Heures Claires Livre de lecture 4eme annee Ceneve


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Heures Claires Livre de lecture 4eme annee Ceneve

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A. MARTI

LIBRAIRIE PAYOT, LAUSANNE



LIVRE DE LECTURE

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DE GENÈVE ÈT NÊtJCHATEL

Quatrième année

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ceux, par exemple, que nous avons tirés de L'île rose, de Ch. Vildrac, du Village dans la montagne, de C. F. Bamuz, ou de Jean-Christophe, de R. Rolland. ♦ * ♦

Cette deuxième édition a été considérablement rajeunie. Une commission nommée par le Département de l’Instruction publique et que présidait M. Albert Atzenwiler, directeur de l’enseignement primaire, a éliminé plus de cent morceaux de l’ancienne édition qui ont été remplacés par des textes mieux adaptés à notre époque et à l’intelligence de nos enfants. Une modification importante a été introduite dans la désignation des chapitres et dans leurs titres. Nous avons supprimé le chapitre consacré aux poésies. Ce qui ne signifie pas que cette partie de nos textes a été sacrifiée. Bien au contraire. Nous en avons même augmenté le nombre. Mais nous estimons — et notre expérience nous donne raison — que les poésies sont lues avec un plus vif intérêt lorsqu’elles sont classées dans l’ordre des matières, au coûts des chapitres, plutôt que groupées à la fin du livre. Les illustrations sont toutes des dessins originaux dus à la plume du bon peintre Elzingre. Les petits tableaux pleins de vie qu’il a composés ne seront pas le moindre attrait de ce manuel. En terminant, nous nous faisons un agréable devoir d’exprimer notre gratitude à M. Atzenwiler qui, non seulement a suivi notre travail avec le plus vif intérêt, mais encore a bien voulu prendre une part active à l’élaboration de cet ouvrage. A. Marti.

1

Scènes de la nature Message Le printemps est là, de ce soir. Les oiseaux me l’ont dit, les oiseaux me l’ont dit ! Et l’odeur du lilas me l’a redit tout bas : Le printemps pousse dru sous la pluie. Le printemps est derrière les nuages, il joue à cache-cache avec eux. Et les oiseaux, qui plus que nous sont sages, enchantent le ciel gris qui, demain, sera bleu.

Tandis que dans l’air mouillé du crépuscule les petits buissons de lilas dressent au bout de leurs souples bras leurs grappes noires et minuscules. Guy-Charles Gros. ( Avec des mots, L’Artisan du livre, édit J

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Premier printemps

Ce dimanche qui n’était plus l’hiver, qui n’était pas le printemps encore, je m’en fus par les routes avec un petit compagnon. On n’a pas trop de quatre yeux pour dénicher les primevères et les hépatiques, pour surprendre le premier lézard, pour ne rien perdre d’une journée dorée. Le ciel est d’un bleu léger qui donne aux ramilles rousses et mauves un éclat ravissant. L’air a je ne sais quoi de sonore, d’argentin, et sur le Salève, tout d’ombre dans le contre-jour, luisent, çà et là, un toit ou une roche. Un peu de neige étincelle dans l’azur. Les cueilleurs de dents-de-lion et les chercheurs de primevères animent seuls le paysage. A Fossard, on a peint de frais les tables et les bancs de l’auberge, et l’ombre du toit trace une ligne d’un crayon léger sur la route bien balayée. Dans quelques semaines, tout aura changé. Alors nous serons entrés dans le printemps, le vrai, celui des arbres fleuris, des herbes qui cachent le bas des palissades, des nuits gorgées de rossignols et de glycines... D’après Pierre Girard.

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Printemps J’ai vu fleurir le pêcher rose, Le vieux pêcher noir et chenu. Il rit sous le ciel ingénu, H rit de sa métamorphose.

Le mois d’avril est revenu : J’ai vu fleurir le pêcher rose, Le vieux pêcher noir et chenu.

Devant le toit de tuiles roses Un oiseau gris parfois se pose Sur le bout d’un rameau ténu Et chante son bonheur menu... Le mois d’avril est revenu. Charles Vildrac.

Les oiseaux au printemps

Dans la forêt, voisine de notre maison, il y avait une multitude d’oiseaux, mésanges, pinsons, linottes, fauvettes, rossignols, merles, loriots, geais, corbeaux. Tout cela chantait à tue-tête. On aurait dit que chacun voulait chanter plus fort que l’autre. J’aimais beaucoup les entendre, et, prenant par les petits sentiers connus, je me glissais dans le bois, doucement, pour ne pas les effrayer. Je m’asseyais sur les racines de quelque vieil arbre moussu et, pendant des heures j’écoutais. Alors, faisant comme chez eux, sans crainte aucune,

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Les oiseaux au printemps

les oiseaux allaient, venaient, cherchaient leur nourriture, ramassaient des matériaux pour cons­ truire leurs nids. Les merles, à grands coups de bec, déchiraient la belle mousse verte et l’emportaient par lambeaux dans la fourche des hêtres ou des charmes. Les fauvettes glanaient les brins d’herbe, des racines minces comme du crin. Les petites mésanges bleues emménageaient des plumes dans le tronc creux des chênes. Les ramiers et les corbeaux cassaient là-haut des rameaux secs. Chacun travaillait, bâtissait. Mais ils prenaient mille précautions pour se cacher. Les oiseaux ne sont pas comme certaines personnes vaniteuses qui posent leur demeure bien en vue, tout près du passage des gens. Au contraire,

ils recherchent les bons petits coins bien secrets, et s’il y a quelque part une cachette sûre, c’est là que, de préférence, ils vont nicher. Cela ne m’em­ pêchait pas de les découvrir, mais je me gardais bien de trop m’approcher des nids. Les oiseaux sont craintifs et s’ils remarquent qu’on les observe, ils déménagent et vont construire ailleurs. Une fois qu’ils ont des petits, c’est autre chose. Alors ils bravent même les plus grands dangers pour retourner auprès d’eux, les nourrir et les défendre. Charles Wagner (Histoires et Farcibolea, Fischbacher, éditJ

L’épine en fleur L’épine est en fleur; Quel est donc cet oiseau Qui chante ainsi là-bas dans le bois T L’épine est en fleur; Quel est donc cet oiseau Qui chante dans mon cœur ? Tristan Klingsor. (L'Escarbillc d'or, Chiberre, éditJ

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Il y avait, sur une branche fourchue de notre cerisier, un nid de chardonnerets, joli à voir, rond, parfait, tout crins au dehors, tout duvet au dedans, et quatre petits venaient d’y éclore. Je dis à mon père : — J’ai presque envie de les prendre pour les élever. Mon père m’avait expliqué souvent que c’est un crime de mettre des oiseaux en cage. Mais, cette fois, las sans doute de répéter la même chose, il ne trouva rien à me répondre. Quelques jours après, je lui dis : — Si je veux, ce sera facile. Je placerai d’abord le nid dans une cage, j’attacherai la cage au cerisier et la mère nourrira les petits par les barreaux, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus besoin d’elle. Mon père ne me répondit pas ce qu’il pensait de ce moyen. C’est pourquoi j’installai le nid dans une cage, la cage sur le cerisier et ce que j’avais prévu arriva : les vieux chardonnerets, sans hésiter, apportèrent aux petits des pleins becs de chenilles. Et mon père observait de loin, amusé comme moi, leur va-et-vient fleuri, leur vol teint de rouge sang et de jaune souffre. Je dis un soir : — Les petits sont assez drus. S’ils étaient libres, ils s’envoleraient. Qu’ils passent une dernière nuit en famille et demain je les porterai à la maison, je les pendrai à ma fenêtre, et je te prie de croire qu’il n’y aura pas beaucoup de chardonnerets au monde mieux soignés.

Le nid de chardonnerets

—11 — Mon père ne me dit pas le contraire. Le lendemain, je trouvai la cage vide. — Je voudrais bien savoir qui a ouvert la porte de cette cage ! Mon père était là, témoin de ma stupeur. D’après Jules Renard. (Histoires naturelles, Fayard, éditJ

Les beaux vaisseaux du ciel

Beaux nuages, qui glissez dans le ciel bleu, comme autant de vaisseaux mer­ veilleux, quand finira votre voyage î Où allez-vous, à toutes voiles ? Est-ce au pays de la lune et des étoiles ! Quand le soleil est couché et que la nuit a tout endormi, où allez-vous chercher un abri ? Est-ce que monsieur le Vent, qui vous suit à tous moments, vous laisse terminer votre voyage tranquillement î Moi, j’aime quand vous changez de couleur : tantôt je vous vois tout blancs, tout blancs, aussi légers qu’un fin duvet ; tantôt vous vous fleurissez de rose et vous avancez dans le ciel comme un bouquet. Je voudrais aller vers vous. Je voudrais vous toucher du doigt. Mais vous devenez parfois de gros bateaux noirs, chassés à toute vitesse par le vent furieux.

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Le tonnerre gronde comme un géant qui voudrait tout briser. Puis le géant calme sa colère, le vent se radoucit et, comme de beaux vaisseaux argentés, blancs nuages de duvet et de satin, vous continuez dans le ciel votre voyage sans fin. H. Dubus. (En suivant les sentiers fleuris, F. Nathan, éditJ

Le premier orage

H a fait si chaud la semaine, que chaque jour l’orage a menacé : d’abord, l’après-midi, soleil blanc et poussière, des coups de balai dans le ciel éraflé. Mais vers le soir le vent se mettait à souffler et rejetait l’orage par dessus la montagne. Puis l’orage revenait le lendemain, à la même heure, sans rien dire : comme un jeune chien qu’on a chassé hors du jardin, auquel on a lancé des pierres ; il a fait semblant de fuir, mais il est resté tout près, derrière la haie ; il passe maintenant sa tête entre les barreaux, il finira bien par entrer. Car l’orage a senti l’odeur de la terre, de l’herbe qui pousse, des cerisiers qui fleurissent, du hêtre qui a sorti cette nuit ses feuilles, de la campagne qui désire la pluie. H est revenu le lendemain, à la même heure, poussant à l’horizon des nuages gonflés, comme de la laine cardée. Et le vent l’a chassé encore.

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Aujourd’hui, le vent n’a pas voulu souffler : il se repose, c’est dimanche. On a de la peine à marcher, on a envie de dormir. L’orage n’a pas été dérangé : lentement, il a déroulé sur le ciel sa toile grise : pas de tonnerre, branches immobiles ; un merle chante. Les collines, là-bas, sont comme des taches d’encre à la marge d’un buvard. Tout autour de la ville il pleut déjà. Et les filles se hâtent de rentrer : adieu, la pro­ menade ! car elles ont mis leur corsage neuf, leur chapeau de paille et leurs petits souliers qui leur font mal aux pieds. G. de Reynold. (Cités et pays suisses, IIe »éric, Payot, éditJ

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Marche de pluie Il tombe de l’eau, plie, ploc, plac, H tombe de l’eau plein mon sac. Il pleut, ça mouille Vieux vagabond Le temps est bon Pour la grenouille.

Il tombe de l’eau, plie, ploc, plac, Il tombe de l’eau plein mon sac. Bah ! sur la route Allons plus loin, Cherche un bon coin, Mange une croûte. Il tombe de l’eau, plie, ploc, plac, Il tombe de l’eau plein mon sac. Après la pluie Viendra le vent En arrivant Il vous essuie. H tombe de l’eau, plie, ploc, plac, Il tombe de l’eau plein mon sac.

Jean Richepin. (La chanson des gueux, Fasquelle, édit.^

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La pluie

II pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille. Les nuages muets glissent au ciel comme des fumées d’incendie. La sécheresse durait depuis longtemps, et cet orage va mettre un peu d’eau dans les puits. Aussi tout le monde est content. Le foin allait devenir plus cher que le pain. La rivière se faisait toute petite dans son lit, et la terre était sèche au point que, rien qu’à la regarder, on avait soif. Pluie, pluie, mouille, mouille, hache l’air, écrase aux vitres tes perles molles ; tu peux, jusqu’à ce que tu m’ennuies, tomber pour le bien des autres. Je vois, là-bas, dans le pré, un cheval que tu rafraî­ chis. H cesse de manger l’herbe. Il bouge le moins possible. H ne perd pas une des gouttes que tu lui donnes. A côté, un bœuf beugle si doucement d’aise qu’à chaque coup il boit une gorgée. Les arbres ne reçoivent pas tous la pluie de la même façon. Les petits, qui manquent d’habitude, voudraient s’échapper, et leurs feuilles palpitent comme des oiseaux pris. Il en est d’autres que la grêle ne troublerait même pas et qui se tiennent droits, immobiles, sur un pied. Jules Bénard. (Bucoliques, Albin Michel, édit J

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Eclaircie La pluie a déroulé les crosses des fougères. Aux toiles d’araignée il pend des gouttes d’eau. Furtif, un écureuil, de rameau en rameau, Grimpe avec le soleil sous les feuilles légères. Paul J AM ATI.

(Soleil, Champion, édit J

Réveil Lève-toi, les pieds nus,, pour ouvrir la fenêtre ; L’odeur du foin qu’on coupe et du trèfle pénètre Avec l’aurore gaie et le vent du matin ;

Ecoute ; un arrosoir, là-bas, heurte une bêche, Et plus loin, par delà la haie et le jardin, Le doux bruit d’une faux siffle dans l’herbe fraîche. Henri de Régnier.

Sur le pré vert Sur le pré v ut, au grand soleil, Le vent joue avec la lessive... La scierie fait son bruit d’abeilles, La fontaine parle, captive,

Le La La Et

chemin s’en va sous les branches ; poule rôde, le chien dort... chaleur danse et danse encor... dans ton cœur il fait dimanche. Henry Spiess. (Simplement, Kundig, édit.J

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Le collier de la princesse — D’où viens-tu î — Du village. — Tu y as été toute seule ? — Oh ! oui. — Tu n’as pas peur de te perdre ! — Oh ! non. C’est Gourdou qui cause avec la petite Gladys qu’il a rejointe sur le chemin du village. •— Qu’est-ce que tu as dans ton panier î — Du beurre. On- voit l’auberge dans les arbres. Et à l’angle du toit, plus haut, quand on regarde, il y a un petit quartier de lune tout ébréché sur un de ses bords. Gourdou a dit : — Sais-tu ce que c’est 1 La petite Gladys a dit : — C’est la lune. — Non, a dit Gourdou, c'est l’écuelle du chien. — Quel chien ! » — Le chien du bon Dieu. Le vieux Gourdou portait sur la hanche gauche sa grosse musette de cuir pleine d’outils, ce qui le faisait pencher un peu à droite. La petite Gladys portait son panier au bras droit, ce qui la faisait pencher du côté gauche. Ils penchaient l’un vers l’autre, la petite et le vieux. — Tu comprends, disait Gourdou, le ciel, c’est le palais du bon Dieu. Heures claires

2

— 18 — — Qu’est-ce que c’est qu’un palais ? — C’est une grande maison avec des colonnes où vivent les rois et les reines. — Et le bon Dieu, a dit la petite, où est-ce qu’il est ? — Lui, on ne le voit pas. — Pourquoi est-ce qu’on ne le voit pas ? — Tu es bien curieuse, a dit Gourdou. Tu ferais mieux de.me laisser te raconter mon histoire... Tu veùx î Eh bien, a dit Gourdou, il y avait dans ce palais une princesse et il y avait bal au palais. Mais la petite, de nouveau, n’a plus pu se tenir : — Qu’est-ce que c’est qu’un bal ? — C’est quand des messieurs et des dames dansent ensemble. — Il y avait bal, comme je t’ai dit. Et la princesse s’était faite belle pour aller au bal. Elle avait mis son collier de perles. D lui faisait quatre fois le tour du cou, et ça faisait beaucoup de perles. Mais voilà que le fil du collier s’est cassé ; les perles ont roulé partout. Et, comme elle courait après pour les ramasser, elle a marché sur l’écuelle du chien, tu vois, là, dans le coin, et l’assiette du chien s’est cassée par le milieu. — Et les perles ! dit Gladys. — On va les voir dans un moment. En voilà déjà une. Gourdou lui a montré du doigt une première étoile qui, dans le ciel encore clair, avait paru sur l’horizon. — Et le chien ? dit Gladys. — Le chien s’est sauvé. — Et où est-ce que c’était ! dit Gladys.

