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Giovanni Poleni (1683-1761)
Techne Savoir, technique et culture matérielle
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Giovanni Poleni (1683-1761) Et l’essor de la technologie maritime au siècle des Lumières
Céline Le Gall
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Illustration de couverture : Giovanni Poleni / G. Dala dis. ed incise, U.S. National Library of Medicine, Digital Collections, 101439623, Public domain mark 1.0. Design de couverture : Johan Van Looveren Mise en page : Crius Group, Hulshout © 2019, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2019/0095/115 ISBN 978-2-503-58360-0 eISBN 978-2-503-58361-7 DOI 10.1484/M.TECHNE-EB.5.116645 Printed on acid-free paper.
À Igor et Robin
Préface
Personnage de premier plan de la culture européenne du xviiie siècle, Giovanni Poleni contribua de façon significative à de nombreux secteurs du savoir, de la philologie à la physique, des mathématiques à la navigation, jusqu’à l’architecture antique. Ses multiples compétences l’amenèrent entre autres à s’occuper de la restauration de la Coupole de Saint Pierre, à Rome, et à inventer une machine pour tracer des courbes tractrices et logarithmiques, qui suscita l’enthousiasme d’Euler. Membre des principales académies scientifiques d’Europe, dont la Royal Society et les académies des sciences de Paris, Berlin et Saint-Pétersbourg, Poleni fut en contact avec les plus éminents savants de l’époque, de Newton à Leibniz, d’Euler aux Bernoulli, de Maupertuis à Celsius. Professeur à l’Université de Padoue, Poleni y occupa diverses chaires et y créa une prestigieuse collection d’instruments scientifiques destinés à l’enseignement et à la recherche. À travers ses instruments, ses publications et son réseau de correspondants, il joua un rôle important pour la diffusion en Europe de la nouvelle physique expérimentale née de la Révolution Scientifique. Et pourtant, si Giovanni Poleni était fort connu parmi les érudits du siècle des Lumières, il est aujourd’hui presque oublié. Diverses recherches ont été conduites ces dernières années, mais la plus grande partie de sa correspondance, qui compte des milliers de lettres, n’a jamais été étudiée et demeure encore inédite. C’est dans ce cadre que s’inscrit le travail de Céline Le Gall, qui met en lumière l’œuvre et la dimension européenne du savant vénitien. Son ouvrage fournit de fait une analyse cohérente et approfondie des traités de navigation de Poleni, basée sur l’examen de nombreuses sources primaires et secondaires, ainsi que sur la traduction d’extraits de ses lettres, de ses programmes de cours, de ses discours et de ses brouillons, souvent traduits pour la première fois du latin. Les trois parties du volume permettent d’appréhender des aspects très divers des instruments de navigation que le savant propose à l’Académie des Sciences de Paris. Céline Le Gall examine entre autres la méthode de travail de Poleni, le contexte des appels à projet de l’Académie et le choix de Poleni d’écrire ses traités de navigation en latin, choix que le volume contextualise dans le cadre de la littérature scientifique de l’époque, en exposant les idées de divers personnages sur la langue à utiliser dans les publications savantes. Les points de vue de Maupertuis, Nollet, D’Alembert et Diderot mettent par exemple en lumière les deux courants qui émergent au xviiie siècle, l’un en faveur du latin comme langue scientifique internationale, l’autre visant plutôt à favoriser les langues nationales en vue d’une plus ample diffusion et vulgarisation du savoir. L’auteur analyse également les rapports de Poleni avec l’Académie des Sciences et plus généralement avec la communauté scientifique française, discute en
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détails les instruments de navigation proposés, ainsi que le contexte dans lequel ils se situent et leur impact ; elle illustre enfin comment Poleni avait construit et testé ses appareils et elle décrit leur reconstitution, qui vise à en comprendre plus en détails la construction et le fonctionnement. Il est intéressant de remarquer que, dans la première partie de l’ouvrage, Le Gall met l’accent sur l’engagement de Poleni dans les études de l’Antiquité ainsi que dans la recherche et l’enseignement de la physique expérimentale, ce qui permet d’expliciter la démarche scientifique du savant. Celle-ci se développait à partir d’amples connaissances interdisciplinaires sur l’œuvre de ses prédécesseurs et de ses contemporains, tout en se basant sur les expériences qu’il menait lui-même, dans un continuel aller-retour entre théorie et pratique expérimentale. C’est cette même démarche que l’on retrouve dans les travaux de Poleni sur les instruments de navigation, ainsi que Céline Le Gall le montre dans la présentation des traités de navigation, qui font l’objet de la deuxième partie du volume. Ces traités de navigation, ainsi que les appels à projets de l’Académie des Sciences, sont non seulement contextualisés dans le cadre scientifique et technique, mais aussi dans le cadre stratégique de l’époque. Les relations complexes et enrichissantes qui s’établirent dans ces années entre la sphère savante – l’Académie des Sciences en particulier – et la sphère « locale » des académies de province et des ouvriers de chantiers sont également examinées, en particulier pour ce qui concerne la technologie maritime. L’ouverture européenne de Poleni, qui s’inscrit pleinement dans le cadre de la République des Lettres, est documentée et analysée sous des angles divers, sans négliger les difficultés qui compliquaient parfois les rapports internationaux. Le Gall rappelle par exemple les aléas du courrier qui émergent de la correspondance de Poleni, ou encore les difficultés liées à l’édition française des dissertations latines de Poleni primées par l’Académie des Sciences. Quant à la traduction du latin en français annotée et commentée des trois traités de Poleni sur la navigation, elle est enrichie par un examen des particularités du travail même de traduction : l’auteur démontre entre autres l’influence sur le latin de Poleni de personnages comme Vitruve et Héron d’Alexandrie, et mène une analyse précise de divers néologismes techniques introduits par le savant vénitien. L’importance de la contextualisation pour la traduction de ces néologismes émerge à diverses reprises. La troisième partie de l’ouvrage décrit quant à elle la reconstitution de deux des machines de Poleni, le cabestan et l’appareil destiné à mesurer la force du vent. Elle est introduite par une étude détaillée de la construction navale à Venise au xviiie siècle et des travaux effectués par Poleni sur le navire San Carlo Borromeo, et par la traduction du latin en français des cours de navigation de Poleni. La reconstitution a été menée en collaboration avec des lycées de Brest et les appareils obtenus ont été testés en mer. Un tel travail non seulement renoue avec la démarche de Poleni, interdisciplinaire et basée autant sur la théorie que sur l’expérience, mais il permet aussi d’affiner et consolider la traduction française des traités latins et de vérifier la pertinence des choix techniques de Poleni. Des anneaux placés par Poleni sur l’axe du cabestan afin d’en empêcher la remontée n’avaient par exemple pas été montés lors du premier test en mer du cabestan et celui-ci était effectivement remonté sur
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son axe durant l’effort. Un tel travail a impliqué de nombreux jeunes en formation : ceux-ci d’une part ont eu la possibilité de mener un travail en relation avec l’université et ont découvert des éléments d’histoire des sciences et des techniques, et ils ont d’autre part joué un rôle précieux pour la compréhension de ces éléments mêmes. De fait, Céline Le Gall a ainsi directement conjugué ses propres recherches et une action de médiation culturelle envers les jeunes, dont on ne peut qu’apprécier l’originalité et l’importance. Sofia Talas Février 2019
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Remerciements
J’adresse mes vifs remerciements à Mme Marie-Thérèse Cam qui a su, avec une grande patience, mettre ses compétences au service du beau sujet qu’elle m’avait proposé. Que soit associé à ces remerciements, M. Éric Francalanza, Directeur du laboratoire CECJI, qui m’a judicieusement conseillée sur les manuscrits des lettres. Toute ma gratitude va à Mme Sofia Talas qui, après m’avoir fait découvrir la collection des instruments scientifiques de Giovanni Poleni à l’Istituto di Fisica de Padoue, a mis à ma disposition les photos originales des machines et aidé à élucider des problèmes de traduction de termes latins techniques. Je souhaite également témoigner ma grande reconnaissance à M. Pasquale Ventrice, Président du Centro Studi Arsenale de Venise, qui a su enrichir mes connaissances sur la navigation et l’Arsenal de Venise. Je remercie également l’amirauté de Venise pour sa collaboration à cette visite inédite. La relecture finale du langage scientifique de Poleni en version française fut bien secondée par les remarques avisées de Mme Frédérique Plantevin, mathématicienne à l’UBO. Elle a mis au service de notre travail, ses connaissances en matière d’instruments de mesure et sa logique mathématicienne afin de vérifier si le choix des termes français coïncidait avec les tournures du langage mathématique de l’époque et la réalité géométrique des dessins originaux de Giovanni Poleni. L’aide de M. Serge Henry, professeur de Technologie, fut également très précieuse pour évaluer la pertinence de mes traductions des passages liés à la mécanique. Les diverses communications orales sur mon sujet m’ont permis d’intégrer de précieux conseils donnés par les spécialistes : Mme Emmanuelle Chapron a eu la gentillesse de m’inviter à la conférence internationale sur Jean-François Séguier et ses correspondants, qui s’est tenue à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence en novembre 2016. L’historien M. Frédéric Youinou m’a aimablement proposé de participer au séminaire sur « Sciences et Société » au lycée La Pérouse-Kerichen de Brest (mars 2016). Je remercie chaleureusement M. Larrie D. Ferreiro, finaliste 2017 du prix Pulitzer en Histoire et professeur d’histoire des Sciences et Techniques à la George Mason University (Fairfax County – Virginia – USA) pour sa relecture avisée de ma thèse en vue de son édition. Toute ma gratitude également à M. Daniel Margocsy, professeur du département d’histoire et de l’université de Cambridge et directeur de la collection Techne de Brepols qui m’a également bien aidée dans la finalisation de mon ouvrage. Je souhaitais également rendre hommage au travail de reconstitution du cabestan mené par les étudiants et les professeurs du BTS Développement et Réalisation Bois du lycée de l’Élorn de Landerneau : MM. Alain Monot, Matthieu Fresnel et Patrick Kerninon. Tous mes vifs remerciements au patron du Dalh Mad, M. Maël Terry qui a accepté l’installation du cabestan sur le poste avant et le test en mer. Les parties
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métalliques furent réalisées par le lycée Chaptal de Saint-Brieuc : que M. François Gautier soit remercié pour son aide. Le plan original tracé par Poleni de sa machine pour mesurer la force du vent a été modélisé par M. Patrick Pélissard, professeur au lycée Vauban de Brest. Dans le cadre du cours de CAP Serrurerie Métallerie de M. Laurent Martin, l’élève Williams Kemadjou Tchatchoua a reconstitué la machine à vent de Poleni. Quelques mois après, il recevait la médaille d’or aux Olympiades des Métiers de Saint-Brieuc en espérant obtenir sa nationalité française. Une belle aventure humaine. Qu’ils soient tous remerciés pour leur élan et leur beau travail ! Le test en mer des deux machines de Poleni – cabestan et anémomètre – eut lieu durant le festival Kan Al Loar de Landerneau en juillet 2016 : nous étions invités à réaliser cette expérience en mer par M. Jean-Baptiste Moal, responsable de la communication de Kan Al Loar de nous avoir invités. Enfin, je remercie mon fils aîné Igor qui m’a aidée à construire mon carnet de recherche : https ://poleni.hypotheses. org et Robin, pour son soutien.
Introduction
La biographie de Giovanni Poleni ne se résume pas à quelques lignes en raison de la multiplicité des charges occupées par le savant padouan. Professeur de l’Université de Padoue, il est titulaire des chaires d’Astronomie et de Météorologie (du 26 février 1710 au 28 mai 1715), de Physique (28 mai 1715), de Mathématiques (1719), de Philosophie expérimentale (1739) et de Navigation et construction navale (1755). Déjà membre de la Royal Society de Londres (30 novembre 1710 sur proposition de son président Newton), de l’Académie de Berlin (1er novembre 1715 sur proposition de son président Leibniz), de l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg (1724), de l’Académie Royale des Sciences de Paris (élu en 1739), il est également chargé de la nouvelle Pubblica Libreria (31 août 1717) et aussi Député, Inspecteur de santé, Inspecteur de l’Arche du Saint à Padoue (1738). Il était également membre de toutes les académies italiennes : l’Accademia dei Ricovrati (17 novembre 1713), l’Institut des Sciences de Bologne (18 janvier 1724), la Letteraria Universale società Albrizziana de Venise (1727), l’Accademia degli Assorditi d’Urbino (1729) et plus tard, en 1741, l’Accademia Clementina de Bologne et l’Accademia etrusca de Cortone. Pour étudier la vie de Giovanni Poleni, nous nous appuierons sur l’état des lieux des biographies déjà parues en évoquant ses différents portraits dans la peinture et la statuaire. Puis nous présenterons l’œuvre polénienne incluant ses lettres inédites comportant une indiscutable dimension internationale, et ce, afin de situer les traités qui furent l’objet de notre recherche.
Biographie de Poleni Giovanni Poleni est né à Venise le 23 août 1683. Sa maison est située Campo Santo Stefano, non loin du pont de l’Accademia. Son père Giacomo Poleni, soldat et amateur de sciences, épousa Isabella Brogiola, tous deux citoyens vénitiens, le 1er février 1681. Giovanni Poleni était l’unique garçon : ses trois sœurs Isabella (née en 1682), Maria (1684) et Eugenia (1685) prirent toutes trois le voile. Leur mère mourut à 23 ans, le 26 décembre 1686. L’empereur Léopold voulant récompenser le courage de Giacomo Poleni, qui avait combattu contre les Turcs en Hongrie, lui octroya le titre de Marquis et de Compagnon, le 29 juillet 1686. À Venise, on distingue trois catégories de nobles. Les nobles riches jouissent d’un accès au Sénat et aux charges dont les titulaires étaient élus par le Sénat ; ils occupent des charges à gros frais de fonctionnement1 comme : le généralat, l’ambassade, un grand reggimento ou une
1 Le trésor public y pourvoit en partie ; pour l’autre, le noble puise dans son patrimoine.
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charge de podestat ou de capitaine de Padoue, Vérone, Vicence, lieutenance de Frioul. Les nobles à la tête d’une fortune moyenne poursuivent une carrière dans les Quarantie, des assemblées judiciaires ou dans des Reggimenti lointains (poste de Comte à Zara, à Pola, à Spalato à Sebenico, podestat à Feltre, à Bellune, Chioggia) éloignés des affaires décisionnelles. Les nobles pauvres reçoivent les émoluments de charges mineures (reggimenti secondaires, charges militaires dans le Levant, postes subalternes à Venise) et d’études à l’Académie des Nobles créée en 1619 pour l’instruction des patriciens les moins aisés. Quant aux patriciens ruinés surnommés barnabotti2, ils peuvent espérer une promotion catégorielle grâce à des dons particuliers dans des charges du barreau comme avocat des prisons3. Les exemples de ses ancêtres constituèrent pour Giovanni des stimuli de zèle et de travail, lui qui, après avoir été nourri de littérature dans la maison familiale, se rendait à l’école (1695) des pères Somasques4 qui dirigeaient le Collège de la Santa Maria della Salute ; il y suivait des études mêlant les humanités au droit sous la direction du père Francesco Caro et assistait aux cours de dessin, peinture, prospective, architecture civile et militaire du peintre Giuseppe Marcati. Cet ordre est « en faveur du renouvellement de l’enseignement de la nouvelle philosophie, prônant la réception du cartésianisme et du gassendisme5 » au xviie siècle car la clientèle de cet ordre aspire à « des savoirs plus orientés vers la pratique » (il s’agit de s’affranchir peu à peu de l’aristotélisme). Le père de Poleni lui fit découvrir les Principes du calcul et les Éléments d’Euclide. Il découvre l’œuvre de Descartes et la nouvelle science expérimentale. Il avait l’habitude de consulter les œuvres du jésuite Chalesius, il comprit en peu de temps qu’il lui fallait suivre une autre route pour accéder plus près et plus sûrement à la vérité. En effet, les jésuites6 fondèrent 80 collèges vers 1630 (dont une quinzaine pour les enfants des classes privilégiées)
2 Tirant leur nom du quartier de San Barnaba où ils habitent le plus souvent. 3 Zorzi, 1988, p. 276. 4 Fondée en 1532 à Somasca (en Lombardie, Italie) par le Vénitien saint Jérôme Emilien (Girolamo Miami mort en 1537) pour l’éducation de la jeunesse, et tout spécialement venir en aide aux jeunes sans famille, abandonnés ou orphelins, la congrégation a été approuvée en 1540 par Paul III et soumise à la règle de saint Augustin en 1568 par Pie V. 5 Beretta, 2014, p. 21. 6 « Certes, le Sénat de Venise décide, en 1591, de soutenir l’Université contre les Jésuites, qui seront expulsés du territoire de la République en 1606. Mais d’autres Ordres religieux sont prêts à les remplacer, par exemple les Somasques. Aussi, l’implantation dans une ville d’un collège jésuite est souvent suivie par une nouvelle fondation universitaire. Au milieu du xviie siècle s’est ainsi accomplie une restructuration du mode de formation des élites, qui comporte en même temps une régionalisation de l’enseignement supérieur et un déclin des grands centres universitaires de Bologne et de Padoue. Or, si paradoxalement la Compagnie de Jésus – en fait, une partie limitée de religieux en son sein – va devenir l’un des lieux de diffusion des nouveaux savoirs, le paradigme scientifique aristotélicien, conçu comme l’un des fondements de la culture des classes supérieures qui légitime sa distinction du reste de la société, se trouve renforcé par cette double évolution de la société. Il y a en quelque sorte une demande sociale de culture aristotélicienne – christianisée et mise à jour au possible par rapport aux connaissances nouvelles – qui va perdurer jusqu’aux premières décennies du xviiie siècle » Beretta, 2014, p. 14.
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Selon Mario Di Fidio et Claudio Gandolfi7, la maison de Giovanni Poleni fut son premier laboratoire8. À 24 ans, Poleni découvrit le phénomène du phosphore de mercure et se consacra aux études systématiques et expériences de physique. Il rencontra alors celui qui deviendra son ami pour la vie : Giambattista Morgagni. Angelo Fabroni évoque ainsi l’amitié liant Morgagni à Poleni9. Pendant ce temps, il est sollicité par son père pour se marier10 le 30 décembre 1708 avec une jeune fille noble et très brillante, Orsola Roberti de la ville de Bassanie : il nourrissait une ardeur incroyable pour elle, quoiqu’il comprît le préjudice qu’il était sur le point de causer à ses études11. De cette union, naquirent Giacomo (qui devint plus tard, Père Giovanni), don Francesco, Girolamo (Père Luca), Roberto (Père Bernardo), Eugenio (qui devint Chanoine de Saint-Latran et mourut en 1747) et Elisabetta. Cette dernière épousa un élève de Giambattista Morgagni12, Giulio Pontedera (1688-1757) qui devint professeur de botanique à l’université de Padoue13.
7 Di Fidio, Gandolfi, 2014, p. 183. 8 In effetti, il giovane Poleni concepisce una via originale, ossia associa sistematicamente la sperimentazione alla teoria, attrezzandola sua casa come un laboratorio : “Coepit ergo omnia revocare ad experientiam, ejusque domus schola quaedam experimentalis, ut appellant, physicae facta esse videbatur.” « Il se mit donc à tout ramener à l’expérience et sa maison ressemblait à une espèce d’école, comme on l’appelle, de physique expérimentale. » Fabroni, 1785, p. 68. 9 « His vero experimentis de rebus naturalibus cum saepe interesset Jo. Baptista Morgagnius, orta inter eos est amicitia jucundissima, quae postea maxime illustris fuit, quaeque per omnes aetatis gradus usque ad summam senectutem permansit. Erat enim virtute & studiorum similitudine, firmissimis animorum vinculis, juncta atque constituta. » « Comme Giambattista Morgagni s’intéressait souvent à ces expériences sur les éléments naturels, une amitié très agréable naquit entre eux, qui plus tard, devint très célèbre et persista dans tous les âges de leurs vies jusqu’à leur plus grande vieillesse. En effet, cette amitié était bâtie sur la ressemblance de qualités et d’études, de liens intellectuels très serrés. » Fabroni, 1785, p. 68. 10 Au xviie siècle, 60% des nobles Vénitiens n’avaient pas pris d’épouse et au xviiie siècle, 70 % des nobles. Habituellement, le plus jeune fils des nobles devait se marier. (Zorzi, 1988, p. 550). 11 Comme le rappelle Élisabeth Badinter à propos des académiciens de l’Académie Royale des Sciences, « le mariage était mal vu, comme un ridicule impardonnable. Si l’on pouvait admettre quelques liaisons convenables, ce dont Fontenelle ne se priva pas, le « philosophe marié » (titre de la pièce de Destouches 1727) était une contradiction dans les termes, et à coup sûr une faute de goût. Il y avait là un côté « petit-bourgeois » qui convenait mal à l’image du savant détaché des contingences. » Badinter, 1999, p. 29. 12 Les liens d’amitié unissant Poleni à Morgagni furent donc renforcés par des liens familiaux ; ainsi, Poleni a tenu sur les fonts baptismaux le troisième fils de Morgagni, Lucio Filippo. 13 Angelo Fabroni décrit encore Giovanni Poleni, époux et père : « Nec vero ille in luce modo atque in oculis civium magnus, sed intus domique praestantior. Sex, quos susceperat, filios sancte educavit, eorumque tres libentissime Deo consecravit. Cum uxore nunquam in gratiam rediit, mortuamque an. MDCCXXXVII voluisset ab inferis vocare. » « Non seulement dans la lumière et aux yeux de ses concitoyens mais aussi dans l’intimité de son foyer, Giovanni Poleni était un homme remarquable. Les six enfants qu’il avait engendrés, il les éduqua dans la piété et il consacra trois d’entre eux à Dieu. Comme il n’avait jamais pu se réconcilier avec sa femme, morte en 1737, il aurait voulu la faire revenir des enfers » Fabroni, 1785, p. 107.
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En 1709, Giovanni Poleni publia un recueil contenant une dissertation14 sur les baromètres et les thermomètres, une méthode pour décrire les sections coniques et la description d’une machine à calculer. L’anecdote racontée par Angelo Fabroni nous révèle un trait de caractère de Poleni : Ensuite, il donna une description de la machine arithmétique inventée par lui. […] Blaise Pascal, le premier de tous, a inventé une machine d’une très grande capacité d’intelligence, qui seulement grâce aux yeux et aux mains de l’opérateur, pouvait facilement et sûrement tout calculer. Elle a tellement plu à Leibnitz qu’il a aussitôt eu pour projet de la perfectionner en la rendant plus légère. Quand le récit de ces inventions fut rapporté à Poleni, il voulut essayer lui aussi de faire quelque chose et comme il pensait rivaliser avec la gloire des anciens, il créa un opuscule sur cette machine même. Ensuite, il la détruisit complétement après qu’il a entendu dire que les tentatives de Brawn, un mécanicien de grand renom, avaient été couronnées d’un plus grand succès dans ce domaine15. La devise de l’université de Padoue Universa Universis Patavina Libertas (« Toute la liberté padouane pour tous ») pourrait annoncer l’interdisciplinarité de la pratique scientifique de Giovanni Poleni. Le 26 février 1710, le sénat de Venise confia à Poleni la chaire d’Astronomie et de Météorologie à l’université de Padoue : il succèda, à seulement 26 ans, au célèbre Geminiano Montanari. Il se lia avec son collègue Jacob Hermann jusqu’au départ de ce dernier pour Francfort-sur-L’Oder. Le successeur d’Hermann, Nicolas Bernoulli fut également très apprécié par Poleni qui l’hébergea pendant les trois années qu’il demeura à Padoue. En effet, Poleni avait quitté Venise pour Padoue en 1710 et demeurait dans une maison, via Beato Pellegrini. En 1711, il publia dans le tome v du Giornale de’ letterati d’Italia des Considerationes circa varietatem celerioris, vel tardioris motus quem corpora gravia paterentur si terra circumagetur per orbem annuum (« Considérations sur la variation d’un mouvement plus rapide ou plus lent que supporteraient les corps lourds si la terre tournait selon un cycle annuel. »). En 1712, il publia à Padoue De vorticibus coelestibus dialogus. Lors de l’éclipse solaire du 3 mai 1715, Giovanni Poleni rechercha la cause du phénomène optique suivant : la partie obscure du soleil, lors d’une éclipse, semble toujours plus petite. Ce phénomène s’expliquait par « la tension différente des fibres de l’œil16 ». Nommé par le sénat de Venise à la chaire de Physique de Padoue, le 28 mai 1715, il y prononce en guise de première
14 Miscellanea de barometris et thermometris ; de machina quadam arithmetica ; de sectionibus conicis in horologiis solaribus describendis, Imprimerie du Séminaire de Padoue, 1709. 15 « Post id machinam arithmeticam a se excogitatam descripsit. […] Blasius Pascalius omnium primus vehementissima contentione ingenii machinam invenit, quae sola oculorum & manuum ope facile atque tuto omnia posset vocare ad calculum, eaque adeo placuit Leibnitio, ut de illa perficienda expeditiorique habenda statim cogitaverit. Ut relatum de illorum inventis ad Polenium fuit, tentare voluit quid ipse quoque posset, & cum superiorum se aequasse gloriam existimaret, opusculum de machina arithmetica edidit ; postea hanc ipsam confregit, cum audiisset Brawinii magni nominis mechanici feliciores hac in re fuisse conatus. » Fabroni, 1785, p. 69-70. 16 Grandjean de Fouchy, 1766, p. 154.
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leçon, le discours sur « l’utilité de la Physique pour les questions mathématiques » (De physices in rebus mathematicis utilitate). La même année, il écrit l’Observatio solaris eclipsis habita Patavii V nonas maias 1715. Mais Bernoulli ayant abandonné la chaire de mathématiques, en 1719, Poleni fut élu par la République de Venise pour lui succéder, à la même place que celle qu’occupa jadis Galilée, « pour un salaire de 600 florins d’or, à cela s’ajoutaient 100 pièces d’argent vénitiennes pour forger des formes qu’il utiliserait pour expliquer la géométrie17. » Il prononça, avec un sens de l’opportunité qui force l’admiration, un discours complémentaire à celui de 1715 : De Mathesis in rebus physicis utilitate… Ses observations météorologiques font régulièrement l’objet de publication dans les Transactiones philosophicae. Sa correspondance sur les questions de mathématiques, de physique et d’astronomie est publiée en 1729 (Epistolarum mathematicarum fasciculus). En 1731, il écrit à Eustachio Manfredi – dont il fut le successeur à la charge d’Associé étranger à l’Académie Royale des Sciences de Paris – au sujet de la correction du calendrier grégorien afin de donner aux épactes un arrangement qui indiquât précisément le jour de la fête de Pâques ; Manfredi publia alors les Quaestiones de recta Paschae indictione. La réponse que donna Poleni à ces questions, au nombre de huit, ne fut pas publiée mais bien conservée par la cour du pape Clément XII. En 1755, Poleni accepta la chaire de navigation et construction navale à l’université de Padoue. Il y professa l’importance de l’interdisciplinarité puisqu’il mêlait les sciences afin de produire une théorie de la navigation la plus complète et la plus juste possible. Les programmes de ses cours : Triumvirum rei litterariae amplissimorum jussu proposaient donc de traiter des « Principes de l’Architecture Navale », d’expliquer « la Science Mathématique des Mouvements des Êtres animés », « la Science des Sections des Cônes et leur usage » et « la Science de l’Architecture Militaire et aussi de l’Architecture Civile : et opportunément, de traiter des lieux à fortifier près des Ports, en rapport avec la Navigation ». Poleni entreprit également la rénovation de la San Carlo selon les principes rigoureux de la physique appliquée, loin de l’empirisme des prote18 des chantiers navals. En 1739, Giovanni Poleni est élu « Associé étranger » à l’Académie Royale des Sciences à Paris. Selon Roger Hahn, « le titre de Membre de l’Académie est autant apprécié que s’il s’agissait d’un titre de noblesse19 ». Le secrétaire perpétuel Fontenelle a compris la nécessité pour l’Académie Royale des Sciences d’une large diffusion de ses travaux, non seulement dans le milieu scientifique, mais aussi dans la bonne société. Kapp ajoute : « Ces sciences ont eu jusqu’à présent si peu de réputation d’utilité, que la plupart de ceux qui s’y sont appliqués ont été des rebelles à l’autorité de leurs parents. » En 1736-1737, Poleni fut frappé par la mort de son fils aîné Eugenio, de son père et de sa femme. Giovanni Poleni décéda des suites d’une méningite comme le suggère le
17 Fabroni, 1785, Discessu itaque Bernoullii Polenius ad mathematicas disciplinas tradendas vocatus est stipendio florenorum aureorum DC additis insuper argenteis Venetis C ad formas cudendas, quibus in geometria explicanda uteretur. p. 74. 18 Maître charpentier naval. 19 Hahn, 1993.
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rapport de son autopsie. Poleni fut enterré dans un tombeau à l’église Saint-Jacques de Padoue. Et sur son épitaphe, on peut lire : Au marquis Giovanni Poleni, fils de Giacomo, citoyen vénitien et padouan, physicien et mathématicien au sein de la vénérable université, pendant 53 années, le professeur très célèbre dont les écrits témoignent de l’intelligence et de la science. Pour leur père, très bon et très aimé, ses enfants dans l’affliction ont déposé ce témoignage. Il vécut 78 années et mourut le 15 novembre 176120. Le fils de Poleni, l’abbé Francesco Poleni, légua tous les écrits de son père à la ville de Venise : à l’Archivio di Stato et la Biblioteca Marciana21. Ce legs peut être motivé par le travail auquel se livra Francesco Poleni en 1749. En effet, il avait alors aidé son père Giovanni à participer à un acte de conservation patrimoniale. Giovanni Poleni, avec son gendre Giulio Pontedera et son fils Francesco Poleni, avait accepté à la demande de Thoms de copier les lettres que lui avait adressées Hermann Boerhaave (professeur à Leyde et beau-père de Friedrich de Thoms). Il s’agissait pour Thoms de collecter et de publier toutes les lettres du savant Hermann. Il avait également contacté les héritiers des savants Maurocenes et Cornelies ainsi que la veuve du botaniste Vaillant qui avait brûlé des paquets entiers des lettres originales de Boerhaave reçues par son mari22. Cette vie hors-norme a suscité des témoignages de contemporains de la sphère privée et publique : lettres ou éloges mais aussi portraits picturaux ou sculptures, tout converge pour célébrer le grand homme dans un élan unanime. Nous verrons comment ces portraits et témoignages soulignent le rayonnement de Poleni tant en Italie que dans l’Europe entière.
L’homme : portraits et témoignages Le portrait en pied de Poleni visible à la Specola, l’Observatoire astronomique de Padoue, ne le représente pas en costume masculin arboré par les nobles vénitiens du xviiie siècle : ces derniers quand ils ne siégeaient pas au conseil et n’exerçaient pas de fonctions publiques, portaient des culottes courtes, des bas de soie, un habit brodé, des manchettes de dentelle, une épée au côté, un chapeau triangulaire et une perruque (à la mode de France). Le panneau au-dessus du portrait de Poleni montre un centaure enseignant à un enfant à l’aide d’une sphère armillaire. Cette représentation allégorique du centaure Chiron pratiquant l’art de la médecine,
20 « Joanni Marchioni Poleno Jacobi filio Veneto civi et Patavino Physices & Matheseos in Patrio Gymnasio per an. LIII. Professori clarissimo, cujus ingenium & doctrinam scripta testantur a Patri optimo desideratissimo Filii moerentes posuere. Vixit annos LXXVIII. M. II. D. XXII. Obiit XVIII Kal. Decemb. An. Aer. Vulg. MDCCLXI. » Gennari, 1839, p. 50. 21 Ils sont également conservés à la Biblioteca Civica de Vérone et à Forlì (fondo Piancastelli). Cf. Giorgio Ronconi, 1988, p. 201. 22 Lettre de Thoms à Poleni, Leyde, 18 juin 1745, Vérone, Bibl. Civ., 3096B, f. 37.
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Fig. 1. – La Specola de Padoue (observatoire). C. Le Gall.
insiste sur le rôle de pédagogue joué par Poleni dans ses multiples chaires occupées à l’université de Padoue, dès 1710. Nous pouvons relier cette fresque aux relevés météorologiques opérés par Poleni qui permirent au professeur d’astronomie, géographie et de météorologie, l’abbé Giuseppe Toaldo (1719-1797), premier directeur de l’observatoire d’associer les changements de temps aux phases de la lune : Grâce aux enregistrements météorologiques que Poleni réalisa scrupuleusement pendant quarante années consécutives, Toaldo fut capable de développer sa théorie des changements de temps, en les reliant aux phases lunaires, sur la base de statistiques. C’était sa théorie des points lunaires qui rendit célèbre le premier directeur de l’Observatoire, dans l’Europe du xviiie siècle, ce qui encouragea tous les savants à poursuivre les observations météorologiques dans un contexte de perte de confiance en la météorologie, et qui redonna à la météorologie la dignité due à une discipline scientifique. Dans ses écrits météorologiques, Toaldo ne cesse d’exprimer sa gratitude à l’immortel Marquis Poleni », un véritable hommage de l’élève à son maître23.
23 « Thanks to the scrupulously executed meteorological records that Poleni kept for forty consecutive years Toaldo was able to develop his theory of the changes in the weather, linking them to the phases of the Moon, on statistical bases. It was his theory of ‘lunar points’ that made the first director of the
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Au Palazzo del Bo, dans la salle du rectorat, les visiteurs peuvent admirer le buste de Poleni rendant hommage au créateur du théâtre de la philosophie expérimentale. Nous n’avons trouvé nulle trace de « la médaille d’or dont la République a fait présent à M. l’Abbé Francesco Poleni à la mort à la mort de son père Giovanni » ; celle-ci est évoquée par Grandjean de Fouchy dans son éloge : Elle a pour type un lion couronné, qui fait les armes de la République et au revers on lit ces mots : Francisco Abbati Ioannis Poleni Marchionis PP Filio Ob merita erga rempublicam Parentis eximia Et sua Senatus consulto. [À l’abbé Francesco, fils du professeur de Padoue, le marquis Giovanni Poleni pour les très grands mérites de son père à l’égard de la République, sur décision du sénat.]24. Un pareil présent de ce sage sénat est le plus bel éloge qu’on puisse faire du père et du fils. Citons un autre exemple d’hommage, public, cette fois : la statue de Poleni installée sur le Prato della Valle à Padoue. C’est l’une des premières œuvres de Canova réalisée en 1780 avec du calcaire de Vicenza sur commande du patricien Leonardo Venier qui fut l’élève de Poleni. Il est représenté debout, et comme les anciennes statues de Philosophes, nu, excepté la partie inférieure de son corps, drapé dans une toge souple ; sa main droite repose sur une machine inventée par lui, en vue d’une expérience scientifique, et sa main gauche tient un volume intitulé De Motu aquae mixto.En dépit de l’exécution relativement inachevée de cette statue, nous pouvons y observer que Canova, même dans sa première période, apprécia dûment la qualité de l’expression et a réussi à donner au visage, un air de profonde réflexion et de gravité, de cette sorte de nature qui a tant fait aimer ce grand homme de ses contemporains25. En 1717-18, l’ouvrage sur le mouvement de l’eau (De motu aquae mixto libri duo) et sur les châteaux d’eau (De castellis per quae derivantur aquae fluviorum habentibus latera convergentia liber) s’inscrit dans son nouveau statut d’expert citoyen, octroyé par « le Sénat de Venise qui le chargea non seulement des digues destinées à contenir les fleuves de son territoire, dont la rupture causait quelquefois des ravages affreux mais encore des ouvrages à faire dans les lagunes,
Observatory, famous throughout 18th-century Europe, that encouraged all the scientists to continue the meteorological observations during a moment of lack of faith regarding their necessity, and that brought meteorology back to the dignity of a scientific discipline. In his meteorological writings, Toaldo repeatedly expresses his gratitude to « the immortal Mr March.[ese] Poleni », a real tribute of a pupil to his master. » http://archive.oapd.inaf.it/museo. 24 Grandjean de Fouchy, 1766, p. 163. 25 « He is represented in a standing posture, and like the ancient statues of Philosophers, naked, except the lower part of his figure which is wrapped in a flowing mantle ; his right hand rests upon a machine invented by him for the purpose of scientific experiment, and his left holds a volume entitled De motu aquae mixto. Notwithstanding the comparatively unfinished workmanship of this statue, we may observe in it, that Canova even at that early period duly appreciated the quality of expression, and succeeded in giving to the countenance a look of deep reflection and gravity, and of that kindness of nature which so much endeared this great man to these contemporaries. » Moses, 1824, non paginé.
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Fig. 3. – Bas-relief au Musée d’histoire de la physique de Padoue. C. Le Gall.
Fig. 2. – G. Ciesa, Fresque de Poleni à l’Observatoire de Padoue, 1772-1773. Su gentile concessione del Museo La Specola¸INAF-Osservatorio Astronomica di Padova / courtesy of Museum La Specola, INAF-Astronomical Observatory of Padova.
Fig. 4. – Buste de Poleni au Palazzo del Bo (Padoue). C. Le Gall.
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Fig. 5. – Antonio Canova, statue de Poleni, Prato della Valle, Padoue, 1780. C. Le Gall.
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dans les ports et surtout au Lido26. » Dans le traité De Castellis, Poleni décrit des expériences qui démontrent que « la vitesse de l’eau qui sort d’un vase par son fond, n’est point égale à celle d’un corps grave qui tomberait de la même hauteur qu’a l’eau dans ce vase27. » Il y présente également sa théorie des « forces vives ». Cette statue certes commandée par son étudiant L. Venier mais trônant sur la plus belle place de Padoue peut s’interpréter comme un témoignage de reconnaissance de la ville à Poleni. Giovanni Poleni a effectivement rendu plusieurs services à la cité padouane de Saint Antoine. Ainsi, après l’incendie du 23 mars 1749 qui dévasta la basilique du Saint à Padoue, Poleni fut chargé de la restaurer28. Ses écrits sont demeurés à l’état manuscrit. Pour Guido Galiazzo, le rapport de Poleni de treize pages sur l’incendie de la basilica del Santo montre son esprit profondément religieux de type cartésien pascalien avec la particularité propre de l’âme vénitienne29. Le 17 août 1756, après la destruction par une tornade du toit du salon du Palazzo delle Ragione à Padoue, Giovanni Poleni, avec Gian Alberto Colombo, est également chargé de sa restauration. Enfin, à la mort de Poleni, sa grande bibliothèque de 6000 livres a été vendue 1500 sequins d’or au couvent de Sainte-Justine à Padoue, alors que les lettres et les cartes ont été données par Francesco Poleni à la Sérénissime et conservées essentiellement à la Marciana de Venise30. En 1893, la bibliothèque San Marco fit l’acquisition auprès de Carlo Gazzola de Vérone, de l’Archivio Poleni. Il n’est pas rare qu’un voyageur de passage à Padoue aille visiter la célébrité de Padoue. Lorsque Charles de Brosses (1706-1779), comte de Tournai et de Montfalcon, président à mortier au parlement de Dijon, découvre Padoue, il ne peut qu’être séduit par la personnalité de Giovanni Poleni. Cette lettre31 adressée à M. de Neuilly
26 Grandjean de Fouchy, 1766, p. 156. 27 Grandjean de Fouchy, 1766, p. 156. 28 Le pape Benoît XIV fit également appel à Poleni : il lui demanda son avis sur la statique de la coupole de Saint-Pierre de Rome construite par Michel Ange. Poleni y répondit par une Riflessione en 1742. Appelé par le Pape à Rome le 30 mai 1743, il y dirigea la restauration de la coupole aux côtés de Luigi Venvitelli. Il publia, en 1748, le compte-rendu de ses travaux dans Memorie istoriche della gran cupola del Tempio Vaticano. 29 Galiazzo, 1988, p. 183. 30 Mais aussi à la Biblioteca Civica de Vérone ou à Forlì (fond Piancastelli). 31 Brosses, Lettre xiii, 1858, 1, p. 129-135. Les lettres de Charles de Brosses (1706-1779) parti en Italie pour se documenter sur Salluste, dont il édita la Conjuration de Catilina et la Guerre de Jugurtha, connurent un grand succès. « On ne saurait expliquer le succès des Lettres familières par le seul état d’épuisement dans lequel se trouvait la littérature de voyage sur l’Italie au milieu du xviiie siècle. Tandis que les découvertes d’Herculanum (1738) et de Pompéi (1748) rendaient plus piquant le traditionnel itinéraire dans la péninsule, et que se faisait sentir le besoin de nouveaux guides, De Brosses mêla à ses propres réminiscences du voyage et aux résultats de ses rencontres avec les élites italiennes des éléments puisés dans de multiples sources : guides d’Italie et descriptions de certaines villes, vies de peintres et traités d’histoire de l’art. Il témoigna surtout d’une verve destinée à accroître le plaisir de ses lecteurs, gens du monde, et qui s’accordait avec l’esprit du siècle. Caustique, avisé et prudent, accumulant des connaissances sur les sujets les plus divers, De Brosses scrute et décrit les mœurs italiennes avec une grande liberté de ton. » Gilles Bertrand, www.archivesdefrance.culture. gouv.fr.
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est datée du 28 juillet 1739 : elle témoigne de l’aménité du savant. Giovanni Poleni a alors 56 ans et est à la tête de grandes responsabilités, au plan local et international32. On dit que, malgré le méchant état où Padoue est réduite, les étrangers qui l’ont connue ne la quittent qu’à regret. Cela ne peut manquer d’arriver, si ses habitants sont tous du genre du marquis Poleni, professeur de mathématiques. Sur une simple indication que nous avions de l’aller voir, il n’y a sorte d’honnêteté que nous n’ayons reçue de lui. C’est un homme fort savant, et en même temps d’une extrême douceur33. Il a une bibliothèque complète de tout ce qui a été écrit en mathématiques. Elle ne monte pas à moins de cinq mille volumes, chose peu croyable d’une espèce de gens qui ne parlent guère. Le marquis Poleni donne maintenant une édition de Vitruve, d’un très-grand travail. Il a restitué en mille endroits le texte qui a été, dit-il, fort corrompu par le cordelier Joconde, architecte, auteur de plusieurs des ponts de Paris. C’est lui qui fit imprimer cet auteur, et qui changea le texte lorsqu’il ne le trouva pas conforme à ses idées. Le marquis Poleni a rétabli le texte véritable sur les anciens manuscrits. On n’a encore que le premier volume imprimé ; et ce volume, dont il m’a fait présent, ne contient que des dissertations préliminaires ; mais ce qui prouve mieux que c’est un galant homme, c’est son inclination pour la musique ; il m’a fait entendre M. Negri, un virtuosissime joueur d’orgues, dont j’ai été assez satisfait, et à mon retour à Padoue, il m’a promis de me procurer Tartini, célèbre violon, et un autre qui ne lui cède pas. La personnalité de Poleni était unanimement louée par ses contemporains tels que Jean-Paul Grandjean de Fouchy (1707-1788) élu, en 1743, secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des Sciences en remplacement de Dortous de Mairan et auteur de l’éloge post-mortem de Poleni : « M. le Marquis de Poleni naquit avec les talents les plus marqués, & surtout une vivacité d’esprit peu ordinaire, même en Italie ». Grandjean de Fouchy nous livre également un portrait physique de Poleni en lien avec ses qualités morales : M. Poleni était d’une grande taille, & d’un teint assez fleuri ; il avait la vue excellente, & était capable, dans sa jeunesse, de fournir impunément les plus grandes veilles. L’étude qu’il avait faite de l’Astronomie l’avait souvent mis à portée de profiter de ces dons de la nature. Il mangeait peu & ne buvait point de vin. Sa conversation était vive, & il savait l’égayer de bons mots, d’historiettes & 32 Dans une lettre datée du 27 juillet 1750, écrite à Dijon et adressée au botaniste Jean-François Séguier (secrétaire de Scipione Maffei à Vérone), Charles de Brosses se souvient de cette heureuse rencontre : « Vous êtes sans doute en grande relation avec votre voisin M. le marquis Poleni de Padoue. Je vous demande instamment de lui faire mille compliments et de me rappeler dans son souvenir quand vous en aurez l’occasion. Il m’a témoigné beaucoup d’amitié. Il m’a renvoyé successivement à mesure qu’elles étaient imprimées, le commencement des Exercitationes Vitruvianae jusqu’à la page 360 et s’il en a donné la suite, je voudrais fort qu’il ne m’oubliât pas. » BM Nîmes, ms. 135, f. 247-248, https :// www.seguier.org. 33 Francesco Poleni, fils de Giovanni Poleni, évoqua l’aversion de son père pour les inimitiés entre membres de la République des lettres (Del Negro, 2011, p. 137).
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de traits saillants, qui la rendaient extrêmement aimable : il était généreux, bon ami, plein de candeur & de religion, & peut-être l’homme de son siècle le plus prudent, & le plus capable de donner conseil34. Cet extrait de l’éloge de Poleni écrit par Jean-Paul Grandjean de Fouchy, souligne l’étroitesse du rapport entre l’érudition et l’objet « livre » qui semble tomber sous le sens : Giovanni Poleni s’était formé une des plus belles Bibliothèques qui fussent en Italie, & elle était toujours au service de ses Amis : elle n’a pas changé de destination, ayant passé, après sa mort, dans celle des PP Bénédictins de Sainte-Justine de Padoue, qui se font un plaisir de communiquer la leur aux Gens de Lettres qui en ont besoin35. Fabroni également ne tarit pas d’éloges : Circonspect, modéré, scrupuleux, plein de conseils et remarquablement fidèle, élégant et aussi charmant, si le sujet et le moment le réclamaient, il était apprécié par ceux qui ont l’habitude d’envier la vertu : on aurait dit tout à fait qu’il avait veillé à préférer une réputation édifiée depuis sa maturité sur la dignité, l’humanité et l’innocence plutôt que sur l’orgueil public. Au nom des mérites singuliers de cet homme, on lui accorda la noblesse padouane et comme très souvent il avait rempli la charge de quatre hommes, il fut à l’origine de plusieurs réalisations très utiles par ses conseils : c’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que sa mort ait profondément endeuillé toute la cité. Et combien de regret il a laissé de lui, on peut s’en faire l’idée de ce que le sénat a décidé de conserver ses traités sur l’hydrostatique en lieu public36. Si l’on se réfère à la correspondance de Poleni conservée à Vérone, on constate que l’homme était généreux et toujours soucieux de rembourser rapidement ses amis qui étaient souvent missionnés par lui pour lui procurer des traités ou revues scientifiques étrangères. Et les comptes rendus des sociétés savantes coûtaient cher : Histoire de l’Académie Royale des Sciences, Philosophical Transactions of the Royal Society, Nouvelles littéraires de Hollande, Acta Eruditorum de Leipzig. Ainsi, dans sa lettre à Dortous de Mairan, datée du 10 mai 1741, Giovanni Poleni propose de donner un généreux pourboire au préfet du Trésor public :
34 Grandjean de Fouchy, 1766, p. 162. 35 Grandjean de Fouchy, 1766, p. 162. 36 « Cautus, moderatus, diligens, consilii plenus, & egregie fidelis, elegans, & lepidus etiam, si res & tempus posceret, vel ab iis diligebatur, qui solent invidere virtuti : omnino dixisses collectam vel ab adolescentia famam maluisse illum tueri dignitate, humanitate atque innocentia, quam populari jactatione. Pro singularibus illius meritis nobilitate Patavina donatus est ; & cum saepius amplissimo Quattuorvirorum munere functus fuisset, multa consiliis suis providit utilissima : quare minime est mirandum si universae civitati perluctuosa ejus mors fuerit. Quantum autem desiderium sui reliquerit apud Senatum Venetum, ex eo conjici potest, quod de ejus scriptis hydrostaticis publico in loco asservandis ille deliberavit. » Fabroni, 1778, p. 102-103.
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Tu trouveras une enveloppe fermée pour l’Académie Royale grâce à laquelle tu pourras obtenir le prix du Préfet du Trésor Public de l’Académie. Mais je souhaiterais que tu livres cet argent à l’Illustre Abbé Leblond, frère du Consul, qui, au nom du Roi de France, vient à Venise et qui est mon bienveillant ami et comme nous avons en effet convenu avec lui que cet argent soit livré là à son frère. Mais auparavant, tu en retireras 100 livres françaises (Francs) dont tu donneras une partie en guise d’étrennes au Préfet du Trésor que j’espère ainsi contenter davantage37. Mais Mairan, qui est chargé par Poleni, resté à Padoue, de réceptionner le prix du Marquis, trouve cela excessif et ne donnera que 12 F (« 2 écus neufs ») au garçon du Trésor Public, comme c’est l’usage. Notons que le casanier Poleni ne s’est jamais déplacé à Paris et ce n’est point l’attrait de la capitale française qui l’a motivé à participer aux concours académiques… Pour conclure sur le caractère de Poleni, nous livrerons cette citation de Gian Gaetano Brunati, professeur public des Humanités et de Rhétorique qui écrit depuis Tolentino, le 14 février 1744, à « l’éminent » (praestantissimo) professeur de mathématiques de Padoue. Dans notre chère Italie, il n’est personne mieux que toi, qui soit versé dans cette science38… La réputation de Poleni rayonne donc bien au-delà des limites de Padoue. Après sa mort, on ne compte pas moins de trois éloges : celui de Grandjean de Fouchy à l’Académie Royale des Sciences de Paris mais aussi ceux de Pietro Cossali (1830) et de Giuseppe Gennari (1839). L’examen de la bibliographie de Poleni confirme bien le caractère européen de sa pratique scientifique notamment à travers sa correspondance.
L’œuvre de Giovanni Poleni La correspondance de Poleni revêt la dimension européenne39 caractéristique de la République des Lettres, suivant le réseau des différentes académies ou universités en Europe ou en Russie. L’expression « République des lettres » est employée par Giovanni Poleni dans sa lettre à Havercamps en juin 1740 : Enfin, je te remercie de tout mon cœur pour la remarquable splendide édition de Dionysius Cassius Cocceianus (qui sera très utile à la République des Lettres)40.
37 « Syngrapham Regiae Academiae clausam reperies ; qua ab Academici aerarii Praefecto obtinere premium poteris. Eam vero pecuniam velim tradas Illustrissimo Abbati Leblond fratri Consulis, qui pro Galliorum Rege Venetiis degit, benevoli amici mei ; cum hoc enim convenimus, ut istic ea pecunia fratri suo tradatur. Sed ante detrahes libras gallicas (Francs) centum ; parte quorum strenam dabis aerarii Praefecto, quem plus satis contentum opto. » Bibl. Civ., Vérone, 3096 E, f.°453. 38 « In nostra Italia nemo te melius hanc calleat scientiam… » Vérone, Bibl. Civ., 3096G, f.°52. 39 Del Negro, 2013, p. 109-142. 40 « Demum tibi ex animo gratulor de praeclara et splendida (quae erit etiam litterariae Reipublicae utilissima) Editione Dionis Cassii. » Bibl. Civ. Verona, Mss 3096 B, f.°364-365. Lettre de Poleni à Havercamps, Kal.jun, 1740.
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Fig. 6. – Couverture de l’enveloppe 3096G du fonds Poleni, Biblioteca Civica de Vérone. C. Le Gall.
Fig. 7. – Lettre de Poleni à Euler, 1er mars 1736, f°49, 3096B, fonds Poleni, Biblioteca Civica de Vérone. C. Le Gall.
D’après les indications fournies par Francesco Poleni41, 47 % des correspondants de Poleni résident à Venise, 34 % sont répartis dans les autres états italiens et 19 % dans les pays européens. De Poleni, la Biblioteca Civica de Vérone conserve un fonds documentaire comprenant une partie de la correspondance échangée avec les grands savants européens de son temps, des projets pour des ponts, des avis pour des restaurations de la basilique Saint-Pierre de Rome et des essais techniques dans différents domaines (y compris des problèmes de caractère éditorial). La présence du fonds Poleni à Vérone peut se justifier (en rapport avec les documents relatifs au personnage qui ne fut pas lié directement à la cité de Vérone et parce que la partie la plus considérable du fonds à la fin du xixe siècle en possession du comte véronais Carlo Gazzola fut acquis par la Bibliothèque Nationale Marciana de Venise) […] par les matériaux de caractère scientifique qui soulignent une politique de valorisation des fonds possédés par la bibliothèque même42.
41 Francesco Poleni, Metodo di vivere giornaliero in casa, e fuori casa BNMVe, cod. It., cl. iv, 592 (5555), c. 130. 42 Pour les manuscrits possédés par la Civica de Vérone, non signalés jusqu’à présent, se reporter à Le professioni dello scrivere, Agostino Contò, Florence, 1993, p. 8-10. Pour les autres lettres de Poleni, cf. Andrea Gazola lettres dans b. 217 (Autographes Giuliari, b. 7), G.Torelli (lettres de Torelli a Poleni) b. 640, b. 86, b. 92, b. 268, b. 370. Se reporter également à Dagmar von Wille, La fortuna delle opere di Christian Wolff in Italia nella prima metà del Settecento : la prima edizione veronese degli Opera Latina, “Rivista di storia della filosofia”, 2 (1995), p. 370-400.
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Tableau des destinataires de Poleni
Pays France
Correspondants
Jean-François Séguier (botaniste nîmois, secrétaire de S. Maffei à Vérone), Jean-Jacques Rousseau, Dortous de Mairan (secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des Sciences de Paris), Louis Maupertuis, Guérin l’aîné (libraire parisien), Le Cardinal Melchior de Polignac (Académie Royale des Sciences de Paris) Le Cardinal de Fleury (aumônier de la reine Marie-Thérèse, précepteur de Louis XV puis Premier ministre du roi) L’abbé de La Caille (Académie Royale des Sciences de Paris), La Condamine (Académie Royale des Sciences de Paris), Joseph-Nicolas Delisle (Académie Royale des Sciences de Paris), Philippe-Joseph de Farrigues (juriste), Jean-Baptiste de La Curne de Sainte Palaye (historien, Académie française), Jean-Philippe Rameau, Jean Le Blond Joseph Bimard de La Bastie (correspondant de l’Académie des Inscriptions en 1740), Jacob Hermann (université de Strasbourg), Jean Daniel Schoepflin (université de Strasbourg), Jacques Cassini, François Jacquier, Thomas Le Sueur, Jean-Antoine Nollet, Pierre Varignon, Fontenelle. Suisse Leonhard Euler (professeur de l’Académie Royale de Berlin, membre honoraire de l’Académie Impériale de Saint-Pétersbourg), Nicolas, Daniel et Jean Bernoulli. Autriche Maximilian Hell, Joseph Schöttel (Vienne), Gian Giacomo Marinόni. Hollande Les éditeurs Petro Vander Aa, Pierre Gosse et Hermann Vytwerf (La Haye) Willem Jacob’s Gravesande, Peter Van Musschenbroek (Leyde), Hermann Boerhaave, Sisgebert Havercamps (université de Leyde). Angleterre Joseph Atwell, James Jurin, Hans Sloane, Martin Folkes, Isaac Newton, Henry Pemberton (Royal Society), Joseph Smith.
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Pays
Correspondants
Prusse
Johann Friedrich Mögling (université de Tübingen) Friedrich de Thoms (Berlin), Charles Auguste de Bergen (professeur de médecine à Francfort sur Oder), G.M. Bose (Wittemberg), Jean Erhard Kapp (Leipzig), Io. Ludovic Uhl (Berlin), Christian Wolff (université d’Iéna et Leipzig), l’Anglais Deskford, le Suisse Leonhard Euler (Berlin). Casimiro Gomez de Ortega (Madrid). Anders Celsius (université d’Uppsala). l’Allemand Christian Goldbach, le Français Joseph-Nicolas Delisle, le Suisse Leonhard Euler le Suisse Jean Bernoulli.
Espagne Suède Russie
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Tableau des correspondants italiens de Poleni en Europe
Villes
Correspondants italiens de Poleni
Berlin Berne Copenhague Halle Kassel Londres
Pietro Antonio Michelotti, Eustachio Zanotti, Paolo Frisi Paolo Frisi Paolo Frisi Pietro Antonio Michelotti Eustachio Zanotti Pietro Antonio Michelotti, Guido Grandi, Roger Joseph Boscovich, Francesco Algarotti (ami de Frédéric de Prusse), Eustachio Manfredi, Eustachio Zanotti, Giambattista Beccaria, Paolo Frisi Pietro Antonio Michelotti, Eustachio Manfredi, Jacopo Belgrado, Paolo Frisi, Giovanni Domenico Maraldi Filippo Ciera Pasini Pietro Antonio Michelotti, Jacopo Riccati, Paolo Frisi Paolo Frisi Gian Giacomo Marinoni (fondateur de l’Académie de Géométrie et de la Science Militaire de Vienne)
Paris Rio de Janeiro Saint-Pétersbourg Stockholm Vienne
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Nous présentons dans l’annexe III les enveloppes contenant les lettres et écrits personnels de Poleni conservés à la Biblioteca Civica de Vérone. Nous y livrons l’état des manuscrits transmis par le conservateur A. Contò. Le caractère rayonnant de son amitié est bien souligné par Tipaldo : « Faire la liste des noms les plus illustres qu’une longue et profonde amitié liait à Poleni, des institutions scientifico-littéraires qui le voulurent comme membre, dont en 1739 la Royale de Paris, serait un travail exagéré, vu que l’on parle de quelqu’un qui, avant de recevoir, reflétait sur les autres sa propre lumière43. » Le charisme de Poleni se déploie donc dans toute l’Europe même s’il entretient aussi une correspondance avec des savants italiens qui appartenaient à différentes académies européennes et qui voyageaient beaucoup à l’instar de Scipione Maffei qui fit aux côtés de J. Fr. Séguier un tour d’Europe (France, Angleterre, Pays-Bas, Allemagne). Dans son discours inaugural du Cabinet de Philosophie expérimentale de Padoue44, Poleni adhère aux propos de Thomas Sprat45 qui souligne la nécessité de conjuguer les qualités propres aux savants de différentes nations et invite donc le futur responsable du cabinet de physique du palazzo del Bo à adopter une attitude d’ouverture européenne : En effet, je voudrais, dit-il, que, d’abord, ce philosophe soit pourvu d’une application d’une dextérité et d’une intelligence curieuse dont sont dotés les Allemands, les Français, les Écossais et les Anglais parce que, de cette manière, les expériences, en tant qu’activité à considérer avec le plus grand soin, sont préparées avec application et ingéniosité. Ensuite, je souhaiterais que soient ajoutées à ce philosophe, une douce intelligence et aussi comme une sorte de froideur intellectuelle, de même la circonspection et la réticence des Italiens et des Espagnols ; c’est grâce à quoi on médite longtemps et scrupuleusement sur le même sujet et par la pensée, avant d’en venir à la construction d’un système, on traite à fond les expériences46. Poleni, d’ailleurs, invite le futur philosophe expérimental du cabinet de philosophie (en fait, c’est lui-même qui devient responsable de ce lieu) à voyager en Europe pour visiter et s’inspirer des théâtres d’instruments, comme le montre cet
43 « Il chiamare a rassegna i nomi de più illustri che al Poleni stretti erano di lunga ed intrinseca amicizia, el scientifico-letterarie aggregazioni che lo vollero ascritto, tra cui del 1739 la Reale di Parigi, sarebbe opera soperchia parlando massimamente di tale che più presto di ricevere, sopra gli altri, rifletteva la propria luce » Tipaldo, 1845, vol. 10, p. 341. 44 Institutionum Philosophiae mechanicae experimentalis specimen, 1741, Padoue. 45 Thomas Sprat, The history of the Royal Society of London, Londres, 1722. The Second. Part. p. 64. 46 « Nam vellem, ait ut in primis Philosophus iste industria, dexteritate, curiosoque genio, quibus donantur Germani, Galli, Scoti, atque Angli, esset ornatus ; quia hoc modo Experimenta, tanquam res summa diligentia consideranda, industrie ingenioseque compararentur. Deinde optarem, ut Philosopho isti lene ingenium & tanquam quoddam mentis frigus, item circumspectio, ac diffidentia Italorum, Hispanorumque adderentur ; quare idem diu ac diligenter meditaretur, ac mente, antequam ad systematis ullius constructionem descenderet, Experimenta pertractaret. » Institutionum Philosophiae mechanicae experimentalis specimen, 1741, Padoue, chap. liv.
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extrait du chapitre xiii du discours inaugural du cabinet de philosophie mécanique expérimentale47 : Donc que notre philosophe aille voir les grands théâtres d’instruments et de machines de droit public fabriquées par Jacques Besson48, Georg Andreas Bockler49, Giovanni Branca50, Jacob Leupold51, Claude Perrault52, Agostino Ramèlli53, Vittorio Zonca54. Les échanges épistolaires assoient la notion même de République des Lettres. Écrire des lettres constitue l’une des tâches principales des érudits et des savants. La correspondance permet de rester en contact et de transmettre non seulement des nouvelles, des données ou des récits d’expériences scientifiques mais aussi des normes et des modèles de comportement comme l’a montré K. Pomian. Daniel Roche souligne la puissance de cette communauté utopique qui s’affranchit des frontières géographiques et politiques : L’échange rend cohérente une communauté d’individus dispersés et séparés ; il lui fournit sa consistance morale, voire sa conscience à travers des leçons de méthode ; c’est une pédagogie des manières. Celle-ci postule la possibilité d’une transformation des individus puisqu’elle suppose une adhésion par raison et non plus par passion, qui transcende les barrières de l’État, de nation et de petite patrie55. Charles Pinot Duclos, dans ses Considérations sur les mœurs de ce siècle (1751), divisait la République des Lettres en « plusieurs classes » : « les savants qu’on appelle érudits » (moins estimés que par le passé et dont le nombre est en baisse), « les savants qui s’occupent des sciences exactes », (estimés et parfois récompensés), « les gens de lettres les plus recherchés… ceux qu’on appelle communément beaux esprits56 ». Giovanni Poleni conjugue idéalement la figure du « savant érudit » avec celle du « savant qui s’occupe des sciences exactes ». Il révèle à l’échelle individuelle, l’évolution de la figure du savant des xviie et xviiie
47 « Adeat igitur Philosophus noster ampla Instrumentorum & Machinarum Theatra, quae publici juris fecere Iacobus Bessonus, Georgius Andreas Bocklerus, Ioannes Branca, Iacobus Leupoldus, Cladius Perraultius, Augustinus Ramelius, Victorius Zonca. » Institutionum Philosophiae mechanicae experimentalis specimen, 1741, Padoue, chap. xiii. 48 Jacques Besson, Theatrum Instrumentorum et Machinarum, Lyon, 1582. 49 Georg Andreas Bockler, Theatrum Machinarum, Cologne, 1662. 50 Giovanni Branca, Le Machine : Volume nuovo et di molto Artificio etc, Roma, 1629. 51 Jacob Leupold, Theatrum Machinarum Generale, Leipzig, 1724. Theatrum Machinarum Hydrotechnicarum, Leipzig, 1724. Theatrum Machinarum Hydraulicarum, Leipzig, tome i, 1724. tome ii, 1725. Theatrum Machinarum ad onera elevanda et portanda, Leipzig, 1725. Theatrum staticum Universale, Leipzig, 1726. (Tous les textes sont en allemand). 52 Claude Perrault, Recueil de plusieurs Machines de Nouvelle invention, Paris, 1700. 53 Agostino Ramèlli, Le Diverse et Artificiose Machine, Paris, 1588. 54 Vittorio Zonca, Novo teatro di Machine e Edificij, Padoue, 1656. 55 Roche, 1988. 56 Cité par Waquet, 1997, p. 58.
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Fig. 8. – Lettre de Daniel Bernoulli à Poleni, 15 juin 1730, f°6, 3096B, fonds Poleni, Biblioteca Civica de Vérone. C. Le Gall.
siècles : de l’humaniste et latiniste polyhistor (pour reprendre le titre de l’ouvrage de G. Morhof), au savant spécialisé57. Les lettres de Poleni – à l’instar des correspondants – présentent assez souvent des plans ou des thèmes récurrents. Après une captatio benevolentiae qui lui permet de s’excuser pour son retard à répondre (dû à des problèmes de santé ou à sa surcharge de travail) et de flatter l’indulgence ou le caractère serviable de son destinataire, Giovanni Poleni aborde le partage des données et des résultats d’observations scientifiques puis présente sa vérification d’hypothèses scientifiques émises par le destinataire. Giovanni Poleni joue souvent pleinement son rôle d’expert, notamment 57 « Les orientations nouvelles qui se firent jour au milieu du xviie siècle et les transformations institutionnelles qui en sont issues (académies, sociétés savantes et journaux) allèrent de pair avec une « compartimentalisation » du savoir. L’humaniste qui avait suivi le programme des arts libéraux longtemps fondés sur les textes antiques, était un véritable polyhistor qu’aucun sujet ne désorientait complètement ; c’est qu’Aristote était la clé des arts et des sciences, que Justinien ouvrait au droit romain et qu’Hippocrate donnait accès à la médecine. Avec la nouvelle philosophie et les nouvelles formes du savoir, succéda à cet humaniste, le savant spécialisé. Celui-ci n’était plus à même d’embrasser les différentes disciplines qui en se dotant de méthodes et de langages propres, rendirent les cloisonnements de plus en plus étanches. […] Le savant idéal de la République des Lettres, devint vers 1700, l’homme « habile » qui se consacrait à une discipline particulière, sans vouloir accumuler des masses de connaissances dans tous les domaines, jugées désormais superflues. L’éclatement de la vieille encyclopédie du savoir et le triomphe de la critique avait eu raison du polyhistor. » Fr. Waquet, 1997, p. 50.
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pour encadrer les travaux de Daniel Bernoulli qui lui expose ses expériences sur la mécanique des fluides dans sa lettre du 15 juin 1730, écrite à Saint-Pétersbourg58. Poleni formule fréquemment à son destinataire des demandes d’envoi de périodiques, livres, machines, traités et s’assure du bon suivi du paiement des biens achetés par correspondance. Il faut souligner l’importance du rôle joué par les négociants tels que le marseillais Catalan ou l’apothicaire vénitien Jules Cesar Moreni, comme on le lit dans la lettre de Jean-François Séguier écrite le 12 avril 1758 à Nîmes et adressée au vénitien Sagromoso : J’ai profité aussi de la même occasion pour vous mander le dessein de notre fontaine que vous me demandez : il est dans un paquet adressé au Sr Jules Cesar Moreni me apothicaire de Vérone, qui aura le soin de vous le faire avoir à son arrivée. […] Si vous pouviez trouver quelque occasion de m’envoyer quelque racine de renoncule et d’anémone qu’on cultive à Venise, je vous suis bien obligé d’en profiter en les adressant à Marseille à M. Catalan l’aîné, marchand négociant, pour M. Séguier à Nîmes. J’ai remarqué que ces fleurs qu’on a eues de Candie et du Levant sont plus belles que celles que nous avons ici59. Poleni livre des conseils pour un acheminement plus rapide du courrier (avec le choix d’intermédiaires de confiance, de la voie terrestre ou maritime…) et afin de raviver le réseau, ne se prive pas de transmettre ses salutations à des tiers. Il prend régulièrement des nouvelles quant à l’actualité des Académies et s’inquiète du devenir de ses publications académiques, tout en tenant son destinataire au courant de l’avancée de ses ouvrages en cours. Il n’est pas rare que les savants choisissent de remettre des lettres à des tierces personnes plutôt que de les adresser par voie postale. Ce qui ne va pas sans inconvénient quant à la confidentialité du pli : signalons la remarque de Daniel Bernoulli (lettre datée du 4 octobre 1733) qui constate que la lettre que De L’Isle lui a remise, à Saint-Pétersbourg, pour l’expédier de Bâle à Poleni, est décachetée : Comme j’ai été près de quatre mois en chemin, cette lettre sera de vieille date. Vous la trouverez décachetée par un hasard que je ne sais pas moi-même ; c’est apparemment quelque grand cahot joint à la mauvaise qualité de la cire qui en est la cause60. C’est par l’entremise de Jean-François Séguier que Giovanni Poleni reçoit les lettres de G. M. Bose61 comme l’écrit le marquis padouan, dans sa lettre du 8 juillet 1754 : Du très remarquable homme, mon vieil ami, François Seguier, qui habite Vérone, j’ai reçu récemment vos lettres très aimables, datées du 9 mai de cette même année62.
58 Ver., Bibl. Civ., 3096 B., f.°6. 59 Ver., Bibl. Civ., cart. b. 87, 1758. 60 Ver., Bibl. Civ., 3096 B, f.°15. 61 Georg Mathias Bose (1710-1761), physicien et médecin, professeur de physique à Wittenberg. Correspondant de Réaumur en 1746, puis de Nollet en 1757. Il avait publié dès 1744 Die Elektricität. 62 « Ab Praestantissimo Viro, meique vetere amico, Francisco Seguerio, Veronae degenti, humanissimas litteras tuas (datas 9 Maj. Hoc eodem anno) nuper accepi. » Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°33.
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L’acheminement des lettres des savants implique pour être efficace la participation d’intermédiaires qui tentent de remédier aux aléas liés à la météo, aux guerres ou aux épidémies. G. M. Bose lui-même, ne tarit pas d’éloges à l’égard du botaniste nîmois : « Has mittet Seguier noster Tibi, fidus63. » (« Que notre fidèle Séguier Vous envoie ces lettres. »). D’ailleurs, dans une lettre datée 1er juin 1745, Giovanni Poleni conseille à Friedrich De Thoms64 (le comte réside à Leyde) d’expédier les numéros de Transactiones Philosophorum (1743-1744-1745) plutôt par voie terrestre que par voie maritime, plus lente : « Quae mihi comparaveris, terrestri itinere mittas mihi, rogo : navibus enim quae transferuntur ad nostras regiones, sero perveniunt65. » Le témoignage de Mairan, dans une lettre à Giovanni Poleni, datée du 20 novembre 1739, souligne également les difficultés de communication entre les personnalités de la République des lettres : Monsieur, Ma surprise est grande en lisant la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire du 25 septembre dernier, et que je trouve à Paris en y arrivant de la campagne, de voir que vous n’avez pas reçu ma lettre d’avis sur votre nomination à l’académie des Sciences. Vous fûtes nommé le 29 août avec M. Hoffmann, médecin et la notification du choix de la cour en votre faveur arrive à l’assemblée du 26. Dès le lendemain qui était le 27, j’eus l’honneur de vous écrire et comme je ne sçavais pas si M. le card. de Polignac66 et M. l’abbé Le Blond67, à qui j’envoie ordinairement mes lettres pour l’Italie, étaient à Paris, je fis remettre celle-ci à la poste, affranchie de port jusqu’à la frontière, selon l’ordre présent pour les lettres qui vont à Padoue. Ce contretemps m’obligera à l’avenir d’envoyer toutes celles que j’aurai l’honneur de vous écrire à M. l’abbé Le Blond. Cependant, je ne désespère pas encore que celle du 27 août ne parvienne jusqu’à vous, résolu comme je suis d’en faire mes plaintes à Mrs du Bureau de Paris68. Hormis sa correspondance avec Rome, Mairan n’hésite pas à diversifier les voies du courrier en choisissant Genève69 ou Bologne puisqu’il y a « des difficultés infinies pour faire parvenir les livres et les lettres en sûreté de Paris à Padoue, parce que le 63 Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°35. 64 Frédéric Comte de Thoms (1669-1746). 65 Ver., Bibl. Civ., 3096B, f.°31. 66 Mairan précise dans une lettre adressée à Poleni (datée du 3 septembre 1739, Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°425) que le Cardinal de Polignac habite à une lieue de son domicile. Le cardinal de Polignac a beaucoup œuvré à l’intégration de Poleni à l’Académie Royale des Sciences de Paris. « En tant qu’ancien président de l’Académie, il était en mesure d’influencer le président en fonction, le cardinal et premier ministre du royaume André-Hercule de Fleury. » (Del Negro, 2012, p. 124.) Dans son éloge du cardinal de Polignac, Claude-Gros de Boze déclare : « Il n’était point jaloux, ni vindicatif, quoiqu’il fût tendre et reconnaissant à l’excès ; les plus petits soins que demande la haine, lui auraient été à charge, & il semblait n’être fait que pour aimer & pour être aimé. » (Éloge de M. le Cardinal de Polignac, 1742, Boze, p. 18). 67 L’abbé Le Blond est le frère de Jean Le Blond, consul de France à Venise. 68 Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°427. 69 Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°496. Lettre de Paris, du 12 février 1748.
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pouvoir de nos Directeurs des Postes ne s’étend point jusques là, et réciproquement de Padoue ici70. » Les aléas liés à la poste s’ajoutent à ceux provoqués par la guerre71. Dans une lettre adressée à De Thoms, le 15 août 1745, Poleni regrette les tumultus bellicos (tourments de la guerre) qui retardent la livraison d’ouvrages pour sa bibliothèque (bibliopola nostra) et de ne pas avoir reçu de livres de ces régions depuis trois ans. « Quod vero spectat ad novos libros agentes vel de Mathesis vel de Experimentali Philosophia ; scias velim bellicos tumultus impedimento esse quin Bibliopolae nostri libros ex istis regionibus sibi procurent72. » Nous reprendrons les éléments du chapitre sur « La Venezia di Poleni » de Giuseppe Gullino73 afin de rappeler le contexte politico-diplomatique de la vie de Giovanni Poleni. Après le conflit pour la succession polonaise qui se termine par la paix de Vienne (1738), Carlo di Borbone obtient Naples et la Sicile, la Toscane passe aux Habsbourg de Vienne et Carlo Emanuele III de Savoie acquiert Novara et Tortona. Ensuite, éclata la guerre de succession autrichienne (1740-1748), à la mort de l’empereur Carlo VI (1711-1740) dont la fille aînée Maria-Teresa épousa Francesco Stefano Di Lorena74. Une coalition antiautrichienne formée par la Prusse, la France et l’Espagne, s’oppose à Maria-Teresa qui obtient l’appui de la Hollande et de l’Angleterre. L’élément le plus dynamique de l’alliance anti-Habsbourg est le nouveau roi de Prusse, Frédéric II (1740-1786), qui envahit la Silésie. La guerre se situe en Italie, au Piémont et à Gênes. Le conflit s’achève avec la paix d’Aquisgran, le 18 octobre 1748. Pour financer cette guerre, Venise va tout mettre en vente : le titre de Procuratore de San Marco s’acquiert entre 20 et 25000 ducats et l’entrée dans le patriciat se monnaye 100 000 ducats. Les locaux sous le portique des Procuratie de la Piazza San Marco sont également mis en vente : Florian Francesconi en achète un et en fait un café, le café Florian ! Souvent conséquentes à la guerre, les épidémies peuvent également causer des retards dans l’acheminement du courrier. Ainsi, dans une lettre adressée à Havercamps le 21 mai 1740, on apprend que Giovanni Poleni attend la réception de la corbeille des machines (cistam machinarum), retenue à Vérone longtemps à cause d’une désinfection due à des soupçons de peste : J’ai attendu que la corbeille des machines me parvienne ; en effet, elle vient juste de me parvenir, après qu’elle eut demeuré très longtemps à Vérone, à cause d’une désinfection, qui est instituée là-bas (en raison des soupçons de peste) pendant de très nombreux jours75.
70 Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°503. Lettre de Paris, du 3 février 1750. 71 Le 14 mars 1750, Guérin écrivait à Poleni : « Comme je me flatte que la paix va rétablir les routes de la correspondance, je présume que dorénavant le commerce sera moins difficile et les communications plus promptes. » Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°349. 72 Ver., Bibl. Civ., 3096B, f.°41. 73 Giovanni Poleni, 2013, p. 7 et suiv. 74 Carlo VI avait créé la Prammata Sanzione qui permet à Maria-Teresa de rester sur le trône. 75 « Expectavi, cistam machinarum in meas pervenire manus ; ut reapse, nuper pervenit, postquam diutissime detenta Veronae fuit, propter expurgationem, quae ibi (ob pestis suspiciones) per dies plurimos instituitur. » Ver., Bibl. Civ., 3096B.
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Fig. 9. – Carte des correspondants de Poleni à l’extérieur de l’Italie.
Lisbonne
Outre-Mer
Cadix
Royaume du Portugal Madrid
Brest Paris
Turin Pise
Rome
États Italiens
Berlin
Bologne
Malte
Vilnius
Empire Ottoman
Empire de Russie
Antioche
Réalisation: L. Jégou, Toulouse 2-Le Mirail, 2013
Royaume de Pologne
États des Habsbourg
500 km ©Mappemonde 2013 (GS)
0
Naples
États de l’Église
Florence
Vienne
Varsovie
Roy. de Prusse
Gdansk
St-Petersbourg
Duché de Courlande
Stockholm
Royaume de Naples
Copenhague
Ingolstadt
Cantons Suisses
Milan
Bâle Genève
Montpellier
Lyon
Royaume de France
Göttingen
Uppsala
Roy. de Suède
Norvège
Roy. du Danemark
Provinces Unies
Pays-Bas Autrichiens
La Haye
Édimbourg
Toulouse
Londres
Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande
Royaume d’Espagne
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Membres et correspondants
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Fig. 10. – Membres et correspondants de l’Académie Royale des Sciences élus entre 1699 et 1793. Publié dans R. Sigrist, « Les communautés savantes européennes à la fin du siècle des Lumières », M@ppemonde, 110 (2013, vol. 2), p. 8.
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Ces lettres sont conservées à la Biblioteca Civica de Vérone, à la Marciana de Venise, et à Forlì. À partir de la liste des destinataires, il est possible de dresser une carte européenne des échanges épistolaires de Poleni. Lorsqu’on regarde la carte de la localisation des membres et correspondants de l’Académie des Sciences de Paris élus entre 1699 et 1793, on est frappé par la mobilité des savants qui tranche quelque peu avec la sédentarité de Giovanni Poleni. Poleni fait figure de casanier puisqu’il ne se déplace pas à Paris, par exemple, pour réceptionner ses prix académiques mais diligente à distance Dortous de Mairan ou utilise les services d’ambassadeurs76. L’œuvre de Giovanni Poleni possède un rayonnement international et peut être lue selon la dynamique propre à caractériser le travail du savant des Lumières comme « la matérialisation de l’intelligence » et « l’intellectualisation des choses », pour reprendre la formule de Daniel Roche77. Ainsi, pour matérialiser son intelligence, le professeur padouan inaugure un cabinet de philosophie expérimentale à Padoue et concourt au prix Rouillé de Meslay organisé par l’Académie Royale des Sciences afin de proposer des solutions techniques pour mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques, améliorer le cabestan mais aussi la figure des ancres, leur forge et leur épreuve. Le deuxième versant : « l’intellectualisation des choses », renvoie aux efforts de Poleni pour conférer une assise mathématique et théorique aux pratiques artisanales des arsenalotti de Venise qui, à défaut de schémas clairs étayés par une géométrie exacte, travaillaient selon le processus empirique de l’ajustement. En lui confiant la chaire de construction navale, la cité des Doges souhaite que Poleni apprenne aux architectes à se servir pleinement de la doctrina. Les programmes de ses cours soulignent l’importance de cette nécessaire intellectualisation des pratiques. La méthode scientifique de Giovanni Poleni implique une intellectualisation notamment à travers le choix du latin et les références aux Anciens réalisées par l’érudit vénitien Poleni, qui assume sa position « sur les épaules des géants ». L’intellectualisation des choses réside notamment dans le choix du mot latin idoine pour désigner un artefact et la mise en perspective historique de l’objet. Enfin, les échanges épistolaires en latin entre Poleni et les savants européens sur les realia scientifiques instaurent une sorte de mise à distance, ou de mise en abyme de l’objet. Ce métadiscours constitue un véritable espace de réflexion propre à l’intellectualisation des données ou des expériences scientifiques.
76 La partie plus considérable des archives de Poleni fut acquise en 1893 par la Biblioteca Nazionale Marciana de Venise grâce au legs du comte de Vérone, Carlo Gazzola et est actuellement cataloguée à l’intérieur des manuscrits It.-IV, 591-686. Nous reproduisons en annexe II le sommaire sur Poleni du Catalogo dei Codici Marciani italiani. C. Frati e A. Segarizzi, vol. 2, Modena, 1911, p. 400. 77 D. Roche, « Introduction », La République des Lettres dans le Midi rhodanien. Sociabilités savantes et réseaux de diffusion des savoirs au siècle des Lumières, Toulouse, Privat, 2014, p. 11-21.
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L’objet de notre recherche Comme on l’a vu, l’œuvre de Poleni est immense et les recherches récentes n’en ont pas épuisé le contenu. Nous avons choisi de nous intéresser aux traités primés par l’Académie Royale des Sciences de Paris et aux relations de Poleni avec les membres de cette Académie. Dès 1733, Giovanni Poleni participa à quatre concours proposés par cet institut : il remporta trois fois un prix pour les manuscrits suivants : La meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques (1733), Dissertations latines sur les ancres qui répondent aux trois questions proposées cette année par l’Académie Royale des Sciences (1737) et De Ergatae Navalis praestabiliore, facilioreque Usu, Dissertatio (1741). Nous avons traduit78 en français les trois traités latins primés et ce travail de traduction nous a amenée à nous interroger sur la réalisation concrète des machines de navigation inventées par Poleni. La traduction d’extraits des lettres de Poleni, de ses programmes de cours d’architecture navale79 et d’extraits de son discours inaugural du théâtre de philosophie expérimentale mécanique, Institutionum philosophiae mecchanicae experimentalis specimen80 vise à contextualiser les traités. Les programmes des cours et des leçons de Poleni que nous avons traduits concernent la navigation et la philosophie expérimentale : ces questions concernent donc les trois traités de navigation de Poleni. Notre corpus est donc centré sur l’Académie Royale des Sciences de Paris et les questions liées à la navigation. La traduction des traités motiva la reconstitution81 moderne du cabestan et la machine pour mesurer la force du vent, présentés dans deux des traités. Nous avons choisi de reconstituer deux machines de Giovanni Poleni en suivant trois objectifs : 1. consolider la traduction en français de ces traités latins ; 2. vérifier la pertinence des choix techniques opérés par Poleni : certaines solutions proposées n’ayant pas pu être reprises, nous avons évalué les conséquences de ces lacunes ; 3. renouer avec la démarche interdisciplinaire qui était celle de Giovanni Poleni.
78 « La traduction, écrit Daniel Roche, permet de faire avancer la controverse. » Il cite alors l’exemple de Buffon qui traduit Stephen Hales en 1735 et modifie les explications providentialistes de la Vegetable staticks ou encore Lavoisier et sa femme, traducteurs de l’Essay on Phlogisticon de Kirwan (1787), publié avec sa réfutation. (Roche, 1993, p. 456). 79 Cours de 1756 à 1760, imprimés par Poleni. Ils sont présentés à chaque début d’année universitaire : leur annonce débute toujours par la formule Triumvirum rei litterariae amplissimorum jussu… « Sur ordre du triumvirat des Lettres si considérable… » 80 Praelectio habita ab Joanne Poleno V. Kal. Decemb. MDCCXXXX cum novum Theatrum pro experimentali philosophia in Patavino Gymnasio dedicaretur. Padoue, Impr. du Séminaire, 1741. Ce discours fut prononcé le 27 novembre 1740. 81 La reconstitution en grandeur nature de la machine pour mesurer la force du vent a été confiée aux élèves de CAP Serrurerie-métallerie du lycée Vauban de Brest et à leurs professeurs : Patrick Pélissard et Laurent Martin. Les étudiants et les professeurs du BTS Développement et Réalisation Bois du lycée de l’Élorn de Landerneau : Alain Monot, Matthieu Fresnel et Patrick Kerninon, se sont chargés de la reconstitution en maquette et en grandeur nature du cabestan. Cf. Remerciements, avant-propos et troisième partie.
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Les cours de Poleni sur la navigation
Titre du cours de navigation de Poleni en latin
Titre en français
Date
« Doctrinam architecturae militaris necnon architecturae civilis persequetur et absolvet ; deinde navalis scientiae principia principia ponet ; ac praeterea in philosophiae experimentalis administratione versabitur. »
« Giovanni Poleni poursuivra et conclura la théorie de l’architecture militaire et aussi de l’architecture Civile : ensuite, il posera les principes de la science de la navigation et en outre, évoquera la gestion de la philosophie expérimentale. » « Giovanni Poleni traitera de l’art de la navigation, et en outre, évoquera la gestion de la philosophie expérimentale. » « Giovanni Poleni organisera les principes de l’architecture navale. Il exposera alors la science des sections des cônes et leur usage. Et au quatrième jour, il gèrera la philosophie expérimentale, selon la méthode suivante. » « Giovanni Poleni traitera des principes de l’architecture navale ; alors, faisant un pas vers l’autre partie des mathématiques, il expliquera la science mathématique des mouvements des êtres animés et en outre, évoquera la gestion de la philosophie expérimentale. » « Giovanni Poleni exposera la science de l’architecture militaire et aussi de l’architecture civile : opportunément, il traitera des lieux à fortifier près des ports, en rapport avec la navigation et en outre, évoquera la gestion de la philosophie expérimentale. »
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« Aget de re navali, ac praeterea in philosophiae experimentalis administratione versabitur. » « Architecturae navalis ordietur principia. Tum doctrinam sectionum conicarum exponet, earumdemque usus. Et in quarta die philosophiam experimentalem sequenti ratione administrabit. » “Aget de navalis architecturae principiis ; tum ad aliam Matheseos partem gradum, mathematicam doctrinam Motus animalium explicabit ; ac praeterea in philosophiae experimentalis administratione versabitur.” « Doctrinam architecturae militaris necnon architecturae civilis exponet : opportune de muniendis locis prope portus, attenta Rei navalis doctrina, aget : ac praeterea in philosophiae experimentalis administratione versabitur. »
1757 1758
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Cette reconstitution fut suivie d’un test en mer à bord du sloop de bornage Dalh Mad. Notre travail qui repose à la fois sur l’interdisciplinarité et un échange de pratiques, un nécessaire aller-retour entre le dessin et le texte, l’empirisme et la théorie, tentera de répondre aux questions suivantes : pourquoi les traités de Poleni ont-ils été primés ? Comment Poleni travaillait-il ? Quelles méthodes et démarche scientifique suivait-il ? En quoi le marquis de Padoue met-il son érudition au service de la science ? L’expérience était-elle au coeur de sa démarche ? L’organisation d’ensemble du travail de recherche s’organise en trois temps : nous évoquerons d’abord les « appels à projets » de l’Académie Royale des Sciences de Paris puis les traductions annotées et commentées des trois traités. Enfin, nous présenterons le travail de reconstitution des machines de navigation.
Première partie
Les « appels à projets » de l’Académie Royale des Sciences de Paris (1733-1741)
Chapitre premier
Poleni et l’antiquité
Le lien entretenu par Giovanni Poleni avec l’antiquité gréco-latine s’épanouit à partir des racines de son éducation humaniste et de ses recherches en philologie et en architecture de l’antiquité. L’érudition de Poleni s’appuie donc sur ses connaissances techniques antiques mais aussi sur sa maîtrise de la langue latine : ces deux compétences lui permettent d’intellectualiser ou de traduire la réalité d’un artefact par un mot latin, souvent créé par le marquis padouan.
Une profonde connaissance des auteurs antiques Dès sa jeunesse, le jeune Giovanni fut l’élève de prêtres qui, à Venise, relèvent de la tradition des prêtres savants1. Les études classiques de Poleni obéissent donc aux trois principes ainsi énoncés par Dante Nardo : Refus de la vulgate, refondation du texte sur une base documentaire sûre, recension ample et systématique, conservatisme critique intelligent ; ce sont ces principes méthodologiques communs à tout le groupe des savants philologues dont Poleni semblerait l’initiateur et l’animateur2.
1 Zorzi, 1988, p. 289. Ainsi, le frère mineur conventuel Vincenzo Coronelli, élu ministre général de son ordre et chassé de son siège dans des circonstances mystérieuses fut considéré comme un précurseur italien des encyclopédistes français. Génial polygraphe, doté de solides bases scientifiques et premier promoteur des Murazzi de Pellestrina, nommé à la charge de « directeur perpétuel du Danube et des autres fleuves de l’Empire », il fut également inventeur, cosmographe, ingénieur de la République, constructeur de globes… Il publia à partir de 1701 l’ouvrage Biblioteca universale sacro-profana in cui si spegia con ordine alfabetico ogni voce, anco straniera che puo avere significato nel nostro Idioma Italiano Appartenente A ‘Qualunque Materia. Nous pouvons encore citer les exemples de Giammaria Ortes qui introduisit, dans les études économiques, les principes de l’évaluation démographique ou encore le père Lodoli, célèbre à son époque qui devança même Alvar Aalto dans ses études sur l’architecture fonctionnelle. Mais nous ne devons pas négliger la réflexion des patriciens érudits tels que le sénateur Flamino Corner, spécialiste des origines des églises de Venise, ni celle de Nobilomo Carlo Antonio Marin, auteur d’un travail important sur le commerce des Vénitiens, ni celle enfin de Marco Foscarini, procurateur de Saint-Marc, chef des Conservateurs dans la bataille entre Quérinistes et Tribunalistes : Marco Foscarini fut un vrai historien et un collectionneur de manuscrits précieux. 2 « Rifiuto della vulgata, e rifondazione del testo su sicure basi documentarie ; ampia e sistematica « recensio » ; intelligente conservatorismo critico ; sono questi i principi metodologici comuni a tutto il gruppo di scienziati-filologi di cui il Poleni sembra l’iniziatore e l’animatore. » Nardo, 1981, p. 9.
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Ce recours aux sources classiques a permis à Giovanni Poleni d’acquérir des principes méthodologiques : Poleni, stimulé par une enquête historique approfondie et l’analyse des sources classiques des disciplines enseignées par lui, livrait une méthodologie en contradiction avec l’aristotélisme encore dominant dans les sphères académiques padouanes3. Il est vrai que Poleni, dans ses écrits, fait souvent référence aux érudits de son temps tels qu’Alessio Simmaco Mazzochi4 (1684-1771) évoqué dans son introduction du discours d’inauguration. L’œuvre de cet érudit – à l’instar de celle de Poleni – montre la perméabilité existant entre le monde des anciens et celui de l’époque contemporaine. Le marquis de Padoue a publié plusieurs ouvrages sur l’antiquité. En 1737, son traité Utriusque thesauri antiquitatum romanarum graecarumque nova supplementa souligne ses compétences en philologie ; dès 1722, Poleni avait fait paraître, Sexti Iulii Frontini de aquaeductibus urbis Romae commentarius antiquae fidei restitutus atque explicatus qui lui valut les éloges des philologues allemands. Puis, en 1740-1741, il fit paraître un commentaire critique de l’œuvre de Vitruve : Exercitationes Vitruvianae primae, secundae, tertiae – Joannis Poleni Commentarius criticus de M. Vitruvii Polionis Architecti libris. Dans sa lettre adressée à Poleni, le 11 mars 1738, Dortous de Mairan écrivit à ce propos : Je serai très sensible Monsieur à la grâce que vous me ferez de m’envoyer votre Vitruve dès qu’il sera imprimé. J’ai grande impatience de le voir et puis, je puis vous dire sans compliment que je ne connais personne en Europe qui rassemble plus parfaitement toutes les qualités et toutes les lumières qu’il faut avoir pour éclaircir un tel auteur ; vos savantes recherches sur les ancres des anciens et sur plusieurs autres sujets m’en sont de forts garants5.
3 « Nel Poleni, stimolato da una profonda istanza storica all’analisi delle fonti classiche delle discipline da lui professate, dava luogo a una metodologia in contrasto con l’aristotelismo ancora imperante nelle sfere accademiche padovane. » Nardo, 1981, p. 8. 4 Alessio Simmaco Mazzochi (1684-1771) quitta le séminaire de Capoue pour celui de Naples où il apprit avec facilité le latin, le grec et approfondit ses connaissances en philosophie et en mathématique puis se consacra à l’étude de l’archéologie et des langues exotiques. Repéré pour son érudition, Mazzochi fut choisi par le recteur Carlo Maiellei (conservateur de la bibliothèque vaticane de Clément XI en 1711) pour l’assister dans ses leçons de langues érudites. On lui confia ensuite la préfecture du séminaire de Capoue et Nola. À l’occasion du jubilé de 1725, il retrouva à Rome, Maielli qui lui fit rencontrer de nombreux érudits. En 1727, il se fit connaître du public érudit par son ouvrage In mutilum Campani amphitheatri titulum aliasque nonnullas Campanas inscriptiones commentarius (Napoli) (« Commentaire sur une marque mutilée de l’amphithéâtre et sur quelques inscriptions de Campanie »). Son texte signalé par G. Capece, L. Muratori et S. Maffei, eut une diffusion internationale et des copies furent envoyées dans les cours étrangères : à Paris, par B. de Montfaucon ou à Vienne, par P. Giannone. Grâce à son interprétation de l’inscription découverte dans les ruines de l’amphithéâtre de Capoue, il a reconstruit avec intelligence l’histoire des événements de la période et démontra que Capoue fut la première des dix-huit colonies romaines en Italie. Au ixe siècle, l’amphithéâtre fut destiné à un usage défensif et devint une arène pour des chasses. Mazzochi donna également des explications sur le nom donné par les Longobardi à Berelais, la nouvelle Capoue construite à Volturno. 5 Vérone, Bibl. Civ., 3096E, f.°373.
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Si nous considérons le travail du Poleni philologue, éditeur des textes scientifiques antiques de Vitruve et Frontin, force est de constater que son érudition6 obéit aux exigences d’une rigueur scientifique comme le montre notamment la précision de son apparat critique et de l’index dans l’édition des œuvres de Frontin et Vitruve. I. Favaretto déclare : L’apparat critique final avec les index de vocabulaire et des choses remarquables concluent l’œuvre, en démontrant l’effort que l’auteur avait consacré à celle-ci, non inférieur à celui réservé aux œuvres à caractère scientifique7. La méthode de Poleni pour restituer le texte ne peut sortir que d’un esprit mathématique, comme le souligne Irene Favaretto8 qui insiste sur son aisance « à mêler les deux branches du savoir, humaniste et technico-scientifique, en donnant vie à une sorte d’interdisciplinarité avant la lettre9. » Giovanni Poleni allie également archéologie et rigueur scientifique en faisant preuve d’un « incomparable sens critique » et d’une « heureuse intuition » à l’égard des sources archéologiques antiques. I. Favaretto écrit : À une époque où l’archéologie représentait un vaste terrain d’hypothèses, où les érudits de l’époque même s’avancaient armés plus d’un esprit d’aventure et d’ingéniosité que de réelles connaissances, Poleni démontra au-delà de son adhésion enthousiaste, parfois excessive, à l’égard de la parole des auteurs antiques, un remarquable sens du jugement critique, de l’équilibre et une heureuse intuition des nombreux trésors que le monde antique cachait et qui commençait seulement alors à révéler ses mystères10.
6 L’érudition peut donc être associée à l’expérience. On pense alors à l’érudit numismate Charles Patin qui possédait plus de 6000 médailles en 1678 et rapportait sa science des médailles à l’expérience, à l’observation répétée de ses pièces via les dessins et gravures. Lui-même dessinait et eut toujours chez lui des dessinateurs et des graveurs formés à une reproduction exacte. Ce « musée de papier » était un véritable instrument de travail, la base de publications mais aussi et d’abord de l’étude (WAQUET, 2015, p. 45). 7 « L’apparato finale con gli indici dei vocabuli e delle cose notevoli concludono l’opera, dimonstrando l’impegno che l’autore aveva dedicato ad essa, non minore di quello riservato alle opere a caractere scientifico. » Favaretto, 2013, p. 71. 8 « Colpisce negli scritti latini la padronanza della lingua, molto fluida, ma a sorprendre è sopratutto la costruzione delle opere secondo un metodo che non lascia nulla al caso, come del resto non poteva uscire che dalla mente di un matematico. » (Favaretto, 2013, p. 69). « Il touche dans les écrits latins, la maîtrise de la langue, mais ce qui surprend est surtout la construction de l’œuvre selon une méthode qui ne laisse rien au hasard, comme du reste, elle ne pouvait sortir que de l’esprit d’un mathématicien. » 9 « E da apprezzare inoltre la facilità con cui Poleni mescolava I due rami del sapere, quello umanistico e quello tecnico-scientifico, dando vita ad una sorta di interdisciplinaretà ante litteram. » « Et on doit estimer en outre la facilité avec laquelle Poleni mélangeait les deux branches du savoir, l’une humaniste et l’autre technico-scientifique, en donnant vie à une sorte d’interdisciplinarité avant la lettre. » Favaretto, 2013, p. 77. 10 « In un’epoca in cui l’archeologia rappresentava un vasto terreno di consuite, dove gli eruditi dell’epoca spesso si inoltravano armati più di spirito d’avventura e di intraprendenza che di reali conscenze, il Poleni dimostra, al di là della sua adesione entusiastica talvolta eccessiva nei confronti della parola degli autori antichi, un encomiabile senso di giudizio critico e di equilibrio e una felice intuizione dei tanti tesori che il mondo antico ancora nascondeva e che solo allora iniziavano a svelare i loro misteri. » Favaretto, 1988, p. 138.
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À la Biblioteca Civica de Vérone11, on peut consulter d’ailleurs l’ébauche du Dizionario scientifico que Poleni entreprit de réaliser. Cet ouvrage montre la passion de Poleni pour les mots et les langues. Il peut également préfigurer le « Répertoire des Termes de Marine latins dérivés du Latin et du Grec » établi par Simone Stratico, successeur de Poleni à la chaire d’architecture navale. Les connaissances scientifiques et techniques du rénovateur de la coupole SaintPierre lui ont permis non seulement de proposer ou de retenir les bonnes leçons des manuscrits12 de Vitruve par exemple mais aussi d’établir une méthode philologique rigoureuse pour établir le texte. Dans ses Exercitationes Vitruvianae secundae13, Giovanni Poleni publie l’Abrégé d’architecture privée de Cétius Faventinus aux pages 169-215 sous le titre Anonymus scriptor vetus, de Architectura compendiosissime tractans, quae Vitruvius et ceteri locupletius quidem ac diffusius tradidere, cumm annotataionibus Ioannis Poleni. Marie-Thérèse Cam précise que Poleni a utilisé pour établir le texte de Faventinus : […] les manuscrits Reg. Lat. 1504 (= Vat.1) et Reg. Lat. 1286 (= Vat.2), ce qui explique qu’il soit à l’origine de nombreuses leçons retenues par les éditeurs postérieurs ; il consulte également l’édition de G. Postel ; il publie huit des passages interpolés. Dans la préface (p. 717-176), il rejette l’hypothèse que Pierre Diacre puisse être l’auteur du compendium : la découverte du manuscrit Reg. Lat. 1504, daté alors du ixe, rend caduque l’attribution de l’opuscule à ce moine érudit mort vers 114014. L’édition postérieure du texte de Faventinus par Simone Stratico reprend le texte de Poleni sans innovation notable, celle d’Antonio Marini se fonde sur les deux manuscrits du Vatican et sur le Vallicellianus D. 31 ainsi que sur les éditions de G. Postel et de Poleni. Giovanni Poleni, traducteur, respecte le texte et n’intervient pas ou le moins possible comme le suggère cette déclaration, extraite des « Prolegomena » (30) aux Frontini de aquaeductibus : En ce qui concerne les conjectures, j’ai pensé qu’il fallait les utiliser avec une très grande parcimonie : en émondant, je n’ai rien modifié ni corrigé, par conjecture15. L’érudition doit être utilisée à des fins pertinentes – scientifiques et documentaires – comme le souligne Poleni notamment dans son traité sur les ancres quand il déclare : Ce n’est pas pour accumuler les passages des auteurs anciens mais comme quelque chose de pertinent pour porter un jugement sur les ancres que nous utilisons de nos jours, que j’ai ajouté ce qui suit16.
11 Manuscrit de Poleni, Busta 3096 C. 12 Poleni utilisa le codex Harleianus 2767 du ixe siècle (Londres, British Museum). 13 Publié à Padoue, Imprimerie du séminaire, éd. Io. Manfrè en 1739. 14 Cam, 2002, p. lxii-lxiii. 15 « Quod attinet ad conjecturas, iis parcissime utendum ratus, nihil quicquam in emendando, nisi urgente necessitate, ex conjectura mutavi aut supplevi. » Cité par Nardo, 1981, p. 2. 16 « Non ut auctorum veterum loca congerem ; sed ut quidpiam pertinens ad judicium ferendum de anchoris, quibus nunc utimur, haec subjeci. » Poleni, Dissertations sur les ancres, 1ère section, § 1. Voir notre 2e partie, chapitre iv.
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Fig. 11. – Présentation du Dizionario Universale de Poleni, 3096C, Bibl. Civ., Vérone. C. Le Gall.
Fig. 12. – Simone Stratico, Repertorio di Termini di Marina latini derivati dal Latino o dal Graeco, Venise, BNM, It IV, 314 (=5318). C. Le Gall.
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Bibliographie des auteurs antiques utilisés par Poleni dans ses trois traités primés et son discours inaugural du theatrum Philosophiae experimentalis
Auteur
Titre
Date
Langue
Apollonios de Rhodes Aristote (Pseudo-) Arrien Géminos Hérodote Homère Horace Lucain Lucrèce Naucratis Ath. de Ovide Pausanias Pline L’Ancien Proclus
Argonautiques La Mécanique Périple du Pont-Euxin L’Introduction aux phénomènes Histoires, « Melpomène » Iliade et Odyssée Art Poétique Pharsale De Rerum Natura Deipnosophistes Les Métamorphoses et Art d’aimer Description de la Grèce : L’Attique Histoire Naturelle Commentaire du premier livre des Éléments d’Euclide Histoires L’Institution Oratoire Questions Naturelles Géographie Énéide Architecture
IIIe av.JC. ? 132 ap.JC Ier av.JC Ve av.JC VIIIe av.JC Ier av.JC Ier ap.JC Ier av.JC IIe ap.JC Ier ap.JC IIe ap.JC Ier ap.JC Ve ap.JC
Grec Grec Grec Grec Grec Grec Latin Latin Latin Grec Latin Grec Latin Grec
Ier ap.JC Ier ap.JC Ier ap.JC Ier ap.JC Ier av.JC Ier av.JC
Latin Latin Latin Grec Latin Latin
Quinte-Curce Quintilien Sénèque Strabon Virgile Vitruve
Dans son traité sur le cabestan, Poleni évoque sa vaine recherche iconographique dans les textes antiques : À moi qui me livre à une recherche scrupuleuse, il ne m’est pas arrivé de trouver quelque part la moindre image de cabestan ou de moulinet antique, à partir de laquelle je puisse tirer une meilleure connaissance de la structure originelle antique de ces mêmes pièces17. L’érudition œuvre à l’utilité scientifique et collective comme Poleni le déclare dans son programme de cours de 1756 : On s’efforcera avec soin de poser correctement les premiers Principes de cette même Science qui ensuite devront être utiles à la constitution de toute la Science et à son illustration18. 17 « Mihi tamen diligenter perquirenti non contigisse, ullam uspiam Ergatae vel suculae antiquae imaginem reperire, ex qua de eorumdem organorum antiqua genuina structura eruditior fierem. » Poleni, De ergatae navalis…, § xxiv. Voir notre 2e partie, chapitre v. 18 Voir mes traductions des programmes en latin des cours d’architecture navale de Poleni dans la troisième partie.
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Fig. 13. – Ébauche du Dizionario scientifico de Poleni, 3096C, Bibl. Civ., Vérone. C. Le Gall.
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L’enseignement de Poleni repose sur une appréhension chronologique des progrès scientifiques et suit donc une démarche d’historien des sciences dans son programme de cours de 1758 : Mais poursuivant l’objectif proposé à savoir l’Architecture navale, j’indiquerai d’abord son origine et son progrès, espérant beaucoup pouvoir dans un court traité conjuguer une érudition convenable à une utilité digne d’intérêt. Et, en 1758, il annonce en guise de préambule son souhait de dépasser les Anciens, ceci étant possible par sa maîtrise de leurs théories : Je prouverai que la Science Mécanique plus récente l’emporte complètement sur la Science Mécanique des Anciens. Élu membre de l’Académie Clémentine de Bologne et de l’Académie étrusque de Cortone en 1741, G. Poleni fit paraître dans les actes de l’Académie de Cortone, la Dissertazione sopra il tempio di Diana d’Efeso mais aussi une dissertation sur l’obélisque qu’Auguste fit élever dans le Champ de Mars pour servir de gnomon19 à une méridienne qu’il y avait fait tracer20. Ce travail ne laisse pas de rappeler l’œuvre d’érudits tels que le bénédictin Dom Bernard de Montfaucon21 ou encore l’architecte Julien-David Le Roy22. « Ars artium » : telle est la périphrase laudative donnée par Scipione Maffei pour définir l’érudition dans une lettre adressée à Poleni23 : L’érudit, déclare Muratori, celui qui mérite des éloges dans ces matières, ne peut être que le philosophe, c’est-à-dire celui qui sait par le raisonnement peser les doctrines et qui, par son travail, sait pénétrer dans les carrières inconnues et en tirer des vérités nouvelles ou des preuves, des raisons, des informations qui n’étaient point connues ou n’avaient point été observées auparavant et qui éventuellement corrigent ce que l’on affirmait jusque-là. Il ne se fiera donc aux informations fournies par autrui que, lorsqu’après les avoir passées au crible de la raison ou après les avoir mises à l’épreuve, il en aura découvert la vérité ou la solidité. Dans le cas contraire, il s’exclame : adieu Platon, adieu Aristote24. 19 Le gnomon désigne le cadran solaire ou, par métonymie, la tige verticale (style) de cet instrument. 20 Sur l’Horologium Augusti, voir Belayche, 2015, et Plan de Rome, université de Caen, https ://www. unicaen.fr/cireve/rome. 21 L’Antiquité expliquée et représentée en figure de Montfaucon est publiée à Paris en 1719 dans un grand format in-folio en dix volumes. 22 Auteur du Recueil des plus beaux monuments de la Grèce (1758). L’ouvrage de Le Roy, Les Ruines des plus beaux monuments de la Grèce (1758-1770), illustre « l’esprit nouveau de cet enseignement qui insiste sur la dimension historique de l’architecture (les « chaînes ») et non plus sur la recherche de règles et de normes permettant d’atteindre une perfection universelle et intemporelle. » Pour Le Roy comme pour Poleni, l’invention de techniques nouvelles doit s’appuyer sur l’héritage des anciens. 23 Lettre de 1734 citée par Waquet, 1989, p. 19. Fr. Waquet commente cette définition superlative donnée par Scipione Maffei en soulignant la force de l’érudition, « arme redoutable car si elle établissait solidement des droits, elle ruinait tout aussi impitoyablement des usages et des prétentions dépourvus de fondements solides et authentiques. » (p. 18). 24 Waquet, 1989, p. 195-196.
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Cette définition peut convenir au marquis Poleni qui a choisi d’emprunter la voie de l’expérience et de la raison. En effet, quand on lit les dissertations de Poleni proposées à l’Académie Royale des Sciences, on est frappé par l’abondance des références aux ouvrages scientifiques de l’antiquité d’autant plus que les autres candidats négligent cette rétrospection érudite. Même si Poleni ne précise pas les éditions des œuvres antiques qu’il consulte pour ces trois traités et son discours inaugural du theatrum Philosophiae experimentalis, nous pouvons établir la liste des références opérées par le savant dans ces quatre essais. Les connaissances philologiques de Poleni se développent notamment dans son projet de Dictionnaire scientifique dont nous reproduisons une planche manuscrite terminologique. Cette liste de termes techniques peut renvoyer à l’attention scrupuleuse accordée par Poleni au choix des termes latins dans ses trois traités maritimes primés.
Un contexte favorable à l’étude de l’antiquité La publication en France d’ouvrages savants sur la marine des Anciens au xviiie siècle n’est pas rare : Pierre-Daniel Huet (1630-1721) est l’auteur d’une Histoire du Commerce et de la Navigation des Anciens publiée en 1716, Alexandre Savérien publie en 1747 ses Recherches historiques sur l’Origine et les Progrès de la Construction des Navires des Anciens et en 1768 paraît après la mort de Henri Deslandes, son Essai sur la Marine des Anciens et particulièrement sur leurs Vaisseaux de Guerre. L’essai de Deslandes présente une critique des études sur les navires antiques, grecs et romains. Il analyse les sources utilisées, les témoignages littéraires et iconographiques (dessins, fresques, sculptures, monnaies, médailles) et évalue l’exactitude ou l’authenticité de ce qui est décrit ou représenté. Deslandes s’est beaucoup intéressé aux trirèmes romaines, peu d’auteurs de l’Antiquité ne trouvant grâce à ses yeux, à l’exception de Sénèque, ils ne sont que des promeneurs qui n’entendent rien à ce qu’ils voient. Le propos est d’une grande modernité car il suppose de manière implicite que seuls des vestiges archéologiques peuvent véritablement aider à la connaissance des navires antiques25. Dans une lettre datée du 26 janvier 174126 à Euler, Clairaut souligne cet emploi de l’érudition27 tant rhétorique que scientifique : « Celle [la pièce sur le cabestan] de M. Poleni contient quelques expériences sur les frottements et de l’érudition à son ordinaire. » L’érudition fait intrinsèquement partie de la méthode de Poleni : l’étude – la recherche bibliographique – doit précéder l’expérience. Il s’agit de partir des expériences des autres avant de se lancer. Poleni formalise ainsi cette posture dans sa préface du discours d’inauguration du cabinet de philosophie expérimentale, adressée « aux très remarquables sénateurs Giovanni Emo, Procurateur du siège de
25 Llinarès, 2010, p. 12. 26 www.clairaut.com/n. 12avril1741po2pf.html. 27 Selon Fr. Waquet, le règne sans partage de l’érudition en France s’achève en 1740. Waquet, 1989, p. 68.
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San Marco, Pietro Grimani, Chevalier et Procurateur du siège de San Marco, Giov. Aloysius II Mocenico, au Triumvirat des Lettres, et à tous les autres très grands hommes, occupant la même magistrature » : En outre, j’ai présenté plus bas les titres de plusieurs livres (qui sont chez moi) : étant donné que, pour ce sujet très difficile, j’ai consulté les oeuvres de nombreux auteurs, j’ai cru assurément qu’indiquer les titres grâce auxquels j’avais progressé, relevait d’une louable modestie. Il arrive aussi que la méthode des institutions proposées exige en quelque sorte le recensement de plusieurs auteurs qui donna le goût de l’expérimentation à ceux qui l’entreprennent. Il faut connaître ces auteurs et les approuver en tant que très grandes autorités eux qui ont pénétré dans le sanctuaire de la nature et de la technique grâce à l’expérience et, ainsi, ont émis des jugements, corrects et authentiques, sur la nature et la technique d’après la nature et la technique mêmes. Puisqu’il en est ainsi, je pense qu’il appert évidemment que je n’ai pas présenté plus bas ces titres en vue d’un étalage vain et inutile mais pour des motifs honnêtes et bien fondés. Si j’avais eu plusieurs autres livres de ce genre (mais je ne doute pas qu’il existe d’autres livres et je n’ai qu’une connaissance partielle), j’en aurais recensé plusieurs autres avec la meilleure volonté du monde. Mais j’ai toujours persisté dans l’opinion de ceux qui croient vraiment que des titres nus ne doivent nullement être recueillis des catalogues et des bibliothèques28. Poleni n’hésite pas à souligner, le cas échéant, l’inutilité d’un tel regard rétrospectif comme dans son traité sur le cabestan : Si quelqu’un recensait à cet endroit les écrits anciens ou les usages des anciens pour illustrer et définir ce sujet, et s’il demandait ainsi quelle était autrefois la construction de ces mêmes machines, si les anciens utilisaient plutôt le cabestan ou le moulinet, je répondrai que plusieurs vestiges anciens sur divers objets subsistent, mais qu’à moi qui me livre à une recherche scrupuleuse, il ne m’est pas arrivé de trouver quelque part la moindre image de cabestan ou de moulinet antique, à partir de laquelle je puisse tirer une meilleure connaissance de la structure originelle antique de ces mêmes pièces29.
28 « Praeterea vero Librorum plurium (qui apud me sunt) titulos subjeci : cum enim in re perdifficili multorum opera consuluerim, ingenui quidem pudoris esse credidi indicare eos, per quos profeceram. Accedit etiam quod propositarum Institutionum ratio quodammodo exigit plurium Auctorum recensionem, qua Experimentale studium suscipientibus datum sit, Auctores illso noscere, seque iis addicere velut optimis ducibus, qui in Naturae & Artis adyta penetravere experiendo ; atque ita de Natura & Arte ex ipsa Natura ipsaque ex Arte recte & vere judicaverunt. Quae cum ita sint, perspicue apparere opinor, me, non vana inutilique ostentatione, sed honestis de caussis ac necessariis, titulos illos subjecisse. Quod si plures alios ego habuissem ejusmodi Libros (nec vero dubito, quin alii sint, & in parte scio) plures alios quam libentissime recensuissem. At semper in eorum sententia perstiti, qui plane credunt, nudos titulos ex Catalogis, & Bibliothecis haudquaquam esse corradendos. » Institutionum, 1e partie, chap. 3. 29 De Ergatae.., chap. xxiv.
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Le marquis reconnaît alors l’importance d’un regard contemporain : Mais si l’observation des antiques modes d’emplois des machines ne nous permet pas de découvrir ce qui relève de notre recherche, il faut parfaitement étudier les usages contemporains qui touchent notre sujet30. On le voit, Giovanni Poleni utilise à bon escient son érudition : il ne s’agit pas d’étaler une culture antique dépassée mais de partir d’exemples et d’expériences reconnus et véhiculés par une tradition écrite afin d’étayer la présentation de solutions techniques contemporaines. Mais quelle est la force du lien entre la technique de l’antiquité gréco-romaine et la science moderne ? On peut remarquer que la naissance de la science moderne s’accomplit à la suite de la dissolution de l’aristotélisme. Pasquale Ventrice présente ainsi l’héritage épistémologique de Giovanni Poleni : Sa nouvelle physique expérimentale est appelée philosophie justement parce qu’elle entend solder une dette et dénoncer une origine noble. Elle exhibe une sorte de reconnaissance pour donner valeur et dignité aux nouveautés qui guidaient l’observation de l’expérience gouvernée par les mathématiques comme instrument heuristique. Par là, il donne une lecture qui interprète cette position comme un compromis idéologique et une sorte de prix à payer à l’aristotélisme dominant, nous pensons plutôt que cette prise de position, indirectement, avait ouvert la route à la naissance de la technique considérée comme des mathématiques appliquées31. Poleni aime donc partir d’expériences antérieures – dont celles livrées par les Grecs et les Romains de l’antiquité – en les répertoriant au début de ses cours et de ses traités32.
Le choix du latin par Poleni Le rappel des Anciens s’exprime également à travers l’usage du latin dans le discours de Poleni et dans ses cours dont les programmes sont également écrits en latin33. Cette antiquité retrouvée rappelle la tendance observée à cette époque en Italie avec notamment le musée épigraphique de Scipione Maffei à Vérone mais 30 De Ergatae.., chap. xxv. 31 « La sua nuova physica sperimentale è detta philosophia proprio perché intende saldare un debito e denunciare un’origine nobile. Essa esibisce una sorta di credenziale per dare valore e dignità alle nuove che guidavano l’osservazione dell’esperimento governato dalla matematica come strumento euristico. Di là da una lettura che interpreta questa posizione come un compromesso ideologico e una sorta di prezzo da pagare all’aristotelismo imperante, pensiamo, invece, che questa scelta, indirettamente, abbia aperto la strada alla nascita della tecnica intesa come matematica applicata. » Ventrice, 2017, p. 340-341. 32 En annexe IV, extrait des brouillons des cours de Poleni sur l’importance des sciences de l’antiquité. 33 On peut comparer cette situation avec celle d’un professeur d’Amiens en France au xviiie siècle, évoquée par Françoise Waquet : « le professeur de philosophie, qui voulait enseigner en français, ne fut autorisé à utiliser le vernaculaire que pour la physique expérimentale. » Waquet, 1999, p. 21.
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aussi et surtout l’exhumation des sites d’Herculanum (1709-1738) et de Pompéi (1748), les fouilles de la villa d’Hadrien à Tivoli (de 1724 à 1742) ou de Paestum34. L’académicien Maupertuis35 montre tout son agacement36 à l’égard du choix du latin opéré par Giovanni Poleni pour écrire sa correspondance ou ses dissertations latines répondant aux sujets de l’Académie Royale des Sciences de Paris. C’est une grande folie à M. Poleni et à bien d’autres de préférer leur prétendue élégance Latine à la brièveté et à la précision ; d’autant plus que je ne crois pas qu’il soit possible aujourd’hui de s’assurer qu’une phrase eût été trouvée élégante par les Romains du tems d’Auguste à moins qu’elle ne soit précisément de celles que nous scavons par le témoignage des contemporains qui passoient pour bien écrites dans ce tems là. Et alors il faudroit m’écrire que par Centons. Je crois qu’il faut renoncer à cette élégance. Et que les scavants d’aujourd’huy devroient regarder le latin à peu près comme cette langue franke que les marchands de toutes nations parlent dans le Levant37. Lui faisant écho, le savant italien Antonio Vallisneri louait d’ailleurs « l’ingénieuse et prudente nation française » qui a été conduite à « traduire les auteurs les plus importants, grecs et latins, hébreux et de toute autre langue morte ou vivante, sacrés comme profanes, en vers et en prose, afin que, chacun sans perdre le temps à apprendre les langues étrangères passées ou actuelles, s’instruise avec facilité, afin que sa langue se diffuse dans le monde entier et que les autres aient besoin d’elle et, elle, de personne38. » Giovanni Poleni qui a appris le latin auprès des Pères Somasques du collège de Santa Maria della Salute, maîtrise très bien la langue de Cicéron, n’hésitant pas – par la création de néologismes – à l’adapter à la réalité scientifique de son temps.
