L’incertitude quant à la durée rend la réalité vécue encore plus insupportable, dans la mesure où l’orant peut imaginer que Dieu s’est absenté définitivement. Le Livre d’Esther, un des rares ouvrages consacrés à une femme, est essentiellement évoqué comme le livre de l’invisibilité divine, mais aussi et surtout du silence divin94. En effet, à aucun moment Dieu ne semble intercéder et aucune information n’est livrée au sujet de sa présence et/ou d’une quelconque intervention alors que le peuple est en danger d’annihilation. Les protagonistes de l’ouvrage n’implorent pas Dieu en cette occurrence, ne lui reprochent pas de les abandonner ni ne cherchent à rationaliser en s’accusant d’être coupables95. De fait, 94
Trois positions sont attestées quant à l’absence ou la présence cachée de Dieu dans cet ouvrage. La première, minimaliste, dénie toute connotation religieuse traditionnelle, GERLEMAN, 1973. Une position plus modérée met au jour des pistes de croyance transmises par divers détails, MOORE, 1971, p. 50 ; WHITE CRAWFORD, 1988, p. 161-177 ; Selon BURNETT, 2005, p. 2, Dieu « travaille derrière les scènes ». Une approche maximaliste attribue à cette narration un caractère de témoignage de religiosité juive éloquente, WAHL, 2000, p. 1-22 ; LANIAK, 2003, p. 77-90 ; FELDMEIER et SPIECKERMANN, 2004, p. 24. 95 WETTER, 2013, p. 153.
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la question se pose avec acuité de savoir pourquoi Dieu ne s’exprime pas en ces dangereuses circonstances96. L’absence divine dans cet ouvrage semble compensée par l’action de ses héros, qui se prennent librement en charge et se responsabilisent. Néanmoins la question posée en et à Esther (4, 13) par Mardochée : « Et qui sait si ce n’est pas pour une conjoncture pareille que tu es parvenue à la royauté ? », laisse à penser que l’intervention divine s’est jouée par le truchement de la présence d’Esther parvenue à la royauté afin de sauver son peuple, mais qui est restée cachée. Et, le nom même de la reine paraît confirmer cette approche, qui comporte en sa racine le verbe : str, « cacher », comme seule trace menant vers un Dieu caché mais actif représenté par la reine. En outre, dans le même temps, le silence divin, n’est pas expérimenté comme douleur, abandon et/ou problème. Au cours du VIème siècle avant n. è., les invasions babyloniennes soumettent le peuple de Juda, qui provoquent la déportation à Babylone de ses élites et une période d’occupation de cinq décennies, des destructions de cités, et une rupture politique, religieuse et sociale. Un lien entre la destruction du temple et l’apparente dérobade divine lors de cette tragique période ne peut être rejeté. En effet, si le temple représente le lieu de la présence divine, sa dévastation serait à associer au dieu absent. Pour autant, aucune certitude n’est assurée qui permette de déterminer si les Israélites rencontrent Dieu en ce lieu consacré au culte, et le départ du temple n’implique pas qu’il soit impossible d’admettre qu’on ne puisse plus parler de la présence divine (Ézéchiel 10, 1-22 ; 11, 22-25)97. Et, si le fait que Dieu cache sa face est relié à son absence du lieu de culte, peu d’attestations mettent en évidence une telle problématique98.
96
KORPEL ET de MOOR, 2011, p. 261-274, présument que Dieu est absent du livre d’Esther, et qu’il semble s’agir de : « l’incompréhensible silence divin ». KORPEL 2003, p. 373-374, remarque avec justesse, que Dieu n’abandonne ni son peuple ni le monde en général, quand bien même aucun culte ne lui est plus rendu car il ne dépend pas de l’homme. En outre, le fait que les juifs de l’empire Perse ont été sauvés de l’extinction prouve la fidélité divine envers Israël. de TROYER et REDIGER SCHULTE, 2009, p. 35-40, comparant les textes de la Septante et le second texte grec d’Esther (Alpha), constatent la présence et l’action divine dans ces textes, quand bien même son image est différente. Aussi posent-elles la question de savoir : quelle sorte de Dieu a été créé dans les livres d’Esther, et que cela signifie-t-il quant à sa présence ou son absence dans le texte hébreu. 97 FRETHEIM, 1984, p. 60. 98 BALENTINE, 1983, p. 60.
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Les caractéristiques de ce dieu absent se révèlent diversement, et toujours par des manifestations anthropomorphiques. Tant dans les Psaumes, les prophètes, les lois et les narrations, les variations sur ce thème, engendrent des circonstances et des situations nuancées donnant lieu à diverses représentations, qui vont de l’éloignement à l’abandon, au sommeil ou à l’oubli, la distance, au repli dans le mutisme, la surdité et l’isolement. Dieu toujours actif s’éloigne et/ou repousse son peuple et se ferme, n’offrant plus aucun moyen d’accès à sa présence et/ou son appui et son assistance. Le soin et la protection divine ne sont dorénavant plus assurés. L’ « oubli » et le rejet divins constituent une réponse à Israël peut-être coupable qui a négligé les obligations consécutives à l’alliance. Pour autant, toutes ces constatations expriment un sentiment d’absence et une distance dans un espace temporel et géographique limité, où le sommeil et l’oubli ne sont jamais définitifs, où le silence reste momentané, de même que l’isolement. La mort et le séjour au shéol sembleraient, pour certains, le lieu de l’absence divine ultime (Psaume 115, 3)99, mais de fait il n’en est rien. Ces situations n’impliquent pas une cassure absolue et une fin définitive. En dépit de cette expérience dramatique qui parfois doit être vécue sans possibilité d’y échapper, l’orant et le peuple savent et espèrent que leurs supplications ne sont pas vaines. Aussi, la recherche des motifs du choix divin apporte-t-elle un ensemble d’explications et de réponses à de tragiques situations.
99
BURNETT, 2013, p. 34.
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II MOTIFS L’oubli, l’abandon et/ou le rejet de Dieu Tant l’orant que le peuple ou certaines de ses composantes, peuvent avoir provoqué la fureur divine, à l’origine des diverses manifestations d’ores et déjà évoquées plus haut. Aussi, également et parallèlement assuré et présagé, l’abandon par Dieu est-il, parmi d’autres motifs, la conséquence de l’oubli humain et des différentes formes qu’il peut emprunter. Psaumes, et littérature de sagesse, narrations et lois dépeignent et prévoient les effets de cette irritation qui peut devenir fureur inextinguible, et les textes prophétiques la constatent sous toutes ses formes. Le choix du vocabulaire et des formules met au jour un parallèle entre les différentes formes de rejet par le peuple puis, par voie de conséquence par Dieu. Mais la supériorité divine sait inscrire le doute quant aux conséquences de cet oubli. L’affirmation de la négligence humaine peut choisir, chez le Psalmiste, entre deux formes, dont l’une est affirmative et l’autre, impérative. Diverses occurrences témoignent de la désobéissance d’Israël qui perd le souvenir des hauts-faits divins lors de sa libération d’Égypte, et le psalmiste conseille : « Qu’ils mettent leur confiance en Dieu, se gardent de : Îka, « oublier » les hauts-faits de Dieu », et constate : « Ils ont oublié ses grandes œuvres » (Psaume 78, 7. 11). L’oubli de Dieu et de ses entreprises est évoqué à plusieurs reprises par le poète du Psaume 106, qui témoigne de l’incapacité du peuple à placer ses attentes dans les desseins divins (106, 13), et en leur sauveur ayant accompli de si grandes choses en Égypte par le passé (106, 21)100. Exigeants et inconscients : « Ils : rgan, « murmurent », se lamentent et ne prêtent pas attention à la voix divine (106, 24-25). Tant Jérémie qu’Ézéchiel et Isaïe, évoquent également ce thème. Ainsi, Dieu accuse son peuple de l’avoir : « oublié ». Incriminant encore le peuple arrogant, il le réprimande par l’intermédiaire du prophète : « Qui es-tu, toi… Oubliant YHWH qui t’as créé… (Isaïe 51, 12-13)101. L’absence du peuple à Dieu adopte des formes parallèles à celle de l’absence divine et l’emploi d’un vocabulaire identique. Observant : wetammî ÎekƝûnî ymîm uƝyn misepr, « Mais mon peuple m’a oublié depuis des jours sans nombre » (Jérémie 2, 32), 100 101
KRAUS, 1981, p. 319. BALENTINE, 1983, p. 142-143.
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Dieu fait grief à son peuple d’encenser de vaines idoles (Jérémie 18, 15), et l’interroge : « Ai-je été un désert pour Israël ou une terre ténébreuse ? », ce peuple conduit par ses soins hors des contrées désolées, symboles du danger et de l’obscurité, vers la terre promise, alors qu’ils étaient liés et qu’Israël lui avait octroyé sa confiance. Si Dieu ne l’a pas trahi ni abandonné102, et ne manque pas d’argumenter et réfuter toute plainte, Israël n’a pas d’excuse, qui l’a négligé, oublié, aussi doit-il supporter la responsabilité des conséquences de ses choix. L’oubli par le peuple, effet de son arrogance, précède ainsi un oracle de jugement (Jérémie 18, 15). Par la bouche de son prophète Ézéchiel, Dieu admoneste le peuple : weu¿tî Îkaate neuum uad¿ny yhwh, « Tu m’as oublié moi, dit le Seigneur YHWH » (Ezéchiel 22, 12), puis reprend ce thème dans un autre verset menaçant : yatan Îkaate uôti wataÎelîkî uôtî aarƝy gawwƝke, « Puisque tu m’as oublié et que tu m’as rejeté/renvoyé/abandonné derrière ton dos/derrière toi… » (23, 35). Des narrations constatent qu’ils : « oublièrent YHWH » (Juges 3, 7). L’une d’elle explique que ce rejet trouve sa source dans les unions exogames et leur conséquence qu’est l’apostasie. La littérature de Sagesse évoque également l’abandon de Dieu par l’homme. Ainsi, Bildad de Chouha, s’exprime-t-il devant Job et lui rappelle : « Ceux qui oublient Dieu » (8, 13)103. La loi du Deutéronome ne manque pas d’ordonner : hiÎÎmer lek pen tiÎeka uet yhwh, « Gardes toi d’oublier YHWH » (6, 12 ; 8, 11), et devenant comminatoire martèle sous une forme positive : wezkaret uet yhwh, « Souviens-toi de YHWH » (8, 18). D’autres formes de rejet sont également affirmées par l’emploi d’un vocabulaire et de formules complémentaires. Ainsi, le questionnement divin s’impose comme argumentaire du jugement dont la réponse est connue. Michée (6, 1-5), place dans la bouche divine cette question sarcastique et dans le même temps affirmation : « Ô mon peuple ! Que t’ai-je fait ? Comment te suis-je devenu à charge ? » (Michée 6, 3), mais aucune justification n’est apportée par Israël. Aussi, dans les vers suivants, Dieu interpelle-t-il son peuple auquel il rappelle la liste des bienfaits dont il l’a comblé. La phraséologie évoque les notions de 102
BRUEGGEMANN, 1973, p. 38. Les Proverbes n’offrent aucun exemple se rapportant à l’oubli de Dieu par l’homme, mais rappellent l’oubli de l’alliance : 2, 17 ; 3, 1 ; 4, 5 ; 31, 5. 7.
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poids et d’embarras, de gêne et de responsabilité, dont le peuple s’est déchargé avec légèreté et auxquelles il doit répondre. La folie d’Israël, son manque de lucidité, qui semble incapable de connaître et reconnaître les limites au-delà desquelles sa conduite est insensée, se comporte comme si YHWH était absent de Sion et l’abandonne. Aussi, Dieu accuse-t-il de trahison et de négligence les responsables sur qui repose la foi, prêtres, prophètes, pasteurs et gouvernants, et tout le peuple, sans exception, qui conclut : u¿tî tzebû, « Ils m’ont abandonné » (Jérémie 2, 13) et dénonce : bnayike tazbûnî, « Tes fils/enfants m’ont abandonné » (Jérémie 5, 7). Le tableau de l’abandon de Dieu par l’homme se complète d’autres assertions. Le prophète s’écrie à propos d’Israël : kî uet yhwh tzebû liÎem¿r, « Car ils ont abandonné YHWH pour ne pas observer (sa loi)» (Osée 4, 10), usant en parallèle du terme : tzab, appliqué également à YHWH absent104. L’annonce faite à Moïse par Dieu l’avertit : « Voici que tes jours approchent de leur terme » ajoutant à propos de son peuple : watazbanî, « Et il m’abandonnera » (Deutéronome 31, 16). Et, le texte de Deutéronome 28, 20, fait figurer en bonne place ce même motif d’abandon et d’apostasie où YHWH reproche à son peuple : « Pour avoir renoncé à moi ». D’autres formulations complètent les formes prises par le rejet de Dieu attestées chez les prophètes, la littérature de Sagesse et les récits. Ainsi, Jérémie exprime son étonnement devant l’affirmation du peuple : lôu nbôu tôd uƝleyk, « Nous n’irons plus à toi » (Jérémie 2, 31). Eliphaz rappelle les hommes d’iniquité exigeant de Dieu : sûr mimmenû, « Laisse-nous/ncarte-toi de nous » (Job 22, 17). À propos du tragique destin du roi Saül, le récit relate que le souverain a : muas, « rejeté/repoussé » la parole de YHWH (1 Samuel 15, 23. 26). Et, le prophète Samuel, lui rappelle qu’il n’a pas suivi les ordres divins concernant Amalec, aussi est-il écarté : « Comme tu n’as pas : Îmat, « écouté » la voix de YHWH … aussi YHWH t’a fait cette chose ce jour » (1 Samuel 28, 18). Le prophète Jérémie constate également que dans une attitude parallèle à celle de Dieu et annonçant l’absence, le peuple en signe de mépris et de rejet, lui a montré sa : t¿rep, « nuque » et non sa face, qui 104
MELANCHTHON, 2011, ce verbe est employé quarante fois afin d’exprimer le rejet de YHWH par son peuple (tableau 1 : 2B).
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contemple ses faux dieux, idoles inanimées et impuissantes de bois et de pierres et s’en détourne (2, 27)105. Les motivations diffèrent cependant, puisque le peuple montre une indifférence puisant sa source dans une forme d’inconséquence et d’irresponsabilité dénoncée à de nombreuses reprises. Si la forme des comportements paraît similaire, celui du peuple est lié à son amoralité et ses différentes composantes. Parmi les nombreux reproches et dont la liste est longue, Dieu remarque qu’à ce moment, les prêtres ne se sont pas demandé : « où est YHWH » (Jérémie 2, 6), ajoutant qu’en outre, les : t¿peÐƝy hatôrh, « dépositaires de la loi » l’ont ignoré (Jérémie 2, 8)106. Dans une tentative pédagogique, il propose en exemple d’autres populations qui, bien que n’ayant pas de vrais dieux ne leur en ont pas moins conservé leur fidélité (Jérémie 2, 10-11). Le peuple répond à la bonté divine par le désintérêt, l’indifférence, qui a cessé de s’en enquérir pour s’en : raq, « éloigner », chercher après le : hebel, « souffle/rien/vent/ce qui est passager/vain » évoquant soit Baal, soit des idoles et dans un jeu de mots, devenir le « souffle/rien/vain » (Jérémie 2, 5). Paraissant extrême, une formule employée par le psalmiste certifie : uƝyn uel¿hîm, « Il n’est point de Dieu » (Psaume 10, 4-5 ; 14, 1), dont le contenu et le sens ne laissent apparemment pas d’interroger. Le poète, brosse le cynisme de l’être malfaisant qui l’affirme, indifférent aux jugements, et qui renverse ses adversaires d’un souffle (Psaume 10, 5). De fait, cette déclaration n’affirme aucunement l’athéisme, mais la seule certitude que Dieu n’interviendra pas afin de contrarier ses mauvais desseins107. Le psalmiste peint l’arrogance de l’individu indifférent et oublieux de Dieu, qui va jusqu’à le dédaigner, ne s’intéresse qu’à lui-même et à la réalisation de ses ambitions, de ses désirs matériels et de ses profits au moyen de l’oppression et du mensonge108. L’esprit de moquerie, le cynisme et l’insolence des habitants de Jérusalem, qui ne croient pas au jugement et au châtiment divin, mènent à leur affirmation insensée : l¿’ hû’, un hapax legomenon (Jérémie 5, 12), qui peut signifier : « Pas lui », et se rapporterait à la non-intervention divine. Elle peut ainsi se résumer : « Il ne ferait pas 105
LUNDBOM, 1999, p. 285, rappelle qu’aux jours de désastre, YHWH se détournera, montrant également sa nuque à Juda. BRUEGGEMANN, 1998, p. 38-39. 106 Ces dépositaires de la loi seraient peut-être les scribes, LUNDBOM, 1999, p. 261. 107 KRAUS, 1959-1960, p. 197. 108 WEISER, 1962, p. 153.
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une telle chose », évoquant néanmoins la possibilité d’un châtiment divin. Les opposants à Dieu ou prophètes dits de la paix, et dans l’erreur d’une vision faussée par l’arrogance, l’indifférence et le cynisme, affirment, de même, que le mal ne viendra pas sur eux (Jérémie 23, 17). La même assertion est attribuée aux gouvernants de Jérusalem en Michée 3, 11. Et, le prophète, moqueur compare les faux prophètes au : rûa, « vent/souffle » (Jérémie 5, 13)109, qui n’ont pas reçu la parole divine. La critique de ce peuple qui a trahi YHWH et ce lien si précieux, permet de concevoir la colère et le chagrin divins, de même que les conséquences qui se tissent. L’absence du peuple à Dieu est tout aussi incompréhensible qu’inacceptable. Et, lorsque YHWH est rejeté, oublié, les valeurs de l’alliance se désintègrent, et Juda qui a perdu son chemin court vers sa propre destruction110, qui est jugé, et condamné : us¿p uasîpƝm, « Réunir, je vais en finir avec eux » (Jérémie 8, 13)111. Mais l’oubli et l’abandon de Dieu ne semblent pas contenter le peuple qui ajoute encore à son inconstance. Oubli de l’alliance Les Psaumes, prophètes, narrations et lois en restituent diverses occurrences. Il peut être attribué aux ennemis du Psalmiste qui les dénonce : l¿u Îmerû tertek, « On n’observe pas ta loi » (Psaume 119, 136), Îkeû debreyk Ñry, « Mes adversaires oublient tes paroles/actions » (119, 139). Dans un souhait de répétition pédagogique, le poète exige l’observation des prescriptions divines (78, 7), rappelle que les fils d’Ephraïm ont : l¿u Îmerû berît uel¿hîm ûbetôrtô mƝuanû lleket, « répudié l’alliance divine et refusé de suivre sa loi » (78, 10), constate qu’Israël n’était pas sincèrement attaché à son alliance (78, 37), et répète qu’ils : wetƝdôtyw l¿u Îmrû, « cessèrent d’observer ses lois/ordonnances » (78, 56). Assimilant l’oubli de la loi à celui de Dieu, des textes prophétiques rappellent que leur cause commune trouve sa source dans la propre confiance présomptueuse d’Israël, tel celui d’Osée 4, 6, empli de 109
LUNDBOM, 1999, p. 389. Selon BRUEGGEMANN, 1998, p. 65, la communauté et ses gouvernants ont fait s’effondrer la souveraineté divine, et rendu triviale la distance divine afin d’éliminer le jugement du processus historique. 110 BRUEGGEMANN, 1998, p. 39. STULMAN, 2005, p. 53. 111 LUNDBOM, 1999, p. 523-524, rappelle que le verbe réunir, comporte souvent le sens de : « réunir afin de détruire » (Juges 18, 25 ; 1 Samuel 15, 6 ; Ézéchiel 34, 29 ; Psaume 26, 9), signifiant que Dieu va finir, en finir.
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reproches : watiÎeka tôrat uel¿heyk, « Tu as oublié la loi/doctrine de ton Dieu » et la réponse divine ne se fait pas attendre : « Moi de même, j’oublierai tes enfants ». Le prophète Jérémie, ne manque pas de constater que la maison d’Israël et de Juda : « ont rompu l’alliance » (Jérémie 11, 10), et que la loi et les : uqqh, « ordonnances/lois/coutumes/droit » exposées au peuple et à ses ancêtres sont oubliées (Jérémie 44, 10). L’iconographie divine favorise la métaphore des oiseaux migrateurs auxquels Dieu avec humour, compare son peuple, tels la : asîdh, « cigogne », la : tôr, « tourterelle », l’ : tgûr, « hirondelle » et la : sûs, « grue », avertis de leur période de migration et du retour du printemps (Jérémie 8,7-8)112. Les oiseaux possèdent la perception nécessaire à leur survie et savent le chemin à emprunter pour le retour vers leur gîte après avoir accompli de longues distances113, aussi, Dieu les compare-t-il à son peuple égaré doté d’inconscience et insouciant, ayant perdu le chemin du retour, et qui incapable de le retrouver, se perd dès lors (Jérémie 8, 9). Il se moque, s’interroge sur son discernement, et met d’autant plus en lumière son inconséquence, qui méconnaît la loi divine et affirme sans exprimer le moindre doute qu’ils sont des sages en possession de la doctrine divine. Ces exemples accentuent la différence entre ces créatures animales qui savent d’instinct mieux qu’Israël ce qui est nécessaire à leur vie et leur survie.114. Aussi Israël se doit-il de connaître et reconnaître la justice et la volonté divines, mais à l’inverse de créatures animales, a perdu le chemin vers les préceptes de l’alliance et son propre caractère115. Dans le même temps, la migration des oiseaux, présents puis disparus sous d’autres cieux, est la métaphore de l’aspect éphémère du monde116. Le prophète questionne : « Pourquoi, YHWH, nous laisse-tu errer loin de tes voies, pourquoi laisses-tu notre cœur se fermer… (Isaïe 63, 17), et tout en reconnaissant les péchés commis ne manque pas de le mettre en cause, puisqu’il a laissé faire117. Dans ce dernier verset, le prophète renvoie la responsabilité de l’impiété et de l’apostasie sur Dieu. Non seulement, il ne s’admet pas fautif, mais lui impute cette faiblesse, ce 112
LUNDBOM, 1999, p. 510-512, rapporte que les oiseaux migrateurs, témoins de la création divine sont sous le contrôle de YHWH. 113 DRIVER, 1955, p. 129-140, propose d’autres identifications pour ces oiseaux qui seraient mythiques et/ou semi-mythiques. 114 MUILENBURG, 1970, p. 44-45. 115 BRUEGGEMANN, 1998, p. 87-88. 116 MUILENBURG, 1970, p. 44-45. 117 WESTERMANN, 1969, p. 394.
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méfait. Les reproches dont ces lamentations accablent Dieu et complètent le questionnement précédent. Ils n’impliquent cependant pas l’attente et/ou le souhait d’une réponse ou d’une explication118, pas plus qu’ils n’en apportent. Prégnants, les ordres divins inscrits dans la loi, exigent des exilés installés à Samarie par le souverain d’Assyrie : « L’alliance que j’ai contractée avec vous, vous ne l’oublierez pas » (2 Rois 17, 38). Anticipant le comportement déviant d’Israël, certains textes de lois en illustrent les divers aspects. Aussi, dans le Deutéronome (31, 17), YHWH prévoit-il que le peuple : « Brisera l’alliance que j’ai conclue avec lui », tandis que le Lévitique 26, 15 brandit une sombre menace, par laquelle Dieu devance et avertit son peuple que s’il cesse d’observer : uet kol hammiÑewôt , « tous ces commandements », et lui affirme si vous : beuqq¿tai timeusû, « dédaignez/rejetez mes décrets/lois » et : miÎepÓay tigetal, « repoussez mes institutions » au point de ne plus : observer mes : miÑewôtay « commandements », et de : lehaperekem uet berîtî, « rompre/rejeter mon alliance », à son tour il subira les épreuves et les châtiments annoncés (Lévitique 26, 1416). Le fait de « rompre l’alliance » n’implique pas d’en sortir, mais se rapporte à la désobéissance qui doit être punie119. Certains des verbes évoquant le rejet des règles divines, sont identiques à ceux décrivant le rejet de son peuple par Dieu, mais leur réalité précède le rejet divin. Péchés et/ou désobéissance Dans les Psaumes, le ou les motifs du rejet divin ne sont pas toujours peints clairement, faisant même parfois défaut. Ou bien, par exception, reconnaissant ses péchés, l’orant, après les avoir reconnus (Psaume 51, 5), et affirmé : lek lebadek Óutî wehrat betƝyneyk tÐîtî, « Contre toi seul j’ai péché, j’ai fait ce qui est mal à tes yeux » (Psaume 51, 6), dans un jeu de miroir, supplie Dieu de les faire disparaître et de l’absoudre (Psaume 51, 11) : hasetƝr pneyk mƝaÓuy wekol tawôn¿tay meƝh, « Détourne ton visage de mes péchés, efface toutes mes iniquités », sans en préciser le contenu. Néanmoins, aucune occurrence n’est attestée dans ces lamentations, qui affirme que Dieu se soit détourné en raison du péché du suppliant, ou l’ai rejeté. Dans le Psaume 69, 6, reconnaissant s’être conduit comme un insensé, il s’adresse à Dieu et convient : ydatet 118 119
ANDERSON, 1972, p. 128. HARTLEY, 1992, p. 464.
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leuiwwaletî weuaÎemôtay mimmek l¿u nikedû, « Tu sais/tu connaistoi ma folie et mes fautes ne te sont pas cachées ». Le psalmiste ne peut ni ne veut se dissimuler inutilement devant l’omniscience divine120, concédant des péchés causes de l’irritation et du détournement divins121. Le poète du Psaume 106, admet dans sa confession des péchés s’accompagnant d’une prière d’assistance122 : « Nous avons : Óu, « péché » comme nos pères, nous avons : twh, « commis l’iniquité », nous avons : rÎat, « commis des crimes/sommes coupables » (Psaume 106, 6), reconnaissant qu’ils : qnu, « furent pris de jalousie » envers Moïse (106, 16), de : tauawh, « convoitise » (106, 14). Rejetant le don divin, ils : muas, « dédaignèrent » un pays délicieux » (106, 24)123. Il se sont en outre rendus coupables d’apostasie, d’idolâtrie puisqu’ils : tbad, « adorèrent » des : t¿Ñeb, « idoles » (106, 36) et rendu un culte, persiflé, à un taureau de bronze, le : tƝgel, « veau », une : massƝkh, « idole de fonte/image sculptée » (106, 19), décrit encore comme : tabenît, « l’image/forme » d’un : Îôr, « bœuf » qui broute l’ : tƝÐeb, « herbe » (106, 20), ou à Baal (106, 28). Ainsi, ils ont admis leurs péchés rapportés par le poète (106, 14. 16. 19. 24. 25). Celui-ci juge ce peuple qui se : tmƝh, « souille » et : znh, se « prostitue » par ses actes (Psaume 106, 39). Qualifié de : sôrƝr, désobéissante, et : mrh, « rebelle » par le psalmiste (78, 8. 17. 40. 56), au cœur : l¿u hƝkîn, « inconstant » (78, 8), la : dôr, « race/génération » met Dieu : nsh, « à l’épreuve » (78, 18. 41. 56), qui n’a pas : heuemîn « foi/confiance» en lui (78, 22. 32. 37). Outre l’accord de son pardon aux fils d’Ephraïm, oublieux de ses œuvres et de ses miracles (78, 9. 32. 3839), Dieu se souvenant qu’il s’agit de : bÐr, « créatures », de : rûa hôlƝke wel¿u yÎûb, « un souffle qui s’évanouit sans retour », adopte des mesures pédagogiques et généreuses, mais en dépit de sa compréhension le peuple abuse retournant à ses errements (78, 39) et : ysap, « continuent/répètent » à « pécher » (78, 17. 32). Ephraïm 120
WEISER, 1962, p. 494. MOWINCKEL, 1967, p. 12-14, souligne avec justesse que les Psaumes ne traitent guère de « péchés concrets ». Et il semble qu’en deçà de tous ces textes de lamentations, soit installée une ancienne croyance israélite reliant péché et souffrance. 122 DAHOOD, 1981, p. 67. 123 GERSTENBERGER, 2001, p. 141, rappelle que ce rejet constitue une allusion à la tradition de Nombres 24, alors que les Israélites se refusent à suivre les recommandations des envoyés en Canaan afin de poursuivre la conquête (Nombres 14, 7-9). Une courte version de ces événements est élaborée en Deutéronome 1, 2427 qui comporte l’expression du vers 25 du Psaume 106 : « murmurant dans leur tente » 121
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s’insurge dans le désert et : tÑab, « l’offense/le chagrine/l’irrite » (78, 40), qui est oublieux (78, 41), bgad, « rebelle/infidèle/perfide » (78, 56), et : sgad, « adore » les idoles. Aussi Dieu devant le cumul de ces faiblesses et de ces défaillances rejette-t-il Israël qui l’a oublié, délaisse sa résidence à Shiloh et abandonne le tabernacle (Psaume 78, 59-60). Le renouveau et l’élection de Juda, de David et du mont Sion marquent sa décision qui va à l’encontre des attentes (Psaume 78, 6870)124. Ces textes citent les actes de YHWH en faveur d’Israël qui ne cesse cependant de trahir en de multiples occurrences, toujours rebelle et ingrat, défiant et infidèle mais toujours pardonné. Si une tendance est répandue qui interprète la dérobade divine comme une sanction, même lorsque le texte ne permet pas une telle interprétation125, divers éléments plaident parfois en faveur d’une autre approche, dont l’absence de termes faisant référence au péché ou à la transgression, et la présence de textes exprimant une protestation d’innocence (Psaume 44), ou de simples interrogations. Pour autant, les textes ne proposent pas d’explications. Par ailleurs, le fond du Psaume 10 évoque l’arrogant malveillant qui soutient : « Dieu est sujet à l’oubli », ce qui semble l’autoriser à toutes sortes de péchés et d’iniquités (Psaume 10, 11), et la lamentation s’ouvre sur une question et un reproche : « Pourquoi », parce que cette position divine semble inexplicable à l’orant. Le Psaume 30 remet également en cause cette notion de péché. L’orant rapporte sa confiance en YHWH dans les premiers vers du texte, mais soudainement sans qu’aucune explication ne vienne étayer l’évènement Dieu s’absente (30, 9)126. Si l’expérience vécue par l’orant, auquel le don de la vie est retiré, est considérée comme une manifestation de colère divine, les causes en paraissent mystérieuses. Et, quand bien même le péché serait présupposé, le psalmiste ne semble pas pouvoir accepter cette approche sans controverse127. Aussi, semble-t-il malaisé d’admettre qu’un lien de cause à effet entre un péché parfois improbable et le 124
WEISER, 1962, p. 542. REISS, 1940, p. 89s. PERLITT, 1971, p. 375. TERRIEN, 2003, p. 323. KIRKPATRICK, 1951, p. 153s. 126 Certains auteurs présupposent que cette attitude divine est la conséquence du péché de l’orant. Ainsi, WEISER, 1962, p. 271, considère-t-il que le sujet n’était pas conscient de son péché d’arrogance et de fausse fierté jusqu’à ce que Dieu se détourne. Cette expérience lui permet de saisir le sens de ce signe exprimant la colère divine. OESTERLEY, 1953, p. 204. ANDERSON, 1972, p. 243. JOHNSON, 1979, p. 293. 127 BALENTINE, 1983, p. 55-56. 125
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détournement divin soit systématique dans l’espace de ces textes128. Cette expérience, semble en apparence rester inexplicable. Par ailleurs, le récit des désastres vécus par Job, permet cependant de proposer une hypothèse expliquant ces souffrances imposées, dont il semble s’agir d’épreuves dépêchées par Dieu, afin de tester sa résistance et sa fidélité lors de ces tragiques circonstances (Job 1, 612). Quelques rares formules des prophètes reconnaissent le péché commis (Jérémie 3, 25 ; 8, 14 ; 14, 20), qui figurent dans des ensembles de textes plus développés. Plus clairement détaillées et explicitées dans les textes prophétiques, les causes, abondantes, du détournement divin adoptent l’aspect d’une réponse à la désobéissance, à l’iniquité, aux transgressions, à l’apostasie d’Israël qui a servi d’autres dieux, à son amoralité, au mensonge, parfois leur cumul. Ils expriment clairement les motifs ayant mené à la disparition et l’apparent abandon divins. Isaïe, interpelle Israël constatant sa culpabilité de criminel aux mains souillées de sang (Isaïe 1, 15 ; 59, 3)129, et lui expose l’origine de ses tourments par ses péchés (59, 2)130, et sa cupidité (Isaïe 57, 17). Le prophète énonce la liste des abus commis et des mensonges formulés, qui dépeint les lèvres débitant le mensonge, et la langue proférant l’injustice, tissant le lien entre ces péchés et l’action divine (Isaïe 59, 2-8). Le texte met en lumière diverses carences sociales et politiques, que sont l’absence de justice, de vérité, de droiture, de paix et de salut (Isaïe 59, 3-15)131. Et, l’aspect collectif du châtiment qui en est la conséquence, est lié à l’iniquité du peuple en son entier et ses méfaits l’ayant séparé de Dieu. Ainsi, le prophète relie le détournement divin aux méfaits commis par le peuple.