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Le coUier de la princesse

— C’était dans la cour du palais. Une grande cour qui est bleue, le jour, et noire la nuit. — Est-ce qu’elle sera bientôt noire ! — Bientôt. — Oh ! je voudrais voir. — Oh ! c’est que tu seras au lit... (Ils étaient arrivés au village.) Bonjour, Madame Chappaz, reprit-il. Comment allez-vous ? Et la petite : — Grand’mère, grand’mère... Tu sais, la lune, c’est pas la lune. C’est l’écuelle du chien. La prin­ cesse la lui a cassée, en marchant dessus, pendant qu’elle cherchait ses perles. Le chien s’est sauvé... Pourquoi est-ce qu’ils ne l’attachent pas T

— 20 — Après le souper, une petite voix toute proche dit : — Grand’mère, je voudrais voir les perles. — Je t’ai déjà dit d’aller te coucher. Mais la petite insiste : alors Gourdou se lève. — C’est les perles du collier de la princesse, Madame Chappaz. On doit les voir maintenant. Le ciel est devenu noir, en effet, au-dessus des arbres et des hommes. — Seulement, a dit Gourdou, tu promets que tu monteras te coucher tout de suite après. Gladys a dit : — Oh ! oui, je promets. Gourdou a pris la petite par la main. — H y a une perle là-bas, tu vois. Eh ! une autre et puis une autre, ça fait trois. Gourdou et la petite se sont avancés jusque sur le chemin d’où la vue est plus découverte. — Quatre, a dit Gladys, et puis cinq, six, sept... Combien y avait-il de perles à son collier î — Oh ! a dit Gourdou, il y en avait bien deux cents... Est-ce que tu peux compter jusqu’à deux cents !... — Moi, oh ! jusqu’à cent mille... Mais alors, elle ne les a pas retrouvées ? — Qui ! — La princesse. — Quoi ! — Ses perles. Madame Chappaz appelle l’enfant de la fenêtre du premier étage. — Et l’assiette du chien !

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— Hélas ! on ne la voit pins. Un grand tilleul l’a cachée. — Encore une... encore une... — Gladys ! monte te coucher. — Viens, dit Gourdou, tu sais ce que tu as promis. D’après C.-F. Ramuz. (Adam et Eve, Grasset, édit.J

La lune Ce soir la lune est cassée, H en manque un grand morceau, Car il est tombé dans l’eau, Parmi la vague irisée. Le brochet, la truite et l’ombre, Ont dû tous avoir grand’peur ; Et l’on voit une lueur Qui tremble au fond de l’eau sombre. H. Spiess. (Simplement, Kundig, édit J

C’est l’heure du repos C’est l’heure du repos. Les blés S’endorment sous le vent qui les Effleure. C’est l’heure tendre. Peu à peu Le soir se fait plus doux, plus bleu C’est l’heure...

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La rivière fuit. Un bouleau Parmi des joncs, au bord de l’eau S’élève. Immobile dans le chemin, On dirait presque un être humain Qui rêve. Des lueurs traînent dans un champ, Vénus s’allume. Le couchant Se teinte. L’alouette ne chante plus. L’air frissonne. C’est l’angélus Qui tinte... André Dumas.

Les semailles d’automne

Tout le village est aux champs, Partout bêtes et gens sont à l’œuvre, la vie rustique est en plein réveil. Ici on herse un champ ; là, un paysan marche lentement, un sac de toile blanche sur la poitrine ; sa main y plonge à mesure, et, d’un geste circulaire, il répand dans les sillons labourés des poignées d’orge ou de blé dont les grains s’épar­ pillent sur la glèbe \ Un peu plus loin, le soc d’une charrue commence à soulever des mottes luisantes. Les bêtes tirent, le cou tendu ; les fouets claquent, les hommes encou­ ragent de la voix leur attelage : « Hue ! Dia ! Ohé ! » Les cris retentissent nettement dans l’air sonore... Des centaines d’alouettes montent vers les nuées, et leur chant vibrant, réjouissant, infatigable, se mêle aux cris des laboureurs. A la crête d’un champ, à l’endroit où la ligne onduleuse de la côte coupe 1 Glèbe : terre.

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le ciel pâle, une charrue, avec les deux chevaux qui la tirent et l’homme qui la pousse, se détache vigoureusement sur l’horizon. La blouse du paysan, de couleur rousse, se confond presque avec la terre, quand il est au bas du champ. Arrivé à l’extrémité du sillon, il s’arrête un instant, puis se remet à pousser la charrue en excitant ses chevaux : « Hue, Grisette ! Hardi, Brun ! » H veut finir sa dernière raie avant la tombée du jour et ne se soucie pas de perdre du temps. La charrue s’enfonce dans le sol, les sillons de terre argileuse et grasse multiplient leurs lignes parallèles sur lesquelles le soleil jette une oblique et rose lumière. A. Theueiet. (Madame Heurtcloup, Faequelle, éditJ

Les champignons

H faut le petit matin pour la cueillette du champignon. Si on se laisse devancer, on ne trouvera rien. Les sentiers étaient blancs de rosée quand nous sommes partis et le ciel se débrouillait de ses nuages, montrant à l’est un coin rose, à l’ouest un coin vert. Nous avons commencé nos recherches par le bois Perchu, parce qu’il a bonne renommée. On s’est aussitôt séparés. Jani à gauche, Janot à droite, moi au milieu, gardant la surveillance du groupe. Heureusement que nous avions nos gros souliers, car les fougères étaient pleines d’eau et les épines ne manquaient pas, sous les branches. Le premier qui a vu un champignon c’est Jani. H a crié : « J’en tiens un ! » Mais ce n’était qu’un

— 24 — vitellin, un faux-cèpe, hélas ; d’un jaune éclatant avec toutes les apparences d’un champignon comes­ tible quoique vénéneux de chair. Nous l’avons écrasé et aussi celui-là, qui poussait à côté, dont le pied est rouge et qui mérite bien son nom de bolet satan par sa chair malsaine, bleue, verte, rouge violacée à mesure qu’on l’écrase. Ces faux bolets sont le désespoir du chasseur ; ils donnent mille émotions inutiles. S’il n’y en avait qu’une sorte ! Mais ils sont nombreux, au contraire. Le jaune, le vert, le blafard, le poivré... Et tous portant beau leur chaperon, pour tenter le passant ! Il nous a fallu bien du temps avant que nous ne rencontrions le vrai, brun-roux, à jambe claire et renflée, dont l’odeur est si alléchante. Il y en avait toute une famille, entre les fougères et cela était si joli à voir que nous sommes restés un instant à les regarder avant de les cueillir. On aurait cru un papa, tenant son parapluie ouvert pour abriter ses petits. Ses petits bien ronds, bien gras, un gentil béret marron enfoncé jusqu’aux oreilles. Un peu plus loin, la maman, en belle robe bouffante et grand chapeau de velours semblait les appeler. Toute cette intéressante famille a été arrachée, sans pitié, à sa solitude. Et il en a été de même pour deux ou trois autres, qui avaient eu l’imprudence de montrer leur tête, sous l’herbe. Vous pensez si cela nous a mis en appétit de chasse ! Je crois que nous avons battu tout le bois et dans tous les sens.

Andrée Mabtignon.

— 25 —

Le chêne abattu

Le chêne abattu

II est mort, le grand chêne, le roi de la forêt. La cognée du bûcheron l’a abattu dans la clairière où il se dressait solitaire et majestueux. Au bout du tronçon qui reste seul à la place où le tronc s’élevait, la sève, qui est le sang des plantes, monte et afflue encore. Hier, elle circulait dans l’arbre tout entier ; elle portait aux plus hauts rameaux qui se balançaient dans l’air la nourriture puisée aux profondeurs de la terre ; aujourd’hui, elle ne peut aller plus loin ; la blessure faite par le fer des hommes est irréparable : le chêne est mort.

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Quelle perte pour une multitude d’êtres ! Qui protégera maintenant du soleil et de la grêle les violettes et les muguets qui croissaient à son ombre? Détruits, les terriers que les lapins creusaient entre ses racines ! Détruits, les nids des petits oiseaux qui croyaient s’être bâti des nids pour toujours ! Georges Benaed.

Octobre

Déjà les matinées sont fraîches et la nuit tombe vite. Déjà, derrière les croisées, à la vitrine des boutiques, aux fenêtres des auberges, les petites lampes de porcelaine allument leurs lumières. Elles gardent le logis où la première flambée pétille en s’amusant. On y est déjà bien maintenant. Au village, on a abattu les noix. On a cueilli les pommes et on examine les tonneaux. Les cuves, les bosses, les bossettes s’alignent devant les seuils ; quelquefois un cercle a sauté ; et on les raccommode à grands coups de marteau. Les vaches en champs égrènent au hasard le tintement de leurs sonnailles ; quand on passe, elles vous regardent passer, et leurs beaux yeux vous suivent. Sur la terre retournée, un semeur épand la graine. Deux bœufs tirent à la charrue. L’herbe verte est semée de colchiques. Un coup de fusil retentit au lointain. Un chien aboie. Une à une les feuilles tombent lentement. Quel­ quefois, elles s’arrêtent, demeurent en suspens, puis continuent leur chute l’une après l’autre.

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Adieu, les beaux matins bleus, doux loisirs sur le pré, flâneries prolongées au bord de l’eau qui coule ! Adieu, la rose qui fleurit ! Adieu, l’oiseau qui chante ! Octobre est venu. D’après Ph. Monnier.

Les feuilles d’or Les feuilles d’or, les feuilles mortes, toutes les feuilles de l’été, tombent au vent qui les emporte tombent au vent qui les escorte d’un appel sans fin répété. Parmi l’averse qui crépite et vers l’hiver qu’on sent venir leur vol épars se précipite ; les rameaux frileux qui s’agitent Semblent vouloir les retenir. Mais les arbres n’ont plus de sève. Les cœurs pleurent d’avoir chanté, et le vent pourchasse et soulève les feuilles d’or, les feuilles brèves, toutes les feuilles de l’été. Henry Spiess. (Le silence des heures, Jullieu, éditj

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Vent de Novembre Sur la bruyère longue infiniment, Voici le vent cornant Novembre ; Sur la bruyère, infiniment, Voici le vent Qui se déchire et se démembre En souffles lourds battant les bourgs ; Voici le vent, Le vent sauvage de Novembre. E. Verhaeren.

La première neige

La première neige ne tomba qu’au commence­ ment de janvier. Ce fut un tourbillon ; en une nuit, le village avec ses toits et ses cheminées, le clocher, le château, les squelettes bruns des arbres dépouillés, les lourds rameaux des sapins disparurent comme sous un tapis blanc. Puis, dès l’aube, un coup de vent emporta plus loin les nuages et les flocons. Et lorsqu’on s’éveillant, les gens virent étinceler dans le soleil cette blancheur amassée d’un bout à l’autre de l’horizon, ils se réjouirent à cause de la nouveauté. La neige enveloppait le sommet chauve de la Dole, poudrait à frimas 1 les forêts du Jura, faisait paraître plus vastes les glaciers des Alpes lointaines, couvrait d’une couche translucide 2 le granit de leurs cornes et de leurs aiguilles qui dessinaient ainsi dans le ciel un nouveau paysage aux contours plus nets, aux lignes mieux marquées, d’une fraîcheur éblouissante. Ed. rOd. 1 Poudrer à frimas : couvrir d’une légère couche de neige. a Translucide : si fin qu’on voit vaguement au travers.

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Chanson par la neige La neige tombe lentement. Le silence qui l’accompagne Augmente, et dans l’éloignement, Paisible, avec un geste lent, La neige bénit la campagne. Henry Spiess

Janvier Blanche et froide lune, étoiles de gel, qui donc vous allume si haut dans le ciel ! Madeleine Ley. (Petites voix, Stock, éditJ

Février Ce soleil sur la neige fera-t-il refleurir tes beaux grelots tremblants, perce-neige de neige, perce-neige d’argent î Madeleine Ley. (Petites voix, Stock, édit J

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Vent de Novembre Sur la bruyère longue infiniment, Voici le vent cornant Novembre ; Sur la bruyère, infiniment, Voici le vent Qui se déchire et se démembre En souffles lourds battant les bourgs : Voici le vent, Le vent sauvage de Novembre. E. Vebhaeren.

La première neige

La première neige ne tomba qu’au commence­ ment de janvier. Ce fut un tourbillon ; en une nuit, le village avec ses toits et ses cheminées, le clocher, le château, les squelettes bruns des arbres dépouillés, les lourds rameaux des sapins disparurent comme sous un tapis blanc. Puis, dès l’aube, un coup de vent emporta plus loin les nuages et les flocons. Et lorsqu’en s’éveillant, les gens virent étinceler dans le soleil cette blancheur amassée d’un bout à l’autre de l’horizon, ils se réjouirent à cause de la nouveauté. La neige enveloppait le sommet chauve de la Dole, poudrait à frimas1 les forêts du Jura, faisait paraître plus vastes les glaciers des Alpes lointaines, couvrait d’une couche translucide 2 le granit de leurs cornes et de leurs aiguilles qui dessinaient ainsi dans le ciel un nouveau paysage aux contours plus nets, aux lignes mieux marquées, d’une fraîcheur éblouissante. Ed. Rod. 1 Poudrer à frimas : couvrir d’une légère couche de neige. 2 Translucide : si fin qu’on voit vaguement au travers.

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Chanson par la neige La neige tombe lentement. Le silence qui l’accompagne Augmente, et dans l’éloignement, Paisible, avec un geste lent, La neige bénit la campagne. Henry Spiess

Janvier Blanche et froide lune, étoiles de gel, qui donc vous allume si haut dans le ciel ? Madeleine Ley. (Petites voix, Stock, éditJ

Février Ce soleil sur la neige fera-t-il refleurir tes beaux grelots tremblants, perce-neige de neige, perce-neige d’argent T Madeleine Ley. (Petites voix, Stock, éditJ

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La fleur d'amandie

La fleur d’aman

A travers les pleurs de Le soleil de mars a so La sève court, le bourge Et l’amandier rose a

Il a fleuri, l’amandier Mais le ciel de mars s’e Et derrière la vitre clo J’ai pu voir l’amandier

II

Les bêtes La jument

C’est la rentrée générale des foins ; les granges se bourrent jusqu’aux tuiles faîtières. Les hommes et les femmes se dépêchent parce que le temps menace et que, si la pluie tombait sur le foin coupé, il perdrait de sa valeur. Tous les chariots roulent j on charge l’un, tandis que les chevaux ramènent l’autre à la ferme. Il fait déjà nuit que le va-et-vient dure encore. Une jument mère hennit dans ses brancards. Elle répond au poulain qui l’appelait et qui a passé la journée au pré, sans boire. Elle sent que c’est la fin, qu’elle va le rejoindre, et elle tire du collier comme si elle était seule attelée. Le chariot s’immobilise près du mur de la grange. On dételle, et la jument libre irait d’un trot lourd à la barrière où le poulain tend le nez si on ne l’arrêtait, parce qu’il faut qu’elle retourne chercher là-bas le dernier chariot. Jules Renard. (Histoires naturelle!, A. Fayard, édit./

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Le petit cheval

C’était un petit cheval aux naseaux blancs. Il avait une crinière et une queue longues et fournies. Il s’ap­ pelait Aquilino. Dans l’écurie, il y avait une place vide où j’aurais voulu mettre mon petit lit de fer. Quand je pouvais tromper la surveillance, je descendais, le cœur palpitant, et je passais par la cour. Aquilino, en reconnaissant mon pas, hennis­ sait .légèrement. Chaque fois, mon plaisir était si grand que je lâchais les coins de mon tablier. Alors le hennissement tremblait d’impatience ; et, tandis que je ramassais le pain, les pommes, le sucre et tout ce qui était mon goûter et tout ce que j’avais pu rafler pour mon compagnon gourmand, Aquilino piaffait doucement. Une porte de l’écurie donnait sur la remise. La remise était presque toujours dans l’ombre. Il y avait là, une grande voiture fermée, capi­ tonnée de drap bleu avec des stores de soie aux glaces, avec des poignées d’argent aux portières. Il y avait là, une calèche avec sa capote et un panier à deux roues. Il y avait là, aussi, les harnais suspendus que je ne me lassais point d’admirer, colliers, poi­ trails, croupières, sangles, traits, guides, boucles, avaloires1, anneaux, toujours astiqués et les longs fouets de ma convoitise.

