Histoire de la rhetorique dans l'Europe moderne 1450–1950 2130495265


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French Pages 1360 [1209] Year 1998

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Histoire de la rhetorique dans l'Europe moderne 1450–1950
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Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne 1450-1950

Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne 1450-1950

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION

DE MARC FUMAROLI de

l'Académie

française

OUVRAGE PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS DU CENTRE NATIONAL DU LIVRE

PRESSES

UNIVERSITAIRES

DE

FRANCE

REMERCIEMENTS

A la dette de gratitude que ce livre a contracté envers André Miquel, président de la Fondation Hugot, Jean-Pierre de Morant, son secrétaire général, et les membres de son Conseil d'administration, ilfautjoindre celle dont il est redevable envers celles et tous ceux, qui, sans avoir contribué à sa rédaction, ont participé aux séminaires de la Fondation Hugot au cours desquels il a été conçu : Frank Bowman, Joachim Classen, Michel Crouzet, Claude Imbert, Jacqueline Lichtenstein, Pierre Magnard, Laurent Pemot, Heinrich Plett, Françoise Waquet ; ou qui ont généreusement contri­ bué à leur organisation : Christiane Picard et Catherine Fabre ; ou qui ont collaboré à rétablissement et à la traduction des textes, à la correction des épreuves : Giuliano Ferretti, Pierre Burger, Anne-Marie Lecoq, Pierre Leroy. Christian Mouchel a été le véritable maître d'oeuvre de la mise en forme définitive du livre, Marc FUMAROLI, de P Académie française.

ISBN 2 13 049526 5

Dépôt légal — I" édition : 1999. juin O Presses Universitaires de France, 1999 108. boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

ONT

COLLABORÉ

BERNARD BEUGNOT ANTOINE COMPAGNON

GILLES DECLERCQ MICHEL DELON

FRANÇOISE DOUAY

A

CET

OUVRAGE

professeur émérite à l’Université de Montréal professeur à l’Université de Paris-Sorbonne professeur à l’Université de Paris III

professeur à l’Université de Paris-Sorbonne maître de conférences à l’Université de Provence

JEAN-LOUIS FOURNEL

professeur à l’Université de Paris VIII

PETER FRANCE

professeur à l’Université d’Édimbourg

PERRINE GALAND-HALLYN

professeur des Universités, directeur d’études à l’EPHE

FERNAND HALLYN VOLKER KAPP PIERRE LAURENS MICHEL MAGNIEN JEAN-CLAUDE MARGOLIN

professeur à l’Université de Gand professeur à l’Université de Kiel

professeur à l’Université de Paris-Sorbonne

maître de conferences à l’Université de Paris Ш professeur des Universités, directeur honoraire du CESR de Tours

ALAIN MICHEL

ARLETTE MICHEL

OLIVIER MILLET

de l’institut

professeur à l’Université de Paris-Sorbonne professeur à l’Université de Bâle

CHRISTIAN MOUCHEL

professeur à l’Université de Lyon II

ALAIN PONS

professeur à l’Université de Paris X

AURELIO PRINCIPATO

PHILIPPE-JOSEPH SALAZAR

professeur à l’IULME de Milan

professeur à l’Université de Cape Town, Collège

international de philosophie (Paris)

JEAN-PAUL SERMAIN

JEAN-MARIE VALENTIN

professeur à l’Université de Paris III

professeur à l’Université de Paris-Sorbonne et à l’institut Universitaire de France

CESARE VASOLI

FLORENCE VUILLEUMIER

professeur à l’Université de Florence Chargée de conferences à l’EPHE, IVe section

Sommaire

Préface de Marc Fumaroli................................................................................................

1

1 - La rhétorique, sa vocation et ses problèmes : sources antiques et médié­ vales par Alain Michel................................................................................................

17

2 - L’humanisme rhétorique en Italie au XVe siècle

par Cesare Vasoli................................................................................................

45

3 - La rhétorique en Italie à la fin du Quattrocento (1475-1500) par Perrine Galand-Halfyn..................................................................................

131

4- L’apogée de la rhétorique humaniste (1500-1536) par Jean-Claude Margolin.....................................................................................

191

5- La Réforme protestante et la rhétorique (circa 1520-1550) par OHmer Millet................................................................................................

259

6 - Rhétorique et langue vulgaire en Italie au XVT siècle : la guerre, l’amour et les mots

par Jean-Louis Foumel........................................................................................

313

7-D’une mort, l’autre (1536-1572) : la rhétorique reconsidérée

par Michel Magnien.............................................................................................

341

8 - La rhétorique des manières au XVT siècle en Italie

par Alain Pons......................................................................................................

411

9-Les rhétoriques post-tridentines (1570-1600): la fabrique d’une société chrétienne par Christian Mouchel...........................................................................................

431

10 - Entre la poursuite du débat sur le style et le couronnement de la théorie de Vactio : Vossius et le réaménagement de l’édifice rhétorique (1600-1625)

par Pierre Laurens................................................................................................

499

11 - Les conceptismes par Florence Vuilleumier........................................................................................

517

12-La précellence du style moyen (1625-1650)

par Bernard Beugnot..............................................................................................

539

13 - Dialectique et rhétorique devant la « nouvelle science » du XVIF siècle

par Fernand Halfyn..............................................................................................

601

14-La rhétorique classique entre évidence et sublime (1650-1675)

par Gilles Declercq.................................................................................................

629

15 - L’apogée de l’atticisme français ou l’éloquence qui se moque de la rhétorique (1675-1700)

par Volker Kapp.....................................................................................................

707

16 - La voix au XVIF siècle par Philippe-Joseph Salazar..................................................................................

787

17 - De Leibniz à Vico. Contestation et restauration de la rhétorique (1690-1730)

par Jean-Marie Valentin.....................................................................................

823

18- Le code du bon goût (1725-1750;

par Jean-Paul Sermain........................................................................................

879

19- Lumières, politesse et énergie (1750-1776) par Peter France...................................................................................................

945

20- Procès de la rhétorique, triomphe de l’éloquence (1775-1800) par Michel Delon................................................................................................

1001

21 - L’éloquence révolutionnaire : idéologie et légende

par Aurelio Principale...........................................................................................

1019

22 - Romantisme, littérature et rhétorique par Arlette Michel.................................................................................................

1039

23 - La rhétorique en France au XIXe siècle à travers ses pratiques et ses insti­ tutions : restauration, renaissance, remise en cause par Françoise Douay-Soublin...............................................................................

1071

24-La rhétorique à la fin du XIXe siècle (1875-1900)

par Antoine Compagnon.........................................................................

1215

25 - La réhabilitation de la rhétorique au XXe siècle

par Antoine Compagnon.........................................................................

1261

Postface de Marc Fumaroli................................................................................................ Index des noms

par Marie-Françoise Putois...................................................................

1297

Index des notions

par Marie-Françoise Putois...................................................................

1327

1283

PRÉFACE

H y a quelque chose de démesuré et de prématuré à entreprendre une histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne. Je ne me le dissimule pas. Je ne l’ai pas dissimulé à toutes celles et à tous ceux qui ont bien voulu, pendant plusieurs années, coopérer avec moi, à la Fondation Hugot du Collège de France, pour donner corps à cette entreprise. Nous savions tous très bien qu’il s’agissait d’une pre­ mière tentative, et qu’elle porterait la trace de nos hésitations, de nos ignorances, de nos maladresses. Mais nous étions tous persuadés que cette exploration de pionniers en terra nuper recognita devait être faite. Le « tournant linguistique » des années 1960 a malgré lui donné lieu à une renaissance rhétorique. Nous devions faire la preuve historique de la légitimité européenne de cette renaissance. Mais le mot « Histoire » est ici à l’optatif. Le titre exact de cet ouvrage devrait être plutôt : « Essais ou Mémoires de divers auteurs, rangés par ordre chronologique, sur l’histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne. » Rien d’exhaustif, rien de définitif. Un frayage. Un point de départ. Il faut bien voir d’où nous venons, à quels obstacles nous nous heurtons à l’intérieur de nous-mêmes, et de quels instruments de travail nous disposons. Nous n’avons pas dans notre langue les manuels qui devraient préparer et accompagner une telle entreprise. Les excellents précis d’histoire de la rhétorique grecque et latine de l’Américain George Kennedy n’ont pas été traduits en français. Le Handbuch Jur Literarische Rhetorik de l’Allemand Heinrich Lausberg ne l’a pas été non plus. Le Dictionnaire des concepts rhétoriques, qu’une équipe de Tübingen a déjà poussé très avant, n’a pas de coéditeur français, bien que plusieurs savants français en soient collaborateurs. Il n’existait pas encore, au moment où nous nous sommes mis au travail, des recueils tels que La Rhétorique d’Aristote, traditions et commentaires de l\Antiquité au XVIF siècle, qui vient de paraître chez Vrin (1998).

On comprendra que nous n’ayons pas cherché à faire double emploi avec des manuels très bien faits et que l’on peut consulter, faute de leur traduction française, dans des langues généralement pratiquées par les chercheurs. Je comprends de mon côté l’hésitation des éditeurs français à mettre sur le marché, dans des traductions toujours très coûteuses, ces instruments de travail. En France, l’idée même que la rhétorique puisse être un objet d’un savoir historique, et figurer parmi les méthodes d’enseignement et de recherche, a rencontré et rencontre toujours plus que des résistances : une inertie et une indifférence générales. C’est déjà très beau que les Presses Universitaires de France aient accepté, voilà plus de dix ans, le principe de publier cette « Histoire », et aient eu la patience de ne pas précipiter sa très lente gestation. Le « scientifiquement correct » était contre nous. Même sous des plumes autorisées, il est toujours courant de trouver le mot « rhétorique » employé dans le seul sens en usage dans notre langue depuis le XIXe siècle, celui de verbiage calculé pour voiler la vérité des sentiments de celui qui parle, ou à déformer la réa­ lité des faits dont il prétend faire état. A plus forte raison est-il hors de question de prendre au sérieux des manuels ou une « histoire de la rhé­ torique ». Autant faire l’histoire du mensonge ou de l’insincérité. Comment délivrer la rhétorique de cette peau d’âne dont elle a été affublée, établir ses titres de noblesse européens et modernes, et lui rendre une chance de redevenir vivante et active aujourd’hui ? Com­ ment faire admettre que l’usage trivial du mot « rhétorique » nous cache une somme oubliée d’expérience et de connaissance des phéno­ mènes de parole et que cet oubli nous est nuisible ? On peut chercher la vraie définition de la rhétorique. Elle échappe à la définition. C’est un ensemble réflexif aussi flou, mouvant et fécond que son objet : la persuasion. Mais elle s’attache d’autant plus à la pré­ cision et aux définitions qu’elle a justement affaire à Protée lui-même, la parole insatiable de métamorphoses. Cette alliance du principe d’incertitude attaché à Voratio elle-même, et du principe d’intelligibilité rigoureuse qui guide Vorationis ratio de la rhétorique, a déconcerté l’esprit moderne de géométrie. Cette chimère qui conjugue dans un même organisme vivant la theoria et 1 'ergon, la pensée de la parole et la parole en acte, a fait fuir d’épouvante la moderne division du travail entre spécialistes. On a préféré diaboliser cette manière d’habiter intel­ ligemment la parole plutôt que d’y voir une des conquêtes les plus har­ dies de l’esprit de finesse. Ou bien, on l’a claquemurée dans ses ver­ sions élémentaires et scolaires, sans voir que, même schématisée et systématisée à l’usage de débutants, elle s’appuyait même alors sur de

beaux textes et d’excellents exercices qui mettaient les enfants sur la voie d’une pensée et d’une pratique de la parole « adultes », où l’esprit de finesse avait tout loisir de retrouver tous ses droits. La meilleure manière de définir la rhétorique, lorsque la résistance est si forte, est de la montrer telle qu’elle s’est manifestée, dans des épo­ ques relativement proches de la nôtre, en tout cas généalogiquement liées à la nôtre, où elle bénéficiait encore d’un statut pédagogique émi­ nent, mais où elle était aussi la souche mère de la réflexion sur tout ce qui relie les hommes entre eux : les formes du commerce oral et écrit, les formes des arts. Ce qui est devenu aujourd’hui note d’infamie a désigné en effet, pendant deux millénaires, un art et un artisanat de la parole qui a édu­ qué les lettrés européens à l’intelligence de la parole. Les plus grands écrivains et poètes n’ont pas craint de mettre cet art au service de leur génie : on est même tenté de dire que c’est dans leurs chefs-d’œuvre que la rhétorique manifeste son génie, et le plus grand mérite de l’éducation rhétorique aura été, dans l’Antiquité et depuis la Renais­ sance, de subordonner les notions théoriques qu’elle dispensait à de très beaux exemples incitateurs pour les élèves à l’invention et à l’émulation en acte. Mais un autre mérite de la rhétorique est son caractère pro­ fondément démocratique : les grands poètes et les plus grands écrivains ont bien pu révéler le génie de cet art en lui alliant leur génie ; les pro­ fessions les plus diverses et les plus modestes ont tenu de lui les princi­ pes solides de leur exercice régulier de la parole et des exercices pour leur loisir lettré. Les langues, les religions, les régimes se sont succédé : cette tradi­ tion d’école et d’atelier les a traversés sans s’interrompre et sans cesser pourtant de se transformer, de se diversifier et de se rajeunir. Que le talent comme l’honnête moyenne, la flatterie comme le cou­ rage, la bonne foi comme la mauvaise foi, le goût comme l’absence de goût, aient pu se prévaloir, à toutes les époques, de cet art et de cet artisanat, cela n’ôte rien, au contraire, à la vertu singulière de celui-ci, aux points de vue sagaces et aux degrés de lumière qu’il propose sur ce qu’il y a de plus contradictoire et insaisissable dans l’homme : sa voca­ tion à partager la parole, mais aussi à en abuser. Tous les auteurs de ce livre ont voulu combattre la confusion entre « rhétorique » au sens trivial de mensonge et « rhétorique » au sens his­ torique d’art : cette confusion leur a semblé correspondre à l’un des points aveugles de l’optique « communicationnelle » moderne. Ils ont eu le sentiment qu’en montrant la vitalité de la rhétorique dans des époques fécondes pour la littérature et pour les arts, ils dévoilaient l’un des motifs inaperçus de l’exil de la littérature et des arts aujourd’hui.

Sans doute avons-nous voulu remettre au jour un patrimoine oublié, des auteurs, des écoles, des querelles, des ouvrages dont les autres « Histoires » ne font pas mention. Mais nous n’avons pas tenu à le faire par simple scrupule d’« archéologues du savoir ». Ce patri­ moine oublié suppose « quelque chose » d’essentiel qui nous manque, et qu’il importe de nous restituer à nous-mêmes : la conviction que rien n’est plus révélateur et essentiel que la manière dont l’homme s’adresse à l’homme, et la certitude modeste que la manière de parler, le rapport à la parole, ne sont pas en dernière analyse objet de science ni de tech­ nique, mais d’art, et d’art qui peut s’apprendre. Art, avec tout ce que ce mot suppose de passerelles et d’antennes tendues du côté de ce qui par définition échappe à la science et à la technique : l’expérience heu­ reuse ou malheureuse des formes de l’adresse à autrui, le tact et le goût que cette expérience peut faire éclore. Les archives d’un tel art, remises au jour, pourraient-elles nous don­ ner le désir de le revivifier, non pas comme il fut (mais il ne fut jamais deux fois tout à fait le même), mais comme il est postulé, à notre insu et dans son essence, aujourd’hui où nous sommes cruellement gavés de « rhétorique » au sens trivial, et privés non moins cruellement de rhéto­ rique, au sens d’éducation et de discernement du dire ? Telle a été l’inspiration qui a donné lieu à ce livre. Elle est ana­ logue à celle qui remplissait de joie le Florentin Poggio Bracciolini au lendemain de sa découverte du manuscrit complet de 1 'Institute Oratorio, de Quintilien, et qui lui remémorait Énée sauvant de la ruine de Troie les dieux lares destinés à la future Troie : Rome. Longtemps, récemment encore, seuls les hellénistes et latinistes, ou les historiens de la philosophie grecque et latine, ont traité de rhéto­ rique, dans ce sens d’art et d’artisanat appliqués au phénomène humain par excellence, le parler. Apparue dans la Grèce du Ve siècle en même temps que la sophistique de Gorgias, la philosophie platoni­ cienne et la science aristotélicienne, la rhétorique, l’art de persuader, enseignée d’abord dans la démocratie athénienne aux futurs politiciens et aux futurs avocats, est entrée très tôt en rivalité (mais aussi en sym­ biose) avec la réflexion philosophique. Les sciences de la nature qui, dans l’Antiquité (et pour longtemps encore), font partie intégrante de la philosophie et ne reposent pas sur la mathématique, se contentent pour l’essentiel de la langue naturelle, mais Aristote les a situées hors du domaine rhétorique. Bien dire, savoir bien vivre et savoir ne se confondent donc pas, mais bien dire est le facteur commun au savoir bien vivre et au savoir. Le classement des « arts libéraux» dans l’Université médiévale, héri­ tière de l’encyclopédisme de l’Antiquité tardive, rangeait la rhétorique,

entre grammaire et dialectique, dans le Trivium, qui précédait et prépa­ rait le Qtuidrwium : géométrie, arithmétique, astronomie, musique. Les arts de la parole étaient tenus pour le socle des sciences. Cela devien­ dra encore plus vrai à la Renaissance. Platon reconnaît dans le Phèdre que même le philosophe a besoin d’une rhétorique pour faire partager sa sagesse. Et Aristote, l’auteur du premier « programme de recherche scientifique », a lui-même écrit une « Rhétorique ». Il lui réserve le domaine des affaires humaines, judi­ ciaires et politiques, qui ne peuvent rouler que sur des degrés du vrai­ semblable, laissant le vrai à la métaphysique et aux sciences de la nature. Mais le vrai et le vraisemblable ont en commun des techniques de l’argumentation. Chaïm Perelman a rappelé parmi nous cette diffé­ rence d’ordre entre le vrai et le vraisemblable qui fonde toujours la légitimité philosophique de la rhétorique. Chez ses deux géants, la philosophie grecque s’est donc bien gardée de dénier le problème de fond auquel la rhétorique, art des médiations dans la vie pratique, cherche à répondre : comment faire accéder à la parole ce qui est rebelle à la preuve formelle, comment donner une forme non seulement convaincante mais émouvante et persuasive, à ce qui échappe en partie à l’analyse rationnelle ; comment rendre facile à entendre ce qui est le plus difficile à dire et à faire agréer ? La rhétorique judiciaire et politique d’Aristote fait entrer les fables dans la rhétorique, comme la rhétorique philosophique de Platon fait entrer le récit allégo­ rique et mythique dans la connaissance des choses divines et humaines. Les jalons sont ainsi posés, dès l’ancienne Grèce, pour une légitimité cognitive de la littérature telle qu’on l’entend depuis la Renaissance, la poésie, l’histoire, l’éloquence, et les différents genres qui ont germé sur ces trois branches de l’arbre rhétorique, aujourd’hui déraciné. La rhétorique est née, avec la sophistique, la philosophie et la science, quand la religion a cessé de régir exclusivement la cité. Un tel art suppose que l’homme, en tant qu’animal parlant et doué de raison, se propose à lui-même comme une énigme plus inépuisable encore que le mystère des dieux. Il développe et approfondit la réponse d’Œdipe au Sphinx. Sophistes, philosophes, philosophes de la nature scrutent cette énigme ou prennent appui sur elle par des voies différentes et souvent opposées. La rhétorique tire parti de ces recherches divergentes et les fait dialoguer dans sa réflexion sur l’art de parler, qui d’une énigme tire un pari : celui de persuader. Les échanges entre sophistes, philosophes et rhéteurs ont été d’autant plus étroits dans la Rome républicaine et impériale que le « programme scientifique » aristotélicien y a stagné, tandis que la symbiose entre rhé­

torique et philosophie s’y est élevée à un haut degré d’humanisme litté­ raire. La littérature grecque est devenue la jurisprudence de la rhéto­ rique latine, comme la littérature latine est devenue, à la Renaissance, la jurisprudence de la rhétorique vernaculaire. Le christianisme éloquent des Pères de l’Église avait lui-même montré la voie à la Renaissance en se greffant sur l’humanisme littéraire de l’Empire païen. Le vocabulaire et le questionnement de la techné rhétoriké, depuis le Phèdre de Platon jusqu’au De Oratore de Cicéron, n’ont cessé d’interférer avec ceux des philologues, des philosophes, des naturalistes, des péda­ gogues, des politiques, des architectes, dans la même cultura animi d’une Cité à vocation universelle. La parole, quand elle se réfléchit et s’enseigne comme l’art humain par excellence (l’homme étant défini parmi tous les êtres par sa vocation à la parole), ne peut s’enfermer dans une technique autarcique et spécialisée. L’humanisme romain ne conçoit pas de sagesse ni de savoir s’il n’a accès au sens commun, au langage commun, et cela, sans se vulgariser, mais au contraire, en se parachevant dans la forme qui lui convient, qui le contient et qui le fait agréer là où, et quand, il est à sa place. Inversement, les rhéteurs romains ont ancré leur art dans les richesses propres à la réflexion littéraire, philosophique, philologique, historique, artistique : les plus grands d’entre eux, Cicéron et Quintilien, préfigu­ rent Yuomo universale de la Renaissance. Les Lumières (Gibbon sur ce point est leur meilleur interprète) ont exalté l’âge d’or de l’humanisme romain et elles ont repris l’accusation de Celse : le christianisme et ses théologiens ont corrompu la souche mère, rhétorique et philosophique, de la Romanité. En réalité, les Pères de l’Église latine et grecque l’ont mise au service de la religion nouvelle, et Byzance chrétienne, pendant mille ans, a été le théâtre de brillantes « renaissances », qui préfigurent et qui nourrissent celles du Х1Г siècle français et du XVe siècle italien. Ce sont des précédents qu’il n’est pas possible de ne pas avoir à l’esprit, à la fin du XXe siècle, quand l’histoire du monde est en train de devenir, ou de redevenir, vraiment universelle. Dans chacune des « renaissances » que l’Europe a connue, la rhéto­ rique a joué un rôle essentiel, et ce rôle est loin de se limiter à la péda­ gogie. Au centre des sagesses et des savoirs, elle retrouve chaque fois la fonction médiatrice qu’elle occupait à Rome : donner, à tout ce que l’homme sait et même à ce qui excède son savoir, une forme et un sens qui l’éclairent et le rendent un peu moins opaque pour lui-même et impuissant sur lui-même. Ce que les humanistes italiens ont réprouvé dans le formalisme logique et le langage spécial des docteurs scolastiques, c’est l’enferme­

ment de leur savoir, et l’impuissance de ce savoir à persuader, éduquer, faire croître « en humanité ». La Renaissance du XVe siècle ne s’achève pas avec la Réforme et la Contre-Réforme : ces deux sœurs ennemies, loin de renier l’adoption de la rhétorique gréco-latine par le christianisme, alliance encore res­ serrée par la Renaissance, en tirent de nouvelles ressources polémiques, mais aussi spirituelles. L’imprimerie, loin d’affecter la vitalité de l’art rhétorique, lui donne un nouveau public, de nouveaux véhicules. La lecture silencieuse elle-même, loin de ruiner la parole vive, fait d’elle plus que jamais le critère du texte littéraire : un livre est vivant s’il ne se borne pas à informer, s’il fait entendre une voix, s’il fait oublier les caractères imprimés, s’il s’adresse à l’oreille intérieure, déclenchant en réponse la parole intérieure du lecteur. La « nouvelle science » de Galilée et de Descartes, qui fait des mathématiques le chemin de la vérité, tranche dans ce tissu d’humanité et le déchire. Dans cette lumière sans mémoire et sans ombre, l’art de la parole avec ses formes, sa jurisprudence, ses vraisemblances, a été affecté d’un soupçon généralisé de routine et d’artifice. La rhétorique en disgrâce est appelée à concentrer sur elle ce soupçon, et la littéra­ ture elle-même, à partir du romantisme, se sauve en cachant la rhétorique, dont elle émane, dont elle relève, mais dont elle veut feindre maintenant qu’elle peut s’en passer. Elle l’a payé très cher : son « avant-garde » a perdu l’oreille du grand public et de son sens commun. Tombé en français dans le vocabulaire des injures, le mot « rhéto­ rique », même dans les milieux savants ou cultivés, n’évoque pas d’autre idée que celle de mensonge par ignorance ou par intention de duper : comment pourrait-il y avoir une place légitime dans l’univers de la recherche, dont les méthodes et les critères se veulent à bon droit scientifiques et visent à faire le tri entre le vrai et le faux, entre les mots creux et les faits bien établis ? Et cependant, tandis que l’on identifie rhétorique et bavardage manipulateur, tandis que les « sciences du langage » regardent de haut la littérature, elle-même réduite à des jeux formels ou au divertisse­ ment, on observe que les vrais savants contemporains s’interrogent sur les moyens et la manière de « dire » leur savoir spécialisé pour d’autres que pour leurs pairs. Ils se posent souvent avec plus de candeur et de justesse que les « littéraires », le problème rhétorique, même s’ils ne prononcent pas le nom tabou. Us ont d’ailleurs des exemples à imiter, de Galilée à Claude Bernard. Sans doute, nul ne conteste aujourd’hui, bien au contraire, que les phénomènes de parole n’aient besoin d’être décrits, analysés, interpré­

tés. Jamais même on ne s’est comme aujourd’hui intéressé autant au « discours », à Г « écriture », à la « communication », à 1’ « informa­ tion ». Sur la rhétorique jetée à la voirie, des substituts à vocation scientifique pullulent. Ils occupent le terrain autrefois couvert par l’art de persuader, mais ils ne répondent pas à la question essentielle que celui-ci se proposait de résoudre et que les savants se posent de nou­ veau aujourd’hui : ils construisent des théories séparées de la pratique. Ils reconstituent cet isolement dans un formalisme docte que les huma­ nistes reprochaient aux scolastiques comme une trahison des clercs. Nous regorgeons de nombreuses « sciences du discours », linguis­ tique pragmatique, sociologie des actes de discours, sémiologie, narratologie, stylistique de la « littérarité », poétique de Г « écriture ». Ces diverses disciplines savantes ont développé leur propre jargon, réservé à la communauté spécialisée qui le pratique : le discours objet de discours est devenu parmi nous cette « entreglose » générale dont gémissait Montaigne à la fin du XVIe siècle. C’est bien le cas d’y voir les « mots » triompher des « choses » (les textes en l’occurrence) et rejeter celles-ci hors de la vue, derrière des « grilles » de lecture. П est à craindre que les manuels scolaires, à leur étage en principe modeste, ne transposent ces exercices de séminaire dans les classes de français. On est en droit de s’en émouvoir, et de remarquer une contradic­ tion entre ces « sciences » du discours et de la communication ensei­ gnées aux enfants et l’essence de la littérature, qui dit et apprend à dire avec une apparence de facilité les choses les plus difficiles. On peut s’inquiéter qu’une « fracture » de plus en plus menaçante se soit ouverte entre les savoirs théoriques parcellisés et le monde de la com­ munication de masse, qui ne s’embarrasse pas de théorie. L’intérêt réveillé depuis une vingtaine d’années pour la techné rhitoriké et son histoire, dans ce qu’il a de plus vivant, est stimulé par ce « malaise dans la civilisation ». On commence à demander à la juris­ prudence rhétorique un modèle pour le « milieu médiateur » qui nous manque, et dont ni les colloques de spécialistes, ni les mass media, ni leurs théoriciens ne tiennent lieu. On est de nouveau en quête, comme à la fin du Moyen Age, d’un carrefour des savoirs et d’un forum des esprits qui, à l’école comme dans la société civile, rende à la littérature son rôle central de représentation de l’homme à l’homme. En dépit de l’ironie socratique déployée par Jean Paulhan, dans ses Fleurs de Tarbes (1942), pour dissiper le parti pris du romantisme (repris par Benedetto Croce : l’inauthenticité poétique de la rhétorique) relayé par le parti pris du positivisme (repris par Renan : la rhétorique, archaïsme faisant obstacle à la science) ; en dépit des travaux en France d’hellénistes comme Jacques Bompaire (.Lucien écrivain, 1958), de lati­

nistes comme Alain Michel (Rhétorique et philosophie chez Cicéron, 1960), inspirés l’un et l’autre par le retournement en faveur de la rhétorique favorisé par Henri-Irénée Marrou, historien de l’éducation et de la cul­ ture tardive de l’Empire romain ; en dépit aussi des efforts de dixseptiémistes comme Basil Munteano, Aron Kibédi-Varga, Bernard Beugnot, ou d’autres, inspirés par la leçon d’Ernst Robert Curtius, et suivis maintenant par une jeune génération de chercheurs, le statut de la rhétorique dans la pédagogie, l’enseignement et la recherche français restent très modestes ou marginaux : dans le meilleur des cas, les rhétoriciens doivent adopter un profil bas pour se faire admettre dans les études littéraires sérieuses. Ces essais contribueront-ils à leur assurer une légitimité ? Du moins ont-ils été écrits et rassemblés à cette intention. Aux malentendus hérités du XIXe siècle, se sont ajoutés en France, depuis les années 1960, l’hostilité des maîtres du «tournant linguis­ tique » néo-saussurien dans les sciences humaines. H est arrivé à Roland Barthes de dire que la langue est d’essence « fasciste » : il avait néanmoins proposé, dans un séminaire des Hautes Études, une des premières prises en considération de ce qu’il appelait l’« ancienne rhé­ torique ». Cela n’allait pas sans condescendance. La rhétorique (« la seule erreur des Grecs », disait Renan) n’aurait été, jusqu’à l’apparition des « sciences humaines », qu’une administra­ tion des « mots » qui devait céder la place aux « choses » pleines de la science, ou sincèrement senties de la poésie. Elle se trouvait désormais rejetée dans le camp réactionnaire, antimodeme. « Notre modernité » (elle avait commencé, selon Gérard Genette, par une « restriction » de l’« ancienne rhétorique » à ses figures de pensée et d’élocution) pouvait tout au plus glaner dans ce patrimoine archaïque des suggestions taxinomiques pour la science linguistique, sur le modèle et à la suite de Roman Jakobson qui avait fait de la binarité « métaphore/métonymie » la pierre angulaire de sa « poétique ». Les historiens français des « mentalités », qui, à la suite de Lucien Febvre, admettaient des médiations discursives entre faits matériels et faits de société, n’étaient pas prêts eux-mêmes à admettre que la rhéto­ rique pût leur fournir une structure d’interprétation pour les idées, les sentiments et les institutions qu’ils s’ingéniaient maintenant à faire entrer dans leur champ d’études. Ils n’ont pas compris - à l’exception notable d’un Georges Duby ou d’un François Furet - la leçon que leur a administrée Paul Ricceur dans Temps et récit : l’histoire elle-même est un genre littéraire (Cicéron disait même : opus oratorium maxime} et ses choix rhétoriques d’exposition, plus encore que ses ressorts documen­ taires, font partie intégrante, même à son insu, de son épistémologie.

On pourrait en dire autant de toutes les sciences humaines. D peut arriver à leur « scientificité » ostentatoire (dédaigneuse du problème rhétorique ou l’ignorant superbement) de se réduire à « la rhétorique » au sens le plus péjoratif et trivial du terme. La pensée sociologique, qui avait joué un grand rôle dans l’émergence de Г « histoire des mentalités », avait elle-même contracté une dette envers Г « ancienne rhétorique » : la notion d’origine rhéto­ rique de convenance (opium) n’est plus reconnaissable sous le concept sociologique de fonctionnalité, qui en est l’héritier oublieux et souvent mécanique. La notion rhétorique de « lieu commun » (topos, locus communis) est implicite dans les efforts des ethnologues et anthropologues, voire des sociologues historiques, pour décrire l’organisation des présupposés partagés qui rendent possibles les échanges dans une société donnée. La notion rhétorique d’ornement, en latin omatus, traduction du cos­ mos grec, est elle aussi sous-jacente à l’idée que les ethnologues (aux­ quels sont redevables les historiens des mentalités) ont pu se faire de systèmes ornementaux, vêtements, parures, peintures du corps, qui construisent dans les sociétés traditionnelles un ordre du monde et une norme sociale : ces formes symboliques construisent et attestent la cons­ cience qu’une communauté peut prendre d’elle-même. En dépit du préjugé puritain ou romantique qui fait de l’ornement un superflu nécessairement redondant et immoral, la rhétorique sait aussi qu’il peut être de l’ordre de la beauté donc de l’être, et jouer un rôle médiateur entre l’idée ordonnatrice et la délectation des sens. De même, la notion rhétorique d"actio, qui relie la parole à toute l’attitude du corps, est le soubassement ignoré de l’étude à laquelle se livrent ethnologues et sociologues européens, décrivant les systèmes de gestes qui, doublant le langage ou le suppléant, soutiennent de leurs évidences partagées l’entente interne des sociétés traditionnelles. Démosthène, qui tenait l’action de l’orateur pour la partie la plus importante de l’éloquence, savait que les « signes non verbaux » per­ suadent plus immédiatement que les mots, et il ne réduisait pas la parole au langage écrit. Rien n’empêche l’action de dégénérer en gesti­ culation : Vars vhetorica, loin de porter à cet excès, pourvoit bien plutôt de critères qui le font reconnaître et invitent à s’en défendre. Les notions proprement rhétoriques ne se bornent pas à rendre compte des cadres communautaires et impersonnels de la parole. La rhétorique réfléchit avant tout la parole du face-à-face. Elle suppose des personnes, elle oriente la construction et le dialogue de personnes. C’est ce qui la sépare de ses dérivés sociologiques. L’individualisme moderne, et le souci d’« originalité créatrice » qui le caractérise en littérature, ne

sont donc pas étrangers à la rhétorique qu’il a mis son point d’honneur, depuis Rousseau, à condamner. Les meilleurs professeurs de Vars bene dicendi et persuadendi ont accordé de tout temps, au principe du bien dire, une importance décisive, du côté de l’orateur, à son talent naturel, à sa notera, dont Rousseau lui-même fera une catégorie fondatrice de son anthropologie individualiste, ou encore à Yingenium, dont le romantisme fera le « génie ». La notion de « génie mère » chez un Chateaubriand fait la synthèse entre ingenium et notera. Les mêmes maîtres de rhétorique, se plaçant du côté de l’auditeur ou du récepteur, ont isolé toute une gamme de « goûts » et de « couleurs », depuis le sublime jusqu’à la dou­ ceur, depuis l’élégance jusqu’à la clarté, qui échappent à l’abstraction normative ou à la généralisation impersonnelle, et qui dessinent les contours spécifiques d’une éducation esthétique et d’un « horizon d’attente » de la réception. La rhétorique a ainsi des affinités plus essen­ tielles avec la littérature que toute sociologie. La création littéraire et artistique, dont le caractère est par défini­ tion lié à la singularité du talent, n’en relève pas moins de lois secrètes sur lesquelles l’expérience rhétorique jette de vives lumières. Non qu’elle propose des conclusions ni une doctrine arrêtée. Mais les débats auxquels elle a donné lieu, dans sa longue durée, sur l’imitation et l’émulation, sur les rapports entre l’imagination, la mémoire et le juge­ ment, sur les relations entre l’inspiration, l’improvisation et le travail, offrent des cadres généraux à l’intérieur desquels il est possible de com­ prendre ce « mystère » que Valéry s’emploie à analyser dans ses Cahiers, que les « écoles » successives et opposées d’écrivains et d’artistes ont tenté d’apprivoiser dans leurs manifestes, et que beaucoup de créa­ teurs modernes se sont attachés à formuler pour eux-mêmes dans des notes en marge de leur œuvre. L’intériorité elle-même, que l’on croit volontiers antithétique de « la rhétorique », parade histrionique et publique d’une parole-masque, ne s’est constituée comme parole intime qu’en approfondissant des schèmes empruntés à Vars rhetorica. Le grand maître occidental de l’intériorité, saint Augustin, a été longtemps professeur de rhétorique. П l’est resté après sa conversion au christianisme, non seulement dans son De Doctrina Christiana, où il propose une version chrétienne, à l’usage des prédica­ teurs, du De Oraiore de Cicéron, dans le De Ordine, où il analyse les cadres généraux de l’échange, mais aussi et surtout dans ses Confessions. Là il descend en lui-même, sous le regard de Dieu à qui il s’adresse : sa prière est inséparable de sa méditation sur la mémoire (la mnémotechnique des rhéteurs aussi bien que la réminiscence de Platon) et sur le temps (le temps métaphysique, opposé à l’éternité, mais aussi les modes de la nar­ ration et le rythme musical de la phrase et de la période). Prière et médi­

tation dans les Confessions sont offerts au partage de lecteurs, et ce par­ tage d’une expérience tout intime est favorisé par une maîtrise virtuose de la période, du choix des mots et des figures. Toute l’histoire de la prière, de la méditation, de la conversation sacrée en Occident est placée, depuis saint Augustin, sous le signe d’une rhetorica divina qui a frayé la voie à la littérature moderne et laïque de la parole privée et intime. Des Confessions de saint Augustin aux Confessions de Rousseau, la rhétorique intériorisée a cheminé pen­ dant treize siècles, en s’appuyant sur l’expérience des formes que lui avait léguée la rhétorique de l’agora et du forum. Ce lent chemin, ses étapes, ses relais, les voies de traverses qu’il a croisées, pourrait faire l’objet d’un essai d’histoire de la rhétorique, entre histoire religieuse et histoire de la conscience privée. Le livre que je présente est un livre ouvert. Il se voudrait généra­ teur d’autres voies de recherches, il s’expose à la révision, il souhaite de nouvelles découvertes, il attend des développements que nous n’avions pas prévus, ou que nous n’avons pas eus la possibilité de faire entrer dans un recueil déjà volumineux. Malgré ces figures de modestie, je ne crois pas avoir à excuser les auteurs de ce livre d’avoir inauguré en France, avec les moyens du bord, l’histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne. Cette tentative est peut-être audacieuse et imparfaite : il fallait un jour commencer. Le temps était venu. Depuis la fondation de la Société internationale pour l’histoire de la rhétorique, en 1976, et la création de la revue interna­ tionale et polyglotte Rhetorica, une communauté savante s’est formée en Europe et dans de nombreux pays du monde pour remettre au jour la souche mère de notre culture littéraire, ensevelie sous ses rejetons amnésiques et sous des préjugés tardifs. Les remarquables manuels dont nous disposons en anglais et en alle­ mand rendent compte de la rhétorique par fragments, par son lexique. Chaque notion rhétorique a en effet ses richesses propres, je l’ai déjà suggéré. L’inventaire sémantique de chacune est à lui seul une leçon d’intelligence littéraire. Les pages qu’Heinrich Lausberg a consacrées à l’ironie ou à l’allégorie, illustrées par de très nombreux exemples empruntés à plusieurs littératures, sont peut-être plus austères que celles que Panofsky a dédiées à VIdea : elles n’en sont pas moins éclairantes pour l’interprétation des textes littéraires ou plastiques. Les articles du Historisches Worterbuch der Rhetorik, publié à Tübingen sous la direction de Walter Jens et de Gherard Ueding, bénéficient des recherches accumu­ lées depuis Lausberg, mais ne font pas double emploi avec ses analyses. Le même séminaire de Tübingen publie depuis 1980 la revue Rhetorik, Ein internationales Jahrbuch, qui elle-même ne fait pas double emploi avec

Rhetorica,> la revue de la Société internationale pour l’histoire de la rhéto­ rique. Les courts essais ou études publiés par ces revues attestent la vita­ lité de la recherche récente, encore mal connue du public cultivé, dans ce domaine entièrement neuf et qui n’est exploré, mais avec de plus en plus de zèle, que depuis une trentaine d’années. Ces recherches en cours se présentent elles aussi sous une forme de fragments... Les beaux manuels d’histoire de la rhétorique antique écrits par George Kennedy (qu’il est bon de compléter par les grands livres d’Anton Leeman, Orationis ratio, ou d’Alain Michel, déjà cité) confir­ ment ce que les philologues et historiens de la Grèce et de Rome savent maintenant d’une façon quasi unanime : la civilisation hellénis­ tique et romaine a fait de la rhétorique le principe moteur de sa péda­ gogie, et le vecteur de sa culture politique, juridique, artistique et litté­ raire. Ce n’est pas toute l’Antiquité, mais la plus originale, celle qui échappe le mieux à la réduction de la culture antique à l’ethnologie comparée, celle aussi qui a le plus contribué, par sa persistance et sa renaissance, à doter la civilisation européenne de son outillage mental le plus caractéristique. Cet outillage mental a travaillé à l’édifice de la science et de la culture modernes. A l’étudier en isolant un à un ses « outils », on tend à oublier l’atelier, je veux dire la cohérence interne de l’an rhetorica, la diversité de ses « écoles », le degré de symbiose où il est parvenu à la Renais­ sance avec toutes les branches de la pensée européenne, et l’autorité exceptionnelle qu’il a conférée à la littérature. C’est cela que nous savons le moins, ou que nous ne voulons pas savoir. Et c’est cette igno­ rance ou cette résistance que voudrait désarmer notre propre Histoire de la rhétorique dans ГЕигоре moderne. Sous la forme narrative que nous avons adoptée pour l’établir, il sera désormais beaucoup plus difficile de dénier la présence active et fertile de la rhétorique dans la tradition vivante de l’Europe moderne. Effort de synthèse, cette suite d’essais narratifs voudrait établir que les recherches des historiens contemporains de la rhétorique ne se situent ni en marge ni à la remorque des « sciences humaines » : elles font apercevoir d’un seul regard la fonction de centre nerveux de la culture européenne que l’arr rhetorica a exercée, incomparablement plus efficace et féconde que nos « sciences humaines » émiettées. Nous avons un intérêt vital aujourd’hui à prendre du champ par rapport à Babel, et à remettre en lumière « ce qui a été perdu » avec la rupture de la tradition rhétorique : cette tradition comporte des leçons vivantes pour nous-mêmes, pour notre pédagogie, et pour notre culture beau­ coup trop compartimentée. Le préjugé anti-rhétorique des modernes (il jouait naguère même

dans les études classiques) a dû concéder l’ensemble de faits avérés et concordants, étudiés et constatés par les hellénistes, les latinistes, les byzantinologues en faveur du statut à la fois générateur et médiateur qui revient à la rhétorique dans la culture des Empires romain et byzantin. On a pu considérer que ces époques lointaines nous sont radicalement étrangères : nous vivons, a-t-on pensé, dans l’âge de la science, et la rhé­ torique est un archaïsme gréco-latin que nous avons heureusement rem­ placé par tout un faisceau de sciences humaines. Libres donc aux Anciens, de l’autre côté de l’Histoire, d’avoir suivi Г « erreur des Grecs ». L’Europe moderne, du bon côté, le nôtre, avait vocation aux lumières et à la vérité scientifique, la rhétorique n’a jamais été pour elle qu’une survivance pédante et un obstacle obscurantiste depuis long­ temps surmonté. On peut donc faire l’histoire des idées, des lettres, des arts, des men­ talités, des systèmes politiques en Europe sans faire état d’un quelconque tissu conjonctif rhétorique, comparable à celui que décrivent les spécia­ listes de l’Antiquité. Comme en lieu et place de l’ancienne grammaire est apparue la linguistique générative ou structurale, en lieu et place de la rhétorique ont surgi les nombreuses sciences du langage et de la litté­ rature. J’en ai déjà énuméré quelques-unes. L’intérêt qui se fait jour depuis trois décennies pour la rhétorique est dû pour une bonne part à l’angoisse qu’éprouvent, même dans les scien­ ces dites « humaines », des spécialistes claustrophobes qui ne se rési­ gnent pas à rester isolés dans leur communauté scientifique particulière. Je ne crois pas pour autant que la rhétorique, grenouille oubliée qui sou­ dain voudrait se faire aussi grosse que le bœuf, puisse prétendre assumer, une fois modernisée, le rôle utopique de « science des sciences humai­ nes ». Ce serait pour elle, et pour tous ceux qui travaillent à écrire son histoire, une erreur encore plus fatale que l’excommunication générale dont elle a été l’objet au cours du XIXe siècle romantique et scientiste. Ce n’est pas en affichant des ambitions aussi exorbitantes que sa redécou­ verte peut être utile à la Babel moderne. La rhétorique n’a jamais eu la prétention d’être une science exacte de l’homme, ni de la littérature, ni de la communication. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on la forcera, après l’avoir méprisée, à prendre le relais des ambitions démesurées dont a fait preuve la linguistique dans les années 1950-1980. Elle ne ferait qu’ajouter un métalangage superféta­ toire à tous ceux qui fourmillent aujourd’hui dans les livres de « scien­ ces humaines », et elle perdrait le sens de « raison des lettres et des arts » qu’elle peut nous rendre aujourd’hui. La rhétorique a tout simplement besoin que l’on redécouvre ce qu’elle a été au cours de sa très longue histoire. L’on devrait tirer de

cette histoire des leçons fécondes pour une époque telle que la nôtre qui croit pouvoir se passer de rhétorique philosophique. Les principes que nous avons suivis pour écrire ensemble cette his­ toire sont simples, voire artisanaux. Les précédents nous manquaient. Nous avons donc procédé sans surcharge méthodologique. La matière a été répartie, entre 1450 et 1800, en quarts ou en demi-siècles, chacun mettant en évidence une ou plusieurs figurespivots. Nous nous sommes efforcés de couvrir un champ géographique et linguistique relativement vaste, l’Europe de l’Ouest, en tenant large­ ment compte de son dénominateur commun néo-latin qui se maintient jusqu’au XVIIIe siècle. Nous nous sommes appuyés sur les traités de rhé­ torique, mais en nous gardant de les enfermer dans une discipline ou, à plus forte raison, dans une discipline scolaire. Ces traités de rhétorique (qui adoptent les formes les plus diverses), nous les avons fait apparaître dans leurs attaches avec les recherches littéraires, philosophiques, reli­ gieuses, contemporaines. Bien qu’ils émanent de précédents antiques et répondent à des questions ouvertes depuis l’Antiquité, leur foisonne­ ment et leur diversité, les querelles dont ils font l’objet, attestent la vita­ lité et la fécondité de l’an, que chacun de nous pour la période dont il s’était chargé s’est efforcé de mettre en évidence. Chacun de ces essais, quoique tous aient été préparés et esquissés dans des séminaires com­ muns, et selon les quelques principes énoncés plus haut et acceptés par tous, porte la marque de son auteur, de sa culture, de son style, de ses pentes personnelles. Aucune « mise au carré » n’est intervenue pour réduire ces différences. Les pionniers ont droit à une large marge de liberté et d’initiative. Le rythme soutenu de ces essais s’interrompt pour le XIXe et le XXe siècle. Pour ces deux derniers siècles, nous avons dû nous contenter d’essais discontinus. Des défections qui m’ont désolé : celle de Frank Bowman, qui était le seul à pouvoir traiter de la rhétorique ecclésias­ tique de l’âge romantique, celle de Michel Crouzet, qui était le seul à pouvoir traiter de l’attitude anti-rhétorique du romantisme et de la rupture relative, au XIXe siècle, entre la littérature contemporaine et l’enseignement, ont rendu lacunaire le programme que nous nous étions fixé pour le siècle de Chateaubriand et de Baudelaire. Nous avons bénéficié en revanche des recherches de Françoise Douay, et nous devons à Antoine Compagnon une excellente introduc­ tion aux aventures de la rhétorique au XXe siècle, comme nous devions à deux maîtres, Alain Michel et Cesare Vasoli, deux essais rétrospectifs sur l’Antiquité et les débuts de la Renaissance italienne, et à un philosophe Alain Pons une précieuse mise au point sur la rhétorique humaniste de la conversation. Chacun de ces essais historiques porte la marque de la

personnalité et de la culture propres à son auteur. Chacun s’est efforcé de maintenir un équilibre entre les grandes figures de chaque génération (Érasme, Lipse, Balzac, Vico...), les débats de rhétorique qui agitèrent leur époque, et les réponses ou les synthèses provisoires qu’ils leur ont opposées. La rhétorique n’a jamais été un système, mais une expérience réfléchie de la parole qui s’est appuyée sur une jurisprudence de très longue durée. Par définition, elle a une histoire, je dirais même qu’elle a des mémoires. Ses normes, quand elle en propose, s’appuient sur des exemples éprouvés qui laissent une marge généreuse à l’interprétation et à l’invention. C’est pourquoi elle a été si efficace dans la pédagogie de la parole, et elle devient si mystérieuse dans les chefs-d’œuvre où elle s’accomplit en cessant de se montrer. Il serait dommage de ne pas avoir de nouveau présente à l’esprit cette pensée médiatrice qui a fait si bien et si longtemps tenir ensemble les chefs-d’œuvre et les exercices scolaires, la pensée et l’action, la réflexion et la création, la tradition et l’innovation. L’absence d’humanités expérimentées et généreuses fait défaut à l’esprit contemporain : elle aggrave sa souffrance de se sentir atrophié, démembré, désincarné dans de fascinants réseaux d’infor­ mation et de communication qui, à la limite, sous couleur de le mieux servir, pensent, imaginent et parlent à sa place. Si notre Histoire pouvait le moins du monde proposer un recours à cette souffrance, nous aurions rempli notre dessein.

Marc Fumaroli, de l’Académie française.

ALAIN MICHEL

1 - La rhétorique, sa vocation et ses problèmes : sources antiques et médiévales

Le présent ouvrage commence avec la Renaissance. Cela peut sem­ bler paradoxal puisque à l’origine elle doit tout à l’Antiquité. D’autre part, il serait dangereux de négliger le Moyen Age en supposant qu’il coïncide avec un affaiblissement ou une rupture de la culture littéraire. En revanche, il est assurément très utile de souligner la continuité de la culture jusque dans la modernité. On ne mesurera et définira ses créations qu’en connaissant ses sources. C’est dans cet esprit que nous proposerons ici quelques indications générales : elles contribueront à introduire l’enquête qui suivra1. Nous évoquerons donc successivement l’Antiquité et le Moyen Age. Nous verrons que des questions très voisines se posent dans les deux périodes : Qu’est-ce que la rhétorique ? Comment peut-on défi­ nir ses fins ou sa légitimité ? Quels sont ses rapports avec le langage, les moyens qu’elle lui apporte ou les critiques auxquelles elle le sou­ met ? La rhétorique s’interroge elle-même sur tous ces sujets. Elle s’est toujours trouvée obligée de comprendre qu’elle ne suffisait pas et

1. П ne s’agit ici que d’une présentation générale. Nous ne donnerons donc pas le détail de la bibliographie. On la trouvera pour l’essentiel dans les Actes du XF Congrès de Г.'Association Guillaume-Budé, Pont-à-Mousson, 29 août - 2 septembre 1983 (Paris, 1985) ; v. les rapports de R. Weil et L. Pemot, L'éloquence et la rhétorique grecques, t. I, p. 13-62 ; Alain Michel, Éloquence et rhétorique à Rome à l'époque classique, I, p. 63-108 ; D. Poinon, Rhétorique savante, éloquence oioante en France, au Moyen Age, I, p. 109-126. Parmi les ouvrages généraux, nous citerons seulement J. Martin, Antike Rhetorik. Technik und Methode, Munich, 1974 ; H. Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, 2 vol., Munich, 1960 ; G. A. Kennedy, The Art of Persuasion in Greece, Princeton, 1963 ; The Art ofRhetoric in the Roman World, Princeton, 1972 ; Classical Rhetoric ; Greek Rhetoric under Christian Emperors, Princeton, 1983 ; Classical Rhetoric and its Christian and Secular Traditionfrom Ancient to Modem Tunes, Chapel Hill et Londres, 1980 ; ajoutons les œuvres de Ch. Perelman (par ex. L'empire rhétorique, Paris, 1977) et R. Barthes, « L’ancienne rhétorique. Aide-mémoire », dans Communication, 16, 1970, p. 172-223 ; on peut aussi consulter Alain Michel, La parole et la beauté. Rhétorique et esthétique dans la tradition occidentale, Paris, 1982.

qu’elle ne se réduisait pas aux recettes des praticiens. Elle touchait à la sophistique et à la philosophie, à la contemplation, à la beauté et à la politique. Les Anciens ont formulé les questions, les Médiévaux les ont fait entrer dans la science de Dieu ou dans celle de l’amour. On n’a jamais pu dépasser Platon et Aristote, Cicéron et Augustin, Ber­ nard de Clairvaux et Thomas d’Aquin; Jean de Salisbury, évêque de Chartres à la fin du XIIe siècle, fut l’un des plus parfaits connaisseurs de la tradition classique. L'Antiquité : la rhétorique,

la poétique, la philosophie

et les sophistiques

Les Anciens se trouvent à l’origine de la rhétorique. Ils sont donc bien placés pour en reconnaître à la fois la complexité et le caractère unificateur1. Au commencement était la poétique. Elle se trouve à la source puisque Homère était le poète par excellence et que tout commence avec lui. Les Anciens ont bien compris qu’il possédait toutes les vertus de la création littéraire. L’éloquence en faisait partie. On a toujours admiré la parole d’Ulysse, l’art subtil et simple à la fois avec lequel il s’adressait à Nausicaa (supplication flatteuse ou célébration : l’Anti­ quité connaît à la fois la valeur sacrée de la supplication et le prix de la beauté). Priam sut parler à Achille, et la parole a ainsi, dans la douleur, révélé à deux ennemis la tendresse humaine qui leur était commune. La tragédie, appuyée elle aussi sur l’imagination mytholo­ gique, retrouvera le même pathétique. La parole poétique définit ainsi un registre qui englobe la religion et la politique, l’humain et le divin, qui va de la folie d’Ajax aux mensonges d’Ulysse (car il était aussi menteur, c’était un de ses moyens de célébrer la vérité). Il ne reste qu’à prendre conscience des ressources que le langage met en œuvre et des effets qu’il obtient. C’est le fait des Sophistes. Gorgias écrit notamment VÉloge d’Hélène, qui se réfère à Homère et à l’esprit tragique et qui, devant les échecs d’une noétique réduite au scepticisme, affirme la toute-puissance de la beauté. Le vrai n’est rien, c’est elle qui persuade par la séduction. Au demeurant, le beau lui-même suit l’opinion autant qu’il la suscite. Corax et Tisias, qui avaient été en Sicile les précurseurs et les maîtres de Gorgias, sont les premiers à mettre en œuvre une rhétorique du pour et du contre, qui exploite les apories de la logique et qui inter­ vient dans les conflits de choit et de politique. L’un donnait des leçons

l. Sur la rhétorique antique, nous ajouterons à nos indications bibliographiques : A. D. Lecman, Orationis ratio. The Stylistics Theories and Practice of the Roman Orators, Historians and Philosophers, Amsterdam, 1963 ; Alain Michel, Rhétorique et philosophie chez Cicéron. Essai sur les fondements philoso­ phiques de Part de persuader, Paris, 1960.

d’éloquence ; son élève ne veut pas le payer : s’il gagne son procès, il ne paiera pas, et s’il perd, non plus, puisque les leçons auront été inu­ tiles. Mais le maître répond sur le même ton : s’il gagne son procès, il doit être payé, et s’il le perd, aussi, puisque ses leçons d’éloquence auront été efficaces. Toutes les bases d’un enseignement futur de la rhétorique sont désormais établies. Les Sophistes enseignent la relativité du vraisem­ blable, qui peut se mettre au service des causes contraires. Gorgias découvre et multiplie les figures de style. H n’ignore pas le pathétique, qui est lié à une philosophie du désir, du plaisir et de la peine et que Thrasymaque développe. Hippias met l’accent sur la pratique et sur l’utilité d’une formation encyclopédique. On observe une seule absence : celle de la vérité, dont tous ont besoin cependant, ne serait-ce que pour parler du beau. Alors vien­ nent Socrate et Platon. Us s’opposent vivement aux Sophistes, et l’on pourrait penser au premier abord qu’ils rejettent en même temps la rhétorique, qui leur est étroitement liée. Mais ils sont loin d’un tel simplisme. Ils aiment trop le langage et la beauté. Platon écrit le Phèdre pour la concilier avec les exigences du vrai, dont elle est, dit-il, la « splendeur ». A la rhétorique, il tend à substituer la dialectique, c’est-à-dire la recherche par le dialogue d’un idéal qui n’est ni fictif ni abstrait, mais qui est la source concrète et absolue du vrai. Cette méthode de pensée cherche dans l’apparence qu’elle critique et qu’elle dépasse les exigences essentielles de l’idée. Parfois, la parole se trouve impuissante devant l’ineffable. Platon recourt alors au mythe : il propose, de manière symbolique, des stimulations incantatoires et des images mystérieuses, qui nous conduisent au-delà d’elles-mêmes. L’allégorie de la caverne ou celle de l’amour procèdent ainsi. Précisé­ ment, Platon parle de l’amour plutôt que du désir, sur lequel Gorgias s’arrêtait. Il y trouve une double exigence de lumière et d’élévation (qu’on songe au Phèdre et au Banquet) et il jette ainsi les bases de la doctrine du sublime qui aura tant d’importance dans toute l’histoire de la culture. La rhétorique ne s’oppose donc pas à la philosophie, comme l’ont cru dès l’Antiquité beaucoup de lecteurs inattentifs. Là comme ail­ leurs, Platon demande le dialogue plutôt que la rupture. Il place la philosophie à la source de la rhétorique parce qu’on ne peut sans elle approcher le vrai ou le beau ; dès lors il est amené à sélectionner et à purifier ses procédés, à les transformer parfois. Isocrate avait commencé à le faire et l’auteur du Phèdre fondait sur lui des espérances. L’orateur restait très attentif aux leçons de Gor­ gias, dont il tempérait l’audace par le classicisme du style et par la

confiance politique dans le bon sens. Il reprenait VÉloge d'Hélène pour en faire une allégorie des vertus d’Athènes. La leçon de Platon sera reprise avec plus de force par Aristote. Certes, celui-ci se veut infidèle à son maître sur des points impor­ tants. Sa doctrine de la dialectique ne s’appuie plus sur la théorie des idées. Elle procède largement de la connaissance des « topiques », c’est-à-dire des lieux communs, que les Sophistes avaient d’abord explorés et mis en lumière. Les arguments les plus efficaces reposent souvent sur les opinions les plus largement partagées par le vulgaire. On peut reprocher à la rhétorique de tendre ainsi vers la banalité. Mais on peut aussi penser, comme beaucoup de chercheurs récents (Dupréel, Perelman), qu’elle découvre avec les Sophistes et Aristote l’un des aspects majeurs de sa vocation : préparer les conquêtes de la socio­ logie moderne, dépasser le pur rationalisme, découvrir les langages et les pouvoirs des mentalités. Il faut se hâter d’ajouter qu’Aristote ne se limite pas à la dialectique ainsi entendue, qui ne traite que du vraisem­ blable et de ses ambiguïtés. Il écrit aussi les Analytiques, qui sont une théorie de la preuve et qui s’appuient sur le formalisme des syllogismes, c’est-à-dire sur la distinction scientifique du particulier et du général. Mais la Physique, la Métaphysique nous enseignent que la réflexion sur l’être remplace avec beaucoup de force chez le maître du Lycée la quête platonicienne des idées. D’autre part, les nombreuses recherches sur les animaux attestent la place que tient la nature chez le Stagirite, tandis que ses traités de politique manifestent un puissant effort pour rationaliser l’étude des données sociales et des mentalités. Aristote n’est pas un sceptique, mais il sait apporter à l’étude de l’être et du vrai toute la souplesse et la variété qui appartiennent à la nature. Nous écartons-nous ici de notre sujet ? On pourrait le croire mais il n’en est rien. La Poétique et la Rhétorique nous le prouvent. On notera d’abord qu’Aristote, tout en les distinguant, marque fortement leurs points com­ muns. Il prépare ainsi l’assimilation que nos contemporains tendent à établir entre les deux disciplines. L’une et l’autre relèvent du « faire » (poiein), de ce qu’on appelle aujourd’hui improprement la création et qui est distinct de la « pratique » (prattein, praxis). Le langage est en cause, notamment dans ses figures. La philosophie intervient donc de même manière dans les deux domaines et on ne peut en faire abstrac­ tion, quoi qu’en pensent beaucoup de critiques. Certes, elle ne vient pas seule. Aristote, après Isocrate, reprend les principaux enseigne­ ments des Sophistes relativement à la dialectique proprement dite (l’art de la discussion, non de la preuve). Mais il le fait entrer dans le cadre de la logique. Il définit l’enthymème, qui est un syllogisme dialectique

et ne conduit donc qu’au vraisemblable. Il commence à montrer par quels moyens on peut passer du particulier au général. Méditant sur les passions, qui interviennent dans le pathétique et qu’il rencontrait aussi dans sa réflexion sur la poésie, il les fait entrer dans sa morale du juste milieu et de la tension dans la rigueur. Il voit en elles les mouvements naturels chercher l’accord avec la raison, soit que la musique y intro­ duise la douceur de son harmonie, soit que certaines d’entre elles (la pitié et la crainte) viennent « purifier » les autres : c’est la théorie de la catharsis. Surtout, Aristote insiste sur une distinction décisive qui va dominer tout l’enseignement ultérieur de la rhétorique. П distingue les choses et les mots, l’invention et l’expression. A cette dernière, qui joue un très grand rôle dans la Poétique, il consacre le troisième et dernier livre de la Rhétorique. Il y reprend en les rationalisant les découvertes des Sophistes sur les qualités du style et sur les tropes (métaphore, hypallage) et les figures. La réflexion sur l’esthétique rejoint ainsi la théorie du langage (nature, coutume, propriété, convenance, convention). Nous disions qu’il est difficile d’écarter les noms de Platon et d’Aristote de toute étude sur le langage et sur l’éducation. Ce qui pré­ cède le prouve. Ils ont posé les questions dont aucun praticien de la litté­ rature ne peut se dispenser. Ils ont insisté à la fois sur le rôle et les apports de la rhétorique et de la philosophie, ou aussi de la dialectique et de la logique. Ds ont distingué le vrai et le beau, mais suggéré aussi que l’un est le reflet, la splendeur de l’autre, et qu’on ne peut donc les sépa­ rer, même s’il faut les distinguer. Ils ont réfléchi sur le langage, sur ses sources, idéal, nature ou convention. Bien sur, ils donnaient des réponses différentes. Il appartenait à leurs successeurs de choisir entre elles ou de les prolonger. Mais ils ont fondé la problématique et prouvé qu’on ne pouvait en réduire l’étendue. A ce propos, nous allons rencontrer un troisième nom, qui n’est pas séparable des leurs : celui de Cicéron. Entre le Stagirite et l’Arpinate, plus de trois siècles ont passé. Les rhéteurs ont progressivement stylisé ou systématisé les enseignements dans lesquels Platon et Aristote avaient mis toute leur souplesse. Us ont rencontré de nouvelles sectes philosophiques qui ont pu les influencer. Mais ils se sont aussi heurtés à elles parce que les diverses disciplines se disputaient le monopole de l’éducation. La rhétorique tendait ainsi à proclamer son autonomie sans revenir à la sophistique. Parmi les maî­ tres, peu de noms ont véritablement surnagé. Le principal est celui d’Hermagoras de Temnos qui, au IIe siècle, a joué un grand rôle dans l’élaboration de la théorie des états de cause. Cicéron et les rhéteurs ultérieurs la reprendront en la nuançant et elle survivra jusqu’à la fin du XIXe siècle dans les enseignements de rhétorique. Elle est quelque

peu oubliée aujourd’hui par la « rhétorique restreinte ». Elle concerne, comme on sait, dans le cadre de l’invention, l’art de définir et de poser les questions. L’objet du débat peut être particulier ou général ; le défendeur peut nier le fait, sa définition, sa qualité (notamment lors­ qu’il s’agit du droit). Une manière si claire de préciser les raisons de la discussion peut beaucoup pour éliminer les sophismes. En même temps la théorie des tropes et des figures, préparée par Aristote, prend forme, comme l’atteste la Rhétorique à Hérennius, parue au début du Ier siècle, et dont l’attribution reste hypothétique (l’auteur n’est pas Cicéron mais a dû suivre avec lui les cours de l’école rhodienne d’éloquence). En tout cas, les différents enseignements qui sont ainsi reproduits montrent que la discipline qu’Aristote avait constituée et que ses successeurs (comme l’auteur de la Rhétorique à Alexandre‘) avaient précisée prend maintenant la forme de manuels méthodiques et autonomes où certaines nuances sont inspirées parfois par les doctrines récentes des philosophes12. Cicéron arrive. Toute sa vie se trouve placée sous le signe de l’éloquence. D lui doit ses succès politiques, elle est la seule arme dont il puisse véritablement se servir pour défendre les valeurs de paix et de liberté qui lui sont chères ; c’est en elle et par elle qu’il pense se rappro­ cher de la vérité et de la beauté. Nous n’avons pas besoin de détailler ici sa doctrine. Elle résulte, dans l’ensemble, de la tradition platonicienne et aristotélicienne que nous venons de décrire. La réussite de l’auteur sera exceptionnelle et son influence dominera désormais l’histoire de la rhétorique. Un tel succès s’explique d’abord par le talent personnel de l’orateur et par les conditions de son activité politique. П a voulu agir en défendant le droit et la liberté et il n’avait d’autre arme que la parole. Il expose et développe sa doctrine d’abord dans le De inuentione, deux livres rédigés vers 86, puis dans les trois livres du De oratore (55), et de nouveau dans le Brutus et V Orator (46), enfin, avant sa mort (43), dans le De optimo genere oratorum, les Partitions oratoires et les Topiques. Partout, l’éclectisme de l’Académie permet d’apporter à l’Aristotélisme, nuancé déjà par les 1. Ce traité, qu’on a parfois attribué à Aristote, est plus vraisemblablement d’Anaximéne de Lampsaquc. 2. Ainsi se développent et s’organisent une série de notions que Cicéron et Quintilien reprendront, en leur donnant leur forme la plus connue. Citons les fins de l’éloquence (persuader ou bien parler) ; les devoirs de l’orateur (prouver, plaire, émouvoir) ; les genres de l’éloquence (elle peut être judiciaire, délibérative, épidictiquc) ; les parties du discours (cxordc, division, narration, preuve et confirmation, récapitulation, péroraison) ; les parties de l’éloquence (invention, expres­ sion, disposition, action, mémoire) ; les vertus de l’expression (clarté et pureté, qui forment ensemble l’élégance, omatus, qui comprend l’art d’amplifier par les lieux communs et les idées générales, grâce à la convenance accordée tout ensemble à l’idéal et au naturel). L’Arpinate, mieux que tout autre, montrera comment on peut distinguer et utiliser ces notions tout en conser­ vant assez de souplesse et de liberté pour ne pas tomber dans l’abstraction scolastique.

recherches de l’époque hellénistique, une touche originale et décisive de Platonisme. Nous nous bornerons à le montrer sur quelques points essentiels : la culture de l’orateur et les fins qu’il se propose ; la concep­ tion de l’éducation qui en résulte ; les méthodes qu’elle implique. Dans chacun de ces domaines, Cicéron n’a cessé d’être l’un des principaux maîtres ; il le reste pour la modernité. Aristote, comme Platon, affirmait que la philosophie jouait un rôle essentiel dans la formation des hommes. Cet humanisme est renforcé chez Cicéron par la tradition stoïcienne. Homo sum, humani nil a me alienum puto, disait déjà Térence, si proche de Panétius. Dans le débat qui oppose philosophes et rhéteurs, Cicéron prend donc d’abord parti pour la conciliation. En 45, dans YHortensius, й affirmera même une certaine primauté de la philosophie. Elle domine l’art de l’invention, qui porte sur la découverte des contenus de pensée. L’expression (dictio, elocutio) dépend plutôt de la rhétorique, mais les philosophes ont évidemment leur mot à dire sur le beau. Ils peuvent donc dialoguer avec les Sophis­ tes et les rhéteurs. L’enseignement littéraire implique la philosophie, qui se trouve à la fois à sa source et à son sommet. Mais il faut aussi que la parole, le langage et le style soient étudiés en eux-mêmes. Ainsi se trouve dessinée une image de la culture qui reste dominante aujourd’hui. C’est pour une grande part par la faute de Cicéron qu’on enseigne de nos jours la philosophie en terminale. Certes, les sciences jouent aujourd’hui un plus grand rôle. A cet égard, Cicéron apparaît en retrait par rapport à Platon. Mais il faut noter qu’elles restaient pré­ sentes à l’intérieur de la philosophie, par l’intermédiaire de la logique et de la physique (ou étude de la nature). D’autre part, à la rhétorique et à la philosophie, l’Arpinate voulait ajouter ce qui concerne la cité et que nous appelons, sous son influence, les sciences de l’homme : l’histoire et le droit (notre « sociologie » entrait dans la philosophie politique). En somme, par rapport à la postérité, il présentait des exi­ gences fondamentalement créatrices et fécondes, mais plus larges que les nôtres. La réflexion sur la rhétorique reprenait donc en l’approfondissant la conception aristotélicienne de l’encyclopédie, qui accomplissait elle-même les vœux des Sophistes tout en les ordonnant. Mais où se manifeste donc l’influence de Platon, qui, en fin de compte, donne à la doctrine cicéronienne son originalité majeure ? Elle apparaît de deux façons, par le doute et par l’idéal. Ils sont incarnés par les deux princi­ paux interlocuteurs du dialogue De oratore, Antoine et Crassus. Le pre­ mier souligne que la rhétorique n’est pas une science certaine, qu’elle ne mérite pas le nom d’art, au sens technique du terme, et ne constitue qu’une pratique, une facultas, un ensemble d’opiniones vraisemblables et

régies par l’expérience. Cela coïncidait avec les tendances de la Nou­ velle Académie, que Carnéade de Cyréne avait dirigée au ÏTC siècle et qui ne gardait du Platonisme que le souci de dégager le probable dans l’apparence en la critiquant. Mais Crassus rejoignait le Platonisme par l’idéal et Cicéron le suivait à son compte dans Y Orator, 7 sq. Si l’on veut chercher un modèle pour l’éloquence, il faut le chercher dans l’idéal, dans l’idée platonicienne. C’est elle que tout artiste véritable a devant les yeux. Déjà, dans sa jeunesse, l’auteur du De inuentione (II, 1, 1 sq.) avait évoqué la légende de Zeuxis, auquel les habitants de Crotone avaient demandé de faire le portrait d’Hélène. Nous voyons que nous partons des éloges sophistiques. Zeuxis n’avait pas choisi un seul modèle. П avait cherché à concilier les beautés des cinq plus belles filles de la ville. Le problème était d’établir une convenance entre leurs diffé­ rents types. L'Orator (7 sq.) trouvait une solution dans la théorie des idées, alors qu’Aristote se contentait d’imiter la nature. Pour l’Arpinate, il fallait s’élever au-dessus d’elle. On mesure l’influence historique d’une telle doctrine quand on songe par exemple à l’histoire d’rà, que Panofsky a retracée. Il faut imiter l’idéal autant et plus que la nature, dont l’Aristotélisme se contentait. Cela dit, la nature garde ses droits. Elle invite notamment à la modestie. L’idéal ne doit pas conduire au dogmatisme et au fanatisme qui est son compagnon. De là une attitude pédagogique remarquable­ ment féconde. Cicéron explique qu’on peut concevoir de deux maniè­ res la réussite de l’orateur. Il peut se vouloir eloquens, c’est-à-dire viser l’éloquence parfaite et idéale. Telle est la démarche de Crassus, qui a les préférences de Cicéron. Mais il peut aussi se contenter de possibili­ tés plus limitées, qui lui permettent de se montrer persuasif dans le commun des affaires. Il lui suffira dès lors d’être qualifié de disertus. Antoine rappelle dans le dialogue (I, 94) que cette attitude était préco­ nisée par Г Académicien Charmadas. Cicéron met ainsi l’accent sur l’un des traits psychologiques fondamentaux de tout éducateur. Chaque maître sait qu’il doit être à la fois exigeant et humble, chercher le meil­ leur et comprendre le possible sans jamais s’y limiter entièrement. La connaissance de l’idéal est une connaissance d’amour : elle est donc à la fois rigueur et tolérance. Les deux buts s’impliquent mutuellement. Si la pédagogie repose sur de tels principes, on comprend qu’elle appelle des méthodes originales. Cicéron a le choix entre deux prati­ ques : l’une repose sur les manuels, que l’époque hellénistique a mis en forme. L’autre, qui est plus marquée par la philosophie, s’appuie sur le dialogue. Là encore, il s’agit d’un débat qui ne cessera de renaître dans la pédagogie, jusqu’à notre temps. Cicéron a été le seul, dans l’histoire de la littérature, à combiner parfaitement les deux

genres. Le De oratore accorde d’une manière unique la volonté de transmettre le savoir en forme de préceptes et de le vivre dans la liberté créatrice de la discussion. Ainsi s’élabore une œuvre d’une portée exceptionnelle, dont les lec­ teurs de ce livre rencontreront sans cesse les échos. Elle accorde dans la culture générale, qu’elle ordonne selon les principes sans tomber dans les détails, la rhétorique et la philosophie ; elle marie l’idéal et le réel dans la liberté de l’humain ; elle sait que ni la contemplation, ni l’action, ni l’éducation ne peuvent réussir sans la présence et la connaissance de la beauté et que celle-ci doit se déployer dans toutes ses dimensions (force, douceur, pathétique, transparence attique, ampleur des Asianistes, mordant de Démosthène)1 pour atteindre à la grandeur. La synthèse cicéronienne combine selon les exigences de la liberté romaine et du mos maiorum1 2 les enseignements de la pensée grecque. Elle pose ou rencontre beaucoup de questions et favorise de nouveaux développements qui dominent la littérature d’époque impériale et que nous évoquerons brièvement. Ils portent d’abord sur la poétique et la déclamation. Ils s’attachent à la question du sublime. Enfin, on assiste à la renaissance de la Sophistique et à son nouveau dialogue avec la philosophie. Horace écrit VÉpître aux Pisons vers 15 av. J.-C. : la question des rap­ ports entre la poétique et la rhétorique reparaît dans cette grande œuvre. Le Pro Archia de Cicéron y avait touché en revenant aux Pytha­ goriciens et à l'Ion de Platon. La création littéraire dépendait de l’inspiration divine. Mais Platon critiquait ce qu’une telle expérience avait d’irrationnel. Au contraire, Cicéron l’accorde à l’ensemble de la 1. Cicéron annonce de façon précise les réflexions sur les « genres de style » ou les « idées du discours » que nous retrouverons dans les siècles suivants. Mais, comme nous l’avons déjà suggéré, il les intègre dans une culture générale et rejette de ce fait toute « rhétorique restreinte » (du moins dans l’idéal). Donc, il distingue et combine à la fois la rhétorique proprement dite, relative à la création littéraire et à la persuasion par le langage, et la critique, qui, à partir de l’analyse sty­ listique, historique, sociologique, détermine les qualités respectives des différents discours et de leurs auteurs. C’est ainsi qu’il assure ensemble les places de la beauté, de la vérité et de l’émotion. Leur rencontre harmonieuse produit la véritable éloquence, qui est Voratio grandis. La critique est donc inséparable de l’éducation rhétorique. Elle lui permet d’accomplir son principal exercice, qui est Vimitatio, dont elle détermine les modèles et les méthodes. Il devient ainsi possible d’établir un accord et une conciliation unifiante entre l’Atticisme et l’Asianisme. Entre la sèche transparence de Lysias et l’ampleur un peu molle d’Isocratc, on peut irouver la forte passion de Démosthène et son élévation. 2. Nous y insistions en commençant et il faut y revenir. L’éloquence de Cicéron est liée à la situation temporelle et gouverne à son tour les interprétations et les choix qu’il accomplit en face de l’enseignement des rhéteurs. Là interviennent l’analyse sociologique et la philosophie politique. Dans le cadre du présent livre, nous ne pouvons nous y attacher de manière détaillée. Nous vou­ lons seulement souligner que la sociologie toute seule ne suffit pas, contrairement à ce que croient trop de gens. Les Anciens montrent toujours qu’elle implique une réflexion sur les principes philo­ sophiques de la politique, de l’esthétique et de la connaissance.

culture littéraire. Horace, qui subit la double influence d’Aristote et des Épicuriens, préfère insister sur la nature et sur le vraisemblable. S’il rejoint l’idéal, c’est par la perfection du travail et par la grâce de la iunctura. Nul besoin de catharsis, au sens aristotélicien. C’est la poésie même qui est pure et qui purifie par sa pureté. Les rhéteurs appellent pureté la correction jointe à la clarté. Tel est le but des Atticistes et des poetae noui inspirés par l’Alexandrinisme. Horace les suit. Mais il veut conserver l’austérité des anciens Romains et leur sens du réel. Tout cela s’est imprimé dans leur langage, disons dans le « bon usage », qui vient donc s’accorder avec l’élégance et compléter les exigences de la juste grâce. Toutes ces notions appartiennent à la rhétorique du style et viennent en quelque façon apporter une purification « classique » à la doctrine des Alexandrins et même de Cicéron. On remarque qu’Horace supprime toute allusion aux tropes et aux figures. Les théo­ riciens de la Renaissance, tel Vida, ont voulu le corriger sur ce point. Mais Boileau ne les a pas suivis. П savait bien que le choix d’Horace était concerté et qu’il voulait s’en tenir au naturel et à la simplicité. La démarche de la déclamation, qui a existé en Grèce et à Rome, après Asinius Pollion, dès la fin du règne d’Auguste, semble aller en sens inverse et encourager en quelque façon une efflorescence baroque de l’imagination et du style. Comme l’éloquence judiciaire et politique a perdu à la fois son prestige et sa liberté, la rhétorique devient l’instrument d’exercices scolaires et littéraires, dans lesquels le réel recule au profit d’une libération de l’imaginaire. Les Classiques, à toutes épo­ ques, s’en sont grandement offusqués. Ils n’appréciaient pas la pratique des suasoriae (où l’orateur essayait, par l’imitation et la prosopopée, de se mettre à la place d’un personnage de l’histoire ou de la mythologie) et des controuersiae (causes fictives qui mettaient en présence des devoirs ou des lois contradictoires : le fils du tyran a tué son père). De tels exercices semblaient contraires au devoir de vérité, de naturel et de sincérité. Pourtant, ils eurent une grande fécondité littéraire et même politique. La confrontation des lois contradictoires aboutissait bien souvent à compa­ rer le pouvoir légal et la tyrannie. Mais surtout ils favorisaient l’enseignement de la création et la formation du style. Nous avons gardé de Sénèque le Père un recueil de controverses et de suasoires. Nous voyons que les déclamateurs prêchaient par l’exemple : ils donnaient des modèles, non des règles, qu’ils se contentaient de trouver dans les manuels. Ils insistaient sur trois points : le plan ou « division » des plai­ doiries ; l’art de la sentence ou du trait ; les « couleurs ». Dans tous les cas, il s’agissait de montrer comment le mouvement donné à la matière même pouvait modifier le sens par la manière de l’appréhender. Cela est bien évident quand il s’agit du plan. L’art d’abréger et de concentrer la

pensée est lui aussi essentiel : il s’accordait au désir de plénitude et de sobriété qui a toujours été fort dans la tradition romaine. Les sententiae, qui ne dominaient pas dans le style de Cicéron, régneront de Sénèque le Philosophe à Tacite. Mais ce sont surtout les « couleurs » qui méritent l’intérêt. Par la manière de présenter les choses, elles en changent la portée. Elles peuvent y parvenir par un simple trait ; voyez Sénèque : « Aimer, c’est avoir quelqu’un pour qui mourir. » Nous comprenons du même coup que l’amour est différent du plaisir. L’amplification, les ima­ ges filées peuvent arriver à des résultats analogues. Ici encore, nous trou­ vons aisément des exemples modernes : le rewriting des journalistes, qui ajoute des images pour captiver le lecteur, n’est rien d’autre. Ils ne sont pas les seuls concernés. Victor Hugo, qui a dû beaucoup lire Sénèque et Lucain, n’écrit pas platement que Napoléon est devenu empereur en 1804. Mais il propose les vers célèbres : Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte. Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte.

Par là même, il fait comprendre qu’il n’aime pas le pouvoir impérial. La déclamation, dont les moyens paraissent déjà chez Virgile et vont se déployer chez Ovide, Sénèque et Lucain ou Stace, jouera donc un rôle important dans le progrès de la création. Jusqu’au début de notre siècle, elle encouragera certaines formes d’exercices littéraires. Elle aidera l’imagination romantique à passer dans le langage. Surtout à la Renaissance, elle contribuera à la mode du concetto qui consiste à orner le texte non seulement par les figures, mais encore par les pensées mêmes et par leur tonalité. Une telle rencontre des figures et de la tonalité pose notamment le problème de la noblesse ou de la grandeur. Il intéresse beaucoup les théoriciens depuis le temps d’Auguste. Nous avons dit que Cicéron la cherchait. Mais elle était liée pour lui à la liberté de Démosthène et au pathétique qu’impliquait l’humanisme. Il suffit de voir les statues qui représentent Auguste pour comprendre qu’il ne trouve pas en lui les raisons d’une telle esthétique. П offre le modèle d’une beauté pure et serrée, d’une autorité froide. On ne s’étonnera pas de constater que, sur les traces de César, son père adoptif, il se tourne vers l’Atticisme. Mais Tibère, son successeur, qui affecte plus ou moins sincèrement de rester fidèle à la liberté pompéienne et qui a longtemps vécu à Rhodes, semble s’inspirer de l’esthétique qui fut en honneur dans cette île et que respectent les sculptures de sa villa italienne de Sperlonga. Le pathétique s’y trouve réintroduit dans l’Atticisme. Les deux tendances ne cessent de dialoguer dans la littérature du temps. On s’en aperçoit par exemple en lisant Catulle ou Virgile.

Ovide se servira de la déclamation pour trouver des solutions origina­ les, qui lui permettent de rejoindre l’Alexandrinisme tout en donnant plus de transparence à sa virtuosité. De leur côté, les rhéteurs grecs essaient de préciser ou de concilier les nuances qui se trouvent en jeu. C’est alors que Rome trouve définitivement le style qui renaîtra avec tant de beauté au XV* et au XVIe siècle. Le classicisme et le baroque, la sobriété et la profusion s’y mêlent avec une admirable convenance. Les rhéteurs grecs Apollodore et Théodore semblent avoir traduit les ten­ dances dominantes, l’un plus proche de la noblesse attique, l’autre du pathétique. Caecilius de Calé-Acté a médité sur les passions. De ces auteurs, nous n’avons plus que des fragments ou des citations. Denys d’Halicamasse nous a laissé une œuvre copieuse et importante. Dans sa langue, qui est le grec, il distingue avec attention les différents types de styles et les tonalités ou « harmonies » qui les caractérisent. De fait, il s’intéresse particulièrement à la musique des mots, comme l’atteste son traité sur la synthesis (compositio en latin). Cicéron s’était déjà intéressé à la concinnitas. Denys est plus précis encore et nous renseigne sur ce qu’on pourrait appeler l’oreille des anciens Grecs. Mais il ne se limite pas aux aspects sensibles de la musique des textes. Il examine aussi la tonalité des sentiments et, si l’on peut dire, leur hauteur. On l’a quelque peu oublié depuis la fin du XIXe siècle, et c’est seulement dans les dernières années qu’une édition moderne a paru dans la Collection des Universités de France (G. Aujac). On comprend que Denys ait fas­ ciné Nietzsche, même s’il arrivait à des conclusions bien différentes. П étudiait les formes stylistiques de la grandeur : délire, enthousiasme, figures, difficulté. Le style bas ou sobre, propre aux émules de Lysias (mais non à FAtticisme très particulier de Thucydide), employa les moyens opposés. Denys, bien différent en cela de Cicéron ou de Nietzsche, préconisait une harmonie moyenne et mixte. Le traité Du sublime, du Pseudo-Longin, peut être placé à la fin de la même période (à nos yeux, peu après Néron). La problématique qu’il évoque traduit en tout cas les questions de ce temps. Mais, dans ce livre admirable, dont l’influence sera fondamentale dès qu’il aura été redécouvert, au milieu du XVIe siècle, l’auteur propose des solutions ori­ ginales. A la grandeur (megaloprepeia), il substitue le sublime (hypsos, élé­ vation). La tradition qui se trouve ainsi mise en valeur vient de Platon. Elle reçoit des Stoïciens des éléments importants, qui procèdent notam­ ment de la théorie de la grandeur d’âme. Car « le sublime est l’écho d’une grande âme ». Une telle grandeur réside dans la supériorité : c’est pourquoi elle se confond avec Vhypselon platonicien. Elle se rat­ tache à un type d’intuition qui relève de l’inspiration, à l’enthousiasme et à l’« extase », qui implique donc la transcendance (et non seulement

l’immanence stoïcienne), mais qui découvre dans la phantasia l’évidence simple de l’être, à quoi avaient cru le Portique et le Lycée1. On voit que la doctrine ainsi dessinée accorde dans sa complexité et dans son élan toutes les vertus du néo-platonisme, naissant ou déjà constitué. Un tel mouvement spirituel implique une double réflexion sur le langage, qui se prolongera chaque fois que les poètes réfléchiront sur leurs rap­ ports avec le sacré. D’une part, l’intuition du sublime est entièrement pure et directe. Elle implique donc les mots les plus transparents et les plus simples. D’autre part, pour atteindre une telle intensité, elle doit bien souvent traverser l’ineffable. Les figures l’y aident, à condition d’être sélectionnées et utilisées selon les exigences que nous avons rap­ pelées : les mystiques se rappelleront qu’il existe des noms de Dieu et des figures du sacré. Mais qu’en est-il des autres rhéteurs ? Ils ne citent guère le sublime, si l’on excepte Quintilien, qui emploie le premier le mot latin dans le sens que nous reconnaissons ici. Us s’attachent plutôt, comme Aelius Théon, à classer les exercices préparatoires (la sentence, la chrie, la loi, la thèse, etc.) : ils sont longtemps restés en usage, on connaît encore beaucoup d’entre eux. Quintilien saupoudre de déclamation une doc­ trine fermement cicéronienne et enveloppe le tout dans les solides structures d’un manuel en 12 livres. Son originalité est triple: il se comporte en éducateur véritable, puisqu’il s’adresse aux adolescents et non aux adultes ; cherchant la certitude, il se rapproche des Stoïciens et de leur conception des fins : l’orateur véritable est celui qui « parle bien » (l’efficacité persuasive lui sera donnée par surcroît) ; enfin et sur­ tout, les rapports de la rhétorique et de la philosophie sont conçus de façon originale. Quintilien écrit au temps de Vespasien et de Domitien, alors que les philosophes ont tendance à s’écarter des affaires pour marquer face aux mauvais princes leur liberté intérieure et leur refus de toute complicité extérieure. Quintilien leur reproche cette absten­ tion. H croit sans doute, comme Cicéron, que la rhétorique doit s’inspirer de la philosophie. Mais il félicite les orateurs de participer à l’action politique et de s’engager ainsi dans une coopération avec le pouvoir. La réflexion morale et politique domine donc dans cette période la pensée romaine sur éloquence et rhétorique. Elle se combine avec les recherches esthétiques dont nous avons parlé. Déjà, sous Tibère, Cali­ gula, Claude et Néron, Sénèque s’en était avisé. Il avait développé une doctrine très proche du sublime, qu’il fondait sur l’inspiration de la 1. V. à ce sujet la récente édition du traité Du sublime donnée par Jackie Pigcaud et son commentaire.

conscience, intérieure à notre être comme le sacré l’est à la nature (cf. Ad Lucilium, 41). Comme le Pseudo-Longin (sans doute juste avant lui), il mettait en œuvre toutes les figures, mais il était bien moins atticiste et utilisait surtout les techniques de la déclamation, que son père avait enseignées. On aboutissait à une éloquence tendue et serrée qui annonçait le baroque et le classicisme, Juste Lipse et Pascal : la raison conduisait à l’amour, le cœur était la voix de la sagesse. Il n’existait pas de discours sur l’absolu sans référence à la beauté. Pour cette raison, Sénèque fut poète : il écrivit des tragédies où la véhémence du baroque se marie à l’âpre rigueur de l’analyse spirituelle. Mais le dialogue philo­ sophique, qui devenait essentiellement interrogation ou direction de la conscience, obéissait aux mêmes lois. On retrouve les mêmes exigences dans les autres genres littéraires. Avec Perse, Juvénal et même Martial, la satire réalise une semblable synthèse entre morale et esthétique. Le réalisme répond à l’indignation et devient une forme inversée du sublime. L’histoire suit le même che­ min. On arrive au Dialogue des orateurs, qu’il faut assurément attribuer à Tacite, malgré les objections non fondées de Juste Lipse. Cet ouvrage, qui date à peu près de 105, réalise une admirable synthèse de toutes les tendances que nous avons détaillées. Réfléchis­ sant de manière historique sur les causes de la décadence de l’éloquence, il doit sans doute beaucoup à l’enseignement de Quintilien. Affirmant le primat de la pureté morale et religieuse, qui exige une certaine solitude liée au détachement vis-à-vis de la vie mondaine et politique, il proclame la valeur éminente de la poétique, entendue dans le sens où la prend Virgile, et il rejoint, après Sénèque ou d’abord Platon, les plus hautes exigences du sublime ; enfin, tout en prenant ses distances à l’égard des affaires, il rappelle que tout dépend du prince ; lui seul peut assurer la paix des esprits, qui rend inutiles les aspects guerriers de l’éloquence. Mais si l’empereur se fait tyran, la parole, qui est libre par essence et qui peut et doit représenter la pureté, va nécessairement dénoncer la tyrannie, comme on l’a vu au temps de Néron dans les œuvres dramatiques de Matemus, le princi­ pal interlocuteur du Dialogue (il est vrai qu’une telle attitude lui a peut-être coûté la vie ; il est d’autant plus significatif que Tacite l’ait pris pour exemple). Nous sommes sans doute ici au point le plus haut de la réflexion antique sur l’éloquence. Tacite est le dernier des grands écrivains clas­ siques. Il est le plus grand parmi les héritiers créateurs. Il réunit en son art les leçons de Cicéron et de Virgile, de Sénèque et du Pseu­ do-Longin, de la rhétorique et de la politique, de la philosophie et de la religion. Il médite sur l’éducation avec une ampleur exceptionnelle en

montrant que les causes de ses échecs sont nombreuses : paresse de la jeunesse, négligence des parents, ignorance des maîtres, oubli du mos antiquus, qui est à la fois morale et tradition. On ne doit pas s’étonner de voir que l’œuvre de Tacite est si belle. П disposait de tous les moyens pour la réaliser. On se le représente sou­ vent comme un écrivain désespéré devant la décadence. Cela est par­ tiellement vrai parce qu’il voit la laideur. Mais il y a aussi en lui une grande force d’espérance, parce qu’il connaît la beauté. Elle va encore s’épanouir au 1Г et au 11Г siècle. Nous aurons à terminer par là nos observations sur la rhétorique antique. On avait commencé par la sophistique. On finit par elle. Elle ne s’est jamais interrompue en Grèce et elle a maintenu son alliance avec la rhétorique. La « Seconde Sophistique » s’épanouit au 1Г siècle apr. J.-C. Elle semble hésiter entre deux tendances qui s’accordent en réalité. D’une part, elle critique la philosophie. Aelius Aristide écrit son discours Contre Platon. De fait, la méthode des rhéteurs est essentielle­ ment oratoire. Us utilisent les lieux communs qui résultent des opinions généralement reçues et qui se traduisent par exemple dans le roman grec, qui prend alors toute son importance. Mais une telle manière de sentir les distingue fortement des contemporains de Gorgias. Ils ne pro­ fessent pas le scepticisme, qui existe assurément en leur temps mais qui n’apparaît que chez les philosophes, Académiciens ou Empiriques (ils ont tendance à se rapprocher, quelles que soient leurs différences). Au contraire, des hommes comme Aelius Aristide et, plus tard, Philostrate, l’auteur des Vies des sophistes, essaient plutôt de montrer qu’ils peuvent retourner contre les philosophes leurs propres arguments et les égaler ou les battre sur leur terrain. Ils prêchent donc surtout l’alliance ou la synthèse de la rhétorique et de la philosophie. Les solutions de Cicéron ne sont pas si loin. En langue latine, Aulu-Gelle en est conscient, ainsi que Fronton, maître de Marc Aurèle. Mais celui-ci se montrera réticent envers l’éloquence d’apparat. Il lui préfère, comme on sait, la maxime, qui relève aussi de la rhétorique mais cherche à la purifier. Les rhéteurs proprement dits connaissent à ce moment le suprême accomplissement de leur discipline. Hermogène de Tarse en est le représentant le plus complet. Dans la forme stricte du manuel savant, il reprend en grec toutes les principales leçons que l’Antiquité avait for­ mulées. Il ne se réfère pas à la philosophie, sauf lorsqu’il décrit de manière favorable le style de Platon. On constate qu’il ne parle pas du sublime alors qu’il évoque volontiers la grandeur. Michel Patillon, qui publie actuellement les principaux travaux sur cet auteur, a montré ce qui en fait l’originalité. On peut considérer, d’un point de vue moderne, que la rhétorique constitue chez lui une branche de la lin­

guistique. Elle indique comment le jeu dialectique des arguments et des figures détermine ou modifie le sens. Hermogène a travaillé dans cet esprit d’abord en reprenant avec précision la doctrine des états de causes, qu’il ne modifie guère. Mais surtout ses ouvrages insistent sur deux points, qui lui permettent de développer les aspects sur lesquels la rhétorique et la déclamation avaient insisté après Cicéron : la réflexion sur le style, les couleurs, les tonalités, tout ce qui favorise dans le langage l’impressionnisme ou l’ex­ pressionnisme. Il insiste d’abord sur les genres de discours ou de style (ideai tou logou), Les déclamateurs ne s’étaient intéressés qu’aux tournu­ res et aux inflexions qui peuvent exister dans une formule ou dans une phrase. Les « idées du discours », autrement dit les styles, font l’unité d’une œuvre entière. Elles en constituent en quelque sorte le mode et sont déterminées par la répartition des figures et des couleurs. П s’agit de la force, de la douceur ou du réalisme, dans leurs divers aspects1. Dans le même esprit, Hermogène ou les disciples qui ont constitué son corpus étudient ce qu’ils appellent « la méthode du discours ». П s’agit de montrer comment l’ordre des phrases ou de leurs membres dans un récit ou un exposé peut en modifier l’agrément ou la force. Au degré zéro de l’expression, comme on dirait aujourd’hui, on peut dire, pour prendre un exemple moderne : «J’ai bu une tasse de café. » Mais on peut aussi écrire : «Je saisis la tasse ; j’élève devant mes yeux la porce­ laine transparente. Je verse le lait tiède qui l’effleure d’une crème imperceptible. Je le respire. J’humecte mes lèvres et je le respire encore », etc. Cette délicatesse ou cette préciosité peuvent, dans certai­ nes circonstances, ajouter beaucoup au succès. Raymond Queneau (qui n’avait pas nécessairement lu Hermogène mais qui connaissait la rhéto­ rique) retrouvait de tels problèmes lorsqu’il écrivait ses Exercices de style, Le Moyen Age :

la fidélité humaniste et la rhétorique de Dieu

L’Antiquité nous a demandé des exposés assez détaillés. Le sujet du pré­ sent livre nous y obligeait. П porte en effet sur l’histoire moderne de la rhétorique à partir de la Renaissance. Mais, précisément, celle-ci doit presque tout aux Anciens. Cela est particulièrement vrai en matière de rhétorique. La discipline que nous étudions a été élaborée par les Grecs et les Romains. Ils ont dessiné les grandes lignes que nous avons obser­ vées : préceptes relatifs au fond et à la forme, rapports avec la rhétorique 1. L’esthétique de la douceur et l’esthétique de la colère tiennent une place essentielle dès le temps des Grecs. Mme de Romilly l’a souligné, d’Homère à Euripide. On peut le montrer chez les Romains de Cicéron et Virgile jusqu’à Juvénal et Tacite. La philostorgia, qui est « amour de l’amour », est cultivée chez Marc Aurèle. Elle domine aussi chez les Chrétiens, qui transfigurent en elle jusqu’à la colère de Dieu, comme l’attestent toute l’œuvre de saint Bernard de Clairvaux ou le Dies irae franciscain. Telles sont les admirables applications (ou interprétations) qu’on peut faire des « idées du discours ».

et la philosophie, culture, éducation, esthétique, morale et politique, réflexion sur le langage et questions fondamentales sur l’humanisme. Tout cela est essentiel à partir de la Renaissance. On a cru souvent que le Moyen Age s’en était désintéressé et on a présenté le XVe siècle comme le temps d’une révolution culturelle. Une telle opinion est partiel­ lement vraie. Elle doit cependant être nuancée, notamment parce que la conception qu’on se faisait de l’éducation littéraire impliquait beaucoup de fidélité. Le but qui nous est assigné ici n’est pas d’étudier en elle-même la rhétorique médiévale mais seulement de signaler les continuités et les changements. Cela nous permettra d’être plus bref. Nous verrons sim­ plement que l’intérêt pour le langage et pour la culture se maintient à travers les assauts de la barbarie ; nous constaterons aussi que la parole humaine rencontre alors un problème nouveau, auquel le Christia­ nisme donne toute sa portée : il s’agit de dire Dieu1. Il faut d’abord évoquer en quelques mots la période initiale où s’accomplit la transition avec Г Antiquité classique et gréco-romaine. Le monde et la culture s’élargissent. Nous ne voulons parler ici que de l’Occident. Nous ne toucherons pas aux civilisations et aux littératures de l’Asie ancienne. Mais, du point de vue qui est le nôtre, nous devons parler de l’influence juive, qui va s’imposer avec le Christianisme. La Bible succède à Homère ou du moins l’égale. Elle est introduite et trans­ posée par les traducteurs grecs et latins, qui sont souvent, comme Origène ou Jérôme, pourvus d’une formation rhétorique initiale, mais qui découvrent aussi l’originalité des deux Testaments. Elle se manifeste notamment sur quelques points majeurs. La littérature biblique est musi­ cale, prophétique, symbolique. Car ce sont d’abord les Juifs qui par leurs psaumes ont véritablement introduit le chant dans la liturgie. Les païens ne l’ignoraient pas. H y avait des hymnes homériques. Mais il est clair que les cantiques tiennent une place plus grande dans la pratique chré­ tienne. La rhétorique subit dès lors une transformation importante, qui touche aussi la poétique. Elle doit répondre aux exigences de la prière chrétienne, parler à Dieu et de Dieu. Elle le fait par le chant. Les cher­ cheurs récents ont noté l’affinité qui existe entre elle et la plus ancienne hymnodie et qui s’affirmera de plus en plus jusqu’au chant grégorien, à 1. Aux ouvrages généraux que nous avons cités en commençant, nous ajouterons (en rappe­ lant notamment le rapport de D. Poirion) : J. M. Murphy, Rhetoric in the Middle Ages : A History of Rhetorical Theory from St Augustine to the Renaissance, Berkeley-Los Angeles, Univ, of California, 1974 ; E. R. Curtius, Europaische Literatus und latemisches Mittelclter, Bonn, 1948 ; E. Faral, Les Arts poétiques du Xtf et du XIIf siècle, Paris, 1923 ; E. de Bruyne, Études d’esthétique médiévale, 3 vol., Bruges, 1946 ; Dom J. Leclercq, L’amour des lettres et le désir de Dieu, Paris, 1957 ; Alain Michel, In kymms et canticis. Culture et beauté dans l’hymnique chrétienne latine, Louvain-Paris, 1976 (qui se réfère également à Rémy de Gourmont, Le latin mystique) ; Mystiques et théologiens, Folio classique, Paris, 1998.

la polyphonie et au stil novo. Le langage de la Bible est d’autre part pro­ phétique et inspiré. Sa rhétorique repose sur l’enthousiasme ; elle est à la fois célébration, jubilation, lamentation. Enfin, les moyens qu’em­ ployaient les philosophes païens pour traiter leurs mythes et leurs allégo­ ries restent utilisables pour parler du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Mais une transposition est nécessaire. Les païens usaient de l’allégorie pour atténuer ce que leurs croyances avaient de trop humain. Les chrétiens s’en servent pour humaniser l’absolu ou plutôt pour établir les degrés selon lesquels les hommes montent vers lui. Le symbolisme qui se constitue ainsi met en lumière les quatre degrés de l’écriture. Cela ne peut s’accomplir qu’en plusieurs siècles, par la lente élabora­ tion d’une rhétorique sacrée. Elle avait commencé chez les Juifs, qui, avant même la venue du Christ, avaient été les premiers, dès les Livres sapientiaux, à rapprocher l’allégorisme païen de leurs propres méthodes. La rencontre du Judaïsme et de l’Hellénisme, qui s’était matérialisée dans la traduction des Septante, s’accomplit surtout à Alexandrie avec Philon qui, vers le temps du Christ, interprète la religion de ses pères selon les méthodes stoïco-platoniciennes, aristotéliciennes quelquefois, de ГAcadémie. Puis viennent les chrétiens, Clément d’Alexandrie qui définit au cœur de l’esprit évangélique les exigences du logos dans la paideia chré­ tienne : la parole doit être transparence et lumière, « diaphasie » et « aphasie », selon qu’elle se dépasse dans le symbolisme ou dans le silence. Origène, qui arrive ensuite, distingue selon les différents degrés de sens (physique, moral...). Les Cappadociens, les deux Grégoire, de Nysse et de Nazianze, plongent dans ce que le sublime a d’essentiel : l’expérience mystique de la sortie de soi, de l’extase et de 1’ « epectase », qui est une plongée infinie dans le Dieu inépuisable. La réflexion sur la parole aboutit ainsi à une rhétorique néo-platonicienne de l’absolu et de l’être. Saint Paul et saint Jean l’enseignaient déjà lorsqu’ils proclamaient la suprématie de la charité et voyaient en elle un don de Dieu. Dans la rhétorique de Dieu, c’est Dieu qui parle. Grâce à l’amour il nous donne aussi les moyens de déchiffrer son message, qui, dans la vision face-à-face du Paradis, se réduira à la Charité mais qui, sur terre, exige la Foi et l’Espérance et s’exprime « par énigme, dans un miroir » (I Cor, 13). La Patristique grecque, qui se trouve ainsi fondée, aboutit à l’œuvre admi­ rable du pseudo-Denys l’Aréopagite, qui va dominer jusqu’à la Renais­ sance presque toute la culture médiévale. Grâce au Christianisme et au dialogue avec Dieu qu’il suppose, il réussit à donner une rhétorique au néo-platonisme plotinien. Naturellement, il faut prendre le terme en son sens le plus haut. La rhétorique intervient en deux sens. D’une part, Denys écrit un traité des noms divins. Il s’agit d’apprendre à dire l’ineffable. Tout l’appareil des figures et de la poésie peut intervenir pour

rendre suggestifs jusqu’à l’infini les mots finis qui voudraient exprimer l’inépuisable grandeur de Dieu. Mais d’autre part, comme le disait aussi Grégoire de Nazianze dans l’un de ses hymnes, Dieu est au-delà de tout. On ne peut le désigner qu’en dépassant et peut-être en niant tous les êtres. Alors commence la « théologie mystique » qui est négative et qui s’ouvre, dans une ténèbre « plus claire que la lumière », aux « intelli­ gences capables de fermer les yeux ». Cette haute doctrine se prolongera dans le monde byzantin. Par lui, elle rejoindra la Renaissance. Mais elle rayonnera aussi sur le Moyen Age latin1, qui s’est développé de son côté et dont nous pouvons célé­ brer la grandeur propre. Elle se manifeste chez Hilaire de Poitiers, chez Ambroise, Augustin et Jérôme. Tous ces hommes ont reçu une formation de rhéteurs. Ils l’utilisent pour remplir leurs fonctions. Ambroise et Augustin sont évêques. Le second est théologien, le pre­ mier est aussi poète. Jérôme est moine, traducteur, héritier du symbo­ lisme origénien. Ainsi s’épanouit chez de tels maîtres une admirable prose d’art. Chez Jérôme, Ambroise et Hilaire, on peut admirer la richesse et la subtilité des images et la recherche de la sensibilité. Mais Augustin met en forme une théorie de la parole qui accompagne et développe sa réflexion sur la musique. Plus que les autres, il propose une vision philosophique et théologique de la beauté qui est étroite­ ment liée à la rhétorique et qui définit les exigences et les moyens de l’éloquence religieuse. Le De doctrma Christiana, dans ses quatre livres, décrit une telle formation. La rhétorique qui est ainsi analysée doit beaucoup à Cicéron. Elle prétend s’inscrire dans une culture générale d’inspiration platonicienne. Mais elle cherche à faire place au langage biblique, qui est présenté dans l’esprit de saint Paul. Augustin reprend et classe ses principaux procédés, en particulier l’art de détacher les membra et de les disposer selon un mouvement ascensionnel qui privilégie la figure appelée climax et qui confère à la période une sorte de tension sublime. On s’est souvent demandé si Augustin était mystique. Nous croyons en tout cas qu’il l’était par sa conception si précise de la création littéraire. On aboutit aux Confessions et à l’extase d’Ostie. La double démarche de l’écrivain est inspirée des Psaumes. Elle consiste à plonger en lui-même pour faire « l’ascension de son propre cœur » et pour découvrir l’élévation infinie de Dieu. Cela n’est possible que parce que Dieu est d’abord dans notre cœur. Nous y découvrons donc ensemble la hauteur et la profondeur. 1. Elle le touchera d’abord de manière fondamentale au IXe siècle par l’œuvre de Jean Scot Érigène, qui traduira Les noms divins, insistera sur la théologie négative et sur le superesse divin et développera dans son De diuisione naturae la conception hiérarchique de la procession (tout cela dans un latin dont l’écriture, souvent bilingue, rejoint et transpose le grec).

Telle est la véritable expérience de l’extase : une sortie de soi qui s’obtient par l’intériorité. Dès lors, l’introspection sénéquienne vient compléter l’ampleur cicéronienne dans une quête fervente de l’élévation sublime dont l’ardeur violente et la tendre douceur ne sont pas exemptes d’échos virgiliens. Augustin connaît ses sources païennes. Il accomplit à leur propos un choix qui sera décisif. Au lieu de les condamner, il les convertit. Il comprend que tel était le véritable sens du langage utilisé par Jésus, saint Paul et saint Jean. Il arrive ainsi à trois exigences majeu­ res : il rétablit le lien entre la sagesse, qui habite dans le cœur, et la rhé­ torique, sa servante transfigurée ; il exalte après Cicéron Voratio grandis, qui est aussi l’éloquence des larmes ; celles-ci s’unissent à la joie de Dieu dans la confession ou dans la compassion. Tout s’ordonne dans l’amour qui, s’appuyant sur la notion de personne, nourrit puissamment toute la théologie augustinienne, comme l’atteste le De Trinitate. Ainsi se constitue d’une manière géniale une rhétorique de la théo­ logie. Nous y reviendrons en finissant. Mais nous devons suivre d’abord l’évolution de la création et de la culture. Elles se développent ensemble. La création suscite des formes, la culture les inspire ou les interprète. Nous nous bornerons à rappeler ou à suggérer quelques directions de recherche. Dans l’ordre de la création, il convient de rappeler les liens qui exis­ tent entre la rhétorique et la musique liturgique. Ils apparaissent avec une force admirable dans le classicisme dépouillé des hymnes de saint Ambroise (il découvre, selon saint Augustin, le vers le plus parfait dans sa simplicité par la forme comme par le fond : Deus creator omnium) et dans la splendeur baroque et platonicienne que cultive Grégoire de Nazianze. Ici encore, on aboutit au pseudo-Denys. Sa Hiérarchie ecclésiastique reprend en les spiritualisant les rites d’honneur de la cour byzantine. Triompha­ lisme ? Non pas, mais célébration du sacré. Il s’agit de trouver le langage des sacrements, l’ordre de leur action, de leurs gestes et de leurs paroles. Denys montre (comme toujours d’une façon très platonicienne) qu’ils procèdent de l’illumination à la contemplation. Les Latins, de leur côté, développent peu à peu l’art des hymnes et des cantiques. La célébration collective est d’abord essentiellement panégyrique, comme l’atteste le Te Deum, Elle intègre la joie du iubüus, qui s’exprime au-delà des mots dans la vocalise, approuvée par saint Augustin. Mais la joie est proche de la douleur, s’unit à elle dans la confession et dans l’amour. L’expressivité sensible et le pathétique divin1, qui s’effaçaient d’abord dans le vieux 1. Celui-ci était resté vivant dans la patristioue grecque. L’œuvre de saint Jean Chrysostome atteste cette transposition chrétienne du sublime démosthénien, dont la force et la véhémence gar­ deront une grande influence, notamment à la fin du XVIe siècle et au XVIIe. Dans le monde latin, l’enseignement de la rhétorique, combiné avec la pratique du drame sacré, permettra, dès le XIIe siècle, la multiplication des planetus.

chant romain ou ambrosien devant la pureté de la musique, s’intro­ duisent dans l’ornementation qu’elles accentuent. Comme le montrent les thèses récentes de M. Cullin et de M. Bernard, cela s’accomplit vers les VIIe et VIIIe siècles, au moment où naît le chant grégorien, par des échanges constants entre Rome et l’Europe. La complexité grandissante de la sensibilité musicale entraîne l’élaboration des neumes qui sont les signes de la modulation libre et le langage de Vomatus. Dans l’ordre des formes littéraires, l’hymne se diversifie. Le jeu de l’invocation et du répons prend plus de liberté. Le plain-chant est d’abord clair, planus, comme son nom l’indique. D insiste sur la rigueur syllabique. La séquence prend toute son importance. Elle permet le dialogue entre deux parties du chœur et donne aussi place à la virtuo­ sité du soliste. Ainsi se prépare la double réflexion de la Renaissance sur le pathétique musical et sur la polyphonie. La rhétorique de Pétrarque ne leur sera pas étrangère. Dans l’ordre de la culture, il s’agit d’abord de définir les program­ mes de la culture générale. Vers le Ve siècle, une formulation fonda­ mentale est apportée par Martianus Capella. Dans ses Noces de Mercure et de Philologie, il décrit de manière allégorique les vocations majeures de la culture, telle que l’entendaient les Néo-Platoniciens. Elle rapproche le dieu de la communication humaine et de la gnose mystique et l’allégorie de la formation littéraire. Les exigences qui se trouvent ainsi réunies seront reprises en compte jusqu’à la Renaissance. D’autre part, Martianus Capella distingue et décrit les sept arts libéraux dont l’ensemble forme le triuium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le quadriuium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique). On voit qu’un équilibre est cherché entre lettres et sciences. Mais le rôle domi­ nant de la philosophie n’est reconnu qu’implicitement. П faudra attendre le XIIe siècle et le Didascalicon d’Hugues de Saint-Victor pour arriver à une synthèse plus complète et plus créatrice (qui coïncide avec la renaissance romane et le nouveau développement des arts). Le triuium et le quadriuium subsistent. Mais l’ensemble est coiffé par la philo­ sophie et il est présenté de manière plus complexe. Hugues fait sa place à la morale et insiste sur la pratique. Surtout, d’une manière très féconde et originale, dans un esprit qui restera agissant jusqu’à la Renaissance et à l’âge moderne, il définit les « arts mécaniques », c’est-à-dire les techniques de la production matérielle, et il les introduit dans son classement. Le pur formalisme se trouve donc exclu et le logos rentre dans une vue d’ensemble de la civilisation. Il reste à examiner de plus près, dans les deux siècles majeurs du Moyen Age, au XIIe et au XIIIe, les formes précises que prend la rhéto­ rique, dans ses préceptes et dans son application. Elles sont souvent

profanes, puisque cette discipline peut être mise en œuvre sur tous sujets. Mais nous avons assez montré l’importance de la réflexion médiévale sur le sacré. Il faudra y revenir. L’enseignement de la rhétorique prend beaucoup d’importance dans la période qui nous intéresse. Sans doute, la répartition des genres n’est plus tout à fait la même que dans l’Antiquité. L’éloquence politique nous a laissé fort peu de témoignages. Il faudrait pourtant chercher mieux. Elle existait nécessairement chez les diplomates et les hommes de loi. En tout cas, elle n’est pas inconnue des éducateurs, qui l’étudient dans le cadre du triuium et qui connaissent ses deux aspects esthétique et dialec­ tique. On copie beaucoup le De inuentione et la Rhétorique à Hérennius. Le De oratore ne semble pas inconnu, au moins dans ses passages principaux (qui sont évoqués dans le Metalogicon de Jean de Salisbury). Au demeu­ rant, nous avons gardé des textes de Thierry de Chartres qui, s’appuyant à la fois sur Boèce et Cicéron, décrivent avec précision les buts politiques de l’éloquence et les moyens philosophiques auxquels elle doit recourir. Ajoutons que la rhétorique médiévale insiste sur un autre point qui apparaît par exemple dans le Candelabrum de Béné de Florence. П s’agit de la grâce, qui doit être aussi bonne grâce et qui, dans un monde féo­ dal, s’exprime par les rapports de déférence et de politesse. Nous tou­ chons ici à l’esthétique. A cet égard, la théorie du cursus, si proche du dis­ cours musical, est essentielle. Les Médiévaux sont les grands maîtres et les grands découvreurs du rythme, dans la prose comme dans les vers. Dans ces derniers, ils inventent la forme syllabique. Mais ils préservent en même temps la liberté du verset, dont les traductions de la Bible leur avaient donné le modèle et que la poésie religieuse des Modernes a retrouvée grâce à eux. Mais c’est en poétique que l’enseignement médiéval de la rhéto­ rique nous a laissé ses principaux témoignages. Des hommes comme Mathieu de Vendôme et Geoffroy de Vinsauf nous ont laissé des traités précis. Certes, ils reviennent fondamentalement à Horace, à sa théorie de la callida iunctura. Même chez les écrivains profanes, la « belle jointoyure » est en honneur. Mais ils rétablissent dans toute sa précision la théorie des figures. Ils distinguent ainsi Vomata difficultas (qui procède des tropes et du sens symbolique et qui admet les jeux de l’obscurité) et Vomata facilitas (qui paraît lorsque le texte est éclairé par le déploiement des figures). Les deux types de procédés peuvent exister ensemble et s’illustrer mutuellement. Ils sont utilisables dans la langue profane comme en latin. Ainsi naît l’art des vagants mais aussi des troubadours, dont le nom même (comme le verbe « trouver ») vient peut-être de « trope ». Bien sûr, ici comme ailleurs, le maniement des styles et des couleurs naît des exigences du sujet. La grâce se marie à la grandeur

dans la sobriété, dans le naturel ou dans la véhémence. Alain de Lille en témoigne au même titre que Chrétien de Troyes, avant le Roman de la Rose et les œuvres de Dante ou de ses contemporains. Le style qui se développe ainsi mène vers le dolce stil novo. De fait, il combine les modu­ lations de la douceur avec la densité brève, la uariatio avec l’unité. Autant que de style, il faut parler de stylisation. Elle naît en particulier de l’usage de l'exemplum, qui permet de combiner l’imitation de l’idée avec celle de la nature. Les grandes questions antiques restent posées. Dès lors que nous parlons d’idéal, nous retrouvons le sacré. L’éloquence religieuse est en jeu. D s’agit d’abord de la prédication proprement dite. D’Alain de Lille au traité attribué sans preuves à Thomas d’Aquin, on cherche à préciser à la fois les exigences et les moyens. П faut transmettre la parole de Dieu. Cela est possible si l’on interprète l’Écriture sainte, si l’on en développe les différents sens sym­ boliques et si l’on en respecte selon une convenance sacrée l’esprit et la dignité. De là deux types de réflexion. D’une part, on précise les quatre sens de l’Écriture : historique, moral ou physique, allégorique (rapporté à l’incarnation, à Dieu sur terre), anagogique (rapporté au ciel). Toute l’histoire du symbolisme reviendra, jusqu’à Claudel ou au P. de Lubac, sur ces données fondamentales. Elles se combinent bien sûr avec le choix des figures : la description rejoint la métaphore et l’exemple et s’efface devant l’oxymore et la négation ; l’amour se déploie dans l’hyperbole, l’exclamation, l’interrogation, l’invocation, mais peut-être aussi dans le silence où s’achève le Paradis de Dante. Nous sommes maintenant au-delà de la prédication. П s’agit simple­ ment de méditer sur la parole de Dieu, sur la théologie au plein sens du terme. Existe-t-il une rhétorique de la théologie ? Telle est la grande question que le Moyen Age a posée aux lettres et qu’il a résolue pour son compte. Nous avons vu comment Augustin et le Pseudo-Denys ont formulé les problèmes. Qu’il nous suffise d’évoquer brièvement les conséquences historiques de leur enseignement. Au XIe siècle, saint Anselme de Canterbury pratique la technique du proslogion et du monologion pour retrouver en lui l’infini de la joie de Dieu qui est au plus profond de sa pensée et qui la fonde parce qu’elle le dépasse et l’embrasse au-delà de toute limite. La parole intérieure, parce qu’elle dit l’infini, porte en elle la preuve du divin. Elle est donc à la fois joie extrême et désir violent, jides quaerens intellectual. Elle réunit en elle, en s’inspirant des Grecs et des Latins, la théologie de la per­ sonne, telle que la concevait l’amour augustinien, et celle de l’hypostase, telle que l’exaltait la contemplation byzantine. Au XIIe siècle, la parole mystique, la parole de Dieu, s’exprime directement dans l’amour. On s’en aperçoit chez Bernard de Clair-

vaux, qui reprend en les stylisant à l’extrême les formes les plus mar­ quées de la symbolique augustinienne. La foi cherchait l’intellect. Ber­ nard s’avise qu’elle ne peut chercher le divin si elle ne l’a déjà trouvé. D le proclame dans l’introduction du De diligendo Deo, où il utilise une autre formule : « La mesure de l’amour de Dieu est de l’aimer sans mesure. » Ainsi procède l’oxymore mystique, l’hyperbole de l’amour pur. Guillaume de Saint-Thierry, ami de Bernard, révèle plus claire­ ment ses sources. Il remonte à Origène, commente le Cantique des canti­ ques, comme lui et comme Bernard. П passe peut-être par ce que Jean Scot Érigène avait écrit au IXe siècle, en commentant Plotin et le Pseudo-Denys. Mais il ne va pas jusqu’à la théologie négative, que les mystiques rhénans retrouveront au XIV siècle. L’amour établit ainsi toutes les formules d’une rencontre directe avec l’absolu personnel. П s’agit de dire la beauté. Dieu dit à l’âme humaine qu’elle est belle, et elle peut alors lui répondre, comme il le lui demandait, en lui disant à son tour qu’il est beau (saint Bernard, Super cantica, XLV, 8). Telle est la rhétorique du divin : elle implique l’échange d’amour entre Dieu et l’homme. Bernard et son ami Guillaume de Saint-Thierry se défiaient de la logique qu’ils découvraient chez Abélard et dont ils redoutaient l’orgueil. Pourtant, Anselme avait montré qu’elle pouvait se confondre avec l’amour, que Boèce avait déjà célébré au VIe siècle, en s’inspirant d’Empédocle et de Cicéron et en disant avant Dante qu’ « il mettait en mouvement le soleil et les autres étoiles ». La rencontre de la raison et de l’amour pouvait s’accomplir dans l’esprit divin pour résoudre les grandes questions qui étaient posées aux hommes par la nature même de leur pensée. On peut le montrer à propos d’Abélard qui pose au Х1Г siècle deux grandes questions liées au maniement même du langage : l’une, qui vient de Boèce, est relative au nominalisme : les idées générales ne semblent pas avoir de réalité autonome. L’autre est exprimée dans un ouvrage intitulé Sic et non. Dans beaucoup de grands débats théologiques, les meil­ leures autorités religieuses se trouvent divisées entre le pour et le contre. П faudrait aussi se tourner vers l’École de Chartres qui s’appuie sur l’enseignement des arts libéraux pour développer une physique d’inspiration stoïco-platonicienne qui apparaissait chez Cicéron et Sénèque et que les Médiévaux ont suspectée de panthéisme. L’esthétique médiévale est imprégnée de telles doctrines, comme le montre un peu plus tard Alain de Lille, qui préserve son orthodoxie tout en trouvant dans de pareilles réflexions les moyens de développer un style moderne, où l’allégorie rejoint la virtuosité ornementale et l’imagination épique. L'Anticlaudianus annonce à la fois Dante et le Roman de la Rose.

L’une des figures les plus remarquables pour le sujet qui nous occupe est sans doute celle de Jean de Salisbury. Ce compagnon de Thomas Becket a fini évêque de Chartres, vers 1180. B symbolise toute la culture de son temps. Il a assisté aux conflits entre Bernard de Clairvaux et Abélard. Le pouvoir de conciliation qui existe dans sa pensée et qui n’exclut pas la rigueur spirituelle tient pour une part importante à sa grande connaissance de la doctrine dcéronienne. Il est, dès son temps, un des plus grands humanistes de l’histoire européenne. Cela détermine à la fois sa conception de la culture et sa réflexion sur la théologie. Dans le classement des arts libéraux que propose son Metalogicon, notre auteur s’inspire initialement de Martianus Capella. Mais il le nuance par Boèce et par Aristote, dont il connaît les Analytiques. Il fait la part très grande à la rhétorique, qu’il exalte à la fois dans l’esprit de Cicéron et de Sénèque, en joignant dans la parole l’intériorité à l’ouverture. Elle apparaît ainsi, de façon religieuse, comme une contri­ bution à l’enfantement du Verbe et à son incarnation. A la rhétorique, Jean de Salisbury subordonne la grammaire ; mais il fait aussi une grande place à la poésie et cela ne doit pas nous étonner chez ce grand lecteur de Virgile (dont il signale après les Chartrains toutes les nuan­ ces spirituelles et symboliques) et d’Horace (l'Épître aux Pisons convient tout à fait à son idée du style). Ajoutons qu’en combinant ainsi la poé­ tique, la rhétorique et la philosophie, Jean semble assez proche des Arabes, qui commençaient alors à échanger des idées et des informa­ tions avec la culture européenne. En ce qui concerne la théologie, sa formation cicéronienne et aris­ totélicienne lui rend d’importants services. Elle le conduit notamment à critiquer un dogmatisme excessif et à montrer, après Abélard, que beaucoup de questions, dans ce domaine, relèvent seulement de la dis­ cussion sur le vraisemblable. D’autre part, il rencontre à son tour la question du nominalisme, dont l’importance est grande pour toute argumentation, puisqu’il s’agit d’établir la portée des idées générales. Il la résout par l’Aristotélisme en distinguant dans tout concept la forme qui est abstraite et la matière qui ne l’est pas. Nominalisme et réalisme sont étroitement imbriqués dans la connaissance. Ainsi se trouve confirmée, après Anselme, Abélard ou Gilbert de La Porrée, la possibilité d’un accord entre science rationnelle et culture lit­ téraire dans l’élaboration de la théologie. La Scolastique s’épanouit. Qu’il nous suffise à son propos d’évoquer les prises de position de saint Thomas d’Aquin par rapport à la parole théologique. H faut d’abord souligner qu’il la distingue de la science, non pour l’y soumettre, mais pour marquer la supériorité de sapientia sur scientia. П

faut partir des principes, qui surpassent la raison discursive sans la reje­ ter. fis procèdent de la révélation divine mais, dans l’ordre de la création et l’analogie de l’être, s’accordent aussi à la nature, au sensible et au jeu des images. On comprend donc que le traité de rhétorique attribué à saint Thomas mette ensemble la réflexion sur les figures et les théories du symbolisme religieux. Même si l’on refuse cette attribution, il suffit de se référer à la Somme théologique, qui donne beaucoup d’indications pré­ cises (cf. notamment П, П, q. 177, 2299 a-2301 a, De gratia sermonis sapientiae seu scientiae). L’éloquence est un bien donné par grâce ; elle relève de sapientia et de scientia autant que de fides. La nature et le travail y ont donc leur place, mais la grâce lui apporte l’achèvement. Elle est liée à la vertu dans ses trois offices : probare, delectare, flectere. On mesure combien une telle doctrine est liée à l’enseignement cicéronien, que Thomas connaît bien et dont il se sert notamment en matière de morale pour transposer en latin la tradition stoïco-platonicienne. La rhétorique ainsi conçue obéit donc à la tradition antique, mais elle permet d’utiliser les moyens qu’elle a définis selon les exigences de la foi, de la mystique et de la théologie. La technique de la quaestio disputata, utilisée dans la Somme théologique, permet de garder sa place à la dialectique du probable sans tomber dans le scepticisme. Mais surtout Thomas reconnaît après le Pseudo-Denys la place de l’indicible. Il l’ordonne dans la connaissance en montrant qu’il ne s’agit pas d’un pur néant. Il faut plutôt reconnaître la profusion du vrai et son pouvoir de transcendance et de dépassement. On doit reconnaître aussi le rôle religieux de la parole, qui est louange de Dieu (il est maior omni laudé) et pure communion des âmes (chez les hommes, elle est intérieure et extérieure à la fois, mais, chez les anges, elle existe dans la pure intériorité, qui est communication avec Dieu. Au plan terrestre, elle est mariage de l’âme et du corps). Cette doctrine d’une ampleur et d’une liberté admirables établit, comme l’a montré de manière générale le P. Chenu, un accord et une synthèse entre l’esprit mystique et la tradition rationnelle du logos. Au temps de Thomas et après lui, les différentes tendances que nous avons distinguées vont continuer à se développer en s’opposant parfois. Dès le début du XIIF siècle, saint François d’Assise avait créé une prédication et une hymnodie de langue profane, qui rejetait apparemment la tech­ nique et les abus du savoir, mais qui laissait place aux images purifiées, au sens spirituel de la nature et aux paradoxes de l’amour. Bonaven­ ture rétablira chez les Franciscains une théologie augustinienne où reparaissent une rhétorique et une poétique du coeur. Les Dominicains et les Franciscains se rejoindront quelquefois au XIVe siècle dans l’esthétique de la flamme, dans les paradoxes d’Eckhart ou dans Г « imitation » mystique de Jésus-Christ. Dante précède Pétrarque dès

le début du siècle. Dès le même moment, Raymond Lulle pousse à l’extrême l’art de la topique, que les théologiens n’avaient jamais négligé. Puisqu’on peut dire de Dieu tout ce qui est positif, le but de l’orateur sacré est de faire la liste de tous les éloges possibles et de les ordonner en « arbres » merveilleux. La rhétorique de l’épanouissement vient ainsi dialoguer avec celle du feu. Telle est, du rayonnement à la ténèbre, la parole de lumière, qui se fait combinatoire de l’idéal. Telle apparaît au bout du compte la rhétorique médiévale, qui frappe d’abord par sa fidélité à l’antique. Elle constitue, grâce à sa maî­ trise du latin, un conservatoire du langage et de ses moyens. Mais elle reste aussi attentive aux exigences de rigueur et de liberté créatrice que Platon, Aristote et Cicéron avaient su définir après les avoir découver­ tes chez Homère. Les obligations spirituelles qu’implique la tradition judéo-chrétienne conduisent les Médiévaux à définir selon les intuitions de Vintelkctus et les devoirs du cœur, selon la mystique de l’amour et la rigueur de Гapophasis, une rhétorique de l’être. Telle est la formule qu’employait Pétrarque pour définir la façon dont Laure lui parlait. П évoquait le cantor che nelTanima si sente. Un homme politique devant lequel je citais ce vers du Canzoniere {sonnet 213) m’objectait qu’il correspondait fort peu aux obligations d’un député parlant aujourd’hui à la Chambre du prix européen des pommes de terre. Je pense pourtant qu’il faudrait revenir à Pétrarque. П croyait après les Anciens que la beauté doit participer au gouvernement du monde. Tous les auteurs que nous avons étudiés l’ont cru aussi. Ils ouvraient la voie à leurs successeurs. L’Antiquité et le Moyen Age ont tracé à la rhétorique des chemins qu’elle suit encore. Après ces deux périodes, l’ensemble des doctrines était établi en Occident. П ne restait plus qu’à éviter la sclérose, définir et approfondir les problèmes, préserver la liberté créatrice, l’unité de l’enseignement, la recherche de l’idéal, la souplesse dans la diversité, le sens de la grâce et du réel. Il fallait, par un humanisme intégral et véri­ table, qui dépassait l’humain pour en révéler et en assurer la sublimité, accorder dans la réflexion sur le langage la parole humaine et le verbe divin. Le bon Charles de Lovelies le proclamait au début du XVIe siècle dans son De studio qui citait à la fois les humanistes du Quattrocento florentin, Raymond Lulle et la tradition médiévale du Pseudo-Denys : il n’y a pas de parole, il n’y a pas de culture, il n’y a pas d’étude hors d’une telle contemplation. Presque au même moment, Guillaume Budé allait reprendre la même doctrine en imitant ensemble le pseudo-Denys et la doctrine cicéronienne du De oratore, dont il dégageait les aspects les plus élevés.

Conclusion :

un chant qui se perçoit dans Pâme

Ainsi naissait la conception moderne de la culture et, plus précisé­ ment, de la philologie. Budé parlait, dans son De transitu HeUenismi ad Christianismwn, de philologia maior, qu’il opposait à la philologie « mineure ». Celle-ci comportait à ses yeux un double défaut que Cicé­ ron puis Augustin avaient déjà signalé, après Platon et Aristote. Elle versait dans le formalisme des manuels et de la scolastique ; elle se limi­ tait à un utilitarisme dont les buts se bornaient à des raisons sociologi­ ques. Il est facile d’observer que les deux tendances existent de nos jours. Ainsi se justifie la mission constante de la philologie, qui est d’unir la parole et les lettres dans la culture et de donner ainsi des justifica­ tions, des moyens et des fins à ce que nous appelons aujourd’hui litté­ rature, sans méconnaître le devoir fondamental d’engagement et d’action. La rhétorique, si elle ne se prend pas elle-même comme fin, si elle ne se constitue pas en objet formaliste et abstrait, peut ainsi accom­ plir les missions majeures qui lui ont été proposées dès avant la Renais­ sance : établir en premier lieu une réflexion précise sur la linguistique de la persuasion et de la communication ; l’insérer dans le cadre de l’action juridique, sociale, politique ; se souvenir que la parole est logos, verbe, et qu’elle ne peut exister sans la contemplation créatrice, qui s’appelle aussi sophia. Mais la sagesse n’existe qu’en Dieu. On ne peut donc négliger la rhétorique de Dieu. Platon, déjà, disait qu’elle se confondait avec la musique. Quant à nous, au début de cette conclusion, nous avons cité son disciple Pétrarque. Nous avons cité Bovelles et Budé, nous aurions pu évoquer Érasme, sa grâce compréhensive et son ironie. Nous reviendrons à Dante pour finir. П rejoint au Paradis Thomas, Bonaventure et Ber­ nard, qu’il y trouve ensemble. Virgile n’est pas loin (juste derrière la porte). Tant de sagesse se résume dans le De uulgari eloquentia par une formule que Jean de Salisbury n’aurait pas désavouée : la poésie est une rencontre de la rhétorique et de la musique. Dante a raison : l’Antiquité les a mises ensemble, le Moyen Age a exalté leur vocation à l’amour, humain et divin. La Renaissance n’a fait que confirmer dans la beauté l’éminente dignité des lettres. On verra par ce qui suit com­ bien le débat est resté actuel.

CESARE VASOLI

2 - L’humanisme rhétorique en Italie au XVe siècle Traduit de l’italien par Giuliano Ferretti

I 1. Une étude, même sommaire, de l’histoire de la rhétorique huma­ niste, entre la fin du XIVe et la première moitié du XVe siècle, comporte une réflexion sur la « crise » des relations entre le langage et la réalité historique contemporaine, qui constitue un des aspects fondamentaux de la culture philosophique de ce temps. De nombreuses recherches1 ont montré comment les grandes transformations de cette époque, l’éclipse des anciens pouvoirs religieux et politiques, la naissance de nouvelles expériences intellectuelles et l’avènement d’autres formes d’organisation publique ont profondément bouleversé le système des référents sémiotiques, et l’ont contraint à abandonner les fondements tacites ou implicites qui lui donnaient consistance de réel. Les solutions à cette crise (dont on pourrait trouver des confirmations significatives dans les formes et les langages populaires ou dans les représentations des arts visuels) sont, à mon sens, bien distinctes et apparemment oppo­ sées, car elles répondent à des besoins très différents. La première est constituée par la tendance croissante au formalisme et au symbolisme logique, propre aux dialectiques scolastiques de la fin du XIVe siècle. Profondément influencées par l’œuvre de Guillaume d’Ockham, 1. Sur les grandes disputes de la scolastique de la fin du XIVe et du début du xve siècle, voir principalement l’étude de Z. Kaluza, Les querelles doctrinales à Paris. Nominalistes et réalistes aux confins du XlV et du XV siècle, Bergame, 1988, notamment p. 13 et s. Sur d’autres aspects de la même thé­ matique, voir : Z. Kaluza et ?. Vignaux (éd.), Preuve et raison à l’Université de Paris. Logique, ontologie et théologie au XIV siècle, Paris, 1984 ; C. Vasoli, « La “crisi” linguistica trecentesca, tra nominalismo e coscienza critica del “verbum” », dans Conciliarismo, Stati nazionali, inizi delVUmanesimo. Atti del XXV Convegno storico internationale. Todi, 9-12 ottobre 1988, Spoleto, 1990, p. 245-263.

celles-ci s’appuient sur l’idée que le langage a une fonction convention­ nelle, dont le but est de signifier les res, sans être en réalité son équiva­ lent ontologique1. La deuxième est représentée par la vision humaniste du sermo en tant qu’instrument opératoire de la communication humaine, valable surtout dans le domaine des rapports « interhu­ mains », par sa capacité de persuasion (qui comporte une mise en valeur de la rhétorique et de ses techniques) et par son efficacité à ordonner les notions de ceux qui opèrent dans la « société civile », qui vaquent à ses officia et à ses negotia ou en remémorent les événements historiques. A l’évidence, ceux qui adhèrent à cette conviction s’intéressent davantage à la nature historique du langage et à ses rap­ ports avec les transformations des institutions, des sociétés et des cultu­ res. Ils seront également sensibles au problème de la corruption du lan­ gage et à la « nécessité d’un retour aux grands paradigmes linguistiques et stylistiques du passé classique »1 2. Je tâcherai de montrer que ces deux voies de la crise du XIVe siècle se séparent toujours davantage dans la mesure où s’accentue la divergence entre deux milieux aux finalités clairement distinctes. Le premier se rattache à la formation de savants tradition­ nels (les théologiens, les juristes et les médecins), tandis que l’autre éla­ bore un modèle différent de l’homme de lettres, souvent lié aux insti­ tutions politiques nouvelles et tourné vers un savoir de caractère éminemment philologique et historique. Certes, la dialectique pro­ fessée par les grands maîtres de la scolastique au XIVe et au XVe siècle reste la méthode fondamentale non seulement pour la constitution de procédures logiques très rigoureuses, mais aussi pour le développe­ ment de techniques nouvelles (les calculationes) qui trouvèrent une application rapide, notamment dans le domaine des études physiques et médicales, avec des résultats que les historiens de la science ont bien mis en évidence aujourd’hui. A cette dialectique s’oppose, de manière souvent polémique, la conception humaniste du langage qui aspire à l’union entre Veloquentia et la sapientia. Cette conception sup­ pose une « restauration » de la rhétorique libérée de la routine d’un enseignement indigent, rendue à sa fonction d’art général du discours « humain » et à laquelle revient le droit d’intervenir dans tous les domaines du savoir, afin de mettre ce dernier à la portée d’un audi­ 1. Voir Ph. Bôner, Medieval Logic. An Outline of its Development from 1250 to с. 1400, Chicago (Ill.), 1952 ; E. A. Moody, Truth and consequence in Mediaeval Logic, Amsterdam, 1953. 2. A ce propos, je me permets de renvoyer à ma contribution : La dialettica e la retorica dell’Umanesimo. « Invenzione» et « Metodo » nella cultura del XV e XVI secolo, Milano, 1968, p. 9 et s. Pour un autre point de vue, voir aussi J. E. Seigel, Rhetoric and Philosophy in Renaissance Humanism. The Union of Eloquence and Wisdom, Petrarch to Valla, Princeton (NJ), 1968.

toire toujours plus vaste composé de lettrés, qui ne se rattachent plus à l’exercice exclusif des professions traditionnelles. Plus tard, l’accumulation rapide des connaisseurs et l’accroissement d’un patri­ moine d’expériences qui a proliféré sans « ordre », en dehors des paradigmes du passé ou en conflit avec ceux-ci, feront passer au pre­ mier plan le problème général d’une nouvelle définition (repastinatio)1 des formes du savoir, ainsi que de ses instruments et de ses méthodes, jugés désormais inutiles et inadéquats. Ainsi, l’on verra s’affirmer la tendance à rechercher dans les procédures de la rhétorique le moyen de restituer unité et cohérence à toute sorte de discours qui intéresse la communauté des « doctes ». Cela signifie que, dans la période ici considérée, se confrontent deux visions des artes sermocinales, qui sont en réalité deux conceptions du savoir, agissant souvent dans les mêmes milieux intellectuels et concernant les mêmes individus. En effet, pendant les deux siècles de l’humanisme, en Italie comme ailleurs, la logique scolastique continue à jouir d’une large et compréhensible renommée, liée à des noms d’auteurs célèbres, tels Paolo Veneto, Paolo della Pergola, Pietro degli Alboini de Mantoue ou Biagio Pelacani1 2. On ne peut accepter l’hypothèse d’une incommunicabilité absolue entre ces deux cultures, et moins encore entre les vrais « philosophes » des universités d’une part, et les « grammairiens » et les « rhétoriciens » des écoles humanistes de l’autre. Des études bien documentées ont prouvé que des auteurs sco­ lastiques, comme le « tristement célèbre Suisset », Guillaume de Shyreswood, étaient bien connus et étudiés dans les Studia humanistes3. L’étude des polémiques humanistes contre les « dialecticiens barbares » a prouvé la diffusion réelle des idées et des procédures logiques scolasti­ ques, connues de Coluccio Salutati et, un siècle plus tard, familières à Jean Pic de La Mirandole et Ermolao Barbaro4. Je me bornerai à rap­ peler pour mémoire que Salutati était en relations avec de célèbres professeurs de scolastique, tels Biagio Pelacani ou Marsile de Sainte-Sophie, excellents maîtres des plus récentes techniques logiques et physiques, et que Boccace s’est répandu en louanges sur Guillaume 1. Le terme repastinatio a le sens originel de « deuxième bêchage », mais il a pris ensuite le sens métaphorique de « révision », de « correction ». C’est dans cette acception que Valla Га employé pour désigner le titre de sa Dialectica : Repastinatio Dialectice et Philosophie. Voir à ce propos le texte de G. Zippel (éd.), Laurenti Voile Repastinatio Dialectice et Philosophie, Patavii, 1982. 2. Sur ces auteurs, voir principalement : A. Maierù, Terminologia logica della tarda Scolastica, Roma, 1972 ; English Logic in Italy in the 14th and 15th Century, Napoli, 1982. 3. Voir C. Dionisotti, « Ermolao Barbaro e la fortuna di Suiseth », dans Medioevo e Rinascimento. Studi in onore di Bruno Nardi, Firenze, 1955, I, p. 218-253. 4. Sur les textes de cette discussion amicale entre les deux humanistes au sujet du « style » des philosophes scolastiques, voir E. Garin (éd.), Prosatori lalini del Quattrocento, Milano-Napoli, 1952, p. 804-823, 844-863.

d’Ockham1. Cependant, vers les années 1440, le débat entre les huma­ nistes et les soi-disant « barbares écossais et britanniques » est désor­ mais ouvert ; celui-ci s’envenima par la suite et mit en évidence les deux tendances fondamentales de la nouvelle culture qui se développe en dehors des institutions officielles. L’une s’oppose à toute logique « artificielle » et « sophistique », considérée comme le fruit d’une radi­ cale « perversion » intellectuelle et linguistique. Elle présuppose que toute forme et toute fonction du langage doivent être vérifiées au niveau de leur communication effective, et en fonction de leur capacité à fournir des modes d’argumentation capables de résoudre les ques­ tions que pose l’expérience humaine : ces questions relèvent du pro­ bable et du possible et ne sont pas soumises à la nécessité rigoureuse du savoir apodictique. 2. Il s’agit, à mon sens, de motivations essentielles qu’il ne faut jamais perdre de vue, si l’on veut vraiment comprendre l’attitude des humanistes envers les arts du discours, déjà évidente dans quelques pages célèbres de Pétrarque. Entre 1351 et 1353, lorsque le poète (que les humanistes ont toujours tenu pour leur premier et véritable « père ») mettait la main à son premier recueil d'Epistolœ familiarei, il voulut ranger parmi ses premières lettres celles qu’il avait adressées à son ami de Messine et ancien condisciple d’études à Bologne, Thomas Caloria. Dans ces épîtres, il traitait de thèmes très intéressants pour reconstruire la genèse des idées qui demeureront tout au long de l’histoire de l’humanisme. Celui sur lequel il insistait davantage était la dénonciation de la « misère » philosophique des « maîtres » de son temps, ainsi que de leur grossièreté linguistique, bien éloignée de Vaurea sapientia de Pythagore, Platon, Homère, Aristote, Tite-Live et Cicéron. Ces mauvais maîtres, écrivait-il, avaient corrompu et com­ promis tout le savoir, et principalement les arts du discours, par leurs barbares sophismes, leurs altercationes, leurs couillationes. Et Pétrarque d’ajouter qu’il valait mieux éviter de se battre contre des sophistes, dont le but n’était pas de discuter pour convaincre leurs adversaires, mais qui visaient seulement à les écraser, sans aucun respect pour la vérité et pour la juste « mesure » du discours. Cette race de « chica­ neurs », vaine et nuisible, était l’un des pires fléaux qui eût jamais menacé la sainte discipline des études. Pis encore, leurs troupes pesti­ férées grandissaient sans cesse et, depuis l’Angleterre, se répandaient partout, envahissant même l’île où vivait son ami. Ainsi, après les12 1. Voir G. Boccaccio, Орете minori, publié par A. I. Massera, Bari, 1923, p. 112, 118. 2. Pour la datation du premier recueil des Familiares, voir F. Petrarca, Familiales, publié par V. Rossi, I, Firenze, 1933, p. XI et s. ; G. Billanovich, Il Petrarca letterato, I : Lo scrittow del Petrarca, Roma, 1947, p. 48 et s.

cyclopes et les tyrans, la Sicile connaissait maintenant un troisième genre de monstres, armatum enthymemate bisacuto, cuirassés de chicanes et de syllogismes trompeurs1. Pétrarque se hâtait ensuite de contester la prétendue doctrine « aristotélicienne » de ces sophistes qui, ignorant la vraie philosophie du Stagirite, profond initiateur à la sapientia et à Veloquentia, prétendaient réduire tout le savoir à un simple artifice dialectique et aux tours d’acrobates de leurs syllogismes tortueux. Ces pédants ne savaient pas que Cicéron et Sénèque s’étaient tant de fois moqués de ces vaines quaestiuncolœ et conclusiuncuae dont les dialecticiens « modernes » faisaient leurs délices. Si le poète ne rejetait point le bon usage correct d’un art utile, fort estimé par les Stoïciens et loué par Cicéron lui-même, il réaffirmait néanmoins que la dialectique n’était qu’un des arts libéraux, indispensable pour accéder au savoir, et « armement » accordé aux disputes philosophiques, mais toujours propédeutique et convenable seulement aux études de la jeunesse : Dyalectica pars esse potest, utique terminus non est; et potest pars esse matutina, non serotina1 2. Ainsi pouvait-il conclure en rappelant les mots d’Aristote et de Sénèque, qui avaient mis en évidence combien ridicule pouvait se montrer un vieux maître qui restait enchanté par les jeux dialectiques de sa jeunesse et incapable d’aller plus loin sur le chemin du savoir éloquent tracé par les Anciens et incarné dans la langue et dans le savoir de Cicéron. Les épîtres adressées à Caloria contiennent déjà in nuce quel­ ques-uns des meilleurs loci communes que des générations d’humanistes utiliseront au cours des confrontations, souvent polémiques, avec les magistri de l’École. Si l’on parcourt les recueils épistolaires et quelques autres petits ouvrages de Pétrarque, telle 1 "Invectiva in medicum34et le De sui ipsius et aliorum ignorantid*, on s’aperçoit que ces affirmations polémi­ ques ne sont point occasionnelles; bien au contraire, elles sont intime­ ment liées à sa conception du savoir et à sa revendication de la supé­ riorité d’une connaissance qui part de l’homme et de ses expériences morales et religieuses, avant d’affronter le monde obscur et étranger des choses extérieures. Ce n’est pas par hasard si les Familiares et les Seniles témoignent si constamment de son aversion «pour la “fasti­

1. Familiares, cit., I, 2, p. 18, 35-36. 2. Ibid., p. 37-38. 3. Je me sers de l’édition suivante : F. Petrarca, Invectiva contra medicum, publié par P. G. Ricci, Roma, 1950. 4. Je me sers de l’édition publiée dans F. Petrarca, Prose, Milano-Napoli, par P. G. Ricci, 1955, p. 710-767.

dieuse” logique d’Oxford (et de Paris) », laquelle non seulement fait « le malheur de mille talents »', mais est aussi l’instrument favori de ces médecins et physiciens qui prétendent réduire le savoir à la seule science de la nature et pour lesquels le recours de Pétrarque aux Anciens et à l’exemple cicéronien n’est qu’une vaine curiosité de littérateur. Or, il est bien vrai que, pendant les années où le poète rédigeait ses propres ouvrages, la renommée des logiciens « modernes » était immense : la tradition de l’enseignement d’Ockham s’était développée, tant par le raffinement des procédures formelles que par l’évolution toujours plus subtile et complexe des techniques relatives aux calculationes. Toutefois, pour Pétrarque, comme pour ses amis et disciples, lec­ teurs des Anciens, admirateurs de Platon, d’Augustin et de Cicéron, les traits caractéristiques de la logique nominaliste qui aujourd’hui attirent à juste titre l’intérêt des savants, constituaient effectivement les exemples flagrants d’une violation de la valeur historique et expressive du discours, telle qu’elle avait été consacrée par les doctrines de la rhétorique classique. A ces « Modernes », qui semblaient vouloir étendre leurs méthodes dialectiques à tous les domaines du savoir, à la grammaire comme à la théologie, à la philosophie comme au droit, les humanistes rétorquaient qu’aucun discours n’était sage ou efficace, s’il n’était pas capable d’agir sur l’âme humaine et d’en obtenir une adhésion pleine et consciente. En effet, la défense jalouse du discours « éloquent », qui occupe une place si décisive dans le De sui ipsius et aliorum ignorantia, est avant tout l’apologie d’une culture qui, sur l’exemple de Cicéron, se confie au pouvoir de l’art oratoire, parce qu’elle est convaincue de la place centrale que l’homme occupe dans toutes les formes ou tous les modèles du savoir et parce qu’elle croit nécessaire que le discours philosophique atteigne un public de plus en plus large, étranger aux langages des spécialistes et à la curiositas de l’encyclopédisme scolastique. 3. Il s’agit de thèmes qui trouvèrent rapidement un accueil favo­ rable dans les milieux et dans les cénacles humanistes, notamment à Florence, la ville de Boccace et de Coluccio Salutati. Cela n’est point étonnant, si l’on se souvient que dans le Studium generale florentin, fondé en 1321 et reconstitué en 1349, après la Peste noire, se trou­ vaient nombreux les adeptes des doctrines d’Ockham et les lecteurs

1. Voir E. Garin, « La cultura fiorentina nella seconda metà del Trecento e i “barbari britanni” », dans L’età nuova. Rùerche di storia della cultura dal XII al XVI secolo, Napoli, 1969, p. 141-166, notamment p. 151 ; Id., « Petrarca e la polemica contro i “modemi” », dans Rinascite et rivoluzioni. Movimenti culîurali dal XIV al XVII secolo, Roma-Bari, 1975, p. 71-88.

des «barbares britanniques»1. La présence massive, notamment dans les bibliothèques des couvents florentins, des textes d’Ockham, de Buridan, d’Albert de Saxe, de Marsile d’Inghen, ainsi que des Calculationes de « Suisset », d’« Entisber » et de Grégoire de Rimini en est la meilleure preuve. Cela est encore confirmé par la présence des traités du De intentione et remissione farmarum^ des sophismata, des insolubilia et des obligationes, enregistrés dans les catalogues des couvents et lus avide­ ment, nous le savons, par de jeunes étudiants, tel le futur canoniste Lorenzo Ridolfi, ami et disciple de Salutati12. Élève dévoué de Pétrarque, lecteur passionné de Cicéron, de Virgile, de Sénèque et de Tite-Live, Coluccio Salutati reprit à Florence la polé­ mique de son maître contre les « monstres britanniques » et la défense de l’éloquence et de la rhétorique. En 1374 déjà il opposait, dans une lettre envoyée à Roberto di Battifolle à propos de la mort de Pétrarque, le savoir éloquent du poète et du restaurateur des studia humanitatis aux « bavardages bruyants » des scolastiques. Il y exalte en même temps l’enseignement moral et civique du maître, bien supérieur aux « vaines questions » dont ceux-là encombrent l’esprit de leurs disciples3. Dans la même lettre, Salutati affirme que la douce harmonie de la poésie, rhetorica in musica posita, est bien plus authentique et persuasive que la dialectique trompeuse qui domine dans les Écoles. Toutefois, le document qui illustre le mieux son attitude est celui qui se trouve au début de la deuxième rédaction de son De laboribus Herculis, qu’il amorça en 13834. Dans ce texte, Salutati ne se borne pas à renouveler la défense de la grande poésie classique - un des thèmes dominants de la première tradi­ tion humaniste, de Albertino Mussato à Pétrarque et à Boccace - et à tenir la « théologie » des anciens poètes pour la plus haute forme du savoir humain : il oppose cette « vérité » aux « sophismes » des Moder­ nes, qui ignorent la saine philosophie. Ces mauvais maîtres, toujours prêts à discuter de cunctis disputations garrula, ne savent ni lire ni entendre les textes d’Aristote, dont ils se déclarent les disciples, mais à qui ils préfè­ rent la lecture des traités obscurs et trompeurs des « barbares » de l’École. Aussi leur prétendue science se réduit-elle à l’étalage inutile de mots effroyables et à un jargon corrompu favorable à leurs chicanes ou à leurs fourberies. A l’instar de Pétrarque, Salutati, qui connaissait bien, pourtant, les techniques et les procédures propres aux « dialecticiens », 1. A ce propos, je me permets de renvoyer à ma recherche : « Uno Studio tra scienza e “humanae litterae” », dans Tra «maestri», umanisti e teologi. Studi quattrocenteschi, Firenze, 1991, p. 1-57. 2. Voir Garin, « La cultura fiorentina », cit. 3. C. Salutati, Epistolario, publié par F. Novati, Roma, 1891 et s., I, p. 176 et s. 4. G. Salutati, De laboribus Herculis, publié par B. Ullman, Turici, 1951, I, p. 35-39.

estimait que les sophistes visaient seulement à mettre leurs adversaires en contradiction avec eux-mêmes, afin d’en tirer une victoire facile. Il reprend presque mot à mot la dénonciation de Pétrarque contre les pré­ tendus corrupteurs de l’ancienne et sainte philosophie1. Écrivant en 1398 une lettre à un célèbre logicien de cette époque, Pie­ tro degli Alboini1 2, où il se félicitait qu’un Italien se fût montré aussi habile qu’un Britannique, il l’invitait en même temps à « déchirer les illusions des sophistes », et à donner à ses lecteurs la « connaissance des choses », afin qu’ils soient libérés de l’équivoque des « significations », des suppositions et des appellationes. Lorsqu’il aurait appris « tout ce que la grammaire peut dire, la logique démontrer et la rhétorique persuader », Pietro devait lui aussi se tourner à la fin vers la poésie, le seul art capable de parler des « choses divines ». Au lieu des « termes », la philosophie devait donc se retourner du côté des res, et se consacrer à la connaissance du monde humain, fondée sur le « discours » et sur la mémoire historique. En 1392 déjà, dans une célèbre missive, écrite au noble espagnol Juan Fernandez de Heredia3, le chancelier florentin avait opposé aux vanités des dialecti­ ciens la connaissance de l’histoire, maîtresse de sagesse politique et morale et seule vérité qui permette de comprendre la vertigineuse aventure des événements, des institutions et des civilisations humaines. Naturellement, la polémique de Salutati ne resta pas sans réponse dans le milieu florentin, de la part d’hommes de savoir qu’il connaissait bien. Le musicien Francesco Landino, dit 1’ « Aveugle des Orgues »4, écrivit même un poème en faveur d’Ockham, où il revendiquait les méri­ tes du maître anglais (considéré même par Boccace comme un logicien hors de pair) et ne se privait pas d’attaquer ses détracteurs. A ses yeux, ces derniers ne savaient qu’accuser les dialecticiens d’être des sophistes et des barbares, alors que leur culture n’atteignait pas même les rudiments du savoir. Leur doctrine se réduisait à ressasser quelques mots de Cicé­ ron et de Sénèque, qu’ils opposaient à la prétendue corruption des « Modernes ». Cependant, si l’on cherchait à les engager dans une vraie discussion, ces humanistes savaient à peine prononcer quelques confuses paroles. Pis encore, la latinitas, dont ils se targuaient, ne valait guère plus que leur très mauvaise philosophie, puisque le langage et le style dans lequel ils s’exprimaient était un amas confus d’erreurs et de solécismes, de fautes logiques et syntaxiques formulées en mauvais latin. 1. Ibid., p. 4. 2. Salutati, Epistolario, cit., III, p. 318 et s. Voir aussi G. Vasoli, « Pietro degli Alboini da Mantova “scolastico” della fine del Trecento e un’epistola di Coluccio Salutati », dans Studi sulla cultura del Rinascimento, Manduria, 1968, p. 35-39. 3. Salutati, Epistolario, cit., II, p. 289-302. 4. Le texte de Landino, In Laudem loyce Ocham, est public dans Garin, « La cultura fiorentina », cit., p. 35-39.

Cino di Francesco Rinuccini prenait le même parti pour défendre Dante, Pétrarque et Boccace contre les calomnies de quelques jeunes humanistes1. Il parlait des nouveaux grammairiens comme d’« une bri­ gade de bavards qui, pour paraître très savants auprès du peuple, criaient sur les places publiques combien de diphtongues avaient les Anciens, et pourquoi aujourd’hui on n’en employait plus que deux, et quelle grammaire était la meilleure, celle du temps du comique Térence, ou celle expurgée de l’héroïque Virgile ». Il insistait sur l’ignorance que ces bavards avaient de la dialectique, considérée à tort par eux comme une « science sophistique très longue et peu utile ». Il réfutait les calom­ nies dont ils accablaient l’enseignement scolastique de la rhétorique, sans comprendre combien celui-ci était « très utile à la République ». Contre ces détracteurs du savoir traditionnel, qui rejetaient tous le système des sept arts libéraux, sans épargner la « sainte théologie » et qui s’adonnaient à de vaines disputes sur les historiens et les poètes anciens, Rinuccini se montrait très sévère. H était surtout indigné qu’ils puissent affirmer que « Platon est meilleur philosophe qu’Aristote » et il invo­ quait l’autorité de saint Augustin, d’après lequel « le Stagirite est le prince des philosophes, à l’exception toujours de Platon ». Telle était leur témérité, qu’on pouvait douter même de leur foi chrétienne1 2. 4. Je pourrai parler encore longuement de ces disputes et du débat public qui, vers 1406, opposa Salutati au théologien dominicain et futur cardinal Jean Dominici3, qui craignait que le « retour aux Anciens » cachât des attitudes mentales, des pratiques éducatives dan­ gereuses pour l’orthodoxie catholique. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’évoquer ici les nombreuses recherches des spécialistes qui ont éclairé les raisons complexes, entre autres politiques, de ces débats4. Il est plus opportun d’analyser brièvement un texte, dont la genèse, la chrono­ logie et le sens historique échappent en partie encore aux chercheurs5, mais dans lequel on retrouve toute l’attention portée aux arts du dis­ 1. Voir Invectiva contro a cierti calunniatori di Dante et di messer Francesco Petrarca e di messer Giovanni Boccaccio, en appendice de A. Wessellofski, Il Paradiso degli Alberti, Bologna, 1867, I, p. 303-316. 2. Ibid., p. 306-311. 3. Voir Salutati (Coluccio), Epistolario, cit., IV, p. 205 et s. 4. Voir notamment H. Baron, The Crisis of the Early Italian Renaissance. Civic Humanism and Republican Liberty in an Age of Classicism and Tyranny, Princeton (NJ), 1955. Voir aussi Id., From Petrarch to Leonardo Bruni. Studies in Humanism and Political Literature, Chicago-London, 1968. 5. Sur les questions relatives à la datation des Dialogues, voir mon article « Bruni, Leonardo » dans Dizionario biografico degli Italiani, XIV, Roma, 1972, p. 343-357. Très utile comme instrument de travail, avec une bibliographie mise à jour, est le volume The Humanism ofLeonardo Bruni. Selected Texts. Translation and Introduction by G. Griffiths, J. Hankins, D. Thomps, Binghamton (NY), 1987. Sur le débat relatif au lien entre rhétorique et politique chez Bruni (qui se manifesta particulièrement dans le conflit entre Seigel et Baron dans la revue Past and Present, en 1966), voir E. Garin, « La “retorica” di Leonardo Bruni», dans Dal Rinascimento aUllluminismo, Pisa, 1970, p. 21-42, et désormais N. Rubinstein, « Il Bruni a Firenze : retorica e politica », dans Leonardo Bruni Cancelliere della Repubblica di Firenze. Convegno di studi, Firenze, 27-29 ottobre 1987, publié par P. Vid, Firenze, 1990, p. 15-28.

cours par la deuxième génération des humanistes. Il s’agit des Dialogi ad Petrum Istrum de Leonardo Bruni1, exemple élégant de ces petites com­ positions humanistes de caractère oratoire, basées sur le dialogue et sur la technique de l’argumentation pro et contra. C’est aussi un témoignage limpide de la continuité de certains thèmes intrinsèquement liés à la vision humaniste de la rhétorique. Dans le premier dialogue, Bruni fait prononcer à son protagoniste, l’humaniste Niccolo Niccoli, apologiste intransigeant des Anciens, une critique virulente de la culture scolastique accompagnée d’un éloge vibrant des orateurs, des grammairiens, des rhétoriciens et des philoso­ phes classiques, seuls et véritables modèles d’une formation « humaine ». Leurs doctrines ont beau être « nobles et humanistes », elles subissent désormais l’oubli et la raillerie d’un siècle qui ignore la vraie philo­ sophie, ramenée de Grèce en Italie par Cicéron et nourrie par le « fleuve d’or» de son éloquence12. En évoquant ce temps heureux où ne s’exerçait pas la dictature des « captieux syllogismes », Niccoli regrette les livres précieux de Cicéron et de Sénèque, dont les siècles passés nous ont privés, pour leur préférer les écrits de Cassiodore et d’autres auteurs qu’aucun lecteur médiocrement lettré n’aurait osé ni daigné lire dans les bonnes époques. La disparition des chefs-d’œuvre de l’éloquence et de la sagesse antiques a permis le triomphe dans l’École d’un jargon barbare (attribué à tort à Aristote, transformé en une sorte d’oracle universel) dans lequel se trouvent des mots comme aspera, inepta, dissona qui blessent les oreilles bien éduquées3. En faisant appel à un thème favori de Pétrarque, Bruni déclare, toujours par le truchement de Niccoli, que les textes d’Aristote ont été corrompus et falsifiés par la transformation que les scolastiques leur ont fait subir, métamorphose plus complète que celle d’Actéon changé en cerf. Cicéron a toujours parlé d’Aristote comme d’un écrivain très élo­ quent et très élégant, tandis que les livres du Stagirite qui circulent dans les écoles sont écrits dans une langue négligée et avec les expres­ sions les plus barbares qu’on ait jamais entendues. Il n’est pas étonnant qu’une philosophie tirée de sources si impures, qui offense le canon classique de l’identité entre eloquentia et sapientia, s’avère incapable d’engendrer une quelconque forme de vrai savoir, y compris la gram­ maire et la rhétorique. Cela est confirmé par le sort de la dialectique, qui est d’après Bruni « déchiquetée » par les sophismes des « Britanni­ ques », ces maîtres dont les noms barbares ( « Farabrich, Buser, 1. Je me sers de l’édition proposée par Garin dans Prosatori latini, cit., p. 44-99. 2. Ibid., p. 54 et s. 3. Ibid., p. 57.

Occam » ) indiquent qu’ils sont membres de la « légion de Radamante ». Leurs livres et leur jargon inhumain dégorgent maintenant de la bouche de nombre de prétendus savants, tandis que Vairon, Tïte-Live, Salluste et Pline sont réduits au silence, et que plusieurs ouvrages de Cicéron sont encore à découvrir. Ainsi, l’on est devenu incapable de parler et de discuter «humainement»1. L’adhésion de Bruni aux thèmes polémiques de Pétrarque et de Salutati est complète. Elle est enrichie par sa connaissance personnelle du grec, ainsi que par son expérience de traducteur de textes platoni­ ciens et aristotéliciens. Cependant, l’attaque contre la culture de l’École au nom du retour à la sagesse « rhétorique » des Anciens est, dans les propos attribués à Niccoli, portée à ses extrêmes conséquences, jusqu’à englober les « trois couronnes » florentines (Dante, Pétrarque et Boccace), accusées d’être également infectées par cette barbarie moderne, bien trop éloignée de la perfection et de la « mesure d’or » des Classi­ ques12. Cette conclusion sera pourtant démentie dans le deuxième dia­ logue, où l’auteur, tantôt par l’intervention de Salutati, tantôt par la palinodie de Niccoli lui-même, s’efforce de bien distinguer la « gloire » poétique de Dante, de Pétrarque et de Boccace, élevés au rang de maî­ tres de la nouvelle culture humaniste, de la « barbarie » dominante dans l’Ecole3. Cette nuance mise à part, Bruni ne modifie pas son jugement négatif sur la culture philosophique, sur le langage et sur les procédures du discours scolastique. Il ne cesse d’opposer à ce dernier l’art oratoire antique, inséparable de ce qu’il considère comme la seule philosophie utile et nécessaire aux hommes. Cette détermination se révèle surtout dans ses ouvrages pédagogiques, inspirés toujours du principe de l’union étroite entre les res et les verba, entre les choses et leur expression par les mots les plus efficaces, les plus clairs et les plus élégants. L’un de ses écrits les plus caractéristiques est le Cicero novus (vers 1415), où l’orateur latin est exalté comme le maître de l’art du discours supérieur à tous les maîtres grecs; il a su parfaitement conjuguer l’éloquence à la domination universelle de Rome. 5. La défense de la poésie et de l’éloquence, ainsi que l’appel à l’enseignement rhétorique des Anciens, n’est ni la caractéristique exclu­ sive des premiers humanistes florentins, ni celle de leur milieu. Ce n’est pas non plus l’aspect particulier d’une tradition politique proprement florentine ; au contraire, la récurrence de ces thèmes s’observe, à quel­ ques nuances près, dans toutes les grandes personnalités de 1. Ibid., p. 56-60. 2. Ibid., p. 68-75. 3. Ibid., p. 76-99.

l’humanisme du premier Quattrocento italien. Tous étaient engagés dans la formation d’écoles et de méthodes d’enseignement nouvelles, ainsi que dans la restauration des langues et des doctrines rhétoriques anti­ ques. Il suffit de parcourir les textes les plus significatifs de cette culture, des épîtres de Guarino Veronese1 aux témoignages sur l’enseignement de Vittorino da Feltre et aux écrits pédagogiques de Pier Paolo Vergerio12, pour voir que l’apologie commune des borue littery comme fondement de l’éducation et du savoir, a partout dans l’Italie de cette époque été associée à l’insistance méditée sur l’unité entre les trois arts du discours et sur la valeur de la rhétorique dont la maîtrise est nécessaire à l’acquisition et la transmission de tout savoir, et notam­ ment pour l’exercice de l’intelligence propre à l’homme politique, à l’orateur, au maître et à tous ceux qui veulent agir par le biais du dis­ cours. La vertu persuasive de l’éloquence, qui fait surgir les arguments et les sentiments capables d’agir véritablement sur l’âme, est étroite­ ment reliée à l’enseignement éthique et politique, ou à Vexemplum histo­ rique, mais aussi à l’élaboration d’un savoir qui est irréductible au seul procédé dialectique. Même la philosophie et la théologie, justement parce qu’elles relèvent de la parole, ne peuvent pas rester étrangères à la rhétorique et repousser les instruments qu’elle leur offre et qui leur garantit l’efficacité dans leur œuvre de formation des esprits. Ces consi­ dérations n’excluent pas la Sainte Écriture, dont Salutati lui-même, au cours de sa discussion avec Dominici, avait exalté aussi bien les conte­ nus historiques et poétiques que l’extraordinaire vertu expressive3. On a affaire ici à des idées enracinées dans les origines mêmes de la culture humaniste et que les nouveaux hommes de lettres réaffirment à travers l’évocation constante des traditions de la rhétorique (fondées notamment sur Cicéron, la Rhetorica ad Herennium, et, bientôt aussi, sur Quintilien). Ces traditions n’étaient que partiellement connues par les auteurs du Moyen Age et elles le restèrent, même après le retour en Occident de la Rhetorica d’Aristote. L’aspect le plus intéressant de l’argumentation humaniste est moins dans la centralité accordée à l’enseignement de la grammaire et de la rhétorique, que dans sa trans­ formation en un critère de vérification préalable de la validité linguis­ tique de tout discours, c’est-à-dire de son effective légitimité en tant 1. Je me sers de l’édition proposée par H. Baron, dans Leonardo Bruni Aretino, Humanistische-philosophische Schriften, Leipzig-Berlin, 1928 (réédité Wiesbaden, 1968), p. 113-120. Dans ce volume sont publiés aussi les écrits pédagogiques de Bruni : De studiis et litteris liber (1422-1429) et Isagogicon moralis disciplinae (1421-1424), p. 5-40. 2. Sur les manifestations les plus importantes des idéaux pédagogiques et des programmes éducatifs humanistes, voir E. Garin (éd.), L’Umanesimo, dans la collection « I classici della filosofia italiana », II, Firenze, 1958. 3. Voir n. 3, p. 53.

qu’expression immédiate de la pensée. Cela explique pourquoi les pro­ fesseurs humanistes de rhétorique et de grammaire peuvent avancer de fortes réserves critiques à l’égard de toute la tradition du savoir clas­ sique qui s’était maintenu en Europe pendant Г « âge obscur»1. On comprend aussi pourquoi, alors qu’ils retrouvent et renouvellent pro­ fondément cette tradition par leur travail de chercheurs de manuscrits, de traducteurs et de commentateurs de textes inconnus ou déjà connus, en s’appuyant sur une analyse rhétorique qui prend déjà l’aspect de la philologie naissante, ils affirment aussi leur droit à discuter les textes et les concepts en principe réservés aux disciplines « supérieures » (le droit, la médecine et la théologie). Ces prétentions provoquent évidemment de vives réactions dans les milieux scolastiques et elles suscitent d’âpres débats qui se mêlent aux querelles sur la « dignité » respective des disciplines du savoir (de la médecine et du droit notamment)12, un genre littéraire caractéristique de la culture du XVe siècle. Si ces disputes montrent l’opposition gran­ dissante entre deux cultures, elles poussent aussi les lettrés à préciser la fonction des procédés et des instruments linguistiques et rhétoriques, et à fixer l’usage et les limites de leur emploi. Au cours des polémiques du XVe siècle s’affirme de plus en plus clairement la vraie finalité de l’appel humaniste à l’éloquence et à la rhétorique. Cet appel implique déjà la recherche d’un « système » différent des arts et de son rapport avec un modèle linguistique qui soit le plus proche possible de 1’ « usage » et dépourvu de formalismes excessifs. Ce n’est pas un hasard si la condamnation par les humanistes des artifices métriques et du procédé médiéval du cursus n’est pas différente, si l’on y regarde de près, de leur refus de la nimia subtilitas propre à la logique scolastique tardive. En effet, l’exigence de revenir aux valeurs originelles de la langue latine est en rapport étroit avec l’invitation humaniste à renouveler les canons simples et clairs d’une « dialectique naturelle » qui coïncide avec les structures essentielles du discours. Il n’est donc pas étonnant que les maîtres humanistes, en quittant les for­ mes propres à l’enseignement scolastique (les summœ, les quœstiones, les gloses), renouvellent les procédés du discours philosophique classique - le dialogue, l’épître, l’exhortation morale et politique, la diatribe polémique, etc. - qui adhèrent de plus près aux modes immédiats de la 1. Voir à ce propos E. Garin, Il ritomo dei filosofi antichi, Napoli, 1983. 2. Sur cette question, voir E. Garin (écL), La disputa delle arti nel Quattrocento, Firenze, 1947, notamment l’introduction et les renvois à l’essai de L. Thorndike, dans Science and Thought in the Fif­ teenth Century, New York, 1929, p. 24-58, ainsi qu’au travail de P. O. Kristeller, « Humanism and Scholasticism in the Renaissance », Bizantion, XVII, 1944-1945, p. 346-347. Voir aussi C. Vasoli, « Le discipline e il sistema del sapere », dans Sapere e/èpotere. Discipline, dispute et prqfesswni nelPUniversità medievale e modema. Atti del IV convegno, Bologna, 13-15 aprile 1989, II, Bologna, 1990, p. 11-36.

communication humaine. Un tel choix est à son tour le signe d’une mutation profonde dans la manière de concevoir la relation entre le savant et son auditoire, laquelle est de plus en plus orientée vers les for­ mes de la divulgation et de la « propagande » des doctrines philosophi­ ques et scientifiques. Voilà pourquoi les elogia des arts libéraux, si fréquents dans la littéra­ ture humaniste, donnent souvent à la rhétorique le qualificatif de divine, la désignant comme le sommet et l’accomplissement de toute élabora­ tion doctrinale. On y trouve également le souci constant de réaffirmer le lien unitaire entre les trois arts du discours, qui ont un but commun auquel doivent être ordonnées les autres sciences. L’examen des pro­ grammes et des curricula des écoles humanistes montre que ces critères ont été respectés; même quand il s’est agi de former des savants, ces der­ niers devront s’exprimer dans un langage pur et choisi, en un équilibre parfait entre la doctrine et la forme du discours. Il me semble que ces mêmes principes ont inspiré aussi les traités et les autres écrits de rhéto­ rique élaborés entre la fin du XIVe et les premières décennies du siècle suivant, avec l’intention évidente de renouveler les canons de la tradition classique, de proposer des normes et des exemples tirés des meilleures auctores et de fournir ainsi des modèles d’expression utiles aux diverses occasions oratoires. Parmi ces écrits, il faut surtout rappeler le commentaire rédigé par Antonio Loschi sur quelques discours de Cicéron1, les commentaires de Guarino Veronese à la Rhetorica ad Herennium1, puis aux Oratoriœ artis epi­ tome de Jacopo Publicio3 ainsi que cette sorte d’œuvres brèves consacrées par les humanistes à des sujets particuliers, tels le De compositione de Gasparino Barzizza4 (daté de 1420 et fortement influencé par Quintilien, mais en partie aussi par la pensée des auteurs médiévaux, notamment de Marcianus Capella) ou la Nova Rhetorica du frère Lorenzo Guglielmo Traversagni5, qui travaille à renouveler le style de l’éloquence sacrée. Toutefois, le fait plus significatif, c’est que ce genre de compositions, qui visent à remplacer les manuels rhétoriques des Écoles - tel celui écrit au XIVe siècle par Bartolino de Benincasa ou celui dénommé Alanus qui 1. Sur les œuvres rhétoriques de Loschi, on peut toujours lire avec profit : R. Sabbadini, La scuola e gli studi di Guarino Guarini Veronese, Genova, 1891, p. 59-60 (réimprimé dans Guariniana, par M. Sancipriano, Torino, 1954) ; Id., Storia e critica dei testi latini, Padova, 19711 2, p. 19-23. 2. Voir Sabbadini, La scuola, cit., p. 61 et s., 93 et s. 3. A propos de Publicio, voir l'importante contribution de A. Sottili, Giacomo Publicio «Hispanus» e la dijffusione dell’umanesimo in Germania, Barcelona, 1985. 4. Voir l’article de G. Martellotti, « Barzizza, Gasparino », dans Dizionario biografico degli Italiani, VU, Roma, 1965, p. 34-39 ; Sabbadini, Storia e critica, cit., p. 78-87 ; Id., Storia del ciceronianesimo, Torino, 1896, p. 13 et s. 5. Sur cet ouvrage tardif (1478), voir J. Monfasani, George ofTrebizond. A Biography of his Rheto­ ric and Logic, Leiden, 1975, p. 261.

pourrait être attribué à Alain de Lille -, se proposent de puiser chez les Anciens plusieurs techniques de l’art oratoire pour les employer dans les divers genres de discussion et d’enseignement1. Tant et si bien que le savoir et l’étude tendent à se concentrer sur l’illustration du meilleur usage des formes de l’élégance, de l’ornement et des structures de l’argumentation (l’enthymème, l’exemple et l’induction), particulièrement propres au développement des matières ou des questions dans lesquelles prévaut le critère de la possibilité et de la probabilité. Ainsi prend forme la tendance qui connaîtra une grande fortune dans la littérature humaniste de caractère rhétorique et dialectique, à savoir l’attention accordée au moment de Vinventio et à l’élaboration de « systèmes » ou de « trésors » d’arguments développés à partir des Topica de Cicéron, de la Rhetorica ad Herennium et des Institutiones de Quintilien. Outre l’analyse de l’ordre des mots et de leur rythme (parti­ culièrement développée chez Barzizza), les premiers essais de rhéto­ rique humaniste, notamment dans le travail de Loschi, montrent non seulement une recherche attentive des différentes catégories d’argu­ ments, mais aussi une analyse des lieux et des schémas généraux de la topique, très utiles pour imprimer ces mêmes arguments dans la mémoire de celui qui parle et de celui qui écoute, et pour établir leur succession et leur connexion dans l’ensemble organique de 1’ oratio. Sans doute, il ne s’agit ni d’attitudes vraiment nouvelles, ni moins encore de positions allant à l’encontre d’autres tendances déjà opéra­ toires dans la tradition rhétorique médiévale. En effet, la notion de « lieu » et les schémas de la « topique » générale avaient connu des développements fort intéressants dans la culture scolastique. Comme l’a montré Walter Ong1 2, la notion aristotélicienne de topos, avec l’impulsion qu’elle avait reçue dans les doctrines logiques du Portique, puis dans les écrits de Cicéron et de Quintilien, ainsi que dans la Rhe­ torica ad Herennium, avait influencé en profondeur les auteurs médié­ vaux, de Boèce à Pierre d’Espagne. Et même dans un ouvrage sou­ vent très critiqué par les humanistes, les SummuLe logicales de Pierre d’Espagne (le pape Jean XXI), l’on trouve des thèmes qui furent repris ensuite, dans leurs écrits sur la rhétorique et la dialectique, par d’autres humanistes, tels Georges de Trébizonde et Lorenzo Valla3. Il faut cependant reconnaître que les maîtres humanistes associèrent leur intérêt pour la rhétorique classique à l’idée d’une réforme générale de 1. Voir tbid., p. 262-264, 370. 2. Voir W. J. J. Ong, Ramus. Method and the Decay of Dialogue, Cambridge (Mass.), 1958, p. 53 et s. 3. Sur les écrits de Lorenzo Valla, voir infra, passim.

l’enseignement et à la recherche d’une via docendi, qui soit capable non seulement de renouveler le langage, mais aussi d’opérer une mutation profonde dans l’ordre du savoir. Cela explique pourquoi des concepts tels que via, ratio, ordo et modus soient si récurrents dans de nombreux textes humanistes ou dans les témoignages qui nous sont parvenus sur l’activité et les méthodes pédagogiques des professeurs humanistes du XIVe siècle, comme Vittorino da Feltre et Guarino Veronese. Il se peut - comme l’a observé N. W. Gilbert1 - que ces choix lexicaux aient été influencés par l’idée des arts comme « système de préceptes élaborés à des fins utiles à la vie », que les humanistes pou­ vaient trouver dans les œuvres de leurs écrivains favoris, tels Cicéron, Quintilien, Lucien et Hermogène de Tarse. Je ne crois pourtant pas que le prestige de ces auteurs puisse être détaché de la situation histo­ rique particulière à la culture humaniste, engagée dans la recherche de procédures rapides et essentielles pour discuter, enseigner et trou­ ver dans les paradigmes de l’art oratoire classique les techniques les plus efficaces de l’argumentation. Plus tard, vers le début du XVIe siècle, l’accroissement rapide des connaissances historiques, des expériences géographiques et des recherches de philosophie naturelle, associé à la crise de la cosmologie péripatéticienne et au retour à la problématique philosophique de l’Antiquité, rendra encore plus urgente la proposition d’un ordre nouveau du savoir correspondant à Yordo dicendi, et qu’il faudrait chercher dans une plus complète intégra­ tion entre procédures rhétoriques et procédures dialectiques. Mais déjà dans la première moitié du Quattrocento s’affermit, avec l’élargissement de la valeur pédagogique de la rhétorique, la volonté de faire entrer dans les instruments de la « renaissance » grammaticale et rhétorique la logique aristotélicienne elle-même. Celle-ci est sou­ mise à une analyse critique systématique, et ses prémisses linguisti­ ques, inséparables de ses fondements métaphysiques, de ses concepts et principes généraux, sont soumises à une discussion approfondie. L’expérience des humanistes - savants connaisseurs de la langue grecque, traducteurs et commentateurs, grammairiens et rhétoriciens poussa à discerner dans le complexe édifice de Y Organon aristotélicien les structures du discours qui étaient encore valables et celles qui n’étaient plus que redondantes ou superflues. On en vint à considérer les procédures logiques comme des modi sermocinales nés des habitudes et des besoins pratiques du langage, mais qui s’étaient rapidement « corrompus » avec la décadence des langues classiques et la perte des plus grands monuments de Yeloquentia. 1. Voir N. W. Gilbert, Renaissance Concepts of Method, New York, 1960, p. 69-71.

6. L’humaniste qui représenta le mieux cette tendance de la culture du XIVe siècle, ainsi que la transformation des studio, humanitatis en pre­ mière expérience de la philologie moderne, fut Lorenzo Valla1. Ce jeune professeur de grammaire et de rhétorique avait accompli sa for­ mation entre Rome, Florence et Pavie dans des milieux intellectuels qui avaient participé activement aux débats et aux polémiques des pre­ mières décennies du siècle. Sans doute, nous venons de le voir, l’appel à la valeur fondamentale de l’expérience linguistique avait déjà inspiré les écrits les plus significatifs de Leonardo Bruni, notamment ses discus­ sions sur les nouvelles méthodes de traduction, qui s’opposaient à l’impéritie des versions médiévales d’Aristote1234. Par ailleurs, la redécou­ verte et la reconstruction des textes classiques (littéraires mais aussi phi­ losophiques, scientifiques, historiques, juridiques), opérées par les humanistes pendant les trente premières années du siècle avec les méthodes d’une philologie audacieuse, mais acerbe, avaient transformé en profondeur la perspective historique de la pensée classique et les points de repère nécessaires à l’interprétation de la tradition péripatéti­ cienne elle-même. Mais la nouveauté de l’attitude de Valla se mani­ festa dès l’époque de son enseignement à Pavie (1431-1433), lorsqu’il commença à méditer et à écrire ses plus importants ouvrages, les Elegantiœ laùrue linguœ* et la Dialectical^ longuement remaniés en versions dif­ férentes, par un tenace travail critique, dont témoigne son Epistolario5, source essentielle pour l’histoire de l’humanisme durant la première moitié du Quattrocento. Du reste, ce fut vraiment dans cette période que Valla, de plus en plus en désaccord avec l’organisation cicéronienne de l’enseignement rhétorique humaniste, se consacra à l’étude des Institu1. L’étude la plus importante sur la rhétorique et la dialectique dans l’œuvre de Lorenzo Valla est encore aujourd’hui celle de P. S. I. Camporeale, Lorenzo Valla. Umanesimo e teologia, Firenze, 1972 ; pour un point de vue différent, se reporter à Seigel, Rhetoric, cit., et surtout à Ch. Trinkaus, In our Image and Likeness. Humanity and Divinity in Italian humanist Thought, London, 1970. Voir aussi le travail remarquable de H. B. Gerl, Rhetorik als Philosophie. Lorenzo Valla, München, 1974, et plus généralement, le livre de M. Fois, Il pensiero cristiano di Lorenzo Valla e il quadro storico-culturale del suo ambiente, Roma, 1969. Parmi les contributions plus récentes, voir O. Besomi et M. A. Regoliosi (éd.), Lorenzo Valla e PUmanesimo italiano. Atti del Convegno intemazionale di studi umanistici, Parma, 18-19 ottobre 1984, Padova, 1986. 2. Voir, à ce propos, Garin, Il ritomo, cit., p. 31 et s. 3. Pour les Elegantiœ, je me sers de l’édition imprimée dans les Opera omnia, Basileæ, 1540, qui a été réproduite par E. Garin dans les deux volumes des Œuvres de Valla, Torino, 1962. Voir aussi J. Ijsewijn et G. Toumoy, « Un primo censimento dei manoscritti e delle edizioni a stampa degli “Elegantiarum linguae latinæ libri sex” di Lorenzo Valla », in Humanistica Lovaniensia, XVIII, 1969, p. 25-41. 4. Je me sers de l’édition mentionnée supra, n. 1, p. 47. Le premier volume contient le texte de la dernière rédaction, qui fut commencée par Valla autour de 1449 et poursuivie probablement jus­ qu’à sa mort (1457). Le deuxième volume contient le texte de la première rédaction, qui ne fut pas écrite avant 1438. Pour la datation des différentes compositions de cet ouvrage, ainsi que de ses cri­ tères de publication, voir l’édition citée, ibid., notamment l’introduction, I, p. 1Х-СХХХ. 5. Pour VEpistolario, je me sers de l’édition critique publiée par O. Besomi et M. A. Regoliosi, Patavii, 1984.

tiones oratoria de Quintilien, dont le texte complet avait été découvert par Poggio Bracciolini en 1416. H considérait cet ouvrage comme le meilleur guide de l’enseignement de la grammaire et de la rhétorique, et il en fit l’inspirateur constant de ses analyses appliquées aux diffé­ rents domaines du savoir. Comme l’a montré Camporeale1, l’examen du manuscrit de Quintilien, que Valla acheta au savant Jean Aurispa12, révèle déjà, dans ses nombreuses gloses marginales, le retour constant de l’humaniste à cette précieuse source, utilisée non seulement comme texte d’enseignement, mais surtout comme clef pour l’interprétation des questions les plus complexes de philologie et de linguistique. П n’y a pas de doute que la méditation de cette œuvre fut à l’origine d’un pro­ jet de recherche qu’il poursuivit toujours fidèlement : élaborer des pro­ cédures philologiques rigoureuses, pour autant que le permettaient les connaissances de son temps, dans le but de transformer la doctrine rhé­ torique de Guarino, de Barzizza, et même de Poggiolini, en ébauche d’une nouvelle science du langage. Cela explique pourquoi, pendant la plus grande partie de son exis­ tence, Valla se trouva au centre de débats et de polémiques qui - comme on l’a parfois souligné - sont un témoignage exemplaire de son éloignement pour les conceptions et les méthodes de la génération précédente. Pendant le dur conflit qui l’opposa à Bracciolini (14521453), son désaccord avec ses prédécesseurs prit des formes bruyam­ ment polémiques. L’on comprend pourquoi les critiques que Valla adressa, tant aux anciens grammairiens (de Priscien à Servius) qu’aux philosophes (Aristote, Boèce, Cicéron), lui furent reprochées par les autres humanistes comme une divergence scandaleuse des habitudes mentales et de la prédilection pour Cicéron propres à la nouvelle cul­ ture, auxquelles Valla opposait tenacement les doctrines de Quintilien. L’analyse que Camporeale3 a consacrée à ces sujets met d’ailleurs en évidence combien la figure du grand rhéteur latin est constamment présente et souvent de manière décisive dans toutes les rédactions de la Dialectique de Valla, si bien qu’on trouve dans l’œuvre de cet humaniste indépendant des chapitres entiers des Institutiones, accompagnés de cor­ rections attentives des citations de Quintilien. Cette lecture se fondait sur le manuscrit parisien qui était en sa possession, meilleur que celui utilisé auparavant. Toute la reconstruction des rapports entre Valla et le texte de Quintilien - depuis l’écrit perdu de sa jeunesse, le De comparatione Ciceronis Quintilianique3 jusqu’aux polémiques tardives des 1. Voir Camporeale, Lorenzo Valla, cit., p. 62 et s. 2. Ce manuscrit est conservé à Paris, BNF, Lat. 7723. 3. Lorenzo Valla, cit., p. 89 et s.

années 1450 - confirme que cet auteur trouva dans les Institutiones une source d’inspiration précieuse pour développer des méthodes de recherche destinées à transformer radicalement la conception huma­ niste des arts du discours. П est bien vrai cependant que Valla tenait Cicéron pour le princeps eloquentiœ, le modèle essentiel de tout art ora­ toire. Mais il était convaincu aussi que seul Quintilien avait su mener à bien une analyse critique des structures linguistiques et rhétoriques capable de rendre inutile d’éliminer toute référence aux grammairiens précédents et de rendre caduques la pauvreté et la barbarie des manuels encore utilisés dans l’Ecole. Aux origines de l’activité critique et philologique de l’humaniste romain se trouve donc une vision de la grammaire et de la rhétorique comme disciplines à valeur historique et herméneutique, qui doivent se fonder tant sur l’étude analytique des auctores que sur la compréhension attentive de leur langage. Grammaire et rhétorique sont les sciences fondamentales, l’instrument le plus délicat des relations humaines, en particulier sous la forme qu’elles prennent dans la langue latine qui, dans une page célèbre des Elegantiae\ est présentée comme un véritable « sacrement ». Selon Valla, le latin est et demeure le dépositaire de toute la culture philosophique, juridique, historique et théologique de l’Antiquité qui est en train de renaître. Ainsi, l’ignorance de ses normes ou son usage incorrect annulent et rendent impuissantes toute logique, toute philosophie ou toute autre discipline qui fassent usage d’un jar­ gon étranger à leur finalité et qui rend incapable d’exprimer clairement les res auxquelles se réfère la pensée. 7. L’intervention critique de Valla se manifeste aussi bien dans les EUgantiœ que dans la Dialectica, où il procède à l’examen du langage théorique de la scolastique avec l’intention de le purifier de tous les termes étrangers aux règles fondamentales de la grammaire, et de ramener les mots à leur valeur originelle : après avoir été traduits du grec en latin de manière fautive, ils ont été de surcroît mal compris ou confondus. Dans les Elegantiœ, texte fondamental dans le projet lin­ guistique de cet humaniste, les termes du lexique philosophique, théo­ logique et juridique sont soumis à une analyse qui, repoussant les modules grammaticaux déjà « décadents » de Priscien, vise à éclaircir leur usage légitime. Au lexique des Écoles, Valla oppose sans cesse le langage de la philosophie classique, ainsi que celui de la patristique grecque. Il considère celui-ci comme plus pur, d’abord par sa proxi­ mité des origines chrétiennes, mais surtout par ses liens avec une tra1. Pour ce texte, qui appartient à la préface des six livres des Eltganti*, je me sers de l’édition revue et publiée par Garin, Prosatori latini, cit., p. 594-601, et notamment p. 596.

dition grammaticale et rhétorique qui échappait encore, du temps des Pères, à la corruption. L’humaniste romain n’entend pas asservir, comme on l’a parfois prétendu en reprenant un vieux poncif, la philosophie à la supré­ matie de la grammaire et de la rhétorique : il veut montrer que ces deux arts constituent une théorie générale et englobante de toute forme de parole, et au contrôle de laquelle aucun discours ne peut se soustraire s’il tient vraiment à être « signifiant ». Un des thèmes favo­ ris de Valla est celui de condamner la séparation entre la rhétorique et la dialectique qui a eu lieu pendant la période scolastique et qui a fait oublier les relations étroites qui doivent exister entre les deux doc­ trines et qui doivent présider à l’élaboration de leurs procédures com­ munes d’argumentation. П affirme aussi que la dégénérescence de la logique aristotélicienne dans les formes de la sophistique scolastique ainsi que les limites originaires de la théorie péripatéticienne ne seront surmontées qu’à la condition de reconstituer l’unité organique des for­ mes de l’argumentation, dont la science n’est autre que la rhétorique. L’on voit bien qu’en procédant sur cette voie Valla peut replacer sous le contrôle d’une rhétorique générale d’abord la grammaire, puis l’historiographie, la philosophie, la théologie et même l’exégèse des textes sacrés. Dans un passage très important qui confirme un juge­ ment commun à toute la tradition humaniste, Valla écrit que la dia­ lectique, considérée par Quintilien comme res brevis prorsus et facilis, est seulement un genre de la confirmatio et de la conjutatio, c’est-à-dire une partie de l’invention, qui est à son tour une partie de la rhétorique12. Le domaine particulier de la dialectique se limite ainsi à l’usage du syllogisme, utilisé du reste par les orateurs, qui emploient aussi l’épichérème, l’enthymème, l’induction et les ornements lesquels ren­ dent le discours « paré d’or et de pierres précieuses », plénitude qui fait paraître « nu » le discours exclusivement raisonneur du dialecti­ cien. La parole du dialecticien n’est que domestique ou privée, elle ne recherche ni la clarté ni la majesté nécessaires à Voratio qui s’adresse au public plus vaste des communautés civiles. Pour obtenir que son éloquence soit vraiment efficace, l’orateur devra disposer de nombreu­ ses connaissances inconnues au dialecticien, telles l’expérience des offi­ cia et des negotia publics, l’habileté suprême, celle de savoir influencer les âmes, la familiarité avec les intérêts humains les plus divers et la mémoire de l’histoire de tous les peuples. De surcroît, il devra possé­ der la « sainteté de la vie » associée à une dignité exceptionnelle 1. Seigel, Rhetoric, cit., p. 137-169. 2. Dialectica, liv. H, Prœmium, éd. citée, I, p. 175-176 ; II, p. 447-448.

d’esprit, ainsi que la prestance du corps et de la voix. L’orateur est en fait velut rector ас dux populi ; son art, la rhétorique, est sans doute très difficile et accessible à peu de monde. La différence entre la rhéto­ rique et la dialectique est résumée par Valla en une image de grande clarté : l’une est capable de naviguer dans la mer ouverte, en se confiant à la puissance de ses voiles qui bruissent dans le vent, tandis que l’autre, « amie de la certitude », ne s’éloigne pas de la cote et, en regardant la terre plutôt que la mer, se tourne toujours prope oras et scopulosL Je n'insisterai pas davantage sur ces thèmes, d’où il ressort que la réduction de la dialectique à ses principes essentiels répond à la recherche constante d’une connexion organique entre ses procédures et celles de la rhétorique, en vue d’un discours capable de rendre la richesse et l’extrême variété des res, mais aussi d’exercer sa fonction principale qui est d’étudier et de guider. Valla, rejetant le culte des sco­ lastiques pour le seul Philosophe, dépositaire de toute vérité rationnelle, déclare qu’Aristote ne s’est jamais engagé dans les activités qui expri­ ment au mieux la grandeur humaine, comme la participation aux conseils publics, l’administration des provinces, le commandement des armées, l’exercice du barreau, l’exercice de la médecine, le travail du législateur, ou encore l’écriture de l’histoire et la composition de poè­ mes. Certes, la richesse extraordinaire de l’œuvre du Stagirite, ainsi que la grande perfection de sa doctrine le mettent au-dessus d’Hippo­ crate et d’Euclide, qui ont été savants d’une seule science et auteurs de peu d’ouvrages. Us ont pourtant réussi à transmettre « les principes solides d’un art certain »1 2, tandis qu’Aristote mêle sans arrêt la vérité et l’erreur, dans la physique et dans la métaphysique, dans la doctrine de Dieu et dans celle de l’âme, dans la théorie de l’éternité du monde et dans ses conceptions dialectiques : la philosophie du Stagirite nie sou­ vent l’évidence des choses et de l’expérience, élabore par des procédu­ res « équivoques » et selon une faible rigueur linguistique des notions qui ne peuvent pas être démontrées. Le culte pour le Stagirite relève surtout de l’ignorance des autres philosophies antiques, de la soumis­ sion à Vauctoritas et du refus de la liberté critique3. Valla ne conteste pas à Aristote le statut de philosophe éminent, mais celui de plus grand parmi les penseurs classiques. Il affirme par ailleurs que les fautes reprochées à Aristote reviennent principalement à ses disciples, notam­ ment aux maîtres scolastiques, qui ont l’habitude de feuilleter ses 1. Ibid., I, p. 176-177 ; II, p. 448. 2. Ibid., liv. I, Prœmium, éd. citée, I, p. 2-6 ; II, p. 359-361. 3. Ibid., I, p. 6-7.

ouvrages dans des versions corrompues et dans une langue qui ne res­ pecte pas leur structure originaire et se méprend sur leur signification1. Les critiques de Valla comportent donc la suppression des erreurs ou des ambiguïtés qui ont été surimposées à la philosophie d’Aristote et elles restituent au discours philosophique, comme aux autres arts, leur mesure authentiquement linguistique et critique. 8. Un tel programme est réalisé par l’humaniste romain dans les trois rédactions de la Dialectica (seule la première fut vraiment connue à l’époque). Dans ses différentes versions, ce traité commence toujours par la critique des concepts « transcendants » (Ens, Aliquid, Unum, Verum, Вопит), qui sont réduits aux définitions particulières du mot « chose » (res), le seul qui soit vraiment « simple » et « transcendant »12. Je ne peux pas m’attarder ici sur les détails d’une analyse qui se propose de montrer que ces universaux sont en réalité des adjectifs ou des participes, dont le grammairien peut indiquer correctement l’usage et la fonction. Il suffira, en effet, de souligner que, pour Valla, la faute du lexique scolastique réside dans l’idée qu’un participe (ens), un pronom (aliquid) et des adjec­ tifs neutres (unum, verum, bonum) ou des termes abstraits (unitas, veritas, bonitos) puissent signifier quelque chose en soi, comme s’ils étaient des substantifs3. Ils doivent être restitués à leurs fonctions possibles, ruinant ainsi un langage qui prétend donner subsistance à ce qui n’en a point selon les bonnes règles du discours. La table aristotélicienne des prœdùamenta fait aussi l’objet d’une cri­ tique radicale, qui vise à réduire les catégories de la dialectique à quel­ ques rares exemples élémentaires de l’attribution. Premièrement, la réfé­ rence fréquente à la terminologie de Boèce (le « dernier des Romains », mais aussi l’initiateur de la corruption linguistique scolastique)4 permet à Valla de montrer la correspondance douteuse entre le mot substantia - utilisé, d’ailleurs avec beaucoup d’ambiguïté, par Boèce lui-même - et le terme originaire d’Aristote, et son éventuelle identité effective avec l’infinitif esse et avec le participe ens. Le terme grec ouata avait aussi pour Aristote un signifié quadruple (quid erat esse cuiusque, et universale et genus “usia” videtur esse cuiusque et quartum, horum suppositum...), dont il n’était pas vraiment facile d’indiquer quel était le plus pertinent. De cette difficulté est née l’incertitude profonde de la tradition péripatéticienne qui, par ce 1. Ibid., I, p. 7. 2. Ibid., liv. I, 1-2, éd. citée, I, p. 8-21 ; II, p. 363-370. Il faut observer qu’au XVIe siècle la diffusion de la Dialectica fut au contraire le fait de la deuxième rédaction, présente dans toutes les impressions, de l’incunable attribué à Otinus de Luna, qui l’aurait édité à Venise vers 1500, aux éditions de Bâle de 1510 et 1543 {Opera omnia, imprimée par Henric Petri. Voir aussi l’introduction, I, p. XXXIII-XLII). 3. Ibid., I, p. 15-23 ; II, p. 369-373. 4. Ibid., liv. I, 6, éd. citée, I, p. 41-43.

terme, a exprimé des concepts et des choses fort différents, jusqu’à la confusion constante faite par la scolastique entre les mots essentia, ens (peu courant chez les Romains qui ne le jugeaient pas utile, comme l’a mon­ tré Quintilien) et substantia, qui sont employés comme des termes équiva­ lents1. Selon Valla, même si l’on acceptait ce lexique, on devrait indi­ quer les limites exactes de l’utilisation logique de substantia, en indiquant par ce mot le substrat unitaire des diverses qualités essentielles des cho­ ses (substantia in suppositis est), ou ce qui, selon l’étymologie de ce terme, « se tient au-dessous » des propriétés variables et changeantes, tout en laissant à essentia la tâche d’en désigner la matière. Or, il est évident qu’aucun mot ne pourrait indiquer cette substance pure qui échappe à toute possibilité d’énonciation logique. Il est donc inutile de donner d’autres exemples particuliers et concrets du mot substantia, puisque tous les termes indiquent toujours la substance et la qualité, comme étant deux aspects inséparables de la res1. Ainsi, une fois encore, des concepts comme substantia ou essentia se réduisent au seul principe concret de la res, qui est toujours défini par ses effectives déterminations qualitatives. Même les neuf autres « catégories » sont soumises à une analyse ana­ logue et aux mêmes critères d’extrême simplification, grâce à la recherche d’éléments qui leur sont communs et à leur réduction aux modes particuliers de la qualité ou de l’action. Valla observe, en polé­ mique avec les distinctions scolastiques, que dans le langage courant les mots qualité et forme expriment des concepts inséparables123. Ainsi, il fau­ drait appeler naturelles les qualités qui ne peuvent pas manquer à chaque sujet (comme la lumière et la chaleur dans le soleil, ou la puis­ sance de désirer dans notre âme), et non naturelles les qualités qui peu­ vent être ou ne pas être dans un sujet déterminé, sans pourtant porter préjudice à sa réalité (comme la chaleur dans le fer). L’on peut comprendre que, dans son souci d’exclure toute intention métaphysique du langage dialectique, Valla entend opérer une distinction claire entre les qualités les plus générales et permanentes (la couleur, la figure, le poids) et les qualités variables (le rouge ou le vert, un certain poids, une figure ronde). De la même façon, il pense inclure dans le domaine des qualités les mots qui ont un sens moral ou psychologique (les vertus, les vices, le savoir, la crainte, la douleur, la joie, etc.), puis ceux qui définis­ sent les relations perceptives entre les choses. H y inclut aussi des concepts comme genre, espèce ou ceux qui indiquent l’égalité, l’infériorité et la supériorité4. 1. 2. 3. 4.

Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

p. 44-46. p. 46. liv. I, 12, éd. citée, I, p. 110-111 ; liv. I, 6, II, p. 381-383. liv. I, 13-15, éd. citée, I, p. 112-126 ; liv. I, 7, II, p. 383-389.

Après avoir relevé que les mots actus et actio sont au fond identiques, Valla montre que le rapport établi par la terminologie aristotélicienne entre puissance et acte est insoutenable et qu’il se résout, en réalité, dans le fait d’expérience que les choses ont la possibilité et l’attitude d’assumer, de manière naturelle ou artificielle, des formes ou des structu­ res déterminées1. Par ailleurs, il réduit « les plus grands genres » à trois termes ( « substance », « qualité » et « action » ), les seuls que l’on puisse employer correctement sur un plan logique, puisque les paroles indi­ quent, toujours et seulement, soit des choses avec leurs qualités selon la manière dont elles se présentent, soit les qualités et les actions qui se réfè­ rent aux choses, dont elles sont inséparables12. Ainsi, on revient encore dans tous les cas au mot res траура dont Aristote n’avait pas compris la validité effective et le champ sémantique fondamental. Valla renforce encore ses propres conclusions en observant que le mot latin res a une connotation et un sens plus larges encore, par exemple dans les expres­ sions res publica et res privata, ou dans l’emploi de res en opposition à persona et à verba, ainsi que lorsqu’il indique la cause, le fait évident, les actions historiques, les cas juridiques, etc.34. Il souligne ainsi avec force que l’analyse linguistique et rhétorique permet de réduire aussi le vocabulaire philosophique à ses usages les plus simples, les plus concrets et les plus évidents. Il est facile de montrer que, déjà dans les premières rédactions de sa Dialectica} la critique de Valla s’élargissait au langage théologique, dans une coïncidence significative avec les discussions trinitaires qui étaient devenues fort actuelles dans le cadre du concile de Ferrare-Florence (1438-1439)* et de la confrontation entre les théologiens latins et byzan­ tins, notamment sur la vexata quœstio du Filioque. Je ne puis ici qu’esquisser une reconstruction de la procédure suivie par Valla pour mettre en évi­ dence les confusions linguistiques qui seraient à la base des disputes trini­ taires et qui relèveraient de l’insuffisance radicale des termes purement analogiques, par lesquels les théologiens tâchent de définir la substantia et 1. Ibid., liv. I, 16, éd. citée, I, p. 127-132. 2. Ibid., liv. I, 17, éd. citée, I, p. 134-156. Voir aussi I, 24 et s. ; II, p. 438 et s. 3. Ibid., liv. I, 2, éd. citée, I, p. 15-18. 4. Sur les discussions trinitaires qui eurent un rôle si important dans le concile de FerrareFlorence (1438-1439), voir principalement J. Gill, The Council of Florence, Cambridge, 1959, passim. Voir aussi les observations de Camporeale, Lorenzo Valla, cit., p. 415 et s. Est encore utile le volume de D. G. Monrad, Lorenzo Valla und das Kbnzil zu Florenz, Gotha, 1881 (trad, du danois en alle­ mand). Sur les événements successifs et les accusations d’hérésie adressées à Valla, voir surtout G. Zippel, « La “Defensio quæstionum in philosophia” di Lorenzo Valla e un noto processo dell’Inquisizione napoletana », Bollettino dell’Istituto Storico Italiano per il Medioeuo e Archiuio muratoriano, LXIX, 1957, p. 319-347 ; Id., « L’Autodifesa di Lorenzo Valla per il processo dell’Inquisizione napoletana (1444) », Italia medioevale e umanistica, XIII, 1970, p. 59-94 (avec l’édition critique della Defensio quæstionum in philosophia de Valla, p. 89-94). Sur le contexte général de ce débat et l’intervention de Valla, voir Camporeale, Lorenzo Valla, cit., p. 235 et s.

les qualitates de Dieu par des mots comme persona, dominus et sanctus. Cette attitude s’éclaire dans le chapitre 34 du livre VI des Elegantiœoù il affirme que, selon l’usage correct de la grammaire et de la rhétorique, l’on peut qualifier de persona seulement un être humain et qu’un tel concept ne peut pas s’appliquer à Dieu ni du reste à un animal. Néan­ moins, d’après l’autorité de saint Paul, on emploie couramment le mot persona pour désigner Dieu aussi, car aucun autre terme n’est utilisable (et certes, pas même celui de « nature » dont se servaient les Anciens, ni celui de « substance » préféré par les théologiens byzantins) pour dési­ gner les trois « qualités » qui sont en lui. Valla est pourtant conscient que l’équivoque concernant l’emploi du terme persona remonte à Boèce qui l’a utilisé de manière « barbare », au sens de « substance ». Il se montre également critique à l’égard de saint Augustin, en faisant une allusion au De Trinitate qu’il ne reprit pas ensuite, peut-être par respect pour les analyses linguistiques et sémanti­ ques qui étaient si profondément développées dans ce texte1 2. Le procédé suivi par Valla se propose de montrer que le débat théologique est inva­ lidé tant par la transposition abusive de termes grecs dans la langue latine que par les difficultés que suscitait inévitablement l’emploi de ter­ mes, comme essentia, substantia, persona ouata итсоатапс^ тсроасотсоу principium atTta, à cause de l’ambiguïté des critères métaphysiques du lexique aristotélicien de la scolastique. Toutefois il est significatif qu’à travers sa formulation théorique Valla parvienne à se rapprocher sensiblement de la tradition gréco-orientale, en faisant siennes les images « solaires » pour indiquer les processions trinitaires. Ce sont les images qu'avaient sou­ vent employées les philosophes et théologiens byzantins (Georges Scholarios, Georges Gémiste Pléthon, Marc d’Ephèse, Bessarion, etc.), à l’occasion notamment des disputes conciliaires de Ferrare-Florence3. 9. On pourrait longuement discuter sur l’importance de ces pages de l’humaniste romain, dont on a parfois souligné l’influence sur les grandes querelles trinitaires du XVIe siècle4. D serait par ailleurs très inté­ ressant, sur la base de l’analyse savante de Camporeale, de mieux établir leur lien direct avec la crise de la théologie scolastique. Cependant il est clair que Valla sut développer des critères philologico-linguistiques fon­ 1. Voir Opera omnia, cit., I, p. 215-216 ; Dialectica, liv. I, 13, éd. citée, I, p. 113 ; liv. I, 13, II, p. 402-408. La comparaison entre la première et la dernière rédaction montre l’afTaiblissement de la polémique de Valla, dû au changement de situation politique, au procès de l’inquisition et à sa recherche d’un emploi définitif dans la Curie et dans le Studium romains. 2. Voir ibid., II, p. 408, et les considérations de Camporeale, Lorenzo Valla, cit., p. 238-240. 3. Ibid., II, p. 405-406. 4. Voir notamment D. Cantimori, Eretici italiani del Cinquecento. Ricerche storiche, Firenze, 1939, p. 42-43 ; F. Gaeta, Lorenzo Valla. Filologia e storia neUhimanesinw italiano, Napoli, 1955, p. 95-99 ; C. Vasoli, « La critica umanistica e le origini dell’antitrinitarismo », dans Antitrinitarism in the second Half of the 16th Century, Budapest-Leiden, 1982, p. 269-285.

dés sur sa conception de la rhétorique, en les transformant en instru­ ments critiques aptes à traiter les sujets les plus délicats de la théologie morale (le problème de la liberté et du libre arbitre), de l’ecclésiologie et de l’exégèse scripturaire. Il suffira de rappeler ici la contribution excep­ tionnelle qu’il apporta à la naissance de la philologie biblique par les deux rédactions des Adnotationes in Novum Testamentum{, fondées tant sur la recherche et la collation des manuscrits permettant d’établir le meilleur texte de l’Ecriture et de la Vulgate, que sur l’emploi de critères rigou­ reux d’analyse grammaticale. De tels développements nous amèneraient trop loin de notre sujet, d’autant qu’ils nous obligeraient à éclaircir l’influence de Valla sur la culture humaniste du XVIe siècle, en particulier sur Érasme, ainsi que sur l’histoire de la philosophie et de la théologie de cette période. П est bien plus opportun de montrer, en suivant l’ordre de la Dialectica, comment il parvient dans le deuxième livre à définir Yenunciatio comme la structure élémentaire du discours et à éclairer sa fonction dans une perspective à la fois grammaticale et rhétorique2. Le syllogisme est ici défini comme une forme énonciative complexe, constituée par plusieurs orationes (quasi pagus quidam aut vicus), tandis qu’on précise que seulement la troisième forme énonciative plenissima, résultant de la fusion entre le mode logique et le mode rhétorique, dispose seule de cette exhaustivité oratoire qui la rend « apte aux oreilles du peuple »3. De la sphère individuelle et domes­ tique à celle de la communication erga omnes, le passage décisif est ainsi réalisé par la rhétorique qui impose les exigences de la mémoire, de la fantaisie et de l’imagination, afin d’avoir prise sur la volonté, les instincts et les passions contradictoires de l’homme. Naturellement, un tel passage suppose l’utilisation complète des pro­ cédés de l’argumentation et des capacités inventives de la rhétorique. En ce sens, Valla examine en détail la fonction de la descriptio et de la defini­ tion afin de distinguer clairement ce qui détermine la res et ce qui déter­ mine ses qualités propres ; de la même façon, il ramène la negatio à son statut grammatical et rhétorique4. Plus intéressantes encore sont les pages consacrées aux signa, énumérés attentivement, surtout lorsqu’il s’agit de termes comme quisque, unusquique, singulus, universus, cunctus, nullus, nihilum, nemo, aliquisP, où il rappelle avec insistance les exemples du lan1. Voir Lorenzo Valla, Collatio Novi Testamenti. Redazione inedita, publié par A. Perosa, Firenze, 1970; A. Morisi, «A proposito di due redazioni della “Collatio Novi Testamenti” di Lorenzo Valla », Bollettino deiristituto Storico Italiano per il Medweuo e Archivio muratoriano, LXXVIII, 1957, p. 345 et s. 2. Dialectica, liv. II, 1, éd. citée, I, p. 178-181 ; liv. II, 1, II, p. 449-452. 3. Ibid., I, p. 178 ; II, p. 449. 4. Ibid., liv. I, 20, éd. citée, I, p. 163-173, liv. II, 5-6, II, p. 199-204. 5. Ibid., liv. II, 5, éd. citée, I, p. 191-193 ; liv. II, 3, II, p. 457-458.

gage ordinaire pour libérer leur usage de toute ambiguïté sophistique. Valla montre les finalités spécifiques de sa méthode dans son analyse des différents types de propositions (notamment des « opposées », des « con­ tradictoires » et des « subalternes ») conduite elle aussi en conformité stricte aux normes d’un «juste » critère grammatical et syntactique qui montre à son avis les incohérences des schémas scolastiques et leur inca­ pacité d’épuiser les formes très diverses et complexes des structures pro­ positionnelles1. Même en élaguant les détails de l’analyse, je ne peux laisser de côté la dernière et très importante partie du deuxième livre12, qui s’occupe de la démonstration (ou probatio, comme écrit Valla en utilisant la ter­ minologie de Quintilien), notamment des propositions modales. Les modes des classifications scolastiques (possible et impossible, contingent et nécessaire, vrai et faux) sont considérés comme inadéquats, tant pour un usage correct de la langue que pour leur correspondance avec les critè­ res subjectifs et objectifs de l’argumentation3. Valla estime que ces cri­ tères doivent être réduits à trois (possible, impossible, vrai), tous les autres étant inutiles et superflus, et qu’il faut admettre un quatrième mode, le vraisemblable, ou crédible, auquel il attribue une valeur particulière dans le procédé de l’argumentation. Les rédactions successives de la Dialectica montrent que Valla est attaché d’un bout à l’autre de sa rédaction à l’idée qu’il n’existe que deux sortes de preuve : l’une où les prémisses du syllogisme se fondent sur une vérité certaine (ce qui implique une conclusion nécessaire), et l’autre où ces prémisses ne sont qu’en partie vraies et certaines, et ne conduisent qu’à une conclusion vraisemblable et crédible, bien que d’un degré supérieur ou inférieur4. Valla donne une importance particulière à ce deuxième type de preuve, car le processus argumentatif est à sa place dans le domaine du crédible et du vraisemblable, bien plus étendu que le domaine du démontrable, qui peut être considéré comme le degré le plus fort et certain de la « croyance » : ...probatio omnis per vera fit tenditque ad necessarium, aut ad verisimilem5. Il est significatif que Valla se réfère encore à Cicéron et à Quintilien pour souligner que, si la démonstration « nécessaire » appartient au logicien, l’orateur a le droit d’utiliser les deux types de preuve dans son discours, qui traite souvent de choses et de matières qui ne peuvent jamais aboutir à des certitudes absolues. 1. Ibid., liv. II, 12-16, éd. citée, I, p. 222-235 ; liv. II, 11-14, II, p. 477-491. 2. Ibid., liv. II, 18-22, éd. citée, I, p. 237-275 ; liv. II, 15-20, II, p. 491-524. 3. Ibid., I, p. 237-239 ; II, p. 491-493. 4. Ibid., I, p. 239-240 ; II, p. 493-494. 5. Ibid., II, p. 496. Dans les rédactions suivantes, il présente ainsi ses conclusions : ... probatio omnis fit per vera que certa sunt, facitque per hec ipsa veritas aliud quoddam verum videri certum quod erat incer­ tum, idque vel necessario vel verisimililer. Ibid., I, p. 243.

Ainsi, les procédures qui relèvent ouvertement de l’argumentation pro­ bable, comme l’enthymème et l’épichérème, ont une extension plus vaste et plus utile que celle de Vapodosis'. Certes, Valla n’ignore pas que, s’il existe des recta consilia visant à obtenir, augmenter et conserver des « biens » humains, il existe aussi des praoa consilia nés de fausses et trompeuses opinions, causes d’erreurs, de maux, de haine, d’envie, de convoitise, bref des pires passions. Ainsi, le pouvoir de persuasion des arguments probables peut jouer dans un sens positif ou négatif selon la finalité du discours, laquelle dépend, en dernière instance, de la bonne disposition de l’orateur qui le prononce et de sa conviction morale de vir bonus dicendi peritus1 2. 10. Le troisième livre de la Dialectica s’ouvre par une âpre polé­ mique contre l’inutile complexité de la logique scolastique et par le refus de tout artifice qui détourne le discours de son lien essentiel avec les res. Valla s’en prend aux cavillatores et faux dialecticiens, coupables d’avoir inventé des « termes nouveaux et inouïs » dans le seul but de combattre leurs adversaires, et d’avoir abandonné la saine consuetudo loquendi des Anciens, avec la même malignitas que ceux qui enduisent leurs armes de poisons34. H rappelle à ces égarés le sens originaire des termes dialectica et logica, qui proviennent de la racine commune Xèyco, et qui désignent respectivement une scientia sermocinalis et une scùntia rationalist. Cela signifie que le syllogisme apodictique doit absolument respecter la cohérence entre les différentes parties du discours qui le constitue, ainsi que la parfaite conformité de la consequentia ou conclusio avec la propositio ou assumptio (selon une terminologie typiquement d’origine stoïcienne agréée par les anciens rhéteurs et par Valla lui-même)5. Pour mieux éclaircir un concept qui reste obscur dans les textes aristotéliciens, Valla souligne que le rapport existant entre les dif­ férentes parties du syllogisme peut être comparé à celui qui, dans la préparation du pain, s’établit entre l’eau et la farine d’une part {proposi­ tio et assumptio), et la main du boulanger de l’autre. Celui-ci mélange les deux matières jusqu’à en faire une seule pâte (la conclusio), qui est bonne à la condition que le soient aussi ses composants6. 1. Ibid., liv. II, 22, éd. citée, I, p. 249-250 ; liv. II, 20, II, p. 504-505. 2. C’est pour cela que Valla attribue une grande importance à la détermination exacte des loci argumentorum, qu’il reprend explicitement de Quintilien, en affirmant leur utilité fondamentale : Multus alioquin error est, et exhausto labore quod non ratione scrutabimur, non poterimus invenire, nisi casu. At si scierimus ubi quicque nascatur, cum ad locum ventum erit, facile quod in eo est pervidebimus. Ibid., I, p. 244, 253-275 ; II, p. 499, 507-524. 3. Ibid., liv. III, Premium, éd. citée, I, p. 277-278 ; liv. Ill, Premium, II, p. 525-526. 4. Ibid., liv. Ill, 1, éd. citée, I, p. 278-279 ; liv. Ill, 1, II, p. 526-527. 5. Ibid., I, p. 280-281 ; II, p. 528-529. 6. Ibid., liv. III, 2, éd. citée, I, p. 282 ; liv. III, 2, II, p. 529-530.

Ces considérations fondent une théorie du syllogisme, qui est très éloignée des traités des logiciens « modernes » et mêmes des anciens glossateurs d’Aristote. La scolastique avait en effet élaboré une casuis­ tique complexe de modes et de figures : Valla lui inflige une réduction drastique, affirmant que parmi les modes de la « première figure » il ne faut accepter que les quatre premiers, les autres étant sophistiques ou inutilement compliqués ; que la « deuxième figure » est entièrement convertible en la « première », et enfin que la troisième nihil se habet sanitatis, sed toto plane insana est*. Aux péripatéticiens qui aiment tant les subtilités, en oubliant la vraie natura loquendi, il oppose la simplicité des procédures qui rendent aisé et expéditif le raisonnement. Ce parti s’applique aussi au syllogisme hypothétique (à propos duquel Valla polémique encore une fois contre Boèce)1 2, qui a été longuement assu­ jetti à des formes trop éloignées du langage courant, alors que la puis­ sance de preuve est supérieure à celle qui lui a été traditionnellement attribuée, pourvu qu’on en connaisse le juste usage selon les procédures les plus simples. Ainsi, le syllogisme apodictique et le syllogisme hypo­ thétique sont réciproquement interchangeables, surtout si l’on consi­ dère leur usage originaire dans la langue grecque qui accepte la forme active et passive du participe dans tous les temps du verbe3. Comme on le voit, l’appel au critère grammatical et aux origines linguistiques des formes de l’argumentation est, dans ce cas aussi, décisif. Tout discours, pour ne pas devenir sophistique et perdre toute valeur argumenta­ tive, donc toute sa crédibilité, doit rester toujours fidèle aux normes fondamentales de la langue qui en assurent la validité et la pleine compréhensibilité. L’observation de ces principes est aussi évidente dans les derniers chapitres de la Dialectica, qui portent sur le dilemme, l’enthymème, l’induction et l’épichérème4. Valla critique la définition de l’induction formulée par Boèce (est oratio per quam fit a particularibus ad universalia progressio), et il insiste sur la fonction spécifique de celle-ci en tant qu’elocutio exempli, illustrée par le chapitre de VInstitutio oratoria consacré aux exemples5. Il n’est pas surprenant que, dans le sillage de Quintilien, il considère l’induction comme la seule forme paradigmatique propre à l’art rhétorique et le seul type d’argumentation fondé sur la 1. Ibid., liv. III, 3-9, éd. citée, I, p. 286-300; liv. III, 4-12, II, p. 534-548. 2. Ibid., liv. III, 10, éd. citée, I, p. 300-304 ; liv. III, 13, II, p. 549-553. 3. Ibid., I, p. 301-302; II, p. 551. 4. Ibid., liv. III, 13, 16, 17, éd. citée, I, p. 312-328, 345-355; liv. III, 18, 21, 22, II, p. 562-575, 587-596. 5. Ibid., I, p. 346-348, 350-352 ; II, p. 587-591. Pour le chapitre 15 (De exemplis précepte, ex Quintüiano), voir ibid., I, p. 334-345 (dans la première rédaction, chap. 20 : De exemplis sumptum ex Quintiliano, II, p. 578-587).

particularité des exemples, parfaitement appropriée à tirer des conclu­ sions relatives au probable et au crédible. Il s’agit, en effet, d’une pro­ cédure à caractère analogique qui met en parallèle soit des situations et des événements similaires ou différents, soit des opinions égales ou opposées, afin d’en déduire des affirmations hypothétiques ou proba­ bles concernant des réalités présentes ou futures1. L’instrument essen­ tiel de cette procédure est Y interrogation c’est-à-dire la méthode socra­ tique continue articulée en une série typique de questions et de réponses qui ouvrent et développent un débat1 2. Cependant, à côté de l’argumentation inductive ou paradigmatique, la recherche du pro­ bable et du possible peut être confiée à la déduction de conclusions vraisemblables et crédibles, opérée au moyen de l’épichérème ou epicherematis enthymema. Celui-ci n’est pas la démonstration « de l’universel au particulier » dont parle Boèce, mais l’expression formelle de l’argumentation probable qui mène à des affirmations justement crédi­ bles3. Ainsi, dialectique et rhétorique, ou plutôt les lois communes du discours, offrent tous les instruments de la persuasion, différents selon le sujet dont on parle, mais tous réunis par la recherche de la plus grande efficacité persuasive, toujours respectueuse du caractère ration­ nel de tout «jugement sain» et de l’adhésion que Voratio cherche à obtenir. 11. L’influence de la Dialectica de Valla fut très profonde. П serait aisé d’en suivre les traces multiples dans les polémiques contemporaines qui accompagnèrent sa diffusion (mémorables furent celles qui l’opposèrent à BraccioUni, car elles mettaient en évidence les enjeux essentiels de sa pensée), ou dans les ouvrages de quelques grands humanistes de son temps, tels Æneas Sylvius Piccolomini4 et, malgré ses divergences, Phüelphe5. L’on pourrait également reconnaître cette influence dans les controverses de la fin du XVe siècle, ainsi que sur les aspects les plus importants d’Érasme ou encore dans l’évolution des arts du discours au XVIe siècle. Pourtant, dans la même période où la Dialectica prenait forme, la culture humaniste concevait un autre modèle d’enseignement de Vars rhetorica, destiné lui aussi à devenir un point de repère fondamental dans l’évolution de cette discipline; il 1. Ibid., I, p. 547 et s. ; II, p. 589 et s. 2. Ibid., I, p. 346-347 ; II, p. 592-593. 3. Ibid., I, p. 352-355 ; II, p. 594-596. 4. Voir le Tractatus de Piccolomini écrit à la fin de 1453, où est fortement soulignée l’adhésion de Valla à la doctrine de Quintilien, dans Aenæ Sitvii Piccolomini Senensis Opera inedita, publiées par G. Cugnini, Roma, 1883, p. 234-299. Mais son De artis rhetorica praceptis n’a pas de contenu vraiment original. 5. Sur Philelphe, voir : Francesco Filelfo nel quinto centenario della morte. Atti del XVII Congresso di studi umanistici, Tolentino, 27-30 settembre 1981, Padova, 1986. Son discours De laudibus eloquentia ne s’éloigne pas des sujets humanistes courants.

s’agit des Rhetoricum libri quinque du maître byzantin Georges de Trébizonde, qui furent rédigés en 1434'. Je ne pourrai pas m’attarder sur la vie de Georges de Trébizonde (elle a été bien reconstituée par John Monfasani), ni sur sa formation et ses rapports difficiles avec ses maîtres et collègues de Byzance, lors de son arrivée en Italie (v. 1416). Je ne pourrai pas non plus traiter de son activité de traducteur et de commentateur, ni de ses célèbres disputes anti-platoniciennes contre Gémiste Pléthon et Bessarion. Cependant, je dois rappeler que le maître de Crète s’était formé à une école forte­ ment influencée par la tradition hellénistique et notamment par le De arte rhetorica d’Hermogène de Tarse (160-125 av. J.-C.), dont il connut et goûta la doctrine, aussi bien que celle de Cicéron et d’Aristote. La prédilection de Georges de Trébizonde pour Hermogène est déjà visible dans quelques ouvrages rédigés après son arrivée dans la pénin­ sule italienne, tels le De generibus dicendi (1420)1 23et le De suavitate dicendi (1426)3 ; en revanche, dans le De laudibus Ciceronis4, l’exaltation de Cicé­ ron, orator et dux, prend la forme d’un éloge de l’éloquence au titre d’art fondamental de la vie civile, et elle s’inscrit, comme l’a montré John Monfasani, dans le sillage du Cicero novus de Leonardo Bruni. Déjà dans V Огайо de laudibus eloquentiœ prononcée à Venise au début des années 14305, Georges de Trébizonde affirme que, même si la nature de l’homme consiste principalement en la ratio, celle-ci ne lui est d’aucune utilité si elle n’est pas incarnée par Yoratio, de sorte que nihil unquam oratione melius a deo tributum confiteri est. Ainsi, la rhétorique doit être protégée, secourue et restaurée des sombres ruines des temps récents contre l’ignorance et les pièges de ses adversaires. Certes, le maître byzantin reconnaît la division de l’art oratoire en deux parties : la dialectique, qui est l’instrument de la connaissance des sécréta natures, et la rhétorique, qui est au service de la vie publique et de la « conversation humaine ». C’est pourquoi la rhétorique concerne 1. Je me sers de l’édition suivante : Georgii Trapezuntii Rhetoricorum libri quinque., Ludguni, 1547. Pour la datation de cet ouvrage, voir Monfasani, George of Trebizond, cit., p. 153. 2. Voir à ce propos le manuscrit de la Bibl. Apost. Vat., ms. lat. 6292, ff. 173 v - 180. Voir aussi Monfasani, George of Trebizond, cit., p. 13, 17, 18, 255. L’écrit envoyé à Vittorino da Feltre est un abrégé du Перс d’Hermogène de Tarse. 3. Cette composition se trouve aussi dans le Vat. Lat., 6292, ff. 165 v - 173 ; elle atteste l’influence de l’enseignement d’Hermogène de Tarse. Voir Monfasani, George of Trebizond, cit., p. 18, 21, 256. 4. Voir Rome, Bibl. Apost. Vat., ms. lat. 6292, ff. 141-147, maintenant dans J. Monfasani (éd.), Collectanea Trapezuntiana. Texts, Documents and Bibliographies of George of Trebizond, Binghamton (NY), 1984, p. 343-350. Monfasani affirme très justement que ce petit ouvrage est influencé par le Cicero novus de Bruni. Voir Monfasani, George of Trebizond, cit., p. 257-258. 5. Monfasani observe que cet écrit est calqué sur l’apologie analogue attribuée à Gorgias dans le dialogue homonyme de Platon. Voir Monfasani, George of Trebizond, cit., p. 258. Pour le texte de VOratio, voir ibid., p. 365-369.

tous les aspects de la vie humaine, elle n’est pas seulement la maxima ас nobilissima... pars de la science civile, louée justement par Aristote et par Cicéron au titre de la discipline qui gouverne à la fois la sphère publique et la sphère privée et qui englobe toutes les formes du savoir social, auquel elle donne la faculté de s’exprimer et de communiquer. Moratoria facultas ne peut être réduite, ni à un simple genre du savoir politique, ni même à une discipline qui s’identifie complètement avec celui-ci ; elle doit être considérée comme la facultas qui dirige chaque moment de la vie morale et politique tout en rendant possible l’existence et la diffusion des arts libéraux1. On a justement souligné que ces vues, loin d’être nouvelles, avaient des précédents fameux soit dans la célébration de la rhétorique par les sophistes, soit dans les auteurs médiévaux eux-mêmes1 2. L’on pourrait aller plus loin et retrouver une attitude analogue dans d’autres écrits humanistes déjà évoqués, proches du De laudibus eloquentiæ de Philelphe rédigé vers 14293. Il ne s’agit pourtant pas de psittacisme. Ces vues tra­ duisaient la revendication des humanistes et leur volonté d’attribuer à la rhétorique une place centrale dans l’élaboration d’un nouveau modèle éducatif et dans la réorganisation des formes du savoir, en privilégiant le registre de son expression par le discours clair, simple et efficace. Cela supposait l’élaboration d’un instrument didactique nouveau, capable d’exposer de façon originale les principes d’un art qui ne pouvait pas se borner aux commentaires cicéroniens ni à l’analyse des procédures rhé­ toriques telle que l’avaient conçue les humanistes de la première généra­ tion. C’était à une telle exigence que voulaient répondre les Rhetoricorum libri de Georges de Trébizonde, inspirés des idées du De laudibus eloquentiœ et rédigés dans le but de fournir une sorte de manuel adapté aux écoles humanistes et à leur ambition de former 1’ « homme civil ». 12. L’ambition de Georges de Trébizonde d’écrire une summa du savoir capable de prendre la relève des manuels scolastiques et des commentaires traditionnels de la Rhetorica ad Herennium est affirmée au début de son ouvrage4. L’humaniste byzantin ne cachait pas ses criti­ ques à l’égard de certains maîtres italiens, tels Loschi, Guarino et Barzizza, incapables selon lui de rendre à la rhétorique son rôle légitime de discipline qui gouverne le discours, après la longue décadence dont elle avait été la victime. Or, comme il était convaincu que celle-ci était la civilis scientia qua cum assensione auditorum quoad eius fieri potest in cwilibus 1. Voir ibid., p. 365-366. 2. Voir ibid., p. 258, 260. 3. Voir , n. 5, p. 74, et K. Milliner, Reden und Briefe italienischer Humanisten, Wien, 1899, p. 148 et s.

4. Trébizonde, R/ietoricorum libri quinque, cit., p. 3-4.

quaestionibus diàmus\ il estimait qu’il fallait enseigner, dans toute l’étendue de leur registre, les modes et les instruments propres à cette science de la persuasion. Toutefois, à la différence de Valla, dont il se séparait par hostilité à l’égard de Quintilien et qu’il considérait proba­ blement comme un concurrent dangereux1 2, Georges de Trébizonde ne voulait point transformer la rhétorique en fondement du nouveau savoir philologique et critique. Au contraire, son approche très tech­ nique des procédures de la persuasion semble expliquer son peu d’intérêt pour les prémisses philosophiques de la rhétorique d’Aristote, malgré son admiration pour le summits philosophus, qu’il défendait contre tout retour platonicien3. Cela nous permet de comprendre le ton et la structure des Rhetoricorum libri, dont le but est d’illustrer les trois genres du discours (le judi­ ciaire, le délibératif et le démonstratif) et d’analyser leur structure fon­ damentale commune, à savoir l’introduction, la narration, la discussion autour du cas (contentio) et la conclusion ou plaidoirie. En suivant l’explication de ces parties, l’on voit bien que Georges de Trébizonde se propose d’abord de fournir à l’orateur le meilleur réservoir d’argu­ mentations possibles, grâce à l’enseignement des plus grands orateurs latins, notamment de Cicéron, afin de rendre l’auditoire immédiate­ ment attentif au discours. Ensuite, à travers la doctrine d’Hermogène de Tarse, il montre que dans l’introduction déjà, l’on doit tenir compte des opinions et des sentiments du public4. Même si la narratio est traitée assez rapidement5, les passages concernant l’essentiel de la démonstra­ tion (la contentio) sont très intéressants. Le maître byzantin est en effet convaincu que tout le secret de « faire foi » consiste non seulement dans le bon choix des arguments, mais aussi dans leurs «lieux» ou « sièges », ainsi que dans l’emploi correct de tous ces éléments, dont résulte la possibilité de trouver les meilleurs sujets pour tenir un dis­ cours convaincant. Ainsi, après avoir fait appel encore une fois à Hermogène de Tarse pour définir les loci principales, il revient aux Romains pour indiquer les loci secundarii vel approbation qui permettent l’individuation des arguments spécifiques relatifs aux différents aspects du cas examiné6. Cependant, l’aspect le plus important de cette partie 1. Ibid., p. 6. 2. Voir à ce propos les réflexions exactes de Monfasani, George of Trebizond, cit., p. 262. 3. Ibid., p. 270-271. Les observations de Monfasani confirment l’hostilité de Georges de Tré­ bizonde envers l’enseignement d’une rhétorique qui fait appel à des prémisses philosophiques et « scientifiques » étrangères à la technique oratoire. 4. Trébizonde, Rhetoricorum libri quinque, cit., p. 10-30. Pour l’illustration de ces idées, Trébizonde utilise de façon systématique des exemples tirés des Orationes de Cicéron. 5. Ibid., p. 30-46. 6. Ibid., p. 46-52. Le deuxième livre consacré à la confirmatio est également intéressant, p. 31-172.

de la Rhetorica consiste plutôt en l’énonciation très détaillée des loci qui sont à la base de toute procédure de preuve. On lit, dans le troisième livre : Inveniuntur igitur rationes ac argumenta a généré, specie, differentia, proprio, diffinitione, toto, partibus, causis, effectis, usibus, generatione, corruptions', adiunctis, indications, simili, maiore, minore, pari, proportions, oppositis, transumptione, casu, coniugatis, divisions, quos omnes et si rationum sedes dicimus, tamen a nonnullis confirmations quoqus fiuere iam dictum sst’. Georges de Trébizonde ajoute à ces sedes celles qui relèvent des circumstantiœ, comme persona, res, causa, locus, tempus et modus. П veut montrer aussi que, de ces derniers, l’on peut tirer d’autres loci, de façon à donner le cadre d’ensemble de leur emploi général et particulier12. Je crois qu’en lisant ces pages de la Rhetorica les lecteurs seront pris, comme moi, d’un sentiment d’étonnement face à la « révélation d’un processus d’argumentation si embrouillé »3. En effet, il s’agit d’un système de loci qui correspond à celui de Thémistius, déjà exposé par Boèce dans le De differentiis topicis et repris aussi par Pierre d’Espagne dans ses Summulæ logicales ; mais Georges de Trébizonde le complique beaucoup, comme l’a observé Monfasani4, par l’assimilation de loci tirés du De inventione de Cicéron, du Перс tmlœcûv d’Hermogène de Tarse et de la Rhetorica ad Herennium. Par ail­ leurs, la théorie des modes de l’argumentation devient particulièrement complexe par la discussion de dix de ces derniers (complexio, enumeratio simplex, conclusio, subiectio, summissio, oppositio, violatio, inductio, collectio et ratiocinatio) qui résultent d’un mélange d’éléments, parfois incohérent, provenant de Cicéron et d’Hermogène de Tarse5. Georges de Trébi­ zonde ne procède pas différemment lorsqu’il expose la confiitatio, qui se termine par la formulation de quinze solutiones qui sont en réalité des procédures habiles pour confondre ou contourner les argumentations solides de ses adversaires6. Je ne m’attarderai pas davantage dans l’analyse des parties de la Rhetorica consacrées à l’oraison délibérative et démonstrative (épidictique), largement pratiquée par les humanistes7 ; je n’insisterai pas non plus sur le ductus dérivé d’Atilius Fortunatianus et de Marcianus Capella8. Il faudra en revanche souligner l’important développement 1. Ibid., p. 215. 2. Par exemple, il tire du mot persona les loà suivants : nomen, natura, virtus,fortuna, habitus, affectio, studium, facta, casus, oratio, consilium. Voir ibid. 3. Monfasani, George of Trebizond, cit., p. 271. 4. Ibid., p. 275. 5. Trébizonde, Rhetoricorum libri quinque, cit., p. 173-177. 6. Ibid., p. 245-266. 7. Ibid., p. 281-304, 304-322. 8. Ibid., p. 322-329.

que le maître byzantin donne à la théorie de la disposition, reprise certes des sources classiques, mais particulièrement élaborée en ce qui concerne l’ordre des arguments utilisés en fonction du résultat que l’on veut obtenir1. C’est pour cette raison qu’il faut porter un regard attentif sur la partie consacrée aux techniques de la mémoire1 2. Celle-ci traite naturellement des sujets courants dans la rhéto­ rique classique, mais elle vise particulièrement une rerum et sententiarum locatio facilis, qui est considérée comme la condition indispensable pour une présentation efficace et pour une bonne utilisation des arguments. 13. Les chercheurs ont toujours porté leur attention de préférence sur la partie de la Rhetorica qui traite de Г « élocution »3, c’est-à-dire du style et de la puissance expressive résultant du don humain de l’éloquence. Ce n’est pas par hasard que Georges de Trébizonde lui-même déclare ouvertement ses intentions dans un passage souvent cité : Quare si loqui proprium hominis est, eaque re a ceteris maxime animantibus differt, nemini dubium esse puto omnium rerum qua natura humano generi prebuit, elocutionem esse prestantissimam45 . S’il est bien disposé à reconnaître qu’une élocution parfaite, dépourvue cependant de toute connaissance solide, est inutile et vaine, il est en revanche parfaitement convaincu qu’une pensée non exprimée ou mal exposée tantum splendoris habet quantum ignis abstrusus in silice, quem nisi ferro provocetur nec ignem quidem aliquis unquam appellabiP. Voilà pourquoi le style constitue le critère essentiel pour juger de la validité du discours, au-delà de son contenu ou de la discipline à laquelle celui-ci appartient. Pourtant l’on comprend que, dans ce cas aussi, l’intérêt de l’humaniste byzantin s’adresse principa­ lement au discours politique, éthique ou judiciaire, dans lequel la rhé­ torique déploie, de la façon la plus accomplie, toute son efficacité de persuasion. L’analyse de Georges de Trébizonde commence par la présenta­ tion des trois figura dicendi qu’il se propose d’accorder avec la doctrine des forma d’Hermogène de Tarse, considérées comme le plus haut et le plus parfait niveau de l’expression. Il distingue ainsi la figura sublimis de Yattenuata et de la mediocris, qui sont à leur tour examinées dans leurs composantes respectives : sententia, verba et composite), selon une procédure qui se rapporte à Quintilien, à Fortunatianus et à Denys 1. Ibid., p. 329-355. 2. Ibid., p. 355-362. 3. Ibid., p. 370-404. Voir par exemple le livre rappelé par Fasani : G. H. Wilson, « George of Trebizond and Early Humanist Rhetoric», Studies in Philology, XL, 1943, p. 367-379. 4. Trébizonde, Rhetoricorum libri quinque, cit., p. 371. 5. Ibid., p. 371-372.

d’Halicamasse1. H est significatif qu’au sujet de la compositio (conçue comme une technique pour accorder la « tonalité » des lettres et de leurs combinaisons) l’auteur ait recours surtout à des exemples poéti­ ques, qu’il tire surtout d’Homère et de Virgile, tandis qu’Hermogène de Tarse, Quintilien et Cicéron fournissent les critères pour l’étude de la période et de ses « clauses » diverses1 2. On trouve aussi dans la Rhetorica une réflexion spécifique sur le style de l’histoire (qui doit s’inspirer de la magnitudo et de la claritas), que l’auteur rattache ouvertement au domaine de la rhétorique en considérant plus parti­ culièrement Tite-Live et Salluste3. Cependant la conclusion de Geor­ ges de Trébizonde consiste à reprendre les formes d’Hermogène de Tarse qu’il cherche à compléter par les indications tirées des rhéteurs latins45 . Monfasani a justement soutenu que l’analyse de la gravitas constitue l’exemple le plus typique de la procédure de Georges de Trébizonde, fondée sur la distinction entre la gravitas vere et re et la gravitas verbo solunP, même s’il n’apparaît pas très convaincant au sujet de la séparation que le maître byzantin aurait établie entre l’ordre rationnel du savoir scien­ tifique et la fonction civile de la rhétorique. A mon avis, Georges de Trébizonde se propose plutôt de fournir dans cet ouvrage6 les instru­ ments de la construction du discours, conçu comme véhicule principal de la communication dans le vaste auditoire des sociétés civiles et de leurs institutions. Pour lui aussi, l’union de la scientia et de Yeloquentia, de la connaissance des vraies causes et de la capacité de conduire les respublicœ constituait le modèle idéal d’une parfaite formation humaine, même s’il était conscient des difficultés à réaliser concrètement un pro­ gramme si ambitieux. Quoi qu’il en soit, le succès de ses ouvrages, peut-être mal compris dans leur finalité, mais largement acceptés dans l’analyse des modes et des instruments rhétoriques, tirés de la tradition classique grecque et latine, fut considérable. Ses écrits furent constamment lus, non seule­ ment au XVe siècle, mais surtout au siècle suivant, lorsque ses deux 1. Ibid., p. 375-385. Pour les sources, voir Monfasani, George ofTrebizond, cit., p. 284, où l’on trouve une référence probable au Pseudo-Démétrios. 2. Trébizonde, Rhetoricorum libri quinque, cit., p. 386-416. Mais il faut voir aussi la dure polé­ mique avec Guarino, Ibid., p. 423-426, qui illustre parfaitement l’attitude de George de Trébi­ zonde envers les auteurs contemporains. 3. Ibid., p. 509-519. 4. Ibid., p. 519-526. 5. Voir Monfasani, George of Trebizond, cit., p. 287 et 294-299 pour l’importante distinction entre les deux cultures, celle de la philosophie et celle de la rhétorique. 6. П mène une opération analogue dans ses Isagoge Dialectices, qui est un petit manuel pour apprendre aux orateurs à bene disserere. Voir Georgii Trapezuntii De dialectica ex Aristotele compendium, s.l.n.d. (mais Venetiis, Nicolaus Jenson, ca 1470 ).

créations, la Rhetorica et Vlsagoge, se rattachèrent à l’élaboration d’une nouvelle « dialectique » humaniste imprégnée de thèmes et de métho­ des rhétoriques1. Cependant, l’influence de Georges de Trébizonde fut très differente de celle de Valla, dont la pensée se fondait sur la critique philologique et linguistique des formes du savoir, ainsi que sur la dimension historique de leur contenu. Nous allons voir comment les differentes théories des artes dicendi furent reçues par la culture du XVIe siècle, de plus en plus attirée par le projet de réforme du savoir, notamment au cours des premières décennies du siècle qui précipitè­ rent la crise de l’ancien paradigme de l’ordre du monde et de la connaissance humaine.