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Selon REINDL, 1970, p. 92s., 107s., cette attitude divine serait la conséquence du choix de ne pas entendre ou voir. Plus tard, et en raison de l’influence prophétique, cette phrase aurait été identifiée à l’idée de punition et de conséquence d’un péché. 129 BLENKINSOPP, 2000, p. 185, souligne la distance entre la religiosité liturgique et la justice et la droiture qui sont absentes. 130 WATTS, 1967, p. 148, affirme que ce qui sépare de Dieu est le péché, qui provoque une situation où les prières ne sont pas entendues. 131 WATTS, 1967, p. 281, liste les maux et péchés en Isaïe 59, et les classe en quatre catégories. La première consiste à les évoquer en général : l’iniquité, le péché et le mal. La seconde les énumère : actions violentes, discours mensongers, pensées liées au mal, la troisième souligne les manques : la légitimité, l’honnêteté, la paix, la justice, le salut, la quatrième en note le résultat : la rébellion, l’oppression et le soulèvement.
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Dieu raille ce : tam skl, « peuple insensé/stupide », d’être : weuƝyn lƝb, « dénué de cœur » ou plus exactement d’intelligence/discernement et qui ne saisit pas que les idoles : tƝynayim lhem wel¿u yireuû uzenayim lhem wel¿u yiÎemtû : « ont des yeux mais ne voient pas, elles ont des oreilles mais n’entendent/n’écoutent pas ! » (Jérémie 5, 21)132. L’explication divine peut adjoindre d’autres constatations de reniement, motifs d’accusation, qui dénoncent les : r¿tƝh, « pasteurs », terme dénommant tant les rois que les princes devenus infidèles, les prophètes ayant prophétisé au nom de Baal et suivi des dieux incapables de secourir (Jérémie 2, 8). Elle use d’une métaphore décrivant le rôle divin comme une source d’eau vive abandonnée tandis que pour combler le manque le peuple se creuse des citernes crevassées ne pouvant retenir les eaux, image désignant d’autres divinités (Jérémie 2, 13), témoignage de l’abandon de Dieu par le peuple et de son apostasie. Toujours par la bouche de son prophète, Dieu reprend le thème de l’infidélité et de l’idolâtrie (Jérémie 2, 29 ; 5, 23), observant, narquois, le peuple oublieux de son créateur : u¿merîm ltƝÑ ubî uath welueben uate yelidetnî, « Ils disent au bois : « Tu es mon père ! » et à (l’idole de) pierre : « c’est toi qui m’as donné la vie ! » (Jérémie 2, 27)133. Cependant, ces fausses divinités inanimées, adoptées comme un père et une mère134, ne peuvent le sauver135. Puis, YHWH observe ce peuple lui ayant présenté sa nuque, qui à la fois se détourne et n’ose pas le regarder en face, cachant sa face. Pour autant, lors de moments de détresse, le peuple ne manque pas de le supplier afin de le secourir (2, 27). Parmi ses armes, Dieu use de la moquerie et renvoie son peuple à l’apostasie dont il s’est rendu coupable : « Eh bien, où sont-ils ces dieux que tu t’es fabriqués ? Qu’ils se lèvent, s’ils sont capables de te prêter assistance dans les jours de détresse, puisque nombreux comme tes villes ont été tes dieux, ô Juda ! » (Jérémie 2, 28). La voix divine se fait sévère accusant le peuple ingrat d’avoir : ÓmƝh, « souillé », son pays de vergers et d’avoir fait de son domaine un : tôtƝbh, « objet d’horreur/abomination » (Jérémie 2, 7). Ce thème est réitéré et le prophète dénonce ceux qui : « font de leur pays une désolation » (Jérémie 18, 15).
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LUNDBOM, 1999, p. 402-403. LUNDBOM, 1999, p. 285. 134 STULMAN, 2005, p. 51. 135 BRUEGGEMANN, 1998, p. 38. 133
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Néanmoins, Dieu s’efforce de découvrir des arguments afin de ne pas châtier Jérusalem, cette cité désobéissante : uƝy lzôut, « Pour quelle raison » devrait-il : sla, « pardonner », ajoutant : wayyiÎÎbetû bel¿u uel¿hîm « Ils (tes enfants) jurent par des dieux qui n’en sont pas » (Jérémie 5, 7). Le poème de Jérémie 5 peint en un langage coloré d’autres formes de désobéissance rarement évoquées. Empruntant comme souvent la forme d’une double question, le verset 22, à la fois remontrance et moquerie, s’adresse au peuple plus rebelle que la mer et les flots qui ne franchissent pas la barrière de sable, et interroge : hauôtî l¿u tîruû neuum yhwh uim mipnay l¿u tîlû, « Est-ce bien moi que vous ne craignez pas ? dit YHWH. Est-ce bien devant moi que vous refusez de trembler ? » (5, 22). La réponse apparaît d’évidence, car ce peuple ne craint pas Dieu, qui est également incapable de reconnaître l’œuvre divine, dont la pluie136 de l’automne et du printemps, lui offrant la vie et les richesses agricoles (Jérémie 5, 24). Face à de telles inconséquences, Dieu s’interroge mais aucune solution autre que le jugement puis le châtiment ne lui semble concevable (5, 29). Pour avoir commis ces fautes et ces péchés, les bienfaits divins leur sont ôtés, la sécheresse et la guerre les remplacent (Jérémie 5, 25). À l’écoute de son peuple, Dieu, dans un questionnement lyrique portant déjà en soi sa réponse, interroge : hayipelû wel¿u yqûmû uim yÎûb wel¿u yÎûb, « S’ils tombent, ne doivent-ils pas se relever ? Si l’on se détourne, ne retourne-t-on pas (vers le vrai chemin) ? » (Jérémie 8, 4). Lorsque les deux verbes : npal, « tomber » et : qûm, « se relever » apparaissent ensemble (Jérémie 25, 27 ; Amos 5, 2), ils se réfèrent au jugement divin dans un contexte de chute. La deuxième partie anticipe encore plus fortement la même tragédie face au peuple qui ne se repend pas137. Et afin de confirmer cet oracle de jugement, YHWH rapporte l’obstination de son peuple dans la fraude (5), son refus de s’amender, qui use du mensonge, ne regrette pas ses mauvaises actions et ne se remet jamais en cause puisqu’aucun ne se pose la question : meh tÐîtî, « qu’ai-je fait ? » (Jérémie 8, 6). Instrumentalisée par YHWH, l’iconographie animale permet encore une critique tant moqueuse qu’attristée qui souligne les ridicules de son peuple. Comparé à la : bikerh, « jeune chamelle légère et agile » aux allures désordonnées et rétives, qui va d’avant en arrière et ne fait 136
M. DAHOOD, 1965, p. 25, souligne l’équivalence entre la pluie et le bien par excellence. 137 LUNDBOM, 1999, p. 507-508.
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que quelques pas dans diverses directions (Jérémie 2, 23), et à la : pereu, « ânesse sauvage » habituée du désert, soumise à ses désirs et que nul ne peut ramener (Jérémie 2, 24), le peuple reste tout autant soumis à ses aspirations et pulsions primaires que les animaux soumis aux saisons de chaleur et incapables de raisonner. En outre, comparés à des chevaux courant de tous côtés et hennissant après la femme d’autrui, les fils d’Israël se rendent coupables d’adultère (Jérémie 5, 8). Portée par Dieu, l’accusation désigne son peuple coupable, nuap, « dissolu/corrompu », et constituant : taÑeret b¿gedim, « une bande de traîtres » (Jérémie 9, 1). Elle met d’autant plus au jour leurs méfaits, dénonce leurs mensonges138, leur déloyauté et leur rejet de Dieu (Jérémie 9, 2). Aussi, dans une violente diatribe met-il en garde les uns contre les autres (Jérémie 9, 3). Dieu rappelle leurs tromperies, qui ne disent pas la : uemet, « vérité », usent de la : rkîl, « calomnie », car : htal, « ils se dupent » et profèrent le : Îeqer, « mensonge » (9, 4), puis compare leur langue à une : ƝÑ ÎûÓ, « flèche acérée/meurtrière/affilée » (Jérémie 9, 6) qui ne connaît que la : miremh, « ruse/fraude » (Jérémie 9, 6). S’adressant au prophète en un monologue désespéré, il lui répète que la fausseté (Jérémie 9, 5) l’entoure et conclut qu’ils : hatawƝh nileuû, « s’efforcent à commettre des crimes » (9, 4), constatant l’état de désintégration de cette société139. Une autre image plus technique dépeint l’attitude de ces : srƝy sôrerîm, « incorrigibles rebelles » qui propagent les calomnies et sont « malfaisants » (Jérémie 6, 28). La métaphore du soufflet de forge l’exprime qui rappelle que par l’action du feu purifiant, le plomb devait disparaître. Néanmoins, le mal ne s’en est pas détaché (Jérémie 6, 29). Aussi, sont-ils appelés « argent de rebus/rejeté », car YHWH les a mis au rebus (6, 30)140. Cette métaphore témoigne du rejet d’Israël menacé du feu, et annonce le jugement divin et la fin de Jérusalem qui n’a pas conscience des conséquences désastreuses de ses choix éthiques contraires à ceux de l’alliance141.
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STULMAN, 2005, p. 101, rappelle le rôle de la langue qui a pouvoir de vie et de mort (Proverbe 18, 21). 139 LUNDBOM, 1999, p. 543. 140 LUNDBOM, 1999, p. 412, souligne que cet oracle s’accorde au début du règne du roi Jehoiakim, entre 609 et 605 avant n. è. 141 BRUEGGEMANN, 1998, p. 76.
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Les mêmes péchés sont évoqués en Osée : « Ils se sont prostitués en quittant leur Dieu » (Osée 4, 12), qui ajoute après avoir expliqué aux prêtres : « Mon peuple périt faute d’intelligence/connaissance. Puisque tu as rejeté, toi, l’intelligence/la connaissance, mon dédain ne te permettra pas de rester mon pontife.... Avec leur puissance croissaient leurs péchés envers moi » (Osé 4, 6-7), soulignant le violent rejet de ces représentants de Dieu auxquels la connaissance divine, qui leur avait été conférée et confiée, est ôtée. Mais, l’expression : « mon peuple » est souvent employée par le prophète dans un contexte de compassion142, et Dieu exprime ainsi son chagrin. Il en déroule l’explication : « Je déteste l’orgueil de Jacob, je hais ses palais » (Osée 6, 8), et la responsabilité de chacun est clairement établie. La critique de l’idolâtrie et des iniquités, s’exprime également en Isaïe, qui place dans la bouche divine les reproches suivants : « Et pourtant ce n’est pas moi que tu as invoqué Jacob ! Non, tu t’es lassé de moi Israël ! » (Isaïe 43, 22), qui s’enfle : « En revanche tu m’as importuné par tes péchés, excédé par tes iniquités » (43, 24). Ainsi servent-ils de confirmation au jugement prophétisé, car : « Puisque ce peuple a dédaigné les eaux de Siloé au cours paisible... », Dieu enverra les eaux puissantes et abondantes du Fleuve (Isaïe 8, 6. 1215)143. L’explication du rejet divin trouve également sa source dans les écrits d’Ézéchiel. La culpabilité d’Israël l’a conduit vers l’exil (Ézéchiel 39, 23-24), dont quatre termes explicitent le contenu. Le premier : uw¿n, « perversion » évoque la transformation des privilèges liés à l’alliance en un droit, le second : matal, l’« infidélité » concerne la relation de son peuple et de Dieu dans le cadre de l’alliance, le troisième : Óumua, l’« impureté », et enfin : peÎat, la « transgression/trahison » de Dieu par la volonté de briser les stipulations de l’alliance144. Le prophète dépeint d’autres motifs d’abandon, dont le matérialisme effréné fait partie et qui a mené le peuple vers sa culpabilité et sa perte. Précisant cette affirmation, il énonce les conséquences de leur 142
Osée 2, 3. 25 ; 4, 8. 12 ; 6, 11b ; 11, 7. Selon BLENKINSOPP, 2000, p. 240, le contraste avec le Tigre et/ou peut-être l’Euphrate est suggéré par le lieu de rencontre du prophète et du roi Ahaz, à proximité de la Vallée du Cédron, à moins qu’il ne s’agisse d’un lieu mythologique. 144 BLOCK, 1998, p. 482-483. COOKE, 1936, p. 422- 423, remarque que ces verbes transmettent un résumé de l’enseignement du prophète, reconnaissant la culpabilité d’Israël avant son retour. 143
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richesse qui les a fait tomber dans le crime (Ezéchiel 7, 19)145, puis souligne : Ñebî tedeyô leguôn Ðmhû, « De l’éclat/la gloire de leur parure/ornement, ils ont fait un objet d’orgueil » (Ézéchiel 7, 20), ajoutant que dans leur arrogance, ils ont fondu les objets d’or et d’argent afin de fabriquer des images et des idoles de toutes sortes146. Figure d’accusée également, la cité de Jérusalem s’effondre sous la liste des accusations (Ézéchiel 22). Victime de son idolâtrie et de son matérialisme, cette : tîr hadmîm, « ville de sang » et : tôtabôteyh, « ses abominations » (22, 2), se couvre : gillûlîm, « d’idoles » (3-4), est fertile en désordres (6), applique des rites idolâtres (9), et accélère ainsi le terme de sa durée (4). Aucune des lois édictées se rapportant à la pureté, la nudité ou l’inceste n’y est respectée (10-11), qui concernent l’outrage envers le père et la mère, l’étranger pressuré, la spoliation de la veuve et l’orphelin (7), et les délateurs responsables des effusions de sang (9). Débauche, amoralité et violence sont devenues choses banales (22, 10-11). L’acte d’accusation des habitants de Jérusalem s’amplifie encore, qui ont accepté des : οad, « dons corrupteurs » pour : Îepke dm, « faire couler le sang », pris de : neÎek wetarebît, « l’intérêt illicite/à usure », et Dieu ajoute : tu as : watebaÑÑetî rƝtayike bat¿Îeq, « Extorqué le bien de ton prochain par la fraude/violence » (22, 12). Une liste sans fin énumère les forfaits commis par les tenants du pouvoir envers les faibles de toutes sortes. Les : nbîu, « prophètes » de la cité : qeÎer, « se coalisent » (nzéchiel 22, 25), kauarî ÎôuƝg, « comme un lion rugissant », qui déchire ses proies et « dévore » les habitants, ils s’emparent des biens et objets de prix, multipliant les veuves. Ils ont des : tpƝl ¿zîm « extravagantes/fausses visions », weq¿semîm lhem kzb : « et leur prophétisent le mensonge » l’attribuant à la bouche divine (22, 28). Les prêtres violent la loi divine, profanent les choses saintes, ne différencient pas entre choses sacrées et profanes, n’enseignent pas à discerner pur et impur, et n’observent pas le shabbat (22, 8. 26). Comparés à des loups déchirant leur proie, les chefs ne pensent qu’à ruiner des existences afin de servir leur intérêt (22, 27). Le peuple s’exerce également à la violence, qui : tÎeqû t¿Îeq, « maltraitent/oppriment les opprimés », wegzelû gzƝl, « et commettent des rapines », spolient le : tnî, « pauvre » et : 145
BLOCK, 1997, p. 264. Selon BLOCK, 1997, p. 265, cette référence présage le texte de 16, 17, dans lequel sont décrites les abominations de Jérusalem avec les trésors sacrés de YHWH. Peutêtre s’agirait-il d’images d’Ashérah et d’objets créés par Manasseh. 146
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uebeyôn « l’affligé/malheureux », et oppriment le : gƝr, « étranger » (22, 29). Dieu, faute d’avoir vainement recherché un homme susceptible de : g¿dƝr gdƝr, « élever un mur (de défense) » et de se : pereÑ, « tenir sur la brèche » en faveur du pays, a fait retomber : darekm ber¿uÎm, « leur conduite sur leur tête » (22, 31). Le prophète rappelle la volontaire idolâtrie des exilés qui ont fait : gillûƝyhem tal libm, « à leurs idoles une place dans leur cœur » (14, 3. 4. 7)147, sans pour autant en préciser le contenu. Ils auraient conservé leurs anciens usages syncrétiques de Juda, tout en présumant de la grâce divine en se rendant auprès du prophète afin d’obtenir une réponse divine148. Aussi, Dieu charge-t-il Ézéchiel d’annoncer sa détermination et ses intentions (14, 3), usant d’une formule peu commune puisqu’il s’engage à sonder les cœurs, qui désignent également l’esprit et l’intelligence, et non les comportements extérieurs : lematan tep¿Î uet bƝyt yiÐeruƝl belibm, « afin de saisir la maison d’Israël par leurs cœurs » (14, 5). Il constate alors que la nation entière s’est : nzar, « détournée » de lui. Dieu, en dépit de son absence du temple détruit s’adresse à son peuple par la voix de son prophète, et son message justifie le châtiment. À l’absence de lieu dédié à la divinité, et à son absence de ce lieu, le discours divin répond et marque sa présence auprès de son peuple dans son exil. Le prophète répond à la question : « où est Dieu », qui ne réduit pas le territoire divin à son aspect topographique et son seul lieu de culte149. Le passage du niveau matériel et concret vers un niveau subtil et empreint de spiritualité met ainsi en scène la profondeur et l’épaisseur de la relation entre Dieu et son peuple. Jugeant les dirigeants de Juda, et usant d’une violente métaphore, le prophète Michée les compare à des cannibales préparant selon des procédés de boucher, puis cuisinant et consommant leur repas d’êtres humains150. L’ordre adopté ne suit cependant pas la logique naturelle
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KUTSKO, 2000, p. 28-29, propose la liste exhaustive des dénonciations d’idolâtrie en Ézéchiel : 5, 9. 11; 6, 3-6. 9. 13 ; 7, 20 ; 8, 3. 5-6. 9-10. 12-17 ; 14, 3. 4-7; 16, 1522. 36 ; 18, 6. 12-13. 15 ; 20, 7-8. 16. 18. 24. 28-29. 30-32. 39 ; 21, 3. 15 ; 22, 3-4. 9 ; 23, 7. 27. 30. 37. 39. 49 ; 30, 13 ; 33, 25 ; 36, 18. 25 ; 37, 23 ; 43, 7-9 ; 44, 10. 12. 148 BLOCK, 1997, p. 425-426, rapporte que les Israélites considèrent que le questionnement de Dieu par le truchement du prophète fait partie intégrante de ses fonctions. Ces enquêtes sont tout particulièrement diligentées lors de de crises (1 Samuel 28, 7 ; 1 Rois 22, 5 ; Isaïe 19, 3). 149 KUTSKO, 2000, p. 27s. 150 MAYS, 1976, p. 77s.
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et concrète d’une recette de cuisine151. Figures d’accusés, les chefs de Jacob et les seigneurs de la maison d’Israël, sont sommés d’écouter l’oracle (3, 1). Dans la question qui leur est posée figure déjà la réponse, « N’est-ce pas à vous de connaître le droit/jugement ? », puis ils sont accusés : « Ils haïssent le bien et ils aiment le mal, ils enlèvent (aux gens) la peau et la chair de dessus leurs os. Ils se nourrissent de la substance de mon peuple, le dépouillent de sa peau, lui brisent les os, le mettent en pièces comme pour la marmite, comme la viande (qu’on cuit) dans une chaudière » (Michée 3, 1-4). Les chefs ne peuvent être identifiés précisément, ni même leur rôle, mais le pluriel semble indiquer qu’il ne s’agit pas d’un souverain en particulier, quand bien même il est inclus dans ce pluriel, en raison de sa responsabilité pour ce qui concerne la justice et son administration. La violence de la peinture de leurs mœurs, est à l’image de leurs péchés. Le prophète ajoute que Dieu se détournera des cris des chefs de Juda : « à cause des méfaits qu’ils ont commis » (Michée 3, 4), et les interpellant, il renouvelle son accusation avec plus de précisions, citant leur haine de la justice et la perversion de ce qui est droit : « Ils bâtissent Sion au moyen de meurtres et Jérusalem au moyen d’iniquités ». Il dénonce ses chefs qui rendent la justice pour des présents, ses prêtres qui donnent leur enseignement pour un salaire, et ses prophètes qui prononcent des oracles à prix d’argent, et osent dire : « Certes, YHWH est parmi nous, aucun mal ne nous atteindra ! Eh bien ! C’est à cause de vous… » (3, 9-12). Michée qui s’adresse au Judéens de Jérusalem annonce le jugement divin envers ces chefs et seigneurs de la cité déjà évoqués plus haut, y ajoute les prêtres et les prophètes, et dénonce fermement leurs pratiques à l’inverse de leurs obligations. Cyniques et se moquant de l’équité, ils exercent au moyen de la corruption et de pots de vin, de la perversion et des mensonges, qui sont coupables et comptables devant la loi et la sagesse que Dieu requiert de son peuple. La construction de Jérusalem réalisée par des effusions de sang et de la violence, évoque peut être également l’oppression des faibles par des entrepreneurs peu scrupuleux. Les prophètes vendent leurs services, tout comme les prêtres. L’évocation qui en ressort illustre une société fascinée par la richesse et le pouvoir. Par ailleurs, l’image spatiale représentant YHWH au milieu de son peuple implique une forme d’assurance apportée en cas de besoin et destinée à rassurer le peuple lors de la crise assyrienne, mais aussi et
151
ANDERSEN et FREEDMAN, 2000, p. 346-358.
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surtout à le manipuler152. Cependant, YHWH n’accepte pas le compromis, qui attend la justice et la droiture, et le texte souligne la contradiction flagrante entre la réalité et le discours mensonger tenu par les chefs et seigneurs seuls responsables de ce qui s’ensuivra. Le prophète emploie l’expression accusatrice : « C’est à cause de vous » afin de souligner leur responsabilité devant son audience et la catastrophe à venir (3, 12). Les trois occurrences figurant en Deutéronome relèvent une démonstration semblable. Deutéronome 31, 18 mentionne le mal accompli et les vers 16-22 augurent qu’Israël se tournera vers d’autres divinités brisant l’alliance avec YHWH : « Ce peuple se laissera débaucher par les divinités du pays barbare où il va pénétrer… » (31, 16). Aussi, est-il prévenu d’éviter les trois formes d’idolâtrie, ne point se « faire de faux dieux », ou ériger de monument, et/ou de pierre symbolique, et ne point peindre d’image, devant lesquels il se prosternerait (Lévitique 26, 1). Cette règle constitue l’essence de l’exigence divine pour Israël153. Il doit en outre observer le shabbat et révérer le sanctuaire (Lévitique 26, 2). L’exigence et la menace se font claires et pressantes, Dieu avertit son peuple de : Îmat, l’ « écouter », faute de quoi les conséquences seront effrayantes (Lévitique 26, 1415)154. Les exigences et les règles imposées ne varient aucunement quels que soient les textes, seule la forme se modifie et YHWH en dépose la responsabilité sur son peuple qui peut ou non créer une telle situation155. Décidé à déterminer le motif du silence divin avant de courir à la poursuite des Philistins, et constater l’origine du péché censé en être la cause, le roi Saül réunit le peuple (1 Samuel 14, 38)156. La narration 152
Selon MAYS, 1976, p. 88-92, peut-être le prophète évoque-t-il les fortifications et les constructions publiques érigées à Jérusalem au moyen du travail forcé sous Ézéchias, qui entreprend de creuser le tunnel de Siloé (2 Rois 20, 20), et étend les constructions royales. 153 MILGROM, 2001, p. 2278. 154 HARTLEY, 1992, p. 464, met en lumière la progression du texte, qui va de la désobéissance à la rébellion ouverte. 155 LEVINE, 1982, p. 181. 156 MISCALL, 1986, p. 96, soulignant la complexité du récit, pose les questions suivantes sans réponse : pourquoi Saül considère-t-il que l’absence de réponse est due à ce péché ? Pourquoi prononce-t-il la peine de mort automatiquement à l’égard du pêcheur ? Lorsqu’il évoque « ce péché », aurait-il dans l’esprit une transgression particulière, en particulier reliée à ses serments précédents ? Pourquoi ne le relie-t-il pas au fait que l’armée s’est nourrie de viande avec le sang (1 Samuel 14, 33) ?
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révèle alors son fils conducteur. Le souverain, avant d’être informé sur les causes de cette dramatique situation, affirme en effet, que quand bien même son fils Jonathan serait à l’origine de cette crise, il serait mis à mort. Or, le récit rappelle que le roi avait adjuré le peuple de jeûner jusqu’au soir et tant qu’il n’avait pas fait justice de ses ennemis (1 Samuel 14, 24). Mais, Jonathan, ignorant des ordres de son père, goûte le miel qu’il découvre dans le bois qu’il traverse, et qui lui éclaircit la vue (1 Samuel 14, 27). Le texte, pétri d’ambiguïtés, révèle que le silence divin imputé au péché de Jonathan d’avoir consommé du miel avant la bataille, et de fait, soutenu par Dieu, ne trouve pas d’explication apparente. En outre, le roi prêt à partir en campagne et qui croit en son étoile, ne se pose aucune question, seul le prêtre souhaite interroger l’oracle et crée à ce moment une tension tragique dénouée par le peuple. Démenti L’orant ne manque pas, en de nombreuses occasions, de rappeler qu’il n’oublie pas YHWH, ni son alliance. Chez le Psalmiste, la négation de l’oubli choisit entre deux formes, dont l’une est affirmative et/ou impérative. Ainsi, certaines lamentations attestent que leur alliance n’a pas été oubliée. Et, le Psaume 119 répète par huit fois que l’orant ne doit pas oublier les paroles divines (16), qu’il n’a point oublié la loi divine en dépit des circonstances poignantes (61. 109. 153), ni les préceptes divins (83. 141), n’a pas dévié de ses règles (102), de ses préceptes (110), ou de ses statuts (157) et promet : « Jamais je n’oublierai tes préceptes (93), puis se clôt sur l’indiscutable affirmation : « Je n’ai pas oublié tes commandements » (176). Le poète du Psaume 44, 18-19, soutient que le peuple n’a pas oublié Dieu, qui rapporte le discours de l’orant : « Tout cela nous est advenu, nous ne t’avons pas oublié, nous n’avons pas : Îqar, « trahi » ton alliance. Notre cœur n’a pas rétrogradé, ni nos pas n’ont dévié de ton chemin ». Ces formules expriment tant l’inquiétude que l’espérance d’une réponse mettant en exergue l’urgence de l’intervention divine face à une situation intolérable vécue tant par l’individu que par le peuple. Par opposition et devant ces affirmations utilisant des formules négatives, des formules positives se rapportant au présent et au futur, émaillent le Psaume 119, qui relèvent et témoignent que le poète se Pourquoi ne demande-t-il pas à l’armée quels péchés ont été commis ? Pourquoi le nom de Jonathan vient-il à ses lèvres immédiatement ?