1 Pièce du harnais qui est placée derrière les cuisses du cheval et qui sert à le retenir dans les descentes.

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...Mais Aquilino prenait déjà sur la paume de ma main les bouchées de pain, les quartiers de pommes, les morceaux de sucre avec une délicatesse rusée. Comme il hennissait tout bas, je lui parlais à demi-voix. H me comprenait. Je le comprenais, content de tenir mes deux pieds dans la paille à côté de ses quatre sabots... D’après d’ANNUNZio. (Nocturne, Caïman n Lévy, édit J

Spitz, le chien

— Monsieur, me dit François, le charron, qui veut se défaire d’un chien, Spitz n’a pas son pareil pour garder une ferme. Venez le voir. Il me guide dans sa cour, entre des charrettes sans roues et des roues sans charrettes. Tout au fond, dès qu’elle nous aperçoit, une grosse bête noire, retenue par une forte chaîne, jaillit hors de sa niche, et poils dressés, crocs dehors, prouve à grands coups de gueule qu’elle s’y entend à sur­ veiller une ferme. C’est, en effet, un chien terrible. — N’est-ce pas ? dit François, qui en paraît, lui-même, étonné... Très fier, il me laisse une minute admirer à dis­ tance, puis nous faisons quelques pas. Tiens, qu’y a-t-il ? A mesure que j’approche, Spitz transforme sa manière ; il n’aboie plus, il jappe ; il rentre ses dents : on dirait qu’il a peur. Plus près, il se couche Heures

claires

3

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Spitz le chien

sur le ventre, et dès qu’il le peut, le voilà qui se dresse et, les pattes sur mes épaules, se décide à me lécher la figure. — Ça, c’est curieux, dit François. — Oh ! dis-je, François, je sais dompter les bêtes. Je blague un peu, mais il sourit, François, je ne le vois pas, tant il se garde bien derrière sa grosse moustache. Tout à fait rassuré, Spitz me flaire les jambes. De près, ce gardien féroce a le regard d’un bon chien ; son crin est rude, son ventre ballonne un peu. Je vois à sa brave gueule que nous sommes déjà amis. D’après André Bâillon. (En sabote, Rieder, édit J

if

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Le chien Jolis yeux bruns, museau pointu, Petit nez vif, queue en panache, Le gentil chien de blanc vêtu, Gambade et joue à cache-cache.

Quelquefois, il songe, assoupi, Sans doute à d’importantes choses ; Puis il court faire un peu pipi ; Puis il montre sa langue rose. Il va, dis-tu, sans savoir où T Mais non, il a beaucoup à faire : Il guette, il flaire, il creuse un trou, Puis il s’assoit sur son derrière!

Pour voir si l’on est bien d’accord, Il lève ses doux yeux d’agate ; Et, soudain, se couche et s’endort Avec son museau sur ses pattes. H. Spiess.

Le bébé et le chat

Le chat s’en vint par les chemins mouillés du bois et se cacha tout près de la maison. La mère faisait la cuisine ce matin-là et le bébé pleurait et l’empêchait de travailler. C’est pourquoi elle le porta hors de la maison et lui donna une poignée de cailloux pour jouer. Mais le bébé continuait de pleurer.

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Le chat avança sa patte pelote, toucha la joue du bébé, le chatouilla du bout de la queue, se frotta contre les petits genoux dodus et le bébé riait. Et la mère l’entendant, sourit. Cependant, le chat s’assoupit bientôt et l’enfant se remit à pleurer. La mère n’arrivait plus à le faire taire, car il gigottait et se débattait et devenait violet. Alors elle attacha un fil au berceau et le fil traîna par terre. Le chat cligna d’un œil, bondit sur le fil, lui donna des coups de pattes, fit des culbutes, l’envoya par-dessus son épaule.'. H le poursuivait entre ses pattes de devant, faisant semblant de le prendre^ jusqu’à ce que bébé rie aussi fort qu’il avait pleuré, tant qu’il fut las et s’endormit avec le chat dans ses bras. ' « Maintenant, dit le chat, je chanterai au bébé une chanson qui l’empêchera de s’éveiller d’une heure. » Et il se mit à ronronner tout bas, tout doux, tout doux, tout bas. Quand l’enfant fut endormi, le chat qui tue les souris, le chat gentil pour les bébés qui ne lui tirent pas la queue trop fort, s’en retourna par les chemins mouillés du bois, sous les arbres, tout seul. D’après Kipling. (Histoires comme ça, Dolagrave, éditJ

If

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Le lait des chats Les chats trempent leur langue rose, Au bord des soucoupes de lait ; Les yeux fixés sur le soufflet, Le chien bâille, en songeant, morose. Et tandis qu’il songe et repose Près de la flamme au chaud reflet, Les chats trempent leur langue rose Au bord des soucoupes de lait.

Dans le salon, seul le feu glose 1 ; Mère-grand dit son chapelet, Suzanne dort sur son ourlet, Et dans le lait, paupière close, Les chats trempent leur langue rose. Ch. Guérin.

(Joies grises, Mercure do Franco, éditJ

L’ourson

Comme je devais m’absenter pendant quelques instants, j’avais attaché mon ourson au pied de la table et il avait traîné cette table dans tous les coins, renversant les chaises, renversant le poêle — heureusement éteint — jusqu’au moment où le pied de la table céda et donna à mon prisonnier une sorte de liberté relative. Il avait poussé la porte de ma chambre, que j’avais laissée ouverte, il était monté sur le fauteuil et sur le lit. Il avait déchiré le tapis. Il avait mis les pattes dans la bibliothèque et une demi-douzaine 1 Gloser : ici : se fait entendre.

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L'ourson

de volumes désormais irréparablement souillés et déchirés, jonchaient le sol. Il avait effrayé le chat qui s’était réfugié tout en haut de la bibliothèque, et qui, de là, le poil hérissé, jurait d’une façon épouvantable. Il était allé dans la cuisine et il était clair qu’il était monté sur le fourneau, avait grimpé après les tuyaux du poêle, comme on grimpe après un arbre. Il avait fracassé deux douzaines d’assiettes et toutes mes tasses à thé. Il avait enfin trouvé le garde-manger — peut-être était-ce cela qu’il cher­ chait ? — et il avait déniché un seau de confiture de cinq livres, à peine entamé, qu’il avait à peu près entièrement nettoyé de son contenu. Il dormait, à présent, tranquillement, roulé en boule à côté du seau, le pied de la table entre ses pattes. C’est à ;

if

— 39 — peine s’il ouvrit un œil lorsque je caressai sa bonne tête trop grosse, au nez rusé. Il ne me fit aucune démonstration d’hostilité \ Je le baptisai Henri. J’avais une vieille balle, et il avait tout de suite compris le parti qu’il pouvait en tirer. Je lançais la balle — ce qui avait pour premier résultat de faire entr’ouvrir les paupières obliques de mon chat par lesquelles filtrait un rayon d’or vert, — mais Henri allait gaiement vers la balle et mon chat, les yeux demi-clos, le poil hérissé, se tenait dans une attitude hautaine et discourtoise2. Henri s’emparait de la balle et commençait par essayer sur elle ses fines dents naissantes. Rebuté par sa dureté, il la reposait par terre, la contemplait un instant et d’un revers de patte, l’envoyait d’un bout à l’autre de la pièce. Il la suivait lentement d’abord, puis rapidement. Ce manège n’avait pas recommencé trois fois que toute la gravité de mon chat avait disparu. Perdant son dédain pour Henri, il ne songeait plus qu’à jouer avec lui. Il se coulait d’un bond preste du haut du meuble où il s’était isolé jusqu’alors, et passant comme un éclair d’or, entre l’ourson et la balle, il subtilisait3 celle-ci, l’envoyant à l’angle opposé de la chambre, et sautait sur la table, juste à temps pour éviter la charge balourde 4 d’Henri lancé après le projectile. Le chat, la queue pendante et frétillante, lissait 1 De méchanceté, de haine. 2 Peu aimable. 3 Dérober. * Encombrante, maladroite.

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alternativement ses deux pattes, semblait de nou­ veau indifférent à tout et, deux minutes après, enlevait de nouveau la balle à l’ourson. Je puis bien dire qu’Henri grandissait en sagesse. Son seul défaut, à mes yeux, était son appétit. A quatre mois, il mangeait comme deux hommes. Le sucre, les confitures, la farine disparaissaient en un clin d’œil. A cause de lui seul, il fallait traire une vache de plus. M. Constantin Weyeb. (Clairière, Stock, édit.J

Le chevreau Le tout petit chevreau Me souffle dans l’oreille Et chatouille mon cou. Ses deux cornes de lait Ne percent pas sa peau Mais on les devine... Il joint sur un caillou Ses beaux petits sabots. Il ouvre les narines Et cogne son front dur Contre mes genoux.

Madeleine Le y. (Petitee Voia, Stock, éditJ

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Le retour des chèvres

C’est l’heure où le chevrier rentre ; le parc aux chèvres est là tout près, et là chaque matin les gens du village amènent leurs chèvres et chaque soir ils viennent les reprendre. Un petit parc de rien du tout, une barrière sur un mur bas de pierres sèches. Longtemps à l’avance, des petits garçons, des petites filles, sont là qui attendent. Puis il se fait au loin comme un remuement, un frémissement de clochettes, quelque chose de clair, d’un peu fêlé dans l’air, qui grandit, qui s’approche ; et, là-bas, le troupeau paraît. Il commence à faire un peu sombre : c’est là, sur le chemin, une tache qui vient vite, qui déborde à droite et à gauche, grimpe aux talus et s’éparpille, puis se reforme et repart en avant ; et derrière, un garçon qui marche, levant par moment son bâton. Car c’est du vif les chèvres, chacune ayant sa tête, chacune allant comme il lui plaît. La porte du parc est ouverte ; tout le troupeau est dedans à présent ; on referme vite la porte. Et à présent les femmes aussi sont venues : et alors chacune à son tour, écartant un peu la barrière, se glisse dans le parc, s’en va droit à sa chèvre, la prend par le collier et la tire dehors. Et puis c’est le tour des enfants. Mais, eux, ont bien de la peine, parce qu’il arrive souvent que les chèvres sont plus fortes et elles sont têtues aussi ; et ils ont beau tirer, pousser, la bête ne veut pas bouger : il faut que les femmes les aident. Par la petite fente qu’on a soin de laisser entre la porte et la barrière, la bête sort enfin, une seconde, une troisième ; et puis, se sentant libres,

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elles dégringolent la pente : et on voit un petit bout d’homme qui court derrière, tout branlant sur ses jambes courtes ; on voit un petit bout de femme qui court aussi, et une encore et puis une autre. Quand une des chèvres s’écarte du chemin, ils ont un moyen pour la ramener : ils jettent une pierre du côté où il ne faut pas qu’elle aille ; c’est une langue qu’elle comprend, et elle revient tout de suite. Ainsi le parc est bientôt vide. Il ne reste plus que deux ou trois bêtes qu’on a oubliées, ou bien leurs maîtres sont en retard ; et étant pleines de malice, elles sautent vite le mur et vont brouter dans le pré du curé. C.-F. Ramuz. (Le village dans la montagne, Payot, éditJ

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j’ai vu fuir le c Qui n’a pas de Et pas de berge

Ah ! quelle triste Chamois des roc Chamois de la n De n’avoir pu t Ton dos noir et Et ta fourrure b

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L’épervier

H décrit d’abord des ronds sur le village. Il n’était qu’une mouche, un grain de suie. Il grossit à mesure que son vol se resserre. Parfois il demeure immobile. Les volailles donnent des signes d’inquiétude. Les pigeons rentrent au toit. Une poule, d’un cri bref, rappelle ses petits, et on entend cacarder1 les oies vigilantes, d’une bassecour à l’autre. L’épervier hésite et plane à la même hauteur. Peut-être n’en veut-il qu’au coq du clocher. On le croirait pendu au ciel, par un fil. Brusquement le fil casse, l’épervier tombe, sa victime choisie. C’est l’heure d’un drame ici-bas. Mais, à la surprise générale, il s’arrête avant de toucher terre, comme s’il manquait de poids, et il remonte d’un coup d’aile. Il a vu que je le guette, de ma porte, et que je cache, derrière moi, quelque chose de long, qui brille. T n J. Renard. (Histoires naturelles, Flammarion, éditJ

La chevêche

Dans la chambre bleue, hier au soir, grand remue-ménage. A croire que le diable s’était pris dans la cheminée : a Oh ! Janot ! » crie Jani épouvanté, « il y a quel1 Cacarder : se dit du ori do l’oie.

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qu’un dans la chambre. Ecoute ça. » J’arrive aussi. Effectivement on remue derrière la plaque. Qui ça peut être î Une chauve-souris ? On va bien voir. Précautionneusement, je soulève la plaque et je devine un plumage gris tacheté. Je tends la main ; un bec me pique. Tant pis ; le dernier mot sera pour moi. Et voilà que je ramène la plus jolie des chouettes : la petite chevêche. Combien de soirs nous sommes-nous amusés à l’entendre crier son cu-cu-cu monotone ! Combien de soirs, tandis que nous étions assis devant la porte, l’avons-nous imitée en cherchant à l’aper­ cevoir î Et c’est elle, à présent, qui nous fait une visite ! Bien à contre-cœur si j’en crois la colère qui anime ses yeux couleur d’or et la façon dont ses serres cherchent à griffer ma main. Connaissez-vous la chevêche ? Savez-vous combien c’est joli ? Imaginez une petite créature à plumage bouffant, brun taché blanc, la queue ridiculement courte, les chaussettes blanches, bien troussée, un peu ren­ gorgée dans son jabot, avec une auréole de plumes claires en cocarde autour des yeux et un bec crochu de rapace. Les yeux de la petite créature lancent de l’or fondu par ses prunelles éclatantes centrées d’un point d’encre. On finit par ne plus voir que ces yeux merveilleux, qui regardent droit dans les vôtres, choqués de votre audace et menaçant de vous en punir. Tour à tour, à Jani, à Janot, j’ai passé la chevêche. Janot ne fait qu’en rire et s’amuse à l’irriter en

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imitant ses cu-cu-cu de chaque soir. Il n’en est pas à sa première. Bien souvent il a vu sa chasse nocturne et s’est réjoui avec le père Urbain d’être débarrassé ainsi des mulots qui dévorent le blé. Il connaît les nids : un trou dans un mur, dans un arbre, où l’on peut, fin avril, apercevoir cinq ou six œufs presque sphériques, d’un blanc pur. Mais, pour Jani, ceci est une aventure. Voici le premier oiseau qu’il tient dans ses mains et la chance veut que ce ne soit pas un moineau vulgaire ou une hirondelle, que chacun connaît, mais une bête qui vit la nuit et qui a des yeux larges comme des écus d’or ! Il serre la bête sur sa poitrine, il la caresse doucement en lui donnant des noms amis comme à une tourterelle. Quand je propose de la lâcher il se récrie : « Encore un peu, elle est si jolie ! » Cependant le temps passe, il va être temps de se coucher. Soyons raisonnables, Jani, lâchons notre prisonnière : « Oh ! non ! si on la mettait en cage ? » — En cage ! Tu n’y penses pas, Jani ! Tu veux donc priver le père Urbain d’une de ses meilleures ouvrières ? Tu veux que les souris infestent la maison ? Jani ne répond pas et nous suit au jardin en serrant tendrement la plume blanche et grise contre son cœur. Nous voilà dehors. La nuit embaume la paille coupée. Les étoiles brillent clair dans le ciel tranquille. Un crapaud chante sous sa pierre, du côté de la pompe. Les grillons s’exténuent à crisser, dans les champs à perte de vue que blanchit la lune nouvelle: «Je vais dire: Un, deux, trois. A trois, tu lâcheras ; c’est promis ? »

— 47 — Reconnaissant les lieux paisibles de sa vie jour­ nalière, la chevêche frémit. Une fois encore nous regardons ses yeux splendides. Un, deux... trois... La main de Jani s’est ouverte et le petit corps tacheté disparaît comme une navette en velours dans l’étoffe bleue de la nuit. A. Martignon. (Jean des villes chez Jean des champs, Bourrelier, édit.)

Oisellerie

Dès la nuit, j’allais m’asseoir près de l’établi de mon père. Il allumait sa haute lampe de cuivre. Il avait cinq cages pleines d’oiseaux ; canaris, pinsons, chardonnerets et une cage d’appelants1 où il gardait un rossignol. La cage du rossignol sentait la pourriture car il fallait nourrir l’oiseau avec des vers de terre tron­ çonnés et hachés, des mouches que mon père raflait de la main. Quand c’était une grosse mouche ou un taon, il cassait la bête en deux. Il donnait première­ ment le corselet aux ailes bleues. — Le moins bon, d’abord, disait-il. Après, il tendait doucement la petite vessie du ventre pleine de miel. 1 Oiseaux qui en attirent d’autres par leurs appels et dont se servent les c nasseura.

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La lampe allumée et réglée, mon père dépendait les cages. Il les plaçait à côté de l’établi, pour que les oiseaux soient dans la lueur rousse de la lampe, et, au bout d’un moment, ils se mettaient à chanter. J’écoutais les pinsons et les chardonnerets sur­ tout. Pour que le rossignol se décide, il fallait le mettre un peu dans l’ombre, près du baquet où le cuir trempait. Aussitôt, il commençait par de petits sanglots. — Ecoute, écoute, disait mon père. Alors, tous les oiseaux se taisaient, se perchaient en grappes sur les petits perchoirs de bois et restaient là, ébouriffés et peureux et on voyait trembler le bord transparent de leurs plumes. — Ecoute... Le rossignol pleurait tout doucement pour luimême, mais je comprenais, moi, que ça allait chan­ ger et, bientôt éclatait la chanson roulante de l’oiseau. . D’après Jean Giono. (Jean le Bleu, Grasset, édit.)