II Traiter brièvement des procédés de recherche et de transmission du savoir à une époque où la tradition humaniste évolue fortement en Europe n’est vraiment pas chose aisée. Ce sujet, en soi déjà difficile, l’est encore plus à cause des differentes disciplines qui lui sont ratta­ chées, dont il faut tenir compte dans une approche se voulant vérita­ blement scientifique. De plus, l’espace forcément limité de ma contri­ bution ne permet pas de suivre en détail l’histoire de doctrines et d’institutions qui en réalité mériteraient un développement appro­ fondi. Quant au rôle que la rhétorique joue dans ce contexte, il existe une autre difficulté relevant d’une ancienne attitude historiographique qui consiste à ne pas s’intéresser aux transformations générales engendrées par la culture humaniste dans les artes sermocinales, ni à l’importance centrale acquise à cette époque par l’analyse linguistique et les critères de la philologie. Il serait d’ailleurs impossible de suivre ici les differents projets méthodologiques et didactiques dans la pratique de chaque discipline et de mesurer jusqu’à quel point les desseins confiés à des textes souvent très répandus et populaires réussirent à influer sur les tentatives de réorganisation et de sélection du savoir, qui constituent un aspect essentiel de la culture du XVIe siècle. Cependant, même une étude se bornant à mettre en relief quelques thèmes concernant de près l’histoire de la rhétorique peut trouver son utilité, notamment lorsqu’on considère - comme l’ont encore montré

1. Sur la fortune de ces ouvrages du maître byzantin, voir Monfasani, George ofTrebizond, cit., p. 312-337.

des recherches récentes - que les problèmes de « méthode »\ discutés au cours de ces débats, eurent des conséquences profondes destinées à se faire sentir jusqu’à la fin du XVIIF siècle. Les comprendre permet de saisir d’un même mouvement un ensemble de questions essentielles de type non seulement épistémologique, logique et pédagogique, mais aussi religieux et politique. Je n’entends pas affirmer par là que l’analyse de textes et d’auteurs très connus apporterait de ce point de vue des nouveautés révolutionnaires ou permettrait de revendiquer d’éventuels antécédents ou préfigurations historiques, qu’il faudrait tou­ jours reconduire à leur contexte culturel et au renouvellement du voca­ bulaire intellectuel pour en saisir l’originalité propre. Mais, une fois ces précautions prises, il reste encore à rappeler que les effets les plus connus de la « révolution » méthodologique du XVIIe siècle, ceux qui sont liés aux noms de Galilée, Bacon et Descartes, deviennent plus compréhensibles lorsqu’ils sont mis en relation avec les discussions du siècle précédent, et avec les tentatives ou les propositions avancées pen­ dant cette période de crise des paradigmes traditionnels du savoir. L’étude de ces anciennes disputes, l’appréhension des tendances et orientations dont se réclamaient des clercs qui attachaient la plus grande importance aux techniques de l’argumentation et à celles du discours « probable » ne sont donc pas des exercices de pure « archéo­ logie » dénués d’intérêt. Au contraire, elles permettent de comprendre comment une culture traversée par des contradictions, des tensions et des conflits profonds réagit à sa croissance tumultueuse, en essayant d’élaborer des outils conceptuels permettant au moins une première exploration de ses connaissances, ainsi que des procédés de « décou­ verte » et de « classification », dont la mise au point était devenue bien urgente. L’analyse de quelques textes fondamentaux semble bien confirmer que les problèmes fiés à la reconstitution systématique de la « re­ cherche », de l’enseignement et de la transmission des disciplines et des arts les plus divers prirent une importance primordiale, au point de devenir le thème récurrent d’une ample littérature. Mais le fait le plus significatif, c’est que ces préoccupations non seulement furent le propre des maîtres ou des nouvelles écoles d’inspiration humaniste, mais elles 1. Pour une analyse plus approfondie des problèmes traités dans ce chapitre, je me permets de renvoyer le lecteur à C. Vasoli, La dialettica e la retorica dell’Umanesimo. « Invenzione » et «Metodo» nella cultura del XV e XVI secolo, Milano, 1968, p. 147 et s. Voir aussi L. Jardine, Francis Bacon, Disco­ very and the Art of Discourse, Cambridge, 1971, et les travaux désormais classiques de N. W. Gilbert, Renaissance Concept of Method, New York, 1960, 196312, et W. J. Ong, Ramus. Method and the Decay of Dialogs, Cambridge (Mass.), 1958, réimpr., 1974. Parmi les études plus récentes, je signale R. Kern, « Bacon, Descartes and the Background of Method », dans Centennial Remew, XXII, 1978, fasc. 2, p. 231-254 ; N. Bruyère, Méthode et dialectique dans Гсешле de La Ramée, Paris, 1984.

impliquèrent aussi des milieux et des personnalités fidèles à la tradition scolastique, familiers des anciennes problématiques relatives à la methodus}. Ce fut donc un événement de vaste portée qui, encore une fois, révèle la coexistence de tendances diverses et leur confrontation réci­ proque, ainsi que la complexité d’un univers intellectuel qu’il est impossible de réduire à quelques schémas péremptoires et abstraits ou à une quelconque classification « académique » parfaitement dépassée. Cependant, afin de mieux éclaircir certains aspects du débat, il est opportun de préciser que les nouvelles propositions relatives aux méthodes de recherche et de transmission du savoir ne furent pas seu­ lement favorisées par la « redécouverte » des grands textes de la tradi­ tion classique, mais plutôt par les évidents besoins d’une société en évo­ lution constante qui était en train de construire de nouvelles formes de pouvoir, d’institutions politiques, juridiques et administratives qui demandaient pour l’élite urbaine nouvelle une formation très différente de celle impartie par les Ecoles. Il est vrai que, au XVIe et au XVIIe siècle encore, les Universités continuèrent à exercer leurs fonc­ tions traditionnelles et à offrir un enseignement solidement organisé sur la base des curricula et des textes, avec des résultats parfois remarqua­ bles, notamment lorsqu’elles s’ouvrirent aux exigences et aux intérêts nouveaux. Il n’en reste pas moins vrai que l’imposante reprise huma­ niste des connaissances d’ordre non seulement littéraire, mais surtout philologique, linguistique, antiquaire et historique se rattacha à la for­ mation d’un type d’intellectuel très différent du clericus médiéval qui, quelle que fût sa spécialisation professionnelle, était très sensible à une autre approche des sources et des traditions du savoir. Cette évolution était parallèle au changement des fonctions et des rôles professionnels, à la mutation des doctrines « canoniques » et à l’affermissement de nouvelles méthodes d’approche de conceptions juridiques plus que mil­ lénaires, tandis que naissaient des pratiques médicales moins théoriques et plus proches de l’expérience, ainsi que plusieurs découvertes qui transformaient de jour en jour l’ancienne imago mundi et la connaissance du passé. Dans la période dont nous nous occupons se vérifia l’ascension intellectuelle de groupes sociaux exclus auparavant de l’exercice du savoir doctrinal ; le nombre des personnes cultivées s’accrut, les professions qui réclamaient une éducation plus rapide et 1. Il suffira de penser à quelques représentants typiques de la tradition aristotélicienne padouane, comme Jacopo Zabarella (pour les doctrines duquel je renvoie à la réimpression récente de son ouvrage : J. ^abarellae De methodis. Liber de regressu, Bologna, 1985) et Giulio Pace da Beriga. Voir à ce sujet G. Pad a Beriga Institutiones logicae quibus non solum unwersa Organi sententia... continetur, sed etiam syllogismi hypothetic^ et methodi, quorum expositio in Organo desideratur... explicantur, Sedani, 1595.

simplifiée se dessinèrent, tandis que s’imposait une meilleure vision cri­ tique des procédés mêmes de recherche, conditionnés désormais par un contrôle linguistique et historique de leurs résultats. Enfin, la drama­ tique crise religieuse du XVIe siècle - qui marqua la fracture la plus profonde et la plus durable jamais enregistrée dans la civilisation de l’Occident chrétien - imposa une mutation profonde de la doctrine théologique elle-même, engagée dans une controverse belliqueuse avec plusieurs sectae, ce qui eut pour effet de porter la prédication au centre de la compétition confessionnelle ; l’exégèse scripturaire elle-même dut tenir compte désormais des méthodes de plus en plus affinées de la phi­ lologie humaniste dont Valla et Érasme furent les initiateurs. 2. П n’est pas étonnant qu’à la décadence des techniques tradition­ nelles de la lectio scolastique, des quœstiones et des disputationes ait corres­ pondu le recours à l’évaluation directe des textes par l’emploi de méthodes grammaticales et rhétoriques, ainsi que par la critique des « intermédiaires » doctrinaux que les procédures médiévales de la glose avaient multipliés. A ces procédures, les écoles humanistes du XVe siècle avaient déjà substitué une via argumentative tenue pour plus efficace et des modes d’enseignement plus adaptés à la compréhension des pro­ blèmes éthiques et politiques qui avaient pris un rôle très important dans les nouveaux projets pédagogiques. Ainsi, les maîtres humanistes ne s’étaient pas bornés à reprendre la polémique de Pétrarque contre la « barbarie » linguistique des logiciens scolastiques, ils avaient aussi réévalué les procédures rhétoriques tirées surtout des textes de Cicéron et de Quintüien, garants d’une connexion indissoluble entre « vérité » et « persuasion », certitude de la sapientia et capacité pédagogique et persuasive de Veloquentia. П n’est pas nécessaire de reprendre ici ce qui a déjà été dit sur la renaissance de la rhétorique humaniste, dans les deux directions tracées par la philologie de Valla et par la tentative de Georges de Trébizonde pour constituer l’instrument le plus accompli de l’argumentation ora­ toire avec ses Rhetoricorum libri1 si attachés aux plus grandes traditions de la rhétorique classique et même à ce qui en avait persisté au Moyen Age. П n’est pas non plus opportun d’insister sur le développement des tradi­ tions rhétoriques humanistes de la fin du XVe siècle, dont j’ai traité au chapitre précédent. H faut maintenant souligner l’importance que, déjà au début des premières décennies du XVIe siècle, avaient prise certaines propositions de « réforme » ou - pour employer la terminologie de Valla - de repastinatio des sciences et des arts, suggérées par des maîtres humanistes qui, indépendamment de leur formation et de leurs origines, 1. Voir supra, chapitre précédent.

avaient bien présents à l’esprit les enjeux de la renovatio rhétorique de la fin du XVe siècle. Il faut donc porter d’emblée notre attention sur un ouvrage rédigé vers 1480 (j’en ai déjà parlé à ce titre), mais largement répandu au cours du XVIe siècle, et qui doit de nouveau être évoqué ici parce qu’il fait le lien avec d’autres textes et d’autres auteurs plus récents engagés dans la discussion sur la methodus : le De inuentione dialectica de Rodolphe Agricola1. On a souvent fait remarquer le caractère fortement «nor­ dique » de ce maître frison, à l’opposé des traditions propres à la rhéto­ rique humaniste italienne. On a également fait observer la tendance évidente chez Agricola à considérer Vinventio comme la partie la plus importante de la logique et à la définir comme une « version élargie de l’invention rhétorique »1 23.Il est bien vrai que la « dialectique » proposée par Agricola a été profondément influencée par les modèles rhéto­ riques, et cet auteur a voulu élaborer son propre système dialectique à partir de l’idée humaniste que l’art de l’éloquence possède une valeur déterminante. Mais il est vrai aussi qu’Agricola a reçu sa première for­ mation dans un milieu scolastique profondément influencé par la reli­ giosité et les méthodes éducatives des Frères de la Vie commune, qui étaient certainement bien éloignées des expériences intellectuelles de l’Italie contemporaine. Il faut cependant rappeler qu’Agricola avait longuement vécu dans la péninsule, de 1469 à 1479, entre Pavie et Ferrare, où il avait fréquenté les héritiers de l’école de Guarino Vero­ nese, comme Battista Guarino et Ludovico Carbone. De surcroît, il est fort probable que le De inuentione dialectica a été conçu, voire rédigé en Italie à la cour des Este. Dans le discours De laudibus philosophie, qu’il prononça à Ferrare en 1576, il célèbre son affranchissement de 1’ « horreur germanique », et il fait l’éloge des méthodes humanistes en prenant à son compte le lien intime que l’humanisme italien avait réta­ bli entre les trois artes sermocinales (arts du discours), à savoir la gram­ maire, la dialectique et la rhétorique. C’est à cette dernière que revient la responsabilité de fixer la disposition du discours, dont les arguments ont été prédisposés par Vinventio dialectique. Je n’insisterai pas davantage sur ces questions relatives à la genèse de la doctrine : elles nous éloigneraient trop du sujet de cette contri­ 1. Je me sers de l’édition suivante : R. Agricole Phrisii De inuentione dialectica tibri omnes et integri et recogniti per Alardum Æmstelredamum accuratissime emendati et additis annotationibus illustrati, Coloniæ, 1539. 2. Voir à ce sujet ce qu’écrit Monfasani J. Monfasani, George ofTrebizond. A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic, Leiden, 1975, p. 303), même en tenant compte de la particulière perspective historiographique de son étude et de ce que l’auteur écrit notamment p. 300 et s. 3. Je lis VOratio dans le texte fourni dans R. Agricola Phrisii Vîri utnusque lùeratura peritissimi nonnulla opuscula, Antverpiæ, 1515, ff. H i v-kiii r.

bution. Toutefois, il me semble important de souligner que le De inventione dialectica d’Agricola se fonde sur la conviction que les méthodes traditionnelles du savoir scolastique ne sont plus capables de proposer une voie sûre et une ratio colligendi parendæque fidei (une méthode pour réunir et obtenir l’assentiment) qui permette d’accéder à un ordre de connaissance à la fois utile et efficace. П estimait donc qu’il fallait envisager une réforme des procédés de recherche et de transmission du savoir qui, tout en utilisant beaucoup de matériaux fournis par V Organon d’Aristote (Agricola ne partageait pas le radicalisme de Valla), soit capable de les combiner avec les procédés de la rhéto­ rique. De ce point de vue, les conclusions du De inventione dialectica sont très explicites. Pour Agricola, la raison principale qui a empêché les lettrés et les hommes de science de rivaliser avec les Anciens et de les dépasser a été le manque de clarté, de précision et de cohérence. Il suffit selon lui d’observer les conditions où sont tombées non seule­ ment la dialectique, mais aussi toutes les autres sciences, pour constater partout la présence des mêmes défauts : inexactitude, confu­ sion, complexité excessive, incertitude des « sources » et de l’ordre de l’argumentation : Sic iurisconsulti perpkxa et involuta disputandi præcepta balbutiant. Sic medicina studia magna ex parte redacta sunt ad supervacuas institute suo physices quœstiones. Sic physice mathematicas arripuit, unde verbosa ilia est de maximo et de minime et de calculandi - ut aiunt - ratione iactatio. Nam mathematice ipsa, veluti qua minime ad inanes faciat contentiones circulorum neque clamorum sit capax, sed pulvere et ratione contenta, mutam potius oculorum quam loquacem aurium sequatur fidem, deserta est; et idcirco etiam tanquam non accessa prophanis mysteria minime contaminate. Ce jugement d’Agricola fait directement allusion aux procédés scolastiques des calculationes. Les victimes de ce flottement du discours (et donc de la pensée) ne sont pas seulement les juristes, les médecins et les mathé­ maticiens, mais aussi les théologiens qui ont compromis la finalité et la valeur de leur science, tandis que les philosophes participent à la même pompe vaine d’une subtilité inutile, dépourvue de véritable savoir. Contre la menace d’une confusion et d’une stérilité croissantes qui pesaient selon lui sur toute la culture, le maître frison proposait d’abord l’élaboration d’un instrument « dialectique » nouveau, capable de découvrir les « arguments pour discuter de manière probable » et, par­ tant, de devenir l’outil de discernement entre le vrai et le faux, grâce auquel tous les artifices concourraient à rechercher quelle part de vrai et quelle part de faux se trouvent dans les choses étudiées. Dans le De inven1. Agricola, De inventione dialectica, cit., p. 179.

tione, cette ambition fut menée à terme surtout par la détermination d’un système de « lieux » et d’une « table » des capita communia, c’est-à-dire par la recherche d’un système de référence général (encore assez élémentaire et dérivant à l’évidence de la rhétorique) qui permette d’ordonner de manière efficace les données et les notions fondamentales pour l’exercice des arts. Pour bâtir ce système, on le sait, Agricola s’inspira des topiques déjà élaborées par Aristote, Thémistius, Cicéron et Quintilien, retrou­ vées notamment dans la lecture de la Rhetorica et de VIsagoge de Georges de Trébizonde. Il est encore plus intéressant d’observer qu’il considérait que le but naturel du discours dans quelque domaine du savoir que ce fût devait être d’« apprendre quelque chose à celui qui écoute »*. Et puisque l’aspect essentiel de tout enseignement était pour lui d’obtenir l’assentiment de l’auditoire auquel le discours s’adresse, il jugeait essen­ tiel l’emploi de procédures capables de rendre probable ce qui, par sa nature propre, est toujours « disputable » ou « douteux ». Ce rappel des finalités pédagogiques des « arts du discours » impliquait l’utilisation pri­ vilégiée d’instruments dialectiques appropriés au domaine de la probabi­ lité, et tenus pour plus efficaces que la démonstration, réservée à peu de disciplines et peu souvent goûtée par l’auditoire d’étudiants. Agricola insistait encore sur le fait que, si les arguments devaient être convenable­ ment « trouvés » et « ordonnés », ils devaient aussi se proposer dans un discours « approprié », afin de faire naître la délectation et de renforcer la «probabilité » des présupposés1 2. Telle était justement la tâche spéci­ fique de la rhétorique (distincte donc de Vinventio propre au dialecticien) ; elle devait mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour que la pro­ cédure didactique soit véritablement capable d’« attirer à l’orateur l’es­ prit de celui qui écoute ». Cependant, son insistance sur le rapport étroit entre la subtilité (acutezza) de Vinventio, la « beauté de la disposition » et celle de 1’ « élocution » prenait immédiatement un sens particulier, lorsque l’humaniste s’empressait de distinguer entre le plaisir de type intellectuel ou rationnel et le plaisir purement « sensitif » qui naît de Vomatus rhétorique et qui ne va pas au-delà de l’élégance de la forme. Pour ce puritain du Nord, tout italianisé qu’il fût, le rapport de subordi­ nation entre la beauté du discours et son intrinsèque validité rationnelle se résumait aux seuls éléments qui le rendent efficace, et qui lui permet­ tent de constituer un ordre organique de notions universellement valides3. Ce n’est pas un hasard si, lorsqu’il veut montrer l’ordre à suivre pour « enseigner les arts », Agricola l’exprime par une série de règles 1. Ibid., p. 209. 2. Ibid., p. 400-407. 3. Ibid., p. 316, 394.

d’ordre méthodique s’imposant à quiconque se propose d’« ins­ truire ». Il écrit qu’il faut d’abord réfuter les arguments contraires et ensuite montrer ses « preuves », en commençant par les plus généra­ les : on bâtit ainsi une topique offrant l’ensemble des modes communs selon lesquels rassembler les arguments et en fixer les caractéristiques distinctives1. Ailleurs, il veut montrer 1’« ordre approprié» selon lequel il faut présenter chaque discipline, et les types différents et spé­ cifiques de discours que devraient suivre les spécialistes de chaque science, notamment historiens, médecins, anthropologues ( « ceux qui décrivent les coutumes des nations, et qui font l’éloge des peuples » ) et enfin orateurs, chaque groupe selon la finalité et la nature réelle de son propre savoir ou doctrine12. Dans toutes ces diverses circonstances, la dialectique et la rhétorique devaient trouver leur point de rencontre dans l’emploi d’une procédure qui tînt le plus grand compte des exi­ gences pratiques des différentes disciplines, ainsi que des résultats qu’elles visent. 3. Le De inventions dialectica (quelle que fût l’interprétation que ce traité proposait des traditions rhétoriques antérieures formulées par les humanistes italiens) connut tout de suite une intense circulation manuscrite et influença les plus grands adeptes des humanœ litterœ de l’Europe du Nord, notamment Erasme. S’il est vrai qu’Agricola fut surtout le maître idéal des intellectuels allemands et flamands, il n’est pas tout à fait exact de soutenir, comme on l’a fait trop souvent, que ses idées et doctrines sont demeurées inconnues en Italie. Au con­ traire, plusieurs faits attestent que plusieurs milieux savants de la péninsule furent attentifs à ses propositions de réforme du savoir et à ses outils de raisonnement3. En tout état de cause, la circulation du De inventions fut très intense entre 1515 et 1530, mais surtout dans la région rhénano-flamande et en France où se succédèrent de nombreu­

1. Ibid., p. 9 et s. Voir aussi p. 416-420. 2. Ibid., p. 422, 425. 3. Pour corriger une interprétation trop « septentrionale » de l’influence d’Agricola, il faut souligner que le De inventione dialectica fut traduit en langue vulgaire par Orazio Toscanella à Venise en 1567. Cette initiative figurait déjà dans les programmes éditoriaux de l’Académie de la Fama de Venise, dont faisaient partie Francesco Patrizi da Cherso et Paolo Manuzio. Il faudrait aussi analyser l’influence de cet ouvrage sur certains aspects de l’œuvre de Giulio Camillo Delminio et de quelques-uns de ses disciples, liés comme lui à la personnalité et à l’enseignement de Jean Sturm. Voir C. Vasoli, I miti e gli astri, Napoli, 1977, p. 185-245 ; Id., Immagini umanistiche, Napoli, 1983, p. 427-465, notamment p. 453-454. Au sujet de Delminio, voir surtout L. Bolzoni, Il teatro della memoria. Studi su Giulio Camillo, Padova, 1984 ; Id., « L’Accademia Veneziana : splendore e decadenza di un’utopia enciclopedica », dans Uniuersità, Accademie e Société scientifiche in Italia e in Germania dal Cinquecento al Settecento, publié par L. Boehm et E. Raimondi, Bologna, 1981, p. 117-167. Sur Toscanella, voir L. Artese, «Orazio Toscanella, un maestro del XVI secolo », dans Annali dell’Istituto di Filosofia. Université di Firenze, V, 1983, p. 27-68.

ses éditions, épitomés et commentaires de cet ouvrage, parmi lesquels l’ouvrage d’Aléarde d’Amsterdam est particulièrement remarquable1. Un si grand succès n’était pas, du reste, fortuit ; il répondait à des exigences historiques profondément senties, et auxquelles j’ai déjà fait brièvement allusion ; on en trouve la preuve dans l’orientation crois­ sante des intellectuels de formation humaniste à suivre une « voie » du savoir qui permettait justement un endoctrinement plus rapide, capable en même temps de rendre plus facile Г inventio de connaissan­ ces nouvelles. Cela explique la grande diffusion de premiers manuels humanistes de dialectique (comme celui de Georges de Trébizonde), qui avaient pour but la clarté, la brièveté et la simplicité d’une logique élémentaire mise au service de Vars oratorio mais aussi l’intérêt qui poussait à la lecture des classiques de la philosophie, de la science et de la rhétorique antiques où était posé le problème spécifique de la « méthode » des arts (qu’il s’agisse du Phèdre ou du Philèbe de Platon, des Analytici priores ou des textes de la Physica et de YEthica d’Aristote consacrés à l’analyse des diverses procédures du connaître, ou encore de VArs pana de Galien, mais aussi des textes de rhétorique traitant des questions relatives à l’inventio et à la dispositif des arguments dans l’ordre du discours)1 2. П est d’ailleurs assez significatif que dans la deuxième décennie du XVIe siècle l’emploi du terme methodus s’est répandu de plus en plus abondamment, prenant la place des termes humanistes de via et de ratio. Certes, il ne s’agissait pas d’une vraie nouveauté terminologique, puisque ce vocable, connu des maestri sco­ lastiques, avait déjà été employé de plusieurs façons et avec des signi­ fications diverses dans un court traité de rhétorique (assez proche de l’œuvre de Georges de Trébizonde), publié à Paris en 1471 par Guil­ laume Pichet. Entre la deuxième et troisième décennie du XVIe siècle, ce vocable avait été aussi largement utilisé dans des textes liés à l’emploi des techniques rhétoriques, comme la Methodus grammatica (titre d’une édition de Donat, parue en 1522), la Methodus scribendi epistolas de Christophe Hegendorff et la Methodus conficiendarum epistolarum de Conrad Celtis. Et déjà en 1519, lorsqu’il écrivait la Ratio vel compen­ dium veræ théologie, Erasme avait pu parler d’une « voie et méthode » propre à une théologie affranchie des « vices » ou des « erreurs » de la Scolastique et rendue enfin à sa fonction de philosophia Christi. Pour la réimpression de 1520, il en avait modifié ainsi le titre : Ratio seu metho­ dus compendia peneniendi ad veram theologiam. Aucun doute qu’une enquête approfondie pourrait enrichir les informations fournies par Walter 1. Voir W. J. Ong, Ramus and Talon Inventory, Cambridge, 1958, p. 534 et s. 2. Voir Gilbert, Renaissance concept, cit., p. 98-107.

Ong1 et par N. W. Gilbert1 2, qui montrent la reprise de ce terme notamment dans les milieux des humanistes de l’Europe du Nord directement influencés par les doctrines d’Agricola. Prenons l’exemple de l’humaniste espagnol Juan Luis Vivès34 , qui passa la plus grande partie de sa vie entre l’Angleterre et l’actuelle Belgique, ami et correspondant d’Erasme auquel il resta toujours atta­ ché par un lien d’adhésion profonde. En 1519 déjà, lorsqu’il rédigeait le In pseudodialecticos^, Vives ne cachait pas qu’il avait fait sien le pro­ gramme d’Agricola, et il le louait ouvertement. Il demandait toutefois que, après avoir éliminé la dialectique « barbare » des Ecoles, l’on mît la main à la fabrication d’instruments nouveaux du discours, adhérant à ses lois véritables, telles qu’on les trouve illustrées dans la gram­ maire, la dialectique et la rhétorique, utiles à l’enseignement et à l’apprentissage des « arts civiques » et non moins profitables à la connaissance philosophique et scientifique qu’au savoir politique ou historique. Pour atteindre cet objectif, il était nécessaire, selon Vives, d’établir une « voie » simple et claire qui pût être parcourue tant par les médecins que par les philosophes et les juristes et les autres hom­ mes de science, tout en se montrant capable d’affranchir la théologie des « sophismes » des « moines chicaneurs » et « bavards » qui pou­ vaient réduire les vérités de l’Ecriture à un fatras de raisonnements obscurs, captieux et incompréhensibles. Vives estimait de surcroît que même l’expérience immédiate des sens, les passions, le respect aveugle de 1’ « autorité » ou la soumission passive aux croyances pouvaient constituer des obstacles très graves à l’exercice des critères de l’argumentation qu’Aristote lui-même avait enseignés et confiés à 1’ « art dialectique ». Comme Agricola, Vivès affirmait que quiconque voulait exercer un art ou une discipline devait rester fidèle à ces loci ou référents essentiels de l’argumentation d’où dépendaient la clarté et le degré de certitude de la recherche et de l’enseignement56 . Douze ans plus tard, en 1531, dans les pages de son De tradendis discipliné dédiées à l’art dialectique, le jugement de Vivès devint encore plus drastique. Sous l’influence d’Erasme et de Valla, il soute­ nait désormais que la logique péripatéticienne elle-même, telle que 1. Voir Ong, Ramus. Method, cit., p. 107-115. 2. Voir Gilbert, Renaissance Concept, cit., p. 107-115. 3. Au sujet de Vivès, se reporter à la bibliographie générale sur cet auteur. 4. Édition utilisée : J. L. Vivès, In pseudodialecticos, édition critique publiée par Ch. Fantazzi, Leiden, 1979. 5. Ibid., p. 73 et s. 6. Voir J. L. Vivès, De tradendis disciplinis, Œuvres, Basileæ, 1555, I, passim. Cet ouvrage cons­ titue la deuxième partie d’une vaste œuvre générale, dont la première partie est constituée par les lÀbri de causis corruptarum artium et la troisième partie par les Libri de artibus.

l’École l’avait mise en œuvre, était désormais impuissante à affronter les problèmes graves et urgents qui se faisaient jour dans tous les domaines du savoir, du droit à la médecine, de la philosophie à la théologie, etc. L’absence d’une méthode vraiment capable de « décou­ vrir » ou « ordonner » les notions diverses, ainsi que d’une bonne discipline dialectique qui déterminât les critères de l’argumentation, devait rendre très incertaine Г « exploration » des domaines propres à chacun des « arts »*. L’objectif à atteindre devait donc être de renfor­ cer une doctrine de Vinventio, soustraite à la rhétorique et transformée en une fonction typiquement dialectique, inséparable du judicium1 2. Le champ spécifique de la rhétorique était ainsi limité à celui de Velocutio, c’est-à-dire à la capacité de présenter tout discours avec propriété, élé­ gance, pureté de style et efficacité. D’un autre côté, il est clair que la conception même de la dialectique proposée par Vivès au titre d’instrument essentiel de toute forme de savoir avait des racines pro­ fondes dans la rhétorique antique, et la version qu’en avait donnée l’enseignement de Georges de Trébizonde. Convaincu que le but de toute disputatio consiste dans Vargumentorum ad aliquod probandum aut improbandum comparatio et que la dialectique a justement le devoir de « prouver » les arguments qui militent pour ou contre les données fournies par le jugement empirique ou par 1’ « imagination », l’humaniste espagnol reprenait et accentuait le pro­ gramme de réforme des artes sermocinales défini par Agricola. Selon Vivès, l’argumentation est la connexio enuntiatorum ut prius ex posteriori sequi et quodammodo nasci videatur34 , et il estimait nécessaire de choisir chaque argument avec la plus grande précision selon un ordre orga­ nique et systématique. Car - comme il l’écrivait dans le De instrumenta probabilitatis liber* : ... est argumentum id, quod iam creditum ad fidem rei nondum crédité sumitur. Ordo vero eorum que creduntur, hic est: primam jidem arbitramur esse sensuum, hanc vulgus certissimam esse dici, nec falli se ad ilia posse... Secundus fidei locus est, quod suus cuique affectus suasit, qui quamdiu dominatur anime, omnia sui iuris facit et quamlibet falsa exploratissima credun­ tur; nam acumen ingenii et acrimoniam iudicii nebula quadam obducit, ne quid valeat inspicere nisi per earn ipsam [On appelle argument ce qui, déjà objet de croyance, est versé au crédit d’une chose qui est encore objet de doute. L’ordre de ce qui fait croire est le suivant : nous estimons que les sens sont le premier facteur de croyance, puisqu’ils passent auprès du vulgaire pour le plus assuré, et infaillible. Le 1. 2. 3. 4.

J. J. J. J.

L. L. L. L.

Vivès, Vivès, Vivès, Vivès,

De De De De

cousis corruptarum artium, Œuvres, cit., I, p. 373-375. tradendis disciplina, Œuvres, cit., I, p. 633 et s. argumentation, liv. II, Œuvres, cit., I, p. 603. instrumente probabilitatis, Œuvres, cit., I, p. 615.

second lieu de la croyance est que chacun se persuade de ce qui flatte sa pente, et quand l’âme en est prévenue, elle le fait sien, et même le faux passe alors à ses yeux pour parfaitement vrai : même l’esprit le plus subtil et le jugement le plus aigu sont alors aveuglés par une sorte de nuée, qui les empêche de voir autrement que par elle]. Les loci de l’argumentation doivent se donner pour tâche essentielle d’établir connexions et relations objectives entre les divers sujets de la connaissance et du savoir. Leur fonction est comparée par Vives aux inscriptions qui simplifient le travail des « pharmacopolæ et unguentarii » ( « pharmaciens et vendeurs d’onguents » ), parce qu’ils indiquent le contenu des differents pots, la « matière » ou « substance » qui y est renfermée1. Cette « topique » n’avait pas seulement la tâche de fournir des arguments pour des disputes portant sur des thèmes « probables », mais de présenter, comme en embryon, une méthode valide pour la mise en œuvre ordonnée des « interrogations » ou expériences les plus diverses. 4. On rencontre souvent ces vues dans la littérature « dialectique » humaniste entre 1520 et 1540, notamment - comme je l’ai déjà sug­ géré - dans les milieux où l’influence d’Agricola se faisait sentir. On reconnaît cette influence à une phrase devenue bientôt célèbre : Non ergo aliud est locus quam communis quœdam rei nota, cuius admonitu quid in qua re probabile sit potest inveniri [Ce qu’on appelle "lieu” n’est rien d’autre qu’une note communément attachée à une chose, et par laquelle on est prévenu de ce qui, dans cette chose, peut être trouvé de probable]. Cités ou paraphrasés dans plusieurs textes - par exemple, VIngeniosa nec minus elegans ad dialectices candidates methodus de Jean Le Voyer (1534) ou la Dialectica legalis de Christophe Hegendorff (1543)12 -, ces mots consti­ tuent une sorte de leitmotiv de la « dialectique » humaniste. L’allusion d’Agricola au « nombre infini » des choses et de leurs propriétés que le savant doit « recueillir », distinguer et disposer à l’aide précieuse de la « topique » inspire des traités et des manuels orientés vers la recherche d’une « voie » capable de nous conduire dans la « forêt » confuse des res et des verba. Le centre de gravité de l’argumentation en vient aussi à se déplacer de la certitude absolue de la « démonstration apodictique » aux procé­ dures de la probabilité et au domaine du « crédible » par l’accent placé sur Yinventio d’arguments et de loci utiles pour identifier et recueillir les 1. Ibid., p. 616. 2. Voir Johannis Visorii Ingeniosa nec minus elegans ad dialectices candidates methodus, Parisiis, 1534 ; Christophori Hegendorphini Dialecticae legalis libri quinque, Lugduni, 1540.

capita communia de l’expérience. Il fait peu de doute que cette dialectique, étroitement liée à des exigences pédagogiques des écoles humanistes, est bien plus simple, voire élémentaire, que la logique spécialisée de la sco­ lastique tardive, et elle s’éloigne du raffinement formel des magistri du XIVe et du XVe siècle. Il suffit toutefois de considérer une métaphore clas­ sique, mais particulièrement chère aux « dialecticiens » humanistes du XVIe siècle (le Venator [chasseur] qui poursuit dans la forêt les « argu­ ments » et les notions pour les renfermer dans leurs « niches » légitimes) pour comprendre quelle est la tâche qu’ils attribuent à leur enseigne­ ment. Pour ces maîtres qui sont souvent des juristes ou des philologues, des hommes d’Église ou des professeurs d’éloquence, mais aussi des médecins ou des amateurs curieux de science de la nature, la dialectique doit établir un système de référents argumentatifs, d’un usage facile et rapide dans le discours et avant tout dans l’enseignement. Par ailleurs, au cours des décennies 1520-1540, qui voient éclater en Europe centrale de violentes querelles religieuses et politiques et croître une très vaste littérature de controverse, les humanistes, qu’ils soient passés dans le camp de la Réforme ou qu’ils soient restés fidèles à Rome, comprennent sans hésiter l’intérêt de tels instruments de tra­ vail pour la prédication, la polémique théologico-politique, et les débats confessionnels. L’érasmien Vivès et le zélé capucin Titelmans compre­ naient la valeur de cette dialectique, largement redevable de Vinventio rhétorique, non moins que pouvaient le faire un homme aussi Hé aux origines de la protestation luthérienne qu’un Philippe Mélanchthon, ou qu’un réformé tel que Jean Sturm ou qu’un calviniste tel que Ramus. Sans doute, le milieu le plus favorable à la methodus ancienne et nou­ velle se trouve dans les écoles et les cercles intellectuels protestants, qui élaborent une culture durement anti-scolastique, liée à des finalités sou­ vent très « pragmatiques » et, en tout état de cause, pénétrée de polé­ mique contre les « sophismes » et les « ruses » des « moines ». Certaines pages de Mélanchthon expliquent clairement pourquoi la « simplifica­ tion » formelle des contenus théologiques de la « véritable » doctrine chrétienne doit s’accompagner aussi d’une « réduction » tout aussi radi­ cale des instruments logiques nécessaires à l’éducation des pasteurs du peuple de Dieu qu’il faut préserver de retomber dans la pratique d’une fausse science étrangère à la Parole divine. Ces mêmes pages de Mélanchthon montrent également pourquoi l’auteur des Loci communes pouvait accepter nombre d’éléments appartenant à la tradition rhéto­ rique issue d’Agricola. Il ne serait pas difficile d’étendre la même ana­ lyse à d’autres personnalités ou moments de la vie religieuse du XVIe siècle, ne serait-ce que pour souligner le parallélisme significatif entre l’affirmation d’une littérature « dialectique » de plus en plus

dominée par la question de la « méthode » et la floraison, aussi bien dans l’univers catholique que dans le protestant, de « méthodes » de vie spirituelle et de « topiques » théologiques de source typiquement huma­ niste, mais inspirées souvent du grand courant commun de la devotio modema*. Dans ce cas aussi, il s’agit d’attitudes spirituelles, de formes d’expression et d’expériences religieuses réceptives aux « héritages » divers de la culture humaniste italienne du XVe siècle, et qui les ont assimilés et transformés selon leurs propres intentions. La fortune, dans ces milieux, des écrits de Lorenzo Valla, aussi bien que des manuels de Georges de Trébizonde, prouve l’existence d’un terrain propice au développement d’une culture de plus en plus soucieuse d’affirmer l’importance capitale de la « méthode » dans tous les aspects de l’expérience humaine. Cette « méthode » reconduisait à ces exigences, au-delà de leur signification originelle, les modèles hérités d’une Anti­ quité sentie comme proche et même comme exemplaire. Les éléments qui permettent d’attester la croissance rapide de ces tendances sont nombreux et significatifs. En 1515 - comme je l’ai dit le De inventorie dialectoa est imprimé pour la première fois à Louvain et il est réédité dès l’année suivante à Cologne par Aléard d’Amsterdam. En 1518, toujours à Cologne, c’est le tour d’une nouvelle impression accompagnée des annotations d’Aléard d’Amsterdam et de Reinhard Hadamarius. Puis, entre 1520 et 1528, avant le début de la longue série des éditions parisiennes, ce manuel d’Agricola parut plusieurs fois encore à Cologne (deux éditions en 1520, une en 1523 et une autre en 1527) et à Strasbourg (1521), et enfin en 1528 une impression sans indication de lieu, elle aussi probablement d’origine rhénane1 2. La fré­ quence de ces parutions et la proximité de ces lieux ne sont pas vrai­ ment un hasard. Il est aussi significatif que le De inventorie ait été publié surtout à Cologne, capitale de la culture humaniste rhénane et centre florissant de l’industrie du livre, où les techniques typographiques étaient assez poussées pour permettre d’organiser en « espaces » visuels les tables de la « topique », les « lieux » et les « sièges » des arguments. Si l’on étudie quelques manuels de dialectique produits par les milieux rhénans et flamands, on observe tout de suite que l’enseignement d’Agricola tend déjà à cette époque à se traduire en de vastes systèmes graphiques de « disposition » indiqués par les « arbres » qui illustrent, par exemple, la Dialectoa de Joachim van Ringelbergh3 ou Y Epitome commentariorum Dialectoa inventionis Rudolphi Agricola, publié en 1530 (Le Mas­ 1. Voir à ce sujet ce qu’écrit Ong, Ramus. Method, cit., p. 123 et s. 2. Voir n. 1, p. 89. 3. Joachimi Forty Ringelbergi Andoverpiani Dialectica, postrema authons recognition auctissima. Tabula Dialectices succintœ ac compendiosœ, Parisiis, 1538.

son ou Steinmetz) par Barthélemy Latomus, le futur Lecteur royal d’éloquence latine1. Dans cet ouvrage (comme d’ailleurs dans d’autres commentaires ou textes d’Agricola), on discerne clairement le propos de l’auteur de construire une théorie de l’argumentation recourant principalement à des procédures et à des outils d’origine rhétorique. A l’instar d’Agricola, Latomus opère la distinction des « arts du discours » en deux disciplines, la « dialectique » et la « rhétorique », qu’il identifie respectivement avec la ratio docendi et la ratio eloquendi1 2. Il admet aussi la division fondamentale entre inventio et dispositif qu’il préfère appeler expositio et argumentatio. Pour le reste, Latomus partage avec le maître frison la doctrine selon laquelle la tâche essentielle du discours est d’« enseigner », d’« émouvoir » et de « plaire », si bien que Г « inven­ tion » et la « disposition » impliquent l’intervention finale et con­ cluante de la rhétorique34. Pour Latomus, les « lieux » sont des instru­ ments communs au rhétoricien et au dialecticien, puisque la « topique » est efficace et nécessaire aussi bien dans le domaine du discours purement oratoire, que dans celui de l’analyse scientifique et philosophique. Cependant, dans VEpitome, la distinction entre procédés dialectiques et rhétoriques (mais aussi leur dépendance réciproque) est indiquée de façon plus claire et ramenée à la diversité qui existe entre la « structure » du discours et son « effet », ou plutôt entre le type d’« oraison continue » propre au sermo rhetoricus et la procédure dialec­ tique particulière à la disputation. 5. Cette problématique se retrouve dans les écrits d’autres huma­ nistes du Nord, tel Caesarius5 ou Hegendorff lui-même, qui reprennent et développent, avec toutefois des orientations différentes, certains enseignements d’Agricola. Je crois cependant que, pour notre propre questionnement dans cette Histoire, il vaut mieux traiter maintenant de l’œuvre de Philippe Mélanchthon6, un savant qui fut et resta toujours un grand professeur. Mélanchthon conçut en effet toute son activité de Réformateur, de réorganisateur des études et d’auteur de célèbres manuels scolaires, comme autant d’aspects différents d’un seul « ser­ vice » divin, nécessaire tant à la restauration de l’édifice corrompu de 1. L'Epitome fut publiée à Cologne, mais je suis l’édition de Paris de 1542. Pour les diffé­ rentes éditions, voir Ong, Ramus and Talon Inventory, cit., p. 534-535, 549-552, 554. 2. Voir Bartholomœi Latomi Summa totius radonis disserendi, uno eodemque corpore et dialectices et rhetori­ ces partes complectens, Colonise, 1527, ff. 2-4. 3. Ibid., f. 5. 4. Epitome, éd. citée, p. 66. 5. Au sujet de Caesarius, voir Vasoli, La dialettica e la retorica, cit., p. 260-277. 6. L’analyse relative à la pensée de Mélanchthon sera bornée ici aux seules questions concer­ nant la « méthode ».

la communauté chrétienne qu’au perfectionnement des facultés que Dieu avait accordées aux hommes. Cet homme, qui fut pour les humanistes de son temps l’exemple vivant d’une nouvelle conception de l’école et de la diffusion du savoir, se proposait de ramener à son éclat originaire le lumen naturœ (à savoir ces principes et ces fondements communs que chaque esprit possède par nature) obscurci par le péché originel, mais aussi de rétablir ces normes étemelles de connaissance et de discipline éthique auxquelles lui-même, acquis aux doctrines stoïciennes et cicéroniennes, croyait fer­ mement. L’on comprend que Mélanchthon ait été profondément attiré par la recherche d’instruments efficaces de construction ou de transmis­ sion du savoir et qu’il ait attribué la plus grande importance à l’instauration d’une méthode applicable dans tous les domaines de la connaissance, de la théologie aux mathématiques, du droit à la méta­ physique, de l’éthique à la philosophie du savoir, conformément à l’idéal encyclopédique qu’il poursuivait et aux suggestions qui lui venaient de la même tradition aristotélicienne, qu’il continua de consi­ dérer comme le fondement solide de tout curriculum. Les soins attentifs que Mélanchthon consacra à la rédaction de manuels de dialectique et de rhétorique, souvent modifiés, augmentés et mis à jour, révèlent son intérêt central pour cette problématique qu’il tenait pour préalable au renouveau intellectuel et moral de la vie chrétienne. Cette attitude est confirmée par sa tendance (exprimée déjà clairement dans son premier petit ouvrage scolastique, les Dialectices libri en 1528)i à privilégier le moment de 1’ « invention », qu’il range dans la dialectique et qu’il conçoit comme la « découverte » des principes de l’argumentation essentiels pour élaborer et enseigner n’importe quelle discipline. Comme il le dit justement dans les Dialectices libri (dans une phrase qui, à peine modifiée, revient aussi dans la dernière rédaction de cet ouvrage sous le titre de Erotemata dialectices)12, la dialectique est « un art et une voie pour bien enseigner » qui consiste nécessairement dans l’action de « définir, distinguer et argumenter »3. Il est évident que Mélanchthon s’inspire ici d’un passage célèbre de Cicéron, cité assez souvent par les humanistes. Cependant, il y introduit une variante très significative, car il substitue l’expression ars docendi à celle d"ars dicendi, afin de souligner justement la finalité éminemment didactique de la 1. Je me sers de l’édition suivante : Ph. Mélanchthon, Dialectices libri III, Lugduni, 1537. Elle contient une rédaction plus élaborée du traité sur la méthode. 2. Voir Mélanchthon, Erotemata dialectices, édités dans le « Corpus Reformatorum », XIII, coll. 513 et s. 3. Mélanchthon, Dialectices libri, cit., p. 5 ; Id., Erotomata dialectices, cit., coll. 513 : Dialectica est ars, seu via recte, ordine et perspicue docendi.

dialectique, en connexion étroite avec la valeur attribuée à Vargumentatio comme fonction « méthodique ». Ce n’est pas par hasard que, dans le même contexte, il insiste sur l’analogie entre la dialectique et la mathé­ matique, autrement dit entre Г « art de raisonner » et celui d’« énumé­ rer » : si l’art mathématique traite des nombres et de leurs liens ration­ nels, de même la dialectique part des objets individuels de la connaissance et - tamquam numerous uniuscuiusque causas aut effectus, aut partes [comme si elle dénombrait les causes, les effets et les parties de chacun d’eux] - montre quelle est leur nature, leur origine et leur fina­ lité, et comment elles s’accordent ou s’opposent réciproquement1. La tâche de la dialectique est donc d’exprimer de façon claire et pré­ cise le lieu de chaque chose dans le système des connaissances humaines, comme le montre l’étymologie du terme lui-même, dérivant du grec 3taXéyop.at, traduit par les Romains par disserere qui signifie justement distincte aliqua de re dicere [parler distinctement de quelque chose]. On comprend mieux ainsi l’insistance particulière que met Mélanchthon à dissocier la dialectique de la rhétorique en se référant, au fond, à un typique topos classique, souvent repris aussi par les humanistes : Dialectica nudam causam brevibus verbis et tanquam punctis dési­ gnât. Rhetorica addit elocutionem inventis a Dialectica et veluti omamentis verborum et sententiarum vestit. Нас in omnibus negotiis tanquam primas tineas causa ducit, sed Rhetorica addit vivos colores. Est enim elocutio propria Rhetorices [La dialectique désigne l’objet nu du débat en peu de mots et presque par des points. La rhétorique ajoute l’élocution aux arguments trouvés par la dialectique, et les habille en quelque sorte d’ornements de mots et de figures de pensée. L’une dans toutes les discussions dessine en quelque sorte les lignes essentielles, l’autre ajoute des couleurs vives. Le propre de la rhétorique, c’est Velocutio]12. Or, puisqu’une chose est de « découvrir » la matière de l’argumentation et une autre d’en manifester les effectives connexions nécessaires ou probables ( « le jugement » ), Mélanchthon dissocie également la partie « inventive » et la partie « critique » de la dialectique, comme l’avait déjà soutenu Agricola. A l’instar de l’artisan et de l’artiste qui recherchent et choi­ sissent la matière pour former leurs ouvrages, tout en concevant les formes qu’ils donneront à leurs créations, le dialecticien devra recher­ cher les arguments, tout en évaluant leurs rapports et leurs connec­ tions rationnelles. A l’élaboration de la « topique » (qua tota tiaditur infra in locis), il faut faire correspondre la fonction du «jugement» qui 1. Mélanchthon, Dialectices libri, oit., p. 5. 2. Ibid., p. 7.

recherche comment les arguments se réunissent in forma et donnent lieu aux diverses structures de syllogisme, ainsi qu’aux modes variés du discours argumenté1. Je n’insisterai pas davantage sur ces thèmes qui montrent com­ ment Mélanchthon propose en substance, lui aussi, un type de dialec­ tique fortement orientée vers la mise en évidence des loci qui consti­ tuent, écrit-il, le « trésor » ou le « dépôt » des arguments : il se réfère ici explicitement au livre d’Agricola dont il dit : adeo accurate copioseque scriptus, ut longe vincat omnes in hoc genere tam Gracos quam Latinos [qu’il a été écrit avec tant de précision et de fécondité qu’il rend caduc tout ce qui dans ce genre nous a été laissé par les Grecs et les Latins]1 2. Pour lui aussi la cura... invenimdarum гетит précède et d’une certaine manière conditionne tant la théorie du jugement que l’usage du syllo­ gisme. Du reste, même en gardant la distinction traditionnelle entre les loci rhetorici et les loci dialectici, il privilégie ces derniers et y montre le fondement et la « source » des arguments utilisés même par les ora­ teurs dans leurs discours persuasifs ou par les avocats dans le traite­ ment des « causes judiciaires ». C’est à la dialectique qu’il attribue la certam docendi viam, c’est à elle que revient l’élaboration de toutes les causœ maxima, au moyen desquelles l’on peut démontrer quid res sit, quid non sit, qua sunt vera et qua sont falsa Qa réalité ou l’inanité d’une chose, la vérité ou la fausseté]3. L’on peut comprendre pourquoi Mélanchthon, déjà dans les Dia­ lectices libri, insiste surtout sur la nécessité d’une élaboration rigoureuse des diverses quastiones qui permettent de définir le domaine et la nature logique de différents « problèmes ». Sa préoccupation majeure s’est très tôt concentrée sur le thème spécifique de la « méthode », avec l’intention évidente d’établir une connexion directe entre les pro­ cédés rhétorico-dialectiques proposés par Agricola et la discussion aris­ totélicienne développée dans quelques pages célèbres des Analytici priores. Il est significatif que l’humaniste allemand, du moins à partir de l’édition des Dialectices libri de 15374, adopte décidément le terme aris­ totélicien de methodus (pé0o8o De linguae latinae usu et praestantia lib. Ill, Rome, 1574. Fraunce (A.), The Arcadian Rhetorike, Londres, 1588 (éd. Menston, 1969). Frischlin (N.), Rhetorica seu Institutionum oratoriarum lib. II, Lipsiae, 1604. Grenade (L. de), Rhetoricae ecclesiasticae sine de ration concionandi lib. VI, Lisbonne, 1576. Guzman J. de), Primera parte de la Retorica, Alcala, 1589. Harvey (G.), Ciceronianus, Londres, 1577. — Pierces Supererogation (1593), éd. Smith, Elisabethan Critical Essays, Oxford, 1904. Henisch (G.), Praeceptionum rhetoricarum lib. V..., Augustae, 1593. Herbetius (J.), De oratore lib. V, Paris, 1574. Hoskins (J.), Directions for speech and style (1599), éd. Hudson, Princeton, 1935. Huarte (J.), Anacrise ou parfaitjugement et examen des esprits propres et nais aux scienes, trad. Chappuis, Lyon, 1580. Hyperius (A.), Deformandis concionibus sacris, seu de interpretation scripturarum populari lib. II, Bâle, 1573. Jimenez Paton (B.), Eloquencia Espanola en Arte, Tolède, 1604. Junius (M.), Methodus eloquentiae comparandae, Strasbourg, 1609. Lainez (J.), Monita pro iis qui concionandi munus suscipiunt, in Disputations Tridentinae, éd. Grisar, Ratisbonne, 1886. Le Roy (L.), Orations duae... altera de iungenda sapienter sentiendi scientia cum ornate dicendi facilitate, Paris, 1576. — Deux oraisons françaises... l'un des langues doctes et vulgaires, et de l'usage de l'éloquene..., Paris, 1576.

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PIERRE LAURENS

10 - Entre la poursuite du débat sur le style et le couronnement de la théorie de l’ « actio » : Vossius et le réaménagement de l’édifice rhétorique (1600-1625)

On connaît le mot de Péguy : « Nous venons de quitter une période pour entrer dans une époque. » Époque, au sens étymologique, et comme déjà l’entendait Bossuet : point d’élévation, d’où l’on peut embrasser d’un regard l’avant et l’après. Période : intervalle entre deux époques. Mais les années que nous abordons à présent s’offrent à nous à la fois comme un mixte des deux, selon le point de vue : période de transition et de réajustements en matière de théorie du style, entre ces deux moments forts que sont pour la prose française l’écriture de Mon­ taigne et la querelle autour des Lettres de Balzac, pour la prose euro­ péenne le séisme lipsien et la provocation gracianesque ; mais aussi pierre milliaire de Viter rhetoricum si l’on considère l’apport d’un Vossius à la construction de l’édifice rhétorique tout entier, celui de Cressolles à l’épanouissement et soudain accomplissement d’un chapitre de l’ins­ titution oratoire jusque-là relativement négligé.

«L’événement important, dans l’histoire de la rhétorique entre 1555 La question et 1620, est l’apparition du style de l’intensité, qui se dégage sur le fond du meilleur style suave du cicéronianisme de la Renaissance. » Ainsi, dans le sillage de Marc Fumaroli, la thèse de Christian Mouchel, qui elle-même fait date, commente-t-elle l’ébranlement déclenché dans le monde de l’éloquence par l’œuvre de Juste Lipse. La leçon de Lipse est intéressante en soi, mais aussi par contrecoup, d’abord parce qu’elle se prolonge à travers ses dis­ ciples, ensuite parce qu’elle oblige les écrivains cicéroniens à se repenser. 1 / Héritier de Juste Lipse et prolongeant, au-delà de celui-ci, la méditation d’Érasme sur le principe d’abondance, Erycius Puteanus propose dans sa Diatriba de laconisme une réflexion fondée sur l’oppo­ sition du volume (moles) et du poids (pondus), privilégiant un style de l’intensité, que Lipse trouvait dans des sources essentiellement romaines

(Sénèque, Tacite), et que lui-même rattache à une tradition non seule­ ment romaine, mais grecque : c’est le modèle mythique de Sparte tel que le propose Plutarque dans le De garrulitate (les préceptes de Lycurgue, exerçant ses concitoyens à cette force et véhémence du par­ ler amassé et renforcé) et dans la Vie de Phocion : « Polyeucte déclare que Démosthène était le plus grand orateur, mais que Phocion avait l’autorité la plus puissante. En effet, dans des paroles très resserrées il embrassait une pensée très abondante. » Mais l’Athénien Socrate connaissait lui aussi le secret de cette éloquence foudroyante, louée par Platon dans le Protagoras : au moment approprié, comme un habile lan­ ceur de javelot, il jette un mot bref et ramassé et cependant d’une si grande force que celui qui converse avec lui a tout l’air d’un enfant. Le modèle de cette imperatoria breuitas, cette brièveté lapidaire des lois et des rois, c’est naturellement l’apophtegme : Et iam reges principesque qui Deo proximi in terris Deum représentant, sermone parci sed arguti maiestatem suam Laconismo commendant, Apophtegmate diadema sumunt... Eminent inter homines hoc de causa, quod polylogia ad sordes populi relegata sententiis conclusa oracula loquuntur. Commentant la réponse du roi Porus fait prisonnier à Alexandre qui lui demandait comment il voulait être traité - Basilikôs, répondit-il -, Puteanus s’exclame : Hœreo in exemplo, ac nescio profecto Indum potius an Macedonem admirer. Ille bello uictor, hic sermone, ille mora, hic momento. Ubi Martis negotium erat, magno armorum apparatu rex a solio proturbatus ; ubi Suadae, nullo uerborum restitutus. Rythme et tension conférés au discours par le mouvement de la pensée vivante (sic eloquere ut loqueris, breuiter, argute, neruose) ; et éloquence de situation, lieu de triomphe de Vacute responsum, réplique du sage à la parole qui le défie, et de Voraculum, trait de sagesse ou sentence qui sur­ git du silence de la méditation : de cette éloquence « emphatique », c’est-à-dire sans emphase, où le mot prend une valeur accentuée, se charge d’un sens plus profond ou de plusieurs sens superposés ou com­ primés, Muret avait, aussi d’après Plutarque, analysé la puissance fou­ droyante. Plus tard, Baltasar Graciân dégagera en pleine lumière les liens qu’elle entretient avec 1’ « occasion » favorable et avec l’inspiration, Vagudeza étant précisément cette réponse immédiate et géniale que Yingenio oppose à la provocation de la « circonstance spéciale ». Au défi proposé par l’atticisme, voire le laconisme du Nord, bien­ tôt illustré par les Discorsi sopra Comelio Tadto (1622) de Malvezzi, s’ajoutait celui des asianistes du Midi, incarné au début de ce siècle par le succès des Dicerie sacre (1614) de Marino, qu’on a pu présenter comme l’héritier du rhéteur Ælius Aristide, et par le souvenir encore vif de la prédication de Francesco Panigarola, mort en 1594, mais

dont le Predicatore ovvero Demetrio Falereo paraît à Venise en 1609. Comme le titre l’indique, chacun des trois tomes qui composent le livre est constitué d’un passage du texte de Démétrius cité en latin, de sa paraphrase en italien, d’un commentaire rhétorique et enfin, ce qui est le but ultime de l’ouvrage, d’un discours ecclésiastique appliquant les préceptes de l’éloquence profane à l’éloquence sacrée. La richesse de l’œuvre-prétexte - que le commentateur intègre savamment à un réseau de rencontres qui vont d’Aristote à Denys, de Cicéron à Quintilien, d’Hermogène au Pseudo-Longin - autorisait les interprétations les plus divergentes et par exemple des quatre caractères du style ; un Torquato Tasso (tant dans ses Lettres que dans la Lezione sopra un sonetto di Monsignor della Casa) s’était intéressé spécialement aux deux premiers, mariant le magnifique et le véhément, empruntant à Thucy­ dide les moyens stylistiques de l’âpreté sublime - Thucydides ubique fere Jugit leue et aquabile genus compositionis et potius offendenti similis est, quemadmodum qui per asperas uias iter faciunt - et retenant l’enseignement du rhéteur sur les effets de la brièveté, de la pointe et de l’obscurité (ad pauorem gignendum et horrorem quemadmodum in tenebris et nocte) : ces réflexions qui sous-tendent la composition et la révision de la Jérusa­ lem, comme le montre un important chapitre d’Ezio Raimondi, impo­ sent un rapprochement qui à notre connaissance n’a jamais été tenté avec les principes esthétiques de Lipse. Mais justement à l’unité du genus grande et du genus uehemens Panigarola substitue un autre accord, du grande et du suaue, le style âpre et le style suave étant la forme que prend le style magnifique selon que l’orateur se montre sévère ou élogieux ; notre prédicateur choisit le second. On remarquera que ce choix s’éclaire si on le replace dans l’histoire des polémiques chrétien­ nes concernant le genus uehemens, présent dans les textes sacrés, dans les discours du Christ et des Pères grecs et latins, mais très tôt contesté comme contraire à l’idéal de charité. A cette raison Panigarola en ajoute deux autres : d’une part, la radicale infériorité du prédicateur moderne (un Lupus), à qui l’imperfection de son ethos interdit une imi­ tation trop zélée des modèles bibliques ; d’autre part, le statut actuel de la doctrine, qui doit désormais moins être fondée qu’enseignée. Par suite le blâme lui-même dans la bouche du prédicateur s’accorde dans l’ordre du style avec une absolue douceur, accueillant balancements, symétries, effets de rimes. Démétrius cite en exemple de ce style un passage de Théopompe et Panigarola un passage d’Augustin traitant du massacre des Innocents. 2 / On notera cependant que l’une des conséquences les plus inté­ ressantes de ce double défi, venu du Nord et du Midi, fut d’obliger les cicéroniardstes romains à affiner singulièrement leur analyse. L'"Orator

christianus (1612) de Carlo Reggio est à cet égard un premier essai, encore timide, de « diplomatie rhétorique » (Fumaroli), demandant au judicium cicéronien d’arbitrer entre les extrêmes, afin d’empêcher la sévérité de dégénérer en âpreté épineuse et la douceur en séduction sophistique. Plus exemplaire encore est l’œuvre critique de Famiano Strada, dont les Prolusiones academic# (1619), véritable chef-d’œuvre d’urbanité littéraire, couvrent tout le champ de Veloquentia (poésie, élo­ quence proprement dite, histoire) et proposent, à travers une réflexion élargie aux dimensions européennes, un idéal d’équilibre défini lui aussi par rapport aux excès tant du Nord que du Midi. Strada répond notamment à Lipse, d’abord en soumettant Vingenium au iudicium qui est, écrit-il, « comme le sang même de l’éloquence diffusé également dans tout son corps », mais aussi en rétablissant, contre la tyrannie d’un style unique, la tripertita uarietas chère à Cicéron. Mais, alors que pour l’orateur romain les trois styles s’appliquent aux trois fonctions de son art (prouver, charmer, fléchir) et définissent ainsi les diverses for­ mes du discours oratoire, ici ils servent à caractériser les trois parties de l’éloquence que sont l’histoire (domaine du style humble), la poésie (style moyen), l’art oratoire (lieu par excellence du style sublime). Le traitement réservé à l’histoire est lui-même éminemment significatif et des intentions de l’auteur et des libertés prises par lui avec Cicéron, puisque ce genre, dont la fonction, comme on le rappelle, est de trans­ mettre le vrai, cesse d’être un genus oratorium maxime. Infléchissant la thèse de 1’ Orator qui rapprochait le style des historiens du genre épidictique, Strada limite à quelques morceaux privilégiés (récits de batailles, discours, harangues) les procédés du genus temperatum : style périodique, figures gorgianiques, métaphores brillantes. Mais, tout ainsi qu’est refusée l’ornementation abondante, les critiques les plus fortes vont aux caractères du discours historique dans la manière de Tacite : à ce style sentencieux qui accompagne la prolifération du commentaire sur le récit et donne pour un savoir objectif les saillies d’un esprit particulier ; à ce style abrupt, heurté, elliptique, volontiers obscur, que l’historien romain a hérité, selon Muret, du sublime thucydidéen. Au reste, cette critique du nouveau style historique, dont le modèle est Malvezzi, s’insère elle-même dans une vue panoramique sur la prose contempo­ raine. Concetti contre sententiæ : désavouant aussi bien les asianistes méri­ dionaux, héritiers de Marino, dont la fécondité étincelante étonne, mais sonne creux, que les érudits du Nord, dont la sévérité virile pousse l’atticisme jusqu’à une sécheresse plus philosophique qu’éloquente, le P. Strada invite son orateur à surmonter le dilemme grâce à un savant dosage au sein d’un genus sublime, privilège de l’éloquence de la chaire dont la fin ultime est d’enflammer le cœur des fidèles.

3 / Le prestige du magistère romain au sein de la Compagnie, l’autorité personnelle dont jouissait le P. Strada, un moment maître du futur Urbain VIII et du cardinal Vitelleschi, garantissaient à la « renaissance cicéronienne » dont il se faisait le champion avec tant d’intelligence une large adhésion dans le monde catholique. Ce n’est pas à dire que chaque province, et en particulier celle de France, n'ait tenté de définir, parfois de façon contradictoire et ambiguë, la voie la mieux accordée à son temps, sinon à son génie. On rappelait à l’instant les liens de Giambattista Marino avec la Seconde Sophistique : la présence de celle-ci dans la culture française est l’un des faits majeurs du tournant du siècle, marqué par la réédition en 1614, somptueusement illustrée par Antoine Caron, de la traduction des Tableaux de platte peinture de Philostrate par Biaise de Vigenère. Le genre de Vecphrasis et la figure de Yhypotypose ou peinture muette inspire une grande partie de l’œuvre du P. Richeome, depuis les Tableaux sacrez des figures mystiques du très auguste sacrement et sacrifice de ГEucharistie (1601) jusqu’à la Peinture spirituelle ou Part d^admirer, aimer et louer Dieu en toutes ses œuvres (1611). La préface de Vigenère est, quant à elle, un bon exemple de l’attraction-répulsion exercée sur des esprits raffinés par un auteur « qui tient beaucoup de l’asiatique », puisque, tout en préférant, quant à lui, « se restreindre et en quelque sorte “thucydiser” davantage, esmondant, ébranchant, assagissant tout ce vain et oisif drageon », il ne laisse pas d’accorder cette concession, contrepoint à l’austérité sans art : «Je n’ai pu moins que de me rendre un peu affecté ou plutôt floride à la manière de sophistes. » L’œuvre du P. Binet ingénument et en prêchant d’exemple dans son brillant Essai des merveilles de la Nature et des plus nobles artifices (1621) - redécouvert, comme nombre d’œuvres de cette époque, par l’abbé Brémond -, et de façon beaucoup plus ambiguë celle des PP. Louis de Cressolles et Nicolas Caussin se ressentent de cette fascination. En par­ ticulier le P. de Cressolles, avant d’écrire ses Vacationes autumnales, dont il sera question plus loin, est l’auteur d’un monumental Theatrum ueterum rhetorum, oratorum, declamatorum, quos in Gracia nominabant sophistas (1619) : cet « érudit de l’art oratoire » aurait écrit selon Gibert la meilleure étude et le tableau le plus complet sur la sophistique antique, la pre­ mière, qui se voulait philosophique, et surtout la deuxième, purement épidictique, celle des sophistes impériaux, maîtres des Pères de l’Église en même temps qu’objet de leur vindicte. Brossant un tableau vivant de cette civilisation de l’Antiquité tardive où des conférenciers talen­ tueux, applaudis par un auditoire amoureux d’une éloquence ostenta­ toire, revêtent d’une expression vive et brillante de «jolies et hardies conceptions », Cressolles, comme on l’a écrit, « ne fait l’anatomie de

cette éloquence corrompue qu’afin d’en extraire les sucs les moins veni­ meux » : la parenté n’en apparaît que mieux avec les procédés de la sophistique sacrée, cette éloquence patristique dont il entend la démarquer. Même les Eloquentia sacra et humana parallela (1619) du P. Caussin, du moins dans leurs treize premiers livres, consacrés à l’éloquence humaine, aboutissaient à prôner, comme on l’a dit, un « éclectisme sans rivage » dont Cicéron serait le modérateur ; passant en revue l’ensemble de la lit­ térature grecque et latine jusqu’au Ve siècle après J.-C., ils font la part belle eux aussi à la Seconde Sophistique dont les auteurs sont suivis par un gros contingent des Pères de l’Église. C’est que, s’il condamne sévère­ ment une prose indécemment asianiste, le P. Caussin s’en prend encore plus vivement à l’atticisme érudit et à un primitivisme à contre-courant de l’évolution de l’éloquence humaine, laquelle s’épanouit dans l’épidictique, art de l’éloge qui assigne à la forme délectable la transmis­ sion d’une sagesse. П est vrai que dans les trois derniers livres, placés sous l’invocation de Jean Chrysostome et consacrés aux splendeurs de la chaire ecclésiastique, la « théorhétorique », domaine de l’éloquence héroïque, les dekctamenta disparaissent pour céder la place non pas certes au style atrox et horridus de Tertullien, mais à un style plus sévère, juste mesure entre austérité et suavité, dont la maiestas et la grauitas s’accordent avec la persona de l’orateur sacré. Ainsi, dans un débat qui concerne principalement l’éloquence de la chaire, poisons et contre-poisons se combattent-ils à la veille de la que­ relle décisive suscitée par la publication en 1624 des Lettres de Guez de Balzac. Le réaménagement du champ de la rhétorique: Гсеиоге de Gérard Vossius

Si l’on en revient toujours, pour apprécier ce début du XVIIe siècle, au chapitre des Jugements des Savants intitulé par Baillet « De ceux des Pays-Bas » et relevant la soudaine émergence de cette partie de l’Europe comme entité politique, religieuse, intellectuelle et culturelle, on note aussi que, parmi les savants éminents qu’a su s’attacher la jeune Université de Leyde, Vossius est un des plus complets : étymo­ logie, grammaire, glossaire de latin médiéval, théorie rhétorique et poé­ tique, études de théologie païenne et chrétienne (plus de 40 ouvrages cités dans l’article de Nicéron) composent les six splendides in-folio de l’édition posthume d’Amsterdam, publiée par les soins de son fils Isaac, édition saluée par ce jugement de la Nouvelle République des Lettres : « Les ouvrages de Vossius ne sont pas du nombre de ceux qui n’ont cours qu’un certain temps. » Concentrée jusqu’ici sur la biographie de cet auteur et, depuis René Bray et Édith Kern, sur la poétique, l’attention de chercheurs n’a pas tenté encore une évaluation de sa

contribution en ce qui concerne la rhétorique. A pallier cet étrange oubli voudrait donc s’attacher ce court chapitre où l’on se propose de prendre sur l’œuvre théorique de Vossius un triple point de vue, envi­ sageant successivement la définition du champ du rhétorique par cet auteur et la place qu’il assigne à la rhétorique dans l’encyclopédie, l’intégration et aménagement par ses soins de la tradition rhétorique, enfin, accessoirement, les enjeux stylistiques et esthétiques. 1 / Vossius n’est pas seulement un esprit encyclopédique, il a une idée de l’encyclopédie, à la fois comme pédagogue et comme penseur. En cela, il est loin d’apparaître comme un isolé : une étude de Cesare Vasoli, intitulée UEnciclopedismo del Seicento (1978), a donné précisément comme caractéristique de ce siècle le sentiment de l’unité organique de la totalité du scibile ; tout près de Vossius, Alsted, calviniste aussi, com­ pose sa Methodica comprehensio rerum omnium in hoc uita homini discendarum, dont les grands tableaux diagrammatiques illustrent une vision totale et organique de la sapientia, soumise à la certitude d’une ordonnance pro­ videntielle du monde dans son histoire. Vossius participe à ce grand mouvement de réaménagement du champ du savoir, en fait effort de substitution d’un nouvel Organon, d’une nouvelle ratio studiorum au schéma depuis longtemps dépassé du triuium et du quadrivium qui gou­ vernait l’organisation des artes liberales depuis Martianus Capella et ses Noces de Philologie et de Mercure. L’exposé de ces vues encyclopédiques se trouve résumé dans le De omnium artium et scientiarum natura et constitutione (titre de l’édition de 1606 : De organicis disciplinis), véritable « amphithéâtre » des connais­ sances envisagées non dans leur contenu, mais dans leur concaténation, mais un effort analogue est poursuivi à travers les traités séparés, comme le De rhetoric& natura et constitutione, le De poeticœ natura et constitu­ tione, le De logicœ natura et constitutione, selon un principe de distribution distinguant comme dans la Rome antique quatre classes, et opposant celle des artes uulgares ou mercenarùe - les arts mécaniques, dont il ne traite pas - aux trois autres, celles des liberales, liberaliores et liberalissimæ. Aux liberales appartiennent la grammatistikè, la gymnastikè, la musikè et la graphikè, réduites à l’enseignement des premiers éléments. Au-dessus, Yencyclopedia ou polymathia, divisée en philologia, mathesis et logikè, chacune de ces parties se subdivisant à son tour : par exemple la philologia com­ prend la grammatikè - qui s’occupe de la pureté du discours -, la rhetorikè (yomatus), la métrikè (le rythme) et l’histoire - qui comprend elle-même la géographie, la chronologie, la généalogie et l’histoire proprement dite. Au niveau supérieur règne la philosophie, soit pratique (agronomie, art de la guerre, arts plastiques, art de la parole oratoire ou poétique), soit spéculative, culminant en la théologie.

Une telle classification pose quelques problèmes de dénomination - le nom de philologia, repris des savants alexandrins, alterne avec uaria eruditio, ou grammatikè au sens large, celui d’Érasme dans la Vie d’Origène, et enfin avec le mot literatura qui fait ainsi son entrée dans le vocabu­ laire critique - et d’articulation : on note la place de la logique, instru­ ment et non partie de la philosophie ; la double insertion de musikè et de graphikè, rattachées plus loin à la mathesis et à la philosophie ; surtout la double acception du mot de « rhétorique » : rhetorikès quoque nomen homonumôs accipitur. Relevant de la simple ars rhetorica, et s’occupant de l’arrangement des mots et des figures, c’est une rhétorique générale applicable à tout discours, poésie, histoire, art épistolaire : cette ars, réduite aux préceptes de l’élocution, d’extension aussi large que son acception est étroite, est distinguée de la faculté oratoire ou art de persuader, incluant les parties traditionnelles de V Institution à l’exclusion de la mémoire et de l’action. L’important, c’est le rattachement de l’éloquence (oratoire et poétique) à la philosophie pratique, autrement dit à la Politique : décision d’ascendance aristotélicienne et moyen pour Vossius de conférer à l’éloquence sérieux et éminente dignité. Ce n’était pas le seul moyen, et d’autres avaient essayé de le faire en ratta­ chant éloquence et poésie à la Dialectique, tels le Tasse dans son Dis­ cours du poème héroïque et, dans le monde universitaire, Zabarella : la rhé­ torique enseignerait l’usage de l’enthymème et de l’exemple en matière civile, comme l’Apodictique, la Dialectique et la Sophistique l’usage du syllogisme en matière nécessaire, problématique et fallace... Mais juste­ ment Vossius refuse cette assimilation et exclut la logique de la philo­ sophie : ici le connaissable, là l’action, ce qui est une façon d’accrocher l’éloquence plus haut. Un dernier point concerne les relations de la Rhétorique et de la Poétique, germante sorores de cette Eloquentia duplex. Il y a une base com­ mune à toute l’éloquence, prose ou poésie. Cette base commune (lieux de l’argumentation, omatus, les trois genres de style), Scaliger a cru bon de l’exposer dans la Poétique, en fonction de l’idée (partagée par toute l’Antiquité : Strabon, Maxime de Tyr) que la poésie est plus ancienne et par conséquent englobe les formes du discours en prose. Vossius au contraire tient que Voratio soluta (ou pedestris) précède Voratio uincta comme la marche à pied précède l’équitation. Distinguant trois stades du discours : emendatus (grâce à la grammaire), omatus (rôle de la rhéto­ rique), modulatus (poétique), il postule la double inclusion du premier dans le second et des deux premiers dans le troisième, ce qui fait de la prose le Jundamentum dictionis poeticæ, laquelle est une peculiaris lingua ас fere Jigurata : soit une langue à l’intérieur de la langue. Et dès lors, comme Aristote, il sépare Rhétorique et Poétique et commence par la Rhéto­

rique. Ce qui ne l’empêche pas, comme on va le voir, de reprendre dans sa Rhétorique nombre d’analyses que Scaliger a inclues dans son omni-englobante Poétique. 2 / Digestion de la théorie. En effet, comme maître de rhétorique, Vossius doit d’abord intégrer la diachronie et exposer les doctrines diverses des rhéteurs qui l’ont précédé avant de choisir et d’exprimer la sienne. La théorie est œuvre collective, chaque savant apportant sa contribution à la République des Lettres : reprenant l’idée exprimée par Cicéron à la fin du Brutus, Vossius exprime sa foi en un progrès continu : Sic crescunt artes cunctie... exsurgent post me alii atque alii qui felicius conentur. De fait, s’il reprend à Quintilien le schéma des quatre parties de Г Institution oratoire - excluant cependant la mémoire et ne gardant que provisoirement l’action -, il ne laisse pas de l’enrichir par intégration de la plupart des apports de la grande rhétorique grecque (Aristote, puis Hermogène, Démétrius, Denys), filtrés par les meilleurs des Modernes, de Trébizonde à Jules César Scaliger. La forme de la dis­ cussion elle-même est scaligérienne, puisque sur chaque point de l’exposé l’auteur ou souscrit ou réfute ou affine, reprend à son compte des parties entières de la théorie, ou les aménage, ou introduit des par­ ties nouvelles. Tout d’abord se posaient à Vossius, dernier en date des modernes introducteurs de la théorie grecque, de délicats problèmes de traduc­ tion des termes qui supportent la théorie. On peut d’ailleurs soutenir que c’est à travers ce patient travail de transposition d’une langue à l’autre (du grec au latin et au vulgaire) que, d’un auteur à l’autre, la théorie s’est affinée, aiguisant sans cesse son outil critique, attentive à préciser différences et nuances : La première idée d’Hermogène est la saphénéia, ou perspicuitas... Elle com­ prend la katharôtès et Yeukrinéia, que Trébizonde appelle elegantia. Mais c’est autre chose, comme le mot l’indique. Sturm et quelques autres l’appellent perspicuitas. En fait, comme Yeukrinéia consiste dans la division et l’ordon­ nancement des choses, nous l’appellerons justement oratio distincta ou oratio-

nis distinctio.

De même, à propos de la quatrième partie de la grandeur, qu’Hermogène, selon Vossius, divise en grauitas, asperitas, uehementia, splendor : « Mais, afin que le discours par lequel nous attaquons autrui ne soit pas trop rude et rebutant, succède à la trachutès la quatrième partie de la grandeur, la lamprôtès, que nous pouvons appeler festiuitas, ou encore, si ce mot est trop ambigu, splendor. » Et, dans la sixième partie de la même idée : « Il est temps d’en arriver à la dernière partie

de la grandeur : c’est la peribolè. Qu’il me semble qu’on traduira assez pertinemment par oratio cumulate ou circumducens. Trébizonde l’a traduite par circumductio. Mais, comme le dit très bien Scaliger, ce n’est pas la chose qu’on fait tourner, mais d’autres choses autour d’elle : et c’est pourquoi il propose complexio. » Ailleurs, ce travail de définition s’attache, à travers la critique des prédécesseurs, à la distinction fondamentale de Vethos et du pathos. Dis­ cutant la traduction de Cicéron : Nec Ciceroni assentior qui pathè perturbationes uertit... Quare placet affectuum nomen, il se range aux côtés d’Aristote, Mintumo et Scaliger, contre ceux qui y voient seulement une différence de degré (doux et violent) : Quomodo autem a pathesi differunt, turn supra diximus, tum ex illis J. Scaligeri uerbis liquet lib. Ill de re poet., с. 1. : differt autem ethos et pathos non solum gradibus, ut aiunt, ita ut pathos sit ethos uehemens, sed quia ethos est principium agendi, pathos autem patiendi... Mais dans l’ensemble le grand chapitre du livre II consacré à cette partie de l’invention représente une transposition très fidèle du deuxième livre de la Rhétorique d’Aristote, qualifié de totes aureus. En effet, en second lieu, l’ouvrage de Vossius se propose, au prix des aménagements nécessaires, l’intégration de pans entiers de la théorie critique, réalisée à travers l’histoire critique de la théorie. Hermogène est ainsi l’autorité en ce qui concerne les statuts de cause, partie essentielle du judiciaire : Telle est la doctrine des statuts, en partie aristotélicienne, en partie hermagoréenne, en partie hermogénienne. Aristote en a tracé les premiers linéa­ ments en présentant les quatre formes de controverse. Hermagoras a introduit des divisions plus précises accompagnées de fort utiles préceptes. Minutianus aussi s’est occupé de la question et Porphyre l’a illustrée de ses commentaires. Enfin en s’aidant de leurs écrits Hermogène en a fait la théorie complète et parfaitement claire - quorum scriptis plurimum adiutus Hermogenes plenius planiusque totem hone rationem exposuit. De même, ayant résumé et, chemin faisant, critiqué la doctrine des idées, il conclut par cette déclaration : « Telle est la doctrine hermogénienne des idées : j’ai trouvé plus utile d’en donner cette analyse plutôt que d’en transvaser inté­ gralement le contenu. Notre tâche d’écrivain serait sans fin si nous nous proposions de recueillir tout ce que les autres ont dit d’excellent, comme font aujourd’hui certains rapetasseurs, qui se bornent à exhiber les pro­ ductions d’autrui... Que notre jeunesse se reporte au texte même d’Hermogène et le compare à ce qu’avant lui ont écrit aussi bien Denys d’Halicamasse, dont l’œuvre est perdue pour la meilleure part, et Aristide, qui a beaucoup écrit à ce sujet, mais confusément. Et si elle achoppe en quelque point, qu’elle recoure donc soit au commentaire grec, soit aux cinq livres de la Rhétorique de Georges de Trébizonde, aux scholies de Jean

Sturm, aux quatre livres de YInstitution oratoire de Petrus Nunnius Valenti­ nus, aux trois livres du De elocutione de Louis Carbone. L’Italien Giulio Camillo a écrit lui aussi sur les idées d’Hermogène. Il serait utile finale­ ment de méditer la critique que fait de la doctrine d’Hermogène et de Trébizonde l’illustre savant Jules César Scaliger au début de sa Paraskeuè. »

Un dernier exemple d’intégration efficace des acquis de la tradition est offert par la doctrine des lieux de l’éloge, partie essentielle du genre démonstratif : en effet les arguments propres à enrichir la louange du prince sont demandés à Ménandre, II, 1 s., ceux de la louange des dieux sont empruntés respectivement à Denys d’Halicamasse et Quintilien qui en traitent paucis, et surtout encore à Ménandre : jusius uero Menander, De gen. demonstr. 7, 9 et s., auxquels s’ajoute Scaliger : e iunioribus adi Scaligerum, tandis que les principes généraux viennent d’Aristote et de Quintilien. Inévitablement, cette approche critique de la littérature rhétorique conduit à des aménagements importants, comme à propos du classe­ ment des figures. Le chapitre-source en cette matière se trouve dans les livres VIII et IX de Quintilien, construits sur la distinction des tropes, figures de pensée, figures de mots. Il s’en faut cependant que les Modernes aient adopté sans discussion le détail de ses classifications, que Ramus, dans ses Observationes in Quintilianum, a soumis le premier à une révision drastique. De plus, à l’intérieur de trois grandes catégories aucun effort n’était fait dans la théorie antique pour dépasser la simple nomenclature et présenter une classification rationnelle : on attribue généralement à Fontanier le mérite de pallier ce défaut de la théorie ancienne, mais c’est là ignorer injustement le remarquable travail de l’humanisme et du préclassicisme en ce domaine. Vossius, qui félicite Jules César Scaliger d’avoir tenté le premier d’introduire un ordre logique dans les figures, continue et parachève sur ce point le travail de son prédécesseur : Schemata a Iulio Scaligero, imperatore illo orbis litterati, longe accuratius digeruntur, quam fecerunt priores. Quem idcirco in multis sequor. Nec tamen in paucis abeo, non dissentiendi amore, sed quia pium est praferre ueritatem. De fait, à Scaliger est empruntée sans changement la division des figu­ res de mots en quatre classes : nam jigurantur uerba ratione uel essentia, uel quantitatis, uel qualitatis, uel situ. D’origine scaligérienne est aussi la tripartition des figures de pensée selon le plus, le moins et l’égal - Scaliger ajoutait l’autrement. Au plus ressortissent Vauxèsis, la digressio, la transi­ té ; au moins la tapinôsis, Vaposiopèsis, la prateritio, tandis que la périphrase relève tantôt du plus et tantôt du moins. L’apport personnel de Vossius est dans le classement des figures de l’égal : Ingens est schematum numerus, qua aque dicunt. Existimaui igitur me opera pretium facturum, si ea, quandoquidem

a rhetoribus confuse traduntur, in certas redigerem classes. Omnia autem orationem figurant ratione uel persona, uel rei, uel utriusque. A la personne se rapporte la sermocinatio, la prosopopeia, l'apostrophe, la communicatio. A la chose, selon l’essence, la sententia, la définitif, la distributif, la congeries, Vepitrochasmos, Vincrementum ; selon les adiuncta : Vaitiologia, la diatyposis, V hypotyposis ; selon les semblables, V assimilatio, l'imago, la collatio, la comparatif, la dissimulatio ; selon les opposés, dubitatif, inopinatio, correctio ou epanorthosis, concesssio, confessio, occupatio ; et aussi : antithesis, antimetabolè, antistrophè, synoikéiosis, oxymoron. Enfin, à la personne et à la chose : la parrhésia, Г interrogatif, ï'exclamatio, \'acclamatio, le noèma. 3 / Les enjeux de l'éloquence. Bien que l’importance de Vossius dans l’histoire de la tradition rhétorique soit attachée surtout, selon nous, au perfectionnement de l’outil théorique, il vaut la peine de rappeler quel­ ques-uns de ses choix en matière d’utilisation de la parole. Et d’abord jamais on n’avait souligné avec autant de force le sérieux de l’élo­ quence : par l’exclusion de la rhetorica adulatrix, la subordination de la Parole au Politique, la primauté donnée au genre délibératif contre l’épidictique, la conception de l’histoire comme ministre de la Provi­ dence divine et comme une philosophie par l’exemple - historiam iustam nihil esse aliud, quam philosophiam exemplis constantem -, l’extension à la poésie elle-même de la fonction éducatrice : tarn late patet Poesis, quam Philosophia, quia ut philosophia uel naturam docet, uel uitam format... Sur ce point, Vossius reprend à Scaliger et applique à l’éloquence aussi bien qu’à la poésie la fameuse distinction des deux fins, première et seconde, le plaisir servant à faire descendre plus aisément en l’âme les préceptes utiles à la Cité. De ce principe de départ découlent un certain nombre de posi­ tions en matière d’imitation et de style. Il faut dénoncer ici l’erreur de Waszinck, affirmant que dans la querelle entre cicéroniens et anticicéroniens l’Université de Leyde est tout entière derrière Lipse. Ce n’est pas vrai de Joseph Scaliger, qui, tout en estimant la première manière de l’écrivain, déplore son évolution ultérieure. Or Vossius, grand admirateur du père de Joseph, « ce héros qui ne le cède qu’à Aristote », « cet homme qu’on ne peut nommer sans le louer », « cet esprit aigu, nourrisson de la Philosophie première », est bien, dans la recherche d’un équilibre, du parti scaligérien. Tacite est pratiquement absent de son livre sur l’histoire : malgré un vif éloge en passant - et le refus de l’image de Jove et d’Alciat sur les broussailles - il ne figure pas parmi les modèles. L’usage des sentences, fréquentes chez Thucy­ dide, Polybe, Salluste, rares chez Denys et César, tandis que Live tient la voie moyenne, est jugé utile, à condition de ne pas forcer son génie. Dans son opuscule sur l’imitation, Vossius reprend à son

compte l’idée d’une imitatio adulta (incluant Plaute et Salluste) mais il l’applique avec une grande modération : infliger à Vubertas l’ascèse d’un style dur et vif doit aboutir moins à la breuitas qu’à une juste mesure de la copia. C’est la position classique d’un Pline, d’un Quintilien, selon laquelle c’est sottise que de ne pas se proposer les meilleurs modèles, mieux : ce qu’il y a de meilleur dans les meilleurs. Pour finir, Vossius reprend à son compte les conseils de Live à son fils : l’on doit se proposer pour modèles Démosthène et Cicéron - et les autres en proportion de leur ressemblance avec ces deux modèles. Ce conseil, il le glisse dans cette superbe invective contre les détracteurs de l’Arpinate : « Si je voulais réunir toutes les louanges que l’Antiquité lui a décernées, quelle moisson ! Malgré cela il se trouve en notre siècle des caniches qui ne cessent d’aboyer contre lui et, à sa place, recommandent des auteurs qui eurent quelque rang, mais au moment où la langue romaine avait beaucoup dégénéré ; pire : ils recommandent certains de nos contemporains qui bien souvent ne parlent même pas latin. Ah ! que voilà sans doute d’excellents maîtres pour notre jeunesse ! Mais celle-ci devrait plutôt écouter le conseil de Live à son fils : car l’âge d’or augustéen, où il a vécu, la pureté de son style, sa vertu, reconnue par les siècles passés, ne laissent point douter qu’il n’ait pu et voulu donner le meilleur conseil à son fils chéri ! »

Enfin les années 1600-1625 sont marquées par le développement exorbitant et la mise en forme définitive d’un chapitre ou plutôt d’une partie de la rhétorique, présente dès l’origine dans la théorie et dont l’importance avait été maintes fois soulignée, bien qu’elle n’eût reçu jusque-là qu’un traitement fort modeste et comme accessoire. 1 / On sait qu’Aristote au troisième livre de sa Rhétorique recense trois sources principales de la persuasion : les choses elles-mêmes, le style et enfin ta péri tèn hypokrisin. П reconnaît néanmoins à propos de ces dernières que peu d’auteurs en ont parlé ; lui-même semble réduire l’action à la voix — Estin dé autè men en tè phônè, pôs autè dei chrèsthai pros hékaston pathos -, mais avance au moins une indication intéres­ sante : la voix est un don de nature et en tant que telle étrangère à la technique : elle devient cependant technicienne quand elle s’applique au style. Il ne reste rien d’un traité Péri hypoknseôs de Théophraste - auquel on devrait la distinction des deux composantes de l’action, la voix et le geste -, tout comme d’une œuvre attribuée à Démétrius de Phalère, et l’on possède seulement la trace, d’après Philodème, d’un intérêt pour le sujet de la part d’Athénée de Naucratis. Les remarques les plus intéressantes sont dues à Denys d’Halicamasse, relevant les

L’épanouissement d’un chapitre de la rhétorique: le geste

liens étroits entre le style et la diction à propos de l’éloquence de Démosthène. En sorte que l’auteur de la Rhétorique à Hérennius paraît fondé à affir­ mer : Nemo de ea re diligenter scripsit. Lui-même amorce seulement une réflexion méthodique en reprenant la distinction entre la voix et le corps et en appliquant à la mise en valeur du discours la classification des tons (sermo, contentio, amplification ainsi que de leurs subdivisions. Cicéron, qui rapporte l’anecdote d’Eschine à propos de Démosthène - Quanto, inquit, magis miraremini, si audissetis ipsum ! -, marque à son tour fortement le lien de l’action avec le style : Est enim actio quasi corporis qui­ dam eloquentia, cum constet e uoce atque motu. Metis il est le premier à réflé­ chir sur les rapports de l’orateur et de l’acteur (Roscius) et à poser le problème de la sincérité. La grande manière de Crassus - tanta uis animi, tantus impetus, tantus dolor oculis, uoltu, gestu, digito denique... - lui per­ met de soulever la question fondamentale des rapports de l’âme et du corps : animi est enim omnis actio et imago animi uultus, indices oculi, question liée étroitement à une autre, celle du mouere : Nulla res magis pénétrât in animos eosque jingit, format, jlectit, talesque oratores uideri facit, quales ipsi se uideri uolunt. Ainsi, disséminée dans ses principaux ouvrages théoriques, la réflexion de Cicéron sur Vactio se révèle-t-elle relativement riche et aborde-t-elle des questions promises à un bel avenir : sincérité, rapport du geste et du langage, de l’âme et du corps, sans compter les préoccu­ pations toutes rhétoriques sur l’effet à produire et sur la convenance oratoire. Malgré le vif intérêt de la réflexion cicéronienne sur le sujet, le livre XI, troisième partie de 1 "Institution oratoire de Quintilien, se dé­ marque par son ampleur du traitement consacré à 1 "actio dans l’en­ semble des ouvrages précédents : aussi sera-t-il très vite la principale source et le point de départ obligé de toute la réflexion moderne. Des deux grandes parties du développement, consacrées respectivement à la voix (XI, 3, 14-65) et au geste (XI, 3, 66-184), la deuxième est la plus largement traitée ; tout en s’inscrivant dans la tradition de Cicéron dont il reprend les fondements théoriques et aussi les exemples, puisant largement dans son œuvre, Quintilien se montre ici profondément ori­ ginal, grâce à un travail descriptif minutieux qui, procédant de la tête et de ses parties (front, œil et sourcil, bouche) au reste du corps, aux bras, aux mains et aux doigts, épouse dans le moindre détail l’anatomie de la statue humaine. Par ailleurs, et en même temps qu’il souligne après Cicéron le lien de l’action avec la production de l’émotion - adfectus omnes languescant necesse est nisi uoce, uultu, totius prope habitu corporis inardescunt -, il développe plus méthodiquement que son prédécesseur le principe d’adéquation du geste aux objectifs et aux parties du discours,

tandis que passe au premier plan la notion de convenance, au locuteur, au sujet et à l’auditoire. 2 / Quelques indications sèches de Fortunatianus - in summa uultus esse debet seuerum, non mœstum, nec stupens, nec languidus -, un conseil vague d’Alcuin - caput artis est decere quod facias : à bien peu de chose se borne la contribution du Moyen Age à l’art du geste oratoire si l’on suit les conclusions de J.-C. Schmidt dans La raison des gestes dans VOccident médiéval (1990). En revanche, les rhétoriques de la Renais­ sance renouent activement, quoique sans s’y asservir, avec la réflexion ancienne, d’abord, chez Trébizonde, à travers le texte de la Rhétorique à Hérennius, attribuée à Cicéron et jamais perdue de vue, puis, à partir d’Erasme, d’après le texte de Quintilien miraculeusement retrouvé. L"Ecclesiastes d’Erasme s’éloigne d’Augustin précisément par l’importance reconnue à l’action : Superest actio siue pronuntiatio, qua est apta ad rem uocis, uultus ac totius corporis moderatio. Le dernier mot est de Quintilien et rappelle l’impératif de convenance. Quant au détail du geste, il est étudié selon la même méthode anatomique et avec la même précision que chez l’auteur latin ; cependant le souci de l’adapter à la fonction du prédicateur et aux conditions de la prédica­ tion moderne entraîne, au-delà d’indications spécifiques au sermon chrétien, un début de soupçon quant au dogme de l’universalité du geste, cher à Quintilien. Désormais, pendant un siècle, les rhétoriques modernes, notamment ecclésiastiques, qui accorderont un chapitre plus ou moins développé aux techniques de l’action, auront à cœur de se situer par rapport à la pratique et à la théorie antiques. Tandis que Charles Borromée, dans ses Pastorum concionatorumque Instructiones, rejette l’action antique du côté de l’art histrionesque, ne retenant que ce qui porte à la gravité et à la décence et masquant à tout prix la part de l’art, un Louis de Grenade, avec la caution de saint Bernard, rappelle dans le VIe livre de son Ecclesiastica rhetorica les deux vertus de 1 "actio : Nec ad motus animorum tantum, sed ad jidem etiam faciendam apta pronuntiatio plurimum ualet. Son analyse, menée avec abondance et méthode, contient des réflexions intéressantes sur les rapports de l’art et de la nature, notamment dans le cas de l’improvisation. Les rhétoriques jésuites elles-mêmes, tout en renchérissant sur l’importance de la mise en valeur du discours, corollaire de la supériorité affirmée de l’oral sur l’écrit, oscillent entre le précepte de sobriété - Soarez, De arte rhe­ torica, 1560, réédité 1615 : Gestu sic utendum est, ut nihil in eo supersit - et, à la fin et au tournant du siècle, des dosages plus subtils. Le Diuinus orator de Louis de Carbone (1595) se fait l’avocat d’une moderatio cum uenustate. Carlo Reggio, dans son Orator Christianas (1612), applique à Faction elle-même les qualités de 1 "elocutio : pura, dilucida, omata, apta,

pour offrir un modèle de gravité, de modestie et d’autorité naturelle complétée par la culture qui nourrit l’homme intérieurement. Exem­ plaire est le cas de Nicolas Caussin dont les Parallela (1619) déjà évo­ qués consacrent un livre entier sur seize à l’éloquence du corps : il s’agit avant Cressolles de l’approche la plus fine et la plus métho­ dique, éclairant déjà la description par nombre de références littérai­ res, classiques ou patristiques, distinguant déjà entre geste naturel et geste permis ou non par le code, dominée déjà par la métaphore de la lyre - totum corpus hominis et dus omnis uultu omnesque uoces, ut nerui in fidibus, ita sonant ut a motu animi quoque sunt puisa - et s’efforçant déjà de définir, entre rudesse et noblesse excessive, entre une action emportée et une action froide, un juste tempérament qu’il appelle grauis quidam decor. 3 / Parues l’année suivante, en 1620, les Vacationes autumnales, siue De perfecta oratoris actione et pronuntiatione libri III du P. Louis de Cressolles représentent le complet développement de cet effort de description et codification de la voix et du geste. Entreprise unique en son genre, à la fois par la longueur du dialogue, dont le cadre et la mise en scène s’inspire du De oratore, avec ses 706 pages, dont 350 sont dédiées au seul geste oratoire, alors que les autres traités consacrent au sujet dans le meilleur des cas une dizaine de pages ; et par l’inversion de la perspec­ tive, puisque jusque-là les problèmes de l’action étaient examinés à la suite des autres parties de la rhétorique et par suite tranchés à la lumière des options, notamment stylistiques, déjà formulées : au heu qu’ici l’on remonte des modalités de l’action, traitées prioritairement, aux critères stylistiques. En particulier, le plan suivi dans le livre II, consacré au geste, offre un prodigieux agrandissement de celui de Quintüien : tête et port de la tête, visage, front, yeux, sourcils, oreilles et nez, bouche, tronc et corps tout entier, mains (droite et gauche), doigts, bras et épaules, pieds, station debout. Dans cet inventaire où rien n’est laissé au hasard, où les gestes recommandés se voient opposer en contre­ point les défauts et les vices à éviter, où chaque observation est nourrie et nuancée d’une multitude de citations, tant des auteurs clas­ siques que des Pères, qui concrétisent sans cesse la réflexion théo­ rique, supportant l’analyse et dotées en outre d’une indéniable fonction récréative, particulièrement développés sont les chapitres consacrés au visage et aux yeux, lieux par excellence d’exposition des passions, ainsi qu’à la main, rationis et sapientiœ ministra, instrument pri­ vilégié de la signification, tandis que le maintien du corps tout entier, voire sa beauté naturelle, concourt à donner à l’orateur cette dignité requise chez l’homme de Dieu comme le status basilicus qui caractérise

les princes. Ainsi, à chaque étape, sans attendre le chapitre XIII, syn­ thèse de tout cet enseignement qui prône l’excellence de la voie médiane, sont posées les questions fondamentales : rapports de la nature et de l’art, de la sémiologie et de la normative, de la rhéto­ rique proprement dite et de l’éthique. Tandis que la référence à des domaines voisins (la palestre, le théâtre) enrichit le débat, les enjeux d’une telle réflexion excèdent largement les limites de la théorie de l’éloquence. Si l’on se rappelle que l’ouvrage met en scène des jeunes gens appartenant à la bonne société, dont l’un étudie la rhétorique, l’autre la philosophie, un troisième la théologie tandis que leur hôte se destine à la profession d’avocat, on comprendra que la notion de convenance oratoire, sur laquelle s’appuie la théorie rhétorique, se voie confortée par un idéal de bienséance qui s’inscrit, autant que dans la sphère publique du barreau et de la chaire, dans un autre milieu, mi-public, mi-privé, qui est celui de la cour. Si l’on se demande pourquoi le premier quart de ce siècle a vu cette expansion spectaculaire des problèmes du geste dans le cadre de la théorie rhétorique, on rappellera en premier lieu l’hypothèse de Marc Fumaroli : « C’est l’éloquence sacrée qui a joué le rôle moteur dans la renaissance d’une actio retorica au XVIIe siècle et c’est à partir de cette version ecclésiastique de 1 "actio que ses dérivations profanes (éti­ quette de cour, art du comédien “réformé”) se sont développées. » La validité de cette hypothèse n’est nullement infirmée par l’importance accordée à Vactio par des rhétoriques non ecclésiastiques, comme celle des ramistes Orner Talon et Georges Henischius. On voudrait néan­ moins, en conclusion de cette rapide étude, sinon avancer une autre raison, du moins formuler une observation paradoxale : il est remar­ quable en effet que ce développement, qui est aussi un relatif affran­ chissement, puisque le geste et la voix sont ici traités d’une manière autonome, coïncide avec les débuts d’une sérieuse remise en question du statut de 1 "actio comme partie au sens strict de la rhétorique : désor­ mais, la mémoire aussi étant exclue, le mouvement est amorcé vers ce qu’on a appelé la « rhétorique restreinte », par une première réduction aux trois parties de Vinuentio, de la dispositio et de 1 "elocutio. C’est Gérard Vossius qui une fois de plus formule le diagnostic le plus clair, en s’appuyant sur l’autorité de Sulpitius Victor et de Vivès : Pronuntiare uero omamentum est artis, non pars. Il est vrai que cette mise à l’écart est récom­ pensée au même moment par l’annexion de l’étude du geste par d’autres disciplines que celle du discours : la théorie picturale, la diction théâtrale, la sémiologie.

BIBLIOGRAPHIE

Sources

(dans l’ordre d’apparition dans le texte du chapitre) Éric Van de Putte (Erycius Puteanus), Diatriba de Laconisme, in Amœnitatum humanarum diatribe XI qua parton philologiam parton philosophiam spectant. Opera omnia, t. II, Louvain, 1615. [= Notre diatribe qui est la septième et a déjà été publiée en 1609 sera rééditée avec la huitième (Thirsi philotesii sine amen laconissans) dans l’édition d’Oxford de 1640.] Virgilio Malvezzi, Discorsi sopra Comelio Tacite, Venise, 1622. Giambattista Marino, Dicerie sacre, 1614 ; rééd. Dicerie sacre e La strage de gl’Innocenti, cd. G. Pozzi, Turin, 1960. Francesco Panigarola, Il Predicated всего Demetrio Falereo dell’elocutione, Venise, 1609. Carlo Reggio, Orator christianus, Rome, 1612. Famiano Strada, Prolusiones academics, Rome, 1617. Biaise de Vigenère, Philostrate, Les images ou tableaux de platte-peinture ; La suite de Philostrate le Jeune, t. I et II, Toumon, 1611 (réunit le volume de 1518 à celui de 1602) ; rééd. préf. F. Graziani, «Textes de la Renaissance» 3, 2 vol., Paris, 1995. Louis Richeome, Tableaux sacrez des figures mystiques du très auguste sacrifice et sacrement de ГEucharistie, Paris, 1601 (rééd. 1609, 1613). Étienne Binet, Essay des Merveilles de Nature et des plus nobles artifices, piece très-necessaire à tous ceux qui font profession d’eloquence, par René François, Prédicateur du Roy, Rouen, 1621 ; rééd. avec préf. M. Fumaroli, «Dés Opérations», Évreux, 1987. Id., Theatrum ueterum rhetorum, oratorum, declamatorum quos in Gracia nominabant sophistes, Paris, 1620. Nicolas Caussin, Eloquentes sacra et humana parallelorum libri XVI, Paris, 1619. Gehrard Vossius, De omnibus artibus et scientüs (1606), in Opera in sex tomos diuisa, Amsterdam, 1701, t. HI. Id., De rhetorices notera ас constitetione et antiquis rhetoribus, sophistis ac oratoribus liber, Leyde, 1622. Id., Rhetorices contracta siue Partitionum oratoriarum libri V, Leyde, 1622. Id., Tractates philologici de rhetorica, de poetica, de artium et scientiarum notera et constitetione, in Opera, op. cit., t. III. Louis de Cressolles, Vacationes automnales, siue de perfecta oratoris actions et pronuntiatione libri III, Paris, 1620.

Littérature secondaire

(réduite aux auteurs cités dans le chapitre) Marc Fumaroli, L’âge de l’éloquence, Genève, 1980. Id., « Biaise de Vigenère et les débuts de la prose d’art française : sa doctrine d’après ses préfaces », L’automne de la Renaissance 1580-1630, XXIIe Colloque international d’Études humanistes, Tours, 1er-13 juillet 1979, «De Pétrarque à Descartes», XLI, éd. J. Lafond, A. Stegmann, Paris, 1981, 31-51. Pierre Laurens, « Au tournant du siècle, une synthèse fragile : VEssai des merveilles d’Étienne Binet », L’automne de la Renaissance, op. cit., 65-80. Christian Mouchel, Cicéron et Sénèque dans la rhétorique de la Renaissance, « Ars rhetorica » 3, Marburg, 1990. Ezio Raimondi, Poesia corne retorica, « Saggi di Lettere italiane », XXVII, Florence, 1980. Id., Letteratura barocca. Studi sul seicento italiano, Florence, 1982. Cesare Vasoli, L’Enciclopedismo del Seicento, Naples, 1968.

FLORENCE VUILLEUMIER

11 - Les conceptismes

Excédant largement nos découpages chronologiques, puisque ses pre­ mières manifestations remontent au dernier quart du XVIe siècle tandis que ses derniers échos empiètent sur les premières années du XVIIIe siècle, le phénomène que nous étudions transcende aussi les fron­ tières, opposant un moment à la France la majorité des Etats de l’Europe littéraire; il engage simultanément le domaine de la prose et celui de la poésie, sans compter le genre hybride de l’inscription, ignore enfin la distinction entre latin et langues vernaculaires. Longtemps obérée par le préjugé critique - E. R. Curtius, qui dénonce avec force le désastre scientifique entretenu trois cents ans après Vaugelas par ce qu’il appelle le système du classicisme normal français, sous-estime encore les ravages durables de ce préjugé dans l’Espagne de Menendez y Pelayo et dans l’Italie de Muratori -, son étude a bénéficié au cours des cinquante dernières années d’importantes contributions qui ont mis au jour l’importance cruciale d’un débat qui par réaction conduit au triomphe des idéaux du Classicisme. On verra que, comme en d’autres domaines, la pratique textuelle devance ici de plusieurs décades les efforts déployés pour la justifier et la formaliser. La composition du présent chapitre se borne à enregistrer ce remarquable décalage. On avait mis jusqu’ici dans le discours tout l’ordre et toute la netteté dont il était capable : cela conduit à y mettre de l’esprit.

Ces mots par lesquels La Bruyère l’aube des Lumières se prêteraient des écrivains un siècle plus tôt face et du style. Il suffirait pour cela de ment trop français, par les mots de

exprime la situation de la prose à assez bien à traduire l’état d’esprit aux mêmes problèmes de la langue remplacer le mot « esprit », décidé­ « force » et de « brillant ». En effet,

L'écriture conceptiste

à partir de 1580, contre les tenants d’un cicéronianisme scolaire, se rejoignent sans se confondre et se liguent les deux anciens adversaires, aujourd’hui les deux composantes de la « modernité » stylistique : d’un côté, les partisans d’un style de l’intensité, « atticisme » d’inspiration tacitéenne et sénéquienne, pressenti peut-être par Érasme et admirable­ ment défini par Juste Lipse ; de l’autre, les champions d’un nouvel asianisme, inspiré de Sénèque le Rhéteur et des maîtres de la Seconde Sophistique. L’important est que pas un domaine n’échappe à cette double influence. Du courant atticiste la poétique de l’histoire est particulière­ ment marquée, en raison de la réhabilitation de Tacite, dont les gran­ des éditions paraissent alors, accompagnées de celles de Florus et de Velleius Paterculus : aux antipodes du cicéronianisme livien, le style coupé et la prolifération des sentences caractérisent VHistoire de Louis XI de Pierre Matthieu, comme le Romulo de Virgilio Malvezzi, le Marco Bruto de Quevedo ou encore l’œuvre de Cévisiers ou de La Serre. Dans chaque cas, l’histoire d’un prince particulier est devenu un « arsenac bien типу des maximes de tous les Estats du monde ». Mais ce style fort, mis au service de la prudentia, a sa place aussi bien dans l’essai poli­ tique, dont le Heroe ou VOraculo manual de Baltasar Graciân sont de remarquables exemples. П triomphe dans le panégyrique, « horizon de Гingenio » (Graciân), sous les auspices du second Pline, dont le Panégy­ rique de Trajan est, pour Lipse tout au moins, un modèle d’atticisme. Le développement du panégyrique sacré, pratiqué par Marino ou Emanuele Tesauro, lieu d’élection de Vagudeza compuesta et des concetti predicabili, se rattache au contraire à l’esthétique asianiste, défendue en France par un personnage aussi austère qu’Étienne Binet dans son Essai des merveilles et des plus nobles artifices. Même les œuvres d’imagination, le roman, le théâtre, portent la marque du besoin nou­ veau de réveiller par l’ingéniosité les pages mortes. Tel est le pro­ gramme du Criticon de Baltasar Graciân :

Ho procurado juntar lo seco de la filosofia con lo entretenido de la invention, lo picante de la satira con lo dulce de la épica... En coda uno de los autores de buon genio ho atendido a imitar lo que siempre me agradô : las allegorias de Homero, las faciônes de Esopo, lo doctrinal de Seneca, lo juicioso de Luciano, las descripciones de Apuleyo, las moralidades de Plutarco, los empenos d’Heliodoro, las suspensiones del Ariosto, las cri­ sis de Boquelino, las mordacidades de Barclayo...

Quant au théâtre - il s’agit, il est vrai, d’un théâtre d’école -, on ne saurait oublier le succès du Rubenus de Mario Bettini, traduit dans toutes les langues, qui portait en scène « le delizie dello stilo antico nel

sale delle arguzie moderne о per cosi dire le venere latine animate dalle vivezze toscane » et dont le commentateur parisien, Ronsfert, exaltait ainsi la nouveauté et le brillant :

At in hoc hilarotragœdia... tot crebra sunt acumina, ut ingens possii inde numerus epigrammatum confia, tôt cantiones et saltationes ut lyrica poesis noua suppellectili augen, tot sententia ut socratici uoluminis instar esse, totfigurarum facies, a nouis rebus allegoria ut elocutio turn poetica, turn oratoria nouis luminibus illustrari, tot peripetia, nodi, solutiones, ut alia poetica artis et poeticarum fabularum lumina et gemma, ut inde ad multa dramata ditanda atque exomanda satis fiiturum sit...

En effet les tendances que l’on observe dans la prose au tournant du siècle s’accompagnent d’une révolution non moins spectaculaire dans le domaine de la poésie et de la théorie poétique, n’engageant rien moins qu’une remise en cause de l’essence et des fins de cet art. A une poétique de la mimésis qui trouve son expression la plus éclatante chez Jules César Scaliger et qui gouverne la production poétique de la Renaissance succède, affirmée déjà chez Patrizzi, une poétique de la merveille, qui fait du poète « il facitore del mirabile in verso ». Déclin de Virgile au profit d’Ovide et de Lucain, de Catulle au profit de Mar­ tial, de l’épopée au profit de l’épigramme : Marino en Italie, Quevedo et Gôngora en Espagne, les poètes « métaphysiques », John Donne, George Herbert, Richard Grashaw en Angleterre, et, en France même, Sponde, premier d’une riche cohorte remise en lumière par les travaux de G. Boase et de J. Rousset sont, avec des inflexions diverses, les représentants d’un seul et même grand style européen. On voit bien, à la lumière des analyses de Graciân, que même la fameuse querelle qui oppose en Espagne les partisans de Quevedo et ceux de Gôngora, les « conceptistes » et les « cultistes » (ou « cultéranistes ») ne les divise pas sur l’enjeu essentiel, puisque, dans cette bible du conceptisme qu’est YAgudeza y Arte de ingenio, Gôngora est, après Martial et à juste titre, l’auteur de loin le plus abondamment cité. Enfin, pour compléter ce rapide tableau de l’écriture conceptiste, il faudrait faire une place à Y éloge (elogium) : c’est l’inscription ingénieuse, forme pressentie par Marino et Juste Lipse, développée par Tesauro, les PP. Giuglaris, Labbe et beaucoup d’autres, et appelée à un immense succès à la faveur des fêtes de 1’ « efimero barocco », mais aussi dans le livre, tel un nouveau genre littéraire, intermédiaire entre la poésie, dont il revêt la luxuriance, et la prose, dont il garde la liberté. « Quintessence du panégyrique », étincelant d’autant de pointes qu’il compte de mots - tot sententiis quot verbis gemmentem - selon l’éditeur Panealbo, et, selon Pierre L’Abbé, divisé en deux espèces : l’une,

consistant en lignes distinctes, l’autre s’organisant en périodes. Dans le premier genre, chaque ligne doit être un trait, une épigramme ; et dans le second, les membres de la période sont autant de traits unis entre eux et tirant accroissement les uns des autres, le second en gradation sur le premier et le troisième sur le second, « en sorte que de toutes ces sententiœ réunies, comme d’autant de gemmes, surgisse la période, telle une pantarbe, gemme unique et multiple ».

Ingenio, Agudeza, Concepto

A un puissant mouvement pour substituer une poétique de Гingenium à celle de la mimesis et du iudicium correspond dans la littérature critique la multiplication des termes propres à désigner l’ingéniosité et les conceptions ingénieuses : vwezze, vioezze d’ingegno, spiriti, acutezze, motti, detti, brillants, traits, pointes, touches (Tabourot des Accords), etc., et par-dessus tout l’assomption de la triade Ingenio, Agudeza, Concepto. Particulièrement significative est l’évolution du sens du mot Ingenio qui, à partir de son étymon (in, gigno), désigne d’abord les qualités innées (ingénia arborum), le tempérament, le talent - suum quisque noscat ingenium -, puis l’intelligence, l’esprit, l’ingéniosité et même, par méto­ nymie, l’invention ingénieuse, 1’ « engin ». Le Tesoro de Covarrubias (1611) le définit ainsi : Ingenio, latine ingenium, a gignendo, proprie natura dicitur cuique ingenita indoles. Vulgarmente Uamamos ingenio una Juerza natural del entendimiento, investigadora de lo que por razôn о discurso se puede alcanzar en todo genero de ciencias, disciplinas, artes liberales y mecanicas, sutilezas, inventories y enganos. Une définition si complète ne manque pas d’un arrière-plan philo­ sophique, puisqu’on y décèle un écho de la formule de Vivès pour qui cette faculté désigne la « vigueur et la force de l’entendement » : une notion précisée dans les traités d’Amerbach et Mélanchthon grâce à l’opposition, de source aristotélicienne, entre intellectus agens et intellectus patiens: (Quidam) faciunt ex intellectu faciente siue agente ingenium inueniens et excogitans aliquid per sese : Aristote a vu que dans l’existence tout entière, dans les arts, les conseils, publics et privés, les stratagèmes, la poésie, l’éloquence, certains sont plus clairvoyants que d’autres et ont plus d’invention ; et que les autres se bor­ nent à comprendre.

Une œuvre importante de la fin du XVIe siècle enregistre les ensei­ gnements de l’usage et de la réflexion philosophique en exaltant 1 "ingenio précisément comme faculté inventive : c’est, annoncé par l’ouvrage

d’A. Persio, Dell’ingegno deirhuomo (Venise, 1576), le livre de Juan Huarte, Examen de ingenios (Huesca, 1585), exposant la distinction entre trois types d’esprits : les uns, chez qui domine la mémoire, faculté nécessaire à l’apprentissage des langues, notamment anciennes, les autres, doués surtout de l’intelligence discursive qui fait les médecins et les théologiens, d’autres enfin, dotés de la faculté d’invention, celle des hommes d’État, des capitaines, des orateurs, des poètes. Une théorie fortement enracinée dans l’épistémologie de l’époque, puisque cette analyse des tempéraments intellectuels est fondée sur la théorie des humeurs, et en même temps hardiment novatrice, puisque, longtemps avant Mme de Staël, elle esquisse une géographie des humeurs, crédi­ tant l’Espagne de la mélancolie qui, depuis le De Vita de Ficin, est censée engendrer les excès du génie. Que la réflexion sur les capacités de Vingenio soit rapidement sortie du cabinet des philosophes, c’est ce que montre la place privilégiée que lui accorde la théorie politique : pour un Furio y Ceriol, un Ramirez de Prado, la première des qualités requises du conseiller du prince est qu’il soit ingeniosus. Tout au plus, pour prévenir les dangers d’une subti­ lité excessive (agudeza demasiada), Ramirez de Prado ajoute-t-il à Vingenio le Juicio et la Bondad. C’est dans cette lumière que les éditeurs français de La Pointe ou VArt du génie, dont je suis ici dans le présent chapitre les analyses, proposent de lire le chapitre III du Heroe de Graciân : La philosophie attribue avec prodigalité deux puissances, à la Mémoire et aussi à l’Entendement. Souffrez que la Politique avec plus de raison intro­ duise une division entre le Jugement et l’Esprit, entre la Syndérèse et la Pointe... Le Jugement est le trône de la Prudence, et l’Esprit la sphère de la Pointe... La force, la promptitude et la subtilité de l’Esprit sont les Soleils raccourcis de ce monde : ce sont comme des étincelles, pour ne point dire des rayons de la divinité : tous les héros ont participé aux excès de l’Esprit, les paroles sentencieuses d’Alexandre ont fait éclater ses hauts faits ; César fut prompt dans la pensée comme dans l’exécution... On met en doute lequel des deux a excédé en Augustin, ou l’auguste majesté de son raisonnement, ou la pointe de sa pensée.

Ainsi un concept se définit-il, par l’étymologie, l’usage, le traitement qu’il reçoit de la réflexion philosophique ; ses corrélats ont aussi quelque chose à nous apprendre, comme ici l’opposition entre Ingenio et Juicio : opposition ancienne dans la tradition littéraire et critique de l’Antiquité, pas plus cependant que celle, canonique aussi, entre Vlngenium et VArs : soit entre l’Art, qui s’apprend, et le talent inné, irréduc­ tible à tout apprentissage. Qu’on se rappelle seulement le jugement de Cicéron sur l’œuvre de Lucrèce dont il fut le réviseur : Multis luminibus

ingenii, multœ tamen artis - brillant de toutes les lumières du génie, sans que l’art y perde, tant s’en faut. De la formule de Graciân, Arte de Inge­ nio, on se gardera donc d’affaiblir l’association paradoxale, réponse à ce distique de John Owen : Simonide, on le sait, a inventé l’art de la mémoire ; personne jusqu’ici n’a inventé l’art du génie, artem ingenii.

Une fausse étymologie du mot ingenio, proposée par Huarte et citée par M. Gendreau-Massaloux et P. Laurens, établit un lien intéressant avec le concepto (ital. concetto, angl. conceit) :

Parque ingenio se dériva de in о intra, y este verbo gigno, сото si dixeramos intra gigno, engendro dentro y concibo en et entendiamento, que par esso se dizan justamente conceptos los que desta mariera se pensan. Du fait de ce déplacement d’accent, de l’inné sur la capacité inven­ tive, le concepto apparaît comme le fruit naturel de l’ingenio. C’est ce que dit Jauregui dans un texte polémique souvent allégué : El valiente ejercicio y mas propio de los ingenios de Espania es emplearse en altos conceptos y en agudezas y sentencias maravillosas : estos, por su difficuldadse rehusan y se pretende supplirla con solo rumor de palabras. Ainsi - sans qu’il soit besoin d’évoquer le conceptus de la scolas­ tique -, le conceptum (plur. concepta, de concipere) désigne déjà en latin clas­ sique toute pensée formée en l’esprit avant son revêtement formel. L’intéressant est que, dès la fin du XVIe siècle, le mot se spécialise dans la désignation d’une pensée brillante, par une évolution parallèle à celle qu’avait connue, à l’époque de Tacite et de QuintiHen, le mot sententia, d’abord pensée ou maxime générale, puis formule brillante, et avant lui le mot dicta, chose dite, puis mot d’esprit : un rétrécissement de sens que le français a connu avec le mot « esprit », et l’allemand avec le passage de wissen, « connaître », à Witz, « mot d’esprit ». On vient de voir que le mot agudeza peut être employé avec le sens de concepto, produit de l’ingenio. Mais il désigne d’abord la faculté de produire le concepto : c’est donc la subtilité, la fine pointe de l’esprit, propriété des agudos. Une fois de plus, l’origine est latine (acutus, acies animi). Encore faudrait-il rappeler, ce qu’on ne fait pas toujours, que Vacumen est à l’origine et par excellence la qualité du dialecticien et donc désigne, lui aussi, une qualité non pas de style, mais de pensée : c’est à ce titre qu’il entre comme une qualité générale de l’orateur, qui

doit joindre, selon Cicéron, la finesse du dialecticien aux pensées du philosophe et aux expressions du poète (acumen dialecticorum, sententiœ philosophorum, uerba prope poetarum) ; à ce titre que le style acutus peut carac­ tériser les orateurs « attiques », qui s’efforcent justement à une diction dépouillée d’ornements. Du même coup s’éclaire la distinction avec un autre vocable, de signification assez voisine pour qu’on les ait parfois employés indifféremment : il s’agit de l’adjectif argutus et du nom argutiœ, qui désigne proprement le « brillant » de l’expression et par conséquent relève, du moins à l’origine, de Vomatus. Certes l’on conviendra qu’un Tesauro confère au mot argutezza les mêmes emplois que Vagudeza chez Baltasar Graciân ; il se peut même que Vagudeza, mot unique dont dis­ pose l’espagnol, réunisse les significations à la fois de Vacutezza et de V argutezza italiennes. Pourtant Sarbiewski dans son De acuto et arguto dis­ tingue soigneusement les deux notions.

La conséquence la plus remarquable de cette vogue européenne d’un style acutus ou argutus, qu’il soit donc d’essence atticiste ou asianiste, est, au-delà des déclarations programmatiques, la multiplication des efforts faits pour décrire - mieux, pour formaliser - les procédés de Vingenio : « teorica flamante » selon Baltasar Graciân, qui a conscience d’ouvrir à son heure un champ encore inexploré. Entre la rhétorique, réduite à l’art de l’élocution, et la dialectique, qui sert à construire la vérité, il y a place, croit-il, pour un « art de la pointe », dont l’objet est l’admiration produite par la beauté : Les Anciens ont trouvé des méthodes pour le syllogisme, un art pour le trope : ils ont donné forme à la pointe en s’en remettant, par respect ou par désintérêt, à la seule vaillance du génie.

Une telle revendication est légitime et à peine excessive. Car si l’âge d’argent a produit à Rome, avec les Sénèque, les Tacite, les Velleius, les Lucain, les Martial, de véritables chefs-d’œuvre et pour ainsi dire les modèles de Vargutia, et si la rhétorique antique enregistre bien cet enva­ hissement du domaine littéraire par la sententia, les témoins les plus luci­ des étant Sénèque le Rhéteur, Quintilien, et Tacite dans son Dialogue des orateurs, il s’en faut de beaucoup que soit même esquissé un effort de théorisation comparable à celui que nous allons étudier. Soit que la vogue du nouveau style dans la Rome impériale intervienne trop tard, soit plutôt que ses options stylistiques, son classicisme, interdisent à un Quintilien de donner à l’analyse du trait brillant la place qu’il mérite, et lui inspirent, au contraire, comme au Messala du Dialogue de Tacite, plus d’une mise en garde contre une mode qui lui paraît liée à une cor­

Les débuts d'une rhétorique de la pointe

ruption de l’éloquence, l’analyse tourne court. H en résulte que, sur cette matière du fonctionnement de l’esprit, l’Antiquité n’aura produit, si l’on fait abstraction d’une courte technè d’Hermogène, que deux tex­ tes, dont l’importance séminale a d’ailleurs été reconnue par Matteo Peregrini : le court chapitre du troisième livre de la Rhétorique d’Aristote sur les astéia ou mots d’esprit, et les deux développements, de Cicéron (De oratore, liv. II) et de Quintilien (Inst. or. liv. VI), sur les dicta de l’orateur, soit encore les mots d’esprit. Il est remarquable que les premiers efforts des Modernes pour théo­ riser la pratique de la pointe ont été accomplis dans le sillage du second de ces textes, dans le double cadre d’une théorie de l’épigramme et d’une théorie du mot d’esprit. En premier lieu viennent les écrits sur Vurbanitas. Au début et au milieu du XVIe siècle, le De sermone de Pontano, le Corteggiano de Baldassar Castiglione, puis le De salibus de Robortello, le De ridiculis de Maggi, le livre V de la Rhétorique de Caval­ canti, intitulé « Urbano », adoptent, en se contentant de substituer des exemples modernes aux anciens, la théorie antique du risible, avec sa division entre comique de mots (in uerbis) et comique d’idées (in rebus) et ses « lieux », sept pour le premier, vingt-deux pour le second. Le même Robortello avait écrit à la fin de son traité sur l’épigramme qu’il lui semblait que la composition des épigrammes admettait le même catalogue de préceptes que celui offert par Cicéron dans le De oratore. De fait, à mesure que le siècle avance et que le modèle n’est plus Catulle, mais Martial, les théoriciens de l’épigramme réservent de plus en plus de place à l’étude du trait, âme de ce court poème, en s’inspirant de la typologie cicéronienne pour proposer des grilles de plus en plus raffinées. A cette tendance à classer et à couvrir une complexité maximale de cas, parfois sans homogénéité véritable, succédera bientôt un effort plus rigoureux de réduction à l’unité, puis la recherche de modèles de fonctionnement, de structures opératoires : mais c’est à la fin du XVIIe siècle, quand la théorie épigrammatique s’est enrichie des acquis d’une réflexion plus générale sur les procé­ dures de Vargutia. En effet, si l’épigramme, comme le mot d’esprit (ou le comique de mots de la comédie) ont constitué pour l’analyse des techniques de la pointe des champs d’observation privilégiés, on note dès le premier quart du XVIIe siècle des tentatives plus globalisantes : la première en date est, du P. Casimir Sarbiewski, poète néo-latin de grande réputa­ tion et auteur de volumineux Præcepta poetica où il donne les lois des grands genres en usage, le De acuto et arguto liber unicus siue Seneca et Martialis, ouvrage de jeunesse composé en Italie vers 1619, resté inédit jus­ qu’à une date récente, mais qui a circulé en manuscrit à travers

l’Europe. Tandis que le titre distingue soigneusement l’acuité, objet principal de son livre, et le brillant, reconduit au simple ornement, le sous-titre, en réunissant le maître des traits plaisants et le maître des pensées graves, exprime à lui seul l’ambition de l’auteur de couvrir le domaine entier de la pointe. Dépassant les tâtonnements de plusieurs de ses contemporains pour produire une définition congruente de ce phénomène, il propose sa propre définition : Acutum est oratio continens qffinitatem dissentanei et consentant, seu dicti concurs discordia uel discors concordia - « La pointe est un discours contenant une alliance de consé­ quence et d’inconséquence ou encore une concordance discordante ou discordance concordante du propos ». Mais à cette définition, qui a l’avantage de rendre compte des effets contradictoires du paradoxe sur le lecteur ou auditeur, étonnement suivi de plaisir, et qui est illustrée par l’image d’un triangle isocèle dont la base figure la matière du dis­ cours, les deux côtés les deux propositions dont l’une est inconséquente et l’autre conséquente, et la pointe la résolution ou alliance (affinitas) des deux, ne se borne pas la volonté de formalisation de l’auteur. Elle conduit en effet à la mise au point d’une véritable méthode - et l’on peut dire : machine à produire les pointes, grâce à une sorte de par­ cours cybernétique où l’ingénieux, armé de sa définition, envisage suc­ cessivement tous les « lieux » d’un sujet déterminé : définition, genre, espèce, parties, conjugués, semblables, dissemblables, contraires, adjoints, conséquents, antécédents. Le livre de Sarbiewski est mince et, dans sa volonté de géométrisation, point exempt de naïveté : on ne sau­ rait trop souligner pourtant l’importance de ce premier essai qui, avec au moins vingt ans d’avance, anticipe génialement les autres traités du même genre. En effet, le siècle en s’avançant voit se multiplier les contributions : ce sont les deux moutures de l’œuvre de Matteo Peregrini, Delle acutezze, che altrimente spiriti, vivezzc e concetti volgarmente si appellano (Gênes, 1639), et Fond deiringegno ridotti all’arte (Bologne, 1650) - le deuxième ouvrage est bien loin d’être, comme on l’a dit, une reprise du premier, car c’est ici seulement qu’il élabore une méthode de fabrication du trait ; puis les deux moutures du livre de Baltasar Graciân, Arte de ingenio, Tratado de la Agudeza (Madrid, 1642), et Agudeza y Arte de Ingenio (Huesca, 1648), le second ouvrage offrant du même projet une version remaniée et surtout considérablement enrichie ; le monumental ouvrage d’Emanuele Te­ sauro, le Cannocchiale aristotelico о sia delle argutezze heroiche (Turin, 1654) ; et dans la même lignée, mais sous la plume des savants du Nord, très mar­ qués par Tesauro, VArs noua argutiarum de Jacob Masen (Cologne, 1660), le De dictione arguta de Christian Weise (Leyde, 1698), la Commentatio de dis­ ciplina argutiarum (1698) et le De arguta dictione de Daniel Morhof (Lübeck,

1705). Le premier geste commun à tous ces auteurs consiste dans l’isolement et la mise en valeur du concept de pointe, qualité et âme de tout discours - même Peregrini, en qui Benedetto Croce voulait voir la mauvaise conscience du conceptisme, trahit une fascination pour un objet crédité d’emblée d’une valeur fortement positive. Le deuxième geste, le plus important, consiste dans l’effort de formalisation, comme le montre une analyse même rapide des deux exemples les plus originaux et aussi les plus prestigieux. Les deux bibles du conceptisme: Г «Agudeza y Arte de ingenio» (1648) de Baltasar Graciàn, le « Cannocchiale aristotelico » (1654) d’Emanuele Tesauro

Il est d’ailleurs fort intéressant d’opposer, au-delà des options fonda­ mentales, les deux bibles, l’une espagnole, l’autre italienne, du concep­ tisme, conçues et publiées toutes deux vers le milieu du siècle mais ins­ pirées de méthodes aussi différentes que possible. On a déjà commenté le titre, oxymorique, de Baltasar Graciàn, ainsi que son ambition d’ouvrir, entre rhétorique et dialectique, un champ nouveau, dont le sujet est l’admiration produite par la beauté. Dans l’accomplissement du projet se remarque en premier lieu l’effort de réduction à un principe d’unité : le concepto est un acte de l’entendement exprimant une correspondance entre deux objets. Pourtant l’auteur introduit aussitôt quatre genres ou modes du conceptear : corrélation, esti­ mation judicieuse et subtile, raisonnement, fiction, qui comprennent chacun un certain nombre d’espèces, par exemple pour le premier : pro­ portion, improportion, parité, disparité, similitude, dissimilitude, etc. Ces quatre divisions fondamentales qui renvoient à autant de fonctions différentes de l’esprit, mais peuvent jouer concurremment, commandent subtilement la progression des chapitres qui suivent. Selon un ordre pro­ fond, qui n’a pas été compris par Croce, l’enchaînement se fait par application de trois principes : de distinction, de gradation et de compli­ cation progressive. D’où la longue série des 47 chapitres entre lesquels se distribuent les espèces de l’acuité simple - une deuxième partie est consacrée à l’acuité composée, dont l’artifice consiste non plus dans les pointes séparées, mais dans leur mode d’articulation. A l’intérieur même de chaque chapitre l’analyse se diversifie encore, chaque catégorie de pointes pouvant recevoir un rehaussement de l’adjonction d’une autre, d’où résulte un surcroît de plaisir ; chaque opération prise en elle-même étant à son tour divisée en modalités finement graduées, éclairées par le foisonnement des exemples qui vient enrichir la deuxième édition, allant dans le même sens d’une précision et d’un nuancement toujours plus grand de l’analyse. En sorte que nous sommes en présence d’une méthode, mais non d’un système. En dépit de l’effort sensible et dans une large mesure réussi pour mettre de l’ordre dans l’immense variété de la pointe géniale,

le traité de Graciân, dans la mesure où il privilégie une taxinomie, ne diffère pas en essence des développements, autrement plus anarchiques il est vrai, de Cicéron et de Quintilien concernant les traits d’esprit. L’esprit de finesse l’emporte encore sur l’esprit de géométrie : « Il a parlé génialement de l’esprit, celui qui a dit qu’il était infiniment fini. » On a remarqué que ce sens de la génialité de l’esprit, chez l’auteur du Heroe, l’amène à concevoir Vingenio comme la pointe active, héroïque, de l’esprit, et ses opérations comme autant de prouesses. Une notion tout à fait originale, pierre d’angle de la théorie, celle de contingenta, illustre de façon encore plus nette cette idée d’une rhétorique en acte, puisque selon Graciân le trait jaillit chaque fois comme une réponse de la force, de la subtilité et de la promptitude de l’esprit à une circonstance rare et extraordinaire. C’est là chez notre Espagnol un premier correctif impor­ tant au schématisme que risque d’entraîner tout effort de formalisation un peu poussé. Il y en a un autre : c’est, à partir de la deuxième édition, le foisonnement d’exemples qui vient illustrer le propos, transformant l’ouvrage en une prodigieuse anthologie de la pointe, faisant la part belle à la tradition espagnole, mais intégrée à une perspective universelle met­ tant en continuité Antiquité et Temps modernes, littérature sacrée et profane, prose et poésie. Tout autrement se présente, six ans après, le Cannocchiale aristotelico d’Emanuele Tesauro. Et d’abord, alors que la théorie gracianesque, avec ses souples taxinomies, restait dans la ligne du De oratore, le maître de Tesauro, comme l’annonce le titre, est Aristote, dont l’œuvre est un « microscope limpidissime pour examiner toutes les perfections et imperfections du discours ». La source de Tesauro dans le cas présent est le court chapitre du troisième livre de la Rhétorique, consacré aux astéia, ces élégances et brillants du discours mettant en œuvre de façon privilégiée plusieurs figures : similitude, antithèse, hypotypose - « il faut viser ces trois points » -, déception, équivoque, allusion ou laconisme, attribution, hyperbole. Il s’agit de quelques pages seulement, mais véri­ tablement séminales, puisque, soumises à un grossissement que justifie l’image de la lentille et réordonnées par réduction logique des huit figu­ res ou « métaphores » à une source unique, elles gouvernent au cœur de l’ouvrage la structure du grand chapitre consacré aux Figures ingé­ nieuses. Le raisonnement de Tesauro est le suivant : l’essence de la métaphore est de faire connaître un objet avec facilité, soit absolument, soit relativement. Absolument, si l’objet est donné comme grand - c’est l’hyperbole - ou s’il est clair (hypotypose). Relativement, au moyen d’un objet semblable, ou contraire, ou conjoint : soit les métaphores de similitude, d’opposition, d’attribution. Metis si la ressemblance porte sur le nom, c’est l’équivoque ; si l’opposition est entre les objets et l’attente

qu’on en a, c’est la déception ; si le conjoint exige pour être saisi un effort de l’esprit, c’est le laconisme. Il ne reste plus qu’à examiner dans le plus mince détail chaque espèce de « métaphore » en appliquant à chacune la fameuse table des catégories. Trois chapitres supplémentaires, en gradation ascendante, seront encore nécessaires, car chacune des métaphores est à la base de trois séries d’opérations : l’expression métaphorique simple (lyre sans cordes), la proposition métaphorique et enfin l’enthymème (inductif, déductif ou réflexif), ce dernier seul méritant véritablement le nom de parfaite argutia, c’est-à-dire ce qui naît de Гargumentum, selon l’étymo­ logie d’Isidore de Séville : Argumentum : quasi argute inuentum. Un dernier chapitre est destiné à discipliner l’invention du disciple : il consiste, pour chaque type de métaphores, à explorer les « sèmes » d’un sujet donné à partir du fameux index des catégories. Cette volonté de rigueur, d’ascendance aristotélicienne, est une pre­ mière grande différence avec l’œuvre de Graciân. S’en ajoute une autre, qui tient à l’illustration de la théorie par les exemples. On a vu que Graciân élabore une grille, de plus en plus sophistiquée, pour rendre compte de la qualité particulière d’objets poétiques prélevés sur l’ensemble de la littérature antique et moderne, et il va de soi que l’intérêt de chaque objet excède toujours sensiblement les raisons parti­ culières qui l’ont fait citer. Tesauro, quant à lui, n’utilise pas la cita­ tion : avec un talent réel de pédagogue, il préfère construire ses propres exemples et propose des exercices. Caractéristiques à cet égard sont les pages intitulées «Théorèmes pour fabriquer des traits ingénieux». Dans ce chapitre destiné à illustrer la fécondité de la méthode par l’index des catégories, Tesauro, sur le thème unique, pris à Martial, de l’abeille prisonnière de la goutte d’ambre, produit à titre d’exemple non pas un, mais une infinité de traits. Ainsi, à quelques années d’intervalle, au service d’une même esthé­ tique dont les audaces se reflètent dans leur style, ces deux traités s’équilibrent-ils, l’un, plus respectueux de la complexité, interprète d’un riche héritage littéraire, et mettant l’accent sur la singularité de chaque trait produit par la force héroïque de l’esprit ; l’autre, s’efforçant à une extrême rigueur théorique et illustrant sa méthode par des exercices, occasions de démonstrations étincelantes de savoir-faire. La réaction en France et en Europe

Les deux traités qu’on vient d’analyser représentent la théorie de la pointe dans sa pleine maturité. Les ouvrages qui leur succèdent dans la même veine, ceux de Masen, Morhof, Weise, adaptant la méthode tésaurienne à un cadre plus scolastique, attestent la force de pénétration et l’influence durable des modèles italiens dans l’Europe du Nord. Tou­

tefois, au moment où paraissent les œuvres de ces épigones, le concep­ tisme est déjà, peut-on dire, un phénomène passé de mode, du moins en France, où les principes du Classicisme s’affirment avec force, avant de s’imposer dans les deux patries du conceptisme, l’Espagne et l’Italie. Vous voyez par là que les Espagnols ont gâté tout le monde. Ce n’est pas seulement la politique qu’ils ont violée, voulant en faire un art de la méchanceté et une science de pirates : ce sont eux qui ont introduit la pre­ mière hérésie et les premières nouveautés de l’éloquence latine ; qui ont formé des partis contre Cicéron et contre Virgile, qui ont fait des livres où il n’y a que des antithèses et des pointes.

Ce jugement de Guez de Balzac, pourtant inventeur et champion sous Louis XIII d’un style héroïque, annonce de loin la critique qui aiguise les meilleures plumes dans la seconde moitié du siècle. Il n’est pas surprenant que la première attaque en règle soit venue des milieux jansénistes. C’est la petite dissertation de Pierre Nicole intitulée De uera pulchritudine, placée en tête de VEpigrammatum delectus de Claude Lancelot (Paris, 1659). Bien que ses jugements prennent pour cible exclusive­ ment des épigrammes, antiques et surtout modernes, Nicole a le mérite de poser, peut-être le premier en Europe, un siècle avant l’apparition du mot « esthétique », le problème de la définition du beau en général. Trois mots clés, appelés à une grande carrière, concourent à cette défi­ nition : vérité, raison, nature. La source de la beauté est dans la vérité ; le meilleur guide pour atteindre le vrai est la raison ; enfin, la vérité est cette convenance que l’œuvre doit avoir avec la nature et avec notre nature. Une telle conception exile donc de l’œuvre poétique le faux, le fabuleux, l’équivoque, l’ambigu, l’excessif; même l’emploi des figures, métaphore, hyperbole, paronomase, mythologie, etc., est regardé comme une concession à la faiblesse de la nature humaine. Un tel dépouillement porte évidemment la marque de l’anthropologie augustinienne et autorise le P. Vavasseur à reprocher à son auteur le refus de ce qui fait l’essence même de la poésie. C’est pourtant à un autre jésuite, homme du monde, qu’il appar­ tient d’avoir porté au style pointu les coups les plus sensibles. La thèse est posée dès les Entretiens d’Ariste et d'Eugène (1671) où, bien avant le chevalier de Méré, Bouhours oppose au faux esprit le véritable et, pour définir son idéal, propose l’image du diamant, lequel n’a pas moins de solidité que d’éclat : C’est un corps solide qui brille ; c’est un brillant qui a de la consistance et du corps. Voilà le symbole du bel esprit : c’est, à le bien définir, le bon sens qui brille.

La manière de bien penser dans les ouvrages de l’esprit (1687), sous la forme de quatre dialogues entre Philanthe, l’amoureux des fleurs, et Eudoxe, le bien-pensant, offrent du même point de vue l’exposition la plus complète et la plus nuancée. Le premier dialogue, à partir d’une critique d’un vers fameux de la Pharsale - Victrix causa deis placuit, sed uicta Catoni -, emblématique pour Bouhours de la pensée fausse, puisque les dieux ne peuvent pas soutenir la cause injuste, pose le principe : «Je ne puis admirer ce qui n’est point vrai. » C’était déjà la thèse de Nicole, à ceci près que dans la suite le jésuite distingue soigneusement le faux, qu’on doit bannir à tout prix, de la fiction et de la figure, qui appartiennent à la poésie, la dernière au prix de certaines précautions. Une autre correction est apportée par le deuxième dialogue : la vérité ne suffît pas pour « emporter et ravir » : outre la solidité on veut de la grandeur, de l’agrément et de la délica­ tesse. Les livres troisième et quatrième mettent en garde contre un abus de ces qualités qui chez les Espagnols se renversent si aisément en enflure, affectation et galimatias. Ces principes, dont l’abbé crédite les « gens de bon goût », la « société des gens raisonnables », les « personnes de bon sens », « à l’esprit droit et solide » et « au jugement sain » sont, dans la France lit­ téraire à cette date, en train de s’imposer. La raison de Boileau et sa critique des faux brillants rejoignent sur bien des points la raison de Bouhours. Mais, plus encore que YArt poétique, la traduction et le com­ mentaire du Traité du Pseudo-Longin ont beaucoup fait pour accréditer la notion d’un sublime dégagé de toute enflure, lié à la plus nue simpli­ cité. Autour de lui, les autres ouvriers du Classicisme, apportant cha­ cun sa nuance propre, La Fontaine la grâce, Fénelon le naturel, concourent à définir un idéal qui rejette définitivement dans le passé ou exile hors des frontières les éclats maniéristes ou baroques. Le plus remarquable, parce qu’il conduit dans ces pays à un véri­ table reniement de la production nationale, en particulier celle de l’Espagne du Siècle d’or, sera l’alignement durable de la critique offi­ cielle italienne, puis espagnole, sur les positions françaises. Le but avoué de l’ouvrage de Muratori, Della perfetta poesia italiana (1705), est d’« extirper les racines du mauvais goût » mis à la mode par Marino et ses imitateurs, Graciân, Tesauro. Patriote italien, froissé par la critique des Français, il s’efforce d’abord de démontrer que le conceptisme est un phénomène marginal en Italie et dénonce la responsabilité de la France elle-même, qui a accueilli Marino, et surtout de l’Espagne. Il est vrai qu’il y a une compensation à ce sacrifice partiel d’une tradition nationale : puisque, à cette poétique de l’intelligence, qui selon lui gâte toute cette production, est opposée une poétique de l’image fantastique,

privilégiant un imaginaire dominé par la sensibilité et la vision, quand ce n’est pas par le sentiment. Une vue comparable est exprimée trente ans plus tard en Espagne dans l’ouvrage d’ignacio de Luzân, La poetica о réglas de la poesia en general y de sus principales especies (1737) : ce dernier aussi, attribuant l’enflure et l’extravagance du siècle précédent à une décadence du goût et à l’ignorance des règles de l’art, en même temps qu’il opère, par-delà le Siècle d’or, un retour vers le XVIe siècle, définit, contre une écriture trop intellectuelle, que l’on voudrait réserver à la prose une poétique et une esthétique du sentiment.

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1635 Salas Barbadillo (Alonso Jéronimo de), Coronas del Pamaso y Platos de las musas, Madrid. 1636 Mascardi (Agostino), DeU’arte historien, Roma. Minozzi (Pier Francesco), Delk libidini dell’ingegno, Milano.

1637 Lopez de Vega (Antonio), Paradoxas racionales, escritas en forma de diâlogos... entre un cortesano y un filôsofo... 1638 Campanella (Tommaso), Poetica, vers. lat. du texte ital. inédit (1596). 1639 Graciân (Baldasar, SJ), El Héroe, 2e éd., Madrid. Peregrini (Matteo), Delk acutezze che altrimenti spiriti, vwezze e concetti volgarmente si appellano, Genova. 1640 Graciân (Baldasar, SJ), El politico D. Fernando el Catôlico, Zaragoza. 1640-1661 Radau (Michael, SJ), Orator extemporaneus siue artis oratoriœ breuiarum bipartitum...

1641 Lôpez de Vega (Antonio), Herâclito y Demôcrito de nuestro siglo. Dudogos morales sobre très materias, la Nobkza, la Riqueza y las Letras, Madrid. Minozzi (Pier Francesco), Sfogamenti d’ingegno, Venezia. Paravicino (Fr. Hortensio, Félix de), Oraciones euangélicas y panegiricos Juneraks, Madrid.

1642 Graciân (Baldasar, SJ), Arte de Ingenio, tratado de la agudeza, Madrid.

1644- 1645 Quevedo (Francisco de), Primera parte de la vida de Marco Brute, Madrid.

1645 Bartoli (Danielle), L’uomo di lettere difeso ed emendate, Bologna. 1645- 1648 Salcedo Coronel (Garcia de), Obras de don Luis de Gôngora comentadas, Madrid.

1646 Grecian (Baldasar, SJ), El discrete, Huesca. Sforza Pallavicino (Pietro), Considerationi sopra Carte dello stile e del dialogo, con accasione di esaminare questo problema : se aile maigrie scientifiche convenga qualche eleganza, ed omamente di stile, Roma. Vavasseur (François), Orationes, Paris. 1648 Grecian (Baldasar), Agudeza y arte de ingenio, Huesca. Malvezzi (Virgilio), Las obras del marquis Vtrgilio, David perseguido, Rômulo y Tarquino, trad de Vital. Ormaza (José de - Gonzalez de Lesdema, SJ), Censura de la elocuencia...

1650 Masen (Jacob), Speculum imaginum ueritatis occulta, Kôln. Peregrini (Matteo), I fonti delCingegno ridotti ad arte, Bologna. San Antonio di Padova (Carlo di), De Arte epigrammatica, siue de ratione epigrammatis rite conficiendi libellas... 1651-1653-1657 Grecian (Baldasar), El criticôn, Zaragoza.

1653 Mercier (Nicolas), De conscribendo epigrammate opus curiosum, quorum prior continet artijicium et pracepta in epigrammatis compositione usurpanda, posterior uero delectum uenustissimorum et acutissimorum quontmque epigrammatum, Paris. Picinelli (Filippo), Monda simbolico, о sia Université d’imprese... che somministrano a gli orateri, predicatori, accademici, poeti... infinite numéro di concetti, Milano. Zabaleta (Juan de), Errores celebrados, Madrid. 1654 Tesauro (Emanuele), Il cannocchiale aristetelico, о sia delle argutezze eroiche vulgarmente chiamate imprese e di tutta Carte simboloica e tepidaria, contenente ogni généré di figure ed inscrizzioni espressive di arguti ed ingegnosi concetti, esaminata in fonte co’rettorici precetti del divino Aristetele, che comprendono tutta te retterica e poetica elocuzione, Torino. 1655 Grecian (Baldasar), El comulgatorio, Zaragoza.

1657 Busenbaum (Hermann, SJ), Medulla theologia moralis, facili ac perspicuo methodo resoluens casus conscientia..., Paris. 1658 Colletet (Guillaume), Traité de Cépigramme et du sonnet, Paris. Ferrer de Valdecebro (Andrés), El orador catôlico, atento y advertido. Aviso y persuasion a tes neothéricos oradores, Madrid. Furetière (Antoine), Nouvelle allégorique ou Histoire des derniers troubles arrivez au royaume d’étequence, Paris. Matheu y Sanz (Lorenzo), Critica de rflexiony censura de tes censuras. Fantasia apotegéticay moral...

1659 Lancelot (Claude) et Nicole (Pierre), Epigrammatum Delectus ex omnibus turn ueteribus turn recentioribus poetis accurate decerptus, cum dissertatione De uera pulchritudine, Paris.

1660 Boldoni (Ottavio), Epigraphùa siue elogia inscriptionesque quoduis genus pangendi ratio, ubi de inscribendis tabulis, symbolis, clypeis, trophaeis, donariis, obeliscis, aris, tumulis, musais, hortis, villis, Jontibus et si qua sunt alia huiusmodi monumenta facili methodo dissertatur..., Perugia. Masen (Jacob, SJ), Ars nova argutiarum... prima est epigrammatum, alter inscriptionum, Kôln.

1662 Sforza Pallavicino (Pietro), Trattato dello stile e dialogo, Roma. 1663 Caramucl y Lobkowitz (Juan), Primus calamus ob oculos ponens metametricam, qua uariis currentium, recurrentium, adscendentium, descendentium nec non circumuolantium uersuum ductibus, aut P - Le libre examen de la Bible, poussé à son paroxysme, induit les puritains radicaux à remettre en question la validité des Écritures, voire leur nécessité ; tout homme porté par sa seule foi suffit à témoigner de l’existence de Dieu : « The believer is the only book in which God now writes his New Testament » (William Dell, The Trial of Spirits, 1653 ; Hill, p. 259). Ces positions «populai­ res » sont renforcées par des arguments venus paradoxalement de l’érudition philologique. Milton estime difficile de prendre pour guide un texte dont les corruptions, altérations et stratifications sont patentes (Hill, 264) ; lesquelles engendrent, selon Gerrard Winstanley, un babé­ lisme moderne : How can these Scriptures be called the everlasting gospel, seeing it is tom in pieces daily amongst yourselves, by various translations, inferences and conclusions (Sabine ; cit. Hill, 262).1 2

1. De 1’avis de Vickers, cet immense domaine d’investigation mériterait un travail de longue durée sur les textes-sources, excédant à l’évidence le cadre de cette étude. Nous avons donc choisi de souligner les aspects les plus novateurs de la « Grande Rébellion », et notamment les thèses des puritains radicaux. Le livre de C. Hill, The World upside down, nous a servi de guide. Pour la rhéto­ rique, c’est VHistoire de la Royal Society de Sprat qui a retenu notre attention sur la question de la langue et de la science. Sur ces questions, v. Howell, Hunter, Jones, Knowlson, Knox, H. Lyons, More, Purver, Shapiro, Webster, Wilkins, G. Williamson. 2. Hill, p. 267.

Puritanisme révolutionnaire et éloquence populaire

Ce jugement se radicalise encore sous la plume de Samuel Fisher, pamphlétaire inventeur du PPP (Pope, Prelates, Presbyters), ancien pasteur presbytérien, devenu baptiste, puis quaker, et qui voit dans la Bible : A bulk of heterogeneous writings, compiled together by men taking what they could find of the several sorts of writings that are therein, and... crowding them into a canon, or standardfor the trial of all spirits, doctrines, truth ; and by them alone (Fisher, Testi­ mony ; cit. Hill, 267)i.

Pour Hill, la critique de Fisher est « un remarquable travail d’exégèse populaire de la Bible, fondé sur un authentique savoir » (268) ; il con­ tribue à transférer dans la langue vernaculaire, et pour une audience considérablement élargie, les normes de la philologie critique de la Renaissance ; avec le temps, extraite des préoccupations religieuses de son temps, la pensée de Fisher apparaît comme une contribution déci­ sive aux Lumières. La réforme de l’éloquence sermonaire - La conséquence de la critique biblique est la mise en cause de ceux qui détenaient jusque-là le monopole de la parole exégétique et pastorale ; Winstanley conteste le principe d’infail­ libilité exégétique des clercs, et, de façon générale, proscrit la formation des érudits qui usent de leur savoir pour dominer leur prochain : One sort of children shall not be trained up only to book learning and no other employ­ ment, called scholars, as they are in the government of monarchy ; for then through idle­ ness and exercised wit therein they spend their time to find out policies to advance them­ selves to be lords and masters above their labouring brethren1 2.

Parallèlement, Milton affirme que la liberté de discussion doit per­ mettre à chaque homme, guidé par sa raison, d’adhérer au même ensemble de vérités (Areopagitica ; Hill, 101). Les fidèles sont donc invités à suppléer aux éventuelles défaillances du prédicateur en charge : John Robinson, pastor to the Pilgrim Fathers in the Netherlands, said that after public ministry, the elders should exhort anyone who had a gift of speaking to the edification of hearers to make use of it (Hill, 104).

1. Quant aux Ranters et mecanic preachers, ils considèrent la Bible comme un simple texte poé­ tique : The Scriptures... were no more than a ballad (Andrew Wyke, a mechanic of Colchester • Hill 263). 2. The Law offreedom, 1652, in Sabine, p. 577 ; Hill, 287. Les Quakers vont jusqu’à voir en tout homme éduqué la figure de l’Antéchrist (Hill, 104).

On célèbre ainsi les vertus de la contradiction sermonaire, qui chasse l’erreur de l’Église :

[Prophesying was] a notable means to keep error out of the church [...] the minister can no sooner vent any error but there is some believer or other [...] ready to convince it by the Word of God (William Dell, Several Sermons ', cit.

Hill, 105).

C’est alors qu’apparaissent les intruders, prédicateurs itinérants, qui entrent dans les églises pour y contredire le prêtre. La forme oratoire du sermon est ainsi bouleversée et démocratisée : d’assertorique, elle devient controversée. Dans les faits, l’irruption des intruders provoqua parfois des émeutes ; le régime y mit fin par un Lord’s Act en 1656. Mais l’Angleterre expérimente alors « en direct » la puissance de la parole publique, et les spéculations rhétoriques se concrétisent immé­ diatement dans l’éloquence religieuse et politique. Elle laissera, à n’en pas douter, des traces profondes dans les mentalités : Robinson Crusoe (1719), œuvre d’un entrepreneur presbytérien, ne s’ouvre-t-il pas sur le pathétique sermon d’un père cherchant à réprimer l’humeur voyageuse de son célèbre fils ?

«Le monde à l’envers»: espérances millénaristes et rhétorique révolutionnaire - La contestation des autorités ne se limite pas à la personne du prêtre ; elle s’étend à l’ensemble des institutions qui ont pour mission de former des autorités - au premier rang desquelles les universités, pilier de l’ordre moral et civil selon Hobbes :

The universities are the fountains of the civil and moral doctrine from whence the prea­ chers and the gentry... sprinkle the same upon the people. [...] a university is an excellent servant to the clergy (Leviathan, Hill, 302). En cela, la pensée puritaine révolutionnaire rejoint celle de lettrés et savants aussi divers que Samuel Fisher, John Milton, Henry Stubbe, George Fox, Richard Farnsworth, William Dell. Gerrard Winstanley envisage, de manière visionnaire, une démocratisation du savoir, par réforme de l’éducation et de la langue. Ces projets réapparaîtront dans le programme initial de la Royal Society, notamment celui de John Wilkins. Cette conception éminemment progressiste est renforcée par la conjonction de deux espérances : l’une, issue du XVIe siècle, mais encore en vigueur, y compris chez des savants comme Bacon et

Locke, est liée à des pratiques magiques au terme desquelles l’homme trouverait de nouvelles méthodes pour contrôler l’univers :

Hermeticists hoped, to revive the prisca theologia, the timeless magical wisdom of the Ancients ; Paracelsans expected by drawing on the experience of craftsmen to found a new science of alchemy/chemistry ; astrologers, [...] were groping towards a social science, a science of man in society; [...] great scientists like Dee, Kepler, Tycho-Brahe, Napier, Boyle, were all interested in those subjects. [...] Francis Bacon himself had been inspired by the Hermetic religio-social ideal of controlling nature (Hill, 287-288).

L’autre, engendrée par la nouvelle critique biblique, cautionne un mil­ lénarisme populaire. Hill souligne l’importance de l’enthousiasme uto­ pique chez les premiers prêcheurs puritains : Eschatological prophecy became a major part ofprotestant controversial literature, aided specially by the invention ofprinting (92). The Bible spoke direct, outside history, to men who believed passionately that the day of the Lord was imminent (95).

En 1654, le prédicateur « mécanique »,John Tillinghast, déclare : « This generation shall not pass until the millenium has arrived. » Et en 1653, le Gallois Arise Evans se remémore son arrivée à Londres en ces termes : Afore I looked upon the Scripture as a history of things that passed in other countries, pertaining to other persons ; but now I looked upon it as a mystery to be opened at this time, belonging also to us {An Echo to the Voice of Heaven, 1653, cit. Hill, p. 93).

Témoignage symbolique d’une conséquence du libre examen de la Bible qui engendre un singulier phénomène de lecture analogique et historicisante : l’application des Textes bibliques à la situation contemporaine : « Men coming to the Bible with no historical sense but with the highest expectations found in it a message of direct contemporary relevance » (Hill, p. 93). La Bible devient donc un texte politique virtuellement programmatoire, appelant à construire un monde meilleur... hù et nunc.

La Révolution sociale dont rêvaient les puritains radicaux n’a pas eu lieu. Cromwell lui-même étouffa leurs espérances ; et la Restoration combattra leurs héritiers - les « enthousiastes ». Incontestablement, la Glorieuse Revolution a bénéficié prioritairement à l’aristocratie et aux commerçants. Pourtant le mouvement puritain radical a été à l’initiative d’une expérience brève mais intense de renouvellement de l’éloquence sermonaire et de la parole publique. П a ouvert un espace

à une parole religieuse au sein de la société civile, la décléricalisant et la « désinstitutionnalisant », consommant ainsi le divorce de la prédica­ tion anglaise avec la solennelle prédication catholique de la Contre-Réforme. Parallèlement est proposée une démocratisation du savoir qui consonne avec les espoirs levés par les tenants et praticiens de la science nouvelle. Les fondateurs de la Royal Society, qui comptent des puritains parmi leurs rangs, s’en souviendront.

La fondation, contexte et enjeux - Le projet qui aboutit en 1660 à la Fonda­ La Royal Society tion de la Royal Society résulte de la volonté convergente d’hommes de et la réforme savoir et de science, de doter la nation restaurée d’une institution capable de la langue d’intensifier et de diffuser les recherches en sciences et techniques. Un premier groupe, londonien, se constitue en 1645, autour de John Wal­ lis, mathématicien et médecin, et de membres du London College of Physicians. Cambridge voit se réunir Henry Power, John Ray et Henry More (partisan du cartésianisme et du vitalisme). Mais le cercle le plus célèbre se constitue, dans les années 1650, autour de John Wilkins, directeur de Wadham College ; et qui forme avec John Wallis, Seth Ward, Christopher Wren, William Petty, Thomas Willis et Robert Boyle, le « Collège invisible » : It was some space after the end of the Civil Wars at Oxford, in Dr Wilkins his Lodgings, in Wadham College, which was the place of Resort for Vertuous and Learned men, that the first meetings were made which laid the foundation of all this that followed. The University had, at that time, many Members of his own, who had begun a free way of reasoning; and was also frequented by some Gentlemen, of Philosophical Minds, the misfortunes of the Kingdom, and the security and ease of a retirement amongst Gown-men, had drawn thither (Sprat, History, p. 53). Sagesse et savoir, indépendance d’esprit et curiosité philosophique sont au point de départ de l’entreprise. Mais celle-ci a également une dimension politique : il s’agit de contribuer à la gloire du royaume. La Royal Society est en cela héritière des espérances millénaristes de la Glo­ rieuse Révolution, expression religieuse d’un nationalisme que la Resto­ ration s’approprie sans tarder : malgré ses réserves envers la science expérimentale, Charles II va parrainer l’institution ; et dans l’esprit de Sprat, son historien - qui songe à la Relation de Pellisson -, il s’agit de rivaliser avec les académies italiennes et françaises en œuvrant pour la grandeur du royaume et le bonheur de l’humanité :

I trust, that the Greatness of the Design is felt, on which I am to speak, and the zeal which I have for the Honour of our Nation, which have been the

chief reasons, that have mov'd me to this confidence for writing, will serve to make something for my Excuse. For what greater matter can any man desire, about which to employ his thoughts, than the Beginnings of an Illustrious Company, which has already laid such excellent Foundations of so much good to Mankind ? (p. 2).

Cela explique les professions de foi nationalistes qui émaillent son His­ toire, et présentent l’esprit anglais, le climat anglais, le peuple anglais comme autant de conditions idéales pour attribuer à l’Angleterre, en matière de savoir scientifique, un indiscutable leadership : I have already often insisted on some of the prerogatives of England ; whereby it may justly lay claim, to be the Head of a Philosophical league, above other countries in Europe [...] Even the position of our climate, the air, the influence of the heaven, the composition of the English blood... seem to join with the labours of the Royal Society to render our Country, a Land of Experimental knowledge (113, 114).

Le projet est également polémique, dans la mesure où les fondateurs de la Royal Society entendent développer l’esprit scientifique pour réagir contre l’influence délétère des enthousiastes. C’était déjà l’objectif du « Collège invisible » : By this means there was a race ofyong [sic] Men provided, against the next Age, whose minds receiving from them [Wilkins and al.], their first Impressions of sober and generous knowledge, were invincibly arm'd against all the inchantments [sic] of Enthusiasm (53).

Par enthousiasme, Sprat désigne une exaltation des sentiments et des pas­ sions contraire au bon exercice de la raison, forme de sensualisme, d’expression essentiellement religieuse. C’est pourquoi la Royal Society mène ce combat - qui s’intensifie vers 1666 - de conserve avec l’Église anglicane, soucieuse de restaurer son autorité1. Parallèlement, la Royal Society est la cible des « Railleurs », qui animent la cour de Charles II, et qui voient dans la science un modèle culturel qui condamne la superficialité de la vie aulique. Ce contexte général explique la tâche que John Wilkins confie à l’un de ses anciens étudiants, Thomas Sprat : écrire une Histoire de la Société qui en soit l’éloge et la défense. Le choix de Sprat, qui est un lettré, et non un scientifique, indique clairement la fonction apologé­ tique du texte, de belle facture oratoire. Publié en 1667, il est accom­

1. Sur cette alliance objective, v. Knox, Vickers, Williamson.

pagné de plusieurs comptes rendus d’expérience, reproduisant en cela le dispositif de séduction que constituait le Discours de la méthode, conçu pour introduire à la Dioptrique et aux Météores. C’est dans cette perspec­ tive qu’il faut lire cette Histoire, qui prend place dans le dialogue euro­ péen entre science, logique et rhétorique.

L’ « Histoire de la Royal Society» (1667) - Elle se présente en trois parties : comparaison des philosophies ancienne et moderne ; description de la Royal Society ; justification de l’institution. La première partie confronte avantageusement la science au savoir oratoire des Grecs. Indiscutables maîtres de l’art de parler, ceux-ci pèchent par leur culte immodéré pour la dispute, et leur prédilection pour les propositions générales cou­ pées de l’expérience concrète et de l’observation inductive : « They loved rather to make sudden Conclusions, and to convince their hearers by arguments ; than to delay long, before they fix their judgements ; or to attend with sufficient patience the labour of Experiments » (p. 7). Ils construisent sur l’inférence syllogistique un savoir illusoire. Sur ce point précis, Sprat reprend l’argument opposé par Descartes au syllogisme dans les Regulae :

The very way of disputing itself and inferring one thing from another alone, is not at all proper for die spreading of knowledge. [...] It may be easily proved, that those very Theories, on which they built all their subtle webs, were not at all Collected, by a suffi­ cient information from the things themselves (p. 17, 18). En revanche, comme dans l’ensemble du texte, le terme de collection, comme celui de record, renvoie à la science expérimentale, et à l’héritage de Bacon. Dans l’esprit des fondateurs, Bacon est le père et parrain de la Société : « Salomon’s House in the New Atlantis was a pro­ phetic scheam of the Royal Society »’, et Sprat ajoute : « There should be no other Preface to the History of the Royal Society, but some of his wri­ tings » (35-36). Cet hommage, même s’il rend un tribut excessif à Bacon1 2, permet à Sprat de démarquer son entreprise de la méditation cartésienne : I confess the excellent Monsieur Descartes recommends to us another way in his Philosophical Method [...] When he retir’d to search into Truth, he at once rejected all the Impressions, which he had before receiv’d, from what he had heard, and read; and wholly gave himself over to a reflexion on the naked Ideas of his own mind. [...] 1. Joseph Glanvill, Scepsis Scientifica, 1665 ; Sprat, Introd., p. XII. 2. Hunter (Science and society...) insiste sur l’apport - antérieur - de l’expérimentalisme de Vesalius, Paracelse et Harvey.

This, perhaps, is more allowable in matters of Contemplation, and in a Gentle­ man, whose chief aim was his own delight [...] But, it can by no means stand with a practical and universal Inquiry (96).

Cette remarque, qui fait suite au rejet de l’aristotélisme (pour cause de dogmatisme), et à la mise à l’écart de l’éloquence politique et de la poésie aulique (p. 19), définit a contrario le langage de la science nou­ velle : ni rhétorique populaire, ni éloquence fleurie, ni méditation soli­ taire, il devra traduire le travail « d’observation, qui constitue le grand fondement du savoir » (p. 20).

La question du style - Cette question du langage est articulée par Sprat à la physionomie du Génie anglais. La répugnance au discours orné, le goût de l’expression droite et simple est déterminé par un mode de vie rural et laborieux, à l’opposé des plaisirs de la vie urbaine : I know indeed, that the English Genius is not so airy, and discoursive, as that of some of our neighbours, but that we generally love to have Reason set out in plain unde­ ceiving expressions ; as much, as they to have it delivered with colour, and beauty. And besides this, I understand well enough, that they have one great affiance, to the growth of Oratory, which to us is wanting : that is, that their Nobility live commonly close together in their Cities, and ours for the most part scattered in their country Houses. [...] They prefer the Pleasures of the Town ; we, those of the Field (p. 40-41). Dans ce rejet de l’éloquence, qui fait suite à l’invalidation de l’inférence syllogistique, on trouve l’éloge de la simplicité déjà présent dans la pensée cartésienne. L’esprit de géométrie montre d’ailleurs son exten­ sion européenne, dans le Léviathan : « In Geometry (which is the only Science that it has pleased God hitherto to bestow on mankind), men begin at settling of significations » (chap. 4 ; Sprat’s Introd., p. XXVIII). John Wilkins rêvait d’établir un langage de signes univoques, sur le modèle des mathématiques (projet exposé dans Real Character) ; Sprat lui fait écho, mais il infléchit la notion de simplicité dans un sens sociologique, en la mettant en relation avec la ruralité et les catégories sociales populaires, préférées pour leur savoir-faire pratique aux Rail­ leurs et aux Érudits :

They have therefore [...] a constant Resolution, to reject all the amplifications, digres­ sions, and swellings of style : to return back to the primitive purity, and shortness when men deliver’d so many things, almost in an equal number of words. They have exac­ ted from all their members, a close, naked, natural way of speaking ; positive expres­ sions ; clear senses ; a native « easiness » : bringing all things as near the Mathematical plainness, as they can : and preferring the language ofArtizans, Countrymen and Mer­ chants, before that, of Wits, or Scholars (p. 113).

Cette aspiration à une sociologie « démocratique » de la science nou­ velle est un écho de l’assise populaire de la révolution puritaine. Dans le fonctionnement concret de la Société, elle demeurera un vœu pieux ; mais son inscription dans Y Histoire de Sprat manifeste le souci permanent de construire par la science un modèle social et culturel distinct à la fois de la culture humaniste érudite1 et de la culture aulique. Cependant, le projet de réforme de la langue est le produit de fac­ teurs multiples. Une première raison d’amender la langue est d’ordre historique, et réside dans le jugement porté par Sprat sur la période révolutionnaire précédente. Jugement mesuré, qui montre l’irrigation de la Restoration par la Revolution : celle-ci, période de grande vitalité, a enrichi la langue de mots et concepts nouveaux :

In the Wars themselves (which is a time, wherein all Languages use, if ever, to increase by extraordinary degrees ; for in such busie and active times, there arise more new thoughts of men, which must be signi/i'd, and varied by new expressions) then I say, it receiv'd many fantastical terms, which were introduc'd by our Religious Sectsand many outlandish phrases, which several Writers, and Translators in that great hurry, brought in, and made free as they pleas'd, and with all it was enlarg'd by many found, and necessary Forms, and Idioms, which it before wanted (42). Mais, période de trouble, elle l’a fait de manière désordonnée et confuse ; la paix qu’apporte la Restoration rend possible le tri de cet apport ; et la manière dont Sprat envisage de réformer l’orthographe et de formuler une grammaire (désigner les mots impropres ; corriger ceux qu’il faut conserver, etc.) manifeste son désir de procéder à l’instar de l’Académie française :

And now, when mens minds are somewhat settled, their Passions allai'd, and the peace of our Country gives us the opportunity of such diversions : If some sober and judicious men, would take the whole Mass of our Language into their hands, as they find it, and would set a mark on the ill Words ; correct those, which are to be retain'd; admit, and establish the good; and make some emendations in the Accent, and Grammar : I dare pronounce, that our Speech would quickly arrive at as much plenty, as it is capable to receive ; and at the greatest smoothness, which its derivation from the rough German will allow it (ibid.).

1. Culture humaniste défendue par Méric Casaubon, qui exprime son hostilité à la Royal Society dans Of credulity and incredulity, in things natural, civil, and divine (1668).

Toutefois, la mention d’une origine germanique de la langue anglaise met en lumière la spécificité des remarques de Sprat, toujours sou­ cieux de souligner l’idiosyncrasie de la langue nationale. La sobriété qu’il appelle de ses vœux ne procède pas d’un atticisme universel. Elle est liée à un troisième facteur souligné par Vickers, le souci de délati­ niser la langue scientifique, alors très jargonnante. Par son souci d’une langue sobre, claire et distincte du patron latin - a plain and perspicuous style -, Sprat se rapproche des préoccupations grammaticales d’un Vaugelas et des visées esthétiques d’un Bouhours ; mais la recherche de ces qualités ne répond pas à la même finalité ; Sprat est en quête d’une simplicité propre à traduire l’esprit de clarté (perspicuous) néces­ saire aux sciences mathématiques - ce qui le rapproche de Des­ cartes -, mais est aussi en quête d’un langage concret (plain) proche de l’observation expérimentale de la réalité - ce qui le distingue de Descartes. Le dernier facteur spécifie nationalement l’atticisme professé par Sprat, lequel s’inscrit dans le sénéquisme, option stylistique dominante d’un XVIIe siècle anglais soucieux de se démarquer de la prose de la Renaissance1. L’hypothèse ancienne, qui voyait une influence sur la prose anglaise du projet linguistique de la Royal Society, conduit à une surévaluation de l’influence de cette dernière. Le processus causal est inverse, et la valorisation de la brièveté et de la clarté par les mem­ bres fondateurs de la Royal Society procède de données convergentes issues de la philosophie des sciences et de la doctrine esthétique du temps : Sprat is placing the Society in the long tradition from Cicero to Cowley which exhorted, in Cato's phrase (Rem tene, verba sequentur). The key authority in this tradition for the seventeenth century was certainly Seneca, whose influence spread both wider and deeper than that of any classical rival for prestige. He had adopted the ideal of significant words in a favorable comparison of Sallust’s style with that of Arruntius, and the earlier seventeenth century had made it at least a nominal standard for the cult of balanced brevity which we have learned to call the « curt » style. But Seneca in the same epistle (114) had spoken of all sorts of stylistic faults, including obscure brevity, which result from exceeding the proper limits (plus juste) of decorum. And the «criterion that lies at the foundation of all his ideas about writing... is the principle that excellence of style... results from employing language according to nature». Sprat speaks for the same qualities : clarity, ease, and a «natural way of speaking» as well as « so many things, almost in an equal number of words ». And if we agree that Seneca was chiefly interested in distinguishing a proper philosophical style, we are able to see

1. V. Purver, Williamson ; et 1’Introduction de Cope et Jones rappelant les travaux de Croll et Smith.

that Sprat was perhaps closer to Seneca’s aim than were more obvious Senecan imitators in the tradition of curt style (Cope et Jones, Introduction à Sprat, p. XXIX-XXX).

C’est pourquoi, si Sprat critique l’usage excessif des figures dans les mêmes termes que les esthéticiens du classicisme français (this vicious abundance of Phrases, this trick of Metaphors, p. 112), il ne le fait pas dans le même esprit. C’est l’usage présent des figures qui corrompt la raison au profit des passions : « They are in open defiance against Reason ; profes­ sing, not to hold much correspondance with that, but with its slaves, the Passions » (ibid.). A l’origine, la figure est un « admirable instru­ ment » pour exprimer la sagesse et la vérité : [Ornements of speaking] were at first, no doubt, an admirable instrument in the hands of Wise Men, when they were onely employ’d to describe Goodness, Honesty and Obedience; in larger, fairer, and more moving Images: to represent Truth, clothed with Bodies; and to bring Knowledge back again to our very senses, from whence it was at first deriv’d to our understandings (p. 111-112).

La démarche de Sprat n’est donc pas déterminée par un souci de bien­ séance, mais par une visée philosophique qui accorde une fonction euristique aux figures, et à la langue en général, afin de saisir l’essence des choses. Pour Cope et Jones, il s’agit là d’une philosophie du lan­ gage héritée de la Revolution, selon laquelle un langage rationnel et avisé dévoilera la nature et ses vérités cachées. En accord avec la pensée quaker qui voyait dans la répétition incantatoire des Écritures le meil­ leur moyen d’en saisir le sens, en accord avec Milton et la tradition rabbinique où, depuis Adam, le nom constitue l’essence de la chose, en accord avec Wilkins espérant remédier au babélisme par la création d’un « vrai caractère d’un langage philosophique » : [Sprat] gave voice from an unexpected quarter to what was the most important semimystical preoccupation of his age. As fervently as the wildest apocalyptic, he emphasizes the naked word as the ultimately important element of language, because within the word, properly « invented», lay the eternal key to immutable truth (p. XXXII).

A considérer la finalité ainsi assignée à la langue, les différences avec la rhétorique et l’éloquence française sont patentes. Ce sont dans les rejets - qui contribuent à la crise générale de la rhétorique qu’existent des convergences : dogmatisme néo-aristotélicien, syllogis­ tique faussement productive, éloquence aulique excessivement ornée.

Sur les deux premiers points, Sprat rejoint la pensée scientifique française ; sur le troisième, il s’oppose nettement au modèle socioesthétique de l’éloquence française classique qu’il nous faut à présent étudier. ÉLOQUENCE ET SUBLIME LA SIMPLICITÉ CLASSIQUE La Conversation, «genre » de l'honnêteté

Ils choisirent pour le lieu de leur entrevue un endroit commode & fort agréable, au bord de la mer. Car outre que le sable est ferme & uni en cet endroit-là, ce qui rend la promenade aisée, on voit d’un côté une citadelle fort bien bâtie ; & de l’autre, des dunes d’une figure fort bizarre, qui régnent le long de la côte ; & qui représentent dans la perspective quelque chose de semblable à de vieux palais tombés en ruine. C’est là qu’Ariste et Eugène eurent quelque temps de ces conversa­ tions libres et familières, qu’ont les honnêtes gens, quand ils sont amis (.Entretiens, La Mer, p. 1).

Ainsi s’ouvrent les célèbres Entretiens du P. Bouhours (1671), illustration d’un genre nouveau, emblématique de l’éloquence française classique - la conversation. La souplesse oratoire de l’entretien entre amis est en effet un cadre idéal, lieu de représentation de Vhonneteté, où se conju­ guent littérature et politesse, à distance du traité savant et rugueux1. Bouhours définit encore sa Manière de bien penser, comme : Une logique sans épines, qui n’est ni sèche ni abstraite ; [...] une rhéto­ rique courte et facile, qui instruit plus par les exemples que par les précep­ tes, et qui n’a guère d’autre règle que ce bon sens vif et brillant dont il est parlé dans les Entretiens d'Ariste et d'Eugène (Avertissement).

Il est significatif qu’en 1687 les Entretiens soient présentés comme un archétype ; signe que la conversation est devenue le support privilégié de l’esprit classique, reflet idéalisé de cet espace littéraire nouveau, à mi-chemin de la cour et du cabinet, qu’est le salon : Face aux impératifs guerriers qui conduisent à la violence et à Yimperatoria brevitas, le salon, comme espace régi et dominé par les femmes, propose un idéal de douceur, et exige du rude soldat qu’il sache moduler sa parole et amplifier son discours à l’aide d’une parole aisée et pacifique (Bury, « Les Salons... », p. 34).

1. v. Bury, Littérature et politesse ; «Les Salons...», Fumaroli, Trois Institutions littéraires, et encore, Beugnot, Génetiot, Zuber (passim).

Ce genre en effet possède sa topique ; il est un lieu simultanément géo­ graphique et rhétorique - bord de mer ou coin de campagne, propice à l’épanouissement d’une éloquence nonchalante1 : Acante ne manqua pas selon sa coutume de proposer une promenade en quelque lieu hors de la ville qui fût éloigné, et où peu de gens entrassent. On ne les viendrait point interrompre ; ils écouteraient cette lecture avec moins de bruit et plus de plaisir (Les Amours de Psyché, 1669, p. 60).

Cette topique engage une rhétorique qui sollicite autant les sens que la raison, à l’instar des Entretiens précités : Grand tableau qui occupe l’imagination avant la réflexion, l’envahit, aussi envahissant que la forme même de cette édition coûteuse, lourde à manier, mais aussi large et aérée, un livre de plaisir solitaire ou de petite société bien plus qu’un livre de circulation (Chevallier, « Les Entretiens... », p. 29-30).

Facilité contre épines, douceur contre rudesse, imagination contre réflexion : autant d’éléments définissant un style et un art ; style de la douceur et art de plaire, esquivant l’aride leçon de Г instruire et les passions trop véhémen­ tes de 1 "émouvoir. Nous avons vu la science mettre la rhétorique à dis­ tance ; nous voyons l’éloquence mondaine se démarquer d’un art ora­ toire trop réglé. La conversation s’édifie contre le modèle scolaire et érudit du Traité, et à l’écart des grands genres. J. Chevallier oppose ainsi l’ouverture des Entretiens à la première page de la Logique de Port-Royal, « manuel de travail sans concession à l’imaginaire, un lieu où tout individu raisonnable peut se reconnaître et s’informer » (ibid.) ; ici, un texte ouvert à tous les esprits ; là, un texte élitaire. Interprétation polémique, et qui ne rend pas compte de l’aptitude de la conversation à prendre en charge des thèmes sérieux. Car Descartes lui-même a recouru à ces ressources oratoires pour exposer sa Recherche de la Vérité par la lumière naturelle : Je n’ai point trouvé de style plus commode, que celui de ces conversations honnêtes, où chacun découvre familièrement à ses amis ce qu3il a de meilleur en sa pensée, et sous les noms d’Eudoxe, de Poliandre et Epistemon, je suppose qu’un homme de médiocre esprit, mais duquel le jugement n’est perverti par aucune fausse créance, et qui possède toute la raison selon la pureté de sa nature, est visité, en une maison de campagne où il demeure, par deux des plus rares esprits et des plus curieux de ce siècle, l’un desquels n’a jamais étudié, et l’autre, au contraire, sait exactement tout ce qui se peut apprendre dans 1. Sur le frontispice des Entretiens, v. Declercq, « Rhétorique des Entretiens... ».

les écoles ; et que là, parmi d’autres discours, que je vous laisse à imaginer, aussi bien que la constitution du lieu et toutes les particularités qui s’y trou­ vent, desquelles^ leur ferai souvent emprunter des exemples pour rendre leurs concep­ tions plus faciles, ils proposent ainsi l’argument de ce qu’ils doivent dire par après, jusques à la fin de ces deux livres (p. 881 ; nous soulignons).

On pourrait s’étonner de voir Descartes s’efforcer, au seuil des an­ nées 1650, de faire entrer la philosophie dans l’univers oratoire de la mondanité. Mais la contradiction n’est qu’apparente : Ce qui me fait espérer que vous serez bien aise de trouver ici un chemin plus facile, et que les vérités que je dirai ne laisseront pas d’être bien reçues, encore que je ne les emprunte point d’Aristote, ni de Platon ; mais qu’elles auront cours dans le monde ainsi que la monnaie, laquelle n’est pas de moindre valeur, quand elle sort de la bourse d’un paysan, que lors­ qu’elle vient de l’épargne. Aussi me suis-je efforcé de les rendre également utiles à tous les hommes ; et pour cet effet, je n’ai point trouvé de style plus commode, que celui de ces conversations honnêtes... (ibid.).

Au-delà d’un recours opportuniste à une forme oratoire en vogue, le choix du dialogue familier est en accord avec deux caractéristiques de la philosophie cartésienne. En premier lieu, offrir un accès facile à la connaissance, aplanir le parcours de l’esprit, image déjà présente dans le Discours : Ces grands chemins qui tournaient entre les montagnes deviennent peu à peu si unis et si commodes, à force d’être fréquentés, qu’il est beaucoup meilleur de les suivre que d’aller plus droit au-dessus des rochers et des­ cendant jusques au bas des précipices (II, p. 135 ; cit. Fumaroli, « Ego Scriptor », p. 40).

La seconde caractéristique est le principe d'universalité, qui spécifie la finalité d’une philosophie soucieuse de rendre [les vérités] également utiles à tous les hommes. La science cartésienne est généreuse ; c’est-à-dire qu’elle entend contribuer au bonheur de tous, et s’adresse à l’esprit de tous, pourvu que cet esprit soit sain : affranchie de l’argument d’autorité, la connaissance est mise à la portée de tous, Bas Breton ou paysan, telle une monnaie courante. La conversation, précisément, met en circulation cette précieuse monnaie de l’esprit. Ce choix ultime de la conversation s’inscrit donc dans une logique de communication engagée par le choix du français pour le Discours. H procède d’une conscience aiguë des enjeux de l’éloquence, exprimée dès la Censura de 1628, où Descartes défendait les Lettres de Balzac (v. Carr) et prolongée par le choix formel des Méditations, de préférence

à la forme traditionnelle de la disputatio savante. Nul doute que cette option témoigne du prestige encore considérable des formes éloquentes auprès de ceux qui élaborent les nouvelles disciplines scientifiques (Pierre Bayle, un des fondateurs de la critique historique, est ainsi hanté par l’idéal de la grande éloquence historique1). Mais au-delà d’une fas­ cination inavouée pour l’éloquence, au-delà même d’une mobilisation de la rhétorique comme véhicule ancillaire de la philosophie (sur le modèle platonicien), la préoccupation oratoire cartésienne procède d’un souci spécifique, lié aux principes mêmes de sa philosophie : mettre la connaissance au service de tous. Descartes définit une stratégie de communication fondamentalement moderne - comme s’il pressentait que, parallèlement à la spécificité croissante d’un discours scientifique inéluctablement appelé à s’enfermer dans sa technicité, il importait de développer une rhétorique de la science et de la technique, discours médiateur entre le savant et le grand public, condition nécessaire pour que la science ne perde pas de vue sa finalité humaine. Indéniablement, cette sollicitation de l’éloquence revitalise l’histoire des formes oratoires et littéraires ; elle invite à un examen de l’éloquence classique. Partant de la conversation mondaine, nous examinerons donc successivement l’éloge de la langue dans l’encomiastique louisquatorzienne, la réception du sublime longinien dans le cadre d’une réflexion sur l’expression passionnelle, enfin les conditions de possibilité d’un art de persuader adapté au message religieux dans le cadre d’une monarchie officiellement très-chrétienne, mais où se dessinent déjà les traits d’une société civile, bourgeoise et profane. L'académie badine Quatre amis dont la connaissance avait commencé par le Parnasse lièrent une espèce de société que j’appellerais Académie, si leur nombre eût été plus grand, et qu’ils eussent autant regardé les Muses que le plaisir. La première chose qu’ils firent ce fut de bannir d’entre eux les conversations réglées, et tout ce qui sent sa conférence Académique. Quand ils se trou­ vaient ensemble, et qu’ils avaient bien parlé de leurs divertissements, si le hasard les faisait tomber sur quelque point de science ou de belles lettres, ils profitaient de l’occasion : c’était toutefois sans s’arrêter trop longtemps à une même matière, voltigeant de propos en autre comme des abeilles qui rencontreraient en leur chemin diverses sortes de fleurs (Psyché, p. 59).

Mieux que tout autre texte, Psyché explicite l’inscription de Г instruire au sein d’un art de plaire. La société des quatre amis constitue une aca­ 1. V. son Discours historique sur la vie de Gustave-Adolphe, roi de Suède, biographie inachevée de Gus­ tave-Adolphe, dans Œuvres diverses, t. 4, p. 887 ; v. Dcclcrcq, « Un adepte de l’Histoire éloquente... ».

demie badine proscrivant toute conférence formelle, mais ne refusant pas d’aborder tel point de science ou de lettres, à condition de ne point s’y attarder. L’image du butinage culturel - qui préfigure le dilettantisme du Neveu de Rameau - est ici l’emblème d’une littérature de Votium[, norme d’un savoir-vivre et d’un savoir-plaire nouveaux, à l’écart des grands genres, et dont les enjeux sont explicités dans l’Epître et la Pré­ face. L’auteur y définit sa recherche d’un style adapté à la fable, laquelle mélange l’héroïque et le galant. Ne pouvant recourir à la bigarrure de la fable milésienne, La Fontaine veut néanmoins conjoindre galanterie et héroïsme, par une modalisation émotionnelle inédite - un juste tempérament: Mes personnages me demandaient quelque chose de galant ; leurs aven­ tures étant pleines de merveilleux en beaucoup d’endroits, me deman­ daient quelque chose d’héroïque et de relevé. D’employer l’un en un endroit, et l’autre en un autre, il n’est pas permis ; l’uniformité de style est la règle la plus étroite que nous ayons. J’avais donc besoin d’un caractère nouveau, et qui fût mêlé de tous ceux-là : il me le fallait réduire dans un juste tempérament : j’ai cherché ce tempérament avec un grand soin : que je l’aie ou non rencontré, c’est ce que le public m’apprendra (p. 53-54).

Le propos met en lumière les tensions constitutives du premier classi­ cisme français qui se définit à la fois par les règles et contre les règles1 2. Afin de résoudre ce dilemme, La Fontaine se garde bien de caractériser techniquement son style. Au contraire, il substitue à la norme des styles et des genres - qui relève d’une classification savante - une référence au goût du public. L’identité mondaine de ce public autorise une esthé­ tique de la variété, qui permet d’enfreindre le principe d’uniformité stylis­ tique : Mon principal but est toujours de plaire : pour en venir là je considère le goût du siècle : or après plusieurs expériences, il m’a semblé que ce goût se porte au galant et à la plaisanterie : non que je méprise les passions; [...] mais dans un conte comme celui-ci, qui est plein de merveilleux à la vérité, mais d’un merveilleux accompagné de badineries, et propre à amu­ ser des enfants, il a fallu badiner depuis le commencement jusqu’à la fin ; quand il ne l’aurait pas fallu, mon inclination m’y portait, et peut-être y suis-je tombé en beaucoup d’endroits contre la raison et la bienséance (p. 54).

1. V. Amour de la sagesse et loisir lettré, et Gcnetiot. 2. V. BorgerhofT, Freedom... ; Zuber, « Littérature et classicisme ».

Contre la raison et la bienséance est une provocation caractéristique d’un classicisme dont l’audace s’éprouve dans la subversion des limites. Les règles sont ainsi davantage contournées que combattues au nom d’un art de plaire dont l’emblème est la femme, figure d’une mondanité sou­ riante, et la forme littéraire, la conversation non réglée1. Cet art de plaire est de nature oratoire ; il promeut une éloquence adaptée au goût du public, et qui permet d’assouplir la poétique des règles, autori­ sant subrepticement l’écrivain à exprimer son goût et son style propre - son inclination. Au passage, l’évocation dénégative de la question des passions (Non que je méprise les passions) souligne que cet art de plaire - qu’en rhétorique on nomme ethos - est une modalité adoucie de la grande éloquence passionnelle. Ce lien de Y ethos au pathos réapparaîtra dans la définition du sublime.

Du solide aussi bien que de l’agréable J’ai tâché seulement de faire en sorte que [mon ouvrage] plût, et que même on y trouvât du solide aussi bien que de l’agréable. C’est pour cela que j’y ai enchâssé des Vers en beaucoup d’endroits et quelques autres enrichissements comme le voyage des quatre amis, leur dialogue touchant la Compassion et le Rire, la description des enfers, celle d’une partie de Versailles (p. 56-57).

La conjonction de l’agrément et de l’instruction n’est pas une exception due aux visées philosophiques de Descartes, elle constitue l’essence du genre. Le logos est au programme de la conversation classique. C’est la raison d’être de la dispute qui conclut la première partie de Psyché ; dis­ pute enjouée, mais en règle, Ariste et Gélaste réfutant les propositions de l’adversaire sur le mode syllogistique («Je vous nie vos deux propo­ sitions, aussi bien la seconde que la première», p. 122). Surtout, la querelle est l’occasion d’une glose avertie de la catharsis aristotélicienne et d’une réflexion sur le spectacle tragique explicitement rattachée au sublime longinien (p. 129). Un récit tabulaire enjoué est ainsi enchâssé par des débats esthétiques sérieux ; débats dont la fonction métalinguistique est patente : La Fontaine commente sa fable, à mesure qu’il la narre. Cet entrelacement du thème et de son commentaire, ce jeu d’échos entre la pratique de la langue et son examen, est au principe de l’écriture des Entretiens d’Ariste et d’Eugène. Fidèle à la modalité badine 1. Polémicité souriante héritée des fondateurs du classicisme, tel Balzac, dont la « doctrine » s’est forgée à travers débats et querelles. Dans un domaine parallèle, les Discours sur la tragédie de Corneille sont un combat contre les règles, notamment la notion de vraisemblance ; v. Forestier, Essai de génétique théâtrale, chap. V.

affichée par la conversation, le texte fait l’éloge de cette « petite » littérature : Dans nos bagatelles, dans nos folies ingénieuses, dans tout ce qu’on appelle jolies choses, que de noblesse, que de bon sens ! Notre langue y est en quelque façon plus admirable que dans les grands ouvrages, où la matière la soutient, où les choses donnent de la force et de la dignité aux paroles (La Langue française, p. 47).

La note inaugurale de cette esthétique de la bagatelle est donnée dans La Mer, à l’occasion du ramassage des coquillages. Ce divertissement, jugé digne des gens honnêtes, permet d’aborder incidemment des ques­ tions que les entretiens ultérieurs traiteront à titre principal : Ne diriez-vous pas, reprit Ariste, que ce sont des ouvrages de l’art, tant elles sont régulièrement travaillées. Je dirais presque avec un Poète Italien, répondit Eugène, que la nature pour se divertir, imite quelquefois celui qui fait toujours gloire de l’imiter. [...] Mais que dites-vous, poursuivit Ariste, quand vous voyez que la mer apporte ces bagatelles sur le rivage avec tant de pompe & tant de bruit ; elle qui cache une infinité de richesses dans ses abîmes. Je me souviens, dit Eugène, de ces avares qui veulent faire les magnifiques, & qui donnent avec profusion de petites choses, tandis qu’ils gardent avec beaucoup de soin ce qu’ils ont de plus précieux (p. 9-10).

Le propos livre la clé symbolique des Entretiens - bagatelle tenue sur des bagatelles, mais qui, par un jeu subtil de citations savantes (Pline, His­ toire naturelle), de vers italiens et d’aphorismes (ces avares qui veulentfaire les magnifiques), procède à une délicate mise en abyme des thèmes des Entretiens. Ceux-ci obéissent à une gradation très calculée qui, de La Mer au Je-ne-sais-quoi jusqu’aux Devises, conduit le lecteur du ramassage des coquillages à la découverte du sublime. Car l’apparent décousu des Entretiens disparaît si l’on considère les reprises de thèmes. H n’est pas un des thèmes principaux, propres à chaque entretien, qui ne soit présent dans les cinq autres comme thème secondaire : le rapport de l’art et du naturel, abordé dans La Mer et la langue française, devient le thème principal &\i je-ne-sais-quoi ; quant au bon sens qui fonde la clarté et la simplicité de la langue, il vient renouveler de manière inattendue la définition du Bel Esprit à l’ouverture du qua­ trième entretien. A l’inverse, ce dernier s’achève sur le thème du charme indicible qui prépare le cinquième entretien1. A ce principe de disposition s’en superpose un second, fondé sur la tension et le 1. V. Declercq, «L’Esprit de curiosité... ».

contraste des dialogues : La Mer est prélude enjoué, apparente baga­ telle ; La Langue française qui lui succède prend le contre-pied par son ampleur, la systématicité de son projet épidictique et didactique, qui en font une sorte d'Art poétique à l’échelle des Entretiens. En contrepoint, les quatre Entretiens ultérieurs (Le Secret, Le Bel Esprit, Le je-ne-sais-quoi, Les Devises) traitent du secret, de la grâce et du sublime. L’éloquence de la conversation construit son sens dans sa forme même. «Je vous confie ma gloire » : l’art de plaire est également au centre de la culture monarchique, qui s’amplifie à partir de 1660 : l’injonction pré­ citée de Louis XIV aux Académiciens définit une véritable mission ora­ toire1. L’art du panégyrique connaît alors en France un apogée, dont témoigne le portrait du roi en maître de la langue française chez Bouhours : Il n’y a personne dans le Royaume qui sache le Français comme il le sait. Ceux qui ont l’honneur de l’approcher, admirent avec quelle netteté, & avec quelle justesse il s’exprime. Cet air libre & facile dont nous avons tant parlé, entre dans tout ce qu’il dit ; tous ses termes sont propres, & bien choisis, quoiqu’ils ne soient point recherchés ; toutes ses expressions sont simples & naturelles : mais le tour qu’il leur donne est le plus délicat, & le plus noble du monde. Dans ses discours les plus familiers, il ne lui échappe pas un mot qui ne soit digne de lui, & qui ne se sente de la majesté qui l’accompagne partout : il agit & il parle toujours en Roi, mais en Roi sage, & éclairé, qui observe en toutes rencontres les bienséances, que chaque chose demande. H n’y a pas jusqu’au ton de sa voix qui n’ait de la dignité, & je ne sais quoi d’auguste qui imprime du respect & de la vénération. [...] Enfin pour tout dire en un mot, il parle si bien, que son langage peut donner une véritable idée de la perfection de notre langue. Les Rois doivent apprendre de lui à régner ; mais les peuples doivent apprendre de lui à parler (La Langue française, p. 152-154).

Cet Entretien s’inscrit dans une série de textes où convergent éloge de la langue et éloge du monarque12, tels Les avantages de la langue française sur la langue latine (1667) de Claude Le Laboureur, la Défense de la langue française (1676) et De ГExcellence de la langue française (1684) de François Charpentier. Ce dernier texte (issu d’un débat de la « Petite Aca­ démie » - quelle devise pour les arcs de triomphe érigés par Louis XIV?) illustre le topos, architectural et linguistique, de la gloire du roi, dont la personne concentre toutes les vertus de la nation, faisant 1. V. Apostolidès, Ferrier-Gaverivière, Marin, Zoberman ; voir Alexis François. 2. V. François, « La Perfection de la langue au XVIIe siècle », dans Histoire de la langue cultivée, t. I, sect. Ill ; Fumaroli, « L’apologétique de la langue française classique ».

Une langue royale

converger sur elle tous les regards (v. Dumonceaux). La double splen­ deur de la langue et du monument (assimilé à un Livre glorieux) maté­ rialise et amplifie la grandeur du monarque. Charpentier, après d’autres, illustre ainsi la triple fonction de Fencomiastique - célébra­ tion, commémoration, instruction. Il ne faudrait pas méconnaître, au demeurant, la fonction morale inscrite dès Cicéron dans l’éloquence épidictique. L’éloge le plus paroxystique contient toujours une part d’injonction, dans la mesure où le roi est en quelque sorte contraint d’adhérer à son mythe, de se conformer à la grandeur qu’on lui attribue1. De surcroît, l’éloge permet à l’écrivain de constituer sa propre gloire : La louange donne de l’éclat au laudateur autant qu’au louangé, et les ouvrages de l’esprit immortalisent le génie, en même temps qu’ils engagent le destinataire à l’action. [...] En adoptant sans réserve la tradition de leur profession, les écrivains ont pu trouver moins lourde que les représentants des autres arts la servitude d’un art officiel (Zuber, Litt.fr., p. 37).

L’encomiastique classique recèle même quelques ambiguïtés : qui l’emporte en effet de la langue ou du roi, dans l’éloge combiné qu’en fait Bouhours ? Certes l’Entretien s’achève sur le portrait précité du monarque-orateur, mais ce morceau de bravoure obligé est circonscrit aux dernières pages de l’Entretien - alors que les vertus propres de la langue ont été mises en valeur par une longue et minutieuse analyse, et que d’emblée a été souligné le fait que le rayonnement de la langue précède son imposition par les armées du roi12. Aussi, quelque appuyé que soit l’éloge, il n’est pas sans suggérer que le roi illustre davantage le bon usage qu’il ne l’institue : « Son langage peut donner une véritable idée de la perfection de la langue » (p. 154). Le monarque confirme et garantit les qualités de la belle langue, il ne les fonde pas. Cette ambiguïté est renforcée par le statut souverain que Bouhours, à la suite de Vaugelas, accorde à l’usage, « véritable roi des langues vivantes » ; et si l’on prend au sérieux cette attribution de souveraineté, en rapprochant l’usage de la coutume, sans cesse invoquée en philo­ sophie politique, par les opposants à l’absolutisme (v. Merlin), il n’est alors pas interdit de lire dans l’encomiastique du P. Bouhours un esprit de fronde, du moins un souci d’autonomie qui dessine le statut de l’écrivain classique. En construisant dans La langue française son autorité de grammairien et de maître en honnêteté, Bouhours s’accorde une 1. V. à cet égard l’argumentation déployée par La Fontaine dans L’élégie aux Nymphes de Vaux. Sur le genre épidictique, v. Pemot. 2. V., ci-dessus, Préambule, et Dcclercq, « Usage et bel usage... ».

compétence qui justifie la fonction de l’homme de lettres au côté du monarque ; ce faisant, il s’approprie discrètement la distinction pascalienne entre grandeurs d’établissement et grandeurs de nature. A l’un la gloire, mais à l’autre l’estime... La précellence nationale - L’éloge de la langue, cependant, a une fonction politique, qui s’exprime dans l’Entretien par un nationalisme théâtral : N’avez-vous point aussi remarqué, [...] que de toutes les prononciations, la nôtre est la plus naturelle, & la plus unie. Les Chinois, & presque tous les peuples de l’Asie chantent ; les Allemands râlent ; les Espagnols décla­ ment ; les Italiens soupirent ; les Anglais sifflent. Il n’y a proprement que les Français qui parlent : & cela vient en partie de ce que nous ne mettons point d’accents sur les syllabes qui précèdent la pénultième : car ce sont ces sortes d’accents, qui empêchent que le discours ne soit continué d’un même ton {La langue française, p. 59).

Bouhours veut affirmer la précellence de la langue française, en déni­ grant, de manière partisane, italien et espagnol, langues sœurs et donc rivales. Ce qui lui valut de solides répliques, tant en France (Barbier d’Aucour), qu’en Italie (v. Vuilleumier). Mais il faut lire cette compa­ raison outrancière, en ayant en mémoire les procédures de l’écriture burlesque auxquels sont rompus tous les écrivains de l’époque1. De plus, VHistoire de Sprat nous a montré que nationalisme et chauvinisme ne sont pas une exclusivité française, mais l’expression, au sein d’une éloquence militante, d’une aspiration à l’hégémonie culturelle et poli­ tique. Hégémonisme au demeurant tempéré par la conscience histo­ rique que la suprématie attribuée pour l’heure au français succède à celle du latin et d’autres langues romanes1 2. Quoique fondant son argu­ mentation sur l’idée d’une progression continue de la langue, Bouhours ne peut se déprendre totalement de l’antique philosophie qui voit dans l’histoire un cycle d’apogées et de déclins. Aussi ne faut-il pas être dupe du nationalisme positiviste des Entretiens ; comme d’autres textes clas­ siques français, leur clarté masque des doutes. Plus Ariste et Eugène énoncent la supériorité du français, plus ils soulignent la situation de rivalité européenne dans laquelle se trouvent les langues nationales vernaculaires. 1. Sur le caractère ludique de l’Entretien, v. Declercq, « Rhétorique des Entretiens » et « Usage et bel usage ». 2. « Du temps d’Alexandre les Grecs avaient plus d’esprit que les Romains : du temps de César les Romains avaient plus d’esprit que les Grecs. Le siècle passé était pour l’Italie un siècle de doctrine & de politesse ; il lui a plus fourni de beaux esprits qu’elle n’en avait jamais eu depuis le siècle d’Auguste. Le siècle présent est pour la France, ce que le siècle passé était pour l’Italie » (Le Bel Esprit, p. 230).

Excellence et urbanité : le style de la langue - Néanmoins, la visée explicite de l’Entretien, c’est l’affirmation d’une supériorité absolue. Cette souverai­ neté, le français l’acquiert dans une rivalité au latin qui prend un double aspect : rivalité mimétique, au terme de laquelle le français revendique l’héritage du latin, c’est-à-dire se pose comme la nouvelle langue modèle ; rivalité polémique, selon laquelle l’ordre naturel de la syntaxe française lui assure une suprématie définitive qui s’affirme à la fin du siècle comme le topos de l’excellence de la langue1. La langue française, nonobstant sa différence morphosyntaxique, reçoit du latin les vertus de l’urbanité qui fonde son universalité ; c’est-à-dire un style et un art de vivre. Aussi bien le propos de R. Lathuillère - en tout homme du monde sommeille un grammairien123- admet-il sa réci­ proque : parler des qualités de la langue, c’est traiter de l’honnêteté : Je dis que notre langue dans la perfection où elle est, a beaucoup de rap­ port avec la langue Latine [...] Elles ont le même génie & le même goût. [Mais] ce n’est pas dans les terminaisons, & précisément dans les mots, que la langue est conforme à la langue du siècle d’Auguste ; c’est particu­ lièrement dans le style, & dans ce caractère de majesté, de politesse, de pureté, & de bon sens qui se remarque aux auteurs de ce temps-là, & aux bons écrivains de celui-ci (p. 70-71).

La langue est en effet qualifiée comme un style, puisqu’elle se définit par une norme socio-esthétique, le bon ou plutôt le bel usager*. Sur ce point, Bouhours revendique l’héritage de Vaugelas, et s’en démarque. Tous deux partagent le même postulat sociologique qui fait, de la Cour et la Ville, le lieu du bon usage. Mais une fois délimités les locuteurs de référence, Vaugelas insiste sur le caractère constatif de ses Remarques. Il enregistre l’usage, il ne l’édicte pas : Ce ne sont pas ici des lois que je fais pour notre langue de mon autorité privée ; [...] car à quel titre et de quel front prétendre un pouvoir qui n’appartient qu’à Y usage ? (Préface, p. 9).

Bouhours avalise cette souveraineté de l’usage, mais il l’infléchit dans un sens socio-esthétique. C’est par projection d’une vertu sociale sur la langue - la pudeur - qu’il définit le bel usage : Quoique nos mœurs ne soient peut-être pas plus pures que celles de nos voisins, notre langue est beaucoup plus chaste que les leurs [...] sa pureté 1. V. François, «La perfection achevée», Histoire de la langue..., t. I, sect. Ill, chap. 15. 2. La Préciosité, p. 534-535 ; cit. Bury, « Les Salons... », p. 31. 3. V. Dcclercq, « Bon usage et bel usage... ».

va jusques au scrupule, [...] de sorte qu’un mot cesse d’être du bel usage [...] dès qu’on lui peut donner un mauvais sens (p. 68).

Aussi la revue lexicale à laquelle procède Eugène est-elle une promo­ tion des beaux mots de la langue, selon un exemplaire amalgame de catégories esthétiques et sociologiques1 : Débonnaire, est un mot tiré de cet art [la fauconnerie], & [...] il vient, selon Henri Estienne, de Bonne & d'Aire, qui signifie le nid de l’oiseau, comme

qui dirait de bon lieu, de bonne naissance, & de bon naturel. Je ne vous dis rien d'émerillonné, & de hobereau : car ces mots-là ne sont pas trop du bel usage ; & l’on ne s’en sert guère qu’en plaisantant dans le discours fami­ lier, pour marquer un esprit éveillé ; & un petit gentilhomme de campagne (p. 76).

Les exemples et définitions sont autant d’occasions de déployer une isotopie de la politesse et de la noblesse, les mots choisis désignant d’eux-mêmes la visée de Bouhours - traiter du vocabulaire pour déter­ miner un style et faire du français la langue polie par excellence1 2. On quitte ainsi le domaine de la grammaire qui définit la parole correcte, le bon usage, pour le domaine d’une socio-rhétorique qui définit la belle parole - celle du prince comme celle de l’honnête homme.

Vertus d’un mythe: l’ordre naturel - L’urbanité française, naturalisée dans les mots, égale donc l’urbanité romaine. Mais le français s’émancipe de la langue mère par sa syntaxe, et la surpasse, par la spécificité de cette syntaxe, incarnation d’un ordre naturel : La langue Française est peut-être la seule, qui suive exactement l’ordre naturel, & qui exprime les pensées en la manière qu’elles naissent dans l’esprit. Je m’explique, & je vous prie de m’entendre. Les Grecs & les Latins ont un tour fort régulier ; pour trouver le nombre & la cadence, qu’ils cherchèrent avec tant de soin, ils renversent l’ordre dans lequel nous imaginons les choses : ils finissent le plus souvent leurs périodes, par où la raison veut qu’on les commence. Le nominatif qui.doit être à la tête du discours selon la règle du bon sens, se trouve presque toujours au milieu ou à la fin. Par exemple, au lieu de dire naturellement & régulièrement comme nous, César a vaincu Pompée dans la bataille de Pharsale : ils disent de Pharsale dans la bataille a vaincu Pompée César (p. 57-58).

1. Bouhours mêle indifféremment des notions que les sciences humaines traiteraient aujourd’hui selon des catégories distinctes - grammaire, rhétorique, sociologie ; v. Siouffi, p. 68 et s. 2. « Air, est tout à fait du bel usage. П a l'air d’un homme de qualité ; [...] il y a dans tous ses ouvrages un air de politesse qui le distingue fort des autres» (p. 91).

Le postulat de l’ordre naturel1, c’est la coïncidence de l’ordre de conception des pensées et de l’ordre d’énonciation des mots. Bouhours suit en cela les propositions énoncées par Claude Le Laboureur (Les Avantages,..), et il les infléchit dans une perspective politique : dans la mesure où l’ordre naturel spécifie la langue française, parmi toutes les langues modernes et anciennes, il est le signe de l’émancipation du français à l’égard du latin ; émancipation que Bouhours attribue, par un raisonnement historique éminemment symbolique, à l’influence des Francs : En retenant les mots Latins, nous nous sommes défaits de la terminaison Latine, qui est demeurée aux Italiens, & aux Espagnols : en quoi il sont comme des esclaves. [...] En ôtant à notre langue cette ressemblance sen­ sible que ses voisines ont avec le Latin, nous nous sommes fait en quelque sorte une langue, qui a plus l’air d’avoir été formée par un peuple libre, que d’être née dans la servitude (p. 116).

Cette notion d'ordre fait l’objet d’une convergence singulière entre les Entretiens et la réflexion sur le rapport langue-pensée engagée par Amauld et Lancelot dans la Grammaire dite de Port-Royal- théorie logico-grammaticale que l’on retrouve, à l’aval de notre période, chez Bernard Lamy : Il est évident que comme le discours n’est qu’une image de nos pensées, afin que le discours soit naturel, il doit avoir des signes pour tous les traits de nos pensées, et représenter toutes nos pensées comme elles sont rangées dans notre esprit (Art de parler, p. 42 ; cit. Charles, Rhétorique..., p. 163).

Nous sommes ainsi en présence d’une topique qui forme l’ossature de la représentation de la langue chez les théoriciens durant ce quart de siècle. Que cette représentation soit mythique, imaginaire, est précisé­ ment le point de départ du travail de Gilles Siouffi (Le génie de la langue...). En effet, une fois dépassé l’obstacle épistémologique que constitue cette affirmation posée avec autant d’assurance que de can­ deur, il faut en examiner les conséquences sur la conscience de la langue. Bouhours s’inscrit dans la représentation socio-esthétique de la langue étudiée par Marc Fumaroli à travers la notion de génie de la langue. Relayée par Voltaire et Rivarol, l’idée de l'ordre naturel de la

1. Sur le caractère posé, et non démontré, de Vordre naturel chez Bouhours, v. Siouffi, p. 220.

langue conditionne notre vision présente de la langue classique avec laquelle nous nous sentons toujours en familiarité : C’est comme s’il y avait un seuil d’exotisme qu’on franchirait dès lors qu’on reculerait du XVIIe siècle vers le XVIe : tout d’un coup, la langue n’est plus la même, notre instinct n’en reconnaît plus la forme, c’est comme si tout était différent. П nous semble qu’il y a un monde entre la langue de Montaigne et celle de Racine, et jamais il ne nous viendrait à l’idée d’essayer de moderniser la langue de ce dernier, tant nous avons la sensa­ tion de baigner dans quelque chose d’intimement commun. En bref, le XVIIe siècle est le premier siècle où nous nous sentions linguistiquement à l’aise (Siouffi, Préface, « Pourquoi le XVIIe siècle ? », p. 7).

Ce sentiment d’« assentiment linguistique » est incontestablement l’effet persistant d’un mythe de la langue qui prend sa forme mature durant notre période. C’est en effet à ce titre qu’il faut comprendre l’assurance tranquille avec laquelle Vaugelas et Bouhours affirment la pérennité des règles qu’ils énoncent : Ce sont des maximes à ne changer jamais et qui pourront servir à la pos­ térité de même qu’à ceux qui vivent aujourd’hui, et quand on changera quelque chose de l’usage que j’ai remarqué, ce sera encore selon ces mêmes remarques que l’on parlera et que l’on écrira autrement, pour ce regard, que ces remarques ne portent (.Remarques, Préface, p. 28)'.

Un mythe dont il importe, non pas de souligner le caractère idéolo­ gique - notoirement assumé par les classiques -, mais la résistance dans la longue durée12. Classicisme et convergence objective - Cette résistance est l’effet singulier d’une convergence objective qui met en avant les vertus tordre, de simplicité et de clarté au sein de problématiques distinctes, voire hétérogènes, mais contemporaines les unes des autres. Ces vertus qui, à des titres divers, relèvent du vocabulaire oratoire, sont en effet prônées par la pensée car­ tésienne, soucieuse de définir la quête de la vérité à l’abri de la confusion des préjugés inculqués à l’esprit durant l’enfance ; ces vertus sont encore mises en avant dans l’analyse logiciste de la langue d’Amauld et Nicole où elles définissent la bonne articulation des propositions à la 1. «Je prétends que les changements qui s’y feront dans la suite des siècles [...] n’altéreront point le fonds de la langue. Il y aura toujours la même naïveté, la même clarté, le même ordre, & le même tour dans le style » (Bouhours, Entretien II, p. 127). 2. V. Siouffi (223-224) : « Que la langue française soit une langue où l’ordre des mots suive l’ordre des idées est donc, à tous les niveaux possibles de représentation, une idée tellement fran­ çaise qu’elle est inanalysable du point de vue français. » V. encore Weinrich, « Clarté du français, ou clarté des Français ».

pensée ; elles sont enfin exaltées dans l’éloge de la langue royale chez Le Laboureur et Bouhours. D’autres notions, telles que bon sens, ordre, naturel ou raisonx font ainsi l’objet d’une promotion consensuelle qui forme l’ossature objective du classicisme français, moins doctrine qu’ensemble de propositions utilisant un lexique commun - d’où l’apparente conver­ gence « doctrinale » de discours recouvrant en réalité des acceptions divergentes ; ce qui souligne la complexité et la fragilité sous-jacente du classicisme, pour peu que les convergences (plutôt dominantes durant notre période) deviennent divergences (nettement perceptibles dans le quart de siècle suivant) : tant il est vrai que par ordre naturel et simplicité, les uns voient le chemin d’accès au vrai, d’autres songent à la combina­ toire des éléments premiers de la langue et de la pensée ; d’autres encore définissent de la sorte le style de la langue. Ordre et passion

Nous voudrions à présent examiner cette complexité à travers l’inter­ férence des réflexions sur la langue et des interrogations relatives à l’expression passionnelle. Nous verrons ainsi comment la réflexion logique et linguistique vient perturber, mais aussi vivifier la probléma­ tique oratoire des passions. Une définition syntaxique de l'atticisme - Le mythe de l’ordre naturel reçoit chez Bouhours une interprétation esthétisante - puisque la langue fran­ çaise combine noblesse et simplicité, majesté et naïveté (p. 47). Source de beauté, l’ordre naturel est le principe recteur de l’atticisme d’une langue qui répugne aux figures trop marquées, hyperbole ou méta­ phore filée, en vertu d’un principe de sobriété et d’économie stylistique1 2. En effet, tandis que les autres langues sont contraintes à un effort contre nature d’inversion, de dérèglement, à une pratique du désordre pour devenir style, la langue française se fait style sans contrainte, suivant la pente naturelle que constitue son ordre syntaxique : L’élégance de ces langues [italienne et espagnole] consiste en partie dans cet arrangement bizarre, ou plutôt, dans ce désordre, & cette transposition étrange de mots. Il n’y a que la langue Française qui suive la nature pas à pas, pour parler ainsi, & elle n’a qu’à la suivre fidèlement, pour trouver le nombre & l’harmonie, que les autres langues ne rencontrent que dans le renversement de l’ordre naturel (p. 57-58). 1. Sur ces convergences objectives, v. Declercq, « Simplicité corrosive et simplicité polé­ mique... » et « L’esprit de curiosité... ». 2. « Car la langue Française hait encore tous les ornements excessifs : elle voudrait presque que ses paroles fussent toutes nues, pour s’exprimer plus simplement ; elle ne se pare qu’autant que la nécessité & la bienséance le demandent » (p. 55). V. Zuber, « Atticisme et classicisme ».

La langue française est ainsi style à un double titre : parce qu’elle assi­ mile le naturel au régulier (elle se fait art en sa nature) ; parce qu’elle formule sa régularité comme spécificité, c’est-à-dire comme écart, par rapport aux autres langues. Ce paradoxe d’un naturel érigé comme spé­ cificité et marque d’excellence, est traduit par l’image de la langue comme « eau pure et nette qui n’a point de goût [...] qui va où sa pente naturelle la porte » (p. 55). La transparence est ici la version paroxystique de la clarté.

Grammaticalisation des figures de passion - L’interprétation de Port-Royal est bien sûr étrangère à ce souci stylistique. L’Art de penser se préoccupe de la production du sens, de la généalogie de la pensée ; et la Grammaire se soucie des règles syntaxiques : ordre, simplicité, régularité. Pourtant la ques­ tion de l’ordre naturel conduit indirectement à l’esthétique. L’ordre syntaxique peut en effet être délibérément transgressé pour répondre à une intention esthétique et à une motivation pathétique du locuteur. Ainsi se trouvent définies dans la Grammaire les figures de construction : Parce que les hommes suivent souvent plus le sens de leurs pensées, que les mots dont ils se servent pour les exprimer, et que souvent pour abré­ ger, ils retranchent quelque chose du discours, ou bien que, regardant à la grâce, ils y laissent quelque mot qui semble superflu, ou qu’ils en renver­ sent l’ordre naturel ; de là est venu qu’ils ont introduit quatre façons de parler, qu’on nomme figurées, et qui sont comme autant d’irrégularités dans la Grammaire, quoiqu’elles soient quelquefois des perfections et des beautés dans la langue1.

Syllepse, ellipse, pléonasme et hyperbate sont présentés comme autant d’infractions à l’ordre naturel, suscitées par un désir psycho-esthétique d’abrègement ou d’ornement. Mais ce désir lui-même s’intégre dans le système général du génie de la langue française, modèle de retenue parce que modèle de bienséance : Il n’y a guère de langue qui use moins de ces figures que la nôtre, parce qu’elle aime particulièrement la netteté, et à exprimer les choses autant qu’il se peut, dans l’ordre le plus naturel et le plus désembarrassé, quoiqu’en même temps elle ne cède à aucune en beauté ni en élégance (Gram­ maire, p. 108).

Ainsi se superposent, au sein de la grammaire, l’esthétique atticiste de la réticence et la théorie syntaxique de l’économie expressive. Cependant, tandis que chez Bouhours Y ordre naturel est un axiome esthétique, qui pro1. Grammaire générale, p. 106-107 ; cit. M. Charles, Rhétorique..., p. 163 et s., dont nous suivons l’analyse.

jette les vertus de l’urbanité sur la langue, cette notion est interrogée chez Amauld et Lancelot dans le cadre d’une problématique grammaticale ; accessoirement, elle les conduit à une remarque d’ordre esthétique. La question de l’expression passionnelle est ainsi au carrefour de problématiques distinctes ; celles-ci se rencontrent dans la notion de 1 "ordre naturel. Mais se pose alors la question du statut de cette notion : est-elle grammaticale ou rhétorique ? Question dont la réponse influe sur le statut futur de la disposition et de l’élocution oratoires. Dans la pensée de Bouhours, 1 "ordre naturel est encore une notion oratoire, empruntée à la disposition : l’ordre syntaxique est la projection en langue de l’arrangement bienséant du discours. Pourtant, le fait que Bouhours fonde son argumentation sur la grammaire n’est pas sans incidence. L’idée grammaticale d"ordre naturel entre en effet en concur­ rence avec un certain nombre de préceptes rhétoriques, notamment le principe d’animation du discours par inversion et rupture. Le respect des mots n’est plus considéré comme une injonction stylistique ou un conseil de portée simplement esthétique, mais comme un véritable caractère grammatical. [...] S’intéresser au respect de l’ordre des mots, et à la permanence de cette structure, ce n’est pas faire œuvre de rhétoricien (problématique de la dispositio), c’est pénétrer au cœur de la grammaticalité la plus subtile du français (Siouffi, p. 225).

La grammaire se substitue alors à la rhétorique ; et une nouvelle pro­ blématique prend la forme d’une grammaticalisation de l’expression passionnelle. Par le biais des figures de construction, cette grammatica­ lisation touche également l’élocution. Au siècle suivant, dans son Traité des tropes, Dumarsais n’accordera aux rhéteurs que les figures de pensée, et les figures de répétition ; le reste, c’est-à-dire l’ensemble des figures de mots, relève de la grammaire (art. IV et V, p. 20, 22). Comme pré­ cédemment pour l’invention, nous trouvons ici les indices d’un déman­ tèlement futur du champ oratoire, dans l’émergence des nouvelles dis­ ciplines d’analyse de la langue.

La grammaire affective - Cette rivalité entre grammaire et rhétorique s’explique d’autant plus que la question de l’ordre de la langue est une ligne de crête dans un débat rhétorique et philosophique qui va s’intensifier au-delà de notre période : l’opposition entre sensualisme et rationalisme. L’étude de ce débat au sein de la théorisation grammati­ cale a été faite par Ulrich Ricken1. Selon ce dernier, la réflexion gram­ 1. Grammaire et philosophie..., nous suivons ici l’analyse de Siouffi (p. 227 et s.).

maticale française sur l’enchaînement sujet-verbe-objet est une reprise, via Priscien, de l’analyse de Denys d’Halicamasse où l’expression de la substance (le substantif) précède logiquement celle de l’accident (verbe et objet) ; explication qui s’accorde bien avec la métaphysique néo­ aristotélicienne du XVIIe siècle français. Mais cette approche logique de l’idée d’ordre naturel est concur­ rencée, dans la seconde moitié du siècle, par « les précurseurs français de la grammaire affective » (A. François), au premier rang desquels Pas­ cal, Bernard Lamy, auxquels Ricken adjoint Malebranche et Fénelon. Cette approche procède d’une réévaluation de la question des passions, auxquelles s’adresse l’éloquence. Alexis François montre de quelle façon, à un moment où le traité traditionnel de rhétorique est en déclin, un renouvellement de la problématique de la communication passionnelle surgit de la réflexion des « logiciens » sur la langue - Amauld, Nicole, Lamy - par le biais des idées accessoires. Dans l’énoncé « Vous avez rnenti »3 Amauld discerne, outre une signification principale - vous savez le contraire de ce que vous dites -, le sens accessoire suivant : « Ces paroles emportent dans l'usage une idée de mépris et d'outrage» (Logique, I, 14). Amauld développe donc une description du sens figuré en termes d’expression passionnelle, une sémantique grammaticale des figures de passions : Les expressions figurées signifient, outre la chose principale, le mouvement et la passion de celui qui parle, et impriment ainsi l’une et l’autre idée dans l’esprit (ibid.).

Lamy va plus loin ; il ne se contente pas de décrire ces idées comme accessoires ; il les définit comme oratoirement nécessaires : Un discours est imparfait, lorsqu’il ne porte pas les marques des mouve­ ments de notre volonté, et il ne ressemble à notre esprit, dont il doit être l’image, que comme des cadavres ressemblent aux corps vivants (Art de par­ ler, 1701, p. 55 ; cit. François, p. 330).

L'art d'insinuer - Le propos de Lamy indique clairement le retour d’une problématique oratoire au sein de l’analyse grammaticale du sens. L’analyse logicienne de la syntaxe présentait les figures comme autant de perturbations intentionnelles de l’ordre naturel ; la grammaire affec­ tive inverse cette perspective en focalisant son attention sur l’expression des passions au sein de la langue : La langue française conçue comme uniquement régie par un ordre gram­ matical et logique ne suffit plus à satisfaire les nouveaux objectifs que lui assigne la réflexion sur le rôle des passions dans l’expression humaine (Siouffi, p. 228).

Cette réflexion a conduit Pascal à la formulation problématique - et aporétique - d’un art d’agréer ; elle est reprise, positivement, par Ber­ nard Lamy1. Lamy est en effet conscient que la persuasion passe inéluc­ tablement par un contournement, voire une manipulation des passions de l’auditoire : П faut toujours dédommager l’amour-propre ; c’est-à-dire désintéresser ceux que l’on veut faire renoncer à quelque intérêt. [...] On le gagne, et on se sert de la passion qui l’a porté à la révolte pour le ramener à l’obéissance (Lamy, p. 336 et 337 ; Charles, p. 181).

Cette conquête du cœur de l’auditeur, qui consiste à l’intéresser - dans ce que Pascal appellerait l’ordre de la concupiscence - pour le conver­ tir ensuite au bien, est un art d’insinuer : Lorsqu’on propose des choses contraires aux inclinations de ceux à qui l’on parle, l’adresse est nécessaire. L’on ne peut s’insinuer dans leur esprit que par des chemins écartés et secrets ; c’est pourquoi il faut faire en sorte qu’ils n’aperçoivent point la vérité dont on veut les persuader qu’après qu’elle sera maîtresse de leur cœur (p. 335 ; Charles, p. 174).

Cette rhétorique du détour émotionnel, semblable à l’art du marin qui joue avec un vent contraire, procède de Y ethos; c’est en effet par l’insinuation que Quintflien définit la fonction de la preuve éthique dans la captation de bienveillance : « Insinuatio surrepat animis, maxime ubi fions causae non satis honesta » (10, IV, 1). La rhétorique classique avalise cette équivalence entre ethos et insinuation : « Un orateur doit s’insinuer d’abord dans l’esprit de ses auditeurs » (Furetière, Dictionnaire, art. « Insinuer »)12. Toutefois, la captation de l’attention ne suffit pas ; il faut encore animer le discours par la mobilisation de la preuve pathétique, qui consiste en un recours à la vivacité de l’image : Pour émouvoir une âme, il ne suffit pas de lui présenter d’une manière sèche l’objet de la passion dont on veut l’animer : il faut déployer toutes les richesses de l’éloquence pour lui en faire une peinture sensible et étendue qui la frappe vivement et qui ne soit pas semblable à ces vaines images, qui ne font que passer devant les yeux (V, 15, p. 356).

Lamy suit très exactement les préceptes de Quintilien en matière d’animation du discours. L’orateur doit susciter la passion ; pour ce faire, il faut « s’animer soi-même » (p. 357). Cet engendrement de la 1. V. Carr, Resilience..., chap. 6. 2. V. Le Gucm, « L’éthos... » ; et Declercq, « L’énonciation et la personne de l’orateur... ».

passion chez l’orateur s’effectue par le truchement de l’image ; la pre­ mière fonction de l’image est donc réflexive : elle embrase l’orateur dont les paroles « sortent pleines de ce feu que nous voulons allumer dans le cœur des autres ». Tel est l’orateur euphantasiotos1. La figure, capable de représenter les passions, et de déclencher successivement l’émotion de l’orateur et de l’auditoire est - tant chez Quintilien que chez Lamy Yhypotypose. Figure clé de l’éloquence classique, elle se situe à l’articulation des stratégies argumentatives et des procédures émotion­ nelles. Au théâtre, elle vient compenser narrativement les interdits pesant sur l’expression des corps ; en rhétorique, elle concilie le double appel au cœur et à la raison que requiert la persuasion efficace. Figure de représentation tabulaire, elle met à distance les émotions trop vives ; mais figure de présentation, elle ranime la mémoire affective de l’interlocuteur. Aussi puissante que bienséante, elle cristallise dans son ambivalence l’attitude des Classiques envers le pouvoir de l’image ; attitude mêlée de fascination et de répulsion que Racine a magnifiquement inscrite dans les aveux équivoques de ses personnages : Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue Se serait avec vous retrouvée ou perdue (II, 5).

Les passions de l’esprit - Chez Lamy, l’usage des figures de passion s’inscrit dans une stratégie éthique de conversion de l’auditoire à la vérité - « personne, déclare-t-il, ne peut résister à la force de la vérité » (V, chap. 9, p. 327). Aussi le philosophe doit-il se faire orateur et livrer assaut à l’esprit de l’auditoire. Dans cette perspective, l’orateur peut convoquer des passions nobles, telle que l’admiration : L’admiration est un mouvement dans l’âme qui la tourne vers un objet qui se présente à elle extraordinairement, et qui l’applique à considérer si cet objet est bon ou mauvais, afin qu’elle le suive, ou qu’elle l’évite (V, 14, p. 347 ; Carr, p. 146).

Lamy reconnaît ainsi sa dette envers Les Passions de l’âme, texte rédigé par Descartes au seuil de notre période (1649). La problématique cartésienne des passions prend place dans l'analyse du processus cognitif par la question de 1 "attention de l’esprit. Chez Descartes, en effet, la démarche de connaissance s’exprime en termes d’effort : Je pris un jour résolution d’étudier aussi en moi-même, et d’employer toutes les forces de mon esprit à choisir les chemins que je devais suivre (Discours, I, p. 132). 1. 10, 2, 29-30. V. Declercq, «A L’école de Quintilien, l’hypotypose... ».

Le zèle pour la vérité dessine la place des passions de l’esprit. On se souvient du déplacement opéré par Descartes sur le processus persua­ sif: celui-ci n’est plus appréhendé dans la relation du moi à autrui, mais dans la relation du moi à l’objet de connaissance ; puis, en un second temps, dans la relation du moi au moi. Or, le processus de connaissance se caractérise par une phase d’hésitation durant laquelle la connaissance nouvelle n’est pas stabilisée. Cette stabilisation s’effectue dans le passage de Vassensio - équivalent de la conviction intellectuelle - à la persuasio, qui ajoute à Vassensio l’adhésion psycholo­ gique nécessaire au rejet des préjugés et impressions sensorielles trompeuses : Lorsque j’eus la première fois conclu, en suite des raisons qui sont conte­ nues dans mes Méditations, que l’esprit humain est réellement distingué du corps, et qu’il est même plus aisé à connaître que lui, [...] je me sen­ tais à la vérité obligé d’y acquiescer, par ce que je ne remarquais rien en elles qui ne fût bien suivi, et qui ne fût tiré de principes très évidents sui­ vant les règles de la logique. Toutefois je confesse que je ne fus pas pour cela pleinement persuadé, et qu’il m’arriva presque la même chose qu’aux astronomes, qui, après avoir été convaincus par de puissantes rai­ sons que le soleil est plusieurs fois plus grand que toute la terre, ne sau­ raient pourtant s’empêcher de juger qu’il est plus petit, lorsqu’ils jettent les yeux sur lui1.

Il faut donc le concours des passions de l’esprit dont la première est précisément l'admiration, car elle contend l’esprit par sa vivacité et sa force : L’admiration est une subite surprise de l’âme, qui fait qu’elle se porte à considérer avec attention les objets qui lui semblent rares et extraordi­ naires. Ainsi elle est causée premièrement par l’impression qu’on a dans le cerveau, qui représente l’objet comme rare et par conséquent digne d’être fort considéré ; puis par le mouvement des esprits, qui sont disposés par cette impression à tendre avec grande force vers l’endroit du cerveau où elle est pour l’y fortifier et conserver (art. 70, 728).

Ce transport de l’esprit est au fondement de l’appréhension de l’objet. Les qualificatifs utilisés - surprise subite, objets rares et extraordinaires, grande force ~ anticipent de manière singulière sur le lexique du sublime longinien chez Boileau. Mais l’esprit cartésien n’est pas la grande âme longi1. Sixième Réponse aux Sixièmes Objections aux Méditations, 1641, Pléiade, p. 541-542 ; cit. Carr, p. 30. Sur Assensio et persuasio chez Descartes, v. Gouhier, La pensée métaphysique de Descartes, et Carr, p. 52 et s.

nienne ; si l’admiration perdure, elle se mue en un étonnement qui fige le corps. Aussi la volonté doit-elle relayer l’élan initial de l’admiration : Car il est aisé de suppléer à son défaut par une réflexion et attention parti­ culière, à laquelle notre volonté peut toujours obliger notre entendement lorsque nous jugeons que la chose qui se présente en vaut la peine ; (art. 76, p. 731).

Ce rôle assigné à l’admiration en tant que passion de l’esprit, et son relais par la volonté sont significatifs d’une articulation nouvelle de la rhétorique des passions, qui dessine à terme une place au sein de l’analyse des processus psycho-cognitifs, pour une rhétorique de l’atten­ tion mentale1. En revanche, l’ultime prévention de Descartes envers l’excès d’admiration s’inscrit dans un mouvement plus général de défiance envers l’enthousiasme1 23 . La critique de Venthousiasme - M. Fumaroli a montré de quelle façon la notion d’enthousiasme, vivifiée par le néo-platonisme syncrétiste de la Renaissance - cadre dans lequel s’inscrit la réception humaniste et clas­ sique du Traité du sublime* -, a progressivement cédé devant l’offensive d’une raison soucieuse de dissocier les disciplines critiques, soumises à la notion de vérité et de raison méthodique - sciences, histoire, exégèse biblique -, des disciplines littéraires et artistiques, imprégnées des notions confuses d’inspiration enthousiaste et de vraisemblance mimétique : Dès lors que l’enthousiasme, soumis à la critique patiente et systématique de l’humanisme érudit, depuis Jules-César Scaliger jusqu’à Méric Casaubon, n’apparaît plus comme le principe séminal de la connaissance et de l’invention humaines, dès lors que le principe de raison s’impose à sa place, ce sont des pans entiers de la culture humaniste qui s’écroulent, pour faire place à un nouvel édifice de style moderne (« Crépus­ cule... », 376).

A la fin du XVIIe siècle, cette offensive est particulièrement efficace en Angleterre où elle bénéficie de la conjonction d’une théologie anglicane désireuse de se distinguer des sectataires d’une religion irrationnelle, et d’une science soucieuse de se distinguer des « arts » par sa méthode et 1. Problématique que formulent à leur façon les linguistiques cognitives contemporaines. 2. V. Lamy définissant l’admiration comme « une espèce d’enthousiasme qui fait qu’on s’imagine voir ce qui n’est point présent, et qu’on le représente si vivement devant les yeux de ceux qui écoutent, qu’il leur semble voir ce qu’on leur dit » (II, 9, p. 122 ; Carr, p. 160). 3. Voir « Crépuscule de l’enthousiasme... » et « Rhétorique d’école et rhétorique d’adulte... ». Nous reprenons ici une analyse développée dans notre travail « Aux confins de la rhétorique... ».

son style1. C’est dans ce contexte et cette perspective que Méric Casaubon rédige son Traité sur Гenthousiasme. Dès lors se constitue une nou­ velle episteme dont porte exemplairement témoignage la dissociation opérée par Locke entre évidence et enthousiasme - lequel n’est que : «Illu­ mination sans recherche, certitude sans preuves, et sans examen. >7 Ce mouvement est d’ampleur européenne. En France, cette condamnation transparaîtra dans l’anti-rhétorisme d’un Goibaud Du Bois auquel réplique Antoine Amauld. Mais c’est Malebranche qui, dans La Recherche de la vérité (1678), versera au procès de la rhétorique les pièces les plus accablantes. Il en condamne la nature sensible dont le sage doit se préserver, à l’exemple : Des juges de l’Aéropage qui défendaient à leurs avocats de se servir de ces paroles et des figures trompeuses, et qui ne les écoutaient que dans les ténèbres, de peur que les agréments de leurs paroles et de leurs gestes ne leur persuadassent quelque chose contre la vérité et la justice (I, 18, 2 ; t. 1, p. 135).

Esquissant le rêve d’une parole intérieure, dégagée du truchement sensible d’un logos proféré123, Malebranche disqualifie ethos et pathos, puisqu’il ne faut considérer que la « solidité des raisons ». La persuasion malebranchienne réduit ainsi la rhétorique au seul logos. Ce rationalisme est déjà présent chez Lamy ; c’est à ce titre qu’il rejette le célèbre je-ne-sais-quoi du P. Bouhours : Lorsque je parle de ce qui plaît dans le discours, je ne dis pas que c’est un je-ne-sais-quoi, qui n’a point de nom ; je le nomme, et conduisant jusques à la source de ce plaisir, je fais apercevoir le principe des règles que suivent ceux qui sont agréables. Ce qui doit donner plus de satisfaction que les Ouvrages mêmes de ceux qui plaisent en pratiquant ces règles (Préface ; cit. Charles, p. 169).

C’est l’appareil oratoire tout entier qui est renversé, puisque Lamy lui assigne non plus un rôle de production discursive mais une fonction d’analyse : Quand cette nouvelle Rhétorique ne donnerait que des connaissances spé­ culatives, qui ne rendent pas éloquent celui qui les possède, la lecture n’en serait pas inutile. [...] Outre cela, je suis persuadé qu’il n’y a point d’esprit 1. V. Vickers, « The Royal Society and English Prose Style : a Reassessment » ; J.-P. Larthomas, De Shaftesbury à Kant. 2. Essai philosophique concernant l’entendement humain, trad. P. Coste, Amsterdam, 1723 ; cité par Fumaroli, «Crépuscule...», p. 369, n. 148. 3. Sur logos endiathetos, logos prophorikos, v. Fumaroli, L’âge de l’éloquence.

curieux qui ne soit bien aise de connaître les raisons que l’on rend de toutes les Règles que FArt de Parler prescrit (ibid,)l.

П est d’usage d’identifier ce mouvement de fond au rationalisme fondateur des « Lumières » ; pourtant, ce qui frappe avant tout, c’est l’extrême éclectisme des pensées et des stratégies qui irriguent l’antirhétorisme : peu de choses communes entre la théologie antiilluministe, le méthodisme scientifique postcartésien, ou encore la nou­ velle philologie issue de la critique des textes bibliques que pratiquent des personnalités aussi diverses que Pierre-Daniel Huet et Richard Simon - si ce n’est précisément la condamnation de l’enthou­ siasme, accusé de confusionnisme. Ce débat structurera l’opposition du génie à la raison. Rousseau prendra le parti du premier contre la seconde : On nous fait du langage des premiers hommes des langues de géo­ mètres, et nous voyons que ce furent des langues de poètes. Cela dut être. On ne commença pas par raisonner, mais par sentir (Essai sur Vorigine des

langues).

La réflexion des Classiques français de notre période articule avec souplesse les termes de ce débat. Le regard socio-esthétique que les écrivains et les poéticiens portent sur la langue, la place qu’ils accor­ dent à l’expression des passions au sein de l’éloquence, l’attention enfin qu’ils portent au mystère de l’acte créateur constituent une articulation originale de la raison et du cœur, des sens et de la logique, des règles et de la grâce. On trouverait sans doute, en Angleterre, au seuil du siècle suivant, dans la pensée de Shaftesbury sur l’enthousiasme, la transposi­ tion de cet équilibre délicat entre clarté et obscurité, règle et inspiration sous la forme d’un « enthousiasme tempéré » par la raison1 2. Mais de telles articulations tempérées sont demeurées minoritaires, au regard du mouvement de fond qui confronte raison et génie. Aussi est-ce para­ doxalement comme une synthèse délicate, donc fragile et éphémère, que nous voudrions présenter le classicisme français, dans la perspec­ tive d’une histoire européenne où les débats rhétoriques vont en se dur­ cissant. Les équivoques du sublime - Une part essentielle du classicisme réside dans une esthétique de la grâce et du mystère. Le thème du secret, et son 1. Lamy est ainsi partagé entre un souci méthodologique d’explication rationnelle, et un souci pragmatique d’efficacité oratoire qui lui fait donner place à la représentation passionnelle. 2. Lettre sur l’enthousiasme, v. J.-P. Larthomas, De Shaftesbury à Kant.

corollaire, la curiosité, sont au cœur de Psyché’. Amour et beauté y relè­ vent de l’ineffable : L’éloquence elle-même, impuissante à le dire, Confesse que ceci n’est point de son Empire (p. 76).

Ce même ineffable est au principe de l’acte créateur dans la célèbre définition du je-ne-sais-quoi : «Les grands maîtres, qui ont découvert que rien ne plaît dans la nature que ce qui plaît sans qu’on sache pourquoi» (5e Entretien, p. 254). Parallèlement à son goût pour la raison, la doctrine classique préserve la part d’obscurité inhérente à la création12. Cette conjonction des contraires trouve son expression majeure dans la réception française du sublime, constituée par la publication du Traité du sublime, aux côtés de L’Art poétique, dans les Œuvres diverses de Boileau (1674). De l’aveu de Boileau lui-même, L’Art poétique et le Traité du sublime constituent les deux versants d’une poétique emblé­ matique du classicisme : dans l’un, la raison et les règles ; dans l’autre, la passion et son expression sublime. Le discrédit du classi­ cisme par le romantisme, sa réduction au néo-classicisme ont long­ temps masqué en France cet équilibre esthétique. Sensibilisée par l’histoire ultérieure du sublime, la critique anglo-saxonne l’a mieux perçue : Boileau3s L’Art poétique is a complete expression of the neo-classic code. As such it became one the chief documents of the literary stories of the eighteenth century ; as such it was one of the chief rationalizations for a type of art that the nineteenth century regarded as anathema. The translation of Longinus, taking quite a different course, was throughout the neo-classic period in England, the center around which revolved many of the ideas that influenced poets to lay the old aside. Thus Boileau unwittingly set at work in the world two forces that eventually became mutually hostile. Viewed historically, his credo has the dual physiognomy of Janus (Monk, The Sublime..., p. 29).

Raison et goût, réunis chez Boileau, seraient donc promis à un divorce dans les décennies ultérieures. Nous voudrions montrer que, parallèle­ ment à l’intensification de l’opposition sensualisme/rationalisme, la théorie du sublime contribue peut-être elle-même à ce divorce. L’interprétation du sublime longinien engage, en effet, dans son rap­ port à l’ineffable, une altération de la rhétorique3.

1. V. Beugnot, « De la Curiosité dans l’anthropologie classique ». 2. V. Brody, Borgerhoff, Dandrey, Davidson, Zuber, « Littérature et classicisme ». 3. V. Declercq, « Aux confins de la rhétorique...».

Cette altération procède tout d’abord de la définition du sublime : H ne persuade pas proprement, mais il ravit, il transporte, et produit en nous une certaine admiration mêlée d’étonnement et de surprise, qui est toute autre chose que de plaire seulement, ou de persuader (chap. I, 342).

