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French Pages 296 Year 2015
Federico Corriente, Christophe Pereira, Ángeles Vicente Aperçu grammatical du faisceau dialectal arabe andalou
Encyclopédie linguistique d’Al-Andalus
Éditée par Federico Corriente, Christophe Pereira et Ángeles Vicente
Volume 1
Federico Corriente, Christophe Pereira, Ángeles Vicente
Aperçu grammatical du faisceau dialectal arabe andalou Perspectives synchroniques, diachroniques et panchroniques
ISBN 978-3-11-034826-2 e-ISBN [PDF] 978-3-11-035594-9 e-ISBN [EPUB] 978-3-11-039441-2 Library of Congress Cataloging-in-Publication Data A CIP catalog record for this book has been applied for at the Library of Congress. Bibliographic information published by the Deutsche Nationalbibliothek The Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data are available on the Internet at http://dnb.dnb.de. © 2015 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston Printing: Hubert & Co. GmbH & Co. KG, Göttingen ♾ Printed on acid-free paper Printed in Germany www.degruyter.com
Avant-propos L’arabe andalou a été le premier dialecte arabe à avoir été étudié par des Européens, à la fois dans un but scientifique et pratique1, mais ce n’est que plus récemment, lorsqu’on a initié les études systématiques en dialectologie arabe en ayant recours à des méthodes modernes, que les savants les plus reconnus ont utilisé les données de ce vieux dialecte dans leurs descriptions et pour émettre leurs hypothèses.2 Toutefois, étant donné qu’il s’agissait d’une variété linguistique éteinte, dont les sources écrites étaient peu nombreuses, sources qui ne manquaient parfois pas d’offrir des problèmes d’interprétation assez complexes, on a pu constater, vers la seconde moitié du 20e siècle, une diminution importante du nombre et de la qualité des recherches sur ce thème, à tel point qu’elles semblaient inexistantes.3 Heureusement, cette situation allait s’améliorer progressivement dans les décennies suivantes, à cause du récent intérêt porté à l’étude de la dialectologie arabe dans d’autres pays du monde et, pour la première fois, dans les pays arabes, ou bien du fait du développement sans précédent des études linguistiques en tout genre (théoriques, appliquées, sociolinguistiques, etc.). Dans mon cas personnel, celui d’un jeune arabisant espagnol qui enseignait alors l’arabe aux États Unis, pas uniquement classique, mais aussi l’éthiopien et la linguistique sémitique comparée, et qui ne comptait pas retourner en Espagne ou dans les pays arabe où il avait commencé à enseigner et à se familiariser avec l’environnement quelques années auparavant, la découverte de l’arabe andalou comme terrain de recherche de prédilection allait signifier un changement décisif dans sa vie et ses travaux. Son importante contribution et notamment le nombre considérable de ses publications allaient permettre l’avancée significative des recherches dans ce domaine et fournir ainsi une compréhension plus solide et étendue de l’arabe andalou et de ses relations avec les langues de la Péninsule Ibérique ainsi qu’avec d’autres langues parlées au-delà de ses frontières ; ses travaux allaient également apporter des connaissances pour ce qui concerne la littérature, le folklore, etc., ainsi que la cohabitation séculaire des occidentaux et
|| 1 Bien qu’on puisse mettre en doute la validité des ouvrages lexicographiques du Moyen Age tel que le Glossaire de Leiden et le Vocabulista in arabico, la grammaire du dialecte grenadin de Pedro de Alcalá (Grenade, 1505) doit être reconnue comme l’ouvrage pionnier dans ce domaine en Occident, encore rudimentaire, comme on pouvait s’y attendre, mais contenant déjà des innovations à retenir, comme un système de transcription latine des phonèmes arabes afin de décrire le mode d’articulation de ces derniers dont la réalisation s’avérait particulièrement difficile pour les compatriotes de l’auteur. 2 Voir Brockelmann 1908, dans son toujours très utile et, sur certains points, insurpassable Grundriss der vergleichenden Grammatik der semitischen Sprachen, dont la traduction par Marçais & Cohen 1910 a été précieuse pour ceux qui ne pouvaient pas lire l’allemand. 3 Comme le confirme l’absence de travaux innovants sur ce sujet depuis la parution de Colin 1960.
VI | Avant-propos
des populations arabisées ou islamisées dans cette partie du monde – et cela malgré les réticences auxquelles ces études se heurtent encore aujourd’hui en Occident. On a souvent dit que notre SK4 était devenu une référence dans l’histoire des études de l’arabe andalou et il nous semble en effet difficile de ne pas lui accorder une importance spéciale dans ce domaine, notamment à la suite de Corriente 1997a et 1999a5, ainsi que des éditions considérablement améliorées qui ont donné lieu à la publication de chefs-d’œuvre tels que les collections de proverbes andalous, les Dīwāns d’Ibn Quzmān et Aššuštarī, etc., dont l’importance dépasse de beaucoup les limites de la linguistique et pénètre le domaine de la littérature, du folklore, etc. Grâce à ces recherches, nous savons maintenant avec certitude que l’arabe andalou n’est pas le scion direct et légitime du seul arabe classique, mais plutôt le résultat du brassage des divers dialectes des envahisseurs dont la plupart, à l’instar des Berbères qui ne pouvaient pas beaucoup utiliser leur propre langue et malgré leurs influences substratiques, ont dû parler une sorte de néo-arabe, probablement très influencée par les dialectes sudarabique que les ‘Yéménites’ bilingues avaient parlé ou parlaient peut-être encore avant d’adopter le néo-arabe Le succès de la dynastie Omeyyade a modifié le cours des événements en faveur des dialectes les plus proches du néo-arabe, notamment ceux qu’on parlait en Afrique du Nord, c’està-dire dans une version occidentale, mais des sub-dialectes ont subsisté, combinant tous ces éléments en proportions variables. Ces derniers ont, chacun leur tour, été soumis au drift et à l’influence d’autres dialectes prestigieux sur leur chemin vers le Moyen-Orient, mais aussi de l’arabe classique, spécialement pour ce qui concerne le lexique et surtout celui des registres plus élevés. Cependant, il faut avouer qu’il ne peut y avoir d’ouvrage définitif dans les spécialités linguistiques, puisque les recherches ne cessent d’apporter des données nouvelles, sans parler des analyses qu’il faut confronter aux données plus anciennes. De plus, les recherches n’ont pas de futur si elles ne sont pas développées au sein d’une équipe avec des membres plus jeunes capables d’offrir des informations complémentaires qui échappent inévitablement au premier chercheur solitaire. C’est dans ce but que j’ai choisi, en raison de leur excellence et de leurs capacités, la collaboration de deux collègues, l’une travaillant à l’Université de Saragosse, Ángeles Vicente, et l’autre, associé à l’équipe de dialectologie arabe de cette ville,6 Christophe Pereira, de l’INALCO, afin d’élaborer une encyclopédie lin-
|| 4 Dont il existe une version espagnole (Corriente 1992a), ainsi qu’un remaniement en anglais (Corriente 2012b), bien que nous ayons eu à empêcher la publication du nom de l’auteur dans ce dernier, puisque les éditeurs ont consciemment violé une des conditions fondamentales du contrat : la révision de l’ouvrage par des collègues pairs, ce qui, si cela avait eu lieu, aurait mis notre nom à côté d’autres noms dont la présence n’est pas appropriée. 5 Avec une version anglaise augmentée (Corriente 2008a). 6 Qui constituait jadis l’Instituto de Estudios Islámicos y del Oriente Próximo, qui a existé pendant dix années à Saragosse et a connu un grand succès de recherches, publications, enseignements et
Avant-propos | VII
guistique d’Al-Andalus en français - la langue qu’aucun dialectologue arabe ne peut se permettre d’ignorer – dont le premier volume est cet Aperçu grammatical du faisceau dialectal arabe-andalou. Perspectives synchroniques, diachroniques et panchroniques qui sera suivie par quatre autres volumes : un Dictionnaire du faisceau dialectal arabe andalou. Perspectives phraséologiques et étymologiques, un Dictionnaire des emprunts ibéro-romans à l’arabe et les langues du Monde Islamique, puis un volume consacré au traitement des données berbères de l’andalou. Et finalement, un ouvrage complémentaire restera indispensable : le Dictionnaire de la toponymie et de l’anthroponymie d’origine arabe dans la Péninsule Ibérique, pour lequel nous avons, en vain, essayé d’intéresser quelques disciples, mais la réalisation de ce projet dépasse notre espérance de vie. Federico Corriente
|| activités internationales, et, malgré cela, il a soudainement été supprimé, du fait de la triste combinaison de la jalousie de quelques collègues et de la myopie des responsables politiques locaux qui n’ont su ou voulu défendre leur patrimoine intellectuel. Maintenant et avec un ferme propos, les membres de cette équipe continuent à travailler ensemble, sans aide extérieure, à l’Université de Saragosse et à l’INALCO de Paris.
Table des matières Signes et symboles | XIII Abréviations | XIV Transcriptions graphématique, phonologique et phonétique | XVI Introduction | XVII Les sources et leurs éditions | XXIII 1 Phonologie | 1 1.1 Vocalisme | 2 1.1.1 /a/ | 3 1.1.2 /i/ | 10 1.1.3 /u/ | 11 1.1.4 Diphtongues | 13 1.2 Consonantisme | 17 1.2.1 /b/ | 18 1.2.2 /p/ | 22 1.2.3 /m/ | 24 1.2.4 /w/ | 26 1.2.5 /f/ | 27 1.2.6 /ṯ/ | 28 1.2.7 /ḏ/ | 30 1.2.8 /ḏ./ | 32 1.2.9 /t/ | 34 1.2.10 /d/ | 36 1.2.11 /ṭ/ | 38 1.2.12 /n/ | 39 1.2.13 /y/ | 42 1.2.14 /l/ | 43 1.2.15 /ᵭ/ | 45 1.2.16 /r/ | 46 1.2.17 /s/ | 50 1.2.18 /z/ | 52 1.2.19 /ṣ/ | 53 1.2.20 /ǧ/ | 54 1.2.21 /č/ | 57 1.2.22 /š/ | 58 1.2.23 /k/ | 60 1.2.24 /g/ | 62 1.2.25 /q/ | 63 1.2.26 /ḫ/ | 64
X | Table des matières
1.2.27 1.2.28 1.2.29 1.2.30 1.2.31 1.3 1.3.1 1.3.2 1.3.3 1.4 1.4.1 1.4.2 1.4.3 1.4.4
/ġ/ | 65 /ʕ/ | 66 /ḥ/ | 68 /h/ | 69 /ʔ/ | 70 Phonèmes supra-segmentaux | 75 L’accent | 75 La gémination | 80 Vélarisation | 81 Phonétique combinatoire | 83 Assimilation | 83 Dissimilation | 88 Métathèse | 90 Jointures | 91
2 2.1 2.1.1 2.1.2 2.1.3 2.1.4 2.1.5 2.1.6 2.1.7 2.1.8 2.1.9 2.1.10 2.1.11 2.2 2.2.1 2.2.2 2.2.3 2.2.4 2.2.5 2.2.6 2.2.7 2.3 2.3.1 2.3.2 2.3.3 2.3.4
Morphologie | 93 La flexion nominale | 93 Le morphème {+a(t)} | 95 Le diminutif | 96 L’élatif | 98 Le système de dérivation nominale | 99 Disparition de quelques schèmes | 100 Schèmes suffixés | 101 La détermination | 102 La déclinaison nominale | 104 Le genre | 105 Le nombre | 108 Les numéraux | 125 Les pronoms | 129 Les pronoms personnels | 129 Les pronoms démonstratifs | 132 Le pronom relatif | 133 Les interrogatifs et exclamatifs | 134 Les indéfinis | 135 Compléments des prépositions | 136 Les métonymies | 137 Le verbe | 137 Les schèmes verbaux | 138 La conjugaison du verbe | 152 La voix non-agentive | 157 Les formes nominales du verbe | 159
Table des matières | XI
2.4 2.4.1 2.4.2 2.4.3 2.4.4 2.4.5 2.5 2.5.1 2.5.2 3 3.1 3.2 3.2.1 3.3 3.4 3.5 3.5.1 3.5.2 3.5.3 3.5.4 3.5.5 3.5.6 3.5.7 3.6 3.6.1 3.6.2 3.6.3 3.6.4 3.6.5 3.6.6 3.6.7 3.6.8 3.6.9 3.7 3.7.1 3.7.2 3.7.3 3.7.4 3.7.5 3.8
Morphophonologie anomale | 162 Les racines géminées | 164 Les racines ‘hamzées’ | 166 Les racines assimilées | 168 Les racines concaves | 169 Les racines défectueuses | 171 Les fonctionnels et les fragments | 174 Les fonctionnels | 174 Les fragments | 180 Syntaxe | 185 Les syntagmes qualificatifs | 185 Le syntagme de rection | 187 Le génitif analytique | 188 Le syntagme relatif | 190 Les syntagmes exocentriques ou marginaux | 191 Les syntagmes prédicatifs | 192 Les syntagmes sub-prédicatifs nominaux | 192 Le syntagme prédicatif verbal | 193 Modifications du syntagme prédicatif verbal | 194 Le complément interne ou absolu | 195 L’aspect | 197 Le verbe /kāna/ | 198 L’éventuel | 199 Les propositions composées | 199 Les propositions copulatives | 199 Les propositions disjonctives | 200 Les propositions adversatives | 201 La nominalisation de propositions subordonnées | 202 Les propositions subordonnées causales | 203 Les propositions subordonnées finales | 204 Les propositions subordonnées modales | 205 Les propositions subordonnées temporelles | 206 Les propositions subordonnées conditionnelles | 208 La négation, l’interrogation, l’exclamation et l’emphase | 211 La négation | 211 L’interrogation | 216 L’exclamation | 216 Les expressions optatives | 218 L’emphase | 218 L’élision | 219
XII | Table des matières
4 4.1 4.2
Lexique | 221 Néologismes | 223 Les emprunts | 224
5 5.1 5.2 5.3 5.3.1 5.3.2 5.3.3 5.4
Panchronie | 227 Les ingrédients arabes | 228 Les ingrédients berbères | 229 Les ingrédients romans | 229 Phonologie | 230 Morphologie | 230 Syntaxe | 232 L’arabe classique | 234
6 6.1 6.1.1 6.1.2 6.1.3 6.1.4 6.1.5 6.1.6 6.2 6.2.1
Textes en arabe andalou | 237 Poésie | 237 Le proto zaǧal de l’an 913 | 237 Le zaǧal nº 12 d’Ibn Quzmān (m. en 1160) | 238 Le zaǧal nº 11 de Madġallīs (moitié du XIIe siècle) | 241 Le zaǧal nº 9 d’Ibn Zamrak (deuxième moitié du XIVe siècle) | 243 Zaǧal a) pour la perte de Cútar (fin du XVe siècle) | 245 Zaǧal b) pour la perte de Cútar | 246 Prose | 248 Quelques proverbes de la collection d’Ibn ʕĀṣim (fin du XIVe siècle) | 248 Lettre tardive de Valence (1513) | 250 Lettre tardive de Valence (1584) | 253 La lettre d’Alqirbilyānī (deuxième moitié du XVe siècle) | 255 Livre de prières tardif de Jaén (deuxième moitié du XVe siècle) | 256 Un passage du texte aragonais du ḥadīṯ ḏilqarnayn (Livre d’Alexandre) | 259
6.2.2 6.2.3 6.2.4 6.2.5 6.2.6
Bibliographie | 261
Signes et symboles /x/ [x] >x< {x} (x) = ≠ * < > ~ CvC… 123(4) # + Ø
transcription phonologique transcription phonétique transcription graphématique morphème élément optionnel équivalent de différent de forme hypothétique résulte de devient séquence en comparaison alternance morphologique séquence de consonnes et voyelles séquence de consonnes d’une racine jointure fermée jointure ouverte ; ajout de préfixe ou suffixe ; mot rimé zéro phonologique ou morphologique
Abréviations AB AC Alcalá AM Ax. CCE Cen. Cút. DC DE DG DM DS EDNA EI2 EV EY EYG FJ GL GLECS GMA GP HB HH Hv. IA IH INALCO IQ IW IZ JA JQR JSS LA MAS MAS-GELLAS MEAH MI MSOS NQ PD PES
Alarcón 1915 Corriente & Bouzineb 1994 Alcalá 1505 Barceló & Labarta 2009 García Gómez 1929 Codex Canonicus Escurialensis, selon SG González Palencia 1940 Barceló 2012 Pérez de Ayala 1566 Dozy & Engelmann 1869 Corriente 2005 Amador 1981 Dozy 1881 Estudios de dialectología norteafricana y andalusí Encyclopédie de l’Islam (deuxième édition) Corriente 1987b Eguílaz 1975 Eguílaz 1886 Ferreras 1998 Glossaire de Leiden, selon Corriente 1991ª Groupe Linguistique d’Études Chamito-Sémitiques Gómez Moreno 1951 Nykl 1953 Hoenerbach 1965 Hoenerbach 1956 Harvey 1971 Ibn ʕĀṣim, selon Marugán 1994 Pérez Lázaro 1990 Institut National des Langues et Civilisations Orientales Ibn Quzmān, selon Corriente 1995 Ibn Alʕawwām Corriente 1990a ʕAbdulwahhāb 1953 Jewish Quarterly Review Journal of Semitic Studies Zubaydī 1964 Matériaux arabes et sudarabiques Matériaux arabes et sudarabiques-Groupe d’études de linguistique et de littératures arabes et sudarabiques Miscelánea de Estudios Árabes y Hebraicos (Grenade) Barceló 1984 Mitteilungen des Seminars für orientalische Sprachen Corriente 1994 (db Addabāġ ; hm Alḥallāʔ ; mg Madġallīs ; yd Albaḥbaḍh ; ms Ibn Ṣāḥib Aṣṣalāh) Corriente 1997b Aššuštarī, selon Corriente 1988
Abréviations | XV
PEIA RC RFE RIEEI RIMA RM SG SH SK Tf. Tg. UT VA VR ZDMG ZJ ZA
Corriente 1986b Römer 1905-6 Revista de Filología Española Revista del Instituto de Estudios Islámicos (Madrid) Revue de l’Institut des Manuscrits de la Ligue Arabe Busquets 1954 Simonet 1889 Colin & Provençal 1931 Corriente 1977 Granja 1974 Tallgren 1925 Abulḫayr, selon Bustamante, Corriente & Tilmatine 2004-2010 Vocabulista in arabico, selon Corriente 1989b Vox Romanica Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft Azzaǧǧālī, selon Bencherifa et Ould Mohamed Baba Zeitschrift für Assyriologie
Transcriptions graphématique, phonologique et phonétique Pour ce qui concerne l’arabe et les variétés dialectales, nous adoptons le système international de l’Europe centrale, avec les additions parfois nécessaires de l’IPA (International Phonetics Association) et l’utilisation de >à< afin de distinguer l’alif maqṣūrah, sauf dans les cas où il existe une orthographe établie, comme en maltais, et dans les citations des différents auteurs, dans lesquelles nous avons parfois apporté quelques modifications pour des raisons typographiques, par exemple dans le cas d’Alcalá, on a remplacé le >c< surmonté de trois points (= /ṯ/) par >ĉ< et les voyelles surmontées d’une hamzah (mais représentant un /ʕ/) par un accent circonflexe. Les voyelles longues sont surmontées d’un macron, mais parfois, dans les schèmes morphophonologiques, il a été préférable de les représenter avec le chrone (vː), afin de mieux rendre leur équivalence prosodique avec une consonne. Nos transcriptions des textes originaux sont soit graphématiques, soit phonologiques, voire phonétiques, selon le degré de certitude que nos sources offrent et, dans chaque cas, pour des raisons d’efficacité pédagogique, toujours avec des ajustements avec les faits établis du dialecte, plutôt que de simples reproductions des graphies souvent discutables – des copistes qui ne le connaissaient pas assez bien ou qui ont mélangé des formes classiques à l’orthographe tâtonnante de l’arabe andalou que les auteurs ont souvent voulu utiliser dans le but de rendre la prononciation colloquiale. Concernant les variétés arabes marocaines, il s’agit d’une transcription plutôt phonologique, mais avec quelques traits phonétiques caractéristiques (broad transcription) surtout par rapport aux voyelles brèves ; quant à l’arabe libyen, il est transcrit phonologiquement. Les mots romans ou d’autres langues sont transcrits en italiques, alors que le roman andalou est transcrit en majuscule.
Introduction1 L’arabe andalou est un faisceau dialectal, c’est-à-dire un groupe de dialectes ou sub-dialectes très proches les uns des autres, émanant de l’interférence des parlers ibéro-romans avec ceux des quelques milliers d’Arabes qui ont envahi la Péninsule Ibérique au cours du 8ème siècle, ainsi que ceux des dizaines de milliers des Berbères, partiellement arabisés, qui les accompagnaient au sein des armées islamiques. Ces contingents n’étaient composés que d’hommes qui se sont unis à des natives pour former les familles qui allaient devenir la charpente de la population d’une nouvelle nation, l’Al-Andalus islamique ; population à laquelle allaient postérieurement s’ajouter quelques familles immigrées du Moyen Orient, surtout sous les Omeyyades. Cette nation n’a pas seulement été une nouvelle phase dans l’histoire de la Péninsule Ibérique, superficiellement teintée par l’établissement de ces populations, avec leur langue et leur religion – comme quelques nationalistes espagnols l’auraient souhaité – car les circonstances d’une époque politique et culturellement stérilisée à cause de la destruction du monde classique, ou plutôt par suite de la Weltanschauung du christianisme par des invasions barbares, ont favorisé la mise en place d’un état qui s’est vite assimilé aux modèles de l’Orient arabe ou arabisé, où la langue arabe et l’Islam constituaient l’expression la plus évidente du changement politique, culturel et idéologique amené par le triomphe de la nouvelle religion et la vision plus pratique du monde qui l’accompagnait.2 Cela ne veut
|| 1 Cet ouvrage collectif a été élaboré dans le cadre du projet de recherche Fronteras lingüísticas y factores sociales: perspectivas sincrónicas y diacrónicas de la región del Magreb (FFI2011, 26782-C0201), financé par le Ministerio de Economía y Competitividad d’Espagne, auquel les trois auteurs participent. 2 C’est évident – quoiqu’on n’ait souvent pas envie d’aborder ce sujet – que les envahisseurs musulmans de l’Orient et de l’Occident ne parlaient pas l’arabe classique du Qurʔān et de la poésie préislamique mais, pour ce qui concerne les dialectes les plus conservateurs du point de vue linguistique, un faisceau de dialectes de l’ancien arabe, assez proches de cette koiné, qui en dérivait, et, dans la majorité des cas, du proto-néo-arabe et des mélanges bizarres de nord-arabique et sudarabique, selon les données des grammairiens natifs eux-mêmes, comme il a été détaillé dans Corriente 1976a. Dans tout les cas, leurs matériaux démontrent : 1) que l’arabe nabaṭī, typologiquement plus analytique que la ʕarabiyyah, sans déclinaison nominale et sans modes verbaux, était déjà en place avant l’Islam dans les régions peuplées par les arabes en Syrie et en Iraq, peut-être aussi dans une partie du Alḥiǧāz, et 2) qu’il s’est perpétué dans le néo-arabe postérieur aux dialectes médiévaux et modernes, sans qu’un seul dialecte du type plus synthétique que la ʕarabiyyah ait survécu à la pression combinée du drift et au triomphe des ces dialectes créolisés et simplifiés, dont les locuteurs affluaient chaque année par millions vers la Péninsule Arabique, afin d’accomplir les rites du pèlerinage, très convaincus de la beauté et de la supériorité incomparables de la langue du Qurʔān, dont se servaient les lettrés dans des registres élevés – qui parlaient, par ailleurs, comme le reste de la population, le néo-arabe comme seule langue
XVIII | Introduction
nullement dire que nombre des Chrétiens et de Juifs, parmi la population native, n’aient préservé leurs croyances et identités communautaires, en dépit des avantages économiques et sociaux que la conversion à l’Islam pouvait leur apporter, et qu’ils aient par la suite convaincu la majorité des membres de leur communauté à franchir ce pas, ou que les anciennes langues aient cessé d’être parlées tout d’un coup : dans le cas des dialectes roman andalou de la Péninsule Ibérique, le processus d’extinction ne s’est accompli qu’à la fin du 12ème siècle et à une vitesse identique pour ce qui concerne les trois communautés, musulmane, chrétienne et juive.3 Une définition plus exacte de l’arabe andalou doit aussi de préciser que ce faisceau dialectal appartient au type du néo-arabe occidental,4 d’autant plus que sa
|| colloquiale et quotidienne. Pour une synthèse de la genèse et une classification des dialectes néoarabes, voir Vicente 2008. 3 Voir les conclusions chronologiques dans Corriente 2008b, où on a démontré l’ignorance progressive du latin et même de la langue romane vulgaire (= roman andalou) chez les Mozarabes, en fixant son extinction à la fin du 12ème siècle, ce qui est démontré par le fait que les Mozarabes expulsés par les Almoravides au Maroc aient eu, selon Römer 1905‒6, besoin d’une traduction arabe des Évangiles, alors que leurs coreligionnaires de Tolède, ainsi que le clergé, d’un glossaire latinarabe pour apprendre le latin. Seuls des rétro-nationalistes, réactionnaires typiques, comme F.J. Simonet, ont voulu mélanger les questions de langue et de religion, afin de dénier la vérité historique, comme la profonde arabisation des Chrétiens mozarabes et la rapide conversion à l’Islam de la majorité de la population hispanique, ainsi que la réabsorption d’un nombre considérable des Musulmans andalous et leur conversion au Christianisme au lendemain de la ‘Reconquista’. Dans le même but, on a fabriqué les mythes ‘ethno-nettoyants’ de la supériorité culturelle des populations hispaniques pendant toute la domination islamique, ainsi que de l’influence chrétienne dans le mysticisme islamique, ou celui de la langue ‘mozarabe’ valencienne, qui ne serait plus un dialecte du catalan ; tout comme les prêtres maltais avaient voulu faire dériver leur langue du punique, mais pas de l’arabe ; et d’autres belles preuves du bien connu axiome qui postule que la science commence juste là où la foi religieuse et son frère, le chauvinisme nationaliste, finissent. 4 Caractérisé par la simplification des préfixes des premières personnes du singulier et du pluriel de l’aspect imperfectif du verbe, avec la substitution de /ʔv-/ par /nv-/ pour le singulier et en distinguant le nombre au moyen du suffixe /-ū/ (alors que l’arabe ancien et l’arabe oriental n’ont que /nv-/ pour le pluriel). Cette innovation semble s’être produite en Égypte au sein de la majorité des tribus sudarabiques qui s’y sont installées pendant et après la conquête, simplification caractéristique des créoles, prévisible dans une communauté dont la langue change, et pour ce qui nous concerne ici, le sudarabique ou une Mischsprache qui est le résultat du contact du sudarabique avec des dialectes nord-arabiques (comme dans le cas de la ‘langue himyaritique’, selon Belova 1996, voir aussi Robin 2007), ou encore un nord-arabique plus standardisé. Cela explique pourquoi la deuxième grande vague d’arabisation musulmane de l’Occident, initiée au 11ème siècle (celle des Banū Hilāl et de leurs alliés bédouins préalablement établis en Haute Égypte, et qui ne sont jamais parvenus à atteindre l’Al-Andalus ou Malte) ne différait en rien sur ce point grammatical de la première vague des conquérants qui ont déferlé sur le Maghreb et Al-Andalus au 7ème et au 8ème siècle, y ayant laissé des dialectes avec cette caractéristique morphologique, à l’instar de ce qu’on trouve à Malte et dans la Péninsule Ibérique. Curieusement, la plupart de parlers égyptiens, on a
Introduction | XIX
situation périphérique et son relatif isolement géographique l’ont placé à l’écart (ou presque) des distinctions caractéristiques du continuum néo-arabe, telles que celles des dialectes citadins, ruraux, bédouins, montagnards, etc., ou celles de dialectes communautaires des Musulmans (chiites ou sunnites), des Chrétiens, des Juifs, etc. Pour conclure, et d’une façon surprenante pour le néo-arabe, il n’est pas aisé de classer l’arabe andalou comme un dialecte différentiel ou non-différentiel.5 Une telle caractérisation synchronique pose immédiatement la question diachronique des voies par lesquelles un descendant génétique relativement direct de l’arabe ancien (celui-ci n’ayant jamais cessé d’être la seule langue officielle, donc influente et imitée par tout le monde dans une certaine mesure, autant que requise par les registres élevés des pays arabes jusqu’à maintenant) a évolué et acquis la physionomie caractéristique reflétée par les textes arabe andalou qui nous sont parvenus. Une réponse à cette question ne saurait être obtenue qu’en considérant des données historiques et linguistiques, quoique, hélas, souvent trop schématiques et peu détaillées pour qu’on puisse se faire une idée exacte des phases et des composantes || assisté au rétablissement de la situation antérieure, à cause des relations très étroites avec la Syrie et Alḥiǧāz, ce qui, d’ailleurs, peut ne pas surprendre, car les procès de dé-pidginisation et de décréolisation n’ont pas toujours eu la même intensité et la même extension là où ils ont eu lieu. Concernant les parlers yéménites, ou plutôt les parlers arabes du sud, ou mieux encore qaḥṭāniyyūn, il convient de se rappeler de la description dialectale de l’Arabie Méridionale par un savant natif travaillant sur place, Alhamdānī, déjà au 10ème siècle, également rapportée par Belova 1996 : 14, dont on a publié un compte-rendu (Corriente 1997c), où il est fait état de régions entières aux parlers incorrects, où on parlait encore le himyaritique, avec des indications comme celle concernant la langue des habitant d’Aden, qui n’était pas du pur arabe, mais une langue mêlée et mauvaise, parfois même incompréhensible et obscure. Tout cela nous permet d’envisager quelle pouvait être la situation linguistique des tribus dites de souche sudarabiques aux 7ème et 8ème siècles, à l’époque des grandes conquêtes islamiques, tout en admettant que les frontières politiques et linguistiques entre le Nord et le Sud de l’Arabie avaient été estompées déjà bien avant l’apparition de l’Islam. En tous cas, les données sur l’arabe occidental et surtout sur l’arabe andalou confirment la présence de plusieurs traits sudarabiques qu’il faut attribuer aux envahisseurs ‘Yéménites’, comme il a été démontré dans Corriente 1989a ; voir aussi les études sur la présence de ces tribus à Al-Andalus par Al-Wasif 1990 et Terés 1957. Un autre ‘yéménisme’ du néo-arabe semble être la chute du /n/ marquant les deuxième et troisième personnes masculin pluriel de l’imperfectif, caractéristique du sudarabique, et notamment du sabéen, omniprésente, sauf dans les dialectes de l’Arabie Orientale et de l’Iraq, les plus éloignés de l’influence yéménite. Il est également curieux de voir que l’araméen, auquel on peut attribuer quelques traits du néo-arabe, ne partageait pas cette caractéristique, la chute du /n/, de telle sorte qu’il n’a pas pu influencer les dialectes du Naǧd. 5 Cette importante classification, soigneusement décrite par Cantineau 1941, réimpression de Paris, 1960 : 108‒110, ne semble pas applicable à l’arabe andalou, plus proche à certains égards des dialectes anciens, puisque la chute de voyelles, très limitée à vrai dire, ne suit pas les règles du reste du néo-arabe. Des cas comme ceux de /kítf/ < /katif/ « épaule » (SK 77), /ṯulúṯ/ < /ṯul(u)ṯ/ « tiers » (SK 76), ou même /ṣáḥb addár/ < /ṣāḥibu ddār/ « le maître de la maison » et /ṣunúbra/ < /ṣanawbarah/ « pin » (SK 63, note 88) n’étaient pas méconnus dans les dialectes anciens de l’Arabie, et s’expliquent comme conséquence de la faiblesse des voyelles pré-toniques ou posttoniques dans les phases où une accentuation expiratoire plus forte s’était imposée.
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d’un procès évolutif assez long et complexe, où il est nécessaire de considérer aussi bien le point de départ comme les facteurs qui ont changé cette situation-là graduellement jusqu’à façonner l’arabe andalou reflété par les sources disponibles, qui étaient très maigres d’abord, au 10ème siècle, et qui ont abondé ensuite, quoique jamais assez riches, jusqu’à l’extinction du parler au début du 17ème siècle, à cause de l’expulsion des derniers Morisques, surtout ceux du Levant de l’Espagne, qui le possédaient encore. Que savons-nous des composantes initiales de l’arabe andalou ? Franchement, bien peu : d’un côté, bien sûr, les parlers ibéro-romans du 8ème siècle n’étaient plus du latin, ni même du bas latin, mais plutôt ce qu’on a appelé proto-roman ibérique.6 D’un autre côté, les parlers arabes des tribus envahissantes n’étaient plus de l’arabe classique,7 mais plutôt un mélange de dialectes nord-arabiques avec une majorité de parlers où l’influence du sudarabique était variable mais souvent forte. Enfin, pour en finir, on connait encore moins le degré d’arabisation de l’afflux d’envahisseurs berbères qui, néanmoins, ont dû, la plupart du temps, prendre sur eux la tâche de faire connaître l’arabe aux natifs, pour d’indéniables raisons démographiques, étant donné leurs nombres respectifs. Traditionnellement, et à cause des préjugés nationalistes ou de l’ignorance des données historiques et linguistiques, on a exagéré le rôle du roman dans la genèse du dialecte arabe andalou,8 de même sorte
|| 6 Voir Lapesa 1980 : 124‒130. 7 Sans aucune volonté de soulever à nouveau ici la vieille question de la datation du néo-arabe, sur laquelle on connait l’aimable polémique entre Corriente et Blau, dans les années 70, dans les pages du Jewish Quarterly Review (Corriente 1971a et 73, Blau 1972), dont la conclusion pour Corriente est que le néo-arabe était déjà en place avant l’Islam, comme Vollers le voulait, au moins dans certaines régions arabophones du Nord, du Sud, et probablement d’Alḥiǧāz, mais qu’il y avait aussi, et jusqu’au 10ème siècle, tout comme Ibn Ǧinnī nous a rapporté, des tribus en Arabie Centrale parlant des dialectes assez proches de la koiné poétique pour pouvoir aisément la pratiquer dans des poèmes (qaṣīdah) assez proches de ceux de la période préislamique. En particulier, leurs ruwāh (rhapsodes professionnels) pouvaient devenir des arbitres reconnus lors des disputes entre grammairiens, mais il est évident que ce type linguistique arabe ancien n’a pas pu faire tâche d’huile au cours de l’expansion postislamique de l’arabe, face à la supériorité arithmétique des locuteurs du néo-arabe, dont les solutions créolisées s’ajustaient mieux aux besoins sociolinguistiques d’une société en train de s’urbaniser et de s’homogénéiser, donc en quête urgente d’une langue parlée simple et commune, de telle sorte que le prestige indisputable de la koiné poétique et de langue du Qurʔān consacrait sa position perpétuelle comme langue écrite et comme langue des registres élevés. Avec une analogie sportive, ces arbitres reconnus des disputes entre grammairiens – dont les anecdotes ont été sagement analysées et réduites à une taille probable par J. Blau (1963) – ont probablement inventé ces anecdotes afin d’accroître leur prestige et, bien qu’ils aient pu siffler et tâcher de maintenir l’ordre dans le match entre la ʕarabiyyah et le néo-arabe, ce dernier a vite gagné le jeu du langage quotidien des rues, des marchés et des foyers. 8 Surtout, la contribution du premier au lexique du deuxième, très exagérée par Simonet (1889) et d’autres auteurs nationalistes plus récents ; des proportions plus réalistes ont été établies dans Corriente 1992a : 142.
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qu’on a minimisé celui du berbère à outrance9, et on n’a presque pas soulevé la question des différences dialectales qui devaient forcément exister entre les tribus arabes qui ont pris part à l’invasion ou qui ont évidemment dû laisser leur empreinte dans l’arabe appris encore en Afrique du Nord, pour la majorité écrasante des berbères qui ont garanti le succès de la première et dernière grande opération militaire de l’Islam en outre-mer. Les efforts de chercheurs pendant le 20ème siècle ont permis d’établir, pour la première fois et avec un haut degré de certitude, quelques faits au sujet de l’impact relatif du substrat roman et de l’adstrat berbère sur l’évolution du faisceau dialectal arabe andalou, et même de déceler une forte présence initiale d’éléments sudarabiques dans la grammaire et le lexique de ce dernier, qui allait par la suite s’amoindrir, lorsque la dynastie Omeyyade de Cordoue a décidé d’imiter fidèlement et intégralement les modèles orientaux des abbassides de Baghdad.10 Leur succès politique, militaire, économique et social ont aussi produit une koiné arabe andalou, qui n’a pas mis fin à la dialectalisation plutôt faible du faisceau, dont nous ne pouvons, faute d’information et sources suffisantes, que signaler quelques différences diatopiques et diachroniques, voir diastratiques.11 On a souvent souligné que l’arabe andalou a été le premier des dialectes arabes à atteindre la catégorie de langue littéraire dans certains domaines du folklore, comme les collections de proverbes et la composition de poèmes badins, c’est-à-dire les azǧāl, ce qui lui ajoute le mérite d’avoir été la première langue vulgaire, même en Europe, à s’être taillé un espace d’une certaine respectabilité littéraire. De plus, ce dialecte arabe andalou, enrichi avec de nombreux mots du lexique poétique arabe classique, est devenu une sorte de langage conventionnel pour tous ceux qui,
|| 9 Dont l’ignorance généralisée auprès de la plupart des savants qui se sont occupé de l’Islam en Occident et des interférences linguistiques dans cette partie du monde, à côté d’une certaine animosité antiberbère, aussi chez les Occidentaux, déjà caractéristique des Andalous au Moyen Âge et bien illustrée par García Gómez 1976, qui se sont traduites dans un curieux refus à octroyer à ces nord-africains un quelconque rôle positif dans l’histoire et la culture de l’Occident musulman, ce qui est naturellement inexact et injuste, comme il a été prouvé dans quelques articles (par exemple Corriente 1981b, 1998a et 2002 et, plus récemment, dans Corriente 2012 : 135-6, avec bibliographie additionnelle). 10 La présence, en Al-Andalus, dès les premiers temps, de dialectes arabes sans influence sudarabique visible est néanmoins connue ; voir Corriente 1999b. 11 Certaines différences entre les dialectes de l’Orient arabophone et ceux d’Al-Andalus sont connues, à côté d’une certaine relation chronologique entre l’absence ou la présence et l’intensité de l’imālah, c’est-à-dire la palatalisation d’un ancien /ā/, étudié par Terés 1986. Autrement dit, il est aussi bien de rappeler que l’interférence de l’arabe classique dans l’expression écrite et même orale de tous les arabophones cultivés devient souvent une difficulté ajoutée à la tâche de la description des dialectes de n’importe quel pays ou époque, puisqu’il n’est pas toujours évident de séparer les cas simplement idiolectiques de ceux où il n’y a qu’un emprunt, monnaie courante dans tous les dialectes. Un article a été consacré à cette question pour l’Al-Andalus (Corriente 1981‒2).
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pendant le Moyen Âge et même plus récemment, ont cultivé le genre du zaǧal dans une aire qui s’étend des rivages de l’Océan Atlantique jusqu’à l’Iraq et au Yémen.12 Il n’est pas nécessaire de recommander l’étude du faisceau dialectal arabe andalou aux arabisants dialectologues, mais on n’insistera jamais assez si on rappelle le besoin de ne pas l’ignorer – et cela concerne d’autant plus les romanistes qui s’occupent des langues et des littératures ibéro-romanes depuis leurs plus anciennes origines puisqu’ils peuvent parfois y trouver des solutions satisfaisantes et s’épargner ainsi des failles qui sont souvent, tout simplement, le résultat de l’ignorance de l’ensemble de données nécessaires à une compréhension intégrale du Moyen Âge, de sa culture et de sa littérature,13 avec une proportion d’éléments orientaux qui a généralement été trop négligée.
|| 12 Voir Schoeler 2005 et Corriente 1997b. 13 Dont on a donné deux exemples récents dans les comptes-rendus des éditions des magnifiques Diccionario de la prosa castellana de Alfonso X (par Kasten & Nitti) et La Lozana andaluza (par J. Joset & Folke Gernert), dans Corriente 2010b et c.