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conforme à la loi divine (44. 55), se souvient du nom divin pendant la nuit (55), est fidèle aux paroles divines (57), s’empresse d’obéir aux commandements (60), médite les préceptes divins (78), et tandis que son cœur est sincèrement attaché aux lois (80), il place son espoir en la parole divine (81), et ses yeux se consument dans l’attente de cette parole (82). Il soutient : « Combien j’aime ta loi » (97. 113), respecte les préceptes divins (100), dans lesquels il a puisé son savoir (104), et assure : « Ta parole est un flambeau » (105), requiert que lui soient enseignés les préceptes divins (124), déclare encore qu’il aime les commandements divins plus que l’or (127), qu’il désire les observer (145), espère en la parole divine (147), témoigne : « J’observe tes prescriptions et tes statuts » (168), puis conclut : « Ma langue chantera ta parole » (172). Nombreuses, les protestations d’innocence et d’incompréhension réfutent toute notion de culpabilité d’orants et/ou du peuple qui se sent rejeté par Dieu157. Si les Psaumes inscrivent leur champ de réflexions et de prières dans un questionnement empreint d’inquiétude et parfois d’incompréhension adressé à Dieu chargé d’expliquer son rejet, les prophètes, les narrations et les lois, par les éclaircissements motivés et largement développés et apportés au peuple, annoncent son abandon, le jugement divin et le tragique déroulement de ses conséquences. Dieu s’en explique en s’adressant à son peuple : « C’est vous seuls que j’ai distingués entre toutes les familles de la terre, c’est pourquoi je vous demande compte de toutes vos fautes » (Amos 3, 2). Mais, à aucun moment, il ne s’agit d’une décision divine inique, seules la désobéissance, la mise à l’épreuve et la responsabilité humaine sont à mettre en cause158. Absence de péché et d’iniquité Job affirme : « Je suis innocent, et Dieu m’a refusé justice » (34, 5). Aussi le questionne-t-il : « J’ai expié sans être coupable. Ce qu’il m’est impossible de voir, apprends-le moi toi-même ; si j’ai commis des injustices, je ne récidiverai pas ? » (Job 34, 31-32). De fait, dès le premier chapitre, cet ouvrage met en situation le motif initial des tourments qui lui ont été infligés et sont développés tout au long du récit. Tandis que Dieu considère son serviteur comme 157
GERSTENBERGER, 1988, p. 182s. GERSTENBERGER, 1994, p. 78, exprime la nécessité de considérer cette question : « Comment l’homme peut-il et doit-il être propre à tout/capable de tout ? », qui relativise la question de l’absence de péché. 158
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« intègre et droit, craignant Dieu et évitant le mal » (Job 1, 1), Satan instille le doute dans l’esprit divin lui affirmant : « Est-ce donc gratuitement que Job craint Dieu ? N’as-tu pas élevé comme une haie tutélaire autour de lui, de sa maison et de tout ce qui lui appartient ? Tu as béni l’œuvre de ses mains et ses troupeaux se répandent dans le pays. Or çà, étends une fois ta main et touche ce qui est à lui ; et (tu verras) s’il ne blasphémera contre ta face ». Satan va ainsi provoquer la série d’épreuves que Job devra vivre car YHWH lui répond : « Eh bien, tout ce qui lui appartient est en ton pouvoir ; seulement tu ne le toucheras pas lui-même » (Job 1, 6-12). Le chapitre suivant, évoque la tentative de Satan d’arracher la vie de Job, mais qui ne l’obtient pas, ne recueillant de Dieu que l’autorisation d’altérer la santé de son serviteur (2, 5-6), lui infliger la perte de ses proches, et de ses richesses matérielles. Et, lorsque Dieu constate que les souffrances imposées n’ont pas détourné de lui son fidèle serviteur, les épreuves de Job prennent fin. Auparavant, Dieu l’abandonne au représentant du mal, qui apparaît clairement dans cet ouvrage, reliant ainsi les puissances infernales aux malheurs et aux tourments. Satan, représentant non de Dieu, mais de lui-même, se voit autorisé à mettre en œuvre sa puissance destructrice, avec l’aval divin, qui pour autant marque la limite au-delà de laquelle il ne lui est pas permis d’aller. Sur le chemin des épreuves qui l’attendent, l’un des amis du héros pose la question suivante qui lui a été chuchotée par Dieu : « L’homme peut-il être juste devant Dieu ? Le mortel peut-il être pur au gré de son créateur ?» (Job 4, 17)159. Le silence divin devant les épreuves imposées n’induit nullement le rejet ou l’éloignement divin, et n’est pas un témoignage de sa défaveur et/ou de la colère divine, mais répond à la funeste mise à l’épreuve à subir et dont la cause reste un mystère pour le héros160, en raison de l’abîme entre Dieu et lui161, et également parce qu’il doit accomplir son parcours initiatique. Une nuance d’importance entre les Psaumes comportant la mention du dieu distant et les autres textes, qu’ils soient prophétiques, législatifs et historiques réside dans la quasi-absence de termes évoquant le péché ou toute autre forme de transgression162. Ce défaut de référence 159 CLINES, 1982, p. 199-214, met en lumière les divers arguments des amis de Job qui partagent le présupposé d’un lien entre péché et souffrance. Leur esprit statique s’oppose à celui du héros, flexible et expérimental. 160 de JONG, 2013, p. 126. 161 TERRIEN, 1961, p. 40-42. 162 BALENTINE, 1983, p. 53.
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au péché et les protestations d’innocence du suppliant dans certains des Psaumes, ne paraissent, en apparence, pas toujours justifier la dérobade divine. Aussi semble-t-il malaisé de relier, dans ce cadre, péché et châtiment systématiquement. Mais il est parfois possible d’évoquer une mise à l’épreuve de l’orant. D’autres textes mettent en lumière des situations où, de nombreux péchés et des exemples de désobéissance, qui vont de l’iniquité et ses différentes formes à l’apostasie, figurent dans la peinture des motifs d’éloignement divin, et se cumulent le plus souvent. Le peuple, les individus, et/ou certains de ses dirigeants politiques et religieux en portent la responsabilité, dont les nombreuses offenses, ont provoqué l’irritation divine et la séparation et/ou la distance, dont les formes ont été évoquées plus haut163. Une protestation d’innocence figure, en outre, dans de nombreux Psaumes (Psaume 44), confirmant le défaut systématique de lien entre péché et détournement divin. Le rôle de l’épreuve, apparaît alors comme l’apprentissage d’une forme de sagesse et la prise en main de son destin face à soi-même sans attendre une autre aide fût-elle divine. Au contraire, l’orant du Psaume 51, 11 sollicite de Dieu de se détourner de ses péchés inscrivant comme une reconnaissance de ses fautes et une demande de pardon164. Colère divine À l’origine des manifestations de l’absence divine, l’intégralité de ces témoignages accuse tant les individus que le peuple, l’ensemble des responsables religieux et politiques. Aussi, la colère divine est-elle une réaction à ces inconduites, qui mène au rejet et ses diverses conséquences et expressions. Les textes témoignent de ce lien direct. Ils évoquent, entre autres, l’arrogance démesurée des impies, qui ne craignant rien, préparent le pire (Psaume 12, 5 ; 14, 1 ; 74, 8 ; 83, 5. 13 ; 94, 7), les voleurs et assassins qui se cachent et la justice qui n’est pas rendue (Psaume 58, 2 ; 94, 5). La richesse du vocabulaire, s’appliquant à aux sentiments et aux émotions atteignant Dieu, vont de 163
GRIFFIN, 1997, p. 108, rappelle que Dieu et les Israélites se traitent chacun de manière négative, mais différemment. Ces derniers, agissent en général à l’encontre des valeurs divines adoptant une éthique contraire à celle de l’alliance et rejettent Dieu. Ainsi, pour ce qui concerne l’éthique qui représente 37 % des actions envers Dieu, 27% ont trait à une éthique négative, p. 105 tableau 9. 164 Selon REINDL, 1970, p. 92s., 107s., le voilement de Dieu, est lié à son choix de ne pas voir ou entendre. Ce n’est que sous l’influence prophétique que la formule : « cacher sa face/ses faces », est identifiée à l’idée de punition pour le péché. WEISER, loc. cit., (n. 11), p. 101, considère que l’absence divine s’enracine tant dans son absence du culte que du temple.
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la simple colère à la plus extrême des fureurs, selon les textes et les contextes165. Le peuple souffre de ce violent rejet et de ses effets, dont il est cependant à l’origine. Le psalmiste affirme à de nombreuses reprises cet état de fait et rapporte l’irritation de Dieu dont divers termes témoignent : « Tu t’es : unap, « irrité/fâché » (Psaume 60, 3), aussi interroge-t-il : « Pourquoi… ta : uap, « colère » est-elle embrasée contre le troupeau de ton pacage ? » (Psaume 74, 1) ou requiertil employant toujours ce même terme : « Ne me réprimande pas dans ta colère » (Psaume 6, 2), ou encore « Ne repousse pas ton serviteur avec colère » (Psaume 27, 9) à moins qu’il ne la constate (Psaume 78, 31) et remarque qu’elle s’apaise (Psaume 78, 38). Il semble ne pas saisir la cause du refus divin d’accueillir la prière de son peuple (Psaume 80, 5), et sollicite avec impatience : « Seras-tu à jamais :unap, « courroucé/fâché/irrité » contre nous ? Feras-tu d’âge en âge : mÎak, « durer/prolonger » ta colère ? » (Psaume 85, 6), comparée à du feu et qui renforce l’image de l’intensité de la fureur divine (Psaume 89, 47). Ce verbe et sa forme nominale sont les plus usités afin d’exprimer la colère divine parfois reliée au feu (74, 1)166. Le psalmiste constate que Dieu s’est :tbar, « emporté/irrité » contre lui l’accusant d’avoir rompu l’alliance (Psaume 89, 39), l’interpelle : « Ta Ɲmh, « fureur/venin » pèse sur moi », qui l’enveloppe comme les flots (Psaume 88, 8), ajoute : « Sur moi tes : rôn, « colères » ont passé, tes : tawweth , « épouvantes/terreurs » m’ont anéanti » (Psaume 88, 17), sollicite : « Détourne ta : katas, « colère/chagrin/affliction » de nous » (Psaume 85, 5), et ce dernier terme n’apparaît qu’une seule fois dans les Psaumes, qui est la réponse divine à un comportement insultant envers lui, en particulier la violation des premier et second commandements167. Le poète accuse : « Jusqu’à quand ta : tÎan, « colère » fumera-t-elle/seras-tu irrité contre la prière de ton peuple ? » (Psaume 80, 5). Le terme : 165
KRUGER, 2000, p. 182, rappelle que la dizaine de termes se référant à la colère s’élève à sept cent quatorze occurrences dont cinq cent quatorze concernent la colère divine, et cent quatre-vingt-seize la colère humaine. 166 BROYLES, 1989, p. 64, remarque que dans les Psaumes, cette forme de colère divine est dirigée contre ses ennemis et son peuple et ce terme figure en un nombre de fois équivalent. Le nom se réfère tant au nez qu’à la colère, et peut-être y-a-t-il un lien entre ces deux significations puisque la colère se constate par une intense respiration ou dilatation des narines. 167 Selon BROYLES, 1989, p. 65, lorsque les textes évoquent la colère, Dieu en est le sujet trois fois plus que l’homme.
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rôn, évoque une colère particulièrement ardente, un intense embrasement, et s’applique toujours à la colère divine, qui est le plus souvent associée à : uap168. Le psalmiste quémande à propos de ses ennemis : « Répands sur eux ta : zatam, « colère/rage » (Psaume 69, 25), et ce terme toujours employé dans des contextes poétiques évoque tant une malédiction que la colère. Le poète évoque ses souffrances les expliquant tant par la : zatam, « colère/rage » (Psaume 102, 11), que la : qeÑep, « colère/écume/indignation » divines et qu’il associe (Psaume 102, 11 ; 38, 2). Il peut la redouter, et implorer de ne pas être repoussé avec colère (Psaume 27, 9). Le Psalmiste reconnaît parfois que le peuple idolâtre déchaîne la colère divine ainsi que l’atteste le verbe : ktas, « irriter/offenser/affliger » (Psaume 106, 29 ; 78, 58). L’irritation divine envers le peuple est encore assurée par le verbe : tbr, « s’irriter » (Psaume 78, 21). Les lamentations s’en font également l’écho, témoignant de la « colère/écume/indignation » divine (5, 22). Néanmoins, Dieu pardonne et souvent laisse : « Sa colère s’apaiser et prend garde de déchaîner son courroux » (Psaume 78, 38), car il sait que les hommes sont : « Un souffle qui s’évanouit sans retour » (39). Outre ces textes, les récits prophétiques en bruissent également. Nombreux, les termes de colère figurent en Jérémie, et qui sont parfois accouplés afin de leur offrir une plus extrême puissance. Dieu exprime son courroux par l’expression : « Vous avez allumé un : ueÎ, « feu » dans mes : uap, « narines/de colère » (Jérémie 17, 4). Ce dernier terme est repris en Jérémie 44, 6. Par ailleurs, le peuple considère comme juste que Dieu détourne sa : uap, « colère » (Jérémie 2, 35). Le texte rappelle les Chaldéens frappés par la : Ɲmh, « fureur/venin » divine (Jérémie 33, 5). Le prophète emploie également le verbe : ktas, « irriter/offenser/affliger » dont la responsabilité incombe aux villes de Juda en général et à Jérusalem en particulier. Puis, le prophète (30, 24) rappelle que l’ardente colère divine ne sera apaisée que lorsque Dieu aura : « Exécuté, accompli les desseins de son cœur »169. Isaïe constate devant le peuple que Dieu a lancé : « la : Ɲmh, « fureur/venin » de sa : uap, « colère », mettant exergue la violence du sentiment de la divinité qui envoie alors : « la force/puissance de la guerre » (42, 25). Et, ce terme : Ɲmh, accompagne une brûlante 168
BROYLES, 1989, p. 64, précise que sur quarante et une occurrences de ce terme trente-cinq sont construites avec : uap. 169 GUNKEL, 1998, p. 89.
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colère. En outre, en multipliant ainsi le regroupement des termes définissant les différents aspects de la colère, les textes soulignent la vigueur de cette expression divine170. Le prophète (63, 3-4) place dans la bouche divine cette abondance redondante d’affirmations : « Je les ai : drak, « pressurés/pressés/écrasés/marché sur » dans ma : « colère », rmas, « écrasés/foulés aux pieds/opprimés » dans ma « fureur/venin ». Revenant sur ce thème, il proteste s’adressant à Dieu : « Tu : qÑap, « étais en colère/ irrité » à cause de nos fautes » (64, 4), puis éploré, sollicite : « N’entre pas trop en colère » (64, 8). Ézéchiel porte à la connaissance du peuple l’intention divine : « Je déchaînerai ma : uap, « colère » (nzéchiel 7, 3), qui menace encore : ueÎepôk amtî : « Je déverserai ma « fureur/venin », utilisant l’image d’un chaudron bouillant dont le contenu est versé sur sa victime, et qui est accouplée à cette formule : wekillƝytî uapî : « J’épuiserai ma colère » (7, 8), mettant en valeur la richesse sémantique attachée à ce concept et parallèlement la violence de l’exaspération divine qui mène son peuple vers un tragique destin. Le verbe : ktas, « irriter », apparaît à la suite de la description des péchés du peuple, qui définit à ce moment particulier le sentiment divin (nzéchiel 8, 17). Une métaphore comparable dépeint Dieu, déversant sa : zatam, « colère/rage » et dans le : uƝÎ « feu » de sa : tberh, « grande colère/fureur », qui a voulu en finir avec son peuple ((nzéchiel 22, 31). De même, le Deutéronome, où Dieu prévoit le devenir de son peuple qui l’abandonnera, et brisera l’alliance conclue, évoque-t-il la colère divine. Aussi, promet-il que ce jour-là sa : uap, « colère » s’enflammera contre lui, je les abandonnerai… Et il deviendra la pâture de chacun, et nombre de maux et d’angoisses viendront l’assaillir… » (Deutéronome 31, 16-18). Dieu avertit qu’un feu s’est allumé dans sa colère qui dévore « jusqu’aux profondeurs de l’abîme », consume la terre et embrase les fondements des montagnes (Deutéronome 32, 22). Aussi, Moïse, prévenu du comportement du peuple, lui explique-t-il : « Car je sais qu’après ma mort vous irez dégénérant et que vous dévierez du chemin que je vous ai prescrit, 170
KLEINKNECHT, STÄHLINDAL et FICHTRER, 1962, p. 23, rappellent que ces deux termes sont regroupés environ une quinzaine de fois, et soulignent d’autres regroupements en Isaïe 13, 9, Psaume 102, 11 ; Deutéronome 29, 27 et Psaume 78, 49. La réunion d’un mot désignant la colère avec les appellations divines comporte essentiellement le nom : YHWH, et les termes : uap, Ɲmh, tberh, et qeÑep, sont regroupés plus de cinquante fois avec YHWH.
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mais il vous arrivera malheur dans la suite des temps, pour avoir fait ce qui déplaît au Seigneur, pour l’avoir offensé par l’œuvre de vos mains » (Deutéronome 31, 29). Afin de souligner d’autant sa trahison, le cantique suivant du Deutéronome rend hommage à Dieu pour les bienfaits dont il a comblé son peuple depuis qu’il l’a choisi, puis met en parallèle son impiété et sa déloyauté, qui s’est tourné vers d’autres dieux, provoquant non seulement son irritation, mais également son chagrin d’être abandonné, puisqu’en effet, le feu de la colère exprime en parallèle la violence de sa douleur (Deutéronome 32)171. Apportant des explications aux temps à venir, et aux épreuves qui attendent le futur peuple impie, le texte annonce la dévorante ire divine, qui mènera à son abandon, ne fut-ce que pour un temps. Ainsi, Dieu se détourne, et les malheurs fondent sur son peuple, soit qu’il punisse de sa main, envoie des ennemis, ou bien encore s’étant détourné, laisse la voie libre au pire. Chagrin divin YHWH, à la fois absent et présent, répond par une question en même temps constatation rapportée par le prophète : madûta hiketisûnî bipesilƝyhem, « Pourquoi aussi m’ont-ils contrarié par leur idoles ? » (Jérémie 8, 19). Consterné, il remarque encore : mabelîgîtî talƝy ygôn tlay libî dawwy, « Comme je voudrai dominer ma douleur ! Mon cœur souffre au dedans de moi », ajoutant : hÎebaretî qdaretî Îammh heeziqtenî, « Je suis brisé ; je suis voilé de deuil, en proie au désespoir » (Jérémie 8, 18. 21). Puis, dans une lamentation aux envolées dramatiques et poétiques interroge : mî itƝn r¿uÎî mayim wetƝynî meq¿r dimeth weuebekeh yômm wlayelh uƝt alelƝy bat tammî, « Qui peut faire que ma tête se change en fontaine/eau, mes yeux en source de larmes ! Je voudrais pleurer jour et nuit ceux qu’a vus succomber la fille de mon peuple ! » (Jérémie 8, 23). Cette question reste sans réponse172. Souffrance et colère sont tissées par des motifs d’irritation qui trouvent leur source dans le comportement et/ou les manquements du peuple et/ou des individus173. Dieu souffre, et se tourmente des châtiments qu’il se doit d’infliger (Jérémie 5, 29). Désespéré (Jérémie 171
GRUBER, 1977, p. 295s. Selon BRUEGGEMANN, 1973, p. 94, la maladie du peuple qu’est l’idolâtrie est enracinée trop profondément afin de pouvoir le sauver. LUNDBOM, 1999, p. 537, l’explique par le fait qu’il ne se soit pas tourné vers YHWH, le seul thérapeute possible (Exode 15, 26 ; Psaume 103, 3 ; 147, 3 ; Osée 6, 1-3). 173 KLEINKNECHT, STÄHLINDAL et FICHTRER, 1962, p. 38. 172
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9, 1), son accablement prend les cieux à témoin, auxquels il ordonne : weÐatarû, « et soyez épouvantés » (Jérémie 2, 12)174. Son accablement prend aussi d’autres formes anthropomorphiques, tels ses pleurs répandus nuit et jour sans discontinuité (Jérémie 14, 17). Signe de l’affliction divine, les larmes de YHWH sont à nouveau évoquées en Jérémie 13, 17, à propos du prochain châtiment de son peuple175. L’expression de la tristesse divine emprunte d’autres aspects plus allusifs constatant l’abandon, le rejet et l’oubli, aussi en Isaïe 1, 4-9, adopte-t-elle la forme d’une douloureuse relation entre un père et son enfant qui l’a abandonné en dépit de ses soins et de son amour. De même, en Jérémie 2, 2 où ayant choisi l’imagerie maritale, et rapportant ses souvenirs des temps heureux des prémices de leur union, Dieu souligne d’autant son chagrin actuel alors que l’épouse n’exprime plus ni amour ni dévotion. La suite du texte (Jérémie 2, 29), place au premier plan des questionnements divins qui sont autant d’accusations possibles envers son peuple, et qui expriment indirectement l’affliction : « Pourquoi me prenez-vous à partie ? Tous vous m’avez été infidèles »176. En Michée 6, 3, Dieu questionne son peuple : « Que t’ai-je fait ? », et souligne avec insistance combien ce temps est un moment de chagrin et d’angoisse tant pour lui que pour son infidèle épouse. Osée 11, 1. 3, emploie une autre métaphore, celle du jeune enfant que Dieu dans son amour semblable à celui d’un père et d’une mère, guide dans ses premiers pas et qu’il ne peut abandonner en dépit de ce qu’il en est : « Quand Israël était jeune, je l’aimais, du fond de l’Égypte, j’ai appelé mon fils… Pourtant c’est moi qui ai dirigé les pas d’Ephraïm. Je les ai pris sur les bras ». Et, toute l’émotion est exprimée au travers de la formule : « Je l’aimais ». Les textes prophétiques dépeignent un Dieu aux émotions puissantes, plutôt que comme une force calme. Pour autant, jamais capricieux, il n’est pas submergé par l’amertume et l’amour pour son peuple ne faiblit pas. Il exprime fréquemment sa colère tant envers son peuple que les autres nations, dont les formes vont de l’irritabilité à la plus extrême furie, tandis que les humains expriment leurs peines et leurs chagrins. Il ne s’agit pas d’un attribut, d’une disposition ou encore d’une qualité inhérente à la nature divine, mais plutôt d’un état 174 BRUEGGEMANN, 1973, p. 36, rappelle que les cieux et la terre savent que YHWH est le seul vrai Dieu, aussi les premiers peuvent-ils être pris à témoin (Psaume 96, 11). 175 GRIFFIN, 1997, p. 228, analyse les relations émotionnelles divines avec les Israélites et/ou les étrangers comme celles d’un adversaire. 176 FRETHEIM, 1984, p. 114-119.
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d’esprit ou de l’âme177, déterminé par l’action humaine. Le rejet puis le châtiment en sont la conséquence directe, qui menacent (Lévitique 26, 30), et en dépit des prières des orants et/ou du peuple, se réalisent. En conséquence, à chaque cause de culpabilité178 correspond une sanction. L’alliance, ne semble pas brisée pour autant, puisque Dieu en dévoilant sa colère et/ou son chagrin, puis en châtiant son peuple lui signifie la continuité de son intérêt et de son élection. L’affliction d’origine affective et liée à ses relations à un peuple comparé à un enfant ou une épouse, exprime bien l’interaction révélée par les textes et les émotions ressenties179. Puis, après avoir constaté l’oubli, le rejet, ou l’abandon dont il est l’objet, et ses conséquences sur le comportement de son peuple, le châtiment se laisse d’ores et déjà entrevoir. S’il n’est pas immédiat, puisque Dieu espère l’amendement de son peuple, il figure déjà en arrière-plan. Parmi les modes de réflexion et d’action, Dieu enquête et questionne, dénombre la liste les horreurs accomplies, questionne à nouveau, puis, en sa qualité de juge, se voit contraint d’énoncer une peine et agir envers son peuple. Le questionnement divin s’impose comme formulation et argumentaire de l’oracle de jugement dont la réponse est connue, sorte d’anticipation d’une condamnation180. Michée (6, 3-5), place dans la bouche divine cette question sarcastique et dans le même temps affirmation du droit du défendeur à apporter ses arguments : « Ô mon peuple ! … Expose (tes griefs) contre moi ». Pour autant, le jugement divin tombe puis le châtiment atteint le 177
HESCHEL, 1955, p. 77. BROYLES, 1989, p. 55-80, considère que quatre réponses divines sont exposées dans les Psaumes, ainsi l’orant proteste à propos de la colère divine, du rejet et de l’oubli divins, et de Dieu cachant sa face. 179 Selon TALSTRA, 2009, p. 171, la commune histoire de Dieu et d’Israël est liée à la vie réelle, qui comporte l’expérience de la douleur des deux côtés. 180 GUNKEL et BEGRICH, 1993, p. 364-365, proposent un schéma du procès : description de la scène de jugement, discours du plaignant, le ciel et la terre sont nommés juges (Isaïe 1, 2-3), convocation du défendeur, appel à la seconde personne du défendeur, accusation sous forme de question, réfutation éventuelle par les arguments du défendeur, puis accusation. Il peut varier et emprunter cette autre forme : description de la scène de jugement, discours du juge, convocation du défendeur, reproches, mise en évidence de l’absence de défense de l’accusé, prononciation de la culpabilité, et sentence. Selon HUFFMON, 1959, p. 295, deux sortes de procès sont attestés chez les prophètes, dont l’une est reliée au conseil divin et l’autre, s’il est fait appel aux éléments naturels, aux témoins de l’alliance comporte un prologue historique, qui est une accusation d’Israël pour avoir brisé l’alliance. 178
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peuple choisi et toujours aimé afin de le faire revenir dans les voies espérées.
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III EFFETS Oubli, non-application des accords de l’alliance, péchés et culte d’autres divinités voient leurs effets négatifs et récurrents s’imprimer sur le devenir d’Israël, qu’il s’agisse de sa dispersion et/ou de sa destruction. La séparation d’avec Dieu, sa première conséquence, emprunte divers aspects, qui vont des chagrins à l’oubli, à la mort et la destruction. Tout motif s’accompagne d’un châtiment, juste réponse dont il évalue l’exigence et le contenu. Le jugement divin peut prévoir une juste punition alors que le peuple n’a : mûsr l¿u lqû, « pas voulu accepter l’avertissement » (Jérémie 2, 30)181. Tous peuvent être touchés par la décision divine, l’orant, le peuple et ses dirigeants, le pays et le temple : « Car c’était un jour de revanche dans ma pensée, l’année de mes représailles était venue » (Isaïe 63, 4). Dieu annonce une sanction : hiwwserî, « Soit prévenue », ô Jérusalem, sans cela mon âme se détachera de toi, sans cela je ferai de toi une solitude, une terre inhabitée » (Jérémie 6, 8), qui ne prévoit pas la destruction de son peuple : « Je ne te détruirai pas, et je te châtierai avec mesure, mais je ne pourrai te laisser impuni » (Jérémie 30, 11), ou menace : « J’entasserai sur eux tous les malheurs, contre eux j’épuiserai mes flèches » (Deutéronome 32, 23), métaphore de la dévastation. Et, parfois Dieu procède à un envoi de : maleuakƝy rtîm, « anges malfaisants », suffisamment nombreux et missionnés afin d’infliger malheurs et fléaux (Psaume 78, 49). Châtiment de l’orant Le langage dépeint l’incapacité et la détresse physique du psalmiste, préoccupé de ce qui l’affecte, et souligne sa vulnérabilité. Son répertoire évoque un corps affaibli, expression et conséquence de sa souffrance morale, par lequel il quémande l’attention et l’intervention divines. L’image du poète dont les : tayin, « yeux » sont : tÎƝÎ, « usés/obscurcis/fondus » par le chagrin et la tristesse en raison de son désespoir extrême (Psaume 6, 8 ; 31, 10)182, où : klu, « éteints/fermés » dans l’attente du secours divin (Psaume 69, 4), ttaq, « vieillissent » (Psaume 6, 8), duab, « se consument/fondent en larmes » en raison de sa : t¿nî, « misère/souffrance /affliction »
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Ce verbe est attesté en toutes les occurrences où le peuple paraît ne pas accepter la punition prévue excepté en Jérémie 30, 14, et se réfère toujours au passé, KRAOVEC, 1999, p. 441-442. 182 GRUBER, 1977, p. 311-312.
