Heures claires Livre de lecture 4me annee Geveve [4 ed.]

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LIBRAIRIE PAYOT, LAUSANNE

ADOLPHE MARTI 3EN£^^

HEURES CLAIRES LIVRE DE LECTURE A L’USAGE DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE

ADOPTÉ PAR LES DÉPARTEMENTS DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE DE GENÈVE ET NEUCHATEL

Quatrième année

LIBRAIRIE PAYOT LAUSANNE 1957

PRÉFACE DE LA 2me ÉDITION

• Quand vous écrivez pour ks enfants, ne vous faites point une manière particulière. Pensez très bien, écrivez très bien. Que tout vive, que tout soit grand,' large, puissant dans votre récit. C'est là l’unique secret pour plaire â vos lecteurs.» A. France.

La première édition de ce livre de lecture parut en 1916. Notre constant souci avait été, alors, de réunir dans chaque chapitre des textes bien pensés et bien écrits, présentant, de plus, une affabulation capable de faire naître l’intérêt, de retenir l’attention de nos jeunes lecteurs. Le but que nous nous proposions d’atteindre était de mettre entre les mains des élèves un instrument de travail à la fois utile et agréable. Utile en ce sens que, par des leçons de lecture expliquée auxquelles se prêtent de nombreux morceaux variés et courts, il peut enrichir leur vocabulaire ; agréable, par les récits de plus longue haleine propres à leur donner le goût de la lecture, comme aussi celui des bonnes lectures. Ce souci que nous avions il y a vingt ans en composant cet ouvrage, est resté le même aujourd’hui. Dans cette nouvelle édition, nous nous sommes appliqué, avec plus de rigueur encore, à suivre le système de concen­ tration, le plus apte à exciter la curiosité de l’enfant en créant l’aperception, cette faculté grâce à laquelle il est entraîné sans effort à rattacher les notions nouvelles à celles qu’il a déjà assimilées. Cette préoccupation sera particulièrement visible dans les groupes de textes extraits d’un même ouvrage,

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ceux, par exemple, que nous avons tirés de L’ile rose, de Ch, Vildrac, du Village dans la montagne, de C. F. Ramuz, ou de Jean-Christophe, de R. Rolland. ♦



Cette deuxième édition a été considérablement rajeunie. Une commission nommée par le Département de l’Instruction publique et que présidait M. Albert Atzenwiler, directeur de l’enseignement primaire, a éliminé plus de cent morceaux de l’ancienne édition qui ont été remplacés par des textes mieux adaptés à notre époque et à l’intelligence de nos enfants. Une modification importante a été introduite dans la désignation des chapitres et dans leurs titres. Nous avons supprimé le chapitre consacré aux poésies. Ce qui ne signifie pas que cette partie de nos textes a été sacrifiée. Bien au contraire. Nous en avons même augmenté le nombre. Mais nous estimons — et notre expérience nous donne raison — que les poésies sont lues avec un plus vif intérêt lorsqu’elles sont classées dans l’ordre des matières, au coûts des chapitres, plutôt que groupées à la fin du livre. Les illustrations sont toutes des dessins originaux dus à la plume du bon peintre Elzingre. Les petits tableaux pleins de vie qu’il a composés ne seront pas le moindre attrait de ce manuel. En terminant, nous nous faisons un agréable devoir d’exprimer notre gratitude à M. Atzenwiler qui, non seulement a suivi notre travail avec le plus vif intérêt, mais encore a bien voulu prendre une part active à l’élaboration de cet ouvrage. A. Marti.

Scènes de la nature Message Le printemps est là, de ce soir. Les oiseaux me l’ont dit, les oiseaux me l’ont dit ! Et l’odeur du lilas me l’a redit tout bas : Le printemps pousse dru sous la pluie.

Le printemps est derrière les nuages, il joue à caclie-caclie avec eux. Et les oiseaux, qui plus que nous sont sages, enchantent le ciel gris qui, demain, sera bleu. Tandis que dans l’air mouillé du crépuscule les petits buissons de lilas dressent au bout de leurs souples bras leurs grappes noires et minuscules. Guy-Charles Gros. (Avec des mots, L'Artisan du livre, éditJ

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Premier printemps

Ce dimanche qui n’était plus l’hiver, qui n’était pas le printemps encore, je m’en fus par les routes avec un petit compagnon. On n’a pas trop de quatre yeux pour dénicher les primevères et les hépatiques, pour surprendre le premier lézard, pour ne rien perdre d’une journée dorée. Le ciel est d’un bleu léger qui donne aux ramilles rousses et mauves un éclat ravissant. L’air a je ne sais quoi de sonore, d’argentin, et sur le Salève, tout d’ombre dans le contre-jour, luisent, çà et là, un toit ou une roche. Un peu de neige étincelle dans l’azur. Les cueilleurs de dents-de-lion et les chercheurs de primevères animent seuls le paysage. A Fossard, on a peint de frais les tables et les bancs de l’auberge, et l’ombre du toit trace une ligne d’un crayon léger sur la route bien balayée. Dans quelques semaines, tout aura changé. Alors nous serons entrés dans le printemps, le vrai, celui des arbres fleuris, des herbes qui cachent le bas des palissades, des nuits gorgées de rossignols et de glycines... D’après Pierre Girard.

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Printemps J’ai vu fleurir le pêcher rose, Le vieux pêcher noir et chenu. Il rit sous le ciel ingénu, H rit de sa métamorphose. Le mois d’avril est revenu : J’ai vu fleurir le pêcher rose, Le vieux pêcher noir et chenu. Devant le toit de tuiles roses Un oiseau gris parfois se pose Sur le bout d’un rameau ténu Et chante son bonheur menu...

Le mois d’avril est revenu. Charles Vildrac.

Dans la forêt, voisine de notre maison, il y avait d’’oiseaux, oiseaux, une multitude d linottes, fauvettes, rossignols, mésanges, pinsons, merles, loriots, geais, corbeaux. Tout cela chantait à tue-tête. On aurait dit que chacun voulait chanter plus fort que l’autre. J’aimais beaucoup les entendre, et, prenant par les petits sentiers connus, je me glissais dans le bois, doucement, pour ne pas les effrayer. Je m’asseyais sur les racines de quelque vieil arbre moussu et, pendant des heures j’écoutais. ■Alors, faisant comme chez eux, sans crainte aucune,

Les oiseaux au printemps

les oiseaux allaient, venaient, cherchaient leur nourriture, ramassaient des matériaux pour cons­ truire leurs nids. Les merles, à grands coups de bec, déchiraient la belle mousse verte et l’emportaient par lambeaux dans la fourche des hêtres ou des charmes. Les fauvettes glanaient les brins d’herbe, des racines minces comme du crin. Les petites mésanges bleues emménageaient des plumes dans le tronc creux des chênes. Les ramiers et les corbeaux cassaient là-haut des rameaux secs. Chacun travaillait, bâtissait. Mais ils prenaient mille précautions pour se cacher. Les oiseaux ne sont pas comme certaines personnes vaniteuses qui posent leur demeure bien en vue, tout près du passage des gens. Au contraire,

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ils recherchent les bons petits coins bien secrets, et s’il y a quelque part une cachette sûre, c’est là que, de préférence, ils vont nicher. Cela ne m’em­ pêchait pas de les découvrir, mais je me gardais bien de trop m’approcher des nids. Les oiseaux sont craintifs et s’ils remarquent qu’on les observe, ils déménagent et vont construire ailleurs. Une fois qu’ils ont des petits, c’est autre chose. Alors ils bravent même les plus grands dangers pour retourner auprès d’eux, les nourrir et les défendre. Charles Wagnee

(Histoires et Farciboles, Fischbacher, éditJ

L’épine en fleur L’épine est en fleur; Quel est donc cetlà-bas oiseaudans le bois T Qui chante ainsi L’épine est en fleur; Quel est donc cet oiseau Qui chante dans mon cœur T Tristan Klingsor.

(L'Escarbille d'or, Chiberre. éditJ

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Le nid de chardonnerets

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nid do v ' cerisier, un v°ir, rond, parfait * 6 chardonnerets, joli à d«vet au dedans, et onn/”™8 aU dehors, tout ¿dore. Je dis à mon père ^ Petlts venaient d’y

u* crime de mettre des oiseau Souvent que c’est ^ las sans doute deréX^^ d ue trouva rien à me X t a m™e chose, aPrès, je lui ^ . me répondre. Quelques jours

,e nid dans uneXX ^X Je placerai d’abord cerisier et la mère no J ’ 4Cherai la cage au barreaux, jUSqu,à rr^a les petits pfr ]e3 de c 0D Père 06 de ce moyen.

¿7 ^S

be«dn d’elle, P°ndlt Pas ce qu’il pen8ait

dans “ne cage,

8 vieux chardonnerets ? J avais Prévu arriva pTe T* deS Pleins ^ appoint'

0 un soir : ils s’envoleraient80^^Z drus- S’üs éta’

en famille et demv“18 PMSent une d

at Hbres,

—e mieux soiXX°UP de ^X^

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Mon père ne me dit pas ie contraire Le lendemain, je trouvai la cage vide.

a. J ~“ ““ "* *1 ”“ “ '“ Mon père était là, témoin de ma stupeur.

D’après Jules Renard. (Histoires naturelles, Fayard, éditJ

s eaux . asseaux du ciel

Beaux nuages, qui glissez dans le ciel bleu, comme ... autant de vaisseaux mer^^^ Quand finira votre voyage ? u allez-vous, à toutes voiles ? Est-ce au pays e $ a lune et des étoiles ! Quand le soleil est couché Que la nuit a tout endormi, où allez-vous chercher «u abri ? Est-ce que monsieur le Vent, qui vous suit à °us moments, vous laisse terminer votre voyage trauquiHement î t ^?^ j’aime quand vous changez de couleur : antôt je vous vois tout blancs, tout blancs, aussi d S^s qu^ fin duvet ; tantôt vous vous fleurissez e rose et vous avancez dans le ciel comme un b°uquet. Je voudrais aller vers vous. Je voudrais vous °M^er ^U doigt. ais vous devenez parfois de gros bateaux noirs, assés, à toute vitesse par le vent furieux.

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Le tonnerre gronde comme un géant qui voudrait tout briser. Puis le géant calme sa colère, le vent se radoucit et, comme de beaux vaisseaux argentés, blancs nuages de duvet et de satin, vous continuez dans le ciel votre voyage sans fin. H. Dubus. (En suivant les sentiers fleuris, F. Nathan, éditJ

Le premier orage

U a fait si chaud la semaine,

que chaque jour l’orage a menacé : d’abord, l’après-midi, soleil blanc et poussière, des coups de balai dans le ciel éraflé. Mais vers le soir le vent se mettait à souffler et rejetait l’orage par dessus la montagne. Puis l’orage revenait le lendemain, à la même heure, sans rien dire : comme un jeune chien qu’on a chassé hors du jardin, auquel on a lancé des pierres ; il a fait semblant de fuir, mais il est resté tout près, derrière la haie ; il passe maintenant sa tête entre les barreaux, il finira bien par entrer. Car l’orage a senti l’odeur de la terre, de l’herbe qui pousse, des cerisiers qui fleurissent, du hêtre qui a sorti cette nuit ses feuilles, de la campagne qui désire la pluie. Il est revenu le lendemain, à la même heure, poussant a l’horizon des nuages gonflés, comme de la laine cardée. Et le vent l’a chassé encore.

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Aujourd’hui, le vent n’a pas voulu souffler: il se repose, c’est dimanche. On a de la peine à marcher, on a envie de dormir. L’orage n’a pas été dérangé : lentement, il a déroulé sur le ciel sa toile grise : pas de tonnerre, branches immobiles ; un merle chante. Les collines, là-bas, sont comme des taches d’encre à la marge d’un buvard. Tout autour de la ville il pleut déjà. Et les filles se hâtent de rentrer : adieu, la pro­ menade ! car elles ont mis leur corsage neuf, leur chapeau de paille et leurs petits souliers qui leur font mal aux pieds. G. de Reynold. (Cités et pays suisses, IIe série. Payot, éditj

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Marche de pluie Il tombe de l’eau, plie, ploc, plac, H tombe de l’eau plein mon sac. Il pleut, ça mouille Vieux vagabond Le temps est bon Pour la grenouille. Il tombe de l’eau, plie, ploc, plac, Il tombe de l’eau plein mon sac. Bah ! sur la route Allons plus loin, Cherche un bon coin, Mange une croûte.

Il tombe de l’eau, plie, ploc, plac, Il tombe de l’eau plein mon sac. Après la pluie Viendra le vent En arrivant Il vous essuie. H tombe de l’eau, plie, ploc, plac, Il tombe de l’eau plein mon sac. Jean Richepin.

(La chanson des gueux, Fasquelle, éditJ

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La pluie

II pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille. Les nuages muets glissent au ciel comme des fumées d’incendie. La sécheresse durait depuis longtemps, et cet orage va mettre un peu d’eau dans les puits. Aussi tout le monde est content. Le foin allait devenir plus cher que le pain. La rivière se faisait toute petite dans son ht, et la terre était sèche au point que, rien qu’à la regarder, on avait soif. Pluie, pluie, mouille, mouille, hache l’air, crase aux vitres tes perles molles ; tu peux, jusqu ce que tu m’ennuies, tomber pour le bien des au res. Je vois, là-bas, dans le pré, un cheval que tu ra r chis. H cesse de manger l’herbe. H bouge e ® possible. H ne perd pas une des gouttes que donnes. A côté, un bœuf beugle si doucemen qu’à chaque coup il boit une gorgée. Les arbres ne reçoivent pas tous a P .

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voudraient s’échapper, et leurs f comme des oiseaux pris. ciblerait même H en est d’autres que la grele ne un . Pas et qui se tiennent droits, immobiles, Pie(i(Bucolv^^^

BB®^r »

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Eclaircie La pluie a déroulé les crosses des fougères. Aux toiles d’araignée il pend des gouttes d’eau. Furtif, un écureuil, de rameau en rameau, Grimpe avec le soleil sous les feuilles légères. Paul Jamati. (Soleil, Champion, édit.J

Réveil Lève-toi, les pieds nus,, pour ouvrir la fenêtre ; L’odeur du foin qu’on coupe et du trèfle pénètre Avec l’aurore gaie et le vent du matin ; Ecoute ; un arrosoir, là-bas, heurte une bêche, Et plus loin, par delà la haie et le jardin, Le doux bruit d’une faux siffle dans l’herbe fraîche. Henri de Régnier.

Sur le pré vert Sur le pré v 'it, au grand soleil, Le vent joue avec la lessive... La scierie fait son bruit d’abeilles, La fontaine parle, captive,

Le chemin s’en va sous les branches ; La poule rôde, le chien dort... La chaleur danse et danse encor... Et dans ton cœur il fait dimanche. Henry Spiess. (Simplement, Kundig, éditJ

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Le collier de la princesse — D’où viens-tu 1 — Du village. — Tu y as été toute seule ? — Oh ! oui. — Tu n’as pas peur de te perdre î — Oh ! non. C’est Gourdou qui cause avec la petite Gladys qu’il a rejointe sur le chemin du village. ■— Qu’est-ce que tu as dans ton panier ! — Du beurre. On- voit l’auberge dans les arbres. Et à l’angle du toit, plus haut, quand on regarde, il y a un petit quartier de lune tout ébréché sur un de ses bords. Gourdou a dit : — Sais-tu ce que c’est ? La petite Gladys a dit : — C’est la lune. — Non, a dit Gourdou, c'est l’écuelle du chien. — Quel chien ! ' — Le chien du bon Dieu. Le vieux Gourdou portait sur la hanche gauche sa grosse musette de cuir pleine d outils, ce qui le faisait pencher un peu à droite. La petite Gladys portait son panier au bras droit, ce qui la faisait pencher du côté gauche. Us penchaient l’un vers l’autre, la petite et le vieux. — Tu comprends, disait Gourdou, le ciel, c’est

le palais du bon Dieu. Heures

claires

2

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— Qu’est-ce que c’est qu’un palais ? _C’est une grande maison avec des colonnes où vivent les rois et les reines. — Et le bon Dieu, a dit la petite, où est-ce qu’il est ? — Lui, on ne le voit pas. — Pourquoi est-ce qu’on ne le voit pas ? — Tu es bien curieuse, a dit Gourdou. Tu ferais mieux de.me laisser te raconter mon histoire... Tu veùx î Eh bien, a dit Gourdou, il y avait dans ce palais une princesse et il y avait bal au palais. Mais la petite, de nouveau, n’a plus pu se tenir : — Qu’est-ce que c’est qu’un bal ? — C’est quand des messieurs et des dames dansent ensemble. — H y avait bal, comme je t’ai dit. Et la princesse s’était faite belle pour aller au bal. Elle avait mis son collier de perles. H lui faisait quatre fois le tour du cou, et ça faisait beaucoup de perles. Mais voilà que le fil du collier s’est cassé ; les perles ont roulé partout. Et, comme elle courait après pour les ramasser, elle a marché sur l’écuelle du chien, tu vois, là, dans le coin, et l’assiette du chien s’est cassée par le milieu. — Et les perles ! dit Gladys. — On va les voir dans un moment. En voilà déjà une. Gourdou lui a montré du doigt une première étoile qui, dans le ciel encore clair, avait paru sur l’horizon. — Et le chien ? dit Gladys. — Le chien s’est sauvé. — Et où est-ce que c’était ! dit Gladys.

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Le collier de la princes

— C’était dans la cour du palais. Une grande cour qui est bleue, le jour, et noire la nuit. — Est-ce qu’elle sera bientôt noire î — Bientôt. — voudrais — Oh Oh !! je c’est que tuvoir. seras au lit... (Ils étaient arrivés au village.) Bonjour, Madame Chappaz, reprit-il. Comment allez-vous !

Et la petite : — Grand ’mère, grand’mère... Tu sais, la lune, c’est pas la lune. C’est l’écuelle du chien. La prin­ cesse la lui a causée, en marchant dessus, pendant qu’elle cherchait ses perles. Le chien s’est sauvé... Pourquoi est-ce qu’ils ne l’attachent pas !

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Après le souper, une petite voix toute proche dit : — Grand’mère, je voudrais voir les perles. — Je t’ai déjà dit d’aller te coucher. Mais la petite insiste : alors Gourdou se lève. — C’est les perles du collier de la princesse, Madame Chappaz. On doit les voir maintenant. Le ciel est devenu noir, en effet, au-dessus des arbres et des hommes. — Seulement, a dit Gourdou, tu promets que tu monteras te coucher tout de suite après. Gladys a dit : — Oh ! oui, je promets. Gourdou a pris la petite par la main. — H y a une perle là-bas, tu vois. Eh ! une autre et puis une autre, ça fait trois. Gourdou et la petite se sont avancés jusque but le chemin d’où la vue est plus découverte. — Quatre, a dit Gladys, et puis cinq, six, sept... Combien y avait-il de perles à son collier ! — Oh ! a dit Gourdou, il y en avait bien deux cents... Est-ce que tu peux compter jusqu’à deux cents !... — Moi, oh ! jusqu’à cent mille... Mais alors, elle ne les a pas retrouvées ! — Qui î — La princesse. — Quoi ! — Ses perles. Madame Chappaz appelle l’enfant de la fenêtre du premier étage. — Et l’assiette du chien !

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— Hélas ! on ne la voit plus. Un grand tilleul l’a cachée. — Encore une... encore une... — Gladys ! monte te coucher. — Viens, dit Gourdou, tu sais ce que tu as promis.

D’après C.-F. Ramuz. (Adam et Eve, Grasset, éditJ

La lune Ce soir la lune est cassée, Il en manque un grand morceau, Car il est tombé dans l’eau, Parmi la vague irisée. Le brochet, la truite et l’ombre, Ont dû tous avoir grand’peur ; Et l’on voit une lueur Qui tremble au fond de l’eau sombre. H. Spiess. (Simplement, Kundig, édit.7

C’est l’heure du repos C’est l’heure du repos. Les blés S’endorment sous le vent qui les Effleure. C’est l’heure tendre. Peu à peu Le soir se fait plus doux, plus bleu C’est l’heure...

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La rivière fuit. Un bouleau Parmi des joncs, au bord de l’eau S’élève. Immobile dans le chemin, On dirait presque un être humain Qui rêve. Des lueurs traînent dans un champ, Vénus s’allume. Le couchant Se teinte. L’alouette ne chante plus. L’air frissonne. O’est l’angélus Qui tinte... André Dumas.

Les semailles d’automne

Tout le village est aux champs, Partout bêtes et gens sont à l’œuvre, la vie rustique est en plein réveil. Ici on herse un champ ; là, un paysan marche lentement, un sac de toile blanche sur la poitrine ; sa main y plonge à mesure, et, d’un geste circulaire, il répand dans les sillons labourés des poignées d’orge ou de blé dont les grains s’épar­ pillent sur la glèbe 1. Un peu plus loin, le soc d’une charrue commence à soulever des mottes luisantes. Les bêtes tirent, le cou tendu ; les fouets claquent, les hommes encou­ ragent de la voix leur attelage : « Hue ! Dia ! Ohé ! » Les cris retentissent nettement dans l’air sonore... Des centaines d’alouettes montent vers les nuées, et leur chant vibrant, réjouissant, infatigable, se mêle aux cris des laboureurs. A la crête d’un champ, à l’endroit où la ligne onduleuse de la côte coupe 1 Glèbe : terre.

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le ciel pâle, une charrue, avec les deux chevaux qui la tirent et l’homme qui la pousse, se détache vigoureusement sur l’horizon. La blouse du paysan, de couleur rousse, se confond presque avec la terre, quand il est au bas du champ. Arrivé à l’extrémité du sillon, il s’arrête un instant, puis se remet à pousser la charrue en excitant ses chevaux : « Hue, Grisette ! Hardi, Brun ! » H veut finir sa dernière raie avant la tombée du jour et ne se soucie pas de perdre du temps. La charrue s’enfonce dans le sol, les sillons de terre argileuse et grasse multiplient leurs lignes parallèles sur lesquelles le soleil jette une oblique

A Thbumbt.

et rose lumière.