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Dans la volière Dans la volière, chacun siffle son air.

Fifi, le serin, réclame dès le matin : « Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do, Du mouron pour les petits oiseaux. » Mimi, la mésange, fredonne en prenant son bain : « Touilili, j’ai bien dormi ». Aussitôt s’éveille Flup le bouvreuil : « Petite chérie, petite chérie ». Tandis qu’à chaque saut, Toto le moineau, pépie : « J’suis un titi de Paris, j’suis un titi de Paris ». Snip le pinson, crie à tue-tête : Vi, vi, vive la vie. Pendant que Robin, le rouge-gorge soupire : « Qui, qui qui, me ramènera au logis î » Et Lili, la linotte, répond au petit bonheur : « Je suis une étourdie, ça oui ! » Mais que dit Zette, la fauvette, sur sa petite balançoire, du matin au soir ! Elle dit : « Moi, je m’en... « Moi, je m’en... a Moi, je m’en ris... ». Et lorsqu’ils sont tous endormis, le rossignol s’éveille, et il chante par cœur. Marie Vancalys. (Mon beau sabot doré, Naest, éditJ

Les étourneaux

Les étourneaux sont de grands voleurs. Ils ne vivent que de maraudes. Ils sont la désolation des gardeschampêtres. Ces maraudeurs sont fort intelligents, ils savent quand le raisin est mûr, et ils accourent, affamés, le bec ouvert pour le festin. Leurs troupes Heures

claires

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bruyantes animent les airs ; ils se posent, près des vignes, sur un arbre, et tiennent de longs discours, parlant tous à la fois. Puis, un à un, sournoisement, ils tombent dans la vigne et ils s’empiffrent jusqu’à crever, à la barbe des épouvantails. Or, à Epeisses \ les étourneaux avaient un terrible ennemi. Il s’appelait Clapinel ; il était vieux, laid, maigre, méchant, grondeur, bourru, serviable et propriétaire. Sa coiffure était une éternelle calotte en peau de chat, usée et sale, et à peu près pelée. Dès que les étourneaux paraissaient, le père Clapinel décrochait un vieux fusil à piston ; il le chargeait de petit plomb et s’en allait monter la garde, à la vigne. Mais les maraudeurs le connais­ saient bien; ils savaient que ce grand bâton, aux mains du vieux, était un tonnerre dont ils devaient se méfier. Ils se cachaient, et le père Clapinel les attendait en vain. Dès qu’il tournait le dos, fatigué de sa faction inutile, les étourneaux se précipitaient dans la vigne avec de grands cris. Alors, ils dévastaient les grappes dorées en gloutons. Mais, quelquefois aussi, ils se laissaient surprendre. Le vieux revenait, soupçonneux. Il jetait de grands cris. Les oiseaux, effrayés, s’en­ volaient. Pan ! Et des victimes tombaient.

D’après G. Verdène. (Symphonies rustiques, Payot, éditJ 1 Petit hameau genevois, près du Rhône.

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Les noisettes

Les noisettes

Trois noisettes dans le bois Tout au bout d’une brindille Dansaient la capucine vivement au ve En virant ainsi que filles de Roi.

Un escargot vint à passer : a Mon beau monsieur, emmenez-moi Dans votre carrosse. Je serai votre fiancée. » Disaient-elles toutes trois.

— 52 — Mais le vieux sire, sourd et fatigué Le sire aux quatre cornes sous les feuilles Ne s’est point arrêté, Et c’est l’ogre de la forêt je crois, C’est le jeune ogre rouge, gourmand et futé, Monseigneur l’Ecureuil, Qui les a croquées. Tristan Klingsor. (Ext. de a Le Valet de Cœur», Edit. Mercure de France J

Vengeance La limace a mangé le chou. La fermière l’écrase. Il fallait manger la limace.

La chasse La feuille tombe et l’oiseau vole. Le chasseur passe. La feuille vole et l’oiseau tombe.

L’escargot L’escargot traîne sa roulotte De foire en foire Trop pauvre pour devenir riche.

La bûche Les pincettes la taquinent. Pour se venger des pincettes La bûche tire la langue. Marc Ad. Guégan.

(Troie petits tours et puis s'en vont... Messein, édit J

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Le mur aux lézards

Janot, à plat ventre sur le mur, au soleil, demeure immobile en regardant les lézards. ■ Ils sont là toute une famille — la même chaque jour, hardie et familière. On ne les distingue guère, car ils se ressemblent. Cependant, Janot les recon­ naît sans avoir besoin de leur passer un fil de couleur à la patte comme aux poules des fermes. Il y a le gros avec une queue qui n’en finit plus. Ce doit être l’aïeul. Personne ne l’ennuie ; il prend la meilleure place ; à lui seul il débarrasse le mur de toutes ses mouches. Mais il y a aussi une maman qui se fait suivre de ses petits. Janot voit un lézard — sans queue depuis le coup de dent du chat. Celui-là est un timide ; il craint tout parce qu’il a perdu le plus bel ornement de sa personne et n’a sauvé sa vie qu’à grand’peine. Néanmoins il ne manque pas d’appétit. Il tient dans sa bouche un long ver de terre qui lui fait une paire de moustaches rouges et lui donne un air de fauve dans la jungle. Déjà il a disparu dans une fissure, contre le pot de capucines. Mais Fil d’Or tient la scène à présent. On n’est pas plus élégant que Fil d’Or. Sa tête mobile est en bronze doré ; ses pattes plus légères que des fils, son ventre en soie pâle et sa queue en boucle souple. Son cœur bat vivement, sous l’écaille. Dès qu’il a pris une mouche il retourne au logis et pour cela se glisse entre les pariétaires1 comme un bracelet qui s’enroule. 1 Pariétaires : genre de plantes qui poussent sur les murailles.

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On resterait des heures à regarder cela. Le mur est un vrai mur à lézards, vêtu de croûtes de chaux branlantes sous lesquelles ils peuvent nicher. Le crépi1 cède à droite, à gauche, formant ici une caverne, là une terrasse pour les paresseux qui veulent lézarder au soleil. Un lézard ne voit que cela : la chaleur et la cachette. Tant que le soleil grillera le crépi, de toutes ces fentes et fissures surgiront des têtes menues qui regarderont, avant d’avancer, si la voie est libre. Ensuite on amènera lentement les pattes et la queue... si l’on en a une. A. Martignon.

Le ver luisant

Que se passe-t-il ? neuf heures du soir et il y a encore de la

lumière chez lui.

Le poisson

Décidément, il ne veut pas mordre. Il ne sait peut-être pas que c’est aujourd’hui l’ouverture de la pêche.

La bergeronnette

Elle court, autant qu’elle vole et toujours dans nos jambes, familière, imprenable; elle nous défie, avec ses petits cris, de marcher sur sa queue. D’après Jules Renard. (Histoires naturelles, Flammarion, éditj

1 Crépi : couche de mortier non lissé, sur un mur.

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Le serpent

Le serpent

Une fois, j’avais regardé un serpent de très près. C’était une grosse couleuvre. Je n’ai jamais eu peur des serpents. Je les aime comme j’aime les belettes, les fouines, les perdreaux, les petits lapins. Les serpents sont d’admirables bêtes paisibles, d’une beauté et d’une grâce extraordinaires. Celui-ci s’était levé presque de dessous mon pas. Il avait eu un élan et maintenant il fuyait. Il n’y avait que des roches sur la colbne : pas d’herbes, pas de touffes de thym ; il ne pouvait pas se cacher. Il n’allait pas vite. Les vagues de son corps ne mordaient pas dans la terre et il s’épuisait à se tordre sans beaucoup avancer. Il était gros comme mon bras. Il entendit que je marchais derrière lui sans me presser ; alors il se dressa sur la faucille de sa queue. U balança doucement la tête, il avait de

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grands muscles verts qui montaient le long de lui. Il ronfla de la gorge comme un petit chat en faisant trembler sa langue. H me regarda. Je voyais monter derrière sa peau sa colère, sa peur, sa curiosité, et, peut-être, un peu de cette tendresse que tous les serpents ont pour les hommes. J’étais un bien petit homme. U y avait des taches le long de son corps : du rouge s’allumait, ça s’éteignait comme des braises. Il y avait du jaune éclatant comme du soleil et du jaune pauvre d’argile éteinte, et du jaune immobile de métal, et toutes ces couleurs fusaient le long de lui et autour de lui. H s’arrêta de siffler. Bientôt, comme une eau dont on ferme le jet, il se coucha et s’en alla douce­ ment dans les pierres, rassuré. D’après Jean Giono. (Jean le Bleu, Grasset, éditj

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Araignée grise Araignée grise, araignée d’argent ton échelle exquise tremble dans le vent. Toile d’araignée qu’avec soin tu tends lourde de rosée dans le matin blanc ! Ouvrage subtil qui frissonne et ploie ô maison de fil, escalier de soie.

Araignée grise araignée d’argent ton échelle exquise tremble dans le vent. Madeleine Ley . (Petites voix. Stock, édit« J

Ill

Le pays La Genève d’autrefois

Genève ne fut pas toujours la grande ville que vous connaissez. Elle fut aussi rustique qu’un village. Et pour la considérer telle qu’elle fut, il n’est pas besoin de remonter à la nuit des temps ; pas même au temps de la Réforme, ni même à celui de la Révolution. Aussi longtemps que Genève conserva sa ceinture de murailles, elle apparaissait une cité campagnarde, aux mœurs paysannes, de physio­ nomie toute champêtre. Des oies et des cochons s’ébattaient dans ses rues. Des poules picoraient sur ses places. Des fumiers s’étalaient au seuil de ses maisons. A la rue des Granges, il y avait des granges ; à la Treille, des treilles. Il y avait une maison du blé, une maison du foin, et le marché des chevaux se tenait à Plainpalais. Il y avait des couverts, des écuries, des poulaillers, des pigeonniers, des petits jardins, des bouts de clos ou de vergers blottis sur un coin de rempart ; des carrés de choux frisés, de laitues, de fines herbes poussés Dieu sait comme ; des trous de haies, des orties au pied des murs, des chardons aux Tranchées. A Champel, c’était la rase campagne ; à la rue de Beauregard, un étroit sentier grimpait parmi les fleurs jusqu’au bastion du Pin.

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Par les portes de Rive, de Neuve, de Cornavin, sur les chars de Savoie ou sous les voiles des barques, à pleins paniers, à corbeilles pleines, la campagne entrait et s’installait à demeure, elle jetait bas sur le pavé sa charge de fruits et de légumes et prenait possession du paysage comme, un jour de marché, elle s’empare aujourd’hui de nos rues. Des bruits de sabots couraient avec les enfants autour des claires fontaines, et les ânes des laitières étaient liés aux bornes de Coutance. Des gens portaient des brantes sur le dos ; des femmes lavaient leurs légumes en plein air ; une paire de bœufs accouplés sous le joug ruminaient au seuil d’un estaminet. Dans les rues, ça sentait rétable, le foin sec ou le vin doux, et avec l’odeur des champs qui s’épandait partout, partout la vie aux champs étalait au soleil ses aspects, ses mœurs, ses coutumes, ses propos, ses personnages.

D’après Ph. Monnier.

Dans la vieille ville

Gravir une petite rue, c’est passer du bruit au silence, c’est quitter les trottoirs encombrés pour le calme de la vieille ville. En quelques minutes la ceinture des anciens murs est franchie, le sommet de la colline est là. Voici les hautes maisons tassées les unes contre les autres, accotant leurs toits bruns hérissés de cheminées biscornues. Des passages, des ruelles,

— 60 — des « allées traversantes », des rampes rapides les séparent ; elles bordent des rues étroites où le soleil se montre peu. Ces rues portent des noms pittoresques. Taconnerie, Tour de Boël, Soleil Levant, Degrés de Poule, Chausse-Coqs ; elles mènent toutes au cœur de la ville, à sa cathédrale. Une vieille porte de bois ornée de guirlandes et de figures joufflues donne entrée sur une cour humide et silencieuse. Quand les lourds vantaux 1 qui gardent la maison à tourelle sont repliés, on voit une rampe extérieure formant galerie. Mille logements ouvrent leurs fenêtres à guillotine2 sur la rade bleue et la ligne des montagnes. Des pierres rondes pavent la cour de St-Pierre ; à travers les branches des ormeaux dont le feuillage entre dans les vieux logis, le ciel luit doucement. Du haut clocher tombent les notes du carillon, un vol de pigeons part dans un claquement d’ailes. Il semble que le vieux temps va revivre. Le pot à feu s’allumera-t-il ce soir pour éclairer la fontaine fleurie ? Le veilleur de St-Pierre crierat-il les heures de la nuit ? Les artisans de la rue des Chaudronniers, de la Pélisserie, de la Rôtisserie vont-ils sortir de leurs échoppes 3 î N on ! après la rue du Cloître qui dort à l’ombre des tours, l’escalier de la rue des Barrières redescend et c’est de nouveau le bruit, l’animation, les trottoirs encombrés. Marie Passello. ’ Vantail : battant d’une porte ou d’une fenêtre. 2 Fenêtre «’ouvrant do bas on haut au moyen d’un châssis. 3 Boutiques.

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Heures (frises, heures claires

Heures grises, heures claires Au clocher de l’église Chante le carillon Heures claires, heures grises Tout au long des saisons. Heures claires, heures grises Comme un vol de pigeons Qu’éparpille la bise Sur les toits des maisons. Heures grises, heures claires Que va prendre le temps Fines graines légères Sur les ailes du vent. Ainsi le carillon, Heures grises, heures claires, A jeté sa chanson Du clocher de Saint-Pierre. Albert Atzen wiler.

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Les cerisiers de Saconnex-d’Arve

Connaissez-vous ce village, dans le voisinage duquel se dresse le vieux château de Compesières ? C’est au printemps surtout que le promeneur y dirige volontiers ses pas. Car si les habitants du Mandement sont fiers de leurs vignes, ceux de Saconnex sont glorieux de leurs cerisiers. Et c’est justice ; nulle part, dans le canton, ces arbres ne prodiguent leurs produits avec une telle générosité. D’avril à mai, les arbres en fleurs apparaissent de loin comme de gracieuses guirlandes suspendues au-dessus du vert encore tendre des prairies. Le moindre souffle de brise détache les pétales qui s’envolent en blancs essaims emplissant l’espace de senteur agréable. Lorsque juillet arrive, la cueillette des cerises devient pour les paysans une occupation absorbante. Il faut aller vite et disputer aux oiseaux le fruit à la pulpe si fraîche. Pendant quelques jours, hommes, femmes, enfants, butinent dans les arbres. Souvent un rire, un cri fait lever la tête au promeneur étonné qui découvre, perdue dans le feuillage, la figure réjouie d’un campagnard ou celle, toute barbouillée, d’un enfant. Car on s’amuse sur les arbres, on échange des plaisanteries, on chante, on jase, tandis que s’emplit le large panier retenu à,une branche par un crochet de >is. On s’entretient d’arbre à arbre, et souvent un ohé ! est lancé, puis répété de loin en loin par des bouches rieuses. Marins Tagini.

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Du haut de la tour d’Hermance

Dans un jardin parfumé de roses et d’hé­ liotropes, la tour d’Her­ mance se dresse au-dessus des grands sapins et du petit village. Un sentier resserré entre deux murailles dont les moellons 1 énormes sont recouverts d’une résille2 de lierre, conduit au pied de la tour. On y monte par un escalier aux marches étroites et hautes construit dans la molasse des mursqui ont près de trois mètres d’épaisseur. Il y fait froid et noir malgré les ouvertures qui laissent pénétrer le jour ; dans chaque recoin s’agrippent les araignées, nichent les chauves-souris. Mais au sommet de la tour, tout est lumière. Sur la pierre brûlante un lézard d’émeraude, allongé, la gorge battante, regarde le soleil. Le lac, criblé de paillettes d’or, miroite. En face, quelques bourgades vaudoises émergent de la brume tandis que, plongé dans l’ombre, le Jura s’estompe, rapiécé vers le bas de champs moissonnés et de prairies fauchées. Tout au fond : Genève avec sa cathédrale. Plus près, ici et là, tapi dans une combe, le toit rouge d’une chaumière rutile et chante comme un coquelicot parmi les blés. Serrées les unes contre les autres, les maisons du village ont rabattu de larges avant-toits sur la grisaille de leurs façades. Contre l’église au clocher 1 Moellon : pierre de construction. * Résille : espèce de filet.

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vert-de-grisé, s’appuie le presbytère dont les croisées sont fleuries de pétunias ; enfin le cimetière qui regarde le lac, ce lac où les barques tissent, à l’heure violette du couchant, un sillage lumineux, ce lac où se reflète tout le pays. ,, . m 1 J Marie Thœni.