34 Carrangeot, Chapron, Chauvineau, 2015, p. 239-242. 35 Pierre-Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759). Adjoint-géomètre le 14 décembre 1723, associé géomètre le 31 juillet 1725, pensionnaire géomètre le 20 juillet 1731. Directeur et sous-directeur deux fois, il était le fils d’un marin corsaire devenu propriétaire de conserverie et député au Conseil du commerce de Paris. Il contribua à introduire en France la mécanique newtonienne et à assurer son succès. Il fut aussi un précurseur en génétique et l’un des premiers représentants de l’utilitarisme en philosophie. Il participa aux expéditions de Laponie et du Pérou pour déterminer la mesure d’un degré d’arc du méridien et devint membre de l’Académie des Sciences de Berlin en 1740. Voltaire écrit ainsi au « Mousquetaire gris » Maupertuis le 29 avril 1734 : « Il faut, s’il vous plaît, que vous deveniez chef de secte. Vous êtes l’apôtre de Locke et de Newton, et un apôtre de votre trempe avec une disciple comme Mme Du Châtelet, rendrait la vue aux aveugles. » Badinter, 1999, p. 58. 36 Fr.Waquet (1999, p. 189) souligne que « Maupertuis insistait sur l’universalité du latin, mais aussi sur son caractère de langue morte qui apparaissait tout particulièrement dans la pratique orale : ‘‘On n’est sûr de bien la parler », remarquait-il, « qu’autant qu’on employe des phrases entières des anciens auteurs ; et dès qu’on s’en écarte, on forme un jargon hétérogène dont l’ignorance seule empêche de sentir le ridicule.’’ Il considérait toutefois qu’il serait facile de faire revivre cette langue en confinant dans une même ville tout le latin de son pays. ». 37 Lettre de Maupertuis à Jean Bernoulli, 2 janvier 1734 (Paris) disponible sur le site : http://www.ub.unibas.ch/bernoulli/index. php/1734-01-02_Maupertuis_Pierre_Louis_Moreau_de-Bernoulli_Johann_I#cite_note-2. 38 Citée par Waquet, 1989, p. 114.
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Pour répondre à la demande du savant Joseph Atwell39 de corriger le brouillon d’une lettre qu’il compte adresser à l’érudit Arnold Drakenborch40, Giovanni Poleni dresse la liste des solécismes latins commis par Atwell (Poleni souligne les termes) : Puisque tu m’ordonnes de te signifier mes sentiments au sujet de ta lettre au grand érudit Arnold Drakenborch, je Te dirais à Toi, homme très sage, qu’elle m’a semblé remplie d’érudition et d’une science distinguée. Cependant, je te soumettrai, selon Ta volonté, quelques éléments qui m’ont inspiré des inquiétudes. J’ai noté certaines légèretés touchant la langue latine : par exemple à la 11e ligne de la page 3, le pronom cuidam pourrait, semble-t-il, convenir à cette place ; p. 4, 6e ligne avant la fin, il me semble qu’il faut dire confideret au lieu de confisus sit, puisqu’il y a une concordance des temps avec le verbe précédent gaudebat ; p. 23, 4e ligne avant la fin, si quae doit s’écrire si qua ; ce qui signifie la même chose que si aliqua. Mais j’ai noté en lisant en diagonale, de semblables broutilles de ce genre que je n’ai pourtant pas consignées sur ma feuille ; Toi-même, tu corrigeras facilement les petites erreurs qui sont de ce genre par des soins attentifs. En outre, rien de plus vrai (si j’émets un jugement) que ton explication sur la manière de compter employée chez les anciens romains. Cependant, quand tu parles de la manière des Romains, regarde si tu peux prendre en guise d’exemple la narration généalogique de saint Matthieu ou s’il vaut mieux décider plutôt que les écrivains grecs et romains se sont accordés sur cette manière de compter et ensuite, expliquer le passage de Matthieu comme tu le fais remarquablement41. Et pourtant, dès le xviie siècle, l’université de Padoue, d’après un observateur étranger était décevante quant à la maîtrise du latin cicéronien. Françoise Waquet42 cite le commentaire éloquent du polyhistor danois, Ole Borch43 émettant le regret
39 Lettre datée du 26 janvier 1730, Ver., Bibl. Civ., 3096 H, f.°103 de Joseph Atwell (c. 1696-1768), membre de la Royal Society et directeur de l’Exeter College d’Oxford est notamment l’auteur d’un article, paru en 1735, dans les Transactions Philosophiques (1735, vol. 39 p. 394) sur un homme et une femme mordus par une vipère. 40 Arnold Drakenborch (1683-1748) est un philologue néerlandais. 41 « Quoniam jubes, me tibi significare quid sentiam de epistola tua ad eruditissimum virum Arnoldum Drakenberchium, ingenue Tibi (Doctissime Vir) dicam, eam et pereruditam et elegantis doctrinae plenam mihi visam esse. Pauca autem, quae mihi scrupulum injecere, Tibi obsequens subjiciam. Levia quaedam notavi, ad linguam latinam pertinentia : caussa exempli pag. 3 lin. 11 pronomen illud cuidam videri fortasse potest eo loci minus decorum : pag. 4 lin. 6 ante finem confisus sit dicendum videtur confideret, ut congruat cum tempore superioris verbi gaudebat : pag. 23 lin. 4 ante finem, si quae, scribendum si qua ; quod idem significat, ac si aliqua. Sed hujusmodi minutias, similesque cursim notavi legens ; neque tamen in chartam conieci ; Tu enim facile secundis curis paucula, quae ejusmodi sunt, emendabis. Ceterum nihil verius (si quid judico) quam explicatio tua rationis computandi apud Veteres Romanos usurpatae. Ubi tamen de Romanorum ratione verba facis ; vide, num pro exemplo sumere possis Genealogicam narrationem Divi Matthei : an potius praestaret statuere ; Graecos et Romanos Scriptores in hac computandi ratione consensisse, et deinde locum Matthei ita explicare, ut egregie facis. » Padoue, VII Kal.février 1730, Bibl. Civ. de Vérone, 3096 H ,f °107. 42 Waquet, 1989, p. 188. 43 Borch, 1983, p. 228.
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suivant : « Presqu’aucun professeur à l’exception de Ferrari ne parlait latin sans faire de solécismes » et « Marchetti mêlait de mots italiens son enseignement en latin ». À l’époque de Poleni, Gasparo Gozzi (1713-1786) constatait « qu’il n’y avait guère, de l’avis unanime des professeurs, que le dixième des élèves – 30 sur 300 – qui comprennent moyennement la langue latine », écrit Fr. Waquet44. Giovanni Poleni semble donc faire figure d’exception. Outre la maîtrise grammaticale du latin par le marquis padouan, le passage de sa lettre souligne également l’importance de l’héritage gréco-romain dans la pensée scientifique de Poleni. On peut lire de semblables développements dans ses notes de cours conservées à la Marciana45. Dans sa dédicace aux Riformatori dello Studio di Padova, Giovanni Poleni déclara « proposer cette langue [latine] : puisque plusieurs la comprennent, plusieurs également peuvent réaliser de meilleures propositions46 ». Notons cependant que la langue italienne fut réintroduite dans les collèges des jésuites dans les années 1750 à titre complémentaire, ce qui fut renforcé par les réformes réalisées par Gasparo Gozzi en vue de renforcer la langue vernaculaire dans les écoles de Venise47. A contrario, l’abbé Nollet affirma la nécessité d’être polyglotte et n’écrivit que les trois premières pages en latin, par déférence et pour s’annoncer dans l’Université mais cette langue est mal adaptée à cette science nouvelle48. D’ailleurs, pour Poncelet, le cours de physique expérimentale était « l’unique connaissance peut-être où nous puissions nous flatter de quelque supériorité sur les Anciens49. » D’ailleurs, en 1769, le collège Royal convertit une de ses deux chaires de philosophie grecque et latine – qui n’étaient plus fréquentées – en une chaire de physique expérimentale. En effet, deux courants antagoniques voient le jour au xviiie siècle : l’un souligne la persistance du latin comme langue scientifique internationale et l’autre, la volonté de vulgariser par le truchement de la langue vernaculaire. Le choix du latin peut être donc lié à des exigences « commerciales » : imprimeurs et libraires n’hésitaient pas à contraindre leurs auteurs au début du xviiie siècle à écrire une traduction de leur œuvre en latin quand l’édition de celle-ci était coûteuse. En 1729, Montfaucon50 dut doubler le texte de son Antiquité expliquée (1719, 5 tomes en 10 volumes in-folio, plus, en
44 Waquet, 1989, p. 191. Gozzi révèle également que les étudiants se rendaient dans une école privée pour écouter la version italienne des cours entendus à l’université. Cf. Anna Maria Bernardinis, « Una riforma di due secoli fa » (G. Gozzi e il problema del latino) », Rassegna di pedagogia, 23 (oct.déc. 1965), p. 355 et 357, citée par Waquet, 1989. 45 Voir notre commentaire sur le discours d’inauguration de Poleni : Specimen Institutionum Philosophiae Experimentalis. 46 De castellis, Padoue, 1718, pp. nn. “Eam linguam proponere, quam cum plurimi intelligant, plurimi etiam quae proponuntur meliora possint efficere.”. 47 Waquet, 1989, p. 36. 48 Et pourtant dans une publicité que fait paraître l’abbé Nollet dans Le Mercure de France, septembre 1737 (p. 2032), on peut lire que « vu le nombre de seigneurs étrangers, qui suivent son cours de physique, les dames ne pourront y assister, car on sera obligé de s’expliquer en latin pour les personnes qui n’entendront pas suffisamment le français. » L’instruction élémentaire dispensée à cette époque aux filles ne comportait pas de latin. Badinter, 1999, p. 216. 49 Le P. Polycarpe Poncelet, Principes généraux pour servir à l’éducation des enfants, Paris, 1763. 50 Waquet, 1997, p. 146-147.
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1724, un Supplément en 5 volumes in-folio) et des Monuments de la Monarchie française (1729-1733, 5 volumes in-folio) d’une traduction latine : « Les libraires souhaitent que je mette une version latine au bas des pages […]. Ils prétendent que cela est nécessaire à beaucoup d’étrangers qui n’entendent pas assez le français. » Le néerlandais Cuper, dans une lettre écrite en 1709, exhorte son correspondant, Mathurin Veyssière de la Croze, à écrire son Histoire universelle en latin car : si la langue française est fort commune et admirable pour des livres petits et du temps, […] un ouvrage qui sera pour les savants doit, à ce que je crois, être publié en latin : il y en a beaucoup qui, en Allemagne, en Italie, ici et partout, n’entendent pas le français ; et puisqu’un tel livre sera débité, parmi eux, il me semble que c’est une nécessité absolue d’écrire en latin. D’ailleurs, 31 % des comptes rendus parus entre 1728 et 1740 dans la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l’Europe, un périodique savant publié à Amsterdam, portaient sur des livres en latin. On peut aussi relier le choix du latin par Giovanni Poleni à l’image parfois négative de la langue italienne dans le domaine des sciences. Françoise Waquet51 évoque les faiblesses méthodologiques de la langue italienne et le recours fréquent aux concettini : « ses défauts de clarté, de force et de précision qui la rendaient impropre au genre historique, lui nuisaient dans toutes les sciences profondes ». Poleni préfère donc l’emploi du latin, langue de la raison et du savoir universitaire et académique. En effet, à l’université de Padoue, pour acquérir un diplôme, l’étudiant doit d’abord prononcer, de mémoire, un discours écrit en latin puis il doit expliquer des préceptes dans la langue vernaculaire à un public familier. Dante Nardo souligne que la cité padouane s’était spécialisée dans l’édition de textes scientifiques de la latinité classique alors que Vérone se concentrait sur la littérature chrétienne antique et médiévale. Entre Padoue et Vérone, le siècle voit apparaître une série d’éditions avec une répartition d’intérêts affirmée, qui fait qu’à Vérone, l’effort se concentre sur la littérature chrétienne antique et médiévale, et, à Padoue, sur les textes scientifiques de la latinité classique52. Mais la pratique de « la licenza Latino sermone » tomba complètement en désuétude dans la seconde moitié du xviiie siècle sous l’impulsion de Simone Stratico, successeur de Poleni et réformateur de l’enseignement universitaire de Padoue en 1760. Pour défendre et communiquer les connaissances, il y a deux modalités possibles pour le professeur : le discours et la production de la propre théorie avec des écrits ou des textes imprimés. Le premier a deux modalités à l’université de Padoue : soit qu’au moyen d’une déclamation de mémoire des discours en latin dans un
51 Waquet, 1989, p. 49-50. 52 « Fra Padova e Verona, il secolo vede apparire una serie di edizioni […] con una decisa partizione di interessi, per cui a Verona l’impegno si accentra sulla letteratura cristiana antica e medievale, a Padova sui testi scientifici della latinità classica. » Nardo, in G. Arnaldi e M. Pastore Stocchi, 1986, p. 229.
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lieu public rendu respectable par la dignité même de la chaire, on traite la matière enseignée, soit que, sous la forme d’un exercice privé et vulgarisateur, devant un cercle restreint, on s’efforce d’expliquer et d’enseigner les préceptes de la théorie professée dans la langue plus familière53. Ainsi, peu à peu, le latin se voit supplanter par les langues vernaculaires. Le français qualifié par Pierre Bayle, de « langue transcendantelle » devient de plus en plus la langue des sciences : 53 % des livres scientifiques dans le second quart du xviiie siècle sont écrits en français54. Dans son Discours préliminaire de l’Encyclopédie, D’Alembert reconnaît l’utilité de la langue latine en regrettant les attaques visant les érudits latinistes. Il dénonce les risques liés à la « babélisation » du savoir : Ainsi, avant la fin du dix-huitieme siècle, un Philosophe qui voudra s’instruire à fond des découvertes de ses prédécesseurs, sera contraint de charger sa mémoire de sept à huit Langues différentes ; & après avoir consumé à les apprendre le tems le plus précieux de sa vie, il mourra avant de commencer à s’instruire. L’usage de la Langue Latine, dont nous avons fait voir le ridicule dans les matieres de goût, ne pourroit être que très utile dans les Ouvrages de Philosophie, dont la clarté & la précision doivent faire tout le mérite, & qui n’ont besoin que d’une Langue universelle & de convention. Il seroit donc à souhaiter qu’on rétablit cet usage : mais il n’y a pas lieu de l’espérer. Selon Diderot, qui, pourtant, était favorable à une réduction du latin dans l’enseignement, le latin demeure un idiome idéal pour l’établissement de la nomenclature technique. Passons maintenant à la maniere de fixer la notion de ces radicaux : il n’y a, ce me semble, qu’un seul moyen, encore n’est-il pas aussi parfait qu’on le desireroit ; non qu’il laisse de l’équivoque dans les cas où il est applicable, mais en ce qu’il peut y avoir des cas auxquels il n’est pas possible de l’appliquer, avec quelqu’adresse qu’on le manie. Ce moyen est de rapporter la langue vivante à une langue morte : il n’y a qu’une langue morte qui puisse être une mesure exacte, invariable & commune pour tous les hommes qui sont & qui seront, entre les langues qu’ils parlent & qu’ils parleront. […] Si l’on me demandoit de la langue grecque ou latine quelle est celle qu’il faudroit préférer, je répondrois ni l’une ni l’autre : mon sentiment seroit de les employer toutes deux ; le grec partout où le latin ne donneroit rien, ou ne donneroit pas un équivalent, ou en donneroit un moins rigoureux : je voudrois que le grec ne
53 « Per difondere e communicare le cognizioni, due sono i modi per parte del maestro : il discorso e la produzione della propria dottrina con li scritti o stampe. Il primo ha due modi nello Studio di Padova : mentre o con la declamazione di discorsi in latino a memoria in un luogo pubblico e rispettabile per la suà dignità della catedra si tratta dall’assegnata materia, o con privato e domestico esercizio e familiare si procura di spiegare ed insegnare li precetti della dottrina professata nella lingua più familiare. » Del Negro, 1984, p. 217. 54 D’après une étude portant sur la Bibliothèque raisonnée d’Amsterdam, citée par Waquet, 1989, p. 135.
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fût jamais qu’un supplément à la disette du latin ; & cela seulement, parce que la connoissance du latin est la plus répandue : car j’avoue que s’il falloit se déterminer par la richesse & par l’abondance, il n’y auroit pas à balancer. La langue grecque est infiniment plus étendue & plus expressive que la latine ; elle a une multitude de termes qui ont une empreinte évidente de l’onomatopée : une infinité de notions qui ont des signes en cette langue, n’en ont point en latin, parce qu’il ne paroît pas que les Latins se fussent élevés à aucun genre de spéculation. Les Grecs s’étoient enfoncés dans toutes les profondeurs de la Métaphysique des Sciences, des BeauxArts, de la Logique & de la Grammaire. On dit avec leur idiome tout ce qu’on veut ; ils ont tous les termes abstraits, relatifs aux opérations de l’entendement : consultez là-dessus Aristote, Platon, Sextus Empiricus, Apollonius, & tous ceux qui ont écrit de la Grammaire & de la Rhétorique. On est souvent embarrassé en latin par le défaut d’expressions : il falloit encore des siecles aux Romains pour posséder la langue des abstractions […]. Cette mixité gréco-latine requise pour la création des néologismes distingue le travail du philologue Poleni. D’ailleurs, à l’Académie Royale des Sciences de Paris, le testament de Rouillé de Meslay, créateur du prix éponyme auquel participa Poleni à quatre reprises, n’impose pas la langue de la composition puisque le prix récompense « celuy qui aura le mieux réussi par raison et non par éloquence, mais en quelque langue et style que ce soit au jugement de Messieurs de l’Académie ». Le latin choisi par Giovanni Poleni est autorisé par l’article 9 du règlement pour les prix : Art. 9 - On invitera les étrangers qui ne pourront ou ne voudront pas écrire en français, à écrire en latin, mais sans obligation. Et l’article 14 mentionne le rôle de traducteur du secrétaire perpétuel même si les pièces latines étaient souvent bien comprises par les membres de l’Académie Royale des Sciences. Art.14 - Quand il faudra faire traduire quelque pièce envoyée pour les prix, ce sera aux dépens du Secrétaire. Latiniste hors-pair, Poleni n’est donc guère inhibé par la langue latine consentie aux étrangers. C’est d’ailleurs une devise latine qui est garante de l’anonymat comme l’indique l’article 7 du règlement du concours Rouillé de Meslay : Art.7 - En annonçant les sujets, l’Académie demandera que les auteurs ne mettent point leur nom à leurs ouvrages, mais seulement des devises ou sentences ; qu’ils en envoyent des copies bien nettes et bien lisibles, surtout dans les calculs et qu’ils en affranchissent le port ; faute de ces conditions, les pièces ne seront pas reçues. Il est souvent intéressant de constater que la citation latine rappelle la solution technique proposée dans le traité55. Ainsi Daniel Bernoulli choisit-il ces vers de
55 Cf. notre présentation du traité sur le cabestan.
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Virgile pour son traité sur le cabestan : Tentanda via est, qua me quoque possim tollere humo, victorque virum volitare per ora ce qui signifie : « Il faut essayer une voie par laquelle je pouisse m’élever du sol et vainqueur, voler de bouche en bouche » et illustre, de fait, le choix d’une poulie dans son système permettant de faciliter l’usage du cabestan56. Quant à la citation de Cicéron (De Oratore) présentée par Poleni en guise d’épigraphe à son traité sur La meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques (1733) : Aggrediar, non tam perficiundi spe, quam experiundi voluntate (« J’avancerai, poussé non pas tant par l’espoir de réussir, que par la volonté d’essayer »), elle célèbre l’importance de l’empirisme (« experiundi ») chez Poleni qui s’appuie définitivement sur le vocabulaire et les écrits de l’antiquité. Les traités de Poleni présente les trois types de description que Louis Callebat a reconnus dans le De Architectura de Vitruve57 : – le discours prescriptif (marqué par l’emploi de l’adjectif verbal et du futur jussifs), – le discours informatif (écrit au mode de l’indicatif), – le discours narratif (énoncé au temps de l’indicatif passé, imparfait, parfait, plus-que-parfait). Le discours de Poleni comme celui de Vitruve est marqué par la double perspective d’utilitas pratique et de transmission du savoir illustré par des exempla. Dans les trois traités de navigation de Poleni primés par l’Académie Royale des Sciences de Paris, on peut relever l’influence lexicale des écrits de Vitruve et Héron d’Alexandrie dans l’invention des mots techniques. Par exemple, le vindas est traduit par Poleni : axis in peritrochio soit « axe dans le trou ». Le mot peritrochium n’est pas attesté par Gaffiot : Héron, Mec. 2, 1 en donne une définition : il s’agit du tambour, fixé sur l’arbre de treuil, et dans lequel sont percés les trous pour enfiler les bras de manœuvre. Mais Poleni emprunte aussi des substantifs – trochlea (poulie), cochlea (vis) – à des auteurs non scientifiques. Le mot τροχιλία (trochlea latin), par exemple, désigne toute machine ronde ou cylindrique pour élever des fardeaux : treuil, cabestan, poulie ; il est attesté chez le comique Aristophane (Lysistrata, 722), l’historien Polybe (1, 22,5), Plutarque (Eumène, 11) ou le biographe Diogène Laërce. Dans la littérature latine, Lucrèce l’emploie également. La création de néologismes est inévitable : le mot ergata (cabestan) a été forgé sur le mot grec ἐργatὴς : travailleur. On peut également citer catastromata signifiant « pont de navire » ou plus généralement, « plancher inférieur, plan du rez-de-chaussée » ; scytalae signifiant en grec, branche, bâton ; collopes, néologisme formé sur le grec κόλλοψ : levier, manivelle ; trochlea est formé sur le mot grec τροχαλία / τροχιλία qui signifie aussi treuil et cabestan. Les italianismes58 et l’ordre de la phrase italienne prévalent sur les us de la phrase latine. Poleni n’hésite pas à recourir à des périphrases. Le réseau sémantique de la science
56 Vassal, 2009. 57 Callebat, « Décrire les machines », in Fleury, Jacquemard, Madeleine, 2015, p. 17. 58 Inversement et paradoxalement, le médecin Antonio Vallisneri qui, pourtant, était favorable à l’emploi de l’italien dans les sciences, recourut fréquemment à des latinismes dans son dictionnaire, Saggio alfabetico d’istoria medica e naturale (1733) in Waquet, 1989, p. 116.
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présent dans les trois traités et le discours d’inauguration de Poleni recouvre des champs lexicaux complémentaires. Nous pouvons d’abord citer celui impliquant l’idée d’exactitude avec des mots tels que absolutus (complet), accuratus (exact) acutus (acéré), industrie (avec application), diligenter (scrupuleusement), dilucide (d’une manière claire), optime (de façon optimale), nimirum (précisément), certe (de source sûre), valde (fortement), validius (plus efficacement). Le préfixe per- des verbes désignant la fabrication souligne également ce souci d’exactitude et cette volonté de polir et de parachever les techniques : perficere (exécuter complètement, mettre en œuvre, parfaire, mener à bien, parachever), perpolitae (finies à la perfection). Cette idée d’exactitude conduit au concept de dispositif, d’assemblage « bien huilé ». Le préfixe con-/col-/com- des substantifs insistent sur cette idée d’unité, de rassemblement : comparatio (appareil, association, montage), compingere (assembler), componere (composer, réaliser une composition), compositio (arrangement), conglomerari (être enroulé), conglomeratum (pelote), colligere (recueillir), congruo (se rencontrer, coïncider) conjunctae (jointes), conjungere (se rejoindre), connectus (relié), congerere (accumuler) congeries (accumulation) constitutio (fixation, constitution). Les termes apparatus (aménagement), organum (pièce) peuvent-ils également renvoyer à la notion de système : systema, employée par Poleni dans son discours d’inauguration ? § I-Le crin trouvé dans l’œuf constituait, selon ce philosophe, une chose digne d’étonnement ; pourtant, sans la moindre hésitation, il entreprit de donner aussitôt une explication à toute la chose, une fois échafaudé un système, qui ne brillait pas par aucune vraisemblance. § LIV-C’est pourquoi on méditerait longtemps et scrupuleusement sur le même sujet et par la pensée, avant d’en venir à la construction d’un système, on traiterait à fond les expériences. En fait, les deux occurrences du mot sont presque antagoniques puisque la première renvoie à une affabulation, une histoire invraisemblable et la deuxième, à une réflexion construite. Les termes mélioratifs abondent dans les traités soit pour flatter le jury soit pour célébrer les travaux des savants antérieurs ou contemporains à Poleni : eximiam (excellente), praestabiliori (optimale), praestantia (caractère performant, éminent), praestare (être performant), praeclarum (brillant). Notons que les préfixes prae- ou ex- renforcent la prééminence des personnalités ou des travaux qui confinent à une certaine beauté esthétique comme le suggèrent les adjectifs suivants : venusto (raffinée), elegantis (élégant), concinnum (harmonieux, bien proportionné) ou encore consonum (qui sonne bien, euphonique). Ceci rappelle le portrait dressé par Fabroni, de Poleni, homme de goût, « élégant et aussi charmant » (elegans et lepidus). Poleni est, on le sait, un esthète spécialiste de l’architecture antique59 : la beauté et l’harmonie du nombre d’or ou des constructions mathématiques ne le laissent pas
59 Ces ouvrages du marquis padouan livrent une réflexion à la fois scientifique et esthétique sur l’architecture : Utriusque Thesauri antiquitatum romanorum et graecarum nova supplementa, Venise, 1737 ; Exercitationes Vitruvianae Padoue, 1739 ; Dissertazione sopra il Tempio di Diana d’Efeso, Rome, 1742 et Epistola de Obelisco Caesaris Augusti, Roma, Palearini, 1750.
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indifférent. Les autres savants sont souvent désignés par l’adjectif studiosi : « ceux qui sont versés » et Poleni loue à la fois leur zèle (studium), leur finesse (sagacitas) et leur empressement (sedulitas). Les mots de la science soulignent également l’importance d’une adaptation de l’artefact à l’usager et donc impliquent la notion d’utilité. Relevons les dérivés du verbe accommodare (accommoder) tels que commodum ou accommodatius (de façon plus appropriée). Pour traduire l’utilité, Poleni emploie les substantifs : adhiberi (être utilisé) applico (appliquer), aptus (adapté), utilitas communis (utilité commune) ou encore usus (usage) et conducentia (utiles à). Il s’agit bien ici d’appliquer et d’adapter les mathématiques à l’usage humain. De ce fait, les traités sont traversés par le réseau lexical de la fabrication : industria (activité) fabrefaciendi (fabriquer), fabrica (atelier), fabricatio (fabrication), officium (office), opera (travail), operarius (artisan), opifex (technicien), opus (ouvrage, réalisation), conficere (confectionner), perfectio (réalisation), perficere (mettre en œuvre), perpolitis (finies à la perfection), artes (arts), arte (soigneusement), artificium (techniques), artifices (artisans), efficio (constituer, faire). Ces fabrications sont précédées d’essais et d’expériences : exercitatio (leçon, étude), exercitium (exercice), experientia (pratique), experiri (éprouver), experimentum (expérience), tentamen (essai), tento (tester), pertentandum (bien tester) et effectus (résultats). Tout ceci est conditionné à l’efficacité de la réflexion (cogitatio) parfois guère éloignée de la notion d’imagination (fingere ou excogitari). Les textes sont saturés par le réseau lexical de la pensée : commonstrare (démontrer), conjicere (conjecturer), demonstrari (démontrer), confirmari (être rétabli), constat (il est avéré), consulo (délibérer) expendere (apprécier, juger), ingeniose (avec intelligence), ponderatur (être pesée), reputari (être réputé), hypotheses (hypothèses), censeo (estimer), intellegere (concevoir), computare (calculer), meditatio (méditation), reor (penser), ratiocinatio (raisonnement) et cognitio (connaissance). Le substantif ratio est polysémique : il peut signifier une méthode, un raisonnement ou un calcul. Dans le traité De la meilleure manière de mesurer le chemin d’un vaisseau : ratio désigne la « manière ». Mais dans une acception très spécifique, il peut aussi désigner la raison d’une suite. Le terme calculus signifie également calcul : c’est un diminutif (issu de calx) qui évoque à l’origine, un petit caillou servant à compter dans un boulier ou un abaque. Le terme momentum peut signifier « l’importance » mais aussi désigner une valeur physique bien précise le « moment » d’une force. La réflexion peut aboutir à un jugement (arbitrio), une thèse (sententiam), une dissertation (dissertatio), un discours (oratio ou sermo). Elle peut s’appuyer sur une expérience sensorielle impliquant la vue. L’observation est une étape propédeutique, fondatrice et originelle comme le suggèrent ces verbes associant la vue physique à la vue de l’esprit : representari (être représenté), cernere (distinguer), animadversio (attention), animadvertere (tourner son esprit, considérer), dispicio (distinguer). Là encore, la frontière est mince entre l’observation par les sens et celle réalisée par l’intellect : ostendere signifie à la fois « montrer » et « démontrer », perceptio, la perception et l’appréhension intellectuelle d’une notion – le verbe perspicio peut être traduit par « percevoir » ou « envisager ». Les adverbes évoquant la clarté couvrent également les deux terrains – sensoriel et cognitif – comme perspicue (évidemment), contemplatio (observation). Cela nous conduit à examiner le latin, comme le fit Jules Marouzeau en 1925 dans son ouvrage au titre éloquent, Le latin, langue de paysan. Il écrit :
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Le latin peut être caractérisé comme une langue où domine la propension à l’expression concrète ; les termes relatifs à l’exercice de l’esprit sont encore tout près de leur signification rurale. Cette définition recouvre complètement la dimension empirique du latin de Poleni. La mission du savant, selon Poleni, est bien de mettre au jour des réalités cachées (abscondita) comme il l’écrit dans son discours d’inauguration du théâtre de philosophie expérimentale de Padoue. Les termes signalant ce dévoilement sont par exemple : exhibeo (exposer), instituo (enseigner, mener), institutio (formation, enseignement), praemittere : annoncer, edere : révéler. Poleni se livre à un véritable « discours de la méthode » avec des substantifs tels que methodum (méthode), modus (mode), ratio (manière). Le candidat au concours de l’Académie Royale des Sciences est, avant tout, professeur depuis 1710. La méthode de Poleni est donc diachronique et s’appuie sur une démarche interdisciplinaire intellectualisant les artefacts par le code de la langue latine, via des néologismes qui traduisent idéalement l’innovation de la machine inventée. Nous verrons que même « juché sur les épaules des géants » et après avoir dressé un recensement des techniques depuis l’antiquité, le savant humaniste de Padoue ne néglige pas pour autant les inventions modernes.
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Chapitre ii
Poleni et l’actualité scientifique de son temps
Les savants convoqués Giovanni Poleni se tenait au courant de l’actualité scientifique de son temps. Lecteur attentif des périodiques académiques : celui du Giornale de’letterati d’Italia, mais aussi les Acta eruditorum de Leipzig, les Transactiones Philosophicae de la Royal Society de Londres, les Acta Academicae Petropolitanae ou encore la Bibliothèque italique de Genève, il adressait régulièrement des contributions à ces revues. À Dortous de Mairan, secrétaire de l’Académie des Sciences de Paris, il réclama, dans une lettre datée du 31 août 1743, l’Historia Regiae Scientiarum academiae (1740-1741), la Connaissance des temps (1744) ainsi que l’index des Historiae de 1730 à 1740 : J’ai demandé quelques livres de la librairie de Monsieur LH Guérin que tu connais. Quand il me les enverras, tu me rendras service en m’envoyant aussi l’Historia Regiae Scientiarum academiae (1740-1741), quand elle sera publiée ; et la Connaissance des temps (1744) ainsi que l’index des Historiae de 1730 à 17401. Il écrivit également à De Thoms le 15 août 1745, au sujet de numéros de Philosophical Transactions et des problèmes liés à l’acheminement des courriers : En ce qui concerne les Philosophical Transactions, c’est-à-dire les Actes Philosophiques, qui sont édités à Londres par l’Académie Royale, je voudrais le numéro 460 et tous les autres numéros qui furent publiés, jusqu’à ce jour. Mais pour ce qui regarde les nouveaux livres traitant des Mathématiques ou de la Philosophie expérimentale, vous savez que je voudrais que les troubles de la guerre n’empêchent pas qu’on se procure des livres de ces régions pour notre bibliothèque. C’est pourquoi comme je ne reçois plus de livres depuis trois ans, je vous prie, de joindre et de m’en envoyer quatre ou six, qui récemment ont été diffusés avec les numéros des Philosophical Transactions. Je m’occuperai de la dépense que vous ferez pour ce numéro. Ce sera, peut-être, l’effet de votre bonté de trouver un marchand qui m’envoie – profitant de l’expédition d’autres marchandises – un fascicule de mes écrits à Venise par voie terrestre (car les
1 « Petii nonullos libros ab LH Guerin Seniore Bibliopola tibi noto. Cum eos mihi ille mittet, rem gratam mihi facies mittendo tu quoque mihi Historiam Regiae Scientiorum Academiae Anni 1740 ; et Anni 1741, si haec prodierit ; et La Connaissance des temps pro anno 1744, ac Indicem pro Historiis Academiae ab anno 1730 ad 1740. » Bibl. Civ., Verona, 3096E, f.°485.
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navires prennent trop de temps) et qui le recommande à mes bons soins à un marchand vénitien2. Dans une lettre au libraire parisien Guérin l’Aîné, datée du 30 novembre 1742, il demanda même des Philosophical Transactions traduits en français3. Giovanni Poleni, s’il appuie sa démonstration sur les références à la science antique, n’en néglige pas pour autant les savants modernes comme le montrent les sources qu’il cite au fil de ses écrits et de ses démonstrations. Nous reproduisons dans l’annexe IV les sources primaires de Poleni classées selon les quatre domaines privilégiés par les traités et le discours inaugural : la philosophie expérimentale, la médecine et l’ergonomie, les publications académiques, la navigation. Le catalogue manuscrit de la bibliothèque personnelle de Poleni sur la navigation montre que le savant possédait un large choix d’écrits contemporains. Ce catalogue4 est conservé à la Biblioteca Civica de Vérone dans le fonds Poleni5. On peut constater que ce catalogue réunit des livres de savants de trois nationalités : italienne, anglaise, française. Poleni possède même une traduction latine de l’ouvrage du français Georges Anson, Voyage autour du monde fait dans les années 1740 ou de l’anglais Colson, The mariners’ new calendar (1682). On retrouve bien entendu plusieurs publications académiques en lien avec les prix et les sujets de l’Académie des sciences parisienne pour lesquels Poleni a concouru, dont le Mémoire sur les ancres de Bernoulli (1737). Ces publications académiques peuvent aussi intéresser des sujets annexes à la problématique de Poleni, par exemple Le mémoire sur le programme pour le prix de 1747 : La meilleure manière de trouver l’heure sur mer. Ce catalogue souligne donc la volonté qu’a Poleni d’appréhender tous les aspects de la navigation tant à travers la théorie que la pratique. La bibliographie ne néglige aucun aspect : on y retrouve même un ouvrage de Rousset sur les vers de mer (1753). Les formats sont variables : de l’in-12 à l’in-quarto qui constitue le format dominant dans sa bibliothèque. L’infolio représente une taille encore plus importante (40 cm maximum) que celle de l’in-quarto (30 cm maximum). L’existence même de ce catalogue montre la volonté de classement de Poleni rappelant l’index des machines et le livre des comptes de son cabinet de physique. Il joue, dans le cas du théâtre de philosophie expérimentale,
2 « Quod attinet ad Philosophical Transactions, hoc est ad Acta Philosophica, quae Londini ab Regia Societate eduntur, vellem Numerum quattorcentesimum sexagesimum (460) et reliquos omnes Numeros, qui usque ad hanc diem in publicem lucem prodierunt. Quod vero spectat ad novos libros agentes vel de Mathesi vel de experimentali Philosophia, scias velim bellicos tumultus impedimento esse quin Bibliopolae nostri libros ex istis Regionibus sibi procurent. Itaque cum nullos libros tribus abhinc annis istic habuerim, quaeso a te, ne quattuor vel sex, qui postremo hoc tempore in vulgus emissi sint, cum Numeris Transactionum Philosophicarum conjungas, et mihi mittas. Impensum, quam facies, curabo, tibi istic numerari. Tuae autem erit humanitatis invenire istic aliquem mercatorem, qui fasciculum meorum librorum Venetias, terrestri itinere (navibus enim nimium tempus consumitur) occasione aliarum mercium mittat, et Veneto Mercatori pro me commendet. » Bibl. Civ., Verona, 3096B, f.°41 3 Vérone, Bibl. Civ., 3096E, f.°325. 4 On se reportera à l’annexe V.2 qui rassemble les photographies de ce catalogue. 108a 5 Ms. 2743, Cl. Poligr., Ubic. 168.6, Env. _ 5
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un rôle de gestionnaire et d’administrateur. L’attribution de cotes à ses livres ne fait que renforcer cette impression d’ordre qu’on retrouve d’ailleurs à l’échelle de ses traités toujours bien construits. Ces livres constituent le support de ses cours qui sont également étayés et illustrés par les expériences : la démarche expérimentale caractérise bien la curiosité intellectuelle des Lumières en général et la recherche académique en particulier.
La pédagogie académique de l’expérience Afin de mieux comprendre la portée et l’enjeu du discours d’inauguration du théâtre de philosophie expérimentale6 du professeur Giovanni Poleni, nous évoquerons la tradition pédagogique des académiciens (dont ceux de l’Académie Royale des Sciences de Paris), le contexte de création du « cabinet de philosophie mécanique expérimentale » » au palazzo del Bo de Padoue et la didactique déployée par Giovanni Poleni. La lecture de la correspondance européenne du marquis padouan permettra d’illustrer le concept d’expérience au cœur de la réflexion et de la rhétorique du savant philologue Poleni. Dans son éloge de Clairaut, Diderot déclara : Ce serait aux grands maîtres de toutes les sciences et de tous les arts qu’il devrait appartenir de les enseigner, mais souvent ils dédaignent ces travaux, plus touchés des succès que leurs talents leur procurent que de l’avantage moins brillant d’être utile7… Cette citation pourrait justifier la fonction de Poleni, gestionnaire et administrateur du cabinet de philosophie expérimentale de Padoue. Giovanni Poleni était associé étranger à l’Académie Royale des Sciences qui compte, parmi ses membres, d’illustres pédagogues ou vulgarisateurs qui, à l’instar de Giovanni Poleni, célèbrent les vertus des expériences sensibles afin de saisir des concepts théoriques. Pour comprendre la pédagogie de Poleni, on peut évoquer celle développée par d’illustres académiciens. Par exemple, dans son manuel Éléments de Géométrie (1741), le géomètre Clairaut (1713-1765) « a recours aux exemples et à l’intuition sensible, et suit la marche analytique qui est celle de l’invention plutôt que la voie synthétique, bien plus ardue pour le commençant8. » Sa méthode, écrit-il dans son introduction, « accoutumera l’esprit à chercher et à découvrir… » L’abbé de Lacaille (1713-1762), académicien enseignant au collège Mazarin, est l’auteur des Eléments d’algèbre et de géométrie (1741) et des Leçons élémentaires de mécanique (1743) que le Journal des Savants vante ainsi : « Toutes les questions sont traitées ici avec beaucoup de netteté et d’une manière courte et précise ; un bon esprit est mis sur la voie pour saisir et entendre 6 Au xviie siècle, l’expression « Filosofia prima » désignait la métaphysique et « Filosofia seconda », la physique. 7 Éloge des Eléments d’algèbre de Clairaut par Diderot (Mercure de France, décembre 1746, I, p. 132-136). Diderot lui-même commença à gagner sa vie en donnant des leçons particulières de mathématiques à des enfants plus ou moins doués. 8 Badinter, 1999, p. 210-221.
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une infinité de choses qu’il convient beaucoup plus de chercher par soi-même, que de les trouver noyées dans un long discours. » On peut également citer le chimiste Guillaume-François Rouelle (1703-1770), un praticien, un manipulateur davantage qu’un théoricien même s’il donne cinq mémoires à l’Académie. Il [Rouelle] défend avec vigueur une certaine conception de la chimie, tournant le dos aux « zélés cartésiens » et aux « absurdités enfantées par le besoin d’expliquer ». Il rejoint Buffon et Diderot, partisans de l’expérience et des faits ; il s’oppose à l’esprit de système des physiciens9. Le plus célèbre des vulgarisateurs demeure cependant l’abbé Nollet (1700-1770) qui commença sa carrière en tant que précepteur puis devint collaborateur de Du Fay et de Réaumur. D’une dextérité manuelle exceptionnelle, il construit de ses mains les instruments dont il a besoin. Initié à Londres, à la physique expérimentale avec son meilleur représentant Desaguliers, il propose sitôt rentré à Paris un cours public dans cette discipline, qui a lieu dans un petit appartement de la rue Mouton. C’est un succès immédiat : les femmes, paraît-il, courent chez lui assister à des expériences. En 1736, il part quelques mois en Hollande pour se perfectionner auprès des deux grands maîtres que sont s’ Gravesande et Musschenbroek. […] Aussi bon professeur qu’expérimentateur, il suscitait la curiosité du public en évitant de donner dans le faux merveilleux. Agréable à entendre, il explicitait ses expériences en même temps qu’il les effectuait. […] En 1738, le duc de Penthièvre assiste aux leçons de Nollet, ce qui achève de le mettre à la mode. L’année suivante, le roi de Sardaigne l’invite à la cour de Turin pour y donner ses leçons au duc de Savoie10. Son cours est le plus célèbre de Paris. Mme Du Châtelet – traductrice de Newton, autre pionnier pour les leçons de philosophie expérimentale à Londres – commande à l’abbé Nollet des instruments pour son laboratoire de Cirey. Pour son théâtre de philosophie expérimentale, Giovanni Poleni acquiert également des machines auprès de l’abbé Nollet. Imitant les cours publics de physique de John Theophile Desaguliers ou de ceux des hollandais, Willem Jacob s’Gravesande et Peter van Musschenbroek, l’abbé Nollet (1700-1770), entré à l’Académie des Sciences en 1739, souhaite donc mettre les sciences à la portée du grand public, femmes y compris. L’abbé Nollet prononce sa leçon inaugurale au collège de Navarre en 1753 devant 600 personnes : son entreprise est notamment motivée par une volonté d’éclairer le langage scientifique devenu hermétique autrement dit de clarifier le discours de la méthode expérimentale. L’obscurité a dû les [les amateurs] rebuter encore plus. Dans ces temps de barbarie, comme si les sciences, rougissant de leur état, n’eussent osé se montrer à découvert, ceux qui faisaient profession de les posséder, affectaient des expressions 9 Mayer, Diderot, homme de science cité par Badinter, 1999, p. 219. Les mots entre guillemets sont empruntés aux notes de cours de Diderot. 10 Badinter, 1999, p. 210-221.
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qui n’offraient que des idées confuses et dont la plupart étaient absolument inintelligibles pour quiconque n’était pas encore convenu de s’en contenter. On donnait pour des explications certains mots vides de sens, qui s’étaient introduits sous les auspices de quelque nom célèbre et qu’une docilité mal entendue avait fait recevoir mais dont un esprit raisonnable ne pouvait tirer aucune lumière11. Son public constitué d’amateurs éclairés peut appartenir également à la noblesse comme le suggère la note de l’abbé Nollet dont la pédagogie s’exporte. En 1739, je fus appelé à la cour de Turin, où je restai près de 6 mois pour donner des leçons de physique à S. A. R. Monseigneur le Duc de Savoie. Après quoi le Roi fit placer à l’Université tous les instruments que j’avais portés, afin que les Professeurs pussent s’en servir dans la suite pour cultiver et pour enseigner la Physique par voie d’expérience12. Dans sa préface, l’abbé Nollet livre au lecteur sa démarche expérimentale qui assoit sa légitimité sur son caractère reproductible et sur une application concrète du phénomène observé. Cette démarche s’appuie également sur l’érudition de l’expérimentateur qui recense les auteurs ayant traité le phénomène depuis l’antiquité. J’ai suivi en écrivant mes Leçons, la même méthode que j’ai coutume d’employer quand je les fais de vive voix. Je choisis dans chaque matière ce qu’il y a de plus intéressant, de plus nouveau et qui me paraît le plus propre à être prouvé par des expériences. J’explique, avec le plus de précision et de netteté qu’il m’est possible, l’état de la question ; j’y rappelle l’origine et j’indique, autant que je le sais, les Auteurs qui passent pour l’avoir traitée avec le plus de succès : je la prouve ensuite par des opérations dont je fais connaître le mécanisme, ayant soin d’en écarter tout ce qui pourrait s’y mêler d’étranger, pour ne point partager l’attention. Enfin, je ramène, soit à la question même, soit aux faits qui m’ont servi de preuves, tout ce qui peut y avoir rapport dans les phénomènes de la Nature, dans les procédés des Arts, dans les machines le plus en usage pour les commodités de la vie civile13. L’abbé Nollet loue la vertu pédagogique d’une rhétorique de l’épreuve visuelle qu’on pourrait résumer par l’expression suivante employée par Christian Licoppe14 : « Je fis… je vis… ». Ce récit d’épreuves, complètement personnalisé, qui a cours pendant le premier tiers du xviiie siècle au sein même de l’Académie des Sciences, suppose l’existence d’un témoin visuel : il n’est pas rare d’ailleurs que les témoins soient nommés dans les Mémoires. Cette construction de la preuve visuelle est donc au cœur de la pédagogie de l’abbé Nollet : Depuis que j’enseigne la Physique expérimentale, j’ai eu tout lieu de reconnaître que le moyen le plus sûr de captiver l’attention, et de faire naître promptement
11 Nollet, 1743, p. vii. 12 Ibid., p. xiii. 13 Ibid., p. xxiii. 14 Licoppe, 1996.
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les idées, c’est, suivant la pensée d’un Poète célèbre15, de parler aux yeux par des opérations sensibles. En conséquence de cette vérité, je me suis pourvu de certaines machines que j’ai imaginées pour faire entendre mes pensées aux personnes qui n’ont des Sciences qu’une teinture très légère16. Cependant, ses expériences sont raisonnées et ne doivent pas seulement se fonder sur un goût pour la curiosité mais sur une légitimité des lois de la physique. Ceci traduit bien l’évolution de la méthode scientifique du type « Je fis… je vis… » à « Je fis… et tel phénomène se produisit. » Mon intention a toujours été qu’il [le Public] y trouvât un cours de Physique expérimentale et non pas un cours d’expériences17. Le caractère réplicable de l’expérience abolit le hasard et selon l’abbé Nollet, souligne la toute-puissance divine. Mais l’avantage le plus précieux, et que toute âme bien née ne manque pas de ressentir en étudiant la Nature, c’est la nécessité où l’on est de reconnaître partout l’Être Suprême qui a formé ce vaste univers et qui préside sans cesser à ses propres œuvres. Plus on avance dans cette étude, plus on est convaincu que ce qui en fait l’objet, n’est point une production du hasard ; tout y annonce une puissance infinie qui étonne, une sagesse profonde qu’on ne peut assez admirer, des intentions et une bonté qui méritent toute notre reconnaissance. Ces merveilles que nous avons sous les yeux parlent au cœur autant qu’à l’esprit ; en éclairant l’un, il est naturel qu’elles touchent l’autre ; ce que nous en apprenons, en nous rendant moins ignorants que le vulgaire, peut aussi faire naître en nous des sentiments plus vifs, et nous rendre plus fidèles à nos devoirs18. L’emploi du mot « merveilles » rappelle la conception scientifique de l’expérience au xviie siècle qui « met en scène » le caractère curieux et surprenant d’un phénomène. Mais la dimension merveilleuse de la technique n’est ni complétement reniée au xviiie siècle ni réservée à un abbé physicien, croyant en la Providence divine. Réaumur lui-même n’hésite pas à recourir à un discours emphatique, riche en hyperboles, trahissant son émerveillement en écrivant dans son Mémoire sur la fabrique des ancres19 : Nous allons entrer dans le détail d’un des plus gros ouvrages qu’on fasse avec le fer : les ancres sont certainement un des plus massifs qu’on forge avec ce métal et pourtant un de ceux qu’il importe le plus de forger.
15 « Segnius irritant animos demissa per aures, / Quam quae sunt oculis subjecta fidelibus. » « L’esprit est moins vivement frappé de ce que l’auteur confie à l’oreille, / Que de ce qu’il met sous les yeux, ces témoins irrécusables. » Horace, De Arte poetica , Trad. Richard (Paris, Garnier, 1944). 16 Nollet, 1743, p. xxvii. 17 Ibid., p. xxx-xxxi. 18 Ibid., p. xli. 19 Lu à l’Académie en juillet 1723, publié avec des Notes et additions de Duhamel du Monceau à Paris en 1763.
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Réaumur souligne même l’association fréquente entre l’objet curieux et l’objet utile. Souvent on hésite trop peu à partager les connaissances en curieuses et en utiles. Cette division n’est pas aussi aisée à faire et aussi sûre qu’on pense, surtout en cette matière. L’utile bien considéré a toujours du curieux et il est rare que le curieux bien suivi ne mène pas à l’utile20. L’Académie Royale des Sciences de Saint-Pétersbourg comme plusieurs académies des sciences européennes, est aussi le lieu d’expériences réalisées en direct par ses membres comme le raconte Daniel Bernoulli à Poleni dans sa lettre écrite en français datée du 26 avril 172621. Nous avons ici un habile anatomiste Mr. Duvernois qui tant pour son habileté que pour la quantité de cadavres ne manquera pas de faire aussi des découvertes. Il nous a montré il y a quelques jours le canal thoracique dans un cadavre humain. Il a remarqué constamment cette communication de la veine pulmonaire avec la veine cave dont Mr. Morgagni fait mention dans ses excellents Adversaires. Il donnera peut-être dans peu la description d’un squelette de baleine qu’on a mené ici, qui pour sa nouveauté ne pourra qu’être curieuse […] J’espère pourtant que vous me permettrez de parler des obligations que je vous ai de nouveau. C’est de votre dissertation sur la figure de la terre. Mon père me l’enverra par la première occasion et je le lirai avec bien de plaisir. Je vous suis aussi fort obligé de la lettre que vous y avez jointe. Au reste c’est une matière qui est digne d’être épluchée. Feu mon oncle ne pouvait faire aller les corps pesants vers le centre de la Terre. Voir les Actes de Leipzig 1686, p. 92 enfin il crut d’avoir compris le mystère dans le actes de Leipzig 1699 p. 547 au milieu. Mr. Sauvin dans le Journal des savans 1703 m. janvier p. 38 nous donne une autre solution mais Mr. Bulffinger a trouvé le contraire par cette expérience. Il a pris un globe de verre rempli d’eau et d’un peu de petroleum. Il a ensuite fortement tourné le globe et il a montré à l’Académie que le petroleum formait un cylindre autour de l’axe du globe et non pas une sphère concentrique avec le globe comme il s’ensuivait selon ces deux Autheurs. La démonstration a priori n’en aurait pas été difficile mais on est facilement trompé par des faux préjugés. Le simple tourbillon de Descartes et subtile autour de l’axe de la terre n’est donc pas suffisant pour expliquer ce phénomène. Mr. Huguens dit qu’il faut concevoir cette matière subtile se mouvoir toute par des grands axes de cercle autour du centre de la terre. Mais je crois que personne ne peut concevoir un tel mouvement ni comment il se peut continuer toujours. Mr. Bulffinger22 croit donc qu’il suffit de donner deux sortes de mouvements à cette matière pour pouvoir expliquer la chose, savoir autour de deux axes, dont l’un soit perpendiculaire à l’autre ; pour voir si son hypothèse est suffisante, il réitérera son expérience, mais en donnant ces deux mouvements 20 L’Art de convertir… p. iii-iv. 21 BNMVe, It, IV, 642 (= 5503), p. 106-107. 22 Bulffinger, 6. B., Solutio problematica de vi centrifuga corporis sphaerici in vortice sphaerco gyrantis.– Com. tab. aen. – Comment. acad. Petrop. Tome iv.
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au globe et il prétend que le petroleum se retirera tout vers le centre du globe et qu’il fera une sphère, si les deux mouvements se font avec une même vitesse ou un sphéroïde plus ou moins long selon que les mouvements sont inégaux. L’expérience en sera un peu difficile ; il espère pourtant d’en venir à bout. Il faut avouer que cette hypothèse remporte le prix par sa simplicité sur celle de Mr. Huygens et Newton. Je ne vois pourtant pas encore tout à fait clairement cette conséquence de la figure ronde ou sphéroïde du petroleum. On pourrait peut-être distinguer aussi entre deux mouvements réels tels que seraient ceux de la matière subtile qui se mouvrait partie autour d’un axe, partie autour de l’autre axe et dont chaque partie ferait un mouvement circulaire au lieu que dans le globe on n’a qu’un mouvement composé de deux différentes causes et aucune partie du globe ne décrit un cercle, mais une autre courbe, qui n’est pas dans un même plan. Je suis porté à croire que les deux mouvements de la matière subtile feraient le même effet qu’un seul mouvement mais semblable à celui des parties du globe rempli d’eau et de petroleum. Je souhaiterais de savoir votre sentiment sur tout cela. Moi, je n’ai pas encore considéré après la matière mais je suis fort porté pour la bonté de l’hypothèse. Mr. Bulffinger a fait aussi un grand nombre d’expériences sur le phénomène des tuyaux capillaires et a confirmé toutes celles qui sont indiquées dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de Paris et dans les Transactiones de Londres. Il a montré que personne encore n’a expliqué ce phénomène mais il n’a pas parlé de la théorie de mon oncle qui seul semble l’avoir expliqué par les lois de l’hydrostatique. Aucun pourtant qui a écrit sur ce sujet ne l’a cité : j’en suis surpris. Il est vrai qu’il s’est trompé dans quelques points mais qui ne sont pas essentiels. Il attribue par exemple à l’air, ce qu’il fallait attribuer à l’éther et il explique le phénomène du mercure (voyez sa Dissertation De grave aetheris p.248) d’une manière que je puis démontrer être contraire aux lois hydrostatiques. Ce phénomène si particulier et si bizarre du mercure dépend uniquement de sa vertu que je lui ai remarqué, de s’attirer soi-même et que je puis démontrer par des expériences très certaines. Si vous voulez prendre la peine de faire des réflexions sur cette matière, vous me ferez plaisir de m’en faire part… Les machines présentes dans l’Académie Royale des Sciences de Paris lui confèrent également une allure de vaste cabinet de physique expérimentale. Le professeur Poleni entreprend de réfléchir à une didactique de l’expérience car, déclare-t-il, « il est difficile de planter un système parce qu’on a écrit beaucoup sur les expériences et de façon diffuse, pas ainsi de l’art d’expérimenter23. » La création du théâtre de philosophie mécanique expérimentale de Padoue participe de cet enseignement par l’expérience. Dans son discours d’inauguration du théâtre de Philosophie Expérimentale de 1741, Poleni déclare :
23 BNVe, It, IV, 592 (= 5555), f.°128-130. Cf. annexe X.
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J’ai commencé aussi à mener des Expériences, publiquement et soigneusement (dans la mesure de mes faibles forces), grâce auxquelles les éléments qui se cachent dans la majesté de la nature sont mis en lumière24. La « mode » des cabinets de philosophie expérimentale
Poleni s’est beaucoup inspiré des leçons expérimentales de l’abbé Nollet à qui il commanda d’ailleurs des machines, ou bien le physicien padouan conçut des instruments sur le modèle des appareils de l’abbé Nollet. Les physiciens Willem Jacob s’Gravesande et John Theophile Desaguliers constituèrent également des modèles pour lui. Afin d’endiguer la lente mais progressive décadence du Studio di Padova, Scipione Maffei appelle de ses vœux de nouvelles disciplines pour rénover les études : ce sont l’architecture civile et militaire, l’architecture navale et la physique expérimentale qui sont requises. Pour créer ses cours, le professeur de Padoue s’est inspiré de plusieurs ouvrages fondamentaux : celui de Jacob s’Gravesande Physices elementa mathematica experimentis confirmata qui comporte 150 dessins techniques, les traités de Musschenbroek dont les machines sont l’œuvre du frère Jan, directeur d’un laboratoire qui approvisionne plusieurs universités européennes, les Leçons de physique expérimentale de l’abbé Nollet, le Course of Experimental philosophy de John Theophile Desaguliers, en exil entre la France et l’Angleterre en raison de son statut de huguenot mais aussi les traités de Wolff, Sturm, Hauksbee, Vayringe25. Willem Jacob s’Gravesande a écrit Physices elementa mathematica experimentis confirmata sive introductio ad philosophiam Newtonianam : dans son catalogue personnel, Giovanni Poleni signale deux passages de cet ouvrage édité en 1742 : la page 1024 du tome ii (chapitre xvi) sur le mouvement de la lune (De Motu Lunae) et la page 1063 du chapitre xix sur la chaleur de la mer (De Aestu Maris). Dans son ouvrage, Cabinets of Experimental Philosophy in Eighteenth-Century Europe26, Sofia Talas souligne que Poleni éprouva beaucoup d’admiration pour Jacob s’Gravesande dont il cita le nom au moment de l’élection du chargé de gestion du cabinet de Philosophie expérimentale créé au Palazzo del Bo de Padoue par Morosini, un des Riformatori. Finalement, c’est Poleni lui-même qui fut choisi. Le marquis padouan calquait même sa manière d’enseigner sur celle des anglo-hollandais newtoniens tels que Desaguliers et surtout Musschenbroek et surtout Willem Jacob s’Gravesande. Dans une lettre de 1737, Poleni déclare qu’il ne faut pas faire des expériences plus d’une fois par semaine en renvoyant à la fréquence de Willem Jacob s’Gravesande :
24 « Coepi etiam publice instituere accurate (quantum valuere tenues meae vires) experimenta, quibus ea, quae in Natura majestate latent, in lucem proferrentur. » Institutionum philosophiae mechanicae experimentalis specimen. Praelectio habita ab Ioanne Poleno 5 Kal. Decemb. 1740, Impr. du Séminaire de Padoue, 1741, § xxxvii. 25 Salandin, 1988, p. 34. 26 Talas, 2013, p. 49-61.
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On ne peut faire les expériences qu’une fois par semaine, M. Gravesande à Leyde n’en fait pas plus d’une par semaine27. Poleni consignait ses lectures et ses expériences dans un cahier – jamais fini – qu’il intitula Physices Elementa Mathematica, reprenant donc le titre de l’ouvrage de W.’s Gravesande. En outre, pour construire les machines des forces centrales et celles destinées à tester l’élasticité des matériaux, il s’inspira des dessins de Gravesande28. La première édition du traité Physices elementa mathematices date de 1720 et on y voit notamment cette image de la balance évoquée par Poleni. Selon Poleni et ses prédécesseurs, les hypothèses de travail29 jouent un rôle précaire au profit d’une enquête de type spéculatif en lien avec l’expérience. En effet, Giovanni Poleni « préféra toujours affronter, résoudre, réfuter, infirmer ou confirmer des hypothèses et des théories plutôt que de théoriser, conformément à l’antisistematismo qui caractérisa son image de la science et qui l’amena à une distance précise de la philosophie systématique et hypothétique30. » D’ailleurs, Giovanni Poleni relie la science physique à la notion d’expérience comme on peut le lire dans son brouillon d’une préface au lecteur : Presque toute la science physique s’appuie sur des expériences à quoi on peut se fier, évidentes une fois mises en commun et ayant été soumises à un bon raisonnement : la théorie des mouvements célestes, sans doute la partie de la physique de loin la plus digne, excepté si les observations des phénomènes adaptées, réalisées par des techniques convenables et des instruments sûrs, ne nous ont pas été transmises fidèlement, n’a jamais atteint un si grand degré de perfection où l’époque présente l’a transporté. Et en cas d’interruption de ce souci accordé à l’observation, si une définition était donnée par erreur dans nos hypothèses, les aides manqueraient à nos descendants qui pourraient corriger ces petites erreurs31.
27 « […] non si ponno fare gli esperimenti se non una volta per settimana, né più di una volta per settimana li fa li signor’s Gravesande a Leida. » Poleni, lettre à Zendrini, 7 février 1739 : BMVe, ms. It., IV, 643 (= 5594), f. 14. Citée par S. Talas, 2013, p. 56. 28 Talas, 2013, p. 57. 29 Rappelons la formule célèbre de Newton : « Hypotheses non fingo » (« Je n’imagine pas d’hypothèse. »). « Isaac Newton utilisait soit la méthode expérimentale (dans les études de l’optique), soit la méthode hypothético-déductive (dans la mécanique théorique) mais il est évident qu’il usa aussi d’hypothèses de travail. Newton ne condamnait pas les hypothèses de travail en tant que telles mais leur usage sans discernement. Seule la vérification expérimentale en assurait la validité. » Pancino, 1987, p. 23. 30 « Poleni in tutta la sua vasta produzione scientifica preferì sempre affrontare, risolvere, confutare, falsificare o inverare ipotesi e teorie piuttusto che teorizzare, coerentemente all’antisistematismo che contraddistinse la sua immagine della scienza e che lo indusse a distanze precise dalla « filosofia sistematica o ipotetica. » Soppelsa, 1988, p. 56. 31 « Rerum physicarum scientia, experimentis fidis, et evidentibus inter se collatis proboque ratiocinio subjectis, tota fere innititur : Motuumque Coelestium Theoria, Physicae sane pars longe dignissima, nisi accuratae Phaenomenum observationes, ab artificibus idoneis certisque instrumentis habitae, fideliter ad nos fuissent transmissae, ad tantum perfectionis gradum quo praesens aetas eam provexit,
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La méthodologie de Poleni instaure donc une confrontation entre les savoirs de l’antiquité et de la modernité en vue de perfectionner des expériences déjà menées ou bien d’en inventer de nouvelles dans la continuité de l’histoire des sciences. L’expérience est bien au cœur de la démarche intellectuelle du créateur du Gabinetto di Filosofia Sperimentale de Padoue.
minime pervenisset. Et intermissa hac observandi cura, si quid in hypothesibus nostris perperam definitum sit, posteris defutura sunt ea, quibus errorculos illos corrigere possint, subsidia. » Poleni Praefatio lectorem PHYSICA, Ver., Bibl. Civ., 3096H, f.°131.
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Chapitre iii
Poleni et l’expérience
Dans son discours inaugural du cabinet de philosophie mécanique expérimentale, prononcé en novembre 1740, la définition de l’expérience donnée par Poleni se caractérise par l’importance de l’observation et de la preuve visuelle comme le suggère l’importance du réseau sémantique du regard : L’expérience physique est un essai1 par lequel au moyen de l’activité et du travail de l’artisan sur une question soumise, donnée ou préparée, on observe et on met sous les yeux quelque action de la nature qui, jusqu’alors, était cachée et serait ensuite cachée si cette même action n’était pas reproduite, d’après la nature, au moyen de l’art2. L’expérience réplique l’action de la nature qui, ainsi, n’est plus cachée. La science est souvent conçue comme un révélateur des mystères et sanctuaires secrets de la nature. Les expériences, selon Poleni, doivent être rangées en deux catégories comme il le déclare au chapitre vi du discours inaugural du cabinet de philosophie expérimentale : Et pour ce qui a trait aux expériences, elles peuvent être réparties en deux groupes : les unes sont accomplies par les arts de la chimie, d’autres par les arts de la mécanique3. La définition de Poleni peut être comparée à celle de Jean Le Rond d’Alembert dans son article « Expérimental » de l’Encyclopédie : On sait que les fluides pressent & résistent quand ils sont en repos, & poussent quand ils sont en mouvement ; mais cette connoissance vague ne sauroit être d’un grand usage. Il faut, pour la rendre plus précise & par conséquent plus réelle & plus utile, avoir recours à l’expérience ; en nous faisant connoître les lois de l’Hydrostatique, elle nous donne en quelque maniere beaucoup plus que nous ne lui demandons ; car elle nous apprend d’abord ce que nous n’aurions jamais
1 Voir Ioh. Henrici Mulleri Collegium Experimentale. Nuremberg, 1721, p. 1, § 3. Et Christian Wolff, Logica, Francfort, 1728, p. 539, § 747. 2 « Physicum autem Experimentum est tentamen, quo Artificis industria atque opera in data praeparatave sujecta re, exploratur & ob oculos ponitur aliqua naturae actio, quae tunc latebat, & lateret postea, nisi eadem a Natura veluti invita per Artem exprimeretur. » Poleni, Institutionum…, chap vi. 3 « Et quod ad Experimenta attinet, haec tribui possunt in partes duas ; alia enim Chymicis artifiis, artificiis alia Mechanicis perficiuntur. » Poleni, Institutionum…, chap vi.
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soupçonné, que les fluides ne pressent nullement comme les corps solides, ni comme feroit un amas de petits corpuscules contigus & pressés. Les lois de la chûte des corps, la quantité de la pesanteur de l’air, sont des faits que l’expérience seule a pû sans doute nous dévoiler, mais qui après tout n’ont rien de surprenant en eux-mêmes : il n’en est pas ainsi de la pression des fluides en tout sens, qui est la base de l’équilibre des fluides. C’est un phénomene qui paroît hors des lois générales, & que nous avons encore peine à croire, même lorsque nous n’en pouvons pas douter : mais ce phénomene une fois connu, l’Hydrostatique n’a guere besoin de l’expérience : il y a plus, l’Hydraulique même devient une science entierement ou presqu’entierement mathématique ; je dis presqu’entierement, car quoique les lois du mouvement des fluides se déduisent des lois de leur équilibre, il y a néanmoins des cas où l’on ne peut réduire les unes aux autres qu’au moyen de certaines hypothèses, & l’expérience est nécessaire pour nous assûrer que ces hypotheses sont exactes & non arbitraires. Jean Le Rond d’Alembert relie, à l’instar de Poleni, expérience pratique et mathématiques théoriques4. Selon d’Alembert, « l’expérience ne servira plus simplement à confirmer la théorie ; mais différant de la théorie sans l’ébranler, elle conduira à des vérités nouvelles auxquelles la théorie seule n’auroit pû atteindre. » L’expérience doit donc évoluer dans un chemin parallèle à la théorie qui a pour but la vérité. D’Alembert loue d’ailleurs, dans son article, la création de chaires et de « cabinets » de physique expérimentale en Europe.
Création du cabinet de philosophie mécanique expérimentale à Padoue Le sénat de Venise5 délibéra en 1712 de transférer la Libreria au palazzo del Bo et dans ce but précis, en 1717, il acquit une aire, proche du palais et nomma une commission d’experts formée de l’architecte Girolamo Frigimelica, bibliothécaire et des professeurs Poleni et Bombardini : en même temps Domenico Mengutti fut chargé de rédiger un projet qui n’aboutit pas. L’architecte s’éloigna de Padoue en 1722 et on proposa des variantes pour diminuer les coûts. On dut même construire un toit sur l’édifice incomplet… en 1730 ! Consulté par le Sénat de Venise, Poleni avait, dès 1719, rédigé un texte : “Informazione di Giovanni Poleni circa l’Instituzione della FILOSOFIA SPERIMENTALE Padova, 23 Aprile 1719 All’Illmo Sig Sig Pron ColmoIl Sig Agostino Gadaldini Secretario dell’Eccmo Senato VENEZIA6” que nous avons reproduit en annexe. Finalement, la création d’un théâtre de physique expérimentale
4 Ce lien s’exprime également dans le paradoxe de D’Alembert énoncé en 1768 : selon lui, malgré le sens commun, un corps immergé dans un fluide en mouvement – et inversement – ne subirait aucune force. Les concepts de l’expérience de D’Alembert sont élucidés dans Julián Simón Calero, Jean Le Rond D’Alembert : A New Theory of the Resistance of Fluids, Springer, 2018. 5 Dal Piaz, 1988, p. 155. 6 Bibliothèque Marciana, Venise : It, IV, 592 (= 5555). Cf. Annexe VII.
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fut décidée le 27 novembre 1738 et assignée à Giovanni Poleni, le 12 février 17397 notamment grâce à son « observation au microscope » opérée par le « ministre » des Rifformatori, Giovanni Francesco Pivati qui désigna Poleni comme l’administrateur idéal du teatro8. Le dessin et le plan du cabinet de Philosophie Expérimentale furent portés en France à l’abbé Nollet9. Le bâtiment du théâtre recouvre la belle surface de 250 m² avec un atrium de 32 m², le théâtre proprement dit (dédié aux cours et limité à 100 places) couvre 68 m², le lieu où sont stockées les machines, mesure 102 m², une chambre obscure 25m² (pour les expériences liées à l’optique) et des petites salles occupent une surface de 26 m². Il faut également installer un pupitre10 d’1,40 m de haut, fait pour montrer les cartons11 des figures qui servent à expliquer et illustrer les expériences variées. Françoise Waquet révèle que Poleni est le premier à écrire sur la pierre noire (le tableau). Le professeur padouan dut alors dans un même temps « dire et faire, de manière à ce que le résultat de l’une et l’autre chose soit aussi plaisant que clair12. » Les machines furent acquises par les fonds publics votés par le Sénat de Venise : le teatro di filosofia sperimentale fut le premier en Europe à être complètement financé par des fonds publics13. Poleni accorde sa préférence à l’expression « philosophie mécanique expérimentale » plutôt qu’à celle de « physique expérimentale » comme l’indique le titre de son discours inaugural du cabinet de physique de Padoue. Le citoyen Giovanni Poleni, professeur de « philosophie expérimentale » depuis sa nomination en 1741, à la tête de la Chaire de Physique expérimentale, a donc bien exprimé toute sa gratitude à Padoue et aux Riformatori de Venise qui lui avaient permis de se doter de tous les instruments de physique requis pour l’édification de son cabinet qui, d’après Joseph-Jérôme de Lalande, était remarquable : La salle de physique expérimentale fut établie il y a quelques années par le marquis de Poleni ; il y a rassemblé une ample collection de toute espèce, faite en France, en Angleterre, en Hollande, sous les yeux des meilleurs Physiciens ; plusieurs ont été imaginées ou perfectionnées par M. Poleni lui-même, & je ne connais guère de plus beau cabinet de Physique14.
7 Talas, 2013, p. 51. 8 Talas, 2013, p. 53. 9 Gennari, 1839, p. 37. 10 Inventoriés sous le numéro 340. 11 Inventoriés sous le numéro 349 par Poleni qui en livre la description suivante : « tutti di altezza di pollici 23 circa e di larghezza di pollici 15, per la maggior parte coperti di carta imperiale. Su cui vi sono disegnate e colorate, et anche (ove ben faceva) ornate le figure che servono ad ispiegare ed illustrare vari esperimenti et addurne delle ragioni ricavate dalla figura e dall’uso delle macchine spettanti a cose geometriche, arithmetiche et ad altre Scienze sublimi, che abbisognano di Figure. » 12 Dooley, 1984, p. 129-138. 13 Talas, 2013, p. 54. 14 Joseph-Jérôme de Lalande, Voyage d’un Français en Italie. Fait dans les années 1765 et 1766, Paris, 8 vols : v.8, p. 285-286. Cité par Talas, 2013, p. 49.
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Les instruments et machines de Giovanni Poleni Grâce à la générosité des sénateurs, Giovanni Poleni put donc réunir une superbe collection de 386 instruments de physique (selon l’inventaire de 1761) qu’il gérait avec son assistant Antonio Dalla Bella ; ce dernier enseigna plus tard, en 1766, la philosophie expérimentale à Lisbonne puis installa un cabinet de physique expérimentale à l’université de Coimbra (1772). Il était également assisté par son fils Francesco qui plus tard, devint abbé. Poleni avait des assistants : Giuseppe Bartoli, Vitaliano Donà, Antonio Dalla Bella. L’assistant Don Andrea Giustina avait plus ou moins le rôle de secrétaire. Poleni travaillait avec un orfèvre, un forgeron, un tourneur sur bois et un menuisier. Parmi les artisans avec lesquels Poleni travaillait, on trouve le serrurier et horloger lorrain, Philippe Vayringe (1684-1746)15 qui, ayant suivi les cours de Desaguliers, créa également un Corso di filosofia sperimentale à Florence en 1739. Poleni a acquis un certain nombre de machines auprès de l’abbé Nollet : un éolipile monté sur roue16 – n°105 de l’inventaire ; un instrument formé de quatre roues mobiles et d’une roue plus grande en laiton – n°102 ; un modèle de ressort – n°127 et une sorte de réveil – n°128. Poleni possédait aussi des croquis de l’abbé Nollet (n°123) en vue d’expériences ultérieures et construisit d’après les plans de l’abbé Nollet, une tablette comportant une tige métallique en vue d’étudier l’élasticité du métal (n°314)17. Poleni présente également la machine (n°172 – Fig. 1) de l’académicien parisien, P. Sébastien Truchet décrite dans les commentaires de l’Académie Royale des Sciences (1699) et portant sur la chute des corps et leur accélération sur un plan incliné. Il a également acquis des machines approuvées par l’Académie Royale des Sciences de Paris : la machine pour hisser l’eau avec un canon de métal, inventée par Le Demour (n°251), un pendule formé de deux cylindres de laiton inventé par Julien Le Roy (n°285). Plusieurs artisans18 différents peuvent être appelés à travailler sur un seul objet. Ainsi, pour construire sa machine sur les forces centrales, Poleni a engagé un orfèvre, un forgeron, un ébéniste et un menuisier. Il commanda également un modèle de grue au professeur de mathématiques de l’université de Turin, Giulio Accetta, ou encore un dilatomètre et une maquette de « machine servant à battre les pieux » utilisée lors de la construction du pont de Bassano, au mécanicien horloger Bartolomeo Ferracina. Mais une lettre de Poleni à Euler datée du 1er septembre 1736, nous apprend que le professeur de Padoue fabriquait également des machines lui-même. Le premier instrument que j’ai trouvé et pris soin de construire en guise de tractrices dont les bases sont curvilignes (suivant Ton conseil de me concentrer sur ces machines), est constitué d’une réglette munie d’un curseur pointu (comme on l’appelle) de telle sorte qu’une fois le rayon donné, on puisse décrire un cercle avec cette réglette : à l’extrémité de cette même réglette, on en a fixé une autre, 15 Talas, 2013, p. 62. 16 Salandin, Indice delle Machine di Giovanni Poleni. 17 Photo de la machine n°314 dans notre commentaire du traité du cabestan. 18 Talas, 2013, p. 49-61.
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Fig. 14. – Vayringe, Paraboloïde de Sébastien Truchet. Haut. : 80 cm. Musée d’Histoire de la Physique, Padoue. C. Le Gall.
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qui décrit un cercle, et possède une petite roue disposée par la technique que j’ai proposée à un autre moment pour la description d’une simple tractrice. Ainsi, pendant qu’est décrit le mouvement circulaire grâce à la première réglette, la petite roue marque la tractrice dont les tangentes comprises entre elle-même et le mouvement circulaire, sont constantes. Plusieurs tractrices ont des parties de ce genre et de tels usages, à ce que je pense. On arrive avec certitude très facilement à rendre les lignes19. En effet, dans son discours inaugural du cabinet de philosophie (XVII), Poleni déclare que le philosophe lui-même doit faire preuve d’une dextérité manuelle et posséder des compétences polyvalentes : En outre, cette dextérité manuelle absolument nécessaire garantira un ouvrage plus facile et plus disponible si celui qui doit manier les instruments non seulement est vigoureux grâce à sa dextérité même, mais aussi parfois obtient la maîtrise, par un exercice régulier, de la forge d’ouvrages assez élégants, de la fabrication de verres évidemment transparents, du tournage du bois et des métaux, de l’élaboration de mécanismes horlogers. Loin de moi la pensée que quelqu’un m’accuse faussement de proposer une activité pour la splendeur d’une discipline libérale non adaptée aux élèves et de m’efforcer que les philosophes deviennent subitement des ouvriers sédentaires20. Ainsi, dans les arts de la forge, qui peuvent être considérés comme prépondérants pour l’activité expérimentale, je n’exige pas que notre philosophe excelle individuellement mais je souhaite vraiment qu’il ne soit pas malhabile ni mal préparé au travail et à la pratique21.
19 « Primum autem instrumentum quod pro tractoriis, quorum bases sint curvilineae (Te suadente, ut ad hosce animum adplicarem) inveni, et construi curavi, constat regula instructa cursore (ut appellant) acuminato ; ut, dato quocumque radio, regula illa circulus describi queat : ad extremum eiusdem regulae connexa alia est, in orbem mobilis, atque haec rotu lam habet, eo artificio positam, quod alias pro simplicis tractoriae descriptione proposui. Ita, dum prima regula circuli ambitus describitur, rotula illa signet tractoriam, cuius tangentes inter ipsam, et ambitus describitur, rotula illa signat tractoriam, cuius tangentes inter ipsam, et ambitum circuli interceptae, sunt constantes. Plures partes habent huiusmodi tractoriae, et usus aliquos, ut opinor ; certe, ut ut trascendentes lineae sint, facillime tamen exorantur. » Ver., Bibl. Civ., 3096 M. (non paginé). 20 « Porro ea prorsus necessaria manuum dexteritas faciliorem promptiorem operam praestabit, si ille, qui Instrumenta tractare debet, non modo dexteritate ipsa viguerit, verum etiam aliquandiu in fabrilibus operibus elegantioribus, in perspicillorum videlicet formandis vitris, in materia metallisque tornandis, in elaborandis horologiorum automatis, se se exercendo, usum fuerit consecutus. Absit autem ut quispiam me insimulet, quasi ego rem ad liberalis disciplinae splendorem haud accomodatam discentibus proponam, nitarque Philosophos repente ad sellularios traducere. » Poleni, Institutionum…, chap xvii. 21 « Ita ego in eis fabrilibus artibus, quae pro re Experimentali potiores haberi queunt, Philosophus noster singulariter ut excellat, non requiro ; sed in iisdem non imperitum esse, neque ab opere & ab exercitio imparatum, exopto. » Poleni, Institutionum…, chap xvii.
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Mais cette interdisciplinarité sur le plan manuel et expérimental va de pair avec des connaissances théoriques étendues à plusieurs champs de réflexion. Poleni l’affirme dans le chapitre vii du discours inaugural : Et j’appellerais de mes vœux que notre philosophe soit tel qu’il connaisse d’abord parfaitement les lois universelles de la nature, qui ait excellemment assimilé les puissants préceptes de la théorie mécanique, qui ait compris les plus éminentes disciplines, géométrie, arithmétique22… Les sciences naturelles, la mécanique, la géométrie et les mathématiques : telles sont les matières à maîtriser par le philosophe. Cependant, ce dernier ne doit pas être seulement un théoricien, un gestionnaire ou encore un conservateur et un administrateur, mais aussi et surtout un praticien. Dans le chapitre xv du discours inaugural, Poleni énonce les qualités que requiert cette fonction : quelque ingéniosité pour trouver des expériences, quelque dextérité pour les mener à bien, et quelque empressement à les justifier, quelque raison et quelque théorie23 pour les expliquer24. Il reformule ces qualités dans le chapitre xvi : une ingéniosité d’esprit et de pensée, une aptitude manuelle, une bonne activité et une dextérité absolument nécessaires pour étudier des instruments25 Le philosophe est donc bien un « homme du terrain » qui doit toujours allier la doctrina à l’exercitatio et à l’experimentum. Il ne doit pas pour autant négliger les qualités d’organisation requises par le travail d’administrateur et de conservateur d’une collection de près 400 machines. Ainsi, Poleni tenait son inventaire à jour et notait scrupuleusement toutes les dépenses réalisées dans un livre de comptes conservé à l’Archivio antico de l’université de Padoue au palazzo del Bo. Nous reproduisons la première page de ce recueil qui montre la minutie et l’esprit d’organisation de Poleni.
22 « Atque talem Philosophum nostrum exoptarem, qui universales Naturae leges prius perfecte noverit, qui potiora Mechanicae doctrinae praecepta optime perceperit, qui praestantissimas disciplinas, Geometriam, Arithmeticam… » Poleni, Institutionum…, chap vii. 23 Poleni était convaincu que les savants susceptibles d’occuper le poste à la tête du cabinet de philosophie expérimentale devaient non seulement avoir été employés dans un lieu où se trouvaient les instruments nécessaires (université de Turin et Institut des Sciences de Bologne) mais aussi posséder un « bon fond de théorie » (« un buon fondo di dottrina ») et « une habileté manuelle » (« l’ingegno nelle mani »). « Poleni al Riformatore dello Studio di Padova Zan Francesco Morosini », novembre 1738, cod. ita., cl. iv, 592 (5555), c. 229, Del Negro, 2013, p. xiv. Voir aussi Talas, 2013, p. 52. 24 « in experimentis inveniendis solertia, quae in capiendis dexteritas, confirmandis sedulitas, quae in explicandis ratio & doctrina. » Poleni, Institutionum…, chap xv. 25 « cum ingenii cogitationisque solertia, etiam manuum aptitudinem, industriam, ac dexteritatem, pernecessarias as Instrumenta tractanda » Poleni, Institutionum…, chap xvi.
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Fig. 15. – Livre de comptes de Poleni du cabinet de philosophie expérimentale Archivio Antico, Palazzo del Bo, Padoue. C. Le Gall.
po le ni e t l’e xpé ri e nce Rubriques de l’inventaire du cabinet de philosophie expérimentale de Poleni
Propriétés physiques en latin
Traduction française
De proprietatibus cuicumque corpori convenientibus De poris corporum De attractione De gravitate De centro gravitatis De motu et quiete De mechanica De bilanciis et staderibus De attritu De vi centrifuga De rotis De viribus vivis et mortuis De motu musculorum De resistentia solidorum et fluidorum De fluidorum natura et proprietatibus De Hydrostatica De aere De antlia pneumatica De igne et glacie De electricitate De lumine et coloribus De machinis pluribus usis inservientibus De geometria formae variae
« Sur les propriétés se rencontrant dans n’importe quel corps » « Sur les pores des corps » « Sur l’attraction » « Sur la gravité » « Sur le centre de gravité » « Sur le mouvement et le repos » « Sur la mécanique » « Sur les balances et les fléaux » « Sur le frottement » « Sur la force centrifuge » « Sur les roues » « Sur les forces vives et mortes » « Sur le mouvement des muscles » « Sur la résistance des solides et des fluides » « Sur la nature des fluides et sur leurs propriétés » « Sur l’hydrostatique » « Sur l’air » « Sur la pompe pneumatique » « Sur le feu et la glace » « Sur l’électricité » « Sur la lumière et les couleurs » « Sur les machines servant à plusieurs usages » « Sur la géométrie d’une forme variée »
Ses dissertations sont l’occasion, pour Poleni, après avoir dressé l’anatomie du système technique et recensé toutes les solutions techniques adoptées depuis l’Antiquité pour résoudre les problèmes posés par l’Académie Royale des Sciences, de réaliser des prototypes qu’il teste ensuite comme il aime à le préciser. Cependant, je ne me suis pas complu (autant que j’aurais pu) à la seule mécanique théorique ; j’ai trouvé bon de tester par l’expérience le cabestan même. J’ai pris soin de fabriquer avec art un cabestan pourvu des parties que j’ai décrites auparavant et présentées, toutes tracées ensemble, dans la figure 17. Giovanni Poleni réalise également une expérience pour obtenir la meilleure machine pour mesurer le chemin d’un vaisseau. Cette expérience, comme elle doit être réalisée sans observations astronomiques, ne peut pas être mieux réalisée, semble-t-il, qu’avec des instruments et des machines. Dans celles-ci aussi, en raison du roulis des vaisseaux, il faut faire
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attention, dès le début, à ce que les utilisations en soient simples et aisées. Voici donc la description de notre Machine26. Dans ses dissertations latines sur les ancres, Poleni décrit des expériences pour mesurer la force des ancres : J’ai établi en effet que dans les expériences (dont on doit traiter), le premier principe du mouvement doit être procuré par application d’un homme à une machine. D’autre part, pour estimer la force de cet homme, l’augmenter et la diminuer, j’ai cru pouvoir réaliser ce montage technique que je vais exposer27. Le théâtre de Poleni est resté jusqu’en 1937 au Palazzo del Bo puis fut transféré via Marzolo nouveau siège de l’Istituto di Fisica. Les 300 à 386 machines de Poleni28 étaient rangées dans son inventaire (« indice »), selon les rubriques liées aux propriétés physiques. Cette classification des instruments se retrouve dans celle des essais ou expériences réalisés par le philosophe pour illustrer tel ou tel phénomène physique ; Poleni l’affirme clairement au chapitre xxxv du discours inaugural Institutionum Philosophiae mechanicae Experimentalis specimen : Qu’il [le savant] soit évidemment prêt à disposer ses propres essais en ordre, une fois les méthodes des autres attentivement observées ; de même, une fois passée soigneusement en revue la série de ses instruments, qu’il range ces expériences mêmes par manipules (pour ainsi dire) et les associe selon la méthode telle que celles qu’il aura associées semblent se rapporter à un genre particulier de phénomènes, évidemment à la gravité, à l’attraction, à la lumière, et ainsi de suite29. Dans ce discours (chap. xxxv), Poleni file la métaphore du corps bien proportionné pour illustrer la théorie expérimentale. C’est pourquoi, il accordera une attention scrupuleuse à embellir le corps bien proportionné de la théorie expérimentale à partir de l’arrangement savant et adapté des membres singuliers et individuels30.
26 Poleni Giovanni, De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques, Paris, Impr. Royale, 1734, § 25. 27 Poleni Giovanni, « Dissertation sur les ancres », Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale, Paris, éd. Martin, Coignard, Guérin, Jombert, 1752, § 1, première section. 28 Inventoriées dans des catalogues de 1741 à 1761. 29 « Nimirum ut sua Tentamina in ordinem dispositurus, methodis aliorum attente perspectis ; suorum item Instrumentorum serie diligenter perlustrata, Experimenta ipsa manipulatim (ut ita dicam) digerat ea ratione conjungatque, ut quae conjunxerit, ad peculiare aliquod rerum genus referri videantur ; nempe ad gravitatem, ad attractionem, ad lumen, & sic porro. » Poleni, Institutionum…, chap xxxv. 30 « Itaque operam impense dabit, ut ex singularium individuorumque membrorum docta atque apta compositione concinnum Experimentalis doctrine corpus adornet. » Poleni, Institutionum…, chap xxxv.
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Poleni précise d’ailleurs que le philosophe doit d’abord réfléchir à la succession et à l’enchaînement ordonné et raisonné de ses expériences avant d’en venir à la réalisation effective de celles-ci : Ainsi, quand un philosophe aura trouvé l’ordre convenable des expériences, il en viendra à l’usage des instruments, c’est-à-dire à la réalisation effective des expériences31. La méthode polénienne est donc empreinte de rigueur : elle explore, de façon raisonnée, l’empirisme expérimental tout en s’appuyant sur la doctrina.
La didactique de Poleni Comme Poleni le formalise dans De Physices utilitate in rebus mathematicis (De l’utilité de la Physique dans les Mathématiques), la connaissance consiste en une synthèse intellectuelle des données obtenues par les sens : l’intellect ne peut pas travailler à vide mais a besoin d’un support sensible32. D’ailleurs, Poleni commençait toujours son cours de philosophie expérimentale en traitant précisément les propriétés des corps (extension, impénétrabilité, divisibilité, action et inaction) autrement dit en reprenant ce que Locke33 dénommait les « concepts simples ». Il s’agit pour Poleni de remonter aux causes ultimes du phénomène, souligner le but de l’enquête, veiller à chaque fois que c’est possible à une ouverture à l’interdisciplinarité, exploiter la nouveauté du fait par un plus grand engagement de l’étudiant et rechercher scrupuleusement la vérité. Poleni livre dans un écrit manuscrit sa réflexion sur l’expérience et présente notamment les quatre moyens pour connaître par expérience les choses naturelles : Le premier consiste à faire quelque opération simple, celle-ci faite, avec l’emploi des seuls sens, on découvre dans les corps une propriété naturelle, qui auparavant, était inconnue. Les autres types d’expérience sont : les expériences aidant les sens, comme celles qu’on fait avec le Microscope, les expériences avec des Machines quand on examine la force de la Machine et enfin, les expériences avec les Machines, quand la Machine sert seulement de moyen pour obtenir un but34. Il convient ensuite de bien ordonner les expériences de la physique expérimentale « soit selon la commodité, soit selon les divisions idéales de la Philosophie, soit selon l’ordre des choses naturelles et mathématiques. » Poleni livre une méthodologie
31 « Sic aptum Experimentorum ordinem cum invenerit Philosophus, ad usum Instrumentorum, hoc est, ad Experimenta reapse conficienda descendet. » Poleni, Institutionum…, chap xxxvi. 32 Pancino, 1986, p. xvii. 33 Les « concepts simples » constituent le fondement de la pensée de John Locke (1632-1740) : l’origine de toute connaissance réside dans la sensation et dans la réflexion. Il distingue les qualités primaires (solidité, extension, figure, mouvement, repos, nombre) et secondaires (couleur, goût, odeur et son) qui dérivent des qualités primaires des petites parties de la matière. (Pancino, 1986, p. xvii). 34 BNVe, It, IV, 592 (= 5555), f.°128-130. Cf. annexe VIII.
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basée sur l’ordre et la numérotation des machines et des expériences à l’aide de fogli (feuillets), des fiches techniques décrivant chaque fait démontré : Je croirais nécessaire de marquer avec des numéros toutes les machines, et tous les instruments en ma possession. Et à la fin de chaque expérience, de noter scrupuleusement les numéros des machines ou instruments utilisés, de noter la technique utilisée dans chaque expérience, de noter le résultat observé et de noter les conséquences obtenues. Je crois qu’il est bon que ces choses pour chacune des expériences soient écrites sur un feuillet particulier et qu’il y ait autant d’expériences que de feuillets. Ainsi, à mesure que le temps passe, au terme d’une quantité d’expériences réalisées, on pourrait réduire et ordonner (pour ainsi dire) ces feuillets à tant de faits, combien relèvent du domaine mathématique ou de la nature et dans quel domaine ils appartiennent. Puis distribuer les feuillets de chacun des faits selon qu’on recherche la facilité et la clarté. Je crois que d’une telle forme naîtrait comme de soi-même un ordre utile, clair et scientifique afin de pouvoir faire un cours en tout et pour tout, ordonné et selon une méthode exacte35. Il s’agit de partir des expériences des autres avant de se lancer. Ensuite, vient la réalisation pratique en multipliant les soins et les précautions pour avoir la certitude des mesures. Une fois la théorie expliquée, on montre la machine, on la monte, en expliquant le fonctionnement de chaque partie avec l’aide des graphiques des cartoni, puis on énonce le but de l’expérience avec explicitation de ses différentes étapes. Enfin, le professeur interprète et classe les données en collectant à partir des expériences, les règles d’observation pour ne pas tomber dans l’erreur36. Il utilise également des lettres didactiques et une main en bois et en métal pour attirer l’attention sur un point particulier de la leçon, main qu’on retrouve dessinée sur un de ses brouillons conservés à la Marciana. On retrouve ce triptyque dans cet extrait des brouillons des cours de Poleni de 1720 à 1761 conservés à la Marciana : D’abord, j’exposerai les définitions qui concernent le livre proposé. Ensuite, je soumettrai les explications et la démonstration du premier théorème du même
35 « Ma crederei necessario, che si marcassero con dei Numeri tutte le Macchine, e tutti gli Istromenti, che si avessero. E che in fine d’ogni qualunque Esperimento si notassero con diligenza li Numeri delle Macchine, o Istromenti, che si fossero adoperati : si notasse l’artificio usato in quel tale Esperimento : si notasse il successo osservato : e si notassero le consequenze, che si fossero ricavate. Crederei bene che tutte queste cose per ciaschedun Esperimento si scrivessero su un Foglio particolare ; sicchè quanti Esperimenti si fossero fatti, tanti Fogli si avessero. Così in progresso di tempo, quando si fosse fatta quantità di Esperimenti, si potrebbero questi Fogli ridurli et ordinarli (per dir così) in tanti fassi, quante fossero le cose Matematiche, o Naturali, alle quali appartenessero. Poi distribuire li Fogli di ciaschedun fascio, secondo che la facilità, e la chiarezza lo ricercasse. Credo che in tal forma nascerebbe come da se stesso un ordine utile, chiaro e scientifico : onde dappoi si potrebbe fare un corso in tutto e per tutto regolare, secondo un metodo esatto. » BNVe, It, IV, 592 (= 5555), f.°128-130. Cf. annexe VIII. 36 M. Pancino, 1986, p. xix.
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Fig. 16. – Parallélogramme dessiné par Poleni dans son cahier de Mécanique n°30, ms. It, IV, 636 (=5497), f°142, Bibliothèque San Marco, Venise, C. Le Gall.
livre. Enfin, je rassemblerai quelques éléments, du moins des mélanges ; en un mot la science sur le sujet37. Le professeur physicien a donc besoin d’une culture historique, technique et pédagogique. Dans son cahier de mécanique n° 3038, Poleni copie une démonstration illustrée par un dessin qui représente un parallélogramme qu’on retrouve en 3D dans son inventaire des machines sous la forme d’un parallélographe (n°70 et n°81 de l’inventaire) ; cet exemple montre bien l’importance des sens dans la didactique de Poleni. « Demonstrare : si Grave I percutiat planum DR secundum lineam obliquam IC ; esse ictum, quem efficiet ita oblique ad ictum, quem fecisset si linea IC fuisset perpendicularis ; esse (inquam) ut linea perpendicularis IB ad ipsam parallelogrammi diametrum IC. Vide Wolfii Elementa Mechanicae p. 625. Art. 396. » Notice n°70 de l’index des machines de Poleni : « Un instrument qui permet de voir qu’un corps mu par deux forces qui agissent dans des directions différentes décrit la diagonale d’un parallélogramme. » Sur le cartel du musée d’histoire de la physique de Padoue, on peut lire que ce dispositif mécanique servait à la construction rapide et précise d’un parallélogramme, une fois donnés les deux côtés consécutifs. Il était utilisé pour les problèmes de statique et en général, pour la composition des grandeurs vectorielles. Construit par Pieter van Musschenbroek à Leyde, il mesurait 26 cm sur 17 cm. Poleni critiqua le dispositif
37 « Primo definitiones ad propositum librum pertinentes exponam. Deinde primi Theorematis libri eiusdem explicationes, demonstrationemque subjiciam. Demum colligam nonnulla, miscellanea quidem ; prorsus tamen scientia ad rem. » BNVe, ms.It, IV, 636 (= 5497), f.°2. 38 BNVe, ms. It, IV, 636 (= 5497), f.°142.
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Fig. 17. – Parallélographe n°70 de l’Indice delle Macchine Musée d’Histoire de la Physique, Padoue. C. Le Gall.
de cet instrument qui permet la construction seulement si une des deux forces a une direction horizontale. Poleni créa alors un nouveau parallélographe (inventaire n°81) qui permettait de faire voir qu’un corps mû par deux forces qui agissent dans des directions différentes sur les deux côtés d’un parallélogramme décrit la diagonale du même parallélogramme39. Ce cours eut lieu dimanche 29 novembre 1744, le premier de l’année académique 1744-1745. Le cours précédent s’était conclu avec les premiers rudiments sur le mouvement composé. La leçon portait sur le parallélogramme des forces, les lois formulées par Varignon, Whiston et Gregory. Parmi les élèves de Poleni, se trouvaient les frères Memmo, Andrea Tirali, Lorenzo et Giordano Riccati, Simone Stratico, Tommaso Temanza et en Grèce, Iossipos Moisiodax qui commente la leçon du maître dans son livre40. Donc à la différence de Galilée et de tant d’autres, Poleni ne considéra jamais que l’enseignement académique constituait un obstacle à sa propre recherche mais fit le choix de conduire ses études et son travail expérimental dans la didactique. Dans son programme de cours d’architecture navale de 1757, Poleni déclare d’ailleurs : Et d’ailleurs, ces calculs sont, je pense, très importants pour enseigner la Science de la Navigation. Cependant si en outre le cours lui-même fournit, comme cela arrive, quelque trouvaille qui pourra, je crois, améliorer cette science, je l’ajouterai bien volontiers. 39 Le parallélographe n°81 n’est pas disponible. Cf. Indice delle machine con note di G. A. Salandin, p. 70. 40 I. Moisiodax, Apologia, Vienna, 1790.
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Fig. 18. – Lettres métalliques pour le cours, 1746, Coll. Poleni, Musée d’Histoire de la Physique, Padoue. S. Talas.
Fig. 19. – Manique en bois et métal servant à réclamer l’attention sur le point indiqué, 1746, Coll. Poleni, Musée d’Histoire de la Physique, Padoue. S. Talas.
La manique en bois et métal présente dans la collection pourrait illustrer le choix didactique de Poleni d’allier la voix et le geste pour expliquer certaines expériences : En effet notre art, tandis qu’on réalise des expériences, s’applique à l’ouvrage et à l’action, il exige parfois de sa propre nature que certaines expériences soient traitées par les mains, expliquées aussi par la voix et illustrées de telle sorte que les mains obtempèrent à l’esprit, de son côté la voix aux mains, et qu’un accord parfait intervienne entre l’action et la voix41. Poleni réfléchit au protocole de ses expériences selon un angle de « médiateur scientifique », de pédagogue. Il s’agit donc de faire percevoir par les sens de la vue, de l’ouïe et du toucher pour rendre la réflexion, la doctrina plus saisissable.
41 « Quamvis enim Ars nostra, dum conficiuntur Experimenta, in opere & actione versetur, suapte tamen natura aliquando postulat, ut quae manibus tractantur, etiam voce explicentur, illustrenturque ita, ut menti obtemperent manus, manibus autem vox, & inter actionem & vocem perfectissima convenientia intercedat. » Institutionum Philosophiae mechanicae experimentalis specimen, chap. xl.
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Que le philosophe ait le souci de ne pas offrir un spectacle trop plaisant ni au contraire, trop sérieux et trop grave, mais un spectacle d’un genre propre à flatter les caractères et l’instruction des deux groupes de l’assistance (autant que le permet la dignité du lieu et de l’art)42. Poleni fait allusion ici aux spectateurs qui apprécient le côté spectaculaire des expériences et les étudiants de philosophie mécanique expérimentale. En effet, les uns viennent assister à des spectacles expérimentaux pour l’agrément, d’autres pour s’instruire43. Poleni s’efforça de donner à ses étudiants une mentalité critique et scientifiquement correcte à l’égard de ses propres travaux ou de ceux d’autrui. Nous pouvons même à l’instar de M. L. Soppelsa conclure que l’expérience est la clef de voûte de l’œuvre scientifique mais aussi philologique de Poleni. La philosophie des expériences représente donc la clef de l’interprétation de l’activité complète de Poleni théoricien et expérimentateur, du Poleni hydraulicien et mathématicien, ingénieur et architecte, astronome et météorologue, historien et philologue44. Cette démarche inductive lui permet d’ailleurs de parvenir à la connaissance de Dieu, ce qui n’est pas sans rappeler la position du hollandais Bernard Nieuwentyt, auteur d’un ouvrage au titre explicite : L’Existence de Dieu, démontrée par les Merveilles de la Nature en Trois parties. Ou l’on traite de la Structure du Corps de l’Homme, des Elemens, des Astres, et de leurs divers effets (1727). Ce courant physico-théologique pour reprendre l’expression de Françoise Waquet45 rappelle celui du physicien et chimiste anglais Robert Boyle (1627-1691), Christian Virtuoso qui écrit : « Il y a tant de merveilles dans la création divine que plus un homme met en oeuvre de perspicacité dans la recherche, plus il a de chance de mettre au jour la beauté secrète et la profondeur des desseins de la Providence. » avant de conclure : « Un homme peut être un virtuoso c’est-à-dire un philosophe expérimental, sans trahir sa conscience de chrétien. » Cette idée se retrouve dans son discours inaugural : la notion de Dieu démiurge est préférée à celle de Nature nourricière et fondatrice. Mais pourquoi dis-je « de la nature » ? Il me faut parler de cet Esprit Divin Omnipotent qui a tout fondé et tout réglé d’un signe de tête46…
42 « Philosophus curet, ne spectaculum nimis jocosum, & contra ne nimis serium atque grave praebeat, sed ejusmodi, ut utriusque Adstantium generis moribus atque institutis (quantum loci atque artis dignitas patitur) blandiatur. » Ibid., chap. xlix. 43 « Nam alii delectationis gratia, alii studii caussa, experimentalia adeunt spectacula. » Ibid., chap. xlix. 44 « La’filosofia degli esperimenti’ rappresenta dunque la chiave d’interpretazione dell’intera e complessa attività del Poleni teorico e sperimentatore, del Poleni idraulico e matematico, ingegnere ed architetto, astronomo e meteorologo, storico e filologo. » Soppelsa , 1988, p. 69. 45 Waquet, 1997, p. 53. 46 « Sed quid, Naturae dico ? illius Omnipotentis Numinis, quod omnia condidit, & omnia nutu moderatur, dicendum est… » Institutionum Philosophiae mechanicae experimentalis specimen, chap. xlix.
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Comme Poleni l’exprime dans sa péroraison, le physicien semble donc rechercher un équilibre entre la raison scientifique [ratio] et la révélation divine [revelatio]. L’enseignement du Gymnasium de Padoue était, de toute manière, entouré d’un halo religieux. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à lire la profession de foi des professeurs nouvellement nommés à l’université de Padoue qui commence ainsi : D’une foi ferme, je crois et j’enseigne assurément toutes les choses, et chaque chose, qui sont contenues dans le symbole de la foi, qu’utilise la Sainte Église Romaine : je crois en Dieu unique, Père tout-puissant qui a fait le ciel et la terre, visible et invisible de tous47. ou encore consulter le calendrier de l’année académique affiché pour les étudiants et la liste des professeurs placardés dès le 3 novembre, date de la rentrée universitaire et tous deux précédés de formules liturgiques. Le discours de Poleni porte la marque de l’imprimerie du Seminario Vescovile de Padoue, qui constituait un centre culturel important pour les lettres et les sciences. Il fut également doté d’une bibliothèque par l’évêque Gregorio Barbarigo en 1670. Le prélat padouan, Mgr Barbarigo, s’était procuré des caractères grecs et orientaux, du papier et de l’encre de bonne qualité. La correction typographique, pointilleuse, était assurée par deux correcteurs mais aussi parfois par des professeurs et des élèves du Séminaire et de l’Université. Au début déficitaire, cette imprimerie devint rapidement rentable quand la vente des exemplaires imprimés fut confiée au libraire Manfré, qui tenait une boutique à Venise. La méthode de Poleni reposant à la fois sur la connaissance des anciens, des modernes et le perfectionnement des expériences issues du calcul, anime également ses trois traités latins primés par l’Académie Royale des Sciences de Paris dont nous proposons une traduction inédite.
47 « Firma fede credo et profiteor omnia, et singula, quae continentur in symbolo fidei, quo Sancta Romana Ecclesia utitur, videlicet : credo in unum Deum, Patrem omnipotentem factorem coeli et terras, visibilium omnium et invisibilium. » Archivio antico dell’università di Padova - Busta 570.
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Chapitre iv
Le contexte de la navigation
En 1739, le mathématicien – physicien – astronome Giovanni Poleni, futur titulaire de la chaire de construction navale à l’université de Padoue en 1756, est élu « Associé étranger » à l’Académie Royale des Sciences à Paris. Les écrits de Giovanni Poleni en tant qu’associé étranger furent publiés dans les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences communément appelés les « Mémoires des savants étrangers » ou dans le Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences. Il a obtenu, en 1733, un prix pour son mémoire intitulé De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques. En 1737, il a été récompensé pour sa réponse à la question « Quelle est la meilleure manière d’éprouver les ancres ? » avec une modeste troisième place, ex-aequo avec Daniel Bernoulli. En 1741, son essai sur « la meilleure construction du cabestan » a été récompensé en même temps que ceux de Jean Bernoulli, Ludot (avocat au Parlement) et un anonyme (mémoire n°14). Sa quatrième dissertation écrite en 1731 sur l’inclinaison de l’aiguille aimantée De praestantiore modo, quo acus magneticae declinatio a navigantibus possit determinari (publiée dans les Transactiones anglicanes) n’a pas, quant à elle, été récompensée. C’est Bouguer qui remporta la palme. Cependant, le traité de Poleni fut l’objet d’une publication dans les Transactiones Philosophicae de la Royal Society de Londres. Selon Gennari, auteur d’un éloge de Poleni écrit en 1839, le marquis Poleni propose dans cet essai, « un instrument de son invention et d’un usage facile ». À partir de 1741, la multiplication de ses occupations et une santé délicate l’empêchèrent de participer aux autres concours de l’Académie. Quel était le contexte de la navigation en France au moment de l’édition des sujets par l’Académie Royale des Sciences de Paris ? Quelles motivations animèrent le savant padouan à participer au Prix Rouillé de Meslay alors que Giovanni Poleni est très occupé par ses activités scientifiques dans la sphère locale vénitienne ? Nous présenterons les trois traités : organisation, nomenclature et solutions techniques, réception. Cette présentation précédera notre traduction en français des essais latins de Poleni. Dans la marine française de Louis XV, le nombre de vaisseaux était limité à 60. « L’étude des budgets et des constructions navales révèle que les choix français portaient en faveur de l’innovation dans la marine », écrit Patrick VILLIERS1 qui ajoute : Maurepas, secrétaire d’État à la Marine effectif depuis 1725 avait cherché à attirer l’attention de Louis XV sur les crédits insuffisants qui lui étaient accordés. De 1720 à 1740, le budget annuel de la Marine était d’environ 8 millions de livres, alors que
1 Villiers, 2015, p. 10.
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la Guerre en recevait 60. Le nombre de vaisseaux français ne cessa de décliner. Il passa de 50 à 38 mais, dans la réalité, à peine 20 vaisseaux étaient en état vers 1735. […] À partir de 1740, à la suite des hostilités entre l’Angleterre et l’Espagne, de nombreux vaisseaux de guerre anglais étant présents dans les Caraïbes, Maurepas vit ses crédits doubler. Il lança alors un programme de vaisseaux neufs sur des principes novateurs élaborés par Duhamel Du Monceau et envoya des divisions de trois à quatre vaisseaux de guerre pour protéger le commerce colonial et montrer le pavillon. […] Cette politique française permit au commerce colonial de se maintenir, les importations atteignant 51 millions de livres en 17432. Est-ce à dire qu’à l’origine des traités de Poleni se trouve la préoccupation régalienne des colonies ? En effet, le commerce est bien au fondement de la marine, comme l’écrit P. Villiers. Cette volonté de moderniser la marine participe de la pensée des Lumières. Sur un vaisseau français du xviiie siècle, le coffre du pilote comporte des plombs de sonde pour mesurer la profondeur et la nature du fonds3, des compas ou boussoles pour tenir le cap, des horloges ou ampoulettes qui indiquent les relèves de quart, la cloche du bord, des lochs pour mesurer la vitesse, des marteaux qui sont des éléments d’un instrument destiné à déterminer la latitude, qu’il s’agisse d’une arbalestrille ou d’un quartier de Davis, des cartes (le plus souvent hollandaises)4. L’octant apparaît en 1730 et vers la moitié du siècle, le sextant fait son apparition. La navigation se fait à l’estime qui « est un jugement qu’un maître pilote fait du lieu où est arrivé le navire, du nombre des lieues qu’il a faites depuis un tel lieu, ou combien il est esloigné de quelque endroit », écrit le Père Fournier en 16435. Les mémoires primés de Poleni s’inscrivent dans cette « mathématisation » de l’art de la navigation initiée notamment par Pierre Bouguer, lauréat en 1727, qui marque donc un changement intellectuel radical. On peut en mesurer le caractère radical en lisant cet extrait la préface du Traité du navire (1746) de Pierre Bouguer : « J’ai, pour ainsi dire, réduit le tout à la mesure ou à la balance, je l’ai rendu une affaire de calcul. » Mais comme Poleni le fait dans ses traités, l’auteur De la Manœuvre des vaisseaux (1757) envisage également des applications concrètes à ses calculs.
Intérêt stratégique de la localisation d’un vaisseau Pour présenter le traité : La meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques (1733), nous évoquerons les méthodes de navigation astronomique qui s’appuient sur la technique de la méridienne qui consiste à mesurer la hauteur maximale atteinte par le soleil dans sa course et à
2 Villiers, 2015, p. 120. 3 « On frote ce dessous du plomb avec du suif, & lorsqu’il vient à porter sur le sol ou le fond de la mer, il en enlève du sable, ou de la vase s’il y en a, & s’il n’en rapporte rien, c’est une marque que le fond est de cailloux ou de roche. » Dictionnaire de Marine hollandais de 1702, cité par Chaline, 2016, p. 75. 4 Chaline, 2016, p. 66-67. 5 Fournier, 1643, p. 706.
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relever l’heure exacte à laquelle l’astre a atteint ce point sur un chronomètre réglé sur l’heure de Greenwich (c’est-à-dire celle du méridien 0). Pour connaître sa longitude, il suffit de voir l’heure qu’il est, à ce moment-là, à Greenwich, une fois déterminé l’instant précis du midi6. On comprend donc la nécessité d’avoir un bon chronomètre. En 1766, Harrison obtint du Board of Longitude de Londres un prix de 14 000 livres pour une horloge dite H4. Et les Français Le Roy et Berthoud améliorèrent ensuite cette technique. Giovanni Poleni propose des mesures indépendantes des observations7 astronomiques mais décide de considérer deux éléments liés à la mécanique des fluides : le vent, le courant et la résistance de l’eau. En Europe, le « petit âge glaciaire » caractérisé par des étés frais et humides et des tempêtes fréquentes en hiver se situe entre 1550 et 1730. Ainsi, une mémorable tempête (« The Great Storm ») a frappé l’Angleterre et la Bretagne, les 7 et 8 décembre 1703. Jusqu’à la création d’une échelle par Francis Beaufort, officier dans la Navy, en 1805, l’appréciation du vent est à la fois subjective et empirique. Or on sait que le secteur méditerranéen de Giovanni Poleni est connu pour le caractère hautement aléatoire et imprévisible des régimes de vent. La machine pour mesurer la force du vent proposée par Poleni en 1733 est donc bien accueillie par l’Académie Royale des Sciences. Et pour comprendre l’opportunité de réfléchir à la force du courant correspondant à la deuxième machine du marquis padouan, on peut rappeler, en guise d’exemple, avec Olivier Chaline, la tragédie qui s’est déroulée au raz Blanchard entre le cap de La Hague et Aurigny. En 1692, après la bataille de La Hougue, livrée le 29 mai au nord-ouest de la pointe de Barfleur, c’est là que se joue le sort des vaisseaux de Tourville. Le combat fini, ils tâchent de profiter du jusant8 pour échapper à leurs adversaires deux fois plus nombreux en arrondissant les îles Anglo-Normandes. En milieu de nuit, une grosse brume recouvre la mer9. Le jusant venant à manquer, 13 vaisseaux sur 35 furent obligés de mouiller. Un témoin anonyme raconte : Mais comme le fond y était très mauvais, les ancres chassèrent et les courants nous firent tellement dériver que nous nous trouvâmes sous le vent des ennemis et séparés de nos vingt vaisseaux10. La machine pour mesurer le chemin d’un vaisseau de Poleni combine l’évaluation de la force du courant et la résistance opposée par le vaisseau. Aurait-elle pu empêcher cette tragédie ? On peut en douter. Olivier Chaline raconte la fin de cette fortune de mer due à la puissance des marées :
6 Le Brun in O’Brian, 2010, p. xxxiii-xxxv. 7 Le terme « observer » est utilisé pour désigner l’estimation, par plusieurs officiers rassemblés sur le pont du navire du moment où le soleil cesse de monter et entame sa descente. On procède à plusieurs observations pour établir des valeurs moyennes. De la hauteur observée du soleil, on déduit la latitude du navire. 8 Jusant : marée descendante. 9 Chaline, 2016, p. 36. 10 Chaline, 2016, p. 36.
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Désormais l’armée navale est définitivement scindée en tronçons incapables de se rejoindre. Si 20 ou 22 bâtiments parviennent à Saint-Malo puis à Brest, ceux qui n’ont pas pu passer à temps le raz Blanchard se trouvent à la fois renvoyés vers leurs poursuivants et, faute d’ancres, désormais incapables d’étaler les marées. Pour échapper aux ennemis, ils vont à la côte où ils finissent incendiés par des brûlots quelques jours plus tard, à Cherbourg puis à La Hougue11. Quand on consulte les Archives du Roi12, on découvre l’importance de cette question avec notamment les machines proposées par les sieurs Caze13 (1671) et Loyzelle14 (1750) pour empêcher la dérive des vaisseaux. La machine de Caze subit d’ailleurs un essai encourageant, le 16 juin 1671, dans la rade de Toulon, par M. Matharel et M. les Capitaines de Vaisseaux de sa Majesté.
Importance de l’ancre et du cabestan L’ancre est une pièce-maîtresse du navire pouvant jouer un rôle primordial et décisif lors d’une bataille navale. Au cours de la bataille de Marbella (21 mars 1705) pendant la guerre de Succession d’Espagne, la flotte franco-espagnole, commandée par Jean-Bernard de Pontis, s’oppose à la flotte anglo-néerlandaise, commandée par John Leake. Les navires français affrontent une violente tempête, dans la baie de Gibraltar. Plusieurs navires dérapent sur leurs ancres et sont dispersés. De Pontis ne dispose plus que de cinq bâtiments dans la baie… Le « levez l’ancre » est également stratégique : il n’est pas rare de devoir couper les aussières pour permettre au navire de démarrer plus rapidement après avoir abandonné une ancre au fond de l’eau. Or, tout ceci a un coût. Les concours de l’Académie Royale des Sciences portant sur l’ancre ou le cabestan anticipent la politique de Choiseul qui, en prévision d’une reprise de la guerre, fait stocker des quantités considérables de bois de construction, d’agrès, de munitions et de matériel. Choiseul fixe, en 1763, l’objectif ambitieux de porter la flotte à 80 vaisseaux et 45 frégates. Le sujet de 1737 sur les ancres intervient après que Versailles a engagé des dizaines de milliers d’hommes sur le Rhin et en Italie du nord contre l’Autriche : en 1735, on parle d’armer 20 vaisseaux. Versailles ne se préoccupait point du cabestan, « machine servile », « mal nécessaire ». « Ses défauts le rendaient quasiment inutilisable au combat », écrit Ph. Vassal15 qui évoque notamment les difficultés liées à l’emploi du cabestan. Lors du « dérapez » des ancres (pour les soulever des fonds), les 40 hommes se pressaient sur les barres du cabestan, l’effort était alors estimé à 3 fois le poids de l’ancre (les plus grosses pesaient 8000 £). La barre traversant la tête du cabestan devait être solide et donc coûteuse : elle était en hêtre.
11 Chaline, 2016, p. 37. 12 Archives nationales de Paris, MAR/D/1/24. 13 F.°31-42. 14 F.°85-88. 15 Vassal, 2009.
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Au début du xviiie, apparut Outre-Manche une nouvelle méthode ; les barres n’étaient plus traversantes. Leur extrémité était fixée dans la tête du cabestan. Plus courtes, à la même altitude, elles pouvaient être au nombre de 1016. Cette méthode moins coûteuse, développait une plus grande puissance : elle fut dite parfois « méthode des demi-barres » et le plus souvent « à l’anglaise ». La méthode « à la française » avec quatre barres traversantes présentait des défauts d’ergonomie incontestables. Remonter une ancre pouvait prendre quatre heures en raison de la descente de la tournevire17 (en trois ou quatre tours, ils arrivaient en bas de la cloche du cabestan). En cas d’appareillage urgent, on laissait filer le câble et on le sciait. L’ancre abandonnée était coûteuse, on pouvait espérer la récupérer en marquant sa position par un plateau de mouillage. Cependant, sa récupération était longue et aléatoire. La troisième difficulté réside dans les ruptures fréquentes de tournevires. En 1740, Duhamel du Monceau en charge de la construction navale organisa des démonstrations à Brest, Rochefort et Toulon pour déterminer la torsion optimale des cordes afin de convaincre les cordiers de moins les tendre18. « Une autre difficulté était liée à l’enjambement de la tournevire par les marins. Au cours de ce pas-là, l’appui était médiocre voire nul. La puissance perdue était d’autant plus importante que l’enjambement était haut. On diminuait la gêne en enroulant dans le sens adéquat19. » Cependant, la présence d’un homme-tendeur à proximité de la cloche empêchait la tournevire de glisser… mais constituait un nouvel obstacle pour les hommes poussant les barres. Les accidents liés à l’usage du cabestan n’étaient pas rares. Il est important d’ôter les barres du cabestan ou de les lier ensemble pour se prévenir des accidents causés par un linguet mal engagé. Les marins devaient bloquer le cabestan comme le vent avait forci20. L’enjeu d’une amélioration du cabestan est bien exprimé dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert : Un des grands inconvéniens du cabestan, c’est que la corde qui se roule dessus descendant de sa grosseur à chaque tour, il arrive que quand elle est parvenue tout-à-fait au bas du cylindre, le cabestan ne peut plus virer, & l’on est obligé de choquer, c’est-à-dire de prendre des bosses, de dévirer le cabestan, de hausser le cordage, &c. manoeuvre qui fait perdre un tems considérable. C’est pour y remédier que l’Académie des Sciences de Paris proposa pour le sujet du prix de 1739 ; de trouver un cabestan qui fut exempt de ces inconvéniens. Elle remit ce prix à 1741, & l’on a imprimé en 1745 les quatre pieces qu’elle crut devoir couronner, avec trois accessits. L’Académie dit dans son avertissement, qu’elle n’a trouvé aucun des cabestans proposés exempt d’inconvéniens. Cela n’empêche pas néanmoins,
16 Vassal, 2009. 17 Tournevire : cordage du cabestan. 18 « L’habitude prévaut sur les démonstration et l’expérience… On veut des cordages durs… quand ils sont devenus mous, on les condamne par habitude. » L’Art de la corderie, Duhamel du Monceau, 1769. 19 Duhamel du Monceau, 1769. 20 Bourgeon Fr., Bois d’ébène, Les Passagers du vent, tome 5, Paris, Delcourt, 12 bis, p. 202.
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comme l’Académie l’observe, que ces pieces, sur-tout les quatre pieces couronnées, & parmi les accessits, celle de M. l’abbé Fenel, aujourd’hui de l’Académie des Belles-lettres, ne contiennent d’excellentes choses, principalement par rapport à la théorie. Nous y renvoyons nos lecteurs. À la fin du xviie siècle, les phénomènes de frottement liés à l’emploi du cabestan n’avaient guère été étudiés. La construction d’un modèle de cabestan avec une cloche en verre permettra d’étudier le phénomène21. Le contexte diplomatique, géopolitique et économique de la navigation justifie donc la création du prix Rouillé de Meslay auquel participa Poleni à quatre reprises (avec trois succès).