(Madame Heurteloup, Fasquelle, éditJ

Les champignons

H faut le petit matin pour la cueillette du champignon. Si on se laisse devancer, on ne trouvera rien. Les sentiers étaient blancs de rosée quand nous sommes partis et le ciel se débrouillait de ses nuages, montrant à l’est un coin rose, à l’ouest un coin vert. Nous avons commencé nos recherches par le bois Perchu, parce qu’il a bonne renommée. On s’est aussitôt séparés. Jani à gauche, Janot à droite, moi au milieu, gardant la surveillance du groupe. Heureusement que nous avions nos gros souliers, car les fougères étaient pleines d’eau et les épines ne manquaient pas, sous les branches. Le premier qui a vu un champignon c’est Jani. H a crié : « J’en tiens un ! » Mais ce n’était qu’un

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vitellin, un faux-cèpe, hélas ; d’un jaune éclatant avec toutes les apparences d’un champignon comes­ tible quoique vénéneux de chair. Nous l’avons écrasé et aussi celui-là, qui poussait à côté, dont le pied est rouge et qui mérite bien son nom de bolet satan par sa chair malsaine, bleue, verte, rouge violacée à mesure qu’on l’écrase. Ces faux bolets sont le désespoir du chasseur ; ils donnent mille émotions inutiles. S’il n’y en avait qu’une sorte ! Mais ils sont nombreux, au contraire. Le jaune, le vert, le blafard, le poivré... Et tous portant beau leur chaperon, pour tenter le passant ! Il nous a fallu bien du temps avant que nous ne rencontrions le vrai, brun-roux, à jambe claire et renflée, dont l’odeur est si alléchante. Il y en avait toute une famille, entre les fougères et cela était si joli à voir que nous sommes restés un instant à les regarder avant de les cueillir. On aurait cru un papa, tenant son parapluie ouvert pour abriter ses petits. Ses petits bien ronds, bien gras, un gentil béret marron enfoncé jusqu’aux oreilles. Un peu plus loin, la maman, en belle robe bouffante et grand chapeau de velours semblait les appeler. Toute cette intéressante famille a été arrachée, sans pitié, à sa solitude. Et il en a été de même pour deux ou trois autres, qui avaient eu l’imprudence de montrer leur tête, sous l’herbe. Vous pensez si cela nous a mis en appétit de chasse ! Je crois que nous avons battu tout le bois et dans tous les sens.

Andrée Mabtignon.

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Le chêne abattu

Le chene abattu

Il est mort, le grand chêne,

la £orêt La cognée

bûcheron l’a abattu dans la clairière où il se du dressait solitaire et majestueux^ où Au bout du 'P“’ le tronc s’élevait, la sèv , q feulait dans monte et ^."e triait aux plus hauts l’arbre tout entier , pair Ja nourriture rameaux qui se bala^ la terre; aujourd’hui, puisée aux Pr°fonde" j in . la blessure faite par elle ne peut aller pim ’ ble . le chêne est le fer des hommes est irrep mort.

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Quelle perte pour une multitude d’êtres ! Qui protégera maintenant du soleil et de la grêle les violettes et les muguets qui croissaient à son ombre? Détruits, les terriers que les lapins creusaient entre ses racines ! Détruits, les nids des petits oiseaux qui croyaient s’être bâti des nids pour toujours !

Georges Renard.

Octobre

Déjà les matinées sont fraîches et la nuit tombe vite. Déjà, derrière les croisées, à la vitrine des boutiques, aux fenêtres des auberges, les petites lampes de porcelaine allument leurs lumières. Elles gardent le logis où la première flambée pétille en s’amusant. On y est déjà bien maintenant. Au village, on a abattu les noix. On a cueilli les pommes et on examine les tonneaux. Les cuves, les bosses, les bossettes s’alignent devant les seuils -, quelquefois un cercle a sauté ; et on les raccommode à grands coups de marteau. Les vaches en champs égrènent au hasard le tintement de leurs sonnailles ; quand on passe, elles vous regardent passer, et leurs beaux yeux vous suivent. Sur la terre retournée, un semeur épand la graine. Deux bœufs tirent à la charrue. L’herbe verte est semée de colchiques. Un coup de fusil retentit au lointain. Un chien aboie. Une à une les feuilles tombent lentement. Quel­ quefois, elles s’arrêtent, demeurent en suspens, puis continuent leur chute l’une après l’autre.

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Adieu, les beaux matins bleus, doux loisirs sur le pré, flâneries prolongées au bord de l’eau qui coule ! Adieu, la rose qui fleurit ! Adieu, l’oiseau qui chante ! Octobre est venu. D’après Ph. Monnier.

Les feuilles d’or Les feuilles d’or, les feuilles mortes, toutes les feuilles de l’été, tombent au vent qui les emporte tombent au vent qui les escorte d’un appel sans fin répété.

Parmi l’averse qui crépite et vers l’hiver qu’on sent venir leur vol épars se précipite ; les rameaux frileux qui s’agitent Semblent vouloir les retenir. Mais les arbres n’ont plus de sève. Les cœurs pleurent d’avoir chanté, et le vent pourchasse et soulève les feuilles d’or, les feuilles brèves, toutes les feuilles de l’été. Henry Spiess. (Le silence des heures, Jnllien, éditj

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Vent de Novembre Sur la bruyère longue infiniment, Voici le vent cornant Novembre ; Sur la bruyère, infiniment, Voici le vent Qui se déchire et se démembre En souffles lourds battant les bourgs ; Voici le vent, Le vent sauvage de Novembre. E. Verhaeben.

La première neige

La première neige ne tomba qu’au commence­ ment de janvier. Ce fut un tourbillon ; en une nuit, le village avec ses toits et ses cheminées, le clocher, le château, les squelettes bruns des arbres dépouillés, les lourds rameaux des sapins disparurent comme sous un tapis blanc. Puis, dès l’aube, un coup de vent emporta plus loin les nuages et les flocons. Et lorsqu’on s’éveillant, les gens virent étinceler dans le soleil cette blancheur amassée d’un bout à l’autre de l’horizon, ils se réjouirent à cause de la nouveauté. La neige enveloppait le sommet chauve de la Dole, poudrait à frimas 1 les forêts du Jura, faisait paraître plus vastes les glaciers des Alpes lointaines, couvrait d’une couche translucide2 le granit de leurs cornes et de leurs aiguilles qui dessinaient ainsi dans le ciel un nouveau paysage aux contours plus nets, aux lignes mieux marquées, d’une fraîcheur éblouissante. Ed Rod. 1 Poudrer à frimas : couvrir d’une légère couche de neige. a Translucide : si fin qu’on voit vaguement au travers.

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Chanson par la neige La neige tombe lentement. Le silence qui l’accompagne Augmente, et dans l’éloignement, Paisible, avec un geste lent, La neige bénit la campagne. Henry Spiess

Janvier Blanche et froide lune, étoiles de gel, qui donc vous allume si haut dans le ciel ! Madeleine Ley. (Petites voix. Stock, édit J

Février Ce soleil sur la neige fera-t-il refleurir tes beaux grelots tremblants, perce-neige de neige, perce-neige d’argent î Madeleine Ley. (Petitot voix. Stock, éditj

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Vent de Novembre Sur la bruyère longue infiniment, Voici le vent cornant Novembre; Sur la bruyère, infiniment, Voici le vent Qui se déchire et se démembre En souffles lourds battant les bourgs: Voici le vent, Le vent sauvage de Novembre. E. Veehaeren.

La première neige

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Chanson par la neige La neige tombe lentement. Le silence qui l’accompagne Augmente, et dans l’éloignement, Paisible, avec un geste lent, La neige bénit la campagne. Henry Spiess

Janvier Blanche et froide lune, étoiles de gel, qui donc vous allume si haut dans le ciel ? Madeleine Ley. (Petites voix. Stock, éditj

Février Ce soleil sur la neige fera-t-il refleurir tes beaux grelots tremblants, perce-neige de neige, perce-neige d’argent t Madeleine Ley. (Petites voix, Stock, éditj

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La fleur d'amandier

La fleur d’amandier A travers les pleurs de l’averse Le soleil de mars a souri ; La sève court, le bourgeon perce Et l’amandier rose a fleuri.

Il a fleuri, l’amandier rose ! Mais le ciel de mars s’est voilé, Et derrière la vitre close J’ai pu voir l’amandier gelé. Jean Aicaejd.

II

Les bêtes La jument

C’est la rentrée générale des foins; les granges se bourrent jusqu’aux tuiles faîtières. Les hommes et les femmes se dépêchent parce que le temps menace et que, si la pluie tombait sur le foin coupé, il perdrait de sa valeur. Tous les chariots roulent ; on charge l’un, tandis que les chevaux ramènent l’autre à la ferme. Il fait déjà nuit que le va-et-vient dure encore. Une jument mère hennit dans ses brancards. Elle répond au poulain qui l’appelait et qui a passé

la journée au pré, sans boire. Elle sent que c’est la fin, qu’elle va le rejoindre, et elle tire du collier comme si elle était seule attelée. Le chariot s’immobilise près du mur de la grange. On dételle, et la jument libre irait d’un trot lourd ^ la barrière où le poulain tend le nez si on ne l’arrêtait, parce qu’il faut qu’elle retourne chercher

là-bas le dernier chariot.

Jules Renard.

(Histoire* naiurelles, A. Fayard, éditJ

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Le petit cheval

C’était un petit cheval aux naseaux blancs. Il avait une crinière et une queue longues et fournies. Il s’ap­ pelait Aquilino. , Dans 1 écurie, il y avait une place vide où j’aurais voulu mettre mon petit lit de fer. Quand je pouvais tromper la surveillance, je descendais, le cœur palpitant, et je passais par la cour. Aquilino, en reconnaissant mon pas, hennissait .légèrement. Chaque fois, mon plaisir était si grand que je lâchais les coins de mon tablier. 1® hennissement tremblait d’impatience ; , an s que je ramassais le pain, les pommes, ^ ^ t0Ut Ce ^ était mon S°ût® et tout ponrmn d ^a'8 ?U r^fler pour mon compagnon gourmand, Aquilmo piaffait doucement. La s® réCUrie d°nnait 8ur la remiseIl V avait ' presque toujours dans l’ombre, tonnée de dm’ graQde vo‘ture fermée, capi­ tonnée de drap bleu avec des stores de soie aux nVavaü V68 P°igue8 d’argent aux Portières. pXX zrche ave°aa ** “ je “^Tt^^

8U6PendUS ^

trails, croupières, sangles tr^"’ C rS’ P“' avaloires \ anneaux • ’ * Ù ’ guides, boucles, fouets de’ ma co^^ “‘^ 6t 168 10Dg8

‘^^ fe’^ ^Æ" ^. cuisses du

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...Mais Aquilino prenait déjà sur la paume de ma main les bouchées de pain, les quartiers de pommes, les morceaux de sucre avec une délicatesse rusée. Comme il hennissait tout bas, je lui parlais à demi-voix. H me comprenait. Je le comprenais, content de tenir mes deux pieds dans la paille à côté de ses quatre sabots...

D’après d’ANNUNZio. (NoduTne, Calmann Lévy, éditJ

-

Spitz, le chien

— Monsieur, me dit François, le charron, qui veut se défaire d’un chien, Spitz n’a pas son pareil pour garder une ferme. Venez le voir. Il me guide dans sa cour, entre des charrettes sans roues et des roues sans charrettes. Tout au fond, dès qu ’elle nous aperçoit, une grosse bête hors noire, retenue par une — forte chaîne,, jaillit __ . de sa niche, et poils dressés, crocs dehors, p grands coups de gueule qu’elle s y en en Veiller une ferme. C’est, en effet, un chren terrible. - N’est-ce pas ! dit François, qui en paraît,

lui-même, étonné... x à diaTrès fier, il me laisse une minu e a tance, puis nous faisons quelques P • "’{ e a-t-il ! A mesure que f aPpr0 h*’ 86s 8a manière ; il n’aboie plus, U J PP ’ COuche dents : on dirait qu’il a peur. Plus près, H *® , Heures

claires

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sur le ventre *'.« et, les pattes ^^ ^ Peut, le voilà qui se lécher la figure. épaules, se décide à me

Je blague un’peu ^ J® 8aM dompter les bêtes. “SF*™""^-^^ fhien108" “^^^

flalre ks ^es.

-^oaeriaeetrude a le regard d’un bon Je vois 8a brave gueule que baUonne un Peu. amis. q nous sommes déjà

Rieder, éditj

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Le chien Jolis yeux bruns, museau pointu, Petit nez vif, queue en panache, Le gentil chien de blanc vêtu, Gambade et joue à cache-cache. Quelquefois, il songe, assoupi, Sans doute à d’importantes choses ; Puis il court faire un peu pipi ; Puis il montre sa langue rose. Il va, dis-tu, sans savoir où î Mais non, il a beaucoup à faire : Il guette, il flaire, il creuse un trou, Puis il s’assoit sur son derrière!

Pour voir si l’on est bien d’accord, Il lève ses doux yeux d’agate ; Et, soudain, se couche et s’endort Avec son museau sur ses pattes. H. Spiess.

Le bébé ®t le chat

Le chat s’en vint par les chemins mouillés du bois et se cacha tout près de la maison. La mère faisait la cuisine ce matin-là et le bébé pleurait et l’empêchait de travailler. C’est pourquoi elle le porta hors de la maison et lui donna une poignée de cailloux pour jouer. Mais le bébé continuait de pleurer.

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Le chat avança sa patte pelote, toucha la joue du bébé, le chatouilla du bout de la queue, se frotta contre les petits genoux dodus et le bébé riait. Et la mère l’entendant, sourit. Cependant, le chat s’assoupit bientôt et l’enfant • se remit à pleurer. La mère n’arrivait plus à le faire taire, car il gigottait et se débattait et devenait violet. Alors elle attacha un fil au berceau et le fil traîna par terre. Le chat cligna d’un œil, bondit sur le fil, lui donna des coups de pattes, fit des culbutes, l’envoya par-dessus son épaule.! H le poursuivait entre ses ! pattes de devant, faisant semblant de le prendre^ ’ jusqu’à ce que bébé rie aussi fort qu’il avait pleuré, I tant qu’il fut las et s’endormit avec le chat dans ses bras. 1 « Maintenant, dit le chat, je chanterai au bébé une chanson qui l’empêchera de s’éveiller d’une heure. » Et il se mit à ronronner tout bas, tout doux, tout doux, tout bas. Quand l’enfant fut endormi, le chat qui tue les ! souris, le chat gentil pour les bébés qui ne lui tirent ' pas a ?ueue trop fort> 8’en retourna par les chemins ; mouillés du bois, sous les arbres, tout seul. D’après Kipling. (Histoires comme ça, Dolagrave, éditj

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Le lait des chats Les chats trempent leur langue rose, Au bord des soucoupes de lait ; Les yeux fixés sur le soufflet, Le chien bâille, en songeant, morose. Et tandis qu’il songe et repose Près de la flamme au chaud reflet, Les chats trempent leur langue rose Au bord des soucoupes de lait.

Dans le salon, seul le feu glose 1 ; Mère-grand dit son chapelet, Suzanne dort sur son ourlet, Et dans le lait, paupière close, Les chats trempent leur langue rose. Ch. Guérin.

(Joies grises, Mercure de France, éditJ

L’ourson

Comme je devais m’absenter pendant quelques instants, j’avais attaché mon ourson au pied de la table et il avait traîné cette table dans tous les coins, renversant les chaises, renversant le poêle — heureusement éteint — jusqu’au moment où le pied de la table céda et donna à mon prisonnier une sorte de liberté relative. H avait poussé la porte de ma chambre, que j’avais laissée ouverte, il était monté sur le fauteuil et sur le lit. Il avait déchiré le tapis. Il avait mis g les pattes dans la bibliothèque et une demi-douzaine 1 Gloser : ici : se fait entendre.

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L'ourson

déchirés, jonc^Ste ‘"’^rahioment souillés et qui s’était réfugié tout * J avait effrayé le chat et qui, de là, ie u “ haut de la bibliothèque, épouvantable. Il était alu?? ’ ,JUrait d’une façon j clair qu’il était monté sut uT ^ cuiaine et U était !

apres les tuyaux du p0(ii ourneau, avait grimpé I un arbre. Il avait fracassé COmme °n grimPe après ‘ ^A0"168 mes ‘asses à thé T douzaines d’assiettes ï garde-manger - pej^ “ ^ait enfin trouvé le chait ? - et il avait dénicha 06 cela qu’ü cherde cmq hvres, à hé □ seau ^ près entièrement nettoyé de an ’ qU’Ü avait à Pcu présent, tranquiuement m “contenu.11 dormait, ^au, le pied de la ’ en boule à côté du ( . «ntre ses pattes. C’est à !

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peine s’il ouvrit un œil lorsque je caressai sa bonne tête trop grosse, au nez rusé. Il ne me fit aucune démonstration d’hostilité \ Je te baptisai Henri. J’avais une vieille balle, et il avait tout de suite compris le parti qu’il pouvait en tirer. Je lançais la balle — ce qui avait pour premier résultat de faire entr’ouvrir les paupières obliques de mon chat par lesquelles filtrait un rayon d’or vert, — mais Henri allait gaiement vers la balle et mon chat, les yeux demi-clos, le poil hérissé, se tenait dans une attitude hautaine et discourtoise2. Henri s’emparait de la balle et commençait par essayer sur elle ses fines dents naissantes. Rebuté par sa dureté, il la reposait par terre, la contemplait un instant et d’un revers de patte, l’envoyait d’un bout à l’autre de la pièce. Il la suivait lentement d’abord, puis rapidement. Ce manège n’avait pas recommencé trois fois que toute la gravité de mon chat avait disparu. Perdant son dédain pour Henri, il ne songeait plus qu’à jouer avec lui. Il se coulait d’un bond preste du haut du meuble où il s’était isolé jusqu’alors, et passant comme un éclair d’or, entre l’ourson et la balle, il subtilisait3 celle-ci, l’envoyant à l’angle opposé de la chambre, et sautait sur la table, juste à temps pour éviter la charge balourde * d’Henri lancé après le projectile. Le chat, la queue pendante et frétillante, lissait 1 De méchanceté, de haine. 2 Peu aimable. 3 Dérober. 4 Encombrante, maladroite.

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alternativement ses deux pattes, semblait de nou­ veau indifférent à tout et, deux minutes après, enlevait de nouveau la balle à l’ourson. Je puis bien dire qu’Henri grandissait en sagesse. Son seul défaut, à mes yeux, était son appétit. A quatre mois, il mangeait comme deux hommes. Le sucre, les confitures, la farine disparaissaient en un clin d’œil. A cause de lui seul, il fallait traire une vache de plus. M. Constantin Weyer. (Clairière, Stock, édit.J

Le chevreau Le tout petit chevreau Me souffle dans l’oreille Et chatouille mon cou. Ses deux cornes de lait Ne percent pas sa peau Mais on les devine...

Il joint sur un caillou Ses beaux petits sabots. Il ouvre les narines Et cogne son front dur Contre nies genoux. Madeleine Le y. (Petites Voice, Stock, édit. J

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C’est l’heure où le chevrier rentre ; le parc aux chèvres est là tout près, et là chaque matin les gens du village amènent chaque soir ils viennent les reprendre. Un petit parc du tout, une barrière sur un mur bas de pierres sèches. Longtemps à l’avance, des pe Garçons, des petites filles, sont là qui attendent Iu?s ü se fait au loin comme un remuement un frémissement de clochettes, ^"^X^ d’un peu fêlé dans l’air, qui grandit, qm s approch ,

Le retour des chèvres

et, là-bas, le troupeau parait. ^ Il commence à faire un peu • ébQrde à le chemin, une tache qui vien vii , B,éparpillCi droite et à gauche, grimpe a derrière, un puis se reforme et repart en a ' 80n bâton, garçon qui marche chacune ayant sa Car c’est du vif les . - porte du tête, chacune ^“t comme i m ^ ^ dedanfl . parc est ouverte ; tout le P ^ & pré8ent les présent ; on referme vite 1 P cbacune à son femmes aussi sont ’“y“ ’ .ère Be glisse dans le tour, écartant un peu la b ^ prend par le parc, s’en va droit à sa ' ^ )e tour de collier et la tire dehors. E P parce qu’il enfants. Mais, eux, ont bien e aoQt plp8 fortes et arrive souvent que les ch ^ beau tireTj poU8BCr, elles sont têtues aussi, et u les femmes la bête ne veut pas bouger. i soin de laisser les aident. Par la petite feu e q gort enfin, une entre la porte et la barrière, a 8entant libres, seconde, une troisième ; et pui j

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elles dégringolent la pente : et on voit un petit bout d’homme qui court derrière, tout branlant sur ses jambes courtes ; on voit un petit bout de femme qui court aussi, et une encore et puis une autre. Quand une des chèvres s’écarte du chemin, ils ont un moyen pour la ramener : ils jettent une pierre du côté où il ne faut pas qu’elle aille ; c’est une langue qu’elle comprend, et elle revient tout de suite. Ainsi le parc est bientôt vide. Il ne reste plus que deux ou trois bêtes qu’on a oubliées, ou bien leurs maîtres sont en retard ; et étant pleines de malice, elles sautent vite le mur et vont brouter dans le pré du curé. C.-F. Ramuz. (Le village dans la montagne, Payot, édit.J

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Le chamois J’ai vu fuir le chamois léger Qui n’a pas do laisse Et pas de berger. Ah ! quelle tristesse Chamois des rochers Chamois de la neige De n’avoir pu toucher Ton dos noir et lustré Et ta fourrure beige. Madeleine Ley.

(Petites Voix, Stock, éditJ

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L’épervier

II décrit d’abord des ronds sur le village. Il n’était qu’une mouche, un grain de suie. H grossit à mesure que son vol se resserre. Parfois il demeure immobile. Les volailles donnent des signes d’inquiétude. Les pigeons rentrent au toit. Une poule, d’un cri bref, rappelle ses petits, et on entend cacarder1 les oies vigilantes, d’une bassecour à l’autre. L’épervier hésite et plane à la même hauteur. Peut-être n’en veut-il qu’au coq du clocher. On le croirait pendu au ciel, par un fil. Brusquement le fil casse, l’épervier tombe, sa victime choisie. C’est l’heure d’un drame ici-bas. Mais, à la surprise générale, il s’arrête avant de toucher terre, comme s’il manquait de poids, et il remonte d’un coup d’aile. Il a vu que je le guette, de ma porte, et que je cache, derrière moi, quelque chose de long, qui brille. J. Renard. (Histoires naturelles, Flammarion, édit.J

La chevêche

Dans la chambre bleue, hier au soir, grand remue-ménage. A croire que le diable s’était pris dans la cheminée: «Oh. Janot!» cne Jani épouvanté, « il y a quel1 Cacarder : se dit du cri de l’oie.