Les sources et leurs éditions Les sources de l’arabe andalou n’abondent pas, car les auteurs natifs n’employaient pas la langue parlée à l’écrit, à l’instar des Arabes et de ce qu’on trouve dans la plupart des nations ayant des idiomes littéraires, sauf dans le cas des véritables folkloristes avant la lettre, qui nous ont transmis la poésie populaire, généralement des échantillons uniques,1 et des collections de proverbes.2 Ces textes rendent compte d’un état de langue proche du vrai arabe andalou, bien que les copistes y aient souvent introduit des classicismes qu’il faut détecter et ne pas prendre en compte, ce qui est plus facile dans le cas des poèmes, avec l’aide de la métrique. On peut également compter sur les dictionnaires rédigés en graphie arabe par des auteurs chrétiens dont les motivations étaient différentes,3 ainsi que sur les collections de documents légaux et commerciaux (dont quelques versions arabes des Repartimientos,4 c’est-à-dire les distributions des propriétés conquises par les pouvoirs chrétiens), ou encore sur des échantillons du premier type, mais isolés, des Mozarabes et Morisques,5 ainsi que sur les données de quelques traités d’erreurs commis dans le langage vulgaire,6 sur de rares ouvrages littéraires en prose7 et sur quelques lettres personnelles où les auteurs tentaient d’écrire en arabe classique,8 mais n’y parvenaient pas toujours (voire presque jamais), de telle sorte que nous pouvons en extraire beaucoup de données sur les langues parlées. En graphie latine, les ouvrages plus tardifs des missionnaires de Grenade (Alcalá et Dorador) et de Valence (Martín Pérez de Ayala) ont l’avantage de refléter la vocalisation et l’accent d’une façon plus évidente, mais ils ont l’inconvénient de ne || 1 Comme Ibn Saʕīd et Alḥillī, auxquels on peut ajouter les compilateurs de muwaššaḥāt, peu nombreux, dont les ḫarǧas ou strophes finales, éditées dans Corriente 1997b, sont aussi en dialecte, par exemple Ibn Sanāʔ Almulk, Ibn Alḫaṭīb et Ibn Bišrī. On n’a préservé, jusqu’à nos jours, que deux dīwāns presque entiers d’azǧāl, ceux d’Ibn Quzmān et d’Aššuštarī. 2 Par des auteurs lettrés comme Ibn ʕĀṣim, Azzaǧǧālī et Alfonso del Castillo, qui ont voulu transmettre la prononciation populaire de la façon la plus exacte possible avec l’alphabet arabe, qui ne permettait pas de rendre les phonèmes marginaux /p/, /č/ et /g/, ni les nuances vocaliques, comme l’imālah faible. 3 Car l’auteur du Glossaire de Leiden semble avoir été un prêtre Mozarabe visant à améliorer le latin de ses collègues, alors que le Vocabulista in arabico était adressé aux missionnaires que devaient apprendre l’arabe andalou afin d’obtenir la conversion des Musulmans. 4 Comme celui de Majorque, publié par Busquets 1954. 5 Notamment les collections de González Palencia et Ferrando pour les Mozarabes et Juifs de Tolède, Alarcón & García de Linares et Bosch pour Aragon, Asín et Ribera pour Navarre, ainsi que celles de Barceló et Labarta pour les Morisques de Valence. 6 Commes ceux d’Azzubaydī, Ibn Hišām Allaḫmī, Ibn Ḫātimah et Assakūnī. 7 Comme la version aragonaise du Livre d’Alexandre éditée par García Gómez et dont le manuscrit n’est plus localisable, ou le récit pieux d’Alyuḥānisī édité par F. de la Granja. 8 Par exemple, celles du grenadin Abenaboo et le valencien Lluis Ġāzī, ainsi que les petits textes d’Acién 1974‒5.
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pas mentionner la vélarisation ou la pharyngalisation, et leur défaut le plus grave réside dans le fait qu’ils ont été rédigés par des étrangers, qui commettaient constamment des fautes de toutes sortes à cause de leur manque de compétence dans cette langue qui n’était pas la leur et cela malgré l’aide qu’ils pouvaient recevoir de natifs. De plus, on a quelques brèves citations de phrases et paroles en dialecte andalou par quelques auteurs castillans, portugais ou catalans, ainsi que le témoignage des milliers d’emprunts romans à l’arabe et de noms de lieu ou de personnes de cette origine, dont les transcriptions sont toujours hasardeuses, car elles peuvent refléter une audition fautive des non-natifs qui les mettaient par écrit et l’évolution des langues ou dialectes qu’ils parlaient. Le chercheur dans ce domaine se trouve souvent face au dilemme d’accepter une forme qui lui semble estropiée par des copistes semi-lettrés par comparaison avec d’autres données plus sûres, ou de corriger cette forme risquant ainsi de supprimer le vestige d’une variante réelle. C’est pour cela que nous avons renoncé à offrir une transcription phonologique systématique de tous les textes utilisés, ce que nous nous sommes contentés de faire uniquement dans les cas où la transmission semble plus conforme aux faits dialectaux, comme cela se produit dans les collections de proverbes, mais en gardant une translitération ou transcription graphématique, corrigée par nous, là où l’originel n’était pas acceptable, dans les textes qui semblent avoir été plus manipulés, comme la plupart des poèmes. Cela ne veut nullement dire que tous les problèmes ont disparu : nous ne savons toujours pas, par exemple, quand et où on a prononcé /las/ ou /lis/, au lieu de l’arabe standard /lays(a)/, /káyf/ ou /kíf/, /a/ ou /i/ dans les alifs prosthétiques, /u/ ou /i/ dans les préfixes imperfectifs des verbes concaves, ou si la voyelle du préfixe imperfectif des verbes dérivés des schèmes D = II et L = III était toujours /i/, ou parfois /a/, quoiqu’on sache qu’il y avait des classicismes où on préservait un vieux /u/, etc. En dépit des efforts réalisés ces dernières décennies et de l’analyse répétée des maigres ressources disponibles, il reste encore beaucoup à découvrir, infirmer ou confirmer pour ce qui concerne la description de l’arabe andalou, faits qui seront intéressants pour la dialectologie arabe et la linguistique romane. L’objectif de ce livre est précisément d’aider et d’encourager les études qui s’intéressent à la dialectologie arabe, en faisant un nouveau pas en avant, au-delà des résultats des derniers travaux.
1 Phonologie Le système phonologique de l’arabe andalou comporte 34 phonèmes : 31 consonnes et 3 voyelles, dont 28 consonnes, à l’instar des trois voyelles,1 existaient déjà en arabe ancien, au titre de phonèmes définis par des oppositions entre paires minimales.2 En ce qui concerne les trois autres consonnes, il s’agit de phonèmes marginaux, empruntés aux dialectes romans ou berbères, mais qui sont également identifiables par des oppositions phonologiques.3 Parfois, quelques-unes de ces oppositions sont neutralisées à cause de facteurs diachroniques, diatopiques ou diastratiques ; ce qui entraine la réduction du nombre total de phonèmes dans certains sub-dialectes, coupes diachroniques du faisceau, voire dans certains de ses registres.
|| 1 La possibilité du développement d’un quatrième phonème vocalique /e/, résultat de l’application systématique de l’imālah a parfois été considérée. Cette idée est étayée 1) par la cohérence avec laquelle les Morisques ont développé et utilisé deux graphèmes différents pour la transcription des /a/ et /e/ castillan, bien qu’ils n’aient jamais distingué le /o/ du /u/, et 2) par le fait que, d’après l’étude de J. Sánchez Ratia, les phonèmes vélarisés et non-vélarisés ne se confondent presque jamais (dans 90% des cas) dans les rimes qui se terminent par une séquence /CvC#/ (voir Corriente 1992 : 37, note 2). Cependant, n’ayant trouvé aucune paire minimale permettant d’opposer ces phonèmes, on a toujours réfuté l’existence d’un phonème */e/ en arabe andalou ; il nous semble en effet évident qu’il s’agit de la réalisation phonétique [e] de la voyelle cardinale /a/. 2 Ce nombre est réduit à 26 par Cantineau (1941 : 165‒178), qui analyse /w/ et /y/ respectivement comme les réalisations consonantiques des voyelles /i/ et /u/ ; point de vue discutable sur lequel il n’insiste pas trop ; voir n. 4. Cet auteur donne aussi les paires minimales qui définissent les 28 phonèmes consonantiques de l’arabe classique, auxquels on peut ajouter celles qui définissent l’existence de /p/, /č/ et /g/, selon Corriente 1978a : /qibáb/ « capes » par opposition à /qipáp/ « chapelles » (Corriente 1978a : 214), /nišakkál/ « j’enchevêtre » opposé à /ničakkál/ « je tenaille » (Corriente 1978a : 215) et /afrág/ « tente du sultan » versus /afráġ/ « vide (impératif) ». En arabe marocain, les deux premiers phonèmes /p/ et /č/ n’existent que dans les emprunts à l’espagnol ou au français, tels que /pāyīla/ < espagnol « paella », /paṛṭma/ < français « appartement », /planča/ < espagnol plancha « fer à repasser », /čūfīr/ < français « chauffeur ». Par contre, le phonème /g/ apparaît dans quelques emprunts aux langues européennes et au berbère (par exemple, /gaṛṛu/ < espagnol cigarro « cigarette », /fəzzəg/ < rifain beççeg « mouiller » ; mais il peut également s’agir d’une variante du phonème /q/ (avec la prononciation sédentaire /wqəf/ et la bédouine /wgəf/ « se lever ») et un phonème avec l’existence de paires minimales comme /gāʕ/ « tout » par opposition à /qāʕ/ « fond ». 3 L’identité phonologique de /p/ a déjà été définie dans SK 34‒35 et considérée pour /č/, d’après Alonso 1947 ; voir également Corriente 1978a. Quant aux phonèmes palatalisés /l/ et /n/ du roman, ils n’ont pas été incorporés au consonantisme de l’arabe andalou, mais ont respectivement été reflétés comme /ly/ ou /yl/, et /ny/ ou /yn/ : par exemple dans Alcalá ichimáil « chassie » < latin stigmacula, à travers roman andalou *EŚTIMÁL, et VA >ṭištany< « casque » > bas latin *testaneu. Néanmoins, MT 449.1, 119.1 et passim >š.nyr< « monsieur » pluriel >šanānīr< semble suggérer que les bilingues de Tolède pouvaient analyser /n/ aussi comme /nn/ : voir Corriente 2008c : 36, la note 22 et 1.1.5.1.1.6., à propos de l’intégration des phonèmes palatalisés romans dans l’arabe andalou.
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1.1 Vocalisme Le faisceau dialectal arabe andalou, à l’instar de l’arabe ancien et du protosémitique, ne comporte que trois phonèmes vocaliques, /a/, /i/ et /u/, définis par les oppositions suivantes : /a/ - /i/ - /u/, comme dans IQ 27/3/1 /ḥább/ « il aima », 14/0/1 /ḥíbb/ « amoureux », 9/5/2 /ḥúbb/ « amour », dans VA >nār< « feu », >nīr< « indigo », >nūr< « lumière »,4 bien qu’elles aient des allophones légèrement plus allongés ou arrondis, ouverts ou fermés, conditionnés par l’entourage consonantique,5 ce qui était favorisé par la pauvreté du système vocalique, puisque ces ajustements n’amenaient pas le risque de confusions homophoniques.
|| 4 Il ne semble pas s’être produit une phonologisation d’autres timbres ou allophones vocaliques, comme dans le cas du maltais, ni la neutralisation et l’élimination des phonèmes vocaliques brefs si caractéristique des dialectes nord-africains. Ainsi, une des caractéristiques des variétés arabes nordafricaines est l’instabilité des voyelles brèves en syllabe ouverte. Cette perte de voyelles a été expliquée par l’action du substrat berbère (Marçais 1977 : 12‒13 et Lévy 1996 : 133), mais aussi par le changement de l’accent tonique dans les dialectes nord-africains (Zavadovski 1978 : 50). Concernant l’argument d’A. Martinet, ayant tellement marqué J. Cantineau, qui considère que les semi-voyelles /w/ et /y/ sont, respectivement, de simples allophones positionnels des voyelles /u/ et /i/, parce qu’ « on ne trouve aucune paire de mots ou de formes dont les deux éléments soient différenciés par le seul fait que l’un a un i ou un u réalisés comme une voyelle et l’autre un i ou un u réalisés comme une consonne » (Cantineau 1941 : 191‒192), il faut d’abord objecter que de tels cas existent en arabe ancien (par exemple l’interprétation phonologique des formes pausales ḥalw « plaisant » - ḥalū « ils étaient doux », dont la réalisation dans les deux cas ne peut être autre que ḥalū, mais c’est l’image phonologique qui compte pour les locuteurs) et on ne doit surtout pas tirer de conséquences phonologiques de l’absence de situations défendues par des règles phono-tactiques, comme celles des structures syllabiques qui ne permettent pas une séquence de deux voyelles, des syllabes commençant avec une voyelle, etc. 5 Il y a notamment trois types de contextes qui affectent la réalisation des voyelles et leur assimilation par les consonnes avec lesquelles elles sont en contact : a) contexte palatalisant, exercé par la présence des phonèmes /ǧ/, /š/ et /y/, qui entrainent la fermeture de la voyelle /a/ vers [e] voire /i/, par exemple castillan = portugais álgebra = catalan àlgebra > arabe standard /alǧabr/, Alcalá ge/izíra « île » = arabe andalou /ǧa/Izíra/, castillan jebe « alun » < arabe andalou /šább/, et catalan gessamí « jasmin » < arabe andalou */yasamín/ ; b) contexte labialisant, exercé par /b/, /m/, /f/ et /w/, qui provoquent l’arrondissement des voyelles /a/ et /i/ vers [o] et /u/, par exemple castillan albudeca « melon de mauvaise qualité » < arabe andalou /albaṭṭíḫa/, castillan almodón « une classe excellente de farine » < arabe andalou /almadhún/ (Latham 1987 : 72‒74, 77‒79 et 86‒87), castillan albórbola « cri de joie des femmes » < arabe andalou /alwálwala/, et castillan et portugais alfóstigo « pistache » < arabe andalou /alfústaq/, où on note également une première labialisation lors du passage du pehlevi pistag à l’arabe standard /fustuq/ ; c) contexte vélarisant, exercé par /ṣ/, /ḍ/, /ḏ . /, /ṭ/, /ṛ/, /q/, /ġ/, /ḫ/, /ʕ/, /ḥ/, et /ʔ/, qui donnent respectivement aux trois voyelles les tonalités [ʌ], [ẹ] et [ọ], par exemple castillan azafea = portugais açafeia « planche de l’astrolabe » < arabe andalou /aṣṣafíḥa/, castillan ademán « geste » < arabe andalou /aḍḍimán/< arabe standard /ḍamān/, castillan = portugais adobe = catalan tova « brique crue » < arabe andalou /ṭúba/, portugais romã « grenade » < arabe andalou rummána, et castillan = catalan cofa = portugais alcofa « corbeille » < arabe andalou /(al)qúffa)/, castillan algorfa = catalan golfa « grenier » < arabe
Vocalisme | 3
1.1.1 /a/ Le phonème /a/ était en arabe andalou une voyelle cardinale centrale, héritée de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservée telle quelle dans la plupart des langues sémitiques. En conséquence, elle est reflétée comme fatḥah ou alif dans les graphies arabe,6 comme dans VA >qanāṭir< « ponts » = Alcalá canátir et reflétée comme >a< dans les transcriptions latines des mots arabes, dans les emprunts faits à cette langue par les langues ibéro-romanes et dans les noms de lieu d’origine arabe, à condition qu’il n’y ait pas eu une influence palatalisante ou labio-vélarisante des consonnes voisines comme en castillan albacara « rouelle » < arabe andalou /albakkára/ > arabe standard bak(a)rah « poulie », madraza « collège d’études islamiques » < arabe andalou /madrása/ < arabe standard /madrasah/ « école », Alcanadre (Logroño) < arabe andalou /alqanáṭir/ « les ponts », Alacuás (Valence) < arabe andalou /alaqwáṣ/ « les arcs ».7 En revanche, l’arabe andalou a hérité, de quelques vieux dialectes arabes, non seulement une tendance à palataliser légèrement les /a/ dans le voisinage des consonnes palatales, comme en castillan ajedrez « échecs » < arabe andalou /aššaṭránǧ/ ; ce qui ne se produisait pas toujours, voir en portugais xadrez, où le /ǧ/ a eu son effet même à distance, comme dans dans IH 327 >ḫinǧal< arabe standard /ḫanǧar/ « poignard », mais pas le /š/ ; 8 mais également une tendance à articuler le || andalou /alġúrfa/. Quant à /t/ /ṯ/, /d/, /ḏ/, /s/, /z/, /k/ et /h/, ils peuvent être légèrement palatalisants, par opposition a leurs homologues vélarisés, pharyngalisés ou uvularisés, ou bien plutôt neutres, comme /r/ et /l/, lorsqu’ils ne sont pas vélarisés, par exemple castillan ada/efina = portugais adafina « un mets de la cuisine juive » < arabe andalou /addafína/ « (nourriture) couverte , parce qu’on la laissait ensevelie dans les cendres chaudes pour être mangée encore tiède pendant le sabbat », castillan ata/emar « finir » > arabe andalou /atámm/, castillan zanahoria = portugais cenoura « carotte » > arabe andalou /safannárya/, castillan alcaravea = portugais alcaravia = alque/irivia « carvi » < arabe andalou /alkarawíyya/, etc. Les emprunts romans et les noms de lieu d’origine arabe confirment toujours ces phénomènes, par exemple Algeciras (Cadix), < arabe andalou /alǧazíra/ « l’île », Zocodover (Tolède) < arabe andalou /súq addawább/ « marché aux bêtes », Aznalfarache (Séville) = arabe andalou /ḥiṣn alfaraǧ/ « forteresse du répit ». 6 Selon l’orthographe traditionnelle ou son adaptation en arabe andalou, où l’accent est marqué avec les graphèmes de voyelles longues, tel que nous l’examinerons plus loin. 7 Il faut faire attention aux différences avec l’arabe classique : Alcalá acuáç, sans aucune trace d’imālah, semble indiquer une vélarisation suprasegmentale du /s/, probablement à cause du contact avec le /q/. 8 Cette palatalisation pouvait être très légère, au point de n’être parfois pas perçue par l’oreille des romanophones, ni par personne, même au sein d’une seule langue (par exemple dans Alcalá xéhgue « appétit » < arabe andalou /šahwah/, et aâjéle « chariot » < arabe andalou /ʕaǧalah/, catalan xabeba = portugais axabeba « flûte mauresque » < arabe andalou /šabbába/ < néo-arabe /šabbābah/, mais l’aragonais jabe et xepe « alun » < arabe andalou /šább/ < arabe standard /šabb/. Mais cette palatalisation pouvait aussi être assez forte pour produire des /i/s franchement marqués, comme dans Alcalá cijára « figuier », barnámij « index », dijája « poule », ávcig « ronce », de l’arabe standard /šaǧarah/, /barnāmaǧ/, /daǧāǧah/ et /ʕawsaǧ/, voire qu’elle se fasse sentir à distance,
4 | Phonologie
/a/ de façon plus franche et vigoureuse, notamment lorsqu’il s’agit des /ā/ de l’arabe standard, qui, phonologiquement, étaient longs9, comme dans Magacela (Badajoz) < arabe andalou /úmma ġazála/, littéralement « mère d’une gazelle », probablement un nom propre, Vélez (Almería) < arabe andalou /bádis/, nom propre berbère, castillan acequia = portugais acéquia = catalan sèquia « rigole » < arabe andalou sáqya < arabe standard sāqiyah, castillan rabel = catalan rabec = portugais rabeca « rebab » < arabe andalou /rabáb/. Parfois, ce deuxième type de palatalisation, appelé imālah par les grammairiens natifs,10 ne s’est pas arrêté à ce premier degré, l’allophone [e] du phonème /a/, mais || comme dans Alcalá ḳarínja « bruyère », au lieu de arabe standard /ḫalanǧ/, VA >iskirfāǧ< = Alcalá izquirfíg/ch « râteau » < latin scalpellum ‒ avec substitution du suffixe roman, voir 5.3.2, et VA = IA >isbaranǧah< = Alcalá izparánja « asperge » < latin asparagus, que IH 339 voulait corriger en >asbarāǧ< car les linguistes connaissaient souvent la terminologie latine et grecque mentionnée par les botanistes. Cette palatalisation de /a/ vers /æ/ voire /i/ existe aussi dans le nord du Maroc, à Anjra par exemple, où on la trouve en fin de mot et en position pausale dans ce parler de Jbala, comme dans /mdīnæ/ « ville », /dyālnæ/ « notre », /žīni/ « nous sommes venus », /mālīḵi/ « Malika (nom de femme) ». Dans cette variété, on note aussi l’existence d’une diphtongue secondaire pour distinguer /dyālay/ « la mienne » de /dyāli/ « la sienne (à elle) » < /dyāla/ < /dyālha/ (Vicente 2000 : 28-29 et 34). 9 Bien que la quantité vocalique ait disparu en arabe andalou, comme on verra plus loin. Cette palatalisation est aussi caractéristique d’autres dialectes néo-arabes occidentaux de vieille souche, comme le maltais, le sicilien (Agius 1996 : 337‒8) et quelques dialectes nord-africains (Cantineau 1941 : 99‒102), ainsi que les dialectes du type qǝltu d’Iraq et d’Anatolie, qui ont survécu à l’ancien arabe iraquien, qui aurait été, sinon balayé par les massacres des Mongols au cours du 13ème siècle, ce qui est aujourd’hui considéré comme une exagération, au moins concurrencé et influencé par les parlers bédouins des alentours. En fait, HH 135 signalait encore des cas comme /bīrid/ « froid » et /mīrid/ « rebelle », face à /bibābah/ « à sa porte », représentant sans aucun doute un dialecte de type gǝlǝt (Blanc 1964 : 5‒11 ; Farida Abu-Haidar 2008 : 189‒190). 10 Car elle caractérisait déjà quelques vieux dialectes arabes, surtout ceux du Naǧd, à la différence de ceux d’Alḥiǧāz et du Yémen. Elle a été décrite par les auteurs natifs dans ses deux degrés avec des explications étymologiques discutés par les arabisants occidentaux ; voir Cantineau 1941 : 96‒100, la thèse doctorale d’A. Levin, Ha-imalah ba-diyalekṭim ha-ʕaraviyim, Hebrew University of Jerusalem, 1971, ainsi que Corriente 2010a. Les auteurs natifs ont surtout parlé de ce qu’on a appelé en Occident, avec un technicisme grammatical allemand, l’imālah-Umlaut, c’est-à-dire produite par une assimilation avec un /i/ ou /y/ voisins (par exemple dans quelques vieux dialectes de arabe standard, [ʕǟbid] < /ʕābid/ « adorateur »). Cependant, l’imālah spontanée a reçu d’autres explications, telle que celle liée à une présence palatalisante dans les paradigmes (/ḫǟfa/ « il a eu peur » et /ṭǟba/ « il a été bon »), ou celle liée à l’influence des personnes à suffixe consonantique (/ḫiftu/ et /ṭibtu/) ; ce qui représenterait une phase intermédiaire entre les formes de l’arabe standard et les formes plus conservatrices du guèze qomä « il s’est levé » ~ qomku « je me suis levé » et kedä « il a foulé » ~ kedku « j’ai foulé », respectivement des racines {qwm} et {kyd}. De plus, une meilleure préservation de /y/ que de /w/ dans ces cas est aussi démontré par le mehri mōt ~ matk face à sǝyūr ~ sǝyǝrk (selon Johnstone 1987 : xxix‒xxx). Quant à d’éventuelles réductions, dans des dialectes arabes de toutes les époques et régions, de l’ancienne diphtongue /ay/ > [ē], il s’agit plutôt d’un universel linguistique sans aucune relation avec l’imālah ‒ dans les cas où il n’y a pas eu une réaction contraire à la possible phonologisation de ce phonème /e/, comme en arabe standard
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il est allé jusqu’à un deuxième degré, convergeant avec /i/ dans un archiphonème /I/. Cela est une des caractéristiques du dialecte tardif de Grenade, comme dans Bibarrambla, nom d’un quartier à côté de la ‘Porte de la sablonnière’, ce qui correspond à /bāb arramlah/ en néo-arabe, ainsi que Purchil < arabe andalou /burǧ hilál/, littéralement « tour de Hilal ». D’autres marques plus anciennes et septentrionales attestent également cette caractéristique, comme dans IQ 11/9/3 >ridī< « manteau », 14/3/1 >wildī< « mon père »,11 15/1/1‒2 >hawī< « passion » et >dawī< « médicine », 21/8/1 >kirī< « loyer », au lieu de l’arabe standard /ridāʔ/, /wālid/, /hawà/, /dawāʔ/ et /kirāʔ/, VA>sarīsil< « chaînes », >murazzā/ī< « malheureux »), à côté des traits plus tardifs de Grenade, comme dans AC 66 /lisÍnak/ « ta langue », Alcalá guíld « père », ridí « rideau », dans PES 1/0/1, où /albidíya/ « le commencement » et /annihíya/ « la fin » riment avec /anníya/ « que je », à côté des traits plus tardifs de Valence qu’on retrouve dans Hv. 100.2 >iltihim< « rappel », dans DC 4b guíld, ainsi que les cas de >bīb< et >kīn< au lieu de arabe andalou /báb/ « porte » et /kán/ « il était », etc. de Hv. 102 et 101, dans les emprunts tel que le castillan albañil ‒ mais le portugais alvanel < arabe andalou /albanná/ « maçon », ainsi que castillan adoquín = portugais adoquim « pavé » < arabe andalou /addukkÍn/12 et les noms de lieu plus anciens d’autres régions tels
|| >ḥattà< « jusqu’à », possiblement */ḥattē/ dans quelques dialectes anciens de l’arabe, ainsi que dans DC 15b et 16a haté et Alcalá hattí, d’où le portugais até, et l’ancien castillan (f)ata, alors qu’on trouve hasta en castillan moderne, dont l’évolution compliquée a été analysée dans Corriente 1983a. C’est également le cas en arabe de Tripoli (Libye) où la réalisation [eː] du phonème /ē/ résulte de la réduction de l’ancienne diphtongue /ay/, comme dans le substantif /žēb/ « poche » < /žayb/, le diminutif /nwēma/ « un petit somme » < /nwayma/, le verbe /mšēna/ « nous sommes allés » < /mšayna/, la conjonction /lēn/ « jusqu’à ce que » < /layn/, ainsi que dans le morphème de duel {+ēn} de l’exemple /yōmēn/ « deux jours » < /yawmayn/ (Pereira 2010 : 34). Cette dernière réalisation [eː] de /ē/ se distingue d’une réalisation [e] qui touche des /a/ finaux (étymologiquement longs), comme dans les pronoms personnels /āne/ « moi » < /ʔanā/ et /ḥne/ « nous » < *ḥnā, l’adverbe de lieu /hne/ « ici » < /hunā/, certains verbes défectueux tels que /že/ « il est venu » < /žāʔa/, /ʕṭe/ « il a donné » < /ʔaʕṭā/ et /nṭfe/ « il s’est éteint » < /inṭafaʔa/, ainsi que des substantifs tels que /sme/ < /samāʔ/ « ciel », /ġde/ « déjeuner » < /ġadāʔ/ et /ʕše/ < /ʕašāʔ/ « dîner », /hbe/ « cendre (de cigarette) » < /habāʔ/ (Pereira 2010 : 33). L’évolution morphophonologique de la plupart de ces exemples est en outre liée à la chute de /ʔ/ dans les variétés nord-africaines (voir en 1.2.32). 11 Toujours sous cette forme dans toutes les sources de l’arabe andalou, comme dans VA « pater » >wild< jusqu’aux témoignages tardifs de Grenade et Valence. L’hésitation dans le degré de l’imālah semble avoir été assez ancienne et avoir obéi à des principes que nous ne connaissons pas, puisqu’on trouve dans IQ 6/7/2 >ḏāk< en position de rime, suivi immédiatement de >ḏīk wāḥidan minhumrīh< « il l’a vu », sans parallèle dans les autres textes, en face du guálid « père » d’Alcalá 61.26, dans une prière. 12 Avec une considérable évolution sémantique, puisque ce mot signifie dans l’arabe standard « le comptoir d’un marchand, parfois en pierre », mais la nouvelle connotation est déjà dans le GL, avec le pluriel >dakākīn< pavimentum « revêtement ».
6 | Phonologie
que Gimileó (Logroño) < arabe andalou /ǧámiʕ alʕuyún/ « la mosquée des fontaines » et Gerindote (Tolède) < arabe andalou /ǧinán dáwud/ « le jardin de Dawud ».13 La présence de ce phénomène a également été décelée dans quelques ultracorrections, comme dans IH 313 >šāʕinyuzād< « on ajoute », où la séquence /u-á/ marque la voix, et dans le suffixe multifonctionnel {+ān}, authentique ou métanalysé ‒ peut-être à cause de sa fréquence en sudarabique où il n’y avait pas d’imālah ‒ comme dans les emprunts castillan et portugais fulano < arabe standard fulān « un tel », castillan albardán = portugais albardão (et par métathèse aldrabão ) = catalan albardà « dévergondé » < arabe andalou /albardán/, ainsi que les noms de lieu, par exemple Guadarromán (Cordoue) < arabe andalou /wád arrummán/ «le fleuve des grenades », Alfeizirão portugais < arabe andalou /alḫayzarán/ « les bambous ». Cependant, on trouve parfois une palatalisation là où il ne devrait pas y en avoir comme dans l’imperfectif du verbe /rá/ ~ /yará/í/ « voir », sans imālah dans IQ, GL et VA – alors qu’en Libye, on trouve toujours /ṛa/ ~ /tṛa/ (à la deuxième personne, la seule forme utilisée à l’imperfectif ; excepté /tṛa/, ce verbe n’est en effet employé qu’au perfectif) – mais de façon optionnelle avec imālah dans Alcalá et dans AC, voir aussi dans VA, dans GL, dans IA 632, dans ZJ
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La présence d’un entourage consonantique vélarisant15 ou labialisant produit des allophones postérieurs, voire arrondis de /a/. Ces derniers ont parfois été analysés par l’ouïe romanophone comme des voyelles postérieures arrondies. On les trouve dans les nom propre ou dans les noms de lieu d’origine arabe, ainsi que dans des emprunts comme en castillan et en catalan Mahoma = portugais Mafoma < arabe andalou /muḥammád/, nom propre, Almodóvar (Ciudad Real) < arabe andalou /almudáwwar/ < « le (village) rond », alfombra « tapis » < arabe andalou /alḥánbal/) ;16 ce qui n’est parfois pas sans pareil dans la prononciation documenté en graphie arabe de l’arabe andalou comme dans VA >sumrah< « lance » < arabe standard /samrāʔ/, >muftāḥ< « clé » < arabe standard /miftāḥ/, >armul< = Alcalá ármula « veuve » < arabe standard /armal/, dans Alcalá budí = DC 21 bodé « commencement », dans IQ 5/8/3 >fum(m) < « bouche » < arabe standard /fam/, 79/8/3 >mubītu< « qui passe la nuit », 88/12/1 >muǧīk< « ta venue », 94/5/3 /šúffa/ « lèvre » < arabe standard /šafah/, 86/2/2 /muḥálla/ < arabe standard /maḥallah/
|| 1521 >burīḥ< = Alcalá buréh « cri publique », dans Alcalá cíhil < arabe standard /sāḥil/ « côte », matímir « silos » < arabe standard /maṭāmīr/, fulín « un tel » < arabe standard /fulān/). On ne la trouve parfois pas là où on l’attendrait, par exemple dans Alcalá galá « cherté » < arabe standard /ġalā/, et cafá « nuque » < arabe standard /qafā/, ou les emprunts castillan et portugais alqabala « impôt sur les achats » < arabe andalou alqabála, castillan mengano « un tel » < arabe standard /man kān/, vieux castillan alizace « fondement » < arabe andalou /alisás/, aussi dans des noms de lieu, par exemple Azaña (Tolède) < arabe andalou /assánya/ < arabe standard /sāniyah/ « puit à roue », Sama or Zaama portugais, et Villa Celama (León) < arabe andalou /saláma/ « salvation » (probablement comme nom propre, mais cf. aussi le diminutif roman Zulemillas, León), probablement à cause de différences diatopiques ou diachroniques, voire diastratiques, puisqu’on sait que dans le cas des noms de lieu, les notaires ont toujours une tendence à utiliser les registres plus élevés plutôt les registres courants. De plus, en Espagne, ils ont imposé des prononciations castillanes, même dans les régions où la langue locale était différente. 15 Appelé tafḫīm par les grammairiens natifs et probablement plus fort dans quelques dialectes arabes anciens, comme ceux d’Alḥiǧāz et du Yémen, et dont les effets plus ou moins perceptibles n’ont pas eu une distribution identique dans toute l’extension d’Al-Andalus, puisque nous avons portugais alcaçova < arabe andalou /alqaṣába/ « château », mais castillan alcazaba, et portugais xarope = catalan aixarop, mais castillan jarabe « sirop » < arabe andalou aššaráb < arabe standard šarāb « boisson », portugais cenoura = castillan zanahoria « carotte » < arabe andalou /safannárya/, dont la dérivation pose plusieurs problèmes, selon Corriente 2008a : 19. On peut supposer que le phénomène de tafḫīm concerne la voyelle accentuée à cause d’un /ṛ/ (vélarisé) qui suit cette dernière. Souvent, on a l’impression que la tendence à l’imālah, caractéristique des dialectes du Naǧd, jouissait du prestige bédouin, alors que son inhibition et même la tendance au tafḫīm, caractéristiques des villes saintes de l’Islam dans Alḥiǧāz, constituait une sorte de trait prestigieux chez le clergé et les hommes d`état (riǧālu ddīn et riǧālu ddawlah, selon la nomenclature de l’époque), tous deux étant susceptibles d’imitation et de propagation auprès des différents secteurs de la population. 16 Mais cf. portugais alfâmbar et autres variantes sans assimilation avec la consonne labiale ; voir Corriente 2008a : 100.
8 | Phonologie
« campement », d’où le vieux castillan almofalla, dans IA /muḥássa/ « étrille »,17 ainsi que le castillan almohaza = portugais almofaça, dans LA 137 >ḍurr< « dommage » < arabe standard /ḍarr/, dans LA 178 >ḫušāš< < arabe standard /ḫašāš/ « vermine ».18 Des manifestations d’ultra-corrections se trouvent dans les exemples suivants : dans IH 180 >maqʕad< « estropié », 169 >marqad< (sic Alcalá márcad, corrigé dans GL >murqidmaṣmat< « d’une seule couleur », dont les formes arabe standard ont le préfixe {mu+}, à côté d’autres permutations entre les préfixes {mv+}, bien qu’il faille aussi considérer la possibilité de la préférence pour {ma+} dans les dialectes influencés par le sudarabique (Corriente 1979). Parfois, le /a/ de l’arabe standard se trouve en arabe andalou sous la forme /i/. Cela se produit en l’absence d’un contexte clairement palatalisant, comme dans LA 82 >ilb< « bloc », 192 >wihlā< « moment », 285 >firq< « différence » ; de même, cela a lieu en contexte vélarisant comme dans VA >ġillah< « récolte » et dans LA 116 >qiṣʕah< « plateau », au lieu de l’arabe standard /ġallah/ et /qaṣʕah/. Cela semble pouvoir s’expliquer comme une ultra-correction, dans le sens de la loi de Philippi (voir notes 24 et 145). Cependant, dans certains cas, comme dans LA 116 >ḫilḫāl< au lieu de arabe standard /ḫalḫāl/ « jambelet », ainsi que dans LA 136 >ṣimṣām< au lieu de l’arabe standard /ṣamṣām(ah)/ « épée », il pourrait s’agir d’une règle || 17 IH 178 ne connait pas cet allomorphe, mais il rejette /maḥássah/ en faveur de l’arabe standard /miḥassah/. Il note aussi le surprenant >muṣaffā< (IH 174), confirmé par Alcalá muçáfá « percolateur », et monácqua “cure-dents”, où le nom d’instrument aurait été remplacé par le participe non-agentif féminin. D’autres cas semblables ont été relevés : par exemple dans IH 310 = AC >muġaṭṭah< « couvercle », au lieu d’arabe standard /ġiṭāʔ/, et UT 655 >mukabbabah< « renvideur », auxquels on pourrait ajouter */muláyyana/ « coussin qu’on met sous le joug », seulement représenté par le castillan melena et portugais dialectal muleia (Corriente 1997a : 490) ; il est curieux que tous ces exemples soient des participes du schème D = II, qui peuvent avoir le sens de noms de lieu et de temps en arabe standard, ce qui laisse penser qu’on a également exprimé le nom d’instrument au moyen de ce schème de participe, selon la vieille conception proto-sémitique, identifiant la place et l’outil, qui persiste en arabe standard dans la préposition /bi+/. À ce sujet, Brockelmann 1908 I : 376 précise que « Die Bedeutung der verschiedenen Formen war aber im Ursemit. noch nicht differenziert … Die Verwendung als Orts-, Zeits- und Werkzeugen … und als Abstrackt war vielmehr im wesentlichen durch die Bedeutung des Stammes bedingt ». Quant au néo-arabe, il reflète partiellement cette absence de distinction du proto-sémitique. 18 On note la présence du même phénomène dans certains noms de lieu indiqués en graphie latine qui procèdent de participes non-agentifs du schème {ma12ú3}, comme dans Benimorzoch, Moçot et Mozrore, respectivement de /marzúq/, /masʕúd/ et /masrúr/, selon Terés 1990 : 178, ainsi que Terés 1991 : 13 et 15 ; voir également Barceló 1982 : 120 ‒ dont le deuxième exemple est confirmé par IH 181 ‒ qui pose la question de savoir s’il s’agit de simples cas d’assimilation du /a/ à /m/, ou si un allomorphe *{mu12ú3} existait dans quelques sub-dialectes. Ces hésitations avaient déjà lieu en l’Arabie préislamique, où le guèze mäṣḥäf « livre » a été emprunté comme /ma/u/iṣḥaf/. Deux raisons permettent d’expliquer ce changement vocalique : il s’agit soit d’une caractéristique morphologique propre aux noms d’instruments, ou bien l’explication est phonétique et on a affaire à la labialisation de la voyelle.
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phonotactique ‒ qu’on trouvait dans l’arabe le plus ancien et qui était particulièrement vivante dans certains dialectes ‒ qui aurait entraîné la dissimilation d’un /a/ voisin à un /ā/.19 Dans nombre de cas, l’arabe andalou présente la diphtongue /ay/ là où l’arabe standard possède un /ā/, surtout dans la séquence /CāCūC/, comme dans VA >tābūt< = >taybūt< = Alcalá tébut = taibút par opposition à l’arabe standard /tābūt/ « cercueil », dans VA >maybūn< « sodomite passif » de {ʔbn}, >ǧaysūs< au lieu de l’arabe standard /ǧāsūs/, mais aussi dans VA >ḥaysūbī< « arithméticien », où on ne s’attendrait à aucune palatalisation ; ainsi que dans les exemples suivants qui présentent d’autres séquences vocaliques, tels que >ṭayḥāl< au lieu de l’arabe standard /ṭiḥāl/ « rate » et >faynīd< au lieu de l’arabe standard /fānīd/ « pâte de sucre cuite ». Il semble s’agir d’une stratégie pour éviter la séquence /CīCūC/20 provoquée par une forte imālah, phonétiquement déplaisante en arabe. Lorsqu’on ne trouve pas cette séquence, il peut s’agir tout simplement d’une ultra-correction visant à restaurer une réduction de diphtongue */ay/ > /ē/ imaginaire, provoqué par une prononciation palatalisée d’un /a/ ([fēnīd]) ou bien vélarisée d’un /i/ ([ṭẹḥāl]).21
|| 19 Voir Brockelmann 1908 I : 252‒253. Cette dissimilation pourrait expliquer les cas d’IH 160 : >kislān< « fainéant », >ʕiṭšān< « assoiffé » et >sikrān< « ivre » au lieu du schème {1a23ān}. 20 L’arabe libyen a /tābūt/ « cercueil » sur le schème {CāCūC} mais /mībūn/ « sodomite passif » de schème {CīCūC} (Pereira 2010 : 179‒180). Le renfrognement provoqué par cette séquence dans la phono-esthétique arabe est particulièrement pénible et on l’évite avec une vocalisation comme celle de VA >bābūnaǧ< = >baybūnaǧ< « camomille », dont la deuxième forme vise à éviter l’effet de l’imālah dans la première syllabe ; voir aussi >ǧālaynūs< « Galien », pour le grec Galēnós. 21 Certains de ces mots avaient des pluriels brisés de schème {1awā2i3}, avec l’insertion de /w/, courant en arabe lorsqu’un /ā/ était infixé après /a/ comme dans /ʕālimah/ pluriel /ʕawālim/ « femme savante », ce qui a généré une alternance /ay/~ /aw/ qui s’est étendue, comme un renforcement morphologique, à d’autres pluriels comme dans VA >zaytūn< ~ >zawātīn< « olives », >ṭayḥāl< ~ >ṭawāḥil< « rates », >tayfūr< ~ >taw/yāfīr< « tables rondes et basses », >ṯaylūlah< ~ >ṯawālīl< « verrues », >ḫayšūm< ~ >ḫaw/yāšīm< « cartilages du nez » ; ainsi que dans les emprunts de MT 99.2 >mayšūn< « auberge » 758 : 11 ~ >mawāšīn< à côté de 742.3 >mayāšīnṣaḥāb< « amis », dans GL >ḥazb< « hérésie » et l’omniprésent /qaṭáʕ/ « (pièces de) monnaie, argent », dans VA, IQ, Alcalá, etc., au lieu des formes en arabe standard /ṣiḥāb/, /ḥizb/ et /qiṭaʕ/.24 || pluriel sur de schème {CyāCa} a été relevé en arabe de Tripoli ; il s’agit du pluriel de /dīb/ : /dyāba/ « loups » (Pereira 2010 : 210). Curieusement, on retrouve /ṭayḥǟn/ dans le dialecte juif tunisien (Cohen 1975 : 192), confirmant ainsi l’influence arabe andalou sur ce dialecte ; influence notée dans les sources historiques et mentionnée dans le compte-rendu de l’ouvrage de Cohen (Corriente 1976b). 22 Bien que plus proche du /u/ que de /a/, ce qui a suggéré une indistinction phonologique protosémitique ou afroasiatique, pour laquelle il n’est pas difficile de trouver des arguments ; voir Brockelmann 1908 : 144. 23 En contraste avec Iznalloz (Grenade) > /ḥíṣn alláwz/ « la forteresse des amandiers », Iznájar (Cordoue) < /ḥíṣn allášar/ probablement = /allawšar/ « la forteresse des pierres plates », et Iznatoraf (Jaén) < /ḥíṣn atturáb/ « la forteresse de tapia », vraisemblablement à cause d’une différence diatopique. 24 Néanmoins, tous les cas n’auraient pas la même explication, car certains pourraient résulter d’une certaine tendance à l’harmonisation vocalique, ou encore par la loi de Philippi, très active dans les dialectes influencés par le sudarabique, qui transforme les /i/ accentués des syllabes fermées en /á/, par exemple en arabe standard /killah/ > arabe andalou /kálla/, d’où le vieux castillan alcala « ciel de lit », dans VA >ta/ibnah< « brin de paille », >takkah< « lacet du pantalon »
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1.1.2.1 Moins fréquemment, l’assimilation d’un /i/ au contact de phonèmes prochains, labiaux ou labio-vélaires produisait des allophones qui ont pu être interprétés comme des /u/, par exemple dans Alcalá buní < arabe standard /bināʔ/ « construction », dans VA >ġunā< < arabe standard /ġināʔ/ « chanson » et >ǧuwār< < arabe standard /ǧiwār/ « à côté de », >buǧūn< = Alcalá pujún « pilon » < latin piso, -onis.25
1.1.3 /u/ Le phonème /u/ était en arabe andalou une voyelle cardinale postérieure arrondie et fermée, héritée de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservée telle quelle dans la plupart des langues sémitiques.26 Il avait un allophone [ọ], plus ouvert, utilisé dans l’entourage des consonnes vélaires, vélarisées ou pharyngalisées, aussi bien que dans les syllabes fermées, identifié par les ouïes romanophones avec leur phonème /o/, par exemple les noms de lieu Aloyón (Teruel) < arabe andalou /alʕuyún/ « les fontaines » et Alcolea (Guadalajara) < arabe andalou /alquláyʕa/ « le petit château », et les emprunts castillan algodón = portugais algodão = catalan cotó < arabe andalou alquṭún < arabe standard /quṭn/ « coton », castillan albogue = portugais albog/que « flûte rustique », castillan alcoba = catalan et portugais alcova « chambre à coucher » < arabe
|| (= LA 264 et IH 254), >satt< « madame » < arabe standard /sitt/, >sa/idrah< « lotus », dans AC 260 >barkah< « étang » < arabe standard /birkah/ ; Pérez Lázaro 1990 I : 52‒53 a relevé quelques dizaines de ces cas dans IH. La transcription dans ce faisceau dialectal des /e/ romans par des /i/, comme dans Alcalá Lópiç < Lopeç « nom propre », rigína < bas latin resina « résine », etc., prouverait l’absence de phonologisation de ce /e/ en arabe andalou. 25 Mais il faut considérer dans ce dernier cas la possibilité d’une harmonisation vocalique ou de l’adoption du schème {1u2ū3}. Dans le cas du castillan et portugais aduana = catalan duana « douane » < arabe standard /dīwān/, nous serions face à la simplification intra-romane d’une triphtongue, puisque même le tardif Alcalá n’a que diguén et le marocain /dīwāna/, parfois considéré comme étant un emprunt ibéro-roman ou génois, mais où cette influence ne porte que sur l’adoption du morphème {+a} et du genre féminin. 26 Excepté le /ŭ/ de l’éthiopien qui a conflué avec /ĭ/ en /ǝ/, rappelant ainsi les dialectes arabes nord-africains où le système ternaire de l’arabe ancien s’est réduit à un système binaire où /ə/ correspond à /ǎ/, /ĭ/ et /ŭ/ de l’arabe ancien, et où /ŭ/ correspond à /ŭ/ (Vicente 2000 : 33). Ainsi, en arabe marocain, [ŭ] est normalement un allophone de /ə/, sauf dans quelques cas où il s’agit d’un phonème plein, comme dans les paires minimales suivantes : /ḥəbb/ « il a aimé » par opposition à /ḥŭbb/ « amour » et /xəḍra/ « verte » par opposition à /xŭḍra/ « légume ». La faible opposition phonologique de ces deux timbres est connue en afroasiatique (voir Diakonoff 1968 : 60, Cantineau 1041 : 193 et Brockelmann 1908 : 144 : « Schon in Ursemit. standen sich die beiden kurzen Vokale ŭ und ĭ sehr nahe … »).