Au Salève

— Nicolas, que dirais-tu d’une excur­ sion au Salève ? Ça te va-t-il ?... Ça va! Je t’emmène demain, décide le cousin Gobernard. — Bonne idée, approuva mon père. Ça lui fera du bien. — Prépare-lui son petit sac, et ne le chargez pas trop. Pas de pain, ni de vin ; nous nous en munirons à Bossey, au pied de la montagne. Quelques œufs durs et une tranche de fromage. Le reste, j’en fais mon affaire. Et demain matin, mon garçon, trouvetoi à six heures au bas de la Cité, pour le tramway de Carouge. Le lendemain, comme six heures sonnaient à la tour de l’Ile, je me trouvais au rendez-vous. Je ne tardai pas à voir apparaître, à mi-côte de la Cité, et dégringolant la rue à grands pas, la corpulente stature du cousin de mon père, en large feutre mou, la vareuse au vent, le bâton ferré à la main, les souliers à clous aux pieds et portant en bandoulière un gros bissac aux formes singulièrement rebondies. — Tu es exact, c’est parfait. Nous aurons le beau, le baromètre monte. Pourvu que nous n’ayons pas trop chaud et que nous puissions faire la grimpée à l’ombre, ça ira bien.

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Nous suivîmes la rue du Conseil-Général, nous enfilâmes l’interminable rue de Carouge, nous atteignîmes le pont sur l’Arve. Puis ce fut Carouge, que nous parcourûmes dans toute sa longueur entre ses maisons basses. Nous parvînmes enfin place du Rondeau, située à l’extrémité de la petite ville. Deux routes p’en détachaient : celle de Saint-Julien par le Plan-les-Ouates, et celle de Collonges-sousSalève. Nos sacs bien assujettis, le mien sur le dos, celui du cousin Gobernard sur son flanc gauche, c’est cette dernière route que nous attaquâmes. Par une lente montée, nous abordâmes le plateau de Grange-Colomb. La montagne s’offrait là dans toute son ampleur. Elle ressemblait à un énorme dromadaire accroupi, avec sa bosse que nous allions escalader, son encolure du creux de Monnetier, et le Petit-Salève, formant la tête, qui allait frotter son museau dans le sable de l’Arve. Nous descendîmes sur Troinex ; laissant le village derrière son rideau d’arbres, nous longeâmes son petit ruisseau murmurant. Puis nous poursuivîmes notre chemin sur Bossey, dont nous ne tardâmes pas à apercevoir la grosse église. Nous débouchions bientôt sur la ferme de l’Hô­ pital, postée contre la montagne, et qui servait d’auberge aux ascensionnistes. Des tables et des bancs rustiques invitaient à la halte. — Nous nous arrêterons quelques instants ici, le temps de poser les sacs, de souffler un peu et de compléter les provisions, dit le cousin Gobernard en se séparant de son bissac, non sans un certain soulagement. Heures

claires

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Au Soléve

Dix minutes plus tard, nous grimpions entre les vignes le raidillon de Crevin, au bruit frétillant d’un petit torrent. Formidable, saisissante, verticale et noire, la Grande Gorge ouvrait devant nous sa faille 1 mons­ trueuse. A mesure que nous nous rapprochions de la paroi, le spectacle devenait écrasant et terrible. Nous montions depuis une heure, quand, avisant un replat de la roche contre laquelle virait notre étroit sentier, mon cousin jugea le moment venu d’opérer un nouvel arrêt. Je pris place à côté de lui sur la margelle de pierre. Droit sous nos pieds, dévalait le précipice hérissé de broussailles. Devant 1 Faille : ouverture, cassure produite dans les roches.

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nous, se dressait vertigineusement l’autre paroi de la gorge, avec ses assises énormes, ses corniches et ses escarpements. De temps en temps, nous nous arrêtions ainsi quelques instants pour reprendre notre souffle et jouir du paysage, variant d’aspect au fur et à mesure que nous nous élevions. Bientôt nous sortions de la partie resserrée de la gorge et nous débouchions dans le cirque supérieur, dont tout un flanc nous apparaissait déjà baigné de clarté. Chaque pas nous rapprochait de la crête. — Encore un petit effort ! dit mon cousin en changeant pour la dernière fois son bissac de côté. Et tout à coup, ce fut le grand large, l’éblouisse­ ment. Au détour d’un dernier buisson, nous avions mis le pied sur le gazon ras du sommet. — Hein, c’est beau ! fit le cousin Gobernard en soufflant cordialement. L’immense vallée du Léman se développait à perte de vue, avec la plaine éclatante de son lac. Mes yeux suivirent longuement la route du lac, passèrent sous Lausanne qui brillait, voguèrent en vue de Rolle, de Nyon, s’engagèrent entre les rives resserrées du Petit-Lac, virent Bellevue devant la lan­ guette du Creux de Genthod, débarquèrent à Genève. Ils s’arrêtèrent un instant sur la tour de Champel, qui s’effilait entre les arbres ; puis ils rencontrèrent Carouge, retrouvèrent le ruban blanc du chemin de Troinex et vinrent se perdre dans les buissons qui masquaient Bossey, les buissons noirs de la Gorge qui s’ouvrait sous nos pieds. D>après L. Dlim (L'Ecole du dimanche, Mercure de France, édit J

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La plaine des Rocailles

A nos pieds, s’étend la plaine des Rocailles. Ainsi disent les Genevois. Mais nous, nous disons les Communaux, parce que ce terrain de bruyères, de bois, de pierrailles, qui n’était bon qu’à la pâture, autrefois, est, pour une partie encore, la propriété des communes. On marcherait dans chaque sens une heure et demie pour atteindre le premier, le dernier de ces rocs de pierre grise. Quelques-uns sont énormes, fort éloignés de la plus proche montagne. C’est le glacier de l’Arve qui les a déposés là, dans sa retraite, il y a des milliers d’années. Mais l’homme tenace a mis les pierres plus petites en tas ; il en a clôturé ses nouvelles conquêtes. Sur les blocs les plus gros, parfois, il a porté le pic. Il a fait sa maison, pour finir, dans ce bouleversement. Je vois une fumée ici, puis là, puis là, très loin, qui bleuit sur le chaume ou sur la tuile rouge... Mais les villages demeurent en dehors. Là-bas, à gauche, au flanc du coteau, sous les forêts, voici le clocher d’un hameau. Le terrain se soulève en ondulations couvertes d’une herbe rase, alpestre, de genévriers, d’épinevinette, de petits boqueteaux de chênes, de coudriers. ...Le relief s’émiette jusqu’au loin. Des ravins, des vallons, des combes et, quelquefois, après la pluie, un petit lac s’y blottit. Le Môle pointu domine un de ces vallons tandis que le Salève se dresse au-dessus d’un autre. D’après H. de Ziegleb. (La Véga, Attinger, éditJ

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Les collines

Nous sommes les petites collines. . Entre le Rhin, les Alpes, le Jura, nous couvrons tout le pays. Quand on nous compare aux montagnes, on nous prend pour un troupeau de moutons couchés dans l’herbe, près d’un village aux larges toits. Nous sommes gaies toujours, et nous formons des chaînes autour des lacs, comme des fillettes, à la sortie de l’école, qui, se tenant par la main, tournent autour de la fontaine. - Le soir, quand le soleil est couché et que, seules, les pointes des rochers sont roses, nos champs deviennent bleus, nos forêts do sapins et de hêtres s’assombrissent à nos sommets : alors, nous sommes pareilles à des vieilles qui rentrent chez elles, l’une après l’autre, portant du bois mort sur leur échine cassée. Nous arrêtons le vent et nous réglons le cours des ruisseaux, nous abritons les vignes et nous exposons les blés à la chaleur. Et nous voyons tout le pays : les lacs, les rivières, les villages, les villes jusqu’aux frontières. Et les Alpes que nous regardons en face, semblent défiler devant nous comme de grands chars de foin. G. de Reynold. ■

(Cités et pays suisiM, Payot, édit J

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Au bord du Jac

Au bord du lac

La journée finie, il faisait bon se reposer. Le père Pinget allait et venait. Voûté, un peu boiteux à cause de ses varices, il tournait en rond, les mains dans les poches. Il allait voir si les bateaux étaient bien amarrés, il revenait, s’arrêtait près des filets mis à sécher, il les dépendait, il les rependait ; puis il retournait aux bateaux. On entendait sonner sept heures au village, le soleil se couchait. Les vagues, une à une, venaient mourir parmi le sable et le gravier, avec un petit bruit, pareil à un soupir, un soupir de contentement, l’air de dire : « il fait bon s’étendre », et à cela répondait sur la rive l’autre soupir du vent doux dans les saules, aux branches desquels les chatons

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pendaient. Mille et mille petites chenilles jaunes qui leur donnaient de loin un air d’automne, un air fané, mais de plus près venait leur odeur do sève sucrée : alors on pensait : « Mais c’est au contraire le plus beau moment du printemps!» Le lac cependant tournait au gris ; il ne restait plus de rose qu’aux creux des vagues, tout un alignement de minces bandes roses qui flottaient comme des rubans ; et dans le ciel aussi les nuages se dispersaient, s’éteignant l’un après l’autre. Un dernier cri d’oiseau, puis tout se taisait. Les arbres noircissaient dans l’ombre. Et le père Pinget lui aussi devenait tout noir, qui se tenait debout sur le petit débarcadère, et il secouait par moment la tête, parlant tout haut, selon son habitude, mais je ne pouvais pas comprendre. Je vidais ma pipe sur le bord du banc. — Eh ! dites donc là-bas, ce serait peut-être le moment d’aller manger la soupe. Mais le père Pinget ne se pressait jamais. J’étais rentré depuis un moment déjà que je l’apercevais toujours debout, à la même place ; et j’allumais la grosse lampe en cuivre qui pendait au plafond. D’après C.-F.

Ramuz.

(La beauté eur la Terre, Grasset, ¿dit J

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Le beau pays de Vaud

Le cœur du pays romand c’est le lac. Tandis que le train file à micôte, au milieu des vignes, il se découvre brusque­ ment à nos yeux. Et les vignes, elles, glissent tout droit vers les ondes entre des murs de pierres sèches ; parfois, un ruisseau tombe en cascade entre deux vignes, le sulfate a bleui son écume. Les villages et les bourgades sont tout en bas, au bord du lac; leurs toits aux tuiles rondes se serrent autour d’un clocher. Tout ce pays de Lavaux s’arrondit comme un golfe, avec le Chablais en face ; et, entre Lavaux et le Chablais, le Valais s’ouvre comme un grand corridor rempli de vent qui dégorge les eaux crayeuses du Rhône dans les eaux bleues du lac, au milieu des roseaux. Lausanne. Après, le paysage n’a plus cet aspect grandiose : il devient une longue campagne que les vignes et les prés se partagent également. Villages et petites villes régulièrement se succèdent : dans les intervalles, des châteaux, des villas, des jardins et des parcs. Le Jura, qui avait disparu, qu’on ne voyait plus que de loin, se rapproche. De l’autre côté, le lac se rétrécit et s’amincit en pointe vers l’horizon. Ce n’est plus une petite mer, c’est un grand fleuve. Le soir est venu ; le Jura est bleu sombre ; audessus, le ciel rose et jaune, — un ciel cendré. Des cordons de lumière scintillent et se doublent, reflétés par les eaux : Genève. D’après G. de Reynold. (La Suisse une et diverse, Fragnières, édit., FribourgJ

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Le village dans la montagne

II n’y a de pierre que la maison du bon Dieu, les autres sont en bois ; elles sont petites, serrées, toutes tournées vers le soleil, et noires, étant vieilles. Sous leurs toits avançants et leurs bonnets bleus de fumée, leurs petits yeux brillants regardent. Elles se ressemblent toutes, avec un air de parenté, étant seulement un peu plus petites ou un peu plus grandes. Et comme elles se sont serrées autant qu’elles ont pu, il n’y a entre elles que d’étroits passages où donne l’escalier. Elles se suivent le long du chemin, un peu penchées, s’appuyant de l’épaule comme si elles avaient sommeil, avec encore des vitres à résilles 1 de plomb, par-ci, par-là, leurs deux ou trois étages, leurs rangs de petites fenêtres ; et puis des raccards 2 par derrière. Le chemin est une espèce de rue très étroite, où passe tout juste un mulet chargé ; il s’en va tout de travers, tout tordu. Ce chemin n’est point pavé, seulement, de place en place, une pierre qui était enfoncée dans la terre, sous le frottement des pieds est ressortie, faisant saillie, et partout autour, dès qu’il pleut, il se forme une boue épaisse. — On distingue les poutres des maisons avec leurs nœuds et leurs fissures, de ce bois de mélèze qui est rouge fraîchement coupé, puis noircit. On trouve d’abord la fontaine qui est creusée dans un gros tronc, où l’on voit toujours des femmes 1 Héaille8 : Minces barres réunissant les fragments d'un vitrail. 2 Raccord : chalet réservé aux provisions de blé on de seigle.

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qui lavent. A côté, il y a le four qui ouvre à l’air sa gueule noire dans un tas de pierres qui penchent, mal maçonnées ; c’est là qu’on cuit les pains de là-haut, noirs et durs. Un peu plus loin, il y a la chapelle, elle est blanche et toute petite. Cette chapelle, ce four, la fontaine, c’est à peu près tout, ils n’ont pas besoin d’autre chose. Le reste, c’est des maisons. Il y a des petits enfants un peu partout, assis ou qui se roulent par terre ; on voit, par les portes ouvertes, dans l’intérieur des cuisines. Tout ce qu’il leur faut, les habitants le tirent d’ici; ils se suffisent à eux-mêmes. On peut voir où leur blé mûrit, comment ils le coupent et le lient en gerbes, et où ils vont le moudre, le four où cuira le pain. Et le lait des vaches qu’on voit paître, qu’on voit traire, c’est dans cette chaudière qu’il deviendra fromage. Pour la viande, ils ont leur bétail, leurs cochons, leurs chèvres ou bien leurs mulets. Et pour boire, le vin de leurs vignes. Pour leurs habits, la laine des moutons ; pour leur toile encore, des carrés de chanvre. Point de bruit de forge, il n’y en a pas ; point de bruit de char qui roule, de fouet qui claque, et point non plus de coq qui chante, ils n’ont point de poules là-haut. Mais du silence, dans tout le ciel et sur la terre : une voix, un enfant qui pleure, le bruit de l’eau quand on arrose, qui coule le long du chemin ; pas même une horloge qui sonne ; il n’y a au clocher qu’une cloche pour le bon Dieu. C.-F. Ramuz. (Le village dan» la montagne. Payot, éditj

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Ceux de là "haut

Quand ils se lèvent, au petit jour, ils font d’abord une prière ; c’est le maitre qui la récite ; les autres écoutent ayant les mains jointes ; et par elle le travail est toujours béni. A cette heure de la prière, un air frais souffle encore, ils ont froid ; quelquefois tout est sous le givre ; on dirait un voile de fine dentelle, qui noircit par place et s’évanouit. Ce qu’ils font aujourd'hui, ils l’ont fait hier, ils le feront demain ; toutes les journées pour eux se ressemblent. Ils sont tout seuls, pas de village alentour. Le maître a son tabac, le vili1 aussi, et ils fument la pipe, c’est tout leur plaisir. lies jeunes, parfois se courent après, ou bien se buttent, pour

( ’»MM* dé Î4 4w*f

1 Vili : pminlor Vnlnl,

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rire un peu ; ou sortent des orguettes1 pour se jouer un petit air ; après quoi, de nouveau, ils tra­ vaillent et dorment. La montagne non plus ne change jamais autour d’eux, étant immobile ; et, qu’elle soit habillée de neige, ou bien revêtue de brouillard, ils la con­ naissent bien, ils ne la regardent pas. Ceux du chalet sont encore assis devant la porte ; le maître fume sa pipe, le vîli aussi, le dos contre le mur, et plus en avant les autres. Ils ont tous de très vieux habits, avec des franges dans le bas, avec des trous au coude ; des vieux chapeaux enfoncés. Le petit maïo 2 a un bonnet de poil ; lui, va et vient, ayant toujours à faire ; à chaque pas on voit sortir ses doigts de pied de ses souliers, parce que l’empeigne ne tient plus. Et il est joli, ayant des yeux noirs et de grosses joues rouges, seulement il a mal à un œil, qu’il frotte tout le temps du revers de la main. C.-F. Bamuz. (Le village dans la montagne, Payot, éditJ

Le bateau à vapeur

On voyait toute la rive. Les débarcadères fai­ saient comme des barres en avant des maisons. Alors, tout là-bas, dans le bleu, une petite fumée en forme de boule se montrait, et dessous bougeait un point noir. C’était un bateau à vapeur. Il s’approchait peu à peu, en même temps que la fumée épaississait, et, faisant une grande courbe, 1 Orguettes : musique à bouche. a Maïo : petit berger.