A la successivité du discours persuasif s’oppose la brièveté foudroyante d’un sublime formulaire, où la « petitesse énergétique des paroles » se substitue à la chaîne logique des arguments (Boileau, Préface). Mais cette efficacité supérieure repose sur une promotion de l’émotion au détriment de la raison d’un auditoire que l’on « renverse ». Le sublime justifie alors la critique malebranchienne de la rhétorique, puisqu’il privilégie ethos et pathos - rayonnement de l’orateur et fou­ droiement émotionnel de l’auditeur - au détriment des raisonnements discursifs, c’est-à-dire du logos. La seconde altération procède de l’importance accordée à Y image : Ces Images, que d’autres appellent Peintures, ou Fictions, sont aussi d’un grand artifice pour donner du poids, de la magnificence, et de la force au discours. Ce mot d"Image se prend en général pour toute pensée propre à produire une expression, et qui fait une peinture à l’esprit de quelque manière que ce soit. Mais il se prend encore dans un sens plus particulier et plus resserré, pour ces discours que l’on fait, « Lorsque par un enthousiasme

et un mouvement extraordinaire de Гате, il semble que nous voyons les choses dont nous parlons, et quand nous les mettons devant les yeux de ceux qui écoutent» (chap. XII, p. 365).

Outre la fonction générique liée à la figuralité inhérente au discours, l’image est investie d’une fonction de présentation, caractéristique de l’hypotypose qu’engendre l’âme sous l’effet de l’enthousiasme. Asymp­ tote de la rhétorique émotionnelle, ce sublime spéculaire se constitue en tableau, essence de l’hypotypose et figure de l’ineffable : Nous admirons quelquefois la seule pensée d’un homme, encore qu’il ne parle point, à cause de cette grandeur de courage que nous voyons : par exemple, le silence d’Ajax aux Enfers dans L3Odyssée. Car ce silence a je ne sais quoi de plus grand que tout ce qu’il aurait pu dire (chap. 7, p. 351).

Ce sublime de l’ineffable est cependant très ambigu, car il constitue à la fois l’assomption esthétique de la rhétorique, ennoblie par son apti­ tude à rivaliser avec les arts plastiques1, et son abolition dans le silence de l’admiration et de la stupeur ; car la finalité de l’effet sublime est 1. V. Fumaroli, L'école du silence.

d’être sans réplique - ainsi Alexandre foudroie-t-il le malheureux Parmenion (chap. 7). Cette rupture avec la fonction dialogique constitutive de la rhéto­ rique aristotélicienne assimile l’éloquence sublime à une poétique des passions. Ce qui permet de reformuler l’hypothèse de Gérard Genette1 : il y a moins « restriction » de la rhétorique à l’élocution, qu’hypertrophie des deux preuves subjectives, éthique et pathétique ; hypertrophie qui conduit à une promotion des figures de passion et, parmi celles-ci, à la promotion des figures imageantes - au premier rang desquelles l’hypotypose. Ce glissement de la rhétorique vers la poétique, qu’autorise, depuis ses origines, le dialogue de la parole et de la beauté (v. Michel), est facilité à l’âge classique par l’importance qu’y tiennent les arts de plaire, dont le ravissement constitue l’acmé. Quant à la promotion du pathos, il est acceptable dans le cadre du sublime puisqu’il vise à susciter la plus noble des passions, l’admiration. Un même axe relie la bienséance discrète de l’urbanité au ravissement sublime, en passant par la grâce secrète du je-ne-sais-quoi. Et cet axe dessine la cohérence de l’esthétique des années 1670-1675. L’éloquence littéraire de l’époque reflète cette esthétisation de la rhétorique, dans le cadre d’une topique de l’ineffable. Outre Psyché, il faut citer notamment les tragédies raciniennes, tel Britannicus (1669) où l’apparition de Junie, dans un tableau nocturne mêlant armes, larmes et charmes dévoilés, provoque la stupeur de Néron : ravi d’une si belle vue, J’ai voulu lui parler, et ma voix s’est perdue : Immobile, saisi d’un long étonnement, Je l’ai laissée passer dans son appartement. J’ai passé dans le mien. C’est là que, solitaire, De son image en vain j’ai voulu me distraire1 2.

Cette scène exemplaire de rhétorique spéculaire - par laquelle le per­ sonnage se prend au piège d’un imaginaire ressassant - dit aussi le divorce irrémédiable entre la séduction fascinante de l’image et la per­ suasion raisonnante des mots. L’ineffable racinien dissout la rhétorique argumentative ; dissolution dont la traduction dramaturgique est l’inéluctable échec des confidents raisonneurs et, a contrario, la puissance persuasive d’un corps gracieux - celui d’Esther - exposé sans défense aux yeux d’un Assuérus ravi et dompté3. Un siècle plus tard, Diderot

1. Figures III. V. Douay, «Non, la rhétorique classique n’est pas restreinte...». 2. V. Declercq, « A l’école de Quintilien... ». 3. V. Woshinsky, «Esther: No continuing place»; Kapp, «La Bible et le sublime...»; Declercq, « Aux confins... ».

élèvera ce sublime de l’effroi et de l’émoi au niveau d’une poétique de l’obscurité, nettement antagonique de la clarté oratoire classique : La clarté est bonne pour convaincre, elle ne vaut rien pour émouvoir. La clarté, de quelque manière qu’on l’entende, nuit à l’enthousiasme. Poètes, parlez sans cesse d’éternité, d’infini, d’immensité, du temps, de l’espace, de la divinité, des tombeaux, des mânes, des enfers, d’un ciel obscur, des mers profondes, des forêts obscures, du tonnerre, des éclairs qui déchirent la nue. Soyez ténébreux (Salon de 1767 ; Delon, « Le sublime et l’idée d’énergie », p. 70).

Diderot dénonce ainsi, de manière provocante, les ambiguïtés conte­ nues dans une rhétorique qui s’adosse au modèle longinien.

La rhétorique menacée par la philologie - Cet adossement est une ligne de défense de la rhétorique. Boileau, par sa Préface au Traité, plusieurs fois amendée, et les Réflexions sur Longin, qui prolongent sa réflexion, fait du sublime l’armature d’une poétique et d’une rhétorique classiques, que, par le fait de sa longévité personnelle, il voit progressivement déformées et attaquées. Cette défense et illustration de la rhétorique par le sublime apparaît clairement dans sa longue querelle avec Huet sur la question du fiat lux1. Cité par Longin (chap. 7), et glosé dans la préface, le fiat lux est pour Boileau le modèle d’un sublime formulaire qui a sa prédilection initiale12. Le génie oratoire est pour lui la marque de l’inspiration divine, et la formule est porteuse en elle-même du souffle créateur de Dieu. Sa simplicité est la marque d’un je-ne-sais-quoi : Assurément Moïse n’y a point pensé ; mais l’Esprit Divin qui l’inspirait y a pensé pour lui, et les y a mises en œuvre, avec d’autant plus d’art, qu’on ne s’aperçoit point qu’il y ait aucun art (XIIe Réflexion, p. 554).

A l’inverse, Huet ne voit aucun fait rhétorique dans ce même extrait : Ce que Longin rapporte ici de Moïse, comme une expression sublime et figurée, me semble très simple. Il est vrai que Moïse rapporte une chose qui est grande ; mais il l’exprime d’une façon qui ne l’est nullement3.

Pour Huet, il n’y a là qu’un sublime des choses, qu’il oppose à trois formes verbales : sublime des termes, sublime du tour d’expression, sublime des pensées. La distinction res/verba se substitue ainsi à la classi­ 1. V. Declercq, «Boileau-Huet...». 2. V. Zuber, « Boileau adopte Racine », et Declercq, « Aux Confins... ». 3. Demonstrate, Propositio IV, chap. II, 51 ; traduction par Huet lui-même dans sa Dissertation ou Lettre au Duc de Montausier (rédigée en 1683, publiée par J. Leclerc en 1706).

La crise de l'éloquence

fication longinienne des sources du sublime, toutes articulées à l’orateur (sublime éthique : pathétique ; grandeur d’âme ; sublime technique : figures, noblesse d’expression, arrangement des paroles). L’argumentation de Huet est double, philologique et théologique. L’argument philologique consiste à nier l’existence de toute figure dans le texte incriminé. Hébraïsant expert, Huet ne voit dans le texte qu’une expression fort commune ; l’équivalent hébraïque du fiat lux est, tout au plus, une catachrèse : Cette expression de Moïse [est] très commune et très familière aux Auteurs sacrés ; de sorte que si c’était une figure, étant employée aussi souvent qu’elle l’est, elle cesserait d’être sublime ; parce qu’elle cesserait de toucher le lecteur, et de faire impression sur son esprit, à cause de la trop fréquente répétition. Car, selon Quintilien, les figures perdent le nom de figures, quand elle sont trop communes et trop maniées (Dissertation, p. 390).

Comme dans le cas du siluit terra {«et la terre se tut devant Alexandre », Maccabées, I, 3) où le P. Bouhours voyait du sublime, Huet montre que l’effet de style est le produit des traductions1. Quoique citant Quintilien pour manifester sa connaissance de la rhétorique, Huet ne raisonne pas en rhéteur, mais en philologue respectueux du texte original ; là où Boileau voit des figures, Huet voit des idiomes. La simplicité huétienne n’est pas un concept esthétique mais une notion linguistique et statis­ tique. Stylistique et rhétorique cèdent la place à la grammaire com­ parée et à la philologie des temps modernes : Huet est dans le même camp scientifique qu’un Richard Simon. Relativement à la critique du texte biblique, il est aussi du côté de l’érudit puritain, Milton. Autant d’hommes qui, dans des perspectives très différentes, forgent un modèle de culture antagoniste de la civilisation de l’honnêteté. Trop de littéra­ ture et trop de politesse gâtent le jugement : Dans cette supposition, on lui attribue [à Moïse], sans y penser, un style tel que l’on croit que doit avoir un homme, dont on a une si haute idée ; et l’on s’imagine que son langage doit être sublime, lorsqu’il parle de gran­ des choses, et au contraire médiocre, lorsqu’il parle de choses médiocres, et simple, lorsqu’il s’agit de choses communes, selon les règles ordinaires de l’art, que les rhéteurs grecs et latins nous ont données. Ainsi quand on vient à lire les Écrits, avec cette prévention, on y trouve ce que l’on croit y devoir être, et qui n’y est néanmoins pas. On croit voir des figures de rhé­

1. « Un des plus polis Écrivains de ce siècle [a pris] ce silence pour une expression métapho­ rique de la soumission que la Terre domptée eut pour ce Conquérant ; et cela faute de savoir que l’origine de cette façon de parler vient d’un mot de la langue hébraïque qui signifie se taire, se repo­ ser et être en paix » (.Dissertation, p. 390).

torique, où il n’y en a point, et on lui attribue des vues fines et recher­ chées, auxquelles il n’a jamais pensé1.

Cette dénonciation des lettres profanes amorce l’argument théo­ logique par lequel le futur évêque d’Avranches oppose sublime des choses et sublime des mots en termes de juridiction : De ces quatre sublimes, il est évident que les trois premiers sont de la juri­ diction de l’Orateur, et dépendent des préceptes, mais que la nature seule a droit sur le dernier, sans que l’Art y puisse rien prétendre ; et par consé­ quent, quand Longin, Rhéteur de profession, a donné des règles du sublime, ce n’a pas été de ce dernier sublime, qui n’est point de sa compé­ tence (p. 397).

Un rhéteur ne doit donc pas gloser la Bible ; Huet affirme ici son double magistère, de philologue et de théologien ; et il accentue le dis­ crédit de la rhétorique dans le nouveau champ des savoirs. Dans cette nouvelle donne épistémologique, cependant, la place de la littérature n’est pas prévue. Car la question de l’effet de sens reste suspendue dans l’argumentation de Huet. Le trait linguistique du fiat lux, c’est son caractère performatif, par lequel la parole ne représente pas l’action de Dieu, mais la fait être. C’est Saci, autre traducteur de la Bible, qui rend le mieux compte de cet effet : Dieu dit : Que la lumière soit faite; et la lumière fut faite. Il n’y a point de dis­ tance entre la parole et l’effet. Dire en Dieu, c’est faire1 2.

Ce que la perspective de Huet fait gagner en scientificité s’accompagne donc d’une perte dans l’herméneutique des effets de sens. Huet témoigne du statut corrosif de la philologie, qui dissout le prestige des textes dans l’analyse de leur matrice lexicale et grammaticale ; ce fai­ sant, il escamote les problématiques sémantiques et esthétiques qu’assu­ mait jusqu’alors une rhétorique qu’il invalide.

Mutation de la traduction : la fin des « belles infidèles » - En corrélation avec cette position est la condamnation par Huet de la pratique éloquente de la traduction (De Interpretatione, 1661, 1683)3. La traduction éloquente est 1. J. Leclerc glosant Huet, Dissertation, p. 385, lequel déclare : « Si on examine tout le pre­ mier chapitre de la Genèse [...] on y trouvera une si grande simplicité, que des gens de ces der­ niers siècles, d’un esprit trop poli à la vérité, mais gâté par un trop grand usage des Lettres pro­ fanes, et saint Augustin, lorsqu’il était encore Payen, n’en pouvaient souffrir la lecture » (p. 383). 2. La Genèse, Préface : «Simplicité sublime de ГÉcriture. Respect avec lequel on doit le lire», p. 11-12. 3. Sur la traduction, v. Ballard, Bury, De Nardis, Munteano, Zuber (bibliographie systéma­ tique dans la réédition des Belles infidèles, Albin Michel, 1994).

l’un des vecteurs de l’urbanité classique. Étayée sur la pratique même des Anciens (Lucien) qui adaptaient plus qu’ils ne traduisaient, illustrée par les Belles infidèles de Perrot d’Ablancourt, cette traduction se conçoit dans un double rapport - d'émulation à l’égard du modèle que l’on s’efforce d’égaler, voire de surpasser ; d'adaptation pour un public à qui il s’agit de livrer une œuvre renouvelée : Je ne m’attache donc pas toujours aux paroles ni aux pensées de cet Auteur ; et demeurant dans son but, j’agence les choses à notre air et à notre façon. [...] Cela vaut mieux que la traduction ; et les Anciens ne tradui­ saient pas autrement (Perrot d’Ablancourt, Lettres et Préfaces critiques, p. 186 ; Bury, art. cité, p. 2).

Élégance et bienséance sont les deux principes socio-esthétiques de cet art de traduire, auquel Boileau se rattache en traduisant Longin : Qu’on ne s’attende pas pourtant de trouver ici une version timide et scrupu­ leuse des paroles de Longin. Bien que je me sois efforcé de ne me point écar­ ter en pas un endroit des règles de la véritable traduction ; je me suis pour­ tant donné une honnête liberté, surtout dans les passages qu’il rapporte. J’ai songé qu’il ne s’agissait pas simplement ici de traduire Longin ; mais de don­ ner au Public un Traité du Sublime, qui pût être utile (.Préface, p. 337).

Le propos est cependant révélateur de la crise que connaît la traduc­ tion vers 1670. Boileau est manifestement sur la défensive : il justifie son option de traducteur éloquent, par référence aux règles de la véri­ table traduction. Et l’expression honnête liberté réfère certes à Yhonnêteté (en conformité avec Y apte dicere antique et classique) ; mais réfère également à la fidélité - concept qui détermine une problématique moderne de la traduction. Cette inflexion des critères de la traduction vers un plus grand res­ pect du texte-source se dessine à Port-Royal où Saci se démarque par ses scrupules des options éloquentes de Le Maistre, Coustel, du Fossé (v. Munteano). Cet écart se ht, au plan des principes, entre les Règles de la traduction d’Antoine Le Maistre - dont la première règle est qu’il faut traduire « selon le sens et non selon les paroles » (De Nardis, p. 31) -, et les Remarques sur la traduction française d’Amauld d’Andilly qui déclare : La première chose à quoy il faut prendre garde dans nostre traduction, c’est d'estre extrêmement fidelle et littéral, c’est-à-dire exprimer en notre langue tout ce qui est dans le latin et de rendre le français aussi beau, en sorte qu’on puisse dire que, si, par exemple, Cicéron avait parlé en notre langue, il aurait parlé tout de même que nous parlons dans notre traduc­ tion (De Nardis, p. 59).

Ainsi s’esquisse, chez d’Andilly, l’hypothèse d’une traduction « mot à mot ». П est vrai que la seconde partie de son propos affaiblit son « littéralisme », puisqu’il donne à la fidélité une valeur aussi bien esthétique que sémantique ; sa pratique est d’ailleurs en retrait de la rigueur de ses principes (v. Zuber, 1995). Mais la conception se radicalise chez Huet, pour qui traduire n’est plus une activité littéraire, mais une activité herméneutique - interpretatio - par laquelle : Un discours exprimé dans une langue plus connue [...] reproduit et répète un discours exprimé dans une langue moins connue (trad. Bury, « Bien écrire... », p. 4).

Le cas de la poésie est exemplaire : Huet ne conçoit pas qu’on puisse la traduire autrement qu’en prose. L’effet esthétique doit être sacrifié, car sa recherche aboutirait à une altération plus grave du texte-source. Huet promeut donc un modèle de traduction ascétique qui substitue à la morale de l’émulation une « éthique de l’humilité par rapport à l’original » (Bury, ibid,, p. 6) ; il abandonne la finalité oratoire de la traduction-adaptation, au profit d’une traduction fidèle, conforme aux prin­ cipes de la philologie érudite ; et qui peut prendre le risque d’une litté­ ralité aride et rugueuse, car elle est d’abord un travail de savant adressé à ses pairs - l’humilité du traducteur trouvant sa compensation dans la fierté du savant sur de son savoir et de sa méthode. En formulant les principes d’une science de la traduction, Huet arrache un territoire sup­ plémentaire à l’ancien empire de l’éloquence.

Désespoir de la parole sermonaire - La conversation mondaine a ouvert notre étude ; c’est à la prédication classique de la conclure. Les Orai­ sons funèbres de Fléchier, Bourdaloue, Bossuet en constituent la face solaire : parole somptueuse, adressée à un parterre de princes et dédiée à la mémoire de l’un des leurs. L’Oraison, inéluctablement, s’inscrit dans l’encomiastique et illustre le grand style. L'Oraison, pourrait-on dire encore, a sa place dans l’univers de la mondanité, auquel elle apporte, sans vraiment l’altérer, une modalité grave parmi les diverses cérémonies de la parole classique. Pourtant, ce genre sérieux connaît lui aussi une crise. Une première cause est liée au statut même de la prédication, parole sacrée proférée parmi un public profane : Très illustrée et copieusement codifiée quand Bossuet l’aborde, l’oraison funèbre est périlleuse par ses composantes mêmes : il est banal de déplorer

la mort ; louer un mort revient souvent à raconter sa vie, mais toute vie a ses ombres ; instruire les fidèles à l’occasion du décès d’un être trop excep­ tionnel ou peu exemplaire est chose malaisée ; enfin, comment dire reli­ gieusement ce qui dans une vie ou dans une mort intéressa surtout la poli­ tique ? (A. Lanavère, « Bossuet », Dictionnaire des littératures, I, p. 302).

La parole du prédicateur est ainsi contrainte à une périlleuse transla­ tion de la rhétorique de l’éloge vers une parole de mortification. Bos­ suet a ressenti et exprimé cette difficulté, cette gageure même, avec une intensité qui l’impose à notre étude ; d’autant plus que ses Oraisons, et plus encore ses Sermons, proposent une réflexion sur la persuasion qui a sa place dans une histoire de la rhétorique. Le Panégyrique de PApôtre Saint Paul (1657) et le Sermon sur la mort, pro­ noncé durant le Carême du Louvre (1662), sont caractéristiques de cette réflexion oratoire. L’apôtre Paul est présenté comme le modèle de la simplicité évangélique ; simplicité à l’écart de la simplicité analytique de la science qui cache un orgueil secret, et nous éloigne de notre être' ; à l’écart encore de la simplicité esthétique prisée par l’univers mondain2. La simplicité paulinienne selon Bossuet est une anti-rhétorique : N’attendez donc pas de l’Apôtre, ni qu’il vienne flatter les oreilles par des cadences harmonieuses, ni qu’il veuille charmer les esprits par de vaines curiosités. Ecoutez ce qu’il dit lui-même : Nous prêchons une sagesse cachée ; nous prêchons un Dieu crucifié (p. 357).

Paul impose à son auditoire « la dureté de son style irrégulier ». Cette « rudesse » de parole n’est pas l’effet d’une inexpérience oratoire, mais un refus d’adopter les conventions oratoires, et en premier lieu le prin­ cipe de captation. Paul a pour stratégie d’indisposer son auditoire : « Si notre simplicité déplaît aux superbes, qu’ils sachent que nous voulons leur déplaire » (p. 357). Certes, ce dédain pour 1 'ethos? procède de l’humilité, vertu théologale, mais il participe aussi d’une stratégie de per­ suasion provocante, appelée à déstabiliser la culture oratoire antique : Il ira, ignorant de l’art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l’étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philoso­ phes et des orateurs ; et malgré la résistance du monde, il y établira plus d’Eglise que Platon n’y a gagné de disciples par cette éloquence qu’on a 1. «Entres toutes les passions de l’esprit humain, l’une des plus violentes, c’est le désir de savoir ; et cette curiosité fait qu’il épuise ses forces pour trouver [...] quelque secret inouï dans l’ordre de la nature (Sermon sur la mort, p. 1074). 2. « Il est trop grave et trop sérieux pour rechercher ces délicatesses » (Panégyrique, p. 353). 3. « Si vous regardez son extérieur, il avoue lui-même que sa mine n’est point relevée : Praesmtia corporis infirma » (p. 354).

crue divine. [...] Et d’où vient cela, Chrétiens ? C’est que Paul a des moyens pour persuader, que la Grèce n’enseigne pas, et que Rome n’a pas appris (p. 357).

Cette parole conquérante trouve sa force dans les « glorieuses bassesses du christianisme » (p. 353). Expression paradoxale qui qualifie la rhéto­ rique paulinienne comme conjonction de la grandeur et de la simpli­ cité, à l’instar du sublime longinien dont elle possède la force fou­ droyante : Nous admirons dans ces admirables Épîtres une certaine vertu plus qu’humaine qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant, qu’elle captive les entendements ; qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au cœur (p. 358).

Ce sublime procède de la « force violente et impétueuse » d’un « grand fleuve », métaphore qui caractérise, chez Longin, l’éloquence de Démosthène. Et la pratique oratoire de Bossuet, à l’image des écrits de Paul - « tout y est grand, et tout y est bas ; tout y est riche, et tout y est pauvre » (ibid,) -, constitue une forme de véhémence oratoire, qui com­ bine la vigueur de l’apostrophe, l’élan de la période, et le choc de la citation : Et vous vous attachez à ce corps, et vous bâtissez sur ces ruines, et vous contractez avec ce mortel une amitié immortelle ! O que la mort vous sera cruelle ! ô que vainement vous soupirerez, disant avec ce roi des Amalécites : Siccine separat amara mors ? « Est-ce ainsi que la mort amère sépare de tout ? Quel coup ! quel état ! quelle violence ! » (Oraison du P. Bourgoing, p. 37).

Thème obligé, la mort devient une arme oratoire redoutable - la seule efficace peut-être, pour toucher un auditoire princier : C’est une entreprise hardie que d’aller dire aux hommes qu’ils sont peu de chose. [...] Et toutefois, grâce à la mort, nous en pouvons parler avec liberté (Sermon sur la mort, p. 1076-1077).

L’évocation de la mort tranche sur l’abstraction si caractéristique de la langue de Bossuet ; il en fait une image qu’il mobilise avec insistance : Elle va descendre en ces sombres lieux, à ces demeures souterraines, pour y dormir dans la poussière avec les grands de la terre, comme parle Job, avec ces rois et ces princes anéantis... (Oraison d’Henriette-Anne d’Angleterre, 1671, p. 93).

Dans une conscience classique, le propos pouvait réveiller d’autres images de descente funéraire, empruntées à une littérature que Bossuet a fréquentée1, en particulier des descentes imaginées, par Didon (Énéide, liv. IV), et par la Phèdre de Racine (IV, 6). Mais Bossuet infléchit son texte dans le sens d’une réflexion sur le néant et l’ineffable. La mort est l’innommable, selon la phrase de Tertullien que Bossuet ne cesse de citer : In nullum indejam nomen, in omnisjam vocabuli mortem. Mais là où Ter­ tullien parle du néant de la chose et du néant du mot, Bossuet fait une paraphrase qui constitue la figure de l’ineffable au sein de la culture clas­ sique : «Il deviendra un je-ne-sais-quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue» (Sur la mort, p. 1077). En utilisant l’expression par laquelle le P. Bouhours désignera le charme mystérieux de la grâce mondaine, Bossuet se fait éminemment provocateur : il fait écho aux préoccupations esthétiques de son auditoire mondain, mais, par un brutal changement de contexte, il le met face à l’image de la mort et du néant. Sa couleur oratoire est déli­ bérément macabre : « Me sera-t-il permis aujourd’hui d’ouvrir un tom­ beau devant la cour ? » (Sur la mort, p. 1073). Cette recherche de la provocation, par son insistante récurrence chez Bossuet, est le signe d’une crise de la parole chrétienne au sein du classicisme : « L’honnête homme n’est pas assez pieux, les salons sont trop frivoles » (Zuber, La littérature française..., p. 59). D’un côté, un audi­ toire en quête de divertissement ; de l’autre, un prédicateur à la parole rude et violente, provocante par sa simplicité même, qui propose de méditer sur le néant en contemplant le tombeau1 2. La crise est pro­ fonde, et le rigorisme qui s’imposera ultérieurement à la Cour ne fera que la masquer. Et la gravité de la prédication met à nu l’interrogation lancinante que cette période adresse à la rhétorique : Une parole per­ suasive au service du message divin est-elle encore possible dans une société monarchique qui contribue, par son assise sociologique et ses choix culturels, à l’émergence d’une société civile, bourgeoise, et à terme, laïque ? Le modèle de civilité urbaine, par le réseau de compli­ cités intellectuelles, esthétiques et sociales qu’il déploie, ne se suffit-il pas à lui-même ? L’univers de la mondanité ne promet-il pas à ceux qui s’y consacrent un modèle de félicité immanente ? La grâce n’est-elle pas déjà présente dans les œuvres les plus abouties de cet acmé de la politesse ? Somme toute, l’esthétique classique, fondée sur le concept de perfection, n’est-elle pas essentiellement profane ? Les répon­ ses, complexes, appartiennent aux périodes ultérieures ; mais ces ques1. V. « Sur le style et la lecture des écrivains et des Pères de l’Église pour former un ora­ teur», Lettre au cardinal de Bouillon, 1669. 2. L’argumentation, si complexe, que déploient les Sermons laisse rêveur quant à la capacité de l’auditoire de les saisir, quant à la volonté de l’orateur d’atteindre ce même auditoire.

dons donnent une intense actualité aux comportements qui rompent précisément, par le repli et la retraite, avec ce modèle de vie urbaine profane1. L’on est ainsi tenté de donner le dernier mot sur l’éloquence à un illustre solitaire - Saint-Cyran : Si j’avais quelque occasion de prêcher, je me présenterais devant Dieu pour lui demander les pensées sur le sujet que j’aurais pris ; et puis simple­ ment je les mettrais en chefs par écrit, et après les avoir d’heure en heure arrosées par de fréquentes oraisons, je m’en irais prêcher, sans la moindre réflexion d’esprit ni sur moi ni sur les autres. Après ma prédication, je me retirerais dans ma chambre pour m’agenouiller devant Dieu, et ne rever­ rais personne, pour le moins de ceux qui auraient assisté à mon sermon1 2.

La seule éloquence acceptable est celle qui doute sans cesse, et radica­ lement, de sa vertu. Ainsi conduite, l’étude de ce quart de siècle ne peut prétendre qu’à un bilan provisoire et partiel. Nous nous limiterons donc à souligner des lignes de force convergentes qui remettent en cause l’équilibre des preuves oratoires aristotéliciennes. Le logos est contesté dans son mode privilégié, la déduction syllogis­ tique, tant par la science expérimentale baconienne que par l’analyse cartésienne. Corollairement, la topique, parvenue à l’âge classique sous sa forme cicéronienne, est rejetée comme abondance inféconde. Les arts de penser tendent, d’une façon générale, à s’émanciper de la tutelle de la rhétorique : science, logique, histoire, philologie, traductologie sont autant d’activités en quête d’une méthode qui leur soit propre ; cette recherche d’une identité spécifique conduira à terme à l’émergence des sciences humaines. L’affaiblissement du logos rhétorique a pour corollaire une inéluc­ table valorisation des preuves subjectives, ethos et pathos. Au sein du classicisme français, cette promotion se fait de manière biaisée, car les grandes figures du pathos y sont discréditées. L’expression passionnelle fait l’objet d’une réflexion dans un double cadre : celui, inattendu, de la réflexion sur l’ordre de la langue, qui renouvelle la problématique des figures de passion ; celui, plus attendu, de la réception française du sublime longinien. Le rayonnement irrésistible de la grande âme est une incontestable promotion de 1 'ethos, qui vient compenser le discrédit du pathos, et réintègre ce dernier dans une rhétorique du ravissement et 1. V. Beugnot, Le discours de la retraite au XVIIe siècle. 2. Cit. Sainte-Beuve, Port-Royal, Pléiade, I, p. 450 ; cit. Douay, « La rhétorique à travers son enseignement», p. 481.

de l’admiration. Plus globalement, les apologistes et les prédicateurs soulignent l’indispensable mobilisation des passions dans une stratégie oratoire qui se veut efficace. Ce souci de conviction et de conversion du public heurte de front l’attitude élitaire de nouveaux savants, tels Huet, qui condamnent l’irrationalité et le caractère littéraire du sublime, et invitent à la méditation savante ou religieuse. L’extrémité de notre période voit ainsi s’esquisser la ligne de front entre sensua­ lisme et rationalisme. L’Angleterre, encore plus que la France, en rai­ son sans doute de l’éclosion d’une éloquence religieuse populaire, sera le Heu de cette « querelle de l’enthousiasme ». La France est davantage le Heu d’un doute porté sur l’efficacité de la parole sermonaire - la place d’une rhétorique sacrée devenant problématique dans une société civile marquée par une mondanité éminemment profane. Dans tous ces débats, une figure domine - celle de Pascal, qui s’est porté sur tous les fronts ; dialoguant avec la nouvelle science ; désignant les limites de l’esprit de géométrie ; reformulant l’argument de vraisem­ blance ébranlé par Descartes. Au-delà de ses préoccupations religieu­ ses, Pascal anticipe, et d’une double façon, sur les temps à venir : il pré­ voit, avant même qu’il ne s’exprime, les ravages d’un rationalisme néo-cartésien ; il pose les fondements d’une rhétorique renouvelée, des­ tinée à réguler les rapports sociaux des sociétés futures, et dont les sciences mêmes ne pourront se passer.

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VOLKER KAPP

15 — L’apogée de l’atticisme français ou l’éloquence qui se moque de la rhétorique

Quand on veut saisir le statut de la rhétorique à la fin du XVir siècle, il faut s’en tenir à l’oratorien Nicolas Malebranche dont l’attitude vis-à-vis de l’art oratoire caractérise toute l’époque. Dans le IXe Éclair­ cissement (1678), Malebranche justifie sa critique philosophique et théo­ logique de la force de l’imagination par un argument rhétorique. Il y condamne « toutes les expressions vides de sens » qu’il appelle « gali­ matias » (Malebranche, 1979, 897) et recourt à Г Institution oratoire de Quintilien (VIII, 2) pour combattre ceux qui « ont regardé l’obscurité comme un des plus grands secrets de l’éloquence » (ibid., 898). Il est possible d’éblouir les auditeurs « par des manières éclatantes », que Malebranche égale au « langage d’imagination dans lequel la raison n’a point de part » (ibid.). En lisant ce jugement on se souvient des invectives de la magistrature gallicane contre les Jésuites, accusés de corrompre l’éloquence en sophistique sacrée. La clarté est un idéal ora­ toire du siècle classique et l’art oratoire qui consiste « à se rendre inin­ telligible » (ibid.) dégoûte les atticistes autant que les philosophes carté­ siens avec lesquels Malebranche sympathise. Le concept de clarté relève de deux disciplines et renvoie par consé­ quence à deux voies pour accéder à la vérité : l’art de parler et l’art de penser. Rhétorique et philosophie s’accordent, à cette époque, dans le combat contre l’obscurité, vice des exubérances verbales du concep­ tisme et de l’esthétique baroque autant qu’impasse des subtilités de la philosophie scolastique et des spéculations trop hardies de la philo­ sophie néo-platonicienne. La coïncidence de la publication en 1674 de YArt poétique de Boileau avec la publication de la Recherche de la vérité de Malebranche peut être interprétée comme un signe qui nous révèle l’état d’esprit de toute l’époque.

C’est pourtant une constellation qui engendre des conflits parce que la rhétorique et la philosophie entrent en concurrence lorsqu’elles veu­ lent déterminer les rapports entre la pensée et la parole. Est-il possible de faire abstraction de la parole et de penser la vérité sans passer par les mots qui l’expriment ? Autrement dit, est-ce que l’expression verbale est quelque chose qui s’ajoute aux idées ou les idées ont-elles besoin du lan­ gage à travers lequel la pensée s’exprime ? Ce problème, que le nomina­ lisme de Guillaume d’Ockham avait soulevé au Moyen Age, fut remis au premier plan, au XVIe siècle, par Rodolphe Agricola en Allemagne et par Pierre de La Ramée en France. Dans le De inventions dialectica, écrit pro­ bablement en 1485 mais publié seulement en 1515, Agricola transpose Vinventio de la rhétorique à la dialectique et réduit l’art oratoire au sur­ croît avec lequel les figures et les tropes embellissent le discours et ren­ dent la persuasion plus vive. Ramée insiste « sur la clarté de la pensée antérieure à son expression » (Mouchel, 1990, 129). Dans Dialecticae libri duo (1555-1556), il réclame Vinventio, la dispositio et la memoria pour la dia­ lectique et réserve Velocutio et Vactio à la rhétorique ; cette amputation de l’art oratoire ne provient pourtant pas d’un mépris de la rhétorique, tout au contraire Ramée préconise dans son Ciceronianus (1573) une rhéto­ rique des langues vulgaires et «veut former un orateur» (Fumaroli, 1980, 457). Mais le domaine des artes liberales du Moyen Age lui semble mal réparti parce que la rhétorique s’occupe de matières qui devraient entrer ou dans la grammaire ou dans la dialectique. C’est pourquoi il élabore un nouveau modèle de la distribution des matières de ces trois disciplines et lègue ainsi à la République des Lettres françaises « l’idéal d’une prose cicéronienne sobre et propre au maniement des idées » (ibid., 460). Cet idéal oratoire, valable dans les lettres françaises jusqu’à l’époque de Descartes, entre en crise chez les partisans du cartésianisme et se transforme, dans le dernier quart du XVIIe siècle, en un point d’accusation contre la rhétorique. La philosophie de Malebranche est révélatrice de cette tendance. Rhétorique et géométrie chez Malebranche

Malebranche ne nie pas l’utilité de l’élocution. Dans le IXe Éclaircisse­ ment, il reconnaît sa nécessité pour l’instruction morale, qui lui tient particulièrement à cœur : Les figures qui expriment nos sentiments et nos mouvements, à l’égard des vérités que nous exposons aux autres, sont absolument nécessaires. Et je crois que principalement dans les discours de religion et de morale, l’on doit se servir d’ornements qui fassent rendre à la vérité tout le respect qui lui est dû, et de mouvements qui agitent l’âme et la portent à des actions vertueuses (Malebranche, 1979, 899).

Les figures oratoires sont des ornements indispensables parce qu’elles rendent la vérité plus attrayante et inspirent des actions ver­ tueuses. Leur nécessité ne se situe pourtant pas sur le plan de l’énonciation mais sur celui de la persuasion. Les mouvements auxquels elles poussent s’inspirent de la vérité qu’elles rehaussent, mais cette vérité n’a pas besoin d’elles. Elle rayonne encore plus dans la pensée pure qui précède l’énonciation et qui forme l’unique base solide pour acquérir la vérité. Le concept de la pensée pure ne rend pas superflue l’élocu­ tion, mais il la dégrade en un instrument pour dialoguer avec les esprits incapables d’un raisonnement abstrait. Dans le Xe Élaircissement, Malebranche allègue l’expérience qu’il a faite des faiblesses humaines : Ce qui est abstrait, est incompréhensible à la plupart des hommes ; c’est le sensible qui les réveille, et qui fixe et soutient la vue de leur esprit. Ils ne peuvent considérer, et par conséquent ils ne peuvent comprendre ce qui ne tombe point sous les sens ni sous l’imagination (ibid., 900).

La vérité ne possède pas d’affinité avec la représentation sensible et les idées ne tendent nullement à se communiquer par la parole qui les reflète. Les idées abstraites contiennent la vérité toute nue à laquelle les figures oratoires apportent un ornement supplémentaire qui provient de l’imagination et qui s’adresse à la sensibilité. Les esprits supérieurs sont capables d’une attention telle qu’ils se passent aisément de l’écorce sensible et qu’ils se concentrent sur le noyau abstrait de la vérité pure. La masse des esprits inférieurs exige en revanche d’affubler la pensée pure de figures et de tropes grâce auxquels la vérité gagne pour eux de l’attrait et devient ainsi plus accessible. La rhétorique ne sert donc qu’à persuader la foule ; elle aide les sages à convaincre le grand nombre des hommes dépourvus d’une raison saine et perspicace. Elle est, au fond, inutile pour connaître la vérité, donc elle est un mal nécessaire et non pas l’art d’exprimer les idées dans la meilleure forme possible. Elle constitue un attribut accidentel et non pas un élément substantiel de la pensée. Le propos de Malebranche diffère profondément du programme de Ramée bien qu’il lui ressemble, si l’on s’en tient à la surface. La dialec­ tique en tant qu’art de penser n’exige plus une rhétorique de Velocutio parce que, selon Malebranche, « il n’y a rien de si beau que la vérité » (ibid., 602). Les ornements oratoires ne rendent pas la vérité plus belle, mais ils la fardent « de quelques couleurs sensibles » (ibid.). Le philo­ sophe qu’est Malebranche critique les personnes éloquentes en leur reprochant de s’attacher « à ce qui touche les sens » et de s’exprimer

« d’une manière si sensible, que la vérité est comme étouffée sous le poids des vains ornements de leur fausse éloquence » (ibid., 601). Théo­ logien encore plus que philosophe, Malebranche remarque l’évidente analogie entre l’Evangile de saint Jean, qui présente le Christ comme la Parole de Dieu, et la rhétorique. Il « représente à plusieurs reprises l’incarnation comme un acte oratoire » (Carr, 1990, 110). Le Logos du IVe Évangile incarne la vérité divine, mais Malebranche ne peut conce­ voir l’incarnation du Fils de Dieu que dans une perspective négative. C’est un remède de la Raison universelle qui se proportionne à la fai­ blesse humaine et se rend accessible aux sens. Cette manière d’accommoder la vérité à la sensibilité humaine ne fournit pas un idéal qu’il faudrait ériger en modèle de la communication linguistique, mais elle avertit contre les risques de l’imagination qui déguise la vérité sous le voile des ornements oratoires. Le Logos divin n’autorise pas à faire de beaux discours mais il révèle la distance insurmontable entre la parole de Dieu et l’éloquence humaine. Malebranche soutient la doctrine de saint Augustin selon laquelle la Sagesse instruit l’homme dans le fond de son cœur. Cette instruction du maître intérieur échappe souvent à l’homme. Le péché originel a dépravé la nature humaine, c’est pourquoi rares sont ceux qui sont attentifs à la Sagesse, que Malebranche égale à la vérité abstraite: L’attention et l’application de l’esprit étant absolument nécessaires pour découvrir les vérités un peu cachées, il est manifeste que le commun des hommes doit être dans une ignorance très grossière à l’égard même des choses qui ont quelque rapport à eux ; et qu’ils sont dans un aveuglement inconcevable à l’égard de toutes les vérités abstraites, et qui n’ont point de rapport sensible avec eux (Malebranche, 1979, 393).

Dès que la vérité abstraite forme la base de l’épistémologie, l’uni­ vers des images et des paroles passe pour un produit inférieur de la représentation. П vient d’une faculté dangereuse : l’imagination. Tout le deuxième livre de la Recherche de la vérité traite des «visions de l’imagination » parmi lesquelles Malebranche compte l’urbanité et la délicatesse du beau monde. La plupart des gens de cour et surtout les beaux esprits se rangent chez Malebranche parmi les « esprits efféminés » (ibid., 234). En mora­ liste clairvoyant, notre philosophe caractérise parfaitement le rôle que joue la distinction dans cette élite sociale : Les esprits fins sont ceux, qui remarquent par la raison jusques aux moin­ dres différences des choses ; qui prévoient les effets qui dépendent des cau­ ses cachées, peu ordinaires et peu visibles ; enfin ce sont ceux qui pénè­

trent davantage les sujets qu’ils considèrent [...] ils sont extrêmement délicats pour les manières. Un mauvais mot, un accent de province, une petite grimace les irrite infiniment plus qu’un amas confus de méchantes raisons {ibid., 234 s.).

Les gens du beau monde cultivent la distinction fine entre le conve­ nable et l’inconvenant tant dans le domaine du comportement ou de la mode vestimentaire que dans le domaine du langage et des différents types de discours et ridiculisent toute infraction au code tacitement accepté par le groupe social. La rhétorique sert souvent de base pour interpréter les règles de conduite en société à la lumière d’une anthro­ pologie et d’une morale dans lesquelles la délicatesse vient de l’urbanité, les bonnes manières d’une bonne éducation, l’attrait exté­ rieur d’une richesse intérieure. Les interprètes de la civilité mondaine s’efforcent de proposer des idéaux au beau monde et ils ne se font cer­ tainement pas d’illusions sur les divergences entre idéal et réalité. Leur théorie suppose que la société mondaine recherche elle aussi une syn­ thèse entre l’élite sociale et l’élite lettrée qu’elle accorde dans une socia­ bilité commune. Cette vision généreuse est contestée par Malebranche qui insiste sur la différence entre la subtilité des beaux esprits et la pénétration des bons penseurs. Selon lui, les gens du monde « ont une parfaite intelligence des choses sensibles [...] mais ils n’ont point la véri­ table intelligence des choses qui dépendent de la raison, parce qu’ils n’ont presque jamais fait usage de la leur » (ibid., 235). Ce jugement négatif est certainement aussi bien fondé que l’idéalisme des législateurs de la société mondaine. Il contient tout de même l’aveu d’un échec. Tous les efforts des partisans du classicisme français convergent dans le noble projet d’une entente entre l’aristocratie de sang et l’aristocratie d’esprit sur le plan culturel où les valeurs extérieures de l’une rejoi­ gnent les valeurs intérieures de l’autre. Les « choses sensibles », qui préoccupent la bonne société, sont pour les atticistes français reliées à la vérité pure, qui possède à leurs yeux une disposition interne à se manifester dans le monde sensible. Malebranche sépare en revanche vérité et représentation, ce qui le rend incapable de relier les « choses sensibles » aux idées. Selon lui, la délicatesse des gens du monde s’exerce dans le domaine des sens et ne parvient pas à remonter de la représentation aux idées sous-jacentes. Aussi l’art de plaire vient-il de la « mollesse » (ibid., 234) des « esprits efféminés » (ibid.) ; il n’a rien de commun avec «la véritable finesse de l’esprit» (ibid.). La philosophie cartésienne dont Malebranche s’inspire renforce la méfiance que les théologiens en général et les sympathisants gallicans du jansénisme éprouvent depuis toujours vis-à-vis de la cour et, à un moindre degré,

de la société mondaine de la Ville. Ce refus de reconnaître les affinités entre la pensée pure et ses représentations sensibles renouvelle par bien des côtés l’hostilité des milieux dévots vis-à-vis du « monde », mais il en diffère par la volonté d’opposer à l’analogie entre l’art de plaire et le bel esprit une théorie rationaliste de la clarté. Malebranche substitue la philosophie à la rhétorique et met ainsi l’ancien conflit entre dialectique et rhétorique sur un autre plan. La dialectique enseigne l’art de penser, c’est pourquoi elle entre dans le domaine de la géométrie. La géométrie pratique la pensée pure, par conséquent ce n’est pas la rhétorique, mais elle qui doit servir de modèle pour les sciences : On doit donc regarder la géométrie comme une espèce de science univer­ selle, qui ouvre l’esprit, qui le rend attentif, et qui lui donne l’adresse de régler son imagination, et d’en tirer tout le secours qu’il en peut recevoir : car par le secours de la géométrie l’esprit règle le mouvement de l’imagination ; et l’imagination réglée soutient la vue et l’application de l’esprit (ibid., 619).

La géométrie embrasse tout le domaine de la pensée abstraite et aide l’esprit à se protéger contre les excès de l’imagination. Male­ branche la range au-dessus de l’imagination, la rend indépendante d’elle et l’érige en système auquel se réfèrent toutes les sciences. En la nommant une « science universelle », il lui attribue la fonction que remplissait jusqu’alors la rhétorique. Malebranche élargit donc le domaine de la géométrie, détrône la rhétorique en la réduisant à une technique de persuasion et lui substitue un modèle de pensée scienti­ fique basée sur les mathématiques. Ce procès de la restructuration des sciences avait commencé dès l’époque de Galilée. Il s’est renforcé grâce au développement des sciences expérimentales et de la philosophie car­ tésienne. Les développements de Malebranche dans la Recherche de la vérité se réfèrent sans arrêt à ces partisans d’une conception mathéma­ tique des sciences et ils y ajoutent une épistémologie qui esquisse en même temps une méthodologie des sciences exactes. La science universelle de la géométrie présuppose un antagonisme entre pensée et imagination, vérité et représentation parce que la vérité abstraite qui est l’objet de la pensée pure se passe de la représentation qui vient de l’imagination, faculté transformant les idées pures en ima­ ges sensibles et principe d’impostures et de mensonges. Les beaux dis­ cours ne garantissent pas un bon raisonnement ; tout au contraire Malebranche oppose les « bons esprits » qui « remarquent aisément les différences des choses » aux « esprits superficiels » qui « imaginent et supposent de la ressemblance » (ibid., 236) entre les différentes choses.

Ces esprits superficiels pratiquent le principe d'analogie, dont l’impor­ tance pour la rhétorique, la poétique et la philosophie baroques avait été mise en évidence par le Cannocchiale Aristotelico (1654) d’Emanuele Tesauro. Dès que le règne de l’imagination se sépare du domaine de la vérité, qui est confinée dans les limites de l’abstrait, l’univers des ima­ ges, symboles ou métaphores perd son lien avec la vérité. La figure ora­ toire de l’enthymème est censée être superficielle parce qu’elle se nour­ rit de la force de l’imagination. La pensée symbolique, qui passe de l’analogie entre la représentation sensible des idées aux vérités, cesse dès lors d’être un procédé de la recherche scientifique. Elle n’a plus de place dans l’épistémologie rationaliste. La métaphore se réduit à un simple ornement oratoire et perd son statut philosophique qu’elle avait chez Tesauro, qui l’avait considérée comme un instrument pour expri­ mer les rapports symboliques entre les choses. Le marinisme, que Tesauro voulait interpréter comme philosophie de la connaissance par la voie des symboles, est pour les atticistes fran­ çais une variante particulièrement aberrante de l’asianisme. C’est pour­ quoi Malebranche peut s’approprier la critique atticiste de la rhéto­ rique et de l’esthétique baroques et ranger les procédés de la littérature baroque parmi les manifestations de la folie : Ces esprits sont excessifs en toutes rencontres : ils relèvent les choses basses ; ils agrandissent les petites ; ils approchent les éloignées. Rien ne leur paraît tel qu’il est. Ils admirent tout (ibid., 249).

Si l’on enlevait le qualificatif négatif du début, la citation pourrait servir de portrait de la rhétorique baroque. De l’hyperbole à la méta­ phore hardie, de la recherche de surprises à la tendance à mélanger les genres littéraires et les niveaux de style, les traits marquants du baroque sont présents. Metis ces procédés n’ont plus rien en commun avec la recherche de la vérité. Ils caractérisent la folie des «vision­ naires », catégorie sous laquelle Malebranche subsume les « beaux esprits » qui « s’érigent en auteurs » (ibid.). La précision ne lui importe pas quand il s’agit d’entrer dans les catégories du monde littéraire. La littérature baroque ressemble à la littérature de la cour et des salons aristocratiques dans le mépris de la belle nature, que Malebranche exalte en condamnant tout ce qui outrage la loi de la juste mesure : Que d’extravagances, que d’emportements, que de mouvements irrégu­ liers ! Ils n’imitent jamais la nature, tout est affecté, tout est forcé, tout est guindé. Ils ne vont que par bonds ; ils ne marchent qu’en cadence ; ce ne sont que figures et qu’hyperboles (ibid.).

Cette critique de l’affectation et de l’abondance de figures ou de tropes n’a rien d’original à l’époque. Elle répète les lieux communs de l’atticisme français à un tel point qu’on pourrait la confondre avec les attaques des atticistes contre les ouvrages irréguliers et contre le style guindé. Cette confusion avait lieu à l’époque et elle se prolonge jusqu’à notre époque. Geneviève Rodis-Lewis commente en effet ce passage, dans l’édition de la Pléiade, en soulignant à juste raison que « ^laiebranche défend contre le baroque l’idéal du classicisme» {ibid., 1442). Elle cite des extraits de l’Art poétique où Boileau énonce les mêmes idées. Boileau utilise la même expression que Malebranche lorsqu’il prétend que « la muse déréglée » du mauvais poète s’élève « par bonds » (Boi­ leau, 1952, III, v. 317 s.), mais son esthétique littéraire diffère profon­ dément de la philosophie de Malebranche. Le poète se rattache à l’atticisme, tandis que l’oratorien s’inspire du cartésianisme. Le premier ne distingue pas la beauté de la parole de la force du raisonnement, mais le dernier affirme : « Il faut bien distinguer la force et la beauté des paroles, de la force et de l’évidence des raisons » (Malebranche, 1979, 263). Ce jugement se rapporte à Sénèque dont le style asianiste est pris ensuite vivement à partie par Malebranche. L’attaque contre Sénèque reproduit également un argument atticiste : son style ne correspond pas à sa pensée « comme si on pouvait bien parler sans savoir ce qu’on dit » (ibid.). L’équivalence entre pensée et expression signifie pourtant pour l’atticisme qu’il existe une continuité des idées aux mots et de la pensée abstraite à la représentation sensible. L’image reflète l’idée, la parole mène à la vérité. Cette conviction n’est pas partagée par Malebranche, qui insiste sur « la différence entre les idées pures de l’esprit, et les sensations ou les émotions de l’âme. Les idées pures de l’esprit sont claires et distinctes [...] Les sensations au contraire et les émotions de l’âme se représentent facilement à l’esprit, quoiqu’on ne les connaisse que d’une manière fort confuse et fort imparfaite » {ibid., 571). La clarté est attribuée par notre oratorien aux idées pures, tandis que les beaux discours font appel aux sensations et aux émotions de l’âme. Malebranche ne renie pas les idéaux du classicisme français, mais il les présente dans une perspective tout à fait différente. L’atticisme passe des mots aux idées ; Malebranche, des idées aux mots. C’est pourquoi il souligne même dans le domaine de la théologie les limites de la parole. L’incarnation du Fils de Dieu ne rend pas plus noble la parole ou le monde sensible : La Sagesse étemelle s’est rendue sensible [...] non pour nous arrêter au sen­ sible, mais pour nous élever à l’intelligible : elle s’est rendue sensible pour condamner et sacrifier en sa personne toutes les choses sensibles {ibid., 603).

Le Logos divin condamne aux yeux de notre oratorien les choses sensibles parce qu’il s’humilie pour se mettre sur le plan des sens humains. Il ne constitue une correspondance adéquate entre dis­ cours et vérité que pour nous révéler dans le monde sensible ce que notre esprit pourrait découvrir dans son intérieur s’il y était assez attentif : Il fallait [...] que cette sagesse se présentât devant nous sans toutefois sortir hors de nous, afin de nous apprendre par des paroles sensibles, et par des exemples convaincants, le chemin pour arriver à la vraie félicité. [...] c’est la même Sagesse qui parle immédiatement par elle-même à ceux qui découvrent la vérité dans l’évidence des raisonnements, et qui parle par les Saintes Écritures à ceux qui en prennent bien le sens (ibid., 705).

La Parole divine exprime au niveau des choses sensibles ce que la Sagesse étemelle transmet au niveau des vérités pures. Malebranche déduit de ce modèle de communication que les paroles sensibles doi­ vent être transparentes pour la vérité pure, mais c’est pour lui plutôt un avertissement contre les attraits de l’ornement oratoire qu’une justifica­ tion de la bonne éloquence. Cette méfiance vis-à-vis de l’éloquence, dont la nécessité vient d’une faiblesse de l’entendement des hommes incapables d’être attentifs à la vérité pure, inspire à Malebranche des pages où il polémique vivement contre Sénèque, et où il exprime son mépris de Montaigne. Sénèque représente le « visionnaire » dont les belles paroles sont contagieuses mais dont les raisonnements manquent de solidité : Je ne crois donc pas qu’on puisse trouver d’auteur plus propre que Sénèque, pour faire connaître quelle est la contagion d’une infinité de gens, qu’on appelle beaux esprits et esprits forts ; et comment les imagina­ tions fortes et vigoureuses dominent sur les esprits faibles et peu éclairés : non par la force ni l’évidence des raisons, qui sont des productions de l’esprit ; mais par le tour et la manière vive de l’expression, qui dépend de la force de l’imagination (ibid., 271).

Sénèque est pour la magistrature gallicane tant un des modèles de rhétorique adulte qu’un des maîtres à penser parce qu’il se situe à une altitude où « l’âme retrouve les conditions de la parole originelle, pour laquelle penser, sentir et parler n’étaient qu’un seul et même acte » (Fumaroh, 1980, 61). Malebranche distingue en revanche «la beauté des paroles, de la force et de l’évidence des raisons » (Malebranche, 1979, 263). H ne le tient pas pour le philosophe-modèle qui est par sur­

croît un grand orateur, mais pour un grand parleur sans fondement solide : Qu’y a-t-il de plus pompeux et de plus magnifique, que l’idée qu’il nous donne de son sage ; mais qu’y a-t-il au fond de plus vain et de plus imagi­ naire ? Le portrait qu’il fait de Caton est trop beau pour être naturel ; ce n’est que du fard et que du plâtre qui ne donne dans la vue que de ceux qui n’étudient, et qui ne connaissent point la nature (ibid., 264).

Qu’on ne se trompe pas, les catégories du « naturel » et de la « nature » ne ressemblent qu’en surface à l’atticisme français, car Malebranche ne prend pas ses distances vis-à-vis de Sénèque pour propager un équilibre entre l’extérieur des énoncés sensibles et l’intérieur de la vérité abstraite. Mais ses catégories se prêtent à la confusion avec l’atticisme et ouvrent la voie aux interprètes qui confondent atticisme et cartésianisme dans le classicisme français. L’influence de Sénèque se combine avec celle de Montaigne, auteur dont Malebranche juge la lecture dangereuse. La manière d’écrire de Montaigne est « agréable, [...] parce qu’elle nous touche, et qu’elle réveille nos passions d’une manière imperceptible » (ibid., 276). Cet agrément des Essais vient, selon notre oratorien, d’une « certaine intelli­ gence pour ce qui touche les sens, et non pas l’intelligence de la vérité » (ibid.). Le plaisir que la lecture de ce livre engendre est procuré par « la beauté, la vivacité, et l’étendue de l’imagination » (ibid., 283), c’est donc un effet du « brillant » et non pas du « solide » (ibid.). Cette critique vise les idées de Montaigne, surtout sa manière de se présenter en parlant de ses faiblesses, mais elle attaque en même temps un des maîtres à penser de l’honnêteté dont le concept de bel esprit est, selon Malebranche, incompatible avec la recherche de la vérité. La facilité de la parole et la rigueur de la pensée sont difficilement compatibles. Montaigne en est la preuve, puisque, suivant la formule de Malebranche, il « a bien travaillé à se faire l’air cavalier, mais il n’a pas travaillé à se faire l’esprit juste » (ibid., 277). Parler cavalièrement de toutes choses, c’est la spécificité des « grands parleurs » et de tous ceux « qui s’énoncent avec beaucoup de facilité » (ibid., 236). Les philo­ sophes et tous « ceux qui méditent sérieusement » (ibid., 237) hésitent en revanche quand ils parlent en public, parce qu’ils ont peur de réveiller une fausse idée, et ils se donnent beaucoup de peine pour exprimer bien leur pensée, ce qui les rend scrupuleux et mal disposés à la facilité du discours. On comprend aisément que, sous ces auspices, Montaigne passe chez Malebranche pour un bel esprit ; s’il identifie la vérité philoso­ phique avec celle du moi, ce n’est aux yeux de Malebranche que par

vanité, et même son humanisme anti-pédant n’est qu’une forme raf­ finée de pédantisme. Sa faute consiste pourtant moins à réduire l’art de parler à la nature humaine qu’à découvrir les richesses de Vinventio humaniste dans le fonds de l’homme. Malebranche reconnaît dans la spontanéité affichée par Montaigne le souci de cacher les sources humanistes du savoir. Il l’appelle un pédant parce que les pédants « citent à tort et à travers toutes sortes d’auteurs » {ibid., 277). C’est évidemment une question de méthode de recherche de la vérité. Le philosophe rationaliste prétend qu’il ne faut prouver « que par des raisons » (ibid.), c’est-à-dire en se référant à la logique et à la vérité pure. Ceux qui en revanche s’appuyent sur « des apophtegmes et des traits d’histoire pour prouver » (ibid.) sont des pédants ; autrement dit, la référence aux vérités contenues dans les écrits canoniques des Anciens et consacrées par les litterae est une voie illégitime de recherche de la vérité. C’est l’érudition humaniste et le statut scientifique de leur critique qui sont visés en premier lieu. Les commentateurs et les critiques humanistes sont ridiculisés par Male­ branche. Ils fondent leur réputation sur des connaissances inutiles, apprennent par cœur les « opinions » des philosophes antiques pour reproduire de mémoire des banalités dont la trivialité est camouflée par l’utilisation des langues anciennes. L’étude des langues ressemble à la passion des collectionneurs de médailles ; elle se justifie lorsqu’on cons­ titue une bibliothèque de dictionnaires, mais elle ne mène pas à la vérité. C’est une idée absurde que de vouloir remonter aux origines des connaissances grâce aux étymologies {ibid., 579). Les philologues justi­ fient la nécessité de leur discipline par un syllogisme, que Malebranche s’efforce de démasquer comme une imposture. En utilisant la dicho­ tomie que Foucault appellera des mots et des choses, Malebranche reproche aux philologues de prétendre qu’ils « sont autant de fois hom­ mes qu’ils savent de langues » (ibid.). Cette attaque ne vise pas un prin­ cipe que les philologues soutiennent en ces termes, elle concerne la doctrine oratoire humaniste selon laquelle les mots, les sentences et les textes sont les dépositaires de la vérité, et que ce qu’on appelle aujourd’hui le travail du texte mène à la connaissance de la vérité. C’est la rhétorique des citations et la conception humaniste d’inter­ textualité que Malebranche ridiculise, et qu’il veut remplacer par une conception rationaliste du texte. L’unité de la vérité pure de Malebranche s’oppose à la vision sym­ bolique de la vérité originelle, réfractée dans la multiplicité des images, des langues et des symboles. Ces deux conceptions de la vérité corres­ pondent à deux types de professions. La rhétorique des citations se réfère à une recherche historique du texte authentique, dépositaire de

la vérité, ou à une mentalité de juristes habitués à adapter le cadre général de la loi aux différents cas spécifiques et à passer des digestes et des sentences à la loi abstraite. Elle présuppose une sacralisation de la langue et un respect du texte, tandis que la philosophie de ^laiebranche établit une séparation nette entre les mots et les choses ou entre la pensée pure et son expression dans les textes. Le langage ne renvoie à aucune vérité, contenue dans les mots, mais il est un ensemble de signes et de règles abstraits véhiculant les informations. Il ne renvoie pas aux hiéroglyphes ou aux symboles dont la signification se base sur la pensée par analogies. П ressemble plutôt aux signes arbi­ traires de la géométrie inventés pour aider l’homme à s’imaginer des idées soustraites à la représentation. L’étymologie perd dès lors tout prestige scientifique parce qu’elle se détache de la philosophie et devient une sous-discipline de la grammaire, discipline garantissant le fonctionnement de la communication. La fin de la rhétorique des citations

La position de Malebranche marque un point final dans l’évolution du débat linguistique qui occupe tout le siècle. Elle anéantit les principes épistémologiques qui avaient rendu possible auparavant la juxtaposition de l’ancienne et de la nouvelle conception du langage. Ce n’est donc qu’à partir de cet oratorien qu’on peut soutenir ce que Foucault cons­ tate pour tout le siècle : A partir du XVIIe siècle, c’est cette existence massive et intrigante du lan­ gage qui se trouve élidée. Elle n’apparaît plus celée dans l’énigme de la marque. [...] A la limite, on pourrait dire que le langage classique n’existe pas. Mais qu’il fonctionne : toute son existence prend place dans son rôle représentatif, s’y limite avec exactitude et finit par s’y épuiser. [...] pour commenter, il faut le préalable absolu du texte ; et inversement, si le monde est un entrelacs de marques et de mots, comment en parler sinon sous la forme du commentaire ? [...] Désormais, le Texte premier s’efface, et avec lui, tout le fond inépuisable des mots dont l’être muet était inscrit dans les choses (Foucault, 1966, 93).

Ce que Foucault appelle « le fond inépuisable des mots » est nommé par Malebranche « l’esprit de polymathie » (Malebranche, 1979, 437) et mis en rapport avec la rhétorique des citations, qu’il veut éliminer. L’oratorien avance trois arguments pour en prouver l’inutilité : Soit parce que les choses qu’ils avancent sont si claires que personne n’en doute : soit parce qu’elles sont si cachées que l’autorité de leurs auteurs ne les peut pas prouver, puisqu’ils n’en pouvaient rien savoir : soit enfin parce que les citations qu’ils apportent ne peuvent servir d’aucun ornement à ce qu’ils disent (ibid.).

L«es deux premiers points sont de nature philosophique, le troisième de nature oratoire. Sur le plan philosophique, l’opposition entre clarté et obscurité est destinée à faire entrer la vision symbolique du langage dans les catégories du rationalisme et à faire ressortir une absurdité, qui ne vient pourtant pas de la doctrine critiquée, mais de l’incompatibilité des deux conceptions linguistiques. Quant à l’argument oratoire, ^laiebranche exploite un différend à l’intérieur du camp des partisans de la rhétorique pour repousser les prétentions humanistes de parvenir par les litterae à la connaissance de la vérité. Le débat sur le recours aux citations et aux sentences traverse tout le XVIIe siècle. Au début du siècle, Pierre de Deimier recommande dans L’Académie de l’art poétique d’éviter les excès du style figuré et du style vul­ gaire en suivant une voie moyenne, conforme à la « raison » (Deimier, 1610, 488). Les poètes s’en tiennent au bon milieu si «la raison et le bon esprit les guident » (ibid,, 282). Ils produisent « une belle poésie » quand celle-ci « est animée et relevée de paroles, de phrases, et de sen­ tences belles, vives, hardies et majestueuses ». Les sentences ne sont donc pas incompatibles avec l’idéal d’un style poétique moyen, qui, à en croire Deimier, est « doux et admirable » et par là « raisonnable­ ment éloigné du vulgaire » (ibid,, 338 s.). Ce programme explique la poétique de la Renaissance à la lumière de la rhétorique d’Aristote et annonce, par-delà les tendances asianistes de la littérature du premier XVIIe siècle, une conception du classicisme qu’on retrouve encore chez d’Aubignac. D’Aubignac apprécie dans La Pratique du théâtre (1657) les sentences (qu’il nomme maximes) « fortes et hardies qui se glissent imperceptiblement» dans le texte (d’Aubignac, 1927, 319). Il les égale aux « lieux communs » et exige qu’elles soient « attachées au sujet, et appliquées par plusieurs circonstances aux personnages et aux affaires du théâtre » (ibid., 320). Elles sont nécessaires pour transmettre l’instruction morale, c’est pourquoi il les admire comme un des lustres du drame. A partir des années 1660, les législateurs du Parnasse clas­ sique rejettent en revanche massivement les sentences de la fiction litté­ raire et les condamnent au nom de l’uniformité du style. Boileau ne la nomme pas parmi les procédés stylistiques et parle uniquement des pointes, qu’il présente dans YArt poétique comme une importation de l’Italie. Les petits genres (l’épigramme, le madrigal, l’élégie) la tolèrent, mais elle n’a rien à voir dans les « discours sérieux » : la tragédie, le plaidoyer et la prédication. D’où sa conclusion en ce qui concerne la pointe : La raison outragée enfin ouvrit les yeux, La chassa pour jamais des discours sérieux ; Et, dans tous ces écrits la déclarant infâme,

Par grâce lui laissa l’entrée en l’épigramme, Pourvu que sa finesse, éclatant à propos, Roulât sur la pensée, et non pas sur les mots. (Boileau, 1952, II, v. 123-128.)

René Le Bossu cite dans son Traité du poème épique (1675) ces vers du deuxième chant déjà un an après la publication de YArt poétique et éta­ blit un parallèle entre sentence et pointe : « Les Pointes [...] sont dans l’Agréable, ce que les Sentences sont dans l’Utile» (Le Bossu, 1981, 474). П ne doute pas de la nécessité des sentences dans l’épopée où ils doivent communiquer les « Préceptes moraux » {ibid,, 475). Mais il reconnaît également leur défaillance esthétique : « Les Sentences refroi­ dissent l’action, & arrêtent les mouvemens par une gravité à contre temps » {ibid., 474). La sentence sert à mêler, selon le précepte d’Horace, l’utile à l’agréable, mais elle comporte le risque de nuire au plaisir de la lecture, ce que signifie, dans la terminologie de Le Bossu, « refroidir les passions » {ibid., 459). Pour éviter de dégoûter le lecteur, il faut l’appliquer avec précaution. Aussi Le Bossu discute-t-il quelques mauvais exemples, qu’il puise dans les tragédies de Sénèque, et quel­ ques bons exemples, que lui fournit YÉnéide. Tant ses éloges que ses cri­ tiques des exemples de sentences présentent des analogies évidentes avec la pensée des adversaires de la rhétorique des citations. La sentence appréciée par Le Bossu ressemble plus aux pensées ingénieuses qu’à la citation incriminée par Malebranche. Elle est vicieuse aux yeux de Le Bossu si elle ne sort pas « naturellement » {ibid., 462) de la bouche des personnages qui la prononcent. Le critère de la vraisemblance, que cet auteur invoque, ne réduit pas seulement le nombre des sentences, mais les détache également de leur caractère de renvoi à l’autre, qui peut être l’autorité d’une doctrine ou d’un modèle. Le Bossu favorise les « sentences déguisées » et arrive difficilement à identifier d’autres types de sentences légitimes. Les sentences sont défi­ nies comme « des réfléxions ou savantes ou judicieuses, qui doivent [...] être inspirées par les objets présents » {ibid., 463). Cette définition implique de la part de celui qui énonce une sentence une élévation d’idées et une force d’esprit, rares dans le monde et réservées à une petite élite. C’est donc le privilège des « personnes graves » que de les « inventer », tandis que le « menu peuple » n’y arrive pas et doit se contenter de « redire par cœur ce que l’on peut supposer qu’euxmêmes ont dit cent fois » {ibid., 464), c’est-à-dire des proverbes et des quolibets. Le proverbe ne passe plus pour un éminent produit de la sagesse humaine, mais se range à côté de la plaisanterie insignifiante, que Le Bossu tient pour un défaut. Les sentences cachées viennent en revanche d’une grandeur morale, intellectuelle et sociale parce qu’elles

prouvent la présence d’esprit et les idéaux moraux du locuteur. Elles renvoient, évidemment, au génie de celui qui parle par la bouche d’un personnage fictif, mais elles n’évoquent nullement un patrimoine ou une doctrine sous l’égide de laquelle un auteur se plaçait par une cita­ tion faite selon les principes de la rhétorique des citations. Les citations et les sentences abondantes indiquent un manque de maturité. C’est l’avis de Charles Perrault dans le Parallèle des Anciens et des Modernes (1688-1697). Sa classification de l’éloquence et de la poésie du XVIIe siècle se base sur le degré d’autonomie du texte. L’abbé, qui est le porte-parole de l’auteur, y soutient : Au commencement du siecle tout étoit plein de jeux d’esprit & dans les vers & dans la prose. C’étoit une abondance de pointes d’Antitheses, de Rebus, d’Anagrammes, d’Acrostiches, & de cent autres badineries puériles. [...] Quelque temps après on se dégousta de toutes ces gentillesses, & selon la coutume des jeunes gens qui ont bien étudié, on voulut faire voir qu’on étoit sçavant & qu’on avoit lu les bons livres. Ce ne furent plus que cita­ tions dans les Sermons, dans les Playdoiers & dans tous les livres qu’on donnoit au Public. Quand on ouvre un livre de ce temps-là on a de la peine à juger s’il est Latin, Grec, ou François, & laquelle de ces trois lan­ gues est le fond de l’ouvrage [...] Avec le temps on a connu que le bon sens étoit la partie principale du discours, qu’il fallait se renfermer dans les bornes de sa matière, n’appuyer que sur les raisons & les conséquences qui en naissent naturellement [...] (Perrault, 1964, vol. I, 55-59).

Les sentences et les citations sont incompatibles avec une rhétorique adulte, qui provient d’une civilisation parvenue à son point culminant. Elles relèvent d’une volonté de faire parade avec des connaissances acquises et signalent par là un manque de maturité. Perrault en tire deux conclusions : une sur le plan de la rhétorique, à savoir que les citations et les sentences n’embellissent pas le style mais lui enlèvent la qualité du naturel ; et une sur le plan de la logique où l’enthymème rhétorique lui semble être une forme défectueuse du raisonnement. H établit ainsi un parallélisme entre l’esthétique du classicisme et le ratio­ nalisme cartésien, parallélisme qu’il n’a pas inventé mais qui aide à tra­ duire l’explication atticiste du classicisme en une explication carté­ sienne de ses idéaux. Ce n’est pourtant pas une théorie philosophique, mais une réduc­ tion de phénomènes de culture sur la nature des Français que Perrault a en vue. Le rationalisme cartésien lui sert de base pour édifier une conception de la civilisation française où le naturel d’une élite bien formée s’allie avec le programme d’hégémonie politique du roi de France. L’idée de progrès lui vient à propos pour affirmer la supériorité de la France de l’époque sur les Grecs et les Romains. La sentence y

figure également comme un des arguments en faveur de la grandeur française. La cible de Perrault est la coutume des Anciens de résumer toute la morale d’un grand personnage dans une sentence. П cite d’abord quelques exemples tels qu’on les trouvait dans les Polyanthea de l’époque et ajoute ensuite que les sentences prononcées par les grands hommes de l’Antiquité pouvaient l’intéresser une ou deux fois, mais qu’elles l’ennuyaient à partir de la troisième fois. La répétition d’une sentence lui rappelle la mauvaise habitude des gens âgés de raconter toujours les mêmes histoires. La sentence ne renvoie donc plus à un patrimoine commun, elle n’est qu’une faiblesse de l’âge, un manque d’esprit ou un défaut d’éducation : S’il est vray, que la pluspart des Anciens avoient accoustumé de dire une Sentence memorable qui leur estoit particulière, comme l’ont remarqué les Auteurs qui ont écrit leurs vies. S’il est encore vray, que ce n’est plus la mode d’en user ainsi ; cette difference ne peut venir que de la rareté des apophtegmes en ce temps là, & du mérité qu’il y avoit à en estre l’Auteur, au lieu que présentement toutes les veritez morales se sont rendu tellement communes, qu’on ne s’avise plus de se vouloir distinguer par une belle Sentence ou inventée ou adoptée {ibid., vol. II, 290).

Perrault met ici sur le même plan la belle sentence adoptée et la belle sentence inventée parce qu’il nie l’importance du modèle antique, qu’on évoque par les apophtegmes. H méprise les sentences à un point tel qu’il fait dire ensuite au chevalier qu’elles sont déchues maintenant au niveau culturel des paysans qui « se parent encore de ces omemens vieux & usez » {ibid., vol. П, 291). La sagesse transmise par les prover­ bes et les sentences n’a plus aucun prestige dans le grand monde et rend ridicules les personnes qui en veulent faire parade. Du Plaisir bannit les proverbes de la conversation et des lettres. Selon ses Sentiments sur les lettres et sur l’histoire avec des scrupules sur le style (1683), ils sont complètement démodés : Les proverbes sont bannis de cette cour, et un homme qui en emploierait un seul dans une conversation polie, sans témoigner qu’il ne l’a dit que par divertissement, serait regardé comme un homme élevé sous un ancien règne. Il n’y a point de doute qu’ils ne soient encore plus insupportables dans les lettres que dans la conversation, parce qu’un discours écrit ne peut être assez exact (Du Plaisir, 1975, 25).

Du Plaisir adopte ici le point de vue des gens du monde. D ne légi­ fère pas lui-même mais témoigne d’un usage qu’il accepte. П nous ren­ seigne par là sur le poids que les habitudes de la cour possédaient dans le domaine de la rhétorique. L’hostilité vis-à-vis des proverbes vient de

la désinvolture du grand monde, surtout de son refus de tout ce qui ressemble à l’étude. Les proverbes sont ou populaires ou érudits. Dans le premier cas ils s’opposent au besoin de se distinguer des gens com­ muns, dans le deuxième cas ils pèchent contre l’exigence de sponta­ néité dans la conversation, qui doit se dérouler comme si rien n’était préparé à l’avance. La conception de l’honnête homme exclut également les proverbes dans la mesure où la formation intellectuelle consiste à intérioriser les connaissances de sorte qu’on en dispose comme d’une seconde nature. Perrault et Du Plaisir envisagent donc la problématique des sentences dans la perspective du grand monde, qui prêche le conformisme et interdit l’ambition de se distinguer par son savoir. L’apophtegme ne risque pas d’être confondu avec le proverbe populaire. Son origine érudite l’en protège. Son renvoi à l’univers litté­ raire ne le rend pas moins odieux aux gens du monde. Perrault s’en fait écho lorsqu’il prétend que l’apophtegme n’appartient pas à une tra­ dition mais à son inventeur. Selon lui, il ne sert pas à rendre présent une plénitude qui excède l’individu, mais à mettre en relief celui-ci. Aussi passe-t-il chez lui pour un procédé destiné à se mettre au premier plan. Les grands hommes de l’Antiquité, que les humanistes exaltent pour avoir inventé des sentences, sont ou impolis ou victimes d’une civilisation peu développée. Cette vision des apophtegmes renverse tout à fait l’optique humaniste, mais elle suit nécessairement l’optique mon­ daine adoptée par Perrault. Il pourrait paraître paradoxal que d’une part Perrault condamne les apophtegmes au nom du conformisme mondain et qu’il base d’autre part les sentences sur l’individu. Mais il allègue une cause matérielle pour expliquer le prestige de l’érudition humaniste : la diffusion des livres grâce à l’imprimerie. Les critiques et les rhétoriciens humanistes se distinguaient par leurs connaissances, que l’élargissement du marché de libraires a rendues maintenant accessibles à toute l’élite sociale. Les Scaliger, les Tumèbe et les Casaubon sont des personnages importants, qui doivent pourtant une grande partie de leur « réputation à la pro­ fonde ignorance du commun du monde de leur siecle » (Perrault, 1964, vol. I, 63). Il ne faut pas prendre cet énoncé à la lettre, mais le juger à la lumière de ce qui suit : En ce temps-су où la Science est commune & triviale, les Sçavans ne sont plus regardez parmy la foule [...] C’est un effet de l’impression & de l’abondance des livres, qu’elle nous a donnée : ce qu’on peut dire avoir en quelque sorte changé la face de la littérature. Lorsqu’il n’y avoit que des manuscrits ou peu de livres imprimez, ceux qui étudioient, apprenoient par cœur presque tout ce qu’üs lisoient [...] C’est aujourd’hui tout le

contraire, on n’apprend presque plus rien par cœur, parce qu’on a ordi­ nairement à soi les livres que l’on lit, où l’on peut avoir recours dans le besoin, & dont l’on cite plus seurement les passages en les copiant, que sur la foy de sa mémoire, comme on faisoit autrefois, ce qui est cause qu’on voit souvent le même passage cité en plusieurs façons differentes {ibid., vol. I, 63-65).

Perrault constate un rapport entre la diffusion du savoir par l’imprimerie et la banalité de la science. Dans un monde où toute découverte scientifique et toute l’érudition entrent dans le circuit de l’information écrite, les connaissances n’ont plus rien de l’ancienne exclusivité de l’époque humaniste. La noblesse profite de cette évolu­ tion pour rabaisser le mérite des connaissances parce que l’élite bour­ geoise s’appuie sur ses connaissances pour lui contester sa place dans l’administration royale. La concurrence entre les deux couches sociales favorise donc le discrédit de la rhétorique des citations. L’apophtegme est trivial et ridicule parce qu’il passe ou pour une manière de briller avec des lectures accessibles à tout le monde, ou pour un signe de spé­ cialisation professionnelle, réservée à la bourgeoisie et dédaignée par l’aristocratie. Cet aspect matériel et social de l’histoire de la rhétorique est négligé dans la plupart des manuels oratoires de l’époque. Les invectives contre les sentences traversent tout le XVIIe siècle. La polémique contre la rhétorique des citations se trouve déjà dans De l3'Éloquence française (1594) de Guillaume du Vair. Antoine Loisel en parle dans son dialogue Pasquier (1602) et Alexandre-Paul de Filère publie un Discours contre les citations du grec et du latin ès plaidoyer de ce temps (1610). Les ouvrages sur l’éloquence du barreau ou de la chaire y reviennent sans arrêt. L’enjeu de ce débat n’est pas une des figures ora­ toires, mais tout un système pédagogique et toute une pratique de l’écriture. « Un des traits les plus frappants de la digestion opérée par l’humanisme à partir des sources antiques est sans conteste l’usage pédagogique qui consiste à relever les lieux communs dans des cahiers de sentences et les florilèges : cet exercice vise dans un premier temps à reclasser méthodiquement les savoirs anciens, à la fois pour en faciliter la mémorisation et pour en permettre l’imitation dans les premiers pas de l’apprentissage de l’élocution» (Bury, 1993, 117 s.). Cette manière d’introduire dans l’univers du savoir et de l’élocution reste en vigueur pendant tout le XVIIe siècle et caractérise l’enseignement dans les col­ lèges. Mais elle ne reste pas confinée dans le domaine scolaire. La fabrique des œuvres littéraires et oratoires en est également marquée. Paul Pellisson la vante dans son Discours sur les Œuvres de M. Sarasin (1658). П y remarque à propos du Dialogue sur la question s'il faut qu'un jeune homme soit amoureux, qu’il y a deux sources de l’invention :

ou on découvre soi-même ce que personne auparavant n’avait noté ou on s’approprie des lieux communs que les autres n’ont pas encore mis en rapport avec le sujet du texte : Il faut [...] avoir profondément médité sur son sujet, y avoir découvert, ou quelques endroits particuliers qui n’ont point encore été touchés par d’autres, ou des choses rares sur ces endroits qu’on appelle lieux communs, qui est à mon gré le plus grand et le plus noble effort de l’esprit humain (Pellisson, 1989, 55).

Le deuxième procédé, que Pellisson tient pour « le plus noble effort de l’esprit humain », permet de s’insérer dans la tradition riche des ouvrages réussis et d’omer par là ses propres développements de la fleur des meilleures idées et expressions des œuvres-modèles. La pre­ mière partie du Dialogue de Sarasin est consacrée, selon Pellisson, moins « au raisonnement qu’aux autorités et aux exemples » (ibid., 56), mais le préfacier ne lui en fait pas grief et il excuse les emprunts de Sarasin en renvoyant à la fertilité de son esprit. Il admet simplement que Sarasin « ait pu mieux faire » (ibid,). La conception humaniste de l’écriture, que les humanistes-philologues pratiquent pour mettre en évidence leur commerce avec les textes anciens, ne rebute pas les écrivains mondains du siècle classique. La littérature de fiction qui fonde sur cette concep­ tion de l’invention sa prétention d’énoncer des vérités se trouve en par­ fait accord avec la théorie de l’honnêteté. Cette voie de l’invention est subordonnée de plus en plus au pré­ cepte de l’uniformité du style, qui s’inspire de l’idéal du naturel, de la clarté et de la grâce. En 1664, Claude Fleury constate dans ses dialo­ gues, restés inédits à l’époque, Si on doit citer dans les plaidoyers, que l’ouvrage de Sarasin, vanté par Pellisson, n’est plus apprécié par les lec­ teurs. Selon Fleury, un érudit qui ne peut pas être soupçonné de mon­ danité, la cause du manque d’intérêt est « la multitude des citations qui s’y rencontrent », et il ajoute que les citations « gâtent les plus beaux ouvrages, même ceux où elles sont permises» (Fleury, 1925, 73). Ce jugement est énoncé chez Fleury par Gérauld de Cordemoy, qui éla­ bore une philosophie cartésienne du langage dans son Discours physique de la parole (1668) et qui préconise dans les dialogues de Fleury un idéal de culture à la fois humaniste et cartésien. Dans Si on doit citer dans les plaidoyers, Fleury met en scène un dia­ logue avec des robins de prestige. Michel Le Peletier de Souzy et René de Marillac sont des juristes de grande envergure ; Cordemoy est avo­ cat de profession, mais par son inclination il est homme de lettres et philosophe. De Marillac, depuis peu de jours « pourvu de la charge d’Avocat général au Grand Conseil » [ibid., 27), défend l’utilisation

d’apophtegmes avec beaucoup d’esprit, bien qu’il ne joue que le rôle de l’avocat du diable. Fleury l’érige en défenseur d’une cause perdue pour mettre en évidence, d’une part, que les magistrats de la généra­ tion de Marillac estiment encore la citation tandis que les plus jeunes la détestent. П présente, d’autre part, en de Marillac une mentalité que les deux robins plus jeunes rejettent au nom d’un atticisme teinté de cartésianisme. Fleury soumet la rhétorique des citations à une analyse historique qui montre ses origines dans la jurisprudence tardo-médiévale et dans l’humanisme philologique de la Renaissance, deux théories qu’il juge dépassées. Fleury soutient dans le premier dialogue que Démosthène et Cicé­ ron « n’ont jamais cité » (ibid., 37). La rhétorique des citations est une invention des érudits humanistes qui font étalage de leurs lectures et qui pratiquent une méthode sotte de lecture quand ils s’attachent à l’élocution et aux apophtegmes au lieu de méditer sur le fond des idées. Les «passages» (ibid., 31) qu’ils citent sont des ornements inu­ tiles dans tous les discours publics, parce qu’ils sont destinés à attirer l’attention sur les connaissances de l’orateur et non sur le sujet de son discours. Fleury recommande à ses contemporains d’imiter les Grecs et les Romains qui ont apporté « autant de soin à cacher la science qu’ils possédaient » (ibid., 46). Cordemoy y ajoute que Démosthène et Aristote sont les modèles de l’éloquence « non pas à cause qu’elle est plus ancienne, mais parce qu’elle est plus conforme à la raison » (ibid., 47). De Marillac riposte que la science acquise compte beau­ coup dans la civilisation moderne ; son argument n’est pleinement réfuté qu’à la fin du deuxième dialogue, lorsque Fleury esquisse l’histoire de la rhétorique des citations. Fleury y distingue un premier temps qui commence avec « l’établissement du Parlement sédentaire » sous le règne de Philippe de Valois (ibid., 128) et où les plaidoyers étaient pleins de latin et avaient, « beaucoup de rapport aux disputes qui se font dans les écoles publiques» (ibid., 130). Cette période, dominée par la juridiction ecclésiastique, commence seulement par les premiers pas du latin au français comme langue de l’administration et des tribunaux. Les juristes « présumaient fort peu d’eux-mêmes » parce qu’ils « citaient le livre, le titre, le chapitre, le paragraphe, et souvent jusqu’au verset» (ibid.). Ils imitaient ainsi la méthode de dis­ pute de la philosophie scolastique. Le deuxième temps, qui commence sous le règne de François Ier, introduit « une nouvelle espèce de cita­ tions. Car, depuis que Budé et Alciat eurent joint les humanités à la jurisprudence, il n’y eut personne au Palais qui ne se piquât de savoir le grec et le bon latin et d’avoir lu les bons auteurs» (ibid., 131 s.). Les magistrats ont gardé cette coutume jusqu’à l’époque de Fleury,

qui s’accorde avec Cordemoy et Le Peletier dans le mépris de l’humanisme des grands critiques-philologues : Ces grands hommes, de si grand génie et si laborieux, méritaient des occu­ pations plus nobles et plus grandes que d’étudier des mots grecs et des mots latins, de corriger des manuscrits, et de faire des traductions et des commentaires {ibid., 133).

Ce jugement impitoyable vient d’un érudit et d’un historien de grande envergure. Il signale un changement radical dans le domaine des lettres, changement que La Bruyère approuve sans restriction. La cinquième édition des Caractères contient dans le chapitre « Des ouvra­ ges de l’esprit » la polémique suivante contre les humanistesphilologues : Il y a des esprits, si je l’ose dire, inférieurs et subalternes, qui ne semblent faits que pour être le recueil, le registre, ou le magasin de toutes les pro­ ductions des autres génies : ils sont plagiaires, traducteurs, compilateurs ; ils ne pensent point, ils disent ce que les auteurs ont pensé ; et comme le choix des pensées est invention, ils l’ont mauvais, peu juste, et qui les détermine plutôt à rapporter beaucoup de choses, que d’excellentes choses [...] (La Bruyère, 1962, I, 62).

Les érudits qui sont des compilateurs tombent ici sous le même ver­ dict que les plagiaires. Les commentateurs et les traducteurs répètent simplement ce que les autres ont pensé ; leur invention ne vaut rien parce qu’elle confond la quantité avec la qualité. Cette invective contre les commentateurs ne met pas en doute la doctrine de l’invention ora­ toire et ne se distancie nullement du modèle humaniste de l’imitation. Autrement, La Bruyère ne recommanderait pas dans le chapitre « De quelques usages » l’étude intense des textes dont il vante l’effet propice : C’est le chemin le plus court, le plus sûr et le plus agréable pour tout genre d’érudition. Ayez les choses de la première main ; puisez à la source ; maniez, remaniez le texte ; apprenez-le de mémoire ; citez-le dans les occasions ; songez surtout à en pénétrer le sens dans toute son étendue et dans ses circonstances ; conciliez un auteur original, ajustez ses prin­ cipes, tirez vous-même les conclusions {ibid., XIV, 72).

L’invention et l’élocution s’enracinent dans l’étude de textes, mais les connaissances doivent être de première main, donc le détour par les commentateurs est superflu. Leur apport reste marginal et risque d’obscurcir les sources au lieu de les dégager. Ce jugement renie tout le

programme de l’humanisme philologique qui se proposait de libérer les textes de toute erreur et de remonter par le travail du critique et du commentateur aux origines de la vérité. La Bruyère est conscient d’affronter une des idées les plus chères de l’humanisme parce qu’il justifie sa démarche dans la suite de la maxime citée en reprochant aux commentateurs érudits d’avoir per­ verti l’humanisme en pédantisme : Les premiers commentateurs se sont trouvés dans le cas où je désire que vous soyez : n’empruntez leurs lumières et ne suivez leurs vues qu’où les vôtres seraient trop courtes ; [...] achevez ainsi de vous convaincre par cette méthode d’étudier, que c’est la paresse des hommes qui a encouragé le pédantisme à grossir plutôt qu’à enrichir les bibliothèques, à faire périr le texte sous le poids des commentaires ; et qu’elle a en cela agi contre soi-même et contre ses plus chers intérêts, en multipliant les lectures, les recherches et le travail, qu’elle cherchait à éviter (ibid.).

Les commentateurs alourdissent les textes qu’ils prétendent alléger. Us rendent la lecture ennuyeuse et favorisent par là une confusion dan­ gereuse pour la République des Lettres : les grands et les mondains tiennent ces esprits stériles pour des savants et ridiculisent les sages comme pédants. Ce fait est dénoncé par La Bruyère dans I, 62, où notre moraliste épouse l’optique des gens du monde. Sur ce point, le partisan des Anciens qu’est La Bruyère est parfaite­ ment d’accord avec les Modernes qui se détournent des idéaux humanis­ tes. Malebranche énonce, en effet, le même avis dans la Recherche de la vérité : Le dessein de la plupart des commentateurs, n’est pas d’éclaircir leurs auteurs, et de chercher la vérité ; c’est de faire montre de leur érudition, et de défendre aveuglément les défauts mêmes de ceux qu’ils commentent. Ils ne parlent pas tant pour se faire entendre ni pour faire entendre leur auteur, que pour le faire admirer et pour se faire admirer eux-mêmes avec lui (Malebranche, 1979, 227 s.).

Le travail des critiques ne mène pas à la vérité. Leur surabondance de savoir manifeste une stérilité d’esprit combinée avec un orgueil néfaste. Tant Malebranche que La Bruyère réduisent l’humanisme philologique à l’entêtement du commentateur qui voudrait se mettre lui-même au-dessus de l’auteur dont il obscurcit le texte. Malebranche insiste sur l’incompatibilité entre la méthode scientifique et l’érudition philologique : Il n’y a que la fausse érudition, et l’esprit de polymathie qui ait pu rendre les citations à la mode comme elles ont été jusqu’ici, et comme elles sont encore maintenant chez quelques savants (ibid., 437).

Toute une mentalité de chercheurs, leur manière de raisonner et d’écrire ou de parler perdent chez lui leurs assises dans le monde intel­ lectuel. L’« esprit de polymathie » s’oppose à l’esprit scientifique parce que la pensée par analogies et l’enthymème oratoire sont incompatibles avec la raison et le raisonnement logique. Sous ces auspices, la citation passe forcément pour un ornement tout à fait inutile à l’enchaînement logique des pensées. Fleury précise encore cette argumentation de Malebranche. Même le défenseur de la rhétorique des citations, René de Marillac, convient que les citations « ne sont pas fort nécessaires à ceux qui ont assez de fonds d’esprit pour inventer beaucoup, et assez de force et de génie pour donner à ce qu’ils ont inventé tout le tour dont il est capable » (Fleury, 1925, 123). Les humanistes-philologues citaient pour témoigner qu’ils enferment dans leur mémoire une bibliothèque riche des auteurs anciens et modernes ; chez Fleury, la citation passe en revanche pour un aveu de stérilité et de manque d’idée. Aussi Cordemoy soutient-il que « raisonner et citer sont choses incompatibles » (ibid., 94). De Marillac évoque en vain l’enthymème oratoire où la citation renvoyait à «l’autorité d’un grand nom ou d’un exemple illustre» (ibid., 100). Cordemoy conclut à son inutilité parce qu’il possède une autre théorie scientifique où l’enchaînement logique des idées se substitue à l’invocation d’un auteur par une citation mémorable. Les citations n’impressionnent plus les connaisseurs, elles ne servent que pour duper les ignorants : L’autorité ne persuade qu’à cause de la déférence que l’on a aux senti­ ments de l’auteur, et elle sert principalement pour les ignorants et pour ceux qui ne sont pas accoutumés à raisonner juste (ibid., 94).

Les apophtegmes ne possèdent aucune autorité parce qu’ils ne figu­ rent pas sur le même plan que les renvois aux livres fondateurs de la doctrine : la Bible pour les théologiens, les lois, les décrets, les digestes et les pandectes pour les juristes. La méthode scolastique et la philo­ logie humaniste ont tort d’associer à ces autorités les Pères de l’Eglise, les livres d’Aristote et les littératures de l’Antiquité. Fleury veut tout au contraire distinguer nettement les « passages-autorités » des « cita­ tions » et affirme, par l’intermédiaire de Cordemoy : «J’estime fort les autorités et blâme fort les citations » (ibid., 82). Il n’existe qu’un inter­ médiaire entre les autorités nécessaires chez les théologiens ou les juris­ tes et les citations considérées comme inutiles par Fleury et Male­ branche : c’est « le témoignage d’un auteur désintéressé qui a écrit en temps non suspect, et qui dit des faits qui étaient de sa connaissance »

(ibid., 83). Ce «témoignage objectif» (Beugnot, 1994, 313) est un nou­ veau type de citation que Fontenelle utilise particulièrement dans son Histoire des Oracles (1687). Fontenelle glane dans les livres des érudits du temps passé des témoignages où apparaissent des explications erronées de faits inexpli­ cables. Sa bibliothèque contient surtout un arsenal de théories fantaisis­ tes qu’il se propose de réfuter. Elle emmagasine l’histoire des erreurs de l’esprit humain. Fontenelle passe donc de l’inventaire des choses mémorables, que la rhétorique des citations prétendait trouver dans les apophtegmes et les exemples, à la recension des folies que l’esprit humain a inventées pour cacher son ignorance par des explications « raisonnables ». Il y part du principe suivant : «Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trou­ vons la raison » (Fontenelle, 1991, 162). La citation, l’allusion et le ren­ voi à une source constituent des procédés pour rendre présentes des idées dépassées et pour avancer des explications pseudo-scientifiques dans des situations où l’aveu de notre ignorance constituerait un pre­ mier pas de l’exploration de l’inconnu. Ce que Fontenelle appelle « trouver la raison » se révèle être une impasse créée par les habitudes de la pensée de notre tradition culturelle. Les idées léguées par nos ancêtres et condensées dans des-dits mémorables, obscurcissent le regard sur les choses, elles sont donc un héritage qu’on doit récuser pour se libérer des préjugés et pour accéder directement au réel. D’un moyen pour franchir les distances, la citation se transforme ainsi en un moyen de se distancier d’une pensée ressentie comme un obstacle au progrès scientifique. Il n’existe pas d’études sur le déclin éditorial des Polyanthea à partir de la fin du XVIIe siècle, et on ne peut pas exclure que les éditeurs et les orateurs leur aient accordé encore un certain intérêt pendant le XVIIIe siècle. Il ne faudra pourtant pas confondre les Polyanthea avec les ouvrages encyclopédiques comme par exemple celui de J. Richard : La science universelle de la chaire ou dictionnaire moral dans lequel on trouvera par ordre alphabétique ce que les Pères grecs et latins, les interprètes de ^Écriture sainte, et les théologiens, les prédicateurs français, italiens, allemands, etc., ont dit de plus curieux et de plus solide sur difrerents sujets de morale( 1700-1715, 6 vol.), qui connut beaucoup de rééditions. De telles publications signalent l’évolution de l’invention oratoire où les mots se détachent des choses que les prédicateurs cherchent dans les compilations encyclopédiques. Les Polyanthea s’efforçaient de donner accès aux choses à partir des mots, tandis que les manuels encyclopédiques se contentent de l’enregistrement des choses.

La dégradation de la citation en tant que figure oratoire implique La transformation beaucoup de changements dont l’importance dépasse le domaine de la du concept d'auteur rhétorique. Elle signale en premier lieu une crise des lieux communs et l'importance explicites. Intégrer une citation dans l’argumentation, c’est appeler soit du «goût » à une autorité au-dessus de l’orateur, soit à une opinion commune qui rend vraisemblable un énoncé ; la rhétorique antique nommait ce der­ nier cas endoxa. L’utilisation de Vendoxa présuppose une communauté d’idées entre l’orateur et son auditoire, l’auteur et ses lecteurs. Cette communauté d’esprit se rompt à la fin du XVIIe siècle, et des divisions entre différents modèles de la pensée scientifique apparaissent. Prenons un exemple particulièrement éclairant pour illustrer cette fragmenta­ tion de l’univers du savoir. Le concept de vraisemblance entre en crise. Il devient la cible de multiples attaques ou l’objet d’analyses destinées à le transformer en vérité claire. L’une des évidences reconnues est celle des idées pures de l’esprit géométrique. L’entente au sujet de certaines normes ne va plus de soi, et dans cette perspective l’attaque des cartésiens contre Vendoxa prépare la critique des préjugés par les philosophes du siècle des Lumières. L’esprit géométrique prend ses distances vis-à-vis des idées courantes et oblige chacun de s’assurer lui-même les bases de sa pensée. Le principe d’autorité est ébranlé parce qu’il perd la qualité d’un procédé scientifique, non seulement dans les sciences expérimen­ tales, mais également dans les lettres. La victoire de la méthode géomé­ trique entraîne aussi une transformation du concept d’auteur. C’est un argument qui importe pour notre propos. Les auteurs du Moyen Age n’avaient pas les mêmes points de repère pour leurs sentences que les humanistes, mais ils alléguaient des citations explicites ou implicites pour se mettre sous la protection d’un fonds commun qu’ils rendaient présent en se référant à lui. L’inter­ textualité médiévale aussi bien que l’intertextualité humaniste, assure l’insertion du texte dans un cadre qui le dépasse. Les exemples et les sentences ne persuadent pas par leur propre autorité, tout au contraire ils évoquent celle de l’autre : livre sacré ou livres consacrés par la com­ munauté des savants, pensées-modèles ou idéologie acceptée par la croyance dominante, actions mémorables ou idéaux érigés en exemple du comportement moral. Ce culte de l’autorité est aux yeux de ses adversaires cartésiens de la fin du XVIIe siècle une imposture où la vanité des savants et des orateurs se déguise en servitude envers la sagesse des Anciens ; ce premier point de vue est adopté par Malebranche quand il présente les « personnes d’autorité » dans la Recherche de la vérité (II, II, 8). Le culte de l’autorité peut également masquer la volonté de puissance sous les apparences de la rhétorique épidictique ;

c’est la thèse avancée par Nicole pour confondre dans ses Essais de morale ce qu’il appelle les « grandeurs d’établissement ». Nicole dis­ tingue dans son traité De la grandeur, la grandeur d’établissement de la grandeur naturelle, qui dépend uniquement du mérite personnel. Les gens qui occupent les premiers rangs dans la société et dans les affaires politiques briguent les qualités de la grandeur naturelle bien qu’ils n’en soient pas dignes. Aussi cherchent-ils eux-mêmes des subterfuges pour se faire des illusions sur leur état et embauchent une foule de « petits » pour se procurer des louanges. C’est cette vision des thuriféraires que Nicole avance dans son traité De la connaissance de soy-mesme. П y recon­ naît que « ceux qui parlent en public, comme les Avocats » (Nicole, 1682, 12), ont une profession pénible, mais, selon Nicole, ils s’imaginent être « les plus heureux des hommes » (ibid.), parce qu’ils acquièrent par leurs fonctions beaucoup d’honneur. Nicole s’autorise ensuite du portrait flatteur de l’orateur que brosse Tacite dans son Dia­ logue des orateurs (6, 2 s.) pour soutenir que les grands d’établissement se plaisent à « cette idée de leur moy honoré & respecté par les autres » {ibid., 14). Les grands d’établissement adhèrent donc à « une image phantastique de grandeur» {ibid., 15), image qui est produite par l’imagination des autres. C’est évident dans les portraits du prince : « La principale distinction des Grands & des petits, de ceux qui ont de la reputation, & de ceux qui n’en ont pas, c’est qu’il y a plus de gens qui font le portrait des uns que des autres » {ibid., 16 s.). Les « images phantastiques » des grands sont inventées par les petits grâce au genre épidictique qui sert à fabriquer un portrait élogieux, mais qui trompe en vérité les grands en flattant leur vanité. Les portraits hyperboliques entretiennent les illusions des grands d’établissement. La rhétorique épidictique favorise donc le culte d’autorités illusoires. L’éloquence détourne l’attention de la vérité parce qu’elle encou­ rage à transfigurer un fait banal en un événement extraordinaire. Elle falsifie la communication quotidienne par les clichés linguistiques. C’est ce que Amauld et Nicole soutiennent à propos de la « complaisance » : C’est par ce moyen qu’on a rendu les louanges si communes, & qu’on les donne si indifféremment à tout le monde, qu’on ne sait plus qu’en con­ clure. D n’y a point de Prédicateur qui ne soit des plus éloquents dans la Gazette, & qui ne ravisse ses auditeurs par la profondeur de sa science : tous ceux qui meurent sont illustres en piété : les plus petits Auteurs pourroient faire des Livres des éloges qu’ils reçoivent de leurs amis (Amauld & Nicole, 1970, 334).

Le culte de la grandeur et de l’autorité force à louer tout le monde. La rhétorique y sert à transmettre « certaines marques extérieures

& étrangères » (ibid., 345) à la vérité et revêt ainsi la fausseté d’un faux-semblant de vérité. Les deux auteurs en déduisent que l’extérieur est trompeur et que la vérité est tout intérieure et « souvent assez cachée » (ibid.). Aux yeux des cartésiens, l’autorité des apophtegmes vient du culte extérieur de la grandeur d’établissement ; elle profite de la facilité avec laquelle les gens se portent à croire aux marques extérieures, donc elle s’appuie plus sur l’opinion commune que sur la vérité. Si les apophteg­ mes s’en tiennent aux marques extérieures des choses, les citations signalent ou la présomption ou le manque d’esprit de celui qui cite. En effet, « pour Amauld et Nicole, pour Malebranche, les citations témoi­ gnent de la vanité du sujet alors qu’il semblerait, selon le point de vue ancien ou médiéval, qu’elles soient les lieux mêmes où l’auteur s’absente, si auteur il y a, et laisse la parole à un autre » (Compagnon, 1979, 320). Dans cette perspective, on comprend aisément pourquoi la condamnation de la rhétorique humaniste des citations va de pair avec l’émergence de la conception d’auteur telle que l’entend la littérature des siècles plus récents. Selon la formule de Foucault, « l’individu qui se met à écrire un texte à l’horizon duquel rôde une œuvre possible reprend à son compte la fonction de l’auteur» (Foucault, 1971, 30). On pourrait s’attendre à ce que cette vision de l’auteur soit une spécifi­ cité des Modernes imbus de cartésianisme. On la rencontre en revanche également chez les Anciens. La preuve en est fournie par La Bruyère. La Bruyère présente l’atticisme français d’une manière telle qu’on y reconnaît les prémisses de l’esthétique des Lumières. La qualité d’un texte vient, selon lui, tant du travail investi dans son élaboration que des dons innés de celui qui écrit. Il se pose dès lors la question de savoir auquel des deux il faut accorder la priorité, à la doctrine ou à la fureur de l’invention. Dans la quatrième édition des Caractères de 1689, La Bruyère plaide pour la prépondérance de cette dernière : Il y a des artisans ou des habiles dont l’esprit est aussi vaste que l’art et la science qu’ils professent ; ils lui rendent avec avantage, par le génie et par l’invention, ce qu’ils tiennent d’elle et de ses principes ; ils sortent de l’art pour l’ennoblir, s’écartent des règles si elles ne les conduisent pas au grand et au sublime ; ils marchent seuls et sans compagnie, mais ils vont fort haut et pénètrent fort loin, toujours sûrs et confirmés par le succès des avantages que l’on tire quelquefois de l’irrégularité (La Bruyère, 1962, I, 61).

Reconnaître qu’on puisse quelquefois tirer de l’irrégularité des avantages, c’est ce qu’on n’attendrait pas d’un partisan de l’atticisme

français, et ce jugement prouve bien que La Bruyère est un connaisseur de Quintilien, que l’abbé Dubos invoquera encore pour mettre «le génie » au-dessus de l’art et des règles. Ceux qui sont vraiment doués ont l’esprit tellement vaste qu’il embrasse toutes les règles. Ils les domi­ nent à un tel niveau qu’on ne peut pas délimiter nettement ce qu’ils auraient pu inventer de ce qu’ils ont appris par l’étude des modèles. C’est par là que leur ingéniosité peut s’élancer dans les régions élevées qui sont celles du grand et du sublime. Ils possèdent un don spécifique qui leur permet de trouver l’expression juste, et ce don est appelé par La Bruyère « le goût » : Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature. Celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au-delà, a le goût défectueux. Пу a donc un bon et un mauvais goût, et l’on dispute des goûts avec fondement {ibid., I, 10).

A la fin du XVIIe siècle, le « goût » est une des notions équivalentes à indicium. Celui qui juge bien connaît parfaitement les règles de l’art et sait les appliquer convenablement. La Bruyère ne se contente pourtant pas de répéter le lieu commun du classicisme selon lequel l’imagination (ingenium) a besoin du jugement qui sert de correctif au déferlement de l’inventivité. Selon lui, « le génie » possède une affinité quasi viscérale avec la beauté ; il « sent » le « point de perfection ». Cela signifie que les plus belles réussites de son art procèdent autant de sa personnalité que des instructions qu’il a reçues. Son « génie » ne peut s’épanouir pleinement qu’à condition d’être autorisé à s’écarter des règles, autre­ ment la réglementation de l’art entraverait l’essor libre de l’imagination. La Bruyère insiste d’une part sur la priorité de l’individu doué et relie d’autre part les jugements individuels du « génie » à des normes supra-individuelles que le « goût » saisit. Le « goût » n’a donc rien d’arbitraire ni de subjectif ; il s’enracine dans quelque chose d’objectif, l’harmonie inhérente de la nature. Les rapports entre les mots et les choses ne sont donc pas fortuits ; il n’existe qu’une seule expression qui convient à une pensée, et celle-ci est l’expression juste : Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n’y en a qu’une qui soit la bonne ; [...] Un bon auteur, et qui écrit avec soin, éprouve souvent que l’expression qu’il cherchait depuis longtemps sans la connaître, et qu’il a enfin trouvée, est celle qui était la plus simple, la plus naturelle, qui semblait devoir se présenter d’abord et sans effort {ibid., I, 17).

La « simplicité », le « naturel », l’impression de spontanéité et l’absence d’« effort » représentent le côté objectif du beau que le « bon auteur » cherche avec persévérance. Ce ne sont pourtant pas les règles qu’il a apprises, mais son « goût », et par conséquent ses dons personnels qui le mettent en état de trouver l’expression juste. Le « goût » sait ce qui lui convient parce qu’il « sent » l’expression juste. Il existe une espèce d’harmonie préétablie entre le « génie » et la beauté. Cette harmonie ne garantit cependant pas toujours la régula­ rité d’un bel ouvrage. L’application servile des règles ne mène pas automatiquement à la perfection de l’œuvre. La Bruyère sait que ce projet de l’esthétique littéraire humaniste a échoué. П en déduit que l’optique du « génie » diffère trop de celle de la « critique » pour qu’un « bel ouvrage » soit sans « fautes » par rapport aux règles. Le Cid en fournit la preuve la plus évidente : Quelle prodigieuse distance entre un bel ouvrage et un ouvrage parfait ou régulier ! [...] Il est peut-être moins difficile aux rares génies de ren­ contrer le grand et le sublime, que d’éviter toute sorte de fautes. [...] Le Cid enfin est l’un des plus beaux poèmes que l’on puisse faire ; et l’une des meilleures critiques qui aient été faites sur aucun sujet est celle du Cid (ibid., I, 30).

Comment se fait-il que la « meilleure critique » puisse condamner « un bel ouvrage » ? Faut-il en conclure avec Dubos que les gens du métier méconnaissent les qualités des beaux ouvrages ? La Bruyère n’aurait pas souscrit à ce jugement et il aurait également récusé l’opinion de Diderot selon lequel les petits défauts rehaussent la perfec­ tion de l’ouvrage en lui conférant un plus haut degré de vraisemblance, et qu’ils produisent un effet de réel. Les « fautes » contre les règles constituent un cas limite où se manifeste la supériorité du « génie » sur les esprits inférieurs : Les esprits justes, doux, modérés, non seulement ne les atteignent pas, ne les admirent pas, mais ils ne les comprennent point et voudraient encore moins les imiter ; ils demeurent tranquilles dans l’étendue de leur sphère, vont jusques à un certain point qui fait les bornes de leur capacité et de leurs lumières ; ils ne vont pas plus loin, parce qu’ils ne voient rien au-delà ; ils ne peuvent au plus qu’être les premiers d’une seconde classe, et exceller dans le médiocre (ibid., I, 61).

Le « génie » se place nettement au-dessus des esprits « modérés » et doit se résigner à rester solitaire et incompris. Victime de sa fureur inventive, il se tourmente à poursuivre les obsessions de son imagina­

tion et cherche jusqu’à ce qu’il soit parvenu au point où tous les ves­ tiges de ses efforts s’épanouissent dans l’expression juste. La perfection du bel ouvrage ne cache pourtant pas seulement le travail investi, mais également les règles appliquées. Elle s’élève au-dessus des règles et quitte ainsi insensiblement le domaine de la régularité. L’irrégularité laisse indifférent le public qui se laisse emporter par le charme de la perfection ; elle scandalise en revanche les gens du métier que leur propre imagination ne mène pas si loin et qui jugent la production de leur concurrent à l’aune de leurs propres capacités inventives. La Bruyère ne se lasse pas d’insister sur l’abîme qui sépare les beaux ouvrages, des productions médiocres qui en different même par le style. Il est convaincu de la rareté des grands ouvrages et cons­ tate l’incompréhension dont souffrent les « génies » de la part de leurs confrères moins doués. Leur médiocrité marque profondément la structure des œuvres et se manifeste aussi par les figures oratoires qu’ils utilisent : Les esprits justes, et qui aiment à faire des images qui soient précises, don­ nent naturellement dans la comparaison et la métaphore. Les esprits vifs, pleins de feu, et qu’une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s’assouvir de l’hyperbole. Pour le sublime, il n’y a, même entre les grands génies, que les plus élevés qui en soient capables [ibid., I, 55).

Cette maxime, ajoutée également à la quatrième édition, renvoie au débat sur le sublime, auquel elle répond en insistant sur le rôle de l’auteur dans la production d’un texte. Cette mise en relief de celui qui parle ou écrit, affecte profondément la rhétorique où elle entraîne trois conséquences tout à fait différentes : 1 / Elle inspire le refus de l’éloquence de la chaire au nom de la prédication évangélique ; c’est un débat qui occupe depuis le concile de Trente la plupart des manuels catholiques destinés aux prédicateurs mais qui s’amplifie à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle en une véritable querelle sur l’éloquence religieuse. 2 / Elle encourage à exalter le génie (ingenium) aux dépens du jugement (iudicium) dans le domaine des lettres et à régler la méthode de la composition d’un texte selon les prin­ cipes géométriques du rationalisme et des sciences expérimentales ; c’est le but déclaré de Perrault et des Modernes. 3 / Elle force les Anciens à réduire le modèle antique en idée du jugement sain et du bon sens ; c’est la démarche qui mène l’atticisme français à son apogée et qui conditionne les spécificités de la notion française du sublime.

La prédication évangélique représente un type d’instruction religieuse qui hante le clergé du XVIIe siècle. Elle préoccupe ceux qui s’adressent au menu peuple, les exigences de l’auditoire n’y jouent cependant pas le rôle déterminant. La « petite méthode » de Vincent de Paul passe autant pour une forme de prédication évangélique que les sermons du missionnaire du Brésil, Antonio Vieira (1608-1697), le plus éminent prédicateur baroque portugais. Comme ces deux prêtres réalisent le programme de la Réforme catholique fort différemment, les manuels pour les prédicateurs de la fin du XVIIe siècle plaident tant pour que contre la rhétorique. Saint Jean Eudes intitule son traité (publié pos­ thume en 1685) Le prédicateur apostolique pour polémiquer contre la rhé­ torique. Sa position est partagée par l’ouvrage anonyme La véritable manière de prêcher selon l'esprit de l'Evangile (1691), manuel attribué par A.-A. Barbier au capucin Albert de Paris. Leur hostilité vis-à-vis de l’éloquence religieuse ne s’explique pas par une distinction entre l’homilétique et l’éloquence religieuse, car Laurent Juillard, abbé Du Jarry, souligne l’importance de l’art oratoire, bien que son ouvrage Sentimens sur le ministère évangélique (1689) porte même dans le titre le renvoi au travail du prêtre. La prédication évangélique est donc un concept fort imprécis dont la signification dépend autant du type d’éloquence religieuse auquel elle s’oppose que des doctrines théologiques sur les­ quelles elle se base. Une chose semble pourtant incontestée à la fin du XVIIe siècle : le bon prédicateur subordonne l’art oratoire à sa vocation religieuse, qui garantit le succès auprès des fidèles. Prenons un manuel d’éloquence sacrée pour illustrer les idées cou­ rantes sur ce propos. Marc-Antoine de Foix, père jésuite issu d’une illustre famille, commence son long dialogue intitulé L'art de prêcher la parole de Dieu. Contenant les règles de Гéloquence chrétienne (1687) par une allu­ sion aux Réflexions sur l'eloquence de ce temps (1671) de son confrère plus connu, René Rapin, qui les avait rééditées en 1684 dans la série de ses différentes Réflexions et Comparaisons. Selon Rapin, la rhétorique chré­ tienne, qui serait celle des prophètes de l’Ancien et des apôtres du Nouveau Testament, possède un caractère inconnu à l’Antiquité grecque ou romaine. Elle vient de la lumière intérieure, infuse par le Saint-Esprit dans le cœur du prédicateur, et elle est acquise par la méditation de l’Écriture sainte. Rapin utilise la topique de la rhétorique borroméenne, qu’il voudrait perfectionner par une théologie de la pré­ dication chrétienne. Foix en prend la relève en résumant, au début de son ouvrage, la doctrine du concile de Trente sur la prédication et en se référant à Louis de Grenade qu’il allègue comme une autorité en matière de pré­ dication. Il accepte l’aversion des partisans de la prédication évangé-

Le débat sur la prédication évangélique

lique contre « l’étude de la Logique, de la Physique, de la Théologie Scolastique, et de toutes les Sciences qu’on enseigne dans l’Ecole » (Foix, 1687, 12). L'ethos du prédicateur se base surtout sur « la vocation du Ciel, la lecture et la méditation des Saints livres, et l’invocation constante du secours de Dieu » (ibid.). Les Pères de l’Église pratiquè­ rent cette méthode, qui reste toujours la meilleure. Foix recommande particulièrement l’étude de saint Jean Chrysostome, qui passe depuis longtemps pour un des meilleurs théoriciens de la prédication, et de saint Augustin, qui donne dans le quatrième livre de la Doctrine chrétienne « des Régies excellentes pour prêcher éloquemment la parole de Dieu » (ibid., 13). Foix souligne pourtant que ce traité d’Augustin « cite souvent et expressément Cicéron, en rapportant ses sentiments et ses paroles » (ibid., 21). Au lieu d’insister comme Rapin sur les divergences, Foix s’autorise de saint Augustin pour trouver bien des points communs entre l’éloquence évangélique et la rhétorique païenne, et il en déduit la nécessité de recourir à l’art oratoire : Plût à Dieu que tous nos Prédicateurs eussent une idée de nôtre Élo­ quence Chrétienne aussi haute & aussi grave, que celle que ces Auteurs Payens ont tâché de nous donner de l’Éloquence, qu’ils nous ont enseignée (ibid., 22).

Les bonnes mœurs et la probité ne paraissent dans le sermon qu’à condition que le prédicateur sache les faire valoir. La créance fausse des auditeurs a le même effet que la créance vraie, donc la « réputa­ tion de probité [est] plus essentielle à l’Éloquence que la probité même» (ibid., 151). Cette importance de l’opinion et du paraître n’autorise nullement à négliger les bonnes mœurs, mais elle manifeste la nécessité de l’art oratoire. Le prédicateur évangélique ne profite de sa vie vertueuse que dans la mesure où son discours présente les sen­ timents et les expressions que « l’on doit attendre d’un homme grave, plein d’honneur et de vertu » (ibid., 152). Les règles de la communica­ tion orale existent indépendemment de la volonté de l’orateur de les appliquer ou non, et surtout elles aident à faire un bon sermon quand la vie sainte du prédicateur ne va pas de pair avec son génie oratoire : П n’est ny probité, ny piété si grande, qui puisse empêcher que le cœur de l’Orateur ne se trouve souvent sec et aride à l’égard de certains sentiments qu’il faut faire entrer dans le sujet qu’on traite. Tout cela montre que le bon sens, les réflexions et les régies de l’Art, sont nécessaires à un Prédica­ teur, pour soutenir en toutes choses le caractère d’un homme plein d’honneur, de probité, et de sentiments de vertu (ibid., 158).

L’art supplée au manque d’inspiration. Ses règles ne mènent pas à l’artifice si on les combine avec le bon sens. Toutes les techniques ora­ toires se réduisent pour Foix à une application méthodique du bon sens. Tout est permis, « dans le feu de l’action », les hyperboles parais­ sent «naturelles» (ibid., 162) et «les sentences judicieuses » (ibid., 197), pourvu qu’elles soutiennent le message et n’en altèrent pas la vérité. Deux procédés oratoires ne trouvent en revanche pas de grâce aux yeux de Foix : les « extravagances, que l’on appelle Concetti » (ibid., 160), et les railleries que « ny les 8.8. Pères, ny tous les Sages du Christianisme, n’ont jamais pu souffrir» (ibid., 167 s.). Les subtilités ne sont pas naturelles ; les moqueries détournent l’attention de la vérité en faveur du prédicateur, donc elles ne soumettent pas l’art à la vérité qu’il doit transmettre. L’ornement oratoire bien appliqué est « destiné à plaire» (ibid., 413), mais l’ornement de l’éloquence évangélique est complètement soumis à la fonction de faire éclater la vérité. C’est pour­ quoi le prédicateur évangélique doit employer ses connaissances de l’art oratoire pour cacher son art :«[...] Le bon sens et la grandeur de la pensée, exprimée par le tour figuré, fait que l’Auditeur s’attache si entièrement à ce grand sens, qu’il ne prend pas garde à la figure de l’expression » (ibid., 414). Cette doctrine correspond bien aux idéaux de l’atticisme modéré, auxquels Foix ajoute le pathétique, concept qui manque dans L'Art de prêcher, mais qui caractérise bien sa description de la prédication évangélique : Plus le tour figuré paroît passionné ou affectueux, moins on prend garde qu’il n’ait rien de figuré, ou d’étudié : c’est surtout dans les mouvements intérieurs de quelque passion, que la nature nous porte sans étude à nous servir de tours figurés (ibid., 414).

Le pathétique est naturel quand il exprime les mouvements inté­ rieurs qui animent l’orateur. Peu importe alors si les tours figurés vien­ nent de l’étude ou du tempérament, puisque la bonne éloquence trans­ forme la méthode en une seconde nature. Le discours passionné, que le prédicateur fabrique au moyen de l’art oratoire, possède les structures du discours des prophètes et des apôtres, structures que Rapin avait identifiées avec la rhétorique spécifique du christianisme. Les développements de Foix reflètent bien des habitudes que Mme de Sévigné constate chez les prédicateurs. Admiratrice de Bourdaloue, qu’elle nomme un «prédicateur évangélique» (Sévigné, 19721978, vol. I, 692), elle remarque que ce jésuite «frappe toujours comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant contre l’adultère à tort et à travers. Sauve qui peut » (ibid., vol. II, 887). Ail­ leurs elle écrit qu’il « tonne » (ibid., 644). De l’abbé de Montmort, alors

débutant dans la carrière de prédicateur, elle vante le « bon jeune ser­ mon » et apprécie qu’il « ne nous gronda point, il ne nous dit point d’injures » [ibid., vol. I, 207). Les fidèles n’étaient donc pas à l’abri de tels inconvénients. Elle se révolte des fautes stylistiques d’un autre pré­ dicateur, qui employait dans son « sermon sur la Passion » les mots «faquin» et «coquin» {ibid., vol. II, 911). Le zèle prophétique n’autorise pas à mépriser l’auditeur ni à offenser leur goût ou à négliger les règles oratoires. Foix développe dans l’optique de la production du sermon des idées analogues à celles que Mme de Sévigné énonce dans l’optique de la réception des sermons. Pour cette raison il n’adhère ni à la conception mélancolique du prophète chez Rapin ni à la stratégie de son confrère qui veut inspirer la peur par le sermon évangélique. H recommande plutôt l’amour du prochain : Le prédicateur doit témoigner du respect et de l’estime pour ses Auditeurs, mais c’est en faisant paroître beaucoup de modestie, et de gravité, dans le ton de la voix, dans le geste, dans toutes ses paroles, et en tempérant sage­ ment tout ce que l’on dit de plus fort contre le vice, qu’il n’y paroisse jamais la moindre marque de mépris, et de chagrin contre les personnes (Foix, 1687, 163).

Cette vision du prédicateur évangélique perpétue l’urbanité de l’humanisme chrétien qui associe la parole juste aux bonnes manières et allie le respect de l’auditeur à l’expression modérée du style moyen et d’une action oratoire tempérée. Selon une bonne tradition de la Compagnie de Jésus, Foix propage un atticisme dévot où le zèle pro­ phétique du missionnaire est modéré par la culture oratoire et où le pathétique du sermonnaire passionné est soumis aux exigences de la bienséance et de la politesse. Rappelons que Foix ne prétend que développer et élargir le traité de la Doctrine chrétienne de saint Augustin. Philippe Goibaut Du Bois s’inspire également de cet ouvrage dans FAvertissement qu’il ajoute à sa traduction des «Sermons» de saint Augustin (1694). Cette source commune n’empêche pas que Du Bois aboutisse à des conclusions tout à fait dif­ férentes que Foix. A en croire Du Bois, la vraie éloquence vient des dons naturels que le prédicateur investit dans sa tâche : « La vraye élo­ quence est celle qui se trouve nécessairement dans tout homme de bon esprit qui sçait bien parler et qui est bien plein et bien pénétré de sa matière» (Arnauld, 1992, 108). Le prédicateur évangélique est élo­ quent grâce à sa ferveur religieuse et à son zèle de missionnaire, mais non par la prétention de faire un beau discours ou d’éblouir les audi­ teurs. L’élocution dérive d’une « disposition intérieure qui les conduit d’elle-même à tout ce qui se peut desirer en fait d’éloquence »

(ibid., 109). La disposition intérieure produit d’elle-même le sermon évangélique ; elle fonctionne pour ainsi dire comme un automatisme de l’individu et sans le secours de l’art. La parole juste vient de l’effet que la vérité produit au moment de l’énonciation, donc elle est spontanée et non pas préméditée. Du Bois voudrait séparer nettement l’art du beau discours de l’art de bien penser. Le premier relève de la fiction poétique et des sens aveugles, le dernier de la vérité pure et de la raison pénétrante. L’un relève du règne de l’imagination, l’autre de celui de l’intelligence. L’imagination embellit le message d’ornements oratoires tandis que l’intelligence s’appuie sur l’ordre géométrique. La conception carté­ sienne de la vérité pure est combinée par Du Bois avec la rhétorique augustinienne pour prouver que le prédicateur évangélique peut se pas­ ser de l’art oratoire dont les règles servent tout au plus aux débutants, qui ne savent pas encore « imiter l’éloquence des prophètes » (ibid., 117). Le recours au modèle du discours prophétique ne sert dans son système nullement à prédire l’avenir, mais à accentuer la subjecti­ vité de l’orateur dont les convictions cautionnent la justesse tant de l’énoncé que de l’élocution. La préface de Du Bois érige une anti-rhétorique en modèle de la véritable éloquence. Son plaidoyer en faveur de la prédication évangé­ lique s’apparente, du côté de la philosophie du langage, aux idées car­ tésiennes largement diffusées à l’époque, et, du côté de la théologie, à des courants réformateurs très hétérogènes, parmi lesquels il faut ran­ ger les Jansénistes aussi bien que leurs adversaires, par exemple Féne­ lon dans ses Dialogues sur l\éloquence (écrits entre 1677 et 1681), des gens du grand monde comme par exemple Mme de Sévigné ou des lettrés nullement dévots comme La Bruyère dans le chapitre « De la chaire » des Caractères. C’est en premier lieu un problème de spiritualité qui dépasse large­ ment le cadre de la rhétorique proprement dite. Mme de Sévigné en parle à deux reprises lorsqu’elle admire un sermon de Bourdaloue sans en tirer des fruits pour sa vie religieuse. J'ai été au sermon ; mon cœur n’en a pas été ému. [...] C’est peut-être ma faute (Sévigné, 1972-1978, vol. I, 403). Si nous n’avons bien fait nos Pâques, ce n’est vraiment pas la faute du P. Bourdaloue. Jamais il n’a si bien prêché que cette année. Jamais son zèle n’a éclaté d’une manière plus triomphante. J’en suis charmée, j’en suis enlevée, et cependant je sens que mon cœur n’en est pas plus échauffé et que toutes ces lumières dont il a éclairé mon esprit ne sont point capa­ bles d’opérer mon salut. Tant pis pour moi ! cet état me fait souvent beau­ coup de frayeur (ibid., vol. III, 108 s.).

La grande dame aborde ici un dilemme que l’éloquence de la chaire a en commun avec l’expérience que les mystiques nomment la « sécheresse ». Le meilleur sermon reste impuissant si l’auditeur persé­ vère dans une indifférence complète. Les manuels de spiritualité déve­ loppent des stratégies sophistiquées pour amorcer des voies qui mènent de la « sécheresse » à la ferveur religieuse, ou qui permettent au moins de la transformer en une expérience de la foi en Dieu. Tous ces procé­ dés présupposent pourtant la volonté de sortir de l’impasse. Cette volonté se manifeste en effet chez Mme de Sévigné qui souffre du manque d’édification religieuse qu’elle déduit d’une observation psy­ chologique : l’absence d’émotion. Cette expérience inspire le quiétisme de Mme Guyon et de Fénelon qui érigent ce phénomène de psycho­ logie religieuse en système ; la discordance entre la conviction du croyant et son affectivité reflète selon la spiritualité quiétiste la dispro­ portion entre la surabondance de Dieu et la pauvreté humaine ; il faut se défaire de son affectivité et ressentir le vide intérieur comme une promesse de plénitude. La querelle du quiétisme qui oppose Fénelon à Bossuet pendant les dernières années du siècle, et qui se termine par la condamnation de la doctrine fénelonienne, affecte l’expérience reli­ gieuse dans la vie spirituelle, et détruit ainsi l’une des bases du discours prophétique dans la prédication évangélique. Le discrédit où tombera en France la mystique après la condamnation de Fénelon ampute l’éloquence religieuse d’une de ses sources les plus fécondes, et force à substituer à la poésie des ouvrages mystiques le discours moralisateur du didactisme religieux qui caractérisera les textes religieux du XVIIIe siècle. Les prédicateurs connaissent une situation beaucoup plus grave qui résulte de la résistance des auditeurs à leur message. Bourdaloue en traite dans deux sermons « Sur la parole de Dieu ». Le dimanche de la cinquième semaine du carême, il se demande pourquoi la parole divine est aujourd’hui «si stérile dans le Christianisme» (Bourdaloue, 1765, 3), et il répond qu’il trouve « trois obstacles bien ordinaires », que com­ battent les trois parties de son sermon : le « dégoût » et l’« abus » de la parole de Dieu ainsi que la « résistance volontaire » (ibid., 5). Parmi les « abus » il compte le « plaisir du texte » ; c’est-à-dire une manière de se soustraire à l’impact de son message en goûtant les qualités oratoires du texte : Que fera le prédicateur le plus zélé ? Leur représentera-t-il l’horreur du péché, la sévérité des jugemens de Dieu, les conséquences de la mort ? Ils s’arrêteront à la justesse de son dessein, à la force de son expression, à l’arrangement de ses preuves, à la beauté de ses remarques. [...] ils

conviendront qu’on ne peut rien dire de plus grand ; que tout y est noble, sensé, suivi ; mais dans la pratique, nulle conclusion. [...] On écoute les prédicateurs pour juger de leurs talens, pour faire comparaison de leurs mérites (ibid., 21-23).

Le prédicateur s’évertue en vain à toucher son auditoire si celui-ci concentre son attention uniquement sur l’esthétique du discours reli­ gieux. Le sermon pour le dimanche de la Sexagésime range cette atti­ tude parmi les « desordres » des pécheurs et précise qu’il y a des audi­ teurs « qui, par une vaine présomption s’érigent en juges de l’éloquence chrétienne» (Bourdaloue, 1765a, 252). Bourdaloue n’admet aucune louange de l’éloquence du prédicateur sauf celle qui juge la qualité du sermon à l’aune des « conversions ». Un mauvais sermonnaire vaut mieux qu’un prédicateur brillant si le premier contribue plus à l’« édifi­ cation » des fidèles. Les juges mettent malheureusement les prédicateurs sur le même plan que les « philosophes » et les « payons » : S’ils ont des éloges à donner au Prédicateur évangélique, c’est sur la subli­ mité de ses pensées, c’est sur la nouveauté de ses tours, c’est sur la poli­ tesse & la fleur de son langage, c’est sur la grace ou le feu de son action

(ibid.).

La Bruyère attaque la même attitude dans Les Caractères ; il inclut toutefois également les orateurs sacrés dans son verdict de la première maxime du chapitre « De la chaire ». Dans la seconde maxime, il énonce la même idée que Bourdaloue : L’on fait assaut d’éloquence jusqu’au pied de l’autel et en la présence des mystères. Celui qui écoute s’établit juge de celui qui prêche, pour condam­ ner ou pour applaudir, et n’est pas plus converti par le discours qu’il favo­ rise que par celui auquel il est contraire. L’orateur plaît aux uns, déplaît aux autres, et convient avec tous en une chose, que, comme il ne cherche point à les rendre meilleurs, ils ne pensent pas aussi à le devenir (La Bruyère, 1962, XV, 2).

Cette maxime vise la prédication mondaine que tant Bourdaloue que La Bruyère stigmatisent ; elle représente l’exemple le plus scanda­ leux de l’abus de la rhétorique. Aussi sert-elle à rendre manifeste un malaise qui préoccupe un grand nombre d’auteurs à l’époque. Face à cette problématique, bien des orateurs élaborent des théories pour déterminer la spécificité de l’éloquence de la chaire. Bourdaloue soutient qu’on ne peut pas juger le sermon comme « si c’étoit un dis­ cours académique » (Bourdaloue, 1765, 18) et veut corroborer sa thèse par une théologie de l’éloquence religieuse. Il s’autorise en effet de

saint Bernard pour affirmer que « trois principes ont concouru à nous donner, quoique diversement, la divine parole, savoir, la Vierge, l’Église, & la Grace » (Bourdaloue, 1765a, 238). Le sermon constitue un des « principes » pour prêter une nouvelle incarnation au Verbe. La seconde personne de la Trinité passe par différents états pour se com­ muniquer à l’humanité : La Vierge nous l’a donnée revêtue d’une chair semblable à la nôtre pour nous la faire voir. L’Église nous la donne sous des sons qui frappent nos oreilles, & par le ministère de la voix, pour nous la faire entendre (ibid.).

Le prédicateur prête sa voix au Verbe comme la Vierge avait prêté son corps afin que le Fils prenne chair. Cette conception théologique de la prédication rend compréhensible le mépris de la rhétorique dont l’art est censé être trop bas pour être l’instrument adéquat de l’incarna­ tion du Verbe divin. L’idée attribuée par Bourdaloue à saint Bernard se trouve déjà chez saint Augustin qu’invoque Du Bois pour ériger une ligne de démarca­ tion nette entre l’éloquence humaine et la prédication évangélique. Son Avertissement provoqua pourtant une réplique violente d’Antoine Amauld, qui ne prit pas seulement la défense de l’éloquence de la chaire, mais aussi celle de la rhétorique en général. C’est une réaction qu’on n’attendrait pas de la part de l’un des auteurs de la Logique de Port-Royal où la rhétorique fut la cible de critiques sévères. Ses « remar­ ques » furent écrites immédiatement après la réception de VAvertissement de Du Bois et envoyées à Jacques Le Noir « en demandant à ce dernier de les communiquer à Du Bois» (Amauld, 1992, 48). Mais Du Bois mourut entre-temps et Amauld s’éteignit quelques semaines plus tard dans son exil bruxellois. Le manuscrit d’Amauld circula dans les milieux ecclésiastiques et littéraires de Paris, et fit tant de bruit que l’éditeur Delaulne profita de l’occasion pour le publier en 1695 sous le titre de Réflexions sur l'éloquence des prédicateurs. C’est ainsi que parut un ouvrage de circonstance dont la forme de « remarques » ne cache pas son origine, mais dont le contenu est hautement représentatif du débat sur la rhétorique à la fin du XVIIe siècle. Amauld dissèque impitoyablement l’argumentation de Du Bois et en dénonce les faiblesses et les contradictions. П veut préserver ainsi sa propre doctrine des interprétations erronées de la part d’un admirateur d’Augustin. Ce qui importe pour notre propos, c’est que ni le principe de la vérité pure, indépendante du langage, ni l’insistance sur la subjecti­ vité ne sont critiqués par Amauld, qui nie en revanche l’incompatibilité entre prédication évangélique et rhétorique.

Le célèbre théologien janséniste relève souvent les mêmes passages du De la Doctrine chrétienne que le jésuite Foix. Il s’efforce également de prouver que le Père de TÉglise éprouvait une grande estime pour la rhétorique antique. Du Bois prétendait être fidèle à saint Augustin quand il égalait l’éloquence adulte du prédicateur évangélique à l’anti­ rhétorique, mais Amauld le contredit : П faut, Monsieur, que vous avouyez ou que vos pensées sont bien con­ traires à celles de saint Augustin, ou que si elles y sont conformes, vous vous soyez bien mal expliqué. Car au lieu que saint Augustin enseigne positivement, que le prédicateur évangélique peut et doit se servir utile­ ment de l’éloquence qui s’enseigne dans les écoles, et qu’on peut employer à persuader le vray et le faux, ce qui ne convient qu’à l’éloquence humaine, vous décidez au contraire, que « c’est faire injure à une si haute fonction que d’employer les tours et les addresses de l’éloquence humaine, pour faire entrer la science du salut dans le cœur des fideles» (ibid., 134 s.).

Cette dispute entre deux exégètes de saint Augustin dépasse indubi­ tablement le domaine de la théologie et de l’éloquence religieuse. Comme Pierre de La Ramée un siècle auparavant, Amauld ne peut s’imaginer que sa critique de la rhétorique ait pour conséquence l’abolition de l’art oratoire. Mais tant l’un que l’autre amputent l’ancienne rhétorique en la réduisant à l’élocution. L’éloquence de la chaire était toujours accusée de ressembler trop à l’éloquence profane. Du Bois accentue ce reproche à l’adresse des mau­ vais prédicateurs en prétendant que tout recours à l’art oratoire produit automatiquement le contraire de la prédication évangélique. C’est l’occasion pour Amauld de l’attaquer en tant que membre de l’Académie française et de défendre en même temps les grands orateurs de l’Antiquité : Vous avez eu sans doute en veuë Cicéron, Demosthene, et tant d’autres grands autheurs et orateurs qui ont employé leur éloquence sur des sujets prophanes, quand vous avez proposé comme un grand inconvenient que ces sortes d’orateurs pussent estre confondus avec les prédicateurs de l’Évangile. Et il est clair aussi que ce que vous avez voulu que nous concessions par un discours académique, duquel vous trouvez mauvais qu’un sermon ne soit different que par la sainteté de la matière, est quel­ qu’un de ces beaux discours qui se font dans vostre Académie sur des sujets qui ne regardent point la religion. Or loin qu’il y ait de l’inconvenient dans la ressemblance entre les pieces d’éloquence et un bon sermon ; on vous peut soutenir sans crainte que cela doit estre ainsi (ibid., 143).

Amauld rappelle à Du Bois que l’élaboration d’une rhétorique est toujours une des tâches imposées à l’Académie française, et Fénelon en témoignera encore vingt ans plus tard dans sa Lettre à ^Académie. L’Académie s’occupe de rhétorique tant sur le plan de la théorie que sur celui de la pratique. Elle cultive l’éloquence profane, pour laquelle les deux éminents orateurs de l’Antiquité passent aux yeux d’Amauld pour les modèles incontestés. La critique cartésienne des prétentions univer­ selles de la rhétorique ne diminue donc nullement l’admiration pour Démosthène et Cicéron qu’éprouve Amauld en tant qu’humaniste de conviction. Il ne prend pas non plus ses distances vis-à-vis de la distribu­ tion du prix d’éloquence religieuse que l’Académie française adjuge tous les deux ans « à celuy qui a le mieux réussi sur une matière sainte » {ibid., 143). Les analogies entre la rhétorique profane, que cultive l’Académie française, et l’éloquence religieuse ne choquent donc nulle­ ment notre janséniste ; elles confirment tout au contraire à ses yeux l’importance de l’art oratoire tant dans la vie culturelle que dans l'instruction religieuse. Toute la première partie des Réflexions est centrée sur les problèmes de la rhétorique augustinienne. Amauld s’y appuie sur l’estime de ce Père de l’Église pour les orateurs païens pour sauvegarder la rhétorique antique du verdict de ses détracteurs rationalistes ou dévots, et pour défendre la bonne éloquence (religieuse ou profane) contre l’accusation d’être inutile. Cette partie des Réflexions constitue une preuve irréfu­ table, s’il en fallait, que l’hostilité vis-à-vis de la rhétorique d’école et la condamnation de la fausse éloquence ne signifient pas forcément à la fin du XVIIe siècle qu’on veuille exterminer la rhétorique et l’expulser du domaine du savoir. Amauld ne renie pas ce qu’il avait écrit en 1658-1659 dans son Mémoire sur le règlement des études dans les lettres humaines où il polémique contre la coutume des régents de collège de dicter des cours de rhétorique : Les régents ne feront jamais apprendre aucun vers ni aucune déclamation de leur façon, ni ne dicteront point de rhétorique qu’ils aient composée. Il faudrait expliquer surtout celle d’Aristote, de Quintilien, d’Hermogène avec les livres De oratore, VOrator, De clans oratoribus de Cicéron (Amauld, 1886, 9).

Le retour aux sources gréco-latines de l’art oratoire sert à former l’esprit de la jeunesse. Il faut lui faire même apprendre par cœur « les harangues des historiens, comme Salluste, de Quinte-Curce, de Tite-Live, et surtout de Tacite» {ibid., 10). Ces pièces d’éloquence méritent la même attention que les poètes latins Horace et Virgile, dont il faut apprendre « le deuxième, le quatrième, le sixième de

YÉnéide et les quatre des Géorgiques » (ibid,). La poésie et la rhétorique de l’Antiquité restent donc pour Amauld intimement liées et constituent une matière privilégiée et indispensable du cursus scolaire. La deuxième partie des Réflexions traite de l’imagination. Nous y reviendrons plus tard quand nous parlerons des suites de cette querelle. Contentons-nous pour le moment de noter qu’Amauld y définit l’éloquence comme une faculté qui agit principalement « sur le cœur » (Amauld, 1992, 183). La troisième partie insiste sur la différence entre le bon raisonnement et un discours éloquent pour mettre en évidence la confusion faite par Du Bois entre « l’ordre géométrique » {ibid., 213) et la bonne éloquence. Selon Amauld, il faut distinguer nettement la logique et la rhétorique. La rhétorique est l’art de toucher le cœur, la logique est l’art de penser, donc de persuader l'intelligence. L’homme résiste aux vérités qui le confrontent aux exigences morales, c’est pour­ quoi il faut les lui présenter par de belles paroles qui l’affectent. D en suit que la rhétorique est bonne en soi et qu’elle est même nécessaire, bien que la vérité, qui relève de la logique, ne soit pas son objet spéci­ fique. La rhétorique enseigne des stratégies de persuader les autres en sus­ citant des émotions du cœur. EUe est un art qu’on peut « acquérir par les préceptes ». On l’apprend ou par l’instruction « des maistres habiles » ou par « d’exceUens modèles, quand c’est par la lecture et l’imitation des auteurs éloquens qu’on tasche de le devenir » {ibid., 208). L’éloquence n’est donc pas un don naturel, mais « il faut de l’étude et de l’application pour devenir éloquent» {ibid., 210). Amauld est trop imbu des principes de l’imitation humaniste pour L'art et le génie admettre une conception de l’élocution spontanée, et il tient la réduc­ tion de l’éloquence au seul génie de l’orateur pour incompatible avec le rationalisme. Il rattache ainsi le débat sur la prédication évangélique à la discussion interminable sur les rapports entre génie (ingenium) et juge­ ment (indicium). Ce débat prend une nouvelle envergure dès que l’auto­ nomie du producteur d’un texte s’impose aux dépens de l’hétéronomie qui résulte de l’obligation de se soumettre à des modèles consacrés par une longue tradition. Ce changement s’effectue dès le moment où le rationalisme cartésien se substitue à la pensée humaniste. Charles Per­ rault dédia une grande partie de ses activités d’écrivain à promouvoir cet anti-humanisme rationaliste. La QuereUe des Anciens et des Modernes attire l’attention sur la problématique du génie. Afin de contester le principe de l’imitation des modèles anciens, il faut minimiser les dettes des lettres modernes vis-à-vis de l’Antiquité. Aussi Perrault met-il l’accent sur le génie et

prétend-il que l’auteur d’un texte parle exclusivement en son propre nom sans devoir quoi que ce soit aux Anciens. C’est ainsi qu’il soutient que «Voiture ne s’est formé sur personne» (Perrault, 1964, vol. II, 146). Il avait publié en appendice du premier volume du Parallèle des Anciens et des Modernes une épître, dédicacée à Fontenelle, « Le Génie », où il fait jaillir l’invention du génie : Il faut qu’une chaleur dans Fame répandue, Pour agir au-dehors l’éleve & la remue, Luy fournisse un discours qui dans chaque auditeur Ou de force ou de gré trouve un approbateur (ibid., vol. I, 28).

Cette idée n’aurait rien de spécifiquement moderne si Perrault ne la combinait avec une conception du progrès dans le domaine des lettres. Dès lors, les dons d’un poète ne se mesurent plus selon le degré de res­ semblance que son œuvre possède avec un modèle précédent ; ce ne sont que les règles existantes à un moment historique donné qu’il faut considérer si l’on veut juger une œuvre : П y a deux choses dans tout Artisan qui contribuent à la beauté de son ouvrage ; la connoissance des regies de son Art & la force de son genie, delà il peut arriver, & souvent il arrive que l’ouvrage de celuy qui est le moins sçavant, mais qui a le plus de genie est meilleur que l’ouvrage de celuy qui sçait mieux les regies de son art & dont le genie a moins de force (ibid., vol. III, 154).

La connaissance des règles est ce que la rhétorique et la poétique humanistes attribuaient au jugement, qui devait corriger la force du génie, base de toute production de texte. Perrault se distancie des théo­ ries humanistes en soulignant la priorité absolue du génie et son indé­ pendance vis-à-vis des règles ; donc ce ne sont pas les modèles mais le génie qui produit les textes littéraires. Beaucoup de poéticiens humanis­ tes, de Trissino à Chapelain, étudiaient les œuvres-modèles, en dédui­ saient les règles qui, selon eux, avaient inspiré ces ouvrages, et s’appliquaient ensuite eux-mêmes à fabriquer des textes, qui étaient construits d’après ces règles. Il faut reconnaître que les résultats de ce travail étaient loin d’être satisfaisants. Les poètes humanistes dénon­ çaient eux-mêmes les faiblesses des ouvrages produits sous ces auspices, mais ils ne se détournaient pas du principe selon lequel on peut apprendre, grâce aux règles, à bien écrire n’importe quel type de texte. Perrault s’engage en revanche à défendre Chapelain contre ses détrac­ teurs, qu’il soupçonne d’agir par envie du poète doté de deux pensions élevées et plus riche qu’eux (ibid., vol. III, 243 s.). Son apologie de Cha­ pelain sert pourtant à infirmer la conception humaniste des règles. Car,

selon Perrault, ce ne sont pas les modèles qui garantissent la validité des règles, mais le progrès des connaissances, donc, en dernière ins­ tance, les auteurs, qui amènent la perfection des règles. L’accent se déplace ainsi des œuvres aux auteurs et subordonne par là les règles à l’individu. Les règles mettent à la disposition du génie des techniques pour fabriquer des œuvres. Ces techniques sont susceptibles d’être per­ fectionnées, et, dans ce sens, Chapelain a produit une meilleure poésie que les poètes de l’Antiquité. Les défauts de sa Pucelle viennent du fait qu’il avait peu de génie. Perrault explicite sa conception du génie à propos de Virgile : Virgile a pû faire un poème épique plus excellent que tous les autres, parce qu’il a eu plus de genie que tous les Poètes qui l’ont suivi, & il peut en mesme temps avoir moins sçeu toutes les regies du poème épique (ibid., vol. III, 154).

L’excellence de VÉnéide vient du génie de Virgile. Ce poème dépasse les épopées d’Homère grâce au progrès des règles, mais ce même progrès pourrait permettre aux successeurs de Virgile de le dépasser. D’où la conséquence : S’il plaisoit au Ciel de faire naistre un homme qui eust un génie de la force de celuy de Virgile, il est seur qu’il feroit un plus beau poème que YEneïde, parce qu’il auroit, suivant ma supposition, autant de genie que Virgile, & qu’il auroit en mesme temps un plus grand amas de préceptes pour se conduire (ibid., vol. III, 155).

Perrault renverse complètement la perspective dans laquelle les règles obtiennent leur importance. La poétique et la rhétorique huma­ nistes regardaient en arrière vers un modèle. Quoique produit à une certaine époque de l’Antiquité, ce modèle s’impose aux futurs produc­ teurs de textes, parce qu’il a surmonté les contingences du temps grâce à sa perfection. La poétique et la rhétorique de Perrault regardent en revanche en avant pour chercher l’auteur dont le génie fasse surgir, des règles perfectionnées, le chef-d’œuvre des temps modernes. Dans cette théorie, les règles expliquent le côté technique de la fabrication des tex­ tes ; le génie produit lui-même son texte en l’inventant tout en appli­ quant les règles. La notion de génie renvoie donc tant dans le domaine de la poésie que dans celui de la rhétorique à la créativité de l’individu, et cette créativité se mesure selon sa capacité d’inventer un texte. Perrault ne cesse de ridiculiser dans les différents volumes du Paral­ lèle des Anciens et des Modernes les idées les plus chères aux humanistes de son époque ; il est cependant trop imbu des manières de penser de ses

adversaires pour pouvoir s’imaginer la production du texte sans le secours des procédés de la rhétorique. C’est pourquoi il insiste sur l’idée de progrès tant sur le plan de la théorie que sur celui de la pra­ tique oratoire et s’applique, dans le second volume du Parallèle, à démontrer la supériorité de l’éloquence moderne sur celle de l’anti­ quité. La civilisation moderne ne peut donc pas se passer de rhétorique mais elle possède des concepts qui permettent de marginaliser l’ancienne civilisation oratoire. Fort de sa conception subjective du génie, Perrault attribue pourtant au progrès ce que le père jésuite René Rapin s’ingénie à expliquer par le renvoi à la civilisation archaïque de l’Antiquité. La pensée de Rapin tourne sans arrêt autour du problème de l’inspiration poétique et de sa relation à l’art poétique ou oratoire. Selon Elfrieda Dubois, Rapin est celui parmi les théoriciens du XVIIe siècle qui « traite le plus longuement de la place que tient le " génie ” dans la composition » (Rapin, 1970, XXI). Il se range pour­ tant aux antipodes de Perrault quand il érige Homère en modèle du génie poétique. Il énumère d’abord les qualités requises pour la diction et poursuit ensuite : On peut dire que jamais personne n’a eu en aucune langue toutes ces qualitez dans un plus éminent degré qu’Homère. C’est aussi le premier modèle que le poète doit se proposer, pour écrire comme il faut : on n’a jamais parlé plus purement ny plus naturellement que luy : il est le seul qui ait trouvé le secret de joindre à la pureté du style toute l’élévation et toute la grandeur dont la poésie héroïque peut estre capable (ibid., 48).

Cet éloge de la diction concerne l’art oratoire en général bien qu’il se réfère dans le contexte à la « rhétorique particulière » (ibid., 58) des poètes. Selon Rapin, la poétique ne s’oppose pas à la rhétorique mais elle exige un plus haut degré des qualités nécessaires à un bon orateur. Aussi ses développements sur les poètes présentent-ils avec plus d’insis­ tance les généralités qui valent en principe également pour l’orateur. Puisque Homère est un esprit universel, il est aux origines tant des arts libéraux que des arts mécaniques : Homère qui eut un génie accomply pour la poésie, eut aussi l’esprit le plus vaste, le plus sublime, le plus profond, le plus universel qui fût jamais. C’est dans ses poèmes que se sont formez les grands personnages de l’Antiquité. Les législateurs y ont pris le premier plan des loix qu’ils ont données aux hommes : les fondateurs des monarchies et des républiques ont dressé leurs estats sur le modèle qu’il s’en estoit formé : les philosophes y ont trouvé les premiers principes de la morale qu’ils ont enseignée aux peuples : les médecins y ont étudié les maladies et les remèdes : les astro-

nomes y ont appris la science du ciel et les géographes celle de la terre : les rois et les princes y ont trouvé l’art de gouverner, et les capitaines celuy de former un bataillon, de camper une armée, d’assiéger des villes, de donner des combats, et de remporter des victoires [ibid., 16).

Ce portrait n’a rien d’original, ni au niveau des idées, ni sur le plan de l’élocution. Rapin se contente de répéter les clichés des exégètes antiques ou humanistes sur Homère, clichés dont il se sert pour illustrer le lien intime entre génie et art : sans génie, personne ne peut devenir poète. C’est de nouveau un Heu commun de l’esthétique littéraire que d’affirmer : « On peut devenir orateur, sans avoir de naturel à l’éloquence: mais on ne peut estre poète sans génie» [ibid., 18). L’homme éloquent peut profiter de l’instruction pour suppléer à un manque de dons naturels, mais le poète ne l’est que grâce à son natu­ rel. Il est pourtant faux de compter uniquement sur son naturel ; Marino est tombé dans cette erreur, et Rapin et ses compatriotes lui en font un reproche. Sur ce point, notre jésuite n’admet pas de restric­ tions : « Le génie doit indispensablement s’assujettir à la servitude des règles » [ibid., 26). Mais il ne veut pas « décider lequel contribue davan­ tage à la poésie, ou l’art ou la nature » [ibid., 26 s.). Cette question lui semble « propre à mettre en déclamation » parce que « la décision est peu importante » [ibid., 27). Que signifie cette indifférence, sinon que génie et art se complètent mutuellement en renvoyant l’un à l’autre ? Selon Rapin, « l’art est comme l’instrument du génie » [ibid., 32). Les poètes doivent examiner scrupuleusement leurs forces pour connaître leur génie parce qu’il y a peu de « génies universels capables de tout par l’immensité de leur esprit » [ibid., 28). Si le poète peut se « former par le secours de l’art » [ibid., 29), la part de l’individu dans la produc­ tion de la poésie devient primordiale. Cette doctrine contribue à l’émergence du concept d’auteur qui apparente les théories d’un Moderne comme Perrault avec l’esthétique littéraire d’un Ancien comme Rapin ou La Bruyère.

Le débat français sur les rapports entre art et génie eut beaucoup de répercussions dans les autres pays de l’Europe. Les Italiens et les Alle­ mands regardent à cette époque vers la France et commencent à se rapprocher des théories oratoires et poétiques françaises. Tant les Ita­ liens que les Allemands s’efforcent pendant les dernières décennies du XVIIe siècle de se libérer du baroquisme, tombé en discrédit. Dans leur combat contre le marinisme, les membres de l’Académie romaine des Arcades et de ses dépendances dans toute l'Italie se souviennent du magistère de Pétrarque dont le Canzoniere sert de remède en poésie de

Répercussion du débat français sur la rhétorique en Italie

et en Allemagne

langue vernaculaire contre l’érotisme du Cavalier Marin, et dont le cicéronianisme néo-latin doit exorciser les exubérances de l’asianisme baroque. Les Arcadiens italiens se retranchent derrière les théorèmes de l’atticisme français, qu’ils transforment en classicisme cartésien. Cette confusion de l’atticisme français et du cartésianisme caractéri­ sera en Allemagne la rhétorique et la poétique de Gottsched, figure de proue du premier rationalisme des Lumières. Gottsched néglige mal­ heureusement les pages admirables que Daniel Morhof, professeur de rhétorique de l’Université de Kiel, consacra dans De patavinitate Liviana liber. Ubi de urbanitate et peregrinitate sermonis Latini universe agitur (1685) à l’atticisme d’un Guez de Balzac et au statut de la littérature dans la France du XVIE siècle. S’appropriant des idées d’Érasme, Morhof polé­ mique contre le cicéronianisme italien et exalte une « rhétorique de l’urbanité» (Zuber, 1982, 95) dont le maître à penser lui semble être Guez de Balzac, et dont le laboratoire primordial est à ses yeux la cour. La civilisation de cour française hante l’imagination des rhétoriciens allemands qui aimeraient faire surgir des débris de l’Allemagne ravagée par la guerre de Trente Ans une culture littéraire et oratoire égale à celle de la France de Louis XIV. Ils ne se font pourtant pas d’illusions sur la disproportion qui existe entre les petites cours de l’Allemagne, composée d’un grand nombre de centres régionaux autonomes, et la France centralisée où la cour de Versailles et la ville de Paris effaçaient tous les efforts qui pouvaient être entrepris dans les provinces. Sous ces auspices, un professeur de rhétorique du lycée de Zittau, Christian Weise, préconise une voie spécifiquement allemande pour se libérer du baroquisme. D admire la civilisation française, mais il se rend également compte que l’administration joue en Allemagne un rôle ana­ logue à la cour et la ville en France. Il s’efforce donc d’élaborer une rhétorique qui s’inscrit dans le cursus d’études préparant les futurs fonctionnaires à leur travail « politique ». Aussi reproche-t-il à l’huma­ nisme philologique d’ignorer les véritables besoins de son temps. L’érudition humaniste allemande ne reste pas seulement détachée de la société mondaine, mais elle est également inutile aux besoins de l’administration d’État où l’élite bourgeoise trouve ses débouchés pro­ fessionnels. C’est pourquoi Weise veut transformer les études. Ses théo­ ries rhétoriques s’inscrivent dans ce processus de restructuration du domaine des lettres et de leur enseignement. Weise se plaint de l’aliénation de l’érudition humaniste allemande de la vie pratique, et de la mentalité de l’élite politique et sociale. Dans cette optique, il peut qualifier l’asianisme des poètes baroques allemands de « pédanterie » parce que leurs artifices et leurs obscurités ne servent

qu’à mettre en relief leurs dons et leurs connaissances. Leurs textes pleins d’artifices oratoires attirent l’attention de leurs collègues, dégoû­ tent en revanche le grand monde. Ce jugement se fonde sur une obser­ vation de sociologie de la littérature. La plupart des gens incriminés de pédantisme sont des poètes doctes ou même des professeurs qui fabri­ quent des poésies sur commande selon les règles rhétoriques. L’orgueil de faire étalage de ses connaissances gâte autant la production littéraire que l’importance accordée aux œuvres de circonstance. Aussi Weise exige-t-il dans sa poétique Curieuse Gedancken von Deutschen Versen (1692) de se défaire du « style scolastique » et de revêtir un « style politique et civil» (Weise, 1692, t. II, 58 s.). Cette proposition accentue le rôle de l’auteur parce que Weise interdit de suppléer au manque d’idées tel qu’il caractérise la poésie sur commande et de circonstance par les artifices de la rhétorique. Le poète ne produit jamais une bonne poésie s’il s’appuie exclusivement sur les procédés oratoires. C’est pourquoi il faut libérer les poètes du joug de la poésie sur commande et leur permettre d’épanouir leur génie sans lequel l’art se réduit à un simple exercice scolaire. Rien d’étonnant dès lors que Weise veuille renverser le rapport entre art et génie. Le génie du poète est basilaire pour toute production littéraire parce qu’il prend l’initiative, fournit les idées et jette ainsi les bases pour appliquer les règles de l’art. Il faut suivre ces impulsions de l’inspiration qui reste liée à son individualité et la dépasse en même temps. Le génie a besoin des règles de l’art comme l’art a besoin du génie qui s’en sert pour fabriquer de la poésie. Weise soumet la poésie à la rhétorique tout en insistant sur la prio­ rité du génie sur l’art. П adhère en effet dans ses Curieuse Gedancken von Deutschen Versen à la doctrine traditionnelle selon laquelle la poésie n’est que la servante de la rhétorique. Cette hiérarchie lui importe dans son combat contre le baroquisme. Le poète ne peut pas s’autoriser de son génie pour laisser libre cours à son imagination selon la pratique bien connue des poètes baroques. П doit tout au contraire refréner son essor pour rendre son style naturel et ses expressions claires. La politesse exige de se défaire de la sévérité mélancolique des pédants, fixés sur leurs connaissances inutiles et leur élocution artificielle, et d’épouser l’esprit ouvert et la douceur accommodante des gens du monde. Les Français lui ont inspiré cette doctrine qui se réfère à leur idéal de l’honnêteté et à leur alliance entre la cour et la ville. Dans son traité de rhétorique Politischer Redner (1679), Weise range la poésie sous les catégories de « politique » et de « civique ». Toute poésie doit être écrite pour le bien commun et être destinée à la communauté civique. Lorsqu’on produit des textes pour son plaisir privé, on peut se passer des règles, mais ces « bagatelles » n’ont rien en commun avec la

véritable poésie qui est toujours « politique » et « civique ». Cette dis­ tinction entre poésie privée et poésie publique est nouvelle. Elle ouvrira la voie à la production d’une poésie de « confession ». Selon Weise, l’art oratoire corrige les excès du génie, mais le génie peut négliger le modèle antique. Notre professeur de rhétorique ne se hasarde pas sur le terrain des iconoclastes tels que Perrault, et il préfère se taire sur l’argument de la Querelle des Anciens et des Modernes. Christian Thomasius est en cela plus courageux que son collègue. Dans son discours Welcher Gestalt man denen Franzosen in gemeinem Leben und Wandel nachahmen soil ? (1687), il propose de remplacer le latin des érudits par le français des cours pour rompre définitivement avec la pédanterie des universitaires. Cette provocation s’inscrit dans un programme de la modernisation de la vie culturelle en Allemagne. Elle représente la partie linguistique d’une théorie rationaliste des sciences, que Thomasius sou­ met aux exigences de la vie pratique. Dans la partie oratoire de cette théorie, Thomasius compte avec Malebranche la vénération de l’Antiquité parmi les « préjugés ». La politesse et le bel esprit sont les valeurs positives, que Thomasius emprunte surtout à Bouhours, dont le verdict sur les Allemands incultes est récusé par Thomasius. Thomasius encourage ses compatriotes à appliquer l’esprit géomé­ trique à la composition des textes. S’il remplace la rhétorique huma­ niste, basée sur les littératures anciennes, par une rhétorique « mo­ derne », il s’inspire cependant autant des Anciens que des Modernes. Bien que ses emprunts aux Modernes soient plus forts que ses dettes envers les Anciens, ses synthèses d’idées venues des deux camps confir­ ment notre thèse que les divergences évidentes entre les Anciens et les Modernes cachent une affinité élective plus profonde. L’émergence du concept d’auteur marque en effet également la rhétorique atticiste des Anciens.

L'Académie française Dans son Discours de réception à l’Académie française, le 31 mars 1693, et l'orateur idéal Fénelon esquisse l’histoire de la rhétorique dans la France du XVIIe siècle. Se conformant à la coutume d’inclure dans ce texte un panégyrique du prédécesseur, il profite de l’éloge de Pellisson pour éri­ ger ce dernier en modèle de la rhétorique française cultivée par l’Académie : Depuis que des hommes savants et judicieux ont remonté aux véritables règles, on n’abuse plus, comme on le faisait autrefois, de l’esprit et de la parole ; on a pris un genre d’écrire plus simple, plus naturel, plus court, plus nerveux, plus précis. On ne s’attache plus aux paroles que pour expri­ mer toute la force des pensées, et on n’admet que les pensées vraies, solides, concluantes pour le sujet où l’on se renferme (Fénelon, 1983, 535).

A en croire Fénelon, la rhétorique abusait de ses techniques de per­ suasion aussi longtemps qu’elle ne subordonnait pas le charme des paroles à la force des pensées. La précision linguistique soutient la vigueur des idées et crée un effet de simplicité et de naturel qui rend les développements plus concluants en leur enlevant même le moindre soupçon d’artifice oratoire. Fénelon ajoute que l’érudition « ne se montre plus que pour le besoin » (ibid,), c’est-à-dire qu’elle s’intégre parfaitement dans la stratégie oratoire en complétant la beauté de l’énonciation par une justesse des idées. La même règle vaut pour l’ingéniosité, qui doit se cacher. Il faut donner l’impression qu’il est naturel de penser et de parler de cette manière. L’éducation doit retrouver, au centre de la culture intériorisée, la spontanéité de la nature « parce que toute la perfection de l’art consiste à imiter si naïve­ ment la simple nature, qu’on la prenne pour elle » (ibid.). La culture perfectionne la nature et l’homme cultivé accède à la belle nature. Fénelon retrouve dans Y Histoire de Г.'Académie de Pellisson les idéaux oratoires de l’Académie française. Comme celle-ci se distingue par « la facilité, l’invention, l’élégance, l’insinuation, la justesse, le tour ingé­ nieux » {ibid., 533), les débats de cette illustre assemblée et les écrits de ses membres brillent par « la simplicité, l’ordre, la politesse, l’élégance » (ibid., 534) : Racan est 1’ « héritier de l’harmonie de Malherbe », Vaugelas a l’oreille « délicate pour la pureté de la langue », Corneille est « grand et hardi dans ses caractères », et même les « grâces les plus riantes et les plus légères » (ibid.) de Voiture reflètent l’esprit de cette institution. Les académiciens joignent «le mérite et la vertu [...] à l’érudition et à la délicatesse » (ibid.), c’est-à-dire des qualités morales à des qualités intellectuelles et esthétiques. Fénelon en déduit la nécessité du dialogue entre les ressortissants des trois groupes qui constituent ce corps : la noblesse d’épée ( « la naissance » ), la noblesse de robe ( « les dignités » ) et les gens de lettres (« le goût exquis des lettres », ibid.). La désinvolture aristocratique alliée à la solidité du savoir et à la virtuosité stylistique mène à dédaigner les ornements superflus du style fleuri et encourage à lui préférer « le simple » que Fénelon égale au « vrai genre sublime » (ibid., 535). Le nouvel académicien a brossé un autoportrait, tant les traits mar­ quants de son éloge correspondent aux qualités que le directeur de l’Académie, M. Bergeret, exalte ensuite dans sa réponse chez le précep­ teur du duc de Bourgogne. П lui reconnaît : Une vaste étendue de connoissances en tout genre d’érudition, sans confu­ sion et sans embarras ; un juste discernement pour en faire l’application et l’usage ; un agrément et une facilité d’expression qui vient de la clarté et

de la netteté des idées ; une mémoire dans laquelle, comme dans une bibliothèque qui vous suit partout, vous trouvez à propos les exemples et les faits historiques dont vous avez besoin ; une imagination de la beauté de celle qui fait les plus grands hommes dans tous les arts, et dont on sait, par expérience, que la force et la vivacité vous rendent les choses aussi présentes qu’elles le sont à ceux mêmes qui les ont devant les yeux (Féne­ lon, 1850, vol. VI, 610).

Le directeur de l’Académie salue en la personne du précepteur un ecclésiastique éloquent dont les dons innés font fructifier les connais­ sances acquises, et dont la culture intellectuelle rehausse les avantages d’une naissance illustre et d’une bonne disposition naturelle. Fénelon est le digne successeur de Pellisson parce qu’il possède la même simpli­ cité de mœurs et d’élocution que celui-ci, et qu’il dépasse son prédéces­ seur par la noblesse de sa naissance et la droiture de sa croyance reli­ gieuse. Il correspond par là à l’idéal que, quelques années plus tard, André Renaud égale au « bel esprit » : Le bel esprit trouve dans son propre fonds & avec ses propres lumières, ce que les esprits ordinaires ne trouvent que dans les Livres [...] Enfin le bel Esprit est un bon sens qui brille (Renaud, 1973, 437).

Renaud est un grammairien qui invoque sans arrêt l’autorité de Boileau. Sa Manière de parler la langue française selon ses diffirens styles (1697) résume bien des lieux communs de l’atticisme de l’époque. Son manque d’originalité en matière de rhétorique a pour nous l’avantage infini de manifester l’état d’esprit qui accompagne les débats sur le sublime. Le sublime en France

à la fin du XVtf siècle

Dans ses Parrhasiana, Jean Le Clerc note que le style sublime est exigé quand «le sujet est naturellement relevé» (Le Clerc, 1699-1701, 116) et il ajoute que Longin en a « fait un traité qui est entre les mains de tout le monde sur tout depuis qu’il a été traduit en François » (ibid.). C’est un hommage à la traduction du Traité du sublime publiée par Boi­ leau en 1674 et c’est en même temps un témoignage sur la réception de ce manuel d’éloquence. Le Clerc n’est pas le seul auteur qui recon­ naisse à l’époque l’importance de cette traduction. Fénelon en fait l’éloge dans ses Dialogues sur ^éloquence, où son porte-parole met le traité de Longin au-dessus de la Rhétorique d’Aristote qui « a beaucoup de préceptes secs et plus curieux qu’utiles dans la pratique » (Fénelon, 1983, 9). Aristote y est censé enseigner la théorie aux gens éloquents, tandis que Longin forme les vrais orateurs en joignant « aux préceptes beaucoup d’exemples qui les rendent sensibles » (ibid.). Mêler la théorie

et la pratique, c’est pour Fénelon traiter «le sublime d’une manière sublime » (ibid.), autrement dit c’est instruire sans recourir au savoir pédant et livresque. Longin « échauffe l’imagination, il élève l’esprit du lecteur, il lui forme le goût » (ibid.). L’admiration pour Longin s’inspire donc du mépris mondain de l’école et de l’artifice. Fénelon ne loue pourtant pas sans restrictions. Selon lui, Longin « s’applique plus à l’admirable qu’à l’utile » et « ne rapporte guère l’éloquence à la morale » {ibid., 9 s.). Ce dernier point revient sans arrêt dans les débats sur l’éloquence de la chaire, tandis que le premier point inspire les efforts pour compléter les prétendues lacunes du traité de Longin. A partir de 1674, le classicisme français se réfère sans arrêt à Longin ou plus précisément au traité français Du sublime. La tâche la plus difficile du traducteur consistait à rendre en français le riche corpus d’exemples dont le Traité du sublime était truffé. La traduction des extraits que Longin avait tirés des classiques grecs équivalait à créer un répertoire du meil­ leur style français. Boileau résume le travail du style que plusieurs géné­ rations avant lui avaient commencé à effectuer et adhère à une concep­ tion « de l’écriture toute proche de celle qui prévalait chez les prosateurs de la première Académie française » (Zuber, 1991, 287). André Dacier, érudit connaissant profondément la littérature grecque et latine, mécon­ nut ce programme. H communiqua ses « critiques » (Boileau, 1942, 185) à Boileau, qui les fit imprimer dans l’édition de 1683. Boileau y répond brièvement à celles qui lui imputent une faute tandis qu’il s’écartait déli­ bérément de l’original. Cette « querelle » est une première preuve que le Traité du sublime veut rendre un hommage au grand monde, que Boileau appelle son « Public » (ibid., 44). Une deuxième preuve est fournie par ses Réflexions critiques sur quelques passages du Rheteur Longin ajoutées à l’édition de 1694. Boileau y utilise une des «petites formes littéraires » bien appréciées par les mondains pour répondre aux objections de Charles Perrault contre Homère et Pindare. Il y récuse la pesanteur scientifique en présentant d’une manière discontinue une doctrine que les érudits auraient soumise au raisonnement et à la forme littéraire d’un traité systématique. L’idée centrale que Boileau puise chez Longin concerne la qualité du discours. Les manuels oratoires distinguaient depuis longtemps trois degrés de style : le style bas, le style moyen et le style élevé. Le style élevé et le style sublime y passaient pour la même chose, mais Boileau souligne dans sa préface « que par Sublime, Longin n’entend pas ce que les Orateurs appellent le stile sublime ; mais cet extraordinaire et ce merveilleux qui frape dans le discours, et qui fait qu’un ouvrage enleve, ravit, transporte. Le stile sublime veut toujours de grands mots ; mais le Sublime se peut trouver dans une seule pensée, dans une seule

figure, dans un seul tour de paroles » (ibid., 45). Ce sublime se mani­ feste dans la Bible, particulièrement dans la Genèse dont la phrase « Dieu dit : Que la lumière se fasse ; et la lumière se fit » représente « l’Extraordinaire, le Surprenant » et, selon Boileau « le Merveilleux dans le discours » (ibid., 436). A Le Clerc, qui mit en doute cette conception du sublime, il riposte dans la Xe Réflexion que la « simpli­ cité » du style biblique en « fait la sublimité » (Boileau, 1942a, 168). Ce critique égale le style élevé au style sublime, tandis que Boileau se range du côté des « habiles connoisseurs » qui remarquent « dans les bons Escrivains des endroits sublimes, dont la grandeur vient de la petitesse énergique des paroles » (ibid., 168 s.). Le sublime est, suivant la XIIe Réflexion, « une certaine force de discours, propre à eslever et à ravir l’Ame, et qui provient ou de la grandeur de la pensée et de la noblesse du sentiment, ou de la magnificence des paroles, ou du tour harmonieux, vif et animé de l’expression» (ibid., 184). Cette définition insiste plus sur le message que sur le style du discours. La force du dis­ cours provient de l’énergie de la pensée et de la noblesse du sentiment. La grandeur de l’âme et la vigueur de l’esprit doivent donner à l’expression un tour harmonieux et la magnificence des paroles doit provenir de la justesse des idées. Le sublime ne renie pas la rhétorique scolaire mais il ne vient point d’une application correcte des règles. П manifeste une rhétorique « adulte » qui a surmonté toutes les contrain­ tes des règles pour s’envoler dans un libre essor du génie. Selon Boileau le génie est pénétré tellement dans l’essence des cho­ ses qu’il est capable de captiver par la simplicité de l’expression et de convaincre par la justesse du naturel. Loin d’être le domaine réservé aux âmes solitaires, le sublime marque le point culminant où les gens du grand monde se reconnaissent dans les énoncés des gens éloquents qui savent, suivant la formule de Marc Fumaroli, abolir « la béance entre présence et représentation» (Fumaroli, 1990, 383). Cette vision du sublime résume parfaitement les idées directrices de l’atticisme fran­ çais et permet aux contemporains de mieux saisir la spécificité de leur programme littéraire et oratoire. Le jésuite Dominique Bouhours s’appuie sur le traité français du sublime pour mettre en évidence les spécificités de l’esthétique littéraire du siècle de Louis XIV. Les quatre dialogues de La Manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit (1687, souvent réimprimés jusqu’en 1791) con­ frontent le sublime selon Boileau avec le conceptisme de l’italien Ema­ nuele Tesauro et du jésuite espagnol Baltasar Graciân. Eudoxe, le porte-parole de l’auteur, y expose les théories littéraires et oratoires du classicisme français. Il admire les Anciens, surtout les auteurs du siècle d’Auguste, et déteste dans les ouvrages littéraires tout ce qui n’est pas

«raisonnable & naturel» (Bouhours, 1988, 1). П s’entretient avec son ami Philanthe, qui préfère les auteurs italiens et espagnols, particulière­ ment le Tasse, que Bouhours met nettement au-dessous de Virgile. Ces « deux hommes de lettres que la science n’a point gastez, & qui n’ont gueres moins de politesse que d’érudition » (ibid.), représentent l’alliance française entre l’érudition libérée du pédantisme et la monda­ nité récusant l’extravagance et l’afféterie. La vérité est le thème du pre­ mier dialogue, qui la traite dans la perspective de la vraisemblance, de la justesse et de la raison. Le deuxième dialogue distingue les pensées grandes des pensées délicates et établit un lien entre la délicatesse et le naturel. L’opposition du sublime à la froideur, de l’agrément à l’affectation et de la délicatesse au raffinement est réduite, dans le troi­ sième dialogue, au vice de l’excès. Les idéaux de la clarté et de la net­ teté se révèlent dans le quatrième dialogue comme point central de toute la théorie littéraire et oratoire du jésuite. Au cours des quatre dia­ logues, Eudoxe prend de plus en plus de supériorité sur Philanthe sans que l’esprit de géométrie l’emporte sur l’esprit de finesse. Tout au con­ traire, le côté non rationnel et inexplicable de la grâce esthétique du langage y marque toujours la limite des règles littéraires ou oratoires. Le titre fait plus penser à un traité d’argumentation qu’à un traité de rhétorique. Il réagit contre la Logique de Port-Roy al et contre les carté­ siens. dont la conception de la langue sépare le signifiant du signifié. Selon Bouhours, la pensée n’est pas purement abstraite et les mathé­ matiques ou les sciences ne fournissent pas la règle de toute communi­ cation. Bouhours leur reproche de négliger le rôle de l’image dans le rapport tant de la pensée aux choses que des pensées aux paroles. En voulant éviter d’une part l’abstraction du rationalisme cartésien sans tomber d’autre part dans l’excès d’ornements oratoires de la littérature baroque, il propose le sublime comme remède. Le premier dialogue établit une distinction « des pensées vrayes & de celles qui n’en ont que l’apparence ». C’est affronter la différence entre la simplicité sublime et l’artifice raffiné du marinisme. Bouhours concède au conceptisme que le Parnasse est inévitablement dominé par la fiction, mais il distingue la fiction de la fausseté : « L’une imite & perfectionne en quelque façon la nature, l’autre la gaste, & la détruit entièrement» (ibid., 10). Il explique ensuite cette distinction en disant que « le monde fabuleux, qui est le monde des Poètes, n’a rien en soy de réel » (ibid.) et il appelle ce « système » une présupposition de la fic­ tion littéraire qui peut être « vray-semblable » et cacher par là « quelque vérité » (ibid.). Le « système fabuleux » permet « de mentir d’une manière [...] ingénieuse [...] sans détruire l’essence des choses » (ibid., 12). Cette justification ne concerne pas seulement la mythologie

mais également la métaphore et même l’équivoque. La métaphore et l’équivoque ne blessent point la vérité parce que « le faux y conduit au vray» {ibid., 19). Bouhours exige un fonds de vérité dans la pensée ingénieuse et prend ses distances vis-à-vis de Macrobe et Sénèque, qui tiennent les pensées ingénieuses simplement pour des « sophismes plaisans» {ibid., 15), caractère qui réapparaît, selon notre jésuite, dans le concept italien de viuezze dïngegno et la notion espagnole d’agudeza. L’esthétique baroque de Tesauro, qu’il appelle un « Philosophe » {ibid., 15), se réduit aux « enthymêmes figurez, qui plaisent & imposent également à l’esprit » (ibid.). Il reproche à Tesauro d’avoir mal compris Aristote et lui oppose sa propre explication du Stagirite selon laquelle «les métaphores sont comme [d]es voiles transparens » {ibid., 16). Bouhours prétend que Tesauro réduit l’enthymème figuré à un jeu plaisant, tandis que, selon Emesto Grassi, sa conception de l’ingéniosité viserait une manière immédiate de voir sans passer par la raison, les métaphores permettant de passer des images aux idées (Grassi, 1970, 186 s.). Malheureusement, Bouhours ne pouvait pas reconnaître sous les exubérances asianistes de Tesauro et du marinisme cette philo­ sophie que Gian Battista Vico professe en revanche dans sa leçon inau­ gurale de 1708 De nostri temporis studiorum ratione. Le professeur d’éloquence à Naples y attaque le courant rationaliste de la civilisation italienne et prend la défense de l’« imagination » et de la « mémoire », facultés intellectuelles indispensables tant dans l’éducation de la jeu­ nesse que dans la production littéraire. Les poètes regardent le vrai dans une vision (« poëtae ad verum in idea [...] spectant », Vico, 1963, 76). Cette manière de voir doit précéder le jugement critique. Ce déve­ loppement qui s’inspire de La Manière de bien penser de Bouhours « exalte, à la manière de Cicéron, l’unité du savoir contre la spécialisa­ tion de la nouvelle logique» (Battistini et Raimondi, 1984, 138). La doctrine de Vico nous révèle dans quelle perspective il faut juger la rhétorique de Bouhours. La Manière de bien penser est l’un des ouvrages clefs des dernières décennies du XVIIe et du premier XVIIIe. L’auteur s’y efforce de défendre la vision universelle de la rhétorique traditionnelle contre les partisans de la pensée scientifique du cartésianisme. Les paroles « sont les images des pensées» (Bouhours, 1988, 9). Ces images peignent les objets sensibles ou spirituels et leur peinture est « vraye » si elle « repré­ sente les choses fidellement », fausse « quand elle les fait voir autrement qu’elles ne sont en elles-mesmes » (ibid.). Cette rhétorique des peintu­ res, chère à la Compagnie de Jésus, mais condamnée non seulement par Pascal et les Jansénistes, mais également par les cartésiens, récuse la séparation entre les mots et les choses. Bouhours s’oppose à cette

bipartition qui nécessite à cette époque une « immense réorganisation de la culture» (Foucault, 1966, 58). En présentant «une Logique & une Rhétorique tout ensemble» (Bouhours, 1988, C), Bouhours défend « la conception représentative de la pensée et du langage » (Tocanne, 1978, 408) contre la réduction cartésienne de la pensée naturelle à l’expression analytique du raisonnement discursif. La pensée abstraite ne saisit pas la richesse du réel et la communication scienti­ fique n’épuise nullement les possibilités du savoir humain. Vidé de son rapport à l’homme, le langage perd tant sa dimension symbolique que sa fonction sociale. La structure du langage et la nature de l’homme nécessitent le recours à l’art oratoire. Le modèle français de l’urbanité et de l’atticisme lui semble propre à absoudre l’éloquence du reproche d’être une surenchère superflue au besoin de communication, et le sublime selon Boileau en constitue la synthèse parfaite. Bouhours établit un parallélisme entre la simplicité du sublime et l’art de plaire. « La bassesse dans les discours chrestiens » (Bouhours, 1988, 122) est incompatible avec le ton de l’Écriture sainte, dont le « fonds de pensées nobles, grandes & sublimes » est proposé par le « payen » Longin « pour un modèle du sublime dans la pensée » {ibid., 123 s.). L’interprétation que Boileau donne du célèbre verset de la Genèse, cité par Longin, revient chez Bouhours, aussi bien que la réponse du vieil Horace que Boileau prend de VHorace de Corneille (Boileau, 1942, 48). Tandis que le sublime s’accorde avec la majesté divine ainsi qu’avec la grandeur et la magnanimité du héros, une deuxième espèce de discours fait « par l’agrément ce que font les autres par la noblesse & par la sublimité» (Bouhours, 1988, 130). Bouhours appelle ces pensées « belles » et s’efforce de définir cette beauté avec Démétrius de Phalère comme les qualités des choses « qui datent les sens, ou touchent le cœur» {ibid., 131). Cette analogie entre le sublime et le bel esprit est construite par Bouhours pour mettre en évidence le type de simplicité qui caractérise à ses yeux la civilisation française de l’époque, mais qui n’était ni prévue par Longin ni décrite par Boileau. Il rattache le bel esprit au sublime pour enraciner la « pensée délicate » dans l’urbanité, et pour opposer le « naturel en matière de pensée » {ibid., 219) à l’artifice du jeu ingénieux. La «naïveté» {ibid., 149) a la même force que le sublime, mais elle n’a pas le même degré de gran­ deur et de noblesse. Elle est le corollaire agréable du merveilleux et réunit les qualités opposées de « simple & ingénu », de « spirituel & rai­ sonnable » (ibid.). Les vraies pensées ingénieuses sont nobles et simples, agréables et naturelles. Elles se communiquent par un langage clair et net, sans enflure ou affectation. Le piquant, qui caractérise la manière de bien penser, et le bon style viennent d’une connaissance appro-

fondie des bons auteurs (ibid., 395), cependant il est un artifice qui s’est métamorphosé en une seconde nature et qui provient par là de la spontanéité retrouvée comme aboutissement du procès d’éducation. Bouhours illustre ses développements par un grand nombre d’exemples tirés de la littérature mondaine et des panégyriques. Même les petits genres et la grande éloquence solennelle peuvent et doivent s’abstenir de toute affectation. Les figures oratoires s’accordent parfaite­ ment avec « la perfection du caractère naturel » si elles viennent « d’une diction pure, & d’un tour aisé » (ibid., 230). L’élocution res­ semble au vêtement qui s’adapte aussi bien au corps que l’ombre. La naïveté «d’un enfant qui a de l’esprit» (ibid., 149) est précieuse car « toute pensée naïve est naturelle » (ibid., 220). La rhétorique n’a pas besoin du brillant pour frapper l’esprit. C’était l’erreur de la littérature baroque qui ne respecte pas les « régies du bon sens » et ne se ren­ ferme pas « dans les bornes de la nature » (ibid., 239). C’était particuliè­ rement la faute du Tasse, comparé par Bouhours à une femme coquette qui met du fard pour se rendre plus belle et qui gâte en vérité sa beauté naturelle. La civilisation mondaine de la France du XVIF siècle est interprétée par Bouhours comme un fondement solide de l’édifice culturel, car ce n’est pas l’artifice ou l’affectation, mais le naturel et le solide qui comp­ tent. « Les graces & les muses, les jeux & les ris, les plaisanteries & les bons mots ont survécu aux personnes avec qui on les a enterrez » (ibid., 317). Les bonnes manières et la badinerie émanent de la nature humaine et elles sont naturelles autant qu’elles viennent de la belle nature, c’est-à-dire de la nature pleinement épanouie grâce au procès éducatif. L’improvisation orale fait valoir la belle nature, l’entretien ayant principalement une fonction sociale. Elle sert à échanger des politesses et à se procurer ainsi mutuellement du plaisir. La Bruyère en conclut qu’il faut réduire la conversation à l’art de plaire : L’esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu’à en faire trouver aux autres : celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit, l’est de vous parfaitement. Les hommes n’aiment point à vous admirer, ils veulent plaire ; ils cherchent moins à être ins­ truits, et même réjouis, qu’à être goûtés et applaudis ; et le plaisir le plus délicat est de faire celui d’autrui (La Bruyère, 1962, V, 16).

La conversation s’avère être moins un instrument pour transmettre des informations qu’un style de vie en société. L’art de plaire métamor­ phose cet art de parler en art de vivre où les rapports sociaux se règlent selon le goût délicat de l’homme éloquent bien élevé. Cette synthèse s’opère sous les auspices de la galanterie, notion qui remplace à partir

des années 1660 le concept d’urbanité, que Balzac avait introduit comme un néologisme. Les Caractères de La Bruyère avaient de quoi déconcerter les lecteurs de l’époque. Ménage y constate « une manière d’écrire toute nouvelle » (Mongrédien, 1979, 56), tandis que le Mercure galant de juin 1693 doute que l’on puisse appeler Les Caractères un livre. Le discontinu de la pré­ sentation apparente cet ouvrage à l’esprit de conversation. On pourrait avancer le même reproche contre Bouhours, dont La Manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit préfère la forme discontinue du dialogue à la présentation systématique sous forme d’un traité érudit. Ces formes littéraires s’adressent au grand monde que les auteurs de cette période courtisent. L’essor des genres de l’entretien, de la conversation et du dialogue s’inscrit dans la mode des formes brèves telles que « récits, anecdotes, portraits, maximes, traits d’esprit, réflexions, mais aussi poè­ mes de forme fixe plus ou moins impromptus, ornements naturels de la galanterie» (Fumaroli, 1994, 300). Ces formes, qui marquent la pro­ duction littéraire de la fin du XVIIe siècle, caractérisent bien l’apogée de l’atticisme français. Ils permettent d’évaluer dans quelle mesure l’art oratoire épouse les idéaux mondains. Ils signalent pourtant en même temps la désagrégation de cet atticisme et préludent au siècle des Lumières. La civilisation française, qui a développé et perfectionné depuis l’époque de Balzac l’idéal de la conversation, assimile vers la fin du siècle l’art de parler à l’art de plaire. Le chevalier de Méré exprime en 1677 cette alliance entre éloquence adulte et style de vie mondain dans trois essais : Des agrémens, De l’esprit, De la conversation. Tous ses développements tournent autour du « plus grand usage de la parole parmy les personnes du monde» (Méré, 1930, 102). Il appelle «Con­ versation, tous les entretiens qu’ont toutes sortes de gens, qui se com­ muniquent les uns aux autres » (ibid.). La devise principale de cet exer­ cice de la parole, c’est de «se divertir» (ibid., 103) et «de rendre heureux » (ibid.) ceux qui y participent. La vie de société y parvient quand la conversation est « pure, libre, honneste » (ibid.) parce que la galanterie et la plaisanterie n’y dépassent pas « une certaine médio­ crité » (ibid.). L’improvisation orale des gens du monde profite d’une rapidité d’invention qui distingue les honnêtes gens du peuple com­ mun. Elle égale la prose d’art des écrivains pourvu que le locuteur ait « de l’esprit » (ibid., 75). Cet esprit est « un autre nom, moins pompeux et pédant, du sublime» (Fumaroli, 1994, 332). L’esprit (ingenium) n’est pas la seule catégorie que Méré emprunte à la rhétorique, il parle aussi des « mœurs » (ethos), des « agréments » (omatus) et de la convenance (aptum), il se garde pourtant de développer une

« rhétorique de la conversation » (ibid., 331) qui serait trop pédante par rapport au grand monde qu’il a en vue. Cette tâche revient à Ortigue de Vaumorière, qui n’hésite pas à utiliser le jargon de l’école quand il sou­ tient qu’ « on ne peut plaire dans la Conversation qu’en accompagnant ce qu’on dit d’une action libre & aisée » (Ortigue de Vaumorière, 1692, 12). Comme le modèle de l’action oratoire chez Ortigue de Vaumorière, la rhétorique de l’improvisation sert chez Morvan de Bellegarde à trans­ former l’esprit de finesse de la conversation mondaine en l’esprit de géo­ métrie d’une science de la conversation : Il n’est pas besoin d’apprendre de mémoire ce que l’on doit dire, parce que la Conversation ne demande rien d’étudié, ou de contraint ; les hazards, les conjonctures, la situation des esprits qui composent le Cercle, doivent faire naître les sujets qu’on y traite (Morvan de Bellegarde, 1709, non pag.).

Morvan de Bellegarde exprime ici un dilemme qui est particulière­ ment grave pour lui qui veut présenter des Modèles de conversations pour les personnes polies (1697). La problématique qu’affrontent alors les théori­ ciens de la conversation consiste à enterrer la rhétorique d’école pour la ressusciter ensuite, métamorphosée en une rhétorique adulte. Les préceptes intériorisés y rendent superflues les règles parce que le goût personnel retrouve spontanément ce que les traités d’éloquence s’effor­ caient de déduire des modèles extérieurs. Le grand monde est censé pratiquer dans son style de vie et surtout dans sa conversation ce que les théoriciens veulent fixer après coup par leurs préceptes. Leur métadiscours théorique s’avère par conséquent secondaire par rapport à l’exercice de la parole dans le grand monde. Il existe une convergence évidente entre l’évolution du concept de conversation et celle de l’atticisme français. Le jésuite Blaise Gisbert définit la « liberté d’éloquence » comme un style « où l’art et l’étude ne se font point remarquer, où la nature est toujours la dominante » (Gis­ bert, 1715, 69). C’est bien sûr une nature « cultivée & polie [...] à qui l’étude, la réflexion, le commerce du monde a ôté ce qu’elle a de gros­ sièreté & de rudesse » (ibid.). La rhétorique du sublime utilise « toute la force & toute la finesse de l’art » pour « rétablir la nature dans sa premiere perfection» (ibid.). C’est l’utopie d’un retour à «l’estât d’innocence » qui produit un style « aisé, libre, simple, naïf » (ibid.). Ce rêve d’innocence explique d’une part l’essor du cliché pastoral à la fin du XVIIe siècle tant dans le domaine de la poésie que dans celui des sciences religieuses. Il favorise également la mode des contes de fées. La mise en relief de la douceur renvoie d’autre part au cliché du charme féminin que les traités de rhétorique opposent toujours à la

rudesse masculine. Rien de surprenant dès lors pour les rhétoriciens qu’une dame du grand monde, Mme de Sévigné, fournisse la meilleure preuve de la justesse de cette vision oratoire. La grande épistolière rejoint à travers son éducation mondaine les idées les plus hardies du P. Bouhours, qu’elle connaît par ailleurs personnellement, et qui entre­ tient des relations avec Bussy-Rabutin. Or, deux des quatre volumes des Lettres (1697) de ce dernier révèlent au public la correspondance de Bussy avec Mme de Sévigné dont les lettres à Mme de Grignan ne commencent à sortir en librairie qu’à partir de 1725. Mme de Sévigné n’entre dans l’histoire de la rhétorique que par une voie indirecte : elle pratique par tempérament ce que beaucoup de manuels d’art épistolaire avaient proposé comme un sommet de l’art prémédité. Sa spontanéité inventive transpose dans le domaine de la prose écrite ce que l’improvisation orale exigeait pour la conversation. Elle avoue, dans sa lettre du 3 avril 1681 à Bussy-Rabutin, ne pouvoir «jamais raccommoder ce qui Qui] vient naturellement au bout de [sa] plume » (Sévigné, 1972-1978, vol. III, 62). Sur ce point Mme de Sévi­ gné ressemble à Mme Palatine, dont l’immense correspondance alle­ mande provient également d’une écriture spontanée. Ces épistolières aristocratiques pratiquent un idéal de sincérité, que les nobles cultivent dans le cercle restreint d’une intimité exclusive. Face à la double con­ trainte de la civilité et de la conversation mondaines, ils se réservent un terrain où d’une part leur franchise peut compter sur la discrétion du partenaire et où d’autre part une rhétorique de la spontanéité les pro­ tège de la flagornerie du genre épidictique. Mme Palatine aborde cette problématique dans sa correspondance allemande à maintes reprises. Elle y distingue nettement les lettres de compliment de ses lettres d’amitié et avoue que les compliments, qu’elle tient pour un trait carac­ téristique de la cour de France, lui coûtent une peine infinie, tandis que les lettres d’amitié, qu’elle écrit sans arrêt, coulent spontanément de sa plume (Kapp, 1990, 190-193). Tandis que la spontanéité de Mme Palatine se prêtait à une lecture qui confond le mépris aristocratique de l’artifice avec un manque d’éducation, l’écriture de la grande épistolière française n’était jamais exposée à ce malentendu. Une équivoque analogue plane pourtant sur les lettres de Mme de Sévigné : la confusion entre désir de sincérité et refus de l’art oratoire. Mme de Sévigné aime que les lettres de Mme de Grignan soient « très bien écrites », mais la qualité de l’écriture est liée au fait qu’elles sont « si tendres » et « si naturelles qu’il est impossible de ne les pas croire » (Sévigné, 1972-1978, vol. I, 154). Le style épisto­ laire, que les manuels faisaient varier selon les exigences de la matière traitée et selon les circonstances ou les destinataires, devient chez

Mme de Sévigné « un trait de plume » (ibid., 355), c’est-à-dire un style personnel dont la négligence « fera autant d’effet qu’un autre plus ajusté » (ibid.). Cette déclaration audacieuse n’a certainement pas la prétention de substituer l’expression individuelle « négligée » à l’art d’écrire, mais elle transpose la rhétorique de l’improvisation de l’oralité de la conversation à l’écriture épistolaire. Aussi faut-il à son avis avoir un « esprit naturel » et « du monde » pour pouvoir s’« accommoder » de son « style négligé » (ibid., 398). Le « style négligé » de Mme de Sévigné est spontané dans le sens qu’elle récuse toute correction après coup, mais cette spontanéité présuppose la formation culturelle. Sa « négligence » s’apparente par là au « naturel » ou à la « grâce », effets d’une éloquence adulte qui renie tout effort visible en faveur d’une cul­ ture oratoire devenue seconde nature. Les manuels oratoires de l’époque ne se font pas d’illusions sur l’origine culturelle de la catégorie de négligence. Du Jarry la nomme une « habile négligence », que « les auditeurs éclairés savent bien dis­ tinguer d’avec une rudesse inculte et barbare » (Du Jarry, 1689, 172 s.). Bouhours la range parmi les ornements du style (Bouhours, 1676, Avertissement non pag.), Renaud la qualifie d’« artifice caché » qui « pare le discours aussi-bien que les personnes » (Renaud, 1973, 76). La Fontaine en fait une des idées directrices de sa poésie, mais Fénelon est le seul qui la rattache explicitement au sublime. Le sublime est la pierre angulaire de toute la doctrine oratoire, litté­ raire et esthétique de Fénelon. Dans sa Lettre à 'Académie, il exige « un sublime si familier, si doux et si simple que chacun soit d’abord tenté de croire qu’il l’auroit trouvé sans peine, quoique peu d’hommes soient capables de le trouver» (Fénelon, 1970, 75). La simplicité du sublime donne à l’expression une douceur dont la grâce surpasse les effets pro­ duits par le merveilleux. D’où il déduit : «Je préfère l’aimable au sur­ prenant et au merveilleux » (ibid.) et exige : «Je veux un homme qui me fasse oublier qu’il est auteur et qui se mette comme de plain pied en conversation avec moy » (ibid.). Fénelon illustre cette idée un peu plus tard par l’exemple des Bucoliques de Virgile. Lorsqu’un auteur veut faire parler des bergers, il doit « se rabaisser » et « se proportionner » aux caractères, mais il ne doit nullement faire preuve de « bel esprit ». La naïveté de la pastorale n’a rien de sublime, mais elle met à nu les mécanismes de la rhétorique du naturel : « Afin qu’un ouvrage soit véritablement beau, il faut que l’auteur s’y oublie et me permette de l’oublier » (ibid., 77). Cette remarque se trouve dans le « projet de poé­ tique ». Le « projet de rhétorique » de la Lettre à Г'Académie cite Longin critiquant Isocrate et les sophistes de l’ancienne Grèce « qui abusoient de la parole pour imposer au peuple » (ibid., 58). Les sophistes embellis-

sent leurs discours pour « flatter l’oreille » (ibid., 52), mais « le genre fleuri n’atteint jamais au sublime » (ibid., 50). La force du sublime vient de la proportion juste entre la vérité et l’expression, elle se base sur l’union de l’esthétique du discours et l’éthique de l’orateur. Fénelon se réfère implicitement à Y Institution oratoire de Quintilien (XII, 1,1) et explicitement au De doctrina Christiana de saint Augustin, dont il allègue la citation : « Celui-là parle avec sublimité, dont la vie ne peut être exposée à aucun mépris » (ibid., 58). Ce Père de l’Église est le modèle du prédicateur apostolique parce que « saint Augustin est tout ensemble sublime et populaire » (ibid., 60). Démosthène, qui donne la mesure de l’éloquence profane, « paroît sortir de soi et ne voir que la patrie. [...] Il se sert de la parole comme un homme modeste de son habit pour se couvrir » (ibid., 57). C’est pourquoi le grand admirateur de Cicéron, que Fénelon prétend être, avoue qu’il est « moins touché de l’art infini et de la magnificence de Cicéron que de la rapide simpli­ cité de Démosthène » (ibid.). La rhétorique du sublime permet donc de favoriser la simplicité aux dépens de la magnifique éloquence oratoire. Cette conception du sublime ne diffère donc pas seulement du style sublime, mais également de l’art oratoire. Pendant les dernières décennies du XVIIe siècle, le débat sur la véritable éloquence nourrit une telle hostilité vis-à-vis de l’artifice oratoire que les prétentions universelles de la rhétorique deviennent de plus en plus suspectes et perdent finalement leur crédit. Les rhétoriciens s’efforcent d’élaborer des théories qui assimilent l’art à la nature comme si la rhé­ torique adulte pouvait se passer de l’art. Leurs adversaires parviennent pourtant aux mêmes conclusions en postulant que la vérité est évidente par elle-même, et en soutenant que les procédés de l’art oratoire s’ajoutent comme un surplus à l’énoncé de la vérité. La vision d’une éloquence naturelle favorise le déclin de la rhétorique humaniste qui figurait comme centre auquel se référait tout l’édifice culturel, et cette vision doit autant aux rhétoriciens qu’à leurs ennemis. Fénelon se contente de combattre au nom de l’atticisme français les exubérances de l’art oratoire par l’insistance sur le sublime. П reste ainsi à l’intérieur du cadre traditionnel de la rhétorique. Silvain quitte ce terrain lorsqu’il reproche à Longin dans son Traité du sublime, achevé en 1708, mais publié seulement en 1732, d’avoir «confondu le Sublime avec l’Éloquence » (Silvain, 1971, 413, 477). Les «principes du Sublime » ne se trouvent pas « dans les livres des Rhétoriciens », mais « dans le cœur de l’homme & dans la nature » (ibid., 9). Silvain le définit comme « un discours d’un tour extraordinaire » qui « éleve l’ame au-dessus de ses idées ordinaires de grandeur» (ibid., 14). П

L'éloquence naturelle, l'évidence de la vérité et le déclin des prétentions universelles de la rhétorique

attribue ce « ravissement » aux « nobles images » (ibid.) et nie en même temps que ces images doivent quelque chose à l’art. Le sublime lui per­ met donc d’opposer l’évidence de la vérité aux règles de l’art, la droi­ ture du sentiment à la justesse du jugement, l’éloquence naturelle à la rhétorique enseignée. C’est ainsi qu’un partisan inconditionnel des Réflexions critiques de Boileau s’appuie sur un concept rhétorique de grand prestige pour limiter la portée de l’art oratoire. Silvain accepte l’explication rhétorique du célèbre Fiat lux de la Genèse (ibid., 26) que Boileau puise dans le Traité de Longin, mais il n’adopte ni la traduction de Boileau ni celle de Le Maistre de Sacy dans sa version de la Genèse (1682). Il ne se réfère pas non plus à la « querelle » du sublime qui sépare à l’époque Boileau et Le Maistre de Sacy d’avec Huet et Jean Le Clerc. Huet, qui avait critiqué dans sa Demonstratio evangelica (1679) l’interprétation rhétorique du Fiat lux, est vivement attaqué par Boileau dans la préface de l’édition de 1683. П riposte par une longue lettre au duc de Montausier, datée du 26 mars 1683 et publiée en 1706 à Amsterdam au tome X de la Biblio­ thèque choisie de Le Clerc, qui y interpola ses propres remarques sur ce sujet. Boileau y répliqua par sa Réflexion X, publiée en 1713, où il fait semblant de s’attaquer à Le Clerc bien qu’il ne réfute que les argu­ ments de Huet contre les compétences théologiques duquel il avait invoqué, dans la préface de 1683, l’autorité de Le Maistre de Sacy. Sa stratégie consiste à détruire le crédit de son adversaire. D’une part il le qualifie d’« Homme bizarre » aveuglé par sa confiance excessive en sa « grande et hautaine érudition » (Boileau, 1942a, 164), et le plaint « de son peu de goust, qui l’empesche de sentir ce que tout le monde sent d’abord» (ibid.). D’autre part il renvoie à l’autorité de Le Maistre de Sacy en tant que traducteur et théologien orthodoxe, et associe Huet à Le Clerc, « fameux Protestant de Geneve réfugié en Hollande » (ibid., 162), afin de ranger la lecture de l’évêque d’Avranches parmi les critiques hétérodoxes de la Bible. La philologie devient en effet l’ennemie de la rhétorique quand Huet soutient que l’interprétation oratoire du Fiat lux provient d’une simple erreur parce que ni Longin ni Boileau ne semblent avoir « vu ce passage dans l’original » (Huet, 1853, 281). Selon Huet, le Fiat lux ne se prête pas comme exemple du sublime dès qu’on restitue ce passage à son contexte ; la lecture rhéto­ rique erronée vient d’une confusion de l’hébreu avec le grec, qui emploie « par figure » une expression qui est « si commune et si natu­ relle dans la langue hébraïque » (ibid., 284). Le Clerc élargit encore la perspective en ajoutant que le différend entre Boileau et Huet relève de la théologie de l’incarnation du Verbe de Dieu, théologie qu’il réduit à un problème de la philosophie du langage : comment peut-on appli­

quer à Dieu les catégories de la communication linguistique ? Est-ce que les termes de « parole » et de « dire » ne sont pas de pures méta­ phores ? Ce langage métaphorique ne serait pourtant pas un atout de la rhétorique parce qu’il ne sert nullement à rehausser la dignité de l’expression, il est tout au contraire une preuve de l’inutilité de cet art parce que la vérité de la révélation de Dieu n’est accessible que dans l’intérieur où Dieu se communique à l’homme sans recourir au langage humain. Huet égale l’expression « Dieu a parlé » à la parole intérieure, dési­ gnation que les philosophes appliquent « aux jugements que nous fai­ sons intérieurement des choses » (ibid., 289). Cette philosophie du lan­ gage lui permet de renverser la hiérarchie des sources du sublime selon Longin. En invertissant la signification de l’adage : « Le grand art, c’est qu’il n’y ait point d’art » (ibid., 288), il soutient que le « sublime des choses est le véritable sublime, le sublime de la nature, le sublime origi­ nal, et les autres ne le sont que par imitation et par art » (ibid). Moïse n’a donc pas besoin du « sublime des termes » ou du « tour de l’expression », qu’il qualifie de « fard de l’école » et de « déguisements que l’esprit humain a inventés» (ibid.). Tous ceux qui à l’exemple de Boileau veulent faire entrer la simplicité de la Bible dans les catégories de la rhétorique profane sont les victimes « des gens de ces derniers siè­ cles, d’un esprit poli à la vérité, mais gâté par un trop grand usage des lettres profanes » (ibid., 278). Ce verdict sur l’humanisme chrétien est proféré par un homme d’Eglise dont l’érudition rejoint les positions des interprétations critiques des Livres saints et ébranle ainsi les bases rhé­ toriques de l’humanisme chrétien. La philosophie rationaliste obtient l’appui de la connaissance des cultures et de leurs langues dont la diversité pousse à dissoudre le modèle monolithique de la civilisation humaniste, en faveur d’une altérité culturelle que les études critiques de la Bible et des civilisations primitives décrites par les missionnaires et les voyageurs forcent à prendre en considération. Cette problématique de l’altérité d’une civilisation différente se fait également jour dans le débat que la polémique française contre le conceptisme italien pro­ voque dans la péninsule. La doctrine de Bouhours est largement discutée dans les Considerazioni del Marchese Giovan-Gioseffo Orsi (1703). Les sept dialogues de l’ouvrage s’occupent de la rhétorique et de la poétique de Bouhours pour défendre les poètes italiens critiqués par le jésuite français. Le retentissement qu’eut cet ouvrage se reconnaît dans l’édition de 1735, qui réunit les prises de position des plus fameux gens de lettres de l’époque : parmi d’autres, celles de Eustachio Manfredi, Lodovico Antonio Muratori, Apostolo Zeno. La fortune de Bouhours en Italie

s’explique par les circonstances historiques : l’attaque du jésuite français contre le conceptisme européen s’accordait d’une part avec l’effort des Italiens pour se libérer des excès du marinisme ; elle les incite d’autre part à interpréter les commentateurs d’Aristote, de Robortello à Paolo Beni et Carlo Maria Maggi, à la lumière de la rhétorique cartésienne de l’oratorien Bernard Lamy. Orsi connaît les deux versions du traité de rhétorique de Lamy : L'art de parler (1675), devenu en 1701 La Rhéto­ rique, ou L'art de parler. Il en fait l’éloge (par ex. Orsi, 1735, 58), et en accepte la vision cartésienne de l’éloquence pour suggérer qu’il existe une identité entre les pensées et les sentences ; les pensées proviennent de différents types de raisonnement logique (ibid., 37 s.) et les pensées ingénieuses sont « ce que l’esprit produit de plus excellent en pensant » (cio, che di più eccellente produce pensando ГIngenio, ibid., 45). Orsi prend donc le titre de l’ouvrage du P. Bouhours à la lettre et traduit l’atticisme du jésuite en rationalisme cartésien. L’excès de figures oratoires du mari­ nisme nécessite à ses yeux une modération de la part de la raison qui relie l’enthymème rhétorique à la logique scientifique et réconcilie ainsi l’art de parler avec l’art de penser. Ce tour de force n’a rien de surpre­ nant ou d’audacieux puisqu’il s’inscrit dans la lignée de la réception du cartésianisme dont se chargent les membres de VAccademia degli Infimati de Naples. Le milieu académicien napolitain est particulièrement remarquable parce que Marino en provient et que la Seconde Sophistique, à laquelle Marino devait la justification oratoire de ses audaces poétiques, permit aux anti-marinistes d’élaborer des théories pour surmonter le marinisme. Le but principal de cette initiative n’est pourtant pas de réagir contre les exubérances de la poésie baroque, mais d’imposer les sciences expérimentales contre la philosophie et la physique des aristo­ téliciens. En renversant la démarche de l’aristotélisme qui part de la métaphysique pour arriver à l’observation, les académiciens napolitains relient dans un premier temps les études médicales sur la constitution du corps humain aux spéculations philosophiques sur les passions pour procéder dans un deuxième temps au commentaire de poésies amou­ reuses. L’alliance de la médecine expérimentale avec la Seconde Sophistique est l’œuvre de Marco Aurelio Severino dans les années 1640-1650. Il analyse les affections de l’âme tant dans l’optique médicale que par l’intermédiaire des « Idées » oratoires d’Hermogène. Son commentaire resté inachevé et par conséquent inédit, circula parmi les chercheurs de VAccademia degli Injuriati et fut publié en 1694 : Rime di M. Giov. Della Casa esposte per M. Aurelio Severino seconda l'Idee d'Hermogene con la Giunta delle Spositioni di Sertorio Quattromani et di Gregorio Caloprese. Quelle signification faut-il attribuer au projet d’expliquer

Della Casa par un triple commentaire, sinon celle de rendre manifestes les possibilités herméneutiques de différents types de lecture ? Le com­ mentaire de Quattromani, le plus ancien, date de 1616 et remonte aux années napolitaines de Marino, où celui-ci élaborait sa poétique en étu­ diant Pétrarque et les pétrarquistes Bembo et Della Casa. Quattromani commente selon les principes des critiques humanistes, c’est-à-dire en annotant surtout les sources de l’invention et les choix de l’élocution. Dans sa préface, Francesco Antonio Gravina qualifie cette méthode d’explication grammaticale et substitue ainsi la grammaire à la rhéto­ rique, qu’il juge incapable de saisir les traits spécifiques de la poésie commentée. La grammaire est plus solide que la rhétorique, mais sa perspective est également plus restreinte. C’est pourquoi il faut complé­ ter les vues bornées des grammairiens par une « science de la poé­ tique » (Rak, 1974, 191) qu’il voudrait reconnaître dans les remarques de Severino et dans les additions que Caloprese fit aux notes de Seve­ rino en les éditant. En effet, à en croire Gravina, Caloprese n’assuma pas seulement la tâche d’ordonner et de compléter le manuscrit de Severino, mais également de rendre « plus clairs » les développements du célèbre médecin dont l’utilisation d’Hermogène avait de quoi irriter les lecteurs. Or, Caloprese est un médecin-philosophe qui interprète la synthèse entre médecine expérimentale et rhétorique sophistique à la lumière des théories cartésiennes sur les passions de l’âme. En renfor­ çant par cette interprétation cartésienne la dimension scientifique du commentaire de Severino aux dépens de la rhétorique sophistique, il détache la « science de la poétique » de l’art oratoire, et affirme la nécessité de changer de cap. Selon Severino les règles de l’art oratoire sont peu pertinentes pour expliquer les états d’âme du poète amoureux, parce que ce ne sont pas les registres de l’élocution, mais les passions qui produisent le langage poétique. C’est pourquoi il faut compléter la rhétorique par la science expérimentale et substituer la théorie médicale à l’art oratoire. Seve­ rino retire ainsi à la rhétorique « son rôle organisateur de l’édifice cul­ turel » (Declercq, 1986, 215) et réduit les énoncés pétrarquistes à un dérèglement de l’imagination. L’amoureux est tellement fixé sur l’objet de sa passion qu’il le découvre partout. Loin de lui en faire un reproche, Severino érige cette obsession en méthode pour connaître les affections de l’âme. Caloprese rattache maintenant cette explication médicale à la philosophie cartésienne des passions de l’âme et affirme que les images de la poésie amoureuse illustrent dans le détail ce que Descartes avait décrit à un niveau plus abstrait et par là moins précis. A en croire Caloprese, la poésie amoureuse accède à sa dimension « philosophique » et « scientifique » dans la mesure où le poète saisit

avec précision les émotions « concrètes » de l’homme passionné et les communique par son langage figuré. Les poètes pratiquent une « science des affections » s’ils se défont de la généralité des couleurs de rhétorique (colores rhetoricae) et s’adonnent à la représentation détaillée de l’imagination subjective échauffée. Les membres de l’Accademia degli Infariati poursuivent une stratégie globale pour restructurer l’édifice culturel effondré après l’élimination de la rhétorique. Ils ne ressuscitent pas seulement la rhétorique amputée de sa partie philosophique dans la grammaire, mais ils propo­ sent également une nouvelle théorie d’une « science philologique ». Répondant à l’objection que Della Casa ne travaillait certainement pas selon les principes développés par ses commentateurs, Caloprese recon­ naît qu’il existe une divergence entre sa lecture cartésienne et les inten­ tions du poète commenté, mais cette différence lui semble une suite inévitable du partage de travail entre le producteur et l’interprète d’un texte ; car la poésie et la critique représentent deux types différents de connaissance, donc le commentateur met inévitablement en évidence ce qui devait échapper au poète. Cette théorie rationaliste de l’expression poétique et de son explica­ tion s’oppose plus à l’invention oratoire qu’à l’élocution. Les catégories de l’élocution lui servent toujours à décrire le langage poétique. Calo­ prese voudrait se défaire en revanche de la conception d’une invention parcourant les lieux de la mémoire pour en tirer les matériaux de sa composition. Selon lui, les fictions des poètes témoignent de la vérité subjective d’un individu et de son expérience personnelle. Peu importe qu’ils inventent des histoires fictives, puisque ces fables permettent à la collectivité de s’y reconnaître. Ce qui d’un point de vue objectif peut paraître mensonger, se révèle du point de vue de l’observateur distan­ cié comme la vérité historique des croyances d’un peuple. Cette der­ nière conclusion ne provient plus de Caloprese mais de son élève Gianvincenzo Gravina, le frère du préfacier de l’édition commentée de Della Casa. Gravina s’efforce également de traduire la rhétorique en philo­ sophie. Dans son Discorso sopra lEndimione (1692),fauola pastorale écrit par Alessandro Guidi sur des suggestions de Christine de Suède, Gravina s’autorise de Cicéron pour se plaindre que « les rhéteurs ont occupé la place des philosophes » (Gravina, 1973, 53). A la suite de cette usurpa­ tion, le centre d’intérêt des poètes s’est déplacé du contenu à la forme, et les images n’évoquent plus les choses qu’elles devraient exprimer « sous l’ombre de la fiction » (ibid., 60). Ces attaques contre la rhéto­ rique (ibid., 72) visent particulièrement le marinisme, qu’une nouvelle vision des rapports entre fiction et vérité est censée reconduire sur le

terrain de la raison. Gravina voudrait sauvegarder l’innovation de Marino, qui profite de l’invention oratoire pour soumettre le langage figuré aux caprices d’une imagination échauffée et orchestrer les textes par les « couleurs oratoires ». La conception de l’invention oratoire lui semble pourtant confinée dans un formalisme qui s’astreint aux écorces des mots au lieu de pénétrer jusqu’au contenu. Pour y parvenir, il veut passer des idées, objectives mais vides, de l’invention oratoire aux idées subjectives mais remplies par les émotions de l’individu. Le poète évite les erreurs du marinisme dès qu’il prend le dérèglement de son imagi­ nation échauffée comme point de départ de son texte. Il communique alors ses expériences véritables. Ses « images sensibles » et ses « fables » évoquent ainsi les choses dans l’imagination du lecteur. L’artifice du langage figuré et le chimérique de la fiction ne nuisent pas à la vérité, ils sont, tout au contraire, les procédés appropriés pour la transmettre en l’imprimant dans l’imagination de l’auditeur ou du lecteur. Gravina approfondit cette idée dans son opuscule Dette Antiche Fauole (1696) qui constitue ensuite la première partie de son traité Della ragion poetica (1708). П y recourt au théorème bien connu que les poètes des civilisations anciennes étaient les législateurs de la communauté, puis­ qu’ils chantaient la sagesse divine en racontant les fables {ibid., 212). Ces mythes perdent leur caractère chimérique dès qu’on les lit selon les prin­ cipes de leurs créateurs, c’est-à-dire en interprétant leur côté imaginaire comme un procédé pour frapper sur le vif l’imagination du récepteur par quelque chose de surprenant {ibid., 217). La fable représente les idées pour l’entendement humain, elle est, selon la formule de Gravina, « la vérité travestie en aspect populaire » {ibid., 213). La poésie doit être farcie par le langage imaginaire, dont la signification ne se décrypte pourtant pas selon la clef purement formaliste de l’invention oratoire mais selon une approche philosophique et historiciste. Le philosophe distille le noyau de vérité de son affabulation fantaisiste et l’historien ramène la fable du texte singulier à la tradition culturelle de la commu­ nauté dont il fait partie. Le critique saisit parfaitement la signification de l’œuvre littéraire quand il se base sur la grammaire, la philosophie et l’histoire, donc il n’a plus besoin de la rhétorique. Gravina intègre dans sa théorie de la fable des théorèmes largement diffusés, mais son système anti-oratoire se distingue par son évaluation des genres littéraires. Les érudits et les poéticiens étudient surtout les genres élevés de l’épopée et de la tragédie, tandis que Gravina s’ingénie à pouvoir retrouver la fable également dans la poésie lyrique. Il rat­ tache ce type de poésie à l’effort de se connaître soi-même et lui attribue la fonction d’un « miroir dans lequel transparaît à travers diffé­ rents reflêts la nature humaine » {ibid., 224). Gravina fait donc monter

la poésie lyrique dans la hiérarchie des genres littéraires en la définis­ sant comme un type d’énoncé « subjectif ». Est-ce que cette conception subjective de la poésie lyrique ne donne pas raison au P. Bouhours qui reproche aux Italiens leurs excès du lan­ gage poétique ? Non, répond Lodovico Antonio Muratori dans Della perfetta poesia italiana (1706), l’imagination ne s’égare pas si elle se sou­ met au «bon goût» (Muratori, 1971, 71). Aussi s’efforce-t-il de déter­ miner d’une part les règles universelles du bon goût et de passer en revue la poésie italienne des origines jusqu’à son époque, pour fixer d’autre part les paradigmes spécifiques de cette poésie (ibid., 95). Les distinctions entre les différents types d’images (ibid., 258) et les réflexions sur les rapports entre ces matériaux linguistiques et les for­ mes littéraires (ibid., 270 s.) servent à constituer un fonds de l’invention et de l’élocution par lequel le poète puisse former son goût et contrôler la qualité des productions de son imagination. La qualité esthétique d’une œuvre se mesure tant selon la vigueur de l’imagination investie que selon la capacité de freiner la fougue inventive. Le poète éloquent sait peindre comme Homère le moindre détail. Cette abondance « asianiste » est qualifiée par Muratori de « populaire », tandis que la sobriété de Virgile mérite d’être nommée « atticiste » et plus « docte » (ibid., 180). Cette discipline virgilienne lui semble le comble de l’art et le manque de discipline le défaut qui gâte l’œuvre du Cavalier Marino incapable de brider sa fantaisie exubérante (ibid., 181). C’est pourquoi il faut compléter l’« éloquence du parler » par une « éloquence de se taire » (ibid., 420). L’inventaire dressé par ce poéticien ressemble en apparence à l’ancienne rhétorique dont Muratori déduit sa conception du bon goût. La parenté avec l’invention et l’élocution oratoires ne doit pourtant pas cacher une divergence profonde : Muratori base toute la poésie sur la « grande vivacité » et la « force » de l’imagination du poète (ibid., 281). Il reste même fidèle à la théorie des poéticiens humanistes qui insis­ taient sur les hens étroits entre le génie et le jugement, mais il déplace le centre d’intérêt du général au particulier et ne s’intéresse qu’aux mécanismes qui se passent dans la conscience individuelle du produc­ teur d’un texte. La réflexion théorique des rhétoriciens et des poéticiens lui semble témoigner « d’un bon goût stérile », la « pratique » est l’unique preuve de « bon goût fécond » (ibid., 427). Cette « fécondité » est la seule à évaluer parfaitement la partie saine de l’ingéniosité qui vient d’une rhétorique intériorisée. Elle rend indépendant de l’asservissement aux modèles extérieurs et pourvoit d’un style personnel par lequel l’esprit doué pour la poésie se distingue du versificateur sans génie. Les seuls connaisseurs sont donc en dernière ligne de compte les

poètes pleins de génie et leur jugement dépend surtout de leur goût individuel. L’imagination échauffée du poète a l’immense avantage sur le raisonnement froid des sciences de communiquer un feu qui suscite les émotions du lecteur ou de l’auditeur. Les règles de l’art oratoire constituent une traduction objective mais insuffisante parce qu’elles sont privées du feu des émotions qui se transmettent par le langage figuré. Les règles de l’art oratoire ne saisissent jamais la spécificité de la poésie parce qu’elles traduisent les images individuelles en idées géné­ rales. La pierre angulaire de l’esthétique littéraire réside donc dans l’intériorité subjective. En défendant les spécificités de la poésie ita­ lienne, Muratori détrône l’ancienne rhétorique pour investir l’imagination subjective comme reine souveraine du domaine littéraire. La rhétorique perd son statut scientifique au cours des dernières décen- Les idées claires nies du XVIIe siècle, mais elle garde ses assises dans le cursus des études et Part de persuader scolaires. Elle n’y reste pas hors d’atteinte des orages qui l’ébranlent dans la République des Lettres. En effet, une crise de la rhétorique tra­ ditionnelle se fait jour dans les collèges jésuites à partir des années 1660, où la prédominance du latin est menacée par l’intérêt croissant pour la littérature française récente, et la pureté du style cicéronien perd son prestige aux dépens d’une ingéniosité mondaine ou d’une élocution démesurée par rapport au contenu. Le P. Joseph de Jouvency réagit contre la décadence des études par son Christianis litterarum magistris de ratione discendi et docendi (1692), que la direction romaine de l’Ordre fera remanier et publier en 1703 pour consacrer cet art d’apprendre comme manuel officiel des collèges jésuites. Jouvency se distancie du conceptisme ainsi que des nouveautés de la rhétorique et prêche un retour aux sources (la rhétorique antique) et à la méthode traditionnelle de l’humanisme chrétien (formation par la mémorisation des textes-modèles et introduction à l’art du bien dire et écrire). Il com­ plète en 1710 ses propositions sur l’instruction de la jeunesse par une révision du Novus candidatus rhetoricae (1668) de son confrère François Pomey. Son cours de rhétorique préconise une pédagogie de la parole qui associe la vérité du message à la beauté de l’expression et qui règle Vethos selon les lois d’une utilisation adéquate du logos. Le langage crée un lien social entre les hommes qui entrent dans un univers culturel et moral dans la mesure où ils apprennent à appliquer parfaitement les modèles de communication verbale et non verbale que la rhétorique leur enseigne selon les paradigmes des lettres gréco-romaines. Le monde scolaire perpétue les habitudes pédagogiques de l’huma­ nisme et cela vaut même pour ceux qui prennent leurs distances par rapport à la rhétorique humaniste. C’est ainsi que Bernard Lamy

conseille dans ses Entretiens sur les Sciences (1683, 16942, 17063) de « choi­ sir tout ce qu’il y a de plus beau dans l’Antiquité » afin de fournir aux exercices de la jeunesse : Des exemples, soit en Prose, soit en Vers, d’Exordes, de Narrations, de Raisonnemens bien poussez, de Passions bien exprimées, de Comparaisons justes, de Descriptions exactes, de Figures animées, d’Allegories riches (Lamy, 1966, 147).

Ces exemples sont d’abord appris par cœur et ensuite imités. La lec­ ture des ouvrages de Cicéron permet d’apprendre les règles de l’élo­ quence. Le latin reste prédominant tant dans la pédagogie des Jésuites que dans celle des Oratoriens, leurs concurrents les plus redoutables. П est pourtant facile de passer du latin au français sans changer de méthode. C’est ainsi que La rhétorique de l'honnête homme (1699) recourt à la même méthode quand elle précise comment on acquiert « l’usage de la langue françoise ». L’auteur inconnu de cet ouvrage dresse un inventaire des meilleurs auteurs : Malherbe, Guez de Balzac, Perrot d’Ablancourt, Pellisson, Voiture, Patru, Costar, Bouhours, Fléchier, Saint-Évremond (La rhétorique, 138). Il conseille de réduire « en un certain ordre les phra­ ses françoises qui conviennent à chaque sujet » (ibid., 139), d'expliquer sa pensée « en des termes équivalents » et de cacher ensuite « le larcin qu’on fait» (ibid., 140). Ce manuel juge le français plus convenable à l’honnête homme que le latin, et annonce par là la substitution de la langue de l’Église catholique et des érudits humanistes par la langue ver­ naculaire, substitution qui se fera encore attendre dans les établissements scolaires. Il ne révèle pas seulement la solution de continuité qui caracté­ rise la rhétorique scolaire, mais également l’amalgame de la rhétorique avec la grammaire. L’art d’écrire est associé au bon usage, qu’enseignent les grammairiens, et à l’art de lire, que le cursus des études associe inti­ mement à l’apprentissage du beau style. Le monde scolaire discute sur le moment où il faut introduire les élèves dans les arcanes de cet art, mais même les adversaires les plus intransigeants de la rhétorique ne connais­ sent aucune méthode d’enseignement linguistique qui pourrait se passer tout à fait de la rhétorique. Bernard Lamy se détache sur ce point de Descartes, dont la philosophie imprègne pourtant toute sa doctrine ora­ toire. C’est pourquoi les classes de rhétorique se maintiendront dans le cursus des études jusqu’au XIXe siècle. Leur permanence assure la survie de la rhétorique sans pouvoir empêcher sa marginalisation dans la vie littéraire et intellectuelle. La rhétorique de l'honnête homme contient un « Catalogue des livres dont un honnête homme doit former sa Bibliothèque ». Les gens du monde préfèrent évidemment les livres français ; la meilleure preuve en est

fournie par Perrault dans son Parallèle des Anciens et des Modernes, où il veut justifier cette préférence par la supériorité du siècle de Louis le Grand et des auteurs « modernes » en langue vernaculaire sur la civili­ sation et la littérature gréco-latines. Le latin reste pourtant la langue des manuels scolaires et des classes de rhétorique. Face à cette prédo­ minance de la langue des érudits et des théologiens catholiques, il faut qualifier d’innovation audacieuse le fait que Bernard Lamy publie son cours de rhétorique en français. Son ouvrage intitulé De Part de parler (1675) se base sur un cours que, selon une coutume bien répandue de l’époque, il avait dicté en 1667 à ses élèves de Juilly. C’était un change­ ment radical que de substituer le français au latin comme langue de l’enseignement scolaire. Cette révolution linguistique pouvait passer inaperçue parce qu’il y avait déjà bien des manuels oratoires écrits en français, mais ces rhétoriques françaises n’étaient pas destinées aux classes de rhétorique. Cartésien de conviction et influencé par la doctrine anti-oratoire de Malebranche, Lamy veut rénover la rhétorique sous les auspices du cartésianisme. Ami de Richard Simon, promoteur d’une analyse cri­ tique de la Bible, Lamy renouvelle la rhétorique par un rapprochement avec la philologie. Dans les Entretiens sur les Sciences, il qualifie « l’Étude des belles Le très » de « plus beau fruit » (Lamy, 1966, 147) de la rhéto­ rique. Dans la préface de sa Rhétorique, il soutient que bien des gens font peu de cas de la rhétorique, mais gardent beaucoup d’amour pour les « belles Lettres ». Il utilise dans ce contexte le terme grec de philologia, qu’il rend par l’« amour des mots » (Lamy, 1969, non pag.). Cette traduction contient tout le programme de l’oratorien, qui base sa rhé­ torique sur un modèle de communication par les paroles, « signes qui représentent les choses qui se passent dans nôtre esprit » {ibid., 5). Cette perspective permet d’intégrer la « grammaire générale » dans ses déve­ loppements. Afin de répondre à l’évolution de la philosophie et des sciences, il modifie son texte d’édition en édition. Admirateur des manuels scolaires de Port-Royal, il transforme le titre à partir de la troisième édition en La Rhétorique, ou Uart de parler (1688), pour évoquer le souvenir de La logique ou Part de penser d’Amauld et Nicole, ouvrage qu’il résume dans 1’« Idée de la logique», insérée en 1694 dans le deuxième de ses Entretiens sur les Sciences (Lamy, 1966, 78-104). Ces liens multiples avec les promoteurs de la pensée moderne assurent à l’ouvrage un retentissement durable jusqu’à l’apogée du siècle des Lumières. Lamy réserve à la rhétorique scolaire une place aux confins de la philosophie, de la logique, de la grammaire et de la poétique. La rhéto­ rique doit réfléchir tant sur la « nature du langage » que sur « les

maniérés de parler de chaque Nation » afin de « découvrir les fondemens de l’art de parler» (Lamy, 1969, 17). Les mots et les discours sont « une image de nos pensées » (ibid., 42), mais la structure gramma­ ticale des différentes langues interpose un écran entre les idées et leurs signes linguistiques, et modifie par là la communication. C’est grâce à cette prise en considération de l’impact des structures linguistiques que Lamy modifie la portée du théorème selon lequel le français suit l’ordre naturel de la pensée. La simplicité, la clarté et l’ordre de cette langue viennent de la « coutume » qui est arbitraire parce que dictée par l’usage. « La raison & la nécessité nous obligent de suivre l’usage » (ibid., 68) et les mots ne sont les images de nos idées qu’en tant qu’ils signifient les choses « dont on est convenu que les mots seroient les signes » (ibid.). Les figures, qui existent tant au niveau grammatical qu’au niveau oratoire, s’éloignent des manières ordinaires de s’expri­ mer. Les figures de rhétorique « expriment les mouvemens extraordi­ naires dont l’ame est agitée dans les passions, où elles forment une cadence agréable » (ibid., 43). La rhétorique a besoin de la logique (ibid., 323) pour faire connaître la vérité, elle s’en distingue par la prise en considération des passions, que l’homme ressent vis-à-vis de la vérité. Elle est un art de parler en tant qu’elle enseigne à peindre par la parole l’image que les choses évoquent dans l’esprit, et elle est un art de persuader en tant qu’elle sait « gagner les cœurs » et « les remuer » (ibid., 303). C’est pourquoi Lamy « ne retire pas un grand avantage de la Rhétorique d’Aristote » et lui préfère « le quatrième livre de VEnéide, où l’on voit des peintures naturelles des passions » (ibid., 88). En traitant d’une manière fort sommaire dans le cinquième livre « les choses qui se trouvent dans les Rhétoriques ordinaires » (ibid., 303), Lamy affirme fournir en revanche « les véritables moïens de persuader » (ibid., 304). La doctrine oratoire de l’invention et des lieux communs se réduit à ses yeux à la « Logique » (ibid., 317) parce que la vérité possède « un rapport de conformité » avec les choses et qu’elle persuade par la «clarté» (ibid., 318). Cette vision présuppose une anthropologie selon laquelle l’esprit « est attiré par la clarté, comme la volonté l’est par le plaisir » (ibid.). L’art de parler rend les choses claires et attrayantes, l’art de persuader excite les passions et touche le cœur. D’où la différence entre l’orateur et le philosophe ; le dernier se contente de donner les principes sur lesquels la vérité s’appuie tandis que le premier charme en surmontant toute résistance que les hommes lui opposent. Depuis Aristote, l’étude des passions relève de la rhétorique. L’ouvrage de Breton, De la Rhétorique selon les Préceptes d’Aristote, de Cicéron et de Quintilien (1703), résume encore les doctrines traditionnelles, tandis

que Lamy lui attribue une fonction diverse. Cette divergence se mani­ feste lorsqu’il lui consacre peu de place dans le cinquième livre de sa Rhétorique, où il se débarrasse rapidement de ce qui préoccupe les rhétoriciens depuis Aristote : la classification des passions. Il refuse de parler « au long de la nature des passions » parce qu’il ne veut pas intégrer « la Physique & la Morale » dans la rhétorique, « ce qui ne se peut faire sans confusion» (Lamy, 1969, 347). Cette réticence ne l’empêche pas de leur accorder beaucoup d’espace dans le deuxième livre, où il s’inspire de Descartes pour ramener les figures oratoires aux mécanis­ mes psychophysiologiques. Fort du principe que « les mouvemens de l’ame ont leurs caractères dans les paroles » (ibid., 88), il soutient que les ornements oratoires sont «les armes spirituelles de l’ame, qu’elle emploie pour persuader ou pour dissuader» (ibid., 113). Les «carac­ tères des passions » sont innombrables et, pour les étudier, « il n’y a point de meilleur livre que son propre cœur » (ibid., 136). C’est donc en fin de compte la subjectivité du locuteur qui gagne en importance quand Lamy passe d’Aristote à Descartes. L’éloquence du corps, que la rhétorique traditionnelle aborde selon le modèle de Cicéron dans la partie qui touche à l’action de l’orateur, acquiert chez Lamy une signification nouvelle. Elle concerne la disposi­ tion des organes de la parole, analysée dans le troisième livre. Lamy y passe aisément de l’anatomie à la phonologie, du niveau de la parole à celui de la phrase, de la prosodie à la poésie. C’est l’occasion de distin­ guer le « discours naturel » et le « discours artificiel ». Le premier doit servir « dans la conversation pour s’exprimer, pour instruire, & pour faire connoître les mouvemens de sa volonté », tandis que le dernier est employé pour «plaire» (ibid., 196). Cette distinction est destinée à réhabiliter l’usage modéré de l’art de plaire, et à libérer le plaisir du texte poétique de l’anathème lancé par les jansénistes et par Malebranche contre la lecture des poètes et contre les ornements oratoires. Elle pourvoit la rhétorique d’une base anthropologique qui permet de dédoubler la tripartition traditionnelle des niveaux de style par une explication psychophysiologique de la diversité des styles. C’est le but du quatrième livre, où Lamy énonce la thèse sur la diversité des styles selon deux critères ; l’un est indépendant de l’invidu : le climat, et l’autre vient du producteur d’un texte : ses inclinations et son tempéra­ ment. Chacun de ces critères aura des répercussions importantes dans le siècle des Lumières. La rhétorique de Lamy se nourrit de deux sources : le cartésia­ nisme et la pédagogie humaniste. Descartes et ses disciples lui inspi­ rent l’ambition de substituer au «je-ne-sais-quoi» qu’il récuse une explication rationaliste de la langue en tant qu’instrument de commu­

nication, et des facteurs non linguistiques qui déterminent la com­ munication comme l’usage, les coutumes ou les passions humaines. La pédagogie humaniste l’autorise à interpréter ces facteurs non linguistiques comme impulsions à conserver les procédés traditionnels de l’enseignement : le recours à la mémoire pour apprendre le meil­ leur style par l’imitation des modèles et la mise en valeur de l’imagination pour captiver les passions et vaincre toute résistance. Le rationalisme est donc contrebalancé par l’humanisme qui rend légi­ time l’utilisation de la rhétorique. C’est dans cette perspective que l’oratorien Bernard Lamy emploie la notion d’« omemens naturels » (Lamy, 1969, 288) et préconise une pédagogie qui allie l’art de parler avec l’art de penser. Le bénédictin François Lamy sépare ces deux arts. Selon lui, les enfants ont la mémoire forte et le jugement faible, c’est pourquoi « il faut exercer & cultiver le jugement, dont on a un besoin infini ; & laisser en repos la mémoire, dont on a toujours assez» (Lamy, 1697, 134). Aussi polémique-t-il contre «la methode de ceux qui dans l’éducation & l’instruction des jeunes gens, leur font faire un perpétuel usage de leur imagination & de leur mémoire » (ibid., 133). En combattant l’imagination, François Lamy vise la rhéto­ rique. La fausse éloquence échauffe l’imagination tandis qu’elle laisse l’esprit «vide de vérités solides et salutaires» (ibid., 123). Sa polé­ mique anti-oratoire fait partie du troisième volume du traité De la conoissance de soi-mesme. Le cinquième volume précise son point de vue. Selon lui, la rhétorique est «l’art de convaincre à force de passion­ ner : l’art d’aller à l’esprit par le cœur & d’aller au cœur par l’imagination» (Lamy, 1698, 377). Il lui reproche d’être «l’art d’ébranler l’imagination & d’agiter le cœur» (ibid.). Ce procédé lui semble « n’être point naturel » (ibid.) parce qu’il substitue « l’artifice à la nature » (ibid., 378). Lamy opte pour « la force des raisons » et contre « les figures & les mouvemens » (ibid.). La perfection du juge­ ment consiste par rapport aux « sciences naturelles », à « ne se rendre qu’à l’évidence » et par rapport aux « sciences pratiques » à « ne se laisser determiner que par la prudence » (ibid., 382). Cette définition du jugement prépare une diatribe contre le bel esprit et contre la rhé­ torique de la conversation mondaine (ibid.) 387-388), et une condam­ nation explicite de la rhétorique à laquelle il reproche d’être « l’art d’exciter, dans les esprits, des idées sensibles, & d’y produire diverses sensations touchantes » (ibid., 389). En s’astreignant aux idées sensi­ bles, la rhétorique se contente de la « vaine écorce » parce que les idées sensibles « ne nous font connoître les choses que selon les rap­ ports qu’elles ont avec nous & nullement selon les rapports qu’elles ont entre elles, ni selon ce qu’elles sont en elles-mêmes » (ibid., 402).

Ces derniers rapports relèvent du domaine de la logique, qui « traite & parle des choses selon qu’elles sont en elles-mêmes » (ibid., 428). La recherche de la vérité, les sciences et la sagesse sont donc incompati­ bles avec la rhétorique. Le zèle religieux de Lamy se déchaîne contre le comportement de la société mondaine, dont le style de vie et l’idéal de conversation lui semble être dépourvus de toute qualité morale. Son plaidoyer en faveur des vérités pures épouse les vues de Goibaud Du Bois. Rien d’étonnant dès lors que les Réflexions sur l’éloquence (1700), recueil réunissant des textes qui se réfèrent à l’ouvrage de François Lamy, rééditent les Avertissements en tête de sa traduction des « Ser­ mons» de saint Augustin (1694) avec les Réflexions sur l’éloquence des prédica­ teurs (1695) d’Antoine Amauld. Ce volume est précédé d’un «Avertis­ sement» attribué à Bouhours, qui attribue à Lamy une vision de la rhétorique comme « un Art didactique qui enseigne froidement une vérité, à peu prés comme la Logique donne les regies du Syllogisme » (ibid., 12). П contient une lettre de Brulart de Sillery, où l’évêque de Soissons nie que la « fausse rhétorique » puisse convaincre « à force de passionner » (ibid., 4). Cet épistolier suggère au bénédictin de révi­ ser sa condamnation de la rhétorique en vue d’une réhabilitation de l’imagination. Ce dernier reconnaît que la vraie éloquence peut « ébranler aussi l’imagination », et ajoute que « ce ne doit estre qu’aprés avoir persuadé l’esprit par la lumière des idées ; & que pour porter le cœur à la pratique, lorsqu’il s’agit des veritez pratiques» (ibid., 41). Brulart de Sillery riposte qu’il ne faut pas « faire un crime à la vraye Éloquence de ce qu’elle parle à l’imagination » (ibid., 85). Le jésuite Balthasar Gibert se prononce contre le bénédictin Longin selon lequel « le Pathétique est une des cinq sources du Grand » (Gibert, 1703, 51). Lamy rétorque que la rhétorique est «visiblement un art d’illusion, d’imposture & de fourberie» (Lamy, 1704, 82) et qualifie son adversaire d’« acteur ». Ponchard vante dans son approbation officielle « la beauté & l’utilité des Reflexions » du bénédictin et affirme qu’elle « dédommagera » les lecteurs de « l’ennui » que lui « aura causé la fatiguante lecture des objections » de Gibert. Le jésuite répond par de volumineuses Réflexions sur la rhétorique (1705-1707). Dans la première Réflexion, il ne croit pas «malaisé de montrer que la Métaphysique de M. Descartes est conforme » (Gibert, 1705, 57) à sa rhétorique. Il accuse ensuite son adversaire de se réfé­ rer à « l’illustre M. Loke ». Il commente alors que « M. Loke Anglois [...] a eu soin de dire que la Rhétorique est un puissant ins­ trument d’erreur & de fourberie » (ibid., 68). Gibert cite ici la traduc­ tion d"An Essay concerning Human Understanding avec laquelle Pierre Coste révèle en 1700 à l’Europe savante le philosophe anglais (Locke,

1989, 413). Cette formule ne se trouve pas dans le long abrégé de Y Essay que Jean Le Clerc avait publié en 1688 dans sa Bibliothèque uni­ verselle et historique. Locke soutient « qu’excepté l’ordre & la netteté, tout l’Art de la Rhétorique, toutes ces applications artificielles & figurées qu’on fait des mots, suivant les régies que l’Éloquence a inventées, ne servent à autre chose qu’à insinuer de fausses idées dans l’Esprit, qu’à émouvoir les Passions & à séduire par-là le Jugement» [ibid., 412). Le traducteur Coste juge nécessaire d’ajouter une note où il cite Fénelon pour distin­ guer le véritable orateur du déclamateur. Il espère ramener par là l’intransigeance du philosophe anglais au compromis que François Lamy avait concédé aux critiques qui s’étaient révoltés contre sa condamnation de la rhétorique. Dans ses Réflexions, Balthasar Gibert s’efforce, en polémiquant contre ce bénédictin, de réconcilier la rhéto­ rique avec le rationalisme. Selon Gibert, l’éloquence « n’est autre chose que la Raison même, quand elle sçait se faire entendre aux hommes » (Gibert, 1705, 5). Son explication du rapport entre les deux est aussi astucieuse que simple. « C’est cette Raison qu’on appelle Nature, lors­ qu’elle suit ses premières vues, & qui s’appelle Rhétorique, lorsqu’elle agit par réflexion » (ibid.). Cette théorie présuppose une continuité de la pensée à l’expression, tandis que Locke insiste sur la rupture qui existe entre les deux. La faculté de « discerner ou distinguer » exactement une idée d’avec une autre « contribue le plus à faire qu’elles soient clai­ res & déterminées » (Locke, 1989, 109). La vivacité de l’esprit se mani­ feste par la «justesse » et la « netteté de Jugement » (ibid.), et nullement par une « agréable variété » et de « belles peintures qui divertissent & frappent agréablement l’imagination » (ibid.). La « beauté de la pein­ ture & de la vivacité de l’imagination » (ibid.) n’ont rien en commun avec «les régies sévères de la Vérité & du bon raisonnement» (ibid.) qui servent de fondement à toute communication entre les hommes. « Les mots ne signifient autre chose que les idées particulières des Hommes, & cela par une institution tout-à-fait arbitraire » [ibid., 327). La langue, instituée pour la commodité de communiquer ensemble, ne remplit cette fonction qu’autant qu’elle fait « connoître nos pensées ou nos idées aux autres [...] avec autant de facilité & de promptitude qu’il est possible [...] par [...] la connoissance des choses » [ibid., 409). C’est donc la relation des idées aux choses et non pas celle de l’expression à l’énoncé qui règle la communication. C’est pourquoi Locke tient les règles de la rhétorique pour «de parfaites supercheries» [ibid., 412). Son épistémologie aboutit à une philosophie du langage qui exclut l’art de la communication verbale et sépare par là la vérité de la raison de la beauté de l’énonciation. La science est divisée en trois espèces : la

« physique », la « pratique » et la « logique », que Locke définit comme « la Connoissance des Signes » (ibid,, 602). Ce n’est donc ni la rhéto­ rique ni la grammaire générale, mais la logique qui s’occupe de la communication ; « son emploi consiste à considérer la nature des signes dont l’Esprit se sert pour entendre les choses, ou pour communiquer sa connoissance aux autres» (ibid.). Aussi est-ce la logique qui supplée à « l’imperfection des mots » en éliminant toute polysémie par une défi­ nition stricte de la signification qu’on leur attribue. Locke érige la communication scientifique en norme suprême de l’utilisation de la langue. Selon lui, il faut distinguer l’usage « civil » de l’usage « philosophique » de ce moyen de communication. Par l’usage civil, il entend « cette communication de pensées & d’idées par le secours des mots, autant qu’elle peut servir à la conversation & au commerce qui regarde les affaires & les commodités ordinaires de la Vie Civile » (ibid., 385 s.). C’est une espèce de communication fort imparfaite par rapport à l’« usage philosophique » qui donne « des notions précises des choses » et exprime « en propositions générales des vérités certaines & indubitables » (ibid., 386). Locke concède que « les Marchands, les Amans, les Cuisiniers, les Tailleurs, Le., ne manquent pas de mots pour expédier leurs affaires ordinaires » (ibid., 417), mais il qualifie leur commerce linguistique de « discours vulgaires » (ibid.). Ce manque de précision est inadmissible dans les discours qui prétendent instruire ou convaincre un autre. Locke ne déprécie pas seulement les ouvrages philosophiques qui ne satisfont pas à ce critère, mais il n’excepte même pas la poésie et la lit­ térature de cette règle (ibid., 426). Il néglige le plaisir esthétique aux dépens du bonheur moral. Son système ignore complètement le plaisir procuré par la vérité. Bernard Lamy avait affirmé que « la vérité d’un discours n’est autre chose que la conformité des paroles qui le compo­ sent avec les choses» (Lamy, 1969, 289). Cette conformité relève selon Locke exclusivement du domaine de la pensée abstraite, tandis que selon Lamy elle produit une « harmonie » qui produit la « beauté » du discours (ibid.). Locke divise la vérité de la beauté en niant cette dimen­ sion esthétique de l’énonciation. Il expulse par là la poésie en même temps que la rhétorique du domaine de la vérité et anéantit l’esthétique humaniste. Sa philosophie entraîne une crise de la légitimité de la poésie, crise qui se manifeste déjà chez François Lamy. Ce bénédictin est influencé par Locke quand il englobe la poésie dans sa condamna­ tion de la rhétorique. S’appropriant le principe janséniste selon lequel « la fréquente lecture des Poésies profanes, & sur tout des Françaises » (Lamy, 1698, 441) est dangereuse aux jeunes, il risque de devoir conclure que « la Poésie doive estre interdite à tout le monde »

(ibid., 446). Il récuse cette position radicale et soutient qu’il « se trouve des esprits qui nés Poètes, savent joindre aux rimes & à la cadence tout ce que la raison & le bon sens ont de plus solide » (ibid.). Son garant est Boileau, dont il cite VArt poétique (ibid., 448), rendant par là manifeste comment la rhétorique du sublime se prête à être métamorphosée en rationalisme.