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andalou /alqúbba/ < arabe standard /qubbah/ « voûte »,27 castillan alhóndiga = catalan alfòndec « auberge » < arabe andalou /alfúndaq/, catalan torc/simany « interprète » < arabe andalou /turǧumán/. Concernant les altérations irrégulières de /u/, on trouve parfois un /a/ ou un /i/ là où on s’attendrait à trouver un /u/, à cause d’une assimilation avec l’entourage consonantique, par exemple dans Alcalá âárgua « œillet » par rapport à arabe standard /ʕurwah/, ou le pluriel gimám de júmma « chevelure »,28 ou les emprunts au castillan aljibe par rapport au portugais aljube et algibe et au catalan aljup, alors que les sources de l’arabe andalou n’ont que /ǧúbb/, conséquence d’une dissimilation vocalique irrégulière et imprévisible, par exemple dans Alcalá quígua = DC 15a quéhua, qui correspond à /qíwa/ au lieu de l’arabe standard /quwwah/ « force », dans IH 106 >ṣiwar< = Alcalá çiguár « images » et quiguár « boules » = VA >ku/iwar< au lieu de l’arabe standard /ṣuwar/ et /kuwar/, >dūlah< pluriel >diwāl< « tour » et || 27 Bien que le /u/ de l’arabe standard semble avoir été plus ouvert que son homologue ibéroroman, ce qui explique sa transcription fréquente au moyen d’un /o/ dans ces langues, même dans d’autres circonstances, voir le nombre d’emprunts qui commencent par almo- en comparaison avec ceux qui débutent par almu- (Corriente 2008a : 165‒162), tel que castillan almojábana « tourte de farine et de fromage » < arabe andalou /almuǧábbana/ « mêlée avec du fromage », par rapport à almuédano « muezzin » < arabe andalou /almuwáddan/ ; la deuxième solution étant moins fréquente et plutôt confinée aux termes techniques. L’absence de phonologisation d’un /o/ en arabe andalou est notamment démontrée par les rimes des mots romans avec des termes comportant la voyelle /u/, par exemple dans IQ 87/10/3 >būnqūšah< « petit four » pluriel >qiwašġiṯāʔ< « alluvion » < arabe standard /ġuṯāʔ/. On a parfois mentionné des cas où un /a/ reflète ce qui devrait être un /u/, comme dans IH 172 >qabṭiyyah< « sorte de tunique appelée ‘copte’ », ainsi que le vieux castillan alcabtea, dans LA 152 >qarašiyyah< « appartenance à la tribu de Qurayš » ou le vieux castillan rabazuz « rob de réglisse » < arabe andalou /rúbb assús/. Il pourrait s’agir d’harmonisations vocaliques (ultra-corrections en lien avec le phénomène décrit ci-dessus) ou d’erreurs de copie. D’un autre côté, dans les emprunts au roman, il arrive souvent qu’un /u/ final devienne /a(h)/ pour des raisons d’ordre taxématique, par exemple dans VA >qunilyah< « lapin » < latin cuniculum, >ǧarrah< « quenouille de filasse » < latin cirrum, même dans les noms de lieu Astigi > /astíǧa(h)/, Iliberi > /ilbíra(h)/.29
1.1.4 Diphtongues La plupart du temps, l’arabe andalou a préservé les diphtongues /aw/ et /ay/ qui existaient en arabe ancien, héritées du proto-sémitique, et possède en plus une nouvelle diphtongue /iw/, par exemple dans VA /istiwfá/ « complétion »,30 /istiwǧáb/ « réponse », >istiwbār< « horripilation » et >istiwlā< « action de s’emparer », >iwġā< = >īġā< « suggestion », assez courante dans les dialectes occidentaux, mais absente de l’arabe standard et des dialectes orientaux.31 La
|| 29 Voir Corriente 1978d : 424‒425, note 8. Cependant, il y a des exceptions, par exemple dans Alcalá apório « aiguillade », qui ne semble pas être un emprunt tardif du castillan. 30 Il est remarquable que les formes avec la diphtongue irrégulière apparaissent dans la partie arabe-latin et non dans la partie latin-arabe, sauf >istiwǧābfaswah< « vesse » ~ >fusaywah /ō/ et /ay/ > /ē/)32, ou la vocalisation du dernier élément (/aw/ > /ū/, et /ay/ > /ī/) y est un trait conservateur, propre à l’arabe de la plus vieille couche des dialectes néoarabe,33 qui se reflète dans quelques emprunts (lorsque l’évolution phonétique romane a toléré cela), par exemple castillan aceite = portugais azeite < arabe andalou /azzáyt/ « huile », vieux castillan alhaite « parure » < arabe andalou /alḫáyṭ/, littéralement « fil », et dans les noms de lieu Albayda (Séville) < arabe andalou /albáyḍa/ « la blanche » et Algaida (Cadix) < arabe andalou /alġáyḍah/ « le fourré ». 1.1.4.1 Donc, les emprunts romans et les noms de lieu présentant la contraction de ces diphtongues sont les traces d’une évolution phonétique intra-romane, par exemple castillan aljófar = catalan aljòfar = portugais aljôfar < arabe andalou /alǧáwhar/ « petites perles », castillan azote = catalan assot < arabe andalou assáwṭ, mais portugais açoute « (coup de) fouet » (suivant sa propre règle phonétique historique, où l’évolution de la diphtongue /aw/ n’a pas dépassé /ow/34), castillan aldea « village » < arabe andalou /aḍḍáyʕa/, mais portugais aldeia (suivant sa propre règle phonétique historique parallèle, selon laquelle la diphtongue /ay/ évoluait seulement en /ey/), castillan Albu(f)era (Badajoz, Almería, Valence), etc. = portugais Albufeira < arabe andalou /albuḥáyra/ « le lac », ainsi que Alloza (Teruel) < arabe andalou /alláwza/ « l’amande ».
|| cette désinence est {+u}, tout comme à l’arabe libyen où on trouve respectivement les formes /yǝbku/, /tǝmšu/, /nžu/ et /ktǝbtu/ sans diphtongue (Pereira 2010 : 96, 102‒104, 143). 32 Comme en arabe libyen où les anciennes diphtongues /aw/ et /ay/ ont respectivement été réduites à /ō/ et à /ē/ – caractéristique des parlers de type bédouin – comme dans les exemples /ḥōš/ « maison » < /ḥawš/, /yōm/ « jour » < /yawm/, et /šōka/ « épine, arête, fourchette » < /šawka/, ainsi que /šēn/ « laid » < /šayn/, /dēl/ « queue » < /ḏayl/ et /žēb/ « poche » < /žayb/ (Pereira 2010 : 34‒35), excepté quelques cas rares où la diphtongue /aw/ est conservée (probablement sous l’influence de l’arabe standard), comme dans /dawša/ « bruit » et des participes non-agentifs de verbes assimilés tels que /mawžūd/ « situé, se trouvant », /mawlūd/ « né » et le substantif sur le même schème que ces derniers /mawḍūʕ/ « sujet, thème ». Par contre, les diphtongues ne sont pas réduites aux voyelles longues dans toutes les variétés nord-africaines. Ainsi, on trouve /ay/ et /aw/ dans quelques dialectes sédentaires marocains, comme à Anjra, Larache, Tanger et Chefchaouen : /bayt/ « maison », /ṣayf/ « été », /ḍaw/ « lumière », /yawm/ « jour » (Vicente 2000 : 34), ainsi qu’en maltais (Vanhove 1998 : 102‒102). 33 Pour des cas de préservation, voir Cantineau 1941 : 103‒105 et Fischer & Jastrow 1980 : 55‒56. 34 A l’instar de ce qu’on pourrait par ailleurs suggérer dans le cas de l’emprunt si problématique portugais alcou/ice « bordel » que Steiger 1935 : 228, note 1 voulait faire dériver de qaws « arc » (à ce sujet, voir également Corriente 2008a : 89), mais nous pencherions maintenant plutôt pour une évolution métaphorique en arabe andalou /qáfaṣ/z/ « cage », à partir d’un allomorphe */alqáfṣ/ > /*alqawṣ/ > */ALKÓWS/ > alcouce. La diffusion de l’emprunt est attestée par le castillan alcahaz « cage » et le murcien cauza « cage pour les vers à soie », avec une évolution déjà très proche de celle que nous suggérons pour le portugais.
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1.1.4.2 Néanmoins, on trouve parfois dans les sources arabe andalou des formes qui présentent la contraction voire même la vocalisation du dernier élément, par exemple dans VA >awwil šī< « la première chose », dans Alcalá alhen « la morte » < arabe standard /ḥayn/, gincén « deux bancs (dans un navire) » < néo-arabe /ǧinsayn/, dans PES 1/1/3‒4 /ilíyya/ « vers moi », /ʕiníyya/ « mes yeux », /ʕalíyya/ « sur moi », dans IQ 70/6/1 >biḫīr< « bien » < arabe standard /biḫayr/, dans VA >qayḥ< = >qīḥ< « pus », >ṣunubrah< = Alcalá çunúbra « pin » < arabe standard /ṣanawbarah/,35 dans VA >ṣumuʕah< et >ṣawmaʕah< = Alcalá çumóâ « minaret ou tour », dans VA >ḥarḍūn< = Alcalá hardón « lézard » < arabe standard /ḥirḏawn/, dans VA et dans IQ 67/12/4 et dans IH 349 >lūḥ< = Alcalá lóh < arabe standard /lawḥ/ « planche », parfois avec des hésitations, ce qui prouverait que la réduction des diphtongues, habituelle dans une grand partie du néo-arabe, n’était pas complètement absente en arabe andalou, reflétant ainsi des vieux dialectes minoritaires de quelques groupes arabophones installés en Al-Andalus, ou bien reflétant l’imitation des prestigieux parlers d’Orient par les pèlerins andalous de retour de ces régions, ou encore à cause des phénomènes de drift affectant la totalité des dialectes arabes, et parfois aussi des langues sémitiques.36 La même conclusion semble pouvoir être tirée de quelques cas d’ultra-correction, où l’arabe andalou présente des diphtongues qui n’existaient pas en arabe standard,37 par exemple dans LA 93 >lawbān< = IQ 130/7/5, en position de rime = Alcalá laubín « oliban », dans IH 264 >ḥawt< « poisson », dans VA >rawz< « ris », >ṣawf< « laine », >ṭūbā = ṭawbā li< « heureux ce qui … », >rawḥānī< = PES 203/1 = Alcalá rauháni « spirituel », par rapport l’arabe standard /lubān/, /uruzz/, /ṣūf/, /ṭūbà/ et /rūḥānī/.38
|| 35 Dans ce mot il y a aussi un phénomène de réduction du nombre de syllabes, déjà présent dans quelques dialectes arabes anciens et dans tout le néo-arabe, par exemple dans les noms de nombre de la deuxième dizaine, par exemple : /ʔarbaʕata ʕašara/ en arabe standard, mais /ṛbaʕṭāš/ « quatorze » en arabe marocain. 36 Ceci serait prouvé par des hésitations comme celles qu’on observe dans l’arabe standard /lawḥ/ = guèze läwḥ, accadien lēʔu et syriaque lawḥā, mais hébreu luaḥ et en ougaritique lḥ. 37 Mais elles existent aussi dans quelques dialectes maghrébins sédentaires, comme le maltais et celui de Larache, où on trouve /tawma/ « ail » et /ṛawz/ « riz » (Guerrero 2015 : 64). 38 Mais il faut soulever la question de l’ancienneté de ce phénomène, puisque des cas comme dans VA >ṯawm< = Alcalá ĉéum « ail », à l’instar du guèze somät ou de l’ancien castillan alaules « perles », plus proche du maltais lewluwwa que de l’arabe standard luʔluʔ(ah), suggèrent une origine sudarabique ancienne (Corriente 1989a : 95). Il y a même des cas où la réduction de la diphtongue s’est opérée en supprimant la semi-voyelle, par exemple dans IQ >kaf< < arabe standard /kayfa/ « comment » et >las< arabe standard /laysa/ « il n’y a pas ; il n’est pas » (qu’il ne faut pas toujours transcrire /kíf/ et /lis/, qui ne semblent pas être des simples erreurs des copistes, car cela ne coïncide pas avec l’arabe standard, ni avec les dialectes néo-arabes), dans IW I : 271,1 >ʕabqar< = Alcalá abcár < arabe standard /ʕaynu baqar/ « prunes », littéralement « yeux de vaches », castillan taforea = portugais taforeia = catalan tafure(y)a « ancien vaisseau au fond plat » < arabe standard /ṭayfuríyya/, adjective attributif de l’arabe standard /ṭayfūr/ « grand vase creux », dans AC 242 et
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1.1.4.3 Au sujet des diphtongues appelées secondaires, c’est-à-dire développées en néo-arabe à la suite de la chute occasionnelle en position intervocalique des semiconsonnes /w/, /y/ et de /ʔ/, on avait jadis pensé que leur traitement en arabe andalou était plus conservateur que dans le système primitif,39 ce que Steiger 1935 : 360 croyait pouvoir soutenir avec des exemples comme les emprunts castillan jeque « cheikh » < arabe standard /šayḫ/, en contraste avec alcaide « gouverneur » < arabe standard /alqāʔid/. Cependant, avec ce même argument, les cas du castillan Cid < arabe standard /sayyid/ « seigneur », du vieux catalan algueber « propriétaire absente » < arabe standard /ġāʔib/, avec le suffixe roman {+ÁYR}, castillan noria = catalan et portugais nora « puits à roue » < arabe standard /nāʕūra/, prouveraient exactement le contraire et, concernant les matériaux arabe andalou en graphie arabe, on y observe une indistinction presque systématique entre les deux types de diphtongues, par exemple dans VA >ǧāʔizah< = >ǧayzah< « poutre », >rāʔiḥah< = >rayḥah< « odeur », >ḥayṭ< « mur » < arabe standard /ḥāʔiṭ/, >maydah< « table » < arabe standard /māʔidah/, >ṭaws< « paon » < arabe standard /ṭāʔūs/, dans RC 43 >sayd< « fort », dans IQ 19/5/3 >sīd< « monsieur », 20/1/3 et partout >ǧid< « bon » < arabe standard /ǧayyid/, 131/1/2 >sayr< « partant », au lieu de /sáyir/. Il semble donc qu’il n’y a eu aucun traitement différentiel, mais plutôt des cas particuliers ont favorisé la préservation de la diphtongue (la conscience d’une certaine structure morphologique chez les locuteurs,40 comme celles du pluriel brisé ou des participes, ou le désir d’élever le registre, ou encore la simple convenance métrique), par exemple le nom de lieu Vinaixa (Lérida) < arabe andalou /(a)bin ʕáyša/ < néo-arabe /ibn ʕāʔišah/ « le fils d’Âyša. », l’emprunt vieux castillan azeipha « campagne d’été » = portugais (a)ceifa « époque de la récolte » < arabe andalou /aṣṣáyfa/ < || passim >zaǧ< « deux, une paire », soutenu par Alcalá zazcálaâ, c’est-à-dire */zazqalláʕ/ « tenaille », ainsi que l’emprunt castillan zascandil « personne qui se mêle de tout », utilisation métaphorique de l’arabe andalou *zaǧqandíl « lampe à deux becs ». Un tel phénomène rappelle les formes yéménites /bāʕ ušíräʔ/ « commerce », /ʕān/ « œil », /zān/ « bon », etc. rapportées par Goitein 1934 : xviii, au lieu de /bayʕ/, /ʕayn/ et /zayn/. Un cas similaire en égyptien, chez Blau 1988 : 163, en graphie copte, iamen < arabe standard /yawman/, est suspecté d’être une faute de copiste, mais c’est remarquable qu’Alcalá ait aussi alyém, dans AC 84 et 755, dans Hv. 99.2 >alyam< « aujourd’hui », dans AC 799 >yām< « jour » et dans DC 5a hóbzena matá culliém … eliém « notre pain de chaque jour … aujourd’hui », quoique ce cas isolé pourrait laisser croire qu’il s’agit d’une dissimilation des consonnes bilabiales ou d’une stratégie pour éviter la monophtongaison, c’est-à-dire une prononciation *yom. 39 Par contre en arabe maghrébin, il existe plusieurs types de diphtongues secondaires, car, outre que le changement de /ʔ/ en /y/ (comme dans /kāyna/ < /kāʔinah/ « il y a ») et la chute d’une voyelle brève (comme /xāwya/ < /xāwiya/ « vide »), on trouve des transformations phonétiques ou morphologiques qui forment des diphtongues secondaires très innovantes, comme au Maroc où on trouve les formes /bdāw/ « ils ont commencé », /nžīw/ « nous venons », /nqayyəm/ « je prépare » (Vicente 2000 : 35‒36, pour d’autres diphtongues secondaires dans les dialectes nord-africains, voir Marçais 1977 : 18). 40 Le morphological constraint de l’anglais ou Systemzwang des néogrammairiens allemands.
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arabe standard /aṣṣāʔifah/ ou les pluriels brisés Alcalá catáif « tapis » < arabe standard /qaṭāʔif/, geguéiç « poutres » < arabe standard /ǧawāʔiz/, malgré des exceptions occasionnelles comme dans ZJ 511 >midah< « table » et dans IQ 103/2 >ḥawāǧ< « choses », ainsi que dans Alcalá havéch et dans Hv. >ḥawÍǧ< < arabe standard /ḥawāʔiǧ/, avec un parallèle dans Alcalá maguéch = maguáich et dans DG 105 meguech « vagues ».41
1.2 Consonantisme Le faisceau dialectal arabe andalou possède, tout comme l’arabe ancien et le protosémitique,42 un système de triades consonantiques caractérisé par la présence dans chaque point d’articulation (bilabiale, labiodentale, interdentale, dentale ou alvéolaire, prépalatale, postpalatale, vélaire, pharyngale et laryngale) de trois phonèmes, corrélatifs à chacun des trois modes d’articulation sourd, sonore et ‘emphatique’ (ce qui veut dire, dans le cas de l’arabe, vélarisé). Parfois, on trouve l’addition, là où c’est physiologiquement possible, des modes d’articulation nasal, semi-conso-nantique, latéral et vibrant, avec quelques vides et restrictions, en fonction des possibilités articulatoires et d’une évolution historique, moins avancée que dans les autres langues sémitiques, à l’exception du sudarabique, mais pas de l’éthiopien, et partiellement modifié par les effets du substrat, comme il arrive dans d’autres dialectes néo-arabe.43
|| 41 Il s’agit des cas où le pluriel brisé quadri-consonantique a été appliqué d’une façon particulière à un singulier tri-consonantiques ou analysés comme tels, cf. aussi VA >ḫaymah< ~ >ḫawāʔim< « tente », selon un vieille tendance de l’arabe standard qui considère la quantité longue de n’importe quelle voyelle (ou bien l’accent en arabe andalou) comme une quatrième consonne, permettant ainsi l’application des schèmes quadri-consonantiques du pluriel brisé, par exemple /šāʕirah/ ~ /šawāʕir/, « poétesse », /ǧazīrah/ ~ /ǧazāʔir/ « île ». 42 Voir Cantineau 1941 : 15‒88 et 165‒190. 43 Par exemple, la présence des phonèmes marginaux /p/ et /č/ dans les dialectes iraquiens reflète un adstrat iranien. L’affrication d’occlusives /t/ > [ţ], /d/ > [ḑ], /b/ > [β] y /k/> [ḵ], de la même façon que les allophones affriqués [ǧ] et [č] des chuintantes correspondantes /ž/ et /š/, existant dans quelques dialectes marocains, reflètent un substrat berbère. Ainsi, on trouve ces prononciations dans les variétés arabes avec un fort substrat berbère, comme les variétés septentrionales de Jbala et Ghomara où l’influence du tarifit et du berbère ghomari a été démontrée à plusieurs reprises (Vicente 2000 : 39 et suivantes). Philippe Marçais (1977 : 8) a relevé une réalisation affriquée à appendice sifflant [t͡s] de /t/ en Libye et notamment à Tripoli, mais cette prononciation n’a pas été mentionnée par les autres auteurs ; elle ne concerne aujourd’hui, à Tripoli, que celle du phonème /ţ/ des emprunts à l’italien (Pereira 2010 : 55‒56), comme /kāţu/ « bite » ou /bīţa/ « pizza » ; en revanche, la prononciation affriquée [t͡ʃ] = /č/ existe dans l’arabe des Juifs de Tripoli (Pereira 2010 : 52, note 28 ; Yoda 2005 : 71). De plus, le /ţ/ est devenu /ṯ/ en berbère et on a assisté à la chute généralisée des voyelles brèves. Le suffixe {+k} au lieu de {+t} à la 1ère personne du singulier du perfectif dans quelques dialectes yéménites est hérité du sudarabique, etc. La conservation des substrats dans les
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Le catalogue totale de ces phonèmes comprend : les bilabiales /b/, /p/, /m/ et la semi-consonne /w/ ; la labiodentale /f/ ; les interdentales /ṯ/, /ḏ/, /ḏ./ ; les dentales ou alvéolaires /t/, /d/, /ṭ/, /n/, incluant la semi-consonne /y/, les latérales /l/ et /ḍ/, la vibrante /r/, les sifflantes /s/, /z/, /ṣ/, ainsi que la chuintante /š/ ; les prépalatales affriqués /ǧ/ et /č/ ; les vélaires /k/ et /g/ ; les uvulaires /ḫ/, /ġ/ et /q/ ; les pharyngales /ḥ/ et /ʕ/ ; et, enfin, les laryngales /h/ et /ʔ/.44
1.2.1 /b/ Cette occlusive bilabiale sonore, assez pressée pour être parfois identifiée par les ouïes romanes avec leur /p/, par exemple en catalan atzepip « raisins », en portugais acepipe « apéritif », mais en castillan acebibe « raisins » < arabe standard /zabíb/, ainsi que dans les noms de lieu Ráb/pita (Huelva et Tarragone) < arabe standard /rábiṭa/ « forteresse et couvent des Almoravides », ou Purchil (Grenade) < arabe andalou /burǧ hilál/, littéralement « tour de Hilal » ; 45 semble pourtant avoir
|| lexiques dialectaux a notamment été étudié pour l’arabe andalou dans Corriente 1997a et, pour l’égyptien, dans Behnstedt 1981, Vittmann 1991 et Corriente 2004a. Déjà, à l’époque préislamique, le substrat sudarabique affectait les parlers nord-arabiques des contrées les plus méridionales ; en outre, les dialectes des arabes établis en Iraq et en Grande Syrie reflétaient le substrat araméen, caractéristique de ce que les autres Arabes appelaient l‘arabe des nabatéens’. 44 L’évolution historique de ces phonèmes à partir du schème afro-asiatique (Diakonoff 1963 : 34), en proto-sémitique, et plus tard en arabe ancien, a introduit des modifications dans le système des triades primitif (Cantineau 1941 : 16 et 294), qui atteignait par exemple jadis le point d’articulation vélaire. Mais cette dernière triade a été perdue lorsque le mode d’articulation glottalisé, ayant été remplacé par la vélarisation, la pharyngalisation ou le /q/ a acquis une articulation plus profonde, uvulaire. Ici et plus en arrière, les organes de phonation ne permettent plus que des paires de spirantes sonores et sourdes ; dans le larynx, ils ne permettent que des sourdes, des occlusives et des spirantes. Par ailleurs, l’insertion en arabe andalou des nouveaux phonèmes marginaux /p/ et /č/, probablement simultanée avec la perte des dernières traces de latéralisation, s’est faite dans la position ‘emphatique’ vide des triades labiale et latérale, celle-ci étant devenue chuintante à côté de /ǧ/, alors que /g/ a retrouvé sa place avec /k/. 45 Mais il faut se méfier de plusieurs cas de transcription sourde du /b/ en position finale ou géminée, par exemple en castillan arrope = catalan arrop, mais portugais arrobe < arabe standard /rubb/ « rob », le nom de lieu Benigálip (Alicante) < arabe andalou /bani ġálib/ « les fils de Ghalip », Adorop (Valence) < arabe andalou /addurúb/ « les sentiers », puisque l’assourdissement des occlusives finales est dans ces cas un phénomène intra-roman Néanmoins, dans d’autres positions, il semble s’être propagé comme un trait suprasegmental du faisceau dialectal arabe andalou, par exemple dans Alcalá nachapát, = /načappáṭ/ « je m’accroche » < arabe standard /natašabbaṯ/ ou chupáḳa « son qui se fait avec la bouche remplie de vent ; bulle », vraisemblablement un hybride de l’arabe standard /nuffāḫah/ avec des dérivés du latin sufflare « souffler », qu’on trouve reflété en marocain dans la racine {tbḫ}, /čəbbō/āḫa/ « ampoule, pustule » (Prémare DAF 2 : 24). Bien qu’il ne soit pas certain que /p/ et /č/ aient été réalisés comme de véritables consonnes emphatiques, c’està-dire vélarisées, ils partageaient le trait de pressés qui pouvait aussi se propager à distance.
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eu un allophone [β], dont l’origine pourrait être berbère zénète, roman ou même arabe ancien.46 Même s’il faut se méfier des transcriptions romanes, il reste bien de cas clairs en graphie arabe, par exemple dans IQ 85/4/2 >qasfūrākarab/fs< « céleri », dans HB 363 >fišb< et >fb/faysārah< « mets de fèves cuites », ou encore en graphie latine, mais témoignant cette évolution sans aucune doute, comme dans EY 87 taphki « elle pleure », soutenu par DC 6v mofquiín « ceux qui pleurent », de {bky}49, 17b felé thamén « sans prix » < arabe standard /bilā ṯaman/. Car, bien entendu, l’affaiblissement de la consonne bilabiale a continué dans quelques cas, jusqu’à atteindre le /w/, surtout à la fin des mots ou des syllabes, par exemple dans VA >lawwah< arabe standard /labuʔah/ « lionne », dans AC 468 >qawāqib< = Alcalá cáucab pluriel caguáqib « sabot(s) » < au lieu de l’arabe standard /qabqāb/ pluriel /qabāqīb/, soutenu par VA >qawāqibī< « sabotier », etc. Parfois cela atteigne jusqu’á la disparition totale du phonème, témoignée par de cas comme dans VA >a(b)wāb< < arabe standard /abwāb/ « portes », >qu(b)ṭal< « coudée » < latin cubitalis, dans IQ 90/6/1 >ṣāḥī saw< < arabe standard /ṣāḥibu sawʔ/ « homme méchant, démon », et de nombreux emprunts romans et noms de lieu où la transcription l’ignore, par exemple en castillan zalmedina = catalan salmedina < arabe andalou /ṣáḥb almadína/ « préfet de ville », en galicien amboa
|| 46 Les dizaines de cas mentionnés dans Corriente 1969a : 158‒160 où le même mot apparaît en arabe ancien avec /b/ et /f/ ou /w/ semblent prouver qu’il y avait déjà des réalisations spirantisées du /b/, comme d’autres occlusives labiales, alvéolaires et vélaires (/g/, /d/, /k/, /p/ et /t/) dans la totalité du sémitique, et non, comme Brockelmann 1908 I : 204‒5 le croyait, seulement en hébreu et en araméen, ou exceptionnellement dans l’éthiopien moderne, quoique cette tendance se soit arrêtée et renversée dans les autres langues sémitiques à un certain stade de leur évolution. Tel que cela a été signalé ci-dessus, les cas d’affrication et de spirantisation trouvés au nord du Maroc sont considérés comme étant une influence du substrat berbère. 47 Le manuscrit connaît en effet un *>kasqūrā< fautif, ce qui confirme qu’il s’agissait d’un /f/ et pas de la déformation d’un /b/, très fréquente dans la graphie arabe occidentale, avec un résultat qui, ajouté à l’assimilation en surdité de /z/ en /f/, a dérouté le copiste oriental, qui n’a pas su retrouver la graphie classique. 48 Cf. la conjonction du marocain et du tripolitain /bāš/ « pour que » et le maltais biex < arabe standard < /bi+ayyi šayʔ/. 49 En vérité, mofquiín fi dé al hued addomóâ ne correspond pas avec l’original castillan llorando en este valle de lágrimas ou en latin flentes in hac lacrimarum valle, qui auraient demandé *bequiín (ou dans la version de cette prière dans Alcalá, l’arabe classique bequína), mais avec l’arabe andalou /mubqiyín/ « abandonnés », conséquence d’une confusion phonétique et sémantique, facile dans ce contexte pour quelqu’un qui ne distinguait pas bien /q/ et /k/, mais ici nous sommes encore en face d’un /b/ devenu /f/. La transcription systématique du /b/ arabe andalou par >u< ou >v< dans DC est remarquable, si l’on considère que la réalisation /v/ est propres aux parlers romans de la région de Valence jusqu’à aujourd’hui.
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« cruche » < arabe andalou /anbúb(a)/ < arabe standard /unbūbah/ « tuyeau », ou l’a remplacé par un phonème plus habituel dans les positions finales en langue romane, par exemple Zocodover (Tolède) < arabe andalou /súq addawább/ « marché aux bêtes », Calatayud (Saragosse), < arabe andalou /qaláʕat ayyúb/ « le château d’Ayyūb »,50 Almuñécar (Grenade) < arabe andalou /almunákkab/ « le (port) à l’écart ».51 1.2.1.1 Comme d’habitude, la conscience collective de l’infra-correction de la spirantisation de /b/ n’a pas manqué de provoquer quelques cas d’ultra-corrections, par exemple dans VA >burǧah< « petite fenêtre », dans LA 263 >tarabbuq< « bienveillance », au lieu de l’arabe standard /furǧah/ et /taraffuq/, dans Alcalá rutfál « filet à cheveux », ou encore dans VA >tāwīl< = Alcalá tavíl « assaisonnement, outils », haplologie de l’arabe standard /tawābil/ « condiments », dans GL >rutuwāl< « filet à les cheveux »,52 ce qui semble se répéter dans les emprunts au vieux castillan azoraba < arabe andalou /azzu/iráfa/, mais en castillan moderne jirafa = portugais et en catalan girafa « girafe ». Aussi, comme réactions à l’affaiblissement extrême qui avait produit des /w/, on trouve les ultra-corrections du castillan albacea = portugais albaceia < arabe andalou /(ṣáḥb) alwaṣíyya/ « exécuteur testamentaire », castillan albórbola « cri de joie ou affliction poussé par les femmes » < arabe andalou /alwálwala/, et noms de lieu comme Jaraba (Saragosse), face à Jaragu (Cuenca), du nom de la fraction berbère de Ǧarāwah.53
|| 50 C’est-à-dire Ayyūb b. Ḥabīb Allaḫmī, restaurateur de cette forteresse, successeur pour une court période du wālī ʕAbdulʕazīz, fils assassiné du conquéreur Mūsà b. Nuṣayr, (voir J. Bosch, entrée « Ḳalʕat Ayyūb », dans EI2 IV, 498‒9). 51 Voir quelques explications de l’étymologie de ce nom de lieu chez Chavarría & Martínez Enamorado 2009 : 99‒105. Mais on ne peut pas tirer de conclusions pour l’arabe andalou de cas comme les noms de lieu Olocau (Valence) < arabe andalou /alʕuqáb/ « l’aigle », Calatorao (Saragosse) < arabe andalou qaláʕat turáb « forteresse de tapia », Rota (Cadix) < /rábiṭa/ « caserne », Talará (Grenade) < arabe andalou /ḥárat alʕaráb/ « quartier des arabes », etc., où la vocalisation ou même la disparition du /b/ semblent déjà avoir eu lieu en roman. 52 Ce mot ne peut pas dériver directement du latin retiolum, selon SK 33, mais du diminutifs intraroman du résultat roman andalou de rete : autrement, le résultat de /TY/ aurait été /C/ = arabe andalou /s/. 53 Nous avons évité d’autres exemples souvent mentionnés, mais qui risquent d’être des erreurs de copie, à cause de la similitude graphique en arabe entre >b< et >fburǧahbn< ; voir aussi Behnstedt 2008 : 104 avec des témoignages dans les dialectes yéménites modernes.
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1.2.1.2 Un autre phénomène, caractéristique universelle des phonèmes notamment, mais pas nécessairement, en position finale ou pausale, est l’affaiblissement articulatoire qui, dans le cas du /b/, quand l’air impulsé à travers le larynx trouve une deuxième sortie par la cavité nasale, produit un /m/. Ceci est témoigné en arabe andalou par différentes graphies arabe, comme dans VA >qinnab/m< « chanvre », >mulawlab/m< « ronde », dans AC 1621 >dawlām< = Alcalá dévlem « roue hydraulique », nimachéq ~ machéqt « repousser » < roman andalou /BAŚT+ÁK/ < latin bastum « bâton » (avec un suffixe péjoratif, comme en castillan vástago « rejeton »), et dans des mots dont la véritable étymologie comporte ce changement, par exemple arabe andalou /silhám(a)/ « espèce de tunique» > arabe standard /salhab/ « long »,54 ainsi que par les transcriptions du roman n’admettant pas une autre explication, par exemple castillan alazán = catalan alatzà = portugais alazão « (cheval) alezan » < arabe standard /alʔaṣhab/,55 castillan jabalón « jambe de force » < arabe standard /ǧamalūn/, castillan matalahúg/va = catalan matafaluga, mais aussi batafalua, comme le portugais batafaluga < arabe andalou /ḥábbat ḥalúwwa/ « anis », littéralement « grain doux », et castillan amapola mais aussi ababol et portugais papoula « coquelicot » < arabe andalou /ḥappapáwr/, encore préservé dans le marocain /ḥpaybōṛ/ et /ḥbībbōṛ/ (Prémare DAF 3 : 15), un hybride de l’arabe standard /ḥabbah/ « grain », inséré dans latin papaver à travers une étymologie populaire, au moins pour la première moitié du mot étranger. 1.2.1.3 Dozy & Engelmann se sont trompés grossièrement attribuant à l’arabe andalou l’épenthèse typiquement romane de /b/ dans les groupes consonantiques /ml/ et /mr/, à cause de graphies romanes, comme celles d’Alcalá mumblí « plein » = arabe andalou /mumlí/, ambláh « meilleur » = arabe andalou /amláḥ/, etc., dont il n’y a pas de traces dans la documentation en graphie arabe. Bien au contraire, on y || 54 A l’origine de quelques vieux emprunts romans, comme castillan zurame = catalan suram = portugais çurame, que Dozy a connu (voir DS I : 679), bien qu’il ait proposé une fausse origine berbère, comme dans d’autres cas où le vrai étymon arabe ou autre était camouflé, comme le nordafricain /žǝnwi/ « couteau » (I : 225), l’exemple dans Alcalá >asdq/íq axú xu< = arabe andalou /aṣdáq áššu áš hu/ « devine qu’est-ce que ceci » (I:26), et le cas de >zanbūǧ< « olivier sauvage » (I : 605), etc., dont les explications sont données dans Corriente 1997a : 106, 304 et 234. À propos de l’étymologie de /žǝnwi/, il s’agit de l’adjectif qui signifie « génois » car les bons couteaux étaient importés de Gênes, tout comme les bons draps l’avaient été auparavant d’Amalfi, près de Naples ; ainsi VA >malf< = marocain /mǝlf/, un type de tissu en laine, avec la variante /mlīfa/ « flanelle, drap de cotton de qualité inférieure » (Prémare DAF 11 : 247). 55 Les règles phono-tactiques du castillan, ne permettant pas un /m/ en position finale, expliquent son remplacement dans les emprunts par /n/, comme alacrán « scorpion » < arabe andalou /alʕaqráb/, ou almotacén « inspecteur des marchés » < arabe andalou /almuḥtasáb/, ce qui prouve que le portugais et le catalan, où une telle règle n’existe pas, ont emprunté le castillan alazán, et pas directement le mot arabe. Ceci ne peut guère surprendre dans les langues romanes de la Péninsule Ibérique et le basque, puisque elles constituent un Sprachbund, où les influences lexicales et parfois grammaticales sont très fréquentes et profondes dans toutes les directions.
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trouve des cas où la transcription arabe d’un de ces groupes a omis le /b/, par exemple UT nº 376 >umriyyah< « thym de Virginie » < roman andalou /UMBRÍYA/,56 même dans l’iranisme /nīmbirišt/ « œuf à la coque », littéralement dans le néopersan nim berešt « à démi-cuit », qu’on aurait voulu prononcer */nimbrišt/ et est devenu >nīmarašt< dans Ibn Buqlāriš, selon DS II 743, reflété aussi dans VA.