21 Essai sur le cabestan, J. Bernoulli, 1741.
Chapitre v
Le Prix Rouillé de Meslay
En 1715, le conseiller au Parlement de Paris, Jean-Baptiste Rouillé de Meslay (16561715), formula ainsi les questions de navigation ou de longitude : « une méthode et règle plus courte et plus facile pour prendre plus exactement les hauteurs et les degrés de longitude en mer en des découvertes utiles à la navigation et grands voyages. » Le jury du prix « Rouillé de Meslay » de 1741 était constitué de 5 commissaires. Clairaut alla en Laponie pour mesurer la minute de la latitude et durant son voyage, eut plusieurs occasions de voir fonctionner un cabestan. Dortous de Mairan avait étudié en détail les aurores boréales… à partir des archives de l’observatoire de Paris et des observations de ses correspondants ! Il visitait fréquemment les ports pour appliquer sa méthode pour juger du fret des vaisseaux. Pitot est l’auteur de Théorie de manœuvre des vaisseaux. Camus avait répondu au précédent concours sur la mâture des vaisseaux la plus avantageuse. Enfin, Réaumur, extraordinaire touche-à-tout, avait étudié la fabrication des ancres, essentiellement sous l’angle métallurgique. Dans un souci de justice, les réponses étaient envoyées sans que figurât le nom de l’auteur. Celui-ci était identifiable grâce à une citation, le plus souvent latine, placée en exergue, du texte ; et à une enveloppe fermée contenant l’exergue et le nom de l’auteur. Enveloppe facultative : l’anonymat était autorisé, et assez fréquent. Triple lauréat des concours de l’Académie, Giovanni Poleni a donc obtenu : – en 1733, un prix de 2000 livres pour son mémoire intitulé « De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques », – en 1737, une récompense pour sa réponse à la question « Quelle est la meilleure manière d’éprouver les ancres ? » ex-aequo avec Daniel Bernoulli. Cette année-là, les 4000 livres étaient réparties sur trois questions : « Quelle est la figure la plus avantageuse qu’on puisse donner aux ancres ? » (l’essai de Jean Bernoulli est récompensé) et « Quelle est la meilleure manière de forger les ancres ? » (dont le lauréat est Trésaguet). – En 1741, son essai sur « la meilleure construction du cabestan1 » a été récompensé en même temps que ceux de Jean Bernoulli, Ludot (avocat au Parlement) et un anonyme (mémoire n°14). Le prix des 4000 livres a donc été partagé en quatre. Un accessit a été attribué à de Pontis (officier des galères, correspondant de l’Académie), Fesnel (chanoine de Sens) et Delorme (de l’Académie de Lyon).
1 De Ergatae Navalis praestabiliore, facilioreque usu, Dissertatio, Paris, Impr. Royale, 1741.
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Nous examinons ici les relations entretenues entre la sphère savante que constitue l’Académie Royale des Sciences de Paris et la société ou la sphère locale que nous allons représenter par une entité bicéphale : les académies de province et les ouvriers des chantiers. Nous partirons de la définition de l’expérience donnée par Lalande : « Une expérience est le fait de provoquer, en partant de conditions bien déterminées, une observation telle que le résultat de cette observation, qui ne peut être assigné d’avance, soit propre à faire connaître la nature ou la loi du phénomène étudié. »
Des Académies utiles à la société ? La première fondation de l’Académie Royale des Sciences de Paris (1666) obéit au principe d’utilité tel qu’il est formulé dans le discours de Samuel Sorbière, prononcé le 3 avril 1664 à l’académie de Montmort. Il propose au pouvoir monarchique de Colbert de financer une « académie physique où tout se passe continuellement en expériences ». Les sciences, écrit Sorbière2, doivent être la résultante d’un « judicieux mélange d’expérience et de raisonnement ». Cette académie devra donc comporter « une Boutique, une Forge et un laboratoire » autrement dit « un arsenal de Machines à faire toutes sortes d’expériences3. » Comme l’écrit Daniel Roche, « le succès de l’institution tient à cette association des aspirations de la communauté savante et des préoccupations utilitaristes de l’administration colbertiste4. » La création de l’Académie Royale des Sciences, destinée à contribuer à « l’ornement de la France » au regard des nations étrangères telles que l’Italie ou l’Angleterre, participe idéalement du « mercantilisme » de Colbert qui encourage le développement de la production manufacturière. Colbert avait demandé aux académiciens une enquête sur le travail et les procédés des ouvriers et si possible d’en améliorer la condition5. En effet, dès 1675, Louis XIV et Colbert invitèrent l’Académie des Sciences à écrire : un traité de mécanique où la Théorie et la Pratique fussent expliquées d’une manière claire et à la portée de tous ; on devait cependant séparer de la Théorie tout ce qui pouvait appartenir de trop près à la physique, tout ce qui pouvait faire naître de la dispersion ; on devait la renfermer dans une espèce d’introduction
2 Mazauric, 2009, p. 182. 3 Samuel Sorbière s’inspire du château de l’astronome Tycho Brahé, construit sur l’île de Ven au Danemark en 1576. On y trouvait des instruments inventés par Tycho Brahé, une imprimerie, un moulin à papier, un jardin médicinal, un laboratoire d’alchimie et des instruments d’observation stellaire à l’œil nu tels que sextant ou quadrant mural. Le château fut détruit après le départ de Tycho Brahé en 1597. En 1771, le savant parisien Jean Picard, missionné par l’Académie Royale des Sciences de Paris, se rend à Uraniborg afin de localiser les fondations du château pour mesurer la longitude de l’observatoire en vue de valider les calculs de Tycho Brahé. Dès 1667, Claude Perrault dirige la construction d’un observatoire : quatre ans plus tard, Jean-Dominique Cassini en devient le directeur. 4 Roche, 1993, p. 459. 5 Proust, 1965.
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à tout l’ouvrage. On décrirait ensuite dans l’ouvrage même toutes les machines en usage dans la pratique des Arts soit en France soit dans les pays étrangers6. Ce projet se concrétisa dans la collection des « Machines et inventions approuvées par MM. de l’Académie des Sciences ». Outre l’examen des Mémoires scientifiques soumis à leur jugement, les académiciens doivent vérifier si les machines et inventions nouvelles peuvent prétendre à l’obtention d’un privilège royal. Selon l’article xxxi du règlement de l’Académie Royale des sciences de 1699 : « L’Académie examinera, si le Roi l’ordonne, toutes les machines pour lesquelles on sollicitera des privilèges auprès de Sa Majesté. Elle certifiera si elles sont nouvelles et utiles, et les inventeurs de celles qui seront approuvées seront tenus de lui en laisser un modèle7. » En 1729, l’ingénieur maritime Jean-Gaffin Gallon sollicita l’autorisation de publier un recueil des machines approuvées par l’Académie pour « faire connaître au Public d’une manière un peu plus détaillée qu’elles ne le sont dans l’Histoire de l’Académie8. » Liliane Hilaire-Pérez écrit : Le principe d’utilité essentiel au xviiie siècle, est à l’origine de la complexité croissante des examens d’invention censés évaluer l’efficacité des inventions au nom des usages et des avis du public. Cette exigence favorise des communautés de pratiques entre savants, praticiens et autres usagers. Ils reposent sur des liens de légitimation réciproque entre la science académique et le pouvoir princier9. Selon les thèses libérales du Bureau du Commerce, les inventions participent d’une « politisation de la technologie ». Lors des examens, « il ne s’agit pas tant de censurer les projets inventifs que de juger de leur utilité économique et d’intégrer l’invention aux plans de développement industriels ». Les examens répétés longs sont réalisés sur des modèles en grand et on encourage la confrontation des témoignages. « L’épreuve ou cérémonie de la preuve est conduite par des académiciens dans des lieux dont le prestige politique – Tuileries ; hôtel de Mortagne – conforte la valeur de l’expérience10. » Des praticiens sont intégrés aux académiciens. Cette mixité de la technologie va de pair avec les ambitions civiques et patriotiques des académiciens. In fine, l’État accorde des aides pour suivre le devenir du produit. Louvois succédant à Colbert (mort en 1683) accentue la dimension « utilitariste » de la mission académique qui recouvre un champ à la fois politique et économique. L’académicien « utile » s’appuie sur un réseau de relations dans l’Administration d’État et collabore avec des ingénieurs au nom de l’utilité publique. Bernard Forest de Bélidor écrit, d’ailleurs, à ce propos : L’on conviendra que rien n’en serait plus utile qu’un bon livre dans lequel il (l’ingénieur) put acquérir une connaissance générale de toutes les parties de
6 Blay-Halleux Robert, 1998. 7 Augoc, 1889, p. lxxxix. Cité dans Demeulenaere-Douyère et Brian, 1999, p. 119. 8 Avertissement, Machines, I. p. 119. 9 Hilaire-Pérez, 1999, p. 311-313. 10 Rabier Ch., « Expertise » in Hilaire-Pérez, Simon et Thébaud-Sorger, 2016, p. 393.
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son métier, afin que, venant à passer d’une Place à une autre, il ne se présente rien dont il ne puisse avoir la conduite, dès qu’il joindra la Théorie à ce que la pratique lui apprendra11. Chez Bélidor, le passage à l’expérience extrait le calcul du discours savant, pour lui conférer une dimension prescriptive dans le champ de l’action. Mais Bélidor ne mène pas ses expériences dans un cabinet de physique comme celui de l’Académie mais à l’Arsenal de La Fère en présence de témoins : 20 ou 25 officiers d’artillerie de l’école de la Fère. Pourtant, le traité de Bélidor ne comporte nulle part le mot « utilité » et se contente de décrire par exemple, les moulins qui existent. Ce changement de lieu peut constituer une illustration de la constatation de Fontenelle qui déclare : « Il arrive souvent qu’une Machine qui réussit en petit ne réussit point en grand, et l’on ne manque pas de s’en prendre aussitôt aux imperfections et aux inconvénients inévitables de la Théorie. » L’Académie des Sciences s’inscrit bien dans la réalité quotidienne, pragmatique. Elle demanda au capitaine de génie, Coulomb, auteur des lois sur le frottement12, des expériences « faites en grand » et applicables aux poulies, cabestans et cordages utilisés dans la Marine. D’ailleurs, en 1764, c’est le lieutenant-général de police de Paris, Sartine, qui propose le sujet du Prix Académique : il porte sur les meilleurs moyens d’éclairer les grandes villes. On constate l’amenuisement progressif des mathématiques au profit de la physique : l’empirisme semble préféré à la théorisation. L’enracinement local des « amateurs », membres des académies provinciales, les maintient dans une conception utilitaire de la science. Mais les ouvriers sont rétifs à laisser les savants s’approprier leurs procédés par peur de la cupidité manifestée par certains académiciens. Ainsi, profitant du procédé inventé par Réaumur pour faire des ouvrages en fer fondu à bon marché, les ouvriers du laboratoire de l’Académie fabriquent des ouvrages qu’ils vendent à un prix certes inférieur aux prix prohibitifs pratiqués antérieurement mais très supérieurs au juste prix autorisé par le nouveau procédé13. Réaumur souhaite un renforcement de la position du savant et aspire à fortifier le statut d’Officier savant au service de l’État. L’attribution des offices se ferait au nom de la compétence. « On pourrait même donner à l’Académie une espèce d’inspection sur tous les Arts mécaniques, qui, sans leur être à charge, contribuerait extrêmement à leur progrès14 », suggère Réaumur. L’Académie Royale des Sciences constitue un instrument de légitimation de projets individuels ou étatiques. Roger Hahn écrit :
11 Bernard Forest de Bélidor, La science des ingénieurs dans la conduite des travaux de fortification et d’architecture civile, Paris, 1729, préface. 12 « Coulomb découvre que pour tirer sur un plan horizontal un fardeau de poids donné, il faut dépenser une force proportionnelle à ce poids, augmentée d’une petite constante dépendant de la cohérence des surfaces. » cf. Taton, 1958, p. 472. 13 Licoppe, 1996, p. 123. 14 « Réflexions sur l’utilité dont l’Académie des Sciences pourroit être au Royaume ; si le Royaume luy donnoit les secours dont elle a besoin » manuscrit contenu dans le dossier Réaumur, Archives de l’Académie Royale des Sciences, p. 4.
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Dans une époque de plus en plus matérialiste, il était judicieux d’exagérer les contributions concrètes réalisées par l’organisation scientifique même si les motivations de la recherche étaient ignorées du grand public. En répétant l’argument utilitaire aussi souvent, les Académiciens se sentaient responsables, pour convaincre le public, de ce que leur fonction reposait sur un rôle de consultants technologiques. Si ce rôle pouvait être assumé par une autre agence, alors la raison officielle de l’existence de l’Académie disparaîtrait. De tels dangers n’étaient pas vraiment perçus par de nombreux académiciens qui commençaient à déplorer ce temps gaspillé à travers ces tâches de consultants. C’était comme s’ils perdaient leur identité en tant qu’enseignants à devenir des fonctionnaires, un rôle pour lequel ils n’étaient pas psychologiquement préparés. Les projets technologiques arrivent habituellement à l’Académie en étant issus de deux sources. L’une était constituée par un particulier qui, en quête de gloire personnelle et de gain financier, a besoin du label officiel et public d’approbation par l’Académie. L’autre venait du gouvernement qui avait constamment besoin de jugements professionnels pour cautionner des décisions administratives. La charge de travail des Académiciens s’est considérablement accrue après 1750 comme l’attestent les archives du Bureau du Commerce, les procès-verbaux des séances de l’Académie et le nombre d’inventions réussies en France au xviiie siècle. Il faut noter d’ailleurs que le type de projets soumis subit un changement du fait qu’ils associaient la navigation et la cartographie avec des problèmes requérant des connaissances en chimie, métallurgie et minéralogie15. Ainsi, les projets liés à l’aristocratie et au luxe tels que les instruments de musique, les automates ou les planétariums et autres fontaines d’ornement sont remplacés par des projets plus proches des préoccupations du peuple et du philanthropisme des Lumières comme des machines liées par exemple à la purification, au transport et au stockage de l’eau. On assiste donc au passage d’une Académie centripète à une Académie centrifuge comme le montrent les nouveaux usages du mémoire savant. De 1715 à 1720, le Journal des Savants aspire à remplir quatre objectifs : proposer les notices de livres nouveaux parus dans l’Europe savante, rédiger les éloges des savants décédés, résumer les expériences et les découvertes de physique (ou philosophie naturelle) et publier les « principales décisions des tribunaux séculiers et ecclésiastiques, les censures de Sorbonne et des autres universités, tant de ce royaume que des pays étrangers. » Mais, en 1699, ce périodique n’est plus sollicité pour publier les mémoires des savants. Aussi peut-on lire dans le « Règlement ordonné par le Roi pour l’Académie Royale des Sciences16 » qu’« à la fin de Décembre de chaque année, le secrétaire donnera au public un extrait de ses registres, ou une histoire raisonnée de ce qui se sera fait de plus remarquable dans l’Académie ». Le secrétaire de l’Académie Royale des Sciences, Fontenelle fait paraître les comptes rendus dans des volumes bipartites : dans l’Histoire de l’Académie des Sciences, Fontenelle résume et
15 Hahn, 1993, p. 118. 16 Histoire de l’Académie Royale des Sciences, 1699.
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commente les travaux marquants de l’année puis la seconde partie intitulée Mémoires de l’Académie des Sciences présente une sélection de mémoires originaux, lus en séance et extraits des registres. La première partie s’adresse plutôt aux amateurs tandis que les mémoires très spécialisés de la seconde partie sont destinés aux « vrais » savants. L’Académie Royale des Sciences contribue à la parution des Observations curieuses sur toutes les parties de la physique, extraites et recueillies des meilleurs Mémoires (Paris, 1719) à partir des mémoires parus dans les principales revues européennes et encourage la traduction en français de L’Opticks de Newton par Coste mais aussi des publications destinées à une élite professionnelle comme L’art de convertir le fer forgé en acier de Réaumur ou encore Le nouveau cours de mathématique à l’usage de l’Artillerie et du Génie de Bélidor. Dans la « République des Lettres17 » rebaptisée « République des Sciences », on constate donc une démarche de vulgarisation des sciences avec la publication d’ouvrages tels que celui de Fontenelle, Entretien sur la Pluralité des mondes (1686) ou des Institutions de Physique de Madame du Châtelet (1740) qui destine ses cours à son fils. Le Père Castel souhaite mettre « à la portée du commun des physiciens », la physique de Newton grâce à son ouvrage intitulé Vrai système de physique de M. Isaac Newton, publié en 1743.
Le rôle des Académies dans l’essor de la technologie maritime Les projets concernent également les conditions de la navigation afin d’améliorer le sort des marins18 mais aussi l’efficacité de la marine pour la guerre et le commerce. Les questions navales sont au cœur de la politique scientifique de l’époque de Louis XV. Il s’agit de rivaliser avec les anglais soucieux de déterminer avec précision la longitude d’un navire. Un acte célèbre du parlement anglais, arrêté en 1714, fut pris sur l’initiative du philosophe et mathématicien anglais Whiston, ami de Newton. Cet acte, approuvé par la reine Anne Stuart le 20 juillet 1714, offrait des récompenses de 10 000, 15 000 et 20 000 livres à ceux qui détermineraient la longitude d’un navire à 1°, 0,75° ou 0,5° près après une traversée de 42 jours (ce qui correspondait à un voyage moyen jusqu’en Amérique ou aux Indes Orientales). Cet acte eut un immense retentissement outre-manche. Ainsi, en 1715, le conseiller au Parlement de Paris, Rouillé de Meslay, légua à l’Académie Royale des Sciences un fonds de 2000 livres pour des prix proposés tous les deux ans sur des questions de navigation ou de longitude. Il appert que la majorité des dissertations couronnées entre 1720
17 Pour définir cette notion de « République des lettres », Robert Halleux (2001, p. 149), cite Vigneul-Marville qui, en 1701, écrit dans ses Mélanges d’Histoire et littérature : « Elle est composée de gens de toute nation, de toute condition, de tout âge, de tout sexe […]. On y parle toutes sortes de langues vivantes et mortes. Les arts y sont joints aux lettres, et les mécaniques y tiennent leur rang, mais la religion n’y est pas uniforme et les mœurs, comme dans toutes les autres républiques y sont mélangées de bien et de mal. » 18 Ce souci obéit à l’élan philanthropique des Lumières mais aussi à des impératifs économiques, la vie d’un marin ayant un coût…
l e pri x ro u i llé d e me slay Liste des lauréats et des sujets proposés par l’Académie Royale des Sciences en rapport avec la navigation
Titre
Auteur
Année
Prix
Conserver sur mer l’égalité du mouvement d’un pendule soit par la construction de la machine ou par sa suspension Conserver sur mer l’égalité du mouvement des clepsydres ou sabliers Mâter les vaisseaux Observer les hauteurs sur mer soit par le soleil soit par les étoiles Observer sur mer la déclinaison de l’aiguille aimantée Mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques Former ( J. Bernoulli), forger (Trésaguet), éprouver les ancres (D. Bernoulli et G. Poleni) Question sur le Cabestan reporté en 1741. Sur le flux et reflux de la mer
Nicolas Massy
1720
500 £
Daniel Bernoulli
1725
2000 £
Pierre Bouguer et Camus Pierre Bouguer
1727 1729
2000 £ 2000 £
Pierre Bouguer
1731
2000 £
Giovanni Poleni
1733
2000 £
Jean et Daniel Bernoulli, Trésaguet, G. Poleni
1735-1737 4000£
Pas de lauréat Antoine Cavalleri, D. Bernoulli, Mac Laurin et Leonhard Euler Giovanni Poleni, Jean Bernoulli, Ludot (avocat au parlement) et un auteur anonyme Daniel Bernoulli et L. Euler Daniel Bernoulli
1739 1740
0
1741
4000£
Sur le cabestan
Boussoles d’inclinaison Trouver l’heure en mer (jour, nuit, crépuscule) et Essai d’Horolepse nautique, anonyme. Déterminer courants, forces et directions. Daniel Bernoulli Suppléer à l’action du vent sur les grands Daniel Bernoulli vaisseaux, Diminuer le roulis, tangage Simon-Pierre Chauchot et Pierre Bouguer Résister au roulis, tangage et en diminuer L. Euler et A. Groignard les effets. (constructeur des navires du roi)
1743 2000 £ 1745-1747 1749-1751 2000 £ 1753 1755-1757 1759
et 1792 concerne des questions en rapport avec l’astronomie (pour aider à trouver la position d’un navire), les boussoles et le mouvement du bateau ou sur le bateau (cabestan et ancre).
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Machines et inventions approuvées par l’Académie royale des Sciences, répertoriées par Gallon depuis 1666 jusqu’en 1754
Nom des machines
Inventeur
Année
Machine pour empêcher que les gros câbles d’ancres ne soient facilement rompus Manière d’empêcher les vaisseaux de se briser lorsqu’ils échouent Rames tournantes Manière de relever les vaisseaux submergés Cabestan pour l’usage des vaisseaux Cabestan à lanternes Machine pour tirer les vaisseaux à terre Machine pour remonter les bateaux Machine pour remonter les bateaux Trois manières de faire agir des rames Manière de tirer les vaisseaux à terre Machine pour tirer les vaisseaux à terre, telle qu’elle est en usage à Brest Manière de réunir en une seule rame les propriétés de plusieurs Moyen de mettre un vaisseau sur la cale, telle qu’elle est construite dans le port de Toulon Moulin pour faire agir les pompes d’un navire Machine pour remonter les bateaux Manière de charge et décharger un vaisseau Application de la mécanique du chariot à voiles à un vaisseau Montre pour la mer Moyen de garantir du naufrage les bateaux qui passent sous les ponts Machine pour dessaler l’eau de mer Horloge pour mesurer le chemin d’un vaisseau Machine pour prendre hauteur en mer
M. Perrault
1699
M. Huygens
1699
M. Du Quet M. Le Baron de Redingues M. De La Madelaine M. De Bourges M. Du Mé M. Martenot M. Du Quet M. De Camus M. Blanchart Anonyme
1699 1700 1702 1702 1702 1702 1702 1703 1703 1703
M. Martenot
1703
M. De La Hire
1703
M. Du Quet M. Lavier Père Ressin Du Quet
1707 1707 1714 1714
Sully M. Figuiere
1716 1717
M. Le Large M. Pourchef M. Meynier
1717 1719 1724
M. Sully Chevalier d’Albert M. Boulogne M. Caron M. de Gamaches M. De Clairaut
1724 1724 172 172 172 1727
Horloge pour mesurer le temps en mer Méthode pour trouver les longitudes Deux machines pour remonter les bateaux Machine pour remonter les bateaux Pratique du jaugeage Planchette ou instrument trigonométrique qui sert d’astrolabe et de quartier de réduction pour lever la carte d’un pays, pour jeter des bombes, pour prendre la hauteur des astres, pour résoudre les routes de navigation sans calcul avec presque autant de précision et plus promptement que si l’on se servait des tables de logarithmes
l e pri x ro u i llé d e me slay
Nom des machines
Inventeur
Année
Instrument pour prendre hauteur en mer Machine pour suspendre des instruments en mer Machine pour remonter les bateaux Machine pour prendre hauteur en mer Deux machines pour remonter les bateaux Nouvel instrument pour observer les hauteurs en mer Machine pour mesurer le chemin que fait un vaisseau Machine pour faire mouvoir les rames d’une galère Instrument pour prendre hauteur en mer Machine pour mesurer la force des vents de la mer Machine pour remonter les bateaux Échappement à ancre Rame tournante Moyen pour pratiquer des abords faciles aux ponts de bateaux construits sur des bras de mer ou sur des rivières dans lesquels le flux et le reflux se font sentir.
M. De Montigny M. De Montigny M. Du Quet M. *** M. le Comte de Saxe M. De Grandjean M. Dubuisson M. Limousin M. Quereineuf M. Bouvet Père Duvivier M. Gallonde M. l’Abbé Masson M. Pommiers
1727 1727 1729 1729 1732 1732 1732 1733 1733 1733 1734 1742 1745 1753
Part des inventions liées à la navigation
Tome
Années
Nombre total de machines
% machines liées à la navigation
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1666-1701 1702-1712 1713-1719 1720-1726 1727–1731 1732-1734 1734-1754
57 65 70 68 41 60 68
7 21 8,57 8,82 12,19 11,66 4,41
La liste des machines et inventions approuvées par l’Académie royale des Sciences, répertoriées par Gallon depuis 1666 jusqu’en 1754 montre une progression de la conception des machines en lien avec la navigation. Le pic du graphique dans les années 1702-1712 correspond à des inventions de machines destinées à remonter les bateaux. C’est l’État qui assigne des objectifs précis à l’Académie comme le montrent les recherches menées par Réaumur19 sur les produits ferreux et les ancres marines. Le projet de Réaumur consiste à faire remonter le savoir local dans les sphères savantes
19 L’art de convertir le Fer forgé en acier et l’art d’adoucir le Fer fondu, ou de faire des ouvrages en Fer aussi finis que de Fer forgé, Paris, Brunet, 1722.
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Fig. 20. – Nombre de machines liées à la navigation approuvées par l’ARS. C. Le Gall.
au service de l’État. Réaumur20 critique le goût du secret des ouvriers, préjudiciable à la société et demande aux physiciens de quitter leurs cabinets pour descendre dans les échoppes et les ateliers afin de reprendre à leur compte, rendre plus sûrs et diffuser dans la communauté savante, les procédés des artisans, en promettant aux premiers qu’ils profiteront de cette appropriation à travers de nouveaux sujets de recherches et de nouvelles découvertes21. La création des académies de Marine tente également de favoriser ce mouvement ascendant du savoir local vers les sphères savantes. Les années paires, le jury du concours Rouillé de Meslay pose des questions « sur le système du monde et en général sur l’astronomie physique » et les années impaires « des questions sur des objets relatifs à la navigation et au commerce ». Les sujets traitent en majorité de la problématique de la longitude mais aussi des réalités maritimes diverses telles que l’ancrage, l’arrimage, les vents et courants ou
20 « Expériences montrant avec quelle facilité le Fer et l’Acier s’aimantent, même sans toucher l’Aimant » Mémoires de L’Académie Royale des Sciences, 1723, p. 82. 21 Licoppe, 1996, p. 123.
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le levage des charges. À cet art de la navigation empirique qui avait cours jusqu’au règne de Louis XIV, des savants substituent donc une véritable science, à la croisée de plusieurs autres : astronomie, hydrographie, cartographie, mathématiques, géographie. La « Relation de voyage » du marin aventureux (xviie siècle) disparaît peu à peu au profit du « traité de navigation » à portée scientifique. La création de collèges maritimes soulève des critiques. Ainsi, Arnoult, intendant de la marine pense qu’il vaut mieux recruter les équipages « sur la réputation qu’ils s’étaient acquise dans les vaisseaux marchands où il se trouve quelquefois des occasions aussi chaudes que dans la guerre. » Comme le remarque Roger Hahn22, l’Académie des Sciences représente un modèle pour l’Académie de Marine créée à Brest en 1752. La bibliothèque de cette dernière comporte d’ailleurs 140 volumes édités par l’Académie Royale des Sciences de Paris ainsi que 113 numéros du Journal des savants (jusqu’à 1790). La création de l’Académie de Marine à Brest est liée à la signature du traité d’Aix-la-Chapelle signé en 1748 qui laisse quelque loisir aux officiers. La multiplication du nombre des « académies » dans la première moitié du xviiie siècle, l’intérêt accru pour les sciences et la naissance d’un nouveau type d’officier plus curieux et plus savant23 contribuent à la création d’une telle académie qui souligne la nécessaire soumission de la théorie à la pratique voulue par le ministre Rouillé : La théorie et les principes mathématiques infiniment utiles à la navigation et dont on ne peut trop faire sentir la nécessité ne peuvent jamais servir que de baze et d’introduction pour faciliter la pratique et l’asseurer d’avantage ; c’est cette pratique qui peut seule former les grands hommes et il est de la dernière importance qu’un officier n’imagine pas, lorsqu’il peut conduire un vaisseau et avoir les parties essentielles du commandement24. Dans son discours de séance inaugurale, le 31 août 1752, le capitaine de vaisseau Bigot de Morogues déclare : Prévenue que la théorie sans l’expérience ne navigue et n’opère sans danger que dans le cabinet et que l’expérience sans la théorie est longue, incertaine et dispendieuse, enfin qu’elle n’est ordinairement qu’un tâtonnement aveugle qui retarde le progrès des arts, [l’Académie] réunira ces deux parties et les rendra à jamais inséparables. Il fixe les objectifs à suivre par les académiciens : […] les uns en figurant le globe que nous parcourons, les autres en cherchant de nouvelles méthodes de trouver les longitudes, plusieurs en perfectionnant les instruments dont nous nous servons, quelques-uns en décrivant les courbes qui modèlent nos vaisseaux, en appréciant ou calculant les forces qui font leur stabilité ou qui déterminent leurs mouvements, d’autres encore en tentant les moyens précieux de conserver la santé des équipages. 22 Hahn, 1993, p. 105. 23 Roche, 1978. 24 Arch. Marine Brest, 1 E 97 (6-11-1749).
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L’Académie de Marine devait être considérée comme « une académie générale pour tous les ports quoyqu’établie particulièrement à Brest25. » D’ailleurs, parmi les membres de l’Académie de Marine, 32 résident à Brest, 15 à Rochefort, 12 à Versailles ou à Paris, 9 à Toulon, 4 à Marseille, Dieppe, Hennebont et la Charité-sur-Loire. Placée sous la protection du secrétaire d’État à la Marine, l’Académie de Marine devait être composée de 75 membres dont dix académiciens honoraires choisis « parmi les principaux officiers de la marine et les personnes recommandables par leur intelligence dans les mathématiques et la physique ou qui auront des connaissances utiles à la Marine. » On compte des commissaires et écrivains de la Marine, des ingénieurs, des constructeurs, des professeurs ou des médecins. La devise de l’Académie de Marine en 1769 traduit bien cette polyvalence : « Per Hanc Prosunt Omnibus Artes » (« À travers Celle-ci, les Arts sont mis au service de Tous. ») Le règlement de l’Académie de Marine compte 35 articles dont celui-ci : L’académie commettra quelques-uns de ses membres pour lire les ouvrages importants de physique, de mathématiques, de navigation ou relations de voyage qui paraîtront, soit en France ou ailleurs. (art.24) Les académiciens sont « exhortés à étendre leurs recherches sur tout ce qui peut être utile ou curieux dans les autres parties des mathématiques et de la physique ou relativement aux arts aussi bien que l’histoire naturelle… » Le programme proposé par le commissaire Le Roy consiste à faciliter les moyens d’instruction en divulguant les connaissances de détail qu’un silence coupable concentrait entre les mains d’un petit nombre, s’attacher à détruire toutes les parties défectueuses et tous les usages nuisibles, perfectionner toutes les branches de la Marine appartenant aux sciences, examiner ce que les autres marins ont de bon pour se l’approprier et de défectueux pour en tirer avantage. Le projet d’un dictionnaire de marine (non abouti) souhaite valoriser le savoir local des ouvriers en le fixant, comme le déclare Le Roy, membre de l’Académie, en 1769 : Il semble qu’on ait dédaigné traiter expressément de petits objets moins honorables pour celui qui s’en occupe que les ouvrages théoriques où l’on s’élève aux spéculations de la haute géométrie, mais qui néanmoins seraient souvent d’une utilité sinon aussi générale, au moins plus directe et plus prochaine. […] Il est mille détails qui, par leur petitesse, échappent aux yeux de ceux qui ne s’en occupent pas journellement. Car il faut rendre justice en tout genre à la pratique, livrée à elle seule. Que de choses dans les métiers ne sont bien connues que des ouvriers ! On l’éprouvera plusieurs fois en travaillant aux diverses branches de la marine et les personnes les plus instruites regretteront souvent de ne pas être initiées dans la routine obscure et la pratique grossière des ouvriers. Il avait été même question de publier un dictionnaire prenant en compte les différents termes des différents dialectes des ports français26. À la fin de l’Ancien
25 Arch. Marine Brest, 1 E 145 (4-6-1752). 26 Boudriot, 1987, p. 147-156.
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Régime, ces petites académies de province représentent bien des salles d’attentes avant l’entrée dans la grande… Ainsi le siècle des Lumières est-il marqué par des interactions fécondes entre la sphère savante et la sphère locale (Paris / Province), le monde des théoriciens et celui des praticiens, l’univers des mathématiciens et celui des physiciens, ou entre les savants aristocrates et les ouvriers.
Les motivations de Poleni pour son élection à l’Académie Royale des Sciences de Paris Avant d’évoquer l’élection de Poleni à l’Académie Royale des Sciences, nous pouvons présenter les atouts de l’Académie Royale des Sciences en citant Daniel Roche27 : Trois traits permettent d’assurer le succès de l’Académie. D’abord, un recrutement dont les principes distinguent honoraires, pensionnaires, associés adjoints, correspondants, conciliant la reconnaissance progressive des compétences sous le regard de riches amateurs. Ensuite, le refus de l’esprit de système : l’Académie ne tranche pas entre cartésiens et newtoniens, elle ne dicte pas un dogme, elle prescrit avant toute chose de respecter l’observation et fonde le progrès de la science sur l’accumulation des faits, l’enquête préalable à l’interprétation. Enfin, l’institution royale a choisi d’arbitrer la qualité de découvertes individuelles plutôt que de développer un effort collectif qu’on saisit seulement dans les publications. […] Au total, l’Académie offre deux atouts essentiels à plusieurs formations disciplinaires : elle établit dans une fonction, elle donne un commencement à voir, en même temps qu’elle instruit et forme en parlant ceux qu’elle instruit. L’élection à l’Académie Royale des Sciences est donc vue comme une reconnaissance et l’intégration à une élite. La course à l’Académie constitua-t-elle pour Poleni un ascenseur social ? « C’est qu’en Italie, remarque Françoise Waquet, le savoir n’était guère utile pour s’élever, pour obtenir des charges, des emplois ; les intrigues, les manœuvres favorisaient plus sûrement les ambitions28. » Pourquoi Poleni a-t-il participé aux concours de l’Académie Royale de Paris ? Les motivations liées au caractère de Giovanni Poleni s’allient à des motivations plus professionnelles avec une mise en œuvre d’un véritable réseau de relations sociales propices à l’élection de Poleni à l’Académie Royale des Sciences. Celle-ci peut s’intégrer au projet d’amélioration de la technique des arsenaux navals de Venise aboutissant à la création d’une chaire d’architecture navale voulue par les dirigeants vénitiens. « L’approbation de l’Académie procure un capital symbolique à l’inventeur et constitue une garantie favorisant l’obtention ultérieure de financements, voire l’octroi d’un privilège, et la confiance
27 Roche, 1993, p. 460. 28 Waquet, 1989, p. 44.
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du public29. » Selon Fabroni, la raison de la nomination de Poleni en tant qu’associé étranger semble bien liée au talent dont fait preuve ses dissertations primées : Il n’est pas besoin de dire combien de suffrages ces dissertations rapportèrent à Poleni quand en 1739, il fut élu à l’Académie au sein de Paris, parce que son prix est jugé comme étant le plus important de tous sur le plan théorique. L’entrée de ces huit étrangers dans ce sanctuaire de l’intelligence est interdite à tous ceux qui n’ont pas produit de textes originaux ayant trait à la théorie physique ou mathématique. Sont proposés des prix à ceux qui ont créé une innovation ou par des ajouts à des inventions déjà existantes, ont conféré à celles-ci une grande utilité et ceux qui ont été dotés d’un seul prix, semblent avoir été dotés de l’immortalité30. Le caractère novateur constitue, en effet, un critère de la reconnaissance académique si l’on se réfère au procès-verbal de la séance du mercredi 26 janvier 1741 à l’Académie des Sciences qui justifie les prix accordés aux quatre lauréats. Même si aucun lauréat n’a procuré à l’Académie « le cabestan qui eût les avantages de l’ancien sans en avoir les défauts »… Outre qu’on y a proposé des cabestans nouveaux, ingénieusement imaginés et utiles au moins, dans certains cas, on y a donné des théories qui peuvent conduire à perfectionner les manœuvres de l’ancien cabestan. Il semble aussi que Poleni ait souhaité mettre son talent au service des autres et que sa motivation à participer aux concours soit d’ordre philanthropique. Selon Pietro Cossali, Giovanni Poleni se déplaçait sur les quais et montait sur les bateaux pour réfléchir à une navigation à la fois plus efficace et plus confortable pour les marins, réflexion qui aboutira aux trois dissertations sur le cabestan, les ancres et le loch. Nous avons laissé notre Poleni sur les ports, nous le voyons maintenant sur les navires, absorbé à examiner, pour le bien de la navigation et du commerce, de quelle manière les timoniers pourraient mesurer le voyage fait par le navire sans observations d’étoiles ; quelle est la forme la plus avantageuse l’on doit donner aux ancres, l’excellente façon de les construire, et celle d’en éprouver la force ; la manière d’améliorer le cabestan qu’il est d’usage d’utiliser sur les navires depuis très longtemps31.
29 Bret P. et Thébaud-Sorger M. in Hilaire-Pérez L., Simon F. et Thébaud-Sorger M., 2016, p. 379. 30 « Quantum haec suffragarentur laudibus Polenii, nihil attinet dicere, cum is an mdccxxxix in academiam ipsam Parisiensem lectus fuerit, quod ex omnibus praemiis doctrinae amplissimum esse existimatur. Octo enim exteris viris aditus tantum modo est in id sapientiae sacrarium praecluditur iis omnibus, qui singularia non dederint doctrinae aut physicae aut mathematicae documenta. Proponuntur et praemia qui aliquam rem novam invenerint, aut inventis addendo magnam attulerint utilitatem et qui uno donantur, immortalitate ipsa donati esse videntur. » Fabroni, 1778, p. 96. 31 « Abbiamo lasciato il nostro Poleni sui porti di mare, passiamo a verderlo sulle navi intento ad esaminare a beneficio della navigazione e del commercio in qual miglior maniera possano i nocchieri senza osservazioni di stelle misurare il viaggio dalla nave fatto ; qual sia la più vantaggiosa forma da darsi alla ancore, l’ottima maniera di fabbricarle, e quella di provarne la fortezza ; quale ammetta miglioramento l’argano da lunghissimo tempo solito usarsi sulle navi. » Cossali, 1813, p. 57.
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À la lecture des prologues des traités de Poleni, on peut constater la récurrence d’un terme familier aux Académiciens et légitimant les concours : « l’utilité ». La difficulté liée au sujet doit être levée par des calculs mathématiques pour rendre l’invention utile aux hommes. Dans son traité De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques (1733), Poleni écrit : En effet, dans ce but, on découvrirait et mettrait en œuvre des techniques vraiment adaptées, qui non seulement seraient utiles mais aussi qui rendraient des services pour tous les temps : elles devraient être employées soit quand le ciel est nuageux soit en plein jour. Mais, outre l’utilité qui réussit très bien à recommander l’enquête proposée, s’ajoutent deux autres raisons qui font qu’une proposition de ce genre doit être complètement recommandée ; parmi celles-ci, l’une est la difficulté de la chose… S’il apparaît même d’aventure qu’à cause de sa propre nature trop compliquée, il n’est pas possible de trouver une technique parfaite s’appliquant à toutes les distances, pour que le sujet lui-même soit complètement développé et accompli selon le même calcul grâce auquel sont obtenues des mesures effectuées sur sol stable, il faut pourtant, essayer de toutes ses forces que soit parfaitement connue la nature des techniques qui sont retenues, que soient sélectionnées les applications plus utiles de ceux-ci, que soient reléguées celles qui sont moins utiles, que soient ajoutées à ces applications plus idoines de nouvelles techniques qui semblent pouvoir être adjointes avec profit. Pour tous ces sujets (si je ne m’abuse complètement), on ne doit plus s’abandonner aux observations au point qu’on ne prête plus attention d’abord à ce qui serait d’un très grand profit dans l’emploi difficile et l’exercice pour maintenir le cap des vaisseaux. Dans ses Dissertations latines sur les ancres qui répondent aux trois questions de l’Académie : « Quelle est la meilleure manière d’éprouver les ancres ? » « Quelle est la figure la plus avantageuse qu’on puisse donner aux ancres ? » « Quelle est la meilleure manière de forger les ancres ? » (1737), Poleni souligne également l’importance des sciences pour améliorer les conditions de navigation. […] nous pourrions dire que la théorie de la Navigation alors enfin sera parfaite en tous les aspects quand, un par un, les membres formés et parfaitement finis auront été préparés pour composer pour ainsi dire un corps unique. Et assurément, cette réflexion et ce soin furent très dignes de l’ingéniosité et de la sagesse de l’Illustre Académie Royale des Sciences qui, non seulement par elle-même, augmente et perfectionne les sciences utiles, au premier chef, à la vie humaine, mais aussi aux autres, tantôt fournit en abondance le meilleur calcul dont elles seront équipées tantôt à cela même, ajoute les encouragements les plus louables. Et s’il est des accessoires d’accastillage à même d’exiger une considération attentive, ce sont assurément les ancres dont dépend un mouillage sûr et solide des bateaux sur une mer tranquille et qui sont d’un très grand secours, au milieu des tempêtes qui sévissent et des ouragans. Donc il me plaît de faire des essais, si par hasard, je peux, par mon ouvrage quel qu’il soit, contribuer à l’utilité de la communauté : en effet, quoi qu’il advienne, il aura été sans aucun doute brillant
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pour ma personne, de travailler à ce qui est, pour l’État, fortement avantageux, et qui, même sous une unique autorité, a l’importance extraordinaire des hommes sages qui la représentent. Enfin, le traité de Poleni primé en 1741, De Ergatae Navalis praestabiliore, facilioreque usu, Dissertatio, débute par le rôle crucial joué par l’Académie Royale des Sciences qui propose des sujets utiles aux marins : Puisque sont de grande importance tous les problèmes qui tendent au perfectionnement de la technique navale, alors vraiment ces problèmes, dont la résolution peut être utile non seulement au domaine naval mais aussi à plusieurs autres usages, semblent vraiment devoir être jugés de plus grande importance. Et qui plus est, les recherches qui visent à améliorer l’emploi du cabestan doivent être comptées, très légitimement, au nombre de ces problèmes de plus grande importance : seul ne le sait pas celui qui se trouve dans une complète ignorance de toutes ces connaissances dépendant de la Mécanique. Le problème, proposé l’année précédente par l’Illustre Académie royale des Sciences, est de cet ordre : Quelle serait donc la structure d’un cabestan plus puissante et plus apte à tous ces usages habituellement dévolus au cabestan sur un navire ? Mais l’usage d’un cabestan n’est pas du même genre (par exemple) que celui du gouvernail, puisque celui-ci sert juste à gouverner et à diriger un bateau alors que le cabestan placé tantôt sur un bateau tantôt en un lieu quel qu’il soit, peut de façon appropriée servir à tirer des masses. Et quelque juste qu’ait été la remarque des Académiciens, en vertu de leur éminente perspicacité et culture, que : sur un bateau, un cabestan simple, solide, voué à un usage rapide, aisé, et, quand il est manié, dépourvu de toutes entraves ou cordages, et à l’abri de quelque accident fortuit qui doit se produire ; le fait est que le cabestan a pour son usage sur un bateau, des conditions de loin différentes de son usage à terre, où ni les commodités ni le temps pour remédier aux accidents inopinés ne peuvent manquer, cependant, néanmoins, qui ne verrait que le cabestan, simple, solide et dévolu à un usage rapide et aisé, serait très souvent plus utile à terre notamment ? Et, à ce titre, aussi, les Académiciens méritent vraiment des félicitations pour ce remarquable problème proposé, dont l’utilité peut être multiple ; aussi n’est-ce pas pour une seule raison qu’il plaît de risquer ce qui, grâce à moi, quoi que ce soit, peut être apporté à ce problème même. Mais au cours de ma tentative, j’ai scrupuleusement mis en forme les idées de systèmes proposés avec leurs plans, qu’il m’arrive parfois d’étudier pour les usages et applications du cabestan. Et ainsi j’ai réfléchi à ce dispositif que je vais faire connaître, puisqu’il semble pouvoir satisfaire aux conditions du problème posé. Or on ne proposa pas de mener ce dispositif vers des calculs analytiques qui fussent déjà connus des savants, alors qu’on peut se contenter d’une démonstration par des exposés solides et des expériences. Les trois avant-propos soulignent la nécessité de réaliser des expériences dans différents environnements naturels, nuit-jour, temps calme-tempête, et la nécessité d’appliquer les techniques découvertes à plusieurs domaines utiles à la société. Et surtout Poleni insiste sur le fait que l’art de la Navigation doit s’appréhender comme une somme de connaissances à la fois théoriques et pratiques, dont les mathématiques,
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qui se vérifient ensuite par les expériences pratiques. Poleni veut ici rompre avec l’hégémonie des chefs des chantiers navals vénitiens et leur répugnance à utiliser des plans et des calculs. Il annonce ici son programme de cours d’architecture navale32 qu’il assurera vingt-six ans après son traité sur La meilleure manière de mesurer le chemin d’un vaisseau. L’attrait des défis proposés par les concours de l’Académie des Sciences de Paris, permettant à Poleni de tester des prototypes qu’il réalise lui-même, semble constituer la motivation principale de sa participation. Ce goût pour les instruments fut pleinement mis en œuvre en Italie en 1741 avec la création du cabinet de philosophie expérimentale. Cela ne saurait occulter également l’intérêt de Poleni pour le prestige du poste d’Associé étranger qu’il a conquis à distance par une correspondance européenne régulière et la diffusion de ses écrits scientifiques. La création de l’Académie des Sciences, institution utopique des Lumières, symbolise bien l’esprit des Lumières qui porte un rêve philanthropique bâti sur des termes forts tels que « raison », « progrès », « utilité », « bienfaisance », « cosmopolitisme ». À travers les efforts des académiciens, on retrouve l’expression hégélienne du cheminement humain. Pour Hegel, « l’individu isolé est une abstraction, l’histoire réelle est celle des totalités et d’une raison universelle, donc supra-individuelle qui se réalise dans le concret des institutions33 » dont celle de l’Académie des Sciences. L’homme de sciences représentait le modèle de l’intellectuel du xviiie siècle qui plaçait la vie spirituelle au-dessus de tout, et pouvait réaliser le sacrifice de tout son être pour le salut de l’humanité apportée par de nouvelles connaissances. Ce portrait, souvent dessiné par Fontenelle ou Grandjean de Fouchy dans leurs éloges des académiciens décédés, occulte bien entendu toutes les ambitions individuelles et les quêtes de gloire personnelle, nourries par chaque académicien. Le biographe de Poleni, Pietro Cossali, établit une relation de cause à effet entre les prix obtenus par Poleni à l’Académie Royale des Sciences de Paris et son élection à la chaire de la construction navale de l’université de Padoue : Et qui élire comme professeur sinon celui qui a remporté, dans le domaine de l’architecture navale, trois prix de l’Académie Royale de Paris : Poleni34? La motivation de Poleni à participer au Prix Rouillé de Meslay peut-elle relever d’un certain amour-propre ? Selon Fabroni, on peut découvrir une volonté chez Poleni de rivaliser avec les mathématiciens et les physiciens de son temps : Poleni se montre habile dans tous les sujets qui ont procuré une si grande gloire aux mathématiciens et physiciens contemporains. Il est permis de voir que l’homme souhaitait rivaliser avec eux35.
32 Voir notre troisième partie de cet ouvrage. 33 Delumeau, 1991, p. 287. 34 « E chi si eleggerà a Professore, se non quegli che in Architectura Navale ha riportato dalla Reale Accademia du Parigi tre premj : il Poleni ? » Cossali, 1813, p. 67. 35 « Polenius se litterate peritum ostendit omnium illarum rerum quae tantam gloriam recentioribus mathematicis atque physicis peperere. Videre jam licet hominem qui hos aemulari cupiebat. » Fabroni, 1778, p. 73.
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Enfin, rappelons que les associés étrangers n’étaient pas rétribués36 et que les prix auxquels ils avaient le droit de concourir pouvaient donc représenter une manne financière destinée à remédier au bénévolat de leur statut. Pietro del Negro s’étonne que l’entrée du marquis Poleni dans le monde académique international soit assez précoce, dès 1710 – année de sa nomination en tant que Fellow à la Royal Society de Londres – et précède le cadre national de sa carrière37. Poleni aime exposer ses titres académiques en tête de son traité sur le mouvement de l’eau (De motu aquae mixto, Padoue, 1716) : il se présente comme membre des académies scientifiques royales de Londres et de Berlin (« Scient[iarum] Societatum Regalium, quae Londini et Berolini sunt, Sodalis »). Dans celle du fascicule de Lettres Mathématiques, il mentionne également son appartenance à l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg (« Petropolitani Prof[essoris] Honorarii et Scientiarum Societatum Regiarum, quae Londini et Berolini sunt, Sodalis »). Sur la page de garde de sa dissertation sur le cabestan présentée à l’Académie Royale des Sciences de Paris, Poleni rappelle uniquement son appartenance à l’Académie de Paris et à la Royal Society de Londres. La participation aux concours académiques parisiens et la nomination de Poleni en tant qu’associé étranger parmi une élite de huit savants étrangers ont donc contribué à une auto-promotion des écrits scientifiques du marquis padouan qui annonce ainsi sa nomination à Francesco Pivati, fonctionnaire des Réformateurs de l’étude de Padoue : Puis je te donnerai la nouvelle (sans la moindre vanité)38 qu’à l’Académie Royale des Sciences (de France) un des postes occupés par huit associés étrangers, où se trouvait le professeur Eustache Manfredi, de glorieuse mémoire, m’a été conféré bien que je n’aie pas aspiré à une telle fonction bien supérieure à mon mérite. Parmi les huit, il y avait aussi le Professeur Morgagni ; ainsi, dans ce nombre, il y a deux Italiens, les deux sont au service de nos vénérables Patrons et Excellents Réformateurs39.
36 Louis XIV avait pensionné les savants étrangers tels que le toscan Viviani qui avait pu grâce à ses largesses, se faire bâtir une splendide villa, la bien nommée A Deo Data. D’autres savants italiens bénéficièrent à l’occasion des libéralités du roi de France, tel le comte Malvasia « à qui son sçavoir et son mérite ont fait ressentir plus d’une fois les effets de la libéralité du roy… » (Journal des savants, 1685, p. 142). » – Fr. Waquet, 1989, p. 111. 37 « L’ingresso del marchese nel mondo accademico internazionale era stato assai precoce e, quel che puo apparire piuttosto curioso, aveva preceduto quello in ambito nazionale. » Del Negro, 2013, p. 121. 38 Pour comprendre le sentiment de fierté – que semble récuser Poleni dans sa lettre à Francesco Pivati – inspiré par sa nomination, on peut relire le témoignage de Bernoulli : « Je vous avoue que l’événement du prix échu à moi et à mon fils nous est infiniment glorieux, aussi est-ce l’honneur que nous estimons beaucoup plus que l’intérêt pécuniaire, quelque considérable qu’il soit. C’est pour cette raison que nous désirons savoir si cet événement a été rendu public dans votre Gazette, suivant la coutume. » Bertrand, 1869, p. 187. 39 « Le darò poi una nuova (senza punti di vanità) cioè che nell’Accademia Reale delle Scienze (di Francia) il luogo tra gli otto Associati Stranieri, il quale aveva il P[rofesso] Eustachio Mafredi, di gloriosa memoria, è stato conferito a me, benchè io non ambissi una cosa troppo superiore al merito moi. Tra gli otto vi è pure il P[rofesso] Morgagni : così in quel numero vi ci sono due Italiani, amendue sono al servigio delli nostri venerati Padroni gl’Ecc[ellentissi]mi Riformatori. » Poleni à Pivati, Padoue 23 septembre 1739, BNM Venezia, cod.it., cl. x, 310 [6550], in Del Negro, 2012, p. 122.
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La nomination de Poleni à l’Académie Royale constitua-t-elle un argument d’autorité pour créer un cabinet de physique expérimentale en Italie ? Scipione Maffei, dans une lettre adressée à Poleni, le 20 décembre 1732, écrit : « L’unique moyen de rendre quelque chose rapidement célèbre dans toute l’Europe, c’est de le faire connaître à Paris40… » En effet, selon Guido Galiazzo41, du xviie au xviiie siècle au moins à l’étranger, les académies – et non l’université – sont les vrais moteurs propulseurs du progrès d’un savoir expérimental. Dans le pays de Polinière ou de l’Abbé Nollet, initiateurs des cabinets de philosophie expérimentale, le collège Royal de Paris convertit en 1769, une de ses deux chaires de philosophie grecque et latine – qui n’étaient plus fréquentées – en une chaire de physique expérimentale42. La physique expérimentale pourrait en quelque sorte représenter la discipline idéale des Lumières comme le suggère d’Alembert dans l’Encyclopédie : le mérite de l’académicien qui occupe la chaire de physique expérimentale (« la seule espèce de physique digne de nos recherches ») répond du succès avec lequel il la remplit. Dans une lettre au secrétaire des Réformateurs de l’université de Padoue, Agostino Gabaldini, Giovanni Poleni avait tracé le profil de son « laboratoire de Science expérimentale » et avait prévu une somme de mille ducats. Il écrivait que, dans quelque endroit royal « in qualche regio luogo » (Académie royale de Paris43, Londres, Berlin) et dans quelque célèbre université (Institut des sciences de Bologne) avaient été créés des « apparati per le sperienze » en relation avec les phénomènes célestes, la géographie, la navigation, l’art de la fortification44, etc. Poleni était convaincu que les savants susceptibles d’occuper le poste à la tête du cabinet de philosophie expérimentale devaient avoir été employés dans un lieu où se trouvaient non seulement les instruments nécessaires (université de Turin et Institut des Sciences de Bologne), mais aussi un « bon fond de théorie » (« un buon fondo di dottrina ») et aussi « une habileté manuelle » (« l’ingegno nelle mani »)45. Or, Poleni remplit toutes ces conditions et représente donc le candidat idéal. Dans une lettre de Poleni adressée à un correspondant de Vérone datée du 5 janvier 1747, il répond à une demande sur la possibilité de faire remonter l’eau du fleuve vers une embarcation avec l’usage d’une machine. Il joint la transcription des titres de toutes les inventions contenues dans les tomes des Machines approuvées par l’Académie royale des Sciences à Paris desquelles il s’était inspiré parfois pour imaginer les modèles de ses machines46. Cependant, dans l’exorde de son discours d’inauguration prononcé le 25 novembre 1740 au Palazzo del Bo de Padoue, il ne mentionne pas sa nomination 40 « Per render ben presto celebre qualche cosa, e non tutta Europa, l’unico mezzo è divulgarle in Parigi. » Maffei Scipione, Epistolario, p. 632. 41 Galiazzo, 1988, p. 181. 42 Roger, 1989, p. 632 et Archives de la Seine, MS, 2 AZ, 2DD3, « Documents sur le collège de France », p. 406. 43 Un inventaire des biens de l’Académie daté de 1745 compte 145 pages. À ces trésors, on peut ajouter le legs d’instruments de D’Onsenbray en 1753 et les machines souhaitées par Réaumur. Cf. Hahn, 1993, p. 123. 44 Poleni à Gabaldini, Padoue, 23 avril 1719, lettre citée par Del Negro, 20131, p. 21. 45 « Poleni al Riformatore dello Studio di Padova Zan Francesco Morosini » novembre 1738, cod.ita., cl. iv, 592 (5555), c. 229, Del Negro, 2013², p. xiv. Voir aussi Talas, 2013, p. 52. 46 Ronconi, 1986, p. 221.
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à l’Académie Royale des Sciences de Paris mais se livre à une captatio benevolentiae dirigée vers le pouvoir de la Sérénissime47. Pour confirmer le lien entre la chaire de Philosophie expérimentale de Poleni et l’Académie Royale des Sciences, il suffit de rappeler que son secrétaire perpétuel, Dortous de Mairan, est l’un des destinataires du Specimen Institutionum Philosophiae Mechanicae experimentalis (discours prononcé par Poleni à l’inauguration du cabinet de Philosophie expérimentale en novembre 1740) dont il adressera également une copie à Maupertuis, La Curne de Sainte Palaye, Cassini, Maraldi et bien entendu l’Abbé Nollet48.
Le rôle du réseau dans la nomination de Poleni Pourquoi Poleni fut-il nommé par Louis XV « associé étranger » de l’Académie Royale des Sciences ? Pour répondre à cette question, nous devons considérer le mode de relation existant entre la monarchie et l’Académie Royale des Sciences. Il est communément admis que la politique s’arrête à la porte de l’Académie. De fait, l’Académie Royale des Sciences est plutôt « l’alliée » de l’État absolutiste, ce qui lui octroie un « rôle de définisseur des normes et amplifie l’efficacité de la croyance au progrès par les sciences49 ». L’institution représente un vivier de conseillers et de techniciens dans lequel puise le gouvernement royal. On comprend ainsi que Réaumur réclame plus de crédits, de locaux et de charges « pour faire fleurir l’Académie ». Trois discours éclairent la liaison entre l’Institution et la monarchie : « le droit académique qui organise statuts et règlement, le droit royal qui dicte les lettres patentes indispensables à la reconnaissance officielle, les divers éloges ponctuant les activités académiques privées et publiques50 ». La cooptation des talents s’opère dans le respect d’un certain conformisme royal. On peut avancer trois hypothèses expliquant la nomination de Poleni par le roi, nomination suggérée par le cardinal de Polignac et Dortous de Mairan. On sait que Louis XV était passionné par les sciences et qu’il fut impressionné par l’éclipse solaire du 22 mai 1724 : il avait alors 14 ans. Le roi Louis XV lui-même voulut réaliser des observations. Il fit venir à Trianon les astronomes Maraldi et Cassini. En leur compagnie, il observa l’avancée de l’ombre de la Lune sur le carton blanc où l’on avait tracé douze cercles concentriques. Il apporta dans son cabinet le thermomètre et le baromètre pour observer, suivant l’expression de Cassini, « les variations qui pourraient arriver pendant l’éclipse, tant dans les degrés du chaud et du froid, que dans la pesanteur de l’air. » Or, Giovanni Poleni écrivit plusieurs traités sur ce phénomène astronomique51 que Louis XV avait peut-être lus…
47 Institutionum Philosophiae mechanicae experimentalis specimen, Giovanni Poleni. 48 Lettre de Poleni à Mairan, Padoue, 6 septembre 1741, Ver., Bibl. Civ., 3096 E. 49 Roche, 1988, p. 160. 50 Roche, 1988, p. 162. 51 Observatio solaris eclipsis habita Patavii V. Nonas majus mdccxv. Patavii, typis Ioannis Baptistae Conzatti, mdccxv, Observatio solaris eclipsis habita Patavii V Nonas majus mdccxviii. Accessere epistolae duae de phaenomeno quodam in ea observato. Patavii, typis J. B. Conzatti. (4°) ; De observatione defectus Lunae qui contigit V. Id. Sept. mdccxviii Patavii habita commentariolum. Patavii, mdccxviii,
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Et il est vrai qu’un des objectifs des Académiciens était de déterminer la longitude or, certains astronomes dont Cassini pensaient que les tables des éclipses d’étoiles et de planètes par la Lune pouvaient servir à calculer la longitude. D’autre part, en 1733, Giovanni Poleni arbitra une querelle entre Cassini et Newton concernant la question de la longueur du méridien. Enfin, Giovanni Poleni demanda à l’Académie des Sciences de considérer une nouvelle méthode pour déterminer la forme de la Terre en utilisant les différences de longitudes plutôt que de latitude52. Cassini lut le travail de Poleni comme une attaque personnelle et publia une défense53 qu’il lut à l’Académie Royale des Sciences en décembre 1734. Cependant, il faut noter que le roi bien souvent ne faisait qu’entériner les propositions de nominations formulées par les membres de l’Institution Royale. Les élections étaient pratiquement aux mains des pensionnaires, écrit Jacques Roger. Le rituel était le suivant : La classe concernée proposait un rituel de classement entre les candidats, l’ensemble de l’Académie choisissait et classait deux noms qui étaient présentés au Roi, en fait au ministre compétent, lequel faisait un choix définitif54. Ainsi Buffon fut-il choisi « par le roi, c’est-à-dire Maurepas » comme le précise Jacques Roger. La prestigieuse accession de Poleni à l’Académie Royale des Sciences de Paris est due – en sus des deux prix remportés par lui – à l’action de Scipione Maffei qui pouvait compter sur l’appui du cardinal Melchior de Polignac, ancien président de l’Académie et qui était capable d’influencer le président en charge, le cardinal et premier ministre André-Hercule de Fleury, comme l’indique Pietro Del Negro55. Le cardinal de Polignac a effectivement beaucoup œuvré à l’intégration de Poleni à l’Académie Royale des Sciences de Paris. « En tant qu’ancien président de l’Académie, il était en mesure d’influencer le président en fonction, le cardinal et premier ministre du royaume André-Hercule de Fleury56. » Dans son éloge du cardinal de Polignac, Boze déclare : « Il n’était point jaloux, ni vindicatif, quoiqu’il fût tendre et reconnaissant à l’excès ; les plus petits soins que demande la haine, lui auraient été à charge, & il semblait n’être fait que pour aimer & pour être aimé57. À l’annonce de la mort d’Eustachio Manfredi, Poleni écrit dans une lettre à Maffei, datée du 23 février 1739, qu’il serait naturel qu’à un mathématicien italien, succède un autre mathématicien italien et suggère à Maffei d’écrire au Cardinal de Polignac qui avait également proposé Maffei à l’Académie des Belles-Lettres de Paris. « Vous
Philosophicae transactiones, Londres, vol. xxxiii, 1724-25, p. 71. Observatio defectus solis habita Patavii, 23 sept. 1726 Philosophicae transactiones, Londres, vol. xxxiv, 1726-27, p. 157 ; Observatio defectus Lunae habita Patavii, 2 oct. 1726, Philosophicae transactiones, Londres, vol. xxxiv, 1726-27, p. 158. 52 Terrall, 1992, p. 218-237. 53 Cassini, « Réponse aux remarques qui ont été faites dans le Journal Historique de la République des Lettres sur le traité De la grandeur et de la figure de la terre », Mém. Acad. Roy. Sci., 1732 (pub. 1734), p. 684-704. 54 Roger, 1989, p. 36. 55 Del Negro, 2013, p. 125. 56 Del Negro, 2013, p. 124. 57 Boze, 1742, p. 18.
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me feriez une remarquable faveur en faisant cela », ajoute Poleni58. Dans une lettre écrite par Poleni à Maffei, datée du 12 juillet 1734, Poleni écrit qu’il serait enchanté d’occuper un lieu tel que l’Académie Royale des Sciences : Un poste dans cette Académie Royale, je l’avoue, serait pour moi infiniment estimable59. Et parmi ces intermédiaires et bienfaiteurs, on peut rajouter le français Dortous de Mairan, secrétaire de l’Académie Royale des Sciences. « Nous avons observé deux sortes d’abus dans les élections : l’intrigue et l’autorité. » déclare-t-on à l’Académie des Sciences60 en 1778. La tenue de l’élection d’un académicien nécessite une autorisation préalable du Roi et surtout, son résultat doit recevoir la sanction royale. Avant les élections, les candidats adressent la liste de leurs titres et travaux à leurs alliés dans la place61. C’est au secrétaire de l’Académie, Dortous de Mairan, que Poleni choisira d’adresser lettres et mémoires. Dans son traité sur les Aurores Boréales, Dortous de Mairan avait plusieurs fois cité Poleni avec éloge. Cinq ans avant d’être élu associé étranger, Poleni avait envoyé un Mémoire sur cette question à l’Académie Royale des sciences et « ces termes concouraient assez exactement avec ceux qui avaient été déterminés par M. de Mairan », écrit Grandjean de Fouchy dans son éloge de Poleni62. L’accord entre les deux savants était donc complet. Nous verrons les différentes étapes de l’accès au poste d’associé étranger de Poleni, à travers sa correspondance avec Mairan, secrétaire perpétuel de l’Académie. Or, le secrétaire perpétuel est bien le pivot du système. Il orchestre la véritable campagne publicitaire du candidat. Le règlement prévoyait qu’il réceptionne les diverses pièces, mémoires et machines participant aux concours, qu’il les numérote, les enregistre et en délivre des récépissés, tâches qui donnaient lieu à divers petits incidents. Pour indemniser ce surcroît de travail, Rouillé de Meslay avait prévu des émoluments pour le secrétaire et les commissaires. Mais à la différence de ces derniers, le secrétaire devait utiliser cet argent pour payer les frais des annonces et publications. Il s’agissait de faire circuler les programmes et les résultats des prix sous forme de placards in-quarto, qui étaient distribués lors des assemblées publiques, et envoyés aux journaux savants, aux correspondants de l’Académie et aux sociétés régnicoles et étrangères. Cela occasionnait au secrétaire d’autres frais pour la traduction des mémoires étrangers. Il assurait ainsi un vrai rôle d’intendance63.
58 Maffei, Epistolario, II, p. 872-873. 59 « Un luogo di codesta Accademia Reale, lo confosso, sarebbe da me infitamente stimato. » Ver., Bibl. Civ., 3096 E. 60 Bret in Hilaire-Pérez, Simon, Thébaud-Sorger, 2016, p. 321. 61 Buffon, dans une lettre à Jean Hellot (citée par J. Roger, 1989) évoque les influences s’exercant avant son élection : « Je connais assez M. de Maurepas et j’en suis connu, pour qu’il me la donne [la place vacante de Du Fay] sans sollicitations de ma part. Je prierai mes amis de parler pour moi, de dire hautement que je conviens à cette place. […] vous pourrez bien lâcher quelques mots des vœux de M. le comte de Caylus à M. de Maurepas. » 62 Grandjean de Fouchy, 1763, p. 158. 63 Lardit in Brian et Demeulenaere, 1999, p. 387.
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Nous présentons en annexe64 un extrait de la correspondance entre Poleni et Mairan sur trois années (1738-1741) afin de mettre en évidence le rôle joué par cette relation dans la nomination de Poleni à l’Académie Royale des Sciences. Malgré la distance géographique, les deux hommes ont pu entretenir un rapport de confiance utile à la promotion par cooptation de Poleni qui ne s’est jamais déplacé à Paris. Enfin, la motivation de Poleni peut-elle être liée à une volonté patriotique de voir la science italienne triompher à Paris ? En effet, on peut évoquer la présence de rivalités nationales entre les Académies. Bien des académies servirent d’abord la gloire du prince qui les avait fondées ou les intérêts de l’État auquel elles appartenaient, et les pratiques de coopération cédèrent souvent devant une défense acharnée de la priorité dans les découvertes. Giovanni Alfonso Borelli (1608-1679), l’un des meilleurs représentants de l’Académie florentine du Cimento, était ainsi partagé entre le désir de correspondre avec l’académie parisienne de Montmort et la crainte que les Français « s’érigent en auteurs des inventions et découvertes de nos maîtres comme de nos propres trouvailles ». Son collègue Michelangelo Ricci (1619-1682) trouva la solution qui conciliait cette double exigence : on entrerait en correspondance avec les savants parisiens afin de ne point se priver d’informations utiles, mais on ne livrerait en échange que les conclusions des expériences sans dévoiler les raisonnements ni les démonstrations afin de conserver l’antériorité dans les découvertes. À la Royal Society, il arriva que l’on y rejeta les affirmations d’auteurs français en invoquant la légèreté coutumière de cette nation et que l’on n’accorda guère de crédit aux écrits de savants jésuites, tant la haine contre Rome et la papauté était forte65. Ces rivalités pourraient également s’exprimer au plan de la diffusion des essais scientifiques.
64 Annexe XI. 65 Waquet, Bots, 1997, p. 70.
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Chapitre vi
La question de l’édition des traités
Diffusion des écrits scientifiques La motivation de Poleni à participer au prix Rouillé de Meslay et de se faire connaître outre-monts est à mettre en relation avec la diffusion des écrits scientifiques. Un frein à l’expression et à l’édition scientifique résidait dans l’action du tribunal de l’Inquisition à Venise. En fait, les magistrats vénitiens accordèrent des « terminazioni in data forestiera », c’est-à-dire que tout en refusant à des manuscrits les indispensables permissions, ils autorisèrent leur impression sur les presses de la République, mais en imposant à ces publications un lieu d’édition étranger ; ce ne fut point là un geste occasionnel, mais une pratique courante visant à soutenir et à favoriser une branche de l’économie vénitienne, les métiers du livre, tout en sauvegardant les intérêts politiques de la Sérénissime, en lui évitant des problèmes avec d’autres États. Enfin, il restait à l’auteur dont le manuscrit n’avait pas pu s’imprimer au grand jour, la possibilité de s’adresser à une imprimerie clandestine1. Poleni, lui-même, rendant compte dans le Giornale de’Letterati d’Italia d’un de ses propres ouvrages où il soutenait le mouvement de la terre, déclarait qu’il apportait en fait des arguments en faveur du système de Ptolémée2. Et sur les pages manuscrites des 12 leçons de l’année académique 1743-1744 données par le marquis Poleni, on trouve une nomenclature étonnante où sous les termes « anciens », on indique de nouveaux concepts, car, avant la publication, on devait obtenir l’Imprimatur de l’Inquisition et la licence du Tribunal pour se prévenir contre les accusations de blasphème : pourtant chaque philosophe expérimental était forcé de se déclarer adepte de Tycho Brahé en usant d’une terminologie scolastique et des catégories aristotéliciennes3. Cette déclaration d’orthodoxie en tête de l’ouvrage permettait parfois de le garantir de la mise à l’Index. Notons cependant que la révision des livres s’opéra à Venise par des amis des savants dont Calogerà, qui défendit les rigoristes contre leurs adversaires jésuites et probabilistes.
1 Machet A. , Censure et livre interdit à Venise dans la deuxième moitié du xviiie siècle, thèse de doctorat, p. 59 et suiv. ; Anne Machet note que cette pratique existait aussi dans d’autres États italiens (p. 160161). Citée par Waquet, 1989, p. 231. 2 Dooley, 1983, p. 23. 3 Pancino, 1987, p. 65.
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L’Académie Royale des Sciences de Paris dotée d’un Comité de Librairie donnait son approbation à l’impression d’ouvrages scientifiques : la présentation officielle au roi constituait l’étape finale du processus de publication. Elle publiait des volumes annuels d’Histoires et Mémoires rédigés par ses membres, la Description des Arts et Métiers, les Savants étrangers et la Connaissance des Temps. Le Comité de Librairie était un moyen d’action important entre les mains de l’Académie. Lors de ses réunions à huis clos, il prenait la difficile décision de publier ou non les travaux des académiciens. Le Comité de Librairie était l’un des deux comités statutaires ; l’autre, moins actif était le Comité de Trésorerie. En jouant ce rôle de filtre entre la production et le public des savants et des curieux, il remplissait une fonction essentielle. Le Comité de Librairie participait également à l’élaboration des ouvrages, par les liens qu’il entretenait avec les imprimeurs, les artistes, les graveurs, les relieurs et l’ensemble des métiers et artisanats concernés. L’Académie distribuait les ouvrages à ses membres et aux sociétés savantes d’Europe et d’Amérique avec lesquelles elle était en rapport4. Notons qu’à Venise, les industriels de l’imprimerie – les Baglioni – font leur entrée au grand Conseil en 17165. À Paris, le lien entre imprimeur et pouvoir royal est également sensible. Vers 1750, la communauté parisienne de libraires comptait 250 membres (simples libraires, libraires-imprimeurs, relieurs et fondeurs de caractère). Soucieux de contrôler la production et la diffusion des imprimés, le pouvoir royal avait imposé la réduction du nombre d’ateliers d’impression, limités à 36 dans la capitale, et encouragé la concentration du commerce des livres entre quelques mains parisiennes. Celles-ci profitaient de leur proximité avec l’administration centrale pour obtenir le monopole des privilèges et autorisations préalables6. Le marché de l’édition scientifique était dominé par quelques libraires lettrés appartenant à l’élite de la communauté, comme Jombert, libraire du Roi pour l’artillerie et le génie, et Panckoucke, « l’Atlas » de la librairie parisienne. La plupart était située à l’ouest du quartier Saint-Jacques, entre le quai des Grands Augustins et l’Académie Royale de Chirurgie, au plus près du Louvre. La boutique de Jombert sise rue Dauphine, au voisinage du Pont-Neuf, accueille D’Alembert, Lalande, Montucla et des artistes7. Les librairies, lieux de rencontres des savants, pouvaient constituer des points de visites pour les savants étrangers, voyageurs, qui découvraient Paris. Pour publier L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, des libraires se sont associés : André-François Le Breton (librairie rue de La Harpe, Paris)8, Antoine Briasson (l’un des plus riches libraires de Paris, ayant publié une centaine d’ouvrages, depuis des
4 McClellan III (trad. A. Berra) in Jacob (dir.), 2007, p. 728. 5 Zorzi, 1988, p. 285. 6 Belhoste, 2012, p. 84. 7 Bousquet-Bressolier C., « Charles-Antoine Jombert (1712-1784). Un libraire entre sciences et arts », Bulletin du bibliophile, n°2, 1997, p. 299-333. 8 Reçu libraire en 1733 et imprimeur du Roi en 1746. Sellius lui avait proposé d’imprimer la traduction par Mills de la Cyclopaedia de Chambers (Belhoste, 2012, p. 84).
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romans jusqu’à des livres savants de science et de médecine), Michel-Antoine David (librairie À la plume d’or, rue Saint-Jacques9) qui publia le Traité de Dynamique de D’Alembert en 1743 et s’était constitué un cabinet de physique et Laurent Durand (librairie Au Griffon rue Saint-Jacques, Paris) connu comme éditeur de sciences, éditeur de Clairaut et Guettard mais aussi de Condillac et Diderot10. On peut également citer les libraires-imprimeurs : la famille Coignard (éditeurs pendant un demi-siècle du Grand Dictionnaire historique de Moreri) et Brunet (Entretiens sur la pluralité des Mondes de Fontenelle). Qu’en fut-il de la diffusion des travaux de l’Académie des Sciences de Paris dans l’Italie de Poleni ? Les mémoires connurent trois éditions outre-monts entre 1739 et 1748. D’abord à Naples, puis en 1740 à Venise, par Francesco Pitteri puis en 1748, toujours dans la cité des Doges, à l’issue d’une souscription lancée par Bassaglia afin de financer une traduction italienne où les dissertations ne seraient plus présentées chronologiquement mais suivant un ordre méthodique11. À Paris, le livre italien se vendait mal comme le constate Scipione Maffei en 1733 lors de son séjour à Paris. « Le Journal des Savants dans les années 1715-1719 ne consacrait que 2% environ de ses extraits aux livres provenant d’Italie12. » En 1720, on peut lire dans le Journal des Savants13 : « Les livres publiés en Italie viennent fort tard en ce pays-ci [le France] ou n’y viennent point du tout… ». À ces défauts d’acheminement s’ajoutent des problèmes liés à une typographie négligée et incorrecte14. Les savants français représentaient, pour les Italiens, l’idéal que la République des Lettres convoitait : « Forts d’une science solide et rigoureuse, ils possédaient à un degré prééminent cette humanitas, qualité majeure d’une éthique intellectuelle qui, recourant à la générosité et à la bienveillance, visait à la communication du savoir. De surcroît, tout en respectant fidèlement ces impératifs scientifiques, ils se pliaient aux exigences de la morale mondaine et se distinguaient par la noblesse de leurs manières et l’agrément de leur conversation. » Ce portrait du savant français dressé par Françoise Waquet15 ne laisse pas de rappeler l’éthopée de Giovanni Poleni lui-même. Les livres des savants français se distinguaient par « la concision, la netteté et la précision des idées, la clarté et la simplicité du style », comme le souligne le professeur Tommaso Cattaneo16. Les Italiens, à l’instar de Lodovico António Muratori17, saluent également le caractère irréprochable de la typographie française qui rehausse les travaux des savants. Dès 1751, les Vénitiens envisageaient 9 Selon Niccolo Madrisio (Viaggi per l’Italia, Francia, Germania, Venezia, 1718), la rue Saint-Jacques offrait « les publications les plus confidentielles, les ouvrages les plus rares, en un mot tout ce que l’on peut imaginer. » Madrisio voyagea en France en 1697. Cité par Waquet, 1989, p. 112. 10 Belhoste, 2012, p. 84. 11 Waquet, 1989, p. 81. 12 Scipione Maffei à Gian Francesco Muselli. Paris, 10 octobre 1733 (Scipione Maffei, Epistolario (17001755), a cura di Celestino garibotto, Milan, 1955, p. 663, cité par Waquet, 1989, p. 32. 13 Waquet, 1989, p. 39. 14 « En 1682, en terre vénitienne, Charles Patin, désolé par l’impéritie des ouvriers locaux envisageait de créer une imprimerie, selon les normes française, anglaise et hollandaise. » Ibid., p. 54. 15 Ibid., p. 102. 16 Ibid., p. 107. 17 Ibid., p. 114.
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de rééditer l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert. Mais des voix s’élèvent pour critiquer le modèle français telle que celle d’Antonio Vallisneri : Les Français méprisent dans les faits, par les écrits et les paroles tous nos ouvrages, ils font en sorte de les dégrader et de s’en moquer et jamais vous n’entendrez ou vous ne lirez chez un français des louanges d’un Italien même méritant ; au contraire, ils cherchent tous les moyens de les abaisser tous, pour diminuer notre gloire, pour s’approprier nos découvertes et nos observations sans nous citer, et ils revendiquent en tout la primauté bien qu’ils aient reçu les premières lumières et découvertes des Italiens18. Pour rehausser l’image du savant italien, le Giornale de’letterati d’Italia, auquel contribua Poleni, se consacre entièrement à la production savante italienne. Les difficultés que Poleni connut pour faire éditer l’un de ses traités primés pourraient-elles illustrer le mode de relation franco-italienne de cette époque ?
Libraires et éditeurs parisiens : les lenteurs de l’édition du traité de Poleni Avant d’examiner le cas problématique des relations entre Giovanni Poleni et l’imprimeur Guérin, mandaté par l’Académie Royale des Sciences, nous rappellerons cet exemple donné par Françoise Waquet et Hans Bots : À Florence, il n’y avait plus, dans les années 1680, d’imprimeurs capables de composer du grec : le père Noris (1631-1704) en fit la cruelle expérience et, pour ses travaux d’épigraphie et de chronologie, il dut composer lui-même les passages en grec ; l’érudit travailla si bien que l’imprimeur se déchargea sur lui d’autres aspects de la fabrication du livre allant jusqu’à lui faire étendre les feuilles sur les fils et former les cahiers19. Nous évoquerons donc les lenteurs d’édition touchant les dissertations latines de Poleni primées par l’Académie Royale des Sciences à travers sa correspondance ou celle de ses contemporains. Maupertuis évoque lui-même ces lenteurs à Jean Bernoulli, le 21 septembre 1733 à propos du traité de Poleni La meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques (1733).
18 Ibid., p. 154. 19 Waquet, 1997, p. 148-149. L’érudition et le choix des langues anciennes peuvent donc conditionner un certain type de relation entre le savant et son imprimeur qui, souvent, est libraire également. Certains savants créèrent même leurs imprimeries : Tycho Brahé (1546-1606) à Hveen, Hevelius (1611-1687) à Dantzig, Anton Francesco Gori (1691-1757)… D’autres, forts d’un réseau de relations important, écoulèrent directement leurs ouvrages à l’instar du numismate Charles Patin (1633-1693) qui, de fait, court-circuita le réseau traditionnel des libraires-imprimeurs. Dans son projet de societas litteraria pour institutionnaliser la République des Lettres, le juriste hollandais Hendrick Brenkman prévoyait un système de financement pour l’édition de travaux savants ainsi que la création d’une imprimerie qui publierait dans les conditions les meilleures de tels ouvrages.
l a q u e s t i o n d e l’é d i t i o n d e s t rai t é s
La pièce de M. Poleni n’est point encor imprimée et il est ridicule que cela tarde tant, mais M. Godin20 qui se charge de cela, se charge en même tems de trop d’autres choses. Il vient d’avoir une place de pensionnaire Astronome21. Trois mois après, toujours rien comme le révèle la lettre agacée de Maupertuis22 à Jean Bernoulli, le 2 janvier 1734 : La pièce de M. Poleni n’est point encor imprimée par la négligence de M. Godin qui est celui qui en etoit chargé23. À travers la correspondance entre le libraire-imprimeur parisien H. L. Guérin l’Aîné et Giovanni Poleni, on perçoit le même agacement. Nous en reproduirons des extraits significatifs alternant avec les lettres24 entre Poleni et le secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des Sciences, Dortous de Mairan qui essaiera de faire accélérer les choses… Cette action est liée à sa fonction de secrétaire perpétuel mais aussi à sa nature serviable et à son goût pour tisser des liens entre les savants. Élisabeth Badinter le décrit ainsi : Serviable de nature, Mairan tisse un autre réseau, tout aussi important pour sa carrière, avec les académies de province et les savants étrangers. Il entretient une correspondance suivie – notamment avec les Bernoulli père et fils, les Genevois Abauzit, Cramer, Jallabert, Bonnet, le Neuchâtelois Louis Bourguet – et sait se rendre indispensable. Outre les échanges scientifiques et les nouvelles littéraires de Paris qui intéressent tous ses correspondants, il procure un mémoire de l’Académie à l’un, un livre nouvellement paru à l’autre, La Connaissance des Temps à tous. […] Lorsqu’il publie un livre ou une brochure, il se fait un devoir de l’envoyer à tout son réseau, accompagné d’une lettre personnelle : deux ou trois cents personnes25 !
20 Dans une lettre de Georg Matthias Bose adressée à Poleni et datée du 7 septembre 1746 (Wittenberg), on peut lire à propos de Godin : « Je viens de recevoir des lettres de l’Académie de Paris. Véritablement, M. Godin s’est établi à Lima pour 15000 livres de revenus, monnaie de France. Le mal entendu de sa mort vient de ce que le chirurgien, que ces Messieurs avoient eu avec eux, a été véritablement tué dans une émeute populaire. » Bose donne ensuite des détails sur son activité : « Vous ai-je écrit dans ma dernière, Monsieur, qu’à l’aide de mon électricité, je tue des poissons et des oiseaux. Je vous jure d’honneur que je foudroierai immanquablement roide mort des quadrupèdes. » Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°25. 21 http://www.ub.unibas.ch/bernoulli/index. php/1733-09-21_Maupertuis_Pierre_Louis_Moreau_de-Bernoulli_Johann_I#cite_note-4. 22 Maupertuis nourrit une véritable inimitié à l’égard de Godin qui dirige l’expédition au Pérou de 1735 et a suscité un mécontentement général. En cause, notamment sa passion pour les femmes comme l’écrit Joseph de Jussieu à son frère : « M. Godin, notre chef et trésorier, laisse depuis quelque temps dormir l’astronomie pour vaquer à une affaire plus pressante. C’est l’amour qui l’occupe tout entier. […] Il se fait mépriser et haïr ici. » Badinter, 1999, p. 79. 23 http://www.ub.unibas.ch/bernoulli/index. php/1734-01-02_Maupertuis_Pierre_Louis_Moreau_de-Bernoulli_Johann_I#cite_note-2. 24 Toutes conservées à la Biblioteca Civica de Vérone, enveloppe 3096 E du fond des manuscrits de Giovanni Poleni. 25 Badinter, 1999, p. 43.
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Dortous de Mairan peut répondre avec des mois de retard à son correspondant en raison de la masse de sa correspondance et de ses tâches mais aussi des problèmes liés à la Poste. Ces extraits de la correspondance révèlent le soin apporté par Giovanni Poleni – qui ne quitte pas Padoue – pour veiller à distance à la bonne édition de ses traités par le libraire parisien H. L. Guérin, l’Aîné avec qui Giovanni Poleni entretint une longue correspondance26. Pour cela, il est secondé par l’inestimable Dortous de Mairan qui, en qualité de secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des Sciences, assure la médiation entre les auteurs et les imprimeurs-libraires. Cette correspondance27 peut être lue comme un épisode dans la difficile reconnaissance du droit des auteurs mais aussi comme une fenêtre sur l’actualité franco-italienne des sciences à l’époque de Poleni. Poleni qui ne s’est jamais déplacé à Paris lors de la parution des résultats des concours académique, a donc dû surveiller à distance l’édition problématique du traité sur le cabestan, Ces extraits de la correspondance de Poleni montrent l’importance des lettres et des médiateurs parisiens tels que Dortous de Mairan. Les difficultés liées à l’édition du traité sur le cabestan résident dans la lenteur de Guérin, éditeur mais aussi libraire. D’ailleurs, Poleni s’adresse également à Guérin pour lui commander des livres. Mairan est sollicité pour inviter l’imprimeur à hâter l’édition : « Guérin, débordé par de trop importantes affaires (à ce que je crois), écrit Poleni à Mairan, n’a cure des miennes… » (27 juillet 1741, Ver., 3096E, f °457). D’ailleurs, dans le traité sur le cabestan, on peut constater l’absence des planches représentant les figures 1 à 9. La question de l’édition scientifique est donc bien au cœur de la diffusion de la pensée scientifique européenne et participe de la dynamique de la République des Lettres. L’examen des appels à projets de l’Académie Royale des Sciences de Paris nous a donc permis de réfléchir aux méthodes de travail de Poleni alliant tradition érudite et modernité avec un rôle central dévolu à l’expérience, favorisée par sa gestion du cabinet de philosophie mécanique expériementale et sa pratique de l’enseignement. On a vu que les traités de navigation de Poleni, à la faveur du Prix Rouillé de Meslay, répondaient à un besoin stratégique de la marine française. La participation à ce prix était motivée par le caractère prestigieux de l’institut français propre à doper la carrière du savant padouan, malgré les difficultés inhérentes parfois aux essais scientifiques. Nous présenterons à présent nos traductions annotées de trois traités de Poleni primés par l’Académie Royale des Sciences de Paris et portant sur les instruments de navigation de haute importance : les machines pour mesurer le chemin d’un vaisseau, l’ancre et le cabestan.
26 Reproduite en annexe XII. 27 Reproduite en annexe XI.
Deuxième partie
Traductions et annotations des trois traités
Premier traité La meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques (1733)
Chapitre vii
Présentation
Le premier traité de Giovanni Poleni primé par l’Académie Royale des Sciences de Paris s’ouvre sur une citation de Cicéron (L’Orateur, l. 1, chap. 2) qui célèbre la notion d’expérience mais ménage également le topos de modestie apprécié des orateurs dans leur exorde : « J’avancerai, poussé non pas tant par l’espoir de réussir, que par la volonté d’essayer1 ». Poursuivant sa captatio benevolentiae, Cicéron flatte le jury en soulignant le bien-fondé du sujet proposé par l’Académie, utile et peu traité. Il appuiera sa réflexion sur un plan en trois parties : il recense d’abord les quelques machines, agitées par le courant et la force des vents, déjà découvertes pour rechercher la mesure du chemin parcouru par le vaisseau puis se livre à une présentation de la nature de la direction de la course des vaisseaux et enfin, présente les techniques assez sûres. Le physicien érudit se tourne naturellement d’abord vers les Anciens : les Égyptiens, les Grecs, les Phéniciens, les Romains mais aussi les marins du xvie au xviiie siècle. Puis il évoque les inconvénients de ces anciennes techniques, en vue de les améliorer. Il décrit alors une machine de son invention, destinée à mesurer la force du vent (absolue et respective) : une plaque, sur pied, pourvue d’une graduation angulaire. Dans un deuxième temps, pour définir la nature de la course du vaisseau, Giovanni Poleni s’attache à trouver la force de gravité équivalente à la quantité de mouvement en calculant la pression dynamique exercée sur le bordé du vaisseau. Il propose des définitions telles que vitesse absolue et quantité de mouvement absolue, vitesse perdue et quantité de mouvement perdue, vitesse respective et quantité de mouvement respective. Il conclut sa deuxième partie en réfléchissant au lien entre différentes figures de vaisseaux et les plaques destinées à mesurer la force du vent. Giovanni Poleni débute sa troisième partie en présentant la technique anglaise pour mesurer le chemin des vaisseaux (à l’aide d’un morceau de bois en forme de navette), puis une fois ses inconvénients soulignés, le marquis propose un nouveau système fait d’une petite colonne de forme parallélépipède dont la base en bois est fixée et déroule un fil attaché à une boule en ivoire qui est lâchée dans le sillage du bateau. Au chapitre xiii, Poleni évoque la question de la Force Vive. La Force Vive (vis viva) est synonyme d’énergie cinétique ou actuelle (ainsi dénommée par Leibniz). Dans ses Lectiones, X, pars III, p. 7, Giovanni Poleni définit ainsi la Force vive : Vis viva est, quae cum motu actuali coniuncta est, et cuius effectus integer habetur. (« La force vive
1 « Aggrediar, non tam persciundi spe, quam experiundi voluntate. » Cicéron, De Oratore, l. 1, chap. 2.
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est celle qui est jointe à un mouvement actuel et dont l’effet obtenu est entier. »). L’Encyclopédie, quant à elle, donne cette notion : Lorsqu’un corps en mouvement rencontre un obstacle, il fait effort pour déranger un obstacle : si cet effort est détruit par une résistance invincible, la force de ce corps est une force morte, c’est-à-dire qu’elle ne produit aucun effet, mais qu’elle tend seulement à en produire un. Si la résistance n’est pas invincible, la force est alors une force vive, car elle produit un effet réel, et cet effet est ce qu’on appelle force vive dans les corps2. Willem Jacob s’Gravesande évoque d’ailleurs les expériences auxquelles se livra Poleni sur le sujet. On peut déterminer la quantité de cette Force Vive qui a été détruite par la quantité des forces mortes requises pour la détruire et je crois que les expériences de M. Poleni prouvent que cette quantité est proportionnelle à la vitesse des corps, les masses étant supposées égales. Je prends donc la définition de M. Poleni, que l’effet total qu’un corps peut produire jusques à ce qu’il perde tout son mouvement, c’est la mesure de la Force vive qui réside en lui3. Giovanni Poleni décrit son expérience ainsi : Soit un récipient dans lequel a été figé du suif à une hauteur de 6 onces. J’avais cloué sur un plan égal un clou de la manière que la surface du suif qui était plate, soit partout tenue à des intervalles égaux de la surface du plan. J’ai pris soin de réaliser deux boules égales dont l’une était en plomb et l’autre en laiton et celle-ci avait au milieu des parties quelque peu creuses. Ainsi, quand celle-là pesait deux livres, celle-ci pesait une seule livre. Ces boules avaient été attachées au plafond par des fils de telle sorte qu’elles soient suspendues au-dessus du récipient dans lequel se trouvait le suif ; or ces boules étaient tenues de la surface du suif à des intervalles tels que la distance de la boule la plus légère à la surface du suif soit deux fois plus grande que celle entre la boule la plus lourde à la surface du suif. Puis une fois les fils coupés, les boules tombant à la perpendiculaire dans le suif, ont fait des creux semblables et tout à fait égaux dans le suif même : ce qui est une preuve tout à fait évidente4.
2 L’Encyclopédie, article « Mouvement », Antoine-Gaspard Boucher d’Argis, 1765. 3 Œuvres philosophiques et mathématiques de M. G. J.’s Gravesande rassemblées par Jean-Nicolas Sébastien Allamand, éd. Rey, Amsterdam, 1774, p. 270. 4 « Vas in quo erat gelatum sevum ad altitudinem unciarum sex, aequabili pavimento clavis confixeram ea ratione, ut sevi summa superficies, quae plana erat, a pavimenti superficie aequalibus ubique distaret intervallis. Curaveram fieri duos globos aequales : quorum alter ex plumbo erat, alter ex orichalco, et hic partes medias tantillum habebat cavas ; ut cum ille penderet pondo libras duas, hic unam penderet. Hi globi e lacunari filis appensi erant, ut impenderent Vaso, in quo sevum ; distarent autem a sevi superficie iis intervallis, ut levioris globi a sevi superficie distantia dupla esset distantiae globi gravioris. Resectis deinde filis, globi in sevum cadentes ad perpendiculum foveas similes, ac prorsus aequales fecerunt in ipso sevo : indicio manifestissimo. » De Castellis (1718), § 118.
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Fig. 21. – Machine pour mesurer la vitesse du bateau, fig. 9. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 43, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark. Anses (ansae) : K et L Base en bois (lignea basis) : MNO Bord (margo) : tm Boule (globus) : Q Centre de la règle (regulae centrum) : B Centre du demi-cercle (centrum semicirculi) : a Colonne d’eau (aquae columna) : RTXV Cordelette (funiculus) : ac
Demi-cercle avec bordure graduée (semicirculum cujus limbo insculpti gradus) : ESN Petite colonne en forme de parallélépipède (colummella parallelepipedae figurae) : GZ Pièce basse (imum scapum) : NDO Poids (pondus) : C Quart du cercle (circuli quadrans) : AFB Règle métallique (regula metallica) : CBE Réglette (regula) : C
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Fig. 22. – Détail de la machine pour mesurer la force du vent, fig.3. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 41, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark. Aiguille métallique (index metallicus) : DF Barre en fer (virga ferrea) : mn appuyée sur deux créneaux entaillés (crenas incisas) Cordelette (funiculum) : EC Demi-anneau de fer (semi-annulus ferreus) : ILO
Demi-cercle (semi-annulus) BGAFP avec degrés gravés (gradus incisi) Force (vis) : R Lames (laminae) : t,t Pieds en fer (Pedes ferrei) : Xu, Zc, Yr Plaque métallique (tabella) : QHMN Vis (cochleae) : c, r, u
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Fig. 23. – Procès-verbal de la séance académique du mercredi 15 avril 1733, f°78, Archives de l’Académie Royale des Sciences, Paris. C. Le Gall, ARS Paris.
La lettre de Maupertuis à Jean Bernoulli, datée du 2 janvier 17345, livre une description de la machine de Poleni : « Le Lok ancien n’est qu’une espèce de petit bateau qu’on jette à la mer et qu’on suppose qui se tient à la même place pendant qu’on dévide une ficelle dont la longueur donne le chemin du vaisseau. » Pietro Cossali6 signale la polémique liée à l’invention d’une machine par Poleni pour mesurer le chemin d’un vaisseau : Cossali se réjouit d’avoir rétabli la paternité de l’invention, un temps attribuée au français Alexandre Savérien. Pourtant, on peut constater que Savérien dans son dictionnaire rend hommage aux sillomètres de Poleni et de Pitot, « fondés sur de nouveaux principes » mais Savérien ajoute : « la
5 http://www.ub.unibas.ch/bernoulli/index.php/1734-01-02_Maupertuis_Pierre_Louis_Moreau_ de-Bernoulli_Johann_I#cite_note-2. 6 Cossali, 1830, p. 60. « Non si attribuisca al francese Saverien l’invenzione di tal balanciere. L’inventore è il Poleni, ed io godo di averlo all’Italia rivendicato. » “Qu’on n’attribue pas au français Saverien l’invention d’un tel balancier. L’inventeur en est Poleni et je me réjouis de l’avoir revendiqué pour l’Italie. »
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Machine de Poleni exige un grand nombre d’expériences et les marins croient qu’il n’est pas possible de les faire. » Je reproduis ici l’extrait du catalogue manuscrit7 de la bibliothèque de Poleni qui comptait des ouvrages de Savérien.
Fig. 24. – Extrait du catalogue de la bibliothèque de Poleni « Ozanam à Saverien », Biblioteca Civica de Vérone. C. Le Gall.
Ainsi la France donne-t-elle raison à la démonstration de Savérien sur la manière de connaître la vitesse absolue d’un bateau : la vitesse se déduit de la forme même du navire tout entier, compte tenu de la force du vent et de la résistance de l’eau. Il avait d’ailleurs débuté son traité par une citation de Cicéron qui associait calcul de la vitesse d’un bateau et raison : « Et quand on voit de loin la course d’un vaisseau, on ne doute pas qu’il est mu par cette raison…8 ». Savérien critique l’usage du loch au nom de la conception intégrale du mouvement. « La mathématique prévoit l’inutilité de la poursuite d’une machine particulière, le loch étant trop assujetti aux mouvements infiniment variés du navire, en dehors de ce qui compte seul, le sillage9 ». Les machines approuvées par l’Académie sont « la machine pour mesurer le chemin que fait un vaisseau » inventée par M. Dubuisson (t. IV, p. 87, 1732) et l’horloge pour mesurer le chemin d’un vaisseau inventée par M. Pourchef (t. iii, p. 203, 1719).
7 Conservé à la Biblioteca Civica de Vérone : ms 2743-Poligr.168-6. Cf. annexe XXX. 8 « Cumque procul cursum Navigii videris, non dubitare quin id ratione atque moveatur ». 9 J. Dhombres, « La course en mer ou l’intégrale de la vitesse ? Les ambitions de la Scientia navalis des Lumières », in Jullien, 2002, p. 255.
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Fig. 25. – Machine de Dubuisson, Machines et inventions approuvées par l’Académie Royale des Sciences depuis son établissement jusqu’à présent, t. Vi, 1735. Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program.
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Fig. 26. – Horloge de Pourchef, Machines et inventions approuvées par l’Académie Royale des Sciences depuis son établissement jusqu’à présent, t. iii, 1719. Heidelberg University Library – CCBY-SA 4.0.
Si nous consultons L’Encyclopédie Méthodique Marine de l’éditeur Panckoucke10, publiée de 1783 à 1787, nous trouvons mention de la machine à vent inventée par Pierre Bouguer qui ressemble à celle de Poleni. VENT - On a cherché à mesurer la force du vent au moyen de machines qu’on a imaginées à cet effet, lesquelles sont connues sous le nom d’anémomètre. M. Bouguer en propose une très simple & très commode, dans son Traité du Navire. Un morceau de carton formant un carré dont tous les côtés sont de six pouces, est appliqué perpendiculairement à une des extrémités d’une verge qui entre par l’autre extrémité dans un canon ou tuyau qui sert de manche à l’instrument & s’appuye sur un ressort à boudin qui est au fond de ce canon. On expose le carton
10 « L’Encyclopédie Méthodique Marine de l’éditeur Panckoucke présente un vaste panorama des connaissances techniques et scientifiques liées au domaine maritime. La valeur de cette encyclopédie en trois volumes par rapport à la grande Encyclopédie de Diderot et d’Alembert n’est pas contestable. Vial du Clairbois, un des rédacteurs de la seconde encyclopédie, a souligné dans le « Discours préliminaire » son manque d’intérêt pour la Marine : « Les premiers éditeurs de l’Encyclopédie, ouvrage connu avantageusement, qui contient des parties si supérieurement traitées, ont été si mal servis pour l’objet de la marine, que nous doutons d’y pouvoir trouver beaucoup d’articles à conserver. » Honoré Vial du Clairbois, ingénieur de la marine, achèvera l’ouvrage commencé par Blondeau (professeur de mathématique de l’école des gardes de la marine de Brest). La Grande Encyclopédie présente à l’époque de la publication une marine de Louis XIV techniquement dépassée. » Llinarès, 1994, p. 86.
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au choc du vent, & la verge qui est soutenue à son entrée dans le canon, par un petit rouleau mobile sur son axe, afin de diminuer le frottement, comprime le ressort à boudin, & s’enfonce à proportion de la force de l’impulsion ; et l’on a sur la surface de la verge, qui est divisée en parties, la force du vent marquée en livres & en onces. On se procure la division de la verge au moyen de poids connus qu’on place successivement sur le carton, en le tenant horizontalement, lesquels font connaître la résistance du ressort relativement à la quantité de l’enfoncement. L’un des principaux avantages de cet instrument comme le fait remarquer M. Bouguer, c’est qu’il suffit de placer le carton parallèlement à la surface d’une voile, pour trouver l’impulsion du vent sur chaque pied de cette surface, sans être obligé de faire attention à l’obliquité du choc. Dans l’article « Anémomètre », les auteurs suggèrent des améliorations possibles rappelant les innovations de Poleni : ANÉMOMÈTRE - Si, au lieu de tenir cet anémomètre à la main, il était monté sur un pied qui le rendit parfaitement stable, en permettant cependant de le faire mouvoir dans tous les sens, jusqu’à ce qu’on ait trouvé la vraie position, & que cet appareil fut muni de ce qui serait nécessaire pour tenir compte des degrés d’inclinaison, tant dans le sens vertical que dans le sens horizontal, il pourrait indiquer assez exactement la direction du vent dans chacun de ces deux sens, & contribuer à faire acquérir dans ce genre de connaissances utiles à la science de la navigation ; c’est pourquoi je me suis étendu un peu sur cet objet.
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Chapitre viii
Traduction annotée
Pièce qui a remporté le Prix de l’Académie Royale des Sciences, proposé pour l’année 1733, selon la fondation faite par feu M. Rouillé de Meslay, ancien Conseiller au Parlement. Par M. le Marquis Poleni. À Paris de l’Imprimerie Royale. 1734
Fig. 27. – Fronstipice du traité de Poleni, De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 3, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, indépendamment des observations astronomiques.
« J’avancerai, poussé non pas tant par l’espoir de réussir, que par la volonté d’essayer. », Cicéron, L’Orateur.
Personne ne pourra se repérer facilement, sans avoir abordé, même du bout des lèvres (comme dit le proverbe), la science de la navigation, sans savoir que dans les navigations elles-mêmes, la mesure la plus utile est celle des chemins parcourus par les vaisseaux et que pour mettre en œuvre l’art de naviguer, il est possible de comparer le très grand nombre de personnes qui ont réfléchi à des techniques assez sûres. C’est pourquoi pertinent et sage est le sujet proposé par l’illustre et très remarquable académie, sujet destiné à la recherche : « Quelle est la meilleure manière1 de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau indépendamment des observations astronomiques ? » En effet, dans ce but, on découvrirait et mettrait en œuvre des techniques vraiment adaptées, qui non seulement seraient utiles mais qui rendraient aussi des services pour tous les temps : elles devraient être utilisées soit quand le ciel est nuageux soit en plein jour. Mais, outre l’utilité qui réussit très bien à recommander l’enquête proposée, s’ajoutent deux autres raisons qui font qu’une proposition de ce genre doit être complètement recommandée ; parmi celles-ci, l’une est la difficulté de la chose. Elle concerne en effet, la mesure dont nul début n’est tenu pour fixé et dont le terme se trouve dans le vaisseau, assurément, dans le transport agité par les vents et les flots et exposé (pour ainsi dire) aux pièges des flots inconnus de la mer. D’autre part, la seconde raison est le manque de traités sur cette question. Si on excepte Fournier2, Milliet3 et quelques autres, combien en trouve-t-on enfin qui, écrivant sur la navigation, auraient abordé, un peu plus scrupuleusement, le calcul de la mesure proposée ?
1 Ratione : manière, raison, raisonnement, calcul. 2 Le père Georges Fournier (1595-1652) est un jésuite, entré au noviciat de Tournay en 1619, préfet des études à Caen, aumônier de la Marine. Il est l’auteur de Geographica orbis notitia, per litora maris et ripas fluviorum, 1667 et d’une Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation (1679) composé par le P. Georges Fournier que Poleni possédait dans sa bibliothèque personnelle. 3 Giovanni Poleni possédait dans sa bibliothèque l’ouvrage du mathématicien Claude Milliet Dechales (1621-1678), édité en 1690, intitulé Mundus Mathematicus. Il signale notamment dans son catalogue le livre v du tome iii, De Navigatione, p. 249. Cette page, incluse dans le chapitre sur les cartes
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S’il apparaît même d’aventure qu’à cause de sa propre nature trop compliquée, il n’est pas possible de trouver une technique parfaite s’appliquant à toutes les distances, pour que le sujet lui-même soit complètement développé et mis en œuvre selon le même calcul grâce auquel sont obtenues des mesures mises en œuvre sur sol stable, il faut pourtant essayer de toutes ses forces, que soit parfaitement connue la nature des techniques qui sont retenues, que soient sélectionnés les usages plus utiles de celles-ci, que soient reléguées ceux qui sont moins utiles, que soient ajoutées à ces usages plus adaptés de nouvelles techniques qui semblent pouvoir être adjointes utilement. Pour tous ces sujets (si je ne m’abuse complètement), on ne doit plus s’abandonner aux observations au point qu’on ne prête plus attention d’abord à ce qui serait d’un très grand profit dans l’usage difficile et l’exercice pour maintenir la course des vaisseaux. C’est pourquoi je les prendrai en compte dans cet essai que je diviserai en tout en trois parties : en premier, j’évoquerai quelques machines, agitées par le courant et la force des vents, découvertes pour rechercher la mesure du chemin parcouru par le vaisseau ; ensuite, je présenterai en détail la nature de la direction de la course des vaisseaux pour découvrir clairement en quoi une connaissance de ce genre me semblerait pouvoir agir en vue de l’objectif proposé : enfin, je montrerai quelles techniques j’estime assez sûres et ce qu’il faut ajouter, selon moi.
hydrographiques et la direction géométrique de la navigation (De mappis hydrographicis et directione navigationis geometrica), traite des erreurs contenues dans les cartes hydrographiques par rapport à la géographie physique (Discrimen mapparum hydrographicarum a geographicis). Claude Milliet Dechales était professeur d’hydrographie à Marseille.
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Première partie De quelques machines agitées par le courant et la force des vents, découvertes grâce auxquelles on peut rechercher la mesure du chemin parcouru par le vaisseau § I Il est vraisemblable que les Anciens n’ont pas manqué de technique pour estimer ou mesurer les chemins de leurs vaisseaux. Il y a plusieurs récits pour nous montrer clairement que quelques Anciens ont navigué sur l’Océan, surtout des Égyptiens, des Tyriens faisant du commerce sur la mer Érythrée avec des Indiens et pas moins les Phéniciens qui ont réalisé des courses plus longues sur l’Océan, d’après le témoignage d’Hérodote au livre iv, Melpomène4. Pline (Hist. Nat. Livre ii, chapitre 67) transmet plusieurs détails sur ces hommes qui ont navigué sur l’Océan. « Alors que la puissance de Carthage était florissante, Hannon (écrit-il entre autres) fit le grand tour depuis Gadès jusqu’aux frontières d’Arabie et publia le récit de son périple, comme le fit aussi Himilcon, que l’on envoya dans le même temps reconnaître les abords extérieurs de l’Europe5. » Et Strabon (Livre ii) écrit : « La flotte des Marchands d’Alexandrie naviguant déjà sur le Nil et dans le Golfe Arabique jusqu’en Inde a rendu ces faits beaucoup plus connus de nous qu’ils ne les avaient été autrefois6. » En outre, il est très peu vraisemblable que les Anciens ne se soient pas risqués à des navigations de ce genre et qu’ils n’aient pas eu de techniques de secours nécessaires pour diriger où ils voulaient la course de leurs vaisseaux et discerner avec le plus de précision, une fois en haute mer, les parties de la mer dans lesquelles ils se transportaient souvent : en effet, ce n’était pas toujours près des littoraux que les engageaient à naviguer tantôt les routes de la mer Méditerranée et des golfes océaniques, tantôt l’urgence même
4 « Ὁρμηθέντες ὦν οἱ Φοίνικες ἐκ τῆς Ἐρυθρῆς θαλάσσης ἔπλεον τὴν νοτίην θάλασσαν· ὅκως δὲ γίνοιτο φθινόπωρον προσσχόντες ἂν σπείρεσκον τὴν γῆν, ἵνα ἑκάστοτε τῆς Λιβύης πλέοντες γινοίατο, καὶ μένεσκον τὸν ἄμητον· [4] Θερίσαντες δ᾽ ἂν τὸν σῖτον ἔπλεον, ὥστε δύο ἐτέων διεξελθόντων τρίτῳ ἔτεϊ κάμψαντες Ἡρακλέας στήλας ἀπίκοντο ἐς Αἴγυπτον. Καὶ ἔλεγον ἐμοὶ μὲν οὐ πιστά, ἄλλῳ δὲ δή τεῳ, ὡς περιπλώοντες τὴν Λιβύην τὸν ἥλιον ἔσχον ἐς τὰ δεξιά. » Hérodote, Histoires, livre iv, Melpomène, § 42 « Partis de la mer Érythrée, les Phéniciens parcoururent la mer méridionale : à l’automne, ils débarquaient sur la côte de Lybie, à l’endroit où les avait menés leur navigation, ensemençaient le sol et attendaient la récolte ; la moisson faite, ils reprenaient la mer. Deux ans passèrent ainsi ; la troisième année, ils doublèrent les colonnes d’Héraclès et retrouvèrent l’Egypte. Ils rapportèrent un fait que je trouve incroyable, si d’autres y ajoutent foi : en contournant la Libye, dirent-ils, ils avaient le soleil à leur droite. » Trad. A. Barguet, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1964, p. 301. 5 Et Hanno Carthaginis potentia florente… : traduction de Jean Beaujeu, Paris, CUF, 1950. 6 « καὶ τῶν ἐκ τῆς Ἀλεξανδρείας ἐμπόρων στόλοις ἤδη πλεόντων διὰ τοῦ Νείλου καὶ τοῦ Ἀραβίου κόλπου μέχρι τῆς Ἰνδικῆς, (ἃ) πολὺ μᾶλλον καὶ ταῦτα ἔγνωσται τοῖς νῦν ἢ τοῖς πρὸ ἡμῶν. » Strabon, Géographie, livre ii, chap. 5, § 12. « De leur côté, les trafiquants d’Alexandrie équipent maintenant de véritables flottes pour remonter le Nil et traverser le golfe Arabique jusqu’en Inde, ce qui fait que ces pays sont bien mieux connus de nous aujourd’hui qu’ils ne l’étaient de nos prédécesseurs. » Trad. G. Aujac, CUF, Paris, 1969.
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née des tempêtes et des ouragans. Par ailleurs, s’ils étaient privés du très utile secours d’une boussole nautique dont l’invention était reportée à des temps ultérieurs, qui douterait qu’ils aient utilisé des observations solaires et astronomiques mais aussi des estimations7 de chemins parcourus et que pour estimer et mesurer ces chemins, ils n’aient pas eu recours à quelques techniques particulières ? Et en effet, les secours de ce genre sont tels que leur nécessité avait dû s’imposer spontanément à l’esprit des navigateurs. Mais pourtant il n’est pas assez établi quelles techniques les Anciens ont découvertes, aptes à satisfaire à cette nécessité. En effet, aucun de ces faits n’est parvenu jusqu’à nous, hormis le petit nombre d’indications peu claires données par Vitruve. § II Les Anciens avaient transmis une technique pour mesurer le chemin qu’avait parcouru un vaisseau : mais pourtant il n’est pas certain qu’elle fut celle qu’ils utilisaient beaucoup pour estimer le chemin des vaisseaux. Vitruve (Livre x, Chap. 14) tient ces propos : « Le plan de notre traité nous fait passer maintenant à l’étude d’un système qui n’est pas sans utilité et qui est surtout très ingénieux ; nous le tenons de nos ancêtres8 : il nous permet de connaître lorsque nous voyageons en char ou que nous naviguons sur la mer, la distance en milles9 que nous avons parcourue10. » Ensuite, il développe la technique qui, dans le mouvement d’un chariot, « indiquerait le nombre de milles parcourus ». Et alors, il ajoute que cette même technique a été utilisée dans les navigations, alors que peu d’éléments ont été changés, pour définir les trajets des vaisseaux. Assurément, à travers les bordages des flancs du vaisseau, on fait passer « un axe dont les extrémités débordent extérieurement. À ces extrémités sont emboîtées des roues qui portent fixées en saillie à leur pourtour, des aubes qui touchent l’eau11. » Les roues tournant avec le mouvement de l’eau indiquaient les milles parcourus12.
7 Poleni évoque ici la navigation à l’estime, autrement dit le « jugement qu’un maître pilote fait du lieu où est arrivé le navire, du nombre des lieues qu’il a faites depuis un tel lieu, ou combien il est esloigné de quelque endroit. » écrit le P. Fournier, Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, Paris, Soly, 1643. 8 A majoribus traditam : il s’agit d’une allusion à l’hodomètre d’Héron d’Alexandrie. 9 Quot milia : l’hodomètre était utilisé par des physiciens et des astronomes (Eratosthène avait mesuré la distance d’Alexandrie à Syène pour en déduire le rayon de la terre), des géographes, des ingénieurs chargés de la construction des routes. 10 Trad. Callebat, CUF, 2003. Le texte de L. Callebat donne deux leçons différentes de la version de Poleni : cogitatio et millia numero. L. Callebat traduit ratio par « système ». 11 Vitruve précise que les roues mesurent quatre pieds de diamètre (rotae diametro pedum quaternum). Claude Perrault écrit à propos de l’hodomètre vitruvien : « Cette machine qui est très ingénieuse ne saurait être exécutée de la manière que Vitruve propose. » 12 « La lieue terrestre avait à l’origine la valeur du chemin parcouru en moyenne en une heure par un voyageur à pied. Cette mesure vague fut gardée pour les routes sur l’océan, tandis qu’en Méditerranée, on pratiquait le mille. Colomb avait compté 14 lieues et un sixième au degré de longitude, et finalement, au temps du père Fournier, le grand cercle terrestre à l’équateur comptait 5400 lieues d’Allemagne, 6300 d’Espagne et 7200 de France. La lieue marine de France et d’Angleterre soit 20 lieues au degré, s’imposa, reconnue par le Neptune françois de 1693, et fut reprise telle quelle par le
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Si cependant tout ce chapitre de Vitruve est rédigé avec un grand soin, il sera très facile de comprendre que la manière de mesurer les chemins des vaisseaux est proposée par Vitruve de sorte qu’elle ne semble pas avoir été entreprise pour un besoin impérieux et prioritaire lié à la navigation. Cela est assez clair et très manifeste surtout à la fin du chapitre quand Vitruve suppose : « je pense avoir fini mon exposé sur la manière de réaliser les appareils dont on doit disposer, dans les temps de paix et de sécurité, à des fins d’utilité et d’agrément. » Mais Vitruve, dans l’ouvrage cité, avait décidé de transmettre « les principes ordonnés des Machines13 », mais non pas les principes de la navigation. § III La technique des Anciens rapportée par Vitruve à cause des inconvénients inhérents, pourrait n’être d’aucune utilité. Dans les mesures des diamètres des roues qu’on lit dans les livres de Vitruve, une erreur s’est glissée que personne n’a mieux remarquée que Claude Perrault dans les observations qu’il a ajoutées aux livres de Vitruve. Ainsi note-t-il là même qu’incertaine est la manière de mesurer le chemin d’un vaisseau parce que les roues installées sur les flancs du vaisseau, mises en rotation par la poussée14 de l’eau, du fait de sa propre vitesse, ne correspondent nullement, en proportion, à la vitesse du vaisseau en raison de la résistance de la machine. En outre, il vaudra mieux souligner que Vitruve ordonne que « l’eau soit touchée par les aubes des roues15 » ; c’est-à-dire (comme je le pense) qu’elles soient légèrement immergées dans l’eau : mais cependant il est nécessaire qu’elles soient immergées dans une partie non négligeable et de fait, la poussée de l’eau peut facilement varier, selon la profondeur variable de l’immersion de chaque aube. Bien plus, à cause du tangage de nos vaisseaux agités par le vent, les inclinaisons variées, tantôt d’un côté tantôt de l’autre, les mouvements rotatifs des roues pour avancer sont rendus inégaux. En outre, si les créneaux ne sont pas grands et suffisamment immergés, un retard du vaisseau pourrait advenir ; et celui-ci est beaucoup plus grand, si « sont construits deux petits vaisseaux attachés l’un à l’autre seulement par quelques pieds propres à soutenir de ci de là une roue ailée. » Voilà la machine proposée par P. Cl. Franc. Milliet, dans son sixième livre sur La Navigation16 et il ne
Service Hydrographique, à partir de 1720. La lieue marine comprend 3 milles, de la valeur de 1’ à l’équateur. Un mille vaut 10 encablures (il s’agit de câbles de 100 toises ou de 120 brasses, et le nœud correspond à la vitesse de 1 mille à l’heure. » Randier J., L’Instrument de marine, Le Touvet, éd. Marcel Didier-Vrac, 2000, p. 49. 13 Livre x, Praefatio, § 4. 14 Impulsu aquae : traduction du mot impulsu employé par Vitruve, livre x, 9, 7 par Philippe Fleury reprise dans « La liburne automotrice du De Rebus Bellicis », La technologie gréco-romaine. Transmission, restitution et médiation, Caen, Presses universitaires de Caen, Erlis, 2015, p. 84. 15 La citation exacte de Vitruve est : pinnae quae erunt in rotis tangentes aquam (« les aubes qui sont aux roues, touchant l’eau »), livre x, 9, 7. 16 Le livre vi du Mundus Mathematicus de Milliet porte sur l’estimation du chemin d’un vaisseau corrigée par les observations de la latitude.
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cessa pas de réfuter avec prévoyance l’usage de celle-ci. Puisqu’il en est ainsi, une technique de ce genre ne peut s’affranchir, par sa nature-même, des inconvénients contraires à elle, il est clair que cette technique doit être abandonnée. § IV Au sujet de la première technique grâce à laquelle d’après la force du vent observée, on suit la mesure du chemin parcouru par le vaisseau. Puisque l’assaut des vents est considéré comme le principal moteur17 des vaisseaux la plupart du temps, il n’a pas manqué de gens pour chercher des techniques aptes à montrer les forces de celui-ci au sujet des chemins des vaisseaux (comme des effets de ses forces) suivant l’intensité variée de ces dernières. Crescentio18 (dans son livre intitulé La Navigation en Méditerranée, livre 2, chap. 9) propose une technique comme s’il l’avait lui-même inventée, pour estimer les forces des vents : à ce sujet, quelques techniques sont présentes aussi dans les ouvrages d’Ath. Kircher19 Sur l’Aimant, livre 2, partie 6 et de Georges Fournier dans L’Hydrographie, livre 17, chap. 320. Les anglais ont aussi utilisé une technique semblable ; ceux-ci pourtant sont portés à considérer le vent comme régulier dans une telle observation. Mais il vaudra mieux choisir un élément dans le sixième livre Sur la Navigation de Cl. Franc. Milliet, qui semble un peu plus scrupuleusement versé dans cet art. Milliet voudrait qu’un petit coffret soit confectionné comme cela est assez visible sur la figure (Fig. I) auquel seraient apposés deux axes dressés perpendiculairement, axes s’élevant au-dessus du sommet du petit coffret, et autour de l’un ou l’autre d’entre eux, il voudrait que soit enroulé un fil à la fois solide et d’une grande souplesse. 17 Motor est un italianisme, n’existant pas en latin sous cette forme. 18 Giovanni Poleni possède dans sa bibliothèque l’ouvrage de Bartolomeo Crescentio ainsi intitulé dans le catalogue manuscrit de Poleni : Proteo militare (De Re nautica) publié en 1595. Cet officier romain né dans la seconde moitié du xvie siècle a, dans son ouvrage Proteo militare, décrit un instrument nautique qui pourrait être considéré comme le précurseur du compas galiléen de proportion. En 1607, Crescentio parle d’un manomètre à « vent relatif » (sans doute le vent apparent), qui enroule x mètres de ficelle, proportionnellement au chemin parcouru. Pasquale Ventrice (L’Arsenale di Venezia tra manifattura e industria, Padoue, 2009, p. 288) écrit que B. Crescentio est le premier à formuler le concept d’architecture navale qui réclame la nécessité de fournir aux constructeurs de vaisseaux un « appareil théorique » qui s’articule avec les connaissances mécaniques. Le chap. 9 du traité de Crescentio (livre ii) s’intitule : « Perche le Bussole nel Meridiano dell’Isole Terziere, guardano per la drittura del Polo, & fuori di quel Meridiano gregheggiano di mano in mano, fino à due quarte di Vento, nello spatio d’una quarta parte dell’Orbe, che è gradi 90 venendo verso Levante, però verso Ponente maestreggiano : & di questo greghegiarre & maestreggiare, si può sapere la longitudine, navigando per Ponente Levante. » 19 Giovanni Poleni possède le traité d’Athanase Kircher (1602-1680), Magnes sive de Arte magnetica (1654). La référence renvoie au chapitre de Kircher consacré à la boussole marine (De Nautica pyxide) et à son usage pour déterminer les lignes de méridien et la longitude. 20 Dans l’édition de 1679 du traité sur l’Hydrographie du père Fournier, possédée par Giovanni Poleni, le physicien Fournier se demande « Comment un corps peut contrepeser beaucoup sans peser beaucoup » dans le chapitre 3 du livre xvii qui évoque « Les forces mouvantes dont on se sert sur mer ».