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il abordait successivement à tous les débarcadères. Une vapeur blanche montait ; un petit moment après, arrivait le coup de sifflet. Cela venait entre nos phrases, mesurant la fuite du temps. Vite on levait les yeux. On cherchait le bateau des yeux, on se disait : « Voilà qu’il est déjà à Montreux. » C’est l’après-midi qui passe. Le pont du « Bonivard » est couvert de dames en toilettes et de messieurs bien habillés ; la foule se portant toute du même côté, à certains moments, le bateau penchait. C’est quand on fait machine arrière. La roue, qui tourne sur place, tire du fond de l’eau des grappes de bulles blanches, et deux cygnes fâchés, gonflant leurs ailes et redressant le cou, s’éloignent dignement, parce que c’est des bêtes fières. Pendant ce temps, on met en place la passerelle ; un remous se fait sur le pont ; des passagers débarquent, d’autres s’embarquent; et le gendarme a son uniforme du dimanche, une tunique à plastron bleu de ciel, un beau képi neuf, des gants blancs. D,aprè8 C.-F. Ramuz. (La vie de Samuel Belet, Payot, édit J

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Le lac Le bleu du beau temps dort sur l’eau, Mets les rames au bateau Hisse la voile, la voile blanche qui claque, C’est le beau dimanche du lac ! Le grand vapeur s’approche avec sa fumée ronde Et tous ses pavois flottants... On fera le tour du monde... On est content, on s’embarque, C’est le dimanche du lac, la croisière du beau temps ! On s’est mis tout à l’avant, Plus près du bleu, plus près du vent, Et plus près du beau voyage ! Sous l’étrave qui le fend, Le flot luisant se partage. Tandis que des deux côtés S’avance, comme les deux faces de l’été, Le cher pays des deux rivages.

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Regarde ! le pays s’avance à nos côtés ; Nous quittons la ville et le blanc des quais, Et les guirlandes de drapeaux Voltigeant au-dessus des batelets rangés. Voici le golfe de fraîcheur, La plage devant les cabanes Où sèchent des filets qu’a verdis l’eau limpide... Et l’odeur de la grève humide Où fuient la bécassine et le martin-pêcheur... Regarde ! le pays vient à notre rencontre ! Voici les villages heureux, Tuiles roses, brunes, moussues, Maisons serrées, abris des hommes, Maisons aux figures carrées, Basses, ou longues, ou pointues, Qui regardent le pays Sous le sourcil de leurs treilles, Vieux visages des villages Dont les joues sont craquelées et bronzées Par les siècles et les saisons, Destin calme des maisons Aux petits yeux noirs et verts, Qui se sont toujours ouverts Sur les mêmes horizons.

Jacques Chenevière. (Fragment extrait de * La Fêle de la jeunette tl de la joie.}

IV

L’enfant, la famille, l’école Hors du logis

Ma mère me crut perdu, une fois, un dimanche d’été. H faisait une chaleur lourde et l’on m’avait mis au frais, tout seul, près du four, dans une seille remplie d’eau. Au bout d’une demi-heure, je commençais à m’ennuyer, et je sortis de mon bain. La porte du fournil1 était ouverte sur la rue. Me voilà dehors. Or, il y avait, tout en face, une brasserie. Je traversai la chaussée et j’entrai là, tout nu, parfaitement à mon aise, au milieu des clients. On imagine si je fus fêté. Les gens se passaient de mains en mains ce petit homme tombé du ciel. Pendant ce temps, ma mère avait trouvé le baquet vide, la porte ouverte. Elle courut, affolée, au café Gauthier, où mon père jouait aux cartes en fumant sa pipe. — Joseph, cria-t-elle, Joseph, on a volé notre fils... — Que veux-tu qu’on en fasse T dit sagement mon père, en ôtant sa pipe. 1 Fournil : dans une boulangerie, la pièce où se trouve le four.

— Bi­

ll se leva néanmoins, et, voyant de l’autre côté de la rue vide et morte la brasserie d’où partaient des rires, il devina. De son pas toujours égal, il vint chercher son rejeton. On profita du reste de cette affaire pour m’apprendre — et de la bonne façon — que je ne devais point m’écarter do notre logis. D’après H. Béraud. (La gerbe d'or, Les éditions de France, éditJ

Pataud, dit Tibête

C’était un gros chien des Pyrénées. Il s’appelait Pataud et devait ce nom à son aspect lourd et rustique. Jamais on ne vit deux êtres unis d’une plus étroite et tendre affection que Pataud et l’enfant de son maître. Le bébé fourrait ses petites mains dans l’épaisse toison de la bonne bête, et lui tirait les poils sans qu’elle fît mine seulement d’y prendre garde. On étendait, dans l’après-midi, au fond du jardin, un grand tapis sur lequel se roulait l’enfant à demi-nu, sous la surveillance de Pataud. Si le bébé criait, le gros chien s'élançait vers la maison et ramenait la maman, la précédant avec des clignements d’yeux et des gambades. Un des premiers noms que l’enfant sut dire, après ceux de papa et de maman, fut celui de Pataud. Il l’appelait aussi Tibête. Heures claires

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C’est qu’un jour, comme sa mère lui disait : —- Dis Pataud, mon chéri, voyons, dis Pataud. — Taud, avait répondu l’enfant. — Non, dis Pa-taud. — Taud, avait répété bébé. — Mais dis donc Pataud, petite bête ! — .Tibête, s’était-il écrié. Et le surnom était resté à Pataud, que l’on appelait de temps à autre Tibête et qui ne s’en fâchait pas. Il ne se fâchait de rien, quand il s’agissait du petit. Un jour, on entendit le chien qui poussait des cris de douleur ; c’était comme une espèce de râle. La mère eut peur. Elle courut et vit son bébé qui, de l’une de ses deux menottes, avait saisi la langue de la pauvre bête. Il s’y était accroché et tirait de toutes ses forces en riant. La mère lui fit lâcher prise et lui donna, par manière de correction, une petite tape sur la joue. Le chien la regardait avec des yeux suppliants, et il avait l’air de dire : « Mais non, ça ne m’a pas fait mal ; c’était pour rire ; ne le grondez pas ! » Bonne bête, va ! Francisque Sarcey. ( Grandeur et décadence de Minon-Minette, Ollendorf, éditj

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Le bout d’affaire

La main dans la main de sa sœur aînée, il s'avance avec assurance sur le chemin. Il est docile, poli et confiant. Les hommes posent la main sur sa tête, et. lui prenant un peu de joue entre deux doigts, ils disent : « Oh ! le gentil petit garçon ! Comment s’appellet-il ! » On lui dit : « Réponds au monsieur 1 Comment t’appelles-tu ? » Il dit : « Je m’appelle Charles > Tout lui est sujet d’étonnement : le vents la lune, le brin d’herbe, les fleurs, les bêtes. Il questionne beaucoup. Il demande, par exemple : « D’où vient le vent î » ou bien : a Pourquoi Mis chèvres ont-elles des cornes ! » on bien : * Qu'y a-t-il derrière le Jura et qu’y a-t-il derrière k «K T • De telle sorte que sa mère le dénomme un tonrmontrchrétien. « Oh ! quel petit tourmente-ch Mtmr Mu fais ! » s’écrie-t-elle souvent. Quelquefois, cependant, on lui répond. Q»»#n vew^ à wm* voisine dans un petit panier pruprismmH eewi^R d’un linge. Fréquentant une école enfant m«\ cù Wm^rN^**^. lui révèle la science, il y tourne de* eemM* ve*, des petites filles qui, quoique étant Ae *e* ^*a > dirigent, le morigènent et lu mum'heM U court après les papillon*, Mvmp*è ^ ^^a^ ramasse les scarabées, nhiHIo h* ii^MW*» '*x'*^ des pissenlits, et M’amuse d'une \^mW X**H * farine qu’on lui a donnée,

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11 pleure souvent et pour rien, quand il tombe par terre, quand il se donne un coup, quand on lui a pris son arche de Noé. Son désespoir éclate en cris soudains, stridents, décisifs. Mais, un rayon de soleil brille, ou quelqu’un lui montre une affaire inconnue, adieu les larmes ! le désespoir est envolé, et sur les roses mouillées, le sourire du soleil se met à refleurir. D’après Ph. Monnler.

La tartine de Fanchon

Grand’mère donne à Fanchon une pomme avec du pain et lui dit: — Va, mignonne, va jouer et goûter dans le clos. Et Fanchon va dans le clos, où il y a des arbres, de l’herbe, des fleurs et des oiseaux. Déjà elle a tiré son couteau de sa poche pour couper son pain, à la mode du village. Elle a d’abord croqué la pomme ; ensuite, elle a commencé de mordre au pain. Alors un petit oiseau est venu voltiger près d’elle. Puis il en est venu un second, et un troisième. Et dix, et vingt, et trente sont venus autour de Fanchon. H y en avait des gris, il y en avait des rouges, il y en avait des jaunes, et des verts, et des bleus. Et tous étaient jolis et ils chantaient tous. Fanchon ne savait point d’abord ce qu’ils lui voulaient. Mais elle s’aperçut bientôt qu’ils voulaient du pain et que c’étaient des petits mendiants.

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La tartine de Fanchon

C’étaient, en effet, des mendiants, mais c’étaient aussi des chanteurs. Fanchon avait trop bon cœur pour refuser du pain à qui le payait par des chansons. Et elle leur jeta des miettes qui ne tombèrent point à terre, car les oiseaux les saisissaient en l’air. Fanchon vit que les oiseaux n’avaient pas tous le même caractère. Les uns, rangés en cercle à ses pieds, attendaient que les miettes leur tombassent sous le bec. Elle en voyait, au contraire, qui volti­ geaient avec beaucoup d’adresse autour d’elle. Elle s’avisa même d’un voleur qui venait effrontément picoter la tartine. Elle émiettait le pain et jetait des miettes à tous. Mais tous n’en mangeaient point. Fanchon reconnut que les plus hardis et les plus adroits ne laissaient rien aux autres.

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Les quatre heures A quatre heures, sous un arbre, on boit le café.

Une petite fille bien sage L’a apporté dans un panier, Avec le pain et le fromage ; Il est ni froid, ni trop chaud, Mais il est juste comme il faut. Les hommes et les femmes sont assis en rond, Chacun sa tasse à la main ; ils parlent Du temps qu’il fait, de la moisson Qui va venir, et des ouvrages Qui changent avec les saisons, Mais sont toujours aussi pressants, Alors on n’a jamais le temps... Le temps de quoi ?... on se demande. Un oiseau bouge dans les branches, Les sauterelles craquent dans le foin... Oui, le temps de quoi ?... Et on se regarde. Mais dès qu’on a vidé sa tasse, Dès qu’on a mangé à sa faim : « Est-ce qu’on y va ?... » Vous voyez bien : On n’a jamais le temps de rien. O.-F. Eamuz.

(Les six cahiers, Payot, édit./

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Le goûter des petits

— Tu n’as pas vu les petits ? demande Alphonsine. — Ils étaient là, il y a un petit moment, répond le père. — Tiennette, avez-vous vu les petits ! — Non, maîtresse. — Et alors î Alphonsine jette un coup d’œil tout de suite sévère sur l’alentour. Il y a la rigole ; il y a le puits ; il y a les gros pièges à renards tout posés, même en plein jour. — Nano ! Nano ! Nano ! — Lison ! crie le père. Un moment de silence. Ils écoutent tous les trois. Mais les petits ont répondu : — Oui ! En même temps, ils sortent de l’herbe qui les cachait. L’aîné, Jean, mène sa sœur Elise par U main. De l’autre main, ils tiennent, comme un cierge un grand calice de colchique. — Ze m’avais fait mal, dit la fillette. Alphonsine est venue devant les deux enfants avec une grosse miche de pain. Elle fouille *u»i dans la poche de son tablier. — Tiens. La petite fille tend la main et reçoit Inns t^w» sèches et deux noix. — Tiens. Elle se tourne du côté du petit garçon qui a\aA la main prête et qui reçoit ses (rota figue» ^ «e» deux noix. — Et attendez.

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Elle leur coupe le pain avec un grand couteau qui est comme une serpe. Elle s’est penchée sur la miche. Elle la tient contre elle et elle la coupe doucement, sans faire de miettes. D’après J. Giono. (Regain, B. Grasset, édit.)

Les petites pommes J’ai dans mon panier, Trois jolies petites pommes, J’ai dans mon panier, Trois pommes pour mon goûter. Mais je veux donner La première à mon petit frère, Mais je veux donner La seconde pour un baiser.

Et je garderai La troisième, la dernière, Et je garderai La troisième pour la manger. A. Baudeuf.

(Petites chansons.)

En chemin de fer

Milot, jeune garçon de quatorze ans, se rend seul de Bordeaux à Marseille, où il va chercher du travail» j

Le train de sept heures était à peine formé que Milot occupait déjà un coin du compartiment, au milieu d’un beau wagon à couloir. Toutes les places furent bientôt prises.

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En chvnwn tir /r»1

Dès que le train fut sorti du lu amis h* p*^»' •’^ se planter devant la vitre du eouloh\ *x^ A'x vt-vs avides. Il était heureux ! De vante inonde eàvnwvs^* * défiler devant lui, offrant mom hm^n* xn^tn^r*'*'*’"< fugitives et vivantes. Ici, un gamin jouait an mooe0n dtw W ^ avec un cercle do tonnnuu) dans un ^vtn oMh* * ' vieil homme enhchhuh,ii.lt uni« pUlv h*toV ’* femme s’arrêtait do Mwiiiim son i^m* yvtn ^ >: passer le train ; un candou fahall 1* ^VHVhVs ^ entrer dans un garage, Vint la campagne avau ni«« |U^\ >c* W w • labours encore nus, son ilpnoldm, *H Vd's^v

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Milot chantonnait de joie, le nez à la vitre, mais se retournait de temps en temps pour constater que sa place dans le compartiment était toujours à sa disposition et que ni sa valise ni sa musette1 ne pouvaient sauter du filet. Bientôt, Milot éprouva le besoin d’aller s’asseoir. Observer les gens en chemin de fer, entendre leurs propos, cela aussi ne manquait pas d’intérêt. A côté de Milot, il y avait un homme d’une quarantaine d’années, employé ou commerçant, puis sa femme et, agenouillé sur la banquette, près de la fenêtre, leur petit garçon qui posait à ses parents une foule de questions sur tout ce qu’il voyait. En face de Milot, un monsieur à la moustache grise- et à la mine renfrognée parcourait son journal. Il y avait encore deux dames, l’une tricotant, l’autre cousant et un soldat qui somnolait. Hameaux et bourgades continuaient à défiler devant le petit voyageur. Leur masse apparaissait furtivement dans une courbe de la voie ou entre deux blocs de bâtisses ; puis le train entrait sous le grand hall vitré des gares. L’enfant retourna dans le couloir. Le paysage changeait. La culture de la vigne, de plus en plus, dominait toutes les autres. Au ras du sol, les ceps noirs et rabougris s’alignaient en longues files régu­ lières entre lesquelles passaient avec précaution des charrues tirées par un seul cheval. Les vignobles étaient parés d’arbres en fleurs, délicats bouquets roses et blancs, amandiers et pêchers. Les routes » Sac de toile qui sert à renfermer des vivres.

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étaient bordées de platanes et, çà et là, de lointaines silhouettes de montagnes émergeaient d’un horizon de collines bleues. Milot se sentait fatigué. Il regagna sa place... Ses yeux brûlaient. Alourdies, les paupières se fermèrent tandis que la tête alla se caler dans un coin du compartiment. L’enfant s’endormit... D’après Ch. Vildrac. (Vers le travail : Milot, Société universitaire d’édition et de librairie, éditj

En gardant les vaches

Comme il faisait beau et que le fin soleil de septembre avait bu la rosée matinale, Françoise s’en fut « en champs » avec trois petits bergers. Elle tenait à la main une baguette, et son cœur était ferme, car, depuis la veille, elle savait qu’elle n’aurait plus peur des vaches. Toute la bande s’en alla, comme de coutume, dans ce Pré du Moulin qui est vert tendre, bordé seulement de deux collines basses qui n’empêchent pas qu’on voie, au delà, les côtes du Jorat. Les enfants placèrent leurs vaches, qui s’appellent Mignonne, Mouche, Fauvette et Bergère, pour s’en aller, eux, au bord du ruisseau, où mûrissent les ronces bleues. Par le beau soleil, rien de plus délicieux que ce petit métier de berger. On flâne, on bavarde, on descend vers la haie où les mûres s’offrent et où se coupent de belles baguettes droites. Toute la bande chante et court. A peine si l’on pense, deux ou trois fois l’heure, à « tourner » les vaches qui sont allées

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brouter aux touffes d’autrui, à ces plantes de luzerne qu’octobre a respectées et qui offrent, intacte, leur verdure sucrée. Un coup de baguette sur le dos de Bergère ou de Fauvette et la bête, oublieuse un instant du bien d’autrui, revient à l’herbe permise. Par la pluie, le métier est plus dur. De longues heures, jusqu’à ce que la cloche du village les rappelle, nos « bovairons » demeurent dans l’herbe mouillée, leurs socques s’imprégnant lentement d’humidité froide, leur pèlerine coulant en longues larmes sur l’herbe écrasée. Le ciel est morne, le froid de l’arrièreautomne pénètre corps et âme, les petits bergers se sentent seuls et courbent la tête... Cet après-midi là, le soleil brillait. On décida de s’en aller vers le ruisseau, où l’on trouverait bien quelques mûres laissées par les moineaux. Françoise, jetant sa baguette et courant jupe troussée par le vent, rejoignit les garçons occupés à rassembler à côté d’une fourmilière les mûres cueillies, pour, commodément, les répartir. Mais les garçons n’ont point de tendresse et savent mal partager avec les petites filles. Dès que Françoise les eut rejoints, ils la renvoyèrent rudement, pour qu’elle s’occupât des bêtes. — Va les surveiller, lui dirent-ils. Petite Françoise obéit. Mais, le soir, lorsque le troupeau repassa devant la maison, Françoise se détacha du groupe et revint tristement à sa mère : — Maman, ils m’ont envoyée « tourner » les bêtes, pendant qu’ils mangeaient les mûres. Je n’y veux plus aller.