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PHILIPPE-JOSEPH SALAZAR

16 - La voix au XVII' siècle

Jacob Burckhardt, dans un passage de sa Civilisation de la Renaissance en Introduction Italie (IIIe partie), évoque les prestiges de l’expression vocale à Florence, à Rome, à Venise comme une fête continuelle de l’écoute. Il met ainsi en valeur le fait que la culture rhétorique humaniste suppose une appréciation de la voix humaine elle-même. Les historiens de la littéra­ ture sont cependant restés sourds à cet avertissement. Depuis les années 1970, les historiens du livre, fascinés par ce qui semblait être la grande invention de la Renaissance, la presse à impri­ mer, ont eu naturellement tendance à privilégier l’imprimé au détri­ ment de l’expression vocale, et ce, jusqu’à obscurcir, y compris dans les études littéraires qui prennent en compte la rhétorique, la source vive de cette dernière : la voix humaine et la présence individuelle qu’elle implique. La culture européenne serait ainsi passée sans transition de l’univers scolastique, chirographique et oral (c’est-à-dire nourri de la reproduction manuscrite des textes et, par exemple, des techniques de lecture à haute voix ou de la disputatio universitaire), à la civilisation du livre, fondée sur la reproduction non seulement mécanique mais encore « anonyme » des textes. Dans cette perspective, entre l’étape chirogra­ phique où chaque manuscrit porte des traces vivantes de chaque scriptor et l’étape typographique, lorsque le livre peut être efficacement repro­ duit avec une marge toujours décroissante d’erreurs, le texte perdrait en présence humaine ce qu’il gagnerait en termes de marchandise. Malgré le développement récent, en philosophie, d’un intérêt envers la voix comme « chair spirituelle » et, en histoire culturelle ou religieuse, pour les formes orales à l’aube de la civilisation, l’insistance mise par certains structuralistes, depuis les années 1960, sur deux aspects choisis de la rhétorique - l’argumentation et l’élocution -, aggrave cette prise de parti. Elle s’attache aux deux opérations les plus abstraites et les plus aisément sujettes à s’intégrer dans une conception écrite et non pas

vocale de la littérature : la logique des propositions et les figures de style. La voix, pierre de touche de la rhétorique, est ainsi restée, jus­ qu’aux années 1980, le point aveugle des enquêtes dans l’histoire de cette discipline. Burckhardt avait cependant entrevu que le plaisir et l’art d’écouter implique un plaisir et un art non pas tant de parler selon des règles rhétori­ ques que d’affirmer la présence réelle de l’orateur et de l’auditeur. L’his­ torien suisse avait ainsi délimité plusieurs sphères où cette vivacité de la parole peut jaillir et unir les individus autour d’une voix autant, sinon plus, qu’autour d’un message prononcé selon des règles parfois inconnues de l’audience : les cours princières, les séances académiques, les réceptions officielles - ambassades, mariages, prises de pouvoir -, les églises et même, tel Frédéric d’Urbin, les champs de bataille. Il manquait néanmoins à cette intuition du savant protestant la pleine prise de conscience de la Réforme catholique. En favorisant une théologie du Verbe incarné, l’Église post-tridentine et ses propagateurs, les Jésuites d’abord, puis les Oratoriens, apportèrent, en l’illustrant, un soutènement dogmatique à la fascination sociale ressentie envers l’exercice vivant de la parole et l’admiration savante ou politique pour les « grandes voix » (et Burckhardt cite le chanoine « Fedrà » Inghirami). Dans l’optique rénovée de la Réforme catholique, la voix humaine, en dépit de sa fragilité et de sa contingence, non seulement permet à la tradition orale de l’Église, privi­ légiée par le concile de Trente, de se transmettre par la bouche de ses prê­ tres et évêques - selon le mot de saint Paul, ex auditu, de bouche à oreille -, mais encore de rapprocher l’homme du Verbe, ce pneuma ou souffle divin, inentendu par elle mais présent dans chaque créature. Soutenue par les formes de la prière et de l’oraison, cette théologie « pneumatique » accorde ainsi à la voix de chaque être humain un prix d’autant plus rare que la fragilité et la fugacité qui la marquent désignent en elle la beauté propre à chaque créature, son vrai prix. Il convient donc de délimiter, à l’Age de l’éloquence, les lieux d’apparition et de développement de cette culture vocale. Ce terme, « voix », permet aussi, dans un premier temps, d’éviter des confusions avec ce que les ethnologues, les anthropologues et les sociolinguistes nomment l’oralité ou la parole, et de mieux élucider les traits spécifi­ ques de cette civilisation des XVIe-XVIIe siècles. Les éléments de descrip­ tion qui suivent pourraient plus tard servir à une étude critique et com­ parée des concepts fabriqués par les différentes disciplines dans leurs efforts pour rendre compte du vif de la parole. On pourrait ainsi déli­ miter trois grandes aires de développement : l’univers naturel et phy­ sique, le monde culturel et civil, la sphère spirituelle.

La notion de « voix » est clairement présentée dans les recueils encyclo­ pédiques de la période concernée. Dans ces ouvrages savants, qui font le point sur l’état des connaissances héritées de la littérature antique, un réseau d’articles monté autour de la vox permet d’en saisir les diffé­ rents aspects. Le Theatrum uitae humanae de l’éditeur bâlois d’Aristote et d’Hippocrate, Théodore Zwinger (1565), établit une typologie des voix humaines à partir des documents disponibles sur, par exemple, Homère (une voix grave et forte) et Hermogène (une voix tour à tour rapide et lente). Zwinger tente ainsi de dresser, à travers les grands rhé­ teurs et poètes antiques, des modèles vocaux applicables aux differentes activités intellectuelles. Le Dictionarium d’Ambrosius Calepinus (1502 et multiples éditions dont celle, importante, de 1634), Johannes Buehler, dans son Thesaurus phrasium poeticarum (1619) et le célèbre Alstedius, édi­ teur du livre III de la Rhétorique d’Aristote, dans son Encyclopedia (1630), fournissent un relevé des qualificatifs (une quarantaine), appropriés à une description des voix humaines, un véritable champ sémantique dont la source la plus directe est VOnomasticon de Julius Pollux, compila­ tion qui s’appuie elle-même, pour l’essentiel, sur trois ouvrages d’Aris­ tote, le De anima (II, 8), le De respiratione et le De generatione animalium (V, 7). Deux textes latins de la tradition oratoire sont mis à contri­ bution par ces auteurs, où sont puisés les lieux communs sur la vox : l’Institution oratoire (XI) de Quintilien et Y Orateur (55-60) de Cicéron. Le Calepinus et la Polyanthea de Domenico Nani Mirabelli (1503, multiples éditions dont celles de 1604 et de 1620) possèdent cet intérêt de croiser l’article sur la voix avec des articles sur la langue, la plume, l’écrivain (scriptor), l’écriture, le dictator, la parole (sermo), le discours (oratio) et le Verbe divin (Verbum) et, d’autre part, de s’attacher à décrire les phéno­ mènes linguistiques de l’homonymie, de la synonymie et de la paronomie comme relevant plus de la vox, prise ici dans le sens de « pro­ nonciation », que de la sémantique. Le terme de vox offre donc un spectre très large, allant de l’organe de la phonation au Créateur lui-même. Lorsque les dictionnaires en français auront à donner une définition de la « voix », le champ sémantique sera plus restreint, s’organisant selon un paradigme qui nous est plus familier : accent, articulation, expression, inflexion, ton et prononciation (Dictionnaire de Furetière, 1690; celui de l’Académie, 1694; Nouveau dictionnaire de Richelet, 1709). La mise en œuvre la plus immédiate de ces données sémantiques se réalise dans deux domaines qui ont trait à la nature matérielle de la voix : d’une part la physique et ses sciences connexes et d’autre part la science proprement rhétorique de la prononciation (l'ars pronuntiandi, qu’il convient de ne pas confondre, malgré l’amphibologie, avec

Les données physiques :

de la voix au son

l’acception moderne du mot « prononciation »). Le vocabulaire et la pensée aristotéliciens servent de point de départ et de pierre de touche communs à l’un et à l’autre. Le développement de l’anatomie comparée, à la fin de la Renais­ sance, permet de saisir l’enjeu de fond d’une description de la voix humaine. Directement inspirée par la conception aristotélicienne et galénique d’une parenté morphologique entre l’homme et l’animal, le comparatisme anatomique trouve dans l’étude de la phonè, commune aux deux, une articulation majeure. L’analogie entre l’homme et l’animal, exposée dans les planches anatomiques et les travaux (suppo­ sés ou véritables) de dissection, donne fieu aux premiers grands travaux sur la phonation : de l’école padouane Fabricius puis Casserius offrent une série d’études sur la voix. Le premier comprend l’enjeu que ren­ ferme la description de la cause du plus humain des phénomènes phy­ siques, la voix qui porte la parole (l’articulation des sons), et le langage (la manifestation des idées par des sons) dans son De uoce (1600) et son De locutione (1603), tout en tentant d’élucider ce qui différencie l’usage par l’homme de la voix de son usage par l’animal dans son De brutorum loquela (1603). Selon Fabricius, l’homme et l’animal se partagent les quatre premiers moyens d’expression (manifestatio) et de communication (communicatio) de l’intériorité, à savoir l’apparence, le geste, le son et la voix, la parole seule restant humaine. À rebours, l’analogie fonction­ nant dans les deux sens de la ligne unissant l’homme et l’animal, on retrouve dans la parole humaine des traces de son animalité commune - de même que certains animaux peuvent, en remontant la chaîne, imiter la parole humaine en reproduisant la voix qui la porte. Cette argumentation atteint son acmé dans le superbe traité de Casserius, De uocis historia anatomica (1600), qui, préfacé d’une éloquente Louange de la voix, affirme la souveraineté de la voix sur les autres moyens physiques mis à la disposition de l’homme, de ses émotions, de ses pensées, de ses actions morales et civiles. Casserius s’adresse directement à Vox comme à une muse tutélaire. On comprend ainsi comment la science du XVIIe siècle, dans sa ver­ sion aristotélicienne, a pu développer une « question » physique de la voix, en insistant sur deux aspects complémentaires : l’observation du monde animal et l’observation des comportements humains. D’une part, et c’est là un moment central de la Musurgia uniuersalis (1650) du P. Athanasius Kircher, conservateur du musée et bibliothé­ caire du Collegio Romano de la Société de Jésus, l’analyse de la voix donne lieu à la mise en place d’un véritable bestiaire « anthropopho­ nique ». L’unité de la Création se manifeste dans l’existence d’animaux capables de se rapprocher au plus près de la voix humaine : les oiseaux

« phonasques », les insectes sonneurs et les batraciens. Cette unité pos­ sède évidemment sa source scripturaire dans l’histoire même de la création des animaux telle qu’on la médite dans les Homélies sur V« Hexaemeron » de Basile et qu’on la redécouvre dans le Mondo create du Tasse (1600) et la Septmaine de Guillaume du Bartas (1611). Mais elle permet, soutenue des observations et des collections faites par les pères durant leurs missions dans les terres nouvelles, d’étendre, au rythme de la propagation de la Bonne Parole, le domaine apparemment inépui­ sable de la vocalité animale. D’autre part, cette attention portée à la recherche des signes vocaux de l’humanité peut aussi, dans un deuxième temps, se diriger vers l’examen de l’homme lui-même. Toute une section de la physiogno­ monie, science remise en vigueur par Giambattista Della Porta dans sa Physiognomonia (1586) et qui connaît au XVIIe siècle une vogue à la fois savante (avec, par exemple, Marin Cureau de La Chambre : Hart de connoistre les hommes, 1659 ; le P. Honorât Niquet, Physiognomonia humana, 1619) et mondaine (ainsi, la Fisionomia de Claude de La Bellière, 1664, et les témoignages sur la passion des salons précieux pour les blasons de la voix, hérités de la Renaissance, chez un Voiture ou un Segrais et le déjà ancien Compendion de physiognomie de Bartolomeo Codes, 1560), entreprend de délimiter une physique de la voix humaine qui donne accès aux passions et qui offre surtout à chacun des interlocuteurs de cette société de cour en plein essor de déchiffrer, dans les accents et le débit de la voix, les vraies intentions, les pensées secrètes, des uns et des autres. La physiognomonie de la voix est l’adjuvant nécessaire de la conversation civile, un système d’écoute, un déchiffrement continu de « signes » vocaux. Le fondement aristotélicien est double : d’une part, les voix humaines, mesurées aux sons animaux, livrent la clef des âmes en affirmant le continuum de l’animal à l’homme ; c’est ainsi qu’il faut aussi relire celles des Fables de La Fontaine qui mettent en scène le déchiffrement de la réalité sous les apparences trompeuses de leur donné vocal, comme dans Le singe et le dauphin (IV, 6), Le geai paré des plu­ mes du paon (IV, 9) ou Le milan et le rossignol (IX, 18). D’autre part, cette déduction est une stratégie logique qui se fonde sur l’analyse de Fenthymème des Analytica priera. Enfin, cette physique analogique se soutient d’une méditation sur les images mythologiques de la voix, l’ancienne science se soutenant, dans la tradition d’Aristote, des leçons de la « Fable », de la mythologie alors conçue telle un savoir métaphorique mais valide de la Nature. Les recueils de Giovanni P. Valeriano Bolzani (Hieroglyphica, 1556, trad, franç., 1615 ; le fameux « Pierius »), de Lilio G. Giraldi (De musis syn­ tagma, 1539, trad, franç., 1627) et de Natale Conti (Mythologia, 1581,

trad, franç., 1627) livrent un ensemble de signes mentaux, des «hiéro­ glyphes », censés représenter les differentes empreintes laissées par la voix sur la Nature. Toutefois un renversement de perspective s’opère au cours du XVIIe siècle lequel, mis en mouvement par un débat sur le statut théolo­ gique des machines, se résout dans la naissance de l’acoustique. Alors que la pensée analogique de la voix continue son développement, un savoir du son et non plus de la voix se met en place qui culmine dans les travaux de la Royal Society et de l’Académie des sciences. La Renaissance, préoccupée de rendre compte de l’harmonie entre l’homme et la Nature, concevait les machines et les automates comme une magnification de la Création. Ainsi, l’œuvre des ingénieurs tels que Jacques Besson (Théâtre des instrumens mathématiques & méchaniques, 1578) et Salomon de Caus (Les raisons des forces mouvantes, 1615), s’appuyant sur la mécanique antique (le livre X de Vitruve et les Pneumatica de Héron d’Alexandrie) non seulement permettait de fabriquer des automates capables d’imiter le son de la voix animale - l’approximation de cette imitation, loin de rabaisser l’automate, démontre comment la Nature forme une chaîne de formes analogues -, mais encore formait un argu­ ment contre le paganisme : le grand savant jésuite Gaspar Schott, élève de Kircher, dans ses Mechanica hydraulico-pneumatica (1657) et sa somme, VAcustica, insérée dans sa Magia uniuersalis (1657-1658), explique com­ ment le savoir technique des Anciens était rallié à la cause de leur reli­ gion par la fabrication de statues divines soi-disant douées de la parole (comme le colosse de Memnon). La machine vocale sert donc un double propos : affirmer les « merveilles » de la Création, au nom du savoir-faire technique, et polémiquer contre l’idolâtrie, au nom de la religion du Verbe. Le traité consacré par Marin Mersenne, dans son Harmonie universelle (1636), à De la voix et des chants, donne un exposé détaillé de la physique ancienne de la voix, de son impact sur une mécanique imitative des sons, des relations, tant naturelle qu’ « auto­ matique » de l’homme et de l’animal, des liens entre la mythologie et la science de la voix et, d’un point de vue résolument moderne, des diffé­ rences physiques entre les voix italienne et française. Mais une série de mutations scientifiques, la naissance du méca­ nisme, viennent affecter cette doctrine. C’est d’abord l’affirmation par Gassendi, dans son commentaire des passages d’Épicure (Lettre à Héro­ dote) et de Lucrèce (De гетит natura, IV et V) sur la voix, d’une véritable poétique du son (Physica, X: De sono, dans Opera omnia, 1658); c’est ensuite la parution du Discours physique de la parole du cartésien Gérauld de Cordemoy (1668) qui récuse la valeur imitative du cri animal - la bête n’est pas susceptible d’émotions, et encore moins de pensées ; elle

ne peut donc, sauf dans l’imagination des poètes, « imiter » la voix humaine - et affirme la dignité singulière de la voix humaine - au point que le mensonge est, travestissant le rapport de la voix à la pensée, un acte de bestialité. C’est aussi l’important De loquela du savant anglais John Wallis (1653), l’éditeur oxonien des Harmonica de Ptolémée, Porphyre et Bryennius, où sont jetées les bases de la mécanique articulatoire des langues. L’ouvrage de Wallis provoque une réponse virulente du savant suisse Johann Conrad Amman (.De loquela, 1692), un traité souvent repris au XVIIIe siècle et la source probable de la Lettre sur les sourds-muets de Diderot (1751) : Amman y prend la défense théologique de la Vox, « vivante émanation de l’Esprit lui-même », contre la mise en place de la théorie articulatoire, variante du mécanisme, et illustrée en France par les travaux d’un autre cartésien, George Lavaus (Traité de la mauvaise articulation, 1697). Ce débat met surtout en valeur la résistance de l’opinion moyenne au mécanisme, qu’il soit de type épicurien ou cartésien, et ce chez ces scientifiques eux-mêmes : Mersenne cherche le Verbe dans la voix, Gassendi reste fasciné par cette « merveille » qu’est le son vocal, Cordemoy conclut sa « Physique » par une méditation sur la voix des anges. Les efforts tentés par VAccademia del cimente (Lorenzo Magalotti, Saggi di naturali esperienzi, 1667), par la Royal Society (Robert Hooke, 1681) et par l’Académie royale des sciences (Claude Perrault, Essais de physique : Du bruit, 1680, et Denis Dodart, deux mémoires sur la voix, 1700 et 1706-attire le premier l’attention sur le fonctionnement de la glotte), dans le sens d’une « quantification » des sons (vélocité, fré­ quence) et dans le cadre d’expérimentations et non plus de théories abstraites, restent incertains quant à leur position idéologique. Mais il est clair que lorsque Joseph Sauveur compose, au Collège royal et dans l’entourage de Mme de La Sablière, son Traité de la théorie de la musique (1697) et prononce devant l’Académie royale des sciences ses discours sur l’acoustique (1701 et 1707), il n’est plus question de la voix mais du son, et non plus d’un son doté de qualités imaginaires, mais de l’objet abstrait d’une science qui prend alors son essor jusqu’à ce que E. F. Chladni, en 1802, réconcilie hypothèses et preuves expérimentales.

Dans le domaine de la pédagogie ou des relations humaines, au sens où l’art de parler aide à former le lien social, on assiste, au cours de l’Age classique, au développement d’une réflexion sur la voix qui plonge ses racines dans Vars pronuntiandi, la « prononciation » au sens que lui donnent les études rhétoriques.

Les données culturelles

Dans un premier temps, Yars pronuntiandi, dont l’objet est de définir cette partie de Vactio qui concerne la voix et ses « gestes » oraux, connaît un effort de systématisation de la part de pédagogues, soucieux de fournir aux futurs prédicateurs et avocats des règles exactes. Dès 1600 paraissent les Artium disserendi ac dicendi libri duo d’Alphonse Alvarado. Cet ouvrage offre une mise en diagramme, en une suite de dichotomies, de Yars pronuntiandi, s’inspirant de la tradition ramiste à laquelle il donne, du même coup, une fondation qui lui faisait défaut dans cette partie de la rhétorique négligée par Ramus. La voix y est susceptible de soixante modifications (voir le diagramme). Ce souci de « méthode » (terme clef de la filiation ramiste), pour être sec, permet cependant de comprendre le développement, au cours du siècle, d’une sorte de « technologie vocale » lorsqu’il se combine d’une part au souci de faire passer dans la voix la dignité de la Parole catholique et d’autre part à celui de définir les formes civiles de la parole. Une ligne de réflexion se dessine ainsi au long de textes sur la prononciation émanant de la tradition jésuite. Carlo Reggio (Orator Christianas, 1613 : livre VIII), Nicolas Caussin (Eloquentiae sacrae et humanae parallela libri XVI, 1619 : livre IX), André Valladier (.Partitiones, 1621), Pierre d’Aulberoche (Eloquentiae pantarba, 1626: livre XII) et surtout Louis de Cressolles ( Vacationes autumnales, 1620) lui donnent son armature. L’articulation entre le Verbe et la voix, et la noblesse inhé­ rente à l’art de prononcer dont les nuances sont destinées à rappro­ cher au plus près la voix humaine de son modèle inouï, est somptueu­ sement proclamée par Reggio dans le frontispice de son ouvrage : en forme de retable classique il rassemble les symboles (orgue, cloche, canon et trompette) et les devises de Yars pronuntiandi, ses héros (saints Grégoire, Bernard, Jean Chrysostome et Augustin) et ses lieux affectifs (les accents de la joie, de l’indignation, de l’admiration et de l’amour), offerts au lecteur qui pénètre dans ce temple de la voix, tel un scho­ lastique de noviciat. Sous un autre angle, il faut apprécier que les œuvres de Caussin, de Valladier et de D’Aulberoche sont chacune dédiées à une « voix » du royaume : Louis XIII, le Parlement de Paris, Richelieu - comme à une sorte de trinité de la voix française. Il faut aussi noter que, venus à préciser, depuis ces hauteurs, les règles vocales, ces théoriciens se contentent de résumer le système mis en place par Alvarado, en insistant cependant continûment sur la dignité de l’enseignement oral et de l’expression vocale - pour le maître, l’avocat, l’évêque, le prince qui, différemment, « enseignent » par la parole. Cette dignitas, affirmée par le P. Francisco Sacchino (Protrepticon ad magistros scholarum inferiorum Societatis Jesu, 1625), se fonde sur un examen des passions que l’orateur catholique, sous ses masques divers,

peut et doit exprimer à l’aide de la voix. La prononciation est envi­ sagée comme l’instrument des passions, la « voix des passions », et le cœur de la persuasion éloquente - plus que l’argumentation ou l’élocution -, et c’est là une optique qu’Alvarado, ramiste, ne pouvait pas privilégier. Caussin cerne cette dignité intérieure et cette efficacité sur l’auditoire de l’expression vocale des passions à l’aide de quatre critères qui, sous des terminologies differentes, reviennent de traité en traité : puritas, perspicuitas, cultus, habilitas, à savoir la pureté d’une voix moyenne (entre la rusticité et l’afféterie, mais aussi entre l’excès de virilité et la mollesse : moyenne sociale et moyenne culturelle à la fois), la clarté de la diction, la brillance de la voix (erecta, dit Caussin), sa souplesse qui permet aux mots de suivre, habilement, les inflexions des passions. Le respect de ces critères alloue, en retour, une écoute fructueuse. Valladier emploie, pour qualifier la délicatesse de ce rap­ port à trois (la passion, la voix, l’oreille) qui passe par l’art de pronon­ cer, le terme d'accommodatio et Kircher va jusqu’à parler de musica amoris (Musurgia uniuersalis, liv. X, VI, 1), alors que Tommaso Campanella, insérant son traité sur l’éloquence dans une Ethique, insiste sur Yaffabilitas de l’orateur dont la voix, « affable » étymologiquement, engendre un « colloque » des esprits (Realis philosophise epilogisticae partes quatuor, 1623 : 2e part., X, 1-3). Cette conception « amante » de la prononcia­ tion trouve son point d’orgue dans les Vacationes de L. de Cressolles. Entièrement dévolu aux deux gestuelles de Yactio, la voix et l’attitude de l’orateur, cet ouvrage non seulement met en scène, au cours de conversations entre élèves et pédagogue, le pouvoir et la variété de la voix humaine, sa beauté et sa fécondité, mais encore fournit, dans son décor à la fois scolaire et champêtre - locus amoenus, dit Cressolles - , les éléments d’une architecture mentale dont les proportions, incar­ nées dans l’échange de vive voix et la méditation de ses « règles », éveillent les interlocuteurs et les lecteurs, appelés à lire à haute voix, en compagnie, le texte des Vacationes, à la divine musique du Monde. Plus que de formuler des règlements automatiques, Cressolles propose, amplement soutenue du corps de la littérature classique sur le sujet, une recherche sur la voix catholique dont la mise en œuvre est sug­ gérée, illustrée, vivifiée par le rappel d’exemples, d’anecdotes, de cita­ tions qui mettent les interlocuteurs en présence de « grandes voix » soumises à l’imitation et à l’émulation. Cressolles s’inspire de la méthode des « exercices spirituels » de la Compagnie, mise ici au ser­ vice non de l’oraison intérieure mais de 1’ « oraison » publique. Vers la fin du siècle cette conception néo-latine, savante, mesurée, pédago­ gique mais aussi, de façon croissante, presque ésotérique dans son degré d’innutrition littéraire, ne trouvera qu’un écho affaibli dans

1 'Actio oratoris du P. Jean Lucas (1675, liv. II). Entre-temps, le débat s’est en effet déplacé. De fait, la réflexion sur la prononciation aura suivi, dès le milieu du XVIIe siècle, un autre cours, influencé à la fois par le souci de méthode et les progrès de la culture de langue française. Une première articulation concerne cette expression des passions qui serait le propre de l’art de prononcer et qui relève de la question de l’imitation (par la voix l’orateur imite une passion qui émeut son auditoire et le convainc du vrai de l’argumentation). Un terme souvent employé pour définir ce rapport est le (ou : la) « pathétique ». Il revient à Gérard Vossius, spectateur attentif des développements du théâtre contemporain, de rappeler aux théoriciens du genre les élé­ ments légués par l’Antiquité sur le chœur tragique {De artis poeticae natura ac constitutione, 1647 : liv. II et III), la déclamation {De recitatione, 1647) et Гenergeia de la voix humaine {Commentarium rhetoricum, 1630). Or, anticipant en ce sens sur la querelle du sublime, Vossius souligne combien la poétique hermogénienne est opérative : la prononciation relève de la magnitudo, de la grandeur, en dernière analyse de l’efficacité par laquelle les moyens de l’imitation font apparaître l’objet imité, les passions. C’est retrouver aussi la réflexion proposée par Mersenne, dix ans auparavant, sur les « accents » de la voix auxquels il avait consacré plusieurs livres de son Harmonie universelle {Traitez de la voix et des chants, liv. I et II ; Traitez des consonances, liv. VI : « Art de bien chanter »). L’accent de la passion serait, dans l’art de prononcer étendu à l’art de chanter et de réciter, le lieu de l’imitation. Cette extension du terme et le lien désormais opéré entre la passion et la voix subit l’influence du cartésianisme et de la redéfinition des passions que propose Descartes {Passions de l’âme, 1644). On assiste donc à une multiplication des « méthodes » de prononcer qui entendent, en français, formuler un art de l’imitation par la voix qui puisse servir aux grands offices de l’État et de l’Église. Michel Le Faucheur, le prédica­ teur protestant, et Valentin Conrart, secrétaire de l’Académie, font for­ ces communes et produisent un Traitté de l’action de l’orateur (1657) qui se trouve être ainsi la seule rhétorique sortie des rangs de l’Académie - dont la rédaction avait été, avec le dictionnaire et la grammaire fran­ çaises, explicitement mise à son cahier des charges -, et, qui plus est, une rhétorique de la prononciation. Le traité, croisement des réflexions d’un praticien savant, star de l’éloquence publique, et d’un lettré, rompu à l’art de la conversation et de la correspondance intimes, est donc une somme pratique. L’art de prononcer se fonde sur une matière, la voix, qui, « comme le corps a trois dimensions, a trois prin­ cipales différences » : hauteur, ton, vitesse. La voix est un transport

physique, la passion choisie mettant en mouvement (en tant qu’action) l’inflexion requise (se reporter à l’annexe 2) laquelle provoque, chez l’auditeur, la réduplication de cette passion (comme passion). Ce méca­ nisme suppose que l’orateur ait une connaissance parfaite des types de passion et de leur fonctionnement psychophysiologique (dans la typo­ logie de Descartes) et qu’il ait la certitude que ce savoir est traduisible en automatismes patiemment acquis (la « discipline » ou la méthode) de prononciation. Cette tendance trouve un autre exemple dans la Méthode pour bien prononcer (1679) de René Bary, qui porte, elle, l’empreinte de l’art de la conversation et de l’entretien public, puisque Bary reste l’inventeur d’importants Journaux de conversation (1662, 1673, 1675). Ouvrages pour adultes, à la différence des œuvres néo-latines de la génération précédente, ouvrages mondains, allégés de toute la matière érudite des textes de collège, ouvrages pour une société qui parle la langue française, que l’on veut claire, fluide, déliée, ces métho­ des sont battues en brèche par l’Université. Le recteur Balthasar Gibert, dans son Traité de la véritable éloquence (1703), souligne leur point faible : la connaissance scientifique des passions est inutile à l’art de prononcer. Être bon philosophe (ou, dans le cas des mondains, ama­ teur de cartésianisme) ne saurait garantir l’efficacité de l’art de pronon­ cer que l’on pratique. Contre la sorte de technologie automatique que préconise Bary, Gibert affirme que l’accent de la voix n’émeut pas par la passion qu’y met l’orateur mais par l’objet de la représentation. C’est l’optique choisie par Gilles Duport dans son élégant Art de prêcher (1682), lequel insiste sur le corps de l’orateur, sa présence sonore, qui, plus que les passions, est source de Venergeia. Mais il faut noter que ce débat sur la prononciation accompagne un autre phénomène : l’éloquence publique, qui vivait encore, dans la première moitié du XVIIe siècle, des souvenirs de sa vigueur politique du temps des Du Vair (De l’éloquence française, 1595) et des Du Perron et se survivait dans la tradition parlementaire, se transforme, au service de la conversation ou de la déclamation littéraire. Ce changement de registre, d’une part, relègue l’art de prononcer dans le domaine exclusif du sermon dont les données resteront pratiquement inchangées jus­ qu’au XIXe siècle (ainsi chez le cardinal Maury, Essai sur l’éloquence de la chaire, 1810) et d’autre part affecte le rapport entre l’expression des pas­ sions, la prononciation et l’élocution. L’assiette des études rhétoriques n’est plus la même. De Conrart / Le Faucheur à Duport, il est en effet clair que la pro­ nonciation lentement passe au second rang, au profit de l’élocution, et que, chez ces auteurs, la responsabilité de l’imitation, la force de l’émotion et le degré de persuasion d’un discours graduellement devien­

nent l’enjeu des figures de l’élocution. Ce déplacement pourrait corres­ pondre à la désintégration désormais apparente, au seuil du XVIIF siècle, de cette « oralité » de la culture classique et à la mise en place d’une civi­ lisation essentiellement centrée sur la lecture et fascinée, comme le seront les Lumières, par la puissance de l’imprimé et les délices de l’art d’écrire. Il s’ensuit que la question de la lecture publique devient d’actualité. Réciter un texte demeure ici le seul point de raccord entre les deux cultures. Il est possible de déterminer les enjeux de cet art plus spécifique de la prononciation, la récitation ou encore le « récit ». François de La Mothe Le Vayer, figure de transition entre l’huma­ nisme savant et la nouvelle culture, offre une réflexion suivie sur la lecture publique dont Vossius avait, dans son De recitatione, rappelé l’importance sociale sous l’Empire romain (la lectio). Dans Du bon et mauvais usage des récitations (Opuscules, IV), il indique que la récitation, forme accomplie - avec la lettre qui est son double - de la communi­ cation et de l’amitié entre savants, entrant dans le cercle tapageur des relations mondaines (la lecture de pièces de théâtre par exemple) et soumise en outre à l’influence changeante des vogues qui affectent l’éloquence publique, est en fait à proscrire. La vive voix, dénonce La Mothe Le Vayer, s’imprègne trop aisément de passions, de modes, de « séductions ». Il lui préfère la lecture silencieuse et privée qui seule fait peser le poids des mots, alors que la prononciation (rompue à la « méthode » décrite plus haut) frappe de la « fausse monnaie ». La comparaison monétaire souligne combien La Mothe Le Vayer a cons­ cience de la valeur de ces échanges de vive voix. Cette apologie de la lecture muette, de l’endophasie, culmine dans la Lettre CXV. Du récit d’un ouvrage où, décrivant une scène de lecture publique, le précepteur de Louis XIV et de Monsieur conclut à la prééminence du silence - dans une société savante qui désormais partage avec la société mon­ daine une même langue, le français, occasion sans cesse plus pressante de confondre les niveaux et d’importer, dans les débats érudits, les façons vocales des discussions à la mode sur des sujets éphémères. Pour La Mothe Le Vayer, l’éloquence des débats entre savants amis roule sur des sujets qui imposent un certain decorum, alors que les que­ relles littéraires (la « censure ») font flèche de tout bois et imposent lentement, dans tous les domaines de réflexion, une rhétorique polé­ mique, violente et fondée sur l’appel aux passions. Un lien est ferme­ ment établi par La Mothe Le Vayer entre la lecture de vive voix, la réflexion savante et la « critique » littéraire. Et l’auteur de la Rhétorique du Prince vise en particulier les querelles du théâtre. Or c’est venu de ce milieu que Jean-Léonor Le Gallois de Grimarest offre, témoin de l’art de la déclamation de son siècle et de celui

de Molière en particulier, un Traité du récitatif dans la lecture, dans Paction publique, dans la déclamation, et dans le chant (1707). Le titre indique clai­ rement que Grimarest veut faire le point de la question. Grimarest s’attaque d’emblée à la « méthode » : la lecture à haute voix est un art du bien parler civil, un art non seulement adulte mais encore cul­ tivé dans un milieu qui ne souffre pas de règles abusives. La pronon­ ciation devenue la lecture à haute voix tend ici à englober toutes les formes de l’échange de vive voix. Il s’agit d’une sécularisation de la prononciation. Grimarest tente aussi, dans ce cadre, une sorte de hié­ rarchie civile : le chant est rejeté au nom du manque de naturel à moins qu’il ne tende vers la déclamation théâtrale, l’éloquence publique souffre des abus de la « pathétique » (et de la gestuelle), et ces trois formes que domine la déclamation ont en commun d’être « préparées », à la différence de la simple lecture. La lecture serait ainsi la forme native de la récitation, son ordre naturel, le lecteur ou récitant adaptant, naturellement, sa voix au contenu du livre qu’il lit. Grimarest attaque violemment la lecture scolaire qui, passant par l’organe monotone d’esprits encore mal formés aux charmes de la vie civile, ne rend pas justice aux textes. Il s’agit là d’une apologie, par le biais de la lecture civile, des lettres françaises et du respect presque corporel dû aux auteurs déjà classiques - la voix du mondain, par exemple celle de Ninon de Lenclos, rend hommage et perpétue la voix absente ou morte de l’écrivain. La lecture est un art à la fois « national » - chaque langue de culture est capable de susciter son art de lecture qui, tel est le point, la maintient vive grâce à la voix -, adulte (au sens où l’homme du monde veut être surpris, intéressé), mondain. Il introduit aussi, face à la culture de l’imprimé, une alter­ native vocale dont l’art de la conversation, tel qu’il fleurira dans les salons du XVIIIe siècle, maintiendra la séduction sur un cercle toujours plus restreint de « récitants », témoins et reliques d’un état précédent des relations civiles, tandis que la récitation devient un mode enfantin et scolaire de l’apprentissage des Classiques, malgré des efforts accom­ plis, au XIXe siècle, pour lui rendre son statut civil, comme en témoigne l’important Art de la lecture d’Ernest Legouvé (1877). Il reste que l’ouvrage de Grimarest met en lumière en en tirant argument une seconde articulation de cette problématique culturelle de la voix, autour de la question du chant et de la parole. Contemporain mais contre-épreuve de Grimarest, Bénigne de Bacilly publie entre 1668 et 1679 une série d’ouvrages dans lesquels ce maître de chant des princes lorrains et, semble-t-il, d’une partie de la cour tente de faire le point. Dès VEpistre des Remarques curieuses sur Part de bien chanter (1668), Bacilly annonce que la leçon de chant est le lieu de

la civilité et du goût que les « dogmatiques » (les partisans des métho­ des de prononciation) ne comprennent pas. Bacilly partage avec Grimarest un mépris mondain pour les scolaires, régents de collège et pré­ dicateurs devenus auteurs de manuels. Dans ГAvant-proposy il dénonce l’intrusion de la « pathétique » dans le chant de salon. Dans le Discours préliminaire de YArt de bien chanter (1671 et 1679), il place la nouvelle version de son essai sous l’égide de FAcadémie qui, selon lui, aurait trouvé dans son œuvre un art français de la diction. Le Recueil de 1671 établissait un parallèle entre la Musique et FAcadémie, unies dans leur culture de la juste prononciation du français. Car chez Bacilly il est bien question de diction : le chant a pour ambition d’amplifier le parler simple, la parole, d’en magnifier les qualités propres - le français a sa diction, différente de celle de l’italien -, de montrer la singularité d’un texte ou d’un auteur. Le maître mot est ici « diction », le chant tel que l’enseigne Bacilly est « un chant à voix plate dans lequel la diction a toujours priorité sur la mesure » (J. Chailley). Bacilly donne ainsi sa conclusion à ce débat qui traverse F Age classique sur le statut de la voix chantée dans son rapport à la voix parlée, et sur la valeur expres­ sive (des passions essentiellement) de l’une et de l’autre. Il est possible de repérer les jalons de cette discussion, empruntés à des modes cultu­ rels qui n’étaient pas perçus, au XVIIe siècle, comme des savoirs spécia­ lisés, étrangers, étanches (la philosophie, la musique instrumentale, la liturgie, Fart de chanter). Mersenne avait lancé en 1634 la question de Finstrumentalité de la voix (Préludes de l'harmonie, IV, dans les Questions inouyes) : de quoi la voix est-elle l’instrument et la voix chantée est-elle un meilleur instru­ ment ? D’emblée il est clair que Mersenne, lorsqu’il parle de musi­ cien, parle du compositeur dont la situation vis-à-vis du chanteur est parallèle à celle de dramaturge en regard de Facteur : la voix chantée est alors « théorique », expression du détenteur de Vinuentio (le compo­ siteur), plus que du chanteur. Le chant, qui n’est donc pas nécessaire­ ment audible, mis en performance, exprimerait le tempérament du musicien-compositeur, son « harmonie » intérieure. Incertain de la validité de la théorie galénique des humeurs où il lui paraît cependant que seule l’humeur mélancolique puisse être propre au chant, Mer­ senne ne peut affirmer avec certitude si la voix chantée (théorique ou pratique) est meilleur instrument que la parole simple pour représen­ ter l’âme du musicien. Il tente de résoudre cette aporie, dans 1 es Trai­ tez des consonances de 1 "Harmonie universelle, en établissant que l’unisson, dans la composition musicale pour la voix en particulier, est la seule bonne expression de l’harmonie intérieure du musicien, postulant qu’elle est, dans sa perfection, la « pure lumière du Soleil », représen-

tation de l’unité cosmique. Par association, la mélopée est supérieure aux duos et trios. Ces incertitudes signalent combien Mersenne est pris entre la science musicale de la Renaissance, emblématisée par l’œuvre du vénitien Gioseffo Zarlino (Le istitutioni harmoniche, 1553) et le nouvel esprit scientifique. Dès 1618 Descartes avait dénoncé les pro­ priétés supposées cosmiques ou « harmoniques » du son, et du son vocal en particulier (Compendium musicae, 1618, publié en 1650). La Mothe Le Vayer lui emboîte le pas dans son Discours sceptique sur la Musique au R.P. Mersenne où, en un bel exercice de rhétorique scep­ tique à la Sextus Empiricus, il ruine la conception d’une valeur éthi­ que du chant en notant que si une belle voix est le signe d’une âme héroïque (Épaminondas), elle l’est aussi du tyran (Néron). Quant aux relations du macrocosme et du microscosme, ce sont des hyperboles. La voix chantée ne recèle aucun secret sur l’ordre du monde ou la fabrique des esprits. Or La Mothe Le Vayer s’attaque ainsi à une mode artistique qui traverse le XVIIe siècle, du cercle savant de Mersenne au poéticien Pérothée de La Croix qui placera au cœur de l’art de lire et de chanter un « rapport merveilleux » de la mesure et de l’âme (L'art de la poésie française et latine, 1694), en passant par les salons de la Préciosité. Point de référence indispensable, la voix est le modèle des instruments. Une méditation sur ce modèle offre à Denis Gaultier, dans sa fameuse Rhéto­ rique des dieux (1650-1655), l’occasion de composer une œuvre pour le luth qui fournisse au cercle de la rue de Cléry la démonstration que les sentiments et les pensées les plus rares, convertis de la parole en accords, trouvent dans le luth, promu au rang d’analogue de la voix, leur « hiéroglyphe ». Dans cette vision platonisante, dont procédera le gambiste Marin Marais (suite LXII1, Les voix humaines, dans Pièces de viole, II, 1701), la voix, modèle caché, archétype secret, ne se donne à entendre que réfractée par l’instrument à cordes, luth et viole de gambe, divinement apollinien. Une philosophie similaire est à l’œuvre dans les Règles de composition dressées par Marc-Antoine Charpentier (vers 1690) pour le duc de Chartres et mises en pratique dans le motet et les prologues de tragédie sacrée qui assimilent l’usage des modes musicaux, à travers le chant essentiellement, à une action directe sur l’âme des auditeurs. Et c’est, à l’usage des chorales du diocèse de Paris, l’intention du Directorium chori de Martin Sonnet (1656) : le chœur, dans l’unité de ses diverses voix, fait entendre, dans le culte extérieur qui supplémente le culte intérieur de l’oraison, l’unité de la Création. Pour trancher entre la voix et l’instrument, il faut attendre deux débats, tenus devant l’Académie des sciences, en 1706, et celle des inscriptions, en 1716.

Le premier est animé par Claude Perrault, dans son essai De la musique des Anciens (Essais de physique, II, 1680) et le mathématicien Denis Dodart (Mémoire sur la voix & sur les tons, 1706). Pour Perrault, si la voix chantée, dans la mélopée, est supérieurement efficace, elle l’est par la sensation et non pas par sa qualité « cosmique », comme l’affirmait Mersenne. Mais, plaçant fermement l’accent sur l’auditeur, Perrault affirme que la simplicité du chant grec ne ressortissait pas à la science des compositeurs mais aux qualités de la voix, qui touchait le cœur et les sens, et non pas « théoriquement », l’esprit. Il reste selon Perrault aux Modernes à produire une telle musique. Dodart précise alors que la différence entre la voix parlée et la voix chantée est fondée sur les demi-tons qui, naturellement produits par la parole dans son effort pour exprimer le vif des émotions, sont ardument transposables dans le chant et qu’il est donc impossible de soutenir que le chant à demi-tons puisse rendre, en réalité, les passions. Contre les Modernes, Dodart prend position pour les Anciens : le chant moderne souffre donc de deux défauts, il n’imite pas le naturel de la voix parlée et il ne vise qu’au plaisir des sens, excités par l’abus des demi-tons. Dans le deuxième débat l’abbé Claude-François Fraguier, savant et précieux, ami de Mme de La Fayette et de Ninon de Lendos mais aussi de Pierre-Daniel Huet, et le médecin Pierre-Jean Burette rivali­ sent d’éloquence sur les qualités différentes de la voix et du son instru­ mental, et concluent sur l’impossibilité de savoir ce que les Anciens (et donc les platonisants, savants et mondains, du XVIIe siècle) entendaient par « harmonie » (Examen d'un passage de Platon sur la musique, 1716). Le dernier mot sur la question reviendra cependant à l’héritière des Précieuses, Ninon de Lenclos. Rapportant une de ces rares conversa­ tions, décisives pour l’histoire des formes artistiques, entre Ninon, Fra­ guier et lui-même, peu de temps avant la disparition de « Leontium » (Ninon) - elle-même fille d’un luthiste familier des princes lorrains qui emploient Bacilly et du cercle de Gaultier - vivante image ainsi de toute la tradition précieuse, l’abbé François de Châteauneuf compose un important Dialogue sur la musique des Anciens (1705, publié 1725). Ninon dénonce la mode de l’opéra, estimant que la voix n’y est pas capable des ressources expressives du luth, tandis que les deux abbés (des Modernes) ne peuvent admettre que les rapports « mathématiques » de l’accordature puissent exprimer quoi que ce soit ou de l’âme du compo­ siteur ou de celle de l’instrumentiste. Car, selon Ninon, le luth, instru­ ment de salon, accompagné de la voix ou la simulant, s’insère dans des rapports d’amitié et d’amour, le « naturel » des relations humaines entre gens du monde. Dans l’opéra, art du « faux goût », le rapport de l’audi­ teur et du vocaliste ressortit à un spectacle, une séduction à distance,

anonyme et presque brutale. Il existe donc, dans la vision de Leontium, une continuité entre l’art de la conversation - art d’une voix qui puisse exprimer les passions et les pensées et qui se module sur différentes clefs : la pointe, le monologue, le dialogue, la lecture, le chant - et la musique. Bernard Lamy, lorsqu’il distinguait entre la voix « contrainte » du chant et la voix « simple » de la parole - « naturelle » dans la conversation ou l’instruction, ou « artificielle », dont on use « pour plaire » -, affirmait, en cartésien, la primauté de la parole simple et naturelle, fondée sur la respiration et le continuum existant entre la res cogitans et la res extensa, et plaidait sans le dire en faveur de l’art de converser, de la voix simple contre le chant (La rhétorique ou Part de parler, 1699). Mais il apparaît alors que le chant « moderne » qui aiguillonne ces discussions est bien le chant à l’italienne, le chant d’opéra, celui que Perrault aurait applaudi, comme plaisant aux sens et restituant le vrai naturel des passions. La voix d’opéra se place ainsi aux antipodes de la voix de diction, voix du chant de salon, commenté et glorifié par Bacilly, et de sa sublimation précieuse ou savante dans le luth ou la théorie des modes. Et sous cet alignement des positions (les Modernes, l’opéra, le naturel des sens, le matérialisme sensualiste et l’Italie, d’une part ; les Anciens, la diction, le naturel du goût, l’idéalisme platonisant ou religieux et la France, d’autre part) apparaît au grand jour l’affirmation d’une spécificité de la langue française, de sa « prononcia­ tion » dira, Burette dans trois importants mémoires présentés devant les Inscriptions de 1718 à 1720 (Dissertation où Von fait voir que les merveilleux effets attribués à la musique des Anciens, Dissertation sur le rythme, Dissertation sur la mélopée). De fait on assiste, au cours du siècle, à un double mouvement convergeant vers cette affirmation de l’existence d’une voix française (hors de la théorie articulatoire de Wallis). D’une part, les proto-phonéticiens, le poète Jean Godard (La langue françoise, 1620), les grammairiens Jean-Baptiste Jobard (Exercices de Гesprit, 1675), Jean Hindret (L'art de prononcer parfaitement la langue françoise, 1687), M. de La Touche (L'art de bien parler français, 1694), André Renaud (Manière de parler la langue françoise, 1697), François-Séraphin Regnier-Desmarais, secrétaire de l’Académie (Traité de la grammaire fran­ çoise, 1705) et le P. Claude Buffier (Grammaire françoise, 1709) cernent les propriétés phonétiques du français, mettant en valeur le e muet, et for­ mulent des règles de prononciation, ce terme perdant lentement le sens rhétorique venu de Vars pronuntiandi - cette acception est prise en charge par « diction », alors que le terme d’« élocution » tendra à son tour à l’amphibologie - et prenant son sens actuel. Se forge ainsi une conscience de la qualité sonore et vocale de la langue française.

D’autre part, à travers l’art de converser tel que le pratiquent les salons précieux (Antoine Baudeau de Somaize, Le grand dictionnaire des prétieuses, 1661, I, article « Blazon », et Response d’Anaxandre à Lerine) et le théorise leur héritage littéraire (les Journaux de conversation de Вагу, L’art de plaire dans la conversation de René Ortigue de Vaumorière (1688), Des mots à la mode (1691) de François de Callières), se forge un souci pas­ sionné de nourrir cette voix française, reconnaissable entre toutes. Tout le Discours sur la conversation (1677) du chevalier de Méré roule sur cette « sorcellerie » de la voix du « grand monde », toujours étrangère à ceux qui ne la pratiquent pas, qui traverse les cours mais qui se donne à entendre, comme sublimée, à Versailles seulement et que, selon Ninon, menace la fausse voix italienne. Ce conflit des « voix » trouve alors sa mise en scène dans la polé­ mique qui oppose François Raguenet (Parallèle des Italiens et des Français, 1702, et Défense du parallèle, 1705) à Jean-Louis Le Cerf de La Viéville (Comparaison de la musique italienne et de la musique française, 1705-1706), première phase d’une longue polémique sur l’opéra au XVIIIe siècle, mais aussi phase terminale du long débat sur la prononciation et les prestiges de la voix à l’Age classique. Leurs positions respectives sont connues : Raguenet, abbé mondain, précepteur des neveux du cardinal de Bouillon, tient l’opéra italien, et la voix italienne, pour supérieurs, le castrat offrant une réconciliation aux contraires : la puissance de la voix d’homme, la douceur de la voix de femme. Le Cerf de La Vié­ ville, un robin du meilleur sang, formé à l’art de la parole, prend la défense de la voix française au nom de la tradition littéraire - les conversations des bergers de VAstrée et des héros de romans, devenues le patrimoine culturel de l’aristocratie et qui, issues de l’Arioste, du Tasse et de Guarini, ont trouvé en France une terre d’accueil et des acteurs de bon ton -, de la simplicité des passions et de la clarté néces­ saire à se faire comprendre et apprécier, bref l’idéal d’urbanité. De Vars pronuntiandi des Jésuites à l’affrontement autour de la voix d’opéra cir­ cule donc un identique souci : celui de la formation des mœurs que permet l’exercice contrôlé de la voix. Les données L’Age classique, nourri de la Réforme catholique, médite sur deux spirituelles notions essentielles à celle-ci : la tradition orale de l’Eglise et ce qui la fonde, la présence du Souffle divin. Chez Basile de Césarée - dont les Opera omnia paraissent grâce à C. Morel en 1618 -, les Classiques de la spiritualité française trouvent une doctrine de cette transmission de bouche à oreille de l’enseignement christique, de la Parole : la Tradi­ tion (didascalia) se divise en un enseignement non écrit, celui des Pères, rapporté par la vive voix mais dans le secret et qui forge la tradition

apostolique (parodosis), laquelle complète les dogmata, et en un enseigne­ ment proclamé, retentissant, vocal (par le chant des Psaumes) et oral (source de l’éloquence de la chaire) qui redouble, publiquement cette fois, sous les voûtes des basiliques et des églises, celui conjoint des Écri­ tures {Sur le Saint-Esprit, édité et traduit par Érasme en 1532 et 1540 ; traduction française en 1583). Or les Écritures sont elles-mêmes le récep­ tacle du Souffle divin, le pneuma, le spiritus, qui anime cette chaîne inin­ terrompue de catéchèse publique, de chant choral, de prière vocale et de prédication comme autant d’aspects de la vitalité du Verbe incarné. Écrites, les « Ecritures », qui sont la Parole de Dieu captée dans des lettres et des syllabes, restent vocales et - c’est le second aspect - « inspirées ». Le pneuma, pour s’incarner, doit passer par une voix, une phone, celle du prophète et celle du Messie. Le Souffle divin, cette voix inentendue, « in-ouïe », ins­ pire, étymologiquement, le corps par lequel il passe. Le XVIIe siècle se soutient ici de la doctrine de Pierre de Bérulle et de la théologie de l’Oratoire qui colore d’une teinte plus sereine la passion triomphale que met en scène la Compagnie de Jésus autour du Nom divin (Pierre de Bérulle, Discours de l’estât & des grandeurs de Jésus, 1622 - dont l’importante préface). C’est enfin souvent chez Philon d’Alexandrie que l’Age classique va chercher ses sources sur l’inspiration prophétique (De specialibus legibus III-IV). Chez les protestants, les débats de l’exégèse ont une de leurs racines dans les positions opposées de l’analyse philolo­ gique et du respect pour la valeur inspirée (et vocale) des Écritures. Une image biblique emblématisé cette présence de la vive voix dans le domaine religieux : celle du prophète Ézéchiel mangeant le rouleau sacré, vase de la Parole divine, afin d’en régurgiter le texte aux Hébreux (Ézéchiel 3, 1-2). Du point de vue de l’oralité et de la présence de la voix, deux gran­ des articulations se dégagent. La première concerne les modes par lesquels les hommes d’Église, dépositaires et porte-parole de la Tradition par l’onction de la prêtrise ou le sacre épiscopal, tentent d’acclimater la doctrine aux exigences de la littérature, en vue de fournir à la transmission de la Parole des voies nouvelles et plus en harmonie avec le développement de la culture française. La seconde a trait à l’éclosion de la dévotion, du mysticisme et à la fascination sociale ressentie à l’égard de cette vive présence du Verbe parmi les hommes. Dans le domaine « littéraire » deux tendances se font jour au cours du siècle. Cette vénération portée à la voix en tant que moyen de communi­ cation entre Dieu et les hommes est d’abord à l’œuvre dans une tradi­ tion ancienne qui se perpétue et se renouvelle au XVIIe siècle, celle du

Rosaire. Issue de la volonté de saint Bernard et de la piété cistercienne au XIIe siècle et reprise par saint Dominique qui crée pour lui donner une assise laïque les « chevaliers de Notre-Dame », la récitation psal­ modiée du Rosaire (les « quinze joies de Notre-Dame ») est officialisée par Pie V en 1559 et affermie par la reconnaissance des confréries de récitants en 1586, le «psautier de Marie » devenant un maillon de la Réforme catholique, auquel François de Sales prête aussitôt sa voix. Or cette récitation est entièrement vocale, fondée sur la répétition (cinquante fois) de la salutation adressée par Gabriel à la Vierge, met­ tant en quelque sorte les paroles de l’ange, lui-même voix de Dieu, dans la bouche de Forant. Le dominicain Serafino Banchi compose alors, en 1620, un Rosaire spirituel qui, dédié à la reine Marie de Médicis (représentation royale de la Reine des cieux), amplifie la salutation évangélique en un art vocal de la prière qui trouve à son tour dans la Philomèle séraphique du capucin Jean d’Arras (1632), proche de la Maison de Lorraine, son accomplissement. Mis en musique par les meilleurs compositeurs du moment (Etienne Moulinié et Antoine Boësset en par­ ticulier), l’ouvrage rencontre un vif succès. Non seulement il témoigne de l’intérêt que les ordres mineurs, dominicain et franciscain, portent au dialogue direct avec les fidèles (unissant la double éloquence de la prédication et de la poésie chantée), mais encore, en mariant textes sacrés (c’est-à-dire « inspirés » par Dieu) et mélodies profanes, il sou­ ligne comment la voix mondaine peut servir de médium à la Tradition du Verbe. Cette poésie populaire produit un ensemble de recueils tels que la Grande Bible des Noëls (s.d.) et les Noëls nouveaux (1693) ou de volumes plus raffinés comme le Sommaire de Michel Coyssard (1594), professeur de rhétorique au Collège de Clermont, et Y Exercice spirituel de Jean Ballesdans (1657), dédié à la chancelière Séguier, ou, au début du XVIIIe siècle, les Hymnes de Michel Chassain, composées pour le cardi­ nal de Noailles. Elle trouve aussi des interprètes plus littéraires avec Martial de Brives, qui porte la poétique franciscaine à son acmé, dans son Parnasse séraphique (1640). Ce recueil est fondé sur l’intuition, explici­ tement formulée par Martial de Brives, que la voix du poète puise sa force, son energeia, dans Fonction de prêtrise, et qu’elle « soupire » d’autant plus efficacement. Le poète est ainsi « séraphique » dont la voix participe des mystères et permet aux voix des fidèles de mieux les percevoir. Théophile de Viau, dans son rare poème Les larmes de la mère de Dieu (1625), donne avec sa version du Stabat Mater une contrition vocale qui retrouve Fart italien de la « déploration » cultivée précédem­ ment dans le milieu de FOratoire de Gênes et illustrée par Vittoria Colonna.

Il appartient toutefois à Pierre Le Moyne d’ajouter une poétique jésuite de la voix inspirée à cette tradition issue du psautier de Marie. Les Hymnes de la sagesse divine et de l'amour divin (1641) sont préfacées en effet d’un long Discours de la poésie dans lequel le brillant poète jésuite propose de ranger la poésie religieuse moderne sous l’égide de l’ins­ piration. Si le poète n’est pas, selon le dogme, « inspiré » comme le furent les prophètes, il peut se rapprocher du modèle prophétique. La vraie Muse se nomme Théologie. Les Hymnes développent une mise en scène de la voix poétique, répercutant le Souffle créateur dont l’ange, « dictateur » céleste, compose le texte qu’il dicte au poète. Le Moyne fonde cette poétique de la voix inspirée sur une théologie post-tridentine de l’inspiration qui reconnaît aux prophètes bibliques une certaine liberté dans la transcription de la divine dictée, affectant deux niveaux rhétoriques, soit Yinuentio soit Velocutio. Ce schéma peut alors aisément être appliqué à la création poétique, inspirée par Dieu et par l’émulation suscitée dans la lecture de la Bible. Le Moyne retrouve également, dans son apologie d’une poésie théo­ logique, la défense de la poésie menée par Cressolles dans son « manuel » du prêtre catholique, le somptueux Mystagogus, dédié comme il se doit au cardinal de Bérulle (1629, liv. III en particulier). Cressolles défend la dignité du chant, de la poésie sacrée et de l’éloquence, triple aspect de la Tradition vocale (III, XXVII). Cressolles compare ainsi deux hauts lieux de l’inspiration, le Thabor (mont de la Transfiguration) et l’Ida - où l’enlèvement de Ganymède sert d’image au raptus poétique. Une seconde tendance se développe cependant qui, sans chercher de telles hauteurs, tente, par l’imitation cette fois du poète biblique par excellence, David, et non pas des prophètes, d’affermir la poésie ins­ pirée. La voix poétique trouve ainsi sa source dans les deux Livres poéti­ ques de la Bible. Le genre le plus pratiqué - au point qu’il forme au XVIIe siècle le genre majeur en poésie - est la paraphrase des Psaumes, et en particulier les sept psaumes pénitentiaux (VI, XXXI, XXXVII, L, CI, CXXIX, CXLVII) attribués à David. Le Rituale romanum de Paul V (1615 et 1618) qui définit l’usage liturgique des Psaumes, les ver­ sions du Bréviaire dues à Pie V (1568, 1602) et à Urbain VIII qui en souligne l’importance par la bulle Diuinam psalmodiam, sans oublier les éditions successives du Bréviaire parisien (sous les trois Gondis en 1584, 1607, 1643 et 1658 - sous Retz ; enfin en 1680), donnent aux poètes « davidiques » (par opposition aux poètes « séraphiques ») l’impulsion nécessaire. Se détachent ainsi les œuvres de François Le Metel de Boisrobert (Paraphrase sur les sept pseaumes de la pénitence de David, 1627) qui polé-

inique dans sa préface Au lecteur contre la traduction trop littérale de Philippe Desportes (Cent pseawnes de David, 1598 : un best-seller qui connut de multiples éditions et impressions), au nom de la voix poé­ tique qui doit, en affirmant sa présence, rendre plus sensible au lec­ teur la vigueur du texte original (et de sa divinement inentendue source) ; de Racan qui publie sous le patronage de l’Académie ses Odes sacrées (1631, 1651) et ses Pseawnes (1660), offrant ainsi à la Com­ pagnie un véritable manifeste poétique, comparable à celui de Boileau ( « Lettre à Messieurs de l’Académie » ) ; d’Antoine Godeau dont la Paraphrase des Pseawnes de David (1648) connaît un vif succès, mise en musique par différents compositeurs, mais qui, avec la collaboration de Thomas Gobert (1659), formule en outre un art de chanter les poèmes, lequel permet, dans l’optique de Godeau - qui reprend la méditation de saint Cyprien sur V Oraison dominicale et de Jean Chrysostome dans l’Explication du Psaume XLI -, d’unir, en un concert de voix, la communauté des fidèles. L’impact du recueil de Godeau provoque ainsi l’intérêt de Jean-Louis Guez de Balzac qui consacre le Discours septième de son Socrate chrestien (1652) à analyser comment la poésie ins­ pirée peut rendre sensible, en français, « l’effort & la violence ; le désordre mesme & le tumulte cette Voix [celle de Dieu], qui arrache les Cèdres, & qui ébranle les fondemens des Montagnes ». Cette poétique ouvre enfin un long débat sur les qualités vocales de la poésie « des Hébreux », correctement perçue comme orale à l’origine, marqué par deux essais de l’abbé Fleury (Traité des études, 1677, XXXII : Poétique et Discours sur la poésie des Hébreux, date incertaine), et qui lègue au XVIIIe siècle un cadre d’analyse au primitivisme dans son analyse de la poésie homérique ou bardique, formes orales et vocales. La conclusion de cette école « davidique » se lit dans l’œuvre admi­ rable de Jean-Baptiste Rousseau dont les Odes sacrées (1711) répondent au projet de réconcilier la poésie avec le chant - sens du mot « ode » que Rousseau traduit par « cantate » -, en contrepoint du genre pro­ fane de l’opéra, et qui lance, en direction de Paul Claudel, un fil d’Ariane le plus souvent enfoui sous les préjugés d’une histoire litté­ raire seulement préoccupée par la tradition écrite et imprimée (en dépit des travaux de Paul Zumthor sur la voix au Moyen Age). La deuxième articulation majeure de cette spiritualité vocale se situe dans le domaine de la dévotion (1’ « oraison », la prière) et de la mystique. De nouveau le XVIIe siècle a lu ses Classiques, en l’occurrence les Conférences de Jean Cassien dont Nicolas Fontaine donne une traduction en 1663. L’ermite provençal y définit les diffé­ rentes formes de prière (obsécration, oraison, postulation, action de grâces) et distingue entre la prière de bouche, vocale, et la prière dite

« mentale », muette, l’une et l’autre comparées par Cassien à un « flot montant » (1’ « effusion » des Classiques) et une « source abondante ». Dans un premier temps il est possible de relever les principaux élé­ ments d’une doctrine de la voix mystique chez François de Sales. Le Traité de l'amour de Dieu (1616) met en place des métaphores clefs : la voix du prêtre est assimilée à la colombe du Saint-Esprit, et chaque plume de son plumage à chaque discours de l’orateur sacré dont le concert est véritablement le ramage de la Parole. L’oraison forme ainsi avec la prédication - dont l’intensité vocale est analysée dans le pre­ mier des Sermons pour le jour de la Pentecôte - et la liturgie les trois voix spi­ rituelles. La prière est une « aspiration », par laquelle la voix humaine « aspire » l’amour divin et entame un « colloque » avec Dieu qui est un mi-dire entre le silence et l’expression vocale : cri de l’hirondelle, « grommellement » de la colombe, gémissement de la tourterelle sont les images choisies par François de Sales. Dans 1 "Introduction à la vie dévote (1619), il souligne cette appropriation de l’amour divin par la prière, en employant le terme d’« invocation » - justement, mise en voix. Il peut ainsi dresser une hagiographie de voix mystiques célèbres, comparant par exemple Célestin V (saint Pierre de Morrone, fondateur de l’ordre des Célestins dont le cardinal Robert Bellarmin, défenseur du chant liturgique à la tête de la Congrégation des Rites, devient le Protecteur) à un « cygne sacré » qui entonne, à l’article de la mort, le dernier Psaume. On retrouve une même spiritualité de la voix dans le Guide spi­ rituel du jésuite Jean-Joseph Surin (écrit en 1661) et dans les extases de l’ursuline Marie de l’incarnation qui, prononçant le premier verset du Cantique des cantiques, est saisie d'un don de parole avant de sombrer dans l'aphasie. La théorie doctrinale le plus complète est due au théologien fla­ mand de la SJ, Maximilien van der Sandt, qui consacre une longue analyse de sa célèbre Theologui mystica (1627) à la voix mystique. Celle-ci possède deux sens : lorsque la voix de Dieu se fait entendre, laquelle il nomme, d’un mot peut-être emprunté à l’un des. moments les plus dramatiques du Journal spirituel d’Ignace de Loyola, la loquela (Exercitatio XX. De loquela mystica), et lorsque le mystique parle à la divi­ nité, à quoi van der Sandt applique le terme de loquutio, peut-être ins­ piré des locutiones de Thérèse d’Avila. L’exposé méthodique de van der Sandt énumère les variétés de loquela : les voix extérieures - les Écritu­ res, la Tradition orale, les bienfaits et malheurs qui frappent tout un chacun - par lesquelles Dieu « parle » (au dévot d’avoir l’oreille assez fine pour percevoir, à travers le « bruit » du monde, la voix de Dieu) ; et les qualités propres à la loquutio mystica : communication sans réponse, energeia, eruditio - bref : in-formation, façonnement, décorti-

cage de l’âme dont le modèle reste l’Ange donnant à Marie la forme verbale de l’incarnation - touchant l’imagination - les mots qui tra­ versent la parole mystique sont l’image des choses divines entrevues dans la loquela -, intense brièveté qui produit des extases subites, des cris, de brefs soupirs, soudaineté. En conclusion de cette « anatomie » de la voix mystique, van der Sandt fournit une Este des dix-huit épi­ thètes employées dans les textes sacrés pour cerner la voix divine et son répons humain (de la semence à la rosée), un paradigme séman­ tique valable pour toute la poésie sacrée. Et le texte du théologien, qui veut ainsi marquer combien cette voix reste physique, matérielle et incarnée, se double d’une réflexion suivie sur le « rot mystique » quand l’âme, rassasiée au banquet mystique de la loquela, exprime son « exaucement » dans un ructus mysticus - le mystique « pressé par l’amour ne parle pas, il rote ». Cette « physique » spirituelle de la voix mystique marque en fait la fascination qui anime le XVIF siècle catholique à l’endroit de toutes les formes de matérialisation de la Parole sur-humaine, divine et diabo­ lique, et dont la voix reste toujours l’organe privilégié. On peut lui donner pour cadre de réflexion le Traicté des énergumènes que compose en 1599 le futur cardinal de Bérulle (alors novice capucin et par là sensible à la piété poétique notée plus haut). Le fondateur de l’Oratoire y forge sa doctrine à venir en analysant, lors de l’affaire Marthe Brossier à Romorantin, le phénomène de la possession : Satan communique avec l’homme en possédant son corps - le Diable est Prince du Monde et de ce fait a accès à la chair -, il se donne ainsi une voix par laquelle il peut s’exprimer. La possession est alors marquée par l’échange verbal entre l’exorciste et le corps possédé, un dialogue serré, ponctué par les cris du corps possédé - le dialogue est constamment parasité par ces interruptions que l’exorciste écoute attentivement car elles signalent l’effort accompli par l’âme pour faire donner sa vraie voix - et qui culmine dans l’expulsion du démon. Bérulle conçoit l’exorcisme comme le dialogue entre deux virtuoses de l’éloquence, entre le porteur de la Parole (le prêtre) et la voix du mal, comme un conflit entre « la VOIX [les capitales sont de Bérulle] de l’Eglise » et celle du démon passant « par l’organe emprunté » du (ou de la) possédé(e). Surin, dans La science expérimentale [i.e. de l’expérience mystique] (comp. de 1653 à 1660), détaille les «quatre respirs » qui rythment la voix de l’exorciste dans ce terrible dialogue qu’il entre­ prend, à Loudun, avec Satan, à travers la prieure Jeanne des Anges (Triomphe de Pamour divin, comp. de 1653 à 1660) et qui le condamnera à vingt ans d’aphasie - seulement interrompue par le cri de «Jésus Maria » lorsqu’il avalera « un grumeau sec du sang de saint François

de Sales », en un geste de belle cohérence mystique, la voix du saint préservée dans le caillot restituant au mystique sa propre voix perdue au combat contre la voix pervertie de Satan. Pour Bérulle cet extraor­ dinaire montage est dogmatiquement fondé sur la doctrine de l’incarnation : dans un monde frappé par le péché, Satan peut en effet parodier la matérialisation du Verbe, la possession diabolique fai­ sant ainsi pendant à la descente du Verbe dans Marie et dans les mystiques. Une série de textes savants tentent, au cours du XVIIe siècle, de mettre en place une somme érudite sur de pareilles manifestations vocales de Dieu ou, le plus souvent, du Diable afin de démontrer que les sorcières ou les possédés entrent, à l’Age classique, dans une sorte de tradition vocale : les chapitres sur la divination du Fléau des démons et sorciers de Jean Bodin (1580 ; I, 4 et II, 2 en particulier) et le Discours des spectres de Pierre Le Loyer (1608 ; II, 2, IV, 17, VIII, 3 par exemple). Leur analyse souvent s’accompagne d’une polémique contre la Kab­ bale dont les études, favorisées par Frédéric Borromée et le P. Kircher en Italie, Bérulle et les Dominicains (dans la publication française du Poignard de la foi, 1651) en France, restent vivaces : la Kabbale, à partir de l’utilisation littérale soit de la Torah écrite (le Pentateuque), soit de la Torah orale, comme dans les commentaires du ^ohar, attribue au texte divin, sorti de la bouche du Créateur, une valeur vocale exagérée - prononcer correctement la Parole revient à s’approprier le pouvoir de la voix divine elle-même. Malebranche, en oratorien fidèle à Bérulle, consacre, en 1674, dans sa Recherche de la vérité, un passage aux possessions démoniaques qu’il « faut mépriser... comme on méprise les bourreaux » (II, III, 6). Parallèlement une « gnose » sur la voix divine traverse les milieux dévots, marquée par les poésies « spirituelles » (bref de l’Esprit saint) de Surin (Poésies spirituelles et Contrats spirituels, comp. de 1655 à 1657 ; Cantiques spirituels, 1660), les Prières chrétiennes de Desmarets de Saint-Sorlin (1680), l’échange de chansons «spirituelles» entre Fénelon et Jeanne Guyon qui donnent l’un et l’autre une réflexion méthodique sur le sujet, le premier dans les deux opuscules Le gnostique de saint Clément d’Alexandrie et De l’autorité de Cassien, la seconde dans son commentaire du Cantique des cantiques de Salomon (1688) et L’ame amante de son Dieu (1717), un montage de «gémisse­ ments » et de « soupirs » autour des deux recueils d’emblèmes d’Hermann Hugo {Pia desideria, 1624) et d’Otto Vaenius (Amoris emblemata diuinis, 1615). Mais il est notable que cette vocalité religieuse trouve dans la monarchie et la personne royale son achèvement le plus brillant. Une

véritable liturgie royale se met en place. Elle est favorisée par l’idéologie des deux corps du roi, elle se commémore chaque Noël dans la tradition, remontant au monarque orateur, Henri III, du cérémonial de l’Ordre du Saint-Esprit, elle est stimulée par la conversion de Henri IV et la dédicace de la France par Louis XIII à la Vierge, et, s’inspirant de l’art liturgique jésuite de la Rome post-tridentine (comme la « liturgie des quarante heures »), elle pousse à son comble la notion d’un monarque « inspiré » de Dieu déjà présente dans les cérémonies du sacre : ainsi dans le rituel de 1’ « adoration » lorsque le roi porte la main à sa bouche et donne à son peuple le baiser mystique, par lequel l’Esprit divin passe, se matérialisant aussitôt dans l’acclamation, la vox populi, et le lâcher des colombes, doubles de la colombe divine et emblème de la vox Dei. Il apparaît donc que le temps de la Passion est conçu telle une conversation sacrée entre la famille royale et le Christ. Ce rythme tant politique que religieux de l’année est marqué par la voix du prince et de son entourage qui murmure les Psaumes, chante à voix basse des prières, entonne des postulations, jette des cris de douleur, laisse passer des soupirs, élevant peu à peu un concert mystique qui assure la com­ munauté civile d’une véritable intercession avec le Ciel (ainsi dans Les soupirs sacrés sur la passion de François Guerson, 1626). Les panégyristes décrivent à leur tour cette efficacité, cette energeia, de la voix royale - la vox regis forme en effet tryptique avec le vox populi, vox Dei. Le Moyne décrit la réduction de La Rochelle comme le triomphe d’une voix stu­ péfiante, incarnant la Parole, qui réduit à néant la fausse parole des protestants (les Triomphes de Louys le Juste, 1629). Commémorant le même événement politico-mystique, un autre père jésuite, JeanBaptiste de Machault, compose le commentaire de l’entrée triomphale de 1628 {Éloges et discours, 1629) en s’appuyant sur la notion philonienne de ymphonia civile (Philon d’Alexandrie, De confùsione linguarum, 33-38 et 59-63) : le bon gouvernement est une symphonie dont le roi est le chef de chœur - image qui explique le terme de « discorde » politique, par opposition à la « concorde » de la « mélodie » royale. On com­ prend mieux ainsi pourquoi la procession triomphale s’accompagne de musiques et de chants et que son temps fort reste les « cris de joye » poussés par la foule, voix qui donnent le répons à la personne royale et que Machault nomme simplement l’Amour. La mort de Louis XIII donne, par exemple, à Charles Hersent {Le sacré monument, 1643) l’occasion de mettre en valeur, à partir de la figure de Moïse dans le Deutéronome, cette mystique d’une parole royale douée, dans la tradition de Philon, de la theopneustia (ou « inspiration », Liber de uita Mosis, II, 42-52), alors que le commentaire de l’entrée de Louis XIV à Paris,

en 1662, établit fermement la relation entre deux modèles : David, roi-prince-prophète du Verbe, et Apollon, maître de l’harmonie cos­ mique. Cette liturgie royale, patiemment façonnée par des méditations sur la portée civile du néo-platonisme alexandrin, la relecture de Denis l’Aréopagite, la redécouverte des textes byzantins sur la paideia impé­ riale et une réflexion sur les rapports entre la mythologie profane et l’histoire sacrée, expliquent l’essor conjoint de deux genres rhétoriques élevés, l’ode - qui veut dire « chant » en grec - et le panégyrique, qui est aussi envisagé comme un chant de louange, exprimant l’un et l’autre, en vers et en prose, la sublimité, en termes hermogéniens, de la parole royale dont ces modes littéraires seraient seulement la réfraction sonore. Rien ne peut mieux exprimer cette culture politique encore profondément enracinée dans les rapports de vive voix, la présence du monarque au milieu de ses sujets et les relations consciemment per­ çues entre le civil et le céleste, que le Judicium Salomonis, un motet pour la « Messe rouge » de 1702 (lors de la rentrée du Parlement), où le roi dialogue avec Dieu en présence des représentants de la parole publique - puisque tel est le sens exact de « Parlement », ce corps auquel le roi délègue sa parole de justice et par qui le peuple parle. Dans cet abrégé vocal qu’offre la représentation du pouvoir royal, il est possible de voir, condensé à son plus haut degré d’intensité, le fonc­ tionnement de cette présence de la voix à l’Age Classique, articulation essentielle des comportements et des représentations d’une civilisation encore orale.

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Annexe 1, — Les voix de la prononciation selon Alvarado douce molUs modérée Unis rauque aspira souple Jlexilis

— selon la quantité

forte magna selon la qualité

aiguë acuia

^e grams calme sedata relâchée remissa

.solide jirma____ J

E

■ louables — concernant l'esprit------ bonnes---------

douce mollis aimable mitis douce mollis modérée Unis joyeuse Maris

— agréables

— concernant le corps------

c L •c s

légèrement tremblante tremebunda leader modérée Unis joyeuse hilaris

—joyeuses.

e — concernant l’esprit

blâmablesabominable pénibles—

rauque aspera rauque aspera basse grams

— concernant le coi

•pernicieuses

triste maesta larmoyante lacrimosa

------ mauvaises

§

------ l'exorde-

faible parua augmentée peu à peu (aucta) pedeUmtim

------ la narration

légèrement plus haute aUioT sed mediocritar plus forte mais sans crier anchor sed non ad clamore

e ------ la division s O

H

emportée conientiosa _____________________ forte magna

è

------ l’argumentation—

plus douce dulcius sans rudesse non aspera éclaircie non rauca calmée non perturbala

■fi

l- douce mollis____

------simple

rauque aspera — souple Jlexilis—

------ la péroraison

claire et modérée mediocris cum clarùaie plus lente, sans pauser sine anheliiu, tardier

___________________

aiguë acuia rapide incitala hachée crebro incidens sinistre dira

la colère.

pleine plena souple Jlexilis marquant des pauses interrupta affligée Jlebilis abattue depressa

la pitié et l’affliction

profuse effusa modérée Unis tendre tenera joyeuse hilaris

_________________________________________________

I

I I l’indignation selon la vue: le geste de l’orateur: ACTIO

affligée JUbilts joyeuse hilaris

I

abaissée demissa haletante haelitans déjetée abiecta

haute alla rauque aspera agitée perturbata

Annexe 2. — Voix et passions selon Conrart / Le Faucheur Passions

Voix

Amour Haine Joie Tristesse

« douce, gaye & attrayante » « aspre & sévère » « pleine, gaye & coulante » « sourde, languissante, plaintive & mesme souuent interrompue par des soupirs & par des gémissements » « tremblante & hésitante » « haute & ferme » « aigüe, impétueuse, violente & par de fréquentes reprises d’haleine »

Crainte Assurance Colère

JEAN-MARIE VALENTIN

17 - De Leibniz à Vico. Contestation et restauration de la rhétorique (1690-1730)

L’importanza di una tradizione filosqfica corne quella delVumanesimo [...] non è semplicemente storica per chiarire un determinate periodo del pensiero occiden­ tale, ma è essmziale per prendere coscienza della nostra attuale situazione spéculation.

Emesto Grassi1

Dans les pays (Angleterre, Allemagne, Italie) où les modifications provoquées dans le système rhétorique ont été les plus sensibles, qu’il s’agisse du développement de la pensée scientifique, des effets prolon­ gés de la critique de l’aristotélisme stimulée par la Réforme qui n’y voyait à ses débuts que sophistique, ou l’accueil réservé au cartésia­ nisme, le début du XVIIIe siècle est marqué par une série d’ajustements dont on se rendra compte qu’ils offrent à l’observateur une palette variée d’expressions possibles. En portant prioritairement son attention sur des espaces situés hors de cette France d’où sont parties les mises en cause majeures, il est assez aisé de constater que l’évolution dans les terres de vieille culture où s’était épanoui l’humanisme, les différences de rythme continuent à exercer leur action : les faits apparaissent à d’autres moments et ils sont largement autres. Mais en même temps, la France n’est jamais perdue de vue. Même quand, comme c’est peu à peu le cas dans l’Empire, on critique sa production littéraire, elle demeure à bien des égards un point de repère. Aussi bien les questions que soulève la chronologie ne laissent-elles pas d’interférer dans les discours sur la rhétorique. Poser des bornes 1. E. Grassi, « G. B. Vico filosofo “epocale” », dans G. B. Vico. Poesia. Logica. Religione, Bres­ cia, 1986, p. 103.

Les enjeux

rigoureuses, tracer des frontières nettes, postuler une évolution linéaire se révèle en fait de plus en plus délicat à mesure que l’on s’éloigne du XVIe siècle : le constat, établi pour d’autres époques, a ici une évidente pertinence. Il légitime dans la pratique des coupes obliques. Il aide, de manière neuve, à contester vigoureusement la thèse d’une restriction de la rhétorique coïncidant parfaitement avec le changement des modes de représentation. Non que cette convergence n’ait pas existé. Mais, multiforme, elle n’a pas été générale. Posée sans précaution, elle fait de surcroît bon marché d’adaptations, de résistances, voire de réaffirma­ tions parfois éclatantes. Prenons le cas de l’Allemagne que l’on crédite d’une hostilité fon­ cière à la rhétorique. On songe, ce disant, à Nietzsche et à l’impor­ tance que, depuis ses analyses de la culture grecque, il attribue au men­ songe esthétique. Mais en réalité, ce n’est pas en 1715 que «finit ici l’Antiquité », pour reprendre le mot fameux de Joubert. П faut en fait attendre Kant et l’extrême fin du XVIIIe siècle pour que l’assaut prenne des dimensions vastes et étendues dans le temps. Encore serait-on bien avisé de nuancer le propos, de rappeler que le maître de Kônigsberg s’en prenait au départ surtout à Veloquentia corrupta. On pourra avec non moins de justifications souligner que la catégorie kantienne du Sublime n’est pas totalement inassimilable au genus grande et que le sens qu’affecte Friedrich Schiller, le plus kantien des écrivains de l’âge d’or des lettres allemandes, à la notion de « grâce » (Anmut), est proche parent de la venustas’. En tout cas, la pensée européenne n’a pas partout ni complètement opéré le double saut théorique qui, d’une part, conduit à l’absolutisation du Moi par les romantiques, et qui, d’autre part, dissocie définitivement philosophie et rhétorique, cette dernière n’ayant plus alors d’autre tâche que d’« habiller de mots les idées » ainsi que l’exprimait Lichtenberg. Ce qui s’amorce vers 1690 et se poursuit jusqu’en 1730-1740, est d’une autre nature. La cohérence, dis­ cernable au-delà des différences dont il sera fait état, réside bien plutôt dans les mouvements contrastés qui agitent un ensemble en voie de déstabilisation et, par force, en quête de nouveaux équilibres. Il est tout à fait clair que le centrage de cet arc chronologique, par­ couru de tensions, aux limites en partie floues, autour d’une personna­ lité qui en condenserait les éléments constitutifs principaux n’est pas tel quel réalisable. Toutefois, le problème posé par l’acceptation ou le refus de la restriction de la rhétorique justifie pleinement que soit reconnu à l’œuvre de Giambattista Vico un statut de contrepoint aux 1. G. Ueding, Aujklamng über Rhetorik. Versuche über Beredsamkeit, ihre Théorie und praktische Bewdhrung, Tübingen, 1992.

incertitudes, approximations, comme, a fortiori, aux croisades anti­ rhétoriques du temps. A cela, il y a quelques bonnes raisons. Les dates d’abord : les Dis­ cours inauguraux sont prononcés par Vico à la jointure des deux siècles. Celui auquel la postérité a réservé un rang prééminent, la Méthode des études de notre temps (De nostri temporis studiorum ratione) est de 1708. Le traité sur les antiquités italiennes (De antiquissima Italorum sapientia ex latinae linguae originibus) fut conçu et parut en 1709-1710. Les grandes réflexions sur le Droit universel (Diritto Universale), qui inaugurent la seconde période de la production vichienne et sont les préliminaires à l’écrit fondamental qu’est la Science nouvelle, voient le jour en 1720 et 1721. La genèse de la Scienza Nuova est, à partir de là, longue et complexe. Ses divers états résultent de remaniements, certes considéra­ bles, mais qui procèdent les uns des autres à partir de la matrice issue des transformations apportées dès 1723 au Diritto et trouvent leur pre­ mier achèvement dans la Scienza Nuova dite prima de 1725. П ne fait pas de doute qu’il faille, sur tel ou tel point, faire appel aux Cinque libri de la Scienza Nuova dite seconda de 1730 et à l’ultime version, Scienza Nuova dite terza de 1744. Metis il ne faut pas pour autant donner à entendre qu’il s’agirait de remises en cause de fond. En second lieu, il semblera bienvenu de rappeler que la pensée vichienne, pour s’enrichir de points de vue extrêmement novateurs sur l’histoire des nations, le mythe et l’allégorie par exemple, ne s’enferme en aucune façon dans une « phi­ losophie de l’histoire » à laquelle il conviendrait de ramener son apport durant les années qui vont de la publication de la Scienza prima à sa mort. Le rattacher, comme l’ont fait notamment les hégéliens italiens, à Herder et Hegel, voire le confiner à une métaphysique sévèrement cri­ tiquée depuis par Nietzsche et Heidegger, revient à perdre de vue la connexion que le philosophe napolitain établit, d’un côté, entre la Connaissance et la poésie avec, en arrière-plan, l’anti-cartésianisme, et, de l’autre, entre l’Antiquité et le présent, via la Renaissance et le XVIe siècle. Durant toutes ces décennies, Vico ne cède en rien sur la nécessaire consubstantialité de la rhétorique et de la philosophie. On aperçoit bien, à l’inverse, ce qui pourrait rendre discutable cette option. La place exceptionnelle de Vico est rien moins qu’éminente pour son temps. En témoignent à valeur égale les dires de ses contem­ porains, ses propres aveux dans YAutobiographie et une existence difficile, au bord de la misère. Cet homme, que ses grands travaux isolèrent, contribua lui-même, Benedetto Croce l’a fait observer, à éloigner de lui les lecteurs potentiels rebutés par un style obscur, par endroit extatique. C’est davantage à Dubos, fort peu à lui, que revient le mérite d’avoir à l’époque relancé la discussion de manière productive. Professionnelle­

ment, l’incapacité dans laquelle Vico s’est trouvé d’accéder enfin à la chaire de droit à laquelle il aspirait, l’obligation mal supportée de demeurer dans celle de rhétorique peu prestigieuse, marquent les limi­ tes institutionnelles : la grandeur intrinsèque de ses écrits masquerait mal leur faible représentativité. A cela, nous répondrons résolument que le cadre européen, organisé selon les interrogations mentionnées au début, révèle la portée historique, « épocale », disait Emesto Grassi, des options de Vico. Si, par quelque côté, on se défait mal du senti­ ment qu’il œuvre à contre-courant, on ne peut par ailleurs qu’être frappé par la formidable actualité que revêt sa rhétorique pour la défi­ nition de l’humanisme moderne. Revenons aux raisons qui expliquent les désaccords et les fractures à l’intérieur du système. D’une manière générale, le fossé entre l’enseignement de l’armature rhétorique dans le cadre des bonae litterae et la pratique de la littérature profane se creuse inexorablement, toutes particularités confessionnelles mises à part, encore que, dans l’Empire spécialement, le phénomène progresse en terres protestantes plus vite que dans les régions catholiques en raison du maintien affirmé de la tradition issue de la latinitas, relayée et repensée par la Roma renovata. Simplifié aux fins d’efficacité pédagogique, le manuel de rhétorique dont usent les maîtres des collèges demeure extrêmement stable dans ses objectifs, son organisation, voire sa lettre. La Rhetorica contracta de G. Vossius constitue toujours, si l’on en croit Weise et Gottsched, un passage obligé pour les futures élites protestantes allemandes'. Chez les catholiques où, hors de France, les jésuites jouissent d’une sorte de monopole pédagogique urbain, le traité le plus répandu fut la compila­ tion du Portugais Cyprien Soarez (De arte rhetorica libri très), composé à partir d’Aristote, Cicéron et Quintüien et sorti des presses à Coïmbre en 1560, aux tout premiers temps de la Compagnie. C’est tardivement seulement que vint le concurrencer le Candidatus Rhetoricae (1710) du Français Joseph de Jouvancy. Ainsi en alla-t-il des endroits où l’activité savante s’était plus profondément enracinée, dans les grands centres bavarois, rhénans, autrichiens ; de même s’implanta-t-il dans les régions reconquises à Rome après l’échec des Turcs devant Vienne en 1683. Le mode d’apprentissage et les exercices persistent tels qu’ils étaient, sans que s’opère une jonction quelconque avec l’univers de la 1. Sur cette fortune, cf. W. Bamer, Barockrhetorik. %u ihren geschichtlichen Grundlagen, Tübingen, 1970, p. 265-274. Ch. Weise (Institutions oratoriae, Lipsiae, 1687, fol. 2b) écrit: Vossius quern inter Rhetores non immérité colimus praecipuum. J. Ch. Gottsched, Ausjuhrliche Redekunst, Leipzig, 1730, p. 66, constate que Mélanchthon a dû depuis longtemps céder la place à Vossius, qui l’aurait emporté dans presque tous les collèges protestants. Cette opinion est cependant excessive et trahit plutôt de l’agacement.

littérature. Au sud, le long règne du pieux empereur Léopold ne s’achève qu’en 1705, quarante-sept ans après le couronnement à Francfort. Il est tout entier placé sous le signe d’une monarchie « uni­ verselle », catholique et romaine. Au « nord », le Saxon Gottsched a pour sa part perçu avec acuité les risques qu’impliquait au regard de son projet ce clivage persistant entre l’école et le projet de création d’une littérature nationale. Les tentatives faites par lui en vue de rap­ procher les deux univers, pour, notamment, rehausser le niveau des représentations dramatiques dans les « gymnases » de l’Allemagne du Centre et de l’Est, ne donnent que des résultats modestes. П n’est pas superflu non plus d’insister sur le fait que la littérature nationale n’a pas partout imposé sa domination. En Allemagne, la Renaissance, brillante dans les arts plastiques, les sciences et la philo­ sophie de la nature, a manqué en littérature le passage, réussi pourtant dans les Pays-Bas voisins. Il y a comme un hiatus entre la poésie et l’efflorescence de la philosophie antérieure à Kant : celle de Leibniz, Wolff, Thomasius, prolongée avec Baumgarten par l’accession de l’esthétique à une position autonome. En sont dérivées des spécificités dont les effets sont au principe de la réflexion à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. Ce que l’historiographie littéraire d’outre-Rhin nomme « baroque » recouvre en réalité dans un premier temps une sorte de « Renaissance différée » qui présente les caractères d’une affirmation de soi, décalée dans le temps. Martin Opitz, réformateur nourri de Ronsard et de Heinsius, présente sa première « défense » de la langue allemande, VAristarchus sive de contemptu linguae teutonicae (1617) en latin. Ce n’est que sept ans plus tard qu’il ose proposer sa poétique, Le livre de la poésie allemande (Dos Buck von der deutschen Poeterey) en langue vernaculaire. De manière révé­ latrice, son argumentation réitère alors les thèses avancées dans les autres grands pays européens un bon siècle plus tôt. Le pivot en est la dignitas de l’idiome national, avec ce qu’elle suppose de mise en cause de la suprématie du latin. On mesurera mieux sans doute l’ampleur du débat et ses échos lointains quand on aura dit que les grands poètes jésuites de l’Europe du Centre, le Polonais Casimir Sarbiewski et l’Alsacien de Bavière Jacques Balde se rallient, entre 1620 et 1650, au culte d’Horace, « sacralisé », si l’on ose dire, par le pape poète Urbain VIII Barberini. En ce sens, la rhétorique est reine, mais elle se voit placée face à des choix divergents. Alors que, dans sa version latine, elle nourrit une culture que l’on retrouvera en partie dans les écrits de Vico, elle cherche sous sa forme allemande à recomposer une nouvelle Respublica litteraria englobant les variantes nationales, sans que soit pour autant

réglé unanimement le rapport de chacune avec le legs antique. Du moins, la multiplication des échanges, certes encore au bénéfice de la France et de l’Italie, laisse-t-elle entrevoir la possibilité théorique d’une grande sodalitas continentale. Mais ni les Sociétés de langue (Sprachgesellschaften), ni les Sociétés allemandes (deutsche Gesellschqften) des XVIIe et XVIIIe siècles, variantes du modèle de l’Académie, ne parviennent à donner corps à ce rêve. Les poétiques et rhétoriques allemandes du XVIIe siècle reprennent sans cesse le travail de légitimation défini par Opitz et d’articulation de la production avec un système dont la mutation dans le sens de la laïci­ sation a peine à s’accomplir. Cela vaut pour Johann Matthâuss Meyfart qui donne en 1634 sa rhétorique, ornée, à un double titre, de l’épithète d’« allemande » (Teutsche Rhetorica). S’appuyant sur «les ora­ teurs les plus célèbres », intégrant au même titre poésie religieuse et poésie profane, Meyfart imagine un monde des lettres dégagé des con­ flits qui déchirent son pays. Leibniz, exemple inégalable de multilin­ guisme, œuvrera dans la même direction, cherchant dans la diplomatie et le rapprochement des Églises chrétiennes les moyens de faire resurgir une Europe des esprits et des réalités. Le Polyhistor litterarius, philosophicus et practicus de Daniel Georg Morhof (Lübeck, 1687) peut s’interpréter comme le triomphe d’un courant pour lequel les ruptures entre nations, confessions et, à un moindre degré, champs du savoir et de la création, doivent être dépassées. Morhof reconnaît en effet à chaque siècle un génie propre qui se manifeste dans les sciences et les arts. Mais Morhof croit aussi qu’il existe un fond commun à l’humanité sur lequel chaque peuple développe ce qui lui correspond le mieux. C’est en vertu de ces principes mêmes qu’il prône la rhétorique comme langage universel, adossé à la topique, attaché à la supériorité de l’atticisme et prenant dans Cicéron et Térence ses références stylistiques. П est assuré que l’historiographie littéraire, peu pratiquée jus­ qu’alors, s’est alimentée à ce besoin nouveau de profondeur historique : avec Morhof, la rhétorique, sans rompre avec la pratique de l’allé­ geance à la triade antique, va s’habituer à remonter le temps de chaque histoire. Le tableau des Principaux poètes allemands de ce siècle (De poëtis germanicis hujus saeculi praecipuis) de 1695, rédigé en latin mais uni­ quement allemand dans son riche panorama anthologique, donne de cette historicisation des lettres une traduction prosopographique direc­ tement rattachée à l’actualité. Pour être assujettie à une érudition aus­ tère, la somme d’Erdmann Neumeister prolonge une dimension capi­ tale de la rhétorique en ce sens qu’elle inscrit la littérature dans la mémoire collective, source à son tour de liens fructueux entre les épo­

ques et génératrice d’un sentiment de solidarité censé faire pièce à la fuite du temps et à la vanitas гетит. Si l’on excepte Le nécessaire réservoir des lettres allemandes (Nôthiger Verrat deutscher Dichtung, 1757), compilation destinée à répondre aux alléga­ tions de Riccoboni quant à la prétendue stérilité poétique des peuples germaniques, Gottsched ne retint pas cette voie : pédagogue, il atta­ chait plus de prix à l’exemple. Pourtant, confronté aux interrogations reparaissantes sur les conditions préliminaires (les instruments) à l’élaboration d’une grande littérature qui se pût comparer à celles des nations voisines, il n’eut d’autre ressource que d’en revenir à Opitz dont il fit, dans une oratio publica de 1739, cent ans après la mort du poète silésien, un éloge à valeur éminemment programmatique. Symptomatiquement, la cérémonie se déroula devant les membres de la Société allemande de Leipzig. Donnée qui nous ramène à la ques­ tion des continuités : il ne manqua pas à cette occasion de mettre en évidence l’attachement aux Grecs et aux Romains, d’une part, la parenté avec sa propre entreprise, d’autre part. L’emploi du genre épidictique à propos du prédécesseur instaure une filiation venant sou­ tenir l’effort qu’accomplit de son côté l’orateur pour agir sur son époque. Les Modernes, apparaît-il alors, ne seront totalement à la hauteur de leur vocation qu’en s’imprégnant et s’inspirant des maîtres du passé. Dans la discussion sur les possibilités et modalités de la rhétorique, silences, omissions ou lignes de fracture ont certes des effets perturba­ teurs. Mais nombre d’auteurs de traités s’engagent en faveur d’une réorganisation de leur matière autour de généalogies, attitude directe­ ment bénéfique au maintien des sources anciennes et donc aussi de la totalité des subdivisions classiques. Arrêtons-nous maintenant à un autre point d’opposition : la plupart des auteurs qui retiennent ici l’attention, outre le fait qu’ils exerçaient des fonctions de professeurs, souvent d’Université, se mouvaient dans une sphère intellectuelle où ils étaient confrontés à ce que le siècle appela «philosophie critique »’. Le mot eut alors une fortune considé­ rable, débordant au demeurant le cartésianisme et envahissant la litté­ rature. Il est chez Gottsched, qui parle de « poétique critique », chez ses adversaires suisses Bodmer et Breitinger, pour ne pas parler de Kant. Il traduit la prépondérance du jugement dans les lettres : les notions de « vrai » et de « faux » en découlent, le Beau n’est plus obli1. Sur le contexte européen, points de vue intéressants dans H. D. Feger, « “Logik ohne Domen ". Zum Zusammenhang von wissenschaftlicher Methode und sinnlicher Erkenntnis im 17. und 18. Jahrhundert », dans Daphnis (22), H. 2-3, p. 197-264.

gatoirement au centre et le risque n’est pas mince de voir jeter la suspi­ cion sur ce qui se dérobe à cette dichotomie contraignante. Cette irruption impérialiste de la philosophie dans les lettres n’est pas entièrement nouvelle. L’oratorien Bernard Lamy s’était rallié en 1672 à cette école illustrée par les ouvrages de Port-Royal et le rejet janséniste de l’ornement. Dire que l’idéal cartésien se heurta à de vives résistances, vaut pour Vico, on le verra. L’affirmation s’applique beaucoup moins aux auteurs protestants, Gottsched dans une certaine mesure, et surtout Locke, lecteur d’Arnauld et de Lamy. On peut considérer ainsi que l’impératif de clarté, qui se marie par­ tout au rationalisme, peut être tenu pour un acquis déterminant. Si l’on situe l’apogée du baroque dans le maniérisme et l’art de la pointe, on peut affirmer qu’en 1690 au plus tard la cause est entendue. L’Allemagne, sur ce point encore la dernière à connaître cette mutation, s’éloigne alors de Lohenstein, traducteur de Graciân (Don Ferdinando El Catolico), et de Hoffinannswaldau, disciple de Ma­ rino. La période où se dessinent les contours des Lumières est celle qui rejette l’obscurité du discours. La connotation quasi universelle­ ment négative qui s’attache à l’enflure, au stylus inflatus (le Schwulst des Allemands), frappe tout ce qui se recommande encore de l’asianisme, de la Latinité d’argent, de l’engouement moderne enfin pour la recherche expressive qui étonne et surprend. Cette forte convergence n’existe en revanche plus là où le rationa­ lisme aborde le problème de la Connaissance. Confrontée à des opposi­ tions tranchées, la rhétorique va être en général amenée à imaginer des voies propices à l’établissement ou au rétablissement d’un équilibre : la banale continuation de ce qui avait été jadis n’était plus possible. Il y a bien désormais, partout, un « avant » et un « après ». Harmonie, sens, beauté

La manière dont Leibniz s’était intéressé autour de 1670 à ces ques­ tions fait apercevoir l’acuité du débat. L’essai Sur le style philosophique de Nizolio (De stilo philosophico Nizolif 1670) vaut d’être analysé. Ce que Gil­ les Deleuze écrit de l’auteur de La Monadologie, cette fonction d’« avocat de Dieu » dont il le gratifie à propos de la manière qu’il eut de régler la question du Mal dans la Théodicée, peut être, mutatis mutandis, appliqué à la rhétorique, dans un contexte comparable du point de vue des enjeux. Mario Nizolio (1498-1576), humaniste italien, avait mené un com­ bat double. Sa défense de Cicéron, les Observationes in M. Tullium Ciceronem de 1535, la publication en 1559, puis à nouveau en 1576, du pro­ digieux Thesaurus Ciceronianus, trouvaient sous sa plume leur pendant conceptuel pur dans une charge contre la scolastique. Dans les 4 livres

(1553) sur les Principes et la vraie manière de philosopher, Nizolio s’en prend aux « pseudo-philosophes » qui régnent sur l’Université de son époque. Rééditant ce texte plus d’un siècle après sa rédaction, Leibniz se fixe moins pour objectif de combattre des positions doctrinales que la néo-scolastique (il était pour sa part un lecteur assidu des Disputationes Metaphysicae de Francisco Suarez, 1596) avait tout de même revêtues de nouveaux habits, ou de prendre position sur le nominalisme et la que­ relle des universaux, que de débattre de la nature dont pensée abstraite et rhétorique pouvaient s’unir. Ce n’est naturellement pas sans raison qu’il donne à sa publication un titre de fait beaucoup plus clair que celui, technique, de Nizolio. La question implicite qui est au fond de ces pages est celle pour laquelle Henri Gouhier avait imaginé, à propos du cartésianisme, l’heureuse formule d’« une philosophie sans rhéto­ rique ». Dans ce vaste exposé, la dicendi ratio occupe une place décisive : elle fait de Nizolio, aux yeux de Leibniz, son contemporain même. En accord avec l’esprit nouveau, sont rappelées les exigences de simplicité et de précision, écartés ensuite l’enthousiasme et l’exagération, tenus à distance les désordres de la subjectivité. Le véritable « art de dire », est-il indiqué cependant, favorise la memoria, dont on sait qu’elle était alors contestée. Dans un esprit cicéronien orthodoxe, les mots et les choses doivent se situer dans un rapport congru. Ces principes définis, le texte met au premier plan les trois qualités primordiales : claritas, veritas, elegantia. Cette conjonction est révélatrice du programme de Leibniz : la transmission de la vérité ne réclame pas seulement la « clarté », indispensable, chacun l’admet, aux sciences (dont la philosophie). Elle exige également que le Beau y trouve son compte, non point comme simple ornement, mais comme élément constitutif du discours vrai. L’argument le mieux adapté au propos de Leibniz est celui qui fait de ces qualités le critère d’évaluation du style philosophique. On remarque par exemple qu’il en extrait la conviction de l’indispensable relation entre claritas et dispositio, faute de quoi la « clarté des mots » serait inopérante. Sur chacun de ces points, le philo­ sophe ne connaît pas d’autre commandement que de se rapprocher de l’orateur. L’exhortation à éviter absolument Vobscuritas et Vambiguitas est par là appel à ne pas abuser des termes techniques, ce qui recoupe très exactement le conseil qu’exprime Cicéron dans les Tusculanes (I, 7 ; I, 56). A tout le moins s’agira-t-il de les former, dès lors qu’ils sont indispensables, à partir de racines connues afin d’en permettre une explication commode en langue vernaculaire. Leibniz, aux yeux de qui le système rhétorique n’admet pas de remise en cause, redéfinit cette unité essentielle sur trois points. La topique ne peut être exclue. On ne saurait dissocier l’art d’ordonner

les mots (eleganter, ornate et efficaciter) et l’art d’émouvoir. La logique enfin ne déroge pas davantage aux règles de la technè, en ce sens qu’elle s’accomplit dans la présence simultanée du « style philoso­ phique », selon les lois définies antérieurement, et du « gouvernement des pensées » (de regendis cogitationibus). On voit qu’à ce stade, c’est l’édifice constitué par la grammaire, la rhétorique et la logique, qui est restitué dans sa forme véritable, où chacune retrouve sa fonction : l’art de l’exactitude formelle propre à l’usage pour la grammaire ; l’élément et la convenance (aptum) qui mettent en mouvement les pas­ sions en vue de convaincre, pour la rhétorique ; la direction de l’esprit, pour la logique. Par ces dispositions, Leibniz oppose une fin de non-recevoir au ramisme, vivace en Allemagne depuis le XVIe siècle, et donc à la sépa­ ration de la rhétorique et de la dialectique, à l’affectation à cette der­ nière de Vinventio, de la dispositio et de la memoria. Il ne s’écarte pas moins clairement de Descartes. L’éloge a priori paradoxal d’Aristote, que Wolff mettait à l’écart, prend tout son sens si on le rapporte à la défense du cicéronianisme : il ne saurait être question d’en revenir à la scolastique traitée par Leibniz comme un ensemble de gloses erronées du Stagirite - mais de rejoindre la lignée inaugurée en Grèce, l’unité des discours mise en péril par les Modernes. Voudrait-on mettre à contribution la métaphore architecturale, que l’on serait fondé à dire que Leibniz élève une construction intellectuelle dans le but d’arrêter une évolution vers des systèmes où la philosophie reléguerait la rhéto­ rique au rang d’une futilité. Pourtant, cette attitude de conservation n’a pas sa fin en soi. La théorie des mondes possibles redonne à Vingenium la capacité implicite d’étendre son empire indéfiniment. Il ne s’agit plus seulement de faire surgir ce que la nature peut produire, mais aussi de créer ce à quoi elle donnerait naissance si elle était autre que ce qu’elle est. La position a d’autant plus d’intérêt qu’elle va de pair chez Leibniz avec le projet de mathesis universalis d’origine cartésienne. Or, cette dernière fait du liber naturae un ensemble de formules mathématiques sur lequel l’esprit humain pourra exercer un pouvoir théoriquement sans limites. C’est justement là contre que Vico élèvera son objection majeure relative au caractère selon lui purement construit de la demonstratio mathematica. П est évident que le calcul et l’apothéose de la machine passent alors par un ors combinatorial (R. Lulle, A. Kircher) rénové. Mais en adossant le fondement transcendantal de la langue symbolique à la pensée divine, Leibniz s’oppose cependant à un mouvement d’autonomisation totale de chaque opération intellectuelle. Pour autant, il n’en revient pas à la tradition cicéronienne, en dépit de ce qu’exposent les remarques sur

Nizolio : les Traités métaphysiques montrent que l’usage rhétorique de la raison, la coexistence du noûs et de la dianoia, se heurtent au dynamisme de Vépistémé. L'Essai de poétique critique que Gottsched destine en 1730 à ses com­ patriotes (Versuch einer critischen Dichtkunst vor die Deutschen) se place très légitimement dans la postérité de Leibniz (en 1744, Gottsched donnera la première version allemande de la Théodicée) et de Wolff. A Leipzig, où il parcourt les étapes habituelles du cursus professoral, de la rhéto­ rique à la métaphysique en passant par la poétique et la physique, Gottsched élabore une Sagesse universelle (Weltweisheit, 1745), empreinte d’un optimisme qui s’accorde sans heurts majeurs avec la conception du « meilleur des mondes possibles ». Gottsched a beaucoup contribué à faire admettre l’idée de la critique littéraire, ce qui, bien évidemment, s’accorde avec son activité d’éditeur de revues. Toutefois, il est intéres­ sant pour nous de relever qu’il fait valoir, lorsqu’il revendique pour la critique le rang d’« art noble », non seulement la distinction qui hiérar­ chise, mais encore un rapport direct avec « l’art du jugement » (Beurteilungs-Kunst) : le choix de ce terme marque un passage du plan de la « faculté » (Vermôgen) à l’esthétique. Il est vrai que ce n’est pas la rhéto­ rique stricto sensu qui est affectée par cette volonté d’harmoniser création et pensée, mais la poétique. Cependant, la différence n’est pas aussi radicale alors qu’on pourrait être tenté de le croire. En effet, Gottsched, pour ce qui le concerne, fait usage ailleurs des principes dont il se réclame pour la rhétorique. Sa Critische Dichtkunst par exemple devait à l’origine être précédée d’une nouvelle version allemande de la Poétique d’Aristote. Il lui a substitué en définitive une traduction par­ tielle des Réflexions (1716) de Fénelon rendues accessibles aux Allemands sous le titre d'idées sur la tragédie (Gedanken von der Tragodie). Le propos est d’une belle et constante netteté : il convient, pour la rhétorique et la poétique, d’aller chercher dans l’Antiquité la substance d’une Vérité apte à recevoir, dans chaque littérature nationale, une expression d’égale et durable valeur. Il n’est pas aisé de mesurer l’originalité relative de Leibniz et de Gottsched sur ce sujet. Le premier postule les convergences, l’har­ monie lui est un besoin, comme l’est la conception de la composition poétique sous forme d’analogie avec une Création divine toujours en gésine. Le second accorde plus à la Raison transcendante, dont la royauté est exhibée avec ostentation dans le frontispice de la Sagesse universelle où elle est identifiée précisément avec l’ordre, mais immuable cette fois, voulu par Dieu. Pourtant, quoiqu’ils préfèrent, l’un, le mouvement, l’autre, la stabilité, ils s’entendent pour soutenir le lien avec la tradition.

Il reste que l’un et l’autre contournent le problème plus qu’ils ne le résolvent. En ce qui concerne Gottsched, sa réticence envers le mer­ veilleux, par quoi il systématise Boileau, son aversion pour l’opéra qu’il tient de Saint-Évremond, réduisent dans son programme la fonction imaginative à la portion congrue. Sa vision très abstraite de la Raison lui interdit de reprendre à son compte la division, alors fort répandue, entre connaissance intellectuelle, domaine de l’entendement comme des concepts, et sphère inférieure de la connaissance sensible. Ces véri­ tables « blocages » éclairent les critiques dont il fut l’objet dans son pays de la part des deux générations postérieures. Ils font comprendre aussi la fortune du sensualisme de Dubos auprès des penseurs berlinois (Nicolai) et l’incompréhension qui s’installa entre son groupe et Lessing plaidant pour l’émotion et une esthétique de l’empathie. Il ne devrait plus faire de doute désormais que la rhétorique gottschédienne pèche surtout par le poids trop faible qu’elle accorde aux affects. Dans une Allemagne protestante souvent figée dans une orthodoxie luthérienne intolérante et dominatrice, en proie ailleurs à des ferveurs piétistes, anathématisant comme satanique tout art profane, Gottsched apparaissait dangereux à ses détracteurs. Ses affinités avec Bayle, dont il fait traduire en 1741 le Dictionnaire, sa sympathie pour le libertinage érudit, confirment la thèse de son audace intellectuelle. Mais sa vision rhétorique et poétique tend à un moralisme pédant. Une expérience révélatrice est livrée par la manière dont les théori­ ciens réagissent à Y Œdipe de Sophocle dont le siècle débattait depuis la première de la pièce de Voltaire (1718-1719). Gottsched porte une vive attention à cette tragédie (il s’agit, on l’aura compris, de Y Œdipe-Roi) dans sa Poétique critique. Il y reprend largement les idées de Dacier. Par­ tant de l’idée que tout poème dramatique est un « théorème moral », incapable de percevoir une séparation nette entre le mythe et l’histoire, Gottsched met tout son soin à faire dépendre de causalités extérieures les événements montrés. Il lui importe de ne pas accréditer si peu que ce soit la thèse d’une injustice qui remettrait en question l’ordre même du monde. Il reste donc à évoquer tel trait de caractère (Œdipe trop prompt), le manquement à la préséance ou encore le hasard ! La fidé­ lité à Aristote n’entraîne pas, hélas !, l’intuition de la grandeur et de la force poétiques de l’âge d’or athénien. A l’opposé, le courant jésuite en France démontrait de façon pion­ nière que la Grèce, en plus du corpus aristotélicien, pouvait combler de beautés le temps présent. C’est ce que confirmait le P. Pierre Brumoy. Son Théâtre des Grecs en trois volumes où se côtoient traductions, résu­ més et commentaires, vise des objectifs qui ne sont pas, in abstractor si éloignés de ceux de Gottsched. Lui aussi reconnaît sa dette envers

l’éloquence cicéronienne. Brillant professeur de rhétorique au lycée Louis-le-Grand, il a sacrifié au rite des actiones theatrales, jouées par ses élèves. Et cependant, figure de proue de ce groupe de grands jésuites éducateurs de la nouvelle classe intellectuelle, il cherche à donner au théâtre de son pays, au-delà même du collège, un nouvel élan. Le changement de modèle, qui le fait passer de Sénèque (que Voltaire révérait et imitait encore) à Sophocle, va bien dans le sens de la détes­ tation que Gottsched manifestait envers la tragédie baroque. Lui non plus ne saurait s’accommoder d’une fatalité qui, aux yeux du chrétien, nie si visiblement la Providence, mais rejette également sur les dieux, principe transcendant, la responsabilité de l’horreur. C’est ici que l’écart avec Gottsched se marque le plus fortement. La « théologie payenne » est intolérable à Brumoy. Et, par une intuition très moderne, il saisit l’altérité absolue des deux âges, notamment en raison du sens que chacun confère au Sacré. Dans la pratique, cela lui épargne les « ajustements » auxquels Gottsched croyait devoir se plier. Pour Brumoy, jamais Œdipe ne pourra se muer en modèle de vertu, individuelle ou civique. Il est piquant de voir le jésuite français faire preuve de bien davantage d’audace et de finesse littéraire que le profes­ seur saxon ! Il est vrai que Brumoy tire profit d’une littérature à son apogée et reconnue de longue date dans sa légitimité sociale. Mais la véritable raison de la distance entre les deux hommes doit probable­ ment être cherchée dans le prix qu’attache Brumoy au courant platoni­ cien dont l’enthousiasme et le culte de la Beauté sont, en l’occurrence, les points centraux. Cet arrière-plan mettait Brumoy en mesure de maintenir la pensée rationaliste dans le monde des phénomènes physiques, mécaniques et naturels, pour lequel en effet le déterminisme était envisageable. De plus, la reconnaissance du Beau dans sa spécificité historique le dis­ pense d’un assujettissement du motif aux modes contemporaines de représentation et aux formes littéraires de ses discours, religieux et moraux. Si Brumoy n’aime pas la pièce de Voltaire, c’est bien aussi parce qu’elle prend pour point de départ l’époque présente, qu’elle soumet la tragédie antique à une réécriture selon des canons classiques pétrifiés. Voyez par exemple les chœurs que le théâtre français a presque partout supprimés : Brumoy leur découvre une puissance émo­ tionnelle forte, dans l’esprit de la cité rassemblée. Mais il n’aime pas ceux de Sénèque auxquels il reproche d’être chargés de sentences. Au bout du compte, c’est bien de deux intelligences différentes de la rhéto­ rique antique et renaissante qu’il s’agit. La « fable » poétique a sa phi­ losophie en elle. H est donc absurde de vouloir analyser philosophique­ ment le mythe archaïque préalablement à une recréation moderne.

Brumoy, sur cette base, qui rejoint sans hiatus la question principale du moment, peut concéder alors à l’auteur antique la pleine liberté d’invention. Il suspend par là l’injonction rationaliste faite au poète de « rendre des comptes » à une Raison toute-puissante, mesurant toute chose à l’aune du vrai et du faux. Le principe d’« altérité absolue » ouvre la voie à la sympathie, dans le culte partagé de la Beauté : ainsi peut-on comprendre l’incompréhensible et trouver beau l’horrible. Écoutons Brumoy : Il faut donc mettre quelque distinction entre les manières de parler, soit précises, soit communes. Mais, sans entrer dans cet examen, mettons pour principe que la fatalité était parmi ces Anciens le grand mobile des princi­ paux événements. Dans cette supposition, si nous voulons jouir d’un spec­ tacle Grec, nous sommes donc obligés d’épouser pour un moment leur système.

La phrase la plus représentative des options de Brumoy, c’est encore celle dans laquelle le Professor Rhetorices, dédaignant les facilités ordonnatrices et harmonisantes que lui offrait le figurisme hors réfé­ rence à l’Ancien Testament et appliqué aux siècles antérieurs au chris­ tianisme, reconnaît que d’un « système faux » peuvent naître « de si grandes beautés ». Fausses et vraies restrictions

On a coutume de faire partir de la publication (1740) du traité Le Comédien de Pierre Rémond de Sainte-Albine les débuts de l’abondante réflexion qui jalonne le XVHF siècle (Riccoboni, Lessing, Lichtenberg, Engel, Diderot, etc.) et dont le jeu de l’acteur, dit encore eloquentia corpo­ ris (éloquence du corps, Beredsamkeit des Leibes), est le sujet principal. En réalité, dès 1719, Dubos, dans ses Réflexions critiques sur la poésie et la pein­ ture, avait assez longuement débattu de cette question. Tributaires du sensualisme, ces remarques faisaient de l’acteur le point de départ de considérations circonstanciées. Ennemi d’un classicisme auquel il repro­ chait sa pratique desséchante, mécanisée, de l’art dramatique, Dubos voulait donner à l’acteur une dignité que ni l’ancienne distinction entre actor et histrio, ni le développement de l’institution théâtrale au sein de la société ne l’avaient mis en situation d’atteindre. Être acteur est pour Dubos une tâche respectable, comparable à celle du peintre et du poète. La célèbre protestation de Lessing dans les années 1760 contre le sort inique réservé à un art (Kunst) rabaissé au rang d’artisanat (Handwerk) est en réalité déjà formulée par Dubos. Avec lui, l’acteur recouvre une part de cet éclat qu’avait valu à l’orateur sacré la mission de proclamer la Parole divine. Dubos, sur la base de sa propre doc­ trine, souligne la puissance que permet d’exercer sur autrui l’excitation

des passions. Mais c’est pour stipuler tout aussitôt l’impérieuse nécessité de codifier mieux un art capable de si grands effets. Dubos reconnaît ainsi à la cinquième partie de la rhétorique une nouvelle légitimité. Non que les traités aient passé sous silence Y actio et la pronuntiatio. Mais force est d’admettre que les auteurs ne leur accordaient qu’une atten­ tion de routine. Il est permis d’affirmer que tout change avec la pre­ mière moitié du XVIIIe siècle, sans qu’il soit possible d’avancer, pour expliquer ce phénomène, une explication unique, ni même une série de raisons valables partout. En Allemagne, l’essor tardif des grandes trou­ pes a en toute certitude favorisé ce mouvement qui touche néanmoins en priorité le théâtre scolaire. En France et en Italie, où le théâtre pro­ fane avec ses acteurs professionnels a dès longtemps conquis droit de cité, la réflexion sur ce sujet est certes plus précoce et plus intense. Pourtant, nul ne se serait étonné qu’elle apparût trente ou quarante plus tôt. Peut-être fallait-il que Y actio se détache clairement de la pronun­ tiatio ; en d’autres termes : que la conception de l’acteur ne soit plus, comme elle l’avait été, dépendante de celle de l’orateur, ce qui suppo­ sait notamment que ce dernier perde au moins en partie l’« auréole » dont le parait, dans la civilisation chrétienne de l’âge des Réformes, la proximité avec le Logos. On constate ainsi que Dubos est davantage attentif à la déclamation qu’aux mouvements du corps. L’étude de l’art dramatique, dans un ouvrage qui parlait de la peinture et de la poésie, sœurs en éloquence, représentait une grande originalité. Elle posait en outre en règle le talent individuel. Mais tout en sortant du schéma en cinq parties du traité de rhétorique, elle n’allait pas jusqu’à oser l’autonomisation de Yactio. Avec la Dissertatio de Actione Scenica du jésuite bavarois Franciscus (Franz) Lang, on s’engage en revanche résolument dans cette voie. Lang était un homme de théâtre dans la pleine acception du terme : auteur, « metteur en scène » (choragus), il fut aussi un théoricien dont l’importance fut reconnue par ses confrères du temps. Ce qu’il expose dans son texte de 1727 est nourri de son expérience au collège et à la grande congrégation mariale de Munich. On se gardera toutefois d’y voir le reflet de la réalité. Lang a dans l’esprit un modèle idéal, son objectif étant de doter le théâtre scolaire, assailli de toutes parts, des moyens de résister à ces mises en cause. A cet égard, sa démarche est, même si cet aspect n’est jamais mis en avant, fondée sur l’image. Un bon tiers de ce travail est consacré aux allégories que Lang nomme imagines symbolicae. Décrites soigneusement, elles correspondent à la manière dont Lang voudrait qu’elles fussent portées à la scène, et donc avec les costumes correspondants (adaptatae Exhibitioni, et Vestitui Theatrali). On se trouve face à des emblèmes, paradoxalement privés de pic-

tara (mais le spectacle pourvoit à ce besoin), pour lesquels la combi­ naison inscriptio/subscriptio fournirait la clé d’un déchiffrement univoque du sens dans une dramaturgie du double et explicite niveau de signification. Ce qui relie la première partie portant sur Yactio et les descriptions de la troisième, c’est, outre la classification à visées totalisantes héritée de Quintilien, la conviction que dans l’un et l’autre cas il existe un art qui n’est pas inférieur, une fois reconnu le caractère singulier des dons qu’il exige, à, citons Lang, « la Théologie, le Droit, la Dialectique et la Rhétorique ». La phrase semble bien ainsi officialiser l’écart entre Y actio et les autres parties de la rhétorique. En réalité, Lang suit un raisonnement différent, qui trouve son point de départ dans ce qu’il tient pour une fâcheuse survalorisation de la pronuntiatio par rapport à Y actio. Théoricien et praticien, il voit dans la restauration de cet équilibre une urgence. Deux éléments viennent conforter cette hypothèse. Contrairement à ce qui se passe dans les grands traités depuis Y Éthique à Nicomaque et la Somme thomiste en pas­ sant par Quintilien, la question des passions est traitée tout à fait super­ ficiellement. Il n’y a guère que la colère et la tristesse qui se voient attribuer plus que cette portion congrue. Au rebours, les gravures, au nombre de huit, sont accompagnées de commentaires. L’unique centre d’intérêt en est le corps, au repos ou en mouvement, placé au cœur de l’espace de la scène discrètement évoqué par des coulisses. Ce corps est considéré dans sa totalité, là par exemple où il s’agit de figurer la pré­ sence simultanée de deux acteurs. Il en va de même lorsque Lang indique la manière d’entrer et de sortir de scène, de se présenter, de dos ou de face. Mais partout ailleurs, le choragus s’attarde aux mains, aux pieds, aux coudes et aux genoux, aux jambes selon que l’acteur se tient debout ou traverse l’aire du jeu en se conformant aux règles de la crux scenica. La tendance au fractionnement est ainsi sensible. Cependant, Lang tempère lui-même cette évolution dont son entreprise témoigne dès le titre. Il soumet par exemple la pièce de théâtre (retour au texte par conséquent) à un examen qui lui fournit l’occasion de livrer à son lec­ teur ses idées sur les catégories génériques (tragédie, comédie, dia­ logue), les parties de quantité et la disposition de la protase à la catas­ trophe, les trois unités. Ce dernier point, inattendu chez les Jésuites allemands, trahit naturellement une influence des français. Lang com­ pense en quelque sorte sa réduction de la rhétorique par l’adjonction d’une poétique restreinte. A quoi il faudrait ajouter que la correspon­ dance, sur la base, elle aussi malheureusement restreinte, des passions, entre les recommandations relatives au corps et les prescriptions pro-

près à Yapparatus scenicus symbolicus, n’est pas sans rappeler la complé­ mentarité entre ars vocis et ars gestus sur laquelle les rhétoriques (pour les Jésuites, celle de Soarez) avaient mis l’accent depuis la Renaissance ita­ lienne. L’objectif d’efficacité est clairement articulé : Par un art du jeu adapté, mon travail se propose de faire naître dans l’âme des spectateurs des sentiments utiles et pieux (Prooemium)1.

Il n’y a rien là qui ne redise ce que les Jésuites avaient eu à l’esprit depuis le milieu du XVIe siècle, cette action sur les âmes, incitées par le spectacle à œuvrer à leur salut comme au bonheur de la cité. Mais la conviction qui s’exprime à travers ce petit livre est que les moyens utili­ sés jusqu’à présent pour satisfaire à ce double impératif demandent d’être repensés. En filigrane, se dessine une forme de spécialisation. Les Jésuites, protégés par leur organisation stricte, et leur attache­ ment au telos qui vient d’être rappelé, y ont échappé. Même ce que nous savons des critiques portées, de toute manière après 1750 seule­ ment, contre la scolastique à l’intérieur de l’enseignement de la philo­ sophie, n’a pas eu de conséquences sur la pratique des Lettres. Tout au contraire, les grandes rhétoriques protestantes de la fin du XVIF siècle dont Christian Weise est le représentant le plus caractéris­ tique, prennent résolument ce parti. П est connu que le phénomène de modernisation accélérée des États allemands (États « territoriaux », non pourvus de la « pleine sou­ veraineté ») après la grande et tragique césure de la guerre de Trente Ans a, en l’affaire, exercé une action déterminante. La mise en place d’une administration régionale - elle existait en Bavière dès avant le déclenchement des hostilités - entraîna un vif besoin de ces commis, issus des « classes moyennes supérieures », de la bourgeoisie agraire et marchande ainsi que de la petite noblesse, que l’on qualifia indifférem­ ment de « secrétaires ». La prolifération de manuels portant en titre Der Teutsche Sekretarius (le compendium de Kaspar Stieler de 1673-1674 par exemple)12 illustre au mieux cette évolution. Parallèlement, la diplo­ matie, indispensable à des entités politiques de plus en plus indépen­ dantes de l’empereur, la constitution, propre à l’absolutisme, des cours sur le modèle de Versailles, la faveur encore dont jouit l’éducation aris­ tocratique qui tend à se faire en dehors des collèges et même des aca­ démies pour jeunes nobles (Ritterakademien) : d’importance variable, ces

1. Prooemium, p. 10 : Concinna autem in theatris Actione producta, pios et utiles in spectatoribus affectus excitent. 2. Teutsche Sekretariats-Kunst. Der Allzeitfertige Secretarius, Nürnberg (en 2 parties).

changements créent de nouveaux besoins. La demande sociale pres­ sante induit le sentiment que la rhétorique n’est plus qu’une discipline scolaire, sans rapport avec la vie réelle. A quoi peuvent servir, s’interroge Riemer, proche de Weise, les tortures infligées à des étu­ diants contraints de composer des discours latins à la manière de Cicé­ ron, alors que tous savent, dès leur entrée au collège, qu’ils devront paraître à la cour, qu’ils sont appelés à y travailler comme à prendre part à la gestion des affaires publiques, y compris dans les villes, ou même à servir comme pasteurs, et donc prédicateurs allemands, dans les Églises réformées1 ? Dans les faits, ni Riemer ni Weise ne s’en prennent à la formation par le latin, la forte culture philologique et humaniste de leur pays y fait obstacle. Us estiment en réalité que la transmission de l’héritage de Rome doit se situer à trois niveaux dont chacun est justi­ ciable d’un traitement différent. L’apprentissage de la langue latine a une valeur irremplaçable pour la formation de l’esprit de chacun, et, précise Riemer, « quel que soit son état ». L’acquisition d’un style latin n’a de sens que pour qui se destine au professorat. La formation de l’« orateur latin » enfin est au mieux un luxe. Plus net encore : vouloir imposer une telle formation à des jeunes gens dont l’activité aura pour objet le bon fonctionnement de la société constitue un crime contre la collectivité et ceux-là mêmes qui n’en seront dès lors que les serviteurs aigris1 2. Cette diatribe passionnée et sincère ne renforce pas seulement la thèse de la différenciation culturelle selon les appartenances confession­ nelles3. Elle met en évidence aussi ce fait que la dévalorisation de la rhétorique dans sa plénitude (notons que Cicéron est fréquemment, et nommément, visé) est aussi le fruit d’une critique de fond dont le syn­ tagme «rhétorique scolaire» (Schulrhetorik; Schuloratorie), chargé de mépris, fait bien sentir la virulence. Veit Ludwig von Seckendorff, dans ses Discours allemands (Teutsche Reden, Leipzig, 1686), revendique haute­ ment sur le ton du défi la non-conformité de ses productions avec les normes exigées par les latinae orationes per omnia genera dont il avait été forcé de s’imprégner, précise-t-il, « à compter de sa onzième année ». A un autre endroit, il généralise sa charge contre l’héritage. Il s’en prend alors aux leges rhetoricae, leur reprochant d’engendrer l’artifice et - leitmotiv de l’Allemagne protestante désormais - d’enfouir la Vérité sous la sur­ charge et le superflu. Le problème revêt alors une portée essentialiste. 1. Présentation de la question par H. Krause : Feder /contra Degen. £ur literarischen Vermittlung des biirgerlichen Weltbildes im Werk Johannes Riemers, Berlin, 1979. 2. J. Riemer, Neu - aufgehender Stem - Redner, Leipzig, 1689. 3. Voir nos propres travaux, notamment sur le Théâtre des jésuites dans les pays de langue alle­ mande, Bem, 1978 (3 vol.) ; Stuttgart, 1983-1984 (2 vol.) ; Nancy, 1990 (Theatrum catholùum).

De façon plus terre à terre, on voit s’affronter un «pays latin» aseptisé au ludisme douteux, et un espace social dont les exigences sont d’autant plus fortes que s’y jouent le sort de la communauté rédimée et la mise en pratique de 1’ « éthique du métier » (Berufsethik), prônée par Luther. En même temps, s’y constate un engagement accru des indivi­ dus qui est comme le contrepoint paradoxal de la théorie du salut par la foi seule. Si la réforme de la pédagogie et des contenus devait déri­ ver de ce constat martelé continûment, il importe d’en examiner les suites pour la rhétorique. Dans la mesure où il se montre plus ferme et plus complet que Riemer dans ses entreprises, c’est Christian Weise qui servira de guide. Le premier, Weise recommande un recentrage des études sur ce qu’il nomme les realia, autrement dit la prise en compte majoritaire des finalités pratiques. La formule « choses bonnes » prend expresses verbis sous sa plume le sens d’ «importants contenus réels»1. La rhétorique, délaissant le haut savoir, domestique de ce fait aussi la poétique comme il ressort de l’instrumentalisation de Vomatus. L’éloquence, à laquelle Weise assigne des objectifs pareillement circonscrits, fait de cette poé­ tique sa servante afin de mieux répondre à sa vocation nouvelle. Le renversement par rapport à Morhof est patent et il est complet, car il affecte au même degré le style. Par exemple, Weise admet la beauté du grand genre, mais il l’associe aux temps agités (songe-t-il à Rome ?), qui sont par définition l’exception. L’État pacifique et heureux dont il espère la durable instauration se marie selon lui plus harmonieusement, ajoutons : plus naturellement, au « style simple » (der simple Stylus). Le type d’elocutio qu’il a en vue valorise ainsi logiquement la simplùitas, la perspicuitas, la dignitas. L’élégance et, le cas échéant, la dictio sententiosa ne sont pas rejetées. Toutefois, Weise ne les imagine pas autrement que débarrassées des derniers oripeaux du maniérisme - ce qui va dans le sens général de tous les rationalistes, cartésiens ou non -, et ce qui est proprement exorbitant aux schémas traditionnels, de Vars ciceroniana appliqué à la construction de la phrase et du discours. On voit que, sur la notion de « politique », se concentrent tous les aspects institutionnels, sociaux et formels d’une crise majeure de l’ancienne rhétorique. La question de Vaptum est on ne peut plus révéla­ trice de ce bouleversement. On se souvient que dans V Orator (21, 70 sq.) Cicéron s’attarde assez longuement sur la question qu’il juge lui-même délicate (nihil est difficilius) de savoir ce qui convient. Les Grecs disant prepon, il propose de 1. R. Hildebrandt-Günther, Antike Rhetorik und deutsche literarische Théorie im 17. Jahrhundert, Marburg, 1966.

rendre ce terme en latin par decorum - c’est à Quintilien que revient la décision de retenir aptum, terme qui, comme on sait, sera durablement utilisé. Dans Cicéron, l’explication est dénuée d’ambiguïté. Decorum/aptum désigne le choix du juste moment, le kairos ; c’est en même temps l’acte par lequel on détermine le sujet en fonction du heu, des auditeurs (dont l’âge et la condition), des circonstances. Cicéron attache la plus grande importance à ce que le prepon permette l’échange le plus complet qui soit entre « ceux qui parlent et ceux qui écoutent » (in personis eorum qui dicunt et eorum qui audiunt). En 1795 encore, dans les Paralipomènes de son traité néo-classique Sur Гarchitecture (Baukunst), Goethe, posant la supé­ riorité de la Renaissance sur le baroque assimilé au maniérisme, renoue avec cette acception originelle. Il rendra alors usuel, pour quid decet, l’adjectif schicklich. Il s’agit pour lui comme pour Cicéron de dire l’idée de « convenance », mais aussi d’aboutir à cet idéal dans l’alliance indissociable avec le Beau, l’Harmonieux, l’Éthique. L’opposition de Goethe à la décadence (il la Hait à l’entassement, à la prolifération du décor, à la quête obsessionnelle de l’étrange), ne présente guère de points communs avec ce qui agite l’esprit de Weise. П est notoire pour­ tant que chacun répond par des moyens contraires à une identique situation de remise en cause. Pour Goethe, la seule voie qui vaille est celle qui fonde l’art et la vita civilis sur la culture (Bildung) laquelle ne peut souffrir de fractionnement. Comme le montre le roman Les années d3apprentissage de Wilhelm Meister (1796), la spécialisation dont Goethe, qui suit avec attention le développement de l’industrie, des techniques et du commerce, admet le caractère inévitable, s’inscrit dans une for­ mation préalable dans la TotaHté. Cette digression voudrait faire com­ prendre que, pour Weise et sa génération, pareil détour n’est pas concevable. Il faut former directement en vue de l’effet. L’estime qui va à l’orateur dérive de ce que produit son discours, hors toute relation avec Velegantia. П n’y a pas de Hens consubstantiels entre la poésie et l’efficace d’une parole accaparée par les idées de résultat et d’adaptation à la fonction. On comprend que Weise exhorte ses élèves à « laisser de côté la part d’éloquence qui ne leur serait pas nécessaire ». Decens est, dans le même esprit, traduit par « ce qui produit un bon effet » (mit gutem Effect). Dans Г Orateur politique nouvellement expliqué, Weise expose que Yinventio et la dispositif font le discours précis et vraisemblable qu'il appelle de ses vœux. Mais il conteste que cette condition, nécessaire, soit suffisante : il faut encore l’habileté qui seule permet de gagner à sa cause l’interlocuteur, par-delà les probationes et le movere. C’est la raison qui explique pourquoi Weise défend l’idée du judicium externum qui fait

évoluer le judicium internum vers une adaptation aux circonstances en vue de la plus forte convenientia, toute pratique. Dans sa longue histoire (il publie de 1668 à 1716), l’œuvre de Weise traduit exemplairement l’abandon, par une partie importante des élites, du schéma intégral, inhérent au paradigme antique, et la suprématie définitivement établie de la langue nationale : la combinai­ son des deux se fait en outre ici contre l’idée du transfert de l’ancien au nouveau. On voit ainsi Weise s’adresser aux futurs secrétaires, et aux précep­ teurs, reprenant des publications antérieures (L’Orateur politique nouvelle­ ment expliqué connaît une seconde édition en 1684, sept ans après la pre­ mière), pour les rendre conformes à une évolution qui s’accélère. Weise met au fond en application la notion de « Rhétorique adaptée à chaque état » (Standes-Rhetorica), imaginée par Riemer. On n’est pas loin de l’opportunisme et du culte de la mode. Weise, prolifique, énonce des règles pratiques sur des domaines de plus en plus nombreux : pour composer de bons vers, pour rédiger des lettres, « politiques » et « galantes ». Mais cette manière de frénésie ne doit pas être prise pour une dérive quelque peu grotesque. Tout porte à croire que Weise, s’il saisit lui-même l’occasion, se faisant ainsi le meilleur adepte de son pro­ gramme, procède selon une orientation constante. Ce que F. Lang introduisait prudemment, sans volonté perceptible de démontage de l’édifice, fait l’objet, avec Weise, d’une exploitation forcenée. Paraissent ainsi isolément des ouvrages relatifs à la pronuntiatio et à Y actio (Leipzig, 1693), puis à la Logique {ibid., 1696), l’un et l’autre, comme il se doit, à l’usage des politici pour la réussite desquels le recteur de WeiBenfels ne ménagea jamais ses forces. L’histoire, sans l’essor exceptionnel des recherches européennes et américaines sur le baroque et l’éloquence, n’aurait selon toute vraisem­ blance pas retenu les noms de ces auteurs. Pourtant, mieux que d’autres plus assidûment fréquentés, ils nous font toucher du doigt la gravité du conflit qui met face à face les deux modes de compréhension de la technè. Pour les catholiques, dans la mesure où ils restent en dehors du jansénisme, les continuités sont réellement mieux assurées. Chez les protestants, on pourra considérer que la tendance très forte­ ment majoritaire se situe, pour simplifier, du côté de Weise : le temps des Epistolae classicae de Jean Sturm (1565), de Mélanchthon, et même de Vossius, que ni Weise ni Gottsched n’apprécient, le jugeant rétro­ grade, est bien loin1. 1. Des réactions se font toutefois entendre. Voir surtout F. A. Hallbauer, Anweisung zur Verbesserten Teutschen Oratorie nebst einer Vorrede von den Maengeln der Schuloratorit, Jena, 1725.

Les Quelques pensées sur l’éducation (Some Thoughts on Education) de John Locke, parues en 1693, ne constituent donc pas, ainsi qu’il va apparaître, un phénomène singulier, ni même, ipso facto, exclusivement britannique. Ce que le penseur anglais propose à une Europe savante en quête de règles pour la formation des esprits, participe de cette modernité efficace dont il vient d’être parlé. Lui aussi est avide, pour instruire la jeunesse, de normes solidement établies, simples, en quan­ tité réduite. H laisse aux philosophes et théologiens le soin d’ergoter à l’infini. Théoriser sur la rhétorique, ses parties, ses genres, ses degrés de style, ses figures ne saurait non plus le retenir. Il rompt dès l’abord avec des codes qu’il juge surannés. Il n’entend donc ni les corriger, ni les inverser, car ce serait encore en perpétuer l’esprit. Il cherche plu­ tôt à les repousser aux marges, à les reléguer au magasin des acces­ soires inutiles. L’idée d’une progression de l’esprit adossée au latin, à la lecture des auteurs et aux exercices, qui avait inspiré le proto­ humanisme du Modus parisiensis, avait perdu toute signification pour lui. Sociologiquement, Locke n’est pas mû par les mêmes préoccupa­ tions que Weise. Les structures, comme la culture politique des deux pays, sont certes pour beaucoup dans cet écart. Locke pense au gentle­ man, et les rouages de l’économie le retiennent. On l’a affirmé : il a pour une large part conçu son projet pédagogique à l’intention des marchands. Locke ne pose pas en préalable une vision générale de l’homme. П raisonne en termes de relations, celles entre le maître et l’élève en étant la concrétisation la plus immédiate. Semblable position met en cause la memoria, que Weise défendait encore, car la transmission de l’héritage vaut surtout pour des groupes. Elle se fait sélective. N’est plus communiqué que ce qui, à nouveau, sert aux nécessités pratiques de l’existence. Il y a en Locke, roboratif incontestablement, un allant iconoclaste certain. Les prudences de langage et les ruses stratégiques sont avec lui superflues. Le placer dans le sillage de Port-Royal et de Lamy, qu’il connaît, est légitime : à chaque fois, il y a bien une identique hostilité à l’ornement. Pour autant, cette filiation laisse insatisfait, et les Pensées sur l’éducation révèlent plus que ces affinités. Locke juxtapose en vérité dans son livre deux rhétoriques, mais l’une n’est qu’une survivance dont le sens le plus clair paraît bien être de valoriser son opposé. La voie que jalonnaient l’apprentissage de la grammaire, la rédaction de poèmes en vers ou de harangues secundum methodum Veterum, les humanités, ne sont plus au bout du compte que le lot de quelques-uns. Locke va de ce point de vue plus loin que Weise. Le début du § 188 est d’une parfaite clarté :

La rhétorique et la logique étant des arts que l’ancienne méthode plaçait immédiatement après la grammaire, on s’étonnera peut-être que j’en aie si peu parlé, car j’ai rarement vu quelqu’un qui eût appris à bien raisonner ou à parler avec élégance en étudiant les règles qui prétendent l’enseigner. Aussi je désirerais que le jeune gentleman prît seulement une teinture de ces arts, dans les traités les plus courts qu’on puisse trouver, sans s’arrêter trop longtemps à considérer et à étudier ce vain formalisme1.

Pour les autres, tous les autres, la langue nationale seule sera le moyen d’une formation incomparablement plus rapide - le temps, incorporé comme facteur au système, suppose des pertes et des gains, le temps passé se muant en temps perdu selon une comptabilité dont le critère est la rentabilité. Considérons sous cet angle la question du latin sur laquelle Locke revient à maints endroits. On se souviendra d’abord que les plus auda­ cieux des Allemands défenseurs de la langue maternelle tenaient celle-ci pour une propédeutique à la lingua classica. Locke, qui pense toujours à ses futurs négociants et aux fils de l’aristocratie, lui préfère les langues étrangères (§ 162), en clair: le français. Il lui arrive de sou­ tenir que « le latin est absolument nécessaire à l’éducation d’un gentle­ man» (§ 164). Mais c’est pour faire valoir tout uniment que cette injonction est dépourvue de vraie justification, que, ainsi qu’il l’écrit, « la coutume tient lieu de raison », qu’elle sert à légitimer des pratiques pédagogiques détestables (les « coups de fouet »), à l’instar de la « loi religieuse ». Pour qui connaît l’adhésion de Locke au latitudinarisme, le rapprochement parle de lui-même ! L’ambition même des bourgeois qui s’imaginent acquérir pour leur fils, contre espèces sonnantes, la cul­ ture dont ils souffrent d’être privés, excite la verve de Locke. Soutenant que la sténographie (invention anglaise) mériterait « peut-être d’être apprise aux enfants », il ironise sur le père qui dépense [...] son argent, et le temps de son fils, pour lui faire apprendre la langue des Romains, alors qu’il le destine au commerce, à une profession où, ne faisant aucun usage du latin, il ne peut manquer d’oublier le peu qu’il en a appris au collège.

L’argumentation, lourde de conséquences multiples, ne varie guère, on le voit. Il y a de fait une basse continue, les formules appliquées au système « ancien » (épithète que Locke affectionne, non sans raison au regard de sa stratégie !) étant répétées avec une belle constance. Ainsi la vive condamnation de la grammaire latine procède-t-elle sans sur­ 1. On suit ici et plus loin la traduction de J. Château, Paris, 1966.

prise de la même volonté de mesurer tout à l’aune de la réalité profes­ sionnelle et économique : Je ne vois pas pourquoi on irait perdre son temps et se fatiguer le cerveau à apprendre la grammaire latine quand on n’a pas l’intention de devenir un érudit, d’écrire des discours ou des lettres en latin (§ 227).

Pour Locke, le fait majeur, celui dont procèdent ses recommanda­ tions et emportements, c’est la certitude qu’un monde nouveau se met en place. La circulation accélérée des hommes et des biens exige une diffusion rapide et élargie des compétences techniques à partir desquelles les modes relationnels transformés atteindront à leur pleine efficacité. Ni le gentleman ni le commerçant de Locke ne sauraient donc être assimilés tout à fait aux sujets des principautés allemandes encore pri­ sonnières des conventions produites par l’éthique de la « représenta­ tion » et engoncées dans un style monarchique. Mais pas davantage, bien entendu, avec la culture française de la spontanéité. Le cas de la lettre peut fournir un bon exemple de ces évolutions divergentes. La tradition de l’art épistolaire soumettait la rédaction de la lettre aux règles générales de l’oralité. L’Allemand Talander, de son vrai nom August Lohse, donne en 1692 un Guide fidèle de l'Art de parler et d'écrire des lettres en allemand1 - tout est déjà exprimé dans le titre ! Mais dans son rappel des positions de principe qui soutiennent l’identité des deux genres, Talander revient avec insistance sur cette idée centrale : Entre eux, il n’est pas de différence, sinon que le discours exprime à l’intention des présents ce que l’écrit dit aux absents.

On n’ignore pas qu’en France la tendance à distendre et même à rompre ces liens avait pris forme au moins une génération plus tôt. Jac­ ques de Callières, dans La fortune des gens de qualité1 2, mettait ainsi à mal les dispositions rhétoriques, allant jusqu’à vanter leur disparition dans la lettre. Cette dernière n’avait plus à connaître ni « exorde » ni « péro­ raison », elle devait se passer de « narration » et d’« artifices », de « dia­ lectique », de « mouvements » et de « figures ». П est patent que Locke n’est pas mû, toutes similitudes extérieures mises à part, par l’esthétique de la liberté et du plaisir qui n’a d’autre origine que le commerce des esprits, conquis par la renonciation à des

1. Getreuer Wegiveiser zur Teutschen Rede-Kunst und Brieff= Verfassung, Leipzig, 1692. 2. Paris, 1664.

entraves formelles. Le problème de la communication est certes présent ici aussi. Mais sa résolution a pour cadre Yotium. L’art de la lettre obéit bien à l’oralité, ainsi que l’exposait Talander. Mais l’écrivain allemand ne pouvait connaître, compte tenu de l’orientation très pragmatique de la rhétorique dans son pays, que ce qui était en jeu, c’était la conversa­ tion. De son côté, Locke, tenant lui aussi de l’abandon des contraintes, ne déviait pas de sa route. Faire fi de Yinventio, n’user de l’ornement et des probationes qu’en due proportion du résultat espéré, c’était encore et toujours préférer au culte de la communion supérieure des esprits l’échange matériel, superposer à la sphère de Yotium celle du negotium.

Répondre à Locke et à Weise à l’heure où les Lumières connaissaient leur première grande phase d’expansion était, pour un esprit qui se voulait en résonance avec son temps, une véritable gageure. La cou­ pure avait revêtu par exemple chez Wolff, et donc aussi pour partie chez Gottsched, l’allure d’un refus, aux connotations « identitaires ». La campagne contre la néo-scolastique suarézienne et martinienne avait pris des accents anti-aristotéliciens comme l’a fait voir le com­ mentaire de Leibniz au traité de Nizolio. La querelle devait se cristalli­ ser dans ces conditions sur le syllogisme. La mise en question de la troi­ sième preuve, celle appuyée sur l’argumentation interne au discours, touchait à l’essence de la méthode de l’École. Comme l’avaient claire­ ment discerné Port-Royal et Lamy, il s’agissait en outre de porter atteinte à la topique, pourvoyeuse des prémisses, soit encore à la possi­ bilité d’une controverse pour laquelle l’acceptation du vraisemblable valait condition préalable d’existence. Rappelons pareillement que la déduction syllogistique se comprend aussi comme la variante logique de l’enthymème : «J’appelle enthymème le syllogisme de la rhéto­ rique », écrit Aristote (Rhétorique 1, 1356 ty. Ce bref retour à la source circonscrit de facto le champ des contra­ dictions auxquelles la réflexion rhétorique était confrontée dès lors que, comme dans la littérature allemande où s’était produite la double abju­ ration du marinisme et de la pensée analogique, elle s’efforçait de pré­ luder à un nouvel essor des Lettres nationales. L’histoire des styles recommandait le classicisme augustéen et le cicéronianisme. Le projet intellectuel inclinait à se porter vers un cou­ rant tout à fait autre. Dans la liste des auteurs dont il recommande la lecture au débutant, Gottsched place sur le même plan Bernard Lamy et son Art de parler, qu’il connaît, comme on est en droit de le supposer, sous le titre qui est le sien dans l’édition d’Amsterdam de 1699 : Rhéto­ rique ou art de parler (avec sa reprise in extremis des anciens schémas), et La manière de bien penser dans les ouvrages de l’esprit que le P. Dominique Bou-

Les possibles écueils de l’éclectisme

hours avait fait connaître en 1687. L’auteur des Entretiens d’Ariste et d’Eugène était trop connu dans l’Empire (ses appréciations sur les Alle­ mands ne lui avaient pas rapporté que des éloges !) pour que Gottsched ait pu ignorer que le jésuite s’en était pris dans son pays au courant janséniste. Cette présence simultanée d’une rhétorique augustinienne et d’une autre, aristotélicienne, nous renvoie à l’opposition cardinale du moment, que seule une inversion totale du cours suivi par Lamy, Locke et Weise eût été capable de lever. La Rhétorique détaillée (Ausjuhrliche Redekunst) de Gottsched s’ouvre sur le topos de la dégradation et (version de 1739) le Dialogue des orateurs. La rhétorique est proclamée indispensable, mais l’impératif de sa restaura­ tion l’est au même titre, sans que, pour autant, une direction univoque soit indiquée. L’exergue dissimule un embarras réel. Le fait qu’il faille suivre les « Anciens, Grecs et Romains » est posé en règle dès le titre, mais la prégnance des modèles contemporains ( « quelques moder­ nes » ) laisse le champ libre à bien des hypothèses. Dans le corps du texte, la citation fréquente de phrases ou membres de phrases emprun­ tés à Aristote fait l’effet de renvois « incantatoires » dont on ne sait ce qu’il convient exactement d’en penser : sont-се des marques d’incon­ ditionnelle adhésion, des concessions au courant traditionaliste ou l’expression d’une inquiétude face aux périls qui menacent le vénérable édifice ? Si l’on se réfère à l’histoire littéraire, on peut soutenir que Gottsched, qui suit souvent Boileau, est en 1730 du côté du postclassi­ cisme, tout en se voulant le pionnier de ce qui, rétrospectivement, apparaîtra dans son pays comme un préclassicisme. Sa rhétorique est d’un moderne modéré, sa raison raisonnable. Sa sympathie pour la cri­ tique cartésienne des préjugés et son goût pour les distinctions claires entre le Vrai et le Faux conditionnent sa méfiance envers la topique. Mais cette prise de distance est le fruit d’une crainte: que les lieux communs, banalisés, n’engendrent une perte du sens. Les critiques diri­ gées contre Weise et sa décomposition du système rhétorique ne lais­ sent cependant aucun doute quant au caractère correctif de sa démarche : en définitive, Gottsched penche plus vers la conservation que vers la brisure, même s’il doit pour ce faire admettre des positions que ses présupposés rendent douteuses. De là le risque de l’éclectique, mais non de l’hétérogène, moins encore de l’hétéroclite : la modernité rationaliste s’efforce de se hisser à une légitimité que la relation main­ tenue à l’Antiquité est censée lui garantir. Cette combinaison, pour n’être pas à tout moment convaincante, montre sa cohérence dans le traitement auquel Gottsched soumet Weise, dont la conception rhétorique est à coup sûr la meilleure mise à l’épreuve. Gottsched subit cette dernière avec les honneurs. Sa protes­

tation contre le « politicisme » confirme sa détermination de ne pas laisser proliférer les tendances à l’atomisation. La rhétorique, selon Gottsched, aspire à redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un art universel. Son public est le genre humain. La philo­ sophie, sous la forme qu’elle a prise, depuis Wolff et Thomasius, de « doctrine de la Raison » (Vemunftlehre), est comprise par Gottsched comme un mode de refondation de la rhétorique en ce sens qu’elle lui fournit une base conceptuelle. Le problème est que, faisant fond sur Wolff, Gottsched pense recréer les conditions qui avaient présidé à l’organisation du corpus aristotélicien, alors que l’aspect vital de la logique/rhétorique qu’est le syllogisme/enthymème n’a reçu aucune solution. П reste que Gottsched, faisant comme si cette querelle avait été vidée, évalue ses prédécesseurs et contemporains au nom de son néo-aristotélisme, pourvoyeur de certitudes éthiques. La pseudo-morale du succès, à laquelle Gottsched fait un sort, est à ses yeux la preuve évidente que la rupture avec la rhétorique cicéronienne, et la philo­ sophie platonicienne, a fatalement entraîné un déficit de sens moral. L’« effet », que Weise et ses émules prétendaient en toute circonstance amener, Gottsched lui dénie toute pertinence autre qu’extérieure. La rhétorique doit être à nouveau une école qui élève les âmes, selon le projet grec et romain. Weise se voit par là même rejeté vers ce qu’on serait en droit d’appeler les « modernes absolus », ceux qui inversent l’ordre des priorités, soumettent la formation à des exigences techni­ ques et circonstancielles. Au fond, Gottsched n’est pas loin de penser comme Aristote lorsque celui-ci dénonce la rhétorique « qui prend le masque de la poli­ tique, et ceux qui ont la prétention de la pratiquer » et qui « font de même, tantôt faute de culture, tantôt par charlatanisme, tantôt encore pour d’autres raisons humaines»1. Le «politicisme» de Weise agit ainsi pour Gottsched de manière doublement négative, car, s’il cor­ rompt la rhétorique, il fait également obstacle à la diffusion, dans le corps social, susceptible d’amendement et non point figé dans une hié­ rarchie mécanique, des bienfaits supérieurs de cette Raison dont Gottsched est convaincu qu’elle régénère la technè. A l’instar des pen­ seurs de son temps, Gottsched fait de ce processus le point de départ d’un ordre politique juste, car rétabli sur un soubassement conforme à la destination de l’homme. La nature de ce dernier est probablement ce qui réunit des formes d’activité littéraire multiples. Gottsched échoue dans la comédie, faute 1. Aristote, Rhétorique, 1, 2, 1356 a, 27 (trad, de Mcdéric Dufour), Paris, 1967.

pour les élites de son pays de maîtriser l’art de la conversation. Mais partout ailleurs, il éveille l’Allemagne à une littérature porteuse en son temps de Yhumanitas. Si, là encore, la reformulation manque de profon­ deur, du moins l’entreprise du maître et de ses disciples a-t-elle le mérite d’aboutir à des résultats dont la composante sociale et civique frappe : l’historiographie littéraire, la théorie poétique, l’édition des premières grandes revues sur le modèle du Spectator d’Addison, la tra­ duction d’auteurs étrangers, français pour l’essentiel, la publication, avec Le Théâtre allemand (Die deutsche Schaubühne), d’une somme de textes dramatiques, pour une bonne part allemands, amorce d’un répertoire national moderne. La présence d’un normativisme suspicieux, sur lequel on n’a pas manqué de dauber, a incontestablement affaibli l’effet de cette produc­ tion sur la postérité - la Rhétorique elle-même est tombée presque totale­ ment dans l’oubli. Le souci de ne pas heurter de face les orthodoxies explique vraisemblablement cette préoccupation de ne pas prêter le flanc à la censure. Cependant, ces allées et venues peuvent servir à indiquer des voies non conformes au canon officiel. Quand Gottsched fait l’éloge de Mélanchthon, il marque publiquement sa place dans le courant réformé. Mais dès lors qu’il devient évident que l’éloge en cache un autre, celui d’Érasme, chacun comprend que le Mélanchthon auquel il pense est le « philippiste » qu’abhorraient les théologiens de Wittenberg, l’humaniste : sur ces points, l’ajustement des points de vue n’a plus rien d’incertain. S’impose plutôt le sentiment que Gottsched a été conduit, en conséquence de sa critique du syllogisme/enthymème, à se ranger (Topiques, I, 100 û, 25 et 12 ; 105 a, 13) à une manière de procéder déterminée par l’exemplarité, ce qui ne l’empêche pas de défendre l’idée d’une technique complète. Le problème de la science ne le laisse pas à cet égard indifférent. L’art de la preuve est bien, à le croire, nécessaire à la persuasion à laquelle il dédie de longs paragraphes : l’apport des sciences doit selon lui être intégré. Mais, en considérant que la vérité est essentielle à tous les domaines où s’illustre l’esprit humain tant que son action demeure tributaire du réel, par exemple l’espace des phénomènes naturels, il reconnaît la possibilité de la vraisemblance dans la fiction, grâce à la théorie des possibles leibniziens. Cette construction intellectuelle n’est pas sans faire penser aux thèses grecques hostiles à la sophistique1. Dire que, d’un côté, la philosophie ne saurait être seulement rhétorique, implique l’affirmation selon laquelle elle dote la rhétorique des moyens de se soustraire au dévergondage intellectuel. De ce point de vue, le 1. Ibid., 1355 b, 25.

vraisemblable n’est pas assimilable au moralement indéterminé, moins encore à la réversibilité des arguments : si la pensée moderne est l’outil de la critique de la tradition, elle se transforme aussi avec Gottsched en moyen de renouer avec elle. Que cet « entre-deux », à mille lieues de ce qui motivera Vico, ait paru à son auteur recéler des risques, est attesté. Ainsi Gottsched s’élève-t-il contre un apprentissage précoce de la technè. La Préface de la Rhétorique met l’accent sur le fait que le Maître en réserve l’usage « aux Universités ». Lorsque des régents de collèges s’avisèrent, contre son gré, d’en tirer une version abrégée, il protesta, avant de se résoudre à fabriquer lui-même le remède au mal contre lequel il venait de mettre en garde, composant, en lieu et place d’extraits, des « exercices prépa­ ratoires » (Vorübungen), sorte de substituts modernes aux Progymnasmata d’Aphthonius. Il propose, dans le même esprit, d’infléchir la définition aristotélicienne de la rhétorique comme « faculté de découvrir spécula­ tivement ce qui, dans chaque cas, peut être propre à persuader »’ : ce point de vue du Stagirite suppose, observe Gottsched, un savoir préa­ lable dont il convient de s’assurer avant d’engager les auditeurs dans l’art majeur. Il reste que ces combinaisons, par endroit irritantes, ont l’immense avantage du point de vue de la tradition de rendre possible une pra­ tique rhétorique que rien n’ampute. Dans la IIIe Partie de la Ausjuhrliche Redekunst, Gottsched réaffirme la pleine validité des cinq parties et des trois genres. Le Second Volume (Besonderer Teil) repose en son entier sur une expansion de ce dernier domaine. Si les définitions ne prennent que quelques lignes, les exemples de textes sont nombreux. Cette initia­ tive est tout à fait nouvelle : on y reconnaît le Gottsched éducateur de la nation allemande, continuateur de Mélanchthon et d’Opitz et, en ce sens, profondément pénétré de sa mission envers la communauté. Les trois genres sont justement, Gottsched le rappelle, les instruments d’une cohésion collective inspirée par la Parole, belle et ordonnée, dont l’action dans la Cité est l’analogue de la vie que diffuse le sang dans le corps. Les exemples retenus pour le judiciaire sont tirés de Démosthène et de Cicéron : le principe de l’imitation s’impose ici. Pour le délibéra­ tif, les documents, réels eux aussi, sont actuels. Ils ont à voir avec les liens qui unissent les princes et les villes, les « estats » et le pouvoir poli­ tique, les villes libres, dépositaires des fameuses « libertés allemandes », et l’empereur. Quant à l’épidictique, soustrait aux espaces réduits des hiérarchies courtisanes et administratives, il est remis à son rang presti­ gieux : l’efflorescence du grand style porte à son acmé l’idée de collecti1. Ibid. 1355 b, 15-21.

vite linguistique, culturelle et nationale rassemblée. Tout le catalogue des formes recommandées par Voccasio dans les registres privé et public est, en bonne logique, repris. Gottsched, qui reproduit en ouverture V Oraison junèbre de Turenne par Fléchier, en qui il admire le génie absolu de l’art oratoire, adopte ensuite, comme pour le délibératif, un point de vue contemporain. Prononcés en 1705, 1707, 1714, 1719, 1725 et 1733, ces textes doivent convaincre les Allemands de leur capa­ cité à égaler, dans cet exercice difficile mais aussi prestigieux, les autres nations. Gottsched, qui ne répugne pas à se comparer, de loin en loin, aux humanistes italiens, a bien posé les jalons d’une culture littéraire alle­ mande moderne. Son ambition de « rétablir » (wiederherstellen) la rhéto­ rique dans ses droits était excessive. Cette tâche était réservée à Vico. Gottsched a pourtant retardé en Allemagne l’effondrement du système. L’Antiquité était pour lui détentrice de vérités que les acquis de la science ne rendaient pas caduques. A cette certitude, il n’a jamais renoncé. On pourra regretter qu’il en ait tiré une exploitation au didactisme passablement indiscret. La jilosojia contempla la ragions, onde viens la scienza del vero ; la jilologia osserva l’autorità dell’umano arbitrio, onde viene la coscienza del certo.

Scienza Mtova, § 138.

Rhétorique et gnoséologie

Les divergences de la critique à propos de la gnoséologie vichienne sont devenues matière à un débat classique de l’histoire de la pensée. Très souvent, on a seulement voulu retenir comme dignes de demeurer la Science nouvelle et ses prolégomènes, consignés dans le Droit universel. Le «vrai» Vico serait celui des années 1720-1744, celui qui imprime sa marque à un siècle philosophique en le faisant passer du schéma provi­ dentiel à l’idée d’une histoire faite par les hommes. De Vico et Herder à Kant, Hegel et Marx, la philosophie se serait faite, suprême aboutis­ sement, philosophie de l’Histoire1. Transcendante ou immanente (là aussi les opinions sont dissemblables), cette nouvelle vision du monde et de sa marche trouverait son couronnement dans le dynamisme sans égal de la pensée allemande du XIXe siècle. Vico serait ainsi un penseur « qui annonce », non un philosophe « qui accomplit ». Si l’on considère l’historiographie, on est en droit effectivement de voir en Vico celui qui dépasse l’érudition nationale (Rome, Naples) 1. Cf. exemplairement J. Michelet, Principes de la philosophie de l’histoire traduits de la «Scienza Nuova» de J. B. Vico, Bruxelles, 1839 (introduction) : « Pendant que la foule suivait ou combattait la réforme cartésienne, un génie solitaire fondait la philosophie de l’Histoire. »

qui fut également le terreau où il devait puiser tant de matériaux. Ses prédécesseurs s’étaient appliqués à recueillir les « dotte reliquie d’Antichità ». Philologie et archéologie étaient les domaines où ils s’étaient illustrés. Notons cependant qu’avec Gian Vincenzo Gravina (1664-1718), l’histoire des institutions, avec son paradigme juridique et le modèle romain, avait introduit au cœur de la réflexion les formes de régulation pacifique de la vie civile. Les Trois livres sur les origines du droit civil (Origanum juris civilis libri très) sont publiés en 1708. Vico les a naturellement connus et il a tiré profit des préoccupations du maître de la Sapienza. Il partage sa passion pour cette culture du débat et des ajustements permanents. Il adhère à la perspective diachronique, qu’il s’agit bien de prendre en compte partout. Comme lui, il tient les méthodes d’enseignement pour la question pratique la plus brûlante du moment. De peu postérieure à celle des Discours, la parution à Naples en 1712 des Orationes novem, dont la partie la plus novatrice est contenue dans le De instauration studiorum, confirme la vigueur de la discussion pédagogique. Toutes ces concordances montrent qu’il a existé dans les universités italiennes, entre 1690 et 1720, des recher­ ches convergentes. Leur apparition dans un même laps de temps devrait relativiser le caractère tranché de la chronologie imposée à l’œuvre d’un seul, fût-il le plus grand. Pour Vico lui-même, le point de méthode touche au statut de la Science nouvelle. S’il y a césure en 1720-1725, l’apport vichien au débat sur la rhétorique se limite aux Discours inauguraux. Les éléments en faveur d’une telle rupture abondent. La notion, revendiquée, de « nou­ veauté », est de tous le plus convaincant. Le renoncement au latin et le passage subséquent à l’italien, le changement de style, l’ambition totali­ sante qui a motivé la comparaison avec la Divine Comédie, sont des don­ nées indéniables. Parce qu’elle interroge l’histoire de toutes les nations, non plus uniquement celle de l’Empire romain, la Science nouvelle contient les prodromes des percées disciplinaires les plus spectaculaires du XIXe siècle. B. Croce Га relevé le premier : Vico a donné le branle à l’étude de la préhistoire (Morgan), des mythes (Heyne, Müller), de l’étymologie (Grimm), d’Homère (Wolf), de l’histoire romaine (Nie­ buhr, Mommsen), du droit (Savigny), du Moyen Age (Thierry). Ces multiples évidences obligent à aborder la question d’une autre manière, en partant de ce contre quoi Vico se dresse. Il est clair alors que le concept clé est celui de « méthode » (methodus, ratio, institutio...), dont la fortune moderne, qui date du XVIe siècle (dans le domaine des sciences, Vico le retrouve dans le Novum Organum de F. Bacon), culmine avec Descartes. Se contemplant dans le miroir du cartésianisme, Vico découvre la direction dans laquelle il va s’engager.

Le milieu napolitain, sorte de concentré des affrontements philoso­ phiques de l’Europe du temps, n’a pu que favoriser cette orientation1. La physique de Descartes y règne, mais l’influence de la papauté et de l’empire catholique des Habsbourg, propices au maintien d’un aristoté­ lisme parfois très scolastique, reste forte. La puissance d’un Valetta, partisan d’une mathématisation de la totalité des savoirs, n’élimine pas totalement V Organon. Dans ce contexte, la Science nouvelle s’oppose à la science moderne, y compris celle de Leibniz, même là où elle cherche une solution conciliatrice dans la fidélité à la tradition. Le paradoxe et la radicalité de Vico résident dans le fait qu’il veut édifier une science qui n’est en rien scientifique, au sens où l’entendent les « modernes ». Vico récuse une physique à laquelle ne répondrait qu’une métaphysique et ne produirait pas de morale. Ce que, face à l’aile marchante de son époque, Vico comprend par « science », c’est la remontée dans le temps, la quête des origines et des fondements, tout ce qu’il subsume sous le terme de « philologie » et qui, faut-il le souli­ gner, le rattache à Valla et à Érasme, sans le limiter à l’exégèse critique et vérificatrice des bases de l’autorité. Avec Vico, la philologie se fait science du langage et de la poésie. Vue sous cet angle, son œuvre ini­ tiale a fixé des axes majeurs qui intègrent même la dimension collec­ tive, sans que s’y déploient encore, il est vrai, les mythes et l’histoire de l’humanité. La seconde section de la Science nouvelle, placée sous le signe de la poésie (Sapienza poetica) aux temps primordiaux, et qui englobe la métaphysique, la logique, la morale, la politique, l’histoire, la physique, la cosmographie, l’astronomie, la chronologie et la géographie poéti­ ques, n’aurait pas vu le jour sans l’élan communiqué par les Discours inauguraux. Mais il est encore d’autres points auxquels adosser la thèse de la permanence et de l’enrichissement des positions premières en date : Vico prend ainsi pour règle l’induction, le couple syllogisme/enthymème, non la déduction cartésienne, par définition hors histoire. La référence au cœur et corps de la rhétorique ne se dément donc pas. De surcroît, la critique du cogito instaure aussi une continuité extrê­ mement forte entre les différents stades de la création vichienne. De cette contestation, parfois unilatérale et injuste, dérive la plus grande partie des considérations consignées jusqu’en 1744. S’il dit la cons­ cience que la pensée prend de son existence, le cogito n’apprend rien, selon Vico, sur la nature de cette pensée, rien non plus sur la manière dont elle se constitue. Le rejet vichien a son point de départ ici : dans 1. L’auteur de VIstoria civile del regno di Napoli, Pietro Gianone, avait fait entrer la philosophie cartésienne à l’académie des Oziosi.

l’impossibilité où l’on se trouve de conférer une valeur scientifique irré­ futable à la conscience d’être. Le cogito n’est donc pas faux en soi. Ce qui est pour Vico inacceptable, c’est la prétention du cogito à représen­ ter un absolu autour duquel tout s’ordonnerait enfin. Indice, occasion de vérifier notre existence, le cogito est réduit par Vico à un mode par­ tiel de connaissance dont le fonctionnement est surtout utile à l’intérieur de l’analyse et de la géométrie. Il étaye, quant à lui, son approche sur la théorie du verum factum, développée pour la première fois dans le De Antiquissima : est vrai ce que nous faisons, la Vérité est posée, non comme abstraction, mais comme réalisation. En soi, cette conception est en son principe platonicienne : elle place en Dieu le critère de Vérité, en accord avec l’affirmation selon laquelle le Créateur connaît toutes choses pour les avoir fait passer à l’existence. Transférant à l’homme ( « ce que nous faisons » ) ce qui est en Dieu de manière parfaite et archétypique, Vico ouvre l’espace de la « vraie science » humaine. Cette dernière, dès les Discours, étend le champ des mathématiques et de la physique aux autres constructions de l’esprit : le monde moral, l’organisation des sociétés, l’histoire. Le « certain » n’est plus ainsi circonscrit à la raison telle que Descartes l’entendait. Il est tout autant dans le produit des actions humaines : verum et factum convertuntur. La rupture avec le cartésianisme, durable elle aussi, porte par ce fait même sur la nature humaine qui n’est pas pur raisonnement, mais aussi sensation et imagination. Dans le système vichien, l’histoire apportera la clé de la répartition, c’est-à-dire des modalités de préva­ lence respective, de ces deux facultés. Le fait que Vico ne s’exprime pas sur le passage de la sensation à l’imagination et à la raison comme il le fera avec le schéma ternaire correspondant des trois âges (les dieux, les héros, les hommes), ne saurait nous abuser : les postulats gnoséologiques sont bien les mêmes. Est-il pensable enfin de ne pas mettre en un étroit rapport la péda­ gogie et la conception théologique-historique de Vico ? Partant de la Chute, le maître napolitain, attaché à la Providence, reste de même fidèle à la doctrine catholique, reformulée avec force à Trente, d’une nature humaine blessée, mais non totalement corrompue. Les vestiges de l’âge adamique, enclos dans les âmes, ont été générateurs d’une ten­ sion vers ce qui porte au-delà de soi. On sait que pour Vico ce chemine­ ment s’est traduit par la sortie de l’état primordial, celui de la bête en proie aux passions les plus violentes, au profit de modes d’organisation collective, de pensée et de création de plus en plus complexes. Educable, l’homme l’est incontestablement. L’anthropologie modérément opti­ miste du catholicisme conforte cette option : l’éducation s’adressera aux

trois grandes facultés humaines. En effet, l’affectation de chacune à une phase particulière de l’histoire ne porte en rien atteinte au fait qu’elles sont des composantes permanentes de la nature humaine. La rhéto­ rique, parce qu’elle porte la motion vers la beauté et autrui, inséparables du Logos, est précisément ce qui va servir d’assise au savoir et de ciment entre tous les savoirs. Ayant pour point de départ l’homme complet, elle est l'an, l’instrument de connaissance du monde et des fins de l’homme. Selon la définition générique, les Orationes, prononcées le 18 octobre (Saint-Luc), entre 1699 et 1708, publiées au XIXe siècle (1823 pour la seconde, 1869 pour les cinq autres), sont des manifestations exemplai­ res d’éloquence. Elles représentent la forme la mieux établie et la plus noble des actus academici, ceux où l’orateur s’expose seul au jugement des auditeurs. Rhétorique solennelle appliquée, VOratio inauguralis, qui marque la reprise des études, peut n’être que discours littéralement cir­ constanciel. Elle peut être aussi l’occasion de (re)définir un programme d’éducation. Presque tous ceux de Vico ressortissent à la première caté­ gorie. Celui de 1708' est toutefois une véritable profession de foi cicéronienne en action, stylistique aussi grâce au langage splendide dont l’orateur l’a revêtu. La postérité en a retenu l’immense portée pour l’histoire des idées. Le titre, De nostri tempons rations, met en évidence le caractère inten­ tionnellement actuel du propos, le rapport aux rationes précédentes (celle des Jésuites surtout, mise au point à la fin du XVIe siècle), aux Anciens : le projet dont le discours expose le contenu s’inscrit dans la Querelle et le problème des ruptures qu’elle induit ou non. Le substrat métaphysique platonicien, de puissantes références à Aristote, s’y unis­ sent à Bacon dont le De augmentis scientiarum est mentionné dès les pre­ mières lignes du texte : constellation singulièrement révélatrice ! Vico se fait visiblement le héraut des continuités. Il nie que telle période de l’histoire ait à soi seule possédé les vertus les plus hautes dans toutes les voies frayées par l’esprit de l’homme. Philosophe qui réfléchit à la pédagogie, il pense en fait aussi la culture comme totalité. Avec lui, les branches du savoir ne sont pas l’objet d’un décloisonnement, elles ne se font ni ne s’excluent : la question centrale est en toute certitude celle de leur place respective dans l’ensemble. En ce sens, la qualité principale du De nostri temporis... est de faire partir de la rhétorique une réorganisa­ tion générale des savoirs contre celle imposée, à Naples notamment, par les partisans du cartésianisme. Ainsi se comprend le ton souvent virulent de ce discours, sensiblement différent de celui adopté dans les 1. Ce discours fut prononcé devant le cardinal Vincenzo Grimani, vice-roi (autrichien, et non espagnol) de Naples.

textes précédents, d’allure beaucoup plus pacifique. L’exorde introduit directement la philosophie critique, très exactement la première partie du Discours de la méthode, et en fait la cible du développement vichien. La comparaison entre les forces et les faiblesses des deux âges est clai­ rement une charge dirigée contre le cartésianisme. Omnium scientiarum artiumque commune instrumentum est nova critica: on voit assez que c’est cette tyrannie sur les activités, y compris artistiques, de l’esprit humain qui motive ce qui va devenir une réfutation point par point d’une prétention universelle au Vrai. L’attaque initiale renoue, pour en discuter, avec l’assertion qui a pris « de nos jours » (hodie) la force d’une évidence : le but unique de toute étude serait la Vérité. La supériorité de Vico est de dénoncer la ruse par laquelle est substitué à l’examen des avantages et des manques le postulat d’une qualité nécessairement (omni procul dubio) meilleure de la nova studiorum ratio. Prétendant posséder seule la clé de ce Vrai qu’elle se donne pour cible, la « méthode nouvelle » ferme ainsi le débat. Vico a considéré que sa mission était de rouvrir le dossier, la question ne pouvant à ses yeux être considérée comme réglée une fois pour toutes. Il n’est pas superflu de le répéter : Vico n’est en rien hostile à la « méthode » en tant que telle. П confesse volontiers qu’elle a fait faire les plus grands progrès à la géométrie, à la physique, à la mécanique. Là où achoppe à son sens cette méthode nouvelle, c’est quand elle ima­ gine un univers dont toutes les lois seraient connaissables (et donc un jour connues) et reproductibles : le monde-machine ne laisse plus de place à l’homme, nie le libre arbitre et ignore ce levier puissant de la création qu’est l’imagination. En France, Pierre-Daniel Huet avait lancé en 1689 dans sa Censura philosophiae cartesianae une attaque sévère contre Descartes, accusant la « méthode » d’avoir entraîné le déclin des lettres et provoqué le mépris de l’Antiquité et de l’apprentissage du latin. Vico va beaucoup plus loin que l’évêque d’Avranches aux « maussades déplorations »1. Il localise en effet, avec une pertinence et une lucidité inégalées, les points sur les­ quels viennent se greffer les oppositions les moins réductibles. Au début du Discours de la méthode, Descartes, avec une détermina­ tion iconoclaste, jette par-dessus bord le monde incertain de l’élo­ quence et de la poésie. Tout l’échafaudage de la rhétorique en est désarticulé. La mémoire est discréditée. Le dispositif aristotélicien de la persuasion en est bouleversé de fond en comble. Le troisième moment du Discours de Vico (Novae incommoda) sur « les désagréments de la nou­ velle philosophie critique » est lumineux : Vico s’y hisse au niveau de 1. A. Pons, préface à la traduction de FAutobiographie (Paris, 1981), p. 195.

celui dont il discute pied à pied les thèses. Là encore, pédagogie et réflexion philosophique vont de pair. Le drame de l’enseignement du temps, apparaît-il à travers les propos de Vico, est qu’il commence par familiariser l’enfant avec cette philosophie. Sur les raisons qui poussent Vico a réclamer l’inversion totale de l’ordre des priorités, l’histoire de l’humanité aura son mot à dire. Retenons pour l’heure ceci : en accord avec la signification que les penseurs grecs donnaient au mot « cri­ tique », Vico avance une interprétation du cartésianisme comme philo­ sophie du jugement, ce qui est rendre parfaitement justice à l’antagoniste, ainsi que le confirme la première des « Règles pour bien conduire son esprit ». Mais, ayant dit cela, Vico porte l’estocade en résumant en deux phrases l’enjeu d’un débat pour lequel tout demi-terme est exclu. La méthode critique, pose-t-il, veut écarter non seulement le faux, mais aussi tout ce qui est suspecté de receler des risques d’erreur (sed falsi quoque suspicions). Il faut prolonger la lecture pour saisir quelles consé­ quences Vico tire de la systématique « purgation » cartésienne : n’admettant que le Vrai et le Faux, la philosophie critique élimine le vraisemblable partout et dans tous les domaines (verisimilia omnia), bien que, fait observer Vico, le vraisemblable soit dans la plupart des cas bien plus proche du Vrai que du Faux. Pour Vico, Descartes veut étendre à toutes les activités humaines le modèle abstrait construit à l’usage de la géométrie : il pèche à la fois par abstraction et par réduc­ tion. La pensée cartésienne appauvrit la culture. Tout se joue sur le vraisemblable qui est pour Vico une donnée anthropologique inatta­ quable, dont l’histoire de l’humanité montre l’enracinement immémo­ rial, comme il est, à travers le discours et au regard d’une « nature incertaine », le préalable aux échanges sociaux et à l’activité intellec­ tuelle et artistique. L’enchaînement des idées suit dans cette partie l’ordre qui vient d’être présenté, ce qui dévoile une conviction forte : c’est une faute contre l’esprit que de prohiber le vraisemblable. Le sens commun, qu’évoque Vico, se dresse là contre, ce sens commun dont le bon ora­ teur ne saurait se passer, car c’est grâce à lui que se produit la ren­ contre des opinions dans la cité. A la limite, l’expulsion du vraisem­ blable est nuisible à la collectivité. Elle est nuisible même au Vrai, car elle permet au Faux de faire impression et illusion. Le charlatanisme et la sophistique font ainsi un retour en force : l’exigence du cartésianisme engendre des effets aux exacts antipodes du but recherché. La cause se situe, comme bien l’on pense, dans la perturbation apportée au système de la rhétorique. La restriction voulue par la phi­ losophie critique a de toute évidence détourné les esprits de la source

du vraisemblable que sont les lieux. Face à une « philosophie critique partout célébrée », se plaint Vico, la « topique ne jouit plus que d’un statut tout à fait subalterne » (omnino posthabita). Descartes est bien à l’origine d’une atteinte à la rhétorique. Celle-ci marche sur la tête ainsi que le laissait deviner la volonté cartésienne de faire en sorte que le de veritate deiudicatio précède Vinventio argumentorum. La pensée critique, pourrait-on dire sans forcer le trait, suscite des monstres, elle est en elle-même un « impossible », un adynaton ! Se révèle ici le premier volet du programme de Vico : remettre sur ses pieds le système, rétablir l’ordre, ancien et naturel, des parties. Le 3e paragraphe du discours de 1708 est surtout voué au premier de ces points et à quelques-unes de ses suites les plus instructives. La « résurrection » de la topique implique dans l’esprit de Vico la priorité de celle-ci sur le jugement. C’est de cette restauration que découle l’affirmation capitale : « La topique doit passer avant la philosophie critique » (topica prior critica debet esse doctrina). Vico ne saurait naturelle­ ment être plus intolérant qu’Aristote : il reconnaît que les anciennes écoles de philosophie athéniennes n’ont pas fait le meilleur usage des lieux, ce qui a été la cause du discrédit éthique dans lequel cette pra­ tique est tombée dès le Ve siècle1. Et, naturellement encore, il men­ tionne le cas de Carnéade, le champion du probabilisme, qui fit avec un égal succès un jour, l’éloge de la justice, le lendemain, sa critique. Mais ces avertissements confortent le sens du relatif que le cartésia­ nisme avait en horreur. Ils sont en relation directe avec ce qu’Aristote souhaite quand il demande que « la rhétorique prenne pour sujets [...] des questions qui sont déjà matière habituelle de délibération » (1357 a 35). Aussi bien, c’est la faculté de choix qui est en jeu dans le vraisemblable (1396 6), au contraire de l’alternative cartésienne du tout ou rien. Ce n’est pas faire ainsi violence à la pensée de Vico que de dire qu’elle décèle dans le modèle cartésien un ennemi du dialogue. II l’est même à un double titre, en écartant le vraisemblable, mais aussi en oubliant que le discours n’atteint sa plénitude que là où il fait place à la Beauté : topique et ornement sont ici étroitement corrélés. Or, le dis­ cours critique, qui n’entend convaincre que par le seul contenu, renoue avec Voratio arida des Stoïciens, alors que les lieux ouvrent grandes les portes au « discours abondant » (oratio copiosa - on pense à la copia verborum d’Erasme), orné, « varié et multiple », d’où naît le plaisir. 1. Voir, au plan général, l’ouvrage important de H. Niehues-Prôbsting, Überredung zur Einsicht. Der ^usammenhang von Philosophie und Rhetorik bei Platon und in der Phànomenologie, Frankfurt a. M., 1987.

Toutefois, la preuve déterminante qui invalide cet ascétisme stylis­ tique, c’est le peu de considération accordé par les « modernes » à Vaptum. Le rapport entre les deux aspects de la question est au demeu­ rant une ligne de force du raisonnement vichien. La supériorité des « bons orateurs » (qui [...] oratoris nomen [...] merent) est, face à une situa­ tion inattendue, de savoir aller directement aux lieux dont ils ont besoin pour répondre à l’urgence, tandis que, comme Vico le fait observer non sans quelque joie maligne, les critici se voient contraints de solliciter un délai supplémentaire grâce auquel, espèrent-ils, ils par­ viendront à trouver la parade. Or, cette maîtrise, dans laquelle expé­ rience et mémoire sont de puissants leviers, se retrouve dans les qualités du discours en direction d’autrui. Vico le proclame sans détour : l’éloquence telle qu’il l’entend est toute destinée à ceux qui écoutent (tota eloquentiae res nobis cum auditoribus est). Mais elle ne peut s’adapter au public que là où l’orateur découvre, ayant avancé des arguments qu’il pensait irréfragables, la preuve de peu de poids (aliquid leve argumentum) qui fait pencher la balance. L’exemple de Cicéron, praticien du dis­ cours et expert en decorum, est là pour emporter l’adhésion. Vico s’arrête longuement sur le maître des maîtres, rivalisant victorieusement dans cet exercice incomparable du prepon en action. Reproche-t-on à Cicéron d’avoir nourri ses discours de « choses insignifiantes » ? Mais, rétorque Vico, ce sont précisément ces levia, ces « choses légères », qui ont fait de lui le roi du forum et du Sénat, l’orateur qui a le plus con­ tribué au rayonnement de l’ancienne Rome. Quand il le met en paral­ lèle avec Brutus, disciple du Portique et par là très proche de la philo­ sophie critique moderne (ferme nostra critica instructus), il montre son extrême familiarité avec la topique - quod erat demonstrandum ! Le retour à la vraie rhétorique est bien restitution d’une méthode anti-sophistique, d’esprit intégralement cicéronien. La rhétorique ne sera elle-même que dans la réintégration de ses parties, selon l’ordre qui est le leur dans la tradition aristotélicienne et tuUienne. La plena oratio dont Vico prononce l’éloge est celle qui n’écarte rien, ne laisse rien dans l’ombre, n’abandonne pas l’auditeur insatisfait. Elle est inimagi­ nable sans la rhetorica plena. La memoria à son tour, moins directement au point de rencontre des conceptions antagonistes, n’est pas oubliée. Vico, qui l’associe souvent à l’imagination, en fait l’outil on ne peut mieux adapté aux capacités propres aux enfants, à leur initiation à la peinture, à la poésie, à l’art oratoire et, qui jouit de sa prédilection, à la jurisprudence, discipline expliquée en détail au long du chapitre XI. La logique ne vient donc qu’ensuite, au terme de la familiarisation avec la rhétorique. Elle est utile seulement à ceux qui ont appris à

construire, orner et nourrir leurs discours. Il faut avoir développé ses talents dans les arts plastiques et la poésie pour s’y exercer. Ou avoir entraîné sa mémoire par le droit. La connexion entre vraisemblable et ornement va dans le sens d’un élargissement du domaine de l’esprit et favorise une multiplication des voies qu’il veut emprunter. Pour Vico, le discours efficace n’est pas celui qui suit une ligne unique pour laquelle « rectitude » est synonyme de « rigidité » (VII : recta mentis régula, quae rigida est). Pensant à l’auditeur, qui ne sait pas, l’orateur vichien applique la vertu de prudentia, la phronesis d’Aristote, si utile pour distinguer, dans les relations humaines, ce qui est souhaitable et bon, en fonction du kairos. H ne connaît que des règles flexibles. Aussi prend-il son temps, change-t-il de position chaque fois que cela lui paraît s’imposer. Il nuance, complète, reprend et développe, fait marche arrière afin de mieux repartir de l’avant et soutenir celui qui l’accompagne. Patience du pédagogue, donc, conviction intime de la valeur démonstrative de l’ornement - au contraire, la « méthode géométrique » interdit d’y recourir (dissertatio­ ns [...] omari vetat) -, et plus que tout, fera-t-on valoir, intuition iné­ branlable qu’il faut s’adresser à tout homme et au tout de l’homme, dans l’âge d’enfance d’abord, qui est bien pour Vico celui de tous les possibles. Ce serait caricaturer sa pensée que d’affirmer que Vico a estimé totalement inopérante la démarche déductive ; il estime qu’elle peut convenir à une infime minorité de sages qui sont conscients de ses limi­ tes. Il n’a jamais nié son efficacité pratique. Mais si, par exception, il advient que des hommes s’égalent à ceux, géomètres ou physiciens ral­ liés à la géométrie, se révélant aptes à commencer a primis veris dans l’ordre rationnel, le plus grand nombre doit être familiarisé en premier avec le proche, le dérivé et le secondaire (secunda vera). Négliger de le faire, c’est encourir le risque de semer partout la confusion. La méthode expérimentale, pour laquelle plaide Vico à propos des sciences de la nature, lui fournit un bon point de comparaison. Elle n’est pas sans posséder un certain rapport avec la prudentia elle aussi, qui recommande de ne pas tout faire découler d’un cadre antécédent. S’adapter au réel dans la souplesse, c’est s’installer aussi au sein de ce même réel, se mettre en mesure d’y échafauder une pluralité d’hypothèses à l’aide desquelles mettre au jour celle qui s’avérera. Si la voie droite n’est pas praticable (et 1 "orator bonus sait parfaitement que c’est là le cas le plus répandu), il conviendra d’opérer les détours qui finiront par mener au Vrai : quia recta non possunt, circumducunt iter. Vico n’a de cesse de le répéter : la philosophie critique oublie que la nature n’est ni stable, ni semblable éternellement à elle-même, mais

obéit au principe du nihil nisi mobile, nisi mutabile. Adopter en circons­ tance la méthode de la vérité dite « objective » des choses, a pour effet le plus sûr de créer l’illusion du Vrai, de détourner l’homme de sa propre vérité et de sa destination. La philosophie critique a pour vice cardinal le désintérêt qu’elle témoigne envers l’étude de l’homme. Elle l’écarte, fait justement remarquer Vico, parce qu’elle est réputée pro­ duire seulement de l’incertain en comparaison du jugement. Mais, outre qu’elle restreint par là le champ du Vrai, elle se prive aussi ce fai­ sant des moyens d’entraîner l’adhésion. En négligeant ce que sentent et pensent les autres, les « critiques » font comme si les contingences n’existaient pas, ou comme si l’humanité ne se trouvait pas dans l’état postlapsal d’imperfection, sujette aux pulsions et gouvernée par le hasard (libidine vel fortuna reguntur). Vico tire de cette situation son propre plan : se servir des affects comme de leviers en vue de pousser au bien et de faire en sorte que chacun coïncide avec sa vocation sociale. L’éloquence des preuves et des passions, de la convenientia et du beau discours, communique aux esprits Venergeia qui stimule en eux le désir. C’est un trait de la pensée de Vico qui sera repris à de nombreux endroits, et qui a reçu ici sa for­ mulation la plus précise : Car l’éloquence est la faculté de persuader de ce qu’il faut faire ; mais seul persuade celui qui fait pénétrer son objectif dans l’esprit de son auditeur1.

Le terme de libido, mis à contribution pour caractériser l’ensemble des motions auxquelles la foule obéit, est remplacé un peu plus loin par celui d’« appétit ». Multitudo appetitu rapitur et abrapitur : la phrase ne laisse pas de doute sur l’origine de ces mouvements, désordonnés, incontrôlés, si profondément étrangers au modèle intellectuel. Il ne s’agit pas d’autres formes d’abstraction, entendues par exemple au sens de la palaestra affectuum omnium (Daniel Heinsius), mais d’un ensemble organique où sensations et représentations sont associées à une corporéité qui, par les images, se fait langage (corporeae imagines) dont la Science nouvelle donnera une formulation plus élaborée. Mais, dès maintenant, Vico soutient que s’abstraire des contingences, c’est se condamner à ne pas faire sentir, à ne pas faire aimer et à ne pas faire réaliser. En creux au moins, apparaît la chaîne ternaire sur laquelle s’appuiera la nouvelle vision de l’Histoire. 1. Eloquentia enim est officii persuadendi facilitas : is autem persuadet qui talem in auditore animum, qualem velit, inducat.

П est cependant un autre moment de la rhétorique vichienne en quoi l’on identifiera plus nettement encore la continuité entre La méthode des études de notre temps et la Science nouvelle. Au § VIII de VOratio de 1708, Vico s’interroge une nouvelle fois sur les causes de la déca­ dence des Lettres. La topique est cette fois moins directement évoquée. Le sont en revanche la mémoire et, de manière absolument prédomi­ nante, l’imagination, la phantasia. La philosophie critique est accusée d’« ensevelir la mémoire » (memoriam obruit). Elle se voit plus sévèrement accusée d’« aveugler » (obcoecat) l’admirable faculté de concevoir les images poétiques. Le tournant est sensible, et l’on ne saurait en surévaluer l’impor­ tance au regard de la conception que Vico se fait de la rhétorique. Le débat se situe en effet au plan d’une création, fille de l’imagination, non plus donc comprise comme résultat d’une mimesis. Les « poètes » sont ceux qui sont « dotés de la plus grande imagination » (poetae optimi phantasiici), ils ont pour « divinité tutélaire » (peculiare [...] numen) la mémoire, pour cortège, les Muses. Dès ce passage, il apparaît donc que Vico définit en termes neufs la nature du Vrai poétique, qu’il appelle aussi certum. Alors que la philo­ sophie moderne assimile l’art à l’incertain et jette sur lui la suspicion du mensonge, Vico l’ordonne à une vérité supérieure. Convaincant par le plaisir (delectando), le poète tire sa force de la distance qu’il prend avec le quotidien et l’empirie. Mais cette localisation est battue en brèche. C’est sur ce sujet que la réflexion de Vico se développe de manière quasi unique. Déjà, le Droit universel avait pris parti pour une corrélation directe entre l’affermissement des positions de la philosophie et le recul de la poésie1. Dans sa grande lettre à Gherardo degli Angioli sur Dante1 2, Vico plaignait son ami d’être venu au monde « en des temps dimi­ nués » (assottigliati, littéralement : « amaigris »). Il y assurait que le sort misérable fait aux amoureux de la poésie était dû aux metodi analitici, auxquelles incombait la faute d’« engourdir » (ammortisare) « toutes les facultés de l’esprit ». La plainte visait surtout une fausse sagesse, accusée de « geler » (assiderare) ce qu’il y a de meilleur (Vico écrit : tutto il generoso) dans la poésie. L’important est que Vico désigne main­ tenant le point sur lequel va se centrer le débat dans la Science nouvelle : l’imagination, objet de la haine des Modernes qui la clouent au pilori « comme mère de toutes les erreurs humaines » (corne madré di tutti gli errori umani). 1. Opéré (F. Nicolini), II, p. 373 : Philosophia invalescente, poësis infirmier. 2. Autobiogrqfia, a cura di M. Fubini, Torino, I960, p. 145.

Cette vigoureuse inflexion a été facilitée chez Vico par la recherche du primum verum, fondée sur une conception de l’histoire des « idées humaines » (§ 39l)1, et même « des idées, des mœurs et des événements humains » (§ 368) appliquée à mettre au jour « le devenir des choses », afin de procurer à l’homme la conscience de sa nature après la Chute, en vue de le faire accéder à un dépassement de ce stade (§ 129). La précieuse valeur des Lettres dépend en toute certitude d’une « théo­ logie civile raisonnée de la Providence divine » (§ 342), que Vico s’est donné comme but de construire en science, une « science nouvelle » précisément, et pour laquelle il ne se reconnaissait pas de prédécesseur. Qu’une telle « science » dût formuler des principes universels et éter­ nels, répondre donc par là au critère aristotélicien de scientificité, Vico en était d’accord. On peut dire qu’il y trouvait le moyen de redonner à la rhétorique le statut épistémologique que lui contestaient ses détracteurs. Cela dit, le problème était également dans son esprit, en vertu du verum factum et de la conviction dérivée que « le monde civil avait été à coup sûr fait par l’homme » (§ 311), de transférer au plan de l’Histoire l’enjeu du De Nostri temporis ratione... Alors que les philosophes étudient le monde physique « que Dieu seul, qui en est l’auteur, peut connaître », Vico charge la « science nouvelle » de scruter le monde civil des nations « que les hommes peuvent connaître parce qu’ils l’ont fait ». Cette pétition de principe, proprement « renversante », conduisait à écarter l’épicurisme, plus encore le fatum et l’idéal d’apatheia des Stoï­ ciens. Pour Vico, l’homme, agent de l’Histoire, est un être mû par ses passions, à l’âme immortelle, qu’on ne saurait en aucun cas enfermer dans le réseau de la raison déductive liée aux universaux mathéma­ tiques. Si l’Histoire est l’œuvre de l’esprit humain dans le temps, exa­ minée par le moyen d’un prodigieux effort d’empathie rompant avec la vaine prétention (boria) de ceux qui mesurent tout à l’aune du temps présent et de sa prétendue supériorité, le concept de raison s’arrache à la clôture qui lui a été imposée pour retrouver la plénitude de ses fonc­ tions. L’Histoire reconstituée apparaît de même comme l’expression vraie de l’homme total. L’analogie, peut-être davantage parlante que convaincante, entre les origines de l’humanité et l’enfance, est un ins­ trument heuristique de premier ordre, dès l’instant où l’interprétation 1. La Scienza Nuova est citée d’après G. B. Vico : Principi di Scienza Nuova di G. B. Vico d’intomo alla commune natura delle nazioni in questa terza impressione... (MDCCXLIV), a cura di F. Nicolini, Milano, 1992 (Milano/Napoli, 1953). Pour le texte français, G. B. Vico, La Science nouvelle (La Scienza Nuova), traduction par A. Doubine, présentation intégrale par B. Croce, introduction, notes et index par F. Nicolini, Paris, 1953.

des premiers âges va fournir la charpente de l’anthropologie ressourcée et alimenter l’idéal de paideia avec son aspiration à atteindre le Beau dans les Lettres. Le temps redevient ainsi un facteur constitutif du pro­ gramme vichien, non le temps qu’il faut gagner pour « aller plus vite », mais celui qu’il faut remonter dans l’espoir de plus d’humanité, aux antipodes de Locke, par conséquent. Le recours à une table chronolo­ gique, placée en tête de la Science nouvelle, vaut déclaration de guerre à tous les rationalismes qui ne voyaient dans la connaissance du champ historique que savoir parasite. C’est au nom de l’humain, de sa beauté glorieuse manifestée dans le discours et le « vivre-ensemble », que Vico prend position pour une épistémologie des sciences humaines: se tenant résolument à l’écart de l’abstraction, celle-ci débouche comme on sait sur un réexamen des fondements et de l’histoire des formes de connaissances. Concevoir un tel projet inscrit dans la chronologie des siècles, c’est évidemment invalider toutes les tentatives entreprises, jadis et maintenant, pour élaborer des modèles interprétatifs - exhaustifs du réel. C’est postuler un espace qui fasse se rencontrer les manifesta­ tions changeantes d’un multiple qui n’est plus uniquement rationnel. On aura l’occasion de le redire : cet espace, c’est celui de la rhétorique restituée à sa pleine nature. La réflexion sur l’homme ne procédant plus de rapports géométriques et numériques, mais de ce que les hom­ mes ont accompli au cours du temps, les langages, entendus dans leur plus vaste extension, sont en effet élevés au rang d’objets privilégiés de la Science nouvelle, La relecture du passé peut se faire histoire de la genèse des sciences humaines, « mémoire » donc des hommes, parce qu’elle retrace l’aventure de la pensée opérative. Supports et média­ teurs, les productions historiques de l’esprit humain sont l’expression la plus profonde du Savoir reconstruit par la Science nouvelle, somme « humaniste » au sens du vers de Térence (Homo sum, humani nihil a me alienum puto) que Vico affectionnait, totalité « étemelle » (§ 393) où cependant « chaque peuple [...] renoue avec son histoire particulière » (§ 393), car tous ont la phantasia pour propriété première. La Science nouvelle fait de cette imagination le point central de l’exaltation des Lettres. Les § 185 à 187 apportent sur cette notion de fortes précisions. Vico considère que l’homme est déjà présent dans son premier acte mental, d’où procède la création d’images qui rappro­ chent, font retrouver et reconnaître dans un phénomène un autre de la même catégorie. La relation entre imagination et mémoire, passable­ ment énigmatique dans la formulation elliptique du traité pédagogique, prend ici son sens plein. De même voit-on clairement que l’idée d’imagination ne se confond pas avec celle de « créativité pure », défendue par l’esthétique « géniale », effectivement irrationnelle. L’acte

créateur selon Vico est interprétatif, non pas au nom de l’intuition pure du préromantisme, mais parce qu’il donne forme à la perception et la rend, par la fantasia, véritablement poétique. Parallèlement, remontant à une époque où une « imagination robuste et vive » aurait été le lot des humains, Vico fait œuvre de mémoire pour les hommes de son temps auxquels il aspire à proposer un idéal. A la différence de celle de Kant, l’imagination vichienne est productive, non reproductive. Elle est aptitude à transformer l’expérience immédiate en acte plasmateur. Mouvement, jaillissement, forme, elle se donne pour la marque distinctive de la condition humaine. Dans sa volonté de se faire le héraut du vraisemblable, Vico a tou­ jours donné la priorité à ce qui, dans les constructions intellectuelles, faisait place aux va-et-vient, aux correspondances, plus généralement : aux possibilités de choix. Ainsi l’imagination telle qu’il la définit consiste-t-elle à mettre en relation (connettere), à introduire des ligamina, des « liens », avec cette précision supplémentaire que cette fonction se réalise avec elle de manière instantanée. Le surgissement de formes belles, mais aussi ingénieuses, au sens de 1 'acumen cicéronien ÇDe Oratore, II, XXV, 147), embrasse un maximum d’activités. En ce sens, l’imagination est le point de départ d’un processus d’humanisation qui englobe, à travers l’échange, le discours, les pratiques collectives, la totalité du monde social. Ainsi peut s’esquisser une première ébauche de l’évolution du poids relatif de l’imagination et du conceptuel, avec ce constat que l’histoire de l’humanité tend à donner de moins en moins à la première et de plus en plus au second : « L’imagination est d’autant plus vive que le raisonnement est plus faible» (§ 185). Ce qui valait au premier âge s’applique, à fronts renversés, pour le règne des Lumières cartésiennes. Qu’en dépit de la nature universelle de l’imagination, Vico veuille chercher dans la poésie surtout la traduction de ce pouvoir premier, indique à quel point le langage s’est accompli principalement dans les mots: «L’œuvre sublime, c’est celle de la poésie» (§ 186). Que ces « mots » n’aient pas été à l’origine articulés ne change rien de fonda­ mental au fait qu’ils ont constitué une forme de rhétorique surgie de l’imagination, avant toute codification. Vico discerne l’apport le plus riche de la fantasia dans le pas décisif, déclencheur, essentiel au sens propre, qui a été d’« attribuer aux choses insensibles sens et passion » (ibid.), où « sens » n’est pas signification, mais « sensibilité », « activité des sens ». Une forme première de dialogue était née de l’homme, réponse aux ébranlements reçus de l’univers où il vivait. Vico a cher­ ché à donner de cette relation un équivalent approché. H l’a fait en

évoquant des enfants occupés à jouer avec des objets inanimés, leur parlant, ajoute Vico, « comme s’ils étaient des êtres vivants ». Les termes de senso et fantasia sont en tout cas des notions clés de la philosophie que développe Vico à propos de la naissance des arts. Elles sont propres à l’étape inaugurale où, avant de conquérir la réflexion con mente pura, la créature plongée dans la grande sylve, celle dont parle le cinquième livre du De natura гетит de Lucrèce, a réagi au monde envi­ ronnant qui la terrorisait, par les sens et l’imagination. Ce qu’exige le vraisemblable, le certum, ce sur quoi il est bâti, le sens commun, a pris son origine ici, au moment où senso et fantasia n’étaient pas bornés du côté de la Ratio. Notons au passage la fécondité de la méthode histo­ rique en l’affaire. Dans la Science nouvelle, l’histoire est le lieu où la prétention du Vrai rationnel à la domination absolue s’effondre à l’épreuve des faits. Il est superflu de s’étendre sur ce que Vico expose à propos des géants du premier âge. Ce qui compte, c’est en réalité le fait que, au contact d’une nature violente, la pensée a été d’abord cosmo-mythique, forme à tous égards « fabuleuse », autrement dit : poétique, de la philo­ sophie. Dans la pratique, et parce que les deux facultés du senso et de la fantasia ont eu pour pendants l’âge des dieux (età degli dei) et celui des héros (età degli eroi), Vico les crédite d’un trait commun : l’ignorance justement des entités abstraites. Vaste moment que celui où les hom­ mes, inventant les dieux, ont créé un objet de connaissance d’où sortit, avec l’arrachement au stade bestial (stato ferino) et le sens moral, l’ordre civil premier commandé par la religion du dieu suprême, Jupiter, « père de tous les hommes ». A l’origine donc, était la vérité fictionnelle : vue à ce point féconde qu’elle va, dans les livres suivants, pous­ ser Vico à accoler à chacune des sciences (métaphysique, logique, éco­ nomie, astronomie, politique...) l’épithète de «poétique». Contrairement à ce que beaucoup avaient cru, Vico pensait que les civilisations n’avaient pas eu pour fondateurs des sages législateurs. Selon son intuition fondamentale, ce devaient être des poètesthéologiens qui étaient selon lui, et il faut insister sur l’adverbe, « natu­ rellement [...] sublimes» (§ 187). C’est ainsi que Vico jugeait sur cette base qu’Esope avait vécu avant les sept sages de la Grèce : « Esope avait déjà dispensé, et bien avant eux, ces mêmes conseils sous forme de comparaisons » (§ 424). Pareillement, l’idée de voir dans ses fables des enseignements est tardive et représentative de l’esprit d’analyse et de formalisation. Vico ne manquera jamais de reprendre cette thèse, n’avançant d’objection que pour y répondre et conforter sa position. Même à l’âge héroïque par exemple, durant lequel les formations col­ lectives firent de décisifs progrès, il n’en alla pas autrement : la sagesse

des peuples autres que l’hébreu (la sapienza della gentilità) fut portée par des individus dépourvus de la faculté de juger, mais vigoureux et d’une très puissante imagination. Dans ce cadre, et d’une portée considérable pour la rhétorique, est la théorie vichienne des « universaux imaginaires » (ou « produits par l’imagination »), que Vico désigne lui-même de generi ou universali fantastici, Il s’agit d’un apport absolument novateur dont il nous faut exami­ ner les conséquences pour notre sujet. Ces termes, que leur forme même désigne comme directement opposés à la terminologie en usage dans la logique traditionnelle des classes, définissent une forme spécifique pensée, par figures, symboles, mythes..., qui systématise les catégories de senso et de fantasia. Chaque universel relève de « modèles parfaits », de « portraits idéaux » (certi modelli, ritratti ideali). Il cristallise en soi, à travers l’activité de l’esprit, une réalité fondée sur des traits généraux, rassemblés en une unité de caractère anthropomorphique. Produit de Vingenium humain, les « uni­ versaux imaginaires » ont façonné les hautes figures poétiques telles que celle d’Ulysse, exprimant la ruse, ou celle d’Achille, représentant la force. Les « universaux imaginaires » sont ainsi l’armature d’une « sagesse poétique » (§ 375, sapienza poeticd) dont l’antériorité sur la science au sens où l’entendent les Modernes, est absolue. Là encore, la perspective universelle, qui est celle de la science... et de la rhétorique, est confirmée par l’histoire : ces universaux sont apparus selon Vico dans tous les peuples. C’est pourquoi Vico dira que tous les peuples ont eu leur Jupiter (§ 193) et leur Hercule, fils de Jupiter (§ 196). Si on laisse de côté la question des généalogies divines comme expression poétique de la généalogie des âges, on note que le phénomène fonda­ mental a été, avec le premier dieu, l’émergence, sous forme poétique, d’un caractère divin, le premier universale fantastico par conséquent, qui a reçu le nom de « fable ». C’est dans cet esprit que le mythe, pour lequel Vico propose l’équivalent de favola, s’insère dans le système vichien. Appartenant à la phase initiale de l’évolution de la civilisation, ces mythes ne sont pas, comme le croiront nombre de romantiques, Wagner y compris, hors histoire. Ils ne « veulent » d’ailleurs pas « dire » quelque chose. Tout au contraire, c’est lorsque l’on s’acharne à extraire d’eux des significations, qu’on les « rationalise » en universaux « intelligibles » (generi intelligibili, § 1106), qu’ils perdent la nécessité qui leur est spéci­ fique. Vico se pose également ainsi en adversaire de Brumoy : les mythes ne sont en rien pour lui révélateurs d’un monde et d’un temps que la survenue du christianisme nous aurait rendus totalement étran­ gers. Vico historicise les universaux poétiques et les associe à

1’ « humain vrai ». Récit, au sens qu’a le mythos chez Aristote, le mythe vichien est sublime narrazione vera (§ 249). Les invraisemblances qu’y dénoncent les champions de l’esthétique normative du classicisme n’en sont donc pas. Parce qu’ils sont histoire autant que parole créa­ trice de réalité, Vico, mettant en avant leur valeur communautaire, dira d’eux qu’ils sont Г « ordre naturel des peuples », « des poèmes sérieux » (§ 374). Le premier mythe fut ainsi la première réponse poé­ tique à la première question, soit encore Г « universel imaginaire par excellence ». C’est lui qui donne à la Science nouvelle son contenu, induit par la thèse de l’antériorité des « universaux imaginaires » sur les « universaux rationnels ». Cette opinion est essentielle pour comprendre la position de Vico : elle est toute définie « de l’intérieur », si bien que la poésie, inséparable de l’ordre religieux et civil comme de sa fin éthique, ne nécessite pas de discours explicite surajouté : c’est en elle-même (in se stessa) que réside son caractère pédagogique et moral. Ainsi se résout l’épineuse question des relations entre rhétorique et didactisme sur laquelle Gottsched avait buté. Tout l’édifice sur lequel se fonde la rhétorique s’harmonise ainsi avec la genèse des sciences dont Vico propose la redéfinition. L’exaltation de la poésie via le mythe sert à postuler une « métaphy­ sique poétique » (§ 375), née de l’ignorance des causes, « non ration­ nelle et abstraite », mais faite de « sentiment » et d’« imagination ». La dissociation entre philosophie et rhétorique, dont on a vu à quel point elle menaçait alors la technè, est par ce moyen évitée. Vico voit en effet dans la métaphysique originelle « la poésie primi­ tive des hommes » (ibid.). Mieux : cette première poésie n’était pas l’enfance de l’art. La notion de mythe suggère que les hommes de 1’ « âge des dieux » ont inventé sous le coup d’émotions et d’ébranlements, en imitant ce qu’ils voyaient et en prenant pour cadre «les vastes organismes que sont le ciel, la terre et la mer» (ibid.). Au début était la grandeur, exprimée dans le vers de l’épopée héroïque auquel se substitueront plus tard le trimètre iambique et la prose. Ce caractère sublime que Vico fait saillir à tant d’endroits est évi­ demment lié à la métaphysique poétique. Mais il a aussi, pour la rela­ tion entre philosophie et rhétorique, valeur d’indice irréfutable. Au §217, Vico conclut de la thèse de l’imitation première l’idée que «les arts [...] durent apparaître durant les siècles poétiques et précéder ainsi la venue des philosophes ». « Ce que les poètes avaient d’abord senti [...], les philosophes le comprirent par la suite » (§ 363) - ce qui ramène de quelque manière au présent : cette pensée poétique origi­ nelle, mise en mouvement par l’inclination naturelle à « prendre plai­

sir à ce qui se ressemble » (dilettarsi dell'uniforme, § 47), cette pensée en images, il est donc acquis qu’elle a une histoire qui est celle de sa décomposition par perte de sa substance propre et, si l’on ose dire, « décorporéisation », ce que Vico traduit en disant que « l’esprit retire des objets sur lesquels s’exercent les sens quelque chose qui ne s’adresse point aux sens », et qui est clairement de l’ordre de Vintelligere. La conséquence en est une nouvelle manière de comprendre la logique, poétique elle aussi, pour laquelle un identique écart s’observe par rapport à ce qu’entendaient par ce terme les représentants de Vars rationandi. Logos renvoie à mythos et aux « universaux imaginaires ». Pour beaucoup, cette logica poetica a été, avant Baumgarten, la pre­ mière émergence historique de la notion d’esthétique. Que faut-il en penser ? Historiques, les mythes ainsi que tout l’art antérieur à la réflexion abstraite ont bien constitué un langage. En eux subsiste une sagesse « cryptée » (Vico dit riposta, c’est-à-dire « secrète », « cachée »), comme l’idée en était venue à l’auteur à la suite d’une relecture du Cratyle. La place que Vico accorde à l’étymologie depuis le De Antiquissima..., dans tous les domaines (juridique, institutionnel...), serait, sans cette convic­ tion, incompréhensible. Mais lorsqu’il affirme que sa découverte, celle selon laquelle les premiers hommes étaient des poètes, représente la « clé maîtresse » (chiave maestra) de la Science nouvelle, Vico nous fait don du moyen d’approcher au plus près la nature de ce langage. La position très générale de Vico dans les cinq livres de la Scienza nuova rend d’autant mieux admissible la thèse (§ 161) de l’existence d’« une langue commune à toutes les nations » qu’elle est inséparable de ce qu’il entend lui-même par « langue première ». La tripartition, armature organisatrice mais aussi interprétative du livre, conduit son auteur à adopter (§ 173) pour l’âge primordial « une langue hiéroglyphique ou sacrée » ; pour l’âge second, « une langue symbolique par ressemblance », dite également « langue héroïque » ; pour la troisième ère, « la langue épistolaire ou vulgaire », celle des hommes. Les présupposés relatifs à l’imaginaire et au rationnel condui­ sent Vico à considérer comme intenable l’explication conventionnaliste, qui impliquerait dans son esprit l’existence d’un art rationnel d’avant le langage (§ 444). Il prend au contraire parti pour ce qu’il nomme « langue mentale » (lingua mentale), qui fut la langue commune, anté­ rieure à toute nomination : en foi de quoi, il écarte Babel. La prove­ nance naturelle des langues fait que les différenciations ultérieures ont eu des causes entièrement naturelles parmi lesquelles Vico, homme du XVIIIe siècle, met en bonne place le climat (§ 445). La langue s’est

édifiée par étapes, il n’y a pas eu de langage adamique pas plus qu’il n’y eut d’âge d’or. L’idée d’une progression ainsi déterminée a suggéré à Vico la notion de « langue muette », qu’il faut entendre littéralement au sens de « langue des muets », lesquels « se servent de gestes et d’objets ayant des rapports naturels avec les idées qu’ils veulent traduire » (§ 225). Chantée ensuite, la langue a été enfin articulée. De ce fait, la langue est de nature poétique, elle a pris corps simultanément par la parole proférée et l’écriture (les « caractères »), ce qui a assuré la congruence entre res et verba, dans l’esprit de la Rhétorique à Hérennius, fixé cette «juste place» sans laquelle la rhétorique ne peut être complète. L’ordre dans lequel les divers éléments de la langue sont apparus répond à ces mêmes exigences de nécessité et de convenance. Onoma­ topées, interjections, pronoms, prépositions, particules, noms et verbes ont dans l’ordre complété un dispositif qui a pour termes le beau dis­ cours et l’œuvre belle : toujours opère le mouvement créateur infini né de l’activité initiale de l’imagination. Le problème des figures est abordé par Vico selon une cohérence organique extrême avec l’ensemble de ses positions. L’allégorie est ainsi située historiquement : elle est née à l’époque héroïque et a servi à exprimer les caractères généraux concentrés sur une figure (on retrouve ici Achille, Ulysse, Hercule...). Pour Vico, elle inclut les « différentes espèces ou les différents individus compris dans les différents genres ». De ce point de vue, elle a servi à dire alors « ce qu’il y a de commun à ces espèces et individus » (§ 403), qui n’est autre par conséquent qu’un « universel imaginaire ». Vico rappelle (§ 209) que, les ayant désignées par le terme de diversiloquia, on a entendu « par là un langage renfer­ mant dans un concept diverses catégories d’hommes, de faits ou de choses ». La conséquence en est que la congruence est garantie, les fables prenant « un sens “univoque” et non analogue », en ce qu’elles « apparaissent comme un ensemble de cas particuliers symbolisés par les genres poétiques ». On vérifie une fois de plus la prégnance du mythe et sa portée pour l’origine des tropes. En vertu de cette genèse, ces derniers ne sauraient en effet avoir été inventés comme des techniques conscientes. Vico, ici aussi, se meut à contre-courant de ce que les théoriciens considéraient comme allant de soi. Les trois premiers du moins (le cas de l’ironie est d’une résolution plus délicate) : métaphore, métonymie, synecdoque, loin d’être nés « des inventions habiles d’écrivains » (ingeniosi retruovati degli scrittori), doivent se comprendre comme des « manières nécessaires de s’ " expliquer ” (spiegarsi) le monde », des contraintes poétiques que toutes les nations ont éprouvées et qui les ont aidées dans leur lutte

pour vaincre les difficultés auxquelles la vie les confrontait. Leur sens, précise encore Vico, est donc « propre et naturel ». Ce que la suite des temps a qualifié de « figures de style » procède du passage par le réflexif où des mots sont venus dire ce qu’il avait fallu exprimer par détours et images. Le chapitre II de la section seconde porte un titre révélateur : « tro­ pes », « monstres » et « transformations poétiques » y sont traités en « corollaires » ; en clair : en effets, de la métaphysique et de la logique poétiques. Il n’est donc pas étonnant que, en l’absence d’éléments rationnels, ce soit la métaphore qui ait le premier rang. Vico ne se lasse pas d’en faire l’éloge, y voyant « le plus resplendis­ sant et par le fait même le plus nécessaire et le plus fréquent » (§ 404) des tropes. Aux âges obscur et fabuleux, la métaphore a le mieux coïn­ cidé avec la métaphysique poétique. Quand il parle d’elle comme d’« une courte fable » (ibid.), Vico la rattache sans contestation possible au mythe, ce qui revient à dire que, mieux que toutes les autres figures, elle a exprimé de la manière la plus adéquate et la plus complète le « vrai poétique », et donc ce vraisemblable que Vico en son temps s’efforce de restaurer. Les qualificatifs retenus pour la métaphore rendent compte du trai­ tement moins généreux que reçoivent la métonymie et la synecdoque. La raison en est évidemment que ces tropes désignent les choses en se fondant sur des données partielles, ce que Vico appelle « des idées plus particulières » (§ 406), comme, dans le cas de la métonymie, Г « ouvrage par l’auteur », « la cause pour l’effet » et, dans le cas de la synecdoque, la partie pour le tout. Le quatrième trope étudié par Vico est l’ironie. Elle consiste « en une affirmation fausse présentée sous le couvert de la vérité » (§ 408), elle recèle, de l’aveu même de Vico, un degré de réflexion qui oblige à faire d’elle une manifestation d’une période historique tardive. Particularités, réflexivité, voire composition/destruction/recomposition (ainsi les monstres) confirment la posi­ tion éminente de la figure-reine. Le langage pour Vico est, à bien considérer les choses selon l’origine, une métaphorisation du monde, et c’est l’échange de métaphores qui est alors l’essence même de la communication. П pourra paraître superflu d’insister davantage : le sujet de Vico est bien une rhétorique qui, telle qu’il la conçoit, a l’immense mérite de ne pas être confinée à la technè et de réorganiser les savoirs dans la dia­ chronie. Le cicéronianisme de Vico, surtout si l’on prend en compte la topique, est avéré. L'Огайо de mente heroïca donne à entendre que la Beauté, qui est dans le discours orné, est aussi dans la combinaison reconstruite des diverses sciences, et la sagesse qui, à l’opposé du cogito

solipsiste, surgit de la vie collective. H est clair aussi que Vico restaure des filiations. Affirmer qu’il est « sans doute le dernier des grands humanistes italiens »’ est parfaitement fondé. Son objectif général, dont on a pu dire qu’il était « de rendre plus humain le vrai afin de rendre l’homme plus vrai »1 2, y correspond. Plus concrètement, le senso commune le situe dans le voisinage de Valla et de Nizolio ; l’idée d’un homme interprète des lois et non contraint par l’arbitraire, il la partage avec Pic de la Mirandole et Guarino Veronese ; le refus de la prééminence du rationalisme et de son langage est déjà dans Leonardo Bruni. Le modèle pédagogique qu’il revalorise à la lumière de la sapienza poetica est au service d’un ordo studiorum subordonnant les contenus au dévelop­ pement de l’invention, de la sensibilité et de l’imagination. Vico, à son tour, cherche à former l’enfant en vue de son autonomie et de la conquête de sa liberté. Il serait toutefois erroné d’entendre « restauration » dans le sens de « retour en arrière ». Il est vrai que l’anachronisme menace. La Que­ relle des Anciens et des Modernes, face à laquelle Vico situe son dis­ cours au début du De Nostri temporis... et à laquelle il revient à la fin de la Scienza nuova, pousse à durcir les positions. Mais pas plus que la conception du mythe selon Vico n’est celle de Bachofen, sa critique du rationalisme ne prélude à un irrationalisme de l’originel et de l’élémentaire. Le travail sur l’histoire et les « universaux imaginaires » ne conclut pas davantage à la stricte dissociation de la rhétorique et de la philosophie. Le § 140 de la Scienza nuova, appliquant la règle du disputare in utramque partem, contient l’affirmation selon laquelle « philo­ sophes et philologues eussent été bien plus utiles s’ils s’étaient récipro­ quement soutenus ». Il est exact que les Discours inauguraux semblent aller dans un seul sens. Mais le plan de la Scienza nuova fixe le cap. Si Vico s’y dresse encore contre la tyrannie des « intelligibles », c’est parce que le rationalisme prétend purger le langage scientifique de toute métaphore, du Beau et du Vraisemblable, alors que le maintien de la topique lui serait d’un secours extrême au regard des univer­ saux. La généalogie des savoirs et du langage lui-même prouve à suffi­ sance que, si la progression va du certum au verum, le certum subsiste. La prodigieuse évocation des débuts du monde et de son humanisation a, si on la replace dans le contexte des années 1720 et 1730, une ambi­ tion forte : établir solidement l’imaginaire poétique au cœur de la 1. A. Pons (supra, n. 1, p.857). Cf. aussi E. Garin, L’éducation de l’homme moderne, Paris, 1968, p. 244-248 ; E. Grassi, Humanismus und Marxismus. Zur Verselbstandigung von Wissenschaft, Reinbeck, 1973. 2. Rendere più umano il vero per fare più vero l’uomo, G. Modica, La JUosofia del «senso commune» in Giambattista Vico, Roma, 1983, p. 130.

Ratio, fonder, sur une base que Vico voudrait inattaquable, l’antériorité de l’imagination et organiser le cursus des études dans un sens opposé à la méthode dominante. On a soutenu que Vico, attaché à répondre à des philosophes tels que Descartes et Hobbes, « ne pou­ vait pas ne pas être moderne »*. L’affirmation est convaincante. Mal­ gré ce que pourrait laisser croire la suprématie réaffirmée du sens commun sur le bon sens, Vico ne veut pas exclure le rationnel, mais redécouvrir dans le langage la profondeur spéculative de la métaphy­ sique poétique nécessaire au nouvel humanisme. Il ne saurait être question de parcourir à l’envers le chemin que l’humanité a suivi au cours des trois âges, d’en revenir au temps de l’animalité, des bestioni Mais d’écouter aujourd’hui les poètes et les orateurs, de rendre aux Muses, grâce auxquelles selon Coluccio Salutati « la science était née », leur fonction initiatrice. C’est encore dans cet esprit qu’Emesto Grassi, ancien élève de Croce et de Gentile, familier et collaborateur de Husserl et surtout de Heidegger à Fribourg-en-Brisgau, comprenait le mot de « rhéto­ rique »1 2. Revenu de ses emballements, il adossait à son tour la Connaissance à la technè dont il glorifiait l’assomption dans la « méta­ phore inouïe »3. Est-il surprenant dans ces conditions que son désac­ cord essentiel avec le philosophe de l’ontologie ait porté sur la défini­ tion de l’humanisme ? Pour toutes ces raisons, la vision vichienne de la rhétorique mérite d’être tenue pour nouvelle. Le fait que Grassi, à l’instant cité, ait pu la mettre à contribution contre le structuralisme, « aride » lui aussi, étran­ ger à l’histoire et, au départ du moins, exigeant le « retrait du sujet », montre assez son inépuisable fécondité. La perspective vichienne permet clairement d’aborder les savoirs autrement que comme de simples entassements factuels ou de purs phénomènes détachés du temps, sans liens avec l’étemel : elle y voit exemplairement le produit de l’esprit humain depuis les origines. La valeur attribuée au mythe est alors d’un poids singulier. L’une et l’autre données laissent entendre que, pour Vico, parler de rhétorique, c’est aussi écrire son histoire, reconquise dans la narration.

1. G. Vila, La Jilosojia del mite seconda G. B. Vico, Milano, 1949 : Non poteua non essere un modemo (p. 161). Vila défend la conviction que Vico est redevable aile retoriche e poetiche di derivazione rinascimentak, mais qu’il tire de cette filiation una vera religione della cultura (p. 11 et 160). 2. L’ouvrage central est ici Rhetoric as Philosophy (1980). 3. Éd. française, Paris (Quai Voltaire, coll. « La République des Lettres »), 1991. Le sujet est annoncé dans Macht des Bildes. Ohnmacht der rationalen Sprache. Zur Rdfang des Rhetorischen, Kôln, 1970, p. 194-227.

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JEAN-PAUL SERMAIN

18 — Le code du bon goût1 (1725-1750)

« Les règles de la rhétorique, lesquelles paraissant dire beaucoup, ne signifient propre­ ment rien. » Claude Buffier, SJ, Traité philosophique et pratique d’éloquence, 1728. « La science de la communication des idées ne se borne pas à mettre de l’ordre dans les idées mêmes ; elle doit encore apprendre à exprimer chaque idée de la manière la plus nette qu’il est possible. » D’Alembert, Discours préliminaire de l’Encyclopédie, 1751.

Dans l’histoire de la rhétorique, aucune transformation majeure ne permet de distinguer la période 1725-1750, aucune réforme dans son enseignement, aucune de ces tentatives de renouvellement de la tradi­ tion qu’ont pu entreprendre Érasme, Tesauro, B. Lamy ou les Écossais dans les années 1760, aucun essai d’adaptation globale à l’actualité sociale ou scientifique. 1750 marque pourtant un tournant, puisque, avec VEncyclopédie, le mouvement des Lumières affirme ses ambitions, que s’amorce sa remise en question, que d’un côté se développe la grammaire générale, et de l’autre un idéal de pathétique et d’énergie, en même temps que Burke introduit une conception radicalement neuve du sublime. La frontière de 1725 est plus floue. En France, la mort de Louis XIV, en 1715, marque une rupture forte, qui coïncide avec les débats de la deuxième Querelle des Anciens et des Modernes sur le rôle des modèles et des normes dans la formation de la culture. Et c’est aussi dans la deuxième décennie du XVIIF siècle que se publient en Angleterre les textes les plus décisifs et les plus novateurs 1. C’est ainsi que d’Alembert présente VArt poétique d’Horace.

d’Addison ou de Shaftesbury. Quant aux travaux de Vieo, qui redonne un sens original et fécond à toute la tradition rhétorique, ils s’échelonnent entre 1710 et 1740, mais ils jouent alors un rôle margi­ nal. Le chapitre précédent leur a rendu justice, en les opposant à la voie suivie par les pays germaniques pour fonder une langue et une culture nationales. Ce qui concerne les modes et les institutions d’enseignement est traité plus en détail dans le chapitre suivant. L’ensemble ici considéré, étalé sur la période 1710-1750, et concer­ nant surtout la France, l’Angleterre et l’Italie, a été placé sous l’enseigne générale du goût. Principe qui n’est pas nouveau et dont le champ d’application dépasse largement celui de la rhétorique, mais qui joue pourtant, alors, et en ce domaine, un rôle éminent. En effet, la notion de goût sert de terme de ralliement européen à une forme de culture, à un idéal d’expression, à des modes de communication, à une manière d’articuler la « chose littéraire » sur la vie sociale, que la France a progressivement mis en place au cours du XVIF siècle, et qu’elle développe avec assurance et bonheur principalement pendant la Régence et la première partie du règne de Louis XV. La plupart des pays européens au début du XVIIIe siècle prennent acte de leur renon­ ciation au baroque, engagée à la fin du XVIIe siècle, et cherchent à ins­ taurer des formes d’échange et de culture, un idéal de la prose et du discours qui se réfèrent au modèle français. La notion de goût ne renvoie pas seulement à ce phénomène historique qui coïncide avec l’essor du style rococo, qui se diffuse également à partir de la France, elle permet aussi d’en saisir le contenu, c’est-à-dire de caractériser le trait dominant qui affecte alors l’analyse rhétorique comme ses objets, les discours et les textes : une esthétisation globale qui reste tempérée parce qu’elle s’articule toujours sur des exigences de sociabilité - le plaisir du goût réalisant l’adaptation de l’exercice littéraire à la vie sociale, en faisant même un facteur suprême de la civilisation, et c’est cela qui après 1750 suscite un rejet de plus en plus systématique. LA NOTION DE GOÛT

Avant d’examiner son emprise dans le domaine rhétorique, il est donc souhaitable de définir plus précisément cette notion de goût, et de rap­ peler ses enjeux, ses ambitions et ses contradictions. L’idée de goût fait partie de la poétique et de la culture des Classiques. Elle n’est pas étrangère à la tradition rhétorique, mais elle ne lui est pas non plus spécifique. Le goût est complexe : à la fois subjectif et objectif, affectif et rationnel, individuel et social, aléatoire et normatif. En lui s’exerce

un sentiment, qui fonde un jugement, il répond à une valeur de l’objet et par là garantit aussi la valeur de celui qui l’éprouve. Le goût se trouve au XVIIIe siècle partout : il n’est pas de traités, réflexions sur les diverses dimensions ou usages de l’éloquence et du dis­ cours, qui, en Europe, ne s’y réfèrent ou ne s’en recommandent, mettant l’accent tantôt sur sa dimension affective et physiologique (Dubos), tan­ tôt sur sa dimension rationnelle (Muratori, Bettinelli), tantôt sur sa sub­ jectivité (Hume), tantôt sur son objectivité (Gottsched). Donne une bonne idée des divers problèmes que la notion de goût permet aux hom­ mes des Lumières d’appréhender la synthèse qu’offre en 1757 le tome 7 de V Encyclopédie, qui juxtapose à l’article « Goût » les analyses de Vol­ taire, de Montesquieu (mort depuis deux ans), et de d’Alembert, qui vient d’écrire pour le volume 5 (1755) deux articles sur les « Éloges aca­ démiques » et sur Г « Élocution » et le style (voir aussi Addison, IV, 249). Ces analyses partent d’un même préalable : le goût s’exerce dans la jouissance d’un plaisir. Montesquieu commence ainsi : « La définition la plus générale du goût, sans considérer s’il est bon ou mauvais, juste ou non, est ce qui nous attache à quelque chose par sentiment » (Mon­ tesquieu, 1951, II, 1242). Mais de quelle nature est ce plaisir? En d’autres termes, qu’est-ce qui le sollicite ? Voltaire répond à cette ques­ tion en rapportant explicitement le goût à son sens physiologique et gustatif : il met l’accent sur la réalité du plaisir éprouvé, et sur la réalité de l’objet qui le suscite. Mais qu’est-ce qui différencie alors la jouis­ sance ressentie dans la consommation de l’objet, du plaisir du goût ? Voltaire est ainsi exposé au problème soulevé par Dubos dans ses Réflexions sur la poésie et sur la peinture qui datent de 1719 : l’émotion pro­ curée par un objet représenté est analogue à celle que provoquerait cet objet dans la réalité, beau paysage ou belle femme. Dubos fait alors intervenir le goût pour distinguer ce que le monde réel nous fait effecti­ vement éprouver du plaisir du spectateur-lecteur : le goût fonctionne comme un sixième sens qui double les cinq premiers, s’applique aux mêmes objets qu’eux, et s’en distingue seulement par son «désintéressement» (Dubos, 1770, II, 321), et parce qu’il se prolonge par un retour réflexif sur lui-même, où il «juge» non pas l’élément extérieur qui a suscité son émotion mais sa propre activité : Il est en nous un sens destiné pour juger du mérite de ces ouvrages, qui consiste en l’imitation des objets touchants dans la nature. [...] Lorsqu’il s’agit de connaître si l’imitation qu’on nous présente dans un poème ou dans la composition d’un tableau, est capable d’exciter la compassion et d’attendrir, le sens destiné pour en juger est le sens même qui aurait été attendri, c’est le sens qui aurait jugé de l’objet imité. C’est ce sixième sens qui est en nous, sans que nous voyons ses organes. C’est la portion de

nous-mêmes qui juge sur l’impression qu’elle ressent, et qui, pour me ser­ vir des termes de Platon, prononce, sans consulter la règle et le compas. C’est enfin ce qu’on appelle communément le sentiment (Dubos, 1770, II, 325-326).

Dubos fonde ainsi contradictoirement l’autonomie du goût sur un rap­ port non autonome à son objet : le goût s’applique à la passion suscitée par l’objet réel (et chez Voltaire il se confond même avec elle), et en prenant conscience du caractère fictif de celui-ci et de sa propre exté­ riorité, il peut se tourner vers lui-même. Le sentiment n’a plus alors d’autre objet que lui. Montesquieu se soustrait au problème posé par l’équivalence (par­ tielle) du goût et de la passion, et réserve le goût à la perception de qualités ou de caractères qui sont abstraits de l’objet, ce qui suppose un total déta­ chement à son égard. Pour lui, le goût ne s’approprie pas l’objet mais en révèle les valeurs, qui sont susceptibles d’une description philosophique ou métaphysique : « Ce sont ces différents plaisirs de notre âme qui forment les objets du goût, comme le beau, le bon, l’agréable, le naïf, le délicat, le tendre, le gracieux, le je-ne-sais-quoi, le noble, le grand, le sublime, le majestueux, etc. » (1951, П, 1240). La jouissance du goût ne se confond ainsi ni avec la passion ni avec la consommation, elle découvre un élément spécifique, mais - et c’est ici que rebondit la contradiction - elle s’applique indifféremment à tout élément du monde : elle fonde une expé­ rience esthétique, mais elle se moque de l’intention artistique. A ce premier débat sur l’objet du goût, s’ajoute celui sur le rôle de la culture dans son exercice : le goût peut-il se former à l’instar d’une com­ pétence ? Sur ce point capital, d’Alembert et Voltaire s’opposent dans 1 "Encyclopédie. Pour Voltaire, le goût est acquis : il « se forme insensible­ ment » par l’habitude et les réflexions ; dans sa rédaction de 1771, Vol­ taire est plus explicite : « L’homme de goût a d’autres yeux, d’autres oreilles, un autre tact que l’homme grossier. » Pour d’Alembert, le goût est sollicité automatiquement et universellement par ce qu’il y a de plus essentiel et de plus intense : il est des beautés « frappantes, et de sublimes qui saisissent également tous les esprits, que la nature produit sans effort dans tous les siècles, et chez tous les peuples, et dont par conséquent tous les esprits, tous les siècles, et tous les peuples, sont juges ». La culture n’est pour d’Alembert nécessaire que dans l’appréciation des beautés de second ordre : « Ce genre de beautés faites pour le petit nombre est pro­ prement l’objet du goût, qu’on peut définir le talent de démêler dans les ouvra­ ges de Part ce qui doit plaire aux âmes sensibles et ce qui doit les blesser » (d’Alembert, 1757, art. « Goût »). A chacune des étapes de ces réflexions sur le goût, la rhétorique trouve une place. Elle apprend à évoquer l’objet de la passion ; elle dis­

tingue les différentes qualités dont le discours ou le style sont suscepti­ bles ; et surtout elle est chargée d’assurer la culture du goût, et la place limitée que lui accorde d’Alembert est conforme à sa critique de la tra­ dition rhétorique. Une double relation s’instaure entre le goût et la rhé­ torique : d’un côté celle-ci (ce qu’il en reste) contribue à une appréhen­ sion sensible du discours et de l’œuvre éloquente - cette fonction était chez Cicéron et Quintilien simplement propédeutique. Mais dans la mesure où cela n’est plus une étape transitoire pour former la compé­ tence de l’orateur, et où l’exercice du goût constitue une fin en soi, la rhétorique se trouve d’un autre côté profondément modifiée : non seu­ lement elle ne vise plus la persuasion (et on en resterait là à Tacite), mais elle est traitée comme l’instrument d’une perception désintéressée, qui se suffit à elle-même. La rhétorique est transformée en art de jouir. La notion de goût doit donc nous aider à saisir comment est affectée l’économie générale de la rhétorique, et comment des notions, des analyses, des programmes très fidèlement empruntés à la tradition peuvent changer de sens. Les différents aspects que présentent cette évolution correspondent exactement aux trois parties principales de l’enseignement rhétorique, et forment les trois principales divisions de notre chapitre : on examine comment l’art de persuader est en premier lieu assimilé à l’expression des passions, en second lieu à la représenta­ tion d’un tableau, et en troisième lieu à un travail de la pensée dans le langage. Que ces trois ensembles se disputent le même héritage est lui-même l’indice de son altération : de façon assez troublante, chacune des composantes de l’art rhétorique semble ainsi gagner son auto­ nomie, et s’offrir, dans une sorte de concurrence sauvage et rarement problématisée alors, comme principe suffisant de formation et d’ex­ plication du discours éloquent. LE LANGAGE DES PASSIONS ( « THE LANGUAGE OF THE PASSIONS » ) JOHN WARD, 1759 « Il n’y a donc point d’art pour l’éloquence, puisqu’il n’y en a point pour sentir. »

D’Alembert, 1754.