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(Psaume 88, 10), brosse avec le seul emploi du langage des yeux183, métaphore de l’affliction et de l’anxiété le tableau d’un être graduellement détruit. Les textes usent également du langage de tous les organes du corps comme symbole. « Je suis comme l’eau qu’on répand » affirme le psalmiste (Psaume 22, 15), ajoutant : ma : lÎôn, « langue » est : dbaq, comme « collée/attachée » à mon : maleqôayîm, « palais/partie supérieure et inférieure de la bouche » (Psaume 22, 1516), exprimant ainsi ses craintes184. Sa : grôn, « gorge » est : r, « enflammée » (Psaume 69, 4). Ses : berak, « genoux », kÎal, « fléchissent/flageolent/s’affaiblissent/trébuchent » en raison du jeûne, et son corps est : kaaÎ, « amaigri » (Psaume 109, 24). Par ailleurs, un feu : rta, « brûle/fait bouillir » les : mƝtî, « entrailles » de Job (Job 30, 27) et sa : tôr, « peau » se détache (Job 30, 30), car le héros est frappé par la : Îeîn, « lèpre » sur l’intégralité de son corps, des : regel, « pieds » au : qdeq¿d, « sommet de la tête » (2, 7-8), qui se couvre de rides et s’amaigrit (Job 16, 8). Ces tourments dévastateurs imposés au personnage, le mènent vers une prise de conscience et une révélation prophétique de la présence immédiate de la divinité : « Je t’ai entendu avec mon oreille, et maintenant mon œil te vois ! » (Job 42, 5)185. L’évocation de l’image d’un homme, dont le : lƝbb, « cœur » est : kuh, « brisé de douleur » (Psaume 109, 16), lal, « blessé » (Psaume 109, 22), Îbar, « brisé/déchiré/détruit/rompu » (Psaume 51, 19 ; 69, 21), ou : sar, « palpite violemment/est agité » en signe de peur186 (Psaume 38, 11), est : ygh, « tourmenté/affligé » par la douleur chaque jour (Psaume 13, 2), ybƝÎ, « flétri, desséché » comme l’herbe (Psaume 102, 5), ÎmƝm, « saisi de trouble/épouvanté » (Psaume 143, 4), « comme de la cire qui fondrait au milieu de mes entrailles » (Psaume 22, 15), souligne encore sa fragilité et ses tourments. Siège de la vie (2 Samuel 18, 14), de l’esprit ((Job 9, 4), des émotions, des sentiments et de l’amour, des passions, de la gaîté et des peines (Juges 16, 15), de la sensibilité, de la volonté et du jugement (1 Samuel 14, 7), de la pensée et de l’intelligence, de la morale et de la droiture (Psaume 51, 12), le cœur signale également le centre, le 183
GRUBER, 1977, p. 313s. KRUGER, 2001, p. 84. 185 TERRIEN, 1961, p. 268-269. GOOD, 1990, p. 374-375. 186 KRUGER, 2001, p. 80. 184
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milieu (Deutéronome 4, 11), aussi les qualificatifs décrivant l’orant symbolisent-t-il la perte des capacités, des moyens et des repères non seulement physiques mais aussi éthiques, psychologiques, intellectuels et spirituels, tout autant que de son équilibre, car incapable d’apporter une réponse aux situations de violence vécues, il se laisse envahir par l’inquiétude, les angoisses et les tourments, comme en état de mort. Souffrant et diminué, le suppliant est affecté et désespéré, qui perd ses forces physiques, dont la vigueur l’a abandonné, le corps s’est usé, Îa, « affaissé ». Ces postures corporelles, peignent son état de dépression187 (Psaume 38, 7), dont la : k¿a, « force/vigueur » s’est : kÎal, « affaiblie/a fléchi/a trébuché/est tombée » (Psaume 38, 11), et : ybƝÎ, « desséchée/devenue aride » comme un : ereÐ, « tesson/de l’argile » (Psaume 22, 15), et les :teÑem, « os » sont : tÎƝÎ, « usés/consommés » (Psaume 31, 10-11), rah, « brûlants » comme un brasier » (Psaume 102, 4), dbaq, « collés/attachés » à sa : bÐr, « chair » (Psaume 102, 6), tandis que (pendant) la nuit (la douleur) : nqar, les « transperce/ronge » (Job 30, 17), dont les membres ont été : dkah, « brisés/broyés » (Psaume 51, 10), prad, « se disloquent » (Psaume 22, 15), et sont : rÑa, « assassinés » (Psaume 42, 11), « brûlés » par le feu de la : ¿reb, « fièvre » (Job 30, 30), et les : t¿reqîm, « nerfs/artères » ne jouissent d’aucun : Îkab, « repos/sont toujours agités » (Job 30, 17), lorsque Dieu lui dérobe sa face et qui est exténué à force de : gth, « mugir/crier » (Psaume 69, 4). La violence de ces maux atteint l’orant diversement, qu’il s’agisse de l’exclusion de sa parole, de sa vue affaiblie, de sa peau, liées à son enveloppe visible et interface avec le monde extérieur, jusque ses entrailles partie la plus profonde et essentielle de son être de même que ses os dont le rôle est de maintenir son squelette. Et, plus son organisme se dissout en raison de ces traumatismes divers, plus la dureté de son corps s’efface de même que sa capacité à supporter les violences extérieures s’évanouit, ne lui laissant aucune disposition de résistance aux épreuves, expression de la désintégration de la structure de son squelette et de son corps. Intérieur et extérieur sont atteints et détruits, qui réduisent ses forces à néant les menant vers leur dissolution. La puissance symbolique des descriptions de somatisations souligne un désespoir profond, mais, ne perdant à aucun moment la conscience de cette situation, le psalmiste ne s’abandonne pas au renoncement. 187
KRUGER, 2005, p. 190.
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Les références à la mort et l’au-delà sont abondantes dans les Psaumes188, qui décrivent de nombreux symptômes de terreur. Ainsi, le : bÓen, « corps/ventre/entrailles/cœur/pensée » de l’orant dans sa totalité tant physique que mentale et psychologique est : dbaq, « attaché/collé » sur le sol, frappé de paralysie (Psaume 44, 26), qui peut être : bhal, « frappé d’épouvante » tandis que la mort le menace (Psaume 104, 29 ; 143, 7)189, à moins qu’il ne soit expédié au shéol attendant la mort étendu dans la poussière (Psaume 22, 16)190, ll, « frappé » par la main divine (Psaume 88, 6). Le poète cite ceux qui : gwat, « expirent/périssent » et : Îûb, « retournent/retombent » dans leur : tpr, « poussière » (Psaume 104, 29), dont la vie est : dku, « broyée/réduite en poussière », qui sont plongés dans les : ¿Îek, « ténèbres », « comme ceux qui dès longtemps, sont morts : « mût » (Psaume 143, 3), ou bien qui : yrad, « descendent/tombent » dans la terre/tombe (Psaume 22, 30). Et, la nourriture métaphorique semble caractéristique de l’au-delà : « Car j’ai mangé des : Ɲpr, « cendres » comme : leem, « pain/nourriture » ; à mon : Îiqû, « breuvage » j’ai mêlé mes : bekeh, « larmes ». À cause de ta colère et de ton irritation, puisque tu m’as soulevé et lancé au loin » (Psaume 102, 10-11). Lors du retrait divin, les jours de l’orant disparaissent comme la fumée (Psaume 102, 4), et outre l’affaiblissement de son corps et la perte de ses forces, sa souffrance peut être rapprochée de l’état de mort191 (Psaume 88, 5 ; 143, 7). Selon les représentations, la mort, sa menace et/ou le confinement au shéol impliquent une séparation d’avec Dieu (Psaume 34 ; 88), ou, au contraire, Dieu semble imposer son autorité sur le monde l’au-delà (Psaume 139, 8 ; Job 26, 6)192. Ainsi, le Psaume 88 témoigne de cette rupture, alors que le suppliant se sent éloigné de Dieu qu’il accuse et dénonce, constatant que sa vie est au bord de l’au-delà, il évoque ceux qui : « sont descendus/tombés » dans la : bôr, « fosse/citerne/tombe » (5), se sentent abandonnés parmi les : mƝt, « morts » et ressemblent 188
Psaumes : 13, 4 ; 22, 30 ; 30, 4. 9 ; 69, 2.3. 15. 16 ; 88, 4. 5. 6. 7. 8. 11. 12. 13 ; 104, 29 ; 143, 7. 189 KRUGER, 2001, p. 82, remarque que l’incapacité de se mouvoir fait partie des spécificités de la peur. Outre le verbe : bhal, « frapper d’épouvante », le verbe : rph, « s’affaiblir, être sans force », apparaît dans le même contexte. 190 Les références à ces thèmes que sont la mort, le shéol, la tombe, le puits sont nombreux dans les Psaumes comportant la formule : « cacher sa face » : 13, 4 ; 22, 30 ; 30, 4. 9 ; 69, 2. 3. 4. 5. 16 ; 88, 4. 5. 6. 7. 8. 11. 12. 13; 104, 29 ; 143, 7. 191 MOWINCKEL, 1967, p. 239. 192 NUTKOWICZ, 2006, p. 240.
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aux : ll, « cadavres » couchés dans la : qeber, « tombe /sépulcre », dont YHWH ne conserve aucun : zƝker, « souvenir » (6), se trouve plongé dans un : bôr, « gouffre » (7), et est : gzar, « retranché/enlevé » de la main divine (6). Dans cette confrontation directe, aucun intermédiaire, ennemi ou mercenaire divin n’est présent dont le rôle consisterait à détruire le poète, Dieu, seul, joue le rôle de l’accusé responsable de cet état de fait (Psaume 44 ; 60, 3-6 ; 89)193. Le psalmiste proteste et argumente auprès de Dieu de sa fidélité et de ses prières dès le matin, qui l’invoque (Psaume 88, 14). Il confirme l’éloignement dont il est victime, puisque rejeté de la société, par Dieu : « Est-ce pour les morts que tu fais des miracles ? Les ombres se lèveront-elles pour te louer ? Célèbre-t-on ta bonté dans la tombe, ta fidélité dans le séjour de la perdition ? A-t-on connaissance, dans les ténèbres, de tes merveilles, de ta justice, dans le pays de l’oubli ? » (11-13). Job dans l’acceptation, affirme devant Dieu : « Je sais bien que tu me mènes à la mort, au rendez-vous de tous les vivants » (30, 23). Entouré des colères divines qui le terrifient, l’orant n’attend cependant pas d’autre aide que celle de Dieu. La séparation qu’implique l’envoi au shéol ou la mort comporte presque sans exception une protestation évoquant l’intérêt divin bien avant celui du poète. Celle-ci peut emprunter la forme du questionnement : « Que gagnes-tu à ce que mon sang coule ? » (Psaume 30, 10), ou bien consister en une affirmation qui requiert : « Il a abrégé mes jours… Ne m’enlève pas au milieu de mes jours » (102, 24-25). Une prière implore dans le Psaume 69 : « Viens à mon secours, ô Dieu, car les : myim, « eaux/flots » m’ont atteint menaçant mes jours » (2), faisant allusion à l’au-delà. Témoin d’une approche opposée, le Psaume 139, 8 affirme cependant : « Si j’escalade les cieux, tu es là, si je fais du shéol ma couche, te voici encore ». Et, le Psaume 104 se rapporte aux activités divines de création aussi le fait de cacher sa face y est-il considéré comme un aspect naturel du processus de vie et de mort194. Néanmoins, l’explication en est rarement spécifiée. Le sentiment d’insécurité et de terreur est largement inspiré par les représentations figurant une nature déchaînée : « Tu m’as plongé… dans les régions : aÎƝkh, « sombres/ténèbres » et : ÑƝl, « l’obscurité ». Sur moi, tu fais « peser » ta colère, « s’écrouler » toutes les : miÎebr, « vagues » (Psaume 88, 7-8), « Le gouffre appelle 193
GERSTENBERGER, 1988, p. 143. ANDERSON, 1972, p. 724, considère cette expression comme signifiant : « retirer sa faveur ou ses soins providentiels ». WEISER, 1962, p. 670. 194
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le gouffre, au bruit de tes cascades ; toutes tes vagues et tes ondes ont passé sur moi » (Psaume 42, 8). Ainsi l’orant ajoute-t-il à propos de ce lieu : « Je suis plongé dans la : bîwƝn meÑûlh, « boue de l’abîme », où il n’y a pas de mtmd, « fond »… Je suis descendu dans la : matamaqqêy myim, « profondeur des eaux », et le : Îib¿let « torrent » me submerge » (Psaume 69, 3). Il implore d’être retiré de la : ÓîÓ, « boue », afin de n’y pas demeurer enfoncé, être sauvé de ses : ÐnƝu, « ennemis/ceux qui me haïssent », ne pas être submergé par la violence du : Îib¿lt myim, « torrent/flots », ou englouti par le : meÑôlh, « profondeur/gouffre », et que la bouche du : beuƝr, « puits/abîme » ne se referme pas sur lui (Psaume 69, 15-16). Dans ces métaphores du chaos et du désordre, qui dénomment et dépeignent le monde de l’au-delà, l’orant est aux prises avec les forces puissantes et hostiles auxquelles Dieu semble l’avoir abandonné. Ces images de la menace de la mort et de l’au-delà, expriment l’indicible angoisse qui étreint le cœur du Psalmiste. L’état de dépression qui en est la conséquence en témoigne dans le questionnement adressé à YHWH : « Pourquoi es-tu : hmh, « abattue » mon : nepeÎ, « âme » ? », et qui se répète (Psaume 42, 7), puis est affirmé à nouveau (Psaume 42, 12), et les plaintes de Job : « Mon âme se fond en moi » (Job 30, 16), « Mon âme est meurtrie (Job 17, 1), et celui de l’orant conscient que son âme est : Î, tout à la fois « abaissée/inclinée/prosternée/abattue » dans la : tpr, « poussière » (Psaume 44, 26). Le psalmiste dans sa prière la décrit ainsi : « telle une : keuereÑ tayƝph, terre épuisée/aride (ayant soif) de toi » (Psaume 143, 6). Vie, principe de vie, la « nepeÎ », dénomme aussi la personne, l’âme siège des sentiments, des affections, des désirs, de la volonté et de la pensée, aussi ce verset désigne-t-il l’être dans sa totalité, et souligne d’autant son mal-être, sa lassitude et sa faiblesse. En outre, son : rûa, « esprit », ttap, « s’obscurcit » (Psaume 143, 4). Le champ sémantique du premier terme s’orne également d’autres acceptions, enrichissant les significations de cette affirmation, qui concernent l’âme, la vie, la passion, le courage, la volonté et le souffle, la respiration, évoquant là encore l’être dans sa totalité tant physique que mentale et la souffrance qui l’étreint. Le Psalmiste poursuit et témoigne : « « Mon esprit : klu, « défaille » (Psaume 143, 7), autre signe d’un état de découragement mélancolique et
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apathique195. En outre, les terreurs s’emparent du poète et chassent son honneur (Job 30, 15). Le psalmiste guetté par un adversaire empli de morgue, en embuscade, encourt de graves périls. Ainsi, des : rat, « malfaiteurs/méchants/malfaisants » s’en approchent afin de consommer sa : bÐr, « chair » (Psaume 27, 2). Il peut être éprouvé par la : maaneh, « armée », et la : milemh, « guerre » (Psaume 27, 3), il est : lam innm, « combattu sans raison/motif » (Psaume 109, 3) et constatant des attaques contre sa vie, interpelle Dieu : « Mes : Ñr, « persécuteurs/poursuivants » sont là devant toi… Ils s’acharnent contre celui que tu as frappé » (Psaume 69, 20. 27), qui est victime de : rdap, « poursuites hostiles » (Psaume 69, 27 ; 71, 10 ; 143, 3), et affirme à propos de ses ennemis : « Dans mes aliments ils mettent du : r¿uÎ, « poison/venin/fiel », et pour apaiser ma soif, ils m’abreuvent de : ¿meÑ, « vinaigre » (Psaume 69, 22). L’emploi du terme fiel, suggère l’empoisonnement du poète par leur acrimonie, leur acidité. Ce dernier rappelle aussi la menace qui pèse sur lui d’être : tpaÐ, « saisi par force » (Psaume 71, 10). Parmi les mercenaires, le : ÐÓn, « adversaire/ennemi » débite de méchantes paroles (Psaume 109, 20). Victime de conspirations, le psalmiste paraît seul et vulnérable face au pouvoir et aux attitudes hostiles, aussi supplie-t-il dans une attitude prévoyante : « Ne me donnes/livres pas à la volonté de mes « adversaires/ennemis/persécuteurs » (Psaume 27, 11), ajoutant que de : tƝdh Îeqer, « faux-témoins » se sont levés contre lui et qu’ils : pûa, « soufflent/invectivent » avec : ms, « violence/injustice/viol/vol » (27, 12). Réduit à employer un langage inarticulé196 de souffrance afin de manifester sa douleur corporelle et son infortune il : Îuag, « rugit » se comparant néanmoins au lion dont il s’approprie, avec ambivalence, la force (Psaume 22, 2), ou : una, « gémit/se lamente » d’une voix plaintive et inarticulée (Psaume 6, 7 ; 102, 6), ou bien encore tempête (Job 30, 28). Atteint par le déshonneur et la honte alors qu’il se sent innocent et perçoit ses actes comme droits et justes, l’orant du Psaume 44, 16-17, qui cumule souffrances morales et psychologiques, et dont l’âme « est abaissée jusque dans la poussière », ne saisit pas les motifs de ce châtiment, qui dément avoir oublié Dieu ou trahi son alliance et 195 196
GRUBER, 1977, p. 277s. COTTRILL, 2008, p. 45.
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l’implore : « Lève-toi pour nous venir en aide, délivre-nous par un effet de ta bonté » (44, 27). Un sentiment d’indignité, de désespoir, de tristesse et d’humiliation l’étreint, qui marque sa conscience et s’exprime sur son visage, aussi affirme-t-il : « La : bûÎh, « honte », ksh, « couvre » mon visage… », puis il ajoute que la : reph, « l’opprobre/honte » a brisé son cœur, provoquant son désespoir (Psaume 69, 8. 21), tandis que le poète du Psaume 31, 12 assure être considéré comme un objet de flétrissure pour ses : ÎkƝn, « voisins », et une cause de : pad, « terreur ». Il : Ðh, « inonde » (de pleurs)197 son lit (Psaume 6, 7), expressions témoins de sa destruction physique et mentale à la suite des tortures endurées. ngalement objet de dédain, le poète subit : rap, « l’opprobre », qui est : bzh, « méprisé » par le peuple (Psaume 22, 7). Aussi, s’adresse-t-il aux : p¿talê uwen, « artisans d’iniquité/fausseté/mensonge/idolâtrie/vanité » dont il est la victime ostracisée et, en exige de : sûr, «s’éloigner/s’écarter/disparaître/cesser/se retirer », mais la polysémie de ce verbe évoque encore : « la peine/l’affliction/la douleur », exprimant en outre le chagrin provoqué par l’attitude de ces personnages (Psaume 6, 9). Puis, il témoigne : « Tous ceux qui me voient : ltag, « se moquent de moi/se raillent/rient de moi/me méprisent », pta, « ouvrent largement » les lèvres en se moquant et : nûta, « agitent/hochent » leur tête » (Psaume 22, 7-8)198. Ce dernier verbe, employé à dessein, constate le dédain et la raillerie, mais il comporte également une sorte de réciprocité car son champ sémantique s’élargit, signifiant chanceler et trembler, errer, courir çà et là, et permet au poète de se moquer des moqueurs tout en les comparant à des personnages enivrés. Et, lorsqu’ils ouvrent les lèvres largement, leur image dénonce des êtres grimaçants, déformés, reflets de leur intériorité déviée. Ils sont difformes tant physiquement que psychologiquement et se conduisent comme des êtres ivres et pervers. Le psalmiste en dépit de son désespoir conserve une acuité telle que son discours met en lumière un double aspect, un sens complémentaire comportant une critique de ses ennemis. Tout autant, objet de leur rejet, Job subit leur : ttab, « dégoût/horreur », qui : raq, « s’écartent » et lui : r¿q, « crachent au visage » (Job 30, 10). 197
La honte peut s’exprimer par un langage autre que la parole (2 Samuel 19, 6 ; Jérémie 51, 51 ; Ézéchiel 7, 18). Le visage couvert de honte est évoqué en cinq autres occurrences (Jérémie 7, 19 ; Daniel 9, 7-8 ; Esdras 9, 7 ; 2 Chroniques 32, 21), KRUGER, 1998, p. 150. 198 KRUGER, 1998, p. 152-153.
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En outre, les yeux de l’ennemi : Ñph, e « épient/surveillent/observent » le Ɲl kh, « malheureux/pauvre » (Psaume 10, 8), ou dardent leur regard sur lui (Job 16, 9). Ces moyens d’expression non-verbaux expriment avec spontanéité le rejet et le mépris de ses adversaires, et leur puissance s’affirme préalablement avant toute expression orale construite. Ici, le langage du corps et du visage, particulièrement expressif, prend la préséance de l’immédiateté sur la parole afin d’exprimer émotions et sentiments199. Alors que la : peh, « bouche » de son ennemi (Psaume 109, 2), terme qui peut aussi être traduit par : « tranchant », et sous-entend la violence des propos tenus, est : mlƝh, « pleine » de : miremh, « parjure/tromperie/ruse/fraude » (Psaume 10, 7 ; 109, 3), de tôk : « fraude », sa : lÎôn, « langue » est au service de l’ : tml, « iniquité » et de : uwen, : « l’injustice/fausseté/mensonge/idolâtrie » (Psaume 10, 7), et ce dernier terme se rapporte également à leurs conséquences que sont la douleur et l’affliction. En échange de son amour, il est traité en : ÐÓan, « ennemi » (Psaume 109, 4). Job, est l’objet de : Ðe¿q, « moqueries », de la part de ceux dont il a méprisé les pères (Job 30, 1. 8), de : lemilâ, « railleries » (Job 30, 9), et ses ennemis ouvrent leur bouche béante contre lui (Job 16, 10). Objet de haine (Psaume 69, 5), le poète supporte les : reph, « insultes » (Psaume 69, 10-11 ; 102, 9), les : dibh, « médisances/discours injurieux/outrages » qui répandent la : megôrh, « épouvante/terreur » (Psaume 31, 14) et les : diberƝy Ðineuh, « propos haineux » (Psaume 109, 3). Les lèvres : Îqar « menteuses » et les langues : rîb « querelleuses » (Psaume 31, 21) profèrent des paroles : ttq, « arrogantes/dures » contre le juste (Psaume 31, 19). Ses : uyab, « adversaires/ennemis », umar, et tƝÑh, « tiennent conseil/se concertent », qui projettent sa ruine (Psaume 71, 10) souhaitent le détruire (Psaume 69, 5) et l’accusent faussement. S’il subit des avanies de ses ennemis, le poète souffre, en outre, de la perte de son honneur et de sa gloire, que remplacent la flétrissure et le mépris (Psaume 22, 7 ; Job 19, 9). Il subit encore d’autres formes de rejet et affirme : « Ceux qui sont assis aux portes : Ðîa, « se répandent » contre moi, et les ivrognes chantent des : negînôt, « chansons de buveurs » à mon propos » (Psaume 69, 13), faisant de même pour Job (30, 9). Ici, l’orant évoque les Anciens, représentants de la collectivité et du pouvoir social, 199
KRUGER, 2005, p. 651-663.
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images de la respectabilité, et qui siègent aux portes de la cité. Symboles de l’autorité et du pouvoir, ils rendent la justice, et prennent des décisions pour la communauté. Aussi, non seulement rejeté par les parias, l’est-il par l’élite de la cité. Formes verbales et non-verbales sont déployées par les ennemis du psalmiste afin de formuler son rejet. Dans ces dernières affirmations, le poète intègre un élément particulier, le fait d’être évincé par l’autre/les autres. Diminué tant physiquement, psychologiquement que socialement, celui qui est rejeté par Dieu l’est aussi, en cette occurrence, par les hommes, sans que pour autant, il se reconnaisse coupable. L’abandon divin le rend vulnérable aux attaques et persécutions extérieures qui répondent à ses tourments intérieurs. Pour autant, cette douloureuse situation ne l’empêche aucunement de conserver sa lucidité et son esprit critique, qui rapporte que la bouche du méchant « est pleine » de parjure, de perfidie et de violence, tandis que sa langue est au service du mal et de l’iniquité (Psaume 10, 7). Celui qui est hostile utilise la parole comme une arme et un outil de violence. L’aspect matériel et affectif, la perte et le vol dont est victime le poète : tnî weuebeyôn, « pauvre et misérable/nécessiteux/malheureux » (Psaume 109, 22), sont également dépeints. La force du bref récit condensé et ses tragiques accents, rapportant les épreuves fondant sur Job, dès que Dieu le laisse au pouvoir de Satan, souligne la rapidité et la violence injuste avec laquelle l’homme abandonné par Dieu peut être atteint des plus terribles malheurs. Sept versets sont nécessaires et suffisants pour que le héros, ruiné et dépourvu de ses biens, perde ses fils et filles. Tandis qu’ils participent à des réjouissances dans la maison de leur frère aîné, un messager vient lui annoncer que les Sabéens enlèvent les bœufs et les ânesses, passent au fil de l’épée les esclaves, un autre survient et lui apprend qu’un feu est tombé du ciel embrasant et consumant brebis et esclaves. Un troisième messager révèle que des Chaldéens se sont jetés sur les chameaux, les ont enlevés et ont également passé les esclaves au fil de l’épée. Puis vient un dernier messager qui rapporte qu’alors que ses fils et filles étaient encore en train de festoyer, un vent violent venant de l’autre côté du désert a ébranlé la maison qui s’est écroulée sur les jeunes gens qui ont péri (Job 1, 13-19). Le psalmiste ne décrit que rarement cet aspect de ses tourments. Dans l’un des rares textes les évoquant, il rapporte que ses ennemis se partagent ses habits et tirent au sort ses vêtements, le traitant comme 146
un criminel, puisque selon la coutume, ses vêtements font partie des avantages en nature du bourreau200 (Psaume 21, 19). Néanmoins, le psalmiste évoque la perte de ses ennemis souhaitant tant leur destruction morale et psychologique que celle de leurs biens matériels. Ainsi, requiert-il que la table dressée devant eux se transforme en traquenard, en piège (Psaume 69, 23), qu’ils deviennent aveugles (Psaume 69, 24), que leurs reins vacillent (Psaume 69, 24), que leur demeure ne soit plus qu’une ruine (Psaume 69, 26), et que plus aucun habitant n’habite leurs tentes (Psaume 69, 26). Il exige encore que leurs crimes soient mis à leur débit (Psaume 69, 28), qu’ils soient effacés du livre des vivants (Psaume 69, 29), et ne soient point inscrits parmi les justes (Psaume 69, 29). Enfin, dans son désir de vengeance, il souhaite l’anéantissement de ses ennemis (Psaume 143, 12), la mort de tous ceux qui lui sont hostiles (Psaume 143, 12) et le châtiment de l’impie (Psaume 10, 15). De la maladie qui peut atteindre leur corps, à leur mort et leur disparition totale, aucune trace de mémoire ou de réalisation matérielle ne doit résister. Sous l’empire de la colère et du chagrin, le psalmiste, dans un esprit de justice, considère qu’au désir de sa destruction par ses ennemis doit répondre un châtiment correspondant. La réponse à cette demande figure dans le destin de l’impie, décrit en termes imagés et symboliques dans les textes de sagesse. La perte de ses biens matériels en fait partie, et le rejet divin la complète : « Le papyrus/jonc pousse-t-il sans : biÑÑh, « marais », le jonc se développe-t-il sans eau ? À peine monté en tige, alors qu’il ne peut être coupé, il devient sec avant toute autre herbe. Tel est le sort de ceux qui oublient Dieu : l’espoir de l’impie sera déçu. Sa confiance sera brisée et son assurance n’est qu’une toile d’araignée… Il s’appuiera sur sa maison mais elle ne tiendra pas debout…Dès qu’on l’arrache de sa place, celle-ci le reniera en disant : « Je ne t’ai jamais vu… D’autres pousseront sur ce même sol » (Job 8, 11-18).
Le principe de rétribution paraît assuré, les impies périssent en dépit de leur prospérité ainsi que les plantes privées d’eau. Et, les réalités matérielles ne suffisent pas, qui se brisent aisément à l’aide d’un souffle, et ne constituent pas un appui, mais Dieu demande à l’homme son intégrité et sa confiance. Le psalmiste dépeint ses : demat, « larmes » (Psaume 6, 7), devenues sa : leem, « nourriture/pain » de jour et de nuit (Psaume 42, 4) et ses 200
OESTERLEY, 1953, p. 180.