1.2.2 /p/ Après les moments initiaux de la collision entre les systèmes phonologiques arabe et roman, pendant lesquels, comme ailleurs, on a transcrit le /p/ hispanique par /b/,57 le haut rendement fonctionnel de leur opposition dans les fréquents emprunts faits aux dialectes de ce substrat ont déterminé l’adoption du /p/ en arabe andalou au titre de phonème marginal, comme le prouvent quelques paires minimales, par exemple le déjà mentionné /qibáb/ « capes », par rapport à /qipáp/ « chapelles », et /barġa/ «cabane », par rapport à /párġa/ « espadrille ». On trouve en plus quelques emprunts romans à l’arabe andalou reflétant d’autres substrats linguistiques et préservant néanmoins un vieux /p/, ce qui n’aurait pas été possible si l’arabe andalou n’avait pas connu ce phonème, par exemple castillan et portugais alcaparra « câpres », à travers l’arabe andalou /alqapárra/, du latin capparis > grec kápparis, castillan alpatana « outil » < arabe andalou /alpaṭána/ » < grec patánē « plat », ou castillan alpechín = portugais alpechim « liquide fétide que découle des olives amoncelées », < arabe andalou */alpičín/ < roman andalou */PEČ+ÍN/ < latin pice(m) « poix », avec un suffixe adjectival.
|| 56 Dont l’étymologie n’est pas douteuse, puisqu’elle est expliquée comme /aḏ . ḏ.illiyyah/ « l’ombragée ». 57 Concernant les transcriptions de ce phonème avec un /f/, cela a lieu seulement dans la littérature chrétienne en arabe, par exemple CCE 188 >ftrš< = Petrus, >fwlwš< = Paulus, >ffirmāṭ< « primat », >ffaṭīnah< ou >baṭīnah< « patène » (déjà hésitant), etc., ce qui suggère une influence seulement orthographique des ouvrages orientaux qui ont circulé en Al-Andalus à cause des relations assez fréquentes entre les églises et les pèlerinages en Terre Sainte. Quant aux cas comme arabe andalou /fullús/ < latin pullus « poulet », dans VA >iskirfāǧ< « râteau » < latin scalpellum (avec une assez courante substitution de suffixe, selon Corriente 1992 : 127), ils semblent avoir tous une origine antérieure et extra-hispanique. Même dans le cas de GL 17 >furrīn< « alopécie », le /f/ s’explique par une contamination du latin porrigin(em) avec VA >furfulyah< latin furfures « pellicules de la tête ». Le cas des asperges est très révélateur, parce qu’on sait par les sources historiques, surtout Almuqtabis II-1 d’Ibn Ḥayyān (Makki & Corriente 2001 : 204), qu’on ne les mangeait pas en Al-Andalus jusqu’à ce que le célèbre musicien iraquien et homme à la mode, Ziryāb, qui connaissait bien la cuisine persane, introduit cet innovation culinaire : son nom le plus répandu à travers le roman andalou est /isparánǧ/, comme dans VA >isbaranǧ(ah)< = Alcalá izparánj(a), du latin, mais aussi >i/asfarā(n)ǧ< dans les ouvrages des botanistes, qui transcrivaient le grec.
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Cette situation est confirmée par quelques mots de l’arabe andalou dans Alcalá avec un /p/, préservé de ses origines romanes, par exemple apríl « avril » < latin aprilis, et apório « aiguillon » < bas latin *aporrigium, et Alcalá párçana = VA >barsanah< « accusation » < latin perditio, -onis, littérale-ment « ruine ».58 Il suffit de jeter un coup d’œil sur la charte de la Péninsule Ibérique pour constater qu’il y a des noms de lieu, surtout les grandes cités connus par les envahisseurs de prime abord, comme castillan Sevilla « Séville » < arabe andalou /išbílya/ < latin Hispalis, portugais et castillan Lisboa « Lisbonne » < arabe andalou >lišbūnah< latin Olisipo, où le /p/ a été remplacé par /b/, alors que d’autres, toujours des noms de villes moins importantes, comme Purchenéo (Almería), en arabe andalou >buršānahbāġuh< et Paterna (Almería), >bṭrnh< ont pu le préserver tout au long de la domination islamique.59 1.2.2.1 L’incorporation de ce nouveau phonème, qui était sans doute pressé par rapport à /b/, son homologue sonore, semble s’être produit dans l’espace vide d’une virtuelle triade labiale pour une consonne « emphatique » : /f/ - /b/ - Ø ; en fait, et même si on ne peut pas affirmer qu’il fût vélarisé,60 il semble empêcher l’imālah la plupart du temps, par exemple dans Alcalá lapát pluriel lapápit « abbé » < roman andalou */EL AB(B)ÁT/, et rapáç pluriel rapápiç « garçon » < roman andalou /RAPÁC/, et peut s’être produit à la suite de l’assimilation à distance avec des phonèmes clairement vélarisés, comme dans Alcalá happát « il baissa » < arabe standard {hbṭ}, et peut-être les emprunts castillan pato « canard » < arabe standard /baṭṭ/, et patache = portugais patacho = catalan patatxo « navire léger », qui semble
|| 58 Il n’est pas surprenant que l’arabe andalou ait adopté un certain nombre de termes techniques juridiques latins, tel que dans IQ 7/15/1 >ḍayṭur< « débiteur », 76/2/1 >binyah< « permission », 12/6/3 >quǧdūr< « plainte » et VA >bantanah< « menacer », du latin debitor, venia, quaestor et punitio, -onis « punition », en considérant l’impact du droit roman qui a atteint, hors d’Europe, le Moyen Orient et le Nord de l’Afrique. 59 Ce qui est confirmé, bien plus au Nord, par l’explication d’Ibn Alʔabbār au sujet de Pollensa (Mallorca), qu’on devait prononcer ‘avec le >b< des ʕaǧam’, c’est-à-dire le /p/. À d’autres moments, cette articulation est décrite comme ‘tafḫīm du >ffāfunfn< surmonté. D’un autre côté, il y a aussi des cas où la gémination d’un phonème altère son articulation, par exemple /šš/ > /č/ dans Alcalá nachappát « grimper » < {šbṯ}, et /ḏḏ/ > /ṯ/, dans yireĉéĉ « bruiner » < {rḏḏ}, peut-être ici parce que la gémination exigeait une pression peu compatible avec la sonorité.
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refléter le néo-arabe /baṭṭāš/ « agile ». Néanmoins, il y a eu des hésitations, comme dans Alcalá párchele = bérchele « mansarde » < roman andalou /BÁRČENA/, et le tardif cabarçón « couverture de la selle » > castillan caparazón,61 aussi bien que des exceptions à l’inhibition de l’imālah, par exemple dans Alcalá cappót pluriel capípit « pardessus » et cappúç pluriel capípiç « chaperon », nous rappelant qu’il s’agissait d’un phonème marginal qui n’existait pas ou n’avait pas le même traitement dans tous les sous-dialectes, registres et époques.62
1.2.3 /m/ La consonne bilabiale nasale de l’arabe andalou, héritée de l’arabe ancien et du proto-sémitique, et préservée telle quelle dans toutes les langues sémitiques, se reflète normalement avec son graphème habituel en graphie arabe et avec >m< dans les transcriptions romanes des emprunts et des noms de lieu, à l’exception en castillan des positions finales, où il est remplacé par /n/, par une restriction phonotactique, si on n’ajoute pas une voyelle paragogique, ce qui arrive souvent, comme dans le castillan (al)mojama = catalan moixama = portugais moxama « thon sec » < arabe andalou /mušammáʕ/, Almadén (Ciudad Real) < arabe andalou /almaʕdán/, littéralement « la mine », les vieux mots castillan moçlemo « musulman » < arabe andalou /muslím/ et alfareme « robe » < arabe andalou /alḥarám/ < arabe andalou /ḥirām/, mais castillan gañán = portugais alganame ou ganhão «berger» < arabe andalou /ġannám/, castillan (et portugais, comme emprunt du castillan dans le cas de la deuxième variante) marrano « converse de juif » < arabe andalou /muḥarrám/ « anathématisé »,63 aragonais zabalachén « magistrat » < arabe andalou /ṣáḥb
|| 61 C’est une situation connue dans d’autres dialectes du néo-arabe, où tous les idiolectes ne possèdent pas le /p/ et le remplacent par un /b/, souvent emphatisé, tout comme les anglicismes chez nous, que chacun prononce du mieux qu’il le peut. En arabe marocain, les emprunts plus anciens aux langues européennes contenant un /p/ dans la langue d’origine sont prononcés avec /b/, comme /bōlīs/ « police », /ḅomḅa/ « pompe », /lamḅa/ « lampe » (Caubet 1993 I : 7), mais les emprunts plus récents maintiennent le phonème /p/ : /peṛmis/ « permis », /diplom/ « diplôme », etc. C’est le cas en arabe libyen, qui ne possède pas de /p/ et où on trouve une réalisation [b] dans un nombre limité d’emprunts (Pereira 2010 : 40‒41). La réalisation [b] peut provenir d’un /p/ du turc (/kubri/ < turc köprü « pont »), de l’italien (/sībya/ < italien seppia « seiche ») ou de l’anglais (/būfta/ < anglais poofter « homosexuel »). 62 Un cas très curieux est celui d’Alcalá zubb pluriel zuppít « verge (du taureau) », avec le morphème du pluriel régulier féminin et avec une imālah forte, face aux formes de pluriel plus normales dans les autres sources et même chez lui d’une façon générale. S’agirait-il d’un euphémisme ? Le mot a pénétré le castillan comme zupo qui, n’étant pas très répandu, est moins tabou que son synonyme étymologiquement proche, le malsonnant cipote. 63 Aussi « cochon(net) » en castillan = portugais marrão, puisque sa viande était interdite aux Juifs et aux Musulmans, sans qu’il n’y ait eu aucune intention de les insulter, à la différence d’autres cas
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alaḥkám/, littéralement « celui qui donne les sentences », Alfamén (Saragosse) < arabe andalou /(búrǧ) alḥamám/ « colombier », Lecrín (Grenade), arabe andalou /aliqlím/, littéralement « la région ». Ce n’est pas le cas du portugais, par exemple almocadém « capitaine », en face du castillan almocadén, < arabe andalou /almuqaddám/, ou du catalan, par exemple alfaquim < arabe andalou /(al)ḥakím/ « médecin ». Pourtant, il y de rares cas en arabe andalou où cette restriction semble même avoir affecté quelques mots natifs à travers le substrat, par exemple dans VA >ibzīn< pluriel >abzinah< et >abāzin< « boucle » < arabe standard /ibzīm/, dans ZJ 2031 >ḥaǧǧūn< = Alcalá hachún « vulve », reflétant une formation hypocoristique */ḥaššūm/ de {ḥšm},64 et dans Alcalá cotána pluriel cotán « lanier » < arabe standard /qaṭām/.65 Dans d’autres très rares cas, surtout des noms de lieu, un /m/ final a disparu dans la transcription romane, par exemple Medinaceli (Soria) < arabe andalou /madínat sálim/ « la ville de Sālim »,66 Benaque (Málaga) < arabe andalou /(a)ban ḥákim/ et Benamocarra (Málaga) < arabe andalou /(a)ban mukárram/, ce qu’il faut attribuer à sa faiblesse articulatoire intra-romane dans cette position.67 || des jeux de mots offensifs étudiés dans Corriente (2008a), s.v. mezquita et chiquero, auxquels on peut ajouter miramamolín. 64 Il s’agit d’un calque sémantique des descendants romans du latin verecundia « pudeur », qui avaient acquis la signification métaphorique des parties sexuelles (voir en castillan vergüenzas, catalan vergonyas et portugais vergonhas), tout comme l’arabe standard ḥayāʔ « pudeur ; vulve », une métonymie sans trace en arabe andalou, mais ne devant pas être exclue de considération comme possible catalyseur du phénomène. 65 Mais il ne faut pas oublier que l’arabe ancien avait parfois remplacé le /m/ persan en position finale par /n/, par exemple dans le morphème de l’indétermination (‘mimation’ devenue ‘nunation’) et dans les morphèmes du pluriel régulier masculin, ce qui avait aussi eu lieu parfois dans d’autres langues sémitiques, comme l’araméen. Une substitution dissimilatoire par /b/, comme dans VA >barham< « onguent », au lieu de l’arabe standard marham est assez exceptionnelle en arabe andalou, mais pas si rare dans les emprunts, par exemple le castillan abismal « clou à la pointe d’une lance » < arabe andalou /almismár/, ainsi que le cas contraire, par exemple le castillan alb/móndiga, le portugais alb/môndega, mais en catalan seulement mandonguilla. Dans ce dernier cas, la fréquence des préfixes {mv+} dans les mots arabes a favorisé les ultra-corrections dans les emprunts, aussi dans le cas du /p/, par exemple le castillan amapola = ababol (ce dernier également en catalan) « coquelicot » < arabe andalou /ḥappapáwra/, et alpatana = almádena = catalan almaina « maillet » = < arabe andalou /alpaṭána/. 66 Ce Sālim était un berbère de la tribu Maṣmūdah, qui aurait restauré une forteresse en ruines, selon Yāqūt ; voir dans EI2 V (1986) 1004. 67 Pocklington 1986 avait suggéré que la chute des consonnes finales dans les dialectes andalous du castillan de nos jours reflèterait la situation dans la phase finale de l’arabe andalou, ce qui n’est pas soutenu avec des exemples consistants dans les documents écrits en graphie arabe, comme ceux grenadins postérieurs à la chute de Grenade, ou ceux des Morisques valenciens. D’un autre côté, l’affaiblissement et la chute des consonnes finales est un phénomène assez commun dans autres langues néolatines, ibéro-romanes, comme le catalan, ou non, comme le français, n’étant qu’une conséquence naturelle de l’inhibition articulatoire qui précède la pause, tout comme le waqf dans l’arabe ancien. Cet inhibition pouvait aussi avoir de conséquences ultra-correctes, comme l’addition du /l/ dans VA >aṯāfil< « trépied » et dans ZJ 68 >taktafil< « tu as assez », au lieu de /aṯāfī/
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1.2.4 /w/ La semi-consonne bilabiale de l’arabe andalou, héritée de l’arabe ancien et du proto-sémitique, et préservée telle quelle dans la plupart des langues sémitiques, se reflète dans les transcriptions romanes des emprunts et noms de lieu avec les graphies >(h)u< ou >guizāra(t)< « vizirat », ou dans IQ 31/8/4 >ūǧǧ< « face » < arabe standard /waǧh/, 130/5/3 >ʔizārah< « vizirat » < arabe standard /wizārah/, mais il est surtout affecté par un trait caractéristique du sud-arabique, à savoir une certaine labilité ou tendance à permuter spontanément avec /y/,69 par exemple dans VA >faw/yḥah< « odeur »,70 dans GL >hawba< « gravité », etc., sans que leurs racines {fwḥ}, {ǧwʕ} et {hyb} ne présentent un conditionnement qui aurait pu entraîner ces altérations. On ne trouve pas dans l’arabe andalou et en graphie arabe des cas ultra-corrects où le || et /taktafī/ en arabe standard, ou de /ʕ/ dans Alcalá zonbóâ, d’où le castillan azamboa < arabe andalou */istanbúd/ (Corriente 2008a : 50, s.v. alambor). 68 Mais algarismo en portugais, à cause de la chute en ibéro-roman occidental du /w/ placé entre une consonne et une voyelle, laquelle est aussi caractéristique du roman andalou et parfois du castillan (Corriente 2008c : 113 et note 43). Aucune relation n’est possible avec le même phonème dans le groupe /ḫw/ du néo-persan, puisque cet emprunt est très antérieur aux contacts directs entre le Portugal et la Perse à partir du 16ème siècle. 69 Voir Corriente 1989 a : 97. Dans beaucoup de cas, cependant, il peut s’agir de la propagation paradigmatique des formes où le changement de la semi-consonne résulte des règles phonotactiques, comme dans les verbes concaves égyptien /nayyim/ « coucher » et marocain /qǝyyǝm/ = arabe andalou /qayyám/ « lever », héritiers des imperfectifs en arabe standard /yunīm/ et /yuqīm/, bien que parfois les deux formes coexistent avec une différenciation lexicale, par exemple l’égyptien /nawwim/ « anesthésier » et l’arabe andalou /qawwám/ « redresser ». En arabe marocain, il y a une différence sémantique entre les formes /qəyyəm/ et /qəwwəm/, les deux avec les sens de « faire lever, faire se lever », mais la première au sens propre et la deuxièmes au sens figuré (Prémare DAF 10 : 462‒463). L’explication antérieure est applicable aussi à l’arabe andalou, par exemple dans Alcalá nidáy dayéit, c’est-à-dire /niḍayyí/ et /ḍayyáyt/ « illuminer », dérivé de /ḍiyá/ « lumière » et pas directement de la racine {ḍwʔ}, ou dans VA >nusūs< = >nisīs< ~ >sust< « gérer », d’une racine {sws}, mais influencé par un très commun >siyāsah< « gestion », ou encore >ǧayʕān< « affamé », peut-être dérivé du pluriel /ǧiyáʕ/ et non directement de la racine {ǧwʕ}. 70 Si ce n’est pas une contraction néo-arabe de /fāʔiḥah/, comme en arabe andalou /ʕáyla/ « famille » < /ʕāʔilah/, aussi fréquente dans les dialectes nord-africains et orientaux, en marocain ʕīša (nom propre féminin), en égyptien /ʕēla/, en syrien /ʕayle/, en libyen /ḥēṭ/ « mur » < /ḥāʔiṭ/ (Pereira 2010 : 161‒162), etc. Il est remarquable qu’on utilise, au nord du Maroc, la forme /ʕāʔilah/ « famille » pour la distinguer de /ʕāyla/ « fille », terme caractéristique de la région.
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/w/ était devenu /b/, mais ce phénomène intra-roman concerne quelques emprunts romans et quelques noms de lieu avec >b< ou >vfhnuṣṣ< « moitié » < arabe standard /nu/iṣf/, cela n’arrive pas dans d’autres cas, comme dans la marque réflexive /annáss+/, suivie des suffixes pronominaux, par exemple dans Alcalá enéçu « lui-même », enéci = IQ 20/5/3 >annassī< « moimême », 32/4/2 >annassak< « toi-même », etc., ou comme dans Alcalá icél = AC 1190 >issal< « en bas » < arabe standard /asfal/.74 Sa chute, surtout en position finale || 71 Aussi algoleja, avec une hésitation entre /b/ et /g/ caractéristique du castillan vulgaire. On ne peut pas exclure ici une étymologie populaire basée sur le castillan árbol « arbre ». 72 Allophone fréquent de /p/ dans le proto-sémitique et certaines de ses branches, et même dans l’ensemble de l’afro-asiatique, où la distinction phonologique des labiales et labiodentales a été rare (Diakonoff 1963 : 35). 73 Avec la substitution de >f< par >h< (qui deviendrait >Ø */bnafs+/ > */mnafs/ > */vnnvfs/ est également attestée dans le maltais innifs+, mais seulement dans la première partie du nouveau mot composé. Le /f/ n’était pas très stable en roman car, étant caractéristique du castillan, conséquence de son substrat basque, il était souvent remplacé par un /h/ qui est devenu muet par la suite, sauf dans les dialectes méridionaux du castillan : cela ne permet pas de confirmer si dans les emprunts du
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dans les emprunts et les noms de lieu romans d’origine arabe est un phénomène intra-roman, par exemple en castillan tarahe = taray « tamarisk » < arabe andalou /ṭaráfa/, Almansa (Albacete) < arabe andalou /almánṣaf/ « la moitié de la distance », Alamín = Alaminos (Guadalajara) < arabe andalou /alfahmiyín/, nisbah du nom propre Fahm.
1.2.6 /ṯ/ Le phonème interdental spirant sourd de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien où il reflète le membre sourd de la triade des ‘apicales à pointe basse’ du protosémitique,75 qui avait aussi cet équivalent dans quelques langues sémitiques, était généralement préservé en arabe andalou, ce qui constitue un trait conservateur, partagé seulement par les dialectes de souche ancienne et la plupart de dialectes bédouins. Il est transcrit en graphie arabe par le graphème habituel mais, dans le cas des emprunts, noms de lieu et, en général, des transcriptions en graphie latine, à cause de l’absence totale de phonèmes interdentaux dans l’ibéro-roman à l’époque, on a utilisé le digraphe >th< déjà commun en latin pour la thḗta du grec, ou bien on a donner un double usage à >cçtz< et très rarement >st< qu’on trouve dans la plupart des emprunts et des noms de lieu et de personnes, par exemple le castillan ataharre « croupière » < arabe andalou /aṯṯafár/, le castillan atifle = catalan atifell « trépied pour une marmite » < arabe andalou /atífil/ < arabe standard /aṯāfī/, le castillan et le portugais tagarino = catalan tagarí
|| castillan alazor = portugais alaçor « safran bâtard » < arabe andalou /ʕaṣfúr/ et du castillan zaquizamí « baraque » < arabe andalou /sáqf fi samÍ/, dans Alcalá çaqf fi cemí, littéralement « un toit face au ciel », la perte de ce phonème s’étant déjà produite dans le roman (comme certainement dans le castillan et dans le portugais matula « mèche » < arabe andalou /maftúla/, littéralement « tressée », dans le castillan zanahoria = portugais cenoura < arabe andalou /isfannárya/ « carotte ») ou dans une prononciation rapide et négligée des natifs de l’arabe andalou. On attribue traditionnellement la faiblesse du /f/ dans la Péninsule Ibérique, surtout dans certaines positions et régions, au substrat ibéro-basque. 75 Voir Cantineau 1941 : 281.
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« musulman des marches » < arabe andalou /ṯaġarí/,76 et d’autres noms propres, et dans EY 24 Otman, Cultum et Alhaytam < arabe andalou < /ʕuṯmān/, /kulṯūm/ et /alhayṯam/. 1.2.6.1 Cependant, si l’on ajoute à cette fréquence certaines graphies comme dans VA >tadd< « mamelle » < arabe standard /ṯady/ >kat/ṯūliqī< « catholique », >ʕut/ṯnūn< « double menton » et >maštam< « lieu où l’on est couché » < arabe standard /maǧṯam/, dans GL >matāniyah< « vessie », dans Alcalá curáta ou corráta « poireau » < arabe standard /kurrāṯah/, et le fait rapporté par IA 14 que la populace disait >atāfil /ṭ/ dans des cas comme dans VA >naššabbaṯ/ṭ< = nachapát « je m’accroche » dans Alcalá, dans AC 21 >aṭṭiq< « lie » de {wṯq}.79 1.2.6.2 Dans quelques cas très isolés, on trouve le /ṯ/ remplacé par /f/, par exemple dans IA 640 = AC 205 /ṯámma/ = femme « là », dans Alcalá < arabe standard /ṯamma/,80 dans Tallgren 708 foraya au lieu du prénom normal athoraya ; dans d’autres cas, on trouve le /ṯ/ remplacé par /ḏ/ et /ḍ/, par exemple dans VA >ḏafarraṯṯah< « bégaiement », de {rtt}. 79 Voir, néanmoins, 1.2.2.1, au sujet de l’assimilation à distance avec des phonèmes clairement vélarisés, comme dans Alcalá happát « il baissa » < {hbṭ}. Le cas dans ZJ 332 >aṭṭaf< est différent, car on ne doit pas corriger la lection du manuscrit, puisqu’il s’agit d’un berbérisme remanié par les Andalous, iṭṭǝf « prends », selon IQ 137/11/4, qui à l’arabe /ḫuḏ/ au lieu du berbère dans la même expression, selon nous a été signalé par notre collègue de Rabat, le Dr. Hossain Bouzineb (communication personnelle). 80 Comme en arabe tunisien, selon Stumme 1896 : 174 et Zavadosvski 1962 : 39, et plus récemment Singer 1984 : 102 qui a restreint ce phénomène au langage des femmes. Selon Fleisch 1961 : 75, il est déjà caractéristique de quelques dialectes anciens de l’arabe et on le trouve souvent là où il s’agit de reproduire un // que ne connaît pas l’arabe standard – comme lorsque le russe emprunte des mots grecs (par exemple Afina = « Athènes ») et dans le langage enfantin castillan avant d’acquérir l’articulation correcte du //. On trouve une curieuse ultra-correction dans MT 370b : 2 (Ferrando 1995 : 118) >aṯdam< « crétin » au lieu de l’arabe standard /afdam/, déjà classique.
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mid/ḍl « comme » dans Alcalá < arabe standard /miṯl/, probablement aussi namcud « je reste » < arabe standard {mkṯ} et nabhad « je cherche » < {bḥṯ}.81
1.2.7 /ḏ/ Le phonème interdental spirant sonore de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien où il reflète le membre sonore de la triade des ‘apicales à pointe basse’ du protosémitique82 – qui avait aussi cette équivalence en arabe ancien,83 sauf dans quelques exceptions tardives et parfois en ougaritique,84 mais devenait /d/ ou /z/ dans la plupart des langues sémitiques – était généralement préservé en arabe andalou, ce qui constitue un trait conservateur, comme dans le cas du /ṯ/, partagé seulement avec les dialectes arabes de souche ancienne et la plupart des dialectes bédouins. Il est transcrit en graphie arabe par son graphème habituel mais, dans le cas des emprunts, noms de lieu et, en général, des transcriptions en graphie latine, à cause de l’absence totale de phonèmes interdentaux dans l’ibéro-roman de l’époque, on le représente avec >dḍ< que ses ineptes imprimeurs ou lui-même ont souvent raté, en dépit de son insistance sur || 81 Il ne semble pas qu’il ait ici un véritable /d/, mais on aurait plutôt omis le point suscrit utilisé comme diacritique de /ḏ/, qui a disparu souvent par négligence des imprimeurs. Quant aux cas allégés (SK 44, note 54) de substitution par un /s/, par exemple dans Alcalá léyç « lion », on doit aussi suspecter une faute d’impression, au lieu de leyĉ, qui ne semble pas avoir été un mot fréquent en arabe andalou et qui a une orthographe normale dans VA et dans IQ (cette fois comme dans le nom propre devenu Alleite dans ET) ; de même, dans Alcalá 43.6 çaliz « troisième », mais 55.36 et 58.4 ĉáliĉ, plutôt y suspecter un classicisme prononcé à la manière de l’arabe citadin oriental. En fait, le témoin d’EYG 504, dans le dialecte andalou du castillan tasquiva « canal » < arabe standard */taṯqībah/ (SK 44, note 54) étant annulé dans Corriente 2008a : 454, il ne reste aucune preuve en faveur de cette évolution phonétique en arabe andalou, plutôt caractéristique des emprunts à l’arabe classique dans les dialectes citadins d’Orient, où, sous l’influence des lettrés persans et turcs, ne parvenant pas à prononcer les interdentales /ṯ/, /ḏ/ et /ḏ̣̣/ qu’ils ont remplacés par /s/, /z/ et /ẓ/ respectivement, cette évolution a été acceptée par les arabes cultivés, qui, eux-mêmes, ne pouvaient parfois pas mieux faire. Il est vrai que cette substitution des interdentales ayant eu lieu aussi au sudarabique tardif (Corriente 1996a : 18), on pourrait songer à son importation en AlAndalus par les ‘Yéménites’, ce qui permettrait d’expliquer plus aisément les transcriptions avec >cç< et >st(h)dhǧaḏb< « stérilité du sol » dans GL >muǧāḏalah< « disputation », >ǧaḏwal< « ruisseau », dans VA >ḥiḏā< « lanier », >ḥafīḏ< « petit-fils », dans ZJ 1805 >sarḏīn< « sardines », dans IA 371 >ḏabbūr< « guêpes », là où l’arabe standard a /ǧadb/, /muǧādalah/, /ǧadwal/, /ḥidʔah/, /ḥafīd/, /sardīn/ et /dibr/. Évidemment, il ne s’agissait pas seulement d’une fréquente indistinction graphique, puisque le parallélisme avec le cas du /ṯ/, la fréquence des confusions mutuelles, à toutes les époques et dans tous les types de textes, et les admonitions des auteurs des traités de ‘incorrections du peuple’ (laḥnu lʕāmmah, par exemple dans IH 185‒187, à propos de >šiḏqḏamīmnāǧidwadaḥǧabadǧaraddaḫīrahmuwaḍḍaḥ< « sale » et 280 >šaḏ.ḏ. alfaras< « le cheval a un aspect étrange », au lieu de l’arabe standard /muwaḏḏaḥ/ et /šaḏḏ/, probablement appartenant à un sous-dialectes ou à des registres très bas, où la confusion totale de /d/, /ḏ/, /ḍ/ et /ḏ./ et les pseudo-corrections provoquées par la pression des registres hauts seraient devenues habituelles. 1.2.7.3 La faiblesse articulatoire d’un /ḏ/ en position finale semble avoir provoqué sa chute, comme dans le dialecte tardif de Grenade dans le verbe de l’arabe stan|| 86 Ce qui ne signifie nécessairement une prononciation différente (Barceló 1984 : 173). 87 Ce qui signifie toujours la standardisation dans tous les registres pour quelques mots, par exemple /ḥindák/ dans VA et dans IQ 6/7/1, /dabáḥ/ « il a égorgé » dans Alcalá et dans MT, /ǧúrd/ « rat » dans GL et dans VA, etc., au lieu de l’arabe standard /ḥīnaḏák /, /ḏabaḥ/ et /ǧuraḏ/.
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dard /aḫaḏ/ « il a pris », par exemple dans AC 1422 >aḫā< « il prit », 668 >yaḫu< « il prend » et 792 >ḫū< « prend », qu’on retrouve dans Alcalá uniquement dans l’impératif ḳo.88
1.2.8 /ḏ./ Le phonème interdental sonore vélarisé de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien où il reflète le membre ‘emphatique’ de la triade des ‘apicales à pointe basse’ des langues sémitiques, était généralement préservé par ce dialecte, ce qui constitue un trait conservateur, comme dans les cas des autres interdentales, partagé seulement par les dialectes de souche ancienne et par la plupart de dialectes bédouins.89 Il est souvent transcrit en graphie arabe par son graphème habituel mais, dans le cas des emprunts, des noms de lieu et, en général, des transcriptions en graphie latine, à cause de l’absence totale du mode d’articulation ‘emphatique’ dans l’ibéro-roman et dans toutes les langues européennes, on le représente de la même façon que /ḏ/, c’est-à-dire, avec >dzḍ< et >dh< pour /ḏ/, souvent négligés, par exemple dans Alcalá nahfiḏ. « je sais par cœur », mais dans DC 4b yahféd « il sait par cœur » < arabe standard {ḥfḏ.}. 1.2.8.1 Mais on sait que ce phonème a généralement été le résultat aussi de la latérale /ᵭ/ (q.v.), excepté dans quelques dialectes néo-arabes avec une forte influence sudarabique, parmi lesquels ceux des nombreux ‘Yéménites’ qui sont arrivé pendant la première vague de l’invasion islamique de la Péninsule Ibérique, mais seulement dans leur témoins initiaux. En conséquence, on trouve aussi le graphème arabe correspondant utilisé indifféremment, par exemple dans IQ 5/3/3 >ḏ.afāyir< « tresses », mais 2/9/3 >ġayḍ< « colère » < arabe standard /ġayḏ./, dans IA 688 >wāḍab< « il était assidu », dans VA >baḍrah< « femme (incirconcise) » < arabe
|| 88 Son usage interjectif, emprunté par le castillan colloquial ¡jodo!, ¡jolín!, etc. est signalé, sans en connaître l’origine, par D. de Guadix (voir DG 108 et Corriente 1999a : 357). Le phénomène a atteint en maltais presque tous les paradigmes de ħa, et a été aussi été relevé, pour le dialecte judéotunisien (Cohen 1975 : 63), ainsi qu’à Alep et à Chypre (Borg 1985 : 30). 89 Dans le groupe sémitique, il n’a survécu qu’en sudarabique et partiellement en arabe, ayant la plupart du temps conflué avec /ṣ/, et même avec /ʕ/ et /q/ en araméen, par des raisons compliquées ; voir Steiner 1977 : 149‒154.
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standard /baḏ.rāʔ/,90 dans GL 272 >maḏ.mūm< « réuni » < arabe standard /maḍmūm/, dans Hv. 88 >riḏ.ā< « satisfaction » < arabe standard /riḍà/, etc. Cette confusion affecte également les transcriptions en graphie latine, par exemple en castillan ademán « geste » < arabe andalou /aḏ.ḏ.imán/ < arabe standard /ḍamān/, ou en portugais adarço « écueil » < arabe andalou /ḏ.árs/ < arabe standard /ḍirs/, littéralement « dent », ou bien en castillan et en portugais adiafa « accueil hospitalier » < arabe andalou /aḏ.ḏ.iyáfa/, Almadeque (Soria) < arabe andalou /almaḏ.íq/ < arabe standard /almaḍíq/ « l’étroit », Algaida (Cadix) < arabe andalou /alġáyḏ.a/ < arabe standard /alġayḍah/, etc. 1.2.8.2 La préservation dans tous les cas du trait spirant du /ḏ./ en arabe andalou ne peut être prouvée avec de telles graphies arabes et latines, mais la symétrie avec les autres interdentales /ṯ/ et /ḏ/, la probabilité de l’imitation par les pèlerins andalous de la prononciation alors prestigieuse des citadins orientaux et nordafricains, et même quelques transcriptions arabes ou romanes avec graphèmes suggérant des occlusives laissent penser que ce trait s’inhibait parfois, par exemple dans VA >ruḥāḍ/tah< « crotte » < {rḥḍ}, dans ZJ 1258 >ġiṭār< « écuelle » < arabe standard /ġiḍār/, dans Tallgren 666 atfar au lieu dʔaz/dfar adib, littéralement « les ongles du loup », castillan hato = portugais fato « paquet de vêtements » < arabe andalou /ḥaḏ.ḏ./ « portion », en portugais atafera « tresse d’alfa » < arabe standard /ḍafīrah/, et dans DE 327 rabatines « Mozarabes de Valence » < arabe andalou /rabaḏ.(iy)ín/ « faubouriens ».91
|| 90 Cette substitution pourrait avoir été favorisée par une relation sémantique avec /waḍrà/ « celle qui a de la saleté dans sa vulve », comme dans IQ 90/8/2, attribuée à l’absence de cliteroctomie (ḫafḍ) à cause d’une vieille et stupide tradition, par laquelle aussi on taquinait les femmes chrétiennes en les appelant baḍrāʔ, car elles ne se soumettaient pas à cette mutilation génitale. 91 Par contre, il ne faut rien conclure des graphies latines avec >t< ou >z< reflétant des dentales ou des interdentales arabes en position finale, puisqu’elles peuvent dans ce cas simplement témoigner de l’assourdissement caractéristique des dialectes ibéro-romans, par exemple en castillan arriate « plate-bande » < arabe andalou /arriyáḍ/ « jardin », hafiz « gardien » < arabe andalou /ḥáfiḏ . /, et il faut suspecter une telle influence aussi dans les transcriptions d’Alcalá gaiĉ « colère » < arabe standard /ġayḏ . / ou aâróĉ « musique » < arabe andalou /ʕarūḍ/. On a parfois signalé la possibilité d’une influence des émigrés andalous sur les parlers arabe du Nord du Maroc où l’on relève le phénomène /ḍ/ > /ṭ/ (par exemple /mrīṭ/ « malade » < {mrḍ}, /oṭṭāf/ « fronde » < {wḍf}, voir la note de Bencherifa à ZJ 1374). Il s’agit d’un trait qui caractérise les variétés septentrionales marocaines, citadines et rurales, par rapport au reste du pays. Par contre, dans le dialecte d’Anjra (variété septentrionale rurale où l’influence de l’andalou est évidente dans la morphologie verbale, voir ci-dessous) le phonème est prononcé sourd /ḍ/, comme dans /bīḍa/ « un œuf », /ṭahri/ « mon dos » (Vicente 2000 : 42). Il est donc très difficile de savoir quel substrat a opéré ici : l’arabe andalou ou le berbère, car il faut se rappeler aussi de l’absence dans le berbère substratique d’une interdentale emphatique, aisément remplacé par le phonème dental occlusif homologue.
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1.2.8.3 Comme dans les cas des autres phonèmes emphatiques et en dépit des paires minimales reflétant les registres moyens ou hauts, par exemple dans VA >ifādah< « profit » < {fyd} et >ifāḍah< « publication » < {fyḍ}, les traces en graphie arabe de la perte de ce trait abondent, par exemple dans IQ 10/3/4 et dans VA >tamdi< « tu vas» < {mḍy}, >tamdaġ< « tu mâches » < {mḍġ}, >ġiḏār< « écuelle » < {ġḍr}, dans AB >ḏahar< « il est apparu » < {ḏ.hr}, etc., ce qui n’est pas absolument étranger aux dialectes néo-arabes,92 mais doit être attribué au substrat roman à cause de son extraordinaire fréquence en arabe andalou.
1.2.9 /t/ Le phonème occlusif dental ou alvéolaire sourd de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservé tel quel dans toutes les langues sémitiques.93 Il se reflète dans les transcriptions romanes des emprunts et des noms de lieu, avec la graphie >tdhḥayāh< « vie », >ḥaṣāh< « caillou », mais aussi >šā< « brebis ». 1.2.9.2 Le /t/ est très stable en arabe andalou : très rarement il est remplacé par /ṭ/, ce qui serait parfois un cas d’assimilation à distance au trait de vélarisation, par exemple dans VA >nafṭuq< ~ >faṭaqt< « déchirer », au lieu de {ftq}, ou bien une ultra-correction agissant contre la tendance substratique à éliminer la vélarisation, par exemple dans ZJ 102 et passim >isṭ< « le derrière », dans IA 202 >ʕifrīṭaṣṭaḥànaṣṭaḥītaʕāṭī< « arrogance », dans LA 281 >ṭaḫt< « garde-robe », etc., au lieu de arabe standard /ist/, /ʕifrīt/ , /istaḥà/, /taʕātī/ et /taḫt/, ou dans Tf. 85 >al-ṭaṭār< « les Tartares », un || 94 C’est-à-dire lorsqu’il n’y a pas de complément nominal, à la différence du cas de l’état absolu, où le nom est suivi par ce type de complément au cas génitif dans les langues avec une déclinaison. 95 C’est curieux que les défenseurs de l’hypothèse du ‘sémitique central’, visant à séparer le nordarabique du sudarabique et surtout de l’éthiopien pour le raccrocher au sémitique nord-occidental ne se soient pas aperçus de cette ‘innovation partagée’, afin d’appuyer leur gratuite théorie, probablement à cause d’un manque de connaissance de la grammaire arabe, pas uniquement classique, voire même du chapitre consacré à la pause (Wright 1962‒4 II : 369‒373). Concernant le rôle mineur des formes pausales, par exemple dans les rimes de la poésie préislamique, on pourrait concevoir que ce trait ait été imité par les Arabes des tribus bilingues de Syrie et d’Iraq, c’est-à-dire les anbāṭ « nabatéens », qui l’auraient imité assez tôt de l’araméen ; cela ne changerait absolument rien aux arguments contraires à cette hypothèse-là ; certains travaux (notamment Corriente 2003, Corriente 2004b et Corriente 2006) soutiennent la classification classique de Brockelmann et des autres grands sémitissants centre-européens de sa génération, par rapport à cette frivolité à la mode. Cependant, une autre explication interne et peut-être plus probable, serait que, dans le procès d’unification des morphèmes du féminin en arabe ancien, {+at}, {+āʔ} et {+à}, un hypertrophisme clairement abandonné par le néo-arabe, déjà en arabe andalou (voir dans VA >unṯà = unṯah< « femelle », >marrat an uḫrà / uḫrahmartanuḫrah< « une autre fois », etc.), et afin de préserver une différentiation avec un grand rendement fonctionnel, on aurait choisi le premier pour l’état construit et on aurait réservé *{+ āh}, avec hāʔu ssakt (c’est-à-dire ‘le /h/ du silence’, allusif à la jointure terminale) pour les autres cas, un procès de réutilisation de morphèmes, incidemment suivi aussi par le perfective hébreu à la troisième personne du féminin singulier, mais ignoré par l’arabe qui, à son tour, ayant abandonné le schème {1a2ā3i}, d’où l’hébreu tirait son infinitif absolu, l’a réutilisé pour l’impératif (Wright 1962‒4 I : 62 et Brockelmann 1908 I : 345).
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mot peu connu en Occident, où un /ṛ/ vélarisé a pu se propager à la façon des phonèmes suprasegmentaux. Dans des cas semblables, mais toujours rares, il peut aussi et autrement se sonoriser, par exemple dans ZJ 1423 >man lā yaʕraf ǧaddak lā yaʕrafak fī waqdak< « quiconque n’a pas connu ton grand-père ne te connaîtra non plus dans ton temps », en position de rime, dans ZJ 580 >alisd< « le derrière », au lieu du >isṭ< plus habituel chez lui et dans les autres sources, et dans Alcalá elteféd « visiter », en alternance graphique avec eltefét, c’est-à-dire l’arabe standard /iltafat/.