La permanence de la tradition rhétorique est garantie par certaines institutions, comme l’Académie française, et surtout par les collèges, qui changent peu, même s’ils doivent répondre à des critiques gran­ dissantes qui les voudraient plus ouverts aux langues nationales (et VEncyclopédie se fait écho des propositions plus anciennes de Muratori, de Maffei, de Leibniz ou de Thomasius), aux disciplines nouvelles,

Une conception psychologique des

figures et de l’éloquence

aux conditions du monde moderne (le commerce) : rien qui étonne le lecteur d’aujourd’hui ! Gardiens vigilants de leur propre héritage, les Jésuites proposent une nouvelle version de leur manuel : le Candidatus rhetorical du P. de Jouvancy paraît en 1710 (à la suite de son De ratione discendi et dicendi de 1703). En 1704 Dominique Colonia fait éditer à Lyon son De Arte rhetorica libri quinque, qui est au XVIIP siècle l’équivalent de la synthèse faite par Vossius un siècle plus tôt : elle comprend toutes les rubriques attendues. Le De elocutione vient en tête, et classe les figures de phrases selon leur fonction : émouvoir, plaire, enseigner, à côté des figures de mots, de la période et des trois styles. Dans l’invention, Colonia distingue les deux types de lieux (intrinsè­ ques, extrinsèques), et avant les brèves pages sur la prononciation, il recense les différents types de discours. De cette exhaustivité prenons pour échantillon le chapitre I, 6, De orationibus quae pertinent ad genus demonstrandum. П reprend tout ce qui concerne traditionnellement l’éloge : définition par sa matière, son ordre naturel ou artificiel (chro­ nologique ou thématique), et il recense tout ce qui peut se prêter à éloge : l’origine, les vertus, le savoir, les talents, les dons du corps et de la fortune, etc. ; et ainsi de suite pour louer villes ou régions. Puis viennent les épithalames, oraisons funèbres, félicitations, etc. Le tour de la question est fait comme dans aucune autre rhétorique en langue vernaculaire. Celles-ci restent pourtant complètes quand elles assignent à la rhé­ torique son champ d’action traditionnel : le discours oratoire considéré dans sa dimension conflictuelle comme un moyen de faire changer la pensée et l’attitude du destinataire, ainsi que l’explique B. Gibert, l’auteur de la plus systématique des rhétoriques en langue française dans la première moitié du siècle (1730) : «La rhétorique est l’art de trouver sur un sujet tout ce qui est capable de persuader, ou l’art de faire un discours qui soit propre à persuader » (et on trouve la même insistance sur la recherche de ce qui peut persuader chez Fénelon dans ses Dialogues sur l’éloquence, 1718, très lus outre-Manche au XVIIIe siècle). En Allemagne, Gottsched a la même position (Ausfuhrliche Redekunst, 1736), et en Angleterre, J. Ward, dans son System of Oratory, Delivered in a Course of Lectures Publicly read at Gresham College, London (1759), se fixe un projet similaire : Oratory is the art of speaking well upon any subject, in order to persuade*. Il est plus précis encore que D. Colonia, et son plan est plus typique. Ainsi, sur l’invention qu’il associe aux lieux communs, il dis­ tingue les external topics, the state of the controversy, les trois types 1. Le texte de J. Ward reprend un cours répété pendant une trentaine d’années. I, 19: « L’éloquence est l’art de bien parler sur n’importe quel sujet afin de persuader. »

d’arguments (pour le démonstratif, le délibératif, le judiciaire). Dans la disposition, il envisage les cinq parties du discours, et après avoir exa­ miné dans l’élocution la perspicuity, la période, l’ordre, le nombre, il complète sa liste détaillée des tropes et des figures, par des considéra­ tions sur le sublime de pensée et de style (il fait un condensé de Longin), sur voit and humour, puis sur les lettres, les dialogues, l’histoire, le discours. Sa sensibilité à la culture moderne se marque dans sa conception des figures, définies en termes psychologiques comme une expression automatique des passions, et non plus comme un moyen de les susciter (cette rupture avec la tradition a été engagée par B. Lamy à partir de 1675) : We know with what passion a man is affected by hearing his words, tho we do not see him. He does not express himself as he usually does at other times, when cool and sedate. Objects appear to him in a dfferent view, and therefore he cannot but speak of them in a dfferent way. He interrogates, he exclames, he admi­ res, he appeals, he invokes, he threatens, he recalls his words, he repeats them, [...] Now as nature seems to teach us by these figuratives expressions how to represent the dfferent commotions of our minds, hence some have thought fit to call Figures, the language of the passions1 : natural eloquence dont on peut dresser la carte, mais qui ne s’enseigne pas. Des formules similaires se trouvent chez Muratori au début du siècle : Siccome naturalmente auviene che un uomo agi­ tato da qualche qffetto gagliardo usi nel suo ragionamento, benché improwiso, delle iperboli, delle metafore et tutte le figure di cui parlano i maestri dell’eloquenza, cosi agli oratori è permesso Vuso di queste figure si di parole corne di sentenze, qualora si rappresentano investiti dallo sdegno, dal dolore, dall’allegrezza, dalla compassione, dallo stupore e da altre passioni. Di fatto le figure non sono altro che il linguaggio natural degli effeti12. Une telle conception donne à la présentation des figures (et donc à la partie la plus technique de l’élocution) une visée purement explica­ tive : elle n’aide en rien à leur usage ou à leur formation. Aussi Gibert n’hésite-t-il pas à l’escamoter dans un bref article sur les « manières de fortifier le discours » (Gibert, 1730, 546), en considérant davantage les 1. Ward, II, 36-37 : « On sait de quelle passion un homme est animé en entendant ses paro­ les, quoiqu’on ne le voie pas. Il ne s’exprime pas comme quand il est calme et modéré. Les objets lui apparaissent sous un autre jour, c’est pourquoi il doit parler différemment. Il interroge, il s’exclame, il admire, il supplie, il invoque, il menace, il rappelle ses mots, il les répète [...]. Comme la nature semble nous apprendre ces expressions figurées pour représenter les différentes émotions de notre âme, certains ont appelé les figures le langage des passions. » 2. Muratori, 1706, 140 : «Comme il arrive naturellement qu’un homme vivement ému uti­ lise dans son discours, même improvisé, des hyperboles, des métaphores, et toutes les figures dont parlent les maîtres de l’éloquence, les orateurs ont le droit d’utiliser ces figures de mots ou de pensée, quand ils se présentent pénétrés d’indignation, de douleur, de joie, de compassion, de stu­ peur et des autres passions. De fait les figures ne sont rien d’autre que le langage naturel des passions. »

actes dont elles sont le support que leur réalisation verbale : après avoir envisagé la « simulation », puis la « modération », les images, la pompe et les oppositions, il regroupe la sincérité, la simplicité, la prosopopée et l’apostrophe. Le traitement des tropes est encore plus expéditif. Fon­ dant Г « agrément » du discours sur les métaphores, l’énergie (proche encore de Venargeia) et les antithèses (donc tout ce qui aide à « voir »), Gibert consacre deux pages à la métaphore et, avant de passer à l’énergie, il donne en quelques mots la définition de la synecdoque, de l’hyperbole, de l’ironie et de la métonymie (qui est accompagnée seule d’un unique exemple), et conclut : « Toutes ces choses sont trop aisées et trop communes pour s’y arrêter» (Gibert, 1730, 558). Gibert a la même désinvolture à l’égard de ce qui concerne les lieux, déjà traités avec mépris par B. Lamy. C’est que, au contraire de J. Ward, ou plus encore de Gottsched, il soumet l’ensemble de l’héritage rhétorique qu’il veut prendre en charge à la perspective unifiante d’une conception sensible de l’éloquence, fondée, par opposition exclusive à ce qui s’adresse à l’esprit, sur tout ce qui peut toucher le coeur. Il part en effet d’une séparation radicale entre la conviction et la persuasion, conforme au point de vue chrétien et philosophique d’un Malebranche : « La [première] est l’assujettissement de l’esprit à une vérité, sur la claire connaissance du rapport qu’elle a avec les raisons qui la prouvent. La seconde, est l’assujettissement efficace de la volonté à l’amour, ou à la haine d’une action. De telle sorte que l’esprit peut être déjà assujetti à une vérité par les raisons les plus claires, sans qu’il y ait encore une vraie Persuasion. Il y en a une, lorsque le cœur est vaincu » (Gibert, 1730, 254). Aussi Gibert ne prend-il en compte que ce qui dans un discours permet de toucher : « Quelle est la voie légitime, l’unique voie de la Per­ suasion ? C’est tellement, en fait de raisons et d’exemples, tout ce qui touche, que ce qui ne touche pas, est contraire à la persuasion » (Gibert, 1730, 251). Pour susciter cette émotion, l’orateur dispose de deux grands types de moyens. D’une part, il peut exploiter le rapport intersubjectif qu’il noue avec son destinataire, soit en se construisant un personnage (c’est ce qui relève des mœurs), soit en adoptant une série d’attitudes qui comman­ dent la réaction de l’auditeur : les différentes figures sont vues comme des rôles psychologiques qui se mettent en place dans le discours lui-même (ainsi de la sincérité, ou de la modération). D’autre part, l’orateur peut jouer sur les caractères de 1’ « objet » qu’il présente. En effet, Gibert fait reposer la persuasion presque exclusivement sur l’amplification, c’est-à-dire sur l’art de faire paraître plus grand ou plus petit son objet de façon à susciter chez le destinataire une inclination, un mouvement de l’affect et de la volonté. Après avoir écarté ce qui

concerne les « lieux de rhétorique », il en reprend certains éléments quand il examine ce qui montre la grandeur d’une chose, d’un sujet, ou l’effet qu’on peut tirer des circonstances. Au chapitre des passions, il accorde de nouveau la plus grande place au principe de l’amplification : « Tout l’art de remuer le cœur par le Discours, ne consiste qu’à exposer, amplifier ou diminuer par les paroles, les biens ou les maux que l’on peut ou que l’on doit rechercher ou fuir dans la vie » (Gibert, 1730, 256). L’amplification pourtant ne suscite pas un exposé technique qui pouvait s’appuyer sur la tradition pédagogique issue des exercices hellé­ nistiques, tels que les livres d’Aphtonius les ont transmis et que les Jésuites ont repris, et qui figurent dans le Candidatus rhetoricae de Jouvancy, comme de façon plus brève dans Colonia ; Gibert laisse plutôt entendre que l’orateur la produit en se laissant toucher par son objet ou son désir de persuader, comme il lui suffit, pour produire des figu­ res, « de s’abandonner aux mouvements de la passion, et de la suivre » (Gibert, 1730, 497). Cette assimilation de la persuasion à une excitation de l’émotion explique que Gibert puisse à la fois maintenir l’ambition fonctionnaliste de la rhétorique et réduire l’élocution à un simple « habillage », à un « ornement » : c’est que, par rapport à la pensée, l’éloquence vient ajouter des éléments sensibles propres à toucher ceux qui sont incapa­ bles de s’en tenir à la raison. Son système obéit ainsi souterrainement à la logique de l’éloquence religieuse, qui sert curieusement de trait d’union aux différentes traditions et obédiences chrétiennes dans l’Europe du XVIIIe siècle. Elle repose dans des proportions variables sur quatre éléments. D’une part, l’orateur chrétien s’adresse à un peuple peu cultivé, attaché aux biens terrestres (lesquels ?, serait-on tenté de dire), et surtout incapable de joindre Dieu par les voies plus ascétiques de la réflexion et de la méditation. D’autre part, la situation du prê­ cheur qui vise à répéter à l’infini ce qui a déjà été dit, à le faire adopter alors qu’il est déjà connu, transforme l’éloquence de la chaire en une sorte de redoublement par l’émotion d’une idée admise. En troisième lieu, l’orateur chrétien doit susciter dans cet auditoire léger ou rétif une disposition morale et un élan vers Dieu, et, en dernier lieu, il ne peut créer cette dynamique affective que par son émotion, et par la qualité de sa propre disposition intérieure : si Quintilien admet que par l’image on puisse se passionner fictivement, seule compte ici l’authenticité de l’être et de ce « langage du cœur » que dicte « le pur instinct de la nature»1. Dans sa volumineuse Éloquence chrétienne de 1715, Gisbert demande ainsi qu’on parle « par inspiration bien plus 1. Olivier Desbords Des Doires, De la meilleure manière de prêcher, Paris, 1700.

que par art » : « Une source intarissable de nouveaux tours, c’est votre propre cœur. Laissez-le faire, ou plutôt mettez-le en train. » Une telle éloquence qui comporte nécessairement « du superflu, des négligences, des défauts mêmes » est analogue à celle du peuple : « Chacun, dit-on, est éloquent dans sa propre cause ; pourquoi ? Parce que chacun dans sa propre cause parle par sentiment. Les discours qu’on fait alors, sont des ouvrages du cœur, non de l’esprit. »* Avec le déclin des rhétoriques baroques, l’opposition entre des modes de piété réformés et tridentins s’estompe, et on retrouve dans des contextes religieux différents, ceux du piétisme allemand, du catho­ licisme italien, ou des courants jansénistes espagnols une égale méfiance à l’égard des techniques oratoires, le même souci d’une simplicité évan­ gélique, la même réduction de l’éloquence religieuse à l’expression naturelle de l’émotion pieuse du prédicateur. Cette perspective reli­ gieuse se retrouve laïcisée dans de nombreux textes de la seconde moi­ tié du XVIir siècle, le philosophe prenant le relais du prêtre pour porter dans le peuple le flambeau des Lumières et susciter pour la bonne cause les plus nobles enthousiasmes. Ainsi se présentent Rousseau, Thomas {Essai sur les éloges, 1773) ou Diderot, des Entretiens sur Le Fils naturel à Y Éloge de Richardson et à La Religieuse : éloquence polémiquement placée à la place de celle du sermon, capable de fonder un ordre moral sans référence à Dieu12. 1. Blaise Gisbert, L’Éloquence chrétienne dans l’idée et dans la pratique, Lyon, 1715, p. 56, 93, 70, 56. On trouve des préoccupations similaires chez J. Gaichiès, L’Art de la prédication, 1712, chez les piétistes allemands (Bremayer, 1974), chez un Muratori (Regolata devozione de’cristiani, 1747, et Pregi dell’eloquenza popolare, 1750), en Angleterre, ou en Espagne chez Mayans, El Orador christiano, 1733 (voirJ. Saugnieux, 1976, M. Blanco, 1992). Pourtant les mêmes termes de «simplicité» ou de « langage du cœur » recouvrent des modes d’éloquence très différents, même opposés. Maury {Essai sur l’éloquence de la chaire, 1828) décrit comme une décadence l’éloquence sentimentale, huma­ niste et morale pratiquée au XVIIf siècle par les prédicateurs, et leur oppose aussi bien Bossuet que Bridainc, qui, dans les années 1750, fait preuve d’une « éloquence populaire, pleine de verve, d’images et de mouvements » (I, 68). En Grande-Bretagne, G. Whitefield (voir son Journal) et J. Wesley (voir aussi son Journal) fondent le méthodisme à partir de la fin des années 1730 sur une prédication de masse qui suscite des formes d’émotion collective proches de la transe (caricaturées par Richard Graves dans The Spiritual Quixote, 1773). Le piétisme entend lui que toute parole s’impose les mêmes règles de retenue, de réserve et d’authenticité affective, et demande lors du col­ legium pietatis (ou autres cercles intimes) que chacun des membres manifeste son expérience spiri­ tuelle et puisse ainsi s’édifier de ces témoignages réciproques (voir Fauscr, 1990, 123-146). Il s’oppose ainsi aussi bien aux modes de la prédication traditionnelle (plus encore aux exaltations méthodistes, même si Wesley a été influencé par les Moraves) qu’à l’idéal de la conversation. 2. Pour Sulzer, Allgemeine Théorie der Schonen Künste, 1771, in O. Best, p. 51 : le poète se fera « prophète, éducateur et bienfaiteur de sa nation » (der Dichter wird « zum Propheten, zum Lehrmeister, und Wohltàter seiner Nation »). Formule identique chez La Harpe, Lycée, an VII, t. 2, p. 220-21 : « Quand le littérateur philosophe prépare dans le silence de la retraite ces réclamations courageuses qui défèrent les abus, les erreurs et les crimes au tribunal de l’opinion publique, alors l’éloquence n’est plus seulement un art, c’est un ministère auguste consacré par la vénération de tous les citoyens et dont l’importance est telle que le mérite de bien dire est un des moindres de l’orateur, et qu’occupés de nos propres intérêts plus que du charme de ses paroles, nous n’oublions l’homme éloquent pour ne voir que l’homme vertueux et le bienfaiteur de l’humanité. »

L’identification de l’éloquence à un épanchement du cœur vient aussi contaminer des rhétoriques traditionnelles, et se loger au centre du dispositif jésuite, puisque le P. Buffier en fait le principe de sa rhéto­ rique parue en 1728, qu’il inclut en 1732 dans son Cours de science, der­ nière grande synthèse de l’ordre avant son expulsion environ trente ans plus tard, et concurrent direct (et moins heureux, quoique plus com­ plet) du livre de Rollin. En voici le titre complet. Suite de la grammaire française sur un plan nouveau, ou traité philoso­ phique et pratique d’éloquence contenant des exemples de chaque sorte de pièces d’éloquence, suivis de réflexions critiques, avec une notice des auteurs les plus renommés qui en ont traité.

Sa définition générale de la persuasion se comprend par référence implicite à la situation du sermon : « П est beaucoup de discours où il ne s’agit pas de prouver, ni de convaincre l’esprit d’aucune vérité, mais de le porter, de l’attirer, de l’attacher, de l’affectionner à quelque vérité, dont il se trouve d’ailleurs aussi persuadé que l’orateur même » (Buffier, 1732, 330). Buffier assigne donc à l’éloquence la seule fin d’émouvoir : J’ai dit que l’éloquence fait dans l’âme une impression de sentiment, pour la distinguer d’avec l’impression de simple intelligence [...]. Le raisonnement le plus solide et le plus convaincant, s’il ne se trouve que raisonnement, ne fera pas une impression de sentiment [...] au contraire, lorsque cette lumière, touche, affectionne, plaît et qu’elle excite le goût, l’inclination, la volonté, les désirs, voilà du sentiment, et c’est où tend l’éloquence dans ce qu’elle a de propre et de particulier {ibid., 299).

L’éloquence est insistance, elle reprend sous des formes multiples un même propos : « Elle consiste à dire plusieurs fois une même vérité, ou une même chose. Car s’il suffisait de la dire une fois pour l’inculquer dans l’esprit et y faire toutes les impressions qu’on prétend, ce serait moins l’exercice de l’éloquence que d’un simple langage humain » {ibid., 348). Cette technique de la variation, Buffier lui donne le nom d’exposition : « L’exposition produit son effet par les traits divers qu’elle donne à un même fonds de vérité ou de pensée, pour y arrêter l’esprit ; qui d’une simple ou première vue, n’entrerait pas assez dans ce qu’on veut lui faire sentir. Ces traits différents qui plaisent à l’esprit et l’amusent par leur variété, le frappent en même temps davantage, soit par l’uniformité du but où ils tendent, soit par la sym­ pathie, pour ainsi dire, de chacun de ces traits particuliers avec la dis­ position particulière des auditeurs » {Cours d’études, Plan général, X).

Comme Gibert, Buffier ne ramène pas cette sorte d’amplification à une série de procédés, mais la fait dépendre de la seule émotion de l’orateur, de son talent expressif : il « tire peu d’avantage des règles », sinon pour être « disert », quand « le sujet par lui-même n’est pas de nature à faire naître des sentiments ». Aussi « les règles de la rhéto­ rique, lesquelles paraissant dire beaucoup, ne signifient proprement rien, et ne sont d’aucune utilité dans la pratique » (ibid., 304, 313, 328). L’orateur doit se laisser guider par son propre sentiment : « Plein de son sujet, les paroles lui viennent naturellement et en abondance » (ibid., 306). Reflet d’une individualité unique, l’éloquence s’enracine dans la physiologie de l’homme sensible. Dans son Examen des préjugés vulgaires (1704-1725), Buffier reprend le grand principe de la pensée rhétorique qu’un même sujet se prête à des « sentiments » opposés, mais c’est aussitôt pour le ramener à une cause purement physique, comme le fait Hume quand il traite en 1757 De la norme du goût : cela tient à la « disposition des organes des sens et du sentiment ». Buffier prend comme exemple de manifestation spontanée de l’émotion le style coupé : « Quand l’orateur est animé d’une ardeur extraordinaire, pour exprimer ce qu’il a dans l’âme, rejetant le langage trop correct et trop mesuré, il se trouve porté aux expressions les plus serrées, [...] comme pour épargner le temps et les paroles qu’on craint de perdre, dans l’ardeur qui presse de marquer au-dehors ce qu’on éprouve au-dedans » (ibid., 336). L’expression du sentiment se réalise aussi dans les « tours » et les « figures » dont Buffier, dans la lignée de B. Lamy, donne une description génétique. L’ironie procède d’une émotion incapable de se satisfaire d’un énoncé direct : « Le sentiment, quand il est outré et teint pour ainsi dire d’une couleur de fiel, ne trou­ vant point dans la vérité même, de quoi faire sentir tout ce qu’il est, il a recours à des contre-vérités », et le destinataire est ainsi réveillé : « Ces contre-vérités, par leur contraste avec ce qui est évidemment vrai, le mettent dans un jour d’autant plus sensible qu’il est plus piquant » (ibid., 337). En réduisant l’éloquence à la transmission de l’émotion, et donc en rejetant tout art, Buffier en vient paradoxalement à faire envisager l’éloquence comme une œuvre d’art : produite comme la poésie, et produisant un effet de poésie. Poésie, peinture, discours, pantomime, sont mis sur le même plan : « Tout ce qui sert à imprimer dans l’âme des autres, les sentiments qu’il nous plaît, peut s’appeler éloquence, puisqu’au fond il part du même talent général, qui est de faire passer dans l’âme d’autrui, les sentiments que nous prétendons. Ainsi recon­ naîtrais-je volontiers de l’éloquence dans le talent d’un peintre ou d’un pantomime excellent, et je trouverais souvent plus d’éloquence dans un

coup d’œil, dans un soupir, dans l’air du visage, que dans les discours les plus longs et peut-être les plus admirés » (ibid., 300). Un homme élo­ quent « au fond aura le feu, le génie, la force, l’étendue, la facilité, et la vivacité d’imagination qui le ferait réussir en certain genre de poésie » (ibid., 298). Aussi le talent naturel de l’éloquence peut-il se former au contact des poètes : « L’usage de leurs ouvrages, de leurs idées, de leurs tours, de leurs saillies, de leur style, de leur enthousiasme est très capable de réveiller et d’exciter l’esprit et le génie de la poésie ; ou pour mieux dire de le développer, de le produire au-dehors et de le dis­ poser à être mis en œuvre. Il en est ainsi de l’éloquence» (ibid., 321). Muratori avait développé en 1706 des idées proches, mais il les avait appliquées à la seule poésie : elle serait le langage spontané des affects et donnerait à la vérité un habit sensible ou une expression plus accentuée qui procède de l’émotion ressentie et parvient à la trans­ mettre. Le livre de Buffier n’est pas parvenu à concurrencer le contempo­ rain Traité des études de Rollin (1726-1728) : échec des Jésuites face à l’Université et à sa méthode ? Comme on le verra, Rollin ne prétend pas non plus donner des règles pour devenir éloquent, mais il a su trouver à la rhétorique une fonction : former le goût. Buffier n’est pas étranger à cette idée. Pour lui, l’orateur ne s’abandonne pas seulement à son beau feu, il doit s’adapter à son auditoire : l’éloquence « n’a besoin pour agir que de savoir le langage de ceux devant qui elle doit s’exprimer, et de connaître avec le caractère de leur génie, la situation actuelle de leurs esprits » (ibid., 320). Ce tact subtil va être développé par la culture littéraire : « Il se fait alors dans l’âme une impression de ce qui est excellent, laquelle de concert avec nos sentiments, forme en nous, au même temps, un goût» (ibid., 321). Entrent enjeu également l’usage du monde et la connaissance des hommes : l’éloquence qui « dépend de tant de mouvements, de situations, et de conjonctures si diverses, que chacun aurait besoin de sa règle particulière » (ibid., 323) exige à la fois intuition sociale et perspicacité psychologique.

La rhétorique comme discours sur les convenances ou éducation de ce tact ? Buffier néglige cette voie, et se contente de montrer l’inutilité paradoxale de tout traité et d’expliquer comment l’éloquence advient en dehors de lui. Ses thèses sont pour une part celles des Encyclopédis­ tes, qui assimilent également l’éloquence à un langage du cœur et tien­ nent les règles pour superflues. Alors même qu’il tend par ailleurs à réhabiliter le sentiment et ses jouissances, le philosophe se trouve en effet le plus souvent d’accord avec l’esprit religieux pour opposer les élites qui pensent au peuple qui se laisse mobiliser par l’émotion et par

Vanité de la rhétorique

tout ce qui peut l’exciter, et il fait dépendre la connaissance du travail abstrait de la réflexion, et cantonne l’éloquence à la ferveur pathétique. L’abbé de Pons avait déjà soutenu cette position en qualité de Moderne en 1718 : « L’âme de l’orateur doit être extrêmement sen­ sible ; toutes ses pensées doivent porter, pour ainsi dire, les livrées de la passion » (Pons, 1738, 24). D’Alembert reprend ces idées, et leur donne une forme plus radicale et une portée nouvelle : c’est sous leur égide qu’il place le projet de VEncyclopédie dans son Discours préliminaire (1751), il les développe dans divers articles de Y Encyclopédie : Collège (t. 3, 1753), Elocution, Eloge académique (t. 5, 1755); il réitère ses critiques devant l’Académie française dans son Discours de réception de 1754, et fait une synthèse de ses interventions dans ses Réflexions sur l’élocution oratoire et sur le style en général, qui paraissent en 1759. Sa conception de l’éloquence est la même que celle de Buffier (et dans une moindre mesure de Gibert) : « L’éloquence est le talent de faire passer avec rapidité et d’imprimer avec force dans l’âme des autres le sentiment dont on est pénétré. Ce talent sublime a son germe dans une sensibilité rare pour le grand et pour le vrai. La même disposition de l’âme, qui nous rend susceptibles d’une émotion vive et peu commune, suffit pour en faire sortir l’image au-dehors : il n’y a donc point d’art pour l’éloquence, puisqu’il n’y en a pas pour sentir» (1759, 304-305) (formule reprise par Trublet en 1755 : « Il n’y point d’art pour sentir »). L’éloquence est un « talent » auquel on ne peut « suppléer par des règles », « c’est à peu près comme si on eut voulu réduire le génie en pré­ ceptes ». Seule la nature « peut créer un homme éloquent » (1965, 46). D’Alembert s’appuie sur ce constat pour récuser toute rhétorique, et souhaite son dépérissement : « A l’égard de ces puérilités pédantesques qu’on a honorées du nom de rhétorique, ou plutôt qui n’ont servi qu’à rendre son nom ridicule, et qui sont à l’art oratoire ce que la sco­ lastique est à la vraie philosophie, elles ne sont propres qu’à donner de l’Eloquence l’idée la plus fausse et la plus barbare » (ibid.). Ces phrases inscrites en tête du Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, définissent le travail des philosophes par opposition à la culture d’esprit rhétorique dont les Jésuites avaient capté l’héritage. D’Alembert cherche à la liquider dans son article « Collège » en se moquant de sa soumission au latin, de sa frivolité (avec la composition et l’interprétation des « tragédies », à côté des énigmes, ballets et comé­ dies : le P. Porée au collège Louis-le-Grand (entre 1708 et 1742) s’illustre par ses comédies et ses tragédies en latin), de son obscuran­ tisme, et Marmontel à l’article « Chrie » du Supplément lui emboîtera le pas. L’article « Elocution » prend pour cible les rhéteurs modernes qui adaptent en français « définitions, préceptes et détails » tirés des théori­

ciens antiques, « nécessaires peut-être pour lire les Anciens avec fruit, mais absolument inutiles, et contraires même au genre d’éloquence que nous connaissons aujourd’hui ». Pour autant le traitement de la rhétorique dans Y Encyclopédie n’est pas homogène. Dans un premier temps, Dumarsais traite une partie de l’analyse des figures mais l’intègre à la grammaire, tandis que l’abbé Mallet couvre l’essentiel du domaine en reproduisant des définitions traditionnelles et en les faisant entrer dans la rubrique des « belleslettres » : ainsi fait-il par exemple pour l’amplification (que d’Alembert ridiculise de son côté). Mais le premier meurt en 1756, le second en 1755; les notions de rhétorique sont alors partagées capricieuse­ ment entre d’Alembert, Diderot, Jaucourt et Voltaire (dont les articles « Éloquence » et « Imagination » reproduisent le discours que la rhéto­ rique tient sur elle-même, et mentionnent des modèles d’éloquence). Dans un troisième temps, dans les Suppléments (comme ensuite dans les volumes de VEncyclopédie méthodique), Beauzée et Marmontel sont chargés de compléter ce qui manquait, et se partagent les articles en les distri­ buant entre grammaire, belles-lettres et éloquence. L\Encyclopédie traite donc la rhétorique comme une discipline, et donne les emplois techni­ ques de son vocabulaire, comme le ferait un dictionnaire de langue ; elle en intègre parallèlement de nombreux éléments dans des ensem­ bles neufs qui obéissent au principe de la « grammaire générale » ou de la « littérature », et elle explique par ailleurs que cette discipline n’est mentionnée que parce qu’elle existe encore : par elle-même elle ne vaut rien.

D’Alembert déplace une partie du travail de la rhétorique et la met au service de la clarification lexicale et textuelle (ce point est abordé dans notre quatrième partie), et pour ce qui est de l’éloquence proprement dite, il la rattache à un autre courant qui a été déterminant dans son assimilation à une expression du sentiment, celui du sublime : Nul discours ne sera éloquent s’il n’élève l’âme : l’éloquence pathétique a sans doute pour objet de toucher ; mais j’en appelle aux âmes sensibles, les sentiments pathétiques sont toujours en elles accompagnés d’élévation. On peut donc dire qu"éloquence et sublime sont proprement la même chose ; mais on a réservé le mot de sublime pour désigner particulièrement l’éloquence qui présente à l’auditeur de grands objets ; et cet usage gram­ matical, dont quelques littérateurs pédants et bornés peuvent être la dupe, ne change rien à la vérité (d’Alembert, «Élocution», 1755).

Quand il remanie son article en 1759, d’Alembert ne se contente plus d’assimiler éloquence, pathétique et sublime, il identifie leur effet à

Le recours au sublime

ceux des œuvres d’art. Éloquence et poésie sont désormais confondues, par des arguments qui évoquent Lessing : « Le propre de l’éloquence est non seulement de remuer, mais d’élever l’âme ; c’est l’effet même de celle qui ne paraît destinée qu’à nous arracher des larmes ; le pathé­ tique et le sublime se tiennent ; en se sentant attendri, on se trouve en même temps plus grand, parce qu’on se trouve meilleur ; la tristesse délicieuse et douce, que produisent en nous un discours, un tableau touchant, nous donne bonne opinion de nous-mêmes par le témoi­ gnage qu’elle nous rend de la sensibilité de notre âme ; ce témoignage est une des principales sources du plaisir qu’on goûte en aimant, et en général de celui que les sentiments tendres et profonds nous font éprouver» (1759, 319-320). Aucune différence entre l’éloquence, la poésie et l’amour, qui tous les trois ramènent l’individu à une contem­ plation narcissique de soi : ils lui font prendre conscience de sa gran­ deur et de ses capacités à sentir : ils font sentir le sentiment lui-même1. Le principe de ce repli narcissique du destinataire sur la perception de sa propre émotion tient en partie à l’emprise de la philosophie sensualiste depuis Locke. Mais celle-ci n’a pu conduire à un tel développe­ ment qu’en investissant la pensée du sublime située traditionnellement à la rencontre de la morale, de la poésie et de l’éloquence. L’idée de sublime permet d’échapper aux contraintes de la théorie de l’imitation, devenue pesante dans sa dénonciation des libertés baroques, et dont Dubos accuse de son côté les contradictions comme pour appeler à une autre conception de la poésie : l’esthétique. Rhétorique et poétique invitent à parler (à faire parler) comme sous l’emprise de passions réel­ les et comme pour plonger le destinataire dans une situation vécue. Le Traité du sublime de Longin, dans la version standardisée par Boileau en 1674 pour une partie de l’Europe, met en évidence le travail spéci­ fique de l’artiste ou de l’être supérieur qui, par la vigueur de son expression ou de sa perception, dégage la valeur des phénomènes ou sait leur en donner. C’est lui qui, par son génie créateur ou sa récepti­ vité exceptionnelle, en découvre le sublime, ou même le produit, et qui attire le lecteur pour qu’il partage cette émotion exaltante (Baldine Saint-Girons, 1993). Le sublime sollicite une réaction à la qualité de ce qui est énoncé, et cette qualité (nouveauté, grandeur, merveilleux, etc.) est une pro­ priété de type esthétique, qu’on retrouve dans les essais contemporains sur le Beau. Mais, alors que Longin lie la production du sublime à un 1. De même, selon Lessing, le théâtre ne doit pas chercher à nous faire partager une opinion ou une attitude, mais par sa capacité à émouvoir ou à faire rire, il développe notre faculté de compassion ou de rire, et par là nous fait accéder à notre pleine humanité.

apprentissage des formes et à l’idée qu’on peut imiter l’expression des passions, le premier XVIIF siècle en France et en Angleterre l’englobe dans une pensée de l’inspiration ou de l’enthousiasme : le sublime dépend d’une sensibilité unique à la grandeur, comme si n’était retenu que le phénomène de l’élévation de l’âme dont il est l’agent et qui est devenu son contenu essentiel. Dans le seul texte qui lui est alors entiè­ rement consacré en France, le Traité du sublime (1732), dont les liens avec les conceptions classiques et Boileau ont déjà été présentés dans le chapitre 16, Silvain commence par écarter toute idée d’apprentissage ou de culture du sublime : il ne faut pas en chercher les principes chez les rhétoriciens, mais dans le cœur de l’homme et dans la nature (1732, chap. 1). Silvain reprend l’idée que le sublime « élève l’âme au-dessus de ses idées ordinaires de grandeur, et [...] la portant tout à coup avec admiration à ce qu’il y a de plus élevé dans la nature, la ravit, et lui donne une haute idée d’elle-même » (ibid., 14). Il attribue sa production au seul sentiment : « Ce mouvement de l’orateur, qui vient de l’impression que l’objet a faite en lui, se communique à ceux qui l’écoutent » (ibid., 71). Le sublime correspond à une qualité objective ou du moins réelle, mais sa perception dépend entièrement de l’effet qu’il a produit sur une âme privilégiée, qui le manifeste spontanément : « Le sublime consiste non seulement dans la grandeur extraordinaire d’un objet, mais encore dans l’impression que cet objet a faite sur l’orateur, c’est-à-dire dans les mouvements qu’il a excités en lui, et qui sont imprimés dans l’air et dans le tour de son expression » (ibid., 472). Le sublime dépend donc de la conformité sensible de l’individu, et l’auditeur peut percevoir l’empreinte qu’il a laissée dans le discours en épousant à son tour le mouvement de sa genèse. Les « mouvements » constitutifs du sublime « naissent d’eux-mêmes », « il est donc certain que l’art ne peut servir de rien pour acquérir le sublime, et il ne sert pas davantage pour le guider et pour le conduire» (ibid., 473). Dans l’article « Sublime » de Y Encyclopédie (1765), Jaucourt juxtapose aux des­ criptions de Longin-Boileau, agrémentées de quelques exemples modernes, pris surtout chez Corneille, ce développement original de Silvain (qu’il cite), et conclut par sa belle formule, qui reprend en partie une expression de Longin-Boileau : « Le seul art du sublime est d’être né pour le sublime » (en 1777, Marmontel dans le Supplément de VEncy­ clopédie est en retrait, fait une allusion à Burke, mais définit le sublime uniquement comme une propriété des choses). Silvain prend soin de placer le sublime en dehors du rhétorique : il ne cherche ni à émouvoir ni à instruire. Il l’oppose en particulier au pathétique, qui excite les passions en les exprimant (et non seulement en proposant leur objet) : «J’entends par le pathétique des discours vifs,

touchants et animés, qui expriment les passions de celui qui parle, et qui par là sont propres à les inspirer à ceux qui l’écoutent » {ibid., 260). Le sublime se distingue du pathétique par la nature de ses objets qui sont abstraits et ne suscitent donc pas un désir de consommation : « L’amour du vrai bien, [...] celui de la justice, de la vérité, de la vertu, et les senti­ ments que ces amours produisent [ne sont pas des passions] qui n’ont pour but et pour origine que des choses sensibles, et des biens périssa­ bles » {ibid., 337-338). En posant la question de biens abstraits, Silvain veut différencier l’émotion ressentie face à un objet fictif de ce que sa présentation sublime éveille, et qui est d’un autre ordre. Cet ordre métaphysique peut être entendu en termes esthétiques ou en termes religieux, ou dans leur réunion. Dans son livre sur Y éloquence chrétienne (c. 13), Gisbert fait de Dieu l’objet suprême du sublime, met­ tant ainsi l’orateur chrétien dans une position privilégiée. Son élévation est nourrie par la familiarité avec le Verbe divinement éloquent, par les « grands objets, que la foi met devant [ses] yeux, d’un Dieu infini, d’un éternité de châtiment et de récompense, etc. » (Gisbert, 1715, 207), et plus encore par « l’idée du beau », dans lequel Gisbert, se référant à Platon, voit l’émanation même de Dieu : « Ce beau, [...] n’est autre chose qu’une expression, et une image de cette raison universelle qui se trouve dans tous les hommes ; [...] raison toujours saine et pure, parce qu’elle est une participation et un écoulement de l’Être infiniment beau, qui est Dieu même ; la source et le modèle de toutes les beautés, répandues dans tous les êtres» {ibid., 210). Gisbert peut donc inviter l’orateur à s’abandonner « aux nobles transports d’un saint enthou­ siasme et d’une éloquente fureur » {ibid., 213), et conclure en reprenant tous les conseils de Longin-Boileau sur l’art du sublime, parce qu’il a identifié le beau avec le sens de l’ordre et de l’harmonie (comme le fait Fénelon dans Les Aventures de Télémaque) : « Un discours éloquent doit être l’image de la raison, et la raison l’image de l’être infiniment beau, qui est lui-même la bonté, la vérité et la sagesse, et la souveraine rai­ son » {ibid., 211). Cette articulation entre esthétique platonicienne et sublime chrétien (dont on sait les prolongements jusqu’au romantisme), l’Angleterre s’y intéresse dès le début du XVIIIe siècle, en prenant le point de vue non de la religion (comme le fait encore d’Alembert dans l’article « Élocu­ tion »), mais celui de la poésie et de la littérature: pour un Dennis ou un Shaftesbury l’essor de l’âme dans le beau procède d’une expérience sensible, d’une réaction aux qualités de la nature et de l’art. Shaftesbury a placé au centre de sa pensée la notion d’enthousiasme, et il la conçoit sous deux faces opposées qui commandent les deux pans de son œuvre. Dans A Letter concerning Enthusiasm, il l’envisage comme la

source des fanatismes les plus divers, engendrant « paniques » ou folies visionnaires, et c’est pour lutter contre ce danger qu’il recom­ mande l’exercice de la conversation, de l’humour, de la raillerie, du dia­ logue intérieur. Mais dans son essai The Moralists, il définit l’enthousiasme comme un bouleversement de l’âme qui, confrontée à la beauté, découvre l’ordre du monde et la perfection de sa forme. Ceux qui s’abandonnent à cette émotion « romantique » passent pour mélan­ coliques ou « enthousiastes » : The Transports of Poets, the Sublime of Ora­ tors, the Rapture of Musicians, the high Strains of the Virtuosi, all mere ENTHUSIASM ! Even Learning itself the Love of Arts and Curiositys, the Spirit of Travellers and Adventurers; Gallantry, War, Heroism; ALL, all ENTHUSIASM1 !

Littérature et éloquence sont ainsi englobées dans une esthétique générale : elles font partie de ces expériences passionnées qui servent de prélude à la perception d’une grandeur définie par son concours à l’ordre universel. L’enthousiasme s’approche ainsi par empathie de la valeur esthétique du monde qui est conçue comme son principe créa­ teur : That the Beautiful, the Fair, the Comely, were never in the Matter, but in the Art and Design ; never in Body itself but in the Form or forming Power1 2. La sensibilité au design qui informe l’univers fait de l’enthou­ siaste à son tour un créateur : perception et composition sont deux for­ mes conjointes de participation à l’Esprit du monde. Mettant l’accent sur la valeur dynamique et créatrice du design, Shaftesbury en découvre l’empreinte dans les formes brutes de la nature, joignant ainsi sens de l’ordre et primitivisme, comme, un demi-siècle plus tard, Diderot ou Bettinelli reconnaissent paradoxale­ ment dans le classicisme grec son énergie vitale : Even the rude Rocks, the mossy Caverns, the irregular unwrought Grotto’s, and broken Falls of Waters, with all the horrid Graces of the Wilderness itself, as representing NATURE more, will be the more engaging and appear with a Magnificence beyond the formal Mockery of princely Gardens3. Si Hutcheson, dans son Inquiry into the Original of our Ideas of Beauty and virtue (1725), conserve 1’orientation platonisante de Shaftes­ bury, la pensée du sublime et de l’inspiration se réfère en Angleterre 1. Shaftesbury, 1723, II, 400 (1759, 319: «Les transports des Poètes, le sublime des Ora­ teurs, les extases des Musiciens, l’enchantement des Virtuosi [= amateurs], tout est pur enthou­ siasme ! La Littérature même, l’amour des Arts et des Découvertes, l’esprit des Voyageurs et des Aventuriers, la galanterie, la guerre, l’héroïsme ; pur Enthousiasme ! »). 2. Ibid., 405 (1759, 323 : «Le Beau, Г Agréable, l’Élégant, ne furent jamais dans la matière, mais dans l’Art et le dessein ; jamais dans le corps même, mais dans la faculté qui le forme »). 3. Ibid., 393-394 (1759, 314: «Les rochers mêmes, les cavernes couvertes de mousse, les grottes irrégulières, les cascades rompues, avec toutes les grâces terribles de la solitude qui repré­ sentent mieux la Nature, m’intéressent davantage, et m’offriront plus de magnificence que tout le petit appareil des jardins des Princes »).

plutôt à la tradition littéraire nationale - qu’elle invoque les grands maîtres de l’épique et du tragique (Spenser, Shakespeare et Milton), se nourrisse de la familiarité protestante avec la Bible, ou se réapproprie la romance médiévale ou les bardes autochtones. Aussi peut-elle, hors de tout académisme, dégager la force première de la littérature épique dont les traits strike the imagination with resistless Force, break in upon the Soul and excite generous and divine Passions suitable to the Subject. [...] All Things excite Admiration that either transcend the Sphere of finite Activity, or that break the usual Series of Natural Causes and Events'. Proche de Shaftesbury, puisqu’il suppose que l’expérience esthé­ tique découvre l’harmonie du monde, J. Dennis au début du siècle infléchit la théorie du sublime en le fondant sur une transposition de l’éloquence religieuse dans le champ littéraire, et par là, contre les Lumières françaises, il amorce une poétique fondée sur la tradition, sensible à sa valeur primitive et capable de déboucher sur de nouvelles terres que le romantisme fera siennes (C. Zelle, 1987). Pour lui, ce qui est « sacré » offre en effet un objet conforme à la spécificité de l’expérience poétique. Celle-ci est fondée sur des passions comme l’admiration, la terreur ou la joie, qui prennent la dimension spécifique de 1’ « enthousiasme » quand leur cause n’est pas clairement comprise par celui qui la ressent, quand il est face au mystère de l’infini ou de la religion. C’est ce qui explique que les Anciens, dont les comédies sont inférieures, l’emportent par leur poésie : Sacred Subjects are more susceptible of Passion than Prophane ones, and the Subjects of the Ancients were sacred in their greater Poe­ try, I mean either Sacred in their own Nature, or by their Manner of handling them12. Dennis développe ses idées dans son essai de 1704, The grounds of cri­ ticism in poetry. Il associe la poésie au mouvement du désir, qui, loin de s’effrayer de l’infini, s’y complaît. Le sacré n’est pas l’apanage de la religion, mais se découvre dans un élan de l’âme : Poetry may seem to have some participation of divineness, because it doth raise the mind, and exalt the spirit with high raptures, by proportioning the shews of things to the desires of the Mind,

1. Richard Blackmore, Upon epick poetry, Essays, 1716, I, 33-34: «Elle frappe 1’imagination avec une force intense, s’offrant à l’âme pour exciter des passions généreuses et divines conformé­ ment au sujet. Tout y excite une admiration ou qui transcende la sphère de l’activité finie, ou qui enfreint l’ordre naturel des causes et des événements. » 2. John Dennis (The Advancement and Reformation of Modem Poetry, 1701), 1939, 216: «Les sujets sacrés appellent davantage les passions que les profanes, et les sujets des Anciens étaient sacrés dans leur haute poésie, c’est-à-dire sacrés par leur nature propre, ou par leur traitement. »

and not submitting the mind to things, as reason and history do1. La vérité de la création est ce qu’elle découvre d’une postulation métaphysique de l’individu. L’enthousiasme est conçu comme une passion qui ne s’adresse pas aux objets réels mais qui est suscitée par la méditation de l’esprit sur ces objets. La poésie manifeste donc « l’excellence du discernement de l’auteur et la largeur de son âme »1 2, puisque c’est l’incidence sur la conscience de l’objet qui fait la matière de la poésie : The Enthusiastick Passions are chiefly six, Admiration, Terror, Horror, Joy, Sadness, Desire, caused by Ideas occuring to us in Meditation, and Producing the same Passions that the Objects of those Ideas would raise in us, if they were set before us in the same light that those Ideas give us of them34 . L’exposé sur la terreur, qui doit mettre le comble à la « force » et à la « véhémence » du discours, assimile le sentiment religieux à une sensibilité au merveilleux et à l’extrême qui préfigure les théories ulté­ rieures du sublime et semble dresser un programme littéraire : The several Ideas which are capable of producing this enthusiastick Terror, [...] viz, Gods, Daemons, Hell, Spirits and Souls of Men, Miracles, Prodigies, Enchant­ ments, Witchcrafts, Thunder, Tempests, raging Seas, Inundations, Torrents, Earthquakes, Volcanos, Monsters, Serpents, Lions, Tygers, Fire, War, Pestilence, Famine, etcA Cette activité créatrice de l’enthousiasme est un thème privilé­ gié de la poésie anglaise du premier XVIIF siècle. H a été déve­ loppé par Akenside en 1744 dans un poème (The Pleasures of imagina­ tion) que d’Holbach traduit en 1759. On y trouve une image de l’inspiration de l’écrivain dont l’érotisation a pu inspirer Diderot ou Marmontel : L’âme sent par degrés que ses organes se dilatent, que ses ressorts s’efforcent d’entrer en action ; des mouvements aveugles soulèvent le sein agité ; entraîné par un délire aimable, l’homme porte son œil de la terre jusqu’aux deux, et le ramène des deux à la terre. Aussitôt une foule 1. Bacon cité par Dennis, ibid., 327 : « La poésie a quelque chose de divin, parce qu’elle élève l’esprit et le conduit à de profondes extases, en proportionnant l’ordre des choses à ses désirs, et sans soumettre l’esprit à l’ordre des choses, comme la raison et l’histoire le font. » 2. Ibid., 345 : It shows the Excellence of the Author's Discernement and the Largeness of his Soul. 3. Ibid., 338-339 : « Il y a principalement six passions enthousiastes, l’admiration, la terreur, l’horreur, la joie, la tristesse, le désir, elles sont provoquées par des idées qui se présentent à la méditation, et elles produisent les mêmes mouvements que les objets de ces idées susciteraient en nous s’ils se présentaient à nous dans l’éclairage de ces idées. » 4. Ibid., 361 : « Les idées diverses qui sont à même de susciter cet enthousiasme de la terreur, par exemple les dieux, les démons, l’enfer, les esprits et les âmes des hommes, les miracles, les pro­ diges, les enchantements, les sorcelleries, le tonnerre, les tempêtes, les mers déchaînées, les inonda­ tions, les torrents, les tremblements de terre, les volcans, les monstres, les serpents, les lions, les tigres, le feu, la guerre, la peste, la famine. »

d’objets divers paraissent [...] comme des fantômes à la voix d’un enchan­ teur [...]. H considère ces spectres à mesure qu’ils s’élèvent ; tantôt il com­ pare leurs formes différentes ; tantôt il les combine ; tantôt il les sépare ; il les augmente et les diminue successivement ; il les oppose ; il les partage en troupes, et les varie à l’infini [...]. Ainsi par des degrés rapides son plan se développe, et se montre sans nuage à ses regards. Les couleurs se mêlent, les traits s’unissent, les lignes se rassemblent [...] ; l’artiste s’arrête quelque temps à contempler son ouvrage avec les yeux d’un Père. Ensuite comme Prométhée, il donne l’âme et la vie aux organes propres à la rece­ voir1 (Akenside, 1759, 143-144).

Dans cette représentation du travail créateur, les théories de l’inspiration convergent avec la réhabilitation de l’imagination consi­ dérée comme fondement de l’activité artistique, engagée par Addison en 1712. Ce mouvement est examiné séparément dans la mesure où il se greffe sur une autre tradition, celle de la « vision-peinture », et qu’il va ainsi offrir à la rhétorique un nouveau débouché : aider à cultiver le goût, et soutenir la littérature d’un commentaire et d’une norme. Avant d’en venir à cette troisième partie de notre chapitre, on peut noter comment l’assimilation poésie/éloquence ne conduit pas seule­ ment à un effacement du travail rhétorique, mais assure aussi le main­ tien d’une conception rhétorique de la poésie chargée de transmettre valeurs ou modèles. C’est ce que défend Fénelon dans sa Lettre à VAcadémie (1714), publiée ensuite avec ses Dialogues sur l’éloquence (1718) qui ont été rédigés presque quarante ans plus tôt, mais dont l’insistance sur l’expression pathétique et la communication des affects trouvent une actualité nouvelle. L’idée qui se répand après 1750, et jusque pen­ dant la Révolution, d’un philosophe orateur qui s’adresse au tribunal de l’opinion publique, poussé par son zèle à combattre les ombres et à répandre la lumière, est en partie déterminée par le discours sur l’enthousiasme et l’inspiration : l’orateur émeut d’autant plus qu’il s’abandonne à son émotion et s’impose par l’originalité de son génie. Mais dès Les Aventures de Télémaque - dont l’idéal d’une éloquence poli­ tique confiée aux artistes est réaffirmé par Ramsay (qui édite les Dialo­ gues sur l’éloquence) dans ses Voyages de Cyrus, 1728 (A. Chérel, 1917) -, Fénelon réunissait éloquence de l’art et éloquence du discours par une 1. Akenside, 1775, III, v 380 s. : By degrees the mind / Feels her young nerves dilate, the plastic power / Labour for action : blind emotions heave / His bosom ; and with the loveliest franzy caught. / From earth to heaven he rolls his daring eye, / From heaven to earth. Amon ten thousand shapes, / Like spectres trooping to the wizard's call, / Fleet swift before him. [...] With fixed gaze / He marks the rising phantoms. Now compares / Their different forms ; nom blends them, now divides ; / Inlarges and extenuates by turns; / Opposes, ranges in fantastic bands, / And infinitely varies [...] by swift degrees, Thus disentangled, his entire design / Emerges. Colours mingle, features join, / And lines converge [...] А-while he stands, and with a father's joy / Contemplates. Then with Promethean art / Into its proper vehicles he breathes / The fair conception.

fin commune, de type esthétique : faire sentir l’ordre du monde qui est principe de vie morale et politique. Dans la perception de la forme Fénelon fait résider le message du discours ; il assigne à toutes les pro­ ductions éloquentes, rhétoriques ou poétiques, de rendre cette forme sensible, et pour cela, il demande à l’écrivain et à l’artiste de savoir « peindre ». C’est cette assimilation du discours au tableau et son inci­ dence sur la rhétorique que je vais analyser maintenant. LES PLAISIRS DE L’IMAGINATION ( « THE PLEASURES OF THE IMAGINATION » ) ADDISON, 1712 « Il n’y a point d’éloquence sans poésie, parce que l’éloquence doit peindre. » Trublet, 1755, 9.

Les théories de l’inspiration créatrice trouvent d’autant mieux leur place dans le discours rhétorique qu’elles en procèdent souvent directe­ ment, mais pour s’inscrire dans sa logique, elles le pervertissent et le condamnent à l’inutilité : non seulement le movere est érigé en fin auto­ nome, mais il exclut toute technique, et le plus souvent, toute subordi­ nation à une fin pragmatique. Et pourtant, dans cette première partie du siècle, et pour le reste, au moins dans sa version scolaire, l’idée d’« inspiration » s’accompagne d’une reprise (parfois complète) des concepts et des analyses rhétoriques. Cette combinaison s’explique uni­ quement parce que les éléments traditionnels sont utilisés dans une autre perspective épistémologique. Pour comprendre cet usage neuf de la rhétorique (qui se montre avec le plus d’évidence chez Batteux), on doit d’abord regarder ce qui l’englobe, et de l’extérieur, lui donne son sens : à l’égal du movere, le delectare est érigé en fin autonome, et il repose sur la possibilité de voir partout des « tableaux » offerts à la jouissance de l’imagination. Et comme pour le movere, ce processus s’engage dans un dialogue avec la rhétorique, en découle pour une part, et vient en retour la modifier.

La rhétorique traite tout discours comme une « peinture » parce que, dans le champ de l’éloquence, de la littérature et de l’art, la position du spectateur (Fried, 1991) a été privilégiée, et érigée en principe de toute relation aux choses, aux textes ou aux œuvres, se substituant ainsi à celle de l’orateur. De cette réorganisation profonde, l’élément le plus déterminant a été la série d’articles qu’Addison a consacrés aux « plai­ sirs de l’imagination» dans le Spectator de juin-juillet 1712. Travail

La logique du tableau

novateur, synthétique, radical, immédiatement connu par des traduc­ tions nombreuses, et qui influence notablement l’Allemagne (en parti­ culier par l’école suisse: Bodmer et Breitinger entre 1720 et 1740 (Grimmiger, 1980, Vietta, 1986), l’Italie (voir Bettinelli, après 1750), VEncyclopédie : d’Alembert l’assimile, Voltaire le cite dans son article « Imagination » comme s’il ne voulait rien comprendre. En donnant à l’imagination un rôle fondamental dans la constitu­ tion du goût, à la fois dans le travail de l’artiste et dans la jouissance de l’amateur, Addison combine deux éléments fondamentaux : l’image et la distance. Il prend pour modèle ce qui se présente à un spectateur désengagé, et qui par là est susceptible d’un plaisir pur, c’est-à-dire sans finalité autre que lui-même1 (en cela on est bien aux antipodes de l’éloquence, qui peut néanmoins tomber dans le filet de l’imagination : prenez-la pour un spectacle !). L’imagination part de ce que la vue (réelle) fournit comme image, et ensuite la soustrait du réel pour l’intégrer à un monde intérieur qui le fait obéir à ses caprices de com­ binaison ou de transformation : « C’est la Vue qui fournit des idées à l’imagination, ou à la Fantaisie ; [...] mais dès que ces Images y sont une fois admises, nous avons le pouvoir de les retenir, de les changer, et de leur donner toutes les variétés de la Peinture et de la Perspective qui sont les plus agréables à l’imagination : c’est aussi par le moyen de cette Faculté qu’un Homme logé dans une basse-fosse peut s’entretenir des Scènes les plus magnifiques, et de Paysages plus beaux qu’aucun qui se puisse trouver dans toute l’enceinte de la Nature. »1 2 La place centrale de l’imagination fait que d’un côté la lecture ou la perception des œuvres en partagent la liberté et le détachement, et inversement, la composition ou la création restent soumises à l’objectivité d’une réfé­ rence réelle ou virtuelle. Le rapport au monde et l’invention de l’artiste sont assimilables parce qu’ils procèdent de la même manière : à partir de ce qui s’offre ou s’est offert à la vue, ils instaurent des effets de tableau.

1. Idée avancée par La Motte dans son Discours sur la poésie en général et sur l’ode en particulier, 1707 (Œuvres, Paris, 1753, t. 1, p. 16-17) : « Son unique fin est de plaire. [...] Je sais que de grands hommes ont supposé à presque tous les genres de poésie des vues plus hautes et plus solides : ils ont cru que le but du Poème épique était de convaincre l’esprit d’une vérité importante ; que la fin de la Tragédie était de purger les passions, et celle de la Comédie de corriger les mœurs. Je crois cependant, avec le respect que nous devons à nos maîtres, que le but de tous ces ouvrages n’a été que de plaire par l’imitation. » 2. Addison, IV, 257 (1985, III, 536-537 (n° 411) : It is this Sense which furnishes the Imagination with its Ideas [...]. We cannot indeed have a single Image in the Fancy that did not make its first Entrance through the Sight ; but we have the Power of retaining, altering and compounding those Images, which we have once received, into all the varieties of Picture and Vision that are most agreeable to the Imagination ; for by this Faculty a Man in a Dungeon is capable of entertaining himself with Scenes and Landskips more beautiful than any that can be found in the whole Compass of Nature).

Ces effets reposent sur trois qualités principales qui sont pour l’imagination autant de « charmes » : le « grand », le « nouveau ou l’extraordinaire », et le « beau » (what is great, uncommon, or beautiful). Addison définit le « grand » comme ce qui se dérobe à la perception (et donc à la représentation) et conduit l’esprit à l’infini : « Il est mis en quelque manière en liberté à la vue d’un vaste Horizon, où l’œil se promène à son aise et se perd au milieu de la variété des Objets qui l’environnent de toutes parts. Ces Aspects qui n’admettent point de bornes sont aussi agréables à l’imagination que les réflexions sur l’Étemité ou l’infini le peuvent être à l’Entendement » (le sublime est ainsi rejoint par une autre voie)1. Anticipant les pages de d’Alembert sur l’imagination du savant qui égale celle du poète (dans le Discours préliminaire), Addison reprend le texte sur les deux infinis de Pascal et en fait la matière du plaisir que la « nouvelle philosophie » procure à l’imagination. Addison ne se contente donc pas d’intégrer les acquis du sensualisme lockien, il élargit le domaine de la littérature en la fondant en compréhension sur son mode de réception, et peut ainsi ouvrir le monde des sciences aux écrivains : [H] n’y en a point qui contribuent davantage à plaire et à donner de l’étendue à l’imagination que les Auteurs de la nouvelle Philosophie ; soit que nous ayons égard à leurs Théories de la Terre ou du Ciel, aux Décou­ vertes qu’ils ont faites par le moyen des Lunettes et des Microscopes, ou à toute autre de leurs Spéculations sur la Nature. [...] D n’y a rien de plus agréable à l’imagination que de s’étendre elle-même, et de remarquer les différentes proportions qu’il y a entre ces divers Objets, lorsqu’elle com­ pare le Corps de l’homme à toute la masse de la Terre, celle-ci au Cercle qu’elle décrit autour du Soleil, ce Cercle à la Sphère des Étoiles fixes, cette Sphère à la Circonférence de tout l’Univers, et cette Circonférence à l’Espace infini qui l’environne de toutes parts ; ou bien lorsqu’elle descend du Corps humain à un Animal cent fois plus petit qu’une Mite1 2.

Le « nouveau » dépend pour sa part des « attentes » du spectateur, et surprend particulièrement quand les frontières entre nature et art s’estompent. Enfin, le sentiment du beau exige pareillement de l’individu disponibilité psychologique, ressources culturelles et capacité à forger des univers neufs. Les « qualités » sont abstraites par l’imagination des choses, elles ont donc un substrat objectif, qui va jus­ 1. Ibid., 262 (1985, III, 541 (n° 412) : A spacious Honson is an Image of Liberty, where the Eye has Room to range abroad, to expatiate at large on the Immensity of its Views, and to lose itself amidst the Variety of Objects that offer themselves to its Observation. Such wide und undetermined Prospects are so pleasing of the Fancy, as the Speculations of Eternity or Infinitude to the Understanding. 2. Ibid., 314-316 (1985, III, 574-575 (n° 420)).

qu’à englober la science. En même temps leur perception tient unique­ ment à la nature de l’imagination, qui répond aux appels du réel, et surtout sait à partir des images reçues créer des mondes les plus aptes à la « charmer », c’est-à-dire à produire des effets de beauté, de nou­ veauté, de grandeur : « H est au pouvoir de l’imagination, lorsqu’elle est une fois munie d’idées particulières, de les étendre, de les composer, et de les diversifier, comme il lui plaît. »’ On peut ainsi donner des impressions d’infini, jouer des sensations mêlées (musique, odeurs, vues), ou des associations qui évoquent à partir d’un élément symbo­ lique ou culturel d’autres images ou souvenirs, intensifier la beauté d’un personnage et le doter de passions touchantes, ou conduire l’esprit dans un « nouveau monde » pour y faire voir « des personnes et des manières toutes différentes de celles de notre Espèce » (309), nous faire goûter « des idées extravagantes et des chimères » (311). L’imagination permet à l’homme de s’approprier le monde, d’en être comme le créa­ teur, sans qu’il ait à y participer ni à se salir les mains : « П acquiert par là une espèce de Propriété dans tout ce qu’il voit, et il oblige les Déserts, les Rochers et les endroits les plus incultes de la Nature à four­ nir à ses Plaisirs : de sorte qu’il voit le Monde, pour ainsi dire, dans un autre jour, et qu’il y découvre une infinité de charmes, qui se cachent à la plupart des Hommes. »12 Ce retrait du monde, Addison le pense dans sa radicalité, puisqu’il concerne déjà notre perception concrète : la science, autant dire Newton, nous apprend que la lumière et les cou­ leurs sont des « idées que les [objets] excitent en nous, si différentes de tout ce qui se trouve en eux-mêmes » (271). Addison peut donc compa­ rer le monde que nous percevons et qui nous enchante à ces enchante­ ments propres aux romans de chevalerie : « En un mot, nos Ames s’égarent et se perdent aujourd’hui dans une agréable illusion, et nous avons à peu près le sort d’un Héros de Roman, qui voit des Châteaux, des Bois et des Prairies d’une beauté ravissante ; mais à la fin de quelque enchantement secret, toute cette belle Décoration s’éclipse, et l’infortuné Chevalier se trouve dans une Plaine stérile, ou dans un Désert solitaire. »3 La littérature merveilleuse et fantastique (the fairy way 1. Ibid., 288 (1985, III, 558-559 (n° 416) : Since it is in the Power of the Imagination, when it is once Stocked with particular Ideas, to enlarge, compound, and vary them at her own Pleasure'). 2. Ibid., 259 (1985, III, 538 (n° 411) : It gives him, indeed, a kind of Property in evey thing he sees, and makes the most rude uncultivated Parts of Nature administer to his Pleasures : So that he looks upon the World, as it were, in another light, and discovers in it a Multitude of Charms, that conceal themselves from the generality of Mankind). 3. Ibid., 272 (1985, III, 546-547 (n° 413) : In short, our Souls are at present delightfully lost and bewil­ dered in a pleasing Delusion, and we walk about like the Enchanted Hero of a Romance, who sees beautiful Castles, Woods and Meadows ; and at the same time hears the warbling of Birds, and the purling of Streams ; but upon the finishing of some secret Spell, the fantastick Scene breaks up, and the disconsolate Knight finds himself on a barren Heath, or in a solitary desart).

of writing), dont Shakespeare est le modèle, et Dryden le garant, prend une valeur exemplaire en menant à son terme la logique de l’imagination. Addison installe au centre de son système un sujet réduit à l’illusion de sa perception, à la particularité de sa physiologie, et aux caprices de ses réminiscences. Pour faire équilibre à cette subjectivité radicale (que Hume affronte une génération plus tard en théoricien), il pose des ima­ ges, lestées de la double objectivité de leur existence et des éléments réels qu’elles intègrent. Et c’est ici que la rhétorique trouve une place, à condition de se changer. De ce déplacement, et de l’utilisation du savoir rhétorique dans une théorie du « tableau », les Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture de l’abbé Dubos (1719) ont été un des principaux initiateurs, dont l’influence s’exerce tout au long du XVIIIe siècle dans toute l’Europe. Dubos a fixé pour longtemps les thèmes de la pensée française sur l’art : notion de « sens intérieur », gratuité du plaisir esthétique, réduc­ tion de l’émotion en termes d’intensité, rôle du temps et de l’espace dans le tableau et la poésie, etc. Dans son rapport à la tradition rhéto­ rique, deux emprunts convergents sont essentiels. Pour la « déclama­ tion », Dubos conseille au comédien de s’imaginer voir ce qu’il va jouer, et renvoie aussi bien chez Quintilien au passage correspondant sur Y actio qu’aux recommandations adressées à l’orateur de se faire une image expressionniste de ce qui doit émouvoir les juges - et Y Institution oratoire illustrait cette « force de l’imagination » par Virgile. On trouve ainsi formulé chez Gibert ce mécanisme de projection dans l’univers évoqué pour en éprouver les virtualités pathétiques : « Le grand art pour bien exprimer les passions, c’est de se les imprimer dans le cœur et de les ressentir. Il faut, pour cela, beaucoup méditer son sujet, et s’imaginer le voir. C’est ainsi que les bons acteurs s’animent quelque­ fois jusqu’à verser des larmes ! » (Gibert, 1730, 497). Avant de subir un choc en retour des conceptions de l’imagination, la rhétorique offrait ainsi par avance non une théorie, mais une sorte d’économie de la visio propice à la position du spectateur, et permettant l’appréhension du discours éloquent comme un spectacle. D’autre part, pour définir la « poésie du style » (qui fait l’essence de l’art), Dubos, se recommandant là encore de Quintilien, souhaite que les personnages et les auteurs qui écrivent à la première personne (Malebranche, Chaulieu) procèdent de la même manière, présentent leurs idées comme « des images qui forment des tableaux dans notre imagination» (Dubos, 1770, I, 292). Ainsi, Cléopâtre nous fait voir César « armé de tonnerre » et Aricie nous « charme » quand elle revêt sa pensée « des beautés que lui prête la poésie de son style ». Cette tra­

duction imagée de l’idée suppose que le sujet n’est pas directement ému, qu’il se tient comme à l’extérieur. Pour Dubos, ce que le dialogue théâtral donne à voir, ce n’est pas la situation du héros et les implica­ tions psychologiques et dramatiques de ses paroles, mais la relation médiate qu’il entretient avec le tableau qu’il déroule à nos yeux en se le projetant lui-même à distance. La fiction ou le discours procèdent de même : ils mettent en scène l’activité médiatrice d’un sujet qui est le spectateur de ses propres représentations, et la rhétorique intervient comme instrument de cette mise en tableau (sur un autre plan, le pro­ pos de Dubos est d’assurer la substitution d’une image composée, et donc maîtrisée, à l’image réelle, qui menace l’équilibre psychique et social). Ce qui correspondait à une éventuelle genèse du discours (grâce à la visio ou fantasia) est devenu la matière même du texte. Le discours éloquent doit être traité comme un tableau, par rapport auquel le lec­ teur adopte la position qui a été celle de 1’ « auteur » (qu’il soit réel ou feint) : c’est-à-dire du spectateur. Cela correspond au travail de la méditation décrit par J. Dennis en 1704. Par des formules proches, l’abbé de Pons, en 1718, demande à l’éloquence, pour «plaire à l’esprit humain », « de le promener dans le monde sensible, et de lui donner pour spectacle le jeu de ses propres passions» (Pons, 1738, 23-24). Diderot après 1755 reprend les analyses de Dubos sur l’effet de tableau de la poésie pour les appliquer à la peinture et à la mise en scène théâtrale. Dubos ne s’intéresse pas à la cruauté du propos d’Aricie, à la vio­ lence de sa frustration et de son désir, et il utilise l’analyse rhétorique (des livres 8 et 9 de 1 "Institution oratoire sur les « figures ») pour donner un équivalent de l’appréhension picturale qu’a l’auteur (le personnage ou l’écrivain), de ce qui se présente à lui au moment où il le représente. Les discours sont traités comme des œuvres de fiction (qui supposent qu’on les goûte sur le mode du « comme si »), parce qu’il entre de la fiction dans tout discours : le locuteur voit son propre énoncé comme une création picturale. Il n’y a donc pas de différence entre éloquence et poésie, entre le destinataire effectif d’un discours et un lecteur futur : tous spectateurs ! En faisant procéder sa description des effets de poésie et de pein­ ture des théories quintiliennes de l’imagination et des figures, Dubos opère une double contamination. D’une part, il fait subir à la rhéto­ rique les conséquences du primat de l’imagination établi par Addison : il détache le discours de toute finalité oratoire et le met à distance, pour rendre compte de son organisation et de sa perception picturales. Inversement, l’intégration du commentaire rhétorique dans les systèmes

du beau, de Shaftesbury, Addison, Pope, Dubos, dans les années 1710, à Crousaz, Rollin, Bodmer, et Breitinger dans les années 1720, de Bat­ teux et Akenside, après 1740, à Bettinelli (Lettere virgiliane, Saggi sull’eloquenza) et Baumgarten après 1750 (M.-L. Linn, 1974), affecte sen­ siblement la théorie esthétique naissante, ou plus justement, entre dans la formation d’une conception à la fois rationaliste et normative de ce qui fait « tableau » et possède les qualités capables d’émouvoir le desti­ nataire. L’assimilation du discours à une peinture est chargée de concilier la Un instrument subjectivité de l’imagination avec la distance du jugement et elle justifie critique les principes d’ordre, de composition et de « mesure » qui garantissent la lisibilité de l’œuvre et la production des effets esthétiques : régularité et grâce, diversité et harmonie, pouvoir de suggestion. C’est dans la constitution de l’image que poétique et rhétorique viennent converger et échanger leurs propriétés : transposition fictive des passions dans les dispositifs stylistiques ou les personnages ; valeurs picturales des tropes et des figures ; organisation de l’ensemble pour en assurer une percep­ tion unifiée et pourtant capable de maintenir l’intérêt ou le sentiment dans un renouvellement des stimulations selon un parcours volontiers « courbe », serpentin, rocaille si l’on veut. Sur ce plan, Burke marque une rupture essentielle en 1757 avec A Philosophical Enquiry into the Origine of our Ideas of The Sublime and the Beautiful en dissociant complètement l’effet esthétique ou poétique de la mise en image. Les théoriciens de la première moitié du siècle res­ tent eux dans le cadre d’une imitation de la « belle nature », entendue non comme reflet, mais comme connaissance générique ou typique : la référence à la nature fait se rejoindre les deux voies du sublime et de l’imagination, du movere et du delectare. At once the source, and end, and test of art, résume Pope1 : la nature est à l’origine comme une lumière qui diffuse life, force and beauty, un principe actif, dont l’artiste épouse la dynamique par sa création : il opère comme thinforming soul/ qui with spirits feeds, with vigour fills the whole / Each motion guides, and eo’ry nerves sustains1 2. Inspiré par la tradition italienne, Muratori fait de même de l’artiste celui qui saisit l3universal potenza della natura, et en consulte l3idea, le leggi e il sistema uni­ 1. Pope, 1966, 66 (I, v. 73) ; trad. fr. de Silhouette (qui présente VEssai sur la critique comme « une espèce d’art poétique, où l’auteur donne des lois pour bien écrire, pour bien juger des ouvrages de goût ») ; Pope, 1779, 91 : « Elle est tout à la fois la source, la fin, la règle de l’art. » 2. Ibid. (I, v. 76-78). Pope, 1779, 91 (trad. Silhouette: «Semblable à l’âme qui nourrit d’esprit le corps qu’elle anime, qui le remplit de vigueur, dirige chaque mouvement, et fait agir chaque nerf ; invisible elle-même, elle n’est perçue que dans ses effets »).

versale et qui ainsi trarrà Juori materia pellegrina e mirabile (Muratori, 1706, 81). Quelle place occupe la conformité de l’œuvre esthétique aux exi­ gences rhétoriques de la persuasion ? Fait-elle de l’œuvre un message éloquent ? ou du discours l’équivalent d’un tableau ? Fénelon, comme Shaftesbury ou J. Dennis, conçoit une ascension vers un point méta­ physique où l’opposition de la forme et du contenu n’a pas de sens. Mais que s’estompe la valeur mystique conférée à l’expérience esthé­ tique et à l’accès par l’art au sublime du cosmos, et on voit mal com­ ment s’articulent les deux moments de l’efficacité rhétorique du dis­ cours et celui de la perception de sa beauté (c’est aussi le problème de Dubos). Pourtant Crousaz, dans le chapitre 11 du Traité du beau (1724), «de la beauté de l’éloquence», reprend dans un ordre aléa­ toire différentes recommandations des rhétoriques contemporaines sur les « figures », les « synonymes », la vanité des citations, la distinction entre ce qui s’adresse à l’esprit et ce qui touche le cœur, l’hyperbole, la clarté, la brièveté, les différents styles, le fonctionnalisme du dis­ cours, le pathétique, etc., et il considère ces aspects d’une éloquence réussie en tant qu’ils confirment sa définition du « beau » comme inte­ raction de l’unité et de la diversité. En 1776, dans l’article «Élo­ quence poétique » (belles-lettres) du Supplément de Y Encyclopédie, Marmontel se situe toujours dans cette perspective. Il part de l’idée que l’éloquence des orateurs est identique à celle des personnages : Priam chez Homère, les démons chez Milton et le Tasse, Auguste et Cinna chez Corneille, Burrhus et Narcisse chez Racine, Potier et Brutus chez Voltaire sont mis sur le même plan que Démosthène, Cicéron, Massillon et Bossuet. L'Essai sur le goût dix ans plus tard est encore plus explicite : « J’ai dit qu’à Rome la poésie s’était formée à l’école de l’éloquence ; et en effet, de l’une à l’autre, l’art d’intéresser et de plaire a tant d’analogie et tant d’affinité, que tous les grands moyens en sont presque les mêmes, et que les règles de vraisemblance, de convenance et de bienséance, sont presque absolument communes aux poètes et à l’orateur» (Marmontel, 1817, 31). Baumgarten fait de même procéder le beau directement de la constitution éloquente du discours : « Une perception, en tant qu’elle est présentation d’une rai­ son, est un argument. Il y a donc des arguments qui enrichissent, qui rehaussent, qui démontrent, qui illustrent, qui persuadent ; et d’autres enfin qui donnent vie et mouvement ; l’esthétique exige d’eux qu’ils aient non seulement de la force et de l’efficacité, mais encore de l’élégance» (Baumgarten, 1988, 130). Pour passer du rhétorique à l’esthétique, il suffit de changer de perspective et d’accommoder sa vision.

La rhétorique voit donc en même temps son champ s’agrandir (puisqu’il se confond avec celui de la poétique), et sa pertinence se res­ treindre : sa finalité pragmatique ne dépend pas des règles mais de l’inspiration, et elle n’est plus que l’instrument d’une jouissance désinté­ ressée et sensible, qui concerne une imagination à la fois libre et sub­ jective. Le rôle de la rhétorique est fixé par la place qu’elle occupe dans l’appréhension picturale des textes et des œuvres : elle est face à un spectacle, et elle le décrit après coup. Elle est vouée au commen­ taire (depuis toujours une partie de son royaume) et trouve là sa légiti­ mité. Elle aide à former le goût de l’amateur qui saisit les beautés fines et cachées des productions oratoires et littéraires ; elle développe chez l’artiste les pouvoirs de l’imagination en l’aidant à lire : « Quoique cette faculté doive être naturelle en quelque sorte, il y a plusieurs moyens de la cultiver et de l’étendre [...]. Le plus efficace de tous, est lire souvent les Auteurs les plus polis. Un Homme qui a quelque goût y découvre tous les jours de nouvelles beautés, et reçoit une plus vive impression des Coups de Maître qu’il y trouve. »* Dans cette évolution qui met la rhétorique au service de la culture du goût, deux auteurs jouent un rôle important : Rollin et Batteux. Leurs œuvres parues respectivement à partir de 1726 et 1747 sont pra­ tiquées en France jusqu’au XIXe siècle et ont été vite répandues dans toute l’Europe (et Mallet en 1753, au moment où il travaille pour Y Encyclopédie^ fournit lui aussi des « principes pour lire les orateurs »). Rollin inscrit au seuil de son fameux Traité des études des Réflexions géné­ rales sur ce qu’on appelle le bon goût : « Le goût, tel que nous le considérons ici, c’est-à-dire par rapport à la lecture des Auteurs et à la composition, est un discernement délicat, vif, net, et précis de toute la beauté, la vérité, et la justesse des pensées et des expressions qui entrent dans un discours. » « Espèce de raison perfectionnée par l’étude », le goût s’applique d’abord à la littérature, « influe comme imperceptiblement sur les autres arts », et « se communique même aux mœurs publiques » (Rollin, 1755, LXXX-LXXXIX). Le livre 3 du Traité des études consacré à la rhétorique lui donne pour unique fonction de « former le goût ». Aussi, après un très bref chapitre sur la « composition », Rollin subordonne-t-il l’essentiel de sa rhétorique à « la lecture et l’explication des auteurs » (c. 3, p. 74-330) ; ce qui concerne les preuves est vite expédié, et il se consacre essentielle1. Addison, ibid., 252 (1985, III, 529 (n° 409) : But notwithstanding this Faculty must in some measure be bom with us, there are several Methods of Cultivating and Improving it [...]. The most natural Methodfor this Pur­ pose is to be conversant among the Writings of the most Polite Authors. A Man who has any Relish forfine Writing, either discovers new Beauties or receives stronger Impressions from the Masterly Strokes of a great Author every time he peruses him).

ment aux phénomènes stylistiques ; il examine en particulier la descrip­ tion des « pensées » faite par Bouhours quarante ans plus tôt et emprunte à Quintilien et à Cicéron leur analyse assez détaillée des « figures » (dans lesquelles il comprend les « tropes »). Vingt ans plus tard, le processus engagé par Rollin est accompli chez Batteux. Celui-ci publie en 1747-1748 un Cours de belles lettres distribué par exercices qu’il remanie en l’intégrant à un ensemble plus vaste auquel il donne pour sous-titre Principes de la littérature, en 1753, et c’est ensuite sous ce seul intitulé qu’il fait paraître une nouvelle édition augmentée en 1763. Le tome 1 expose un système général des arts fondé sur l’imitation de la belle nature. Le tome 4 est consacré aux genres en prose, c’est-à-dire au genre oratoire, au récit historique et au genre épistolaire. Ce qui concerne le genre oratoire occupe les deux tiers du volume et comporte toutes les rubriques d’une rhétorique traditionnelle : invention, disposition, élocution, prononciation. Batteux n’oublie rien : ainsi, pour ce qui concerne l’invention, il distingue d’abord les « diffé­ rents genres d’oraison » (démonstratif, délibératif, judiciaire), puis les « arguments oratoires », les « lieux communs », les « mœurs comme moyen de persuader » et enfin les « passions oratoires ». Dans ses Observations préliminaires, il se justifie d’avoir commencé dans les tomes 2 et 3 de ses Principes par les genres en vers, apologue, poésie lyrique, poésie didactique, satire, épigramme : Nous convenons que si dans cet Ouvrage nous ne nous étions proposé que de montrer la voie pour arriver à la connaissance d’une langue, il aurait fallu commencer par la Prose. C’est là sans doute qu’est le vrai génie, le caractère essentiel de quelque langue que ce soit. Dans la Poësie la con­ trainte du vers altère nécessairement la structure naturelle des mots, et même quelquefois leur valeur. Ainsi ce serait aller à contre-sens que d’étudier d’abord une langue dans les poètes. On a beau lire Horace et Vir­ gile : si on ne lit qu’eux, on n’apprendra jamais à parler comme Cicéron. Mais notre dessein n’est point d’apprendre à parler ; c’est d’apprendre à lire et à juger. Or pour apprendre à juger, en matière de littérature, il faut s’exercer d’abord sur les ouvrages où les beautés et les défauts, plus sensibles, donnent aussi plus de prise au goût et à l’esprit, où l’art se montre sans mystère ; et quand une fois on a bien reconnu cet art, tel qu’il est, qu’on est bien sûr d’en avoir saisi les vrais principes, on essaie de le reconnaître encore dans les ouvrages où il a coutume de se cacher (Bat­ teux, 1764, IV, 3-4).

La rhétorique de Batteux semble sortir du fond des âges, mais l’usage qu’il en fait est particulier. L’ordre suivi dans son exposé (les genres en vers avant les genres en prose) est traditionnel et conforme au partage des programmes entre la classe de seconde et celle de pre-

mière. Aussi est-ce son motif qui est intéressant : Batteux se fonde sur une dichotomie entre l’apprentissage de la langue, et il se réfère impli­ citement au latin, et l’apprentissage de la lecture, ou la formation du goût. La rhétorique se situait précisément à la jointure de ces deux entreprises, et leur conférait une cohérence fonctionnelle : elle indiquait quels sont les énoncés les plus purs, traitait des marges stylistiques de la langue (ordre des mots, figures, etc.) et aidait à reconnaître les valeurs génériques, expressives et littéraires des grands textes, mais pour apprendre à l’élève à devenir lui-même éloquent. La séparation opérée par Batteux se fait par une double restriction : d’un côté la maîtrise lin­ guistique est assignée à la grammaire (nous abordons plus tard ce trans­ fert), et de l’autre la lecture des textes est coupée de sa finalité pratique, et soumise à un autre principe, celui de la poésie ou des « beaux-arts ». La position subordonnée qu’y occupe la description rhétorique appa­ raît bien dans les livres consacrés aux genres poétiques. Regardons l’apologue. Les notions rhétoriques permettent de saisir comment La Fontaine (grâce au style direct, au parallèle, etc.) est parvenu à traiter au mieux le sujet qu’il s’est fixé, à réaliser le « tableau » de la belle nature qu’il a inventé. Les textes oratoires relèvent eux pleinement de la rhétorique, mais seulement à un premier niveau, puisque les critères internes qu’elle fournit pour mesurer leur éloquence obéissent euxmêmes à des principes plus généraux, ceux du beau, qui concernent l’ensemble des textes, sinon des productions artistiques ; c’est pourquoi les genres en prose viennent en troisième position après le traité des beaux-arts et les genres en vers dont l’art se montre plus à découvert. Il ne s’agit plus par la rhétorique de sentir et d’acquérir l’éloquence, mais de découvrir grâce à elle le fonctionnement interne qui entre dans la constitution esthétique de certains textes : c’est pour atteindre leur but propre (ici persuader) qu’ils peuvent être considérés, par un spectateur amateur, comme des « tableaux » de la belle nature. La rhétorique per­ met de décrire les moyens dont dispose l’écrivain, mais ces moyens obéissent à une logique qui lui est étrangère : elle est littéraire ou plus largement esthétique.

Dans son activité de commentaire, la rhétorique n’a pas qu’une fonc- Raison et nations tion propédeutique. Elle répond aussi à une nécessité épistémologique. En effet, rien ne garantit l’identité des goûts et la conformité de chacun au « bon goût », mais un même rapport aux mêmes œuvres finit par former un goût général qui peut passer pour le bon. Hume qui pousse aussi loin que possible le subjectivisme sensualiste et l’éclatement de la conscience voit ainsi dans cet accord effectif la garantie qu’il existe bien une norme et qu’un jugement esthétique est possible (Of the standard of

taste, 1742). Le rassemblement des œuvres les plus réussies, les plus universellement accueillies, aide à réunir les consciences dans un espace commun où sont reconnues les mêmes valeurs et pratiquées les mêmes émotions. La soumission de la rhétorique à une logique picturale (qu’on aurait dit alors pittoresque) a donc pour corollaire la constitu­ tion d’un corpus littéraire défini par le regard porté sur lui : nécessaire­ ment conservateur, puisque commenté pour dégager une norme chargée de s’appliquer à lui-même et préventivement, si l’on ose dire, aux œuvres à venir : qu’elles ne débordent pas les bornes de la belle nature ! L’esthétisation globale de la rhétorique s’accompagne donc d’une généralisation du discours normatif que la France s’est forgée dans la deuxième moitié du XVIIe siècle : toutes les littératures sont priées de liquider les héritages du baroque, tous ces jeux de mots qui arrêtent le lecteur sur le signifiant ou sur la pointe. C’est à ce prix que l’éloquence est une peinture, comme Fénelon l’a montré à Ramsay : « П rejette par conséquent tous ces faux ornements qui n’ont pour but que de flatter les oreilles par des sons harmonieux, et l’imagination par des idées plus brillantes que solides. Il condamne non seulement tous les jeux de mots, mais tous les jeux de pensées qui ne tendent qu’à faire admirer le bel esprit de l’orateur» (Préface aux Dialogues sur l’éloquence (1718), Fénelon, 1239). Gamaches, Desfontaines, Voltaire, d’Alembert reprennent indéfiniment cette même antienne. Vont dans le même sens la lettre de Fontanini (1706) et les Riflessioni sopra il buon gusto (1708) où Muratori définit son idéal de politezza e chiarezza di stile, che dimestica le materie ruvide e selvagge par opposition d’un côté à l’orridezza degli Scolastici et de l’autre au style « luxuriant » de fleurs et de figures du siècle précédent (Muratori, 1708, 120 et 1715, II, c. 7-9). Gottsched, dans les années 1720-1730, se fixe en Allemagne un but analogue à celui de l’Arcadie romaine. En Espagne, Luzan croit encore nécessaire en 1737, pour ramener la lit­ térature nationale aux principes de la raison, de dénoncer les égare­ ments conceptistes du XVIIe siècle. Addison se réfère lui aussi au modèle français pour dénoncer le mauvais goût anglais : « Le Goût qui règne aujourd’hui en Angleterre est pour l’Epigramme, les Pointes d’Esprit, et les Imaginations forcées, incapables de rendre l’Esprit de ceux qui les lisent plus solide ou plus étendu. »’ Addison se donne pour ambition de «bannir de notre siècle ce mauvais Goût, qui s’y est enraciné, et qu’on peut nommer Gothique » (ibid.). « Pour rétablir 1. Addison, ibid., 254 (1985, III, 530 (n° 409) : Our general Taste in England is for Epigram, turns of Wit, and forced Conceits, which have no manner of Influence, either for the bettering or enlarging the Mind of him who reads them I have endeavoured in several of my Speculations to banish this Gothic Taste, which has taken Possession among us).

le bon goût et la politesse dans les Ouvrages d’esprit », il fait donc la guerre aux calligrammes, lipogrammes, anagrammes, rébus et autres « quolibets » : « Il n’y a point de mauvais Goût qui ait plus prévalu dans tous les Siècles, que celui qui regarde le Jeu de mots. »‘ Blackmore (1716) se réjouit que l’Angleterre se soit purgé du merveilleux médiéval, d’un wit réduit à un jingling play with words, de sa passion pour les romances, et qu’aujourd’hui triomphe the critical taste qui a atteint sa perfection. Le mauvais goût est identifié aux recherches formelles du siècle précédent, et il suscite compulsivement d’identiques rappels à l’ordre classique. Ainsi, Johnson reproche aux poètes du XVIIe siècle dans The Lives of the English Poets (1779), faute d’imiter la nature, de ne pas sus­ citer l’identification du lecteur (Blanco, 1993). Si la croisade contre les écrivains baroques imprégnés de sénéquisme garde aussi en France sa virulence, c’est qu’ils sont associés aux écrivains qui ont pris parti en faveur des Modernes (Perrault, Marivaux, Dufresny, La Motte, Terrasson), lors des deux Querelles de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle, et qui menacent l’édifice humaniste en ôtant toute valeur au contact avec l’Antiquité et en écartant le rôle de médiateur que jouait la familiarité avec la tradition : sur la lutte qui a permis au XVIIe siècle d’imposer l’idéal classique vient donc s’en greffer une seconde qui cherche à le maintenir. Là où Pope voulait « apprendre aux beaux esprits une science qui leur est inconnue (to teach vain Wits a science little known, 1966, 70, v. 199), le traducteur Du Resnel invente en 1730 un combat contre «du goût l’entière décadence» (Pope, 1745, 166) et dans une note il rattache au poète anglais les remarques de Rollin sur ce thème : « П est à craindre, selon M. Rollin, que les jeux d’esprit, les pensées brillantes, et ces espèces de pointes qui sont aujourd’hui si à la mode, ne soient comme les avant-coureurs du mauvais goût », et Quintilien est invoqué contre les nouveaux Sénèques. C’est pour défendre la même cause que l’abbé Gédoyn offre en 1718 une traduction française de Y Institution oratoire, plusieurs fois rééditée ensuite. Dans le portrait de l’Antiquité, lisez le portrait d’une génération qui croit pouvoir s’affranchir des règles : « On voulait des jeux de mots, des pointes d’esprit, de ces obscurités mysté­ rieuses qui laissent à l’Auditeur tout le plaisir de la pénétration : ou bien on voulait un discours qui fut brillant d’un bout à l’autre »

1. Ibid., I, 309 (1985, I, 259 (n° 61) : There is no kind offalse Wit, which has been so recommended by the Practice of all Ages, as that which consists in a Jingle of words, and is comprehended under the general Name of Punning). Les articles 58-63 sont consacrés à la question du wit.

(Quintilien, De l'institution de l'orateur, 1752, I, XXI). Contre ces maux, un seul remède : « Revenir à Quintilien.» Quintilien est ainsi doublement utilisé pour combattre le goût moderne : il a dû déjà s’attaquer aux mêmes maux, et il fait partie de ces auteurs canoniques dont les leçons sont négligées à l’égal de celles des grands textes. Revenons aussi à Homère !, s’exclament Pope et après 1750 Winckelmann, puis Diderot et Bettinelli1. Pour avoir su concilier la sociabilité moderne avec la fidélité à l’Antiquité, le « siècle de Louis XIV » sert de référence, aussi bien contre les tendances antérieu­ res, en particulier pour les Italiens, les Anglais ou les Allemands qui ont l’impression d’être restés en retard de cette évolution positive, que contre les pratiques contemporaines qui sont dénoncées comme du « bel esprit », et sont vues comme des résurgences précieuses ou baroques. En France en particulier, après la mort de Louis XIV, Marivaux, avec Fon­ tenelle, La Motte, Dubos voient leur écriture stigmatisée comme alam­ biquée et peu naturelle, avec d’autant plus de virulence qu’après Boileau ils fondent leurs déviations et leurs choix non orthodoxes sur une contes­ tation radicale des principes de la culture classique. Ils ne reviennent nullement aux conceptismes baroques, mais tirent des principes fonda­ teurs du classicisme - le rationalisme, la sociabilité, le goût, l’esprit scien­ tifique - de quoi combattre son culte de l’Antiquité, son respect des nor­ mes et des canons littéraires. Les Modernes refusent aux Anciens toute prééminence, et souvent tout mérite, ils réduisent la poésie et le travail poétique à de vains artifices, ils ne croient pas que la littérature ait de leçons à transmettre, et dénoncent la hiérarchie des genres et des dic­ tions. Selon eux, écrire ne demande pas l’appropriation des modèles tirés des textes et des théories anciennes, mais procède de l’invention d’un esprit fibre qui exprime une vérité intérieure ou objective ; il est donc inutile de recourir aux formes et aux contenus du passé pour effec­ tuer ce travail d’investigation et de création. Cette double désinvolture à l’égard de la tradition et de la responsabilité morale de l’écrivain explique que la génération ultérieure des philosophes, un d’Alembert par exemple (1965, 112-117), ou un Diderot, puissent reprendre le dis­ cours des critiques les plus conservateurs comme Desfontaines (actif entre 1720 et 1740) : l’horrible style des Modernes suffît à condamner

1. Le rôle joué par Homère n’est pas le meme en 1715 et en 1760, en France ou en Angle­ terre. Mme Dacier (Des causes de la corruption du goût, 1713), pour faire d’Homère le garant du classi­ cisme français, veut à tout prix montrer qu’il s’y conforme parfaitement. L’abbé Terrasson (Disser­ tation critique sur Г« Iliade» d'Homère, 1715) voit mieux que ses défenseurs ce qui dans Homère échappe aux règles de la poétique classique ou du goût moderne, il anticipe a contrario la nouvelle perception en train de s’élaborer à l’étranger d’un Homère primitif, violent, génial, qui est celle de Diderot, en guerre contre le rococo, ou de Bettinelli.

toute tentative pour s’affranchir de la belle Antiquité (voir aussi Du Resnel dans Pope, 1745, XII). Au nom de ses grands écrivains, la langue et la littérature françaises sont offertes en modèle, et les autres traditions étrangères dévaluées, ce qui peut provoquer une réaction hostile, d’autant que la fondation du goût sur la lecture des œuvres conduit à l’instauration de patrimoines littéraires nationaux. Comme Perrault cherchait à établir l’identité de la langue sur une tradition populaire « gauloise » et sa métamorphose littéraire moderne avec les « contes », les différentes cultures sont ame­ nées à se reconnaître et à éprouver leur sensibilité esthétique dans les textes les plus prestigieux de leur patrimoine. Les Italiens défendent le Tasse contre les Français, attribuent à l’influence des Espagnols les éga­ rements du conceptisme et retrouvent dans leurs propres traditions des modèles d’équilibre : l’Arcadie romaine voulait déjà renouer avec Dante, Boccace ou Pétrarque (ce qui en retour suscitera le sarcasme de Bettinelli). Luzan et Mayans (dans son Orado de 1727 et sa Retorica de 1757), qui formulent des idéaux stylistiques et poétiques proches du classicisme français, se défendent également de céder aux influences étrangères et assoient leur réforme antibaroque sur un panthéon natio­ nal où se manifesterait le vrai génie de l’Espagne. Les Anglais sont for­ més par leur familiarité avec Shakespeare, Spenser et Milton. Ainsi, Addison voit les Anglais voués par leur humeur sombre et leur génie à « cette composition poétique » qui met les plaisirs de l’imagination à leur comble, et fait de Shakespeare son héros : « Entre les Anglais, Sha­ kespeare l’emporte infiniment sur tous les autres. Cette noble extrava­ gance de l’Esprit, qu’il possédait au suprême degré, le rendait capable de toucher ce faible superstitieux de l’imagination de ses Lecteurs, et de réussir en certains endroits, où il n’était soutenu que par la seule force de son propre Génie. »’ Au début du siècle, toute la poétique de J. Dennis est centrée sur Milton, et Spenser, loué par Addison, inspire à T. Warton ses remarquables Observations on the Faerie Queen (1754). Ce dernier renvoie à la culture de Spenser pour rendre compte de ses choix narratifs et stylistiques, et il oppose 1’ « insatisfaction » qui accable le « critique » soucieux des normes inspirées par l’Antiquité et les théoriciens italiens, aux « transports » que ressent le « lecteur » confronté à la liberté et à l’imagination généreuse du poète12. 1. Ibid., IV, 311 (1985, III, 572-573 (n° 419) : Among the English, Shakespear has incomparably excelled all others. That noble Extravagance of Fancy, which he had in so great Perfection, throughly qualified him to touch this weak superstitious Part of his Reader’s Imagination ; and made him capable of succeeding, where he had nothing to support him besides the Strength of his own Genius). 2. Observations on the fairy Queen of Spenser, by Thomas Warton, London, 1762, p. 16 .In reading Spenser, if the critic is not satisfied, yet the reader is transported.

Cette valeur nationale du goût littéraire, pleinement revendiquée par Lessing ou par Young à la fin des années 17501, n’apporte auparavant qu’une inflexion à un modèle rationaliste nourri de références antiques et françaises. Elle se trouve pourtant déjà renforcée sur deux plans paral­ lèles : celui de la langue et de son génie, et celui de la terre. Dans leurs luttes contre l’Italie et l’Espagne, les Français ont tenté d’asseoir leur hégémonie culturelle en identifiant leur nationalisme linguistique à un universalisme. Ils prennent en particulier comme preuve de la pureté et de la clarté de leur langue que les phrases suivent un ordre constant (sujet/verbe/complément), qui est celui de la pensée (Ricken, 1978). Cet argument est développé par Gamaches, et surtout par Dumarsais. Il est contesté en 1746 par Batteux : les langues anciennes l’emportent parce qu’elles peuvent disposer les mots conformément à l’intérêt ou à la situa­ tion du locuteur. Vers le milieu du siècle, les philosophes, Condillac, d’Alembert, Diderot (qui pourtant conteste le raisonnement de Batteux), Rousseau, arrivent à des conclusions similaires, et établissent une oppo­ sition entre les langues analytiques propices à l’exercice de la pensée (comme le français) et les langues propices à l’expression de la passion (et donc à tous les entraînements du fanatisme et à toutes les erreurs de la superstition : le plaisir n’a pas de prix !). Cette idée d’un génie national des langues est aussi invoquée contre la France. C’est ainsi que Blackmore (1716) soutient que l’ordre des mots en anglais est encore plus conforme à la pensée qu’en France (Blackmore, 108-110). Et surtout l’anglais est crédité d’une plus grande énergie. L’idée reprise par Du Resnel (1730) dans son Introduction à sa traduction de Pope l’amène ainsi à interroger la prétention du français à la suprématie : il invoque le poème antérieur de Roscomon sur la manière de traduire en vers1 2 qui présente la langue française « abon­ dante, fleurie, agréable à l’oreille » et défie « qu’on lui montre jamais dans aucun de nos Ouvrages cette force, et cette énergie Anglaise, qui en peu de mots comprend tant de choses » (XVl-XVII). Du Resnel fait alors une comparaison entre l’itahen3 ( « réjouit et amuse agréablement 1. E. Young, Essai sur la composition originale (1759), in Œuvres, 1770, III, 318: «Déjà nous comptons les originaux les plus célèbres dans les beaux-arts et dans les sciences naturelles et mathématiques. Bacon, Boyle, Newton, Shakespear, Milton nous ont prouvé que les savants ne porteront jamais plus loin la terreur du pavillon Anglais, que le génie original de nos écrivains, l’éclat de notre gloire littéraire. » 2. Dillon, Wentworth, earl of Roscomon, An essay on translated verse (1684), in The Laws ofpoetry, 1721, 291 : But who did ever in French authors see, / The comprehensive English energy? / The weighty Bullion of one sterling line/ Drawn to French wire, would thro * whole pages shine (idées discutées par Trochereau dans sa traduction, 1749). Dès 1605 (Remains concerning Britain) Camden revendiquait la pureté et la qualité de la langue anglaise, tandis que R. Carew prétend dans le même ouvrage prouver « The Excellency of the English Tongue ». 3. Du Resnel évoque aussi la Lettre de Fontanini (1706) reprise dans Della eloquenza italiana di Monsignore Giusto Fontanini, Roma, 1726 : pour bien juger de la langue et de la culture italiennes, il

l’imagination ; mais il est rare qu’il instruise » ), l’anglais (il instruit « comme ces savants réservés et sentencieux ») et le français qui occupe un juste milieu. Utilisant les pages d’Addison, il reconnaît aux Anglais un « feu sombre », une « imagination qui tient des noires rêveries d’un Mélancolique » et un style « fort et élevé jusqu’à l’enthousiasme » (XXVIII-XXIX). Dans son Saggio sopra la lingua jrancese de 1750, Algarotti emprunte à Fénelon (Lettre à ^Académie, 1714) son analyse des effets négatifs produits par la normalisation de la langue française qui l’ont rendue pauvre (dans le lexique), monotone (dans l’ordre des mots) ; il l’oppose comme une langue esclave à l’énergie de la langue anglaise, et il évoque la pré­ face d’Abel Boyer1 à sa traduction du Caton d’Addison : « La langue anglaise, rivale de la Grecque et de la Latine, est également fertile et énergique. Elle est de plus, ennemie de toute contrainte (de même que la nation qui la parle), elle se permet tout ce qui peut contribuer à la beauté et à la noblesse de l’expression ; au lieu que la française énervée et appauvrie par le raffinement, toujours timide et toujours esclave des règles et des usages, ne se donne presque jamais la moindre liberté, et n’admet point d’heureuses témérités » (Boyer dans Algarotti, 540). Viennent également forger l’idée d’un tempérament national (qui s’exprime en Angleterre avec les « bardes »), la saisie de la nature à travers le paysage et la recomposition artificielle de ses forces dans le jardin. Pope illustre ainsi sa définition de la nature comme test du taste par l’évocation d’un paysage : « Ce qui charme souvent dans une perspective / C’est parmi les rochers une onde fugitive / Une caverne informe, un précipice affreux / Que la nature a fait par un caprice heureux. » Shaftesbury a le même enthousiasme pour la nature sau­ vage ; Addison et Crousaz, pour des paysages irréguliers et imprévus. Pope a fait de son jardin de Twickenham une expression de son être, selon ce que Shaftesbury appelle une « rhétorique intérieure », et dans une formule célèbre de son Épître à Lord Burlington (1731), il fait du rapport à une terre ce qui doit éveiller une sensibilité originale et inspirer un art des effets poétiques et littéraires dont les jardins donnent l’image : Consult the Genius of the Place in all (qu’il avait précéfaut se fonder non pas sur les dévoiements du XVIIe siècle, mais sur les perfections du siècle anté­ rieur. Dans le sillage de la querelle Bouhours-Orsi, Muratori (1706) demande que la langue ita­ lienne soit enseignée, et fait remarquer que la formation des métaphores est un choix stylistique et ne relève pas des propriétés de la langue. 1. Abel Boyer (Caton, tragédie de M. Addison, Préface, Londres, 1713) dénonce l’étroitesse du goût français : « Ainsi plus un Original Anglais est parfait dans le Grand et le Sublime, plus il est rempli d’images vives et de Métaphores hardies, et plus il perd en Français, où les Figures un peu fortes, et les Saillies de l’imagination sont regardées comme des Défauts, pour ne pas dire des Extravagances. » Gomme les Modernes, il oppose à l’esclavage absurde de la rime les souplesses de la prose mesurée et du blank verse.

demment introduit ainsi : In ail, let Nature never be forgot. / But treat the Goddess like a modest fair, / Nor over-dress, nor leave her wholly bare ; / Let not each beauty er’ry where be spy’d, / Where half the skill is decently to hide. / He gains all points, who pleasingly confounds, / Surprizes, varies, and conceals the Bounds)l. Le modèle classique de la nature peut donc conduire l’inspiration à trouver ses sources dans la nation et la terre, d’autant que les jardins de Stowe ici évoqués célèbrent l’architecture gothique et les gloires de la nation. Ainsi, la picturalisation de l’éloquence justifie l’instauration d’une norme littéraire et la lecture (avec des outils rhétoriques) d’œuvres capables de donner au goût une pertinence canonique, mais elle est en même temps liée à une exaltation des productions de l’imagination où se révèlent conjointement la nature de l’écrivain et celle d’un tempéra­ ment national et d’un lieu : autant de ferments pour une théorie romantique qui s’épanouit avec Coleridge ou Grimm. LA SCIENCE DE LA COMMUNICATION DES IDÉES

D’ALEMBERT,

1751

« Pour avoir le bon goût [...], il faut avoir si bien pesé la force et l’énergie des termes d’une Langue, que l’on puisse distinguer ceux qui sont les plus expressifs, et quel nouveau degré de force ou de beauté ils peuvent recevoir en les associant avec d’autres. » Addison, Le Spectateur, 17121 2.

La rhétorique, en identifiant l’éloquence à une adhésion affective, et le discours à un tableau susceptible d’une jouissance esthétique, réduit ou écarte tout ce qui en fait une technique de l’argumentation, et lui subs­ titue la complainte de sa propre inutilité, ou mieux aide à fonder l’autonomie de la littérature en offrant des critères d’appréciation ou de

1. Pope, 1966, Epistle to Burlington (1731), 316, v. 50-57. Pope veut montrer que les dépenses pour les arts vous consacrent « homme de goût » (Œuvres complètes d’Alexandre Pope, Paris, 1779, IV, 82 : « On ne doit jamais oublier la nature. П faut la traiter comme une belle modeste ; et n’en point découvrir toutes les grâces ; car la moitié de l’habileté consiste à savoir les cacher avec décence. Celui-là seul atteint au comble de l’art, qui sait mélanger agréablement, surprendre, varier, unir avec goût toutes les extrémités et les dérober à la vue. Consultez en tout la disposition ou le génie du lieu »). 2. Addison, IV, 292 (1985, III, 561 (n° 416) : For, to have a true Relish a Man [...] must have well weighed the Force and Energy that lie in the several Words of a Language, as to be able to distinguish which are more significant and expressive of their proper Ideas, and what additional Strength and Beauty they are capable of receiving from Conjunction with others).

description. C’est-à-dire que le partage établi entre l’émotion et la pensée n’est décisif que parce que le domaine ainsi attribué à la rhéto­ rique (ce qui parle au cœur) se prête à une objectivation (celle de l’imitation de la belle nature), et que le savoir rhétorique trouve alors un autre usage (celui du commentaire littéraire et stylistique). Cependant, l’assimilation de l’éloquence à l’expression passionnelle s’accompagne d’un mouvement de méfiance que les philosophes du XVIIIe siècle empruntent aux milieux religieux. Genovesi (1753) assimile les rhéteurs à de dangereux don Quichottes et leur oppose les hommes de lettres qui se consacrent à la diffusion des Lumières. Reprenant la définition standard de l’éloquence comme poésie qui émane du cœur et cherche à toucher, l’abbé Trublet en 1755 fait de son rôle dans les sociétés antiques la preuve de leur infériorité, et il s’exclame : « C’est la honte de l’humanité que l’éloquence soit si utile et même si néces­ saire » (Trublet, 1755, 92). L’éloquence a une finalité pratique très res­ treinte : elle amène à prendre une décision, en submergeant provisoire­ ment d’affects : « Elle excite une passion actuelle contre une passion habituelle» (ibid., 132). Face à ce feu de paille méprisable, Trublet exalte l’activité de l’écrivain : « Il faut que l’orateur parle et que le phi­ losophe écrive » (ibid., 91). Faisant appel à 1’ « esprit » du lecteur, à sa capacité de réflexion, l’écrivain doit travailler à l’expression de sa pensée : « Il faut de l’esprit, du soin, de l’art pour exciter ses idées dans les autres ; et il en faut à proportion que ces idées sont plus nouvelles, plus fines, plus compliquées » (ibid.). Ce point de vue avait déjà été défendu en des termes proches par Buffon dans son Discours sur le style de 1753. Le travail de la rhétorique sur les arguments et sur l’expression de la pensée dans les mots et le discours, est disponible, et il va être exploité et même intégré dans des champs nouveaux, dans la mesure où, en dehors de l’espace scolaire (encore largement soumis à une rhé­ torique pérenne), se constitue une culture de la langue nationale et se développent des formes réglées d’échange public (qu’ils passent par la lettre, les journaux, les essais, ou les salons, les cafés, les académies). Pour simplifier, la dissociation de la rhétorique entre un pôle littéraire et sensible et un pôle lexical et sémantique est partiellement isomorphe au partage des rôles entre l’école et la société. Partage qui s’est opéré de façon paradoxale, puisque la littérature s’est constituée pour une bonne part contre l’école, et que celle-ci, en se mettant à l’enseigne du goût, tente de sauver une partie de sa mise : elle se voue au culte des Classiques. Partage sans doute poussé à son extrême en France, même si des divergences se font jour localement ou entre les ordres, et qu’atténuent, dans les pays de tradition protestante, l’intérêt pour la

formation professionnelle, l’étude des langues vernaculaires, et la mise en place de disciplines restreintes, comme la prononciation (l’école élocutionnaire anglaise). La culture de la langue

Le XVIIe siècle a élaboré une série d’outils permettant aux locuteurs d’intégrer à leur langue et leurs usages ces qualités que l’école attache à la pratique du latin, pureté, netteté, régularité, élégance : elles résultent alors d’un « polissage » auquel participent les institutions, comme les académies, les grands écrivains (qui découvrent aux lecteurs quels usa­ ges de la langue on peut faire, et créent ainsi des modèles : école du goût), les amateurs qui offrent leurs « remarques », et les professionnels - pédagogues grammairiens ou lexicographes produisant les dictionnai­ res monolingues (qui trouvent leurs correspondants au XVIIIe siècle dans les divers pays européens). Ce qui prenait place dans un enseignement de la rhétorique (lié lui-même à l’apprentissage du latin) se trouve ainsi déplacé, parce qu’il se fait en dehors de l’école, et qu’il échappe à la logique oratoire (et c’est en tant que tel qu’il est ensuite progressive­ ment réintégré à l’école). Quand l’abbé Girard soutient que, « pour acquérir de la justesse, il faut se rendre un peu difficile sur les mots », il fait allusion aux « diffi­ cultés » examinées par les grammairiens amateurs du XVIIe siècle, et il rend hommage à leur activité grâce à laquelle la langue française a pu prendre pour « caractères » « la clarté, la pureté, la finesse, la force » : « Nous devons savoir gré à ceux qui la cultivent ; soit par des méthodes savantes, puisées dans son propre génie, pour en donner une exacte connaissance ; soit par des critiques judicieuses pour en conserver la pureté sans rejeter les nouveaux avantages dont elle est susceptible » (Girard, 1769, V). Toutefois, le XVIIIe siècle donne à cette culture de la langue un nouvel essor, et l’envisage dans une autre perspective, à la fois culturelle et philosophique. D’une part, on cherche tout ce qui doit aider à « communiquer » ses idées à des cercles plus larges. On reprend ainsi, en faveur de la science et du savoir, les principes rhétori­ ques d’une adaptation à un public profane, mais, alors qu’on comptait à cet effet sur la sensibilité (ce qui est si dangereux et fragile : il suffit de s’abandonner à ses propres sentiments), il s’agit désormais d’inventer des méthodes d’exposition ou des modes d’expression adaptés au plus grand nombre (essai, dialogue, lettre, etc.). D’autre part, ce que Girard appelle la « culture de la langue » (préface, V) trouve une nouvelle dimension dans la philosophie sensualiste que Locke a imposée à tout le XVIIIe siècle européen : le signe n’est plus un reflet de l’idée mais il a une valeur active, puisque en lui se réalise le processus d’abstraction de la pensée, qu’il permet la réflexion et s’offre à des liaisons inédites.

Quand d’Alembert cherche à définir dans le Discours préliminaire de l’« Encyclopédie » la « science de la communication », il s’inspire de Locke et demande d’abord qu’on « perfectionne les signes », qu’on articule la formation de l’esprit sur celle de l’humanité, qui, des signes, accède aux mots, des mots désignant les individus puis les qualités, aux mots abs­ traits, et il donne à la grammaire le soin d’établir une logique des signes : « Éclairée par une Métaphysique fine et déliée, elle démêle les nuances des idées, apprend à distinguer ces nuances par des signes dif­ férents, donne des règles pour faire de ces signes l’usage le plus avanta­ geux » (1965, 45). D’Alembert reprend aussi à son compte la guerre de Locke contre 1’ « abus » des mots qu’il attribue pour une bonne part à la rhétorique : « Qu’on s’épargnerait de questions et de peines si on déterminait enfin la signification des mots d’une manière nette et pré­ cise ! » {ibid., 52). Le travail sur la langue d’inspiration philosophique porte sur trois points principaux : premièrement, la régulation des constructions et l’organisation de la phrase, afin de rendre perceptible la relation de ses composantes ; deuxièmement, la délimitation du sens des mots, en par­ ticulier de ceux qui risquent d’être confondus comme des synonymes ; troisièmement, la détermination des emplois figurés et de leurs rapports avec le sens propre. En France, ce programme a été respectivement mis en œuvre par Gamaches (Les Agrémens du langage) et Condillac (L’Art d’écrire), puis l’abbé Girard (Les Synonymes français) et Beauzée, enfin Dumarsais (Des Tropes).

Le style coupé. — La culture de la langue concerne la syntaxe dans la mesure où elle fait l’objet de choix qui déterminent la transparence de l’énoncé à l’organisation logique de la pensée, ramenée alors à l’ordre sujet-verbe-modificatifs. Préfigurant avec un bagage conceptuel diffé­ rent le Cours d’études de Condillac (étudié dans le prochain chapitre), Gamaches présente ainsi dans la première partie de ses Agrémens du lan­ gage réduits à leurs principes (1718) un programme de travail sur l’expression où l’on peut voir une description précise de ce fameux « style coupé » qu’on a mis au crédit des écrivains du XVIIIe siècle. Afin d’établir ce qu’il appelle la « précision » du style, il donne ainsi un « principe » simple pour organiser la phrase ou les enchaînements de phrases : une phrase est d’autant plus claire qu’elle est brève, puisque alors ses éléments fondamentaux sont assez proches pour que la saisie de leurs relations sémantiques se fasse immédiatement. Gama­ ches invite ainsi à procéder par réduction ou par condensation : « La précision contribue beaucoup à la netteté du style. Plus nos idées sont rapprochées, plus il nous est aisé de découvrir les rapports qu’elles ont

entre elles. C’est pour cela que toute phrase doit toujours être réduite à ses plus simples termes» (Gamaches, 1992, 26). Cette « réduction » s’obtient grâce à deux opérations principales. La première, c’est de « couper la phrase ». On préférera donc la parataxe à la syntaxe : on fera d’une relative ou d’une circonstancielle une proposition indépendante juxtaposée. Ou bien on abrégera les subordonnées en les transformant en participe absolu, en adjectif, en groupe nominal complément. Gamaches recommande aussi les phrases nominales, ou le remplacement d’une subordonnée par une phrase interrogative ou exclamative. Le changement de tonalité énonciative qu’elles exigent offre le double avantage d’animer le texte et d’indiquer économiquement une relation logique entre phrases. Gamaches sug­ gère qu’on efface les termes explicitant les rapports cause/effet, dès que le sens de la phrase permet au destinataire de les reconstituer. L’anaphore favorise également la réduction, parce qu’elle reprend un élément long sous une forme condensée et vient juste à côté des termes qui lui sont logiquement liés. On peut ainsi ramasser plusieurs idées par un mot collectif qui les résume. Lorsque la phrase comporte un complément d’objet un peu long, on le placera en tête, « à l’écart », et on le reprendra avec un pronom. On écrira ainsi : « Cette grandeur qui vous étonne si fort, il la doit à votre nonchalance. » Les synonymes. — Cette « culture de la langue » n’emprunte pas seule­ ment à la rhétorique son idéal de « pureté », « clarté » « finesse ou force » ; elle va transformer en principe du lexique ou de la syntaxe cer­ tains phénomènes invoqués par la rhétorique pour rendre compte de la diversité des représentations et des ressources de l’orateur. Subissent en particulier une métamorphose deux idées que B. Lamy et C. Buffier ont mises au centre de leur art de parler : celle de perspective ou de point de vue du sujet, et, complémentairement, celle des « faces » de l’objet qui se dévoile contradictoirement, pour justifier de droit et de fait l’éloquence et le travail rhétorique. Cette variation de la perception et de la repré­ sentation, les gens du XVIIIe la soustraient à l’arbitraire de la subjectivité et de la polémique, et tentent de l’intégrer à la langue en la fixant dans son vocabulaire ou dans ses usages : ils veulent la ramener à des séries d’écarts discrets qui peuvent faire l’objet d’un apprentissage, entrent dans une compétence, et garantissent que le discours s’offre explicite­ ment comme l’expression d’une pensée clairement appréhendable dans sa spécificité. Le travail sur le lexique ou sur la figure en arrive ainsi au même résultat que la mise en place d’un style coupé par Gamaches : aux règles de la simplicité syntaxique, répond le système unifié de la varia­ tion. Ainsi, en 1717, l’abbé de Pons se réfère au principe de

l’hyperonymie pour distinguer le noyau sémique qui réunit plusieurs mots, ou leur « idée commune », du « côté singulier » qui révèle « un accessoire distinct de chaque chose », et il tire ensuite de ce principe de différences une théorie des synonymes qui soutient son refus de la stylis­ tique : « Une idée qui peut être considérée sous différents aspects, a dans notre Langue autant de signes différents, qu’il y a de faces sous lesquelles elle peut être aperçue » (Pons, 1738, 167). Girard reprend la même opposition en 1736, et remplace l’idée d’aspect par celle, venue de Port-Royal (et peut-être de Dumarsais), d’« idées accessoires ». Il fonde sur la connaissance de ces synonymes la justesse d’un « choix » qui permet de produire dans les situations modernes les effets d’une rhétorique mondaine : Les observations que j'ai faites [...] n’ont pour objet ni les règles de Gram­ maire ni la pureté de l’Usage, mais uniquement la différence délicate des SYNONYMES ; c'est-à-dire le caractère singulier de ces mots qui, se ressem­ blant comme frères par une idée commune, sont néanmoins distingués l’un de l’autre par quelque idée accessoire et particulière à chacun d’eux : d’où naît dans beaucoup d’occasions, une nécessité de choix, pour les placer à propos et parler avec justesse ; qualité aussi rare qu’aimable, dont le goût est capable de faire briller le vrai et de donner de la solidité au brillant. Tout à fait éloignée du verbiage, elle apprend à dire les choses ; ennemie de l’abus des termes, elle rend le langage intelligible ; judicieuse dans l’emploi des mots, elle met du fin et même de l’éloquent dans l’expression ; exacte, elle bannit les images vagues et tous les A-peu-près, dont les esprits superfi­ ciels et paresseux se contentent dans leur façon de concevoir comme dans celle de s’expliquer ; antagoniste du confus, elle empêche de s’égarer dans l’étude des sciences. Enfin, j’ose le dire, l’esprit de justesse et de distinction est partout la vraie lumière qui éclaire ; et dans le discours, il est le trait qui distingue l’homme délicat de l’homme vulgaire (Girard, VII-IX).

Tout ce que la philosophie des Lumières veut faire de la rhétorique est contenu dans cette page. Dans la Préface de sa réédition du livre de Girard (1769), Beauzée se contente de développer son analyse (qu’il glose aussi en termes de « point de vue »), et met l’accent d’une part sur la conformité de l’entreprise avec toute la tradition rhétorique, et de l’autre sur son efficacité contre les dangers de l’éloquence : « Il y a dans [chaque mot] une complexité d’idées qui est la source de tous les malentendus [...] ; c’est l’obstacle le plus grand dans la recherche de la vérité, et l’instrument le plus dangereux dans les mains de la mauvaise foi. Ainsi il est de la plus grande conséquence d’apprendre à discerner les différentes idées partielles qui peuvent entrer dans la signification d’un même mot, et d’y distinguer surtout l’idée principale et les idées accessoires » (ibid., II, IV).

Les tropes. — Un même idéal anime Dumarsais quand il publie son Traité des tropes en 1730, et il procède d’une manière similaire à l’abbé Girard. Il reprend un matériau rhétorique (30 « tropes ») pour décrire le système de ses régularités et en assurer ainsi la maîtrise en l’intégrant dans la connaissance de la langue : dans sa « grammaire, puisqu’il est du ressort de la grammaire de faire entendre la véritable signification des mots, et en quel sens ils sont employés dans le discours » (Dumar­ sais 1988, 71). Les connaissances qu’il offre «mettent de l’ordre dans les idées qu’on se forme des mots ; elles servent à démêler le vrai sens des paroles, à rendre raison du discours, et donnent de la précision et de la justesse » (ibid., 72). Dumarsais établit entre le trope et le mot propre le même rapport que l’abbé de Pons et Girard entre les synony­ mes : un objet est accompagné de « différentes circonstances », et il peut être rappelé par le « nom propre » d’une de ces idées accessoires qui a davantage frappé l’imagination. Dumarsais distingue alors les dif­ férents tropes d’après le lien logique entre cet objet et son substitut « accessoire et sensible » : « Le signe pour le tout, la cause pour l’effet, la partie pour le tout, l’antécédent pour le conséquent », etc. L’expression figurée produit de la « vivacité » et de 1’ « agrément » en substituant au terme propre plus générique une « image » particu­ lière plus sensible. Elle est donc soumise au même type de jugement que le tableau, à la fois rationnel et esthétique : d’un côté le trope doit manifester avec évidence le point de vue adopté sur 1’ « objet » par celui qui l’emploie ; de l’autre, par son évocation des qualités sensibles de l’objet, il sert d’« ornement » au discours et lui confère même de la « noblesse ». Cet encadrement va dans le sens d’un conformisme stylis­ tique à la Voltaire. Mais l’épistémologie sensualiste de Dumarsais l’amène en même temps, en particulier dans ses pages sur la catachrèse, à reconnaître dans le trope la dynamique de l’esprit, et donc la production d’une connaissance inédite : « [Les tropes] donnent à un mot une signification nouvelle, soit parce qu’on l’unit avec d’autres mots auxquels souvent il ne peut se joindre dans le sens propre, soit parce qu’on s’en sert par extension et par ressemblance, pour suppléer aux termes qui manquent dans la langue » (ibid., 77). La catachrèse fait accéder la sensation à la conscience en la liant à une désignation stable, tandis que le trope oblige l’auditeur à établir des liaisons, et donc à organiser autrement sa propre perception. Ce phénomène est spon­ tané : les hommes n’ont qu’à suivre « les mouvements de leur imagina­ tion ». Dumarsais rend compte de cette origine, mais elle ne com­ mande pas sa démarche : elle échappe à toute prévision, donc à toute description ou à toute prescription (qui serait d’ordre rhétorique). Le propos de Dumarsais est inverse : il s’agit pour lui de comprendre le

trajet effectué par l’imagination, pour repérer exactement le sens des énoncés, et pour ne retenir dans son usage que les emplois conformes à la raison et au bon goût. Gamaches, Girard, Dumarsais répondent au vœu des philosophes de soustraire la culture de la langue à l’empire rhétorique. Quand Gama­ ches définit les types de liaisons entre les parties de la phrase ou entre phrases, quand Girard délimite exactement les frontières sémantiques qui séparent les synonymes, quand Dumarsais décrit l’organisation des sens figurés, ils établissent des lois qui s’imposent impérativement à tous les locuteurs, et qui relèvent de la « grammaire » ou du « lexique ». En perfectionnant l’idiome national, en le rendant plus logique et son usage plus averti et plus conscient, ils aident leurs lecteurs à échapper à l’emprise de la persuasion oratoire, laissée aux malheurs de l’ignorance et aux passions du peuple. Les confusions sémantiques et les caprices de l’association des idées que la rhétorique utilisait à des fins ignobles, se dissipent à la lumière égale des règles de la syntaxe, du lexique, de la grammaire. Cependant cette attention « difficile » à la langue dont parle l’abbé Girard trouve concurremment un prolongement rhétorique (chez Dumarsais même), dans la mesure où elle contribue à la délicatesse de l’expression : elle assure un surcroît de raffinement dans la pratique du discours et le jugement lettré. La connaissance des synonymes, des tro­ pes ou l’aptitude à une syntaxe « serrée » sont érigées en principe d’une esthétique et considérées comme les prémisses d’un beau style, comme des moyens de s’approprier des qualités de brillant ou d’éloquence. Distinguer les emplois, ou les figures, c’est gagner une distinction, et mettre en œuvre activement un idéal de « bon goût » similaire à celui qui s’offre passivement au lecteur dans le corpus des littératures nationales. Entrant dans la compétence du locuteur, la maîtrise des signes offerte par l’étude des constructions, des synonymes et des tropes a donc une ambition qui recoupe en partie celle de la rhétorique, mais elle a un champ d’application plus diffus (puisqu’elle s’applique à tout énoncé) et conforme à la culture moderne. Elle ne vise plus le discours oratoire mais forme un sujet capable de pratiquer toutes les formes de l’échange et de la conversation. C’est-à-dire un art de la demande et de la réponse, cet « impromptu » défini par Luigi Riccoboni dans son His­ toire du théâtre italien : « Le malheur de l’impromptu est que le jeu du meilleur acteur dépend absolument de celui avec lequel il dialogue ; s’il se trouve avec un acteur qui ne sache pas saisir avec précision le moment de la réplique, ou qu’il l’interrompe mal-à-propos, son dis­ cours languit, ou la vivacité de ses pensées sera étouffée. La figure, la

mémoire, la voix, le sentiment même, ne suffisent donc pas au comé­ dien qui veut jouer à l’impromptu, il ne peut exceller s’il n’a une ima­ gination vive et fertile, [...] s’il ne possède toutes les délicatesses de la langue, et s’il n’a acquis les différentes connaissances nécessaires aux différentes situations où son rôle le place» (Riccoboni, 1731, 62). Les qualités ou les valeurs rhétoriques connaissent donc non un mais deux déplacements corrélés : elles interviennent moins dans la for­ mation du discours que dans l’apprentissage de la langue, et elles concernent des usages discursifs qui sont désormais ceux de la sociabi­ lité mondaine ou du moins éclairée. Les productions aiguisées par le savoir des synonymes, des tropes ou des constructions participent à une œuvre collective, celle idéalement du salon (ou du café, du journal, de l’Académie, etc.), dont l’instance à la fois critique et poétique est le goût éclairé : la qualité n’y est plus individuelle, mais celle d’une cul­ ture qui repose sur une langue et sur une pratique à plusieurs voix. Le modèle alternatif de l'esprit

Trente ans avant le programme de d’Alembert, mais en même temps que Gamaches et Girard, les Modernes et en particulier Marivaux et l’abbé de Pons avaient avancé des idées assez proches, sans se référer pourtant explicitement à Locke : « Si vous voulez me faire part d’une idée, et me la présenter précisément telle que vous l’avez conçue, cher­ chez le signe que la société a fixé à cette idée, il n’y en a qu’un, il faut me le trouver » (Pons, 1738, 9, qui définit ainsi l’éloquence : « L’art de bien penser et de bien exprimer ses pensées »). On peut donc tout au plus mesurer la qualité d’une pensée : « Disons donc de nos deux Auteurs, non, que l’un écrit mieux que l’autre, mais qu’il pense, sans comparaison, mieux que lui» [ibid,, 16). Ces idées de Pons formulées en 1718, Marivaux les reprend pour conclure en 1734 qu’on ne saurait reprocher à un auteur son style : « Dirai-je qu’il a un mauvais style ? M’en prendrai-je à ses mots ? Non, il n’y a rien à y corriger. Cet homme, qui sait bien sa langue, a dû se servir des mots qu’il a pris, parce qu’ils étaient les seuls signes des pensées qu’il a eues » (Marivaux, 1969, 381). Les Modernes et les philosophes partent au fond des mêmes prémis­ ses : ils abandonnent l’idée fondatrice de la rhétorique d’un choix effec­ tué par l’orateur entre des variantes selon des critères pragmatiques (comment amener tel public à telle conclusion) ou conventionnels (com­ ment se placer dans une hiérarchie culturelle et sociale) ; et ils visent la production intellectuelle (même s’ils l’entendent diversement) et la font dépendre de la capacité des signes et des mots à la manifester ou à la transmettre. Marivaux pose une condition préalable à l’expression de la pensée : « bien connaître sa langue », mais il ne s’interroge pas sur les

moyens de cette connaissance qui lie à chaque perception (sensible ou abstraite) un signe particulier. Il conçoit bien le rapport entre le progrès des connaissances et la multiplication et donc le raffinement des mots, mais il se place dans la situation où la maîtrise du langage est acquise ; les philosophes tirent au contraire du sensualisme une épistémologie qui identifie le développement du savoir à l’invention et au maniement des signes, et qui conduit donc à s’intéresser à leur apprentissage par l’humanité et l’individu et à rechercher ce qui permet de les améliorer, d’atteindre un degré toujours plus grand de systématicité et d’explicita­ tion. Marivaux fait lui comme si le rapport des mots aux idées était réglé, transparent, univoque. C’est qu’il poursuit un autre but que les encyclopédistes : il cherche à s’affranchir du carcan des apprentissages rhétoriques et de l’appropriation des modèles, et à libérer le génie créa­ teur dans le traitement du matériau linguistique. D’une même source partent ainsi deux courants presque opposés : l’un conduit à une théorie de la science comme langue bien faite, et l’autre à une théorie de l’esprit, l’une et l’autre investissant le champ de l’ancienne éloquence. Tandis que les grammairiens-philosophes cherchent à polir la langue pour en faire l’instrument d’une communication exacte et trans­ parente, le travail sur la langue est ainsi considéré concurremment dans une autre perspective comme la réalisation toujours individuelle d’une création de l’imagination et de la pensée : les liaisons inhabituelles, les distinctions lexicales, les emplois métaphoriques ne sauraient être systé­ matisés, puisqu’ils répondent à chaque fois à une intention originale et révèlent la fécondité d’un esprit exceptionnel. Cette genèse n’est pas alors appréhendée comme par le dernier XVIIIe siècle en termes de sen­ sibilité et de génialité, mais, souvent avec des références communes aux analyses lockiennes, plutôt rapportée à l’esprit, conçu lui-même dans le prolongement du XVIIe siècle. Prolongement qui entretient avec les théories de la pointe et de Vingegno le même rapport que le rococo à l’égard du baroque. Intimité lumineuse, sociabilité constructrice, détachement sinueux, autant de choix qui, exprimés par ailleurs dans les réalisations artistiques des nations d’Europe, inspirent en même temps l’activité et la réflexion lit­ téraires. Celles-ci se définissent en partie contre le baroque par leur refus de l’investissement verbal et par leur idéal de clarté et de vérité objectivable : elles placent l’invention (et l’innovation) dans un effort de l’esprit pour découvrir ce qu’il y a de caché ou de complexe, pour le rendre accessible au lecteur par un travail sur la langue, sur les figures ou les associations de mots, c’est-à-dire de pensées. En France, Marivaux, qui récuse toute classification stylistique (et toute rhétorique), confie à l’écrivain la responsabilité de démêler ce qui

est obscur, et ensuite de choisir le point de vue et les termes à partir desquels il pourra transmettre son observation au lecteur. L’originalité de son expression doit être réglée en fonction de ce qu’il cherche à sai­ sir et de ce que le destinataire peut lui-même saisir, et cette communi­ cation (si malaisée) repose sur des emplois nouveaux du lexique et du discours : le «style» n’existe que comme vision du monde. En 1719, Marivaux fait du rapprochement analogique le principe de toute pensée : « C’est comme si l’âme, dans l’impuissance d’exprimer une modification qui n’a point de nom, en fixait une de la même espèce que la sienne, mais inférieure à la sienne en vivacité, et l’exprimait de façon que l’image de cette moindre modification pût exciter, dans les autres, une idée plus ou moins fidèle de la véritable modification qu’elle ne peut produire» (Marivaux, 1969, 52). En 1734, il montre que cette recherche conduit à des liaisons inattendues de « signes » qui font passer l’écrivain pour précieux : « Parce que les pensées qu’il exprime sont extrêmement fines, et qu’elle n’ont pu se former que d’une liaison d’idées singulière ; lesquelles idées n’ont pu à leur tour être exprimées qu’en approchant des mots, des signes qu’on a rarement vu aller ensemble » (ibid., 386). Comme le reprend Trublet en 1755, le travail de l’écriture demande de l’esprit et de l’art « à proportion que ses idées sont plus nouvelles, plus fines, plus compliquées». En 1750, Algarotti voudrait introduire en italien ce que proposait Fénelon : « Il nous faudrait, outre les mots simples et nouveaux, des composés et des phrases où l’art de joindre les termes qu’on n’a pas coutume de mettre ensemble fît une nouveauté gracieuse » (Fénelon dans Algarotti, 545). Les formules de Marivaux sur la « liaison d’idées », sur cet « assem­ blage de mots et d’idées très rarement vus ensemble » ont pu lui être inspirées par la philosophie anglaise. Au début des années 1710, Addi­ son et Pope exploitent l’opposition établie par Locke entre deux types d’activités intellectuelles: d’un côté le «jugement» qui distingue, de l’autre 1’ « esprit » qui associe. Le premier produit le savoir et la science, le second est plus futile et dangereux : « Car au lieu que ce qu’on appelle Esprit, consiste pour l’ordinaire à assembler des idées, et à joindre promptement et avec une agréable variété celles en qui l’on peut observer quelque ressemblance ou quelque rapport, pour en faire de belles peintures qui divertissent et frappent agréablement l’imagination : le Jugement consiste, au contraire, à distinguer soigneu­ sement une idée d’avec une autre, si l’on peut y trouver la moindre dif­ férence, afin d’éviter qu’une ressemblance ou quelque affinité ne nous donne le change [...]. Cette manière d’agir n’admet ni les Métaphores ni les Allusions. » Addison, après avoir ainsi cité Locke, expose ce qu’il faut entendre par Wit : « Toute ressemblance d’idées n’est pas ce que

nous appelons Esprit, à moins qu’elle ne divertisse et ne surprenne. »* L’esprit consiste donc à jouer de la ressemblance d’idées éloignées : c’est le principe des « traits d’esprit qu’on voit dans les Métaphores, les Similitudes, les Allégories, les Enigmes, les Devises, les Paraboles, les Fables, les Songes, les Visions, les Poèmes Dramatiques, les Écrits en style burlesque, et dans toutes sortes d’AIlusions » : vaste champ d’une activité analogique qui dévoile les liens de l’hétérogène (Addison, I, 318). Pope, en 1711, fonde l’imitation de la belle nature sur une conci­ liation des deux facultés, ce que le traducteur français Du Resnel n’a pas compris : For wit andjudgement often are at strife, / Tho’ meant each other’s aid, like man and wife1. Dans ces Essays publiés en 1716, R. Blackmore articule cette théorie de l’esprit sur la conception aristotélicienne de la métaphore qui, dans le champ des ressemblances, opère des abstractions : The Ingenuity and Sharpness of our Conceptions chiefly consist in joining Notions, that have a great Likeness between them, tho found in distant and very different Objects, in which while the Mind concieves and compares many distinct Qualities and Habitudes, as it observes great Dissimilitude between some, so it discerns certain Relations and Respects in which others are alike ; and then singling out of those Ideas that resemble each other from the rest, it makes use of one to express the other. It requires therefore a metaphysical Abstraction to form a Metaphor; and where other Figures are employ’d only about the Words and the Order of them, this penetrates the Notion of Things and searches Affinity and Agreement among the most opposite and disagreeing Objects\ Blackmore invoque l’autorité d’Aristote pour célébrer 1 ’activity et la sagacity de l’esprit qui découvre la ressemblance dans la dissem­ blance, et conclut sur le travail conceptuel qui s’accomplit dans le123 1. Addison, I, 316 (1985, I, 263-264 (n° 62) : « Mr Lock has an admirable Reflection upon the Difference of Wit and Judgement [...] : For Wit lying most in the Assemblage of Ideas, and putting those together with Quickness and Variety, wherein can be found any Resemblance or Congruity thereby to make up pleasant Pictures and agreeable Visions in the Fancy ; Judgement, on the contrary, lies quite on the other Side, In seperating carefully one from another, Ideas wherein can be found the least Difference, thereby to avoid being misled by Similitude and by Affinity to make one thing for another. This is a Way ofproceeding quite contrary to Meta­ phor and Allusion [...]. I shall only add to it, by way of Explanation, that every Resemblance of Ideas is not what we call Wit, unless it be such a one that gives Delight and Surprize to the Reader »). 2. Pope, 1966, 66 v. 82-83 (Pope, 1779 (trad. Silhouette, 93 : «Car l’esprit et le jugement sont sans cesse aux prises, quoique destinés comme l’homme et la femme, à s’entraider mutuellement »). 3. Blackmore, 1716, 121-122 : « L’ingéniosité et la vigueur de nos conceptions consistent à unir les notions qui ont entre elles une grande ressemblance, quoique trouvée dans des objets distants et très différents, dans lesquels l’esprit conçoit et compare de nombreux traits et qualités : comme il observe de grandes dissemblances entre eux, il discerne des relations et des faces par lesquels ils se ressemblent ; et choisissant l’une de ses idées par lesquelles ils se ressemblent, il se sert de l’une pour exprimer l’autre. Cela exige donc un travail d’abstraction métaphysique pour faire une métaphore, et tandis que les autres figures concernent les mots et leur ordre, celle-ci pénètre la notion des choses, et découvre affinité et concordance dans les objets les plus différents et les plus opposés. »

mot : While other Figures cloath and adorn our Thougths with Words ; this enlivens and embellishes the Words by our Thoughts'. Il en vient alors à l’esprit (wit), qui imparts spirit to our conceptions and Dictions en faisant apparaître les liaisons multiples de la ressemblance et de la différence : By which means the Imagination can with great Facility range the wide Field of nature, contemplate an infinite Variety of Objects, and by observing the Similitude and Disagreement of their several Qualities, single out and abstract, and then suit and unite those Ideas, which will best serve its purpose. Hence beautiful Allusions, surprizing Metaphors and admirable Sentiments are always ready at end. Gravina, Bodmer, Breitinger, Baumgarten mettent l’accent sur la valeur cognitive de l’expression figurale, et Muratori peut se référer à sa propre tradition pour identifier l’esprit (l’ingegnd) à quella virtù e forza attiva con cui Pinteletto raccoglie, unisce e ritruova le simiglianze, le relazioni e le ragioni delle cose : apprenons donc à trovare e accoppiare le simiglianze dette cose'. Ces mécanismes de l’esprit, on en trouve une analyse précise en France, chez un contemporain de Blackmore et de Muratori, Gamaches, dans la troisième partie de ses Agréments du langage réduits à leurs principes, intitulée Du brillant. П s’y écarte résolument de l’esthétique baroque de la pointe ou de la sentence, et envisage le fonctionnement argumentatif, la force persuasive de l’expression spirituelle : il la saisit toujours à l’intérieur d’un dialogue (celui d’une personne, d’un person­ nage, ou de l’auteur avec son public), et montre comment elle oblige l’interlocuteur à renoncer à sa propre vision du monde et à adopter une autre échelle de valeurs. Gamaches situe son analyse sur le plan logique, et examine ce que l’on pourrait appeler la forme du contenu, quand elle devient figure : la formule brillante est une forme marquée du phénomène universel de la supposition, elle joue sur l’état des présuppositions inhérentes au moment de son intervention dans le dialogue, et elle introduit une supposition nouvelle, qui à certains égards est illégitime, qui attire brutalement le regard sur elle. Elle renvoie à d’autres conceptions que celles qui jusque-là étaient admises, elle oblige l’interlocuteur à prendre conscience de ses propres « suppositions », et à y renoncer en comprenant comment la formule 1. Ibid., 122 : « Tandis que les autres figures couvrent et ornent nos pensées, celle-ci vivifie et embellit les mots par nos pensées. » 2. Ibid., 193-194: «Ce qui implique que l’imagination peut avec la plus grande facilité parcourir le vaste champ de la nature, contempler une infinie variété d’objets, et en observant les ressemblances et les dissemblances de plusieurs de leurs qualités, en isoler et en abstraire, et ensuite lier et unir ces idées selon son propos. D’où ces belles allusions, ces métaphores surprenan­ tes et ces pensées admirables toujours à disposition. » 3. Muratori, 1706, 107-108: «Cette puissance et cette force active avec lesquelles l’entendement rassemble, réunit et retrouve les ressemblances, les relations et les raisons des cho­ ses », « trouvons et accouplons les ressemblances des choses ».

brillante se justifie : le mot d’esprit fait entrer l’autre dans un parcours interprétatif qui l’oblige à renier son point de vue et à en adopter un autre. Gamaches traite une partie de la tradition rhétorique d’une manière originale. Il arrive ainsi à voir comment l’implicite se mani­ feste à la surface du texte, comment ce qu’on dit revient à attribuer à l’interlocuteur ou à l’adversaire une pensée et un rôle ; il définit le fonctionnement de certains mots de liaison ou des éléments syntaxiques (l’interrogation, la négation) ; il s’attache à l’articulation des énoncés entre eux, à l’incidence sur le discours d’éléments extérieurs, et il sait admirablement en distinguer les plans selon leur degré d’éloignement. Mais il ne peut saisir le mouvement du dialogue qu’en choisissant les moments où il s’arrête, quand il se conclut dans un renversement bru­ tal, quand s’impose le dernier mot. Gamaches a été ignoré de ses contemporains, qui ont pu dans cette attention à la clôture voir la persistance d’un goût baroque pour la pointe ou une tentation narcissique. Ils attendent bien de l’échange et de la conversation qu’ils suscitent l’activité de l’esprit et commandent ses productions, mais ils veulent que cette fécondité ne soit pas limitée à un succès individuel (qui ait surtout une valeur d’action), mais serve à une recherche collective et au renforcement de la communauté : ne pas ramener la conversation à soi, mais tendre vers la mise en place d’un savoir ou d’un ordre qui l’englobe et lui donne sa valeur. Le XVIIIe siècle reprend l’opposition établie par les siècles précédents La conversation entre le modèle oratoire et le modèle conversationnel : elle vaut sur le plan stylistique comme l’indique le passage d’un espace du discours à un espace de l’échange, d’une forme institutionnellement réglée à une forme ouverte, de l’adresse à la repartie, et elle vaut aussi sur le plan social, comme l’indique le passage d’un partage hiérarchisé et d’un fonctionne­ ment antagoniste, à une relation de réciprocité et au souci de contribuer à un consensus ou une harmonie. Le XVIIe siècle français en particulier a identifié la conversation à un art d’agréer, et lui donne pour principe les bienséances. Le XVIIIe siècle soumet à l’inventaire cet héritage et en dénonce la vacuité : ce reflet que chacun doit renvoyer à l’autre est bien la condition d’un accord heureux, mais il cerne le vide : « Cependant, qu’est-ce que ces conversations ? Des discours rompus où pour plaire, il ne s’agit, avec un peu d’arrogance, que de savoir placer quelque mot qui, par une certaine obscurité répandue à dessein, et qu’on appelle tour, fasse croire qu’on a beaucoup d’esprit, et la malice de le montrer par tout» (Rémond de Saint-Mard, III, 314-315). De même, Swift oppose ironiquement à la réalité (How often do we see [...] that the conversation falls and

drops to nothing, like a fire without supply of fuel), l’idéal démesuré de la conversation : The whole genius, humour, politeness, and eloquence of England are summed up in it1. Privilège d’une aristocratie frivole, la conversation fonctionne comme un moyen dérisoire pour marquer sa différence sociale : elle recourt à des signes de connivence, à un langage à double entente dont le groupe seul a la clef. Les Essais sur la nécessité et les moyens de plaire (1731) montrent ainsi que l’un des moteurs profonds de la langue spirituelle de la conversation est de « faire alternativement d’une partie de la société un spectacle risible pour l’autre» (Moncrif, 1791, 36). Cette critique menée en France même contre le solipsisme des salons et une mondanité dégénérée est volontiers alléguée de l’étranger contre toute la culture française, comme le fait Lessing. Pour faire face à ce dévoiement, le XVIIIe siècle mène à son terme le transfert de l’ambition rhétorique dans l’espace de la conversation et lui demande non plus seulement d’établir une concorde sociale, mais d’être le véhicule des idées, et le mode privilégié de leur diffusion : elle n’est plus séparée de l’élaboration d’un contenu, de ce qui correspond à la recherche et à la mise en forme des arguments. En passant du discours à la conversation, cette invention est radicalement transformée : il ne s’agit plus de rassembler une matière et de la transmettre au mieux dans une fin pragmatique ; mais les conditions concrètes de l’échange conversa­ tionnel déterminent l’émergence ou la conception des idées, qui se trou­ vent à leur tour modifiées et façonnées par les développements ou les objections qu’elles suscitent. La pensée n’appartient à personne mais se constitue d’un intervenant à l’autre, et associe ainsi progressivement les membres du groupe autour d’une vérité qui a été conçue collectivement. Chacun cherche bien à persuader l’autre, mais ce mouvement vise à ce que chacun progressivement se persuade de ce qu’il était incapable d’entrevoir isolément : la conversation est le creuset du savoir et de sa transmission, ou, plus exactement, du savoir en tant qu’il s’élabore dans le mouvement de sa transmission. Ainsi se réalise ce que d’Alembert fixe comme idéal aux Lumières, une « science de la communication » : toute pensée y est soumise à la compréhension des autres, mais elle est aussi stimulée par leur présence, et réglée par leur attention. Dans cette invention d’une nouvelle rhétorique de la conversation pour les Lumières, l’Angleterre de 1710 joue un rôle décisif. D’un côté, Addison et Steele créent avec le Spectator un nouveau mode 1. Swift, 1973, 196 et 198: «Nous voyons souvent que la conversation s’effondre et s’anéantit, comme un feu dépourvu de combustible » : « Tout le génie, l’humour, la politesse et l’éloquence de l’Angleterre s’y trouvent condensés. »

d’expression et de diffusion de la réflexion morale et philosophique : une feuille de journal quotidienne par laquelle l’auteur communique directement avec ses lecteurs, développant sa pensée à partir de leurs réactions (et de leurs lettres), et à partir de ce qui s’offre à tous dans l’actualité des mœurs ou de la pensée. C’est pour Blackmore le chef-d’œuvre du Wit moderne : But the Productions of this Nature, which have of late appear’d in this Nation, wether we regard the just and generous Sentiments, the fertile Invention, the Variety of Subjects, the surprising Turns of Wit and facetious Imagination, the genteel Satire, the Purity and Propriety of the Words, and the beautiful Dignity of the Diction, harue surpas’d all the productions of this Kind that have been publich’d in any Age or Country’. D’un autre côté, Shaftesbury montre en 1709 quelle activité cri­ tique, philosophique et politique peut s’exercer par la conversation dans son magnifique Sensus communis: an essay on the freedom of wit and humour, in a letter to a friend, immédiatement traduit en français par van Effen sous le titre d’Essai sur l’usage de la Raillerie et de l’enjouement dans les conversations qui roulent sur les matières les plus importantes (La Haye, 1710) (et Shaftesbury précise certaines de ses vues en 1710 dans son Soliloquy or Advice to an author). Shaftesbury reprend l’opposition entre la pratique oratoire et la conversation, et lui donne un sens philosophique (et non plus esthé­ tique) : l’éloquence est ou vaine ou dangereuse ; la conversation conduit chacun à découvrir le vrai. La première suscite une réception passive, et donc non critique, l’autre transforme l’auditeur en acteur, et l’oblige ainsi à user de sa raison : « La grande Loi de conversation [...], c’est que CHACUN PUISSE PARLER A SON TOUR. En fait de raisonne­ ment, on avance plus dans deux ou trois minutes, par des questions ou par des répliques, que par des discours suivis qui durent des heures entières. Les Harangues ne sont propres qu’à émouvoir les Passions, et le pouvoir de la Déclamation, c’est plutôt d’épouvanter, d’enlever, de ravir ou de plaire, que de satisfaire ou d’instruire. Une conférence libre, c’est un combat en champ clos ; le reste n’est, en comparaison, que battre l’air, et faire du bruit pour rien. »12

1. Blackmore, 1716, I, An Essay upon wit, 203 : «Mais les productions de cette nature qui sont parues récemment dans cette nation, qu’on considère les pensées justes et généreuses, la fer­ tilité de l’invention, l’esprit de ses tours, le sel de l’imagination, la satire modérée, la pureté et la propriété des termes, la dignité du style, surpassent tout ce qui a jamais été fait avant ou ailleurs. » 2. Shaftesbury, 1710, 21-22, et 1723, 70 : In matter of Reason, more is done in a minute or two, by wry of Question and Reply, than by a continu’d Discourse of whole Hours. Orations are fit only to move the Passions : And the Power of Declamation is to terrify, exalt, ravish, or delight, rather than satisfy or instruct. A free Conference is a close fight. The other way, in comparison to it, is merely a Brandishing, or Beating the Air.

La raillerie (le mot wit a un sens plus large) est le principe dyna­ mique de ce « théâtre des idées » (Moncrif, 1791, 130), et elle s’oppose dans son fonctionnement à l’ironie qui peut être considérée comme le principe adverse du jeu mondain : « Voulez-vous qu’on goûte les Con­ versations qui roulent sur des matières de spéculation ? Donnez à ceux qui s’y trouvent la liberté de railler, et de révoquer tout en doute d’une manière civile et honnête : permettez qu’on développe ou qu’on réfute tout argument qui vient à être proposé, en sorte qu’on ne choque point, celui qui en est l’auteur. »l La raillerie est une critique ouverte qui oblige celui qui en est la cible à se défendre, à s’assurer de ses raisons, à reconnaître ses failles. La raillerie, comme, dans un autre contexte historique, le débat public, est solidaire de la démocratie : l’une et l’autre ont donc fleuri à Athènes. Alors que l’éloquence joue aujourd’hui des contagions du fanatisme et des adhérences de la superstition, la conversation fait prendre conscience de ses préjugés et oblige la raison à sortir de son sommeil : « Ces sentiments que nous tenons renfermés avec tant de soin, passent dans notre Esprit pour des Etres sacrés et divins ; et ce ne sont peut-être que des Monstres, ou de vains Fantômes qui nous imposent, tandis que nous refusons de les tourner de tous côtés, et d’observer leurs formes et leurs traits à toute sorte de jour. »1 2 Plus de halo religieux ni de superstition qui puisse tenir, plus de mauvaise foi ou d’automystification. La conversation est une épreuve de relativité ; elle permet de « tout passer par l’étamine, et [...] à un Antagoniste d’employer toutes ses forces but à but et avec armes égales » (Shaftes­ bury, 1710, 28). Vingt ans plus tard, Rémond de Saint-Mard justifie de même le recours au dialogue : il empêche de se laisser méduser par un « air décisif », il permet à l’autre de relancer la réflexion quand vous vous croyez à tort au but : « Quand on a considéré un objet, on se donne l’audace d’en juger ; on l’a, dit-on, tourné en tous les sens, on en a bien vu toutes les faces. Qui le sait ? Et ne se peut-il pas qu’il en soit échappé à l’esprit ? Qui sait encore si cet objet n’a 1. 1710, 20, et 1723, 69 : According to the Notion I have of Reason, neither the written Treatises of the Learned, nor the set Discourses of the Eloquent, are able of themselves to teach the use of it. ’Tts the habit alone of Reasoning, which can make a Reasoner. And Men can never be better invited to the Habit, than when they find Pleasure in it. A Freedom of Raillery, a Liberty in decent Language to question every thing, and an Allowance of unravelling or refuting any Argument, without offence to the Arguer, are the only Terms which can render such spe­ culative Conversations any way agreeable. 2. 1710, 4, et 1723, 60: We may be charg’d perhaps with wilful Ignorance and blind Idolatry, for having taken Opinions upon Trust, and consecrated in ourselves certain Idol -Notions, which we will never suffer to be unveil’d, or seen in open light. They may perhaps be Monsters, and not Divinitys, or Sacred Truths, which are kept thus choicely, in some dark Comer of our Minds : The Specters may impose on us, whilst we refuse to turn 'em every way, and view their Shapes and Complexions in every light.

pas des faces qui ne lui ont point été données pour être aperçues ? Le plaisir de l’examen devait suffire à notre raison ; ténébreuse et bornée, comme elle est, il lui sied mal de décider» (Rémond de Saint-Mard, 1742, I, 12-13). L’opposition de la conversation à la « harangue » n’est pas seule­ ment épistémologique ; elle a aussi des implications politiques : l’œuvre collective accomplie par la conversation crée en effet le sentiment de la communauté (ce que contestera Rousseau dans La Nouvelle Héloïse), ce sensus communis ainsi défini comme « l’attachement au bien public et à l’intérêt commun, l’amour de la Société, l’affection naturelle, l’huma­ nité, l’inclination à faire du bien, ou cette sorte de civilité qui naît d’un juste sentiment des droits communs au Genre Humain, et de l’égalité naturelle qui est entre des Créatures de la même espèce »’. La conver­ sation est essentielle pour établir et renforcer cet « attachement » : source de plaisir, elle accroît le bien-être général et donc l’harmonie sociale, et surtout, elle assure la perception de cette harmonie comme valeur en donnant une image positive du corps social. A l’abstraction de l’humanité elle substitue le charme de relations effectives. Le sensus communis est à la fois la condition qui rend la conversation possible, et son contenu : ce qu’elle actualise, renforce, dont elle fait prendre cons­ cience. L’art d’agréer du courtisan ou de l’honnête homme est égale­ ment fondé sur la relation à l’autre, mais il concerne des individus par­ ticuliers qui s’accommodent réciproquement de leurs particularités afin de les mettre mutuellement en valeur, tandis que, pour Shaftesbury, compte d’abord la relation au groupe. Shaftesbury fait de la conversation le modèle du fonctionnement de la démocratie. Il suppose des sujets réduits à leur rationalité et à leur sens de la collectivité, mais du moins peut-il se référer à d’authentiques débats politiques. Sur le continent, le modèle se présente sous une forme plus générale et plus abstraite : au corps social se substitue le salon, qui fonctionne comme une utopie. Marivaux, dans La Vie de Marianne, en offre une image que trente ans plus tard Rousseau prétend ramener sur terre en l’exilant à Clarens : « Il n’était point question de rangs ni d’états chez elle ; personne ne s’y souvenait du plus ou du moins d’importance qu’il avait ; c’étaient des hommes qui parlaient à des hommes, entre qui seulement les meilleures raisons, l’emportaient sur les plus faibles ; rien que cela. Ou si vous voulez que je vous dise un grand mot, c’était comme des intelligences d’une égale dignité, 1. 1710, 82 ; 1723, 104 : They make this Common Sense of the Poet, by a Greek derivation, to signify Sense of Publick Weal, and of the Common Interest ; Love of the Community or Society, natural Affec­ tion, Humanity, Obligingness, or that sort of Civility which rises from a just Sense of the common Rights of Mankind, and the natural Equality there is among those of the same Species.

sinon d’une force égale, qui avaient tout uniment commerce ensemble. »’ Dans la conversation, chaque propos ne se modifie pas seulement au contact de l’autre, il prend sens de son intégration dans un ensemble organisé, dans une totalité qui se saisit comme telle. C’est ce mécanisme qui sert de modèle à tout un pan de la littérature des Lumières : le roman épistolaire, les essais dont est tissé L'Esprit des lois, les articles journalistiques d’Addison ou de Marivaux, de Bodmer et de Gottsched, les correspondances des philosophes, Y Encyclopédie ou les divers dialogues de Diderot. Arrêtons-nous un instant sur les Lettres per­ sanes : croisement des cultures, « esprit » lié à une vision du monde, fragmentation, fondement d’une morale et d’une politique sur la cons­ cience d’appartenir à une collectivité dont on n’est acteur qu’autant qu’on est responsable, c’est-à-dire libre : le message philosophique, comme l’explique Shaftesbury, est indissociable de sa forme ouverte et conversationnelle. Dans ces œuvres, la discontinuité inhérente à la conversation est donc dialectiquement articulée sur un processus d’organisation. Le souci de l’autre est, sur un autre plan, subordination à une progression de la réflexion, à une prise en compte de l’ensemble : il s’agit aussi de se voir en tant que partie d’un tout. C’est le sens de la « méthode » qui s’impose à toute conversation philosophique, comme l’explique Addi­ son dans une analyse citée par Crousaz : « La Méthode n’est pas moins requise dans la Conversation ordinaire que dans un Écrit, lorsqu’on veut parler pour se faire entendre. A l’ouïe de mille débats qu’il y a tous les jours dans nos cafés publics, je vois que mes Compatriotes auraient grand besoin de Méthode pour ranger leurs pensées. »12 Cette « conversation réglée » (Marivaux) suppose que chacun se voit en même temps sous le regard de l’autre, et dans la perspective du tout qui est en train de se constituer : c’est le point de vue même de l’écrivain, ou, si l’on veut, l’anticipation de l’œuvre à construire. L’identification fréquente de la « science de la communication des idées » à leur mise en ordre et à leur méthode d’exposition recouvre ainsi un large éventail de phénomènes : ordre ouvert de la conversation ou du journal, « chaîne secrète » qui fait tenir ensemble l’hétérogénéité du recueil ou de l’essai, enfin disposition du savoir pour en rendre visibles les connexions. Dans tous les cas, prédomine l’idée que l’œuvre doit ménager des parcours multiples, susciter chez le lecteur des liai­ sons ou des associations non rigides, et le faire participer à une entre­ 1. Marivaux, La Vie de Marianne, éd. F. Deloffre, Paris, 1963, 226. 2. Crousaz, 1985, 75, Addison, 1746, V, 123.

prise ouverte, le trajet cognitif ainsi effectué n’étant pas moins important que la conscience prise de ce mouvement de cohérence intégrative. Le « plan » tel qu’il est alors défendu doit être entendu comme une dynamique : ce vers quoi tend le discontinu (de la conversation, de l’article, de la lettre), et ce qui intervient comme un terme dans les tex­ tes plus fermés. Souvent, les œuvres montrent une invention libre dans l’adoption de formes ouvertes, tandis que les prescriptions critiques pri­ vilégient l’unité et la cohérence. Mais cette rigidité elle-même n’est pas uniforme : l’unité et la disposition sont liées au type de savoir qu’on transmet, et aux contraintes propres à chaque situation de communica­ tion. Le plan prend en compte les conditions rhétoriques de la récep­ tion : il s’agit de rendre visible l’ordre des pensées, et cette visibilité dif­ fère selon la matière et le public. La lettre, l’essai, le dialogue sont des formes qui mettent en scène une forme d’échange vivant dans lequel la pensée naît de la rencontre avec l’autre, et du désir de le convaincre ou de l’amener sur un terrain commun dans un mouvement indéfini d’interaction1 : elles donnent donc l’impression d’une pensée qui naît du processus même de l’expression, et qui se manifeste avec le naturel d’une parole conversa­ tionnelle. Addison met ainsi son Spectator sous l’égide de la Liberté d’improvisation, et de l’échange intime : It was said of Socrates, that he brought Philosophy down from Heaven, to inhabit among Men; and I shall be ambitious to have it said of me, that I have brought Philosophy out of Closets and Librairies, Schools and Colleges, to dwell in Clubs and Assemblies, at Tea-Tables and in Coffee-Houses12. Un autre pôle de cette rhétorique s’est constitué autour des Entretiens sur la pluralité des Mondes de Fontenelle qui servent pendant la première moitié du siècle de modèle à la diffusion dans un public élargi des acquis de la science et obligent à les considérer dans une optique morale ou sociale. Gottsched les traduit en allemand et les assortit d’une préface manifeste. Grand esprit européen, Algarotti leur attribue l’idéal même qu’Addison s’est fixé dans son Spectateur : Voifoste il primo ne3 vostri Mondi a

1. L’échange épistolaire est conçu comme l’équivalent écrit de la conversation ; il soumet l’invention à l’interaction et au débat, et met en œuvre les mêmes qualités stylistiques : Certi pensieri che hanno un certo che di grazia originale in lettere о in piccioli saggi, la perdono, mi pare, nel metodico apparato d’un libro (Algarotti, 306). En 1751, Gellert nourrit de cet idéal son traité : Briefe nebst einer praktischen Abhandlung von dem guten Geschmacke in Briefen (voir Ebrecht, 1990, McCarthy, 1989). 2. Addison, 1985, I, 44 (n° 12) : « On a dit de Socrate qu’il avait ramené la philosophie du Ciel sur la Terre, pour habiter parmi les hommes ; et j’ai l’ambition qu’on dise de moi, que j’ai ramené la philosophie des cabinets et des bibliothèques, des écoles et des collèges, pour s’installer dans les clubs et les assemblées, autour des tables à thé et dans les cafés. » La traduction française a supprimé ce numéro.

richiamar la seluaggia filosofia da9 solitari gabinetti e dalle biblioteche de9 dotti per intordurla ne9 circoli e aile tolette delle dame1, et il invoque l’exemple du Cortegiano pour demander au dialogue un style netto, chiaro, précise, interrotto e sparse d9immagini e di sali {ibid., 173). Ce mode ouvert et aléatoire de la constitution et de l’expression de la pensée rend aigu le problème de plan, comme pour les œuvres qui semblent relever de la seule fureur poétique : même les Lettres persanes sont liées par ce que Montesquieu appelle une « chaîne secrète ». En dissimulant son ordre serré dans les méandres d’une invention libre, l’écrivain des Lumières obéit à une exigence de naturel (et par là selon des critères traditionnels d’efficacité) ; mais ce choix remplit aussi d’autres buts. D’une part, il fait du texte la manifestation d’un sujet pleinement créateur - dans une perspective néo-platonicienne chez Fénelon ou Shaftesbury -, et que Marivaux reprend à son compte : « Le bel esprit est un architecte né, qui, méditant un édifice, le voit s’élever à ses yeux dans toutes ses parties différentes ; il en imagine et en voit l’effet total par un raisonnement imperceptible et comme sans progrès » (Marivaux, 1969, 34). Cette idée est intégrée aux théories du génie du deuxième XVIIIe siècle. L’ordre du texte s’offre aussi en analogie de l’ordre d’une pensée qui opère par mise en rapport ou association réglée. « La science de la communication des idées » exige qu’on travaille sur les signes, mais aussi « qu’on mette de l’ordre dans ses idées » : « Cet art si précieux de mettre dans les idées l’enchaînement convenable, et de faciliter en conséquence le passage des unes aux autres, fournit en quelque manière le moyen de rapprocher jusqu’à un certain point les hommes » (D’Alembert, 1965, 43). En dernier lieu, l’ordre du discours ou du texte sont perçus comme déterminants dans sa compréhension, doivent assu­ rer la perception adéquate, par le lecteur, de sa matière. C’est le sens du Discours sur le style de Buffon (et Bettinelli, comme Condillac, reprend plus tardivement cette idée de mise en tableau, d’organisation des plans et des lumières) : « Le style n’est que l’ordre et le mouvement qu’on met dans ses pensées [...] Mais avant de chercher l’ordre dans lequel on présentera ses pensées, il faut s’en être fait un autre plus général et plus fixe, où ne doivent entrer que les premières vues et les principales idées : c’est en marquant leur place sur ce premier plan qu’un sujet sera circonscrit et que l’on en connaîtra l’étendue ; c’est en se rappelant sans cesse ces premiers linéaments, qu’on déterminera les justes inter­ 1. Algarotti, 171 : « Dans vos Mondes, vous avez été le premier à ramener la philosophie sauvage des cabinets solitaires et des bibliothèques pour l’introduire dans les cercles et dans les boudoirs des dames. »

valles qui séparent les idées principales, et qu’il naîtra des idées acces­ soires et moyennes qui serviront à les remplir» (Buffon, 1992, 19). Entre 1725 et 1750, les remises en question de la rhétorique sont très vives, alors même que le système scolaire bouge peu, et que la rhéto­ rique s’introduit même au niveau universitaire (en Allemagne) ou continue à se diffuser à l’intérieur de la société (ouvrages de vulgarisation en France1, sociétés « élocutoires » en Angleterre). Pourtant l’écart entre la rhétorique et la culture se creuse : non pas seulement que disparais­ sent bien des outils rhétoriques ou que ne se posent de nouvelles ques­ tions de transmission et de persuasion (ainsi la lutte contre les préjugés, la diffusion des Lumières) ; mais ces mouvements se font en dehors d’une discipline sclérosée. Ce qui touche Vinventio est de plus en plus une coque creuse, à cause, d’un côté, des spécificités de la démarche scienti­ fique, et, de l’autre, des théories du génie, de l’inspiration, de la créa­ tion ; la dispositio prend une importance nouvelle, mais elle doit s’élaborer en marge de ce qu’enseignent les traités ; Yelocutio voit son éco­ nomie modifiée en s’intégrant à l’apprentissage des langues nationales. Les différentes fonctions attribuées traditionnellement à l’éloquence (instruire, plaire et toucher) semblent avoir été détachées et servir cha­ cune de principe concurrent de sélection et de réorganisation de l’héritage rhétorique (qui souffrirait moins d’une restriction que d’un dépeçage). Commandent ainsi de nouveaux systèmes pour être érigés en fin autonome le movere (l’émotion ayant désormais une valeur en tant que telle), le delectare (qui, s’adressant à l’imagination, transforme tout en « peinture », y compris le domaine de la science) et le docere (qui ne vise plus à inculquer préceptes moraux ou religieux, mais à communiquer un savoir auprès de ceux qui ne l’ont pas produit - ce qu’on pourrait appe­ ler la vulgarisation). Ce qui commande ces transformations, et leur confère leur unité, c’est l’adoption d’un point de vue esthétique : il implique que les textes et les œuvres sont tenus à distance, considérés en spectateur, pour qu’en soient goûtées les diverses qualités - par ailleurs support des réflexions contemporaines sur le beau. De ce premier XVIIIe siècle, le plus déterminant pour l’avenir est l’abandon d’une ambition proprement oratoire (apprendre à bien dire, à persuader), et l’assimilation du savoir rhétorique dans un commen­ taire qui aide à définir en compréhension la littérature et à établir en extension le domaine du bon goût comme le patrimoine du génie de la langue et de la nation : un conservatoire, ou une réserve ? 1. Par exemple, Brulon de Saint-Rémy, Introduction à la rhétorique, Paris, 1730 ; Clausier, Rhéto­ rique ou Part de connaître et de parler, 1748 (1728) ; Gaillard, 1745.

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PETER FRANCE

19 - Lumières, politesse et énergie (1750-1776)

1750 et 1776 : années fastes dans le calendrier de la modernité, cette modernité qui passe pour avoir détrôné la vieille discipline de la rhéto­ rique. En 1750 paraissent les volumes 1 et 2 de Y Encyclopédie. En 1776, les insurgés américains proclament l’indépendance de leur pays. Près d’un siècle plus tard, Karl Marx a demandé, à propos du théâtre grec : « Que peut Vulcain contre Roberts & Gie, Jupiter contre le paraton­ nerre, Hermès contre le Crédit mobilier ? » On pourrait se demander de même : que signifie l’art de Cicéron à une époque aussi tournée vers l’avenir que celle de Diderot et de Washington ? Mais l’histoire est le domaine des continuités autant que des rup­ tures. La jeune République américaine restera longtemps imprégnée (elle l’est peut-être encore aujourd’hui) non seulement de la pensée politique classique, mais d’un enseignement rhétorique qui s’inspire directement de la pratique des universités écossaises, et à travers elles, indirectement, de Quintilien et de toute la tradition ancienne. Quant à VEncyclopédie, même si le fameux article « Collège » de D’Alembert se gausse du pédantisme des rhéteurs scolaires, la plupart des pages qu’elle consacre à la rhétorique restent tributaires d’une routine sécu­ laire1. L’avènement des Lumières n’ébranle pas dans l’immédiat la situation d’une discipline qui poursuit son chemin paisible dans les collèges, les écoles et les universités de l’Europe entière. Cette situation varie d’un pays à l’autre. Faisons un rapide tour d’horizon des établissements scolaires et universitaires européens vers 175012. Bien entendu, il ne saurait être question ici d’un tableau 1. Un des collaborateurs de VEncyclopédie, l’abbé Edmé Mallet, publie en 1753 deux ouvrages tout à fait traditionnels, Essai sur les bienséances oratoires, et Principes pour la lecture des orateurs. Pour une vue plus complète, se reporter au chap. 18, p. 891-893. 2. Sur les universités européennes au XVUf siècle, voir Studies on Voltaire and the 18th Century, n° 167 (1977), «Facets of education in the eighteenth century».

Continuités : le cadre institutionnel

complet, où il aurait fallu faire entrer non seulement les universités et les collèges, mais aussi des académies, des sociétés et des précepteurs individuels qui se situent en dehors des grands circuits. C’est à ces der­ niers qu’on doit d’ailleurs quelques-unes des initiatives les plus heu­ reuses (on pense à Condillac auprès du prince de Parme). Dans les pays catholiques - Italie, Espagne, Pologne, France, Portu­ gal, Autriche, certaines principautés allemandes - la Société de Jésus maintient sa primauté, même si le tonnerre gronde à l’horizon. En Italie, par exemple, malgré les réformes universitaires au Piémont vers 1729, les Jésuites sont encore la force dominante en 1760 (Ricuperati et Roggero, 1977). En France, au moment de leur expulsion, les Jésuites sont à la tête de plus de cent établissements (Compère, 1985, p. 133-135). Malgré l’hostilité qu’ils ne manquent pas de susciter, leurs collèges gardent une position stratégique dans la formation des élites (cela ne concerne, précisons-le, que les hommes ; l’éducation des fem­ mes reste l’affaire des couvents et des familles). La rhétorique jésuite évolue au cours du XVIIIe siècle, faisant pro­ gressivement plus de place aux langues vulgaires, et par conséquent à la littérature moderne, mais elle garde sa place comme point culminant d’une formation de base qui s’étend sur cinq ou six ans, et dont la fina­ lité principale reste encore la connaissance et la maîtrise de la langue et de la littérature latines (Dainville, 1978). On connaît les méthodes des pères : préceptes, lectures, explication, imitation, exercices écrits et oraux. Le système a fait ses preuves ; il n’a besoin que d’être adapté avec prudence au goût du jour. Par un coup de théâtre retentissant, pourtant, les Jésuites vont bien­ tôt disparaître de la carte de l’enseignement dans la plupart des pays européens. A partir de 1759, après une suite de scandales et de procès, la Société sera supprimée tour à tour au Portugal, en France, en Espagne, et dans tous les autres pays catholiques. Sauf en Prusse et en Russie, ses collèges, hauts lieux de la rhétorique scolaire, passeront en d’autres mains. Parfois ce sera le signal d’un mouvement de réforme ; en France, cependant, malgré des rivalités de toutes sortes, les collèges de l’Université de Paris et des divers ordres enseignants ne pratiquaient pas une rhétorique fort différente de celle des Jésuites. On y est sans doute moins attaché à l’étude du latin par la méthode « active », mais les cours de rhétorique évoluent partout dans le même sens. Les pères de l’Oratoire, par exemple, qui sont en France le deuxième ordre enseignant après les Jésuites, et qui héritent de quel­ ques-uns de leurs collèges, sont habituellement considérés comme plus ouverts aux courants novateurs (Lallemand, 1888). Lamy et Malebranche, que Carr présente comme les créateurs d’une nouvelle rhéto­

rique cartésienne (Carr, 1990), sont oratoriens. Mais ces maîtres sont peu présents dans la pratique des collèges, qui reste en général assez proche de celle de leurs rivaux (France, 1994). Il est vrai que ce sont souvent les Oratoriens qui sont appelés à gérer les nouvelles Ecoles militaires. Ces établissements, dont le premier date de 1751, offrent un enseignement plus moderne (Compère, 1985, p. 173-177), où le latin recule devant des matières réputées plus utiles (géographie, mathémati­ ques, sciences, langues vivantes). Néanmoins, les programmes de ces écoles, tels qu’ils sont révélés par leurs « exercices publics »’, ne sacri­ fient nullement la poésie et l’art oratoire, considérés comme élément central d’un bagage culturel indispensable aux futures élites. Ici encore, la recherche des ruptures historiques ne doit pas nous cacher les conti­ nuités. Dans toutes ces écoles, quelle que soit la ratio studiorum qui règle l’enseignement, beaucoup dépend évidemment de la qualité du profes­ seur individuel. C’est lui qui compose lui-même son cours, puisant dans l’immense fonds des manuels et des traités ; c’est lui qui choisit les exemples anciens et modernes qui illustreront les préceptes. On possède encore beaucoup de ces cours, manuscrits de professeurs ou notes d’élèves, pour la France comme pour d’autres pays. Le P. Dainville en a étudié une dizaine pour les Jésuites en France (Dainville, 1978, p. 185-208), qu’on peut comparer avec le cours latin (Institutiones oratoriae) professé par le P. Monnet au collège des Oratoriens à Troyes vers 1740 (Carré, 1888). La doctrine de Monnet est entière­ ment traditionnelle, et il y fait preuve de ce goût de Vomatus qu’on attribue parfois aux seuls Jésuites. Prenons un exemple de la dilatatio periodica, digne des leçons de Pomey ou de Jouvancy (Carré, Pièces justificatives Q). П s’agit d’amplifier la phrase №hil esse optandum magis quam sincerum conscientiae testimonium ; voici la première d’une quinzaine de variantes : Si quis nosse velit quam dulce sit in sincere bona conscientia testimonio solatium, consideret Ute secum quotes ac quantas conscia mens scelerum perturbationes parère soleat, tunc non dubitabit quam sedulam in paranda conscientia bona diligentiam qfferre debeat; cum qua cautione vitandum sit sceleratae mentis oppribrium persenserit1 2. 1. Une série impressionnante de programmes d’exercices publics des Écoles militaires est conservée à la Bibliothèque nationale, BN 4 R 2375. 2. « Rien n’est préférable au témoignage intact de la conscience... Si quelqu’un veut savoir quelle douce consolation réside dans le témoignage d’une bonne conscience, qu’il réfléchisse quels sont les troubles que produit habituellement un esprit conscient de ses crimes, et il ne doutera pas combien il doit être diligent à garder une conscience pure, et comprendra avec quel soin il doit éviter l’opprobre d’un esprit criminel. »

Lorsque Monnet prendra se retraite vers 1740, le cours latin dispa­ raîtra avec lui ; la rhétorique sera désormais enseignée en français au collège de Troyes. Mais un ancien étudiant, P.-J. Grosley, se souvien­ dra quelques décennies plus tard de la qualité de l’enseignement de Monnet : «J’avais doublé la rhétorique pour profiter des leçons du P. Monnet, qui remplit tout ce que j’attendais de lui [...] Il nous don­ nait des leçons en beau et bon latin, mais il était à notre niveau par l’intelligence des matières» (Grosley, 1787, p. 53). D’autres témoigna­ ges d’anciens élèves révèlent des sentiments analogues pour un profes­ seur de rhétorique. On connaît le passage de la Lettre sur les sourds et muets où Diderot parle avec enthousiasme des leçons du P. Porée (Dide­ rot, 1975, t. IV, p. 180-181)' ; on entend le même son de cloche chez Garran de Coulon, lorsqu’il évoque son passage chez les oratoriens de Niort vers 1763 (voir plus loin, p. 952-953). Sans doute y avait-il beau­ coup de régents qui se contentaient de rabâcher les vieilles leçons. L’école est le lieu de la tradition. Mais la tradition, bien interprétée, pouvait encore rendre des services. Dans beaucoup d’écoles et d’universités des pays du Nord, la vieille discipline reste encore vivace, même si elle subit parfois des transformations plus radicales que dans les collèges des Jésuites et des Oratoriens. L’enseignement allemand (Paulsen, 1921 ; Bruford, 1950) reste grosso modo fidèle aux leçons de l’humanisme ; il vise à inculquer la sapiens atque eloquens pietas dont parlait Sturm. Les langues classiques, la dialectique et la rhétorique sont le plus souvent enseignées selon les vieilles méthodes dans les écoles secondaires et dans les facultés des lettres, dont beaucoup sont encore « pays latin » jusque dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Dans ces conditions, comme dans les collèges jésuites en France au début du siècle, la rhétorique a pour but essentiel la communication ; il s’agit de savoir parler, disputer et rédiger dans un latin aussi correct que possible. Mais ce modèle tend à se transformer. Comme dans tous les pays d’Europe, au cours du XVIIIe siècle on voit la publication d’un grand nombre de traités de rhétorique (tout à fait traditionnels pour la plupart) en langue vul­ gaire, dont celui de Gottsched est le plus célèbre. En même temps, l’Université de Halle d’abord, ensuite celle de Gottingen, remplacent les cours en latin par des cours en allemand. L’enseignement des lan­ gues et des littératures classiques se dégage ainsi de la rhétorique. On visera désormais moins à former des professeurs et des prédicateurs 1. On a mis en doute la présence de Diderot au collège Louis-le-Grand, où Porée enseignait, mais il a reçu une éducation jésuite, et son témoignage correspond sans aucun doute à une cer­ taine réalité pédagogique, sinon à l’expérience du collégien moyen.

capables d’utiliser couramment le latin, que des hommes du monde dont le goût et le jugement ont été formés à l’étude des grands auteurs grecs et latins. Grâce à son seminarium philologicum, les réformes de Gottingen influencent à leur tour les écoles, qui commencent à « encourager l’étude du grec pour sa valeur culturelle, et de l’alle­ mand pour l’expression personnelle, à la place de l’éloquence latine » (Bruford, 1950 p. 246). Les Universités d’Oxford et de Cambridge restent, comme on aurait pu s’y attendre, des bastions de la tradition (Aston, 1986 ; Winstanley, 1935). On y dispute en latin comme au Moyen Age. La rhéto­ rique qu’on enseigne à Oxford est celle d’Aristote, de Cicéron, de Quintilien et d’Hermogène ; on y remarque pourtant une évolution vers l’apprentissage du goût et des polite letters. A vrai dire, la rhétorique en Angleterre est plutôt le domaine des public schools comme Eton et Winchester, ou des grammar schools comme cette modeste école de Hawkshead au pays des lacs où William Wordsworth reçut une forma­ tion classique de haute qualité. Si on les compare aux collèges des Jésuites, on est tenté de conclure que l’étude de la rhétorique propre­ ment dite (art de la communication active) est moins importante ici que l’étude des langues et des littératures classiques, le grec jouissant d’une faveur nettement plus grande qu’en France. Il est difficile, d’ailleurs, de savoir le contenu de l’enseignement de la rhétorique dans ces écoles. On a parlé d’un retour au cicéronianisme au début du XVIIIe siècle (Howell, 1971, p. 75-142), c’est-à-dire à une rhétorique complète, par opposition à la réduction ramiste de la rhétorique à une doctrine des figures. On peut citer ici le System of Oratory de John Ward, qui fut pendant trente-huit ans professeur de rhétorique au Gresham College, établissement bénévole à Londres, ou le traité plus élémentaire du professeur de collège John Holmes, The Art of Rhetoric made easy (1739). Toujours est-il qu’on continue à publier et à rééditer à l’usage des écoles de simples manuels de figures comme A System of Rhetoric de John Stirling (1733) ou la Rhetoric de Thomas Gibbons (1767). Comme en France, sans doute, le rôle du professeur individuel est parfois déterminant. On peut mettre en parallèle avec les textes français cités plus haut le témoignage du poète Samuel Taylor Coleridge, qui parle dans sa Biographia litteraria de l’influence exercée sur lui par son professeur, James Bowyer, au Christ’s Hospital autour de 1780:

He early moulded my taste to the preference of Demosthenes to Cicero, of Homer and Theocritus to Virgil, and again of Virgil to Ovid. He habituated me to compare Lucre­ tius [...], Terence, and above all the chaster poems of Catullus, not only with the

Roman poets of the so-called Silver and Brazen Ages, but with even those of the Augus­ tan era ; and on grounds ofplain sense and universal logic to see and assert the superio­ rity of the former, in the truth and nativeness, both of their thoughts and diction (Cole­ ridge, 1985, p. 159)'.

Le même Bowyer, dont les biographes de Coleridge donnent une image nettement moins attrayante, lit également avec ses élèves Milton et Shakespeare. On pourrait se demander s’il s’agit toujours de la rhétorique ici. De toute manière, c’est moins dans les grammar schools de l’Angleterre que dans les universités de l’Écosse que l’enseignement de cette discipline se renouvelle et se consolide aux alentours de 1750 (Sher, 1985 ; Bator, 1989). Rendant compte dans la Gazette littéraire du 4 avril 1764 du livre de Henry Home, Lord Kames, Elements of criticism (1762), ouvrage très important pour la nouvelle rhétorique des Écossais, mais qui contient malheureusement des éloges de Shakespeare au détriment de la tra­ gédie française, Voltaire ironise sur ce que nous appelons maintenant les « Lumières écossaises » : C’est un effet admirable des progrès de l’esprit humain, qu’aujourd’hui il nous vienne d’Écosse des règles de goût dans tous les arts, depuis le poème épique jusqu’au jardinage. L’esprit humain s’étend tous les jours et nous ne devons pas désespérer de recevoir bientôt des poétiques et des rhétori­ ques des îles Orcades.

Non pas des Orcades, peut-être, mais les Universités de Glasgow, d’Édimbourg, de Saint Andrews et d’Aberdeen voient entre 1748 et 1776 une floraison de cours de rhétorique dont l’influence sera capi­ tale pour le développement de la discipline outre-Adantique au siècle suivant. Ces Universités avaient connu, elles aussi, l’ancien régime du cours de rhétorique professé en latin. A vrai dire, la rhétorique avait rarement ici une existence autonome. Elle entrait dans les attributions du professeur de logique, parfois du professeur de philosophie morale. Il faut citer surtout John Stevenson, professeur à Édimbourg de 1730 à 1775, dont les cours de logique (en latin) étaient accompagnés de cours de rhétorique en anglais1 2. Ceux-ci jouissaient d’une grande popu­ 1. « Il forma de bonne heure mon goût à préférer Démosthène à Cicéron, Homère et Théocrite à Virgile, et encore Virgile à Ovide. Il m’habitua à comparer Lucrèce [...], Térence et sur­ tout les poèmes les plus chastes de Catulle, non seulement avec les poètes romains des âges dits d’or et d’argent, mais encore avec ceux du siècle d’Auguste, et à voir et affirmer, pour des raisons de bon sens et de logique universelle, la supériorité des premiers quant à la vérité et le naturel de leurs pensées et de leur style. » 2. Sur l’importance de Stevenson, voir Bator, 1989. A défaut des cours de Stevenson, nous possédons des dissertations écrites en anglais et en latin par ses élèves (Edinburgh University Library, MS De. 4.54).

larité ; ils étaient pour l’essentiel des leçons de poétique et de critique littéraire, où Stevenson faisait une place assez grande aux idées de Longin, de Dryden, de Le Bossu, et à la lecture d’Homère et des Modernes. Dans la plupart des universités écossaises la rhétorique continuera à être enseignée ainsi en association avec la logique ou la philosophie morale - à Saint Andrews, par exemple, Robert Watson, professeur de logique, rhétorique et métaphysique, donne à partir de 1756 un cours de rhétorique à dominante littéraire dont les traces manuscrites ont été étudiées par Paul Bator (Bator, 1994). Ailleurs elle peut être discutée dans les sociétés littéraires - c’est le cas de George Campbell d’Aber­ deen dont la Philosophy of rhetoric sera enfin publiée en 1776. Mais les jeunes étudiants d’Edimbourg et de Glasgow auront bientôt droit à des cours de rhétorique à part entière. En 1748, à l’invitation de Kames, Adam Smith, futur auteur de la Richesse des nations, commence à Edimbourg un cours « on rhetoric and the belles-lettres » (Smith, 1983, p. 8) devant a respectable auditory, chiefly com­ posed of students of law and theology. Il reprendra sans doute son cours édimbourgeois lorsqu’il sera nommé en 1751 à la chaire de logique et de rhé­ torique - et bientôt à celle de philosophie morale - à l’Université de Glasgow. Un résumé assez complet de ses cours par un étudiant de 1762 fut découvert et publié par J. M. Lothian en 1963 (Smith, 1983). En 1762 enfin, Hugh Blair, disciple de Stevenson et auditeur de Smith, est nommé à la nouvelle chaire royale (Regius Chair) de rhétorique et de belles-lettres à l’Université d’Edimbourg (qu’on considère habituelle­ ment comme la première chaire de littérature anglaise du monde). Les cours de Blair, Lectures on rhetoric and belles-lettres, imprimés seulement en 1783, exerceront une influence durable sur l’enseignement de la rhé­ torique en Amérique du Nord. L’Ecosse constitue un cas exceptionnel, car elle offre le spectacle de cours de rhétorique en langue vulgaire professés dans le cadre d’un enseignement universitaire complet. La rhétorique y prend sa place aux côtés de la philosophie, du droit, de l’économie politique, des mathé­ matiques. Il faut avouer qu’à la même époque John Lawson donne un cours de rhétorique en langue anglaise au Trinity College de Dublin - ses Lectures concerning oratory (1758). Orientés surtout vers la prédica­ tion, ceux-ci sont toutefois nettement plus proches de la tradition clas­ sique que les ouvrages de ses contemporains écossais. Quelques années plus tard, enfin, Joseph Priestley, plus connu pour ses travaux de chi­ miste, offre à ses élèves de la dissenting academy (collège non conformiste) de Warrington, école secondaire à la pointe du progrès pédagogique où il est tutor in the languages and belles-lettres, un cours qui ne sera publié

qu’une quinzaine d’années plus tard, A course of lectures on oratory. Dans cet ouvrage original et perspicace, il reconnaît sa dette envers ses pré­ décesseurs écossais, surtout Kames. Pace Voltaire, l’Écosse est donc le haut lieu de la nouvelle rhétorique du XVIIIe siècle. Terminons ce rapide tour d’horizon en évoquant la lointaine Mos­ covie. En 1748, lorsque Adam Smith commence ses cours à Edim­ bourg, Mikhaïl Lomonossov, grand maître des Lumières russes, publie à Saint-Pétersbourg une Courte introduction à la rhétorique (en réalité, un traité assez complet). Avant Lomonossov, la Russie avait un enseigne­ ment professionnel de l’art oratoire, fondé sur des cours rédigés en latin ou en slavon. Il avait lui-même assisté à un cours latin à Moscou, avant d’écouter à Marbourg les leçons de J. A. Hartmann sur l’éloquence romaine. Il étudie également les œuvres des Anciens (surtout Longin) et de Modernes tels que Caussin, Pomey et Gottsched. Mais quand il est à son tour invité à enseigner la rhétorique à l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg (où il est le seul Russe), il rejettera l’avis de ses collè­ gues étrangers et rédigera son traité dans sa langue maternelle. Son Introduction, divisée en trois parties (inventio, elocutio, dispositif), se fonde sur la tradition classique, mais l’adapte aux besoins de ses contempo­ rains, et constitue entre autres choses une anthologie russe de littéra­ ture européenne, où des extraits importants d’auteurs tels que Virgile et Camoens, Cicéron et Érasme sont donnés dans la traduction de l’auteur, qui ne s’interdit pas de citer copieusement ses propres poèmes. Cet ouvrage jouira d’une grande popularité et sera souvent réédité au cours du siècle qui suit sa publication. La rhétorique est bien un phé­ nomène européen. Une rhétorique nouvelle ?

La machine pédagogique tourne donc, s’adaptant lentement aux nouvelles demandes des clients. Nous avons vu dans tous les pays d’Europe la montée des cours scolaires et universitaires rédigés en langue vul­ gaire. Le corollaire de ce mouvement est la place grandissante occupée dans l’enseignement par les textes littéraires et oratoires du présent. Blair à Édimbourg analyse longuement le style de quatre essais tirés du Spectator de Joseph Addison ; vers la même époque, s’il faut en croire les mémoires de Garran de Coulon, le régent de rhétorique au collège des Oratoriens à Niort fait sentir à ses élèves les beautés de la littérature ancienne et moderne : П avait pour maxime qu’on ne met pas les jeunes gens dans les collèges seulement pour leur apprendre le latin, mais aussi pour former leurs mœurs, pour leur donner l’amour de la vertu, de la solide gloire, pour leur former le goût. C’est ce qui l’engageait à donner une demi-heure de

chaque classe à lire un bon livre. Ce n’était pas de ces savantes compila­ tions, de ces commentaires laborieux dont il nous faisait la lecture, c’était VIliade, le Paradis perdu, les Oraisons funèbres de Bossuet et de Fléchier, les ser­ mons de Bourdaloue et de Massillon... (Compère, 1985, p. 211).

Comme nous le verrons, la rhétorique a tendance à devenir ainsi une école de littérature comparée et de goût littéraire, où les textes classi­ ques sont de plus en plus cités en traduction. On assiste aussi parfois à une réduction de la rhétorique à Velocutio, à cette « rhétorique restreinte » dont parlait naguère Gérard Genette. Certains manuels ne parlent que de tropes et de figures, par exemple le traité Des tropes (1730) de Du Marsais, ou Rhetoric, on a view of its principal tropes and figures (1767) de Thomas Gibbons, qui illustre assez bien la formule du poète anglais Samuel Butler :

For all a rhetorician’s rules Teach nothing but to name his tools. (Hudibras, I, I, 89-90)'.

П est vrai aussi que l’étude des figures, et du style en général, occupe une place de choix dans la plupart des cours manuscrits qui nous sont parvenus ; les auteurs ne font d’ailleurs que suivre le conseil de Quintilien, pour qui Velocutio est la partie la plus difficile de la rhétorique, et mérite qu’on lui consacre sa vie entière. Mais il serait exagéré de parler d’un abandon de Viiwentio et de la dispositio, voire de la pronuntiatio et de la mémoire. Si la finalité oratoire tend à céder la place à l’étude des textes, on continue néanmoins à dicter des cours où il est question de tous les aspects de la communication écrite ou orale (preuves, passions, lieux, etc.), et non seulement du style. Citons comme exemple de cette rhétorique scolaire traditionnelle la Rhétorique française (1765) de Jean-Baptiste Crévier (1693-1765), profes­ seur comme Rollin au Collège de Beauvais à Paris. Cet ouvrage en deux tomes, équivalent français du System of oratory de John Ward, fut utilisé et réédité jusqu’en 1812. L’auteur annonce d’emblée que son livre n’est que le développement de ses cours, fondés sur « les principes d’Aristote, de Cicéron et de Quintüien, autorisés et vérifiés par la pra­ tique et les succès des plus illustres écrivains de notre nation ». Le tome I parle rapidement des rapports entre rhétorique et philosophie, des trois genres d’éloquence, et des trois parties de la rhétorique, avant d’aborder Vinventio (fieux, mœurs, passions) et la dispositif. La « pensée » est selon l’auteur plus importante que le « style » ; c’est toutefois Velocu1. « Car toutes les règles du rhéteur / N’apprennent qu’à nommer ses outils. »

tio qui se taille la part du lion dans ce traité : presque tout le tome II, dont plus de la moitié pour les tropes et les figures. La prononciation et la mémoire sont ensuite expédiées en quelques pages, avant un dernier chapitre consacré à l’imitation. C’est un ouvrage honnête, volontiers conservateur, car, comme dit l’auteur, « quand le bon est trouvé, qui cherche autre chose cherche le mauvais » (p. X). La modernité ne se révèle que dans le choix du français ; Crévier proclame : «J’écris en français, et pour des Français du XVIIIe siècle » (p. XXI), et il puise beaucoup de ses exemples dans la littérature moderne1. Aux yeux de certains, l’emploi de la langue vulgaire ne suffisait pas pour garantir la modernité de l’entreprise. Car c’est ce type de manuel, et l’enseignement qu’il reflète, qui est depuis longtemps en butte aux attaques des « philosophes », et c’est en vain que Crévier met le public en garde contre « une barbarie philosophique, qui fait la guerre à toute aménité, à toutes les grâces naturelles » (p. XVI). П pense sans doute à l’article « Collège » de Y Encyclopédie, où d’Alembert offrait une image caricaturale de l’enseignement traditionnel, tel qu’il pouvait être prati­ qué par Crévier tout autant que par le P. Monnet : On donne à ces discours le nom d’amplifications ; nom très convenable en effet, puisqu’ils consistent pour l’ordinaire à noyer dans deux feuilles de verbiage ce qu’on pourrait et ce qu’on devrait dire en deux lignes. Je ne parle point de ces figures de rhétorique si chères à quelques pédants modernes, et dont le nom même est devenu si ridicule, que les professeurs les plus sensés les ont entièrement bannies de leurs leçons.

Les chapitres précédents ont dit l’essentiel sur la mise en accusation de la rhétorique par un courant philosophique et scientifique qui procède de Descartes, de Hobbes et de Locke entre autres. Cette offensive pro­ voque la riposte magistrale, mais peu écoutée, de Vico ; elle mène éga­ lement à des tentatives, de la part de ceux que d’Alembert appelle « les professeurs les plus sensés », de repenser la rhétorique selon les normes de la nouvelle philosophie. Car il va de soi que le soupçon qui pèse sur l’ancien art oratoire, art du mensonge et de la fiction, ne diminue en rien la nécessité d’un art de la communication écrite et verbale. Depuis le Gorgias, la tâche des rhéteurs était de proposer une rhétorique qui ne serait pas vulnérable aux objections d’une philosophie rationnelle. Or, pour le XVIIIe siècle, et singulièrement pour le quart de siècle qui nous occupe ici, W. S. Howell a utilisé l’expression new rhetoric pour 1. Un an plus tard, en Espagne, la Rhetorica (1757) de Gregorio Mayans y Siscar, comme le traité de Crévier fruit d’une longue expérience pédagogique, concilie un enseignement cicéronien renouvelé et une célébration de la littérature nationale (Abbott, 1993). Nous avons déjà remarqué la même tendance dans la Courte Introduction de Lomonossov (voir p. 952).

désigner une série d’ouvrages qui selon lui se détachent des vieux cou­ rants cicéroniens, ramistes et autres (Howell, 1971). Cette new rhetoric remonte à la tentative de Locke de créer un art de la communication philosophique, dégagée de l’emprise de l’art oratoire humaniste. On en trouve également des anticipations dans les ouvrages de Port-Royal, et surtout dans les Dialogues sur l’éloquence de Fénelon, « la première rhéto­ rique moderne ». Les grandes figures du mouvement sont pourtant des Britanniques, Adam Smith et George Campbell avant tout, mais aussi Joseph Priestley, Hugh Blair, John Lawson, John Witherspoon. Howell distingue six éléments essentiels de la nouvelle doctrine :

a / L’extension du champ de la rhétorique à la communication scienti­ fique et aux belles-lettres ; b / L’emploi de preuves « non artistiques » (c’est-à-dire celles qui sont fournies par le sujet lui-même plutôt que par les lieux) ; c / La priorité accordée à la preuve inductive aux dépens de la méthode syllogistique ou de Fenthymème ; d / Le refus de la simple probabilité en faveur de la certitude scienti­ fique ; e / La préférence donnée à un style plus simple que celui de Cicéron ; f / Le soupçon jeté sur les tropes et les figures (Howell, p. 441-447). Comme on voit, il s’agit d’une élaboration du programme de la Royal Society, qui condamnait les arts trompeurs de la rhétorique - les brumes et les incertitudes des tropes et des figures - et appelait de ses vœux a close, naked, natural way of speaking (Sprat, 1959, p. 113). Cette « nouvelle rhétorique », qui s’applique avant tout à la communication érudite, est tellement proche de la logique (la nouvelle logique, bien entendu), qu’on peut se demander si c’est encore une véritable rhétorique. Comme l’a bien montré Brian Vickers (Vickers, 1981, p. 109-118), Howell fait preuve dans ses études historiques d’un parti pris téléolo­ gique et puritain qui l’amène à méconnaître des pans entiers de l’histoire de la discipline au XVIIIe siècle. Non seulement il privilégie certains théo­ riciens, mais il présente les doctrines d’un Smith et d’un Campbell sous un jour partial, négligeant ce qui chez eux s’apparente à une tradition cicéronienne qu’il rejette. Et surtout, Howell décrit comme un nouveau départ révolutionnaire une tendance, qui avait toujours coexisté et riva­ lisé avec la tendance opposée (qu’on l’appelle asiatique, sophistique, ou précieuse) à l’intérieur de la rhétorique classique. Néanmoins, il est indéniable qu’à l’époque des Lumières la mise en question de la tradition acquiert une nouvelle acuité, car elle peut être formulée dans les termes de la philosophie lockienne. Nous avons vu

dans les chapitres précédents quelques tentatives de ce genre. Pour la période qui nous occupe ici, une des figures les plus intéressantes est sans doute le philosophe français Étienne Bonnot de Condillac. Il est vrai qu’il parle peu de la rhétorique, mais ses théories sur la bonne conduite de l’esprit impliquent également une théorie de la communication. Celle-ci devient plus explicite dans le Cours d’études qu’il rédige entre 1758 et 1767 comme précepteur du jeune prince de Parme. Son élève lui donnera peu de satisfaction - on peut s’étonner du niveau intel­ lectuel de ces leçons adressées à un garçon de 8 ou 9 ans -, mais le Cours, qui comporte une Grammaire, un Art d’écrire, un Art de raisonner et un Art de penser aussi bien que des leçons de science, d’histoire et d’économie poli­ tique, sera un texte capital pour la génération des Idéologues. Comme ses maîtres, Locke et Descartes, Condillac affirme que nos erreurs philosophiques ont leur origine dans un mauvais usage du lan­ gage. П l’explique dans VEssai sur l’origine des connaissances humaines : Ce qui accoutume notre esprit à cette inexactitude, c’est la manière dont nous nous formons au langage. Nous n’atteignons l’âge de raison que longtemps après avoir contracté l’usage de la parole... Pour peu qu’en réfléchissant sur les enfants que nous voyons nous nous rappelions l’état par où nous avons passé, nous reconnaîtrons qu’il n’y a rien de moins exact que l’emploi que nous faisons ordinairement des mots (Condillac, 1947, I, 105).

Il faut donc ramener la parole à l’expression des idées claires et simples et de leurs liaisons logiques. Cette position, ainsi que la doctrine des idées qui la sous-tend, est longuement exposée dans VEssai et le Traité des sensations ; c’est elle qui trouvera son expression pédagogique dans le Cours d’études. A la différence de Locke et de Descartes, Condillac se voit obligé en tant que précepteur de composer un art d’écrire. Il en va de même de cet autre philosophe, Adam Smith, qui propose à ses étudiants de Glasgow des conseils pratiques sur ce que les Américains appellent la « composition », c’est-à-dire l’expression orale et écrite. Le cours de Smith fait partie d’un enseignement universitaire, donc public. Condil­ lac, par contre, se trouve dans une situation privilégiée, en dehors des circuits de l’enseignement officiel, même si celui-ci profitera plus tard de ses expériences. Dans les limites imposées par une éducation princière, il est donc fibre d’élaborer un système original. Remarquons d’abord que le latin est entièrement absent de ses cours sur le langage et la pensée - destinés, rappelons-le, à un garçon de 8 ou 9 ans. Les exemples, prose ou vers, sont puisés uniquement dans la littérature française des XVIIe et XVIIIe siècles (l’écrasante majo­

rité sont de l’époque de Louis XIV). Les cours ont pour objet la maî­ trise de la langue maternelle du prince. C’est dans YArt d'écrire que Condillac se rapproche le plus des leçons de la rhétorique traditionnelle, mais, comme il le dit lui-même, « l’art de parler, l’art d’écrire, l’art de raisonner et l’art de penser ne sont, dans le fond, qu’un seul et même art ». Il conclut que ces arts « se réduisent tous à l’art de parler » (I, 403). L’art de parler : c’est le titre même de la rhétorique de Bernard Lamy, et ce que Condillac propose est en effet une rhétorique qui ne dit pas son nom. C’est même l’un des meilleurs exemples de la new rhetoric, la rhétorique des philosophes. L’auteur n’est pas tendre pour ceux qu’il appelle « les rhéteurs ». Il conclut YArt d'écrire par le paragraphe suivant : Tous ceux qui ont écrit sans avoir de règles pourront aisément se convaincre qu’ils se sont conformés au principe de la plus grande liaison, toutes les fois qu’ils ont donné à leurs pensées de la lumière, de la couleur, de l’expression. Une pareille loi ne saurait donc être un obstacle au génie : ce défaut ne peut être reproché qu’à ces règles que les rhéteurs et les grammairiens n’ont tant multipliées que parce qu’ils les ont cherchées ail­ leurs que dans la nature de l’esprit humain (I, 611).

Comme on voit, Condillac reproche à ses prédécesseurs d’avoir inutile­ ment compliqué un art qui n’est en réalité qu’un développement de la nature - ou du moins d’une nature réglée par la raison. П offre son « art d’écrire », comme les traités qui l’entourent, comme la formalisa­ tion de ce que son élève peut observer pour lui-même dans l’expé­ rience quotidienne de la conversation et de la lecture. Pour justifier cette position, il analyse très longuement, dès le début de la Grammaire, un passage du discours de Racine pour la réception de Thomas Cor­ neille à l’Académie, cherchant à montrer comment le texte correspond dans ses grandes articulations (paragraphes, suite des phrases) aussi bien que dans ses détails (emploi de la virgule, des deux-points) à une pensée bien conduite. Son analyse commence ainsi : Le théâtre doit beaucoup à Corneille ; voilà le fond de sa pensée. Il ne peut développer ce fond qu’autant qu’il en aperçoit toutes les parties. Ce développement suppose qu’il voit l’état où était le théâtre avant Corneille, l’état où Corneille l’a mis, et enfin les talents de Corneille. Ainsi sa pensée se décompose en trois parties, qu’il distingue en les séparant dans trois alinéas. Vous voyez par là que, dans le discours écrit, les alinéas contribuent à distinguer, d’une manière plus sensible, les différentes parties d’une pensée. Ils marquent où chacune finit, où chacune commence, et par cet artifice, elles se démêlent beaucoup mieux (I, 448-449).

Ces remarques élémentaires ont pour but de montrer que le langage est l’instrument qui permet d’analyser la pensée. Apprendre à bien par­ ler ou écrire, c’est apprendre à bien penser. Notons cependant que Condillac n’accepte pas la formule trop connue de Boileau, « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ». Au contraire, il cite beaucoup de textes où la pensée est claire, mais expliquée « d’une manière obscure ou du moins embarrassée ». Bien concevoir ne suffit pas ; « il faut encore apprendre l’ordre dans lequel vous devez communiquer l’une après l’autre des idées que vous aperce­ vez ensemble » (I, 539). Ecrire est un art, et Condillac en expose les principes. Sa méthode préférée, nous l’avons vu, est l’analyse des textes, qui sont commentés avec une rigueur philosophique et parfois iconoclaste. П ne craint pas de critiquer les grands classiques, Platon, Longin, Boi­ leau, et surtout La Bruyère, chez qui, malgré la réputation dont il jouit, il trouve « beaucoup de négligence » (I, 544). Cette sévérité de juge­ ment est justifiée par l’application de son critère fondamental, la liaison des idées. Le bon texte est celui où les idées sont bées de façon correcte, naturelle et lumineuse : Si le principe de la liaison des idées est vrai, il ne restera plus qu’à raison­ ner conséquemment ; et lorsque les conséquences seront justes, les criti­ ques ne pourront manquer de l’être, quelque sévères d’ailleurs qu’elles paraissent (I, 549).

La liaison des idées sous-tend donc tout le système rhétorique de YArt décrire, mais Condillac distingue en outre deux qualités essentielles, la netteté et le caractère. La netteté pose peu de problèmes. Il s’agit de bien ordonner les idées, en évitant tout ce qui pourrait nuire à la clarté de la pensée. Condillac montre par des exemples positifs (Bossuet, Mme de Mainte­ non) et négatifs (La Bruyère, Dubos) comment on doit construire une phrase ou une période pour faciliter la compréhension du lecteur. Celui-ci est le juge ; la seule ambition de Condillac est de décrire (comme tout bon rhéteur) les démarches qui sont reconnues comme efficaces. Il donne ainsi un admirable exposé de la doctrine classique, qui pourrait encore rendre des services aujourd’hui. Remarquons tou­ tefois qu’il lui arrive aussi de rejeter des idées reçues, par exemple en ce qui concerne l’ellipse (I, 539-544). Alors que les grammairiens, « plus occupés des mots que des pensées », condamnent cette figure lorsqu’elle n’est pas autorisée par l’usage, Condillac, fort de son prin­ cipe fondamental, affirme que, pourvu que la pensée soit claire, les

tournures elliptiques ont l’avantage de resserrer la liaison des idées : « Une phrase claire, vive et précise est bonne », malgré son apparente incorrection. Avec le caractère, nous abordons l’aspect le plus intéressant de la pensée rhétorique de Condillac. Si dans un discours la netteté permet de bien articuler les idées principales, c’est seulement grâce aux « tours » qu’on peut exprimer la pensée « avec toutes ses modifica­ tions », c’est-à-dire les idées accessoires (I, 547). Chaque pensée est vue sous un jour déterminé, par une personne particulière, et c’est de cette particularité, la disposition subjective et affective de l’écrivain, que l’écriture doit garder le caractère. Pour l’essentiel, il s’agit ici des figures et des tropes, bien que Condillac conseille d’accorder peu d’attention aux classifications des rhéteurs. Son traitement de ces questions doit quelque chose à Du Marsais, mais il est presque toujours plus profond que celui-ci. Parfois il fait preuve, comme beaucoup de ses prédéces­ seurs, d’un « bon goût » rigide et dogmatique, bien que justifié par le principe de la liaison des idées. Il condamne ainsi la belle comparaison de La Bruyère : « La cour est comme un édifice bâti de marbre : je veux dire qu’elle est composée d’hommes fort durs et fort polis » comme un jeu de mots qui n’offre rien à la raison (I, 555). Ailleurs, cependant, il est amené à défendre les métaphores dites « tirées de loin » (ex. « les vérités se ramifient presque à l’infini ») contre les « avertissements continuels » de rhéteurs comme Bouhours. Selon lui, les métaphores, pourvu qu’elles soient justes, « ne sont jamais plus belles que lorsqu’elles sont tirées de loin ». Ici encore, il suffit de consulter le principe de la liaison des idées : « Sans vous occuper de ce qui a été dit ou de ce qui ne l’a pas été, songez uniquement à ce qui peut se dire » (I, 565). П en va de même pour les inversions. Loin de préconiser l’emploi uniforme de l’ordre dit naturel (sujet-verbe-complément), Condillac explique que la nature dicte à l’homme agité un ordre different de celui qu’emploie un homme tranquille : « Le langage de celui-là est l’expression des rapports que les choses ont à sa manière de voir et de sentir : le langage de celui-ci est l’expression des rapports qu’elles ont entre elles » (I, 576). Tout philosophe qu’il est, il ne privilégie ni l’un ni l’autre. A l’instar du maître de philosophie de Molière, il jongle avec les différents arrangements qu’on peut donner à la même pensée, regrettant même l’impossibilité en français de tournures comme « saisie se trouve la nature ; émus sont tous les cœurs » (I, 577). La notion de caractère désigne donc l’aspect subjectif du discours ; elle peut aussi s’appliquer aux différents types de discours. Comme

Adam Smith, Condillac termine son art d’écrire par des considérations sur les différents genres de discours : genre didactique, narration, élo­ quence, genres poétiques. Ce qui est remarquable ici, c’est ce qu’il dit sur la communication philosophique. A la différence des poètes et des orateurs, qui disposent d’une « méthode » bien rodée par des siècles de théorie et de pratique, les pauvres philosophes se trouvent démunis devant les exigences de la communication : Regardant comme au-dessous d’eux d’écrire pour la multitude, ils se sont fait longtemps un devoir d’être inintelligibles (I, 592).

Mais eux aussi ont besoin d’intéresser leur public, de garder son atten­ tion, tout autant que les poètes. Et en bon citoyen des Lumières, Condillac va plus loin que la new rhetoric de Howell et insiste sur la nécessité de l’ornement, même dans le genre didactique : L’instruction est sèche quand elle n’est pas ornée. Un écrivain doit imiter la nature qui donne de l’agrément à tout ce qu’elle veut nous rendre utile... Tracez-vous donc une route à travers les plus beaux paysages ; que ce que l’architecture, la peinture ont de plus beau, y forme mille points de vue ; en un mot, empruntez des arts et de la nature tout ce qui est propre à embellir la vérité (I, 596).

Il n’est pas certain que l’exemple de Condillac illustre bien ses préceptes. Melchior Grimm, ce critique difficile, a dit de lui : « N’en déplaise à M. l’abbé de Condillac, quand on veut être lu, il faut savoir écrire» (Grimm, III, 113). Néanmoins, et malgré un cer­ tain dogmatisme myope, VArt d’écrire est probablement la rhéto­ rique française la plus intéressante de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. La nouvelle philosophie y dicte une doctrine qui n’en reste pas moins attachée à l’enseignement traditionnel. Il est vrai que c’est un art d’écrire plutôt qu’un art de la parole ; Condillac appar­ tient à l’époque moderne où la prose écrite occupe une place de plus en plus centrale dans la culture des élites. Dans cet art d’écrire, cependant, l’oralité n’est pas absente. Le critère de la liaison des idées implique une communication immédiate de la pensée, telle qu’on l’attend d’un discours parlé, où la relecture est impossible. Et l’on est frappé par le fait que, dans ses exemples du bon et du mauvais style, Condillac (comme beaucoup de ses contemporains) accorde la palme à des textes oraux (sermons de Bossuet, tragédies de Racine) pour dénigrer systématiquement le style plus écrit (plus moderne ?) de La Bruyère.

On voit donc que chez Condillac la rhétorique s’appuie sur la psycho­ logie, non seulement grâce à cette théorie des passions qui fait partie de la doctrine orthodoxe depuis Aristote, mais surtout parce que toutes les tournures linguistiques (figures, tropes, procédés de disposition invento­ riées par les rhéteurs correspondent à des « mouvements » de l’esprit. Cette insistance sur la psychologie est l’un des traits les plus caractéris­ tiques de ce qu’on peut appeler la rhétorique des Lumières. Par cette voie, d’ailleurs, l’art de parler peut aspirer à quitter le domaine vulgaire de la pratique, de l’utile, pour entrer dans celui - combien plus respec­ table - de la science, voire de la métaphysique. Voici ce qu’écrit le pro­ fesseur John Millar, qui se rappelle en 1793 le caractère distinctif des cours de logique et de rhétorique d’Adam Smith : After exhibiting a general view of the powers of the mind, and explaining so much of the ancient logic as was requisite to gratify curiosity with respect to an artificial method of reasoning which had once occupied the universal attention of the learned, he dedicated all the rest of his time to the delivery of a system of rhetoric and belles-lettres. The best method of explaining and illustrating the various powers of the human mind\ the most useful part of metaphysics, arises from an examination of the several ways of communi­ cating our thoughts by speech, and from an attention to the principles of those literary compositions which contribute to persuasion and entertainment (Smith, 1983, p. 10-11)’.

Loin d’etre une simple techné, la rhétorique accède ainsi à la dignité suprême : elle devient une partie essentielle de cette science de l’homme (science of man) qui est l’objectif de tant d’émules de Newton. Vue dans cette optique, d’ailleurs, elle n’a aucune raison de se borner à la close, naked and naturel way of speaking chère à W. S. Howell et aux membres de la Royal Society de Londres. Toutes les figures, tous les tropes deviennent ainsi (comme les rêves pour Freud) la voie royale qui mène à une meilleure connaissance de notre vie mentale. Chez Aristote déjà, ou plus près de nous chez Bacon ou Lamy entre autres, les figures étaient vues comme l’expression naturelle des mouvements de l’âme - ou comme les instruments qui permettent de feindre ces mouvements. Autour de 1760, cette idée sera

1. «Après avoir donné une vue d’ensemble des facultés de l’esprit, et expliqué autant de logique ancienne qu’il en fallait pour satisfaire la curiosité sur une méthode de raisonner artifi­ cielle qui avait jadis occupé toute l’attention des érudits, il consacra tout le temps qui lui restait à la présentation d’un système de rhétorique et de belles-lettres. La meilleure manière d’expliquer et d’illustrer les diverses facultés de l’esprit humain, la partie la plus utile de la métaphysique, est fondée sur un examen des différentes façons dont nous nous communiquons notre pensée par la parole, et sur l’étude des principes des compositions littéraires qui contribuent à la persuasion et au plaisir du lecteur. »

« The most useful part of metaphysics »

développée dans un sens plus spéculatif par une série d’auteurs dans presque tous les pays d’Europe. Nous avons déjà parlé de Condillac ; on pourrait faire comparaître à ses côtés le Diderot de la Lettre sur les sourds et muets ou le Rousseau de VEssai sur l’origine des langues. En Espagne, Antonio de Capmany (1742-1813), disciple présumé du philosophe irlandais de Glasgow, Francis Hutcheson, publie en 1777 une Filosojia de la eloquencia, ouvrage fondé sur la psycho­ logie moderne, et qui se détache sur le fond des rhétoriques espagnoles d’inspiration jésuite (Menéndez y Pelayo, 1947 ; Abbott, 1982). En Italie, c’est Cesare Beccaria, membre de la Società dei Pugni milanaise, collaborateur à la revue d’inspiration addisonienne II Cqffè, et auteur de cette œuvre clef des Lumières, Dei deliti e dette репе, qui compose vers 1770 son traité inachevé, Ricerche intomo alla natura dello stile. Bien avant Beccaria - et sans parler de Vico - on avait vu des tentatives de renouveler la rhétorique en Italie (Battistini et Raimondi, 1984, p. 133-173). Lodovico Antonio Muratori, dans son Dette riflessioni sopra il buon gusto (1708), avait prôné un style plus « naturel » ; en 1750, dans ses Pregi dett’eloquenza populare, il arguera en faveur d’une prédication simplifiée. Giulio Cesare Becelli (Esame délia retorica e uso délia modema, 1735-1739) et Francesco Algarotti (dans son essai Sopra la necessità di scrwere netta propria lingua) sapaient en même temps la prédominance de la rhétorique latine des Jésuites. Plus tard, dans des ouvrages comme La filosojia dett’eloquenza (1783, c’est le titre même de l’ouvrage de Capmany et très proche de celui de Campbell) de Francesco Antonio Astor ou Saggio filosqfico sull’eloquenza (1795) de Giuseppe Gentile, ces idées novatrices prendront une coloration plus nettement « philosophique ». Mais c’est sans doute Beccaria et le cercle milanais du Cqffè qui représentent le mieux cet esprit nouveau. Les Ricerche de Beccaria sont d’une sécheresse philosophique un peu déroutante. П n’écrit ni pour les collèges, ni pour les salons, mais pour les lecteurs sérieux, désireux de mieux comprendre les secrets jusqu’alors inexpliqués du goût en matière de langage. Son livre n’est pas une rhétorique à proprement parler, plutôt un examen théorique du pourquoi des conseils stylistiques des rhéteurs. Selon Beccaria, l’esprit philosophique est le grand absent de presque toutes les rhétori­ ques et poétiques publiées avant lui. Pour former le style, il ne suffît pas de se fier à l’instinct ou à l’imitation des grands modèles ; il faut avoir recours à l’introspection (à la manière d’un Locke ou d’un Hume) pour découvrir les règles du goût, et les sources du plaisir que donnent les œuvres littéraires :

Quasi tutte le istituzionipoetiche e rettorichefin or pubblicate [...] non salgono giammai all’origine dei nostri sentimenti ; riboccanti de osservazioni eccettenti e finissime su i risultati di una lunga esperienza, non s’intemano ad indagame i principii motori. Un’eccellente poetica sarebbe quella che insegnasse a risvegliare in si stesso l’indolente ed indeterminata sensibilité, che facesse scorrere lo spirito osseruatore su tutte le cagione che gli produssero piacere о dolore (Beccaria, 1984, II, 79)l.

Toute cette entreprise aboutit d’ailleurs à une vision normative et univer­ salisante de la bonne opération de l’esprit. Des tournures comme ognuno vede montrent à l’évidence que l’auteur pense pouvoir se fier au consente­ ment universel des lecteurs. Par conséquent, celui qui aura bien compris les mécanismes du style sera capable d’utiliser son savoir pour mieux tou­ cher ou persuader n’importe quel lecteur. Pour cet homme des Lumiè­ res, la science trouve une justification supplémentaire dans l’utilité. Selon Beccaria, l’écrivain (car il s’agit plutôt de l’écrit que de la parole) doit viser par son langage à créer les mêmes impressions que laisserait l’objet de son discours. Il le fera grâce à sa connaissance de la dynamique économique de l’esprit humain. Tout comme le choix moral chez les utilitaristes (rappelons que Beccaria est parmi les sources de l’idée du « plus grand bonheur du plus grand nombre »), le choix d’un langage se laisse concevoir en termes quantitatifs. H faut frapper le lecteur du plus grand nombre possible d’idées fortes, ce qui se fait grâce aux sensations ou aux idées accessoires qui sont réveillées par les mots qu’on choisit : Le parole dovranno esser risguardate principalmente corne eccitatrici più о meno immediate di tali sensazioni, о combinazioni de sensazioni (II, 85)1 2. Or, le nombre de sensations que l’esprit est capable de rece­ voir en même temps est limité ; au-delà de quatre ou de cinq, l’attention faiblit. A misura che le sensazioni elementari si associano e si aggruppano tra di loro, cresce il piacere finché l’attenzione vi résisté, e segue l’energia di tutto l’oggetto ; ma al di là del limite varia, ma costante, fissato ad ogni essere sensibile, gli awiluppamenti dette medesime sensazioni diminuiscono il piacere medesimo (II, 85)3.

1. « Presque aucun des manuels de poétique et de rhétorique publiés jusqu’ici ne remonte aux origines de nos sentiments ; remplis d’observations excellentes et très subtiles sur les résultats d’une longue expérience, ils ne s’efforcent pas d’en examiner les principes générateurs. Une poé­ tique excellente serait celle qui enseignerait à réveiller en soi-même la sensibilité paresseuse et incertaine, qui promènerait l’esprit de l’observateur sur toutes les causes qui produisent son plaisir ou sa douleur. » 2. « Les paroles doivent être regardées principalement comme ce qui excite de façon plus ou moins immédiate telle ou telle sensation ou combinaison de sensations. » 3. « A mesure que les sensations élémentaires s’associent et se réunissent, le plaisir croît tant que l’attention peut le supporter et suivre l’énergie de l’objet entier ; mais au-delà de la limite dif­ ferente mais constante fixée pour chaque être sensible, les complications des mêmes sensations diminuent le plaisir même. »

Par conséquent, pour éviter l’ennui (danger principal dans la perspec­ tive lockienne), il est indispensable de se limiter, de ne pas essayer de tout dire. Le bon style sera concis et efficace. Beccaria s’en tient habituellement à des considérations abstraites de ce genre. Voici pourtant un exemple (plutôt élémentaire) qu’il donne dans son premier chapitre pour illustrer son principe général et qui fera mieux saisir sa démarche intellectualiste, sa volonté d’expliquer ce que « chacun voit » :

Quando Virgilio dice:

extinctum nymphae crudeli funere Daphnim flebant, i due oggetti nymphae flebant e il Daphnim extinctum crudeli funere possono essere considérât, separatamente da sé, dicendo cosî : nymphae flebant Daphnim extinctum funere crudeli ; allora lïmmaginazione considéra solamente il pianto

délie ninfe, e poi passa a considerate la morte di Dajni; il che non forma un quadro riunito, ma bensi due rappresentazioni different. Per lo contrario, nel verso virgiliano la parola de propriété della morte di Dajni è riunita colVoggetto nymphae : extinctum nymphae; e la parola di propriété delle ninfe è riunita coll’oggetto Daphnim: Daphnim flebant. È dunque sforzata iïmmaginazione a considerate contemporaneamente due oggetti (П, 93)'. C’est cette activité de l’esprit qui est la source du plaisir litté­ raire. Comme on voit, ces considérations théoriques ne mènent pas à une révolution stylistique, mais plutôt à la confirmation des valeurs existantes. Dans les Ricerche, Beccaria adopte en général la perspective de l’écrivain soucieux de produire l’effet voulu dans l’esprit du lecteur. Nous avons vu pourtant, dans le texte de John Millar cité plus haut, que pour les rhéteurs philosophes de l’école écossaise il était également question d’analyser le langage comme expression des mouvements de l’esprit de l’écrivain ou de l’orateur. Tel est souvent le point de vue de Smith, de Blair et de Campbell. Le style est considéré par Smith et par Blair comme l’expression naturelle des sentiments et de la nature individuelle de l’auteur. Bien 1. « Quand Virgile dit : extinctum nymphae crudeli junere Daphnim flebant, les deux objets nymphae flebant et Daphnim extinctum crudeli junere peuvent être considérés séparément ; on dira ainsi : nymphae Jlebant Daphnim extinctum junere crudeli : en ce cas l’imagination ne considère d’abord que la plainte des nymphes, pour passer ensuite à la considération de la mort de Daphné ; ce qui ne forme pas un tableau uni, mais deux représentations differentes. Au contraire, dans le vers virgilien, le mot qui dénote la mort de Daphné est uni à l’objet nymphae '. extinctum nymphae ; et le mot qui dénote les nymphes est uni à l’objet Daphnim : Daphnim jlebant. L’imagination est obligée ainsi de considérer simultanément deux objets. »

entendu, comme dans la doctrine classique, les circonstances, le genre de discours et l’intention de l’orateur ou de l’écrivain contribuent aussi à déterminer le style d’un ouvrage, mais la typologie des styles (diffus, concis, nerveux, faible, etc.) repose maintenant sur la psychologie avant tout. Smith l’explique ainsi : The view of the author and the means he takes to accomplish that end must vary the style not only in describing different objects or delivering different opinions, but even when these are the same in both ; as die sentiment will be different, so will the style also. [...] when all other circumstances are alike the character of the author must make the style different. One of a grave cast of mind will describe an object in a very different way from one of more levity, a plain man will have a style very different from that of a simple man (Smith, 1983, p. 40)1.

Smith illustre cette distinction entre le plain et le simple (termes qui pourraient paraître presque synonymes) par une analyse comparée des styles de Jonathan Swift, qui exprime sa pensée sans égard pour la poli­ tesse, et de Sir William Temple, dont la modeste simplicité n’exclut pas le souci de l’élégance. La rhétorique commence à se transformer ici en une stylistique expressive. Chez George Campbell, auteur de The philosophy of rhetoric et profes­ seur à l’Université d’Aberdeen, on trouve des ambitions théoriques et scientifiques comparables à celles de Beccaria. Pour lui, la rhétorique ne se contente pas « de former le goût et d’enrichir la fantaisie », elle « mène directement à la connaissance de nous-mêmes », nous offrant ainsi l’accès le plus agréable à la « science de l’esprit humain » (Camp­ bell, 1776, I, 13-16). Se fondant sur les Elements of criticism de Kames, qui avait voulu, comme Beccaria, expliquer les règles du goût par les théories de la psychologie moderne, Campbell se fait fort de rapporter les principes de l’art oratoire aux « principes de notre nature ». П pour­ suit sa recherche au niveau des genres littéraires, expliquant par exemple le plaisir de la tragédie dans des termes comparables à ceux de Dubos (I, 277-338), mais également au niveau du style. Dans ses analyses, Campbell s’intéresse comme Beccaria plutôt à l’effet produit par telle figure de style qu’à sa fonction expressive. Comme lui, il prise

1. « L’intention de l’auteur et les moyens qu’il emploie pour réaliser cette intention rendent nécessairement le style différent, non seulement pour décrire des objets différents, mais encore lorsque les objets et les opinions restent les mêmes ; puisque le sentiment sera différent, le style le sera aussi [...] ; lorsque toutes les autres circonstances sont pareilles, le caractère de l’auteur rendra le style différent. Un homme grave donnera d’un objet une description très différente de celle d’un homme plus léger ; un homme franc aura un style très différent de celui d’un homme simple. »

la « vivacité » du langage ; parlant des psaumes, par exemple, il essaie d’expliquer psychologiquent la puissance de l’asyndète (II, 331-339). La Philosophy of rhetoric contient des discussions élaborées et intéres­ santes sur les rapports entre rhétorique et grammaire, et sur les diffé­ rents facteurs psychologiques qui conditionnent la communication et la persuasion verbale. Malgré son titre ambitieux, cependant, le livre de Campbell est avant tout un bon manuel de composition. Il se base sur la nouvelle philosophie, mais son objet principal semble être de fournir des conseils pratiques à des lecteurs qui veulent apprendre à écrire (peut-être à parler) de façon agréable et efficace. Tel est le cas aussi de Joseph Priesdey, célèbre pour ses travaux de chimie, mais auteur aussi d’un des traités de rhétorique les plus intéres­ sants du siècle. Dans son Course of lectures on oratory, bien plus que dans les Lectures de Hugh Blair, on voit un esprit clair et méthodique qui repense son sujet de façon radicale. П décrit son cours de rhétorique (professé, rappelons-le, à la Dissenting Academy de Warrington en Angleterre) comme une illustration of the doctrine of the association of ideas, to which there is constant reference throughout the whole work (Priesdey, 1777, Préface, p. I)1. Là où Con­ dillac utilise son propre principe de la « liaison des idées », Priesdey adopte le système associationniste exposé par son compatriote David Hartley dans ses célèbres Observations on Man (1749). Cette armature phi­ losophique lui permet de manifester une indépendance d’esprit rare chez les auteurs de rhétorique. Depuis plus d’un siècle, la topique avait plutôt mauvaise presse chez les novateurs. A l’encontre de Smith ou de Condillac, Priesdey en reconnaît pourtant l’utilité. Les « beux » ne sont pour lui que la forma­ lisation d’une tendance naturelle de l’esprit humain. П les défend ainsi :

I am aware that this whole business of topics is objected to by some as altogether useless, and what no persons, who are capable of composing at all, ever stand in need of, or have recourse to. To this I reply that, in fact, no person ever did, or ever can compose at all without having recourse to something ofa similar nature. What is recollection but the intro­ duction ofone idea into the mind by means ofanother with which it was previously associa­ ted ? Are not ideas associated by means of their connection with, and relation to one ano­ ther ? And is it not very possible that particular ideas may be recollected by means ofgeneral ideas, which include them ? (p. 22)12.

1. « Une illustration de la doctrine de l’association des idées, à laquelle je me réfère constam­ ment dans ce livre. » 2. «Je sais bien que certains rejettent tout ce qui concerne les lieux comme entièrement inutile, et affirment qu’une personne capable de composer n’en aura jamais besoin et n’y recourra jamais. A quoi je réponds qu’en réalité personne n’a jamais composé et ne composera jamais sans avoir recours à quelque chose de semblable. Qu’est-ce que le souvenir sinon l’introduction d’une idée dans l’esprit par le moyen d’une autre idée avec laquelle elle était déjà associée ? Les idées

La valeur pragmatique de la topique se voit donc justifiée par la théorie de l’associationnisme. Il en va de même pour la dispositio, que Priestley appelle la méthode. L’orateur composera son discours by an attention to the strongest and most usual associations of ideas in the human mind (p. 35)1. Ainsi se justifient les digressions (rappelons-nous les remarques de Diderot sur l’enchaînement capricieux de la conver­ sation, et du rêve), pourvu que la chaîne des idées ne soit pas rompue. En ce qui concerne 1’ « ornement », qui occupe à lui seul les trois quarts du cours de Priestley, on voit encore une fois l’explication psy­ chologique des différentes tournures stylistiques. Pour lui, comme pour Beccaria, c’est l’activité mentale (a moderate exercise of our faculties, p. 136) qui est la source essentielle du plaisir que nous prenons aux œuvres oratoires et littéraires. Il analyse parfois assez longuement certains effets de langage, tirés pour la plupart de la poésie britan­ nique, montrant par exemple comment telle comparaison du duc de Marlborough avec un ange exterminateur nous oblige à percevoir en même temps la ressemblance et la différence entre les deux objets comparés. Bien entendu, des rhétoriciens, d’Aristote à Du Marsais, avaient depuis longtemps cherché à soumettre les leçons de l’expérience à des explications rationnelles. Les philosophes de 1750-1770 prolongent cette recherche en faisant appel à la discipline scientifique du moment, la psychologie. П faut reconnaître, pourtant, que cette tentative n’atteint pas à la neutralité idéale de la stylistique moderne. Tout en expliquant comment telle figure, telle disposition des matières peuvent manifester l’âme de celui qui parle ou écrit, et affecter l’esprit de celui qui écoute ou lit, nos auteurs, Condillac et Beccaria autant que les rhéteurs avoués, Campbell et Priesdey, ont sans exception une idée très claire, voire dogmatique, du bon ordre, du bon style. Prenons l’exemple d’Adam Smith. Celui-ci ne s’interdit absolument pas d’inculquer à ses auditeurs ses propres préférences sty­ listiques. Au contraire, son but est de les aider à mieux parler et écrire. Que veut donc dire « bien parler » pour cet homme des Lumières ? La rhétorique de Smith se veut « naturelle » et fonctionnelle, libre de toute affectation. Il se moque de ceux qui s’occupent des tropes et ne sont-elles pas associées par leurs liaisons et leurs relations réciproques ? Et n’est-il pas fort possible que les idées particulières nous soient rappelées par les idées générales qui les embrassent ? » 1. « Par l’attention qu’il portera aux associations les plus fortes et les plus habituelles de l’esprit humain. »

des figures décrits dans les manuels (a very silly set of books and not at all instructive, Smith, 1983, p. 26). Conscient du fait qu’il serait étrange de passer sous silence ce chapitre de la rhétorique, Smith parle rapide­ ment de la métaphore et de quelques autres figures, mais sa définition du meilleur style exclut de telles considérations :

When the sentiment of the speaker is expressed in a neat, clear, plain and clever manner, and the passion or ejection he is possessed of and intends by sympathy to communicate to his hearer is plainly and cleverly hit off, then and then only the expression has all the force and beauty that language can give it [...] the figures of speech contribute or can contribute only so far as they happen to be die just and natural forms of expressing that sentiment (Smith, 1983, p. 25-26)1. Mais si le bon style est naturel, cela ne veut pas dire que tout le monde le pratique spontanément, car dans ce cas personne n’aurait besoin des leçons et des mises en garde du professeur de rhétorique. Le naturel s’apprend. L’enseignement de Smith insiste sur la simplicité (neat, clear, plain), mais l’adjectif clever montre qu’il n’exclut pas l’esprit. On aura noté également que l’élément affectif joue un rôle essentiel dans sa descrip­ tion de la communication verbale. D’ailleurs, s’il faut exprimer non seulement la chose, mais le sentiment de celui qui parle, on pourrait penser que la porte est ouverte à une vaste tolérance. Si votre sentiment est obscur, frivole, tarabiscoté, votre expression le sera aussi. Mais bien sûr, telle n’est pas la position de Smith. Comme Condillac, il veut apprendre à ses élèves à penser juste. La rhétorique a partie fiée avec la nouvelle logique. Certes, il admet une certaine diversité des esprits : l’esprit naturellement fleuri d’un Addison explique et justifie l’élégance assez peu philosophique de son langage. Mais cette indulgence atteint vite ses limites. Elle ne s’étend pas jus­ qu’à Lord Shaftesbury, bête noire des Ecossais (Blair aussi verra en lui un exemple dangereux, non seulement par sa pensée peu orthodoxe, mais aussi par les faux brillants des Characteristics). Aus yeux de Smith, Shaftesbury, peu versé dans la nouvelle science, trop porté à sacrifier le raisonnement à l’imagination, essaie de masquer la

1. « C’est seulement lorsque le sentiment de celui qui parle est exprimé d’une manière nette, claire, simple et ingénieuse et que la passion ou l’afTection qu’il ressent et qu’il veut communiquer par sympathie à son interlocuteur est touchée d’une façon simple et ingénieuse que l’expression possède toute la force et toute la beauté que le langage peut lui prêter [...] les figures du discours y contribuent seulement dans la mesure où elles se trouvent être la façon juste et naturelle d’exprimer ce sentiment. »

pauvreté de sa pensée sous des charmes artificiels et des périodes grandiloquentes : It is plain this author had it greatly in view to go out of the common road in his wri­ tings and to dignify his style by never using common phrases or even names for things, and we see hardly any expression in his works but what would appear absurd in com­ mon conversation (p. 8)'.

Telle est son hostilité vis-à-vis du bon lord qu’il attaque même la méta­ phore (calquée sur le français, d’où peut-être son indignation) his head was the dupe of his heart. L’antidote aux affectations de Shaftesbury est fourni par un auteur dont on avait tendance à déprécier le plain style ou le manque d’élégance : Jonathan Swift. L’auteur de Gulliver’s travels (pour employer une périphrase que Smith aurait sans doute désavoué) a toutes les quali­ tés requises pour écrire de la bonne prose. Il connaît à fond les sujets dont il traite, il est capable d’organiser ses idées, et il peint chaque idée in the best and most proper manner and with the greatest strength of colouring (p. 43). W. S. Howell parle avec enthousiasme de la doctrine stylistique de Smith dont il voit des anticipations aussi bien chez Locke que dans les Dia­ logues de Fénelon ; et pour lui l’auteur de la Richesse des nations est un des champions de la new rhetoric. Dans une perspective plus longue, cependant, ce « bon sens » écossais n’est qu’un avatar d’une position dont le lecteur de cet ouvrage aura déjà vu des exemples nombreux dans l’histoire de la rhé­ torique européenne : critique des affectations de la « fausse éloquence », préférence accordée à l’atticisme par rapport à l’asianisme, souci de l’efficacité. Tout au plus dira-t-on que dans la mesure où il parle de la communication non seulement oratoire ou littéraire, mais aussi scien­ tifique (voir son chapitre 24 sur le genre didactique), Smith rapproche la rhétorique de la logique plus que ne le voulait la tradition cicéronienne. L’époque des Lumières est aussi une époque de sociabilité, de politesse. L’Encyclopédie décrit le mariage idéal des vertus intellectuelles et sociales chez le philosophe : L’homme n’est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer ou au fond d’une forêt [...] ; dans quelque état où il puisse se trouver, ses besoins et son bien-être l’engagent à vivre en société. Aussi la raison exige de lui qu’il étudie, et qu’il travaille à acquérir les qualités sociables [...] c’est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile (art. « Philosophe »). 1. « П est évident que cet auteur avait l’intention bien marquée de s’écarter de la voie com­ mune dans ses écrits et d’ennoblir son style en n’employant jamais les expressions ou même les noms ordinaires, et nous ne voyons presque jamais dans ses ouvrages que des expressions qui paraîtraient absurdes dans la conversation courante. »

L'école du goût

De son côté, David Hume, dans son essai Of Essay-Writing (1742), s’inscrit dans la tradition du Spectator lorsqu’il présente l’essai comme le point de rencontre du monde sociable (the conversible world) et du monde savant. Salons et cafés sont les lieux où se crée une société éclairée, où se forge ce nouveau pouvoir, l’opinion publique. Et Hume écrit : I cannot but consider myself as a kind of resident or ambassador from the dominions of learning to those of conversation’. Dans ses ouvrages philosophiques (sans parler de son histoire), il se montre très sensible à la nature du rapport entre l’écrivain et le public poli ; son Enquiry concerning human understanding commence par une discussion passionnante des deux manières (easy et accurate) de philosopher, et ses essais et dialogues nous offrent des modèles de philosophie « traitable ». Cette position implique une rhétorique. Les chapitres précédents ont montré les liens étroits entre politesse et rhétorique. A côté de la rhétorique officielle des avocats, des tribuns et des prédicateurs, se met en place un corps de préceptes et d’exemples qui enseignent comment mieux tenir un rôle dans la société polie. Très souvent, bien sûr, il s’agit de simples traités de civilité (comme ceux de Courtin ou de La Salle, humbles descendants des ouvrages aristocratiques de la Renaissance italienne) ou de réflexions générales sur la politesse. Mais dès que la conversation est en jeu (et elle l’est presque toujours) nous avons bien affaire à des espèces de rhétoriques, qui s’efforcent de codifier cette rhétorique bien plus efficace fournie par l’expérience du beau monde12. Ce discours de la politesse commence même à envahir la rhéto­ rique des collèges, laquelle se détourne parfois de l’enseignement du latin et de l’art oratoire pour mettre l’accent sur l’apprentissage de la vie en société. Cela est particulièrement sensible dans les Écoles militai­ res en France, établissements prestigieux qui préparent leurs élèves à une vie active autre que la carrière juridique, ecclésiastique ou profes­ sorale. Dans les « exercices publics » où ils exhibent urbi et orbi la qua­ lité de leur enseignement, on peut voir à quel point la rhétorique, loin de créer un « pays latin » coupé du monde réel, a pour but de per­ mettre une heureuse insertion du jeune homme dans la société aisée qui l’attend. Voici un extrait du chapitre « Éloquence » du programme 1. «Je ne peux me considérer que comme une sorte de résident ou d’ambassadeur du royaume de la science dans celui de la conversation. » 2. Pour des exemples, voir J.-B. Morvan de Bellegarde, Réflexions sur le ridicule (1696), Réflexions sur la politesse (1698), Gamaches, Les agréments du langage réduits à leurs principes (1718, réédi­ tion partielle, éd. J.-P. Scnnain, Paris, Editions des Cendres, 1992).

des Exercices publics de MM. les élèves de l’École royale-militaire d’Effiat pour l’année 1784: Le talent de la parole, aujourd’hui si rare, est donc le plus digne de l’homme, et le plus propre à lui conseiller cette estime mêlée de respect que l’on ressen­ tait autrefois à la vue des Démosthène et des Cicéron ! Mais ü ne lui est pas moins utile dans les différentes conditions où il peut se trouver engagé. Dans le commerce ordinaire de la vie, dans ces sociétés aimables, où le besoin d’un honnête délassement rassemble les hommes, et où préside tour à tour l’esprit, la délicatesse, l’enjouement, quel charme d’entendre un homme qui possède le talent agréable de la conversation1 !

On trouverait sans difficulté des passages analogues dans les textes des rhéteurs écossais. Les Universités d’Ecosse, comme le mouvement des Lumières dont elles sont le siège, se donnent la tâche non seule­ ment de multiplier les connaissances utiles, mais encore de promouvoir la politesse. Grâce à celle-ci, l’élite d’une société arriérée et par certains côtés primitive peut aspirer à prendre sa place au rang des nations poli­ cées et polies (France, 1992, p. 53-73). La politesse fait partie d’un pro­ gramme politique de modernisation. Ce désir de se « polir » s’exprime sur le plan le plus élémentaire dans la vogue des cours d’élocution. Le mouvement « élocutionniste », étudié par W. S. Howell (Howell, 1971, p. 145-256), s’étendra de la Grande-Bretagne aux États-Unis, où il continuera à attirer les foules tout au long du XIXe siècle. Sa figure de proue en 1760 est Thomas Sheridan, homme de théâtre et père du dramaturge Richard Brinsley Sheridan. Sheridan donne des cours d’élocution dans de nombreuses villes du Royaume-Uni, y compris Edimbourg; partout il attire un public nombreux, composé avant tout de membres de la bourgeoisie aisée. Qu’y cherchent-ils? Le Course of lectures on elocution (1762) com­ mence par les références obligatoires à la philosophie de Locke et à la Science of Man. Ne nous y trompons pas pourtant ; l’objectif de Sheridan est bien d’aider ses auditeurs à s’exprimer avec plus de politesse dans leur langue maternelle, trop négligée, dit-il, dans les écoles et universi­ tés. D part de la constatation suivante :

That a general inability to read and speak with propriety and grace in public runs through the natives of the British dominions is acknowledged ; it shows itself in our senates and churches, on the bench and at the bar (Sheridan, 1762, p. I)12. 1. Programme imprimé à Clermont-Ferrand en 1784, p. 51. 2. « Tout le monde sait qu’une incapacité générale à lire et à parler en public avec justesse et grâce caractérise les habitants des pays britanniques ; elle se montre dans nos sénats, nos églises et nos cours de justice. »

C’est cette carence qui justifie l’importance qu’il donne à la pronuntiatio (the great article of delivery). Ses cours eroosent en détail tous les aspects de la prononciation et du geste. Les Édimbourgeois qui vont l’écouter, conscients de leur parler « provincial » (très marqué chez Hume entre autres), aspirent à se débarrasser de ce que Sheridan appelle leurs « mauvaises habitudes ». Nous voici loin des hauteurs d’une rhétorique philosophique ou litté­ raire. Il est sans doute facile à ceux qui n’en ont pas besoin de se moquer des cours d’élocution. C’est ainsi, comme le note Roger Chartier, que les adeptes de la politesse mondaine, pour prendre leurs distances envers la civilité qu’on met à la portée du « vulgaire », ont recours à la manière négligée, au «je-ne-sais-quoi », à tout ce qui échappe à la codification (Chartier, 1987, p. 45-87). La rhétorique, en tant qu’apprentissage de la parole sociable, peut présenter deux faces opposées. D’un côté, elle con­ tribue à la distinction sociale - c’est ainsi qu’elle s’adresse aux privilégiés des Écoles militaires, et qu’elle se présentera dans les lycées du XIXe siècle, où elle marque symboliquement l’accès aux rangs de l’élite. Mais les cours d’élocution montrent également - et ce sera surtout le cas des États-Unis aux XIXe et XXe siècles - que la rhétorique peut être vue comme facteur d'intégration sociale, en ce qu’elle apprend aux nonprivilégiés à faire entendre leur voix dans l’arène de la vie publique. Mais revenons à nos collèges du XVIIIe siècle. Sans doute un Hugh Blair, célèbre prédicateur autant que professeur, donnait-il à son public d’étudiants l’exemple d’une diction correcte et agréable. Mais ce qui comptait avant tout dans l’initiation à la politesse mondaine était la for­ mation du goût. Nous touchons ici à l’un des maîtres mots de cette rhé­ torique des Lumières1, mot qui est tellement omniprésent que John Lawson de Dublin écrit, avec irritation :

In writings and conversations upon this and the like subjects, no word occurs more often; all excellence in composition andjudgement is resolved into it. But hath this term a clear idea annexed? Ask for an explanation of it; you meet with various opinions, much confusion and controversy (Lawson, 1758, p. 15)12. 1. Un exemple entre mille de cette manie d’écrire sur le goût est fourni par un manuscrit de 616 pages conservé à la Bibliothèque de l’Université d’Édimbourg (De. 1.55), le «Treatise on taste » de Robert Wallace, pasteur et auteur d’ouvrages sur la population. Cet ouvrage, composé vraisemblablement entre 1755 et 1765 (il contient beaucoup d’allusions aux Elements of criticism de Kames, paru en 1762), contient des centaines de pages de réflexions très «juste milieu» sur le goût en général, et de longs chapitres sur Velocutio et les différents genres qui ne seraient pas dépla­ cés dans un traité de rhétorique traditionnel. 2. « Dans les écrits et les conversations qui portent sur de tels sujets, il n’y a pas de mot qui revienne plus souvent ; toutes les excellences de la composition et du jugement se voient ramenées au goût. Mais une idée claire se rattache-t-elle à ce mot ? Demandez-en l’explication ; vous ren­ contrerez une diversité d’opinions, beaucoup de confusion et beaucoup de controverse. »

Et il conclut que le terme est inutile, et que le génie et l’entendement suffisent pour expliquer la production et l’appréciation des œuvres d’art. Bien sûr, le mot n’était pas nouveau en 1750. Toute une idéologie du goût est élaborée, non sans contradictions, par les critiques français du XVIIe siècle - Méré, Saint-Évremond, Boileau, La Bruyère1. Le mot, ou le concept, revient constamment dans les traités et cours de rhéto­ rique. Pour ne citer qu’un exemple parmi mille, le père oratorien Houbigant, dans son traité manuscrit De la manière d’étudier et d’enseigner les humanités, présente comme synonymes le « bon goût » et « l’art de par­ ler et d’écrire »12. Dans la pratique, la praelectio fournissait au professeur l’occasion d’inculquer à ses élèves ses propres goûts. Tantôt il ne fait qu’énoncer les opinions courantes (le goût « correct » préfère Virgile au Tasse), tantôt il prend parti dans un débat (le P. Porée, lorsqu’il apprend à ses élèves qu’il faut préférer le sublime d’Homère aux artifi­ ces du récit de Théramène, essaie de former un goût plus pur que celui qui a cours dans bien des cercles mondains). Le goût a donc depuis longtemps sa place dans les cours et traités scolaires, mais c’est peut-être dans l’Ecosse de 1760 qu’il est vu pour la première fois comme le but essentiel de la rhétorique. En particulier, c’est Hugh Blair qui passera longtemps pour le représentant attitré de cette « école du goût » sur les bancs de l’Université. Dans les deux pre­ miers chapitres de ses Lectures on rhetoric and belles-lettres, il explique ses intentions. L’âge présent est un âge poli, raffiné ; Blair n’hésite pas à parler de that immense superiority which education and improvement give to civilized above barbarous nations, in refinement of taste (Blair, 1783, I, 19)3. П en va de même pour la supériorité de l’élite bien éduquée par rapport au rude and untaught vulgar. Ce raffinement ne va pas sans danger ; en renchérissant sur la délicatesse, on risque de tomber dans les pièges de l’affectation - que les rhéteurs de Bouhours à Smith ne se lassent pas de pourchasser. П est d’autant plus indispensable de donner aux étu­ diants des règles et des habitudes fondées sur le bon sens et la raison, qui leur permettront de bien juger de la véritable beauté des ouvrages de l’esprit. Comme beaucoup de rhétoriques, c’est une anti-rhétorique. Contre Г artificial and scholastic rhetoric de la tradition, Blair s’efforcera to explode false ornament, to direct attention 1. Pour un traitement critique de la question, voir M. Moriarty, Taste and ideology in 17th-century France, Cambridge, 1988. 2. Archives de 1’Oratoire, Paris, manuscrit de 1736, p. 8. 3. « Cette immense supériorité que l’éducation et le progrès donnent aux nations civilisées sur les nations barbares en ce qui concerne le raffinement du goût. »

more towards substance than show, to recommend good sense as the foundation of all good composition, and simplicity as essential to all true ornament (I, 3)1. La certitude est-elle possible en matière de goût ? En affrontant cette question, Blair se réfère implicitement à l’essai On the standard of taste où Hume avait conclu par l’affirmative. П faut bien admettre que les goûts particuliers varient en fonction du tempérament de l’individu et de ses circonstances. Mais ces variations locales ne semblent pas mettre en doute l’existence de valeurs sûres. Blair interroge son public : Is there anyone who will seriously maintain that the taste of a Hottentot or a Laplander is as delicate and as correct as that of a Longinus or an Addison ? Or that he can be charged with no defect or incapacity who thinks a common news-writer as excellent an historian as Tacitus ? (I, 27)12.