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attentes, qui est laissé seul à lui-même, face à : laaÑ, « l’oppression » d’adversaires (42, 10 ; 43, 1- 2)201. Il rappelle à Dieu que sa vie s’écoule dans le : ygôn, « le chagrin/la douleur » (Psaume 31, 11). La répétition d’expressions, telles : Îpak, « répandre/verser son âme en soi/pleurer » (Psaume 42, 5), bkh, « répandre des larmes » (Psaume 69, 11), ou bien: qdar, « être morne/triste/sombre/obscurci » (Psaume 42, 10 ; 43, 2), suivie d’images d’espérance et d’espoir (42, 6. 12 ; 43, 5), s’accompagne ainsi de reproches dont l’orant s’accuse sans que le cycle ne cesse, mais le psalmiste achève sa lamentation sur une note d’espoir : « Car j’aurai encore à le louer » (43, 5)202. Ces réflexions soulignent le désespoir, le découragement et les tourments endurés lors des périodes d’absence divine et dont les Psaumes constituent le modèle. L’abandon du suppliant peut encore adopter d’autres formes, liées à son rejet par sa famille, ses proches et ses amis, qui est : tzab, « abandonné » par ses : ubî weuimmî, « père et mère » (Psaume 27, 10), ou dont les : uhab, « amis » et : rƝta, « amis/prochains » se tiennent : minneged, « à l’écart/loin de » (Psaume 38, 12), ou l’ont délaissé (Job 19, 14), considéré comme un : zr, « étranger » par ses : uy, « frères » (Psaume 69, 9), qui se sont éloignés (Job 19, 13), considéré comme : nƝkr, « un inconnu/ étranger/ennemi » par la mère de ses enfants (Psaume 69, 9), dont les : ydat, « intimes/connaissances » ont été repoussés (Psaume 88, 9), ou l’ont oublié (Job 19, 14), présenté comme un : tôtƝbh, « objet d’horreur/abomination/idole » (Psaume 88, 9. 19) ou de terreur pour ses : y¿det, « amis/connaissances » qui se sont éloignés de lui (Psaume 31, 12), ou ne sont plus que des : Ñr, « étrangers » (Job 19, 13). Il est : klu, « enfermé/séquestré » et : yÑu, « enfermé » (Psaume 88, 9), et accuse : « Tu as éloigné de moi amis et compagnons, mes intimes sont invisibles comme les ténèbres » (Psaume 88, 19), tandis que ceux qui le voient dans la rue s’en : ndad, « écartent » (Psaume 31, 12), et que son souvenir disparaît des cœurs comme celui d’un mort (Psaume 31, 13). De fait, nombreux sont ceux qui également participent à son rejet, tels ses voisins 201
BALENTINE, 1983, p. 120s. BEGRICH, 1934, p. 81-92, remarque l’évolution, dans certains Psaumes, du désespoir à l’espérance. Selon WESTERMANN, 1966, p. 60s., les Psaumes ne sont pas seulement des lamentations mais des élégies transformées en prières. Puis, il ajoute que les lamentations n’ont pas de sens en elles-mêmes, WESTERMANN, 1974, p. 26. BRUEGGEMANN, 1974, p. 7-13, adopte une approche parallèle, qui prend sa source dans la fiabilité divine. Les Paumes de lamentation seraient une autre forme de Psaumes d’actions de grâces, alors que l’acte salvateur a déjà eu lieu. 202
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(Psaume 31, 12). Job subit un sort aussi peu enviable, qui est considéré comme un « étranger » et un : nƝkr, « inconnu » par ses : umh, « servantes », auquel les serviteurs ne répondent pas et qu’il doit supplier, dont l’épouse le repousse tout comme ses enfants (Job 19, 15-17). Les jeunes enfants le dédaignent, et manifestent contre lui lorsqu’il se lève, ses confidents l’ont en horreur et tous ceux qu’il aimait se sont retournés contre lui (Job 19, 17-19). De tous ces tourments, l’orant conclut : « Je suis dans la : Ñar, « détresse/affliction/adversité » » (Psaume 69, 18 ; 31, 10), et ce mot qui signifie également : adversaire, persécuteur et ennemi (Nombres 10, 9 ; Job 16, 9), assimile la détresse à un ennemi, qui le mine et le détruit. Les mots ne manquent pas au poète pour évoquer son : tneyî, « affliction/misère » (Psaume 31, 8. 11), son : ktas, « chagrin/affliction » (Psaume 31, 10) qui évoque également la colère (2 Rois 23, 26), sa : ygôn, « douleur » (Psaume 31, 11), ses : mÑôr, « angoisses/misères/détresse » (Psaume 31, 22). Ce dernier terme dénomme également le siège d’une cité (nzéchiel 4, 2), les machines de guerre (Deutéronome 20, 20), les forteresses ou citadelles (Habacuc 2, 1), ou encore une cité fortifiée (Psaume 60, 11), et met en scène un paysage de guerre, qui constitue le contexte des angoisses de l’orant. Il rapporte encore sa : paz, « crainte/alarme » (Psaume 31, 22). La symbolique animale sert également d’instrument afin de dépeindre d’une part la violence dont l’homme est la proie, et d’autre part le dépeint lui-même, mettant en lumière sa subtilité et son courage. Ainsi, ses adversaires, iniques et violents, sont comparés à des animaux sauvages, tels le :uareyƝh, « lion » dans le fourré en embuscade, s’apprêtant à déchiqueter et dévorer le malheureux tombé entre ses griffes (Psaume 10, 9), ou celui qui comme le : uarî, « lion »203 (meurtrit) ses mains et ses pieds (Psaume 22, 17), prédateur et symbole de la force et de l’agressivité, du pouvoir de la violence et de la domination par excellence204. Les nombreux : prîm, 203
ROBERTS, 1976, p. 252, propose de lire : krû, et de l’interpréter comme une forme verbale signifiant : être ridé, ratatiné. KALTNER, 1998, p. 503-514, propose de traduire : « Ils ont lié mes mains et pieds ». LINVILLE, 2005, p. 733-749, suggère de traduire : « comme un lion ». DAHOOD, 1974, p. 370-371, donne cette interprétation: « Ils ont ôté la chair de mes mains et mes pieds ». Pour KSELMAN, 1982, p. 173, le texte signifie : « mes mains et mes pieds se sont ridés/ratatinés ». OESTERLEY, 1953, p. 177, propose: « Ils ont lié mes mains et mes pieds ». SWENSON, 2004, p. 648, considère que la meilleure approche est la suivante : « Comme un lion ». 204 DELL, 2000, p. 275-291.
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« taureaux » menaçants qui : sbab, « tournent autour/l’encerclent » (Psaumes 22, 13), les : uabîr, ou « taureaux/bêtes puissantes » de Bashan qui l’environnent, ouvrent grand leur gueule contre leur proie, comparés au lion qui : Órap, « déchire/met en pièces » et : Îuag, « rugit », tandis que les : keleb, « chiens »205 ou « bande des méchants » faisant cercle autour de lui, s’en repaissent, et se partagent ses vêtements (Psaume 22, 13-14. 17-18. 21-22), afin d’en faire disparaître toute trace et mémoire. Il craint l’agression des cornes des : reuƝym, sortes de « buffles sauvages » ou de « rhinocéros » prêts à le déchirer, sans qu’ils soient cependant carnivores (Psaume 22, 22)206, ou se voit relégué au pays des : tannîm : « serpents/dragons/chacals » (Psaume 44, 20), monstres dont la présence est associée aux paysages de ruines et de désert. Ces animaux sauvages et sanguinaires207, jouent le rôle du chasseur et le psalmiste se reconnaît dans la proie à assassiner. Taureaux et buffles belliqueux attaquent et versent le sang gratuitement, tandis que lions et chacals carnassiers se repaissent du sang de leurs victimes, qui symbolisent le bestiaire du mal208. Leur objet apparaît clairement de le détruire férocement, et la nature agressive des animaux choisis souligne d’autant cette volonté dévastatrice. S’affirmant comme un : tôlt, « ver/insecte », et non point comme un homme, (Psaume 22, 7), secoué comme les : uarebeh, « sauterelles » (Psaume 69, 23), vivant au shéol et sorti de la sphère de l’influence divine (Isaïe 14, 11 ; Job 17, 14), le poète devenu cet être misérable ayant perdu sa qualité et son apparence d’être humain, s’est transformé en un animal rampant et, sans être nuisible, devenant une sorte de larve symbole d’un être faible et méprisable qui peut être écrasé par inadvertance par le pied humain. Le parallèle entre cet être et l’homme de douleurs que dépeint Isaïe (53, 3), expert en maladies, méprisé et repoussé des hommes, défiguré au point de n’avoir plus rien d’humain (Isaïe 52, 14) s’impose209.
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DOYLE, 2004, p. 72, identifie le « métaphorisé » ou l’ennemi et le «métaphorisant» ou le chien sauvage à la recherche de sa proie pour la dévorer. 206 LINDSTRÖM, 1994, p. 83, associe ces animaux sauvages aux puissances démoniaques. WEISER, 1962, p. 223, voit dans cette imagerie animale le reflet de l’expression de la peur dominant le psalmiste devant ses ennemis. 207 Ils pourraient symboliser des forces démoniaques, ou leur être associés, GIRARD, 1991, p. 804. 208 GIRARD, 1991, p. 809. 209 LINDSTRÖM, 1994, p. 81s., suggère que le contexte de ces représentations se trouve probablement dans le concept théologique du temple.
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Le poète se donne néanmoins les moyens de résister vaillamment aux forces hostiles qui l’attaquent210. Ainsi, d’autre part, isolé, dédaigné et vulnérable, le psalmiste survit dans un univers hostile, et se compare à certains oiseaux : « Je suis semblable au : quut, « pélican » du désert, je suis comme le : kôs, « hibou » dans les ruines. Je souffre d’insomnie, et je suis comme un : Ñipar, « oiseau/passereau » solitaire sur le toit… (Psaume 102, 7-8). Le choix du hibou, animal triste, solitaire et présage du malheur, du passereau oiseau de petite taille fragile et du pélican symbole de l’amour maternel qui emmagasine la nourriture de ses petits dans sa mandibule, intensifie l’image de résistance et de vitalité dans la solitude en dépit de la vulnérabilité dans les conditions implacables que sont le désert et les ruines. L’orant par ces choix oppose la violence destructrice et absolue de l’ennemi à son courage et sa volonté de survivre en employant des armes pleinement différentes. De fait, l’ennemi est celui qui sème ou tente de semer la mort et le psalmiste celui qui tente et parvient à survivre, sans employer les méthodes destructrices et prédatrices du premier, témoignant de son humanité et de sa pénétration, et ne cherchant pas à faire tomber l’autre mais uniquement à survivre. Par ailleurs, Job s’affirme comme le frère des chacals, carnivores se nourrissant des restes des grands fauves, et compagnon des autruches, des oiseaux à la résistance exceptionnelle (Job 30, 29). Blessures et armes diverses font partie de l’arsenal de combat et de souffrance physique imposée à celui que Dieu a : ll, « frappé » (Psaume 69, 27). L’ennemi : zmam, « complote/forme des desseins » afin de lui ôter la vie (Psaume 31, 14), attire l’indigent afin de le capturer dans son : reÎet, « filet » (Psaume 10, 9 ; 31, 5 ; 35, 7. 8). Parfois, il dresse des embûches (Psaume 38, 13), ou moleste le poète (Psaume 38, 21) et ses procédés guerriers le peignent tandis qu’il monte à l’assaut (Job 30, 14), comme par une large : pereÑ, « brèche » (Job 30, 14), et se : Îuh, « précipite/dévaste/détruit » dans un : galegal, « tourbillon » (Job 30, 14). La jeunesse fait glisser ses pas : ntaÎ, « romps/détruit », sur son sentier le menant à sa ruine (Job 30, 12-13). Le poète supplie YHWH de délivrer son âme de : rb, « l’épée/glaive » (Psaume 22, 21). Ses ennemis le frappent sur les joues et s’attroupent autour de lui (Job 16, 10), il est jeté aux mains des méchants (Job 16, 11). Dieu l’a saisi par la nuque et mis en pièce, l’a dressé comme une cible (Job 16, 12), et ses archers le cernent de 210
Le poète interprète ces assauts comme provenant d’un monde hostile, habité par des puissances démoniaques et d’autres représentants surnaturels du mal, LINDSTRÖM, 1994, p. 82s.
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toutes parts, il perce ses reins, ouvre en lui brèche sur brèche et court comme un puissant guerrier (Job 16, 13-14). Les hordes d’ennemis arrivent en masse, se fraient un chemin contre lui et mettent le siège autour de sa tente (Job 12, 12). Le héros, anéanti de fond en comble s’est écroulé (Job 19, 10), Dieu lui a barré la route et l’a enveloppé de ses embûches (Job 19, 6), dorénavant il ne peut plus passer (Job 19, 8). Mais, si l’orant ne se transforme pas en guerrier, il se réfère au Dieu des : Ñebuôt, « armées » (Psaume 69, 7), comme son champion, afin de permettre à son image d’impuissance et de faiblesse d’être restaurée dans son honneur211, car en effet, il espère « des consolateurs » (Psaume 69, 21), mais son attente reste vaine. Il sollicite alors Dieu de détruire ses adversaires, préparer un : pa, « piège » (Psaume 69, 23), un : môqƝÎ, « traquenard » (Psaume 69, 23), le prie de le délivrer de ses ennemis (Psaume 143, 9), de les : Ñmat, « anéantir », et de faire : ubad, « périr » ceux qui lui sont hostiles (Psaume 143, 12), et sont cause de ses souffrances. Il en requiert encore de déverser sur eux son courroux et de les accabler de sa colère (Psaume 69, 24-28), puis sollicite : « Mets donc à leur compte crime sur crime » (Psaume 69, 28), et quémande : « Tu anéantiras mes ennemis212 » (Psaume 143, 9. 12). Ce langage évoquant un Dieu vengeur agissant avec violence pour le compte du psalmiste prend l’aspect d’un discours d’équité après les nombreuses injustices vécues, tel une réparation, utilisant également les termes liés à la chasse et à la guerre. L’emploi de deux formes de langage, tant celui des gestes que des paroles, signes expressifs de violence, de moquerie et de rejet, immédiatement perceptibles, intensifie d’autant une dimension hostile envers l’agressé. La perversité de ses ennemis peut s’enfoncer plus loin, afin de tenter de détruire tout espoir et par là même l’existence du psalmiste. Ainsi, est-il accablé de sarcasmes par les impies qui se moquent : « Où est ton Dieu ? » (Psaume 42, 4. 11), et instillent le doute quant au possible abandon divin et son corollaire qu’est la peur. Il se réfugie dans sa mémoire faisant disparaître pour un court moment cette inquiétude qui ronge son âme et se souvient des processions 211
COTTRILL, 2008, p. 89, suggère que l’ultime but du psalmiste est de restaurer son honneur social par la domination de celui qui lui est hostile. Son langage de personnage faible a pour objet d’attirer la sympathie et le soutien de témoins et de Dieu, qui affirme la justice de sa demande d’assistance divine. 212 WIDENGREN, 1937, p. 197s., 242s.
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festives auxquelles il participait alors qu’il se rendait au Temple, assuré de la proche présence divine (Psaume 42, 5)213. Mais il peut aussi y répondre par des larmes et par sa supplication auprès de Dieu : « Brise le bras de l’impie, le méchant châtie sa perversité, pour qu’il n’en soit plus trouvé trace » (Psaume 10, 15). Néanmoins, il constate que les peuples disparaissent en raison de leurs propres péchés, selon le principe que le mal porte en soi ses propres germes d’autodestruction214, et espère que Dieu fera disparaître le mal à jamais (Psaume 10, 18). Le poète rapporte encore : « Le méchant persécute le pauvre… Car il se glorifie le méchant des passions de son âme ; le spoliateur blasphème, outrage YHWH. Avec son caractère hautain, il ne s’inquiète de (rien)… Ses voies sont prospères en tout temps, tes jugements passent au-dessus de sa tête : tous ses adversaires il les renverse d’un souffle… Il dit en son cœur : « Je ne chancellerai jamais… » (Psaume 10, 3-5. 11).
Il se moque avec perfidie et cynisme du psalmiste malheureux : « Qu’il mette sa confiance en YHWH215 ! YHWH le sauvera, qu’il l’arrache du danger, puisqu’il l’aime… » (Psaume 22, 9). Persuadé de l’abandon du suppliant par Dieu, l’arrogance et la perfidie de l’ennemi n’ont plus de limites, qui sont rapportées dans des dialogues, et son image transmise par l’orant ne laisse pas d’être sombre et négative, permettant adroitement sa condamnation. Encore une fois, deux voix se répondent, dont l’une représente la force et la fourberie, hostile, instillant le doute, et l’autre, le psalmiste, confiant en Dieu malgré les épreuves. Aussi, l’orant, en dépit de l’assurance divine qui a promis : « Je ne trahirai pas mon alliance » (Psaume 89, 35), se fait-il accusateur et blâme YHWH : Tu as rompu l’alliance de ton serviteur, dégradé, jeté à terre son diadème… Tu l’as fait crouler à terre » (Psaume 89, 39-40. 45), cumulant les termes d’un violent rejet216. Victime passive de toutes les violences évoquées, qui atteignent tant son intégrité physique que mentale, le poète, vulnérable, et affligé par les épreuves, accuse et dans le même temps implore par la prière, affirmant sa 213
WEISER, 1962, p. 349. WEISER, 1962, p. 151. 215 Diverses autres traductions sont possibles : « Lui qui se confie en YHWH » ou bien « Se confier à YHWH, (cela) le sauvera ». En effet, la racine : glal, signifie « rouler », « rouler de dessus » qui s’applique dans ce verset, et aussi « se confier », « se recommander ». 216 Voir p. 137s. 214
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fidélité, une demande de grâce, YHWH qui « apporte le salut » (Psaume 42, 6). Nombreuses, les expressions de désolation et de destruction symboliques et concrètes, psychologiques et spirituelles, qui mènent jusque la perte de son humanité chez l’être humain, et auxquelles recourt cette phraséologie, soulignent l’interdépendance entre le suppliant dans une douloureuse et injuste position et Dieu dont il attend et espère l’intervention et la protection, la soumission de ses adversaires et son rétablissement. Les causes de cette détresse sont rarement expliquées, dont parfois, le péché semble avoir provoqué les malheurs qui l’accablent. Ainsi, ces textes poignants, s’adressant à Dieu (Psaume 102, 1), exposent les tourments ressentis par des images de violence qui parfois se cumulent, sous des couleurs parfois extrêmes, dont l’abandon divin est la cause première. L’aspect personnel du contenu de ces poèmes, renforce la solitude vécue par celui qui survit dans un monde hostile dont Dieu paraît absent. Parfois, Dieu punit de sa main (Psaume 69, 27 ; 88, 7 ; 102, 11-12 ; Job 4, 7 ; 6, 4 ; 7, 12), à moins qu’il ne dépêche des forces néfastes chargées de l’exécution du châtiment. La prière de Job l’accuse ouvertement : « Ecarte ta main qui pèse sur moi, que tes terreurs ne me poursuivent point » (13, 20). Mais, quelquefois, le simple fait de se détourner du poète laisse un espace de liberté aux puissances hostiles. Les souffrances imposées à Job ne s’inscrivent pas dans la problématique usuelle, puisque le comportement du héros n’a aucunement provoqué l’ire divine et n’implique aucun châtiment à priori. Sa mise à l’épreuve et les nombreuses douleurs imposées ne sont pas un effet de son attitude, mais elles le conduisent vers une approche plus consciente des relations avec Dieu qui n’est cependant jamais indifférent ni son comportement arbitraire, et de fait, cette complexité est largement dépendante des circonstances. Châtiments du peuple Le tragique accent de certains Psaumes dépeint les conséquences catastrophiques des signes de l’apparente absence et de l’ire divine sur le peuple d’Israël, qui se relient à des conditions historiques souvent destructrices et se réfèrent à la détresse nationale, témoignant :
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« Ils sont dans l’épouvante », « Tu leur retires ton souffle, ils expirent et retombent dans leur poussière. Tu renvoies ton souffle, ils renaissent et tu renouvelles la face de la terre » (Psaume 104, 29-30)217.
L’oubli humain aboutit à l’abandon divin et à la destruction d’Israël dont les aspects diffèrent. Aussi, Dieu navré, remarque-t-il moqueur, mais sans pitié : « Vous seriez tout autant capables de faire le bien vous qui êtes habitués à faire le mal », posant la question du châtiment et des représailles envers son peuple (Jérémie 13, 23), conséquence logique des péchés longuement exposés et de sa colère qui ne peut ni ne doit pardonner, puis annonce le jugement et la punition encourue. Seul, Dieu est le remède et le pouvoir. Mais si le peuple attend la réparation, le temps est auparavant venu de l’épouvante (Jérémie 8, 15). Annoncés par Dieu, ses instruments de châtiment s’avèrent violents et leurs effets, terrifiants, aussi le poète proteste-t-il : « Tu en as fait voir de dures à ton peuple, tu nous as forcés de boire un vin de vertige » (Psaume 60, 5). L’annonce du : hayyôm yhwh, « le jour de YHWH », fait peser la menace : hems qm lemaÓÓƝh reÎat, « La violence/l’iniquité s’élève/s’érige en verge/bâton (pour punir) le crime » (Ézéchiel 7, 11), et le verset 12 l’enfle encore qui précise : bou htƝt higgîta hayyôm, « Le temps est venu, le jour est arrivé » (7, 12), et ce temps de la fatalité annoncée ne se fait guère attendre, qui prend des formes diverses. Il annonce destructions et désastres, et s’il n’est, dans ce contexte, pas doté d’un aspect eschatologique218, il exprime le choix de l’auteur d’annoncer les plus effroyables calamités par l’emploi d’un vocabulaire extrême. Dieu adjoint cet avertissement : uasepeh ulƝymô rtôt, « J’épuiserai/j’ajouterai sur eux les malheurs » (Deutéronome 32, 23). Les lois proclament le châtiment prévu et, le Lévitique n’y manque pas, qui met en perspective le rejet des commandements divins et des institutions, « au point de rompre mon alliance » (Lévitique 26, 15), et leurs sombres effets.
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La vie provient du souffle divin, aussi en son absence, ce qui est vivant se transforme-t-il en poussière, puis lorsque Dieu le renvoie, la vie revient. Le Psalmiste ne s’arrête pas à l’aspect tragique de la mort mais discerne un éternel recommencement, WEISER, 1962, p. 670. 218 HUFFMANN, 1981, p. 48-50. GRIFFIN, 1997, p. 237-239, n’y voit pas non plus d’aspect eschatologique.
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Pour autant, la voix discordante des prophètes de la paix, emplis de vent et non de l’esprit divin, qui bercent de chimères, affirme l’opposé, et ne cesse de promettre une paix qui ne viendra jamais (Jérémie 23, 17). La même affirmation est attribuée aux gouvernants par Michée (3, 11). Et, rebelle et inconséquent, le peuple de Juda certifie : lôu hûu, « Pas lui » assurant que Dieu ne ferait pas une telle chose et qu’aucun malheur ne saurait advenir, guerre ni famine (Jérémie 5, 12)219. Le prophète dépeint un peuple rebelle et se moquant de YHWH, témoignant de la légèreté, de l’indifférence éthique et morale, de l’inconscience, de l’égoïsme et de l’insolence, de ceux qui sont persuadés de n’être jamais punis et dont le quotidien n’est pas imprégné de divin. Ce signe d’un malaise moral et religieux est souligné par le jugement divin qui les qualifie de : uak dallîm, « Certes, pauvres gens de rien » (Jérémie 5, 4), insensés qui ne suivent pas le chemin de l’alliance, et n’échapperont pas à la peine prévue220. D’effrayantes calamités menacent aussi le psalmiste, aussi juge-t-il bon de raviver la mémoire du peuple et rappeler le fléau ayant sévi lors des années passées au désert. Dieu dans sa colère envoie la consomption contre leur vie (Psaume 106, 15), la terre s’ouvre qui : blat, « engloutit/dévore/détruit/anéantit » Dathan et se referme sur la troupe d’Abirâm qu’un feu consume, tandis qu’une flamme embrase les impies (Psaume 106, 17-18). Ces châtiments, suite logique de la contestation de l’autorité tant d’Aaron que de Moïse la définissent comme une offense criminelle dont les conséquences s’avèrent fatales221. Moïse est lui-même atteint de : rat, « mal/malheur » (Psaume 106, 32)222. Mais le peuple est sauvé par Phineas, idéalisé dans ce texte et qui fait justice (Psaume 106, 30). Outre l’envoi de la : Îaepet, « phtisie/consomption » et de : qadaat, « fièvres ardentes » qui font perdre la vue (Lévitique 26, 16 ; Deutéronome 32, 24), Dieu s’apprête à envoyer des épidémies de : deber, « peste » condamnant à la mort les habitants de Juda (Ezéchiel 7, 15 ; Lévitique 26, 25 ; Deutéronome 32, 24)), auxquelles il est 219
LUNDBOM, 1999, p. 389-390. Voir p. 11. 221 Selon GERSTENBERGER, 2001, p. 240 cette destruction des malfaiteurs est une récompense pour les justes. 222 Le cours des événements est anachronique. En effet, il s’agit ici d’une condensation de l’histoire où sont mêlées les déportations exiliques et l’entrée en terre promise (Nombres 14, 30 ; Deutéronome 1, 35 ; Lévitique 26, 33 ; nzéchiel 20, 23), afin de critiquer le dédain du don divin, GERSTENBERGER, 2001, p. 241. 220
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impossible d’échapper223. Décrivant les aspects physiologiques de leur proche affaiblissement à la suite du désastre, le texte évoque leurs mains : rph, « affaiblies » (nzéchiel 7, 17 ; 22, 14), bhal, « prises de tremblement » (7, 27), et décrit : wekol birekayim tƝlakenh, « tous les genoux se fondront en eau », perdant leur force (nzéchiel 7, 17)224. Aussi le prophète questionne-t-il : haya‘am¿d libƝk, « Leur cœur tiendra-t-il bon ? » (Ézéchiel 22, 14). Tandis que selon le Lévitique (26, 19), le peuple s’épuisera en vains efforts, et sera frappé de nouvelles plaies, septuples comme leurs fautes (26, 21). Mais cette destruction physique se complète des maladies de l’âme qui défaille (Lévitique 26, 16), et d’angoisses qui l’assaillent. Dieu certifie que la terreur atteindra adolescents et jeunes vierges, nourrissons et vieillards (Deutéronome 32, 25). En outre, il lève la main (afin de jurer) qu’il les fera succomber dans le désert, rejettera leurs descendants parmi les nations et les dispersera (Psaume 106, 26-27). Ezéchiel, porte-parole divin, l’évoque également : wekisseth uôtm pallÑût, « Et ils seront enveloppés de terreur » (7,18). Le peuple conteste : « Notre cœur n’a pas rétrogradé… pour que tu dusses nous reléguer dans la région des monstres et nous recouvrir des ombres de la mort (Psaume 44, 20-21), puis ajoute : « Nous subissons chaque jour la mort ; on nous considère comme des brebis destinées à la boucherie » » (Psaume 44, 23) et conclut : « Notre âme est abaissée jusque dans la poussière » (Psaume 44, 26). Certains des rites de deuil sont assurés par le psalmiste qui accuse Dieu : « Tu leur fais manger un pain (trempé) de pleurs, tu les abreuves d’un déluge de larmes » (Psaume 80, 6). Les signes de deuil sont également évoqués par les prophètes, ainsi nzéchiel promet : wegerû Ðaqqîm, « Ils se ceindront de cilices » (7, 18), et affirme que toutes : ruÎƝyhem qreh, « les têtes deviendront chauves », signe involontaire de deuil, de désespoir et de vieillissement prématuré en raison d’un douloureux vécu, mais aussi d’humiliation et de misère. Pour autant, les rites d’inhumation ne sont pas respectés et les défunts n’ont plus de sépulture (Psaume 79, 3).
223
BLOCK, 1997, p. 260, cite la triade des châtiments prévus, y ajoute l’épée et la famine, ainsi que dans les oracles précédents (5, 12 ; 6, 12), et si le peuple tente d’échapper à l’une de ces armes, une autre d’entre elles l’atteindra. 224 Selon BLOCK, 1997, p. 261, le prophète se réfère au manque de contrôle dans les moments d’extrême crise.