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qu’un dans la cha™b^ ça Effectivement onJem ig î On va bien voir, peut être ? Une c au gouiève la plaque et je

chouettes Combien, de soirs

porte, l’avons-nous mu cevoir î z nui nous fait une visite ! Et c’est elle, a Pr鮓 ’ • la colère qui amme Bien à contre-cœur si J dont ses serres ses yeux couleur d’or e connaissez-vous la cherchent à griffer ma c’est joli 1 chevêche ’ Savez-vous co ^ plun)age bouffant, Imaginez une petite c ridicuiement courte, es brun taché blanc, la q™“ ‘ un peu renchaussettes blanches, bie auréOle de plumes gorgée dans son jabot, ave* ^ un bec crochu claires en cocarde au o de rapace. créature lancent d® Les yeux de la petite ^^ centrées dun fondu par ses prun point d’encre. . ces yeux merveilleu , On finit par ne plus voir Q vôtres, choqués qui regardent droit an vou8 en punirvotre audace et Touràtour,Uam^Ja^^ à Pirnter en Janot ne fait qu’en rire et

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imitant ses cu-cu-cu de chaque soir. Il n’en est pas à sa première. Bien souvent il a vu sa chasse nocturne et s’est réjoui avec le père Urbain d’être débarrassé ainsi des mulots qui dévorent le blé. Il connaît les nids : un trou dans un mur, dans un arbre, où l’on peut, fin avril, apercevoir cinq ou six œufs presque sphériques, d’un blanc pur. Mais, pour Jani, ceci est une aventure. Voici le premier oiseau qu’il tient dans ses mains et la chance veut que ce ne soit pas un moineau vulgaire ou une hirondelle, que chacun connaît, mais une bête qui vit la nuit et qui a des yeux larges comme des écus d’or ! Il serre la bête sur sa poitrine, il la caresse doucement en lui donnant des noms amis comme à une tourterelle. Quand je propose de la lâcher il se récrie : « Encore un peu, elle est si jolie ! » Cependant le temps passe, il va être temps de se coucher. Soyons raisonnables, Jani, lâchons notre prisonnière : « Oh ! non ! si on la mettait en cage ? » — En cage ’ Tu n’y penses pas, Jani ! Tu veux donc priver le père Urbain d’une de ses meilleures ouvrières ? Tu veux que les souris infestent la maison ? Jani ne répond pas et nous suit au jardin en serrant tendrement la plume blanche et grise contre son cœur. Nous voilà dehors. La nuit embaume la paille coupée. Les étoiles brillent clair dans le ciel tranquille. Un crapaud chante sous sa pierre, du côté de la pompe. Les grillons s’exténuent à crisser, dans les champs à perte de vue que blanchit la lune nouvelle: «Je vais dire: Un, deux, trois. A trois, tu lâcheras ; c’est promis ? »

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Reconnaissant les lieux paisibles de sa vie jour­ nalière, la chevêche frémit. Une fois encore nous regardons ses yeux splendides. Un, deux... trois... La main de Jani s’est ouverte et le petit corps tacheté disparaît comme une navette en velours dans l’étoffe bleue de la nuit. A. Martignon. (Jean des villes chez Jean des champs, Bourrelier, éditj

Oisellerie

Dès la nuit, j’allais m’asseoir près de l’établi de mon père. Il allumait sa haute lampe de cuivre. Il avait cinq cages pleines d’oiseaux ; canaris, pinsons, chardonnerets et une cage d’appelants1 °ù il gardait un rossignol. La cage du rossignol sentait la pourriture car il fallait nourrir l’oiseau avec des vers de terre tron­ çonnés et hachés, des mouches que mon père raflait de la main. Quand c’était une grosse mouche ou un taon, il cassait la bête en deux. Il donnait première­ ment le corselet aux ailes bleues. — Le moins bon, d’abord, disait-il. Après, il tendait doucement la petite vessie du

ventre pleine de miel. ■---- —___ B 1 Oiseaux qui en attirent d'autres par leurs appels et dont se ^ent les chasseurs.

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La lampe allumée et réglée, mon père dépendait les cages. Il les plaçait à côté de l’établi, pour que les oiseaux soient dans la lueur rousse de la lampe, et, au bout d’un moment, ils se mettaient à chanter. J’écoutais les pinsons et les chardonnerets sur­ tout. Pour que le rossignol se décide, il fallait le mettre un peu dans l’ombre, près du baquet où le cuir trempait. Aussitôt, il commençait par de petits sanglots. — Ecoute, écoute, disait mon père. Alors, tous les oiseaux se taisaient, se perchaient en grappes sur les petits perchoirs de bois et restaient là, ébouriffés et peureux et on voyait trembler le bord transparent de leurs plumes. — Ecoute... Le rossignol pleurait tout doucement pour luimême, mais je comprenais, moi, que ça allait chan­ ger et, bientôt éclatait la chanson roulante de l’oiseau. D’après Jean Giono. (Jean le Bleu, Grasset, édit.)

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3' Dans la volière Dans la volière, chacun siffle son air. Fi fi, le serin, réclame dès le matin : « Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do, Du mouron pour les petits oiseaux. » Mimi, la mésange, fredonne en prenant son bain : « Touilili, j’ai bien dormi ». Aussitôt s’éveille FIup le bouvreuil : « Petite chérie, petite chérie ». Tandis qu’à chaque saut, Toto le moineau, pépie : « J’suis un titi de Paris, j’suis un titi de Paris ». Snip le pinson, crie à tue-tête : Vi, vi, vive la vie. Pendant que Robin, le rouge-gorge soupire : « Qui, qui qui, me ramènera au logis î » Et Lili, la linotte, répond au petit bonheur : « Je suis une étourdie, ça oui ! » Mais que dit Zette, la fauvette, sur sa petite balançoire, du matin au soir ? Elle dit : «Moi, je m’en... «Moi, je m’en... «Moi, je m’en ris... ». Et lorsqu’ils sont tous endormis, le rossignol s’éveille, et il chante par cœur. Marie Vancalys.

(Mon beau sabot doré, Naest, éditJ

Les étourneaux

Les étourneaux sont de grands voleurs. Ils ne vivent Que de maraudes. Ils sont la désolation des gardeschampêtres. Ces maraudeurs sont fort intelligents, ü8 savent quand le raisin est mûr, et ils accourent, affaméB, le bec ouvert pour le festin. Leurs troupes Heures

claires

4

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bruyantes animent les airs ; ils se posent, près des vignes, sur un arbre, et tiennent de longs discours, parlant tous à la fois. Puis, un à un, sournoisement, ils tombent dans la vigne et ils s’empiffrent jusqu’à crever, à la barbe des épouvantails. Or, à Epeisses \ les étourneaux avaient un terrible ennemi. Il s’appelait Clapinel ; il était vieux, laid, maigre, méchant, grondeur, bourru, serviable et propriétaire. Sa coiffure était une éternelle calotte en peau de chat, usée et sale, et à peu près pelée. Dès que les étourneaux paraissaient, le père Clapinel décrochait un vieux fusil à piston ; il le chargeait de petit plomb et s’en allait monter la garde, à la vigne. Mais les maraudeurs le connais­ saient bien; ils savaient que ce grand bâton, aux mains du vieux, était un tonnerre dont ils devaient se méfier. Ils se cachaient, et le père Clapinel les attendait en vain. Dès qu’il tournait le dos, fatigué de sa faction inutile, les étourneaux se précipitaient dans la vigne avec de grands cris. Alors, ils dévastaient les grappes dorées en gloutons. Mais, quelquefois aussi, ils se laissaient surprendre. Le vieux revenait, soupçonneux. Il jetait de grands cris. Les oiseaux, effrayés, s’en­ volaient. Pan ! Et des victimes tombaient.

D’après G. Verdène. (Symphonies rustiques, Payot, édit.) 1 Petit hameau genevois, près du Rhône.

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I



Les noisettes

Les noisettes Trois noisettes dans le bois Tout au bout d’une brindille Dansaient la capucine vivement au vent En virant ainsi que filles de Eoi. Un escargot vint à passer : « Mon beau monsieur, emmenez-moi Dans votre carrosse. Je serai votre fiancée. » Disaient-elles toutes trois.

i-

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Mais le vieux sire, sourd et fatigué Le sire aux quatre cornes sous les feuilles Ne s’est point arrêté, Et c’est l’ogre de la forêt je crois, C’est le jeune ogre rouge, gourmand et futé, Monseigneur l’Ecureuil, Qui les a croquées. Tristan Klingbor. ,

(Ext. de a Le Valet de Cœur», Edit. Mercure de France.)

Vengeance La limace a mangé le chou. La fermière l’écrase. Il fallait manger la limace.

La chasse La feuille tombe et l’oiseau vole. Le chasseur passe. La feuille vole et l’oiseau tombe.

L'escargot L’escargot traîne sa roulotte De foire en foire Trop pauvre pour devenir riche.

La bûche Les pincettes la taquinent. Pour se venger des pincettes La bûche tire la langue.

««M.ÆiSÆSK-,^,..,

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Le mur aux lézards

Janot, à plat ventre sur le mur, au soleil, demeure immobile en regardant les lézards. ■ Ils sont là toute une famille — la même chaque jour, hardie et familière. On ne les distingue guère, car ils se ressemblent. Cependant, Janot les recon­ naît sans avoir besoin de leur passer un fil de couleur à la patte comme aux poules des fermes. Il y a le gros avec une queue qui n’en finit plus. Ce doit être l’aïeul. Personne ne l’ennuie ; il prend la meilleure place ; à lui seul il débarrasse le mur de toutes ses mouches. Mais il y a aussi une maman qui se fait suivre de ses petits. Janot voit un lézard — sans queue depuis le coup de dent du chat. Celui-là est un timide ; il craint tout parce qu’il a perdu le plus bel ornement de sa personne et n’a sauvé sa vie qu’à grand’peine. Néanmoins il ne manque pas d’appétit. Il tient dans sa bouche un long ver de terre qui lui fait une paire de moustaches rouges et lui donne un air de fauve dans la jungle. Déjà il a disparu dans une fissure, contre le pot de capucines. Mais Fil d’Or tient la scène à présent. On n’est Pas plus élégant que Fil d’Or. Sa tête mobile est en bronze doré ; ses pattes plus légères que des fils, 8°n ventre en soie pâle et sa queue en boucle souple. s.on cœur bat vivement, sous l’écaille. Dès qu’il a P^R une mouche il retourne au logis et pour cela ^ glisse entre les pariétaires1 comme un bracelet qui Enroule. ’ Pariétaires : genre de plantes qui poussent sur le« murailles.

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On resterait des heures à regarder cela. Le mur est un vrai mur à lézards, vêtu de croûtes de chaux branlantes sous lesquelles ils peuvent nicher. Le crépi1 cède à droite, à gauche, formant ici une caverne, là une terrasse pour les paresseux qui veulent lézarder au soleil. Un lézard ne voit que cela : la chaleur et la cachette. Tant que le soleil grillera le crépi, de toutes ces fentes et fissures surgiront des têtes menues qui regarderont, avant d’avancer, si la voie est libre. Ensuite on amènera lentement les pattes et la queue... si l’on en a une. A. Martignon.

Le ver luisant

Que se passe-t-il ? neuf heures du soir et il y a encore de la

• lumière chez lui.

Le poisson

Décidément, il ne veut pas mordre. Il ne sait peut-être pas que c’est aujourd’hui l’ouverture de la pêche.

La bergeronnette

Elle court, autant qu’elle vole et toujours dans nos jambes, familière, imprenable; elle nous défie, avec ses petits cris, de marcher sur sa queue. D’après Jules Renard. (Histoires naturelles, Flammarion, éditj ■ Crépi : couche de mortier non limé, 8ur un mur

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Le serpent

Le serpent

Une fois, j’avais regardé un serpent de très près. C’était une grosse couleuvre. Je n’ai jamais eu peur des serpents. Je les aime comme j’aime les belettes, les fouines, les perdreaux, les petits lapins. Les serpents sont d’admirables bêtes paisibles, d’une beauté et d’une grâce extraordinaires. Celui-ci s’était levé presque de dessous mon pas. b avait eu un élan et maintenant il fuyait. Il n y avait que des roches sur la colline : pas d’herbes, Pas de touffes de thym ; il ne pouvait pas se cacher. 11 n’allait pas vite. Les vagues de son corps ne bordaient pas dans la terre et il s’épuisait à se tordre sans beaucoup avancer. U était gros comme m°n bras. Il entendit que je marchais derrière lui sans me presser ; alors il se dressa sur la faucille e 8a queue. Il balança doucement la tête, il avait c

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grands muscles verts qui montaient le long de lui. Il ronfla de la gorge comme un petit chat en faisant trembler sa langue. Il me regarda. Je voyais monter derrière sa peau sa colère, sa peur, sa curiosité, et, peut-être, un peu de cette tendresse que tous les serpents ont pour les hommes. J’étais un bien petit homme. Il y avait des taches le long de son corps : du rouge s’allumait, ça s’éteignait comme des braises. Il y avait du jaune éclatant comme du soleil et du jaune pauvre d’argile éteinte, et du jaune immobile de métal, et toutes ces couleurs fusaient le long de lui et autour de lui. Il s’arrêta de siffler. Bientôt, comme une eau dont on ferme le jet, il se coucha et s’en alla douce­ ment dans les pierres, rassuré. D’après Jean Giono. (Jean le Bleu, Grasset, éditJ

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Araignée grise Araignée grise, araignée d’argent ton échelle exquise tremble dans le vent. Toile d’araignée qu’avec soin tu tends lourde de rosée dans le matin blanc !

Ouvrage subtil qui frissonne et ploie ô maison de fil, escalier de soie. Araignée grise araignée d’argent ton échelle exquise tremble dans le vent. Madeleine Ley. (Petites voix. Stock, édit./

III

Le pays La Genève d’autrefois n XoTde

Genève ne fut pas toujours la grande ville que vous connaissez. fut aussi rustique qu’un village "^teUe ill’elle fï“' U n’est pas

au temps de la a “lUt d6S temps ’ pas “ême BévoZn i “^ * m®me à celui de la sa ceinture’ de mStoTe Xn ^ campagnardp ™ ’ eUe aPParaissait une cité —Z^x» “-. o. PWDes oies et des cochons s’ébattnionf Des poules picoraient sur X X “ ^8 T ^ »’étalaient au seuil de ses maisons A la rue des Granges, il la Treille, des treilles. Il y avait des granges ; à blé, une maison du foin ety’l«avait “^ une ^ maison maiS°n du dU se tenait à Plainpalais. Il y avaTt^ 8 chevaux écuries, des poulaillers dl ‘ deS couverts> d®8 jardins, des bouts de clos ou de60““1“8’ d®8 PetitS un coin de rempart ; des carrés d l“" h'0““ 8“r laitues, de fines herbes poussé n “* ^^ ^ des trous de haies, des orties au X? T* C°mme ‘ chardons aux Tranchées. P d deS murs’ des A Champel, c’était la rase campagne; à la rue de Beauregard, un étroit ^mPa^ parmi les fleurs jusqu’au bastion d^n^ au Pm.

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Par les portes de Rive, de Neuve, de Cornavin, sur les chars de Savoie ou sous les voiles des barques’ à pleins paniers, à corbeiUes pleines, la campagne entrait et s’installait à demeure, elle jetait bas sur le pavé sa charge de fruits et de légumes et prenait possession du paysage comme, un jour de marché, elle s’empare aujourd’hui de nos rues. Des bruits de sabots couraient avec les enfants autour des claires fontaines, et les ânes des laitières étaient liés aux bornes de Coutance. Des gens portaient des brantes sur le dos ; des femmes lavaient leurs légumes en plein air ; une paire de bœufs accouplés sous le joug ruminaient au seuil d’un estaminet. Dans les rues, ça sentait l’étable, le foin sec ou le vin doux, et avec l’odeur des champs qui s’épandait partout, partout la vie aux champs étalait au soleil ses aspects, ses mœurs, ses coutumes, ses propos, ses personnages. D’après Ph. Monnier.

^ans la vieille ville

Gravir une petite rue, c’est passer du bruit au silence, c’est quitter les trottoirs encombrés pour le calme de la vieille ville. Eu quelques minutes la ceinture des anciens murs est franchie, le sommet de la colline est là. Voici les hautes maisons tassées les unes contre es autres, accotant leurs toits bruns hérisses de Géminées biscornues. Des passages, des rueUes,

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des « allées traversantes », des rampes rapides les séparent ; elles bordent des rues étroites où le soleil se montre peu. Ces rues portent des noms pittoresques. Taconnerie, Tour de Boël, Soleil Levant, Degrés de Poule, Chausse-Coqs ; elles mènent toutes au cœur de la ville, à sa cathédrale. Une vieille porte de bois ornée de guirlandes et de figures joufflues donne entrée sur une cour humide et silencieuse. Quand les lourds vantaux 1 qui gardent la maison à tourelle sont repliés, on voit une rampe extérieure formant galerie. Mille logements ouvrent leurs fenêtres à guillotine2 sur la rade bleue et la ligne des montagnes. Des pierres rondes pavent la cour de St-Pierre ; à travers les branches des ormeaux dont le feuillage entre dans les vieux logis, le ciel luit doucement. Du haut clocher tombent les notes du carillon, un vol de pigeons part dans un claquement d’ailes. Il semble que le vieux temps va revivre. Le pot à feu s’allumera-t-il ce soir pour éclairer la fontaine fleurie ? Le veilleur de St-Pierre crierat-il les heures de la nuit ? Les artisans de la rue des Chaudronniers, de la Pélisserie, de la Rôtisserie vont-ils sortir de leurs échoppes 3 ? N on ! après la rue du Cloître qui dort à l’ombre des tours, l’escalier de la rue des Barrières redescend et c’est de nouveau le bruit, l’animation, les trottoirs encombrés. . Marie Passello. 1 Vantail : battant d’une porte ou d’une fenêtre. 3 Fenêtre s’ouvrant de bas on haut au moyen d’un châssis. 3 Boutiques.

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Heures grises, heures claires

Heures grises, heures claires Au clocher de l’église Chante le carillon Heures claires, heures grises Tout au long des saisons. Heures claires, heures grises Comme un vol de pigeons Qu’éparpille la bise Sur les toits des maisons. Heures grises, heures claires Que va prendre le temps Fines graines légères Sur les ailes du vent. Ainsi le carillon, Heures grises, heures claires, A jeté sa chanson Du clocher de Saint-Pierre. Albert Atzbnwfleb.

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Les cerisiers de Saconnex-d’Arve

Connaissez-vous ce village, dans le voisinage duquel se dresse le vieux château de Compesières ? C’est au printemps surtout que le promeneur y dirige volontiers ses pas. Car si les habitants du Mandement sont fiers de leurs vignes, ceux de Saconnex sont glorieux de leurs cerisiers. Et c’est justice ; nulle part, dans le canton, ces arbres ne prodiguent leurs produits avec une telle générosité. D’avril à mai, les arbres en fleurs apparaissent de loin comme de gracieuses guirlandes suspendues au-dessus du vert encore tendre des prairies. Le moindre souffle de brise détache les pétales qui s’envolent en blancs essaims emplissant l’espace de senteur agréable. Lorsque juillet arrive, la cueillette des cerises devient pour les paysans une occupation absorbante. Il faut aller vite et disputer aux oiseaux le fruit à la pulpe si fraîche. Pendant quelques jours, hommes, femmes, enfants, butinent dans les arbres. Souvent un rire, un cri fait lever la tête au promeneur étonné qui découvre, perdue dans le feuillage, la figure réjouie d’un campagnard ou celle, toute barbouillée, d’un enfant. Car on s’amuse sur les arbres, on échange des plaisanteries, on chante, on jase, tandis que s’emplit le large panier retenu à un* bran«ha — à,une branche par un crochet de >is. On s’entretient d’arbre à arbre, et souvent un ohé ! est lancé, puis répété de loin en loin par des bouches rieuses.

Marins Tagini.

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Du haut de la tour d’Hermance

Dans un jardin parfumé de roses et d’hé­ liotropes, la tour d’Hermance se dresse au-dessus des grands sapins et du petit village. Un sentier resserré entre deux murailles dont les moellons 1 énormes sont recouverts d’une résille2 de lierre, conduit au pied de la tour. On y monte par un escalier aux marches étroites et hauteszconstruit dans la molasse des murs qui ont près de trois mètres d’épaisseur. Il y fait froid et noir malgré les ouvertures qui laissent pénétrer le jour ; dans chaque recoin s’agrippent les araignées, nichent les chauves-souris. Mais au sommet de la tour, tout est lumière. Sur la pierre brûlante un lézard d’émeraude, allongé, la gorge battante, regarde le soleil. Le lac, criblé de paillettes d’or, miroite. En face, quelques bourgades vaudoises émergent de la brume tandis que, plongé dans l’ombre, le Jura s’estompe, rapiécé vers le bas de champs Moissonnés et de prairies fauchées. Tout au fond : Genève avec sa cathédrale. Elus près, ici et là, tapi dans une combe, le toit r°uge d’une chaumière rutile et chante comme un c°quelicot parmi les blés. . Serrées les unes contre les autres, les maisons ^age ont rabattu de larges avant-toits sur a faille de leurs façades. Contre l’église au clocher J Moellon -’ pierre de construction. -KcsiUe : espèce de filet.

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vert-de-grisé, s’appuie le presbytère dont les croisées' sont fleuries de pétunias ; enfin le cimetière qui regarde le lac, ce lac où les barques tissent, à l’heure violette du couchant, un sillage lumineux, ce lac où se reflète tout le pays. m Marie Tiiœni.

Au Salève

— Nicolas, que dirais-tu d’une excur­ sion au Salève ? Ça te va-t-il ?... Ça va ! Je t’emmène demain, décide le cousin Gobernard. — Bonne idée, approuva mon père. Ça lui fera du bien. — Prépare-lui son petit sac, et ne le chargez pas trop. Pas de pain, ni de vin ; nous nous en munirons à Bossey, au pied de la montagne. Quelques œufs durs et une tranche de fromage. Le reste, j’en fais mon affaire. Et demain matin, mon garçon, trouvetoi à six heures au bas de la Cité, pour le tramway de Carouge. Le lendemain, comme six heures sonnaient à la tour de l’Ile, je me trouvais au rendez-vous. Je ne tardai pas à voir apparaître, à mi-côte de la Cité, et dégringolant la rue à grands pas, la corpulente stature du cousin de mon père, en large feutre mou, la vareuse au vent, le bâton ferré à la main, les souliers à clous aux pieds et portant en bandoulière un gros bissac aux formes singulièrement rebondies. Tu es exact, c’est parfait. Nous aurons le beau, le baromètre monte. Pourvu que nous n’ayons pas trop chaud et que nous puissions faire la grimpée à l’ombre, ça ira bien.