La question renferme sa propre réponse. Mais, deux pages plus loin, Blair s’aventure dans des eaux plus troubles : If the other man shall assert that Homer has no beauties whatever ; that he holds him to be a dull and spiritless writer, and that he would as soon peruse any old legend of knight-errantry as the Iliad; then I exclaim that my antagonist either is void of all taste, or that his taste is corrupted in a miserable degree ; and I appeal to whatever I think the standard of taste, to show him that he is in the wrong (I, 29)3.

Dans ses analyses des textes littéraires d’Addison ou de Swift, Blair fera preuve de la même confiance. Le goût, fondé sur la nature, la rai­ son, mais surtout le consentement général, est assez stable pour être enseigné. En s’initiant à ses mystères, l’étudiant s’initie en même temps au monde poli. Que cela implique parfois la culture d’un goût difficile et étranger aux dépens d’un goût plus spontané - et parfois plus local est ce qui ressort d’une dissertation on taste écrite à Edimbourg en 1742

1. « Dénoncer les faux ornements, diriger l’attention plutôt vers le solide que vers le spé­ cieux, recommander le bon sens comme le fondement de toute bonne composition et la simplicité comme l’essence de tout ornement véritable. » 2. « Qui prétendra sérieusement que le goût d’un Hottentot ou d’un Lapon soit aussi délicat et aussi correct que celui d’un Longin ou d’un Addison ? Ou que celui qui considère un vulgaire journaliste comme un historien aussi excellent que Tacite ne puisse être chargé d’erreur et d’ignorance ? » 3. « Si l’autre affirme qu’Homère est sans beautés, qu’il le considère comme un auteur plat et sans force, et qu’il aime autant lire n’importe quelle vieille légende des chevaliers errants que VIliade, alors je m’écrie que mon adversaire est entièrement sans goût, ou bien que son goût est corrompu à un degré lamentable, et j’en appelle à ce que je considère comme les critères du bon goût pour lui démontrer qu’il se trompe. »

par un élève de John Stevenson. Parlant de la formation du goût, Tho­ mas Young donne un exemple fort pertinent :

AU of us are pleased with Scots music while we know no better, nay we even prefer it to the best of the Italian kind. Yet I have heard that none of our countrymen who have become adepts in the Italian music can again change their taste to that of their own country ; custom and habit cannot make them insensible of the difference [...] and from this I conclude that there is a standard of good taste (Edinburgh University Library, MS De. 4.54)1.

Young aurait aussi bien pu conclure que l’Écossais ambitieux apprend à se plier au goût des connaisseurs (lesquels reviendront plus tard sur leur condamnation de la musique écossaise). En d’autres termes, l’apprentissage du goût est un instrument de promo­ tion sociale. C’est ce que Blair admet dans son Introduction lorsqu’il écrit : Studies of this kind [...] will appear to derive part of their importance from the use to which they may be applied in furnishing materials for those fashionable topics of discourse, and thereby enabling us to support a proper rank in social life (I, 9)12.

H admet toutefois qu’il regretterait de ne pas pouvoir fonder l’utilité de cette étude sur quelque chose de plus solide que la réussite sociale, et rassure son lecteur en des termes qui préfigurent cette tradition d’éducation littéraire à caractère moral qui sera illustrée en Angleterre par des critiques comme Matthew Arnold, Ruskin ou F. R. Leavis : The exercise of taste is, in its native tendency, moral and purifying (I, 13)3. Le goût, ou la discrimination des beautés, s’exerce dans la critique (criticism), terme remis à la mode par Kames (Elements of criticism) et pro­ mis à un bel avenir. Les cours de rhétorique deviennent ainsi moins des cours de « techniques d’expression » que des leçons de critique lit­ téraire ou, comme on disait alors, de belles-lettres. Il est hautement significatif que la nouvelle chaire de Blair est celle de Rhetoric and Bel­ les-Lettres. Le terme français indique sans doute l’une des sources de ce 1. « Nous aimons tous la musique écossaise tant que nous restons ignorants ; nous la préfé­ rons même à la meilleure musique italienne. Mais il paraît que nos compatriotes qui ont appris à goûter la musique italienne ne peuvent jamais revenir au goût de leur propre pays ; la coutume ni l’habitude ne peuvent les rendre insensibles à la différence [...] d’où je conclus qu’il y a des critè­ res du bon goût. » 2. « П apparaîtra que des études de cette sorte doivent une partie de leur importance à leur utilité à fournir des sujets pour la conversation mondaine, ce qui nous permet de maintenir un rang approprié dans la vie sociale. » 3. « L’exercice du goût tend, de par sa nature, à la moralité et à la vertu. »

mouvement de bascule en faveur de ce que nous appelons maintenant la littérature (ce ne sera qu’en 1862 que la chaire prendra son titre actuel Rhetoric and English Literature, où les connotations frivoles de « bel­ les-lettres » sont absentes). L’expression semble avoir été utilisée pour la première fois en 1691 par le rhéteur jésuite Pomey ; elle deviendra cou­ rante grâce au titre de Rollin, De la manière d’enseigner et d’étudier les bel­ les-lettres (1726-1732) et sera consacrée en 1747 par le Cours de bel­ les-lettres de cet autre professeur de rhétorique, Charles Batteux. Ce n’est pourtant qu’en Écosse que la nouvelle venue prend officiellement sa place à côté de sa vieille cousine, la rhétorique. Les belles-lettres sont donc au centre des préoccupations de Blair et de Smith - et dans les cours de Robert Watson à Saint Andrews elles évincent totalement l’art oratoire. L’appréciation des œuvres littéraires est maintenant une fin en soi ; elle n’est plus subordonnée comme autrefois (en principe, du moins) à l’apprentissage de la composition. Si on étudie, c’est pour mieux goûter autant que pour former son propre style. Dans les Lectures de Smith et de Blair, cet enseignement littéraire comporte plusieurs volets distincts. En premier lieu, comme dans la praelectio traditionnelle, le professeur lit et analyse, parfois en détail, des textes littéraires. S’il faut en croire la mémoire des témoins, Smith cap­ tivait ainsi son public par des explications de texte improvisées ; mal­ heureusement, le texte imprimé n’en conserve que quelques traces. Pour Blair en revanche, nous avons quatre cours (21-24) entièrement consacrés à une analyse minutieuse de quatre essais du Spectator d’Addison. Ces explications montrent le critique attaché non seulement à faire sentir les beautés de son auteur, mais également à mettre son public en garde contre ses défauts stylistiques. Une note de l’édition de 1790 (II, 86) nous apprend qu’il a distribué ces textes à ses étudiants comme matière de travaux pratiques, et qu’il a incorporé dans sa propre analyse des remarques tirées de leurs devoirs. Avec l’analyse, la comparaison est un élément essentiel de ce type de critique. Cicéron et Démosthène, Homère et Virgile, Racine et Cor­ neille, Swift et Shaftesbury, Shakespeare et Racine : ces parallèles, dont la tradition critique française (Rapin, Perrault) fournit des modèles, proposent aux auditeurs ou aux lecteurs des modèles de discrimination. Nous avons déjà vu comment le maître de Coleridge lui apprenait à préférer Démosthène à Cicéron, préférence qui devient une pierre de touche du bon goût en Grande-Bretagne au XVIIF siècle. Elle se retrouve bien entendu chez Smith, qui explique l’infériorité de Cicéron aussi bien par ses défauts de caractère (vanité, sensibilité excessive, légèreté) que par la situation politique dans laquelle il se trouvait.

On peut saisir sur le vif l’opération de cette méthode comparative dans un cours de rhétorique dicté quelques années plus tard par le P. Pasquet au collège des Oratoriens à Riom en France. Abordant le sujet de l’amplification, il explique à ses élèves pourquoi quelques vers de Phèdre (acte I, scène 3, à partir de «Athènes me montra mon superbe ennemi ») échappent au reproche de la redondance. П dicte d’abord le texte in extenso, et le commente ainsi : П est bien clair que puisqu’Athènes lui montra son superbe ennemi Hippolyte, elle vit Hippolyte ; si elle rougit et pâlit à sa vue, elle fut sans doute troublée. Ce serait un pléonasme, une redondance oiseuse dans une étran­ gère qui raconterait les amours de Phèdre, mais c’est Phèdre amoureuse et honteuse de sa passion. Ce n’est donc point ici une amplification ; c’est le chef-d’œuvre de la nature elle-même et de l’art1.

Ensuite, pour faire valoir la supériorité de Racine, Pasquet cite un pas­ sage de 24 vers du Thyeste de Crébillon avant d’expliquer que les beau­ tés qu’on y trouve sont déplacées et font voir le poète plutôt que le per­ sonnage. L’exemple est élémentaire, sans doute, mais il montre comment la rhétorique apprenait à distinguer le vrai et le faux, le beau et le médiocre. En outre, ces cours font une place de plus en plus grande aux règles de la poétique. Robert Watson, par exemple, après avoir parlé du style, du langage littéraire, du bel esprit, aborde des questions plus généra­ les : l’emploi des vers, l’imitation, l’appel aux passions, les types psycho­ logiques, les unités dramatiques, les caractères essentiels de l’épopée, de la tragédie, etc. Et, en plus d’une poétique, la rhétorique comporte maintenant une histoire littéraire embryonnaire. De tout ce que contient Y Institution de Quintilien, c’est peut-être le livre 10, le survol critique des grands auteurs, qui attire le plus les pédagogues du XVIir siècle. Mais là où le Romain avait évoqué les auteurs classiques pour aider l’étudiant à former son propre style, chez un Smith ou un Blair il s’agit d’un savoir historique qui n’a pas forcément besoin de cette justifica­ tion pratique. L’étudiant ne sera probablement pas un historien, mais il aura à parler de l’histoire dans son existence sociale, et il doit connaître les grands noms de l’historiographie. C’est pourquoi Smith consacre son 19e et son 20e cours à une énumération chronologique et critique des auteurs suivants : Hérodote, Thucydide, Xénophon, Polybe, Tite-Live, Salluste, Tacite, Machiavel, Guichardin, Clarendon, Bumet et Paul de Rapin-Thoyras, auteur français d’une Histoire d’Angleterre. 1. Manuscrit de l’étudiant Archon intitulé Essai sur la rhétorique, conservé à la Bibliothèque municipale de Riom, p. 35.

Nous ne sommes pas loin du Cours de littérature de La Harpe, première tentative d’une histoire de la littérature européenne. On remarque la nature cosmopolite du « canon » littéraire qui est ainsi consolidé par les cours de rhétorique et de belles-lettres. A la dif­ férence des histoires littéraires nationales et souvent chauvines du XIXe siècle finissant, l’enseignement dispensé par un Blair (ou par un Lomonossov) frappe par sa catholicité et par sa modernité. Certes, res­ pectueux de la hiérarchie des genres, Blair n’accorde qu’une place fort restreinte au roman (dont il reconnaît toutefois l’importance). Mais en traitant (assez longuement) de la comédie, après avoir évoqué les grands classiques et déploré l’obscénité de la comédie anglaise de l’époque de Charles П, il fait état de développements tout à fait récents et loue les tentatives de La Chaussée, Diderot, Mme de Graffigny et Voltaire de créer un nouveau type de comédie, larmoyante ou sérieuse (Blair, II, 543-550). C’est ainsi la rhétorique qui est le berceau des études littéraires générales et comparées. On y voit déjà la plupart de nos approches modernes : textuelle, historique, théorique, biographique. N’y manque que l’herméneutique. Le rhéteur décrit l’action et la situation des textes ; il n’a pas à en donner des interprétations. « Quelque chose d’énorme, de barbare et de sauvage»

Le goût qui dicte les jugements littéraires d’un Blair ou d’un Condillac est plutôt conservateur que novateur. L'Art d’écrire de celui-ci peut être considéré comme un bon manuel de prose classique. Parlant de la tra­ gédie, Blair ne s’élève guère contre la dramaturgie néo-classique des Français (laquelle est presque simultanément mise en cause par Lessing à Hambourg). Il loue Shakespeare, mais avec des réserves qui rappel­ lent celles de Voltaire : Besides extreme irregularities in conduct, and grotesque mixtures of serious and comic in one piece, we are every now and then interrupted by unnatural thoughts, harsh expres­ sions, a certain obscure bombast, and a play upon words, which he is fond ofpursuing; and these interruptions to our pleasure too frequently occur, on occasions when we would least wish to meet them (Blair, 1783, II, 523-524)'.

Il est d’autant plus intéressant que ce défenseur du goût classique soit aussi le promoteur de Y Ossian de James Macpherson devant

1. « En dehors des grandes irrégularités de conduite, et des mélanges grotesques du sérieux et du comique dans une seule pièce, nous nous trouvons souvent interrompus par des pensées for­ cées, des expressions dures, une certaine emphase obscure, et des jeux de mots qu’il affectionne, et ces interruptions de notre plaisir se produisent trop souvent à des moments où nous désirons le moins de les rencontrer. »

un public européen qui l’accueille avec l’enthousiasme qu’on sait. Sa Critical dissertation on the poems of Ossian (1763) est régulièrement publiée en tête des œuvres du barde, qu’il loue également dans ses Lec­ tures. En le faisant, Blair cautionne de sa réputation de critique et de connaisseur éclairé ces textes qui semblent faire entendre en Europe une voix nouvelle et bouleversante. Cette conjonction des Lumières et du primitif n’est pas un des moindres paradoxes de l’histoire littéraire. L’attrait de la véhémence primitive est clairement formulé au com­ mencement de la Critical dissertation : Irregular and unpolished we may expect the productions of uncultivated ages to be ; but abounding at the same time, with that enthusiasm, that vehemence and fire, which are the soul of poetry (Blair, 1765, p. 314)'.

En prônant Ossian, Blair ne croit pas toutefois trahir la politesse dont il est l’apôtre. Une longue citation de la poésie vraiment barbare des anciens Scandinaves (dont Mallet avait publié des traductions en 1755) sert à mettre en valeur le raffinement du barde calédonien : When we turn from the poetry of Lodbrog to that of Ossian, it is like passing from a savage desert into a fertile and cultivated country (Blair, 1765, p. 333)1 2. Comme Homère (tel que le voit Blair), Ossian conjugue la grandeur d’une époque révolue et la politesse des temps modernes - ce qui sera un des traits dominants de l’esthétique du XVIIIe siècle finissant. Blair explique la politesse d’Ossian par la nature de la société écossaise du IIIe siècle ; une explication plus cynique insisterait sur le fait que les poèmes gaéliques ne sont connus qu’à travers la « traduction » de James Macpherson. Denis Diderot, un des premiers traducteurs français de ce qu’il appelle les « chansons erses », est frappé, lui aussi, par « le goût qui règne là » (et qu’il accentue dans les versions qu’il en donne). Néan­ moins, Ossian représente pour lui une force nouvelle et nécessaire dans la littérature étiolée de l’Europe moderne (Chouillet, 1982). N’est-ce pas Diderot qui trois ans auparavant, dans une phrase célèbre de son De la poésie dramatique, avait déclaré : « La poésie veut quelque chose d’énorme, de barbare et de sauvage » (Diderot, 1975, X, 402) ? Nous assistons ici à une tendance qui déborde très largement la rhéto­ 1. «Il est normal que les productions des époques peu cultivées soient irrégulières et peu polies, mais en même temps elles sont remplies de cet enthousiasme, cette véhémence, ce feu, qui sont l’âme de la poésie. » 2. « Lorsque nous passons de la poésie de Lodbrog à celle d’Ossian, c’est comme si nous passions d’un désert sauvage dans une campagne fertile et cultivée. »

rique ; l’époque des Lumières, blasée par un régime asphyxiant de poli­ tesse et d’élégance, semble aspirer à un renouveau, à une autre littéra­ ture, peut-être aussi à une autre éloquence. Symboliquement, cette recherche est exprimée en 1774 dans les Souffrances du jeune Werther de Goethe, où l’idéal homérique du début (déjà une vision passablement nostalgique et primitiviste) fait place avant la fin à la grandeur sombre des Chants de Selma que le héros lit à sa bien-aimée peu avant de se donner la mort : Il est nuit ; je suis délaissée sur cette colline, où se rassemblent les orages. J’entends gronder les vents dans les flancs de la montagne ; le torrent enflé par la pluie rugit le long du rocher. Je ne vois point d’asile, où je puisse me mettre à l’abri. Lève-toi, Lune, sors des montagnes. Étoiles de la nuit, paraissez...1.

Un des grands mots de cette époque, mot dont les résonances rhé­ toriques sont évidentes, est l'énergie, si bien étudiée par Michel Delon. Dans L'idée d’énergie au tournant des lumières, Delon décrit le passage vers 1770 d’un idéal classique d’équilibre, de clarté et de raison, à un autre idéal caractérisé par le dynamisme, l’efficacité et le désir. Dans le domaine de la rhétorique, la confusion entre enargeia (clarté, évidence) et energeia (activité) profite au deuxième terme. Pour le discours écrit ou parlé, cela mène à la valorisation de la chaleur, de la passion, de l’enthousiasme, de la surprise, du grandiose, de l’inachevé, du popu­ laire, du barbare. D est extrêmement difficile de cerner et de définir ce mouvement complexe des esprits. Un historien de la rhétorique peut être tenté de n’y voir que le développement d’éléments secrétés par sa discipline séculaire. Klaus Dockhom, dans les études publiées en 1968 dans Macht und Wirkung der Rhetorik, fait voir de multiples ressemblances entre les enseignements de la rhétorique classique et les doctrines apparem­ ment nouvelles de Burke, de Lessing, des Stürmer und Dranger allemands, et des premiers romantiques, notamment le poète anglais Wordsworth. Selon lui, les notions de grandeur sublime, d'admiratio, de puissance affective, d’irrationalisme, qu’on explique habituellement en invoquant de nouveaux courants esthétiques et philosophiques, ont leur origine dans une vieille tradition qui remonte à Aristote. Sciemment ou non, Wordsworth dissimule son énorme dette envers un enseignement qu’il traite d’aride et de formaliste.

1. Je cite la traduction de Le Tourneur : Ossian, Poésies galliques, 2 vol., Paris, Musier, 1777. Goethe a traduit ce texte directement de l’anglais de Macpherson.

Tout cela est vrai ; le nouveau est rarement aussi révolution­ naire qu’il le veut paraître. Il est toutefois difficile de nier la pré­ sence d’un souffle nouveau dans les années qui séparent la paru­ tion du Discours sur Гinégalité de Rousseau (1755) et celle de Die Rauber de Schiller (1782). Dans ce courant turbulent, essayons de dégager quelques éléments, tous liés de près ou de loin à la rhétorique. Nous pouvons passer rapidement sur l’importance accordée aux passions ou aux sentiments. La « réhabilitation » des passions, qu’on trouve aussi bien dans Y Essay on Man de Pope que dans les Pensées philosophiques de Diderot, est déjà un lieu commun dans la première moitié du XVIIIe siècle, âge de la sensibilité autant que de la raison. En ce qui concerne la pensée esthétique, on considère habituellement les Réflexions critiques sur la poésie et la peinture de l’abbé Dubos comme une des sources principales de ce courant « sensible », où la raison se voit dénier son rôle primordial dans la réception, sinon la création des œuvres d’art. Mais Basil Muntéano a démontré tout ce que Dubos, ce « Quintilien de la France », doit à la rhétorique classique (Muntéano, 1968, p. 297-310). Sauf dans ses manifestations les plus sévères, le movere y occupait depuis Aristote une place essentielle. Tout au plus pourrait-on dire que les contemporains de Diderot mettent une chaleur nouvelle à vanter la force communicative des passions. Vers 1750 on commence également à insister avec une nouvelle force sur le rôle du génie. Certes, la rhétorique avait toujours répété que sans les dons naturels l’orateur ne persuadera jamais. A plus forte rai­ son le poète : fiunt oratores, nascuntur poetae. Mais de ces dons naturels au génie sublime et extravagant tel que le présente Diderot il y a un pas de géant. Déjà au commencement du siècle, le mot « génie » fait l’objet de commentaires enthousiastes de Muratori, d’Addison, de Blackmore, de Dubos et de Shaftesbury entre autres (Chouillet, 1973, p. 404). Peu à peu il se libère des contraintes du simple ingenium, esprit particulier qui caractérise l’écrivain individuel, pour prendre la signification plus vaste d’un démiurge qui peut rivaliser avec le Créateur. Le mouvement atteint son apogée entre 1750 et 1770. En Angleterre, source de tant d’idées nouvelles à cette époque, c’est le poète Edward Young, auteur des Night Thoughts, qui publie à la fin de sa vie, un an avant la parution des Fragments of ancient poetiy de Macpherson, ses Conjectures on original composition (1759), hymne éloquent à la gloire du génie original qui s’élève au-dessus des faibles imitateurs, des règles mesquines, et du goût timide des mondains.

On y voit déjà l’opposition de l’organique et du mécanique qui sera au centre de l’esthétique romantique : An orignal may be said to be of a vegetable nature ; it rises sponta­ neously from the vital root of genius ; it grows, it is not made : imitations are often a sort of manufacture wrought up by those mechanics, art and labour, out ofpre-existent materials not their own (Young, 1918, p. 7)1.

H y a peu de place ici pour le long travail du rhéteur. Young cite bien entendu Homère, l’original par excellence, mais à côté de lui figurent les deux modernes qui avec Ossian sont pour son époque les types mêmes de l’écrivain de génie, Milton et Shakespeare. C’est Milton, dont il a traduit le Paradis perdu, que le Suisse Bodmer oppose à la rhétorique classique de Gottsched (Schmidt, 1985, I, 47-60). Et c’est Shakespeare, comme on sait, qui sera exalté par Les­ sing et Herder aux dépens des règles de la tragédie classique de la France de Louis XIV. L’idéologie du génie libre atteint son point cul­ minant en Allemagne autour de 1770 (Schmidt, 1985). Elle se dirige, explicitement ou implicitement, contre les valeurs inculquées par l’enseignement rhétorique, mais elle comporte sa propre rhétorique échevelée et ténébreuse, dont Hamann est sans doute le meilleur exemple. En France aussi, et même dans les pages de Y Encyclopédie, Diderot expose avec une éloquence nouvelle une poétique qui s’appuie sur l’Antiquité primitive pour fonder une nouvelle conception de la poésie irrationnelle : П est impossible en poésie, en peinture, en éloquence, en musique, de rien produire de sublime sans enthousiasme [...] Si l’enthousiasme prédomine dans un ouvrage, il répand dans toutes ses parties je ne sais quoi de gigan­ tesque, d’incroyable et d’énorme (art. «Éclectisme», Diderot, 1975, VII, 56).

П est vrai que l’enthousiasme n’est pas encore le génie (dans le Paradoxe du comédien Diderot les distinguera de façon très nette), mais la manière dont il parle ici du fanatique éloquent est presque identique à sa pré­ sentation de Dorval, l’homme de génie, au commencement du deuxième des Entretiens sur le Fils naturel, où la « chaleur forte et perma­ nente » remplace toutes les leçons du rhéteur (Diderot, 1975, X, 98-99). 1. « Une composition originale peut être comparée à un végétal ; elle pousse spontanément de la racine vitale du génie ; elle croît, elle n’est pas fabriquée ; les imitations sont souvent une espèce de manufacture élaborée par ces artisans, l’art et le travail, à partir d’une matière préexis­ tante qui ne leur appartient pas. »

Dans ces deux textes de Diderot, le génie est associé au sublime. Avec le goût et le génie, celui-ci est un des maîtres mots de la période qui nous occupe. La critique romantique a parfois opposé la grandeur de l’auteur du Péri upsous - celui que Boileau appelle « le rhéteur Longin » - à la mesquinerie de la tradition rhétorique. Dockhom affirme pourtant avec justice que la notion du sublime était inséparable de la réflexion rhéto­ rique. Parfois, il est vrai, en dépit des mises en garde de Boileau, on continue à confondre « sublime » et « style sublime » - c’est le cas de l’Anglais John Ward dans son System of oratory. Mais on peut voir à quel point cette notion (sous une forme simplifiée) s’est installée dans l’enseignement de la rhétorique par le fait qu’à la fin de l’Ancien Régime notre rhéteur riomois lui consacre plus de 7 pages sur 55 de son cours. Il décrit le sublime d’après le Traité de Boileau, ainsi que le Traité du sublime, à M. Despréaux publié en 1732 par M. Sylvain, avocat au Par­ lement de Paris, et l’illustre par des citations de la Bible, d’Homère, de Sophocle, de Sénèque, de Corneille, de Racine et de Shakespeare (la réplique célèbre de Macduff, He hath no children). Si Longin et Boileau dominent la discussion du sublime pendant la première moitié du siècle, tout est changé en 1757 par la parution du Enquiry into the sublime and beautiful du jeune Edmund Burke. Cet ouvrage hardi et provocateur, qui aura une influence profonde et immédiate sur la pensée esthétique en Angleterre, en France et en Alle­ magne (Burke, 1958, p. LXXXI-CXXVIl), est le fruit des années d’étude à Dublin, où Burke avait suivi des cours de rhétorique. Il ne s’attache pourtant à la rhétorique que dans la mesure où celle-ci s’était trans­ formée en réflexion philosophique sur l’opération des œuvres littéraires. La pensée de Burke est influencée par de multiples lectures, surtout le Grounds of criticism in poetry (1704) de John Dennis, qui insiste sur la gran­ deur sublime du monde naturel. C’est chez Dennis que Burke a pu trouver une anticipation de sa thèse principale, que la terreur est une des sources principales de la sensation du sublime. Il la développe en la fondant sur une psychologie sensualiste et en opposant systématique­ ment le sublime et le beau : celui-ci est associé à l’harmonie, la peti­ tesse, la couleur, le poli, la délicatesse, celui-là à l’immensité, l’obscurité, la force, le vide, l’infini. Quelques années plus tard, dans un compte rendu de V Ossian de Macpherson, il le qualifiera de sublime à cause de son caractère insolite, sauvage et extravagant (Burke, 1958, p. XXVI). L’jEnquiry de Burke se veut un examen philosophique d’une question esthétique d’actualité. Les philosophes contemporains se penchent en même temps sur un autre problème qui jouit d’une faveur extraordi­ naire et qui, lui aussi, touche de près à l’énergie primitive : celui de

l’origine des langues. Pour ne citer que les plus connus, nous avons entre 1750 et 1775 des essais ou des dissertations consacrés entièrement à cette question des plumes de Rousseau, d’Adam Smith, de Turgot, de Kant, de Monboddo, de Hamann et de Herder, et elle figure parmi les préoccupations essentielles de Condillac, de Diderot, de Court de Gébelin, de bien d’autres encore... Ces théoriciens sont unanimes à voir l’histoire des langues comme une progression vers un idiome de moins en moins passionné et figuré, de plus en plus précis et analytique. Écoutons Jean-Jacques Rousseau dans Y Essai sur Гorigine des langues : A mesure que les besoins croissent, que les affaires s’embrouillent, que les lumières s’étendent, le langage change de caractère ; il devient plus juste et moins passionné ; il substitue aux sentimens les idées, il ne parle plus au cœur mais à la raison (Rousseau, 1990, p. 73).

On peut se réjouir de ce développement, tout en regrettant la perte d’une certaine énergie — c’est la position de Condillac. Mais on peut tout aussi bien considérer cette évolution comme une dégénération ; ainsi pensent non seulement Jean-Jacques, mais également Herder et Monboddo entre autres. Même Adam Smith, tout progressiste qu’il est, ne peut s’empêcher de constater la moindre efficacité rhétorique des langues modernes :

The simplification of machines renders them more and more perfect, but this simplifica­ tion of die rudiments of languages renders them more and more imperfect, and less proper for many of the purposes of language (Smith, 1983, p. 224)'. Dans tous ces essais on décèle un rapport nostalgique à une époque archaïque et son langage. Or la Grèce présocratique, époque héroïque s’il en fût, est justement le berceau de la rhétorique qu’on continue à enseigner dans les écoles si peu héroïques du XVIIIe siècle. Il est tentant, par conséquent, de se représenter ce premier âge de l’éloquence comme un âge d’or, un paradis perdu, depuis lequel on assiste à une lente dégé­ nérescence sous les influences conjuguées de l’oppression politique et des progrès économiques et intellectuels. L’âge de l’écriture ne peut plus s’élever aux hauteurs jadis atteintes par la parole vivante. Nous avons vu comment - en Angleterre surtout - Démosthène commence à prendre le pas sur le trop civilisé Cicéron, comme Homère sur Virgile. C’est égale1. « La simplification des machines les rend de plus en plus parfaites, mais cette simplifica­ tion des éléments des langues les rend de plus en plus imparfaites, et moins propres à beaucoup des fonctions du langage. »

ment un lieu commun, présent dans tous les traités, que dans les monar­ chies modernes il n’y a plus de place pour la grande éloquence politique. La puissance de la parole publique se manifestera de nouveau avec éclat en France à partir de 1789. Parmi les sources de cette renaissance on pourrait citer un certain type de discours philosophique, l’équivalent écrit de l’éloquence orale impossible. Parmi les Français, c’est Diderot, philosophe de l’énergie, qui en fournit les meilleurs exemples. On trouve ces morceaux déclamatoires partout dans son œuvre, mais nulle part mieux que dans les textes véhéments qu’il donne sous couvert de l’anonymat à VHistoire des deux Indes de Raynal, ouvrage décrié par Vol­ taire comme « du réchauffé avec de la déclamation », mais très appré­ cié des lecteurs de 1789. Voici une prosopopée classique où Diderot s’adresse aux marchands anglais, « brigands privilégiés » qui spolient les peuples colonisés : Qu’ai-je dit, votre patrie ! Est-ce que vous en avez une ? Mais si la voix de l’intérêt particulier est la seule à laquelle votre oreille puisse s’ouvrir, écoutez-la donc. C’est elle qui vous crie par ma bouche : Vous vous perdez, vous vous perdez, vous dis-je. Votre tyrannie touche à sa fin. Après l’usage monstrueux que vous avez fait de votre autorité, renouvelée ou non, elle finira. Croyez-vous que la nation, dont il faudra que la démence et l’ivresse finissent, ne vous demandera pas compte de vos vexations ? que la perte de vos criminelles richesses, et peut-être l’effusion de votre sang impur, n’expieront pas vos forfaits? (Diderot, 1976, p. 309-310).

Le « sang impur » y est déjà. En l’absence d’un véritable forum politique (bien que les remons­ trances et autres harangues parlementaires puissent être considérées comme un banc d’essai pour l’éloquence des assemblées révolutionnai­ res), les Français pouvaient donc trouver dans les nombreuses tirades des écrits des philosophes - ou des anti-philosophes - l’équivalent laïc de ce qui restait la seule grande éloquence orale de l’époque moderne, les ser­ mons et oraisons funèbres des prédicateurs de l’époque de Louis XIV. En d’autres pays, l’Angleterre surtout, l’éloquence politique pouvait se déployer avec plus de liberté. Burke, après avoir donné la théorie du sublime, l’illustrera dans de nombreux discours à la Chambre des Com­ munes ; sa carrière d’orateur atteindra son point culminant en 1788 dans son grand réquisitoire contre Warren Hastings. En Allemagne et en Italie, par contre, l’éloquence du citoyen est encore plus contrainte qu’en France, et la fonction du tribun incombe à celui qui tient la plume. En Italie, où l’on assiste vers la fin du siècle à une valorisation de l’énergie, du génie et du sublime comparable au Sturm und Drang allemand, c’est surtout Alfieri, lui aussi admirateur

d’Ossian, qui proclame et illustre la fonction civique, voire prophé­ tique, de l’écrivain.

L’Alfieri qffida alto scrittore modemo un impegno totale ed eroico, quasi a riscattare la médiocrité del quotidiano, circonvusa di « nqja » e di « tedio », con un missione dispensa­ trice de gloria proporzionale alla sua utilité, soprotutto jutura (Battistini et Rai­ mondi, 1984, p. 158/.

Cela implique une rhétorique nouvelle, un style abrupt, véhément, impétueux, où le « sublime de la pensée » l’emporte sur l’« élégance de la parole ». L’écrivain citoyen peut utiliser les genres de la contestation - pam­ phlet, satire, invective, lettre philosophique - mais pour Alfieri c’est le théâtre qui offre la meilleure possibilité d’emporter l’adhésion de la foule, comme l’avaient fait les orateurs de l’Antiquité. Là, le « langage d’action » (Condillac), l’éloquence grandiose et primitive du corps, du visage et de la voix, peut se donner fibre cours. La tragédie « rapide, simple, noire et féroce » d’Alfieri crée un nouveau langage pour la jeune génération romantique (Battistini et Raimondi, p. 163). Une telle vision (essentiellement rhétorique) du théâtre comme lieu de la persuasion publique, équivalent profane de la chaire de l’orateur sacré, est largement répandue en Europe dans la période qui nous inté­ resse. En France, où le théâtre est au centre de la vie mondaine, des auteurs comme Voltaire, Marmontel ou le De Belloy du Siège de Calais font entendre dans les salles parisiennes la voix éloquente de la raison, de la vertu, du patriotisme. Faute de mieux, la scène de la Comédie-Française peut assumer pour un public restreint une fonction de forum public. Dans les ouvrages théoriques de Diderot, on trouve une conception autrement ambitieuse. Peu importe que les drames du philosophe nous paraissent plus proches du mélodrame sentimental que du théâtre des Grecs, son Dorval rêve de grands spectacles qui rassem­ bleraient un peuple entier : Jugez de la force d’un grand concours de spectateurs par ce que vous savez vous-même de l’action des hommes les uns sur les autres, et de la communication des passions dans les émeutes populaires. Quarante à cin­ quante mille hommes ne se contiennent pas par décence. Et s’il arrivait à un grand personnage de la république de verser une larme, quel effet croyez-vous que sa douleur dût produire sur le reste des spectateurs ? (Diderot, 1975, ОС, X, 118). 1. « Alfieri confie à l’écrivain moderne une obligation totale et héroïque, comme s’il pouvait racheter la médiocrité du quotidien, imprégnée d’ennui, par une mission qui donne une gloire proportionnée à son utilité, surtout future. »

D’où toute une rhétorique du corps, du geste, de la pantomime, du silence ( « nous parlons trop dans nos drames » ). Les fêtes de la Révo­ lution ne sont pas loin. En Allemagne, suivant l’appel de la Hamburgische Dramaturgie de Les­ sing, c’est surtout au théâtre que Goethe, les jeunes poètes qui l’entourent, et plus tard l’auteur des Rduber, essaient de faire entendre la voix de la nouvelle littérature nationale, littérature de passion et de génie, libérée des chaînes de la poétique et de la rhétorique françaises. Et bien entendu, dans ce chœur de voix nouvelles qui chantent les louanges du sublime, de l’énergie, de la chaleur, de la liberté, l’Allemagne occupe une place privilégiée. Michel Delon a mis en valeur l’apport du Zurichois Johann Georg Sulzer, qui en 1765 rédige pour l’Académie de Berlin sa dissertation en langue française, « De l’énergie dans les ouvrages des beaux-arts ». En dehors de l’importance accordée au terme « énergie », les idées de Sulzer sur la surprise, l’horreur, la nécessité de frapper l’imagination ne sont peut-être pas si nouvelles en 1765. Son grand dictionnaire, Allgemeine Théorie der schonen Kunste, publié pour la première fois en 1771-1774, contient d’ailleurs des articles intelligents sur l’éloquence (Beredsamkeit) et la rhétorique (Redekunst) qui font entendre un son de cloche assez traditionnel ; il y déclare notamment qu’il ne voit aucun livre moderne à recommander à quelqu’un qui aurait étudié Cicéron et Quintilien (Sulzer, 1792-1794, IV, 45). Autour de Sulzer, cependant (et en partie contre lui), se pré­ pare le mouvement du Sturm uni Drang et le grand renouveau de la lit­ térature allemande des années 1770-1800. Les grandes œuvres de Goethe, de Schiller, de Kant et de leurs contemporains, composées pour la plupart après 1775, ne peuvent nous retenir ici. П y a pourtant des précurseurs et des prophètes, dont il faut du moins citer les plus importants. Nous avons vu comment dans les années 1740 les Suisses, Bodmer et Breitinger surtout, opposent à la rhétorique de Gottsched la grandeur de Milton. Winkelmann ouvre la voie à d’innombrables successeurs en creusant un abîme entre la gran­ deur originelle des Grecs et la routine des Latins. G. F. Gellert, profes­ seur de poésie et de rhétorique à Leipzig à partir de 1751, s’insurge contre le rationalisme classique au nom des sentiments et des passions. Lessing, lui aussi hostile à Gottsched, fonde avec Nikolai et Mendels­ sohn la revue berlinoise Briefe de neueste Literatur betreffend ; ici, et dans les comptes rendus qui vont former la Hamburgische Dramaturgù (1767), il prend le parti de Shakespeare et du génie contre les règles de la poé­ tique française de l’âge classique. Cependant, Johann Georg Hamann, le « mage du Nord », maître préféré des Stürmer uni Dranger, rejette le rationalisme éclairé des Berlinois ; ses écrits fort individuels (Kreuzzüge

eines Philologen, 1762) présentent la poésie comme une création divine, dont les signes annonciateurs sont une rhétorique de l’obscur, du frag­ mentaire et le refus des règles et du sacro-saint goût. C’est peut-être Herder, disciple de Hamann et maître du jeune Goethe, qui exprime avec le plus de force la constellation d’idées qui nous occupe ici. Sa rupture avec la pensée des Lumières, et sa nouvelle philosophie de l’histoire, sont de 1774, mais bien avant cette date il avait publié des ouvrages (.Fragmente über die neuere deutsche Literatur, 1766-1767 ; Abhandlung über den Origin der Sprache, 1770 ; Auszug aus einem Briejwechsel über Ossian und dû Heder alter Volker, 1772), qui marquent très clairement quelques-unes de ses positions essentielles. On peut noter son insistance sur la libre créativité individuelle, son éloge du génie « barbare » et « primitif » des anciens peuples germaniques, son enthousiasme démocratique pour la chanson populaire, son refus de l’hégémonie culturelle romane dont le présent volume raconte l’his­ toire. Il parle peu de la rhétorique proprement dite, mais sa valorisa­ tion de la poésie (comme celle de Hamann) tend à effectuer une sépa­ ration radicale entre le poétique et le rhétorique, dont la coexistence, ou la confusion, est au cœur de l’art de parler classique. On peut d’ailleurs se demander, tout en reconnaissant l’importance capitale, pour l’histoire de la littérature et de l’esthétique européennes, de cette floraison allemande du dernier tiers du XVIIIe siècle, si nous ne sortons pas ici de l’histoire de la rhétorique. Ne risquons-nous pas d’étendre abusivement l’empire de celle-ci en y annexant toute réflexion sur la poésie et sur l’esthétique ? Gellert est professeur de rhé­ torique, Lessing est invité à le devenir, mais pour un Hamann ou un Herder, l’ancien art oratoire fait plutôt figure d’ennemi. De la même façon, Goethe et Kant verront la rhétorique comme étrangère et infé­ rieure à la poésie. On pourrait conclure qu’à cette époque, qui a sou­ vent été vue comme celle du déclin de la rhétorique, elle cède quel­ ques-uns de ses éléments essentiels à la poétique, à la critique littéraire, à l’esthétique, disciplines qui se dégagent de sa tutelle pour conquérir leur autonomie. Ou ne s’agit-il pas plutôt d’une transformation de la rhétorique, qui n’ose plus dire son nom ? Elle a été trop souvent l’homme de paille de ceux qui veulent proclamer leur liberté et leur modernité. Nous avons vu que Dockhom attribuait les idées maîtresses de Wordsworth à sa formation classique ; on a également pu déceler dans l’œuvre de Schil­ ler une dette inavouée envers la rhétorique (Jens, 1977, p. 434-435). Et il est certain que les différentes notions que nous avons évoquées au cours de ces dernières pages - chaleur, force, énergie, sublime - ainsi que la référence à la Grèce ancienne, ne sont en rien étrangères à la

discipline dont ce volume retrace l’histoire, même si en 1770 elles sont proclamées avec une chaleur, une force, une énergie insolites. C’est une des constantes de cette histoire que le renouveau se donne l’apparence du refus - « la véritable éloquence se moque de l’élo­ quence ». Comme le dit Jochen Schmidt, auteur d’une étude magis­ trale sur le concept de génie en Allemagne, l’anti-rhétorique du Sturm und Drang est encore une rhétorique, une « nouvelle rhétorique » fort différente de celle de W. S. Howell (Schmidt, 1985, I, 58-59). L’auteur d"Émile n’a jamais enseigné la rhétorique1, et il en parle peu, du moins de façon ouverte. Néanmoins, sa pensée complexe reflète assez bien les attitudes parfois contradictoires de son époque sur cette question comme sur tant d’autres. C’est pourquoi nous avons choisi, en guise de conclusion, d’explorer la position tant théorique que pratique de Rousseau sur un art dont il est le premier à se méfier, mais qu’il exerce avec une maîtrise telle qu’il en ressent parfois de la gêne. Une discipline aussi importante dans le cursus normal des collèges ne pouvait être absente d’une somme pédagogique telle que VÉmile. Le lecteur retient surtout, il est vrai, une dénonciation vigoureuse de la rhétorique des collèges : Je ne me lasse point de le redire : mettez toutes les leçons des jeunes gens en actions plutôt qu’en discours. Qu’ils n’apprennent rien dans les livres de ce que l’expérience peut leur enseigner. Quel extravagant projet de les exercer à parler sans sujet de rien dire, de croire leur faire sentir sur les bancs d’un collège l’énergie du langage des passions, et toute la force de l’art de persuader sans intérêt de rien persuader à personne ! Tous les pré­ ceptes de la rhétorique ne semblent qu’un pur verbiage à quiconque n’en sent pas l’usage pour son profit. Qu’importe à un écolier comment s’y prit Annibal pour déterminer ses soldats à passer les Alpes ? (IV, 546)1 2.

Dans ce passage, qui n’implique pas nécessairement la condamnation radicale de toute rhétorique, Rousseau reste proche de son ami Condil­ lac - et de son ennemi d’Alembert. En bon philosophe, il prend ses dis­ tances vis-à-vis d’un art qui donne trop aux mots, trop peu aux choses : « Que leur apprennent-ils enfin ? Des mots, encore des mots, et tou­ jours des mots » (IV, 346). 1. Dans le Mémoire à M. de Mably composé à Lyon en 1740, Rousseau propose un projet d’éducation qui comporte des leçons de rhétorique (fondées sur le Quintilien abrégé de M. Rollin}, mais il ne semble pas qu’il ait eu le temps de le mettre à exécution (voir Œuvres complè­ tes, IV, 29-30). 2. Sauf indication contraire, toutes les références aux œuvres de Rousseau renvoient aux Œuvres complètes, éd. B. Gagnebin et M. Raymond, 4 vol. parus, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1959-1969.

Jean-Jacques Rouseau :

Гéloquence muette du citoyen

S’il se méfie de l’art de la parole, ce n’est pas uniquement par scru­ pule philosophique. Son refus a des raisons plus personnelles. Celui qui prend la devise vitam impendere vero (attacher sa vie à la vérité) se sent menacé de tout ce qui dans l’usage de la rhétorique peut miner l’authenticité de son moi. L’orateur (et après lui l'écrivain) doit projeter une image de lui-même (19ethos) ; comment empêcher une distance de se créer entre la personne vraie et le personnage joué ? Rousseau a en horreur le métier d’acteur ; sa Lettre à d'Alembert en fait foi. L’homme de bien doit être lui-même dans chacune de ses actions, chacune de ses paroles, tandis que le comédien pratique « l’art de se contrefaire, de revêtir un autre caractère que le sien» (Rousseau, 1967, p. 163). Il est vrai que Rousseau distingue tout de suite le comédien de l’orateur, qui « ne fait que son propre rôle, ne parle qu’en son propre nom, ne dit ou ne doit dire que ce qu’il pense» (p. 164-165), mais les mots «ou ne doit dire » laissent entendre que le « rôle » de celui qui parle en public reste entaché du même soupçon que celui de l’acteur. Nous avons vu comment la rhétorique est liée avec la politesse mon­ daine. Pour Jean-Jacques, plus que pour la plupart de ses contempo­ rains, la politesse est une valeur suspecte. Elle signifie l’accommodement au goût, aux préjugés d’autrui, l’hypocrisie, la flatterie. Dans son sens plus large de civilisation, elle présente un double visage, comme le montre ce beau mouvement de l’introduction au Discours sur les sciences et les arts : Peuples policés, cultivez-les [les talents] : heureux esclaves, vous leur devez ce goût délicat et fin dont vous vous piquez ; cette douceur de caractère et cette urbanité de mœurs qui rendent parmi vous le commerce si liant et si facile ; en un mot, les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune (III, 7).

Le refus des arts de la politesse, y compris la rhétorique, est un refus de la corruption et de l’oppression politique. D’ailleurs, Jean-Jacques sait qu’il n’est pas doué pour ce « commerce » du monde. Autre Alceste, il ne possède pas l’habileté, l’esprit d’à-propos qui permet de naviguer entre les récifs de la conversation mondaine ; il a peur de paraître ridicule, d’être persiflé. Tout cela l’amène paradoxale­ ment à adopter une persona : celle du paysan du Danube, ou de Diogène. La citation d’Ovide qu’il détourne de son sens original pour la mettre en exergue à son premier Discours (et plus tard à ce texte d’écorché vif, Rous­ seau juge de Jean-Jacques), Barbaras hic ego sum, quia non intellegor illis, campe l’écrivain dans le rôle de celui qui ne possède pas le langage du beau monde, mais qui parle sincèrement, sans peur.

Dans l’Avertissement de ses Lettres de la montagne, riposte personnelle et philosophique à la condamnation d'Émile et du Contrat social, Rous­ seau se sent obligé d’écrire, non sans ironie : «Je prie les lecteurs de vouloir bien mettre à part mon beau style, et d’examiner seulement si je raisonne bien ou mal » (III, 686). S’il doit désavouer ainsi sa propre éloquence, c’est parce qu’il n’est que trop conscient du fait qu’aux yeux de ses contemporains cet étranger, le citoyen de Genève, est l’écrivain le plus éloquent, le plus entraînant du siècle. On résiste mal à des mou­ vements dramatiques comme celui-ci (pascalien en l’occurrence) au livre Ier d'Émile : De ces contradictions naît celle que nous éprouvons sans cesse en nous-mêmes. Entraînés par la nature et par les hommes dans des routes contraires, forcés de nous partager entre ces diverses impulsions, nous sui­ vons une composée qui ne nous mène ni à l’un ni à l’autre but. Ainsi com­ battus et flottants durant tout le cours de notre vie, nous la terminons sans avoir pu nous accorder avec nous, et sans avoir été bons ni pour nous ni pour les autres (IV, 251).

Devant cette réussite éclatante, ses adversaires tâchent d’insinuer que ses livres sont l’œuvre d’un charlatan beau parleur, que sa force et sa chaleur communicative ne sont que de l’artifice. Malgré ses réticences devant l’art de parler, Jean-Jacques, comme bien d’autres avant lui, est pris au piège. П a rompu le silence, et se trouve obligé à son tour de devenir rhéteur. Comme l’a dit Jean Starobinski, il cherche le remède dans le mal (Starobinski, 1989, p. 165-208) : si le langage - et singuliè­ rement le langage écrit - nous trahit, c’est lui aussi qui nous donne les moyens du salut. Malgré tout ce que nous avons dit, on trouve parfois chez Rousseau des formulations qui révèlent un auteur fort conscient des contraintes et des avantages de l’art de parler. Un écrit de 1745 environ intitulé Idée de la méthode dans la composition d'un livre contient des règles sur la manière d’« amplifier » un sujet et de « lui donner l’arrangement le plus propre à convaincre et à plaire » (II, 1242). Plus tard, lorsqu’il est devenu auteur à succès, il se montre sensible aux aspects formels de l’art d’écrire, sur­ tout le « nombre ». Nous lisons, dans ses Confessions : « Il y a telle de mes périodes que j’ai tournée et retournée cinq ou six nuits dans ma tête avant qu’elle fût en état d’être mise sur le papier » (I, 114). П connaît les affres du style, mais aussi les problèmes délicats du commerce épistolaire : comment trouver le ton approprié, à la fois libre et respectueux, lorsqu’on écrit à un protecteur puissant ? En tant que Genevois qui a réussi sur la grande scène de Paris, il aime donner des conseils à ses com­ patriotes plus lourds, moins éloquents, et ne dédaigne nullement les

avantages du goût parisien. Il va même jusqu’à dire que « ce n’est que dans le monde qu’on apprend à parler avec énergie » (II, 14). L’énergie est sans doute une valeur positive, pour Rousseau comme pour Diderot, mais la remarque que nous venons de citer, tirée de la préface dialoguée de La Nouvelle Héloïse, sert dans ce texte à prouver ex contrario l’authenticité des lettres prolixes et mal écrites de ses person­ nages suisses - et elle provoque la question ironique de « N. » : « C’est-à-dire que la faiblesse du langage prouve la force du senti­ ment ? » Car ce qui compte surtout pour Rousseau, c’est moins une énergie souvent factice que la communication de la vérité, vérité des faits, mais surtout vérité du cœur. П rêve d’une « transparence » absolue dans les rapports humains. Or, cette transparence dépasse les possibilités de la rhétorique verbale. La communion idéale est repré­ sentée par cette silencieuse « matinée à l’anglaise » de La Nouvelle Héloïse, scène de parfaite intimité familiale où toute parole serait superflue. A défaut de silence, la musique (italienne de préférence) communique les sentiments avec une force dont le langage est inca­ pable ; dans Y Essai sur l’origine des langues, nous lisons que la mélodie « n’imite pas seulement, elle parle, et son langage inarticulé, mais vif, ardent, passionné, a cent fois plus d’énergie que la parole même » (Rousseau, 1990, p. 124). Le geste lui aussi est parfois capable d’une éloquence supérieure à celle du discours. Rousseau a beau soupirer après un type de communication non verbale et plus immédiate, il sait que l’état social est inséparable de l’usage de la parole, et par conséquent de la rhétorique. Dans Г Émile, il s’efforcera donc de formuler un art de parler qui trahisse le moins pos­ sible l’aspiration à l’authenticité. Comme nous avons déjà vu, il couvre de ridicule la rhétorique des collèges, qui enseigne à parler pour ne rien dire. Son Émile parle peu, ne parle que lorsqu’il a quelque chose à dire. Le précepteur lui aussi ne gaspille pas ses mots, du moins dans les premiers livres, avant que l’enfant n’atteigne l’âge de la puberté. Il y a d’ailleurs quelque chose d’excessif dans le zèle avec lequel Rousseau condamne les plaisirs de la parole précoce, les leçons verbales inutiles, la manie de faire apprendre par cœur des fables qu’aucun enfant ne saurait vraiment comprendre, la lecture ( « fléau de la jeunesse » ), en un mot toute « notre éducation babillarde » qui ne sert qu’à produire des babillards (IV, 447). Trop conscient du fait qu’il est lui-même un homme de la parole, une victime de l’imagination, Rousseau imagine une éducation capable de tenir en échec tous les penchants qui ont fait de lui un écrivain public. L’enfant Émile n’est donc pas éloquent. N’ayant pas encore de pas­ sions à exprimer, il n’a besoin que d’un parler « uni » et « simple ». Il

ne faut pas lui donner à réciter des rôles de tragédie ou de comédie, car « il aura trop de sens pour savoir donner un ton à des choses qu’il ne peut entendre ». Il évitera ainsi une expressivité excessive et artifi­ cielle, « défaut ordinaire aux enfants élevés dans les collèges » (IV, 404-405). En d’autres termes, Rousseau tourne le dos au principe essentiel de la rhétorique, l’imitation. Comme le jeune Condillac, son élève doit « mûrir en silence » (IV, 343). Plus tard, au livre IV, le jeune homme commence à éprouver des passions. Ici encore, il parle peu, car « il ne se soucie guère qu’on s’occupe de lui » (IV, 666). La soif des applaudissements est pour Rous­ seau (qui savait de quoi il parlait) le grand vice des hommes de la parole. Ayant moins besoin des autres que les autres ont besoin de lui, Émile n’essaie pas de les persuader, et ne parle que pour être entendu. Son langage est donc en général « simple et peu figuré » (IV, 546). Mais de cette sobriété, qui pourrait rappeler la new rhetoric de W. S. Howell, Rousseau passe tout de suite à la grande éloquence pas­ sionnée, une éloquence toute naturelle : Dans le feu de l’adolescence, les esprits vivifiants, retenus, et cohobés dans son sang, portent à son jeune cœur une chaleur qui brille dans ses regards, qu’on sent dans ses discours, qu’on voit dans ses actions. Son langage a pris de l’accent, et quelquefois de la véhémence. Le noble sentiment qui l’inspire lui donne de la force et de l’élévation : pénétré du tendre amour de l’humanité, il transmet en parlant les mouvements de son âme ; sa généreuse franchise a je ne sais quoi de plus enchanteur que l’artificieuse éloquence des autres ; ou plutôt lui seul est véritablement éloquent, puisqu’il n’a qu’à mon­ trer ce qu’il sent pour le communiquer à ceux qui l’écoutent (IV, 547).

Cette noble éloquence n’exige pas d’art ; elle « se moque de l’élo­ quence », ou plutôt de la rhétorique. Mais les termes utilisés par Rousseau - chaleur, accent, véhémence, force, élévation, mouvements, enchanteur, éloquent - sont ceux des partisans d’une rhétorique passionnée, sublime ou même primitive. L’éloquence d’Émile est celle du tribun, de Démosthène : dans le même livre de l'Émile, Démosthène, le modèle de la grande éloquence, est comparé encore une fois à Cicéron : le premier est un « orateur », le second un « avocat » (IV, 676). Il est évident que, tout en parlant de son élève idéal, Rousseau est en train de parler de lui-même. Celui qui « n’a qu’à montrer ce qu’il sent pour le communiquer à ceux qui l’écoutent» est précisément celui qu’il veut être. Dans les Confessions, on voit plusieurs exemples de la force contagieuse de la vérité, par exemple ce moment où le jeune Jean-Jacques, soupçonné d’imposture, cède à son « continuel

besoin d’épanchement » et se confesse à l'ambassadeur de France à Soleure : Il fut si content de ma petite histoire et de l’effusion de cœur avec laquelle je l’avais contée qu’il me prit par la main, entra chez Mme l’Ambassadrice, et me présenta à elle, en lui faisant un abrégé de mon récit. Mme de Bonac me reçut avec bonté (I, 156-157).

Tout vient de la nature, rien de l’art. Passe encore pour la confession orale d’un garçon de dix-sept ans, mais comme écrivain aussi Rousseau se fait fort de créer le même courant enchanteur. Partout dans ses œuvres on entend ce refrain ; dans les Confessions, de nouveau, Rous­ seau dit, en parlant de La Nouvelle Héloïse : « Quiconque, en lisant ces deux lettres, ne sent pas amollir et fondre son cœur dans l’attendrissement qui me les dicta, doit fermer le livre » (I, 438). L’écriture semble jouir de tous les privilèges de la communication orale. Rousseau est écrivain, non pas orateur. Il s’en explique dans les Confessions : J’aimerais la société comme un autre, si je n’étais sûr de m’y montrer non seulement à mon désavantage, mais tout autre que je ne suis. Le parti que j’ai pris d’écrire et de me cacher est précisément celui qui me conve­ nait (I, 116).

C’était en parlant que l’orateur classique devait révéler son caractère d’homme modeste, honnête et plein de zèle pour le bien public. Pour pouvoir dire sa vérité à lui, le timide Jean-Jacques doit prendre la voie détournée de l’écriture - et ce malgré tout le mal qu’il en dit dans 1 "Essai sur Vorigine des langues. C’est ainsi que le citoyen, séparé de ses compatriotes, leur fera entendre sa voix prophétique. Car, dans sa grande période doctrinaire (1750-1762), Rousseau joue comme per­ sonne le rôle d’écrivain-tribun prôné par Diderot et Alfieri. Il fait entendre dans ses livres une « voix » qui paraît nouvelle, voix dont on loue la force, la chaleur, l’énergie barbare. A l’encontre de l’écrivain professionnel, il se présente comme un étranger, un barbare, un Démosthène ou un Diogène, qui parle parce qu’il a quelque chose de brûlant à dire. Comme le dit d’Alembert, il se met à son aise avec le public, et cela «lui donne un prodigieux avantage» (France, 1972, p. 263-264). Rousseau ne l’ignore pas, lui qui écrit : « Mon métier pou­ vait me nourrir si mes livres ne se vendaient pas, et voilà précisément ce qui les faisait vendre » (I, 403). C’est une rhétorique de la franchise et de l’indépendance, et Rousseau en connaît bien la valeur.

Nous retrouvons ainsi le problème de la sincérité. Sur la route de Vincennes, sous le coup d’une illumination soudaine, Rousseau avait commencé son Discours sur les sciences et les arts, l’ouvrage éloquent qui obtint pour lui une renommée européenne. Et par où commence-t-il ? Par le discours imaginé de Fabricius, une prosopopée, figure qui selon Quintilien exige l’art le plus consommé. Dans tous ces grands ouvrages doctrinaux, Rousseau montre la même maîtrise du discours ; ses exordes, par exemple, sont des chefs-d’œuvre d’éloquence, à la fois conciliants et percutants. Plus tard, lorsque la fièvre de la prophétie sera passée, il essayera de prendre ses distances vis-à-vis de son personnage de tribun : J’étais vraiment transformé ; mes amis, mes connaissances ne me recon­ naissaient plus. Je n’étais plus cet homme timide et plutôt honteux que modeste, qui n’osait ni se présenter ni parler. [...] Audacieux, fier, intré­ pide, je portais partout une assurance d’autant plus ferme qu’elle était simple et résidait dans mon âme plutôt que dans mon maintien (I, 417).

Comme on voit, l’explication fait l’économie de l’art ; si Jean-Jacques devient éloquent, c’est qu’il est « enivré de vertu ». Il n’a pas besoin de feindre, ni de préparer ses effets : «Je ne jouai rien ; je devins en effet tel que je parus [...] Voilà d’où naquit ma subite éloquence » (I, 416). Parlant de la société, de la politique, de la pédagogie, de la nature humaine, Rousseau peut suivre, avec ou sans effort, des modèles rhéto­ riques préexistants ; son éloquence est puissante, elle est peut-être per­ sonnelle, mais elle n’est pas entièrement nouvelle. Plus tard il assumera une tâche plus difficile : parler de soi-même. Bien entendu, il exagère lorsqu’il parle d’une « entreprise qui n’eut jamais d’exemple » ; sans parler de saint Augustin, qui donne leur titre aux Confessions, il y a les Essais de Montaigne. Rousseau en parle d’ailleurs dans son Préambule de Neuchâtel, mais pour le classer parmi les « faux sincères, qui veulent tromper en disant vrai » (I, 1150). Tout injuste qu’elle peut sembler, cette remarque révèle un auteur pleinement conscient des problèmes rhétoriques de l’autobiographie . Plus loin, il essaie d’y formuler sa propre réponse. Il doit « inventer un langage aussi nouveau que [son] projet» (I, 1153) ; de nouveau il se fie à la nature, à la spontanéité : Si je veux faire un ouvrage écrit avec soin comme les autres, je ne me peindrai pas, je me farderai. C’est ici de mon portrait qu’il s’agit et non pas d’un livre. [...] Je prends donc mon parti sur le style comme sur les choses. Je ne m’attacherai point à le rendre uniforme ; j’aurai toujours celui qui me vient, j’en changerai selon mon humeur sans scrupule, je dirai chaque chose comme je la sens, comme je la vois, sans recherche, sans gêne, sans m’embarrasser de la bigarrure (I, 1154).

Rousseau invente ici encore une « nouvelle rhétorique », art de l’expression personnelle, qui connaîtra une fortune extraordinaire au cours des deux siècles suivants. En un sens, c’est un refus de la rhéto­ rique, art de la préméditation, mais la manière dont il parle des « cho­ ses » et du « style » montre bien qu’il s’agit d’un nouveau traitement de Гinventio, de la dispositif et de Velocutio. Et bien sûr, un historien de la rhétorique dira que le projet est peut-être moins inouï qu’il ne le dit. Les problèmes de la sincérité avaient déjà préoccupé les anciens rhé­ teurs ; les solutions de Rousseau n’étaient pas sans exemple non plus. D’autres avant lui avaient fondé leur rhétorique sur le refus de la rhétorique. Toujours est-il que dans sa recherche d’une éloquence adéquate à sa vérité et à la vérité des choses, la mise en question intermittente des normes littéraires d’une société polie, l’adoption d’un ton individuel et « barbare », caractérisé par la « chaleur » et la franchise, Rousseau résume bien quelques-unes des tendances les plus significatives de son époque. Retenons pour terminer le paradoxe suivant : dans une période où la rhétorique se détourne apparemment de son ancienne oralité, le citoyen de Genève, qui n’a jamais parlé au forum, trouve le moyen de recréer sur le papier l’éloquence contagieuse des discours parlés. Comme beaucoup de ses contemporains, même en écrivant, il tient à rester sensible et fidèle aux rythmes et aux sonorités de la parole publique. Si l’orateur s’est transformé en écrivain, l’écrivain écrit en orateur.

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MICHEL DELON

20 - Procès de la rhétorique, triomphe de l’éloquence (1775-1800)

Le dernier quart du xvnr siècle focalise, doublement et sans doute contradictoirement, l’attention sur la France. L’art de la conversation y semble porté à sa perfection, offrant un modèle mondain à toute l’Europe. Mais la crise de Г Ancien Régime fait renaître le genre délibé­ ratif; certains saluent dans la Révolution française un retour à la grande éloquence antique, au risque de briser le moule de la sociabilité aristocratique et de remplacer définitivement les subtilités des salons par les effets de tribune. La rhétorique se trouve une fois de plus au cœur des débats entre liberté et despotisme, entre nature et éducation, mais aussi entre belles-lettres et littérature. La conversation est-elle style de vie, éthique et esthétique de la société, ou bien futilité et privilège archaïque ? L’éloquence garantit-elle le bien public ou livre-t-elle l’État aux rhéteurs ? La valeur d’une œuvre se définit-elle par rapport à une norme ou à une originalité individuelle ? D’Alembert dans Y Encyclopédie caractérisait la conversation comme un art du partage de la parole, entre les interlocuteurs et entre les sujets, comme l’art de « ne s’appesantir sur aucun objet, mais de passer légèrement, sans effort et sans affectation, d’un sujet à un autre », de ne jamais « s’emparer seul et avec tyrannie de la parole », de ne jamais y prendre « le ton dogmatique et magistral ». Au début du XIXe siècle, l’abbé Morellet laisse des mélanges posthumes sur le demi-siècle écoulé. Il y consacre un essai à la conversation, considérée comme un exercice de moralité et de sociabilité, définie négativement par tous les défauts dont elle doit savoir se garder : l’inattention et la précipitation, l’empressement à montrer de l’esprit ou à se mettre en avant, le despo­ tisme et le pédantisme, l’esprit de plaisanterie ou de contradiction. L’abbé philosophe voit dans la France des Lumières un apogée de cet art : « S’il est vrai que de toutes les nations de l’Europe, la française est celle où l’on trouve une plus grande sociabilité, c’est parce qu’on

converse plus en France qu’en aucun autre pays du monde. »' Mais la Révolution qui supprime les académies, disperse les salons et traque les privilèges a peut-être ruiné une telle tradition. Comme un grand nombre de ses contemporains qui rédigent ou publient leurs mémoires au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, Morellet éprouve le besoin de témoigner d’une époque qui semble à jamais révolue. Le double mouvement d’admiration et de critique à l’égard de cette tradition de la conversation est sensible dans le Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier, ensemble caractéristique de l’opinion en France à la veille de la Révolution. Le chapitre, intitulé « Conversa­ tion », marque à la fois de l’indulgence et de l’impatience pour tant de raffinement et de subtilité : « Avec quelle légèreté on ballote à Paris, les opinions humaines ! Dans un souper, que d’arrêts rendus ! On a pro­ noncé hardiment sur les premières vérités de la métaphysique, de la morale, de la littérature et de la politique : l’on a dit du même homme à la même table, à droite qu’il est un aigle, à gauche qu’il est un oison ! L’on a débité du même principe, d’un côté qu’il était incontestable, de l’autre qu’il était absurde. Les extrêmes se rencontrent, et les mots n’ont plus la même signification dans deux bouches différentes. Mais surtout avec quelle facilité on passe d’un objet à un autre et que de matières parcourues en peu d’heures ! »12 Mercier admire la distance ironique qui « est l’âme de nos entretiens », l’affabilité qui arrondit les angles et adoucit la règle, l’aménité ouverte et la compatibilité d’humeur qui frappent les étrangers de passage à Paris. Il prononce même le mot d’eufrapélie qui est une des catégories de la rhétorique clas­ sique3. Mais la conversation tourne vite au bavardage, et la politesse se perd dans le brouhaha général de la société. « Affilée, aiguisée, babillarde, pétulante, elle [la langue des Parisiens] s’exerce sur tout et par­ tout. On babille dans le salon doré comme dans la tabagie enfumée ; on s’arrête dans les rues pour causer. Les voitures séparent les dialogueurs qui, malgré le danger et la remontrance du cocher, se rejoi­ gnent aussitôt pour achever leur phrase futile [...] Phocion appelait les babillards larrons de temps. П les comparait ensuite à des tonneaux vides qui rendent plus de son que des tonneaux pleins. Orateurs des cafés, orateurs des salons, orateurs des journaux, orateurs des foyers, vous

1. Mélanges de littérature et de philosophie du XVIIf siècle par l’abbé Morellet, Paris, 1818, t. IV, p. 77. 2. Mercier, Tableau de Paris (1781-1788), Mercure de France, 1994, t. I, p. 42. 3. Ibid., p. 1417. Le Trévoux définit l’eutrapélie comme « une qualité qui fait bien tourner ce que l’on dit », « une manière de plaisanter agréablement ». La notion remonte à Y Éthique à Jficomaque d’Aristote, elle est reprise par saint Thomas et saint François de Sales. Elle permet de défi­ nir un type littéraire dans les dialogues d’Erasme et de Noël du Fail.

n’êtes que des futailles. »* Le sens du temps et de l’utile écarte la tradi­ tion mondaine au profit d’une autre, plus ancienne, plus prestigieuse, celle de la tribune antique. Mercier exprime la nostalgie de toute une époque pour une parole pleine, entière, responsable, qui sache véhiculer un savoir intellectuel ou moral, qui engage une transformation de la société. Le philosophe ou l’homme de lettres, investi de la fonction de dire vrai et d’agir juste, se veut l’héritier de l’orateur antique, alors que le prédicateur, l’académicien ou le parlementaire contemporains n’offriraient que des contre-modèles, indignes de leur charge. La nostalgie détermine jus­ qu’au titre du chapitre, dans le Tableau de Paris, « Mes regrets, et bien superflus ». L’auteur déplore l’absence d’une tribune aux harangues « où l’on parlerait au public assemblé », où l’on « tonnerait contre de cruels abus qui ne cessent en tous pays que quand on les a dénoncés à l’animadversion publique »12. A la différence de la conversation qui isole, divise, cloisonne, dans une société hiérarchisée, l’éloquence dont rêvent Mercier et les hommes des Lumières rassemble, réunit, fonde la communauté la plus large. La conversation épuise dans une floraison élégante et futile une parole qui devrait s’investir dans de plus hautes tâches. Les prédicateurs et les académiciens se révèlent corrompus par l’esprit de mondanité. Les premiers répètent des lieux communs quand ils ne vont pas acheter tout faits des sermons dans la boutique où peu­ vent se fournir les ecclésiastiques à court d’inspiration. Les seconds font des phrases là où le public attend une émotion. Mercier oppose aux éloges académiques de Henri IV les manifestations d’amour des Pari­ siens qui passent devant sa statue sur le Pont-Neuf : « Ah ! que ce cri unanime est touchant, qu’il surpasse par son énergie tout ce que l’éloquence s’efforcera vainement d’exprimer. »3 Le même refus de la rhétorique institutionnelle au nom d’une nouvelle éloquence spontanée se retrouve dans l’utopie du même Louis-Sébastien Mercier, L’An 2440, dont l’un des derniers chapitres est consacré à l’oraison funèbre d’un paysan. Alors que les orateurs sacrés ont dépensé leurs phrases pom­ peuses pour vanter les prétendus mérites de souverains qui n’ont fait en réalité que le malheur de leur peuple, un pasteur inconnu salue la mémoire du véritable héros des Lumières, paysan anonyme et père de famille : « Ah ! m’écriai-je, si les hommes célébrés par Bossuet, Fléchier, Mascaron [Jules de Mascaron, 1634-1703, auteur de l’oraison funèbre d’Anne d’Autriche], Neuville [Frey de Neuville, 1693-1774, 1. Ibid., t. Il, p. 215-216. 2. Ibid., t. I, p. 698. 3. Ibid., p. 1465.

auteur de l’oraison funèbre du cardinal de Fleury], avaient eu la cen­ tième partie des vertus de cet agriculteur, je leur pardonnerais leur élo­ quence pompeuse et futile ! »’ Les traités de prédication à la fin du XVIIIe siècle dressent un cons­ tat approchant, sans vouloir rompre avec la tradition scolaire et les grands modèles du siècle de Louis XIV. Joseph-Romain Joly dans son Histoire de la prédication, ou la manière dont la parole de Dieu a été prêchée dans tous les siècles (1767) aussi bien que l’abbé Maury dans son Essai sur l’éloquence de la chaire (1777) déplorent la décadence du genre. Les prédi­ cateurs leur paraissent devenus des orateurs mondains et profanes ; l’éloquence véritable se serait réfugiée loin de la Ville et de la Cour. « Un missionnaire de village qui sait effrayer et faire couler des larmes ne frappe-t-il pas bien plus au but de l’éloquence chrétienne ? », demande Romain Joly, tandis que l’abbé Maury ne trouve de trace de « cette éloquence antique et vigoureuse qui n’est autre chose que le premier cri de la nature » que chez Bridaine, prédicateur populaire qui a sillonné sans relâche les campagnes du royaume. « Orateurs qui ne pensez qu’à votre propre gloire, tombez aux pieds de cet homme apos­ tolique, et apprenez d’un missionnaire ce que c’est que la véritable élo­ quence ! Le peuple ! le peuple ! voilà le premier, et peut-être l’unique juge de vos talents. » Mais en même temps, Maury répète l’hommage le plus traditionnel à Cicéron, Démosthène et Bossuet alors qu’il juge le paysan du Danube, capable de « traits », mais non d’un discours suivi, et lui refuse tout droit à être compté parmi les orateurs. Le peuple est pris pour juge, il ne peut prétendre accéder lui-même à la parole. La con­ tradiction est visible entre la recherche d’un souffle nouveau, d’une authenticité spirituelle et le respect d’une tradition scolaire qui enferme la rhétorique dans les traités. La nostalgie d’une parole publique, traitant des grands problèmes du temps, qui trouve rarement à se manifester dans la chaire, cherche aussi à s’exprimer à la tribune académique et au barreau. L’éloge des « hommes illustres de la nation dans tous les genres, sans acception de rang, de titre ni de naissance » (selon la formule de Duclos) a remplacé celui des monarques, de même qu’à travers les villes, les statues des bienfaiteurs de la patrie concurrencent les effigies équestres du roi. D’Alembert souligne le sens de cette évolution : il s’agit pour l’Académie française de prendre les sujets de ses éloges « dans tous les états et dans les talents, depuis le guerrier jusqu’au philosophe, depuis le monarque jusqu’au simple homme de lettres ». Le genre dont Antoine-Léonard Thomas a rédigé un historique dans son Essai sur les 1. Mercier, L’An 2440 (1770), Bordeaux, Éd. Ducros, p. 419.

éloges en 1773 devient une argumentation contre la hiérarchie de la naissance, et un hymne au pouvoir créateur d’une humanité, capable de prendre en main son destin. Les grands procès servent également de prétexte à des dénonciations de la société et à la revendication de réformes radicales. Le président Dupaty, par exemple, évitant la roue à trois paysans accusés de vol nocturne avec effraction en 1787, dépasse le cas particulier pour imposer l’idée d’une nécessaire refonte du sys­ tème juridique. Mais le cadre étroit des académies et des parlements, régis par des règles strictes, ne permet pas à l’éloquence réformatrice de toucher cette nouvelle référence qu’est « l’opinion du public ». Aussi les discours sont-ils rapidement diffusés sous forme de brochures ; les avocats multiplient les mémoires qui se répandent largement et font sensation. Certains d’entre eux deviennent de véritables pamphlets. L’éloquence se déplace de l’oral à l’écrit, du barreau à la rue et du juri­ dique proprement dit au politique. Le modèle de la harangue envahit plus généralement toute la litté­ rature. Depuis la prosopopée de Fabricius dans le premier discours sur les sciences et les arts, Jean-Jacques Rousseau avait donné l’exemple d’un usage du pathétique dans la réflexion politique et n’avait pas craint dans La Nouvelle Héloïse de nourrir l’une par l’autre la théorie et la fiction. Un des cas les plus caractéristiques de cette rhétorique pas­ sionnée est celui de Y Histoire des deux Indes, cette histoire du colonialisme européen commandée à l’abbé Raynal par le ministère de la Marine et devenue au fil des rééditions (la première édition est de 1772, la troi­ sième de 1781), Diderot et quelques autres collaborateurs de Raynal aidant, une machine de guerre contre l’Ancien Régime. Les historiens classiques admettaient la nécessité de la harangue pour donner vie aux figures du passé. Cette harangue devient apostrophe dans YHistoire des deux Indes. L’exemple du parlement anglais et celui des nouvelles assem­ blées américaines encouragent une pratique similaire en France. Le narrateur interpelle les colonisateurs et les esclavagistes, « monstres exé­ crables », puis prend la parole au nom des opprimés : « Eh quoi ! auraient pu crier les infortunés expirant sous leurs yeux, ce n’est donc que pour nous opprimer que vous êtes féconds en moyens ! » Les lec­ teurs ont été frappés par un ton déclamatoire qui tranchait avec les habitudes de l’écriture historique et politique. Ils ont surtout relevé que le narrateur de Y Histoire des deux Indes tutoyait Louis XVI, jeune souve­ rain, dans une familiarité à l’antique, sans le moindre respect des bien­ séances de cour : «Jeune prince, toi qui as su conserver l’horreur du vice et de la dissipation, au milieu de la Cour la plus dissolue et sous le plus inepte des instituteurs daigne m’écouter avec indulgence. » Suit tout un programme de gouvernement. La prise de parole fictive est

déjà une prise de pouvoir : la revendication d’un droit de regard sur les affaires publiques et de participation aux décisions politiques. Le contraste est évident entre la conversation, toutes les formes d’une parole privée qui se donne pour règle de ne s’appesantir sur aucun sujet, et l’éloquence publique qui poursuit un idéal réformateur jusqu’à sa réalisation. Entre les sourdines qui suggèrent une connivence et les effets appuyés qui mobilisent les consciences. Au-delà de cette opposition, il est pourtant plus suggestif de suivre les échanges para­ doxaux qui s’effectuent d’une forme de parole à l’autre. Dans cette même fin du XVIIIe siècle, deux modes d’expression aussi antithétiques que le journal, appel à l’opinion publique, et le journal intime, repli sur soi et observation d’une intériorité, se développent parallèlement, dans un rapport identique à la temporalité. L’écriture journalistique et diariste accepte la discontinuité et la fugitivité qui semblaient opposées à la construction d’une œuvre. La conversation et l’éloquence publique se croisent de même, soit que la clôture du privé constitue le labora­ toire d’une radicalité destinée à envahir la place publique, soit que la bienveillance de l’intimité offre le modèle d’une parole politique qui sache se méfier des prestiges du verbe. Diderot, auquel ses contemporains ont reconnu un exceptionnel brio dans la conversation, joue de la liberté, tant esthétique que morale et politique, réservée à l’espace du salon ou de la correspondance, pour y expérimenter les formules les plus fortes. Le point de départ peut être anecdotique et badin : trois ans de suite, Diderot tire les rois avec ses amis et est désigné par le sort comme roi. Il explique dans un dithy­ rambe de modèle pindarique les raisons de son abdication. Le jeu mondain et l’exercice scolaire autorisent quelques audaces ; Diderot met ainsi, dans la bouche de l’homme naturel : « La nature n’a fait ni serviteur ni maître. Je ne veux ni donner ni recevoir de lois. » Et ses mains ourdiraient les entrailles du prêtre, Au défaut d’un cordon pour étrangler les rois.

Le poème peut bien s’achever par la célébration du vin et de l’amour, n’être diffusé que sous forme manuscrite, il dépasse le cercle étroit des amis et des rares privilégiés, abonnés à la Correspondance littéraire, pour résonner sur la place publique, lorsque en 1791, La Bouche de fer, pério­ dique de l’abbé Fauchet et de Bonneville, prend pour épigraphe : « Quand le dernier roi sera pendu avec les boyaux du dernier prêtre (célibataire), le genre humain pourra espérer être heureux. - Parole familière de Diderot. » Familier est à comprendre au sens de « privé » aussi bien que de « coutumier », habituel. La formule que Diderot

avait empruntée au curé Meslier1 et à laquelle il avait donné une frappe pindarique passe ainsi de la conversation privée au manuscrit clandestin, puis au journal et à la profération politique. En 1796, le périodique conservateur La Quotidienne affirme que ces paroles de Dide­ rot « ont servi de texte aux discours les plus véhéments » des clubs révolutionnaires. La liberté du cercle, réglée par la distinction aristocra­ tique et les bonnes manières, est devenue licence de la rue et la véhé­ mence du modèle scolaire violence bien réelle. La continuité de la conversation à l’éloquence révolutionnaire est également sensible chez Hérault de Séchelles, coqueluche des salons, avocat général au Parlement de Paris avant de devenir président de la Convention nationale. Ses pouvoirs de séduction qui lui avaient ouvert toutes les portes s’arrêtent sous la Terreur et ne lui évitent pas la guillo­ tine. Paraissent de manière posthume en 1795 dans le Magazine encyclo­ pédique ses « Réflexions sur la déclamation » et « Sur la conversation », repris en 1802 dans un livre au titre apocryphe, Théorie de Vambition. Fort de sa double expérience d’homme du monde et d’avocat, Hérault de Séchelles a composé avant 89 cette rhétorique à usage personnel, distinguant la personne qui prend la parole et le personnage que le public voit et entend. « La principale attention de l’orateur doit donc être de ne laisser voir que son personnage. L’illusion est détruite, s’il ne cache avec soin qu’il répète ce qu’il a appris. »12 L’orateur doit maîtriser sa mémoire, sa voix, ses gestes, connaître les styles d’intervention de ses contemporains. La palme revient à Diderot, « celui de tous les hommes qui, par la parole, influait le plus puissamment sur ceux qui l’écoutaient »3. La prise de parole devient prise de pouvoir. La violence qui est patente dans le débat politique existe déjà dans l’échange mon­ dain. Hérault de Séchelles présente le salon comme un champ d’observation et d’expérimentation où il analyse les hommes en sensualiste et apprend à s’imposer. A la veille de la Révolution, l’un des plus brillants produits de la civilisation de cour fournit les règles d’un jeu social de pur spectacle. Moraliste cynique, il nous apparaît aujourd’hui comme un Chamfort qui aurait la beauté en prime ou un Rivarol à qui n’auraient manqué naissance ni fortune. Pour ses contemporains, il jouait au disciple ému du traducteur de Démosthène, Athanase Auger, qui n’a vécu, explique-t-il dans l’éloge funèbre en 1792, que pour l’art 1. « Un homme qui n’avait ni science ni étude », rapporte le curé Meslier, souhaitait « que tous les grands de la terre, et que tous les nobles fussent pendus, et étranglés avec des boyaux de prêtres» (Œuvres de Jean Meslier, Anthropos, 1970-1972, t. I, p. 23, ainsi que la note III, p. 513-516, et t. III, p. 496). 2. « Réflexions sur la déclamation », Œuvres littéraires et politiques, Éd. Rencontre, 1970, p. 167. 3. «Sur la conversation», ibid., p. 185.

oratoire et la Révolution, « trop heureux de pouvoir adresser à des assemblées de Français le langage des Romains et ces mêmes périodes que les Grecs s’affranchissant de l’esclavage avaient rendues, en quelque sorte, les formules oratoires de la liberté ». Au début du XIXe siècle, la conversation d’Ancien Régime peut au contraire apparaître comme un modèle antiterroriste. C’est du moins le sens du poème où Jacques Delille dit sa foi dans la sociabilité classique et rappelle le salon de Mme Geoffrin qu’il a fréquenté. La Conversation (1812) s’inscrit dans la continuité de poèmes savants, depuis VArs confabulendi du P. Tarillon (1693)', mais il est historiquement situé. Après avoir consacré les deux premiers chants aux torts de l’esprit et du caractère sous la forme d’une galerie de portraits qui fait défiler dans le premier chant l’érudit et l’esprit léger, le bavard et le minutieux, etc., puis dans le second l’égoïste et l’indifférent, le babillard et le curieux, etc., il vante la conversation comme échange et comme com­ merce, dans un double refus de la tyrannie démagogique et d’une monarchie absolue. L’adjectif populaire, tantôt laudatif, s’oppose à la rime à « pouvoir arbitraire », et tantôt péjoratif, fait écho à « propos vulgaires ». La conversation devient une façon de sublimer les agressivi­ tés, de transformer la violence en art de vivre, en plaisir quasi phy­ sique, dont rendent compte deux métaphores sportives. Delille récuse la boxe, sport sanglant, et compare la conversation à l’escrime ainsi qu’au jeu de paume : La balle, dans ce jeu, volant de main en main, Court, tombe, se relève, et reprend son chemin : Des conversations c’est l’image fidèle [...] Sans cesse allant, venant, revenant tour à tour, Exacte à son départ, exacte à son retour, Avec la même ardeur et par la même voie, Chaque parti l’attend, l’arrête et la renvoie1 2.

La même image se retrouve à l’époque sous la plume de Beaumarchais, de Goethe et d’Auguste Guillaume Schlegel3. Le poème de Delille s’achève en monument à la mémoire de Mme Geoffrin dont le salon, à la fin du XVIIIe siècle, marque la transition entre les cercles aristocratiques anciens et un nouvel élitisme qui n’est plus fondé sur la seule naissance. Si la conversation mondaine peut être interprétée comme expéri­ mentation du pouvoir ou au contraire comme modèle de tolérance, la 1. Voir par exemple L’Éloquence, poème didactique en six chants du P. Jean-Antoine La Serre (Lyon, 1778), L’Art de causer, épître d’un père à son Jils d’Alissan de Chazet (Paris, 1812), etc. 2. La Conversation, chant II, Œuvres de Delille, Fume, 1833, t. X, p. 177. 3. Beaumarchais, Lettre sur la critique du «Barbier de Séville», Goethe, Poésie et vérité, année 1804, et A. G. Schlegel, Cours de littérature dramatique.

parole sous la Révolution est soumise à des jugements plus violemment contrastés. Les grandes crises à la fin de l’Ancien Régime en France (fronde des parlements, guerre des farines, échos de la guerre d’indépendance américaine) se traduisent par une floraison de brochu­ res. L’annonce de la convocation des Etats généraux provoque « une fureur de parler inconcevable », selon l’expression d’Adrien Duquesnoy, député du Tiers. Mercier évoque plus tard « la manie de parler, la rage d’écrire ». Puisque la monarchie absolue se caractérisait par la décadence du genre délibératif et la confiscation de l’information, par la limitation du droit d’expression et la censure de l’imprimerie, la « régénération » du pays devra passer par la liberté de la parole et de la diffusion. L’explosion de la presse et des brochures, la multiplication des clubs et des assemblées, dans toutes les régions du pays et dans toutes les couches de la société, comportent pourtant le risque d’une contradiction interne. П n’y a pas de liberté sans un ordre, une règle. Comment réunir au niveau national des centaines de représentants et leur permettre de s’entendre ? La disposition des salles substitue ainsi à la théâtralité monarchique une topologie qui assure la circulation de la parole ; il ne s’agit pas seulement d’architecture et d’aménagement, mais aussi d’acoustique et de réglementation du temps de parole sous le contrôle d’un président, d’équilibre entre séances publiques et grou­ pes de travail ou commissions. Le député Bouche, dès le 4 août 1789, tout « en donnant de justes éloges aux talents des nombreux orateurs de l’Assemblée », proposait de limiter chaque intervention à cinq minutes ; la motion fut repoussée, mais il fut décidé que les orateurs devaient s’inscrire pour ou contre chaque projet et l’ordre de parole déterminé pour faire alterner appro­ bation et critique. Jusqu’où devait-il être permis au public d’assister aux séances, de manifester approbation ou mécontentement, à des délégations, plus ou moins massives, de venir apporter témoignages ou revendications au sein même de l’Assemblée ? Les choix politiques qui privilégient la démocratie directe ou, au contraire, représentative, s’expriment dans les règlements successifs qui soumettent les députés à la pression de la rue ou bien en protègent une Assemblée refermée sur elle-même. Si la présence du public est limitée à quelques tribunes, la publicité des débats doit être assurée par la transcription intégrale des discours et des discussions, grâce au logographe, ancêtre de la sténo­ typie, qui mobilise une série de secrétaires. La publication des comptes rendus autorise également un décalage entre ce qui est dit effective­ ment et ce qui est publié ensuite. Au-delà de toutes ces questions matérielles qui renvoient à des conceptions différentes de la démocratie, l’immense prise de parole

révolutionnaire est traversée par une inquiétude sur le statut de la parole : Comment dire vrai ? Comment parler efficacement ? La vérité et l’efficacité paraissent menacées par l’abus des mots. « Qu’est-ce que l’éloquence ? L’art de tromper les hommes en leur faisant aimer l’erreur, un moyen sûr aux intrigants d’obtenir des succès et le fléau de la liberté », affirme Lequinio dans Les Préjugés détruits (1792). La philo­ sophie des Lumières avait condamné la théologie comme un faux savoir, un pur luxe verbal sans rapport avec la réalité, l’imposteur et le tyran apparaissaient alors comme de beaux parleurs qui monopolise­ raient la vérité et ne restitueraient au peuple que des mots vides. Le débat cristallise autour de deux thèmes : la liberté politique moderne ne doit-elle pas se passer des ornements scolaires de la rhétorique pour faire retour à une parole naturelle et pleine ? Ne doit-elle pas plutôt renoncer à la parole publique pour privilégier la communication écrite et la réflexion sur des textes ? Toute parole révolutionnaire se trouve prise entre deux silences, celui d’une tyrannie qui ne tolérerait nulle discussion et celui d’un héroïsme qui se passe de mots. Montaigne déjà se moquait du caquet et de la parlerie de ses anciens collègues. Rousseau s’en prend à la « philosophie parlière », l’époque invente le néologisme partage. Divers types d’arguments justifient ce pré­ jugé contre la rhétorique. Dérivant de Descartes et de Locke, le pre­ mier est rationaliste, il privilégie l’expérience ou l’évidence au détri­ ment des mots et des discours tout faits. L’expérience mènerait à la connaissance directe de la nature alors que les théories et les livres anciens multiplieraient les hypothèses et les sources de conflit. La vérité est une et l’erreur multiple. De même que les Lumières ont admiré la simplicité de la loi de la gravitation universelle par laquelle Newton aurait énoncé le principe du système de la nature, la Révolution rêve de la loi universelle dont la simplicité lapidaire pourrait être gravée au fronton des temples et des assemblées. L’architecture utopique de la fin du XVIir siècle associe l’une et l’autre : Claude-Nicolas Ledoux édifie sur le papier un cénotaphe à Newton sous la forme d’une sphère monumentale et des palais pour les assemblées qui utilisent le même alphabet des formes géométriques premières. Lorsque Anacharsis Cloots s’en prend aux Réflexions sur la Révolution de France d’Edmund Burke, il prétend opposer au bavardage de son adversaire, défenseur des différences et des coutumes, l’évidente simplicité d’une position uni­ versaliste : « Ma concision déconcerta sa diffusion, mon laconisme fut la hache de ses longues périodes, ma véhémence le guérira de son arrogance. » La concision rationnelle rejoint le jaillissement émotif, dans une même méfiance à l’égard des mots et des formes. Celle-là recherche la

formule ou l’équation dont la simplicité garantisse l’universalité, celui-ci se reconnaît dans le cri dont la violence dise l’authenticité. C’est Vol­ taire qui lance Le Cri du sang innocent, au roi très chrétien en son conseil (1775) à propos du chevalier de La Barre. A l’approche de la Révolution, les brochures qui portent ce type de titre se multiplient, tout comme les poèmes et les romans sentimentaux (Fontanes publie dans YAlmanach des muses en 1778 « Le Cri de mon cœur » et, l’année suivante, Loaisel de Tréogate intitule un roman La Comtesse d’Alibre ou le cri du sentiment). Le cri marque l’urgence, le péril en la demeure, l’impossibilité de différer. La conversation aimait le trait d’esprit, la pointe, le mot ; l’antirhétorique révolutionnaire résume en un cri le scandale des injusti­ ces et l’appel au soulèvement pour réformer le pays, c’est le slogan, le mot d’ordre. Les devises qui ornent les drapeaux ou les monuments, les formules qui scandent les refrains des chansons aussi bien que les dis­ cours ou les articles se veulent pure efficacité linguistique. Le mot d’esprit offre à admirer la subtilité d’un brillant causeur, le mot d’ordre montre la tâche à accomplir, le combat à mener. L’un se veut au-delà du discours comme un raffinement de la culture, l’autre en deçà, vérité première de la nature humaine. La tradition rhétorique donne un nom à cet idéal qui s’affirme contre refus de toute rhétorique. Dans ses Leçons d'histoire professées en Гап III dans la toute nouvelle École normale, Volney dénonce le vice majeur de l’éducation française : « On apprend aux hommes à parler, on devrait leur apprendre à se taire ; la parole dissipe la pensée, la méditation l’accumule ; le partage né de l’étourderie engendre la dis­ corde, le silence, enfant de la sagesse, est l’ami de la paix. Athènes l’éloquente fut un peuple de brouillons, Sparte la silencieuse fut un peuple d’hommes posés et graves ; et ce fut sans doute pour avoir érigé le silence en vertu que Pythagore reçut des deux Grèces le titre de sage. » C’est dans l’esprit de ce laconisme et de cette vertu Spartiate que Saint-Just définit son éducation et sa politique idéales. Les Institu­ tions républicaines expliquent que les enfants doivent être « rigoureuse­ ment formés au laconisme du langage », qu’il doivent être élevés « dans l’amour du silence et du laconisme et dans le mépris des rhéteurs ». Mépris des rhéteurs qui ne va pourtant pas jusqu’à la suppression des prix d’éloquence, accordé désormais « à celui qui aura proféré une parole sublime dans un péril, qui, par une harangue sage, aura sauvé la patrie, rappelé le peuple aux mœurs, rallié les soldats ». Dans cette logique, Saint-Just rêve d’un gouvernement révolutionnaire qui par­ vienne à s’affranchir de la bureaucratie, de ce « monde de papier » qu’est le ministère. « Il est impossible que l’on gouverne sans laconisme. »

« Avez-vous vu des orateurs sous le sceptre des rois ? Non. Le silence règne autour des trônes ; ce n’est que chez les peuples libres qu’on a souffert le droit de persuader ses semblables. » Au moment de perdre la parole, le pouvoir et la vie en même temps que son maître et ami Robespierre, Saint-Just retrouve l’alliance traditionnelle entre parole publique et liberté. Le laconisme, la volonté de couper court aux discours menacent en effet la démocratie qu’ils prétendaient servir, ils substituent au débat une unanimité a priori, écartent le corps social au profit de ceux qui s’en veulent les moniteurs et les porte-parole, réinstaurent une imperatoria brevitas qui n’est que despotisme. La parole elle-même telle que la pratiquaient les Anciens reste-elle le modèle que doit suivre l’Europe de la fin du XVIIIe siècle ? C’est Benjamin Constant qui au début de la Restauration distinguera avec le plus de netteté la liberté des Anciens, exercice collectif du pouvoir, et la liberté des Modernes, garantie accordée aux individus. De façon similaire, Con­ dorcet, dès son Rapport sur Гinstruction publique en 1792, oppose une élo­ quence antique, faite d’entraînement, et une éloquence moderne qui nécessite le raisonnement. « Démosthène, à la tribune, parlait aux Athéniens assemblés ; le décret que son discours avait obtenu était rendu par la nation même, et les copies de l’ouvrage circulaient ensuite lentement parmi les ora­ teurs ou leurs élèves. Ici, nous prononçons un discours non devant le peuple, mais devant ses représentants ; et ce discours, répandu par l’impression, a bientôt autant de juges froids et sévères qu’il existe en France de citoyens occupés de la chose publique. »’ A la démocratie directe correspondait une éloquence de l’oralité et de la présence ; à la démocratie parlementaire des temps modernes doit correspondre une éloquence de l’écriture et de la médiation par l’objet imprimé. Condor­ cet et les autres héritiers des Lumières engagés dans la Révolution arti­ culent les progrès de l’esprit humain autour de deux événements capi­ taux, la découverte de l’imprimerie et le soulèvement de 1789. Le premier d’entre eux fait échapper l’homme à la fatalité des cercles répétitifs, il permet de fonder un progrès linéaire ; le second lui restitue les droits politiques qui seraient naturellement les siens, grâce auxquels il lui devient possible de prendre en main la transformation de la vie collective. L’imprimerie assure une solidarité rationnelle entre les géné­ rations ; l’imprimerie et la liberté assurent une cohésion entre tous les citoyens appelés à devenir électeurs. D s’agit alors moins d’émouvoir et d’entraîner que d’argumenter et d’éclairer. 1. Condorcet, Rapport et Projet sur l’organisation générale de l’instruction publique, éd. Gabriel Compayré, Paris, Hachette, 1883, rééd., Paris, Édilig, 1989, p. 108.

« Pesez toute l’influence que ce changement dans la forme des consti­ tutions, toute celle que l’invention de l’imprimerie, peuvent avoir sur les règles de l’art de parler, et prononcez ensuite si c’est aux premières années de la jeunesse que les orateurs anciens doivent être donnés pour modèles. »‘ En note, Condorcet enfonce le clou et condamne un certain enseignement rhétorique traditionnel : « Hâtons-nous donc de substituer le raisonnement à l’éloquence, les livres aux parleurs, et de porter enfin dans les sciences morales la philosophie et la méthode des sciences physi­ ques. » Aux deux silences de la tyrannie et de l’unanimité s’en adjoint un troisième, celui de la lecture individuelle, loin du forum, dans un for inté­ rieur qui est sans doute gage de liberté au sens moderne du terme. A l’inégalité physique des orateurs plus ou moins capables de se faire entendre dans des salles où les moyens pour porter la voix restent rudi­ mentaires, aux prestiges d’une rhétorique qui peut toujours être mise au service du mensonge, Condorcet préfère l’argumentation imprimée et la réflexion individuelle du citoyen. Le déploiement de l’éloquence durant la Révolution française ne prend son sens que par rapport à ces soupçons qui pèsent sur elle, et son rayonnement au-delà des frontières nationales, en Italie et en Allemagne en particulier, dépend de la vie propre des tra­ ditions rhétoriques dans chacun de ces pays. Plus largement, c’est toute la définition de notre culture et de ce qu’on prend alors l’habitude de nommer littérature qui est en jeu dans le débat sur la parole et la liberté. On crédite souvent Mme de Staël d’avoir apporté, dans le domaine francophone, avec De la littérature, considérée dans ses rapports avec les institutions sociales en 1800, une nouvelle définition de la littérature, conçue comme l’art de penser et de s’exprimer, « c’est-à-dire renfermant en elle les écrits philosophiques et les écrits d’imagination, tout ce qui concerne enfin l’exercice de la pensée dans les écrits, les sciences physiques exceptées ». Près d’un quart de siècle plus tôt, Mercier avait donné un titre similaire à un essai, De la littérature et des littérateurs (1778), suite et élargissement de Du théâtre (1773). Il y définissait la littérature comme une mission morale et civique, impliquant le refus des belles-lettres et de la rhétorique. Il y condamnait doublement le classicisme, en tant qu’académisme appau­ vrissant, anémiant, accusé de réduire les différences au nom d’un uni­ versalisme abstrait, et en tant qu’art monarchique, lié à l’absolutisme. Le traité de Mercier réunit en France l’ensemble des thèmes qui traver­ sent l’Europe de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Contre une pratique littéraire qui serait reprise d’un code ou varia­ tion sur des modèles, il revendique les valeurs de l’originalité, que ce soit 1. Ibid., p. 109.

celle des individus ou celle des peuples. Il ne s’agit plus d’imiter, mais de créer. L’écrivain classique prétendait s’inscrire dans une tradition lui permettant d’atteindre à une nature universelle et intemporelle. L’écrivain de la fin du XVIir siècle ne se réfère aux Anciens ou à la nature que comme à des antimodèles au nom desquels il peut se libérer des contraintes formelles et des normes institutionnelles. L’idéal n’est plus alors celui d’une conformité, mais d’une authenticité, plus celui d’une perfection, mais d’une intensité. Les Conjectures on original composition d’Edward Young, parues en anglais en 1759, sont traduites à travers toute l’Europe, en particulier en France par Le Tourneur, l’adaptateur de Shakespeare, et en Allemagne où l’esthétique nouvelle n’a pas à bousculer une tradition scolaire et académique solidement établie. Les traductions allemandes se succèdent durant toute la fin du siècle tandis que s’impose le mouvement des Stürmer qui a été reconnu et constitue un moment de l’histoire de la littérature allemande. En revanche, les écri­ vains qui, autour de Mercier, pourraient se réclamer d’un Sturm und Drang à la française ont été efficacement refoulés de leur vivant d’abord, ensuite par une histoire littéraire, héritière de la tradition rhétorique. Linguistiquement, les Stürmer refusent l’idée d’une langue susceptible d’atteindre un équilibre et une perfection, ils croient à la créativité per­ manente du langage qui ne cesse d’inventer des mots et des formes. Aucune académie, aucune élite sociale ne peut revendiquer une langue plus pure. Refluent alors dans la littérature française les archaïsmes, les expressions exclues un siècle et demi plus tôt comme populaires, triviales ou techniques. L’épanouissement de la langue de Bernardin de Saint-Pierre et de Chateaubriand, capable de dire les faunes et les flores exotiques, a partie liée avec la vulgarité d’un Rétif de La Bretonne, Rousseau du ruisseau qui fait entendre la langue des paysans d’Auxerre aussi bien que celle du petit peuple parisien, ou la pornographie d’un Sade, faisant alterner dans ses textes le vocabulaire des bordels et celui de l’abstraction philosophique. Les termes vulgarité et pornographie sont d’ailleurs des néologismes de l’époque. Poétiquement, les Stürmer ne reconnaissent plus la hiérarchie des genres, réglementés par les arts poé­ tiques. A la suite du drame, ils expérimentent des formes théâtrales qui subvertissent l’opposition du comique et du tragique, mais aussi du noble et du bas. Du roman par lettres au recueil de nouvelles ou de pro­ menades urbaines (le Tableau de Paris de Mercier, par exemple, ou Les Nuits de Paris de Rétif de La Bretonne), ils valorisent les formes éclatées qui mêlent la fiction à la réflexion théorique, l’invention romanesque à l’aveu de soi. Se réclamant de Montaigne ou de Rousseau, les essais et confessions se multiplient qui ne tirent leur justification littéraire que d’une urgence, d’une émotion individuelle à exprimer et transmettre.

L’œuvre n’est plus pensée comme un tout visant une perfection capable de résister au temps, mais comme une parole sans cesse transformée par le temps, une énergie en perpétuel mouvement. Le journalisme comme soumission à la discontinuité temporelle ou bien réponse au défi qu’elle représente fournit un modèle au journal intime qui se constitue en genre littéraire à travers les carnets de Lavater, de Maine de Biran ou de Constant, et à ce qui va devenir le roman-feuilleton et le reportage. Avec la mise en cause du modèle rhétorique, c’est une certaine république des lettres qui se défait à la fin du XVIIIe siècle, tandis qu’émergent les littératures nationales. En 1800, Mme de Staël propose dans De la littérature une conciliation entre la tradition classique et la novation romantique, elle entérine aussi la relativité du goût et l’impossibilité de fixer des règles étemelles de la parole et de l’écriture. Autour d’elle, le groupe de Coppet, réunissant Suisses, Français, Alle­ mands, Italiens, etc., théorise la diversité des cultures européennes et la nécessité de les penser historiquement. П n’est plus désormais de littéra­ ture que plurielle et nationale. De même que l’histoire naturelle suc­ cède au système tabulaire des espèces comme modèle scientifique, de même, l’histoire des littératures prend la place de la rhétorique. Il fau­ dra encore un siècle pour que cette mutation se traduise dans l’enseignement français. Une page de cette histoire se tourne avec la parodie de l’ancienne rhétorique mise en scène dans Les Cent Vingt Jour­ nées de Sodome, l’œuvre alors impubliable de Sade. Les quatre libertins qui se réunissent dans un château perdu de la Forêt Noire ressemblent à tous les devisants ou convives qui, de la Renaissance à l’âge classique, se sont écartés du monde pour mieux jouir du plaisir de bien dire. Au cœur du château se trouve un « cabinet d’assemblée, destiné aux nar­ rations des historiennes », c’est-à-dire à la parole souveraine. Mais les récits qui se succèdent durant quatre mois déroulent la litanie des pires perversions sexuelles de l’être humain, dans un langage de la plus radi­ cale obscénité. Rien ne peut être narré sans que les auditeurs entre­ prennent de l’expérimenter, débordant la parole dans un passage à l’acte au-delà des mots, au-delà même du cri - de jouissance ou de souffrance, si la différence subsiste encore dans l’horreur. « Ce n’est pas une petite affaire, messieurs, que de s’énoncer devant un cercle comme le vôtre ; accoutumés à tout ce que les lettres produisent de plus fin et de plus délicat, comment pourrez-vous supporter le récit informe et grossier d’une malheureuse créature comme moi, qui n’ai jamais reçu d’autre éducation que celle que le libertinage m’a donnée ? »’ La 1. Sade, Les Cent Vingt Journées de Sodome, Œuvres, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade», 1990, t. I, p. 55 et 80.

maquerelle qui, la première, prend la parole obéit à la loi de la captatio benevolentiae, l’outrance de son maquillage et de ses bijoux, en ce temps de simplicité et de retour à la nature, marque la parodie de l’ornement classique. Son récit se révèle proprement «informe et grossier». H ruine la rationalité et la rhétorique classiques. L’œuvre de Sade est le symptôme d’une révolution dont la Révolution française n’est sans doute que le versant politique et social.

BIBLIOGRAPHIE

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AURELIO PRINCIPATO

21 ~ L’éloquence révolutionnaire : idéologie et légende

Le Bicentenaire de la Révolution française a suscité peu d’efforts mani­ festes pour reconsidérer l’éloquence des grands protagonistes selon le point de vue que suggèrent non seulement l’approche actuelle des his­ toriens de la rhétorique, mais encore la consultation des documents de l’époque. Ainsi, les historiens contemporains ont perdu de vue l’image déformée qu’ils en avaient héritée, et qui pourrait être résumée par les mots de Pierre Trahard (p. 178) : Un choix, souvent habile, isolant quelques « morceaux à effet » et quel­ ques phrases à l’emporte-pièce, crée une tradition littéraire dont l’artifice saute aux yeux : l’éloquence révolutionnaire est ramenée à la voix toni­ truante de Danton, aux gamineries géniales de Camille Desmoulins, à la froideur compassée de Robespierre, aux glapissements de Marat, aux sonorités lyriques de Vergniaud..., et il est entendu, a priori, que cette élo­ quence participe de l’antique et du néoclassicisme, mais se réchauffe à la flamme du patriotisme le plus ardent. Les Assemblées tremblent d’admira­ tion, le public applaudit, les lois sont votées dans un enthousiasme que sus­ cite un verbe irrésistible.

La réflexion des dernières années a pourtant confirmé l’importance de l’approche rhétorique. Parmi les principaux ouvrages de référence, citons le livre de Gumbrecht (1978), les recherches de J. Guilhaumou, l’important Colloque d'Edimbourg (Renwick, éd.), et encore l’utile mise au point de Brasart sur les assemblées représentatives. Ces travaux montrent toutefois que l’exploration systématique des discours et des caractéristiques des différents orateurs n’est plus une entreprise de notre époque, si éloignée de celle d’Aulard, qui avait pu tenter cette étude d’ensemble. H ne s’agira donc pas ici d’étudier directement Y éloquence révolution­ naire, qui en elle-même est un objet inabordable (cf. France, 1985) à

cause de son caractère à la fois inépuisable et éphémère. Elle dépasse largement, en effet, le théâtre de l’Assemblée législative ou de la Con­ vention. La plupart des actes de parole orale qui la constituèrent sont perdus. Ce dont il nous reste la trace écrite, les discours sur lesquels nous travaillons, ce sont des textes sténographiés à la hâte, ou remis en bonne et due forme, et pas toujours par les auteurs, qui parfois ne les avaient même pas prononcés. Sans arriver aux affirmations de Trahard (p. 180), selon lequel la valeur historique de ces discours «n’est guère plus grande que les discours de Tite-Live ou du Condones », nous savons que les textes que nous possédons sont extrêmement infidèles. Pour voir jusqu’à quel point, il suffit de collationner les comptes rendus du Moniteur, ou le recueil de la Pléiade par Furet et Halévy, ou les discours reproduits par les différents historiens. Et en ce qui concerne Vactio ou l’atmosphère des débats, elles se sont évanouies, à l’exception de l’idée que donnent du tumulte effectif les interruptions signalées par les procès-verbaux de séance. П ne sera pas question non plus, à proprement parler, de l’influence de la Révolution sur l’histoire de la rhétorique, parce que, au contraire de la première, une enquête de ce genre se révèle dès l’abord assez décevante. Tout en se gardant des positions trop générales, on peut constater d’emblée qu’à l’explosion de l’éloquence politique ne corres­ pond pas une élaboration théorique adéquate. C’est que les hommes de la Révolution étaient trop près des choses. Comme Fabrice à Waterloo, ils possédaient une vision fragmentaire de l’événement vécu que seule la littérature ou l’historiographie de la postérité pourront se charger de rendre organique1. L’effet de la Révolution française est surtout évident dans la pra­ tique oratoire, et l’on a du mal à cerner des répercussions directes dans le continuum de la tradition des traités d’Ancien Régime. La résurrection de l’éloquence politique comporte, bien sûr, toute une discussion sur les modes et les règles des débats parlementaires, qui sera poursuivie plus tard par la pensée libérale - je ne citerai, à ce propos, que les écrits politiques de Benjamin Constant. Mais il s’agit, là aussi, d’un déplace­ ment sur la pratique, qui marque un divorce évident avec la prétention de traiter de la « science de la parole ». Par contre, il faut remarquer (Sermain, 1989) l’absence, tout au long de la période révolutionnaire, de traités français originaux ou marqués par l’événement, à l’exception de celui de Droz (Essai sur Part oratoire, 1800). Plus intéressantes, les grandes options débattues dans les rapports des députés et aux Séances des Ecoles normales, concernent le rôle que doit 1. La comparaison est suggérée par Paulson, p. 27.

jouer l’éloquence par rapport aux discours d’assemblée, ou à l’éduca­ tion du peuple, ou, au contraire, la question de savoir si elle doit rester confinée dans la littérature - et cela à une époque où se dessinent les contours de plusieurs sciences modernes. Mais l’effet sur l’histoire de la rhétorique peut être également esquissé comme le souvenir et l’écho de la Révolution, en tant qu’événement de parole, chez les contemporains et aux époques sui­ vantes. C’est par ce biais qu’on peut rendre compte d’abord des raisons d’un retentissement aussi limité dans les traités et dans la réflexion théorique en général, et, par la suite, de sa présence capitale dans la mémoire historique des Français. L’œuvre romantique a « sculpté » les grandes figures de Mirabeau et des autres orateurs de telle façon que l’image de l’éloquence révolutionnaire est entrée dans notre mémoire comme une « galerie de statues » (Starobinski, p. 428), accompagnée et comme doublée par une inépuisable iconographie au sens propre du terme. Nous serons donc amenés à sortir d’un cadre chronologique res­ treint aux années de la Révolution et à celles qui la suivent immédiate­ ment, afin de distinguer quatre phases dans la réception de l’éloquence révolutionnaire. La première est liée à l’époque des événements, quand le jugement sur la nouvelle éloquence délibérative n’est que d’ordre idéologique, car il reflète la position de l’homme de lettres dans l’affrontement poli­ tique. Cette première phase, qui durera au moins jusqu’à Thiers, est caractérisée par l’hostilité manifeste à l’égard des aberrations révolu­ tionnaires dans l’emploi du langage, et par la persistance de la menta­ lité rhétorique d’Ancien Régime. La seconde phase, sur laquelle nous nous rapporterons au témoi­ gnage de Chateaubriand, ne sert, comme nous le verrons, que de pas­ sage vers la troisième : l’époque romantique, qui est la plus importante, parce que l’idée que nous nous faisons aujourd’hui de l’éloquence révo­ lutionnaire dérive principalement, par-delà le filtre de l’enseignement scolaire, du mythe que construisirent les écrivains romantiques et notamment des historiens comme Michelet. La quatrième phase sera alors celle de la correction progressive, par différents biais, de la légende oratoire tissée par les récits romantiques de la Révolution. Cette opération débute, en un certain sens, avec Taine, et continue encore de nos jours. H s’agit donc de suivre l’évolution de l’idée de l’éloquence révolu­ tionnaire, à partir des écrivains qui vécurent les événements, tout en gardant, comme « point de fuite » de cette perspective, le regard

« scientifique » appliqué actuellement au phénomène par les historiens de la rhétorique. 1. Dans le cadre d’une mentalité rhétorique persistante - mesure du langage, conformité entre les mots et les choses, dominance du critère de vérité résumé par la notion classique de prepon, parole conçue comme logos agissant sur la doxa - deux idées semblent dominer les dis­ cours que les contemporains tenaient sur l’éloquence révolutionnaire, au moment où ils la vivaient. La première, positive, se rattache à l’enthousiasme collectif provo­ qué par un discours agissant, par un mot d’ordre énergique, etc. Pour expliquer et pour exalter ces ambiances, les textes ont recours constam­ ment aux métaphores galvaniques. Les mots d"électrisation et d"électrisé, exprimant le grand mouvement d’empathie d’un auditoire, reviennent sous toutes les plumes, de Bailly ou Mallet du Pan à Mme de Staël1. Non seulement cette métaphore courante évoque les découvertes récentes, mais elle réaffirme aussi la centralité du rapport entre le phy­ sique et le moral dans la pensée des Lumières à son crépuscule. Dégagée de ce résidu d’idéologie, l’image survivra dans le mythe romantique (par ex. chez Hugo, Napoléon le petit, p. 90). L’autre idée dominante, négative cette fois, est de s’attaquer en général à 1’ « abus des mots », tenu pour responsable d’un nouveau despotisme : argument qui « se prêtait à soutenir tous les points de vue »1 2. D’un côté, il dérivait en droite ligne de la pensée linguistique des Lumières, là où elle dénonçait la rhétorique comme moyen d’oppression du peuple. Les Jacobins qui prétendent « révolutionner » la langue, reprennent en fait les thèmes de la linguistique sensualiste : l’idée d’une langue transparente et univoque, tendant à la perfection mathématique, s’opposant à l’obscurité des patois et aux courtisaneries de l’Ancien Régime, relève de l’apport déterminant des héritiers de Condillac, et notamment des Idéologues, à la philosophie révolution­ naire du langage. De l’autre côté, 1’ « abus des mots » est le leitmotiv exploité d’abord par les contre-révolutionnaires3, bien avant d’être repris par Mme de 1. Cf. Brasart, p. 73, Trahard, p. 9, Principato, p. 115-116. L’Abréuiateur universel le 7 frimaire de l’an III (27 septembre 1794) note l’abus d’« électriser, électrique, électricité en littérature, en morale et en politique » (Brunot, t. II, p. 597). 2. V. U. Ricken, « Les dictionnaires et l’image de la Révolution », in Vovelle (éd.), I, p. 325-335 ; sur ces questions, voir aussi Sermain, 1986 et 1989. 3. Ce sont les libellistes et les « dictionnaires » contre-révolutionnaires qui déclarent la guerre du langage, comme le fait très bien remarquer Ph. Roger (« The French Revolution as “Logoma­ chy” » , in Renwick (éd.), p. 4-16). Ils continuaient donc la linguistique des Lumières, qu’ils détes­ taient, alors que leurs adversaires s’appuyaient sur la mythologie du « pouvoir des mots ».

Staël. Le pamphlet si souvent cité de La Harpe {Du fanatisme de la langue révolutionnaire, 1797) fait partie d’un projet polémique plus vaste: la Révolution a corrompu la parole, mais elle a d’abord corrompu la langue, et, évoquant le massacre de la Saint-Barthélemy, adoptant un ton violent dans ses reparties, Mirabeau lui-même a introduit des « innovations » pernicieuses (Laurentie, p. 305-306). L’insistance sur le langage bas de la Révolution, et la facilité avec laquelle les orateurs démagogues recourent aux expressions évoquant le meurtre, expriment bien, en France, la perception d’une sorte de « péché capital » de la parole. Il est intéressant de comparer à cette perception confuse un point de vue plus éloigné des événements, celui de Burke, qui se montre bien conscient du rapport entre l’émergence du langage populaire et la libération des bas instincts humains. Cela a été analysé notamment à propos des pages célèbres des Reflections qui concernent Marie-Antoinette et les actes humiliants qu’elle subit lors des journées des 5 et 6 octobre 1789. On a aussi remarqué à la même époque chez Burke la recherche d’un style bien éloigné des conventions parlementaires anglaises, et l’adoption de métaphores colorées et populaires1. Par contre, en France, l’argument de 1’ « abus des mots » alimente la réflexion qui accompagne la renaissance de l’éloquence délibérative et qui met en jeu la continuité ou la rupture avec la tradition rhéto­ rique. Dans un premier moment, un élément de la rupture est consti­ tué par la Révolution conçue comme « Révélation » : idée qui com­ porte l’interversion du « rôle pédagogique » entre le roi et le peuple. Lambert {Opinion et projet de décret pour la translation des séances de PAssemblée nationale [...] au Louvre, cité par J.-Cl. Bonnet, p. 193) imagine « une loge grillée pour le roi et le prince royal, afin qu’ils puissent, toutes les fois qu’ils le voudront, venir entendre des vérités toutes entières et toutes nues ». J. Starobinski (p. 458) rappelle une manifestation immédiate­ ment antérieure à la Révolution, et encore plus anticipatrice, de cette aspiration à une éloquence « dévoilante », qui « exprime à merveille l’attente d’un règne de la lumière, et préfigure déjà certaines interpré­ tations romantiques de l’éloquence révolutionnaire ». L’opinion opposée, face à la résurrection de l’éloquence délibéra­ tive, est celle de la dégénérescence de la parole. La méfiance envers le peuple amène la plupart des écrivains, de Necker à Thiers, à voir la démagogie partout. Alors que Michelet et Lamartine (I, p. 132) parle­ ront, pour les clubs et l’éloquence de la rue, de « ce que l’air libre est à I. Paulson, p. 60-62 ; M. Fuchs, « Aux sources de l’imaginaire contre-révolutionnaire : Edmund Burke », in Vovelle (éd.), II, p. 1121-1128.

l’air renfermé », différentes affirmations de l’époque révolutionnaire vont dans un sens complètement opposé. Marmontel met l’avis suivant dans la bouche de Chamfort : « Sachez que tous nos orateurs de la tri­ bune ne sont rien en comparaison des Démosthènes à un écu par tête, qui, dans les cabarets, dans les places publiques, dans les jardins et sur les quais, annoncent des ravages, des incendies, des villages saccagés, inondés de sang, des complots d’assiéger et d’affamer Paris. C’est là ce que j’appelle des hommes éloquents» (cité par Laurentie, p. 291). Ce qu’on retrouve dans cette querelle, c’est bien entendu le lieu commun de la « mauvaise » rhétorique des adversaires. On ne sera pas étonné de lire chez Necker (De la Révolution française, 1797) ou chez sa fille, chez Constant, dans les Mémoires de Marmontel, chez La Harpe et beaucoup d’autres, des appréciations radicalement négatives portées sur la parole révolutionnaire. Les arguments sont rendus explicites, les artifices dénoncés. L’éloge de l’adversaire fait que les seuls portraits oratoires vraiment développés sont ceux des ennemis politiques. Mais la description de l’art de persuader, orientée selon la position politique du rapporteur témoin, et présentée par conséquent sous une couleur hostile, perd beaucoup en crédibilité. Ainsi, pour Sénac de Meilhan, Necker est « souvent ingénieux et quelquefois éloquent », alors que « Mirabeau, plus fort, plus nerveux dans son style, est supérieur par la logique, par l’art de se rendre maître des questions, le talent de les approfondir» (p. 274-275). C’est exactement le contraire de l’image romantique de cet orateur. L’évolution des rapports de pouvoir et par conséquent le succès alternant, au cours de l’histoire révolutionnaire, de différents types d’éloquence, nous suggèrent aujourd’hui l’idée d’un mouvement très naturel qui porte, grosso modo, d’une éloquence « théâtrale » à son refus. Sans briller en termes d"actio ni d"elocutio, sans « électriser » l’auditoire à l’instar de Mirabeau, l’incorruptible dénonçait, avec les complots eux-mêmes, les artifices des orateurs qui voulaient tromper le peuple. Comparée aux vices de son prédécesseur, la « vertu » de Robespierre constituait à elle seule la garantie de sa parole. Il y a donc ici transition de l’éloquence suscitatrice de pathos à une éloquence fondée sur Vethos. On pourrait rappeler à ce propos la méfiance affichée par Condorcet envers l’éloquence dans le Rapport de 1792 (p. 207-208). En fait, le seul Mirabeau sera élevé, dans l’opinion publique contemporaine, «au-dessus de tous les orateurs modernes»1. Les Bar1. Mirabeau peint par lui-même, ou Recueil des discours qu’il a prononcés..., Paris, 1791, «Avis de l’éditeur ». La renommée oratoire de Mirabeau ne fait qu’un avec sa « panthéonisation ». Par contre, il faudra attendre la fin de la Restauration pour trouver des recueils de discours consacrés à d’autres protagonistes des assemblées révolutionnaires.

nave, les Vergniaud et notamment les Danton et les Robespierre ont beau se réclamer des modèles antiques, ils sont loin de voir leur gloire consolidée et consacrée comme s’ils étaient les Démosthènes et les Cicérons français. Les affirmations de Louis-Sébastien Mercier en ce sens semblent assez isolées. L’orateur, comme l’a montré J. Guilhaumou, «jouait plutôt le rôle du antihéros ! ». En revanche, le débat qui aura lieu après Thermidor, dans les « séances des Écoles normales », aura pour protagoniste La Harpe, préconisant la nouvelle fondation de l’éloquence, en contraste avec l’opinion de Garat, qui affirmait son progrès parallèle à celui de la philosophie. Pendant la Restauration, si l’on excepte toujours Mirabeau, le mythe des grands orateurs n’est pas encore constitué. Ce sont les « modérés » et les « contre-révolutionnaires » qui esquissent une pre­ mière forme d’histoire de l’éloquence depuis 1789, et celle-ci s’inscrit dans le poncif mythique de la décadence. Laurentie représente bien cette opinion : « Nous avons tant abusé de l’art de la parole, nous avons tellement profané ce don sublime, qu’il est, en ce moment, nécessaire de faire revivre les pensées des sages de l’Antiquité, mais sur­ tout de les faire revivre dans toute la pureté de leur propre expression » (p. 3). Cette idée est au fond empreinte des nostalgies qui amènent à magnifier le temps de Démosthène ou de Cicéron, ou celui de Bossuet et de Fénelon. Ou bien elle s’applique à la parabole même de la Révo­ lution, lorsque Chateaubriand, déjà en 1797, remarque les mutations intervenues dans la voix de Chamfort (Essai sur les révolutions, p. 123), et, plus couramment, lorsqu’il est question de la décadence entre l’Assemblée constituante, composée de grands talents de formation tra­ ditionnelle, et la Législative, où disparurent les éminentes personnalités élues aux États généraux, ou la Convention, avilie par la démagogie plébéienne. Aussi la référence au Forum antique a-t-elle servi également aux partisans de la Révolution et à ceux qui l’ont condamnée. Pour les uns, il s’agissait de célébrer la résurrection de l’éloquence politique, et, pour les orateurs notamment, d’utiliser un vaste répertoire d'exempta, comme de «jouer Y Histoire sur une scène prestigieuse » (Blanchard, p. 51). Pour les adversaires, c’est la démagogie révolutionnaire qui fait les frais de la comparaison. On serait tenté de rapporter à cette deuxième attitude le silence sur l’éloquence contemporaine dans les traités et chez les rhé­ teurs du temps de la Révolution. Ce silence relève de la dénégation, face aux grands changements que la liberté politique a apportés dans l’art de la parole. Ce n’est sans doute pas par hasard que presque tous les rhéteurs du temps de Napoléon semblent tout à fait ignorer la nouvelle éloquence

délibérative issue des assemblées révolutionnaires. Les ouvrages de la Restauration se réclament encore du modèle antique, auquel ils com­ parent une fois de plus la nouvelle éloquence populaire, au grand désa­ vantage de cette dernière, comme le fait Laurentie. Ces attitudes ne nous disent pas grand-chose quant aux modèles rhétoriques agréés. Elles perpétuent le topos des éloges du temps passé. En effet, lorsque la Révolution sera enfin acceptée dans la conscience historique, et que les valeurs changeront de signe, l’exemple négatif - citons, parmi d’autres, un ouvrage largement diffusé comme le Livre des orateurs de Timon (Louis de Cormenin) - sera désormais la médiocrité de la Chambre orléaniste ; et la référence idéale, au contraire, reviendra à la parole fondatrice, à la Révolution. De même pour Tocqueville, les frustrations de sa carrière oratoire débouchent dans les Mémoires sur un jugement sévère à l’égard des députés qui semblent occupés « à jouer la Révolu­ tion française plus encore qu’à la continuer » (cité par Starobinski, p. 475). Le mythe résistera même chez ceux qui blâment. Un Sangmer qui, au début de ce siècle, veut condamner les « passions bestiales » de la Révolution, oppose l’idéalisme d’alors à la démagogie des «Jacobins dégénérés » de son temps. Aussi, pour revenir à l’époque de la Révolu­ tion, cette idée, si souvent énoncée, de la prétendue décadence oratoire dans le passage de la Constituante à la Législative s’inscrit-elle dans le même préjugé1. Le côté « noble » de cette attitude est le sentiment diffus de la sacralité de l’organe représentatif, qui amène, tout comme pour les pré­ dicateurs d’Ancien Régime, à stigmatiser la tentation de vouloir plaire : l’Assemblée nationale doit être « un sanctuaire et non un théâtre de gloire », écrit Quatremère de Quincy dans le Journal de Paris (cité par Bonnet, p. 213). Lequinio {ibid,, p. 200-201), qui s’arrête longuement sur le « charlatanisme » et sur les tumultes parlementaires, devançant en cela les invectives de Taine, hésite entre une condamnation sans appel de la politique comme « art de tromper » et, ce qu’il confie aux notes ajoutées à son écrit, l’espoir dans la Convention républicaine, l’Assemblée nouvellement élue, et dont il fait partie {Les Préjugés détruits, Paris, 1792). П en est de même pour Mme de Staël qui, tout en détes­ tant la démagogie et la violence verbale des débats, est bien éloignée de la volonté de démystifier ce « sanctuaire ». Comme tous les gens de lettres de son époque, Mme de Staël se rapporte au modèle offert par les orateurs antiques. Comme un 1. Pour cette opinion assez répandue on peut rappeler les affirmations de Mme de Staël (1818) ou de son mari (cité par Taine, II, liv. 2, chap. 2 ; v. Brasart, p. 101).

nombre beaucoup plus restreint de ses contemporains, elle exalte l’éloquence parlementaire anglaise. La mission qu’elle attribue aux écrivains, dans De la littérature, est d’être les interprètes de la relation entre la vérité et l’enthousiasme collectif. Son idéal, comme dans les écrits qui suivront, est l’adhésion totale de l’énoncé rationnel au senti­ ment. Son modèle, en ce qui concerne aussi l’expression éloquente, est bien entendu Necker. Dans Des Circonstances actuelles qui peuvent terminer la révolution (1797), Mme de Staël manifeste une certaine confiance en l’avenir : l’élo­ quence, fondée sur la vérité, pourra triompher de l’esprit de parti. Cette confiance tend à s’effacer dans les années qui suivent l’ascension de Bonaparte. Les Considérations sur la Révolution française, publiées en 1818, tirent les conséquences de cette désillusion. Mme de Staël semble y prendre conscience du fait que l’éloquence « bonne », fondée sur l’accord entre conviction rationnelle et émotion, si elle n’existe pas qu’en théorie, est du moins désarmée face au tumulte des assemblées délibérantes, et à la violence de la démagogie. Il est significatif que l’auteur ne soit plus vir­ tuellement capable d’indiquer un seul orateur excellent et efficace à la fois. D’où le caractère laconique, sinon l’absence, dans les Considérations, des commentaires sur les discours d’assemblée, face à certaines descrip­ tions mémorables centrées sur des événements au sens propre, tels que le retour de Necker à Paris, ou la fête de la Fédération. Ce refus de la rhétorique révolutionnaire, rendu plus aigu par l’usage que Bonaparte fera des pouvoirs de la parole et de la propa­ gande, entraîne chez Mme de Staël une solution différente de celle que l’on peut constater plus généralement par ailleurs, à savoir la tentative de neutraliser la rhétorique en la repoussant vers la poétique ; Mme de Staël prépare, au contraire, le divorce entre la rhétorique et la littéra­ ture, et un nouveau mariage de celle-ci avec la politique, qui sera l’œuvre de la génération suivante.

2. L’exemple de Mme de Staël est emblématique à deux niveaux. D’un côté, elle exprime le malaise de la rhétorique traditionnelle1 - face à la crise de 89, et aux funestes effets du fanatisme verbal. De l’autre, sa réorientation vers la vie littéraire ouvre le chemin à l’esthétique. Or, il s’agit bien là d’un changement décisif dans la vision de la parole révolutionnaire, qui est l’indice d’une prise de distance, de 1. Nous n’entrons pas dans le domaine de l’éloquence du barreau ni dans celui de l’éloquence de la chaire, qui a été bien illustré par F. Bowman.

l’abandon de 1’ « esprit de parti ». C’est l’attitude qui apparaît, en France, après le 18 Brumaire, et il est significatif que ce changement se manifeste pour la première fois, dans les années précédentes, chez un observateur séparé par l’espace plutôt que par le temps. Nous faisons de nouveau allusion à Burke, qui perçoit en effet la Révolution comme un spectacle répulsif et séduisant à la fois, c’est-à-dire sublime (cf. Paulson, p. 66 sq.). Sur l’autre bord de la Manche, la Révolution, et son éloquence, ne pourront être ressenties avec la même ambivalence que par Chateau­ briand, et seulement quelques lustres plus tard. Dans les Mémoires d’outre-tombe, à côté des passages où l’on trouve encore une critique directe de la violence verbale révolutionnaire semblable à celle qui s’était exprimée chez La Harpe ou Marmontel, on observe l’éloigne­ ment progressif de cette matière. Un tel éloignement n’est pas seule­ ment temporel, car ces événements, dont on connaît les suites et les effets, sont entrés dans la mémoire, mais aussi idéologique et esthétique. Je ne citerai comme exemple qu’une page évoquant la cérémonie du 17 juil­ let 1789. Ici, la passivité du roi face aux harangues qui lui sont adres­ sées lors de la grande scène montée à l’Hôtel de Ville (dont ce discours de Lally-Tollendal que Michelet définira plus tard comme un mala­ droit Ecce homo, liv. Il, ch. I, p. 175), cette passivité porte les signes pré­ monitoires de la destinée future du roi. L’éloquence des révolutionnai­ res est décrite par Chateaubriand comme un spectacle offert au peuple, un spectacle où l’effet pathétique l’emporte sur les arguments au ser­ vice de la vérité. Avec Chateaubriand, on est déjà passé du point de vue des acteurs de la Révolution à celui des spectateurs. L’image de l’éloquence révolutionnaire passe donc par une seconde phase - encore que celle-ci vive une vie éphémère. Ce qui la caracté­ rise, ce n’est plus la contrainte produite par la lutte politique en cours, mais un regard « extérieur » qui fait de l’éloquence l’objet d’une des­ cription littéraire. C’est la littérature qui est devenue, directement, moyen de lutte politique. Dans le Génie du christianisme, Chateaubriand avait déjà réfuté l’objection, d’ordre rhétorique, qui prétendait justifier la médiocrité de cette éloquence politique par l’argument de sa nou­ veauté même. C’était plutôt l’irréligion des orateurs qui expliquait leurs grandes limites. « Les membres de la Convention [...] n’ont offert que des talents tronqués et des lambeaux d’éloquence, parce qu’ils atta­ quaient la foi de leurs pères, et s’interdisaient ainsi les inspirations du cœur. » Si Vergniaud s’était élevé à la grande éloquence en défendant la vie de Louis XVI, c’est que le sujet de son discours l’avait amené aux idées religieuses évoquées par les images des pyramides, des morts, du silence, des tombeaux (Ше Partie, liv. IV, chap. I, p. 852). Dans un

autre passage des Mémoires d’outre-tombe, au moment même où il rabaisse le mérite oratoire de Mirabeau ( « on lui fournissait des discours pour la tribune » ), Chateaubriand nous montre qu’il est entré dans un nou­ vel ordre d’idées, en donnant, pour ainsi dire, un nouveau statut à l’éloquence : « Cet homme si positif dans les faits, était tout roman, tout poésie, tout enthousiasme par l’imagination et le langage » (Ire Partie, liv. V, 12, p. 226). D’autres textes, précédant les Mémoires d3outre-tombe, témoignaient déjà de ce glissement d’ordre esthétique. Le plus significatif est le por­ trait de Mirabeau contenu dans Du Second Théâtre français de Népomucène Lemercier (1818), qui anticipe l’écrit hugolien de 1834, dont il sera question plus loin. Mirabeau y est présenté comme modèle pour les acteurs, au même titre que Le Kain, et préféré, à cause de sa puis­ sance « monstrueuse », aux grands orateurs de l’Antiquité. Dans un style plus sobre en images, Louis de Cormenin souligne la nécessité, « dans une Assemblée de douze cents législateurs, que l’orateur soit vu de loin », « que les détails de sa physionomie disparaissent dans l’ensemble ». C’est par ce recul que Mirabeau acquiert sa grandeur. On arrive ainsi naturellement à la conclusion : « Mirabeau à la tribune était le plus beau des orateurs » (p. 186). Ce passage, qui renverse la lai­ deur en attrait physique au moyen de la perspective éloignée, inspirera Sainte-Beuve, lorsque, commentant la gaucherie de Mirabeau dans l’espace restreint des salons aristocratiques, il le compare au masque de l’acteur antique : « La statue grandiose, pour que chaque trait n’en paraisse pas trop gros et exagéré », a besoin d’un amphithéâtre [Cause­ ries du Lundi, IV, p. 98-99). 3. Avec la monarchie de Juillet, les écrivains donnent essor à la légende de la Révolution. C’est la troisième phase, romantique, du pro­ cessus que nous sommes en train d’esquisser. Une nouvelle image de l’éloquence révolutionnaire est développée surtout par Michelet, mais ce sont de remarquables textes de Nodier et Hugo au début des années 1830 qui la fondent. Ses traits propres sont constitués par la dramatisation des affrontements verbaux, par la résonance que l’acte de parole éveille en tant qu’événement fatidique, par l’accentuation épique des personnalités des orateurs, qui passe par l’amplification métaphorique. La parole est liée à la survie même des orateurs. « Une séance de la Convention était une bataille ou une tragédie» (Nodier, 1831, I, p. 120 ; 1833, p. 233). L’imaginaire romantique se plaît à relever ces expédients courants et spectaculaires pour faire appel à la sensibilité de l’auditoire - Marat appuyant le pistolet sur sa tempe - utilisés dans les

moments les plus intenses du débat à l’Assemblée (comme le remarque France, 1990, p. 58 sq., dans un paragraphe consacré à Y ethos). Il se nourrit de contrastes forts : Mirabeau émergeant comme un volcan solitaire, Robespierre opposé à Vergniaud, à Danton, à Marat (par ex. Hugo, 1852, p. 91). Sainte-Beuve, qui apprécie pourtant l’éloquence réfléchie de Bamave (II, p. 22-43), voit en Mirabeau l’orateur - « qui avait promis d’être sage, et qui tout d’un coup faisait explosion » - tra­ verser la politique « comme le Rhône impétueux fertilise, enrichit et aussi parfois inonde et ravage le Comtat et la Provence ». Pour Lamar­ tine, par un renversement qui n’est qu’apparent, les extrêmes que Mirabeau incarne ou qu’il suscite, par Yénergie de son élocution ou par l’ivresse des applaudissements, coïncident avec la « mesure de l’homme d’État» {Les Hommes de la Révolution, p. 118). Une telle vision se rattache à une tentative historique d’expulser la rhétorique hors de la « vraie » littérature. On pense tout de suite aux pages que Victor Hugo écrivit en 1834 sur Mirabeau, où cette figure « gigantesque » est opposée point par point à l’idéal classique de mesure. Avec Mirabeau, comme le dira plus tard Sainte-Beuve, « tout sort des proportions ordinaires » (IV, p. 98-99). Ainsi, l’efficacité oratoire n’est plus mesurée sur le prepon de l’ancienne rhétorique, mais elle dérive de l’impulsion donnée par le mouvement collectif. Les orateurs vaincus furent ceux qui étaient en dehors du courant de l’histoire. Aux éléments constitutifs de l’élo­ quence parlementaire, Cormenin avait ajouté l’adaptation aux « besoins politiques de l’époque ». C’était une quatrième dimension, temporelle, incorporée aux règles de la convenance oratoire. Dans les grands événements, « l’expression grandit, s’anime, se courrouce, et le désordre passionné des sentiments et des idées est la plus persuasive et la plus puissante des éloquences. [...] Telle fut notre éloquence révolu­ tionnaire, qu’il ne faudrait pas juger à distance, par les règles du goût » (Timon, p. 5-7). Certains clichés récurrents et durables - on les retrouve encore chez Munier-Jolain ou Sangnier - célèbrent l’union indissoluble des mots et des faits. Les effets puissants suscités par Isnard sont opposés, par Michelet, au bellétrisme girondin (18 décembre 1791). Quant à Dan­ ton, il représente non seulement « la bataille des passions, mais la bataille des idées ». Comparée à celle de Vergniaud, la parole de Dan­ ton est l’action même, et c’est exactement ce qui le rattache au peuple, 1. A ce propos, P. France (1990, p. 63-65) observe, aux débuts de la Convention, comment certains députés ont incité à remplacer la discussion par l’unanimité, expression de la volonté du peuple entendue au sens rousseauiste.

dont il exprime le « cœur ». Même vision chez Lamartine : Mirabeau « est lui seul le peuple entier » (Histoire des Girondins, p. 34), et ses dis­ cours sont des « batailles », des « monuments de la nature » qui « agrandissent l’humanité tout entière » (Les Hommes de la Révolution, p. 116-117). Inutile d’insister sur le souffle épique du récit de Michelet comme de l’évocation hugolienne (voir encore Napoléon le petit, p. 88-89, 91). Mais le mythe romantique a des revers d’un intérêt majeur. Dans son écrit de 1834, Hugo esquisse une deuxième caractéristique de Mira­ beau : orateur sans probitas (p. 258) à cause de son passé, de ses vices (sinon « poète maudit », au moins scapigliato), il est par cela même, par ce mélange de qualités sublimes et de bas défauts, celui qui adhère au plus près de la vie, donc du Peuple et de l’Histoire. C’est une idée qui reviendra dans Napoléon le petit (p. 88), que l’on retrouvera chez Lamar­ tine (Histoire des Girondins, p. 30 sq. ; Les Hommes de la Révolution, p. 102), où Mirabeau, figure emblématique, est le prototype des révolutionnai­ res « qui participent à la fois de la double trempe de Cicéron et de Catilina ». Une fois abandonné le modèle du vir bonus dicendi peritus, le code oratoire romantique naît du mélange de styles. La définition de l’éloquence de Mirabeau ne sera plus confiée au même vocabulaire que chez Sénac ou Thiers, celle-ci sera, pour Lamartine, « lyrique et virile à la fois ». Et les discours du tribun, des « explosions moitié inspirées moitié préméditées d’éloquence» (Les Hommes de la Révolution, p. 110). Troisième aspect du Mirabeau hugolien : l’orateur, placé sous le signe des événements « tonnants » de son époque, est l’objet d’une série d’hyperboles qui expriment sa force surnaturelle. Hugo entend peindre Mirabeau par 1’ « accumulation même des métaphores ». Mais c’est l’idée d’« orage » qui est dominante. Hugo évite pourtant le stéréo­ type, présent depuis 1789, du Mirabeau-« volcan ». Ce stéréotype est important parce que le volcan est associé à l’idée même de révolution : par le cratère s’exprime la voix de l’Histoire. Depuis Louis-Sébastien Mercier, l’image est appliquée tour à tour à l’orateur que tel écrivain considère comme le symbole de la Révolution. C’est sur cette base que Michelet écrira la page superbe du portrait de Danton - cyclope, « ténébreux » volcan, élément sorti du chaos et dont émanent l’horreur, la répulsion et l’attraction, incarnation du sublime roman­ tique dans ce qu’il a de « sombre, mêlé ». Mais dans ce « sombre génie » s’exprime aussi l’avenir de la France. Et la voix de Danton résonne, en effet, tonnante, dans les espaces immenses du Champ-de-Mars ou dans ceux qui séparent les Tuileries de la « barrière du Trône ». Mais, fait capital, il ne s’exprime pas dans un langage clair, articulé. Ce monstre sublime, ce « Pluton de

l’éloquence », ne laisse entendre qu’un bruit confus et puissant, facile­ ment assimilé à la puissance tonnante de sa voix, qui se renforce avec le tocsin et le bruit du canon. Cette puissance de voix, qui fait frémir les vitres et les voûtes du club des Cordeliers, est le trait dominant qui efface toute manifestation langagière et donc toute éloquence visible. Les termes caractéristiques du génie romantique se retrouvent ainsi chez l’orateur révolutionnaire : avec Michelet s’achève la transforma­ tion de la Révolution en littérature entreprise par Nodier et par Hugo. Enfin, le mythe-Mirabeau, ce mythe actif déjà chez Mercier et Droz, contribue à mettre en valeur une sorte d’« éloquence de la repartie ». Plus que le discours élaboré et suivi, c’est l’éloquence impromptue, une rhétorique du discontinu qui s’affirme : l’orateur est vu comme un lion prêt à fondre sur sa victime. Cette éloquence de la repartie s’esquisse chez Cormenin pour atteindre sa pleine expression dans la façon dont Michelet traite le « récit de paroles ». Au lieu de procéder, comme Thiers, à la reproduction du discours, tant au style direct qu’à l’indirect, en la faisant précéder par le portrait de l’orateur ou par la description sommaire de son action, Michelet ne nous donne que les « temps forts », mêle différemment les commentaires au récit, et s’appuie sur ces phrases célèbres qui ponctuent l’histoire de la Révolution. 4. Il ne reste plus qu’à définir la quatrième phase comme celle de la démolition du mythe édifié par les écrivains romantiques. Il n’y a pas ici de ligne de clivage à proprement parler chronologique, car l’image épique de l’éloquence révolutionnaire survit encore chez des historiens récents, ainsi que dans les récits que nous avons entendus de la Révolution dans notre enfance. A sa première époque, cette démythification est liée aux noms d’Hippolyte Taine ou d’Alphonse Aulard. Ces deux historiens se démarquent de l’image épique sur deux versants opposés, et avec des résultats différents : l’attitude hostile de Taine à l’égard de l’éloquence révolutionnaire semble entraver, chez lui, l’esprit d’analyse, alors qu’Aulard, au moment même où il se propose de faire mieux connaître les différents orateurs, perpétue cette exaltation des individualités que l’on retrouve depuis Nodier. François-Alphonse Aulard a produit l’étude la plus exhaustive, sans doute la seule à l’être, consacrée à notre sujet. D se proposait l’analyse méthodique des sources, et dressait une galerie complète des différents orateurs en établissant leurs caractéristiques, et « évitant, autant que possible, les formules d’admiration et de blâme » (I, p. 4). Dans sa con­ clusion, il polémiquait à ce propos avec Taine (1886, p. 545), qu’il trai­

tait d’« écrivain d’esprit » pour avoir défini ces grandes personnalités comme « comédiens » et « cuistres à l’ivresse malsaine et grotesque ». Aulard renouvelle en fait la vision traditionnelle, tout en corrigeant cer­ taines déformations persistantes. Il reste attaché aux clichés romanti­ ques, non seulement parce qu’il continue d’opposer les orateurs en gar­ dant de forts effets de contraste, mais aussi parce qu’il perpétue l’idée qu’ils étaient des novateurs - ce qui contredit son insistance, par ail­ leurs, sur l’héritage de l’éloquence classique. L’approche « scientifique » actuelle - je pense notamment aux tra­ vaux de Peter France - semble vouloir, au contraire, effacer les con­ trastes où se plaît la narration historiographique du XIXe siècle, et ren­ voyer à 1 "actio, perdue pour nous, les particularités marquantes des différents orateurs. L’argumentation et le style n’apparaissent en effet pas trop différents entre Vergniaud et Robespierre. Mais ce qui nous manque est la partie de l’éloquence orale qui est peut-être la plus importante dans l’ébranlement d’une Assemblée révolutionnaire : Trahard (p. 180-181) remarquait la différence entre l’effet produit par la lecture du discours que Robespierre prononça le 22 juin 1791 aux Jacobins, et l’effet de ce discours tel que l’a décrit Camille Desmoulins. En fait, la description de 1 "actio est confiée au rapporteur ou à l’historien. Quant aux mouvements de la séance et à l’atmosphère des débats, nous savons bien que leur « résurrection » était précisément le but de Michelet, et nous savons aussi le rôle qu’y joue l’imagination. Ce qu’on a dit de Mirabeau représente l’exemple le plus significatif. Aulard prétendait corriger l’idée d’une agitation extrême et « animalesque » que nous avait donnée Hugo de son action à la tribune (p, 170-173). H alléguait le témoignage de Dumont, comme Brasart (p. 175) évoque aujourd’hui celui de Chateaubriand. Mais la thèse de l’immobilité de Mirabeau ne nous paraît pas moins « mythique » que celle, opposée, de son mouvement. Car on peut saisir, chez Dumont comme chez Chateaubriand, l’orateur en train d’être amplifié, statufié ! Hugo, Michelet ont par la suite travaillé sur le mythe, aidés par les récits des gens plus âgés qu’eux, et ont sauvegardé la tradition orale de la légende révolutionnaire. L’éloquence révolutionnaire semble bien avoir été, par ailleurs, beaucoup moins propre à enthousiasmer l’auditoire que ne le vou­ draient les historiens romantiques. L’ancien art classique dominait les discours. Les journées à l’Assemblée, comme le fait remarquer encore P. France, étaient longues et remplies d’actes de routine. Ce même cri­ tique fait aussi sien le soupçon (confirmé par les recherches de Brasart, cf. p. 63 sq.) que le scénario de mainte séance a dû être préparé dans les coulisses. Et en ce qui concerne la situation où s’exerçait

l’éloquence, l’attitude scientifique actuelle fait ressortir l’inconfort, la mauvaise acoustique des salles, le bourdonnement ou au contraire le tumulte et les interruptions qui rendaient la tâche de l’orateur beau­ coup plus difficile que les récits traditionnels ne le suggèrent1. Il est superflu de rappeler l’avantage dont jouissaient les voix fortes, l’effet des mots d’esprit, l’attention qui privilégiait les orateurs réputés. Là encore, Brasart nous rapporte de nombreux témoignages sur l’impression négative que la confusion des débats comportait pour les spectateurs occasionnels, et même pour les principaux orateurs, ainsi que sur les projets de règlement qui s’inspiraient du calme des discus­ sions aux Communes anglaises. Le même auteur nous invite pourtant à modérer, comme il le fait souvent, notre impression d’un tumulte conti­ nuel et généralisé, d’un « caractère shakespearien », comme il l’appelle, de ces débats. Le « refrain » qui ne revient pas moins continuellement dans les témoignages cités, est bien la difficulté du président à imposer le silence, ou la lutte acharnée des députés pour prendre la parole. Les contemporains ont dû se retrouver là assez proches de l’opinion de Taine. Dans ces conditions, où situer alors l’efficacité oratoire, c’est-à-dire, selon l’expression de l’époque, 1’ « électrisation » de l’auditoire ? Car la puissance de la voix de Danton, qui fournit matière à la caractérisation épique de son procès, est l’écran qui cache, en réalité, ce que nous ne savons pas de Véloquence de Danton... A quoi il faut ajouter le fait que l’attention portée depuis aux grands orateurs et aux grands discours a contribué à cacher le caractère de la plupart des prises de parole, le « bruit de fond » des assemblées12, orientées vers des buts d’utilité et de nécessité immédiate. En revanche, pour les contemporains, il y avait dans ces discussions des agréments qui ne sont plus tels aujourd’hui. Ces rappels de l’Antiquité qui nous laissent tout à fait froids étaient, au contraire, lourds d’émotion pour les révolutionnaires imbus de Plutarque et des historiens romains. Il en est de même pour les figures emphatiques de l’élocution révolutionnaire ou pour la mimique populaire attestée comme apanage de certains orateurs tels que Marat ou Danton3, pour 1. L’ouvrage de Brasart nous fournit les principaux renseignements (v. p. 19, 24), quand il parle des différentes salles, de la situation peu commode des députés, et des problèmes acoustiques (p. 84). Les illustrations de Gérard, reproduites dans l’article de J.-Cl. Bonnet, nous montrent les moyens d’amplification qu’on essayait d’inventer, comme d’entourer la tribune d’un pavillon, pour permettre à l’orateur « de se faire entendre dans une grande assemblée ». 2. L’expression est de P. France, dans la discussion qui a suivi sa communication (1990, p. 69). 3. Il est assez étonnant, toutefois, au cours des premiers jours de la Convention, de constater la demande d’une éloquence plus froide et plus rationnelle, précisément chez Danton et Marat (ibid., p. 61).

les expédients mélodramatiques qui caractérisaient en fait l’éloquence antique, et pour les « mouvements d’éloquence matérielle » tels que Robespierre les reprocha à Isnard le 18 décembre 1791. C’était préci­ sément à soustraire l’Assemblée aux grands mouvements oratoires que visaient l’antirhétorique des Idéologues, ou de nombreux projets de règlement (cf. Sermain, 1986 ; Brasart, p. 57). L’éloquence révolutionnaire a existé avec toutes ses limites. A-t-elle apporté quelque chose de nouveau dans l’histoire de la rhétorique ? Les études citées tendent à affirmer que seule la situation était nouvelle. Mais cette éloquence a survécu à elle-même pendant plusieurs décen­ nies, et c’est peut-être là, dans sa réception ultérieure, qu’il faut cher­ cher les véritables indices d’une façon nouvelle de comprendre l’art oratoire.

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ARLETTE MICHEL

22 — Romantisme, littérature et rhétorique

Un tel sujet ne peut être abordé que sous forme d’esquisse ; aussi nous bornerons-nous à proposer des axes de recherche. H s’agira pour nous essentiellement de poser quelques questions de fond. Le Romantisme voulut apparaître, en ses deux générations succes­ sives de 1800 et 1830, comme une révolution culturelle, comme la liberté en littérature : des temps nouveaux1. Pouvait-il garder fidélité à l’égard des enseignements de la rhétorique ancienne ? Nostalgique de l’éloquence et la pratiquant encore avec éclat, le Romantisme n’a fondé sa nouvelle rhétorique que sur les bases d’une connaissance complète et complètement intériorisée des enseignements reçus. Sans doute n’a-t-il conservé de la rhétorique que les éléments qui lui sont communs avec la poétique. Mais il a su, dans un esprit de fidélité et de liberté à la fois - c’est-à-dire en tempérant l’une par l’autre imita­ tion et invention - trouver dans la rhétorique ce qu’elle est vrai­ ment, une vaste problématique, une philosophie du langage où puisse s’enraciner une esthétique littéraire et, bien sur, le trésor des figures. C’est dans cet esprit que nous interrogerons les créations romanti­ ques. Elles nous permettront de mettre au jour un nouvel art de per­ suader, un pathétique nouveau, une rhétorique du beau, du sublime et de la grâce.

1. L’image que Victor Hugo veut donner de lui-même en meneur d’une révolution culturelle est largement rétrospective et date de l’exil : Réponse à un acte d'accusation est écrit le 24 oc­ tobre 1854 et daté janvier 1834 ; A propos d'Horace est écrit pour l’essentiel du 31 mai au 2 juin 1955 et daté mai 1831.

LES ROMANTIQUES, LES MAÎTRES DE RHÉTORIQUE ET LA CRITIQUE LITTÉRAIRE

Dans des travaux déjà anciens, Pierre Moreau avait établi l’idée d’un Romantisme pénétré d’esprit néo-classique. Si l’on excepte le Roman­ tisme frénétique des années 1830-1833, la mode de la «couleur locale », ludique et parodique chez les poètes, les excès consciemment burlesques des «Jeune-France », le Romantisme n’est certes pas une révolution culturelle. Pourquoi s’en étonner ? Les deux générations qui entrent dans la carrière en 1800 et en 1820-1830 ont reçu de leurs maîtres la plus solide formation rhétorique, même si, dans leurs œuvres, ils nous transmettent l’image de leur ingratitude ou même de leur hargne à l’égard des maîtres de rhétorique réduits à l’état de péda­ gogues ignares ou de créatures fossilisées et autres vieilles perruques. Le topos romantique du collégien génial et soumis à l’absorption d’un savoir mort trouve ici tout son sens... Nous n’aborderons pas la très importante question de l’enseigne­ ment de la rhétorique au début du XIXe siècle. Nous nous bornons à évo­ quer quelques aspects essentiels des rapports entre littérature et rhéto­ rique : aussi est-ce à travers les textes littéraires que nous essayons de repérer l’image qu’ils nous transmettent des rapports entre les écrivains, leur création et la rhétorique. Rhétorique, poétique

et philosophie

Au XIXe siècle, nous nous éloignons du domaine privilégié de la rhétorique, c’est-à-dire de l’éloquence et de ses avatars. Nous devons d’abord préciser l’extension que nous donnons au mot « rhéto­ rique ». Comme cela est bien apparu au XVIIIe siècle et déjà très lar­ gement dans les siècles antérieurs, pour des raisons à la fois politiques et esthétiques, la rhétorique a tendu à s’effacer au profit de la poé­ tique. Plus exactement, les écrivains ont retenu de la rhétorique la très féconde problématique qu’elle exploite à frontières communes avec la poétique : la réflexion sur les liens entre la parole et la beauté, sur la diction et les figures. Ce vaste corps d’esthétique littéraire s’ouvre sur les problèmes de la création, de la production des œuvres. H implique une décision sur le beau, le sublime et la grâce (nous verrons que la rhétorique romantique est essentiellement une rhétorique du sublime), sur les genres et les styles (les Romantiques choisiront de les mêler). Cet aménagement moderne de la rhétorique dont nous chercherons les effets dans la création romantique reproduit les évolutions philoso­

phiques qui marquent le passage des Lumières au Romantisme. Le sensualisme de Locke et Condillac, prolongé par les Idéologues, en par­ ticulier Cabanis et Destutt de Tracy, avait mis l’accent sur le rôle fon­ dateur de la sensation, c’est-à-dire de l’image dans la connaissance et dans la formation du langage. Marie-Joseph Chénier, dans son Tableau historique de l’état et des progrès de la littérature française depuis 1789, fournis­ sait un très clair exposé de cette généalogie sensualiste de la philologie et faisait bien comprendre comment l’intérêt pour la théorie des figures est lié à l’établissement du sensualisme1. Les Tropes de Dumarsais en avaient fourni, à leur date, une bonne illustration. Naturellement, le sensualisme n’est pas la seule source philoso­ phique de la rhétorique dans la période qui nous occupe. Le Roman­ tisme naît d’une convergence entre le sensualisme analytique et une résurgence néo-platonicienne elle-même infléchie par la philosophie du sentiment propre à Rousseau. En réalité tout dépend de l’extension que l’on donne au mot « sensation » : chez Rousseau il trouve sa plus riche ampleur en désignant la sensation proprement dite, le sentiment, la conscience interne et l’intuition spirituelle de l’absolu. A travers le P. Lamy, Rousseau développe les acquis de Malebranche et introduit à Maine de Biran. Un sensualisme de l’absolu devient possible qui va de pair avec une rhétorique du sublime. L’image acquiert sa plus riche envergure, liant le réel à l’imaginaire et à l’idéal. Nous nous bornerons à illustrer de quelques exemples ces orienta­ tions majeures. Dans son Cours de littérature, La Harpe propose une poé­ tique néo-classique fidèle aux grands modèles du XVIIe siècle et au sou­ venir de Voltaire ; à la jonction du sensualisme et d’un christianisme tardif, il propose une rhétorique du sublime. Après avoir fait l’éloge, joignant grammaire et « art de penser », des Éléments d’idéologie de Des­ tutt de Tracy, et Des rapports du physique et du moral de l’homme de Caba­ nis, il associe rhétorique et critique littéraire et rappelle les mérites du Cours de rhétorique de Blair, des Mélanges de littérature de Suard, en particu­ lier. Quand il ouvre la première partie de son Cours de poétique consacré aux Anciens, il se réfère d’abord à la Poétique d’Aristote puis au Traité du sublime de Longin1 2. Cet éclectisme montre assez la fécondité du néo-classicisme tel que le Romantisme le reçut en héritage. Cette même fécondité du néo-classicisme se reconnaît dans les tra­ vaux de Fontanier. П apparaît lui aussi comme un tenant du sensua­ lisme des Idéologues. 1. Marie-Joseph Chénier, Tableau historique de l’état et des progrès de la littérature française depuis 1789, chap. 1 : « Grammaire ; Art de penser ; Analyse de l’entendement ». 2. La Harpe, Cours de littérature ancienne et moderne, introd. et lre partie: «Anciens», liv. 1, chap. 1 et 2.

Entre 1818 et 1830, Pierre Fontanier, enseignant assez modeste dont on sait peu de choses, publie une série d’ouvrages destinés à rem­ placer pour les étudiants et les élèves les Tropes de Dumarsais, qui étaient restés classiques. Il en publie en 1818 le Commentaire puis, en 1821, présente un Manuel classique pour l’étude des tropes qui connaîtra une quatrième édition en 1830. Entre-temps, il donne en 1827 Les figu­ res autres que tropes. L’ensemble a été réuni par Gérard Genette sous le titre Les figures du discours (Paris, 1968). On comprend aisément le succès qu’il connut alors. L’auteur apparaissait comme un précurseur de la linguistique structurelle dont ses ouvrages, après ceux de Dumarsais, constituaient les premiers chefs-d’œuvre. Mais ils ne nous intéressent pas seulement au titre de sources rétrospectives. Il faut aussi les repla­ cer dans l’histoire de la rhétorique et de la stylistique. Ils se présentent alors comme les témoins du néo-classicisme au temps des Idéologues et de leur influence. Par rapport à Dumarsais, Fontanier marque son originalité de deux manières. П ne se contente pas d’étudier les figures selon le langage commun, en insistant sur le fait que les crocheteurs du Port-au-foin uti­ lisent des métaphores. П insiste au contraire sur la technicité consciente des figures : l’interrogation, par exemple, n’est figure que lorsqu’il s’agit d’une fausse question. D’autre part, fl cherche à préciser le classement des figures au moyen d’une nomenclature détaillée. Dans la forme du manuel, fl aboutit ainsi à l’un des exposés les plus détaillés et peut-être aussi les plus scolastiques sur la rhétorique que Genette a plus tard qualifiée de « restreinte » et qui concerne essentiel­ lement la réflexion sur le langage. Il convient de souligner les points majeurs d’une telle classification et ses principales tendances. Fontanier résume les différents débats qui ont existé à propos des figures. П le fait d’une manière très actuelle en son temps. On peut proposer trois oppositions : figures de grammaire et de rhétorique, de mots et de pensée, d’imagination et de passion. L’importance que pren­ nent le premier et le troisième couples est significative, alors que la tra­ dition, depuis Aristote, insistait surtout sur le second. Les choix de Fontanier comme ses classements dépendent surtout de l’idéologie qui a succédé au sensualisme de Dumarsais. La pensée, selon ces doctrines, se constitue par synthèse associative des sensations qui se regroupent en idées pour conduire aux synthèses du jugement. Les sensations se structurent donc par le moyen des figures. La seule question est de savoir dans quel ordre se présentent les figures pour les­ quelles les Anciens n’avaient pas proposé de classification véritable, si l’on excepte celle des mots et des idées. Fontanier propose successive­ ment les figures de construction (révolution, exubérance, explétion...),

d’élocution, de style (emphase, tournures, imitation, comparaison), de pensée (prosopopée, fable, etc.). On va donc des mots à la pensée, de l’analyse à la synthèse en passant par les structures de la diction et du style. Rappelons que l’étude initiale consacrée aux tropes les ramenait à la pure doctrine cicéronienne en les réduisant à la métaphore, la synecdoque et la métonymie (l’hypallage disparaissait). On partait donc des mots séparés, des phrases, et on les mettait en correspondance avec la sensation et l’idée. Une telle doctrine est de nature à plaire aujourd’hui encore à ceux qui proposent en linguistique un structuralisme sensualiste. Elle présen­ tait sous forme érudite et scientifique les enseignements qui apparais­ saient de façon plus accessible dans le poème de François de Neufchâteau sur les figures1 ou chez Marie-Joseph Chénier. Mais, dès l’époque où elle paraissait, l’œuvre de Fontanier comportait des lacunes qui apparaissent aujourd’hui encore. D’une part, en se concentrant sur les figures et en négligeant de ce fait la théorie des « couleurs » et des « idées du discours », en sacrifiant ainsi ou ignorant la tradition illustrée par Hermogène de Tarse, elle se trouvait gênée pour traiter véritablement la notion de style, qui dépend fondamentalement d’un tel enseignement. D’autre part, en réduisant pratiquement la beauté au plaisir (convenance sensible et intellectuelle), elle s’exposait d’emblée aux objections des kantiens et des platoniciens. On s’en aperçoit lorsqu’on considère les analyses stylistiques que Fontanier propose comme exemples à la fin de son traité des figures ou qu’il multiplie à propos de Racine dans un ouvrage spécial. On admire leur précision. Il montre que le style apparemment le plus simple et le plus transparent est tissé de figures. Mais cette description si précise et si intéressante du point de vue linguistique ne présente aucune utilité esthétique, puisque, comme le montre Fontanier par d’autres exemples, les épopées de Voltaire ou de Louis Racine emploient exactement les mêmes procédés : nous savons aujourd’hui que leur réussite littéraire est beaucoup moins grande que celle de Racine. Tout dépend en réa­ lité, dans le sublime et dans la grâce, des rapports du beau avec le vrai, dont on sait depuis Platon qu’il est la « splendeur ». Victor Hugo devait s’en souvenir en écrivant la Réponse à un acte d3accusation où il vili­ pendait Dumarsais, en suivant lui-même l’enseignement majeur du Romantisme. Fontanier préparait son œuvre avant que celui-ci ne se fût épanoui. La grande question qui allait se poser était celle qu’avait connue le pseudo-Longin, qui respectait à la fois l’efflorescence baroque des pre­ 1. Nicolas-Louis François de Neufchâteau, Lu Tropu ou lu Jiguru de mots, Belin, 1818.

miers siècles de notre ère et le classicisme d’Homère. C’est ainsi que Fontanier conçoit le néo-classicisme, ce qui lui permet à la fois de res­ ter en contact avec le rococo et de préparer la liberté romantique. Par la suite les positions se durciront. Nisard n’acceptera plus que le sublime de simplicité qui appartient à Homère. Hugo et les Romanti­ ques réclameront contre lui la liberté du sublime dont on retrouvera l’esprit à travers Burke et en le dépassant. L’équilibre de la grâce associée au sublime tend à s’établir chez Stendhal, qui ne garde guère des figures que l’ironie, et chez Jouffroy qui assimile le sublime à l’ineffable et révèle ainsi l’importance du symbolisme. Nous traiterons ultérieurement des théories romantiques du su­ blime. Elles nous permettront de faire la part d’un néo-platonisme qui aboutit au « sacre de l’écrivain » si bien mis en lumière par Paul Bénichou. Indiquons tout de suite que l’influence du néo-platonisme est transmise en particulier par les théoriciens de la parole poétique - Fabre d’Olivet, Saint-Martin, Ballanche1, d’autre part dans la réflexion esthétique de Joubert et de Jouffroy12. Les uns et les autres pri­ vilégient la recherche d’un langage qui soit allusion à l’être, par le détour du mythe et du symbole. Création et critique :

un débat autour de la rhétorique

Le rapport que les créateurs entretiennent avec ces philosophies du lan­ gage et ces formes d’esthétique littéraire ne peuvent qu’épouser les mêmes infléchissements imposés par le renouvellement des temps. C’est autour de cette idée que, dès le livre De la littérature de Mme de Staël en 1800, le Génie du christianisme en 1802, se joue le nou­ veau débat des Anciens et des Modernes, qui deviendra, à partir de 1820 et autour de 1830, le débat des Romantiques et de l’arrière-garde classique où se recrute la plus grande part de la critique. Sans doute, dès la fin du XVIir siècle et sous l’influence de la croyance en une marche progressive des productions de l’esprit, avait-on pris l’habitude de penser les réalités littéraires en termes 1. Fabre d’Olivet, Les vers dorés de Pythagore, Paris-Strasbourg, Treuttel et Würtz, 1813; Louis-Claude de Saint-Martin, Œuvres posthumes, Tours, Lctourmy, 1807, t. II. De la poésie prophé­ tique, épique et lyrique ; Pierre-Simon Ballanche, Œuvres complètes, éd. 1833, Slatkine Reprints, 1967, Essai sur les institutions sociales, chap. X (lre partie : « Théorie de la parole » ; 2e partie : « Émancipa­ tion de la pensée »). Sur la philosophie de la parole chez ces trois auteurs, voir Arlette Michel, «Ballanche et l’épopée romantique», Mélanges Jeanne Lods, ENS JF, 1978, t. II. 2. Joubert, Pensées et lettres, textes choisis par R. Dumay et M. Andrieux, Paris, 1954 (sur Jou­ bert, voir G. Poulet, Études sur le temps humain, II, p. 81-121, et IV, p. 141-156 ; M. Blanchot, Le livre à venir ; IV, p. 63-82. Pour Jouffroy, voir son Cours d’Esthétique (1826), publié par Damiron en 1843 et les beaux commentaires qu’en propose Paul Bénichou, Le sacre de l’écrivain, chap. V: « La contribution libérale » (V. Cousin et Jouffroy, p. 245-264), et Le temps des prophètes, « Le libéra­ lisme », p. 15-68. Voir aussi Franck Paul Bowman, Le Christ romantique, qui insiste sur le rôle joué par Cousin (p. 232 sq.) et aussi Alain et Arlette Michel, « La parole et la beauté chez Joubert, Jouffroy, Ballanche », RHLF, La rhétorique au XIXe siècle, mars-avril 1980.

d’histoire et d’évolution. Ce mode d’exposition fut réactivé par l’ébranlement des valeurs lié à la fin de l’ancien monde : il s’agissait alors de faire le bilan des risques de régression et des chances d’avancée : il aboutissait à la mode des « tableaux » d’histoire littéraire. Les grands créateurs pratiquent ce genre à la fois pédagogique et cri­ tique, de Mme de Staël, Chateaubriand, à Hugo et à sa Préface de Crom­ well en 1827 ; les pédagogues et les critiques aussi : La Harpe, Chénier, Villemain par exemple1. Les uns et les autres ne le font pas dans le même esprit, précisé­ ment parce que tous n’instaurent pas le même rapport entre création et théorie littéraire, entre invention et imitation. Pour les uns, il s’agissait de réévaluer la pertinence des critères légués par la tradition rhéto­ rique, d’en affirmer la permanente autorité ; pour les autres, d’en tirer les principes d’une modernité consciemment libérée jusque dans ses fidélités. C’est dans la perspective de ce difficile dialogue entre créa­ teurs, pédagogues et critiques, que s’explique la hargne rétrospective des Romantiques à l’égard des maîtres de rhétorique, celle-ci tirant une grande part de sa virulence de la rancœur qu’ils éprouvent quand, entrés dans la carrière, leurs œuvres - pour lesquelles ils revendiquaient le mérite de la modernité - se heurtent à l’agressivité d’une critique restée largement classique : anachronique, elle n’en devenait que plus fixement attachée aux préceptes tirés des modèles anciens, donnant valeur absolue à un passé d’excellence, trouvant dans la rhétorique non plus une problématique ouverte mais un dogme clos, une finalité en soi : les moyens d’un pouvoir, d’une revanche peut-être... Assurément Désiré Nisard tiendrait dans les rangs de cette critique la position la plus rétrograde : dans la (fausse) querelle de l’imitation et de la libre invention, c’est lui qui recule au plus loin le passé d’excellence : la décadence du beau en littérature commence à Virgile ! Sénèque, Tacite ou Juvénal posent les bases de la décadence qui s’achève dans le Romantisme (et particulièrement à ses yeux dans les dévoiements détestables de Hugo - excès, confusion du beau et du laid, prédilection pour le style bas)12. Nisard représente, en pleine époque romantique, la stérilité d’un néo-classicisme dogmatique bien différent de celui de La Harpe, Fontanier, Berryer et d’écrivains aussi divers que Chateau­ briand, Stendhal, Lamartine ou Vigny, qui savent le renouveler par les acquis conjugués du sensualisme et de l’idéalisme. 1. Ces Tableaux représentent la première forme revêtue par une histoire littéraire conçue encore de façon dogmatique et critique (voir aussi les Cours de littérature française de Villemain, en particulier son Tableau de la littérature française au XVIlf siècle professé en 1828-1829). 2. Désiré Nisard, Manifeste contre la littérature facile, 1833 (repris dans Études de critique littéraire, 1858) ; Études de mœurs et de critique sur les poètes latins de la décadence, 1834.

Saint-Marc Girardin, au Journal des Débats, forme l’opinion de la bourgeoisie «juste-milieu». Dans son Cours de littérature dramatique ou de l’usage des passions dans le drame (1843), il s’afflige de constater que le drame moderne représente une régression vers le matérialisme : l’émotion y est toute corporelle, physiologique, alors que le christia­ nisme avait élevé l’art en le spiritualisant - et que les Grecs euxmêmes, en particulier Sophocle, avaient su anoblir la douleur en y voyant un pâtiment de l’âme et éviter ainsi le dévoiement de l’imagination collective1. La critique néo-classique vitupère le Romantisme comme décadent. Celui-ci la vitupère comme anachronique et oppressive ! On l’a vu, cependant, le Romantisme ne se constitue pas sur le refus du néo-classicisme. Celui-ci est au centre d’un débat philoso­ phique et rhétorique fécond, lui-même alimenté par le dialogue du sen­ sualisme et de l’idéalisme. Nous vérifierons ce point de vue, d’une part en montrant l’attachement des deux générations romantiques à l’éloquence, d’autre part en observant par quelles voies les créateurs inventent un art nouveau de la parole romanesque et poétique : dira-t-on une rhétorique romantique ? RHÉTORIQUE ET ÉLOQUENCE A L’ÉPOQUE ROMANTIQUE

L’intérêt du Romantisme pour l’éloquence se marque à la fois par sa nostalgie à l’égard du dernier grand déploiement de l’éloquence poli­ tique, c’est-à-dire de l’éloquence révolutionnaire dont il transmet une image à la fois exaltée et effrayée, et par la manifestation d’une élo­ quence nouvelle. Images romantiques de l’éloquence révolutionnaire

Qu’en était-il pour les Romantiques du temps de l’éloquence ? Ils met­ tent en place eux-mêmes un topos dont ils aiment à rappeler l’origine latine : l’éloquence régresse au profit de la « littérature » quand la poli­ tique ne s’exerce plus à la tribune. Quand en effet le pouvoir s’était concentré dans les mains impériales, l’éloquence s’était réfugiée dans les écoles des rhéteurs, les exercices d’école ou le panégyrique d’ap­ parat, mais surtout elle avait laissé place au loisir studieux des belles lettres : historiens et poètes l’avaient mis à profit. Ce topos se trouve 1. Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique ou de l’usage des passions dans le drame, G. Charpentier, s.d. (1843). Voir aussi les Cours de Villemain, les chroniques de Gustave Planche dans la Revue des Deux Mondes (M. Regard, Gustave Planche, 1808-1857, Nouv. Éd. latines, 1955, et Claude Pichois, Philarète Chasles et la vie littéraire au temps du Romantisme, J. Corti, 1965).

naturellement réactivé par l’expérience des lendemains de la Révolu­ tion et de l’Empire. L’image de la Révolution dans l’histoire romantique de la parole reçoit alors du souvenir une double coloration. En elle s’achève le temps de l’éloquence dans ce qu’elle a de plus noble, mais aussi ce qu’elle a de plus redoutable : 1789 et 1793 combinent ici leur symbo­ lisme politique avec une valeur rhétorique et littéraire. Les premières années de la Révolution faisaient espérer une résurgence des pouvoirs politiques de la parole. Comme la République romaine avait eu ses tri­ buns et ses hommes de bien habiles à parler, ainsi le sort de la nation avait été guidé par la voix de quelques héros de la parole : tel du moins il apparaissait à travers les nostalgies libérales de Marie-Joseph Ché­ nier, de Villemain ou de Bûchez1. La grande éloquence politique nourrie de passions généreuses, animée par la hauteur des grandes cau­ ses, sollicitant avec une savante flamme les plus nobles sentiments col­ lectifs, apparaissait comme inséparable du système de la souveraineté populaire : elle en était le produit et la source. La figure de Mirabeau illustrait cette topique chez Chénier ou Bûchez. Même assombrie par ce triomphe macabre de la rhétorique, l’éloquence révolutionnaire reste dans le souvenir romantique comme la dernière et brillante phase d’un âge révolu. La fin du pouvoir de la parole est sanctionnée par l’Empire ; le retour à la monarchie marque l’entrée dans l’âge libéral de l’opinion. Sur les ruines de la souveraineté populaire s’édifie, pour un public à la fois élargi et choisi, le temps de la parole écrite, le temps du débat et du journal plus que de l’éloquence. Dans son Essai sur les institutions sociales de 1818, Ballanche fait la théorie de cet âge nouveau de la parole, nous y reviendrons. L’image romantique de l’éloquence révolutionnaire avait aussi son versant négatif. Dans son livre De Vinfluence des passions, Mme de Staël avait stigmatisé l’éloquence révolutionnaire : celle-ci avait manqué à sa vocation en abandonnant la vérité pour les sophismes, les idées géné­ rales pour l’idéologie, les nobles émotions pour l’obsession basse de la mort qui inspire avec la peur le désir de vengeance12. Les restes de la grandeur étaient perdus car l’orateur n’était plus homme de bien - uir bonus ; sa conscience obscurcie ne commandait plus aux circonstances, mais subissait l’urgence des passions qu’elles 1. M.-J. Chénier, Tableau..., chap. 4: «Art oratoire»; A. Villemain, Tableau de la littérature française au XVllf siècle, t. III, leçon 47, et t. IV, leçons 58 et 59 ; Ph. Bûchez et P. C. Roux, Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales depuis 1789jusqu'en 1815, Paris, Paulon, 1834-1838, 40 vol. (voir en particulier t. I et III). 2. Mme de Staël, De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, introd. et chap. 5 à 7. Voir Arlette Michel, « De l'influence des passions (...) : rhétorique, poétique et philosophie de la Révolution », dans Le Groupe de Coppet et la Révolution française, Lausanne-Paris, 1988.

allumaient. Dans l’imagerie révolutionnaire des Romantiques (elle est présente dans le Quatre-vingt-treize de Victor Hugo), Danton et Marat, plus que Robespierre à la parole contrainte, illustrent ce mythe quasi apocalyptique de l’éloquence révolutionnaire1. De l3éloquence au règne de l'opinion : le journalisme

Le propre de la Révolution fut de modifier la conscience du temps : l’impatience de liberté qui caractérise l’opinion entreprit de précipiter les lentes évolutions de la tradition détentrice des souvenirs de la Parole pri­ mitive. Cette tentative imprudente de brusquer le devenir en gestation dressa l’un contre l’autre deux partis - les « archéophiles », fidèles mais volontiers rétrogrades, et les « néophiles » : épris de liberté, habiles au maniement des idées nouvelles et des mots, ils font et ils sont l’opinion. Néanmoins, parce qu’ils croient trop en leurs idées et en leurs mots, ils sont toujours tentés de réduire l’idée en idéologie, le mot en slogan. Telle était l’analyse de Ballanche dans Y Essai sur les institutions sociales1 2. Le développement du journalisme (refréné ou accentué au gré des successives lois sur la presse) illustre sous la Restauration puis la monarchie de juillet cette métamorphose historique de la parole. Le journaliste est l’avatar de l’orateur. Le cas de Chateaubriand est exem­ plaire à cet égard. Défenseur de l’esprit de liberté quand il s’allie à la fidélité (De la Monarchie selon la Charte, 1814), il se fait le champion de la liberté de la presse, fonde Le Conservateur (1818-1819), et ce maniement de l’opinion par le journal va de pair pour lui avec cette pratique plus haute de la parole qu’est l’éloquence politique. On sait qu’il y excelle3. Les libertés avatars de la liberté ? Le règne de l’opinion avatar du temps des orateurs ? Les écrivains de la monarchie de Juillet ne ver­ ront dans les journalistes que des avatars très dégradés de l’orateur. Le temps sera arrivé où l’idée générale devient lieu commun et même cliché. Dans un texte satirique de haute verve, la Monographie de la presse parisienne (1842), Balzac qui a déjà moqué la moderne rhétorique de la publicité avec L’Illustre Gaudissart (1833), fustige la parole dévaluée du journaliste devenu ce « rienologue » dont les ressources verbales suppo­ sent néanmoins une solide formation rhétorique4 ! S’installent un senti­ 1. Sur l’éloquence de Robespierre, voir Ph. Bûchez, op. cit., t. XXXV et XXXVI. 2. P. S. Ballanche, Essai sur les institutions sociales, chap. Ill : « Archéophiles et néophiles » ; chap. VIII : « L’âge de l’opinion ». 3. Chateaubriand, Le Conservateur, 2 vol., chez Lenormant fils, 1818-1819. Voir Jean-Paul Clément, Chateaubriand politique, Hachette, «Pluriel», 1987; Chateaubriand, Grands écrits politiques, 2 vol., Imprimerie Nationale, 1993, et Chateaubriand, Flammarion, 1998. 4. Voir Roland Chollet, Balzac journaliste. Le tournant de 1830, Klincksieck, 1983. Pour Balzac, voir La Peau de chagrin, 1831 (l’orgie des journalistes chez Taillefer, Pléiade, t. X, p. 89-109); L’illustre Gaudissart, 1833 (Pléiade, t. IV) ; Illusions perdues, 1837-1843 (t. V), et surtout Monographie de

ment vif de la vanité des nouveaux sophistes, le mépris des avatars idéologiques et publicitaires de l’éloquence. Le temps de la grandeur semble révolu, comme celui de l’action noblement humaniste de la parole : la parole semble n’avoir plus que l’efficacité des groupes de pression, elle signale le pouvoir ou le masque, elle ne le confère plus et ne le consacre plus à l’intérêt général. Balzac avait raison : sous la Restauration puis la monarchie de juil­ let, la question de l’utilité de la parole pouvait sembler résolue par la négative. Le temps des libertés devenait le temps des affaires et du pou­ voir de fait. La société passait de l’âge des émotions et des devoirs à celui des intérêts. Le grand avocat légitimiste Berryer le constatait avec amertume dans la préface de son recueil de Modèles d'éloquence judi­ ciaire (1836). Si la jeunesse des sociétés suscite l’éloquence naturelle aux grands sentiments collectifs et leur maturité la somptueuse architecture oratoire propre aux grandes causes, leur vieillesse perd, avec le sens de l’intérêt général, la possibilité même de l’éloquence1. Cette vision des âges de l’éloquence par Berryer est intéressante mais paradoxale toutefois dans la mesure où, peu enclin à admirer l’affairisme de style Louis-Philippe, il tendrait à nier l’existence et même la possibilité d’une éloquence romantique. Cette image (partiellement fausse) d’une fin des temps de l’éloquence est largement représentée dans les Tableaux de la littérature française qui sont, nous l’avons signalé, un véritable genre littéraire autour de 1830. Villemain, titulaire de la chaire d’éloquence en Sor­ bonne, s’en fait l’écho. Mais aussi il se rassure en constatant que, le pouvoir de la parole ne s’exerçant jamais plus brillamment que dans l’urgence et la fièvre, mieux vaut peut-être se livrer au loisir studieux des belles-lettres2. Quoi qu’il en soit, Villemain s’adonne en paix aux fastes de l’élo­ quence universitaire - dont il propose un idéal tout cicéronien. Une étude systématique de l’éloquence judiciaire et politique d’époque romantique reste à faire ; quant à l’éloquence de la chaire, F. P. Bow­ man l’a mise dans une vive lumière3. D’autre part, les modèles de style fournis par l’éloquence restent présents à travers plusieurs genres litté­ raires, de l’histoire à la poésie lyrique.

la presse parisienne, 1842 (Œuvres complètes, « Bibliophiles de l’originale », t. XXVI, qui établit une « Histoire naturelle » parodique du publiciste et du critique dans toutes leurs variétés (on admirera en particulier le « rienologue »)). 1. Berryer, Leçons et modèles d'éloquence judiciaire,]. L’Henry & Gie, 1838, préface. 2. A. Villemain, Tableau de la littérature française au XVIIf siècle, t. III, leçon 46. 3. F. P. Bowman, Le Discours sur l'éloquence sacrée à l'Époque romantique : rhétorique, apologétique, her­ méneutique (1777-1851), Genève, Droz, 1980.

L'éloquence romantique

Nous avons évoqué Villemain professeur : l’enseignement de haut niveau comprenait traditionnellement l’éloquence et celle-ci y trouvait un Heu privilégié d’exercice. Qu’elle eût pour objet l’enseignement même de l’éloquence, ou l’histoire, ou la philosophie, elle trouvait dans le cadre universitaire les conditions d’un authentique épanouisse­ ment : le maître communique à un auditoire réceptif à la parole l’enthousiasme des idées, de la vérité et de la beauté, dans la sérénité majestueuse et animée de l’amour. Exercice d’école que l’éloquence universitaire ? Sans doute ; il s’agit en tout cas d’une éloquence qui suppose la croyance en l’efficacité de la vérité et de l’enthousiasme transmis par une haute parole, qui se constitue elle-même comme modèle idéal de communication selon les plus hautes valeurs huma­ nistes1. Dans cette éloquence nous serions tentés à tort de voir un exercice d’apparat : elle n’était pas toujours à l’abri des passions. On se rappelle les cours de Michelet et de Quinet en 1843. Sa grandeur tenait néanmoins dans sa croyance humaniste que l’avenir est plus grand que le présent, que l’homme dépasse toujours l’homme parce qu’il existe un lien consubstantiel entre l’éthique, le savoir et la parole12. Cet humanisme inscrit dans la tradition antique et classique de l’orateur parfait reste valide dans la grande éloquence judiciaire, poli­ tique et religieuse d’époque romantique. Nous isolerons ici trois cas exemplaires : Berryer, Chateaubriand, Lacordaire. De Berryer nous retiendrons la conclusion de ses Leçons et modèles d'éloquence judiciaire : il y exprime en effet son idéal d’éloquence. Il le fonde dans la rencontre d’une science et d’une éthique : elles trouvent à s’exprimer dans un art rigoureux et enthousiaste. C’est un huma­ nisme politique qui se formule ainsi. Les avocats constituent pour Ber­ ryer, après les législateurs et les grands magistrats, les défenseurs de la « liberté des peuples » - garantie par la loi. Si la « science des lois » est indispensable pour remplir une telle mission, elle est elle-même subor­ donnée à des principes moraux dont les trois premiers sont le désinté­ ressement, le sens du bien public et l’indépendance absolue. Cet idéal s’illustre essentiellement chez les avocats de la défense qui choisiront tous moyens pour laisser leurs chances à un accusé, fût-il coupable. Quant à l’art oratoire, il doit se garder du faux enthousiasme qu’habite l’amour de la gloire personnelle et des « molles séductions d’une élo­ 1. L’éloquence de Villemain trouve son modèle idéal en Cicéron (Tableau... XVltf siècle, t. IV, leçon 48). Ce modèle reste très présent dans l’admiration des orateurs romantiques (voir encore Villemain, Discours prononcé à l’ouverture du cours d’éloquence française de l’Académie de Paris (décembre 1823), et Berryer, op. cit., préface). 2. Ibid., Conclusion.

quence dramatique » qui négligerait de « presser l’argument avec vigueur » : Éloquents et didactiques à la fois, savez-vous, franchissant les limites d’une contestation obscure, convertir cette discussion isolée en une sorte de cours d’enseignement, où la doctrine se pare des charmes d’une élocution animée ?

Berryer, qui propose un éloge de Cicéron, se tient fort près, on le voit, de son plus ancien et plus riche modèle. La carrière politique de Chateaubriand est marquée par son acti­ vité de publiciste, de journaliste, de diplomate et d’orateur. L’auteur des Mémoires d'outre-tombe était à juste titre fier de ses vertus oratoires. H trouvait en effet dans l’ampleur des idées générales, dans la hauteur des vues historiques et morales, la rigueur de ses argumentations et la puis­ sance communicative des émotions nobles ; il les soutenait par le recours poétique aux images et aux cadences ; s’il excellait dans le registre de l’abondance, il en relevait les effets par la concision sèche qui dramatise la parole et par la soudaine ardeur de la polémique, pas­ sant d’un registre à l’autre par de subtils glissements dignes du meilleur sophiste. Chateaubriand s’estime grand politique : il avait en tout cas la pleine possession de tous les pouvoirs de la parole. Elle avait chez lui les caractères de l’action véritable fondée dans un machiavélisme de la grandeur1. Ce que nous tentons de suggérer dans une esquisse aussi rapide est moins la réalité historique de l’éloquence romantique que, du moins, sa philosophie. L’exemple de Lacordaire est ici évidemment exemplaire et c’est pourquoi nous l’avons choisi. Les travaux de F. P. Bowman ont excellemment montré l’activité de la réflexion sur l’éloquence sacrée, sur son enseignement, sur sa pratique à l’époque romantique. Ce que nous révèle Lacordaire est avant tout une théologie de l’éloquence sacrée. L’orateur sacré trouve dans l’éloquence un modèle idéal de communication avec les âmes dans la communion à une même Parole - dont la sienne tente d’être l’écho. Parce qu’il enseigne le peuple, il doit certes convaincre et pour cela émouvoir, mais seulement par les mouvements les plus hauts de l’intelligence et du cœur. Lacordaire s’adressait, dans ses Confèrences de Notre-Dame de Paris, à un public où la jeunesse intellectuelle volontiers sceptique et rationaliste était bien représentée. S’il argumentait devant elle une philosophie du christia­ 1. On se reportera par exemple au discours du 7 août 1830 par lequel Chateaubriand annonce sa démission de la Chambre des pairs (MOT, 3e partie, liv. XXXIV, chap. 10 : « Fin de ma carrière politique »).

nisme, il excellait aussi à l’enlever par les mouvements de l’enthou­ siasme (son « action » oratoire l’avait rendu célèbre...). Mais les doubles ressources de la raison et de l’irrationnel ne prenaient ensemble leur sens que dans la dimension prophétique de l’éloquence. La vie intime de la Trinité est Verbe d’amour, dialogue intérieur de la charité : c’est ce Verbe ineffable et tout-puissant que transpose l’orateur, en un som­ met d’expérience spirituelle où contemplation et action s’identifient dans l’amour proféré1. Nostalgie romantique de l’éloquence: les historiens

Les plus grands orateurs romantiques sont grands, précisément parce qu’ils ont su tirer de la tradition oratoire du XVIIe siècle (qui reste pour eux tous exemplaire) le modèle idéal d’une parole efficace dans la mesure où elle est fondée sur des valeurs à la fois politiques, morales et spirituelles, dans la rencontre de la beauté et de la vérité. Ajoutons qu’à l’époque romantique l’éloquence reste pour presque tous les écrivains un modèle et l’objet d’une nostalgie : bien des genres littéraires en conservent la trace. L’éloquence propose en effet un style où la grandeur se joint à l’élévation, qu’il s’agisse de l’ample discours où l’abondance se nourrit de cadence et peut se charger d’images, du discours âpre et véhément de la philippique ou du discours sec et dra­ matique de la breuitas. Fidèle à la tradition antique et classique, les historiens romantiques continuent à trouver des modèles d’écriture dans l’art oratoire. Si l’histoire commence à devenir entre leurs mains une science appuyée sur l’exploitation des archives, ils sont loin de penser qu’un tel savoir exige ce degré zéro de l’écriture qu’est l’information. Si les faits parlent d’eux-mêmes, ils n’hésitent pas à les faire parler par l’animation ora­ toire. Les plus grands d’entre eux, Chateaubriand ou Michelet, savent aussi que l’histoire est le genre le plus proche de l’éloquence en ce qu’il tire sa grandeur et son élévation des grands sujets qu’il agite et des idées générales qu’il a mission d’en tirer. Chateaubriand et Michelet, selon leur génie propre, combinent les trois modèles d’éloquence que nous évoquions tantôt, pratiquant l’argumentation tendue et le récit dramatique, tirant la période vers le lyrisme visionnaire et la philip­ pique vers le grand style prophétique. La tradition du sublime recevait ainsi des développements nouveaux, de la grandeur héroïque au sublime de la terreur, dans le temps même où l’histoire n’apparaissait 1. Lacordaire prononce ses Confèrences de Notre-Dame de Paris en 1835, 1836, de 1843 à 1846, de 1848 à 1851 (six Conférences sont prononcées à Toulouse, en 1854). Voir l’édition qu’en donnent Sagnier et Bray, 4 vol. in-8°, 1844-1852. Sur la théologie de la parole, voir en particulier les Confè­ rences, XXXVII (1846), XLVI (1848), LVI (1849), et Arlette Michel, « Éloquence et théologie de la parole chez Lacordaire », Bulletin de PAssociation Guillaume Budé, 1986, n° 4.

plus comme la geste des grands hommes mais comme l’affrontement souvent anonyme du peuple aux grandes forces politiques, sociales, économiques1. On comprend bien pourquoi les écrivains romantiques - et pas seu­ lement les historiens - conservent cette nostalgie de l’éloquence et d’autre part jettent le soupçon sur le langage qui leur paraît inapte à désigner l’originalité absolue du moi et de son aventure intérieure. L’éloquence représente pour les écrivains romantiques la preuve même de l’énergie de la parole : Balzac n’hésiterait pas à dire de sa force de frappe. Hugo se plaît à dire que l’éloquence, avant de prendre son essor dans l’art oratoire, est d’abord cette énergie élémentaire et natu­ relle dont est revêtue la parole quand elle se charge de passion, d’émotion : elle permet alors un transfert d’énergie qui constitue un modèle privilégié de communication1 2. Autrement dit, l’éloquence - sans doute réduite ici à l’action oratoire - fournit les bases du pathé­ tique, de la communion dans l’émotion. Ce pathétique se déploie de l’éloquence du silence et du cri sublime jusqu’à la mise en représenta­ tion de la dissolution du moi dans le flux du délire: il passe souvent, notons-le, par le relais des modèles tragiques - de Shakespeare à Cor­ neille (tous deux pénétrés d’un art oratoire corrigé par Sénèque). Cet usage pathétique de l’éloquence se vérifie particulièrement dans l’œuvre de Victor Hugo, qu’il s’agisse de théâtre ou de roman : tout lui est « tribune » pour proférer la parole qui, dans l’ébranlement total et profond de l’émotion, peut éclairer et pousser à l’acte3.

Le cas de Victor Hugo nous oblige à reconsidérer une autre méta­ Nostalgje morphose romantique de l’éloquence : il s’agit de son rapport avec le de Гéloquence grand lyrisme. Les lecteurs modernes sont trop habitués à dédaigner et renaissance la poésie romantique, à la chercher dans la création de Nerval et du grand lyrisme Baudelaire, dans les textes hugohens de l’exil. Certes Nerval et Baude­ 1. Voir par ex. la péroraison de la conclusion des MOT et Michelet, Histoire romaine, liv. III, chap. V (César à la veille des Ides de Mars : exemple de breuitas, de densité dramatique du dis­ cours) et conclusion du chapitre VI (significations de la mort de Cléopâtre et Antoine : méditation visionnaire sur les destinées de l’Orient et de l’Occident). Ces deux types d’éloquence sont cons­ tamment mêlés dans VHistoire de France et l'Histoire de la Révolution française pour montrer l’émergence héroïque et tragique du peuple. 2. Sur la force de frappe de la parole chez Balzac, voir Les Martyrs ignorés (Pléiade, t. XII) et Arlette Michel, « La poétique balzacienne de l’énergie », Romantisme, 1984, n° 46. Dans le même numéro on lira Michel Crouzet, « Stendhal et l’énergie : du Moi à la Poétique ». Pour Hugo, voir par ex. l’article « Du génie », Littérature et philosophie mêlées. 3. Voir la préface de Ruy Bios. Le théâtre n’est pas le seul genre littéraire qui serve de « tri­ bune » au poète. Par sa vocation de conducteur de l’humanité et de visionnaire, ü est investi de la parole créatrice et illuminante qui tire sa substance de l’amour : voir la préface des Rttyons et les ombres (1840) et le poème liminaire du recueil, «Fonction du poète». On consultera Paul Bénichou, Les Mages romantiques, Gallimard, 1988 (Lamartine, Vigny, Hugo).

laire constituent leur œuvre contre la poésie « oratoire » ; Baudelaire d’autre part vitupère le lyrisme romantique qu’il assimile, non sans mauvaise foi, à l’effusion non contrôlée de l’émotion. Ce qui frappe bien davantage est l’invention par Vigny, Lamartine, par le Musset des Nuits, par le Hugo des quatre grands recueils de 1831 à 1840 (Les Feuilles d'automne, Les Chants du crépuscule, Les Voix intérieures, Les Rayons et les ombres) d’un grand lyrisme personnel qui est, en même temps, lyrisme philosophique et argumentation poétique. Il est inutile d’insister sur le caractère très argumentatif, démonstratif de la poésie hugolienne dès les Odes et ballades. Le cas de Musset est plus intéres­ sant dans la mesure où le cycle des Nuits a été trop longtemps lu comme une chronique sentimentale, le fruit d’un épanchement du « cœur » : il suffisait pour cela de se réduire à une lecture autobiogra­ phique et de se méprendre sur le vers fameux : Ah ! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie.

Il s’agit bien d’une poésie du cœur, source des émotions mais ce que Musset met en œuvre dans le dialogue de la Muse et du poète est une longue argumentation sur le lien nouveau qu’il veut établir entre beauté et pathétique en poésie : à ses yeux la parole poétique est impossible aussi longtemps que, dans le souvenir, l’imagination n’a pas filtré l’émotion pour extraire un langage des fatalités du silence. Le cycle des Nuits, méditation argumentée sur la parole poétique, recourt à tout le savoir d’un grand rhétoriqueur qui sait que c’est seulement dans l’idée générale que peut s’enraciner, avec la plus haute émotion, l’éloquent dialogue de l’âme avec les âmes qui se joue à travers le rythme et les images1. LE ROMANTISME : CRÉATION ET ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRES

Le Romantisme se voulait librement moderne ; il put l’être dans la mesure même de sa fidélité à une tradition qu’il avait su intérioriser et adapter à ses besoins nouveaux. C’est dans cet esprit que nous pose­ rons quelques jalons pour une rhétorique romantique. Elle développe un nouvel art de convaincre, surtout de persuader, qui peut aller de pair soit avec la volonté, soit avec le refus d’enseigner. Elle pose les

1. La Nuit de Mai, 15 juin 1835 ; La Nuit de Décembre, 1er décembre 1835 ; La Nuit d’Août, 15 août 1836 ; La Nuit d’Octobre, 15 octobre 1837. On se reportera aussi à Rolla et à la scène 3 de l’acte III de Lorenzaccio (éloquence en vers, éloquence en prose).

bases d’un nouvel usage de l’émotion, d’un rapport nouveau du pathé­ tique à la beauté. Elle renouvelle l’expression de la beauté et de la grâce ; elle culmine dans une rhétorique du sublime. Dans ces trois perspectives, nous proposerons quelques exemples. Dès le livre De la littérature, le Génie du christianisme ou le livre Du sentiment Un nouvel art de Ballanche (1802), les écrivains ont la claire perception d’être entrés de persuader dans un nouvel âge des mentalités : l’âge de l’opinion et aussi l’âge du sentiment. Cette idée doit encore être complétée. Déjà dans son Essai sur les fictions (1795) et son livre De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations (1796), Mme de Staël avait en quelque sorte fondé l’anthropologie romantique : l’homme lui paraissait constitué de deux facultés essentielles, la raison et l’imagination - le sentiment étant une combinaison à des degrés variables de raison et d’imagination. A la suite de Rousseau elle voyait dans l’imagination à la fois une maîtresse d’illusion, mais surtout la faculté des images grâce à laquelle la sensibi­ lité prend possession du réel et en même temps donne forme à l’absolu dans l’invention de l’idéal - féconde chimère1. Mais aussi dangereuse chimère : elle attise l’énergie des passions, tend au détire, à la dissocia­ tion de la personnalité sans qu’aucun effort de la raison ou du senti­ ment n’y puisse rien. La passion, comme Mme de Staël l’avait appris de d’Holbach ou d’Helvétius, est bien une force qui va : elle constate que son énergie, loin d’être toujours dynamique est paralysante, elle se traduit en passivité12. Cette anthropologie romantique sert, dans ses grandes lignes, à poser les bases d’un nouvel art de persuader. Nous en donnerons quelques exemples. Du livre De l'influence des passions à De l'Allemagne, Mme de Staël cherche à définir un art de persuader fondé sur le jeu des facultés humaines tel que nous venons de le rappeler. Il est fondé sur la connaissance de la vérité : seule celle-ci convainc, elle doit donc faire l’objet d’un enseignement. De là procède le classement et la définition des passions qui constituent l’essentiel du livre. Mais l’argumentation doit être animée, pour mettre en mouvement le sentiment avec la rai­ son. Mme de Staël est ici obligée de reconnaître que nul ne peut per­ suader les passions : folie, elles réduisent au silence toute tentative de communication. Le temps seul, qui use l’énergie vitale, permet à la passion de redevenir sentiment. Cet aveu d’échec de la parole ne sera 1. Voir le préambule de VEssai sur les fictions. 2. De l’influence des passions, introduction et la « Note à lire qu’il faut lire avant le chapitre de l’amour ». Voir Helvétius, De l’esprit, ПГ Discours ; d’Holbach, La morale universelle, t. I, chap. V : « Des passions, des désirs, des besoins » ; Système de la nature, chap. XI. Voir aussi Michel Delon, L’idée d’énergie au tournant des Lumières, 1780-1820, PUF, « Littératures modernes», 1988.

dépassé partiellement1 que dans Corinne (1806) et pleinement dans De l’Allemagne : la passion dont l’énergie sera féconde et non plus rava­ geuse, cette raison ardente où s’animent les grands sentiments, s’appellera 1’ « enthousiasme ». C’est en lui seul que la vraie persua­ sion pourra s’exercer, réunissant au sommet sublime de lui-même l’homme entier dans son amour de la vérité, du beau et de la gran­ deur123. On le voit, la réflexion sur l’art de persuader implique une anthro­ pologie, une philosophie de la connaissance, une éthique. La rhéto­ rique est ainsi conçue dans sa plus grande fécondité. Elle implique aussi une réflexion sur la communication et celle-ci est d’autant plus étendue que la communauté sociale a besoin de se sentir exister après l’ébranlement des valeurs consécutif à la Révolu­ tion. C’est ce qu’a si profondément manifesté Chateaubriand dans le Génie du christianisme. S’il fonde son apologétique dans les images de la beauté du christianisme, c’est parce que le trésor que constituent ces images est inscrit de façon séculaire dans la sensibilité et l’imaginaire collectifs. П s’agissait de montrer que, en dépit de la nouveauté des temps, une communauté peut se reformer autour de la tradition chré­ tienne, d’autant que le sentiment et l’imagination sont les données pri­ mitives de la conscience par lesquelles l’être - du barbare au poète en passant par les humbles - accède spontanément au sacré. La persua­ sion ici développe donc les séductions de la vérité, ses images les plus flatteuses ; mais ces séductions sont celles mêmes de Dieu, nous y reviendrons, qui est Beauté lui-même. Les images inspirées par le chris­ tianisme apparaissent alors, dans le Génie, comme les instruments de la persuasion divine elle-même. Nous compléterons cet aperçu par un exemple pris dans la deuxième génération romantique. Balzac est probablement, dans cette génération, l’écrivain qui se tient curieusement au plus près de la rhétorique clas­ sique. Romancier des « illusions perdues », il se donne pour tâche de délivrer le lecteur des siennes, au risque de lui interdire désormais le bonheur. Sombre initiateur, il dévoile les vérités secrètes, enseigne en même temps qu’il décrit, passant des effets aux causes et aux lois, con­ frontant la multiplicité du réel au modèle absolu de l’unité perdue. Comment pratiquer cette pédagogie du vrai ? Balzac sait qu’il faut tenir 1. De l'influence des passions, 2e sect. : « Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les pas­ sions et les ressources qu’on trouve en soi », chap. I. 2. De l'Allemagne, 4e partie, chap. X, XI et XII. 3. Génie du christianisme, liv. I : Mystères et sacrements, chap. I et II en particulier. Sur l’expérience du sacré et son expression littéraire, voir Marie Pinel, La mer et le sacré chez Chateau­ briand, Albertville, Cl. Alzicu, 1993.

compte et de l’énergie explosive des passions et, ce qui va de pair avec elle, de l’exaspération du rationalisme analytique qui produit aussi bien le scepticisme radical que les courtes assurances de l’esprit positif. Ces considérations expliquent que la révélation balzacienne du vrai procède par deux voies différentes, l’une explicite, l’autre plus secrète. Balzac accumule les effets argumentatifs, explicatifs (textes préfaciels, descrip­ tions, commentaires d’auteur) selon une rhétorique qui est celle de l’abondance et s’adresse au grand public. Ce déploiement rhétorique sert en réalité à masquer une vérité réservée aux happyfew qui se donne à deviner à travers un discours de l’ellipse, du non-dit et de l’énigme1 2. Cette entreprise d’enseignement du vrai utilise les ressources que lui proposent les deux facultés fondamentales de l’esprit humain selon Bal­ zac : l’esprit d’analyse et l’esprit de synthèse. De l’un découle l’esprit positif et le scepticisme, de l’autre l’imagination, la « foi » et l’amour3. De là des voies nouvelles pour la persuasion : l’idée que « les faits par­ lent d’eux-mêmes » et « parlent fort » - est-ce le degré zéro de la rhéto­ rique ? De là aussi le choix des figures de l’ironie, tandis que l’esprit de synthèse conduit à une poétique de l’allégorie et du symbole : toutes les Études philosophiques et leur mise en imagerie illustrent le choix d’un tel discours4. Les très fécondes démarches de la persuasion balzacienne sont encore animées par l’énergie des passions : nous y reviendrons à propos du pathétique, mais il est inévitable que la révélation aiguë de la vérité - les lecteurs y risquent leur bonheur comme les personnages - ne puisse s’opérer sans traumatisme : l’extraordinaire expressionnisme bal­ zacien complète l’œuvre d’initiation du romancier. Il va de soi que le Romantisme compte aussi des écrivains qui se refusent explicitement à toute entreprise d’enseignement et de convic­ tion. Nous ne nous les trouverons pas nécessairement, comme on pour­ rait s’y attendre, chez les poètes. Le grand lyrisme est volontiers élo­ quent et argumenté chez Vigny, Musset ou Hugo. En revanche, le refus du didactisme se reconnaît aussi bien chez Stendhal que dans la parole poétique dès qu’elle apparaît comme signe pur à décrypter, comme autosuffisante. A égale distance de l’algèbre et de la communication musicale, Stendhal ne vise à captiver que le petit nombre. S’il descend jusqu’à 1. Voir par ex. l’introduction par Philarète Chasles aux Romans et contes philosophiques de Bal­ zac, Pléiade, t. X, p. 1185-1197. 2. Alain, l’un des premiers, posa l’idée que Balzac est un romancier du secret et du non-dit (voir sa notice sur Béatrix dans son Avec Balzac). 3. La théorie en est faite dans Séraphùa (Pléiade, t. XI, p. 808-828). 4. Balzac, à propos de La Peau de chagrin : « Là, tout est mythe et figure », ou encore, « allé­ gorie de la vie humaine ».

expliquer, à classer, à définir dans son livre De Vamour, il opte dans sa création romanesque pour l’ellipse du discours : une poétique du détail significatif, des sensations fines dont les transitions sont plus fines encore, de l’ironie en même temps que de la grâce. La persuasion tend à une manière de communication angélique où seule la sensibilité à la beauté est requise1. C’est cette même sensibilité qui donne au lyrisme romantique ses plus remarquables trouvailles et l’ouvre à ce que sera ensuite la poésie baudelairienne. Nous avons déjà insisté sur le fait que le lyrisme romantique n’est pas alimenté par l’immédiateté du sentiment, par son effusion libre. Il faut préciser maintenant que les poètes romantiques (nous choisirons l’exemple de Vigny) ont la plus vive conscience du fait que la seule sensibilité poétique - qui fait son énergie, sa force persua­ sive et séductrice - est celle que filtre et accentue à la fois l’imagina­ tion : celle-ci ne s’exerce en plénitude que dans la distance permise par la mémoire. Le cas de Vigny est symptomatique du rôle que joue le pathétique dans la communication poétique ; il a de surcroît l’avantage d’avoir été pour ainsi dire commenté par Vigny lui-même, en particulier dans Stello. Le dialogue du poète et du Docteur Noir ne représente pas le dialogue du sentiment et de la raison mais de deux formes de sensibi­ lité. Celle de Stello, née de son ardeur passionnée, se jette alternative­ ment soit dans une emphatique rhétorique du sentiment fondée sur l’abondance, l’hyperbole et l’oxymore, soit dans le silence stérile du spleen des mélancoliques. Ce n’est là, pour le Docteur Noir, qu’un « instinct » de poésie. La véritable communication de l’émotion, dans et par l’émotion - ce qui définit à la fois le pathétique et la parole poé­ tique — se fait par la retenue et dans la distance : dans un discours de la breuitas, de la tension où les effets gagnent en concentration et n’apparaissent jamais mieux que dans la litote élégiaque. Ce travail sur la sensibilité est l’œuvre de l’imagination qui, par le secours de la mémoire, laisse à l’émotion toute sa force et ses chances d’accéder à l’universalité de l’idée1 2. On le voit, il s’agit bien de poésie, et le poète n’a rien rabattu de son souci de persuasion. La Maison du berger est sans doute la plus exacte illustration des réflexions du Docteur Noir sur le pouvoir émotionnel de la parole poétique.

1. Voir Michel Crouzet, Stendhal et le langage, Gallimard, 1981 ; Raison et déraison chez Stendhal. De l’idéologie à l’esthétique, 2 vol., Lille, III, 1984 ; La Poétique de Stendhal, essai sur la genèse du Roman­ tisme, Flammarion, 1983. 2. Stello, Première consultation du Docteur Noir paraît chez Gosselin en 1832 ; la Seconde consultation du Docteur Noir. Daphné, rédigée en 1837, resta inédite.

Nous ne pouvions parler de persuasion sans lier émotion et idée. La Les formes nouvelles réflexion sur l’émotion, on l’a vu, ne sépare pas efficacité et beauté de du pathétique la parole : cela se vérifiait aussi bien chez les romanciers que chez les poètes. Il faut désormais préciser par quels rapports nouveaux et féconds pathétique et beauté sont fiés. Nous avons déjà évoqué les deux essentielles origines philosophi­ ques du Romantisme : le sensualisme de Locke et Condillac relayé par d’Holbach et Helvétius, transmis par les Idéologues, fait naître senti­ ment, passion et idée de la comparaison entre les sensations : celle-ci s’opère dans la conscience du devenir et l’expérience de l’unité du moi. Cette unité est perçue comme corporelle et/ou spirituelle. Pour les Idéologues elle gît dans l’exacte projection du physique sur le moral1. Pour Balzac, si anxieux d’un divorce du corps et de l’âme, s’affirme l’idée de la matérialité de l’âme, identifiée à l’énergie vitale dont les effets peuvent être soit matériels, soit spirituels, l’unité du moi s’exprimant toujours en termes de forces1 2. Rousseau, parce qu’il combi­ nait sensualisme et idéalisme, fondait l’unité du moi dans le sentiment d’exister, appréhension globale du corps et du monde, intuition de l’âme et de Dieu à travers une participation poétique à l’être ou à tra­ vers les « chimères » vraies par lesquelles l’imagination donne forme à ses exigences idéales3. Au confluent de ces différents appels le pathétique romantique se diversifie en riches inflexions : il fait une large place aux émotions du corps, à l’irrationnel ; il privilégie l’image où s’inscrivent ensemble et souvent métaphoriquement les ébranlements du corps et de l’âme, il débouche sur une rhétorique du sublime, soit par la terreur de la dépossession et du tabou, soit par le lucide héroïsme ou la transparence mortelle du sentiment pur. Nous nous bornerons ici encore à suggérer quelques illustrations lit­ téraires de ces idées dans les deux générations romantiques. Mme de Staël et Chateaubriand ont fondé dans la résistance à une rhétorique des passions une rhétorique des émotions du sentiment. Tout l’effort de Chateaubriand, de René à la Vie de Rancé en passant par les Mémoires d''outre-tombe, tend à dépasser la voix des « orages » : René, avant Stello et le héros de la Confession d’un enfant du siècle de Musset, hésite entre le silence, le cri et une déclamation (certes admirable). Cette recherche d’un pathétique concentré parce que dominé aboutit 1. Voir notes 2, p. 1055 (Helvétius et d’Holbach) et 1, p.1058 (Destutt de Tracy, Éléments d’idéologie, et Cabanis, Des rapports du physique et du moral de l’homme). 2. Voir note 2, p.1053. 3. Voir la 5e Rêverie du promeneur solitaire ; la chimère, forme de l’idéal : dernière lettre de Julie à Saint-Preux : « Hors l’Etre existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas. »

avec Rancé au grand ton du XVIIe siècle, au style sévère et presque stoïque de celui qui a compris une grande vérité : il ne faut jamais dési­ rer que se lèvent les orages. П aboutit aussi à l’élégance tragique de l’élégie dans les Aventures du dernier Abencérage, au sublime de la transpa­ rence héroïque qui fait rechercher le dépouillement du désert1. Dans le même temps, par des voies singulières, Constant et Senancour découvrent les intermittences du sentiment et l’expérience du vide intérieur, d’un moi aspiré dans l’absence de l’être. Ils prolongent l’un et l’autre l’expérience du sentiment qu’avait découverte Rousseau, mais ils la retournent : alors que le Promeneur de la 5e Rêverie identifiait le sentiment à l’expérience de la plénitude dans la conscience d’exister, ils vivent négativement leur conscience d’exister. Un pathétique nouveau - qui est en même temps une esthétique littéraire nouvelle - prend corps : en opposition au flux poétique continu de Rousseau se forme un pathétique dense ou dérisoire de la déchirure chez Constant ; Senancour annule l’anxiété en la diluant dans le sublime gracieux ou aveuglant d’un paysage1 2. Nul doute que le pathétique romantique ne trouve sa force dans la conscience exacerbée de son existence que recherche le moi. Il est lié à l’idée que l’énergie - qui faisait aux yeux d’Helvétius le dynamisme créateur des passions, qui arrachait la vie à la tentation de l’indolence est une force qui, à la fois, constitue la personne et la détruit. Les illus­ trations de cette idée se trouveraient aisément dans le drame roman­ tique, qu’il s’agisse de Hugo ou du Lorenzaccio de Musset. Elle trouve son champ d’application le plus vaste dans le roman de Stendhal et celui de Balzac qui sont, à des titres divers, romans de l’énergie et de l’héroïsme individuel : entendons par cette expression l’idée que le per­ sonnage ne se constitue en personne que s’il va au bout de lui-même, absolument. Le pathétique naît alors de la distance perçue entre les chances médiocres ou milles qu’offre le réel et le romanesque impéni­ tent d’un désir d’absolu que rien ne comblera si ce n’est dans la des­ truction de soi. Le héros du Rouge et le Noir tire de cette constatation son âpre héroïsme, son expressionnisme baroque, tandis que La Chartreuse de Parme dépasse le pathétique cornélien dans l’ellipse sublime et élégiaque de la grâce, que Lucien Leuwen cherche le dépassement du pathétique dans un apprentissage (peu convaincant ?) du rire3. Musset, dans Les 1. L’élégance néo-classique de VAbencérage n’est pas une survivance attardée : elle est l’une des expressions les plus élevées du sublime platonicien romantique - une réponse à René. 2. L’une des plus fécondes nouveautés de VOberman de Senancour réside dans un art du pay­ sage emblématique d’un état d’âme négatif, ou strictement innommable : voir lettres IV, VII, XVI, XXII, LXIII par exemple. 3. Voir Michel Crouzet, Stendhal. Quatre études sur «Lucien Leuwen », SEDES, 1985 ; Le héros fourbe chez Stendhal, SEDES, 1987.

Caprices de Marianne, On ne badine pas avec Vamour et Fantasia, combine lui aussi sublime et grâce dans le pathétique. Si nous insistons sur l’émotion que le Romantisme cherche à fonder dans la retenue des émotions, c’est parce que trop souvent on assimile le pathétique romantique à la saison des orages. La même observation peut être faite même à propos de la rhétorique balzacienne du senti­ ment et des passions. Le propre de cette rhétorique est en effet de tenir affrontés et confrontés ensemble, sans le souci d’équilibre ou d’apaisement d’aucun éclectisme, les contraires. Le pathétique balza­ cien étend donc son registre de l’amplification expressionniste de l’émotion (les souvenirs shakespeariens aidant) au cynisme tragique de la dérision, de l’imagerie mélodramatique à la réserve élégiaque. Dans la Préface à 1 "Histoire des Treize, le romancier fonde du reste dans l’antithèse le caractère essentiel du « drame de l’école moderne ». Il exploite toutes les virtualités en effet de l’antithèse pour produire la saisie, ensemble, des contraires: antinomie du réel et de l’absolu, déchirure insurmontable de l’âme et du corps, de l’idée et de la forme, pour produire une émotion dont le ressort et l’envergure réels sont métaphysiques, portant interrogation à la fois sur la plénitude et la vacuité du réel, sur sa mesure ultime qui est l’inaccessible et mortel absolu1. Le Romantisme a le privilège de remettre en cause et de multiplier les formes de la beauté, et il le fait grâce à une parfaite connaissance de la tradition rhétorique et poétique. Cette parfaite assimilation prend toute sa fécondité dans une expérience neuve qui est celle de la modernité : le XIXe siècle va rester fasciné par la révélation des pouvoirs de la lai­ deur ; d’autre part, en même temps qu’il vit un relatif effacement des accès traditionnels au sacré, il a le pouvoir d’en multiplier les formes. De là ces déplacements de la beauté, de la grâce et du sublime. La littérature de la première moitié du XIXe siècle découvre le pou­ voir de fascination du réel. Or ce réel est souvent médiocre, voire laid ; multiple en tout cas et de ce fait peu propre à une appréhension glo­ bale. Trois problèmes se posent à son propos qui relèvent d’une rhéto­ rique renouvelée. D’une part, la représentation du référent peut être tentée soit par « l’immense vérité des détails », soit globalement dans la saisie d’une image qui amplifie et stylise un détail caractéristique. C’est le problème qu’ont à résoudre les romanciers qui cherchent l’effet de réel ; Stendhal opte pour la deuxième solution, Balzac pratique les 1. Voir Arlette Michel, « Le pathétique balzacien dans La Peau de chagrin, Histoire des Treize et Le Père Goriot », Année balzacienne, 1985.

Une rhétorique nouvelle du beau, de la grâce et du sublime

deux démarches, combinant ainsi esprit d’analyse et esprit de synthèse. Le deuxième problème qui se pose aux créateurs concerne la couleur qu’ils souhaitent donner à la mimesis. Nous venons d’évoquer une possi­ bilité de représentation à l’identique (ou prétendue telle). Mais le romancier comme le dramaturge peut choisir de reproduire la réalité selon un point de vue réducteur - il peut atteindre tous les degrés et formes de comique : n’oublions pas le beau titre retenu par Balzac : La Comédie humaine. Il peut aussi chercher à miner le réel et le transcender par des effets d’agrandissement, par le refus de la médiocrité. Dans ce changement de point de vue, ce qui paraissait comique peut être res­ senti comme tragique. Cette ambivalence est caractéristique du rire et de l’ironie romantiques1. Hugo, quand il définit la modernité du théâtre, dans la Préface de son Cromwell en 1827, affirme qu’elle consiste dans le mélange de l’héroïque et du dérisoire, d’Ariel et de Caliban, du grotesque et du sublime. Les points de vue sur le réel que nous venons d’évoquer impliquent tous un jugement sur le beau et c’est pour nous le point le plus riche de la rhétorique romantique. La découverte de l’insuffisance du réel est le premier symptôme du « mal du siècle ». Les écrivains romantiques se résolvent difficilement à un constat aussi désespérant, et c’est dans un esprit de protestation qu’au nom de l’absolu et du beau ils tiennent chro­ nique des médiocres laideurs du monde comme il va : il faut attendre Baudelaire et surtout Flaubert pour que les écrivains osent les exprimer dans leur platitude, avec une amertume sans consolation. Les écrivains romantiques, quant à eux, hésitent entre deux types de discours : une manière de degré zéro du langage (pratiqué par le Balzac flaubertien d"Un début dans la vie) et un expressionnisme fondé dans la conjonction de l’hyperbole et de l’antithèse : on le trouve présent dans les scènes les plus désespérées du Lorenzaccio de Musset, dans les romans populaires d’Eugène Sue et, naturellement aussi, chez Balzac. Ces textes inventent une beauté de l’horrible, dans une rencontre moins du grotesque et du sublime que de l’horreur et du sublime - un sublime inversé1 2. Observons maintenant les registres de cette esthétique de la protes­ tation animée par l’obsession du laid. Les canons traditionnels de la beauté - harmonie dans la propor­ tion des ensembles - sont les premiers à être ébranlés, précisément parce que l’expérience unitaire de l’harmonie apparaît désormais comme inaccessible. L’admiration nostalgique des Romantiques pour 1. Maurice Ménard, Balzac et le comique dans «La Comédie humaine», PUF, 1983. 2. Voir la prédilection balzacienne pour la jonction des deux termes « horrible » et «sublime» (art. cité, n. 1, p. 1061).

la peinture de Raphaël est une illustration de cette idée. Les écrivains de l’harmonie n’ont cependant pas disparu du ciel poétique, mais celle-ci n’est plus perçue que sous les formes rêvées du beau idéal ou de l’expérience rare d’une communion à l’être. Le théoricien romantique du beau idéal est, avant Stendhal, l’auteur du Génie du christianisme. Fidèle à la plus exacte doctrine antique et classique, il sait que le beau idéal est le modèle antérieur de l’absolue beauté que l’artiste porte en lui et exprime par le choix des fragments de beauté que lui propose le réel, qu’il stylise et coordonne grâce à l’intuition de l’harmonie parfaite qui l’habite1. Cette idée du beau idéal, transmise à travers Rousseau, conduit la poétique de Chateaubriand d’une part vers une esthétique des correspondances (des « harmonies ») qui traverse tout le Romantisme. Lamartine l’illustre dans les Médita­ tions poétiques et le recueil des Harmonies poétiques et religieuses, fixant l’expérience poétique d’une plénitude nostalgique ou mélancolique trouvée au contact du sacré dans la nature12. D’autre part, l’exigence du beau idéal, idéalement harmonieux, débouche dans l’imaginaire pur : Rousseau et Balzac parlent ici de « chimères », Chateaubriand et Gau­ tier de « sylphide ». Alors la prégnance du réel s’estompe et l’harmonie ne relève plus que de la nécessité intérieure du rêveur : harmonie baroque de la « sylphide » de Combourg, de la Spirite de Gautier en qui se mêlent les deux esthétiques d’un Romantisme du Nord et d’un Romantisme du Midi3. La beauté d’harmonie inscrite dans l’idéal est, à l’époque roman­ tique, volontiers humanisée par un autre rêve, celui de la grâce. On pense peu à cette catégorie du beau quand il s’agit de Romantisme : elle est cependant le lien de toutes les perfections pour celles des amou­ reuses stendhaliennes qui trouvent dans l’amour l’abandon à la trans­ parence du sentiment, pour les tragiques images de la jeunesse qui ani­ ment le théâtre de Musset. La grâce romantique est en effet volontiers accompagnée de morbidezza, de cette pénétrante mélancolie qui sert de masque au désespoir refusé. Elle est la marque distinctive des âmes ardentes en quête d’absolu et qui acceptent d’y trouver leur dissolution - grâce de l’Abencérage et de Bianca, mais aussi bien de Lorenzaccio, de Louis Lambert, de Mme de Mortsauf ou d’Esther Gobseck. La grâce est ainsi l’une des marques du sublime et la rhétorique romantique est avant tout une rhétorique du sublime : elle en exploite 1. Génie du christianisme, 2e partie : « Poétique du christianisme », liv. II, chap. XI et XII. 2. Ibid., 3e partie : « Beaux-arts et littérature », liv. V : « Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain ». 3. Spirite, éd. Michel Crouzet, L’œuvre fantastique de Gautier, Bordas, « Classiques Garnier », 1992, t. II.

toutes les virtualités, avec une prédilection sans doute pour la tra­ dition burkienne du sublime de terreur et pour le sublime chrétien d’humilité. Le néo-platonisme dont nous évoquions tantôt la résurgence avec Ballanche, Joubert, Jouffroy, encourage la persistance du sublime lumi­ neux. Il s’exprime par la transparence pour Joubert, l’un des plus purs néo-platoniciens du Romantisme. A la suite de Platon, de Fénelon et de Rousseau, il trouve la transparence non point dans la clarté (qui lui paraît fausse), mais dans la pure lumière de l’idée qui rayonne au-delà du sensible qu’elle éclaire et qui traverse la ténèbre infinie : la transpa­ rence est « l’imitation du divin, qui fait toutes choses avec peu et pour ainsi dire avec rien »’. Le sublime de la lumineuse élévation trouve des inflexions moins purement platoniciennes chez Jouffroy. Pour lui le sublime est, à pro­ prement parler, 1’ « invisible ». Par-delà la beauté d’harmonie, le beau idéal, la beauté d’expression et le beau d’imitation, la vraie beauté n’est pas imitable et n’a évidemment pas besoin d’être idéalisée. Metis toute image sensible suggère plus qu’elle-même, à travers les jeux d’asso­ ciation auxquels le sensualisme s’était intéressé. Seule l’analogie, le lan­ gage du symbolisme disent donc l’étrangeté souveraine du sublime dans le juste détour poétique1 2. Baudelaire n’oubliera pas cette idée. Le sublime de la transparence, de l’ascension lumineuse et de la lucide analogie aboutira au poème Élévation. Il transfigure, à l’époque romantique, les instants de grâce où l’accès au sacré se fait dans l’expérience de la plénitude : il illumine ainsi de l’intérieur beaucoup de paysages romantiques qui proposent au contemplateur le bonheur d’une fusion dans l’être du monde : Senancour, Chateaubriand, Hugo la pratiquent et y trouvent l’assurance que la grâce n’a pas déserté la nature3. Cet accès lumineux au sacré se fait aussi dans l’absolue pureté du sentiment : ce miracle de douceur qui transcende la déchirure des pas­ sions, l’âpreté héroïque des plus hauts désirs, n’est que « non curance », abandon à la plus haute pente. Sand dans Consuelo rêve qu’il ne soit pas mortel - mais Consuelo perd sa voix4 ; Stendhal sait que l’amour ne se dit pas et que tout amour est sans lendemain : Fabrice et la Sanseverina meurent à peu d’intervalle. 1. Joubert, Pensées et lettres, p. 223. 2. Jouffroy, Cours d’esthétique, leçons XXV, XXX, XXXV (la beauté de l’invisible) ; XVI, XVII (les associations sensibles) ; XVIII (le symbole). 3. A l’anxiété sadienne puis byronienne d’une nature désertée par la grâce s’oppose l’expérience extatique des « harmonies » (Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand). 4. George Sand est l’un des rares écrivains romantiques qui ose espérer que l’accès à l’absolu s’opère dans la plénitude et non le vertige de la destruction.

Le sublime de la transparence rejoint la grâce : il trouve en elle son achèvement comme il y a trouvé son origine sacrée. Le Romantisme doute de la Grâce : sceptiques, anxieux, Byron et Chateaubriand, Nodier et Musset redoutent l’aspérité d’un monde où les signes de l’absolu sont absents. Le sublime héroïque est alors l’acte d’une profes­ sion, d’une révolte qui ont la fièvre et la tension de la folie : Julien Sorel, Esther Gobseck, la duchesse de Langeais y trouvent, dans la mort, la plénitude de leur vie. Alors que le sublime lumineux de la transparence anime une prose poétique ou élégiaque, une poésie musicale, un style de l’ellipse et de la litote, l’âpreté héroïque par laquelle l’humanité s’échappe à elle-même se développe dans le registre tragique de la grandeur. Les désastres reçoivent alors du moins l’hommage de l’admiration plus que de la terreur. Il n’en va pas de même dans les registres du sublime qui ont la pré­ dilection de la deuxième génération romantique et qui culmineront tous les deux dans les créations hugoliennes de l’exil. Le sublime de l’abîme, sublime de terreur qui frappe d’un tremblement panique à l’approche du sacré, avait fait merveille dans le théâtre shakespearien, dans le Virgile nocturne que Hugo connaissait si bien. Crise et paroxysme, il est formulation de l’indicible même, du tremendum. Les Romantiques si anxieux du pouvoir des mots se passionnent pour la difficulté que leur propose une telle expérience. La Comédie humaine, le théâtre de Hugo, les plus sombres poèmes de ses grands recueils lyri­ ques entre 1831 et 1840 multiplient les ressources du langage: cri, image oxymorique, détour énigmatique de la métaphore, mais aussi, paradoxalement, déferlement verbal inspiré par l’angoisse vécue par Balzac, formulée par Flaubert, que l’excès des mots est toujours insuffi­ sant et inférieur à la terrible présence de l’être. Dans son William Shakespeare, Hugo fait la théorie du sublime chré­ tien : la deuxième génération romantique, autour de 1840, le pratique déjà et en tire les effets d’un grandiose tragique animé par la compas­ sion quand il s’agit de Balzac, des effets mélodramatiques quand il s’agit d’Eugène Sue et des Mystères de Paris. Hugo fondera en lui la beauté des Misérables. Il est contenu et formulé par l’oxymore du pire abaissement révélant le paradoxe de la plus haute élévation. Le modèle en est évidemment à chercher dans le Crucifié1 et dans les figures qui l’annoncent ou l’accompagnent et l’imitent : Job sur son fumier, Jean-Baptiste dans sa citerne, Paul terrassé sur le chemin de Damas, 1. Vigny, Le Mont des oliviers ; Nerval, Le Christ aux oliviers ; Baudelaire, Le Reniement de saint Pierre ; Villiers de l’Isle-Adam, Chant du calvaire.

Marie-Madeleine1 : on sait la fascination exercée par ces images à tra­ vers tout le siècle jusqu’à Hello, Huysmans et Bloy. Elles animent de leur rayonnement mythique le sombre univers de La Comédie humaine, vivifient l’inspiration « humanitaire » de Hugo, fascinent les poètes qui méditent sur le ciel déserté d’espérance du Mont des oliviers, Vigny, Nerval et jusqu’à Villiers de l’Isle-Adam. Nous avons esquissé quelques lignes de force à travers la littérature romantique. Il importait de suggérer et ses fidélités à l’égard de l’enseignement rhétorique et les inventions que rendait possible, préci­ sément, cette fidélité. Pour les créateurs, la rhétorique est d’abord philosophie du langage et instrument poétique. Les deux générations romantiques croient au pouvoir des mots et, quand elles le mettent en soupçon, c’est pour lui rendre une vitalité plus pleine. Dès les premières années du siècle s’instaure la recherche d’un langage qui aurait valeur ontologique. Cette recherche, souvent nostalgique des ressources de l’éloquence, se développe volontiers dans le sens de l’abondance, de la copia (c’est un reproche souvent formulé à l’égard du Romantisme), d’une rhétorique restreinte où dominent l’hyperbole, l’antithèse, l’image. On oublie plus souvent les ressources romantiques de la breuitas, de l’ellipse et de la litote, du non-dit, de la mise à distance ironique qui accentue et le gro­ tesque et le tragique. Les écrivains romantiques combinent ces effets dans leur double entreprise de donner le monde en représentation et de le confronter à la mesure de l’absolu, de dire le réel avec l’idée, la multiplicité et le désir d’unité, le tædium vitae et l’extase qu’il appelle. Le pathétique qui naît de ces expériences ontologiques dépasse évidemment l’effer­ vescence des sensations, des sentiments et même des passions : elles ne sont que les formes sensibles d’une inquiétude métaphysique et reli­ gieuse qui donne sa dimension vraie au pathétique romantique et à la recherche du beau qui est sa fin dernière. Ainsi la méditation sur le sublime et la recherche de ses formulations sont-elles au cœur du Romantisme. Les écrivains romantiques, avant Flaubert, prétendent que la parole efficace est celle qui profère la vérité mais, pour eux comme pour Baudelaire et Flaubert, la seule réalité persuasive est la Beauté.

1. William Shakespeare, I, 2, § 2 Job) ; § 10 (Paul sur le chemin de Damas).

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

L’étude de la rhétorique au XIXe siècle est en cours : une tentative de synthèse est, pour cette raison, prématurée. Dans notre bibliographie comme dans notre contribution nous ne proposons que quelques bases et quelques directions de recherche.

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ANTOINE COMPAGNON

24 - La rhétorique à la fin du XIXe siècle (1875-1900)

Aborder le destin de la rhétorique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, c’est s’aventurer vers une période où la référence à l’ancienne technique ne paraît plus aussi pertinente qu’au cours des époques antérieures. La rhétorique a une origine, mais elle ne semble pas jusqu’ici avoir véritablement d’histoire : elle se reproduit sans chan­ gements décisifs, sans inventions essentielles, depuis Aristote jusqu’au milieu du XIXe siècle. Et pourtant elle a une fin, dont la rapidité a déconcerté ses partisans : très vite, entre 1870 et 1900, elle disparaît de l’enseignement dans la plupart des pays d’Europe, ou en tout cas elle ne se présente plus sous son nom traditionnel. La rhétorique connaît alors une crise grave, qui est liée à celle de l’enseignement classique. Parler de la rhétorique au tournant du siècle, c’est d’abord examiner la « question du latin ». L’offensive contre les langues anciennes, dont cer­ tains voudraient se débarrasser tout à fait dans l’enseignement secon­ daire, coïncide avec le procès d’une éducation taxée de formalisme, c’est-à-dire de rhétorique. П suffira d’examiner d’un peu près la situa­ tion de la rhétorique en France et aux Etats-Unis d’Amérique pour concevoir le climat général, car l’élimination de la rhétorique s’est pro­ duite en termes analogues en Angleterre ou en Italie. Mais la rhétorique ne disparaît pas définitivement, elle revient sous d’autres formes. П faudra aussi débattre des conditions de sa réhabilita­ tion au cours du XXe siècle. L’ÉCLIPSE DE LA RHÉTORIQUE EN FRANCE

En 1885, Ernest Renan s’écriait, en recevant Ferdinand de Lesseps à l’Académie française : Vous avez horreur de la rhétorique, et vous avez bien raison. C’est, avec la poétique, la seule erreur des Grecs. Après avoir fait des chefs-d’œuvre,

ils crurent pouvoir donner des règles pour en faire : erreur profonde ! H n’y a pas d’art de parler, pas plus qu’il n’y a d’art d’écrire. Bien parler, c’est penser tout haut. Le succès oratoire et littéraire n’a jamais qu’une cause, l’absolue sincérité.

C’était le coup de pied de l’âne : Renan couvrait de son autorité le combat contre la rhétorique, en cette année cruciale où elle disparut du plan d’études et des programmes de l’enseignement secondaire classique en France. Il fallut en fait une trentaine d’années, de 1872 à 1902, pour l’éliminer entièrement de l’enseignement secondaire, partant, de la cul­ ture générale des Français. Ce processus a coïncidé avec le déclin des langues anciennes dans l’enseignement classique. En septembre 1872, Jules Simon, ministre de l’instruction publique et des Cultes, avait adressé aux proviseurs des lycées-une célèbre circulaire par laquelle il cherchait à modifier la pédagogie du latin, du grec et du français. Comme le note C. Falcucci dans sa thèse de 1939, ^humanisme dans Renseignement secondaire en France au XIX siècle, J. Simon entend alors moins changer les programmes que « transformer des méthodes qui ont vieilli et abandonner des exercices dont l’inutilité est universellement reconnue » (cité par Falcucci, p. 315). Il recommandait principalement de supprimer les compositions de vers latins et le prix de vers latins, de diminuer le nombre des thèmes, qui ne devaient être conservés que jus­ qu’à la classe de cinquième, et de restreindre la part de la version ; il fai­ sait en revanche de l’explication des auteurs, en classe, et de la prépara­ tion de l’explication, en étude, l’instrument principal de la pédagogie latine. Les élèves liraient d’ailleurs quelques chefs-d’œuvre dans leur ensemble, et non plus seulement des extraits tirés des recueils de mor­ ceaux choisis, ces fameux Condones, siue Orationes... sans cesse réédités depuis le XVIIe siècle. Enfin, J. Simon proposait d’instituer, à partir de la classe de quatrième, des compositions et des prix de langue et de littéra­ ture françaises. Cette circulaire rencontra l’opposition vigoureuse de Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, qui demanda aux supérieurs et pro­ fesseurs de ses petits séminaires de n’en pas tenir compte, car cela eût provoqué « la ruine des Humanités et le renversement définitif de la haute éducation intellectuelle en France » (cité par Falcucci, p. 315). C’était, au nom de la méthode, la première grande offensive contre la pédagogie rhétorique traditionnelle et la domination du latin dans l’enseignement secondaire. Mais, après la démission de Thiers en mai 1873 et l’instauration de 1’« Ordre moral», les projets de réforme furent enterrés et le nouveau ministre de l’instruction pub­ lique envoya aux proviseurs, dès septembre 1873, une circulaire qui revenait sur toutes les recommandations de J. Simon. Puis le plan

d’études de 1874 restaura dans leur prestige les exercices du vers, du thème et de la composition latines. La pédagogie traditionnelle fondée sur les langues anciennes vécut quelques années de sursis, jus­ qu’en 1880, où Jules Ferry proposa au Conseil supérieur de l’instruc­ tion publique de réformer le baccalauréat, les méthodes et le plan d’études, en ayant pour principe de substituer « aux procédés a priori, à l’abus des règles abstraites, la méthode expérimentale qui va du concret à l’abstrait et déduit la règle de l’exemple » (cité par Falcucci, p. 341). Tel fut l’axiome, conforme à l’esprit de la circulaire de 1872, au nom duquel la composition du discours latin fut cette fois sup­ primée aux épreuves du baccalauréat et remplacée par la composition française, «portant sur l’ensemble du programme littéraire et histo­ rique des trois classes d’Humanitéfs] » (Falcucci, p. 341). Le début de l’enseignement du latin fut retardé de la classe de huitième à celle de sixième, et le grec de la classe de sixième à celle de quatrième. Enfin, ce fut le 4 août 1880 que le dernier discours latin fut prononcé à la distribution des prix du Concours général. On continuait cependant, par compromis, de faire des compositions latines en classe de Rhéto­ rique : « La composition latine, vivement attaquée par quelques per­ sonnes, reste inscrite au programme de la Rhétorique », fit-on encore dans les Instructions et règlements publiés après la réforme de 1890 (Instructions, 1890, p. 447). Mais le vers latin, lui, avait bel et bien dis­ paru, et les rapports d’agrégation se plaignirent bientôt que, de ce fait, les candidats ne sussent plus la prosodie latine. Le conflit, alimenté par de nombreuses publications à la fin des années 1870, ne portait pas sur les seules méthodes d’enseignement des langues anciennes et modernes, sur les mérites respectifs de la pédagogie déductive et de la pédagogie inductive, mais aussi, bien entendu, sur les idéaux, sur la finalité de l’enseignement secondaire : il était reproché aux humanités classiques et à la rhétorique de reproduire des orateurs. L’ouvrage le plus influent dans ce débat fut certainement celui du philo­ sophe Gabriel Compayré, Histoire critique des doctrines de l’éducation en France depuis le XVIe siècle (1879), couronné par l’Académie des sciences morales et politiques sur un rapport d’Octave Gréard. Le chapitre sur le Ratio studiorum des Jésuites définit les termes du procès qui sera fait à l’enseignement rhétorique : « Pas de connaissances positives, des exerci­ ces purement formels » (p. 192), ou : « Les Jésuites cherchaient dans la lecture des anciens, non un instrument d’éducation morale et intellec­ tuelle, mais simplement une école de beau langage » (p. 190). Or, Com­ payré sera député républicain de 1881 à 1889, au temps des grands débats parlementaires sur les lois scolaires. Son livre fut le véritable manifeste des réformes de l’enseignement secondaire sous Jules Ferry.

A partir de 1880, le parti moderne avait triomphé de l’enseigne­ ment classique traditionnel et mettait en question tous les exercices rhé­ toriques, jugés stéréotypés, comme les narrations, les discours et les let­ tres. L’accent était mis désormais sur les textes - leur lecture, leur préparation, leur explication - au Heu des règles, ou, comme l’affirma J. Ferry à la distribution des prix du Concours général de 1881, il s’agissait de mettre « les leçons de choses à la base de tout » (cité par Falcucci, p. 355). Une philosophie, une psychologie et une pédagogie étaient engagées là, qui, allant du concret à l’abstrait, des choses aux idées, renversaient l’esprit classique, faisant de la déduction l’instru­ ment du vrai et la méthode souveraine. Le plan d’études de 1884 revint sur celui de 1880 et réduisit les horaires de toutes les disciplines à l’exception des langues anciennes, qui, malgré leur mise en cause en 1880, restaient d’ailleurs dominantes. De même, on réintroduisit dans les années 1890 les morceaux choisis, les Condones, écartés des listes d’auteurs adoptés pour l’enseignement clas­ sique en 1880. Mais l’esprit moderne, sans trancher entre la fonction uti­ litaire et la vocation libérale, ou désintéressée, de l’enseignement, récon­ ciliant pour le moment ceux qui voulaient la suppression pure et simple des langues anciennes et ceux qui souhaitaient simplement qu’on les enseignât par des méthodes nouvelles, était solidement implanté : on peut dire que la rhétorique a fait les frais de cette alliance équivoque. Selon le plan d’études et les programmes de l’enseignement secondaire classique prescrits par arrêté ministériel du 22 janvier 1885, des notions sommaires d’histoire des littératures grecque (dix leçons d’une heure), latine (dix leçons) et française (quinze leçons) furent introduites en classe de seconde - jusqu’à la mort d’Henri IV pour la littérature française - et de rhétorique - depuis l’avènement de Louis XIII -, tandis que la rhéto­ rique disparaissait expressément des programmes, y compris dans la classe qui devait encore porter ce nom jusqu’en 1902. Puis la réforme de 1890, préparée par un an de réunions d’une commission et de sous-commissions mises en place par le ministre, et même si le latin et le grec devaient continuer de dominer de haut les autres disciplines au lycée, marqua un point de non-retour par l’adoption définitive des méthodes pédagogiques nouvelles. On Ht, dans les Instructions jointes aux programmes de 1890 : Il ne s’agit pas de développer les facultés de l’esprit, au sens le plus étroit du mot ; de créer une habileté à discuter, à composer, à tourner agréable­ ment des vers et de la prose ; ou du moins il ne s’agit de tout cela que très secondairement. Si c’était là toute l’éducation, ce serait l’éducation du rhé­ teur et du sophiste (Instructions, 1890, p. 449).