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Moins développés que dans les Psaumes individuels et les textes où le poète est seul concerné, émotions et sentiments s’expriment cependant. Le peuple, objet d’opprobre pour ses voisins (Psaume 44, 14), de risée et fable de ceux qui l’entourent (Psaume 44, 14 ; 79, 4), tout autant que sujet de moquerie (Psaume 44, 14 ; 80, 7), remarque : « Nous excitons des hochements de tête parmi les peuples » (Psaume 44, 15). La raillerie est attestée comme instrument de punition (Psaume 80, 7), les ennemis s’agitent en tumulte et les adversaires « lèvent la tête » (Psaume 83, 3). Accusant son peuple, YHWH lui affirme qu’en raison de son oubli, sa honte sera visible (Jérémie 13, 26). Et, parmi les menaces dont les textes de lois se font l’écho, figure leur domination par ceux qui les haïssent (Lévitique 26, 17). Tous les moyens sont mis en œuvre, afin d’envoyer ces signes. À nouveau, gestes et mouvements du corps et de la tête expriment la moquerie et la violence de l’ennemi, dont les attitudes et les grimaces se cumulent avec des discours et des actes belliqueux provoquant la terreur chez le peuple attaqué. Parmi les reproches adressés à Dieu, l’accusation d’humiliation tient une place importante : « Tu nous a rejetés et humiliés » (Psaume 44, 10). Le psalmiste rappelle son sentiment de honte devant son ennemi avide de vengeance, son insulteur et son détracteur (Psaume 44, 17). Aussi quémande-t-il : « Que l’opprimé ne soit pas acculé à la honte » (Psaume 74, 21). Jérémie (2, 36b-37) dépeint ce même sentiment envahissant le peuple du fait de son incapacité à signer un accord avec l’Égypte225. La violence s’exprime au travers du blasphème, partie de l’arsenal destructeur, qui implore : « Jusqu’à quand l’adversaire : rap, « blasphémera-t-il », l’ennemi : nuaÑ, « outragera-t-il » (par mépris) sans relâche à ton nom ? » (Psaume 74, 10. 18. 22), qui outre les insultes ne manque pas d’outrager Dieu (Psaume 79, 12 ; 89, 51-52), et questionne avec malveillance : « Où est leur Dieu » (Psaume 79, 10). Le poète demande : « Rappelle-toi les insultes qui sans cesse te viennent de gens indignes » (Psaume 74, 22). La critique malveillante dont Dieu est l’objet est ainsi soulignée par les textes, rapportant les blasphèmes et les insultes proférées sans relâche. En outre, la menace 225
Selon KRUGER, 1996, p. 79-88, la possibilité que le geste décrit par le texte : w ydayik tal r¿uÎƝk, « les mains sur la tête », en Jérémie 2, 37, se rapporte à un signe de communication exprimant un geste de honte dont l’objet consiste à réduire la visibilité du visage, puisque avoir honte équivaut à perdre la face et, perdre la face équivaut à perdre son honneur. e
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divine promet encore aux survivants de cette guerre de vivre dans la peur (Lévitique 26, 36). Le rôle de l’ennemi se complexifie, il ourdit des complots, se concerte contre Israël, disant : « Allons, rayons-les du nombre des nations, que le nom d’Israël ne soit plus mentionné » (Psaume 83, 4). D’un commun accord, il prend des résolutions et conclut un pacte, et sa liste s’allonge (Psaume 83, 6-9). Se répandant en discours et parlant avec « jactance », ces ouvriers d’iniquité écrasent le peuple (Psaume 94, 45) et le poète requiert l’aide divine afin de leur résister ainsi qu’aux malfaiteurs (Psaume 94, 16-17). Le peuple est livré à l’ennemi et : « Ceux qui les haïssent deviennent leurs maîtres », les oppriment et les font plier sous leur joug (Psaume 106, 41-42). Doué d’un rôle paradigmatique, le bestiaire animal est toujours illustré, et certains d’entre eux sont dotés d’une fonction liée à la mort. En effet, Dieu assure qu’il fera appel contre eux à : uarebat miÎepôt, « quatre destructeurs/familles »226, dont les chiens227 pour les : sab, « déchirer », les : tôp haÎÎmayim, « oiseaux du ciel » et les : behemat hureÑ, « bêtes de la terre », afin de les dévorer et les : Îat, « détruire » (Jérémie 15, 1-3)228. Le psalmiste évoque les habitants de Juda dont le cadavre est livré en pâture aux oiseaux du ciel, ces oiseaux de proie qui se nourrissent de viande fraîche ou putrescente229, et la chair aux bêtes des champs (Psaume 79, 2). Les chiens se voient assigner la même fonction attestée dans les Psaumes individuels, féroces et sanguinaires, prédestinés à attaquer et déchiqueter leurs proies, tels qu’à l’état sauvage et semblables aux loups230, de même, les oiseaux de proie, ces rapaces, fondent sur leur butin afin de le dévorer. Avertissement redoutable, puisque les morts doivent être inhumés dans leur intégrité231. Les textes signalent également le sanglier de la forêt qui mutile (Psaume 80, 14), la dent des carnassiers, puissances sauvages et hostiles se nourrissant de charognes, et le venin brûlant des reptiles (Deutéronome 32, 24). Lorsque la menace 226
LUNDBOM, 1999, p. 721-722, souligne l’emploi inhabituel de ce terme pouvant aussi signifier : espèces (Genèse 8, 19), et qui dans ce dernier contexte sont contrôlés par l’homme. CRAIGIE, KELLEY et DRINKARD Jr., 1991, p. 204. 227 DOYLE, 2004, p. 72. 228 CRAIGIE, KELLEY et DRINKARD Jr., 1991, p. 204, rappelle que l’intercession du prophète auprès de Dieu est restée lettre morte, et quand bien même Moïse et Samuel tenteraient d’intercéder, Dieu ne leur prêterait pas la moindre attention. 229 GIRARD, 1991, p. 806s. 230 GIRARD, 1991, p. 804-805. 231 NUTKOWICZ, 2006, p. 73s.
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préventive anticipe les méfaits du peuple et ses conséquences, elle prend la forme explicite de cette redoutable promesse divine : « Et il deviendra la pâture de chacun » (Deutéronome 31, 17-18), et la constatation tardive de sa concrétisation relate : « Car ils ont dévoré Jacob » (Psaume 79, 7), ou de cet autre engagement : « Je lâcherai sur vous les bêtes sauvages, qui vous priveront de vos enfants, qui extermineront votre bétail, qui vous décimeront vous-mêmes » (Lévitique 26, 22). Parfois Dieu abandonne son peuple afin qu’il soit : leuek¿l, « dévoré », que d’autres nations le consument232, ou qu’il serve « de pâture à ce qui se meut dans les champs » (Psaume 80, 14), et ce terme et ses emplois symboliques, évoquent l’attaque d’animaux sauvages et affamés. Les bêtes sauvages métaphores de l’ennemi, se nourrissent de la chasse et de la chair des plus faibles, tandis que les animaux à l’image plus douce désignent le peuple d’Israël qui peine à se défendre. Aussi, le choix iconographique des animaux auxquels le peuple d’Israël est comparé, à l’inverse de l’ennemi, se porte-t-il sur du : Ñ¿un, « menu bétail/brebis/chèvre » destiné à la boucherie (Psaume 44, 23), les « brebis de ton pâturage » (Psaume 79, 13), ou encore « des troupeaux dont on se nourrit » (Psaume 44, 12). Ainsi, le psalmiste sollicite-t-il de Dieu : « Ne livre pas aux bêtes la vie de ta : tôr, « tourterelle » symbole de son bien-aimé peuple (Psaume 74, 19), tandis que le prophète évoque les : yônƝy haggƝuyôt, « colombes des vallées », gémissantes (Ézéchiel 7, 16). Les annonces de mort et d’emprise par les ennemis sont multiples, qui pèsent sur le peuple et sont annoncées par les prophètes et les lois. Le Lévitique prévient : « Vous serez abattus devant vos ennemis » (26, 17), « ceux qui vous haïssent vous domineront et vous fuirez sans qu’on vous poursuivre. Je redoublerai jusqu’au sextuple le châtiment de vos fautes » (26, 18). Ses instruments sont dépeints par les textes. Ainsi, le vocabulaire de la chasse et de la guerre décrit-il certains des moyens de la destruction et les défaites militaires subies. Utilisant les armes et méthodes de la chasse, les ennemis de Juda sont : « Comme des gens qui brandissent la : qared¿m, « cognée/hache » pour abattre dans le bois touffu » (Psaume 74, 5). Les envahisseurs voisins, probablement les Babyloniens (Ezéchiel 7,15)233, sont armés de : rb, « glaives/épées » à des fins de destruction (Jérémie 15, 2- 3 ; nzéchiel 7, 15)). Aussi, Dieu peut-il aussi livrer son peuple au glaive 232 233
DRIVER, 1901, p. 341. COOKE, 1936, p. 81-82.
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(Psaume 78, 62), le faisant surgir comme : « vengeur des droits de l’alliance » (Lévitique 26, 25), dont il aiguise l’éclair s’armant du châtiment (Deutéronome 32, 41), et qui se repaît de chair et « du sang des mourants et des captifs, du crâne des capitaines ennemis » (Deutéronome 32, 42). Il poursuit son peuple l’épée haute (Lévitique 26, 33), ou épuise contre lui ses flèches (Deutéronome 32, 23) qui sont enivrées de sang (Deutéronome 32, 42). Il le secoue sur les places publiques avec un tamis (Jérémie 15, 7), et ses survivants sont livrés au glaive (Jérémie 15, 9). Le peuple d’Israël tombe sous l’épée de ses ennemis (Ézéchiel 39, 23). Le ciel de fer et la terre d’airain menacent (Lévitique 26, 19), tout comme les clameurs des adversaires de Dieu, et leur tumulte croissant (Psaume 74, 23), employés comme outils de terreur. Les prêtres d’Israël tombent par l’épée (Psaume 78, 64), tandis que le feu dévore les jeunes gens (Psaume 78, 63), que les jeunes filles ne se marient pas (Psaume 74, 63), et que les veuves ne pleurent pas (Psaume 74, 64). Aucun lieu n’échappe à la cruauté de l’ennemi : « Toutes les retraites cachées du pays sont devenues des repaires de violence » (Psaume 74, 20), et le poète constate : « Nous sommes tombés bien bas » (Psaume 79, 8). Les défaites militaires d’Israël, que Dieu n’accompagne plus, sont citées dans la protestation du psalmiste qui relate également le pillage du pays : « Tu n’accompagnes plus nos armées. Tu nous fais reculer devant l’ennemi : ceux qui nous haïssent pillent à leur aise » (Psaume 44, 10-11). D’autres accusations se font jour, et le poète s’adressant à Dieu, dénonce : « Tu fais reculer le tranchant de son épée, tu ne le soutiens pas dans les combats » (Psaume 89, 44), et rappelle : « Tu as élevé la droite de tes adversaires » (Psaume 89, 43). Il lui reproche, désignant le peuple : « Tu l’as fait crouler à terre » (Psaume 89, 45). Le poète fait allusion à ceux qui sont voués à la mort (Psaume 79, 11), et constate la destruction par le feu et la mise en pièce du peuple (Psaume 80, 17), puis conclut que tout périt. La dévastation prochaine des richesses matérielles est décrite en termes vivants par Ezéchiel. Le prophète entrevoit la destruction économique absolue du pays rendant toute transaction commerciale impossible et/ou inutile puisque le vendeur ni l’acheteur ne pourront dorénavant profiter des opérations accomplies (7, 13). Atteints par la folie, ceux qui auront été épargnés, jetterons leur argent dans les rues, et : « leur or sera un objet de répulsion », qui ne pourra les sauver au jour de la colère de YHWH (Ezéchiel 7, 19)234, puisqu’il ne leur 234
Le prophète associe la richesse et l’idolâtrie, BLOCK, 1997, p. 264-265.
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permettra d’acheter ni l’apaisement divin ni de la nourriture. Cette génération est devenue le centre de la colère divine, et rien, ne peut changer son destin. Aussi, Dieu s’en détourne-t-il qui en fait un objet de répulsion, et réserve à ce pays un implacable traitement Il annonce que les plus cruels d’entre les nations prendront possession de leurs maisons, briseront l’orgueil des puissants, et détruiront leurs sanctuaires qui seront désacralisés et dont aucune trace ne subsistera (Ezéchiel 7, 24). Isaïe témoigne : « Nos biens les plus chers ont été livrés à la destruction » (64, 10). Il dépeint une tragédie : « Israël est un peuple pillé et dépouillé : tous, on les a confinés dans des fosses et relégués dans des cachots ; on les a spoliés et nul ne les a protégés, on a fait main basse et nul n’a dit : « Rendez gorge » (Isaïe 42, 22). Puis, il interroge : « Qui a livré Jacob au pillage et Israël à l’avidité des ravisseurs… ? » (42, 23). La promesse d’un autre châtiment présage : wauaÎer laÎÎebî laÎÎebî, « À la captivité (ceux qui sont réservés) à la captivité ! » (Jérémie 15, 2). Faits captifs, les habitants d’Israël en appellent à Dieu et sollicitent : « Puisse le : uanqh, « Gémissement/soupir/pleur » des : usîr, « captifs/enchaînés » monter vers toi » (Psaume 79, 11), dans l’espoir d’être entendus et délivrés (Psaume 102, 21), et Ézéchiel informe le peuple de sa future captivité : « Qu’on prépare les chaînes… J’amènerai les plus méchants d’entre les nations. » (7, 23), qui prend la forme d’un appel aux ennemis d’Israël afin de forger les instruments de captivité235. La famine fait partie des fléaux dont Dieu avertit son peuple, qui sera par conséquent « exténué » (Deutéronome 32, 24), et parmi les formules employées figurent les suivantes : « À la : rtb, « famine/faim » (ceux qu’attend) la famine » (Jérémie 15, 2) ou bien : « et la famine à l’intérieur » (Ezéchiel 7, 15), qui annoncent la mort (Ezéchiel 7, 18-19). En outre, parmi toutes les violences et châtiments que doit subir le peuple d’Israël, le Lévitique (26, 26) prédit que Dieu privera son peuple de vivres. Et, s’il considère ces punitions insuffisantes, il prévient d’une menace encore plus pressante, évoquant l’horreur d’actes de cannibalisme (Lévitique 26, 29). Seuls quelques fugitifs, évoqués par Ézéchiel seront peut-être épargnés, mais leur sort ne sera guère enviable, ils se dissimuleront dans les montagnes, espérant se dérober à leurs assaillants et trouver 235
Les prisonniers de guerre, sont liés entre eux et forment une longue suite, BLOCK, 1997, p. 267.
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un refuge. Mais, le texte ne leur laisse guère d’espoir, car ils n’y trouveront pas la paix, seront poursuivis, et leur destin restera misérable puisqu’ils ne pourront échapper à leur : tw¿n, « culpabilité » (7, 15-16)236. La dispersion du peuple d’Israël éparpillé parmi les nations est retracée par le psalmiste (Psaume 44, 12), qui reproche à Dieu : « Tu vends ton peuple à vil prix, tu n’estimes pas bien sa valeur » (Psaume 44, 13). Dieu répond par une interrogation qui annonce un futur dramatique, conséquence de la guerre : « Quand viendront les jours que je te prépare... Je te disperserai parmi les nations, je t’éparpillerai par les pays et j’extirperai la souillure qui s’est attachée à toi…et tu reconnaîtras que je suis YHWH » (Ézéchiel 22, 14-16). Jérémie (13, 24), traite ce même thème, relatant le passé d’Israël ayant trébuché et fait de son pays une désolation, et qui sera, selon la promesse divine, dispersé devant l’ennemi : t¿rep wel¿u pnîm uereuƝm beyôm uƝydm, c’est de dos et non de face que je les verrai au jour de leur désastre » lors de leur fuite (Jérémie 18, 17). La promesse divine avertit : « Vous vivrez dans le pays de vos ennemis » (Lévitique 26, 34), et là : « Vous vous perdrez parmi les nations, et le pays de vos ennemis vous dévorera » (Lévitique 26, 38), révélant qu’ils seront engloutis par et dans le pays de l’exil et s’éteindront237. ngalement dépeint au travers d’une métaphore d’Isaïe (54, 7-8), l’exil ou : g¿lh est présenté comme un moment d’abandon divin. En complément, le prophète Ézéchiel (39, 23) rappelle aussi l’exil de son peuple en raison de son dédain devant les termes de l’alliance, et le rôle de YHWH dans le destin dramatique de son peuple. Rapportant l’assassinat du peuple le psalmiste constate : « Leur sang, ils l’ont répandu comme l’eau autour de Jérusalem » (Psaume 79, 3), ravive encore le souvenir du sang versé (Psaume 79, 10) par des impies faisant périr la veuve et l’étranger, assassinant les orphelins (Psaume 94, 6), et détruisant la vie du juste (Psaume 94, 21). Dieu promet : « À la : mwet, « mort » ceux qui sont destinés à la mort » (Jérémie 15, 1), et avertit « Je jetterai vos cadavres sur les cadavres de vos impures idoles » (Lévitique 26, 30). Quelques précisions sont parfois apportées par le texte qui rappelle la mort prochaine de « ceux des champs », qui, s’ils cherchent refuge dans les villes mourront de la 236
BLOCK, 1997, p. 260-261, rappelle que cette espèce nidifie dans les montagnes et les falaises de Palestine. Et, le prophète compare le son des plaintes des réfugiés aux roucoulements de ces oiseaux. 237 LEVINE, 1982, p. 181.
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famine et de la peste qui les consumeront comme des bêtes voraces (Ezéchiel 7, 15), et celle de : « ceux de la ville », qui s’ils se rendent dans les campagnes y trouveront le même sort, par l’épée (Ezéchiel 7, 15)238. Dieu annonce encore à son peuple : « Je dirigerai ma face contre vous et vous serez abattus devant vos ennemis » (Lévitique 26, 17), mais se résout à l’avance à ne pas : « les réduire à néant » ou « effacer leur souvenir de l’humanité » (Deutéronome 32, 26) dans un style impétueux dont l’intensité est propre à inspirer la terreur. Mais, le Psalmiste (102, 21) exprime cependant son désespoir que Dieu brise : « Les liens de ceux qui sont voués à la mort ». Dieu témoigne encore, usant de la formule usuelle : « C’est pourquoi… je vais tourner ma face contre vous pour votre malheur et pour la destruction totale de Juda… Personne n’échappera et ne sera sauvé des survivants de Juda venus pour séjourner là, en Égypte » (Jérémie 44, 11. 14). Dieu, en ce jour, fait face à son peuple inconséquent et sa présence devient punitive239. Plus menaçant encore, le jugement divin annonce la destruction du peuple d’Israël par la main de ses ennemis. Cette peinture alarmante de la tragédie d’Israël se colore de sombres couleurs que présente un souffle épique : qƝÑ bou haqqƝÑ tal uarebatat kanepôt hureÑ, « Fin ! La fin est venue pour les quatre coins du pays », ((Ezéchiel 7, 2). Puis, le verset 7, 6, reprend cette annonce, amplifiant sa dramaturgie qui répète par trois fois la venue de la : « fin ». L’emploi et la répétition du mot : qƝÑ, « fin » prévient des calamités et de la ruine, dont la conséquence ne peut qu’être la disparition du peuple de Juda (Ézéchiel 23, 35). Cette formule provoquant la terreur, met au jour une tension dramatique laissant percevoir la violence du désastre à venir240. Par la bouche de son prophète, Dieu responsabilise son peuple, qui juge et le châtie, chacun selon ses souillures et ses péchés (Ézéchiel 7, 2-12 ; 39, 24). Parfois, la colère divine atteint une violence paroxysmique telle que YHWH : « En décima les plus vigoureux et coucha à terre les gens d’élite en Israël » (Psaume 78, 31). Pour autant ces épreuves ne 238
BLOCK, 1997, p. 260. FOO, 2006, p. 223, rappelle que la punition divine est la conséquence des péchés commis par le peuple et conclut qu’il se punit lui-même, aussi Dieu ne serait-il que l’Hermès du châtiment. 240 BLOCK, 1997, p. 249, suggère que selon le prophète la fin d’Israël pourrait être la fin du monde. L’imagerie des quatre coins dérive du marchand de drap qui déploie une pièce de tissu rectangulaire. 239
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mettent pas fin à ses errements, aussi Dieu : « Mit fin à leurs jours par un souffle, à leurs années par des coups soudains » (Psaume 78, 33). Ces textes dépeignent les conséquences de la cassure entre Dieu et son peuple. Les menaces tout comme les châtiments, qui sont annoncés ou vécus par le peuple, ne diffèrent guère, le plus souvent, d’avec les sanctions qui touchent l’orant des Psaumes, de Job et des prophètes. La plupart des motifs sont communs, que sont les souffrances tant physiques que mentales, éthiques et psychologiques. Aucun reproche envers la divinité n’est exprimé. Le destin historique et politique d’un peuple s’y trouve le plus souvent dépeint, qui rappelle les funestes conséquences de la guerre et de l’invasion babylonienne, la destruction du royaume de Juda, la déportation de ses élites à Babylone et l’exil. Le pays Si le peuple encourt la punition divine, le pays d’Israël subit tout autant un terrible châtiment, puisqu’il est détruit et que la nature ne produit plus de fruits. Les Psaumes exposent cette dramatique représentation des conséquences du rejet divin qui accusent : « Tu as démoli toutes ses murailles, changé en ruines ses châteaux-forts. Tous les passants l’ont mis au pillage, il est devenu un objet d’opprobre pour ses voisins » (Psaume 89, 41-42). D’autres images peignent son aspect : « Tu y as ouvert des crevasses » (Psaume 60, 4), et ses décombres (Psaume 60, 4 ; 79, 7). L’avertissement divin s’était fait entendre qui promettait : « Je ferai de vos villes des ruines » (Lévitique 26, 31) et précise : « votre pays restera solitaire, vos villes resteront détruites » (Lévitique 26, 33). La guerre et l’emploi des armes sont régulièrement évoqués, qu’il s’agisse d’armes de guerre et de glaives (Jérémie 34, 4), ses conséquences également, avec la violence des destructions et les nombreux disparus. Les prédictions de Michée (3, 12) dépeignent ce futur du pays d’Israël qui sera : « labouré comme un champ »241. Jérémie (33, 4. 12), brosse également un sombre tableau du royaume de Juda après sa destruction par les armées babyloniennes, avec ses maisons particulières et les palais des souverains détruits…, ses nombreux morts, une contrée en ruines sans bétail ni habitants. De même, Isaïe 241
MAYS, 1976, p. 92.
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ne manque pas d’évoquer la désolation du pays transformé en un désert (64, 9). Rappelant le rôle nourricier de la nature, le Lévitique annonce : « Vous vous épuiserez en vains efforts votre terre refusera son tribut et ses arbres refuseront leurs fruits » (26, 20), et la terre sera désolée au point que les ennemis d’Israël qui l’occuperont en seront stupéfaits (Lévitique 26, 32). Le texte de loi énonce encore : « Alors la terre acquittera la dette de ses chômages », qui restera désolée (Lévitique 26, 34). La terre chômera durant cette période de désolation pour : « Ce qu’elle n’aura pas chômé durant les années sabbatiques », alors qu’Israël l’habite. Jérusalem Les prophètes après avoir annoncé la destruction de Jérusalem242, « car Dieu abandonne sa cité » (Jérémie 33, 5), transformée en un monceau de ruines (Michée 3, 12 ; Jérémie 9, 10) évoquent la capitale judéenne après sa dévastation par les armées babyloniennes, qui est dépeinte par quelques récits, dont les maisons et celles des rois de Juda ont été détruites lors de son siège par les travaux de protection des remparts intérieurs, par le glaive et parce que YHWH a caché sa face de la cité (Jérémie 33, 4). Les textes évoquent la cité à l’état de décombres (Psaume 79, 1), de : gll, « ruines » (Jérémie 9, 10). Ses habitants n’ont pas accepté d’obéir à Dieu, et Jérémie, porteur de sa parole, exprime sa déception et sa colère. Usant de la même forme rhétorique qu’est l’interrogation dont la réponse est cependant connue, Dieu propose que des recherches soient effectuées et promet que si un homme, un seul, pratique la justice, qui est loyal, la ville obtiendra son pardon. Mais, les habitants, cyniques et obstinés, dénués d’intelligence, sont ignorants. Dieu se tourne alors vers leurs dirigeants censés connaître le : derek, « chemin », et le : miÎepÓ, «jugement » divins, mais se doit de constater qu’ils ont : niteqû môsƝrôt, « rompu les liens » (Jérémie 5, 5). Le pardon ne peut plus être accordé à Jérusalem, aucune trace d’obéissance n’a fait brèche243, aucun des habitants de la cité ne s’est soumis et n’a cessé d’ignorer Dieu. YHWH a recours aux moyens d’expression habituels qu’est l’épreuve, afin de savoir s’il est possible de : sla, « pardonner » 242
LIPSCHITS, 2005, p. 68-69, rappelle que la cité est détruite par les Babyloniens, parce qu’elle est un centre de rébellion envers le pouvoir babylonien, et que la lignée davidique l’a trahi (587-586 avant n. è.), sans pour autant détruire la totalité du royaume qui lui est nécessaire tant à des fins économiques que politiques. 243 BRUEGGEMANN, 1998, p. 63.
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(Jérémie 5, 9), mais la réponse demeure négative. Alors, le prophète Isaïe supplie Dieu et tente de le convaincre de ne pas trop appesantir sa colère, lui rappelant : « Tes villes saintes sont devenues une solitude… Jérusalem une ruine abandonnée » (64, 9). Des animaux sauvages dépeints en Jérémie, jouent le rôle d’instruments du jugement et du châtiment divins, que sont le lion attaquant les habitants de Jérusalem, le : zeuƝb tarbôt, « loup des steppes arides » qui s’acharne contre eux, et le : nmƝr, « léopard/tigre/bête féroce », guettant les villes, tandis que quiconque en sort est mis en pièces (Jérémie 5, 6). Le choix de cet animal féroce qui épie et tue souligne d’autant la menace. Cette métaphore évoque peut-être la dévastation par une armée ennemie, la présence réelle de ces animaux dans la cité détruite244, à moins qu’elle ne décrive symboliquement la loi de la jungle245, ou les trois. Puis le poète assure aussi que la cité en ruines, deviendra un repaire de : tannîm, « serpents/dragons/chacals », qui la hanteront (Jérémie 9, 10). La destruction de Jérusalem constitue le symbole de la disparition du royaume de Juda, en tant qu’entité politique, et la conséquence de l’absence divine. Le temple Sa destruction est évoquée dans les Psaumes et par les prophètes. Ils partagent un même langage épique dans la peinture de cette tragédie organisée par les peuples voisins qui projettent : « Emparons-nous des demeures de Dieu » (Psaume 83, 13). Et Dieu s’est fait comminatoire qui promettait de détruire les hauts-lieux (Lévitique 26, 30), dont il fera une solitude (Lévitique 26, 31), et abattra les monuments solaires (26, 30). Autre effet avéré de la séparation d’avec Dieu, la menace de destruction du temple, évoquée par les prédictions de Michée (3, 12) : « la montagne du temple (deviendra) une hauteur boisée ». Le temple où Dieu « est au milieu de nous » (Michée 3, 11) aura disparu, et il n’y aura plus de lieu cultuel permettant de garantir la présence divine246. Isaïe (64, 10) évoque le glorieux temple devenu la proie des flammes (10). Le psalmiste rapporte également en termes lyriques sa destruction et rappelle les rugissements des ennemis de Juda lorsqu’ils 244
FRETHEIM, 2002, p. 109-110. BRUEGGEMANN, 1998, p. 63. 246 MAYS, 1976, p. 92s. 245
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ont envahi le temple, les comparant aux cris de grands fauves féroces, tigres, panthères, hyènes… (Psaume 74, 4). Il constate : « Des païens ont envahi ton héritage, souillé ton temple saint » (78, 1). D’autres narrations et textes de lois expliquent la destruction du Temple liée au rejet de Dieu par son peuple (1 Rois 9, 6-9 ; 2 Rois 22, 17 ; Deutéronome 29, 19. 24). Ézéchiel assure au peuple d’Israël que Dieu détournera sa face, aussi : weillelû uet Ñepûnî, « l’armée du nord profanera » le lieu de sa retraite, et des : prîÑîm weillelûh, « hommes féroces le déshonoreront/désacraliseront » (7, 22). Mais le message du prophète s’avère infiniment plus complexe. En dépit de l’exil, de la destruction et de la profanation du temple qui n’est plus le lieu usuel de la présence de Dieu, il permet à son auditoire de saisir, d’une part la possibilité de la présence divine parmi son peuple hors de ce lieu, et d’autre part que l’absence d’un espace spécifique n’implique pas l’absence divine247. L’emploi de termes guerriers, d’une liste d’armes et d’outils de destruction est attesté par les poètes. L’ennemi utilise marteaux et cognées afin d’abattre toutes les sculptures du temple (Psaume 74, 5), puis, le livre aux flammes qui a : « jeté à bas et profané la résidence de ton nom » (Psaume 74, 7 ; 79, 1). Mais cette destruction ne lui suffit pas, aussi, les centres « consacrés à Dieu dans le pays » sont-ils tous brûlés (Psaume 74, 8). En outre, la marque symbolique de la destruction et de la présence de l’ennemi en ce lieu et de sa prise de pouvoir s’affirme par la constatation : « Ils ont imposé leurs emblèmes comme emblèmes. Nous ne voyons plus nos emblèmes à nous » (Psaume 74, 4. 9). Outre la destruction, l’ennemi impose son empreinte sur ce lieu, et s’en affirme le maître. Le temple détruit et une partie de la population dorénavant installée en Babylonie, signent une évolution spirituelle, et la conscience d’une divinité qui n’a plus besoin d’un tel lieu spécifique pour être dorénavant présente à son peuple. Les prophètes Certains prophètes provoquent la séparation d’avec Dieu, s’avèrent incapables de jouer leur rôle d’intermédiaires avec la divinité, et font disparaître tout lien avec YHWH. Michée 3, 6-7, dans son style poignant et imagé, s’adresse à ces prophètes qui « égarent mon peuple » (3, 1), et leur dévoile leur châtiment :
247
KUTSKO, 2000, p. 27s.
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« Ce sera pour vous la nuit sans vision, les ténèbres sans oracles ; le soleil se couchera pour les prophètes, pour eux le jour sera plongé dans l’obscurité. Alors les voyants seront confus, les diseurs d’oracles couverts de honte ; ils s’envelopperont tous la barbe, car aucune réponse ne leur viendra de Dieu » (3, 5-8).