1.2.10 /d/ Le phonème occlusif dental sonore de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservé tel quel dans toutes les langues sémitiques est assez stable, sauf par les confusions substratiques en arabe andalou avec son homologue spirant /ḏ/, signalées plus haut, car [d] et [ḏ] sont en ibéro-roman des allophones positionnels de /d/.96 Cependant, la distinction entre /d/ et /ḏ/ était phonologique en arabe andalou, démontrée par la présence de paires minimales, par exemple /dalíl/ « guide » et /ḏalíl/ « vile », /bádr/ « pleine lune » et /báḏr/ « semence », etc., et soulignée par l’insistance de Pedro de Alcalá sur cette différence, qu’il met en valeur avec la paire minimale /ḏík/ « cela » et /dík/ « coq ».97 Parfois on trouve /ḍ/ ou /ḏ./ au lieu de ce /ḏ/ substitutif, par exemple dans VA >ʕarrāḍah< « catapulte », dans ZJ 1016 >ḍaybarān< « guêpes », dans IQ 90/14/2 >ʕarbaḏ.ah< « bagarre », ZJ 1373 >nušāḏ.ir< « ammoniac », en arabe standard /ʕarrāḍah/, /dibr/, /ʕarbadah/ et || 96 Il semble que cette indistinction phonologique chez les romanophones ait été analysée par les arabophones au sens que les premiers avaient seulement /ḏ/, et transcrivaient ainsi tous les /d/ romans, par exemple dans IQ 82/10/1 >ḏ.l.ǧ< = roman andalou /DE LÚČE/ « de lumière », 96/12/1 >ḏwš< = roman andalou /DÓŚ/ « deux », 19/13/3 >ḏwnw< = roman andalou */DÓNO/ « cadeaux », même 9/42/3 *>ṭallūrḏ . ulūr< = roman andalou /DÓLOR/ « douleur », et 7/15/1 *>ṭayṭarḏ.ayṭur< = roman andalou*/DE(B)ITÓR/ « débiteur », quoiqu’il y a beaucoup d’exceptions où l’ignorance de cette langue chez les copistes postérieurs ait introduit un élément statistique aléatoire. Les romanistes considèrent ce /ḏ/ comme le résultat d’un procès d’affaiblissement de /d/, qui peut arriver jusqu’à sa chute totale, habituelle dans le castillan parlé de nos jours dans les séquences finales /+vd(v)/ et qu’on retrouve dans les transcriptions romanes de quelques noms de lieu, par exemple Benimodó (Valence) < arabe andalou /bani mawdúd/, Castilfalé (León), littéralement « château de Khaled », à côté des remplacements par des consonnes plus habituelles en fin des mot, par exemple Benamor (Murcia) < /(a)ban ḥammúd/ et Almaguer (Tolède) < arabe andalou /almaġíḍ/ « la mare »; voir 1.2.1 pour le cas similaire du /b/ final. 97 Néanmoins, le fait connu que l’iraquien Alḥillī (HH 91) critique dans la poésie d’Ibn Quzmān les rimes de /d/ avec /ḏ/ (par exemple /nuríd/ « je veux » avec /samíḏ/ « farine blanche », voir SK 38) suggère la possibilité d’une indistinction diastratique des deux phonèmes, au moins dans les registres bas, car il y a d’autres traces de ce phénomène, comme PD 165 où /qáḍi/ « juge » et /háḏi/ « cette » rimant avec /ádi/.
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/nušādir/, ce qui, ayant eu lieu à une époque où on ne faisait plus aucune distinction entre les vieux phonèmes /ḍ/ et /ḏ./, semble signifier, sans exclure une pseudo-correction, que la vélarisation spontanée du /ṛ/ se serait propagée de façon suprasegmentale. 1.2.10.1 Le phonème /d/ pouvait parfois se vélariser en /ṭ/, en vue des graphies comme dans VA >ġarrad/ṭ< « j’ai crié », >našraṭ< « je redeviens sauvage », >ṭarūs< « chien de garde »,98 dans ZJ 1890 >murṭ< « éphèbes », dans Alcalá zamorráta « émeraude » = /zamurráṭa/, et nuxátar « ammoniac » = IH 198 >nušāṭirqunfud/ḏ/ṭ< « hérisson », dans IA 384 >faḏq< < arabe standard /fatq/ « hernie », habituellement reflété en arabe andalou comme /faṭq/. Quant aux transcriptions romanes de /d/ final par >t castillan mielga « luzerne », ce qui explique aussi l’arabe andalou /čiqála/ < latin cicada « cigale », à travers le roman andalou */ČIKÁLA/, origine aussi du castillan cigala « langoustine »). Aussi bien que dans quelques dialectes néo-arabes, par exemple dans VA >ilà lam< « si non » (voir en marocain /īla/99 < arabe standard /iḏā/ « si, lorsque »),100 peut-être l’arabe andalou /zulláyǧa/ « carreau de faïence colorée et vernie », par l’intermédiaire de *{zdǧ}, dissimilé de {zǧǧ}, et le pan-néo-arabe illī =
|| 98 Voir le marocain /ṭāṛūṣ/ pluriel /ṭwāṛǝṣ/ « chien de chasse » (Prémare DAF 8 : 283), reflétant aussi l’arabe standard /dirwās/, probablement du néo-persan darvāzi « gardien ». La présence d’un /r/ vélarisé pourrait avoir déterminé une vélarisation suprasegmentale, comme dans les derniers exemples de 1.2.6.1. 99 Il s’agit de la conjonction conditionnelle réelle habituelle en arabe marocain qui a remplacé /īda/ dans la plupart des situations, même dans les proverbes. 100 Une autre trace de ce phénomène, dans VA, dans ZJ 1844 et dans AC >maylaq< = Alcalá máylaq « pierre de touche » (voir DS II : 638 sur son usage nord-africain et berbère), également allégé dans IH 170, qui veut le faire dériver d’un fantastique */mīḏaq/, n’en est rien, puisqu’il s’agit en vérité d’une évolution sémantique du pehlevi *mālag, d’où le néo-persan māle « polissoire » et l’arabe standard /mālaǧ/ « truelle », dont l’origine persane est déjà connue du Lisān. Cela a permis de corriger SK 45 sur ce point (Corriente 1977 : 517), comme d’autres erreurs dans ce premier ouvrage reflétant des données encore assez incomplètes et faisant une confiance imméritée à des ouvrages pré-méthodologiques comme ceux de Simonet et Asín. Par mégarde, cette vieille erreur-là a été réintroduite dans Corriente 2012b : 22.
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arabe andalou allí < arabe standard /allaḏī/ « celui qui », arabe andalou /mululíyya/ « chant des rameurs » < grec melōdía, bien que, dans ces cas, une assimilation suffirait à l’expliquer ; quant à VA >yaḫdaǧ< ~ >ḫadaǧ< « palpiter », de {ḫlǧ}, il serait une ultra-correction liée à cette tendance. Des cas comme le castillan alejija < arabe andalou addašíša < arabe standard /ǧašīšah/ « bouillie » ne doivent être considérés que comme le seul résultat d’une évolution intra-romane.
1.2.11 /ṭ/ Le phonème occlusif dental sourd vélarisé de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et préservé tel quel dans la plupart des langues sémitiques est assez stable, quoiqu’il ait connu un allophone sonore dans quelques dialectes arabes, anciens et modernes.101 Pour l’arabe andalou, la grande majorité des transcriptions romanes d’emprunts et de noms de lieu le reflète avec un >trahṭ/ḍ< « manière », dans Alcalá dans dénbeq « bosseler », qui semble être le même mot que VA >ṭanbaq< « faire des ampoules » < {ṭbq}, et de LA 118 >qubbayḏ< considérée comme une faute par l’auteur au lieu de /qubbayṭ/ « sorte de pâtisserie »,102 à côté des cas où un phénomène de dévélarisation a produit des /d/ ou /ḏ/, par exemple dans VA >ḏ/ḍābid/ṭ< « compas », au lieu de l’arabe standard /ḍābiṭ/. Les transcriptions romanes avec >d< dans les emprunts et les noms de lieu, comme le portugais adival « corde » < arabe andalou /aṭṭiwál/, le castillan et le portugais adobe, mais en catalan tova < arabe andalou /aṭṭúb/a)/, Alcanadre (Logroño) < arabe andalou /alqanáṭir/ « les ponts », Córdoba « Cordoue » < arabe andalou /qúrṭuba/, ainsi que quelques graphies dans Alcalá, par exemple budlán « lésion » < arabe || 101 La description du Kitāb de Sībawayhi de ce phonème comme l’homologue vélarisé de /d/ ne laisse aucun doute concernant sa sonorité, identique à celle du /ḍ/ dans la prononciation, ignorée par le grand grammairien arabe (Cantineau 1941 : 31‒32), de l’arabe standard et du taǧwīd ou récitation canonique du Qurʔān ; la même situation a été décrite par Rossi 1937 : 236 et par Behnstedt 2008 : 99. Pour un autre dialecte néo-arabe occidental, Steiger 154 mentionnait les transcriptions en graphie grecque du siculo-arabe >darēph< et >aldalche< pour /ṭarīf/ et /aṭṭalḥah/, confirmées par Agius 1996 : 416 et 423 (>darífqubbayḍ< comme étant une prononciation vulgaire ; voir DS II : 310, s.v. /qubbāṭ/ et Corriente 2008a : 89, s.v. alcotín.
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standard /buṭlān/, mogtabíd « joyeux » < arabe standard /muġtabiṭ/, murábid « ermite » < arabe standard /murābiṭ/, etc., ne peuvent témoigner que de sa négligence et/ou de la sonorisation du /t/ ibéro-roman intervocalique, implosif ou en contact avec d’autres phonèmes sonores.103 1.2.11.2 La dévélarisation de /ṭ/ en arabe andalou se reflète dans quelques graphies anomales, par exemple dans LA 91 >kust< et 297 >mintaqayḥtwhyhbtw< et >ytlb< au lieu de l’arabe andalou /qúsṭ/ « costus », /minṭáqa/ « ceinture », /yaḥṭúh/ « ils lui donnent », /yahbáṭu/ « ils descendent » et /yaṭlúb/ « il demande », ainsi que dans les observations dans IH 259 et 287 au sujet des prononciations populaires des noms de lieu >tarrakūnah< et >saraqustahṭarrakūnah< « Tarragone » et >saraqusṭah< « Saragosse », mais il a dû être un phénomène très restreint, puisque même des sources de bas registre, comme dans MT, dans Hv. et dans AB, où on pourrait s’attendre à une plus forte influence du substrat, sont assez conservatrices à cet égard.
1.2.12 /n/ Le phonème dental nasal de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du protosémitique et préservé tel quel presque partout dans les langues sémitiques, se reflète avec normalité dans les transcriptions romanes des emprunts et des noms de
|| 103 On a beaucoup discuté au sujet des prononciations réelles de >ṭ< et >q< en arabe andalou et en roman andalou, aussi bien que de leur usage chez ceux qui écrivaient les dialectes de cette langue en graphie arabe (SK page 40, note 40 et Corriente 1978a). Bien entendu, le roman andalou n’a jamais connu les phonèmes vélarisés /ṭ/ et /q/ de l’arabe, sauf d’une façon marginale, comme le /p/, /č/ et /g/ de l’arabe andalou, l’erreur des savants qui se sont occupés de ces problèmes serait, à notre avis, de ne pas s’être rendu compte qu’il n’était pas seulement question d’une opposition de sonorité, mais qu’il pouvait parfois s’agir de sonorisations ou de spirantisations partielles qui ont mis les écrivains dans le doute : entre maintenir la vieille graphie latine ou refléter les phénomènes phonétiques ou phonologiques déjà accomplis sur place, et refléter ou non ceux qui avaient tout juste commencé, pour ne parler du choix des graphèmes qui devaient refléter les innovations phonétiques, à une époque où la plupart des langues européennes occidentales avaient commencé, à tâtons, à produire leurs orthographes historiques. Selon SK 2.8.3, chez les romanophones d’AlAndalus, >ṭ< aurait été choisi pour refléter le /t/ latin qui commençait à se sonoriser, mais était loin de se spirantiser et de se rapprocher du /ḏ/ arabe : alors, on écrivait IQ 5/7/2 >ṭuṭu< « tout » ou 119/7/4 >qubṭāl< « coude » et VA >qaṭīnah< « chaîne » ce qui ne signifie nullement qu’on prononçait encore *TÓTO, *QOBTÁL et *QATÉNA, et pas déjà */totdo/, */kobtdál/ et */katdéna/, alors qu’on évitait le graphème >t< pour représenter un /t/ intervocalique non-sonorisé, et qu’on utilisait >d< dans les cas de sonorisation même partielle, ce qui peut expliquer les graphies alternatives dans MT >abadāšah< et >abaṭīšah< « abbesse » >ġarnādah< et >ġarnāḍah< « grenade », >bidriyuh< et >biṭriyuh< dans les manuscrits de Naples et de Tolède d’Ibn Buqlāriš, etc.
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lieu, par exemple le castillan mezquino = catalan mesquí = portugais mesquinho104 « mesquin » < arabe andalou /miskín/ < arabe standard /miskīn/, Albuñán (Grenade) < arabe andalou /albunyán / « l’édifice », Vinaixa (Lérida) < /(a)bin ʕáyša/ « le fils d’ʕAyša ». Cependant, à la suite d’une ultra-correction déclenchée par 1.2.3, ce phonème est parfois remplacé par un /m/ en fin de mot, par exemple dans VA >ḫammam/n< « penser »,105 >ḥalazūm/n< « escargots », dans LA 86 et dans IH 127 >mayǧam< « maillet » > arabe standard /mīǧanah/,106 dans Alcalá niléyem/n, confirmé dans GL >mulīm< « émollient ». 1.2.12.1 Par comparaison avec la plupart des dialectes néo-arabes, ce phonème est caractérisé en arabe andalou par une certaine faiblesse et par la tendance à s’assimiler ou même disparaître, en contact avec les consonnes sifflantes, alvéolaires et vélaires, par exemple dans Alcalá êerquecí = IH 325 >ʕirq alʔasà< < néo-arabe /ʕirq annasā/ « sciatique », dans IQ 2/1/1 et 68/8/3 /át(ta)/ « tu » < arabe standard /anta/, 88/7/1 >kut< < arabe standard /kuntu/ « j’ai été », dans Alcalá yquín « si » < arabe standard /in kān/, et de nombreux noms de lieu, comme Mazaleón (Teruel) < arabe andalou /mánzal alʕuyún/ « logis des fonts », Masalcoreig (León) < arabe andalou mánzal quráyš « logis des coreïchites », etc. Cela était presque inouï en nord-arabique,107 mais fréquent, même régulier, dans le sémitique de l’Est et du Nord, aussi bien qu’en sudarabique, donc constituant encore une autre isoglosse qui rattache l’arabe andalou au sudarabique. La chute du /n/ final dans les morphèmes du duel et autres cas est caractéristique, mais non exclusive, du dialecte tardif de Grenade, par exemple dans Alcalá rajulái « deux hommes », martái « deux fois » et leyletéy « deux nuits », ay et gay « noms des lettres ʕayn et ġayn », au lieu de l’arabe andalou standard /raǧuláyn/, /mar(ra)táyn/ et /laylatáyn/, mais aussi dans IQ 42/1/4 >ḫadday< « deux joues », dans MT 315.2 >šaqīqay< « deux frères », dans VA >lay< « où » < arabe standard /ilà ayna/ et >ḥattay< arabe standard /ḥattà ayna/ « jusqu’où », dans IQ 7/5/4 >min ay< « d’où », dans Alcalá çumí « cailles » < arabe
|| 104 En fonction des divers résultats de /n/ final dans les langues ibéro-romanes, qui sont assez différents dans les autres positions, cf. castillan berenjena = catalan albergínia = portugais beringela « aubergine » < arabe andalou /(al)baḏinǧána/, castillan alheña = catalan alenya = portugais alfena « henné » > arabe andalou /alḥínna/, etc. 105 Continué par le marocain /ḫammǝm/, probablement introduit par l’immigration andalouse, où on trouve un doublet : /ḫammǝm/ « penser, réfléchir » et /ḫammǝn/ « ruminer (des pensées) » (Prémare DAF 4 : 154 et 156). 106 Ce cas a été inclus par erreur dans SK et dans Corriente 2012b parmi les exemples de /n/ > /y/, lui attribuant une origine */manǧam/, qui n’existe pas avec cette signification. 107 Au sujet de ces rares cas, signalés par les grammairiens Ibn Yaʕīš, Ibn Ǧinnī, Alqazzāz, etc., voir Corriente 1976a : 79.
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andalou /summán/, et jonjolí « sésame » < arabe andalou /ǧulǧulā/Ín/, d’où le castillan ajonjolí, etc.108 1.2.12.2 L’apparition d’un /n/ résultant de la dissimilation de consonnes géminées dans des procès morphologiques ou spontanément, quand la tension d’un phonème donne une impression acoustique semblable, est fréquente en arabe andalou, comme dans le groupe du néo-arabe et même en arabe ancien et dans la plupart des langues sémitiques, par exemple dans IH 55 >kanbūš< « chaperon » < latin cappucium, dans VA >qanzīr< « étain », à travers */qazzír/ < arabe standard /qizdīr/, dans Alcalá izparánja « asperge » < latin asparagus,109 en portugais almanjarra « poutre d’une machine hydraulique » < arabe andalou /almaǧárra/, mais en castillan almijarra, en portugais enxoval < arabe andalou /aššuwár/ < arabe standard /ša/iwār/ « trousseau », mais en castillan ajuar et en catalan aixovar.110
|| 108 A notre avis, déjà exprimé dans SK, page 41, note 45, cette étrange chute d’une consonne assez stable en arabe, et qui semble s’être propagée à partir des suffixes du duel, est une conséquence de la distribution particulière des morphèmes de cette catégorie grammaticale en sudarabique, où la déclinaison nominale s’inhibait parfois et où la consonne nasale n’était pas toujours présente à l’état absolu (Bauer 1966 : 52‒56) : en fait, les dizaines du guèze avec un morphème invariable /ā/ et les règles très particulières de l’arabe kilā, féminin kiltā « tous deux », omettant dans quelques cas la déclinaison obligatoire du duel, décèlent un clair emprunt au sudarabique ; le scion éthiopien étant la seule langue sémitique à avoir totalement remplacé les formes proto-sémitique normales du nom de nombre « deux » par kǝlē(tu). 109 Dans d’autres cas, l’élimination ou l’ajout d’une consonne nasale /n/ ou /m/, ou parfois une simple nasalisation, comme en portugais, dans les emprunts romans et les noms de lieu d’origine arabe sont la seule conséquence des préférences phono-tactiques de ces dialectes, par exemple en catalan mesquí « mesquin » < arabe andalou /miskín/, Benifairó (Valence) < arabe andalou /bani ḫayrún/ « les fils de Khayrún », mais en castillan albardín = portugais albardim « jonc » en face du catalan albardí < arabe andalou /albardí/ et, enfin, en portugais alacrão « scorpion » < arabe andalou /alʕaqráb/. 110 Cet ajout dissimilatoire, caractéristique du portugais, comme on peut l’observer dans les emprunts qui commencent par enx- (Corriente 2008a : 287), est une conséquence de la longueur phonétique des chuintantes et des affriquées, qui peut donner l’impression d’une consonne double. Ce qui est curieux, dans les cas où apparaissent une vocalisation reflétant celle qui est habituelle pour l’article arabe en néo-arabe, /il+/ (au lieu de la forme /al+/, caractéristique de l’arabe andalou et de quelques dialectes, selon l’expression un peu ambigüe de Fischer & Jastrow 1980 : 88 : « in allgemeinen il-, l-, in manchen Dialekten, z.B., Mekka, Omdurman, al », bien que le /š/ pourrait avoir suffi à palataliser cette voyelle), c’est que ces cas soient limités au portugais, alors que le castillan et le catalan ne possèdent que de rares exemples de anx-, comme en vieux castillan anxahar « chacal » et en catalan anxaneta « enfant au-dessus des tours humaines en Catalogne » (Corriente 2008a : 184, 210), ajouté à la fréquence des emprunts sans imālah, ou avec la vocalisation /wa/ initiale > /o/, ou avec des réalisations suggérant /ḍ/ et /s3/ latérales, confirmerait l’existence d’un vieux sous-dialecte arabe andalou dans le nord-ouest de la Péninsule Ibérique.
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1.2.12.3 Le phonème /n/ pouvais parfois s’affaiblir jusqu’à perdre son formant nasal, aboutissant à /y/, par exemple dans VA >ḥayš< « serpent » < arabe standard /ḥanš/,111 dans LA 127 >kayf< « havresac » < arabe standard /kinf/. Plus souvent et surtout dans les positions finales, tous les phonèmes sonnants pouvaient éventuellement se substituer, comme on l’a déjà vu dans le cas des nasales et on le verra encore pour les consonnes vibrantes et latérales, dans les mots de l’arabe andalou, aussi bien que dans les emprunts et les noms de lieu romans, par exemple dans VA >ziwān/l< « ivraie » < arabe standard /zu/iwān/, dans IH 321 >buǧǧūl< = dans Alcalá pochón « pétiole » < bas latin pecciolus, en castillan et en portugais mudéjar « Musulman soumis au Chrétiens » < arabe andalou mudáǧǧan « dompté », Azuel (Ciudad Real) < arabe standard /azzuwán/l/ « l’ivraie », ou l’ultra-correct castillan ación « étrivière » < arabe andalou /assuyúr/, littéralement « les courroies », le catalan alabrent « officier papetier en charge des bassins où l’on préparait la pâte » < arabe andalou */labrál/, dérivé de /librá/Íl/ « bassin ».112
1.2.13 /y/ La semi-consonne dentale ou alvéolaire de l’arabe andalou, héritée de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservée telle quelle dans la plupart des langues sémitiques, se reflète dans les transcriptions en graphie arabe normalement avec >yy< ou >ij< ou >giddaynīdīn< et dans Alcalá ydéi, et son diminutif /udáyda/, qu’on constate le remplacement du /y/ par un || 111 Mais l’extension de ces phénomènes pouvait être limitée, car le diminutifs hunáyxa dans Alcalá et le nom de lieu Alanje (Badajoz) < arabe andalou /ḥiṣn alḥanš/, le Castrum Colubri des anciens, prouvent que la forme normale coexistait avec la forme innovante. 112 Au sujet de cet emprunt roman et du schème {1a23ā4}, voir Corriente 1997a : 474‒5 et Corriente 2008a : 44‒45. 113 A cause de la confusion de /y/ et /ǧ/ dans certaines positions dans les dialectes ibéro-romans. Leurs règles peuvent aussi déterminer d’autres graphies qui ne reflètent aucune particularité évolutive de /y/ en arabe andalou, par exemple le castillan aceña < arabe andalou /assánya/, catalan llesamí et le vieux castillan azemín « jasmin » < arabe andalou /alyasamín/, ce qui inclue quelques cas de chute en roman, par exemple le castillan aldea < arabe andalou /aḍḍáʕya/, castillan zahén « monnaie attribuée à la dynastie Zayyānī de Tlemcen », Jaén < arabe andalou /ǧayyán/, etc.
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/ʔ/ qui n’a presque pas de valeur phonologique dans la plupart des dialectes néoarabes, l’arabe andalou inclus.114 1.2.13.1 Cette semi-consonne était systématiquement géminée dans le féminin des mots terminés en /+i(y)/, à l’imitation du suffixe de nisbah (voir 2.1.6), par exemple dans VA = IA 535 >qariyyah< « village », dans IH 212 >nadiyyah< « humide », >mustawiyyah< « plaine », >mustarḫiyyah< « lâchée », >muġanniyyah< « chanteuse », dans ZJ 737 >biyya< « avec moi ».
1.2.14 /l/ Le phonème dental latéral sonore de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservé tel quel dans toutes les langues sémitiques, se reflète normalement avec son graphème habituel dans les graphies arabes, et aussi dans les transcriptions romanes des emprunts et des noms de lieu, avec la graphie >lll< dans n’importe quelle position, par exemple alquellada « partie d’une armure protégeant le cou » < arabe andalou /qiláda/, garbell « bluteau » < arabe andalou /ġirbál/, llagut « luthe » < arabe andalou /alʕúd/, par rapport au castillan laúd et au portugais alaúde, et >u< au lieu de /al/, par exemple aumaec « défilé » < arabe andalou /almaḍíq/, ainsi que aumorda « écluse » < arabe andalou /almáwrid/, alors qu’un /l/ intervocalique peut disparaître en portugais, par exemple adaíl « champion » < arabe andalou /addalíl/, mais en castillan adalid et même portugais leilão « encan » < arabe andalou /aliʕlán/ « déclaration »,115 ou être simplifié, s’il était géminé, par exemple le portugais argola « anneau » < arabe andalou /alġúlla/, en castillan argolla. 1.2.14.1 Comme dans toutes les langues du monde, néanmoins, les substitutions de /l/ par les autres phonèmes sonores, /r/ et /n/, à cause d’assimilations, de dissimilations ou simplement spontanément, sont assez fréquentes, non seulement dans les
|| 114 Cette substitution dans la forme normale où le duel de ce mot caractérisait non seulement quelques langues sémitiques comme l’accadien et l’éthiopien, mais a également dû se produire aussi dans les vieux dialectes arabes, puisqu’on la retrouve, par exemple, dans la préposition arabe standard /laday/ « chez », la conjonction /bayda an/ « quoique », etc. Elle est normale dans beaucoup de dialectes néo-arabes comme l’égyptien, le syrien, l’iraquien, le yéménite, etc. 115 Il est connu que les lois phonétiques sont effectives seulement dans une aire limitée et pendant un temps déterminé, et cet emprunt (à propos duquel voir Corriente 2008a : 346) doit s’être fait hors de ces deux conditions.
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emprunts et les noms de lieu d’origine arabe, par exemple le castillan et le portugais alcafar « housse » < arabe andalou /alkafál/, Gibraleón (Huelva) < arabe andalou /ǧíbl alʕuyún/ « montagne des fontaines », le catalan ancolla « bouteille » < arabe andalou /alqúlla/, le castillan nenúfar « nénuphar » < arabe andalou /naylúfar/, mais aussi dans des mots natifs, par exemple dans VA >naḫtal/r< ~ >ḫatal/rt< « tromper », >yaḫl/rab< ~ >ḫal/rab< « voler », de {ḫlb}, >tazǧur< ~ >zaǧarat< « avorter », de {zǧl}, >ḫil/rḫāl< « jambelet », de {ḫlḫl}, >ḥarazūnah< « escargot » < arabe standard /ḥalazūnah/, >rutayr< « araignée » < arabe standard /rutaylāʔ/, >ninayyar< « teindre avec indigo », de {nyl}, dans Alcalá arcá « il a mis » et dans AC >arqi< « mets » < arabe standard /alqà/ et /alqi/, natílla « morpion » < roman andalou */LATÉḺA/,116 encore >laṭallah< dans VA, dans VA >ḥankī< « noir » < arabe standard {ḥlk}. 1.2.14.2 La vélarisation de /l/ dans les dialectes arabes anciens et néo-arabes est un phénomène assez fréquent et déjà connu des linguistes natifs du Moyen Âge, et bien étudié aussi par les dialectologues de nos jours.117 Pourtant, n’étant nullement marquée dans la graphie arabe, et manquant de toute équivalence dans les langues européennes, il est difficile de la détecter en arabe andalou. On peut seulement se demander si un /ḷ/, à cause d’une extension suprasegmentale de la vélarisation, c’est-à-dire tafḫīm ou istiʕlāʔ des grammairiens natifs (Cantineau 1960 : 23) de /ḫ/, /ġ/ et /q/, ne pouvait pas expliquer l’absence d’imālah, qui serait attendue dans mots comme ḳaḷá « dessert », gaḷá « cherté », cafá « nuque » mentionnés par Alcalá = arabe andalou /ḫalá/, /ġalá/ et /qafá/, ou dans des emprunts comme le castillan et le portugais alcab/vala « impôt sur vente » < arabe andalou /alqabáḷa/, qui semble être la seule raison pour la transcription si particulière dans MI 146 Vitley Hautledi itle Itlehu Itle Atlá = arabe standard /wallāhi lla lā ilāha illā llā(h)/ « Je jure par Dieu, il n’y a d’autre dieu qu’Allah ».118
|| 116 On propose habituellement un diminutifs du latin blatta, nom de plusieurs insectes, parmi lesquels l’arabe andalou a préservé /balláta/ « caffard » = portugais barata, mais ces deux mots démontrent un traitement phonétique différent, avec la préservation, protégée par l’épenthèse d’une voyelle, du groupe consonantique initial ; donc, nous suggérons un diminutif du latin latus « large », qui serait sémantiquement compréhensible, et viable aussi pour le castillan ladilla. 117 Voir Cantineau 1941 : 51‒53, au sujet du /l/ appelé lāmun muġallaḏ.ah, par exemple en arabe standard /aḷḷāh/ « Dieu », demandé par l’orthoépie, sauf après /i/, bien qu’il se soite trompé, à notre avis, en affirmant (page 53) que le tafḫīm de cette consonne n’a aucune valeur distinctive, puisque cela se produit dans de nombreux dialectes néo-arabes orientaux, où c’est ainsi qu’on distingue /wallāh/ « il l’a désigné » et /waḷḷāh/ « par dieu », ou /ḫallī/ « laisse » et /ḫaḷḷī/ « mon vinaigre », etc., sans que l’analyse phonologique puisse se faire dans ces cas d’une autre façon qu’en opposant /l/ et /ḷ/. 118 Où le >t< suggèrerait la vélarisation ultra-correcte de tous les /l/, ce qui confirmerait un trait du registre élevé, exagéré notamment par les membres du clergé.
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1.2.15 /ᵭ/ Le phonème alvéolaire ou dentale latérale sonore ‘emphatique’ de l’arabe andalou, hérité des dialectes plus conservateurs de l’arabe ancien, suffisamment prestigieux pour être décrit par Sībawayhi comme la réalisation cardinale d’un phonème qui semble avoir été glottalisé en proto-sémitique, n’a été préservé tel quel dans aucune langue sémitique, excepté le sudarabique,119 ce qui explique sa substitution en nordarabique par /ḏ./ dans les parlers bédouins et par une dentale sonore vélarisée (et non plus latérale) /ḍ/ par les citadins et dans le taǧwīd, innovation à l’instar des réalisations occlusives des interdentales.120 L’ancienne réalisation de ce phonème était majoritaire chez les ‘Yéménites’ et leurs élèves berbères (qui allaient devenir les maîtres des romanophones), du temps de l’invasion islamique de la Péninsule Ibérique, ce qui a déterminé, comme cela a été signalé par les linguistes,121 des vieux emprunts et des noms de lieu transcrits par les romanophones avec le digraphe >ldḏ.ḏ.āʔiʕ< « perdu », 142/2/2 >ḏ.uraysāt< « petits dents », dans GL 180 >yaḏ.umm< « il ramasse », dans Hv. 88 >aqbaḏ.ah< « accepte-la », etc.122 Cela a parfois produit des doublets en ibéro-roman, c’est-à-dire des emprunts où les mêmes mots ne reflètent aucune latéralisation du phonème occlusif alvéolaire sonore, par exemple le catalan alcadi et alvayat, le portugais arrabade, etc. 1.2.15.1 Dans la problématique générale de la dé-vélarisation occasionnelle du néo-arabe, on trouve dans l’arabe andalou des cas où >ᵭḏ.< ont été remplacés par /ḏ/, par exemple dans VA = IA 352 >ḏall< « ombre », ou même /ṯ/, donc aussi assourdis à cause de leur position finale, par exemple dans VA et dans AC 990 >ġiḏār< « grand plat », en face du plus classique >ġiḍār< dans IH et dans ZJ 1258, dans VA >baʕūḍ/ṯah< = AC 700 >baʕūṯahḍ/ṯafar< « croupière », de {ṯfr}.
1.2.16 /r/ Le phonème dental ou alvéolaire sonore vibré de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservé tel quel dans toutes les langues sémitiques. Il se reflète normalement avec son graphème habituel dans les graphies arabe, ainsi que dans les transcriptions romanes des emprunts et des noms de lieu, avec la graphie >rraṯāṯ< « bruine » et dans Alcalá yreĉéĉ reĉéĉt « bruiner », pour la racine {rḏḏ}.
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/arrihán/,124 le castillan riesgo = catalan risc = portugais risco « risque » < arabe standard /rizq/, Arahal (Séville) < arabe andalou /arraḥál/ « le hameau » et Albir (Alicante) < arabe andalou /albír/ « le puits ». Pourtant, le /r/ arabe peut être différent du phonème homologue roman dans deux traits : le nombre des battements caractéristiques de la langue, et la présence de la vélarisation. Quant au premier, il est connu que, même dans les langues avec ce même type de /r/, comme le castillan, l’italien ou le russe, ce nombre peut varier selon plusieurs considérations et une observation comparative du castillan et de l’arabe standard moderne nous permet déjà de remarquer que, la gémination étant possible dans les deux, elle n’est pas phonologique, mais obligatoire, en castillan au commencement des mots et après /s/ et /n/, contrairement à l’arabe standard, où elle ne peut être réalisé qu’en position intervocalique, comme les autres consonnes, et elle est impossible dans les cas où le castillan l’exigerait. En conséquence, la présence de cette gémination dans les transcriptions, ainsi que dans les emprunts romans et les noms de lieu d’origine arabe est parfois imprévisible, par exemple le castillan almarraja = portugais almarraxa = catalan morratxa « flacon à goulot » < arabe andalou /almarášša/,125 le castillan, le catalan et le portugais guitarra « guitare » < arabe andalou /kayṯára/, ce qui vaut aussi pour les données du dialecte, par exemple dans IH 196 >šurrāfah< « créneau », déjà connu en Orient, mais considéré dans IH 196 comme une corruption de l’arabe standard /šurfah/, dans Alcalá 418 guarráni « postérieur » < arabe standard /warānī/, perrixín « persil »< bas latin petroselinum, et carrabílla, du castillan carabela « caravelle », à son tour emprunté de l’arabe standard /qārab/ « navire » avec la suffixation du diminutif roman.126
|| 124 Qui est le pluriel de /ráhn/, puisqu’on en demandait et on donnait toujours plusieurs otages. Les arabismes commençant par /ra/i+/ se reflètent souvent avec >re-< à cause d’une contamination par le préfixe roman de même forme. 125 Mais, dans Alcalá, marráxa - pluriel marárix semble refléter l’adoption de la forme {1a22ā3ah}, au lieu de {mv1a22ah}, allomorphe de {mv12a3ah}, et non une métathèse de la gémination, comme cela a parfois été dit. 126 Mais il faut toujours se méfier de l’ouïe étrangère d’Alcalá. Il faut remarquer ici que plusieurs exemples de SK 42, note 50 ne sont plus valides, à cause des erreurs étymologiques naïvement commises dans les premiers temps de notre recherche dans ce domaine, souvent à cause d’une foi excessive dans les données présentées et dans les affirmations des savants antérieurs. Des corrections ont graduellement été apportées dans nos travaux suivants mais, parmi ceux qui le sont encore, on remarque des cas intra-arabes, comme dans IH 211 >zarrīʕah< < arabe standard /zarīʕah/, 328 >burrayq< « agneau » < /burayq/ », diminutifs de l’iranisme arabe standard /baraq/ (selon l’auteur, qui est bien informé sur le persan, mais oublie qu’il pourrait s’agir ici plutôt d’un emprunt au roman, d’où le castillan borrego, d’origine latine, voir Corriente 1997a : 47), dans GL >surrānī< « Syrien » = dans Alcalá çurriáni « Grec » < arabe standard /suryānī/ « Syriaque », ce qui donne une idée des complexités de cette question, où il est très facile de s’égarer ; donnons l’exemple de LA 281, où le texte suggère la substitution de l’arabe standard /ḍarrah/ « concubine » par */ḍārah/, que nous avions accepté pour argent comptant dans ce passage du SK, mais l’édition plus soignée d’IH 348 montre que le texte doit comporter la forme /ḍārrah/. De même, dans le cas de VA >burūn
barārin< nous oblige à restaurer la gémination du singulier, exactement comme dans Alcalá jorón « loque », pluriel jarárin. Au contraire, on a /mar(ra)táyn/ « deux fois » dans IQ 172/1/1 , dans ZJ et dans Alcalá martái. 127 Coïncidant avec notre observation personnelle, Woidich 1980 : 210 rapporte que l’opposition entre /r/ et /ṛ/ n’est pas rare, comme dans le parler du Caire, gāṛi « mon voisin » mais gāri « courant ». Il en serait de même en arabe andalou, où Alcalá a relevé géri « coureur » et jar « voisin », ce qui donnerait *ǧári « mon voisin », où l’opposition phonologique était plutôt dans la qualité des consonnes plutôt que dans celle des voyelles, puisqu’un /e/ n’existait pas, comme nous l’avons montré dans l’étude du vocalisme, comme à Tripoli où /žāṛi/ « mon voisin » s’oppose à /žāri/ « courant » et où on distingue le timbres du /ā/ : [aː] au contact de /ṛ/ et [ɐː] au contact de /r/ (Pereira 2010 : 71). En arabe marocain, la prononciation vélarisée /ṛ/ est plus courante que /r/, sauf dans les variétés septentrionales, qui se caractérisent par une faible vélarisation (Vicente 2000 : 56). De plus, il existe une opposition phonologique entre /r/ et /ṛ/, comme dans / ṛāb/ « il a caillé » s’oppose à /rāb/ « il a coulé », mais la plupart du temps [ṛ] est un allophone de /r/ même s’il parvient à vélariser l’environnement consonantique et vocalique comme dans [ḍaːṛ] < {dwr}. Par contre, c’est surtout au nord du Maroc, mais pas exclusivement, où on trouve une prononciation [ʁ] caractéristique des dialectes préhilaliens des vieilles médinas comme Fès, Tétouan ou Chefchaouen, comme en Algérie à Tlemcen, Cherchell et Djidjelli, ainsi qu’à Tunis (Guerrero 2015 :45). 128 Dans le cas d’un /a/, alors que la vélarisation ouvre /i/ en [e] et /u/ en [o], comme dans Alcalá dabóra = /dabbúra/ « guêpe », omór = /umúr/ « choses », en castillan et en portugais alcacer/l « orge verte coupé comme fourrage » < arabe andalou /alqaṣíl/.
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1.2.16.2 Le phonème /r/ est parfois interchangeable avec les autres phonèmes sonores /l/ et /n/, à cause d’assimilations, dissimilations ou bien spontanément, dans la documentation arabe andalouse, par exemple dans VA >bilsām< « maladie » < arabe standard /barsām/ « pleurésie », >mar/lastān< « hôpital », >dirdāl/rah< = dans Alcalá dirdál(a) « ormeau », dans VA >zurzār/l< « grive »,129 >birbir/lī< « berbère » et >balbalah< « parler berbère », dans IQ 38/8/3 >birbiliyyah< « langue berbère », dans Alcalá ḳánjel « dent canine » < arabe standard /ḫanǧar/ « poignard », dans AC 1086 >ḍalʕ< « pis » < arabe standard /ḍarʕ/, dans DG 104 alhayli < /alḫáyri/ « giroflée », ou bien dans quelques emprunts romans ou noms de lieu d’origine arabe, par exemple le castillan alfaneque « tente du sultan » < berbère afrag, à travers un arabe andalou *alfaráq,130 dans le dialecte andalou du castillan alfange « base du moulin à huile » < arabe andalou /alfárš/, littéralement « le lit », en castillan encore alfarje. On relève parfois aussi la perte du trait vibré du /r/, ce qui détermine son remplacement par /y/, par exemple dans VA >mīḥāḍ< = dans Alcalá mihád « latrine » < arabe standard /mirḥāḍ/, dans Alcalá báizaḳ « purgatoire » < arabe standard /barzaḫ/ « l’intervalle entre la mort et la résurrection », ou sa simple chute, par exemple dans VA >labbay< « lévrier » d’un dérivé roman andalou du latin leporarius,131 dans IA 346‒8 = IZ 1475/3 /tíd/ « tu veux», dans IA 710 /nídak/ « je te veux », dans Alcalá (n/t)id « je veux, tu veux, il veut », dans Hv. 99.2 >nid< « je veux », au lieu de l’arabe standard /n/t/yurīd/,132 ou dans quelques emprunts romans ou noms de lieu, par exemple en castillan alfange = catalan alfanch (mais encore aussi alfànger) « cimeterre » < arabe standard /ḫanǧar/, Monzalbarba (Saragosse) < arabe andalou /mánzal albárbar/ « demeure des berbères », voir aussi l’addition finale ultra-correcte du castillan Alcocéver = catalan Alcossebre < arabe andalou /alquṣáyba/ « petit château ».
|| 129 D’où le castillan zorzal, le lambdacisme ayant été peut-être favorisé par la similitude sémantique avec /parṭál/ « oiseau ». 130 Voir l’histoire compliqué de cet emprunt dans Corriente 2008a : 102‒103. 131 Au sujet de sa signification, plus probablement « lévrier », à cause du parallèle conjáyr d’Alcalá « chien chasseur des lapins », voir aussi Corriente 1997a : 476 et Corriente 1986 a : 164. 132 On considérait cette contraction limitée au sous-dialecte grenadin dans Alcalá, dans IZ, dans AC et dans un zaǧal d’Ibn Alḫaṭīb, mais nos éditions d’Ibn Quzmān ont montré qu’il faut la restaurer dans quelques passages, comme dans 51/5/2, dans 64/6/3 et dans 124/7/4, où il semble avoir été ultra-corrigée par les copistes, afin de faciliter la compréhension de ces passages, mais en détruisant ainsi le mètre avec l’addition d’une syllabe : donc, ces formes existaient déjà dans le sous-dialecte de Cordoue, au moins, dans le registre arabe standard ; DS I : xxx‒xxxii n’incluait pas ces formes dans sa liste des « mots arabes chez Pedro de Alcalá dont l’orthographe est incertaine », qu’il ne pouvait pas expliquer (Corriente 1991b).