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Fig. 28. – Machine de Milliet, fig.1. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 41, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
En outre, il voudrait que sur la petite tête du deuxième axe A libre soit portée « une roue horizontale C dont le diamètre serait d’un ou deux pieds qui pourrait se composer de lames en fer blanc ; le système aurait été monté de telle manière qu’il se compose d’ailes convexes-concaves (comme en B), tournées dans le même sens. De cela résulte le fait suivant : le vent aurait des forces plus grandes venant de la partie par laquelle il frappe les parties concaves. » Ainsi, le vent faisant tourner la roue, si on a défini une fois par expérience la longueur de fil à enrouler autour de l’axe creux pendant le temps où le vaisseau a parcouru un mille21 (par exemple), tout le fil par des intervalles entre deux nœuds serait divisé en parties égales de la pelote : ensuite, grâce
21 « Tout cela supposait néanmoins qu’on s’entendît sur la longueur du mille et, dans le cas du loch à bateau, sur la valeur du nœud. La première mesure, due à Richard Wright, 1589, donne, pour le rayon de la Terre, 55 580 km, longueur trop faible de 800 km. Norwood mesure, pour le mille, 1866,6 m à la chaîne d’arpenteur et préconise des nœuds théoriques de 51 pieds et des nœuds pratiques de 50 pieds pour tenir compte de l’entraînement de la ligne. C’était beaucoup mieux, car on en était jusque-là à 42 pieds, ce qui, selon l’opinion des pilotes du temps, « garantissait la sécurité des atterrissages », car, en comptant des vitesses trop grandes, on était supposé arriver bien avant l’heure, donc veiller à temps ! » Randier J., L’Instrument de marine, Le Touvet, éd. Marcel Didier-Vrac, 2000, p. 43.
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au calcul des intervalles entre les deux nœuds du fil, grâce à la longueur de fil mis en pelote, une évaluation pourra être portée, du nombre de milles parcourus. Et la roue C, en cas de besoin, pourra, grâce au fil enroulé, être déplacée de l’une à l’autre petite tête. § V La première technique qui utilise le vent peut être difficilement de quelque utilité. Cl. Franc. Milliet considère avec raison que, dans l’emploi de la technique récemment développée, ce qui peut constituer un inconvénient majeur est le fait qu’un fil soit enroulé au-dessus sur soi-même et qu’il soit (pour ainsi dire) entassé, de telle sorte que l’axe augmente son diamètre étant donné qu’à cause des tours égaux, les roues agitées par le vent ne correspondent nullement au nombre de tours égaux du fil : cet inconvénient (outre tous les autres que nous exposerons plus bas) rend presque inutile une technique simple de ce genre. § VI Au sujet d’une autre technique pour mesurer le chemin d’un vaisseau, grâce à l’examen des forces du vent. Comme P. Milliet avait remarqué le défaut de la première technique exposée dans l’article précédent, il proposa de fait une autre machine composée de quatre ou cinq axes : sur ceux-ci d’abord, une roue serait fixée selon le modèle de la roue C décrite ci-dessus. Soit donc la roue A (Fig. 2) : une petite poulie C est insérée sur l’axe B « dont la corde autour d’une plus grande poulie D est enroulée : or, la proportion des grandes et petites poulies serait telle que la plus grande serait décuple de la plus petite. Ainsi, trois poulies plus grandes D, G et K ayant été installées, la dernière K aura un seul mouvement giratoire seulement une fois, quand la roue ailée A réalisera mille girations » qui seront montrées par l’aiguille P.
Fig. 29. – Machine de Milliet avec 4 roues, fig.2. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 41, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
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Ainsi pense-t-il être enclin à comprendre, à partir de l’un ou l’autre chemin connu et des tours proportionnels à celui-là même, que les mesures des autres chemins aussi peuvent être estimées d’après le nombre des tours. § VII Ce qui est au-dessus constitue alors aussi un très grand obstacle à l’utilité de la première technique : tel est notre exposé. Pour faire plus bref, je ne dirai rien sur les résistances (ou les frottements comme on les appelle) des parties des machines qui ne correspondent pas aux forces du vent. Et ce qui suit, je le noterai scrupuleusement : assurément soit que le vent souffle tout droit suivant la direction du chemin (« Vent arrière »), soit qu’il est un petit peu dévié sur le côté et que le vent gonfle parfaitement toutes les voiles (« Vent de quartier ») soit que le vent est plutôt transversal (« Vent à la Bouline »). Toutefois, l’évaluation du chemin parcouru par le vaisseau, qui aurait été réalisée d’après les deux machines, ne correspondra pas toujours au chemin lui-même mais toujours à la force et à l’action proportionnelle du vent. En effet, les vitesses du vaisseau comme nées de la force même du vent sont différentes entre elles en fonction de la direction variable de ces trois vents soufflant vers le vaisseau : c’est pourquoi, venant de la force du vent, montrée par ces machines, en aucune façon, ne seront indiquées les vraies mesures des chemins qui doivent être calculées non à partir de la seule poussée du vent mais aussi pour une grande partie selon la direction du vent. § VIII Au sujet de la construction de la machine à l’aide de laquelle les forces du vent peuvent être évaluées avec plus de précision. Que soit fabriqué un demi-anneau de fer ILO (Fig. 3) d’un diamètre OI de deux pieds et demi (ou environ) assez épais et qu’à l’aide de trois robustes pieds en fer Xu, Zc, Yr (qui pourraient aussi être renforcés par des vis en c, r, u), qu’il soit soutenu et étayé. Or le pied Xu de derrière fléchi vers les parties postérieures sera compris de telle sorte que les plaques destinées à être décrites un peu plus bas ne pourront pas faire obstacle au mouvement. Conformément au diamètre du demi-anneau lui-même, que soit posée une barre en fer mn appuyée près de ses extrémités (qui sont comme deux gonds) entre les deux créneaux entaillés dans la partie supérieure du demi-anneau ; ainsi, entre ceux-ci, elle pourrait très librement tourner, exactement comme l’axe d’une balance. Avec cette barre, au moyen de quatre lames t, fermement unies et jointes avec une plaque métallique QHMN, de forme carrée22, un côté du carré mesurera deux pieds. En outre, cette plaque
22 Quadratum : carré car il n’existe pas de mot latin pour désigner le rectangle. D’où l’appellation erronée de la Maison Carrée à Nîmes…
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quand elle subira la pression de la seule gravité, sera toujours perpendiculaire à l’horizon : mais si elle est ébranlée irrégulièrement par la force du vent, elle s’inclinera irrégulièrement, et en quelque sorte, entrera en rotation autour des gonds de la barre en fer.
Fig. 30. – Machine pour mesurer la force du vent, fig.3. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETHBibliothek Zürich, Rar 4126, p. 41, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
Et du milieu D de cette même barre de fer mn se dresse une aiguille métallique DF dont la bordure finit en ligne droite DF ; que cette ligne soit rectiligne de telle sorte que si on la faisait avancer jusqu’en g, elle traverserait le milieu de l’épaisseur et passerait par le centre de gravité C de la plaque QHMN. Et au-dessus du demi-anneau lui-même, que s’élève le demi-cercle BGAFP, qu’on grave sur sa face des degrés et que cette face soit perpendiculaire à l’horizon ; sa position ayant été établie au centre D de telle sorte que les degrés de l’inclinaison de la plaque soient indiqués par l’aiguille DF sur ce côté. Et on expliquera plus bas au § XI comment cette nouvelle machine pourra être utile pour estimer le chemin du vaisseau.
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§ IX Présentation de l’utilisation de la machine décrite au chapitre précédent. Au-dessus de la partie extrême de la poupe où le vent puisse circuler tout à fait librement, qu’on place la machine. Et grâce à l’observation d’une lame23 (comme certains l’appellent), ou grâce à celle d’un petit fanion muni d’une feuille de fer tournante et légère plutôt que de quelque chose du genre des tissus, soit grâce à l’examen d’objets sur le navire agités par le vent sur le vaisseau soit par n’importe quel autre moyen, il sera très facile de tourner la machine au vent de telle sorte que le vent frappe directement la plaque QHMN. C’est pourquoi la plaque subira la pression du vent et s’inclinera ; ainsi l’aiguille DF indiquera-t-elle l’angle ADF de l’inclinaison par rapport à la ligne perpendiculaire AD, qui se prolongera jusqu’en s. En posant (comme c’est d’usage) que la direction du vent est quasi parallèle à l’horizon, si nous imaginons que, par une force R, appliquée à l’aide d’une cordelette EC au centre de gravité C de la plaque, la plaque soit retenue dans cette position dans laquelle elle serait aussi retenue par le vent, il existera une force, c’est-à-dire le poids de la plaque, qu’on nomme K, en rapport avec la force R comme le sinus de l’angle FCE (= au sinus de l’angle FDP, = au sinus de l’angle complémentaire24 de ADF) est en rapport avec le sinus de l’angle FCG (= à l’angle ADF). Mais comme on recherche la force du vent frappant contre la voile, on pose que celle-ci est tantôt d’une grandeur constante tantôt perpendiculaire à l’horizon ; maintenant, il faut chercher une force que le vent produirait sur la plaque établie selon la perpendiculaire. Puisque donc quand la plaque est inclinée sous l’angle ADF, le vent la pousse de biais et puisque la mesure de l’inclinaison est l’angle FDP, pour cette raison la force du vent sera absolue25 (par laquelle il agira sur la plaque perpendiculaire) en rapport avec la force respective (par laquelle il agira sur la plaque inclinée) comme tout le sinus en rapport avec le sinus de l’angle FDP. En outre, (les lignes ayant été menées par les points a et g des extrémités au moyen de gs normale à As et ae perpendiculaire à gs), la mesure de la hauteur de la plaque inclinée doit être prise près de la perpendiculaire ae ; la mesure [de la hauteur] de la plaque prise perpendiculairement sera à la mesure de la plaque inclinée comme ag en rapport avec ae. Et si ag est prise selon le sinus total26, alors le sinus total est en rapport avec le sinus de l’angle age = à l’angle FDP. Donc la force du vent dans la plaque établie près de la perpendiculaire à la force du vent poussant la plaque oblique, sera dans 23 Petalum, i, n : lame, feuille de métal. 24 Les angles FDP et ADF sont complémentaires (leur somme est égale à 90°) alors que les angles FCE et FDP sont supplémentaires (somme égale à 180°). Donc l’angle FCG égale l’angle ADF. 25 « Le mouvement absolu est le changement de lieu absolu d’un corps mu, dont la vitesse doit par conséquent se mesurer par la quantité de l’espace absolu que le mobile parcourt. Le mouvement relatif, c’est le changement du lieu relatif ordinaire du corps mu, et sa vitesse s’estime par la quantité d’espace relatif qui est parcourue dans ce mouvement. » Article « Mouvement » d’Antoine-Gaspard Boucher d’Argis, Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1765. 26 Sinus totus = sinus total c’est-à-dire sinus de 90° (sinus de l’angle total) = 1.
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un calcul composé du calcul du sinus total en rapport avec le sinus de l’angle FDP et encore selon le calcul du sinus total au sinus de l’angle FDP : c’est-à-dire comme le carré du sinus total en rapport avec le carré du sinus de l’angle FDP. § X Construire une table, selon chaque quart de degrés, pour montrer la force respective du vent et la force du vent absolue et réelle. La force respective du vent qui exerce une pression dynamique sur la plaque inclinée est nommée R. La force de la plaque, c’est-à-dire le poids de celle-ci (qu’on évalue à 10 livres), est nommée K. Degré
Force respective du vent
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28
0.18 0.35 0.52 0.69 0.86 1.04 1.22 1.40 1.58 1.76 1.94 2.12 2.30 2.49 2.68 2.87 3.06 3.25 3.44 3.64 3.84 4.04 4.24 4.45 4.66 4.87 5.09 5.31
Force du vent, absolue et réelle 0.18 0.35 0.52 0.70 0.88 1.06 1.24 1.43 1.62 1.81 2.01 2.21 2.42 2.64 2.87 3.11 3.35 3.59 3.85 4.12 4.41 4.70 5.00 5.33 5.67 6.03 6.41 6.81
Degré
Force respective du vent
29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56
5.54 5.77 6.01 6.25 6.50 6.75 7.01 7.27 7.54 7.81 8.10 8.39 8.69 9.00 9.32 9.65 10.00 10.36 10.72 11.11 11.50 11.92 12.35 12.80 13.27 13.76 14.28 14.83
Force du vent, absolue et réelle 7.24 7.71 8.18 8.69 9.24 9.82 10.45 11.11 11.82 12.58 13.42 14.30 15.26 16.30 17.42 18.65 20.00 21.47 23.05 24.82 26.71 28.85 31.19 33.77 36.65 39.83 43.40 47.43
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Degré
57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73
Force respective du vent 15.39 16.00 16.64 17.32 18.04 18.81 19.63 20.50 21.45 22.46 23.56 24.75 26.05 27.47 29.04 30.78 32.71
Force du vent, absolue et réelle
Degré
51.88 56.98 62.75 69.28 76.77 85.34 95.25 106.66 120.10 135.79 154.39 176.41 202.72 234.78 273.96 322.30 382.57
74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
Force respective du vent 37.87 37.32 40.11 43.31 47.05 51.45 56.71 63.14 71.16 81.44 95.14 114.29 143.00 190.80 286.36 572.98 ∞
Force du vent, absolue et réelle 459.42 557.85 685.64 855.93 1 089.12 1 413.46 1 884.05 2 577.14 3 687.05 5 465.77 8 728.44 15 038.16 29 791.67 69 762.34 235 104.80 1 870 955.10 ∞∞
La force du vent absolue est nommée V. Le sinus total est nommé s ; le sinus de l’angle ADF est nommé b ; le sinus de l’angle FDP est nommé c. Kb Précédemment a été posé : K.R : : c.b, et _ c = R.
_ s Kbs En outre, V.R : : s2 . c2, et R _ c 2 = V, et bc 3 = V 2
2
C’est suivant ces formules, qu’a été élaborée (avec l’emploi des parties décimales) la table, que j’ai ajoutée. Puisque la quantité K posée est constante, il est rendu manifeste que même si le poids de la plaque n’était pas de dix livres mais celui qu’on trouverait le plus adapté à l’expérience, le rapport des nombres se ferait néanmoins fort bien. § XI Une fois les forces du vent données à l’aide de la machine et de la plaque décrites plus haut, estimer le chemin parcouru par le vaisseau. De même que pour l’emploi d’autres machines semblables, en premier lieu, les auteurs posent, à l’issue d’expériences réitérées, qu’il faut vérifier, au moyen d’un calcul, quelques mouvements donnés de machines et itinéraires qui conviennent aux mouvements eux-mêmes, de même je déclare aussi qu’il est nécessaire que soient tenues, d’après les observations, les mesures des différents chemins parcourus par le
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vaisseau, pourvu que les voiles soient fixées dans certaines positions données et que les forces du vent, au même instant, à l’aide de la technique décrite, soient étudiées. Ces observations et expériences peuvent se réaliser facilement alors sur des chemins plus courts, en ces lieux dont les distances sont connues par ailleurs, tantôt dans les navigations près des côtes où à partir des régions et des longueurs des littoraux eux-mêmes, on peut réaliser une évaluation sûre du chemin du vaisseau, tantôt aussi par d’autres moyens qui, dans des pratiques aisées de ce genre, sont suggérés par des occasions variées et par la pratique elle-même. À dessein, j’ai dit plus haut « pourvu que les voiles soient fixées dans certaines positions données ». En effet, quand, à l’aide d’un instrument proposé, est indiquée avec fiabilité la force du vent tantôt respective tantôt absolue, celle-ci aussi serait rapportée dans des expériences pour des positions de voiles données ; pour cette raison, dans l’utilisation de cet instrument, les erreurs pourront facilement être évitées, erreurs issues de la direction variée du vent soufflant sur le vaisseau et qui se glissent furtivement dans les estimations des chemins, dont on a parlé au septième paragraphe. Maintenant, revenons au sujet : si des calculs de ce genre sont réalisés de science certaine, quand les positions des premières voiles sont désormais conformes à ceux-ci, et quand les forces du vent se trouvent égales, on connaîtra le chemin parcouru d’après ces calculs : comme la durée du plus petit chemin déjà observé sera la durée du chemin plus grand, de même celui-là sera la longueur du chemin vers celui-ci. Bien plus, quand dans ces circonstances-ci, on a repéré une différence, l’évaluation se fera en proportion ; de ce fait, la vérité sera parfaitement atteinte ou on y accèdera le plus précisément possible. Quant au reste, pour une opération de ce genre, l’application dans les observations, le savoir-faire dans les comparaisons et la prudence dans les estimations sont vraiment nécessaires ; quand ces qualités ne manqueraient pas (chez les patrons de vaisseau habiles, elles font très peu défaut habituellement) à la machine proposée, assurément, les connaissances utiles pourront être apportées. En outre, ces premières machines rappelées au début, ayant été utilisées, les estimations des chemins qui sont faites, peuvent être emmêlées d’une double erreur : l’une provenant des vices des machines, l’autre des estimations elles-mêmes : si ces erreurs convergent pour augmenter ou diminuer, elles pourraient étonnamment détourner de la vérité par cette convergence : et pourtant Cl. Franc. Milliet (dont Les Livres sur la Navigation sont reconnus parmi les meilleurs), parlant de ses machines, est l’auteur de ces mots : « Ces machines ont beau sembler être de peu d’importance, j’affirme cependant qu’elles sont d’une grande importance dans la navigation et que la connaissance du chemin parcouru peut être considérée comme assez exacte. » C’est pourquoi (par un meilleur calcul), la machine proposée par nous pourra, puisqu’elle semble plus sûre et plus précise et que, dans son usage, les erreurs ne peuvent pas facilement s’emmêler, être une aide à la recherche de la mesure des chemins parcourus par un vaisseau (comme il plaît de le penser).
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Seconde partie De la nature de la course des vaisseaux et de l’usage de cette connaissance dans la recherche de la mesure annoncée. § XII Des tables à construire pour l’objectif proposé. Si des tables peuvent être tenues dans lesquelles, pour chaque allure, sont exprimés les angles compris entre la ligne de direction de la pression dynamique27 du vaisseau et la ligne de la carène ; et si de la même manière, sont exprimés les angles formés par la ligne de la route du vaisseau et la ligne même de la carène ; et si en outre, on mettait en évidence les pressions dynamiques du vaisseau et les vitesses qui correspondent à ces données, les tables de ce genre amèneraient en toute certitude à illustrer et à résoudre la question proposée. Mais de quelque manière que plusieurs sujets, eux-mêmes remarquables, auront été, par écrit, proposés par des hommes très savants, portant sur la nature de la course des vaisseaux, quelques-uns de ces sujets néanmoins doivent être peut-être encore soumis à l’investigation ; il me semble qu’il faut nous intéresser non seulement à la résistance de l’eau mais aussi à quelques autres principes entièrement indipensables. C’est pourquoi les forces de la gravité ayant été employées en renfort et plusieurs principes ayant été observés, j’entreprendrai d’exposer le sujet dans sa totalité par une démonstration, complète et inédite, pour qu’ainsi, on décide plus nettement et plus convenablement dans quelle mesure les spéculations de ce genre peuvent aboutir au but proposé. § XIII On postule (pendant qu’on traite du mouvement des vaisseaux) que les forces données d’un corps mu par un coup puissent exprimer les forces de la gravité utilisées. Je n’ignore pas que la force d’un coup soit appelée « infinie » et que soient dites hétérogènes les forces d’un coup et celles de la gravité ; et pour cette raison, il n’est pas possible de nier qu’une comparaison entre celles-ci puisse, selon un mode rigoureux, être instituée : mais de ce sujet, je ne parle pas. Je demande qu’il soit permis de comparer la force et les effets de l’une et de l’autre et (quand les effets sont égaux) d’exprimer par l’action de l’une, l’action de l’autre. Si en effet (par exemple) un corps donné, lâché d’une hauteur donnée, peut casser par son choc un solide soumis à une
27 Impressionis impellentis : La pression dynamique notée q représente la pression exercée par ou sur un fluide en mouvement. Elle ne dépend donc pas de la surface mais uniquement de la vitesse et de la masse volumique du fluide.
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résistance donnée, il n’est pas possible qu’il casse si la résistance est plus grande. Or qu’un solide semblable et égal soit chargé d’un autre corps lourd jusqu’à ce qu’il casse, qu’est-ce qui empêchera que la force du coup du premier corps soit exprimé par la force de gravité de ce second corps ? Par la suite, pendant qu’on traitera de la pression que le vaisseau par son mouvement produira dans l’eau, dont le mouvement n’est pas considéré comme un effet entier (car tout le mouvement de l’eau ne se communique pas de telle sorte qu’il disparaisse dans le vaisseau), on traite d’une force de ce genre puisque la question ne peut concerner la Force Vive (comme on l’appelle) et qu’à cause de cela, il est sûr que la quantité de mouvement du vaisseau est constituée de la matière en pleine vitesse. Quant à la quantité de mouvement ou les forces de la pression de ce genre (quand sont donnés le poids d’un corps percuteur et sa vitesse), comparées avec les forces de la gravité, elles peuvent être étudiées à l’aide d’une balance, comme ont tenté de le démontrer avec application et intelligence Gul. Jac. S’Gravesande dans La Physique par des Eléments mathématiques28, premier livre de la première édition, et par d’autres moyens aussi, comme Francesco Lana Terzi dans son Cours de Nature et de Technique29, premier livre du troisième traité. Dans ce sujet, même s’il semble que quelque résultat doive être obtenu, pourtant, il apparaît assez bien d’après ces essais, que le sujet lui-même ne soit pas d’un genre à ne pas pouvoir être confié à l’exécution. § XIV Une fois la quantité de mouvement d’un corps donnée, trouver la force équivalente de la gravité pour celui-ci. Francesco Lana Terzi, dans un passage déjà cité, raconte son expérience ; une petite boule dont le poids équivalait à 60 grains30, tombée d’une hauteur de 36 doigts31, a eu environ la même force qu’un poids de 12 scrupules exerçant une force contre lui au moyen de sa seule gravité. Posons maintenant (par un exemple seulement) que cette expérience a atteint ce que nous cherchons : une petite boule est appelée m, sa vitesse u ; sa quantité de mouvement32 m u serait nommée a ; et la charge pesant 12 scrupules
28 Le juriste et diplomate néerlandais Willem’s Gravesande (1688-1742) a voyagé de Hollande en Angleterre, y rencontra Newton, assista aux leçons expérimentales de Desaguliers, Hauksbee, Whiston et devint membre de la Royal society. Plus tard, il enseigna la physique expérimentale à l’Université de Leyde et publia de nombreux ouvrages de vulgarisation, très bien illustrés. 29 Francesco Lana Terzi (1631-1687) est un mathématicien jésuite et naturaliste. Ce professeur de physique et de mathématiques de Brescia présente dans son Prodromo dell’Arte Maestra (1670) une théorie de la navigation aérienne établie par le calcul et une clairvoyance remarquable. Voir note 26 du discours d’inauguration. 30 1 grain = 53,114 mg et 1 scrupule = 24 grains. 31 1 doigt = 18,525 mm. 32 Impetus : La quantité de mouvement est la mesure que l’on tire à la fois de sa vitesse et de sa quantité de matière. Dans sa version moderne, on la nomme principe fondamental de la dynamique (PFD), parfois appelée relation fondamentale de la dynamique (RFD), et s’énonce ainsi :
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sera appelée g. C’est pourquoi si on donne un autre corps en mouvement dont la gMV masse est M, la vitesse V, la quantité de mouvement MV, on aura a. g : : MV . _ a = à la force de la gravité équivalente à la quantité de mouvement du corps M mu par la vitesse V. Ainsi, ensuite, selon le premier calcul de ce modèle, nous utiliserons cette proposition a sur g. § XV Une fois donnée la vitesse de l’eau poussant perpendiculairement une surface donnée, trouver la force de gravité équivalente à la quantité de mouvement, par laquelle l’eau agit sur cette surface. Il est très connu que les vitesses sont dans ce même calcul associées aux racines carrées des hauteurs des tonneaux qui sont remplis sans interruption et dont les eaux elles-mêmes s’écoulent par des orifices percés au fond. C’est pourquoi si on trouve par expérience, par l’eau jaillissant d’un trou réalisé dans le fond du tonneau rempli d’eau sans interruption, dont la hauteur est appelée b, qu’on acquerrait une vitesse c : que soit donnée la vitesse C d’un deuxième écoulement d’eau et on aura c2 . b : : b C2 2 C2 . _ c = à la hauteur qui correspondra à ce deuxième écoulement d’eau selon sa vitesse C. Nous utiliserons ensuite le calcul de c2 et b selon le premier calcul. Et en outre, il a été montré par Mariotte33, un homme très savant et très appliqué, que l’eau s’écoulant du fond du tonneau MN (Fig. 4) par le trou rond N (qu’on nomme f), du fait de sa quantité de mouvement, entre en équilibre avec le poids Q (qu’on nomme p) ; la gravité de ce poids est égale à la gravité du cylindre, formé d’eau et ayant tantôt une base égale à ce trou rond tantôt une hauteur égale à lui, qui se trouve être dans l’intervalle constitué par le centre du trou et la surface de l’eau du tonneau lui-même. Et ce trou par lequel l’eau s’écoule doit être conçu égal à la surface sur laquelle l’eau s’écoulant produira une quantité de mouvement : et ce qui est dit au sujet des cylindres droits, il faut aussi le comprendre pour les prismes droits.
Dans un référentiel galiléen, la dérivée de la quantité de mouvement est égale à la somme des forces → → d p extérieures qui s’exercent sur le solide __ dt = ∑ F i . i « Corpus omne perseverare in statu suo quiescendi vel movendi uniformiter in directum, nisi quatenus a viribus impressis cogitur statum illum mutare. » « Les changements qui arrivent dans le mouvement sont proportionnels à la force motrice ; et se font dans la ligne droite dans laquelle cette force a été imprimée. » Principes mathématiques de la philosophie naturelle de Newton, d’après la traduction du latin en français par Émilie du Chatelet (1756), p. 17. 33 bf ad p avec ad signifiant ici, sur (marqueur de la division). Nous reprenons la traduction de Madame Du Châtelet du passage latin de Newton extrait des Principes mathématiques, Dunod, 2005, p. 143 et p. 152-153 : Dd ad Ff ut PE ad PS et de l’extrait de Newton, Principia Mathematica, Londres, 1687, p. 192 et p. 205-206 : Dd / Ff ∝PE / PS.
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Fig. 31. – Démonstration de Mariotte, fig. 4. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 41, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
C’est pourquoi grâce à l’expérience, que soient désormais connues et tenues pour constantes les mesures suivantes : la hauteur b du cylindre MN, la base f, la vitesse c et le poids p. Et qu’une autre vitesse C soit celle de l’eau poussant, du fait de sa quantité de mouvement, la surface donnée F ; la hauteur convenant à cette vitesse 2 b C (déjà appelée) correspondra à _ cC 2 . Par conséquent, le cylindre MN correspondra à bf ; et le prisme issu de la surface 2 2 b b F2C donnée soit la base F et de la hauteur _ cC 2 sera = _ c . Et le cylindre donné bf en sa 2 p FC 2 _ _ b F C gravité p sera tel que le prisme c 2 sur f c 2 = à la force de la gravité équivalant à la quantité de mouvement, par lequel l’eau dotée d’une vitesse C, agira sur la surface F. En outre, ensuite, au nom du premier calcul de ce genre, nous appliquerons bf / p. § XVI On transmet quelques définitions. Si un corps dont la masse est donnée, est heurté par une action, régulièrement et de la même manière sans interruption, et si rien ne s’oppose à son mouvement, sa vitesse sera nommée vitesse absolue et sa quantité de mouvement, quantité de mouvement absolue.
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Et si ce même corps, mu par la même impulsion se déplace dans l’eau, et si, à cause de la résistance de l’eau, il perd une partie de sa quantité de mouvement et de sa vitesse, la vitesse qui disparaît, sera nommée vitesse perdue et la quantité de mouvement qui aura disparu, sera nommée quantité de mouvement perdue. Et la vitesse résiduelle, par laquelle assurément ce même corps se mouvra dans l’eau, sera nommée vitesse respective et la quantité de mouvement résiduelle, quantité de mouvement respective. § XVII Si un parallélépipède solide donné (Fig. 5) BQR, qui était mu selon la direction de son axe GE par une quantité de mouvement absolue donnée et une vitesse absolue donnée, se meut selon la même direction dans l’eau et si on le représente agissant dans l’eau par l’unique base LPQN, il faudra trouver la vitesse résiduelle de celui-là même. Que la masse de celui-là même soit = M, que la vitesse absolue soit = V, la quantité de mouvement absolue sera = MV et cette même quantité de mouvement, grâce à gMV la force de gravité exprimée (cf. § XIV) = _ a . Que la vitesse résiduelle de celui-là même mu par l’eau soit = x, qui sera la même que la vitesse de l’eau (en effet, l’eau quittera un lieu avec la même vitesse que la vitesse du parallélépipède) et la hauteur 2 LR de l’eau correspondant à cette vitesse (cf. § XV) = _ bcx 2 . Que la base LPQN soit nommée F ; et correspondant à cette base et à cette hauteur, le parallélépipède QR 34 = _ b 2 aqueux cF 2x et celui-là même exprimé grâce à la force de la gravité, sera (cf. § XV) = 2 p Fx _ f c 2 . Et cette même quantité exprimera aussi la quantité de mouvement perdue du parallélépipède BQ : en effet, la quantité de mouvement qui meurt en lui est aussi grande que la quantité de mouvement de l’eau résistante contre lui. Précisément, la quantité de mouvement résiduelle sera Mx qui sera exprimée à l’aide de la force de _ la gravité (cf. § XIV) gMx a .
Fig. 32. – Fig. 5. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 43, https://doi. org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
34 Aqueum : hapax créé par Poleni.
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Mais la quantité de mouvement perdue et la quantité de mouvement résiduelle additionnées toutes les deux doivent être égales à la quantité de mouvement absolue, ____________
gMV c 2 gM c 2 gM f c 2 gMV p Fx 2 gMx _ ‾ donc f c 2 + _ = _ on obtient x = - f _ + _ f2apF | + _ : et si on pose a a : de là, _ 2apF apF 2 f c gM _ _ A +√ _ A 2 + AV = = A ; on aura x = vitesse résiduelle, c’est-à-dire la vitesse par 2 4 apF laquelle (une fois les conditions du problème posées), le parallélépipède sera mu dans l’eau.
√
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§ XVIII Si un vaisseau, à une vitesse donnée, se meut dans l’eau, selon la direction de la ligne donnée par une position, il faut trouver la direction et le calcul de la pression, qui s’exerce sur la petite partie du bordé35 du vaisseau, une fois la vitesse donnée et la direction donnée. Posons que le vaisseau est coupé en deux sous l’eau par deux plans parallèles, dont le plan supérieur atteint la surface de l’eau ; et que le mince intervalle entre eux soit appelé e. Ces plans sépareront donc le bordé de la surface du vaisseau. Que soit nommée CND (Fig. 6) la coupe du vaisseau du plan supérieur avec la surface incurvée. Que soit nommée AD la ligne de la carène sur le même plan. Posons que le vaisseau soit mu selon la direction de la ligne GF, qui est perpendiculaire à la ligne AD ; et qu’une droite nommée gf très proche de cette GF soit menée à l’infini (à l’infini, dis-je, dans le sens qui sera défini plus bas) et qu’une petite partie Nn de la courbe soit appelée dt ; que en parallèle à Gg soit appelée dx et eN appelée dg. Soit u la vitesse par laquelle est mu le vaisseau : c’est pourquoi la même vitesse u exprimera aussi la vitesse de l’eau, à cause de laquelle l’eau oppose une résistance au mouvement du vaisseau : l’eau aussi abandonne sa position avec la même vitesse qui fait avancer le vaisseau. Qu’on imagine que la petite partie edt du vaisseau soit la base d’un petit prisme formé par cet endroit hors de l’eau, qui, par la force de sa résistance, agit sur la même petite partie edt du vaisseau. Que soit appelée I cette pression que l’eau produirait sur edt, si par la vitesse u de l’eau elle-même qui en est dotée, les assemblages de fils36 s’alignaient vers les angles droits contre la même edt. Que soit aussi appelée i la pression, qu’à l’aide de la même vitesse u, l’eau exercera sur la même petite partie edt, pendant que, sur cette dernière, elle pousse de façon oblique, et que les assemblages de fils s’orientent selon les lignes FN, fn, du prisme indiqué par les lignes FN, Nn, nf. On aura donc I.i : : dt2. dx2 ; ce qui est vraiment évident tantôt d’après ce qui a déjà été démontré par des
35 Le bordé est la planche, l’élément d’un ensemble appelé bordage. La bordée (longueur de chemin parcourue par un navire sous l’allure du plus-près et sans virer de bord). Cf. Dictionnaire de la Marine à voile, Bonnefoux et Paris, EDFR, 1987. 36 Filamentum, i, n : assemblage de fils (attesté chez le grammairien Sextus Pompeius Festus 81,18, auteur d’un résumé de Verrius Flaccus).
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hommes très savants, tantôt aussi cela est assez apparent d’après ce qui a été proposé plus haut, au § IX.
Fig. 33. – Fig. 6. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 43, https://doi. org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
C’est pourquoi, une fois données la vitesse u et la base du prisme edt, on aura p u 2 edt (selon le § XV), I = _ f c 2 = à la force de gravité équivalant à la quantité de mouvement, par laquelle l’eau dotée d’une vitesse u agirait perpendiculairement sur edt. pu 2 edt _ pu 2 dx 2 edt _ pu 2 ed x 2 fc 2 . = = à la force de gravité Mais I.i : : dt2. dx2 ; donc dt2. dx2 : : _ 2 2 2 fc dt fc dt équivalant à la quantité de mouvement par laquelle l’eau agissant de manière oblique, dotée d’une vitesse u agit réellement sur edt. Elle agira aussi (selon la nature des fluides) suivant la ligne LNP perpendiculaire à la petite partie de la courbe Nn. Et cette même conduite forcée37 indiquera combien de quantité de mouvement est perdue par2 edt pu e à cause de la résistance que l’eau produira suivant la ligne LN. Mais puisque _ fc 2 est 2 pu 2 ed x 2 _ _h _ h dx issu de quantités constantes, qu’il soit exposé par r ; et on aura fc 2 dt = rdt . 37 Expressio renvoie à l’action de presser mais aussi l’action de faire remonter l’eau dans les aqueducs selon Vitruve (8,7).
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Or, une fois trouvée la quantité de mouvement de l’eau convenant à la petite partie edt, il faut maintenant rechercher, de la même manière, la quantité de mouvement du vaisseau qui convient à la direction GN, au moyen de la vitesse38 u du vaisseau en mouvement. Mais tantôt d’après ce qui constitue la vitesse de la quantité de mouvement menée dans la masse, tantôt d’après les conclusions précédentes (au § XVII), il est vraiment assez clair qu’on ne peut obtenir qu’une très petite quantité proposée, sauf si on décide auparavant quelle partie de la masse totale du vaisseau agit et correspond en arrière, comme on dit, à la petite partie edt. Ce qui, selon sa propre nature, est assez ardu et très difficile à établir39. Et cela en outre, atteint une grande difficulté parce que les charges posées sur les vaisseaux ne sont pas positionnées de façon égale sur chaque partie des vaisseaux, de fait, les parties très lourdes ont été adaptées pour recevoir aussi une plus grande quantité de mouvement. Qu’on donne un poids, soit la masse d’un vaisseau chargé ; comme on pose que la figure du vaisseau est donnée et que e est donné, assurément, la distance est celle entre deux plans parallèles dont on a parlé plus haut : c’est pourquoi à l’aide d’une estimation aisée, sera donné le poids, soit la masse, correspondant à cette partie du vaisseau, qui est comprise entre ces deux plans parallèles eux-mêmes : or cette masse est appelée M et le demi-pourtour CND est appelé n. Alors on pose que la masse M sur la petite partie d’elle-même (nous appellerons celle-ci m) qui agit et correspond en arrière à la petite partie edt, conserve toujours la même mesure que possède le Mdt demi-pourtour n sur dt : de cela, on tirera n. dt : : M._ n = m. En physique, je ne crains plus de comparer n à dt ; et je n’ai pas considéré complètement et parfaitement dt, suivant la notion de vérité infinie, comme infiniment plus petit que n lui-même. Mais j’ai pensé seulement que cette dt comparée à n, devait être évaluée comme très petite et très mince ; si bien qu’elle pourrait être dite infiniment plus petite qu’une certaine mesure plus large : de la même manière 1 est la grandeur infime et très petite si on la compare à (par exemple) ___________ 100000000000000 l’unité ; pourtant il est tout à fait possible de la comparer. Mais il est vrai que près de la proue, le pourtour du vaisseau en proportion croît davantage que la capacité du vaisseau ; pourtant, cette différence est compensée du fait que la proue est très alourdie le plus souvent par de plus grands poids. En un mot, dans un sujet si obtus et obscur40, varié aussi à cause des situations variées des parties des vaisseaux et des poids, j’ai jugé cette détermination assez vraisemblable et congruente. De là, la quantité de mouvement résiduelle naissant de la vitesse u menée dans uMdt la petite partie m de la masse, sera mu =_ n et si elle s’exprime grâce à la force de la . Et puisque guM _ gravité, elle sera (selon le § XIV) = guMdt _ an au sont des constantes, qu’elles guMdt _ s’expriment à travers g ; d’où on tirera an = gdt.
38 Une coquille s’est glissée dans le texte de Poleni qui écrit volocitate et non velocitate (vitesse). 39 Perdifficile statutu : difficile à décider. Le supin est bien intégré dans un latinisme du type res jucunda auditu : une chose agréable à entendre. 40 En latin, tam obstrusa obscura est une paronomase témoignant d’une certaine coquetterie rhétorique chez Poleni…
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Ces éléments-ci ayant été ainsi établis, posons que soit figurée par NL la pression dynamique que la résistance de l’eau produira contre edt suivant la direction LN. Alors dx 2 sur gdt, qu’ainsi soit NL sur NK ; et cette NK représentera la comme est aussi _ hrdt pression dynamique égale à celle qui, hormis celle perdue à l’issue de la confrontation avec la résistance de l’eau, doit rester dans la petite partie edt, qui est mue par la vitesse u. Que soit rempli le parallélogramme NKSL (que j’appellerai mouvement des parallélogrammes) et que soit conduite la diagonale NS : c’est pourquoi suivant cette NS, qui deviendra la pression dynamique (en raison des règles de composition des mouvements), elle équivaudra seule à ces deux pressions dynamiques par NK et par NL : et NS l’emportera en cela même que deux NK et NL auraient pu l’emporter. Il est évident que pour produire ce mouvement dont edt doit être dotée, tantôt une pression dynamique est recherchée qui équivaut à la résistance de l’eau et s’oppose à la même résistance en ligne droite (c’est pourquoi cette pression dynamique détruit cette résistance et la résistance devient donc quasiment nulle) et en outre, une pression dynamique est recherchée, propre à générer un mouvement suivant NF grâce à une vitesse u. Mais la pression dynamique représentée par la diagonale NS l’emportera sur les deux comme on l’a montré un peu plus haut. Donc la pression dynamique par la diagonale NS exprimera, pour nous, ces données, direction et mesure, qu’on avait proposées de trouver. § XIX Séparer la pression dynamique, établie dans le paragraphe précédent, en deux droites, l’une perpendiculaire, l’autre parallèle à la carène du vaisseau : et déterminer la direction et la pression dynamique dans tout le bordé proposé du vaisseau. Que du point N soit menée NH parallèle à AD, et que soit produite SL, pour qu’elle rencontre NH en H. Et le triangle NHL sera semblable au triangle Nen ; et pour2 _ hdx 2 . LH = _ dx 3 ) hdx 2 . NH = _ cela, Nn(dt) . en (dx : : (_ hrdt dyhdx 2 . Et Nn(dt) . eN(dy) : : NL ( rdt ) rdt ) rdt 2 . C’est pourquoi si la pression dynamique par NS se sépare en deux droites proposées, la partie perpendiculaire à AD sera = SH = NK+LH : et l’autre partie parallèle à AD sera = NH. Par conséquent, autour de N, la pression dynamique perpendiculaire à hdx 2 dy h dx 3 sur _ la parallèle sera telle que gdt + _ 2 2 rdt rdt et les directions et pression dynamiques latérales, sur lesquelles se pressera tout le bordé CND suivant NF au moyen de la hdx 3 et la vitesse u, seront de ce genre : assurément sera perpendiculaire à AD ∫ gdt+ ∫ _ rdt 2 2 hdx dy : mesures qu’on recherchait. parallèle à cette même AD sera ∫ _ 2 rdt Et si la ligne de la direction du chemin n’était pas GF, que nous avons jusqu’à présent considérée, mais (par exemple) PN, qui comprendrait avec AD, l’angle NPD, cette NP devrait se séparer en deux droites : PG abscisse de AD et GN normale à cette même AD. Or la pression dynamique par GN devrait se séparer en deux droites, par exemple, exprimées par NH et SH : alors une ligne doit être formée issue de PG et NH qui constituerait un côté du parallélogramme du mouvement et le deuxième côté de ce même parallélogramme serait nommé SH. C’est pourquoi, une fois appliqué le calcul, on formerait une formule proposée un peu plus haut pour l’angle LPD. En outre, de quelque manière que je l’ai dit, si vous voulez, je parlerai de la partie CND ;
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en effet, je pense qu’on comprend assez que je veux que la formule soit toujours à conformer à l’équation de la courbe exprimant la figure du bordé entier du vaisseau et la portion du même bordé de quelque nature qu’elle soit donnée ; et de toute manière, non seulement la partie du bordé CND mais aussi la partie du bordé non alignée dans l’autre zone de l’axe AD, sont soumises à la pression dynamique de la force faisant marcher [le vaisseau]. En effet, il est très évident que la pression dynamique est toujours transmise à l’une et l’autre partie de l’axe, excepté le cas où la pression dynamique se fera suivant GF, de laquelle nous avons parlé dans un paragraphe précédent et au début de celui-ci. C’est pourquoi ces intégrales constitueront un fondement pour les éléments que voici. En outre, il faut exprimer, prudemment et scrupuleusement, les pressions dynamiques avec les lignes ; assurément, il faut recevoir cette première ligne pour une première pression dynamique et vers ces premières, il faut apporter les lignes restantes et les pressions dynamiques restantes pour que sans interruption, les pressions dynamiques entre elles et, de la même façon, les lignes entre elles, se trouvent être dans la même proportion. pu 2 c _h _ Et puisqu’on a g = guM _ au et r = fc 2 , il paraît évident qu’il faut nécessairement, si la vitesse du vaisseau (exprimée par la lettre u) change, même si les éléments restants ne subissent aucun changement, que soit modifié aussi le calcul entre les deux directions suivant NH et SH. Il conviendra aussi de veiller à ce que la différence NE (dy) soit parfois positive, et parfois négative comme bc quand bE perpendiculaire à la courbe s’incline vers les parties opposées à celles vers lesquelles tend NL : et en outre, la perpendiculaire à la courbe peut être aussi perpendiculaire à AD. Et ces variations proviennent de la nature de la courbe CND : et, une fois les renouvellements opérés, elles seront déterminées de telle sorte qu’elles se compensent entre elles ; et que la direction soit gardée comme une moyenne, grâce à laquelle doivent être mus soit toute la courbe soit tout le bordé41. § XX Différentes propositions de figure de vaisseaux. Assurément, il est assez difficile de définir la figure d’un vaisseau : de quelque manière qu’on établît parfaitement la courbe s’étendant jusqu’à la section du vaisseau, ce n’est pas pour cette raison qu’on obtiendrait la figure idéale de tout le vaisseau. Si
41 Le physicien français Henri Pitot (1695-1771) fut le premier en 1732 à proposer une « machine pour mesurer la vitesse des eaux courantes et le sillage des vaisseaux ». Un tube de Pitot-statique ou tube de Prandtl (ou antenne de Prandtl) est constitué de deux tubes coudés concentriques dont les orifices, en communication avec le fluide dont on veut mesurer la vitesse, sont disposés de façon particulière : le tube extérieur s’ouvre perpendiculairement à l’écoulement du fluide. La pression à l’intérieur de ce tube est donc égale à la pression ambiante ou pression statique. Le tube intérieur est parallèle à l’écoulement du fluide, et est ouvert en son bout, face au flux. La pression à l’intérieur de celui-ci est donc la pression totale, somme de la pression statique et de la pression dynamique.
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le vaisseau était coupé par plusieurs plans parallèles, des intersections de ce genre avec la surface du vaisseau lui-même, naîtraient des courbes variées. Mais quoi qu’il en soit, afin que les recherches n’augmentent pas trop, nous devons nous contenter d’une section, comme moyenne. Et je n’ignore pas que, des hommes très savants, au lieu d’une section de ce genre, ont employé une figure née de la combinaison de deux segments circulaires et que, de là, des théorèmes remarquables se sont répandus. Néanmoins, comme les extrémités de cette figure sont très serrées, elles se ressemblent, contrairement à ce qu’on observe sur les vaisseaux, j’ai pensé que, si on donnait une autre courbe issue de courbes faciles (pour ainsi dire), elle devrait se substituer au cercle. Il me semble que le segment parabolique peut du moins s’approcher davantage de la figure de la section du vaisseau. Je pense que cette expérience a été tentée dans la parabole d’Apollonius42 : il est vrai que la semi-parabole était trop haute43 pour que celle-ci (par exemple) qui s’exprime par aax = y3, ait dû être utilisée pour l’expérience de cette comparaison-ci ; il ne s’ensuivait pas qu’elle fût différente car l’équation complexe atteignait assurément notre objectif. C’est pourquoi pour tenter une chose, qu’on prenne la 120e partie44, par exemple, de la longueur du vaisseau en suivant la carène AB (Fig. 7) ; et qu’à celle-ci divisée en deux en D soit posée la normale DC qui représente la 18e partie de la demi-largeur du vaisseau ; et par l’extrémité A que soit dressée AR, 16e partie de la largeur de la moitié de la poupe : ensuite, au sommet B que soit décrite la parabole, telle qu’elle traverse les points C et R ; ce sera le segment BCRAB qui pourrait représenter la section du vaisseau : et l’équation de la courbe BCR, comme rapportée à l’axe BA, s’exprimera ainsi : bu – cz = _bg uu + _hb uz + _p b zz.
42 Apollonius (262-190 av. J.-C) était originaire de la ville de Perge, une importante cité maritime de la côte méridionale d’Asie Mineure, dans la région antique de la Pamphylie. Apollonius enseigna à Alexandrie. Il est l’auteur du traité sur Les Coniques. Apollonius obtient la parabole, l’hyperbole et l’ellipse en coupant un cône à base circulaire par un plan. Les trois noms, parabole (« application »), hyperbole (« excès ») et ellipse (« défaut »), se réfèrent à la technique de « l’application des aires » utilisée pour l’expression des propriétés caractéristiques des courbes : l’« application » est simple (sans défaut ni excès) pour la parabole (Micheline Decorps-Foulquier, « Apollonius et le traité des coniques », 2015, www. images.math.cnrs.fr). 43 Poleni n’utilise pas tout à fait le tour classique de l’expression dynamique de la supériorité : comparatif quam ut + subj (trop… pour que) car il omet quam. 44 Pour exprimer une fraction, la langue latine utilise le mot pars, partis, f. au nominatif singulier et pluriel et non au génitif comme le fait Poleni.
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Fig. 34. – Fig. 7. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 43, https://doi. org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
En outre, si nous voulions utiliser cette figure, nous aurions des lignes droites BD, DA, DC, AR, BC, BR, étant donné aussi les propriétés et fonctions de la parabole ; et en outre, nous trouverions les triangles SCD, ZRA, BSE, BZP semblables. Une fois prise par quelque endroit que ce soit, la petite partie dt de la courbe, les points menés et organisés tantôt en BA, tantôt sur l’axe de la parabole BP, les différences des coordonnées en BA avec les différences des coordonnées en BP pourraient être relevées comme dans un calcul constant. Et, quand l’équation de la courbe possède plusieurs termes45, quoiqu’une fois les substitutions opérées dans notre formule fgdt, proposée au § VIII, plusieurs termes aussi doivent apparaître (ce qui engendre de l’ennui), et quoique les termes futurs ne soient pas tous intégrables (ce qui introduit une difficulté), il nous a cependant été accordé, une fois les séries appliquées, de trouver les nombres qui convenaient. Bien plus, à l’aide des propriétés et des fonctions de la parabole, quelques opérations pourraient se réaliser avec grand profit.
45 Nous avons gardé le sens de terme habituellement appliqué aux éléments d’une équation alors qu’en latin, terminus, i, m. signifie borne, limite, extrémité.
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Mais, bien que ces notions-ci n’aient pas été négligées, il me plaît pourtant de décrire ainsi une courbe de ce genre. Qu’une ligne (Fig. 8) DG d’une grandeur donnée soit tracée en fonction de la longueur du vaisseau suivant la carène, à laquelle seraient appliquées (par exemple) trois lignes DC, PE, SF. Que soit posée l’équation au = bz + guu + uz ; dans laquelle u exprimerait les abscisses GS, GP, etc. z, appliquées à SF, PE, etc. Que résulte alors ceci : DG (à la faveur de cet exemple-ci) est = 100 et quand SG = 12, SF = 12 est appliqué là, de la même façon ; quand GP = 50, PE = 14 est appliqué là, quand GD = 100, DC = 10 est appliqué là.
Fig. 35. – Fig. 8. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 4126, p. 43, https://doi. org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
C’est pourquoi trois équations se présenteront, desquelles on tirera les valeurs des éléments efficients a, b, g et cette équation posée sera transformée en cette expression numérique 1780 u = 700 z + guu + 81 uz. Une fois utilisée, même par les points (par facilité) la courbe CEFG pourra se construire commodément. Et à celle-ci, la plus _ _5 700 √ 105 536 000 _ 33 8 environ ; et z conviendra à grande sera appliquée quand u = - _ 81 + 59 049 = _1 celui-ci, c’est-à-dire, la plus grande appliquée = 1 4 2 environ. Or, quoiqu’il advienne de là que la ligne de la plus grande largeur du vaisseau ne traverse pas le point P par lequel la ligne de la carène se divise en deux, cependant, la différence est très petite et seulement _ 1 de toute la largeur. Et par une comparaison instituée entre les deux 28 sections des vaisseaux délimitées avec habileté, j’ai découvert que notre courbe est assez valable. Mais nous pouvons utiliser d’autres calculs au lieu de ces applications : et on peut aussi exécuter la chose selon un autre mode en considérant comme droite la petite partie de la proue. Mais il suffit d’avoir montré d’après la similitude de la forme de la section du vaisseau, qu’on y est parvenu par une équation aisée.
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§ XXI Au sujet des principes jusque-là fixés destinés à être adaptés pour la construction des tables, à partir desquelles on pourrait avoir une estimation du chemin parcouru par le vaisseau. Pour construire des tables de ce genre, il faut que soit donnée la forme du vaisseau, et on peut se servir de la section qui a été évoquée, pour cela, plus haut. Il faut sélectionner, en fonction des lignes (Fig. 8) DG, DC, PE, SF, les proportions telles qu’elles semblent les meilleures intermédiaires parmi celles qui sont variées. Le poids du vaisseau doit aussi être donné, soit sa masse (comme celle que nous avons jusqu’à présent déjà utilisée) grâce à laquelle dans cette entreprise, naît la facilité suivante : la masse de tout le vaisseau peut se compter comme égale à l’eau équivalente par sa masse à la partie immergée du vaisseau. Et par les lettres a, b, c, f, g, p, dont nous nous sommes servis plus haut, pour construire notre formule (dans ce but), comme on indique des quantités données et constantes, aucune difficulté ne pourra être créée. Et à la place de la lettre e (de laquelle nous avons parlé plus haut), il plaira de prendre n’importe quelle très petite quantité. C’est pourquoi, pour la figure donnée de la section du vaisseau, et pour n’importe quel degré de l’inclinaison de la ligne (Fig. 6) GF sur AD (c’est-à-dire de l’angle FGD), que la formule déjà présentée (dans le § XIX) soit conforme et menée à l’intégration. Aussi qu’on utilise la vitesse en fonction de u, qui fut celle d’un vaisseau (par exemple) ayant parcouru six milles en une heure (selon cette direction) et l’angle SNH de la direction de la force faisant avancer [le vaisseau] sera tenu. Et le calcul entre les côtés du mouvement du parallélogramme et la diagonale du même indiquera le calcul de la pression dynamique par laquelle le vaisseau sera mis en mouvement. Et tous ces éléments exprimés par des nombres qui conviennent sont réduits à un ordre de telle sorte que, si on donne, en fonction d’un angle donné, un de ces nombres eux-mêmes, le reste des choses correspondant à lui-même sera, à l’avenir, à notre disposition. Mais puisque les vitesses sont infinies, qu’elles ne peuvent pas toutes s’exprimer dans les tables par aucun moyen et qu’à partir du changement de vitesses naissent aussi des changements de directions (comme on le dit au § XIX), pour cette raison, vers n’importe quel degré, en fonction de trois ou quatre vitesses différentes, le compte indiqué devrait être au moins répété : pour chacun des trois ou quatre degré pris, trois ou quatre séries de nombres correspondraient. De ces séries, on trouverait en proportion des nombres à la place des vitesses restantes ou des vitesses restantes à la place des nombres, comme l’exigent les circonstances.
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C’est pourquoi, si je ne me trompe, on voit assez bien comment est l’ouvrage de ce genre, quelle serait sa longueur et qu’il ne doit pas être approché à la légère : en réalisant pourtant une tentative, je n’ai pas trouvé un gain qui permette, tant soit peu, de diminuer le travail. Et je ne penserai pas qu’il faille négliger un travail, si une observation plus longue, ou bien quelque autre lumière, me montrait que, dans les principes de solidité que j’ai transmis, et dans les tables, réside autant d’utilité que je pense. Et pourtant, nombreuses furent mes propositions46 ! Mais en un mot, je pense qu’il n’est pas possible qu’il existe quelques principes à utiliser, pour qu’on agence des tablettes de ce modèle, dont pourrait découler l’utile usage de connaître la mesure des chemins parcourus par un vaisseau.
46 Notons la rareté de la forme exclamative de la phrase dans un traité de navigation.
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Troisième partie Des techniques plus sûres pour rechercher la mesure du chemin parcouru par un vaisseau. § XXII Au sujet du chemin du vaisseau à estimer, à l’aide d’une cordelette, comme le comporte la pratique anglaise. On prépare un morceau de bois en forme de navette47, ayant une longueur d’un pied environ et une largeur d’un demi-pied environ, lesté par un plomb inséré ; et à celui-ci, on attache une cordelette divisée en plusieurs nœuds équidistants entre eux de six pieds48, avec cinq ou six intervalles. Mais cette cordelette est enroulée autour d’un cylindre en bois qui tourne pour faciliter le déroulage, quand il est affecté à un tel usage. On jette la navette à l’eau ; et si l’expérience est réalisée en haut de la poupe, elle se termine quand est déroulée la cordelette comportant quatre ou cinq nœuds, dont on ne tient pas compte de la longueur. Alors à l’instant T où le premier nœud utilisé sort du cylindre, on inverse la clepsydre ayant un niveau égal, grâce à l’écoulement de son sable, à la moitié de la 60e partie de l’heure, c’est-à-dire à la première demi-minute de l’heure. On compte les nœuds qui se déroulent durant l’écoulement entier de la clepsydre ; à partir de ceux-ci, on constate que la longueur du fil sorti est exprimé par fraction de six [ _61 ] pieds. C’est pourquoi on peut instituer cette analogie : si, à la durée d’une minute49, correspond une longueur de fil (par exemple) de cinquante 50 fractions de six [ _ 6 ]pieds, cent-vingt minutes (assurément deux heures entières)
47 Le loch est « un petit secteur en bois, plombé sur son arc pour qu’il puisse flotter verticalement, et qu’on jette à la mer à l’aide d’une ligne dont la quantité que l’on en file pendant que le navire marche, comparée à un espace de temps marqué par un sablier, sert à faire connaître, d’une manière approchée, la marche ou le sillage du navire. La ligne tient au secteur ou vaisseau de Loch par trois branches dont l’une peut se détacher à volonté. La ligne de Loch est ordinairement, d’une manoque et demie du filin employé à cet usage et enroulé sur un dévidoir nommé Tour de Loch ; elle est marquée, à partir de la houache ou morceau d’étoffe placé sur cette ligne, par des divisions appelées Nœuds jusqu’au nombre de neuf et d’autres divisions d’un dixième de nœud chacune. Or, la distance d’un nœud à l’autre est la 120e partie d’un mile marin : de même le sablier de demi-minute, dont on fait l’usage en filant la ligne du Loch, est la 120e partie de l’heure ; donc, autant de nœuds on file pendant la demi-minute, autant on doit estimer que l’on parcourt de miles marins à l’heure. » Cette définition du Loch est issue du Dictionnaire de la Marine à Voile de Bonnefoux et Paris, éditions de la Fontaine au Roi, Paris, 1987. On peut y lire également la précision lexicale suivante : « Mesurer le sillage du navire à l’aide du Loch, est ce qu’on appelle Jeter le Loch. » 48 Poleni se sert des mesures françaises : 1 pied de Paris = 0,3484 m ; 1 pouce = 1/12 pied = 0.02707 m ; 1 ligne = 1/12 pouce = 0,002256 m. 49 Le texte latin indique minuti dimidi (une demi-minute) : ceci constitue sans doute une coquille de l’imprimeur. Sinon, les calculs de Poleni seraient faux comme le démontre la note suivante.
t rad u ct i o n annot é e 50 6000 correspondront à six mille fractions de six [ _ 6 ] pieds : et de cette manière, on compte le chemin du vaisseau, si la course du vaisseau continue de la même façon pendant toute l’heure.
§ XXIII Des inconvénients de la pratique décrite à l’instant. Au début, il est sûr que la partie de la cordelette, depuis le dernier point où la cordelette touche l’eau, jusqu’au sommet de la poupe où elle-même atteint la partie élargie, s’adapte à la courbure de la chaîne51. Et si la partie de la cordelette était prise en droite ligne, la mesure de la distance du vaisseau depuis ce dernier point, comme elle doit être comptée près de l’eau, doit être considérée comme le côté d’un triangle rectangle dont l’autre côté du triangle est la hauteur de la poupe au-dessus de la mer, et l’hypoténuse comme la partie de la cordelette dont on vient de parler. Mais la navette et la cordelette, flottantes, seront agitées par les vagues et cela arrivera non sans quelque action pour courber la cordelette. Et quand bien même le chemin du vaisseau ne sera pas droit mais quand le centre du vaisseau passera par une ligne courbe, la cordelette, abaissée sans interruption dans la mer depuis la même partie du vaisseau, s’adaptera à la route du vaisseau, c’est-à-dire à une ligne courbe alors qu’elle devrait vraiment être dirigée tout droit. Mais il existe aussi de nombreux courants52 dans la mer qui sont pourvus en quelque endroit d’une grande force, comme s’ils agissaient, quelque part, en secret ; ils augmentent en certaines circonstances et diminuent en d’autres : aucun marin n’ignore cela. Donc il arrivera forcément que la navette et la cordelette soient déviées par ces courants en suivant leurs propres cours ; c’est pourquoi la longueur de la cordelette sera augmentée et diminuée selon que la navette s’éloigne du vaisseau ou s’en approche. Alors, il est pourtant tout à fait nécessaire, pour instituer la meilleure observation, que la navette demeure immobile. En outre, comme toute cette expérience doit être évaluée en un temps très bref, il faut utiliser soit des clepsydres soit des pendules53 (comme il plaît à d’autres) ; il est à peine possible, pendant qu’on commence ou finit de compter le temps destiné à l’observation, qu’une erreur se glisse quelquefois ; en quelque sorte, il faut porter une évaluation sur les moments ponctuels. Si seulement les expériences sont instituées chaque heure, entre l’une ou l’autre tentative, des variations de la vitesse du vaisseau peuvent arriver, variations qui faussent complètement les estimations.
50 6000 50 Six mille fractions de six pieds = _ 6 = 1000 pieds. On obtient donc les équations suivantes. _ 6 = 8, _ 6000 3333 = 1 min. Puis 120 min x 8.333 = 6 = 1000 pieds. 51 Catenariae est un adjectif latin qui signifie relatif à la chaîne. Poleni en fait un substantif. A donné le mot « caténaire ». 52 Mot à mot : fluxus aquarum : écoulement d’eaux. 53 Hapax. Pendulus, a, um est seulement attesté par Gaffiot et signifie : pendant.
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Bien plus, toutes les erreurs recensées plus haut et se glissant dans une observation d’une demi-minute, seraient amplifiées cent-vingt fois dans l’estimation portant sur une heure entière. D’ailleurs, j’ai suivi tout cela de manière un peu plus libre : parce que si cette technique pouvait être épargnée par ces inconvénients, cela serait certainement très utile et mènerait avec une grande utilité à suivre les mesures proposées. § XXIV Au sujet des inconvénients recensés ci-dessus et destinés à être diminués en partie, et supprimés en partie. À la première difficulté à partir de la hauteur de la poupe tirant le bout, la portion de la cordelette remédie souvent, portion déroulée avant le début du compte, au sujet duquel nous avons parlé au § XXII. Il arrive, de fait, que la partie de la cordelette, reliant en diagonale la poupe à la mer, doive être comptée dans cette portion-ci et non dans celle dont les nœuds sont numérotés. Cette partie aussi, il est vrai, avec l’idée qu’elle ne tombe pas pendant la mesure, est exposée aux creux et mouvements de la mer et, en quelque sorte, constitue le point de départ des erreurs de la portion qui est utile. Si pourtant ces erreurs peuvent être déjouées, la faute ne proviendra pas davantage de la portion déroulée en premier. Les difficultés doivent être recensées dans un second, troisième et quatrième point, d’un seul type pour ainsi dire, puisque toutes naissent des mouvements irréguliers de la cordelette et des pressions sur la navette. Et comme les mouvements ne peuvent être évités, il faut essayer qu’ils soient perçus dans l’observation même ; c’est pourquoi, une fois leur connaissance connue, l’observation enfin sera parfaitement et régulièrement corrigée. Je pensais donc qu’à la place des nœuds, on pouvait utiliser avec profit de petits anneaux54 en liège ; à travers leurs trous, réalisés selon leurs axes, passerait étroitement une cordelette ; et avec deux nœuds dans la cordelette, noués près de chacune des deux faces des petits anneaux, ceux-ci seraient tenus éloignés à intervalles réguliers entre eux. En outre, je voulais ajouter quatre ou cinq cordelettes plus fines mesurant six pieds (par exemple) espacées de quatre portions égales mais une boule serait attachée à l’une de leurs extrémités, d’un diamètre de quatre pouces environ, en bois pour qu’elle ne soit immergée qu’à la moitié grâce à sa gravité. Et il se produira que les petits anneaux en liège qui dépassent, dont les positions pourront être observées du haut de la poupe, indiquent la courbure de la cordelette ; une fois celle-ci vue, il sera facile d’évaluer la distance suivant une ligne droite, c’est-à-dire, la distance sous-tendue de la courbure. Or les boules apparemment (comme on dit) moins lourdes dans leur demi-partie que la navette, suivront davantage le courant de la mer et d’après leur direction, on formera une conjecture quant au sens du courant.
54 En latin, seuls sont attestés les mots trochlea : poulie et trochus : cerceau de métal garni d’anneaux cliquetants avec lequel jouent les enfants. Le mot grec τρόχος (trochos) signifie quant à lui : roue, cerceau, anneau, disque, bossette d’un mors. Poleni crée le mot trocheola : or, en latin, le suffixe en –ulus apparaît dans des diminutifs. D’où ma traduction : « petit anneau », corroborée par l’allusion aux trous (foramen) de ces trocheola, dans la phrase suivante.
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Je vois cependant qu’il sera possible que les vagues et les vents exercent une action sur les petits anneaux et les boules mais pour ce qui concerne celles-là, si de là nait une courbure plus grande ou plus petite, une fois tendue par-dessous, elle sera aussi jugée plus grande ou plus petite ; et parce qu’on regarde les boules, s’il n’y a aucun courant, celles-ci sembleront se conformer parfaitement aux vagues et aux vents ; s’il y a du courant, les boules certes ne seront pas complètement emportées par lui, mais elles en ressentiront son effet. Et du mouvement imprimé non seulement par les vagues et les vents mais aussi par le courant marin, naîtra souvent un troisième mouvement qui apportera une indication sur le sens du courant. Mais c’est seulement en journée que ces lignes flottant dans l’eau pourront être perçues. C’est vrai mais cette aide servira ainsi à corriger plusieurs expériences pour une meilleure partie du temps ; et cela permettra aussi de connaître plus prudemment le reste. Mais revenons au sujet lui-même. Quand la navette sera soumise aux pressions extérieures contre le vaisseau, alors plus grand sera le pli courbé de la cordelette et plus petite sera estimée la navette sous-tendue. Mais comme la navette sera contrainte par des pressions dynamiques extérieures de s’éloigner du vaisseau, alors les petits anneaux plus légers que la navette elle-même seront aussi poussés davantage ; et ainsi la cordelette ondulée donnera-t-elle une indication sur cet éloignement. Dans les pressions dynamiques intermédiaires, on prendra la mesure sur une moyenne intermédiaire : et ces indications seront rendues claires par la direction des boules. Mais pour la mesure du temps, je pense qu’il faut utiliser une horloge installée sur des roues et sur un bâton dont l’aiguille de trois pouces accomplira un tour entier en une demi-minute : s’il y avait besoin d’une horloge pour mesurer une longue durée (pour observer précisément les longitudes par exemple), je serais attentif aux difficultés bien connues55. En effet, en mer, la mesure d’un temps si court pourra s’opérer convenablement par l’horloge proposée : et dans un si grand tour, le début et la fin du temps à observer seront beaucoup plus clairs. Or, rien n’est plus facile que de faire cette expérience deux fois en une heure ; ainsi, le risque d’obtenir des variations qui peuvent naître d’un intervalle entre deux essais sera beaucoup diminué.
55 L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1765) se fait l’écho des difficultés de l’utilisation d’une horloge en mer notamment dans le cadre de la recherche d’une méthode exacte pour trouver les longitudes en mer : « si on eut pu trouver des horloges qui conservassent sur mer l’égalité de leur mouvement…, écrit Jean le Rond d’Alembert (article « Longitude »), les méthodes qui ont pour fondement des observations de phénomène céleste ayant toutes ce défaut qu’elles ne peuvent être toujours d’usage […], les mathématiciens ont recours aux horloges et autres instruments de cette espèce, et il faut avouer que s’ils pouvaient en faire d’assez justes et d’assez parfaits pour qu’ils allassent précisément sur le soleil sans avancer ni retarder, et sans que d’ailleurs la chaleur ou le froid, l’air, et les différents climats n’y apportassent aucune altération, on aurait en ce cas la longitude avec toute l’exactitude imaginable ; car il n’y aurait qu’à mettre sa pendule ou son horloge sur le soleil au moment du départ, et lorsqu’on voudrait avoir la longitude d’un lieu, il ne s’agirait plus que d’examiner au ciel l’heure et la minute qu’il est ; ce qui se fait la nuit au moyen des étoiles, et le jour au moyen du soleil : la différence entre le temps ainsi observé, et celui de la machine, donnerait évidemment la longitude. Mais on n’a point découvert jusqu’aujourd’hui de pareille machine ; c’est pourquoi on a eu encore recours à d’autres méthodes. »
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Enfin, les erreurs, transmises d’une observation d’une demi-minute à une heure entière, pouvant être grandement augmentées, seront atténuées, par un calcul contraire, une fois les corrections utilisées. Pour toutes ces raisons, il arrivera que cette technique, pour mesurer le chemin parcouru par un vaisseau, soit pratiquement rendue aussi facile que pratique et utile à ce qu’on nous a proposé de rechercher. § XXV Une technique inédite est proposée pour estimer la vitesse des vaisseaux. Cette activité, comme elle doit être réalisée sans observations astronomiques, ne peut pas être mieux exécutée, semble-t-il, qu’avec des instruments et des machines. Dans celles-ci aussi, en raison du roulis des vaisseaux, il faut faire attention, dès le début, à ce que les utilisations en soient simples et aisées. Voici donc la description de notre machine. GZ (Fig. 9) est la petite colonne en forme de parallélépipède, assez épaisse et solide, se terminant par une partie cylindrique ZY : cette partie est esquissée par des points sur la figure.
Fig. 36. – Machine pour mesurer la vitesse du bateau, fig. 9. De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETHBibliothek Zürich, Rar 4126, p. 43, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
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MNO est une base en bois, qui doit être attachée très solidement par quatre vis traversées par une pièce basse NDO avec le plancher sur la partie du vaisseau sur laquelle la machine sera utilisée. Et pour cela, la partie ZY de la petite colonne qui est insérée dans cette base, est arrondie ; pour qu’à l’aide des anses K et L, la petite colonne elle-même puisse être tournée dans une rotation. CBE est une règle métallique qui tourne parfaitement autour de l’axe inséré dans la petite colonne sur B, installée au moyen du demi-cercle ESN dont la bordure porte une graduation gravée. Au bout de cette même règle C, qui s’étend dans une figure plus grande, qu’on comprenne qu’un gros poids a été superposé. Le diamètre du demi-cercle et le bord tm de la portion de la règle coïncident avec la même ligne droite sur laquelle se trouvent aussi le centre B de la règle qui tourne en rond et le centre a du demi-cercle. AFB est le quart du cercle dont le centre est en B et dont la surface est sur le même plan que la face de la petite colonne GZ dont les graduations sont marquées sur la bordure. ac est une cordelette : une extrémité de celle-ci a été fixée fermement (pour ainsi dire) au centre a du demi-cercle ESN et une autre extrémité a été nouée à la boule Q. Mais en ce qui concerne les mesures de ces parties, elles peuvent correspondre aux mesures suivantes : la partie BE a une longueur de deux pieds, la partie BC est de trois pieds et plus, le diamètre de la boule Q est égal à un pied. Et pour ne pas exagérer, les parties restantes de la machine elle-même (hormis la cordelette dont on parlera plus bas) pourraient correspondre proportionnellement aux parties de la figure. Mais dans un tracé de ce genre, il faudra attribuer une très grande part à l’expérience : c’est sous sa conduite qu’on parviendra à des calculs assez utiles portant sur les grandeurs des parties. § XXVI L’usage de la machine déjà décrite est exposé. Grâce à des vis, la machine sera maintenue à l’endroit du vaisseau, d’où la boule Q pourra être projetée facilement dans la mer : plus le lieu sera bas, c’est-à-dire plus la hauteur du centre a au-dessus de la surface de la mer sera petite, plus la machine sera placée dans une position convenable pour son usage. C’est pourquoi elle pourrait être placée vis-à-vis d’une de ces ouvertures plus basses qui servent à recevoir les machines de guerre56. Une fois la machine établie solidement, que la boule Q soit projetée dans la mer ; et que la longueur ac de la cordelette soit si grande que sa partie s’applique sur la surface de la mer et que la boule puisse être traînée commodément. Et que la petite colonne tourne jusqu’à ce que la corde soit un peu éloignée de la bordure du demi-cercle. Pendant que la machine avancera en même temps que le vaisseau, la boule Q sera traînée, à laquelle une résistance sera opposée par la colonne d’eau RTXV qui
56 Les sabords sont les ouvertures pratiquées dans la coque et par où sortent les canons.
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possède une base égale au plus grand cercle de la boule. La vitesse du vaisseau sera aussi grande que la vitesse de la boule et aussi grande (si rien d’extérieur ne vient interférer) que la vitesse de l’eau résistant à la boule ; comme il arrive pareillement, soit que la boule se jette dans l’eau soit que l’eau se jette sur la boule. C’est pourquoi si, grâce à la machine, la vitesse de l’eau peut être connue, on pourra connaître aussi la vitesse du vaisseau. Et il est patent qu’il arrivera nécessairement que, par la résistance de l’eau contre la boule, la cordelette soit traînée et par cela, la réglette CE s’adaptera à cet angle pour que l’équilibre se fasse entre la force de l’eau résistante et le poids au bout de la réglette C (dont je voudrais que les parties au-dessus de B et sous B, une fois ôté le poids C, soient mues de mouvements équivalents). Et quand l’équilibre se fera, le poids C se maintiendra (ce qui est clair d’après les théorèmes mécaniques) dans la direction de la résistance de l’eau, c’est-à-dire sur l’action de la boule Q, pour que la ligne BI soit perpendiculaire à la cordelette ap sur BP perpendiculaire à la ligne CP qui est perpendiculaire à l’horizontal et traverse le centre de gravité du poids C. Mais on a donné le calcul entre BI et BP. Et en effet, les angles aBI, Bap, additionnés entre eux équivalent à une seule ligne droite ; de la même façon, les angles Sap et Bap équivalent à une ligne droite ; c’est pourquoi, une fois ôté l’angle commun Bap, demeure l’angle Sap qui sera connu, d’après l’observation de la bordure du demi-cercle, égal à l’angle aBI : c’est pourquoi, dans un triangle rectangle, dont on connaît l’hypoténuse Ba et l’angle aBI, on connaîtra aussi le côté BI. Avec une mesure semblable, dans le triangle rectangle CP, d’après l’hypoténuse donnée CB et l’angle CBP observé, on obtiendra le côté BP. Du moins, d’après ce qui a été dit au § XV, on peut montrer que les forces de l’eau résistante seront dans un double calcul de vitesses : donc, quand les forces de l’eau résistante sont connues d’après le poids connu C, sera également connu le calcul des vitesses qui seront (comme nous l’avons dit récemment) contenues deux fois dans le nombre des mêmes forces. Si donc quelques forces et les vitesses correspondant à ces mêmes forces par des expériences (réalisées avec une météo assez tranquille et dans des endroits de la mer exempts de courants) sont connues, les vitesses résiduelles seront également connues d’après les observations et l’analogie. Bien plus, par un calcul facile, devraient être construites, pour des combinaisons de plusieurs angles, des tables, qui, dans l’action même, selon la commodité d’un usage simple, n’auraient pas un intérêt négligeable. § XXVII Quelques observations touchant à l’usage de la machine décrite. Je ne dirai rien du retard que la boule G pourrait apporter à la course du vaisseau, en opposant une résistance à son mouvement : en effet, la taille du vaisseau, comparée à celle de la boule, suffit à prouver qu’un retard de ce genre peut être considéré comme nul. Je n’ajouterai également rien au sujet des changements de voiles ou du nombre augmenté ou diminué de celles-ci ; de celles-ci, je n’ai pas dit
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un mot précédemment. En effet, notre travail prendrait des proportions exagérées s’il fallait développer au cas par cas (comme on dit). Mais le sujet lui-même montre avec force qu’à cause de changements variés, un jugement varié devra être porté par un estimateur prudent. Mais je n’omettrai pas le fait que la cordelette ac ne sera pas du tout alignée sur l’extension de la ligne droite ; mais par la force propre à la gravité, elle se disposera d’elle-même selon une courbe. Comme cependant une action doit se produire contre le point a en passant par la tangente de la courbe s’orientant vers le début même de la courbe et comme la petite portion de la cordelette ap peut être considérée comme la tangente elle-même, de fait, il sera possible de prendre la mesure de l’angle Bap depuis la même droite ap. Et à la résistance de la boule Q, il faudra aussi ajouter à nos supputations, la petite résistance de la portion de la cordelette qui rase l’eau, et celle de la gravité de la portion de la cordelette émergeant de l’eau. Il faudra aussi veiller à ce qu’une cordelette solide, mais aussi peu lourde que possible, soit utilisée. En outre, il ne faut vraiment pas cacher qu’il sera possible que dans l’usage de cette machine-ci, le roulis désordonné d’un vaisseau, des vagues et de la mer peuvent amener quelque perturbation : puisque (comme cela a déjà été dit), les roulis de ce genre ne peuvent pas être évités : mais pour ce qui touche aux balancements du vaisseau et des vagues, ceux-ci du moins font en sorte que souvent la portion de la cordelette ap et la réglette CE se mettent à osciller d’une certaine façon : mais néanmoins ces parties reviendront constamment dans la position que requiert la force de résistance de l’eau et indiqueront les angles convenables recherchés. Le roulis qui pourra créer de l’embarras, proviendra des courants marins, qui se conformant au mouvement du vaisseau, rendront la résistance de l’eau contre la boule insignifiante et en s’opposant au mouvement du vaisseau, augmenteront cette même résistance. Et quand les eaux de la mer s’écoulent et quand elles ne s’écoulent pas, l’usage de la machine proposée l’indiquera facilement. En effet, par sa nature-même, la traction de la boule G sera de ce genre à savoir : quand rien n’agit au-dehors, la cordelette sera toujours parallèle au chemin du vaisseau (qui d’ailleurs sera connu très exactement) et quand le balancement seul manifeste la force des vagues et du vaisseau, la cordelette de même, bien au contraire, est, souvent, sur le point (comme indiqué plus haut) de revenir à l’endroit que requiert la résistance de l’eau. C’est pourquoi si la direction du courant marin n’est pas celle du vaisseau, la boule G ira de travers et ainsi, quand on saura que la boule elle-même est déviée de la route du vaisseau, cela constituera une indication sur les courants marins. En outre, quand (pour ainsi dire) les mouvements de la mer sont latents, savoir que, grâce à l’aide de la machine, la navigation se fait à l’endroit de l’action des courants marins, constituera une utilité à ne pas dédaigner ; bien plus, une fois la navette utilisée aussi (de laquelle on a parlé aux § XXII et suivants), à partir des observations de celui-ci et de celle-là, plusieurs indications concernant la direction et les forces des courants seront bien connues. Et vraiment, quand l’usage de la boule rapporte comment celle-ci est mise en mouvement et quand l’usage de la navette renseigne sur la tranquillité du courant, sur l’association des
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deux techniques, on pourrait dire quelque chose ; mais il suffirait d’avoir indiqué tantôt l’usage de la machine, tantôt les avantages des associations. J’ajouterai une chose, dans la machine proposée réside aussi l’avantage suivant : l’usage de celle-là même pourrait être considéré comme une expérience perpétuelle quand, une fois la boule enlevée et la machine tournée selon ce qu’on recherche, des observations pourraient être faites à volonté. Je conclurais donc en disant que la connaissance des forces du vent, que nous avons évoquée au § XI, peut vraiment être utile pour mesurer le chemin parcouru par un vaisseau, de même que les tables élaborées avec application peuvent aussi vraiment être utiles pour connaître la direction de la pression dynamique d’un vaisseau, la direction du vaisseau lui-même, la vitesse correspondant à ceux-ci et aux parties restantes qu’on a évoquées au § XXI et que la machine décrite un peu plus haut (qui indique les vitesses du vaisseau desquelles résultent les mesures des chemins parcourus par le vaisseau) peut être vraiment très utile, machine qui est complètement achevée par l’expérience et dont les usages seront également établis avec observations réalisées avec la navette et la cordelette (nous en avons parlé au § XXII), une fois appliquées les précautions que nous avons exposées au § XIII. FIN
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Fig. 37. – Planche avec la machine pour mesurer la vitesse du vaisseau (fig.9). De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETHBibliothek Zürich, Rar 4126, p. 43, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
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Fig. 38. – Planche avec la machine pour mesurer la force du vent (fig.3). De la meilleure manière de mesurer sur mer le chemin d’un vaisseau, Paris : de l’Imprimerie Royale, 1734. ETHBibliothek Zürich, Rar 4126, p. 41, https://doi.org/10.3931/e-rara-2993. Public Domain Mark.
Deuxième traité Dissertations latines sur les ancres qui répondent aux trois questions proposées cette année par l’Académie Royale des Sciences (1737)
Chapitre ix
Présentation
Ces dissertations sont intitulées La figure optimale selon laquelle les ancres peuvent être formées, De la technique la plus performante pour forger les ancres et La manière d’éprouver la force des ancres, soit leur résistance. Partant de la citation d’Ovide « Qu’on jette l’ancre ici et qu’elle retienne nos navires1 » qui sert à anonymer son travail global proposé à l’Académie en 1735, Poleni la transforme en trois formules différentes qui s’adaptent ainsi aux trois problématiques développées. Le recours à la majuscule dans les trois adjectifs substitués au latin « jacta » (« jetée »), traduit tout l’artifice de la réécriture : « anchora FIRMA, DUCTA, CERTA (solide, forgée, sûre) ». La 1e dissertation est intitulée La figure optimale selon laquelle les ancres peuvent être formées. La citation latine inaugurale est « Qu’ici une ancre SOLIDE retienne nos navires2. » Le plan s’articule ainsi : Poleni commence par définir les différentes parties de l’ancre. Cette attention accordée à la définition des éléments de l’objet technique que l’on retrouve dans les trois traités peut se rapprocher de l’esprit systématique tel que l’évoque Dortous de Mairan dans sa Dissertation sur la Glace ; l’esprit systématique est « une disposition naturelle tournée en habitude à nous faire un plan raisonné de notre objet, un tout de ce qui le compose, d’après ce qui nous est connu, pour monter de là par degré à ce que nous ignorons3. » Colette Le Lay et Frédérique Rémy4 rapprochent cette définition de la troisième règle de la méthode de René Descartes : De conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précédent point naturellement les uns les autres5. Puis, Poleni évoque les figures d’ancres anciennes et conclut sur la supériorité des ancres à deux têtes. Ensuite, il propose des calculs sur les poids des ancres, la résistance (fond marin, bateau) et la proportion des parties de l’ancre. Puis, il évoque l’invention de la ligne courbe du bras et conclut en proposant la figure optimale de l’ancre.
1 Hic teneat nostras anchora jacta rates. 2 Hic teneat nostras anchora FIRMA rates. 3 Le Lay C., Rémy Fr., « La Dissertation sur la glace (1749) », Revue d’Histoire des Sciences, tome 68, 2, juillet-décembre 2015, p. 363. 4 Ibid. 5 Descartes R., Discours de la Méthode (1637), partie ii.
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La 2e dissertation est intitulée De la technique la plus performante pour forger les ancres. À nouveau, Poleni démarre par la citation d’Ovide réécrite : « Qu’ici une ancre FORGÉE retienne nos navires6. » La dissertation repose sur un plan bipartite : d’abord, Poleni se demande comment perfectionner la manière habituelle de fabriquer des ancres en rappelant l’historique de la forge et en exposant ses connaissances – personnelles ou érudites – sur le fer, les techniques de soudage7, et la combinaison des parties de l’ancre. Ensuite, il propose une nouvelle division des parties de l’ancre et un nouvel arrangement. La 3e dissertation, La manière d’éprouver la force des ancres, soit leur résistance, est introduite par la citation soulignant cette fois la sécurité de la solution technique envisagée, « Qu’ici une ancre SÛRE retienne nos navires8 », la dissertation de Giovanni Poleni s’articule sur deux points ; dans un premier temps, il propose des manières d’éprouver la force des ancres qui ne requièrent le déploiement d’aucune machine puis dans un second temps, il s’intéresse à l’usage de machines dans la mise au point d’épreuves sur la force et la résistance des ancres. Nous reproduisons ci-dessous les procès verbaux manuscrits de la séance du samedi 4 mars 1737 de l’Académie Royale des Sciences de Paris présentant le palmarès du concours sur les ancres et les réserves formulées par l’Académie : le « troisième sujet Quelle est la manière d’éprouver les ancres ? ne lui a pas paru suffisamment rempli ». Elle a donc choisi de distribuer le prix à « deux pièces où elle a trouvé d’ailleurs des recherches curieuses et utiles tant sur la figure des ancres que sur les autres sujets et sur plusieurs pratiques, qu’elle n’a pas voulu qui fussent perdues pour le public » dont celle de Poleni. Le commentaire présent à la page 2 justifie la nécessité de s’intéresser au cabestan qui monte l’ancre, sujet du concours de 1741 : « le cordage attaché au poids qu’on veut lever ou trainer […] descend de toute sa grosseur » et « il faut le rehausser (choquer) pour éviter qu’il s’embarrasse ». Or « à chaque fois qu’on choque, il faut arrêter le mouvement de la machine, prendre des bosses, […] dévirer le cabestan, relever le cordage… » Ayant énuméré tous les inconvénients liés au cabestan, les académiciens annoncent ainsi le sujet du concours suivant : Considérant d’ailleurs la liaison de la manœuvre du cabestan avec celle des Ancres, qu’on ne jette ou ne lève que par son moyen, l’Académie a résolu de proposer pour sujet le prix de l’année 1739, La meilleure construction d’un cabestan ou telle autre machine équivalente par rapport à tous les usages auxquels on l’applique dans un navire principalement pour éviter, ou tous, ou en partie les inconvénients mentionnés ci-dessus9.
6 Hic teneat nostras anchora DUCTA rates. 7 Poleni n’hésite d’ailleurs pas à donner les conseils de son forgeron. 8 Hic teneat nostras anchora CERTA rates. 9 Extrait du PV des séances de l’Académie Royale des Sciences de Paris, samedi 4 mars 1737, assemblée publique et présidée par M. Dargenson, p. 2.
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Dortous de Mairan annonce ainsi son prix à Poleni dans une lettre datée du 29 mai 173710. Agréez, s’il vous plaît, que je vous fasse mes très humbles compliments, sur la part que vous avez aux prix que l’Académie des Sciences a distribué cette année, et que je vous offre en même temps mes services pour retirer la somme qui vous est due en conséquence, et pour vous l’envoyer par la voie qui vous plaira de m’indiquer. Vous verrez par le programme ci-joint le détail du jugement de la compagnie, et une partie de ses motifs. La pièce dont vous lui avez fait part et qu’elle donnera incessamment au public, est à mon avis, un des plus excellents morceaux qu’elle ait jamais couronnés, tant par le savoir et l’invention géométriques, que par les autres connaissances de littérature, que vous avez eu l’art d’y lier au sujet. Nous ne savons que depuis deux jours les auteurs des deux pièces n°5 et n°9, qui ont concouru avec la vôtre. Ce sont les deux fils de Mr Bernoulli, savoir Jean B. Doctr en Droit (n.5) et Daniel B. Prof. en Médecine (n.9) comme je l’apprends par une de leurs lettres. C’est ce que j’attendais de jour à autre, avec l’imprimé du Programme, pour l’envoyer. Je souhaite, Monsieur, que ce nouveau sujet nous procure encore quelqu’un de vos ouvrages et que je puisse, comme par le passé, avoir le plaisir d’en signer le triomphe. Cette lettre nous apprend donc que chaque concurrent recevait l’évaluation manuscrite motivée du jury qui a apprécié la dimension littéraire du traité dont l’introduction est émaillée de références à la littérature latine et grecque. Le secrétaire perpétuel est ici le récipiendaire du prix qu’il transmettra à Poleni par l’intermédiaire de l’abbé Leblond. Dortous de Mairan lui communique également le futur sujet, entretenant ainsi la motivation de Poleni pour ces concours. La réponse de Poleni est enthousiaste : Au très Remarquable et célèbre Dortous de Mairan Giovanni Poleni donne son salut Comme je fais si grand cas du jugement de la Très Illustre et Florissante Académie Royale des Sciences que personne certainement ne pourrait en faire de plus grand, je suis contraint de croire qu’il y a quelque chose dans ma médiocrité qui soit digne des suffrages de celle-ci. Mais si contrairement à ce que je crois, il y a vraiment une perfection, je ne trouve pas de raisons pour laquelle je ne la mettrai pas sur le compte de la générosité de cette même Académie. Ainsi, à l’Académie Royale et à Vous, Très Honorable, je reconnais que je vous dois beaucoup ; et, tant que je serai maître de mon esprit, je ne cesserai jamais de le reconnaître. Et vos lettres que j’ai reçues dernièrement, sont si pleines d’humanité que j’ai complètement découvert que votre Humanité n’était pas moins importante que votre intelligence scientifique qui est tout à fait remarquable et excellente. Donc je vous adresse mes plus vifs remerciements pour votre bienveillance à mon égard. L’enveloppe autrefois transmise par
10 Lettre de Mairan à Poleni, Paris, 6 septembre 1741, Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°353.
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le plus Haut fonctionnaire de l’Académie Royale au Secrétaire, qui doit être représentée comme perçue (avant que je ne reçoive votre lettre), je l’avais envoyée là où vous êtes à l’Abbé Leblond ; car son Frère qui est le consul du Royaume de France à Venise (comme on l’appelle), s’est chargé, là où il est, de recevoir le prix, à ma place : et je vous réitère mes remerciements parce que vous voulez m’être favorable même sur ce point. Je n’ajoute pas d’autres choses car j’ai une santé fragile mais j’espère qu’à l’avenir, je recouvrerai (si les dieux m’assistent) une meilleure santé ; quand ce sera le cas, je mettrai la main à l’édition des livres de Vitruve que j’ai passé plusieurs années à annoter et à illustrer, à la hauteur de mes moyens. Et si je réussis, je Vous le ferai aussitôt connaître, et je Vous enverrai aussitôt un exemplaire. Pendant de ce temps, je Vous demande encore et encore, de favoriser et de conserver votre très grande bienveillance à mon égard. Adieu11. Nous évoquerons le mouillage des ancres évoqué par les membres de l’Académie. Le mouillage d’une ancre désigne à la fois, l’action, le lieu et le matériel qui est composé d’une ancre, d’une chaîne et d’un câblot. Techniquement, lors d’un mouillage plusieurs facteurs sont à prendre en compte. D’abord, la zone d’évitage qui est la surface que parcourra le navire en tournant autour de son ancre pendant toute la durée du mouillage. Si le courant est plus fort que le vent, le bateau parcourt un arc de cercle de telle sorte que 6 heures plus tard, il se retrouve à l’opposé de sa position initiale. Le calcul de marée doit avoir été fait au préalable. Pour qu’un mouillage tienne bien par fort courant, la longueur de chaîne dévidée sur le fond doit être de cinq fois la
11 « Praestantissimo Celeberrimoque Viro Dort. De Mairan Joannes Polenus S.P.D Cum ego judicia Illustrissimae Florentissimaeque Regiae Scientiarum Academiae tanti faciam, ut nemo certa ea pluris facere possit, cogor credere in mediocritate mea aliquid esse dignum suffragiis illius. At, si contra me totum exactio, rationes non invenio, cur non etiam multum eiusdem tribuam generositati. Profecto Regiae Academiae et Tibi, Ornatissime Vir, me plurimum debere profiteor ; ex, quoad spiritum ducam, numquam cessabo profiteri. Adeo autem humanae sunt litterae tuae, quas nuper accepi, ut plane compererim humanitatem in Te non equidem minorem esse tua Scientiarum peritia, quae egregia sane, eximiaque est. Gratias autem maximas Tibi ago pro hac propensa tua erga me voluntate. Syngrapham olim traditam a Summo illo Viro Regiae Academiae a Secretis, quae ut percipiatur est representanda, antequam litteras tuas acciperem). Abbati Leblond istuc miseram : ejus enim Frater, qui Galliarum Regni Venetiis Consul (ut appellant) est, onus, recipiendi istic pro me praemium in se suscepit : novas tamen habeo Tibi gratas, quod vel in hac parte favere mihi velles. Plura non addo informa enim valetudine sum at spero futurum, ut (Superis bene juvantibus) recuperaturus sim priorem salutem ; quod ubi eveniat manum admovebo ad Editionem Librorum Vitruvii, in quibus emendandis illustrandisque, pro modulo meo, plures annos insumsi. Quod si praestabo notum Tibi quoque statim erit, statim enim exemplum Tibi mittam. Interim a Te etiam atque etiam peto, ut optimam illam tuam erga me voluntatem fa/oveas atque conserves. Vale. Patavio, Prid. Non. Jun. CIƆƆƆCCXXXVII » Lettre de Poleni à Mairan, Padoue, 4 juin 1737, Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°359-360.
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profondeur. Celle-ci doit être connue sur toute la zone d’évitage. Un autre facteur à prendre en compte est le déplacement de la chaîne, durant l’évitement, à raz du fond : elle risque de « balayer » la petite ancre d’un bateau voisin et de décrocher son ancre du fond, ou d’accrocher et d’emporter l’ancre. Une ancre à jas (à deux becs) comme celle préconisée par Giovanni Poleni présente certes une très bonne tenue au fond mais aussi des risques de surpattage et de surjalage. Pour éviter ces deux désagréments, la ligne de mouillage doit être dévidée à la vitesse à laquelle le navire cule (marche par la poupe) car si on dévide tout d’un coup, la chaîne risque de se mettre en tas (l’ancre sera mal crochée). En revanche, si elle chasse, sa résistance sera constante contrairement à une ancre à grappins qui pourra décrocher brutalement. Le mouillage avec orin (cordage reliant une bouée à l’ancre) peut être requis sur un fond rocheux, s’il y a risque que l’ancre se coince et ne puisse plus être dégagée. L’oringage peut se pratiquer sur le mouillage simple ou le mouillage à plusieurs ancres. Le fait de tirer sur l’orin aura pour action de décrocher l’ancre. Il faudra toujours s’assurer que l’orin ne s’emmêle pas avec la ligne de mouillage car un coup de houle ou simplement le navire en évitant, risquent de décrocher l’ancre. Il suffira de tirer sur l’orin pour décrocher l’ancre dès que le navire aura suffisamment avancé vers l’ancre. Quand le courant est plus fort, il faudra avancer le navire sur l’ancre, tout en embarquant la ligne puis, dès qu’elle sera à pic, remonter le mouillage. Si le mouillage est oringué, il suffira de tirer sur l’orin pour décrocher l’ancre dès que le navire aura suffisamment avancé vers l’ancre. Si l’ancre est trop solidement crochée, on avance un peu. Le fait d’exercer une traction vers l’avant décrochera l’ancre. En effet, les efforts subis par l’ancre sont importants et déjà soulignés par Giovanni Poleni12 : Il est évident que les bras des ancres ne peuvent pas pénétrer dans les rochers ; ils peuvent cependant être retenus par les aspérités des rochers et peuvent s’insérer dans les creux et les anfractuosités des rochers. Or, quand cela arrive, il y a danger que les ancres ne puissent être ni extirpées ni soulevées ou bien qu’elles soient mises en pièces ou se tordent et se déforment. Mais le sable et le sablon constituent des résistances en quelque endroit plus grandes et en quelque autre endroit, plus petites, selon que le sable et le sablon ont été plus ou moins poussés ensemble et rendus denses par les flots. Ainsi, selon la nature variée du limon et de la terre argileuse, les endroits limoneux et argileux sont diversement compacts.
12 Poleni, La Figure optimale selon laquelle les ancres peuvent être formées, 2e section, § 4.
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Fig. 39. – Extrait du Procès-verbal du samedi 4 mai 1737 présentant les lauréats du concours sur les ancres, p.1, Archives de l’Académie Royale des Sciences, Paris. C. Le Gall, ARS Paris.
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Fig. 40 – Extrait du Procès-verbal du samedi 4 mai 1737 présentant les lauréats du concours sur les ancres, p.2, Archives de l’Académie Royale des Sciences, Paris
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Fig. 41. – Deslonchamps, « L’épreuve des ancres en Hollande », Recueil de toutes sortes de machines, d’outils, et d’ustensiles en usages pour la construction et carène des vaisseaux, et de tout ce qui a rapport à leurs armements dans un arsenal de marine, 1763, cote : MS54, Bibliothèque municipale, Brest. Wikimedia Commons.
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Pour montrer l’importance des ancres sur un voilier, nous ferons référence ici au manuscrit de l’officier brestois Deslonchamps (1763) étudié par Sylvain Laubé et Arnaud Orain13. Le plan de son manuscrit de sept pages rappelle celui de Poleni mais aussi les caractéristiques des ancres liées à la sécurité de l’équipage et à la réussite des expéditions scientifiques ou militaires ; il y traite successivement des proportions des ancres de Toulon, Vienne, Brest, Hollande et Angleterre ; de leurs qualités ; des différents efforts des ancres à la mer ; de la meilleure manière de les éprouver. Il livre aussi des observations sur la règle de proportion des câbles, les épreuves des ancres avec des grues, l’enjaulage des ancres et les forges à bras de Brest. Parmi les ancres présentées par Deslonchamps, aucune ne possède la caractéristique voulue par Poleni mais sont toutes d’un seul bloc. Deslonchamps justifie sa réflexion par une argumentation essentiellement fondée sur la notion de sécurité. En effet, les ancres peuvent se fabriquer ailleurs (et non dans les ports, « sous les yeux d’un bon maître forgeron qui n’eût d’autres intérêts que le bien de l’État à cœur et la perfection de son ouvrage en vue ») et même dans des endroits où le mauvais fer est très commun et où l’intérêt des ouvriers est différent. » Pour ces raisons, Il sera toujours du bien du service d’en demander les épreuves afin de s’assurer de leurs bonnes ou mauvaises qualités, et cela par des épreuves raisonnablement proportionnées aux poids et grandeurs des ancres. On a cette précaution à l’égard des canons et de fusils ou autre armes à feu, parce qu’il y va de la vie de quelques hommes. Il semblerait donc qu’à plus forte raison on devrait l’avoir à l’égard des ancres, puisqu’il y va non seulement de la vie de quelques hommes mais de la perte entière d’un vaisseau et de tout son équipage. Ces moyens suggérés par Deslonchamps renvoient au test de percussion décrit par Poleni au chapitre iv de sa troisième dissertation latine : Par percussion (comme on a l’habitude de le faire chez les Bataves), nous pouvons éprouver la résistance d’une ancre, en veillant à ce que l’ancre en tombant d’un lieu élevé heurte une barre de fer très épaisse placée dessous, posée transversalement, ou une lame de fer très épaisse. En effet, il deviendra probant que la structure de cette ancre est exempte de défauts et que ses parties sont assez solides, si, à la suite de cette violente collision, l’ancre n’a subi aucun dommage. Cependant, ces tests par percussion ne brillent pas par leur précision : « Il ne faudra pas dissimuler que la résistance des ancres qui est testée par des épreuves de ce genre est considérée comme un peu moins vérifiée. » Giovanni Poleni leur préfère une épreuve qui utilise la force de l’homme à l’aide des machines suivantes.
13 Louis-Jean Montier Deslonchamps (1721-1771), lieutenant des vaisseaux du roi et du port de Brest. Recueil de toutes sortes de machines, d’outils, et d’ustensiles en usages pour la construction et carène des vaisseaux, et de tout ce qui a rapport à leurs armements dans un arsenal de marine, 1763. BM de Brest, cote : MS54. Dessins disponibles sur https ://commons.wikimedia.org.
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Fig. 42. – Machine pour éprouver les ancres, fig. 1, Dissertations latines sur les ancres : l’épreuve des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0. Câble (funis) : gd Essieu d’un cylindre : TZN Parallélépipède (parallelepipedum) : qR Petite vis (cochleola) : n Poids (pondus) : P Poignée (manubrium) : XFm Roue (rota) : ae Supports (sulcra) : ACD, BEG Tige cylindrique ronde (teres paxillus) : St Trous (foramina) : u et t
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Fig. 43. – Roues crénelées, fig. 2, Dissertations latines sur les ancres : l’épreuve des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0. Barre de fer épaisse dont on doit faire l’épreuve (crassus ferreus baculus de experimentum sit sumendum) : GH Mur (murus) : A BC D Poignée (manubrium) : xRFm Roue (rota) : N P Tenon de la règle de fer (uncus ferreae regulae) : IKML Tenons de fer (ferrei trunci) : EF Tympan (tympanum) : nm, ec et gh (non écrit par Poleni sur son dessin)
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Fig. 44. – Fer parallélépipède, fig. 3, Dissertations latines sur les ancres : l’épreuve des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0. Fer parallélépipède (ferrum parallelepipedum) : HL Gonds (cardines) : ns Marteau (malleus) : eq Poutrelle (trabecula) : ab Support (sulcrum) : A BC DEF Supports très solides (solidissimi sulcri) : GI, MN Nous présenterons les dessins des ancres réalisés par Poleni en le légendant des termes latins techniques.
pré se ntat i o n Fig. 45. – Modèle d’ancre, fig.1, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Ancre (anchora) : A B C D Arganeau ou organeau (annulus anchorae) : EA Becs de l’ancre (dentes anchorae) : « bras de l’ancre » pour les Anciens Bout de la verge (caput virgae) : Pu Bras de l’ancre (brachium anchorae) : CB, CD Câble (anchorale) Crosse (recurva anchorae pars) : vD Essieu de la verge (virgae axis) : eP Flèche du bras (sagitta brachii) : DR
Flèche renversée du bras (sagitta brachii versa) : eR Ligne du bras (linea brachii) : DSse Nœud de l’ancre (nodus anchorae) : eC Oreilles (aures anchorae) : I, K et G, H Pattes (pedes anchorae) : BIK, DGH Pointes des bras (mucrones brachiorum) : B, D Tenons de l’ancre (ansulae capitis anchorae) : nm Trou de l’ancre (foramen anchorae) Verge (virga anchorae) : Pe
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Fig. 46. – Essieu de l’ancre avec créneau, fig. 3, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0. Essieu ou jouet de l’ancre (axis ligneus anchorae) : ABEF Créneau (crena) : CD devant coïncider avec le bout AF de la verge (caput virgae)
Fig. 47. – Organeau et essieu en bois de l’ancre, fig. 2, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 17321737. Public Domain Mark 1.0.
Essieu en bois de l’ancre (axis ligneus anchorae) : GHIK Organeau (annulus anchorae) : LM
pré se ntat i o n Fig. 48. – Ancre à trois becs, fig. 15, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 17321737. Public Domain Mark 1.0.
Ancre à trois becs (anchora tridens)
Fig. 49. – Aile, fig. 7, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Ailes (alae) : BKIsn, DHGdb
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Fig. 50. – Ancre à becs, fig. 8, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Becs (dentes) : s, n Encoches (crenae) : st, nr Lames (laminae) : Rb, qd Trou (foramen) et clou (clavus) : u Verge (virga anchorae) : PC
Fig. 51. – Détail du bout de la verge PC, fig. 6, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 52. – Bras, fig. 10, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 17321737. Public Domain Mark 1.0.
Fig. 54. – Détail du bout de la verge PC avec pics, fig. 9, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Fig. 53. – Ancres avec pointes, fig. 11, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres de Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Bras (brachia) : BRFqD Clou (clavus) : e Clous (clavi) : uu Encoches (crenae) : uu Grand trou (grande foramen) : aL Levier (vectis) : PesD Parois adjacentes (adjacentes parietes) : tz, es Pic (apex) : x Pointes (mucrones) Cm, Cx
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Les deux premiers prix ont été adjugés à Jean Bernoulli (Discours sur les ancres) et à Tresaguet (Mémoire sur la fabrique des ancres) mais le sujet du troisième ne lui ayant pas paru suffisamment rempli, elle l’a partagé également entre deux pièces qui lui ont paru mériter également son approbation : celle de Daniel Bernoulli (Réflexion sur la meilleure figure à donner aux ancres et la meilleure manière de les essayer) et celle de Giovanni Poleni. Dans son Discours sur les ancres, Jean Bernoulli répond ainsi à la question sur l’épreuve des ancres : Il me semble qu’il n’y a pas de manière plus facile et plus sûre, que de faire cette épreuve sur une ancre fabriquée en petit ; je veux dire, de construire une petite ancre à laquelle on donnera la figure et les dimensions indiquées ci-dessus, de suspendre un poids à une de ses extrémités, et de voir jusqu’à quel point il faudra augmenter ce poids avant que l’ancre se casse ; d’où l’on pourra conclure quelle sera la force d’une grande ancre semblable à la petite, et qui aura pour conséquence toutes ses dimensions en raison donnée avec celle qui sont homologues dans la petite. […] Il est aisé de démontrer que les puissances que deux ancres semblables, mais de différents poids, peuvent soutenir, seront entr’elles, comme les quarrés des dimensions homologues. […] De sorte que si je trouve qu’une petite ancre pesant, par exemple, une livre, puisse soutenir un poids de 400 livres attaché à une de ses extrémités, je conclurai de là qu’une ancre semblable, pesant 8000 livres pourra soutenir un poids de 160 000 livres14. Pour éprouver la force des ancres, Jean Bernoulli propose de coucher l’ancre sur un sol imitant la consistance du fond marin : On fera d’abord coucher l’ancre sur sa croisée, et on la tirera ensuite par le moyen d’un cabestan planté à une certaine distance et sur quelque hauteur. On verra qu’étant tirée avec une certaine vitesse, elle se dressera d’elle-même, et on examinera avec quelle vitesse elle doit être ensuite traînée pour la faire mordre plus vitement dans le sable. On fera l’angle que la direction du câble forme avec le fond près l’arganeau, depuis 0 jusqu’à 20 ou 25 degrés, et on remarquera que plus cet angle est petit, plus la patte s’enfoncera vitement. On examinera quelle force il faudra d’abord appliquer, et comment ces forces doivent ensuite être variées pour avancer la manœuvre ; mais il suffira de l’augmenter jusqu’à ce que la force immédiate qui tire horizontalement l’ancre soit égale à son poids, car une ancre qui est assez enfoncée pour pouvoir résister à une force égale à son poids, peut être regardée comme tenant assez ferme au fond, puisqu’elle est capable de retenir un vaisseau contre un courant de 6 pieds par seconde, comme nous avons vu au xvie siècle. On remarquera en même temps, par quels degrés les vitesses de l’ancre diminueront après qu’elle a commencé à mordre dans le fond, et qu’elle est tirée avec une vitesse uniforme. Quand l’ancre tiendra assez ferme pour soutenir la force tantôt nommée, on pourra imiter les coups de mer […].
14 Bernoulli J., Discours sur les ancres, p. 30-31.
pré se ntat i o n Fig. 55. – Figure d’ancre de Jean Bernoulli, fig.1 de son Discours sur les ancres, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Cela se fera en tirant le câble brusquement et par intervalle avec beaucoup de force. Enfin, pour connaître comment se fait le désancrage, on n’a qu’à tirer le câble sous une direction successivement plus verticale15. L’auteur anonyme de l’article « Ancre » de l’Encyclopédie résume ainsi la réponse de Jean Bernoulli, saluée par le jury de l’Académie Royale des Sciences de Paris. Pour déterminer la meilleure figure des ancres, M. Jean Bernoulli cherche d’abord l’angle le plus favorable pour que l’ancre enfonce, c’est-à-dire, celui sous lequel la patte entre le plus profondément et avec le plus de facilité et de force, et il trouve que cet angle est égal à 45 degrés, c’est-à-dire, que le bras doit faire avec le fond de la mer un angle de 45 degrés, en supposant que le fond de la mer soit horizontal, et que le câble le soit aussi ; suppositions qui à la vérité ne sont pas à la rigueur, mais qui peuvent pourtant être prises pour assez exactes. Il s’applique ensuite à déterminer la figure de l’ancre la plus avantageuse. Il observe d’abord que la résistance des différentes parties du fond de la mer devant être censée la même partout, elle peut être regardée comme semblable à l’action d’une infinité de puissances parallèles qui agiraient sur la croisée. Ainsi, en supposant la croisée ou sa surface concave d’une égale largeur partout, il en résulte que la figure la plus avantageuse de cette surface concave serait celle d’une chaînette, c’est-à-dire, de la courbe que prend un fil chargé de poids égaux, et attaché horizontalement par les extrémités ; car il est visible que si l’ancre était flexible, elle prendrait cette
15 Bernoulli J., 1737, p. 83-84.
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figure d’elle-même, et la conserverait après l’avoir prise. C’est donc la figure la moins sujette à changer, lorsque la branche est supposée inflexible. Mais on ne doit pas faire la croisée d’une égale largeur par-tout ; car en ce cas, elle ne résisterait pas également à être cassée dans toute sa longueur. Elle se casserait plus aisément (par la propriété du levier) vers le sommet de la croisée que vers les extrémités. Ainsi il faut qu’elle soit plus mince vers ses extrémités, que vers son milieu. M. Jean Bernoulli imagine donc deux courbes, dont l’une termine la surface concave de l’ancre, et représente par ses ordonnées les différentes largeurs de cette surface, et une autre courbe qu’il appelle courbe des épaisseurs, et dont les ordonnées soient perpendiculaires à la surface concave ; et il trouve par le principe de l’égalité de rupture, l’équation qui doit être entre les ordonnées de la courbe des épaisseurs, et celles de la courbe des largeurs. De plus, pour que la branche soit le moins sujette qu’il est possible à se plier ou à changer de figure, il faut une autre équation entre les deux courbes dont nous venons de parler. Le problème sera donc parfaitement résolu si les deux courbes sont telles qu’elles satisfassent à la fois aux deux équations ; condition qu’on peut remplir d’une infinité de manières. Le mémoire de Trésaguet ne s’intéresse qu’à la forge des ancres. L’auteur anonyme de l’article « Ancre » de l’Encyclopédie présente ainsi le résumé de la technique du lauréat, M. Tresaguet : On forge des barres plates et pyramidales ; on en arrange plusieurs les unes auprès des autres, en sorte qu’elles aient ensemble plus que le diamètre de la pièce qu’on veut forger ; et que leur longueur soit moindre, parce qu’elles s’étendent et diminuent d’épaisseur en les forgeant. On donne plus d’épaisseur aux barres les plus éloignées du centre, parce que le feu agit davantage sur elles. On lie toutes ces barres ensemble avec des liens de fer soudés, que l’on fait entrer par le petit bout du paquet, et que l’on chasse ensuite à grands coups. On porte en cet état le paquet à la forge d ; on le place au-dessus de la tuyere ; on le couvre de charbon ; on souffle d’abord modérément ; puis on fait un vent fort et continuel. De cette manière la chaleur passe de la surface au centre ; et comme les barres sont inégales, et que les premières sont les plus fortes, tout s’échauffe également. Pour savoir si le paquet est assez chaud, on perce la croute de charbon qui l’enveloppe ; s’il parait net et blanc, il est prêt à être soudé : à l’aide de la potence i g, et de sa chaîne f qui embrasse le paquet, on le fait aller sans effort sous le martinet, qui, en quatre ou cinq coups, soude toutes les barres. Le paquet est placé sur l’enclume ou tas k e. Deux forgerons (figure 2 et 3) le soutiennent ; et le marteleur ou (figure 4) le maître ancrier dirige la pièce par le moyen du ringal, et fait appliquer les coups de marteau où ils doivent porter. Ce marteau agit dans ce tableau par le moyen de l’eau, et comme celui des grosses forges. La longueur d’une ancre de 6000 livres doit être à peu près de quinze pieds, et sa grosseur de dix pouces. On proportionne le poids des ancres à la force de l’équipage et à la grandeur du vaisseau. De la manière dont une ancre est mouillée, le plus grand effort qu’elle fait est dans le plan qui passe par la verge et les deux bras. Or il est évident qu’une barre qui n’est pas carrée, est plus difficile à casser sur le côté, que sur le plat. D’où
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il s’ensuit, selon M. Tresaguet, que l’ancre, pour avoir la force la plus grande, doit être plate dans ce sens. Cependant il ne sera pas mal d’abattre les angles en rond, pour rendre plus doux le frottement contre le câble et les rochers. Lorsque la verge est forgée ; le trou par où doit passer l’organeau percé ; le ringal coupé ; le carré et les tenons formés ; le trou qui doit recevoir la croisée, percé ; on forge la croisée et les pattes. M. Tresaguet est encore d’avis, que pour former les pattes, on forge des barres dont on aplatisse les extrémités. Il est à noter les références nombreuses à Trésaguet réalisées par l’auteur de cet article de l’Encyclopédie. Quant à la pièce de Poleni, elle a inspiré la première partie historique de l’article « Ancre » de L’Encyclopédie rédigé en 1751 : On a quelquefois fait usage d’ancres à trois dents : mais ces ancres, ainsi que celles à quatre dents, sont moins bonnes que celles à deux, parce qu’elles sont sujettes à plus d’inconvénients. M. le Marquis Poleni en détaille les principaux dans sa pièce Latine sur les ancres, imprimée à Paris en 1737, à l’Imprimerie royale, et dont nous avons tiré tout ce que nous avons dit jusqu’à présent. Nous reproduisons ici trois planches illustrant le Mémoire sur la fabrication des Ancres de Trésaguet (1737). Planche VIII : Forge aux ancres. Fig. 1. – Ancre de mises ou de différentes pièces les unes au bout des autres. Fig. 2. – Verge en paquets de barres de fer quarré, assemblées indistinctement. Fig. 3. – Coupe de cette verge où les fourrures s’aperçoivent. Fig. 4. – Cette verge forgée à bras, telles qu’elles se forgent dans les ports. Fig. 5. – Verge de barres plattes au feu. Fig. 6. – Verge de barres plattes sous le gros marteau. Planche X Fig. 1. – Forgerons qui portent un bras d’ancre pour être soudé à la verge par le gros marteau, ce qui ne peut se faire que dans les grosses forges, & qui est infiniment plus sûr que de le souder à bras, comme il se pratiquait. Fig. 2. – Maître ancrier qui rogne l’ancre, par où l’on connoît en même temps que toutes les barres sont unies, & ne forment plus qu’un même corps. Planche XI Fig. 1. – Ancre de barres non soudées intérieurement. Fig. 2. – Forgerons qui donnent la courbure au bras.
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Fig. 56. – Mémoire sur la fabrique des ancres, Tresaguet, planche 8, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 57. – Mémoire sur la fabrique des ancres, Tresaguet, planche 10, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 58. – Mémoire sur la fabrique des ancres, Tresaguet, planche 11, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 59. – Giovanni Casoni, « Plan de l’arsenal de Venise », Guida per l’Arsenale di Venezia, a cura di Pasquale Ventrice, Cierre Edizioni, 2011.
Jusqu’à la fin du xviiie siècle, les ancres fabriquées en Italie équipent les navires provençaux. La fabrication des ancres à l’arsenal de Venise se réalisait à l’Officina Ancore (numéro 43 sur le plan de Giovanni Casoni16) que Casoni décrit ainsi : ATELIER DES ANCRES – Sert justement à la construction des ancres de n’importe quelle grandeur et pour n’importe quels bateaux. Admirable est la dextérité et l’habileté des ouvriers au moment d’unir et de relier les très gros fers brûlants. Parfois, à l’occasion d’opérations hardies et dangereuses, interviennent deux remarquables personnages.17. 16 Casoni in Ventrice, 2011, p. 80. 17 « OFFICINA ANCORE – Serve apunto alla costruzione delle ancore di qualunque grandezza, e per qualsiasi naviglio. Ammirabile è la destrezza e perizia degli operaj, in occasione di unire e connettere grossissimi ferri roventi : talvolta in circostanza di così ardite e pericolose operazioni, ha luogo l’invito di ragguardevoli personaggi ».
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Fig. 60. – Machine de Perrault, Machines et inventions approuvées par l’Académie Royale des Sciences depuis son établissement jusqu’à présent, t. i, 1735. Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program.
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En lisant la description de l’atelier de fabrication des gros travaux18 (numéro 61 sur le plan), on peut s’imaginer l’ambiance de la fabrication des ancres comparable à celle de l’antre de Vulcain ou des Cyclopes : La disposition des feux, la trépidation des marteaux, la fumée, le lancement des étincelles, le noircissement des murs, le brouillard de particules en suspension qui se répand sur chacun, les bras nus des travailleurs, tout ceci ne laisse pas d’imposer et de donner une image assez expressive de l’antre de Vulcain et de ses Cyclopes. Pour installer les lourdes ancres, facilement, les bateaux étaient déplacés comme dans une chaîne de montage. C’est dans le bassin de l’arsenale vecchio que les galères reçoivent espars voiles, cordages, ustensiles et armes. « L’atelier des fabricants des rames, qui bordait le canal de sortie, était même percé d’ouvertures par lesquelles on glissait leurs avirons aux galeotti19. » La seule machine approuvée par l’Académie Royale des Sciences est la machine de Perrault, pour empêcher que les gros câbles des ancres ne soient facilement rompus (t. I, p. 45, 1721). Alors qu’au xviie siècle, certaines ancres venaient d’Italie, la plupart des ancres au xviiie siècle, sont forgées dans le Nivernais. Il s’opère une normalisation des ancres ; désormais plus solides et destinées à assurer une meilleure prise dans le sol avec sur les bras des oreilles et des becs. Des liens de fer baptisés « cercles carrés » enserrent désormais les deux grandes pièces de chêne formant le jas. [..] Des plans et dessins servent à donner la norme. Il y a aussi une nouvelle manière de déterminer la dimension des ancres et qui n’est plus celle jusqu’alors en usage, semblable à la déduction des cotes des parties du vaisseau à partir du maitre bau. La géométrie prend le relais20. Le nombre des ancres embarquées diminue. Alors qu’un vaisseau de premier rang au temps de Louis XIV emporte 8 ou 9 ancres, un vaisseau de 74 canons au xviiie siècle, ne compte plus que 6 ancres.