Le texte leur annonce une détresse sans issue, qu’elle qu’en soit la cause, absence de révélation, de visions et de messages divins. Il n’affirme aucunement que Dieu n’entendra pas leurs demandes, mais plutôt qu’il choisira de s’en détourner afin d’exprimer sa colère248. Les thèmes de l’apostasie et de l’oubli sous leurs différentes formes, liés au rejet de l’alliance, sont le plus souvent rapprochés du culte d’autres divinités. Et l’affirmation de la loi du talion et son application semblent largement attestées avec la destruction du temple, du peuple, de l’orant, du pays. Ainsi, la désobéissance et l’oubli d’Israël mènent vers le châtiment divin et ses violences destructrices, tels que l’attestent les textes de 1 Samuel 15, 3 s’adressant à Saül : « Puisque tu as repoussé la parole de l’Eternel, il te repousse de la royauté ». Et, Isaïe témoin de l’oubli de Dieu par son peuple l’accuse ainsi de surdité et d’aveuglement (42, 18-19), et confirme cette interprétation. Les conséquences de l’absence divine, si riches et variées que les récits qui les rapportent, s’ancrent dans les réalités vécues par Israël et soulignent la proximité des textes et des expériences de la vie réelle tant privée qu’historique249. Le plus souvent, le contexte politique et l’environnement social, les catastrophes naturelles, constituent la source des situations mouvementées et violentes des manifestations de colère divine et de leurs effets250. Et, parallèlement, la recherche d’un contact avec Dieu se révèle plus prégnant lors de situations de détresse extrême, de danger et de maladie251. De fait, Dieu s’avère être un participant actif au monde de l’humanité252, tant en ce qu’il reçoit qu’en ce qu’il renvoie. L’interaction humaine, divine et cosmique en ressort qui met le projet divin du retour en lumière, dorénavant coupé de son sanctuaire. 248
ANDERSEN et FREEDMAN, 2000, p. 356s. GERSTENBERGER, 2005, p. 82-92. 250 GRIFFIN, 1997, p. 105, (tableau 9), rapporte que dans la catégorie des actions divines, celles de destruction divines dans les prophètes s’élèvent à 23% et celles de punition à 14%. 251 GERSTENBERGER, 2005, p. 81-92. 252 GRIFFIN, 1997, p. 229s., précise que les malheurs ou chagrins représentent environ un tiers de l’activité divine, dont la destruction et la punition sont les deux sortes d’actions les plus courantes. 249
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IV VERS UN RENOUVEAU Le courroux divin et ses douloureuses conséquences trouvent l’apaisement dans le retour du peuple vers ses voies. Pour ce faire, celui-ci se doit de reconnaître son iniquité et celle de ses pères, sa forfaiture, cause de son hostilité, et si leur cœur s’humilie, ils pourront expier leurs torts. Aussi, Dieu s’engage-t-il à se souvenir de son alliance (Lévitique 26, 40-42), et donner les moyens à son peuple de se racheter, qui désire la vie et non la mort253 (Ézéchiel 18, 23-32). Si les Psaumes ne discernent pas systématiquement la logique du rejet divin, elle est, dans certains autres textes, confrontée à une explication qui n’est jamais ambigüe. Et lorsque Dieu manifeste son mécontentement face aux péchés de son peuple par la voie choisie, ou décide d’une mise à l’épreuve, et lorsque ce châtiment a produit son effet, Israël peut espérer un retour à une situation plus équilibrée et une relation plus normale à la divinité, qui ne se détourne jamais pour l’éternité, aussi le châtiment reste-t-il limité dans le temps : « pour un moment », alors que son amour dure éternellement (Isaïe 54, 8). Le psalmiste confirme : kî regat beuapô, « Car sa colère ne dure qu’un instant » (Psaume 30, 6), quand bien même : « YHWH a vu que c’en était fait du droit » (Isaïe 59, 15). En effet, Dieu, le temps venu, se réveille tel un homme fort : rnan, « jette des cris » en « sortant de son vin/en s’éveillant de son ivresse » (Psaume 78, 65), et ses coups font reculer ses adversaires auxquels un opprobre éternel est infligé (78, 66). Le poète espère la clémence divine qui effacerait ses fautes (Psaume 51, 3). La détresse s’exprime au travers de l’insistante : tepillh, « prière » (Psaume 69, 14) de ceux qui : draÎ, « recherchent » YHWH (Psaume 34, 11) et sont exaucés, des : usar, «captifs » (Psaume 102, 21) et des « affligés/malheureux » (Psaume 9, 13 ; 22, 27), qui : Îwat, « supplient/implorent le secours » (Psaume 69, 2), l’aide et la miséricorde divines (Psaume 69, 14-15. 17), et requièrent d’être : nÑal, « sauvés/délivrés » (Psaume 69, 15), verbe spécifique du vocabulaire s’appliquant à ces situations. Exprimant l’aspect vital de son besoin, il compare avec élégance son âme aspirant à Dieu au : uayl, « cerf » soupirant après les sources d’eau » (Psaume 42, 2). Il s’accompagne également d’autres verbes de ferveur et de supplication tels : pnh, « se tourner vers/exaucer/regarder favorablement » vers le poète (69, 14. 17. 18), ne pas « dérober sa face » (18), ou : « qrab,
253
FRETHEIM, 1984, p. 125.
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« s’approcher »254 de son âme (69, 19), gual, « sauver/racheter » (69, 19), pdh, « racheter/délivrer/sauver » (69, 19), exprimant tant l’attente que l’espérance de l’orant et/ou du peuple. Il en sollicite de le : rÑu, « recevoir favorablement » (Psaume 40, 13), et de : ûÎ, « se hâter » (Psaume 70, 2) où l’emploi de l’impératif intensifie l’expression de son inquiétude et de son épuisement. Puis, il propose : uath tqûm teraƝm Ñîyôn kî tƝt leen¿nh kî bou môtƝd, « Tu te lèveras, tu prendras Sion en pitié, car il est temps de lui faire grâce : « le terme/le temps fixé/arrêté » est venu », et argumente : « Car tes serviteurs affectionnent ses pierres et ils chérissent jusqu’à sa poussière » (Psaume 102, 14-15). Dieu ne manque jamais de pardonner à son peuple, « attentif à leur détresse » (Psaume 106, 44), se souvenant de leur alliance (106, 45 ; 105, 8 ; 111, 5), provoquant « la pitié chez tous ceux qui les retenaient captifs » (106, 46). Affirmant son espérance : « Tu me conserveras en vie ; dans ta justice tu libéreras mon âme de la détresse » (Psaume 143, 11), le psalmiste attend de Dieu qu’il soit son guide (Psaume 143, 10) et son sauveur et l’adjure ainsi : « Sois moi : nan, « propice//fais-moi grâce » et : tnh, « exauce moi »… Tu es mon : tƝzr, « soutien/secours/appui/aide/salut », ne me : ntaÎ, « délaisse/laisse » ni ne : tzab, « m’abandonne » (Psaume 27, 7. 9), souhaitant être : usap, « recueilli » (Psaume 27, 10). Le poète avec humilité le prie de le : nh, «guider/conduire/mener/diriger » dans le : u¿ra, « chemin/voie/conduite/destinée » de la : mîÎôr, « droiture/justice » (Psaume 27, 11), et connaissant la fragilité et la faiblesse du cœur humain, de ne pas l’abandonner à ses ennemis et aux faux-témoins (Psaume 27, 12). Le poète témoigne encore : « Ceux qui : Ñtaq, « crient/implorent », YHWH les : ÎmƝt, « entend/écoute/exauce », et il les : nÑal, « délivre » de tous leurs : Ñrh, «tourments/peines/afflictions » (Psaume 34, 18). Le rejet est temporaire255, aussi la vie revient-elle et le changement dans la vie du peuple. Des formulations contraires sont alors attestées. Dieu invite l’orant à : « Recherchez ma face » et celui-ci lui répond : uet pnek yhwh uabaqqƝÎ, « YHWH, c’est ta face que je recherche » (Psaume 27, 8). Il implore Dieu de ne pas s’éloigner et de: tzar, 254
GERSTENBERGER, 2001, p. 49, souligne que l’impératif : « Approche-toi de mon âme » (Psaume 69, 19) en tant qu’appel est unique dans le Psautier, qui rencontre une contrepartie en 119, 169 : « Que ma clameur s’approche de toi ». De même, la paire : pnh/pdh, « se tourner vers/sauver » est présente en 25, 16. 22. 255 VRIEZEN, 1953, p. 98-101.
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« l’assister/le secourir/le soutenir » (Psaume 22, 20). Le psalmiste supplie à nouveau : « Rappelle-toi… la promesse où tu as voulu que je mette mon attente » (119, 49), « C’est en ta parole que je mets mon espoir » (81), « Viens à mon aide » (86), « Soutiens-moi selon ta promesse » (119, 116), « Accorde-moi ton appui » (119, 117), « Interviens pour le bonheur de ton serviteur » (119, 122), « Tourne-toi vers moi » (119, 132-133), « Fais luire ta face » (119, 135), « Daigne écouter ma voix » (119, 149).
Le prophète, quant à lui, soutient : « J’ai mis ma confiance en YHWH… et j’espère en lui » (Isaïe 8, 17)256. Il est vrai que Dieu peut : ram, « prendre en pitié/miséricorde » son peuple (Jérémie 33, 26), et consentir à lui : sla, « pardonner », tous les péchés dont il s’est rendu coupable (Jérémie 33, 8). La parabole du potier (Jérémie 18), exprime la générosité divine envers son peuple repentant. Lorsqu’il se décide à suivre ses voies, elle peut trouver à s’appliquer pour le futur257, selon la technique du potier qui jette les vases manqués puis en fabrique de nouveaux (Jérémie 18, 4). Aussi, à cette condition, Dieu patient, pardonne, promet de bâtir et planter (Jérémie 18, 9)258. Il assure et rassure également : « Moi, je rassemblerai les restes de mon troupeau de toutes les terres où je les ai relégués, je les ramènerai à leur pâturage pour qu’ils y croissent et s’y multiplient » (Jérémie 23, 3), et proclame : « Je t’aime d’un amour impérissable » (Jérémie 31, 3). Le concept de pitié divine est attesté une fois et une seule en nzéchiel (39, 25), qui annonce : weriametî kol bƝyt yiÐerƝl « Je prendrai en pitié toute la maison d’Israël », et emploie le verbe : ram, évoquant le pardon à l’aube des temps nouveaux259, signe de patience et de fidélité, afin de sauver le peuple. Job est averti par Bildad de partir à la recherche de Dieu afin de le supplier et l’implorer. Et, l’ami du héros lui assure que s’il est pur et droit, la divinité agira en sa faveur et restaurera sa demeure qui abrite la piété (Job 8, 5-6). En dépit de son
256
TERRIEN, 1978, p. 252. Trois passages du prophète prévoient le futur pardon divin de l’iniquité de son peuple et sa restauration : 31, 34 ; 33, 8 ; 50, 20, KRAOVEC, 1999, p. 446-447. 258 FRETHEIM, 1987, p. 86. DAVIES, 1987, p. 26. 259 KRAOVEC, 1999, p. 482-483. 257
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innocence, le héros peut regagner sa précédente condition en appelant à la miséricorde divine260. Mais avant ce retour vers un nouvel équilibre, le peuple doit se libérer des pollutions qui le ternissent et se purifier. Plusieurs procédés sont évoqués, qui se rapportent à des réalités concrètes. Dieu y participe et promet de : ÓhƝr, « purifier » son peuple (Jérémie 33, 5). Le psalmiste témoigne que le peuple a été jeté : « au creuset comme on fait de l’argent… », puis a été passé « par le feu et l’eau » (Psaume 66, 1012). L’impureté est abondamment exposée dans une image qui dépeint les gens de la maison d’Israël comme semblables à des scories, pareils au cuivre, à l’étain, au fer et au plomb, et à des scories de l’argent. Aussi, Dieu promet-il son assistance : « De nouveau, je laisserai tomber ma main sur toi… Je te purgerai de tout alliage » (Isaïe 1, 25). Pour autant, ce procédé ne semble pas toujours parvenir à ses fins, et le prophète rappelle : « Le soufflet de forge a soufflé ; par l’action du feu le plomb devait disparaître, mais vainement on a fondu et refondu, les scories ne se sont pas détachées » (Jérémie 6, 27-30). Ézéchiel (22, 17-22), relate également que Dieu décide de soumettre son peuple à l’action purificatrice du feu. Et Malachie expose ce même projet et son savoir-faire : « Il se mettra à fondre, à épurer de l’argent ; il purifiera… et les affinera comme l’or et l’argent » (3, 2). L’eau peut aussi jouer un rôle lustral, et la requête du psalmiste en témoigne qui requiert de Dieu : kbesƝnî mƝtaônî , « Lave moi/purifiemoi » de mon iniquité », l’adjure de le : « purifier » de son : ÓÓuh, « péché » (Psaume 51, 4), afin d’être plus blanc que la neige (Psaume 51, 9) et le prie instamment de lui donner un : lƝb Óhôr : « cœur pur » et un esprit : nkôn, « fort/ferme » (Psaume 51, 12). L’ : uƝzôb, « hysope » semble également dotée d’une fonction de purification (Psaume 51, 9). Par ailleurs, dès lors que le terme : pnîm exprime également l’être, la personne (Exode 33, 14), il témoigne du choix pour l’être divin dans sa totalité, de sa volonté d’accompagnement et de renouveau du peuple : pnay yƝlƝkû : « Ma personne marchera (devant toi)/Moimême je marcherai (devant toi) ». La délivrance provient de l’action divine (Psaume 30, 4), qui ambitionne non à détruire mais à 260
POPE, 1960, p. 65. BALENTINE, 1983, p. 162, suggère que Job est confronté au Dieu caché, un ennemi qui frappe de terreur ceux qui ont confiance en lui.
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éduquer261. De fait, l’orant, le plus souvent, sait que l’objet de la colère divine et du châtiment imposé est de parvenir à lui offrir sa grâce, afin de lui apporter l’aide nécessaire à l’abandon de ses mauvais choix et lui permettre de préférer la droiture : « Seigneur, tu as fait remonter mon âme du Shéol, tu m’as permis de vivre, de ne pas descendre au tombeau…Car sa colère ne dure qu’un instant, mais sa bienveillance est pour la vie ; le soir dominant les pleurs, le matin c’est l’allégresse » (Psaume 30, 4. 6). Force et stabilité sont octroyées par la grâce divine, qui attend de l’homme gratitude et humilité. Aucune conscience de cette réalité n’avait semble-t-il atteint le Psalmiste avant qu’il ne tombe et que Dieu ne lui « cache sa face ». Sa connaissance s’est construite dans l’adversité, de même sa compréhension de la nécessité d’abandonner ses erreurs. De fait, cette expérience souligne la présence divine et son projet qui le guide pardelà le sentiment d’absence. Dieu est à l’ouvrage et permet de dénouer la crise, après avoir offert à l’orant une nouvelle conscience et une expérience vitale. Divers textes remémorent la résolution de cette situation, qui après avoir atteint une certaine limite, implique la promesse d’un futur. Et le poète constate : « Car Tu m’as relevé » (Psaume 30, 1). Le Psaume 22, 25 l’éclaire encore par l’emploi de métaphores anthropomorphiques : « Il ne lui a pas caché son visage/ses faces, mais l’a entendu lorsqu’il l’implorait »262. Dieu prend alors la parole et son autorité paraît souveraine. Excluant le doute, et renforcée par la répétition du pronom personnel, elle rassure le peuple à propos de son alliance : un¿kî un¿kî hûu menaemekem, « C’est moi, c’est moi qui vous console ! » (Isaïe 51, 12)263, évoquant la restauration eschatologique de Juda264, qui assure que dorénavant : wel¿u uasetîr tôd pnay, « Je ne leur cacherai plus ma face » puis l’explique : « par la raison que j’aurai répandu mon esprit sur la maison d’Israël » (Ézéchiel 39, 29). Cette formule marque le retour divin après le châtiment et la période d’abandon, qui enfin rassure : wel¿u meuasetîk ual tîru kî timmek unî, « Je ne te rejette plus. Ne crains rien car je suis avec toi. » (Isaïe 41, 9-10). Et promet encore en un langage lyrique et poétique : 261
WEISER, 1962, p. 270-71. BALENTINE, 1983, p. 56s. 263 KUNTZ, 1982, p. 149, 162-163, souligne l’aspect poignant de cette affirmation divine, puisque Israël n’a aucune raison d’être dans la peur. 264 BLENKINSOPP, 2002, p. 333. 262
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« Et je conduirai les aveugles dans une route à eux inconnue, et je les ferai cheminer dans des sentiers qu’ils ignorent ; je convertirai pour eux les ténèbres en lumière et les aspérités en terrain uni…Ces choses-là je les accomplis sans en rien omettre » (Isaïe 42, 16), ajoutant : « Un court instant je t’ai délaissée… Dans un transport de colère je t’ai, un instant dérobé ma face ; désormais je t’aimerai d’une affection sans bornes » (Isaïe 54, 7-9).
Puis, Isaïe (54, 9-10) rapporte le serment divin dont le rôle est celui de confirmation de l’alliance265 : « Je jure de ne plus m’irriter ni diriger des menaces contre toi… Ma tendresse pour toi ne chancellera pas, ni mon alliance de paix ne sera ébranlée ». L’espoir en Dieu qui s’est détourné fait partie du langage des lamentations (Isaïe 8, 17 ; Psaume 69, 7), et Isaïe explique « car ta lumière est venue » (Isaïe 30, 1), puis l’assure encore : « Mais il viendra en rédempteur » (Isaïe 59, 20). Le récit de Jérémie 33, 5, l’exprime également, qui est suivi d’une promesse de guérison et « d’une source abondante de paix et de prospérité ». Ce rejet a pour objet le salut d’Israël, et après son pardon sa restauration. Pour autant, ils ne sont pas promis automatiquement, et Michée 3, 4, néanmoins familier de ce concept, l’atteste. Les lois n’omettent pas cette promesse. Et, s’il peut se produire que Dieu oublie ses engagements vis à vis d’Israël et réciproquement, le plus souvent il affirme sa confiance en son peuple : « C’est alors que tu auras recours à l’Eternel ton Dieu et tu le retrouveras si tu le cherches de tout ton cœur et de toute ton âme. Dans ta détresse, quand tu auras essuyé tous ces malheurs après de longs jours tu reviendras à l’Eternel, ton Dieu et tu écouteras sa voix. Car c’est un Dieu clément que l’Eternel ton dieu, il ne te délaissera pas, il ne consommera pas ta perte et il n’oubliera point l’alliance de tes pères, l’alliance qu’il leur a jurée » (Deutéronome 4, 29-31).
Le Lévitique (26, 45) exprime ce renouveau et le retour de son peuple vers Dieu : « Et je me rappellerai en leur faveur le pacte des aïeux, de ceux que j’ai fait sortir du pays d’Égypte à la vue des peuples pour être leur Dieu, moi l’Eternel ». Le psalmiste évoque la grâce divine par l’emploi d’expressions parallèles mais inversées aux formules annonciatrices de la destruction : kî bnh yhwh Ñiyôn… pnh uel tepillat htaretr wel¿u bzh uet tepilltm, « Car l’Eternel rebâtit Sion… Il se tourne vers la prière du malheureux/exilé/abandonné, il ne dédaigne pas ses prières/invocations », (102, 14. 17-18). Et ce renouvellement de 265
WESTERMANN, 1969, p. 275.
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l’alliance confirme : « Car l’Eternel ton dieu, marche lui-même avec toi, il ne te laissera pas succomber, il ne t’abandonnera point » (Deutéronome 31, 6. 8). Cette promesse réaffirmée en Josué 1, 5 : « Je serai avec toi, je ne te laisserai faiblir ni ne t’abandonnerai », puis dans le Psaume 89, dont le texte précise : « Mais je ne lui retirerai pas mon amour, je ne mentirai pas à ma promesse. Je ne trahirai pas mon alliance, et l’énoncé de mes lèvres, je ne le changerai pas » (89, 3435). Ainsi, Dieu rappelle : « Même alors, quand ils se trouveront relégués dans le pays de leurs ennemis, je ne les aurai ni dédaignés, ni repoussés au point de les anéantir, de dissoudre mon alliance avec eux » (Lévitique 26, 44).
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CONCLUSION Le plus souvent, châtiment divin, le motif de l’absence se conçoit selon des formes modulées. Sa peur, s’exprime tout autant dans les menaces prophétiques et/ou l’abandon d’un personnage et/ou du peuple et/ou du pays, et sa forme emploie l’adverbe locatif « où » en de nombreuses occurrences. Divers moyens intermédiaires permettent l’accès à la divinité, qui aboutissent ou non. Dans cette seconde occurrence, cette sanction atteint le souverain et son peuple qui peut subir des désastres militaires et/ou naturels266, ou un personnage particulier. Mais, l’absence n’est que le signe d’une présence qui a choisi de se détourner, rester dans l’ombre, le silence, et l’inaction et punir. Ce langage transmet un message codifié, à interpréter et pénétrer, auquel l’être humain doit répondre selon l’attente divine. Conséquence d’une attitude particulière, le manque d’obéissance sous des formes variables qui parfois se cumulent, il implique l’abandon momentané selon les circonstances. Pour les périodes précédant l’érection du Temple l’appel à la divinité semble pouvoir s’opérer en tous lieux, en fonction des circonstances et des doutes, qui peut agir ou non. Lors de l’Exil, une évolution souligne d’autres spécificités, quand bien même le culte des idoles et la représentation divine sont considérés comme toujours vains. Aussi, la présence divine se reconnaît-elle dans son apparente absence267, qui s’exprime toujours au travers du discours prophétique dont Ezéchiel se fait le porte-parole et qui rapporte apparitions et discours divins, lesquels se révèlent en tous lieux, hors du Temple, comme en tous temps. De fait, Dieu n’est jamais vraiment absent, mais s’il est bien présent et caché à l’homme, il peut à tout moment, décider et choisir de se détourner et/ou se retourner. Son alliance n’est jamais remise en cause, conséquence du choix divin et de la parole donnée. Dieu n’abandonne pas l’homme mais le renvoie à lui-même et sa liberté. Il appartient ainsi à l’individu, hanté par l’absence divine, de partir à sa recherche, mais aussi, grâce à cette liberté qui lui est confiée, de construire le monde dans lequel il évoluera, et le sens de l’histoire268. Et, puisque le détournement divin n’est que momentané, et qu’à ce 266
KUTSKO, 2000, p. 104-105. KUTSKO, 2000, p. 150-156. 268 OUAKNIN, 1992, p. 182s. rapporte : « Dieu aussi est malheureux. Il se cache et l’homme ne le cherche pas… Dieu se cache et l’homme ne se donne même pas la peine de le chercher ». 267
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moment l’humain doit prendre en charge son destin, il s’inscrit dans une perspective de libre arbitre de créativité et de responsabilité. La présence divine n’est pas donnée une fois pour toutes, mais son absence n’est jamais radicale, et lorsque Dieu est imperceptible à l’homme, sa liberté de construire s’inscrit dans cet espace. Le questionnement sur la conscience de soi peut et doit en naître et débouche sur la conscience de l’autre. Aussi, la rencontre entre l’homme et Dieu exige-t-elle du premier : « Le franchissement des espaces de séparation et aussi des temps aux inéluctables décalages »269. L’absence divine et sa réapparition, images d’une relation passionnelle exigeante et réciproque, où rien n’est jamais définitif, où les cassures, les creux et les abîmes sont perpétuellement adoucis, rétablis et restaurés, restent une préoccupation prégnante pour Israël. La notion de réciprocité s’imprègne dans l’espace des motifs et de ses conséquences, qui permet le relèvement d’Israël s’il s’amende, et marque la limite des souffrances et des châtiments encourus.
269
NEHER, 1980, p. 175-176.
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Annexe La disparition du dieu en Égypte
Ce thème partagé par l’ancienne Égypte, emprunte des formes complexes et subtiles. Outre une apparence changeante à leur gré, empruntée au monde humain, animal et/ou végétal, qui les dissimule aux yeux des autres dieux et des hommes, les dieux peuvent se retirer dans un lieu lointain à la suite de violences humaines et divines pour un temps défini ou pas. Aussi : « C’est parce qu’ils sont faits pour être vus que les dieux sont amenés à se cacher »270. La notion de secret et/ou de caché, fait partie intégrante de leur être. Ils adoptent des formes dites khépérou, ou successions d’incarnations temporaires dont le nombre est indéfini et qui n’englobent jamais la totalité de leur être. Le passage de l’une à l’autre se rapporte à l’une de leurs facettes. Lorsque le dieu choisit un khépérou, il se singularise et l’inscrit dans la réalité visible. Cette projection constitue une apparence compréhensible du dieu : l’irou et qui comporte ses attributs matériels. De fait, aucune forme ne peut appartenir sans restriction à une unique divinité. Et, l’identité la plus connue de chacune peut être revêtue par une autre temporairement, ainsi par exemple, Isis prend-elle l’apparence de Sekhmet afin de détruire les ennemis de son époux Osiris. Les hommes semblent reconnaître un dieu dans ses irou, et perçoivent les khépérou par la pratique tant religieuse que spirituelle. Chaque dieu peut avoir des khépérou ou des irou secrets et inconnus des autres. Ces deux niveaux sont perceptibles dans le monde divin mais uniquement si l’intéressé en décide. Le corps des dieux ne se conçoit pas sans le regard de l’autre. Parfois, la non-reconnaissance d’un dieu peut en retarder l’identification comme en une sorte de jeu de cache-cache ! Une telle technique permet au dieu de se protéger et également de mystifier d’autres dieux et des humains lorsque nécessité se fait sentir. Le nom du dieu Amon, dit « le caché » exprime clairement ce concept. Le corps du dieu exprime sa présence différemment selon qu’il se montre aux autres dieux ou bien aux hommes. Pour ces derniers, le dieu est omniprésent, voit et entend tout en tous lieux, il est doté de 270
MEEKS et FAVARD-MEEKS, 1995, p. 77.
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soixante-dix-sept yeux et soixante-dix-sept oreilles… Aussi, lorsqu’un dieu décide de se révéler devant les hommes, adopte-t-il la forme choisie sans se dévoiler. Dans l’éventualité d’un contact direct, les humains se voilent la face sous peine d’être aveuglés. Une divinité peut revêtir une forme totalement humaine, afin de se mêler aux hommes sans être reconnue. Dieux et hommes ne se mêlent guère aisément, excepté lorsque les premiers doivent se cacher parmi les hommes, lesquels restent le plus souvent hors du champ des préoccupations divines. L’absence de toute particularité physique propre développe la capacité divine à échapper271, néanmoins, insignes et attributs signent sa présence. Le dieu peut choisir une forme animale, incarnant une capacité ou un pouvoir. Outre cette forme spécifique d’un animal particulier, il peut par exception préférer d’autres formes animales afin de se rendre méconnaissable. Cette dernière incarnation animale apparaît alors comme le lieu d’un séjour provisoire. Par exemple, un chien peut abriter Osiris et Rê successivement. Une nuance est à établir entre l’animal-irou facette de manifestation divine et l’animal hôte simple dépouille accessible à la mort. Les incidents et catastrophes diverses agitent le monde des dieux dans l’espace terrestre. La terre doit être surveillée et maintenue en ordre. L’espace terrestre des dieux se définit très précisément et se confine à l’Égypte, la vallée du Nil. Le reste du monde ou monde extérieur est lié à l’incréé. Les antinomies de toutes sortes entre les dieux provoquent des catastrophes tant sur eux que sur l’humanité. Ainsi, lorsque le dieu Rê est mordu par un serpent façonné par Isis qui désire connaître son nom secret, car le nom exprime l’être et le transmettre équivaut à se livrer soi-même, d’effroyables douleurs l’atteignent et cet événement provoque un cataclysme semblable à la fin du monde : la terre s’obscurcit, les tessons de poteries marchent, les montagnes se promènent (Rê et Isis)272. Isis obtient le nom caché de Rê et soulage les maux et souffrances de son père. Les exemples sont nombreux : Horus et son épouse scorpion, Nemty le passeur et Horus… Réciproquement, les hommes conspirent aussi envers les dieux, et les conséquences de leurs complots s’avèrent tout autant tragiques. Ainsi, par exemple, agissent-ils envers le Dieu Rê (Le livre de la Vache du 271 272
MEEKS et FAVARD-MEEKS, 1995, p. 80-83. LALOUETTE, 1987, p. 70s.
180
Ciel). À la suite d’un conseil de famille, afin de déterminer la stratégie à mettre en place devant la révolte primordiale des hommes, Rê envoie la déesse lionne Sekhmet les massacrer sans la moindre pitié. Seule la nuit l’immobilise et Rê pris de pitié pour l’humanité décide de faire cesser cette tuerie. Il pardonne aux hommes qui se repentent, mais il abdique et se retire dans une retraite inaccessible sur le corps de la vache Nout sa fille, déesse du ciel. Le châtiment imposé à cette humanité exécrable est suivi du pardon divin et d’un nouveau pacte273. D’autres conflits, entre dieux, provoquent des catastrophes sur la terre. Le frère d’Osiris, Seth fait tomber son frère dans un piège, l’enferme dans un coffre de bois et le jette dans la mer où il se fait dévorer par les poissons morceau par morceau. Isis, sa sœur et épouse, s’enfuit accompagnée de quelques fidèles, part à sa recherche et rassemble les morceaux, mais ses yeux sont perdus. Si elle ne peut le ramener à la vie, elle obtient la possibilité d’en être fécondée et mettre au monde leur fils Horus qui devenu grand tente de faire disparaître Seth. Celuici répand la terreur, provoque tremblements de terre et tempêtes sur la terre. Néanmoins, la renaissance du soleil peut s’accompagner d’une représentation qui exprime que le dieu Osiris a retrouvé ses yeux et la capacité de voir. Les dieux égyptiens se cachent, restent invisibles, se mêlent peu aux hommes qui ne les intéressent pas outre-mesure. Leurs apparences trompeuses sont parfois connues, parfois ignorées, et ils se refusent à transmettre leur nom qui les ferait connaître ou reconnaître. Certains ne voient pas ou disparaissent chaque jour ou soir. Leur colère provoque des destructions de l’humanité et de la nature. Ce thème du dieu caché adopte de nombreux aspects, et les mystères qui s’attachent à leur être et leurs actions sont rapportés par les mythes et évoqués dans les prières. Des liens et des dissemblances apparaissent avec les textes et les récits bibliques qui ne peuvent être développés dans ce contexte.
273
LALOUETTE, 1987, p. 46s.