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1.2.17 /s/ Le phonème pré-dorsal sifflant sourd de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et préservé tel quel dans la totalité du néo-arabe, et même des langues sémitiques133 est très stable, généralement transcrit avec le graphème arabe habituel et, à cause d’une différence articulatoire, par >c< ou >ç< en castillan et en portugais,134 bien que >ç< soit devenu >z< dans l’orthographe du castillan moderne,135 et par >s(s)< en catalan, par exemple le castillan azafate = portugais açafate = catalan safata « corbeille » < arabe standard /safaṭ/, Azaña (Tolède), mais Sènia (Valence) et Sinia (Mallorca) < arabe andalou /sá/Ínya/ « roue hydraulique », et Benicàssim (Castellón) < arabe andalou /bani qásim/ « les fils de Qāsim». 1.2.17.1 Ce phonème peut se sonoriser et devenir /z/ en arabe andalou, non seulement à cause d’une assimilation, comme cela se produisait déjà dans les dialectes arabes anciens, mais aussi spontanément, par exemple dans VA >ḥāris/z< « gardien », >mihrās/z< « mortier », >zabaǧ< = dans Alcalá zebéj « jais » < arabe standard /sabaǧ/, dans IH 229 >zirdāb< « caveau », 197, >yābunūz< « ébène » et 319 >qulqāz< « colocasia », au lieu de l’arabe standard /sirdāb/, /ābunūs/ et /qulqās/, dans Tf. 116 >dabbūz< « massue » < arabe standard /dabbūs/, et l’emprunt au
|| 133 Selon Cantineau 1941 : 46, ce phonème et le reste de toute la triade de consonnes spirantes sifflantes auraient été des affriquées en proto-sémitique, ce qui se reflète aussi dans Diakonoff 1963 : 34 et 36‒37, ainsi que dans Steiner 1982 : 4, avec des données remontant à l’hypothèse d’Albright 1928 : 232, bien que Steiner ait été un peu naïf, ne sachant pas que l’articulation apicale du >s< castillan n’est pas générale dans toute la Péninsule Ibérique, par exemple dans les régions orientales, et que, donc, la remarque dans Corriente 1976a : 76 au sujet des transcriptions arabe avec sīn des mots romans andalous dérivés du latin Valentia et Caesarea Augusta, >balansiyah< et >saraqusṭah< pouvaient témoigner d’un certain dégrée d’affrication du phonème arabe /t/, parfois en substitution de l’aspiration qu’il possède encore de nos jours. Il faut remarquer que le vieux /š/ du sémitique avait conflué avec /s/, et n’est réapparu que plus tard, conséquence de l’évolution du /s3/ latéral. 134 Car le phonème représenté en castillan et en portugais par >s< a une articulation apicale, comparable au /ś/ polonais, que les Arabes identifiaient plutôt avec leur /š/ ; néanmoins, cette réalisation du nord de la Péninsule Ibérique n’a pas atteint le sud, où son articulation était prédorsale et s’est étendue vers le centre du pays, gagnant beaucoup de terrain à la variable apicale, qui est aujourd’hui devenue minoritaire ou plus faible qu’elle n’était dans les siècles antérieurs. Cela explique la fréquence de transcriptions avec >s< en portugais, par exemple saga « arrièregarde » = castillan zaga < arabe andalou /sáqa/, ou safio « congre » = castillan zafío < arabe andalou /safíh/ « vilain ». 135 Et // dans le castillan septentrional dont la prononciation est maintenant censée être plus correcte en Espagne, bien que minoritaire, puisque les régions du sud et de l’est, les Îles Canaries et toute l’Amérique, n’ont pas participé à cette évolution moderne du /c/ médiéval, ne connaissant qu’un /s/ pré-dorsal, sauf dans certains cas individuels.
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berbère >zuġzāl< « pique ».136 La seule explication de ce phénomène ayant lieu presque toujours dans les positions finales serait une ultra-correction à tendance contraire (voir 1.2.18.2), qui coïncide probablement avec la préférence substratique par les consonnes finales sourdes, bien qu’on ne puisse pas exclure quelques hésitations qu’on trouvait déjà dans les vieux dialectes arabes. 1.2.17.2 La permutation de /s/ avec son homologue vélarisé /ṣ/ était déjà un sujet connu des premiers linguistes arabes orientaux. Nous en avons de nombreuses traces (anciennes ou récentes) dans les graphies arabes de l’arabe andalou, comme dans VA >s/ṣurrah< « nombril », >qāris/ṣ< « amère », >s/ṣaṭal< « seau », dans ZJ 486 >nāqūṣ< « cloche », 442 >maṣḥā< « pelle », dans IA 99 >ṣūr< « mur », dans HB 128.29 >ṣaʕadahum allāh< « plût à Dieu de les aider » etc., au lieu de l’arabe standard /saṭl/, /nāqūs/, misḥāh/, /sūr/ et /sāʕad/. Sachant qu’un homologue vélarisé de /s/ n’existait évidemment pas dans les dialectes romans de la Péninsule Ibérique, et qu’il n’était pas exactement prononcé comme le /ṣ/ arabe chez les araméophones bilingues du Croissant Fertile et de la Grande Syrie,137 où le néo-arabe a culminé son procès de maturation,138 de telles permutations ne peuvent pas surprendre, ne reflétant que les efforts pour reproduire les sons étrangers à l’arabe, accompagnées des pseudo-corrections auxquelles il fallait s’attendre. 1.2.17.3 Même en tenant compte des erreurs des copistes qui ont souvent lieu, entre deux graphèmes qui ne diffèrent qu’en présence ou en l’absence des points diacritiques, il faut accepter qu’il y ait eu des cas de confusion réelles entre /s/ et /š/, comme dans SG l : xxxvii, note 1 >s/šībiyā< « seiche », dans VA >ši/arsām< « frénésie » = dans Alcalá xírxem < néo-persan sarsām, dans Alcalá xemebráx « lézard de mur (= Lacerta gecko) » < arabe standard /sāmmu abraṣ/,139 dans Alcalá dauxír et dáuçal « phalaris » < néo-persan do sar « deux têtes », ainsi que dans VA = LA 113 >šūḏāniq< = IH 147 >šuḏāniq< au lieu de l’arabe standard /sawḏanīq/. Les
|| 136 Qui reflète la phrase s+ugzal « avec la pique », un cas curieux d’agglutination de la préposition dans le lexème emprunté, conséquence d’une fausse coupure ou scansion ratée. On voit que l’explication de SK page 48, note 63, une ultra-correction liée à une tendance ibéro-romane d’assourdir les consonnes finales, ne permet pas d’expliquer tous les cas. 137 Voir Steiner 1982 : 47‒50. 138 A propos de l’arabe ‘nabatéen’, voir Corriente 1976a : 88 et Corriente 2007. 139 Dans ce cas, il pourrait s’agir d’une déformation euphémistique, à cause de l’aversion injustifiée à ces petites reptiles (néanmoins si utiles), voir Corriente 2008a, s.v. osga, page 402 et note 954, où l’on peut encore ajouter l’euphémisme marocain ḥǝkkayt ǝṣṣla « celle qui imite la prière », et le rifain aḥarrǝmšaṟ « que le mal soit interdit », etc. Il semble être de même avec le castillan salamanquesa, que Coromines a, à tort, rapproché du nom de la ville Salamanca, où l’on aurait enseigné la magie, en lien avec les superstitions autour de cette petite bête. Il s’agirait plus probablement d’une étymologie populaire (cf. salamanquina dans le dialecte andalou du castillan), sur une autre désignation euphémistique de l’arabe andalou, *sálma naqíyya « saine et propre ».
52 | Phonologie
explications, toujours discutables, autour de ces altérations peuvent être différentes : pour >s/šībiyāz< en castillan et en portugais, et >tz< en catalan, par exemple en castillan et en portugais azar = catalan atzar « sort (bon ou mauvais) » < arabe standard /azzahr/ « fleur (qui marquait un des côtés du dé »). Comme dans le cas de son homologue sourd /s/, il préservait peut-être traces de son articulation affriquée, au moins dans quelques réalisations sous-dialectales, ce qui pourrait expliquer la graphie du catalan et quelques transcriptions romanes avec >g< ou >jʕukkās/z< « bâton », >dihlīs/z< « couloir », dans IQ 83/16/4 et dans IA 628 >kasbūr< « coriandre » < arabe standard /kuzbar/ ; voir aussi 1.2.17.1, où on n’exclue pas la possibilité d’hésitations déjà dans les vieux dialectes arabes.
|| 140 Car les rifains avaient une grande réputation d’éleveurs et d’usagers des chevaux, selon le recueil anonyme Mafāḫiru lbarbar, éd. par M. Yaʕlà. La palatalisation de la voyelle, postérieure à ce changement, n’est qu’un phénomène d’assimilation de contact, voir 1.4.1.2. 141 Voir Kaye 1972.
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1.2.19 /ṣ/ Le phonème pré-dorsal sifflant sourd vélarisé de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et préservé tel quel dans la totalité du néo-arabe, et dans la plupart des langues sémitiques est très stable. Il est généralement transcrit avec le graphème arabe habituel et, dans les emprunts romans et dans les noms de lieu d’origine arabe, en tant que /s/ précisément, par >c< ou >ç< en castillan et portugais, quoique >ç< est devenu >z< dans l’orthographe du castillan moderne, et par >s(s)< en catalan, par exemple en castillan azófar = portugais açôfar « cuivre jaune »< arabe andalou /aṣṣúfr/, en castillan (a)cenefa = portugais et catalan sanefa < arabe standard /ṣanifah/, Alcocer (Alicante) < arabe andalou /alquṣáyyar/ « le petit palais », Massanassa (Valence) < arabe andalou /mánzal naṣr/ « la demeure de Naṣr ».142 Comme dans le cas du /s/, il y a parfois hésitation entre /ṣ/ et /z/, par exemple dans VA >zinǧ< « cymbale », au lieu de l’arabe standard /ṣanǧ/, >qaṣ/zdīr< « étain », >qafaṣ/z< « cage », >ṣ/zaġā< « écouter », >ṣ/zarrar< « grincer », et dans LA 194 >mazdaġah< « oreiller », au lieu de l’arabe standard /miṣdaġah/, dont l’explication pourrait être une assimilation, une pseudo-correction à tendance substratique, ou bien des phénomènes spontanés, tout comme dans le cas du /s/.143 1.2.19.1 Les cas de permutation entre /s/ et /ṣ/ sont extrêmement fréquents (voir ceux qu’on mentionne en 1.2.18.2). Il s’agirait d’infra-corrections de bas registre, qui ont fini par être acceptées et qui ont provoqué plusieurs ultra-corrections, par exemple144 dans VA >basbasah< = >baṣbaṣah< « remuer la queue (un chien) », de {bṣbṣ}, >s/ṣibānah< « lente », nom d’unité de l’arabe standard /ṣiʔbān/, pluriel de /ṣuʔābah/, >fursah< « chance » < arabe standard /furṣah/, >nirassaʕ< ~ >tarsīʕ< « marqueter », de {rṣʕ}, dans IH 191 >siqilliyyah< « Sicile »< arabe standard
|| 142 Ce n’est pas le seul cas de transcription par >s< en portugais, tout comme avec /s/, par exemple sáfaro et safarenho, mais castillan zahareño, « farouche » < arabe andalou /ṣáḫri/, sumagre = catalan sumac = castillan zumaque « sumac » < arabe standard /summāq/, surrão = castillan zurrón « havresac », un augmentatif roman de l’arabe standard /ṣurrah/ « bourse », etc. On trouve souvent des exceptions à ces équivalences, ce qui signifie généralement que l’emprunt a eu lieu à travers une autre langue intermédiaire, ou bien dans d’autres conditions de temps et de lieu. 143 La tendance qu’ont les Berbères à prononcer /ṣ/ comme /z/ est connue grâce aux transcriptions des emprunts à l’arabe, comme taẓẓallit < /ṣala(t)/ « prière », uẓẓum < /ṣawm/ « jeûne » (selon Šafīq 1990‒2000 : 683 et 694), ainsi que dans quelques anecdotes ; voir Corriente 2012b : 26, note 61. 144 Comme en arabe libyen (et dans de nombreux parlers nord-africains), où on trouve /sukkuṛ/ et >ṣukkuṛ< « sucre », /kusbuṛ/ et >kuṣbuṛ< « coriandre », /sǝkkǝṛ/ et >ṣǝkkǝṛ< « il a fermé », /kǝssǝṛ/ et >kǝṣṣǝṛ< « il a cassé », ainsi que /gāṛǝs/ et >gāṛǝṣ< « acide », résultat d’une assimilation d’emphase au sein du mot (se réflétant dans la graphie) en raison du /ṛ/ vélarisé au sein du mot. Voir la note 127 pour d’autres exemples de cette contamination de la vélarisation de /ṛ/ à son environnement consonantique et vocalique.
54 | Phonologie
>ṣaqalliyyahsarrāfūn< « changeurs » < arabe standard /ṣarrāfūn/, dans ZJ 2091 >aḫrās< « boucles d’oreille », pluriel de l’arabe standard /ḫurṣ/.146
1.2.20 /ǧ/ Le phonème pré-palatal affriqué sonore de l’arabe andalou, reflète son équivalent dans la plupart des dialectes de l’arabe ancien, résultat d’un processus de palatalisation du /g/ proto-sémitique ; processus qui n’a pas eu lieu dans les parlers fortement influencés par le sudarabique, dont certains ont préservé le /g/ occlusif jusqu’à nos jours.147 Outre ces cas, le /ǧ/ de l’arabe andalou se reflète normalement
|| 145 C’est comme cela qu’Ibn Hišām Allaḫmī donne la forme classique, bien que la vocalisation ‘vulgaire’ ait triomphé postérieurement dans l’usage général, de telle sorte que l’adjectif marocain ṣqalli « cannetille » et aussi le toponyme ṣqəllīya « Sicile » ont préservé la première, suivant la loi de Philippi, formulée la première fois par lui dans ZDMG 32,42. Il faut signaler que Brockelmann I : 148 s’est trompé quand il a voulu exclure l’arabe de ses effets. 146 Non relevé dans les dictionnaires classiques, mais voir 2.1.10.4. au sujet de la préférence arabe andalouse pour le pluriel brisé {a12ā3}. 147 La prononciation occlusive /g/ reste vivante dans quelques régions du Yémen, comme à Aden (Behnstedt 2008 : 102), dans quelques dialectes citadins d’Oman (ibid., page 71, bien que Reinhardt, dans son ouvrage pionnier de 1894 : 4 parlait en général d’un >g< « ähnlich unserem g in ‘Geld’ », et d’une « kaum bemerkbare Hinneigung zu dj » dans quelques tribus, ce qui est également l’opinion de Cantineau 1941 : 58, qui parle du /g/ égyptien et ajoute : « il en serait de même en Oman ». On trouve la même situation dans le dialecte du Caire, et dans quelques mots des parlers du Maroc (/gǝzzāṛ/ « boucher », /gnāza/ « enterrement », /gləs/ « s’asseoir »), mais il y a une certaine tendance chez les dialectologues à affirmer que cela est une rétention, voir Fischer & Jastrow 1980 : 308, note 101 (« sind manche Forscher der Auffassung, ǧ sei in Kairo sekundär zu g zurückverschoben werden »), ainsi que l’article de Blanc 1969. On parle, dans le premier cas, d’une rétro-évolution du /ǧ/ et, dans le deuxième cas, d’une dissimilation produite par la présence des sifflantes (selon Brockelmann 1908 : 123). Du point de vue de la phonétique articulatoire, il est difficile d’imaginer une si forte dissimilation entre une consonne sifflante et l’appendice palatal d’une affriquée, qui aurait restauré une vélaire occlusive. Il nous semble plus probable que la rétention de /g/ ait été favorisée quand le /g/ n’était que légèrement mouillé, c’est-a-dire le /gy/ des nomades nord-arabes et quelques yéménites, selon Cantineau 1941 : 58. Ainsi, la palatalisation du /g/ sémitique semble s’être initiée pendant le période préislamique. Il serait aussi assez normal que la rétention du /g/ occlusif chez ceux qui ont parlé le sudarabique – bien qu’ils aient transféré leur allégeance au nordarabique, en aient préservé quelques traits – ait laissé une chaîne de jalons entre l’Arabie du Sud et la Péninsule Ibérique, en Égypte et dans le Nord de l’Afrique. Concrètement, dans le textes arabe en graphie copte, on a attaché trop d’importance au fait que le ǧīm soit transcrit par le djendja (ϫ), en oubliant que ces textes n’ont pas nécessairement été rédigés dans les régions où le /g/ ne s’était pas palatalisé, à l’instar du dialecte saïdique, et que cette lettre-là était prononcée comme le /g/ occlusif par les Coptes parlant ce type de dialecte arabe égyptien, selon Malon 19564 : 12. Dans le même sens, Woidich & Zack 2009 : 56‒57 expriment leur opinion, contraire à l’hypothèse d’une rétrogression récente du ǧīm vers /g/ dans quelques parlers égyptiens, et favorables à une vieille coexistence des deux réalisations dans le pays.
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dans les graphies arabe des textes dialectaux, et comme >g< ou >j< dans les transcriptions latines des emprunts ou des noms de lieu d’origine arabe, par exemple en castillan et en portugais jarra = catalan gerra < arabe andalou /ǧárra/ « jarre », castillan Algeciras (Cadix) < arabe andalou /alǧazíra/ « l’île», en portugais Aljezur (dans l’Algarve) < arabe andalou /alǧuzúr/ « les îles », etc. 1.2.20.1 La forte présence ‘Yéménite’ parmi les envahisseurs de la Péninsule Ibérique a introduit ce type de dialectes, ce qui se reflète dans les transcriptions des plus vieux emprunts romans à l’arabe et dans les noms de lieu, par exemple le latin Tagus >tāǧuharǧūnah /ḫ/ dans la prononciation moderne du castillan,148 mais traces d’un ǧīm occlusif dans les premiers moments du contact roman-arabe. Il faut tirer la même conclusion des cas comme le castillan (h)ámago = portugais âmago = catalan àmec « propolis » < arabe standard /ḫamaǧ/ « rancissure », le castillan et le portugais almogama « chacune des dernières couples d’un navire à proue et poupe » < arabe andalou /almaǧámaʕ/, le castillan azingar « vert-de-gris » < arabe standard /zinǧār/, en léonais açingab < arabe standard /sinǧāb/ « petit-gris » et, en graphie arabe, dans VA >narǧaʕ ʕalà rukabī< « je m’agenouille », réflétant la racine {rkʕ} avec assimilation de sonorité avec /r/, ainsi que des hésitations orthographiques révélatrices comme >minq/ǧānah< « horloge », >ǧ/qināwī< = Alcalá quinágui « guinéen », le castillan alc/jofaina < arabe andalou /alg/ǧufáyna/, ou simplement des transcriptions avec une occlusive vélaire assourdie dans l’évolution intraromane, par exemple le catalan Alfacs (Tarragone) < arabe andalou /alḥágiz/ < arabe standard /ḥāǧiz/ « barre »,149 ou encore en portugais tagra < berbère tagra(t) = VA >tāqrah< « récipient », et dans Alcalá nineqquéç « je couvre de suie » < {nǧs} où le >qǧillīqiyyahǧilf< « rude », quoique les pluriels guilíf et golofét, que le premier auteur y attache, posent des problèmes morphologiques, sans oublier l’exemple dans VA >aġlaf< ~ >ġulf< « grossier » qui suggère plutôt la racine {ġlf}.
56 | Phonologie
surtout citadins,151 qui semble avoir existé aussi en Al-Andalus, selon les transcriptions avec >zuǧ/yāniyah< latin Eugenia, >indulyānšiyaš< « indulgences », et dans certains noms de lieu, comme Alboraya (Valence) et Alborea (Albacete), tous deux < arabe andalou /alburáyǧa/ « le petit tour ». 1.2.20.3 La dissimilation de /ǧ/ en /d/, connue dans d’autres dialectes néoarabes,155 était commune en arabe andalou dans l’entourage de /š/, et parfois de /s/, || 151 Voir Cantineau 1941 : 59. Par contre, en arabe marocain, le phonème /ž/ a généralement une prononciation chuintante [ž], mais il connaît également un allophone affriqué [ǧ] qu’on trouve dans les variétés septentrionales surtout lorsqu’il est géminé (Vicente 2000 : 45). 152 Ferrando 1995 : 244 le trouve dans les documents des Mozarabes de Tolède, avec la graphie Marçalcaldi, et en signale l’étymologie douteuse, puisque ce nom de lieu n’a pas survécu ; il est précédé par un Majazul < arabe andalou >marǧ abṭuwāl< encore plus incertain, mais il donne (page 27) aussi d’autres traces probables de cet allophone, dont quelques-uns assez solides, par exemple >mayǧūn< à côté de >mayšūn< « auberge » < latin mansio, tout comme le français ‘maison’, ainsi que >barǧilūnī< à côté de >barsilūnī< « barcelonais » < latin Barcinona, >ǧ/sibriyān< nom propre < latin Ciprianus, et >ǧmāns.s< « terrain pierreux » = samanças en graphie latine, du bas latin caementia, où l’hésitation >ǧ/s< reflèterait une évolution /č/ > /ž/ pour laquelle on ne trouvait pas les graphèmes appropriés, bien qu’on ait utilisé >ǧ< et >š< géminés, l’aljamiado ayant finalement adopté le premier procédé. 153 La dérivation des emprunts en partant d’un impératif, probablement narratif (Corriente 2012b : 118) ou circonstanciel a été étudiée dans Corriente 2008a : lxxvii (castillan abarse). 154 Voir Cantineau 1941 : 57‒59, pour quelques tribus de l’Arabie du Nord (confirmé par Procházka 1988 : 17) et leurs voisins en Iraq. Il pourrait s’agir d’une réaction ultra-correcte, où /y/ > /ǧ/ du roman andalou dans certaines positions. IH 105 désapprouve la variable >misīd< de /masīd/ < /masǧid/ « mosquée », que Brockelmann (1908 I : 123) considérait comme approuvée au Moyen Âge, en Arabie du Sud, par une transcription sanscrite de masǧid comme masīta, intéressante surtout parce qu’elle confirme l’origine sudarabique de la variable féminine dans GL >masǧadahaddaššā< = >aǧǧaššā< « éructer », >ǧ/dišār< « métairie », >niǧ/dassas< « tâtonner », dans LA 20 >ǧ/dašīš< « blé écrasé et bouilli », dans Alcalá dei/yçúç « espion ; voleur », cf. aussi le nom de lieu Almedixer (Castellón) > arabe andalou /almadÍšir/ « fermes » < arabe standard /almaǧāšir/.
1.2.21 /č/ L’arabe andalou a développé le phonème pré-palatal affriqué sourd à la suite de nombreux emprunts au roman andalou, où le /k/ du latin s’était palatalisé en /č/ devant les voyelles antérieures, par exemple /čípp/ « piège » < latin cippus, /čiqála/ « cigale » < latin cicada et /čírniya/ « merle » < bas latin acernia, ainsi que de certaines contractions intra-romanes, par exemple dans Alcalá nichechén, c’est-àdire /čaččán/ « cuire à demi » < bas latin semicoctio, -onis,156 ou intra-arabe, par exemple dans Alcalá nachafí « je suis échaudé » < arabe andalou /naštafí/.157 Cela inclue de nombreux noms de lieu, dont l’entrée dans les langues romanes avec un /č/ après la ‘Reconquista’ témoigne de la présence de ce phonème en arabe andalou, par exemple Pechina (Almería), et Chinchilla (Albacete), dont les graphies arabe sont >baǧǧānah< et >ǧin(ti)ǧāllah< < latin Sancta Caecilia, bien qu’il faille mentionner que la représentation de ce phonème avec l’alphabet arabe pouvait aussi se faire avec un šīn, avec ou sans graphème de gémination, par exemple dans VA >niǧanǧaq< = >nišanšaq< = /ničančáq/ « couper en lanières », < bas latin *siccinicare, >yušūš< « il suce », > latin sugere, mais dans IQ 101/0/2 >ǧuǧǧ< « succion », et dans Alcalá nichúch « je suce ». On a suggéré aussi que cette articulation pouvait se produire à la suite de l’assourdissement de /ǧ/ en position finale des mots, avec les exemples de Borox (Tolède) < arabe andalou /burúǧ/ « les tours », Alborax (Albacete) et Alborache (Valence) < arabe standard /alburayǧ/ « le petit tour », et dans des rimes comme dans IQ 90/9/1‒3 qui contiennent >tāǧ< « couronne», >qannāǧ< « corbeille » < roman andalou /KANNÁČ/, et >qarṭāǧ< « cardons » < roman andalou /KARDÁČ/, mais dans une telle situation et pour un phonème marginal, il pourrait simplement s’agir d’allophones de position,158 ou || trouve /gāz/ > /dāz/ « il a passé ». Des cas comme celui mentionné par Woidich dans le Haut Égypte (chez Fischer & Jastrow 1980 : 209), damal < ǧamal « chameau » n’ont été pas décrits en néo-arabe occidental. 156 Le castillan sancocho pousse à modifier l’étymologie latine *subcoctio, suggérée dans Corriente 1997 : 90. 157 Voir 1.4.1.4 ; voir aussi 1.3.3 à propos du trait ‘emphatique’ de /p/ et /č/. 158 Le même doute affecte d’autres occurrences de noms de lieu souvent mentionnés comme des traces valables de ce phénomène, comme Purchena (Almería), Archidona (Madrid) et Pedroches (Cordoue), où les graphies arabes avec >šburšānaharšiḏūnahbṭrwšchxj< ou >g< dans le castillan moderne, à cause de l’évolution particulière de sa prononciation, par exemple en portugais xarope = catalan (ai)xarop = castillan jarabe « sirop » < arabe andalou /(aš)šaráb/, en portugais xareta = catalan eixareta = castillan jareta « ceinte » < arabe andalou /(aš)šaríṭa/, Vinaixa (León) < arabe andalou /(a)bin ʕáyša/ « le fils d’ʕÂyša », Aljarafe (Séville) < arabe andalou /aššaráf/ « la hauteur ».160 1.2.22.1 La dissimilation de /š/ en /s/ dans l’entourage de /ǧ/, assez fréquent dans d’autres dialectes néo-arabes,161 l’est aussi en arabe andalou, par exemple dans IQ 87/23/1 >siǧāǧ< « blessures à la tête », et surtout en grenadin, dans Alcalá cégge « cicatrice », le singulier du précédent, < arabe standard /šaǧǧah/, cijára « figuier » < arabe standard /šaǧarah/ « arbre » (avec une spécialisation sémantique), çagi/éâ « brave » < arabe standard /šaǧīʕ/, dans IH 188 >sarraǧtu< « je fermais (le sac) », au lieu de l’arabe standard /šarraǧtu/, ainsi que >ḥasraǧ< « râler » au lieu de l’arabe || 159 Voir l’explication à propos du /s/, et Cantineau 1941 : 62‒64, à propos de la mutation des sifflantes. 160 Quoique nous mettons l’article arabe des étymologies entre parenthèses, sa perte dans les emprunts est souvent la seule conséquence de phénomènes intra-romans, ainsi comme la restitution de son /l/ devant les consonnes ‘solaires’, c’est-à-dire qui l’assimilent, n’est qu’une ultracorrection des romanophones que croyaient devoir généraliser al-, par exemple dans Aljarafe (Séville) < arabe andalou /aššaráf/ « les hauteurs », Aldovera (Guadalajara) < arabe andalou /adduwáyra/ « la petite maison ». 161 Voir Cantineau 1941 : 63‒64, avec presque les mêmes exemples, saǧaṛa (Orient) ou säǧṛa (Maghreb), saǧīʕ, plus égyptien s/šaṭrang, déjà mentionné avec les autres par Brockelmann 1908 I : 235, et l’intéressante information du passage inconditionnel à /s/ dans les parlers judéo-arabe nordafricain.
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standard /ḥašraǧ/, auxquels on peut ajouter l’emprunt catalan m/bassetja « fronde », littéralement « instrument à blesser la tête » < arabe andalou */masáǧǧa/ < arabe standard {šǧǧ}. 1.2.22.2 Cependant, il y a quelques cas où le résultat /s/ ne peut être attribué à cette cause et il y en a d’autre plus difficilement décelables, ce qui arrive surtout parmi les plus vieux emprunts du nord-ouest de la Péninsule Ibérique, donc généralement en vieux portugais, par exemple serife « chérif » < arabe standard /šarīf/, alfres « couverture de lit » < arabe standard /firāš/, en portugais alvíçaras = castillan albricias, mais catalan albíxeres « étrennes » < arabe standard /bušrà/, ainsi qu’en leonais almosarifo, mais catalan almoixerif = castillan almojarife = portugais almoxarife « percepteur des rentes du roi » < arabe standard /mušrif/, littéralement, « contrôleur ».162 À notre avis, il s’agirait de la préservation par les ‘Yéménites’ qui avaient encore un ḍād latéral, ainsi que son vieil homologue /s3/, ce qui ne peut surprendre, puisqu’on sait bien que le /š/ canonique, décrit par Sībawayhi dans le groupe du ǧīm et yāʔ,163 est une innovation survenue qui a remplacé le /s3/ proto-sémitique chez les arabes du Nord bien plus vite que chez ceux du Sud.164 En dépit du maigre nombre des traces, moins nombreuses que celles
|| 162 L’inclusion ici de l’arabe andalou kustubān < pehlevi anguštbān « protecteur du doigt » serait discutable, puisqu’en dépit de la différence à laquelle il fallait s’attendre entre les dialectes égyptiens kustibān et syrien kuštbān, cet emprunt semble avoir existé un peu partout avec les deux consonnes, selon DS, et le contact avec /t/ pourrait avoir déterminé une certaine préférence pour la séquence /st/, plus fréquente en arabe que /št/. 163 Voir Cantineau 1941 : 63‒64, et une discussion générale des latérales sémitiques dans Steiner 1977, avec des conclusions (pages 155‒156) favorables non seulement à leur existence, mais aussi à leur intégration dans une triade /ḍ/ - /s3/ - /l/. Dans les pages 95‒110 de cet ouvrage, il a présenté des données, parmi lesquelles le témoin d’Alkisāʔī, ne laissant aucun doute quant à l’existence dans l’arabe ancien de dialectes où le šīn était encore latéral, notamment dans les dialectes yéménites. 164 C’est curieux que les mots éthiopiens empruntés dans le Qurʔān, selon Jeffery 1938 : 306, exhibent une correspondance parfaite du šīn arabe avec le vieux śawt ou sä nǝgus du guèze, que les plus vieux manuscrits ne distinguaient déjà plus du sat ou sä ǝsat. Cela prouverait que, dans des mots tels que l’arabe standard naǧǧāšī « négus », miškāh « niche pour une lampe » et šayṭān « démon », du guèze nägaśi, mäśkot « fenêtre » et śäyṭan, la réalisation de cette consonne (et du /ṭ/, incidemment, ce qui nous rappelle sa réalisations glottalisée de Haute Égypte !) était très similaire, sinon identique, des deux côtés de la Mer Rouge, ce qui n’est pas étonnant, quand on reconnaît, comme il est sage de le faire, l’étroite dépendance et dérivation des langues éthio-sémitique du sudarabique, et le domaine culturel du dernier dans la Tihāmah et le reste d’Alḥiǧāz, alors que les états du Sud de l’Arabie ont longtemps ignoré ce qui pouvait se passer au Naǧd, duquel ils étaient séparés par l’immensité désertique du arrubʕ alḫālī, chez les bédouins nomades et leurs plus anciens établissements dans en Syrie et en Iraq, même ceux qui étaient d’origine arabe du sud. La situation a dramatiquement changé, même avant l’Islam, avec l’effondrement des états sud-arabes et l’irruption massive des Arabes du nord partout dans la Péninsule, mais on sait que la vieille situation avait déjà permis une notable différenciation culturelle et linguistique entre Alḥiǧāz et le
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du ḍād latéral en arabe andalou, et en considérant les divers traits sudarabiques ayant survécu dans ce faisceau dialectal pendant plus ou moins longtemps,165 même en dépit du fait qu’il n’y ait aucune trace de transcriptions romanes incluant un /l/, à différence du ḍād latéral, cette hypothèse produit une solution vraisemblable et assez cohérente à la question de ces sifflantes au lieu de chuintantes. D’un autre côté, ce trait sous-dialectal, contrairement au haut rendement fonctionnel en arabe standard de l’opposition /s/ ~ /š/, a été vite balayé par les mêmes dialectes plus standardisés qui ont éliminé en sol andalou le ḍād latéral, la résistance à l’imālah, et peut-être les traces des emphatiques glottalisées.
1.2.23 /k/ Le phonème vélaire sourd de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du protosémitique et préservé tel quel dans la plupart des langues sémitiques, se reflète dans les transcriptions en graphie arabe normalement avec >kc< ou >qug(u)< dans les emprunts et les noms de lieu d’origine arabe, par exemple en castillan alcaravea = catalan alcaraüia et portugais alcaravia < arabe standard /karawiyā/ « carvi », en castillan et en catalan alcohol = portugais álcool « alcool », le castillan jábega = portugais enxávega = catalan xáb/vega « tramail » < arabe andalou /šábka/ < arabe standard /šabakah/, le castillan almáciga = portugais almá/écega, mais en catalan màstic « mastic » < arabe andalou /almáṣṭaka/ < arabe standard /maṣṭakāʔ/, Jabalcol (Grenade) < arabe andalou /ǧábl+ alkúḥl/ « montagne de galène »,
|| Naǧd, ce qui suffit à expliquer pourquoi Sībawayhi, qui ne faisait confiance qu’aux arabes les ‘plus éloquents’, c’est-à-dire des ʕadnāniyyūn qui habitaient pas loin d’Alkūfah, n’a déjà plus rencontré le šīn latéral, mais seulement le ḍād. Néanmoins, il faut se demander si le tafaššī « étalement, extension » du šīn, selon Cantineau 1960 : 24 est si différent de l’istiṭālah « allongement, prolongation », caractéristique du ḍād. 165 Voir Corriente 1989a. Un /s/ latéralisé pouvait facilement perdre ce trait, en confluant avec le /s/ normal, en dépit du grand rendement fonctionnel de leur opposition, dans des circonstances exceptionnelles, comme c’est le cas parmi les vieux emprunts du nord-ouest de la Péninsule Ibérique ou de la plupart des dialectes judéo-arabes nord-africains (S. Lévy 2009 : 9 et J. Heath 2002 : 132). Dans le dernier cas, il est assez probable que nombre de ces communautés juives, venant du Yémen, ou berbérophones ayant appris l’arabe des conquérants yéménites, encore parlant avec le šīn latéral, l’aient préservé dans leurs ghettos, quoique dé-latéralisé, comme marqueur d’identité. Le cas parallèle et caractéristique de /ǧ/ > /z/ chez eux pourrait aussi être un choix motivé par l’incommodité provoquée par l’affrication de /g/, ignorée par leurs maîtres yéménites.
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Alquenència (Valence) < arabe andalou /alkinísiya/ « l’église »,166 Guadalquivir < arabe andalou /wád alkibír/ « le grand fleuve ». 1.2.23.1 Ce phonème était très stable en arabe andalou, bien qu’on ait relevé quelques cas de spirantisations, par exemple dans MI 175 >aḫṯar< « plus » < arabe standard /akṯar/ et >uḫtubar< = AM 179 >aḫṭubar< « octobre » < arabe standard /uktūbar/, qui ont été attribués167 à une vraisemblable influence des berbères zénètes, dont la présence est confirmée par les quatre noms de lieu Ad/tza/eneta dans la région de Valence.168 Quant à son affaiblissement jusqu’à sa disparition, par exemple en castillan almuxaba « fenêtre grillée » < arabe andalou /almušábbak/, cebiche « ragout de poisson cru » < arabe andalou */sikbíǧ/ < arabe standard /sikbāǧ/, castillan tahúr = catalan tafur = portugais taful/r « joueur tricheur » < néoarabe /takfūr/,169 c’est une conséquence de la faiblesse articulatoire des consonnes en fin des mot ou de syllabe dans les dialectes ibéro-romans,170 généralement évitée par l’ajout d’une voyelle paragogique /e/, parfois /o/, même /a/, comme dans le castillan et le portugais escabeche = catalan escabetx, du même arabe standard /sikbāǧ/.
|| 166 Voir Samsó 1978 et Corriente 1978b. 167 Simultanément par Singer 1981 : 320 et Corriente 1981a : 7. 168 Voir Barceló 1982 : 99‒100. C’est aussi probablement le cas d’Alcalá ogtúber, car >gq< par erreur typographique, sont des façons qu’il avait adoptées de transcrire le /ḫ/ (par exemple muztagbár « ce qui peut être prouvé » < /mustaḫbár/, baqç « manquant » < arabe standard /baḫs/, eztuqdóç « stechas » < arabe standard /usṭūḫūdūs/, mugtáf « houlette » < arabe standard /miḫṭāf/ (Corriente 1988a : 54, 11, 4), bien qu’on pourrait aussi penser que /ḫ/ s’était assimilé en /ġ/ avec les consonnes sonores) ; Grenade était en effet une ville où vivaient de nombreux Zénètes. 169 Voir la véritable étymologie dans Corriente 2008a : 444, où il faut ajouter le témoin du syriaque takfur (Payne 1879‒1901 : 4433), en oubliant la bévue d’Asín dans ses Etimologías árabes, que nous acceptions encore dans SK 47, bien avant de connaître ses faiblesses méthodologiques, qui ont mérité le jugement sévère dans Corriente 1999c – remarque qui pourrait être étendue à certains arabisants, espagnols ou non, qui suivent encore ce vieux style de faire et de gérer les études arabes et islamiques, pro domo sua. L’Académie Espagnole, finalement consciente de ces erreurs, les remplaça dans sa dernière édition, grâce aux observations de Corriente 1995‒96, bien que n’acceptant pas les dernières suggestions, ‘dans l’urgence de produire une nouvelle édition’, et montrant ainsi bien peu d’intérêt à la qualité de ces étymologies ‘exotiques’ de presque deux milliers d’emprunts arabes qu’on compte en castillan, constituant le deuxième ingrédient numérique de son lexique, après le latin. 170 Tout comme le castillan zabra = portugais zavra = castillan atzaura « une sorte de bateau » < arabe andalou /záwraq/ < arabe standard /zawraq/, bien que la consonne perdue ici reflète un /q/, ce qu’on trouve encore en fin de syllabe dans le castillan atabe « clapet » < arabe andalou /aṯṯáqba/, littéralement « le trou », ainsi que dans le nom de lieu Gibraltar (Cadix) < arabe andalou /ǧíbl+ aṭṭáriq/ « la montagne de Ṭāriq », où le nom propre du conquérant Ṭāriq a reçu un article par étymologie populaire « celui qui fraye le chemin ».
62 | Phonologie
1.2.24 /g/ L’existence d’un phonème marginal vélaire occlusif sonore en arabe andalou semble avoir été une réalité au moins dans quelques registres, sous-dialectaux et par périodes, puisqu’on a prouvé la présence de cette réalisation du ǧīm dans les parlers des ‘Yéménites’, mais rien ne nous permet de penser qu’on le remplaçait toujours par un /ġ/ dans un grand nombre d’emprunts au roman andalou et au berbère, généralement transcrits avec >qtāqrah< « vas », dans IQ 87/22/4 >aqzal< « pique » et 40/1/1 >(a)qillīd< « prince » et, pour le roman, dans ZJ 484 >quǧita< = Alcalá gugíta « lacet pour les souliers » (voir le castillan agujeta), g/calápag = VA >qalabbaq< « tortue » (voir le castillan galápago), aussi bien que plusieurs transcriptions en graphie arabe de noms de plantes latines avec /g/, par exemple >liqwa bwy< = lingua bovis, >šanqunayra< = sanguinaria, >afráqa dolf< = fragrat, etc.171 Quant aux réactions visant a éviter ce phonème marginal, comme dans les cas de /p/ et /č/, on peut compter dans IH 335 >kurānah< “grenouille », un curieux mot, peut-être un hybride du berbère et du roman172.
|| 171 Voir Corriente 1978a : 216 et Corriente 2008a : 138 et note 14t. Il est vrai, cependant, que l’allophone spirantisé /ḡ/ du /g/ roman entraîne une confusion avec le /ġ/ arabe, donnant l’impression qu’il s’agit du même phonème, ce qui explique l’adoption de celui-ci dans la transcription de l’aljamiado comme graphème de /g/ roman, sans aucune marque diacritique, à différence des cas de /p/, /č/ et /ñ/. 172 A première vue, il semble plus proche du bas latin grana, du français grenouille, du catalan granota et de l’italien granocchia, que du latin, du castillan rana, ainsi que du portugais rã (adopté aussi par l’arabe andalou, par exemple dans AC 162 et le diminutifs >ranūq/k< de MT), à cause du groupe initial et des suffixes. Coromines expliquait ce groupe comme le résultat d’une contamination par le celtique crassantos, ce qui pourrait expliquer la première différence plus aisément que la suffixation, simplement diminutive ou péjorative, bien qu’il puisse aussi s’agir d’une contamination par des verbes romans signifiant « coasser ». Mais cela ne rendrait pas compte de la vélarisation de la voyelle épenthétique que possède l’arabe andalou, et qui aurait disparu dans le marocain /grān(a)/, si ce mot a bien été emprunté au premier, aussi prononcé en arabe marocain /žrān(a)/ et /ǧrāna/ (Prémare DAF 3 : 175). D’un autre côté, on a le berbère agru, pluriel igura, qui ne semble pas être un latinisme ; il nous offre deux possibilités étymologiques : la simple addition d’un /n/ final, fréquent dans les pluriels brisés de cette langue est documenté pour ce même mot comme igǝrwan, ou bien contaminé par des mots sémantiquement contigus en arabe andalou ṣibán, ḏubbán et ǧurdán, ce qui aurait automatiquement généré le nom d’unité *(i)gurána, ou bien le mot berbère aurait été simplement contaminé par le roman andalou, produisant deux allomorphes, avec et sans le /g/ initial. Quant au maltais, il a qorr, considéré par Aquilina 1987-90 comme la continuation du rare mot arabe standard /qurrah/, mais ayant un nom d’unité qorru, avec suffixation romane, et assez proche du berbère aqǝrqur, qui semble un arabisme sur le schème hypocoristique {1a22ū3} = {1a23ū4}, surtout, si l’on considère le yéménite ga/urrār(ah) (Behnstedt 1992‒2006 : 981) : voilà un entrecroisement de mots, langues et probablement isomorphismes onomatopéiques vraiment formidable, auxquels il faut ajouter que les noms des petits reptiles et amphibiens, étant l’objet de maintes superstitions populaires, ont été souvent remplacés, renouvelés ou altérés, comme on l’a vu dans le cas du lézard de mur.