18 « La disposizione de’ fuochi, lo scalpitar de’ martelli, il fumo, il lancio delle scintille, l’annerimento delle pareti, quella caligine che per ogni dove qui si diffonde, e le nude braccia de’ lavoranti, ciò tutto non lascia d’imporre, e somministra un’ immagine asssai espressiva dell’antro di Vulcano e dei suoi Ciclopi. » Casoni in Ventrice, 2011, p. 104. 19 R. Burlet, A. Zysberg, 2000, p. 53. 20 Chaline, 2016, p. 199.
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Chapitre x
Traduction annotée
DISSERTATIONS LATINES SUR LES ANCRES, QUI RÉPONDENT AUX TROIS QUESTIONS proposées à ce sujet par l’Académie Royale des Sciences. Pièces qui ont partagé le troisième des Prix de l’année 1737 Par M. le Marquis Poleni. [Les notes marginales sont de Poleni.]
Fig. 61. – « Avertissement au lecteur », Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Avertissement
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ans les dissertations1, il ne faut pas insérer cela seul que j’expose aux plus remarquables et aux plus savants des Juges, pour ouvrir ma thèse à ces mêmes personnes. C’est pourquoi j’ai envoyé une autre dissertation pour le sujet de l’année 1735, distinguée par ce vers : « Qu’on jette l’ancre ici et qu’elle retienne nos navires2. » Ovide qui a été désignée alors du numéro 3. Mais maintenant j’ai changé quelques parties de celle-ci, j’en ai ajouté de plus nombreuses : c’est pourquoi je voudrais qu’on ne tînt aucun compte de la première mais que l’on tînt compte des dissertations que j’envoie maintenant, distinguées par ces vers-ci : « Qu’ici une ancre SOLIDE retienne nos navires. » « Qu’ici une ancre FORGÉE3 retienne nos navires. » « Qu’ici une ancre SÛRE retienne nos navires. » En outre, une seule dissertation entière concerne assurément la figure des ancres : mais dans la seconde section de la deuxième dissertation, Sur une technique plus performante de fabrication des ancres à la forge4, d’autres éléments (comme l’exige le sujet), qui concernent la figure des ancres, ont été proposés. Or, rien ne m’empêche de compter une seule et unique dissertation à partir de cette première dissertation et de cette section, s’il a semblé bon aux juges les plus savants qu’il faille réellement agir ainsi, eux au jugement desquels je reconnais tout à fait avec sagesse et plaisir avoir soumis mes travaux nocturnes.
1 En marge de notre traduction, nous avons donné les notes écrites par Giovanni Poleni et qui figurent en bas de page de la version imprimée. Nos propres notes sont aussi portées en bas de page de la traduction. 2 « Pars superat coepti, pars est exhausta laboris. / Hic teneat nostras anchora iacta rates. » « Une partie de ma tâche me reste ; une est épuisée. / Jetons ici l’ancre et arrêtons notre navire. » Ovide, Art d’aimer, 1, v. 769-770, éd. H. Bornecque, revue par Ph. Heuzé, CUF, Paris, 1994. Ces vers représentent la conclusion de l’ouvrage d’Ovide, écrit en 1 av. J.-C. Ovide recourt au mot poétique ratis,-is, f. pour désigner les navires. Rappelons que les devises étaient utilisées par les savants pour garantir l’anonymat de leur composition également désignée par un numéro. La citation d’Ovide choisie par Poleni orne également la dissertation du lauréat (1er prix), Jean Bernoulli. La dissertation de Poleni dont la pièce numéro 11 n’occupa que la 5e place comporte donc trois parties illustrées par la citation ovidienne réécrite : anchora jacta devient anchora firma / ducta / certa. 3 Ancora ducta : l’adjectif ductor désigne celui qui façonne ; par exemple, le ductor ferreus désigne le forgeron. Le mot ductus désigne également chez Poleni, le trait, le tracé. 4 Ustrinam : la forge, selon Poleni qui s’appuie sur l’acception en latin classique du mot ustrina (Gaffiot) : combustion, action de brûler (uro). Le mot désigne aussi un lieu où l’on brûle les corps.
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La figure optimale selon laquelle les ancres peuvent être formées Qu’ici une ancre SOLIDE retienne nos navires Au début de cet opuscule, il m’est permis de dire, en préambule, que je crois clairement que, pour mettre en oeuvre la théorie de la navigation5, je n’ai pu imaginer rien de plus adapté que le fait que ceux qui y sont versés aillent dans l’ordre de partie en partie dont est constitué l’ensemble de la navigation. En effet, (j’utilise un exemple très connu mais qui opère grandement pour illustrer mon propos) de même que les horloges sont parfaitement exécutées quand chaque modèle de petites roues, de tympans, et de tous les autres petits mécanismes est fabriqué par chaque artisan consacrant tout son soin à chaque modèle (dont il est spécialiste,) de même, nous pourrions dire que la théorie de la navigation alors enfin sera parfaite en tous les aspects quand, un par un, les membres formés et parfaitement finis auront été préparés pour composer pour ainsi dire un corps unique6. Et assurément, cette réflexion et ce soin furent très dignes de l’ingéniosité et de la sagesse de l’illustre Académie Royale des Sciences qui, non seulement par elle-même, augmente et perfectionne les sciences utiles7, au premier chef, à la vie humaine, mais aussi, aux autres, tantôt fournit en abondance le meilleur raisonnement dont elles seront étayées, tantôt à cela même, ajoute les encouragements les plus louables. Et s’il est des accessoires d’accastillage à même d’exiger une considération exacte, ce sont assurément les ancres dont dépend un mouillage sûr et solide des navires sur une mer tranquille et qui sont d’un très grand secours, au milieu des tempêtes qui sévissent et des ouragans. Donc il me plaît de faire des essais, si par hasard, je peux, par mon travail quel qu’il soit, contribuer à l’utilité de la communauté : en effet, quoi qu’il advienne, il aura été sans aucun doute brillant pour ma personne, de travailler à ce qui est, pour l’État, fortement
5 Doctrina rei navalis : Giovanni Poleni s’est vu octroyer la chaire d’architecture navale (1756-1760) créée à l’université de Padoue et enseigne la « doctrina Rei navalis » (science de la Navigation) comme on peut le lire dans les programmes de ses cours. 6 Forma et perpolita membra ad unum veluti componendum corpus : à travers la métaphore des membres et du corps, Poleni souligne, dans le programme de ses cours, la nécessité de connaître des disciplines très variées : la science sur le mouvement des êtres animés, celle des forces centrifuges ou encore celle des pendules mais aussi la science de la résistance des solides dont celle du bois. Il reprend alors la même métaphore : « On montrera les principales parties du bois qui, à l’instar de membres valides, assurent la cohésion du corps entier du Navire. » 7 Scientias vitae humanae utiles : selon l’article xxxi du règlement de l’Académie Royale des Sciences de 1699 : « L’Académie examinera, si le Roi l’ordonne, toutes les machines pour lesquelles on sollicitera des privilèges auprès de Sa Majesté. Elle certifiera si elles sont nouvelles et utiles, et les inventeurs de celles qui seront approuvées seront tenus de lui en laisser un modèle. » (Léon Augoc, L’Institut de France : lois, statuts et règlements… Paris, Imprimerie nationale, 1889, p. lxxxix. in Règlements et science dans la France de l’absolutisme, p. 119).
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avantageux, et a même une importance considérable en vertu de la seule autorité des sages qui proposent le sujet. Quant à la dissertation, je la diviserai en quatre parties au total : et en premier lieu, avec la pratique pour compagne, et le calcul pour guide, je l’emporterai en prouvant que la figure des ancres à deux têtes est excellente : je poursuivrai ensuite sur la figure des ancres rapportée aux poids de celles-ci et à la proportion de leurs parties : puis, les autres parties des ancres ayant été pesées avec soin, je déterminerai la figure de la partie principale, c’est-à-dire du bras des mêmes ancres ; et enfin, j’exposerai par quel ajout, selon mon estimation, la figure de l’ancre est secondée et comment tout l’ensemble peut être achevé. Mais auparavant, pour y voir plus clair, je proposerai quelques définitions.
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DÉFINITIONS I L’ancre8 est un accessoire en fer ABCD (Fig. 1) par lequel, en partie à cause de son poids, en partie à cause de sa pointe fichée dans un fond, les navires sont stabilisés et retenus. Une ancre a plusieurs parties. Et premièrement, Fig. 62. – Ancre avec pattes KIB et GHD, fig.1, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
8 Réaumur, dans sa Fabrique des ancres, lue à l’Académie en juillet 1723, dénombre cinq types d’ancres sur un navire : « l’ancre de miséricorde, la grosse ancre, l’ancre de veille, l’ancre d’affourche et deux ancres à touer » (Descriptions des arts et métiers faites ou approuvées par l’Académie Royale des Sciences, Paris, Imprimerie Royale, 1761, p. 52).
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II La verge9 de l’ancre est le fer Pe, dans les ancres plus petites (excepté la partie supérieure), il est arrondi ; mais dans les ancres plus grandes, il se termine par quatre faces, à peu près plates. À la verge de l’ancre (qui doit être réputée comme la partie maîtresse de l’ancre) sont jointes toutes les autres parties de l’ancre. III Si par les centres de la base et du sommet de la verge, on conçoit une ligne droite menée eP (comme dans un cylindre, est mené un essieu du centre du cercle de la base vers le centre du cercle du sommet), cette ligne sera appelée « essieu de la verge ». IV Le bout de la verge de l’ancre est l’extrémité supérieure de la verge Pu, un peu plus large vers les côtés aX, EF, reproduisant la figure parallélépipède à base rectangle. Dans ce bout, s’engage un essieu en bois, que nous évoquerons plus bas. V Les tenons10 de l’ancre ressemblent à deux petites proéminences ; l’un est nommé nm, l’autre est sur la face opposée, correspondant à nm ; ils sont strictement compris entre les parties internes de l’essieu en bois (que nous évoquerons plus bas) et empêchent que le même essieu, selon la longueur de la verge, puisse monter et descendre. VI Le câble11 est une corde à laquelle est attachée12 l’ancre. VII Le trou de l’ancre g (Fig. 1) est l’organeau récepteur au bout de la verge.
9 « La verge d’une ancre est un gros barreau de fer qui forme la longueur de l’ancre. On distingue le gros ou le fort de la verge de son faible ; la culasse [quarré de la verge] fait partie de la verge et elle est à son faible. Dans quelques ports, on dit improprement la vergue au lieu de la verge. » (Réaumur, 1761, p. 54). 10 Les tenons de Poleni font penser aux tourillons de Réaumur : « Les tourillons d’une ancre sont deux pièces de fer qu’on soude sur le quarré de la verge et qui sont encastrées dans les flasques du jas. » Réaumur, op. cit., p. 53. 11 Selon Réaumur (p. 52), le câble est « un gros cordage qui répond d’un bout à l’ancre et de l’autre au navire. » 12 Réaumur dit qu’on attache ou qu’on étalingue le câble.
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VIII L’organeau est l’anneau EA, formé d’un fer épais, passant par le trou de l’ancre g. À cet organeau est relié le câble. L’organeau est recouvert de cordelettes qui en font le tour comme sur l’organeau LM (Fig. 2), afin que le câble relié à l’organeau ne soit pas élimé par l’usage continu et la traction, et ne soit pas usé. Fig. 63. – Ancre avec organeau LM, fig.2, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
IX l’ancre13
Le bras de est comme une sorte de branche en fer CB, ou CD uni et soudé avec la partie la plus basse de la verge eC. X Appelons la partie eC, par laquelle la verge est fichée aux bras, « nœud de l’ancre. »
13 « Les bras d’une ancre sont des pièces courbes qui sont soudées au bout de la verge et qui doivent entrer dans le terrain pour assujettir le navire. On distingue le fort et le faible, le rond et le quarré des bras sur lequel sont soudés les pattes, le bec et l’extrémité de ce quarré. » (Réaumur, 1761, p. 52).
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XI Les pattes de l’ancre14 sont des lames de fer épaisses BIK et DGH de forme triangulaire avec les extrémités des bras très solidement jointes et soudées ; elles sont adaptées pour se ficher au fond de la mer à l’aide de leurs pointes et pour y enfoncer leur morsure ; et ainsi les Anciens disaient que les ancres fichées, au fond et s’y accrochant, s’échouaient. XII Les extrémités B et D des bras seront appelées « pointes des bras ». XIII Si on conçoit qu’un plan passe par l’essieu de la verge eP et par les pointes B et D, ce plan sera nommé « plan de l’ancre ». XIV Que la section du plan de l’ancre et de la surface interne du bras De soit la ligne DSse : celle-ci certainement sera celle selon le tracé de laquelle on conçoit qu’ont été formés les bras CD et CB de l’ancre. Et cette ligne sera dénommée « ligne du bras ». COMMENTAIRE Puisque le bras de l’ancre, pendant que l’ancre est tirée, produit une force seulement sur sa partie interne eD, qu’il n’exerce aucune force sur la partie externe Gq, pour cette raison, il suffira de tenir compte de cette partie interne de la figure, c’est-à-dire de la ligne du bras. XV Si, depuis la pointe D, est menée une droite DR perpendiculaire à l’essieu eP de la verge, la ligne DR sera appelée « flèche du bras » et la ligne eR sera dénommée « flèche renversée du bras ». XVI On appelle « oreilles de l’ancre » les angles des pattes I, K et G, H.
14 « Les pattes sont des morceaux de fer plats à peu près triangulaires qu’on soude au bout des bras : deux des angles forment les oreilles et le troisième le bec. » (Réaumur, 1761, p. 53).
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XVII Les becs15 des ancres étaient appelés par les Anciens, « bras de l’ancre » ; soit que ceux-ci fussent munis de pattes, soit qu’ils ne le fussent pas. De là, ce vers : L’ancre par un croc tenace assurait les navires16. En effet, quand on dit que l’ancre assure le navire par un bec, cela revient à dire que le navire est retenu par l’ancre. XVIII La partie recourbée de l’ancre (la crosse) est la partie BCD consistant en l’un et l’autre bras ; cette partie composée avec l’extrémité de la verge renvoie comme à une sorte de figure en croix. XIX L’essieu en bois de l’ancre (l’essieu ou jouet17 de l’ancre) est composé de deux chevrons de bois épais, dont l’un est ABEF (Fig. 3) dans lequel il faut noter le créneau CD qui doit cadrer parfaitement avec le bout AF (Fig. 1) de la verge, selon une longueur de moitié. En outre, dans ces mêmes chevrons, sont insérés les deux petits tenons du bout de l’ancre dont l’un est nm. Ces deux chevrons, embrassant le bout de la verge par ses créneaux de telle façon qu’ils s’élèvent, perpendiculaires au plan mené par la verge et les pointes des pattes de l’ancre, fichés par des clous, maintenus entre eux étroitement, forment l’essieu en bois de l’ancre (Fig. 2) GHIK. Il arrive à cet essieu en bois qu’une patte de l’ancre ayant été dirigée de dessous vers le haut, l’autre patte orientée vers le bas se fiche dans le fond.
Fig. 64. – Chevron ABEF de l’essieu, fig.3, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
15 Dentes : dents, crocs, becs. « Le bec d’une ancre est la pointe de chacune de ses pattes, laquelle est terminée d’un sifflet recourbé et est destinée à pénétrer dans le sol » (Bonnefoux et Pâris, Dictionnaire de la Marine à voile, Paris, EFR, 1987). 16 Virgile, En. 6, v. 3-5 : Obuertunt pelago proras ; tum dente tenaci / Ancora fundabat nauis et litora curuae / Praetexunt puppes […] « On retourne les proues vers le large ; puis, de son croc tenace, l’ancre assure les navires et les poupes arrondies font une bordure au rivage. » (Trad. J. Perret, CUF, Paris, 2012). Après la mort de Palinure, les vents ont conduit la flotte d’Enée sur le rivage de Cumes. 17 Poleni évoque ici « le jouet, le jouail, le jat ou le jas de l’ancre » à savoir « deux pièces de bois exactement jointes ensemble qui embrassent le quarré de la verge : elles sont réunies par des chevilles et des frettes : on nomme quelquefois ces pièces des jumelles ou des flasques. » (Réaumur, 1761, p. 53).
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XX On appelle ainsi la « maîtresse-ancre18 » sur n’importe quel navire, l’ancre qui est supérieure par son poids et sa taille à toutes les autres ancres de ce même navire ; elle est employée seulement pour éviter un danger. Les Anciens l’appelaient « ancre sacrée ». XXI Une seconde ancre19 qui est sensiblement plus petite que l’ancre sacrée sert à retenir le navire au mouillage. XXII La troisième ancre (Ancre d’Affourche)20 plus petite en taille que la seconde, après que l’autre a été jetée, est jetée de telle sorte que, si la première est à droite, celle-ci soit à gauche, et que les câbles de l’une et de l’autre, quand ils rentrent dans le navire, forment un angle. XXIII La quatrième ancre, c’est-à-dire la Boueuse (Ancre de toue21 ou Boueuse), plus petite que les premières, est jetée à une certaine distance du navire ; et une extrémité du câble ayant été reliée à l’organeau et l’autre au cabestan, il est ramené de sorte que, par un tour de celui-ci, le navire est tiré vers le côté où il est maintenu par l’ancre. XXIV Le lorin [l’orin]22 est une corde indicatrice dont une extrémité est attachée aux bras de l’ancre (parfois à l’organeau) et l’autre tenue en un bout par un morceau de liège ou par un autre corps léger flottant de sorte que si le câble se détache de l’ancre, l’ancre puisse être retrouvée sur l’indication de ce signal flottant. 18 La maîtresse ancre est aussi appelée « la grosse ancre : c’est celle qu’on mouille le plus ordinairement. » On peut aussi appeler la maîtresse ancre, l’ancre de la calle. (Réaumur, 1761, p. 52). 19 Cette « seconde ancre est nommée l’ancre de veille qui est presque aussi grosse que la précédente : on la tient toute prête à mouiller si l’autre chassait. » (Réaumur, 1761, p. 52). 20 « Les ancres d’affourche sont aussi aux bossoirs. Ce sont des ancres moins grosses qu’on mouille pour empêcher les navires d’obéir aux courants et à la marée ; quand un navire est affourché sur deux ancres, celle qui s’oppose à la marée montante s’appelle l’ancre de flot et celle qui s’oppose à la marée descendante se nomme l’ancre de jusant : de même l’ancre du large se dit par opposition à l’ancre de terre ; celle-ci est du côté de la terre, l’autre du côté de la pleine mer. » (Réaumur, 1761, p. 52). 21 « Les ancres à touer sont de petites ancres que la chaloupe va mouiller à l’avant et qui fournissent un point fixe pour se rendre dans un endroit en virant sur le cabestan. » (Réaumur, op. cit., p. 52). Touer un navire, signifie l’amarrer. 22 Poleni écrit en français lorin en oubliant l’apostrophe de l’orain ou l’orin, « ce cordage qui est amarré à la tête de l’ancre ou à la croisée, auquel on attache à l’autre bout la bouée qui le fait flotter. Cette bouée est quelquefois un baril, quelquefois des morceaux de liège fermement assujettis les uns aux autres. On hâle sur l’orin, quand on est forcé de lever l’ancre, comme on dit par les cheveux. » (Ibid., p. 53).
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COMMENTAIRE Quatre usages ont été attribués à ces types d’ancres bien qu’ils soient généralement du même modèle ; parfois pourtant (vu l’état des circonstances), il arrive que, selon ces usages, différents types d’ancres soient employés l’un à la place d’un autre.
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Première section On disserte sur les figures variées des ancres, surtout anciennes. On conclut (je l’ai démontré par le calcul et la pratique) : les ancres à deux têtes sont plus performantes que toutes les autres du fait de leur figure. I De la première invention des ancres et de l’ancienneté de leur usage.
a. Iliade, chant I, v. 436. b. Iliade, chant XIV, v. 77. c. Odyssée, chant IX, v. 137. d. Odyssée, chant XV, v. 497.
Ce n’est pas pour accumuler les passages des auteurs anciens mais comme quelque chose de pertinent pour porter un jugement sur les ancres que nous utilisons de nos jours, que j’ai ajouté ce qui suit. Les plus anciens parmi les auteurs profanes qui traduisirent les poèmes homériques du grec en latin, utilisèrent le terme d’ancre à plusieurs reprises : ainsi, nous lisons (j’utiliserai la traduction fournie par Joshua Barnes) Et ils jetèrent les ancresa 23 et, Mouillons24 en eau profonde sur les ancresb 25 et Ils ne jetèrent pas les ancresc 26, et, Mais ils jetèrent les ancres par-dessus bordd 27. Or, le mot grec employé par Homère pour désigner l’ancre est εὐνάς qui pourrait signifier au sens propre « couchette » et au sens figuré, « l’ancre » a été traduite « couchette28 » puisque c’est l’accessoire sur lequel repose le navire : mais de quelque manière que soit employé ce mot, il est certain que, dans les très anciens temps, des accessoires aptes à être jetés pour stabiliser les navires furent en usage.
23 Ἐκ δ᾿ εὐνὰς ἔϐαλον, κατὰ δὲ πρυμνήσι᾿ ἔδησαν· « On jette les grappins et on noue les amarres. » Les Grecs d’Ulysse arrivent à Chrysè. Le traducteur Paul Mazon (éd. CUF) ajoute la note suivante : « Le port est en eau profonde (v. 432). Aussi les Grecs, cette fois, ne halent pas leur navire à terre. Ils l’amarrent au rivage, après avoir jeté les pierres de fond (εὐνaί) qui leur servent d’ancre. » (p. 20) 24 Joshua Barnes emploie le verbe latin « stabilire » (faire se tenir solidement, maintenir solide, affermir) pour traduire le mot « ὁρμίσσομεν » qui signifie en grec « mettre au mouillage dans un port » ou « mettre en sûreté à l’ancre ». 25 ὕψι δ᾽ ἐπ᾽ εὐνάων ὁρμίσσομεν, εἰς ὅ κεν ἔλθηι / νὺξ ἀϐρότη […]. « Puis faisons-les mouiller en eau profonde sur les grappins jusqu’au moment où viendra la nuit immortelle. » (Paul Mazon, CUF, 1961) 26 Ἐν δὲ λιμὴν ἐύορμος, ἵν᾽ οὐ χρεὼ πείσματός ἐστιν, / οὔτ᾽ εὐνὰς βαλέειν οὔτε πρυμνήσι᾽ ἀνάψαι / ἀλλ᾽ ἐπικέλσαντας μεῖναι χρόνον εἰς ὅ κε ναυτέων / θυμὸς ἐποτρύνῃ καὶ ἐπιπνεύσωσιν ἀῆται. « Cette île a, dans son port, des cales si commodes que sans amarre à terre ; et sans jeter les ancres et sans lier les câbles, on, laisse les navires une fois remisés, jusqu’au jour où le cœur à nouveau se décide ou que les vents se lèvent. » Ces vers (traduits par Victor Bérard, CUF, 1963) soulignent le caractère exceptionnel du port des Yeux Ronds (Cyclopes) où les navires n’ont pas besoin d’être amarrés. Ce détail des navires sans ancre est annonciateur du caractère extraordinaire de l’aventure qui suit. 27 v. 495-498 […] oἱ δ᾽ ἐπὶ χέρσου / Τηλεμάχου ἕταροι λύον ἱστία, κὰδ δ᾽ ἕλον ἱστὸν καρπαλίμως, τὴν δ᾽ εἰς ὅρμον προέρεσσαν ἐρετμοῖς· / ἐκ δ᾽ εὐνὰς ἔβαλον […] « Et déjà les gens de Télémaque abordaient au rivage, amenaient la voilure et déplantaient le mât en vitesse ; on se met aux rames vers la cale ; on jette l’ancre… » (Victor Bérard, CUF, 1963) 28 On retrouve également ce mot chez Apollonios de Rhodes, Argonautiques.
t rad u ct i o n annot é e e. De Militia Navali (« Sur le service militaire naval »), Livre 2, chap. 5, p. 147. f. Livre VII, chap. 56, selon Scheffer. a. Édition aldine, t. I, p. 171.
Cependant, au sujet du premier inventeur des accessoires de ce genre c’est-à-dire des ancres, il y a un doute, comme l’ont noté J. Scheffere 29 et quelques autres. Plinef a attribué cette invention aux Étrusques, si nous nous en tenons aux anciennes éditions, nous lisons en effet : Pisaeos30 a ajouté les rostres, les Étrusques31 ont ajouté l’ancre, Eupalamus32 l’ancre à deux becs, Anacharsis33 les harpons et Périclès34, les grappinsa 35. Mais si nous suivons
29 Poleni possède cet ouvrage dans sa bibliothèque personnelle. John Scheffer (1621-1679), né à Strasbourg, spécialiste des langues anciennes et de la navigation, fuit les troubles en Alsace pour se réfugier en Suède où il obtint, en 1648, une chaire à l’université d’Upsala. En 1643, il publia en 4 tomes De Varietate Navium apud Veteres (« De la variété des navires chez les Anciens ») dont son traité Des navires des anciens. Il s’intéressa également aux moyens de transports terrestres des Anciens (De Re Vehiculari Veterum Libri duo, Francfort, 1671). Il établit et édita les textes d’Élien, Phèdre, Justin, Hygin, Pétrone ou d’Arrien (Tactica). Il est également l’auteur d’études sur la philosophie pythagoricienne, De natura et Constitutione Philosophiae Italicae seu Pythagoricae Liber Singularis (Upsala, 1664 et Wittemberg, 1701) et sur Tite-Live (Regnum romanum sive dissertatione Politicae Septem in Librum primum T.Livii qui est de Regibus Romanorum, Upsala, 1664). Ces travaux ont été insérés dans la compilation Trésor des Antiquités romaines. 30 « Pisaeos ainsi nommé du nom de sa patrie, la ville de Pise en Toscane, était un héros étrusque qui passait pour l’inventeur de la trompette et des éperons de navire, » écrit Pierre Grimal (Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, p. 378, PUF, Paris, 1988.) 31 « Tyrrenus est considéré comme l’ancêtre mythique des Tyrreni ou Étrusques d’où la traduction de « Tyrrenus » en « Étrusque ». Il passe tantôt pour le frère de Lydos, éponyme des Lydiens et le fils d’Atys et de Callithéa, et tantôt pour un fils d’Héraclès, inventeur de la trompette. Sa mère est alors Omphale. Enfin, on le dit aussi fils de Télèphe et d’Hiéra. Tyrrhénos, d’origine lydienne, se serait exilé après la prise de Troie – ou encore au cours d’une famine qui ravageait le pays – et se serait établi en Italie centrale, donnant naissance au peuple étrusque ». (Pierre Grimal, op. cit.) L’origine lydienne des Étrusques a été génétiquement prouvée par les travaux du professeur Alberto Piazza de l’université de Turin. 32 Eupalamus (‘Eup£lamoς : « à la main adroite ») est le père mythique de Dédale. 33 Anacharsis (Ἀνάχαρσις) est un philosophe d’origine « barbare » puisque venu en Grèce du peuple des Scythes au nord de la mer Noire au début du vie siècle av. J.-C. Il est parfois rangé parmi les Sept sages. Il prétendait que le navire le plus sûr est celui qui est à l’ancre. Cette dernière phrase explique peut-être la tradition, issue de Strabon, selon laquelle il aurait été l’inventeur de l’ancre. 34 « Périclès, célèbre homme d’État athénien (v.490-429 av. J.-C). Pline (Nat. 22,44) l’appelle Atheniensium Princeps quand il raconte l’anecdote touchante de Périclès à qui Athéna révéla en songe une plante médicinale. Cette plante le parthenium, devait guérir le jeune esclave qui lui était cher et qui était tombé du faite du temple de l’Acropole, alors en construction. Périclès s’était efforcé de fortifier Athènes, par la construction des Longs Murs (Thucydide, 1, 107, 1) et par la constitution d’une flotte puissante. » (Robert Schilling, CUF, op. cit.) 35 « Dynastie d›imprimeurs italiens en activité à Venise et à Rome de 1496 à 1597, la lignée doit sa renommée à Alde Manuce (1449-1515) son fondateur. Alde met en place des innovations qui vont révolutionner l’édition en Europe. Il conçoit le caractère italique dit « aldin » qui, outre son élégance, se signale par sa commodité, puisqu’il permet l’impression de plus de texte sur une page. Il invente le petit format in-octavo, libretto da mano ou « livre portatif », qui connait de grands tirages (de 1000 à 1500 exemplaires), et remet au goût du jour les textes des auteurs classiques », comme on peut le lire sur le site l’École Nationale des Chartes (catalogue.enc.sorbonne.fr/expositions /fonds-casati/16-18/ ve/alde). « La première édition du texte de Pline voit le jour à Venise, sous les presses de Nicolas Jenson en 1469. À la Renaissance, cette première édition est finalement assez peu répandue et surtout assez peu commentée sur le terrain de la philologie. Pourtant, les correspondances de l’époque,
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b. Pline, édition de Paris, 1723, t. I, p. 432. c. Op. cit., p. 418. d. Livre IV, chap. 9. e. Livre VII, 1707, p. 464.
Hardouin36, nous dirons que l’invention a été attribuée à Eupalamus, puisqu’il écrit qu’il a rétabli « un passage difficile à cause d’une ponctuation défectueuseb, » de cette façonc : L’Étrusque Pisaeos a ajouté les rostres, Eupalamus l’ancre, Anacharsis l’ancre à deux becs et Périclès, les harpons et les grappins37. Or, je tombe facilement d’accord avec cette ponctuation ; en effet, les harpons et les grappins sont des accessoires d’un genre unique, j’en suis persuadé, surtout d’après Quinte-Curce. Les grappins de fer (il l’écrit ainsi d) aussi (on les appelle des harpons) qu’ils jetèrent sur les ouvrages des ennemis38.
les traités et autres controverses sont unanimes sur un point : l’Histoire Naturelle de Pline est un des textes les plus corrompus du corpus latin antique. », écrit Marie-Elisabeth Boutroue, (www. biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica). 36 Avec Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1975, p.133, nous évoquerons « le cas vraiment étonnant » de ce savant jésuite érudit, né à Quimper en 1646 et mort à Paris en 1729. Jean Hardouin s’intéressa à plusieurs domaines : numismatique, philologie, et « fut un bon serviteur de l’histoire (nous utilisons encore avec profit, pour ses commentaires, sa grande édition de Themistios, et ses Acta conciliorum ont marqué une date dans le progrès des études ecclésiastiques). Mais il s’avisa à partir d’août 1690, de contester l’authenticité de la plus grande partie des littératures grecque et latine, classiques ou chrétiennes ; ses jugements sont d’un arbitraire farfelu : il condamne l’Énéide, mais accepte les Géorgiques, comme il accepte d’Horace Satires et Épîtres, mais pour rejeter les Odes. Tous ces apocryphes auraient été fabriqués de toute pièce par des moines du xvie siècle ! » Cet érudit relevait donc de la « dérive hyper-critique » de la démarche historique. À la fin du xvie siècle, Jean Hardouin produit la première grande édition archéologique de l’Histoire naturelle de Pline. « Son édition récapitule à la fois les travaux des grands philologues de l’époque et les manuscrits connus d’eux. C’est aussi la première fois, dans l’histoire de la philologie plinienne, que l’on mentionne explicitement nombre des grands témoins manuscrits du Quattrocento. Aujourd’hui dépassée, l’édition du père Hardouin devait connaître une fortune inattendue au siècle des Lumières et faire avancer les études pliniennes de façon peu traditionnelle. Cette édition tomba entre les mains d’un personnage de la haute noblesse italienne, Antonio Giuseppe della Torre di Rezzonico, militaire originaire de Vénétie, apparenté au pape Clément xiii. Il n’eut dès lors de cesse que de trouver les manuscrits que le jésuite du siècle précédent avait oubliés dans sa liste. Son étude sur la philologie plinienne parut en deux volumes intitulés Disquisitiones plinianae, entre 1763 et 1768. La consultation de cet ouvrage est encore utile aujourd’hui au spécialiste des études pliniennes » (M. E. Boutroue, IRHT Paris, www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/). Jean Hardouin est l’auteur de la collation des manuscrits pliniens de la bibliothèque Royale et a donné le premier un commentaire complet de l’Histoire naturelle. Sa première édition date de 1685 et la 2ème édition de 1723. Elles sont ainsi archivées à la BnF : E Codex parisinus latinus 6795 et 6797. Poleni possède la 2ème édition. 37 Dans l’édition CUF (1977) de L’Histoire naturelle de Pline (livre vii, chap. 57, § 209), Robert Schilling propose cette version : « Rostra addidit Pisaeus Tyrreni, ancoram Eupalamus, eandem bidentem Anacharsis, harpagones et manus Pericles Atheniensis. » Il traduit : « Les éperons ont été ajoutés par Pisée, fils de Tyrrenus ; l’ancre par Eupalamus, l’ancre à deux becs par Anacharsis, les grappins et les mains de fer, par l’Athénien Périclès. » Robert Schilling écarte la leçon « Tyrrhenus » du codex Gel2cumPint de l’édition S. Geleni de Bâle (1554) pour conserver « Tyrreni ». Mais il suit Hardouin quant à Eupalamus, inventeur de l’ancre. 38 Ferreae quoque manus (harpagonas vocant) quas operibus hostium injicerent. Nous reproduisons l’intégralité de la phrase extraite du livre iv, chapitre 2, comme l’écrit Poleni, du De rebus gestis Alexandri Magni, écrit par Quinte-Curce : Omnia belli apparatu strepunt. Ferreae quoque manus, harpagonas uocant, quas operibus hostium inicerent, coruique et alia tuendis urbibus excogitata
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f. L’Attique, Livre I, chap. 4
Ainsi, s’accorde le récit de Pline avec celui de Strabone qui raconte qu’Éphore écrivit : Anacharsis (selon la traduction de Xylander) inventa le combustible, l’ancre à deux têtes et la roue du potier39. Mais Pausanias semble avoir attribué l’invention de l’ancre à Midas ; le passage de celui-ci (d’après la traduction d’Amaseo) est le suivantf : Midas, fils de Gordius avait fondé cette ville Ancyra : et vraiment, jusqu’à nos jours, demeura une ancre inventée par lui, dans le temple de Jupiter40. Je ne veux pas chercher si le terme ¢neàren employé par
praeparabantur. « Partout c’est le vacarme des préparatifs guerriers. On préparait aussi des mains de fer, nommés harpons, pour les jeter sur les ouvrages de l›ennemi, des corbeaux, et autres instruments inventés pour la défense des villes. » (Quinte-Curce, Histoires, trad. H. Bardon, CUF, Paris, 1961). Quinte-Curce évoque les préparatifs de la bataille opposant les Tyriens aux Macédoniens : les mains de fer complètent les corvi : « crocs », « harpons ». Aidés par les Carthaginois, les habitants de Tyr s’apprêtent à affronter le siège de leur ville par l’armée d’Alexandre. On peut relier cette description à celle de la main de fer imaginée par Archimède. Polybe évoque ainsi la « main de fer » (χεῖρα σιδηρᾶν) d’Archimède : « Et en même temps, elles [les machines d’Archimède] faisaient descendre un grappin de fer attaché à une chaîne ; par ce moyen, l’homme qui dirigeait le mâtereau effectuait une prise de façon à saisir le navire par la proue, puis il faisait descendre le talon de sa machine à l’intérieur du rempart. Une fois qu’en soulevant la proue, il avait dressé le navire sur sa poupe, il attachait les talons de ses engins à un point fixe, puis au moyen d’une détente, il déclenchait la chaîne et le grappin. Quand cela se produisait, certains navires tombaient sur le côté ; d’autres même se retournaient, la plupart plongeaient dans l’eau quand leur proue était ainsi précipitée de haut, et ils se remplissaient d’eau et de désordre. » ἅμα δὲ καὶ καθίει χεῖρα σιδηρᾶν ἐξ ἁλύσεως δεδεμένην, ᾗ δραξάμενος ὁ τὴν κεραίαν οἰακίζων ὅθεν ἐπιλάβοιτο τῆς πρώρρας, κατῆγε τὴν πτέρναν τῆς μηχανῆς ἐντὸς τοῦ τείχους. ὅτε δὲ κουφίζων τὴν πρῶρραν ὀρθὸν ποιήσειε τὸ σκάφος ἐπὶ πρύμναν, τὰς μὲν πτέρνας τῶν ὀργάνων εἰς ἀκίνητον καθῆπτε, τὴν δὲ χεῖρα καὶ τὴν ἅλυσιν ἐκ τῆς μηχανῆς ἐξέρραινε διά τινος σχαστηρίας. Οὗ γινομένου τινὰ μὲν τῶν πλοίων πλάγια κατέπιπτε, τινὰ δὲ καὶ κατεστρέφετο, τὰ δὲ πλεῖστα τῆς πρώρρας ἀφ’ ὕψους ῥιφθείσης βαπτιζόμενα πλήρη θαλάττης ἐγίνετο καὶ ταραχῆς. (POLYBE, Archimède, livre VIII, chapitre 6, trad. de Raymond WEIL, Paris, CUF, 1982). On peut également lire dans l’ouvrage de CÉSAR, Bellum Civile, 1, 57 : « manus ferreas atque harpagonas parauerant. » 39 Strabon, Géographie, Tome iv, Livre vii, chapitre iii, trad. Raoul Baladié, CUF, 1989. Καὶ τὸν Ἀνάχαρσιν δὲ σοφὸν καλῶν ὁ Ἔφορος τούτου τοῦ γένους φησὶν εἶναι· νομισθῆναι δὲ καὶ τῶν ἑπτὰ σοφῶν ἐπ› εὐτελείᾳ σωφροσύνῃ καὶ συνέσει· εὑρήματά τε αὐτοῦ λέγει τά τε ζώπυρα καὶ τὴν ἀμφίβολον ἄγκυραν καὶ τὸν κεραμικὸν τροχόν. Ταῦτα δὲ λέγω, σαφῶς μὲν εἰδὼς ὅτι καὶ οὗτος αὐτὸς οὐ τἀληθέστατα λέγει περὶ πάντων, καὶ δὴ καὶ τὸ τοῦ Ἀναχάρσιδος (πῶς γὰρ ὁ τροχὸς εὕρημα αὐτοῦ, ὃν οἶδεν Ὅμηρος πρεσβύτερος ὤν ;) « Désignant Anacharsis comme un sage, Éphore dit qu’il appartenait à cette nation. Sa parfaite modération et la pénétration de son intelligence le firent considérer comme un des sept sages. Il lui attribue comme invention le soufflet, l’ancre à deux branches et la roue du potier. Comment, en effet, la roue du potier serait-elle une de ses inventions puisqu’Homère, qui est plus ancien que lui, la connaît déjà ? » Éphore de Kymê a vécu en Asie Mineure au ive siècle av. J.-C. Il fut l’élève d’Isocrate et l’auteur d’une histoire universelle des Grecs, commençant par les inventions doriennes, finissant en 340. (W. Buchwald, A. Hohlweg O. Prinz, Dictionnaire des auteurs grecs et latins de l’Antiquité et du Moyen Âge, Bruxelles, Brepols, 1991.) 40 Οὗτοι μὲν δὴ τὴν ἐκτὸς Σαγγαρίου χώραν ἔσχον, Ἄγκυραν πόλιν ἑλόντες Φρυγῶν, ἣν Μίδας ὁ Γορδίου πρότερον ᾤκισεν - Ἄγκυρα δέ, ἣν ὁ Μίδας ἀνεῦρεν, ἦν ἔτι καὶ ἐς ἐμὲ ἐν ἱερῷ Διὸς καὶ κρήνη Μίδου καλουμένη· ταύτην οἴνῳ κεράσαι Μίδαν φασὶν ἐπὶ τὴν θήραν τοῦ Σιληνοῦ -, tαύτην τε δὴ τὴν Ἄγκυραν εἷλον, καὶ Πεσσινοῦντα ὑπὸ τὸ ὄρος, τὴν Ἄγδιστιν, ἔνθα καὶ τὸν Ἄττην τεθάφθαι λέγουσι. « Ceux-ci [les Galates, chassés par les occupants de Pergame] occupèrent le pays au-delà de Sangarios ; ils prirent Ancyre (l’Ancre), cité phrygienne, qu’avait jadis fondée Midas, fils de Gordios ; jusqu’à nos jours
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Pausanias, qu’on traduit par « découvrit » est ambigu : il pourrait autant signifier : « imaginer un nouveau genre d’objet » que « trouver une chose », par exemple quelque chose de caché. Je ne négligerai pas le fait que l’invention des ancres soit reportée à des temps fabuleux, puisqu’on présente Bacchus comme l’hôte de Midas41. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que les auteurs aient des avis divergents sur un sujet enveloppé dans les ténèbres d’une antiquité reculée. Et assurément, la divergence même entre auteurs divers constitue un signe sûr de l’ancienneté de l’invention. Nous conclurons donc que l’usage des ancres (peut-être concomitant à la navigation elle-même) remonte, sans aucun doute, à la plus haute antiquité. II Du matériau des ancres anciennes. g. Odyssée, chant XIII, v. 77. a. Dans les Annotations pour Étienne de Byzance, 1694, p. 24, de l’édition du même Étienne.
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Quelques-uns ont cru, d’après ce vers d’Homèreg, - qui est ainsi traduit : Ils détachèrent le câble de la pierre percée42 - , pouvoir démontrer un usage très ancien des ancres de pierre. Mais ce vers traduit des réalités très diverses : puisqu’il y eut des pierres percées dans les ports en guise de poteaux ou d’anneaux de fer : comme Berkel43 le remarque justementa, lui qui a ajouté au passage cité d’Homère, ces mots d’Hésychius44 (qui mettent un point final à
l’ancre que Midas avait trouvée était dans le sanctuaire de Zeus, et il y avait aussi une fontaine dite de Midas : c’est l’eau de cette fontaine que Midas, dit-on, mêla au vin pour s’emparer de Silène ; ainsi donc les Galates prirent Ancyre et Pessinonte au pied du mont Agdistis où, dit-on, est enterré Attès. » (Pausanias, L’Attique, Livre i, chap. 4, § 5, Trad. Jean Pouilloux, Paris, CUF, 1992.) Ovide dans Les Métamorphoses (xi, v. 85 sq.) raconte que « Silène, égaré, s’était endormi loin du cortège de Dionysos, dans les montagnes de Phrygie. Il avait été trouvé par des paysans qui ne l’avaient point reconnu, mais l’avaient emmené, enchaîné, à leur roi. Midas, qui avait autrefois été initié aux Mystères, reconnut tout de suite Silène qu’il délia et reçut avec de grands honneurs. » Ensuite, il le conduisit chez Dionysos qui, pour le remercier, lui offrit d’exaucer son vœu le plus cher : que tout ce qu’il touche se transforme en or. (cf. Pierre Grimal, Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, PUF, 1988, Paris.) […] τοὶ δὲ καθῖζον ἐπὶ κληῖσιν ἕκαστοι / κόσμῳ, πεῖσμα δ᾽ ἔλυσαν ἀπὸ τρητοῖο λίθοις. « En ordre, les rameurs prirent place à leurs bancs ; de la pierre trouée, on détache l’amarre. » (Victor Bérard, Paris, CUF, 1963.) Berkel est un philologue (1630-1688), pourvu d’une chaire de philologie à l’académie de Delft. Souhaitant suivre les traces de Heinsius et de Gronovius, il voulut à leur exemple s’illustrer en publiant des éditions plus correctes des anciens auteurs. Le hasard ayant fait tomber son choix sur le Dictionnaire géographique d’Étienne de Byzance, Berkel consacra le reste de sa vie à rétablir cet ouvrage d’après le plan primitif de l’auteur. (Biographie universelle, ancienne et moderne, ouvrage rédigé par une société de gens de lettres. Michaud, tome IV, p.32, Paris, 1843.) Hésychius d’Alexandrie est un lexicographe grec du ve au vie siècle apr. J.-C., auteur d’un volumineux dictionnaire (Συναγωγὴ πασῶν λέξεων κατὰ στοιχεῖον) qui énumère dans l’ordre alphabétique des mots rares, souvent non attestés par les textes que nous connaissons ; ce sont des termes empruntés notamment à la langue des poètes et des dialectes grecs. (W. Buchwald, op. cit.)
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toute la question) traduits en latin : Ils ont l’habitude de perforer des pierres dans les ports pour que les marins attachent leurs filets. Mais que les ancres de pierre aient été employées par les anciens, nous l’apprenons de source sûre dans les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes. En effet, il est l’auteur de ces versb (traduits du grec en latin par Hoelzlin)45 : Ici aussi une toute petite pierre, qui tenait lieu d’ancre, Extraite sur le conseil de Typhée, ils l’exposèrent près de la fontaine, La fontaine des Lestrygons, et ils en ramassèrent une autre, Parce qu’elle avait un poids qui convenait mieux.
c. Art tactique d’Arrien etc., 1683, p. 120.
Et d’après l’ouvrage d’Étienne de Byzance intitulé Sur les Villes, au mot Ancyre (d’après l’interprétation du célèbre Berkel), nous avons ceci : Ancyre, ville d’Égypte, dont Alexandre se souvient dans le livre XIII de l’Histoire égyptienne. Ainsi est-elle nommée parce que là, d’une carrière de pierres qui se trouvait à proximité, étaient taillées des ancres de pierre qu’ils utilisaient46. D’autre part, nous tirons ces phrases du Périple du Pont-Euxin d’Arrienc (comme l’indique la traduction de Stuck)47 : L’ancre aussi du navire Argo est montrée
45 Κεῖσε καὶ εὐναίης ὀλίγον λίθον ἐκλύσαντες / Τίφυος ἐννεσίῃσιν ὑπὸ κρήνῃ ἐλίποντο, / κρήνῃ ὑπ› Ἀρτακίῃ· ἕτερον δ› ἔλον, ὅστις ἀρήρει, / βριθύν· ἀτὰρ κεῖνόν γε θεοπροπίαις Ἑκάτοιο / Νηλεΐδαι μετόπισθεν Ἰάονες ἱδρύσαντο / ἱερόν, ἣ θέμις ἦεν, Ἰησονίης ἐν Ἀθήνης. (v. 955-960) « C’est là aussi qu’ils détachèrent leur pierre-amarre trop petite, sur les conseils de Tiphys, et la laissèrent au-dessous d’une source, la source Artakia. Ils en prirent une autre très lourde qui convenait ; mais la première, suivant l’oracle du Dieu qui frappe au loin, les Ioniens Néléides la consacrèrent plus tard en offrande, comme de juste, dans le temple d’Athéna jasonienne. » (Texte établi par Francis Vian et traduit par Émile Delage, CUF, 1980) ; Poleni cite le traducteur Hoelzin, professeur de grec à l’université de Leide, mort en 1641. 46 « Grammairien de profession, écrit Croiset (Histoire de la littérature grecque, tome 5, Paris, éd. É. de Boccard, 1928, p.1025), Étienne de Byzance composa, sous forme de lexique, un ample recueil de notices de géographie historique, en une soixantaine de livres environ, qu’il intitula, les Ethniques (Έθνικά). Ce recueil, facile à consulter en raison de sa disposition alphabétique, était destiné surtout à fournir immédiatement aux lecteurs des poètes ou des historiens les renseignements qu’ils pouvaient désirer ; et, pour réaliser son intention, le savant grammairien donnait, à propos de chaque nom de peuple ou de chaque lieu célèbre, non seulement des indications géographiques, mais aussi des aperçus historiques et biographiques, tirés des meilleurs auteurs et accompagnés parfois d’intéressantes citations. » Étienne de Byzance (vie siècle apr. J.-C) nous apprend, en effet, que les villes d’Ancyre en Egypte et en Gallogrèce tiraient leur nom de leurs vastes carrières où on fabriquait les ancres. Cf. les notes d’Adolphe Dureau de Lamelle sur Argonautique ou la Conquête de la Toison d’or de Valerius Flaccus (éd. Michaud Frères, Paris, 1811), p. 365. Le mot ¥gcuran signifie coude, courbure : on choisit de tailler les ancres en forme de coude pour qu’elles s’attachent mieux au fond de la mer. 47 Jean-Guillaume Stuck est né à Zurich vers le milieu du xvie siècle. Il se livra à de profondes études sur l’antiquité et se fit une réputation par son Traité des festins des Anciens et de leurs sacrifices (1591). On a de Stuck un bon commentaire sur Arrien. Il mourut en 1607. Ἐνταῦθα καὶ ἡ ἄγκυρα δείκνυται τῆς Ἀργοῦς. Καὶ ἡ μὲν σιδηρᾶ οὐκ ἔδοξέ μοι εἶναι παλαιά - καίτοι τὸ μέγεθος οὐ κατὰ τὰς νῦν ἀγκύρας ἐστίν, καὶ τὸ σχῆμα ἀμηγέπη ἐξηλλαγμένη -, ἀλλὰ νεωτέρα μοι ἐφάνη εἶναι τοῦ χρόνου. Λιθίνης δέ τινος ἄλλης
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d. Deipnosophistes, livre V, chap. 11, 1657, p. 208. e. Op. cit. p. 148.
là-même (citation tirée de La Ville de Phase) elle qui, étant en fer, ne me semble pas ancienne ; bien que, par sa taille et également par sa forme, elle ne soit nullement différente des ancres de notre époque, elle semble être cependant assez récente. Et plus loin, les très vieux fragments d’une sorte d’ancre en pierre ont été observés au même endroit, morceaux qui semblent être les vestiges de la très ancienne ancre des Argonautes, c’est en tout cas assez vraisemblable. Et d’après Athénée48 (non pas sur le navire de Philopator, comme le transmet Scheffer, mais dans la description du navire de Hiéron que fit tirer Archimède à la mer), nous apprenonsd : Le navire de Hiéron avait quatre ancres en bois et huit de fere. Je pourrais aussi ajouter qu’à des ancres en bois, on a appliqué et noué du plomb ou quelque autre métal ; je pourrais, d’après les récits des voyageurs, montrer que quelques peuples utilisent encore maintenant des ancres de marbre ; je pourrais raconter que des corbeilles lestées de quelques rochers, que des sacs remplis de sable, et d’autres objets lourds de ce genre sont en guise d’ancre soit employés, soit proposés pour être employés. Mais il n’est pas loisible de développer ce sujet ; ces objets semblent devoir être attribués soit à un défaut de techniques meilleures, soit à quelque besoin impérieux assurément. Il suffira d’avoir démontré que les ancres de pierre, dans des temps très anciens, ont été en usage ; cependant dans des temps encore anciens (comme notamment on peut le voir clairement d’après le seul Athénée et d’après les monnaies qu’on doit bientôt produire), au lieu de celles-là, des ancres en fer ont été substituées et employées par des peuples plus civilisés.
θραύσματα ἐδείκνυτο παλαιά, ὡς ταῦτα μᾶλλον εἰκάσαι ἐκεῖνα εἶναι τὰ λείψανα τῆς ἀγκύρας τῆς Ἀργοῦς. « En cet endroit, on montre aussi l’ancre d’Argô. Celle-ci, en fer, ne m’a pas paru antique (bien que par la taille, elle soit différente des ancres de maintenant, et par la forme quelque peu étrange), mais m’a semblé être d’une époque assez récente. Par contre, d’une autre en pierre on montrait des fragments antiques, si bien que ce sont plutôt ceux-ci, autant qu’on peut en juger, qui sont les fameux restes de l’ancre d’Argô. » (Arrien, Périple du Pont-Euxin, trad. Alain Silberman, Paris, CUF, 1995, chap.9). Selon Alain Silberman, cette ancre doit être une sorte d’objet votif, dû à la piété de quelque admirateur de la légende de Jason. L. Casson date du xie siècle les premières navigations dans cette région du Pont (The ancient Mariners, New York, 1955, 58 sq.) et il pense que les deux tiers des ancres étaient en bois, un tiers en pierre ; les ancres en fer étant rares (p. 252-258). Cité par Alain Silberman (n. 61, ibid., p. 30). 48 « Athénée de Naucratis (Égypte), début iiie s. Il écrit le Banquet des Sophistes [Δειπνοσοφισταί, ou Deipnosophistae], dont environ la moitié nous est conservée dans sa version originale et dans un épitomé. Dans le cadre d’un banquet fictif réunissant philosophes, médecins et artistes dans la maison d’un haut fonctionnaire romain, il rassemble une somme de remarques érudites sur les Antiquités, la littérature, l’art, la vie privée ; il nous a conservé des fragments de la Moyenne et de la Nouvelle Comédie, ainsi que de la littérature hellénistique. » (W. Buchwald, op. cit.)
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III De la figure des ancres anciennes en fer pourvues d’un seul bec.
a. Hieroglyphica, livre 45, 1626, p. 483 b. Aeloude en Hedendaegsche Scheeps-Bouw, etc. p. 117.
Comme Pline attribue l’invention des ancres à Eupalamus et comme, ensuite, il raconte qu’Anacharsis a fait de ces ancres des ancres à deux becs, il devient vraisemblable que les premières ancres d’Eupalamus aient été pourvues seulement d’un bec ; et il est aussi permis de conjecturer que des ancres semblables à un crochet en fer, aient existé. Elles semblent devoir se référer au genre d’ancres dotées d’un unique bec, au sujet desquelles Pierio Valerianoa écrivit49 : précisément, il dit que certaines ancres étaient à becs se terminant en pointes aigues, à tracé droit ; mais alors le même Pierio ajoute : Nous avons vu quelle forme (Fig. 11) elle avait sur une ancienne monnaie chez le grand érudit Romulo Amaseo50. Je me souviens aussi avoir vu les images semblables d’une figure et il est permis de conjecturer que la partie ABC des mêmes ancres, surtout formée de beaucoup de métal, en fut très alourdie (c’est-à-dire le poids de l’ancre). J’ajouterai d’autre part, en guise de digression, que, dans ces derniers temps aussi, des ancres furent fabriquées avec un seul bec : et j’emploierai comme témoin Nicolas Witsen51, dont les paroles furent traduites en latinb : Il est vrai que des ancres sont pourvues seulement d’un unique bec, plus légères que celles à deux becs, à employer par temps calme ; mais au sujet de celles-ci, dont je fais peu de cas, je n’ajouterai rien de plus. Celui-là n’alla pas plus avant. Mais de mon côté, j’ai fait mention d’ancres de ce genre, puisqu’il plait de connaître les figures même moins utiles pour trouver une figure meilleure, après avoir dressé pour ainsi dire une comparaison complète, avec plus de sûreté, à partir de là.
49 Valeriano, Pierio (1477-1558) est un auteur humaniste de Bâle ; il écrivit Hieroglyphica, Sive De Sacris Aegyptiorum Aliarumque Gentium Literis Commentarii (Les Hiéroglyphes ou Commentaires sur la Littérature sacrées des Égyptiens et des autres Nations.) 50 Romulo Quirino Amaseo (1489-1552) est un humaniste de Bologne. Il traduisit les œuvres de Polybe et de Pausanias. 51 Nicolas Witsen (1641-1717) est un diplomate et régent, fils du marchand amstellodamois Cornelis Witsen. Il étudia le droit à Leyde et fit partie d’une délégation officielle à Moscou, en 1664. À son retour, il publia un ouvrage sur la Tartarie et devint maire d’Amsterdam. Spécialiste de la construction navale et auteur du premier ouvrage néerlandais sur le sujet Aeloude en hedendaegsche scheeps-bouw en bestier (1671). Il est également l’auteur de De militia navali veterum, un traité sur l’architecture navale des anciens Grecs et Romains.
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IV De la figure des anciennes ancres de fer à deux becs. a. De Praestantia et Usu Numismatum, Sur la Supériorité et l’Usage des Monnaies, 1706, p. 405-406. b. De Militia Navali Veterum, Sur le service militaire maritime des anciens, p. 149. c. Aeloude en Hedendaegsche Scheeps-Bouw, p. 41. d. De Epochis Syromacedonum, Sur les époques syromacédoniennes, p. 465. e. Deuxième édition, p. 17 et 85. f. p. 342.
Spanheim52 donna deux monnaiesa (Fig. 4 et 5) de Séleucos Ier Nicator du règne duquel, en Syrie, on renvoie l’époque à l’année 312 av. J.-C. : et de même, la troisième monnaie (Fig. 6) est celle d’Antiochos Ier Soter, fils de Séleucos Ier, qui, après la mort de son père, commença à régner en 282 avant le Salut Réparé : la quatrième aussi et la cinquième (Fig. 7 et 8) sont celles de Demetrios II surnommé Nicator, associé au royaume de Syrie en 146 av. J.-C. Mais Schefferb (Fig. 10) fournit une sixième monnaie : et il fournit aussi la figure d’ancre tirée (Fig. 13) d’un marbre antique, semblable à celle que montra Nicolas Witsenc, tracée sur un marbre blanc, dans lequel il avait vu cette ancre sculptée à Rome (comme il l’écrit) dans un lieu souterrain. Et j’ai pris l’exemple de la septième monnaie (Fig.12) qui date, d’après Enrico Noris53, d’Hadriend. À celles-ci, sans risque, auraient pu être ajoutées les figures tirées des Monnaies antiques d’Hardouine, du trésor de Brandebourgf, du musée de Parme, du trésor de Morelliano et de Havercamp, dans la famille de Livie. J’aurais pu aussi en produire plusieurs autres : mais (afin de ne pas rappeler qu’il ne faut pas se fier à toutes de la même façon), les figures qui ont été produites suffisent en tout cas à notre projet. Je n’ignore pas cependant que, pour les monnaies et les marbres, si antiques soient-ils, il se trouve parfois quelque chose qui corresponde à l’ignorance des artistes, ou à la liberté d’imaginer, plutôt (comme disait Charles Estiennes54) qu’à la vérité : de la
52 Ézéchiel Spanheim, né à Genève en 1629 et mort à Londres en 1710, est un diplomate attaché à l’électeur palatin puis à l’électeur de Brandebourg mais aussi un éditeur et commentateur de textes anciens – notamment les pièces d’Aristophane. Il écrit en latin et traduit du grec ancien en latin. Ce numismate érudit est l’auteur de Dissertationes de praestantia et usu numismatum antiquorum (Dissertations sur la Supériorité et l’usage des monnaies anciennes). 53 Enrico Noris (ou Enrico né en 1631, Vérone et mort à Rome en 1704) est un théologien à la tête de la chaire de sciences sacrées à l’université de Padoue de 1674 à 1692. Il y a complété l’Histoire du Pélagianisme. Nommé assistant bibliothécaire au Vatican en 1692 par le Pape Innocent XII, il écrivit en 1700, Annus et Epochae Syromacedonum in Vetustis Urbium Syriae Expositae. 54 Carolus Stephanus ou Charles Estiennes (1504-1564) dont la devise était « Noli altum sapere. » (Citation de l’Épître de Saint Paul aux Romains (11.20) : « Ne t’abandonne pas à l’orgueil »), fut l’Imprimeur du Roi (1551). Après avoir étudié en Italie, il devient docteur en médecine (mai 1542), docteur régent de la faculté de Paris. Épouse Geneviève de Verly, petite-fille du libraire Simon Vostre. Précepteur du fils de Lazare de Baïf, Antoine, le futur poète. Au départ de Robert pour Genève, Charles, demeuré catholique, assure la tutelle des enfants de son frère, restés à Paris, et lui succède en qualité d’imprimeur du Roi (sauf pour le grec, charge attribuée à Adrien Turnèbe) puis obtient la mainlevée du séquestre mis sur les biens de Robert (août 1552). Auteur de traités de médecine, d’un ouvrage d’anatomie illustré, le De dissectione partium corporis... (1545), d’une traduction de comédie italienne (1543), de plusieurs ouvrages sur la botanique et le jardinage, du Thesaurus Ciceronis,
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Fig. 65. – Planche des ancres et des pièces antiques, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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a. Loc. cit. b. Seleucidarum imperium, sive historia regum Syriae (L’Empire des Séleucides c’està-dire l’Histoire des Royaumes de Syrie), 1682, p. 271.
même manière, ces figures souvent ne manquent pas de défauts qui, soit dans le tracé soit dans la gravure sur airain, en révèlent les exemples : néanmoins, je ne doute pas qu’on puisse d’après ces figures, avoir le plus grand nombre de lumières et de bénéfices. Nous considérerons d’abord, par l’observation d’une seule de ces mêmes figures, qu’il apparaît clairement qu’à partir de chacune de ces images sont représentées des ancres qui ne sont pas en marbre, ancres qui, dotées de ces figures, n’auraient pas pu être utiles du tout par rapport à cette figure-là ; mais on rappelle que les ancres fondues par les anciens sont en métal, précisément en fer, et, de fait, pas dans un autre métal. Nous pouvons conjecturer que la plupart des verges des ancres sont arrondies, de la même façon d’après les figures elles-mêmes. Nous observerons cependant (Fig. 5) comme une sorte de nœud de la verge, près des bras et un trou (Fig. 8) d’organeau au milieu de la verge ; d’autre part, au sujet de la monnaie, sur laquelle on discerne ce trou, Spanheim écrita : Il se trouve que la monnaie de Demetrios II, c’est-à-dire de Nicator, a été frappée également dans l’Histoire des Rois de Syrie avec une ancre sur son avers ; de la même façon, dans L’Histoire des Rois de Syrieb, éditée par J. Foy-Vaillant55 (Fig. 9), ce trou n’apparait pas mais un nœud plutôt ou une boule sphérique (B) semble plutôt être rapportée par cette figure. Et au sujet de cette partie de la verge, j’ai pensé ne pas devoir faire silence parce qu’on aurait pu tirer peut-être quelque usage soit de ce trou soit de ce nœud. J’ajouterai seulement que la verge de la dernière figure (Fig. 13) semble avoir été formée avec des faces plates. On peut voir les trous (ou les organeaux) dans lesquels pouvaient être introduits les câbles pour être attachés aux bouts des verges : si on excepte les figures 5 et 6 dans lesquelles ils font défaut, soit à cause de la négligence des artisans qui ont formé les images, soit peut-être parce que, dans l’usage de quelques ancres, les câbles pouvaient n’être pas reliés aux essieux en bois des mêmes ancres. Toutes ces ancres sont pourvues de deux bras (elles sont évidemment à deux becs). Et dans les unes, chacun des bras a des points de flexion et en quelque sorte, ils rivalisent avec la figure des arcs, grâce auxquels les flèches sont propulsées : dans les autres (surtout Fig. 7 et 10), elles sont dotées d’une courbure unique, de la manière qu’on a coutume d’en faire en ces temps-là. Or, dans ces
d’opuscules pédagogiques écrits à l’intention de ses neveux, d’éditions critiques, et d’un guide de voyage à succès, Le Guide des chemins de France (1552 et nombreuses rééd.), il a collaboré aussi aux dictionnaires publiés par Robert Estienne. Emprisonné pour dettes, il serait décédé dans les prisons du Châtelet, peu avant le 14 janv. 1564. 55 Jean Foy-Vaillant (1632-1706) est l’auteur d’ouvrages de numismatique.
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c. Op. cit.
a. I Cesari in argento, T. 4, tableau VI, fig. II. b. Op. cit.
images, on discerne des courbures un peu plus grandes qu’on ne les fait maintenant : mais il ne faut pas penser que ces courbures ont été dessinées à l’ongle (comme on dit56) par les artistes des mêmes images. Les pattes des ancres ressemblent fortement à celles qui sont en usage maintenant ; je suis sûr qu’elles ont été ajoutées autrefois à quelques ancres. Et Pierio Valeriano, déjà nomméc ci-dessus, avait exprimé cela de façon élégante : Il faut considérer que l’ancre qui se trouve sur la monnaie de Titus a son dernier bec élargi en forme de soc de charrue ; notre Alde a imité une figure de ce genre dans tous les livres qu’il a imprimés57. Or, sur les frontispices de ceux-ci, on discerne des images d’ancres (formées déjà il y a environ deux cents et trois cents ans), bien pourvues de pattes. Elles peuvent être également observées sur certaines monnaies que j’ai produites (Fig. 7 et 10). Sur quelques autres aussi, je me souviens avoir vu des ancres ornées de pattes : la monnaie de Gordien (par exemple), que Paolo Pedrusi58 a produite du musée du Farnèsea, est de ce genre. De même, je pense vraiment que de nombreuses ancres antiques ont été équipées d’essieux en bois, bien que J. Schefferb semble nourrir quelques doutes sur eux puisqu’il écrit ces mots : Observe qu’on ne peut pas trouver couramment chez les Anciens d’ancres pourvues d’aucune pièce transversale de bois, comme on a l’habitude de le faire aujourd’hui, soit par négligence des peintres soit - ce que je crois plutôt - parce qu’elles n’étaient pas en usage : cependant, ensuite, il recense quatre monnaies sur lesquelles on peut affirmer distinguer quelque chose qui ressemble (à ces pièces transversales de bois). À ces monnaies, on peut en ajouter (Fig. 6, 7, 8 et 12) quatre autres exposées par nos soins ; de là, facilement, ces spécimens, nullement obscurs, constituent, du fait de leur nombre même, la preuve non négligeable de l’existence d’essieux en bois (à moins qu’on ne préfère croire que ces parties sont en fer). Mais, sur les deux monnaies de Séleucos Ier (Fig. 4 et 5), les images des essieux – force est de constater qu’ils sont en bois - apparaissent bien plus nettement ; grâce à celles-ci, il semblerait que les doutes puissent, en quelque sorte, être vraiment levés.
56 Ad unguem signifie en latin « à la perfection ». Le poète Horace l’emploie (Satires, 1, 10, 32) : ad unguem factus homo : homme accompli à la perfection. 57 La marque de l’imprimerie aldine représentait une ancre et un dauphin. La devise des éditions aldines était : Festina lente. (« Hâte-toi lentement »). 58 Giovanni Poleni donne le titre original en italien. L’auteur Paolo Pedrusi (1644 à Mantoue -1720 à Parme) est un jésuite, historien, poète, numismate, auteur à partir de 1694 des ouvrages : I Cesari in oro (argento, medaglioni, metallo grande, metallo mezzano e piccolo), raccolti nel Farnese museo e pubblicati colle loro congrue interpretazioni. Les huit premiers tomes (sur les dix de la collection) sont de P. Pedrusi.
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Au milieu de la crosse de l’ancre (Fig. 13), apparaît le trou A, c’est-à-dire une sorte d’organeau ; et des trous à peu près semblables à lui sont également visibles sur les ancres de deux monnaies (Fig. 6 et 12). Sur ces ancres, on a vraisemblablement appliqué les extrémités des orins (employés à cette époque) ou des cordes plus robustes pour tirer et soulever les ancres. C’est pourquoi par l’examen attentif des figures des ancres anciennes en fer (employées avec profit même avant notre ère), nous conclurons que ces ancres dotées de verges, de trous ou d’organeaux, de bras, de pattes et d’essieux en bois ressemblent assez à celles qui sont en usage aujourd’hui. V De la figure des ancres équipées de trois becs.
a. T. I, p. 413, 7ème édition.
On a un exemple d’ancre à trois becs (pour ainsi dire) sur l’effigie peinte d’un navire long Vénète (dont il est possible de voir la proue avec l’ancre sur la figure 14), au Conseil de Florence, édité à Rome par D. Justinien59, p. 382, comme le rapporte J. Hardouin, qui ajouta cette figure même à ses annotations du texte de Plinea. Ce qui est lié au principal inconvénient des ancres de ce genre, ce serait que les deux becs (comme il arrive très souvent) mordent le fond, que les deux soient tout à fait obliques et qu’elles aient une force moindre que si un seul bec était immergé perpendiculairement au fond. Et si l’usage d’ancres à trois becs devait être introduit, je proposerais facilement – selon mon avis – que, pour ajouter un seul bras aux ancres à deux becs, on puisse changer la réflexion, avec ce calcul : si la ligne habituelle des bras était (Fig. 15) ZeB, les lignes des deux bras De, Ge avec Ze comprendraient chacune un angle de 15 degrés ; c’est pourquoi l’angle total DeG serait de 30 degrés et les deux angles DeB, GeB égaleraient chacun 165 degrés. Ainsi, les pattes des ancres commenceraient à mordre plus facilement le fond dessous elles ; les deux bras DC, GS immergés (comme cela arrive souvent) résisteraient plus fortement ; le bras immergé BC tiendrait plus fermement en raison de la pression redoublée du poids des bras DC, GS ; ces deux bras s’engageraient plus difficilement dans les petits trous et les anfractuosités du fond rocheux de la mer, desquels les bras une fois immergés ne peuvent être arrachés.
59 Il s’agit du Concilii Florentini acta cum Notis Horatii Justiniani, édité à Rome en 1638.
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Fig. 66. – Effigie d’un navire vénète, fig. 14, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 67. – Ancre à trois becs, fig. 15, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Au contraire, cependant, si l’un ou l’autre des bras DC, GS heurtait un obstacle, de là, il arriverait que l’autre bras relié ne serait pas non plus assez immergé ; si la patte B commençait à mordre plus fortement, en conséquence, la rotation des bras DC, GS serait plus difficile. Mais il suffira de l’avoir indiqué. VI Sur les ancres pourvues de quatre becs. Comme nous l’avons dit des ancres qui sont équipées de trois becs, nous devons le dire aussi de celles qui sont dotées de quatre becs : qu’évidemment, l’immersion de deux becs ne peut être obtenue sans une forte obliquité de celles-ci. Si, en effet, nous imaginons que deux plans passent par l’essieu de la verge des ancres de ce genre et par les pattes de ces ancres, ces plans se couperont aux angles droits. C’est pourquoi grâce aux droites AB, AC (Fig. 16) comprenant un angle droit, la position des deux becs, c’est-à-dire des bras peut être représentée : et pour cette raison, si la ligne BC est parallèle au fond, la mesure de l’immersion sera la perpendiculaire AD et non la longueur du bras AB ou AC. À partir de l’examen de cette ligne-ci, plus courte néanmoins que les bras, on peut facilement déduire que la force de ces bras est moindre. C’est pourquoi, bien qu’un usage de ces ancres soit dévolu à la stabilisation de trirèmes, nous n’ajouterons cependant rien de plus sur celles-ci ; et surtout parce que les propriétés principales de celles-là (si on examine scrupuleusement les indications données plus haut) pourront être déduites même des éléments que nous avons établis à propos des ancres à deux becs. Nous ajouterons juste une chose : quatre bras peuvent être disposés deux par deux, non autrement que les deux bras (Fig. 15) eD, eG, dont nous avons déjà parlé dans un article précédent. De même que deux bras ont été placés autour de la ligne eZ, c’est comme si, par le même calcul, deux autres étaient directement placés autour de la ligne eB, propres à comprendre un angle égal à l’angle DeG, comme nous l’avons développé dans un article précédent. Une ancre de ce genre pourrait en quelque sorte être ramenée au modèle à deux têtes. Cependant, elle ne serait pas complètement dénuée de tout inconvénient. Mais pour le moment, il n’est pas loisible de développer cela plus amplement.
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Fig. 68. – Droites AB, AC, fig. 16, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 17321737. Public Domain Mark 1.0.
VII Par le calcul et la pratique, on démontre, à l’évidence, que les ancres à deux têtes sont plus performantes que toutes les autres par leur figure. Je ne saurais croire qu’il soit douteux pour quelqu’un que les ancres doivent être réputées comme d’autant plus performantes qu’elles s’agrippent plus solidement au fond où elles ont été jetées. Or, soit l’agrippement est dû à la seule pesanteur et à l’aspérité d’un seul corps posé sur un autre (d’où naissent aussi les frottements ou les frictions) et un tel agrippement devrait se trouver tel si un corps alourdi par l’eau, jeté sur le fond rocheux de la mer, et attaché à un câble d’ancre, était destiné à retenir un navire ; soit l’agrippement est dû à l’immersion et à un enchevêtrement des parties d’un seul corps dans les creux d’un autre corps, d’où il arrive que cet autre corps résiste au mouvement de celui-là et que pour cette raison, celui-ci, ainsi entravé, s’agrippe à celui-là, et un tel agrippement naîtra quand, pour retenir les navires, se fiche un corps pénétrant le fond de la mer capable de résister au mouvement de celle-ci. En outre, et d’elle-même, et d’une manière claire, il appert que cette seconde espèce d’agrippement est tantôt plus puissante, tantôt plus caractéristique de l’ancre : pour ainsi dire, la nature même semble l’avoir enseigné par la délicatesse du crabe. Ceux-ci, quand les tempêtes sévissent, pour se protéger de l’assaut des vagues, immergent leurs pattes dans le fond de la mer, et pesant avec le poids de leur corps sur leurs pattes fichées, ils se stabilisent eux-mêmes par leurs pinces crochues. Il faut donc que les ancres soient dotées selon cette figure, par laquelle il se produit qu’elles pénètrent puissamment le fond de la mer et qu’elles doivent supporter la très grande résistance
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du fond même. Or, pour pénétrer, rien de mieux qu’un bec acéré et, pour s’opposer à la résistance du fond, rien de mieux que la patte plate des ancres, c’est ce qu’on peut à l’évidence imaginer. Je laisserai de côté l’une et l’autre nouvelle figure ; en effet, ce n’est pas la nouveauté seule qu’il faut favoriser mais une utilité plus performante. Or, maintenant, il faut définir le nombre plus adapté de becs. Mais nous avons déjà vu que les ancres pourvues soit d’un bec soit de trois becs soit de quatre becs sont sujettes aux inconvénients auxquels ne le sont pas du tout les ancres à deux becs. Mais s’il devait y avoir plus de quatre becs (j’ai cherché en effet ce qui arriverait si une ancre était équipée de cinq ou six becs), on se heurterait à de nouveaux inconvénients liés tantôt à la fabrication tantôt à l’usage. Donc les ancres à deux becs l’emporteront. Et, si nous poursuivons l’examen de l’histoire antique, nous verrons clairement assurément que, pour les vergues des navires, pour les mâts, pour les voiles, pour les rames, soit qu’elles tombent en désuétude soit qu’on leur donne des dispositions variées, pour les gouvernails, et aussi pour quelques autres accessoires d’accastillage, en fonction de la variété des époques, des mutations si variées ont été introduites qu’aujourd’hui les accessoires de ce genre ont une forme très différente de ces anciens accessoires et qu’aujourd’hui, on ne les traite pas d’une manière semblable à celle du passé. Mais cependant (ce qui est tout à fait digne d’une attention scrupuleuse), pour ce qui est des figures et usages des ancres, nous n’observerons nullement des variations de ce genre. C’est pourquoi les ancres à deux têtes, qui ont été inventées dans les temps antiques et éprouvées par une pratique continue, nous montrent facilement quelle est la figure d’ancres qui, si elle était scrupuleusement et complètement mise en œuvre, pourrait être réputée comme la figure d’ancres la plus performante. Cependant, avant de poursuivre la réalisation complète de cette figure-là, il me plaira d’annoncer quelques éléments utiles à notre objectif, qui composeront la section suivante.
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Seconde section On explique ce qu’il faut pour une exécution complète de la figure des ancres, à propos des règles des poids de ces ancres, de la nature de la résistance du fond marin et de la force par laquelle les navires sont retenus et aussi la proportion des parties de l’ancre. I En fonction de la figure et de la taille des ancres, on expose certains préceptes, concernant le calcul des poids de ces ancres, qui seront en usage.
a. Dans le livre cité, p. 117.
Si on considère un peu plus scrupuleusement en quoi les ancres doivent l’emporter, aussitôt vraiment, on découvrira qu’il est très utile que les ancres aient une grande force de pesanteur, pour se ficher, pour s’agripper au fond (quoique, de là, elles soient manipulées un peu plus difficilement). C’est pourquoi maintenant je poserai, en guise de préambule, comme complètement conforme au calcul, que pour déterminer les poids des ancres de plus grande importance, les règles selon lesquelles on augmente les poids, doivent être suivies plutôt que celles selon lesquelles on les diminue. Or, avant de parler des poids eux-mêmes, il convient de considérer que, par les auteurs qui définissent les poids des ancres, une fois présenté les nombres de livres, la quantité du poids convenant à une livre utilisée par celles-ci, se trouve être pourtant très peu connue. Mais moi, j’estime qu’il est de mon devoir de rappeler que les livres indiquées dans mes suppositions sont de ce genre : un parallélépipède de fer massif, égal à 116 pouces cubes (j’utilise le pied parisien du roi), pèsera 42 livres et 3 onces60. Mais venons-en au sujet même. Nicolas Witsena pour définir le calcul des poids des ancres, établit d’abord qu’il faut trouver le nombre de pouces pour l’épaisseur de la verge de l’ancre près de la crosse : or, l’addition d’une unité au double de ce nombre (mais au-dessous de 1000 livres, il faut multiplier par deux) révèle le nombre de pieds61 qui doivent être attribués à la longueur de la verge. Mais alors, le produit du même nombre de pouces pour l’épaisseur et du nombre 3 multiplié par 100, donne le nombre de livres du poids qui conviendra à cette ancre-là. On utilise l’exemple de l’ancre dont l’épaisseur serait de 6 pouces62, le double de ce nombre est 12, une
60 La livre variait, selon les provinces, entre 380 et 550 grammes ; elle se divisait en onces. L’once valait la 12e partie de la livre romaine et la 16e partie de la livre de Paris. 61 Le pied de Paris valait 0,3484 m. 62 Le pouce équivalait à 2,7 cm.
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a. Art de bâtir les Navires, t. I, Partie I, p. 45. b. Witsen, p. 118
a. Voir le tableau C page suivante. b. Dictionnaire de Marine, p. 29 et L’Art de bâtir les navires, t. I, Partie II, p. 20.
fois ajoutée l’unité, on obtient 13 qui correspond à la longueur de la verge. Le même nombre 6 pour l’épaisseur est multiplié par 3, et au produit de 18, on attribue à chacune de ces unités 100 livres de poids. Et ainsi, on trouve qu’il faut qu’une ancre pèse 1800 livres avec une verge d’une longueur de 13 pieds. Ensuite, au-dessous d’un poids de cinquante livres, on prend le nombre de pouces pour l’épaisseur multiplié par trois pour définir en nombre de pieds la longueur de la verge ; et à n’importe quelle unité satisfaisant au nombre de pieds d’une demi-verge, on attribue de la même manière 100 livres : et on applique l’exemple de l’ancre dont l’épaisseur est de 2,5 pouces, la longueur de la verge de 7,5 pieds. C’est pourquoi la moitié de cette partie-ci donne 3,75 pieds. Par l’attribution de 100 livres à n’importe laquelle de ces parties, on trouve une pesanteur de l’ancre de 375 livres avec une verge longue de 7,5 pieds. J’ai découvert que ces principes avaient été indiqués ailleursa. Après cela, il place dessous le tableau A, qu’il a intitulé ainsi : Bref relevé de la longueur, de l’épaisseur et du poids des ancres. Il dit alorsb qu’une ancre qui pèse mille livres, peut convenir à un navire long de 100 pieds ; et il place dessous le tableau B avec cette inscription Longueur, épaisseur et poids des ancres, comme suit. Or, bien que l’auteur ne produise aucune justification à ses principes, ces deux tableaux (gâtés aussi en quelque endroit par des erreurs typographiques) ne semblent suffisamment s’accorder ni entre eux ni avec les principes transmis ; mais cependant, en raison de l’habileté et de la théorie du même auteur et de la très grande rareté des exemplaires de ce livre-là, j’ai pensé qu’il ne fallait pas laisser de côté ces éléments étant donné qu’ils peuvent produire de la lumière sur ces sujets. L’autre tableau C que deux auteurs érudits ont tiré de l’ouvrage d’un écrivain belgea, j’ai estimé qu’il n’était pas inutile aussi de le recopier ici d’après les livres de ceux-ci63 : l’arrangement des chiffres de ce tableau, quoiqu’il ne soit pas expliqué, est cependant très facile à trouverb. En effet, dans ce tableau, on détermine clairement les longueurs des ancres, d’après les 2/5 de la largeur de n’importe quel navire ; une fois ces bases utilisées, on calcule les cubes présentant les poids des ancres.
63 Le Dictionnaire de Marine est l’ouvrage d’Aubin que Poleni avait consigné dans son catalogue de bibliothèque. L’édition de 1702 que Poleni possédait, a été imprimée à Amsterdam ; le titre complet du dictionnaire de Nicolas Aubin est Dictionnaire de Marine contenant les termes de la Navigation et de l’Architecture navale. Avec les règles & proportions qui doivent y être observées. Ouvrage enrichi de figures représentant divers navires, les principales pièces servant à leur construction, les différents pavillons des Nations, les Instruments de Mathématique, Outils de Charpenterie & Menuiserie concernant la fabrique ; avec les diverses fonctions des Officiers. Nicolas Aubin (1655-17..) était un pasteur de l’Église réformée, réfugié en Hollande à la suite de l’édit de Nantes.
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A
B
Longueur Épaisseur Poids
Poids Longueur
Épaisseur du câble (sa circonférence assurément)
Épaisseur au compas de l’ancre (comme je pense, vers la crosse)
Pieds
Doigts
Livres
Livres
Pieds
Doigts
Doigts
5 6 7 8 9 9.75 10 10.25 10.5 10.75 11 11.25 11.5 11.75 12 12.5 12.75 13 13.25 13.5
1.25 2 2.25 2.5 2.75 3 3.125 3.25 3.5 3.75 4 4.25 4.5 4.75 5 5.5 5.75 6 6.5 6.333
100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 1100 1200 1300 1400 1500 1600 1700 1800 1900 2000
100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 1100 1200 1300 1400 1500 1600 1700 1800 1900 2000
5.5 6 6.5 7 7.5 8 8.5 9 9.5 10 10.5 11 11.25 11.5 11.75 12 12.75 13 13.25 13.75
7 7.5 8 8.5 9 10 11 12 13 14 15 15.75 16.5 17 17.25 17.75 18 18.5 19 20
1.75 2 2.25 2.5 2.75 3 3.25 3.5 3.75 4 4.5 4.75 5 5.25 5.5 5.75 5.75 6 6.25 6.333
Si on nomme n la largeur du navire, la longueur de l’ancre _ correspondant à celle-ci sera 2n 5 , et le poids en livres de l’ancre _ 3 2n sera |5 | . C’est pourquoi les poids des ancres seront le calcul du cube des longueurs des mêmes ancres : et puisqu’aussi, le calcul au cube des côtés homologues s’applique à des figures solides semblables, il est facile de comprendre qu’une fois la règle de ce tableau appliquée, on peut considérer les ancres comme des figures semblables. Mais nous examinerons très précisément dans l’article suivant si la constitution des ancres qui sont issues de là est supérieure.
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C Larg. Long. Poids Circonf. Poids des des de de du navire l’ancre l’ancre câbles câbles
Larg. Long. Poids Circonf. Poids des des du de de navire l’ancre l’ancre câbles câbles
Pieds
Pieds
Livres
Pouces
Livres
Pieds
Pieds
Livres
8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26
3.2 3.6 4 4.4 4.8 5.2 5.6 6 6.4 6.8 7.2 7.6 8 8.4 8.8 9.2 9.6 10 10.4
33 47 64 84 110 140 175 216 262 314 373 439 512 592 681 778 884 1000 1124
4
308
5
484
6
696
7
952
8
1244
9
1572
10
1940
11
2392
12
2796
13
3284
27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45
10.8 11.2 11.6 12 12.4 12.8 13.2 13.6 14 14.4 14.8 15.2 15.6 16 16.4 16.8 17.2 17.6 18
1259 1405 1562 1728 1906 2097 2300 2515 2742 2986 3242 3512 3796 4096 4426 4742 5088 5451 5832
Pouces
Livres
14
3808
15
4372
16
4976
17
5616
18
6296
19
7016
20
7772
21
8576
22
9408
II On explique ce qui est attendu dans la règle issue du tableau C de l’article précédent (I), pour des ancres semblables par la figure et inégales par la taille. Soient deux ancres fabriquées (Fig. 17) à partir d’un fer d’une même coulée64 : NBCD est la grande, nbcd la petite, semblables par leur figure. C’est pourquoi il arrivera aussi que les poids des mêmes ancres correspondent au cube des côtés homologues (par exemple EN, en), c’est-à-dire, selon le même calcul, qui est établi dans le tableau C : ainsi les proportions des ancres NBCD, nbcd suivront les préceptes du tableau. Et on a pu veiller à ce qu’elles correspondent au même tableau. Or que les parties ZSD, zsd des bras de ces ancres absolument semblables, fichées et accrochées 64 Congeneri : « né en même temps », « des mêmes parents ». Ici, « de la même coulée ».
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a. Traité du Mouvement des Eaux, V, partie II, Discours. b. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1702, p. 66. c. Dissertations de physique expérimentale, p. 552, etc. p. 528.
aux trous ou anfractuosités du fond rocheux de la mer, soient telles qu’elles ne puissent être délogées de l’endroit. Maintenant, il faut rechercher les résistances de ces ancres dans des parties similaires, par exemple dans les bases IET et iet, dans ces parties, les verges des ancres s’avancent à partir de leurs crosses. Or, comme en des temps récents Mariotte65, Varignon66 et Musschenbroek67 se sont brillamment intéressés à la théorie de la Résistance des Solides, il sera utile assurément d’appliquer les théorèmes désormais admis sur la résistance des solides. En outre, j’utiliserai quelques hypothèses ou postulats, soumis par moi. I. Les angles ENV, enu des directions des forces peuvent être variés : par exemple, les forces V et u pourraient être appliquées de façon à tirer de bas en haut ; c’est pourquoi, il peut arriver que les poids des verges soient opposés à ces forces. Pourtant, mieux vaut veiller à ce que soient bien jugées par nous les positions des forces de traction, positions pour lesquelles les forces de traction s’accordent avec les forces des poids ; si, en effet, nous devons
65 Edme Mariotte (1620 ?–1684) est un physicien, membre de l’Académie Royale des Sciences (1668-1684) et également prieur de Saint-Martin-sous-Beaune, Côte-d’Or. Dans son traité cité par Poleni, « Mariotte se préoccupe de questions pratiques concernant les réservoirs, les fontaines et tout particulièrement les jets d’eau. Selon La Hire, Mariotte a fait ses expériences à Chantilly et à l’Observatoire […]. Le souci de l’application se manifeste particulièrement chez lui dans le souci de produire des règles, des tables, plus rarement des méthodes permettant de prédire le comportement d’un réservoir ou d’un jet d’eau en fonction de la taille de ses divers composants. » (Licoppe, 1996, p.207.) Mariotte est l’auteur de Traité du nivellement, avec la description de quelques niveaux nouvellement inventez (1672), du Traité de la percussion ou choc des corps, dans lequel les principales règles du mouvement, contraires à celles que Mr. Descartes et quelques autres modernes ont voulu établir, sont démontrées par leurs véritables causes (1673) et d’un Essai de logique, contenant les principes des sciences et la manière de s’en servir pour faire de bons raisonnements (1678). 66 Dans sa bibliothèque personnelle, Poleni possède l’ouvrage de Varignon : De l’action de l’Eau sur le fond d’un Navire plus large en bas qu’en haut, extrait des Mémoires de Mathématique et physique (1692). Pierre Varignon (1654, Caen - 1722, Paris) est un mathématicien, jésuite, membre de l’Académie des sciences. Il entre au Collège de France en 1704, ses traités sont écrits en latin. Ce sont ses élèves qui publieront ses écrits après sa mort : De Viribus Machinarum. Paris, (1687), Projet d’une nouvelle Mécanique avec Un Examen de l’opinion de M. Borelli, sur les propriétés des Poids suspendus par des Cordes (1687), Nouvelles conjectures sur la pesanteur (1690), Nouvelle Mécanique ou Statique (1725), Éclaircissements sur l’analyse des infiniment petits et sur le calcul exponentiel des Bernoulli, (1725), Traité du mouvement et de la mesure des eaux coulantes et jaillissantes. Avec un traité préliminaire du Mouvement en général (1725) et Elemens de mathématique (1731). 67 Peter Musschenbroek (1692 - 1761 à Leyde, Pays-Bas) est un physicien, docteur en médecine et en philosophie. Il fut l’inventeur de la pyrométrie et professeur de philosophie naturelle, de mathématiques et d’astronomie à l’Université d’Utrecht, puis professeur à Leyde. Il a aussi traduit de l’italien en latin. D’ailleurs, à l’Accademia del Cimento, il réalisa des expériences naturelles (Tentamina experimentórum naturalium, 1731) et est l’auteur de méthodes de philosophie expérimentale (De certa methodo philosophiæ experimentalis, 1723 De methodo instituendi experimenta physices, 1730). Ses éléments de physique inspirèrent les auteurs de l’Encyclopédie. Il est également l’auteur des Institutiones physicæ (1734) et Institutiones logicæ (1764). Poleni possédait les Dissertationes Physicae Experimentalis de Musschenbroeck dans sa bibliothèque personnelle.
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Fig. 69. – Deux ancres NBCD et nbcd, fig. 17, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
évaluer les résistances des ancres, il faut chercher ce qui arrive quand les deux forces s’exercent contre elles-mêmes. II. Quoique les parallélépipèdes EN, en ne soient pas horizontaux, ni les forces V et u appliquées perpendiculairement, puisque, cependant, les angles NEH, neh des inclinaisons des essieux des parallélépipèdes au plan horizontal Hh, et les angles ENV, enu des applications des forces sont donnés comme égaux, pour cette raison, je pose aussi que les mêmes règles de la résistance des solides peuvent être employées que celles qui étaient employées si les parallélépipèdes étaient horizontaux et les forces de traction appliquées perpendiculairement. Ce qui pourrait aussi être démontré facilement. III. Alors, à supposer qu’il soit permis de considérer le solide NIET ou niet, comme la base carrée68 du parallélépipède, je pose le
68 Quadratae : carrée. Remarquons qu’au xviiie siècle, le mot, notamment sous la plume de Mme Du Châtelet, traductrice de Newton, est ainsi orthographié : « quarré ». Vitruve utilise ce mot dans cette définition : « locus aut ager paribus lateribus si erit quadratus eumque oportuerit duplicare » (De architectura, livre ix, préface). Mais ce mot peut aussi signifier « quadrilatère » car les Romains ne possédaient pas de mots pour désigner le rectangle : ce qui justifie que les Gallo-Romains de Nîmes ont appelé leur temple rectangulaire, la « Maison carrée ».
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postulat suivant : les propriétés d’une figure de ce genre réunies avec les propriétés de la figure de la verge de l’ancre, dans l’expérience proposée du moins, traduisent très facilement ce postulat même. IV. Je demande aussi qu’on concède que les forces V et u qui, quand les navires tanguent, tirent les extrémités des verges N et n, puissent être réputées entre elles comme le carré des essieux EN, en ou comme le carré des largeurs des navires (puisque, comme il est possible de le voir sur le tableau proposé69, les longueurs des ancres se trouvent être proportionnelles aux largeurs des navires). En outre, si les forces des navires en mouvement, autrement dit, les forces de traction proposées qui émanent de ceux-ci étaient réputées être proportionnelles aux poids que peuvent porter les navires eux-mêmes, de là, très clairement, on découvrirait que le calcul des forces agissantes proposées non seulement est égal mais aussi supérieur au calcul des carrés des essieux des ancres. Par exemple, on estime qu’un navire dont la carène mesure 110 pieds de long, 40 pieds de large, transporte 1100 tonneaux et qu’un navire dont la carène mesure 120 pieds de long, 44 pieds de large, transporte 1400 tonneaux (les poids des navires eux-mêmes sont presque proportionnels aux poids transportés). Les carrés de ces largeurs donnent 1600 et 1936 ; et le calcul de ces nombres est inférieur au calcul compris entre 1100 et 1400. Cela pourrait être également démontré par plusieurs autres exemples. Par conséquent, en toute sécurité, pendant que nous réfléchissons à la constitution du tableau proposé, qu’il soit permis de poser que le calcul des forces tirant les extrémités des verges EN, en est le même que le calcul des carrés de ces essieux mêmes EN, en, soit le calcul des carrés des lignes IT, it proportionnels à ces essieux mêmes, soit le calcul des bases des mêmes verges. Aussi, à cause de cela, il est désormais permis de poser que le calcul des forces V,u tirant les extrémités EN, en est le même que le calcul des bases des verges ; et il est également permis de prendre, pour ces forces, les bases mêmes menées dans une quantité constante. En posant ces éléments, en posant que les parties d’ancres inégales sont semblables entre elles et en laissant de côté la considération de la gravité, les résistances des bases IET, iet, s’obtiendront par le même calcul que les bases elles-mêmes ; mais dans le même calcul, nous avons posé que les puissances V et u ont été appliquées à N, n, donc les résistances s’obtiendront par le même calcul que les puissances de traction et conséquemment, la base IET résistera de la même façon que la base iet. C’est pourquoi la proportion des ancres semblables (proportion qui est conservée dans le tableau C) 69 Tableau C.
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où la gravité n’était pas considérée, sera renseignée correctement puisqu’elle nous fournira les ancres d’une seule et même résistance. Mais comme il n’est pas possible de laisser de côté la considération de la gravité, il s’ensuit facilement qu’une fois la considération de la gravité prise en compte, on découvre que la proportion n’a pas été renseignée correctement. De plus, si nous posons, que la verge EN a un poids P et qu’il est suspendu au centre de gravité X de cette verge, que, d’autre part, la verge en a un poids p pendant pareillement du centre x de la gravité de celle-ci, il y aura un moment70 de la pesanteur tirant la verge EN vers le moment de la pesanteur tirant la verge en comme créé par EX en P vers celui créé par ex en p : mais ce fait-là est beaucoup plus grand que celui-ci (car EX est plus grand que ex et P est plus grand que p), donc la verge EN, sera tirée par la force gravitationnelle de l’ancre plus grande, beaucoup plus que la verge en de l’ancre plus petite. C’est pourquoi, une fois réalisé le calcul de la pesanteur, la résistance de celle-là doit être réputée comme vraiment plus petite que la résistance de celle-ci. Donc, si les ancres de taille différente étaient semblables par leur figure, c’est-à-dire, si tantôt les poids des ancres tantôt les cubes des longueurs des verges, donnaient les mêmes calculs (comme les chiffres du tableau C l’indiquent), les ancres plus grandes seraient dotées d’une résistance moindre que les ancres plus petites : ce qui à l’évidence n’est pas du tout prouvé. III Une fois le calcul réalisé de la figure des ancres et de la force de pesanteur, on établit les règles des poids des ancres. La recherche du calcul de ces poids est d’une grande importance pour la constitution utile des ancres. Les hypothèses ou postulats I, II, II, IV que j’ai reportés dans un article précédent, on en comprend l’utilité dans cet article aussi. En outre, il sera profitable de considérer que deux hypothèses de la dernière partie de cet article, peuvent être assez claires : la première de celles-ci est que, dans la détermination des poids des ancres, il faut veiller avec scrupule à ce que nous puissions avoir des ancres de quelque taille que ce soit, dotées des mêmes résistances, ou du moins pas complètement différentes ; la seconde hypothèse est qu’il faut faire le calcul non seulement des forces appliquées mais aussi des forces de pesanteur pour estimer ces mêmes résistances.
→ 70 On appelle moment d’une force F par rapport à un axe de rotation Δ le produit de la norme F de la → force et de son bras de levier a. Symbole : M Δ ( F ) . Comme l’unité SI de la norme d’une force est le Newton, celle du bras de levier étant le mètre, l’unité SI du moment de la force est le « Newton mètre » (N.m ou Nm). Source : http://www.lnw.lu/Departements/Physique.
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Pour expliquer notre propos plus clairement, imaginons que, du centre de gravité x de la verge (Fig. 17) ietn,_pende le poids P égal à la gravité de la verge elle-même, poids _ qui pourra être posé = it 2 x enet que le moment de la gravité soit = it 2 x en x 2_1 en ; et de la même façon, imaginons que du centre de gravité X pende le poids P équivalant à la pesanteur de la verge IETN et ce poids pourra être constitué = IT ‾ 2 x ENet le moment de la pesanteur sera = IT ‾ 2 x EN x _21 EN. Or, il faudrait à partir des longueurs données en, EN et du diamètre de la base it, trouver le diamètre IT de la base plus grande. Soient en = c, EN = b, it = e, IT = y. Donc le moment de gravité de la verge ietn sera = 2_ 1 c c e e. Et (comme le rapporte le postulat IV de l’article précédent), une fois la quantité z posée comme constante multipliant les bases, le moment de la puissance x sera = czee : et le moment de la verge IETN de traction de la gravité = _2 1 b b y y et le moment de la force V = b z y y. Mais puisque les ensembles carrés de la base des parallélépipèdes sont proportionnels aux cubes des diamètres des bases ; l’ensemble de la plus petite verge sera e 3, l’ensemble de la plus grande sera y 3. Mais pour que les résistances des deux verges puissent être réputées égales, il est nécessaire que le l’ensemble de la base plus petite avec les forces la tirant ait la même raison71 que l’ensemble de la base plus grande avec les forces tirant cette dernière : donc il faut établir l’analogie de ce genre : e 3 : y 3 :: _21 c c_ e e+ c z e e : _2 1 b b y y + b z y y : d’où on 1 2 b b e + b e z _2 1 c c + c z = y. tire l’équation 2_ 1 c c y + c z y = _2 1 b b e + b e z ; et _ À cela, j’ajouterai qu’est posé par moi que le rapport du poids de la verge NIET sur le poids de la partie restante de l’ancre BCDTIB doit être le même, qui est compris entre 11 et 9 (une fois posé le poids de l’ancre entière = 20) : de fait, j’ai trouvé que ce rapport correspond très bien à la figure et à la solidité de ces membres. Maintenant, je passe à l’usage de cette équation ainsi trouvée. Or, au lieu d’utiliser constamment la première plus petite ancre dans mes suppositions, je prendrai celle dont la verge mesure 5 pieds de long c’est-à-dire 60 pouces (je donne, en effet, les longueurs en pouces) ; le diamètre de la base de la verge est de 2 pouces, c’est pourquoi on aura e = 2, c = 60, ½ cc =1800. Pour trouver le chiffre convenant à la quantité z, avant tout j’ai considéré ce que Galilée, avec logique et sagesse, a enseigné jadis : qu’évidemment, ce n’est ni l’art ni la nature elle-même qui peuvent amener ses machines vers une grandeur immense. Et il a illustré ce fait et, en quelque sorte, l’a posé sous nos yeux en nous présentant l’image du squelette humain dont la longueur multipliée par trois exigeait une énorme épaisseur (selon le théorème de la résistance des solides). Certainement, une semblable énormité de l’épaisseur (selon ce même théorème) caractériserait les ancres si les longueurs de verges devaient atteindre une taille énorme. C’est pourquoi j’ai proposé une très petite verge longue de 5 pieds et aussi une verge très longue de 20 pieds, bien que cela soit sans conteste excessif, si on les examinait dans leur usage : en effet, la masse convenant bien à celle-ci serait trop incommode. Justement, pour établir la règle, j’ai observé cette longueur (en effet, il valait mieux utiliser ces mesures et celles-ci une fois posées, les poids des ancres augmenteraient plus que les cubes des longueurs des verges). Mais j’ai observé aussi les figures et 71 On parle ici de la raison d’une suite.
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les longueurs de quelques ancres qu’avait recommandées l’usage. En outre, j’ai été aussi attentif à ces calculs que j’avais établis sous les yeux, pour de meilleures proportions des ancres. C’est pourquoi le diamètre de la_ base de la verge longue de 1 b b e+ b e z _1 = y, ayant posé y 20 pieds, je l’ai établi à 9 pouces : donc dans l’équation 2 _ 2 c c + c z = 9, j’ai trouvé environ 700 = z. Donc, ayant pris comme constantes, les valeurs 2 = e, 60 = c, 700 = z, l’équation _ . En outre, si le carré de la quantité proposée se change en la suivante b b + 14006 43800 = y b b + 14006 _ , cela montre la base de la verge ; mais, à partir de celle-ci menée devient 43800 en b, est obtenue la solidité de la verge désignée par des pouces cubes ; celle-ci ramenée à 21 et divisée par 58 (à cause de ce qui a été déjà dit dans l’article 6 sur les livres que nous utilisons pour le calcul en pouces cubes de fer) et une autre fois, ramenée à 20 et divisée par 11 (comme le rapporte ce que nous avons examiné un peu plus haut, au sujet du calcul des parties de l’ancre), elle est désignée selon la 5 + 2800 b 4 + 1960000 b 3 ________________ formule b , par laquelle on peut trouver le poids des ancres, non 2914201714 cependant au-delà d’une verge de 20 pieds de long, une fois substitué au lieu de b le nombre de pouces de la longueur de la verge de l’ancre recherchée. Or, une fois les règles appliquées par lesquelles sont augmentés le poids des ancres et leur résistance, les règles sont à l’évidence conformes au calcul de telle sorte qu’également par la formule proposée du nombre découvert, elles semblent pouvoir être plus utiles. Et à partir de ces règles, j’ai ajouté une table de concordance D. D Longueur de la verge
Longueur de la verge
Poids de l’ancre
Pieds
Pouces
Livres
5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
60 72 84 96 108 120 132 144 156 168 180 192 204 216 228 240
158 278 447 679 983 1370 1852 2442 3123 4000 4995 6156 7598 9030 10780 12758
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IV Au sujet du fond de la mer et de sa résistance pour des figures de pattes d’ancres analogues. Laissons de côté les dispositions variées des strates du fond de la mer, laissons de côté les plantes, laissons de côté les éléments métalliques et d’autres éléments semblables qui sont visibles au fond de la mer (en l’occurrence, des productions vraiment étonnantes et ne manquant pas d’analogie avec des matériaux présents dans les entrailles et à la surface de la terre) : il suffira à notre dessein d’évoquer la matière, que l’on sait se trouver dans les différentes parties du fond de la mer, répartie en cinq catégories. La première catégorie est le sable72. En effet, sur plusieurs endroits du fond marin, on trouve des sables, comme des sortes de plaines étonnamment vastes ou des amoncellements de cette poussière bien connue. La deuxième catégorie est le sablon73, le fond est formé ailleurs par du sablon dont les grains sont plus épais que les grains de sable. La troisième catégorie est le limon74 : la terre convertie en boue75 par les eaux et d’autres matériaux fins mêlés qui ne manquent pas dans la mer, forment le fond limoneux. La quatrième catégorie est une terre argileuse76, c’est-à-dire l’argile77, quand existe un fond composé d’une terre assez compacte qui ne se change pas en
72 Arena, ae, f : sable 73 Sabulum, i, n : sablon. Pour Vitruve, il existe quatre types de sable fossile (harena fossicia) : le noir, le gris blanchâtre, le rouge et le carboncle (De L’Architecture, livre ii). Columelle, dans son De Re Rustica, (v, 8) écrit : Aptissimum genus terrae est oleis, cui glarea subest, si superposita creta sabulo admixta est; non minus probabile est solum, ubi pinguis sabulo est, sed et densior terra, si vivida et laeta est, commode recipit hanc arborem. (« Le genre de terre qui convient le mieux aux oliviers est celui dont le sous-sol est de gravier, pourvu que la couche supérieure en argile soit mélangée avec du sablon. Un sol gras de sablon n’est pas moins bon ; et une terre plus compacte, pourvu qu’elle soit un peu humide et fertile, leur est favorable. ») Dans Res rusticae (i, 9), Varron évoque un sabulo blanc et rouge. Le P. Hardouin dans son édition de Pline de 1685 (tome 4, p. 794) commente l’expression sabulum masculum employée par Pline par un sabulum durius, compactiorisque naturae. 74 Limus, i, m : limon. Vitruve utilise le mot limus (viii, 6, 15) pour évoquer le dépôt de l’eau canalisée dans les aqueducs à l’issue d’un procédé de décantation permis notamment par un passage de l’eau dans deux ou trois citernes. 75 Coenum, i, n : boue, fange. Notons que la forme utilisée par Poleni : coenum n’est guère usuelle (elle est adoptée par Calepino). On lui préfère caenum. Columelle (De Re Rustica, ii, 14) associe la boue à la cendre. 76 Poleni reprend la définition de Calepino « terra tenax » (terre compacte) dans l’expression « terra tenaciore ». Calepino rapporte que l’argile blanche ou rouge vient de l’île de Crète, qui tire son nom de la creta, argile. 77 Argilla, ae, f : argile. Le dictionnaire de Calepino donne la définition suivante : terra cretosa et candida et mentionne l’origine grecque du mot ἄργιλος justifiant la perte progressive du 2ème « l » du mot latin argilla. L’argile peut en effet contenir du calcaire : on parlera alors d’argile calcaire ou de calcaire argileux. Les anciens appréciaient les vertus plastiques de l’argile, utilisée dans divers domaines. Vitruve, dans le livre x, 15, décrit une argile compacte mélangée avec du crin pour protéger les tortues « fortin » et Columelle (De Re Rustica, 12,46) reprend le conseil du carthaginois Magon « d’enduire d’une couche épaisse d’argile à potier bien travaillée, les grenades récemment cueillies, et, quand l’argile est desséchée, de les suspendre dans un lieu frais ; plus tard, lorsqu’on en aura besoin,
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vase78 par l’humidité de l’eau stagnant dessus. Enfin, la cinquième catégorie est la pierre79 : en effet, dans des lieux variés, les crêtes en pierre des hauteurs quand, selon une pente, elles descendent de plus en plus et touchent le fond, vont sous les eaux de la mer et forment le fond marin. Mais pourtant, on trouve loin des littoraux, des zones de rochers ; or les fonds de ce genre sont en quelques endroits raboteux à cause des parois rocheuses, ailleurs descendent en ravins et ailleurs, aussi, sont en quelque façon percés de creux et d’anfractuosités. En ce qui concerne cette dernière catégorie, il est évident que les bras des ancres ne peuvent pas pénétrer dans les rochers80 ; ils peuvent cependant être retenus par les aspérités des rochers et peuvent s’insérer dans les creux et les anfractuosités des rochers. Or, quand cela arrive, il y a danger que les ancres ne puissent être ni extirpées ni soulevées ou bien qu’elles soient mises en pièces ou se tordent et se déforment. Mais le sable et le sablon constituent des résistances en quelque endroit plus grandes et en quelque autre endroit, plus petites, selon que le sable et le sablon ont été plus ou moins poussés ensemble et rendus denses par les flots. Ainsi, selon la nature variée du limon et de la terre argileuse, les endroits limoneux et argileux sont diversement compacts. Nous allons chercher à calculer une estimation de la résistance du fond marin sans examiner un sable plus fin ou une terre argileuse plus dure mais nous considérerons par exemple, une sorte de compacité moyenne du limon81. Ainsi, imaginons, menée, au fond de la mer (Fig. 18), une ligne droite TF par laquelle est mené un plan à la perpendiculaire : ce plan possède deux plans semblables perpendiculaires triangulaires HGC, hgc immergés à l’intérieur du limon du fond de la mer et ayant dans ce même plan des sections communes IG, ig par lesquels les plans mêmes HGC, hgc sont divisés en deux. Ces sections produites touchent TF en N et n et depuis les centres de gravité R, r des triangles, sont menées les lignes
on les plongera dans l’eau, et on en détachera l’argile. Ce procédé conserve le fruit comme s’il venait d’être cueilli. » (Sed et idem auctor est creta figulari bene subacta recentia mala crasse inlinire et, cum argilla exaruit, frigido loco suspendere, mox, cum exegerit usus, in aqua demittere et cretam resolvere.) 78 Lutum, i, n : vase. La traduction par « vase » reprend l’idée de putréfaction organique exprimée par Columelle. Pour Columelle (vii, 6), le lutum est un mélange de fumier et d’urine que le berger doit nettoyer pour le confort de ses bêtes : pastor cotidie stabulum converrit nec patitur stercus aut umorem consistere lutumve fieri, quae cuncta sunt capris inimica. (« Le berger balaie tous les jours l’étable et ne supporte pas que le fumier ou l’urine stagnent ou se changent en immondices, toutes choses qui sont nocives pour les chèvres. »). 79 Lapis, idis, m : pierre. Le vocabulaire pour désigner le minéral est très étendu dans la langue des Romains bâtisseurs. Le mot saxum, i, n désigne un rocher ; silex, icis, m : une pierre ; calculus, i, m : un caillou ; calcis gleba, ae, f : une pierre à chaux ; gypsum, i, n : une pierre à plâtre ; pumex, icis, m : une pierre ponce ; caementum, i, n : une pierre brute (pour bâtir). 80 « Le mouillage est le terrain où l’ancre s’attache : quand le fond est de vase ferme ou de sable, on dit que le mouillage est bon ; s’il est de roche, de galet ou de vase molle, le mouillage ne vaut rien ; car l’ancre ne mordant point ou ne tenant pas ferme, elle obéit aux efforts du navire qui chasse sur son ancre et court risque de se perdre Dans les fonds de roche ou de galet, les câbles se raguent et s’étripent, c’està-dire qu’ils s’usent. Quelques-uns disent ancrage au lieu de mouillage : mais c’est improprement car l’ancrage est un droit d’Amirauté. » (Réaumur, op. cit. , p. 51). 81 « Brider une ancre signifie élargir la surface de ses pattes, lorsqu’on mouille dans un fond de vase molle. » (Réaumur, op. cit. , p. 52)
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Fig. 70. – Dessins géométriques pour le fond de la mer, fig. 18, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
droites RV, ru perpendiculaires à TF. Dans cette recherche, nous estimerons que les plans HGC, hgc sont semblablement inclinés. Si les inclinaisons étaient différentes, il faudrait calculer les sinus des angles RNV, rnu. Maintenant, puisque nous comprenons que ces plans HGC, hgc (à des vitesses égales) sont mus de telle sorte que le centre de gravité de l’un et l’autre décrit une ligne droite parallèle à la ligne TF, également, nous comprendrons facilement que le limon résistera à ce mouvement des mêmes plans dont les parties ne reculeront ni ne glisseront à moins que ne soit vaincu leur agrippement. Mais puisque les parties qui s’agrippent, destinées à être séparées seront proportionnelles en nombre aux plans agissants, nous poserons donc que la résistance sera issue du même calcul, par lequel on trouvera ce plan même. Mais les mêmes parties sur le point de céder la place puisqu’elles doivent être mues et passer à travers des espaces immobiles, résisteront à leur propre force d’inertie et ne seront pas mues sauf si elles ont reçu un mouvement si grand qu’il suffise à vaincre la force de la pression, que les parties des espaces immobiles supporteront grâce à la hauteur du limon reposant au-dessus. Par conséquent, la résistance sera issue du même calcul, par lequel on trouvera les hauteurs du limon. Si on a le plan HGC = P, le plan hgc = p, la hauteur RV = A, la hauteur ru = a, on aura la résistance du fond en limon contre le plan HGC proportionnelle à la résistance du même fond contre le plan hgc comme AP sur ap.
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Quoique ces notions d’agrippement, de mobilité et d’autres propriétés particulières du limon marin ne puissent être tenues comme exactes, notions dont on a besoin pour que l’expérience soit très bien réalisée avec un calcul géométrique, cependant, ce que nous avons dit pour constituer l’analogie proposée et cette analogie même suffit pour conclure ceci : que ce n’est pas une légère résistance à laquelle se heurtent les pattes des ancres. Et si des parties du limon, à cause d’autres parties antérieures qui agrippent suffisamment, reculent plus difficilement, le limon sera de plus en plus dense et résistera. Mais après cela, nous exposerons, pour ainsi dire, une certaine mesure de cette résistance-ci, dérivée de la pratique que nous exposerons dans l’article suivant (l’occasion ayant été offerte). V Sur la force par laquelle l’ancre retient le navire. Le P. Georges Fournier82, qui écrivit avec une grande érudition un traité Sur la Navigation, considère qu’il faut vraiment s’étonner qu’une petite ancre puisse retenir et stabiliser un navire chargé. Pour démontrer comme cela est admirable, il illustre ce fait par l’exemple d’un navire dont le nom était « La Couronne83 ». Il raconte que sa maîtresse-ancre, unique, avec un essieu en bois, pesait 6 355 livres et son câble 14 300 livres ; il conclut alors ainsi : Bien que l’ancre et le câble de l’ancre, ensemble, n’excèdent pas un poids de 20 655 livres, ils retiennent cependant un poids de 4 000 000 de livres, qui comprend celui du chargement du navire et le poids du navire lui-même, ce qui ensemble équivaut à 4 000 000 de livres. Et également, Nicolas Witsen dit que les effets des ancres doivent être admirés avec le plus grand soin : quand l’ancre au bout de son câble peut retenir un navire dont le poids est 300 ou 400 fois plus grand que le poids de l’ancre et du câble. Mais pour parler franchement, quoique j’approuve les remarques intelligentes de Fournier concernant l’eau de la mer soutenant le poids du navire, je pense pourtant vraiment qu’en aucune façon, n’est enseignée avec pertinence la comparaison entre le poids de l’ancre lié à son câble et le poids du navire, afin de porter un jugement sur la force par laquelle le navire est retenu et assuré solidement. Ou bien l’ancre tirée dans le fond ne sera pas immergée, et alors le fond de la mer au-dessous soutiendra ou tout son poids ou du moins une grande partie : et il faudra calculer aussi les frictions, comme on les appelle, dont la force, une fois utilisés les
82 Le père Georges Fournier (1595-1652) est un jésuite, entré au noviciat de Tournay en 1619, préfet des études à Caen, aumônier de la Marine. Il est l’auteur de Geographica orbis notitia, per litora maris et ripas fluviorum, 1667 et d’une Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation (1679) composé par le P. Georges Fournier que Poleni possédait dans sa bibliothèque personnelle. 83 Le navire « La Couronne » figure sur le frontispice de l’ouvrage de Fournier : Hydrographie, etc. La Couronne est un navire de guerre français en service de 1637 à 1643. C’est un navire de haut bord, portant 72 canons sur deux ponts, l’un des premiers construits en France à l’initiative de Richelieu qui veut donner à Louis xiii, une véritable marine de guerre.
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excellents théorèmes de Guillaume Amontons84, pourra être réputée égale à la force du 1/3 du poids de l’ancre elle-même. Ou bien on posera que l’ancre immergée suit le mouvement du câble et vainc la résistance du fond ; et selon cette hypothèse, en supposant la résistance du fond et par l’emploi d’un appareil, il faudra établir l’estimation de la force de l’ancre. Pour expliquer plus clairement le mode que je vais utiliser, je produirai un exemple ; il s’appuiera sur les observations qui suivent. Pour fouiller le limon, doté d’une certaine compacité moyenne, depuis le fond d’un lac qui communique avec la mer, j’ai observé qu’on applique utilement des espèces de grandes cuillères, comme on les appelle, dont j’ai reporté la figure (Fig. 19). Le pourtour de leurs têtes est formé d’une lame de fer dont les pointes sont CED ; sa longueur SE est de 12,5 pouces : sa surface intermédiaire, c’est-à-dire la capacité de sa tête, est de 78 pouces carré : à la partie intérieure de cette lame (comme vers tH) se réunit et s’attache l’orifice du petit sac LGH. La cuillère est fichée à la perpendiculaire, à l’aide d’un seul homme, au fond du lac, jusqu’à la partie la plus basse KL du manche KM ; ensuite, une fois appliqués les grappins en B, en sens inverse, on tire le manche lui-même ; et ce faisant, on tourne le manche autour du support A et la cuillère arrache le limon et le déblaie en même temps. Mais selon que l’eau du lac est plus ou moins profonde, on applique, plus ou moins, en haut et en bas, le manche au support et la main au manche. C’est pourquoi certaines distances moyennes LA, AB ayant été prises et, une fois calculés le mouvement nécessaire pour remplir le petit sac et la force nécessaire pour élever le poids du petit sac chargé, et une fois aussi appliquée cette théorie que Philippe de La Hire85 a bâtie avec habileté et finesse, selon laquelle il faut estimer que la force de traction d’un homme est d’environ 160 livres86 (cet exemple étant proposé), j’ai découvert qu’on peut évaluer la résistance que vainc la cuillère à 100 livres environ. J’ai observé en outre, que l’aire de cette patte d’ancre de 484 pouces carré, dont le poids est d’environ 6000 livres (peu différent du poids de l’ancre dont Fournier a parlé) et perpendiculaire au centre de gravité du même pied, gravité menée vers la verge, mesure 34 pouces de long. À présent, concevons que le plan hgc (Fig. 18) est l’aire de cette cuillère et que son mouvement est celui que nous avons déterminé dans l’article précédent ; il sera, en raison de la position de la cuillère ru d’environ quatre pouces. Concevons que le plan HGC soit le plan de la patte de l’ancre (de laquelle nous avons parlé peu 84 Guillaume Amontons (1663-1705) est un physicien membre de l’Académie Royale des Sciences. « À propos du frottement, auquel on remédiait tant bien que mal par des lubrifiants empiriques, Guillaume Amontons énonça en 1699 la loi de proportionnalité du frottement à la pression mutuelle des corps en contact. » (Michel Blay et Robert Halleux, La Science classique, Paris, Flammarion, 1998, p. 589). Giovanni Poleni possédait dans sa bibliothèque, le traité d’Amontons intitulé Remarques et Expériences Physiques sur la construction d’une nouvelle Clepsydre (1695). 85 Philippe de La Hire (1640-1719) est un mathématicien, géomètre et astronome, professeur de mathématiques au Collège de France et membre de l’Académie des Sciences (1678). Il publia un Traité des épicycloïdes et de leur usage en mécanique dont les résultats allaient être développés par Camus (1733) et par Euler (1754 et 1765). Admettant l’approche de Descartes, il tenta un premier pas en direction d’une géométrie spatiale tridimensionnelle. 86 Cf. traité sur le cabestan de Poleni.
t rad u ct i o n annot é e Fig. 71. – Cuillère pour fouiller le limon, fig. 19, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
auparavant) dont le bras est totalement immergé. Comme ces éléments-ci se trouvent dans le calcul proposé (à l’article précédent), on aura P = 484, A = 34, p = 78, a = 4, et le calcul lui-même P pour87 p se transformera en cette formule numérique 312 pour 16 456 : c’est pourquoi, de même qu’il y aura 312 pour 16 356, il y aura la résistance du fond de la mer contre le plan hcg qui est de 100 livres, comme on l’a trouvée à l’article précédent, pour la résistance du même fond contre le plan HGC (soit la patte de l’ancre) qui, d’après cette analogie, dépassera 5 274 livres. Or, il faudra aussi la considérer comme un peu plus grande, parce que le mouvement de la cuillère sera réellement produit par la rotation de son manche autour d’un point fixe ; mais dans cette supposition, nous avons réputé ce mouvement parallèle à l’horizontal bien que, pourtant, ce mouvement supporte une résistance plus petite que celui-ci. C’est pourquoi, une fois cette mesure trouvée ou une semblable, je ne pense pas qu’il faille estimer d’après le poids, la résistance de l’ancre immergée dans le limon et le mouvement du câble d’ancre qui en découle. Enfin, si on pose que la résistance du fond ne peut être vaincue par une ancre immergée et que, pour cette raison, une ancre solide s’accroche, cet effet naîtra de la résistance du fond plus grande que la force de l’ancre préparée au mouvement : et quoique la gravité plus grande de l’ancre s’oppose davantage à la force de traction, l’effet pourtant ne doit pas être estimé du tout à partir du seul poids de l’ancre. Mais pour ce qui touche aux poids des câbles d’ancre, j’ai vérifié par l’expérience que la gravité absolue dans l’air d’un segment de câble d’ancre, dont la circonférence est de 11 pouces et la longueur de 24 pouces, est de 8 livres et de 6 onces ; que la gravité relative de ce même câble immergé dans l’eau est égale seulement à 2 livres et 4 onces. En outre, comme les câbles d’ancres sont immergés dans l’eau pour la
87 P ad p : Calepino donne comme synonymes à ad les prépositions grecques : πρός et παρά qui contiennent cette idée de rapport et de proportionnalité.