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Nous suivîmes la rue du Conseil-Général, nous enfilâmes l’interminable rue de Carouge, nous atteignîmes le pont sur l’Arve. Puis ce fut Carouge, que nous parcourûmes dans toute sa longueur entre ses maisons basses. Nous parvînmes enfin place du Rondeau, située à l’extrémité de la petite ville. Deux routes p’en détachaient : celle de Saint-Julien par le Plan-les-Ouates, et celle de Collonges-sousSalève. Nos sacs bien assujettis, le mien sur le dos, celui du cousin Gobernard sur son flanc gauche, c’est cette dernière route que nous attaquâmes. Par une lente montée, nous abordâmes le plateau de Grange-Colomb. La montagne s’offrait là dans toute son ampleur. Elle ressemblait à un énorme dromadaire accroupi, avec sa bosse que nous allions escalader, son encolure du creux de Monnetier, et le Petit-Salève, formant la tête, qui allait frotter son museau dans le sable de l’Arve. Nous descendîmes sur Troinex ; laissant le village derrière son rideau d’arbres, nous longeâmes son petit ruisseau murmurant. Puis nous poursuivîmes notre chemin sur Bossey, dont nous ne tardâmes Pas à apercevoir la grosse église. Nous débouchions bientôt sur la ferme e Pital, postée contre la montagne, et qui serval ^’auberge aux ascensionnistes. Des tab es e bancs rustiques invitaient à la halte. ’— Nous nous arrêterons quelques instan s 1 ’ temps de poser les sacs, de souffler un d compléter les provisions, dit le cousin tain en se séparant de son bissac, non sans un 8°ulagement. Heures claires

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■Au Salèvc

7?“ P1US tard’ n0U8 épions entre les P^7tX^ ^ ^ “ « Aidant d'un „ Fo™1‘JabIe> saisissante, verticale et noire la Seüse àT °UVrait ^^ n°US sa fai“a * “ trueuse. A mesure que nous nous rapprochions de a paroi, le spectacle devenait écrasant et terrible. Nous montions depuis une hpnro un replat de la roche outre étroit sentier, mon cousin jugule d’opérer un nouvel arrêt. Je pris „ 7 7? 77“ sur la margelle de pierre Droit 7 “ °° dévalait le précipice hérissé de brouss^D^ ■ faille : ouverture, cassure produite dans le, roches.

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nous, se dressait vertigineusement l’autre paroi de la gorge, avec ses assises énormes, ses corniches et ses escarpements. De temps en temps, nous nous arrêtions ainsi quelques instants pour reprendre notre souffle et jouir du paysage, variant d’aspect au fur et à mesure que nous nous élevions. Bientôt nous sortions de la partie resserrée de la gorge et nous débouchions dans le cirque supérieur, dont tout un flanc nous apparaissait déjà baigné de clarté. Chaque pas nous rapprochait de la crête. Encore un petit effort ! dit mon cousin en changeant pour la dernière fois son bissac de côté. Et tout à coup, ce fut le grand large, l’éblouisse­ ment. Au détour d’un dernier buisson, nous avions mis le pied sur le gazon ras du sommet. Hein, c’est beau ! fit le cousin Gobernard en soufflant cordialement. L’immense vallée du Léman se développait à Perte de vue, avec la plaine éclatante de son lac. Mes yeux suivirent longuement la route du lac, Passèrent sous Lausanne qui brillait, voguèrent en vbe de Rolle, de Nyon, s’engagèrent entre les rives resserrées du Petit-Lac, virent Bellevue devant la lan­ guette du Creux de Genthod, débarquèrent à Genève. Ls s’arrêtèrent un instant sur la tour de Champel, Qui s’effilait entre les arbres ; puis ils rencontrèrent arouge, retrouvèrent le ruban blanc du chemin de roinex et vinrent se perdre dans les buissons qui ^asquaient Bossey, les buissons noirs de la Gorge qui 8 ouvrait sous nos pieds. D,après L. Dumvb(L'Ecole du dimanche, Mercure de France,

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La plaine des Rocailles

A nos pieds, s’étend la plaine des Rocailles. Ainsi disent les Genevois. Mais nous, nous disons les Communaux, parce que ce terrain de bruyères, de bois, de pierrailles, qui n’était bon qu’à la pâture, autrefois, est, pour une partie encore, la propriété des communes. On marcherait dans chaque sens une heure et demie pour atteindre le premier, le dernier de ces rocs de pierre grise. Quelques-uns sont énormes, fort éloignés de la plus proche montagne. C’est le glacier de l’Arve qui les a déposés là, dans sa retraite, il y a des milliers d’années. Mais l’homme tenace a mis les pierres plus petites en tas ; il en a clôturé ses nouvelles conquêtes. Sur les blocs les plus gros, parfois, il a porté le pic. Il a fait sa maison, pour finir, dans ce bouleversement. Je vois une fumée ici, puis là, puis là, très loin, qui bleuit sur le chaume ou sur la tuile rouge... Mais les villages demeurent en dehors. Là-bas, à gauche, au flanc du coteau, sous les forêts, voici le clocher d’un hameau. Le terrain se soulève en ondulations couvertes d’une herbe rase, alpestre, de genévriers, d’épinevinette, de petits boqueteaux de chênes, de coudriers. ...Le relief s’émiette jusqu’au loin. Des ravins, des vallons, des combes et, quelquefois, après la pluie, un petit lac s’y blottit. Le Môle pointu domine un de ces vallons tandis que le Salève se dresse au-dessus d’un autre. D’après H. de Ziegler. (La Véga, Attinger, éditJ

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Les collines

Nous sommes les petites collines. . Entre le Rhin, les Alpes, le Jura, nous couvrons tout le pays. Quand on nous compare aux montagnes, on nous prend pour un troupeau de moutons couchés dans l’herbe, près d’un village aux larges toits. Nous sommes gaies toujours, et nous formons des chaînes autour des lacs, comme des fillettes, à la sortie de l’école, qui, se tenant par la main, tournent autour de la fontaine. • Le soir, quand le soleil est couché et que, seules, les pointes des rochers sont roses, nos champs deviennent bleus, nos forêts de sapins et de hêtres s’assombrissent à nos sommets : alors, nous sommes pareilles à des vieilles qui rentrent chez elles, 1 une après l’autre, portant du bois mort sur leur échine cassée. Nous arrêtons le vent et nous réglons le cours des ruisseaux, nous abritons les vignes et nous exposons les blés à la chaleur. Et nous voyons tou le pays : les lacs, les rivières, les villages, les es jusqu’aux frontières. Et les Alpes que nous regar en face, semblent défiler devant nous comme grands chars de foin. G. de Reynold. (CiU» et pW •“'"“•Payot’ ^'^

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Au bord du lac

Au bord du lac

La journée finie, il faisait bon se reposer. Le père Pinget allait et venait. Voûté, un peu boiteux à cause de ses varices, il tournait en rond, les mains dans les poches. Il allait voir si les bateaux étaient bien amarrés, il revenait, s’arrêtait près des filets mis à sécher, il les dépendait, il les rependait ; puis il retournait aux bateaux. On entendait sonner sept heures au village, le soleil se couchait. Les vagues, une à une, venaient mourir parmi le sable et le gravier, avec un petit bruit, pareil a un soupir, un soupir de contentement, l’air de dire: «il fait bon s’étendre», et à cela répondait sur la rive l’autre soupir du vent doux dans les saules, aux branches desquels les chatons

pendaient. Mille et mille petites chenilles jaunes qui leur donnaient de loin un air d’automne, un air fané, mais de plus près venait leur odeur de sève sucrée : alors on pensait : « Mais c’est au contraire le plus beau moment du printemps!» Le lac cependant tournait au gris ; il ne restait plus de rose qu’aux creux des vagues, tout un alignement de minces bandes roses qui flottaient comme des rubans ; et dans le ciel aussi les nuages se dispersaient, s’éteignant l’un après l’autre. Un dernier cri d’oiseau, puis tout se taisait. Les arbres noircissaient dans l’ombre. Et le père Pinget lui aussi devenait tout noir, qui se tenait debout sur le petit débarcadère, et il secouait par moment la tête, parlant tout haut, selon son habitude, mais je ne pouvais pas comprendre. Je vidais ma pipe sur le bord du banc. — Eh ! dites donc là-bas, ce serait peut-être le moment d’aller manger la soupe. Mais le père Pinget ne se pressait jamais. ai rentré depuis un moment déjà que je 1 apercerai toujours debout, à la même place ; et j allumai grosse lampe en cuivre qui pendait au plafond. D’après C.-F. Ramuz. (La beauté eur la Terre, Grawet,

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Le beau pays de Vaud

Le cœur du paya romand c’est le lac. Tandis que le train file à micôte, au milieu des vignes, il se découvre brusque­ ment à nos yeux. Et les vignes, elles, glissent tout droit vers les ondes entre des murs de pierres sèches ; parfois, un ruisseau tombe en cascade entre deux vignes, le sulfate a bleui son écume. Les villages et les bourgades sont tout en bas, au bord du lac; leurs toits aux tuiles rondes se serrent autour d’un clocher. Tout ce pays de Lavaux s’arrondit comme un golfe, avec le Chablais en face ; et, entre Lavaux et le Chablais, le Valais s’ouvre comme un grand corridor rempli de vent qui dégorge les eaux crayeuses du Rhône dans les eaux bleues du lac, au milieu des roseaux. Lausanne. Après, le paysage n’a plus cet aspect grandiose : il devient une longue campagne que les vignes et les prés se partagent également. Villages et petites villes régulièrement se succèdent : dans les intervalles, des châteaux, des villas, des jardins et des parcs. Le Jura, qui avait disparu, qu’on ne voyait plus que de loin, se rapproche. De l’autre côté, le lac se rétrécit et s’amincit en pointe vers l’horizon. Ce n’est plus une petite mer, c’est un grand fleuve. Le soir est venu ; le Jura est bleu sombre ; audessus, le ciel rose et jaune, - un ciel cendré. Des cordons de lumière scintillent et se doublent, reflétés par les eaux : Genève. D’après G. de Reynold. (La Suasse une et diverse, Fragnières, édit., Fribourg.?

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Le village dans la montagne

II n’y a de pierre que la maison du bon Dieu, les autres sont en bois ; elles sont petites, serrées, toutes tournées vers le soleil, et noires, étant vieilles. Sous leurs toits avançants et leurs bonnets bleus de fumée, leurs petits yeux brillants regardent. Elles se ressemblent toutes, avec un air de parenté, étant seulement un peu plus petites ou un peu plus grandes. Et comme elles se sont serrées autant qu’elles ont pu, il n’y a entre elles que d’étroits passages où. donne l’escalier. Elles se suivent le long du chemin, un peu penchées, s’appuyant de l’épaule comme si elles avaient sommeil, avec encore des vitres à résilles 1 de plomb, par-ci, par-là, leurs deux ou trois étages, leurs rangs de petites fenêtres ; et puis des raccards 2 par derrière. Le chemin est une espèce de rue très étroite, ou passe tout juste un mulet chargé ; il s’en va tout e travers, tout tordu. Ce chemin n’est point pav , seulement, de place en place, une pierre qui w enfoncée dans la terre, sous le frottement des P1® est ressortie, faisant saillie, et partout autour, e Qu’il pleut, il se forme une boue épaisse, distingue les poutres des maisons avec leurs n et leurs fissures, de ce bois de mélèze qui es fraîchement coupé, puis noircit. creusée On trouve d’abord la fontaine qui ®8 . me8 dans un gros tronc, où l’on voit toujours e 2 -Résinés ; Minces barres réunissant les l*^.®^ ou de seigkJaccard : chalet réservé aux provisio

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qui lavent. A côté, il y a le four qui ouvre à l’air sa gueule noire dans un tas de pierres qui penchent, mal maçonnées ; c’est là qu’on cuit les pains de là-haut, noirs et durs. Un peu plus loin, il y a la chapelle, elle est blanche et toute petite. Cette chapelle, ce four, la fontaine, c’est à peu près tout, ils n’ont pas besoin d’autre chose. Le reste, c’est des maisons. Il y a des petits enfants un peu partout, assis ou • qui se roulent par terre ; on voit, par les portes ouvertes, dans l’intérieur des cuisines. Tout ce qu’il leur faut, les habitants le tirent d’ici; ils se suffisent à eux-mêmes. On peut voir où leur blé mûrit, comment ils le coupent et le lient en gerbes, et où ils vont le moudre, le four où cuira le pain. Et le lait des vaches qu’on voit paître, qu’on voit traire, c’est dans cette chaudière qu’il deviendra fromage. Pour la viande, ils ont leur bétail, leurs cochons, leurs chèvres ou bien leurs mulets. Et pour boire, le vin de leurs vignes. Pour leurs habits, la laine des moutons ; pour leur toile encore, des carrés de chanvre. Point de bruit de forge, il n’y en a pas ; point de bruit de char qui roule, de fouet qui claque, et point non plus de coq qui chante, ils n’ont point de poules là-haut. Mais du silence, dans tout le ciel et sur la terre : une voix, un enfant qui pleure, le bruit de l’eau quand on arrose, qui coule le long du chemin ; pas même une horloge qui sonne ; il n’y a au clocher qu’une cloche pour le bon Dieu. C.-F. Ramuz. (Le village dan» la montagne, Payot, édit.)

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Ceux de là "haut

Quand ils se lèvent, au petit jour, ils font d’abord une prière ; c’est le maître qui la récite ; les autres écoutent ayant les mains jointes ; et par elle le travail est toujours béni. A cette heure de la prière, un air frais souffle encore, ils ont froid ; quelquefois tout est sous le givre ; on dirait un voile de fine dentelle, qui noircit par place et s’évanouit. Ce qu’ils font aujourd'hui, ils l’ont fait hier, ils le feront demain ; toutes les journées pour eux se ressemblent. Ils sont tout seuls, pas de village alentour. Le maître a son tabac, le vili1 aussi, et ils fument la pipe, c’est tout leur plaisir. Les jeunes, parfois se courent après, ou bien se buttent, pour

f vw* d/ w *’••’

1 Vîli ; proiiilor Vnlnt

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rire un peu ; ou sortent des orguettes1 pour se jouer un petit air ; après quoi, de nouveau, ils tra­ vaillent et dorment. La montagne non plus ne change jamais autour d’eux, étant immobile ; et, qu’elle soit habillée de neige, ou bien revêtue de brouillard, ils la con­ naissent bien, ils ne la regardent pas. Ceux du chalet sont encore assis devant la porte ; le maître fume sa pipe, le vîli aussi, le dos contre le mur, et plus en avant les autres. Us ont tous de très vieux habits, avec des franges dans le bas, c avec des trous au coude ; des vieux chapeaux enfoncés. Le petit maïo 2 a un bonnet de poil ; lui, va et vient, ayant toujours à faire ; à chaque pas on voit sortir ses doigts de pied de ses souliers, parce que l’empeigne ne tient plus. Et il est joli, ayant des yeux noirs et de grosses joues rouges, seulement il a mal à un œil, qu’il frotte tout le temps du revers de la main. C.-F. Ramuz. (Le village dans la montagne, Payot, éditJ

Le bateau à vapeur

On voyait toute la rive. Les débarcadères fal* saient comme des barres en avant des maisons. Alors, tout là-bas, dans le bleu, une petite fumée en forme de boule se montrait, et dessous bougeait un point noir. C’était un bateau à vapeur. Il s’approchait peu a peu, en même temps que la fumée épaississait, et, faisant une grande courbe, 1 Orguettes : musique à bouche. 3 Maio : petit berger.

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H abordait successivement à tous les débarcadères. Une vapeur blanche montait; un petit moment après, arrivait le coup de sifflet. Cela venait entre nos phrases, mesurant la fuite du temps. Vite on levait les yeux. On cherchait le bateau des yeux, on se disait : « Voilà qu’il est déjà à Montreux. » C’est l’après-midi qui passe. Le pont du «Bonivard » est couvert de dames en toilettes et de messieurs bien habillés ; la foule se portant toute du meme côté, à certains moments, le bateau penchait. C’est quand on fait mac me arrière. La roue, qui tourne sur place, tire ( u on de l’eau des grappes de bulles blanches, et eux cygnes fâchés, gonflant leurs ailes et ^J6^ le cou, s’éloignent dignement, parce que c es bêtes fières. Pendant ce temps, on met en P a passerelle ; un remous se fait sur le pon , passagers débarquent, d’autres s’embarquent, le gendarme a son uniforme du tunique à plastron bleu de ciel, un beau des gants blancs. D’après C.-F. BamuzC2z.™*Sa™«'B'W’PayOt^

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Le lac

Le lac Le bleu du beau temps dort sur l’eau, Mets les rames au bateau Hisse la voile, la voile blanche qui claque, C’est le beau dimanche du lac ! Le grand vapeur s’approche avec sa fumée ronde Et tous ses pavois flottants... On fera le tour du monde... On est content, on s’embarque, C’est le dimanche du lac, la croisière du beau temps . On s’est mis tout à l’avant, Plus près du bleu, plus près du vent, Et plus près du beau voyage ! Sous l’étrave qui le fend, Le flot luisant se partage. Tandis que des deux côtés S’avance, comme les deux faces de l’été. Le cher pays des deux rivages.

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Regarde ! le pays s’avance à nos côtés ; Nous quittons la ville et le blanc des quais, Et les guirlandes de drapeaux Voltigeant, au-dessus des batelets rangés. Voici le golfe de fraîcheur, La plage devant les cabanes Où sèchent des filets qu’a verdis l’eau limpide... Et l’odeur de la grève humide Où fuient la bécassine et le martin-pêcheur...

Regarde ! le pays vient à notre rencontre ! Voici les villages heureux, Tuiles roses, brunes, moussues, Maisons serrées, abris des hommes, Maisons aux figures carrées, Basses, ou longues, ou pointues, Qui regardent le pays Sous le sourcil de leurs treilles, Vieux visages des villages Dont les joues sont craquelées et bronzées Par les siècles et les saisons, Destin calme des maisons Aux petits yeux noirs et verts, Qui se sont toujours ouverts Sur les mêmes horizons. Jacques Chenevière. (fragment extrait de « La Fêle de la jeunesse e

L enfant, la famille, l’école Hors du logis

Ma mère me crut perdU)

une faisait une chaleur i \ 00 Manche d’été. Il frais, tout seul, près du^t? 6* lon “'^ “ds au d’eau. Au bout dans H“6 seiBe remphe à m’ennuyer, et je sort' ^d-heure, je commençais fournil i était ouverte sur î ^^ h“' La porte du Or> ü y avait, tout en fan» & ?e' Me voUà dehors, la chaussée et i’entmî ’11116 brasserie. Je traversai mon aise, au milieu des ’cr”^ ““’ parfaitement à fus fêté. Les gens " °“ ¡“agine si je ce petit homme tombé d ^ de ma*ns en mains Pendant ce temn °lel‘ baquet vide, la porte^^ ?ère avait trouvé Ie au café Gauthier, où mn^Â Eüe couru^ affolée, en fumant sa pipe. n $®re jouait aux cartes

Que veux-tu qu’on mon père, en ôtant 8a pipe^ fa88e ’ dit sagement 1 Fournil ; dans une boulangerie

-, Pièce où se trouve le four.

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Il se leva néanmoins, et, voyant de l’autre côté de la rue vide et morte la brasserie d’où partaient des rires, il devina. De son pas toujours égal, ü vint chercher son rejeton. On profita du reste de cette affaire pour m’apprendre — et de la bonne façon — qUe je ne devais point m’écarter de notre logis. D’après H. Béraud. (La gerbe d'or. Les éditions de France, édit.J

Pataud, dit Tibête

C’était im gros chien des Pyrénées. Il s’appelait a aud et devait ce nom à son aspect lourd et rustique. Jamais on ne vit deux êtres unis d’une plus roite et tendre affection que Pataud et l’enfant de son maître. to'^e ^bé fourrait ses petites mains dans l’épaisse Qu’8^ ^ ^onne bête, et lui tirait les poils sans $ c fît mine seulement d’y prendre garde. un ^endait, dans l’après-midi, au fond du jardin, dem^^^ ^aP^8 sur ^eQue^ 8e rou^^ l’enfant a g. sous la surveillance de Pataud. h m • bébé criait, le gros chien s’élançait vers des ^^ e* ramenait la maman, la précédant avec c gnements d’yeux et des gambades. deS Premiers noms que l’enfant sut dire, PataudeUX de PaPa et de raaman’ fut Celui *1 p

1 appelait aussi Tibête. ^^ ^.^

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C’est qu’un jour, comme sa mère lui disait : — Dis Pataud, mon chéri, voyons, dis Pataud. — Taud, avait répondu l’enfant. — Non, dis Pa-taud. — Taud, avait répété bébé. — Mais dis donc Pataud, petite bête ! — Tibête, s’était-il écrié. Et le surnom était resté à Pataud, que l’on appelait de temps à autre Tibête et qui ne s’en fâchait pas. Il ne se fâchait de rien, quand il s’agissait du petit. Un jour, on entendit le chien qui poussait des cris de douleur ; c’était comme une espèce de râle. La mère eut peur. Elle courut et vit son bébé qui, de l’une de ses deux menottes, avait saisi la langue de la pauvre bête. Il s’y était accroché et tirait de toutes ses forces en riant. La mère lui fit lâcher prise et lui donna, par manière de correction, une petite tape sur la joue. Le chien la regardait avec des yeux suppliants, et il avait l’air de dire : « Mais non, ça ne m’a pas fait mal ; c’était pour rire ; ne le grondez pas ! » Bonne bête, va !