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Et pourtant... il est si fort, le charme du pré vert, des chansons et des rires, que Françoise, consolée, y revenait le lendemain matin. Pierre Deslandes. ».

Le petit convalescent

(Les saisons enlacées, Spes, édit J

Un matin, un joli petit matin, un exquis petit matin bien joyeux, tout frais, tout rose, un matin, Trott s’est réveillé tout léger, tout gai, avec la tête libre et bien dispose. Et au lieu de spectres 1 horribles s’agitant dans une fumée noire, avec une chaleur mortelle ou un froid de glace, sur des nuages qui vous enlevaient, ou dans des gouffres où l’on roulait, Trott a vu à côté de son lit sa petite maman endormie sur un fauteuil et sa sœur Jane arrangeant des fioles 2 près de la fenêtre. Alors il a essayé de parler. Mais il ne savait plus comment on faisait. Il a poussé un petit grognement. Maman s’est réveillée en sursaut. Il a voulu lui dire bonjour, et il a dit : « Maman, j’ai faim. » Maman a fondu en larmes (quelle drôle d’idée !) si fort, qu’elle n’arrivait plus à s’arrêter. Trott ne savait pas que c’était si triste... Pourtant on a fini par lui apporter un tasse de bouillon. C’est ça qui est bon ! Seulement il n’y en avait pas assez. Et comme il s’est senti fort après l’avoir bu ! Il lui semblait que tout de suite il allait se mettre à courir ! 1 Spectre : fantôme. 1 Fiole : petite bouteille.

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Ah ! bien oui ! quand, quelques jours après, on l’a laissé poser son pied par terre pour la première fois, toute la chambre s’est mise à tourner autour de lui comme un manège de chevaux de bois, et, sans Maman et Jane, il se serait étalé par terre de tout son long. Pourtant, bien doucement, en s’ap­ puyant, il est arrivé à se lever, puis à mettre une jambe devant l’autre, enfin à aller jusqu’à une chaise longue préparée pour lui près de la fenêtre. Oh ! que c’était bon de respirer, tout vif, tout pur, tout parfumé, le bon air de la mer ! Et aujourd’hui, pour la première fois, sur la plage qui, par derrière, monte jusqu’au jardin, on a installé un grand parasol avec un fauteuil. Entre sa maman et Jane, émues et attentives, Trott s’est avancé à petits pas très lents. Oh ! s’il avait voulu, il aurait pu aller plus vite. Il est très fort, mainte­ nant. Mais, pour la première fois, il faut être prudent. D’ailleurs, c’est très long. Il y avait peut-être bien cinquante pas à faire : c’est beaucoup quand on n’en a presque pas fait depuis tant de jours. Aussi Trott était-il content d’arriver. Jane lui a apporté une grande tasse de lait qu’il boira tout à l’heure. Maman s’est assise à une petite table tout près. Pour ne pas fatiguer Trott, elle ne lui parle pas, et elle se met à écrire une lettre au papa de Trott pour lui dire que maintenant son petit garçon va beaucoup mieux. Pauvre papa! Trott voudrait qu’il ait déjà la lettre.

André Lichtenberger. (Mon petit Trott, Plon, édit.^

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La ferme du petit Parisien

La nuit de Noël apporta à Pierre des polichinelles, des chevaux et des soldats en grand nombre. Et, le lendemain matin, devant la cheminée, la maman en peignoir, les mains pendantes, regardait avec défiance toutes ces figures grimaçantes de jouets. —Cela va encore l’exciter ! se disait-elle. 11 y en a trop ! Et doucement, de peur d’éveiller Pierre, elle prit dans ses bras le polichinelle qui avait l’air méchant, les soldats qu’elle redoutait, les croyant fort capables d’entraîner plus tard son fils dans les batailles ; elle prit le bon cheval rouge lui-même, et elle alla, sur la pointe des pieds, cacher tous ces joujoux dans son armoire. N’ayant laissé dans la cheminée qu’une boîte de bois blanc, le cadeau d’un pauvre homme, une bergerie de trente-neuf sous, elle alla s’asseoir près du petit lit, et regarda dormir son fils. Le petit air de fraude qu’avait sa bonne action la faisait sourire. Mais, voyant les paupières bleuies du bébé, elle songea de nouveau : — C’est horrible qu’on ne puisse pas le faire manger, cet enfant ! A peine habillé, le petit Pierre ouvrit la boîte et vit les moutons, les vaches, les chevaux, les arbres, des arbres frisés. C’était, pour être exact, une ferme plutôt qu’une bergerie. Il vit le fermier et la fermière. Ils allaient au pré faire les foins ; mais ils n’avaient pas l’air de marcher. La fermière était vêtue d’un chapeau de paille et d’une robe rouge. Pierre lui donna des baisers et elle lui barbouilla la joue. Il vit la maison : elle était petite, et si basse, que la fermière n’aurait pu s’y

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La ferme du petit Parisien

tenir debout ; mais cette maison avait une porte, et c’est à quoi Pierre la reconnut pour une maison. Il découvrait de même aux arbres de la boîte une ressemblance avec des arbres qu’il avait vus, là-bas, dans l’herbe épaisse et le bon air des mon­ tagnes de la Suisse où il avait passé l’été. Il voyait encore d’autres choses que sa maman ne voyait pas. Tous ces petits morceaux de bois enluminés évoquaient en lui des images touchantes. Il revivait par eux dans une nature alpestre ; il était une seconde fois dans cette Suisse qui l’avait si grassement nourri. Alors, les idées se liant les unes aux autres, il pensa à manger et dit à sa manière : — Je voudrais du lait et du pain. Il but et mangea. L’appétit se réveilla. H soupa le soir comme il avait déjeuné le matin. Le lendemain,

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la faim lui revint en revoyant la bergerie. Ce que c’est que d’avoir de l’imagination ! Quinze jours après, c’était un gros petit bonhomme. Sa mère, était ravie. Elle disait : — Regardez donc: quelles joues! C’est la bergerie de ce pauvre Monsieur X. qui a fait cela. D’après Anatole France.

A cache-cache

Quel vilain temps pour un jour de congé ! La neige a fondu. Il pleut depuis le matin. Impossible de mettre le nez dehors. Pourtant, Jacques, Maurice et Berthe s’amusent joliment. Ils jouent à cache-cache dans la maison. C’est Jacques qui cherche. Il n’arrive pas à trouver les deux petits. Passant devant le cabinet noir où maman pend ses robes, il veut l’ouvrir ; c’est fermé à clef, et la clef manque. Eh ! elle est à l’intérieur ; elle dépasse un peu par le trou de la serrure. Jacques, de tam­ bouriner à la porte ; nulle réponse. Derrière la porte, Maurice et Berthe se tiennent fortement embrassés dans les ténèbres. Ils éprouvent à la fois des sentiments de frayeur et de sécurité et n’osent respirer qu’à peine. Au bout d’un moment, Jacques crie à tue-tête : — Berthe, es-tu là ? — Non, répond une jolie voix étouffée. Et quand Berthe a ouvert, ce sont des éclats de rire à n’en plus finir qui soulignent la réponse» naïve de la petite fille. D’après Léon Catiimn. (Leur petit garçon, Perrin & C’", édit J Heures claires

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Le cerf-volant Bien au-dessus de la mer bleue, Dans le ciel clair, De son interminable queue Balayant l’air, Et comme un gros corps sans cervelle Cabriolant, S’agite au bout d’une ficelle Le cerf-volant. Majestueusement cocasse, Tout galonné, Au beau milieu de sa carcasse Il est orné D’un grand soleil, où l’or ruisselle, Etincelant, Et que vient trouer la ficelle Du cerf-volant. Le grand oiseau fantasque et bête Du fil léger Veut, par maint et maint coup de tête, Se dégager ; Mais une force l’ensorcèle, Le turbulent... C’est l’enfant qui tient la ficelle Du cerf-volant. J. Normand.

Sur un radeau

C’était un dimanche. Une grande barre de lumière tra­ versait le lac, oblique, allant du soleil jusqu’à la rive. Une belle eau bleue brillait au pied des vignes, entre les échalas. Sur la grève, les petites vagues venaient l’une après l’autre se coucher aux pieds

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des promeneurs, comme le chien qui reconnaît son maître. Elles s’allongeaient, les pattes en avant, et leurs griffes blanches s’ouvraient sur le sable. C’était dimanche. Partout on parlait, partout on entendait des chants, des voix, des rires. Des bateaux à rames allaient et venaient. Quelques mouettes survolaient la rive. Des cygnes gonflaient leurs plumes de colère quand on les frôlait. De grands bateaux à vapeur passaient au large, tout blancs avec leurs drapeaux rouges et blancs, verts et blancs, rouges et jaunes ou tricolores ; leur grosse roue battait, faisant entendre son tapotement de très loin. Deux gamins, Ernest et Louis, manœuvraient un radeau qu’ils s’étaient construit avec deux ou trois bouts de planches clouées à des moitiés de tonneaux.

Mar un radeau

— 100 — Ils maniaient de gros bâtons qui leur servaient de rames. Le corps tout brun, parce qu’ils avaient recommencé à se baigner, ils ne portaient qu’un petit caleçon à rayures bleues et blanches autour du ventre. Le radeau longeait la rive du lac. H passa en avant du bois de pins où se trouvait la cabane du père Rouge, le pêcheur. Les deux gamins criaient et se disputaient : — Attention ! Ernest, tu fais pencher le bateau... — Non, c’est toi ! — C’est toi, je te dis. On entendit la voix de Rouge qui appelait les gamins : — Eh ! là-bas, quels apprentis vous me faites ! Voulez-vous bien ramer tous les deux en même temps... Ernest, rame à droite... Toi ! Louis, metstoi à gauche. Plus à gauche, Louis, voyons... Attendez, je m’en vais vous apprendre. Le père Rouge détache son bateau qui se balance tout doucement. Il l’a appelé « La Coquette ». U rame d’abord entre les roseaux, dans l’eau trouble ; il tourne sur la droite, il s’avance dans l’eau bleue. Il fait semblant de venir tout droit sur les gamins. Il dirige sur le radeau la pointe de la Coquette. Les gamins poussent des cris et essayent d’abord de lui échapper en ramant aussi fort qu’ils peuvent. Mais le canot du père Rouge va plus vite. Voyant qu’ils ne réussissent pas et craignant la collision, ils se jettent à l’eau l’un et l’autre. Ils nagent quelques instants, puis ils se hissent à grand’peine, avec des rires, sur leurs planches. Ils crachent

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l’eau par la bouche et ils se passent les mains dans les cheveux et le long de la figure. Ils crient : — Monsieur Rouge, attendez ! on va vous prendre à la remorque. Le père Rouge les laisse faire. Ils passent entre les planches, à l’arrière de leur radeau, la corde d’avant de la Coquette. Ils se penchent sur leurs rames. Ils tirent lentement le bateau vers la rive où ils vont aborder. D’après C. F. Ramuz. (La beauté sur la terre. Grasset, édit.7

Le bain de rivière

La chaleur est si forte que nous ne savons plus résister au plaisir du bain quotidien. La rivière est un peu loin, mais bien à nous et il y a des plages de sable fin pour s’étendre au soleil en écoutant chanter les peupliers. Vers trois heures, ayant fait un paquet de nos maillots, nous glissons la clef derrière le contrevent de la cuisine. Tout le long des berges nous connaissons de petites criques où s’abriter et qui nous servent de chambres pour passer nos maillots. — Ici, Dolly, tu garderas nos vêtements. Mon Dieu ! que l’eau est bonne et fraîche ! Nous y entrons franchement jusqu’aux épaules, d’un coup. Cela fait un peu crier. Mais c’est de plaisir aussi.

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Et maintenant, amusons-nous. Sous l’herbe fourrée, qu’abrite un saule chevelu, nous avons dissimulé un vieux pneu d’auto, cadeau du père Grille, grâce auquel Jani et Janot traversent la rivière sans danger. Ils s’asseyent confortablement, l’un après l’autre, sur le radeau improvisé, tandis que je les accompagne à la nage. D’ailleurs ils sauront nager bientôt, eux aussi. Chaque jour amène des progrès. Un garçon de douze ans qui ne saurait pas nager ! On ne peut y penser. Je les mène par le menton, là où l’eau n’est pas profonde ; déjà ils font quelques brasses tout seuls et l’émulation les pousse. Je ne leur donne pas un mois pour traverser la rivière sans le secours de leur radeau de caoutchouc. Traverser est si amusant ! L’autre rive n’est pas du. tout pareille à celle-ci. Elle est fleurie de lupins blancs1 et habitée par un martin-pêcheur au costume rouge et bleu, qui fuit comme un éclair lorsqu’on le dérange, mais que nous avons vu deux fois plonger dans l’eau et capturer un poisson avec son long bec. S’il n’a pas de poissons il se satisfait aussi bien d’une limace, même d’une libellule. Les libellules ! 11 y en a tant par ici ! Dolly, la chienne, les observe sans sympathie lorsqu’elles glissent contre ses oreilles. Si elle ne craignait pas de manquer à sa tâche de gardienne d’habits elle les poursuivrait le long des buissons. 1 Lupin blanc : plante fourragère à fleurs en grappes qu'ou trouve dans le Midi.

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Mais elle veut mériter les louanges que nous lui ferons, tout à l’heure, lorsque, sortant à regret de la rivière, nous viendrons la flatter, caresser son poil couleur de bière et lui redire vingt fois : « Belle D°Uy!» A. Màrtignon.

Jeux d’intérieur

Les jours de pluie, confiné dans l’appartement, je faisais la chasse aux moustiques, ou démontais complètement les pendules de grand’mère, qui toutes s’étaient détra­ quées depuis notre dernier séjour ; rien ne m’absor­ bait plus que ce minutieux travail, et combien j’étais fier, après que je les avais remises en mouvement, d’entendre grand’mère s’écrier, en revoyant l’heure : — Eh! dites-moi, Juliette! ce petit... Mais le meilleur du temps de pluie, je le passais dans le grenier dont Rose me prêtait la clef. De la fenêtre du grenier, on dominait les toits voisins ; près de la fenêtre, dans une grande cage en bois recouverte d’un sac, grand’mère engraissait des poulets pour la table. Les poulets ne m’intéressaient pas beaucoup, mais, dès qu’on restait un peu tran­ quille, on voyait apparaître, entre l’encombrement de malles, d’objets sans noms et hors d’usage, d’un tas de poussiéreux débris, ou derrière la provision de bois et de sarments, les frimousses des petits chats de Rose, encore trop jeunes pour connaître la tiède quiétude de la cuisine, les caresses de Homo, l’âtre et le fumet du rôt tournant devant le feu du sarments. D’après A-' '

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Des jeux amusants

Le soir, quand papa et maman ont le temps, petit Jacques aime beaucoup jouer avec eux. Papa fait le cheval : il se met à quatre pattes et Jacques grimpe sur son dos. « Hue ! » crie Jacques. Papa hausse alors brusquement le dos ; mais Jacques ne tombe pas, car il s’y attendait : il avait noué ses petits bras autour du cou de sa monture. Il est seulement secoué très fort et il rit aux éclats. D’autres fois, on joue à la bête féroce. Jacques dit que son papa est un grand et terrible lion rugissant. Il faut le voir’ sauter autour de cette bête effrayante, tenir son petit tablier bien serré autour de lui pour ne pas être happé au passage, et se réfugier dans les bras de sa mère, où le lion finit toujours par le saisir et le manger... de baisers ! D’autres soirs, on joue au marchand. Papa sort dans le couloir avec Jacques. Puis il le prend sur ses épaules et le recouvre d’un vieux tapis. — Pan, pan ! à la porte. — Entrez, entrez, dit la maman. Et le marchand paraît, sa marchandise sur le dos. — Bonsoir, madame. — Bonsoir, monsieur. — Je suis le marchand, madame. Je viens de très loin ; je vous apporte un joli chien, madame. — Je n’ai pas besoin de chien, monsieur. — Oh ! quand vous aurez vu celui-là, madame, vous voudrez pour sûr le garder. Un chien si bien élevé, qui donne si bien la patte ! Il sait dire papa, maman !