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majeure partie quand ils sont utilisés, je pense vraiment qu’il ne faut pas regarder leur gravité absolue mais leur gravité relative. C’est pourquoi, une fois le calcul appliqué à l’expérience qui vient d’être décrite, le poids de ce câble d’ancre (que nous avons évoqué plus haut) servant à l’ancre du navire « La Couronne », n’aurait pas dû être estimé à 14 300 livres mais vraiment à beaucoup moins88. Ici, puisqu’on arrive à la mention des câbles d’ancre, j’indiquerai que, dans les tableaux B et C (art. 6), apparaissent clairement les chiffres concernant les épaisseurs des câbles d’ancre, et dans le tableau C les chiffres également correspondant aux poids des câbles d’ancre, qu’ont établis Nicolas Witsen et l’auteur belge. Mais, pour moi, c’est un fait avéré par plusieurs expériences, que deux cordelettes (la même épreuve doit être comprise au sujet des câbles d’ancre quand ceux-ci sont assemblés aux cordelettes), deux cordelettes de chanvre89 dis-je, à l’épaisseur, à la longueur et au poids égaux, la première étant formée du chanvre d’une région unique, la deuxième formée du chanvre d’une région différente (en raison de la diversité du sol et du climat de ces régions), parfois ne sont pas solides de la même manière90, mais que la première est rompue par le poids assez grand qui y était suspendu et la deuxième par un poids plus petit ; en outre, sont connus les éléments que, sur le rapport entre les forces d’une corde et la plus élevée des forces des cordelettes91 composant une corde,
88 Critique de Fournier (cf. début du chapitre v). 89 Dans son Traité de la fabrique des manœuvres pour les navires ou l’art de la corderie perfectionnée, 1747, que Poleni consulta dans sa bibliothèque personnelle, le physicien, botaniste et agronome Duhamel du Monceau (1700-1782) donne des appréciations sur les qualités et les défauts des chanvres de différentes origines. En effet, dans son introduction, il présente ainsi le problème de la garniture des navires : « Nos manœuvres sont si pesantes qu’elles surchargent le haut des navires ; c’est fatiguer excessivement des équipages que de leur donner à manier des cordages si lourds, si durs et si roides : ils exigent plus de force pour les faire rouler dans les poulies, qu’il n’en faut pour vaincre les résistances. A chaque instant, il se forme de ces espèces de nœuds que les marins appellent coques et par cet accident des poulies sont quelquefois brisées, des matelots sont estropiées et les opérations sont toujours retardées ; leur grosseur présente une telle surface au vent qu’il est impossible que la marche des navires n’en soit ralentie et la dérive augmentée quand on court au plus près. » En 1771, Duhamel du Monceau publia un traité Éléments d’Agriculture où il donnait des conseils pour cultiver le chanvre (chapitre iii, p. 205). 90 Dans son chapitre II des Éléments d’Agriculture, Duhamel du Monceau écrit : « Le chanvre ne se plaît pas dans les pays chauds ; les climats tempérés lui conviennent mieux et il vient fort bien dans les pays assez froids comme sont le Canada, Riga, etc. qui en fournissent abondamment et de très bon et tous les ans on emploie une assez grande quantité de chanvre de Riga, en France, en Angleterre et surtout en Hollande. » Comme Poleni, il évoque ensuite la nature du sol : « Il faut pour le chanvre une terre douce, aisée à labourer, un peu légère, mais bien fertile, bien fumée et amendée. Les terrains secs ne sont pas propres pour le chanvre, il n’y lève pas bien, il est toujours bas et la filasse y est ordinairement trop ligneuse, ce qui la rend dure et élastique, tous défauts considérables, même pour les plus gros ouvrages. » L’origine géographique du chanvre influe sur ses qualités : « La corde faite de chanvre de Bourgogne dont les fibres étaient assez raides, ne put porter plus de 560 livres sans se rompre et celle qui était faite avec du chanvre d’Italie dont les filaments étaient beaucoup plus souples soutint 650 livres et ne cassa qu’à 655 livres. » (Duhamel du Monceau, 1771, p. 36) 91 Funiculus, i, m : cordelette. Les torons sont des cordelettes formées de fils de caret qui vont permettre de constituer les cordages. Ils sont tordus en sens inverse des fils qui les constituent.
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Réaumur92 lui-même a découverts intelligemment et que Peter Musschenbroek93 développa ingénieusement ; en outre, il faudra être attentif à ces éléments et aux forces variées des chanvres, pour définir les calculs entre les poids des ancres et des câbles d’ancre. Mais il suffira d’avoir indiqué cela. VI Sur la proportion des parties des ancres, composant une figure entière. La première partie de l’ancre est la verge, de laquelle nous avons déjà beaucoup parlé. Mais outre celle-ci, il existe quatre autres parties desquelles il faut parler : l’essieu en bois, les pattes de l’ancre, la flèche du bras et la flèche inversée du bras ; cependant, les deux premières de celles-ci sont plus faciles à exposer. La construction d’un essieu en bois, dans la définition même de celui-ci (art. 1), a été suffisamment développée. Puisque celui-ci doit se mettre en rotation, comme nous l’exposerons ailleurs, je pense que sa longueur doit être un peu plus grande que la longueur de l’ancre afin que sa rotation se fasse plus facilement ; et je voudrais que la longueur de celui-ci corresponde à la longueur de l’ancre augmentée environ d’un dixième. Et il sera plus léger que les bras d’ancre qu’il importe de descendre plus rapidement : par sa propre gravité cependant (quoiqu’on doive être attentif à la gravité relative et quoiqu’il soit en bois), il est utile à l’enfoncement du bout de l’ancre. Que ses extrémités soient des figures carrées ; et que les côtés de ces carrés soient environ le 18e de la longueur de la verge ; et pour les plus petites ancres, que les côtés soient un tout petit peu plus grands. Près du bout de l’ancre, l’essieu doit être plus épais. Or le même essieu, tant qu’il est horizontal et tiré, accumule devant lui, du sable, du sablon, du limon et augmente la résistance ; c’est pourquoi je souhaiterais que sa face supérieure soit un peu plus large que sa face inférieure.
92 René-Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757) est un physicien et naturaliste français. Jeune savant admis à l’Académie des Sciences en 1708, il s’intéresse avec persévérance aux développements des arts et métiers. Aussi l’Académie le charge-t-elle de diriger l’édition de la Description générale des Arts et Métiers de France. Réaumur demande aux physiciens de quitter leurs cabinets et de descendre dans les échoppes et les ateliers pour reprendre à leur compte, rendre plus sûrs et diffuser dans la communauté savante les procédés des artistes. » (Ch. Licoppe, 1996, p.120). À la fin de son ouvrage sur La Fabrique des ancres, il propose un tableau très complexe mettant en relation : le poids des ancres, la longueur de la verge, la grosseur de la verge au gros bout, la grosseur de la verge auprès du quarré, la largeur d’une des faces du quarré, la longueur du quarré, la grosseur des bras à la croisée, la longueur des bras de la croisée à la patte, la longueur de la partie des bras recouverte par la patte, la grosseur des bras auprès de la patte, la largeur de la patte, la longueur de la patte, l’épaisseur de la patte, la grosseur de l’organeau, le diamètre de l’organeau. 93 Musschenbroek poursuivit les travaux d’Amontons sur le frottement, et mit en évidence l’influence de la surface de contact. Dans son Essai de Physique (p. 186), il propose un tableau de « diverses expériences qui font voir quelle doit être la force pour faire courber des cordes de différentes grosseurs lesquelles sont tirées en droite ligne par divers poids, entortillés autour de certains rouleaux de diverses grosseurs ». Il attira l’attention sur la roideur des cordes, un phénomène dangereux et paradoxal observé à bord des voiliers sur les poulies. L’abbé Bossut poursuivit les recherches sur ce problème et Coulomb proposa une formule rendant compte des observations. Il est l’inventeur du tribomètre, appareil à mesurer les frottements.
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Les pattes de l’ancre, tant que l’ancre elle-même est fichée, imitent l’action des coins, c’est un fait certain. C’est pourquoi il faut qu’elles soient semblables à des coins. Et par voie de conséquence, que son plan soit triangulaire (ou guère différent du triangle) : et, pour que la force de cette espèce de coin soit plus grande, que le côté (Fig. 1) GH soit d’1/8 plus court que la perpendiculaire menée de l’angle D au même côté GH. Et que cette perpendiculaire soit égale à la demi-longueur du bras : en effet, plus grandes et plus enfoncées sont les pattes, plus grandes sont leurs forces ; grâce à cette mesure conservée, les pattes seront assez grandes et la partie plus large GH ne sera pas trop peu immergée. Après cela, pour définir la grandeur de la flèche du bras, avant tout, nous exposerons la méthode de Bartolomeo Crescentio94 qui, pour établir la proportion des parties de l’ancre (il n’a pourtant pas tenu compte des différentes tailles d’ancres), écrit cela : que la ligne (Fig. 20) DF de cette longueur qui conviendrait pour fabriquer la verge de l’ancre, soit divisée en deux parties et demie, l’une allant de A à D, l’autre allant de A à E et la moitié allant de E à F. Donc avec une pointe du compas posée en A, sur l’intervalle AD, qu’on décrive un cercle BDCE et une fois conservé le même écart de compas, après avoir transféré une pointe en D et posé l’autre sur la circonférence du cercle, qu’on note les points B et C, dont l’un et l’autre donneront la 6ème partie du cercle ; et les extrémités des bras de l’ancre atteindront ce point. Bartolomeo Crescentio a écrit cela et plusieurs autres suivent la division de celui-ci. Celle-ci posée (puisque la perpendiculaire menée du point_B au rayon AD, divise le rayon lui-même en deux), la flèche du bras sera BR = 173 = _31 + _ 19 . Et une fois posée l’épaisseur de la crosse √ _253 ; environ = _ 500 1500 _ _ _ c’est-à-dire du nœud eD = 201 , la flèche du bras sera changée en eR = 20 3 = 6_ 1 - 60 1 . D’autre part, au sujet de la méthode appliquée par d’autres, ces expériences qui ont souvent été menées, ont été suffisamment évoquées. Mais, pour que les choses puissent être traitées avec plus d’attention et de soin, concevons (Fig. 21) que CD soit le bras de l’ancre, sa patte HGD et la verge PC en position horizontale. Concevons alors aussi que, sur le même plan horizontal, autour de l’extrémité C, comme autour du centre, la même verge PC soit tordue et qu’à son extrémité P, elle décrive un arc PN, par lequel on tendra par-dessous un angle PCN : de là, il arrivera que (en raison de la rigidité des parties de l’ancre), le point G de la
94 Giovanni Poleni possède dans sa bibliothèque l’ouvrage de Bartolomeo Crescentio ainsi intitulé dans le catalogue manuscrit de Poleni : Proteo militare (De Re nautica) publié en 1595. Cet officier romain né dans la seconde moitié du XVIe siècle a, dans son ouvrage Proteo militare, décrit un instrument nautique qui pourrait être considéré comme le précurseur du compas galiléen de proportion. Il publia une Carta da navigare dans laquelle sont corrigées plusieurs erreurs de carte alors en usage auprès des marins italiens. Le gros volume paru à Rome en 1607 : Nautica mediterranea, nella quale si mostra la fabrica delle galee... si manifesta l’error delle charte mediterranee... s’insegna l’arte del navigar... vi è il calendario nautico... e un portolano di tutti i porti da stantiar vascelli co i loghi pericolosi di tutto il mare Mediterrane, comprend « un petit traité de construction navale, un traité de navigation, une série de notions sur les mers et sur la propriété de l’aimant, le calendrier nautique romain et les notions sur les constructions des arsenaux et des ports et sur les moyens pour remonter à la surface les navires coulés ». (http://www.treccani. it/enciclopedia). Pasquale Ventrice (2009, p. 288) écrit que B. Crescentio est le premier à formuler le concept d’architecture navale qui réclame la nécessité de fournir aux constructeurs de navires un « appareil théorique » qui s’articule avec les connaissances mécaniques.
t rad u ct i o n annot é e Fig. 72. – Ancre avec pattes KIB et GHD, fig.1, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
patte décrive aussi un autre arc. Mais, si la verge est plus courte, si par exemple QC (et GQ sera aussi plus petit que GP) et l’extrémité Q décrivent un arc QK égal à l’arc PN, l’angle QCK sera plus grand que l’angle PCN ; et aussi, le point G décrira un arc plus grand que celui qu’il avait décrit avant, et sera davantage mis en mouvement ; et ce qu’on a dit pour un point unique de la patte, il faut vraiment l’entendre pour tous les points. C’est pourquoi, il devient évident, que par des mouvements égaux de l’extrémité P de la verge plus grande et de l’extrémité Q de la verge plus petite, la patte de l’ancre est davantage mise en mouvement quand la verge est plus petite que quand elle est plus grande. Et la patte est d’autant mise en mouvement quand l’ancre s’accroche moins : donc, pour que l’ancre puisse mieux s’accrocher, il vaut mieux que la longueur de la flèche du bras n’excède pas le tiers de la longueur de l’ancre. C’est pourquoi j’établirai toujours ce rapport de 1 à 3 entre la flèche et la longueur de l’ancre. De cette question, on dira quelques mots plus bas. J’en viens à la flèche inversée du bras : pour la déterminer correctement, il faut veiller assurément à ce que la proportion de l’une et l’autre flèche soit celle qui corresponde à la combinaison de la force gravitationnelle et de la force de traction
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c ha p i tr e x Fig. 73. – Ancre BCDEF et proportion des parties selon Crescentio, fig. 20, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
s’exerçant sur l’ancre, selon un certain mode. Puisque dans les ancres plus petites, la force de pesanteur est plus petite que dans de plus grandes, et que dans celles-ci, la force perpendiculaire a une plus grande valeur, pour cette raison, aussi, il faut que la courbure des bras soit plus petite dans celles-ci pour que cette force soit ajustée plus utilement avec la force de traction, ce qu’assurément la considération de la nature des courbes, d’après le double mouvement des courbes naissantes, pourrait facilement illustrer. Et comme nous avons posé la flèche du bras en rapport constant avec la longueur de la verge, nous obtiendrons par la diminution dans les ancres plus grandes de la flèche inversée des bras, ce que nous avons proposé,. C’est pourquoi, j’ai posé que, pour l’ancre, dont la longueur est de 5 pieds, la flèche inversée du bras est le 5e de cette longueur et pour l’ancre, dont la longueur est de 20 pieds, la flèche inversée du bras est le 7e de cette longueur. Mais j’ai divisé la différence entre 5_ 1 et 7_ 1 en égales proportions entre les flèches inversées des ancres intermédiaires, comme il est possible de les réunir d’après le tableau E. J’ai utilisé la proportion arithmétique, tout en renonçant pourtant à des minuties assez subtiles (que j’ai laissées de côté dans le tableau), car il faut être attentif à la commodité des artisans, à qui ces chiffres sont fournis pour qu’ils travaillent. En outre, de ces mêmes chiffres transmis récemment, on peut facilement voir, une fois la flèche inversée contractée, que les distances (Fig. 20) entre les points G et P sont rendues plus grandes et que l’utilité de la verge de l’ancre devient plus grande (bien que la flèche du bras soit constante).
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Fig. 74. – Dessins géométriques patte HGD et verge PC, fig. 21, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
E Longueur de la verge
Longueur de la verge
Longueur du bras de la flèche inversée
En pieds
En pouces
Pouces
Lignes
5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
60 72 84 96 108 120 132 144 156 168 180 192 204 216 228 240
12 14 16 18 20 21 23 24 26 27 29 30 31 32 33 34
0 2 2 1 0 9 5 12 5 10 2 4 6 6 5 4
Puisque l’on vient de voir tout ce qui concerne la verge de l’ancre, l’essieu en bois, les pattes, la flèche du bras, et la flèche inversée du bras, pour un sujet de grande importance, continuons assurément à réfléchir à la figure du bras lui-même.
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Troisième section Sur l’invention de la ligne courbe du bras pour rendre plus utile la figure du bras lui-même. I On décrit le vrai mouvement de l’ancre, qui se produit presque toujours pendant que l’ancre elle-même est immergée. Cet article est comme une sorte de lemme95 qui servira de base et de fondement à ce qui doit être dit dans cette section. En outre, pour éclairer l’image du sujet, que le plan du fond de la mer sur la figure (Fig. 22) soit abhm, que l’ancre soit ABCD et son essieu de bois EN. Pendant que l’ancre parvient au fond, les bras BCD se couchent presque toujours au-dessus du fond ; et que l’essieu EN, qui a une position contraire aux bras, soit perpendiculaire au fond lui-même. Mais tandis que l’ancre est traînée et que les pattes mordent un tout petit peu le fond sur lequel l’ancre a été jetée, quand l’une commence à mordre plus fortement que l’autre, la verge commence aussi à s’élever du fond ; quand la traction se poursuit, l’essieu de bois tourne autour de son extrémité inférieure N et il arrive que les bras de l’ancre finissent au fond à la perpendiculaire, qu’ils s’y enfoncent et que l’essieu de bois se couche sur le fond lui-même. Et cela est avéré par le calcul et par la pratique. Par le calcul, car les bras de l’ancre plus lourds que l’essieu, atteignent le fond plus rapidement que lui et doivent bien s’y adapter (s’ils ne sont pas traînés) : par la pratique car je n’ai trouvé aucun expert pour nier avoir observé cela. Pendant que ce mouvement des bras continue, la pointe B de l’ancre (les bras tournant autour du point mobile) poursuit trois mouvements, de rotation évidemment, de traction et de descente ; d’où on pourrait établir qu’à partir de ce point B, la courbe engendre deux (ou trois) courbures96. Je pourrais produire au sujet des courbes de ce genre, plusieurs éléments dont la voie fut déjà auparavant tracée par un homme remarquable qui, dominant son époque par son intelligence, était versé dans une observation de courbes à double courbure, digne d’éloge. Mais ces éléments exigent une dissertation particulière. 95 Lemma employé par Newton dans ses Principia Philosophiae Naturalis est traduit en français Lemme par Mme Du Châtelet. Le mot désigne un résultat intermédiaire utilisé en cours de raisonnement lors d’une longue démonstration. 96 Le mathématicien et astronome, ami de Voltaire et de la marquise Du Châtelet, Alexis Claude Clairaut (1713-1765) est l’auteur de Recherches sur les courbes à double courbure. Il déclare dans sa préface : « Les courbes dont l’on traite dans cet ouvrage sont celles qui ne se peuvent décrire que sur les surfaces des solides courbes, telles que seraient par exemple celles que l’on formerait en faisant tourner un compas sur la surface courbe qu’on voudra. Personne que je sache n’a encore traité cette matière ; Descartes est le seul qui m’ait paru avoir envisagé ces sortes de courbes. Ce qu’il en dit nous apprend simplement que pour les examiner, il faut abaisser de tous leurs points des perpendiculaires sur deux plans qui sont perpendiculaires l’un à l’autre et rapporter tous les points de ces courbes aux points de celles que l’on forme par ce moyen sur ces deux plans. »
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Fig. 75. – Ancre sur fond de la mer abhm, fig. 22, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
II On détermine la position d’une ancre qui conduirait mieux que les autres, à une recherche de la nature de la ligne du bras que l’on se propose. Dans le problème présenté au sujet de la figure du bras de l’ancre, un fait assurément ne semble pas courant parce qu’il faut déterminer une seule ligne, or, on pourrait chercher indéfiniment un nombre infini de lignes. En effet, puisque les positions des ancres peuvent varier à l’infini quand elles tentent de s’enfoncer avec leurs bras au fond de la mer et par des manières infinies et que le calcul peut varier de la même façon entre la force de gravité et la force de traction, le nombre de courbes qu’on peut considérer, selon ces principes de variation, est étonnant. Mais nous devons constituer seulement une courbe. Donc en examinant la nature des mouvements de la position de l’ancre et leurs positions elles-mêmes, il faut que nous sélectionnions
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parmi ces positions celle qui convient le plus souvent aux ancres elles-mêmes et qui, pour ficher ces mêmes ancres et les maintenir immobiles, aurait un plus grand mouvement. Et je pense qu’il en existe une selon laquelle le plan de l’ancre est perpendiculaire au plan du fond de la mer. En effet, pendant qu’on jette l’ancre, il est vrai que les bras se couchent comme nous l’avons montré dans l’article précédent, et se tournent pourtant ; et, quand l’essieu de bois se couche, ils sont constitués de leurs lignes dans le plan perpendiculaire (comme on l’a montré dans l’article cité) : et dans ce plan, quand ils s’élèvent, ils peuvent obtenir une très grande force pour pénétrer dans le fond de la mer et les pattes des ancres peuvent se heurter à une très grande résistance du fond. C’est pourquoi, ensuite, pour rechercher la nature de la ligne du bras, je pense vraiment qu’il faut utiliser la position de l’ancre selon laquelle le plan de l’ancre est perpendiculaire au plan du fond de la mer ; et c’est cela que j’utiliserai. III Quand le plan de l’ancre est perpendiculaire au fond de la mer (parallèle à l’horizon, comme nous l’avons conçu) et quand le bout de la verge racle le fond lui-même, alors la force grâce à laquelle le bout de l’ancre est tiré par le câble de l’ancre, c’est-à-dire la force de traction, peut être considérée comme horizontale. Soit la ligne de section du fond de la mer TF (Fig. 23), soit l’essieu eg de la verge de l’ancre gBeD, le bout de l’ancre g, la ligne du bras eSD. Qu’on pose que l’angle egT formé par l’essieu de la verge eg avec la ligne horizontale TF au fond de la mer dans la mesure où est fiché le bras eSD, devienne ainsi plus petit ; et qu’on pose que le bout de la verge g ratisse toujours le fond TF. Et ces éléments ayant été posés, on pourra considérer la traction qui agit sur le bout de la verge, c’est-à-dire le bout g de l’ancre, comme une seule force, la même que celle dirigée selon TF. Je pense certainement que, dans la constitution d’une verge de ce genre, le mouvement reçu par la verge elle-même ne doit pas être décomposé en deux mais qu’il faut penser le mouvement total comme horizontal. Et en effet, si la lame (Fig. 24) ABg perpendiculaire à l’horizontale est tirée par une force V de telle sorte que son extrémité g soit toujours sur la ligne horizontale TF, le mouvement imprimé sur la lame elle-même sera considéré comme horizontal et ne doit pas être décomposé en deux mouvements, perpendiculaire et horizontal, chaque fois que la direction de la corde de traction gV est oblique. Et si on comprend la lame abg creusée, de sorte que sa partie gbes porte la verge de l’ancre et la partie bane, le bras de l’ancre, ni la nature du mouvement lui-même ne sera modifiée ni la décomposition en deux mouvements indiqués ne devra être enseignée. Donc la force de traction, par laquelle (Fig. 23) est traînée l’ancre gBeD, quand le bout g de l’ancre ratisse sans interruption la ligne TF, pourra être tenue comme une seule et même force dirigée selon TF. Et l’angle egT devenu plus petit ne gênera en rien la démonstration proposée.
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Fig. 76. – Ligne de section du fond de la mer TF, fig. 23, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Fig. 77. – Lames ABG et abg, fig. 24, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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IV Une fois posés les mêmes éléments que dans l’article précédent, on montre qu’il ne peut pas se produire qu’au moment où le bras de l’ancre se fiche, toutes les parties du bras reçoivent de la même façonle contact venu de forces agissantes. Ce que nous dirons de la ligne du bras, concerne également de façon assez manifeste le bras lui-même. Or, ici, au sujet de la ligne du bras proposée (la même que sur la figure 23) eSD, nous qui agissons, comprendrons que toutes les lignes adjacentes97 gs, gS, proviennent du point extrême g du bout et que la ligne des abscisses est la flèche RD du bras. D’autre part, que de la ligne adjacente gs (qu’on conçoit rencontrer98 la ligne TF), gS soit infiniment très proche et que du point S, soit menée la petite ligne SP perpendiculaire à sg : c’est pourquoi, la force gravitationnelle exercera une pression, selon la perpendiculaire PS à l’horizontale et la force de traction (qui, horizontale, a été définie dans l’article précédent) aura une action selon sP elle-même. C’est pourquoi, la force gravitationnelle et la force de traction, selon un mode déterminé, agiront sur les petites lignes PS, sP ; et la petite partie sS de la petite ligne du bras, suivant la même manière, recevra de ces deux forces le contact. Mais quand l’angle, compris entre l’essieu eg de la verge et TF, est rendu plus petit, alors la petite partie sS n’ayant pas été transportée selon une autre manière, est capable de subir le contact. Imaginons, en effet, que l’essieu ge tourne autour du point g, pour que la position du point lui-même soit gE, que la position du bras eD soit EO, et que la position de l’adjacente gs soit gu, que très proche de celle-ci soit menée la droite gV de telle sorte que uV = sS et que du point V soit menée Vn perpendiculaire à gu. Et désormais, cette Vn ne sera pas perpendiculaire à l’horizon ni l’horizontale un ; et pour cette raison, ces mêmes forces, l’une gravitationnelle perpendiculaire à l’horizontale, l’autre de traction horizontale, qui étaient dirigées selon les petites lignes PS et sP, auront respectivement des directions différentes de ces nV, un (comme on dit). Et la petite partie uV ne pourra pas recevoir le contact selon la même manière qu’elle le recevait, bien qu’elle occupât la position sS. Donc est avéré ce qui avait été proposé99.
97 Newton (Principia Mathematica, 1687) traduit l’adjectif latin applicatae par applied, soit appliqué. Le dictionnaire Calepino propose également pour synonymes d’applico, les verbes adjungo, annecto. L’adjectif « adjacent » rend compte de cette contiguïté des angles. 98 Congruere : rencontrer. 99 Constat id itaque, quod propositum erat. Cette formule ne laisse pas de rappeler le CQFD (« Ce Qu’il Fallait Démontrer ») des mathématiciens.
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V Pour la détermination de la figure de la ligne du bras de l’ancre, on propose un principe qui semble plus utile que tous les autres. Puisqu’il n’est pas possible qu’il arrive que n’importe quelle petite partie de la courbe (la même Fig. 23) eSD reçoive toujours un contact entier des forces agissantes, selon la même manière, il faut veiller que de même qu’a été choisie une position de l’ancre préférable, de même qu’également soit choisi un seul calcul (pour le principe servant à trouver une courbe) de l’appréhension des forces gravitationnelle et de traction, tel qu’il soit réputé plus utile que tous les autres. Une fois considérés les différents calculs et positions, que les petites parties sP, PS, sS peuvent occuper, à l’infini, sur des courbes variées, ce calcul enfin semble être plus performant que les autres, calcul duquel naîtrait la position constante de la courbe de toutes les petites parties sS en rapport avec ses ordonnées : ainsi, il arriverait facilement que toutes les petites parties de cette courbe touchant le fond TF et portant la pression de la partie de l’ancre qui dépasse, bougeraient d’une façon constante ; et cela toucherait chacune des petites parties séparément ; bien plus, l’une exercerait une tension sur l’autre de la même façon et la direction de celles-ci serait tout à fait régulière. Et sans doute, à cause des propriétés futures dans une courbe de ce genre, je pense qu’elle sera performante, c’est-à-dire une courbe telle qu’elle puisse le mieux convenir aux bras de l’ancre. VI Une fois le principe posé, qui a été établi dans l’article précédent, on détermine la ligne du bras de l’ancre (qui, nous le pensons, est plus performante et doit être utilisée). Soit, comme avant, la ligne TF de section du fond de la mer (Fig. 25), soit la ligne eg de l’essieu de la verge, qui serait aussi le rayon du cercle eGn, dont le centre serait le centre g de la courbe. Soit la flèche de la branche DR et eR la flèche inversée du bras. Soit la ligne courbe eSD de la branche et posons que celle-ci est une spirale logarithmique100. Il est désormais connu que cette courbe est dotée d’une propriété telle qu’avec toutes les lignes menées du centre g, elle comprenne les angles égaux entre eux. En outre, si on associe certaines petites parties infiniment petites et, sS de la même courbe vers lesquelles sont menées les lignes ge, gs depuis le centre g et que depuis
100 Spiralem logarithmicam : spirale logarithmique. Ce nom lui fut donné par Pierre Varignon mais porte aussi le nom de spirale équiangle, spirale de croissance. Jacob Bernoulli (1691) la nomme Spira mirabilis. Impressionné par ses propriétés d’invariance, Jacob Bernoulli (1654-1705) fit graver sur sa tombe à Bâle une spirale logarithmique accompagnée de l’inscription Eadem mutata resurgo (« Je renais changé à l’identique »). Le graveur s’est trompé et a gravé une spirale d’Archimède.
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Fig. 78. – Ligne TF de section du fond de la mer, fig. 25, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
le même centre g, dans les intervalles gS, gt, sont inscrits les arcs infiniment petits SP, to, les triangles différentiels SsP, teo seront semblables. Puisque donc la ligne du bras de l’ancre sera une spirale logarithmique, il s’ensuivra facilement qu’à n’importe quelle ordonnée gs coïncidant101 avec la ligne TF horizontale du fond de la mer, correspondra toujours la petite partie du bras qui, selon un angle constant, exerce une tension sur le fond de la mer. C’est pourquoi aussi il arrivera que les pressions des parties des ancres qui dépassent selon un certain calcul constant, agissent sur les parties situées en dessous, qui, dans une disposition régulière, s’adaptent et conviennent mutuellement et sont destinées à pénétrer plus facilement dans le fond de la mer. Mais la même inclinaison des petites parties de la courbe vers les rayons ferait davantage en sorte qu’elles soient idoines pour suivre la composition du mouvement à l’horizontal et perpendiculairement : c’est pourquoi, d’une meilleure manière, les petites parties se réfèrent à l’une des deux forces, tantôt de traction et tantôt gravitationnelle. Il ne m’échappe pas que le cercle aussi possède la propriété suivante : tous les rayons comprennent des angles égaux avec les petites parties correspondant à la circonférence ; bien plus, si les angles get, gsS deviennent droits, cette [spirale] logarithmique est transformée en cercle. Mais les parties de la circonférence du cercle, quand elles parviendraient à la ligne horizontale et formeraient des angles droits avec celle-ci, auraient une position adaptée certes pour recevoir les contacts de la force perpendiculaire et non pour recevoir celles découlant d’une force de traction : c’est 101 Congruit : « coïncide » ; je reprends ici la traduction par Mme Du Châtelet du verbe congruit employé par Newton (Philosophiae naturalis principia mathematica, 1726).
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pourquoi beaucoup plus convenables peuvent être les positions des parties de la spirale logarithmique dont les angles, puisqu’ils sont aigus102, l’emportent du fait que les effets de l’une et l’autre force peuvent plus facilement et plus utilement s’allier. VII Sur la construction la plus facile de la courbe déjà proposée dont dépend la figure du bras de l’ancre et sur l’établissement de sa tangente. Puisque je l’ai indiqué plus haut, il faut absolument veiller aussi à la commodité des artisans dans ces fabrications ; ici, je considèrerai que la description de la courbe proposée (bien que Transcendante103, comme on l’appelle) peut être très facile dans notre cas. En effet, cette courbe jouit de cette propriété (outre celles déjà indiquées) à savoir que, si n’importe quel arc eL du cercle (la même Fig. 25) eGN est coupé en deux en G, et si les rayons ge, gG, gL sont menés vers les points e, G, L et si dans les mêmes rayons, sont pris ge, gs, gD, touchant la spirale logarithmique esD, les trois rayons ge, gs, gD seront dans une proportion géométrique. C’est pourquoi comme dans notre cas, on donne toujours ge et gD, si l’angle egD est divisé en deux par la ligne gG et si de celle-ci est séparée la ligne gs moyenne proportionnelle entre ge et gD, le point s sera sur la spirale logarithmique. De cette manière, également, en divisant l’angle egG en deux, et l’angle GgL, on trouvera deux autres points de la courbe et ainsi de suite d’autres points autant qu’on voudra. Et on ne doit pas laisser de côté une autre propriété de la même courbe, qui est la suivante : si à partir de n’importe quel point s est menée la tangente sC et vers celle-ci, depuis le centre g, la perpendiculaire gC, le rapport entre sC et gC sera partout constant : ce qui facilement, d’après la similitude des triangles sSP, sCg, peut être déduit. Mais il importe à notre sujet qu’une fois donnés ge et gD (et ce qui suit, comme n’importe quel gs et arc eG lui correspondent) que ce rapport entre sC et gC soit entre sP et PS, puisse se trouver constant. On le trouvera par cette méthode que j’ai soumise. Que la ligne ge, c’est-à-dire le rayon, soit appelée r, que le complément Gs du rayon gG, soit appelé y, que l’arc eG soit appelé x. Alors que soit mené par le rayon gG, un autre rayon infiniment plus proche gK coupant la courbe en S ; et GK sera dx. Et quand au centre g, dans l’intervalle gS, est infiniment décrit un petit arc, l’arc SP sera sP, dy ;
102 Anguli acuti : angles aigus. Un angle aigu est un angle dont l’ouverture est comprise entre 0° et 90°. Un angle obtus est un angle dont l’ouverture est comprise entre 90° et 180°. 103 À l’article « Transcendant » de L’Encyclopédie, Jean le Rond d’Alembert donne cette définition en 1765 : « Géométrie transcendante, est le nom que l’on donne à la partie de la géométrie qui considère les propriétés des courbes de tous les ordres, et qui se sert pour découvrir ces propriétés de l’analyse la plus difficile, c’est-à-dire de calculs différentiel et intégral. Courbe transcendante, dans la sublime géométrie, est celle que l’on ne saurait déterminer par aucune équation algébrique, mais seulement par une équation transcendante. Ces courbes sont celles que M. Descartes, et plusieurs autres à son exemple, appellent courbes mécaniques, et qu’ils voudraient exclure de la géométrie ; mais Mrs Newton et Leibniz sont d’un autre sentiment. En effet, dans la construction des problèmes géométriques, une courbe ne doit point être préférée à une autre, en tant qu’elle est déterminée par une équation plus simple, mais en tant qu’elle est plus aisée à décrire. »
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c ha p i tr e x rdx − ydx et on aura gK(r) : gs (r-y) : : GK(dx) : SP (_ r ) . Maintenant que soit posé le rapport constant SP vers sP, le même que r vers n ; c’est pourquoi, on aura _ rdx − ydx : dy : : r : n ; r 3 rrdy rrdy y 2 dy _ y dy _ y 4 dy _ _ _ et ndx = r − y . Et si, r − y est converti en suite, la suite sera : rdy + ydy + + + 3 , etc. r rr r 2 3 _ y 4 _ y 5 et en intégrant l’équation proposée, on aura nx = ry + y_ 2 + y_ 3r + 4rr + 5r 3 , etc. Dans notre cas, n’importe quelle y ayant été posée104 (c’est-à-dire connue), puisque l’arc eG lui correspondant (par déjà la troisième rectification des arcs circulaires105) peut être pris en compte, de là, on pourra facilement trouver n également et particulièrement, ce rapport constant entre SP et sP ou entre gC et sC. C’est pourquoi si ge mesure 60 pouces, eR 12 pouces, RD 20 pouces (comme on le rapporte des mesures de la première ligne dans le tableau E), on découvrira que ce rapport entre gC et sC, dans des nombres ronds (comme on dit), est celui qui se trouve dans l’intervalle entre 100 et 36, c’est-à-dire entre 25 et 9. Et l’angle constant gsC, compris de n’importe quelle droite gs avec sa tangente SC en s, sera 70°12’. Et s’il est avéré que ge mesure 240 pouces, eR mesurera 34 pouces et 4 lignes, RD 80 pouces (selon les mesures indiquées sur la dernière ligne du tableau E), le rapport entre gC et sC exprimé en chiffres ronds, sera le même que 1 000 proportionnellement à 224 ou 125 proportionnellement à 28. Et l’angle constant gsC sera de 76°17. Il est donc clair que, pour différentes tailles d’ancres, d’autres proportions semblables, d’autres angles, pourraient être trouvés facilement et que cette partie concernant l’utilité de la figure du bras pourra être achevée. Puisqu’il en est ainsi, une fois le calcul fait des éléments qui, dans la recherche complexe et subtile de la ligne du bras de l’ancre, se présentent comme nombreux et enchevêtrés, je pense vraiment que pour obtenir une figure plus utile, les bras de l’ancre doivent être adaptés à un tracé de spirale logarithmique. Et, dans la section suivante, on exposera comment la figure de toute l’ancre est d’une grande utilité et quelle autre conséquence elle entraîne.
104 Assumpta : le verbe signifie « prendre » mais aussi « poser la mineure d’un syllogisme ». 105 Une courbe étant donnée par son équation y = f (x) dans un repère, rectifier cette courbe c’est déterminer la longueur de l’arc AM en fonction de l’abscisse x du point M. « Rectifier » vient du latin rectificare qui veut dire « rendre droit ». Cette dernière expression fait référence à la méthode utilisée qui consiste à trouver géométriquement un segment de droite de longueur égale à l’arc à mesurer.
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Quatrième section On rapporte la manière par laquelle la figure proposée de l’ancre peut servir à ce que l’ancre elle-même s’accroche mieux. Puis, on rassemble des éléments utiles pour réaliser la figure d’une ancre optimale. I On présente, pour notre sujet, les propriétés des tangentes de la courbe dont tantôt le câble de l’ancre, tantôt la chaîne de fer introduisent dans la figure, les directions produites des tractions qui en sont issues. Pour commencer, il est permis ici de savoir que, bien que les fibres des câbles de l’ancre ne soient pas parfaitement flexibles et puissent se distendre, bien que les câbles de l’ancre ne pendent pas librement, les câbles de l’ancre pourtant, pendant qu’ils sont tirés, forment néanmoins une espèce de courbe en cordelette. Or, il s’ensuit de là que l’usage des câbles d’ancre plus longs (quand c’est possible) est plus performant. En effet, depuis les tangentes menées depuis les points de cette courbe en cordelette, on détermine les directions des tractions ; et plus longs sont les câbles d’ancre (tous les autres étant égaux), plus le câble d’ancre tangent à la plus basse extrémité tend vers l’horizontale (quand la traction s’exerce) : et une traction de ce genre est plus utile pour que les ancres se fichent et s’agrippent. Ce que confirmeront assez bien mes prochains développements. Donc en ce qui concerne ces tangentes : soit la corde ACB (Fig. 26) (il faudra comprendre que les lettres qui concernent la corde seront les mêmes concernant la chaîne, dans la suite, sans interruption) telle qu’elle est soutenue par deux puissances A et B. Il est donc certain que le poids de la corde agit contre ces puissances de la même manière que si le poids P égal au poids de la corde était soutenu par deux fils AI et BI, dénués de gravité, qui toucheraient la courbe ACB formée par la corde sur les points A et C. De là, il faut déduire ceci : la direction de traction vis-à-vis de A suivra la ligne AI. Et, en conséquence, on devra évaluer les propriétés inhérentes à la ligne AI comme les propriétés de cette force par laquelle la gravité de la courbe ACB agira vis-à-vis du point A. Mais, par la suite, concevons (Fig. 27) que la ligne TF soit horizontale et que, de cette ligne, jamais ne sorte le centre du nœud C des trois cordes AC, BC, IC et imaginons qu’un poids P soit soutenu à l’aide des cordes AC et BC (dénuées de gravité, dont celle-là est sous la ligne horizontale et celle-ci au-dessus) par deux puissances appliquées aux extrémités A et B de celles-ci et que l’équilibre se fasse entre le poids et les puissances. Or ces faits, quand nous aurons conçu qu’ils sont ainsi, nous les comprendrons facilement à partir de ce qu’a déjà démontré, depuis longtemps, le très grand homme Pierre Varignon : qu’il arrivera que le poids P soit en rapport avec la puissance appliquée en B comme le sinus de l’angle ACB l’est avec le sinus de l’angle ACI. C’est pourquoi, il est manifeste qu’il faut qu’il arrive que, si le poids P croît, le sinus de l’angle ACB croisse aussi, angle qu’on pose obtus, et qui doit être diminué
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c ha p i tr e x Fig. 79. – Corde ACB, fig. 26, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Fig. 80. – Poids P soutenu par des cordes AC et BC, fig. 27, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
pour que son sinus augmente. Mais pendant que cet angle est réduit, l’angle TCA formé par la corde AC avec l’horizontale TC, diminuera. Donc les puissances restant les mêmes, plus le poids P sera grand, plus petite sera l’inclinaison de la corde AC sous l’horizontale TC en rapport avec la même TC et celle-là tendra davantage vers la position de celui-ci. Or, maintenant, posons d’abord (Fig. 26) qu’ACB est une corde en chanvre, imaginons ensuite que la chaîne en fer est très lourde. Dans le premier cas, le poids de la corde, soit le poids P, sera beaucoup plus petit que dans le second cas. Donc,
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dans le second cas (Fig. 27), AC qui peut être tenue pour une tangente de la chaîne, tend beaucoup plus vers l’horizontale. Et par voie de conséquence, dans ce cas, la direction de traction suivra une ligne susceptible de tendre beaucoup plus vers la position horizontale. II On propose ce qu’il faut ajouter à l’ancre, pour que sa figure soit parfaitement utile pour pénétrer et s’accrocher. Afin de ne pas m’égarer, tandis que je réfléchissais à parfaire l’usage des ancres, il m’a semblé bon de placer devant vos yeux les principes de ce genre : évidemment, le fond de la mer est mou ici, dur ailleurs ; pour stabiliser les navires, certains accessoires seront plus utiles quand le fond de la mer est mou mais d’autres le seront quand le fond de la mer est dur. Pourtant, il faut utiliser un seul type d’accessoires pour les deux types de fonds ; et il faut que ce type soit équipé de bras pointus, pour qu’ils puissent pénétrer assurément le fond dur ; il faut donc que seules les ancres, dont on a parlé, soient utilisées (je pense vraiment qu’un usage inutile suivra les modifications) et il faut chercher, à l’extérieur, de nouveaux autres moyens de rendre celles-là plus utiles. Et quand du moins la figure doit être rendue meilleure, sans être changée, il vaudra mieux l’accommoder à l’usage de la manière la plus adaptée possible. Mais je pense que nous pouvons poursuivre en nous donnant comme obligation que le bout de l’ancre et l’essieu en bois s’accrochent au fond, le plus possible. Ce que semblent subodorer les patrons de navire rompus au métier qui parfois, en nouant les extrémités de deux câbles d’ancres, rallongent le câble d’ancre : mais ceci n’est ni d’un grand secours ni dépourvu de risque. C’est pourquoi je voudrais qu’on ajoutât à chaque ancre, une chaîne en fer telle qu’elle soit fabriquée à la perfection pour cet usage. La chaîne, avec une griffe munie d’une vis ou avec quelque autre moyen facile, pourrait être tantôt attachée à l’organeau de l’ancre tantôt séparée de celui-ci pour que l’ancre, quand elle ne doit pas être jetée, soit traînée plus aisément. Je voudrais que la longueur de la chaîne soit le double de la longueur de l’essieu de la verge et que le poids de la chaîne soit égal au tiers du poids de l’ancre entière. Ainsi, assurément, la traction du câble d’ancre, tant qu’il sera pendu pour soulever la chaîne, perdrait une partie de son élan (pour ainsi dire) et, parce qu’elle agit fortement dans ce but, la traction que la chaîne exercera, conservera beaucoup plus la position horizontale (comme on l’a démontré dans un article précédent). Ce qui pourra assurément se produire quand on trouve le rapport entre la gravité du fer106 immergé dans l’eau et la gravité de la corde en chanvre (de masse égale), égal à 24 pour 1 et plus grand encore, une fois fait le calcul non seulement des éléments qui 106 « Un objet sans mouvement par rapport à l’eau de mer dans laquelle il est immergé est soumis à 3 forces : 1. son poids qui est dû à la pesanteur sur sa masse. Il est appliqué au centre de gravité CG. 2. la poussée d’Archimède qui est égale au poids du volume d’eau déplacé par le corps et qui est appliquée au centre de carène CC. 3. une troisième force f qui permet au corps de rester en équilibre. Elle
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ont été évoqués au sujet de la gravité du câble d’ancre en chanvre dans l’eau (Sect. II, 5), mais aussi de la gravité spécifique du fer, C’est pourquoi, il arrivera ainsi que les ancres labourent (comme on dit) plus difficilement et, qu’elles bougent plus difficilement ; et ce qui est tout à fait requis de deux pour un, produira une figure d’ancre optimale augmentée aussi de l’aide de la chaîne. Et après cela, inutile d’ajouter que les chaînes ne seront pas endommagées par les fonds rocheux marins, rugueux et raboteux, par lesquels les câbles d’ancre sont fortement usés par le frottement (bien qu’on utilise des précautions connues). III On fait la synthèse des éléments utiles pour rendre la figure de l’ancre optimale. C’est pourquoi de tous les éléments exposés jusqu’à présent, j’en déduirai aussitôt ceci : la figure des ancres à deux têtes, approuvée par le calcul et la pratique assurée d’un usage très ancien, doit être considérée par nous comme plus performante par rapport à toutes les autres. Il faut que les figures des ancres soient adaptées aux poids des mêmes ancres par des règles plus sûres, que j’ai enseignées, pour que les ancres elles-mêmes soient peu solides à leur fabrication. Il faut être attentif à la force exercée par les ancres retenant les navires, force que j’ai examinée scrupuleusement, pour expliquer le mouvement véritable et assez fréquent des ancres (produit pendant que les ancres sont immergées), une fois cela expliqué, on peut savoir plus clairement ce qui est nécessaire aux figures d’ancre et plus utile, et ce qui est en usage : que la figure du bras de l’ancre (qui est la principale partie de l’ancre) doit être déterminée au moyen du nouvel usage de la ligne que j’ai exposée et dont j’ai montré combien elle se révélait très utile par la nature de la tâche proposée et par la géométrie ellemême ; que justement doivent être secondées par l’adjonction d’une chaîne, tantôt la force gravitationnelle tantôt la direction de traction107 grâce auxquelles les ancres deviennent plus puissantes pour pénétrer et s’accrocher ; dont aussi, on achève en quelque sorte complètement la figure de l’ancre elle-même. C’est pourquoi, je juge que c’est sur ces points que repose le modèle d’une figure optimale par laquelle les ancres peuvent être formées.
compense la flottabilité du corps ou son poids dans l’eau. » J. P. Girardot, Mouillages – Techniques des mouillages utilisées en océanographie, UBO, 2001, disponible sur www-connexe.univ-brest.fr/lpo/ mouillages, p. 6. 107 « S’il y a un courant de vitesse V par rapport à l’objet, il apparaît une nouvelle force F qui s’ajoute aux forces vues précédemment. Cette force dont la direction est quelconque se décompose en une force verticale P appelée portance et une force horizontale F’. F’ se décompose à son tour dans le plan horizontal en une force D normale à V qui s’appelle la force de dérive et une force T qui a la même direction que la vitesse V. Elle est appelée la force de traînée ». Girardot, 2001, p. 6.
De la technique plus performante pour forger les ancres Qu’ici une ancre forgée retienne nos navires Il ne manquera sans doute personne pour penser, en voyant la question proposée, de prime abord (comme on dit), qu’au sujet de la technique de fabrication des ancres, il ne reste rien de très nouveau ni de très utile à suggérer, puisque la manière de travailler le fer et de le forger par le feu et le marteau est connue par une longue pratique, et qu’il semble qu’outre ce moyen, on ne puisse en trouver un nouvel autre. Mais on se tromperait lourdement comme si la perfection des choses ne devait pas davantage nous exciter que la nouveauté. Assurément, il ne faut pas moins être attentif à celle-là qu’à celle-ci. Et (comme un très grand homme, éloquent et né pour éclairer de la lumière la plus vive les questions de physique, nous l’enseigna108), bien que celles-ci qui, en tant que dernières réalisations accomplies, suscitent sur ces questions l’admiration des hommes, la plupart du temps, elles entraînent moins les esprits que les premières inventions d’objets auxquels la nouveauté habituellement confère la plus grande valeur. Celles-là, cependant, pour cette raison, ne doivent pas être considérées comme moins utiles et bénéfiques que celles-ci et parfois même les réalisations sont plus difficiles car elles sont moins remarquables du fait de leur propre nature. Et si je pouvais, par l’intelligence et le travail, résoudre le problème comme je connais parfaitement sa valeur et son utilité ! Essayons pourtant.
108 Poleni fait-il allusion à un de ses premiers maîtres du collège de Santa Maria della Salute où il suivit des études mêlant les humanités au droit sous la direction du père somasque Francesco Caro et assista aux cours de dessin, peinture, prospective, architecture civile et militaire du peintre Giuseppe Marcati ? Ou bien le marquis évoque-t-il ses échanges intellectuels dès 1710 (Giovanni Poleni a 27 ans) avec Jacob Hermann ou Nicolas Bernoulli ?
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Première section Des éléments requis pour perfectionner la manière habituelle de fabriquer des ancres I Des premières manières pour forger le fer et ensuite de celles qui conviennent au modèle proposé. Pour démarrer notre sujet avec les premières techniques qui sont utilisées dans la préparation du fer, il faut savoir d’abord que la veine crue du fer constituée de plusieurs parties, les unes de terre, les autres de soufre, les unes de sel, les autres de fer, est d’abord brûlée et est ainsi préparée à un feu qui la liquéfie (comme on dit). Ensuite, cette même veine est fluidifiée dans le four et fondue ; puis, les parties métalliques, par la force gravitationnelle essentiellement, séparées et amenées dans de grands moules, une fois trempées109, adoptent la figure des mêmes moules. Et un fer de ce genre ne pourrait pas être travaillé au marteau. Donc il devient liquide une autre fois et est recuit, mais aussitôt, après la deuxième cuisson, cette masse blanche, grande et incandescente, est martelée par un marteau très lourd (qui est actionné à l’aide d’une roue mue par l’eau), alors sous le marteau lui-même, on la coupe en cinq, six morceaux ou plus qui, une nouvelle fois passés au feu, sont frappés, un par un, et étirés en bâtons, en pointes, en lames, et de cette façon, le fer, par la force du feu et des coups, est rendu ductile et (comme certains le disent habituellement) malléable. Et de ces éléments, il apparaît facilement qu’une forme peut être assignée au fer de deux manières : par la fusion évidemment et par le marteau. D’où il arrive que quelques accessoires en fer, dont le modèle est celui de machines de guerre110, sont réalisés avec du fer coulé dans un four ; mais d’autres sont élaborés par passage au feu. Mais les premiers accessoires de ce genre sont très durs et ceux susceptibles assurément de se rompre ne peuvent ni se travailler au marteau ni être forgés. Donc en ce qui concerne notre sujet, ce n’est assurément pas de cette première manière reposant sur la fusion que nous devons forger les verges ou les bras des ancres. Par conséquent, il faut employer une autre manière, certainement par le travail au feu. Il ne m’échappe pas qu’on doive donner un troisième genre d’art pour perfectionner des ouvrages également exécutés en fer coulé ou fondu et qui naissent d’un fer travaillé à l’aide du marteau, de la lime et de vieilles techniques. Nous devons, ma foi, cette invention au très célèbre Réaumur, homme renommé au plus haut point dans le domaine des sciences et des beaux-arts, qui a décrit ce nouvel art dans son excellent livre Sur la conversion du fer en acier. Mais cet art est appliqué à des objets
109 Je reprends pour refrigeratae (refroidies) le terme d’une étape de la forge : la trempe. 110 Tormenta bellica : machines de guerre à lancer les traits, reposant sur le principe de détente de cordes préalablement tordues indique le Gaffiot. Le dictionnaire de Calepino ne mentionne que le sens figuré de tourment, torture, supplice, géhenne.
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petits et fins et non à de très grands et très solides ouvrages, du genre des objets que nous proposons. Plus tard, si on considère les éléments présentés plus haut, on comprendra en même temps, aussi, pourquoi, en vue de l’objectif établi, notre travail devra être entrepris évidemment, pour utiliser un métal de la meilleure qualité, pour le travailler avec très peu de difficulté et exécuter des ancres sans aucun défaut. Mais à présent, venons-en à la première étape, c’est-à-dire à l’examen du métal à utiliser. II De la parfaite connaissance de la nature variée du fer. Le fer, né de mines de fer variées, est varié. Et le fer varié provient des moyens variés (dans diverses régions) de brûler, de liquéfier et de cuire la veine du fer ; de ce fait, ici, il est considéré plus dur, ailleurs moins dur (« mou », dit-on), et ailleurs encore, il est comme d’une nature intermédiaire. Le fer dur est plus lourd que le fer mou : le fer dur, si une force suffisante exerce une pression sur lui, se casse ; le fer mou est plus résistant et se courbe ; le fer dur souvent se brise d’un coup et le fer mou, peu à peu, se courbe. Le fer dur se chauffe à blanc et brûle plus facilement et plus rapidement que le mou. Et à partir de ces éléments, on peut se faire une idée du fer de nature intermédiaire. Si le fer est impur, il sera d’autant plus mauvais qu’il aura plus de métal hétérogène : à cause de cela, la nature de la mine dont on doit employer le fer, doit être connue. Or, la caractéristique du fer peut être examinée et mise à l’essai de plusieurs manières ; sur ces dernières, Cl. Emmanuel Swedenbourg vient d’écrire abondamment. En effet, on examine le fer, avec une inspection attentive de la surface du fer lui-même, car une surface plus lisse constitue un meilleur indice qu’une surface rugueuse ou remplie de fissures et de fentes. On met à l’essai un bâton en fer en l’insérant dans le trou d’un corps résistant (par exemple un mur en pierre), et en le courbant et en l’incurvant, puis, on lui fait retrouver la ligne droite ; alors, on le fléchit plus ou moins une autre fois, afin de rechercher les indices de la résistance souhaitée. On met à l’essai le fer par percussions et en fonction de l’évaluation par laquelle soit il se brise, soit il résiste, on porte un jugement sur sa fragilité ou sa résistance. Nous pouvons utiliser les débris du fer en morceaux pour examiner la surface des éclats cassés et avec soin, on observe dans ces mêmes éclats, les figures des particules apparentes, leur épaisseur et leurs dispositions. La série achevée de ces observations, remarquablement expliquée, Réaumur les a illustrées par des schémas, dans son ouvrage dont j’ai déjà fait l’éloge. Mais en outre, il y a encore des gens pour entreprendre des expériences, en chauffant du fer et en observant comment il résiste au marteau, quelles étincelles ou limailles111
111 « Les morceaux de fer détachés qu’on soude ensemble pour en faire une grosse masse », s’appellent des mises. Le laitier désigne « les scories de fer à demi vitrifiées qui nagent sur le métal dans les grands fourneaux. » Réaumur, 1764, p. 53.
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il rejette, quelles écailles et peuvent être tirées de lui de quelle manière112. Et il n’est pas permis d’oublier ici de fournir quelques baguettes en fer dans les cassures desquelles apparaissent toutes les variétés de fer113. Et en tout cela (comme évoqué précédemment), il faut qu’il soit expert, celui qui veut accéder à une connaissance de la technique la plus performante pour fabriquer des ancres. III Sur le soudage. Par ce terme de soudage, j’entends l’opération des artisans, par laquelle deux pièces de fer chauffées à blanc, sous les coups des marteaux, se joignent et se consolident pour qu’un fer unique soit formé. Et bien que cette opération requière souvent une espèce de substance à souder, tandis qu’elle serait sous l’action d’un marteau et d’un coup, elle doit être appelée apparemment soudage. De cette manière, le terme « ferruminare » peut se dire facilement en français « Souder ». Mais il faut opérer avec application, précisément et scrupuleusement, dans le soudage de fers de grande masse, comme dans le cas de l’ancre proposée par notre sujet. Si un fer dur doit être soudé avec un fer mou, le fer dur doit être moins enflammé que le mou. Et si cela n’est pas observé avec grand soin, les deux parties à souder ne vont pas se lier solidement. Et il ne faut pas oublier pendant que la masse114 formée de fer dur et mou est travaillée au marteau, qu’il arrive que le fer mou est davantage étiré que le fer dur. Il faut que les deux parties à souder, soient formées selon la figure de coins115 (ou très peu différente de ceux-ci) ; et chacune des deux en même temps (c’est-à-dire l’une posée sur l’autre) doit former une masse plus épaisse que celle qui est requise pour qu’ensuite, la masse soit amenée à l’épaisseur requise par la force des coups de marteau et par la consolidation. Les uns voudraient que ces coins soient plus longs, les autres plus courts mais, d’après la théorie, il est enseigné que le collage (pour 112 « Si on ôte au fer ordinaire une partie de ses soufres, et de ses sels, il redevient plus doux : c’est l’effet d’un recuit qui n’a pas été long. Mais pousse-t-on le recuit trop loin, on enlève trop de ces mêmes matières au fer ; ses parties ne tiennent plus ensemble, il est dans le cas du fer qui aurait été brûlé à la forge, ou des écailles qui se détachent de dessus le fer pendant qu’on le bat sur l’enclume. Si les parties métalliques sont mêlées avec une trop grande quantité de soufres et de sels, il est roide et cassant : mais s’il a trop peu de ces matières, ses parties ne tiennent plus ensemble, elles se détachent par feuilles minces, par écailles et par grains ; la surface de toute barre chauffée et forgée, nous fournit presque toujours des exemples de ce premier état, et le fer chauffé vivement réduit en safran de Mars, nous fournit des exemples du second. » Réaumur, 1722, p. 525. 113 Réaumur dans son ouvrage (1722, p. 529) produit une planche exposant les cassures de baguettes adoucies dont on observe la couleur des grains (blancs, bruns, noirs) et du cordon afin d’évaluer la qualité. 114 Massa ex ferro duro. 115 « Amorcer un morceau de fer : quelques-uns disent Émorcer : c’est l’aplatir par un de ses bouts comme un coin ; il faut amorcer les mises, les bras, & généralement toutes les pièces qu’on veut souder. » Réaumur, 1722, p. 51.
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ainsi dire) des deux parties soit plus solide si la surface collée est plus grande ; de bien nombreuses expériences ajoutent de la force à la théorie. Si d’autres artisans nous contredisent, il faudra croire qu’ils ont eu l’habitude d’utiliser des coins plus petits et qu’ils se rangent à cette opinion (à laquelle adhèrent un très grand nombre d’artisans), qu’ils pensent, qu’il ne faut pas faire ce qui est proposé par d’autres, en mieux, mais faire ce qu’eux-mêmes ont eu l’habitude de faire. D’autre part, il faut prendre bien garde à ne pas utiliser, dans la forge, un feu trop excessif ou trop faible116, mais il faut veiller à ce que soit appliqué au fer ce degré de chaleur que requièrent sa nature et la pratique. Il faut prendre garde, de même, à ce que, tant qu’une partie du fer brûle dans la forge, les parties les plus proches de celle-ci (ce qui arrive parfois) ne soient pas endommagées par le feu ni rendues plus fragiles. Il faut prendre garde à la croûte dont parfois se couvre le fer en chauffant et qui empêche une consolidation adaptée117 ; c’est pourquoi, il faut les enlever pour qu’un fer pur passé au feu, soit posé sur du fer pur passé au feu. Il faut prendre garde à ce que le sablon, qui est utilisé dans les soudages, ne soit de piètre qualité mais qu’il soit choisi de la meilleure qualité, et j’ai appris d’un artisan très habile118 qu’il lui avait été souvent très utile de mélanger avec ce même sablon des coquilles d’œuf pulvérisées119 et du sel marin. En vérité, tous ces éléments qui ont été évoqués au sujet du soudage, si on les observe très scrupuleusement, seront d’une grande aide pour parvenir à une manière plus sûre de fabriquer des ancres. IV Pour former les parties solides et robustes de l’ancre. Puisque les verges et les bras des ancres, s’il est impossible de les fondre (comme on l’a démontré dans un article précédent), ne peuvent pas être forgés à partir d’une seule masse de fer, de fait, une fois convenablement consolidés à partir de plusieurs bâtons (comme on les appelle) et lames en fer, ils doivent se coller120. On utilise la plupart du temps des bâtons en forme de parallélépipède (Fig. I. A) et le côté de 116 « Donner une chaude, est tenir le fer au feu, jusqu’à ce qu’il ait pris assez de chaleur pour être forgé ou soudé. On dit que pour faire une bonne soudure, il faut donner au fer une chaude suante, c’est-à-dire, qu’il commence à fondre. » Réaumur, 1722, p. 52. 117 « Ouvrer, en terme de forgeron, est corroyer le fer. Un fer bien ouvré & qui n’est point brûlé, est doux & liant. » Réaumur, 1722, p. 53. 118 Giovanni Poleni possédait son forgeron attitré. 119 « Les pierres calcaires sont celles qui par la calcination se réduisent en chaux : la castine est une pierre calcaire qui se charge des soufres de la mine pour aider à la formation des scories. » Réaumur, 1722, p. 52. 120 Dans son Traité complet de mécanique appliquée aux arts, contenant l’exposition méthodique des théories et des expériences les plus utiles pour diriger le choix, l’invention, la construction et l’emploi de toutes les espèces de machines, J. A. Borgnis évoque en 1818 la méthode consistant à « composer la verge et les bras entièrement de fer doux par réunion de plusieurs barres de fer, dont on forme des paquets de dimensions convenables ; on les lie avec des bandes de fer, et on le soude ensemble à l’aide de la percussion et du chauffage ». § 817, p. 279.
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Fig. 81. – Figures parallélépipèdes, fig. I A et B, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
leur base carrée est égal à un pouce et demi ou deux pouces environ. De même, les figures parallélépipèdes (Fig. I. B) sont des lames dont la base est un rectangle. Un côté de la base de celui-ci est la plupart du temps égal à un pouce ¾ mais l’autre côté n’a aucune mesure définie précise : ainsi, certaines lames sont larges d’un ½ pied, d’autres sont moins larges et d’autres encore plus larges. Certains bâtons sont choisis (plus ou moins nombreux selon la taille de l’ancre) en fer dur et assez pur, et d’autres, en même nombre, sont choisis en fer mou ; et par soudage, ces bâtons se collent en se mélangeant, si bien que composés en un paquet unique121, ils sont transformés en une seule et même masse, longue des 2/3 de la future verge. Mais dans cette extrémité, à laquelle doivent se rejoindre les bras, la masse est plus épaisse que dans l’autre. Or les épaisseurs peuvent se déterminer par ce rapport équivalant (environ) à 4 sur 5 de sorte que (environ) de même que le diamètre du bout de la verge est proportionnel au diamètre de celui-là même, un peu au-dessus de la jonction avec les bras eux-mêmes : et là où la verge et les bras se rejoignent, il faut aussi que la verge soit plus épaisse. Et comme cette masse, si les ancres ne sont pas petites, selon la longueur, se termine par quatre faces presque plates, deux de celles-ci, qui évidemment sont parallèles au plan mené par les bras, sont couvertes par des lames en fer (une lame pour chacune) qui ne sont pas en fer mou mais en fer moins dur. Pendant qu’on remue cette masse couverte d’une lame forgée par le feu, il faut veiller à ce que les côtés libres de cette lame soient placés vers le feu plus vif, c’est-à-dire plus bas, pour que la force du feu
121 « La méthode du soudage des paquets, par la percussion à bras, est plus coûteuse que l’autre, et donne aussi des produits moins parfaits ; aussi, elle a été presque généralement abandonnée, et on n’en conserve encore l’usage que dans un petit nombre de ports. Par cette méthode, on ne soude que les barres, extérieures qui forment alors une espèce d’étui dans lequel les barres centrales sont renfermées ; au contraire, le soudage effectué par les gros marteaux est complet et parvient jusqu’au centre même du paquet. Il en résulte que le services des ancres forgées à bras n’est ni aussi sûr, ni aussi long que celui des ancres qui ont été soumises à l’action puissante des gros marteaux mécaniques ; car il arrive souvent que la rouille, après avoir usé la surface soudée, ouvre des routes à l’eau pour pénétrer dans l’intérieur de la verge, et y exercer son action destructive. » Borgnis, 1818, § 819, p. 280.
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pénètre plus fortement. Et si quelques corpuscules étrangers se trouvaient dans la masse elle-même, il est ensuite plus facile quand les lames sont forgées122, de pouvoir les extraire. De la même manière, on fabrique la partie restante de la verge ; alors, l’une et l’autre partie se rejoignent et sont soudées, la verge ainsi est considérée comme entière. Cependant, il vaudrait mieux que toute la verge soit formée en même temps et je Fig. 82. – Partie du bras aenc et bec ncb voudrais qu’il arrive qu’elle ne se lie pas retenant la patte, fig.2, Dissertations aux deux parties. Je vois assurément que latines sur les ancres : la figure des ancres, les masses en fer plus grandes peuvent se Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont travailler plus difficilement pour être élaremporté les prix de l’Académie Royale borées mais j’évoquerai ce sujet à l’article des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public suivant et une fois cette difficulté levée, Domain Mark 1.0. la verge fabriquée sera certainement plus solide sans cette jonction. Je voudrais aussi, si les bâtons ou les lames ne sont pas d’une longueur nécessaire, que les jonctions de celles-là ou de celles-ci soient soudées de telle sorte qu’on les reporte aux différentes parties de la verge. Et les bras sont réalisés presque selon la même technique ; qu’aux extrémités des parties d’eux-mêmes, on soude les pattes, qui, devant être consolidées plus efficacement, seront utilement retenues par les bras, à la façon d’un bec. Comme il est possible de le voir sur la figure (Fig. 2) dans laquelle aenc est la partie du bras, ab est la partie de la patte et ncb, le bec retenant la patte. C’est pourquoi de ces éléments qui ont été jusqu’à présent transmis au sujet des parties de l’ancre, je pense qu’il ne faut rien laisser de côté, afin que ces mêmes parties se réalisent presque complètement. V Sur les parties de l’ancre à combiner entre elles et fermement consolidées pour que l’ancre entière soit parfaitement formée. Trois parties doivent être consolidées, les deux bras et la verge : cette opération est d’une très grande importance et est très difficile. Pour qu’elle puisse se réaliser complètement en sécurité, je voudrais assurément que l’extrémité SPR (Fig. 3) de la verge EP soit étirée en quelque sorte en deux ailes a, z devant être jointes aux bouts des bras et je voudrais de la même façon que l’extrémité XZ du bras soit séparée en deux ailes e, u dont e serait fermement consolidée avec le bout opposé du bras, et u rejoindrait la verge elle-même, de la même manière. Il serait bon que les deux parties
122 Cuduntur : sont forgées.
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devant être jointes non seulement avec un marteau mais aussi avec une lime, soient élaborées de façon à qu’elles puissent parfaitement s’adapter. Il est démontré par la théorie et il est confirmé par la pratique constante que les deux masses en fer, chauffées à blanc destinées à être soudées, se rejoignent et se consolident d’autant mieux qu’elles sont battues avec des marteaux plus lourds. Quant au marteau qui peut être manié par un seul homme, à supposer qu’il soit très lourd, néanmoins il n’excédera pas 40 livres. En outre, il faudrait prévoir que les parties destinées à être rendues solides soient frappées avec un marteau énorme et qu’au-dessus de l’enclume, les parties elles-mêmes puissent être remuées sans difficulté et amenées à volonté sous le marteau. C’est pourquoi je voudrais que le marteau, qui pèserait au moins 300 livres, s’adapte à l’extrémité d’une poutrelle longue de 8 pieds environ et que celle-ci, à peu près en son milieu, soit munie de deux gonds, soutenus par une machine appropriée, autour desquels elle pourrait se mouvoir très librement et qu’à l’autre extrémité de la poutrelle elle-même (si le mouvement de la machine n’était pas convenablement donné par le cours de l’eau), les cordes pendent pour que, par la traction de celles-ci, le marteau s’élève Fig. 83. – Extrémité SPR de la verge EP, pour frapper le fer posé sur l’enclume. Et fig. 3, Dissertations latines sur les ancres : sous le même marteau, il faudrait préparer la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil les parties à consolider, convenablement des pièces qui ont remporté les prix de et de façon appropriée, comme le requiert l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, une meilleure conformation de l’ouvrage. 1732-1737. Public Domain Mark 1.0. Pour obtenir cela, je voudrais utiliser cette machine qui a été inventée pour soulever des poids (la grue est appelée par quelques-uns : le Gruau123), bien et commodément posée en un lieu ; je voudrais que le bout de la corde soit passé dans 123 En français dans le texte.
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un grand croc en fer, dans lequel on introduirait la verge de l’ancre près de la partie qui serait le centre de gravité de la masse de fer à remuer. Je voudrais aussi qu’à l’extrémité de la verge (Fig. 3) EP se rejoignent trois bâtons en fer (une fois l’ouvrage achevé, destinés à être détachés et séparés), pas très épais BA, CD, EF, longs de trois ou quatre pieds. Ainsi, il arriverait que, grâce au gruau un petit peu remué, on ait besoin, de toute manière, de trois hommes placés aux extrémités A, D, F qui pourraient très rapidement adapter la partie à consolider sur l’enclume. Or, il faut veiller très précisément à ce que plusieurs lames de fer soient convenablement superposées aux extrémités désormais soudées de ces trois parties et avec ces mêmes parties, ces nouvelles lames seront soudées convenablement et solidement pour qu’enfin, à partir des parties extrêmes des bras et de la verge et de ces lames adjointes, on forme un seul et même corps très solide. Mais je n’approuverais pas qu’un trou soit fait près de l’extrémité P. Quoiqu’en effet, par celui-ci, l’orin le traversant soit au moins attaché commodément, et que cette même corde puisse alors être utilisée convenablement quand la plus petite ancre est adjointe à la maîtresse-ancre afin que celle-là (comme on dit) ne laboure pas, ce trou cependant n’est guère satisfaisant parce que je pense que rien ne doit être tenté qui pourrait affaiblir cette partie de quelque manière. Et toutes ces choses, comme je pense, conduiraient à parfaire la technique de la fabrication des ancres.
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Deuxième section On propose une nouvelle division des parties de l’ancre et un nouvel arrangement. I Pourquoi une division des parties de l’ancre, en vue de rendre plus commode la structure des mêmes ancres, peut être performante. Quand je propose la division des parties, en aucune façon, je n’entends qu’on en fasse plusieurs d’une seule, comme pensait pouvoir le faire un homme très savant et en même temps, grand expert dans la technique des machines, Claude Perrault qui pensait (comme on peut le voir, dans son livre, sur les Machines) que, d’une seule partie, on pouvait en faire en quelque sorte deux et qui fut d’avis que la verge AB de l’ancre (Fig. 5) se divise en deux branches BP, BP pourvues d’organeaux P, P ; pendant que le câble d’ancre passé à travers les organeaux exerçait une traction sur elles, ces branches se courbant et cédant presque, la puissance de traction du câble d’ancre en était diminuée.
Fig. 84. – Branches BP, BP et organeaux P, P, fig. 5, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Mais moi, en proposant une division des parties, j’entends absolument que deux ou trois parties des ancres soient fabriquées avec art, séparément, mais d’une telle manière que celles-ci puissent sans aucun soudage s’adapter ensuite entre elles, et
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se rejoindre aussi fermement que si toutes les jointures de l’ancre entière avaient été consolidées à l’aide d’une soudure. En outre, ce qui crée le plus grand problème dans les grandes ancres à forger, c’est la difficulté liée à la figure de cette machine et au poids tellement énorme à tirer : en observant les multiples tâches des artisans frappant les grandes ancres, j’en ai eu une bonne connaissance. Et en effet, (pendant que la verge doit être consolidée avec les bras), cette machine n’est pas apte à être frappée ni à être soumise aux marteaux en chaque partie et il n’est pas donné aux artisans eux-mêmes d’opérer commodément de façon égale, sur toutes les parties, comme ils le voudraient. C’est pourquoi, souvent, les défauts de l’ouvrage sont la conséquence de la difficulté de l’opération. Donc je juge qu’ôter cette importante difficulté revient presque à fournir une manière pour réaliser la fabrication des ancres. Mais je pense pouvoir ôter cette difficulté en composant des ancres à partir de deux ou trois parties fabriquées séparément. C’est pourquoi je vais m’engager dans l’explication que j’ai méditée à ce sujet. II On explique que les ancres peuvent être composées de trois parties fabriquées séparément. Aux parties de la verge et des bras qui sont destinées à figurer un nœud, soit une crosse, une figure de ce genre doit être attribuée qui, pour rendre la connexion plus solide, puisse avoir une action de première importance. Donc pour exposer la figure que je pense devoir attribuer à la verge, je pose (Fig. 6) que PC est la verge dont la partie sznc, au niveau du nœud, serait de l’épaisseur habituelle et se terminerait par quatre surfaces plates : je nommerai sh la face de la verge opposée à celle-là, de même que j’appellerai nch les côtés de la verge et la face opposée à celle-ci. Mais que la partie immédiatement supérieure HsenK soit plus épaisse que cette partie sznc, dans laquelle deux encoches st, nr soient incisées, sur les côtés. Que l’extrémité de la verge mCx soit de même épaisseur que l’extrémité de la partie supérieure stern et qu’elle ait une figure de ce genre, de sorte qu’à la même extrémité supérieure, on fasse l’encoche szhi dans laquelle on pourrait insérer l’aile du bras et l’encoche ihcn, dans laquelle pourrait être insérée la partie extrême du bras et autant d’autres encoches pour des parties opposées ; u sera le trou par lequel on puisse faire passer un clou pas épais. Mais pour ce qui concerne les bras, je voudrais que la partie du bras (Fig. 7) nHD, munie de sa patte GD, soit pourvue de cette figure de bras, plus commode, sur laquelle je me suis longuement étendu à un autre moment124 : mais outre la partie ga, qui doit parfaitement cadrer avec le côté de la verge, je voudrais que le bras soit mené en avant comme une sorte d’aile nsEF, destinée à s’adapter en partie à la face de la verge en partie à l’autre bras. C’est pourquoi le bras près de gn doit être fait plus
124 Voir « La Figure optimale selon laquelle les ancres peuvent être formées », 2e section, partie VI, « Sur la proportion des parties des ancres, composant une figure entière. »
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Fig. 85. – Partie du bras nHD, munie de sa patte GD, fig. 7, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 17321737. Public Domain Mark 1.0.
Fig. 86. – Verge PC et bras munis d’ailes BKIsn, DHGdb, fig.8, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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épais pour que l’aile, tout effort de traction adapté à la verge, soit aussi épaisse qu’est épais le bras, dans une forme habituelle. Mais que la partie restante de la même aile, devant être jointe avec l’autre bras selon la forme d’un coin, soit rendue plus mince. Vers n et vers s, je voudrais voir dépasser le bras et l’aile et que deux becs s, n, pour ainsi dire, soient réalisés ; u sera le trou égal au trou u de la verge. D’autre part, la 8e figure représente les parties déjà décrites, adaptées et liées entre elles : certainement, la verge PC et les bras munis d’ailes BKIsn, DHGdb et ceux-ci doivent être comme insérés au niveau de leurs ailes, dans les encoches de la verge. Apparaissent sur la même figure, les insertions des becs s, n dans la partie de la verge ter. Apparaissent les deux lames Rb, qd qui enserrent les ailes et qui, étant en fer forgé, peuvent facilement envelopper ces mêmes ailes. J’ai observé comment peuvent être parfaitement construites autour les jonctions des becs des ancres munies de quatre becs : u est le clou reliant les ailes et la verge (en vue de ménager une plus grande solidité) ; mCx est l’extrémité de la verge fermant et corroborant125 (pour ainsi dire) le système technique complet. C’est pourquoi, une fois la théorie décrite jusque-là, les ancres seront construites plus facilement, à ce que je crois, puisqu’on évitera le plus grand défaut inhérent au soudage de la crosse, et les parties beaucoup plus facilement élaborées, en raison de la jonction, (et en conséquence, mieux parachevées) pourront rendre le nœud plus fort que si on avait eu besoin d’une soudure pour les unir. Quand une partie sera abîmée, elle pourra être réparée beaucoup plus rapidement grâce à un désassemblage facile et un nouvel arrangement de l’ancre entière. Le nœud sera plus lourd et sera utile à la pression de l’ancre. Et les parties résisteront davantage puisque la poussée créant la force des nœuds, exercera une pression sur plusieurs parties et n’agira pas contre l’angle compris entre la verge et l’angle, comme elle agit souvent suivant la figure habituelle. III De l’arrangement des ancres en deux parties fabriquées séparément. Ce que nous avons exposé à l’article précédent, simplifie ce que nous devons à présent proposer. Donc, comme auparavant, que PC soit (Fig. 9) la verge dans laquelle, à l’endroit où devait se faire le nœud, soit creusé un grand trou aL, qui a une ouverture en forme de quadrilatère et terminée, à l’intérieur, par des surfaces plates. À cette ouverture, que soient des parois tz, es adjacentes (pour ainsi dire), très épaisses et équivalentes à l’épaisseur des ancres habituelles au niveau du nœud. Et que la verge se termine en deux pointes Cm, Cx longues du quart de l’unique futur bras et telles que le rapporte la figure elle-même. Et il ne sera pas très difficile de fabriquer ces parties-ci puisque les bâtons et les lames dont est composée la verge (comme on l’a démontré ailleurs), non réunis là où est le trou et tordus et ayant fait le tour à l’extrémité, peuvent fournir la matière à cet ouvrage destiné à être fabriqué solidement ; uu sont deux petits trous par lesquels on peut faire passer deux clous.
125 Noter le sens métaphorique de l’adjectif roborans (renforçant, rendant roboratif).
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Fig. 87. – Verge PC terminée en deux pointes Cm, Cx, fig.9, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Fig. 88. – Deux bras BRFqD, fig.10, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
BRFqD (Fig. 10) sont deux bras qui, ensemble, forment une partie unique et solide de l’ancre ; uu sont deux encoches destinées à recevoir les arêtes126 des clous, comme on le dira plus bas.
126 Dorsa : arêtes, dos.
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Fig. 89. – Verge PC avec deux bras BRqD, fig.11, Dissertations latines sur les ancres : la figure des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
La 11e figure montre précisément ces parties étroitement réunies. Dans le trou aL de la verge PC sont introduits les deux bras BRqD, solidement reliés à la verge elle-même à l’aide des deux clous uu qui compriment les encoches indiquées un peu plus haut et ainsi, les mêmes bras sont comprimés contre les pointes Cm, Cx. Mais les pattes de l’ancre, achevée de cette manière, seront jointes à l’aide d’une simple technique, avec des clous.
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Or, si on considère cela, on comprendra en même temps aussi (je crois) que les avantages proposés à la fin de l’article précédent, concernent aussi cette manière de fabrication de l’ancre. Mais du moins, cette utilité (à considérer avec sérieux) sera d’autant plus grande qu’elle fait diminuer le risque (risque très souvent fatal pour les ancres) que les bras de l’ancre, quand ceux-ci sont reliés à la verge, se cassent. En effet, si nous posons que la patte fixe du bras sD est attachée et si nous concevons facilement que ce solide assemblage PesD de la verge et du bras est un levier, et que de ce levier-ci, il y a comme deux supports, le clou e et le pic x de la pointe Cx, la force appliquée sur P aura certes une valeur moins grande pour mettre en pièces127 le bras en s où celui-là rejoint la verge. C’est pourquoi je conclurai qu’il me semble que, par ces techniques-ci, la fabrication proposée de l’ancre peut être considérée comme plus facile et plus sûre.
127 Disfringendum = diffringendum : mettre en pièces, briser.
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La meilleure manière d’éprouver les forces des ancres, soit leur résistance Qu’ici une ancre sûre retienne nos navires De même que nul homme, doté de sagesse, ne conteste que soient très utiles des règles bien prévues et scrupuleusement établies pour tracer au mieux les figures des ancres et pour démontrer une fabrication plus adaptée de ces mêmes ancres, de même aussi cet homme avouera que les épreuves128 seront très utiles pour envisager si les ancres fabriquées correspondent à ces règles, si elles sont pourvues de la résistance due. Je le dirai en un mot : la résolution du problème proposé est si importante qu’elle garantit que seule l’ancre soit en danger, plutôt que le navire dans son ensemble avec l’ancre et ceux qui naviguent. Celui quel qu’il soit qui songe à cela seul, saura facilement (si je ne me trompe pas du tout au tout) que non seulement la sagesse de ceux qui ont posé le problème excelle, mais aussi que très lourd est le poids de ce problème et digne de tous les soins. C’est pourquoi, même moi je m’engagerai volontiers dans cette entreprise et, dans cette dissertation divisée en deux parties, j’exposerai d’abord les épreuves à mettre en œuvre sans machines, ensuite celles à mettre en œuvre avec l’aide de machines.
128 Poleni utilise le terme experimentum.
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Première section De celles qui concernent le problème proposé, et ne requièrent cependant le développement d’aucune machine. I Des inflexions violentes et des ruptures de parties d’ancres. Pourquoi les ancres se tordent et se brisent ? Il y a, le plus souvent, deux causes qui se conjuguent : une cause interne (pour ainsi dire), une autre externe. Traitons d’abord de la première129. Il est avéré par la pratique que des corps solides sont constitués par nature de telle sorte que leurs fibres parfois ont quelque chose d’hétérogène, comme on dit, et maintiennent leur cohésion avec des forces inégales. D’autre part, il n’est pas rare que cette inégalité augmente si l’art a manqué dans les mêmes corps. Si beaucoup de petites fibres de fer sont plus relâchées, et capables d’un excès d’extension, les parties de l’ancre se tordent et fléchissent sous un poids assez léger. Mais les ancres se rompent quand le fer est impur et trop infesté de corpuscules étrangers, quand entre les lames de fer et les parties dont l’ancre a été formée par des soudages, quelques petites anfractuosités internes sont restées, quand le fer à l’intérieur a perdu sa solidité, ou qu’il est arrivé quelque chose de similaire. Et assurément j’ai observé certaines parties semblables pour ainsi dire à du sable, des fissures, parfois mêmes des creux, en diverses parties brisées des ancres, que j’ai vues. À partir de là, il est manifeste que ni la cohésion de leurs bases n’a été intacte, ni les petites fibres dans le matériau n’ont été toutes faites de la façon que les petites fibres elles-mêmes puissent être étendues et allongées également avant d’être rompues, la cause en est que la cohésion des bases intactes et la disposition égale des petites fibres (avant rupture) pour l’extension sont deux principes de grande importance, comme assurément l’ont remarqué Mariotte, Varignon et d’autres qui, récemment, ont, avec grand mérite, expliqué la théorie de la résistance des solides. Mais déjà, poursuivant en direction des causes qui agissent en externe, nous considérerons qu’il peut se produire alors surtout que les ancres soient endommagées quand leurs bras sont fermement fichés dans les trous et les anfractuosités d’un fond rocheux et qu’elles ne peuvent céder en aucune façon. Si, en effet, le navire est agité assez violemment par des vents forts, la violence de la traction de l’ancre peut faire en sorte que les parties de l’ancre fléchissent, si elles sont constituées de fer mou, ou qu’elles se rompent de divers côtés si elles sont constituées de fer plus dur. Puisque d’autre part, dans la constitution d’une ancre de cette sorte, la verge est pour ainsi 129 Dans son Mémoire sur les différens efforts (SHD-Marine, Brest, f.°43), l’officier Deslonchamps identifia trois types de tension s’exerçant sur les ancres mais seulement deux méthodes pour les éprouver : « For the first type of stress, it is sufficient to lift both the large and the small anchors by the anchor ring to a height of five or six feet, using a crane, and to let them drop onto a hard or flat bottom comprised of old cannons and stonework. » Orain et Laubé, 2016, p. 33.
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dire le levier, faisant violence aux bras, pour cette raison les bras sont davantage soumis aux dommages et assurément près des pattes, car celles-ci résistent, et près des angles de la crosse, là où d’abord l’effort de la verge s’exerce. Parfois même la verge est endommagée, à un tiers presque de distance sous le bout, la plupart du temps là où ont été réunies les parties jumelles de la verge, quand la verge a été formée. Pour le reste, ailleurs aussi les ancres peuvent se briser, si ailleurs130 leurs parties internes sont faibles, en raison des défauts dont il a été question un peu auparavant. II Une fois remarqués les faits dont on a parlé dans l’article précédent, on explique ce que la manière d’éprouver les ancres, par sa nature même, doit rapporter. Pour qu’un danger naisse des forces et de la résistance des ancres, il faut appliquer quelque force violente sur elles, force similaire à celle que, en raison des causes externes déjà évoquées, les ancres elles-mêmes peuvent supporter à l’usage, de telle façon qu’on distingue si les ancres quelque part souffrent de ces défauts, que nous avons déjà rapportés à des causes internes liées à leur structure défectueuse. Mais on doit considérer avec attention qu’il faut veiller assurément à ce que les défauts des ancres soient découverts, là où ils sont en elles ; mais dans le même temps il faut prendre garde à ce que même les ancres qui sont dépourvues de défauts, ne soient fracassées par une violence extrême. Bien plus, il faut utiliser ce nombre d’essais par lesquels les ancres puissent assurément montrer leur robustesse et ne pas être, d’autre part, endommagées à la suite d’une violence extrême. Et c’est en cette précaution d’essais (comme je le pense), que réside le point capital de notre propos. III On indique des manières primordiales pour vérifier la robustesse des ancres. Si différentes parties des ancres étaient frappées au marteau, on pourrait se faire quelque idée de leur solidité d’après le son. De même, à la suite d’une mesure très scrupuleuse des parties comparée au poids, on pourrait tirer quelque conjecture de la densité du fer de la même ancre. De même à la suite d’une inspection attentive des surfaces de l’ancre même, si par la propre nature du fer, des signes apparaissent de polissage étendu ou inégal. On pourrait vérifier la dureté du fer avec une lime. C’est pourquoi par ces moyens et par d’autres semblables, on pourrait, pour ainsi dire, dépister certains indices de la robustesse des ancres. Mais il est assez manifeste en soi que ces conjectures faites séparément soit à partir du son soit à partir de la mesure et du poids, soit à partir de l’inspection des surfaces, soit à partir de quelque autre des essais de ce genre, sont des conjectures incertaines 130 Poleni réalise bien la répétition de alibi (ailleurs).
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et ambiguës : cependant si parmi celles-ci plusieurs ensemble sont convergentes, fournissant chacune les mêmes indices soit positifs soit négatifs, le jugement qui en serait tiré ne serait pas pour cette raison incertain et ambigu. IV On présente une mise à l’épreuve des ancres, par un choc né d’une chute. Par percussion, (comme on a l’habitude de le faire chez les Bataves131) nous pouvons éprouver la résistance d’une ancre, en veillant à ce que l’ancre en tombant d’un lieu élevé heurte une barre de fer très épaisse placée dessous, posée transversalement, ou une lame de fer très épaisse. En effet, il deviendra probant que la structure de cette ancre est exempte de défauts et que ses parties sont assez solides, si, à la suite de cette violente collision, l’ancre n’a subi aucun dommage132. C’est pourquoi l’usage de la percussion (dont la force peut être limitée et définie d’après la théorie connue de la poussée) semble devoir être placé parmi les essais utiles. Si cependant, on considère avec soin les positions des centres de gravité dans les bras des ancres et si l’on prend en compte que la force gravitationnelle est réputée habituellement établie, pour ainsi dire, dans les centres mêmes, il ne faudra 131 A. Orain et S. Laubé commentent cette méthode hollandaise présentée par Poleni : « While Poleni considers this method to have its place ‘among the useful tests’, he specifies that, given the centre of gravity of the anchor during its fall (its middle), no stress is exerted on the palms at the ends of the arms, which are therefore not tested. He suggests improving this method by attaching, to each of the palms, a weight equivalent to one-sixteenth of the overall weight of the anchor, so that the centres of gravity of the arms would be displaced towards the ends. The anchor would still fall straight, on its head, but in this way, when it struck the iron bar, the arms would suffer a shock due to the additional weight on the palms. This would allow for seeing whether one or other arm would break in the middle, between the throat and the palms. It is unclear, however, how this modification of the testing protocol would have been representative of an actual impact or stress on the anchor at sea. Rather, what is perfectly clear is that Poleni still had the same idea in mind : it was not the fragility of the throat that he was interested in testing, but rather the strength of the iron bars used in the manufacture of the anchor. While he was obviously familiar with the ‘Dutch’ method, Poleni thus comes across as being rather unaware of the major point of stress, i. e., the weld between the shank and the arms. Moreover, it would seem that the modification he proposed to test no.1 was not adopted since we have found no trace of it anywhere (either in manuscripts or published works). » Orain et Laubé, 2016, p. 256. 132 Pour Réaumur, la méthode hollandaise doit être rejetée : « Avant de confier le salut d’un Navire à un ancre, on l’éprouve ordinairement. On a deux manières différentes de faire cette épreuve dont la première devrait être entièrement rejeté en quoiqu’on y ait quelquefois recours dans nos Ports, & que plusieurs gens dignes de foi m’ayant assuré l’avoir vu pratiquer en Hollande. Pour cette espèce d’épreuve, on fait un lit de vieux canons ou d’autres gros morceaux de fer arrangés les uns auprès des autres. Près de ce lit, on place une grue de 30 à 40 pieds de haut : on élève l’ancre à essayer au haut de la grue, & on la laisse tomber tout d’un coup sur cette couche de ferraille. Elle est jugée bonne si elle résiste à cette épreuve, & mauvaise si elle se casse. À vrai dire, le jugement qu’on en porte est fort incertain : une mauvaise ancre peut résister si la percussion tombe sur les parties les plus fortes ; & la percussion peut être telle, qu’elle brisera une partie bien fabriquée & construite dans les proportions. Ce n’est point par une espèce de percussion pareille que le vaisseau agit contre l’ancre, il faut essayer sa force de la manière dont elle a à l’exercer. » Réaumur, 1764, p. 50.
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pas dissimuler que la résistance des ancres qui est testée par des épreuves de ce genre est considérée comme un peu moins vérifiée. Néanmoins, celles-ci (pour devenir plus sûres) pourraient être secondées, si était joint aux deux pattes de l’ancre et était relié quelque poids extérieur équivalent, par exemple la seizième partie du poids entier de l’ancre (1/16) : car ils pousseraient les centres de gravité des bras, déplacés en quelque sorte vers les extrémités de ceux-ci, de la manière qu’on pourrait porter un jugement avec un calcul plus sûr qu’on ne le pense à propos de la résistance des ancres aux forces qui tentent de les fléchir ou de les briser. Mais, avant de terminer cette section, j’ajouterai qu’un autre essai parfois est préconisé pour vérifier si la patte de l’ancre sera apte à se retourner en direction du fond et à y mordre. Sur la surface polie, l’ancre est retenue de telle façon que l’extrémité d’une seule de ses pattes et l’extrémité de l’essieu de bois ensemble atteignent cette surface ; c’est alors qu’on permet à l’ancre de bouger : et si la rotation de l’ancre sur elle-même décrit un cercle, cette rotation est l’indice de la perfection de sa figure. Je parlerai cependant franchement et librement : cette perfection peut être reconnue par un examen attentif de la figure des parties d’une ancre donnée et par la considération scrupuleuse de leur proportion, mieux assurément que par l’épreuve.
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Deuxième section On propose et explique l’usage de machines dans la mise au point d’épreuves à propos de la force et de la résistance des ancres. I Sur l’estimation et la détermination à volonté de la quantité de la première force qu’il faut appliquer à une machine donnée. Je craignais jadis que les épreuves qui éprouvent la force et la violence des machines, puissent parfois avoir trop de valeur, jusqu’au jour sans doute où il arrive qu’on emploie la force à laquelle même les meilleures ancres ne pourraient résister facilement. Et à partir de là mon avis était que la détermination de la quantité des forces à employer soit toujours douteuse et incertaine pour instituer des épreuves sur les ancres à l’aide de machines133. Mais le jour suivant est l’élève du précédent : ensuite j’ai changé d’avis jusqu’au point de réfléchir à la manière pertinente d’estimer les forces qu’un homme pourrait dépenser pour créer un mouvement à l’aide d’une machine. J’ai établi en effet que dans les épreuves (dont on doit traiter), le premier principe du mouvement doit être procuré par application d’un homme à une machine. D’autre part pour estimer la force de cet homme, l’augmenter et la diminuer, j’ai cru pouvoir réaliser ce montage technique que je vais exposer. Soient deux supports (Fig. 1) ACD, BEG, par les trous u et t desquels une tige arrondie St puisse tourner librement ; que son essieu concorde avec l’essieu d’un cylindre TZN. Soit ae une première roue telle qu’elle doit être employée dans une machine idoine pour tenter les épreuves des ancres. Mais (grâce à une comparaison plus facile avec le cylindre TZN), imaginons que cette roue soit adaptée à la tige proposée et que son essieu passe par le centre de celle-ci. 133 « La troisième question proposée par l’Académie, était la meilleure manière d’éprouver les ancres : elle ne fut satisfaite d’aucune des pièces qu’on lui envoya ; et elle partagea la troisième partie du prix entre M. Daniel Bernoulli, et M. le marquis Poleni, dont les pièces contenaient d’ailleurs d’excellentes choses. » L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1751. Arnaud Orain et Sylvain Laubé mentionnent le relatif désintérêt de l’Académie Royale des Sciences de Paris à l’égard de la question de l’épreuve des ancres. « While Trésaguet did not refer to the subject, Jean Bernoulli adopted much too abstract a stance, coupled with only a very brief description of the test he suggested. Poleni mentioned the ‘Dutch’ method, but without referring to the ‘bed of old cannons’ found in the manuscripts and all of the literature on the subject since at least the beginning of the century. Worse, the modification he proposed did not really cover the stresses actually exerted on the anchors. His aim, rather, was to test the strength of iron bars in general. In fact, only Daniel Bernoulli seems to have understood the major problem in anchor proof testing, i. e., the strength of the welds on the arms and the shank. He did not, however, discuss the problem associated with the fall of the anchor and did not propose a calibrated test protocol. In the same way, his decision not to attach one arm of the anchor but rather to pull the anchor for it to ground itself in the sand, while no doubt more representative of actual conditions at sea, nevertheless reflects a certain naivety as regards the test itself. Indeed, it was not at all certain that the arm would hold in the sand, and it is doubtful that Daniel Bernoulli himself actually conducted this test. » Orain et Laubé, 2016, p. 256.
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Fig. 90. – Machine pour éprouver les ancres avec cylindre TZN, fig.1, Dissertations latines sur les ancres : l’épreuve des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Au cylindre TZN qu’on conçoive un câble gd attaché, auquel est suspendu un poids P. Que les diamètres de la roue et du cylindre soient d’une grandeur telle que les actions des roues dentées et du poids tirant soient produits à un intervalle égal par l’essieu de la tige, comme si les forces étaient appliquées aux extrémités des rayons semblables et égaux d’un vindas134. Que l’extrémité de la tige s’achève dans un épais parallélépipède qR, perforé en son centre de sorte que dans le trou soit introduit une poignée135 XFm, formant un 134 Axis in peritrochio : vindas. Le mot περιτρόχιον désigne chez Pappus (Math. 8, 482) le trou dans lequel tourne l’essieu d’une roue. Voir Traité sur le cabestan. 135 Manubrio : poignée, manche.
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angle droit en F à l’extrémité duquel la main V d’un homme doit s’appliquer. Enfin, n est une petite vis par laquelle est serrée la poignée de telle sorte que sa longueur nF soit celle (à volonté) qui soit requise. Ce montage technique est rapporté à la roue ae proposée. Quant à sa force, elle part de la force appliquée à V. Et la force appliquée à V est estimée d’après le poids P. Si la longueur du bras nF doit être constante, qu’on augmente ou qu’on diminue le poids P, jusqu’à ce qu’il s’obtienne un équilibre entre lui et la force appliquée à V : ainsi le poids P sera la mesure de cette même force V. Quand on a besoin que la roue ae, par la main d’un homme, c’est-à-dire de la force appliquée à V, reçoive une quantité déterminée de force correspondant à un poids donné P, alors à l’aide de la vis n, on serre le bras selon cette longueur nF, qui lui est propre, pour que la force appliquée à V soit équivalente à la force du poids P. Ainsi, la machine proposée ayant été mise au point136, nous serons libres d’estimer les forces appliquées à V et de pouvoir appliquer la quantité déterminée de la force première dont nous avons besoin. II Sur la machine composée de roues, apte à bien éprouver la robustesse des ancres. Il est si assuré, je le pense, que la force d’une ancre ne peut se faire si ne sont pas fichées fermement et l’ancre et la machine produisant la force, qu’on n’a absolument pas à le démontrer. C’est pourquoi j’imaginerai qu’une machine soit fixée à un mur très solide, ainsi qu’une ancre. Mais sur un pavement solide également, ce que je vais proposer (avec peu de changements) pourrait facilement réussir. Ainsi, soit un mur (Fig. 2) A BC D, et que sortant de celui-ci soient saillants deux (ou plusieurs) tenons de fer EF dont les crampons, pour ainsi dire, soient assez solidement maintenus à l’intérieur du mur pour que, sous la violence de la machine, leur résistance ne puisse être ni entamée ni vaincue d’aucune manière. Qu’une barre137 de fer épaisse, dont on doit faire l’épreuve, soit insérée entre ces deux tenons E et F, pour une partie, mais dans l’autre partie qu’elle soit comprise par le bout recourbé d’une règle de fer IKML. Que cette règle dentée se meuve horizontalement aux dents
136 « Pour faire cette autre épreuve, on enfonce un pieu ou une poutre dans la terre, on accroche le bras de l’ancre à ce fort pieu, & on met un cordage dans l’organeau de l’ancre. Par le moyen d’un cabestan, on tire ce cordage jusqu’à le casser, si l’on veut ; d’où il est clair que si le cordage est de la grosseur ou de la force de celui qui doit tenir l’ancre dans la mer, l’ancre a soutenu dans cette position la plus grande résistance qu’elle ait à soutenir : je dis dans cette position ; car celle où on l’a mise n’est peutêtre pas celle où certaines parties de l’ancre fatiguent le plus. Pour faire cette épreuve d’une manière encore plus sûre, il faudrait placer l’ancre à peu près comme elle l’est dans la mer, & lui donner des appuis fixes en différents endroits de son bras ; ce qui serait en faisant entrer la patte dans un trou creusé en terre auprès duquel une grosse poutre, stablement arrêtée, serait aussi engagée en terre ; la poutre serait le point fixe qui arrêterait le bras : enfin, l’essai fait sur un bras ne conclut rien pour l’autre. » Réaumur, op. cit., p. 30. 137 Baculus : barre.
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Fig. 91. – Roues dentées NP et QR, fig.2, Dissertations latines sur les ancres : l’épreuve des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
du tympan nm. Que l’essieu de ce tympan soit le même que celui de la roue NP. Que s’insèrent dans la partie supérieure de la roue dentée NP, les dents du tympan ec. Ce tympan est dans le même essieu que la roue dentée QR qui s’engrène dans les dents du tympan gh. Mais qu’on conçoive que l’essieu de cette roue de tympan gh ait été muni d’une poignée dont la technique est la même que la technique de la poignée (Fig. 1) xRFm, décrite dans le paragraphe précédent.
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Après cela, il vaut mieux considérer que le tympan gh (Fig. 2), qui est le dernier dans la construction proposée, peut être uni à l’essieu de la roue opposée et que celle-ci peut se mouvoir par un autre tympan qui serait le dernier ; et que, par le même procédé absolument, il a été donné d’augmenter le nombre de tympans et de roues ; et, par conséquent, d’augmenter à volonté les forces des machines. D’autre part, la règle de fer dentée proposée ainsi que les roues et les tympans doivent être d’une épaisseur et d’une solidité assez grandes pour que, tandis que la machine est en action, ces parties ne puissent ni s’incurver ni descendre ni sortir de leurs logements ni être abîmées ni se briser sous l’action violente de la machine. Il faut entendre la même chose non seulement des parties destinées à contenir les essieux des roues, des tympans et des cylindres mais aussi de toutes les autres parties par lesquelles la machine tout entière a été montée par assemblages (avec les techniques habituelles) et ajustements. Je le dirai en un mot : la machine doit être si solide et si robuste qu’elle-même assurément (si une force appliquée à la poignée était possible) pourrait incurver ou briser le fer GH mais ne pourrait pas subir elle-même de dommage. Et puisque j’ai déjà démontré dans le chapitre précédent, la technique conduisant à connaître la quantité de la première force qui est dépensée tandis qu’un effet, à l’aide de la machine composée de roues, est engendré, maintenant je voudrais que cette machine une fois utilisée, soient déterminées les diverses premières forces expressément nécessaires pour faire fléchir des barres de fer ayant des épaisseurs diverses ou pour les mettre en pièces. Je voudrais, grâce à un exemple, une barre de fer donnée, en forme de parallélépipède, dont le côté de la base carrée soit d’un pouce, et cette même barre ayant été établie entre F, E et KI, je voudrais, dis-je, qu’on détermine une première force nécessaire, pour infléchir ce fer ou le mettre en pièces : je l’appellerai première force d’un pouce. Ainsi, cela posé, si l’on décide, pour une ancre donnée, de mettre à l’épreuve l’un de ses bras, placé entre F, E, et KI, dont la plus petite épaisseur de bras corresponde à un pouce carré, que soit appliquée, en proportion de la première force, une force un peu plus petite que cette première force d’un pouce (celle dont on vient de parler). Et si le bras résiste, bientôt on aura une preuve par le test de la solide constitution de cette partie de l’ancre. En outre, quelle que soit l’ancre donnée, toujours la force déterminée à l’aide de l’une de ces épreuves qui ont été indiquées un peu plus haut ou à l’aide d’une épreuve nouvelle, fournira à suffisance la manière de tester et la verge et les bras de cette ancre donnée. Et ainsi, si ces parties résistent fermement, la solidité de l’ancre elle-même sera tenue pour parfaitement testée par l’épreuve. Je n’en ajouterai pas plus : est connu en effet ce qui regarde les parties de la machine proposée. Mais puisque leur usage et l’estimation de leurs forces sont faciles, pour cette raison, ces parties ont été tenues clairement par moi comme très utiles ; de sorte que jointes à la technique transmise par moi de la première force à estimer, elles sont transmises à cette nouvelle machine proposée.
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III Sur une machine extrêmement simple pour distinguer les forces de résistance des ancres par les épreuves. Ceux qui ont moins de savoir se délectent des mystères, c’est-à-dire qu’ils font plus grand cas de techniques plus compliquées. Mais une machine simple, en ce dernier lieu, est assurément proposée par moi, volontiers, puisqu’elle est présentée au jugement des Sages pour lesquels les choses de ce genre se recommandent de la simplicité même138. La première partie, par laquelle je commencerai, sera un support (Fig. 3) ABCDEF dont la construction peut varier à volonté, en fonction du résultat et en fonction de l’opportunité du lieu (comme en employant de grands pieux de fer introduits à l’horizontal au pied d’un mur très épais ou fichés dans quelque fondation), pourvu cependant que le support lui-même soit très solide, surtout quand dépassent les parties EF dans lesquelles doivent être insérés les gonds ns. Ces gonds doivent être adaptés très solidement à l’extrémité d’une poutrelle a b longue d’au moins 12 pieds, de sorte que la poutrelle elle-même, avec leur aide, puisse tourner librement, et que l’on puisse concevoir que son essieu, ne sortant jamais d’un seul et même plan vertical, décrive un cercle, d’une certaine façon, dans le même plan. Qu’un marteau eq, tout à fait semblable à ceux qui sont mus par le courant de l’eau dans les ateliers de forge, là où sont les mines, très grand (par exemple un marteau qui pèse 500 livres ou plus), soit fiché sur cette poutrelle mais qu’il puisse cependant en direction de ses deux extrémités a ou bien b coulisser à volonté (ce qui permet de modifier la distance aR), et que celle-ci quand elle a été déterminée, puisse être établie avec grand soin, à l’endroit où se trouve le marteau, grâce à un coin de fer suspendu en R. Je voudrais qu’on place sous lui des barres variées l’une après l’autre, soit des parallélépipèdes de fer variés, par exemple HL, et que ceux-ci soient posés sur des supports très solides GI, MN, de sorte qu’il n’y ait rien à P, sous le fer HL, où le coup doit être porté à ce même fer. Il arrivera par trois moyens que l’effet de la percussion soit plus grand ou plus petit : assurément quand la distance aR aura été augmentée ou diminuée ; quand le marteau aura été élevé à une hauteur plus grande ou moindre ; et enfin quand les supports auront été éloignés ou rapprochés l’un de l’autre. Cette facilité de positions variées doit être assurément très utile et tout à fait commode. 138 Duhamel du Monceau présente ainsi la machine de Deslonchamps : « Ayant à éprouver l’ancre A, on enlaçait les bras B par les pilots C ; on tirait l’ancre obliquement par le cabestan F & le pieu E ; par l’application oblique des forces, on faisait en même temps souffrir des efforts à la verge & aux deux bras ; mais si on voulait augmenter ces efforts jusqu’à rompre le cordage, il fallait ne le pas rendre capable d’une trop grande résistance. Car un effort qu’on multiplie tant qu’on veut, peut être poussé au point de tout rompre. Je voudrais donc ne mettre au cabestan que le nombre d’hommes qu’on emploie ordinairement pour lever une ancre qui est bien prise dans un terrain ; car si dans ce cas l’ancre résiste, elle doit être jugée bonne, quoique le câble n’ait pas rompu ; d’ailleurs si on allait toujours jusqu’à rompre le câble, les épreuves coûteraient beaucoup. » Duhamel du Monceau , ibid., p. 31, Pl. VI, fig. 26.
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Fig. 92. – Support ABCDEF avec gonds ns, fig.3, Dissertations latines sur les ancres : l’épreuve des ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Peuvent être connues en effet et la distance aR et la distance entre les supports et la hauteur à laquelle il faut élever le marteau pour qu’en premier lieu (je le dirai ainsi) le fer HL soit infléchi ou mis en pièces : donc si un tant soit peu on diminue ou l’une ou l’autre de ces distances ou cette hauteur, jusqu’au point où il ne se courbe pas davantage ou que ce même fer ne se rompt pas, on aura alors une mesure déterminée et éprouvée pour tester les parties des ancres de la même manière et pour porter un jugement sur ces mêmes parties et cela par les raisonnements qui ont été exposés dans le second paragraphe et qui peuvent être maintenant facilement rapportées à celui-ci. Ainsi, avec une machine très simple et (si je ne me trompe pas lourdement) assez sûre, il aura été donné d’éprouver les forces des ancres c’est-à-dire leur résistance : chose assurément que je pense être requise pour parachever la proposition de cette dissertation. Fin Fin de toutes les pièces qui ont remporté les prix de l’année 1737.
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Fig. 93. – Planche 1 des Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 94. – Planche 2 des Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 95. – Planche 3 des Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 96. – Planche 4 des Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 97. – Planche 5 des Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 98. – Planche 6 des Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 99. – Planche 7 des Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 100. – Planche 8 des Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Fig. 101. – Planche 9 des Dissertations latines sur les ancres, Poleni, 1737. Recueil des pièces qui ont remporté les prix de l’Académie Royale des Sciences, Tome 3, 1732-1737. Public Domain Mark 1.0.
Troisième traité De Ergatae Navalis praestabiliore, facilioreque Usu, Dissertatio (1741)
Chapitre xi
Présentation
Pour remonter l’ancre d’un navire important, la puissance du cabestan est indispensable. Lors de la visite du roi Jacques II d’Angleterre à l’Observatoire, en 1690, Cassini rapporte que, dans la salle des machines où se trouvaient des modèles de cabestans, « Sa Majesté parla des conditions qu’ils doivent avoir afin que la force des hommes y soit bien appliquée, et de quelle manière elle le savait faire dans les flottes qu’elle avait accommandées, où il y avait eu souvent des hommes tués par la mauvaise construction de ces instruments1. » Poleni réfléchit à la question du cabestan depuis 1738 comme il l’écrit Dortous de Mairan : Cette année j’avais rassemblé beaucoup d’éléments dans mes Adversaires [= dissertations conradictoires] sur l’explication du problème des cabestans, devant être utilisés dans les bateaux ; mais diverses occupations et le temps me firent défaut ; et je n’ai pu ni utiliser ni compiler commodément les choses que j’avais recueillies. Je te prie à nouveau instamment d’utiliser mon travail, si celui-ci peut t’être utile en quelque chose. Je te salue2. L’Académie Royale des Sciences de Paris, lors de la séance de proclamation des résultats du concours sur les ancres (séance du 4 mars 1737), souligne la nécessité de réfléchir aux dysfonctionnements du cabestan. En 1739, le sujet du concours Rouillé de Meslay fut arrêté par Maurepas. Fontenelle évoqua la descente de la tournevire puis énonça le sujet : « … la meilleure construction du cabestan, ou telle autre machine équivalente par rapport à tous les usages auxquels on l’applique dans un navire… pour éviter tout ou en partie les inconvénients mentionnez ci-dessus. » De façon éloquente, le chanoine Fesnel3 qui ne reçut qu’un accessit pour ce sujet, débuta sa réponse par : « Il
1 Cité par Daffos-Diogo H., op. cit., p. 39. 2 « Hoc anno multa conieceram in mea Adversoria, ut versaret in enodatione Problematis de Ergatis, in navibus adhibendis ; sed variae occupationes, tempusque me fefellerunt ; neque ea, quae collegeram, expendere et digerere opportune potui. Te enixe iterum rogo, ut, si qua in re inservire Tibi possim, utaris opera mea. Vale. » G. Poleni à Mairan, Padoue, III. Kal. Nov. 1738. Ver., Bibl. Civ., 3096 E, f.°407-408. 3 L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot et D’Alembert, analyse l’impact des prix de l’Académie Royale des Sciences en ces termes : « Cela n’empêche pas néanmoins, comme l’Académie l’observe, que ces pieces, sur-tout les quatre pieces couronnées, & parmi les accessit, celle de M. l’abbé Fesnel, aujourd’hui de l’Académie des Belles-lettres, ne contiennent d’excellentes choses, principalement par rapport à la théorie. » Le chanoine de Sens, l’abbé Fesnel fait l’application des principes de l’hélice à l’enroulement des cordes sur un treuil et propose une machine nouvelle pour joindre invinciblement le cabestan de l’ancre avec le cordage du cabestan et pour éviter de se servir des garcettes. Dans la
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faut l’avouer ingénument, voilà un des plus difficiles problèmes qui ait jamais été posé. » Parmi les 21 réponses proposées pour le sujet de 1739, aucune réponse n’est retenue par le jury. Aussi le sujet est-il proposé deux ans plus tard et record abolu dans l’histoire du Prix Rouillé de Meslay, 34 réponses furent apportées. Le prix double de 4 000 £ est collégial car partagé entre Jean Bernoulli (fils), le marquis de Poleni, Ludot (avocat au parlement) et un auteur anonyme. Un accessit a été attribué à de Pontis (officier des galères, correspondant de l’Académie), Fesnel (chanoine de Sens) et Delorme (de l’Académie de Lyon). Introduit par la citation d’Ovide, « C’est l’art avec lequel la voile et la rame sont maniées qui permet aux vaisseaux de voguer rapidement4 », le traité démarre par une adresse au lecteur justifiant le choix de Poleni de retarder au chapitre xxx la réponse apportée à la question posée par les académiciens : Mais si je n’aborde pas la description de cette même technique sauf après avoir longuement écrit, et si je n’attaque pas le sujet en vue duquel cette dissertation est produite sauf lorsqu’on sera parvenu au chapitre xxx, on me pardonnera, comme je l’espère, d’avoir agi de sorte qu’une fois définie, exposée et illustrée d’abord la nature du sujet, je puisse ensuite, de manière plus adaptée, mettre dans sa pleine lumière ma proposition. Rappelons que la question des académiciens concernait à la fois la machine et ses usages : « quelle construction de cabestan ou de telle autre machine équivalente serait donc préférable pour tous ces usages ? À quels usages sur un navire doit-on appliquer des accessoires de ce genre ? Mais surtout comment éviter les inconvénients, dont on a parlé ? ». Après avoir loué la pertinence du sujet du jury académique composé notamment de Pitot, Réaumur, Dortous de Mairan, Camus et Clairaut, Giovanni Poleni déclare au chapitre iv, s’attaquer surtout au problème de la descente des parties de la corde enroulée autour de l’essieu. Il commence par définir les différentes parties du cabestan (VI-XVI) puis par décrire sept machines simples (XVIII-XXIII). Suivant sa méthode érudite, il se livre à une observation des antiques modes d’emploi des machines (XXIV) puis à leurs usages contemporains (XXV-XXVI). La comparaison entre le cabestan et le moulinet lui donne l’occasion de réfléchir à l’application de la force musculaire des hommes d’une manière plus efficace et plus utile (XXVII-XXIX) où il examine les théories ergonomiques de Borelli, Bernoulli ou Morgagni. Vient ensuite la description du cabestan de Poleni : ses parties et son fonctionnement (XXX-XXXVI) puis celle de son prototype à petite échelle (XXXVII), ce qui justifie sa réflexion sur la transition entre une petite et grande échelle (XXXVIII). Une fois mené aux chapitres xxxix à xl, l’examen des proportions – corde et diamètre du cabestan, tête du cabestan et quille – Poleni propose des techniques pour un « emploi plus facile » du cabestan (XLI-XLIII) pour obtenir notamment une « rotation plus facile » de la tête du cabestan en réduisant les frottements.
troisième partie de son mémoire il évoque des méthodes de travail pour éviter les inconvénients évoqués dans le problème. Ce sont peut-être ces méthodes qui ont rallié les suffrages des auteurs de l’Encyclopédie car elles placent l’humain au centre du système technique. 4 « Arte citae, veloque rates, remoque reguntur. » Ovide, Art d’aimer, I, v. 3. Trad. H. Bornecque, CUF.
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Nous reproduisons ici les dessins originaux de Poleni sur le cabestan mais aussi sur les machines simples : poulie, vis, levier et moulinet afin d’établir la nomenclature latine adoptée par Poleni. Base (basis) : ABC Dents découpées (incisi dentes) Élinguets ou verrous (pessuli) : nt, ds Taquet (costae) : mP et tQ Tiges élastiques (elastra) : nc, ex
Fig. 102. – Base crénelée du cabestan, fig.13, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0. Petit anneau (parvus annulus)
Fig. 103. – Petit anneau du cabestan, fig.6, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
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c ha p i tr e xi Anneau (annulus) : FDEB Spirale annulaire (annuli spira) : ngm Chevilles (claviculi) : x, c, z Fente de l’anneau ou créneau (lata scissura seu crena) : pq
Fig. 104. – Spirale annulaire, fig. 14, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0. Plan incliné en forme de spirale (inclinatum spirale planum)
Fig. 105. – Plan incliné, fig. 15, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
pré se ntat i o n Tête du cabestan (ergatae caput) Pont (pons) : AB, CD Essieu (axis) : EG Leviers (scytalae, vectes, collopes) Plaques de fer (ferreae laminae) Trous (foramina) Essieu en fer (ferreus axiculus) : VF Petits anneaux (annulli parvi) : zx, sr Clou (clavis) : RM
Fig. 106. – Tête du cabestan, fig.12, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
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c ha p i tr e xi Moulinet (sucula) : DF Corde (funis) : amNPGR Leviers (vectes) : u Cavité (cavitas) : BeC
Fig. 107. – Moulinet, fig.11, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0. Poulie (trochlea) Coffret de poulies (trochlearum capsula) ou chape (rechamus) : s, u Anneau (annulus) : E Crochet (uncus) : F Câble de traction (trahendus funis) : A BC D
Fig. 108. – Poulie, fig. 5, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
pré se ntat i o n Cylindre de la vis (cochleae cylindrus) : A BC Attaches (ansae) : EF Crochet en fer (ferreus uncus) : qG Plaque (lamina) : nu
Fig. 109. – Cylindre de la vis, fig.6, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0. Moulinet (sucula) Leviers (vectes) : ap, ur, nx, mz, bg, df, se, tc Tambour d’engrenage (tympanum) : AB
Fig. 110. – Moulinet, fig. 7, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
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Ces éléments du cabestan sont également présentés dans l’article de l’Encyclopédie5 ou Dictionnaire raisonné des arts et des sciences de Diderot et D’Alembert : S. m. (Mar.) c’est une machine de bois reliée de fer, faite en forme de cylindre, posée perpendiculairement sur la pointe du vaisseau, que des barres passées en travers par le haut de l’essieu font tourner en rond. Ces barres étant conduites à force de bras font tourner autour du cylindre un cable, au bout duquel sont attachés les gros fardeaux qu’on veut enlever. C’est encore en virant le cabestan qu’on remonte les bateaux, & qu’on tire sur terre les vaisseaux pour les calfater, qu’on les décharge des plus grosses marchandises, qu’on leve les vergues & les voiles, aussi bien que les ancres. Il y a deux cabestans sur les vaisseaux, qu’on distingue par grand & petit cabestan : le grand cabestan est placé derriere le grand mât sur le premier pont, & s’éleve jusqu’à quatre ou cinq piés de hauteur au-dessus du deuxieme. On l’appelle aussi cabestan double, à cause qu’il sert à deux étages pour lever les ancres, & qu’on peut doubler sa force en mettant des gens sur les deux ponts pour le faire tourner. Le petit cabestan est posé sur le second pont, entre le grand mât & le mât de misene. Il sert principalement à isser les mats de hune & les grandes voiles, & dans les occasions où il faut moins de force que pour lever les ancres. Les François appellent cabestan anglois, celui où l’on n’employe que des demi-barres, & qui à cause de cela n’est percé qu’à demi ; il est plus renflé que les cabestans ordinaires. Il y a encore un cabestan volant que l’on peut transporter d’un lieu à un autre. Virer au cabestan, pousser au cabestan, faire joüer an cabestan, c’est-à-dire faire tourner le cabestan. Aller au cabestan, envoyer au cabestan : quand les garçons de l’équipage ou les mousses ont commis quelque faute, le maître les fait aller au cabestan pour les y châtier : on y envoye aussi les matelots. Tous les châtimens qu’on fait au cabestan chez les François, se font au pié du grand mât chez les Hollandois. Le cabestan n’a pas la forme exactement cylindrique, mais est à peu-près comme un cone tronqué qui va en diminuant de bas en haut, afin que le cordage qu’on y roule soit plus ferme, & moins sujet à couler ou glisser de haut en bas. Il est visible par la description de cette machine, que le cabestan n’est autre chose qu’un treuil, dont l’axe au lieu d’être horisontal, est vertical. Voyez à l’article AXE les lois par lesquelles on détermine la force du treuil, appellé en latin axis in peritrochio6, axe dans le tambour, ou essieu dans le tour. Dans le cabestan le tambour, peritrochium, est le cylindre, & l’axe ou l’essieu sont les leviers qu’on adapte aux cylindres, & par le moyen desquels on fait tourner le cabestan. Le cabestan n’est donc proprement qu’un levier, ou un assemblage de leviers auxquels plusieurs puissances sont appliquées. Donc suivant les lois du levier, & abstraction faite du frottement, la puissance est au poids comme le rayon du cylindre est à la longueur du levier auquel la puissance est attachée ;
5 http://xn--encyclopdie-ibb.eu/C.html. 6 On retrouve l’expression utilisée par Poleni à l’article xxii de son traité sur le cabestan.