Francisque Sarcey. (Grandeur et décadence de M inon- Minette» Ollendorf, édit.J

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La main dans la main de sa sœur aînée, il s'avance avec assurance sur le chemin. Il est docile, poli et confiant. Les hommes posent la main sur sa tête, et, lui prenant un peu de joue entre deux doigts, ils disent : « Oh ! le gentil petit garçon ! Comment s'appellet-il î » On lui dit : « Réponds au monsieur ! Comment t’appelles-tu ? » Il dit : «Je m’appelle Charles. * Tout lui est sujet d’étonnement : le vents la lune, le brin d’herbe, les fleurs, les bêtes. Il qnesûoinubeaucoup. Il demande, par exemple : « D’où vient le vent î » ou bien : * Pourquoi lft> chèvres ont-elles des cornes 1 » on bien ; * Qu'y a-t-il derrière le Jura et qu’y a-t-il derrière le cm- ’ * De telle sorte que sa mère le dénomme un tourmentechrétien. « Oh ! quel petit t ourmente ohrèDer #s fais ! n s’écrie-t-elle souvent. Quelquefois, cependant, on lui répond. Qo#m en 111 a ^P°ndu, il ne doute plus. U croit-. 8 acquitte de menus offices, comww de pntW une lettre à la poste, ou do V' L^xreW^ ^^^ voisine dans un petit pan ci d’un linge. vi*d^r"'*’***1^ Fréquentant une écolo enhm ' ^»^* ^’^ lui révèle la science, il y *c*- ^* ^ des petites filles qui, quoique ^^^ dirigent, le morigènent et lu "" n* ^.^^ H court après les piqdllou*. '^ ^ ^^ Amasse les scarabées, s»mn o x^\ X>** ^ d^ pissenlits, et M’amuse d W* farine qu’on lui a donnée.

Le bout ¿’affaire

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11 pleure souvent et pour rien, quand il tombe par terre, quand il se donne un coup, quand on lui a pris son arche de Noé. Son désespoir éclate en cris soudains, stridents, décisifs. Mais, un rayon de soleil brille, ou quelqu’un lui montre une affaire inconnue, adieu les larmes ! le désespoir est envolé, et sur les roses mouillées, le sourire du soleil se met à refleurir. D’après Ph. Monnieb.

La tartine dé Fanchon

Grand’mère donne à Fanchon une pomme avec du pain et lui dit: — Va, mignonne, va jouer et goûter dans le clos. Et Fanchon va dans le clos, où il y a des arbres, de l herbe, des fleurs et des oiseaux. Déjà elle a tiré son couteau de sa poche pour couper son pain, à la mode du village. Elle a d’abord croqué la pomme; ensuite, elle a commencé de mordre au pain. Alors un petit oiseau est venu voltiger près d’eUe. Puis il en est venu un second, et un troisième. Et dix, et vingt, et trente sont venus autour de Fanchon. H y en avait des gris, il y en avait des rouges, H y en avait des jaunes, et des verts, et des bleus. Et tous étaient jobs et üs chantaient tous. Fanchon ne savait point d’abord ce qu’üs lui voulaient. Mais elle s’aperçut bientôt qu’üs voulaient du pain et que c’étaient des petits mendiants.

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La tartine de Fanchon

C’étaient, en effet, des mendiants, niai cœur aussi des chanteurs. Fauchon avait rop ng0Q8 pour refuser du pain à qui le payait par e gèrent Et elle leur jeta des miettes qui ne p^ point à terre, car les oiseaux les saisissaie tQUg Fauchon vit que les oiseaux n’avaien & ses le même caractère. Les uns, rangés en . aggent Pieds, attendaient que les miettes leur v0]ti8°us le bec. EUe en voyait, au contraire, q Elle geaient avec beaucoup d’adresse autour nt 8 avisa même d’un voleur qui venai e Picoter la tartine. . s ^ tous. ®Ue émiettait le pain et jetait des mi reconnut ais tous n’en mangeaient point. Fane ia:gsaient ^ les Plus hardis et les plus adroits ne U«s. en aux autres.

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— Ce n’est point juste, leur dit-elle ; il faut que chacun mange à son tour. Miette à miette, la tartine passa tout entière dans le bec des petits chanteurs. Et Fanchon rentra dans la maison de sa grand’mère. A. France. (Nos enfants, Hachette, éditJ

Les quatre heures A quatre heures, sous un arbre, on boit le café.

Une petite fille bien sage L’a apporté dans un panier, Avec le pain et le fromage ; Il est ni froid, ni trop chaud, Mais il est juste comme il faut.

Les hommes et les femmes sont assis en rond, Chacun sa tasse à la main ; ils parlent Du temps qu’il fait, de la moisson Qui va venir, et des ouvrages Qui changent avec les saisons, Mais sont toujours aussi pressants, Alors on n’a jamais le temps... Le temps de quoi ?... on se demande. Un oiseau bouge dans les branches, Les sauterelles craquent dans le foin... Oui, le temps de quoi ?... Et on se regarde. Mais dès qu’on a vidé sa tasse, Dès qu’on a mangé à sa faim : « Est-ce qu’on y va ?... » Vous voyez bien : On n’a jamais le temps de rien. C.-F. Eamuz.

(Les six cahiers, Payot, édit./

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— Tu n’as pas vu les petits ?

Le goûter des petits

demande Alphonsine. — Ils étaient là, il y a un petit

r^XaXp™...... f« ’ _ Non, maîtresse. — Et alors 1 ü tout de suite Alphonsine jette un co P . il y a le puits ; sévère sur l’alentour. Il y a a posés, même en il y a les gros pièges à renards tout poses, plein jour. — Nano ’. Nano ! Nano — Lison ! crie le père. ^ troiS. Un moment de silence. Us écoute Mais les petits ont répondu : ~ °ui ’* de l’herbe qui les En même temps, ils sortent ^ ^ ^ cachait. L’aîné, Jean, mène un aerr*. main. De l’autre main, ils tiennent-, un grand calice de colchique. — Ze m’avais fait mal, dit la fi 1 ^uîmiU Alphonsine est venue devant es ' ^^^ »w#> avec une grosse miche de pain. E 1 dans la poche de son tablier. Tiens. ,. * ti^u^ Ea petite fille tend la main et reçu! saches et deux noix. Tiens. Elle se tourne du côté du polit Î^'1 ,‘ “"’ - '* 1Joseph ne dit nas ==££?&£=

¿ouee. foire où ]’On « ^ 1« d0Inc

lues de campagne.

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...Et Joseph connaît maintenant le plaisir d’avoir de 1 argent à soi, dans sa poche. Il ne dépense jamais rien. Un sou de gagné, c’est un sou d’économisé. Il connaît le plaisir d’avoir un chien docile qui ramène les moutons lambins et les serre de près, fou8'!^8! h*01^’ et le pIaisir d’avoir un fouet. Il . e de bons coups qui cassent les oreilles et au T 1^Sent par Ie ^age- La mèche usée, il s’assied n Or ^u f°ssé, quitte un sabot, une chaussette, fress ^ °Ue* ** son orte^» et> fa jambe raide, il se eS ^°^s fréquemment mouillés, une longue he de chanvre neuf. Jules Renard.

R ntrée du troupeau

En Provence ’, c’est

Dent les L l’usage, quand nenAlpes aIeur8j d’envoyer les moutons dans les haut i ^68 et £ens Pas8ent cinq ou six mois làVentre °^S à la belle étoile, dans l’herbe jusqu'au redegQ * ^8’ aux Premiers frissons de l’automne, ou ^‘^collit la ferme et l’on revient brouter les Do c°fÜne8 grises que parfume le romarin. le inaf0* h*er 80^> les troupeaux rentraient. Depuis les ber $ le Portail attendait, ouvert à deux battants ; Coüp geries étaient pleines de paille fraîche. Tout à ^'bas Vers ^e soir, un grand cri : « Les voilà ! » et eer. j^ aa lointain, nous voyons le troupeau s a' an* ^^®Jieux béliers viennent d’abord, la corne en Gt L^oi'enc* ^°nnCT des coups do fouet. 8 Alpeo " Province du sud do la France, entre maritimes.

Rhône

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avant, l’air sauvai • h ‘°^ les mères uu’peuT ^ k gIOS d® «oudans les pattes ; puis j ,SSes- lei1« nourrissons J^qu’à terre, et les deux . ^ des langues manteaux roux. on U ^ Sen^Ou^re i- d aut n°us ioven^ le portai IIZtT' Quel émoi dans IRnn I T _ dormait se réveille en^n ” ’ Le poula üler1 laut voir saut-. Tout sur Pied : pigeons pen Rsur "r— Tôt le gui s’enmonde La est basse-cour est commet’ f^0118. Pintades Passer ]a nuit!.. On •? IeS pouIes parlent s: ^ •• r. .

et qui fai^da de Cet ^ vif des monfUni dAIpe sau' gagne son gîte Les

t0Ut Ce train que

r

,W’ 1* Plus tou n ^ ét°MeiX^et ne““ ^^Tto«^ les chiens, cbien de gardeV^ qU’eUes dansT"^ après Wche 1 le seau du ^U les “PPeler a, t ferme- Le beau leur faire si^111^’ toufc PJein d’ f°nd de 8a

DAUDEæ-

’ Nelson, édit.j

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La ferme au point du jour

■^u petit jour, le coq chante dans la vaille ; Médor, le chien, se reou trois fois ; bruhL 6 dans Ies bois sonores ; les feuilles dans l’^lée°iUS 16 premier ray°u du matin. En bas, d’un pas / ° garç?û de Iab°ur chantonne et marche la lucarne d»^ entre dans la ^an^e et ouvre rage aux euil sur l’écurie pour donner le four^ugissent f6^8' ^eS c^a^nes remuent, les bœufs vont et ‘ °U^ bas’ comme endormis, les sabots fruits jjV,ennen^ Bientôt la ferme est pleine de va, vientanS C°Ur’ Ie C0^’ ^e8 Poule8> Ie chien, tout ®inière ’ Ca ^ «gardent Jusqu a ce qu’ri ait tourné au coin de la rue J’aurnisT^ -qU,il revienne ’ dH la vieille dame. En Peut-etre dû lui demander un acompte. honnêtP Rassurèrent en jugeant qu’il avait l’air trouv • d’ailleurs pour cinquante francs, où __ rïeu^ chambres aussi confortables f du 1 $audoche apporte des draps frais au lit d’eauV ^^ ^an^S $Ue sa P^e-fille approvisionne cor h -i^ fco^e^^e et déménage le mannequin avec les Ceei >CS ^e cou^ure, dans la salle à manger. hab'f n eSt $as saD8 re&ret Que les deux temmes er°Qt’ 8Ur Vautre côté du corridor, deux pièce» tioq^Î ^eQ ^airées ! La vue de la Moselle, l’animaQuai, ses arbres et la rumeur des moulins fois ^Sa^D^ une société agréable. Pour la dernière 8ol -1 eIIeS latescnt toutes les portes ouvertes, et le 0$ ®* qui brille dans les chambres garnies leur paraît °uheur d’où elles sont exilées.

D’après M. Babbés. (Colette BaM*, ^'

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£e matin à la boulangerie dans le plancher.

X^ dU — *Æ^ ïe^ C’est un matin d’hiver bonne, me débarbouille et’ ^^u qUe Sophie> la ^^s^mihers montent de la b^6’ J’écoute- Des les mejnes chaque matin L ^"^^e. Ce sont cette heure, on pétrissait’J™ C0Ilnai8 bien. A c auffait le grand four 1 dernière fournée, on les tisons, avec le grondement le ' de fer braS8ait entends les bâiUements dud Un.tonnerrelointain. 2 cCî,t““ 16 brasier. ^ °UVert tout La Gerbe disent“bpf"^d’aUerà

É?=SsS~;

ES-?âK“££î

Ch/ °D’ ici ! ^cendiée du four Chaque matin, il y a 0 a avant d’aUer à leur« h e réchauffant un m Hères ^ bes°gnes Hûn UD Moment

ï^^^^X 1 Instrument eu

^e rat 2 avec

^tt^iU^ ^“XeV?^ )M.èr

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emette nouée comme un foulard autour du cou. VOtre g08se’ disent'il8 à mon père, P le flatter. Mais lui, penché sur le banc du four, yeux cuits par le feu et la fumée, ne répond pas. Henri, c’est l’heure ; en route et va tout droit ! c on capuchon agrafé, me voilà parti tout seul, Un P^it1 homme. Je suis la bordure du ro toir en réglant ma marche pour poser tous les eux pas mon pied sur les joints des pierres. Comme Ce a, le temps dure moins.

D’après H. Béraud. (La Gerbe d'Or, Les éditions de F rance, édit J

^a vieille bonne

Chaque jour, après le déjeuner,

, la vieille Mélanie, — notre cuisinière — dans sa chambre sous les combles, c Ouïssait ses souliers plats qui reluisaient, nouait * evant sa glace les brides de son bonnet blanc à avolet1 de dentelle, croisait sur sa poitrine son Pefcit châle noir et l’y fixait par une épingle. Elle ermait à clé la porte de sa chambre, descendait Vec moi l’escalier, s’arrêtait, stupide, dans e ^f^ule en poussant un grand cri et remontait cipitamment l’escalier jusqu’à sa mansarde pour ^Prendre son cabas2 qu’elle avait oublié selon son ’

m?rc«au d’étoffe fixé derrière un bonnet ou un qui couvre la nuque. ,er plat en paille ou en laine.

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La vieille bonne

antique coutume. Elle n’aurait jamais consenti à sortir sans ce cabas de velours grenat qui contenait son tricot sempiternel1, où elle trouvait au besoin des ciseaux, du fil et des aiguilles et dont, une fois, elle tira un petit carré de taffetas d’Angleterre pour le mettre à mon doigt qui saignait. Elle conservait encore dans ce sac un sou perce, une de mes dents de lait et son adresse sur un bout de papier, afm, disait-elle, que, si elle mourait subitement dans la rue, on ne la portât pas à la morgue 3. 1 Sempiternel : qui dure toujours. 5 Lieu où l’on expose les cadavres de personnes inconnues.

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Quand, descendus sur le quai, nous tournions à gauche, nous donnions le bonjour à Madame Petit, la marchande de lunettes qui, siégeant en plein air, près de sa vitrine, sur sa haute chaise de bois, droite, immobile, le visage brûlé du soleil et de la gelée, gardait une tristesse sévère. A. France. (Lb Petit Pierro, Calmann-Lévy, édit J

Dans la rue Mouffetard

Ce matin, maman m’a emmené au marché de la rue Mouffetard. C’est une des plus vieilles rues de Paris, étroite, qui descend de la montagne Sainte Geneviève, Sur la chaussée en pente, les passan s se pressent et se bousculent. Quand une auto veu Passer, c’est toute une affaire. Heureusemen q n’y a pas de tramways et d’autobus. Ils passen la rue Monge, qui est parallèle. ... J’aime la rue Mouffetard. Elle ressemble » nulle choses étonnantes et diverses ; elle resstmi , ( ^^ fourmilière dans laquelle on a mis e , ^^ ^ ^semble parfois à un torrent qui gron ^ vie à elle ; elle a ses habit an set 8 iaIlde8 T°ut le long de sa pente, s'étalent e ^ • courge8 crues, d’herbes, de volailles bhnc 1 ’ médianobèses. Le flot des passants empo ^ on en tout le long de la journée. Le couieurs Retrouve de nouvelles. Les maisons so seules brutales qui .semblent les seules juste«-

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D’après G. Duhamel et La Gerbe.

fin de la nuit Parfois, l’oreille aux écoutes qu' ne dura pas. montant les marches de p ’ ®“e «“tendait un pas, e>le ramena l’édredon X el “’ ^ de A mut semblait été “eU?une souris eratto ” meuble craqua. Dehors^®58 dan8 un «oin. Un Quelque part. Dans les ^Z^0 égaré« corna «■^xc - - ““•■•■

«■.«««... ■ “««• « i. „„ w Le premier frôlement de , 6 1 au>‘e dans les vitres...

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La maison peu à peu, sortit du silence, paquebot immobile avec des humains dormant dans tous ses trous. Un plancher cria sous un pas lourd, des voix parlèrent au-dessous, une porte d’armoire grinça sur deux notes de violon criard. Puis les bruits se multiplièrent et se confondirent. L’aurore, qui fait gazouiller les oiseaux, remplit tous les étages de bavardages coupés par des cris d’enfants. Dehors, les voitures du matin, les trams lointains passèrent sur le fond sourd de cette, grande rumeur : Paris. Marion, les yeux larges ouverts, était heureuse de revoir le jour. D’après L. Delaeue-Maudruh.

« racteur

vêtu de 8a Xw pï’de"0** sur la tête, y chemin0 chaussures, appuyé sur sa cann régulières. Il le long des routes, à grandes enj j ^ quelquo s’arrête parfois pour dire un mo prendre passant ; ü fait halte en quelque ferme pour P une bolée de cidre. allX destinées. H a son sac en bandoulière, ® a franchis, Si l’on additionne les kiloni * longue», on au jour le jour, pendant es e gempiterne»® trouve que le ruban de sa , . y n,a pas vu entourerait plusieurs fois la terre . b0I1dage est des pays étrangers, son métho q escrit. U 110 lul étroitement limité dans un ray ^or«« • tordu en spirale. ^"^ CLAInE9

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importe. Son allure est toujours la même. Le long des routes, des chemins et des venelles, il avance de son même pas mesuré. Que les nouvelles soient bonnes ou mauvaises, rien ne le ferait aller plus vite ou plus lentement. Tl est comme les destinées qu’il sert, indifférent, impitoyable, supérieur à nos joies comme à nos tristesses. D’après M. Prévost.

Un brave homme J’ai descendu, vers le soir, jusqu’auprès de la ville, à l’entrée du faubourg, et je suis allé voir mon ami le maréchal ferrant. Il avait quitté le travail et détaché son tablier qui en est le signe. Sur le seuil de l’atelier large ouvert, au bord de la grande route, il respirait l’air qui venait par la vallée, et qui était doux, sucré comme le vent de printemps, et humide pour avoir traversé les bois et les vignes. — Je viens vous payer, monsieur Artaud. Vous avez ferré mon cheval quatre fois. Qu’auriez-vous dit, si j’avais quitté la campagne sans passer chez mes créanciers 1 ? J aurais attendu votre retour ! Si vous croyez que ça ne m’arrive pas souvent, d’avoir des débi­ teurs 2 en retard, d’autres qui oubbent leur dette tout à fait ! Par petites sommes, depuis que je travaille, je suis sûr que j’ai perdu plus de deux mille francs, qui sont encore dans la poche de mes cbents. i Créancier ; celui à qui on doit de l’argent » Debiteur : relui qui doit une somme.

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— Deux mille francs ! Mais, quand vous rencontrez ces clients-là, et ils ne sont jamais bien loin, je pense que vous leur réclamez votre dû! M. Artaud, qui riait, devint grave ; il reprit la physionomie qu’il avait tout à l’heure, quand, par-dessus la route, il regardait la vallée, comblée jusqu’aux collines par la brume et par l’ombre. — Non, monsieur, je ne réclame pas souvent. Je vais bien les trouver ; j’ai mon relevé de compte dans le creux de ma main. Et qu’est-ce que je vois ? deux, trois, quatre enfants autour du père ou de la mère qui me doit de l’argent. Ça n’est pas heureux ; ça change de logement sans changer de misère. Alors, je me dis : « Maréchal ferrant, ne leur demande rien ; tu ne peux pas faire l’aumône directement, ça t’en servira. » René Bazin.

Le forgeron

Les forgerons sont tous des hommes robustes. Ils ont de gros muscles, surtout des bras énormes, habitués à soulever des choses pesantes, des marteaux, des barres de fer, des roues de charrettes, des poutres Qu’ils amincissent en timons \ Car ils sont bien souvent charrons, à la campagne, en même temps Que forgerons, et ceux qui ne construisent ni tom­ bereaux, ni carrioles, savent au moins ferrer les chevaux. 1 Timon : longue pièce do bois aux côtés de laquelle on attelle les deux chevaux d’une voiture-

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Ils ne travaillent guère seuls. Le métier exige que le forgeron ait avec lui un ouvrier ou un apprenti. Ils vivent un peu sur la route qui borde leur atelier, et les plus occupés, les plus consciencieux, ne passent pas une heure sans échanger le bonjour avec le messager ou la laitière qui revient de la ville, avec le valet de ferme, qui s’informe si la pointe du soc est enfin redressée. Les petits gars à califourchon, montant les poulinières 1 qui connaissent le chemin de la forge et s’arrêtent d’elles-mêmes devant la porte, arrivent avec la nuit tombante, quand les hommes ont dételé les bêtes de labour. — Que veux-tu, mon petit ? — Relever les fers à Julie ; le patron a recom­ mandé de lui mettre de bons clous. Kaut-il attendre longtemps ? — Une heure au plus. L’heure se prolonge et la nuit tombe. L’apprenti actionne le grand soufflet pendu au plafond, et tire sur la chaîne ; le patron, son lourd visage en sueur et tout illuminé, tourne et retourne le fer dans le foyer ; les chevaux sont attachés aux boucles du mur, et attendent, la tête basse, tandis que la route, derrière eux, déroule son ruban qui diminue, tourne et se perd entre les arbres. René Bazin.

1 Poulinière : jument.

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Le forestier

C’est un état qui no convient pas à tout le monde, parce qu’on est seul dans les bois et qu’on vit là, tranquille, sans avoir affaire que rarement aux gens. Il y en a qui ont besoin de la société des autres, à qui il faut des voisinages, pour qui la solitude paraît un malheur ; le forestier, lui, se plaît dans son isolement. Rien dans la forêt ne le laisse indif­ férent. Il s’intéresse à tout ce qui se passe autour de lui ; il aime à connaître les mœurs et les habitudes des bêtes et des oiseaux. Il épie le hérisson chassant les serpents ; l’écureuil à la recherche de la faîne, le renard glapissant sur une voie de lièvre. Il connaît tous les nids : celui de l’alouette, qui fait le sien à terre, dans l’empreinte d’un sabot de bœuf, et qui le cache si bien que souvent le moisson­ neur passe dessus sans le voir; celui du loriot., suspendu entre les deux branches d’une fourche ; celui du roitelet, bâti en forme de boule, avec un petit trou pour l’entrée ; celui de la mésange, où quinze ou dix-huit petits sont pressés l’un contre l’autre dans un trou de châtaignier ; celui de la tourterelle, qui est fait de quelques branchettes croisées sans plus. Rien qu’en voyant un œuf, il peut dire, sans se tromper, à quel oiseau il appartient. Il connaît aussi une grande quantité de plantes, le moment de leur floraison, leurs qualités utiles ou nuisibles, leurs propriétés médicinales. Bref, les habitants de la forêt, animaux et plantes, sont pour lui de bonnes connaissances avec lesquelles il est en

continuelles relations.

Eug. Le Roy.

(Jarqurru la Croquant, C^mounU^, édit J

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Trois petites feuilles Le grand vent a emporté Trois petites feuilles A la fin du bel été.

La première avait grandi — Vole, feuille folle, — Sur un chêne arrondi. Le grand vent L’a cousue Au tapis de la forêt. La seconde avait poussé — Vole, feuille folle, — Sur un hêtre élancé. Le grand vent L’a tissée Dans le nid d’un oiselet. La troisième était l’enfant — Vole, feuille folle, — D’un joli bouleau blanc. ’ Le grand vent L’a -posée Sur le flot du ruisselet. A. Atzenwileb.