181
Abréviations
CBQ Catholic Biblical Quarterly HAR Harvard Theological Review Int
Interpretation, a Journal of Bible and Theology
JBL
Journal of Biblical Literature
JNSL Journal of Northwest Semitic Language JSJ
Jewish Studies Journal
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SYNTHÈSE
Textes bibliques et hittites partagent de multiples analogies, liées aux formes empruntées par le motif de l’absence divine. Cette perception se relie au sentiment d’anxiété qui étreint tant les individus que le peuple et/ou les divinités hittites, dorénavant en proie aux questionnements face aux drames vécus, aux châtiments encourus et aux destructions provoquées lors de circonstances extrêmes inexplicables ou inexpliquées où règnent la solitude, la misère et la mort. Les textes Les mythes et les prières hittites s’en font l’écho, de même les Psaumes, les textes prophétiques et les récits historiques partagent et développent ce thème à foison dans l’Ancien Testament. Il est à souligner que dans celui-ci seuls les humains sont touchés, tandis que dans les écrits hittites les dieux partagent les épreuves avec les humains ainsi que les animaux, la nature et le cosmos. Diverses formes d’absence et/ou de rejet sont assurées et les points de rencontre entre textes et approches hittites et bibliques abondent. Les manifestations Se cacher La dissimulation divine fait partie de ces modalités, et tant YHWH que les divinités hittites sont susceptibles de se dérober aux yeux des humains, et ces dernières peuvent aussi se cacher des autres dieux. La conscience de cet état de fait est quasi immédiate et partagée par les uns et les autres en raison des conséquences tragiques qui s’ensuivent. Se détourner/s’éloigner Par ailleurs, tant YHWH que les divinités hittites se détournent et/ou s’écartent à la suite de fautes commises à leur encontre, privant les mortels d’une présence bienfaisante et protectrice, et témoignant de la sorte du besoin divin d’exprimer une réaction face à des comportements déviants. Le sommeil Le sommeil fait également partie des mesures prises par les dieux. Ainsi, YHWH se voit exceptionnellement accusé de dormir lors des épreuves subies par son peuple, qui en requiert l’explication et le supplie de s’éveiller à leurs souffrances. Le texte ne livre pas de détail 197
complémentaire fixant le lieu où il s’est retiré. Les divinités hittites vont sommeiller dans le lieu choisi, à même le sol d’un marécage, dans une chambre au fond de l’Océan, ou ailleurs. Tant l’un que les autres donnent le sentiment d’une nécessité de distance à laquelle il est impossible d’échapper, et qui les rendent d’une impossible accessibilité. L’abandon et/ou le rejet Le thème de l’abandon et/ou du rejet est abondamment développé dans les textes prophétiques, les récits et les Psaumes qui ne manquent pas de constater cet état de fait. Il est illustré également dans les mythes hittites, où le rejet des autres divinités et/ou des humains est l’apanage des dieux, repoussant ainsi le monde civilisé, dont ils se désintéressent. Encore une fois, le drame éclate qui touche l’humanité et les divinités hittites qui semblent subir le même sort que les humains. Le silence À la suite de leur éloignement, YHWH et les dieux hittites semblent se murer dans le silence, qui laisse dans la plus terrible inquiétude orants, peuples et divinités. Cessant d’influencer et protéger l’espace cosmologique, ils laissent place aux destructions. Une nuance s’inscrit cependant entre YHWH et les divinités hittites, car le premier ne cesse de contrôler ce qui se produit et les secondes cachées, cloitrées, et sommeillant, abandonnent le monde au chaos, tel le Soleil confiné dans sa chambre du fond de l’Océan. Le lieu du confinement Lors de cette absence au monde, les lieux où se rend YHWH ne sont pas spécifiés, et seule une hypothèse prophétique et symbolique, envisage la possibilité qu’il puisse se rendre dans une auberge ou un refuge de voyageurs dans le désert afin de fuir cette humanité. Les mythes hittites transmettent plus d’informations sur ces lieux où se réfugient les dieux disparus, qui se retirent en des espaces différents inconnus des mortels et des autres dieux. Ainsi, Télipinu, se rend dans la steppe, s’enfonce dans un marécage et une fleur d’eau pousse audessus de lui. Le marécage serait ici doté d’un rôle symbolique lié à la stérilité, conséquence de son absence à la fonction agraire. Il peut également se rendre à Liপzina, à la campagne, dans un bois ou à la montagne. Le Soleil reste couché sur un lit dressé dans sa chambre au fond de l’Océan, ou le dieu de l’Orage de Nérik disparaît dans le 198
monde souterrain. Les dieux peuvent se réfugier dans le ciel, chez les ennemis, sur la montagne. L’abandon du sanctuaire divin Les textes dépeignent la destruction des sanctuaires, tant judéens que hittites. Et de ces lieux de culte dévastés la présence divine s’est enfuie. Certains détails peuplent les mythes hittites, dont les dieux au travers de symboliques gestuelles, telles l’inversion de leurs sousvêtements par les déesses Anzilli et Zukki, ou de leurs souliers par Télipinu, laissent le pays cheminant alors à l’envers et le chaos s’installer. Mais, par différence avec les dieux hittites, aucune image symbolique n’est transmise de YHWH abandonnant son sanctuaire, sa cité et son pays. Conséquences Partis, ils se cachent tant aux yeux des autres divinités que des mortels. Et les difficultés ne manquent pas lorsqu’il s’agit de les retrouver. Dorénavant, le monde s’en va à reculons, ou de fait, ne fonctionne plus, provoquant les catastrophes, la mort et le chaos. Les retrouvailles ne peuvent s’avérer que malaisées, où humains et divinités jouent un rôle défini dans les rituels à accomplir. Expérience Les orants et/ou le peuple judéen et/ou hittite, de même que les divinités hittites expérimentent l’absence ou la distance divine sous ses diverses formes, cosmologique et historique et/ou politique. Aussi, se préparent-elles à la recherche du dieu disparu momentanément. Les textes rapprochent le silence et le détournement divin, illustrant l’attitude de YHWH et des divinités hittites qui n’empêchent aucune des catastrophes advenant. Ils abandonnent tout contrôle sur le monde et le cosmos paraissant indifférents à leur sort. Conséquence de cette rupture et de l’absence de communication entre divinités et/ou humains, l’angoisse et l’inquiétude se substituent à la joie et au bonheur, puisque les dieux cessent de remplir les fonctions dont ils sont les détenteurs. Un désir de compréhension Questionnant YHWH, l’orant dans ses prières le presse de répondre à ses interrogations, mais aucune réponse n’apporte d’adoucissement à sa solitude et ses inquiétudes. Le monde hittite connaît les mêmes 199
problématiques et l’individu victime du dieu désire connaître le pourquoi des souffrances qu’il est amené à vivre et de la colère divine à son encontre. Ainsi, les prières mettent en lumière des interrogations liées aux mêmes incompréhensions, où l’orant s’interroge et affirme n’avoir jamais transgressé les règles tant cultuelles, qu’éthiques et sociales, témoignage de leur conscience morale. La durée de l’absence La rupture, est momentanément consommée par le mutisme et l’abandon des fonctions divines tant dans le monde judéen que hittite. La durée n’en est pas moins relative, et YHWH de même que les divinités hittites reviennent lorsque les conditions pour ce faire sont réunies. Le départ n’est jamais définitif. Pour autant, plus la durée s’allonge, qui devient de plus en plus inquiétante, plus les destructions s’accélèrent. Ces manifestations anthropomorphiques, qui vont de la dissimulation à l’éloignement et l’abandon, au rejet, au sommeil ou à l’oubli, à la distance et au mutisme sont la marque de YHWH, et tout autant celles des dieux hittites, qu’ils s’éloignent et abandonnent leur sanctuaire, ville, royaume, puis s’endorment dans leur cachette en proie à l’isolement et au silence, ou trouvent refuge dans l’au-delà, cachés aux yeux des humains et des autres divinités. Ces comportements répondent à l’attitude de ceux qui n’ont pas respecté les règles cultuelles et éthiques. Pour autant, cette expérience aux violentes conséquences ne paraît jamais irrévocable mais bien momentanée, et l’urgence de l’action afin d’y remédier apparaît clairement dans les textes, de même que la compréhension de ses causes, tout autant chez les Judéens que les Hittites, car la protection divine n’est plus assurée. Motifs Oubli du dieu, des rites et du culte L’absence divine trouve son explication dans le comportement du peuple d’Israël, de ses prêtres et /ou de ses responsables. Ils oublient et rejettent leur Dieu. Les formes de cet abandon vont de l’amnésie de ses hauts-faits à l’indifférence. Le peuple tout comme ses dirigeants de même que leurs prêtres dépositaires des valeurs de l’alliance, ayant oublié leur dieu n’observent plus ses lois. Chez les Hittites, la négligence cultuelle due à un clergé ayant perdu la capacité d’exercer son sacerdoce, provoque tout autant l’abandon et le désintérêt divin. Et, si les prêtres ne se sont pas détournés de la divinité, ils n’observent 200
pas ou plus ou mal les rituels selon les règles établies, remettant ainsi en cause sa dignité. Autres fautes Dépeintes abondamment dans les textes des prophètes, des Psaumes des récits historiques et des lois, elles adoptent des formes nombreuses à l’origine du retrait divin. Et, les prophètes se font tout particulièrement accusateurs du peuple, des prêtres et de ses dirigeants. Le peuple rebelle, ingrat, défiant, idolâtre et infidèle est dénoncé par les textes, qui commet de nombreux péchés. Les crimes, les iniquités, la corruption, la souillure cultuelle et les abus commis sont inventoriés dans des listes sans fin, qui dépeignent et dénoncent méfaits et mensonges comme causes de l’abandon divin. La remise en cause de son comportement par l’orant et son désir de compréhension, sont assurés dans les textes hittites que sont les prières, témoignant du questionnement et du désir de compréhension des évènements vécus, et qui transmet la liste des diverses fautes et/ou péchés pouvant être commis par les individus envers les divinités, dont le contenu énumère le parjure, la négligence cultuelle, le nonrespect des interdits ou encore les souillures. Les mythes évoquent d’autres fautes et dénoncent les hommes fauteurs de guerre. Crime, parjure et négligence cultuelle en constituent l’essentiel. La faute, divine ou humaine, commise à l’égard du dieu hittite est inévitablement à l’origine de son départ et sa nature ne laisse pas de préoccuper le clergé, puisque de sa définition dépend sa résolution. Si aucune faute ne saurait être attribuée au dieu de l’Ancien Testament, le contraire paraît avéré dans les textes hittites, où la présence de nombreuses divinités peut provoquer maladresses et jalousies divines. Ainsi, par exemple, la responsabilité du père du dieu de l’Orage est suggérée, qui est accusé par le grand-père, du départ de son fils. Cette faute, sans doute d’origine cultuelle, paraît contester sa situation hiérarchique parmi le panthéon divin. De même un lien de cause à effet semble tissé entre le départ du Soleil et un affaiblissement de son autorité dans le panthéon, considéré comme une injustice ou une spoliation en raison probablement d’une conjuration, car le dieu semble mécontent de la nouvelle fonction de fondateur attribuée à Télipinu.
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Colère Fautes et péchés des individus, des prêtres et des peuples sont à l’origine des émotions divines que partagent YHWH et les dieux hittites. Irritations, rancœur et intenses fureurs anthropomorphiques leurs sont attribuées. Leurs formes sont diverses qui vont de la simple colère à la rage et au ressentiment, et de la fureur au venin, qui ne sont cependant que momentanées. Le corollaire en est la mise en danger des dieux hittites, petits et grands, et des hommes, tandis que seuls les humains le sont dans l’espace des textes bibliques. Conséquences Oubli, non-application des accords de l’alliance, idolâtrie et péchés d’Israël, provoquent la séparation d’avec Dieu et mènent aux chagrins à l’oubli, à la maladie, la mort et la destruction. Tout motif s’accompagne d’un jugement puis d’un châtiment déterminé par YHWH. De même, maladies et destructions du cosmos et du royaume, atteignent hommes et divinités hittites lors des absences divines et de l’interruption de leurs fonctions, à moins qu’elles ne frappent humains et dieux lors de leurs colères, et qui sont tout autant les conséquences de fautes commises. Dorénavant, le monde s’achemine vers les désastres. Le cycle naturel s’interrompt provoquant la mort et le chaos dans le royaume hittite, et la guerre détruit ses cités. La guerre et les catastrophes naturelles également atteignent le monde judéen. L’absence divine, ou ses colères peuvent atteindre l’individu, dont les maladies altèrent la santé, et le psalmiste en décrit les symptômes et les conséquences sur l’organisme humain à foison. La mort atteint les Judéens par le biais des épidémies telle la peste, et le bestiaire animal y joue un rôle actif et destructeur également. Les prières hittites évoquent aussi la mauvaise fièvre, les épidémies et la maladie provoquée par le départ du dieu. Outre la détresse physique, les désordres psychologiques atteignent tout autant les Judéens que les Hittites. Ces réalités sont dénoncées comme conséquence de la disparition du dieu et/ou de sa fureur. Pour autant, l’inquiétude étreint non seulement les mortels, mais les dieux hittites, grands et petits, qui examinent les solutions afin de retrouver le dieu absent et caché, et obtenir son retour. Textes bibliques et hittites rapportent d’autres conséquences sur le cosmos et les humains de l’éloignement divin. Parmi les divers fléaux qui atteignent le royaume de Juda et ses habitants prennent place la famine, la faim et la mort, puisque la destruction du pays ne permet 202
plus d’activité agricole et que la terre reste désolée. La dévastation des richesses économiques en constitue l’effet immédiat. Les récits hittites dévoilent comment le départ du dieu provoque également la mort. Conséquences immédiate de ce départ, l’interruption du cycle naturel, l’agriculture et l’élevage sont suspendus de même que la reproduction des animaux, des végétaux et des humains. La sécheresse s’installe alors, aussi hommes et divinités sont-ils privés de nourriture, leur existence est menacée par la famine, la mort et la disparition. Les montagnes se dessèchent et les sources s’assèchent. Télipinu ayant emporté le grain prive le royaume de l’abondance, la prospérité et la satiété. Ainsi, alors même que le dieu Soleil organise un banquet pour les dieux, la famine et la soif les frappent et les font périr. Le gel et la nuit s’installent et abolissent le cycle des saisons apportant la mort sur la terre et le cosmos. En outre, la guerre et les défaites militaires d’Israël provoquent le pillage et la mise en pièces du peuple et la destruction du royaume dorénavant en ruines, de même que celle de ses institutions. Les événements politiques que sont la destruction du royaume de Juda et sa transformation en province, ainsi que la déportation d’une partie de ses élites et de son aristocratie, sont liés au détournement et au désintérêt divin que décrivent les textes. Lorsque la guerre affecte une cité hittite, le retrait de sa divinité provoque la destruction de la cité et non du pays. Effets de l’absence du dieu Télipinu, les désolations affectent le pays hittite, entraînant sa ruine, dont les structures politiques et religieuses succombent. Si les prémices diffèrent car il semble que l’incapacité cultuelle suivie de désordres naturels soient à l’origine de la disparition du royaume hittite, les deux monarchies judéennes et hittites sont atteintes par le même écroulement, entraînant l’apparition d’une autre réalité politique ou la nécessité d’une refondation. Le bestiaire animal reste prégnant dans les textes bibliques, ses rôles sont diversifiés, certains animaux se voient confier une fonction liée à la destruction tant de l’orant que du peuple, et d’autres par la comparaison soulignent soit les carences du peuple soit ses fragilités. Les animaux sont aussi mentionnés dans les textes hittites, telles les sauterelles qui ravagent le pays. La destruction des cités judéennes et/ou hatties adoptent des couleurs qui diffèrent, quand bien même l’origine en est systématiquement attribuée à l’absence divine. Ainsi, Jérusalem réduite à l’état de 203
décombres et dorénavant réduite à sa portion congrue constitue le symbole de la disparition du royaume de Juda, en tant qu’entité politique, et conséquence des nombreux péchés dont les Judéens se sont rendus coupables. La destruction d’une cité hittite, telle la ville de Nérik, s’avère la conséquence de la guerre livrée par ses habitants. Aussi, en proie à la colère le dieu emporte-t-il des biens propres au roi et la reine, tels la naissance, la vie et la longévité, et cette attitude évoque la disparition d’une ville du royaume, mais non celle du royaume hittite. Les sanctuaires judéens et tout particulièrement celui de Jérusalem, sont dévastés, désacralisés et soumis aux flammes en raison de l’abandon divin. L’adversaire impose ses emblèmes sur le temple de Jérusalem, symboles de l’empreinte ennemie sur la résidence divine. Par ailleurs, le départ du dieu hittite Télipinu provoque l’arrivée du brouillard symbole de la fin de la civilisation, qui fait disparaître les limites marquant l’espace sacré et l’espace profane. Il envahit étables et bergeries où vivent les animaux destinés aux sacrifices. La « maison du dieu » est immédiatement touchée par les dévastations après son départ. La fumée du foyer sacrificiel se répand dans le temple, qui provoque l’asphyxie des dieux et la rupture d’avec le monde terrestre. La collaboration entre les uns et les autres s’interrompt et avec elle l’interruption du cycle de la nature et de la vie. La demeure divine est détruite et son culte interrompu. Le dieu est absolument lié à son sanctuaire et seul son retour dans son temple, permet le retour à la vie et la renaissance du royaume. L’oubli cultuel dont il est victime explique son abandon et son désintérêt à l’égard des autres divinités et des humains, car le royaume hatti ne semble plus en mesure d’exécuter son culte. Son effondrement et la disparition de sa civilisation seraient ainsi la conséquence d’un désastre économique et non de la guerre. Les récits soulignent d’autant l’apparition d’une nouvelle dynastie fondée par le roi Télipinu. La destruction concomitante du sanctuaire et par ricochet du royaume, avérée tant en Juda que pour le pays hittite, est attribuée à la divinité, conséquence de son retrait. Participants actifs au monde, les dieux absents mènent à la destruction du cosmos et de l’humanité. Les textes rapprochent le silence et le détournement divin, illustrant l’attitude des divinités sans préoccupation aucune des catastrophes advenant. Ils abandonnent le monde et le cosmos à leur sort. Conséquence de cette rupture et de l’absence de communication entre divinités et/ou humains, l’angoisse et l’inquiétude se substituent à la 204
joie et au bonheur, puisque elles cessent de remplir les fonctions dont elles sont les détentrices. Divers moyens sont alors employés afin d’apaiser l’irritation des dieux et obtenir leur retour, puis rétablir la communication avec les humains. Le retour Aussi l’urgence se fait-elle sentir de rechercher et renouer le contact avec la divinité, afin de faire cesser les catastrophes et le chaos sur l’environnement naturel, social et le contexte politique. Les Judéens, orants, peuple et prophètes, emploient la prière afin de décider YHWH à revenir. Il se détermine en fonction de l’amélioration éthique de son peuple, et son accès se fait dorénavant hors d’un lieu institutionnalisé, évoluant vers l’abstraction spirituelle et transcendantale. Dès la disparition du dieu hittite, d’autres divinités et des humains partent dans l’urgence à sa recherche afin de réduire ce temps d’absence qui dépend de leur efficacité et rapidité, et de le rétablir dans ses fonctions au plus vite, mais l’incertitude règne également quant à la durée de son retrait. Ils jouent un rôle actif, pas toujours couronné de succès dans l’immédiateté en raison du temps nécessaire et inconnu afin de le retrouver. Les animaux jouent un rôle spécifique, qui sont chargés de retrouver le dieu disparu. L’Aigle rapide n’y parvient pas, seule l’Abeille le retrouve en dépit des difficultés chargée d’un rituel pour le réveiller et lui permettre de recouvrer ses fonctions. Après ces retrouvailles malaisées, la colère souille alors son âme impure, une purification s’avère nécessaire afin qu’il puisse reprendre ses activités, et de nombreux rituels sont à accomplir pour faire disparaître toute trace de sa terrible irritation. Il importe de le calmer, le purifier, puis l’adoucir, enfin le séduire et le convaincre, pour faire s’évanouir l’inquiétude, la tension et l’angoisse qui oppressent divinités et humains. Rites nombreux, offrandes somptuaires et prières permettent le retour de la divinité hittite en son sanctuaire et/ou sa statue. Le rôle de la purification ne manque pas d’être souligné dans les textes bibliques et hittites. Le retour ne peut s’effectuer que par la purification des dieux hittites et l’application de rituels complexes, et la purification des humains chez les Judéens. Des rituels sont attestés pour les divinités hittites souillées par leur colère inextinguible, et les 205
humains des récits bibliques. Ils sont plus développés dans les textes hittites. Les mêmes éléments que sont l’eau et le feu jouent un rôle tant symbolique que purificateur dans les textes hittites et ceux de l’Ancien Testament. Pour autant, la différence est de taille, puisque dans les premiers ils s’appliquent aux dieux disparus et dans les seconds uniquement aux humains. La prière y joue également un rôle permettant le retour divin. Les divinités hittites participent aussi à certains rituels qui leur sont spécifiques et cette réalité est absente des réalités judéennes. Des offrandes de produits agraires et d’huile afin d’adoucir l’âme des divinités et d’y déposer le bien, des sacrifices d’animaux, des invocations et des incantations, et des prières sont nécessaires pour la purification du dieu et lui rendre son retour plus aisé et faire disparaître la colère, le mal et les impuretés dont il est chargé. Le dieu hittite peut donc rentrer, permettant le retour du cycle agraire. En un second temps, le retour du dieu peut être dévolu à la refondation du royaume hittite. Réconcilié avec les autres dieux, Télipinu peut enfin rentrer « dans son temple », « dans son pays ». Revenu, son premier acte consiste à remettre en état son foyer sacrificiel, exprimant le rétablissement des cultes. Il « s’occupe de son pays », et « s’occupe du souverain » consolidant la fondation du nouveau royaume. Seulement alors, il se préoccupe du couple royal, le dote de force et lui garantit une descendance, puis enfin du souverain qu’il laisse s’emparer de l’égide, symbole de la vie. La divinité hittite peut ainsi acquérir lors de son retour d’autres fonctions que celles dont elle était dotée avant son retrait, telle celle de dieu fondateur chez Télipinu. Le récit mythique se joint à la réalité politique dont il est le reflet et qu’il explique abondamment et souligne l’apparition d’une nouvelle royauté, celle des Hittites. Conclusion L’ensemble des textes bibliques et hittites soulignent à propos de ce motif la nécessité d’une prise de conscience chez les humains des erreurs et des fautes commises et les Hittites exigent en outre la participation des autres dieux à cette prise de conscience. La pensée et la nature humaine organisent, reconstituent et reproduisent des schémas identiques. Les situations ne sont jamais figées. Aussi, le dieu absent ne l’est-il jamais définitivement, sa recherche est soumise aux épreuves, de même que son retour et les promesses de jours 206
meilleurs. Son éloignement est lié aux épreuves individuelles, à celles du peuple, aux évènements politiques et la disparition des royaumes. Néanmoins, la présence d’un panthéon assumé de divinités plurielles dans le monde hittite et l’évolution spirituelle des Judéens alors même que leur sanctuaire et leur pays est ravagé constituent des divergences essentielles. Reflets de la rencontre du monde indo-européen et de celui du monde judéen, les spécificités du thème de l’absence divine sont nombreuses à se rejoindre, témoins d’un aspect universel de la pensée humaine lors de graves épreuves. L’inquiétude et l’angoisse provoquent alors la recherche des causes, leur besoin de compréhension des conséquences et la mise en place de solutions s’affirment dans cette mise en perspective.
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CONCLUSION
Principe dont la source jaillit des émotions, des sentiments et des perceptions provoquées par les souffrances et les destructions subies, la représentation du dieu disparu, caché ou endormi, instaure une réponse anthropologique, philosophique et spirituelle. En effet, dès lors que l’homme se sent impuissant devant les drames et les catastrophes, comment ne pas évoquer la notion d’absence divine ? La réponse apportée tant par les textes hittites que bibliques témoigne d’une pensée et d’une angoisse éthique complexe, qui a construit un ensemble de pratiques symboliques autour de ce vécu. Elle permet d’éclaircir les tragédies vécues par les humains et qui sont tant personnelles que nationales. Si l’inquiétude et l’expérience permettent de prévoir et anticiper la menace, de même que la faute et/ou le péché et ses conséquences que sont les souillures, l’humain n’y échappe pas. La notion de responsabilité en émerge, et cette reconnaissance amène l’homme se percevant comme coupable à mettre en place et organiser des rites de purification.
La comparaison de ce thème dans le monde hittite et celui de l’Ancien Testament n’a pas manqué de mettre au jour de nombreux aspects analogues et différents et également universels. À la suite de l’analyse anthropologique des occurrences de cette problématique dans des textes originaires de ces deux milieux, la possibilité d’interférences et de partages peut être suggérée et affirmée. Les nombreuses civilisations qui se sont succédées au Proche-Orient ont laissé des traces qui se sont mêlées et entremêlées. Les contacts sociaux et culturels avec le monde hittite sont affirmés historiquement, mais les nombreuses présences et rencontres entre les cultures au cours de la seconde moitié du second millénaire et la première moitié du premier sur le territoire de Canaan, d’Israël et/ou de Juda sont à prendre en considération. Similarités mais aussi disparités autorisent à affirmer des liens, développés plus haut, mais ne permettent pas d’aller au-delà et conclure sur la question de l’origine et des sources. Les rites et les représentations de ce thème adoptent des formes conformes aux approches des peuples dont ils sont issus. L’apport de réponses proches et parfois identiques ne résout pas l’énigme de l’élaboration de ce thème. 209
Leur conscience éthique transparaît au travers des expressions de remise en cause soit personnelles soit partagées par le peuple dans le monde hittite et celui de l’Ancien Testament, et la culpabilité reconnue devant la/les catastrophes permet la recherche de solutions et le retour à la normale. Brisures, souffrances et punitions liées au retrait divin soulignent par la recherche d’explications la conscience du péché et la crainte de la transcendance divine partagée. La mise en place de contraintes morales, de même la conscience des interdits et du fait de les outrepasser avec leur lot de conséquences s’avère l’enchaînement direct des malheurs subis. Interprétation parfaite de la disparition divine, cet ensemble plane comme une menace, et permet d’anticiper, mais parfois seulement, le châtiment et les destructions, de les accepter et de proposer des réponses rituelles, sociales, philosophiques et spirituelles. L’intensité de la conscience du péché et de son expérience ont mené le peuple d’Israël et le peuple hittite vers les choix de suppression de l’impur et du calme ultérieur. Les symboles se sont imposés, ont recouvert les rites de purification des souillures, et la conscience du mal a conduit à la mise en cause des responsabilités et la recherche de pensées et d’issues empreintes de morale. Parti à la recherche d’une réponse satisfaisante aux destructions et aux drames infligés et subis, l’homme propose un schéma, celui de l’absence divine et de ses diverses représentations et formes. L’aspect universel de cette problématique recueille une même réponse sous peine du désespoir le plus absolu. Et quelle meilleure réponse que celle d’une absence divine momentanée résolue par la prise de conscience et la reconnaissance des erreurs et des fautes puis le châtiment, et les multiples expressions de regret puis la suppression de l’impureté source des malheurs dont les formes sont multiples, et enfin le retour de la divinité dans son rôle protecteur, fut-il sous condition ? Signe de valeurs morales partagées par ces deux peuples, et question existentielle, ce thème permet d’apporter des consolations aux mystères de la souffrance et du malheur, auquel se succède la perspective d’un renouveau. L’achèvement des épreuves, reflets du monde réel, conforte l’humain de sa bonne observation des règles divines. Les rites de suppression des souillures renforcent la conscience du « mal » accompli et le désir de réparation qui prend place dans un ensemble cérémoniel. Le retour à une situation de calme en paraît la conséquence. 210
Pour autant, si la crainte divine repousse le mal, elle n’y parvient pas toujours. La souffrance humaine répond à la nécessité de la justice, mais dans un cadre temporel fini. Lorsqu’il souffre l’homme s’interroge sur les péchés qu’il a pu commettre et souhaite élucider le mystère qui s’impose à lui, puis faire cesser la souillure et ses causes. Le retour divin efface les épreuves instaurant le renouveau du sacré. Alors la nécessité d’anticiper construit un monde dont la conscience morale s’amplifie et réinvente un autre monde. Les textes évoquant ces représentations, témoignent d’une compréhension de la nécessité de la présence d’une puissante éthique, d’une capacité à accepter la remise en cause et son corollaire qu’est la responsabilité, et proposer des solutions rituelles et symboliques dont les formes complexes envahissent l’espace de la pensée humaine.
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La disparition du dieu dans La BiBLe et Les mythes hittites essai anthropologique Drames et tragédies se succèdent qui voient les destructions de la nature, de l’homme et du cosmos dans les royaumes tant hatti que judéen, témoins de la rupture entre le monde terrestre et le monde divin. Quelles explications les peuples touchés par ces situations de crises apportent-ils ? De fait, leur conscience morale leur permet de réaliser qu’à l’origine de ces troubles destructeurs des fautes et des péchés tant individuels que collectifs ont provoqué la colère divine et ses nombreuses manifestations liées à l’absence divine. et, si les châtiments de toutes sortes ne se font pas attendre, les solutions sont nombreuses, qui témoignent d’une forme profonde de spiritualité. La question se pose alors : quels sont les points partagés et les divergences développées par ces deux peuples ? H. Nutkowicz, chercheur associée, LESA, UMR 8167 Orient et Méditerranée, spécialiste de la Bible, a publié sur les thèmes de la mort, l’esclavage, les rites et les symboles, les femmes d’Éléphantine et est l’auteur de : L’homme face à la mort au royaume de Juda, rites représentations et pratiques (Cerf 2006). M. Mazoyer est spécialiste des langues anciennes. Il a longtemps enseigné les langues anciennes à l’Université de Paris 1 (latin, grec, langues anatoliennes). Il est directeur de publication de kubaba et de Disputatio.
Couverture : Solitude, peinture de Josiane Chagot
ISBN : 978-2-343-04876-5
22 €
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