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& le chemin de la puissance est à celui du poids comme le levier est au rayon du cylindre. Moins il faut de force pour élever le poids, plus il faut faire de chemin : il ne faut donc point faire les leviers trop longs, afin que la puissance ne fasse pas trop de chemin ; ni trop courts, afin qu’elle ne soit pas obligée de faire trop d’effort ; car dans l’un & l’autre cas elle seroit trop fatiguée. On appelle encore en général du nom de cabestan tout treuil dont l’axe est posé verticalement : tels sont ceux dont on se sert sur les ports à Paris, pour attirer à terre les fardeaux qui se trouvent sur les gros bateaux, comme pierres, &c. Pour élaborer son traité sur le cabestan, Poleni a suivi une démarche scientifique rigoureuse et fourni un important travail préparatoire comme on peut le voir dans ses brouillons du traité sur le cabestan, conservés à la bibliothèque San Marco de Venise. Nous avons choisi d’examiner ces brouillons inédits afin d’éclairer notre lecture du traité sur le cabestan. On est frappé par le soin accordé par Poleni à la définition des mots techniques qui peuvent être formés par lui à l’instar du mot elastra, issu de l’étymologie grecque ἔλαστρέω (elastreô) signifiant « pousser, circuler, aller et venir en travers », mais aussi du mot italien « elastro » désignant une tige métallique élastique7. Ces tiges pourraient annoncer les linguets à ressorts placés horizontalement sur le pont devant le cabestan et décrits dans le Nouveau Glossaire nautique d’Augustin Jal8 en 1786 : On place quelquefois un ressort horizontal sur le pont, qui, en appuyant contre le Linguet, le place sans cesse dans les adents du cabestan, & empêche par ce moyen, les accidens… : ainsi le linguet à ressort est la meilleure invention qu’on ait pu trouver à cet égard. Les elastra évoqués par Poleni pourraient annoncer les linguets définis ainsi par Littré : Pièce de bois ou de fer fixée par une de ses extrémités sur le pont du navire, au moyen d’une forte cheville autour de laquelle le linguet tourne librement, ainsi dite parce que le linguet eut d’abord la forme d’une languette ; la fonction du linguet est d’arrêter le cabestan. Poleni s’aide du dictionnaire d’Ambrogio Calepino écrit en 1585 et donnant des définitions en hébreu, grec, italien et latin. Ainsi peut-on lire les notes suivantes – inédites jusqu’à présentes – sur la fiche de mécanique 129 : Axis in Peritrochio descriptio et nominum axis et Peritrochii explicatio.
7 Cf. p. XXX. 8 Édition 1848 révisée, CNRS 1786. 9 BNMVe, It, IV, 636 (= 5497), p. 108-164 (Mechanica 12).
Description du vindas et explication des mots « Axis » et « Peritrochium ».
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Determinatio virium Axis in Peritrochio per reductionem ad vectem et demonstratio determinationis per eamdem reductionem.
Détermination des forces du vindas par la réduction au levier et démonstration de la détermination par la même réduction.
Nomina latina sucula, et Scytala adhibita a Dechales, aliisque, explicare. Vide pro hisce duobus nominibus Calepinum.
Expliquer les mots latins : « sucula » et « scytala » utilisés par Dechales et d’autres. Vois Calepino pour ces deux noms.
Ergatae descriptio.
Description du cabestan.
Usus Axis in Peritrochio et ergatae.
Usage du vindas et du cabestan.
Simplex trochlea non auget vires si pondus ex fune pendeat.
Une poulie simple n’augmente pas les forces si un poids est suspendu à la corde.
Ut inserviat accomodandis tractionibus, et efficiendo, ut pondus hominis trahentis aget.
Comment elle sert à adapter les tractions et à agir comme le poids d’un homme qui tire.
Rem illustrare experimento Academicorum (id inquire in Commentarii Academiae) inque visum fuit hominem humeris onustis plus valuisse, quam sine onere superimposito, in trahendo trochleam.
Illustrer par une expérience le sujet des Académiciens (à chercher dans les commentaires de l’Académie) dans laquelle il est visible qu’un homme aux épaules chargées est plus fort que celui sans charge posée sur lui, en tirant une poulie.
Un autre passage (Mécanique 22) de ce corpus présente l’antithèse de la théorie de Borelli, présentée dans le livre i sur le Mouvement des Êtres vivants et évoquée dans le traité de Poleni sur le cabestan.
Fig. 111. – Croquis de Poleni, Cahier de Mécanique n°21, fig. I, f°.124, Bibliothèque San Marco, It, IV, 636 (= 5497), p. 108-164, Venise. C. Le Gall.
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Theorema demonstratur in precedenti figura tanquam non semper verum habetur a Borellio in Libro I, De Motu Animalium : triplici de caussa.
Le théorème est démontré dans la figure précédente comme s’il n’était pas toujours considéré comme vrai par Borelli dans le Livre i sur Le Mouvement des Êtres vivants selon trois raisons.
Figura Ia praecedentis.
Figure I de la page précédente.
1a – quia supponit se ostendisse in Scholio Prop. 68 citati Libri, potentias trahentes funium extremitates posse aequilibrium sustinere cum pondere pendente ex fune etsi mutentur aliqua ex constitutis in praecedenti theoremate.
1e – Parce qu’on suppose qu’il a montré dans le commentaire de la Prop. 68 du livre cité, que les puissances tirant les extrémités des cordes peuvent soutenir l’équilibre pour qu’au moyen d’un poids pesant sur la corde, on change encore quelques éléments parmi ceux constitués dans le théorème précédent.
2a – quia experientia, se invenisse confirmationem subitationis suae Borellius testatur.
2e – parce que Borelli a essayé dans son expérience de trouver la confirmation de son hypothèse.
3a – quia paralogismum asserit inesse in quibusdem propositi Theorematis demonstrationibus. Vide Mechanicam Varignonii pag. 90.
3e – parce qu’il a affirmé qu’il y avait un paralogisme dans les démonstrations proposées par le théorème. Vois La Mécanique de Varignon, p.90.
CONTRA
A CONTRARIO
1a – ostendere secundam partem praedicti Scholii falsam esse, atque ideo corruere omnem Borelli ratiocinationem.
1o – montrer que la seconde partie du commentaire précité est fausse et que, pour cette raison, tout le raisonnement de Borelli s’écroule.
2a – demonstrare Auctores aliquando errare in experientiis : aliquando non agere optima fide ; ut fecit Borellius ipse, qui in Libro De Mot. Nat. a gravitate factis Prop. CXV falsissimum experimentum affert. Afferre exquisita experimenta narrata a Gravesande in Libro (cui titulus Physices Elementa Mathem.) p. 70 exp. V et VI ; quibus experimentis constitutis Theorema confirmatur.
2do – démontrer que les auteurs parfois se trompent dans leurs expériences et parfois ne les mènent pas de très bonne foi comme le fit Borelli lui-même, qui dans son livre sur Le Mouvement Naturel présente une expérience complètement faussée par la gravité, une fois réalisées les prop. CXV. Présenter les expériences examinées et racontées par Gravesande (dont le titre est Eléments mathématiques de Physique) p.70 et exp. V et VI dont le théorème est confirmé par les expériences effectuées.
3a – Probare falsarum propositionum sensim falsas esse demonstrationes : sed verarum propositionum posse demonstrationes esse falsas : ideo ex demonstrationum paralogismis non posse concludi propositiones falsas esse. »
3io – Prouver que les démonstrations de propositions fausses sont fausses à leur tour mais que les démonstrations des propositions vraies peuvent être fausses : pour cette raison, à partir des paralogismes des démonstrations, il n’est pas possible de conclure que les propositions sont fausses.
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Toujours dans ces cahiers manuscrits conservés à la Marciana, on retrouve à la rubrique Mécanique des fluides et des solides10 (n°45) un nouveau développement sur la force des mouvements de l’homme qui permet à Poleni de comparer les ouvrages de Bernoulli et Borelli. Cubitum (Fig. I) AZ esse vectem tertii generis :
« Le cubitus (Fig. 1) AZ est un levier d’un troisième genre :
Videri vectes alios praestare debuisse, et musculum SDI debuisse agere positum ad perpendiculum. Haec explica, et vide quae sunt in Hist. Acad. Scientiarum anni 1701, p. 95, 96, 97 usque ad Articulatum : « Il n’est ni permis… », etc.
Les autres leviers semblent avoir dû être supérieurs et mener le muscle SDI placé perpendiculairement.Explique cela précisément et vois ce qu’il y a dans l’Histoire de l’Académie des Sciences de l’année 1701 p. 95, 96, 97 jusqu’à l’article « Il n’est ni permis etc. ».
Ad hanc figuram faciendam vide Verheyenii Anatomen, Tom. I, p. 331 et Fig. I in Tabula eius XXXII.
Pour faire cette figure, vois L’Anatomie de Verheyen, Tome i, p. 331 et Fig. I dans sa table XXXI.
Sed revera Naturae mechanismum optimum esse, fac ut ostendas, et adhibe ratiocinium positum in Articulo modo citato, et in pagina sequente 98.
Mais en vérité, fais en sorte de montrer que le mécanisme de la nature est le meilleur, et utilise le raisonnement appliqué à l’article récemment cité et à la page suivante 98.
Ostendere melius explicavisse partes musculorum Bernoullius ut in figura BEFG (vide dissertationem De Motu Musculorum eiusdem Bernoulli ss 11) melius inquam, quam Borellius, qui iisdem partibus dedit figuram Rhomboidis ABDCA.
Montrer que Bernoulli a mieux expliqué les parties des muscles comme dans la figure BEFG (vois la dissertation sur Le Mouvement des muscles du même Bernoulli ss 11.) mieux dis-je que Borelli qui, pour ces mêmes parties, a donné la figure du rhomboïde ABCD.
Explicare quomodo inflatione vesicae attolatur, solo flatu oris, pondus librarum circiter quadraginta. Vide Joh. Christophori Sturmii Collegium experimentale curiosum : in parte secunda : p. 188 et eius figura utere, si vis.
Expliquer comment, par le gonflement d’une vessie, on soulève, par le seul souffle de la bouche, un poids d’environ de 40 livres. Vois L’insolite collège expérimental de Jo. Christopher Sturm, dans la seconde partie, p.188. et utilise sa figure, si tu veux. »
10 BNMVe, It, IV, 636 (= 5497), p. 162 (Mechanica 45).
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Fig. 112. – Croquis de Poleni, Muscle et os du bras, Cahier de Mécanique n°45, fig. I, f°162, Bibliothèque San Marco, It, IV, 636 (= 5497), p. 108-164, Venise. C. Le Gall.
Fig. 113. – Croquis de Poleni, Rhomboïde ABD, Cahier de Mécanique n°45, fig. II, f°162, Bibliothèque San Marco, It, IV, 636 (= 5497), p. 108-164, Venise. C. Le Gall.
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Ces brouillons préparatoires et ces dessins techniques ont permis à Poleni d’élaborer par étape sa solution technique. Cette dernière est souvent contenue et résumée – avec parfois force métaphores – dans la citation latine choisie par les lauréats du Prix de 1741. a. Solution technique de Jean Bernoulli Citation latine : Tentanda via est, qua me quoque possim tollere humo, victorque virum volitare per ora, Virgile11 (« Il faut essayer une voie par laquelle je pourrai m’élever du sol et vainqueur, voler de bouche en bouche. ») Bernoulli propose « une machine qui ne saurait avoir toutes les qualités requises et contre laquelle je ne vois pas qu’il y ait plus rien à objecter. » La poulie que l’on peut voir sur la figure représente bien « la voie par laquelle je pourrai m’élever du sol et vainqueur, voler dans les airs » pour reprendre les termes traduits de Virgile dont est extrait la citation. Bernoulli la décrit ainsi : Cette machine consiste dans deux cylindres de bois, mobiles chacun dans son écuelle, posés tous deux verticalement sur le premier pont l’un à côté de l’autre, ou bien l’un derrière l’autre, selon que la commodité l’exigera, et garnis chacun par le bas, d’une roue de bois horizontale et dentée, dont les dents de l’une s’engrènent dans celles de l’autre ; dans la surface de chacun de ces deux cylindres, sont entaillées plusieurs coulisses circulaires et horizontales, autour desquelles le câble est enveloppé d’abord en serpentant d’un cylindre à l’autre ; de ces deux cylindres, il n’y en a qu’un qui s’élève par-dessus le deuxième pont ; à ce grand cylindre doivent être appliqués au-dessus du second pont des leviers, par le moyen desquels on pourra le virer ; alors les deux cylindres tourneront à la fois à cause de leurs roues, et en tournant ils dévideront le câble entre les deux ponts12. b. Solution technique de Ludot La formule d’anonymat est ici écrite en français : « Un cordage enroulé autour d’un double essieu peut être dévidé sans fin au même lieu. » Et dans sa deuxième partie, Ludot en donne la version latine : Axem si duplicent, motu exercere perenni Funeque perpetuo possunt involvere Nautae. Pour améliorer la distribution des cordages, Ludot propose13 : On évitera cet inconvénient dans la disposition des arbres et du cordage des figures 25 et 27 en faisant virer les gros arbres ABED, abed, à l’aide d’un arbre mitoyen, auquel sont ajustés des pignons de différents diamètres. Si on prend cet équivalent, les arbres ou tambours ABED, abed, pourront être fort courts, et occuper très peu de place, en sorte qu’on aura la commodité de mettre des barres à chaque bout de l’arbre mitoyen, ce qui est avantageux ou pour loger un grand nombre de travailleurs, ou pour donner moins de longueur aux barres, et de grosseur aux pignons de l’arbre mitoyen.
11 Les Géorgiques, l. III, vers 8-9. 12 Bernoulli, 1741, § XXVI, p. 25. 13 Ludot, 1741, art. IV, p. 185.
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Fig. 114. – Solution technique de Jean Bernoulli, Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des Sciences de Paris sur la meilleure construction du cabestan, § XXVI, p. 25,1741, Paris. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 115. – Solution technique de Ludot, Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des Sciences de Paris sur la meilleure construction du cabestan, art. IV, p. 185, 1741, Paris. Public Domain Mark 1.0.
Fig. 116. – Solution technique d’un auteur anonyme, Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des Sciences de Paris sur la meilleure construction du cabestan, p. 87, 1741, Paris. Public Domain Mark 1.0.
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c. Solution technique d’un auteur anonyme Pressa momordit humum superas nunc gaudet, ad auras / Anchora judicio tendere nostra tuo. (« Notre ancre serrée s’accrocha au fond, maintenant, elle se tend volontiers sous les brises de la surface, suivant ton conseil. ») Voici la manière la plus commode et la plus avantageuse de construire un cabestan : c’est premièrement de prendre pour la longueur des barres le double de la distance qu’il y a du câble à l’axe du cylindre. Ensuite, de faire que le nombre des dents de la roue C soit double de celui des barreaux de la lanterne B ; d’où il suit que le cylindre supérieur se mouvera deux fois plus vite que l’inférieur. Il faut outre cela observer que la force qu’on applique à chaque cylindre soit égale, et de plus environ trois fois plus petite que la résistance du fardeau jointe au frottement. Il y a toujours sur chaque vaisseau plus de monde qu’il n’en faut pour produire cette force. De plus l’inégalité de mouvement que j’ai établie entre les deux cylindres, me parait raisonnable ; si elle était plus grande, il arriverait infailliblement qu’une partie de ceux qui virent au cabestan, iraient ou trop vite ou trop lentement. Qu’il consiste en deux cylindres AB et CD, dont l’intérieur CD est placé entre le premier pont RS et le second PQ ; et que le cylindre supérieur AB s’élève au-dessus du second pont PQ ; qu’ils soient joints l’un à l’autre par le moyen de la lanterne B attachée au cylindre supérieur, et de la roue à dents dont l’intérieur est bordé ; que celui-ci agisse sur le câble MNHO en le tirant de l’autre manière décrite ci-dessus. […] De plus, on pourra construire cette machine de façon qu’on puisse virer les deux cylindres en même temps, et c’est la raison pour laquelle j’ai mis des barres aux deux cylindres dans la figure14. (Fig. 5 § XXXI) Nous pouvons comparer ces trois solutions techniques avec l’invention de Poleni dont nous reproduisons le schéma. Le savant anonyme propose un plan incliné comprable à celui préconisé par Poleni pour éviter l’empattement de la corde ainsi que des élinguets anti-retour. Alors que Poleni installe un anneau crénelé, Bernoulli opte pour deux engrenages. En revanche, nous ne retrouvons pas de système à poulie dans l’invention de Poleni. Aucune de ces trois machines n’a été validée par l’Académie Royale des Sciences de Paris. Les cabestans approuvés par l’Académie Royale des Sciences sont : le cabestan à l’usage des vaisseaux de M. De La Madelaine (t. II, p. 3, 1702) et le cabestan à lanterne inventé par M. De Bourges (t. II, p. 7, 1702). Le marquis Poleni fait allusion au cabestan à la lanterne inventé par M. de Bourges en 1702. Il trouve des inconvénients de lenteur à ce double cabestan mais lui reconnaît des avantages pour coucher un vaisseau sur le côté et le mettre en carène et pour les opérations de matage : « il augmente la force et supprime le virage de l’entrepont ce qui épargnera le dérangement des canons et des coffres qui se rencontrent dans le circuit des 16 ou 18 pieds de diamètre qu’il faut pour poser les barres et les matelots ne seront plus en danger quand le linguet vient à manquer et disposeront d’une fusée pour entortiller le tournevire ». Pour pallier les défauts reconnus par M. de Bourges, Poleni propose quelques améliorations techniques visibles sur la figure ci-contre.
14 Anonyme, 1741, § XXXIV, p. 85.
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Fig. 117. – Solution technique d’un auteur anonyme avec double cylindre, Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des Sciences de Paris sur la meilleure construction du cabestan, p. 82, 1741, Paris. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 118. – Cabestan de Poleni, fig. 12, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 119. – Cabestan de M. De Bourges, Machines et inventions approuvées par l’Académie Royale des Sciences depuis son établissement jusqu’à présent, t. 2, 1702, p. 69. Heidelberg University Library – CC-BY-SA 4.0.
Fig. 120. – Cabestan de M. de Bourges revu par G. Poleni, fig. 20, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 121. – Plan du cabestan de M. du Buart, Pièces relatives au conseil de Marine 3A9124 octobre 1776, Service Historique de la Défense, Brest. C. Le Gall, SHD Brest.
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Dans les pièces relatives au Conseil de Marine, le cabestan dessiné en 1743 ne prend pas en compte les innovations de Giovanni Poleni. Sur le plan, on peut voir deux modèles : Le cabestan n°1 sert à guinder le grand mât de hune, hisser la grande vergue, ou border la grande écoute » tandis que « le cabestan n°2 sert à lever l’ancre pour appareiller. Il ne faut ni bosser ni choquer avec un cabestan, on peut même guinder un mât de hune, ou hisser une vergue au cabestan n°1 en même temps qu’on lève l’ancre avec celui n°2 ce qui abrège la manœuvre d’appareiller. La lettre d’Alexis Mazière du Buart qui l’accompagne, écrite à Brest et datée du 18 octobre 1776, présente les avantages de cette machine15. J’ay l’honneur de vous adresser le plan d’un cabestan des plus simples, pour le service duquel il ne faut ni bosser, ni choquer, qui a été approuvé en 1743 et 1744. Avec le cabestan fait sur ce principe, on peut guinder au mât de hune, ou hisser une vergue en même temps qu’on lève l’ancre. Dans l’escadre commandée par feu M. Le sieur de Roquefeuil16, on a vu à la pointe du Serray, la frégate La Surprise sur laquelle j’avais établi un cabestan de cette façon appareillée une demi-heure avant les autres bâtiments de l’escadre, dont partie fut obligée de couper ses cables et d’abandonner ses ancres par la lenteur de la manœuvre des autres cabestans. L’établissement de celui-ci sur les vaisseaux du Roy sauverait aux équipages des dangers auxquels ils sont exposés avec les cabestans dont on se sert aujourd’hui. Quoi qu’il soit demeuré pour récompense, […] pour la célérité du service et la conservation des équipages, je m’engage à vous l’adresser. C’est la République qui finança en 1793, une maquette au quart de la méthode de cabestan proposée par Bernoulli et Ludot, co-lauréats de Poleni. Mais il est vrai que les différents prototypes de cabestan proposés par les lauréats du prix de l’Académie Royale des Sciences comportaient des défauts : soit ils encombraient les vaisseaux, soit ils usaient prématurément le câble d’ancre, soit ils comportaient un mécanisme fragile17. En 1752, Duhamel du Monceau souligne au chapitre xl de ses Elemens de l’architecture navale, ou Traité pratique de la construction des vaisseaux18 la présence de « taquets et deux linguets pour empêcher que le cabestan ne revienne sur lui-même, lorsque les hommes cessent de faire force sur les barres. » Ces éléments sont présents dans le cabestan de Poleni afin de prévenir les accidents. À l’article « CABESTAN » de
15 Lecture de sa lettre au Conseil de Marine de Brest : séance du conseil de marine du 6 février 1777 – n° 24. Pièces relatives au Conseil de Marine 3A91-24 octobre 1776, SHD de Brest. 16 Le comte Aimar – Joseph de Roquefeuil, lieutenant – général des armées navales, commandant de la marine à Brest est l’auteur notamment d’Observations sur la construction actuelle des vaisseaux et sur une nouvelle méthode de conduire leurs fonds. 17 Vassal, 2009, p. 43. 18 p. 120.
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Fig. 122. – Élinguets sur cabestan de Poleni, fig.13, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
L’Encyclopédie Méthodique Marine19 de l’éditeur Panckoucke, on retrouve quelques innovations dues à Poleni notamment : CABESTAN – Le cordage garni au cabestan ne s’y développe d’un bout, en se développant de l’autre, qu’en baissant, ou tendant à baisser, à chaque tour, de son diamètre ; c’est pourquoi l’on fait la cloche conoïdale, afin que le talus20 de sa surface résiste à cette tendance pour baisser : cependant il ne suffit pas toujours pour cet effet ; le cordage descend quelquefois au point qu’il se prendrait sous le cabestan, si l’on n’y faisait attention ; alors il faut arrêter la manœuvre pour choquer21 ou mettre en haut ; il faut la bosser22, ou la contretenir de quelque façon que ce soit, parce qu’il est nécessaire de l’amollir au cabestan pour cette opération. Cela fait perdre du temps, & on a imaginé beaucoup de sortes de formes de cloche pour remédier à cet inconvénient ; toutes ces inventions tendaient à en augmenter le talus ; mais il en résultait un plus considérable, c’est que le cordage, par exemple le tournevire, venant à choquer de lui-même, dans un moment imprévu, ce choc causait un mouvement d’impulsion si vif, une telle saccade, qu’il en estropait souvent du monde. Le moyen que l’on emploie assez communément aujourd’hui, & dont on paraît plus content, c’est de garnir le bas des taquets, de roulettes dans un plan vertical passant par l’axe du cabestan ; elles sont logées dans les taquets,
19 p. 208. Notons que Vial du Clairbois, l’un des auteurs de l’Encyclopédie méthodique de Marine, avait livré au conseil de Marine de Brest, à la 3e séance de l’année 1780, ses commentaires (rédigés le 24 janvier 1780) sur le mémoire de M. Collet sur les moyens de perfectionner un cabestan. 20 Talus : plan incliné. 21 Choquer : rehausser. 22 La bosse est un cordage fixé par une de ses extrémités à un point solide et qui sert principalement à tenir tendu le câble, etc. autour duquel il s’enroule. Bosser signifie nouer, attacher.
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Fig. 123. – Grand et petit cabestan – British Library (Londres) in J. BOUDRIOT, 1977.
des deux tiers de leur diamètre, qui est d’environ 9 pouces ; l’autre tiers étant au dehors, quand le cordage vient à descendre, jusqu’à en toucher la circonférence, & à y faire effort ; cette pression fait tourner la roulette, qui, dans ce mouvement, réagit sur le cordage avec assez de force pour le faire remonter avec ses tours supérieurs. Il faut que ces roulettes soient bien fortes et solidement établies ; si elles ne sont pas de fonte, elles doivent au moins être garnies de dé de ce métal, et tourner sur un essieu en fer. Les auteurs ici soulignent la pertinence de l’invention de Poleni, qu’on retrouve aussi sur le cabestan de la savant annyme également récompensé pour son traité sur le cabestan en 1741. L’ouvrage de Boudriot Les vaisseaux de 74 à 120 canons23 montre un manuscrit conservé à la British Library de Londres présentant des grand et petit cabestans pourvus des caractéristiques techniques recommandées par Poleni notamment la pièce en talus destinée à éviter la remontée de la tournevire, les linguets qui garnissent la cloche supérieure et la couronne à galets24 destinée à réduire le
23 Boudriot, 1973-1977, p. 256. 24 Galets : Petite roue, éventuellement avec roulement à billes, facilitant le déplacement.
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frottement de la mèche25 à travers l’étambrai26. Ce type de cabestan, nous apprend Jean Boudriot, est caractéristique du Premier Empire. Ainsi, les solutions techniques de Poleni se retrouvent en France et en Angleterre. Les inventions étant guidées par des pratiques individuelles, sans obligation de se référer forcément au cercle des savants de l’Académie, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que les innovations de Poleni ont été reprises par tel ou tel marin dans tel ou tel port. Cependant, on peut avancer l’hypothèse que les innovations des lauréats du concours académique de 1741 ont été diffusées dans les académies de Marine dont celle de Brest, créée en 1752.
25 Mèche : axe du cabestan. 26 Étambrai : Ouverture pratiquée dans le pont d’un bâtiment pour le passage des mâts, des cabestans ou d’autres appareils et accessoires.
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Chapitre xii
Traduction annotée
DISSERTATION SUR UN EMPLOI PLUS PRATIQUE ET PLUS FACILE DU CABESTAN DE NAVIRE. Ce traité est un des quatre entre lesquels le prix double a été partagé. « Les navires rapides sont gouvernés à force de technique, de voiles et de rames. » OVIDE (Art d’aimer, I) 1741
Auteur : Giovanni POLENI, Professeur de mathématiques, Padoue, de l’Académie Royale des Sciences et de la Société Royale de Londres
Fig. 124. – Première page du Mémoire de Poleni sur le cabestan De Ergatae navalis…, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
Dissertation sur un emploi plus pratique et plus facile du cabestan de navire « Les navires rapides sont gouvernés à force de technique, de voiles et de rames1. » Ovide (Art d’aimer, I) I Puisque sont de grande importance tous les problèmes qui tendent au perfectionnement de la technique navale, alors vraiment ces problèmes, dont la résolution peut être utile non seulement au domaine naval mais aussi à plusieurs autres usages, semblent vraiment devoir être jugés de plus grand intérêt. Et qui plus est, les recherches qui visent à améliorer l’emploi du cabestan2 doivent être comptées, très légitimement, au nombre de ces problèmes de plus grand intérêt : seul ne le sait pas celui qui se trouve dans une complète ignorance de toutes ces connaissances dépendant de la Mécanique. Le problème, proposé l’année précédente par l’Illustre Académie Royale des Sciences, est de cet ordre : Quelle serait donc la structure d’un cabestan plus puissante et plus apte à tous ces usages habituellement dévolus au cabestan sur un navire3 ? Mais l’usage d’un cabestan n’est pas du même genre (par exemple) que celui du gouvernail, puisque celui-ci sert juste à diriger et à gouverner un navire alors que le cabestan placé tantôt sur un navire tantôt en un lieu quel qu’il soit, peut, de façon appropriée, servir à tirer des masses.
1 « Siquis in hoc artem populo non nouit amandi, Hoc legat et lecto carmine doctus amet. Arte citae ueloque rates remoque mouentur, Arte leues currus : arte regendus amor. » « Si parmi vous, Romains, quelqu’un ignore l’art d’aimer, qu’il lise mes vers ; qu’il s’instruise en les lisant, et qu’il aime. Aidé de la voile et de la rame, l’art fait voguer la nef agile ; l’art guide les chars légers : l’art doit aussi guider l’amour. » Ovide, Art d’aimer, I, v.1-4. éd. Panckoucke. 2 Le mot ergata est absent du dictionnaire référent de Poleni, Calepino Ambrogio Dictionarium, Venise, éd. Manutianis, 1573 ; il a été forgé sur le mot grec ἔργον : ouvrage. Le mot ergata peut être traduit par : vindas, cabestan, guindas, vireveau. Tous ces noms désignent une machine composée de deux tables de bois, et d’un treuil autour duquel s’enroule le câble. On fait tourner verticalement, à l’aide de deux leviers, ce treuil qu’on appelle encore fusée, tour. Chez Vitruve, on trouve le substantif ergata aux livres I et X du De Architectura. Callebat et Fleury, Dictionnaire des termes techniques du De Architectura de Vitruve, Hildesheim Zurich, New-York, 1995, col. 318. 3 Le sujet du prix sur « la meilleure construction du cabestan, ou telle autre machine [équivalente] par rapport à tous les usages auxquels on l’applique dans un navire » avait été annoncé lors de l’assemblée publique du 4 mars 1737 et remis lors de l’assemblée publique du 8 avril 1739. L’Académie procède à la nomination des cinq commissaires pour l’examen du prix de 1743 : MM. Camus, Clairaut, de Fouchy, Le Monnier et Nicole.
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II Et quelque juste qu’ait été l’avertissement des Académiciens, en vertu de leur excellente perspicacité et savoir, que : sur un navire, le cabestan et simple et solide et voué à un usage rapide et aisé, et, quand il est manié, dépourvu de toutes entraves ou cordages, et à l’abri de quelque accident fortuit qui doit se produire ; le fait est que le cabestan a pour son usage sur un navire, des conditions de loin différentes de son usage à terre, où ni les commodités ni le temps pour remédier aux accidents inopinés ne peuvent manquer, cependant, néanmoins, qui ne verrait que le cabestan, simple, solide et dévolu à un usage rapide et aisé, serait très souvent plus utile à terre notamment ? Et, à ce titre, aussi, les Académiciens méritent vraiment des félicitations pour ce remarquable problème proposé, dont l’utilité peut être multiple ; aussi n’est-ce pas pour une seule raison qu’il plaît d’essayer ce qui, grâce à moi, quoi que ce soit, peut être apporté à ce problème même. Mais au cours de ma tentative, j’ai réalisé scrupuleusement une composition des systèmes proposés avec leurs formes, qu’il m’arrive parfois d’étudier pour les usages et applications du cabestan. Et ainsi, j’ai réfléchi à cette technique4 que je vais faire connaître, puisqu’elle semble pouvoir satisfaire aux conditions du problème proposé. Or, on ne proposa pas de mener cette technique avec des calculs analytiques qui fussent déjà connus des savants, alors qu’on peut se contenter d’une démonstration par des exposés solides et des expériences. Mais si je n’aborde pas la description de cette même technique sauf après avoir longuement écrit, et si je n’attaque pas le sujet en vue duquel cette dissertation est produite sauf lorsqu’on sera parvenu au chapitre xxx, on me pardonnera, comme je l’espère, d’avoir agi de sorte qu’une fois définie, exposée et illustrée d’abord la nature du sujet, je puisse ensuite, de manière plus adaptée, mettre dans sa pleine lumière ma proposition. III Mais pour parler précisément du problème, il avait été formulé non seulement l’année dernière mais aussi en 1737, une fois le programme édité. Puisque l’Académie royale avait été informée par des spécialistes nantis de leur savoir et très experts dans l’art de la navigation que, dans l’usage du cabestan, la corde, par laquelle les poids doivent être élevés ou tirés, s’enroule autour de l’essieu du cabestan de sorte que, quel que soit son propre tour, il descend autant que le comporte son épaisseur, il se produit qu’après plusieurs tours, la corde atteint la partie la plus basse de l’essieu du cabestan. C’est pourquoi il faut alors le ramener à la partie supérieure de l’essieu lui-même, par un effort non léger et avec une perte de temps conséquente et souvent aussi au prix de grandes peines préliminaires : là résident vraiment les inconvénients embarrassants liés à la navigation, qui ont été tantôt soulignés par les marins rompus à cet exercice, tantôt correctement et habilement répertoriés dans le Programme lui-même. Et pour apporter des solutions à ces inconvénients, le problème a été ainsi proposé : assurément, quelle construction de cabestan ou de telle autre machine équivalente serait donc préférable pour tous ces usages ? À quels usages sur 4 Artificium, ii, n : technique.
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un navire doit-on appliquer des accessoires de ce genre ? Mais surtout comment éviter les inconvénients, dont on a parlé5 ? IV Puisqu’il en est ainsi qu’on l’a rappelé dans les deux chapitres précédents, il appert facilement que l’ensemble du sujet proposé conduit à ce qu’on façonne un cabestan, ou une machine équivalente, simple, solide et apte à un usage rapide et aisé sur un navire, et dépourvue de toutes entraves ou cordages, mais surtout exempte de ces inconvénients, qui commencent dès la descente des parties de la corde enroulée autour de l’essieu du cabestan même6. C’est pourquoi pour la machine simple et solide requise, il faut une technique de ce genre qui pourrait être considérée comme facile et évidente pour les spectateurs (quoi qu’il en soit de la difficulté cachée de l’invention). V Maintenant, une fois le problème posé, puisqu’il faut progresser vers la construction requise, il est bon de transmettre auparavant quelques définitions afin que, même dans un opuscule, apparaissent clairement ce que sont les choses dont il est question. VI Le pont est un plancher dont sont couverts et protégés les navires : les ponts des navires ont été inventés dans l’antiquité pour que les combattants des navires puissent y tenir debout. Les ponts de ce genre semblent analogues aux parties des navires qui sont appelées catastromata7 (terme dérivé des sources grecques) ; les navires qui en étaient équipés étaient dits « pontés », et ceux qui en étaient dépourvus étaient
5 « Mais l’Académie ne croit pas devoir dissimuler que parmi les cabestans qui lui ont été présentés pour sauver les inconvénients de celui qui est en usage, elle n’en a trouvé aucun qui n’eut lui-même des inconvénients (…). L’Académie a pourtant jugé que la manière dont le sujet a été traité dans quatre de ces mémoires méritait d’être récompensée. Car outre qu’on y a proposé des cabestans nouveaux ingénieusement imaginés et utiles, du moins dans certains cas, on y a donné des théories qui peuvent conduire à perfectionner les manœuvres de l’ancien cabestan. » AADS, 17 avril 1741. 6 « Un des grands inconvénients du cabestan, c’est que la corde qui se roule dessus descendant de sa grosseur à chaque tour, il arrive que quand elle est parvenue tout à fait au bas du cylindre, le cabestan ne peut plus virer, et l’on est obligé de choquer, c’est-à-dire de prendre des bosses [nœuds], de dévirer le cabestan [faire tourner en sens inverse], de hausser le cordage, etc. manœuvre qui fait perdre un temps considérable. C’est pour y remédier que l’Académie des Sciences de Paris proposa pour le sujet du prix de 1739, de trouver un cabestan qui fut exempt de ces inconvénients. Elle remit ce prix à 1741, et l’on a imprimé en 1745 les quatre pièces qu’elle crut devoir couronner, avec trois accessits. L’Académie dit dans son avertissement, qu’elle n’a trouvé aucun des cabestans proposés exempt d’inconvénients. Cela n’empêche pas néanmoins, comme l’Académie l’observe, que ces pièces, surtout les quatre pièces couronnées, et parmi les accessits, celle de M. l’abbé Fenel, aujourd’hui de l’Académie des Belles-lettres, ne contiennent d’excellentes choses, principalement par rapport à la théorie. Nous y renvoyons nos lecteurs. » Article « Cabestan », Encyclopédie, D’Alembert, 1752. 7 Le mot grec catastromata signifie « pont de navire » ou plus généralement, « plancher inférieur, plan du rez-de-chaussée ».
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qualifiés d’ « ouverts ». Si nous imaginons qu’on fasse une coupe de leur navire à plat sur toute sa largeur, il y aura les sections AA, BB, CC et DD (Fig. 1) des baux des ponts reliant les flancs du navire et soutenant les ponts. On pourra désigner les ponts ou les planchers par EF, GH, KS, TL. Après qu’on a commencé à équiper les navires de machines de guerre en bronze et à augmenter leur taille, les coques de ces mêmes navires ont été séparées en plusieurs ponts. VII Le cabestan ABCD (Fig. 2) est une machine de traction en bois, la plupart du temps entourée et renforcée par des plaques de fer8, de forme presque cylindrique qui, posée perpendiculairement au pont SP du navire, est entraînée en rotation par des leviers, si bien que la corde tractoire9 s’enroule autour de lui grâce auquel un poids est soit tiré soit levé. Au cas où le navire est constitué de plusieurs ponts, la partie inférieure du cabestan ECDF située entre l’un et l’autre, ajoute de la puissance à la machine immobile ; elle garantit l’équilibre si bien que dans les deux endroits, certainement au-dessus du pont SP et sous ce même pont, un seul cabestan puisse être tourné (la même partie ECDF peut être placée entre le pont et la carène). Mieux, s’il y a plusieurs ponts, un seul cabestan peut, en quelque sorte, se multiplier en trois, au regard de son usage, comme on peut le voir dans les trois parties (Fig. 1) M, N et P du cabestan. VIII La tête du cabestan est la partie du cabestan (Fig. 2) AGHB supérieure et un peu plus épaisse. IX Les leviers qui parfois, par quelques-uns, sont appelés barres10 ou manivelles11, sont des pieux appliqués au cabestan, poussés à bout de bras par les hommes, et ainsi le cabestan est mis en rotation. L’unique levier du cabestan ABCD est RX. X Les trous dans lesquels sont insérés les leviers, sont désignés sur la figure par la lettre e.
8 L’hybridation bois / métal est courante à l’arsenal de Venise. 9 Funis ductarius : corde tractoire. Reprise de la traduction de Louis Callebat (dans la CUF) de l’expression funis tractarius employée par Vitruve (X, 2, 1) qui désigne « le “ garant ” ou corde de halage, s’allongeant depuis la gorge de la poulie supérieure vers la poulie inférieure. » Fleury, 2003, p. 92. 10 Le mot scytalae signifie en grec, branche, bâton. 11 Collopes est un néologisme formé sur le grec κόλλοψ : levier, manivelle. Forme non attestée par Calepino.
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XI La tête à l’anglaise du cabestan est fabriquée de telle sorte que les essieux de tous les leviers sont sur le même plan horizontal. R, X (Fig. 3) sont les leviers ; cc sont les chevilles qui retiennent les cordes liées aux extrémités des leviers. DD sont les doubles bricoles qui peuvent être saisies à la main pour aider à la rotation du cabestan. F est le trou dans lequel est inséré un fer carré, se tenant au-dessus de la partie supérieure du cabestan, si la tête du cabestan a été fabriquée séparément du cabestan. XII L’essieu du cabestan est le tronc de la machine, qui est compris entre le bas GH de la tête du cabestan et le pont SP. XIII Les taquets12 dans le cabestan sont les chevrons13 K, K, K, insérés solidement dans les crans14 qui sont creusés dans l’essieu suivant sa longueur : autour de ceux-ci (si le cabestan en a été pourvu) s’enroule la corde quand le cabestan est mis en rotation. La plupart du temps, sur tout le pourtour du cabestan, ils sont six : mais ils ne sont jamais supérieurs à huit. Leurs parties basses sont maintenues solidement par les petits chevrons a, a. XIV Les élinguets15 sont les deux bâtons, nt, ds, en bois, solides, qui, à une extrémité, entrent en contact avec l’essieu du cabestan. Mais leur deuxième extrémité, à l’aide d’un linguet16 de fer arrondi, est reliée sans serrer au taquet P. Les élinguets ont été prévus pour éviter que le cabestan ne tourne de nouveau dans le sens contraire, suivant lequel le cabestan lui-même tourne, et la corde est enroulée autour de lui.
12 Costae, arum désigne, chez Calepino, les vertèbres de la colonne vertébrale. 13 Asseres, ium : les chevrons. 14 In crenas : cette forme rare attestée par le Calepino fait référence à la forme de l’extrémité de la flèche qui reçoit le nerf. 15 Le mot pessulus, i, m (verrou) est souvent employé au pluriel par les Romains parce qu’il y a deux verrous, un au-dessus et un au bas de la porte s’engageant dans les deux limina. Il est employé par Apulée, Les Métamorphoses : « Cardines ad foramina resident, postes [ad] repagula redeunt, ad claustra pessuli recurrunt. » (« Les pivots s’introduisent dans leurs logements, les barres s’enfoncent dans le chambranle, les verrous retournent dans les gâches. » Trad. P. Grimal). La définition donnée par Bonnefoux et Pâris (ibid.) est la suivante : « Le linguet, ginguet, cliquet ou élinguet est un arc-boutant de fer ou de bois cerclé en fer qui tourne autour d’une cheville traversant l’une de ses extrémités. L’usage des linguets est d’empêcher le cabestan, par exemple, de dévirer et à cet effet, ils sont susceptibles de s’engrener à contre par leur autre extrémité dans les adents du pied des cabestans ; les linguets de cabestan sont contrebutés sur le pont par un fort taquet. » 16 Le latin évoque un « petit clou » : claviculus, i, m.
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XV Le pivot de fer17 où sont fixés plusieurs cabestans, est la pointe inférieure u, qui facilite les rotations du cabestan. L’écuelle18 est une lame de fer creuse, au-dessus de laquelle tourne le pivot de fer. XVI Le moulinet19 est lui-même aussi, comme le cabestan, un genre de machine de traction. En bois, il est formé d’une figure cylindrique aABb (Fig. 4), traversée aux extrémités par les leviers cp, de, fg, mn, grâce auxquels le moulinet lui-même tourne ; et ainsi la corde tractoire s’enroule autour de lui, ce qui permet à un poids d’être tiré ou soulevé. En un mot, le moulinet est semblable au cabestan, établi non pas à la verticale mais dans une position parallèle à l’horizon. XVII Et ces éléments concernaient les définitions de ces sujets qu’il faut aborder ; maintenant nous poursuivons sur le projet lui-même. Et comme nous avons observé dans le troisième chapitre, que le Programme proposait la construction d’un cabestan ou de telle autre machine équivalente, il sera certainement intéressant qu’une simple machine plus puissante et utile pour les usages proposés puisse exister. En outre, aujourd’hui, sept machines simples sont dénombrées par la plupart des gens : le plan incliné, le coin, la poulie, la vis, la balance, le levier, le vindas.
17 « Le pivot est le bout ferré sur lequel tourne la mèche du cabestan. » - Bonnefoux et Pâris (ibid.). 18 Scutula, ae, f : écuelle. Le mot scutula est employé par Vitruve (De Archit., livre x, chap. 11, part. 4) « cum ergo foraminis magnitudo fuerit instituta, describatur scutula, quae graece περίτρητος appellatur. » (« Ainsi, quand on aura établi la grandeur de l’ouverture, on tracera le losange qui est περίτρητος en grec »). Ce mot désigne la forme particulière des montants horizontaux supérieurs et inférieurs du cadre qui reçoivent les ressorts de la baliste. (Fleury, 2003, p. 226.) Le mot περίτρητος est utilisé par Vitruve à propos du scorpion (X, 10, 2). 19 Le mot Sucula, ae, f signifie, chez Vitruve (De Archit., livre x, chap. 2, part. 5) : arbre de treuil ou treuil. Les Latins l’appelaient sucula, petite truie, parce qu’ils prétendaient que les deux leviers qu’on passait dedans, pour le faire tourner, représentaient les oreilles d’une truie. Calepino atteste le premier sens (diminutif de truie – porchetta) et se réfère aux commentaires de Guillaume Budé pour le deuxième sens : « Sucula autem inquit Budaeus machina est tractorii generis : constat autem tereti ligno, duobus aut pluribus uectibus traiecto, utrinque aequa extantibus longitudine : haec dum uersatur, funis, qui ductarius dicitur, circa eam obuoluitur. » (« Selon Budet, le treuil appartient à la catégorie des machines à tracter : il comporte une roue en bois, traversée par deux ou plusieurs leviers et d’une longueur égale des deux côtés des saillies : la corde, qui est appelée corde tractrice, pendant qu’il tourne, s’enroule autour de lui. ») Dans les machines du cabinet de philosophie expérimentale de Poleni, on trouve référencée au numéro 193 une « succula des anciens servant à montrer par l’expérience la théorie et l’estimation des forces de cette machine ». Indice delle machine di Poleni, Salandin, 1987.
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XVIII Mais le plan incliné20 et le coin21, si nous les considérions, nous comprendrions facilement que nous pouvons très peu les utiliser pour notre sujet : c’est pourquoi en parler davantage ici n’a aucun intérêt. XIX La poulie22, à part et (comme on dit) par elle-même, ne peut convenir à l’usage que nous projetons : quand le cabestan est incapable de mouvoir un poids ou que la force appliquée au cabestan est trop faible, l’action de multiples poulies peut être combinée avec celle du cabestan (afin que les ancres ou d’autres poids soient facilement tirés), et non avec celle de la corde (Fig. 5) ABCD conduite autour des poulies e, u, n, s. Si on applique l’extrémité A au cabestan, l’anneau E du petit coffret des poulies s et u, (coffret qui, semble-t-il, peut être appelé « chape23 ») sera solidement attaché au pont du navire, afin qu’il ne puisse bouger d’aucune manière. Qu’on attache la corde tractoire au crochet F d’une deuxième chape, il arrivera alors, quand le cabestan tourne, que la corde tractoire exerce une force de traction nettement supérieure. Et cette technique aussi utile que reconnue peut être très bien évaluée. XX En ce qui concerne la vis24, la machine ne semble, en aucune façon, pouvoir garantir l’usage singulier dévolu à l’objectif auquel se rapporte notre enquête. Certes, j’avais songé jadis à une espèce particulière de cabestan, entrant en contact avec le fond de la carène, dont la moitié supérieure du cabestan (c’est-à-dire l’essieu) serait 20 Planum inclinatum, i, n : plan incliné. Selon Héron d’Alexandrie (Mécaniques, livre ii), il y a cinq machines simples : le levier, la poulie, le coin, le treuil et la vis sans fin. Généralement, les machines simples sont classées en huit types : le levier, la roue, la poulie, le coin, le plan incliné, le treuil, la vis et l’engrenage. 21 Cuneus, i, m : coin. 22 Trochlea, ae, f : poulie. Le mot trochlea est formé sur le mot grec τροχαλία / τροχιλία qui signifie aussi treuil et cabestan. Vitruve l’orthographie troclea et Louis Callebat le traduit par « chape » (X, 2, 6, CUF, 2003, p. 9). 23 Rechamus, i, m : chape. « En regard de troclea, utilisé par Vitruve au sens de “chape” et plus généralement appliqué en latin à “tout corps cylindrique qui se meut entre deux points fixes autour d’un axe”, le mot rechamus connu par ce seul passage du De Architectura [X, 2, 1], a pu être une dénomination technique d’acception restreinte, spécialement appliquée à une « moufle ». » Fleury, 2003, p. 92. 24 Cochlea, ae, f : vis. Dans les machines du cabinet de philosophie expérimentale de Poleni, on retrouve référencées aux numéros 39 et 40, des cochleae. Au numéro 39, c’est une cochlea d’Archimède “du genre de celle qui sert à élever l’eau” que Poleni décrit ainsi dans son inventaire : « In questa si vede come una palla possa ascendere dal basso all’alto con il girarsi della medesima coclea, onde si spiega anche l’ascesa dell’acqua. Il tubo di questa coclea è di cristallo acciochè a traverso di esso si possa vedere tutto il moto del corpo che ascende. » « Dans celle-ci, on voit comment une boule peut monter de bas en haut grâce à la vrille de cette même vis, ce qui explique aussi l’ascension de l’eau. Le tube de cette vis est en cristal afin qu’à travers celui-ci, on puisse voir tout le mouvement du corps qui monte. » De cette vis, il ne reste que quelques fragments. La cochlea n°40 est conservée au Seminario Vescovile de Padoue.
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octogonale. Et la partie inférieure aurait la forme d’une vis ; elle serait pourvue d’une tête à l’anglaise comportant un trou F (Fig. 3) qui correspondrait, par sa forme octogonale, à celle de l’essieu ; ainsi, la tête, pour monter et descendre, pendant que l’essieu est mis en rotation, serait mobile. Grâce à cette structure, il pourrait se faire que cet essieu, à chaque tour du cabestan, monte une grande quantité de charges. Et ainsi réaliserait-on aisément autour de ce même essieu un plus grand nombre de tours de corde tractoire (qu’autour des cabestans habituels), avant que la corde ne touche le fond, où elle ne peut plus être enroulée davantage. Mais ce gros effort, j’envisageais facilement que, du moins, il était plein de bons atouts mais aussi avait un point faible. XXI C’est pourquoi au sujet de la vis, j’ajouterai seulement ceci : la vis pourrait être adaptée de telle sorte que, dans certains cas, elle assume, en quelque sorte, une aide, non négligeable, assurément par le moyen suivant : que le cylindre ABC de la vis (Fig. 6) soit posé de telle sorte qu’il soit couché sur le pont supérieur du navire et qu’à ce même pont soient très solidement fixées les attaches E, F unies à la vis D ayant des hélices creuses. Que la tête C du cylindre ABC soit pourvue des leviers b g, d s, qui, grâce au cran taillé sur le pont, puissent tourner très librement. À l’aide de ces mêmes leviers, que le cylindre (pareillement mis en rotation grâce au moulinet) soit mis en rotation25. Mais que le rattachement t n à l’extrémité du deuxième cylindre soit fermement assuré par un solide crochet en fer qG, dans son encastrement avec l’extrémité du cylindre, doté d’un mouvement giratoire. Qu’il soit retenu par quelque technique (par exemple une plaque n u rasant le pont), pour éviter qu’il tourne pendant que le cylindre est mis en rotation ; et qu’à ce même crochet, la corde q a e destinée à la traction d’un poids, soit attachée par un nœud serré. Il est évident que, par la rotation du cylindre, il se produira que la corde, avec une grande force, sera tirée en même temps que le poids joint à la corde. Mais il suffit d’avoir indiqué cela. Maintenant, parlons du reste des machines simples restantes. XXII Il reste trois machines : la balance26, les leviers27 et le vindas28. La balance fait référence au levier : or le levier, dans notre machine, est considéré comme une pièce maîtresse, soit la partie la plus remarquable tantôt du cabestan tantôt du moulinet : dans ces machines, le levier dépasse, elle agit vraiment selon le même mode que dans l’essieu. Mais la manière dont le levier est adapté au vindas, dont il bouge, dont il augmente les forces en mouvement, tous les savants la connaissent sans exception ; si je voulais développer ici la nature et l’usage du levier par un raisonnement
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Répétition dans le traité latin de Poleni de vertitur et vertetur. Libra, ae, f : balance. Vectis, is, m : levier. Axis in peritrochio : vindas. Le mot περιτρόχιον désigne chez Pappus (Math. 8,482) le trou dans lequel tourne l’essieu d’une roue.
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géométrique, je pourrais vraiment, par Dieu29, avoir l’air d’utiliser des explications superflues pour une chose trop connue : c’est pourquoi je ne serai pas plus prolixe au sujet du levier et de la balance. XXIII Donc, comme nous avons épuisé en quelque sorte le superflu et que nous avons reconnu que, sur les sept machines simples, six ne peuvent être utilisées pour l’objectif principal de notre projet, il nous reste seulement à traiter complètement de la septième ; évidemment la question du vindas : celui-ci, s’il est posé selon un essieu vertical, est habituellement appelé Cabestan et s’il est posé selon un essieu horizontal, est habituellement appelé Moulinet. Maintenant il faut donc avec rigueur distinguer si c’est le cabestan ou bien le moulinet qui est plus porteur pour notre sujet. XXIV Si quelqu’un recensait à cet endroit les écrits anciens ou les usages des anciens pour illustrer et définir ce sujet, et s’il demandait ainsi quelle était autrefois la construction de ces mêmes machines, si les anciens utilisaient plutôt le cabestan ou le moulinet, je répondrai que plusieurs vestiges anciens sur divers objets subsistent, mais qu’à moi qui me livre à une recherche scrupuleuse, il ne m’est pas arrivé de trouver quelque part la moindre image de cabestan ou de moulinet antique, à partir de laquelle je puisse tirer une meilleure connaissance de la structure originelle antique de ces mêmes pièces. Alors, je dirai qu’on juge que les deux machines ont été nommées par Aristote d’après ceux qui ont traduit zugon30 (fléau de balance / banc de rameurs) par cabestan et onon31 par moulinet dans la Mécanique d’Aristote32 (Art. 14). En vérité, je partage aisément l’avis du très savant français Henri de Monantheuil33 qui écrit (dans ses Commentaires sur la Mécanique d’Aristote, Paris, 1599, p. 119) : « je vois peu ce qui distingue le « zugon », le cabestan, du moulinet, « onon » comme disent les Grecs : c’est d’abord le genre de « scutula » [écuelle], sauf pour les supports ou l’épaisseur ».
29 Hercle ! : Par Hercule ! Il s’agit donc d’un juron qui confère un ton familier et oral au discours. Utilisé par Poleni dans sa correspondance et dans son discours inaugural du cabinet de physique de Padoue. 30 Zugon signifie aussi « joug », tout ce qui sert à joindre deux objets ensemble. 31 Le premier sens du mot onon est l’âne puis désigne une machine à tirer, un treuil et un cabestan. 32 Il s’agit ici plutôt du pseudo-Aristote. La traduction latine des Mécaniques attribuées à Aristote par Vittore Fausto en 1517 « inaugura une réflexion fondamentale sur les mécaniques. Galilée, dans les Discorsi e dimostrazioni matematiche (1638), propose des solutions nouvelles à des paradoxes tirés des Questions mécaniques pour appuyer certaines de ses hypothèses. L’apport essentiel et décisif de cette œuvre concerne les apports entre mécanique et physique. » À l’étude statique des machines simples réalisée par les anciens (Héron d’Alexandrie, Archimède, Pappus) qui ne se préoccupe pas de découvrir les causes physiques du mouvement mais seulement les causes mécaniques, le pseudoAristote déplace le point de vue de la statique vers celui d’une dynamique. (Simon Stevin. De la vie civile, 1590 ENS Editions, 2005, p. 121-122). 33 Le mathématicien, médecin Henri de Monantheuil (1536-1606) en latin Monantholius, natif de Reims en Champagne, était Professeur Royal à Paris en Mathématique dès l’an 1577. Il a travaillé ainsi pour le collège Royal de 1573 à 1606. Il a été aussi Doyen de la Faculté de Médecine de Paris.
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Quand la mention d’Henri se présentera à ce sujet, je remarquerai aussitôt que déjà au xvie siècle, il avait été le premier à avoir démontré (p. 30, op. cit.) que, par chaque espace mobile, une fois les forces conjuguées, la diagonale d’un parallélogramme est tracée au fur et à mesure où étaient tracés les côtés, les uns après les autres ; et ce théorème (qui à notre époque est très souvent d’une très grande utilité dans les machines) est observé par le même Henri ; il fut proposé par Proclus34 (Commentaires du premier livre d’Euclide, éd. 1590, p. 61) qui raconte avoir reçu ce théorème de Géminus35. Mais pour revenir à notre affaire, on trouve la mention du cabestan dans les livres de Vitruve (livre i, chap. 1 - livre x, chap. 4-5-16-22) ; néanmoins aucune description de l’engin lui-même n’apparaît nulle part dans ces livres36. Au sujet du
34 « Le commentaire de Proclus (ve siècle apr. J.-C.) au premier livre des Éléments d’Euclide est un texte fondamental pour l’étude de la philosophie néoplatonicienne des mathématiques et pour celle de la réception du Néoplatonisme à la Renaissance et à l’Âge classique. […] Proclus, né à Byzance en 412 et mort à Athènes en 486 nous apporte dans son Commentaire, non pas comme Pappus dans sa collection, des démonstrations nouvelles, des découvertes mathématiques même, dont il paraît être incapable, mais des renseignements précieux parce qu’ils sont à peu près les seuls qui nous restent sur bien des points de l’histoire des mathématiques pré-euclidiennes. Son ouvrage se compose d’un prologue en deux parties, la première traitant de la science mathématique en général, la seconde de la géométrie. C’est dans cette partie que, suivant Eudème de Rhodes, Proclus énumère les précurseurs d’Euclide, depuis Thalès. Plusieurs d’entre eux ne nous sont connus que par ce passage. À la suite du prologue, les définitions sont longuement commentées, puis les postulats et axiomes, enfin les 48 propositions. » Compte-rendu de J.Itard, Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, Année 1949, vol. 2, numéro 4, p. 363-364 sur Proclus de Lycie, Les commentaires sur le premier livre des Éléments d’Euclide, trad. Paul Ver Eecke, Collection des travaux de l’Académie internationale d’Histoire des Sciences, n°1, Bruges, Desclée de Brouwer, 1948. 35 Proclus attribue à l’astronome et mathématicien grec Géminos (ca 110-40 av. J.-C), un classement des mathématiques : arithmétique et géométrie appartiennent au groupe des sciences de l’intelligible tandis que la géodésie, la logistique, l’optique, la canonique, l’astronomie et la mécanique représentent les sciences du sensible. L’œuvre de Géminos souligne le lien entre la mécanique et l’astronomie, par l’intermédiaire de la sphéropée. Celle-ci construit une image du ciel mobile comme lui et qui matérialise les apparences (les « phénomènes »). Cf. L’Introduction aux phénomènes, de Géminos, Paris, CUF, 1975. trad. Germaine Aujac. 36 Le chap. i du livre i évoque l’action des cabestans pour tendre des cordes à boyau sur les chapiteaux des balistes, catapultes, scorpions : « In capitulis enim dextra ac sinistra sunt foramina hemitoniorum, per quae tenduntur ergatis aut suculis et vectibus e nervo torti funes, qui non praecluduntur nec praeligantur, nisi sonitus ad artificis aures certos et aequales fecerint. » « Ces machines, en effet, ont des chapiteaux qui présentent à droite et à gauche les deux trous des demi-tensions à travers lesquels on tend, à l’aide de vindas ou vireveaux et de leviers, des câbles faits de cordes à boyau, qui ne sont fixés, arrêtés que lorsque celui qui gouverne la machine a reconnu que les sons qu’ils rendaient étaient parfaitement identiques. » Le chapitre 4 du livre x du De Architectura de Vitruve décrit des machines pour élever l’eau : un tympan (tympanus) et des roues à augets (rotae modialum) mais ne comporte pas le mot ergata ; idem pour le chapitre 5 qui traite des roues à aubes et des moulins à eau (hydraletae). Pas de chapitre 22 au livre x dans l’édition Budé. En fait, chez Vitruve, on trouve cinq occurrences du mot ergata au livre x du De Architectura : 10, 2,7 bis ; 10, 2, 9 ; 10, 11,1 ; 10, 16,12. « Chez Vitruve, le mot désigne ergata désigne sans doute, un cabestan c’est-à-dire un treuil à axe vertical, malgré H. Polge (Études de technologie rétrospective…, p. 142), qui estime que le cabestan était inconnu des anciens, et malgré W. Sackur (Vitruv und die Poliorketiker, p. 47, n. 3 ; p. 48, fig. 22), qui pense à un treuil horizontal à manivelle, placé sous le tambour et encastré comme la sucula du trispastos ; mais ce sens correspond mal aux autres emplois du mot ergata et Vitruve distingue nettement en 10, 11, 1, les deux types de machines. L’utilisation combinée d’un
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vindas, le fait est que ce qu’on dit sur la forme de celui-ci, on peut aussi le comprendre certainement de la forme du moulinet ; Pappus37 (Collections mathématiques, livre viii) en a débattu plus soigneusement. Mais d’ailleurs ni d’après Pappus ni d’après aucun autre écrivain de l’Antiquité, quelque chose ne peut être connu de vous, qui pourrait concerner, en quelque façon, notre recherche. XXV Mais si l’observation des antiques modes d’emplois des machines ne nous permet pas de découvrir ce qui relève de notre recherche, il faut parfaitement étudier les usages contemporains qui touchent notre sujet. En outre, aujourd’hui, les marins utilisent le moulinet dans des navires plus petits pour dresser les mâts, monter les vergues, soulever les poids moyens pour charger leurs navires ou pour les décharger : j’ai vu aussi parfois avec des moulinets, adaptés au-dessus des proues des petits esquifs, lever facilement des ancres qui maintenaient en même temps les petits navires. Puisqu’il en est ainsi, il est aisé de voir que le moulinet (de lui-même, c’est-à-dire, aidé d’aucun instrument) n’est pas employé aux usages qui demandent de grandes forces. Voilà ce que je proposerais s’il s’agissait d’augmenter les forces du moulinet : que les parties E F, y D de celui-ci (Fig. 7) situées hors du tambour d’engrenage AB soient plus longues ; et qu’elles ne soient pas pourvues seulement de deux leviers (comme on le voit sur la figure 4) mais de plusieurs leviers : par exemple, que l’extrémité (Fig. 7) y D soit tambour et d’un cabestan est également évoquée en 10, 16, 12. » Callebat, Fleury, CUF, 2003, p. 99. Au chapitre 2, partie 9, on lit : « Ita tres ordines hominum ducentes sine ergata celeriter onus ad summum perducunt. » « Avec ainsi trois files d’hommes qui tirent, une charge se trouve rapidement élevée, sans cabestan ». La machine qui permet de se passer de l’usage d’un cabestan est « le polyspaston qui est un palan à traction multiple utilisé comme engin de chantier (livre x, Vitruve) mais aussi pour charger des machines sur les navires (Athen., Mech.33, 3), comme dispositif de traction tel que celui employé par Archimède (Plut., Marc. 14,13) pour entraîner un lourd bateau à trois mâts. » Callebat, Fleury, CUF, 2003, p. 102. L’autre occurrence concerne la question du levage des grosses charges (Vitr., De Arch., 2, 7) : « Cum autem, circa tympanum inuolutus, alter funis refertur ad ergatam, et is circumactus tympanum et axem < uersat >, se inuolendo pariter extendunt et ita leniter leuant onera sine periculo. Quodsi maius tympanum conlocatu aut in medio aut in una parte extrema fuerit, sine ergata, calcantes homines expeditiores habere poterunt operis effectus. » « Et quand une autre corde enroulée autour du tambour, est ramenée à un cabestan et que celui-ci, mû circulairement, fait tourner le tambour et l’axe, elles se tendant également en s’enroulant et, doucement soulèvent ainsi les charges sans danger. Si toutefois un tambour plus grand a été installé, soit au milieu, soit à une extrémité, des hommes l’actionnant avec leurs pieds pourront, sans cabestan, réaliser plus promptement le travail. ». Au livre x, chap. 16, partie 12, Vitruve évoque le siège de Marseille par César en 49 : la victoire des habitants de Marseille tient dans leur faculté à s’opposer aux dispositifs mécaniques romains. « Testudo autem arietaria cum ad murum pulsandum accessisset, permiserunt laqueum et eo ariete constricto, per tympanum ergata circumagentes suspenso capite eius non sunt passi tangi murum. » « Une tortue bélière s’étant par ailleurs approchée pour battre le mur, ils lancèrent un lasso qui enserra le bélier et, par l’entraînement circulaire d’un tambour, avec un cabestan, ils tinrent sa tête relevée, empêchant que le mur soit atteint. » 37 Pappus d’Alexandrie est un mathématicien de la Grèce antique du iv siècle. Les écrits nous suggèrent qu’il fut précepteur. Son principal ouvrage est connu sous le nom de Synagogè (paru vers 340 de notre ère). Il comprend au moins huit volumes qui nous sont parvenus, le reste ayant été perdu. Cette Collection inclut la géométrie, les mathématiques récréatives, la construction d’un cube du double d’un cube donné, les polygones et les polyèdres.
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équipée de huit leviers a p, u r, n x, m z, b g, d f, s e, t e ; qu’il en soit de même pour la deuxième extrémité E F : et que des leviers plus ou moins nombreux, de différents modèles, vu l’état des choses, soient ainsi adaptées aux moulinets. C’est pourquoi plusieurs hommes, quand ils pourront s’appliquer à les faire tourner, verront les forces de ces leviers décuplées. Je n’annonce pas, par là, que je n’estime pas la chose facile mais que je ne me souviens pas de l’avoir vue quelque part. XXVI Nous avons donc assez parlé des usages du moulinet ; il nous reste seulement à parler des usages du cabestan. Et si les moulinets peuvent l’emporter sur tout dans les petits navires grâce à leurs forces moyennes, les cabestans peuvent également l’emporter sur tout de la même façon : et ceux-ci dotés de forces beaucoup plus grandes sont utilisés en outre avec un très grand profit même dans de plus grands navires pour ces usages qui réclament de puissantes forces ; évidemment pour dresser de grands mâts, monter de très lourdes vergues, soulever d’énormes poids afin de charger ou de décharger les navires, lever des ancres même de très grand poids ou même retenues et coincées dans les creux des rochers, même enlisées de manière tenace dans une terre38 compacte. En outre, c’est grâce aux cabestans que les navires sont tirés à contre-courant et ne finissent pas sur un banc de sable, ou sont inclinés sur le flanc39, s’ils doivent être réparés ou enduits de poix. Donc de cet usage contemporain, il me semble qu’il faut décréter ceci : les cabestans dans la navigation rendent des services beaucoup plus réguliers et efficaces que les moulinets. XXVII Mais outre l’usage contemporain, il faut examiner aussi cette question : sur laquelle de ces deux machines les hommes pourraient réellement d’une manière plus efficace et plus utile, appliquer leur action et leur mouvement. Philippe de La Hire40, riche de son savoir, fut le premier à apporter (Mémoires de l’Académie Royale,
38 Argilla ae, f : argile ou terre compacte. 39 Ce sont les camelli (chameaux) d’invention hollandaise – cabestan, poulies, cordes – qui servent à tirer ainsi les bateaux. On en voit des maquettes au Museo storico navale de Venise. Dans sa bibliothèque, Poleni a référencé d’ailleurs la copie d’une lettre sur la récupération d’un vaisseau au moyen de « Chameaux » (AH, 4, 1720) et les dessins de « Chameaux » pour soulever les bateaux (XX, 22, 1720). 40 Philippe de La Hire (1640-1718), « géomètre et astronome réputé de son époque, s’intéressa au travail humain et à la force des hommes pour mouvoir des fardeaux, se révélant par ses travaux un précurseur de l’ergonomie. Membre de l’Académie des sciences, directeur de l’Académie d’architecture et professeur de mathématiques au Collège Royal. » Hélène Daffos-Diogo, « Philippe de La Hire (1640-1718), précurseur de l’ergonomie », communication du 28 mars 1987 de la Société française d’Histoire de la Médecine, disponible sur le site www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm. Le mémoire de Ph. de La Hire, présenté le 14 novembre 1699, est intitulé « Examen de la Force de l’homme pour mouvoir les fardeaux, tant en levant qu’en portant, en tirant, laquelle est considérée absolument et par comparaison à celle des animaux qui portent et qui tirent, comme les chevaux. » (Mémoire de l‘Académie Royale des Sciences, 1702, p. 261-287).
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Fig. 125. – Hommes soulevant des poids, fig.8, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
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1699, Paris, p. 153) la lumière de la mécanique naturelle à l’examen des forces des hommes et des bêtes de somme. Ensuite, John Theophile Desaguliers41 (A Course of Experimental Philosophy, Leçon IV) rapporta les paroles de Philippe (p. 267) et les compléta par d’autres développements avec intelligence. Et après avoir lu tout cela et fait le tour de la question, j’ai décidé de suivre le meilleur exemple et de cerner le sujet dans des expériences. J’ai sélectionné trois hommes, assez robustes (comme il est apparu) et dotés d’une force égale et d’une carrure comparable. J’ai pris soin de vérifier sur la balance le nombre de livres que chacun pesait ; alors j’ai additionné ces trois nombres trouvés en une seule somme ; et la somme divisée par trois a donné une moyenne de la pesanteur42 (d’après calcul) à attribuer à ces hommes ; elle s’élevait à 135 livres. Ces hommes (Fig. 8), l’un après l’autre, se sont appliqués à tirer un poids P (des poids de ce genre, par l’addition ou la soustraction de poids variés, s’adaptent à ce qu’on veut obtenir, c’est parfaitement connu même si je le passe sous silence), à l’aide d’une corde a c b posée sur une poulie T, de quatre pieds plus haute que la tête d’un homme. N’importe lequel des hommes (comme n’importe lequel a été choisi pour mener l’expérience) pour tirer avec ses mains la pièce de bois g e, à laquelle avait été nouée l’extrémité b de la corde, a maintenu son corps, A B en quelque sorte, suspendu à cette extrémité si bien qu’il touchait le sol pavé de la pointe de ses orteils : assurément cette position et cette adaptation du corps A B, qui sont les plus commodes de toutes, se firent de telle sorte que l’homme pour tirer le levier du moulinet, puisse exercer la force la plus grande dont il soit capable. Et notre cas s’accorde presque avec celui exposé par Philippe de La Hire (p. 154, art. V)43. Et il diffère à peine de ce cas où la poulie jouant le rôle de balance aux bras égaux, l’homme suspendu créait un équilibre avec le poids suspendu P. Or, une fois plusieurs expériences menées, j’ai découvert que la moyenne exprimant les forces (connues d’après l’équilibre avec le corps P pesant 130 livres44) qu’a pu exercer l’un de ces hommes ainsi installé, comme il a été démontré, était de 130 livres. Ensuite, j’ai mené une autre expérience. Ces trois hommes, l’un après l’autre de manière identique, se sont appliqués à pousser le levier du cabestan (Fig. 9) d q, auquel avait été attachée entre les deux mains de l’homme m n (qui serraient le levier), l’extrémité z de la corde z u t, et à l’autre extrémité t de cette même corde
41 John Theophile Desaguliers (1683-1744). Ce newtonien est l’un des introducteurs des premiers cours de physique expérimentale au tournant du siècle. Il développa la méthode d’exposition de la physique par « démonstrations » expérimentales. « Camus (1722) et Désaguliers (1732) montrèrent que le frottement à l’état de repos est supérieur au frottement à l’état de mouvement. Désaguliers mit au point un ingénieux appareil de mesure du frottement, le tribomètre. En 1781, l’Académie demanda une enquête en grand applicable aux cordages de marine, ce qui suscita les grandes expériences de Coulomb. » Halleux, 1998, p. 589. 42 Gravitas, atis, f. 43 « Pour analyser l’effort de l’homme pour tirer ou pour pousser horizontalement, [Philippe de La Hire] se sert d’un treuil. Le coude de la manivelle étant horizontal, à hauteur des genoux, il détermine le poids maximal que l’homme peut élever égal à 73,5 kg tandis que pour abaisser la manivelle, son effort ne peut être que de 68,5 kg ne pouvant s’appuyer que du poids de son corps. » Daffos-Diogo, 1987, p. 40. 44 La livre équivaut à 489.50 g.
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avait été suspendu le poids G. La corde était soutenue par la poulie M, située sur une hauteur au-dessus du sol pavé, de telle sorte que sa partie z u soit parallèle au plan horizontal. N’importe quel homme de ceux-ci (au moment où n’importe quel homme se trouva pour faire l’expérience), en appuyant de ses mains sur le levier d q, adaptait son corps DE de telle sorte que, par la portion de la pesanteur de son corps incliné45 et par l’action des muscles, il poussât sur le levier au maximum que cela pouvait être fait de sa part. Or à partir de ces expériences variées, j’ai réalisé la synthèse suivante : la moyenne exprimant les forces (indiquées par l’équilibre avec le poids G doté d’une pesanteur de 116 livres) qu’un seul de ces hommes, poussant comme il a été indiqué, peut exercer, était de 116 livres. Ici, aussi, je remarquerai que, dans chaque expérience, les hommes se tenaient toujours sur le même sol pavé plat mais non aplani : dans ce genre d’essais qui requiert une justesse scrupuleuse, il est nécessaire aussi de tenir compte du sol pavé. XXVIII Puisqu’il en est ainsi et qu’on peut considérer que la force d’un homme qui pousse sur le levier du cabestan est de 116 livres, que d’autre part, la force de l’homme qui tire le levier du cabestan est de 130 livres, l’effort de celui-là appliqué au cabestan est visiblement un tout petit peu plus faible que l’effort de celui-ci appliqué au moulinet. Mais néanmoins nous préfèrerons tout de même le cabestan au moulinet, si nous sommes attentifs au reste des données qui doivent retenir notre attention. Évidemment, pour mettre en mouvement le cabestan, l’action des hommes est plus continue et plus constante que pour tourner le moulinet. En effet, tandis que les leviers de celui-ci descendent, les positions des hommes doivent être davantage changées et les forces de ceux-là mêmes qui tirent, être diminuées. Mais alors aux leviers de celui-là, les hommes peuvent s’adapter plus commodément qu’aux leviers de celui-ci. En outre, plusieurs hommes peuvent appliquer leurs efforts de façon appropriée, dans le même et unique temps, pour mettre en rotation le cabestan que pour faire tourner le moulinet. Ajoutons qu’outre la partie de la pesanteur corporelle de l’homme qui s’appuie sur le levier, les muscles extenseurs du fémur, du tibia, du pied, et aussi les autres muscles qui agissent pour l’extension des autres articulations, peuvent étonnamment aider l’action d’impulsion des leviers du cabestan mais non de même la traction du moulinet. Or ces muscles ont été beaucoup fortifiés naturellement, comme l’a déjà indiqué, avec perspicacité, et depuis longtemps, Giovanni Alfonso Borelli46, dans son remarquable ouvrage sur Les Mouvements des animaux.
45 La Hire considère que le degré d’inclinaison du corps le plus favorable pour pousser ou pour tirer est de 60° avec l’horizontale. 46 Giovanni Alfonso Borelli (1609-1678) est l’auteur du traité d’iatromécanique : De motu animalium, (publication posthume en 1680-1681 assurée par l’ordre religieux des scolopes de Rome qui recueillirent Borelli exilé). Ce traité donne une formulation physique de la mécanique humaine, de l’action des muscles et du travail et marquait le lien avec le système nerveux central. « Les muscles du squelette constituent un ensemble de leviers et de marteaux qui obéissent aux lois mathématiques, mécaniques ou statiques, tandis que la circulation du sang répond à celles de l’hydraulique ; la
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XXIX Du reste, au sujet de cet éminent ouvrage, puisqu’une mention se trouve être nécessaire ici, il peut être permis de faire une courte digression, et au sujet de la réflexion allemande de dire quelques mots sur les forces des muscles. Je me suis trouvé un jour en état de structurer, selon un nouvel ordre, les diverses informations de cet ouvrage que j’ai rappelé ; et à la place de plusieurs propositions livrées par Borelli, j’en substituerais d’autres meilleures que, pour corriger et enrichir l’œuvre du grand savant Borelli47, Pierre Varignon48, Jean Bernoulli49 et d’autres ont livrées ; j’utiliserais aussi les observations et réflexions que les très célèbres anatomistes Jacques-Benigne Winslow50, Giovanni Battista Morgagni51 et quelques autres ont
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digestion, par exemple, est considérée comme une simple action mécanique de trituration, dont la phase initiale est la mastication. » Jacqueline Brossollet, « Borelli G.A. (1608-1679) », Encyclopædia Universalis. Dans ses brouillons conservés à la Biblioteca Marciana de Venise, Poleni est très sévère à l’égard des théories de Borelli. Poleni tire ses connaissances anatomiques de l’influence de son ami médecin Jean-Baptiste Morgagni. Le père jésuite Pierre Varignon (1654-1722), mathématicien, construit l’algorithme de la cinématique à partir des concepts de « vitesse dans chaque instant » et de « force accélératrice dans chaque instant ». Il conçoit également une formule générale donnant la solution des problèmes relatifs aux mouvements des projectiles. Poleni doit faire allusion aux problèmes d’élasticité posés par Jacob et Johann Bernoulli (1667-1748) comme celui de l’elastica, à savoir la courbe d’une poutre encastrée, soumise à l’action d’un poids placé à son extrémité, de la voilière ou voile poussée par le vent de la lintearia, linge rempli de liquide. Johann Bernoulli s’est également intéressé à la brachystochrone pour déterminer la courbe de descente la plus rapide. Avec Leibniz, il développe la notion d’énergie et de travail et permet de percevoir cette « grande généralité du principe des vitesses virtuelles et son utilité pour résoudre les problèmes de statique. » comme l’écrit Lagrange (La Mécanique analytique, 1788). Johann Bernoulli « exprime qu’un système soumis à des contraintes qui n’effectuent pas de travail est en équilibre si le travail virtuel des forces appliquées est nul lors d’un déplacement infinitésimal compatible avec les contraintes. » P. Radelet de Grave, La Science classique, M. Blay et R. Halleux, 1998, p. 203. Poleni possède, dans sa bibliothèque, l’ouvrage de Jean Bernoulli, Essai d’une nouvelle théorie de la manœuvre des vaisseaux (1714). Jacques-Benigne Winslow (1669-1760) est médecin de l’Hôpital-général, il est reçu à l’Académie des sciences en 1708. Anatomiste, professeur au Jardin du Roi en 1743, il enseigne l’anatomie la Faculté de médecine de Paris tout en poursuivant son enseignement au Jardin du Roi jusqu’en 1758. Dans son mémoire de 1720, Winslow démontre que « la plupart des mouvements dépendent du relâchement des muscles qu’on nomme antagonistes. Qu’il suffit par exemple, pour la flexion de la tête, que les muscles extenseurs cessent d’être en contraction, sans qu’il soit nécessaire que les fléchisseurs agissent. » Pour expliquer un numéro réalisé par « un faiseur de tour de souplesse en 1723, qui saisissait une corde entre les deux omoplates assez vigoureusement pour qu’on pût l’enlever à l’aide cette corde », il développa le mécanisme des muscles nécessaire à cette action dans trois mémoires réunis dans l’Exposition anatomique du corps humain de Winslow, 1732. (Éloge historique de M. Winslow, 1760). Auteur de De sedibus et causis morborum per anatomen indagatis (« Sur le siège et les causes des maladies dépistées par l’anatomie », Venise, 1761), le médecin Giambattista Morgagni (1682-1771) est le fondateur de l’École d’Anatomo-pathologie. En 1724, grand ami de Morgagni, Poleni adresse à Guido Grandi (1671-1742) une lettre (citée par G. Ongaro, Giovanni Poleni idraulico, 1988, p. 187-202) sur la cause des mouvements des muscles dans laquelle il compare le schéma musculaire de Borelli et Bernoulli et se propose d’illustrer et confirmer expérimentalement les problèmes de Bernoulli. Dans ce but, il réalise une « Machinula » musculaire qu’on peut découvrir dans les Epistolarum
t rad u ct i o n annot é e Fig. 126. – Modélisation de la force musculaire par Borelli, fig.10, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
apportées comme clair appui à cette même théorie. Or, comme je m’occupais de ce sujet, la question portant sur la multiplication par deux des forces musculaires, m’a embarrassé, question qui est tirée de la partie I, chapitre 10 de l’ouvrage qu’on a rappelé. La proposition (ou lemme) XXXI de Borelli est la suivante : « Si l’extrémité de la corde non chargée (Fig. 10) A B est attachée à un clou C et si l’extrémité restante est tirée par un poids ou une puissance R, la force qui fait résister la corde à la traction est le double de la puissance de la traction52. » Cette proposition ou d’autres semblables, Borelli l’appliqua pour définir la force entière des muscles (qu’il cherchait là), mais alors il a fixé que la force entière des muscles est deux fois plus grande que la force qu’il avait lui-même comparée, peu de temps auparavant, après avoir pesé les expériences et les principes mécaniques. Par conséquent, il a affirmé, avec toute son assurance (Prop. XXXV) et par exemple, que la force du biceps doit être évaluée à 600 livres, force que, pourtant auparavant, il avait estimée à 300 livres, s’étant fié tantôt aux principes mécaniques, tantôt aux expériences (Prop. XXXIV). Une duplication de ce genre des forces musculaires fut contestée par le très célèbre Richard Mead53 dans sa préface mise en exergue de la deuxième édition de Myotomia Reformata (écrite en anglais) de William Cowper ; dans cette préface, les mouvements des muscles sont expliqués selon un raisonnement mathématique. Dans celle-ci (p. VIII), Mead expose, d’une manière claire, les principes de Borelli
mathematicarum fasciculus, (Padoue, 1729, tab. Z). Cette machine est constituée d’une table sur laquelle repose une barrette métallique rhomboïde rappelant la forme du muscle d’où pendent des poids. Poleni accorde une importance centrale au mouvement des muscles puisque dans son cours de 1731 à l’université de Padoue, il propose une leçon sur les mouvements des animaux. G. Poleni, Triumvirum rei litterariae amplissimorum permissu partem mathematicam doctrinae motus animalium, una cum mechanices nonullis elementis. 52 Poleni change un peu la phrase originale de Borelli en lui adjoignant des lettres qu’il reproduit dans sa figure 10. Borelli propose également un croquis (tableau 3, figure 9). 53 Richard Mead (1673-1754), est un physicien britannique qui s’est consacré à la médecine préventive. Diplômé de l’université de Padoue (1695) et d’Oxford (1707), membre du St Thomas’ Hospital et du Medical School, Londres (1703-15), Mead s’est occupé d’illustres personnalités telles que le roi George I, la reine Anne, le roi George II, le premier ministre anglais Sir Robert Walpole mais aussi Sir Isaac Newton et le poète Alexander Pope.
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c ha p i tr e xi i Fig. 127. – Modélisation de la force musculaire par Poleni, fig.11, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
au sujet du doublement des forces, pointant les arguments de Borelli qui semblent, pour Mead, un simple jeu de mots : « La proposition XXXI de Borelli ayant été maintenue – proposition que nous avons rapportée quelques lignes plus haut – est-ce que, dit Mead, d’après un calcul absolument égal, on ne pourrait pas dire que la corde est tirée seulement par le poids R puisqu’une fois le poids R enlevé, la traction cesse complètement ? ». Il ajoute plusieurs arguments et à la fin, il conclut ainsi : « Par ce calcul, selon les volontés de Borelli, il est établi que la corde est tirée par un seul poids de manière équivalente à deux poids, exactement à l’aide du même calcul, on pourrait établir que la corde n’est pas tirée davantage par deux poids que par un seul poids. » Pour faire bref, le très intelligent Mead disait que ce doublement ne devait pas être intégré à l’évaluation de la force musculaire. Donc la question est la suivante : je n’ai pas perçu une seule fois que certains savants étaient de son côté et d’autres de l’autre. Si cette question ne se résout pas, il est nécessaire qu’elle reste enchevêtrée dans les difficultés et que la théorie sur le mouvement des animaux soit embarrassée. Quant à moi, assurément, plus qu’un autre, je fais très grand cas de ce que livrèrent, par écrit, les deux éminents savants Borelli et Mead : cependant, il m’est permis de proposer mon avis. Chacun des deux a considéré la puissance agissante comme celle appliquée à l’extrémité de la corde : quant à moi, toutefois (qu’il me soit permis de le dire), j’estime que cela n’a pas de rapport avec la réalité et clairement, je pense que toute difficulté ne peut être levée de façon certaine, si on utilise la comparaison avec la corde mais seulement si on utilise ceci : assurément le clou C (Fig. 11) représente l’os immobile auquel est relié soit le tendon soit la tête du muscle (la corde A est reliée pareillement au clou C) : que l’extrémité B de la corde renvoie à un autre tendon ou à la queue du muscle qui va s’insérer dans l’os par lequel doit être soulevé un poids (par exemple R). Ensuite, je pose que la moitié de la corde est constituée de deux petites cordes s x u, a z n qui ainsi, comme il s’avère sur le schéma, sont tirées par deux puissances D et E ; mais alors
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je conçois que d’après cette figure s x u, n z a, on représente (comme c’est habituel) l’une de ces cellules de fibres qui se gonflent par un fluide interne (et croissent selon la ligne x z mais sont contractées suivant la ligne s u). Elles se gonflent, dis-je, comme un muscle qui va être mu. C’est pourquoi si nous considérons la corde, il est tout à fait clair que, par une contraction de ce genre, la corde A B est rendue plus courte et que le poids R est soulevé par la force appliquée à la moitié de la corde et non au bas de celle-ci. En outre, cette action est celle des puissances D et E ; si on observe scrupuleusement, il apparaîtra très nettement que la moitié de cette action est rendue vaine par la résistance du clou C (c’est-à-dire l’os immobile) mais que le poids est soulevé par la force restante (c’est-à-dire mu par l’os mobile). C’est pourquoi je pense que la première partie de la théorie sur le mouvement des animaux, c’est-à-dire la base et le fondement de toute la théorie, doit consister dans le problème servant à définir la quantité de force qui est nécessaire, en fonction des diverses actions musculaires, pour engendrer divers gonflements de leurs fibres. Et cette force, si appliquée comme puissance active (au moyen de la queue du muscle), est considérée comme un levier, si l’os qui doit bouger est tenu pour un levier, si la force de l’os et du corps joint pour soulever cela, est considérée comme une gravité ou une résistance, alors seulement, grâce à l’utilisation des principes mécaniques et des expériences, le calcul allemand pourra facilement être trouvé entre une puissance agissante et une résistance. Pour conclure, si par un calcul universel, la quantité de cette force qui gonfle les fibres musculaires, comme nous l’avons dit quelques lignes plus haut, est établie, dès le départ de la recherche, comme celle des forces musculaires (non dans le cours de l’exposé, ainsi que l’a fait Borelli), alors il n’y aura pas du tout besoin de réfléchir au doublement des forces ; et la question de ce doublement, pénible et très difficile d’ailleurs, se résoudra spontanément (pour ainsi dire) et disparaîtra complètement. Voici donc ce que j’avais à dire au sujet d’une méthode plus adaptée pour estimer les forces musculaires puisque la mention de ces forces elles-mêmes a été désormais faite pour notre sujet, mais j’en reviens à notre sujet, et comme quelques-uns aiment à le dire, je reviens sur la route, après un petit détour. XXX C’est pourquoi, comme le comporte ma proposition, je donne la description du cabestan à fabriquer (selon le schéma ci-joint). A B (Fig. 12) est le dernier pont du navire ; C D est le deuxième pont sous celui-là, E F est le cabestan dont la partie inférieure G F passe par les trous conformes de ces mêmes ponts ; n u e a est la partie la plus basse de l’essieu E G du cabestan, en contact avec le pont A B, formée en une figure parfaitement cylindrique ; que nous appellerons « base du cabestan » ou seulement « base ». Dans celle-ci, la division m t. c est marquée par le pourtour d’un cercle, où la base du cabestan se divise en deux parties : parmi celles-ci, la hauteur n m ou a c de la partie supérieure n m c a est aussi grande que le diamètre de la plus grande corde du navire, c’est-à-dire, la plus grande corde de l’ancre : mais la hauteur de la partie inférieure m u ou c e est un peu plus grande que la hauteur de la partie supérieure.
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Fig. 128. – Cabestan de Poleni, fig.12, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
XXXI Dans la partie inférieure de la base, sont découpées douze dents solides et obliques, dont il vaudra mieux indiquer quelques-unes sur un schéma notablement plus grand ; montrant la section des dents faite sur un plan transversal (Fig. 13) ; s s i i s sont les dents découpées. Et t u, m a sont de solides verrous, tournant autour de robustes clous ronds u, a. Des liens comme q et p ajoutent une force aux résistances des verrous eux-mêmes ; et certains sont étayés par ceux-ci. Il y a aussi les tiges
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Fig. 129. – Base crénelée du cabestan, fig.13, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
élastiques54 n c et e x qui sont mises ici de telle sorte que lorsque le cabestan est mis en rotation selon les lettres A B C et que les verrous se retirent des interstices creusés entre les dents i et i i et s, alors, les verrous eux-mêmes sont contraints par les tiges élastiques à se mettre, de nouveau, dans les interstices vides, très proches à droite ; avec cette technique, il arrive que les verrous appuient toujours et retiennent les dents d’un côté : assurément, afin qu’il ne puisse se produire que le cabestan soit entraîné en cercle selon les lettres C B A c’est-à-dire dans un mouvement giratoire contraire à celui selon lequel la corde nautique est enroulée. XXXII L’anneau (Fig. 14) F D E B embrasse toute la base (Fig. 12) n u e a, anneau dont le diamètre du creux excède à peine le diamètre de la base : évidemment le creux de l’anneau doit être aussi grand (et non pas plus grand d’un rien) qu’il est suffisant pour qu’à l’intérieur – alors que l’anneau demeure immobile – la base du cabestan puisse librement tourner. Cependant, nous avons dessiné une figure de l’anneau (en vue d’une image plus parlante) un peu plus grande que ce qui conviendrait à la taille de la base (Fig. 12) n u e a. La plus grande hauteur de l’anneau (Fig. 14) A u est la même que la hauteur n u ou a e de la base : la largeur t r excède très peu le diamètre de la plus grande corde nautique c’est-à-dire la hauteur n m ou a c (Fig. 12). Mais pour qu’on comprenne plus
54 Le néologisme elastra vient du grec ἔλαστρέω (elastreô) : pousser, circuler, chasser. Il convient également de renvoyer ici au mot italien « elastro » qui est lui-même un néologisme forgé par Poleni. Il désigne qui est une tige métallique élastique, insérée dans une tablette oblongue (Tavoletta con « elastro »), longue de 79 cm au cabinet de Philosophie Expérimentale de Poleni.
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Fig. 130. – Anneau FDEB, fig.14, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
Fig. 131. – Plan incliné, fig. 15, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
facilement et plus clairement quelle est la figure de l’anneau proposé, je voudrais que l’on conçoive un cylindre droit (Fig. 15) F D E B dont l’essieu serait a e. On percevrait alors que ce cylindre a été creusé de telle sorte que la surface du creux interne K G H R est la même que la surface de l’autre cylindre droit qui comporte ce même essieu a e. Mais, en outre, qu’on imagine que, sur la surface extérieure du cylindre, deux points ont été notés ; le premier point t sur le pourtour du cercle le plus haut, le second point s, sous le point t, marqué à la distance t s, qui égale la hauteur (Fig. 12) n m ou a c de la partie supérieure de la base du cabestan. Ensuite, on concevra (Fig. 15) qu’autour de la surface extérieure du cylindre, depuis le point t dans le rond jusqu’au point s, la ligne décrite est une spirale t n g m s ; de chaque point de celle-ci, l’on comprend que les lignes droites sont menées vers l’essieu a e, perpendiculaires à l’essieu lui-même ; précisément, on comprend que toute la partie solide existant sur ces lignes a été enlevée ; et on percevra ainsi facilement que reste l’anneau (Fig. 14) dont la surface finale n g m esera une spirale ; ensuite, nous désignerons cette surface par l’expression « spirale annulaire ».
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Fig. 132. – Anneau, fig. 16, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
XXXIII Dans ce même anneau, il faut porter son attention aussi sur une large fente, ou cran, p q. Par celui-ci est formé (pour ainsi dire) un arc sous lequel se meuvent très librement les verrous et les tiges élastiques, que nous avons évoquées un peu plus haut : quatre fentes de ce genre peuvent être faites. Et précisément, il faut voir dans cette même figure, pour ainsi dire, quatre clous k x c z cylindriques dont les parties supérieures sont fixées soigneusement (selon à la verticale) sur l’anneau et agrippées très solidement au même anneau ; mais les parties inférieures doivent être insérées dans quatre trous perforés sur le pont supérieur (quand le besoin s’en fait sentir) de telle sorte que l’anneau adhère au pont. Il sera utile aussi qu’il y ait des intervalles absolument égaux entre les clous afin que la position de l’anneau puisse être modifiée quatre fois (si les creux destinés à recevoir les verrous et les tiges élastiques, sont réalisés selon la technique qui permette seule les changements indiqués) ; par exemple, si on retire l’anneau et si, de nouveau, on l’adapte de telle sorte que, dans le trou, où auparavant on avait fait pénétrer le clou z, on fasse pénétrer le clou c. XXXIV La dernière partie de notre cabestan doit être expliquée : le petit anneau (Fig. 16) z x, qui doit être tourné soigneusement pour que ses bords m n s t et c e, très voisins du creux, dominent les parties restantes du cabestan. Plusieurs anneaux de ce genre peuvent être utilisés à cet usage, que j’évoquerai bientôt. V F (Fig. 12) est le petit essieu en fer de notre figure cylindrique, qui doit être inséré à la partie du cabestan V G et relié au cabestan au moyen de minces pièces de métal extérieures qui proviennent de celui-ci pour éviter de le disloquer par une traction. Entre le pont C D et le clou R M traversant le petit essieu V F, deux petits anneaux z x et s r sont enfilés sur le même petit essieu : ils touchent le pont, le clou et eux-mêmes mutuellement, seulement par les bords extérieurs, que nous avons évoqués un peu plus haut ; et, la conséquence est que leurs frottements – comme on dit – sont faibles. Or, nous avons ajouté les petits anneaux de ce genre zx, sr, et le clou R M, pour cette raison : pour que le cabestan mis en rotation, s’il est tiré par une autre force de dessous vers le haut, puisse résister à cette force tirant de dessous vers le haut et ne soit pas soulevé d’un pouce ; ce qui est garanti par le clou R M. Mais
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Fig. 133. – Cabestan et coupe des deux ponts, fig. 17, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
les petits anneaux z x, s r, dans notre procédé, l’emportent surtout sur le plan de l’utilité pour que, par un effort de dessous vers le haut, dans la direction, la rotation soit beaucoup moins déréglée qu’elle n’aurait été déréglée autrement : assurément, ces petits anneaux, empêchant l’adhérence du clou R M au pont C D, se prêtent facilement à la rotation. À la place du clou R M, une vis faisant tourner la partie basse du petit essieu, ou quelque autre technique, qui mènerait à l’objectif proposé de la même manière qu’un clou, pourrait être aussi utilisée.
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XXXV Restons-en là pour ce qui a été exposé à propos des parties de notre cabestan : maintenant, évoquons la constitution complète et entière du cabestan même. Au début, comme nous l’avons exposé plus haut dans la douzième figure au chapitre xxx, de même ici (Fig. 17), A B est le pont supérieur du navire ; C D est le deuxième pont sous lui ; E F est le cabestan dont la partie inférieure traverse les trous correspondants des ponts A B et C D. Sur la surface plane du pont A B un anneau T Q H est fixé, formé et adapté au pont même A B de la façon qui peut apparaître suffisamment d’après la figure 14, et d’après les chapitres xxxii et xxxiii. Et ainsi, le même anneau est encastré et protège la base de notre cabestan. Or, à l’endroit indiqué par la lettre L, sont situés les deux écrous dont la structure délimitée dans la figure 13, est présentée dans le chapitre xxxi ; ils poussent toujours et retiennent d’un côté les dents de la base du cabestan. Mais ces verrous eux-mêmes se trouvent sous l’arc creusé au niveau des parties inférieures de l’anneau, installés grâce à la technique qui fut déjà expliquée dans la figure 14 attenante au chapitre xxxiii. C’est pourquoi par ce moyen, par cette technique, chacune de ces nouvelles parties doit être placée et adaptée : néanmoins, il n’est nullement nécessaire que l’action des hommes tournant le cabestan ou l’emploi du cabestan soient empreints de nouveauté. Le corps à tirer par la corde a été joint à la partie P de cette même corde : et à l’autre partie K de la corde, est appliquée la Force tirant en arrière : assurément, la force par laquelle les hommes tiennent dans leurs mains cette partie K de la corde (pendant que le cabestan tourne), pour que la portion intermédiaire n m c b e d de la corde, qui est enroulée autour de l’essieu du cabestan, adhérant à celui-ci, par le même mouvement qui meut l’essieu, soit mue aussi elle-même. Mais cette portion intermédiaire de corde fait quatre tours étroits autour de l’essieu du cabestan de telle sorte que le plus petit tour touche toujours partout la spirale de l’anneau c m n u. Cette spirale garantit facilement et parfaitement ce qui était recherché. En effet, ces tours eux-mêmes de la corde en mouvement s’appuient sur la spirale montante sans interruption de dessous vers le haut et toujours sont portés vers les parties supérieures ; cependant, autant de corde nouvelle (et cela, il faut le noter franchement), autant de corde nouvelle, dis-je55, pour le plus petit tour touchant la spirale de l’anneau c m n u, est enroulée, autant de corde du cercle supérieur d e b est déroulée et dépliée ; assurément, aussi grande est la corde qui s’enroule plus bas autour de l’essieu du cabestan, que la corde qui, en haut, se dégage de ce même essieu : c’est pourquoi il arrive que le mouvement se fasse toujours de la même façon constante. Et l’action n’est pas amenée davantage au point critique à savoir qu’il faut sans cesse rattacher la corde et interrompre le travail de traction entrepris ; en effet, l’action ne constitue pas un danger, arrivant plus fréquemment, quand la corde après quelques tours vers la partie la plus basse de l’essieu du cabestan parvenant forcément à la partie supérieure de ce même essieu, par un effort non anodin, et souvent aussi à la suite d’une grande dépense de temps et d’activité, doit être ramenée ; il ne
55 Une reprise qui confère un caractère oral et naturel au discours de Poleni.
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faut donc pas craindre davantage les gênes provenant de la navigation. En outre, alléger de ces gênes et difficultés la navigation, tel est le but (comme nous l’avons rappelé plus haut dans le chapitre iii) qu’il a été assurément utile de traiter par la recherche présentée. Or la technique que nous proposons possède la spécificité suivante : elle apparaît toujours exempte de ces inconvénients et si régulière que, dans son usage, on doit, semble-t-il, enrouler de la même manière deux ou six cents brasses de corde autour du cabestan. XXXVI Et il ne faut vraiment pas craindre qu’à cause de cette corde qui rampe au-dessus de la spirale de l’anneau, soit rendue beaucoup plus difficile la mise en rotation du cabestan. On remarque que la surface bouge par le mouvement au-dessus du plan incliné en forme de spirale ; et qu’à cause de cela, la résistance respective56 de la corde qui rampe (comme disent les mécaniciens) par rapport à la résistance absolue est dans le calcul que donne la petite ligne t s (Fig. 15) par rapport au mouvement circulaire complet t D E B t. C’est pourquoi la résistance respective qui s’exerce ne peut être que faible. XXXVII Cependant, je ne me suis pas complu (autant que j’aurais pu) à la seule mécanique théorique ; j’ai trouvé bon de tester par l’expérience le cabestan même. J’ai pris soin de fabriquer un cabestan doté des parties que j’ai décrites auparavant, toutes tracées ensemble, dans la figure 17. Le diamètre de la base du cabestan était de deux pouces et de six lignes57 mais le diamètre de la partie inférieure G (Fig. 18) était égal à un pouce et neuf lignes. J’ai utilisé un cordon de chanvre dont le diamètre était de deux lignes et demi. À l’extrémité V de la corde N P V (posée sur la poulie S), j’ai suspendu un poids A de 80 livres propre à jouer le rôle du « Corps à tirer » et à l’extrémité F de l’autre partie D K F (posée sur la poulie H), j’ai attaché un poids de cinq livres propre à devenir la « Force qui tire en arrière ». Puis, le levier R X ayant été utilisé, j’ai mis en rotation le cabestan et observé avec attention que le mouvement de la corde était toujours égal et que la corde à travers l’essieu du cabestan n’était ni montée ni descendue d’un pouce mais après bien plusieurs tours, c’était la même corde autour du cabestan avec exactement le même état d’enroulement dans lequel elle avait été placée quand le cabestan avait commencé à tourner. Et, après plusieurs expériences réalisées, l’opération
56 L’adjectif respectiva n’est pas attesté par Gaffiot. « La résistance respective se règle uniquement sur la vitesse. La résistance absolue suit d’autres lois […] ; c’est une force constamment la même qui s’oppose au mouvement du corps. Ce sont autant de filets doués chacun d’une force déterminée, au travers desquels le corps a à se faire jour. Il doit par conséquent perdre à chaque fois la même quantité de force quelle que soit sa vitesse, d’où il suit nécessairement que cette sorte de résistance le réduira toujours au repos dans un temps déterminé. » Montucla, 1798, p. 464. 57 À Paris, la ligne équivalait à 0,22558 cm et le pouce à 2,707 cm. Le pied de Paris mesurait 34, 84 cm et la toise 1,94904 m. cf. Pierre Portet. La mesure de Paris. In Charbonnier, 2008.
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Fig. 134. – Cabestan et force modélisée par des cordes, fig. 18, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
a toujours réussi grâce à la même méthode constante. Mais ensuite, aux têtes R et X du levier R X, j’ai attaché deux cordons b d e, z q u traversant les poulies n m fixées par des supports qui pouvaient tourner, de telle sorte que les parties des cordons b d, z q restaient toujours perpendiculaires au levier R X. Les poids B et C pendaient à ces cordons : ces moments58 sont nécessaires pour que le cabestan soit avec peine mis en rotation au moyen de leurs tractions et que le poids A soit soulevé. Après cela, l’anneau g x t. ayant été enlevé, pour que le cabestan ne diffère pas de sa constitution et de sa forme actuelle et habituelle, j’ai trouvé une 58 Moments d’une force, ici.
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expérience dans laquelle, par des poids suspendus aux extrémités des cordons b d e, z q u, le cabestan est mis en rotation, et j’ai découvert que les poids nécessaires pour mettre en rotation un cabestan habituel sont à peine d’1/16 plus petits que les poids nécessaires pour faire tourner notre cabestan (toutes les autres parties du cabestan étant absolument inchangées), pourvu d’un anneau. Puisqu’il en est ainsi, je pense que, grâce aux expériences, il est clair que tantôt cela est garanti par l’anneau en spirale – ce qui avait été proposé – tantôt la mise en rotation du cabestan est rendue plus difficile à cause d’un tout petit nombre de parties (pour éviter d’avoir à les compter). XXXVIII Mais quand j’ai rapporté ces expériences, il faut que je remarque ceci – qui m’est familier : dans l’art et la philosophie expérimentale, on doit émettre des jugements avec circonspection si, à partir d’une expérience à petite échelle, on doit tirer une conclusion d’une chose semblable par l’usage mais à plus grande échelle59. En effet, il arrive parfois que des résultats s’obtiennent, convenablement et idéalement, sur de petites machines et s’obtiennent de la même manière sur d’énormes machines analogues alors qu’au contraire, parfois, certains résultats s’obtiennent sur de petites machines, qu’il est impossible d’obtenir sur de grandes machines. Et ce phénomène, dans des temps anciens, je le trouve si savamment considéré par Vitruve, que je ne peux pas m’empêcher de le citer ici (citation extraite du livre x, fin du chapitre) dans son intégralité : « Il est impossible, dit-il, que toutes choses soient réalisées suivant les mêmes principes : il y a des réalisations à grande échelle dont l’efficience rappelle celle de modèles à grande échelle ; mais il y en a qui ne peuvent pas avoir de modèles et prennent corps indépendamment ; il y en a aussi dont les modèles paraissent vraisemblables mais qui se révèlent illusoires quand elles viennent à une plus grande échelle. Ce que nous pouvons encore constater ainsi. On perce avec une tarière un trou d’un demi-doigt, d’un doigt, d’un doigt et demi. Si nous voulons, avec le même procédé, faire un trou d’une palme, nous n’y parvenons pas ; faire un trou d’un demi-pied, ou plus, n’apparaît vraiment pas pensable60. » Or, de quelque manière qu’on aborde le sujet de la tarière61, en aucune façon, notre expérience ne concerne la tarière. Elle concerne surtout des machines de ce genre qui, même si elles possèdent des tailles variées, produisent cependant des résultats semblables. Et non seulement pour cette raison mais aussi à cause de quelques autres expériences, que j’ai réalisées sur de plus grandes machines, il me semble, que je peux vraiment affirmer et constater, par le calcul et les expériences, que le cabestan que j’ai proposé sera capable de répondre convenablement à l’usage prescrit.
59 Cette idée est développée par Poleni dans son discours d’inauguration du Cabinet de Philosophie Expérimentale de 1741, Institutionum Philosophiae Mechanicae experimentalis Specimen, Padoue, 1741. 60 Trad. Callebat, 2003, Paris. 61 Le mot terebra signifie : foret, vrille, trépan (chirurgie) mais désigne aussi une machine de guerre (Vitruve, X, 13,7) et un ver du bois.
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Fig. 135. – Machine de Poleni sur les forces du cabestan, fig. 19, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
XXXIX Après ces développements, nous en ajouterons quelques-uns, en lieu de suppléments pour ainsi dire, qui marqueront la fin de cette dissertation. Et précisément, on remarquera d’abord que les quatre tours de corde (Fig. 17) c m n b e d sont tout à fait suffisants pour que la grande « Force résistante » puisse être appliquée à l’extrémité K. Un jour, Guillaume Amontons62, personnage très célèbre pour son savoir et son expérience de la Mécanique, avec exhaustivité et pragmatisme, a mené (Mém. de l’Acad. Royal., 1699, p. 206) une étude pour calculer méthodiquement la solidité et la résistance des cordes enroulées autour des cylindres. Mais quand il a proposé l’expérience au cours de laquelle le cylindre lui-même est mu de bas en haut, ce fut l’occasion pour nous de tenter une autre expérience inédite dans laquelle le cylindre
62 « À propos du frottement, auquel on remédiait tant bien que mal par des lubrifiants empiriques, le physicien académicien Guillaume Amontons (1663-1705) énonça en 1699 la loi de proportionnalité du frottement à la pression mutuelle des corps en contact. », écrit R. Halleux (1998, p. 589) Dans sa bibliothèque, Poleni possède le traité d’Amontons intitulé : Remarques et Expériences Physiques sur la construction d’une nouvelle clepsydre (1695).
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n’est que très peu dévié de sa place. J’ai pris soin que soit réalisée une machine63 qui est esquissée sur le schéma ci-joint (Fig. 19). La corde était enroulée autour du cylindre A B, une extrémité de la corde E F était posée sur la poulie C alors que la deuxième, G H, était posée sur la poulie D. Et cette corde, dans différentes expériences, était enroulée tantôt en un tour, tantôt en deux tours, tantôt en trois tours et ainsi de suite autour du cylindre A B. Les pieds e t z, n s m des poulies à travers les crans creusés dans la table, pouvaient être traînés en avant et en arrière et maintenus solidement par des vis selon qu’on recherchait diverses positions de la corde. À l’extrémité F de la corde pendait le poids P de 80 livres : or, à l’extrémité H pendait un poids a de taille variable et on utilisait un poids plus grand ou plus petit jusqu’à obtenir l’équilibre avec le poids P, de manière certaine, et jusqu’à ce que la force d’adhésion de la corde au cylindre et le poids a ensemble créent un équilibre avec un seul poids P. Mais puisque les poids P et a sont connus, cette force d’adhésion au cylindre peut être facilement connue. Le cylindre était tenu par le levier K L afin qu’il ne tournât pas en rond. Et, en effet, si le cylindre peut seconder la traction de la corde, on fait naître une expérience d’un autre genre. J’ai seulement soumis un prototype à un petit nombre d’essais, (les petites quantités ayant été négligées puisque c’est un prototype). Diamètres des cylindres A Pouces
B Lignes
2 2 2 2 4 4 4 4
5 5 5 5 10 10 10 10
Nombre de tours de corde
Poids P (en livres)
Poids a (en livres)
1 2 3 4 1 2 3 4
80 80 80 80 80 80 80 80
27 14 7 4 30 17 10 5
XL À présent, comme mention a été faite des diverses épaisseurs de cylindres, je rappelle précisément ce qu’on pourrait indiquer ici sur la proportion des parties du cabestan. Il y a des gens pour changer les mesures du cabestan en fonction de la quille même d’un navire. Ils construisent la tête du cabestan aussi épaisse que l’épaisseur maximale de la quille ; ils diminuent d’un quart le bas de l’essieu : ils rendent l’épaisseur des taquets égale au quart du diamètre de la tête et réalisent un cabestan
63 Comme le rappelle Sofia Talas (2013, p. 49-61) Poleni, financé par les Riformatori vénitiens, utilisait des artisans locaux qui n’étaient pas des spécialistes de ce genre de fabrication (p. 58).
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haut d’environ 5,5 pieds64. D’autres suivent d’autres calculs mais s’éloignent peu de ces données récemment transmises. En outre, à ce sujet, on doit porter l’attention sur le très grand poids devant être mis en mouvement par le cabestan (par exemple, la plus grande ancre du navire auquel est destiné un cabestan à construire). Mais surtout, il faut bien veiller à ne rien entreprendre qui empêche l’application la mieux adaptée des marins sur les leviers ou bien soit contraire aux lois de la mécanique (d’où découle le calcul de tout le cabestan). Dans notre cabestan, la hauteur la plus commode peut être choisie par les marins : et un petit nombre de tours de corde ne requièrent pas la hauteur, qui semble alors nécessaire quand l’usage exige de très nombreux tours. XLI En outre, s’il faut un emploi plus facile du cabestan, on doit ajouter quelque chose ; il faudra rappeler que, grâce à la technique utilisée, seulement quatre tours de corde doivent être réalisés et que je garantis aussi un usage plus facile du cabestan (dans les principales tâches), les doubles verrous dont le schéma et la description ont été donnés plus haut (chapitre xxxi), fixés de cette manière, le rendent plus sûr. Par cette inégalité des positions des leviers, un plus grand nombre d’avantages que d’inconvénients, proviendront de la force variée des marins et des différences de stature ; il va sans dire que tous peuvent également produire un très gros effort : cette petite inégalité pourrait être facilement rétablie par la tête du cabestan à l’anglaise. En outre, il sera utile à une rotation plus facile du cabestan de rendre aussi faibles que possible, les frottements de l’essieu contre les parois internes des trous des ponts du navire (par exemple, dans la situation de la figure 2, x z, quand on fait pénétrer le cabestan A D dans le pont SP). J’avais songé, au sujet de l’anneau tournant destiné à être adapté au trou du pont, anneau dans lequel on fait pénétrer l’essieu du cabestan et quoique je n’aie pas intellectuellement, perçu la moindre difficulté à instituer des expériences variées en vue d’une combinaison de ce genre ; mais les résultats scrupuleusement observés (que je réserve pour un autre usage) ont démontré qu’il ne faut pas espérer de cela, pour ce qui est proposé, quelque chose de spectaculaire qui en vaille la peine. En effet, on aurait besoin d’une grande aide : parce que les frottements des essieux en bois dans les trous réalisés dans les poutres sont énormes et de grande importance ; si bien que tantôt c’est le calcul qui m’a convaincu, tantôt c’est une expérience récurrente qui me l’a démontré très clairement. C’est pourquoi (pour faire bref) quand les cabestans sont insérés dans des trous, si toutes les parties, dans ce lieu, des cabestans eux-mêmes et des trous sont en métal, le mouvement se réalisera assurément avec plus de réussite. Par conséquent, je n’ajouterai rien de plus à ceci, et au sujet de certaines autres techniques que nous rencontrons suffisamment, soit par le changement de position de l’anneau du cabestan (changement évoqué plus haut au chapitre xxxiii) soit par quelque autre
64 Le pied de Paris (mesure française) mesurait 34,84 cm. Ce cabestan est donc haut de 191,62 cm soit 1.91 m.
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Fig. 136. – Deux cabestans avec anneau crénelé, fig. 20, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
moyen, la corde à son extrémité inférieure (Fig. 17) c P, est maintenue de telle sorte que l’extrémité même de la corde c P correspondra, toujours et sans interruption, à la partie inférieure et plus profonde de la spirale m c, tandis que la corde tourne autour de l’essieu du cabestan. XLII Et si à cause de la trop grande résistance du corps à tracter ou du faible nombre de marins, on cherchait à soulever une force plus grande que pourrait garantir le cabestan tel qu’il est constitué, alors, assurément, il serait vraiment utile si le navire était pourvu de ces accessoires par lesquels on pourrait tenter ce qui est nécessaire aux constitutions des éléments : naturellement, les forces du cabestan pourraient être augmentées au moyen d’une autre machine. C’est pourquoi comme les poulies et la vis peuvent multiplier ces forces mêmes, dans ce but, nous avons indiqué plus haut (chapitres xviii et xxi) la manière dont ces accessoires doivent désormais procurer cette augmentation. Pour atteindre aussi cet objectif, des cabestans doubles ont été inventés dont les ingénieuses descriptions sont visibles dans cet ouvrage splendide intitulé : Machines approuvées par l’Académie Royale des Sciences (Tome ii, p. 3 et 7), ceux qui ont jugé que l’utilité de l’emploi de ces cabestans doubles était amoindrie par quelques inconvénients (Histoire de l’Académie Royale des Sciences, 1702, p. 138), pouvaient porter à ce propos un jugement de loin le plus pertinent65. Mais à cet endroit, je chercherai, s’il m’est permis, à ajouter quelques petits éléments relatifs
65 Il s’agit de : « Cabestan pour l’usage des bateaux » de M. De La Magdelaine, « Cabestan à lanterne » de M. De Bourges. Aux pages 138-139, l’Académie est très vague dans son jugement, ne mentionnant que quelques inconvénients des deux cabestans pourtant approuvés.
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Fig. 137. – Corde a m N P G R nouée à l’extrémité R du moulinet D F, fig. 21, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
à cette invention : et ne vaudrait-il pas mieux de proposer de réaliser cette machine d’une manière un tout petit peu différente ? Posons que A B (Fig. 20) soit le pont du navire ; E n l’essieu supérieur de notre cabestan, autour duquel s’enroule la corde tractoire ; G V la partie inférieure du cabestan ; s t l’autre cabestan (entre les ponts) relié au nôtre : il me semblerait bon qu’une roue plus grande m u touchât notre cabestan assurément plus grand mais qu’une roue plus petite s z (ou comme certains l’appellent, le tympan), représentât une partie du cabestan relié et que celle-ci fût aussi reliée avec les leviers e x, fixés dans une position meilleure que la roue plus grande et qu’on ménageât un espace entre les ponts. Ainsi, les marins, plus ou moins nombreux, pourraient appliquer leurs forces à l’une et l’autre partie. Je croyais qu’il serait utile qu’un cabestan s t puisse être adjoint ou enlevé à volonté. Or d’une construction de ce genre, pourrait découler une plus grande utilité, d’après mon estimation : il suffira de l’avoir indiqué. XLIII Mais dans cette dernière partie, c’est une autre technique, conçue intellectuellement, que je mettrai en avant. Je souhaiterais construire un cabestan à l’anglaise mais de telle sorte que chacun des leviers (Fig. 21) u se terminent en figure A B e C, dotés évidemment au bout d’un creux B e C. À travers les creux de chacun des leviers, je souhaiterais que soit enroulée66 une corde a m N P G R nouée à l’extrémité R du moulinet D F et que le moulinet lui-même soit fixé fermement au flanc du navire.
66 Le nœud de cabestan peut se faire d’une seule main mais a tendance à se desserrer.
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Par la rotation du moulinet et de la corde enroulée autour, le cabestan sera mis en rotation au moyen d’une force assurément plus grande ; et en effet, cette technique n’empêchera pas plusieurs hommes de s’appliquer sur les leviers du cabestan. Et cette machine, semble-t-il, ne manquera nullement ni d’utilité ni de facilité. Je me suis vraiment attaché à sa facilité, et surtout grâce à l’ajout de l’anneau en spirale du cabestan, pour constituer une machine qui fût simple, solide et puisse être utilisée rapidement et efficacement, et qui, approuvé par le calcul mécanique et des expériences (comme on l’a évoqué au chapitre xxxviii), pourrait répondre convenablement à l’emploi prescrit par la Très Illustre Académie Royale. Au moins, j’ai entrepris de satisfaire convenablement à cette proposition : la nature du sujet même et la parfaite connaissance de l’intelligence supérieure et élevée des savants qui l’ont proposée, me prouvaient la dimension remarquable et tout à fait utile de celle-ci. FIN
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Fig. 138. – Planche VIII, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 139. – Planche IX, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 140. – Planche X, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
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Fig. 141. – Planche XI, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
Troisième partie
Reconstitution de deux machines de navigation inventées par Giovanni Poleni
Chapitre xiii
Introduction
Dès le xvie siècle, Lazare du Baïf, envoyé comme ambassadeur de France à Venise de 1529 à 1534, auteur du De re navali publié à Paris en 1536, tenta de reconstituer « les systèmes de nage des birèmes et des trirèmes en s’appuyant sur les sources documentaires littéraires, les auteurs anciens tels Strabon, Polybe, Tacite, César et les figures provenant des reliefs de la colonne Trajane. » Pour cet auteur de la Renaissance, « les techniques de construction observées dans l’arsenal de Venise sont identiques à celles de l’Antiquité. Le temps n’a ainsi pas de prise, le présent permet de revivre le passé1. » Au xviiie siècle, le commissaire de la Marine Henri-François Boureau Deslandes, décrit la « marine des Anciens qui inclut aussi les navires des autres nations et leur évolution dans un « continuum technique » : du radeau, à la pirogue et à la chaloupe, de la trirème d’Actium, à la galère le Bucentaure de Venise et au vaisseau la Cordelière d’Anne de Bretagne. Toutes ses études s’inscrivent pleinement dans les démarches du siècle des Encyclopédistes, avec la mise en ordre des savoirs et la construction d’une chronologie des progrès de l’esprit humain2. » L’architecte Julien David Le Roy créa un navire Le Naupotame qui s’inspirait des techniques navales antiques les plus performantes : Persuadé que nous pouvons nous glorifier de diverses inventions dont les Anciens n’avaient nulle connaissance, nous avons perdu plusieurs de leur pratiques dans les Arts qu’il aurait été utile de conserver3. La démarche de Le Roy rappelle la posture de Poleni à l’orée de ses traités, quand il dresse le panorama historique des techniques des anciens et sélectionne les éléments à garder pour sa nouvelle machine, toujours amendée par les procédés techniques modernes. Sylviane Llinares souligne cependant que « l’anticomanie n’a pas fait progresser l’archéologie navale dans la bonne direction au xviiie siècle, mais plutôt la science des Modernes4. » Pour vérifier la validité de nos traductions de Poleni et afin de respecter sa démarche expérimentale, nous avons décidé d’entreprendre la réeconstitution du cabestan et de la machine pour mesurer la force du vent, imaginées par Poleni. Ce dernier, en effet, 1 Llinarès, 2010, p. 3. 2 Llinarès, 2010, p. 4. 3 Julien David Le Roy, Lettres à M. Franklin sur la marine et particulièrement sur la possibilité de rendre Paris port ; Précédées de Recherches sur les moyens d’y prévenir la disette de grains ; seconde éd. corrigée et augmentée par David Le Roy, Paris, chez l’auteur, cour du vieux Louvre, chez Barrois l’aîné, Libraire quai des Augustins, 1790, 98 p., cité par S. Llinarès, 2010, p. 10. 4 Llinarès, 2010, p. 5.