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Et l’on marchande, et l’on discute. Quand tout a été arrêté et réglé, le marchand livre la marchan­ dise, et la maman fait semblant d’être bien étonnée de recevoir sur ses genoux, non pas un chien, mais son coquin de petit Jacques. Il n’avait eu garde de souffler mot pendant que maman discutait avec le marchand, mais mainte­ nant il pousse des cris de joie. D’après Dupin de Saint-André. (Magasin d'éducation.)

Le jour de Catherine

II est cinq heures. Mile Catherine reçoit ses poupées. C’est son jour. Les poupées ne parlent pas : pour­ tant le cercle est animé. Mlle Catherine parle pour ses visiteuses aussi bien que pour elle-même : elle fait les demandes et les réponses. Je lui ferai pourtant un reproche : elle cause sans cesse avec la même visiteuse qui est jolie et qui a une belle robe. Elle a tort. Une bonne maîtresse de maison est également affable avec toutes ses invitées. Elle les traite toutes avec sollicitude et, si elle peut montrer quelque préférence, ce n’est qu’aux plus modestes et aux moins heureuses. Il faut flatter le malheur ; c’est la seule flatterie permise. Mais Catherine l’a compris d’elle-même. Elle a deviné la vraie politesse : c’est le cœur qui l’inspire. Elle sert le thé à ses hôtesses et n’en oublie aucune. Elle insiste, au contraire, auprès des pounéo^

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sait pauvres, malheureuses et timides, pour qu’elles prennent des petits gâteaux invisibles et des sand­ wichs faits avec des dominos. Catherine aura un jour un salon où fleurira h vieille politesse française. . 3 Anatole France. (Nos enfants. Hachette, édit.)

L’aiguille

Berthe, si fraîche et si jolie, qu’on en mangerait, est assise par terre à côté de sa maman et elle coud comme une grande dame. Elle coud de la vraie toile avec une vraie aiguille et du vrai fil. Elle pousse l’aiguille dans la toile, et le fil passe et repasse tout entier, et elle ne veut jamais que la maman noue le fil. — Comment veux-tu que je couse s’il y a un nœud ? dit-elle. — Moi, je fais un nœud, dit la maman. Et comme il serait trop long d’expliquer pourquoi, elle ajoute : — Chacun ses habitudes. Les uns préfèrent coudre sans nœud, les autres avec un nœud. — Avec un nœud on coud mal, dit nettement Berthe. Et comme elle lève les yeux pour voir si on la regarde, elle se pique un peu. Elle l’a senti à peine. Va-t-elle pleurer, va-t-elle rire ? Cela dépend d’un rien, d’un geste de sa mère. Elle ne sait plus, elle s’informe : — Elle est méchante, l’aiguille, dis, maman î — Mais non, ma chérie, elle est gentille, au contraire. Tu vois bien qu’elle veut jouer. Elle cogne

à la porte de ton doigt. Elle demande poliment : « Peut-on entrer î » Et il faut que tu lui répondes, gracieuse et d’une voix douce : « Entrez, mignonne !» — Ah ! que c’est drôle ! dit Berthe qui se décide à rire de bon cœur. Puis elle se remet à l’ouvrage, elle coud d’un air travailleur et elle attend que, de nouveau, l’aiguille la pique, et dès qu’elle sent quelque chose : — Entrez, mignonne ! dit-elle. — Bravo, dit la maman, de cette manière il n’y a aucun danger. Berthe éclate de rire. Elle s’amuse beaucoup. Elle s’amuse même trop et devient imprudente. Comme, à son gré, l’aiguille ne pique pas assez souvent, elle l’aide et voilà qu’elle jette un cri. Cette fois, l’aiguille a pénétré. Une goutte de sang perle au bout du doigt et la main s’agite dans Pair. On dirait qu’une rose s’est blessée à son épine. Mais, tandis que vite la maman suce le doigt et souffle dessus, Berthe, ses petites épaules secouées comme si elle avait une petite cascade dans le cœur, répond tout de même : — En-entrez, mi-ignonne ! Jules Renard. (Bucoliques, Albin Michel» édit J

Les confitures

Mes mains sont rouges et sanglantes. Durant toute une longue journée j’ai pilé, pressé, massacré des milliers de victimes dont le sang coulait à flots dans des vases profonds.

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Et le soleil éclairait cette œuvre abominable qui m’a laissé courbatu \ mais satisfait... On le serait à moins... car j’en aurai, en comptant bien, cinquante-sept ou cinquante-huit. — Cinquante-huit quoi ? — Cinquante-huit pots de confitures ! et bonnes ! et sucrées ! Une livre de sucre pour une livre de fruits. A l’heure qu’il est, le jus vermeil de mes groseilles et de mes framboises emplit jusqu’aux bords une large bassine, un feu doux achève paisi­ blement le travail, tandis que je regarde se coucher le soleil. J’avais des montagnes de groseilles ; les fram­ boisiers ployaient sous leurs fruits ; j’ai retroussé mes manches et, ce matin, j’ai commencé la cueil­ lette. Toute la maisonnée m’a aidé. Enfouis sous d’im­ menses chapeaux de paille et armés de vastes paniers, homme, femme, enfants ont travaillé sans relâche. On cueillait au grand soleil, tandis que bébé marchait dans les plates-bandes et se barbouillait consciencieusement. Puis chacun a vidé son panier sur la grande table de la cuisine et notre rouge récolte s’est dressée en une montagne énorme. Les travailleurs étaient autour de la table, égre­ nant avec ardeur sous un rayon de soleil qui, se faufilant sous les feuilles, venait, à travers la vieille fenêtre, dorer les fruits et égayer le tableau.

G. Droz. 1 Courbatu : très fatigué.

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La pêche infructueuse

La pêche infructueuse

J’allai, un dimanche, en secret, faire ce que nous appelions « requiller », c’est-à-dire relever les quilles pour le compte des joueurs qui nous payaient quelques sous par partie. Avec l’argent gagné, j’achetai une canne à pêche, je creusai la terre du jardin et je cherchai des vers que je mis dans une boîte de fer blanc. Puis je partis vers le pont de fer, là où j’avais vu que s’était tenu, un jour, un pêcheur. Des truites, je ne vis que les formes brunes, tantôt, presque immobiles et agitées seule­ ment d’un mouvement latéral, tantôt, filant comme des ombres. Je pêchai longtemps au ver, mais c’était un temps à pêcher à la mouche. J’avais juré de ramener au moins une truite et je rentrai bredouille,

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accablé, dégoûté de moi-même, de la pêche, et de cette partie de la rivière, et des plantes à larges feuilles, et du crapaud qui sauta devant moi, tandis que je rentrais à la nuit tombante. Je suspendis ma canne à pêche au-dessus de la chaudière dans la cuisine et je ne la décrochai plus cet été-là. D’après Marcel Hofeb.

La soupe

Voici l’automne. Pierre, Babet et Jeannot vont ramasser les feuilles mortes. Pierre a pris sa hotte, Babet a pris son sac, et Jeannot les suit avec sa brouette. Ils ont descendu la côte en courant. Ce n’est point un jeu. C’est un travail. Mais ne croyez pas que ces enfants soient tristes parce qu’ils travaillent. Le travail est sérieux, il n’est pas triste. Voilà les enfants à l’œuvre. Cependant le soleil qui monte réchauffe doucement la campagne. Des toits du hameau s’élèvent des fumées, légères comme des haleines. Les enfants savent ce que disent ces fumées. Elles disent que la soupe aux pois cuit dans la marmite. Encore une brassée de feuilles mortes, et les petits ouvriers prendront la route du village. La montée est rude. Courbés sous le sac ou pen­ chés sur la brouette, ils ont chaud, et la sueur leur monte au front. Pierre, Babet et Jeannot s’arrêtent pour respirer. Mais la pensée de la soupe aux pois soutient leur courage. Poussant et soufflant, ils

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arrivent enfin. Leur mère, qui les attend sur le pas de la porte, leur crie de loin : « Allons, les enfants, la soupe est trempée. » Nos amis la trouveront excellente. Il n’est si bonne soupe que celle qu’on a gagnée. A. France. (Enfants des villes et enfants des champs.)

L’enfant trouvé

Je suis un enfant trouvé. Mais jusqu’à huit ans j’ai cru que, comme les autres enfants, j’avais une mère, car lorsque je pleurais, une femme me serrait si douce­ ment dans ses bras, en me berçant, que mes larmes s’arrêtaient de couler. C’était ma bonne mère adoptive \ Jamais je ne me couchais dans mon lit sans qu’elle vînt m’embrasser, et, quand le vent de décem­ bre collait la neige contre les vitres blanchies, elle me prenait les pieds entre ses deux mains et elle restait à me les réchauffer en me chantant une chanson, dont je retrouve encore dans ma mémoire l'air et quelques paroles. Quand je gardais notre vache le long des sentiers herbus, et que j’étais surpris par une pluie d’orage, elle accourait au-devant de moi et me forçait à m’abriter sous son jupon de laine relevé qu’elle me ramenait sur la tête et sur les épaules. 1 Mère adoptive : femme qui considère un enfant comme son fil# san« en ctre la mère.

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Enfin, quand j’avais une querelle avec un de mes camarades, elle me faisait conter mes chagrins, et presque toujours elle trouvait de bonnes paroles pour me consoler ou me donner raison. Par tout cela, et par bien d’autres choses encore, par la façon dont elle me parlait, par la façon dont elle me regardait, par ses caresses, par la douceur qu’elle mettait dans ses gronderies, je croyais qu’elle était ma mère. D’après Hector Malot. (Sans famille, Hachette, éditJ

Sur le pré

Lalie et son petit frère Jo ont perdu leur maman. C'est une étrangère, Madeleine — Nêne, comme les enfants Vappellent — qui les élève tendrement. A l’ombre, sur l’herbe rase du pré, Lalie avait entrepris de mener une ronde. De sa main droite elle tenait la main de Jo et, de sa main gauche, elle soutenait Zine, la poupée de bois. Elle avait mis à Jo une couronne de joncs ; sur le cœur de Zine elle avait attaché, avec un brin de laine, un gros bouquet de marguerites. Et c’était la noce. « Derrièr' chez nous dort un étang, » « C'est le vent... » Ici, Lalie ne savait plus. — Nêne, comment dis-tu, après î Madeleine, penchée sur son lavoir, chante : « C'est le vent qui vole, qui frivole, n

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Sur le pré

— Ah ! oui ! Lalie sauta en l’air et continua en tournant plus vite : a Le fils du roi vint en chassant. » Elle s’arrêta, perdue encore ! Elle commença à se fâcher. — C’est Jo ! Il n’y a pas d’amusement :... Quand on dit: C’est le vent! il faut courir... Jo tire en arrière, lui! Veux-tu courir, dis, quand c’est le vent ? Elle secoua Jo ; alors Jo donna un coup de pied à Zine et la ronde fut rompue. Madeleine se retourna. — Eh bien ! vous ne vous amusez plus ? — C’est Jo! dit Lalie. Il a cassé une jambe à Zine... et il tire toujours ! Jo, sans rien dire, vint se blottir près de Made­ leine. Lalie fut jalouse ; elle berça sa poupée. Heures

claires

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— Viens, ma pauvre Zine !... Lalie n’aime que Zine, voilà ! — Vrai t Tu n’aimes pas un peu Nêne ? — Oh si ! cria la petite en se redressant, et elle sauta avec son frère sur la planche du lavoir. Madeleine les embrassa tour à tour en écartant les mains pour ne pas les mouiller. — Vous allez tomber dans l’eau, dit-elle et vous m’y ferez tomber aussi... Allez-vous en ! — Veux-tu faire la ronde avec nous ? dit Lalie. Viens ! je te donnerai la main et puis Zine. — Jo aussi! dit l’autre. Madeleine les serre contre elle, en rapprochant les coudes. — Je n’ai pas le temps aujourd’hui. Il faut que je lave vos sarraux \ vos bas... vous le savez bien ! — Il n’y a pas d’amusement ! dit Lalie. — Mais si ! faites la ronde ; moi, je chanterai. La petite battit des mains. — Oui, oui ! Jo, viens ! Zine, viens ! Toi, Nêne, dis « Le vent qui vole ». Madeleine se mit à chanter. Quand elle s’arrêta : — Encore ! cria Lalie ; encore, Nêne ! Madeleine continua; son battoir allait au saut, ses yeux riaient. Elle finit la chanson et puis la reprit. Quand elle tourna la tête pour savoir où en était la partie, elle vit que les enfants ne l’écoutaient plus. 1 Sarraux : tablier«.

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Lalie faisait dire la prière à Zine qu’elle venait d’asseoir ne pouvant la mettre à genoux. Quant à Jo, il était occupé à arracher des poignées d’herbe ; il faisait : Han ! h an ! et il tirait la langue tant l’effort était rude ! Ernest Pérochon. (Néne, Plon. édit.J

Berceuse Dindolette, Dindolon ! La clochette De Saint-Jean, Qui la sonne ? Pierre-Jean. Elle fait : Dindon !

Qui est mort ? L’escargot. Qui le pleure ? La grenouille. Elle fait : Couic-couac !

Toutoutoure Toutoutou ! . La trompette De laiton... Qui la souffle ? Janeton. Elle fait : Toutou !

— 116 — Qui est-ce qui siffle ? Le chevrier. Qui lui répond ? La chevrette. Elle fait : Bé-hé !

Qui sommeille ? L’enfançon. Qui le chante ? La grand’mère. Elle fait : Dodo ! Philadelphe

de

Gerbe.

(Grasset, édit.)

La famille de Tifernand

Je ne suis pas certain que Tifernand ne s’écrive pas en deux mots : Tit-Fernand, puisque ce nom est l’abrégé de Petit-Fernand ; qu’importe. J’ai commencé à l’écrire comme Birette l’a écrit une fois sur son ardoise, sous le portrait qu’elle avait fait de son frère. J’adopte défini­ tivement cette orthographe. Pourquoi on l’appelle ainsi ? Parce qu’il a un frère, Paul, qui est son aîné de six ans. Quand Tifernand vint au monde, Paul avait donc six ans ; je ne sais s’il se croyait très grand, mais le bébé dans son berceau lui paraissait bien petit. Paul le regardait, lui parlait, et quelques mois plus tard lui faisait faire des risettes en l’appelant : P’tit Fernand, p’tit Fernand !

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pour toute

Rirette, parce que quand sa sœur vint était plus commode

uand c’est Lamandin. chez ses parents, a troisième maison à Ebénos. l’est ni grand, ni très nu avec beaucoup de ille à manger avec sa mnd fait ses devoirs, loucher, pendant que e lit le journal. C’est déplie un lit pour parents et, plus

emballeur. C’est peu voûté, qui porte travaille rue des Ebénos ; on le voit clouer des caisses sur le trottoir, devant la boutique de son patron : trois coups de marteau pour chaque clou ; quelquefois deux seule­ ment. H a, aux lèvres, une cigarette presque toujours éteinte ; quand un côté de la caisse est cloué, il se redresse, rallume sa cigarette, passe de l’autre côté de la caisse et recommence. Pan, pan, pan ! Pan, pan ! Et il oublie encore de fumer. La maman de Tifernand n’a pas une très bonne santé : elle tousse tout l’hiver. Mais elle est coura-

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Qui est-ce qui siffle ? Le chevrier. Qui lui répond ? La chevrette. Elle fait : Bé-hé .'

Qui sommeille ? L’enfançon. Qui le chante ? La grand’mère. Elle fait : Dodo ! Philadelphe

de

Gerbe.

(Grasset, édit.)

La famille de Tifernand

Je ne suis pas certain que

Tifernand ne s’écrive pas en deux mots : Tit-Fernand, puisque ce nom est l’abrégé de Petit-Fernand ; qu’importe. J’ai commencé à l’écrire comme Birette l’a écrit une fois sur son ardoise, sous le portrait qu’elle avait fait de son frère. J’adopte cléfinitivement cette orthographe. Pourquoi on l’appelle ainsi ? Parce qu’il a un frère, Paul, qui est son aîné de six ans. Quand Tifernand vint au monde, Paul avait donc six ans ; je ne sais s’il se croyait très grand, mais le bébé dans son berceau lui paraissait bien petit. Paul le regardait, lui parlait, et quelques mois plus tard lui faisait faire des risettes en l’appelant : P’tit Fernand, p’tit Fernand !

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