Les scieurs de long

Un jour que je dans la forêt, je me promenais ___ ____ vis dans une clairière un chantier de scieurs de long. Quatre hommes travaillaient là, au milieu d’un abatis 1 de chênes géants. Ils avaient de longues barbes et de longs cheveux et ils maniaient de leurs '¿bâtis: nombreux arbres abattus.

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Les scieurs de long

longs bras de longues cognées. Des planches étaient débitées déjà, et des poutres, et des solives. Sur un chevalet, une bille énorme s’étalait, maintenue avec de grosses chaînes. Un vieillard juché sur la bille et un jeune homme placé au-dessous, manœuvraient ^e grande scie. Je m’intéressai au travail des ouvriers, au mouvement de la grande scie. Je me roulai dans les amas de sciure, puis je fis une provision de copeaux de choix. Un peu plus loin, quatre bidons noirs trônaient côte à côte sur un reste de cendre grise. Une marmite sans couvercle gisait à proximité de la « loge », faite de branches et de mottes, dont le toit touchait le sol. Ue soleil projetait sa grande lumière sur cet espace

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plus clair que le reste de la forêt. Des moucherons que pourchassaient mésanges et hirondelles, s’y ébattaient par essaims nombreux. Les travailleurs, interrompant l’équarissage \ me taquinèrent avec amitié et s’installèrent pour manger, le bidon sur les genoux. L’un d’eux, plan­ tant dans la pâtée épaisse la cuiller qui n’oscilla pas, me dit en riant : — Ch’est de la choupe, tu vois, petit. Cha me tient au corps au moins, chette choupe-là. Elle est meilleure que chelle de chez vous. Quand ils eurent, tous les quatre, vidé leur bidon, le plus âgé, qui avait un collier de barbe grise, souleva les copeaux. Il mit à découvert une manière de plat, fermé par le dessus de la marmite, qui contenait un gros morceau de lard dont il fit le partage. Ils engloutirent ce lard, chacun taillant du couteau, à grosses bouchées, dans sa portion étalée sur une tranche de pain. Puis, à tour de rôle, ils se rafraîchirent, maintenant â la force des bras le tonnelet au-dessus de leur bouche — et l’on entendait l’eau glouglouter dans leur gorge. Là-dessus, le plus jeune, après s’être essuyé du revers de sa manche, déclara d’un air convaincu : Le toi Louis-Philippe n’a peut-être pas déjeuné aussi bien que moi. D’après E. Guillaumin. (La vie d'un simple, Nelson, éditj

^Equarissage: coupe d’un arbre eu morceaux réguliers.

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Je roule par le monde, parce que je ne puis rester en place. Je travaille, parce qu’il faut travailler pour vivre, et que d’ailleurs, je m’ennuierais à no rien faire. J’aime mon métier. C’est joli, l’osier, c’est propre, c’est coquet, ça prend toutes les formes que l’on veut. Je puis transporter ma fabrique et mon magasin de ven e partout avec moi. Quand je trouve un joli endroit, je dételle mon âne, je lâche Médor, je me mets sur l’herbe, à l’ombre, en plein air, et je m amuse ployer l’osier pendant que les peupliers chantent

Le vannier ambulant

au-dessus de ma tête. Qnpn™ • J’ai déjà pas mal couru, °^^ je regarde autour de moi, et j dans tout ce que je vois. , où il Je fais ma provision d’osier dans M est à bon marché, et je ven “e® p de tort à corbeilles le mieux que je peux, sa personne. j gibardin.

C’est l’heure où je vais gare porter mon n, parce que j i CenèvequimePrcndt ‘ trouvé un marchand de G ma pêche. . va très bien, à C’est un arrangement qui t étre sûr lui comme à moi ; à lui, P°f à mOif parce que qu’il a toujours du poisson » ma vente est assurée.

»

Le pêcheur expedie son poisson

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Je prends sous mon bras le grand panier carré à couvercle et bien ficelé, et je me mets en route. Pendant que je suis loin, John vide le bateau, met sécher les filets. C’est moi qui me charge de l’expé­ dition, il est trop insouciant ; il n’arriverait jamais à l’heure. La gare est un peu en dehors du village, parce que la ligne évite le bord du lac à cause des courbes qu’il fait. Il y a le chef de gare : il me signe mon carnet. On voit sortir là-bas, de derrière un talus, un panache de fumée blanche ; puis, au contour, le devant noir de la locomotive apparaît, et pendant que les freins grincent, je cours vite au fourgon. On me connaît au fourgon. Le conducteur sait qui je suis ; et le serre-frein à blouse bleue se penche par l’ouverture carrée où il y a une barre d’appui. — Ça a bien mordu cette nuit ? Mordu n’est pas tellement le mot qui convient, quand il s’agit de poisson pris au filet, mais il n’y regarde pas de si près. — Comme ça, dans les cinq kilos. On voit descendre un commis-voyageur, ou bien un marchand de bétail, qu’on reconnaît à sa canne à lanière de cuir. Le chef de gare se tient au garde-à-vous à côté de son tonneau de lauriers roses. Tout est prêt : le conducteur siffle en levant le bras. D’après C.-F. Ramuz.

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Petrus le marin

Petrus est un marin qui ne parle jamais le premier, et répond avec difficulté quand on l’interroge. Dès que son bateau touche Anvers, il arrive à l’improviste chez sa sœur et s’assied, sans souffler mot, à la cuisine. Sa sœur lui sert un bon repas. Le soir, il part comme il est venu, disparaissant pour six semaines, ou pour six mois ; parfois, me semble-t-ü pour des années. Toujours vêtu de même : chandail multicolore, pantalon à pattes d’éléphant, casquette . anglaise. H a le poignet tatoué. J’y vois .me ancre bleue, chaque fois qu’il porte son verre £ J’essave de lui faire raconter des «histoires de voyZ » Je l’obtiens rarement, il n’en sait que a-~S une histoire de la me» racontez, s’il vous plaît ! v avait une H ôtait sa pipe et — ine ^ X disait :

fois, un marin et un c P n Le capitaine «Je ne mangerai pas » Et le marin disait: «Tu --^’pasd“ biscuits. ■ Et te ^‘l “J° “t“«Et erénom, tu mangeras des capitame disait. « ^ 8aCré uom de... biscuits »; et le marin disait « Et

je ne mangerai pas do 1801 ” à ce moment. Il Petrus s’interrompa ■ * petrus ? » fallait lui demander : « ’ Jauger, voyez-vous, — Eh bien, il a fœ» P rcprenant sa pipe. disait-il avec un gros soupir, P (Les arbre et U w»^ Bibliotbèq

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Fonse, le distrait

Les mardis, Mélanie part avec ses paniers, livrer le beurre et les œufs, aux clients de la ville. Elle porte sa jupe à plis du dimanche, son châle à pointe et sur sa toque, une rose rouge. Quelquefois une migraine l’empêche de partir ; c’est Fonse, le distrait, qui la remplace ! Jusqu’à son retour, on tremble dans la ferme. Fonse s’embrouille dans ses comptes. Fonse remet le beurre où il faut des œufs ; Fonse acquitte la note, et oublie de ramasser l’argent. Un jour, il est revenu sans beurre, sans argent, sans panier. Il les avait déposés quelque part. D’après A. Bâillon. (En Sabots, Rieder, éditJ

Le marchand de jouets mécaniques

C’est un camelot. Tl se promène lentement dans la rue et s’arrête quand il juge l’endroit et le public favorables. A la main, il tient une ficelle qui n’a l’air de rien, et qui cependant joue pour lui un rôle considérable. Il prend tout à coup dans son sac quelque chose qu’on ne distingue pas bien. Il passe sa ficelle dans une ouverture, 1 enroule en quelques tours rapidement donnés. Puis il se baisse, d’un mouvement précis, tenant d une mam le jouet qu’il pose par terre, et de l’autre tirant vivement la ficelle. Et voilà sur le trottoir, courant en une course folle, un petit soldat de fer-blanc bizarrement colorié, remuant les jambes tant qu’ii peut, secouant les bras.

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Le marchand de jouets mécanique

Cependant, l’homme ^ ^ b voici un petit lapin, ba rsuite du soldat, grosse caisse, qui se met bouhomme, Puis, c’est une brouette qu P unc pctite un papillon énorme battan. aérOpiane volant voiture attelée d’un cheva o 8Ur trottoir au-dessus des têtes... Tout ce a autour d’une des arabesques1 bizarres, ® j ge hâtent, piste imaginaire. Et les P1 ne pas bousculer s’arrêtent et se détournen , 1 oinbrant8. et écraser ces jouets fragi es gujet8 ; à mesure Le marchand sujette *0’11 nte et le remet en que l’un d’eux s’arrête, i 1 Arabesque* : dessin forme

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mouvement. Les enfants s’extasient, ouvrent des yeux ravis devant ces jolies choses, ces personnages, ces bêtes qui marchent toutes seules ; ils s’émer­ veillent devant de pareils prodiges. Tous ces jouets sont frais, pimpants, luisent au soleil de toutes leurs couleurs éclatantes. Ils doivent exiger pas mal de travail des ouvriers qui les abriquent. Et pourtant ils sont si bon marché... Pour dix sous on a quelque chose de très bien, vous savez ! Et si vous y mettez un franc... Oh ! alors ce sont des articles de luxe... vous avez tout ce qui se fait de mieux ! Et avec chaque jouet on vous donne la ficelle nécessaire pour la mise en marche, la ficelle motrice.

Noël Derrière leurs paupières closes, A l’ombre des rideaux amis, Les bébés blonds, les bébés roses, En riant se sont endormis.

Et, jusqu’à l’heure où l’aube enlève Les étoiles du firmament, Ils ont fait un si joli rêve, Qu’ils riaient encore en dormant. Ils rêvaient d’un pays magique. Où l’alphabet fût interdit. Les arbres étaient d’angélique1 Les maisons de sucre candi. 1 Angélique : plante dont on confit ^•'fit 1P8 tiges dans du sucre.

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Puis, sur les- trottoirs de réglisse, On rencontrait — c’était charmant ! — Des bonshommes de pain d’épice Qui vous saluaient gravement.

Dans ce doux pays de féerie, A Guignol on va chaque jour, Et l’on voit, sur l’herbe fleurie, Les lapins jouer du tambour. Sur de hautes escarpolettes, Bercé par les anges, on dort. Là, tous les chiens ont des roulettes, Tous les moutons des cornes d’or.

Mais, comme venait d’apparaître En personne le Chat Botté, Le jour, entrant par la fenêtre, A mis fin au rêve enchanté... Alors, en d’adorables poses, S’étirant sur leurs oreillers, Les bébés blonds, les bébés roses, En riant se sont éveillés. Bosomonde Gérabd. (Les PipMua, Fasqnelle, éditJ

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Aprè.

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«a.

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M décembre. La voix lente 2 matin du trente et a Par«. Et tout s’est „nTT de U CIë~ du bout de l’an. Dans ies^tP?ssé Se!on ,es usages a été mangée. De maison en ^ la dM ça monte. Michel, alors, attache les ■ du frein et il commence à m^r ¿J? ’T“ en laissant les chevaux alUr i g traaqutilement, Ceux qui sont dans la T^ du temps toujours les mê 6’ C ^ la pluParfc lavande qui vient des vilu/^ : Un acheteur de CS de la côte, un Camous,

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ou un nom comme ça ; un berger qui monte aux pâtures, et qui taille régulièrement dans son pain un morceau pour lui, un morceau pour son chien ; une maîtresse de ferme, toute sur son « tronte-ot-un » de la tête aux pieds ; et une de ces filles des champs qui sont comme des fleurs simples, avec du bleuet dans l’œil. Quelquefois il y a, en plus, le percepteur et sa serviette, assis côte à côte, comme deux personnes raisonnables. D’après J. Giono. (Un de Baumugnee, B. Graaset, Mit J

Mme Relier, l’aubergiste, lança un regard à l’horloge, un carillon Westminster qui jouait à chaque heure un air simplet. — Le voici... On entendait au bas de la côte, l’auto-car qui se mettait en première vitesse et dont le klaxon ai bien connu. On le sentait peiner. On comptai virages. — Il passe sous la Pierre-Fendue... ., f Le bruit de ferraille s’accentuait. Sou ♦ car 8e profila derrière les vitres, s’immobilisa

L’arrivée de l’autocar

criaillement de freins. D’autres Trois voyageurs pour le Grand_ ^ ^ Qui allaient plus loin descendiren P un v^e de bière. Le chauffeur P08* ^KeUer avait 8ac de pommes de terre que commandé. D’après G. S^on.

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_ Caen !... Les voyageurs pour Cherbourg continuent... Les voyageurs । pour Ouistreham, Lion-sur-Mer, descendent. Il est sept heures du soir. L’air est humide ; sur le quai, la lumière des lampes perce à peine la couche laiteuse. — Pour aller à Ouistreham ? demanda papa à un employé, tandis que la foule nous bousculait. — Il n’y a plus de trains. L’hiver, le petit train ne fait la route que deux fois par jour. H y a des taxis devant la gare. Le taxi qui s’avance est une ancienne voiture de maître, aux coussins défoncés, aux jointures qui craquent. Nous sommes serrés dans le fond, car les strapontins sont démantibulés. Je suis coincé entre mes parents, qui m’écrasent tour à tour, selon les secousses de la voiture. Au sortir de la ville, on fonce vraiment dans un mur de brouillard. Un cheval et une charrette naissent à deux mètres à peine, cheval fantôme, charrette fantôme ! Et ce sont des arbres fantômes, des maisons fantômes qui passent aux deux côtés du chemin. Le chauffeur doit ralentir l’allure. On roule à dix kilomètres à l’heure à peine ; soudain les freins grincent. Un cycliste a jailli de l’ombre et a heurté une aile. On s’arrête. H ne s’est fait aucun mal. On repart dans la brume. On la couperait au couteau. Enfin on arrive au village d’Ouistreham. Un bout de route s’approche avec des rangées pâles de becs de gaz. A 1 angle d’un pont, une fenêtre éclairée, du bruit, des éclats de voix.

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— Le Café de la Marine, dit papa. A ce moment, il baisse la vitre : — Vous irez jusqu’au port et vous franchirez le pont tournant... Arrêtez-vous à la maison qui est inste a côté du phare... D’après G. Simenon.

baraue En barque

Mu petite barque, ma chère petite toute blanche avM un ^t

bleu le long du bordage, .^V~^Æ mer calme, endormie, épaisse e ^ ’oulaitl d’un bleu transparent, liquide, ou la lumière bleue, jusqu’aux roc e8 . toutes Les villas, les ^lles "Uas “ blanches regardaient par leurs ^fg ^ leurg Méditerranée qui venait caresser palmiers, jardins, de leurs beaux jar ^ testoujours d’aloës, d’arbres toujours ver en fleurs., . doucement de Je dis à mon matelot qui r^n m(jn ami Poh s’arrêter devant la petite Por a. «pol, P°h Et je hurlai de tous mes poumons. pol ! » , pffaré comme un U apparut sur son balcon, homme qu’on réveille. pébiouis*ant> “ Le grand soleil d’une eur couvrait ses yeux de sa main. tour au large » Je lui criai : « Voulez-vous air U répondit : « J’arrive. • montait J«®* ma Et cinq minutes plus tar » Petite barque.

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En, barque

PoldavL^^^

78 la haute mer.

lu le matin, et, couché auT™? \ ^ n’avait Point à le parcourir. °Qd du bateau, il se mit Moi, je regardais la terre A gnais du rivage Ia vin A,n,esure que je m’éloijolie ville blanche connhA entlère m’apparaissait, la bleus. Puis, au-dessus f ^ ^^ aU b°rd des fl°fca premier gradin, un grand h P^^ière montagne, le de villas, de villas blanch ^ ^ saP*ns’ Plein aussi gros œufs d’oiseaux géanM U’ pareilles à de approchant du sommet et s ^1Ies/’espaçaient en une très grande, carrée unh* iaîte °n en v°yait blanche qu’elle avait l’air a» Ot^ Peut-être, et si matin même. a avoir été repeinte le

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Mon matelot ramait nonchalamment, en Méri­ dional tranquille ; et sous le soleil qui flambait au milieu du ciel bleu me fatiguant les yeux, je regardai l’eau, l’eau bleue, profonde dont les avirons bles­ saient le repos. ~ r G. de Maupassant.

La vie des humbles

Un jour, maman revint d’une course en ville avec un énorme ballot qu’elle ouvrit le soir sur la table. C’étaient des pantalons d’hommes, tout coupés ; il ne restait qu’à les coudre. Maman se mit au travail et veilla, par la suite, une grande partie des nuits. Elle avait trouvé cet ouvrage dans une maison de confection. Maman disait : « Ce n’est pas très bien pay , mais ça nous aidera beaucoup. Nous pourrons joindre les deux bouts. » Je lui disais parfois : Comme tu couds bien! ■— Comme tu couds, maman ! Elle répondait : — C’est ma vie. „ /lonta EUe aspirait un peu de 8alive “‘^f qu'eUe trouvait le temps de sourire. U ajoutât: . ..m’aider... — Si seulement, j’avais une fille en âge même On travaillerait ensemble et ce ser le Plus gai. Mais, rien que la petite Cécile et,

r®Bte, des hommes! . rtains voisins se Les choses allaient leur train. coQ^re qui les Plaignaient à cause de la machine habituer. «■»Pêchait de dormir. Il» firent P» -

— 200 — il il

H. ”

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Une nuit, je fus éveillé par je ne sais quel cau­ chemar. Je ne pouvais plus me rendormir. Papa, couché déjà, somnolait à mon côté. Je voyais, de loin, sur le parquet, un filet de lumière venu de la salle à manger ; mais je n’entendais aucun bruit. Ce silence mortel finit par m’effrayer si bien que je me levai sur la pointe de mes pieds nus et marchai vers la clarté. Maman dormait aussi devant la table, la tête dans son bras reployé. Elle était pâle et respirait mal par sa bouche entr’ouverte. Comme je lui touchais le bras, elle s’éveilla, m’aperçut et se mit à pleurer. Elle m’avait pris sur ses genoux et me serrait contre elle pour que je n’aie pas froid, en chemise ainsi, pieds nus. Elle pleurait tout bas, tout bas, et disait : — Va te coucher, Laurent. Tu seras fatigué, demain pour aller à l’école... Tes pieds sont froids. Laisse-les encore une minute dans le creux de ma main... > Georges Duhamel. (Le Notaire du Havre, Mercure de France, édit.J

Perdre sa place

En rentrant à la maison, Louis Bastide trouva son père et sa mère dans la cuisine. Tous deux se tai­ saient, l’air accablé. A l’arrivée de l’enfant, Madame Bastide se leva et parut s’occuper de la soupe qui était sur le feu. Mais eUe y mettait de l’affectation L i Affectation: manière d’ôtre ou d’agir qui n’est pas naturelle.

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Le père reçut distraitement le baiser de Louis, ne le regarda pas. Il avait des yeux que le petit garçon ne lui avait jamais vus. Louis posa un à un ses achats sur la table, sans dire un mot. Sa mère, au bruit, se retourna, aperçut S paquets, ne sembla pas comprendre d’abord nu’üs venaient faire ; puis elle jeta sur son enfan un coup d’œil rapide, où il y avait du désespoir deEUetprnTeTpaquets, les rang^dans^l^buKet,

Louis étouffait de l’envie de p curer ^ n y eut encore un long —¿^ déUvrer père, ni la mère, ne pre“'e ble où il était. On l’enfant de la situation m , aner ne lui disait même pas de s’asseoir, ou

dans une autre pièce. .. terrogèrent des yeux. Enfin les deux parents s mte K ^,. Et la mère dit lentement, .ace -Louis... Papa vient de ^^/unesavait L’enfant les regarda, l’un, pu ou ge taire pas s’il allait se jeter à leur c°u’Pd,0I1VTir les lèvre« de toutes ses forces. H se con en comme Quel‘ et d’écarter un peu les bras à une cata»qu’un qui assiste, paralysé trophe où il ne peut rien. goMAi^6(Le* Humble»’’

1 Unie : indifférente.

£a main "e l'homme

besoins. ^ leUre «^s pour fo^ ^J^ ^ Avec tous ÏQ™ et alors ÛIaLQ8> ils se sont r k • et se nourr °û^ PU 8e ^tir de la f ri^ des armes, mains, asso^-fe Sa Chair- ^s se °Urrure de J’animai chamP8 * t* ^^lleX^ ^ et le^ P^^ ^ aits ’ b^ CUltivé ies

a cessé de Courir avec eux, eteS^~ instruite. Aujourd’hui er» des lignes téix ^^des routpa 5edent toutes ¿^^^ d’inno^8 ehQTni™ de ^Primer pnj Co°^es: brablesnavires champs sont cultivé ^«sent des °° écn't et on ‘?“‘ «c'a vous v‘rr ®e^ez bien ’T ’ *«“ les est la main touj°ws tàl’originede monde. 1 homme qui a ^^ de l’homme, far'^ ^d „ ““^ ,a fa«e du «liguées, c’est v 1 °ütiI tomh lutt ^ raQla8sere°U8’,Pefc^ ^ains ^ 008 maùw ^ * le p4C'« vous ^ ^ enfants, °atmuerez la M- Guéchot.

Nourritures Puisque nous avons été sages que nous avons bien chanté, p^^^'Uous ce qui se mange, Petite mère, racontez. Ce qui est plus blanc que le linge h qui sent la ferme et les champs, t les hameaux et les villages, acontez-nous le lait, maman. Ce qui eg£ 8j beau, si fragile, * rond, ni carré, ni pointu, que l’on trouve sous les poules, Paconte-nous les œufs, veux-tu f Ce qui fond si bien dans la bouche qu’on trempe dans son café, Ce qui nous tache et qu’on nous cache, je sucre, maman, racontez ! Georges Dukamel. (Voix du vieux monde, Hengel,
“■WM. . Mv Vai8 ^’y conduire, tu verras ce que c'est ; limite .

^^^^ÿ^^^Vt^é, étrange. ■ craintif, qui a pour de son ombre.