C’était bien la rhétorique qui était visée. Le grand grief contre celle-ci tenait à son formalisme : elle donnait censément une éducation artifi­ cielle, et non pas substantielle ; elle cultivait des honnêtes hommes, des hommes de luxe : On s’attache trop au bien dire, pas assez à ce qui est dit de vrai et de bien. On lit parfois les grands maîtres de la pensée, comme on écouterait un diseur ou un chanteur, pour admirer la perfection de leur art et savou­ rer les délicatesses de leur style (ibid.).

Cette argumentation conduisait à préférer l’explication des textes au thème et même à la version. La méthode empirique était partout recommandée contre la méthode rationnelle : Si l’on s’inspire, au contraire, des vues indiquées plus haut, l’enseignement des lettres sera moins littéraire, mais plus philosophique et plus humain ; il deviendra à sa manière une véritable leçon de choses morales professée par des écrivains de génie (ibid.).

L’explication des textes se définit ainsi comme la forme de la « leçon de choses » appropriée à la discipline littéraire. Après la circulaire de J. Simon de 1872 et le plan d’études de 1880, le plan d’études et les instructions de 1890, en dépit des résistances rencontrées et des conces­ sions faites entre-temps, poursuivirent l’offensive contre l’enseignement classique traditionnel, jugé abstrait et inadapté au monde moderne, et définirent toujours plus précisément un enseignement classique mo­ derne, c’est-à-dire, pour l’essentiel, sans rhétorique.

Un indice net de la déconsidération dans laquelle la rhétorique est Philologie alors tombée réside dans le petit nombre des travaux d’édition, de de la rhétorique commentaire et de critique consacrés aux rhétoriques grecque et latine. Rien de comparable en français aux ouvrages fondamentaux de R. Volkmann, Die Rhetorik der Griechen und Romer (1874), de F. Blass, Geschichte der attische Beredsamkeit (1887-1898, 3 vol.), ou de H. von Amim, Leben und Werke des Dio von Prusa (1898). Pour Aristote, c’est très frap­ pant : après les grandes et belles traductions de la Poétique (1858) et de la Rhétorique (1870) d’Aristote par J. Barthélemy Saint-Hilaire, on observe seulement une traduction de la Poétique et Rhétorique par Char­ les-Émile Ruelle (1883), d’ailleurs de qualité, précédée d’une notice approfondie qui fait le point des meilleurs travaux, puis une édition courante d'Extraits de la rhétorique (1897), tandis que les recherches uni­ versitaires s’amenuisent après la courte thèse d’Émest Havet, Étude sur la rhétorique d'Aristote (1846). Celle-ci n’est encore qu’une présentation

assez sommaire de la méthode aristotélicienne, préférée à celle des Latins, notamment à celle de Cicéron, lequel « fournit plutôt à son élève des artifices et des expédients que des principes» (Havet, 1846, p. 82). Havet porte ce jugement sévère dans un appendice sur la doc­ trine de l’invention et la classification des lieux communs chez Cicéron et Quintilien. On sent qu’il condamne ces auteurs, et plus encore Hermogène, ainsi que la routine, l’artifice et la superstition auxquels leurs règles conduisent, et qu’il retourne vers Aristote pour sauver l’éloquence des soupçons que la méthode historique fait déjà peser sur elle. Un autre appendice de son ouvrage le confirme : c’est sa disserta­ tion faite au concours de l’agrégation pour les facultés des lettres en 1844, sur ce sujet prémonitoire : « Quelle place peuvent occuper encore aujourd’hui, dans l’enseignement public des lettres, les anciens préceptes de poésie et d’éloquence auxquels a généralement succédé l’étude historique des écrivains et de leurs ouvrages ?» Le procès était bien entamé et l’ouvrage d’Havet montre qu’il portait au premier chef sur le caractère mécanique des méthodes d’invention de la rhétorique latine : c’est contre la doctrine des lieux que le grief de formalisme devait en effet se concentrer dans les décennies suivantes. Quant à la théorie de la rhétorique proprement dite et aux rap­ ports de la rhétorique avec la dialectique et la philosophie, il n’y a que Charles Thurot, futur directeur d’études de philologie latine à l’École pratique des hautes études, pour s’en occuper sérieusement, dans un article de 1859, « Questions sur la rhétorique d’Aristote », et un livre de 1860, Études sur Aristote. Politique, dialectique, rhétorique. H pro­ cède avec beaucoup de soin à la lecture et au commentaire des défini­ tions aristotéliciennes, distingue la rhétorique de la dialectique comme méthodes - respectivement de réfutation et de persuasion - de la phi­ losophie comme science, confronte les positions de Platon et d’Aris­ tote, explique pourquoi Aristote reconnaît la légitimité du raisonne­ ment fondé sur la vraisemblance et l’opinion, à côté du raisonnement fondé sur la vérité. Thurot analyse également l’omission de ces dis­ tinctions après Aristote chez les Péripatéticiens et les Stoïciens, jusqu’à l’inclusion de la théorie des lieux au centre de l’invention chez Cicé­ ron et Quintilien. Plusieurs appendices de son livre sont consacrés aux rapports des traités de Cicéron avec la rhétorique d’Aristote, et à la confusion cicéronienne de la méthode du philosophe et de celle de l’orateur. C’est l’ébauche d’une recherche fondamentale sur la rhéto­ rique, qui malheureusement ne sera pas poursuivie par la philologie française, empêchée par le discrédit jeté sur la rhétorique scolaire, avant un siècle, jusqu’à la thèse d’Alain Michel, Rhétorique et philosophie chez Cicéron (1960).

Car l’œuvre de Cicéron reste la vulgate de l’enseignement clas­ sique, et une petite nuée d’extraits de ses traités de rhétorique, en latin et en français, est encore publiée par les maisons d’édition scolaires : Hachette propose par exemple une anthologie latine de Victor Cucheval, accompagnée d’un volume reproduisant les mêmes extraits dans la traduction française de J.-V. Le Clerc (voir la bibliographie). Metis, là aussi, on trouve peu de travaux de philologie, sauf la très pertinente Étude sur la langue de la rhétorique et de la critique littéraire dans Cicéron de Charles Causeret (1886), ouvrage de lexicologie indispensable pour comprendre comment Cicéron transposa en latin la langue spécialisée et difficile de la rhétorique grecque, ainsi que pour préciser le sens de nombreux termes qui sont pris dans de multiples acceptions chez Cicé­ ron. En 1907, dans la préface de ses deux grandes thèses sur le style de Cicéron et sur ses idées rhétoriques, L. Laurand doit encore se justifier dans un climat hostile : « Peu importe ici que la rhétorique ait été bonne ou mauvaise, qu’il faille ou non l’enseigner aujourd’hui ; son influence dans Г Antiquité est un fait» (Laurand, 1907-, p. VIII). Quant à YInstitution oratoire de Quintilien, elle n’est pas éditée en latin en France durant notre période ; elle n’est pas non plus traduite en français entre 1829 et 1835, date de la traduction par Ouizille, et 1933-1934, date de la traduction par Bomecque. Sur Tacite, citons la monographie de Gaston Boissier (1903). Sur la Rhétorique à Hérennius, à peu près rien. Remarquons encore l’ouvrage de Max Egger, Denys d’Halicamasse, essai sur la critique littéraire et la rhétorique chez les Grecs au siècle d'Auguste (1902), tout en notant qu’il s’agit de la présentation globale d’une œuvre et que l’accent est mis davantage sur la critique que sur la rhétorique. Un domaine fait pourtant exception dans ce tableau désolé, mais il marque aussi l’isolement croissant des études rhétoriques : c’est celui de l’éloquence sacrée où, prenant la suite du Tableau de l'éloquence chrétienne au IV siècle de Villemain (1850), un certain nombre de monographies de qualité sont consacrées aux échanges de l’hellénisme et du christia­ nisme, à l’accueil des méthodes littéraires profanes par l’Église, et à la naissance d’une rhétorique chrétienne, comme L'influence de la Seconde Sophistique sur l'œuvre de Grégoire de Jfysse (1906), par Louis Méridier, ou Saint Grégoire de Nazianze et la rhétorique (1911), par Marcel Guignet. П s’agit d’études approfondies du style et des images, mais aussi de la composition et de l’argumentation, abordant pour finir les rapports de la rhétorique et de l’exégèse. Toutefois, concluant notre période, un troisième ouvrage, auprès de ceux de Thurot sur Aristote et de Causeret sur Cicéron, sauve la recherche française sur la rhétorique. C’est l'Essai sur la rhétorique

grecque avant Aristote d’Octave Navarre (1900), thèse dédiée à Alfred Croiset et ambitieuse tentative de reconstitution des premières rhétori­ ques grecques à partir des plaidoyers attiques et des traités postclassi­ ques. Remarquable dans cet ouvrage est l’absence de tous les préjugés contre la sophistique alors couramment répandus en France, ce qui permet à l’auteur de reconnaître, grâce à une étude détaillée de leurs formes d’enseignement, la contribution des sophistes, comme « créa­ teurs et propagateurs d’idées » (Navarre, p. 69), à la perfection de l’éloquence grecque, puis à Gorgias, « la création de l’éloquence épidictique » et « l’ébauche d’une prose savante » (Navarre, p. 80), enfin à Isocrate, l’introduction de la méthode socratique dans l’éloquence. Dans sa reconstitution de la rhétorique grecque du IVe siècle avant notre ère, Navarre montre aussi tout ce la Rhétorique à Hérennius et les traités de Cicéron doivent à la technique rhétorique originelle, con­ trairement à la thèse reçue qui veut faire de Cicéron en particulier le responsable de la dégradation de la rhétorique aristotélicienne. Enfin, alors qu’Alfred Croiset, son directeur de thèse, se montrait dans les même années un partisan résolu des humanités modernes, Navarre conclut assez curieusement son ouvrage savant par un prolongement contemporain, un « essai de réhabilitation de la rhétorique », cet art «jadis si honoré» qui a «aujourd’hui mauvais renom» (Navarre, p. 329). Il rappelle à son tour que les programmes de 1885 ont substi­ tué à la rhétorique, dans la classe qui en porte encore le nom, des notions sommaires d’histoire des littératures. Or, si la rhétorique attique sert encore à préparer au métier d’avocat, son ambition ne se limite pas à cela, car «ü y a dans la rhétorique à peu près tous les éléments d’une éducation littéraire. C’est pourquoi je reste convaincu pour ma part, en dépit des idées régnantes, qu’elle a sa place natu­ relle dans l’enseignement » (Navarre, p. 333). Ce type de digression dans une publication scientifique est très significatif d’un climat géné­ ralement hostile, y compris à l’égard des recherches philologiques sur l’histoire de la rhétorique. Mais l’appel de Navarre ne sera pas entendu, et l’une des raisons en est sans doute, par un cercle vicieux, le trop petit nombre des travaux philologiques de qualité portant sur la rhétorique classique, bien plus efficaces pour la défendre que les innombrables plaidoyers pour son maintien à l’école. Bien que la chaire d’« Eloquence latine » au Collège de France ait pris le titre de « Philologie latine » en 1885, après que Louis Havet eut succédé à Ernest Havet, son père, la philologie de la rhétorique s’est peu développée sous la IIIe République.

Les fameux Condones, sive Orationes, extraits des historiens latins qui fai­ saient fortune depuis le XVIF siècle, ont été, comme on l’a dit, écartés des programmes en 1880, et ils sont désormais sur leur fin, même si des morceaux choisis sont réintroduits dans la décennie suivante. Chaque éditeur avait le sien : Hachette, par exemple, celui de Ferdi­ nand Colincamp, qui a connu six réimpressions entre 1852 et 1878. C’est un épais recueil de discours latins, précédé d’un bref rappel des règles de la rhétorique, en une douzaine de pages, sous le titre « Con­ seils pour faire un discours ». Chez Delalain, le Condones de Joseph Naudet, qui date de 1813, est réimprimé une bonne trentaine de fois jusqu’en 1880. Chez Belin, celui de Charles-Antoine Gidel, proviseur du lycée Louis-le-Grand, qui date de 1862, connaît aussi de nombreu­ ses réimpressions jusqu’en 1880. Le même Gidel est l’auteur, sous le titre L’art d’écrire enseigné par les grands maîtres (1879), d’une intéressante anthologie des auteurs français sur l’éloquence : Pascal, La Bruyère, Fénelon, Vauvenargues, Voltaire, Marmontel, Buffon, Joubert, aux­ quels s’ajoute Goethe. Mais ce genre-là ne saura pas prendre le relais des Condones, qui vivent mal après 1880, même si Hachette en publie encore un nouveau en 1896, et si celui de l’abbé A. Vauchelle, destiné aux maisons chrétiennes (1892), est réimprimé jusqu’en 1912. Il convient pourtant de modérer l’image d’un triomphe sans appel des méthodes nouvelles dès 1880, 1885 ou 1890. La rhétorique est certes en perte de vitesse, mais la Nouvelle rhétorique (1827) de Joseph Le Clerc (1789-1865), éditeur de Montaigne et traducteur de Cicéron, professeur d’éloquence latine à la faculté des lettres de Paris en 1824, et doyen de cette faculté en 1832, en est à sa vingt-troisième édition en 1891 ; les Eléments de rhétorique française d’Auguste Filon, datant de 1826, en sont à leur dixième édition en 1884. Les Préceptes de rhéto­ rique de l’abbé A. Girard, qui avaient connu vingt éditions entre 1809 et I860, ne sont plus réédités, mais quelques récents manuels tout à fait traditionnels connaissent encore de beaux succès : sept éditions pour le Cours complet de rhétorique du chanoine J. Vuillaume entre 1853 et 1877 ; huit éditions pour le Cours élémentaire de rhétorique et d’éloquence de l’abbé J. Verniolles entre 1855 et 1882 ; dix éditions pour les Principes de rhétorique française d’Augustin Pellissier, chez Hachette, entre 1867 et 1899 ; de nombreuses réimpressions des divers petits traités du P. Marin de Boylesve, dont sa Rhétorique (1886, 5e éd), suivie de « Moyens pratiques pour se former à l’art d’écrire » ; sans compter les Eléments de rhétorique de l’abbé Jamey (1886) et plusieurs autres ouvrages non réédités. Plus tard, les Préceptes de rhétorique du P. Mestre connaîtront encore douze éditions, entre 1882 et 1922, et les Principes de rhétorique de l’abbé Gouraud seront publiés en 1902.

Présence des traités scolaires

Toutefois, ce sont de plus en plus des manuels « à l’usage des sémi­ naires, des institutions catholiques et du clergé », comme le précise dès son titre le cours de l’abbé Vuillaume ; ils mettent l’accent sur l’éloquence de la chaire, tandis que les lycées et collèges semblent se passer de plus en plus de traités de rhétorique. Cela même n’est pas si simple : dans la dixième et dernière édition de la rhétorique de Pellissier, en 1899, la librairie Hachette a inséré une publicité pour Y Histoire de la littérature française de Gustave Lanson, ce qui montre que la tradition rhétorique a, durant un certain temps, coexisté avec les méthodes nouvelles qui la remplaçaient peu à peu. Et puis l’ancienne rhétorique se dissimule aussi sous d’autres appellations, comme dans la Littérature française, principes de composition et de style, par Félix Deltour, qui connut douze éditions chez Delagrave, entre 1874 et 1897, et dont la diffusion fut encore accrue par un abrégé destiné, sous le même titre, à l’instruction élémentaire, trois fois réédité entre 1875 et 1891. Le terme composition tend alors à accompagner celui de rhéto­ rique, ou même à se substituer entièrement à lui dans les manuels de l’enseignement public, comme un euphémisme qui se généralise à cette date. C’est aussi le cas dans le cours de Lanson pour 1’ « enseignement secondaire de jeunes filles », Principes de composition et de style, conseils sur Part d'écrire, cinq éditions chez Hachette entre 1887 et 1912, ou dans un ouvrage identique « à l’usage des élèves des lycées et collèges, et de l’enseignement primaire supérieur », Conseils sur Part d'écrire, principes de composition et de style, dix éditions chez Hachette entre 1890 et 1918. Ce Lanson-là n’est encore qu’une bonne vieille rhétorique adoptant le plan habituel, invention, disposition, élocution, moins hardie que celle de Deltour, laquelle se donnait aussi pour une théorie de la littérature. Le Deltour n’était d’ailleurs pas à cette époque le seul manuel à faire glis­ ser la rhétorique vers la littérature générale. Le mouvement avait été amorcé au moins depuis Gérusez, dans son Cours de littérature (1869), réédité vingt-sept fois jusqu’en 1892, dont la première partie traite de la littérature, de la rhétorique et de la poétique, tandis que la deuxième partie offre un précis de l’histoire des littératures grecque, latine et française : c’est un panorama complet pour les classes supérieures du lycée, encore qu’assez superficiel. Sur ce modèle, combinant rhétorique et littérature dans la tradition « belle-lettriste », voir encore les Notions élémentaires de rhétorique et de littérature d’Achille Didier (1853), le Petit traité de rhétorique et de littérature de Bernard Jullien (1853), la Rhétorique et genres littéraires de François de Caussade (1881), les Principes de critique littéraire et de rhétorique d’A. Berthault (1885), ou les Eléments de rhétorique et de littéra­ ture de Paul Prat (1889). On le constate, la production reste abondante, attestant l’existence d’un marché : tous les éditeurs scolaires proposent

une rhétorique, que ce soit ou non sous cette appellation, et la tradition « belle-lettriste » semble l’emporter. Navarre dira en 1900 de la Rhétorique de Le Clerc, «si en faveur autrefois dans les classes, et maintenant bien démodée » (elle fut en effet la plus répandue de toutes au cours du XIXe siècle) : Le tort de ces ouvrages était de mêler à la « pure Antiquité » les leçons beaucoup plus contestables des rhéteurs postérieurs ou même modernes. De plus, ils font une part disproportionnée à YÉlocution, c’est-à-dire à un dénombrement aussi sec que stérile des qualités du style, tropes, figures de mots, figures de pensée, etc. (Navarre, p. 333).

Mais ce jugement, qui abandonne Le Clerc aux adversaires pour sau­ ver le reste de la tradition rhétorique, ne correspond pas exactement au sentiment que nous retirons de ces traités de la fin du XIXe siècle. Plu­ sieurs observations générales peuvent être faites à leur propos. D’abord, ce sont pour la plupart des rhétoriques complètes, et non pas restrein­ tes au style ou à l’élocution : après un chapitre définissant l’éloquence et la distinguant de la rhétorique, les cinq parties sont en général abor­ dées dans l’ordre traditionnel, sous leurs noms anciens, et de manière équilibrée, y compris l’action et la mémoire. Autrement dit, la dispro­ portion n’est pas flagrante, par exemple dans le cours de l’abbé Vuillaume, même s’il insère, entre les trois premières parties de la rhéto­ rique et les deux dernières, la classification des différents genres de l’éloquence : non seulement la chaire, la tribune, le barreau, mais aussi l’éloquence militaire, l’éloquence académique, la conversation, la lettre, la poésie. Le modèle reste assez ferme, même si la rhétorique de Filon contient plus d’exercices que les autres et met l’accent sur l’utilité pra­ tique, ou si la rhétorique du P. Mestre est suivie d’une abondante et très détaillée histoire de l’éloquence, conduite jusqu’à la IIIe Répu­ blique. En principe, on peut toutefois noter que les rhétoriques de l’enseignement libre restent plus traditionnelles, tandis que les rhétori­ ques de l’enseignement public se font passer pour des traités de littéra­ ture générale et se terminent souvent par une partie importante sur les genres littéraires, intégrant ainsi une poétique. Par exemple le manuel de Berthault, qui se dit destiné à la « préparation aux examens de la Sorbonne », conserve le plan des rhétoriques traditionnelles - en trois parties seulement : invention, disposition, élocution ou style -, mais les présente comme les trois parties de la « littérature », elle-même définie pour commencer comme « l’art d’exprimer, ou plutôt de représenter et de conserver par le langage, les idées et les sentiments » (Berthault, p. 37). C’est comme si le mot rhétorique devait être à tout prix évité. Le manuel de Jamey, l’un des rares à proposer une bibliographie en fin de

volume, est aussi l’un des seuls à évoquer franchement la situation faite à la rhétorique dans son exorde : « La rhétorique n’est pas en faveur aujourd’hui. Certains critiques affirment qu’elle n’apprend pas à écrire » (Jamey, p. V). Pour la réhabiliter, l’auteur ajoute un éclairage historique aux divisions anciennes, et il inclut un appendice sur la divi­ sion moderne des genres. En tant qu’abrégés de l’ancienne rhétorique, la plupart de ces courts traités sont plutôt bien faits ; en tout cas, ils donnent une part tout à fait balancée à l’invention et la disposition, ils ne privilégient pas l’élocution, et ne se réduisent nullement à des traités des figures. Dans cette production, c’est bien au contraire l’ouvrage de Pierre Fontanier, Manuel classique pour l’étude des tropes (1821 ; 1830, 5e éd.), qui fait figure d’exception, et il n’a du reste pas connu beau­ coup de rééditions au XIXe siècle. Deux ouvrages La Littérature française, principes de composition et de style (1874) de Félix Delplus singuliers tour (1822-1904) mérite un sort spécial, non seulement parce que le terme rhétorique n’y apparaît plus et que l’auteur lui substitue la composi­ tion, pourtant strictement synonyme, définie comme « le choix, l’arrangement, l’expression des idées et des sentiments », et divisée selon les habituelles trois parties, invention, disposition et élocution, ou style, non seulement parce qu’il présente ces trois parties dans l’ordre inverse - style, puis invention et disposition -, censé mieux s’adapter à l’enseignement des jeunes lycéens, mais parce que leur auteur, ancien professeur de rhétorique au lycée Bonaparte puis au lycée Saint-Louis, inspecteur d’académie en 1871, inspecteur général en 1878, avait parti­ cipé à l’équipe de J. Simon dès 1872 et fut chef de cabinet d’Henri Wallon en 1875-1876. H s’agit donc bien d’une rhétorique réformiste. Dans un mémoire lu au Conseil académique de Paris, le 27 no­ vembre 1872, mais publié seulement en 1880, lorsque les projets de réforme furent remis en chantier, De l’enseignement secondaire classique en Allemagne et en France, Deltour avançait quelques idées qui devaient ins­ pirer l’évolution ultérieure de l’enseignement classique. « Les fonda­ teurs de l’Université impériale, disait-il, ont pris pour règle et pour type l’enseignement des Jésuites, ils ont ou ignoré ou sciemment écarté les méthodes de l’ancienne Université de Paris, renouvelées par Rollin dans son Traité des études. » Deltour reproche à l’enseignement classique au XIXe siècle en France d’être fidèle aux Jésuites et contraire à la tradi­ tion pédagogique française, représentée par Rabelais, Montaigne et Port-Royal en particulier, lesquels entendaient, comme Jules Ferry le recommandera bientôt, « tirer la règle de l’étude même des auteurs », « passer du connu à l’inconnu », « mettre le raisonnement au premier plan et la mémoire au second » (Deltour, 1880, p. 17). « Cette méthode

expérimentale et analytique, concluait Deltour, est éminemment fran­ çaise, et j’ai le droit de dire que les habiles pédagogues de l’Allemagne nous l’ont empruntée. » Voilà, à supposer que Deltour n’ait point trop remodelé son mémoire entre 1872 et 1880, l’un des témoignages les plus anciens en faveur de la méthode empirique qui devait servir de fondement à l’explication des textes. L’auteur joignait en appendice un très instructif « programme d’études secondaires classiques ». Pour l’étude de la langue française dans la division supérieure, on y énumé­ rait des « Notions simples sur le style et la composition », et, déjà là, sans que le mot rhétorique soit prononcé, se trouvait exactement détaillée la table des matières du manuel que Deltour allait publier en 1874. Ce manuel suffira aussi à illustrer un trait assez fréquemment par­ tagé par les rhétoriques de la fin du XIXe siècle : la réduction de la topique, ou des lieux communs, à peu de chose. Après avoir signalé la manière de développer un argument par exemples et contrastes, par causes et effets, Deltour poursuit : « Nous croyons inutile d’insister plus longtemps sur ces sources de développement ou lieux communs, comme les appellent les anciennes rhétoriques, et de donner ici le reste de la liste. Ces procédés et ces ressources s’offrent si naturellement à l’esprit, qu’il n’a pas besoin qu’on les lui indique» (Deltour, 1874, p. 208). La topique semble représenter, pour les auteurs de cette fin de siècle, le comble du formalisme et de l’artifice rhétoriques. Cependant, le Cours de littérature de Gérusez, qui citait La Fontaine pour blâmer les lieux communs, « matière usée et rebattue », au demeurant stérile, ne s’interdisait pas de les énumérer ensuite, et beaucoup feront comme lui. Il s’agit là d’un type de mise en garde dont seuls les traités les plus tra­ ditionalistes, comme celui du P. de Boylesve, ne s’embarrassent pas. Deltour, malgré tous ses précautions et silences, ne réussit pourtant pas à dissimuler jusqu’au bout son attachement à la vieille rhétorique. Après avoir traité avec détail, au titre de l’invention et de la disposition, du récit et de la dissertation, et lorsqu’il aborde le discours, qui reste l’exercice suprême de la classe de Rhétorique, nous retrouvons la dis­ tinction classique de l’éloquence et de la rhétorique, et nous lisons un plaidoyer pour la rhétorique qui constitue la véritable préface de l’ouvrage, étrangement retardée jusqu’à ce point : « Nous exerçons nos élèves, non à prononcer des discours, mais à en écrire » (Deltour, 1874, p. 233), dit-il, cherchant à répondre aux critiques habituelles qui voient dans la rhétorique un enseignement destiné à la classe des faiseurs de discours, les avocats et les orateurs. L’art du discours ne forme pas des rhéteurs hypocrites : « Funeste serait un exercice qui apprendrait au jeune homme à mentir à ses idées et à son cœur, à jouer la chaleur et l’enthousiasme, c’est-à-dire à devenir ce qu’il y a de plus détestable au

monde, un sophiste et un déclamateur. » H est intéressant de noter que c’est dans ce chapitre sur le discours, exercice condamné à terme pour son artifice et son insincérité, que Deltour, qui d’ailleurs revient ici à l’ordre traditionnel des parties de la rhétorique, révèle ses origines et ses fidélités : « Ces études seront donc utiles au futur avocat, au futur orateur ; mais surtout elles donneront à l’esprit de la solidité et de la force, au caractère de la droiture et de la dignité ; elles feront des hom­ mes» (Deltour, 1874, p. 234). Selon cette apologie bien convention­ nelle, la rhétorique fait plus que reproduire la classe de ceux qui dis­ courent ; elle est démocratique et humaine, toujours fidèle à l’idéal du vir bonus peritus dicendi. Cette section sur le discours mise à part, la qualité de ce livre, conçu comme une introduction théorique à une histoire de la littéra­ ture chez les Anciens et les Modernes - histoire elle aussi disponible en quatre volumes dans la même collection -, doit être soulignée. Après le discours, qui survit comme le vestige la plus manifeste de l’ancienne rhétorique, Deltour aborde l’analyse littéraire, la lecture, la lecture à haute voix, les genres littéraires, la versification française, procurant ainsi un traité complet et utile sur les bases de la littérature générale. Plus original et savant que le cours de Deltour, qui se contente de redistribuer une discipline ancienne pour la rendre conforme au goût moderne, il faut aussi mentionner l’ouvrage d’Anthelme-Édouard Chaignet (1819-1901), recteur de l’académie de Poitiers en 1879, La rhéto­ rique et son histoire (1888). Ce n’est pas un manuel - il ne fut jamais réédité - mais une copieuse synthèse de la discipline rhétorique, avec quelques innovations de forme et de fond, sans doute la seule vraie contribution française à l’histoire et à la théorie de la rhétorique durant notre période. Chaignet commence par une déclaration de principe qui - personne n’y échappe - le situe dans le débat contemporain : On n’enseigne plus la rhétorique dans les classes de rhétorique des lycées et collèges de France : c’est assez dire qu’on ne l’enseigne nulle part. Les pro­ grammes de ^’Enseignement secondaire, encore une fois révisés en 1885, en suppriment même le nom et instituent à sa place, dans les classes de troi­ sième, seconde et rhétorique, « des notions sommaires d"Histoire des littéra­ tures grecque, latine et française ». J’avoue que ce changement, qui subs­ titue à un enseignement théorique un exposé de faits sans principes et sans lois qui les expliquent, me paraît regrettable [...]. J’y vois même un danger pour la culture générale de la jeunesse, comme pour le développement et le maintien du goût classique et de l’esprit français (Chaignet, p. vu).

L’auteur s’élève, avec bien d’autres, contre les nouveaux pro­ grammes introduisant des rudiments d’histoire littéraire au lycée ; il se

plaindra plus loin que l’histoire, relative à ce qui passe, ignore les chefs-d’œuvre immortels ; mais il en profite pour présenter, de façon efficace, la rhétorique comme un « enseignement théorique », un peu comme Deltour s’en servait pour jeter les bases de la littérature géné­ rale. Cela montre que, mise en accusation au nom de la méthode his­ torique, la rhétorique est réhabilitée par ses partisans moins au motif de ses rapports avec les belles-lettres et avec le goût qu’au nom de son projet théorique. S’en prenant à l’envahissement de l’histoire dans le domaine des idées depuis Sainte-Beuve, qui a postulé que le beau est relatif, et Taine, qui a ajouté que tout est beau, Chaignet juge qu’après ces doctrines : « C’est une de leurs conséquences qui a fait supprimer de la classe de rhétorique l’enseignement de la rhétorique théorique qui lui avait donné son nom » (Chaignet, p. XV). Qu’est-ce que Chaignet appelle « rhétorique théorique » ? Sans doute l’art rhétorique comme « science formelle » et « théorie de l’éloquence », ainsi qu’il définira plus tard la rhétorique dans le chapitre traditionnellement consacré à leur distinction (Chaignet, p. 74-75). Pourtant, prenant ensuite la défense de la rhétorique contre ses ennemis, Chaignet retombe sur des arguments beaucoup plus conventionnels que la nécessité d’un « ensei­ gnement théorique » de la littérature : « Dans tous les pays civilisés, dit-il, depuis le Ve siècle avant Jésus-Christ jusqu’à nos jours, Qa rhéto­ rique] a fait partie du programme des études libérales » (Chaignet, p. XVIII-XIX). Comment, une fois encore, ce qui semble universel, ce qui a existé de tout temps et en tout lieu (depuis les Grecs), pourrait-il avoir une fin ? Chaignet entreprend de répondre point par point aux objections résumées par cette formule brutale de Louis Liard lui-même, directeur de l’enseignement supérieur de 1884 à 1902 : «Un art sans profondeur, qui ne s’occupe et ne traite que de l’arrangement des mots et de l’arrangement des phrases » (Chaignet, p. XIX-XX). La rhétorique, réplique Chaignet, ne forme pas « avant tout les jeunes gens à l’art de bien dire » (Chaignet, p. XXI) ; elle n’apprend pas seulement à parler mais aussi à écrire ; elle n’est pas exclusivement formelle et depuis Aris­ tote elle a toujours eu une dimension éthique. Tous ces arguments sont habituels et se retrouvent dispersés un peu partout, mais Chaignet lève systématiquement toutes les objections, à l’orée d’un gros volume, lui aussi systématique, où, après une excellente histoire de la rhétorique depuis ses origines siciliennes jusqu’à Aristote - « La rhétorique grecque, et l’on doit dire la rhétorique même, sera désormais la rhéto­ rique d’Aristote [...] : on n’y ajoute, on n’y retranche rien d’essentiel » (Chaignet, p. 59) -, puis les préambules habituels sur la rhétorique et l’éloquence, sur la rhétorique, la dialectique, et la topique, ainsi que sur les divisions de la rhétorique, pas moins de deux cent cinquante pages

sont consacrées à la seule invention des preuves. Pour Chaignet, « la fonction essentielle, éminente de l’art oratoire », est de « prouver, ce qui ne veut pas dire démontrer, trouver des raisons et des preuves, et non seulement des preuves et des raisons certaines et évidentes, mais encore celles qui sont vraisemblables et probables » (Chaignet, p. 96). On est aux antipodes des rhétoriques restreintes à la Fontanier, et la tactique est la même que chez Ernest Havet quarante ans auparavant : Chaignet plaide pour un retour à Aristote, censé rendre la rhétorique à son noyau inattaquable. Aux deux parties aritotéliciennes, invention et élocution, l’auteur en ajoute non sans réserves une troisième, même si, au lieu de disposition, selon son nom latin, il l’appelle « structure et économie du discours », expression empruntée à Hermogène, mais il élimine l’art du débit et l’art mnémonique, tandis qu’économie et style n’ont droit qu’à la portion congrue. Nous trouvons là une des dernières grandes synthèses de la rhétorique aristotélicienne, et un véritable traité de l’argumentation, pour une fois sans aucune réticence à l’égard des lieux. Les rhétoriques de Deltour et de Chaignet, quels que soient leurs mérites, représentent toutefois l’achèvement d’une tradition. L’immense production des traités de rhétorique, inlassablement menée depuis l’Antiquité, s’étiole à la toute fin du XIXe siècle, et l’image du professeur de rhétorique, naguère le prince du Lycée, se dégrade irrémé­ diablement. Alphonse Daudet, dans L'immortel (1888), le peint comme un bourreau qui tue l’originalité et étouffe le génie chez les élèves confiés à ses soins. Son héros, le sculpteur Védrine, évoque ainsi le P. Astier-Réhu : Ah ! le saligaud, nous a-t-il assez raclés, épluchés, sarclés... П y en avait qui résistaient au fer et à la bêche, mais le vieux s’acharnait des outils et des ongles, arrivait à nous faire tous propres et plats comme un banc d’école. Aussi regarde-les, ceux qui ont passé par ses mains, à part quelques révol­ tés comme Herscher qui, dans sa haine du convenu, tombe à l’excessif et à l’ignoble, comme moi qui dois à cette vieille bête mon goût du contourné, de l’exaspéré, ma sculpture en sacs de noix, comme ils disent... tous les autres, abrutis, rasés, vidés...

Folle dénonciation à laquelle Jules Lemaitre répliqua : «J’ai eu l’honneur d’être professeur de rhétorique, ce qui est un métier fort amusant ; et je jure devant Dieu que je n’ai jamais étouffé le génie et que je n’ai jamais vu personne l’étouffer autour de moi... » (Les contem­ porains, t. IV, p. 226). Mais rien n’y fit, car, comme le notait l’abbé J. Bourlier en 1889, dans un discours de distribution des prix de petit séminaire sur le Rôle actuel de la rhétorique dans l'enseignement littéraire, avant

de citer Daudet et Lemaitre, la rhétorique est désormais tenue pour une « scolastique littéraire dont le règne est fini » (Bourlier, p. 7). Si la rhétorique scolaire survit mais, sauf exceptions, se sclérose au sein Les histoires d’une culture nationale qui privilégie toujours davantage l’histoire, cela de l'éloquence ne signifie malheureusement pas que la tradition rhétorique elle-même soit désormais abordée par la méthode historique. On l’a vu avec les rhétoriques grecque et latine, qui sont l’objet de peu de sollicitude philo­ logique, et il en va de même, ou pire, pour les rhétoriques du Moyen Age, de la Renaissance ou de l’âge classique, ou encore des rapports entre la littérature et la rhétorique durant ces périodes. Il y a peu de chose à signaler, en dehors d’un fascicule des Mémoires et documents scolaires du Musée pédagogique (n° 25, 1887), plus habitué à publier les règle­ ments et programmes des Écoles normales d’instituteurs et institutrices : un catalogue des ouvrages pédagogiques en usage dans les collèges en Europe au XVIe siècle, comprenant les traités de rhétorique conservés dans les bibliothèques françaises. Mais la culture rhétorique en général est négligée à toutes les époques, emportée par le discrédit où tombe tout ce qui touche à la rhétorique de près ou de loin. Il faut cependant faire une relative exception pour l’éloquence, qui serait la rhétorique diminuée du formalisme qui la discrédite. Le traité de rhétorique du P. Mestre (1883), on l’a signalé, contenait une impor­ tante histoire de l’éloquence. L’éloquence, comme genre littéraire, est passible du même traitement que les autres genres, par exemple dans l’ouvrage de M. Roustan, L’éloquence (1902), dans une collection de vul­ garisation sur « Les genres littéraires ». Ainsi, les histoires de l’éloquence deviennent apparemment la part la plus vivante des publications sur la rhétorique dans la seconde moitié du XIXe siècle. Elles sont de tous ordres, de l’érudition à la vulgarisa­ tion, et à l’édition scolaire. Commençons par celle-ci : sous le titre Con­ dones, le recueil du député Joseph Reinach, L’éloquence française depuis la Révolution jusqu’à nos jours (1894), met à la exposition des élèves des « Textes de lecture, d’explication et d’analyse pour la classe de pre­ mière ». Il s’agit de réintroduire la rhétorique par les textes, conformé­ ment à la nouvelle doctrine officielle, ainsi que de substituer aux dis­ cours latins un Condones français moderne. Comme il se doit, l’introduction de Reinach est à la fois sévère et tendre pour la rhéto­ rique : « Nous avons médit de la rhétorique ; n’en avons-nous pas trop médit ? Tout artificielle qu’elle paraisse et qu’elle soit souvent, n’est-elle pas cependant le langage de la jeunesse et de la passion ? » (Reinach, p. IX). Suit une anthologie judicieuse, où l’éloquence politique, de Mirabeau à Jules Ferry, se taille la part du bon, mais où les éloquences

judiciaire, sacrée et académique ne sont pas négligées. Ce gros recueil n’a pourtant pas été réédité, et l’éloquence ne trouvera pas sa place à l’école. Après les grands classiques et les sommes que sont des ouvrages comme VHistoire de Eloquence de l’abbé Henry (1848-1858, 2e éd., 6 vol.), on trouve dans notre période de nombreuses histoires spéciales des différents genres de l’éloquence : la chaire, la tribune, le barreau, plus l’éloquence militaire et académique. Seule l’éloquence académique semble laissée pour compte. H suffira d’en mentionner quelques-unes : par exemple, pour l’éloquence grecque, Georges Perrot, L’éloquence poli­ tique et judiciaire à Athènes (t. I, 1873), et Jules Girard, Études sur l’éloquence attique (1874). Victor Cucheval, qui fut le professeur de latin de Marcel Proust en classe de Rhétorique au lycée Condorcet, en 1887-1888, entreprit une histoire complète de l’éloquence romaine en trois volets : les premiers efforts dans l’Histoire de l’éloquence latine depuis l’origine de Rome jusqu’à Cicéron (1872), rédigé à partir des notes laissées par Adolphe Ber­ ger, professeur d’éloquence latine à la faculté des lettres de Paris, les phases de la décadence dans l’Histoire de l’éloquence romaine depuis la mort de Cicéron jusqu’à l’avènement de l’empereur Hadrien (1893), enfin l’apogée et la perfection dans Cicéron orateur (1901). Dans le genre judiciaire, on citera aussi Jules Poiret, Essai sur l’éloquence judiciaire à Rome pendant la République (1887). Il s’agit en général d’ouvrages d’un genre intermé­ diaire, relevant de la compilation plutôt que de l’érudition, mais pas non plus destinés au grand public. Cucheval précise, dans la préface de son livre de 1872, qu’il a cité et traduit beaucoup de textes, en « song[eant] aux professeurs des lycées de province, qui ne rencontrent pas toujours dans les bibliothèques locales les livres nécessaires à leurs études» (Cucheval, 1872, p. XIV). Ainsi se dessinent les contours d’un public cultivé et provincial, pour qui l’éloquence, plus fonctionnelle que le roman ou la poésie, reste un chapitre à part entière de l’histoire de la littérature et fait partie intégrante de la culture littéraire. Mais ce n’est plus pour longtemps. Pour l’éloquence politique, l’ouvrage de F.-A. Aulard, L’éloquence parlementaire pendant la Révolution française (1880-1886, 3 vol.), mérite sur­ tout d’être cité car il est déjà différent des précédents. L’auteur, qui introduit massivement la critique des textes afin d’établir les variantes des discours, s’intéresse peu à l’éloquence en tant que telle, à la forme au point de vue de l’art, mais il entend se servir des discours pour « faire comprendre les faits », car, « dans l’étude de l’éloquence parle­ mentaire, le critique littéraire est un historien » (Aulard, 1885, p. 4). Et Aulard, comme on sait, ancien professeur de rhétorique, deviendra professeur d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne et

conseiller écouté du ministre de l’instruction publique lors de la grande réforme de l’enseignement secondaire en 1902. Charles Benoît notait dès 1846 que les conditions de l’éloquence politique et judiciaire n’étaient plus les mêmes au XIXe siècle et qu’elles ne prêtaient plus à l’amplification oratoire sur des lieux communs, qui avait fait la grandeur de l’ancienne éloquence ou encore de l’éloquence de la tribune pendant la Révolution, quand la plupart des questions tendaient à prendre un caractère solennel de généralité philosophique (Benoît, 106). Il faisait toutefois une exception pour «un genre d’éloquence chez les modernes, qui puisse plus que tous les autres prendre la manière antique, c’est l’éloquence religieuse » (Benoît, 109). Non prévue dans la tripartition antique des genres, elle devint en effet, pour les lettrés de la fin du XIXe siècle, le domaine de la grande élo­ quence par excellence et elle fit l’objet de publications abondantes. On peut citer L3éloquence de la chaire. Histoire littéraire de la prédication de l’abbé Boucher (1894), une vaste synthèse de vulgarisation plutôt qu’un ouvrage d’érudition, sur le modèle des histoires des littératures publiées à l’époque. Mais nombreuses sont les contributions monographiques sur Bossuet, Bourdaloue, Fénelon, Massillon, comme ce Flichier orateur (1885), par l’abbé Fabre, auquel Ferdinand Brunetière consacra un compte rendu élogieux où il réaffirmait : « П n’y a rien dans notre litté­ rature française qui soit au-dessus des Oraisons funèbres de Bossuet, et peu de choses qui soient comparables aux Sermons de Bourdaloue » (Brunetière, 1885, p. 218). Mais tout ce secteur de la production ren­ force la conviction que la rhétorique et l’éloquence sont devenues le domaine réservé des clercs. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle, malgré toutes les histoires de l’éloquence publiées dans cette période, le genre ne s’est pas développé, en relais des cours et traités de rhétorique, après le tournant du siècle.

Avec la réforme de l’enseignement secondaire de 1902, qui fut pré­ cédée par une longue Commission d’enquête parlementaire en 1899, s’achève l’agonie de la rhétorique, à tout le moins dans les lycées et col­ lèges de la République. Or la lutte contre les congrégations accroîtra bientôt la population des écoles publiques au détriment des écoles libres. En 1902, l’enseignement littéraire est définitivement gagné par l’esprit moderne et scientifique. « Ce que l’on entend combattre, écrit Falcucci pour résumer l’esprit de la réforme, c’est une rhétorique conventionnelle. Le nom même de rhétorique disparaît, en 1902, de l’énumération des classes du Lycée. Cette suppression est un acte sym­ bolique. Elle implique une rupture avec la tradition » (Falcucci,

La dernière classe de Rhétorique

p. 518). Une épaisse chape de plomb s’abat pour longtemps sur la cul­ ture rhétorique en France. Peut-on pourtant occulter tout à fait une tradition d’au moins vingt-cinq siècles ? Dans le traité de Deltour, on l’a vu, l’inversion de l’ordre des par­ ties traditionnelles de la rhétorique était explicitement justifiée par la recherche d’une démarche pédagogique empirique et inductive adaptée à de jeunes élèves. La rhétorique a maintenant tout à fait disparu des programmes, mais son ombre reste immanente, et, de façon significa­ tive, on retrouve encore cette justification après la réforme de 1902, dans les Instructions concernant les programmes de l’enseignement secondaire, publiées seulement en 1911, à propos de la composition française et pour définir l’approche nouvelle : A titre d’indication générale, on peut rappeler la division classique de la rhétorique ancienne, qui étudiait successivement l’invention, la disposition et l’élocution. Seulement, comme on s’adresse ici, non pas à des adultes, mais à des enfants, il conviendrait d’en retourner les termes. On fournit d’abord à l’élève l’occasion d’exprimer des idées, qui lui sont offertes ; plus tard, on lui apprend à lier entre elles des idées qu’il n’a pas inventées ; plus tard encore, très tard, à inventer, dans la mesure restreinte où il en pourra sembler capable (Instructions, 1911, p. 70).

Ainsi, en 1911 encore, on a souci, peut-être à cause des résistances que les méthodes nouvelles ne cessent de rencontrer, de justifier la pédagogie moderne par rapport à l’ancienne rhétorique, comme son renversement méthodique, c’est-à-dire en quelque façon son maintien dialectique. Mais la rhétorique est traitée à l’imparfait, comme une chose du passé, et auprès de la composition française, l’explication des textes est montée « au premier plan », elle est devenue l’exercice décisif, sur lequel les Instructions insistent : « S’il est une caractéristique des réformes de 1902, en ce qui concerne l’enseignement du français, c’est que la lecture expliquée, trop subordonnée à l’histoire littéraire, a passé du second plan au premier et devient, de plus en plus, dans sa précision nouvelle, un instrument d’éducation intellectuelle et morale. » Elle est véritable­ ment une panacée : à la fois « un exercice de logique et de composition puisqu’elle marque et fait trouver aux élèves l’ordre dans lequel les idées se suivent et les liaisons qui les unissent », et aussi « un exercice de préci­ sion » et «un exercice de style» (.Instructions, 1911, p. 83). C’est donc bien l’explication des textes qui représente le dépassement, la relève de la rhétorique ancienne, au nom de l’esprit scientifique qui s’est emparé de l’enseignement classique et substitue l’induction à la déduction. A la réforme de l’enseignement littéraire en France au tournant du siècle, un nom est essentiellement attaché, celui de Gustave Lanson. Il

fut en effet l’un des adversaires les plus déterminés de l’ancienne rhéto­ rique, d’autant plus efficace qu’il ne manquait pas de rappeler : «Je suis un vieux professeur de rhétorique » (Lanson, 1903, p. 159), se don­ nant par là en exemple d’une reconversion réussie. Il fut le père, ou du moins le promoteur, de ces deux disciplines complémentaires dressées contre la rhétorique, l’explication des textes dans l’enseignement secon­ daire, et l’histoire littéraire dans l’enseignement supérieur : « L’étude des littératures, écrivait-il durant la préparation de la réforme de 1902, se fera par les textes. L"histoire littéraire, chose d’enseignement supérieur, est, dans l’enseignement secondaire, un fléau» (Lanson, 1902, p. 111). Lanson voit l’essentiel de la réforme dans la disparition de la rhéto­ rique, qu’il ne s’agit pas de confondre avec les humanités, mais à laquelle celles-ci ont peu à peu été réduites par un enseignement sclé­ rosé. La faute en est aux Jésuites, selon un cliché bien installé : notre système, rappelle Lanson, « nous l’avons hérité des Jésuites qui l'avaient reçu des humanistes de la Renaissance» (Lanson, 1902, p. 91), et les humanités se sont dégradées à travers cette transmission : « Les humanités qui [avaient] fait un Rabelais et un Montaigne se rapetissent à la rhétorique. Ce n’est même plus un art de penser qu’on y prend, mais un art de parler bien sans penser » (Lanson; 1902, p. 94), juge Lanson, qui s’en prend violemment à la rhétorique sous sa forme dégénérée au XVIIIe et XIXe siècles, chez Rollin et Marmontel en parti­ culier. Ce que Lanson appelle rhétorique n’a rien à voir avec Aristote, ni même avec Cicéron et Quintilien, mais s’identifie avec l’humanisme à bout de souffle du néo-classicisme et de l’académisme. « Combien est-il absurde aujourd’hui, en 1901, d’une absurdité qui croît de jour en jour depuis un siècle et que chaque jour écoulé grossit encore, com­ bien est-il absurde de faire consister la culture de l’esprit dans les huma­ nités^ c’est-à-dire dans la rhétorique» (Lanson, 1902, p. 95). Contre cette absurdité, Lanson se fait l’avocat de « véritables humanités modernes », selon le titre de l’article où ces vigoureuses propositions apparaissent, dans la très officielle Revue internationale de Renseignement, avant d’être reprises dans L'université et la société moderne. Dans ces nou­ velles humanités, avertit Lanson, le latin et même grec peuvent garder leur place. Il n’y aura de menacées que la rhétorique, et cette malheureuse habitude de ne pas examiner la vérité des choses, sous le prétexte d’en analyser ou admirer la beauté, ce que l’on appelle la culture du goût littéraire, et qui n’en est que la perver­ sion et l’abus. Les humanités se renouvelleront, libérées de la rhétorique, et dirigées par le souci de la formation scientifique de l’esprit (Lanson, 1902, p. 102).

Cette formule résume assez bien tout le débat de la fin du XIXe siècle, révélant la nouvelle unité cherchée par l’enseignement secondaire dans l’esprit scientifique substitué à la rhétorique, et permettant de réconcilier idéalement la culture moderne et la culture classique, la culture scienti­ fique et la culture littéraire. Lanson s’écriera encore en 1905 : «Tout l’enseignement tendait à polir le goût et à développer l’aptitude oratoire. [...] L’enseignement était surtout formel ; il s’agissait de dresser les esprits à la rhétorique de salon et de tribune ; aussi la classe de rhéto­ rique était-elle à la fois le symbole et le couronnement de cette péda­ gogie » (Lanson, 1905, p. 184), une pédagogie elle-même de classe. Le procès fait à la rhétorique est avant tout un procès politique : l’enseignement secondaire, écrit encore l’historien Charles Seignobos au début du siècle, est « celui qui conserve le plus de FAncien Régime» (Seignobos, p. 116). L’enseignement rhétorique est sélectif, élitaire, bref antidémocratique et inégalitaire. Non seulement du fait des institutions qui privilégient un esprit secondaire par opposition à un esprit primaire, qui abandonnent les médiocres et font la classe pour les forts en thème, mais plus fondamentalement parce que la finalité de la rhétorique est le goût et le discours. Elle ne pouvait donner que des romanciers, des avocats et des journalistes ; elle ne servait donc qu’à reproduire la classe des faiseurs de discours. La culture rhétorique paraît insauvable en démocratie : elle favorisait un enseignement de classe destiné aux hommes du monde, aux dilettantes^ selon l’opposition qu’introduisit Durkheim et qui devint classique ; l’enseignement histo­ rique, lui, est moderne, il s’adresse à tous, il forme des producteurs. L’histoire est le modèle scientifique à suivre dans les humanités : L’éducation littéraire, proclame encore Lanson, est excellente pour faire, avec beaucoup de ratés, quelques individus supérieurs qui éblouiront le monde de leur fantaisie originale et égoïste ; l’éducation scientifique, seule, peut améliorer toute la jeunesse d’une nation et lui donner l’esprit de pré­ cision, de méthode et de discipline nécessaire aux œuvres collectives (Lan­ son, 1902, p. vm-ix).

La rhétorique est associée à l’individualisme ; la science, en particulier historique, est collectiviste, elle est en harmonie avec la « solidarité », qui fut l’idéologie de la République radicale. Au goût et à l’individu, cultivés par la rhétorique, s’opposent la vérité et la solidarité, réalisées dans la science. Les réformes de l’Université s’achèveront avec la création de quatre licences ès lettres en 1907, supprimant les épreuves communes de culture générale, dont la dissertation ou le thème latin. L’Action fran­ çaise se déchaîna contre une réforme qui en finissait avec la licence comme diplôme de culture générale et classique, mettait un terme à la

sélection des élites de la nation par la culture ancienne, et détruisait l’idéal classique de culture au profit de l’idéal moderne de spécialisation. Dans les copieuses publications sur l’enseignement secondaire à la fin du XIXe siècle, rares sont toutefois les commentateurs qui cherchent, au-delà des conflits pédagogiques, à comprendre les enjeux sociaux. C’est le cas de Paulin Malapert, au nom de la Société d’enseignement supérieur, dans un article de la Revue internationale de l'enseignement de 1899. Malapert distingue deux finalités, l’une scolaire et l’autre sociale, de l’enseignement secondaire, à savoir une fonction de prépa­ ration à l’enseignement supérieur et une fonction de formation d’un type social de l’homme cultivé (Falcucci, p. 479). Pendant longtemps, l’enseignement classique, structuré autour de la rhétorique ancienne, a pu assurer conjointement et harmonieusement ces deux fonctions. Mais elles sont devenues de plus en plus complexes et contradictoires au cours du XIXe siècle, au fur et à mesure que, d’une part, les universités se diversifiaient, avec le résultat qu’une formation rhétorique exclusive n’y préparait plus, et que, d’autre part, le type social requis de l’enseignement n’était plus l’honnête homme mais le spécialiste, dont les analyses de Durkheim signalent vers le même temps l’émergence. A cette argumentation sociologique contre la rhétorique, il faut ajouter que le développement de l’enseignement dit spécial, puis moderne, ainsi que celui de l’enseignement pour les jeunes filles, a servi de ter­ rain d’expérimentation pour les méthodes nouvelles, qui se sont ensuite étendues à l’enseignement classique. Parmi les défenseurs de la rhétorique entre 1880 et 1902, Ferdi­ nand Brunetière fut l’un des plus conséquents. Il prit parti sur toutes les grandes questions : le latin, le baccalauréat, le français, l’éloquence. Dans un article important de 1881 dans la Revue des Deux Mondes, « Théorie du lieu commun », sous prétexte de rendre compte avec sévérité d’un Dictionnaire des lieux communs qui ridiculise les clichés et les stéréotypes, Brunetière se livre à ce qu’il appelle un « éloge de la bana­ lité » et à une intéressante défense du lieu commun en littérature (Bru­ netière, 1884, p. 39) : Il se pourrait [...] que le lieu commun, si l’on entend bien toute la force du mot, ne fût ni si digne de tant de railleries ni si parfaitement méprisable. Ou plutôt ne se pourrait-il pas qu’il fût la substance même de l’art de par­ ler et d’écrire ? [...] J’avance ici ce paradoxe que le lieu commun est la condition même de l’invention en littérature (Brunetière, 1884, p. 40).

Brunetière s’oppose évidemment à la doctrine romantique de l’origina­ lité, qui est en effet l’une des conditions du procès fait à la rhétorique au XIXe siècle, à 1’ « horreur du lieu commun » dont il voit le comble

chez Baudelaire (Brunetière, 1884, p. 43). La véritable invention, pour Brunetière, « n’est pas de tirer quelque chose de sa propre substance, mais bien de mettre aux choses communes sa marque individuelle » (Brunetière, 1884, p. 41). Ainsi interprète-t-il la théorie tainienne du moment comme la marque du temps sur la topique : sa conception du lieu commun n’est donc pas étrangère à l’histoire. H donne comme exemples des thèmes, mais aussi des structures narratives : « Une même donnée peut toujours être reprise, toujours autrement traitée, partant toujours nouvelle» (Brunetière, 1884, p. 44). Brunetière recherche en somme des universaux littéraires, mais au-delà, l’invention tient à la forme : « Inventer, ce n’est pas trouver en dehors du lieu commun, c’est renouveler le lieu commun et se l’approprier» (Brunetière, 1884, p. 47). Refusant de confondre l’universalité sous le nom de banalité, Brunetière détourne l’expression lieu commun de son acception rhéto­ rique, mais c’est bien pour se diriger vers une rhétorique générale ou une poétique, qui ne sera mise en chantier que bien plus tard, par exemple avec E. R. Curtius, lorsque le monopole de l’histoire littéraire se relâchera quelque peu. Lanson, dans ses Principes de composition et à propos du rôle de la lecture, citait avec admiration Brunetière, qui « a fait voir que les lieux communs étaient la condition même de la pensée et le fondement de l’invention en littérature ; que tous les chefsd’œuvre étaient bâtis sur des lieux communs [...]. D faudrait donc que les jeunes gens, dans toutes leurs lectures, s’habituassent à rechercher le lieu commun qui en a fait le fond» (Lanson, 1912, p. 24). Mais cette définition du lieu commun comme but de l’explication de textes ne suf­ fira pas à promouvoir une nouvelle rhétorique. Brunetière publia dans la Revue des Deux Mondes, en 1890, à un moment déterminant pour l’évolution de l’enseignement secondaire en France, un article intitulé « Apologie pour la rhétorique ». En partie inspiré de sa « Théorie du lieu commun », il s’agit du plaidoyer le plus persuasif qu’on trouve dans ces années-là pour le maintien d’une cul­ ture rhétorique minimale auprès des méthodes nouvelles. « Il faudrait s’entendre sur ce mot même de rhétorique, avertit d’emblée Brunetière ; et c’est ce qui n’est pas facile, depuis qu’on l’a détourné de son ancien sens, de celui qu’il avait encore au temps de Bossuet et de Pascal, pour en faire une espèce d’injure littéraire » (Brunetière, 1890, p. 689). Bru­ netière s’oppose à l’usage contemporain, sous la plume d’Ernest Renan ou de Maxime Du Camp, qui stigmatise la présence de la rhétorique dans la littérature, sans s’apercevoir que « ce que l’on nie quand on attaque la rhétorique, c’est qu’il y ait un art de penser et d’écrire » (Brunetière, 1890, p. 690). On retrouve chez ce critique l’étonnement que la rhétorique connaisse apparemment sa fin, alors qu’elle n’a pas

eu d’histoire et que, depuis Aristote et Quintilien, elle « répond à quelque besoin général, intérieur et profond, de la littérature et de l’humanité ». Allant plus loin que la plupart des partisans de la rhéto­ rique, Brunetière se porte même à la défense de la topique, sans laquelle la littérature devient trop individuelle, singulière, et se trouve incapable de toucher, car elle n’a plus connaissance des états d’âme généraux et humains. L’argument est intéressant : il montre que l’apologie de la rhétorique va de conserve chez Brunetière avec la condamnation d’une littérature contemporaine qui ne s’adresse plus à l’honnête homme, mais recherche toujours davantage l’originalité. On songe à Rimbaud s’en prenant à la forme « mesquine » chez Baude­ laire, ou à Verlaine incluant dans son Art poétique un appel au meurtre de l’éloquence : Prends l'éloquence et tords-lui son cou ! Brunetière note, non sans une certaine sagacité, que l’abandon de la rhétorique coïncide avec la séparation croissante de la littérature et du public. Or, ce n’est pas seulement l’avenir de la littérature que l’extinction de la culture rhétorique modifie, mais aussi le passé, car sans cette cul­ ture nous ne sommes plus en mesure de comprendre dans ses propres termes la littérature française jusqu’au XIXe siècle. « On a rayé la rhéto­ rique, voilà déjà quelques années, du programme de notre enseigne­ ment secondaire, rappelle Brunetière, pour l’y remplacer par de vagues “notions d’histoire littéraire” » (Brunetière, 1890, p. 697), et il refuse de prendre parti pour l’une contre l’autre, car les deux sont à ses yeux indispensables : « La rhétorique est une bonne chose, la chronologie en est une autre » (Brunetière, 1890, p. 698). Mais il importe que la rhéto­ rique retrouve une place dans l’enseignement si l’on veut continuer à lire et apprécier notre littérature: C’est que notre littérature classique - et je ne dis pas seulement la prose, je dis aussi la poésie - est essentiellement oratoire. [...] et de Malherbe jus­ qu’à Buffon au moins, jusqu’à Chateaubriand, jusqu’à Guizot, je ne vois guère que quelques conteurs dont la manière d’écrire ne vérifie pas ce principe. Encore sait-on le cas que faisait de l’harmonie de la phrase l’auteur de Madame Bovary. [...] Sans la rhétorique on peut être assuré que « l’enseignement classique français » dégénérera promptement en un « enseignement de choses », et ce n’est pas sans doute ce que l’on veut, - ou du moins ce que l’on nous promet (Brunetière, 1890, p. 698).

Brunetière joue sur les mots mis à la mode par J. Ferry, plaçant « les leçons de choses à la base de tout », et il est sans nul doute un

conservateur. L’argument qu’il fait valoir pour le maintien d’une cul­ ture rhétorique n’en est pas moins très fort. Brunetière l’avance d’ailleurs sans nostalgie irrationnelle ni attachement sentimental, à la différence de polémistes comme Agathon - Henri Massis et Alfred de Tarde - dans L’esprit de la nouvelle Sorbonne. La crise de la culture classique, la crise du français (1911). Il y tenait, puisqu’il signalait dès 1885 que «les modèles de l’éloquence de la chaire devinrent pour les critiques les modèles mêmes de la prose française» (Brunetière, 1885, p. 221). On pourrait montrer sur beaucoup d’exemples que Brunetière n’avait pas tort dans son pronostic, et c’est seulement à une date très récente qu’on a recommencé à analyser la littérature, par exemple une tirade de Racine, selon les catégories traditionnelles de l’invention et de la dispo­ sition, après que pendant plusieurs générations les explications de texte s’étaient contentées de découper le théâtre classique selon de vagues plans inspirés par le bon sens contemporain, ce « vraisemblable cri­ tique » auquel Roland Barthes s’en prendra à juste raison dans Critique et vérité (1966). Toute la littérature, aussi bien passée que présente, change de sens, selon Brunetière, qui est le seul à être conscient de ce phénomène, dès lors que la rhétorique s’est retirée de la culture, et c’est ce qui a eu lieu pendant une cinquantaine d’années. Vestiges de la culture rhétorique au XXe siècle

Bien sûr, après 1902, quelques traités de rhétorique traditionnelle sont toujours en vente, comme celui du P. Mestre (1883), réédité jus­ qu’en 1922, ou les Principes de rhétorique (1902) de l’abbé Gouraud, ou encore le Petit cours sur l’éloquence et la rhétorique (1928) de l’abbé Chipier. En 1938, on imprime encore à Épinal un abrégé du cours de rhéto­ rique de l’abbé Vuillaume (1853). Mais ce sont des survivances pour la plupart médiocres, d’ailleurs toutes destinées aux écoles libres et à l’éloquence sacrée. On pourrait encore citer une poignée de méthodes vulgaires pour parler en public : Pierre Davesnes, Pour devenir bon orateur (1931), qui voisine dans la même collection avec Pour devenir bonne ven­ deuse, Pour devenir bonne secrétaire et Pour devenir bon chauffeur ; ou Jacques Irmin, Pour bien parler ; ce qu’il faut faire (1932), etc. Ou, beaucoup plus étonnant - sans doute une besogne alimentaire -, ce Cours pratique d’éloquence usuelle. L’art de parler en public (1942), par Daniel Momet, pro­ fesseur à la Sorbonne et successeur direct de Lanson, qui résume d’entrée de jeu toute l’histoire que nous venons de retracer : П est très singulier et très fâcheux que cet art ne soit à peu près nulle part enseigné. Il a été, pendant près de trois siècles, de la fin du XVIe à la fin du XIXe siècle, presque tout l’enseignement donné en France. Pendant un siècle et demi on n’a appris dans les collèges que la rhétorique, que l’éloquence. Pendant un autre siècle et demi on a enseigné surtout

l’éloquence. Pour être reçu au baccalauréat, il fallait faire une version latine et un discours latin ou discours français. Cette méthode pédago­ gique avait évidemment de graves inconvénients puisque la plupart des élèves n’étaient pas destinés à être des orateurs. Mais, par une réaction peut-être excessive, toute rhétorique a été supprimée ; et presque tous ceux qui parlent en public, les professeurs mêmes et les avocats n’apprennent à parler que par la pratique, en tâtonnant. Or il existe un art de parler [...] un art très ancien sur lequel les Grecs et les Latins nous ont laissé de très nombreux traités et dont des centaines de pédagogues et de théoriciens ont discuté en France pendant ces trois siècles (Momet, p. 4).

Mornet propose une rhétorique moderne, forte de trois mille ans d’expérience humaine mais adaptée à la vie contemporaine, et son cours suit trois fils parallèles : la diction, l’improvisation, et l’éloquence proprement dite. Cette dernière comprend l’invention, l’ordonnance et l’expression des idées, puis la division des genres, jusqu’à l’éloquence militaire. Elle est divisée en tranches, mais c’est bien la rhétorique de toujours. П est simplement ironique que le successeur de Lanson n’ose plus la procurer qu’au grand public d’un enseignement par correspon­ dance à 1’ « Ecole universelle ». Ainsi, une tradition perpétuée sans histoire depuis près de trois mil­ lénaires - celle des traités de rhétorique sur le modèle de Cicéron et de Quintilien - a rencontré son terme. Reste-t-il toutefois quelque chose de l’ancienne rhétorique - et qu’en reste-t-il ? - dans le cadre des méthodes nouvelles ? Examinons à cet égard trois ouvrages significatifs du début du XXe siècle : L’art de la prose de Lanson lui-même (1909) ; L’explication française (1902) de Gustave Rudler, l’un des disciples les plus zélés de Lanson et le théoricien de l’explication de textes ; enfin, l’un des ouvrages qu’Antoine Albalat, vulgarisateur prolixe, a multipliés au tournant du siècle pour apprendre aux Français à écrire. Lanson, on l’a vu, avait publié dans les années 1880 chez Hachette des Conseils sur l’art d’écrire qui relevaient encore du modèle rhétorique. Son Art de la prose de 1909, à l’intention des « gens instruits » aussi bien que des étudiants, cherche comment parler du style, dès lors qu’on a renoncé au « dogmatisme [...] des règles impérieuses dont on recherche ingénieusement les applications », mais sans verser pour autant dans l’impressionnisme. Lanson recommande bien entendu une « connais­ sance historique des époques, des milieux et des écoles » (Lanson, 1909, p. 6). H ne prononce jamais le mot rhétorique, mais ce qu’il appelle art delà prose n’en est pas très éloigné : « Les genres et les styles ont des lois et des règles. [...] Lois et règles ont eu toujours pour fonction d’indiquer les moyens les plus sûrs d’exécuter le travail littéraire, de façon que chaque effort ait son maximum de rendement. Il y a donc un art de la prose »

(Lanson, 1909, p. 10). Le premier principe que Lanson signale est d’ailleurs celui de « qualités générales » par lesquelles n’importe quelle rhétorique commençait la description du style : « propriété, clarté, brièveté, netteté, ordre, etc., etc. ; tous les préceptes généraux les plus certains ont pour objet la juste et complète traduction de l’activité interne de l’esprit» (Lanson, 1909, p. 11). Mais le critique ne s’arrête pas là. Il existe selon lui une « prose d’art », lorsque les mots eux-mêmes, comme dans le vers, sont utilisés comme une matière artistique, et en ce sens un art de la prose n’est pas réductible à un traité de style et de composition littéraire. « Il y a la bonne prose et la belle prose », juge-t-il (Lanson, 1909, p. 16), se proposant d’étudier les caractères et les procédés de la prose d’art, mais en tournant le dos à la rhétorique : « Ce n’est pas que je prétende donner la recette de la prose artistique : la prétention serait puérile et vaine. Ceux qui se flattent de l’enseigner sont des charlatans ou des naïfs» (Lanson, 1909, p. 19). La méthode se veut simplement analytique. Or, dans tous les chapitres qui suivent, sur la phrase de Rabelais, de Montaigne, de Pascal, de Bossuet, etc., jusqu’à Flaubert et Barrés, les catégories de la rhétorique sont sans cesse présentes, et Lan­ son en joue avec un art consommé. On lit aujourd’hui avec un plaisir mélancolique cette belle histoire de la phrase française parcourue à rapi­ des enjambées, car c’est le chant du cygne d’un savoir que Lanson a lui-même tant contribué à faire oublier aux Français. On découvre là ce que pouvait donner de meilleur un « vieux professeur de rhétorique ». Mais Lanson évite soigneusement de faire croire qu’il définit des lois et règles à appliquer. Tout au contraire, il n’a de foi que pour le « travail du style » tel qu’il apparaît dans les brouillons des grands écrivains, mais s’il se rencontre ici avec Antoine Albalat, il désapprouve le titre trom­ peusement prometteur d’un des célèbres ouvrages de celui-ci, Le travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains (1903) : D ne faut pas nous laisser croire, à nous qui sommes de bons bourgeois, professeurs, gens du monde, industriels, financiers, journalistes, etc., que ces procédés artistiques de création d’un style soient à notre usage. [...] Pour nous, qui sommes le public, contentons-nous de jouir des belles pro­ ses, et d’affiner, de multiplier par l’étude et l’observation nos jouissances (Lanson, 1909, p. 292).

L’essentiel du projet lansonien, on le voit, est de séparer la lecture et l’écriture, ce qui confirme a contrario le grief capital contre la rhétorique. L’intention de la méthode empirique, propagée depuis 1880 et substi­ tuant l’exemple à la règle, n’est plus de fonder autrement un art d’écrire, mais de se limiter à un art de lire, et de mettre en garde contre

l'ambition d’écrire. Lanson termine d’ailleurs avec une ironie redoutable par des échantillons de « faux art » depuis la fin du XVIIIe siècle, quel­ ques pastiches appris à l’école de la rhétorique : « genre Rousseau » chez Mme Roland, « XVIIIe siècle durci de gréco-romain » chez Napoléon, « romantique troubadour » chez le vicomte d’Arlincourt, « romantique catholique » chez Lacordaire, « garde national » chez Thiers, etc. De quoi dégoûter à jamais son lecteur des arts d’écrire et lui ôter l’envie d’écrire. « Aimons la prose d’art et n’en faisons jamais », conclut Lan­ son, dans une mise en garde qui résume assez ses envies de vengeance contre la culture rhétorique : «Je parle pour les bonnes gens, comme moi, qui n’ont pas le droit de se croire le don, et ne sont pas appelés à en faire la grande affaire de leur vie » (Lanson, 1909, p. 301). Avec L’explication française de Rudler, on change de génération et de ton. Ce qui est le plus frappant dans ce livre, c’est qu’il s’adresse à un élève démuni de toute méthode générale, du genre de celles que Gérusez, Deltour, ou même Boylesve proposaient encore. Rudler part d’une situation idéale où aucune médiation n’existe plus entre l’élève et le texte : Il faut avoir vu des jeunes gens, intelligents, sincères, et point bavards, se prendre à deux mains la tête devant un texte, attendre vainement une ins­ piration qu’ils ne savent pas forcer, et finalement demeurer stériles et muets. C’est qu’une page de français n’offre aucune prise à la main novice ; elle n’a pas d’anse, comme dit Montaigne, par où la saisir (Rudler, p. 1).

La rhétorique, art d’écrire, offrait en même temps une méthode de lec­ ture. Mais Rudler, lui, prend bien garde de ne fournir aucun instrument généralisable, prêchant au contraire la soumission totale au texte. Qu’est-ce à dire ? Qu’il faut d’abord reconnaître l’idée maîtresse, le sen­ timent dominant, le sens général du morceau, puis en démêler le plan, la division en parties, le mouvement et la construction. Après cela, il convient d’aller au détail de la pensée et de la langue. N’insistons pas, car tout Français passé par l’école depuis le début de ce siècle connaît tout cela sur le bout des doigts. Aucune catégorie de la rhétorique n’apparaît plus, jusqu’à la fin de cette leçon sur l’explication de texte où, curieuse­ ment, par une sorte de retour du refoulé, au moment où Rudler parvient à ce que doit être la conclusion d’une explication, les mots d"invention, dis­ position et élocution reparaissent. Rudler, qui se réfugie derrière l’autorité de Ferdinand Brunot, l’historien de la langue, lequel proposait, pour la conclusion de l’exercice, « de s’en tenir aux cadres imaginés par les Anciens, et d’étudier successivement l’invention, la Disposition et

l’Élocution » (cité par Rudler, p. 57), n’explique pas les termes, comme s’ils devaient encore dire quelque chose aux élèves des lycées. Brunot était en fait plus indulgent encore et songeait non seulement à la conclu­ sion, mais encore à tout le commentaire littéraire : « La vieille rhétorique nous fournit un cadre tout fait, simple, clair, méthodiquement disposé, divisé et subdivisé. A quoi bon en imaginer un autre, puisque celui-là est parfait, sinon pour l’exposition, au moins pour la recherche ? » (Brunot, p. 125). Toujours est-il que Rudler, ayant fait à son tour une concession de dernière minute à la vieille rhétorique, rappelle fortement que partout ailleurs ses cadres restent proscrits : « D’une maigre utilité pour la recherche, parce que dispersés ; inadmissibles et impossibles, parce qu’extérieurs, pour l’explication même, ils sont au contraire un moyen de récapitulation excellent et conviennent à merveille pour la conclu­ sion. » Si la conclusion de l’explication de textes est le seul endroit où Rudler admette encore un peu de rhétorique, c’est vraisemblablement, comme Deltour dans ses Principes de composition et de style de 1874, comme les Instructions concernant les programmes de 1902, parce qu’il conçoit que les méthodes nouvelles doivent renverser l’ordre de la rhétorique, substituer l’analyse à la synthèse, l’induction à la déduction. Dans une explication, seule la conclusion peut se permettre de procéder par la syn­ thèse, elle retrouve donc la rhétorique, mais une rhétorique dont il ne reste plus grand-chose : trois mots en tout et pour tout. Uart d'écrire enseigné en vingt leçons d’Antoine Albalat (1899), qui en sera à sa trente-troisième édition en 1950 et qu’Armand Colin a encore réédité en 1992, est un livre célèbre, qui se veut original : On ne trouvera dans ces pages rien qui rappelle l’ancienne routine. J’ai rompu avec les préjugés de doctrine, les appréciations timides et les méthodes consacrées. Qu’on n’y cherche plus les vieilles classifications, les divisions arbitraires, les exemples surannés (Albalat, 1950, p. vu).

La vieille rhétorique a bon dos, car, malgré cette mise en garde, ses catégories reviennent, telle invention, disposition et élocution - division qualifiée de «logique et naturelle» (Albalat, p. 160) -, même si de nombreux chapitres sont introduits par une attaque en règle de ce genre : On s’imagine faire œuvre d’enseignement pratique en décomposant, comme on dit, les éléments du style et ses qualités, éléments généraux, élé­ ments particuliers, qualités générales, qualités particulières : la clarté, la pureté, la correction, Y élégance, la force, le naturel, la noblesse, la richesse, la magnifi­ cence. Il y a aussi des figures de mots et des figures de pensées (Albalat, P- 54).

Albalat bannit toutes ces appellations, mais c’est pour y substituer ses propres qualités du style : originalité, concision et harmonie, ou pour appeler image l’ensemble des figures et tropes. D’un bout à l’autre, il renvoie à un épouvantail qui porte le nom de « Manuel de littérature » et dont il prétend se démarquer à chaque instant. Mais la tradition « belle-lettriste » inspire manifestement toute sa démarche, jusqu’au moment où il parvient à l’analyse des refontes et du travail du style qui caractérisera ses ouvrages ultérieurs. Il s’agit bien d’une rhétorique, et pas si nouvelle qu’elle veut bien le dire.

« La bibliographie et les fiches ont remplacé dans la forme parasitaire d’existence qui est celle des universités, la rhétorique et les locutions d’autrefois», écrivait Valéry en 1912 (Cahiers, II, p. 1555). Valéry ne s’en plaint pas, mais l’élimination de la culture rhétorique a parfaite­ ment réussi en France. Après 1902, la tradition semble avoir été oubliée bien davantage dans ce pays que dans les autres nations euro­ péennes et en Amérique du Nord. Cela peut se mesurer à différents indices, et d’abord au nombre réduit des travaux français sur les Classi­ ques, Aristote, Cicéron et Quintilien, dans la première moitié du XXe siècle. Après VEssai sur la rhétorique grecque avant Aristote d’Octave Navarre (1900), s’étend une grande friche - c’est l’époque des travaux majeurs de Theodor Gomperz et Werner Jaeger en allemand, de W. D. Ross en anglais - jusqu’à la publication de la traduction des livres I et II de la Rhétorique d’Aristote par Médéric Dufour dans la col­ lection Budé en 1932 et 1938, édition qui ne sera achevée qu’en 1973 avec la parution du livre III... Henri Bomecque traduit cependant plu­ sieurs traités cicéroniens, Orator (1921), Partitiones et Topica (1924), De inventione (1932), De oratore (1922-1930), ainsi que la Rhetorica ad Herennium (1932) et l'Institutio oratoria (1933-1934), mais le commentaire de tous ces traités, publiés dans la collection Budé ou chez Garnier, est exclusivement historique et très insuffisant, ne tenant pas compte des travaux de la philologie allemande. Jean Cousin, futur traducteur de [’Institution oratoire dans la collection Budé (1975-1980), publie toutefois ses importantes Études sur Quintilien (1936), et H.-I. Marrou, son Histoire de l’éducation dans ГAntiquité (1948) : ces livres-là annoncent tardivement le renouveau. Les sophistes ont également été les victimes de la condamnation de la rhétorique à la fin du XIXe siècle. En France, cela est net chez les frères Croiset, dans leur Histoire de la littérature grecque (1887-1899, 5 vol.), de grande influence sur l’enseignement classique et philosophique. Alfred Croiset, titulaire de la chaire d’éloquence grecque à la Sorbonne de 1885 à 1921, doyen de la faculté des lettres de 1898 à 1919, ainsi que son frère

Le désert

de l'entre-deux-guerres

Maurice, professeur au Collège de France à partir de 1893, sont violents contre la « frivolité bavarde et vaniteuse » des sophistes, alors que « la vraie éloquence se moque de l’éloquence » (.Histoire..., t. IV, p. 49-50). Ils attribuent à la sophistique tous les maux d’Athènes. Dès le Ve siècle, des­ tinée aux jeunes gens riches et nobles, elle a ruiné les mœurs, et avec la décadence on lui a cédé tout à fait : « Le germe d’abord latent devait se développer et ce côté fâcheux de l’esprit grec se montrer en pleine lumière » (Histoire..., t. IV, p. 50-51). Ou encore : « Tout le mauvais de la rhétorique grecque, le manque de sérieux et de probité scientifique, le fléau de l’hellénisme postérieur à Alexandre se rattache en droite ligne à la sophistique » (Histoire..., t. IV, p. 51). En 1909, dans Les démocraties antiques, Alfred Croiset s’en prend à la rhétorique et à l’éloquence dans les assem­ blées populaires : « La parole y tenait une place qu’on peut juger exces­ sive. [...] Les luttes de parole, devant un peuple foncièrement artiste, tour­ naient forcément au spectacle oratoire. » Les frères Croiset méconnaissent ainsi, et la recherche française avec eux, l’éveil de l’intérêt pour les sophistes et la sophistique, lequel a eu lieu dès la fin du XIXe siècle en Angleterre et en Allemagne, avec l’ouvrage de George Grote sur Platon (1875). Cette réévaluation avait été préparée par Hegel dans ses Leçons sur Гhistoire de la philosophie, qui faisaient une large place aux sophistes. Mais le retour aux sophistes contre Platon a été beaucoup plus lent et tardif en France : on peut l’attribuer non seulement au platonisme de l’Université, mais sans doute aussi à l’ignorance de la philosophie analytique par l’institution philosophique française. Ainsi, les travaux à signaler dans ce domaine, comme Paideia de Jaeger (1934), Les sophistes de Dupréel (1948) et I sofisti de Untersteiner (1949), ou encore l’étrange La persuasione e la rettorica de Carlo Michelstaedter (1913), précèdent de longtemps le renou­ veau des études françaises. La présence considérable de la rhétorique au Moyen Age, à la Renaissance, à l’âge classique n’est pas traitée. Tout un filon de la recherche historique est négligé en France à l’époque des travaux de Ch. S. Baldwin ou M. Croll en Amérique, de W. Kroll et E. R. Curtius en Allemagne. L’art rhétorique est parfois analysé chez un auteur chrétien Joseph Finaert, Saint Augustin rhéteur, 1939), et encore, le mot rhéteur reste ici largement péjoratif. Mais ce qui est plus frappant, c’est l’absence de recherches formelles sur tous ces sujets majeurs : rhéto­ rique et logique, rhétorique et linguistique, rhétorique et poétique, rhé­ torique et philosophie. Rien de comparable en France aux ouvrages des Britanniques С. K. Ogden et I. A. Richards, du new criticism améri­ cain, ou de R. Jakobson et des formalistes russes. Pendant plusieurs générations, on n’a plus rien su de la rhétorique au sortir des enseigne­

ments secondaire et supérieur français, mis à part une courte liste des figures. Ailleurs, parmi les écrivains, Paul Valéry, Valery Larbaud et Jean Paulhan se soucient de la persuasion, du style, des figures. C’est seulement dans ce désert rhétorique qu’on peut comprendre l’existence et l’influence de l’article de 1970 de Roland Barthes, « L’ancienne rhétorique, aide-mémoire ». Il fallait avoir tout oublié, et que Barthes, lycéen et étudiant de l’entre-deux-guerres, n’ait reçu luimême aucune culture rhétorique, pour que cet article, qui n’est au fond qu’une présentation, au demeurant très claire, du dernier état de la rhé­ torique à la fin du XIXe siècle, au moment où la tradition s’était inter­ rompue, passe pour une redécouverte de ce qui naguère était le b-a-ba du lycéen. Entre Rudler et Barthes, il n’y a en fait qu’un peu plus d’une seule génération, mais cela a suffi pour que la rhétorique soit tout à fait oubliée et qu’il semble nécessaire de la réinventer. Pour beaucoup, plu­ tôt qu’une épistémologie de la rhétorique, cet « Aide-mémoire » a joué le rôle d’une initiation que les innombrables manuels, qui avaient cessé de se reproduire depuis la fin du XIXe siècle, ne remplissaient plus. Ainsi se conclut une culture. Il s’agit, dans cette dernière période, d’un pas tout à fait décisif dans l’histoire des représentations, le moment où notre rapport au monde n’est plus censé passer par la litté­ rature, mais par l’histoire, où la connaissance littéraire - connaissance de la littérature, connaissance par la littérature - est soumise par l’école à la connaissance historique : véritable fin du studium rhetoricum qui orga­ nisait les études depuis plus de deux mille ans, comme un apprentissage humaniste de la vie par les lettres.

BIBLIOGRAPHIE

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DÉCLIN ET RENOUVEAU DE LA RHÉTORIQUE AMÉRICAINE

Après avoir traité avec assez de détail du mouvement de la rhéto­ rique en France à la fin du XIXe siècle, on pourrait aussi décrire ses mésaventures en Italie, en Allemagne et en Grande-Bretagne, où, con­ frontée à l’esprit scientifique et positiviste, à l’histoire et à la philologie, elle connut à la même époque de semblables revers. Les termes du débat varient dans chaque pays et, en l’absence d’un grand enseigne­ ment secondaire national, ils se concentrent moins, ailleurs qu’en France, autour de la place des humanités classiques dans le curriculum des lycées. Mais, dans l’ensemble, la rhétorique passe, au sein de la cul­ ture européenne, par un déclin en apparence irrémédiable, au nom des nouveaux idéaux, scientifique, d’objectivité et, romantique, d’ori­ ginalité. Plutôt que d’examiner sa place dans les différentes cultures nationales prises une par une, il nous a semblé pertinent d’aller regar­ der de plus près ce qui a eu lieu dans cette extrémité de la culture européenne que constituaient, de l’autre côté de l'Atlantique, les États-Unis d’Amérique. Dans un contexte historique, social, économique, politique, culturel pourtant très différent de la IIIe République, malgré des enseignements secondaire et supérieur institués sur des bases tout à fait étrangères à celles des lycées et facultés en France, comme le rappelait Gabriel Compayré au retour d’une enquête en Amérique du Nord (L’enseignement secondaire aux États-Unis et L’enseignement supérieur aux États-Unis, Paris, Hachette, 1896), l’histoire de la disparition de la rhé­ torique classique aux États-Unis à la fin du XIXe siècle est en effet très voisine par sa chronologie de celle que nous avons esquissée du côté français. L’enseignement de la rhétorique constituait au XIXe siècle le noyau de l’éducation américaine, dans ces collèges qu’on appelait, et qu’on appelle toujours - mais sans plus de raison aujourd’hui -, d’« arts libéraux », comme au Moyen Age. Ces collèges, par l’âge des étudiants, sont à cheval sur la fin de l’enseignement secondaire et le début de l’enseignement supérieur, dans le système français contempo­ rain. L’instruction rhétorique y était placée sous l’influence de la philo­ sophie écossaise du Common Sense et de la rhétorique d’Édimbourg, c’est-à-dire de George Campbell, dont The Philosophy of Rhetoric (1776) fut largement utilisé dans les collèges américains jusqu’en 1870, et sur­ tout de Hugh Blair, Regius Professor of Rhetoric à Édimbourg, dont il est

dit que, de par le monde, la moitié du public cultivé anglophone avait lu son livre, Lectures on Rhetoric and Belles-Lettres (1783), enfin de Richard Whately (Elements of Rhetoric, 1828), pasteur comme Campbell. Camp­ bell et Whately représentaient une orientation épistémologique faisant dépendre la rhétorique de la psychologie, et intéressée à l’adaptation du discours à son public, notamment pour la prédication. Sous l’influence de Blair, en revanche, dont le manuel, également traduit en français, italien et russe, fut le premier livre de lecture des écoles anglaises et américaines jusqu’à la fin du XIXe siècle, c’est la ligne de partage entre rhétorique et poétique qui s’estompe, la rhétorique, centrée sur la notion de style, devenant l’art même de la littérature, ou de la critique : c’est le « belletrisme », mettant l’accent sur le goût comme faculté capable de prendre plaisir au contact du beau, qui a ainsi peu à peu dominé dans les institutions scolaires américaines jus­ qu’à l’anéantissement de la rhétorique. L’histoire de la Boylston Chair of Rhetoric de l’Université Harvard est exemplaire du destin de la rhétorique américaine au XIXe siècle : don de Nicholas Boylston, riche marchand de Boston, en 1771, elle fut inaugurée en 1806. Ses deux premiers détenteurs, John Quincy Adams (1806-1809), futur président des États-Unis et auteur de Lectures on Rhe­ toric and Oratory (Cambridge, 1810), et Joseph McKean (1809-1818), appartenaient à la tradition classique et enseignaient Aristote, Quintilien et Cicéron, ainsi que Campbell, Whately et Blair. Mais le troisième titulaire, Edward T. Channing (1819-1851), dans ses Lectures Read to the Seniors at Harvard College (Boston, 1856), rejette Vinventio hors de son enseignement, oppose la situation de l’écrivain moderne à celle de l’orateur ancien confronté à une foule, et s’oriente fermement vers la critique littéraire. La rhétorique semble dès lors appartenir à la vie privée, par opposition au domaine public. Son successeur, Francis Child (1851-1876), allait d’ailleurs devenir le premier Professor of English de Harvard, la littérature anglaise remplaçant peu à peu la rhétorique comme discipline noble, tandis que des cours élémentaires de « compo­ sition » étaient introduits pour les étudiants débutants, les freshmen. La déclin de la rhétorique coïncida ainsi avec la création des dépar­ tements d’anglais dans les grandes universités américaines à la fin du XIXe siècle. Par un renversement symbolique, alors que la rhétorique, matière noble, avait occupé jusque-là le curriculum des trois années supé­ rieures du collège, la « composition », qui prit sa place, devint un ensei­ gnement obligatoire de première année, sous la forme d’un cours orienté vers le discours écrit seulement. Une épreuve de rédaction anglaise avait été instituée à l’entrée à Harvard en 1874, avec l’idée que les étudiants devaient arriver au collège en sachant écrire, et

peut-être aussi afin d’exclure les immigrants récents. Mais comme d’emblée les compositions d’examen ne furent pas de la qualité sou­ haitée, un enseignment de mise au niveau fut inventé. Depuis cette époque, l’enseignement élémentaire de la composition est un service requis des départements d’anglais dans la plupart des universités améri­ caines. Charles William Eliot, président de Harvard de 1869 à 1909, introduisit ainsi en 1874 un cours de Freshman English dans le nouvel elective curriculum du collège ; à partir de 1894, ce fut le seul requirement de ce programme très libéral, avec l’apprentissage d’une langue moderne, puis, après 1897, le seul. L’introduction d’un cours de composition au collège, et la responsa­ bilité des départements d’anglais dans son enseignement, ont été long­ temps contestées par les professeurs d’anglais, qui se voulaient des spé­ cialistes de littérature, par exemple en 1884-1885, dans le premier numéro de la revue de la Modem Languages Association, l’association des professeurs de langues modernes fondée en 1883 sous l’égide des angli­ cistes. En vingt ans, le pilier rhétorique du curriculum du XIXe siècle fut ainsi remplacé par un seul cours de mise au niveau en première année, tandis que la littérature anglaise, qui n’avait pas place dans l’ancien cur­ riculum, constituait désormais la préoccupation centrale des nouveaux départements d’anglais. En somme, c’est seulement à cette époque que le trivium médiéval des arts libéraux s’est trouvé redistribué, la logique rejoignant la philosophie, en attendant qu’en 1914 les professeurs d’élocution - speech -, désormais déconsidérés relativement aux profes­ seurs de littérature anglaise, quittent l’association des professeurs d’anglais, le National Council of Teachers of English, pour fonder leurs pro­ pres départements et associations, emportant avec eux rhétorique et élocution, qui ont ainsi survécu aux Etats-Unis, contrairement à ce qui a eu lieu en France, dans des instituts spécialisés vers le discours public. Alors que le vieux collège libéral était élitiste et préparait pour l’essentiel à trois professions - le droit, la médecine et l’Eglise -, la nou­ velle université a pour fonction de décerner des diplômes professionnels à des candidats qui appartiennent à une nouvelle classe moyenne socia­ lement déterminée par son métier. C’était dans l’intention de sélection­ ner cette nouvelle méritocratie que des entrance requirements avaient été créés, rendant possible une certaine mobilité sociale grâce à la qualifica­ tion universitaire. On peut faire l’hypothèse que la profession universi­ taire elle-même, afin de faire partie elle aussi de la hiérarchie des nouvel­ les professions, chercha à définir sa propre discipline sur le modèle de ses voisines scientifiques. Comme en France, la rhétorique ne pouvait sou­ dain plus servir de critère de légitimation sociale et de définition profes­ sionnelle, ni pour les étudiants ni pour les professeurs. Dans les anciens

collèges, les professeurs de rhétorique, de latin et de grec enseignaient au niveau dit sous-gradué (undergraduate) , et ils étaient sous-payés et surme­ nés. Mais les collèges, devenant des universités, s’adjoignaient des ensei­ gnements de niveau gradué [graduate). Les professeurs de composition entendaient être reconnus comme professeurs d’anglais afin de jouir d’une considération académique. S’ils n’avaient enseigné que la compo­ sition, en effet, il auraient eu le même statut subalterne que les anciens professeurs de rhétorique, car, conformément à l’orientation pratique du nouveau curriculum, la composition exigeait des exercices quotidiens et de nombreuses corrections. Le préjugé contre la rhétorique tradition­ nelle, ainsi que contre la nouvelle pédagogie de la composition, devait ainsi rester un trait général des départements d’anglais jusqu’aux années 1950, car ces départements prétendaient trouver leur légitimité académique par l’étude de la langue et de la littérature, mais leur taille - ils étaient en général immenses - se justifiait néanmoins par l’enseignement massif de la composition. La fondation de l’Université Johns Hopkins à Baltimore, en 1876, avait été déterminante dans cette évolution : première université améri­ caine ayant pour mission principale l’éducation graduée, fondée sur le modèle de l’Université de recherche allemande, elle privilégia l’étude de la littérature dans la langue vernaculaire, et le premier doctorat y fut décerné en 1878. La transformation de l’Université américaine du modèle sous-gradué au modèle gradué s’ensuivit à peu près partout. L’Université Johns Hopkins avait tenté en 1876 de recruter Child, quatrième Boylston Professor of Rhetoric à Harvard, mais en réalité déjà philologue formé en Allemagne, éditeur de Spenser, auteur de travaux sur Gawain et Chaucer. Pour le conserver, Harvard le libéra de l’enseignement de la Freshman Com­ position. Il devint ainsi le premier spécialiste à plein temps de littérature anglaise en Amérique, annonçant le moment où la littérature constituerait le centre d’intérêt principal des départements d’anglais. La rhétorique dis­ parut ainsi du curriculum sous-gradué sans reparaître au niveau gradué, la littérature anglaise étant devenue la colonne vertébrale des humanités. On appelle en américain rhétorique « traditionnelle courante » (cur­ rent-traditional) la méthode du cours élémentaire de composition né vers la fin du XIXe siècle. Cette méthode adapte en fait certains éléments de la rhétorique classique au positivisme et à la logique scientifique de la nou­ velle université. Le professeur y enseigne avant tout l’arrangement et le style. C’est encore le manuel d’un Ecossais, English Composition and Rheto­ ric par Alexander Bain (New York, 1866), qui fut ici fondamental et eut une immense influence sur l’enseignement de la composition écrite aux États-Unis. Il est significatif que, dès le titre, la composition précède la rhétorique, ce qui veut dire que Vinventio est mise à l’écart, ou que la res­

ponsabilité en est renvoyée aux autres disciplines, tandis que le but de la rhétorique se limite à une utilisation efficace du langage pour informer, persuader et plaire. Bain, psychologue et logicien, se réclamant de Campbell, Whately et Blair, introduisit deux traits tout à fait pratiques dans son enseignement : le concept de paragraphe organique - construit autour d’une seule idée, dont la topic sentence indique le sujet -, et la clas­ sification du discours en quatre formes - la narration, la description, l’exposition et l’argument, plus la poésie. Cette division a subsisté dans tous les manuels de composition ultérieurs, ainsi que la définition du paragraphe comme unité du discours, caractéristiques que David Hill, dans The Science ofRhetoric (1877), a tenté de fonder par une psychologie. On peut continuer à retracer l’histoire de la rhétorique américaine à travers la succession de la Boylston Chair of Rhetoric à Harvard : après Adams, McKean, Channing et Child, son cinquième titulaire, Adams Sherman Hill, nommé en 1876, lorsque son prédécesseur, sollicité par Johns Hopkins, devint le premier titulaire de la chaire de littérature anglaise, était franchement un professeur de composition, et plus du tout ni de logique, ni de psychologie, ni de critique et belles-lettres. Il publia le manuel de composition qui resta le plus utilisé aux États-Unis pendant trente ans, The Principles of Rhetoric and their Application (New York, 1878, 1895). Ce livre a deux parties, traitant de la correction - orthographe, ponctuation, syntaxe, usage - et des formes du discours - la structure des paragraphes pour l’essentiel. Il y est surtout question du style, du choix des mots, de l’usage et de la correction éditoriale, ce qu’on appelle editing. Tout cela n’a plus grand-chose à voir avec la rhétorique ancienne, puisque Гinventio a été éliminée et qu’il n’y a à peu près rien sur la dispositif. Les autres manuels contemporains de quelque importance sont ceux de John Genung, professeur au Collège Amherst (The Practical Ele­ ments of Rhetoric, Boston, 1886), qui renvoie l’élocution à l’étude auto­ nome du speech, et de Barrett Wendell (English Composition, New York, 1891), qui analyse le style dans l’ordre désormais figé du mot, de la phrase, du paragraphe et de la composition entière. Henry Pearson (The Principles of Composition, Boston, 1897) renverse l’ordre de présenta­ tion de Wendell et commence par le tout, suivi du paragraphe, de la phrase et du mot, méthode qu’il prétend fondée sur la psychologie. Edwin Lewis, The History of the English Paragraph (Chicago, 1894) est la seule étude savante de cette nouvelle unité fondamentale du discours, dans le même temps que l’accent mis sur le paragraphe comme unité de composition faisait du livre de Fred Scott et Joseph Denney, Para­ graph-Writing (Boston, 1893), la bible de la composition. La rhétorique traditionnelle courante, positiviste et utilitaire, a vite triomphé aux Universités Harvard et Columbia, pour fournir des outils

de composition et apprendre le bon usage aux étudiants originaires des classes moyennes. C’est une rhétorique objective et instrumentale, limitée à l’arrangement et au style, qui ignore le rôle du locuteur, du destinataire et du langage dans la communication, tout attachée qu’elle est au référent. Ch. S. Baldwin, à Columbia, fut un savant, un expert de la rhétorique ancienne dans son Ancient Rhetoric and Poetic (1924) et Medie­ val Rhetoric and Poetic (1928), mais ses nombreux manuels de composition, notamment A College Manual of Rhetoric (1902), représentent une œuvre autonome, qui tire peu de chose de la tradititon rhétorique, si grande est désormais la séparation entre rhétorique classique et composition par paragraphes. Or cette rhétorique simplifiée a survécu au positivisme qui l’a vu naître. Elle s’est développée à l’époque où les départements d’anglais s'adonnaient par ailleurs à la critique historique et philolo­ gique : Barrett Wendell, auteur d’un manuel de composition déjà cité, écrivit de l’autre main une Literary History ofAmerica (1900), marquée par la philosophie de Taine. D’autres paradigmes critiques se sont succédé dans la discipline de la littérature anglaise, très opposés au scientisme et à l’utilitarisme du début du siècle, mais les cours de composition sont toujours restés dominés par la rhétorique traditionnelle courante. A côté de la méthode des cours de composition, comme modèle de rhétorique objective se perpétuant depuis la fin du XIXe siècle dans la plupart des collèges américains, James A. Berlin, dans Rhetoric and Rea­ lity : Writing Instruction in American Colleges, 1900-1985 (1987), une intéres­ sante synthèse dont nous nous inspirons dans ce panorama de la rhéto­ rique américaine, distingue une rhétorique « subjective » et une rhétorique « transactionnelle », qui ont subsisté par ailleurs en Amé­ rique, plus proches par leurs ambitions de la rhétorique classique, et qui ont pu contribuer au renouveau des études rhétoriques outre-Atlantique à partir du milieu du XXe siècle. Tandis que les Universités Harvard, Columbia, ainsi que la plupart des grandes universités d’Etat, se convertissaient à la composition avant 1900, Princeton, Yale et quelques collèges d’élite, comme Wil­ liams, ne renoncèrent pas à la rhétorique de la culture libérale. C’est un aspect du conflit, que la France a également connu, entre l’ancien humanisme élitiste et aristocratique attaché à la tradition rhétorique, et le nouvel utilitarisme méritocratique favorable aux méthodes inductives de composition. Dans l’esprit de la tradition libérale, le seul but accep­ table d’un cours de composition au collège aurait été d’encourager quelques rares étudiants de génie à devenir écrivains. Pour l’ensemble des étudiants, des cours de littérature suffisaient cependant à fixer les normes du goût. C’est pourquoi certains collèges libéraux refusèrent d’introduire des cours de composition dans leurs programmes, les

génies étant rares en tout état de cause, et tous les étudiants étant en principe censés savoir écrire pour être admis au collège : il n’y avait donc pas lieu d’y prévoir de simples cours de mise au niveau. Mais une initiation à la culture et à la littérature, sans laquelle aucune produc­ tion littéraire n’aurait d’ailleurs été valable, pouvait servir à tous et encourageait au demeurant les quelques génies. L’approche « bellettriste » à la Blair fut ainsi maintenue dans un certain nombre d’institutions américaines, où la composition ne fut pas négligée pour autant, ces collèges continuant à faire écrire leurs étudiants, mais avant tout sur des sujets littéraires traditionnels. La rhétorique libérale américaine, « bellettriste » en son principe, s’est aussi trouvée confortée par le romantisme transcendantaliste et par l’idéalisme philosophique, suivant lesquels l’éducation vise la réalisation de soi plutôt qu’une efficacité professionnelle. Cet idéal n’a pas survécu au mouvement du XXe siècle, mais la résistance de quelques institutions pres­ tigieuses à la spécialisation des études professionnelles permit que la tradi­ tion des arts libéraux et du romantisme américain se transmette à travers l’époque positiviste, jusqu’au moment où la rhétorique expressionniste des années 1920, célébrant l’individu et démocratisant l’idéal libéral, fut en mesure d’en prendre le relais. Au fond, tout ce que la rhétorique expres­ sionniste du XXe siècle prétend, c’est que nous sommes tous des génies, contrairement au postulat de la rhétorique libérale du XIXe siècle. D’autres sources se sont mêlées pour donner l’expressionnisme du XXe siècle, comme les idées postfreudiennes sur l’éducation, assurant que chaque individu a des possibilités uniques de création, et que l’école doit encoura­ ger le développement libre de ces possibilités. La synthèse du romantisme patricien, de l’expressionnisme esthétique et du freudisme banalisé a abouti aux cours de creative writing dans de nombreuses écoles, permettant la libre créativité dans le cadre du cours de composition. Ce culte de l’originalité apparut dans la pédagogie aussitôt après la Première Guerre mondiale, sous la forme d’un universalisme de la poésie et d’une démocratisation de la création : « Blame Rousseau for it, or praise him ; but remember he is largely responsible for the present flood of poetry in America», écrivait dès 1927 un observateur perspi­ cace, à propos du flot de creative writing dans les collèges américains. Distincte de la rhétorique objective comme de la rhétorique subjec­ tive, la rhétorique transactionnelle, elle, se veut un apprentissage de la participation au processus démocratique, une rhétorique du discours public situant la réalité, voire la vérité, dans l’interaction des individus. Apparue dès la fin du XDC à l’Université du Michigan comme une ten­ tative de réhabilitation de la rhétorique du Forum, au moment où l’enseignement de la composition se spécialisait dans les usages privés du

discours, elle devint influente dans les années 1950 seulement. Son essor coïncida alors avec la redécouverte, souvent naïve, de la rhétorique clas­ sique, sous l’effet de la mode de la communication. Deux ouvrages réin­ troduisirent la rhétorique aristotélicienne à ce moment-là, ceux de Richard M. Weaver, Composition : A Course in Writing and Rhetoric (1957), et d’Edward P. J. Corbett, Classical Rhetoric for the Modem Student (1965). Lié au renouveau de l’humanisme aristotélicien à l’Université de Chicago, à une revalorisation de l’éducation générale après la guerre, Weaver retrouve de l’intérêt pour Гinuentio et les topoi, catégories oubliées depuis Adams. Il se méfie en revanche de l’expression efficace comme d’un obs­ tacle à la recherche de la vérité. Quant à la rhétorique de Corbett, elle ressuscite le rationalisme aristotélicien moins Vethos et le pathos : c’est donc une rhétorique du message, incluant l’invention, l’arrangement et le style. Dans les deux cas, la cible est le culte de l’expression fibre. Enfin, après Kenneth Burke, des rhétoriques épistémiques se sont récemment développées, suivant lesquelles la rhétorique n’intervient pas seulement dans la transmission du savoir, mais aussi dans sa consti­ tution, ne sert pas seulement à communiquer la vérité, mais aussi à la découvrir, car l’intersubjectivité est la condition de sa possibilité. On trouve là l’antithèse du positivisme ou de l’empirisme faisant du lan­ gage un instrument neutre, puisque la signification et la vérité sont sup­ posées émerger parmi des individus engagés dans une négociation. Le savoir est donc le produit d’une activité rhétorique ; il est lui-même une construction rhétorique. Alors que la rhétorique classique mettait l’accent sur la persuasion, les nouvelles rhétoriques transactionnelles insistent sur la communica­ tion, voire la contemplation. La vieille rhétorique était agressive ; la nouvelle rhétorique est coopérative, mutuelle, consensuelle. Elle est apprentissage de la citoyenneté dans une démocratie. Burke l’identifiait à l'effort de l’écrivain pour établir une identification avec son audience, en comprenant la perspective de cette audience, et en tentant de lui faire comprendre le monde à travers la perspective de l’écrivain. Chez I. A. Richards déjà, la méfiance par rapport à la persuasion apparais­ sait, dans le reproche qui était fait à la rhétorique classique intéressée à peu près exclusivement au discours polémique. Selon Burke, elle est « the use of language as a symbolic means of inducing cooperation in beings that by nature respond to symbols ». La tendance récente va vers ce type de rhétorique transactionnelle ou épistémique, conforme à l’insistance, notamment poststructuraliste, sur la primauté du langage. Les travaux de Michel Foucault et de Hay­ den White, aussi bien que la philosophie de Richard Rorty ou la déconstruction de Jacques Derrida et de Paul de Man, soulignent tous

le caractère social de tout savoir, faisant des éléments mêmes de la scène rhétorique ceux du procès de formation du savoir. Ce qui ramène au paysage européen, où, après une longue parenthèse, la rhé­ torique est aussi revenue sur la scène, à la fois sous la forme d’un inté­ rêt renouvelé pour la rhétorique classique et, au sens large, comme une allégorie du relativisme épistémologique aujourd’hui dominant.

BIBLIOGRAPHIE

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ANTOINE COMPAGNON

25 - La réhabilitation de la rhétorique au XXe siècle

Éclipsée à la fin du XIXe siècle, la rhétorique est renée de ses cendres au cours de la seconde moitié du XXe siècle, à des dates variables selon les traditions nationales. De fait, on peut juger que l’élimination de la rhétorique de l’enseignement et de la culture à la fin du XIXe siècle avait marqué l’achèvement d’un processus de disqualification entamé dès l’âge classique et poursuivi par les Lumières et le romantisme. John Bender et David Wellbery, dans The Ends of Rhetoric: History, Theory, Practice (1990), dressent la liste suivante des conditions historiques du déclin de la rhétorique entre le XVIIIe et la fin du XIXe siècle : 1 / la définition d’un idéal de transparence, de neutralité et d’objectivité du discours scientifique ; 2 / à l’opposé, l’exigence d’originalité, d’indivi­ dualité, et de subjectivité du discours littéraire ; 3 / la montée du libé­ ralisme comme modèle du discours politique ; 4 / la substitution du livre et de l’imprimé comme modèle de la communication à la parole et au discours ; 5 / l’émergence des États-nations et des langues natio­ nales comme références culturelles. Il faudrait y ajouter le lent mouve­ ment, entamé depuis la Réforme, qui déplace le lieu de la parole de la sphère publique à la vie privée. Telles seraient conditions de l’irrecevabilité croissante de la rhéto­ rique dans la culture occidentale. Malgré leur généralité, elles résument assez bien l’histoire que nous avons tenté de raconter pour la France et les États-Unis, dans le contexte du positivisme scientifique et de l’esthétique postromantique contemporains de la crise des humanités classiques. Or, la rhétorique est revenue sur le devant de la scène depuis le milieu du XXe siècle ; elle semble avoir reconquis le prestige théorique et la pertinence pratique qui avaient été les siens depuis vingt-cinq siè­ cles, au point qu’il peut même parfois sembler que nous habitions de nouveau l’« Empire » rhétorique, plus puissant encore qu’à Athènes ou

à Rome. « Tout est rhétorique » : cela paraît l’adage du monde moderne. Ce retour a-t-il eu lieu quand, et parce que, les conditions du déclin de la rhétorique n’ont plus été remplies ? Un nouvel espace de la rhétorique se serait ainsi dégagé, où la légitimité des discours ne serait plus définie en termes d’objectivisme, de subjectivisme, de libéralisme, d’imprimé, et de nationalisme. Notre modernité n’a-t-elle pas renversé les prémisses culturelles hostiles à la rhétorique qui avaient dominé peu à peu depuis le XVIIe siècle ? C’est l’hypothèse que proposent Bender et Wellbery, symétrique de leur thèse sur le déclin antérieur de la rhéto­ rique. Elle est schématique, mais elle mérite d’être rappelée au début d’un panorama du renouveau de la rhétorique au XXe siècle. 1 / L’idéal épistémologique d’objectivité et de neutralité scientifique du positivisme s’est effrité au fur et à mesure du XXe siècle, de Heisen­ berg à Gôdel et à Nelson Goodman en particulier. Le critère de la transparence de la démarche et du discours scientifique n’est plus tout-puissant, dès lors qu’il est admis et reconnu que les données de l’observation ne sont pas neutres. D’autre part, l’histoire des sciences est de plus en plus volontiers analysée en séries de constructions dans des paradigmes dominants, selon le modèle de Thomas Kuhn. 2 / Parallèlement, la subjectivité, fondatrice de l’expérience esthé­ tique romantique, a été sapée comme base de l’art moderne. De Bau­ delaire et Mallarmé, puis au surréalisme, jusqu’à l’anonymat de Kafka, Beckett ou Blanchot, l’expérience esthétique, à partir de Freud notam­ ment, a été de plus en plus perçue en termes de jeux de forces, incons­ cientes et linguistiques, par rapport auxquelles le sujet reste par défini­ tion décentré. L’idéal d’originalité a du coup cédé du terrain. 3 / Le modèle de la communication publique s’est de moins en moins incarné dans le libéralisme politique, tandis que la publicité, le marketing, la propagande, les relations publiques proposaient d’autres explications pour lesquelles la rationalité des agents n’était plus l’axiome. 4 / Le livre et l’imprimé ne s’imposent plus comme références culturelles. L’image, le film et la télévision s’y sont adjoints, avec le résultat que la culture écrite n’est plus la seule, mais seulement un moyen du traitement de l’information parmi d’autres. Les travaux de Marshall McLuhan, comme de Walter Ong, ont montré les rapports de la nouvelle culture de l’image et de la culture orale préclassique. 5 / Alors que le déclin de la rhétorique avait coïncidé avec l’oubli du latin et la montée des langues nationales, le XXe siècle a revalorisé le polyglottisme, les dialectes et les jargons. Les cultures nationales sont moins dominantes dans un univers de la diversité culturelle où la rhéto­ rique joue le rôle d’une langue universelle par défaut.

Telles auraient été les conditions de la renaissance intellectuelle et culturelle de la rhétorique au fur et à mesure du XXe siècle. Mais cette rhétorique ressuscitée n’est plus exactement celle de la tradition clas­ sique, elle ne dépend pas d’une doctrine unifiée, et on doit parfois se demander si elle a plus que le nom en commun avec la rhétorique clas­ sique, si notre époque n’est pas davantage une époque rhétorique plu­ tôt qu’une époque de la rhétorique. Cette nouvelle rhétorique, ou « rhétoricité » générale - un tel néologisme permettant de distinguer une rhétorique fondamentale d’une rhétorique instrumentale -, s’im­ pose comme la condition du discours, ou même de l’existence, dans le monde moderne ou postmodeme, plutôt que comme une institution particulière, un code et des règles de production spéciales. Cela revient à reconnaître la dimension rhétorique ou tropologique inévitable du langage. Quelques grandes oppositions conceptuelles, qui avaient pré­ sidé au procès de la rhétorique à la fin du XIXe siècle, ont simplement été renversées au bénéfice de l’autre terme dans le cours du XXe siècle, comme celle du vraisemblable et du vrai, du général et du particulier, de la lecture et de l’écriture. Pour la doctrine contemporaine résumée dans « Tout est rhétorique », cela signifie qu’il n’y a que de la vraisem­ blance et pas de vérité, ou encore que toute lecture est une écriture. Cette réhabilitation théorique de la rhétorique n’est pas sans effets institutionnels nombreux. Ainsi, des chapitres ou articles sur la rhéto­ rique figurent désormais - ou de nouveau, après une interruption de quelques générations - dans les histoires de la linguistique ou les dic­ tionnaires de philosophie ; des manuels d’initiation sont diffusés à l’usage des premiers cycles universitaires ; des cours de rhétorique, des ateliers d’expression et d’argumentation ont lieu dans les départements de littérature ou de communication de la plupart des universités et des IUT (Instituts universitaires de technologie) ; des concours d’éloquence sont même réinventés ici ou là. La rhétorique est actuelle ; les publica­ tions qui s’en réclament sont abondantes ; elle a largement reconquis ses lettres de noblesse. TROIS PRÉCURSEURS

Le mouvement récent vers une rhétorique généralisée, ou plutôt une « rhétoricité » générale, conçue comme la condition de tous les dis­ cours, date des trente dernières années, mais on peut citer au moins trois grands précurseurs, témoins de la transition souterraine entre la rhétorique instituée et la rhétoricité générale, dès l’époque de la plus grande déconsidération de la rhétorique elle-même : Friedrich

Nietzsche, Jean Paulhan, et Kenneth Burke, pour les prendre dans trois cultures nationales différentes. Dans cette vue d’ensemble de la rhéto­ rique contemporaine, nous évoquerons d’abord ces trois figures, puis, comme il ne saurait être question de recenser toutes les références innombrables à la rhétorique dans le monde d’aujourd’hui, nous nous contenterons de dresser une sorte de carte des régions de son renouveau. Nietzsche

II faut commencer par rappeler pour mémoire le rôle déterminant de Nietzsche dans la réévaluation et la généralisation de la rhétorique. Le philosophe, alors professeur de philologie à Bâle, consacra son cours du semestre d’hiver 1872-1873 à la rhétorique grecque et romaine. La réflexion sur les rapports de la rhétorique et du langage inspire de nombreux fragments de cette période. Le texte « Vérité et mensonge au sens extra-moral » (1873) est celui qui tire le plus nettement les conséquences du caractère fondamentale­ ment rhétorique que Nietzsche voit dans toute opération de langage. On y trouve la formulation célèbre de la doctrine de la vérité qui en résulte : Qu’est-ce donc que la vérité ? Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref une somme de relations humaines qui ont été rehaussées, transposées, et ornées par la poésie et par la rhétorique, et qui après un long usage paraissent établies, canoni­ ques et contraignantes aux yeux du peuple : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores usées qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur effigie (Nietzsche, p 282).

La pulsion de l’homme à former des métaphores étant, suivant Nietzsche, à la base de notre vision du monde, il en résulte que les concepts ne sont plus que des résidus de métaphores, et la vérité, une illusion. Nietzsche réinterprète ainsi le concept de figure du discours, laquelle n’est plus vue comme un instrument de Velocutio, un ornement pour les pensées de l’orateur, mais comme une catégorie fondamentale et toujours mobile, nécessairement impliquée dans le rapport de l’homme avec le monde. La vérité elle-même n’est pas autre chose que le produit de ce rapport figuratif avec les choses, sans qu’il y ait jamais de langue non rhétorique ni neutre. Nietzsche propose aussi une analyse du langage en termes de pou­ voir : si tout discours est rhétorique, si l’objectivité est le produit illu­ soire d’une stratégie rhétorique, alors les discours ne sont plus mesura­ bles en termes d"adequatio mais de force persuasive. On le voit, le

changement radical consiste à ne plus considérer la rhétorique comme instrumentale et, sur cette base, à revenir aux sophistes par-delà la tra­ dition aristotéliciene. La rhétorique, diffuse et universelle, est la condi­ tion de tous les discours. Auprès de Nietzsche et avant lui, un autre précurseur de la rhétoricité générale, ou résiduelle, des discours, doit être rappelé : c’est Giam­ battista Vico, qui, dans la Scienza nuova, décrivait le langage des tropes comme le langage de l’origine, constitué, dans l’ordre de leur appari­ tion historique, par la métaphore, la métonymie, la synecdoque et l’ironie. Or, la conception nietzschéenne du langage, de la rhétorique et de la vérité, de même que la tropologie profonde de Vico, ont fait fortune à l’époque récente. Elles expliquent cette rhétoricité constitutive et inévitable de tout discours, dont l’hypothèse est par exemple au fon­ dement de l’approche d’un Jacques Derrida ou d’un Paul de Man, et inspire la doctrine relativiste de la « déconstruction ». La deuxième figure tutélaire du renouveau de la rhétorique paraît être, Jean Paulhan dans la tradition française, Jean Paulhan, dont Les fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres, livre difficile et mystérieux, sans doute confus, continue de fasciner sans que le sens et l’intention en soient clairement perçus. Là encore, Paulhan n’a pas été le seul à s’intéresser à la rhétorique ancienne et à souhaiter une rhétorique nouvelle dans le milieu de la Nouvelle Revue française. Un certain type de curiosité pour le langage semble s’être réfugié chez des écrivains intellectuels, après que la rhéto­ rique eut été éliminée de la culture universitaire et des préoccupations des philologues. Valery Larbaud jugeait, comme Paulhan, qu’il ne suf­ fisait pas de proclamer la mort de la rhétorique pour qu’elle disparaisse vraiment, et il pensait qu’elle survivait malgré tout : On se trompe bien lorsqu’on croit en avoir fini une fois pour toutes avec la Poétique et la Rhétorique : pour peu qu’on lise avec soin les grands écri­ vains, à chaque instant on s’aperçoit que les constatations d’Aristote sont bien plus souvent et universellement valables qu’on ne l’avait pensé, et que le temps n’a rien fait à l’affaire. De Lemaire de Belges à Isidore Ducasse, à Saint-John Perse [...] tous les meilleurs auteurs paraissent s’être conformés, sciemment ou non (mais peu importe) à ses principes (Larbaud, p. 549).

Larbaud cite en exemple des périphrases de Mallarmé et de Valéry, lesquels, comme le voulait Aristote, se servent de la définition au lieu du nom, et il en conclut qu’il n’y a pas de littérature sans rhétorique.

Valéry lui aussi, qui n’est pas suspect de tendresse à l’égard de la rhétorique et qui s’en prenait à elle chez Baudelaire : « Esprit trop faible pour vaincre le paradoxalisme, la logique rhétorique » (Cahiers, t. II, p. 1129), appelait de ses vœux l’avènement d’un discours sur la poésie qui sache en parler en tant que telle, autrement que si elle était de la prose, et ne se limite pas à l’histoire, à la biographie, aux doctri­ nes, bref un discours qui procure une « connaissance poétique » de la poésie. Or, il situait ce discours du côté d’une résurrection de la rhéto­ rique, qu’il semblait réduire aux figures : Je ne trouve rien de plus que les vestiges très délaissés de l’analyse fort imparfaite qu’avaient tentée les Anciens de ces phénomènes « rhétori­ ques ». Or ces figures, si négligées par la critique des modernes, jouent un rôle de première importance, non seulement dans la poésie déclarée et organisée, mais encore dans cette poésie perpétuellement agissante qui tourmente le vocabulaire fixé, dilate ou restreint le sens des mots, opère sur eux par symétries ou par conversions, altère à chaque instant les valeurs de cette monnaie fiduciaire (Valéry, 1957, p. 1289).

Valéry dessine les contours d’une nouvelle poétique ou rhétorique - les deux domaines sont évidemment très proches, dès lors que l’éloquence n’est plus l’objet de la rhétorique, mais que c’est la littéra­ ture, et particulièrement la poésie - qui s’attache aussi bien au vers tra­ ditionnel qu’à la poésie moderne, et qui parle de son être immé­ diat. S’ébauche ainsi une filiation entre la rhétorique aristotélicienne et la poétique moderne, ou la théorie littéraire moderne, thème qui deviendra dominant à partir des années 1960. Chez Paulhan, le point de départ de la réflexion est une fois de plus la survivance des catégories rhétoriques à la suite de la proscription de la rhétorique, en particulier le lieu commun. Au XIXe siècle, les adver­ saires de la rhétorique l’avaient pris comme bouc émissaire, mais le bannissement des clichés, des mots usés et des fleurs de style est lui-même devenu un lieu commun depuis le romantisme. La « rhéto­ rique moderne » - la Terreur, selon Paulhan - est, depuis le roman­ tisme, un régime de pureté, une doctrine de privation. Elle exige une inspiration toujours originale, dont le comble se trouve atteint dans l’écriture automatique des surréalistes. Mais, là aussi, que de clichés ! La littérature semble interdire tout ce qui rappelle de près ou de loin la rhétorique et la poétique : des genres aux épithètes, en passant par les fleurs et les clichés. On ne publie presque plus d’« arts d’écrire », alors qu’ils pullulaient au XIXe siècle, mais parfois des traités manifestement parodiques, comme le Traité du style d’Aragon, lequel n’a d’autre conseil à donner que de « prendre le contre-pied des œuvres défuntes » (Paul-

han, p. 51). Paulhan, comme Brunetière dans sa «Théorie du lieu commun» de 1881, mais après Rimbaud et Lautréamont, Joyce et le surréalisme, se demande où va une littérature qui a rejeté toute rhéto­ rique et sacralise absolument l’originalité : il cite Gourmont, Albalat et Schwob, recommandant une guérilla étemelle contre les clichés, à tra­ vers lesquels l’écrivain se laisserait faire par la langue et qui démontre­ raient un « empiétement du langage sur l’esprit » (Paulhan, p. 94). Or Paulhan voit plus profondément dans cette peur du cliché une méfiance, une haine du langage. Depuis le romantisme jusqu’au surréalisme, la Terreur, selon Paul­ han, s’est trompée sur la nature du langage, en n’y voyant qu’un moyen d’oppression de la pensée : H suffit de lire un poème, un discours ou le texte d’une réclame, d’entendre un débat politique ou une querelle de ménage, pour apercevoir que la moindre de nos démarches met en jeu bien plus d’arguments et de raisons que nous ne sommes capables d’en saisir, ou seulement d’en com­ prendre (Paulhan, p. 110).

Paulhan tente donc de sortir de l’alternative de la Terreur et de la Main­ tenance, comme il appelle l’institution rhétorique classique ; il cherche à renvoyer dos à dos postromantisme et néo-classicisme. Entre les deux, il est manifestement à la recherche d’une troisième voie, ni la rhétorique traditionnelle ni la proscription de toute rhétorique ne satisfaisant son sens de la littérature, mais cette entreprise reste confuse. La phrase qui vient tout juste d’être citée témoigne cependant d’un mouvement, incer­ tain de lui-même, vers une rhétoricité ou poéticité générale du langage, telle que de Man, par exemple, la définira, sans pourtant que Paulhan aille jamais ouvertement jusque-là. Il exprime le souci d’une nouvelle rhétorique, tenant compte du fait qu’on n’échappe pas à la rhétorique, sans concevoir si cette nouvelle rhétorique doit être instrumentale ou fondamentale, bref, en restant prisonnier du dualisme cartésien que Nietzsche avait déjà fait éclater. Paulhan se débat visiblement avec des problèmes qui le dépassent et qu’il n’est pas en mesure de résoudre avec les catégories dans lesquelles il les pose : Nous avons poussé à bout la Terreur, et découvert la Rhétorique. Une rhétorique différente certes de ce que l’on entend d’ordinaire par ce mot. [...] L’on peut avoir, de loin, l’impression qu’elle va guider de ses règles la main de l’écrivain - qu’elle le retient, en tout cas, de s’aban­ donner aux tempêtes de son cœur. Mais le fait est qu’elle lui permet au contraire de s’y donner sans réserves, libre de tout l’appareil de langage qu’il risquait de confondre avec elles (Paulhan, p. 154).

Ainsi décrite, cette nouvelle rhétorique est pour le moins obscure et aporétique, mais on peut du moins comprendre ce contre quoi Paulhan s’élève, à savoir le dogme moderne de l’originalité et de la pureté, qui croit pouvoir faire sans la rhétorique. Le deuxième tome de la recherche de Paulhan, Le don des langues, aurait exposé la doctrine des rhétoriqueurs, ceux qui font procéder l’esprit du langage, avant d’aborder ceux qui puisent aux deux doctri­ nes alternativement. Paulhan y a renoncé, peut-être en se rendant compte que le dualisme de la pensée et du langage l’enfermait dans un cercle. Yvon Bélaval suggère que Paulhan serait sorti du dualisme dans son livre La peinture cubiste, après quoi son Don des langues n’aurait plus été opportun. Cela nous ramène à Nietzsche et à l’invention d’une rhétoricité fondamentale, échappant au dualisme cartésien, au seuil de laquelle Paulhan s’arrête. Kenneth Витке

Pourquoi retenir Burke auprès de Nietzsche et de Paulhan comme héraut de la renaissance de la rhétorique ? D’autres choix auraient été concevables, comme celui de I. A. Richards, auteur avec С. K. Ogden d’un ouvrage de sémantique, The Meaning of Meaning (1923), puis de The Philosophy of Rhetoric (1936), où il critiquait la rhétorique traditionnelle pour s’être restreinte à la persuasion et avoir ignoré les autres fonctions du langage : c’était une autre manière de faire éclater la cadre instru­ mental de la rhétorique traditionnelle. Richards était intéressé par tou­ tes les façons qu’a le langage de produire du sens auprès d’un public, et d’agir sur lui : il annonçait par là le mouvement récent de la linguis­ tique vers la pragmatique, ou l’étude du langage en action. Vu d’aujourd’hui, cependant, le projet de Richards apparaît comme une dernière tentative de conciliation entre l’organicisme romantique et le formalisme classique, plutôt que comme l’ébauche d’une rhétoricité générale. La contradiction n’est pas étrangère à celle dans laquelle se débattait Paulhan, mais, chez ce dernier, elle menait à une aporie et à un renoncement, tandis que le new criticism américain, fondé sur la phi­ losophie de Richards, s’est développé sur la base du déni de la rhétori­ cité générale des faits de langage. L’œuvre de Burke paraît après coup plus radicale dans son projet, alors même que la rhétorique classique y est traitée avec moins de hau­ teur. Burke résumait ainsi en 1951 l’apport de A Rhetoric of Motives, son livre de 1950 : «Le terme clé pour la vieille rhétorique était “persua­ sion” et elle mettait l’accent sur l’intention délibérée. Le terme clé de la nouvelle rhétorique serait “identification”, qui peut inclure un élément d’appel partiellement “inconscient”. » L’ « appel » (appeal) est l’essence de la communication, selon Burke. Quand un homme recourt à des

symboles pour amener d’autres hommes à coopérer avec lui, il doit s’identifier avec son public, il doit lui devenir « consubstantiel ». La rhétorique est l’étude des différentes manières qu’il y a de parvenir à l’identification avec les autres, y compris par la structure du discours, ou par le style. On le voit, la rhétorique se mue également en pragma­ tique, et Burke l’appelle en effet « dramatique ». Dans A Grammar of Mottoes (1945) et Language as Symbolic Action (1966), la perspective est parfois plus littéraire, et Burke met alors l’accent sur le travail symbolique du texte. Son souci central reste cependant la place du langage dans l’interaction humaine. Mais l’approche est idiosyncratique et interdisciplinaire, elle a recours indif­ féremment à la sociologie, l’anthropologie, la psychanalyse, la philo­ sophie, la poétique. Burke d’autre part analyse sa propre argumenta­ tion à côté des objets les plus divers : littéraires, philosophiques, politiques, mais aussi gestes et vie quotidienne. Tout cela fait de cette nouvelle rhétorique de la vie sociale un maillon important vers les rhé­ toriques nouvelles. CARTOGRAPHIE DE LA RHÉTORIQUE GÉNÉRALE

Quelques champs et lieux où le renouveau de la rhétorique s’est mani­ festée dans la seconde moitié du XXe siècle doivent être mentionnés, mais il est hors de question de les décrire de manière systématique, comme on a procédé pour les tranches antérieures de la chronologie. Il ne s’agit plus de suivre l’histoire d’une institution perpétuée depuis deux millénaires et plus, car le panorama, vu de tout près, est encore flou. Nous nous contenterons de donner quelques exemples des travaux qui ont réinvesti la rhétorique à une date récente. Us sont d’ailleurs bien connus pour la plupart. Nous tenterons de les mettre en place dans une topique, sur une carte de la rhétorique contemporaine, car ce retour à la rhétorique reste vague dans bien des cas, où c’est simple­ ment son nom qui est invoqué. D’ailleurs, l’histoire contemporaine de la rhétorique donne parfois le sentiment que son nom est invoqué comme une panacée, à défaut de méthodes plus spécialisées. Le premier point à signaler semble être la réhabilitation des sophistes à la faveur de la polémique moderne entre rationalisme et irrationalisme, On a dit qu’elle avait été entamée avant la Seconde Guerre mondiale, hors de France, par les travaux de Jaeger (1934), Dupréel (1948), Untersteiner (1949). Le mouvement s’est amplifié dans la seconde moi­ tié du siècle, avec notamment le livre de W. K. C. Guthrie (1969).

Rhétorique et philosophie

Mais, alors que le premier regain d’intérêt pour les sophistes, dans la lignée de Hegel et de Grote, avait cherché chez eux les prémisses de la raison et des Lumières, c’est pour d’autres raisons que la sensibilité moderne s’est sentie proche de la sophistique, comme leur inventivité logique et leur liberté discursive, ou encore le rapprochement de cer­ tains sophismes et des paradoxes logico-linguistiques contemporains. On est aussi revenu sur la condamnation politique des sophistes par Platon, à la suite par exemple de l’identification de l’idéal politique pla­ tonicien et de l’Etat technocratique ou totalitaire, chez Karl Popper. Dans La société ouverte et ses ennemis (1962), Popper présente la théorie organique de l’Etat, chez Platon, comme une réplique à la théorie de Protagoras selon laquelle les lois ont pour origine un contrat social. Contre Platon, les sophistes apparaissent dès lors comme les garants de la démocratie, seul régime où la persuasion peut jouer pleinement son rôle : dans cette lignée, les analyses de Léo Strauss ou de Jürgen Habermas montrent combien il est malaisé de séparer les différents domaines philosophiques dans lesquels la réhabilitation des sophistes et des rhéteurs a joué, comme la théorie politique, la sociologie de la communication, etc. Dans ce retour aux sophistes en dépit de Platon, voire contre Pla­ ton, il faudrait aussi apprécier l’incidence de la philosophie analytique, au sens où elle a questionné à nouveau le fonctionnement du langage et de la parole, que la tradition métaphysique avaient exclu de son investigation depuis Platon. La bonne réputation qui entoure aujour­ d’hui la rhétorique semble liée à un contexte philosophique anti-platonicien, du coup favorable aux sophistes. Le colloque réuni à Cerisy en 1984 par Barbara Cassin, Positions de la sophistique, témoigne en tout cas de la vitalité de la recherche. Auprès de l’histoire de la philosophie, c’est dans le champ de l’épistémologie et de l’histoire des sciences que le retour de la rhéto­ rique est le plus évident, avec la dissolution de l’idéal d’objectivité et de neutralité scientifiques au XXe siècle. L’intérêt, après le néo-positivisme, porte sur la genèse des théories scientifiques, sur la nature de l’intuition prélogique dans la constitution des hypothèses. Selon Thomas Kuhn, dans The Structure of Scientific Revolutions (1962), livre de grande influence, la recherche scientifique elle-même dépend de « paradigmes », ou de modèles de recherche, acceptés à une période donnée sans pourtant se déduire ni des données de l’expérience ni des énoncés axiomatiques. A travers ces paradigmes qui orientent fondamentalement la recherche, la connaissance scientifique et son histoire sont informées par les condi­ tions non scientifiques, institutionnelles et sociologiques, de la pensée, car le paradigme est un certain langage dominant à un moment donné.

Ainsi, c’est le temps de la constitution des hypothèses scientifiques, celui que Pierce appelait Y abduction, dans lequel la rhétorique s’investit, par exemple sous la forme d’une logique de la métaphorisation. Paul Feyarabend, dans Contre la méthode (1975), mit ainsi au jour chez Galilée une stratégie persuasive au heu du langage des faits. De même, Paul Ricœur a souligné l’analogie entre le mythe ou la « fable », dans la Poé­ tique d’Aristote, et la « fiction heuristique » dans la démarche scienti­ fique, c’est-à-dire un arrangement vraisemblable des faits (Ricœur, 1975, p. 307). Fernand Hallyn a exploité cette analogie, en donnant à l’étude de l’abduction scientifique le nom de « poétique », et en étu­ diant la poétique de l’entreprise scientifique dans La structure poétique du monde. Copernic, Kepler (1987). Or cette dite poétique est peut-être davan­ tage une rhétorique, puisqu’elle comprend trois plans : topique, inter­ textualité et tropologie (Hallyn, p. 16). Selon le philosophe Nelson Goodman, dans Ways of Worldmaking (1978), il n’existe pas un monde que nous cherchions à représenter de façon neutre, mais de multiples versions du monde, fonctions de systèmes symboliques différents. Sans objectivité ni neutralité, la rhétorique pénètre de partout l’entreprise scientifique, pour laquelle il s’agit de convaincre d’autres acteurs, de réfuter convictions et présup­ posés rivaux. De là à réduire la recherche scientifique à un forum rhétorique, ou à substituer la rhétorique à l’épistémologie, il n’y a qu’un pas, franchi par exemple en France par Bruno Latour, qui définit, suivant Nietzsche, le «prototype de base de l’activité scienti­ fique » comme « travail d’exégèse », ou comme « fiction » (Latour, p. 280). L’épistémologie des sciences humaines et sociales a de la même manière été affectée par l’anti-positivisme contemporain. En histoire, par exemple, les faits et les documents ne parlent plus tout seuls, et la rhétorique de l’historiographie a été étudiée par Hayden White, dans Metahistory: The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe (1973), sous la forme d’une vaste tropologie reprenant les étapes de la logique poétique de Vico : métaphore, métonymie, synecdoque et ironie. De même, la rhétorique de l’anthropologie a été décrite par Clifford Geertz, dans Works and Lives: The Anthropologist as Author (1988). Mais Michel Foucault est l’auteur qui, dans les différents champs du savoir, à commencer par la médecine, a mis le plus en lumière le rôle de la discursivité, et qui a mené le plus franchement une analyse des savoirs comme discours : les épistémés sont des con­ traintes profondes qui, à une date donnée, suscitent la production de formes de discours acceptables dans les domaines les plus éloignés de la connaissance.

Rhétorique, linguistique

et poétique

Sans doute faut-il citer ici quelques grandes synthèses de la rhétorique et de la poétique classique, le traité le plus célèbre étant celui d’Heinrich Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik (1949, 1960), véritable somme - toujours pas disponible en français - avec laquelle le Dictionnaire de poé­ tique et rhétorique d’Henri Morier (1961, 1972) peut difficilement rivaliser. Mais, au titre des rapports de la rhétorique et de la linguistique, nous songeons moins à ces sommes de la tradition qu’aux retours de la rhéto­ rique sous d’autre formes, puisque c’est sous une autre forme que Nietzsche, Paulhan et Burke ont mis au jour la rhétoricité fondamentale des discours et savoirs. Deux options doivent être distinguées : l’une voit dans l’ancienne rhétorique l’anticipation de la théorie littéraire moderne - c’est en gros celle du structuralisme -, l’autre, plus nietzschéenne juste­ ment, insiste sur la rhétoricité ou poéticité inhérente au langage - c’est ce qu’on appelle parfois poststructuralisme. Le texte dont l’influence a été la plus considérable pour la nouvelle réunion de la linguistique, de la rhétorique et de la poétique, est l’article de Roman Jakobson, « Deux aspects du langage et deux types d’aphasie» (1956; trad. fr. 1963), qui établit une analogie entre le couple fondamental de la linguistique de Ferdinand de Saussure, celui des deux axes de la langue, le paradigme (l’association chez Saussure) et le syntagme, avec deux processus sémantiques, ou même mentaux : la similarité et la contiguïté. Cette homologie permet à Jakobson de distinguer la métaphore (procédant par similarité) et la métonymie (procédant par contiguïté) comme les deux classes de toutes les figures et tropes. Il réalise ainsi un rapprochement décisif entre la rhétorique et la sémantique. La similarité et la contiguïté ont à leur tour été asso­ ciées à la condensation et au déplacement que Freud avait distingués dans le rêve et le mot d’esprit. Jakobson lui-même s’est servi du couple de la métaphore et de la métonymie, au sens général qu’il leur donne, pour ébaucher une classification des écoles littéraires, le romantisme et le symbolisme étant définis comme métaphoriques, tandis que le réa­ lisme serait métonymique. A côté de l’entreprise de Jakobson, qui fonde une nouvelle stylistique structurale en conservant deux termes de la vieille elocutio seulement - métaphore et métonymie -, et sans plus leur faire dénoter des figures ou tropes particuliers, mais deux processus sémantiques ou mentaux uni­ versels - similarité et contiguïté -, un certain nombre de tentatives ont été faites pour formaliser l’ensemble des figures et tropes, partant de l’idée que leur organisation traditionnelle n’était pas satisfaisante d’un point de vue méthodologique : elle ne permet pas, notamment, d’analyser une figure en constituants immédiats, comme on le fait pour les autres éléments de la langue, jusqu’aux unités phonologiques mini­

males, et de la classer et nommer sur la base de cette analyse. Les projets du Groupe p,, Rhétorique générale (1970), et de Paolo Valesio, Novantiqua (1980), relèvent de ce genre. Le présupposé est cette fois encore radicale­ ment différent de celui des rhétoriques traditionnelles, qui voulaient être des arts, c’est-à-dire des listes de procédés disponibles pour l’orateur ou l’écrivain. Ici, il s’agit de décrire ce qui a Heu dans la parole et l’écriture, et qui échappe à l’intention des agents, de la même manière que la com­ pétence linguistique inconsciente postulée par Noam Chomsky au prin­ cipe des structures syntaxiques et de la grammaire générative. « La com­ pétence rhétorique, écrivent Bender et Wellbery, est une fiction théorique, le produit d’un processus reconstructif » (Bender, 31), à l’égal de la compétence linguistique suivant Chomsky. L’objet d’étude, ici encore, n’est plus la rhétorique, au sens d’une stratégie consciente visant certains effets, mais la rhétoricité de toute opération de langage. D’une manière générale, le retour à la rhétorique en critique litté­ raire se présente comme une analyse de type synchronique - et non diachronique -, comme une recherche de traits généraux ou même universels - des figures de style aux genres littéraires -, enfin comme la reconstruction d’une compétence profonde, plutôt que comme la mise au point d’une technique intentionnelle. La question reste de savoir si l’on doit continuer à parler de rhétorique, dès lors que la finalité n’est plus la constitution d’un art ou d’une technique, mais l’élaboration d’une théorie de la littérature. Pourquoi utiliser encore le vocabulaire de la rhétorique, pourquoi se référer à cette tradition, si l’on fait tout autre chose ? Est-ce par nostalgie ou par souci de légitimation grâce à une généalogie ancienne ? «L’ancienne rhétorique, aide-mémoire », séminaire de 1964-1965 de Roland Barthes (1970), une des pubhcations de grande influence sur l’image positive de la rhétorique, ne plaide pas ouvertement en faveur de la continuité entre la tradition rhétorique et la théorie littéraire. En vérité, ce rapport est un point que Barthes n’aborde pas, mais c’est ce texte, par son existence même - et l’identité de son auteur -, qui a jeté un pont entre ces deux formes historiques - théorique et rhétorique - de l’intérêt pour la littérature dans sa généralité, comme si le positivisme et l’historicisme n’avaient marqué qu’une parenthèse. Barthes insiste peu sur l’idée qu’une problématique commune anime la rhétorique et la sémiologie, ou l’analyse structurale de la littérature. En avant-propos, il donne, avec un peu d'hostilité contre la tradition, le « texte moderne », le « texte qui n’existe pas encore », comme origine ou horizon de son pro­ pos, et il se propose d’explorer l’ancienne rhétorique pour dresser a con­ trario une sémiotique de la littérature nouvelle. Mais, une fois avancé ce prétexte moderniste, donc conforme à la Terreur anti-rhétorique.

comme l’appelait Paulhan, la référence à la modernité est oubliée, au point que, dès la fin de l’avant-propos, c’est la modernité même de telle ou telle proposition de l’ancienne rhétorique qui force l’admiration. Suit une histoire et un système de la rhétorique, tous deux soigneux, mais qui ne débordent jamais du résumé de toute la tradition jusqu’à son exténua­ tion à la fin du XIXe siècle, avec à peine quelques lignes assez distantes pour établir les rapports de cette tradition avec la science du langage : De toute la rhétorique, Jakobson n’a retenu que deux figures [...] ; pour certains, le formidable travail de classement opéré par l’ancienne rhéto­ rique paraît encore utilisable, surtout si on l’applique à des champs margi­ naux de la communication ou de la signification telle l’image publici­ taire [...]. En tout cas, ces évaluations contradictoires montrent bien l’ambiguïté actuelle du phénomène rhétorique (Barthes, 1985, p. 119-120).

Pas de réhabilitation ouverte, donc : Barthes s’est intéressé à la rhéto­ rique en tant que telle, et non pour ses applications à l’analyse des figures. Il s’est pris au jeu, et c’est seulement dans ses remarques finales qu’il se demande si une problématique pourrait se dégager de la tradi­ tion rhétorique et servir aux études contemporaines. П retient alors trois prolongements possibles. D’abord, une histoire de la rhétorique, informée des méthodes nouvelles, éclairerait autrement beaucoup d’aspects de notre littérature, de notre enseignement, de nos institu­ tions : c’est une direction que la recherche a en effet exploré de plus en plus, dès lors que la rhétorique n’a plus été aussi mal vue qu’à l’heure de gloire du positivisme et de l’histoire littéraire : nous y reviendrons plus bas. Ensuite, l’affinité de la rhétorique aristotélicienne et de la communication de masse, fondées toutes deux sur l’opinion courante, le plus grand nombre, le vraisemblable, le probable comme apparte­ nant à la doxa, suggère une méthode pour analyser la culture de masse : Barthes lui-même a analysé, sous le titre « Rhétorique de l’image », le fonctionnement de la publicité, qualifiant la rhétorique de « face signi­ fiante de l’idéologie » (Barthes, 1982, p. 40) : comme telle, elle doit être démystifiée. Enfin - curieuse conclusion de ce vade-mecum de la rhéto­ rique ancienne, mais entre le séminaire et sa publication il y a eu mai 1968 -, l’idée que toute la littérature occidentale, «formée par la Rhétorique et sublimée par l’humanisme, est sortie d’une pratique politico-judiciaire », suggère à Barthes ce programme révolutionnaire : Faire tomber la Rhétorique au rang d’un objet pleinement et simplement historique, revendiquer, sous le nom de texte, d'écriture, une nouvelle pra­ tique du langage, et ne jamais se séparer de la science révolutionnaire, ce sont là un seul et même travail (Barthes, 1985, p. 164).

Mais il semble que ce projet d’enterrer à jamais la rhétorique - allégorisée par une capitale - au nom du « Texte » soit resté à l’état de vœu pieux, et que l’aide-mémoire de Barthes, placé entre ses Éléments de sémiologie et son Introduction à l’analyse structurale du récit, a bien plutôt initié toute une génération à la rhétorique - notamment en Italie où l’article a vite été publié dans un volume autonome - et contribué à replacer la vieille discipline à son rang parmi les nouvelles sciences du langage, suscitant par là le rêve d’une nouvelle rhétorique. L’aide-mémoire de Barthes fut publié dans un numéro de la revue Communications, intitulé « Recherches rhétoriques », où d’autres articles - notamment ceux de Jean Cohen, Tzvetan Todorov, du Groupe p., de Pierre Kuentz - prenaient tous la rhétorique au sens d’un traité des figures, ou même d’une théorie de la seule métaphore, ce que Gérard Genette déplorait dans un article du même numéro, « La rhétorique restreinte », appelant de ses vœux la restitution à la rhétorique de toute son ampleur ancienne. Mais il est remarquable que nulle part Barthes, pas plus que les autres collaborateurs du numéro, n’ait fait mention d’un retour de la rhétorique sous la forme de la rhétoricité générale, suivant l’inflexion donnée par Vico ou Nietzsche, et que Derrida ou de Man revalorisaient à la même époque : Barthes continue à voir en la rhétorique essentiellement un art ou une technique. En ce sens, on peut dire qu’il y a là un usage structuraliste de la rhétorique - le plus souvent restreinte aux figures -, à distinguer d’un usage poststructura­ liste en train d’apparaître concurremment. La grande synthèse de Paul Ricœur, Temps et récit, marque le mieux le point d’aboutissement de ce renouveau de l’approche généraliste ou universaliste de la littérature, attachée à ses techniques, à ses formes, à ses possibles : c’est sous le nom de « Poétique » que ces tendances se sont diffusées, mais la rela­ tion entre poétique et rhétorique est manifestement au centre du struc­ turalisme, comme l’atteste la référence aristotélicienne. La même observation vaudrait dans le contexte des Etats-Unis où, bien avant l’analyse structurale des récits et les théories de la narrati­ vité, le projet du new criticism anglo-américain entre les deux guerres, peu après l’historicisation des études littéraires, s’était aussi fixé pour but de parler du texte seul, comme Valéry le désirait, sans érudition ni philologie, dans une lecture rapprochée (close reading) de certaines quali­ tés prédéterminées qui définissent la littérature. Il s’agissait donc d’une critique rhétorique limitée à un certain nombre de figures particulières jugées plus spécialement littéraires. Fondé par les travaux de William Empson (1930) et de I. A. Richards (1936), repris par Cleanth Brooks (1947), le new criticism fut une tentative de conciliation entre l’organicisme d’origine romantique et le formalisme classique, et cher­

cha en somme à analyser formellement les figures littéraires organi­ ques : ironie, paradoxe et ambiguïté notamment. Le new criticism a pourtant contribué à orienter de manière décisive la critique vers la lecture, et c’est de cette façon que la référence positive à la rhétorique s’est d’abord imposée, la rhétorique, première forme de la critique litté­ raire, étant alors entendue comme l’analyse de la manière dont les dis­ cours sont constitués en vue d’obtenir certains effets. Ainsi, Wayne C. Booth, dans The Rhetoric of Fiction (1961), se donne pour objet « les moyens dont dispose l’auteur pour prendre le contrôle de son lec­ teur ». Au sens d’une analyse de la lecture - à rapprocher de l’esthétique de la réception allemande, alors que l’étude de la lecture ou de la perception est étrangère à la tradition française -, la référence à la rhétorique est devenue courante depuis une trentaine d’années. Le poststructuralisme a une conception de la rhétorique toute diffé­ rente de celle à laquelle le structuralisme et le formalisme ont voulu la restreindre. Non que le poststructuralisme restitue à la rhétorique sa dimension originale et l’ensemble de ses parties, mais avec le poststruc­ turalisme tout le langage devient rhétorique ou poétique, c’est-à-dire incontrôlable. L’ironie par exemple, chez Derrida et de Man, n’est plus une figure de style localisée, comme le new criticism s’y intéressait encore, mais la condition générale de toute production discursive. La dimension rhétorique ou tropologique du langage est peut-être plus évi­ dente dans la littérature, mais elle est partout présente. Toute énoncia­ tion est figurale, instable, et se retourne contre l’intention qui l’a voulue. La poésie n’est donc plus un domaine particulier de l’activité linguistique, mais, nous ramenant à Vico et Nietzsche, elle illustre la condition générale de l’homme dans le langage. Le terme « rhéto­ rique » est ainsi redevenu d’un usage courant, sans qu’on y retrouve son sens historique. Ce que de Man entend par là est tout différent de la rhétorique traditionnelle, puisque la notion d’art et d’instrumentalité est absente, et que ce qui reste, c’est l’autonomie du signifiant, la roue libre de la langue dans sa poéticité. Même si de Man distingue légiti­ mement la littérature du reste du trivium, au sens d’une prévalence de la rhétorique qui dérange la logique et la grammaire (de Man, 1986, p. 14), on est au plus loin de la persuasion et de l’émotion, qui furent ses fonctions habituelles. Ce n’est pas tout : après le formalisme et la déconstruction, qui se sont tous deux réclamés de la rhétorique, celle-ci sert aussi à légitimer une certain pragmatique éclectique, et à dénoncer les excès du forma­ lisme et de la déconstruction qui ont isolé la littérature de la lecture et de la société. Ainsi, la rhétorique, vraie bonne à tout faire, est invoquée par tout le monde, comme si elle était devenue le mot de passe de la

critique littéraire. Chez Terry Eagleton, elle s’identifie tout bonnement à la théorie du discours la plus œcuménique qui soit : La rhétorique, ou la théorie du discours, partage avec le formalisme, le structuralisme et la sémiotique un intérêt pour les dispositifs formels du langage, mais comme la théorie de la réception elle est aussi concernée par ce qui rend ces dispositifs efficaces au lieu de leur « consommation » ; son souci du discours comme forme de pouvoir et de désir peut tirer des leçons de la déconstruction et de la psychanalyse, et elle partage avec l’humanisme libéral la conviction que les discours peuvent transformer les hommes (Eagleton, p. 206).

Mais la rhétorique n’était pas seulement théorique ou critique ; elle avait aussi une dimension expressive ou créative : elle analysait les dis­ cours pour mieux en produire. Cette dimension semble celle qui est la plus perdue de vue dans l’extension indéfinie du terme dans le champ de la théorie littéraire.

D’abord, il faut rappeler que, parmi les nouvelles rhétoriques promues Les nouvelles récemment, un certain nombre d’entre elles n’ont de nouveau que le rhétoriques nom, comme celles de Richard M. Weaver, Composition : A Course in Writing and Rhetoric (1957), ou celle d’Edward P. J. Corbett, Classical Rhetoric for the Modem Student (1965), qui ne sont, malgré toutes leurs qualités, que des redécouvertes ou des résumés de la rhétorique ancienne, destinés à l’enseignement dans les nombreux départements américains qui portent le nom de « Rhétorique », comme celui de l’Université de Californie à Berkeley, l’un des plus vastes, qui définit ainsi son objet : Rhetoric studies the communicative relationship between author and audience. This approach to written and spoken communication, of whatever type, necessitates the consi­ deration of the author's intention to persuade, entertain, or inform his audience through some form of discourse. Modem rhetoric adapts classical theories of persuasion to all forms of discourse, and is also concerned with the extension and development of rhetorical theory itself. (La rhétorique étudie la relation de communication entre l’auteur et le public. Cette approche de la communication écrite et orale, quel qu’en soit le type, nécessite la prise en compte de l’intention qu’a l’auteur de persuader, ou d’informer son public par quelque forme de discours que ce soit. La rhétorique moderne adapte les théories classiques de la persuasion à toutes les formes de discours, et s’attache aussi à la diffusion et au déve­ loppement de la théorie rhétorique elle-même.)

Il s’agit d’abord, abstraction faite du contexte historique, d’initier à l’art de convaincre et de plaire, d’adapter la rhétorique classique à la

communication moderne. L’argumentation et la pragmatique se sont nichées dans le cadre de la philosophie analytique. Au niveau sous-gradué, on vise la maîtrise des techniques de base de l’expression orale et écrite. Au niveau gradué, théorie et histoire viennent étayer un enseignement de type pragmatique, visant l’efficacité. Mais finalement, tout peut s’introduire sous le bannière de la rhétorique, et on intégrera des cours de théorie et de critique littéraires, on abordera les rapports de la rhétorique avec la politique et la philosophie, etc. Laissons de côté ce secteur : la rhétorique se généralise ici au sens de technique universelle. Richards et Burke ont d’autre part été déjà cités : insatisfaits de la limitation de la rhétorique à la persuasion, ils ont cherché à lui donner l’extension de la pragmatique, au sens d’une étude des fonctions du langage et des manières d’agir par le langage, sans restreindre cette action à la persuasion délibérée. C’est dans la direction de la pragma­ tique qu’on trouve les plus nombreux développements de la rhétorique hors du champ littéraire. L’universalité de la condition rhétorique déborde largement les circonstances de la persuasion, et les opérations rhétoriques sont étudiées dans la sphère inconsciente, dans la vie quoti­ dienne et ailleurs, comme en témoigne par exemple le livre de George Lakoff et Mark Johnson, Metaphors We Live By (1980). Il faudrait énu­ mérer bien d’autres domaines : la politique, la médecine, la publicité, le marketing, autant d’espaces où la rhétorique est revenue. Nous les signalons pour mémoire. C’est la rhétorique du philosophe belge Chaïm Perelman qui doit surtout être mentionnée en raison de ses applications au droit. Son ouvrage principal, La nouvelle rhétorique. Traité de Гargumentation, a été écrit en collaboration avec L. Olbrechts-Tyteca (1958). Le point de départ est très différent de Richards ou Burke. Perelman, lui, est insatisfait par l’application de la logique formelle aux décisions humaines. Selon Perelman, l’élaboration d’une théorie de l’argumentation adaptée à la délibération pratique et aux décisions publiques a été retardée par le monopole exercé par la rationalité cartésienne. La plupart des choses à propos desquelles les hommes argumentent sont contingentes, pro­ bables, plausibles, et dans ce domaine les démonstrations fondées sur des prémisses claires et distinctes ne sont pas toujours possibles. La nouvelle rhétorique de Perelman revient donc à Aristote, au sens où les preuves dialectiques mises au point dans les Topiques et utilisées dans la Rhétorique jettent les bases d’une étude systématique, d’un point de vue logique, des techniques discursives visant à obtenir l’adhésion des esprits. Perelman a cherché un modèle d’argumentation non formelle dans le droit et dans le recours aux précédents, qui fournissent une

base raisonnable pour prendre des décisions. Cette nouvelle rhétorique de l’argumentation a été prolongée par Michel Meyer et Olivier Reboul. Après ces développements du côté d’une rhétoricité générale du lan- Rhétorique gage, il semble bon, pour conclure ce tableau, de revenir à la rhéto- et rhétorique rique elle-même, au sens plus restreint qui a été le sien au long de l’histoire, car c’est l’une des conséquences de sa réévaluation, fût-ce sous une autre forme, que les travaux sur le rôle historique de la rhéto­ rique se sont multipliés, et qu’on a enfin reconnu l’importance de la tradition rhétorique dans la littérature jusqu’à la fin du XIXe siècle. En Amérique cet intérêt a recommencé tôt, comme quelques grands livres l’attestent : les travaux de Charles Sears Baldwin, Ancient Rhetoric and Poetic (1924) et Medieval Rhetoric and Poetic (1928), de Richard McKeon et de Morris Croll ont déjà été mentionnés, mais à la généra­ tion suivante quelques livres ont été cruciaux, comme George Ken­ nedy, The Art of Persuasion in Greece (1963), simple mais excellente his­ toire de la rhétorique grecque en langue anglaise, puis The Art of Rhetoric in the Roman World (1972) ; Wilbur Samuel Howell, Logic and Rhetoric in England, 1500-1700 (1956), puis Eighteenth-Century British Loge and Rhetoric (1971) ; ou Bernard Weinberg, A History of Literary Criticism in the Italian Renaissance (1961), qui a ouvert la voie à des recherches nombreuses, y compris en Italie, sur les rhétoriques et poétiques de la Renaissance. Il faudrait ajouter un grand nombre de monographies sur Shakespeare, Milton, Bacon, etc., mais ces quelques ouvrages montrent le large éventail désormais possible aux travaux sur la rhétorique dans l’histoire. En France, le mouvement a été plus lent et il n’est pas venu de la métropole. Des travaux comme ceux de Peter France, Racine’s Rhetoric (1965) et Rhetoric and Truth in France: Descartes to Diderot (1972), ou de Aron Kibédi-Varga, Rhétorique et littérature (1970), montrant les rapports de la littérature classique avec l’éloquence dans ses trois genres, ont été novateurs. Mais c’est la grande thèse de Marc Fumaroli, L’âge de l’éloquence (1980), qui a véritablement inauguré un domaine de la recherche historique et littéraire en renouant avec la thèse de Brunetière sur l’enracinement rhétorique de toute notre littérature classique. Une Société internationale pour l’histoire de la rhétorique a été fondée en 1981 et elle a tenu plusieurs colloques, excluant non sans peine les travaux sur la rhétorique contemporaine et la rhétoricité générale. Toutes ces recherches historiques ont peu à voir avec la des­ cendance nietzschéenne menant à la déconstruction ; ils ne postulent pas que tout est rhétorique, mais ils n’en ont pas moins bénéficié d’un

climat général redevenu favorable à la rhétorique, même si tout cela repose sur un malentendu terminologique majeur. Mais toute l’histoire de la rhétorique a-t-elle été autre chose qu’une longue suite de malen­ tendus sur sa nature et sa fonction toujours controversées ?

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POSTFACE

Aujourd’hui : facettes d’une renaissance de la rhétorique

Je ne suis pas statisticien, et je n'ai pas les moyens dont on dispose en Amérique pour évaluer la quantité de citations d’un même chercheur dans les travaux publiés de sa discipline. Aussi suis-je incapable de prouver quantitativement l’éventuelle progression des occurrences du mot « rhétorique » dans les titres de revues, d’articles, ou d’ouvrages classés dans la catégorie des sciences humaines. Je ne peux que me fier à une impression d’ensemble, qui est sans doute influencée par le fait que j’occupe moi-même au Collège de France une chaire où le mot « rhétorique » figure, pour la première fois depuis le XVIe siècle. Je lis tout naturellement de préférence mais non exclusivement les ouvrages et les articles dans plusieurs langues dans le titre desquels ce mot figure. Cela peut aussi infléchir mon jugement. Toutefois, depuis ce poste d’observation qu’on peut qualifier de partial, mais aussi bien de privilégié, je puis comparer l’état de la ques­ tion au moment où j’étais presque seul en France à prendre pour sujet d’étude ce que Roland Barthes, dans les années 1960, appelait alors, avec une sympathie mêlée de condescendance, l’« ancienne rhéto­ rique », et l’abondante floraison internationale actuelle des travaux sur ce sujet : la quantité et surtout la qualité de ces travaux sont devenus tels que même en dehors des cercles de spécialistes de littérature ou d’histoire des idées, dans la sphère de la sociologie ou dans celle de l’éducation, il arrive de plus en plus souvent, en France ou en Amé­ rique, qu’une référence très favorable à la rhétorique, faite il est vrai avec plus ou moins de compétence, figure dans l’analyse. J’ai connu une époque où le mot « rhétorique » n’était plus d’usage, dans la critique littéraire européenne, que pour condamner le style affecté d’un roman, ou dans les éditoriaux de presse, pour caractériser péjorativement les discours creux d’un homme politique ou le pro-

gramme illusoire d’un parti. On tenait encore pour parole d’évangile, en Europe, dans les années 1970, l’axiome de Renan, prononcé un siècle plus tôt, en 1880, devant l’Académie française : «La rhétorique est la seule erreur des Grecs. » Cela supposait que, dans l’âge de la science (mais aussi, ce que Renan ne prévoyait pas, celui des idéologies à prétention scientifique), on s’était enfin et définitivement délivré de cette vieille erreur athénienne, fustigée (mais autrement qu’on ne le prétendait alors) par Platon. Ce que l’on appelait dans les années 1960 The linguistic turn dans les sciences humaines, même s’il accordait au langage une importance centrale et fédératrice, prétendait opérer sur un terrain extra­ rhétorique et scientifique, où il était en possession de « vérités » du même ordre que celles dont peuvent se prévaloir la physique et la chimie : universelles et nécessaires. Telle était l’ambition de la révolu­ tion néo-saussurienne : les sciences humaines, grâce à une linguistique générale et scientifique, devaient enfin mériter le nom de science au même titre que les sciences dites « dures ». Toutes étaient en voie de devenir des « sciences du langage ». Le premier symptôme, de ce côté de l’Atlantique, du rhetorical turn qui allait peu à peu se substituer au linguistic turn, est apparu à Bruxelles en 1958, avec le Traité de l'argumentation de Chaïm Perelman. Ce philo­ sophe, reprenant à son compte la distinction aristotélicienne entre dia­ lectique et rhétorique, entre vérité scientifique et vraisemblable « humain », faisait remarquer que l’autorité dominatrice de la logique formelle inaugurée à la fin du XIXe siècle, et assumée au XXe siècle à la fois par l’École de Cambridge et l’École de Vienne, avait exclu de la compétence de la raison l’immense domaine des affaires proprement humaines, où la logique formelle est inopérante, quand elle n’y est pas déplacée et dangereusement illusoire. Cette atrophie de la raison par le crédit excessif accordé à la logique et à la sorte de vérité contraignante dont on la croyait susceptible, avait eu des conséquences imprévues. Les idéologies du XXe siècle se sont emparées de ce crédit pour régler les affaires humaines selon la contrainte de leur propre « vérité » déduite logiquement de quelques axiomes eux-mêmes érigés en objet de foi et d’adhésion passionnée. Pour connaître le résultat, il suffisait de regarder le champ de ruines dont l’Europe se relevait à peine. Les affaires humaines, selon Perelman, ne pourraient rentrer dans la sphère du raisonnable, la phronésis des Grecs, la prudentia des Latins, que si l’on admettait la légitimité philosophique d’un art d’argumenter moins tranchant et péremptoire que la logique formelle : un art d’argumenter opératoire dans l’ordre fuyant, toujours particulier et imprévisible, qui règne dans la vie politique et dans la vie privée et qui

est propre à établir, non pas la vérité absolue étrangère aux réalités humaines, mais du moins des évaluations argumentées et crédibles, des hypothèses vraisemblables appropriées à la prudence. Perelman son­ geait avant tout à servir les juristes, qui jouent un rôle immense dans les sociétés libérales, mais aussi les hommes politiques, les diplomates, les hommes d’affaires, dont les discussions et les négociations ont tout intérêt à échapper à l’irrationnel, sans pour autant prétendre à relever de la raison pure. L’exercice libéral des sociétés démocratiques moder­ nes suppose, concluait Perelman, que la logique formelle soit réservée à la science, et que la rhétorique, art de la disputatio in utramque partem et de l’argumentation probabiliste, fasse retour dans le monde des affaires civiques, judiciaires, et économiques, et d’abord, bien évidemment, dans l’éducation des jeunes gens. Dans un petit livre où il résuma ses thèses en 1977, Perelman allait jusqu’à augurer un «empire rhéto­ rique » qui serait une extension, et non pas une rétraction, de la raison. Perelman prenait bien soin de distinguer l’ordre de la science, qui relève des procédures mathématiques et de la logique formelle, et celui des affaires humaines, qui relève de l’argumentation rhétorique : celleci guide l’esprit de finesse dans la recherche du probable et du vrai­ semblable. En 1975, l’Américain Thomas Kuhn montra beaucoup moins de modération. Dans son livre The structure of the scientific revolutions (où il généralisait les analyses du philosophe polonais Ludwik Fleck, publiées dès 1935), Kuhn montrait que l’épistémologie des sciences ne se déploie pas dans l’absolu du vrai et du faux : elle représente elle-même une entreprise sociale, dont la puissance de conviction dépend de la doxa acceptée comme vraisemblable dans l’ensemble de la communauté scientifique à une époque donnée. La science fondée par Galilée est à sa manière une institution rhétorique qui s’ignore, parce qu’elle ignore les lois propres au langage dans laquelle elle se meut, mais qu’elle ne se prive pas pourtant de manipuler à son usage pour se faire croire. Quand un fait ou une théorie scientifique nouveaux ne se raccordent pas immédiatement à cette doxa et à plus forte raison lorsqu’ils mena­ cent d’en ébranler la très relative stabilité, avant de devenir eux-mêmes la pierre angulaire d’une nouvelle doxa, il lui faut recourir à des straté­ gies persuasives de type rhétorique pour faire reculer les résistances col­ lectives ou personnelles qui s’opposent à sa reconnaissance. Son évi­ dence interne ne suffirait pas à l’imposer. Galilée tout le premier a été un remarquable rhétoricien, au sens d’Aristote, et ses brillants dialo­ gues n’ont pas peu fait pour gagner le public cultivé à une cosmologie qui anéantissait celle d’Aristote. Kuhn a été contesté. Il confondait un peu trop vite l’intérieur et l’extérieur de la science. Mais son livre, qui a

fait école, est symptomatique d’une nouvel âge épistémologique, où l’on ose soutenir, avec un certain degré de vraisemblance, que la science est aussi une « affaire humaine » parmi les autres, qu’elle relève d’une topique et d’un état de l’opinion, même si elle peut prétendre légitimement, à chacune de ses étapes, à un degré de vérité partielle, vérifiable et entraînant une conviction générale. Le symptôme le plus récent de ce rhetorical turn (et le plus saisissant, puisqu’il est apparu au sein même de ces sciences dures auxquelles Kuhn ne prétendait pas appartenir et que Perelman laissait à la logique formelle), c’est l’usage qui est fait depuis peu de la rhétorique dans l’une des plus brillantes écoles américaines de neurosciences, celle de Gerard Edelman, auteur de Bright Air, Brilliant Fire, On The Matter of the Mind. Dans le sillage des travaux de ce prix Nobel de neurobiologie, Mark Turner montre, dans un livre intitulé The Literary Mind (1997), que la description par la rhétorique classique des figures de pensée n’est pas réservée aux seuls textes littéraires et poétiques : elle rend compte de la manière de parler et de connaître commune et naturelle à tous les hommes ; elle se prête donc, mieux que toute autre descrip­ tion de la parole humaine, à l’analyse des aspects cognitifs du système nerveux particulier au genre humain. Cette apparition inattendue de la rhétorique dans le domaine des neurosciences n’est pas du tout une bizarrerie, fondée sur le malen­ tendu ou l’ignorance. Mark Turner et ses collègues, en excellents cher­ cheurs américains, n’ont qu’un but, bien servir les progrès de la neuro­ biologie de la cognition. Ils ne plaisantent pas. Ils ont lu, et lu intelligemment (mieux que la plupart des professeurs de littérature) Aristote, Cicéron, Quintilien et le livre de Brian Vickers publié en 1988, In Defence of Rhetoric. Ils ont parfaitement saisi que la descrip­ tion des procédures cognitives du langage commun, telles que les décrit la rhétorique classique, surmonte l’antithèse, gênante pour le neurobio­ logiste, entre literacy et literature, entre « sens figuré » et « sens littéral », entre « vérité » et « degrés du vraisemblable ». Ils se sont échappés du système binaire de description du langage dont se prévalait la linguis­ tique néo-saussurienne, et qui convenait trop bien à l’analyse des méca­ nismes informatiques fabriqués par l’homme, pour pouvoir rendre compte aussi de sa pensée et de sa parole. Le cerveau humain n’est pas un ordinateur. Ces linguistes au service du laboratoire, en bons prag­ matiques américains, se sont approprié l’univers des tropes pour offrir à la neurobiologie cognitiviste une description du langage qui ait une valeur universelle pour tous les hommes : celle que leur propose l’« ancienne rhétorique » correspond à cette alliance d’extrême subtilité et d’extrême simplicité que les neurobiologistes découvrent peu à peu à

l’œuvre dans ce prodigieux instrument que la Nature a mis au service de Y homo cogitons sive loquens, le cerveau. П est bien évident que Mark Turner et ses collègues, linguistes tra­ vaillant en équipe avec des neurobiologistes, n’auraient pas cherché chez Aristote une description des normes universelles de la parole s’ils n’avaient pas été mis sur la voie par ce qu’ont accompli depuis trente ans les historiens de la littérature et des idées, tant en Amérique qu’en Europe, pour réhabiliter la rhétorique. Cet effort de remémora­ tion et de compréhension, à contre-courant de tous les préjugés d’après guerre, a fini par franchir les frontières de plusieurs spécialités, et deve­ nir aujourd’hui le bien commun de nombreuses disciplines. Un grand historien de la philosophie politique, Quentin Skinner, à Cambridge, s’est avisé que, pour comprendre la révolution dans la phi­ losophie politique introduite au XVIIe siècle par Thomas Hobbes, il faut reconstituer la méditation à laquelle l’auteur du Léviathan s’est livré, sur les premiers sophistes grecs, Gorgias, Protagoras, Isocrate, les maîtres à penser et à écrire de Thucydide, que Hobbes a traduits. Un grand historien de l’Antiquité tardive, Peter Brown, à Los Ange­ les, suivant les traces laissées par Henri-Irénée Marrou, montre dans l’un de ses derniers livres, Power and Persuasion in Late Antiquity, que l’Eglise romaine doit son succès et sa durée à l’adoption, au Ve siècle, par ses chefs, de la rhétorique gréco-latine pour diffuser et interpréter l’Ecriture sainte. Ce qui, par contrecoup, aboutit à donner à la rhétorique the lof­ tiest aim imagined in the previous history of its practice (Brenda Lee Schildgen, The Rhetoric Canon, 1997, 167) : l’ambition d’amener l’esprit à la foi chré­ tienne. Une grande byzantiniste, Ruth Cameron, avait déjà montré, dans son livre Christianity and the Rhetoric of Empire (1991), que Byzance a pu se maintenir pendant un millénaire sur cette tradition des Pères. Les meilleurs historiens italiens de la Renaissance, Eugenio Garin, Cesare Vasoli, avaient entre-temps profondément renouvelé la vision que nous nous faisons de cette époque depuis Burckhardt, en démontrant qu’elle fut avant tout une entreprise victorieuse de philosophes-philologues retrouvant et relisant les traités antiques d’art oratoire, où ils retrouvè­ rent une épistémologie capable de rivaliser avec la logique formelle de l’École. Michel Baxandall, dans son Giotto and the Orators, puis dans L'œil du Quattrocento, a étendu cette interprétation nouvelle de la parole à celle des images du XIVe et du XVe siècle. Toute une famille internationale d’historiens de l’art fait désormais entrer la rhétorique dans l’étude des théoriciens comme dans l’interprétation des œuvres des peintres, sculp­ teurs, architectes, décorateurs, de la Renaissance à l’Art Déco. Assistons-nous, en cette fin du XXe siècle, comme à la fin du Ve siècle, comme à la fin du XVe siècle, à une sorte de troisième renais­

sance réflexive de la rhétorique ? La seconde renaissance, celle du XVe siècle, commença elle aussi humblement, dans des cercles de haute érudition qui allaient à contre-courant des sommités universitaires de leur époque, et qui demandaient à l’expérience des Anciens de rétablir en Europe un sens commun et un art de vivre « civilement » que les métaphysiciens modernes (qualifiés de « barbares ») n’autorisaient pas. L’analogie entre cette époque de l’Europe et la nôtre saute aux yeux. Au XVe siècle, la Respublica Christiana européenne s’est réveillée len­ tement des dévastations de la Peste noire et du traumatisme du Grand Schisme, comme notre Europe actuelle s’éveille lentement de l’horreur de deux guerres mondiales et de massacres sans précédent. En cette fin du XXe siècle, l’Europe est délivrée depuis cin­ quante ans de la guerre. Elle reste prise cependant dans les glaces per­ sistantes des idéologies, que la fragmentation croissante des sciences spécialisées eût été incapable de combattre (ce n’était d’ailleurs pas son rôle, malgré les illusions d’un Robert Oppenheimer), si l’on n’avait pas opposé une rhétorique libérale à la propagande pseudo-scientifique des totalitarismes de droite et de gauche. Même aujourd’hui, où l’on nous annonce que l’heure a sonné de la « fin des idéologies », la parcellisa­ tion des langues de bois et des langues techniques, reflétée, mais non réfléchie, par la communication dite médiatique, rend difficile ou vaine la conversation du Forum, que Jürgen Habermas appelle, non sans un fort soupçon de wishjùll thinking, 1’ « espace public » démocratique. Toutes choses égales, le tableau n’était pas plus brillant au lende­ main du concile de Constance, en 1417. Ce concile mit fin au Grand Schisme, mais il condamna Jean Hus au bûcher. Il avait été dominé par les docteurs en théologie exercés à définir, dans la logique formelle de l’Ecole, la vérité « scientifique » du dogme catholique. Ces spécialis­ tes de la vérité siégeaient à plusieurs étages au-dessus du peuple chré­ tien et de son expérience historique. Ils décidaient du vrai et du faux, non sans avoir longuement et doctement disputé en forme du haut de leurs chaires. Le Grand Schisme était terminé, un pape légitime avait enfin émergé du long conflit entre trois anti-papes, mais ces désordres avaient fait la preuve que la science scholastique, toute logique et verbale, séparée de l’expérience commune, des res humanae, n’était pas à même d’autoriser la religio qui aurait dû maintenir ensemble le « corps » de la république chrétienne : cette sorte de vérité méta­ physique, qui n’avait eu aucune prise sur les âmes, n’intimidait plus ; elle constituait même un défi au sens commun chrétien et à la piété émotive qui l’emportait en Europe depuis la prédication de saint François.

La renaissance de la rhétorique latine fut inspirée par la volonté d’un poète, Pétrarque, de jeter un pont sur l’abîme que l’Ecole avait créée entre vérité dogmatique et expérience commune, entre raison scientifique et pathos de l’expérience humaine ; il fallait rétablir dans les affaires humaines les liens entre raison et sens commun, entre sagesse et pathos. Cette renaissance fut l’œuvre de plusieurs générations d’humanistes italiens, dont les deux premières, quoique peu nombreu­ ses, s’attachèrent à approfondir et à faire progresser la leçon de Pétrarque : chanceliers de la République florentine comme Collucio Salutati et Lorenzo Bruni ou secrétaires de curie, comme Poggio Bracciolini et Lorenzo Valla. Us firent leur jonction en 1437-1439, au concile de Florence-Ferrare, avec les lettrés byzantins qui apportaient en Italie les textes classiques de la rhétorique grecque. L’herméneutique des deux groupes d’humanistes, italiens et byzantins, réussit à surmon­ ter, malheureusement pour peu de temps, les différends dogmatiques (mais avant tout verbaux) qui séparaient l’Éghse grecque et l’ÉgUse romaine : tout éphémère qu’il fût, ce succès fut une promesse. Au siècle suivant, par la médiation d’Erasme, de Vivès, de Mélanchthon, de Latomus, la renaissance de la rhétorique antique s’est étendue hors d’Italie à l’ensemble de l’Europe occidentale, dont elle constitua le fonds commun de dialogue et de diplomatie de l’esprit jusqu’au XVIir siècle. La République humaniste des Lettres, la diplomatie dont elle était le vecteur, réussit patiemment à tempérer les violences d’origine théologique qui continuaient à déchirer l’Europe. Son pre­ mier grand succès fut l’Édit de Nantes en 1598 ; son triomphe fut la Paix de Westphahe en 1648-, nous célébrons ajuste titre en cette fin de siècle les anniversaires de ces chefs-d’œuvre de la prudence euro­ péenne. Ces traités valurent à l’Europe un siècle et demi de paix rela­ tive et d’unité de civilisation. Mais c’est aussi pendant cette période que commença, selon des rythmes divers et sous l’influence de penseurs dif­ férents dans chaque nation, le reflux progressif de cet « empire rhéto­ rique » humaniste. Depuis 1792, qui a vu disparaître l’ancienne Répu­ blique des Lettres dans la Terreur jacobine, il a rejoint provisoirement au royaume des ombres de notre Europe, ses deux prédécesseurs modernes l’ÉgUse universelle des Pères et l’Europe médiévale du Sacer­ doce et de l’Empire. Nul n’a mieux fait comprendre les enjeux véritables de la renais­ sance humaniste de la rhétorique au XVe siècle qu’un philosophe italien bien connu à Munich, où fl a illustré pendant de longues années, de 1948 à 1974, une chaire dans cette Université : Emesto Grassi. Ancien élève de Heidegger, Grassi partageait avec son premier maître (et avec le maître de celui-ci, Nietzsche) la même conviction profonde

que l’erreur de Platon avait été de creuser une antithèse tranchante entre l’absolu métaphysique de la vérité et le relatif de la trouble expé­ rience humaine toute pénétrée de doute et de pathos. Pour autant, Grassi n’en concluait pas, comme Heidegger dans sa Lettre sur l’humanisme, que toute la tradition de la pensée européenne avait été polluée par ce péché originel contre l’esprit. Pour cet Italien en mission à Munich, l’humanisme latin, plus enraciné dans Aristote que dans Platon, échappait à cet « oubli de l’Être » dont Heidegger a fait la ligne d’ombre du destin de l’Occident. Chez Aristote et mieux encore, chez Cicéron et chez Quintilien, les maîtres de la parole latine, incarnée dans une Cité et solidaire de son histoire, mais tout aussi bien chez les humanistes italiens du XVe siècle qui redécouvrirent Aristote, Cicéron et Quintilien, Grassi a voulu voir une tradition de pensée qui refuse de dissocier l’expérience humaine, le Dasein d’Heidegger, de son expression dans une parole qui réfléchit et éclaire son humanité et son historicité. L’art de persuader, qui est aussi un art d’interpréter, permet à la parole de faire pénétrer la lumière du raisonnable et du raisonne­ ment dans cette vaste région indécise, entre les deux pôles que Platon avait déclarés antithétiques : la raison pure qui « se souvient » des véri­ tés étemelles, et les passions humaines, trop humaines, qui errent et souffrent dans le temps et dans l’oubli de l’Etre. L’humanisme rhétorique met en œuvre les ressources argumenta­ tives, mais aussi émotionnelles du langage pour manifester, d’homme à homme la sorte de vérité dont l’homme est capable et qui lui est propre, à mi-chemin entre l’Etre qui lui manque et les étants qui l’aveuglent. Les procédures d’une logique probabiliste, mais aussi les lieux, les figures, les images, les récits, les couleurs, les sonorités, les rythmes latents dans le langage commun à tous les hommes, mais que la rhétorique aide à reconnaître et à mettre en œuvre, rendent raison à l’imagination et à la passion et elles restituent passion et imagination à la raison. Dans cette perspective, l’éloquence aussi bien que la poésie sont plus philosophiques et scientifiques que la philosophie et la science. La rhétorique permet à l’esprit jeté dans le temps de penser et d’orienter sa propre saisie des vérités en devenir, et des formes les mieux aptes à les faire sentir et partager. Les humanistes du XVe siècle, dont Emesto Grassi a réhabilité la visée proprement philosophique, ont cherché à rouvrir ce que la science théologique du XIIIe et du XIVe siècle avait fermé au nom de la vérité métaphysique arrêtée, cette possibilité laissée à l’homme de se manifes­ ter à lui-même dans le temps, cette possibilité que le Christ, dieu fait homme, mais aussi le « divin » Cicéron, avaient chacun dans son ordre, actualisée. Cette parole proprement humaine ne peut être exclusivement

ni rationalité pure, ni pure affectivité irrationnelle, elle trouve dans l’entre-deux sa voie difficile, inspirée et inventive. C’est sur cette base épistémologique établie par l’humanisme que Montaigne et Shakespeare ont retrouvé pour les Modernes le génie à la fois ironique et tragique de représenter l’homme à l’homme dont les Anciens, mais aussi la Bible, avaient connu le secret. Grassi a vu dans Descartes le Platon français du XVIF siècle, une philosophie anti-humaniste qui réintroduit la dictature sans visage de la vérité métaphysique en l’associant à l’autorité toute neuve de la nouvelle science physique. Mais Grassi a aussi trouvé, dans Giambat­ tista Vico, caché dans la Naples du XVIIIe siècle, loin des Lumières parisiennes, à la fois le critique le plus aigu de ce retour scientifique à la métaphysique, et le penseur moderne le plus profond de l’art du discours persuasif. Vico fait surgir ce qui était latent dans la rhéto­ rique antique et humaniste, une nouvelle science proprement humaine capable, à des degrés et des âges de la vérité, de faire contrepoids à la nouvelle science des physiciens-métaphysiciens modernes : c’est l’an­ thropologie générale et historique que dessinent les versions successi­ ves de la « Scienza Nuova ». Elle oppose à la philosophie critique de Descartes une philosophie topique, qui fait de la raison la fille de la poésie et de l’éloquence. Dans l’œuvre de Grassi, Platon et Aristote, la Scolastique et FHumanisme, Descartes et Vico, dessinent en alternance les traits récurrents d’une véritable dramaturgie cyclique de la pensée européenne. Dans cette dramaturgie, la rhétorique joue dans chaque cycle le rôle réparateur qui guérit la blessure ouverte par la dictature de la vérité métaphysique, que cette dictature s’exerce au nom de la théologie ou des sciences de la nature : chaque fois que cette dictature l’emporte provisoirement sur l’expérience humaine et interdit de nouveau à celle-ci de se prendre elle-même pour objet de réflexion pour guider la prudence, mais aussi pour transformer l’angoisse en liberté. Les conclusions de Hans-Georg Gadamer, à bien des égards, concordent avec les recherches d’Emesto Grassi : dans Vérité et méthode, Gadamer a établi, dans une ligne de pensée qui remonte à Dilthey, que la vérité humaine, distincte de la vérité scientifique, ne peut être atteinte par les techniques linéaires de la démonstration apodictique, mais par les approximations de l’herméneutique, interlocutrice natu­ relle de la persuasion rhétorique et poétique. Grassi et Gadamer, d’accord pour l’essentiel avec Perelman mais plus sensibles que lui à la dimension pathétique et esthétique de la parole, ont ainsi précisé l’horizon philosophique de la redécouverte actuelle de la rhétorique,

dont Nietzsche, dans ses cours sur l’art oratoire des Grecs à l’Université de Bâle en 1872-1873, avait dessiné le premier les contours. En Allemagne, le rhetorical turn a été préparé dans l’après-guerre par deux grands philologues romanistes, Ernst-Robert Curtius et Heinrich Lausberg. Curtius a fait de la topique rhétorique la structure portante de son chef-d’œuvre, La littérature européenne et le Moyen Age latin, com­ mencé en 1933 et publié en 1948. Lausberg a publié en 1960 un admi­ rable Handbuch der literarischen Rhetorik, dont les exemples portent sur une dizaine de langues européennes. L’année suivante, Walter Jens créait le séminaire de rhétorique de Tübingen, où il est relayé maintenant par Gert Ueding. Celui-ci publie, avec Joachim Dyck, une revue, Rhetorik, et un ambitieux Histori­ cités Wôrterbuch der Rhetorik dont les volumes se succèdent depuis 1990. Mais c’est dans les écrits de Hans Blumenberg, le regretté maître de Münster, que l’antique drame européen du hiatus entre la vérité uni­ verselle et nécessaire des métaphysiciens et les contours mouvants de l’expérience commune, aggravé dans l’âge moderne par le hiatus entre le monde spécialisé de la science et le monde de la vie ordinaire, a trouvé l’un de ses meilleurs interprètes. Ce n’est pas un hasard si le premier livre, et le plus célèbre, de Blumenberg s’intitule Paradigmes pour une métaphorologie. C’est du côté de la rhétorique et de l’herméneutique que ce philosophe s’est tourné d’emblée pour jeter un pont entre vérité et parole. En France, les travaux de grands hellénistes et latinistes, d’HenriIrénée Marrou, Jacques Bompaire, Alain Michel sur Cicéron, Augustin et Lucien, ont ouvert la voie à une relecture rhétorique du XVIe et du XVIIe siècles français, et même à une réinterprétation du romantisme comme rhétorique de l’ironie et du sublime s’opposant polémiquement au rationalisme des Lumières. Le groupe de chercheurs français, ita­ liens et anglais qui ont composé en français cette Histoire de la rhétorique en Europe du XV au XXe siècle, bénéficie d’un travail poursuivi en France depuis trois générations. En Italie, malgré les anathèmes de Benedetto Croce contre la rhé­ torique, que ce grand hégélien tenait pour l’antonyme de la poésie, l’École de Bologne, avec à sa tête Ezio Raimondi et Andrea Battistini, a montré que toute la tradition littéraire italienne, poésie et prose, ne peut être interprétée en profondeur si l’on ne se sert pas des catégories de la rhétorique. L’Italie, telle que l’ont comprise Vico, Grassi, Garin et Vasoli, réapparaît ainsi, dans sa permanence, comme la terre cicéronienne par excellence. L’Angleterre n’est pas restée étrangère au rhetorical turn. Dès avant la guerre, les analyses de plusieurs grands critiques littéraires anglais, Wil­

liam Empson, C. S. Lewis, et surtout I. A. Richards, auteur en 1937 d’une Philosophy of Rhetoric, avaient mis en évidence que les ressources grammaticales et rhétoriques du langage ont une portée cognitive bien plus profonde que ne le laisse croire son usage naïvement transparent et utilitaire par les logiciens. En 1988, un spécialiste de Shakespeare et de Bacon, Brian Vickers, dans le livre In Defense of Rhetoric que j’ai déjà mentionné, a recouru à l’argument historique pour plaider la légitimité de la rhétorique contre la philosophie analytique ou l’utilitarisme lin­ guistique qui prévaut dans les universités britanniques. Le fameux livre d’Austin, Quand dire c’est faire, l’un des initiateurs de la linguistique dite pragmatique illustrée depuis par Quine, et qui étudie les « actes » de langage, a contribué par une tout autre voie à rapprocher linguistes et rhétoriciens. Je puis même invoquer les derniers écrits de Wittgenstein. П y renie âprement les « superstitions verbales » de ses deux écoles d’origine, les logiciens de Vienne et ceux de Cambridge : sa critique de la « vérité » apodictique telle que l’entendent philosophes et scientifi­ ques, qui ignorent les lois du langage humain à l’intérieur desquelles ils dictent pourtant le vrai et le faux, nettoie à sa manière le terrain pour une réhabilitation de la rhétorique. Celle-ci a le courage proprement philosophique, au sens du dernier Wittgenstein, de se réfléchir elle-même purement et simplement comme art de la parole, dénué de prétention à la « vérité » absolue, mais propre à favoriser la manifesta­ tion des ressources dont l’homme dispose pour se reconnaître lui-même et se frayer une voie dans sa finitude et dans l’énigme du temps. En Amérique, une puissante tradition qui remonte à la Nouvelle Angleterre du XVIIe siècle, l’éducation oratoire des prédicateurs, des avocats et des hommes politiques, a résisté à l’influence de la philo­ sophie analytique anglaise, qui prétend disqualifier tout énoncé ne répondant pas aux critères de la logique formelle. A Chicago, dès avant la guerre, Richard McKeon s’est employé à resituer à sa place la rhéto­ rique dans la philosophie du Stagirite. Kenneth Burke dans un livre influent, The Rhetoric of Motives, a continué l’œuvre de McKeon. Mais il est bien évident que le développement aux Etats-Unis, dès avant la Première Guerre mondiale, d’un formidable marché des loisirs et de la communication de masse, alimenté par une industrie de la radio et du cinéma, avant de l’être, depuis la guerre, par l’industrie de la télévision et, maintenant, de l’Internet, ne pouvait laisser indifférente la pensée historique et philosophique, même si celle-ci avait été pré­ venue par la pédagogie utilitaire des Speech Departments de nombreuses universités et de VActor’s Studio à New York. Dans le sillage de Mc Luhan, théoricien et apologiste des mass media qu’il a décrits le premier dès les années 1950, enveloppant l’humanité

entière dans un « Village global », le jésuite Walter Ong, renouant avec la tradition « éloquente » de son Institut, a donné une légitimité histo­ rique et philosophique à la réflexion sur cette espèce de réapparition, à une échelle démesurée, du forum romain des orateurs et de la basilique baroque des prédicateurs. Dans son livre Ramus Method and the Decay of Dialog.> publié en 1958, le P. Ong a montré que la rhétorique du calviniste français Pierre de La Ramée, au XVIe siècle, avait sacrifié la dimension orale, imaginative et émotionnelle de la rhétorique classique pour lui substituer un art d’argumenter par écrit, qui préfigure la méthode cartésienne. Le nord de l’Europe avait déjà plébiscité de son vivant Pierre de La Ramée. Il fut massacré à la Saint-Barthélemy. L’Italie catholique n’en porta pas le deuil. Elle est toujours restée fidèle à une rhétorique qui ne sépare pas l’argumentation probable de l’appel aux émotions et aux images. Selon le P. Ong, les mass media américains étaient maintenant en train, après quatre siècles de puritanisme ramiste, de reconstituer, dans un contexte technologique et commercial, cette dimension des arts du dis­ cours censurée par le protestantisme, les reliant de nouveau à l’éloquence du corps, aux images, à la voix, au pathos, aux catégories esthétiques, c’est-à-dire à tout ce que Pierre de La Ramée avait voulu amputer de la nature humaine et de sa parole. Nietzsche, dans son cours de 1872-1873 à Bâle, avait lié l’essor de la rhétorique grecque à celui de la démocratie athénienne. La démo­ cratie américaine, après avoir au XIXe siècle fait briller une éloquence politique inspirée directement des modèles athéniens et romains, et non pas seulement de la sèche argumentation ramiste, a donné naissance au XXe siècle à une rhétorique immodérée et ultra-sophistique, que Cicé­ ron eût qualifiée d’« asianiste », à la fois dans la communication poli­ tique, la publicité commerciale et les techniques de Ventertainment. On peut, avec Mc Luhan et le P. Ong, voir dans ce phénomène considé­ rable un heureux « retour du refoulé » sous la pression conjuguée de l’offre commerciale et de la demande de masse. On peut aussi garder plus de réserve, et faire remarquer le caractère fabriqué et mécanique de cette prétendue réincarnation de la parole vive. On peut craindre aussi le péril de conformisme massif que fait courir à la pensée et au goût une doxa artificiellement dosée par des techniciens anonymes pour amuser et passionner des masses non moins anonymes. Cette version technicienne du « plaire et émouvoir » de la rhétorique classique pour­ rait bien être sa caricature vide impersonnelle, et gigantesque. Quelque parti que l’on prenne vis-à-vis de ce phénomène envahis­ sant et trouble, il trouve d’autant moins de contrepoids réflexif que ses critiques aussi bien que ses thuriféraires veulent ignorer la médiation

que la rhétorique classique et humaniste interpose entre la pure vérité et la pure illusion, entre les idées métaphysiques et les images trompeu­ ses de la caverne platonicienne. L’empire des mass media, loin d’être une renaissance de 1’ « empire rhétorique » appelée de ses vœux par Chaïm Perelman, est menacé de n’avoir d’autre philosophie que le nihilisme cynique du marché résumé par la formule de Mc Luhan : The medium is the message. La chance qui reste aujourd’hui à la raison politique et philoso­ phique - et c’est à mon avis le sens le plus favorable qu’il faut donner à ce rhetorical turn dont j’ai décrit ici quelques facettes - c’est de recon­ naître qu’elle ne peut pas prétendre à la vérité, et qu’elle doit accepter de se mouvoir, dans un monde de contrevérités et de dangereux faux-semblants qui se superpose maintenant au monde en lui-même fuyant des événements et de l’histoire humaines. Pour autant, elle ne peut non plus renoncer à distinguer entre le plus ou le moins vraisem­ blable, ni à formuler les hypothèses de travail les mieux argumentées, sinon les mieux reçues. Elle est tenue de le faire sous peine d’être écrasée par le pathos à gros grain des mass media ; elle ne peut réussir à se faire entendre qu’en s’alliant à l’éloquence et à la poésie, en mettant en œuvre les ressources naturelles du langage partagées par toute la communauté humaine : celles-ci se feront d’autant mieux jour qu’elles se manifesteront dans la plénitude de la sincérité et du talent dont les mass media ne proposent qu’une caricature hasardeuse et artificielle. David orateur et musicien garde toutes ses chances contre Goliath communicateur. C’est du moins le pari que nous devons faire nous autres éducateurs. Plus que jamais aujourd’hui, la situation présente des démocraties occidentales demande moins des métaphysiciens ou des prix Nobel métamorphosés en moralistes tous terrains, que des homines (femmes et hommes) boni dicendi periti, selon la définition que Caton, cité par Cicé­ ron, donnait de l’orateur. Ce ne sont pas les surhommes prophétisés par Nietzsche, mais c’est tout de même le contraire des sous-hommes, des hommes du souterrain, prophétisés par Dostoïevski. Nous avons besoin de modernes orateurs capables d’associer la beauté à la vérité. Ils ne doivent pas se contenter d’exceller dans une spécialité. Éclai­ rés et éduqués par leur propre expérience et par la méditation de l’expérience historique européenne, il leur revient de s’imposer aux mass media et de faire entendre la parole humainement vraie qui touche le « peuple » et qui le dissocie de la masse étourdie et manipulée. La démocratie ne peut se passer de tels hommes si elle ne veut pas devenir cette sorte de dictature du conformisme décrite avec effroi dès le XIXe siècle par Chateaubriand et Tocqueville.

Pascal distinguait trois sortes d’esprits : les habiles, les demi-habiles, et le peuple. La renaissance de l’art de persuader peut permettre aux « habiles », dans les démocraties modernes, de retrouver l’oreille du peuple, et de contrebalancer l’influence et l’autorité néfastes des demihabiles qui, après avoir régné au nom de la vérité, veulent maintenant régner au nom d’un nihilisme interactif et postmoderne. Marc Fumaroli, de l’Académie française.

Abbés (G. d’), 550. Abbott (Don, s.j.), 954, 962. Abélard (Pierre), 40-41. Ablancourt (Nicolas Perrot d’), 696, 776. Abram (Nicolas), 549. Accetto (Torquato), 423. Acconcio (Giacomo), 116. Achille, 18, 871. Acquaviva (Claudio), 451, 456, 547. Adam Woodham (Goddam), 195. Adams (John Quincy), 1252, 1255, 1258. Addison (Joseph), 850, 880-881, 900-904, 907, 909, 912, 917-918, 928, 932, 936-937, 952, 974, 976, 981. Agricola (Rodolphe), 85-88, 90-95, 97-98, 100, 101-103, 107, 191, 198, 200-203, 206, 208, 261, 295, 301, 341, 346, 370, 378, 388, 396, 708. Aguesseau (Henri-François d’), 1129, 11711174, 1177, 1182, 1185. Ajax, 18. Akenside (Mark), 899-900, 907. Alain (Émile-Auguste Chartier, dit), 1057. Alain de Tille, 39-40, 58, 178. Albalat (Antoine), 1241-1242, 1244, 1267. Albert le Grand (saint), 156. Albert de Saxe, 51. Alberti (Leon Battista), 139, 151, 153, 243, 318, 413-414. Alboini de Mantoue (Pietro degli), 47, 52. Alcuin, 513. Aléandre (Jérôme), 239. Aléard d’Amsterdam, 88, 94. Alembert (Jean Le Rond d’), 879, 881-883, 892-893, 896, 902-903, 912, 914, 916, 918, 920-921, 926, 932, 938, 945, 954, 989, 994, 1001, 1004, 1073, 1080, 1092, 1119, 1161, 1172. Alexandre le Grand (roi de Macédoine), 521, 675, 1090.

Alexandre Ier, tsar, 1143. Alexandre (Barthélemy), 370. Alfieri (Vittorio), 985-986, 994. Algarotti (Francesco), 917, 928, 937, 962. Alighieri, cf. Dante. Allaci (Léon), 591. Allais (Gustave), 1105, 1133, 1135. Allen (M.), 174. Allier (Jean-François), 1132, 1147. Allou (Édouard), 1179. Alphonse V le Grand ou le Magnanime (roi d’Aragon et de Sicile), 139. Alsted (Johann Heinrich, dit Alstedius), 373, 505, 789. Altieri Biagi (M. L.), 622. Alvarado (Alfonso), 794-795. Alvarez (Emmanuel, le père), 453. Amar du Rivier (Jean-Augustin), 1129. Amaseo (Romolo), 317. Ambroise (saint), 35-36, 433, 1097. Amerbach, 520. Amman (Johann Conrad), 793. Amyot (Jacques), 367, 1143. Anaxagore, 1190. Andrelini (Fausto), 131. Andrieux (François-Guillaume-Jean-Stanislas), 1092, 1129, 1134, 1156, 1164. Andrieux (Mathieu), 1130-1131, 1146, 1149, 1156, 1158, 1165-1167. Angcnot (Marc), 1113. Angioli (Gherardo degli), 863. Anne d'Autriche (reine de France), 1003. Annibal ou Hannibal, 1197. Anselme de Canterbury (saint), 39-41. Antoine de Padoue (saint), 575. Antoniano (Silvio), 441, 445. Aphtonius, 172, 220, 222, 366, 851, 887, 1149. Apollodore de Pergame, 28. Apostolidès (Jean-Marie), 673.

Apulée, 357, 518. Arago (François), 1109, 1179. Aragon (Louis), 1266. Arbour (Romeo), 580. Archimède, 614. Arcimboldo (Giuseppe), 606. Arétin (Pietreo Bacci, dit Г), 325, 327. Arias Montano (Benito), 348. Arioste (Ludovico Ariosto, dit Г), 332-333, 442, 518, 592, 804. Aristide (Ælius), 31, 500. Aristophane, 218, 225. Aristote, 4-5, 18, 20-21, 23-24, 26, 41, 43-44, 48-49, 51, 53-54, 56, 61-62, 65-66, 68, 73, 75-77, 86-87, 89-90, 100, 103, 105, 112113, 116, 118, 157, 164, 167, 169-171, 174, 181, 192, 196, 198-199, 202-204, 215-217, 224, 226, 230, 233, 249, 270, 329, 332-333, 342-345, 361, 363, 370, 372, 375, 377, 389,413-414, 418-423,425,440, 442, 444, 447, 449, 451-452, 457, 492, 501, 506, 508-509, 511, 520, 524, 527, 549, 572, 601-603,605-606, 611,635, 637, 726, 729, 746, 756, 770, 778, 789, 826, 832-834, 847-849, 856, 859, 861,869, 949, 953, 961, 980-981, 1041-1042, 1086, 1089, 1093, 1095, 1104, 1111, 1138-1139, 1154, 1163, 1201, 1215, 1219-1221, 1229, 1238, 1244-1245, 1252, 1265, 1271, 1278. Arlincourt (Ch.-Victor Prévôt, vicomte d’), 1243. Armand Colin (éditeur), 1244. Amauld (Antoine, dit le Grand Amauld), 634, 642, 644, 646, 678, 682-683, 688, 732, 740, 744-746, 781, 830. Arnauld d’Andilly (Robert), 696. Amim (H. von), 1219. Arnold (Matthew), 975. Artese (L.), 88, 120, 388. Ascham (Roger), 348, 360-361. Asinius Pollion, 26. Aslacus (Conrad), 550. Asor Rosa (Alberto), 622. Assonville (Hubert d’), 551. Aston (T. H.), 949. Astor (Francesco Antonio), 962. Athénée de Naucratis, 511. Atticus, 568, 590. Aubignac (François Hedelin, abbé d’), 719. Aubigné (Agrippa d’), 373, 1170, 1196. Augé (Claude), 1127. Auger (Athanase, abbé), 1007, 1148. Auguste (empereur romain), 26-27, 144, 491, 675, 758, 1090, 1123. Augustin (saint), 11, 18, 35-36, 39, 44, 50, 53, 69, 192, 211, 271, 293, 296, 303,

306, 309, 354, 357, 432, 434-436, 443, 446, 457, 467-468, 501, 521, 529, 544, 559, 648, 695, 738, 740, 744-745, 767, 794, 1097, 1149, 1190, 1246. Aujac (Germaine), 28. Aulard (François-Alphonse), 1019, 1032, 1104, 1112, 1178, 1232. Aulberoche (Pierre d’, s.j.), 550, 794. Aulu-Gelle, 31, 170, 489. Aurelius Victor, 1148. Aurispa (Jean), 62. Auvray Jean), 555, 592. Averroès (Ibn Rushd ou), 156, 178. Avicenne, 99. Azouvi (François), 1126. Bachelard (Gaston), 624. Bachofen Johann Jacob), 873. Bacilly (Bénigne de), 799, 802-803. Bacon (Francis), 82, 360, 549, 584-586, 608610, 612-613, 615, 657, 661, 853, 856, 916, 961, 1279. Baïf Jean-Antoine de), 384, 392. Baillet (Adrien), 504, 582, 639. Bailly (Sylvain), 1022. Bain (Alexander), 1254. Balbi (Girolamo), 131. Baldacci (Luigi), 322. Balde Jacques), 827. Baldwin (Charles Sear), 1246, 1255, 1279. Baldwin (T. W.), 360. Balibar (René), 1119. Ballanche (Pierre-Simon), 1044, 1047-1048, 1055, 1064. Ballard (Michel), 695. Ballesdans Jean), 806. Balsamo Jean), 334. Balthazar (André), 347. Balzac (Honoré de), 1048, 1053, 1056, 1059-1063, 1065. Balzac Jean-Louis Guez de), 16, 342, 499, 504, 529, 539-544, 546, 550, 552, 556560, 564-567, 569-570, 573-574, 577, 581-582, 585, 589-591, 668, 671, 752, 763, 776, 808. Banchi (Serafino, le père), 806. Banos (Théophile de), 373. Barbaro (Daniel), 345. Barbaro (Ermolao), 47, 132-133, 140, 142, 148, 156-158, 167, 171, 182, 201-202. Barbaro (Zaccaria), 142. Barbaroux (Charles-Jean-M.), 1193. Barbier (Antoine-Alexandre), 737, 1168-1169. Barbier d’Aucour Jean), 675. Barbin (E.), 615. Barbizza (Gasparino), 227.

Barclay (John), 552. Bamave (Antoine), 1024, 1030. Barner (Wilfried), 545, 548. Barocchi (Paola), 152, 606. Baron (Hans), 53, 56. Baronio (Cesare), 434, 441, 447. Barrefelt (Hendrik Jansen), 467. Barrés (Maurice), 1241. Bartas (Guillaume Salluste, seigneur du), 553, 791. Barthélemy (Jean-Jacques, abbé), 1184. Barthélemy Saint-Hilaire (Jules), 1219. Barthes (Roland), 9, 17, 1117, 1239, 1246, 1273-1275. Bartoli (Daniel, s.j.), 330, 558-559, 575. Bary (René), 561, 636, 797, 804. Barzizza (Gasparino), 58-59, 62, 76. Basile le Grand ou de Césarée (saint), 435, 791, 804, 1097. Bas Mullinger (J.), 549. Bator (Paul), 950-951. Batteux (Charles, abbé), 901, 907, 909-911, 916, 976, 1079, 1128. Battifolle (Roberto di), 51. Battistini (Andrea), 415, 417, 760, 962, 986. Baudelaire (Charles), 15, 1053, 1062, 1064-1066, 1125, 1153, 1190, 1237, 1262, 1266. Baudin (J.-B.-Alphonse-Victor), 1179. Baumgarten (Alexander Gottüeb), 827, 870, 907-908, 930. Baur (L.), 178. Baxandall (Michael), 151, 163. Bayle (Pierre), 648, 669, 834, 916. Beaufort (comte de), 1134. Beaumarchais (Pierre-Augustin Caron de), 1008, 1172-1173. Beauzée (Nicolas), 893, 921, 923, 1080, 1082, 1096, 1145, 1153. Beccaria (Cesare), 314, 962-965, 967. Becelli (Giulio Cesare), 962. Beckett (Samuel), 1262. Beckher (Georges), 550. Bédrot (Jacobus), 343. Bélaval (Yvon), 588. Bellarmin (Robert, cardinal), 809. Bellay (Guillaume du), 365. Bellay (Joachim du), 218, 334, 341-342, 365, 368, 372, 391-392, 603. Belleau (Rémy), 392. Bellefroid (Louis H. M.), 1098. Bellegarde (Jean-Baptiste Morvan de), 764, 970. Belloy (Pierre-Laurent Buirette, dit De), 986. Belsunce de Castel-Moron (Henri-Fr.-Xavier de, Mgr), 1169.

Bembo (Pietro, cardinal), 219, 229-231, 245246, 314-318, 320-321, 323-327, 329334, 349, 355, 359, 362, 364, 368, 462, 467, 558, 771. Bénard (Charles), 1126, 1132, 1197. Bénat (Géranl de), 1079, 1151, 1171, 1175, 1185. Benci (Francesco), 455-456, 467. Bender (John), 1261-1262, 1273. Béné de Florence, 38. Beni (Paolo), 770. Bénichou (Paul), 1044, 1053. Benincasa (Bartolino de), 58. Benoît (Charles), 1233. Benserade (Isaac de), 541. Béré (Julien), 368. Bérenger (Laurent-Pierre, le P.), 1083, 1129, 1150, 1168-1169. Berger (Adolphe), 1105, 1232. Bergounioux (Gabriel), 1103, 1106. Berlin (James A.), 1256. Bernard de Clairvaux (saint), 18, 32, 39, 40, 44, 299, 435, 513, 744, 794, 1104-1105. Bernard (Claude), 7. Bernard Silvestre, 178. Bernardin de Sienne (saint), 319, 413. Bernardin de Saint-Pierre (Jacques-Henri), 1014, 1064, 1172, 1174, 1184, 1197. Bemi (Francesco), 313. Berryer (Pierre-Antoine), 1045, 1049-1050, 1094, 1109, 1176, 1180. Bert (Paul), 1179. Berthault (A.), 1133, 1224-1225. Bérulle (Pierre de, cardinal), 548, 553, 805, 807, 810-811. Bescherelle (Louis-Nicolas), 1090. Besomi (O.), 61. Bessarion (Jean), 69, 75, 169. Besson (Jacques), 792. Best (Otto F.), 888. Bettinelli (Joseph-Marie ou Xavier, s.j.), 881, 897, 902, 907, 914-915, 938. Bettini (Mario), 518. Bettinzoli (A.), 137, 166, 179-180. Beugnot (Bernard), 9, 539-540, 551, 553, 558, 566-567, 571-572, 577, 580, 587-588, 666, 690, 701, 730. Bèze (Théodore de), 292, 294, 1137. Biagioli (M.), 621. Billanovich (G.), 48. Billaud-Varenne Jean-Nicolas), 1079. Bilstein J.), 373, 384. Binet (Étienne, s.j.), 452, 503, 518. Biron (maréchal de), 1185. Blackmore (Richard), 898, 913, 916, 929-930, 933, 981. Blair (A.), 608.

Blair (Hugh), 951-952, 955, 964, 966, 968, 972-974, 976-979, 1041, 1152, 1157, 1160, 1168, 1172, 1186, 1251, 1254. Blampignon (Émile), 1104, 1106. Blanchard (M.-Eli), 1025. Blanchot (Maurice), 1044, 1262. Blanco (Mercedes), 579, 584, 888, 913. Blass (Friedrich), 1219. Bloch (O. R.), 609. Blount (William), 221. Bloy (Léon), 1066. Bluche (François), 541. Boase (Alan), 519. Boccace, 47, 50-52, 55, 147, 151, 160, 178, 321, 323, 325, 331, 333, 421, 915. Bocous (Joseph), 1130, 1136. Bodin (Jean), 811. Bodmer (Johann Jacob), 829, 902, 907, 930, 936, 982, 987. Boèce, 38, 40-41, 59, 62, 66, 69, 73-74, 78, 103, 193, 199, 206, 208. Boehm (L.), 88. Boësset (Antoine), 806. Boiardo (Matteo Maria, comte), 313, 333. Boileau (Nicolas, dit Boileau-Despreaux), 26, 530, 540, 563, 591, 686, 690-691, 693-694, 696, 707, 714, 719, 756-758, 761, 768, 784, 808, 834, 848, 894-896, 914, 958, 973, 982-983, 1163, 1166-1167, 1199. Boirac (Émile), 1198. Boisrobcrt (François Le Metel, seigneur de), 542, 565, 589, 807. Boissier (Gaston), 1105, 1134, 1195, 1221. Boissière (G.), 575. Boiste (Pierre-Claude V.), 1090. Bolzani (Giovanni P. Valeriano), 791. Bolzoni (Lina), 88, 235, 237, 239. Bompaire Jacques), 8. Bonafous (Norbert), 1104. Bonamico (Lazzaro), 317, 326-327, 351. Bonaparte (Napoléon) (cf. aussi Napoléon Ier), 1090-1092, 1128, 1136, 1203. Bonaparte (Louis-Napoléon) (cf. aussi Napo­ léon III), 1027, 1108, 1180. Bonaventure (saint), 42, 44. Boner (Ph.), 46. Bonneret de Grosse (A. J. B.), 1130. Bonnet J.-Cl.), 1023, 1026, 1034. Bonneville (Nicolas de), 1006. Booth (Wayne С.), 1276. BorgerhofT (E. B. O ), 670, 690. Borghini (Vincenzio), 333-334. Bomecquc (Henri), 151, 1221, 1245. Borromée (Charles), cf. Charles Borromée (saint). Borromée (Frédéric, cardinal), 811.

Bossuet Jacques Bénigne), 499, 632, 697, 699-700, 742, 888, 908, 953, 958, 960, 1003-1004, 1025, 1096-1098, 1104-1105, 1129, 1153, 1157, 1171-1172, 1184, 1233, 1238, 1241. Botticelli (Sandro), 152-153. Bouche (Charles-François), 1009. Boucher (Édouard, abbé), 1233. Bouchet Jean), 132. Bouhours (Dominique, s.j.), 529, 545, 582, 630, 664, 666, 673-676, 679-680, 682, 688, 694, 700, 754, 758-761, 763, 765766, 769-770, 774, 776, 781, 847, 917. Bouillon (cardinal de), 700, 804. Boulanger (Georges, général), 1112, 1178. Boullée (Auguste-Aimé), 1160. Boulogne (Étienne-Antoine, Mgr), 1172-1173. Bourdaloue (Louis, s.j.), 697, 741, 743-744, 953, 1096, 1098, 1172-1173, 1233. Bourdieu (Pierre), 1182, 1200. Bourgeois (Léon), 1199. Bourges (Michel de), 1180. Bourlier Joseph, abbé), 1230. Bourret Joseph), 1104. Boursier (Germain), 369. Bovelles (Charles de), 43-44, 207. Bowman (Frank Paul), 15, 1027, 1044, 1049, 1051, 1075, 1095, 1098-1099. Bowyer James), 949. Boyer (Abel), 917. Boyle (Robert), 617, 658-659. Boylesve (Marin de, s.j.), 1132, 1138, 1162, 1202, 1223, 1227, 1242. Boylston (Nicholas), 1252. Braccesi (Alessandro), 145. Bracciolini (Poggio), 4, 62, 74, 147, 154, 413, 421. Brantôme (Pierre de), 1170. Brasart (Patrick), 1022,1033-1034,1079,1083. Brassac Jean Gaillard de Béarn, comte de), 582. Brathwaite (Richard), 564. Braungart (Georg), 546. Bray (René), 316, 334, 504. Bredif (Léon), 1105. Breen (Quirinus), 204. Breitinger Johann Jacob), 829, 902, 907, 930, 987. Bremayer (Reinhard), 888. Brémond (Henris abbé), 503. Bridainc Jacques, abbé), 888, 1004, 1096. Bridoux (A.), 634. Briet (Philippe), 551. Brissot {dit Brissot de Warwille), 1079, 1193. Brocardo (Antonio), 327. Brocardus Jacobus), 344.

Brockliss (L. W. B.), 1078. Brody (Jules), 591, 690. Brooks (Cleanth), 1275. Brossette (Claude), 563. Brossier (Marthe), 810. Bruford (W. H.), 948-949. Brûlait de Sillery, cf. Sillery. Brulon de Saint-Rémy, 939. Brumoy (Pierre, s.j.), 834-835, 868. Bruneau (Charles), 1196. Bruneau (Jean), 1076, 1184, 1187. Brunetière (Ferdinand), 563, 1167, 1177, 1182, 1233, 1237-1239, 1267, 1279. Bruni (Leonardo), 53-54, 56, 61, 75, 154, 227, 243, 413. Bruno (Giordano), 492. Brunot (Ferdinand), 1022, 1163, 1243. Brutus, 294. Bruyère (Nelly), 82, 373, 379. Bruyne (Edgar de), 33. Bucer (Martin), 260, 267-270, 272, 274-275, 288, 295, 303, 307. Buchanan (George), 564. Bûchez (Philippe-Joseph-Benjamin), 1047, 1108, 1172. Buehler (Johannes), 789. Buckingham, 195. Budé (collection), 1245. Budé (Guillaume), 43-44, 191-192, 211, 215217, 219, 222, 232, 234, 243-245, 248, 267, 269, 282-283, 369, 395. Budée Jean-François), 726. Buffier (Claude, s.j.), 803, 879, 889-891, 922. Buffon (Georges-Louis Leclerc, comte de), 938-939, 1080, 1153, 1163, 1172-1174, 1177, 1185, 1223, 1239. Bulcodianus (Gerardus), 347. Bullinger (Henri), 260, 275, 286-287, 292-293, 307. Bunel (Pierre), 351, 359, 491. Burckhardt Jacob), 787-788. Burette (Pierre-Jean), 802-803. Buridan Jean), 51. Burke (Edmund), 879, 895, 907, 980, 983, 985, 1010, 1023, 1028, 1044, 1172-1173. Burke (Kenneth), 1258, 1264, 1268, 1272, 1278. Burlington (lord), 917. Bumet (Gilbert), 977. Bury (Emmanuel), 666, 676, 697, 724. Bussy-Rabutin (Roger de Rabutin, comte de Bussy, dit), 765. Butler (Charles), 458. Butler (Samuel), 953. Byron (George Gordon, lord), 1065, 1196.

Cabanis (Pierre-Jean-Georges), 1041, 1059. Gaecilius de Calé-Acté, 28. Caesarius Jean), 95, 203, 344. Cahné (Pierre-Alain), 582-583, 590, 639. Calas Jean), 1173. Calcagnini (Celio), 355. Calepinus (Ambrosius), 789. Caligula (empereur romain), 29. Calixte III (pape), 139. Callières (François de), 804. Callières Jacques de), 846. Calmeta (Vincenzo Colli, dit), 323-324. Calonne (Pierre-Fabius de), 1130. Caloprese (Gregorio), 771-772. Caloria (Thomas), 48-49. Gastelvetro (Lodovico), 332. Calvin Jean Cauvin, dii), 260-262, 264265, 267, 269-270, 272-276, 278, 282286, 288, 290-293, 295, 303, 307, 309, 1137. Camden (William), 916. Camerarius Joachim Ier), 274, 358, 361, 491. Camillo ou Camille Delminio (Giulio), 88, 105, 239, 241, 345, 357, 363, 368, 385, 509. Campanella (Tommaso), 492, 795. Campbell (George), 951, 955, 962, 964-967, 1251, 1254. Camporeale (P. S. I.), 61-62, 68-69. Camus Jean-Pierre), 560. Canossa (Lodovico da), 324. Cantalicio (Giovanni Battista), 145. Cantimori (Velio), 69. Cantor (G.), 620. Cantwell (André-Samuel), 1152. Canzani (G.), 639. Capella (Martianus ou Marcianus), 37, 41, 58, 78, 193, 505. Capmany (Antonio de), 962. Carafa (Diomède), 417. Carbone (Louis, de XVIe), 509, 513. Carbone (Ludovico, XVe), 85. Cardini (R.), 179, 321. Carew (Richard), 916. Carnéade de Cyrène, 24. Caro (Annibal), 332, 344. Caron (Antoine), 503. Caron (Philippe), 566. Carr (Thomas M. Jr), 620, 632, 639, 644-645, 668, 684-686, 710, 947. Carré (Gustave), 947. Carrier Jean-Baptiste), 1094. Cartier Jacques), 1170. Carugo (A.), 602. Casaubon (Isaac), 723. Casaubon (Méric), 663, 687-688, 723.

Cassander (Georgius), 347. Casserius (Jules Casserio, dif), 790. Gassien Jean), 447, 808. Gassin (Barbara), 1270. Castelli (Benedetto), 625. Castellion (Sébastien), 101, 276. Castelvetro (Lodovico), 324, 331, 333. Castets (Ferdinand), 1105. Castiglione (Baldassare), 191, 200, 211, 213, 217, 222, 244-245, 249, 320, 322-325, 333-334, 396, 412, 417-418, 420-427, 429, 524, 564-565. Catherine d’Alexandrie (sainte), 225. Caton, 477-478, 486, 1170. Catulle, 27, 145, 519, 524, 541, 1077, 1136. Caus (Salomon de), 792. Causeret (Charles), 1221. Caussade (François de), 1133, 1224. Caussin (Nicolas, s.j.), 503, 514, 559, 794-795, 952. Cavaillé J.-?.), 620. Cavalcanti (Bartolomeo), 319, 329, 345, 368, 396, 524. Cavalieri (Bonaventure), 615. Cave (Terence), 168, 551. Caviceo Jacques), 394. Cazalès Jacques-Antoine-Marie de), 1079. Celestin V (Pierre de Morrone, saint, pape), 809. Celse, 6. Celtis (Conrad), 89. Cerceau Jean-Antoine du, s.j.), 571. César Jules), 27, 143, 233, 351, 491, 510, 521, 551, 675, 1090. Cesi (Federico, prince), 621. Chaignet (Anthelme-Édouard), 1105-1106, 1228-1229. Chailley Jacques), 800. Chaisneau (Charles), 1129. Chaix d'Este-Ange (Gustave-L.-A.-V.-Charles), 1179. Chalco (Tristano), 150. Chalcondylas (Demetrios), 171. Challemel-Lacour (Paul-Armand), 1112. Chambord (comte de, écrit Henri V), 1108. Chamfort (Nicolas de), 1007, 1024-1025. Champion Jacques), 1143. Champsneufs (Pierre de), 551. Channing (Edward T.), 1252, 1255. Channing (Peter), 1111. Chapelain Jean), 353, 543, 558, 566, 573, 591, 748. Chapsal (Charles-Pierre), 1129, 1136, 1152, 1157, 1172, 1196. Charlemagne, 1158.

Charles Borromée (saint), 433-434, 441, 448, 513, 559. Charles Quint (empereur d’Allemagne et roi d’Espagne), 630, 1190. Charles Ier (roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande), 546, 587. Charles II (roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande), 631, 659-660, 978. Charles VIII (roi de France), 313, 1190. Charles XII (roi de Suède), 1123. Charles (Michel), 633, 678, 681, 684, 688. Charles Martel, 1190. Charlet Jean-Louis), 172. Charlotte-Élisabeth de Bavière, dite princesse Palatine, 765. Charmadas, 24. Charpentier (Antoine), 116, 673. Charpentier (François), 554. Charpentier Jacques), 112, 371. Charpentier (Marc-Antoine), 801. Charron (Pierre), 1137. Chartier (Roger), 972. Chartres (duc de), çf. Orléans. Chasles (Philarète), 1057, 1111. Chassain (Michel), 806. Ghastel (André), 153, 325. Ghastellain (Georges), 132. Chateaubriand (François-René de), 11, 15, 1014, 1021, 1025, 1028, 1033, 1045, 1048, 1050-1052, 1056, 1059, 10631065, 1123, 1165, 1172-1173, 1184, 1197, 1239. Châteauneuf (François de Castagner, abbé de), 802. Châtelet (Paul Hay du), 543. Chatham, cf. Pitt. Chaucer (Geoffrey), 1254. Chaulieu (Guillaume Amfrye, abbé de), 905. Chazet (André-René-P. Alissan de), 1008. Chénier (André de), 1101, 1187. Chénier (Marie-Joseph de), 1041, 1043, 1045, 1047, 1101. Chenu (le Père), 42. Chérel (Albert), 900. Cheivel (André), 1075, 1079, 1124, 1128, 1197. Chesterfield (Philippe, comte de, lord), 1172. Chevalier (Michel), 1111. Chevallier J.), 667. Chevreau (Urbain), 575-576. Child (Francis), 1252, 1254-1255. Chipier (Eugène, abbé), 1240. Chiss Jean-Louis), 1125. Chladni (E. F.), 793. Chollet (Roland), 1048. Chomarat Jacques), 155, 349, 352, 356, 470. Chomsky (Noam), 1273.

Choppin d’Amouville, 1131, 1147. Chouillet Jacques), 979, 981. Chrétien de Troyes, 39. Christine (reine de Suède), 541, 772. Chrysoloras (Manuel), 163. Chrysostome, cf. Jean Chrysostome. Cicéron, 6, 9, 11, 18, 21-32, 35, 38, 40-41, 43-44, 46-52, 54-56, 58-59, 62-63, 71, 75, 77-78, 80, 84, 87, 96, 100, 103-104, 132, 137-142, 144, 158-160, 162-163, 165, 168, 174-175, 182, 192-195, 199, 202, 204, 216, 218, 221-222, 227-228, 230, 232-234, 236, 242-243, 271, 276, 280, 283, 318, 320, 343-346, 351-352, 355-357,359-361,363-364,367,370,374-376, 379, 383-384, 391, 393, 413-414, 418, 420422, 425-426, 433, 435, 437, 445-448, 451, 453-457, 459, 461-464, 466, 472, 479, 481, 487, 489-490, 492, 501-502, 504, 507-508, 511-512, 521, 523-524, 527, 529, 540, 548551, 553, 563, 566, 568-569, 580-581, 590, 592, 618-619, 635, 637, 664, 674, 696, 726, 745-746, 760, 767, 772, 778, 789, 826, 828, 830-831, 840, 842, 851, 860, 883, 908, 910, 945, 949-950, 953, 976, 984, 987, 993, 1004, 1025, 1031, 1050-1051, 1071, 1077, 1095, 1105, 1111, 1123, 1139, 1144, 1148-1149, 1151, 1154, 1170, 1175, 1181, 1190, 1192, 1195, 1220-1221, 1223, 1232, 1234, 1240, 1244, 1252. Cinzio (Giraldi), cf. Giraldi. Cioranescu (Alexandre), 541. Clair (avocat), 1095, 1172-1173. Clapier (Alexandre), 1095, 1172-1173. Clarendon (Edward Hyde, comte de), 977. Claude (empereur romain), 29, 491. Claudel (Paul), 39, 808. Claudien, 153, 172, 551. Clausier (Jean-Louis), 939. Glavius (Christophle), 610. Clément Jean-Paul), 1048. Clément d’Alexandrie, 34. Clements (R. J.), 147. Clérambault (maréchal de), 540. Clerico (Geneviève), 388, 390. Clichtove Josse), 203, 207. Cloots (Anacharsis), 1010. Cochin (Augustin), 1111. Codes (Bartolomeo della Rocca, dit}, 791. Coeffetcau (Guillaume), 553, 561. Cœur (Pierre-Louis, abbé), 1098. Cohen Jean), 1275. Coignard Jean-Baptiste), 554. Colbert Jean-Baptiste, 1185. Coleridge (Samuel Taylor), 918, 949, 976. Coletti (Vittorio), 319. Colie (Rosalie L.), 224.

Coligny (amiral de), 1137. Colincamp (Ferdinand), 1132, 1149, 1223. Colletet (Guillaume), 575. Colocci (Ange), 324. Colomby (François de Gauvigny, sieur de), 565. Colonia (Dominique, s.j.), 884, 887, 1079. Colonna (Francesco), 318, 394. Colonna (Vittoria, marquise de Pescara), 806. Comanini (Gregorio), 606. Comenius Jan Amos Komensky), 241, 548, 552. Compagnon (Antoine), 562, 733, 1073, 1117. Compayré (Gabriel), 1012, 1217, 1251. Compère (Marie-Madeleine), 547, 946-947, 1075, 1078, 1124. Condé (le Grand Condé, prince de), 1153, 1171. Condillac (Étienne Bonnot de), 916, 921, 938, 946, 956-962, 966-968, 978, 984, 986, 989, 993, 1022, 1041, 1059, 1084, 1086, 1118, 1153, 1163, 1168. Condorcet (M.-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de), 1012, 1024, 1073, 1079, 1084, 1092, 1094, 1118, 1124, 1172, 1174, 1193. Conein (Bernard), 1083. Conrart (Valentin), 561-562, 581, 796-797. Constant (Benjamin), 1012, 1015, 1020, 1024, 1060, 1109, 1123, 1176, 1178. Conti (Natale), 791. Contzen (Adam, s.j.), 576. Copernic (Nicolas), 605, 610, 1271. Coquerel (Athanase), 1179. Corax, 18. Corbett (Edward P. J ), 1257-1258, 1277. Corbinelli Jacopo), 333. Cordemoy (Gérauld de), 725, 727, 729, 792-793. Cordier (Mathurin), 345, 351. Cormenin (Louis de, et pseudo. Timon), 1026, 1029-1030, 1032, 1092, 1104, 1109-1111, 1176-1177, 1202. Corneille (Pierre), 554, 558, 575, 578-579, 591, 671, 755, 761, 908, 957, 976, 983, 1053, 1134, 1149, 1164-1165, 1185, 1199. Corneille (Thomas), 957. Cornelius Nepos, 1148. Comilliat (François), 132. Corrado (Quinto-Mario), 367. Corrado (Sébastien), 467. Cortese ou Cortesi (Paolo), 159-161, 166, 182, 228-230, 355, 357, 417. Costar (Pierre), 540, 544-545, 575, 776. Coste (Pierre), 688, 781.

Coton (Pierre, s.j.), 452. Cottunio (Giovanni), 575. Courcelles (Pierre de), 366, 368, 392. Court de Gébelin (Antoine), 984. Courtin (Antoine), 970. Courtin (Eustache), 1167. Cousin (Jean), 1120, 1182, 1245. Cousin (Victor), 1044, 1100. Cousin d’Avallon (Charles-Yves, dit), 1098. Coustel (Pierre), 696. Couton (Georges), 577. Covarrubias (Sébastien), 520. Cowley (Abraham), 664. Coyssard (Michel), 806. Crampe (B.), 348. Cranmer (Thomas), 287. Crashaw (Richard), 519. Crassus (Lucius Licinius), 137, 421, 512. Crespin (Jean), 302. Cressolles (Louis de, s.j.), 499, 503, 514, 560, 794-795, 807. Cretin (Guillaume), 132. Crévier (Jean-Baptiste), 953-954, 1128. Croce (Benedetto), 8, 388, 526,825,853,874. Croiset (Alfred), 1222, 1245. Croiset (Maurice), 1245. Croll (Morris), 664, 1246, 1279. Crombie (A.), 602. Cromwell (Oliver), 549, 631, 658. Crousaz (Jean-Pierre de), 907-908, 917, 936. Crouzet (Michel), 15, 1053, 1060. Cucheval (Victor), 1221, 1232. Cureau de La Chambre, cf. La Chambre. Curtis (M. H.), 549. Curtius (Ernst Robert), 9, 33, 160, 517, 1237, 1246. Cuvier (Georges, baron), 1197. Cyprien (saint), 435, 808, 1097, 1149. Dacier (André), 834-835. Dacier (Anne Lefebvre, Mme), 914. Dainville (François de, s.j.), 577, 946-947, 1077. Damiron Jean-Philibert), 1044. Dandrey (Patrick), 690. Daneau (Lambert), 457. Daniel (Gabriel, s.j.), 1170. Daniele (Antonio), 328. Dante Alighieri, 39-40, 42, 44, 53, 55, 178, 315, 319, 321-322, 329, 331, 412, 863, 915. Danton (Georges-Jacques), 1019, 1025, 10301031, 1034, 1048, 1079, 1109, 1176-1177, 1180. Darmon Jean-Charles), 620. Dassonville (Michel), 113, 603.

Dato ou Dathi (Agostino), 132. Daudet (Alphonse), 1230-1231. Daumier (Honoré), 1109. Daunou (Pierre), 1084. Davesnes (Pierre), 1240. David (personnage biblique), 807, 813. Davidson (Hugh), 632, 690. Dear (P.), 620. Declercq (Gilles), 635, 648, 667, 669, 672, 674-676, 680, 684, 690, 692, 771. Dee John), 658. De Gaetano (Arnaud L.), 329-330. Deguerry (Gaspard, abbé), 1098. Deimier (Pierre de), 719. De Lamar J.), 140-141. Delalain (Auguste-Henri-Jules) (éditeur), 1129, 1149, 1223. Delamalle (Gaspard), 1094. Delaplace (G.-François-M.Joseph), 1129-1130, 1136, 1149-1151, 1171, 1184-1185, 1201. Delescluze (Louis-Charles), 1179. Deleuze (Gilles), 830. Delille Jacques, abbé), 1008, 1137. Dell (William), 655, 657. Della Casa (Giovanni), 334, 417, 424-427, 429, 564, 770, 772. Della Porta (Giambattista), 791. Della Santa (G.), 141. Della Torre (Arnaldo), 328. Delon (Michel), 980, 987, 1055. Deltour (Félix), 1133, 1224, 1226-1227, 1229-1230, 1234, 1242-1243. Demerson (Guy), 571. Démétrius de Phalère, 276, 344-345, 438, 440, 444, 476, 492, 501, 507, 511, 549, 761. Démocrite, 168, 539. Démosthène, 10, 25, 27, 162, 216, 218, 222, 363-364, 367, 393, 435, 445, 455, 462, 500, 511, 699, 726, 745, 767, 851, 908, 950, 976, 984, 993-994, 1004, 1007, 1012, 1025, 1086, 1105, 1123, 1149, 1157, 1175, 1181-1182, 1188-1190. De Nardis (L.), 696. Denis l’Aréopagite, 813. Denney Joseph), 1255. Dennis John), 896, 898, 906, 908, 915, 983. Denores (Giasone), 387. Denys d’Halicamasse, 28, 79, 159, 344, 501, 507-510, 512, 683, 1221. D’Épiscopo (F.), 170, 178-179. Deramaix (Marc), 174. Deregnaucourt (Gilles), 1079. Derrida Jacques), 1258, 1275-1276. Desbords Des Doires (Olivier), 887. Descartes (René), 7, 82, 223, 245, 342, 370, 548, 558, 582, 584, 586, 591, 607-608,

612-613, 614-616, 626, 635, 638, 642, 644-645, 647, 650, 653, 661, 664, 667-668, 671, 685, 687, 702, 776, 779, 781, 796-797, 801, 832, 853, 855, 857859, 874, 954, 956, 1010, 1075-1076, 1185, 1279. Deschanel (Émile), 1105. Deschanel (Paul), 1112. Desfontaines (Pierre-François Guyot), 912, 914. Désirât (Claude), 1086. Desmarets de Saint-Sorlin (Jean), 811. Desmoulins (Camille), 1019, 1033, 1092. Desportes (Philippe), 808. Destutt de Tracy (Antoine-Louis-Claude, comte de), 1041, 1059. De Vallée, cf Vallée. Diderot (Denis), 692, 793, 836, 888, 893, 897, 899, 906, 914, 916, 936, 945, 948, 978-979, 981-982, 984-986, 992, 994, 1006-1007, 1075-1076, 1080, 1279. Didier (Achille), 1132, 1224. Dieudonné (Sébastien), 1098. Di Filippo Bareggi (Claudia), 334. Diogène le Cynique, 990. Diogène Laërce, 602. Diomède, 220. Dion Chrysostomc, 552, 1188, 1192. Dionisotti (Carlo), 47, 313, 316, 322. Dockhom (Klaus), 262, 269-270, 980, 983, 988. Dodart (Denis), 793, 802. Dolce (Lodovico), 332, 345, 393. Dolet (Étienne), 234, 239, 266, 341-342, 352, 354, 357, 362-364, 366-367, 369, 376, 390-391, 396, 462, 464. Domairon (Louis), 1128. Domenichi (Lodovico), 239, 313. Dominici (Jean), 53, 56. Domitien (empereur romain), 29, 1188. Donat (Ælius), 89, 220, 1081. Donato (Girolamo), 154. Donne (John), 519, 560. Dorât (Jean Dinemandi, dit), 386. Dorp ou Dorpius (Martin van), 196-197, 248. Douay ou Douay-Soublin (Françoise), 15, 573, 632, 692, 701, 1080. Dracon, 1190. Dresser (Mathias), 457, 488, 491. Droz (Édouard), 1106. Droz Joseph), 1020, 1032, 1084, 1094, 1128, 1160, 1162, 1202. Dryden (John), 905, 951. Du Bellay, cf. Bellay.

Dubois (Claude), 249. Dubois (Elfrieda), 750. Dubois Jacques, dit Silvius), 246. Dubois (Nicolas-Auguste), 1131. Dubois-Fontanelle Jean-Gaspard), 1084, 1129. Du Bois-Goibaud (Philippe), 688, 740, 744, 746-747, 781. Dubos Jean-Baptiste, abbé), 734-735, 825, 834, 836-837, 881, 894, 905-906, 908, 914, 958, 965, 981, 1080, 1128. Du Bosc Jacques), 569. Du Breton (Antoine), 551, 569. Duby (Georges), 9. Du Camp (Maxime), 1238. Duccio (Agostino Di), 153. Du Cerceau, cf Cerceau, du. Duchâtel (Mgr), 1143. Duchêne (Roger), 579. Duclos (Charles), 1004. Ducros (abbé), 1075, 1129, 1146. Du Fail (Noël), 1002. Dufaure Jules-Armand-Stanislas), 1179. Dufour (Médéric), 1245. Dufresny (Charles Rivière), 913. Du Guesclin (Bertrand), 1190. Duguay-Trouin (René), 1171, 1184. Du Jarry (Laurent Juillard, abbé), 737, 766. Dumarsais ou Du Marsais (César Chesneau), 376, 682, 893, 916, 921, 923-925, 953, 959, 1041-1043, 1073, 1075, 1081, 1129, 1144, 1146, 1153. Dumas (Alexandre Davy), 1196. Dumas (Félix, le père), 552, 561. Dumonceaux (P.), 674. Dumont (André), 1033. Dumont (Léon), 1107. Duns Scot Jean), 156, 195, 202. Dupanloup (Félix, Mgr), 1097, 1106, 1179, 1216. Dupaty (Gharles-M.-J.-B. Mercier), 1005. Du Perron Jacques Davy), 553, 797. Dupin (André-M.-Jean-Jacques), 1176. Du Plaisir, 722. Du Pont (Gratien), 390. Duport (Gilles), 797. Dupréel (Étienne), 20, 1246, 1269. Dupriez (B.), 543. Du Puy (Henri), cf Puteanus. Dupuy Jacques et Pierre), 591. Duquesnay (Alfred), 1098. Duquesnoy (Adrien), 1009. Durant Jacques-Himbert), 553. Du Resnel Jean-François du Bellay), 913, 915-916, 929. Durkheim (Émile), 1078, 1088, 1122, 1236.

Duruy (Victor), 1115, 1121, 1126, 1135, 1151, 1197, 1201, 1203. Dussault (Jean-Joseph), 1172. Du Vair (Guillaume), 492, 544, 724, 797. Duvergier de Hauranne (Jean, dit Saint-Cyran), 561, 701. Dyck (Joachim), 277-278, 545, 552. Eagleton (Terry), 1277. Eastwood (B. S.), 620. Ebrecht (A.), 937. Eckhart (Johannes, dit Maître), 42. Essen (Just van), 933. Egger (Émile), 1105, 1134. Egger (Max), 1221. Elias (Norbert), 412, 416, 418. Élie de Beaumont (Jean-Baptiste-Jacques), 1172-1173. Eliot (Charles William), 1252. Élisabeth Irc (reine d’Angleterre), 360, 458. Empédocle, 40, 181. Empson (William), 1275. Engel (Jean-Jacques), 836. Engels (Heinz), 555. Entisber, ou Guillaume de Heytesbury, 51, 195. Épaminondas, 801. Épée (Charles, abbé de L’), 1086. Épemon (Jean-Louis Nogaret de La Valette, duc d’), 557. Épictète, 174, 418, 650. Épicure, 619, 792. Equicola (Mario), 322, 324. Érasme (Didier ou Désiré), 16, 44, 70, 74, 84, 88, 89, 90, 103, 131, 155, 157, 160, 191-192, 194, 198, 200, 203, 205-207, 209-211, 213-214, 217, 219-220, 222223, 226, 228-229, 231, 234, 236-237, 239-240, 243-246, 248, 261, 266, 274, 281, 283-285, 288, 293, 302-303, 307, 320, 341, 346, 348-351, 353, 356-359, 361-362, 367, 394-395, 461, 463-464, 470, 474, 499, 506, 513, 518, 551, 577, 752, 805, 850, 854, 859, 879, 1002. Erskine (Thomas, baron), 1102. Erythræus (Valentin), 347, 351, 457. Eschine, 364, 512, 1105, 1144. Esculape, 170. Ésope, 518, 867. Este (ducs de Ferrare), 322. Este (Hercule d’, duc de Ferrare), 152, 155. Este (Hippolyte d’, cardinal), 463. Estienne (Charles), 351. Estienne (Henri II), 334, 344, 489-491. Estienne (Robert), 549. Estrebay (Jacques-Louis d’), 343, 356.

Euclide, 65, 115, 118, 285, 614. Euripide, 32, 353. Eustathe, 171. Evans (Arise), 658. Évrard de Béthune, 193.

Fabre d’Olivet (Antoine), 1044. Fabri (Pierre), 381. Fabricius (Caius), 1005, 1091. Fabricius (Hieronymus), 790. Falcucci (Clément), 1120, 1126, 1216-1218, 1236. Faleti (Girolamo), 462. Falloux (Frédéric-Albert, comte de), 1099, 1122, 1179. Faral (Edmond), 33, 133. Farel (Guillaume), 292, 294. Faret (Nicolas), 560, 565-566, 574. Famaby (Thomas), 553. Farnsworth (Richard), 657. Fauchet (Claude, abbé), 1006. Favre (Jules), 1179. Febvre (Lucien), 9. Feltre (Vittorino da), 56, 60, 75, 155, 413. Fénelon (François de Salignac de La Mothe-), 530, 571, 683, 741-742, 754-756, 766-767, 782, 811, 833, 884, 896, 900, 908, 912, 917, 938, 955, 969, 1025, 1064, 1079, 1096, 1143, 1166, 1172-1173, 1185, 1190, 1223, 1233. Fenner (Dudley), 458. Ferdinand Ier (roi de Naples), 139, 319. Fermat (Pierre de), 1107. Fernandez de Heredia (Juan), 52. Ferrante d’Aragon, cf. Ferdinand Ier (roi de Naples), 139. Ferrare, cf. Este. Ferrier-Caverivière (Nicole), 564, 673. Ferry (Jules), 1112-1113, 1123-1124, 1178-1179, 1217, 1226, 1231, 1239. Feyarabend (Paul), 1271. Fichet (Guillaume), 89, 132. Fichte (Johann Gottlieb), 1122. Ficin (Marsile), 110, 132, 149, 156, 158, 166, 169, 171, 175, 182, 203, 249, 457, 521, 571. Filelfo (Giovanni Maria), 349. Filère (Alexandre-Paul de), 562, 724. Filon (Auguste), ИЗО, 1134, 1146, 1149, 1156, 1158, 1185, 1187, 1196, 1200, 1202, 1223, 1225. Finaert (Joseph), 1246. Findler (P.), 620. Fisher (Samuel), 656-657. Flacius (Mathias Flacius Illyricus), 274-275, 492.

Flaubert (Gustave), 1062, 1065-1066, 1076, 1125, 1167, 1184, 1187-1188, 1196, 1241. Fléchier (Esprit), 697, 776, 852, 953, 1003, 1129, 1171-1173, 1233. Fleury (André-Hercule de, cardinal), 1004. Fleury (Claude, abbé), 725-726, 729, 808. Florian (Jean-Pierre Clarisse de), 1185. Florido (Francesco), 317. Florus (Lucius-Julius), 132, 518. Flos (Jean du), 347. Flynn (L. J.), 348. Foglietta (Uberto), 317, 368. Fois (Mario), 61. Foisset (Jean-Louis-Séverin), 1172. Foix (Antoine de, s.j.), 737-740. Folena (Gianfranco), 319. Fonseca (P., le père), 453. Fontaine (Nicolas), 808. Fontanes (Louis de), 1011, 1107, 1172. Fontanier (Pierre), 376, 509, 1041-1043, 1045, 1073, 1075, 1081, 1084, 1130-1131, 1145, 1203, 1226, 1230. Fontanini (Giusto), 912, 916. Fontenelle (Bernard Le Bovier de), 567, 645, 730, 914, 937. Fonzio (Bartolomeo), 133, 179-180, 183. Forestier (Georges), 578, 671. Fortunatianus (Atilius), 78, 79, 513. Fortunio (Francesco), 315, 318. Foscolo (Ugo), 314. Fossé (Pierre-Thomas du), 696. Foucault (Michel), 718, 733, 761, 1258, 1271. Fouquelin (Antoine), 364, 368, 372, 380-382, 391-392. Fouquet (Nicolas), 1173. Foumel (Jean-Louis), 218, 325, 327, 348. Fox (Charles James), 1101, 1152, 1172-1173. Fox (George), 657. Fox (J.), 347. Foy (Maximilien-Sébastien, général), 1092, 1109, 1176, 1178. Fraguier (Claude-François, abbé), 802. France (Peter), 584, 947, 971, 1019, 1030, 1033, 1075-1076, 1117, 1279. François d’Assise (saint), 42, 435. François de Sales (saint), 553, 806, 809-811, 1002. François Ier (roi de France), 215-216, 282-283, 630, 1143, 1170, 1185, 1190. François (Alexis), 673, 676, 683, 1163. Franklin (Benjamin), 1113, 1191. Frary (Raoul), 1180. Frauncc (Abraham), 458. Frayssinous (Denis, Mgr), 1153.