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préconise dans son traité sur le cabestan et son discours inaugural5, l’application pratique de ses calculs mathématiques sur une maquette. D’autre part, il nous a semblé intéressant de travailler avec des élèves et des professeurs de sections technologiques et professionnelles en reliant –comme cela se fait rarement – les langues anciennes à la Production et Réalisation bois ou à la Serrurerie-Métallerie. Les élèves et étudiants se sont d’ailleurs sentis flattés d’être placés en juges et évaluateurs d’une traduction de type universitaire… Nous avons choisi d’aborder la question de la reconstitution des machines de Poleni en deux phases chronologiques : d’abord, nous l’intégrerons à l’époque contemporaine de Poleni en la reliant au discours inaugural de son cabinet de philosophie expérimentale, inauguré en novembre 1740 et aux programmes de ses cours d’architecture navale de Poleni qui ont abouti à son travail de rénovation du vaisseau vénitien San Carlo dont nous présenterons les plans inédits. Puis nous présenterons la reconstitution de la machine pour mesurer la vitesse des vents et du cabestan imaginés par Giovanni Poleni dans ses traités primés par l’Académie Royale des Sciences en 1741 et 1733. Pour évoquer ce travail qui s’est déroulé sur deux ans, nous présenterons d’abord les questions liées à la reconstruction du patrimoine, puis décrirons les étapes de la construction des deux machines avant d’analyser le test en mer de celles-ci. À la naissance de Poleni6, les instruments utilisés sur les bateaux sont simples : carte, boussole avec rose des vents et mesureurs de la hauteur des astres ou encore astrolabe. L’instrument pour mesurer la longitude n’avait pas encore été inventé. Et la carte dite de « Mercator » – en fait, celle de Gérard Kremer (1512-1594) – est encore peu diffusée en Italie comme le souligne Girolamo Albrizzi dans son Introduzione all’arte nautica per usa dei piloti e capitani di nave, publié à Venise en 1715. Pourtant, le Grand Duc de Toscane donna une impulsion à la fondation d’une école de cartographie dont le siège est à Livourne7. Le Sénat avait voté la réduction de la flotte militaire à 30 unités : 20 navires de premier rang et 10 de second rang. En 1735, les galeazze cessent de se construire. En 1755, Venise compte une flotte de 24 navires de premier rang et 6 frégates8. C’est proprement sur la période de la vie de Poleni, entre le xviie et le xviiie siècle, qu’on observa la naissance de la mentalité nautique, l’expression « architecture navale » désigne alors une architecture de la mer dédiée plus « aux élégantes décorations du bord » qu’à la charpente. À Venise, les bateaux étaient construits sur la base d’un métier acquis par les maîtres charpentiers et c’est seulement au xviiie siècle que la géométrie entra en jeu dans le dessin des bateaux. La complexité des vaisseaux est telle qu’on ne peut s’appuyer sur la seule expérience des prote (maîtres d’œuvre). On assiste à une complexification du système de voilure – augmentation des surfaces de voilure avec ajout du beaupré, de haubans, de nœuds – qui permet d’acquérir une vitesse toujours plus grande. Le Traité du navire, de sa construction et de ses mouvements (1746) de Pierre Bouguer, membre de
5 Chapitre 2, 3e partie, vol. 1. 6 Venise compte 140 000 habitants au début du xviiie siècle. 7 Domini, 2013, p. 283. 8 Gullino, 2012, p. 7 et suiv.
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la Royal Society représente un écrit fondateur pour les Vénitiens : le métacentre9 y est présenté comme l’élément charnière de la stabilité du navire. Nombreuses furent alors les inventions aptes à rendre les navires toujours plus efficaces : à partir de 1703, on utilise la roue de timonier pour piloter des navires de grande dimension et, pour réaliser les courbures du bois, un traitement à chaud (« in sabbia umida ») est adopté. De nouveaux systèmes sont inventés pour vidanger les eaux des sentines ; la partie immergée du navire est recouverte et protégée par une substance huileuse ; des bandes de cuivre et un système d’aération permettent d’assainir les soutes. La scientificité permet d’augmenter le tonnage : un navire de guerre atteint dorénavant 2000 tonneaux et un navire marchand, 600 tonneaux10. R. Domini écrit : Poleni vécut dans un monde d’une grande fermentation culturelle et scientifique, centré sur l’opportunité que le pouvoir maritime pouvait donner à la Grande Bretagne. C’était un monde, celui du nord de l’Europe, entré dans une révolution qui vit la naissance des machines capables de creuser les voies d’eau ensablées (« moulins de boue »), le développement des ports et des bassins qui deviendront toujours plus grands, l’invention hollandaise du chameau et le développement des canaux qui permettaient le transfert des biens depuis les ports et grâce à eux, vers l’intérieur des terres11. Dans son De Domino Maris, le hollandais Cornelius van Bynkershoek indiquait, quant à la liberté des mers, la base juridique pour les trafics et l’idée des eaux territoriales portées à 3 milles nautiques, correspondant au jet des canons. En 1757, le sextant est inventé et peu de temps avant, Harrison imaginait le chronomètre pour aider à la résolution du problème de la longitude12. Également membre de la Royal Society, à l’instar de Poleni ou Bouguer, James Hind, médecin et chirurgien officier résolut le problème du scorbut. Citons enfin Nicolas Witsen, bourgmestre d’Amsterdam qui, en digne descendant d’une famille d’ingénieurs navals, écrivit un des premiers et plus importants textes d’architecte navale, Architectura navalis et regimen nauticum en 1671 (2e édition en 1690).
9 Ce terme d’hydrostatique désigne le point d’intersection de la droite qui passe par le centre de gravité et par le point correspondant au centre de poussée d’un corps flottant lorsqu’il est en équilibre (pour un navire, son axe de symétrie) avec la verticale au nouveau centre de poussée déterminé par l’inclinaison du corps. Quand le métacentre est au-dessous du centre de gravité d’un corps flottant (…), l’équilibre n’est pas stable ; et au contraire, lorsque le métacentre est au-dessus de ce centre, l’équilibre est stable (Poisson, Mécan., tome 2, 1811, p. 407). Source : http://www.cnrtl.fr. 10 Domini, 2012, p. 285-287. 11 « Poleni fu quindi parte di un mondo vivo, in grande fermento culturale e scientifico, centrato sulle opportunità che il potere marittimo poteva dare alla Gran Bretagna. Fu un mondo, quelle del norte Europa, entrato in una rivoluzione che vida la nascita di macchinari atti a scavare le vie d’acqua insabbiate (mud mills), lo sviluppo dei porti e dei bacini che diventarono sempre più grandi, l’invenzione olandese del cammello e lo sviluppo dei canali che consentivano il trasferimento dei beni da e per i porti verso l’entroterra. » Domini, 2012, p. 285-287. 12 Les horloges en bois de Harrison fonctionnaient dans n’importe quelles conditions de température ou de mouvement.
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Chapitre xiv
L’architecture navale au temps de Poleni
Une motivation « ergonomique » ? Les trois dissertations de Poleni furent-elles motivées par la volonté d’améliorer les techniques de la marine vénitienne ? Dans son article sur les chantiers navals de Venise, Pasquale Ventrice écrit : La construction navale se basait […] sur les acquis empiriques des constructeurs (les prote et les chefs d’ouvrage, ancrés dans la tradition) et sa règle de géométrie élémentaire transmise uniquement par voie orale. Les mêmes auteurs des manuels ont tenté de conférer une plus grande autorité à leur activité artisanale, pour briser les règles et les modèles inspirés de la méthode « trial and error » [ « essai et erreur » ] avec d’excellents résultats1. Comme l’indique Stefano de Zuanne de Michiel2, cité dans l’article d’Ennio Concina, « Le fondement principal que doit avoir le maître qui veut fabriquer un navire, doit être le dessin […] mais particulièrement savoir bien dessiner le pont. » Les charpentiers navals (les marangoni) continuaient à fabriquer des galee3 jusqu’à la guerre de Candie (1644-1669). En 1667, on assiste au lancement du Giove fulminante, premier navire à voile vénitien construit à l’arsenal. Les modèles de référence étaient britanniques – le vaisseau Sol d’Oro en particulier – mais modifiés afin de tenir compte des fonds particuliers de la lagune et naturellement, de l’expérience des charpentiers locaux. La topographie du port de Venise impose une condition aux navires construits à l’arsenal : à cause du manque de profondeur, l’œuvre vive (la partie immergée de la coque) est abaissée, alors que l’œuvre morte (la superstructure) reste inchangée4. Ceci marque le début de deux traditions : celle des dessins et celle des maquettes. L’exigence de réduire le tirant d’eau a comme conséquence, l’instabilité élevée des bateaux et une insuffisante tenue à la mer. Les chameaux hollandais n’avaient pas été encore importés à Venise. Les chameaux sont des plates-formes flottantes lestées
1 « La costruzione navale si basava, quindi, sulle acquisizioni empiriche dei costruttori (proti e capi d’opera, ancorati alla tradizione) e su regole di geometria elementare tramandate per via spesso solo orale. Gli stessi autori di manuali tentavano di dare maggiore autorevolezza alla propria attività artigiana, fissando regole e modelli spesso ispirati al metodo del trial and error, con eccellenti risultati. » Ventrice, 2013. 2 Concina in Tenenti et Tucci, 1995, p. 211-258 : « il fondamento pricipale che deve havere il maestro che vol fabricar nave deve eser il disegno… ». 3 Domini, 2012, p. 302. 4 Burlet, Zysberg, 2000, p. 92.
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Fig. 142. – Chameau hollandais au Musée national de la Marine, Brest. C. Le Gall.
d’eau qui, arrimées de chaque côté de la coque par des poutres que l’on faisait passer à travers le navire par les ouvertures des canonnières et grâce à un système de pompes hydrauliques, la surélèvent afin de permettre au navire d’atteindre l’embouchure des ports puis la mer5. Les chameaux peuvent aussi être installés à terre. Ceux-ci reposent sur l’utilisation de puissants cabestans pour manier les bateaux à sec.
Le modèle anglais Or, Poleni est l’auteur d’une dissertation sur le cabestan dont il sous-entend une application sur terre dès son introduction, comme s’il pensait aux machines de levage des chameaux : « Qui ne verrait que le cabestan, simple, solide et dévolu à un usage rapide et aisé, serait très souvent plus utile notamment à terre ? ». En 1707, on pense à convoquer auprès des chantiers vénitiens, des experts anglais ou à envoyer des experts vénitiens en Angleterre « pour relever les vraies règles » de la construction navale : et on finit par ne rien faire6. » Pietro Grimani, en 1712, demanda à l’ambassadeur 5 Burlet, Zysberg, 2000, p. 104. 6 Stratico S., Studi, 30. 7. 1707.
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Fig. 143. – Système de chameaux à terre au Museo Storico Navale, Venise. C. Le Gall.
vénitien à Londres de repérer quelques experts de navigations et des techniciens disposés à muter à Venise pour ouvrir une école de navigation. À l’Arsenal, les artisans avaient une bonne connaissance des techniques de construction des Hollandais, des Anglais, (les plus considérés) et aussi des Français. Selon les suggestions de Richards, pour répondre aux exigences d’uniformisation de la flotte des vaisseaux de guerre qu’on vient de constituer, on recourt à la classification par rangs de l’unité, imaginée en Angleterre, adoptée en France à cette même époque et fondée essentiellement sur les principales dimensions et sur le nombre de canons à bord7. Stimulé dans son orgueil, à l’annonce de la naissance des ports francs de Trieste, Fiume et Ancona, le sénat vénitien promeut en 1733, l’institution des deux cours d’enseignement de la navigation : un à Venise, avec le commerce comme objectif, et l’autre à Corfù qui fonctionna jusqu’en 1748 avec le but de former le personnel militaire. L’institution de ces cours va de pair avec le brusque développement de la construction navale à la suite de la décision d’Alvise Pisani en 1736 de permettre à tout bâtiment de plus de 20 mètres de long et emportant au moins 40 hommes et 25 canons de naviguer sans escorte. Car à cause des fréquentes attaques des pirates barbaresques, le gouvernement obligeait les navires de commerce de voyager en groupe, ce qui occasionnait retard 7 Concina, 1995, p. 248.
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pour la constitution du convoi et pour l’acheminement avec, à l’arrivée, une baisse des tarifs des marchandises due à un brusque afflux de celles-ci. À partir de 1736, l’arsenal de Venise reçut donc de nombreuses commandes et la République réussit à doubler son tonnage8. Il faut souligner qu’à Venise, une commission spécialisée réalise un examen préalable des inventions – de la machine à tisser aux caractères d’imprimerie ; ce dispositif de privilèges protège ainsi l’exploitation exclusive d’une invention et irrigue rapidement l’Europe9. Mais Ennio Concina souligne que « le degré d’incertitude technique de la construction navale vénitienne va de pair avec le degré d’incertitude politique » pour la gouverner : Le cas du Lion Trionfante, apparaît emblématique. À peine le prototype est-il approuvé, que fut accueillie la proposition d’Antonio Diedo – fondée, semble-t-il, sur des évaluations non démontrées de manière construite – d’en diminuer la longueur, en la réduisant in colomba de 126 à 122 pieds, d’en retoucher le timon, en maintenant, en même temps, les autres mesures inchangées. L’indignation de Casoni commentant l’épisode est significative : « On en vient à force de telles modifications à ne garder que des proportions altérées, on ne peut avoir un navire semblable au modèle, les formes sont contaminées et chaque avantage qu’on devait attendre d’un modèle que l’expérience avait prescrit, est perdu. » Ce qui est surnommé l’« Ajustement Diedo » fut abandonné à son tour à la suite des travaux d’une commission instituée en 1732, au moment de décider la mise en chantier de quatre autres vaisseaux de premier rang. Les experts se prononcèrent alors pour un retour au modèle d’origine du vieux navire Lion qui avait servi remarquablement, sur la base d’une documentation déposée en son temps par le proto constructeur. Sept années plus tard, ce fut le tour d’un nouveau projet d’ajustement du Lion Triomphant présenté par Marco Nobile. L’idée fut mise à part mais on recourt au relèvement du Lion fait par Nobile avant sa démolition, qui eut lieu en 1740 – différent de celui effectué par les autres prote – pour mettre en chantier la San Carlo Borromeo du même Nobile, sorti pour sa première campagne le 6 juin 175010. On observe le même phénomène en France comme le note Duhamel du Monceau dans la Création d’une école de construction navale, 1741 : Ayant remarqué dans mes différentes tournées que la plupart des constructeurs travaillaient au hasard et sans principe, et que faute d’être suffisamment instruits ils manquaient beaucoup de vaisseaux, je proposai au Ministre en 1741, l’établissement d’une Petite École de la Marine à Paris [aux Tuileries] où on leur enseignait les mathématiques, la physique et la manière de calculer leurs plans de vaisseaux pour connaître avant la construction, les bonnes ou mauvaises qualités des vaisseaux qu’ils se proposaient de construire.
8 Norwich, 1987, p. 547. 9 Bret et Thebaud-Sorger, 2016, p. 392. 10 Concina, 1995, p. 250.
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Nous, soussignés, certifions que les sieurs … qui ont été attachés à l’École de la Marine, ont eu pendant leur séjour à Paris une très bonne conduite, ayant toujours été fort appliqués à leurs études, et qu’ayant été examinés sur l’arithmétique, la géométrie, l’algèbre, l’application de l’algèbre à la géométrie, la mécanique, le calcul intégral et différentiel […] ils sont en état de travailler avec succès à la construction des vaisseaux11.
11 Cité dans le dossier de visite « La construction navale en bois aux xviie et xviiie siècles », Paris, Musée National de la Marine.
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Chapitre xv
La rénovation de la San Carlo Borromeo
De 1756 à 1761, Giovanni Poleni1, nommé à la chaire d’architecture navale en 1759 à l’université de Padoue, inclut, dans son programme de cours, des modifications apportées sur la San Carlo2 dessinée par Nobile3. Le vaisseau devait servir comme modèle pour les cinq vaisseaux de premier rang suivants. En somme, comme le commente encore Casoni, « la San Carlo, fille des applications erronées donna des lois aux constructions navales presque jusqu’à la fin de la République4. »
Les dysfonctionnements de la San Carlo Pasquale Ventrice, dans son essai L’Arsenale di Venezia tra Manifattura e Industria5 nous décrit l’infortune de la San Carlo. Ce bateau, bien que confié au commandement d’un grand amiral comme Angelo Emo, qui à cette occasion, guidait une équipe envoyée pour escorter et défendre des embûches des pirates quelques navires marchands provenant d’Angleterre, subit de désastreux événements. Pendant qu’elle naviguait sur l’Atlantique, la San Carlo construite à Venise par Marco Nobile sur un modèle anglais, perdit son safran devenant ingouvernable6. La mésaventure de la San Carlo « met en discussion la tendance à répliquer, d’une manière non critique, des modèles de navires projetés et construits ailleurs et dont on ignorait complètement les principes de construction7. » Les événements de ce malheureux
1 En 1593, c’est un autre illustre professeur de mathématiques, d’astronomie et de physique de Padoue, Galilée lui-même, qui fut appelé à visiter l’arsenal de Venise pour proposer des idées en vue notamment de la conception d’un prototype de galéasse, plus sûr et plus rapide afin d’échapper aux pirates. (Burlet et Zysberg, 2000, p. 84-85). 2 Concina, 1995, p. 211-258. 3 Marco Nobile avait introduit, en 1736, à l’arsenal de Venise les méthodes géométriques pour générer les lignes d’eau de la carène des navires. (A. Secco cité par Ventrice P., 2009, p. 62). Son rival, le proto Giacommozo (chef de chantier), l’accusa d’avoir alourdi le gouvernail ce qui aurait été la cause du naufrage de la San Carlo. Marco Nobile fit construire des bateaux dont la poupe avait des « formes très pleines » Ventrice P., 2009, p. 63. 4 Dans son Guida per l’Arsenale de Venezia, Giovanni Casoni nous informe que la maquette de la San Carlo était exposée dans les « armoires » de la salle des maquettes de l’Arsenal, créée par Maffioletti en 1778 : « Section longitudinale du navire Vénète San Carlo, de 74 canons. Cette maquette servait de modèle pendant les examens de futurs jeunes ingénieurs en constructions navales » (p. 49). 5 Ventrice P., 2009, chap. 2. 6 Sur les causes possibles de ce naufrage, voir Ventrice P., 2009, chap. 2, p. 58. 7 Ventrice P., 2009, chap. 2, p. 59.
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Fig. 144. – Maquette de la San Carlo, Museo Storico Navale, Venise. C. Le Gall.
bateau furent donc pris comme prétexte pour soulever le problème de la nécessité désormais inéluctable de posséder une solide formation scientifique dérivant de la compréhension et de l’acquisition des nouveaux principes de la science navale. Vu les résultats assez peu encourageants rendus évidents par le naufrage de la San Carlo, beaucoup en effet, en étaient fortement induits à préférer le retour des vieilles méthodes. Cavallotto8 condamne deux erreurs communes : un vaisseau est d’autant plus rapide qu’il est moins immergé et une bonne manœuvre s’obtient en allégeant la carène. Une erreur commise fréquemment par les constructeurs vénitiens est de conférer à la coque une forme jugée plus agréable à la vue. Le recours à un critère purement esthétique pour Cavallotto pourrait réserver des surprises brutales si elle n’est pas étayée par une connaissance nécessaire des effets mécaniques auxquels la coque est soumise en navigation. Théorie contre pratique autrement dit « proto » (maître-charpentier naval) contre architecte naval : cette tension est caractéristique, selon Ennio Concina, de la relation entre les chantiers navals de Venise et le pouvoir :
8 G.D. Cavallotto, Saggio di osservazioni particolari sopra lo stato in cui attrovasi presentemente la naval costruzione in Venezia, Modesto Fenzo, 1766.
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En réalité, l’aspiration à fixer la construction sur les certitudes de la science, à donner un nouveau fondement au savoir technique de ses chantiers parcourt le dernier siècle de la Sérénissime, avec une irrésolution parallèle à la difficulté. Il est symptomatique qu’on ait abandonné la proposition de construire un centre d’études près de l’Arsenal, doté d’une bibliothèque adéquate relative aux termes militaires, des modèles d’ouvrages de fortification et des réalisations d’architecture navale plus accréditées9. La voie publique vers la « Théorie », au contraire, est une continuelle suite d’échecs. En 1697, on institua à Venise, près de la Procuratie, un enseignement de la Navigation, qui avait été confié à Andrea Musalo, un célèbre mathématicien d’origine crétoise, expert en balistique, mécanique, architecture et construction navale. Mais celui-ci rapidement interrompt son activité pour des raisons financières10. En 1745, est instituée près de l’université de Padoue une chaire de Théorie nautique et architecture navale qui aurait dû enseigner en théorie l’architecture navale avec démonstrations de ses parties à l’image de ce qu’on pratique dans la Philosophie expérimentale. Antonio Favaro, repris par Ennio Concina, évoque le travail de révision de la San Carlo opérée par Poleni : C’est seulement dans les années 1756-1760 que les principes de l’architecture navale furent exposés à nouveau dans une chaire universitaire à l’intérieur du cours de mathématiques de Giovanni Poleni et on tente également de les rendre opérationnels en impliquant le même Poleni dans la révision de la San Carlo11.
Les plans de la San Carlo dessinés par Poleni Ainsi, Poleni trace des plans permettant d’améliorer la San Carlo12 et met ainsi en pratique les calculs réalisés durant ses cours. Nous reproduisons ci-après les plans de la San Carlo dessinés par Poleni et conservés à l’Archivio di Stato de Venise. Le dessin et les maquettes joutent un rôle prépondérant dans les Études physiques-mathématiques relatives à l’architecture navale de l’école ouverte directement près de l’Arsenal. Les enseignements furent organisés par l’abbé mathématicien Gianmaria Maffioletti, premier directeur, avec la consultation et l’intervention de Simone Stratico, successeur de Poleni à la chaire de Padoue de mathématiques, physique et
9 Lettera del 1683 da Battel, Venezia, Museo correr, mss.Morosini Grimani, b. 563. 10 Stratico S., Studi, Elena Bassi, Andrea Musalo, in AA VV., Piranesi tra Venezia e l’Europa, actes du colloque, Alessandro Bettagno, Venezia-Firenze, 1983, p. 59-73. 11 Favaro Antonio, I successori di Galileo nelleo studio di Padova fino alla caduta della Repubblica, « Nuovo Archivio veneto », 33, 1917, p. 96-182 ; ASV, Archivio proprio Poleni, Scritture, carte e disegni spettanti all’Arsenale, cioè alla nave San Carlo. 12 Ces plans conservés à l’Archivio di Stato de Venise dans le fonds Archivio proprio Poleni, Scritture, carte e disegni spettanti all’Arsenale, cioè alla nave San Carlo ont été retrouvés par Pasquale Ventrice : ils avaient été mal rangés depuis l’époque d’Antonio Favaro. J’en ai acquis les droits de reproduction et les tiens à disposition des chercheurs en histoire maritime.
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Fig. 145. – Plans de la San Carlo dessinés par Poleni. Coupe transversale. Archivio di Stato, Archivio proprio Poleni, Scritture, carte e disegni spettanti all’Arsenale, cioè alla nave San Carlo, Venise. C. Le Gall.
Fig. 146. – Plans de la San Carlo dessinés par Poleni. Coupe longitudinale. Archivio di Stato, Archivio proprio Poleni, Scritture, carte e disegni spettanti all’Arsenale, cioè alla nave San Carlo, Venise. C. Le Gall.
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Fig. 147. – Expérience du centre de rotation sur la San Carlo Borromeo, 1764, Archivio di Stato, in Larrie Ferreiro, 2007, Ships and Science. The Birth of Naval Architecture in the Scientific Revolution, 1600-1800, Cambridge, MIT Press.
architecture navale. En effet, l’école va annexer une collection de maquettes et une salle de dessin. Au xviiie siècle, la figure du Proto cédait définitivement la place à celle de l’architecte naval13. Un an après la mort de Poleni, la San Carlo Borromeo fut l’objet d’une expérience déjà menée par Bouguer pour déterminer le centre de rotation du bateau ; l’ouvrage de L. Ferreiro14 présente une description et une gravure de cette expérience, conservée à l’Archivio di Stato. Cette expérience a été menée grâce à des treuils posés sur le quai.
13 Giovanni Maria Maffioletti, Nell’aprirsi degli studi fisico-matematici relativi alla naval architettura nell’Arsenal di Venezia, Venezia, 1777 ; Venezia, Biblioteca Nazionale Marciana, ms. it., cl. viii, cod.1746 = 964, Ordinanza de gl’Illustrissimi […], Inquisitori all’Arsenale relativa alla parte economica che riguarda la casa […] Notre développement reprend l’article d’E. Concina, 1995. 14 Ferreiro, 2007.
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Mise en place de l’enseignement de l’architecture navale à Venise Dans une lettre en italien adressée à Michiel Angelo Marino, secrétaire des Réformateurs de Venise, datée du 21 décembre 174415, Giovanni Poleni évoque la délibération du sénat d’introduire l’enseignement de l’architecture nautique et navale afin de servir la force maritime, de rendre plus sûrs les moyens du commerce maritime et de prêter ses lumières à la meilleure direction des services dans l’arsenal. Giovanni Poleni rappelle le rôle des illustres Académies royales des sciences dont celle de Paris dans cette quête du progrès. Nous voulons que la Navigation soit une science purement expérimentale mais avec une connaissance véridique, nous distinguons le métier et la doctrine. Il faut imaginer que la Pratique et la Théorie soient les mêmes de même qu’un Italien, un Français et un Allemand passeraient en Chine pour des compatriotes. […] La théorie doit retrouver les causes et origines de phénomènes utiles à la Navigation. […] Il reste pour la pratique de la mettre avec l’habileté nécessaire et la diligence dans l’exécution, de retrouver les choses et de les perfectionner encore. Mais désormais, je suis facilement trop prolixe pour rechercher à illustrer la vérité d’une proposition d’elle-même très claire. Quand il y a les illustres Académies royales des sciences qui sont déjà des assemblées d’hommes exercés sur la mer travaillant pour améliorer les rapports à la mer, qui réussissent de la même façon suivant le plaisir des gens de la mer, comme ils ont l’habitude de gérer les problèmes nautiques proposés par la même Académie ; quand il y a dans une autre célèbre université pour la théorie de la Navigation, des chaires particulières d’instruction et quand il y a tant de livres théoriques dans ce domaine, bien considérés par les personnes employées dans les affaires maritimes, les livres garnis d’une profonde doctrine, écrits par des hommes dotés d’un vrai savoir à l’égard de cette institution, en sachant ceci, la chaire de la théorie de la navigation à l’université est-elle encore utile ? L’université qui a créé cette chaire, est désignée sous le nom de Gymnasium omnium disciplinarum. Le discours de la méthode de Poleni qui appert dans ces dissertations adressées à l’Académie Royale des Sciences et qui est fondé sur un continuel va et vient entre la pratique et la théorie, rappelle cette tension marquant l’histoire des chantiers navals de Venise. Mais selon R. Domini, Poleni arriva trop tard : “svolse il suo ruolo in una società non più adatta a comprendere il valore del suo insegnamento scientifico16.” L’affection de Carlì à la chaire de navigation ne se révéla pas concluante : les Réformateurs, en 1750, décidèrent d’insérer les sciences de la navigation à la chaire de Philosophie expérimentale et ordonnèrent à Poleni d’ajouter que la navigation devrait être effectivement insérée à l’intérieur de sa discipline dénommée « philosophie expérimentale17. » 15 Ver., Bibl. Civ., 3096 F, non pag. 16 « Il joua son propre rôle dans une société qui n’était plus adaptée pour comprendre la valeur de son enseignement scientifique. » Domini, 2012, p. 305. 17 « L’assegnazione a Carli della Cattedra detta nel caso specifico di nautica, si rivelò inconcludente, fin quando non fu soppresso nel 1750 dai Riformatori che inserendo le scienze nautiche nella cattedra di filosofia sperimentale, ingiunsero a Poleni di aggiungere anche che la nautica dovesse essere
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Poleni considère que pour enseigner la navigation, ni l’expérience ni une préparation limitée à une seule branche de savoir ne suffisent mais une connaissance qui embrasse les fondements de la matière. Celle-ci est l’unique garantie pour pouvoir enseigner scientifiquement, avec clarté et précision, les éléments plus simples de la discipline, destinés à être utilisés dans un mode instrumental dans l’exercice du métier. Dans le domaine de la navigation, comme dans toutes les sciences, se présente la nécessité de la pratique. Sans vouloir affronter le problème du rapport entre théorie et pratique dans la didactique des sciences, Poleni considérait que, dans le cas particulier, la question apparaissait assez simplifiée par le privilège de résider dans une cité comme Venise18. Giovanni Poleni fut bien l’inspirateur et le tuteur scientifique de la Science nautique dans le Studio de Padoue comme le démontre Pasquale Ventrice : Poleni, assez fidèle à une tradition parcourue et profondément renouvelée par l’école galiléenne, avec sa critique à l’égard de l’aristotélisme, croyait en fait que la navigation devait être une branche de la philosophie expérimentale et qu’au-delà d’être considérée comme une discipline au sens strict, elle aurait dû être aussi une sorte de prospective dans laquelle on pouvait établir une sorte de lien entre la philosophie et les sciences considérées comme exactes. […] Pour ce qui concerne la contribution de Poleni à la science navale, elle consiste surtout dans le fait qu’il l’ait dirigée correctement dans le giron mathématico-mécanico-expérimental et d’avoir posé les bases de son évolution qui a eu lieu ensuite grâce à Simone Stratico19. On remarque qu’en 1759, Poleni explore cette aire mathématico-mécanique puisqu’il a proposé « une explication de la Science Mathématique des Mouvements des Êtres animés » en recourant aux théories de Bernoulli préférées à celles de Borelli et en initiant une véritable réflexion ergonomique permise par son échange intellectuel avec l’anatomo-pathologiste Giambattista Morgagni. Rappelons que Poleni a construit une machine reproduisant le mécanisme des muscles afin de mettre en évidence les calculs de Bernoulli. Elle est reproduite dans une lettre de Poleni à Grandi.
effettivamente inserita all’interno della sua disciplina che in seguito agli sviluppi ottocenteschi avrebbe assunto la denominazione di fisica sperimentale. » « L’attribution à Carli de cette chaire spécifique à la navigation, se révéla décevante si bien que ce ne fut pas une surprise qu’en 1750 les réformateurs qui, insérant les sciences nautiques à la chaire de philosophie expérimentale, ordonnèrent à Poleni d’ajouter aussi que la navigation devait être effectivement insérée à l’intérieur de sa discipline qui, suivant les évolutions du xixe siècle, aurait pris la dénomination de « physique expérimentale ». » Ventrice P., 2017. 18 Costantini M. et Florian L., in Marzari, 1998, p. 125. 19 « Poleni, abbastanza fedele a una tradizione percorsa e profondamente rinnovat dal magistero galileiano, con la sua critica all’aristotelismo simpliciano riteneva, infatti, che la nautica dovesse essere una branca della “filosofia sperimentale” e che di là dall’essere considerata una disciplina in senso stretto, avrebbe dovuto essere anche una sorta di prospettiva entro cui si potesse stabilire una sorta di legame tra filosofia e le cosiddette scienze esatte. […] Per quanto riguarda il contributo di Poleni alla scienza navale, esso è consistito soprattutto nell’averla indirizzata correttamente nell’alveo matematico-meccanico-sperimentale e di aver posto le basi per un suo sviluppo avvenuto in seguito per merito di Simone Stratico. » Ventrice P., 2017, p. 343.
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Fig. 148. – Machinula musculare de Poleni, lettre de Poleni à Grandi. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 5205, p. 206, https://doi.org/10.3931/e-rara-4037. Public Domain Mark.
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Poleni avec Morgagni est donc l’un des premiers penseurs de « l’ergonomie physique20 » avec notamment le français Philippe de La Hire21 (1640-1718), auteur d’un traité intitulé Traité de Mécanique où l‘on explique tout ce qui est nécessaire dans la pratique des arts : il y aborde « le mécanisme du mouvement de quelques animaux, celui des efforts des cordes mouillées pour élever de gros fardeaux, […] la forme la plus avantageuse des bras des moulins qui font jouer des pistons… ». Il publie, en 1702, les mémoires suivants : Examen de la Force de l’homme pour mouvoir les fardeaux, tant en levant qu’en portant, en tirant, laquelle est considérée absolument et par comparaison à celle des animaux qui portent et qui tirent, comme les chevaux, Examen de la force nécessaire pour faire mouvoir les bateaux tant dans l’eau dormante que courante, soit avec une corde qui y est attachée que l’on tire, soit avec des rames ou par le moyen de quelque machine, et toujours en 1702, De la réduction des mouvements des animaux aux lois de la mécanique. Physiologiste du travail à l’Académie des Sciences et à l’Académie d’Architecture, La Hire fait des « remarques sur l’usage qu’on fait des moufles dans l’élévation des fardeaux » propose des solutions pour remédier aux accidents causés « par la machine qui sert à battre les pieux » ainsi qu’aux « accidents qui peuvent arriver aux hommes qui servent à élever quelque fardeau que ce soit, en tournant dans une roue appliquée à un treuil22. » Giovanni Poleni n’hésite pas à souligner l’importance de la relation biomécanique, entre les mouvements de l’homme et ceux de la machine, dans ses cours d’architecture navale mais aussi dans ce brouillon manuscrit : Donc comme ces éléments se trouvent être ainsi et comme, même en allant dans le sens des arguments des Adversaires23, on démontre ouvertement (à moins que je me trompe lourdement) que la Théorie Mécanique est riche de ce qu’il y a de meilleur et que, de la même manière, une partie d’elle-même concerne les Mouvements des Êtres vivants. On ne pourra pas, je pense, douter que le bien-fondé de notre enseignement en faveur de ce cursus universitaire, soit suffisamment établi désormais avec certitude et entièrement légitimé. Mais pendant que je m’attache à accompagner l’enseignement même, j’appliquerai tout mon zèle à ce que, tantôt les Théories Mécaniques, tantôt celles du Mouvement 20 « L’ergonomie peut donc être définie comme la science du travail ayant pour objet l’adaptation du travail à l’homme (amélioration des conditions de travail). Avoir comme objectif une meilleure adaptation du travail à l’homme implique (dans la mesure du possible) de considérer tous les aspects du travail : physiologiques, psychologiques, facteurs sociaux, facteurs objectifs et subjectifs. Une meilleure adaptation du travail à l’homme aura pour résultat la satisfaction des opérateurs, leur confort, leur santé mais aussi l’efficacité de leurs conduites opératoires. L’ergonomie s’intéresse à deux grands types de problématiques : la problématique de l’adaptation de l’outil aux caractéristiques physiologiques et morphologiques de l’être humain ou d’une certaine population, c’est l’ergonomie physique et la problématique de l’adaptation des outils au fonctionnement cognitif des utilisateurs, c’est l’ergonomie cognitive. » (www.dsi.cnrs.fr/methodes/ergonomie/definition). 21 Daffos-Diogo H, « Philippe de La Hire (1640-1718) précurseur de l’ergonomie », communication présentée à la séance du 28 mars 1987 de la Société française d’Histoire de la Médecine. 22 PV de l’Académie Royale d’Architecture, tome III, 13 juillet 1699, p. 71, 31 janvier 1707, p. 264-266. Cité par Daffos-Diogo H., 1987. 23 Au sens de Poleni, les « Adversaires » sont des traités ou des essais qui présentent un plan dialectique bâti sur des concessions et des réfutations.
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Fig. 149. – Modèle de vaisseaux de 84 canons, salle du rectorat du palazzo del Bo, Padoue. C. Le Gall.
des Êtres vivants, qui constituent des intérêts indiqués d’une manière pertinente et excellente, soient placées en lumière. Faites en sorte, remarquables jeunes gens, que par l’application de votre zèle à notre ouvrage, ces éléments à la fois très plaisants et très intéressants de mécanique pressent vos études24. Le professeur padouan possédait plusieurs maquettes de bateau dans son cabinet de philosophie de mécanique naturelle du palazzo del Bo25. Ces trois maquettes (n. 361, 366 et 38626) furent construites par Poleni dans la période où il occupa la chaire 24 « Haec igitur cum ita se habeant, et cum, vel eundo per Adversariorum argumenta, aperte (in pessime fallor) demonstretur, optimae frugis, plenam esse Mechanicam Doctrinam, itidemque partem eiusdem ad motus animalium spectantem ; nullum, opinor, dubium poterit superesse, quin ratio instituti nostri pro hoc Litterario curriculo satis iam posita in tuto sit, atque plane confirmata. Dum vero institutum ipsum exequor, diligentissime in id incumbam, ut tum Mechanicae tum Motus Animalium doctrinae, utilitates modo indicatae opportuno optimoque in lumine collocentur. Tacite vos, Egregii Adolescentes, ut operae nostrae diligentia vestra accedente, haec iucundissima atque utilissima Mechanices studia urgeantur. » BNM Ve. It, IV, (= 5497), f.°66. 25 Quand l’institut de Physique fut transféré à sa nouvelle adresse padouane, via Marzolo, les trois maquettes restèrent comme décoration dans les salles académiques du palazzo del Bo. 26 Selon l’Indice delle Machine, con note di Gian Antonio Salandin, 1987.
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Fig. 150. – Maquette d’un demi-vaisseau – salle du rectorat du Palazzo del Bo, Padoue. C. Le Gall.
de construction navale entre 1756 et 1761 puis utilisées par son successeur Simone Stratico pour le même enseignement jusqu’à ce qu’il soit exilé en 1797. Un modèle de bateau entier fut acquis par le marquis auprès d’un « particolare che lo aveva in sua casa27 », tandis que les deux autres (l’un entier et l’autre présenté dans sa coupe longitudinale) lui furent procurés par Vendramin ; la coupe de vaisseau était l’œuvre de l’ouvrier de l’arsenal, Andrea Giacomazzi (coût : 225 ducats28). Selon Pasquale Ventrice29, le comportement mécanique du bois se prête difficilement à un calcul rigoureux, le bois étant irréductible, en raison de sa nature même, aux lois de la statique. Cette circonstance détermine son abandon progressif et son remplacement par le métal parallèlement aux développements du calcul. En présence d’une connaissance scientifique plus mature, le développement du calcul fit croire qu’on pouvait opérer un contrôle complet des accidents de la matière et fut la cause que le métal commença à être préféré au bois comme matériau d’emploi
27 “Un particulier qui l’avait chez lui”. Poleni a Giacomo Zuccato, Padova, 27 aprile 1758, BNMVe, ms It. X, 287 (6579). 28 P. Del Negro, 2013, p. 57. 29 Ventrice, 2009, p. 54.
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commun à employer dans des conditions variées. Le métal en étant un matériau plus contrôlable à travers le calcul, offrait non seulement une plus grande sécurité mais présentait aussi l’avantage de la durée ; d’autre part, il montrait une remarquable prédisposition à supporter des forces assez grandes, prédéterminables, même en présence de fortes sollicitations. Le cabestan de Poleni et la machine pour mesurer le chemin d’un vaisseau de Poleni mais également l’ancre qui possède une verge en bois présentent une hybridation bois-métal tandis que la machine pour mesurer la force du vent est entièrement en métal. D’ailleurs, selon P. Ventrice, Le passage de la construction navale de la phase empirique à la phase scientifique fut imposé par l’augmentation des dimensions des bateaux et par la transition du bois au fer et à l’acier comme matériaux employés dans la construction30. La lecture des programmes des cours d’architecture navale de Poleni – que nous traduisons pour la première fois en français – nous renseigne sur la place centrale occupée par les mathématiques et la géométrie qui doivent désormais régir les constructions des bateaux. Il faut également souligner la présence d’une interdisciplinarité énoncée dans les titres des programmes des cours.
30 « Il passaggio della costruzione navale dalla fase empirica a quella scientifica fu imposto dall’aumento dimensionale delle navi e dalla transizione dal legno al ferro e all’acciaio come materiali impiegati nella costruzione. » Ventrice, 2013.
Chapitre xvi
Traduction des programmes de cours de navigation de Poleni
Les cours d’architecture navale de Giovanni Poleni révèlent son engagement comme professeur, son honnêteté, le souci qu’il a de ses étudiants et de mettre à jour « son savoir savant » avec de régulières allusions à ses confrères (l’adjectif recens – moderne – est récurrent). Les cours reposent donc sur une tension entre la théorie et la pratique, la science et l’empirisme mais est également au croisement d’un grand nombre de disciplines : navigation, architecture civile et militaire, mathématiques, physique expérimentale, poliorcétique, biomécanique, science des cônes.
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Sur ordre du triumvirat des lettres si considérable Giovanni Poleni De l’Université de Padoue Professeur de Mathématiques, de Navigation et aussi de Philosophie Expérimentale poursuivra et conclura la Théorie de l’Architecture Militaire et aussi de l’Architecture Civile ; ensuite, posera les Principes de la Science de la Navigation et en outre, sera versé dans la gestion de la Philosophie Expérimentale, selon la méthode ci-après. Le début comprendra les éléments en rapport avec la Science de l’Architecture militaire enseignées et développées l’année précédente qu’on proposera de manière concise et qu’on rappellera à la mémoire. Alors, on en viendra à transmettre le reste des préceptes de l’Art utile au premier chef, évidemment celui de l’Architecture militaire ; et pour satisfaire dès lors à une tâche vraiment ample, on lui accordera la part la plus importante de ce cursus littéraire, c’est une ferme conviction que cette activité ne sera pas de peu d’utilité aux Jeunes Gens aspirant à quelque gloire personnelle. 1. D’autre part, comme on a déjà évoqué l’Architecture Militaire antique, on poursuivra cette année les préceptes déjà abordés d’Architecture Militaire, matière toute récente qui a commencé à se développer après l’invention de cette poudre à canon : de nouvelles armes de guerre suivirent l’invention de cette poudre, qui ont entrainé – on a peine à dire combien – des mutations dans les méthodes d’attaque et de défense : si bien qu’à cause de cela, un genre d’Architecture Militaire complètement inédit, adapté aux nouveaux usages de ces armes et à leur puissance a fait son apparition. Et dans la mesure où, au cours du temps, la forme de ces mêmes armes, leur nombre, leurs usages se sont accrus du fait de leur variété, de leur taille et des techniques ingénieuses, il faut également travailler à ce que l’Architecture Militaire atteigne au plus près le degré de perfection. 2. C’est pourquoi suivant sa croissance, il faudra exposer la disposition de celle-ci. Et, de là, on recensera les Préceptes au sujet de la structure des différentes parties, à partir desquelles les Fortifications sont disposées et on tirera leurs calculs du fonds Mathématique ; on évaluera les poids des avantages et des inconvénients à partir de l’usage des mêmes parties. Ensuite comment, et quelles prescriptions doivent suivre les architectes, ce qui est nécessaire, quand on doit mettre la main à l’ouvrage, quels instruments, à quels matériaux, en fonction de la variété des choses et des lieux, on aura recours pour une utilité plus grande, on va l’exposer. 3. De cette façon, on mènera à son terme la théorie des Fortifications Régulières et Irrégulières, des Ouvrages extérieurs et aussi des travaux qui sont requis pour attaquer les Villes et les Places fortes. 4. Quant à ce qui touche à l’Architecture Civile, P. Milliet Dechales et Christian Wolff l’ont étudié dans les Disciplines Mathématiques. Donc celui qui est disposé à traiter à propos de l’Architecture Civile au moyen d’une Méthode Mathématique
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(comme on dit), montrera que certaines parties de celle-ci peuvent être constituées de calculs déterminés et de là, être perfectionnées. Il démontrera également comment quelques Questions Architectoniques peuvent être arrangées afin qu’elles ne semblent pas gêner la constitution Mathématique. Alors, en outre, il traitera de ces Problèmes, bien qu’ils soient complètement nécessaires à l’Architecture Civile, dans leurs solutions cependant qui sont dérivées seulement des meilleures sources de la Géométrie. Par ces Problèmes, il marquera le terme de ce cours. Mais tous ces sujets jusqu’ici exposés occuperont la plus grande partie (comme on l’a dit ci-dessus) de l’année Universitaire. Et le temps restant jusqu’à la fin de l’année elle-même sera consacré à la Science de la Navigation, puisque, sur l’ordre du Sénat Auguste, celle-ci aussi a été ajoutée à sa fonction et à sa charge. Et il s’efforcera avec soin de poser correctement les premiers Principes de cette même Science, qui ensuite devront être utiles à la constitution de toute la Science et à son illustration. Et à dessein, il a indiqué précédemment que plusieurs autres Sciences devaient être transmises : et en effet, ici, il faut ajouter que, chaque semaine, on devra consacrer une journée à administrer la Philosophie Expérimentale et en même temps enseigner son admirable accord avec les Sciences Physiques et les Disciplines Mathématiques. Et cette année, tantôt par le fait de mener des Expériences, tantôt par le fait de mettre en lumière les théories correspondant aux mêmes Expériences, on s’occupera des parties de la même Philosophie qui ont un rapport avec la nature, les effets, et les actions de la Gravité, avec les structures de certaines Machines servant à plusieurs Expériences, avec les Lois du Mouvement inhérent à la Gravité, à la Pression ainsi que les Lois du Mouvement composé, et avec la Question ardue et complexe des Forces Vives. Dans ces mêmes parties seront aussi contenus les principes universels de l’Équilibre et les explications des Machines simples ; de ces Machines simples, on fera un pas vers les Machines Complexes dont quelques-unes seront présentées au public. En un mot, il s’efforcera de remplir la tâche de mettre en ordre et d’illustre, à sa mesure, cette matière longuement et largement diffusée et difficile. Imprimerie du Séminaire de Padoue, avec l’Accord des Supérieurs
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Sur ordre du triumvirat des lettres si considérable Giovanni Poleni De l’Université de Padoue Professeur de Mathématiques, de Navigation et aussi de Philosophie Expérimentale traitera de l’Art de la Navigation, et en outre, il sera versé dans la gestion de la Philosophie Expérimentale, selon la méthode ci-après. Il a plu au Sénat Auguste et au Triumvirat des Lettres, si considérable qu’en sus de toutes les autres Sciences que je traite, j’entreprenne aussi de transmettre au public la Science de la Navigation. Par conséquent, comme toujours, ce qui m’a été commandé, j’ai estimé que c’était pour moi un honneur de l’accomplir, et je le pense ainsi maintenant, et j’obéis avec une extrême déférence. Je veillerai à présenter les choses qui, dans le cours de la Science proposée, me semblent être davantage appropriées à former une Jeunesse d’élite accédant pour la première fois à ces études. En premier lieu, je m’efforcerai d’écarter l’opinion toute faite de quelques-uns, qui soutiennent que la connaissance de la Navigation se fonde sur la seule expérience et le seul exercice ; et ensuite, je montrerai qu’à cette connaissance, la Science aussi, de laquelle opportunément on tire une lumière qui convient aussi aux différentes parties de l’exercice et de l’usage, peut avoir la plus grande utilité. Surtout si, continuellement aussi, on ne néglige pas d’exposer les choses qui proviennent de la pratique (comme on l’appelle), comme, assurément, je ne les négligerai pas. Je présenterai quelques éléments sur l’origine des Bateaux. Et pour accéder au plus près à la Science proposée, je considérerai d’abord le Bateau au calme, sur la mer. Et puisque le Bateau est immergé dans l’eau, pour une part de ce genre qui occupe un espace auparavant rempli de ce volume d’eau, dont le poids était égal au poids du Bateau entier lui-même, pour cette raison, il faudra dire quelques mots sur la Gravité des Solides dans les Fluides moins lourds. Mais comme pour la Science dans laquelle on est versé, on a besoin quelquefois de l’aide de la Science Mécanique, il m’importe, je pense, de mettre en avant certaines propositions tirées de la réserve des Mécaniciens, surtout celles sur le Centre de Gravité, sur la composition et la résolution des Forces, sur la Résistance des Solides. Et pour que la Jeunesse studieuse puisse concevoir les idées pertinentes à propos du mouvement duquel il faut traiter, j’utiliserai une Maquette complète de Bateau élaborée avec soin et je montrerai les parties du Bateau, je donnerai le nom de ces mêmes parties et en expliquerai les usages. Ainsi, plus facilement, sans grande gêne pour l’imaginer, on découvrira ce qu’est la chose. Ainsi, quand cela a été suffisamment examiné, je considérerai le Bateau comme livré à la mer et je ferai un pas pour traiter de la Navigation. C’est pourquoi j’expliquerai ce qui concerne les chemins du Bateau.
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Mais, à cette fin, il vaudra mieux, au sujet de la Boussole Magnétique, des Cartes hydrographiques, de certains Principes Astronomiques, et de ces questions assurément autant qu’il suffit à mon propos, créer des cours qui conviennent. Et ceux-ci qui puiseront dans les connaissances des questions de ce genre, proposées à dessein, il vaudra la peine de les appliquer à la Navigation dans des lieux convenables et adaptés. Pour saisir beaucoup en peu de mots, je dirai que je traiterai des calculs, des préceptes, des ouvrages qui ont été inventés et créés pour que, dans la Navigation, avec l’aide de ceux-ci, on puisse déterminer à n’importe quel moment, l’endroit de la mer où se trouve le Bateau et connaître la direction à établir et à suivre pour que le Bateau parvienne là où on s’est fixé de le diriger lui-même. Et d’ailleurs, ces calculs sont, je pense, très importants pour enseigner la Science de la Navigation. Cependant si en outre le cours lui-même fournit, comme cela arrive, quelque trouvaille qui pourra, je crois, améliorer cette science, je l’ajouterai volontiers. En voilà assez de cette Science. D’autre part, on m’a confié le cours non seulement des Mathématiques mais aussi de la Philosophie expérimentale. C’est pourquoi je dois entièrement consacrer une journée par Semaine à la gérer et en même temps, enseigner son admirable accord avec les Sciences Physiques et les Disciplines Mathématiques. Or, en cette année Universitaire, je gèrerai d’abord les Expériences qui concernent les Machines composées : telles que les Leviers composés, les Balances et les Statères, différents genres de Tambours, la Vis d’Archimède et différents assemblages de Poulies. Et alors, je mènerai des Expériences en rapport avec les Roues dentées, les Cabestans, les Puissances à action oblique et en rapport avec les vitesses des Poids descendant sur des plans inclinés. Ensuite, j’en poursuivrai d’autres, à l’aide desquelles on expliquera la Science des mouvements des Muscles. En outre, je joindrai des Expériences variées sur les Frottements ; et après celles-ci, je démontrerai, en menant des Expériences, les usages variés des Roues dont sont équipés les chariots. Enfin, j’aurai soin d’éprouver les Résistances des Solides, pour lesquelles il serait possible d’illustrer par des calculs ce qui apparait dans les Expériences. Padoue, Imprimerie du Séminaire, 1757, avec la permission des Supérieurs.
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Sur ordre du triumvirat des lettres si considérable Giovanni Poleni De l’Université de Padoue Professeur de Mathématiques, de Navigation et aussi de Philosophie Expérimentale organisera les Principes de l’Architecture Navale, exposera alors la Science des Sections des Cônes et leur usage. Et au quatrième jour, gèrera la Philosophie Expérimentale, selon la méthode ci-après. Avant tout, il vaudra mieux remarquer qu’une triple charge m’a été confiée pour le présent. La première est l’enseignement des Mathématiques, avec la capacité que mes Prédécesseurs avaient obtenue. La deuxième charge est la gestion de la Philosophie Expérimentale et il s’est ajouté, en sus pour moi, il y a environ quatre lustres1, que je mène des expériences et, ce qui suit comme conséquence, que j’expose en ordre l’accord de la Physique et des Mathématiques. Quant à la troisième charge, elle concerne la Navigation, charge qui m’a été remise il y a six ans auparavant, et annexée aux premières. 1. C’est pourquoi comme ma raison était attentive à cela, je compris facilement que que j’utiliserai souvent, cette année, les Sciences Mécaniques dont je montrerai au préalable qu’il n’est pas possible de ne pas approuver l’usage. En effet, d’abord, je rapporterai les Dissertations de ceux qui s’opposent à la Science Mécanique des modernes ; ensuite, les calculs par lesquels sont réfutées ces Dissertations, je les placerai en bonne lumière. Bien plus, je prouverai que la Science Mécanique des modernes l’emporte complètement sur la Science Mécanique des Anciens. 2. Mais poursuivant l’objectif proposé à savoir l’Architecture navale, j’indiquerai d’abord son origine et son progrès, espérant beaucoup pouvoir dans un cours concis conjuguer une érudition adaptée à une utilité digne d’intérêt. 3. Et puisque, dans la construction des Bateaux, on fait un grand et important usage des essences2, c’est-à-dire du bois, pour cette raison, il me plaira assurément de rédiger quelque exposé sur la nature des essences. Et pour notre sujet, cependant, on n’aura pas assez parlé, si on ne proposait pas également quelque dissertation sur la coupe du bois. 4. D’autre part, il faut bien enquêter et connaître, d’une quelconque manière, les forces du même bois. Et (pour être précis et utile), il faut exposer intégralement quelques principes de la Théorie des solides. 5. Or, après que ceux que nous avons proposés jusqu’ici comme Prolégomènes du bon usage, ont été coupés et débités, il faudra progresser dans la transmission et l’enseignement des Principes de l’Architecture Navale, comme le comporte 1 4 lustres = 4 x 5 ans. 2 Cf. livre ii de Vitruve.
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notre formation. Ainsi, je traiterai de ces parties à partir de l’assemblage adéquat desquelles le corps du Bateau se forme. Je ferai mon introduction sur la Longueur du Bateau et sur sa Largeur, dans l’intention de traiter du rapport qu’il faut découvrir entre elles. De là, je traiterai de la Quille (qui est comme la base et le fondement du Bateau) et des Éperons, dans lesquels la quille se termine : je parlerai alors du Flanc intermédiaire ou majeur, et de ses parties, de même du Flanc côté Poupe, de l’autre côté Poupe, du Flanc vers la Proue, du Rostre de la Proue, et des autres Flancs et j’enquêterais sur le fruit des réflexions des gens plus Experts tantôt par la pratique, tantôt par les aides de la géométrie, pour déterminer les figures de celles-ci. J’étudierai à fond les Varangues, les Bordés, les Chevrons destinés à couvrir intérieurement et extérieurement les Bateaux, les Bancs des Rameurs et les Planchers à construire au-dessus, puis les Sabords. Je consacrerai un petit développement aux parties qui sont préparées pour qu’ensuite, fixées l’une l’autre, elles fournissent la structure du corps du Bateau, qui est souvent appelée par quelques-uns le Squelette du Bateau. J’ai évoqué jusqu’ici ma première Charge. Une fois ceci présenté (comme il a été proposé), j’aborderai la seconde, évidemment pour enseigner la Science des Sections des Cônes. Et comme j’ai reçu un nombre incalculable de recommandations par lettres, envoyées par de très Grands Géomètres au sujet des Sections coniques, je m’efforcerai d’enseigner par quel calcul on peut sélectionner les plus intéressantes et les soumettre à un ordre adéquat et facile. Et avec ce calcul, mon ouvrage deviendra géométrique. Et quoique les experts géomètres puissent trouver énormément de charme à la seule beauté de la vérité et aux admirables techniques des Propositions, quelquesuns de nos Débutants, cependant, ne sont captivés ni par cette beauté et ni par ces techniques. C’est pourquoi, je m’efforcerai de soumettre, quand l’occasion se présentera, quelques usages des propositions de sorte que celles-là mêmes seules, en qui le charme et l’utilité n’apparaissaient pas, se manifestent de façon évidente dans l’application d’elles-mêmes vers d’autres domaines et puissent attirer tous les Débutants. C’est pourtant à cela que je ferai clairement référence ici, quand j’expliquerai les propriétés de la Courbe Parabolique, moi qui ne suis disposé à ne rien laisser de côté de ce qui touche à la science Pyrotechnique, science qui, si jamais elle est utile en un temps, est surtout certainement, au plus haut point, à notre siècle, et doit être connue avec application. Bien plus, j’exposerai soigneusement aussi un à un les Problèmes qui peuvent être pratiques pour assumer la charge de n’importe quel Équilibreur3 de Machine de jet : en un mot, je proposerai la science complète
3 Libra signifie balance. L’équilibreur est un technicien chargé de mettre à l’équilibre une machine de torsion. Les machines de jet (balliste, scorpion) sont fixes au sol sur un cadre plan sous peine de dysfonctionner et de mauvaise visée. La torsion, une fois libérée, lâche une très grande puissance de tir. William Smith, D.C.L., LL.D. : A Dictionary of Greek and Roman Antiquities John Murray, London, 1875. « Libratores in the armies were probably soldiers who attacked the enemy by hurling with their own hands (librando) lances or spears against them (Tacit. Ann. II.20, XIII.39 ; in both these
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de l’Artillerie (comme certains l’appellent) et je l’enseignerai avec soin. Et que cela soit dit sur les Sections des Cônes. 10. Trois Charges m’ont été confiées, je l’ai à dessein déjà indiqué plus haut et pour cette raison, il faut ajouter en ce lieu ce qui concerne ma troisième Charge avant tout ; cela implique que je doive être versé en gestion de la Philosophie Expérimentale. 11. Par conséquent, cette année, tantôt en menant des Expériences, tantôt en mettant en bonne lumière des sciences convenant à ces mêmes Expériences, on gérera les parties de cette même Philosophie qui concernent l’achèvement de la science des Forces Vives et la constitution du principe universel de l’Equilibre. Ceci une fois mis en place, on mènera les Expériences en rapport avec les Machines simples (non inconnues des Mathématiciens antiques) : le Levier évidemment, la Balance, le Vindas, le Plan incliné, la Vis, la Poulie et le Coin. Cependant, les Modernes, par la réflexion et l’expérience, ont apporté à ces machines quantité de développements et d’améliorations. 12. Ensuite, je gèrerai les Expériences qui concernent les Machines composées : telles que les Leviers composés, les Balances et les Statères, les différents genres de Tambours, les Vis d’Archimède et les différents assemblages de Poulies. Je mènerai alors des Expériences concernant les Roues dentées, les Cabestans, les Puissances agissant obliquement et le calcul de la vitesse des Corps lourds descendant sur des Plans inclinés. Ensuite, je poursuivrai d’autres Expériences, à l’aide desquelles on expliquera la Science des Mouvements des Muscles, et on distinguera, le mieux possible, les dilatations et les forces de ces mêmes muscles. 13. En outre, j’ajouterai différentes Expériences sur les Frottements et après celles-ci, je démontrerai en menant des Expériences, les différents usages des Roues dont sont équipés les Chariots. 14. Et quoiqu’il y ait des sujets que je tienne pour supérieurs au cours de l’exercice de mes charges, cependant, si, en outre, les cours eux-mêmes (comme cela arrive) fournissent quelque trouvaille, grâce à quoi, je trouve bon que celles-ci puissent être améliorées, je l’ajouterai volontiers. Imprimerie du Séminaire de Padoue, avec l’Accord des Supérieurs.
passages some MSS. have libritores.) Lipsius (ad Tacit. Ann. l. c.) thinks that the libratores were men who threw darts or stones against the enemy by means of machines, tormenta (compare his Poliorcet. IV.3). But this supposition can scarcely be supported by any good authority. During the time of the republic libratores are not mentioned in the Roman armies. ».
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Sur ordre du triumvirat des lettres si considérable Giovanni Poleni de l’université DE PADOUE Professeur de Mathématiques, de Navigation et aussi de Philosophie Expérimentale traitera des Principes de l’Architecture Navale ; alors, faisant un pas vers l’autre partie des Mathématiques, expliquera la Science Mathématique des Mouvements des Êtres animés et en plus, il sera versé dans la gestion de la Philosophie Expérimentale, et il la poursuivra, selon la méthode ci-après. Une fois reçu l’ordre d’assumer la fonction d’enseignement public de la Science de la Navigation, quand il aura transmis de nombreux contenus regardant le domaine Nautique, il accèdera ensuite à l’exposition des Principes de l’Architecture Navale. Pourtant, comme ces sujets sont nombreux, au cours de la prochaine année Universitaire, il s’appliquera au cours des éléments qui jouent un très grand rôle dans la solidité de la structure du Bateau. D’autre part, il a estimé qu’il fallait, au début du cours proposé, développer ce point à saisir : c’est-à-dire la Science de la Résistance des Solides, dont l’utilisation est tout à fait nécessaire à la structure des Bateaux. En outre, il semble impossible de mettre en doute que ce sujet est tantôt difficile tantôt absolument nécessaire. C’est pourquoi il expliquera les théorèmes principaux touchant à la force de Résistance des Bois : si la force dépasse l’action contraire, les bois résistent et si elle est inférieure, les bois se cassent. D’autre part, il appréciera ce que les dimensions variées des bois confèrent à cette résistance et l’efficacité des forces qui tâchent de briser les bois. Et en outre, il exposera publiquement quelques propriétés des instruments de fer et des cordes découvertes et diffusées à notre époque, grâce au travail de certains savants parce qu’il sera logique que, par l’institution de ce cours, elles soient connues. Et alors, une par une, il montrera les principales parties du bois qui à l’instar de membres valides, assurent la cohésion du corps entier du Bateau. Et les membres quand on les connaîtra bien un par un, on fera un pas en les montrant réunis : évidemment, on mettra devant les yeux de tous, la Maquette du corps du Bateau4, dans laquelle on pourra plus clairement transmettre et enseigner les calculs de la structure de ce corps.
4 Trois maquettes ont été créées par Giovanni Poleni pour ses cours. Exposées actuellement dans les salles du rectorat du Palazzo del Bo de l’université de Padoue, elles ont été référencées par Poleni dans son inventaire du Cabinet de Philosophie expérimentale. La première maquette représente un vaisseau vénitien de 84 canons (n° 361 de l’inventaire) avec une quille de 170 cm ; la seconde reproduit la moitié d’un vaisseau vénitien de 58 canons (n° 366 de l’inventaire) avec une quille de 130 cm ; la troisième (n°386 de l’inventaire) diffère de la seconde par la batterie et mesure 45 pouces soit environ 114 cm. Poleni précise que ces trois maquettes ont été transportées de Venise à Padoue. Elles lui furent utiles durant la période où il occupa la chaire de de Construction navale soit de 1756 à 1761. Le successeur de Poleni, Simone Stratico, en fit ensuite l’usage.
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On traitera aussi des techniques propres à assembler les parties du Bateau, comment, jointes et attachées fermement, elles confèrent une robustesse accrue à toute la machine. En vérité, à cette charge principale dans l’exercice de laquelle on doit s’activer en y mettant de la peine comme il se produit pour les Mathématiques qui englobent des Disciplines si nombreuses et si variées, incombe la tâche de prêter attention à ces Disciplines et elle ne doit nullement s’exposer à en négliger certaines d’entre elles qui seront très utiles aux jeunes étudiants. C’est pourquoi, à côté de la méthode déjà enseignée, quand on aura parcouru le cours de l’Architecture Navale, on en arrivera à la transmission de la Science Mathématique du Mouvement des Êtres animés. Et on devra exposer plusieurs éléments et s’appliquer plus profondément au développement de cette même Science Mathématique. Et on retiendra le même ordre dans la transmission de cette Science (excepté quelques endroits) qu’a proposée le très savant Giovanni Alfonso Borelli5, (pour ainsi dire) père et créateur de cette Science. Mais on se comportera ainsi tantôt parce que cet ordre est suffisamment pertinent, tantôt aussi, en plus, parce qu’il sera très utile à la Jeunesse Estudiantine de pouvoir plus facilement suivre ce livre où sont bien contenus les nombreux Principes de la Science proposée. Et tout ce que certains Auteurs savants entre tous ont remarqué avoir été échu à Borelli, en matière de culture, il le donnera amendé ; les éléments qui pourront être démontrés plus succinctement, il les résumera ; il fournira les principes plus faciles de Mécanique ; plusieurs principes qui, après l’époque de Borelli, ont été soit l’objet d’observations, soit découverts par des expériences, soit mis au jour par des raisonnements, il les présentera de façon adéquate en leurs lieux. On ajoutera aussi certains principes utiles et certains autres nécessaires aux Propositions variées d’Auteurs variés destinées à être mises en étroite relation entre elles. C’est pourquoi on bandera les muscles au travail pour que tous les principes transmis çà et là par des Hommes nantis d’une Science excellente, bien arrangés, peut-être aussi augmentés et illustrés pour quelques parties, représentent comme un unique corps complet de la Science sur le Mouvement des Êtres animés6. Jusqu’ici, on a évoqué la science de l’Architecture Navale et celle du Mouvement des Êtres animés. D’ailleurs, la charge est étroitement liée non seulement à la Navigation et aux Mathématiques mais aussi à la Philosophie Expérimentale. Pour cette raison, on devra entièrement consacrer une journée par Semaine pour l’administrer et en même temps, enseigner son admirable accord avec la Science Physique et les Disciplines Mathématiques.
5 Giovanni Poleni critique la théorie de Borelli dans des notes manuscrites de mécanique (« Mécanique 22 ») : cf. mss de Poleni, bibliothèque Marciana, Venise, It, IV, 636 (= 5497), p. 126. Il corrige et ajoute, dit-il. Poleni actualise, « colle » à l’actualité des découvertes et remplit complètement son rôle de professeur. 6 Rassembler des éléments épars (membra disiecta) en un corps unique, vieille métaphore de l’encyclopédisme antique.
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C’est pourquoi, pour cette année Universitaire, on poursuivra, d’abord, les expériences sur les Forces Centrifuges. Et, à l’aide de plusieurs expériences, on se demandera quels sont précisément les phénomènes qui naissent des corps en rotation, qui sont dotés de poids variés ou qui ont des différences de mouvement depuis le centre ou sont mus par des vitesses variées. Ensuite, on s’avancera vers les autres à l’aide desquelles on puisse déduire la Science des pendules ; bien plus, on montrera les principes grâce auxquels des hommes ingénieux et industrieux ont tenté d’apporter une solution à l’inconstance des Pendules, due à la chaleur. En outre, on traitera des Forces innées. On exposera alors le fonctionnement Hydraulique à l’aide de travaux pratiques et d’un cours magistral. Et enfin, on aura soin de mener des expériences qui ont trait aux principes de l’Optique, de la Lumière et des Couleurs : pour cela, on recherchera plusieurs expériences assurément très utiles et très agréables. Imprimerie du Séminaire de Padoue, avec l’Accord des Supérieurs.
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Sur ordre du triumvirat des lettres si considérable. Giovanni Poleni de l’Université de Padoue Professeur de Mathématiques, de Navigation et aussi de Philosophie Expérimentale exposera la Science de l’Architecture Militaire et aussi de l’Architecture Civile : et opportunément, il traitera des lieux à fortifier près des Ports, en rapport avec la science de la Navigation et en outre, s’appliquera à la gestion de la Philosophie Expérimentale, selon la méthode ci-après. 1. Il commencera par les éléments regardant la construction des Fortifications des Places fortes à construire et entreprendra de transmettre les préceptes de l’Art utile avant tout, assurément celui de l’Architecture militaire complète ; et il attribuera une grande partie de ce cursus d’étude au traitement de ce programme ; c’est une ferme conviction que cette activité ne sera pas peu utile aux Jeunes Gens aspirant à quelque gloire personnelle – ce n’est pas peu dire. 2. D’autre part, il traitera l’Architecture Militaire antique, enseignera, alors, les préceptes en rapport avec l’Art moderne des Fortifications, art, assurément, qui a commencé à se développer après l’invention de la poudre à canon ; de nouvelles armes de guerre suivirent l’invention de cette poudre, en vue desquelles tant de mutations – il n’est pas facile de l’expliquer – dans les méthodes et les techniques d’attaque et de défense ont été réalisées par des savants et des spécialistes ; si bien qu’à cause de cela, un genre d’Architecture Militaire, complètement inédit, adapté aux nouveaux usages de ces armes et à leur puissance semble avoir fait son apparition. Et dans la mesure où, au cours du temps, la forme de ces mêmes armes, leur nombre, leurs dispositions se sont accrus du fait de l’invention de techniques ingénieuses, il faut également travailler à ce que l’Architecture Militaire atteigne au plus près le degré de perfection. 3. C’est pourquoi suivant ses accroissements, il exposera la constitution de cette Architecture. Et, de là, il recensera les Préceptes au sujet de la structure des différentes parties, auxquelles sont liées les Fortifications et tirera leurs calculs du fonds Mathématique ; il évaluera aussi les poids des avantages et des inconvénients d’après l’usage des mêmes parties. Ensuite comment, et quelles prescriptions doivent suivre les architectes, ce qui est nécessaire, quand on doit mettre la main à l’ouvrage, à quels instruments, à quels matériaux, en fonction de la variété des choses et des lieux7, on aura recours pour une utilité plus grande, il le développera. 4. Selon une méthode identique, il lui incombera de mettre en bonne lumière la science des Fortifications Régulières (comme on les appelle) et Irrégulières, des Ouvrages extérieurs et aussi de ceux qui sont requis pour attaquer les Villes et les Places fortes. 5. Quant à ce qui touche à l’Architecture Civile, P. Milliet Dechales, Christian Wolff et quelques autres savants l’ont désormais intégré parmi les Disciplines Mathématiques. Donc celui qui est disposé à traiter à propos de celle-ci par la
7 Adaptation au terrain cf. Vitruve livres 1 et 2.
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Méthode Mathématique (comme on dit), il montrera que certaines parties de celle-ci peuvent être constituées de calculs déterminés et de là, être perfectionnées. Il démontrera également comment quelques Questions Architectoniques peuvent être arrangées afin qu’elles ne semblent pas gêner la constitution Mathématique. Alors, en outre, il traitera de ces Problèmes qui, bien qu’ils soient absolument nécessaires à l’Architecture Civile, leurs solutions cependant ne sont dérivées que des meilleures sources de la Géométrie ou de la Mécanique. Mais il faut construire tout cela par des techniques variées et des moyens variés et les adapter à la variété des lieux. En effet, une chose est de fortifier une Place forte installée sur une colline, une autre d’en ériger une en terrain plat, et une autre encore d’en dresser une au bord de la mer et ainsi de suite. Et à lui-même qui est sur le point d’exposer ces éléments, incombe la lourde responsabilité de devoir s’aplliquer avec son zèle (de quelque qualité qu’il soit) à la transmission de certaines autres Sciences. Parmi ces Sciences, figure aussi la Navigation. C’est pourquoi débattant de la fortification des Places fortes en rapport avec les Ports, il ne négligera pas d’exposer en quoi les Bateaux dans les sièges des Places fortes de ce genre ou dans les attaques, ou au contraire quand il y a besoin de les défendre, peuvent être efficaces, au moyen de la science inhérente à la Navigation. Et à dessein, il a indiqué juste avant que d’autres Sciences devaient être transmises : et en effet, ici, il faut ajouter que, chaque semaine, on devra consacrer une journée à administrer la Philosophie Expérimentale et en même temps enseigner son admirable accord avec les Sciences Physiques et les Disciplines Mathématiques. Et en cette année, tantôt par le fait de mener des Expériences, tantôt par le fait de relier convenablement et harmonieusement les sciences aux Expériences, on commencera (comme il est juste assurément) par les Propriétés qui, comme en persuade le calcul, sont communes à tous les corps et que les Expériences ellesmêmes démontrent. Et pour cette raison, on traitera de l’Extension des Corps, de leur Divisibilité, de leur Impénétrabilité et de leur Texture sensible et aussi de leur Porosité, de leur Force d’Inertie et de leur Légèreté Positive. Puis on s’appliquera à traiter à fond et à exposer à l’aide d’Expériences, les choses qui ont un rapport avec la cause, la qualité, les effets et les actions de la Gravité, avec les structures de certaines Machines servant à plusieurs Expériences, avec les Lois du Mouvement inhérent à la Gravité, à la Pression ainsi que les Lois du Mouvement composé, et avec la Question ardue et complexe des Forces Vives. À celles-ci, on joindra quelques autres parties de la Philosophie Expérimentale en accord avec elles. En un mot, il entreprendra de faire ceci : arranger ensemble8, à sa mesure, ces matières dispersées en long et en large, difficiles, et les illustrer9. Imprimerie du Séminaire de Padoue, avec l’Accord des Supérieurs.
8 componere : « arranger ensemble ». Le verbe componere est essentiel. Il appartient au langage technique du mosaïste qui assemble et organise en un tout cohérent selon un schéma arrêté des tesselles diverses – et de l’orateur chez Quintilien qui assemble ses mots variés pour en faire un tout cohérent. 9 Illustrare : « illustrer, rendre patent, clair, lumineux, mettre en lumière ». Il s’agit par les expériences et les explications de faire passer un savoir difficile auprès des élèves. C’est tout un art de la pédagogie, bâtir un cours riche, cohérent et accessible.
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Fig. 151. – Cours de l’année universitaire 1732-1733, Archivio Antico, Palazzo del Bo, Padoue, « In nomine Domini… ». C. Le Gall.
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Fig. 152. – Année universitaire 1740-1741. Archivio Antico, Palazzo del Bo, Padoue. C. Le Gall.
L’emploi de la troisième personne est justifié par le recours à l’affichage des leçons dans les couloirs de l’université de Padoue. La liste des cours montre la variété tant diciplinaire (théologie, lecture de l’écriture sainte, philosophie, anatomie, chirurgie, botanique, grec, latin, leçon sur le troisième livre d’Avicenne, astronomie, météorologie) que géographique (avec une présence italienne majeure : professeurs de Vérone, Padoue, Brescia, Rome, Venise, Bergame, Crémone, mais aussi de France et de Cologne) des cours. L’année universitaire commençait le 3 novembre et se terminait au mois de juin. On remarquera la longueur du titre de la leçon par rapport aux titres des cours de Morgagni par exemple, leçon qui apparaît ainsi plus précise aux étudiants, ce qui ne laisse pas de souligner le souci constant de Poleni pour son public (l’expression du destinataire « Studiosae Juventuti » traverse les programmes) qui le retrouvait sur une heure post-prandiale (2 heures de l’après-midi). Les programmes mettent également un certain esprit de dérision : dans le programme de l’année 1759, Poleni emploie l’image de l’athlète qui bande ses muscles (« nervos ») et transpire (« desudare »). Il s’agit pour Poleni de s’appuyer sur les découvertes des savants modernes (ou de les corriger comme Borelli) puis d’arranger (« componere ») ou d’embrasser (« complectitur ») les divers membres (« membra ») des branches des disciplines liées à la navigation. Les termes renvoient également à un degré d’exigence voulue par le professeur : « attendat » (« prêter attention à »). Il évoque
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ainsi le travail sur les propriétés des matériaux tels que le fer ou le chanvre des cordes (« ferramentorum et funium proprietates ») et les essences des bois. Ses cours étaient étayés par des démonstrations expérimentales à l’échelle des maquettes ou bien à l’échelle réelle du vaisseau San Carlo. Poleni a dû également reprendre sa propre maquette de cabestan ou ses machines pour mesurer la route du vaisseau que nous avons entrepris de reconstituer. En Italie ou en France, nous n’avons trouvé nulle trace de ces machines. Les programmes des cours ont pour objectif notamment de donner une structure ferme et efficae au bateau : les formules récurrentes « corpus et structura navis » pourraient métaphoriser le souci qu’a Poleni d’arranger ensemble les connaissances (« membra ») afin de créer un tout harmonieux à l’image de la coque bien formée du bateau.
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Chapitre xvii
L’intérêt de la reconstitution
Quelques définitions Il convient de s’arrêter comme le fait Marie-Pierre Besnard1 sur la définition du mot « patrimoine ». Pour Littré, en 1866, il est un « bien d’héritage qui descend, suivant les lois, des pères et mères à leurs enfants ». On mesure dans la simplicité de la formulation toute la complexité de la notion. En effet, soumis aux lois, le patrimoine voit sa réalité intrinsèquement corrélée à l’évolution des sociétés. Si nous nous intéressons plus particulièrement aux susbtantifs anglais, la comparaison entre « patrimoine » et « heritage » montre que pour définir précisément le mot français – dans son sens français – la langue anglaise peut se contenter du seul terme d’« heritage ». On y trouve bien la dimension de bien public. Concernant la sphère privée, il faudra préférer traduire « patrimoine » par « legacy. » Nous définirons les notions liées aux opérations de reconstruction du patrimoine puis évoquerons les différentes supports et outils de cette reconstruction. La restitution de l’image consiste à retrouver celle qu’un édifice pourrait nous donner si l’on pouvait le revoir tel qu’il était à l’origine. L’anastylose signifie « redresser les colonnes » et renvoie donc à une pratique archéologique pour repositionner les blocs épars, les replacer dans le bon ordre. L’évocation est une simple allusion à un site, sous la forme d’images sans souci de ressembler à la réalité des lieux : elle peut émouvoir, séduire, faire rêver mais n’instruit pas quant à l’aspect réel du lieu. La simulation peut concerner une action présente ou future souvent dans un cadre virtuel. La restauration est l’action faite en faveur de l’amélioration de l’état physique d’une œuvre, consistant à réparer ses parties dégradées. La recréation est la création d’un objet monument à partir d’une image (mosaïque, bas-reliefs). La reconstitution a pour objectif de « redonner aux monuments une constitution, c’est-à-dire une substance et une structure. La reconstitution, écrit Jean-Claude Golvin2, vise, idéalement, à donner au tout une intégrité et une existence retrouvées. » L’image (virtuelle ou non) de restitution d’un monument comprend trois parties : la « partie connue » (ce qui subsiste de l’édifice), la « partie reconstituée » (rétablie grâce à l’anastylose) et la « partie complétée » (celle qu’il a fallu ajouter). Cette restitution doit obéir à une démarche scientifique comme le rappelle Sylvain Laubé dans son article sur la modélisation du pont tournant
1 « La mise en valeur du patrimoine culturel par les nouvelles technologies », Schedae, 2008. 2 Golvin J.Cl., « L’image de restitution et restitution de l’image », Cours de Tunis, vol. i, p. 3.
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de Recouvrance (Brest)3. Le modèle 3D virtuel en lui-même non contextualisé est anhistorique. Il faut expliciter la méthode de modélisation au regard de celle de l’histoire des techniques et publier les sources. L’objet doit être inséré dans un Environnement Informatique pour l’Histoire des Techniques (EIHT) dont l’organisation dépendra fortement du contexte d’utilisation. Un travail préliminaire d’élaboration d’une ontologie définissant les sources historiques est donc nécessaire. C’est ce qui guida, par exemple, la reconstitution virtuelle du pont tournant par S. Laubé (Centre François Viète4) en partenariat avec le CERV5 de Brest. Pour Jean-Claude Golvin6, dans ces reconstitutions virtuelles, cinq dimensions entrent donc en jeu, les trois dimensions de l’espace (x,y,z) le temps (t) et le lien de type hypertexte (h) qui fait changer de sujet et qui ne représente plus un voyage dans l’espace tridimensionnel mais un autre type de parcours. L’espace du modèle peut être qualifié d’hyperespace. Donc il appert que la notion de patrimoine scientifique et technique implique celle de conservation, elle-même liée à celle de médiation. Le « patrimoine » est volontiers investi d’une valeur heuristique ou didactique. Il s’agit de redonner une solennité aux témoignages du passé via des medias modernes comme les TICE et la 3 D en veillant cependant à ne pas « dématérialiser » cette culture matérielle. Notre opération menée sur le cabestan et la machine pour mesurer la force du vent de Giovanni Poleni relève bien de la reconstitution.
La reconstitution des machines et le rôle de la maquette selon Poleni Le meilleur « environnement technique », nécessaire à la compréhension d’un objet conçu par Poleni, réside bien dans ce théâtre de philosophie expérimentale où le professeur Giovanni Poleni a réuni une collection de 386 instruments de physique (selon l’inventaire de 1761) qui servent à expliquer des propriétés physiques à ses étudiants : l’objet est donc requis pour transmettre une notion abstraite via les sens. Nous n’avons pas trouvé de trace du prototype de cabestan que Poleni annonce avoir pris soin de réaliser au chapitre xxxiv de son traité sur le cabestan : Cependant, je ne me suis pas complu (autant que j’aurais pu) à la seule mécanique théorique ; j’ai trouvé bon de tester par l’expérience le cabestan même. J’ai pris soin de fabriquer un cabestan doté des parties que j’ai décrites auparavant et présentées, toutes tracées ensemble, dans la figure 17. Le diamètre de la base du cabestan
3 Laubé, 2010, revues.org. 4 Université de Bretagne Occidentale. 5 Centre Européen de Réalité Virtuelle. 6 Golvin J.-Cl., « L’image de restitution et la restitution de l’image », cours donné à Tunis dans le cadre de DPEA « Culture numérique et patrimoine architectural », de l’École Nationale Supérieure d’Architecture (ENSA) de Marseille, p. 17.
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Fig. 153. – Cabestan, fig. 17, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
était de deux pouces et de six lignes7 mais le diamètre de la partie inférieure G (Fig. 18) était égal à un pouce et neuf lignes. J’ai utilisé un cordon de chanvre dont le diamètre était de deux lignes et demi. À l’extrémité V de la corde N P V (posée sur la poulie S), j’ai suspendu un poids A de 80 livres propre à jouer le rôle du « Corps à tirer » et à l’extrémité F de l’autre partie D K F (posée sur la poulie H), j’ai attaché un poids de cinq livres propre à devenir la « Force qui tire en arrière ».
7 À Paris, la ligne équivalait à 0,22558cm et le pouce à 2,707 cm. Le pied de Paris mesurait 34, 84 cm et la toise 1,94904 m. Diamètre de la base du cabestan de Poleni = 6,767 cm et diamètre de G = 2,353 cm.
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Fig. 154. – Machine sur l’expérience d’Amontons fabriquée par Poleni, fig. 19, De Ergatae navalis…, Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
Il évoque ensuite un autre prototype (specimen en latin) qui est de petite échelle au chapitre xxxix8 : Un jour, Guillaume Amontons, personnage très célèbre pour son savoir et son expérience de la Mécanique, avec exhaustivité et pragmatisme, a mené (Mém. de l’Acad. Royal., 1699, p. 206) une étude pour calculer méthodiquement la solidité et la résistance des cordes enroulées autour des cylindres. Mais quand il a proposé l’expérience au cours de laquelle le cylindre lui-même est mu de bas en haut, ce fut l’occasion pour nous de tenter une autre expérience inédite dans laquelle le cylindre n’est que très peu dévié de sa place. J’ai pris soin que soit réalisée une machine qui est esquissée sur le schéma ci-joint (Fig. 19). La corde était enroulée autour du cylindre A B, une extrémité de la corde E F était posée sur la poulie C alors que la deuxième, G H, était posée sur la poulie D. Et cette corde, dans différentes expériences, était enroulée tantôt en un tour, tantôt en deux tours, tantôt en trois tours et ainsi de suite autour du cylindre A B. […] J’ai seulement soumis un prototype à un petit nombre d’essais, (les petites quantités ayant été négligées puisque c’est un prototype).
8 Voir la traduction du traité sur le cabestan, chapitres xxxix.
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La construction de ce prototype est donc initiée par l’expérience de G. Amontons que Poleni souhaitait compléter. Mais le marquis se méfie des maquettes et des expériences réalisées à petite échelle ; il le dit au chapitre xxxviii : Dans la technique et la philosophie expérimentale, on doit émettre des jugements avec circonspection si à partir d’une expérience à petite échelle, on doit tirer une conclusion d’une chose semblable par l’usage mais à plus grande échelle9. En effet, il arrive parfois que des résultats s’obtiennent, convenablement et idéalement, sur de petites machines et s’obtiennent de la même manière sur d’énormes machines analogues alors qu’au contraire, parfois, certains résultats s’obtiennent sur de petites machines, qu’il est impossible d’obtenir sur de grandes machines. En fait, la taille réelle du cabestan doit être choisie par les marins et non pas fixée par une quelconque proportionnalité avec la quille du bateau : « Dans notre cabestan, la hauteur la plus commode peut être choisie par les marins. » (XL). Dans son discours d’inauguration de son cabinet de physique mécanique expérimentale, Giovanni Poleni célèbre la nécessaire dextérité manuelle du professeur de philosophie expérimentale qui devra « manier des machines, avec une plus grande ingéniosité et selon un usage plus approprié » (Discours, XVII). Poleni déclare dans son discours d’inauguration, qu’il ne faut pas hésiter à s’inspirer de machines ou de maquettes existant déjà pour fabriquer de nouvelles machines : […] les machines […] sont fabriquées selon la norme et la méthode des anciennes, de sorte qu’on consacre un très grande soin à une imitation et une similitude exactes10. (XXI) Dans son chapitre xxii du discours inaugural du cabinet de philosophie expérimentale, Giovanni Poleni réaffirme l’importance du dessin et des plans pour concevoir les machines ; il reprend d’ailleurs la réflexion de Vitruve soulignant l’indéfectible lien entre l’architecture et le dessin. Dans un second chapitre, j’englobe les machines que, bien qu’aucun prototype n’ait été proposé, nous fabriquons en suivant seulement des instructions et des schémas correspondants à elles, exposés par les auteurs. Et je n’affirmerais jamais assez que les figures nous sont d’une grande aide pour que, tel que doit être l’ouvrage futur, nous concevions par l’esprit et l’imagination d’abord, et immédiatement après nous adaptions chaque chose à leurs places. C’est pourquoi Vitruve11 avec habileté, dit que l’architecte doit posséder « la science du dessin12 afin de
9 Cette idée est développée par Poleni dans son discours d’inauguration du Cabinet de Philosophie Expérimentale de 1741, Institutionum Philosophiae Mechanicae experimentalis Specimen, Padoue, 1741 (texte latin imprimé, p. 190-236). 10 « […] machinae […] ad veterum normam rationemque efformentur, ut summa industria in accurata imitatione, ac similitudine ponatur. » 11 Vitruve, De Architectura, I, 1. 12 Graphidis scientiam : « Vitruve ne retient ici de l’art graphique qu’une application utilitaire (la représentation figurée des projets). Derrière l’exigence de Vitruve demandant à l’architecte de savoir lui-même utiliser ses plans, il y a peut-être une réaction polémique contre l’utilisation de plans tout
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pouvoir représenter plus facilement à l’aide de modèles peints l’aspect qu’il veut donner à son ouvrage13. » (XXII) Selon Poleni, le rôle de la maquette est donc pluriel : elle constitue une application réelle (elle « réalise ») des calculs théoriques ou des intuitions de l’intellect. Dans son dicours inaugural, Poleni invite donc à réaliser des objets en papier ou en bois de sapin avant de passer à une réalisation à plus grande échelle : Je dois ajouter cela, que c’est tantôt la nature de la chose elle-même, tantôt l’usage lui-même qui m’ont appris qu’assurément l’ouvrage sera plus parfait (surtout que nous avons choisi de les fabriquer d’après ce qu’on voyait sur les Livres), si auparavant les modèles des objets à créer sont façonnés avec un matériau grossier comme du papier assez épais ou du bois de sapin14. (XXII) La maquette possède donc bien une valeur à la fois didactique (comme ses machines du cabinet de physique expérimentale) et heuristique même s’il convient cependant d’afficher la plus grande prudence vis-à-vis des tests de prototypes à petite échelle. Dans son dicours inaugural (chap. XXVI), Poleni fait référence à Galilée sur la question du changement d’échelle : « la résistance et la solidité contre les violentes intrusions de corps extérieurs » (resistentiam & firmitatem adversus violentos exteriorum corporum invasus) seront inférieures dans le modèle à petite échelle. Le concepteur de la maquette doit donc avoir en tête le précepté énoncé par Poleni au chapitre xxvi de son discours inaugural : En effet, quand les machines sont augmentées en taille, elles ont – pour cadrer avec la proportion des augmentations – une résistance et une solidité plus petites qu’elles15. Toute reconstitution doit prendre en compte un faisceau d’influences, d’actions, de gestes, de métiers s’appliquant sur la machine. Nous reprenons ici la conclusion de Sophie Coadic16 pour l’appliquer à l’entreprise de Poleni (parties entre crochets) :
faits passant de mains en mains, tendance qui se développe à l’époque impériale. » Fleury, 1990, « Commentaire », p. 72. 13 « Altero capite eas Machinas complector, quas, nullo proposito archetypo, sed descriptiones duntaxat, & eis respondentia schemata ab Auxtoribus exhíbita persequendo efformamus. Et sane non negaverim, figuras magno nobis esse adjumento, ut, quale futurum sit opus, mente & imaginatione prius concipiamus, & subinde singula suis quaeque sedibus aptemus. Quapropter perite Vitruvius, graphidos, ait scientiam Architectus habere debet, quo facilius exemplaribus pictis, quam velit operis faciem deformare, valeat. » Trad. Ph. Fleury, CUF, Paris, 1990. 14 « Illud tamen adjicere debeo, quod tum ipius rei natura, tum ipse usu, me docuerunt : nimirum perfectius futurum opus (praesertim quod ex Librorum inspectione efformandum desuminus) si prius efficiendarum rerum exemplarum ex vili materia ceu ex charta crassiore, vel abiegno ligno fingantur. » 15 « Ubi enim magnitudine augentur machinae, resistentiam & firmitatem minorem habent eis, quae augmentorum proportioni quadraret. » 16 Coadic, « Les roues élévatrices d’eau antiques… » in Fleury, Jacquemard, Madeleine, 2015, p. 76.
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La machine ne doit pas être comprise comme un fait isolé. Elle est d’abord le résultat d’une invention [issue du sujet proposé par l’Académie Royale des Sciences] ; elle est ensuite fabriquée par un artisan, qui peut être l’inventeur lui-même, ou quelqu’un qui agit sur commande [Poleni s’aide de forgerons, orfèvres, ébénistes locaux]. Il peut s’agir de plusieurs fournisseurs, chacun spécialisé dans la production d’un type de matériau. Elle doit aussi être entretenue, réparée, par des individus qualifiés [rôle joué par l’assistant de Poleni, Dallabella et son fils Francesco]. De même, l’engin n’est pas mis en œuvre au hasard : il nécessite l’élaboration d’un geste technique [« l’ingegno nelle mani17 »], d’un procédé [« un buon fondo di dottrina18 »], ainsi que l’organisation d’un personnel. Enfin, sa conception et son utilisation sont dépendantes du contexte économique et social : elles peuvent dépendre d’un besoin ponctuel et local, ou répondre à des impératifs à plus grande échelle ; elles peuvent être le fruit d’une décision publique ou d’un projet privé. [L’appel à projets de l’Académie Royale des Sciences afin d’améliorer la Marine française.] Ainsi, la conception et l’utilisation du cabestan ou de la machine pour mesurer la force du vent de Poleni dépendent d’un contexte économique, social, pratique (ergonomique) et nécessitent l’élaboration d’un geste technique, d’un procédé ainsi que l’organisation d’un personnel (les marins, le forgeron, l’ébéniste). Elles peuvent dépendre « d’un besoin ponctuel et local » (sujet du concours ou commande pour améliorer l’accastillage d’un navire tel que la San Carlo qu’il entreprend de rénover une vingtaine d’années après son 1er traité primé par l’Académie Royale des Sciences de Paris). La conception d’une machine peut être le fruit d’une « décision publique » (choix d’un sujet utile à la Marine française) ou « d’un projet privé » (volonté personnelle de Poleni de participer à un concours).
17 Lettre de Poleni au Riformatore dello Studio di Padova Zan Francesco Morosini, s. d. [novembre 1738], ivi, cod.ita., cl. iv, 592 (5555), c. 229. 18 Lettre de Poleni au Riformatore dello Studio di Padova Zan Francesco Morosini, s. d. [novembre 1738], ivi, cod.ita., cl. iv, 592 (5555), c. 229.
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Chapitre xviii
La reconstitution du cabestan de Poleni
La reconstitution du cabestan de Giovanni Poleni fut menée par les étudiants de BTS Développement et Réalisation Bois du lycée de l’Élorn1 (Landerneau) sous la conduite de leurs professeurs : Alain Monot, Patrick Kerninon, Matthieu Fresnel. Les élèves de CAP Serrurier Métallier du Lycée Professionnel de Vauban2 (Brest) ont créé la machine pour mesurer la vitesse des vents dans le cadre du cours de Laurent Martin sur un plan modélisé par Patrick Pélissard. Les deux machines furent ensuite testées en mer à bord d’un vieux gréement, le sloop de bornage, Dalh Mad3 dont le patron est Maël Terry. « Le Dalh Mad, mis à l’eau en 1992, est la réplique de la SainteAnne construite en 1945 à l’Hôpital-Camfrout. Bateau de charge, son faible tirant d’eau lui permettait de remonter les rivières pour livrer maërl et sable à Landerneau ou Châteaulin. » Le Dalh Mad mesure 13,20 m de long pour une largeur : 4,65 m : il possède un tirant d’eau d’1,65 m et une surface de voile de 130 m². Il peut déplacer 25 tonnes. La construction du cabestan en chêne à l’échelle du Dalh Mad fut précédée de la création d’une maquette en épicéa. Ces reconstitutions participent d’une véritable « archéologie des techniques intellectuelles du point de vue de l’usager » pour reprendre l’expression de Françoise Waquet4. La reconstitution s’est appuyée sur trois média destinés à différents publics : 1. le texte latin de Poleni destiné à un public de savants latinistes, membres de l’Académie royale des Sciences du xviiie siècle ; 2. les dessins et schémas originaux de Poleni illustrant les descriptions latines ; 3. notre traduction en français du texte de Poleni. Un quatrième média aurait pu être produit par des étudiants de mathématiques livrant une version du texte de Poleni traduite en langage mathématique moderne5. Cette version aurait alors rappelé le premier (le texte de Poleni en latin savant) car réservé à des lecteurs initiés au langage codé mathématique. Les professeurs des sections professionnelles et techniques ont d’abord proposé à leurs élèves les dessins originaux de Poleni puis des extraits de ma traduction
1 http://bts.drb.free.fr/. 2 http://www.lycee-vauban-brest.ac-rennes.fr/. 3 www.dalhmad.fr/. 4 L’expression figure dans l’appel à contribution du colloque de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, Savants à l’œuvre, savoirs en travail. Jean-François Séguier et ses correspondants (1703-1784) qui s’est tenu les 18-19 novembre 2016. 5 Nous reprenons ici la proposition de Laurent Dujardin et Jean-Pierre Le Goff de donner plusieurs versions du Traité des mesures géométriques de Jean-Pierre de Mesmes dans leur communication « Rendre accessible la mesure des grandeurs… » in Fleury, Jacquemard, Madeleine, 2015, p. 249.
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Fig. 155. – Dalh Mad. C. Le Gall.
sélectionnés par leurs soins. Les longues phrases de Poleni, que j’ai rendues à l’identique dans ma traduction ont été raccourcies pour être mieux comprises des élèves ou présentées de façon synthétique.
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Fig. 156. – Détail (elastra) de la figure 13 du traité Ergatae… Poleni, 1741. Pièces qui ont remporté le prix de l’Académie royale des sciences en 1741. Sur la meilleure construction du Cabestan, 1741. Public Domain Mark 1.0.
La reconstitution des machines de Poleni fut donc guidée par les informations livrées par l’histoire des techniques et « les indices qui permettent d’accréditer l’existence du système6 », de conforter ou d’infirmer un choix de traduction. Il est donc important de réaliser une enquête in situ afin de glaner des indices permettant de contextualiser l’objet en découvrant son « environnement technique ». Pour démontrer l’importance de la contextualisation, prenons l’exemple de la traduction problématique d’un néologisme créé par Poleni : « elastra ». Malgré l’aide procurée par le dessin (l’elastra est répresenté par les éléments nc et ex), des difficultés subsistaient. Je proposai donc, dans un premier temps, la traduction peu satisfaisante de « lanière élastique » en m’appuyant sur l’étymologie du mot grec ἔλαστρέω (elastreô) signifiant « pousser, circuler, aller et venir en travers ». Mais en découvrant dans l’arsenal de Venise7, des cabestans alliant le bois et le métal, il m’est apparu que l’elastra ne pouvait pas pas être fait d’une matière textile mais seulement de bois ou de métal. En effet, au Museo Storico Navale de Venise, est exposé un cabestan en bois8 (datant probablement de la fin du xixe siècle) servant à la remontée, au lancement et au couchage sur une bande des embarcations pesantes. Son fonctionnement rappelle donc le « chameau » hollandais. Dans l’un des ateliers de l’arsenal, on retrouve l’hybridation bois / métal sur un cabestan à main en bois datant de 1789 et servant à tirer les embarcations sur les cales.
6 Fleury, « La liburne automotrice du De Rebus Bellicis » in Fleury, Jacquemard, Madeleine, 2015, p. 77. 7 Cette visite fut permise par l’amiral de l’Arsenal de Venise, sollicité aimablement par Pasquale Ventrice qui me guida dans cette découverte des machines exposées, lors de mon deuxième séjour à Venise, en 2014. 8 Don du Sig. Pompilio Menetto. Inv. 5073.
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Fig. 157. – Cabestan en bois (fin XIXe siècle ?), Museo Storico Navale, Venise. C. Le Gall.
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Fig. 158. – Cabestan, arsenal de Venise, 1789. C. Le Gall.
La dernière étape d’élucidation coïncida avec la visite de la collection Poleni9 et la découverte d’une tablette oblongue comportant un « elastro », mot italien désignant une tige métallique élastique. Inventoriée sous le numéro 314 du catalogue du cabinet de Philosophie expérimentale10, Giovanni Poleni décrit ainsi son objet : « Une machine composée d’une tablette oblongue constituée par une partie d’un longue tige métallique (elastro) : celle-ci mise en liberté, frappe dans le plomb d’une roue que permet une cavité configurée au coup. Elle sert à mesurer la force des coups. » D’après le commentateur Salandin11, cet objet est un projet de l’abbé Nollet. Poleni s’est fait construire la machine en s’aidant des plans que l’abbé Nollet lui avait expédiés, à sa demande. La méthodologie régissant une reconstitution peut suivre le chemin suivant : 1. Lecture du texte latin technique et étude des relations : – sémantiques, – syntaxiques, – grammaticales des mots latins techniques avec leur contexte. 9 En 2014, j’ai donc réalisé une visite du musée d’Histoire de la physique, guidée par sa conservatrice Sofia Talas qui m’a d’ailleurs suggéré de faire le lien entre « elastro » et « elastra ». 10 J’ai pu consulter le catalogue manuscrit des machines conservé à l’Archivio Antico du palazzo del Bo grâce à son conservateur Francesco Piovan. 11 Salandin, 1986.
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Fig. 159. – Machine avec elastro, n°314, Coll. Poleni, Musée d’Histoire de la Physique, Padoue. S. Talas, Istituto Di Fisica, Padoue.
2. Opération de traduction en consultant des aides : – différents dictionnaires – de Gaffiot et de Calepino utilisés par Poleni, – index des termes techniques de Poleni construit au fil de la traduction des traités, – dictionnaire étymologique pour l’élucidation des néologismes ou hapax, – Thesaurus Linguae Graecae, – Library of Latin Text, – Perseus Digital Library, – dessins originaux dans les traités de Poleni, – dictionnaire de navigation de la marine à voile (Bonnefoux, Pâris), – l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, – traduction française et anglaise des Principia Mathematica de Newton, – acquis des reconstitutions qui confirment ou invalident les choix de traduction. 3. Contextualisation de la traduction par : – les instruments du cabinet de philosophie expérimentale de Poleni, – les lettres et notes manuscrites du traité sur le cabestan de Poleni notamment le cahier de mécanique 12 conservé à la Marciana12, – les machines de navigation exposées au Museo Storico Navale et à l’arsenal de Venise, – la comparaison avec des machines de navigation françaises comme le cabestan de l’Hermione. 4. Opérations de reconstitution s’appuyant successivement sur : – les dessins originaux de Poleni, – mes traductions simplifiées pour les élèves, – des comparaisons avec d’autres machines de navigation,
12 BNMVe, It, IV, 636 (= 5497), p. 108-164 (Mechanica 12). Voir chapitre 5, 2e partie.
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Fig. 160. – Plans du cabestan de Poleni modélisés en 3D. Lycée Elorn, Landerneau.
5. Déroulement de la reconstitution du cabestan : – étude des dessins et des textes, – modélisation en 3D avec logiciel Top Solid, – réalisation d’une maquette de cabestan en épicéa : relevé des dysfonctionnements, – adaptation au poste avant du sloop de bornage Dalh Mad, – calcul des cotes du cabestan définitif en chêne, – fabrication d’un coffre, d’un axe, d’une planche pour remplacer le 2e pont que traverse le cabestan de Poleni et pour adapter le cabestan au poste avant, – fabrication du cabestan en chêne. 6. Test en mer et mise en pratique de la reconstitution : – vérification des solutions techniques de Poleni en situation réelle de navigation : roulis, masse de l’ancre, vent, adhérences, frottements, résistance du courant, etc., – illustration in vivo du texte de Poleni et de la pertinence de la traduction faite in vitro.
Création du cabestan Les professeurs : Alain Monot, Patrick Kerninon, Matthieu Fresnel de BTS Développement et Réalisation Bois du lycée de l’Élorn13 (Landerneau) ont accepté d’entrer dans notre projet sur une durée de deux ans correspondant au cursus d’un étudiant de BTS : ils ont été intéressés par la dimension universitaire du projet, la complexité de l’objet technique et le domaine de la marine à voile du xviiie siècle. Le test en mer sur le Dalh Mad, bateau de leur ville Landerneau, permettait aux étudiants aux élèves de voir leur projet aboutir concrètement. M. Maël Terry, patron du Dalh Mad, nous a autorisés
13 http://bts.drb.free.fr/.
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Fig. 161. – Axe inférieur du cabestan de Poleni modélisé en 3D. Lycée Elorn, Landerneau.
à installer le cabestan sur le poste avant : pour matérialiser le double-pont présent dans les explications de Poleni, une plaque en contre-plaqué a été encastrée dans le poste avant afin d’y fixer le cabestan. Celui-ci devait donc être amovible pour des raisons de sécurité et en cas de contrôle par les gendarmes des Affaires Maritimes. Le test en mer s’est déroulé, en juillet 2016, pendant le festival Kan Al Loar de Landerneau et médiatisé grâce au chargé de communication, Jean-Baptiste Moal. Les professeurs ont arrêté leur choix du modèle de cabestan après avoir consulté tous les modèles dessinés par Poleni. J’ai présenté aux étudiants le contexte de l’invention du cabestan de Poleni en évoquant notamment les concours de l’Académie Royale des Sciences. Après lecture des dessins originaux de Giovanni Poleni en regard du traité traduit, les étudiants de BTS Développement et Réalisation Bois du lycée de l’Élorn14 (Landerneau) sous la conduite de leurs professeurs ont modélisé en 3D15 (logiciel Top Solid) le cabestan puis 14 http://bts.drb.free.fr/. 15 Les logiciels en 3 D sont multiples. Certains sont accessibles aux non-professionnels. Google Sketchup est un modélisateur 3D qui permet de reconstituer des bâtiments, pièce de maison, objets, lieu public… Il peut également servir à reconstituer des lieux détruits ou anciens, tel que le grand cirque de Rome (Circus Maximus) ou le Colisée. On peut même insérer le bâtiment dans Google Earth. Sweet Home 3D est un logiciel permettant la reproduction de son propre logement et de le meubler afin d’en avoir un nouvel aperçu et de tenter de nouveaux aménagements. Solidworks est un modeleur volumique permettant de faire des simulations de résistance de matériaux de sollicitation mécanique. Le logiciel d’architecture navale Calcoque présenté par François Grinnaert peut modéliser les bateaux antiques en intégrant le devis des masses. Calcoque version 2 est né en 2004 sous la forme d’une
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Fig. 162. – Roue dentée du cabestan de Poleni modélisé en 3D. Lycée Elorn, Landerneau.
Fig. 163. – Palier supérieur du cabestan de Poleni modélisé en 3D. Lycée Elorn, Landerneau.
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Fig. 164. – Machine à commande numérique. A. Monot, lycée Elorn Landerneau.
Fig. 165. – Étudiant polissant un anneau du cabestan. A. Monot, lycée Elorn Landerneau.
réalisé par usinage une maquette en épicéa dont les parties métalliques ont été créées par le lycée Chaptal de Saint-Brieuc (professeur François Gautier). Nous reproduisons les plans réalisés par les professeurs et étudiants du lycée de l’Elorn (BTS DRB). Pour évoquer les choix techniques, nous devons prendre en compte les apports du progrès avec l’utilisation de machine à commande numérique dans les lycées professionnels, la disparition des forges dans les ateliers de construction mécanique application pour Windows® développée en C++ destinée à assister l’architecte naval dans la plupart des étapes de la boucle d’avant-projet de navire. Utilisé pour la formation des officiers dans les écoles de la Marine Nationale, il peut aussi servir à l’archéologue dans la constitution des images de synthèse.
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Fig. 167. – Fût du cabestan et traces de frottement par la corde. C. Le Gall.
et le recours à des alliages plus simples à travailler comme l’aluminium. Toutes les pièces ont donc été réalisées par usinage, à l’aide d’une machine à commande numérique. Une fois la maquette réalisée, il était plus facile pour les élèves de comprendre le mécanisme inventé par Poleni et de se lancer ensuite dans la réalisation du modèle en chêne. Les étudiants ont utilisé des outils actuels, la ponçeuse électrique ayant remplacé la lime de l’époque de Poleni. La maquette comporte deux étages qui matérialisent les deux ponts. L’aluminium fut utilisé pour les parties métalliques reconstituées de la maquette : axe et roue crénelée. Dans un premier temps, on réalisa les taquets de la maquette en bois d’épicéa, Fig. 168. – Application du suif à la par souci d’économie. Ce qui constitue un base du cabestan sur le bateau. C. contre-sens étant donné que les taquets Le Gall. de bois ne peuvent pas résister au contact des créneaux de métal. Pour fabriquer les elastra, une lanière épaisse en caoutchouc a été employée au lieu des tiges métalliques flexibles qui peuvent s’étirer et revenir ensuite à sa taille normale initiale. Aucun renfort métallique ne fut apposé sur le fût du cabestan de la maquette en épicéa ou du cabestan en chêne pour limiter les frottements contrairement à ce que préconisait Poleni : « Le cabestan ABCD est une machine de traction en bois, la plupart du temps entourée et renforcée par des plaques de fer. » (Ergatae…, VII) Cette absence de renforts métalliques causa des traces d’usure dues aux frottements de la corde dès la première utilisation en mer. Fig. 166. – Maquette du cabestan de Poleni en épicéa. A. Monot, lycée Elorn, Landerneau.
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Fig. 169. – Poste avant du Dahl Mad. C. Le Gall.
Fig. 170. – Les professeurs Mathieu Fresnel et Alain Monot. C. Le Gall.
Fig. 171. – Tiges filetées utilisées pour fixer le cabestan. C. Le Gall.
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Fig. 172 – Plaque en contre-plaqué remplaçant le 2ème pont. C. Le Gall.
Malgré la présence d’un axe interne métallique dans le trou de l’axe (comme préconisé par Poleni), il a été décidé d’appliquer du suif afin de diminuer les frottements de la base en bois non protégée contre le cercle interne métallique. Une fois la maquette réalisée, les étudiants se sont rendus à bord du Dalh Mad, sloop de bornage en bois de Maël Terry (patron), afin de prendre les côtes du « poste avant » pour y encastrer le cabestan à l’échelle du Dalh Mad. Mis à l’eau en 1992, ce sloop de bornage est la réplique du sablier, la Sainte-Anne, construite en 1945 à l’Hôpital-Camfrout. Bateau de charge, son faible tirant d’eau lui permettait de remonter les rivières pour livrer maërl et sable à Landerneau ou Châteaulin. Les étudiants et leurs professeurs ont dû créer un deuxième pont afin de bien encastrer l’axe et les anneaux. Notre première idée avait été de réaliser le cabestan proportionnel à la quille de la San Carlo rénové par Poleni mais les proportions de celui-ci rendaient difficiles la réalisation du cabestan, son transport et son test en mer. Nous reproduisons ici certaines mesures du vaisseau de premier rang San Carlo, mis en chantier en 1741 et fabriqué par Marco Nobile : ces mesures devaient servir de modèles aux constructions futures. Elles sont extraites de l’ouvrage de Cesare Augusto Levi, Navi da Guerra costruite nell’Arsenale di Venezia dal 1664 al 189616.
16 Levi, 1896, p. 35.
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Lunga in columba piedi������������������������������������������������������������������������ Stanzo dell’asta da prova piedi���������������������������������������������������������� Detto dell’asta da puppa piedi 4 in altezza de Tringanto����������� Bona piedi������������������������������������������������������������������������������������������������ Altezza del Tringanto piedi�����������������������������������������������������������������
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« Le pied avec lequel on mesure à Venise, écrit Lalande dans son Voyage en Italie17, vaut 10 lignes de plus que celui de Paris ou 154 lignes (suivant M Cristiani, 153 7/10). » Or, le pied de roi à Paris mesure 324,869 mm et la ligne : 0, 22558 cm. Nous avons reconstitué un cabestan pouvant soulever une ancre d’une vingtaine de kg à l’aide d’une corde de 3-4 cm de diamètre. Pour réaliser les leviers du cabestan, nous avions le choix entre trois essences : l’orme, le frêne « très flexible utilisé pour les avirons, les gaffes mais aussi pour les chouquets et les caisses des poulies, en remplacement de l’orme18 » ou le hêtre19 très dur mais se fendant rapidement. Cette essence fournit de grandes pièces mais peut être employé pour border la carène des vaisseaux. Quand les navires sont chevillés en fer, la sève très corrosive du hêtre a tendance à ronger les clous. Nous avons opté pour le hêtre20. Le corps du cabestan est en chêne21 enduit d’huile de lin pour le protéger de l’eau de mer. Toutes les parties métalliques sauf les elastra (caoutchouc épais) ont été réalisées en aluminium.
Test en mer du cabestan Cette reconstitution du cabestan de Poleni, en chêne avec des barres en hêtre, fut testée en mer durant les festivités maritimes de Kan Al Loar de Landerneau, le 8 juillet 2016. Un premier essai réalisé en mer au large du port du Tinduff nous avait convaincus de la nécessité de placer toutes les pièces pensées par Poleni, notamment les anneaux sur l’axe empêchant sa remontée. Nous avons choisi de remonter une ancre à jas de 20 kg. La manœuvre pour virer au cabestan est très précise. Une fois le mouillage préparé, on ferle le foc, et sous grand-voile seule on arrive au près, puis on casse l’erre bout au vent à l’emplacement choisi. Sitôt l’erre nulle, l’ancre est mouillée.
17 Lalande, 1786, p. 136. 18 Ballu, 2000, p. 58. 19 « Le hêtre, le frêne et le sapin servent pour faire des avirons ; l’orme pour les pompes, caisses de poulies, moques, barres, affûts et anspects ; le gaïac pour les réas et les rouleaux, le peuplier pour le scupltures ; le noyer et même l’acajou pour les meubles du bord ; le sureau pour les modèles. […] La densité du hêtre est 0.85, celle du frêne est 0.84 et celle de l’orme, 0.67. » Bonnefoux et Paris, 1987, p. 108. 20 « Les apparaux et pièces d’accastillage utilisent au mieux les qualités physiques et mécaniques propres à certaines essences comme le hêtre, le frêne, l’orme et le gayac. » (« La construction navale en bois aux xviie et xviiie siècles », dossiers de visite, Paris, Musée National de la Marine). 21 « Le chêne représente 90 % de ses besoins en bois. La construction d’un vaisseau de 74 canons (60 m de long) nécessite l’abattage d’environ 2 500 chênes centenaires. » (« La construction navale en bois aux xviie et xviiie siècles », dossiers de visite, Paris, Musée National de la Marine).
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Fig. 173. – Barres et anneaux du cabestan. C. Le Gall.
Fig. 174. – Ancre du Dahl Mad utilisée pour le test. C. Le Gall.
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Fig. 175. – Montée du cabestan en l’absence des anneaux. C. Le Gall.
Au moment où elle touche le fond, on laisse filer 2 ou 3 mètres de chaîne, on bloque puis on attend que le navire « croche » l’ancre en culant. Ensuite, on laisse filer une longueur de ligne de mouillage égale à un peu plus de 6 fois la profondeur soit 5 longueurs de chaîne posées sur le fond plus la longueur rejoignant le Dalh Mad. Pendant que le patron Maël Terry reste à la barre, son second, Yannick, est au poste de mouillage et donne les ordres à M. Terry pour diriger la manœuvre. Les ordres sont les suivants : « Maillon ! » signifie qu’il reste un maillon (15 brasses) de chaîne à remonter, puis « À pic ! » fait allusion à la position de l’ancre à la verticale (« à pic ») du navire. Lorsque l’équipier crie « Dérapée », cela signifie que l’ancre n’est plus accrochée au fond ; il convient alors de maintenir une erre nulle quelques instants afin d’éviter de raccrocher l’ancre. Quand l’ancre est à portée de vue, le second clame : « Haute et claire ! » et enfin, l’expression « À poste ! » marque la fin de la manœuvre : l’ancre est correctement rangée dans la baille à mouillage. Ce test nous a permis de mesurer la validité des choix techniques de Poleni, de nous rendre compte de l’importance de la précision d’une telle manoeuvre et pour reprendre le titre du mémoire polénien, de « l’usage facile et pratique du cabestan de navire ». Durant notre premier test en mer, l’oubli de cet anneau provoqua d’ailleurs une remontée du cabestan sur son axe durant l’effort. Cette erreur a montré la validité du jugement de Poleni : Or, nous avons ajouté les petits anneaux de ce genre zx, sr, et le clou R M, pour cette raison : pour que le cabestan mis en rotation, s’il est tiré par une autre force de dessous vers le haut, puisse résister à cette force tirant de dessous vers le haut et ne soit pas soulevé d’un pouce ; ce qui est garanti par le clou R M. (De Ergatae, chap. xxxiv)
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Fig. 176. – Lever de l’ancre avec M. Fresnel, les étudiants BTS DRB et le second Yannick sur le Dalh Mad. C. Le Gall.
La présence de l’anneau XX ou SR, à la base du cabestan, est motivée à la fois par la théorie et l’expérience, la maquette étant bien la première application réelle d’un calcul théorique. Au chapitre xli de son traité sur le cabestan, Giovanni Poleni déclare : J’avais songé, au sujet de l’anneau tournant destiné à être adapté au trou du pont, anneau dans lequel on fait pénétrer l’essieu du cabestan et quoique je n’aie pas intellectuellement, perçu la moindre difficulté à instituer des expériences variées en vue d’une combinaison de ce genre ; mais les résultats scrupuleusement observés (que je réserve pour un autre usage) ont démontré qu’il ne faut pas espérer de cela quelque chose de spectaculaire qui en vaille la peine. En effet, on aurait besoin d’une grande aide : parce que les frottements des essieux en bois dans les trous réalisés dans les poutres sont énormes et de grande importance ; si bien que tantôt c’est le calcul qui m’a convaincu, tantôt c’est une expérience récurrente qui me l’a démontré très clairement. Pour tenter de remédier à cet oubli, il fut alors nécessaire de tirer le câble vers le bas. La maquette ou prototype sert donc à valider les calculs théoriques de Poleni. Son expérience à petite échelle réalisée sur son prototype fut vérifiée sur notre cabestan en chêne réalisée à l’échelle du vieux gréement.
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Chapitre xix
La reconstitution de l’anémomètre de Poleni
Création de la machine pour mesurer la force du vent Les professeurs du lycée professionnel Vauban (Brest) Patrick Pélissard et Laurent Martin, ont choisi de faire travailler leurs élèves de CAP Serrurerie-Métallerie, sur la machine pour mesurer la force du vent et non sur celle pour mesurer le chemin d’un vaisseau car la première était entièrement en métal. La création de la machine pour mesurer la force du vent par les élèves de CAP Serrurier Métallier s’est appuyée sur les plans en 3D réalisés avec Top Solid d’après les dessins originaux de Poleni. Comme pour la construction du cabestan, il nous a semblé important de travailler avec les moyens techniques mis à la disposition des élèves, dans les lycées professionnels actuels. Le métal utilisé par les élèves de CAP Serrurerie-Métallerie n’est sans doute pas celui de l’époque de Poleni, même s’il convient de rappeler que l’acier déjà connu des Romains qui le nomment chalyps, fut obtenu en 1740 par B. Huntsmann à Sheffield, en fondant dans un creuset de terre cuite du fer « cémenté ». Ce processus se diffusa et se développa rapidement en Angleterre et constitua pour une longue période (en raison d’un secret de fabrication rigoureusement préservé) la cause de l’hégémonie anglaise sur la sidérurgie. Un acier du type S 235 Jr fut utilisé : c’est un acier de construction non-allié d’usage général, non destiné aux traitements thermiques pour créer des pièces mécaniques peu sollicitées et ne nécessitant pas de ténacité spéciale : la soudabilité est bonne. Outre le fer, il est composé de carbone (