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। ■‘

Je m’étais encore rapproché et, voulant participer autant qu’il m’était possible aux louables efforts du cocher, je m’étais placé près du rouleau, entre les bras de la voiture, et sans y songer, je répétais, moi aussi : — Allons, Coco ! allons Coco ! tu vois bien que ce n’est rien. Cependant Coco était arrivé, quoique non sans peine, auprès du rouleau, et il soufflait, soufflait, et jetait la tête à droite, à gauche, pour ne pas voir. Mais le cocher y mit tout ce qu’il fallait de patience. Une fois la bête un peu rassurée, il la fit avancer pas à pas le long de la voiture, lui tenant la tête tout contre ; j’étais dans l’admiration. Enfin, quand Coco eut dépassé la machine, et comme il manifestait le vif désir de s’en aller au plus vite: Non pas, lui dit ce cocher modèle, allons-y encore une fois, il faut que tu t’y habitues. Et il le fait retourner à l’épouvantail, et le tint quelques minutes en sa présence, toujours lui par­ lant, lui tapant sur le cou. Et quand Coco eut bien vu la chose, par devant, de côté et par derrière, quand ses genoux eurent cessé de trembler, quand ses oreilles furent au repos, et que, sous ses oreillères, on vit ses yeux rassurés, alors, doucement, toujours doucement, ce maître cocher, digne de conduire de8 hommes’ remonta sur son siège et dit : aintenant, Coco, tu peux aller, mais pas trop vite, nous aurions l’air de nous sauver. Et oco partit au petit trot, comme il était venu. A. Vessiot.

(BtWwtWçue d'éducation, Belin, éditj

— 223 —

Le cheval et le chien

Un jardinier s’aperrrr n wc qu’un tas de carottes «grauMMi dans la cave dimiaski: »siÉbr-

ment. Caché derrière une porte et armé fu bi» t guette le voleur. Que voit-il ! Son chitz- ni «» caniche, qui s’avance en tapinois, s airéiMt. * Mi­ sant, regardant, rasant les murs. Le chien saisit une carotte dans sa r^» « s’enfuit dans l’écurie. Le jardinier le î:l ' dant par une lucarne, au lieu d entrer. spectacle aussi touchant qu marteau® ' ' chant d’un vieux cheval malade» son • litière et son ami, le chien dépose U cm**** mangeoire et s’en va en chercher dMK -* m seconde, une troisième, etc. ^^ •f* A chaque carotte qu’il apport e.^^^ àr* * ** avec joie son tronçon de queue * ami le cheval : « Monsieur est servi. ^^ ^ Le jardinier fit fête au '°'^5 . b^1*-* pâtée, disant avec raison que et ** i^^* aussi charitablement les autre* etre bien nourri. .^ — ^

— 224 —

Bergerie Rose, parmi les moutons gris, L’enfant cueille la marguerite. Un chien noir aux flancs amaigris Autour de lui jappe et s’irrite. Sur les toits lointains des hameaux Sonnent les cloches du dimanche, Le printemps verdit les ormeaux, L’aubépine des bois est blanche. Un peu de vent remue au loin Les peupliers bordant la route. Parmi le trèfle et le sainfoin On entend le troupeau qui broute. Stuart Merrill.

Un mot magique

On est à table. Le verre de Mimi est vide. « Maman de l’eau ? », dit Mimi. Maman ne répond pas. « Je veux de l’eau, maman », répète Mimi. Mais maman, au lieu de lui en donner, commence une petite histoire : « H y avait une fois une grotte très étonnante, renierma^t toutes sortes de belles et bonnes choses ; et les gens qui avaient entendu parler de ces trésors faisaient tous les efforts imaginables pour s en emparer. Les uns donnaient de grands coups de marteau, les autres essayaient de creuser des trous, d’autres encore criaient et se fâchaient ; mais la grotte restait toujours fermée.

— 225 — Enfin, un beau jour, ^ tranquillement, dit un pe i _ tout de suite. C’était un peut . _ Etait-ce : s’il te plaît? . est toujours très habile a de histoires de sa maman. M^e Dupis ns (Ce qu'on dit à M •—** *****

Je veux l^t * * la resserre K ** *** à manger. h Î *M porte très épaisse, ce qu on h ^ bois, ou plus exactement, je ’ petite branche qui s’etau trou ^^ Le bout de branche était ^U kv^^ > ♦; l’épaisseur de la porte, un du petit doigt, qui s'enfonça« x^^

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Louis Vantard voyageait avec son père. ^^1 vu — ^u De 8ajs Pas ^ h'1 M'iï' _ Uûe chose extraordinaire. laquelle ? LA C^en ^ros comme un cheval. G^tr^n j?10^ répartit le père, j'ai vu une chose plu» °r®^ de son côté, tandis que le P de l’autre. rhivertot fw-r>“ Cette année-la, en 1 , ^ ^ ,*a-rur rigueur ; la neige, ép®“ ^ loapi pM»»« « la campagne, si bie ’ ^ jusqu*« œ*'* ’ plein jour des reeonnm sau ^ ^ ^ village et jusque dans 1 ère de J*^ ** Un matin, le père et la ^^^ sortis, l’avaient laissé au logu. g*

sœur au berceau. pièten««« Voilà que la Porte’ 4 Tout ce qu’il tue, il le laisse, et monseigneur je ^vë“’ ? ^ rappOrte' A préSen‘’ ë eur, je ne vous dois plus rien. ®mmanuel Cosquin. nie« populaires de Lorraine, Champion, éditj

— 283 —

Pourquoi personne ne porte plus le caïman pour le mettre dans l’eau Bama, le caïman, dit : — J’ai faim ! u il sortit de l’eau avec ses petits pour aile chercher quelque chose à manger. Aussitôt l’eau se retire loin derrière eux. Ils bâillaient tous de faim sur la. ter ouverte, le vieux Bama et ses pe i — Craque ! craque ! ils faisaient q

leur8

mâchoires. Un chasseur vint à passer. Il dit : . , u i — Bama, comment es-tu sorti e e Le caïman dit : Detits, et - J’étais venu me promener *™ voilà que l’eau a baissé et s’est re nous. Craque ! craque 1 J’ai faim. Le chasseur dit : • »irais te mettre — Si tu n’étais pas un ingrat, ] dans l’eau, toi et tes petits. dans peau, — Oh ’. oui, dit Bama, porte-nous moi et mes petits. Pécorce fibreuse Le chasseur fit une corde ave ^ sur sa d’un arbre et il ha le caïman pour ^ qUeue ^te. U attacha aussi tous les pe ^ bords du Pour les porter plus facilement sur ^uve. demande : Arrivé au bord de l’eau, le chasse ~" Bama, faut-il te déposer ici

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Le caïman répondit : — Avance un peu. L’homme fit trois pas dans l’eau et dit : — Bama, faut-il te déposer ici î Le caïman répondit : — Avance encore un peu. L’homme fit encore trois pas. Il avait déjà de l’eau jusqu’à mi-jambe. Il dit : — Caïman faut-il te déposer ici ? Bama dit : — Oui, dépose-moi là. Le chasseur le dépose dans l’eau, le délia, lui et ses petits. Aussitôt le caïman le saisit par le pied : — Enfin, je te tiens, dit-il. Quel beau morceau ! J’ai faim. C’est toi que je mangerai. — Lâche-moi donc ! criait l’homme. — Non, je ne te lâcherai pas, disait Bama. Je vais calmer ma faim. Lâche-moi donc! criait l’homme en se débattant. Mais Bama et ses petits le tenaient ferme. Alors le chasseur dit : Bama, je prétends que tu es un ingrat. Et il se tint coi. Il avait déjà de l’eau jusqu’au ventre. Le chasseur resta immobile et ne dit plus rien. Un petit lièvre vint à passer. Il dit : — Chasseur, que restes-tu planté là ’ L’homme répondit : C’est Bama qui me tient. Le petit lièvre demanda encore : Pourquoi le caïman t’a-t-il pris ?

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Pourquoi personne ne porte plus le caïman ¿ans Veau

p

L’homme dit très vite car il commença' — J’étais allé sur le bord ^ ^^¿»n et ses

baissé et s’était retirée bien loin. ennUyés. Je Petits étaient à sec. Ils étaient 18 -e vous leur ai dit : « N’était votre ingrati » # Le Porterais tous pour vous déposer a Kjene ^eux m’a dit de les porter. J’»1 réP ^euX m’a ^ous porte pas, vous me mangeriez • -e jes ai «Nous ne te mangerons P85®’ attrapé Par P^b et mis dans l’eau, et le vieux i^bes. ^ e pied et les autres me prirent par

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t ;

maintenant je leur crie : « Lâchez-moi ! Mais lâchezmoi donc ! » et ils me répondent : « Non, nous ne te lâcherons pas ! » Tu trouves que c’est juste, toi î Le petit lièvre dit : _ Tu as pu porter le gros caïman sur ta tête ! Le chasseur répondit : — Oui, le gros. — Avec tous ses petits ? — Avec tous ses petits. — Tu as pu les porter jusqu’au fleuve ? — Je l’ai pu. — Je n’en crois rien, dit le petit lièvre. Et il demanda en criant : — Bama, c’est vrai ce qu’il dit ? Le caïman répondit : — C’est la vérité. Le petit lièvre dit à l’homme : — Tu sais, je n’en crois rien si tu ne les portes devant moi. Et il cria au caïman : — Bama, tu veux bien qu’il te porte encore une fois sur sa tête ? Le caïman répondit : — J’y consens bien volontiers. Alors le chasseur lia le gros caïman avec sa corde pour le porter encore une fois sur sa tête, et il rassembla aussi tous les petits pour les attacher par la queue et les porter ainsi plus facilement à l’endroit où il les avait rencontrés la première fois, bien loin, loin de l’eau, loin de la rive. Arrivé là, il allait les délier pour les remettre à la même place, quand le petit lièvre dit : — Tue-les, nigaud, et mange-les !

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„ Bama et tous les petits du caïman. n^aÆ

^ep^^onne ne porte plus le caïman pour le mZê dans l’eau, c’est un ingrat.

Biaise Cendrars. (Petits contes nègres pour les enfants des blancs. Edit, des Portiques.)

Le tailleur intrépide

Les tailleurs, comme » «£ n’ont pas précisément la répu tion d’être bien «“JX

il y en eut un qui avait, tout de me piste d’autres ventre, et il est à supposer qui e comme lui. Voici son histoire: pieux qu'il Il était, dans le temps, ^n pre venants. N'en n’avait pas du tout peur de ^ autre8 n'en ayant pas peur, il s’imaginait Qü®^ un soir, il avaient pas plus peur que lui’ ^ ¿omestiétait déjà tard, commanda-t-il 80 avait oublié que d’aller lui chercher un livre qu dana la sacristie. oi a s’agit’ Quand le domestique entendi e près tout 11 *ut si effrayé qu’il en perdi -ent les g^ns '“«âge. H alla dans la salle où se Aucun ® ü se plaignit très fort à ses °9 ^nient, H ï ®nx n’osa y aller à sa place. tailleur. V“ Vait à C6 moment-là, au presbytère,

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boiteux, tout déjeté \ Il dit que c’était honteux que de grands garçons vigoureux n’osassent pas entrer dans l’église à n’importe quelle heure de la nuit. — Ah ! Si je n’avais pas de si mauvaises jambes, dit-il à la fin, moi je t’accompagnerais bien ! Seule­ ment, infirme comme je suis, je ne pourrais que te gêner ! — Mais non ! s’écria le petit domestique. Tu n’as qu’à venir je te porterai sur mon dos. » Le tailleur chercha bien à s’excuser mais il eut beau dire et beau faire, l’autre le prit sur son dos et il l’emporta comme il put à l’église. Cette église n’avait qu’une entrée, sous le porche, si bien qu’ils devaient la traverser dans toute sa longueur. Or, il y avait des voleurs qui avaient fait de ce porche leur lieu de rendez-vous et justement, il s’en trouva deux, là, qui attendaient des camarades qui avaient promis de venir avec un mouton volé. Lorsqu’ils aperçurent, dans la nuit, le domestique qui portait le tailleur sur son dos, ils crurent que c’étaient leurs amis avec le mouton, et l’un d’eux dit : — Est-ce qu’il est gras ? (Vous pensez si la peur a pris le petit domestique !) car, s’il est gras, mon cou­ teau est prêt ! chuchota le voleur. — Gras ou maigre, le voilà, s’écria le petit domes­ tique, qui jeta le tailleur sous le porche et se sauva dans la nuit. Le tailleur, lui, bien convaincu que c’était le revenant de l’église qui avait attendu là pour les tuer, eut une telle frousse qu’il oublia complètement qu’il était boiteux. Il sortit du porche, passa 1 Déjcié ; mal fait.

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devant le petit domestique et arriva avant lui au presbytère. Depuis cette nuit-là, il n’a plus eu mal aux jambes. Mais, aussi, il devint un petit peu moins vantard. Contes populaires suédois

Choisis par Léon Pineau.

Petit-Brin-de-Coq

H était une fois un drôle de petit poulet. Il n’avait qu’une seule aile, qu’un seul œil et qu’une seule patte; c’était pourquoi on l’appelait: Petit-Brin-deCoq. H aimait les aventures et n’avait guère envie de rester tout tranquillement au poulailler. Un jour, il •lit à sa mère : « Je vais à Madrid, voir le roi. Adieu ! » Et aussitôt, hop ! hop ! le voilà parti. Sur sa route’ il aperçut bientôt un petit ruisseau tout encombré de feuilles. t petit-Brin-de-Coq, dit l’eau, dégage-moi do ^Ah^^ ’ J’étouffe... dit te poul^^ $a8 ^e temp8 ^e m’0CCUPer de vous,

^ide^^’ *1 ^ Un feu PreKClue étouffé par du bois Peu de

^in-de-Coq, dit le feu, évente-moi un

- Oh 1 ou je vais mourir. ^ hop i k t 3e co^’ j’ai bien autre chose à faire ! , ! “ «Partit. eVe°tlui ^n’ ^8 d’un buisson, il entendit crier : k^ches qu?^ de’Coq’ écarte un peu toutes ees Je Puisse respirer.

H*uhea ^MriEg

— 290 — — Tirez-vous d’affaire tout seul, répondit Brin-

I 11

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de-Coq. Et il continua à sautiller allègrement. Dès qu’il le vit, le cuisinier du roi l’attrapa et le mit dans une marmite remplie d’eau, pour le faire bouillir. C’était affreux. — Eau, cria Brin-de-Coq, ne monte pas si haut, tu vas me noyer. , — Petit Poulet, quand j’étais dans la peine, u ne m’as point aidée, répondit l’eau. Et elle monta, plus haut, encore plus haut. Quand l’eau devint trop chaude, Petit-Brin- e Coq cria : — Feu, éteins-toi, ou je vais mourir. — Petit, quand j’étais dans la peine, tu ne m a8 point aidé, répondit le feu. Et il pétilla de toutes ses forces. A ce moment, le cuisinier arriva. Il trouva Ie poulet mal cuit, et, fort en colère, le lança par la fenêtre. Comme le vent le faisait tourbillonner sans repos, Petit-Brin-de-Coq cria : — Vent, vent, ne souffle pas si fort, laisse-moi descendre. — Petit poulet, quand j’étais dans la peine, tu ne m’as point aidé, répondit le vent. Et, gonflant ses joues déjà grosses, il envoya Brin-de-Coq tout en haut du clocher. Vous pouvez encore le voir, avec son seul œil, sa seule aile et sa seule patte. (Education enfantine.)

le renard P»ole8 :

— 291 — On raconte qu’un coq était à Abattre sur un fumier. Près de lui vint un renard qui l’enjôla de douces

il nue vous êtes gentil, jamais je ne

XPiT“.“— “T“" " '“ ™ ”'‘

fermait les yeux en chantan , bat - Oh ! j’en puis faire «tan ’ 4 chant des ailes et ferme les yeux po plus mélodieux. ^sit et va droit A l’instant, le renard s’élance, l"^chiens et vers la forêt. Il passe par un c ^ alors . bergers se mettent à sa poursui . vous au renard : - Crie-leur : « Ce coq est a moi,

n’en aurez rien. » . hâte, Le renard l’écoute, veut parler en mais il lâche le coq qui s’envole sur le arbre. Le renard, stupéfait et confus, Plein de colère et de rage, il s’écrie . Uç — Maudite soit la bouche qui parle q devrait se taire ’. „ . _ forme Maudit soit, répond le coq, Væ^ ^ ^and il devrait veiller ! ch. Roza^’

La fable v

Savez-vous ce qu’on appelle une Vous allez le comprendre tr^

°ns avez bien souvent remarque '° ' ceJ°Uaût avec le chien ou le chat de la ma* Personnages ont un caractère, tout c



— 292 —

hommes et les enfants. Le chien est bon. Il y a toutes sortes de bonnes pensées et de bons sentiments dans les yeux doux, joyeux et francs avec lesquels il vous regarde. Le chat est sournois, méfiant ; il semble perfide l. Il coule son regard aigu entre ses paupières presque closes, marche sans bruit, glisse sur le sol, frôle silencieusement les meubles, ne caresse pas, se laisse caresser, ou se caresse luimême à vous. Il fait l’effet d’un faux ami. De même, quand vous observez un de vos cama­ rades, il vous arrive de dire : « Il est bon comme un chien » ou : « Il est sournois comme un chat. » Les bêtes semblent des portraits ou des carica­ tures 2 des hommes ; les hommes rappellent tel ou tel animal par un trait de leur figure ou de leur âme. Dès lors, il est possible, soit par malice, soit pour dire aux hommes leurs vérités sans les fâcher, soit par jeu seulement et pour piquer la curiosité, de raconter leur histoire en faisant semblant de dire celle des bêtes. Un renard voyait des raisins trop haut placés pour qu’il pût les prendre : « Bah ! dit-il, ils sont trop verts. Je n’en veux pas. » Quand je vous rapporte cette histoire, vous songez tout de suite à ceux qui ne peuvent pas avoir de prix à l’école et qui font semblant d’en faire fi... Eh bien ! voilà une fable.

E. Faguet. 2

8CS

Perfide : qui trahit la confiance qu’on a en lui. Caricature : représentation d’une personne on exagérant défauts.

— 293 —

La patte graissée

La patte graissée

Je vais vous conter une fable, à pi°p°s d do»' femme, pour vous amuser. vaches, Cette vieille femme avait et la seule chose qu’il vit, fente d’un vien m0U®se jaunâtre qui garnissait une Cms zr rocher’que-depuis’ °“ - aPPeié ie trouZdeV^ S°n petit p0‘’ - Heu d’y s’en XX2 ^r1“ ^ de ^ * “

trop ambitieux ’ eU marn d’avoir, pour être donné. ’ P dU Ce que la fée avait d’abord Paul SlBILLOT. (Contes des paysans et des pécheurs.)

1 ^ : fâché, repentant.

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Les deux sœurs

s

eux sœurs

II était une fois une veuve 1m qui avait deux filles : Tainee ^lav^3^ S* f°rt et ^’humeur et de visage, que, ai dé8a°^a^’ V°^a^^m®re ’ e^es Paient toutes deux vivre ^e8 et 8* or8ueilleuses qu'on ne pouvait aVee 061$° e^eS’ ^a cadette était douce et honnête, et C°nune ^e ^^ ^US ^edc« filles qu’on eût pu voir, cette mèr °U a'me naturellement son semblable, ^ps, av6’^^ ^'e de la fdle aînée, et. en même $lle la faî^- Une aversion effroyable pour la cadette, Ce8se. Il fai^ man£cr a la cuisine et. travailler sans ^ant alPi^’ en^re autres choses, que cette pauvre ^(le dem’^1^ *°*8 Ie i‘”ir P’dseï' de l’eau à une ^^ Une ^'^Ue du logis, et qu'elle en rapportât ^ande cruche.

— 302 —

Un jour qu’elle était à cette fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui la pria de lui donner à boire. __Oui-dà, ma bonne mère, dit cette belle enfant. Et, rinçant aussitôt sa cruche, elle puisa de l’eau au plus bel endroit de la fontaine et la lui présenta, soutenant toujours la cruche, afin qu’elle bût plus aisément. La bonne femme, ayant bu, lui dit : — Vous êtes si belle, si bonne et si honnête, que je ne puis m’empêcher de vous faire un don (car c’était une fée qui avait pris la forme d’une pauvre vieille). Je vous donne pour don, poursuivit la fée, qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une fleur, ou une pierre précieuse. Lorsque cette belle fille arriva au logis, sa mère la gronda de revenir si tard de la fontaine. — Je vous demande pardon, ma mère, dit-elle, d’avoir tardé si longtemps. Et en disant ces mots, il lui sortit de la bouche deux roses, deux perles et deux diamants. — Que vois-je là ? dit sa mère tout étonnée. D’où vient cela, ma fille ? (Ce fut la première fois qu’elle l’appela sa fille.) La pauvre enfant lui raconta naïvement tout ce qui lui était arrivé, non sans jeter une infinité de perles. Aussitôt la mère envoya sa fille aînée à la fontaine afin qu’elle reçût les mêmes dons. Elle ne fut pas plus tôt arrivée à la fontaine, qu’elle vit sortir du bois une dame magnifiquement vêtue qui vint lui demander à boire ; c’était la même fée qui se présentait sous un autre aspect.

— 303 —

_ Est-ce que je suis venue ici, lui dit l’orgueilet méchante fille, pour vous donner à boire 1 Puisez l’eau vous-même si vous avez soif. _. Vous n’êtes guère honnête, reprit la fée sans se mettre en colère- Eh bien ! puisque vous êtes si désobligeante, je vous donne pour don qu a chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent, ou un crapaud. D’abord que sa mère l’aperçut, elle lui cria. _p.h bien ! ma fille * r , - Eh bien ! ma mère, lui répondit la brutale en jetant deux vipères et deux crapauds. - O ciel ! s’écria la mère, que vois-je la 1 C

sa sœur qui en est cause ; elle me le pm Et aussitôt eUe courut pour la bat™n dan8 La pauvre enfant s’enfuit, et a a revenajt delà la forêt prochaine. Le fils du roi, q chasse, la rencontra; et, la voyan . t ce quelle demanda ce qu’elle faisait là toute seu avait à pleurer. . Q m’a — Hélas ’. monsieur, c’est ma m chassée du logis. , he cinq ou Le fils du roi, qui vit sortir de ^ ^ dire 8ix perles et autant de diamants, & P avend’où cela lui venait. EUe lui conta to ^ valait ^re. Le fils du roi considérant, qu un _ ^ ^^ ^eux que tout ce qu’on pouvaa gon père, one autre, l’emmena au palais °U ü l’épousa. . Perrault. D’apres tn.