Freedman (Joseph S.), 344, 547. Fregoso (Federico), 321. Freige (Johann), 359, 372. Freppel (Charles, Mgr), 1104, 1106. Fresse-Montval (Alphonse), 1131, 1136, 11491150, 1168, 1183. Freud (Sigmund), 961, 1262, 1272. Fried (Michael), 901. Fronton, 31, 163. Fubini (Ricardo), 318. Fuchs (M.), 1023. Fullenwider (Henry F.), 576. Fulwood (William), 350. Fumaroli (Marc), 159, 245, 345, 349, 354, 369, 389, 394-396, 469, 499, 502, 515, 539, 547, 553, 561-563, 567, 571, 577579, 582, 591, 632, 666, 668, 673, 678, 687-688, 691, 708, 715, 758, 763, 1074, 1077, 1107, 1163, 1279. Furet (François), 9, 1020, 1094. Furetière (Antoine), 334, 540, 554, 559, 572, 578, 684, 789. Furio y Ceriol (Fadriquc), 521. Fustel de Coulanges (N. Denis), 1106.

Gadoffre (Gilbert), 639. Gaeta (F.), 69. Gaguin (Robert), 132. Gaichiès (Jean), 888. Gaillard (Gabriel-Henri), 939, 1185. Galand (Perrine), 147, 155, 158-159, 166, 176, 179. Galenus, cf. Galien. Galeron (Edouard), 1132. Galien (Claude), 89, 101, 105, 112-113. Galilée (Galileo Galilei, dit), 7, 82, 317, 586, 602, 604-608, 610-613, 615-616, 620-622, 625, 712, 1271. Galland (Pierre), 112, 371, 386-388, 396. Gamaches (Étienne-Simon, abbé), 912, 916, 921-922, 925-926, 930-931, 1128, 1133. Gambetta (Léon), 1112,1123,1178-1179,1182. Gangai (Nathalie), 1074. Garat (Dominique Joseph), 1025, 1084, 10861087, 1145. Garcia y Matamoros (Alonso), 344. Garibaldi (Giuseppe), 1180. Garin (Eugenio), 47, 50-54, 56-57, 61, 63, 147, 156-161, 175, 389. Garran de Coulon (Jean-Philippe), 948, 952. Gassendi (Pierre Gassend, dit), 590, 609, 615, 619-620, 792-793. Gaultier (Denis), 801-802. Gaume Jean-Joseph), 1097. Gauricus (Pomponius), 152. Gautier (Théophile), 1063.

Gawain, 1254. Gazier (Augustin), 1105, 1133, 1135. Gédoyn (Nicolas, abbé), 913. Geertz (Clifford), 1271. Gellert (Christian Fürchegott), 937, 987. Gelli (Giovan Battista ou Giambattista), 330-331, 334. Gémiste Pléthon (Georges), 69, 75. Gendreau-Massaloux (Michèle), 522. Génetiot (Alain), 568, 572, 576, 666, 670. Genette (Gérard), 9, 692, 953, 1042, 1073, 1075, 1275. Gennazzano (Fra Mariano da), 150-151. Genovesi (Antonio), 919. Gentile (Giovanni), 874. Gentile (Giuseppe), 962. Genung (John), 1255. Gcoffrin (Marie-Thérèse Rodet, Mme), 1008. Geoffroy de Vinsauf, 38. Georges Scholarios (Gennadius, dit), 69. Georges de Trébizonde, 58-59, 75-81, 84, 87, 89, 91, 94, 102, 163, 169, 203, 341, 388, 507-508, 513. Gérard (François, baron), 1034. Gcrbet (O. Philippe), 1098. Gerbod (Paul), 1103. Gerl (H. B.), 61, 358, 389-390. Gerson (Jean Charlier, dit), 1104. Gérusez (Eugène), 1103, 1105-1106, 1118, 1131, 1150, 1157, 1160, 1162, 1182, 1202, 1224, 1227, 1242. Gérusez (Jean-Baptiste), 1118. Ghinassi (Ghino), 319, 323-324. Giambullari (Pier Francesco), 330-331. Giarda (Cristoforo), 249, 542. Gibbon (Edward), 6. Gibbons (Thomas), 949, 953. Gibert (Balthasar, s.j.), 348, 374, 503, 781-782, 797, 884-887, 890, 892, 905, 1079. Gidel (Charles-Antoine), 1132, 1149, 1223. Gilbert (Neal W.), 60, 82, 89, 99. Gilbert de la Porrée, cf. Porrée. Gill (J.), 68. Gilles de Viterbe, 249. Gilson (Étienne), 602. Giotto di Bondonc, 151, 153. Giraldi (Jean-Baptiste, dit Cinzio), 332, 355. Giraldi (Lilio Gregorio), 791. Girard (Antoine-Gervais, abbé), 1129, 1150, 1152, 1158, 1201, 1223. Girard (Gabriel, abbé), 920-921, 923, 925-926. Girard (Guillaume), 585. Girard (Jules-Augustin), 1105, 1181, 1232. Girard (Julien), 1190. Girardin (B.), 275. Girbal (F.), 633.

Giry (Louis), 549. Gisbert (Biaise, s.j.), 764, 887-888, 896. Giuglaris (le père), 519. Glanvill (Joseph), 661. Gmelin (H.), 355. Gobert (Thomas), 808. Godard (Jean), 803. Godeau (Antoine), 543, 561, 565, 808. Gôdel (Kurt), 1262. Godin (André), 214. Goethe, 842, 980, 987-988, 1100, 1223. Goezman (Louis-Valentin), 1173. Goibaud Du Bois, cf. Du Bois. Gomperz (Theodor), 1244. Gongora y Argote (Luis), 519. Goodman (Nelson), 1262, 1271. Gordon (Alex L.), 366, 390, 392. Gordon (G. S.), 564. Gorgias, 4, 18-19, 1222. Gossman (Lionel), 1200. Gottsched (Johann Christoph), 752, 826, 829, 833-835, 843, 847-852, 869, 881, 884, 886, 912, 936-937, 952, 982, 987. Gouhier (Henri), 582, 639, 686, 831. Goujon (Jean), 369. Goujon (Jean-Marie-Claudc-Alexandre) (con­ ventionnel), 1137. Goulu (Jean, le père), 539, 570. Goulu (Nicolas), 347. Gouraud (A., abbé), 1223, 1240. Gourgaud (Henry Honoré), 1125, 1183, 1196. Gourmont (Rémy de), 33, 1267. Goumay (Marie Le Jars, Mlle de), 574. Gouvéa ou Gouvéia (Antoine de), 110, 370, 467. Gracian (Balthasar, s.j.), 500, 518-519, 521-523, 525-528, 530, 551, 564, 576, 758, 830, 1153. Graffigny (Françoise d’Issembourg d’Happoncourt, Mme de), 978. Grafton (Anthony), 170, 343, 371, 377, 386, 388. Grandpcrret (Claude-Louis), 1129, 1145, 1150. Granvellc (Antoine Pcrrcnot de), 467. Grassi (Emesto), 760, 823, 826, 874. Graves (Richard), 888. Gravina (Francesco Antonio), 771. Gravina (Gianvincenzo), 772-773, 853, 930. Gréard (Octave), 1217. Green (Th.), 170. Grégoire de Nazianze, 34-36, 435, 1221. Grégoire de Nysse, 34, 435, 1221. Grégoire de Rimini, 51, 195. Grégoire Ier, dit le Grand (saint), 794.

Grégoire XIII (pape), 463. Grégoire (Henri, abbé), 1177. Grenade (Louis de), 436, 438, 513, 559, 737. Gresset (Jean-Baptiste-Louis), 1136. Grignan (Françoise Marguerite de Sévigné, comtesse de), 765. Grimarest (Jean-Léonor Le Gallois de), 798-800. Grimm (Jacques Louis), 853, 918. Grimm (Melchior, baron de), 960. Grisar (Hartmann), 450. Grosley (Pierre-Jean), 948. Gross (A.), 620. Grote (George), 1245, 1270. Gruterus (J. Gruter), 551. Guarini (Jean-Baptiste), 804. Guarino (Battista), 85, 154-155. Guarino ou Guarini de Vérone ou Guarino Guarini Véronèse, 56, 58, 60, 62, 76, 80, 85, 133, 154, 163, 413, 873. Guazzo (Stefano), 334, 414, 416-417, 427-429, 564. Guédon (J.-C.), 588. Guénard (Antoine, s.j.), 1171-1173, 1177. Guerson (François), 812. Gueudet (G.), 350. Guibaud (Eustache, le P.), 1083, 1129, 1150, 1168-1169. Guichardin (François), 317, 331, 333, 977. Guidi (Alessandro), 772. Guignet (Marcel), 1221. Guilhaumou Jacques), 1019, 1025, 1073, 1083. Guillaume James), 1086. Guillaume d’Occam ou d’Ockham, 45, 47, 50-52, 55, 195, 708. Guillaume de Saint-Thierry, 40. Guillaume de Shyreswood, 47, 208. Guillon (M.-Nicolas-Sylvestre, abbé puis Mgr), 1097-1098. Guise (famille), 370. Guise (Charles, cal de Lorraine), 370, 372, 377. Guizot (François), 1100, 1107, 1109, 1125, 1176-1177, 1179, 1239. Gumbrecht (H. U.), 1019. Gusdorf (Georges), 1099, 1103. Guthrie (W. K. G.), 1269. Guyon Jeanne-Marie Bouvier de La Motte, Mme), 742, 811. Guyot (Thomas), 590.

Habermas Jürgen), 1270. Habert (François), 394. Habsbourg (les), 469.

Hachette (Louis-Chr.-François) (éditeur), 1149, 1184, 1186, 1221, 1223-1224, 1241. Hadamarius (Reinhard), 94. Halévy (Daniel), 1020. Halewijn Joris van), 368. Halkin (Léon), 212. Hallyn (Fernand), 151, 605, 610, 620, 1271. Hamann Johann Georg), 982-983, 987988. Hannibal, cf Annibal. Harsdôrffer (Georg Philipp), 545, 567. Hartley (David), 966. Hartlib (Samuel), 585. Hartmann J. A.), 952. Harvey (Gabriel), 348, 355, 358, 360, 377, 387, 458. Harvey (Guillaume ou William), 587, 661. Hastings (Warren), 985. Hauchecome (Louis), 1129. Hautpoul (Anne-Marie, comtesse de Beaufort et d'), 1130, 1133. Havet (Ernest), 1105-1106, 1219, 1222, 1230. Havet (Louis), 1222. Hay du Chastelet, cf. Châtelet. Hegel (Georg Wilhelm Friedrich), 825, 852, 1122, 1245, 1270. Hegendorff (Christophe), 89, 92, 95. Hegius (Alexandre), 203. Heidegger (Martin), 825, 874. Heinsius (Daniel), 827, 862. Heisenberg (Werner), 1262. Heliodore, 518. Hello (Ernest), 1066. Helvétius (Claude-Adrien), 1055, 1059. Hemmingsen (Nicolas), 302. Henischius (Georges), 515. Henri VIII (roi d’Angleterre), 222. Henri II (roi de France), 369. Henri III (roi de France), 489, 491, 812. Henri IV (roi de France), 452, 549, 812, 1003, 1077, 1104, 1135, 1183, 1185, 1190, 1192, 1218. Henriette-Anne d’Angleterre (duchesse d’Or­ léans), 1171. Henry (Augustin, abbé), 1098, 1131-1132, 1138, 1174, 1177, 1182, 1202, 1232. Héraclite, 589. Hérault de Séchelles (M.-Jean), 1007. Herbert (George), 519. Hercule (le père), 561, 577. Herder Johann Gottfried), 825, 852, 984, 988. Hérennius, 222, 347, 1221. Hérissant (Louis-Théodore), 1128. Hermagoras de Temnos, 21.

Hermogène de Tarse, 32, 60, 75, 77-80, 102, 104-105, 162, 345-346, 393, 492, 501, 507-508, 524, 549, 746, 771, 949, 1043, 1230. Hermonyme (Georges), 131. Hérodote, 977, 1148. Herolt (Jean), 287. Héron d'Alexandrie, 792. Hersent (Charles), 812. Hésiode, 1077. Heuzet (Jean), 1148. Heyne (Christian Gottlob), 853. Heytesbury, voir Entisber. Hilaire de Poitiers (saint), 35, 1097. Hill (Chr.), 655-658. Hill (David), 1255. Himmelsbach (S.), 589. Hindret Jean), 803. Hippias, 19. Hippocrate, 65, 113, 789. Hobbes (Thomas), 549, 631, 657, 874, 954. Hoffmannswaldau (ChristofTer Hoffmann von), 830. Holbach (Paul-Henri Thiry, baron d’), 899, 1055, 1059. Holmes (С. E.), 563. Holmes John), 949. Holtmann (Louis), 1091. Homère, 18, 32-33, 43, 48, 80, 155, 163, 165-166, 180, 384, 441, 445, 454, 518, 749-751, 757, 774, 853, 914, 949-951, 974, 976, 979, 982-984, 1044. Hooke (Robert), 793. Hooykaas (R.), 388. Horace, 25-26, 38, 41, 145, 152, 159-160, 174, 353, 393-394, 413, 551, 569, 720, 746, 761, 827, 879, 910. Hordé (Tristan), 1086. Horstius (Philippe Horst), 580. Hortensius, 396. Hoskins John), 458. Houbigant (Charles-François), 973. Houston J. Porter), 571. Howell (Wilbur Samuel), 655, 949, 954955, 960-961, 969, 971, 989, 993, 1279. Huarte Navarro Jean), 456, 521-522. Hubert (Charles-Joseph), 1131, 1147. Huet (Pierre-Daniel), 633, 689, 693-695, 697, 768, 802, 857. Hugo (Hermann), 811. Hugo (Victor), 27, 1022, 1029-1031, 1033, 1039, 1043, 1045, 1048, 1053, 1057, 1060, 1062, 1064-1065, 1092, 1123, 1166, 1179. Hugues de Saint-Victor, 37.

Hume (David), 881, 890, 905, 911, 962, 970, 972. Hunter (M.), 655, 661. Huppert (George), 387. Husserl (Edmund), 874. Hutcheson (Francis), 897, 962. Hutten (Ulrich von), 224. Huygens (Christiaan), 609. Huysmans Joris-Kari), 1066. Hypéride, 1105, 1181. Hyperius (Andreas Gerhard), 260, 279, 291, 296, 301-303, 305-308, 457, 559. Ignace de Loyola (saint), 448, 453, 455-456, 809. Ijsewijn Jozef), 61. Ijsseling (Samuel), 1072. Imbert (Claude), 634. Isée, 1105. Isnard (Maximin), 1030. Isocrate, 19-20, 413, 418, 766, 1222. Izambard (Georges), 1125.

Jacquinet (Paul), 1105-1106. Jaeger (Werner), 1244, 1246, 1269. Jakobson (Roman), 9, 1246, 1272. Jamey (Césaire, abbé), 1133, 1223, 1225. Jannini (P. A.), 555. Jardine (Lisa), 82, 199, 359, 371, 377, 386, 388, 609, 610. Jaucourt (Louis, chevalier de), 893, 895, 1081. Jauregui Juan de), 522. Jaurès Jean), 1122, 1143. Jaÿ (Antoine), 1092. Jean (saint), 34, 36, 295. Jean Chrysostome (saint), 36, 288, 302, 305-306, 435, 504, 738, 794, 808, 1097, 1149. Jean XXI (pape), cf. Pierre d'Espagne. Jean d’Arras (capucin, XVIF), 806. Jean de Garlande, 193. Jean de Salisbury, 18, 38, 41, 44. Jeanne d'Arc, 1163. Jeanne des Anges, 810. Jefferson (Thomas), 1111. Jehasse Jean), 539, 550, 569. Jens (Walter), 12, 988. Jenson (Nicolaus), 80. Jérémie (prophète), 1190. Jérôme (saint), 33, 35, 222, 1097, 1148. Jésus-Christ, 36, 42, 149, 273, 1097, 1193. Jobard Jean-Baptiste), 803. Jodogne (P.), 133. Johnson (F. R.), 366. Johnson (Mark), 1278. Johnson (Samuel), 913, 1152.

Joly (Joseph-Romain), 1004. Jones (R. F.), 655, 665. Josset (Pierre), 591. Joubert (Joseph), 824, 1044, 1064, 1223. Jouffroy (Théodore-Simon), 1044, 1064, 1107. Jouvency ou Jouvancy (Joseph de, s.j.), 775, 826, 884, 947, 1079. Joyce James), 1267. Jules II (pape), 320, 464. Julia (Dominique), 547, 1084. Julien (empereur romain), 165. Julius Pollux, 789. Jullien (Bernard), 1132, 1224. Junghans (H.), 262-263. Jurieu (Pierre), 648. Juste-Lipse, cf. Lipse. Justin, 1132. Juvénal, 30, 32, 145, 229, 463, 1045. Kafka (Franz), 1262. Kaluza (Z.), 45. Kames (Henry Home, lord), 950-952. Kant (Emmanuel), 688, 824, 827, 829, 852, 866, 983, 987-988, 1122. Kapp (Volker), 576, 692, 765. Kennedy (George), 1, 13, 17, 1279. Kepler (Johannes), 587, 605, 610, 658, 1271. Kern (Édith), 504. Kern (R.), 82. Kibédi-Varga (Aron), 9, 1279. Kircher (Athanasius, s.j.), 790, 792, 795, 811, 832. Klein (Roger), 541. Knowlson J.), 655. Knox (R. A.), 655, 660. Krantz (E.), 639. Kristeller (Paul Oscar), 57, 110, 277. Kroll (Wilhelm), 1246. Kuentz (Pierre), 379, 1275. Kuhn (Thomas), 1262, 1270.

Labande-Jeanroy (Thérèse), 314. La Barre Jean-François Lefebvre, chevalier de), 1011. Labbe (le père), 519. L’Abbé (Pierre), 519. La Bellière de La Niolle (Claude de), 791. Labitte (Charles), 1105-1106, 1202. La Boétie (Étienne de), 1137. La Boulaye (Édouard de), 1104, 1111, 1113, 1200, 1202. La Bourdonnaie (François-Régis, comte de), 1178. La Bruyère Jean de), 517, 727-728, 733734, 743, 762, 958-960, 973, 1185, 1199, 1223.

Lacépède (Bemard-Germain-Étienne, comte de), 1184. La Chalotais (Louis-René de Caradeuc de), 1079. La Chambre (Marin Cureau de), 554, 584, 791. Lachaud (Charles-Alexandre), 1179. La Chaussée (Pierre-Claude Nivelle de), 978. Lacordaire (Henri), 1050-1052, 1098, 11761177, 1179, 1243. Lacretelle Jean-Charles-Dominique de), 1172, 1174. Lacroix (Camille), 1104. La Croix (Pérothée de), 801. La Fayette (Mme de), 575, 802. La Fayette (marquis de), 1109. Lafond Jean), 567-568, 582, 584. La Fontaine Jean de), 530, 575, 582, 670, 674, 766, 791, 911. Lagneau Jules), 1126. La Harpe Jean-François), 888, 978, 1023-1025, 1028, 1041, 1045, 1087, 1128, 1172. 1174, 1185. Laîné Joseph-Henri-Joachim, comte), 1176, 1178. Lainez Jacques), 450-455. Lakanal Joseph), 1084, 1086, 1107. Lakoff (George), 1278. Lallemand (Paul-Joseph), 548, 946. Lally-Tollendal (T.-Gérard, comte de), 1028, 1172-1 173. La Luzerne (César-Guillaume de, Mgr, puis cardinal), 1098. La Marche (Olivier de), 132. Lamartine (Alphonse de), 1023, 1030, 1045, 1053-1054, 1063, 1109-1110, 1123, 1176-1177. Lambert (François), 296. Lambin (Denis), 343, 368, 373, 393. Lamennais (F.-Robert de), 1098, 1139, 1176. La Mothe Le Vayer (François de), 553, 562, 566, 576-577, 590-591, 798, 801. Lamotte-Houdar (Antoine) (écrit La Motte), 902, 913-914. Lamy (Bernard, le père, oratorien), 577, 633, 634, 636-638, 678, 683-685, 687-689, 770, 775-778, 780, 783, 803, 830, 844, 847, 879, 885-886, 890, 922, 946, 957, 961, 1041, 1078-1079. Lamy (François, le père, bénédictin), 780-784. Lanavère (Alain), 698. Lancelot (Claude), 529, 678, 682. Landino (Cristoforo), 171, 178-179,318, 321. Landino (Francesco), 52. Lang (Franz ou Franciscus, s.j.), 837-838, 843.

Langbaine (Gerhard), 549. Lange (H. J.), 355. Langeron (Andrault, comte de, comman­ dant), 1169. Langius (Joseph Lange, «ü'H, 551, 566. Langlois (Ernest), 1105-1106. La Noue (François de), 1137. Lanson (Gustave), 1133, 1135, 1138, 1198, 1224, 1235, 1237, 1240-1243. La Porte (Maurice de), 551. Laprade (Victor de), 1126. Larbaud (Valery), 1247, 1265. Lardet (Pierre), 344. Larivière (Toussaint), 1130. La Rochefoucauld (François, duc de), 1185. Larousse (Pierre), 1090. Larthomas (Jean-Paul), 688. La Sablière (Marguerite Hessein, Mme de), 793. La Salle (Jean-Baptiste), 970. Lascaris (Jean), 131, 171, 326. Las Casas (Bartolomé de), 1190. La Serre (Jean-Antoine), 1008. La Serre (Puget de), 518. Lathuillère (Roger), 676. Latini (Brunette), 319, 416. Latomus (Barthélemy), cf. Masson. La Touche (M. de), 803. Latour (Bruno), 1271. Launoy (Jean de), 371. Laurand (Louis), 1221. Laurens (Pierre), 376, 522. Lauren tic (Pierre-Sébastien), 1023-1026. Lausberg (Heinrich), 1, 12, 17, 162, 543, 1272. Lautréamont (Isidore Ducasse, dit le comte de), 1267. Lavardin (abbé de), 575. Lavater (Johann Kaspar), 1015. Lavaus (George), 793. Lavigerie (Charles-Martial, cardinal), 1179. La Vigne (André de), 132. Lavisse (Ernest), 1076, 1195. Lawson (John), 951, 955, 972. Leake (R. E., Jr), 380, 383. Leavis (F. R.), 975. Lebarcq (Joseph), 1104, 1106. Le Blanc (Thomas, s.j.), 558. Le Bossu (René, le père), 720, 951, 1128. Le Caron (Louis), 395. Le Cerf de La Viéville Jean-Louis), 804. Le Chapelier (Isaac-René-Guy), 1094. Leclerc ou Le Clerc Jean), 693, 695, 756, 768, 782. Le Clerc Joseph-Victor), 1105, 1125, 1130,

1135, 1146, 1149-1150, 1154-1160, 1162, 1188, 1202, 1221, 1223, 1225. Leclercq (Dom Jean), 33. Lccointe Jean), 164, 234, 345, 355, 357, 393-395. Le Coultre Jules), 345. Ledoux (Claude-Nicolas), 1010. Leeman (Anton), 13, 18. Le Faucheur (Michel), 796-797. Lefevre d’Étaples, 196, 203, 206. Legendre (Louis), 1079. Legouvé (Ernest), 799, 1133-1134. Le Guem (Michel), 684. Leibniz (Wilhelm Gottfried), 241, 624-625, 827-828, 830-833, 847, 854, 883. Le Kain (Henri-Louis Cain, ОД 1029. Le Laboureur (Claude), 673, 678, 680. Le Loyer (Pierre), 811. Lemaire (Hector), 1132, 1195, 1197. Lemaire des Belges Jean), 132. Lemaistre ou Le Maitre (Antoine), 563, 696. Lemaistre ou Le Maître de Sacy (Isaac), 768. Lemaitre Jules), 1230. Le Masson, cf. Masson. Lemercier (Népomucène), 1029. Le Moyne (Pierre, s.j.), 807, 812. Lenclos (Ninon de), 799, 802, 804. Lenzoni (Carlo), 330-331. Léon X (pape), 320, 362, 464. Léonard de Vinci, 152. Léopold I" (empereur du Saint-Empire romain germanique), 827. Le Peletier de Souzy (Michel), 725, 727. Le Picard (François), 348. Lepschy (Giulio C.), 317. Lequeu JeanJacques), 1160. Lequinio Joseph-M.), 1010. Le Roy (Albert), 1132, 1146. Leroy (Charles), 1133. Le Roy (Louis), 367. Lesseps (Ferdinand de), 1215. Lessing (Gotthold Ephraim), 834, 836, 894, 916, 932, 978, 980, 982, 987-988. Le Tellier (Michel, chancelier), 1191. Le Tourneur (Pierre), 980, 1014. Levant (L.), 147. Lever (R.), 348. Levinas (Emmanuel), 242. Le Voyer ou Visorius Jean), 92. Lewis (Edwin), 1255. Lewis (Matthew Gregory), 1187. Lezat (Adrien), 1104, 1106. Lhomond (Charles-François), 1148. L’Hôpital (Michel de), 1137. Liard (Louis), 1102, 1229. Libanius ou Libanios, 165, 172, 349.

Libumio (Niccolô), 315, 318. Lichtenberg (Georg Christoph), 824, 836. Lichtenstein Jacqueline),, 15. Lieble (dom Philippe), 1129, 1152. Lily John), 546. Linacre (Thomas), 203. Lingendes Jean de), 553. Linn (Maric-Luise), 907. Lippi (Fra Filippo), 152-153. Lipse Juste), 16, 30, 341, 350, 394, 457, 460, 463, 466-472, 474-477, 483, 487-492, 501, 510, 518-519, 576, 579, 603. Littré (Émile), 1095, 1107, 1179. Livet (Charles-Louis), 554. Loaisel de Tréogate Joseph-M.), 1011. Lobo (Alfonso), 448. Locke John), 631, 658, 688, 781-783, 830, 844-846, 848, 865, 894, 903, 920, 926, 928-929, 954, 956, 962, 969, 1010, 1041, 1059, 1111. Lohenstein (Daniel Gaspard de), 830. Lohr (C. H.), 344. Loisel (Antoine), 724. Lomonossov (Mikhaïl), 952, 954, 978. Longin, cf. Pseudo-Longin. Longueil (Christophe de), 351-352, 359-360, 462, 464. Longueville (duc de), 1169. Lopez (Alonso, dit le Pinciano), 492. Lopez (Denis), 581. Lorich (Reinhard), 366. Lorraine, cf. Guise. Lose hi (Antonio), 59, 76. Louis >GII (roi de France), 452, 529, 546, 794, 812, 1218. Louis XIV (roi de France), 353, 629,673, 752, 758, 798, 812, 879, 914, 1079, 1090, 1098, 1106, 1115, 1158, 1185, 1190, 1192. Louis XV (roi de France), 880, 1078, 1096, 1109, 1171. Louis XVI (roi de France), 1005, 1028, 1173. Louis XVIII (roi de France), 1107. Louis-Philippe (roi des Français), 1107. Loyseau de Mauléon (Alexandre-Jérôme), 1172-1173. Lubac (Henri de, s.j.), 39. Lucain, 27, 131, 480, 519, 523. Lucas Jean, s.j.), 796. Lucien, 60, 165, 210-211, 218, 224, 233, 418, 541, 696. Lucrèce, 181, 521, 792, 867, 950. Lulle (Raymond), 43, 237, 584, 614, 617, 635, 638, 832.

Luther (Martin), 203, 207, 214, 217, 259, 261-262, 264-265, 270, 272-273, 275, 277-278, 280, 282-285, 287, 289-292, 295, 297-300, 304, 307, 309, 841. Luzân y Claramunt (Ignacio), ou Luzan (Ignace de), 531, 912, 915. Lycurgue, 500, 1086. Lyons (Henry, sir), 655. Lyons John D.), 582, 620, 639. Lyons (M.), 1096. Lysias, 28, 435, 486, 1181. Mabilius, 145-146. McCarty John), 937. MacCarthy (Nicolas de), 1172-1173. Machault Jean-Baptiste, s.j.), 812. Machiavel (Nicolas), 317, 329, 333, 416, 977. McKean Joseph), 1252, 1255. McKeon (Richard), 1279. McLuhan (Marshall), 1262. Mac-Mahon (maréchal de), 1179. Macpherson James), 978-981, 983. Macrobe, 163, 177, 391. Macropedius (Georges Langeveld, dit), 351. Maffei (Scipione), 883. Magalotti (Lorenzo), 793. Magendie (Maurice), 565. Maggi (Carlo Maria), 770. Maggi Jérôme), 524. Magnien (Michel), 352, 354. Magnocavalli (Annibale), 427. Maier (Ida), 143-145, 180-181. Maimbourg (Louis, le père), 648. Maine de Biran (M.-François-Pierre Gontier de Biran, dit), 1015, 1041. Maintenon (Françoise d’Aubigné, marquise de), 958. Maior (Georg), 209, 301. Maioragio (Antoine Marie Conti, dit), 234, 344. Maistre Joseph de), 1101. Malapert (Paulin), 1236. Malavié Jean), 1100. Maldiney (Henri), 589. Malebranche (Nicolas de), 562, 683, 688, 707-720, 728-729, 733, 754, 777, 779, 811, 886, 905, 946, 1041. Malepuyse (M.-F.), 1131. Malherbe (François de), 565, 569, 571, 575, 755, 776, 1239. Mallarmé (Stéphane), 1262, 1265. Mallet (Charles Ed.), 549. Mallet (Edmé, abbé), 893, 909, 945, 1081. Mallet (Paul-Henri), 979. Mallet du Pan Jacques), 1022.

Malvezzi (Virgilio, marquis de), 500, 502, 518, 567, 590. Man (Paul de), 1258, 1267, 1275-1276. Mancinelli (Antonio), 366. Manfredi (Eustachio), 769. Manilius, 181. Manin (Bernard), 1094. Mann (Horace), 1111. Manuce (Aide), 315, 318, 344, 457, 459. Manuce (Paul), 88, 218, 344-345, 351, 359-360, 394, 396, 454-455, 459-463, 467, 487. Manuel (Jacques-Antoine), 1178. Marais (Marin), 801. Marat (Jean-Paul), 1019, 1029, 1034, 1048, 1177. Marc (saint), 305. Marc Aurèle, 31-32, 1172, 1174, 1190. Marc d’Éphèse, 69. Marcel (abbé), 1095, 1131, 1149, 1172, 1174, 1177. Marcellus (Louis-M.-Auguste, comte de), 1178. Marcou (F.-L.), 562. Margolin (Jean-Claude), 147, 170, 346, 351, 358, 396. Marguerite de Bourgogne, 1196. Marie de l'incarnation, 809-810. Marie Ire Tudor (reine d’Angleterre), 200. Marie Ire Stuart (reine d'Écosse et de France), 1187, 1190. Marie de Médicis (reine de France), 557, 806. Marie-Antoinette (reine de France), 1023. Marillac (René de), 725-726, 729. Marin (Louis), 673. Marino (Giambattista, dit Cavalier Marin), 439, 500, 502, 518-519, 530, 554, 751752, 771, 773-774, 830. Marius (Caius), 1190. Marivaux (Pierre de), 913-914, 926-927, 935-936, 938. Marlborough (duc de), 967. Marmontel (Jean-François), 892, 899, 908, 986, 1024, 1028, 1080, 1082, 1084, 1096, 1128, 1153, 1161, 1172, 1184, 1223. Marot (Clément), 132. Marot (Jean), 132. Marrou (Henri-Irénée), 9, 544, 547, 1149, 1245. Marsile d’Inghen, 51. Marsile de Sainte-Sophie, 47. Martel (Jacinthe), 573. Martelli (Lodovico), 326. Martelli (Mario), 148, 158. Martelli (Ugolino), 330.

Martellotti (G.), 58. Martial (Marcus Valerius Martialis), 30, 145-146, 170, 172, 519, 523-524, 528. Martial de Brives (le père), 806. Martin (Chaffrey), 1098, 1202. Martin (J.), 17. Martineau (Emmanuel), 649. Martinelli (Cesarini), 168, 172. Manille (Michele Marullo Targagnota), 148, 178. Marx (Karl), 852, 945, 1122. Mascardi (Agostino), 567. Mascaron Jules de), 1003, 1171. Masen Jacob, ou Jacques, s.j.), 525, 528, 575, 576. Massillon Jean-Baptiste), 908, 953, 1079, 1096-1098, 1104, 1129, 1171-1173, 1182, 1185, 1233. Massimi (Pacifico), 145. Massis (Henri), 1239. Masson (Barthélémy, dit Latomus), 94-95, 202, 272, 302. Matarazzo (Francesco), 366. Mateo Falcone (personnage de Mérimée), 1184, 1192, 1196. Mathias Ier Corvin (roi de Hongrie), 133134. Mathieu de Vendôme, 38. Mathieu-Castellani (Gisèle), 571. Matthieu (Pierre), 518. Mauguin (François), 1179. Maurer (Wilhelm), 262, 279. Maury Jean Siffrein, abbé et cardinal), 797, 888, 1004, 1079, 1095-1096, 1128-1129, 1172-1173, 1176. Maxime de Тут, 506. Mayans y Siscar (Gregorio), 888, 915, 954. Maylender (Maurice), 328. Maynard (François), 575, 580. Mazzacurati (Giancarlo), 316, 321, 331. Mazzini (Giuseppe), 1180. Médicis (les), 144, 153, 321. Médicis (Cosme de, dit l’Anden), 139. Médicis (Piero il Gottoso ou Pierre le Gout­ teux), 139. Médicis (Laurent de, dit Le Magnifique), 133, 135, 139, 143, 145, 148, 153, 155, 158, 319, 322, 329. Médicis Julien de), 143, 144, 149, 152, 321, 323. Médicis (Piero II de), 135, 148, 155, 164-165. Médicis (Giovanni de, dit le Grand Diable ou des Bandes Noires), 148. Médicis (Cosme Ier de), 329-330. Médicis (Lorenzo di Pierfrancesco de, dit Lorenzino ou Lorenzaccio), 149, 153.

Meerhoff (Kees), 209, 343, 348, 356, 359, 365, 370-374, 376, 378-379, 381-382, 384, 387, 392, 603. Meiners (Wilhelm), ИЗО, 1145. Mélanchthon (Philipp Schwarzed, dit), 93, 97-99, 101, 104, 106-107, 112, 191, 198, 200, 204-205, 207-209, 211,217, 219, 222, 240, 243-244, 246, 259-262, 265, 269-270, 272, 274-275, 277-280, 283, 286-287, 290-291, 293, 296, 298-302, 304, 307-308, 341, 343, 346, 355, 358, 361, 370, 378, 387, 396, 457, 489, 491, 520, 843. Melchior- Junius), 580. Ménage (Gilles), 540, 763. Ménandre, 509. Menapace-Brisca (Lidia), 389. Ménard (Maurice), 1062. Mendelssohn (Moïse), 987. Menendez y Pelayo (Marcelino, s.j.), 517, 962. Mengaldo (Pier Vincenzo), 319, 324. Mercier (Louis-Sébastien), 1002-1003, 1013-1014, 1025, 1031, 1092. Mercier (Nicolas), 575. Méré (Antoine Gombaud, chevalier de), 529, 763, 804, 973. Mène (Étienne), 1132, 1139-1140, 1156,

1158, 1202. Mérimée (Prosper), 1184, 1196. Merlin (H.), 674. Mersenne (Marin, abbé), 585, 614, 620, 792, 796, 800-802. Merula (Giorgio), 133, 148. Meschinot Jean), 132. Meslier Jean), 1007. Mesnard Jean), 549. Mesnard (Pierre), 346. Mestre (A., le père), 1133, 1146, 1223, 1225, 1231, 1240. Meurier (Hubert), 348, 549. Meyer (Michel), 1279. Meyfart John Matthaeus), 548, 828. Mézerai (François Eudes de), 1185. Michaud (Louis-Gabriel), 1196. Michel (Alain), 9, 13, 15, 17, 33, 170, 348, 355, 692, 1044, 1220. Michel (Arlette), 1044, 1047, 1053, 1061. Michelet Jules), 1023, 1028-1030, 10321033, 1050, 1052-1053, 1092, 1102, 1125, 1189. Michelozzi (Michelozzo), 153. Michelstaedter (Carlo), 1246. Migli (Emilio de’), 246. Migliorini (Bruno), 317. Mignault (Claude), 373, 384. Migne Jacques-Paul, abbé), 1097-1098. Mignet (Auguste), 1107.

Millar John), 961, 964. Millet (Olivier), 270, 278. Milton John), 585, 631, 655, 657, 694, 898, 908, 915-916, 950, 982, 987, 1279. Mintumo (Antonio), 508. Mirabeau (Honoré-Gabriel Riqueti, comte de), 1021, 1023-1024, 1029-1031, 1047, 1088, 1101, 1109, 1123, 1137, 1172-1173, 1176, 1178, 1231. Mirabelli (Domenico Nani), 551, 789. Miwa (M.), 620, 639. Moisan Jean-Claude), 347, 384. Molière Jean-Baptiste Poquelin, dit), 545, 799. Molina (Luis, s.j.), 456. Molinet Jean), 132. Molinié (Georges), 543. Molino Jean), 577, 1075, 1115-1116, 1146. Momsen (Théodore), 853. Monboddo James Bumett, lord), 984. Moncrif (François-Augustin Paradis de), 932, 934. Monfasani John), 58, 75, 77-78, 80-81, 85, 102, 344, 385. Mongrédien (Georges), 763. Monnet (le père), 947-948, 954. Monnot des Angles, 1130. Monrad (D. G.), 68. Montaigne (Michel Eyquem de), 8, 160, 242, 360, 362, 367, 394-396, 457, 477-487, 492, 499, 571, 573, 580, 584, 590, 646, 650, 715-716, 995, 1010, 1014, 1223, 1226, 1241. Montalembert (Charles, comte de), 1176, 1179. Montausier (Charles de Sainte-Maure, duc de), 768, 1171. Montefeltre (ducs d’Urbin), 322. Montefeltre (Guidubaldo, duc de), 419. Montesquieu (Charles de Secondât, baron de La Brède), 419, 881-882, 938, 1081, 1094, 1111, 1122. Montmort (abbé de), 739. Moody (E. A.), 46. More (Henry), 655, 659. More (Thomas, saint), 191, 196-197, 200, 212, 223, 226, 243-245, 248, 282, 564. Moreau (Pierre), 1040. Morel (Claude), 804. Morel Jacques), 579. Morellet (André, abbé), 1001. Morgan Jacques de), 853. Morhof (Daniel Georg), 525, 528, 752, 828, 841. Moriarty (M.), 973. Morier (Henri), 1272.

Morin (Jean, le père), 548. Morisi (A.), 70. Momet (Daniel), 1240. Mossé (Claude), 1086. Mouchel (Christian), 341, 347, 357, 368, 385, 389, 394, 396, 499, 708. Moulinié (Étienne), 806. Mounin (Georges), 1116. Mountjoy (lord), 221. Moussaud Jean-Marie, abbé), 1093. Moy (Léon), 1105. Muller (Éric), 551. Müller Johannes von), 853. Müllner (K.), 76. Munierjolain Jacques), 1030. Muntéano (Basil), 9, 696, 981. Muratori (Lodovico Antonio), 517, 530, 769, 774-775, 881, 883, 885, 888, 891, 907, 912, 917, 930, 962, 981. Muret (Marc-Antoine), 344, 386, 393, 455, 457, 463-466, 469, 474, 487, 500, 502. Mussato (Albertino), 51. Musset (Alfred de), 1054, 1057, 1060, 1062-1063, 1065. Musso (Comelio), 453. Musumeci (A.), 147. Muzio (Girolamo), 331. Myconius (Oswald), 287, 294. Nadal Joseph-Cyprien), 1098. Nadal Jérôme), 453. Naldi (Naldo), 133, 145. Nancel (Nicolas de), 370-373, 383. Napier ou Neper John, baron de Merchiston), 658. Napoléon Ier (empereur des Français) ; (cf. aussi Bonaparte), 27, 1095, 1100, 1102, 11081109, 1125, 1128, 1133, 1141, 1243. Napoléon III (empereur des Français), 1108, 1123, 1179. Naudet Joseph), 1129, 1149-1150, 1223. Navarre (Octave), 1105, 1222, 1225, 1244. Necker Jacques), 1023, 1027. Negro (Francesco), 349-350. Negrone (Giulio, le père), 454, 456. Néraudau Jean-Pierre), 620. Néri, cf Philippe Néri. Néron (empereur romain), 28-29, 801. Nerva (empereur romain), 1188. Nerval (Gérard de), 1053, 1065-1066. Nervèze (Antoine de), 558. Neufchâteau (François de), 1043. Neumeister (Erdmann), 828. Neuville (Anne-Joseph-Claude Frey de, s.j.), 1003.

Neveux J.-B ), 546. Newman Jane O ), 555. Newton (Isaac), 961, 1010, 1185. Niccoli (Niccolo), 54-55. Nicéron Jean-Pierre), 504. Nicolai (Christoph Friedrich), 834, 987. Nicolas de Cues, 202-203. Nicole (Pierre), 529-530, 575, 577, 634, 642, 644, 646, 679, 683, 732. Nicollet (F. N.), 1085. Niebuhr (Berthold Georg), 853. Nietzsche (Friedrich), 28, 825, 1264, 1267-1268, 1271-1272, 1275-1276. Nifo (Augustin), 344. Nikolai, cf. Nicolai'. Niquet (Honorât, le père), 791. Nisard (Désiré), 355, 1044-1045. Nizolio (Mario), 357, 385, 830, 833, 847,873. Noailles (Louis-Antoine, cardinal de), 806. Nodier (Charles), 1029, 1032, 1065. Noël (François), 1129-1130, 1136, 1144, 1149-1152, 1157, 1171-1172, 1184-1185, 1196, 1201. Nonnos, 171-172. Nora (Pierre), 1089, 1107, 1163. Norchiati (Giovanni), 330. Norton (G. P.), 364. Numa Pompilius (roi de Rome), 181, 1190. Ockham, cf. Guillaume d’Ockham ou Occam. O’Connell (Daniel), 1176. Ogden (С. К.), 1246, 1268. Ogier (François), 539. Olbrechts-Tyteca (Lucie), 1278. O’Malley John W.), 322. Omphalius Jacobus), 357. Ong (Walter J. J., le père), 59, 82, 89, 94-95, 110-111, 115-116, 118-119, 203, 370-371, 373, 378, 380, 388, 1262. Opitz (Martin), 827-829, 851. Ordinaire (Dionys), 1132, 1138, 1156, 1159, 1161, 1200, 1202. Origène (écrit origénien), 33, 35, 40, 561. Orléans (Philippe, duc d’) (écrit Monsieur), 798. Orléans (Philippe, duc de Chartres, puis duc d’), 801, 1169. O’Rourke Boyle (Maijorie), 281, 283. Orsi (Giovan Gioseffo, marquis), 770, 917. Orsini (Felice), 1179. Ortigue de Vaumorière (Pierre ou René), 558, 764, 804. Osiander (Andreas Hosemann, Л/), 610. Ossian, 979, 986, 1157. Otinus de Luna, 66. Otto (Karl F.), 555. Ouizille (C.-V.), 1221.

Ovide, 27-28, 147, 151, 153, 418, 480, 519, 551, 569, 949-950. Owen (John), 522. Owen (Lewis), 547. Ozouf (Mona), 1094. Paccagnella (Ivano), 326. Pace da Beriga (Giulio), 83, 198. Padlcy (George Arthur), 318. Palatine (Madame), cf. Charlotte-Élisabeth de Bavière. Pallavicino (Pietro Sforza, s.j. et cardinal), 584, 590. Panckoucke (Charles-Joseph), 1080. Panealbo (Emmanuel Philibert), 519. Panétius, 23. Panigarola (Francesco), 436-439, 443-446, 449, 453, 500-501, 559. Panizzi (Antonio), 314. Pannonius (Janus), 133. Panofsky (Erwin), 12, 24, 151, 153. Paparelli (Gioacchino), 413. Papon (Jean-Pierre), 1149. Paracelse, 617, 661. Parisot (Valentin), 1131. Parme (Don Carlos, infant, duc de) (écrit prince de), 946, 956. Parménide, 110. Parthenio (Bernardino), 368. Pascal (Biaise), 30, 563, 592, 615, 631, 641-642, 644-646, 649, 653-654, 683-684, 702, 1080, 1223, 1238, 1241. Paschal (Charles) ou Pasquali (Carlo), 469. Pasquet (le père), 977. Passard (François-Xavier), 1121. Padllon (Michel), 31, 163. Patrizi ou Patrizi da Cherso (Francesco), 88, 120, 332, 388-389, 519. Patru (Olivier), 554, 563, 776. Patterson (A. M.), 345, 393. Paul (saint), 34-35, 69, 99, 212, 265, 276, 284, 293, 295, 303, 432, 447, 457, 561, 698, 788, 1112. Paul II (pape), 139. Paul III (pape), 431, 459. Paul IV (pape), 459. Paul V (pape), 807. Paul de Venise, 195. Paul (abbé), 1130. Paulhan (Jean), 8, 1246, 1264-1268, 1272, 1274. Paulsen (Friedrich), 948. Paulson (R.), 1020, 1023, 1028. Payen (Tbibaud), 381. Pazzi (les), 139, 143-144. Peacham (Henry), 458, 564, 566, 592.

Pearson (Henry), 1255. Péguy (Charles), 499. Pelacani (Biagio), 47. Pelbart de Themesvar, 287. Peletier du Mans (Jacques), 353, 365, 574. Pellissier (Augustin), 1132, 1223. Pelisson (Maurice), 1104. Pellisson (Paul), 554, 562-563, 570, 724-725, 776, 1172. Pelous (Jean-Michel), 540. Pennac (Daniel), 580. Peregrini (Matteo), 524-525. Perelman (Charm), 5, 17, 20, 1278. Pergola (Paolo della), 47. Périclès, 1086, 1190. Périon (Joachim de), 370. Perkins (William), 559. Pemot (Laurent), 17, 674. Perotti (Niccolo), 169, 220, 349. Perpinien (Juan, le père), 453, 467. Perrault (Charles), 721, 723, 747, 749, 751, 754, 757, 913, 915, 976. Perrault (Claude), 793, 802. Perrot (Georges), 1232. Perrot d’Ablancourt, cf. Ablancourt. Perse (Aulus Persius), 30. Persio (Antonio), 120, 521. Pétion de Villeneuve (Jérôme), 1193. Petit de Juleville (Louis), 1105, 1132, 1135. Pétrarque (Francesco), 37, 42, 44, 48-55, 84, 147, 151, 159-160, 227, 242, 315, 318, 321-324, 329, 349, 363, 389, 412-413, 474, 751, 771, 915, 1190. Petrus Nunnius Valentinus, 509. Petty (William), 659. PhéÛppes-Tronjolly (François A. L.), 1094.

Phidias, 444, 1190. Philelphe (François), 74, 76, 243. Philipon de La Madeleine (Louis), 1128, 1133, 1150. Philippe Néri (saint), 439, 441, 445-447. Philippe II (roi d’Espagne), 491. Philippe III (roi d’Espagne), 566. Philodème, 511. Philon d’Alexandrie, 34, 812. Philostrate, 31, 165, 503, 550. Phocion, 500, 1002. Phyllarque, 555. Pic de la Mirandole (Gian Francesco), 229, 230, 320. Pic de La Mirandole (Giovanni ou Jean), 47, 132-133, 148, 156-158, 182, 202, 204205, 213, 217, 229, 242, 321, 351, 355, 873. Piccolomini (Ænea Sylvio), cf. Pie II.

Piccolomini (Alessandro), 332, 344-345, 396, 440, 442, 602. Pichois (Claude), 1046. Picotti (G. B.), 145, 154. Pie II (pape), 74, 131, 139, 147, 151. Pie IV (pape), 433, 463. Pie V (pape), 806-807. Piéron (Joachim de), 112. Pierre d’Espagne ou Petrus Hispanus, 59, 78, 193-194, 196, 208. Pierre Ier le Grand (tsar), 1123. Pierrot-Deseilligny (Jules-Amable ou de Selligny), 1105, 1125, 1130-1131, 1149, 1153, 1157, 1161, 1190, 1192, 1194, 1202. Pigeaud (Jackie), 29. Pigna (Jean-Baptiste), 332. Pinchesne (Étienne-Martin, sieur de), 540541. Pindare, 158, 757, 1077. Pinel (Marie), 1056. Pinelli (Gian Vincenzo), 333. Pio (Alberto, prince de Carpi), 239. Pisanello (Antonio Pisano, dit), 163. Piscator (Jean Fischer), 373. Pisistrate, 181. Pithou (Pierre), 1137. Pitt (William, dit le Premier), 1101, 1152, 1172-1174, 1176. Pitt (William, dit le Second), 1101, 1190. Plaisance (Michel), 329. Planche (Gustave), 1046. Planche Joseph), 1075, 1130, 1135, 1145. Plantin (Christophe), 467. Plassac-Méré Josias), 556, 563, 565, 569, 592. Platon, 5-6, 11, 18-19, 21, 23, 25, 28, 30-31, 43-44, 48, 50, 53, 75, 89, 99, 104, 112-113, 157, 162, 164, 167-168, 192-193, 200, 202-204, 212-213, 215-217, 223, 225, 230, 233, 242-243, 276, 345, 361, 367, 389, 418, 421, 424, 445, 454, 466, 478, 480, 482, 500, 552, 571, 644, 882, 896, 958, 1043, 1064, 1086, 1127, 1188-1189, 1193, 1220, 1245, 1270. Plaute, 229, 476, 490, 511, 551. Pléthon, cf Gémiste. Pline l’Ancien ou le Naturaliste, 201, 222. Pline le Jeune, 55, 151, 163-164, 350, 511, 518, 672. Plotin (écrit plotinien), 34, 40. Plutarque, 218, 222, 233, 367, 418, 480, 500, 565, 1034, 1077, 1148. Poggio (Gian-Francisco, le), 243. Poiret Jules), 1232. Poirion (Daniel), 17, 33.

Politien (Angelo Ambrogini, dit le), 133-134, 137-139, 143-145, 146, 148-149, 151-156, 159-161, 164-168, 170-175, 177, 179-183, 228-229, 231, 242-243, 321, 350-351, 355, 357, 361, 413. Poliziano, cf. Politien. Polybe, 510, 977. Pomeray (François), 543. Pomey (François, s.j.), 775, 947, 952, 976. Pomponacce (Pietro Pomponazzi, dit), 247, 326-327. Poniatowski (Stanislas-Auguste), 1184. Pons (Alain), 15, 420. Pons Jean-François de, abbé), 892, 906, 922, 924, 926. Pontano (Giovanni), 164, 166, 174, 178, 180, 249, 368, 414, 421, 524. Pontus de Tyard, 394. Pope (Alexander), 907, 913-914, 916-918, 928-929, 981. Popper (Karl), 1270. Porée (Charles, s.j.), 892, 973. Porphyre, 196, 508, 793. Porrée (Gilbert de La), 41. Possevino (Antonio, le père), 456, 476. Pou (G.), 1044. Power (Henry), 659. Pozzi (Mario), 313, 316, 322-324, 326, 329, 331, 333-334. Prat (Paul), 1133, 1224. Prête (S.), 170. Priam, 18. Priestley Joseph), 955, 966-967. Principato (Aurelio), 1022, 1106. Priscien ou Prisciano, 62-63, 220, 1081, 1149. Procope, 171. Properce, 1077. Prost (Alain), 1088, 1117. Proust (Marcel), 1232. Pseudo-Démétrios, 80. Pseudo-Denys l'Aréopagite, 34, 36, 39, 42-43. Pseudo-Longin {parfois écrit Longin), 28, 30, 276, 344, 454-455, 457, 462, 480, 486, 492, 501, 530, 544, 549, 591, 756757,761, 767, 769,885,894-896,951-952, 954, 958, 974, 982, 1041, 1043. Ptolémée (Claude), 176, 611, 625, 793. Publicio Jacopo), 58. Puech (Christian), 1125. Pugin (René), 1131. Pulci (Luigi), 329. Purver (M.), 655, 664. Puteanus (Erycius), 499-500, 576, 591. Puttenham (George), 458. Pythagore, 48, 1011.

Quatremère de Quincy (Antoine-Chrysostome, < 1026. Quattromani (Sertorio), 771. Queneau (Raymond), 32. Quesnay (François), 1111. Quevedo y Villegas (Francisco Gomez de), 518-519. Quinet (Edgar), 1050, 1091, 1102. Quinte-Curce, 566, 746, 1129, 1132, 1148. Quintilien, 4, 6, 22, 29-30, 56, 58-59, 62, 64, 67, 71-74, 77, 79-80, 84, 87, 99-100, 135, 137, 139-141, 151-152, 154-155, 159-160, 162, 165, 167-169, 173, 175, 182, 193, 195, 199, 220, 243, 259, 271, 278, 280, 287, 306, 318, 343, 345, 351, 366, 370, 374-376, 380, 383, 385, 391, 393, 413-414, 418, 449, 451, 470, 492, 501, 507, 509, 511-513, 522-524, 527, 540, 542-543, 549, 553, 563, 566, 684, 692, 694, 707, 734, 746, 767, 778, 826, 838, 842, 883, 905, 910, 913-914, 945, 949, 953, 981, 987, 989, 995, 1095, 1120, 1139, 1151, 1154, 1163-1164, 1170, 1173, 1182, 1220, 1235, 1238, 1240-1241, 1244-1245, 1252. Quondam (Amedeo), 328, 416. Rabelais (François), 157, 200, 213, 240, 365, 372, 1226, 1241. Racan (Honorât de Bueil, marquis de), 565, 755, 808. Racine (Jean), 575, 685, 693, 700, 908, 957, 960, 976-977, 983, 1043, 1166-1167, 1185, 1190, 1199, 1239, 1279. Racine (Louis), 1043. Radau (Michel), 576. Radouant (René), 371. Raguenet (François), 804. Raimondi (Ezio), 88, 415, 417, 501, 558, 760, 962, 986. Rainolde (Richard), 348. Rak (Michele), 771. Rambaud (Antoine de), 562. Ramirez (Juan, s.j.), 450. Ramirez de Prado (Lorenzo), 521. Ramsay (André-Michel, chevalier de), 900, 912. Ramus (Pierre de La Ramée), 59, 82, 89-90, 93-95, 104-105, 107-110, 112-119, 198-200, 203, 208, 341-343, 346-348, 352, 355, 358-360, 364, 369, 371-372, 374-376, 378, 380-381, 383-385, 387-389, 391, 396, 458, 509, 553, 574, 603, 644, 708-709, 745, 794, 1137. Raphaël (RafTaello Sanzio, dit), 1063.

Rapicio (Jovita), 356. Rapin (René, s.j.), 737-738, 750-751, 976. Rapin-Thoyras (Paul de), 977. Ratichius (Wolfgang Ratke), 548. Ravignan (Xavier de, s.j.), 1132, 1138, 1176-1177, 1179. Ray (John), 659. Raynal (Guillaume, abbé), 985, 1005, 1185. Reboul (Jean), 1140. Reboul (Olivier), 1279. Reggio (Carlo, s.j.), 502, 513, 794. Regnier-Desmarais (François-Séraphin), 803. Regoliosi (M. A.), 61. Reinach (Joseph), 1107, 1112, 1133, 1138, 1175, 1178, 1180, 1182, 1200, 1202, 1231. Rémond de Sainte-Albine (Pierre), 836. Rémond de Saint-Mard (Toussaint), 931, 934-935. Renan (Ernest), 8, 1107, 1215-1216, 1238. Renaud (André), 756, 766, 803. Renaudot (Théophraste), 555, 584. Renwick (J.), 1019, 1022. Rétif de La Bretonne (Nicolas Rétif, dit}, 1014. Retz (Paul de Gondi, cardinal de), 807, 1190. Revergat (François), 357. Rhegius (Urbanus), 301. Riario (Girolamo), 143. Riccardi (Nicolas, le père), 621. Ricci (Barthélemy), 357, 359, 361. Ricci (Bernardo), 158. Riccoboni (Antoine), 549. Riccoboni (Luigi), 829, 836, 925. Rice-Henderson (Judith), 349-350, 358. Richard (abbé), 1132, 1147. Richard (Jean), 730. Richards (I. A.), 1246, 1258, 1268, 1275, 1278. Richelet (César Pierre), 789. Richelieu (duc de, cardinal), 491, 546, 554, 557, 565-566, 794. Richeome (le père), 451-452, 455, 503. Ricken (Ulrich), 682, 916, 1022. Ricœur (Paul), 9, 1271, 1275. Ricuperati (G.), 946. Ridolfi (Lorenzo), 51. Riemer (Johann), 840-841, 843. Rimbaud (Arthur), 1125, 1238, 1267. Ringelbergh (Gioacchino van), 94. Rinn (Wilhelm), 1105, 1190. Rinuccini (Cino di Francesco), 53. Ripa (Cesare), 419. Risse (Walter), 202. Riva (Bonvesin da), 416.

Rivarol (Antoine, dit le comte de), 678, 1007. Rivius (Joannes), 344, 347. Robespierre (Maximilien de), 1012, 1019, 1024, 1030, 1033, 1035, 1048, 1087, 1176-1177. Roblot (Charles), 1132. Robortello (François), 344, 462, 524, 770. Rochot (B.), 620. Rodis-Lewis (Geneviève), 714. Roger (Ph.), 1022. Roggero (M.), 946. Roland de La Platière (Manon, Mme), 1193, 1243. Rolland d’Erceville (Barthélemy-Gabriel) {écrit Rolland), 1079. Rollin (Charles), 889, 891, 907, 909, 913, 953, 976, 989, 1079, 1119, 1128, 1149, 1153, 1168, 1172, 1199. Romilly (Jacqueline de), 32. Romulus (roi de Rome), 1190. Ronsard (Pierre de), 368, 390-392, 827. Ronsfert (Denis), 519. Rorty (Richard), 1258. Rosanvallon (Pierre), 1075, 1113. Roscomon (Wentworth Dillon, comte de), 916. Rosenberg (A.), 591. Ross (W. D ), 1245. Rossi (Paolo), 235, 237. Rott (J.), 346. Rousseau (Jean-Baptiste), 808. Rousseau (Jean-Jacques), 11, 12, 633, 689, 888, 916, 935, 962, 981, 983-984, 989-996, 1005, 1010, 1014, 1041, 1055, 1059-1060, 1063-1064, 1086, 1091, 1171-1173, 1177, 1180, 1185, 1243, 1257. Rousset (Jean), 519, 576. Roustan (Marius), 1231. Roux-Lavergne (Pierre-Célestin) {écrit Roux), 1047, 1108, 1172. Royer-Collard (Pierre-Paul), 1109. Rubistein (N.), 53. Rucellai (famille), 322. Rucellai (Annibale), 362, 425. Rudler (Gustave), 1241-1243, 1246. Ruelle (Charles-Émile), 1219. Ruscelli (Girolamo), 332. Ruskin (John), 975. Ruthall (Thomas), 222. Ruzzante (Angelo Beolco, dit), 326. Ryan (L. V.), 360.

Sabbadini (Remigio), 58, 228. Sacchino (Francisco, s.j.), 794.

Sade (Donatien, marquis de), 1014-1015. Sadolet (Jacques), 231, 234, 349, 351, 368, 467. Saint-Cyran (abbé de), cf. Duvergicr de Hauranne. Saint-Denis (André de, le père), 540. Sainte-Beuve (Charles-Augustin), 701, 1029ЮЗО, 1100, 1229. Saint-Évremond (Charles de), 620, 631, 776, 834, 973. Saint-Fleur (Pierre), 347. Saint-Gelays (Octavien de), 132. Saint-Gérand Jacques-Philippe), 1074. Saint-Girons (Baldine), 894. Saint-Just (Louis-Antoine de), 1011, 1079, 1083. Saint-Marc Girardin (François-Auguste-Marc Girardin, dit), 1046, 1165. Saint-Martin (Louis-Claude de), 1044. Salazar (Philippe Joseph), 557, 1167. Saliat (Pierre), 367. Salluste, 55, 80, 132, 143, 163, 201, 351, 362, 510-511, 664, 746, 977, 1129, 1132, 1148. Salmeron (Alphonse), 453. Salutati (Goluccio), 47, 50-53, 55, 56, 139, 178, 227, 413, 874. Salviati (Francesco de’ Rossi, dit Cecco), 240. Salviati Jacopo), 143. Salviati (Leonardo), 332, 334, 610. Sambucus Johann), 357, 359. Sanches (François), 609. Sanctius (Francisons), 388, 390. Sand (George), 1064. Sandoval (Prudence de), 566. Sandt (Maximilien van der, s.j.), 809-810. Sangallo (Giuliano Giamberti, dit Da), 153. Sangnier (Marc), 1026, 1030. Sannazaro Jacopo), 178, 316, 324. Sansovino (Francesco Tatti, dit il), 332, 350. Santangelo (Giorgio), 229. Sarasin Jean-François), 552. Sarbiewski (Mathieu Casimir, le père), 523525, 576, 827. Sarcer (Erasme), 278. Saugnieux Joël), 888. Saussure (Ferdinand de), 1272. Sauveur Joseph), 793. Savigny (Christophe de), 384. Savigny (Friedrich Karl von), 853. Savonarole Jérôme), 140, 319, 322, 329, 1190. Scaduto (M.), 450. Scaglione (Aldo), 348, 547, 1077.

Scala (Bartolomeo), 148, 174. Scaligcr (Joseph Juste), 464, 477, 510, 723. Scaliger (Jules César), 234, 239, 345, 350, 352-354, 357, 369, 393-394, 506, 508-510, 519, 687, 723. Scarron (Paul), 575. Schade (Pierre, dit Mosellanus), 209, 347. Schegk (Jacques), 116. Schiller (Friedrich), 824, 981, 987-988. Schlegel (Auguste Guillaume), 1008. Schlieben-Lange (Brigitte), 1086. Schmidt (Ch.-G.-A.), 346. Schmidt Jean-Claude), 513. Schmidt Jochen), 982, 989. Schoeck (Richard J.), 198. Scholtz (Guillaume), 1074. Schoock (Martin), 607. Schott (Gaspar, s.j.), 792. Schuger (D. K.), 559. Schwob (Marcel), 1267. Scipion (les), 568-569, 1123, 1148. Scipion l’Africain, 211. Scot Érigène Jean), 35, 40. Scott (Fred), 1255. Scott (Walter), 1196. Screech (Michael), 213. Scribe (Eugène), 1134. Scudéry (Georges de), 541, 553-554, 1165. Sébillet (Thomas), 365, 380, 392. SeckendorfT (Veit Ludwig von), 840. Segni (Bernard), 344. Segrais Jean Régnault de), 791. Segre (Cesare), 319. Séguier (Madeleine Fabri, chancelière), 806. Séguier (Pierre, chancelier), 554. Ségur (comte de), 1184. Seigel J. E.), 46, 53, 61, 64, 385. Seignobos (Charles), 1088, 1113, 1235. Sénac de Meilhan (Gabriel), 1024, 1031. Senancourt (Étienne Pivert de), 1060, 1064. Sénèque le Père ou le Rhéteur, 26, 160, 518, 523. Sénèque le Philosophe, 27, 29-30, 36, 40-41, 49, 51-52, 160, 218, 222, 227, 229-230, 233, 357, 360, 367, 395, 418, 436, 454, 463, 466, 469-472, 476-480, 487, 489, 500, 523, 567, 584, 664, 714-715, 720, 835, 913, 983, 1045, 1053, 1091. Senger Jules), 1074, 1147. Sermain Jean-Paul), 970, 1020, 1022, 1035, 1073, 1083, 1133, 1160. Severino (Marco Aurelio), 770-771.

Sévigné (Marie de Rabutin-Chantal, mar­ quise de), 739, 741, 765, 1190. Sextus Empiricus, 801. Seyssel (Claude de), 367. Sforza (les), 139, 148. Shaftesbury (Anthony Ashley Cooper, comte de, lord), 688-689, 880, 896-897, 907-908, 917, 933-936, 938, 968, 976, 981. Shakespeare (William), 898, 905, 915-916, 950, 976, 978, 982-983, 1014, 1053, 1279. Shapiro (Barbara), 560, 563, 566, 585, 655. Sharratt (Peter), 371, 386. Shea (W.), 620. Sher (Richard), 950. Sheridan (Richard Brinsley), 971, 1101. Sheridan (Thomas), 971. Sherry (Richard), 348. Shyreswood, cf. Guillaume de S. Sicard (R.-A., abbé), 1084, 1086, 1088, 1145. Sidney (Philip), 492, 564. Sidoine Apollinaire, 164. Sigismond d’Autriche (duc), 147. Sigismond de Luxembourg (empereur ger­ manique, roi de Hongrie), 133. Sigonio (Carlo), 317, 344, 368. Silhouette (Étienne de), 907, 929. Sillery (Fabio Brulart de, Mgr), 781. Silvain, 767, 895, 983. Silvio (Enea), 154. Simon Jules), 1106, 1112, 1216, 1219, 1226. Simon (Richard), 689, 694, 777. Simonide de Céos, 236-237. Siouffi (Gilles), 677-678, 682. Siret (Pierre-Hubert-Christophe, abbé), 1098. Sirmond (Antoine), 561. Sirven (Pierre-Paul), 1173. Sixte IV (pape), 139, 143. Sixte V, dit Sixte Quint (pape), 447. Smith (Adam), 951-952, 955-956, 960-961, 964, 967-969, 976-977, 983-984. Smith (Ph. A.), 664. Snyders (Georges), 573. Soarez (Cipriano, le père), 348, 453, 513, 550, 826, 839. Socrate, 19, 193-194, 200, 211, 216, 223, 225, 233, 294, 477-481, 486-487, 500, 937, 1138. Solon, 294, 376, 379. Somaize (Antoine Baudeau de), 804. Sommaville (Antoine de), 556. Sonnet (Martin), 801. Sophocle, 353, 834-835, 983, 1046.

Sorel (Georges), 396, 1113. Sottili (A.), 58. Soupe (Philibert), 1105, 1133, 1135, 1145. Sozini (Mariano), 147. Spenser (Edmund), 898, 915, 1254. Speroni degli Alvarotti (Sperone), 218, 246-247, 317, 325-328, 330-331, 334, 391. Sponde Jean de), 519. Sprat (Thomas), ou Spratt, 586, 588, 617-618, 655, 659-660, 662-663, 665, 675, 955. Stace, 27, 135, 137, 167-168, 172. Stackelberg J. von), 555. Staël (Germaine Necker, Mme de), 521, 1013, 1022, 1026-1027, 1045, 1047, 1055, 1059, 1101. Starobinski Jean), 559, 588, 991, 1021, 1023, 1026, 1075, 1089. Steele (Richard, sir), 932. Stegmann (André), 370, 385. Stendhal (Henri Beyle, dit), 1044-1045, 1053, 1057, 1060-1061, 1063, 1084, 1091. Stephens (Thomas), 553. Sterck van Ringenberg Joachim), 301. Stevenson John), 950-951, 975. Stieler (Kaspar), 839. Stillers (R.), 343. Stirling John), 949. Stoeber (Ehrenfried), 1131, 1136. Strabon, 506. Strada (Famiano, le père, s.j.), 502. Strauss (Léo), 1270. Strosetzki (Christoph), 567. Strozzi (Ercole), 317. Struever (Nancy S.), 639. Stuarts (les), 631. Stubbe (Henry), 657. Sturm Johannes ом Jean), 88, 93, 101-107, 112, 272, 288, 302, 344-346, 351, 355, 358, 360-361, 396, 491, 507, 509, 548, 843. Suard Jean-Baptiste), 1041. Suarez (Francisco, le père), 453, 456, 831. Sue (Eugène), 1062, 1065. Suétone, 143-144. Suiseth (Suiseth Richard), 47, 51, 195. Sully (duc de), 1185, 1190. Sulpizio (Giovanni), 349. Sulzer Johann Georg), 888, 987. Surin Jean-Joseph), 809-811. Susenbrotus Joannes), 274, 347. Swift Jonathan), 931-932, 965, 969, 974, 976, 1152. Sylvain, cf. Silvain. Sylvius, cf. Dubois. Symmaque, 163, 165, 553.

Tacite, 27, 30, 32, 229, 389, 454, 463, 465-466, 469-472, 476, 480, 487, 500, 502, 510, 518, 522-523, 549, 567, 746, 883, 974, 977, 1045, 1129, 1132, 1148, 1221. Taillefer (Louis-Gabriel), 1130. Taine (Hippolyte), 1021, 1026, 1032, 1034, 1256. Talander (August Bohse, dit}, 846-847. Talleyrand (Charles-Maurice de), 1083, 1118. Talma (François-Joseph), 1134, 1164. Talon (Orner), 95, 110-111, 116-117, 359, 364, 368, 370-371, 373, 377, 379, 381, 383, 385, 387-388, 392, 515. Tarde (Alfred de), 1239. Tarillon (le père), 1008. Tarugi (G. A.), 149. Tasse (Torquato Tasso, le), 333, 439, 441-445, 501, 506, 791, 804, 908, 973. Tavoni (Miko), 317-318. Tebaldeo (Antoine), 324. Telesio (Bernardino), 120. Terence, 23, 53, 229, 233, 353, 476, 551, 568, 828, 865. Terracini (Lore), 316-317, 334. Terrasson Jean, abbé), 913-914. Tertullien, 435, 504, 648, 700. Tesauro (Emanuele), 429, 518-519, 523, 525, 527-528, 530, 576, 713, 760, 879. Tesseron (le père), 582. Thémistius, 78, 87, 208. Théocrite, 176, 949-950. Théodore de Cyrène, 28. Théon (Aelius), 29. Théophraste, 165, 353, 393, 418, 511. Théopompe, 501. Thérèse d’Avila (sainte), 809. Théry (Augustin-François), 1172, 1189. Thierry (Augustin), 853. Thierry de Chartres, 38. Thiers (Adolphe), 1021, 1023, 1031-1032, 1109, 1176-1177, 1216, 1243. Thilo (Valentin), 551. Thiry (Cl.), 132. Thomas d’Aquin (saint), 18, 39, 41-42, 44, 149, 156, 449, 451-452, 1002. Thomas (Antoine-Léonard), 888, 1004, 1129, 1171-1174, 1177, 1184. Thomasius (Christian Thomas, dit), 754, 827, 849, 883. Thorndike (Lynn), 57. Thrasymaque, 19. Thucydide, 28, 164, 367, 465, 501, 510, 977, 1077, 1148.

Thurot (Charles), 1220-1221. Tibère (empereur romain), 27, 29. Tibulle, 1077. Ticho-Brahe ou Tycho-Brahe, 587, 658. Tillinghast (John), 658. Timon, cf. Cormenin. Tisias, 18. Tissot (Pierre-François), 1131, 1137-1138, 1196. Tite-Live, 48, 51, 55, 80, 143, 155, 169, 193, 201, 227, 357, 551, 746, 977, 1020, 1077, 1129, 1132, 1148-1149, 1180. Titelmans (François), 93. Titien (Tiziano Vecellio, dit), 240. Titus (empereur romain), 1188. Tocanne (Bernard), 761. Tocqueville (Alexis de), 1111. Todorov (Tzvetan), 1275. Toledo (F., le père), 453. Tolomei (Claudio), 326. Tomitano (Bernardino), 368. Toscanella (Orazio), 88. Toumoy (Gilbert), 61. Toussaint (J.), 267. Trahard Pierre), 1019, 1022, 1033. Trajan (empereur romain), 1188. Traversagni (Lorenzo Guglielmo), 58. Trédos (René), 1131. Trinkaus (Charles), 61, 179. Trissino (Giangiorgio), 319, 322-323, 326, 748. Tristan l’Hermite (François, dit), 554. Trublet (Nicolas-Charles-Joseph, abbé), 892, 901, 919, 928. Turenne (Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de), 852, 1171. Turgot (Anne-Robert-Jacques, baron de Г Aulne), 983. Tumèbe (Adrien Toumebous, dit), 343, 371, 467, 723. Ceding (Gherard), 12. Ugoletti (Taddeo), 133. Ulivi (F.), 355. Ullman (B.), 51. Ulysse, 18, 868, 871. Untersteincr (Mario), 1246, 1269. Urbain VIII (pape), 503, 807, 827. Urbin (Frédéric), 788.

Vaenius (Otto), 811. Vair (Guillaume du), çf. Du Vair. Valdes (Juan de), 334. Valère Maxime, 1169-1170.

Valeriano (Pierio), 322-324. Valerius (Cornelius), 347. Valéry (Paul), 11, 1244, 1246, 1275. Valesio (Paolo), 1273. Valier (Mgr Agostino), 434-435, 446. Valla (Lorenzo), 47, 59, 61-74, 77, 81, 84, 86, 90, 94, 132, 138, 191, 194, 200, 203, 228, 242-243, 265267, 269, 318-319, 385, 388, 854, 873. Valladier (André, s.j.), 794-795. Vallée (Oscar de), 1095. Vanière (Jacques, s.j.), 1129, 1150. Varchi (Benedetto), 330-332, 334, 602. Varinot (Antoine), 1130. Varron, 55. Vasari (Giorgio), 139, 153. Vasoli (Cesare), 15, 45, 52, 57, 69, 82, 88, 95, 101, 110, 112, 116, 174, 203, 378, 387-389, 505, 601. Vasquez (Gabriel), 453. Vauban (Sébastien Le Prestre, marquis de), 1136. Vauchelle (Alphonse-Arthur, abbé), 1223. Vaugelas (Claude Favre de), 517, 540, 545, 561, 566, 664, 676, 679, 755. Vauvenargues (Luc de Clapiers, marquis de), 1223. Vavasseur (François, s.j.), 529, 575. Vegio (Matteo), 413. Velleius Paterculus, 518, 523. Velly (Paul-François, s.j.), 1170. Veneto (Paolo), 47. Ventura de Raulica (le père), 1176. Verbeek (T.), 607-608. Vergerio (Pier Paolo), 56, 133, 154, 413. Vergniaud (Pierre), 1019, 1025, 1028, 1030, 1033, 1079, 1137, 1176, 1183, 1191, 1193. Verhulst (8.), 145. Verlaine (Paul), 1238. Vemiolles (Justin, abbé), 1132, 1147, 1150, 1223. Verona, cf. Guarino. Verrepaeus (Simon), 351. Vervaecke (G.), 1072. Vésale (André, dit Vesalius), 661. Vespasien (empereur romain), 29. Vespucci (Simonetta), 152-153. Vettori (Pietro), 343-345, 440, 467. Viala (Alain), 554, 584, 639. Vianello (Valerio), 328. Viau (Théophile de), 553, 581, 806, 1165 (écrit Théophile). Vickers (Brian), 571, 586, 617, 622, 655, 660, 664, 955.

Vico (Giambattista), 16, 760, 824-825, 827, 830, 832, 851-874, 880, 954, 962, 1271, 1276. Victor (Sulpidus), 515, 556. Vida (Marco Girolamo), 26. Vieira (Antonio), 737. Vietta (Silvio), 902. Vigenère (Biaise de), 492, 503. Viglius (ou Wigle d’Aytta), 241. Vignaux (Paul), 45. Vigny (Alfred de), 1045, 1053-1054, 10571058, 1065-1066. Villani (Filippo), 227. Villaret (Claude), 1170. Villèle (Jean-Baptiste, comte de), 1109. Villemain (Abel-François), 1045-1047, 10491050, 1100, 1102, 1105, 1107, 1118, 1157, 1172, 1174, 1176-1177, 1182, 1196-1197, 1221. Villey (Pierre), 316, 334, 368. Villiers de l’Isle-Adam (Auguste, comte de), 1065-1066. Villiers Moriamé (J.-F.), 1130, 1147. Vincent de Paul (saint), 561, 737. Vinet (Élie), 345. Viperano (Giovanni Antonio), 344. Viret (Pierre), 294. Virgile, 27, 30, 32, 41, 44, 51, 53, 80, 131, 138, 155, 163-164, 175, 177, 227, 229-230, 353, 363, 368, 391, 393, 445, 480, 488, 519, 529, 551, 569, 746, 749, 759, 766, 905, 910, 949-950, 964, 973, 976, 984, 1045, 1065, 1077, 1137. Vismara (Felice), 145. Visorius (Johannes), cf. Le Voyer. Vitale (Maurizio), 317, 319. Vitelleschi (cardinal), 503. Vitez (Janos), 133. Vid (P.), 53. Vitruve, 792. Vives Juan Luis), 90-93, 191-193, 195, 200, 203, 210-211, 217, 219, 222223, 226, 234, 243, 248, 388, 515, 520. Voetius (Gisbertus), 607-608. Voiture (Vincent), 540-541, 545, 558, 755, 776, 791. Volkmann (Richard), 1219. Volney (Constantin-François de Chassebœuf, comte de), 1011, 1086. Volpaia (Lorenzo della), 148. Voltaire, 678, 834-835, 881-882, 893, 902, 908, 912, 924, 950, 978, 985-986, 1011, 1041, 1043, 1081, 1087, 1153, 1163, 1165-1167, 1185, 1223.

Vossius (Gérard Jean), 499, 504-507, 509, 515, 796, 798, 826, 843, 884. Vovelle (M.)> 1022. Vuillaume Jean-Dominique, chanoine), 1132, 1223, 1225, 1240. Vuilleumier (Florence), 576, 675. Wagner (Richard), 868. Wallace (Karl R.), 586. Wallace (Robert), 972. Wallace (W. A.), 601, 610. Wallis John), 659, 793. Wallon (Henri), 1226. Warburg (A.), 152-154. Ward John), 883-884, 886, 949, 983. Ward (Seth), 659. Warton (Thomas), 915. Washington (George), 945, 1191. Watson (Robert), 951, 976-977. Weaver (Richard M.), 1257, 1277. Webster (C.), 585. Webster John), 586, 655. Wechel (André), 381, 392. Wechel (Christian), 101. Weil (Raymond), 17. Weinberg (Bernard), 178, 344, 393, 602, 1279. Weinrich (H.), 679. Weise (Christian), 525, 528, 752-753, 826, 839-844, 847-849. Wellbery (David), 1261-1262, 1273. Wendell (Barrett), 1255. Wesley John), 888. Wessellofski (A.), 53. Westheimer (B.), 274. Whately (Richard), 1251, 1254. White (Hayden), 1258, 1271. Whitefield (George), 888. Wilkins John), 560, 618, 655, 657, 659-660, 662. Williamson (George), 655, 660, 664. Willis (Thomas), 659. Wilson (G. H.), 79. Wilson (Thomas), 348, 359, 360. Winckelmann Johann Joachim), 914, 987. Wind (Edgar), 153. Winstanley (Denys Arthur), 949. Winstanley (Gerrard), 655, 657. Witherspoon John), 955. Wolff (Christian, baron de), 827, 832-833, 847, 849. Wolf (Friedrich August), 853. Woodward (W. H.), 154-155. Wordsworth (William), 949, 980, 988. Woshinsky (B. R.), 692. Wren (Christopher), 659. Wyke (Andrew), 656.

Xénophon, 225, 361, 367, 418, 977. Yates (Frances), 109, 235, 237, 347, 584. Young (Edward), 916, 981-982, 1014. Young (Thomas), 975. Youssef (Z.), 539. Zabarella (Jacopo), 83, 506. Zarlino (Gioseflb), 801. Zeldin (Théodore), 1115. Zelle (Carstens), 898.

Zeno (Apostolo), 769. Zenon de Citium, 243. Zeuxis, 24. Zippel (G.), 47, 68. Zoberman (Pierre), 673. Zuber (Roger), 539, 541, 544, 557-558, 568, 590, 648, 666, 670, 674, 680, 690, 697, 700, 752, 757. Zumthor (Paul), 132, 572, 808. Z winger (Théodore), 789. Zwingli (Ulrich), 260-261, 272-273, 286, 292-294.

Abondance ou copia, principe d’— : cicéronienne, 134, 437, 462, 635 ; et les huma­ nistes, 103, 134, 162, 165, 169, 348, 499 ; et rhétorique post-tridentine, 435, 437, 445, 454, 455, 462, 476, 492; au XVIIe s., 502, 511, 544, 556, 558, 620, 635, 714, 774; au XVIIIe s., 859; au XIXe s., 1051, 1052, 1057, 1058, 1066, 1092. Abrupt, style, 502, 986. Académie(s) : 307, 492 ; — en Allemagne, 987 ; — en Angleterre, çf. Royal Society ; — en France, 669, 671, 1002, 1005 ; — française, 453-454, 574, 579, 663, 673, 745-746, 754-756, 883, 926, 1004, 1134, 1215, 1284; comme tribunes, 1082, 1176, 1177, 1179; — en Italie, 329, 345, 368, 440, 554, 751, 770-772; — Nouvelle —, 371 ; — en Russie, 952. Académique, genre —, académisme, 334, 1090, 1107, 1173, 1225, 1232, 1235. Acrostiche, 1082. Acteur, jeu de Г— et incidence rhétorique, 512, 836-838, 905, 925, 990. Action ou actio, notion rhétorique de Г—; 10 ; chez les humanistes, 68, 69, 151, 346, 377, 378, 384, 707 ; dans les traités des manières, 419, 422 ; au XVIIe s., 499-515, 550, 557, 573; au XVIIIe s., 837, 838, 843, 905, 986, 1024, 1033 ; au XIXe s., 1051, 1157-1159, 1225. Acumen, 435, 437, 476, 477, 482, 522, 523 ; çf. Finesse, Pénétration. Acutus, style, 523. Adaptabilité ou adaptation rhétorique, 454, 479, 920. Adéquation rhétorique : 1265 ; posttridentine : 451, 464, 479, 481, 482.

Affectation dans le langage ou dans le style, 395, 530, 559, 762, 761, 714, 759 (écrit afféterie), 973. Affects, rhétorique propre aux —, 168, 218, 270, 271, 290, 306, 307, 441, 834, 891, 900 ; çf. Sentiments. Agréer, art d’— de Pascal, çf. Plaire. Agrégation, concours de F—, 1081, 1099, 1122, 1126, 1134, 1135, 1149, 1174, 1197, 1200, 1217, 1220. Agudeza, 500, 518, 519, 522, 576, 760, 1080 ; çf. Pointe. Allégorie : chez les Anciens, 5, 19, 444 ; au Moyen Age, 34, 37, 39, 40 ; chez les humanistes, 159, 394; chez les Réfor­ mateurs, 295, 299, 300, 308 ; dans prédication post-tridentine, 454 ; au XVIIe s., 576 ; au XVIIIe s., 825, 871, 1081; au XIXe s., 1057, 1151, 1185, 1192, 1194. Allemagne : 107, 546, 561-562, 567, 575, 580, 902, 983, 985 ; enseignement, 545, 548, 549, 632, 948 ; éveil de la littéra­ ture nationale, 552, 554-555 ; influence rhétorique française, 751-754, 987 ; litté­ rature au XVIIIe s., 912, 987 ; rhéto­ rique, 823-836, 839-843, 844-852, 914, 939, 1013, 1014, 1245, 1246, 1251, 1264, 1289-1291 ; théâtre, 837, 987 ; çf. Langue. Allitération, 583. Allusion, 444, 527, 545, 560, 563, 591, 1081 ; style allusif, 134. Ambiguïté, 132, 213, 529, 831, 1276. Amérique du Nord, 951, 1279, 1283, 1286, 1287, 1293 ; çf. États-Unis. Amplification : — chez les Anciens, 22, 27, 481 ; — chez les humanistes, 143, 177, 220, 348, 389, 391, 423 ; — chez les Réformateurs, 281, 300, 306, 490;

— post-tridentine, 436, 437, 451, 452, 455, 482 ; — au XVIIe s., 512, 566, 586, 618, 638 ; — au XVIIIe s., 886, 887, 977, 1077 ; — au XIXe s.: 1061, 1233 ; discours scolaires d'—, 1122, 1149, 1152, 1181-1183, 1187-1192, 1196, 1198. Anadiplose, 391, 545. Anagramme, 913, 1082. Analogie, principe d’—, 625-626, 636, 713, 847, 1192, 1193. Analyse, procédés d’—, 105, 387, 641, 688-689. Analytique, méthode — : des Anciens, 113, 116, 601 ; au Moyen Age, 602 ; et les humanistes, 198, 199, 603 ; au XVIIe s., 640-643, 761; au XIXe s., 1227; au XXe s., 1242, 1244; cf Logique. Anaphore, 150, 383, 391, 578, 922. Ancien Régime, héritage rhétorique de Г— en France, 1076-1080, 1086, 1088, 1117, 1157, 1168, 1202, 1235, 1236 ; cf Classi­ cisme, Lumières, Sensualisme. Anciens et Modernes : nouveau débat au XIXe s., 1044 ; cf Querelle. Anecdote (forme brève), 763, 1134, 1169, 1170. Angleterre : 360, 546, 559, 560, 571, 576, 690, 879, 916, 929-930, 983 ; classicisme, 655-666 ; critique de l’enthousiasme, 687-689, 702 ; discours de la science, 585-588, 617 ; éloquence au Parlement, 563, 985, 1005, 1023, 1027, 1034, 1101-1102, 1115, 1201 ; enseignement en —, 361, 549, 553, 949, 950; goût, 898, 901-904, 913-917, 969-978 ; et la rhétorique, 191, 348, 360, 458, 546, 781-782, 844-846, 880, 895-898, 932, 939, 978-983, 1215, 1246, 1292, 1293 ; cf Grande-Bretagne, Langue, Royal Society. Anthropologie et rhétorique : 865, 1291 ; des Réformateurs, 242-249, 270 ; roman­ tique, 1053 ; au XXe s., 1269, 1271. Anticicéronianisme, 463, 489. Antihumanisme : post-tridentin et rhétorique, 435 ; rationaliste, 747. Anticartésianisme, 825. Anticicéronienne, rhétorique —, 465, 470, 475. Anticicéroniens, 227, 228, 231, 234, 358, 360, 394, 510 ; cf Querelle. Antipositivisme, 1271. Antique, rhétorique: 13, 18-32, 41, 43, 49, 54, 56, 59, 60, 62, 65, 66, 96, 99, 100, 112, 159-165, 167, 169, 177, 195, 198, 199, 215, 243, 343-345, 450-451, 457,

459, 466, 469, 476, 480, 481, 500, 507-512, 521, 523, 524, 552, 572-574, 580, 589, 590, 601-603, 605, 606, 620, 634, 684, 714-716, 745-747, 775, 776, 833, 841, 848, 857, 859, 887, 892, 906, 913-914, 949, 950, 953, 955, 984, 995, 1011, 1025, 1042, 1043, 1046, 1181, 1201, 1219-1222, 1229, 1230, 1232, 1233, 1234, 1245, 1256, 1258, 1265, 1266, 1268, 1270, 1274, 1284, 1287, 1288, 1290, 1291 ; cf Cicéronianisme, Cicéroniens, Imitation. Antirhétorique ou antirhétorisme, 688, 698, 741, 825, 973, 989, 1011, 1035, 1072, 1073, 1092, 1098, 1111, 1113, 1115, 1135, 1141, 1162, 1204, 1273. Antiscolastique, courant —, 435. Antisophistique, 860. Antithèse, antithétisme, 150, 300, 376, 438, 439, 443, 444, 451, 510, 527, 529, 542, 578, 590, 591, 885, 1061, 1062, 1066, 1160, 1189, 1190, 1186. Antonomase, 1081. Aphorismes, 480, 652, 672 ; aphoristique nietzschéenne, 649. Apodictique, 48, 72, 102, 419, 506. Apodose, 72. Apologue, 159, 182, 910, 911. Apophtegme, 427, 500, 722-724, 726, 729, 733. Aposiopèse, 444. Apostrophe, 142, 150, 510, 699, 886, 1161. Application (figure), 545, 562, 575, 577 . Apre, grandeur, style ou discours —, 433, 438,440,444,462,501, 502 ; cf Rugosité. Aptum, 348, 356, 358, 474, 841, 842, 860 ; cf Convenance, Decorum. Archaïsmes, 294, 358, 489, 582-583, 1014, 1164. Argument(s) : — chez les Anciens, 32, 635 ; — au Moyen Age, 199 ; — chez les humanistes, 77, 79, 86, 88, 89, 91, 93, 102, 165, 202, 243, 249 ; — chez les Réformateurs, 266 ; — au XVIIe s., 509, 587, 635, 635, 691, 702; — au XVIIIe s., 851, 860, 884, 908, 910, 1028; — au XIXe s., 1255; dans la classe de Rhétorique, 1187-1190, 1194; — çf. Argumentation, Délibératif, Dé­ monstratif, Judiciaire. Argumentation, techniques de Г—, 5 ; — chez Aristote, 601-603 ; — au Moyen Age, 41 ;

— scion les humanistes, 48, 54, 59, 60, 64, 70-74, 78, 84, 87, 90-98, N5, 195, 201-203, 207, 210, 220, 243, 1290; — politique au XVe s., 143144 ; selon Ramus, 374, 378 ; — chez les Réformateurs, 274, 278, 279, 290, 298, 304, 305, 307 ; — au XVIIe s., 506, 578, 583, 638, 639, 646, 650, 692, 694, 700, 731, 787, 795 ; dans discours scientifique, 609616, 622 ; — au XVIIIe s., 847, 930, 1012, 1013; — au XIXe s., 1051, 1052, 1054, 1055, 1057 ; enseignement et manuels, 1154, 1230; — au XXe s., 1221, 1278, 1285, 1294. Argutia, procédures de Г— : 523, 524, 528, 576. Aigutus, style, 476, 522. Aristotélisme ou rhétorique aristotélicienne, cf. Index des noms. Art (!') pour l’art et la littérature, 1113. Art d’écrire, cf. Écriture, Écrivain. Art de parler, cf. Éloquence, Voix. Art plastique, rhétorique et —, 151-154, 861, 867, 911 ; cf. Peinture. Artifice : recours à Г—, 759, 773, 846 ; refus de 1’—, 757, 762, 765. Artisans de la rhétorique, 1133-1139. Arts libéraux, cf. Trivium. Asianisme, Asiatique, Asianiste, 25, 261, 395, 433, 435, 437, 445, 448, 453, 455, 500, 502, 504, 518, 523, 544, 558, 559, 590, 713, 714, 719, 752, 760, 774, 830, 955, 969, 1294. Asperitas du style, 465, 507. Assemblées sous la Révolution française, 1009, 1019, 1020, 1024-1030, 10331035, 1083, 1094, 1118. Associationnisme, théorie de Г— et rhéto­ rique des philosophes, 966, 967. Assonance, 583. Asteia, doctrine des —, 451, 527, 568. Asyndètc, 376, 444, 966; style asyndétique, 489. Atrox, style, cf Violence. Atticisme, Atticistc, 25, 27, 28, 30, 165, 261, 301, 345, 364, 500, 502, 504, 523, 543, 548, 664, 680-681, 707-784, 828, 969, 1181, 1222; chrétien, 395, 435, 448, 449, 453, 454, 455 . Augustinienne, rhétorique —, cf. Index des noms. Auteur, cf. Écrivain. Autobiographie : lettre comme -, 474 ; rhé­ torique de Г—, 995-996.

Autriche, 131, 946. Avocat, éloquence de Г —, 562, 1005, 1050, 1090,1109,1178,1127,1222,1227,1241 ; et la prononciation, 794 ; cf. Barreau. Baccalauréat, 1085, 1097, 1099, 1117, 1120, 1122, 1123, 1126, 1141-1147, 1153, 1156, 1157, 1192, 1197-1202, 1217, 1237, 1241. Bagatelle, esthétique de la — ou petite litté­ rature, 672-673. Barbare, notion de — au XIXe s. : chez l’écrivain-tribun, 994, 996 ; en poésie, 979, 988. Barbares au XVe s., 215, 1288; scolastiques —, 54, 156, 233. Bardes : poésie des —, 384 ; en Angleterre, 898, 917, 979. Baroque et rhétorique: 519, 530, 544, 707, 713, 880, 888, 894, 912, 914, 927, ; en Allemagne, 548, 751-753, 827, 830, 835, 842, 843 ; en Prance, 589, 714, 759, 762, 913, 930, 931, 1060, 1164, 1170; en Italie, 770 ; origines, 28, 30. Barreau, rhétorique et éloquence du — : — selon les humanistes, 100 ; — au XVIIe s., 515, 559, 561-563, 724; — au XVIIIe s., 1005, 1082 ; — au XIXe s., 1232, 1049-1050, 1075, 1089, 1090; manuels, 1156, 1157, 1176, 1177, 1225. Bas, style, 28, 249, 264, 481, 572, 576, 589, 757, 1014, 1023, 1045; cf. Humble (style), Simplicité. Bassesse: dans les discours chrétiens, 761, 1079 ; principe de la — et rhétorique de Montaigne, 481, 482, 485, 571. Beauté, lien avec la rhétorique : selon les Anciens, 18, 19, 21, 22, 25, 30, 31, 438 ; au Moyen Age, 35, 40, 43, 44 ; chez les humanistes, 230 ; chez les Réformateurs, 276 ; et question de la langue nationale, 326, 342 ; et rhétorique post-tridentine, 435, 441, 443, 444, 446, 465, 476; au XVIIe s., 523, 526, 529, 541, 558, 573, 592, 692, 735, 831 ; au XVIIIe s., 829, 835, 836, 842, 856, 859, 873, 894, 903, 904, 907, 908, 968, 977, 983 ; au XIXe s., 1039, 1040, 1043, 1045, 1050, 1052, 1054, 1056, 1058-1066, 1139-1140; au XXe s., 1295. Belgique, 348. Belles-lettres: 951, 975, 978, 1001, 1013, 1049, 1084, 1085, 1125, 1157, 1229, 1255 ; et sa cousine la rhétorique, 976 ; article dans Y Encyclopédie, 893.

BeUctrisme: 1030, 1224-1225, 1245, 1252, 1257 . Bible ou Écriture sainte ou Texte sacré, liens avec la rhétorique, 33, 34, 38, 39, 56, 64, 70, 90, 150, 219, 245, 261, 263-265, 269-277, 279-269, 292-301, 303-309, 425, 432, 437, 457, 463, 501, 559, 564, 655-656, 658, 665, 689, 695, 710, 715, 737, 758, 761, 768-769, 807, 898, 1071, 1191, 1287; cf. Vulgate. Blâme, rhétorique du —, 220, 622. Bon sens : — écossais, 969, 974 ; — en France : et classicisme français, 680, 721, 736, 739, 762, 784 ; dans la petite littérature, 672 ; et rhétorique pascalienne, 648, 651 ; au XIXe s., 1198. Borroméenne, rhétorique -, cf. Index des noms. Brèves (formes), 575, 763. Brièveté ou breuitas ou breuitas : chez les Anciens, 395, 500 ; chez les Réformateurs, 304, 306 ; post-tridentinc : 435, 466, 470, 471, 476, 483, 488, 560 ; au XVIIe s., 511, 561, 618, 664, 691 ; au XVIIIe s., 908, 1012 ; au XIXe s., chez les romantiques, 1052, 1058, 1066 ; au XXe s., 1242. Brillant, dans le conceptisme, 525, 527, 529, 530. Brochures, 1005, 1009, 1011. Burlesque, 572, 576, 589. But de la rhétorique, cf. Fonction. Byzance et la rhétorique, 34-36, 69, 75-79, 131, 163, 169, 203, 388, 435, 1221, 1287, 1289 ; cf. Index des noms.

Cafés, 926, 936, 937, 970, 1002. Calembour, 382, 1082. Calligrammes, 913. Carnet, nouvelle forme littéraire, 1015. Cartésienne, méthode, ou cartésianisme, 631, 634-647, 659, 661, 662, 664, 708, 714, 716, 721, 725, 731, 733, 741, 746, 752, 760, 761, 770, 771, 779, 823, 829-831, 832, 853, 854-859, 947, 954, 1290, 1291, 1294. Cartographie de la rhétorique générale, 1269-1280. Catachrèse, 577, 924. Catéchétique, littérature —, 277, 289, 299301,309, 431. Catégories de la rhétorique, cf Rhétorique. Catholicisme et rhétorique : humaniste, 107 ; tridentine et post-tridentine, 431-440, 443, 445-457, 459, 463, 465, 469; au

XVIIe s., 501-503, 559, 632, 647, 659, 737-747 ; au XVIIIe s., 826, 843, 853, 978; au XIXe s., 1073, 1098, 1224; au XXe s., 1113, 1138-1139, 1191 ^Théo­ logie. Centon : au barreau, 562 ; politique posttridentin, 472, 473. Chaire : religieuse, çf. Prédication ; universi­ taire, 1049, 1090, 1095, 1099-1107, 1112, 1118, 1134, 1176, 1177, 1179, 1240. Champ de la rhétorique, cf. Domaine. Chiasme, 542. Chose ou res, connotation rhétorique : — chez les Anciens, 581 ; — chez les humanistes, 46, 52, 65-68, 70, 72, 78, 92, 97, 100, 103, 104, 106, 108, 158, 170, 171, 177, 208, 237, 239, 241, 242, 244, 326, 329, 385; — post-tridentine, 464, 465, 476, 478 ; — au XVIIe s., 510, 511, 539, 541, 546, 548, 551, 554, 574, 693, 717, 718, 730, 734, 758, 760, 778, 783; et discours scientifique, 607, 616, 641 ; — au XVIIIe s., 831, 871, 872, 995, 996, 1022. Chrie, exercice de rhétorique, 29, 547, 892, 1080. Christianisme et rhétorique : 7, 34, 1046 ; au Moyen Age, 1288 ; chez les humanistes, 149, 194-195, 208, 211, 213, 215, 217, 222, 225, 226, 232-233, 237, 243-245, 266-267, 281-282, 740, 769; chez les Réformateurs, 277-286 ; post-tridentinc, 431-492, 501 ; au XVIIe s., 513, 559, 649, 697-702, 737, 739, 761, 775, 1079; au XVIIIe s., 896 ; au XIXe s., 1051, 1056, 1063, 1064, 1065, 1178; au XXe s., 1221 ; cf. Catholicisme, Prédication, Puri­ tains, Réforme, Sacré, Théologie . Cicéronianisme, cicéronisme, 159-161, 226235, 237, 238, 261, 294, 347, 351-364, 457, 461-464, 474,476, 480,481, 499, 501-502, 510, 518, 539, 752, 832, 847, 872, 949. Cicéroniens, 206, 231, 232, 234, 239, 349, 352, 360-364, 366, 384, 385, 437, 463, 466, 476, 478, 485, 499, 510 ; — souples et stricts, 235, 357-358 ; cf. Querelle. Citations, rhétorique des — : 463, 572, 577, 582, 717-731, 733, 908 ; au barreau, 562, 563 ; dans le conceptisme, 528 ; et dis­ cours louable, 433 ; dans manuels, 1177, 1182; chez Montaigne, 484, 485 ; dans la petite littérature, 672 ; dans manuels,

550 ; et rhétorique pascalienne, 650-651, 654 ; et sermons anglais, 560 ; et sermons français, 699, 908. Civile, vie — et rhétorique, 80, 303, 294, 403-415, 427, 428, 753, 842, 864, 972, 1194, 1288. Civilisation, rôle de la rhétorique dans la fon­ dation de la —, 138. Civique : éloquence —, 488 ; fonction — de l’écrivain, 986 ; fonction — de la littéra­ ture, 1013; humanisme —, 139, 283, 295 ; espace — dans traités des manières, 420 ; style — en Allemagne, 753-754. Clarté ou claritas : chez les Anciens, 26, 581 ; chez les humanistes, 147, 177, 159, 205, 206, 231, 708 ; chez les Réformateurs, 274, 274, 279, 283, 288, 294, 304, 457, 489, 708 ; dans rhétorique post-tridentine, 445, 454, 455, 464, 471, 474, 476, 477, 488, 492 ; au XVIIe s., 558, 560, 618, 619, 643, 664, 672, 679, 689, 693, 707, 712, 714, 719, 725, 759, 761, 778, 830, 831, 841 ; au XVIIIe s., 908, 920, 922, 938, 958, 959, 968, 980 ; au XIXe s., 1163, 1164 ; au XXe s., 1242, 1244 ; cf Enargeia, Hypotypose, Transparence. Classe(s) de rhétorique, 776, 777 ; en France, 1073, 1076, 1077, 1079, 1089, 1091, 1115-1147, 1163, 1168, 1175, 1184-1201, 1222, 1229, 1232-1240. Classicisme : 869 ; en Angleterre, 655-666 ; augustéen, 847 ; en France, 529, 530, 582, 589-592, 629-654, 665-702, 714, 716, 719, 721, 734, 752, 757, 758, 913-915, 980, 987, 1164, 1165, 1167, 1168; grec, 897; latin, 454, 523; litté­ raire propre à la langue vulgaire, 334 ; origines, 28, 30. Classification : des arts par Averroès, 178 ; du discours en Amérique, 1255 ; des figures, 527-528, 1042 ; de Fonzio, 179 ; des for­ mes de la rhétorique, 221-222, 369-390, 458, 469, 505-507, 509, 907 ; des lieux mélanchthoniens, 206-208 ; des passions, 779 ; scolastique, 71 ; des tons, 512. Classiques, lycées —, fin de l’enseignement de la rhétorique, 1178. Clausule, usage dans l’oraison, 382. Cliché, 764, 1266, 1267. Climax, usage dans la rhétorique sacrée, 35. Clubs révolutionnaires et éloquence : 1007, 1009, 1023, 1032, 1083. Cœur : langage du —, 277, 888 ; rhétorique de ce qui touche au —, 269, 556, 889, 908, 1031, 1054, 1080, 1227. Collèges: 206, 342, 345, 346, 353, 386, 387,

431, 492, 547-549, 724, 839, 845, 851, 883, 892, 937, 945-949, 954, 970, 972, 989, 992, 1073, 1075, 1077-1080, 1086, 1113, 1175, 1176, 1185, 1224, 1231, 1233, 1240; américains, 1251, 1254, 1256; de Coqueret, 386, 391; de Guyenne, 350; jésuites, 334, 449, 451 453, 455, 488, 547, 557, 582, 775-776, 826, 835, 945-949, 1117 ; de Presles, 342, 353, 369-372, 375, 380, 382, 386, 392, 396. Comédie : et le conceptisme, 524 ; latine, 476 ; au XVIIe s., 571, 592 ; au XVIIIe s., 849, 892, 902, 978, 1014. Commentaire rhétorique, commentateurs, 209, 341, 378, 379, 384, 387, 392-393, 449, 473, 502, 582, 727, 728, 770-772, 906, 909 ; cf Exégèse. Commentaire scolaire, 547, 1174, 1177, 1182, 1191 ; cf Explication de textes. Communication: de masse, 1274, 1294; publique et redécouverte de la rhéto­ rique, 1258, 1261, 1262; et rhétorique instrumentale, 1256, 1268 ; et rhétorique transactionnelle, 1258 ; cf Idées, Sociale (vie). Comparaison, 220, 471, 636, 1042, 1151, 1190. Comparées, rhétorique berceau des études —, 953, 977, 978. Composition ou compositio (partie de l’art ora­ toire), 79, 80, 147, 422, 443, 575, 909, 956, 974, 976. Composition scolaire, 1123, 1126, 1141, 1142, 1183-1191, 1197, 1216, 1217, 1221, 1224, 1234, 1252-1257. Conception, conceptisme, concepto, concetto : 27, 478, 482, 484, 486, 502-503, 517-531, 559, 572, 573, 630, 707, 739, 758, 769-770, 775, 912, 914, 915, 1080. Concile de Trente, influence sur la rhéto­ rique, 431-434, 446, 559, 560, 737, 788, 1077. Concinnitas : cicéronienne, 28, 383, 385, 453, 462 ; dans traités des manières, 422 ; et rhétorique post-tridentine, 437, 445, 453, 454, 462, 464, 488 ; cf Inconcinnitas, Har­ monie. Condones français, 1147, 1148, 1151, 1171, 1178, 1180, 1181, 1200, 1202, 1218, 1223. Concision, 492, 1010, 1051, 1245; cf Briè­ veté. Conclusion: et les humanistes, 71, 72, 74, 77 ; et les Réformateurs, 306, 308 ; cf Apodose.

Concours général, 1099, 1115, 1121, 1122, 1192, 1194, 1218. Confessions, 991, 1014. Confirmation ou confirmâtio, 22, 64, 108, 305, 306, 578, 587, 1155 ; cf. Preuve. Consolatif (genre), 307. Contemplation et rhétorique transaction­ nelle, 1258. Contes : 915 ; de fées, 764. Contestation, genres de la —, 986. Contiguïté, processus sémantique, 1272. Contre-Réforme et rhétorique, 7, 431-492, 1072. Controverse, pratique de la — : chez les Anciens, 26, 508 ; chez les humanistes, 99, 107 ; chez les Réformateurs, 297, 298 ; post-tridentine, 431, 473 ; au XVIIe s., 555, 578, 647; au XIXe s., 1077-1078; cfi Débat, Discussion, Disputatio, Dispute. Convenance, notion de - : chez Cicéron, 22, 235, 437, 513, 860 ; dans les traités des manières, 422, 425 ; post-tridentine, 435, 451, 455, 474; au XVIIe s., 515, 529, 556, 763, 832 ; au XVIIIe s., 842, 843, 862, 908; au XIXe s, 1162; cf. Aptum, Decorum. Conversation, art de la — : selon les huma­ nistes, 75, 139, 140, 182, 211, 213, 349; et les Réformateurs, 458 ; et question de la langue en Italie, 323, 324, 334 ; dans les traités des manières, 420, 422, 426-428 ; et pour les prédicateurs post-tridentins, 447 ; au XVIIe s., 540, 552, 559, 567-568, 590, 622, 666-669, 671, 672, 722, 723, 762-766, 779, 781, 797, 803, 804; au XVIIIe s., 847, 850, 897, 925, 931-939, 957, 967, 969, 970, 972, 990, 1001-1003, 1006-1008, 1011; au XIXe s., manuel, 1156, 1186, 1203, 1225. Corps: éloquence du —, 512, 514, 797, 836, 838, 986, 1294; expression des — au théâtre, 685 ; rhétorique du —, 565, 987 ; cf. Geste, Voix. Correspondance, cf. Épistolaire (art). Corrompue, éloquence —, 504, 824 (écrit eloquentia corrupta). Corruption : adéquation rhétorique et — de l’auditeur, 445, 451 ; de la langue et de la parole sous la Révolution, 1023 ; due à la rhétorique, 635, 990. Couleurs de rhétorique, recours aux — : chez les Anciens, 26, 27, 32 ; au Moyen Age, 38 ; chez les humanistes, 67, 134, 1290 ; au XVIIe s., 772, 773 ; au XVIIIe s., 983, 1023 ; au XIXe s., 1043.

Coupé, style, 466, 470, 489, 518, 575, 576, 890, 921-922. Cour, courtisans et la rhétorique : et les Rhétoriqueurs, 132 ; des humanistes, 139, 182, 211, 214, 244, 249, 324, 387, 433, 564, 565 ; et question de la langue en Italie, 323-325, 328, 330, 334 ; et traités des manières, 416-429 ; au XVIIe s., 515, 540, 545-548, 560-562, 566, 572, 579, 660, 662 (écrit aulique), 663 (id.), 665, 711, 713, 752, 959; au XVIIIe s., 839, 935, 938, 1004, 1005, 1007. Cours de rhétorique, 973, 978, 983. Courtoisie, idéal de — et littérature, 415-416. Coutume : recours à la — et rhétorique pascalienne, 652-654 ; et pratique de la langue française, 778, 780. Création littéraire, 25, 27, 147-149, 172, 178, 183 (écrit production), 230, 235, 351, 570-581, 760 (id.), 763 (id.), 899-902, 939, 981, 1040, 1044-1046 ; çf. Écriture, Écrivain. Creative writing, 1257. Cri comme mode d’expression, 1011, 1065. Crises de la rhétorique : cf. Rhétorique. Critique et Critiques : — divers : dissertation —, 1143 ; fonction de la -, 975 ; comme genre d’écrit, 1101 ; historique, 669 ; littéraire, 833, 951, 1252, 1255, 1256; méthode de Vico, 857-858 ; opinion de La Harpe, 1087 ; philosophie —, 829, 857-863 ; retour de la - à la rhétorique, 1273, 1276, 1277; — et les Anciens, 25, 521 ; au XVIIe s., 735, 973 ; au XVIIIe s., 728, 859, 862, 1082 ; au XIXe s., 1045, 1087, 1240. Cultistes ou culteranistes en Espagne, 519. Culture : de la langue nationale, 920-926 ; de masse, 1274; naissance de la conception moderne de la —, 41, 44, 413, 456 ; post-tridentine, 449 ; forme de — au XVIIfs., 880 ; et rhétorique au XVIIIe s., 939. Culture rhétorique, 539-592, 1231, 12401247.

art du — : chez les Anciens, 22 ; chez les humanistes, 74, 97, 282 ; chez les Réformateurs, 284-285 ; au XIXe s., 1182; enseignement, 1092, 1177, 1198; — cf Controverse, Discussion, Disputatio, Dispute. Déception (figure), 527, 528.

Débat, — — — —

Déclamateur distinct de l’orateur, 782, 1228. Déclamation, techniques et usage de la — : chez les Anciens, 26-30, 32, 211, 213 ; chez les Grands Rhétoriqueurs, 132 ; chez les humanistes, 224, 346 ; et les Réformateurs, 298 ; au XVIIe s., 566, 797, 798; au XVIIIe s., 905, 933, 985, 1005, 1007 ; au XIXe s., 1059, 1092. Déconstruction et rhétorique, 1265, 1276-1277, 1279. Décorum : de Cicéron, 860 ; principe du —, 214, 376 ; post-tridentin, 435, 451; au XVIIe s., 556 ; au XVIIIe s., 842 ; cf. Aptum, Convenance. Découverte : de la matière d’argumentation, 82, 91, 96, 97, 102, 105, 610; et mé­ thode cartésienne, 642. Dédicaces, 419. Déduction comme instrument rhétorique, 1218, 1234, 1244. Définition, notion de la — : chez les huma­ nistes, 70, 96, 102, 103, 105, 106, 110-112, 115; chez les Réformateurs, 279, 288; au XIXe s., 1152, 1185; au XXe s., 1265. Delectare, delectatio, délectation, 159, 162, 276, 346, 432, 435, 436, 445, 446, 452, 464, 467,469, 574,907, 939 ; cf. Plaire (art de). Délibératif (genre), 22, 77, 78, 138, 180, 209, 281-286, 291, 298, 307, 454, 488, 510, 562, 578, 604, 605, 851, 910, 1001, 1009, 1021, 1023, 1026, 1089, 1198. Délicat, style, 541, 589. Délicatesse, 530, 577, 710, 711, 759, 983. Démagogie révolutionnaire et éloquence, 1023, 1025-1027. Démocratie et rhétorique, 1009, 1012, 1113, 1236, 1257, 1258, 1270, 1285, 1294. Démonstratif (genre — ou épidictique), 22, 77, 78, 138, 139, 156, 166, 175, 180, 209, 279, 289-291, 298, 307, 327, 389, 439, 447, 454, 466, 488, 502-504, 509, 510, 543, 562, 564, 570, 578, 587, 605, 672, 674, 731, 732, 765, 829, 851, 910, 1054, 1089. Démonstration, procédure de la —, 71, 74, 87, 92, 105, 375, 624, 639, 652. Dense, style, 437, 454, 469-471, 476, 575, 584. Description ou art descriptif ou ekphrasis : au Moyen Age, 39 ; chez les humanistes, 70, 151, 163, 165, 166, 175, 176, 220; au XVIIe s., 503, 514; au XIXe s., 1152, 1165, 1184, 1185, 1255. Design, 897. Devise, 575, 1081.

Dialectique, fonction et domaine de la — : — chez les Anciens, 19-21, 49, 174, 243, 457, 601-602, 1220, 1284; — au Moyen Age, 37, 46, 50, 51, 53, 64, 602, 708 ; — chez les humanistes, 57, 59, 65, 66, 72, 75, 85, 86, 88-89, 91-102, 106-110, 113-119, 179, 181, 182, 191, 198-209, 226, 242, 259, 386, 602; et les pseudo-dialecticiens, 192-198 ; selon Ramus, 375-379, 385, 644 ; — chez les Réformateurs, 273, 274, 277-279, 284, 288, 289, 293, 299-303, 305, 308, 309 ; — post-tridentine, 437, 458 ; — au XVIIe s., 506, 523, 526, 543, 547, 548, 585, 590, 602, 612-615, 620, 709 ; liens avec la géométrie, 712 ; — au XVIIIe s., 846, 948 ; — au XIXe s., 1229, 1234; — cf Syllogisme. Dialogisme, 1082. Dialogue : — chez les Anciens, 19, 23, 24, 30, 476, 568, 570 ; — chez les humanistes, 54, 57, 192, 209-219, 235; selon Ramus, 380, 389 ; dans les traités des manières, 416, 418, 419; — et question de la langue en Italie, 326, 327 ; — post-tridentin, 436,448,460,471,492 ; — au XVIIe s. : 578, 622, 763, 1285 ; dans la nouvelle science, 622, 1285 ; — au XVIIIe s., 838, 859, 885, 897, 920, 930, 931, 936, 937, 938; — au XIXe s., enseignement, 1082, 1149, 1184, 1186, 1198, 1184; — cf Conversation. Diatribe, procédé humaniste, 57, 282. Diction : et le conceptisme, 522 ; lien avec le style, 512 ; et la prononciation, 803 ; théâtrale et étude du geste, 515 ; au XXe s., 1241 \cf Figures. Didactisme et rhétorique, 869, 960, 1057. Didascalique, genre des Réformateurs, 277309. Dignitas, notion de —, 147, 583, 841. Digression, 211, 273, 282, 375, 473, 484 {écrit digressivité), 509 (écrit digressing 622, 967. Diplomatie et rhétorique, 139-145, 565, 839. Discours (sens oratoire) : — des Réformateurs, 269-271 ; — au XVIIe s., 547, 562-564, 737-747 ;

— au XVIIIe s., 880, 881, 883-891, 895, 899, 980, 985, 992, 996, 1005, 1007, 1009, 1012, 1019, 1022, 1083, 1092; — au XIXe s., 1072, 1095, 1116, 1148, 1227, 1228; manuel, 1154, 1156, 1157, 1160; — çf. Barreau, Chaire, Harangue, Homilétique, Militaire, Oratoire (art), Ora­ teur, Prédication, Révolution fran­ çaise. Discussion, notion ou art de la — : 20, 25, 59, art de la — chez les Anciens, 20, 25, 99 ; au Moyen Age, 59 ; et les huma­ nistes, 59, 77, 102, 107, 174, 214-215; post-tridentine, 451 (écrit disputata) ; chez les Réformateurs, 279 ; au XVIT s., 587 ; çf. Controverse, Débat, Disputatio, Dispute. Disposition ou disposition théorie de la — : — chez les Anciens, 22 ; — chez les humanistes, 79, 85, 87, 89, 94, 95, 100, 102, 108, 110, 111, 113, 114, 119, 151, 202, 348, 363, 390 ; et Ramus, 376-379, 603, 708 ; — chez les Réformateurs, 273, 274, 304, 305, 309, 457 ; et usage des langues nationales, 363, 365 ; — dans rhétorique post-tridentine, 452, 479, 481 ; — au XVIIe s., 515, 553, 588, 831, 832 ; en France, 542, 574, 635, 641-642, 644, 682 ; — au XVIIIe s., 838, 842, 910, 939, 952, 953, 961, 967, 996, 1082 ; — au XIXe s., 1226, 1227, 1230, 1240, 1255; enseignement, 1144, 11541159, 1197; — au XXe s., 1243 ; — çf. Division, Proposition. Disputation 84, 95, 174, 573, 669, 1092, 1285 ; çf. Controverse, Débat, Discussion, Dis­ pute. Dispute : et les humanistes, 53, 57, 75, 87, 91, 92, 101, 283 ; chez les Réformateurs, 285 ; au XVIIe s., 642, 671, 726 ; çf. Con­ troverse, Débat, Discussion, Dispute. Dissertation, 568, 987, 1116, 1123, 1141, 1143, 1174, 1196-1200, 1220, 1236. Dissimilitude, 526, 636. Dissimulation, rhétorique de la —, 423, 617. Distribution notion de —, 110, 115, 220, 510. Division, recours à la — : chez les Anciens, 22, 26; chez les humanistes, 102, 112; au XVIIe s., 507 ; au XIXe s., 1154, 1173 (écrit divisio).

Divisions de la rhétorique, çf. Rhétorique (à « catégories »). Doceren 270, 271, 301, 939 ; çf. Enseignement. Doctorat, 1099. Doctrines rhétoriques, 42, 52, 297, 301, 980, 983, 985, 1010, 1028, 1044, 1064, 1263; çf. Antique, Antirhétorique, Cartésienne, Humanisme, Méthodes, Nouvelles rhét., Règles, Réhabilitation, Remise en cause, Renaissance de la r., Renouveau, Restau­ ration, Restreinte. Dogmatisme : aristotélicien, 662 ; néo­ aristotélicien, 665 ; et réfutation pascalienne, 652 ; théologique et rhétorique des Réformateurs, 281-286, 290. Domaine ou champ de la rhétorique : — chez les Anciens, 5, 18-21, 31 ; — au Moyen Age, 36, 38, 41, 42 ; — selon les humanistes, 64, 65, 80, 91, 95-101, 106, 108, 112, 178, 179, 191192, 198-209, 225-226, 374, 385, 708; — selon les Réformateurs, 278, 296, 298 ; — et question de la langue vernaculaire, 316, 317, 326, 331, 332, 334, 345; — post-tridentine, 458, 463 ; — au XVIIe s., 504-511, 514, 515, 553, 570, 572-577 ; — dans le conceptisme, 523, 526 ; — en France, 539-543, 555-556, 577, 581-592, 613, 682, 688, 691-694, 722, 731, 736, 743, 745, 757, 771, 778; — au XVIIIe s., 850, 856, 869, 883, 884, 894, 900, 905, 909, 911, 922, 925, 926, 932, 949, 955, 978, 980, 981, 983, 1001 ; — au XIXe s., 1027, 1041, 1046, 1062, 1186, 1203, 1227, 1231, 1233, 1235, 1238, 1255; — au XXe s., 1258, 1263, 1265-1269, 1271, 1272, 1276-1277, 1285, 1286. Douceur dans le style, 25, 32, 435, 437, 501, 560, 667. Doxa rhétorique, 224, 388, 488, 635, 645, 650, 653, 1022, 1274, 1285, 1294; çf. Opinion. Dramatique : art — et rhétorique, 835838 ; discours, 575, 578, 579 ; rhéto­ rique — Burke, 1269. Drame, 1014, 1046, 1161. Droit et la rhétorique, 23, 57, 465, 567, 861. Dur, style, 511.

Ecclésiastique, rhétorique - : et les humanis­ tes, 221 ; et les Réformateurs, 261, 272, 276, 279, 294, 298, 303 ; au XVIIe s., ver­

sion — de 1 'actio, 515 ; cf. Jésuites, Oratoriens, Oratorio, Prédication. Eclipse de la rhétorique en France : au XIXe s., 1076, 1086, 1088, 1113 (écrit dis­ paraît), 1114, 1117, 1180 (écrit décapiter), 1200, 1201, 1215-1247; au XXe s., 1114. École normale supérieure (Ulm), 1084, 1086, 1099, 1120, 1121, 1134, 1135. École rhodienne d’éloquence, 22. École, cf. Scolastique. Écoles centrales, cours dans les —, 10841086, 1203. Écossaise, rhétorique, 945, 950-952, 964, 969, 971, 973-976, 1168, 1251. Écriture : — chez les humanistes, 235 ; — conceptiste, 517-520; — au XVIIe s. : 557 ; épistolaire, 579581 ; en France, 543, 556, 578, 582, 724, 725 ; scientifique, 616 ; — au XVIIIe s., 957-960, 991, 994; élo­ quence de Г—, 1012 ; — au XXe s., 1273 ; — automatique, 1266 ; — séparée de la lecture, 1242, 1243 ; toute lecture est —, 1263. Écrivain ou auteur : cicéroniens, 499 ; épistoliers du début du XVIe s, 462 ; selon les humanistes, 164, 215; italiens et question de la langue, 348 ; posttridentins, 458, 459, 461, 463, 465, 466, 470-477, 480, 481, 485-488 ; au XVIIe s., 499, 517, 546, 550, 554, 557, 562, 565, 573, 576, 671, 725, 728, 731-736, 749, 763; au XVIIIe s., 894 (écrit artiste), 899, 901, 906, 913, 914920, 927-928, 936, 938, 964, 965, 981, 986, 990, 994, 996, 1003, 1014, 1027 ; au XIXe s., 1040, 1044, 1053, 1066, 1127, 1167, 1202, 1252; au XXe s., 580, 1166, 1256, 1258, 1267, 1273, 1277 ; cf Homme de lettres. Editing, signification, 1255. Éducation, cf Pédagogie. Églogue, 178. Ekphrasis, cf Description. Électrisation, électrisé, mots utilisés sous la Révolution, 1022, 1024. Élégance et elegantia : et les Anciens, 22, 26 ; et les humanistes, 59, 63, 69, 87, 102, 134, 147, 422; chez les Réfor­ mateurs, 276, 288 ; dans rhétorique post-tridentine, 454, 467, 476 ; au XVIIe s., 507, 527, 542, 550, 582, 696, 755; au XVIIIe s., 831, 841, 842, 908, 980, 986 ; au XIXe s., 1060 ; au XXe s., 1244.

Élégie, 178, 719, 1060. Élevé, style, 19, 25, 249, 265, 438, 440, 540, 591, 757, 773, 917, 1052. Élite sociale : nouvelle — à la fin du XVIIIe s. et la conversation, 1008 ; et la rhétorique, 710-711, 723, 724. Ellipse, 390, 681, 958, 1057, 1060, 1066. Elliptique, style, 489, 502. Élocution ou elocutio : et les humanistes sur 1’—, 73, 79, 87, 91, 97, 100, 102, 147, 165, 205, 314, 390 ; et Ramus, 377-379, 384, 458, 708 ; enseignement au XVIe s., 347, 348 ; refonte de Г—, 354 ; dans trai­ tés des manières, 422 ; — et les Réformateurs, 308, 457 ; — et question de la langue vernaculaire, 327, 363-365 ; — post-tridentine, 433, 434, 440, 450, 451, 455, 478, 479; — au XVIIe s., 506, 513, 515, 523, 551, 561, 572-575, 577, 582, 644, 682, 709, 724, 726, 727, 740, 741, 771, 772, 774, 787, 797, 798, 803 ; scienti­ fique, 616-620 ; — au XVIIIe s., 841, 885, 887, 892, 896, 910, 939, 952, 953, 996, 1024, 1034 ; cours d'—, 971-972 ; — au XIXe s., 1226, 1230; enseigne­ ment, 1155, 1157-1159, 1197, 1225; — au XXe s., 1243, 1244, 1253, 1272. Éloge : 58, 138, 211-213, 224, 466, 504, 509, 519, 558, 622, 673-674, 1082 ; à l’Académie française, 554, 1004-1005. Éloquence : — chez les Anciens, 18, 19, 22, 24, 26, 29, 30, 31, 55, 162, 243, 383, 438, 454, 488, 512, 542, 674, 835, 1025, 1051, 1089, 1222; — au Moyen Age : 393 ; — politique, 38 ; — religieuse, 35, 39, 42 ; — des scolastiques, 54 ; — et les humanistes, 46, 49, 51, 5558, 60, 64, 75, 80, 84, 85, 99, 133, 135-143, 147, 148, 156, 178, 182, 201, 204, 205, 215-219, 234, 242, 244, 246, 247-249, 260, 359, 360, 500, 1290 ; enseignement: dans les collèges, 346, 371 ; historique, 144; judiciaire de Budé, 216; en latin, 348 ; selon Lipse, 472-476, 499 ; en pédagogie, 154 ; redéfinition de 1’—, 135-140, 165-166 ; religieuse, 149-151 ; selon Ramus, 377, 386, 389 ; de Sturm, 347 ; dans traités des manières, 425 ;

— et les Réformateurs, 262, 273, 275, 276, 279-285, 289-292, 301, 303, 308, 309, 489 ; cf Homilétique ; — et question de la langue vernaculaire, 326, 327, 329, 341-342, 369; — post-tridentine : 462-464, 466, 470, 472, 474, 487 ; abrégée, 435, 457 Jé­ suite, 451-455; dans la prédication, 433,434,436-438,444,446-448,450 ; — au XVIIe s., 502-504, 506, 510, 515, 520, 524, 546, 548, 560 ; en Eu­ rope, 546, 548, 563, 566, 576, 587, 591, 629-633, 656-659, 662; en France, 541-543, 553, 555, 559560, 574, 577, 579, 583, 639, 646, 647, 654, 665-702, 707-784, 797, 1079 ; et la science, 604-605,617,618 ; — au XVIIIe s., 824, 841-843, 856, 857, 860, 862, 881, 883, 886-897, 900, 906, 908, 911, 912, 918, 922, 923, 926, 927, 932, 933, 939, 949, 953, 960, 969, 980, 984, 986, 987, 989-996, 1001-1016, 1019-1035, 1080, 1082, 1088, 1291 ; — au XIXe s., 1046-1054, 1087, 10901115, 1118, 1225, 1227, 1229-1233, 1237, 1240 ; cinq genres d'—, 1090 ; enseignement, 1120, 1122, 1126, 1145-1195, 1224, 1294; — au XXe s., 1241, 1246, 1266, 1295; — cf. Prononciation, Oratoire (art). Emblème, 140, 575, 837, 1081. Émotion, communication ou expression de Г— ou émouvoir, 22, 25,202, 276,512, 540, 622, 667, 684, 742, 747, 772, 773, 832, 834, 886-890, 891, 895, 896, 897, 900, 905, 907, 939, 1012, 1014, 1027, 1047, 1051, 1053, 1054-1061, 1163, 1181, 1276, 1294 ; cf. Movere, Pathos. Empathie, esthétique de Г—, 834, 897. Emphase romantique, 1165. Emphasis dans rhétorique post-tridentine, 445, 470, 471, 476, 477, 483, 488, 500. Empire, premier—, 1081, 1090, 1091, 1117, 1151-1152, 1201. Empire, Second, 1091, 1126, 1127, 1151, 1202. Empirique, méthode — en rhétorique, 1219, 1234, 1242, 1258. Enargeia, notion d’—, 165, 176, 886, 980 ; cf. Clarté. Encyclopédie, Encyclopédistes, 879, 882, 883, 891, 921, 927, 936, 969, 1001, 1073, 1076, 1077, 1118; articles sur la rhéto­ rique, 892-893, 895, 896, 908, 945, 954, 1078, 1080-1082.

Encyclopédique: autorité — du vulgaire, 583 ; idéal humaniste —, 170, 217, 240, 463, 464, 476, 488, 505, 640. Énergie ou energeia, rhétorique de Г—, 797, 862, 879, 886, 980, 985, 992, 1015, 1030, 1053. Enflure: condamnation de 1'— en Alle­ magne, 830 ; langage sans —, 761 ; et conceptisme, 530. Énigme, 1057. Énonciation ou cnunciatio : définition, 70, 117; selon Ramus, 378 ; post-tridentine, 458 ; au XVIIe s., 575, 584, 709, 782. Enseignement : — des Anciens, 19-22, 25, 55, 344, 346, 347, 453 ; — au Moyen Age, 38, 39, 57 ; — des humanistes, 56-62, 82-84, 87, 90, 93, 96, 99-101, 106, 107, 113-115, 117, 132, 137, 154-156, 174, 191-193, 196, 200, 203, 221, 222, 227, 343-351, 369-390, 393, 396, 413 ; — et la Réforme, 262, 272, 277-309 ; — post-tridentin, 464-465, 467 ; — au XVIIe s., 547-549, 632, 747, 752-754, 775-780 ; — au XVIIIe s., 826, 840-841, 853, 858, 879, 883, 920, 945-952, 956-960, 968, 980, 982, 983, 1015, 1021, 1075-1080, 1117-1118; dénonciation par Rousseau, 989, 992 ; — au XIXe s., 1039, 1040, 1066, 1073, 1083-1088, 1091, 1113-1149, 11661201, 1215-1219, 1222-1231, 12341238; — au XXe s., 1245-1247, 1251-1259, 1263; — cf. Classe de rhétorique, Collèges, Exercices, Docere, Langue, Latin, Pédagogie, Scolaire, Trivium, Univer­ sités. Enthousiasme, notion rhétorique ou commu­ nication del’—: 142, 159, 166-169, 177, 182, 218, 394, 433, 561, 571, 687-689, 691, 702, 835, 895, 897-900, 979, 980, 1052, 1056, 1163, 1227. Enthymème, 20, 59, 64, 72-74, 419, 506, 528, 601, 713, 721, 729, 760, 770, 847, 849, 850, 854, 955. Entretien (genre), 590, 762-763. Épichérème, 64, 72-74. Épidictique (genre), cf Démonstratif. Épigramme, 140, 145, 178, 182, 520, 524, 529, 572, 575, 719, 910, 912. Épique : poème —, 439, 902 ; recours de savants à 1’—, 587.

Épistémologie: 710, 713, 718, 924, 927 ; et rhétorique, 864, 911, 1247, 1252, 1259, 1262, 1271, 1285, 1287. Èpistolairc, art — ou lettre ou épître : chez les Rhétoriqueurs, 132 ; chez les humanistes, 145-149, 156-159, 164165, 182, 201, 210, 221, 228; manuels —, 348-351 ; post-tridentin, 460-462, 466, 467, 472, 474-477, 487 ; au XVIIe s., 506, 539, 541, 551, 555, 568, 572, 573, 577, 579-582, 622, 647, 722, 765766, 798; au XVIIIe s., 843, 846, 910, 920, 936, 937, 986, 991, 1014; au XIXe s., enseignement, 1133, 1156, 1186, 1197. Épistrophe, 382. Épître, 49, 56, 57, 147 ; cf Èpistolairc. Épopée, 440-441, 444, 571, 589, 720, 773, 1161. Équivoque (figure), 527, 529, 583, 591, 760 ; dans poésie des Rhétoriqueurs, 132. Eschatologie et rhétorique, 438, 448. Espagne: conceptisme, 517-531, 576, 915; enseignement, 946 ; goût, 912, 915 ; jan­ sénisme, 888 ; langue, 916 ; rhétorique en —, 388, 453, 457, 962. Esprit : action de Г—, 712, 716, 719 ; bel —, 756, 761, 912, 914; et conceptisme, 520-522, 524, 527, 528 ; et la conversa­ tion, 1011 ; formation de Г—, 552, 757, 832, 844 ; et les humanistes, 235, 285 ; mots d*—, 524, 1011, 1034, 1272; pas­ sions de Г—, 685-687 ; théorie de Г— au XVIIIe s., 927-931, 938, 956, 964, 966 ; cf Ingenio, Mens. Essai : 920, 936, 937, 1014 ; politique, 518 ; rhétorique de Г— chez Montaigne, 71-72, 477-488, 571, 573, 580, 590, 646, 715, 716 ; structure d’— des discours de l’Oratorio, 448. Esthétique : — chez les Anciens, 25 ; — au XVIIIe s., en Allemagne, 988 ; apparition du terme, 529 ; comme autre conception de la poésie, 894 ; théorie — naissante, 907, 908, 912, 979, 980 ; réorientation de la vie litté­ raire vers Г—, 1027 ; — au XIXe s., enseignement de Г—, 1126; romantique, 981, 1039, 1040, 1044. États de causes, théorie des — : élaboration, 21, 32 ; selon Ramus, 378. États-Unis, rhétorique aux —, 1215, 1246, 1251-1259, 1261, 1277, 1279, 1294.

Éthique, rapport avec la rhétorique, 376, 515, 630, 637, 640, 641, 645, 649, 684, 685, 692, 694, 767, 842, 1056, 1229. Ethos, notion d’—, 261, 270, 420, 432, 501, 508, 562, 602, 615, 671, 684, 688, 691, 698, 701, 738, 763, 775, 990, 1024, 1126, 1156. Étymologie, 365, 378, 504, 717, 718, 853. Euphuisme, 546. Europe, rhétorique en — : au XVe s., 1288 ; au XVIe s., 1231 ; post-tridentinc, 433, 457-459; au XVIIe s., 501-502, 525, 528-531, 545-547, 554, 571, 564, 568, 571, 572, 582, 590, 612, 629-633, 662, 753, 770, 773, 783, 831, 832, 1077; au XVIIIe s., 880, 881, 887, 894, 905, 920, 927, 952, 962, 1012, 1013; au XXe s, 1287 ; cf. Humanisme. Eutrapélie, définition, 1002. Évidence ou euidentia, rhétorique de 1’— : chez les humanistes, 144, 145, 150152, 165, 173, 177, 182, 183; posttridentine : chez Montaigne, 479, 482, 485 ; au XVIIe s., 583, 633-654 ; au XVIIIe s., 980; cf Clarté. Évolution de la rhétorique, cf Nouvelle, Res­ treinte. Exagération, 529 (écrit excessif), 759 (écrit extravagance), 1165. Exclamation, 39, 142, 1082, 1161. Exégèse rhétorique : dans l’éloquence sa­ crée, 1221 ; des protestants anglais, 656 ; des Réformateurs, 272-277, 280, 281, 284, 288, 292, 293, 295, 297300, 304, 305, 309 ; cf Commentaire rhétorique. Exemple ou exemption, usage de Г— : chez Aristote, 601 ; au Moyen Age, 39 ; chez les humanistes, 59, 74, 110-112, 142, 176, 177, 182, 386, 419 ; chez les Réfor­ mateurs, 293, 298, 299, 305 ; au XVIIe s., 506, 650, 731 ; dans le conceptisme, 528 ; au XVIIIe s., 1025 ; au XIXe s., dans l’enseignement, 1170, 1182, 1198. Exercices de rhétorique : des Anciens, 26, 29, 32 ; chez les humanistes, 345346, 372, 377, 464; au XVIIe s., 547, 552, 558 ; au XIXe s., — préparatoires, 1134, 1149, 1157, 1161, 1166, 1178, 1182-1193, 1197, 1216-1218, 1225; cf Composition scolaire, Dissertation, Ex­ plication de textes, Narration scolaire, Praelectio. Exhaustivité, comme vertu de style, 448. Exhortation : procédé humaniste, 57 ; et les Réformateurs, 298, 300.

Exorde, 22, 108, 359, 578, 846, 857, 995, 1082, 1147, 1154, 1185. Expérimentale, méthode — : 1227 ; pour les sciences de la nature selon Vico, 861. Explétion, 1042. Explication de textes, 1199, 1203, 1218, 1227, 1234, 1238, 1240, 1243-1244. Exposition rhétorique, 95, 202, 277, 293, 295, 584, 587, 610, 889, 920, 1168, 1255. Expression libre et rhétorique de Corbett, 1258. Expressionnisme dans le langage, 32, 1057, 1060, 1061, 1062. Expressionniste, rhétorique américaine —, 1257. Exubérance, style de Г—, 164, 707, 760, 770, 1042, 1164. Fable, 5, 220, 427, 440, 442, 529, 567, 670, 671, 773, 867, 868, 871, 1043, 1149, 1161, 1186, 1271. Familier : sens du mot —, 1006 ; style, 446, 447, 481. Fantaisie, liens avec la rhétorique, 70, 902, 965. Fantasia ou phantasia ; çf. Imagination. Fantastique, 606, 904, 1187. Femme(s) : de lettres, 1127, 1133-1134 ; et la rhétorique, 567. Fiat lux, interprétation rhétorique du —, 693, 695, 768. Fiction : dans l’art oratoire, 954 ; dans le dis­ cours, 906 ; dans enseignement au XIXe s., 1187; heuristique, 1271; dans littérature du XVIIIe s., 1014 ; et vraisem­ blance, 850. Figuré : langage —, 394, 577, 773, 993 ; sens —, 683, 739. Figures de rhétorique, maniement : — divers : — de diction, 382, 391, 1040, 1043, 1081, 1145 ; gorgianiques, 438, 439 ; de mots, 209, 374, 376, 380-385, 390, 391, 439, 445 ; de pas­ sions, 683, 692, 701, 1042; de pen­ sées, 97, 209, 220, 374, 384, 390, 445, 509, 682, 1081, 1042, 1043, 1145, 1244, 1286; — chez les Anciens, 19, 20-22, 26, 28-31, 444, 906 ; — au Moyen Age, 34, 35, 38, 39, 42 ; — chez les humanistes, 27, 67, 79, 97, 134, 142, 165, 202, 209, 212, 219-221, 345, 347, 393, 708, 1290; selon Ramus, 376, 379, 380, 382, 383, 949 ;

— chez les Réformateurs, 274, 275, 279, 294, 299, 306, 307 ; — dans rhétorique post-tridentine, 438, 439, 444, 445, 452, 455, 470, 477, 479; — au XVIIe s., 502, 506, 509 ; dans le conceptisme, 527-530 ; en France, 541-543, 562, 563, 569, 572, 573, 578, 583, 584, 591, 624, 644, 646, 681, 682, 685, 688, 694, 700, 701, 708, 709, 714, 724, 731, 762, 770, 778-780, 788, 798 ; en Europe, 550, 576, 588, 664, 713; — au XVIIIe s., 846, 871-872, 884, 885, 886, 887, 890, 908, 910-912, 922, 925, 929, 930, 953, 954, 955, 958, 959, 961,967,968,996, 1041, 1073, 1081 ; — au XIXe s., 1039-1043, 1057, 1075, 1081, 1082, 1088, 1160-1164, 1226, 1264 ; enseignement, 1144-1145, 1155, 1190, 1192, 1194; — au XXe s., 1245, 1247, 1272, 1276; — çf. Tropes. Finesse : esprit de —,759 \ çf. Acumen, Péné­ tration. Fleuri, style, 162, 445, 454, 662, 755, 767, 1162, 1266. Florilèges, 464, 572, 724. Fluidité du : discours, 445 ; du style, 475, 480, 481, 483, 485. Fonction de la rhétorique, 2, 3, 5, 7, 9, 10, 36, 44, 70, 75-77, 80-81, 85, 87, 88, 135-140, 157, 174, 181, 243, 244, 298, 299, 301, 384, 413, 440, 457-459, 563, 585, 618, 631, 640, 650, 669, 709, 711, 712, 732, 771, 779-781, 828, 830, 832, 883, 887, 891, 901-918, 923, 926, 970, 973, 1066, 1162, 1194, 1227, 1230, 1255, 1257, 1262. Force : dans le style, 1244 ; et le sublime, 983 ; comme vertu oratoire, 435, 436, 448, 454, 993, 994. Forensique, rhétorique —, 298, 308, 462 ; çf. Véhémence. Formae, doctrine des — d’H. de Tarse, 79. Formalisme et rhétorique, 45, 191, 194-197, 280, 614, 1220, 1227, 1231, 1246, 1268, 1275, 1276. France, 191, 198, 215, 354-355, 382, 517, 528-531, 539-546, 548, 549, 554-556, 559-563, 571, 629-654, 666-702, 752, 823, 828, 834, 837, 839, 846, 857, 880, 895, 914, 927, 930, 946, 947, 985, 1071-1204, 1215, 1256, 1279, 1283, 1292 ; çf. Paris. Furor, çf. Enthousiasme.

Galanterie, rhétorique de la —, 540, 569-570, 670, 763. Galimatias, 530, 707. Gallicanisme et rhétorique, 562, 707, 711, 715, 1077, 1079, 1080. Genre(s) : cinq genres distingués au XIXe s. en France, 1090; conversation comme — nouveau, 666-669 ; didascalique, 277-309 ; diégétique, 418 ; division moderne des —, 1226, 1241 ; d’écrits selon Villemain, 1101 ; de l’éloquence, 138, 1089, 1173, 1225 ; enseignement de Sturm, 346-347, 507 ; grand —, 162 ; héroïque, 440 ; nombre comme —, 382 ; notion de — définie par Valla, 68 ; litté­ raires, 20, 220, 332, 519, 570-581, 592, 713, 774 ; petits —, 590, 719 ; oratoires, 1082, 1144, 1231 ; dans poésie des Rhétoriqueurs, 132 ; dans la nouvelle science, 622 ; tableau, 1154-1156 ; çf. Délibératif, Démonstratif, Judiciaire, Oratoire, Style. Gentleman, formation rhétorique, 844-846. Géométrie, applications rhétoriques, 380, 712, 731, 747, 754, 759, 763, 857, 858, 861 ; çf. Mathématiques. Geste : dans langue muette, 871 ; rapport du — et du langage, 511-515, 542, 794, 799, 992, 1007, 1156 ; rhétorique du —, 987 ; et rhétorique de la politesse, 972 ; au théâtre, 839. Gnomiques, sentences —, 437. Gothique ou le mauvais goût, 912-913. Gottschédiennc, rhétorique —, çf. Index des noms. Goût, notion rhétorique de — : au XVIIe s., 670, 734-736, 757, 774, 973 ; au XVIIIe s., 879-939, 949, 950, 959, 962, 965, 969-978, 988, 1030; au XIXe s., 1087, 1163, 1166, 1167. Grâce : chez les Anciens, 26 ; au Moyen Age, 38, 42 ; chez les post-tridentins, 440, 450, 469; au XVIIe s., 530, 570, 672, 689, 692, 700, 725, 766; au XVIIIe s., 824, 907 ; au XIXe s., 1039, 1040, 1043, 1044, 1055, 1058, 1060-1066. Gracieux, style, 438, 440, 464, 476. Gradation : notion de —, 526, 672. Grammaire : statut de la — : — au Moyen Age, 37, 41, 50, 54, 602, 707; — chez les humanistes, 52, 53, 57, 60, 62-64, 85, 179, 181, 191, 193, 195, 198, 201, 246, 259; question de la langue nationale, 318, 325, 365, 381 ; et Ramus, 376, 378, 385, 386, 390, 413;

— au XVIIe s., 504-506, 547, 619, 632, 648, 663, 664, 677, 678, 681683, 718, 771, 772, 773, 777, 783, 832; — au XVIIIe s., 844, 845, 879, 893, 911, 924, 925, 927, 966, 1080, 1081 ; — au XIXe s., 1041, 1073, 1087, 1154, 1166, 1203; — au XXe s., 1273, 1276. Grammaire, enseignement scolaire, 776, 1077, 1084-1085, 1088, 1094, 1118. Grand style, 444, 481, 572, 697, 733, 734, 851, 903, 904, 917. Grande-Bretagne: rhétorique en —, 1251 ; prédication en —, 888 ; çf. Angleterre. Grandeur, notion de la — : des Anciens, 28, 31 ; au Moyen Age, 38 ; post-tridentine, 437, 438, 465, 481 ; au XVIIe s., 507-508, 530, 579, 720, 732, 758, 761 ; au XVIIIe s., 895, 980 ; au XIXe s., 1051, 1052. Grave ou gravité ou gravitas, style, 80, 435, 438, 440, 444, 445, 504, 507, 514, 541, 556, 566. Grec, langue grecque, 198, 333, 363, 364, 369, 507, 726, 949, 1178. Grotesque, 1062, 1066.

Harangue, 502, 935, 985, 1005, 1011, 1077, 1083, 1090, 1148, 1171, 1172, 1180. Harmonie, 28, 443, 445, 755, 842, 896, 907, 935, 983, 1062, 1063, 1245; çf. Concinnitas. Hébreu, langue hébraïque, 333, 369. Héritage rhétorique de l’Ancien Régime en France, 1076-1080, 1086, 1088, 1117, 1157, 1168, 1202 ; çf. Classicisme, Lumiè­ res, Sensualisme. Herméneutique et rhétorique, 271-277, 304, 978, 1289, 1292. Héroïque : éloquence —, 504 ; genre, 440, 1062, 1083 ; style, 578, 591, 670 ; poésie —, 750. Hiatus, 444. Histoire de la rhétorique, çf. Antique, Classi­ cisme, Domaine, Fonction, Humanisme, Jésuites, Lumières, Médiévale, Nouvelles rhét., Réforme, Restreintes, Révolution française, Romantisme. Histoire et rhétorique : 5, 23, 30, 64, 80 ; — au Moyen Age, 39, 132 ; — et les humanistes, 52, 64, 80, 144, 179, 181 ; — et les Réformateurs, 293 ; — post-tridentine, 438, 442, 469-470, 492, 518;

— au XVIIe s., 502, 505, 506, 510, 543, 566-570, 582, 669, 773 ; — au XVIIIe s., 834, 865, 867, 868, 885, 978, 1082 ; — au XIXe 8., 1052-1053, 1101, 1159, 1160, 1238; enseignement ct rhé­ torique 8colaire, 1024-1126, 1143, 1157-1159, 1167, 1168, 1190, 1191, 1197, 1231, 1236, ; histoire fait partie 6e la littérature, 1087 ; — au XXе 8., 1256, 1271, 1279. Histoire littéraire, 977, 979, 988, 1014, 1045, 1126, 1141, 1153, 1159, 1177, 1222, 1235, 1239, 1274. Homéoptote, 439. Homéotéleutes, 383, 439, 542, 583. Homilétique, 260, 261, 263, 274, 281, 287-309, 559-563, 737. Homme de lettres, 1003, 1090, 1127; cf. Écrivain. Hongrie, humanisme en —, 131, 133-134. Honnête homme : selon Bossuet, 700 ; cul­ ture de 1’—, 565, 723, 776, 935, 1219, 1239; description, 540; formation de Г—, 138, 633 ; occupations de Г—, 142 ; traités de Г—, 429 ; et usage de la langue française, 677. Horreur romantique, 1031, 1062. Horridus, style, cf. Rugosité. Humanisme de la Renaissance et rhétorique : 6, 7, 27 ; en Italie aux XVe et XVIe s., 45-249, 316, 320, 328, 343, 362, 412-429, 446, 449, 450, 456-457, 459-466, 509, 873, 1289-1291 ; en Europe, 131-135, 191-249, 260, 266-267, 281-282, 341-396, 432, 433, 446, 453, 455, 456-457, 460, 474, 491, 507, 509, 546,548,550,552, 557, 562, 569, 585, 632, 639, 640, 663, 687, 717, 723-729, 731, 733, 735, 740, 747, 748, 752, 754, 771, 775, 779, 780, 850, 913, 948, 955, 1135, 1256, 1274, 1288 ; cf. Réforme. Humanisme moderne, 826, 865, 869, 874, 1050, 1078, 1106, 1235, 1277. Humanités : 386, 387, 449, 844 ; en Erance, classed’—, 973, 1077, 1117, 1118, 1121, 1122, 1124, 1125, 1145, 1187, 1196, 1216, 1217, 1235. Humble, style, ou genus humile, 159, 349, 462, 476, 481 {écrit humilité), 482, 502, 1181 ; cf Bas (style), Plain style, Simpli­ cité ; Ténu. Hymne, 36, 159, 178, 439 (écrit style hymnique). Hypallage, 1043, 1081. Hyperbate, 294, 381, 527, 681.

Hyperbole : — chez les Anciens, 444 ; — au Moyen Age, 39, 40 ; — dans l’invective au XVe s., 145 ; — chez les Réformateurs, 285 ; — au XVIIe s., 540, 713 ; dans le concep­ tisme, 527, 529 ; en France, 550, 558, 591, 680, 739; — au XVIIIe s., 886, 908 ; — au XIXe s., 1031, 1058, 1062, 1066, 1161. Hyperonymie, 923. Hypostase, 39. Hypotypose, 220, 279, 503, 510, 527, 563, 614-616, 685, 691, 692, 1082; cf Illus­ trate).

Idéalisme, répercussions rhétoriques au XIXe s., 1045, 1046, 1059. Idées : communication des —,451, 624, 669, 718, 777-780, 783, 872, 918-939, 954, 955, 969, 1058, 1080, 1241, 1225 ; liaison des — selon Condillac, 956, 958-960, 966; et sensations, 1042, 1043; théorie des — chez les Anciens, 19, 22, 24, 25, 32, 1042 ; cf. Associationnisme, Universaux. Idéologues ct le langage, 956, 1022, 1035, 1041, 1042, 1059, 1081, 1086, 1118. Idiomes, et effet de style, 694. Illustrate), notion d’—, 451 ; cf. Hypotypose. Image(s) : chez les Anciens, 169, 237 ; au Moyen Age, 35, 69, 1287 ; chez les humanistes, 151, 160-161, 173, 175, 177, 182, 183, 236-241, 1290 ; chez les Réfor­ mateurs, 276, 298, 301 ; chez les posttridentins : 434, 441, 451, 454, 481 ; au XVIIe s., 560, 583, 624, 685, 691, 692, 710, 714, 732, 760, 773, 774; au XVIIIe s., 872, 907, 923 ; au XIXe s., 1041, 1051, 1052, 1054-1056, 1059, 1164, 1066, 1165, 1167, 1181 ; au XXe s., 27, 1221, 1245, 1262, 1274, 1294. Imagination, liens avec la rhétorique : — chez les Anciens, 26 ; — au Moyen Age, 40 ; — chez les humanistes, 70, 91, 159, 206, 221, 240, 1290; — chez les post-tridentins, 479, 716 ; — au XVIIe s., 452, 556, 562, 710, 712, 713, 715, 734, 757, 760, 772-775, 781 ; — au XVIIIe s., 901-918, 925, 930, 939, 964 ; rôle dans la création selon Vico, 857, 860, 865-869, 871, 873, 874; article dans l’Encyclopédie, 893 ; — au XIXe s., 1055-1059.

Imitation, principe de Г— : — au sens aristotélicien, 441 ; — au Moyen Age, 42, 194 ; — chez les humanistes, 134, 164, 171173, 176-177, 192, 351-369, 393, 474, 727 ; fin de l’imitation cicéronienne, 139 ; selon Ramus, 372 (écrit exercitatio), 377 (id.) ; — post-tridentine : 464, 478, 484, 488 ; débat sur F—, optima imitatio, 474 ; doctrine de l’imitation, 476 ; — querelle du cicéronianisme, 159-162, 226-235, 237, 238, 347, 351-361, 510; — chez les Réformateurs, 308 ; — et question de la langue nationale, 320, 323, 326, 327, 342 ; — au XVIIe s., 511, 540, 724, 747, 780 ; — au XVIIIe s., 851, 894, 954, 962, 993 ; — au XIXe s., 1042, 1045, 1086, 1087, 1089, 1093, 1095, 1115, 1139, 11471157, 1156, 1159-1184, 1197. Impétueux ou impetus', éloquence de Г—, 434 ; genre —, 162 ; style —, 986. Imprimerie, influence de Г—, 7, 277, 334, 343-344, 364, 723, 724, 1009, 1012, 1082, 1261, 1262. Impromptu, 925-926. Improvisation, notion d’—, 168, 492, 513, 561, 762, 764, 765, 766, 1241. Inconcinnitas, 465. Indignation comme figure de pensée, 445. Individu, influence de la rhétorique sur F—, 138, 181. Individualisme moderne, attitude envers la rhétorique, 1, 1257, 1261. Induction, 59, 64, 73, 854. Inductive, méthode — en rhétorique, 173, 1234, 1244, 1256. Ineffable, topique de F—, 690, 692, 700, 1044. Ingenio, ingenium, ingéniosité, rhétorique de F—, 230, 435, 450, 462, 464,474,476, 480, 489, 501, 518, 520-522, 527, 573, 736, 747, 755, 760, 770, 774, 832, 868, 929, 1024. Innéisme et rhétorique, 222, 230, 280. Innutrition, image humaniste de F—, 160-161, 208 {écrit méthode de l’abeille), 473. Insinuer, art d’—, 683-685, 755. Instituteur: 1088, 1200; comme orateur de type nouveau, 1113-1114; rôle selon La Harpe, 1088. Instruire et art de plaire, 95, 667, 669, 939, 1163.

Instrumentale, rhétorique : 1265, 1267, 1268 ; américaine, 1256, 1258. Intensité, style de F—, 444, 488, 499, 518. Intériorité ou méditation intérieure ou parole intérieure et la rhétorique: 11-12, 39, 435, 436, 448-449, 557, 688; dans le genre épistolaire, 474, 580 ; chez Mon­ taigne, 483, 487 ; chez Shaftesbury, 917 ; cf. Intimité, Introspection, Je, Moi, Pein­ ture de soi. Interrogation ou intemgatio : 74, 92, 1161; exclamatoire, 142. Intertexte et intertextualité, 176, 177, 1271. Intimité, expression de F—, 447, 544, 568 ; lettre comme écrit intime, 349, 474, 487 ; technique intimiste de l’Oratorio, 448. Introspection, influence sur le style, 477, 484, 580, 962 ; cf. Intériorité, Méditation inté­ rieure, Moi. Invective, 145-146, 293, 986. Invention ou inventio, notion d’— : — chez les Anciens, 22, 23, 572, 1220 ; — chez les humanistes, 59, 64, 8597, 99-104, 107, 113, 115, 151, 165-169, 199, 202, 206, 314, 355, 363, 364, 386, 390, 717 ; et Ramus : 374, 376-380, 385, 458, 603, 708, 832; évolution de la — au XVIe s., 355 ; — chez les Réformateurs, 274, 279, 287, 303, 309 ; — et usage de la langue nationale, 363-365, 717; — post-tridentine, 442, 455, 471, 476, 478, 480, 483, 485, 492 ; — au XVIIe s., 515 ; dans le conceptisme, 520, 521, 528; crise de F—, 633654; en France, 541, 542, 562, 566, 584, 589, 646-647, 682, 724, 725, 727, 730, 733, 755, 778 ; en Europe, 550, 553, 572, 573, 632, 771-774; dans le langage scientifique, 605-616, 619, 632; — au XVIIIe s., 842, 873, 884, 910, 927, 932, 939, 952, 953, 996, 1014, 1082; — au XIXe s., 1045, 1226, 1227, 12291233, 1237, 1240; enseignement, 1144, 1154, 1156-1159, 1197; — au XXe s., 1243, 1258. Irlande, 962. Ironie : chez les Anciens, 470 ; et rhétorique humaniste, 210-215, 219, 225, 376, 384; au XVIIe s., 1164 ; au XVIIIe s., 871, 872, 886, 890, 934, 1081, 1082 ; au XIXe s., 1044, 1057, 1058, 1062, 1066, 1265, 1292; au XXe s., 1271, 1276.

Italie : académies, 329, 345, 368, 440, 554, 568, 929, 985 ; conceptisme, 527-530, 562, 576, 769, 915; enseignement, 632, 946 ; figures italiennes, 562 ; goût, 880, 912, 914, 915 ; littérature, 70-775 ; rhéto­ rique en —, 388, 751, 823-826, 828, 853-874, 880, 902, 912, 914, 962, 1013, 1215, 1251, 1275, 1289, 1292; théâtre, 837 ; voix italienne, 804 ; cf. Cicéronianisme, Humanisme, Langue, Manières, Maniérisme, et passim. Indicium, t/Jugement. Jansénisme, 711, 741, 746, 760, 779, 830, 843, 848, 888, 1079. Je, utilisation et rhétorique, 474, 585, 647, 648. Je-ne-sais-quoi, 672, 688, 690, 692, 693, 700, 779, 882, 972. Jésuites: 545, 1102, 1095; et formation à la parole, 577, 578 ; et imitation cicéronienne, 355, 576 ; et la prononciation, 795, 804, 809 ; manuels, 107, 453 ; et la rhétorique, 245, 334, 348, 445, 446, 448-455, 470, 476, 488, 489, 492, 502503, 513, 529, 530, 548, 558, 560, 562, 576, 582, 632, 647, 649, 707, 737, 739, 750, 751, 758-760, 764, 769-770, 775776, 781, 807, 826, 827, 834, 835, 848, 856, 884, 887, 889, 891, 892, 946-948, 962, 976, 1076-1080, 1117-1119, 1121, 1146, 1153, 1173, 1182, 1201, 1202, 1217, 1226, 1234, 1293; de la rhéto­ rique sacrée, 245, 649, 737 ; et le théâtre, 837-839 ; cf. Collèges. Jeu de la lettre chez les Rhétoriqueurs, 132-133. Jeux de mots, 132, 224-225, 285, 560, 912, 913, 978, 1082 ; cf. Anagramme, Calem­ bour, Rébus. Journal intime, 580, 1006, 1015. Journalisme ou presse, développement, 1002, 1006, 1015, 1047-1049, 1103; et rhéto­ rique, 555, 1162, 1176, 1179. Judiciaire (genre —), 5, 22, 26, 77, 138, 180, 209, 215, 273, 284, 285, 291, 298, 307, 454, 508, 562, 563, 604, 605, 851, 910, 1089, 1090, 1093-1094, 1173, 1179, 1232, 1233. Jugement ou iudicium ou judicium et rhéto­ rique : — des Anciens, 484 ; — humaniste, 97, 98, 102, 104, 108-112, 115, 119, 199, 603; — post-tridentine, 436, 454, 474, 480, 483-485, 502 ;

— au XVIf s., en Angleterre, 782 ; en France, 542, 559, 577, 694, 734, 736, 747-748, 780, 782 ; des conceptistes, 521 ; en Italie, 774, 775 ; — au XVIIIe s., 829, 833, 842-843, 858, 862, 928, 929, 949 ; — au XIXe s., 1042. Juste mesure : opinion de Pétrarque, 48 ; dans la rhétorique post-tridentine, 432, 433, 434, 446, 448, 451 ; au XVIIe s., 504, 511, 713 ; rajuste milieu, Mesure. Juste milieu: aristotélicien, 21, 423; en France au XVIIe s., 589 ; en GrandeBretagne, 972. Justesse rhétorique, 755, 759, 923, 924, 1094, 1163. Labyrinthe, métaphore du —, 642. Laconisme : rhétorique : 500, 527, 528, 1010, 1011 ; du style, 475, 558, 576. Laïcité, influence sur la rhétorique : 277, 355, 459-462, 464, 466, 467, 466, 474, 487, 492, 547, 888, 985. Laid, obsession romantique du —, 1062. Langage, pratique du — : — et les Anciens, 18-21, 23, 25, 26, 29, 32, 512; — au Moyen Age : 35, 36, 40, 42, 55 ; — et les humanistes, 46, 48, 58, 60, 62, 63, 66, 134, 156, 161, 175, 177, 180, 191, 197, 200-202, 211, 220, 221, 234, 242-249, 389, 394, 414, 1290; selon Ramus, 378, 390 ; — universel, 241 ; — et les Réformateurs, 273, 279 ; — tridentin et post-tridentin, 432, 434, 438, 458, 470, 471, 481, 482; — au XVIIe s., 545, 568, 575, 577, 583, 588, 689, 718-719, 725, 741, 761, 761, 773, 775; scientifique, 616-619, 1285; — au XVIIIe s., 854, 862, 866, 870, 871, 873, 883-901, 956, 958, 959, 962968, 986, 991-993, 1023 ; — au XIXe s., 1021, 1039, 1042, 1044, 1054, 1066, 1165, 1255, 1264; ensei­ gnement et manuels, 1157, 1159, 1170, 1181, 1217, 1225, 1265; — au XXe s., 1258, 1267-1270, 1272, 1273, 1274, 1276, 1278, 1286; — cf. Langue, Latin. Langue nationale ou vernaculaire ou vul­ gaire : divers : 149, 219, 246-248, 342, 507, 517, 552, 558, 584, 708, 883, 1261, 1262 ; bon usage de la —, 26, 323, 330, 489-491 ; cours de rhétorique en —,

946, 948, 950-952, 954, 1077 ; écri­ vains vernaculaires, 345 ; enseigne­ ment en —, 348, 350, 946, 948, 950-952, 954, 1077, 1118-1120; éta­ blissement de la —, 363, 983-984 ; et les humanistes, 145, 218-219, 237, 245-246, 317-318, 366-368, 383, 384, 392, 492, 717 ; littérature en —, 355, 363, 367, 369, 588, 954, 987 ; et la liturgie, 318 ; nouvelle science et usage des langues au XVIf s., 618-619; comme outil de communication, 782783, 918-939 ; problèmes de la — au XVIIe s., 517 ; publications de rhéto­ rique en —, 368 ; et les Réformateurs, 271, 277, 289, 304, 318, 489 ; et rhé­ torique en Italie, 331-334 ; rhétorique comme langue universelle, 1262 ; et les Rhétoriqueurs, 132 ; traductions en —, 344, 362-369 ; — allemande, 248, 522, 546, 552, 554, 561-562, 827, 937 ; — anglaise, 200, 246, 248, 348, 564, 617, 656, 657, 659-666, 845, 916, 917, 948, 950, 971 ; — espagnole, 248, 334 ; — flamande, 248 ; — française, 341, 200, 334, 342, 363367, 380-382, 384, 391-392, 489-491, 522, 548, 551, 552, 554, 568, 574, 584, 673-680, 694, 726, 754, 755-778, 798, 845, 892, 913-917, 920, 922, 924, 925, 948, 954, 987, 1014, 1023, 1170 ; bon usage de la —, 676, 677, 778, 780 ; enseignement de la —, 116, 1077, 1087, 1118-1127, 1141, 11491152, 1166, 1227, 1234, 1237 ; latin et style de la —, 676-677 ; universalisme du français, 916 ; — italienne, 200, 227, 246, 313-334, 363, 365,415, 421,621,752, 850,917; — russe, 952 ; slavon, 952 ; rhétorique comme langue universelle, 1262. Latin: 38, 147, 754, 826, 1147; enseigne­ ment en — ou du —, 346, 348, 350, 369, 449, 548, 549, 775-777, 840, 844, 845, 857, 892, 911, 947-950, 962, 1077-1079, 1113, 1118-1125,1127, 1141, 1147, 1180, 1190, 1198,1216-1218, 1235, 1237, 1241, 1262 ; grammaire du -médiéval, 504 ; homilétique néo-latine, 561 ; et les huma­ nistes, 52, 63, 138, 145, 149, 161, 193, 193-197, 200, 202, 218, 219, 221, 227-229, 231, 241, 246-248, 318, 356, 357, 362, 472, 489-491, 507 ; ouvrages en — à partir du concile de Trente, 434,

492, 583, 827, 828, 892 ; au karlement, 726 ; et question de la langue vernacu­ laire, 317-321, 326-328, 333, 342, 348, 362, 363, 367, 383, 552, 574; et la Réforme, 261, 489-490 ; renoncement au latin, 853, 956, 970, 1178 ; traduction en —, 344, 381, 383, 647 ; traductions du —, 364, 366, 391, 1221. Lecteur : des humanistes, 215 ; des écrivains post-tridentins, 441, 470, 472, 473-474, 476-479, 482, 484, 485, 489 ; au XVIIe s., 567, 573, 577, 579-582, 584, 585, 622, 731, 735, 757, 773; au XVIIIe s., 838, 894, 915, 920, 961-964; au XIXe s., 1057, 1200. Lecture: apprentissage, 547, 909, 911, 957, 992, 1228; culture de la —, 1200, 1242-1243, 1276; est écriture, 1263 ; particulière, 1119; publique, 798, 799 ; rapprochée, 1275; textes de —, 1231. Leibnizien, système, cf. Index des noms. Lettre, 201, 349, 472, 843, 846, 847, 920, 937 ; dans l'enseignement, 547, 572, 1122, 1183, 1190-1192, 1197, 1199, 1218, 1225 ; cf. Épistolaire (art). Libre arbitre et rhétorique, 70, 168, 214, 271, 281-282, 460, 857 ; cf. Serf arbitre. Licence (diplôme), 1099, 1236. Lieu(x) ou topique : — et les Anciens, 20, 22, 23, 31, 77-78, 199, 572, 635, 637, 1220; — au Moyen Age, 43, 59 ; — et les humanistes, 77, 87, 88, 90, 92-98, 100, 103, 104, 107, 115, 134, 145, 173, 177, 198-199, 201, 203, 206-208, 236, 237, 240, 243, 244, 393, 427, 1290; — chez les Réformateurs, 274, 275, 278, 279, 281, 287, 289, 290, 292, 293, 297-300, 303-309, 457 ; et manuels de rhétorique, 347 ; — chez les post-tridentins, 427 ; — au XVIIe s ; 507, 509, 524, 525, 573, 575, 578, 635-638, 640, 651, 714, 719, 725, 731, 733, 737, 778; et discours scientifique, 606-617 ; lieux intrinsèques et extrinsèques, 884 ; topique disqualifiée, 634-638, 644 ; topique pascalienne, 649, 650, 654 ; — au XVIIIe s., 828, 831, 847, 848, 859, 863, 873, 887, 910, 955, 966, 967, 1156 (écrit topoî), 1291 ; — au XIXe s., 1190, 1227, 1229, 1233, 1237, 1238, 1266, 1255, 1258 (id.) ; — au XXe s., 1271.

Linguistique : comme branche de la rhéto­ rique, 31-32 ; débat — sur les citations, 718-730 ; et les humanistes, 62, 81, 211 ; au XVIIIe s., 927, 1022 ; au XIXe s., 1042, 1043 ; au XXe s., rhétorique et —, 687, 1246, 1272, 1273, 1276, 1284, 1286. Lipogrammes, 913. Littérature : divers: 11 ; nationale 313-334, 354-355, 365, 368-369, 555, 558, 775, 827, 833, 911-918 ; néo-latine, 365 ; origi­ nes, 383-384, 386 ; originalité du dis­ cours littéraire, 355, 1237, 1239, 1245, 1261, 1262, 1266, 1267; — antique, 521, 523 ; — post-tridendne, 467, 472, 488, 492 ; — au XVIIe s., 565, 566, 570-581, 592, 775; — au XVIIIe s., 826-829, 893, 896-898, 900, 909-918, 936, 946, 952, 954, 976-978, 980, 987, 1001, 1013, 1028, 1081, 1082, 1086, 1261 ; divorce de la rhétorique avec la —, 1027, 1030 ; répartition des figures entre la gram­ maire et la littérature, 1081 ; notion moderne de —, 976 ; rôle de Vossius, 506; — au XIXe s.: 1032, 1101, 1113, 1160, 1166-1167, 1087, 1225, 1255; dis­ cours littéraire, 1071 ; enseignement, 1143, 1216, 1219, 1228, 1229, 1230, 1261 ; liens avec l’éloquence, 1046; rapports avec la rhétorique, 1113, 1202, 1203, 1222, 1231, 1239-1240, 1252; — au XXe s., 1256, 1257, 1274, 1276; pas de littérature sans rhétorique, 1265 ; théorie littéraire moderne, 1265, 1265, 1272, 1277; — cf. Création littéraire, Écriture, Écri­ vain. Lockienne, rhétorique, cf. index des noms. Logique : — et les Anciens, 20, 21, 23, 572, 601 ; — de l’École, 193, 1287 ; — et les humanistes, 50, 52, 60, 64, 71, 72, 85, 89, 90, 93, 173, 174, 182, 193, 198-203, 208 ; lois de la —, 111, 194-196 ; selon Ramus, 378 ; — au XVIIe s., 505, 506, 541, 547, 553, 586, 609, 610, 611, 615, 632, 633, 634, 641, 645, 646, 686, 738, 747, 778, 781-782, 832 ; — au XVIIIe s., 845, 849, 860, 870, 950951, 955, 961, 968, 969, 1080, 1081 ; — au XIXe s., 1087, 1094, 1203, 1253,

1255; enseignement, 1118, 1120, 1126, 1141 ; — au XXe s., 1246, 1276, 1285, 1293; — cf. Analytique, Universel. Logos (raisonnement discursif), 37, 475, 671, 688, 691, 701, 775, 870, 1156. Loi(s) : humanistes et théorie des trois lois de la méthode, 117-119 ; du système de Leib­ niz, 831, 832 ; cf. Méthode, Préceptes. Louable, style — post-tridentin, 435, 451, 471, 478 ; cf. Optimus stylus. Lumières : 656, 879, 888, 898, 945-996, 1003, 1041, 1117, 1152, 1270, 1292; attitude envers la rhétorique, 6, 923, 932, 938, 1022, 1113, 1153, 1261; esthétique des —, 733 ; littérature des —, 936 ; origines, 689, 763, 830 ; rationalisme des —, 752 ; et la théologie, 1010 ; cf Encyclopédie. Luxuriant, style, 454, 912 ; cf. Asianisme. Lycée, 1099, 1121, 1128, 1149, 1153, 1192, 1195, 1196, 1216, 1224, 1230, 1232, 1233 ; cf. Baccalauréat. Lyrique, genre — dans la poésie, 132, 773-774, 910. Lyrisme des romantiques, 1052-1054, 1058.

Madrigal, 719. Magistrats, rhétorique des —, 544, 562, 707, 715, 726. Magnificence, style magnifique, 439, 440, 444, 445, 501, 589, 691, 758, 767, 1244. Majesté ou maiestas dans le style, 444, 465, 504, 559, 566. Manières, rhétorique des — en Italie, 411-429. Maniérisme : 530, 630, 830, 842 ; annonce du — chez Castiglione, 213 ; apparition en Italie, 393 ; de l’humaniste Politien, 178. Manuels d’enseignement de rhétorique, 22, 24, 26, 29, 58, 107, 274, 347-351, 375, 453, 458, 549-553, 724, 730, 757, 765, 776, 777, 807, 826, 839, 884, 947, 949, 963, 966, 1042, 1074, 1104, 1121, 1128-1139, 1141, 1145-1201, 1224, 1227-1228, 1252, 1255, 1256 ; cf. Traités. Marinisme, 713, 751-752, 759, 760, 770-773. Marketing et rhétorique, 1262, 1278. Mass media et rhétorique, 1294, 1295. Mathématiques, applications rhétoriques, 97, 112, 200 (écrit arithmétique), 207, 613616, 619, 639, 644-646, 662, 702, 712, 832, 854, 1022 ; cf. Géométrie. Maxime: 199; dans 1 Antiquité latine, 31, 522 ; chez Montaigne, 480 ; au XVIIe s., 575, 719, 763 ; cf. Sentence.

Médecine et rhétorique, 57, 1278. Médiévale, rhétorique —, 32-44, 731, 1231, 146; çf. Enseignement, Rhétoriqueurs, Scolastique, Sophistes. Mediocritas, çf. Moyen. Méditation intérieure, rhétorique de la —, çf. Intériorité. Medium, style, çf. Moyen. Meeting, 1176. Mémoire ou mnémotechnie à des fins rhétori­ ques, 11, 70, 102, 107, 108, 119, 168, 192, 235-242, 305, 308, 347, 348, 376-379, 392, 492, 506, 515, 542, 553, 575, 584, 603, 607-608, 638, 644, 708, 724, 729, 760, 775, 780, 831, 832, 857, 860, 861, 863, 865, 953, 954, 1007, 1058, 1156, 1157, 1225, 1226, 1230. Mémoires : des avocats, 1005 ; style des, 580. Mens, action de la —, 165-169, 174, 458. Mentalités : apports de la rhétorique à l’histoire des —, 9, 10, 20, 576, 588 (écrit analyse rhétorique... à ces résistances), 657. Merveilleux : contexte rhétorique du —, 761 ; en littérature, 904 ; médiéval, 913. Message, rhétorique du —, 1258. Mesure, idéal classique de la —, 55, 1030 ; ajuste mesure. Métalepse, 1081. Métalinguistique : art épistolaire humaniste est —, 147 ; catégories — de la rhéto­ rique, 1194. Métaphore : — chez les Anciens, 21, 161, 444 ; — au Moyen Age, 39 ; — chez les humanistes : 134, 150, 159, 205, 216, 220, 221, 393; — de l’innutrition, 160-161 ; selon Ramus, 374, 376, 379, 380, 384 ; et traduc­ tion latine, 381 ; — post-tridentine, 451, 470, 471, 481, 482; — au XVir s., 502, 560, 563, 583, 592, 624-626, 642, 680, 713, 760, 769; dans le conceptisme, 527-529 ; — au XVIIIe s., 871-873, 886, 917, 927, 929,959,968,969, 1023, 1031,1081 ; — au XIXe s., 1042, 1043, 1065, 1162, 1192, 1264, 1265; — au XXe s., 9, 1271, 1272. Métaplasme, 1081. Méthode rhétorique ou Methodus : — des Anciens, 25, 32, 74, 99, 432 ; — chez les humanistes : 75, 82, 83, 85, 89, 91-93, 97-106, 110-119, 174, 195, 217, 282 ; de Ramus, 374, 380, 385, 387, 390 ;

— chez les Réformateurs, 277-279, 281, 289-292, 295, 299, 301, 307309; — et question de la langue en Italie, 323; — post-tridentine, 433, 450 ; — au XVIIe s. : 510, 583, 586, 610 ; car­ tésienne, 584, 614, 634-647, 659, 661-662, 664, 667-668, 689 ; — dans le conceptisme, 528 ; petite — de Vincent de Paul, 737 ; — universelle, 584; — au XVIIIe s., 845, 853, 857, ; écossaise, 945, 950-952, 964, 969, 971, 973-977, 1168, 1251 ; de la vérité dite objective, 861-862 ; vieilles méthodes enseignées en Allemagne, 948 ; — au XIXe s. : américaine, 1254; des analyses, 1172; d’enseignement fran­ çaise, 1088, 1089, 1098, 1115, 11571159, 1216-1219, 1223, 1234, 12381239 ; expérimentale, 1226-1227 ; his­ torique, 1231 ; — au XXe s., 1234, 1241, 1242, 1244, 1256, 1258; — çf. Cartésienne, Lois, Préceptes, Règles. Métonymie: 577, 624, 625, 871, 872, 886, 1043, 1081, 1264, 1265, 1271, 1272; fonction dans la poétique, 9, 393 ; selon Ramus, 376, 379, 380, 384. Métrique : cicéronienne, 391 ; française, 382, 392, 1077. Militaire, éloquence —, 1077, 1083, 10901093, 1109, 1162, 1225, 1232, 1241. Millénarisme et rhétorique révolutionnaire en Angleterre, 657-659. Mimesis, doctrine arsitotélicienne de la —, 442 ; poétique de la —, 519, 520 ; et les romantiques, 1062 ; çf. Imitation. Mnémonique ou Mnémotechnique, çf. Mé­ moire. Moderne: rhétorique —, 1241 (de Momet), 1266 ; théorie littéraire —, 1266. Modernes : 524, 829, 1290 ; logiciens — et les humanistes, 49-52, 72, 73 ; en France, 539, 553, 728, 733, 892, 917, 926; en Italie et Vico : 854, 860, 863, 868 ; et usage du latin, 346 ; çf. Querelle des Anciens et des Modernes. Moi, et rhétorique : autonomie du —, 63, 66, 74 ; humaniste, 349 ; post-tridentine chez Lapse et Montaigne, 477-487, 716; romantique, 823, 1059, 1060 ; de Rous­ seau, 990 ; çf. Confessions, Je, Essai, Inté­ riorité, Intimité.

Mondain(s), mondaine(s) : auditoire ou public —, 647-651, 654, 670; communication —, 489 ; écrivains —, 725 ; éloquence, 667-668, 711-712; et les érudits, 728; genre, 572 ; idéaux — et art oratoire, 763 ; langage —, 648, 723 ; et lecture publique, 798 ; manuels de rhétorique, 1133; mépris pour l’école et l’artifice et l’extravagance, 757, 759 ; poésie —, 571; prédication —, 741-743, 1003; rhétorique —, 544, 567-570, 722-723, 758, 762, 923, 926, 981; style, 562; théâtre, son rôle dans la vie —, 986 ; uni­ vers — et la parole sermonaire, 697-698 ; et la voix, 798, 802 ; cf. Conversation, Noblesse, Politesse. Monologue, 477, 488, 578, 1198. Morale et rhétorique, 208, 303, 425, 426, 566, 649, 742, 1001, 1126. Morceaux choisis, 1151, 1171, 1173, 1184, 1185, 1216; çf Condones. Mot d’esprit, 522, 524, 1011 ; cf. Asteia. Mots, verba, cf. Style. Mouere ou mouere, 159, 269, 270, 271, 300, 301, 434, 436, 450, 471, 512, 842, 907, 939 ; cf. Émotion. Moyen, style — ou mediocritas, 162, 249, 327, 414, 423, 437 (écrit genus medium), 452, 462 (id.), 467 (id.), 481, 502, 539, 558, 570, 572, 580, 588-592, 719, 740, 757. Muets, langue des —, 871, 1088. Musique : des mots, 28 ; liens avec la poésie, 44 ; liturgique, liens avec la rhétorique, 35-37 ; et sermons post-tridentins, 439 . Mythe : 173 ; et pensée vichienne, 825, 853, 867-870, 873 ; dans poème dramatique, 834; dans poétique d’Aristote, 1271; dans le romantisme, 1044. Mythologie, recours rhétorique à la —, 394. Naïf, style : 763 ; de Montaigne, 481, 483. Naïveté, définition de la —, 761. Narration : comme exercice de rhétorique, 1083, 1122, 1134, 1147, 1154, 1157, 1168, 1181, 1183-1192, 1196, 1197, 1199, 1218; comme partie du discours, 22, 77, 108, 143, 578, 846, 869 (écrit narrazione), 874, 960, 1076. Nation ou nationalisme ou culture nationale : 880,911-918,986 (écrit patriotisme), 1261 ; en Allemagne, 852 ; en Angleterre, 659, 660; en France, 675-679, 1163, 1167, 1197 (écrit patrie) ; en Italie, 313-334. Nature, représentation de la — et rhéto­ rique : chez les Anciens, 20, 24 ; huma­ niste, 393 ; post-tridentine, 452, 462, 464,

477-479, 485 ; au XVIIe s., 513, 515, 529, 604-605, 635-636, 713, 716, 751, 759, 762, 764, 767, 768, 782 ; au XVIIIe s., 861, 892, 897, 907, 910, 911, 917-918, 929, 994, 995, 1014, 1016; au XIXe s., 1063, 1140. Naturel, idéal du — et rhétorique : chez les Anciens, 22, 26 ; au Moyen Age, 39 ; chez les humanistes, 202, 235 ; chez les Réformateurs, 277, 278, 280 ; chez les écrivains post-tridentins, 478, 484 ; au XVIIe s., 530, 555, 569, 580, 672, 680-681, 716, 721, 725, 735, 739, 758, 759, 761, 762, 766-775 ; au XVIIIe s., 938, 962, 967, 968, 977; au XIXe s., 1157, 1162. Naturelle, méthode — de Descartes, 639. Négligence du style ou negligentia diligens, 349, 434, 483, 556, 561, 566, 580, 591, 766. Néo-classicisme, 589, 690, 978, 1041, 1042, 1044-1046, 1060, 1156, 1235, 1267. Néo-platonisme et rhétorique, 29, 34, 166170, 173-175, 179, 203, 246, 458, 707, 938, 1041, 1064. Néo-positivisme, 1270. Néo-scolastique, 281, 831, 847. Néologisme(s), 294, 358, 374, 583 ; mots nouveaux, 1010, 1014 ; cf. Électrisé. Neutralité scientifique et rhétorique, 1261, 1262, 1270, 1271. New criticism, 1246, 1268, 1275, 1276. New rhetoric ou rhétorique des philosophes, 955, 957-969. Noblesse du style, 1244; du sublime, 761. Noblesse (ordre social) et la rhétorique, 724, 755, 756, 765. Nombre ou numerus, technique du : chez les humanistes, 151, 382, 383 ; — oratoire, 356, 357, 366, 380, 383, 385, 391 ; selon Fouquelin, 382 ; selon Ramus, 374, 380, 384 ; sort du — dans la traduction latine, 381 ; au XVIIe s., 574, 885 ; au XVIIIe s., selon Rousseau, 991 ; cf. Rythme. Nomenclature des figures, 1160-1163. Nomenclature rhétorique, 1160, 1168; cf. Discours, Disposition, Élocution, Élo­ quence, Figures, Grammaire, Invention, Lieux, Littérature, Logique, Mémoire, Oratoire (art), Parole, Poétique, Pronon­ ciation. Non-dit, rhétorique du —, 1057, 1066. Non-redoublement, principe rhétorique, 490. Non-tropes, 1075, 1144. Nouvelles rhétoriques, 135-140, 165-166, 198-211, 223, 235, 243, 259, 369-390,

461-463, 539, 559, 588, 688, 950-952, 952-960, 964, 980, 986, 996, 1039, 1061-1066, 1075, 1076, 1114, 1116, 1238, 1263, 1265, 1267, 1277-1279. Objective, rhétorique américaine —, 1256, 1257. Objectivité : dans la création, 902, 903, 914 ; dans le goût selon Gottsched, 881 ; et rhétorique, 1264 ; — scientifique et rhé­ torique, 1262, 1270, 1271. Obscurité, style obscur, 38, 165, 173, 444, 465, 466, 469, 470, 471, 476, 477, 483, 488, 492, 501, 502, 558, 690, 693, 831, 983, 988. Opinion, importance rhétorique de 1’—, 612, 738, 900, 970, 1005, 1006, 1220 \cf.Doxa. Optimus stylus, 455, 461, 463, 492. Oraison : 382, 383, 391, 433, 434 ; funèbre, 559, 560, 571, 697, 985, 1003, 1144, 1171, 1179 ; genres d’—, 910 ; intérieure et discours rhétorique post-tridentin, 433, 434 ; publique : 436, 795, 809. Orateur : — selon les Anciens, 10, 22, 23, 26, 32, 141, 231, 356, 421, 474, 512, 546, 581, 1003, 1220; — au Moyen Age : — sacré, 43 ; — selon les humanistes, 64, 65, 71, 72, 87, 98, 111, 132, 138, 140, 142, 154, 155, 162, 168, 174, 179, 183, 192, 196, 203, 216, 221-223, 236, 240, 242, 249, 354-355, 383, 390-391, 602 ; — philosophe, 159, 191 ; — poète, 166, 175, 191 ; sacré, 221 ; selon Ramus ; 375, 376, 385-387, 392 ; dans les trai­ tés des manières, 421 ; — chrétien et les Réformateurs, 261, 272, 276, 279, 294, 307 ; — et question de la langue en Italie, 327 ; — évolution de la conception de Г— au XVIe s., 354-355 ; — post-tridentin : 459, 465, 466, 478 ; sacré, 432-437, 444, 446, 448, 450452, 454, 464 ; — au XVIIe s. : 521, 557 ; sacré, 502, 504, 560 ; et le conceptisme, 521, 522, 523, 524 ; en France, 550, 556, 565, 576, 579, 582, 591, 630, 642, 647, 650, 684-685, 691, 700, 708, 716, 726, 731, 739, 741, 745, 754756, 767, 778, 782, 788, 794, 797, 831, 912; — au XVIIIe s., 829, 840, 842, 856, 860, 861, 883, 886, 887, 889, 890, 892,

895, 900, 905, 908, 926, 964, 981, 986, 990, 993, 994, 996, 1003, 1004, 1007, 1009, 1012, 1013, 1019, 10231026, 1028-1035, 1047, 1079, 1082, 1092; — au XIXe s., 1048, 1050, 1100, 1101, 1103, 1106, 1109, 1110, 1113, 1167, 1168; formation et manuels, 1126, 1154, 1157, 1171-1183, 1200, 1217, 1227, 1252; — au XXe s., 1273, 1295 ; — cf Discours, Éloquence, Oratoire (art), Parole, Prédicateur. Огайо soluta, 383, 384, 395, 506 \cf Prose. Oratoire, art ou genre — : — chez les Anciens, 356-357, 1287, 1291 ; — selon les humanistes, 50, 55, 58, 59, 63, 64, 75, 89, 95, 99, 103, 115, 132, 144-145, 150, 152, 158, 171, 201, 243, 349, 351, 354-355, 365, 379, 387, 393, 394, 475, 717; selon Ra­ mus, 377 ; — chez les Réformateurs, 287, 291-296, 301 ; — et la question de la langue vernacu­ laire, 345, 366 ; — post-tridentin, 434, 436, 451, 458, 466, 475, 479, 480 ; — au XVIIe s., 502, 503, 505, 506, 513-515, 561, 576, 587, 631, 632, 636, 646, 667-669, 673, 679, 682, 688, 697-702, 707-709, 713, 719, 724, 737-747, 750, 751, 753, 755, 757-759, 761-776, 778, 884; — au XVIIIe s., 910, 911, 920, 947, 948, 952, 954, 955, 965, 970, 976, 1020, 1030, 1035, 1035, 1082; — au XIXe s., 1031, 1050, 1052, 1053, 1087, 1202, 1216; apprentissage et manuels, 1126, 1144-1147, 11711183, 1200, 1230; — au XXe s., 1246 ; — cf Discours, Éloquence, Orateur. Oratoriens de l’Oratoire de Bérulle, et la rhétorique, 548, 776-782, 946-948, 977, 1079, 1083. Oratorio Romano, rhétorique de la prédica­ tion de 1'—, 439, 445-448, 463. Ordre: des mots dans la langue nationale, 366, 677-683, 701, 778, 911, 916, 917, 929, 959; mots d'—, 1011, 1022, 1193. Ordre ou ordo des notions ou des lieux : chez les humanistes, 86, 87, 88, 98, 99, 101, 105, 108, 111, 112, 116, 119, 237, 240, 422 ; chez les Réformateurs, 279, 288,

289, 305 ; post-tridentins, 443, 462 ; au XVIIe s., 556, 641, 644, 677-693, 701, 755 ; au XVIIIe s., 885. Organon, 60, 86, 113, 198, 199,203, 637, 854. Ornement ou omatus, ornementation : 10 ; — chez les Anciens, 22, 162, 444 ; — au Moyen Age, 37, 38, 40 ; — selon les humanistes, 27, 59, 64, 87, 97, 111, 134, 147, 205, 243, 391 ; selon Ramus, 374, 378, 379, 385, 390 ; — chez les Réformateurs, 294 ; — dans les traités des manières, 417 ; — et question de la langue nationale, 342; — dans rhétorique post-tridendne, 433, 440, 444, 445, 452, 454, 455, 462, 484, 560 ; — au XVIIe s., 505, 506, 539, 713, 751 ; en Angleterre, 662 ; dans le concep­ tisme, 522, 524 ; en France, 541, 542, 559, 561, 563, 578, 582, 583, 585, 592, 709, 710, 726, 729, 739, 741, 755, 759, 763, 779, 780, 912 ; dans le langage scientifique, 616, 617 ; — au XVIIIe s., 830, 841, 847, 861, 872, 887, 924, 947, 960, 974, 1010, 1016 ; — cf. Abondance, Figures. Oàn, rhétorique de Г—, 141, 414, 420, 461, 487, 488, 590, 670, 847. Oxymore, 39, 40, 443, 481, 510, 526, 617, 1058, 1189.

Paganisme, influence sur la rhétorique sacrée, 34, 215, 433, 438, 447, 448, 451, 455, 457, 459, 464, 492, 504. Pamphlet, 140, 182, 986, 1023, 1180. Panégyrique, 162, 518, 554, 576, 673. Pantomime, 890, 987. Papauté et la rhétorique, 431-434, 447, 456, 463, 621, 854, 1288. Paradiastole, 1082. Paradigme et rhétorique, 1270, 1272. Paradoxe, emploi du —, 42, 145, 192, 219, 224-226, 285, 1276. Parallélismes et parallèles, 444, 1185, 1190. Paralogisme, 611. Paraphrase, 300, 344, 561. Paris : 752 ; capitale littéraire de l’Europe, 554 ; université de —, 131-132, 372, 946. Partage, néologisme de Rousseau, 1010. Parlementaire : éloquence, 492, 562-565, 631, 726, 985, 1003, 1005, 1012, 1020, 1024, 1026, 1027, 1034, 1090, 1101-1102, 1107-1113, 1115, 1173,1176-1178, 1201, 1232 ; cf. Assemblées révolutionnaires. Parodie, 589.

Parole, art de la — : fonction de la —, 5-7, 10, 16 ; cf. Langage. Paronomase, 542. Parties de la rhétorique, cf. Rhétorique (à « catégories »). Pascalienne, rhétorique, cf. Index des noms. Passions, rhétorique des — : — chez les Anciens, 25, 28 ; — chez les humanistes, 70, 72, 168, 249, 385; — chez les Réformateurs, 306 ; — post-tridendne, 436, 442, 477 ; — au XVIIe s., 540, 569, 579, 633, 653, 660, 680-693, 720, 771, 778-780, 782, 796-798, 803, 832, 1080; et la voix, 791, 794, 795 ; — au XVIIIe s., 837, 838, 862, 933, 961, 968, 987, 993, 1030, 1080 ; langage des —, 883-901 ; réhabilitation des —, 980, 981, 1082, 1093 ; — au XIXe s., 1050, 1052, 1055-1059, 1061, 1066. Pathétique, notion de — : 1163 ; développe­ ment d’un idéal de —, 879 ; dans l’éloquence, 1028, 1039, 1053, 1181 ; en poésie, 1054, 1058; et la prononciation, 796, 799 ; sous la Révolution, 1093 ; en rhétorique, 143, 434, 692, 694, 739, 740, 895, 896, 900, 908 ; romantique, 1053, 1057, 1059-1061, 1066; ton —, 1190; usage du — chez Rousseau, 1005. Pathos et art du discours, 307, 309, 508, 563, 602, 671, 688, 691, 692, 701, 1024, 1156, 1288, 1289, 1294, 1295. Pays-Bas, 457, 504, 827. Pédagogie ou éducation et rhétorique, 21, 23-25, 31,56, 76, 154-156, 237-239, 248, 379, 458, 620, 760, 779, 856, 858, 868, 977, 989-993, 1011, 1045, 1160; cf. Classe de rhétorique, Collèges, Enseigne­ ment. Pédantisme, pédants, 539, 540, 544, 717, 728, 752, 753, 757, 759, 945, 1001, 1161. Pénétration, cf. Acumen. Pères de l’Église, influence rhétorique, 6, 36, 63, 149, 211, 267, 275, 288, 303-306, 432, 436, 437, 447, 463 {écrit pat ristiques), 466, 501, 503, 504, 648, 729, 738, 744, 745, 767, 1097, 1287. Péricope liturgique, 300, 304 ; çf. Définition. Période : dans l’écriture conceptiste, 520 ; selon les humanistes, 80, 374, 382 ; dans l’oraison, 382 ; dans la rhétorique sacrée, 35, 699 ; au XVIIIe s., 884, 885, 947, 968, 1010; au XIXe s., 1052. Périphrase, 509, 563, 1081, 1082, 1265.

Péroraison, 22, 108, 144, 578, 846, 1082, 1155, 1185. Persona, connotation de ce mot : selon G. de Trébizonde, 78 ; selon Valla, 68, 69 ; au XVIIe s., 504, 561. Personne, rhétorique de la —, 235, 510. Perspicuùas, 147, 177, 841 ; çf. Clarté. Persuasion, art de la — : — comme objet de la rhétorique, 2, 5 ; — chez les Anciens, 22, 25, 29, 449 ; au Moyen Age, 44 ; — chez les humanistes, 52,56, 72, 74, 77, 79, 84, 100, 143-145, 162, 166, 181, 201, 210, 215, 217, 223, 708, 1290; modes de —, 173-176, 242, 249, 602 ; et rhétorique du vulgaire, 317 ; — dans les traités des manières, 416, 420, 422, 423 ; — chez les Réformateurs, 265-271, 278, 457; — et rhétorique post-tridentine, 440, 464, 475, 479, 482, 487, 492 ; — au XVIIe s., 506, 511, 632 ; en France, 542, 564, 592, 638, 642, 646-648, 652-654, 669, 684, 685, 688, 691, 692, 709, 747, 755, 778, 779, 795 ; dans discours scientifique, 620, 622, 624, 712; — au XVIIIe s., 850, 857, 862, 883-884, 886, 887, 889, 908, 910, 930, 961, 963, 981, 993, 1012, 1024; — au XIXe s., 1054-1058, 1255, 1265; dans l'enseignement, 1126, 1200 ; — au XXe s., 1246, 1247, 1258, 1268, 1270, 1276, 1278, 1295. Petite littérature, 672 ; petites formes littérai­ res, 757. Philologie: 134, 135, 216, 260; et les humanistes, 44, 61, 62, 70, 169-173, 182, 656; et la Réforme, 262, 265, 490 ; et la question de la langue en Italie, 324, 332 ; au XVIIe s., 505, 506, 689, 693-695, 697, 717-718, 729, 768, 772, 777 ; au XIXe s., 1088, 1106, 1222, 1256; au XXe s., 1275. Philosophes du XVIIIe s. et la rhétorique, 914, 916, 926, 954, 957-969, 969, 983, 985, 1003. Philosophie, rapports avec la rhétorique : — chez les Anciens, 5, 19, 20-25, 29, 31, 581, 585, 602, 606 ; — au Moyen Age, 41, 42, 49-52, 54, 55 ; chez les Rhétoriqueurs, 132 ; — chez les humanistes, 56, 63-68, 70, 156-159, 178-181, 183, 191, 200-201, 203-206, 216, 226, 230, 241-244,

246, 248, 413, 1290; selon Ramus, 371, 376, 385, 386; — chez les Réformateurs, 264, 278, 290, 291, 294; — et question de la langue en Italie, 327; — post-tridentine, 436, 453, 456, 464, 465, 467, 470 ; — au XVIIe s., 505, 506, 510, 521, 566, 583, 585, 606, 607, 613, 633, 668, 707-708, 712, 713, 717-719, 726, 772, 773, 776, 777, 832 ; — au XVIIIe s., 824, 825, 827, 829-832, 839, 850, 854, 857-863, 866, 867, 869, 873, 903, 938, 951 ; nouvelle —, 953-960, 980, 985, 1010, 1080, 1088, 1291 ; — au XIXe s., 1040-1041, 1087, 1152; enseignement, 1120-1122, 1125, 1126, 1141, 1157-1159, 1167, 1185, 1197, 1253; — au XXe s., 1246, 1268, 1268-1271, 1278, 1293. Phrase et les differentes méthodes rhétori­ ques, 374, 444, 445, 471, 489, 779, 841, 921-922, 925, 928, 947, 959, 968, 1043, 1186, 1190, 1229, 1242; çf. Période. Physiologique, dimension — : de l’élo­ quence, 890 ; de l’émotion, 1046 ; du goût, 881. Piétisme allemand et langue du coeur, 277, 887. Piquant, style, 464, 476, 761. Plain style, 586, 969 ; cf. Humble (style), Sim­ plicité. Plaire, art de — : — chez les Anciens, 22 ; — chez les humanistes, 95, 202 ; — au XVIIe s., 556, 692, 667, 669, 671, 673, 763, 779 ; et Malebranche, 711712 ; de Pascal, 647-648, 653-654 ; et la prédication évangélique, 739 ; et le sublime, 761 ; — au XVIIIe s., 884, 933, 939, 1026, 1163; — au XIXe s., 1165, 1255; — au XXe s., 1277, 1294; — çf. Delectare. Plaisir ou voluptas : chez Cicéron, 433 ; chez les humanistes, 138, 159, 162, 181, 381, 859 ; et rhétorique post-tridentine, 440, 446, 477 ; et l’art de la pointe dans le conceptisme, 525, 526 ; au XVIIe s., 622, 544, 590; au XVIIIe s., 881, 901-918, 961-964, 978. Pléonasme, 681.

Poésie : — divers : et débat sur les citations, 719 ; éloquence assimilée à la — et par conséquent effacement du travail rhé­ torique, 894, 900 ; en langue verna­ culaire, 132, 323, 331, 384 ; place dans la rhétorique, 5, 41, 44 ; de style, 905 ; — et les Anciens, 26 ; — des Rhétoriqueurs, 132 ; — et les humanistes, 51, 55, 115, 167, 169, 172-174, 208, 383, 394, 1290; — des Réformateurs, 277 ; selon Ramus, 374, 384, 386 ; — post-tridentine, 440-442, 444, 445, 470; — au XVIIe s., 502, 506, 510; et le conceptisme, 517, 519, 520, 529, 530 ; en Europe, 546, 564, 566, 568, 571, 572, 662, 753, 770, 773, 783; en France, 543, 557, 578, 639, 697, 721, 751, 764, 914; — au XVIIIe s. : 890, 891, 896, 1291 ; en Allemagne, 827, 987, 988 ; en Angle­ terre, 898, 899, 967 ; en France, 894, 900, 911, 947, 979; en Italie, 825, 854, 857, 861, 863, 866 ; — au XIXe s., 1054, 1057, 1058, 1087, 1255; — au XXe s., 1266, 1295. Poétique, art : — chez les Anciens, 18, 20, 25, 30, 982 ; — au Moyen Age, 33, 38, 132 ; — selon les humanistes, 155-156, 171, 174, 177-181, 182, 602, 748, 774; français, 380 ; liens avec la rhéto­ rique, 390-395 ; chaire créée en Alle­ magne au XVe s., 131 ; — et question de la langue en Italie, 331, 333; — post-tridentin, 440-445, 474, 475, 482, 518; — au XVIIe s., 504-507, 519, 520, 571, 572, 576, 588, 591, 624, 692, 693, 713, 749-751, 770-775, 779, 807, 828, 833 ; — au XVIIIe s., 834, 836, 838, 841, 867, 873, 894, 898, 907, 914, 915, 938, 960, 977, 982, 987, 1027, 1252; — au XIXe s., 1039, 1040, 1057, 1058, 1061, 1064, 1066; enseignement, 1101, 1144, 1145, 1175; manuels, 1184, 1225; — au XXe s., 9, 1246, 1265, 1266, 1269, 1271, 1272, 1275.

Poids, comme critère dans les figures, 67, 444, 499. Pointe, art de la pointe, style pointu, 437, 470, 476, 480, 485, 500, 501, 518, 519, 521-527, 529, 555, 830, 912, 927, 930, 931. Polémique(s) : art du polémiste et utilisation du Je, 585 ; et les humanistes, 49-74, 84, 107, 156-159, 174 ; et invective, 145, 146. Politesse, rhétorique de la —, 968-979, 990 ; le poli et le beau, 983. Politique et rhétorique : — chez les Anciens, 5, 18, 22, 26, 29, 637; — et les humanistes, 140-145, 162, 387; — et rhétorique post-tridentine, 441, 449, 459-461, 466, 474; — au XVIIe s., 506, 510, 546, 629-630, 662 ; et le conceptisme, 521 ; — au XVIIIe s., 900, 984, 985, 1005-1007, 1020, 1025 ; en Allemagne au XVIIIe, 752-754, 839, 841, 843; — au XIXe s., 1027, 1028, 1046, 1047, 1048, 1071, 1110, 1113, 1106, 1173, 1175, 1176, 1178, 1181, 1231-1233, 1261, 1294; — au XXe s., 1278; — cf Cour, Parlement, Pouvoir, Prince, Révolution française, Tribune. Pologne : enseignement, 946 ; rhétorique en —, 576. Polysyndète, 376, 444. Pompeux, style, 481, 560. Populaire : connotation de ce terme au début du XIXe s., 1008 ; éloquence —, 447, 466, 888, 1026, 1112, 1113, 1168; lan­ gage —, 1023 ; poésie —, 806 ; rhéto­ rique —, 662, 1111, 1113; tradi­ tion — et littérature, 915. Pornographie (néologisme), 1014. Portrait : ou forme brève, 763 ; dans le genre épistolaire post-tridentin, 475 ; 1185. Portugal, 946. Positivisme et rhétorique, 8, 1088, 1115, 1255-1258, 1261, 1273, 1274. Possible, possibilité, rôle dans l’argumen­ tation, 48, 59, 71, 74. Poststructuralisme, 1272, 1276. Pour et contre, rhétorique du —, 18, 1182; cf Controverse, Dispute. Pouvoir : parole du — : 557-570 ; et le lan­ gage de la nouvelle science, 621 ; liens de la rhétorique au —, 29, 387 (écrit gouver­ nement), 629-630 ; cf Politique, Prince.

Praelectio, 179, 345, 372, 1077, 1173; çf. Exercices. Pragmatisme et rhétorique, 1269, 1278. Préceptes de rhétorique, 1172, 1182, 1186, 1198 ; cf Lois, Règles. Préciosité, 213, 804, 914, 955. Précision, notion rhétorique de —, 435, 454, 1093. Préclassicisme et rhétorique, 509. Prédication et prédicateur : — au Moyen Age, 39, 42, 437 ; — et les humanistes, 84, 93 ; — et les Réformateurs, 262-264, 272, 273, 277, 281, 286-309 ; et langue vernaculaire, 318-319; — post-tridentine, 431-439, 441, 446, 449, 450, 456, 466, 489, 501, 560; — au XVIIe s., 502, 513, 546, 559, 560, 564-566, 582, 633, 656, 657, 659, 697-702, 719, 724, 730, 737747, 767, 794, 809, 985 ; — au XVIIIe s., 888, 962, 1003, 1004, 1082, 1252; — au XIXe s., 1049, 1075, 1089-1090, 1093, 1095-1099, 1106, 1232; ensei­ gnement, 1138, 1147, 1156, 1162, 1172, 1173, 1175, 1176, 1178, 1191, 1224, 1225, 1240; — au XXe s., 1293 ; — cf. Homilétique, Oraison, Orateur, Sermons. Prémisses, 601, 634, 643, 847. Préromantisme, 277, 866. Presse, cf Journalisme. Prétérition, 1161. Preuve : 5 ; et l’histoire, 566 ; procédure des — chez les humanistes, 71, 78, 88, 101 ; dans prédication post-tridentine, 436 ; et méthode cartésienne, 644 ; nature de la — dans le droit, 567 ; et réfutation pascalienne, 651, 652 ; théorie de la — chez les Anciens, 20, 22, 684 ; au XVIIIe s., 850, 860, 862, 955 ; au XIXe s., 1155, 1230; cf Syllogisme. Primitivisme : courant rhétorique —, 448, 463, 504, 979, 980, 982, 983, 993 ; ger­ manique, 988. Prince, rhétorique du —, 553, 554, 630-631, 677 ; cf Cour, Politique, Pouvoir. Privée : parole —, 1006, 1261 ; rhétorique —, 138, 140, 482, 1186, 1196, 1252. Probable, probabilité, application dans l’argumentation, 48, 59, 72, 74, 82, 86, 87, 92, 102, 174, 581, 201, 210, 282, 419, 586, 644-646, 1230, 1274, 1285, 1290.

Professeurs: 1086, 1099, 1103, 1109, 1126, 1241 ; de rhétorique, 1125, 1127, 11341139, 1141, 1145, 1164, 1167, 1185, 1188, 1194-1196, 1202, 1230, 1232, 1235, 1253, 1254, 1255. Prononciation ou pronuntiatio : 557, 790, 793-797, 803, 837, 838, 843, 910, 953, 954, 972, 1157 ; selon Ramus, 377, 378, 794 ; cf Voix. Propagande, rhétorique de la — : chez les humanistes, 58, 145 ; chez les Réforma­ teurs, 277, 286 ; au XXe s., 1262. Prophétique : discours, 739-742 ; fonc­ tion — de l’écrivain, 986 ; style — des his­ toriens romantiques, 1052. Proposition ou proposition notion de —, 72, 112, 288, 359, 378, 436, 438, 528, 587, 612, 679, 788, 1154; cf Division. Prose, usage de la —, 162, 205, 227, 325-327, 331, 366, 367, 369, 382, 383, 394-395, 453, 465, 502, 504, 506, 517, 519, 546, 564, 568, 571, 581, 697, 765, 880, 917; d’art, 394, 570, 575, 592, 763, 969 ; nombreuse, 356 ; — poé­ tique, 345 ; selon Ramus, 374, 383, 392, 708 ; au XVIIe s., 556 ; au XVIIIe s., 910, 911; au XIXe s., 1101, 1120, 1145, 1147, 1218, 1240; au XXe s., 1241, 1242, 1266. Prosodie, 378, 384, 779. Prosopopée, 157, 210, 220, 299, 445, 510, 563, 885, 985, 995, 1005, 1043, 1082, 1190, 1192, 1194, 1189. Protestants : influence rhétorique, 546, 585, 655-659, 687, 826, 834, 839-841, 898, 1294 ; cf Réforme. Proverbe, recours au — : chez le diplomate du XVe s., 142 ; chez les Réformateurs, 305 ; au XVIIe s., 720, 722, 723 ; dans traités des manières, 427. Prudentia, 200, 518, 861. Prusse, 946. Pseudo-dialectique, et les humanistes, 192198 . Pseudo-logiciens, 195. Pseudo-philosophes, 831. Psychagogie et rhétorique, 138, 151, 155, 226, 267, 271, 471, 479. Psychanalyse et rhétorique, 1269, 1277. Psychologie moderne et rhétorique, 961-962, 965, 966, 967, 1252. Public ou auditeurs ou destinataires, souci rhétorique de l’adhésion du — : 275; — des humanistes, 217, 348, 358, 374, 358, 368, 372, 378 ;

— et usage de la langue nationale, 332, 341, 366, 621 ; — et rhétorique post-tridentine, 432, 434, 436-439, 445-452, 471 ; — au XVIIe s., 525, 556, 567, 571, 586, 587, 633, 642, 647-651, 684, 685, 691, 696, 731, 788, 1285; auditoire mondain, 647-650, 697-702, 707-708, 737-747, 773 ; élite sociale et distinc­ tion, 710-711 ; — au XVIIIe s., 856, 860-862, 884, 886, 887, 895, 920, 930, 986, 1005, 1007, 1009, 1028, 1048, 1082; spectateur d’Addison, 901-903 ; — au XIXe s., 1051, 1057, 1134, 1232, 1239; — cf. Lecteur. Publicité et rhétorique, 1262, 1274, 1278, 1294. Publique: éloquence, 138, 488, 563, 797, 1006 ; naissance de la rhétorique —, 138-140; parole —, 559, 657, 658, 985, 996, 1012, 1071, 1082, 1086, 1089, 1106, 1108, 1113, 1162-1183, 1200, 1261. Pureté du style, 454, 539, 618, 1244, 1266, 1268. Pyrrhonien, pyrrhonisme et la rhétorique, 481, 489, 652.

Quadrivium, 372, 373. Querelle : — des Anciens et des Modernes, 354, 747-751, 803, 873, 913, 914; deu­ xième —, 879, 913 ; — Bouhours-Orsi, 916 ; — du cicéronianisme, 159-161, 226-235, 237, 238, 261, 294, 347, 351-363, 510, 539; — des citations, 562 ; — querelle de l’enthousiasme, 687-689, 702; — des sonnets, 541 ; — sur la question du fiat lux, 693. Raillerie, 568-569, 582, 648, 660, 662, 739, 897, 933, 934. Raison, usage rhétorique de la —, 458, 529, 530, 680, 687, 759, 833, 864, 925, 980, 981, 986, 1055, 1093, 1270, 1290, 1291 ; cf Logos. Ramiste ou ramusienne, rhétorique —, cf. Index des noms. Rapide, style, 475-477. Ratio, cf. Méthode . Ratiocinatio, mode de persuasion, 173-175. Ratio studiorum, cf. Jésuites.

Rationalisme : cartésien, 721, 747, 759, 770, 1010; et débat sur les citations, 719; néo-cartésien, 702 ; origines, 633, 643, 702 ; répercussions rhétoriques, 646, 682, 688-690, 769, 772, 780, 782, 784, 830, 836, 873, 914, 987, 1057, 1258, 1269, 1292. Réalisme (école littéraire), 1272. Rébus, 913, 1082. Récit, 502, 566, 763 ; historique, 910. Récitation, 547, 798, 799, 806. Recueils : d’exemples, sens rhétorique de la richesse des — au XIXe s., 1168 ; de rhé­ torique, 1169-1190. Redoublement (figure), 444. Réel et les romantiques, 1060-1063, 1066. Réflexion (forme brève), 763. Réforme : et la rhétorique, 7,93,107,259-309, 456, 457,488-489, 559-562, 823, 1071 ; et les traductions, 367 ; cf. Protestants. Règles ou lois de la rhétorique : 147, 205, 309, 442, 452, 481, 488, 490, 492, 639-641, 718, 734-754, 758759, 762, 767, 774-775, 782, 788, 843, 858, 890, 892, 909, 913, 914, 917, 953, 957, 962, 965, 981, 982, 987, 1005, 1007, 1030, 1164, 1166, 1172, 1216-1218, 1241, 1242, 1267; cf. Carté­ sienne, Mathématiques, Méthode, Nou­ velles rhétoriques. Réhabilitation de la rhétorique : au XVIIe s., 651 ; au XIXe s. et au XXe s., 1222, 1226, 1257-1259, 1261-1280, 1287, 1291 (écrit redécouverte), 1293. Religieuse, rhétorique, cf. Prédication, Sacré. Remise en cause de la rhétorique, 939, 1074, 1113-1115, 1201, 1202. Renaissance : 349, 842, 1231, 1246, 1287 ; et la littérature en Allemagne, 827, ; et rhé­ torique humaniste, 7, 27, 259, 261, 602. Renaissance de la rhétorique: 1287-1289; au XIIe s., 178; en France au XIXe s., 1072-1075, 1114-1115, 1182, 1201, 1202; au XXe s., 1265, 1287, 1288, cf. Réhabilitation, Restauration, Restreinte (rhétorique). Repartie, 1032, 1133, 1170. Répétition, rhétorique de la —, 448, 542, 1161. Reportage, 1015. Représentation, notion rhétorique de la —, 479, 482, 485, 486, 709-712, 718, 846. Res, cf. Choses. Restauration ou réforme ou renaissance ou réaménagement ou remise en ques­ tion de la rhétorique au XVe s. et

XVIe s., 46, 84-85, 88, 120, 135-140, 341-396, 499-515 ; au XIXe s., en France, 1074-1076, 1114-1115, 1147, 1154-1156, 1159, 1166, 1201 ; cf. Nouvelles rhétori­ ques. Restreinte, rhétorique — ou restriction de la rhétorique : de Ramus, 342, 377379, 515 ; au XVIIIe s., 953, 1073 ; au XIXe s., 1073, 1042, 1225, 1230; au XXe s., 1275. Restriction de la rhétorique, question de la —: 900 (écrit effacement), 909, 911 ; en Allemagne, 824, 836-852 ; en Italie, 858. Révolution française: 1019-1035 ; — antirhétorisme, 1011, 1020, 1035, 1091 ; — centenaire de la — : répercussions rhétoriques, 1112-1113 ; — et enseignement scolaire, 1083-1087, 1091, 1118, 1193; — et la rhétorique, 1020, 1024, 1027, 1083-1086; éclipse de la rhétorique, 1076, 1086, 1117; récuse la rhéto­ rique, 1093 ; — éloquence: 1013, 1019-1035, 1047, 1073, 1090, 1092, 1093 ; des assem­ blées, 985, 1009, 1232, 1233; de l’écriture, 1012 ; et laconisme, 1011, 1012 ; retour à l’éloquence antique, 1001 ; judiciaire, 1093-1094; — et les Idéologues, 1081, 1086; — langage, 1022 ; — mythe de la —, 1027-1035 ; — orateurs: 1007, 1009, 1012, 1023-1026, 1028-1035, 1079; —phi­ losophe, 900 ; — parole sous la —, 1009, 1027, 1030 ; — et rhétorique du corps, 987. Revues, 850, 987, 1103. Rhéteurs) : 465, 481 ; anciens, 5, 23 ; catho­ liques, 492 ; écrivain, 458 ; jésuites, 452-454 ; logiciens, 202 ; modèle du — et question de la langue en Italie, 325, 327 ; au XVIIe, 619-620; au XVIIIe, 892, 957, 962, 964, 967, 971, 973, 977, 978, 982, 996, 1025 ; au XIXe s., 1025, 1046, 1127, 1161, 1218, 1227; au XXe s., 1246, 1270. Rhétoricisation de la poétique, 393. Rhétoricité, 1263, 1267, 1268, 1272, 1273. Rhétorique : divers : abandon en France au XIXe s., 1073, 1075, 1233, 1239-1242, 12451247, 1267 (écrit proscription) ; accusa­ tions contre la —, 683, 688, 708-720, 954 ; antinaturelle, 1163 ; art de jouir

au XVIIIe s., 883 ; catégories ou divi­ sions ou parties de la —, 104, 198, 199, 263-277, 1002, 1227-1229, 1234, 1266, 1267 ; classification des formes de la —, 221-222, 369-390, 458, 469, 505-507, 927 ; condamnation de la —, 781-783; crise de la —, 45-46, 82, 632, 633, 775, 841 ; critique de la —, 620, 683, 688, 691 ; déclin de la —, 1251-1254, 1261, 1262, 1266; cri­ tique littéraire à la —, 1041, 10441046; définitions de la —, 3, 17, 58, 244, 249, 272, 506-508, 782, 831,851, 884, 1066, 1080, 1110, 1229, 1231; degré zéro de la —, 622, 1052 (écrit écriture), 1057, 1062 (écrit langage) ; détracteurs de la —, 864 ; du discon­ tinu, 649, 1032 ; disqualifiée, 635,640, 1261 ; éclipses de la —, 1076, 1086, 1088, 1113 (écrit disparaît), 1114, 1117, 1180 (écrit décapiter), 1200, 1201, 1215-1247 ; fusion avec la poétique, 591 ; identification et — au XXe s., 1268, 1269 ; influence de la littérature biblique, 33 ; et le langage, 62 ; comme langue universelle, 1262 ; et littérature comparée, 953, 977 ; modi­ fication du système rhétorique, 823836, 883 ; place de —, 384-385 ; pro­ cès de la —, 1001-1006 ; rapproche­ ment de la — et de la poétique, 1145 ; recomposition du paysage rhétorique, 572 ; récusation de la —, 892, 1093 ; redéfinition de la —, 369-390 ; refor­ mulée ou renouvelée, 631, 644, 645-654, 702, 777, 980; refus de la —, 989, 992, 1003, 1010-1013, 1073, 1093 ; répartition des figures entre la grammaire et la littérature, 1081 ; restituée, 865 ; réunion de la —, de la linguistique et de la poé­ tique, 1272 ; retour à la vraie —, 860 ; séparation entre dialectique et —, 64-65, 832 ; séparation entre poétique et — en Allemagne, 988 ; tableau de —, 1154-1156 ; transformée en stylis­ tique, 965 ; terme — : acceptions de Vossius, 506 ; disparition du —, 1226, 1227, 1233 ; extension donnée au —, 1040; polé­ mique sur le —, 1238 ; recul du —, 632 ; utilisé au Collège de France au XXe s., 1283; cf. Antique, Antirhétorique, Classe de r., Domaine, Enseignement, Fonction, Méthodes, Nouvelles rhét., Règles,

Réhabilitation, Remise en cause, Renaissance de la r., Renouveau, Restauration, Restreinte, Rhéteurs, Rhétoriciens, Rhétoriqueurs, Seconde R., Trivium et Index des noms. Rhétoriqueurs, 132, 210. Rime, 382, 384, 501, 917. Rire : et rhétorique reformulée pascalienne, 648, 649 ; romantique 1060, 1062. Rococo, style, 880, 914, 927, 1044. Roman, 31, 518, 572, 904, 936, 1014, 1053, 1060, 1162. Romantisme : et le classicisme, 690 ; et l’éloquence, 1021, 1029-1031, 10461054; langage: 27, 986 ; et le mythe, 868 ; et la rhétorique, 7, 8, 10, 11, 15, 27, 896-898, 982-983, 1039-1066, 1076, 1088, 1098, 1115, 1165, 1261, 1262, 1266, 1268, 1272, 1275, 1292; théorie du —, 918 ; çf. Sturm und Drang. Royal Society ou Société royale de Lon­ dres, 586, 617-618, 631, 657, 659-666, 955. Rue, éloquence de la —, 1002, 1005, 1023 ; licence de la —, 1007. Rugosité dans le style, 434, 444, 448, 469, 504 (écrit horridus) ; çf. Apre. Russie, 946, 952, 1246. Rythme(s) : 151, 382, 384, 445, 500, 505, 1054, 1290; binaire, 380, 381; pair, 374 ; çf. Métrique .

Sacré(e) ou religieux(se) : — chez les Anciens, 29 ; — célébration du — au Moyen Age, 36 ; — écrivains, 572 ; — éloquence, 308, 439, 446, 451, 453, 466, 474, 501, 515, 543, 546, 560, 631, 737-747, 761, 887, 888, 896, 898, 1051, 1071, 1089, 1095, 1171-1173, 1179, 1221, 1232, 1233; çf. Homilétique, Oraison funèbre, Prédication, Sermon ; — orateur—: 43, 221, 432, 436, 504, 560, 737-747, 794, 1003, 1051 ; — panégyrique, 518 ; — rhétorique, 34-36, 39, 40, 44, 58, 245, 737-747 ; tridentine et post-tridentine, 431-439, 447, 464, 488, 492, 559 ; et Pascal, 647-649 ; — sophistique, 504, 707 ; — çf. Éloquence, Prédication. Sagesse ou sapientia, transmission de la — et la rhétorique : chez les Anciens, 500 ; au Moyen Age, 36 ; humaniste, 49, 54, 55, 84, 108, 140, 244, 248, 249, 283, 505 ;

chez les Réformateurs, 285, 286, 289, 488 ; et question de la langue en Italie, 326, 327 ; post-tridentine, 448, 455, 466, 473, 477; au XVIIe s., 504, 722; au XVIIIe s., 833, 870, 872. Salon(s) : 334, 970 ; en France, 540, 572, 666, 700, 713, 804, 926, 1002, 10061008, 1162, 1203. Salut, recherche du — et rhétorique : chez les humanistes, 226 ; et la Réforme, 262-277, 289, 300, 306; de la prédi­ cation post-tridentine, 432, 436, 438, 443, 459, 460, 461, 463, 468, 839; et prédication au XVIIe s., 745 ; au XVIIIe s., 841. Sapientia, çf. Sagesse. Satire : chez les Anciens, 30 ; vernaculaire au Moyen Age, 145 ; au XVIIe s., 576, 641 ; au XVIIIe s., 910. Schème, 620, 625, 637. Science et rhétorique, 566, 581, 583-588, 601-627, 631, 632, 638, 641-643, 660, 663, 668-669, 712, 771, 850, 863, 864, 867-870, 937, 939, 963, 1261, 1271, 1285, 1291. Scolaire, rhétorique — : au XVIIe s., 547, 775-777 ; au XVIIIe s., 840, 842, 844, 910-911, 939, 945-947, 949, 952, 953, 969, 989, 992, 1004, 1010, 1013, 1015, 1020, 1021, 1084-1086 ; au XIXe s., 1042, 1045, 1046, 1113, 1115-1201, 12161220, 1223-1231, 1233-1241. Scolastisque ou École, Scolastiques : 41, 199, 221, 236, 259, 280, 322, 326, 433, 437, 522, 582, 1287, 1288, 1291 ; — et les humanistes : 45-47, 50, 51, 53, 54, 57, 59, 63-65, 67, 69, 71-73, 83, 86, 89, 93, 107, 156-157, 193, 195-196, 202, 233, 830; — et les Réformateurs, 289 ; et rhéto­ rique post-tridentine, 431, 447, 449, 455, 457 ; — au XVIIe s., attitude envers la — : 522, 582, 584, 585, 707, 726, 729, 738, 753, 832 ; — au XVIIIe s. : 912 ; rhétorique scolatique au —, 854 ; attitude envers la —, 839 ; — au XIXe s., — littéraire, 1231. Seconde Sophistique, 25, 31, 162, 433. Sémantique, 522, 577, 624, 683, 695, 925, 1272. Sémiologie, 515, 1273. Sens commun et rhétorique : — au XVe s., 1288 ; — chez les Réformateurs, 278, 283 ;

— au XVIIe s., 635 ; — au XVIIIe s., 867 ; en Angleterre, 933. Sens, ce qui touche les — : liens avec l’éloquence, 709, 716, 890; liens avec la rhétorique, 866-868, 870 ; cf. Sensualisme. Sensations, rhétorique des — : 923, 963, 1041, 1043, 1058, 1066. Sensibilité, rhétorique de la —, 873, 920, 927, 1055, 1058. Sensualisme : — origines, 633, 643, 702 ; — répercussions rhétoriques : 894 ; en Allemagne, 834 ; en Angleterre, 660, 903, 911, 920; en France, 690, 836, 924, 1041, 1045, 1046, 1059, 1081, 1117, 1118, 1159, 1163, 1168. Sentence, style sentencieux : chez les An­ ciens, 26, 27, 29, 500 ; chez le diplomate au XVe s., 142 ; dans traités des manières, 427 ; dans rhétorique post-tridentine, 437, 454, 466, 470-474, 502, 518; au XVIIe s., 510, 522, 523, 572, 574, 575, 576, 583, 717-731, 739; au XVIIIe s., 841, 930 ; cf. Pointe, Trait. Sentiment, rhétorique du —, 889-890 ; 1041, 1055-1064, 1066 ; enseignement de la —, 1186, 1225; cf Affects. Serf arbitre et rhétorique, 214, 284-286 ; cf Libre arbitre. Sermocinales, artes —, cf Action, Disposition, Élocution, Invention, Mémoire. Sermons et rhétorique : chez les humanistes, 149 ; chez les Réformateurs, 277, 287289, 291-309; époque tridentine et post-tridentine, 431, 466 ; au XVIIe s., 513, 559-561, 656-657, 697-702, 721, 737-747, 985 ; au XVIIIe s., 889, 1003 ; au XIXe s., 1098, 1099 ; cf Sacré(e). Sévère, style, 504, 566, 1060. Silence, rhétorique du —, 1010, 1054, 1059. Similarité, processus sémantique, 1272. Similitude, 220, 298, 305, 308, 451, 526, 527, 617. Simplicité ou style simple ou genus tenue : — chez les Réformateurs, 277, 296, 303; — post-tridentine: 447, 474, 481, 483 ; et juste mesure, 432, 434 ; — au XVIIe s., 635, 642, 646-647, 662, 672, 679-681, 698, 735, 755, 758, 761, 763, 766-775, 778; — au XVIIIe s., 841, 885, 888, 968, 974, 993, 1011, 1016, 1079; — au XIXe s., 1092, 1164; — cf Bas (style), Humble (style), Plain style.

Sincérité, 1216 ; liens avec le style, 277, 475, 512, 570, 765, 886, 995, 996. Slogan, 1011. Sobre, style, 28, 39, 476, 513, 544, 1190. Sociale, vie — : et chose littéraire au XVIIIe s., 880 ; et rhétorique, 75, 140, 145-156, 411-429, 432, 489, 543, 556, 624, 700, 710-711, 761, 762, 775, 782, 798, 858, 866, 914, 926, 939, 949, 969-978, 992-994, 1001, 1003, 1010, 1050, 1051, 1056, 1089, 1166, 1167, 1204, 1237, 1253, 1259, 1269, 1278; cf Cafes, Con­ versation, Mondain, Salon. Société et rhétorique, liens entre —, 139, 449, 492, 564-570. Société internationale pour l’histoire de la rhétorique, 12, 1279. Sociologie et rhétorique, 23, 677, 1269, 1270 ; cf. Communication, Sociale (vie). Solennel, style, 1190. Soliloque, 1198, 1200. Sonorités comme figures de mots, 444, 445, 1290. Sophismes : et les Anciens, 22, 760 ; opinion des humanistes, 51, 54, 90, 93, 118, 386 ; au XVIIe s., 611, 624, 643-644; au XVIIIe s., 1047. Sophistes : enseignement des —, 19, 20, 21, 23, 156, 216, 766 ; opinion de Pétrar­ que et d’humanistes, 48, 49, 52, 76, 193, 197, 226 ; au XIXe s., 1049, 1228, 1265 ; au XXe s., 1245, 1246, 1269, 1270. Sophistique : relation avec la rhétorique selon les Anciens, 21, 24, 438, 444, 850, 187 ; Seconde —, 25, 31, 162, 433, 434, 447, 502-504, 518, 770; attitude des humanistes, 48, 49, 52, 64, 71, 209, 367, 389, 602 ; et la Réforme, 823 ; et élo­ quence post-tridentine, 438, 444, 446 ; cas de — au XVIIe s., 506, 541, 544, 572, 583, 608, 639, 649, 707, 771, 955; au XIXe s., 1218, 1222; au XXe s., 1270. Spécial, enseignement — au XIXe s., 1178, 1200, 1202. Spirituels, 433, 577. Splendor selon Vossius, 507. Spontanéité, rhétorique de la —, 765, 995. Stil novo, 34, 39. Stoïcisme, Stoïciens : chrétien de Lipse, 468, 488, 489 ; et la dialectique, 49, 602, 603 ; et la rhétorique, 461, 471, 479, 859, 864, 1220 ; et la théorie de la grandeur d’âme, 28, 29 ; et la topique, 637. Structuralisme : et linguistique, 1042, 1043 ; et rhétorique, 787, 874, 1272, 1273, 1275, 1276.

Sütrm und Drang, 980, 985, 987, 989, 1014. Style, rhétorique et — : — chez les Anciens, 21, 23, 26, 28, 29, 32, 362, 364, 394, 432, 471, 481, 511-512, 523; division quadripartite, 163, 438, 444, 501 ; division tripar­ tite, 134, 147, 346, 376, 394, 502, 506, 512, 577 ; — au Moyen Age, 38, 39 ; — chez les humanistes, 79, 91, 134, 147, 148,151-152, 159, 162-165, 202, 205, 206, 213-214, 228, 231, 235, 240-241 249, 345-347, 351, 357-358, 374, 376, 378, 380, 393-395 ; dans traités des manières, 423 ; — chez les Réformateurs, 264, 265, 275, 290-291, 458, 489; — et question de la langue, 327, 333-334, 366, 679, 680 ; — tridentin et post-tridentin, 432, 434, 435, 437-440, 444-448, 451, 452, 454, 461-466, 470-471, 475-477, 480-483, 489, 501 ; — au XVIf s., 499-504, 506, 510-515, 539-541, 542-543, 556-560, 562, 566, 570-572, 575-582, 584, 588-592, 616-620, 631, 648, 662-667, 670, 679, 680, 683-685, 693-695, 698, 714, 717-718, 725, 730, 734, 736, 753, 755, 757-767, 778-779 ; dans le conceptisme, 517, 518, 524, 528 ; — au XVIIIe s., 847, 851, 871-872, 884, 885, 890. 908, 910, 912, 914, 925, 926, 938, 953, 961-965, 967-969, 986, 991, 995, 996, 1011, 1022, 1024, 1030-1031, 1082; — au XIXe s., 1040, 1043, 1045, 1052, 1060, 1061-1065,1162, 1165, 1226, 1252, 1255; enseignement, 1144, 1145, 1154, 1163, 1219, 1225; — au XXe s., 1221, 1241, 1242, 1244, 1245, 1247, 1256, 1258, 1269. Suasoires (suasoriae), pratique des —, 26, 393. Suavité ou suauitas dans la rhétorique : des Réformateurs, 386 ; post-tridentine, 434, 437, 438, 444-446, 449, 452, 462; au XVIIe s., 501, 504 ; au XVIIe en France, 591. Subjective, rhétorique américaine —, 1256, 1257. Subjectivité : du discours littéraire, 772-775, 1261, 1262 ; de l’écrivain, 959 ; dans le goût selon Hume, 881, 911 ; et imagina­ tion, 909 ; du locuteur, 779 \ cf Intério­ rité.

Sublime : divers : — chez les Anciens, 19, 29, 31, 36, 79, 276; — au Moyen Age, 34 ; — chez les humanistes, 162, 174, 394, 395; — chez les Réformateurs, 264, 276, 277, 457; — chez les post-tridentins, 445, 447, 448, 465, 475, 480-481, 485, 501 ; — au XVIIe s., 502, 571, 573, 574, 589, 672, 673, 733, 734, 736, 755-767, 1079; — au XVIIIe s. : 866, 869, 882, 907, 917, 985, 1011 ; en Angleterre, 879, 896-898, 980, 983, 985, 986, 1028 ; catégorie kantienne du —, 824 ; en France, 981, 982, 993 ; — au XIXe s., 1039-1041, 1043, 1044, 1052, 1059-1066, 1145, 1292; longinien : 28-30, 445, 454, 455, 462, 530, 591, 633, 669, 671, 687, 689694, 701, 755-767, 784, 885, 894896, 1043-1044; style, 162, 264, 589, 983. Subtilité, style marqué de —, 480, 522, 577, 589. Suisse, 372, 987. Surréalisme, 1262, 1266, 1267. Syllepse, 681. Syllogisme, attitude envers le — : — des Anciens, 20, 523, 601 ; — des scolastiques, 48, 49, 54, 194; — des humanistes, 54, 64, 70-73, 98, 108, 112, 114, 115, 119, 419; de Ramus, 376, 378, 379 ; — synecdotiques, 382 ; et traduction latine, 381 ; — au XVIIe s., 506, 610-613, 632, 634, 643-644, 661, 662, 665, 671, 701, 781 ; réfutatif pascalien, 651-652, 654; — au XVIIIe s., 847, 849, 850, 854, 955 ; — au XIXe s., 1094 ; — cf Enthymème. Symbolisme : école littéraire, 1272 ; en Italie au XVe s., 45 ; au Moyen Age, 38 ; origi­ nes, 39 ; religieux au Moyen Age, 42 ; dans le romantisme, 1044. Symétrie (figure), 444, 501, 541. Syndérèse, 521. Synecdoque, 376, 380, 382, 384, 871, 886, 1043, 1081, 1164, 1265, 1271. Synonymie, 490; synonymes, 908, 921-926. Syntagmes, 197, 214, 1272.

Synthèse, procédé de la — : abandonné au XXe s., 1244 ; vu par les humanistes, 105. Tableau, assimilation du discours au —, 901-918, 939. Tableaux (d’histoire littéraire), 1003, 1014, 1041, 1045, 1049, 1100, 1151, 1152, 1169, 1184, 1185. Techné rhétorique : 166, 168, 524, 542, 832, 843, 851, 869, 872, 874, 961, 1135; çf. Lois, Méthode, Règles. Tempéré, style, 558. Ténu, style ou genre, 438, 444, 481 ; çf. Humble (style), Simplicité. Texte : ou nouvelle pratique du langage, 1274-1275 ; ou nouvelle approche de la rhétorique, 978. Textuelle, analyse — mélanchthonienne, 379. Théâtre : — au XVIe s., 518; — au XVIIe s., 572, 577-579, 582, 685 ; — au XVIIIe s., 835-838, 894, 906, 957, 986, 1014; — au XIXe s., 1053, 1062, 1163, 1184, 1240 ; modification du texte de Cor­ neille, 1163-1164. Théâtre, suppression des pièces de — au col­ lège de Presles par Ramus, 380. Théologie, rhétorique et — : au Moyen Age, 35, 36, 39-42, 50, 53, 1288 ; et les huma­ nistes, 56, 57, 64, 68-70, 89, 99, 181, 194-195, 207, 208, 282 ; et la Réforme, 262, 263, 274, 277-309 ; post-tridentine, 431, 449, 453, 457; au XVIIe s., 504, 505, 647-651, 694, 695, 737, 741, 743-745, 768-769, 788, 805-812; au XVIIIe s., 835, 836, 1010; çf Catholi­ cisme, Christianisme, Prédication, Sacrée (rhétorique du). Théorie rhétorique ou rhétorique théorique : 978, 1220, 1228, 1229, 1273; du statut des causes, 379, 508. Théorhétorique ecclésiastique, 504, 508, 515. Tonalité, 27, 28, 80 ; çf. Harmonie. Tons, catégories des —, 349, 512. Topique ou topoi ou topos, çf. Lieu. Toucher, art de —, précepte rhétorique, 939, 963, 1163, 1239; çf. Émotion, Émouvoir. Tout est rhétorique, 1263, 1279. Traditionnelle courante (rhétorique), 12541259. Traduction, traducteurs : exercice scolaire, 1120; en langue nationale, 342, 344, 362-369, 391, 392, 394, 554, 727, 850,

913, 916, 917, 937; en latin, 381, 383, 394, 694-697. Tragédie : de Sénèque, 30 ; et rhétorique post-tridentine, 441 ; au XVIIe s., 571, 575, 692, 719, 773; au XVIIIe s., 835, 838, 892, 902, 950, 965, 978, 986 ; au XIXe s., 1161, 1164. Tragi-comédie, 1061. Tragique: forme — au théâtre au XVIIIe s., 1014 ; chez les romantiques, 1053, 1066. Trait: 1151, 1169, 1179, 1182, 1184, 1191; d’esprit (forme brève), 763; çf. Pointe, Sentence. Traités de rhétorique: des Anciens, 21, 22, 24, 28, 30, 1222 ; au Moyen Age, 35, 37, 38; au XVIe s., 1231; des manières, 411-429; et les humanistes, 221, 343345 ; usage chez les Réformateurs, 277 ; au XVIIe s., 541, 547, 549-553, 557, 571, 576, 622, 666, 756-767, 770, 773, 796, 1014; au XVIIIe s., 826, 881, 894, 909, 924, 939, 947-949, 952, 953, 957, 966, 972, 983, 1004, 1013, 1020, 1021, 1025, 1083, 1128; au XIXe s., 1076, 1128, 1231-1233; scolaires, 1223-1231; çf. Manuels. Transactionnelle, rhétorique américaine —, 1256-1258. Transparence : attique, 25 ; du discours scientifique, 1261, 1262; romantique, 1059, 1065 ; du style, 165 ; çf. Clarté. Tribune, éloquence de la —, 1003, 1029, 1046, 1075, 1082, 1089, 1090, 11071112, 1156, 1157, 1162, 1176, 1177, 1179, 1225, 1232, 1233. Trivium, 5, 37, 38, 40, 41, 53, 76, 158, 191, 259, 302, 345, 372, 373, 374, 376, 379, 381, 385, 386, 387, 390, 450, 505, 543, 547, 601, 632, 708, 1253, 1276; hié­ rarchie des —, 177-183 ; çf. Dialectique, Grammaire, Philosophie, Rhétorique. Troisième République, réformes rhétoriciennes de la —, 1073, 1075, 1113-1114, 1073, 1075, 1113-1114, 1200, 12161218, 1222, 1226, 1233-1236. Trompeur, art — de la rhétorique, 620, 955. Trope(s), tropologie : — chez les Anciens, 21, 22, 26, 375, 523; — au Moyen Age, 38 ; — chez les humanistes, 209, 347 ; et Ramus, 376, 377, 379, 380, 384, 708 ; — au XVIIe s., 509, 576, 577, 620, 624, 714; — au XVIIIe s., 872, 885, 924-926, 953-955, 959, 961, 1041, 1081 ;

— au XIXe s., 1042, 1075, 1167, 1265; enseignement, 1144; — au XXe s., 1245, 1271, 1272, 1276. Ultramontain, orateur —, 550 ; ultramonta­ nisme et rhétorique, 562, 1077. Uniformité du style, 575, 670, 719, 725, 995. Unité, notion rhétorique d’—, 908, 1163, 1168. Universalité, universalisme, universelle) : et la langue, 271, 676; de la littérature, 1275 ; et la loi, 462 ; et rhétorique, 115, 156-183, 193, 442, 454, 462, 474, 544, 555, 556, 584, 641, 668, 760, 767, 828, 849, 864, 868, 1010, 1011, 1013, 1257, 1262, 1265, 1278; science universelle de Malebranehe, 712. Universaux : imaginaires, 868, 870, 873 ; lit­ téraires, 1238; mathématiques, 864; poétiques, 868 ; querelle des —, 831 ; rationnels, 869. Universel au particulier ou du particulier à l’universel et la rhétorique : chez les Anciens, 20, 486 ; chez les humanistes, 74, 114, 117, 119, 380; chez les post-tridentins, 442. Universités, 83, 131, 133, 161, 197, 209, 287, 328, 344, 360, 372, 386, 492, 504, 510, 549, 557, 564, 565, 585, 657, 752-754, 797, 829, 831, 840, 851, 853, 891, 939, 945, 946, 948-951, 956, 971, 1049, 1050, 1075, 1078, 1079, 1081, 1086, 1095, 1099-1107, 1112, 1134-1139, 1152, 1153, 1179, 1201, 1226, 1236, 1237, 1252, 1254-1258, 1263, 1277, 1264, 1289, 1291, 1292; éloquence à 1’—, 1049, 1090, 1245, 1246. Urbanité ou urbanitas, concept d’—, 235, 324, 328, 334, 414, 415, 454, 525, 568-570, 629, 676, 677, 682, 696, 710, 711, 740, 752, 761, 763, 804. Utile, sens de Г— : et la conversation, 1003 ; et l’éloquence, 1139. Utilitaire, rhétorique américaine tradition­ nelle courante et —, 1255, 1256. Utilitaristes, 963. Variation, technique de la —, 132, 436, 440, 480, 483, 575, 889, 922 ; cf. Variété. Variété ou uarietas, esthétique de la — : chez Cicéron, 502 ; chez les humanistes, 161-165, 170, 171, 177, 220, 221, 228, 354 ; post-tridentine, 442-443, 452, 454, 455 ; au XVIIe s., 670.

Véhémence : et juste mesure, 432 ; de Mon­ taigne, 483 ; dans le style, 30, 39, 434, 438, 440, 448 (écrit uehementia), 462 (écrit genus uehemens), 501 (id.), 507 (id.), 986, 993, 1007, 1010. Venustas du style, 566, 582, 824. Vérité ou veritas ou vrai, souci du — : 5, 7 ; et les Anciens, 18-22, 25, 581, 601, 1220 ; au Moyen Age, 42, 1288 ; et les humanistes, 48, 51, 84, 86, 92, 108, 119, 159, 169, 191, 192, 201, 205, 207, 213, 214, 223, 226, 244, 245, 282, 419, 602, 1290; et les Réformateurs, 278, 280, 283, 284-286, 292, 293, 296, 298, 458 ; et question de la langue en Italie, 326 ; dans rhétorique posttridentine, 432, 433, 436, 437, 440, 448, 457, 475, 477-481, 483; au XVIIe s., 502, 523, 529, 530, 561, 566, 567, 570, 577, 582-584, 587, 604, 610, 612, 613, 618, 623, 626, 641, 643, 644, 646, 648, 651-653, 679, 685-687, 707711, 713-718, 728, 732, 733, 739, 741, 747, 759, 760, 767-775, 781-783, 1291 ; au XVIIIe s., 829, 833, 840, 857, 858, 861, 862, 867, 891, 892, 902, 923, 933, 977, 992, 993, 1010, 1022, 1027, 1028, 1030, 1088; au XIXe s., 1043, 1047, 1050, 1052, 1055-1057, 1060, 1066, 1093, 1218, 1264, 1265; au XXe s., 1258, 1263, 1286, 1292, 1293, 1295. Vers : blanke verse, 917 ; dans les épreuves scolaires, 1077, 1120, 1122, 1145, 12161218 ; français, 384, 391 ; genres en —, 910, 911; en italien, 227, 672; latin, 162, 227, 356, 1122, 1145, 1216, 1217; libre, 578 ; mesurés, 384. Vertu: en dialectique, 101, 208 ; et élo­ quence, 42, 218, 701 ; pratique huma­ niste de la —, 248 (écrit uirtus) ; et rhé­ torique post-tridentine, 441, 471 ; au théâtre, 986 ; au XIXe s., 1169, 1216. Vif, style, 464, 476, 511. Vigueur : de l’éloquence, 454 ; style de la —, 488. Violence et éloquence, 1007, 1023, 1026, 1028. Voix: — dans prédication post-tridentine, 448 ; — au XVIIe s., 787-813; dans l’en­ seignement de la rhétorique, 547 ; lien avec le style, 511, 512, 514, 515, 542; — au XVIIIe s., 839, 986, 1007, 1031-1032, 1034;

— au XIXe s., 1134, 1156; — au XXe s., 1294. Volupfas, cf. Plaisir. Vraisemblable ou vraisemblance : souci du —, 5, 19-21, 26, 71, 74, 419, 436, 441, 442, 482, 566, 576, 581, 601-602, 626, 635, 638-646, 651, 652, 654, 671, 702, 720, 731, 759, 842, 847, 850,

858, 859, 861, 866, 867, 873, 908, 1164, 1220, 1230, 1263, 1274, 1285, 1286. Vulgarisation : doctrinale chrétienne, 277286, 290 ; du savoir, 939 ; ou traductions avec commentaires, 344. Vulgarité (néologisme), 1014. Vulgate, 431, 449.