Consonantisme | 63
1.2.25 /q/ Le phonème uvulaire occlusif sourd de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservé tel quel dans la plupart des langues sémitiques, se reflète dans les transcriptions en graphie arabe normalement avec >qc< ou >qug(u)< dans les emprunts et les noms de lieu d’origine arabe, par exemple en castillan alcázar = catalan alcàsser = portugais alcácer « palais » < arabe andalou /alqáṣr/, en castillan alquicel = catalan et portugais alquicé « sorte de manteau » < arabe standard /kisāʔ/, algodón = portugais algodão, mais catalan cotó < arabe andalou /alquṭún/ < arabe standard /quṭn/, Alcocer (Guadalajara) < arabe andalou /alquṣáyyar/ « le petit château », Alcántara (Cáceres) < arabe andalou /alqánṭara/ « le pont », Conil (Cadix) < arabe andalou /quní/ « les canaux », Alquenència (Valence) < arabe andalou /alkinísiya/ « l’église »,173 Alhándega (Salamanca) < arabe andalou /alḫándaq/ « la ravine »,174 Alguibla (Murcia) < arabe standard /alqiblah/ « le sud ». 1.2.25.1 En arabe standard, la réalisation canonique du /q/ est sourde, ce qui ne pouvait être autrement quand l’emphase se caractérisait encore par la glottalisation. Cependant, cela n’était plus le cas des dialectes nord-arabiques où l’emphase était marquée par la vélarisation. La totalité des dialectes bédouins ne connaissent que le /g/, parfois vélarisé, ce qui pose la question des réalisations du /q/ ayant été pratiquées en arabe andalou. Les graphies arabes n’aident pas, mais la documentation romane reflète pour la plupart des occurrences des réalisations sourdes, avec des exceptions qu’on peut attribuer à la phonétique romane, mais pas toujours. L’assimilation intra-romane liée au contact avec des phonèmes sonores peut expliquer l’emprunt en castillan et en portugais acelga « blette » < arabe standard /silqah/, l’emprunt en castillan margomar < arabe standard /marqūm/ « brodé », le galicien alferga < arabe andalou /alḥílqa/ « dé à coudre », et même les graphies arabe standard dans Hv. 90 >t/n/yaġdar< « tu peux, je peux, il peut » < arabe andalou /t/n/yaqdár/, dans Alcalá nalguí ~ alguéit ~ alguí « lâcher », mais cela ne vaut pas dans les cas où >q< ait été utilisé pour transcrire le /g/ du bas latin ou les dialectes romans, par exemple les noms de lieu Igabrum >qabrahsaraqusṭ/sahqādis
|| 173 Voir Samsó 1978 : 209‒20 et Corriente 1978. 174 Néanmoins, dans un cas comme celui-ci et en castillan albóndiga, alfóncigo, etc., la vocalisation ne peut être expliquée que par l’interférence du suffixe roman {+IK/Gv}, du latin {+icv}.
64 | Phonologie
>(a)qillīdaqzal< dans IQ 40/1/3 et passim, et 87/4/2.175 Par conséquent, il faut accepter que /q/ ait parfois connu une réalisation sonore dans certains registres, régions ou époques de l’arabe andalou.176 1.2.25.2 En outre, il est connu que /q/ ne se distinguait pas de /k/ dans les registres bas de l’arabe andalou et surtout dans certains mots, parfois arabes purs, en dépit des efforts des grammairiens, ce qui se reflète, par exemple dans VA >buq/ks< « buis », >salq/k< « blette », >q/kafaz< « bondir », >laq/kaḥ< « repousser », >ḥuqq< = >ḥukk< « boîte », >daraq/kah< « bouclier », dans IQ 2/9/1 >nakfaz< « je saute », etc., alors que IH a relevé 16 cas dans les deux sens.177 Traditionnellement, on a attribué cette indistinction au substrat roman mais, en considération des nouvelles données sur la phonologie des anciens dialectes arabes de l’Orient et de l’Occident, il faut se demander si on n’est pas là aussi face à l’évolution d’un qāf glottalisé vers son allophone vélarisé, et s’il ne faut pas attacher un peu d’importance au substrat berbère où, comme il est connu, le /q/ est souvent la réalisation de /ġġ/, tout comme /ṭ/ l’est de /ḍḍ/.178
1.2.26 /ḫ/ Le phonème uvulaire spirant sourd de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservée tel quel dans plusieurs langues sémitiques, se reflète dans les transcriptions en graphie arabe normalement avec >ḫc< ou >quf< ou au moyen de h, comme dans le cas de /ḥ/ (q.v.), avec Ø, par exemple le castillan alcachofa et le portugais alcachofra = catalan carxofa « artichaut » < arabe andalou /alḫaršúfa/, le castillan jeque = catalan xec « cheikh » < arabe standard /šayḫ/, le portugais alface « laitue » < arabe standard /ḫass/, Benifairó (Valence) < /baní
|| 175 Dans d’autres cas, on utilisait >ġ arabe andalou /ġírra/, dans le nom de lieu /GRANÁTA/ « Grenade » >ġarnāṭahġṭyšh< « Witiza » et l’ethnonyme >ġndlš< « Vandales » (Penelas 2001 : 48 et 135), ce qui prouverait une distribution allophonique. 176 Comme dans le cas de /ṭ/ (1.2.11), il faut se demander si, avec la transformation de la glottalisation – où la sonorité n’était pas possible – en vélarisation, où elle devenait indifférente, ce trait est resté libre de s’accommoder de façon allophonique à l’entourage ou à d’autres préférences. 177 Voir Pérez Lázaro 1990 I : 77‒78. 178 Voir Dallet 1982 : xxiii : « en kabyle, le redoublement (gémination, longueur, tension) d’un grand nombre de consonnes spirantes … entraîne normalement …, par exemple pour ḍ et pour γ, un assourdissement (ṭṭ, qq) ».
Consonantisme | 65
ḫayrún/, le portugais Alafões < arabe andalou /alaḫawayn/ « les deux frères »179, le castillan alfar « poterie » < arabe standard /faḫḫār/, badea « melon mauvais » < arabe andalou /baṭṭíḫa/.180 Il peut s’assimiler en /ġ/ dans un entourage sonore, par exemple dans VA >maḫ/ġdūr< « engourdi » et >anḫ/ġadar< « s’engourdir », et ce /ġ/ peut se répandre dans les paradigmes dans d’autres positions, par exemple >ġudrān< « engourdissement », mais les transcriptions romanes avec >g< sont généralement le résultat d’une assimilation intra-romane, par exemple le castillan algarroba = catalan garrof/va, face au portugais alfarroba < arabe andalou /alḫarrúba/ et catalan magatzem, en face du castillan almacén et portugais armazém « magasin », < arabe andalou /almaḫzán/.
1.2.27 /ġ/ Le phonème uvulaire spirant sonore de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservé tel quel seulement dans quelques langues sémitiques, se reflète dans les transcriptions en graphie arabe normalement avec >ġ< et, dans les romanismes des emprunts et des noms de lieu, avec >g< ou >gumaḫfira< « indulgence » et >ina yaḫfir< « qu’il pardonne », au lieu de l’arabe standard /maġfirah/ et /yaġfir/, et depuis se répandre dans les paradigmes dans d’autres positions, par exemple dans Alcalá nag/ḳtox ~ ḳ/gatázt « se plonger » < {ġṭs}, ḳácel « lavage » < {ġsl}, izdáḳ pluriel azádiḳ « tempe » < {ṣdġ}, et cette alternance a également lieu dans les emprunts au roman andalou qui avaient un >x< (= /ks/) en latin, quoique la réalisation sourde était normale à cause de l’assimilation à la consonne suivante, par exemple dans IQ >miḫšayr< « grande coupe », dans VA >laḫšiyyah< « lessive » = leḳxía dans Alcalá, dans VA >ṭaḫš
jchχ< du grec (qui n’a jamais existé comme phonème en latin).
66 | Phonologie
< « if », du latin *mixtarius, lixiva, taxus et deux exemples avec /kt/ en latin, dans VA >laḫtūqah< « laitue », du latin lactuca, et >laḫtiyyn< « suc laiteux qui découle de l’écorce du figuier » du latin lact(em).181 1.2.27.1 Ce phonème pouvait s’affaiblir en /ʕ/ en arabe andalou dans quelques cas, par exemple dans Alcalá jaârafía « géographie » < arabe standard /ǧuġrafiyyah/, nagániê pluriel de nognóga « goitre » < arabe standard /nuġnuġ/ « canal de la gorge », muztafra « pâle » < {frġ}, ce qui pourrait aussi expliquer l’absence de représentation graphique ou phonétique dans les emprunts ibéro-romans castillan almófar = portugais almafre (voir ci-dessus), et alara « pellicule de l’œuf » < arabe standard /alġa/ilālah/ « tunique ». Il faut remarquer la fréquente coïncidence de ce phénomène avec le voisinage de /r/, tout comme le cas de >mʕrb< en sudarabique = arabe standard /maġrib/ « occident »,182 ce qui nous rappelle encore une fois l’étroite relation de l’arabe andalou avec cette branche du sémitique méridional, où le phonème /ġ/ a commencé dans sa phase finale à confluer avec /ʕ/.
1.2.28 /ʕ/ Le phonème pharyngal spirant sonore de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservé tel quel dans plusieurs langues sémitiques, se || 181 C’est ainsi que DS II 531 le traduit correctement, alors que la traduction « variété blanche de figues » est une erreur, qui a doit être corrigée dans Corriente 1989b : 272 et dans Corriente 1997a : 478, ici par mégarde après avoir été rectifiée dans Corriente 1992 : 57, en dépit de la correcte étymologie bas latin, que confirme l’opinion de Dozy. D’autre part, il se trompait en considérant >laḫtīn< comme un composé du latin lac avec l’arabe tīn, plus correct que la graphie dans VA : en fait, Ibn Luyūn, dont le passage ne laisse aucun doute sémantique, se sert par nécessité métrique d’une haplologie fréquente en arabe andalou lorsque le suffixe de nisbah s’ajoute à celui du pluriel régulier (voir 1.4.2.4), mais c’est le suffixe latin {+vgo ~ +ginis} qui a été là métanalysé comme nisbah, étant assez commun en roman andalou, par exemple dans GL >furrīn< latin porrigin(em), latin plantago « plantain » > Alcalá plantáyn, le latin fulligo « suie » > VA fulliyín = Alcalá fulliín, et pouvant même s’être répandu là où il n’existait pas en latin. Ce résultat /+iyi+/ en arabe andalou était la conséquence de la faiblesse articulatoire du /ǧ/ en roman andalou dans certaines positions (voir 1.2.21). 182 Voir Bauer 1966 : 37‒38 et Corriente 1989a : 98. La confluence en est totale en éthiopien et, parmi les langues sud-arabiques modernes, en soqoṭri. On a assez parlé d’ultra-corrections qui seraient aussi des traces de ce phénomène, par exemple les emprunts en castillan algarabía « langue arabe » < arabe standard /alʕarabiyyah/, almártaga « licou » < arabe andalou */almártaʕa/ et algarrada « catapulte » < arabe standard /ʕarrāḍah/, ainsi que des nom propre comme Binigomar (Mallorca) < arabe andalou /baní ʕumár/ « les fils d’Omar », dont certains pourraient l’être vraiment, mais il faut également admettre la possibilité d’un conventionnalisme des Mozarabes bilingues pour représenter ce qui était pour eux une réalité phonétique sans équivalence en graphie latine, et d’autres phénomènes possibles, comme une étymologie populaire arabe andalou */ġarráḍa/ « celle qui atteigne les cibles », etc.
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reflète normalement dans les transcriptions en graphie arabe avec /ʕ/ et dans les romanismes avec >Øqimāʔ< pluriel >aqmiyah< « entonnoir », et 24 >naṭā< = VA « tapis en cuir », dans VA >yarā< = dans Alcalá yará pluriel yaraguát « flûte », dans VA >(ʕ)anṣulah< « bubon », >bawḍ< « moustiques », dans Alcalá juáyma « petite église »,184 et un peu partout (dans IQ, dans ZJ, dans DC 5a, 7b, 8b, et passim, dans Alcalá, etc.) la préposition ma/itá « de » et l’adverbe >alsā< « maintenant », au lieu de l’arabe standard /qimʕ/, /niṭʕ/, /yarāʕah/, /ʻunṣulah/, /baʕūḍ/, /ǧuwaymaʕ/, /matāʕ/ et /assāʕata/. Sans sa chute, on n’aurait pas le castillan noria = catalan et portugais nora < arabe standard /nāʕūrah/, quant aux graphies d’Alcalá où il ne se reflète pas, on sait bien combien ses imprimeurs ou lui-même commettaient des erreurs, mais parfois l’omission est prouvée par l’entourage morpho-phonologique, comme dans niḳaddá ~ ḳaddáit « tromper» < {ḫdʕ} ;185 sa graphie est également démentie par les inflexions fournies par lui même, par exemple naôora pluriel naguáir, dont le pluriel /nawáyir/ décèle un singulier /náwra/, pas /naʕúra/. 1.2.28.1 Ce phonème pouvait s’assimiler en /ḥ/ dans un entourage sourd, puis se répandre dans les paradigmes dans d’autres positions, par exemple dans VA >kaḥs< « cheville du pied » >kaḥqah< « vol-au-vent de poisson » = ZJ >kaḥkah< « gâteau », dans Alcalá çáhtar = IQ 19/3/4 >saḥtar< « origan », au lieu de l’arabe standard /kaʕs/, /kaʕkah/ et /saʕtar/, 18/2/3 >maḥḥā< « avec elle » < arabe standard /maʕhā/, dans Alcalá 41.31 çamáht « tu as entendu » < {smʕ}, nahtacál « je suis en retard », voir aussi dans IQ 118/0/1 >muḥtaqal< « retenu », dans VA >ḥuqlah< « retard » < {ʕql}, >ḥafn< « putréfaction » et dans IQ 90/20/4 >maḥfūn< « pourri » < {ʕfn}, dans DC 14a tahtii « tu donnerais » < {ʕṭy}, dans DM 1r >ītnaḥšar< « douze ».
|| 183 On trouve parfois des transcriptions avec >hǧīmah< « communauté musulmane » chez León Tello 1964 : 6 ; il était bien connu qu’Alcalá rendait parfois les technicismes chrétiens par leurs plus proches ‘équivalents’ islamiques. 185 Avec la même situation normale en maltais, où /ʕ/ ne se réalise plus, par exemple waqaʔ ~ waqgħet ~ waqajtu « tomber » < {wqʕ} (Sutcliffe 1936 : 106).
68 | Phonologie
1.2.29 /ḥ/ Le phonème pharyngal spirant sourd de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservé tel quel dans la plupart des langues sémitiques, se reflète dans les transcriptions en graphie arabe normalement avec /ḥ/, et dans les romanismes avec >h< ou >fØ< et >gluṭiḫa< au lieu de /luṭiḥa bišarr/ « il a commis une mauvaise action », 295 >masīḫ< au lieu de l’arabe standard /masīḥ/ « le Messie »187 et l’ultra-correct 257 >ašḥantu ṣadrahū< au lieu de /ḫaššantu/ « je l’ai courroucé ».188 Par ailleurs, on a mentionné quelques traces d’un affaiblissement de /ḥ/ en /h/, par exemple dans VA >qaḥqaḥah< = >qahqahahquzquzaʕ< « arcen-ciel » < arabe standard /qawsu quzaḥ/ et dans Alcalá járiha pluriel jaguáreâ « membre » < arabe standard /ǧāriḥah/ ~ /ǧawāriḥ/, yabróâ « mandragore », mais /yabrúḥ/ dans toutes les autres sources.
|| 186 Les transcriptions avec >qu< sont bien plus rares, par exemple le castillan almadraque = catalan almadrac, matelàs et surtout matalaf « matelas », dont l’histoire semble être compliquée, ou avec >jalmassīḥ< : ne serait-elle pas une autre déformation malicieuse, comme celles qu’on a mentionnées en 1.4.2.3 ? Les Musulmans ont le plus grand respect pour tous les prophètes, Jésus inclus, mais /masīḥ/ était un mot caractéristiquement chrétien, qui aurait pu provoquer la même substitution insultante des autres cas, surtout quand on considère qu’il s’agit de l’expression >almasīḫ aldaǧǧālh< ou >fgb< ou >Ø {+u} partout au Maroc, comme /kəlbu/ « son chien », /mṛātu/ « sa femme », {+ha} > {+a} dans quelques variétés marocaines surtout du nord, comme /bənta/ « sa fille », /šufta/ « je l’ai vue », et {+hum} > {+um} dans quelques variétés marocaines et > {+əm} dans les variétés de Jbala, comme /ṣḥābum/ « leur amis », /dyāləm/ « leur ». Par contre, après voyelle, le /h/ persiste, comme /klāh/ « il l’a mangé », /šuftīha/ « tu l’as vue » et /ktəbtūhum/ « vous les avez écrit ». On trouve les exemples /nāḍ/, /kāf/ et /fgi/ également en arabe libyen. En outre, en arabe libyen, l’amuïssement du /h/ concerne le pronom affixe de la troisième personne du féminin singulier, lorsqu’il est employé à la forme non-pausale : on le retrouve sous la forme {+a} ou {+ā+} comme dans /šbǝḥt-a f-ǝs-sūg/ « je l’ai vu au marché » et /mā-lget-ā-š/ « je ne l’ai pas trouvé » (Pereira 2010 : 23‒26). 191 Dans ces passages d’IQ, il est préférable de donner la transcription phonologique demandée par le mètre et la rime.
70 | Phonologie
passim >faqī< « jurisconsulte », dans VA >fākiyah< = >fikyah< « fruit », dans IQ 18/0/1 >arfayt< « je menai une vie aisée », de la racine {rfh},192 dans AC 1298 >ʕayrah< « prostituée », de {ʕhr}, dans Alcalá nixebbé ~ xebbéit « feindre », où l’inflexion du perfectif confirme la chute de /h/, même dans le nom de Dieu, par exemple dans IQ 21/13/1 /yáʕṭik+álla+nnaǧá/ « plût à Dieu te sauver », 143/5/2 /adám+álla+yyámu/ « que Dieu allonge ses jours ! », 159/2/1 >sāq allā lī< « Dieu m’a apporté », ce qui fut denoncé par Aššuštarī 70/2/1 (voir PES 110), bien que lui-même commît cette « faute » dans 69/4/4 /in ḫálaf+ alla+ḏ.ḏ.unún/ « si Dieu s’oppose à l’espoir » . Par contre, on l’a parfois ajouté à la fin de mots qu’on estimait « trop courts », par exemple dans GL >mufǧāhun< « soudain », de {fǧʔ}, en plus des cas déjà classiques dans VA >miyāh< « eaux », /fáh/ « bouche », etc.
1.2.31 /ʔ/ Le phonème laryngal ou glottal occlusif de l’arabe andalou, hérité de l’arabe ancien (appelé hamz par les grammairiens) et du proto-sémitique, mais préservé tel quel seulement dans quelques langues sémitiques, se reflète dans les transcriptions en graphie arabe de façon irrégulière, et toujours comme interférence de l’arabe classique, avec le graphème appelé hamzah, et dans les romanismes avec >Ø< puisque, n’ayant survécu phonétiquement en arabe andalou et dans la plupart des dialectes néo-arabe, qu’au début de mots devant une voyelle,193 il semble avoir perdu sa valeur phonologique, sauf dans son utilisation prosodique dans les poèmes dialectaux appelés azǧal194 et dans quelques autres cas douteux, par exemple dans || 192 Un cas curieux où le manuscrit a la forme correcte >wʔrfhtil+ayna< « (vers) où », dans IQ 20/29/1 /ʕábdu+na/ « je suis son esclave », 7/11/3 /qaṭáʕ+albár(i)+aṯári/ « puisse Dieu couper ma route ! », 116/4/4 >fuǧu< = /fúčču/ « à sa face », dans ZJ 1210 /f+úmmi/ « dans ma mère », etc. La rapidité du débit et l’absence de risque d’inintelligibilité ont certes favorisé ces liaisons, comme dans IQ 38/10/4 >fa+nnī< « car je », au lieu de /faʔínni/, 42/2/2 >l+āḥad< « à personne », au lieu de /liʔaḥád/, 122/5/1 >b+aḫbārak< « avec tes nouvelles », au lieu de >biʔaḫbārakf+aḫūh< « dans son frère », dans PES 8/1/5 >w+in ṣibtu< « et si je trouve », 15/4/7 >b+ašyātī< « avec mes choses », IZ 1/574 /b+uǧúh/ « avec faces ». 194 Cette option métrique a été décrite dans la première édition d’IQ (Corriente 1980 : 19 et note 24 et dans Corriente 1988 : 23), avec un exemple aussi clair que dans PES 36/7/1 /kalámi+smáʕ wa+ʕríf waʔifhámni/ « entend mes paroles, connais et comprend-moi » dans un registre élevé. Il ne
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IQ >niʔammal< « j’espère », dans VA >taʔammalt< = Alcalá teammélt, dans Alcalá çuél « question » = VA >suʔlaswilah< qui nous fait suspecter un singulier */suwál/ (ainsi écrit dans IQ 43/10/3). On considère ces réalisations et d’autres similaires195 comme exclusives du registre élevé196. 1.2.31.1 En néo-arabe, la chute de /ʔ/ allonge la voyelle brève qui le précédait et dont il fermait la syllabe, par exemple dans VA et dans IQ 10/3/4 >bīr< « puits » < arabe standard /biʔr/, dans IQ 3/2/4 et AC >rās< « tête » < arabe standard /raʔs/, IQ 107/4/3 >sūl< « désir » < arabe standard /suʔl/197. En outre, la chute de /ʔ/ ne laisse aucune trace après une voyelle historiquement longue en fin de mot, par exemple dans VA >farrā< « pelletier » < arabe standard /farrāʔ/, >biʔasmāhum< « avec leurs noms » < arabe standard /bi+ʔasmāʔi+him/198. Cela est également le cas lorsque la hamzah se trouvait entre deux voyelles identiques, bien que leur contraction en néoarabe générait une voyelle longue, qui est simplement accentuée en arabe andalou, par exemple l’arabe standard /badaʔa/ « il commença » > néo-arabe /badā/ = arabe andalou /badá/, mais /bda/ en arabe marocain sans voyelle longue à la fin du mot, l’arabe standard /qaraʔa/ « il a lu » > arabe andalou /qará/, /qṛa/ arabe marocain (idem), l’arabe standard /ruʔūs/ « têtes » < arabe andalou /rús/ = /rūs/ en marocain, l’arabe standard /fuʔūs/ « bêches » > arabe andalou /fús/199. En outre, entre voyelles différentes, on évite le hiatus avec l’insertion d’une sémi-consonne homologue, /w/ lorsqu’une de voyelles était /u/, et /y/ si elle était /i/, par exemple dans VA >muwallah< « déifié » < arabe standard /muʔallah/, VA >riyyah< « poumon » < arabe standard /riʔah/ ; la deuxième solution étant aussi adoptée pour /āʔa/, par exemple dans VA >qirāyah< « lecture » et >bidāyah< « commencement »200. Mais, bien entendu, les semi-consonnes anti-hiatiques peuvent se propager dans les paradigmes hors de leurs domaines phonétiques initiaux, par exemple le
|| s’agissait pas d’une innovation totale, car l’alternance du alif waṣl avec l’alif qaṭʕ était une licence, quoique peu fréquente, chez les poètes anciens (Wright 1962‒4 II : 374‒377). 195 Voir SK 58. 196 Comme en Libye, où on le trouve dans les termes /ʔǝllǝf/ « il a rédigé » et /muʔmǝn/ « croyant », et toujours dans les termes de racine {sʔl} : /sʔǝl/ « il a demandé », /mǝsʔūl/ « responsable » (Pereira 2010 : 81). 197 C’est également le cas de l’arabe nord-africain, comme dans /ṛās/ < /raʔs/ « tête », /bās/ « mal » < /baʔs/, /dīb/ « chacal » < /ḏiʔb/ et /yākǝl/ « il mange » < /yaʔkul/. 198 C’est également le cas en arabe nord-africain, comme dans les substantifs suivants en arabe libyen /sme/ (/sma/ en marocain) « ciel » < /samaʔ/, /hbe/ « cendres (de cigarette) » < /habāʔ/, /ʕše/ (/ʕša/ en marocain) « dîner » < /ʕašāʔ/, /ġde/ (/ġda/ en marocain/) « déjeuner » < /ġadāʔ/. 199 En arabe libyen, dans les verbes /že/ « il est venu » < /žāʔ(a)/, bde « il a commencé » < /badaʔa/ et gre « il a lu, étudié » < /qaraʔa/, où les anciens /a/ finaux sont imalés et réalisés [e]. 200 Comme en arabe nord-africain, avec les exemples /rīya/ « poumon » < /riʔa/, /grāya/ en libyen, mais /qrāya/ en marocain « lecture, étude » < /qirāʔa/, /fwād/ « viscères » < /fuʔad/.
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néo-arabe /tuwaḫḫir/ « tu tardes » < {ʔḫr}, qu’on retrouve non seulement dans VA >niwaḫḫar< = Alcalá niguaḳár, mais aussi dans VA >mawḫar< pluriel maʔ/wāḫir « pope du navire » ; dans VA >niwaddab< « j’éduque » explique non seulement >muwaddib< « professeur », mais aussi dans ZJ 540 /awdáb/ « mieux éduqué », tout comme dans VA >niwakkad< « presser » qui est à l’origine de l’exemple dans IQ >awkad< « plus urgent », voir aussi Ferrando 1995 : 105 >waǧǧalahu< (dans MT 835 : 4) « il lui a accordé un délai », de {ʔǧl} ; d’autre part, dans IQ /máyzar/ < arabe standard /miʔzar/ « voile » et dans VA /máybar/ « étui à aiguilles » ont acquis le /y/ à cause du changement de l’ancienne voyelle du préfixe ou à cause de leur proximité sémantique et morphologique de /izár/ « voile » et /íbra/ « aiguille », tout comme l’arabe standard /ʔāḫawhu/ est devenu dans IA >wāḫawh< « ils l’ont traité comme leur frère », dans VA >ibṭ< = >yabṭābāṭaybāṭ< et dans Alcalá ibt « aisselle », pluriel aybát, au lieu de l’arabe standard /ābāṭ/, à cause de la vocalisation du singulier,201 ainsi que dans VA et dans ZJ 358 >rawwās< qui rend le pluriel /rús/ de /rás/ en arabe andalou, et dans VA >mawḫūḏ< = >maʔḫūḏ< et >mawkūl< = >maʔkūl< semblent avoir développé le /w/ en partant de la vocalisation du perfectif non-agentif /uḫíḏ/ « il fut pris » et /ukíl/ « il fut mangé », alors que dans VA >atlaylà ~ yatlaylà< « briller » < {lʔlʔ} aurait tiré son /y/ d’une variable avec imālah *[(y)atlēlē] ou d’une assimilation sémantique avec /laylah/ « nuit », et dans VA >laʔīm< « avare », devenu dans AC >lāyimalyam< « plus avare », tout cela se rapprochant d’une option lexicale plus que morphophonologique202. 1.2.31.2 La chute de /ʔ/ peut exceptionnellement être évitée en le remplaçant par /ʕ/, par exemple dans VA >faqaʕa< « arracher un œil » < {fqʔ} ;203 sinon, il pouvait être substitué par la gémination de la consonne qui le suivait, comme dans VA || 201 Cela semble confirmer la vocalisation au moins phonétique des /w/ et /y/ initiaux, puisque /wu/ et /yi/ étaient analysés comme /u/ et /i/ et vice versa (voir 1.4.1.5). 202 En arabe libyen, on trouve les exemples /wǝḫḫǝr/ « reculer » de racine {ʔḫr}, /wǝkkǝl/ « il a nourri » de racine {ʔkl}, ainsi que /tṛǝyyǝs/ « il a maîtrisé » de racine {ṛʔs} (Pereira 2010 : 107, 113). On trouve également des termes de racine {1ʔ3}, notamment d’ancien schème {1āʔi3}, qui sont traités comme des termes de racine concave sur le schème {1āyǝ3} tels que /ḥāyǝḍ/ « qui a ses règles » < /ḥāʔiḍ/ et /ʕāyǝb/ « boiteux » < /ʕāʔib/ (Pereira 2010 : 166‒167), ainsi que des participes agentifs des verbes concaves à la forme G = I : /gāyǝl/ « diseur » < /qāʔil/, /bāyǝn/ « visible, apparent » < /bāʔin/ et /bāyǝʕ/ « vendeur » < /bāʔiʕ/ (Pereira 2010 : 100‒102). Cette transformation de /ʔi/ > /yə/ dans les participes existe aussi en arabe marocain, comme /šāyfa/ « voyante », /fāyəq/ « réveillé », /dāyrīn/ « faisants ». De la même façon que les racines ‘hamzées’ qui sont devenues concaves ou assimilées, comme /wəkkəl/ « nourrir » et /suwwəl/ « demander ». 203 Très rare et aidé probablement par la similitude sémantique de {fqʕ} « accabler ; percer », bien qu’il y ait un cas similaire dans le marocain /ḫǝbbǝʕ/ = /ḫǝbba/ « cacher » < {ḫbʔ} (Prémare DAF 4 : 14, 16) et cette mutation peut être expliquée comme une ultra-correction, liée à la tendance qu’a le /ʕ/ de tomber en position finale, dans une phase qui semble avoir précédé sa disparition totale en maltais, voir 1.2.29.
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>nāḫuḏ< = >naḫḫuḏ< « je prends », de {ʔḫḏ}, >nākul< = >nakkul< « je mange », de {ʔkl}, >nattaḏā< ~ >attaḏayt< « éprouver un dommage< » de {ʔḏy}, >ḥiddah< « lanier » < de {ḥdʔ}, dans IQ 4/2/6 >yihaddadnī< « il me soulage », et 94/26/1 >had< « il se tint coi », en position de rime, les deux de {hdʔ},204 dans LA 272 >ridd< « aide », de {rdʔ}, dans Alcalá fill « augure » < arabe standard /faʔl/, propagé dans le verbe nifellél ~ fellélt « augurer », et dans ZJ 281 >alsawwah< « la (femme) méchante », de {swʔ} ; cependant, /ʔ/ peut aussi disparaître sans laisser aucune trace dans les séquences /Cʔv/, par exemple dans VA = IQ 145/10/2 = ZJ 764 >mašūm< « sinistre », quoique dans IH 349 >ma(y)šūm< est mentionné, avec métathèse du /y/. Il semble aussi que, parmi les dialectes néo-arabes des envahisseurs, certains connaissaient l’aphérèse de /ʔ/ et de la voyelle qui le suivait en début de mot provoquant une suite de deux consonnes à l’initial du mot, ce qui a été corrigé par la suite dans l’arabe andalou standard, parfois avec l’insertion d’un /i/ caractéristique de l’arabe en général, par exemple dans LA 253 >idrāǧ< < arabe standard /adrāǧ/, dans VA >ibzār< < arabe standard /abzār/ « épices », mais plus souvent aussi d’un /a/, prosthétique ou épenthétique, par exemple dans VA >ast< « cul », dans LA 259 >anṣāb< arabe standard /niṣāb/ « manche », dans IH 112 >labīrīilbīrī< « d’Elvira », et partout /abán/ < arabe standard /ibn/ « fils (de) »205 et /abánt/ « fille (de) » ; dans le cas de l’arabe standard /imraʔah/ « femme », avec la variable après l’article /marʔah/, l’arabe andalou a utilisé surtout /mará(t)/, par exemple dans IQ 20/0/1 et dans Alcalá mará, mais aussi /amrá(t)/, par exemple dans Alcalá amrát guíldi « la femme de mon père », et dans AC /alamrát aḫú/ « la belle-sœur », comme s’il s’agissait d’un
|| 204 Dans une deuxième phase, cette gémination peut être remplacée par un /n/ dissimilatoire par exemple dans VA >zanbaq< « vif-argent », au lieu de l’arabe standard /ziʔbaq/. Mais on observe parfois le même traitement pour /w/ et /y/ finaux après une consonne non vocalisée, par exemple dans VA >laṯṯah< « gencive », de {lṯw}, >raṯṯ< « élégie » < de {rṯy}, >ǧaṯṯ< « génuflexion », de {ǧṯw} et >tadd< « mamelle », de {ṯdy}. 205 Cette préférence caractéristique de l’arabe andalou, à cause de son ascendance sudarabique (Corriente 1989 : 96), se retrouve dans la vocalisation des alifs prosthétiques dans la conjugaisons des verbes, comme on le verra plus loin, et dans la ‘normalisation’ des emprunts commençant par un groupe consonantique, par exemple dans IH 258 >safannarya< « carotte » < grec stafilînē ágria, dans VA >ablantāyin< « plantain » < latin plantago, >aqlīm< « climat », du grec klîma, dans IQ 57/6/3, dans VA, dans IA, dans AC >ahnā< = Alcalá ahané < arabe standard /hunā/ « ici », etc., bien qu’on trouve parfois des restaurations ‘normales’ avec /ʔi/, par exemple dans VA >iqrištah< « huppe », du latin crista, dans ZJ 990 >imrā< « femme », dans Alcalá Yfránja « France », ygríl « grillon » < latin grillus (mais dans VA >aġrīl(yāt)< « grillon(s) ») ; voire ultra-correctes, par exemple dans ZJ 5 >iḥmārak < « ton âne », dans VA >iṯmār< « fruits » ; harmonisées, par exemple dans Alcalá ufrúta « flotte » < portugais frota, ufrontál « coussin sous la courroie du joug » < latin frontalia, etc. Il est évident que la vocalisation de ces alifs avec /i/ était identifié comme ‘plus classique’ et avec /a/ comme plus vernaculaire, et que dans les registres plus bas cette voyelle pouvait disparaître, comme dans VA >ibrišmah< « poix », du grec períchrisma, mais dans Alcalá períxma. La préférence yéménite pour /a/ prosthétique semble avoir altéré le pluriel brisé /irāḫ/ en /aráḫ/, selon IH 92, par rapport à leur mot caractéristique /árḫa/ « génisse ».
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mot composé. Un cas comme dans IQ 11/8/3 et 15/2/1 = NQ hm 1/1/4 >ʕūḏu ballah< « je me réfugie auprès de Dieu », dans une phrase si classique et si fréquente semble être lié dans cet épigraphe à la chute de ce phonème en position initiale.206 1.2.31.3 Dans quelques cas, un /ʔ/ initial a été remplacé par /y/, par exemple dans VA >(y)ābunūz< « ébène » < arabe standard /āb(a/u)nūs/ et >yafʕà< « vipère », mais dans IH 194 >ifʕà arabe standard /afʕà/, 321 >yizār< « voile très ample » < arabe standard /izār/. Comme dans des cas similaires dans d’autres dialectes du néoarabes, par exemple marocain /yibṛa/ « aiguille », /yibrīr/ « avril », /yāžōṛ/ « briques cuites », /yibrīz/ « or pur », égyptien /yansūn/ « anis », au lieu de l’arabe standard /ibrah/, /abrīl/, /āǧurr/, /ibrīz/ et /ānisūn/ ;207 il s’agit probablement d’un moyen pour empêcher l’aphérèse de la première syllabe ouverte des mots commençant avec /ʔ/ dans une jointure ouverte, dont la chute est très fréquente dans des cas comme dans IQ 2/8/3 >ḥad< « quelqu’un » = Alcalá hadd pluriel hudúd « dimanche » (comme dans VA >yawm alʔaḥad< pluriel >ḥudūdbazīm< = Alcalá bizím « boucle », Alcalá ḳatt « je pris », au lieu de l’arabe standard /aḥad/, /ibzīm/ et /aḫattu/, ainsi que les dizaines de cas qu’on retrouve dans les emprunts ou dans les noms de lieu, où l’arabe andalou /abú/ « père ; doué de » n’a gardé que sa dernière syllabe, par exemple le castillan bojalaga = catalan bufalaga < arabe andalou /bu ḥaláq/ «garou », littéralement « doué d’anneaux », le castillan buzaque « buvard » < arabe andalou /bu záqq/ « doué d’une outre », Boabdil < arabe andalou /bu ʕabdíl(lah)/, Bolbaite (Valence) < arabe andalou /abu (a)lbáyt/ « seigneur de la maison », etc.208 Un exemple dans VA, >biyawān< « à temps », où le /y/ qui semble s’être développé dans la jointure ouverte nous suggère que, puisque les prépositions les plus courantes, /bi+/, /li+/ et /fi+/, ont un /i/ final, ce /y/ antihiatique peut s’être étendu et, moyennant une fausse coupure ou déplacement de la
|| 206 On trouve la forme correcte dans 38/29/2, peut-être metri causa, ou peut-être parce qu’il s’agit ici d’une citation du Qurʔān 113.1. 207 Voir Brockelmann 1908 I : 46. En Libye, on trouve, par exemple /yǝbṛa/ « aiguille » < /ʔibra/. 208 Mais on ne connaît pas bien la distribution synchronique, diachronique et diastratique de ces allomorphes, car Alcalá retient la forme normative souvent, par exemple abu ráç « qui a une grosse tête » < arabe andalou /abu rás/, abudnéy « oreillard » < arabe andalou /abu+ḏnáy/, abuhalác « panaris » < arabe andalou /abu ḥaláq/ littéralement « ayant un anneau », abu céte « ayant six doigts » < arabe andalou /abu sítta/, etc., tout comme dans ZJ 1241 >abū ǧuʕrān< « scarabée », et cela à côté d’Alcalá Ragón « Aragon » et des noms de lieu, comme Lecrín (Grenade) < arabe standard /alʔiqlīm/ « la contrée », aussi dans autres régions du pays et même dans des dénominations préarabes, par exemple en latin Emerita > arabe andalou >māridah< > castillan Mérida (Badajoz), Italica > arabe andalou >ṭāliqah arabe andalou >lišbūnah< > castillan et portugais Lisboa, etc.