— 304 —

Le moujik et les concombres

Un jour, un moujik s’en fut chez un maraîcher pour lui voler des concombres. Tl se glissa parmi les concombres, et pensa : « Voilà, je vais en emporter un sac et les vendrai. Avec l’argent, j’achèterai une petite poule, qui me pondra des œufs, les couvera et fera éclore les poussins. Je les nourrirai et les vendrai. Alors, j’achèterai une petite truie ; la truie me donnera des petits cochons. Je les vendrai encore et j’achèterai une petite jument. Celle-ci me donnera des poulains que je nourrirai pour les vendre un beau prix. J’achèterai une isba1 et je planterai un potager. J’y sèmerai des concombres. Je ne me les laisserai pas voler, je louerai des gardes que je mettrai dans le jardin, et moi, m’approchant d’eux, je leur crierai : « Hé ! holà ! ouvrez l’œil ! » Il criait si fort que les gardes l’entendirent ; ils sortirent et rouèrent de coups le pauvre moujik.

L. Tolstoï.

Les moutons de Panurge

Un marchand de moutons nommé Dindenaut voyageait sur mer avec Panurge, un agréable et gai compagnon. Dindenaut était désobligeant. Chaque jour, en se promenant sur le bateau, il injuriait Panurge. Pour se venger, celui-ci résolut de lui jouer un tour de sa façon. — Vendez-moi donc un de vos moutons, lui dit-il.

i Isba : habitation en bois de sapin particulière à la Russie.

— 305 —

__ Ah ! il faudra le payer cher, répondit le mar­ chand. Sachez que mes moutons ne sont pas des bêtes ordinaires. Ainsi vous n’avez qu’à prendre une de leurs cornes, l’écraser un peu et planter les morceaux en plein soleil, en quelques mois vous verrez pousser les meilleures asperges du inonde ! — Peu importe le prix, reprit Panurge, mais de grâce, vendez-m’en un. — Soit, vous l’aurez en payant cinq fois le prix ordinaire. . — Marché conclu, répliqua Panurge, en tapan dans la main de Dindenaut. Et aussitôt il s empara du mouton. . „ L’animal bêlait et ne voulait pas se sépare troupeau, mais Panurge l’entraîna et tous es au moutons suivirent en bêlant. Arriv au o bateau, Panurge souleva vigoureusemen sa la jeta en pleine mer. Aussitôt, tous e moutons, criant et bêlant, bondiren t dans l’eau pour suivre leur camara e. affolé, faisait des efforts désespérés pour a ^ bêtes, et ne réussissait qu’à augmenter e ut Quand le dernier mouton vint à passer, , voulut au moins sauver prenant un élan formidable, entrain« Marchand dans la mer. hommes Et, depuis ce temps-là, quand on . appelle Qui imitent sottement les autres, o moutons de Panurge. D,&prè8 RabEWis.

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, r-LAl„ES

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— 306 ^

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etenre> son fils 1 * a«e

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Un homme • 8°wantaiaoa °'sla de la ■Petit âne devait i treize à ouat 1 Un tüs de entreprenaient r P°rte" en un lont ans' En Père’' «aie, ap^^^ qui n^r^V^18 f,Is> commençai à 0B trois lieue« , ’ fat le beaucoup de peine 86 Iasser> le suivit d/i ®henïin> 'e J^ient paSSer qui douna sujet à ?° et avee de hisser aUer . ® que ee bonb^ ceux ^ les ^ descendit et h ““ si Jeune “Vait tort »2?î»Xi“4 '•

yoyez Posants, de bête, ^ seul.

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a 8a fantaïsie. — entendre.

4 ETE 481491

au monde la Hbelt ^ à ,eur d’en juger

" 307 —

Le rouet

1,6 rouet Jeanne était la petite fille d’une Co,1chée ai ' ^auvre Veille femme. Un soir d’été, Pas, et la >Pres de sa grand’mère, elle ne dormait cbambre j^ ^^ brillait au ciel éclairait toute la grands ye eanne Promenait sur chaque objet ses Tout à ^ $UI étàacelaient comme des diamants. U lui vin^011^ en v°yanÊ le rouet de sa grand’mère, ^-elle t Uûe ^e^e ldêe : « Pauvre grand’mère, se ^e le ch°Ut ^ ^°Ur e^e ^ Pencbée sur ce rouet et î avançaianvre dont elle me fera des chemises ; si eU «e ^ 80$ ouvrage, comme elle serait heureuse Vite, ” Petits p flDe sauta à bas de son lit et s’en vint, a ^^s, a^h ^^8 ^U rouel*: bientôt la roue tourne ;

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— Mon Dieu, cria-t-elle, mon rouet marche tout seul ! Que vois-je ! C’est toi, Jeannette ; rêves-tu, mon enfant ? — Mais non, grand’mère, je suis très éveillée ; je voulais filer pour vous épargner de la peine. — Chère enfant, dit la vieille grand’mère en la prenant dans ses bras et en la remettant dans son petit lit, tu as voulu bien faire, mais sais-tu que tu n’as guère avancé mon ouvrage : voilà mes pauvres fils qui sont bien embrouillés. Pourtant, Jeannette, ta bonne pensée me rend heureuse. Mais dors bien vite à présent, et souviens-toi que les petites filles ne doivent pas faire même ce qu’elles croient bien sans consulter leurs parents. Andersen.

La chèvre de Monsieur Seguin

Monsieur Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. H les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne, et, là-haut, le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C’était, paraît-il, des chèvres indé­ pendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté. Le brave Monsieur Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. 11 disait : — C’est fini ; les chèvres s’ennuient chez moi, je n’en garderai pas une.

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il ne se découragea pas, et, après avoir

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mieux à demeura ohe* J“1 etite chèvre de Monsieur Ah ! qu’elle était joli p gc8 yenx doux, sa Seguin ! qu’elle était JO ^ ^^ ^ ct Juisanrt, barbiche de sous-offic , blancs qm lui ses cornes zébrées et ses longs po faisaient une houppelande • nnt traire pu,., sans bouger, sans me amour de petite chè^;" ière 8a maison un clos Monsieur Seguin avait dénié ^^ llo entouré d’aubépines. C est Q au pluB bel pensionnaire. H l’attac a laiSSer beaucoup endroit du pré, en ayant 8° venait voir si e e de corde, et de temps en «mp trè8 heureuse et était bien. La chèvre se troue art Seglun

broutait l’herbe de si bon c était ravi. — Enfin, pensait le P^u qui ne s’ennuiera pas chez Monsieur Seguin se trom^ Un jour, elle se dit en r g - Comme on doit être de gambader dans la hiuy longe qui vous écorche c l’âne ou pour le bœuf e Les chèvres, il leur faut 1 Ample manteau.

homme, en voilà nue •, chèvre s’eum . ‘ ¿ant la ^^Xisir ^-haut ! Que p cette maudite » ( C’est bon 1 , ^ dans nu (

— 310 —

A partir de ce moment, l’herbe du clos lui parut fade. L’ennui lui vint. Elle maigrit, son lait se fit rare. C’était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant Mê !... tristement. Monsieur Seguin s’apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c’était. Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois : — Ecoutez, Monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne. — Ah ! mon Dieu !... Elle aussi ! cria Monsieur Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle ; puis, s’asseyant dans l’herbe, à côté de sa chèvre : Comment Blanquette, tu veux me quitter ! Et Blanquette répondit : — Oui, Monsieur Seguin. Est-ce que l’herbe te manque ici ? — Oh ! non ! Monsieur Seguin. Tu es peut-être attachée de trop court ; veux-tu que j’allonge la corde ? Ce n’est pas la peine, Monsieur Seguin. Alors, qu’est-ce qu’il te faut ? qu’est-ce que tu veux ? Je veux aller dans la montagne, Monsieur Seguin. ~ Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu’il y a le loup dans la montagne... Que feras-tu quand il viendra?... — Je lui donnerai des coups de corne, Monsieur Seguin. Le loup se moque de tes cornes. U m’a mangé des chevres autrement encornées que toi... Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l’an

— 311 — dernier ? une maîtresse chèvre, forte et méchante Xme un bouc. Elle s’est battue avec le loup toute £ nuit puis, le matin, le loup l’a mangée — pécaire ! Pauvre Renaude !... Ça ne fait n.n, Monsieur Seguin, laissez-moi aller dans"“^ _ Bonté divine !... dit Monsieur qu’est-ce qu’on leur fait donc a me ^^ Encore une que le loup va me manger...^

non... je te sauverai malgré toi, «>q ^^ que tu ne rompes ta corde, j l’étable, et tu y resteras toujours. chèvre Là-dessus, Monsieur Segmn dans une étable toute noire, o ^ ^^ ' double tour. Malheureusement, H a ite&,enaua. tre, et à peine eut-il le dos tourn ,que P montagne, Quand la chèvre blanche arn mais ies vieux ce fut un ravissement généra. ^ qu ^ reçut sapins n’avaient rien vu d aUS!\J ¡g^ers se baiscomme une petite reine. Les c a ^ ^ ^ bout je «aient jusqu’à terre pour la car^uvraient sur son leurs branches. Les genêts d or s .^ pouvaient, passage, et sentaient bon tan Toute la montagne lui fit ^te' . , jusque P3r' C’est là qu’il y en avait de H gavoureuse, fine, dessus les cornes ! Et quelle er ) ^^jt, bien autre dentelée, faite de mille plantes... donC j... De chose que le gazon du clos. Et e italeS de poun”^ grandes campanules bleues, es ^eur8 sauvage à longs calices, toute une fore débordant de sucs capiteux •¿’un sau La chèvre blanche au P»^ ^ands torrents qui l’éclaboussa1

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poussière humide et d’écume. Alors, toute ruisse­ lante, elle allait s’étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil... Une fois, s’avançant au bord d’un plateau, une fleur de cytise aux dents, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de Monsieur Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes. — Que c’est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là dedans ? Pauvrette ! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde... Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c’était le soir... Déjà ! dit la petite chèvre ; et elle s’arrêta fort étonnée. En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de Monsieur Seguin disparaissait dans le brouil­ lard, et, de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clo­ chettes d’un troupeau qu’on ramenait, et se sentit l’âme toute triste... Un gerfaut \ qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit, puis ce fut un hurlement dans la montagne : — Hou ! hou ! Elle pensa au loup ; de tout le jour, la folle n’y avait pas pensé... Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vaUée. C’était ce bon Monsieur Seguin qui tentait un dernier effort. — Hou ! hou !... faisait le loup. — Reviens ! reviens !... criait la trompe. 1 Petit oiseau de proie.

— 313 —

Blanquette eut envie de revenir; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle.pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire vie, et qu’il valait mieux rester. £ “Z “ a. .. « ,X Ê».« d~ “ " “

oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux ; reluisaient... C’était le loup. de ...Enorme, immobile, assis sur blau(.h(; derrière, il était là regardant la petite la imngmil, le loup »»I" quand elle se retourna, il se mit

’ „«„„ment, q u:n • et il

-H.ib.iiw.i«..»,.a.M^

passa sa grosse langue rouge sur se. ent> en 8e Blanquette se sentit P6^?®-' nallde, qui s’était rappelant l’histoire de la vieille ^ matin, battue toute la nuit pour être m ^ laiBser elle se dit qu’il vaudrait peut-être ^^ ^^ t0IHba manger tout de suite ; puis, 8’^aDtra' t comme une en garde, la tête basse et la corne en a ^^^k t Non brave chèvre, de Monsieur Seguin ^ leg chèvres Pas qu’eUe eût l’espoir de tuer le « t pour voir si ûe tuent pas le loup — mais seu e ^ penaude... elle pourrait tenir aussi longtemps prîtes cornes Alors le monstre s’avança, et entrèrent en danse. qc y allait de Ah! la brave chevrette, c°m men8 p^» ^ b°n cœur ! Plus de dix fois, je dre baleine. forÇa le loup à reculer pour r P ^ gOlirmande Pendant ces trêves d’une mm

— 314 —

puis eUe retow^Ta™ ™ h"“ de Sa chère herbe • Cela dura toute"! nuit” n i Ia b°Uche P1™chevre de Monsieur 8eï?e ‘^ en temps, la danser dans le cielcl ef?“/egardait les étoiles - Oh •' pourvu ont ; ®Ue se disait : L’une après l’autre 1«““/ j“SqU’à PaubeBlanquette redoubla de’couns 1 “ s’étfirent, coups de dents... UnehXX “"^ le >°np de Le chant d’un coq enroué X^ dans ¡’horizon. -Enfin ! dit la pauvre X d Une Mairie, que le jour pour mourir • et e uq’'.n’attendait Plus dans sa beUe fourrure blan^X Xeea par te™ ..^ le loup se jeta m 11 X^ ^^ mangea. - ■ Pente chèvre et la (Lettres

^' -DAUDET. Moulint FQuelle, éditJ

TABLE DES MATIÈRES Préface...................................................................

3

I. — Scène» de la nature Message, G.-Ch. Gros......................................... Premier printemps, d’après Pierre Girard. . . Printemps, Ch. Vildrac..................................... Les oiseaux au printemps, Ch. Wagner. . . . L’épine en fleur, Tristan Klingsor.................. Le nid de chardonnerets, d’après Jules Renard. Les beaux vaisseaux du ciel, H. Dubus.............. Le premier orage, G. de Reynold...................... Marche de pluie, J. Richepin......................... La pluie, Jules Renard..................................... Eclaircie, P. Jamati......................................... “éveil, R. de Régnier..................................... ur le pré vert, Henry Spiess......................... e collier de la princesse, d’après C. F- Ramiu. La lune, H. Spiess.............................................. est l’heure du repos, André Dumas........... es semailles d’automue, André Theuriet. • • es champignons, Andrée Martignon............ Oct h ne a^attu' Georges Renard...................... T o °c r0.’ Rh’ Monnier..................................... Vent a^68 ^ or’ H- Spiess............................ La a® n°vembre, E. Verhaeren..................... ChaPreTnière neiSe’ Ed- Eod............................. Jnn^80n Par ^a neigC» #• Spiess..................... fcer Pleine Ley . ............................

^flXJ*^^..................................... ur d amandier, J. Aicard. . •............... ,

poésie

6 poésie

7 7

0

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30

II. — res bête» Le Petitn A cache-cache, d apres r ...... Le cerf-volant, ^^.p. Ramus . Sur un radeau, d après J . Le bain de rivière, A. ^a g . Jeux d'intérieur, d ^ ^ Dupi» de Saint-duM . Des jeux amusants, d apres e .............................. . Le jour de Catherine, A. Eran ...................... , L’aiguille, J - Renard • . Les confitures, G. Dro d'après M. Hol” . La pêche infructueuse . La soupe, A. France . • • • ^^ . .

87 88 88 01 93 95 97 98 08 101 103 104 106 106 107 109 no l‘l 112

L’enfant trouvé, d après • loésie Sur le pré, Ernest Pérochon • • ’ ’ . P' Berceuse, Philadelphe de Gere • yildrac La famille de Tifernand, . . La bouteille cassée, Charles y^rac . La leçon de musique, Char _ . Mon père, A. France poésie Mb mère, P. Loti . ■ • * ’ . . • , Journée de printemps, Gh.V* Romain R°^ Le petit Christophe vient de na ¿ouand . • • * j ' Bon Dieu qu’il est laid ! Rolland • • Le vieux grand-père Jean-Miehel, " Les belles histoires contées sur e c Romain Rolland Boinain Rolland ■ La rêverie dans l’herbe parfuip % L’oucle Gottfried, Romain Roliana Le souper, Georges Duhamel - • ^ ^ Ram^Quand les enfants vont à ^7 ¿6 Amie^ • ’ ' Ma maîtresse de « première D» . . • * ’ La rentrée, d’après T. d'üln^ - .^ La récréation, d’après Ph- ^°. , . • • ' Une école d’autrefois, E. L™'* ,uiier Mon entrée à l’école, d’après J‘^BéraUd • • * ' . Le chemin de l’école, d’après . . . * Les vacances, d’après Ph. Monter

l18

116 119 120 121 122 124 125 125 126 128 120 131 132 134 135 136 137 139 140 142 144

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V. — Le village, la ville, les métiers

Petit village, Philéas Lcbcsgue............................poésie Nanetto manque la messe, d’après Jules Renard . . . . 146 147 Le père Damon, syndic, C.-F. Ramuz.......................... 148 Le colporteur, H. de Ziegler.............................................. 149 Dans le jardin, d’après C.-F. Ramuz.............................. 150 Les petits rétameurs, La Gerbe...................................... 151 Le petit gardeur de moutons, C.-F. Ramuz................... 153 Jour de foire, d’après G. de Naupassant....................... Le petit berger, J. Renard............................................... 154 Rentrée du troupeau. A. Daudet....................................... 166 La ferme au point du jour, Erckmann-Chatrian . . . . 167 Les douze chemises do Kobe, d’après Jf. Gevers .... 169 169 L’auberge, Henry Spiess........................................... poésie Le goûter de quatre heures, d’après J. Renard . . . . 161 La basse-cour, E. Guillaumin........................................... 162 163 La fontaine du village, J.. Atzenwiler................ poésie 164 Les laveuses à la fontaine, C.-F. Ramuz................... 165 Mes voisins, d’après A. Bâillon.................................. Phrasie, ma propriétaire, d’après A. Bâillon .... 166 Les ennuis d’un déménagement, Brunot et Bony . . 167 Deux chambres à louer, d’après JL Barrés............... 168 Le matin à la boulangerie, d’après H. Béraud . . . 170 La vieille bonne, J. France.......................................... 172 Dans la rue Mouffetard, d’après G. Duhamel et 173 La Gerbe............................. Fin de la nuit, d’après L. Delarue-Mardrus................... 176 Le facteur, d’après JL Prévost............................. 176 Un brave homme, René Bazin............................. 177 Le forgeron, R. Bazin............................. 178 Le forestier, Eug. Le Roy.............................. 179 Trois petites feuilles, A. Atzenwiler,....................... poésie 181 Les scieurs do long, d’après E. Guillaumin 182 Lo vannier ambulant, J. Girardin . . . 182 Le pêcheur expédie son poisson, d’après 185 C.-F. Ramuz.................................. Pétrus le marin, d’après JL Gevers . . . 185 Fonse, le distrait, A. Bâillon.................. 187 Le marchand do jouets mécaniques . . . 188 Noël, Rosemondc Gérard, . . . 188 Après les fêtes, G. Valette . . poésie 190 L’acrobate, d’après J. Giono . 192

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— 319 — En patache, d’après J. Giono...................................... L’arrivée de l’auto-car, d’après G. Simenon............. En taxi, d’après G. Simenon.......................................... En barque, G. de Maupassant.................................. La vie des humbles, G. Duhamel............................... Perdre sa place, Jules Romains.................................. La main de l’homme, M. Guéchot............................... Nourritures, G. Duhamel...................................... poésie Le respect du pain, Jules Vallès...............................

VI. — Scènes et récits Le petit maladroit, Alphonse Daudet La chèvre savante, Victor Hugo . . Le renseignement, J. Renard Mylord, Pierre Mael . . . . L’oreille fine, J. Renard Le bouquet de violettes, A. Lichtenberg# • Le petit vantard, C. Defodon • • ... La saison des noix, d’après ^wn ] , Une ruse de petite fille, d’après •• •.............. Un trait de générosité, Ed. de Ara™ pejodon Les dix sous de petit Pierre, d apr ^......... ^ _ Le cocher modèle, A. Vessiot . • • .............. Le cheval et le chien, Les Annales ■ ■ po^i® Bergerie, Stuart Merrill. . ÀSri. . • • Un mot magique, Dupin de Sai , La bille dans le trou, d’après A. . Le petit bateau, L.-C. Colomb ■ • •. ... Le menteur confondu, Conte p°P . . . • Le courage, A. France • • , . . ' Ln petit garçon courageux, E. ¿uberi-8^ Leux jeunes chasseurs courageux, • . , • Clowneries, Léon Cathlin Le perroquet Navarin, A. France • " ’ ¿. paudet • artarin à la chasse au lion, d ap jhxha^ Le vieiUard de quinze ans, \ \ . IV an ^e la ma^0D’ d’après G. . . Espagnol en voyage e caillou, Almanach provençal . \ L a paire d’espadrilles, Elian-J- 1 . , . • ' ^»s la Ficelle, Histoire ty^^v^qU • • * ’ ‘ La ruche volée, légende de TiU 1 ^

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— 320 — Le coq du clocher, M. Pape-Carpantier............................ 248 Promenade au bord d’une rivière, d’après André Gide . 249 Sur la glycine en fleurs, Emile Verhaeren .... poésie 250 Nanette, A. Bâillon................................................................251 Jour de l’an, A. Bâillon........................................................252 Une leçon de politesse, A. Vessiot............................... 253 Le panaris de Jef, d’après JL Gevers................................ 254 L’ordre, A. Bâillon............................................................... 256 Guignol, A. Matagrin et F. Vial........................................ 257 La multiplication, d’après Laurent Moût guet.................... 263 La mort de Durapiat, par Eug. Vial.................................... 264 Les précieuses ridicules, Molière............................................ 265 Don Juan, Molière................................................................... 267

VU. — Contes et fables Le paysan et le dieu des ondes, Conte populaire .... 270 Histoire de l'eau qui court, d’après JL Halphen-Jstel. . 271 Le singe et l’hippopotame, Conte populaire........................ 273 L’éléphant qui voulait être roi, d’ap. Milly Dandolo . . 275 L’avocat avisé, L. Pineau....................................................277 Blancpied, Contes populaires de Lorraine par E. Cosquin. 279 Pourquoi personne ne porte plus le caïman pour le mettre dans l’eau, Biaise Cendrars................................ 283 Le tailleur intrépide, Conte populaire suédois.................... 287 Petit Brin de Coq, Education enfantine................................ 289 Le coq et le renard, Oh. Rozan................................................291 La fable, E. Faguet............................................................... 291 La patte graissée, conte populaire français............................ 293 La cigale et la fourmi, La Fontaine........................ fable 294 La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le

Le corbeau et le renard, La Fontaine.................... fable 296 Le loup et l’agneau, La Fontaine................................ fable 296 Le héron et l’écrevisse, Léon Tolstoï.................................... 298 Le pertuis doré, Paul Sibillot................................................299 Les deux sœurs, d’après Ch. Perrault................................ 301 Le moujik et les concombres, L. Tolstoï............................ 304 Les moutons de Panurge, d’après Rabelais........................ 304 Le père, son fils et l’âne, Malherbe........................................ 306 Le rouet, Andersen........................................... _ 307 La chèvre de Monsieur Seguin, d’après A. Daudet . . . 308 Table des Matières ...................................... 315 IMPRIMERIE ATAR. GENÈVE Imprimé en Sui»tc