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frontière entre les mots, avoir produit ces allomorphes-là, comme dans les cas néoarabes d’agglutination du /l/ de l’article, par exemple /(l)īwān/ « salle ».209
1.3 Phonèmes supra-segmentaux 1.3.1 L’accent Le rythme prosodique de l’ancien arabe était quantitatif, c’est-à-dire basé sur la conscience chez les natifs de la différence de longueur entre les syllabes courtes et les syllabes longues, ce qui explique beaucoup de règles morpho-phonologiques210 et, surtout, l’existence et la nature d’un système de versification (ʕarūḍ) de ce type. Cependant, et à l’instar de ce qu’il s’était passé presque mille ans auparavant avec le latin, également doté d’un rythme quantitatif et du type de versification correspondant, l’arabe parlé dans la Péninsule Ibérique n’a pu le préserver et l’arabe andalou a acquis un rythme accentuel ou qualitatif, basé sur la présence dans quelques syllabes, normalement une seule par mot, d’un fort accent d’intensité ou expiratoire, et, par conséquent, il a développé une adaptation accentuelle de l’ancien système de versification.211 On ne peut tirer d’autre conclusion du fait que les matres lectionis, c’est-à-dire les graphèmes >āī< et >ū /arinī ʔiyyāhu/ « montre-le moi », bien qu’ici l’élément anti-hiatique ajouté a été /ʔ/, tout comme dans les pluriels brisés où l’arabe standard insère ce phonème après /ā/, par exemple /katībah/ ~ /katāʔib/ « escadron », qui devient /y/ en néo-arabe /katāyib/. 210 Par exemple les oppositions consistant en un allongement vocalique entre les conjugaisons I et III (par exemple arabe standard /ḫalaq/ « créer » ~ /ḫālaq/ « traiter avec bonté »), ou entre quelques pluriels brisés et des singuliers (par exemple arabe standard /firaq/ « troupes » ~ /firāq/ « séparation », etc. 211 C’est-à-dire le ʕarūḍun muḥawwar ou adapté des azǧāl ; voir Corriente 1980 et Corriente 1997b : 70‒121, où on explique aussi les moyens par lesquels les poètes andalous de langue classique sont parvenus à maîtriser la versification habituelle des orientaux. 212 Voir Cantineau 1941 : 119‒121, dont la critique radicale du rôle de l’accent en arabe doit être compensée par des analyses comme celles de H. Birkeland 1954, qui décèle une influence logique des dialectes parlés sur la prononciation traditionnelle de l’arabe classique, et l’existence de plusieurs types d’accentuation dialectale, parmi lesquelles un type maghrébin, auquel appartiendrait l’arabe andalou, sauf partiellement (page 41). Bien que les données sur l’accent, surtout en arabe andalou, ne soient pas encore définitives, il faut reconnaître la réalité du type maghrébin ou occidental, ses divergences avec les types orientaux et ses occasionnelles
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irrégulière dans le cas contraire,213 ce qui signifie évidemment que la quantité a été remplacée par l’accent, ses marques graphiques ayant été transférées vers celui-ci, par exemple dans VA >māʕuh< = Alcalá máv < arabe andalou /máʕu/ < arabe standard /maʕuhū/, VA >qunfūd< = Alcalá canfút « hérisson » < arabe standard /qunfuḏ/, dans IQ 72/13/4 >niqāʕ< = Alcalá niqáâ « je tombe » < arabe andalou /niqáʕ/, par rapport à l’arabe standard /aqaʕ/, dans IQ 9/31/1 >saqayn< « deux jambes » = Alcalá çacái < arabe andalou /saqáy(n)/ < arabe standard /sāqayn/, etc. 1.3.1.1 L’accentuation des séquences syllabiques /CvCv(ː)C/ de l’arabe standard était en arabe andalou toujours ïambique ou oxytone, par exemple /katáb/ « il a écrit » et /kitáb/ « livre », ce qui donne souvent lieu et d’une façon aléatoire à la présence « anormale » de matres lectionis, par exemple dans VA >sana/ām< « bosse », >saba/āḫah< « marécage »,214 dans MT 360 : 10 >bisabābhkutūb< « livres » ; ainsi que celle des séquences /CvːCvC/ toujours trocaïque ou paroxytone, par exemple /kátib/ « écrivain », /kátab/ « il a écrit une lettre a quelqu’un », mais avec des variations dans les autres séquences. Dans le cas de
|| coïncidences avec l’égyptien (par exemple marocain mdərsa = égyptien [madrása] = arabe andalou /madrása/, par rapport au syrien [mádrase]), parfois avec les dialectes du Yémen (voir Behnstedt, dans Corriente & Vicente 2008 : 106) et un certain effet sur la structure des mots : c’est difficile de le nier dans les cas où il détermine la chute de voyelles post-toniques, comme dans VA >ṣunubrah< « pin » = Alcalá çonóbra < arabe standard /ṣanawbarah/, dans IQ 71/4/2 >waǧd alḫumār< « ayant une pointe de vin » < arabe standard /wāǧid/ « sentant », dans ZJ 258 /ṣaḥb aldār/ « le maître de la maison » et Alcalá çáhbet adár « la maîtresse de la maison », et partout /wíld/ < arabe standard /wālid/ « père », ce qui d’ailleurs est assez fréquent dans le reste du néo-arabe. Il ne s’agit probablement pas d’une simple coïncidence avec celle qu’on observe dans VA >maddah< « accent » et Alcalá médde « accent », un mot qui ne peut signifier en arabe standard que la longueur d’une voyelle. 213 On ne fait pas cela systématiquement, à cause d’une certaine économie des signes par laquelle on ne marque pas parfois la voyelle qui serait accentuée dans tous les cas (même s’il y avait une voyelle longue en arabe standard, par exemple dans VA >mataʕnā< « notre », >muqaṣ< « ciseaux », dans IQ 7719 >nahar< « jour » = arabe andalou /matáʕna/, /muqáṣ/ et /nahár/) ; à cause également du prestige des graphies classiques et l’habitude qu’ont des copistes de les utiliser. En outre, il arrive que les écrivains les moins cultivés insèrent ou suppriment les matres lectionis de façon totalement arbitraire, par exemple dans Hv. 91 >salam< « paix », dans ZJ 1094 >rāʕiyyah< « sujets », dans IA 112 >rāṭl< « livre », dans AB >ḥabibak< « ton ami », au lieu de >salāmraʕiyyahraṭl< et >ḥabībaksabāʔiḫsibāḫmuqaddam< + >ḍamm< + nanḍammmuqaddar< + >nidabbar< + >yinawwar arabe standard /fānīd/, et ailleurs, par exemple dans IH 107 >ibrāhim< « nom propre », là où les emprunts romans décèlent une accentuation ïambique, par exemple en castillan ataúd = portugais ataúde = catalan ataüt, et en castillan alfeñique = portugais alfenide = catalan alfení, bien qu’Alcalá la reflète aussi dans quelques cas, par exemple hanút « boutique » < arabe standard /ḥanūt/, quirát « carat » < arabe standard /qīrāṭ/, d’où le castillan et le portugais quilate = catalan quirat, et diguén « douane » < arabe standard /dīwān/, d’où le castillan et le portugais aduana= catalan duana. 1.3.1.2 Dans quelques cas, on trouve une gémination graphique de la consonne suivante au lieu d’un graphème de quantité vocalique là où on s’attendrait à une voyelle accentuée, par exemple dans LA >akiffahusquff< = >usqūf< « évêque », >muss< = >mūs< « rasoir », >fāll< « augur », dans GL 91 >ṯiqqah< « confiance », >ṣiffah< « figure », au lieu d’arabe standard /usquf/, /mūsà/, /faʔl/, /ṯiqah/ et /ṣifah/, où il ne peut être question d’établir une consonne diachroniquement double, alors qu’il est évident
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qu’on est en face d’une voyelle accentué, */akífa/, /usqúf/, /mús/, /fál/, /ṯíqa/ et /ṣífa/, qui peut parfois avoir été synchronique et morphologiquement analysée comme cela, par exemple dans le pluriel >amsās< « rasoirs », dans Alcalá nifellél « augurer ». De même, il ne faut pas s’étonner de la neutralisation généralisée de la gémination consonantiques en position de rime, puisqu’elle existait déjà dans la poésie classique, par exemple dans ZJ 56 /fúm(m)/, « bouche » + /yaḥkúm/ « il commande », 605 /záq(q)/ « outre » + /bazáq/ « il a craché ». 1.3.1.3 La position de l’accent phonologique de l’arabe standard n’est modifiée que par l’addition de quelques suffixes toniques, comme ceux du duel et du pluriel régulier, par exemple dans Alcalá yéd ~ ydéi « mains » < arabe standard /yad/ ~ /yadayn/, çáq ~ çaqáy « jambe » < arabe standard /sāq/ ~ /sāqayn/, muállem ~ muallemín « maître » < arabe standard /muʕallim/ ~ /muʕallimīn/, muzlím ~ muçlamín < arabe standard /muslim/ ~ /muslimīn/ « musulman », etc., ainsi que par quelques combinaisons de suffixes, par exemple ceux du verbe suivis d’un suffixe pronominal, par exemple /qatál+u/ « ils ont tué », par rapport à /qatalú+h/ « ils l’ont tué»,215 mais pas uniquement par ces suffixes pronominaux, mais plutôt par le suffixe féminin souvent dérivatif {+a(t)}, par exemple dans Alcalá mártaba « chaire » < arabe standard /martabah/, cántara « pont » < arabe standard /qanṭarah/, tárjama « traduction » < arabe standard /tarǧamah/, mais maqçába « boucherie » < néo-arabe /maqṣabah/, matbáḳa « cuisine » < arabe standard /maṭbaḫah/, hundéve « endive » < néo-arabe /hundabāʔ/, tajaríba « preuve » < arabe standard /taǧribah/, et les emprunts du castillan almadraba « thonaire » < arabe andalou /almaḍrába/, matraca « crécelle » < arabe andalou /maṭráqa/ littéralement « marteau », almazara (mais almàssera en catalan) « moulin d’huile » < arabe andalou /almaʕṣára/, le castillan et le portugais almalafa « sorte de tunique » < arabe andalou /almalḥáfa/, le portugais almádena « minaret » < arabe andalou */almáḏana/, etc. 1.3.1.4 Le suffixe de nisbah /+í/ mérite une considération spéciale, puisqu’on a bâti sur lui des théories, commençant par l’idée dans Alcalá d’une rétrogression de l’accent dans les cas de mots paroxytons avec plus de deux syllabes (page 6, avec || 215 Ce qui est une règle universelle dans tout le néo-arabe et le taǧwīd, comme dans toutes les séquences finales /CvːC(v)/. Néanmoins, à cause de la coexistence des plusieurs systèmes d’accentuation, parmi lesquelles celui du taǧwīd, probablement standardisé au Moyen Orient et utilisé ainsi par les poètes, jouant d’un prestige considérable, on observe que les zaǧǧāls permettaient certains déplacements de l’accent normal pour obtenir leurs rimes, par exemple dans IQ 8, où /niḍaḥḥí/ « je sacrifie » demande /farḥ+í/ « ma joie » et 100/2, où /assú/ « le mal » exige /bass+ú/ « il l’embrassa », ou encore Aššuštarī 15/4/4‒5 /aḫṭá/ « il se trompa » + /ġalṭá/ « erreur » ; voir PES, page 24. Ces ambigüités sont compatibles, dans un nombre réduit de cas, avec un accent d’intensité phonologique, comme on le voit dans les mots castillan océano ~ oceano, ibero ~ íbero, médula ~ medula, etc.
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les exemples de noms de lieu et leurs patronymiques, Midína ~ midíni, Lepéça ~ lepéci et Ualéncia ~ ualénci, par rapport à l’accentuation régulière oxytone, selon lui, Báçta ~ baçtí et Rónda ~ rondí),216 modifiée par Steiger 1932 : 78, qui a interprété que ce suffixe perdait son accent propre, lorsqu’il était précédé d’une voyelle longue, d’une diphtongue ou de deux consonnes.217 Comme cela a été montré en SK 63‒64, la faiblesse de cette hypothèse est évidente dans les mêmes textes et exemples d’Alcalá ; en outre, elle introduirait le concept de quantité syllabique dans la phonologie de l’arabe andalou, contrairement à ce qu’on a prouvé scientifiquement. La plupart des exemples que Steiger donne pour justifier son interprétation exhibent les allomorphes toujours toniques /+áni/ ou /+áwi/, et quant aux autres, il faut escompter les erreurs typographiques d’Alcalá et la possibilité d’emprunts à des dialectes arabes où ce suffixe-là n’était pas accentué ; finalement, tout comme dans le cas d’autres règles de l’accent en arabe andalou, on ne peut pas exclure des divergences sous-dialectaux. 1.3.1.5 Avec ces données, il faut conclure que l’accent phonologique en arabe andalou était assez fort et clairement prévisible, en lien avec la position dans quelques structures syllabiques, mais que dans d’autres cas il y avait des hésitations, dont la nature n’a pas été bien éclaircie jusqu’à maintenant. On pourrait admettre que quelques emprunts tardifs aient conservé leur accentuation nordafricaine ou orientale, imitée par les pèlerins ou simplement à cause du prestige de la prononciation du Levant, mais il ne semble pas que cela puisse suffire à expliquer toutes les anomalies, pas plus que les erreurs typographiques fréquentes dans les sources en graphie latine. C’est assez probable qu’il y ait eu deux traditions prosodiques au moins, qui pourraient avoir coexisté, celle des ‘Yéménites’, plus proche du type ïambique, représentée dans les emprunts les plus anciens du nordouest de la Péninsule Ibérique, et partiellement reflétée par le nord-africain, et une
|| 216 Mais son ouvrage contient de nombreuses exceptions à cette règle, par exemple rómi « romain », ixbilí « sévillan », faúqui « supérieur », et presque tous les féminins, par exemple itálij ~ italía « italien(ne) », Yahúdi ~ Yahudía « juif ~ juive », en dépit des anomalies jaffí ~ jáfia « de Jaffa », cíndia « melon d’eau, littéralement du Sind » (cf. le catalan síndria, mais le castillan sandía : on dirait qu’il portait aussi l’accent sur le premier suffixe), ce qui prouve l’inefficacité de sa règle et les inconsistances de ses informateurs natifs, dont quelques-uns, les onrrados y sabios alfaquis qu’on avait mis à sa disposition pour l’aider dans sa tâche, semblent avoir pratiqué une prononciation classique, avec une exagération dans la longueur des voyelles, que l’ouïe castillane d’Alcalá a pris pour de voyelles accentuées. 217 Pourtant, il a dû ajouter une liste d’exceptions (page 80), tirées toutes d’Alcalá, toujours typographiquement discutable, mais qu’on pourrait allonger avec les témoins dans Alcalá (par exemple les noms de lieu et leurs patronymiques Axtórga ~ Axtorguí, Galízia ~ galizí, Ronda ~ rondí, etc.) et des emprunts romans plus sûrs (par exemple le castillan celemín = portugais celamim < arabe andalou /ṯamáni/, le castillan = catalan arnadí < arabe andalou /ġarnáṭi/) et des noms de lieu (par exemple Ceutí (Murcia) < /sabtí/, Suflí (Almería) < arabe andalou /suflí/ « de la partie inférieure »).
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autre ‘syrienne’, ‘standard’ ou ‘levantine’, mais pas totalement ignorée en Afrique du Nord, parce qu’on la retrouve dans le maltais, qui aurait été favorisée sous les Omeyyades et l’établissement étatique et clérical qu’ils ont appuyé en imitant les modèles de pouvoir et de culture des Abbasides de Bagdad : malheureusement, les preuves sont maigres et difficiles à interpréter et, donc, les recherches sur ce sujet doivent être poursuivies.
1.3.2 La gémination La gémination consonantique joue un rôle fondamental dans la morphophonologie de l’arabe ancien et même du proto-sémitique, semblable à celui de l’allongement des voyelles mais, à la différence de ce dernier, elle n’a pu être supprimée ni remplacée en arabe andalou, en dépit du substrat ibéro-roman, peu enclin à tolérer la gémination consonantique, elle aussi, ce qui coïncide curieusement avec son importance en berbère, par comparaison avec son ignorance parallèle de la quantité vocalique.218 Sa présence en arabe andalou est démontrée par les résultats phonétiques de quelques emprunts en ibéro-roman, par exemple le castillan gañán < arabe andalou /ġannám/, le castillan et le catalan falleba < arabe andalou /ḫallába/ « espagnolette », le castillan et le catalan alcolla = « carafe » < arabe andalou /alqúlla/, et le castillan arráez = portugais et catalan arrais < arabe andalou /arráyis/ « patron d’un navire », avec l’évolution caractéristique de /nn/, /ll/ et /rr/ en castillan et catalan.219 1.3.2.1 La gémination consonantique en position finale ne peut se réaliser phonétiquement, et cela peut s’avérer en arabe andalou dans les rimes de proverbes et azǧāl, par exemple dans IA 108 /iš yuqúl alḥáq(q) illÍ ṣabí aw aḥmáq/ « personne
|| 218 Les langues ibéro-romanes, probablement aussi le bas latin hispanique, avaient perdu la gémination consonantique héritée du latin, ainsi que le rythme quantitatif, dans un procès qui semble s’être accompli même avant leur évolution médiévale, sauf pour /r/, et ne l’ont récupérée que dans les cas du castillan et du catalan pour /n/ et /m/, et du catalan pour /l/, dans quelques emprunts au latin à l’Âge Moderne. En berbère, par contre, tout comme dans les langues sémitiques, la gémination est non seulement le résultat phonétique des contractions consonantiques, mais il est aussi un outil morphologique fréquent, par exemple pour l’obtention de l’importante forme d’habitude des verbes. Alors, il n’est pas difficile d’affirmer que sa réalisation correcte par la majorité de Berbères arabophones qui ont enseigné l’arabe aux romanophones d’AlAndalus ait fortement contribué à la préservation d’un trait phonologique qui ne leur était pas moins étrange que la quantité vocalique de l’arabe standard. 219 Seulement /rr/ pour le portugais, qui dégéminait les /n/ et /l/ intervocaliques et a donc alganame et alcola. Dans MT 199 : 1 et 190 : 1, on trouve le pluriel >šanānīr< et dans 1014.22 >šanānirah< (selon Ferrando 1995 : 152) pour l’emprunt roman >šanyūr< « seigneur », qui pose la question de l’analyse phonologique du /ñ/ roman résultant du latin senior.
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ne dit la vérité, sauf un enfant ou un fou », et dans IQ 38/27/1‒3 /balád/ « pays » + /ḥád/ « limit » + /aḥád/ « un ». Outre ceci, il y a des cas où l’inhibition de la gémination ou sa présence anti-étymologique semblent avoir été des moyens utilisés pour restaurer le tri-consonantisme caractéristique des langues sémitiques, perdu avec la quantité vocalique ou autrement, dans les situations de métanalyse radicale, par exemple dans IQ et dans IH 210 et passim >šuffah< « lèvre », dans IQ et dans IH 107 et passim >fumm< « bouche », dans IH 283 >liqqah< = VA >lakkah< = Alcalá líqque « coton que l’on met dans l’encrier » < arabe standard /līqah/. Dans d’autres circonstances, la simple absence du graphème de gémination (tašdīd) dans les textes en arabe andalou en graphie arabe ou d’une double consonne dans ceux qui sont en graphie latine, par exemple dans Hv. 92 >ṣukar< « sucre » < arabe standard /sukkar/, dans AB >niʕaraf< « j’informe » < arabe andalou /niʕarráf/, dans DC 7a aláham « la chair », ne doit pas être considérée autrement qu’une négligence orthographique ; il ne faut pas non plus attacher une grande importance aux graphies qu’on pourrait considérer ultra-correctes, par exemple dans VA >šurriyān< « artère », >ġayyūr< « jaloux », et dans LA 272 >dawwār< « voltigement », au lieu de l’arabe standard /šaryān/, /ġayūr/ et /duwār/, mais ce n’est pas le cas de graphies alternatives ou bien confirmées par l’entourage morphologique, par exemple dans VA >ḍaffah< = >ḍāfah< « rivage », >mar(ra)tayn< « deux fois », >baqam< pluriel >buqūm< « bois de Brésil », >rūmah< pluriel >rimam< « morceau de corde », dans Alcalá aḳíla et son pluriel aḳáil « épingle », rétroformé de l’arabe standard /ḫilāl/ ~ /aḫillah/, d’où le castillan alfiler = portugais alfinete, et dans les cas où les auteurs des traités sur laḥnu lʕāmmah (« erreurs de la populace ») dénoncent l’inhibition fautive de la gémination, par exemple dans LA 94 >ḥimṣ< « pois chiches » au lieu de l’arabe standard /ḥimmiṣ/ et dans 172 >maṣāfahum< « leurs rangs », au lieu de >maṣāffahumkāmūn< « cumin », 366 >buḫtu naṣar< « Balthasar », au lieu de l’arabe standard /kammūn/ et /buḫtu naṣṣar/, etc. On peut donc en conclure qu’une tendance du registre bas de ce type existait en arabe andalou, bien que réprimée par les exigences de la morphologie standard et le goût des registres plus hauts : elle réapparaît dans les documents moins soumis à la répression des cultes, par exemple dans AC 232 >ḥadubatu< « sa bosse », 292 >fadin< « arpent », souvent sous la forme d’ultra-corrections, par exemple dans AC 515 >ġayyūr< « jaloux », 515 >raḥḥah< « tranquillité » ou dans les rimes infra-correctes de 585 >ḥāǧah + maḥaǧǧah< « besoin … avenue ».
1.3.3 Vélarisation Ce mode d’articulation caractéristique de l’arabe étant étranger au substrat roman, on ne pouvait s’attendre qu’à une certaine difficulté pour qu’il s’établisse en sol ibérique ou, au moins, à une tendance à se perdre, comme cela en a été le cas en
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maltais.220 Pourtant, à cause du grand rendement fonctionnel des oppositions entre les consonnes vélarisées et leurs homologues ‘normaux’, et peut-être aussi, bien que cela n’a jamais été suggéré auparavant, parce que la vélarisation des consonnes est normale en berbère, et il ne faut pas oublier que ce fut majoritairement des Berbères arabophones qui ont enseigné l’arabe aux romanophones d’Al-Andalus, on ne trouve que des symptômes parsemés de faiblesse de ce trait en arabe andalou, dont quelques-uns sont attribuables aux premiers temps de l’arabisation du pays, par exemple les infra-corrections affectant /ṭ/, /ṣ/, /q/ et /ḥ/, et quelques ultracorrections221, et dont les autres sont caractéristiques de la phase finale d’une langue qui commençait à s’éteindre sous la pression des langues romanes des conquérants chrétiens. Ils ont été commentés dans les paragraphes concernant chaque phonème vélarisé, /ṭ/, /ḍ/ et /ṣ/, et on a signalé aussi la possibilité d’une assimilation des phonèmes marginaux /p/ et /č/ avec ce type articulatoire ;222 d’autre part, le type vélarisé d’emphase en arabe est soutenu en arabe andalou par les indices de propagation suprasegmentale à l’intérieur des mots, par exemple dans VA >infit/ṭāq< « crever », >tasassuṭ< = >taṣaṣṣuṭ< « s’imbiber », >nastaqṣī< = >niṣaqṣī< « demander », et >ǧaras/ṣ< « cloche » (à cause d’un /ṛ/).
|| 220 Bien avant la chute des pharyngales, dont /ḥ/ = >ħ< s’est conservé et /ʕ/ = >għ< a laissé traces orthographiques d’une prononciation réelle dans le standard, et quelques effets encore phonétiques dans le parler maltais dialectal de Gozzo, voir Aquilina 1990 : 929‒30. 221 Dont quelques-unes ont eu conséquences jusqu’à aujourd’hui, par exemple celle qui convertit {hd/ḏr} en {ḥṭr} (Corriente 1993b), où nous avons signalé que cette racine arabe, si altérée par une double ultra-correction, a produit des dizaines d’emprunts dans toutes les langues ibère-romanes, dont la vraie étymologie n’avais jamais été suspectée, à cause du retard dans l’étude de l’arabe andalou, parmi lesquels des mots si fréquents que le castillan andrajo « lambeau », droga « drogue », matraco « rustre », le catalan aldarull « bruit », fadrí « garçon », et le portugais boldrêgo « homme sale », aldrabeiro « menteur » et andorinha « hirondelle », ainsi qu’un nombre d’emprunts au nord-africain. 222 On pourrait bien s’étendre au sujet de la propagation de ce suprasegmental à la totalité des syllabes ou même du mot, bien connue dans les dialectes du néo-arabe, mais les résultats d’une telle recherche, par ailleurs utile et nécessaire, seront toujours limités par la tradition des écrivains en arabe de respecter les graphies traditionnelles, même quand ils veulent transmettre les dialectes, et la difficulté de déceler les effets de la vélarisation dans les transcriptions latines, où nous n’avons rien de mieux pour l’arabe andalou que l’étude de leurs particularités dans les emprunts et les noms de lieu d’origine arabe, coïncidant partiellement avec la règle d’Alcalá, page 30, selon laquelle /q/, /ġ/, /ʕ/, /ḍ/, /ḏ . /, /ṭ/, /r/, /ḥ/ et alif (c’est-à-dire /ʔ/) sont suivies de /a/ et /o/, et toutes les autres consonnes, de /e/ et /u/, ce qui signifie qu’il avait observé les effets de la vélarisation sur /a/ et /u/, mais pas sur /i/, pour ne rien dire de plus de ses propres contradictions et d’un sujet si compliqué dont la plupart de détails lui échappaient naturellement.
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1.4 Phonétique combinatoire 1.4.1 Assimilation Le contact immédiat entre deux phonèmes de n’importe quelle langue force parfois l’atténuation ou même l’élimination de quelques traits phonétiques incompatibles, déterminant ainsi la substitution de l’un d’entre eux, voire des deux, afin d’éviter un voisinage impossible ou rejeté par l’esthétique particulière de chaque langue. Ces phénomènes peuvent être ou ne pas être reflétés par l’orthographe en usage, ou les transcriptions d’un système étranger, comme le roman, dans le cas de l’arabe andalou, ce qui complique leur étude, à cause des différents degrés de perceptibilité pour des nuances comme la sonorité, la vélarisation, et les changements du point ou du mode d’articulation, etc. 1.4.1.1 L’assimilation des voyelles avec l’entourage consonantique est une ancienne tendance du proto-sémitique, parfois poursuivie par l’arabe standard et le néoarabe ; dans le cas de l’arabe andalou, elle se reflète, par exemple dans IH >musmār< = VA = ZJ 355 = Alcalá muzmár, dans VA >diǧāǧah< = ZJ 41 = AC 375 = Alcalá dijíja « poule » et dans VA >ḫazānah< « placard » = IH = GL = Alcalá ḳazína, de l’arabe standard /mismār/, /daǧāǧah/ et /ḫizānah/, le dernier confirmé par l’emprunt en castillan alacena. Cette assimilation peut s’opérer aussi à distance, ce qu’on appelle l’harmonisation vocalique, assez fréquente dans l’arabe ancien et même dans les langues sémitiques, avec des traces dans l’arabe andalou, par exemple dans VA >iṯfiyah< « trépied » < arabe standard /uṯfiyyah/, dans LA 142 >ayyal< « cerf » < arabe standard /i/uyyal/, dans IQ 9/34/1 >ruġūn< « Aragon », et nombre de mots, natifs ou empruntés au roman, dans Alcalá par exemple çullúm « échelle » < arabe standard /sullam/, durúra « nécessité » < arabe standard /ḍarūrah/, quiĉír « beaucoup » < arabe standard /kaṯīr/,223 xucúr « hache » < latin
|| 223 L’harmonisation vocalique dans les adjectifs et quelques substantifs du schème {1a2í3} semble avoir été régulière ou presque dans beaucoup de sous-dialectes arabes andalous, selon IH 105, qui a établi l’ascendance de ce trait dans les dialectes de la tribu Tamīm, avec les exemples, >ṣiġīr< « petit », >kibīr< « grand », >kirīm< « généreux », >biʕīd< « lointain », etc., mais d’autres sources comme dans VA préservent {1a2í3} dans tous ces cas, alors qu’Alcalá a baâíd et çaguér, par rapport à quibír et querím, avec une distribution conditionnée par l’entourage consonantique, ce qui prouverait que d’autres sous-dialectes, probablement yéménites, ne suivaient pas cette règle, l’usage postérieur ayant admis des solutions différentes, même éclectiques, ce qui est confirmé par les données des noms de lieu et des nom propre en transcription latine, par exemple Raxit et Rexith < /rašíd/, toujours Razin < /razín/, toujours Rabe < /rabíʕ/, toujours Ame/iz < /ḫamís/, toujours Habib(e) < /ḥabíb/, toujours Çay/et < /saʕíd/, Sa/ilim < /salím/, un seul cas de Xihid < /šahíd/, toujours Taref < /ṭaríf/, Quirim et Carim < /karím/, un seul Libib < /labíb/, Nabil < /nabíl/, Yatim < /yatim/, selon Terés 1990‒1992, avec une distribution similaire à celle des matériaux d’Alcalá, c’est-à-dire une
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sĕcūris, tumón « gouvernail » = ZJ 764 >ṭumūn< < latin tēmōn, poxóta « merlan » < roman andalou */PEŠÓT/, etc., ainsi que de nombreux emprunts harmonisés, même sans trace de ce phénomène en arabe, par exemple le castillan zaguán = portugais zagão < arabe andalou /isṭiwán/ (sic Alcalá), ainsi que >usṭuwān< dans VA, le castillan alboronía < « un mets d’aubergines » < néo-arabe /būrāniyyah/, le castillan azacaya = portugais açacaia « conduit d’eau » < arabe standard /siqāyah/, etc. Néanmoins, l’arabe andalou a suivi la règle néo-arabe de ne pas harmoniser les voyelles des pronoms personnels de troisième personne, par exemple dans IQ 6/2 >fīhum< « dans eux », >yiǧīhum< « il vient à eux » et >mašīhum< « leur marche », ni les mots quadri-consonantiques {1v23v4}, comme on le verra plus loin. 1.4.1.2 L’altération des traits tels que la sonorité et la vélarisation n’est souvent pas détectée par le natif et, en conséquence, elle ne se reflète pas dans l’écriture, mais elle peut être remarquée par l’ouïe étrangère qui n’a pas les automatismes du système ; par exemple dans Alcalá a transcrit d’une façon phonétiquement irréprochable nadmaní ~ admanéit « désirer », guixí ~ aḳxía « couvercle », magdúl « étonné », tout comme dans DC 15a natħól « j’entre », au lieu d’une transcription phonologique /natmannÍ ~ atmannáyt/, /ġišÍ ~ aġšíyya/, /maḫḏúl/ et /nadḫúl/, parce que ces étrangers ne possédaient pas les règles morphophonologiques de façon automatique, qui analysent et restaurent les phonèmes originaux /t/, /ġ/ et /d/, altérés par leur position accidentelle, mais cela peut souvent les trahir aussi, comme dans le cas d’Alcalá ḳúnce « la paume de la main comme signe », qu’il faut corriger comme /ḫúmsa/, parce que le système castillan n’acceptait pas la séquence /ms/, qu’il a entendu comme /ns/ : il ne faut pas donc croire par là que cette assimilation ait eu lieu en arabe andalou.224 Ainsi, une source en graphie arabe et qui semble refléter une observation native, comme dans VA, préfère donner une image phonétique des assimilations de sonorité et vélarisations en contact /td/ > /dd/, /tṭ/ > /ṭṭ/ et /tḍ/ > /ḍḍ/, dans >yaddabbar< « il est arrangé », >yaṭṭarraq< « il est martelé », et >yaḍḍarras< « il grince des dents », exactement comme dans d’autres cas où l’assimilation a changé le point ou le mode d’articulation de telle sorte que le natif doive être conscient, par exemple /ǧz/ > /zz/, /tǧ/ < /ǧǧ/, /tz/ > /zz/, /ts/ > /ss/ et /tṣ/ > /ṣṣ/ dans >ḥuzzah< « troussis », >yaǧǧarrab< « il est prouvé », dans VA >najjur< « je commerce » et dans ZJ 1282 >yajjur< « il commerce » (c’est-à-dire /načúrr/ et /yačúrr/), >yazzarrad< « il est avalé », >yassaḥḥab< « il s’est couvert de nuages », >yaṣṣabban< « il est nettoyé (des lentes) » < arabe standard /ḥuǧzah/, */yataǧarrab/, */yatazarrad/, */yatasaḥḥab/ et */yataṣabban/ , même /st/ > /ss/ || harmonisation seulement dans les entourages palatalisants, avec des exceptions occasionnelles, attribuables à des dialectes différents ou à l’interférence de l’arabe classique. 224 Néanmoins, dans AC 1201 on trouve la graphie >alhindīn< pour le nom de lieu Alhendín (Grenade) < /hamdán/, avec une assimilation similaire des consonnes, peut-être favorisée par une étymologie populaire */alhindín/ « les indiens ».
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dans VA >ṭass< = >ṭist< « tasse », dans IH 287 >saruqussah< (lire >saraqussahsaraqusṭah< « Saragosse ». Cela s’applique aussi pour les cas de /rl/ > /ll/, /ny/ > /yy/ et le rare /ǧl/ > /ll/, par exemple dans PES 54/1/3 /yaḏ.hállak/ « il t’apparaît », dans IQ 28/3/1 >ḏ.ahal+lak< < */ḏ.ahár lak/ « il t’est apparu », 44/11/4 >ytḍhlk< = /yatḏ.ahhar lak/ « il te semble », 46/1/4 /naṣbal+lu/ « je le souffre »,225 dans PD 162 /yušaʕálli/ « j’imagine », et 11/7/4 >kiyyiṭīr< < */kán yiṭír/ « il volerait », dans VA >nallas< « je m’assois » < */naǧlás/.226 1.4.1.3 L’assimilation du /l/ de l’article arabe ne pose pas de problème particulier en arabe andalou, ayant lieu avec toutes les consonnes interdentales (/ṯ/, /ḏ/, /ḏ./ ), alvéolaires (/t/, /d/, /ṭ/, /n/, /l/, /ḍ/, /r/, /s/, /z/, /ṣ/ et /š/) et, comme dans d’autres dialectes néo-arabe,227 la pré-palatale affriquée /ǧ/, mais seulement dans quelques idiolectes et registres bas, par exemple dans DC 9b agímaâ = Alcalá 29.10 agímiê « l’église » < arabe andalou /aǧǧÍmiʕ/ « la mosquée centrale », dans Alcalá 36.29 agiráh « les blessures » < arabe andalou /aǧǧiráḥ/, ajéfen « le bateau » < arabe andalou /aǧǧáfn/, ajébel « la montagne » < arabe andalou /aǧǧa/ibl/, bien que ces deux sources aient également dans DC 6b algímeê et dans Alcalá bil jímiâ « à l’église » ; d’autre part, la plupart des emprunts et des noms de lieu romans d’origine arabe n’ont pas cette assimilation, par exemple le castillan, le catalan et le portugais aljama « la communauté » < arabe andalou /alǧámaʕ/,228 le castillan aljibe = catalan aljub = portugais aljube « réservoir » < arabe andalou /alǧú/íbb/, Algeciras (Cadix) > /alǧa/izíra/ « l’île », le portugais Aljezur < arabe andalou /alǧuzúr/ « les îles », Aljucer (Murcia) < arabe andalou /alǧusáyyar/ « le petit pont », mais aussi le castillan ajonjolí « sésame » < arabe andalou /ǧulǧulá/ín/, et Ajufía (Murcia) < arabe andalou /alǧawfíyya/ « la septentrionale ».
|| 225 Le manuscrit a ici la graphie étymologique >naṣbarallas< « assied-toi », dans AC 372 >yallas< « il s’assied », et dans DM 1r, >yaf talyalaz< = /yaftál yalláz/ « il s’assoira à nouveau », dans l’imperfectif et l’impératif seulement, et ne connaît d’autre parallèle dans les dialectes arabes qu’avec les formes yéménites signalées par Goitein 1934 : xxiii, iiǧ(ǧ)is « il s’assoit » et Behnstedt 1992 : 202, gis et ajis « assied-toi », yiǧiss « il s’assoit », etc., où c’est le /l/ qui disparaît. Il s’agit donc, évidemment, d’un autre ‘yéménisme’, plus aisé à comprendre à partir d’un /g/ occlusif dans une forme similaire au marocain glǝs, voir note 164. 227 Voir Fischer & Jastrow 1980 : 88. L’hypothèse de Steiger 1932 : 181 et 375, expliquant cette exception à cause d’une prononciation [ž] s’est avéré fausse, puisqu’on a trouvé d’autres cas avec /g/ et /k/, même /m/, /b/ et /q/, selon les références de SK page 51, note 70 : il semble plutôt s’agir d’une généralisation morphologique ayant perdu la motivation phonétique originelle. 228 Il est connu que l’étymologie théorique de cet emprunt à l’arabe /alǧamāʕah/, qui aurait produit *aljamá, tout comme Alcalá < arabe andalou /alqaláʕa/ « le château », a été contaminé prosodiquement par les formes arabes andalouses du mot arabe /alǧāmiʕ/ « mosquée centrale », ce qui explique l’accentuation anomale ; voir Corriente 1999a : 179.
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1.4.1.4 Les cas le plus extrêmes d’assimilation en contact sont ceux où les deux consonnes se fondent dans une autre parfois nouvelle, par exemple /ǧh/ > /č/, avec le seul exemple, mais très bien représenté en arabe andalou, /wa/uč/ « face »229 < arabe standard /waǧh/, /st/ > /ss/ et /ṣṭ/ > /ṣ/, par exemple dans VA >ṣaqṣayt< = Alcalá çaqcéit « j’ai demandé » < arabe standard /istaqṣaytu/,230 dans LA 133 >ṣabl< pluriel >ṣubūl< « étable » < arabe standard /isṭabl/, et le plus tardif et fréquent dans le dialecte grenadin, /št/ > /č/, par exemple dans Alcalá nachaquí « je me plaigne » < arabe standard /natašakkà/, encore >naššakkà< dans VA, mais >šš< est là une graphie alternative pour /č/,231 tout comme >ǧ< dans IA 335 >ṭuǧūn< = /ṭučún/ « rôti de pain », encore >ṭuštūn< dans ZJ 1051 et dans IQ 90/14/4, et finalement /ʕh/ ou /ḥh/ > /ḥḥ/, par exemple dans IQ 18/2/3, 50/6/1 et 112/1/1 >maḥḥa< « avec elle », dans AC 1346 >tarbaḥḥā … ṭammaḥḥā< « tu la possèderas … rends-la avide », de {rbḥ} et {ṭmʕ}. Parfois on attache ici les cas d’Alcalá nechehéd « je m’applique » = /načahád/ < */naǧtahád/, et nachárr « je rumine » = /načárr/ < */naǧtarr/, mais ils sont simplement le résultat final d’une assimilation préalable /ǧt/ > /št/ avec des traces déjà dans VA >maǧtam< « endroit pour se coucher » < {ǧṯm} et >yaštarr< ~ >aštarr< « ruminer » < {ǧrr}. Un cas similaire, bien que peu fréquent, est dans VA >qaš/ǧdarah< « se plaindre » < latin quaestor,232 avec une évolution sémantique, où /zvt/ > /zd/ > /š/žd/.
|| 229 On ne le trouve pas encore dans VA, mais il est fréquent chez IQ avec les graphies wuǧǧ (108/4/4), >uǧ(ǧ)< (99/11/3), >ūǧ< (108/4/3), >ūš< (111/8/2), >uš< (111/6/1), à côté de la graphie classique ‘normale’ >waǧhǧǧwaǧǧ/s/, et former un verbe quadrilitère, comme /ssaqṣa/ > /saṣqsa/ < {qṣy} « demander ». Aussi, il y a le cas du verbe /ssənna/ « attendre » < {ʔny} qui peut être considéré comme un verbe hybride de schème (stG = X + D = II) avec cette même assimilation, ou de schème tD = V avec l’assimilation à l’inverse /ts/ > /ss/. 231 Voir aussi dans IQ 70/3/4 où le manuscrit a >yašfī /č/ dans Alcalá machúd = maxdúd, répété dans AC 1028 >maǧud< = 1577 >maššud< « pressé » = DC 105 maxód « lié », présent aussi dans le nom du fleuve Guadama/ejud (Cuenca), chez Terés 1968 : 410 qui contiendrait une allusion à son maigre débit. 232 Le mot latin a été emprunté comme >qaǧdūryn< et >ylā< pour /ínna/ « certainement » et /ilà/ « vers », mais dans MT 183.8 >wrāqh< = Urraca (nom propre castillan de femme), face à 76.7 >ʔyhwdy< pour arabe andalou /yahúdi/ « juif »,233 et b) que la trace des emprunts et des noms de lieu d’origine arabe, qui reflètent habituellement ces semi-consonnes, offrent quelques exceptions, par exemple le portugais et le galicien osga « gecko des maisons » < arabe andalou /wázġa/, et le castillan aluquete « briquet » < arabe andalou /alwaqída/, et les noms de lieu portugais Odivarga, Odiana (= castillan Guadiana) et castillan Odiel (Huelva), dont le premier élément, arabe andalou /wád(i)/ montre une évolution similaire vers *wód(i) > *ód(i).234 1.4.1.6 L’assimilation à distance entre consonnes peut avoir lieu en arabe andalou entre les sonores, par exemple dans Alcalá menéfsige « violette », dans VA >banafsiǧah< < arabe standard /banafsaǧ/, nimándaq « je fais une révérence » < néoarabe /bunduqíyyah/ « Venise », où le /m/ au lieu du /b/ est le résultat de l’attraction vers son type d’articulation du /n/ suivant, dans VA >rutayr< « araignée » < arabe standard /rutaylāʔ/, >ṣirṣār/l< « argile », initiée avec la dissimilation de l’arabe standard /ṣilṣāl/, dans VA >miql/nīn< « chardonneret », résultat d’une assimilation, haplologie, dissimilation et métathèse du roman andalou */MIL KOLORÍN/, littéralement « (oiseau) aux mille couleurs » > */mil+qululín/ > */mil+qulín/ >*/mil+qunín/ > /miqnín/ ou /miqlín/.
|| verbe quadri-consonantique /gəždər/ /ygəždər/ « se meurtrir le visage de douleur en signe de deuil », Prémare DAF 10 : 690-691. 233 Des cas comme dans VA >ūqiyyah< = >waqiyyah< « ocque », assez communs dans le néo-arabe (voir l’égyptien wiqiyya), semblent être des ultra-corrections de ce phénomène. 234 Voir Steiger 1932 : 293, avec d’autres exemples, et la généralisation de la perte du /i/ final, bien qu’elle ne semble pas s’être produite dans l’idiolecte reflété par le portugais, assez différent dans le traitement phonétique de celui qui a généré les formes castillanes avec Guad/t- et quelques Gued/tet d’autres variantes, voir Terés 1977.
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1.4.2 Dissimilation La différenciation ou l’élimination des phonèmes afin d’éviter une séquence qu’on considère cacophonique ou lourde est assez fréquente dans toutes les langues, pourvu qu’elle n’affecte pas trop la clarté du langage. 1.4.2.1 En arabe andalou, on la trouve entre des voyelles, héritée d’une tendance déjà fréquente dans l’ancien arabe et le proto-sémitique235, pour éviter parfois les séquences /a…ā/ ou /ā…a/, par exemple dans VA >na/iṣrānī< = Alcalá niçráni « chrétien » < arabe standard /naṣrānī/, Alcalá ticrár « répétition » < arabe standard /takrār/, dans AC 581 = IA = GL >sikrānā< « ivre » (féminin) », quelques cas de {1a23ā4} > {1i23ā4}, par exemple dans GL >biġdādḫisārahnidāmahniʕāmah< et >ṣifṣāfsikrān< = Alcalá cicrán < arabe standard /sakrān/ « ivre », probablement subjacent dans la fréquence des adjectives de la forme {mi12ā3}, par exemple dans IQ 21/3/4 >miṣwāb< « heureux », 87/1/2 >miktāf< « costaud », dans Alcalá midrár « nocif », etc. 1.4.2.2 La dissimilation d’un groupe de deux consonnes ou d’une consonne géminée en remplaçant le premier élément par une sonore (surtout /r/, /n/ et /y/)236 n’est étrange dans aucun dialecte du néo-arabe, ni en arabe andalou, par exemple dans VA >far/ḍḍaḥt< « j’ai croqué » < {fḍḥ}, >niqarqab< « je remue » < {qbqb}, >ṣir/fṣāf< = Alcalá cirçáfa « osier » < arabe standard /ṣafṣāf/,237 dans LA 35 >kurnāsah< < arabe standard /kurrāsah/, dans Alcalá caymón « cumin » < arabe standard >kammūnzanbūǧ < = Alcalá zanbúch < < arabe andalou /zabbúǧ/ « olivier sauvage ».238 Concernant surtout dans les emprunts, ce qui ressort plutôt de la phonétique romane, c’est l’insertion similaire, appelée répercussive par quelques linguistes, là où il n’y avait qu’une seule consonne, par exemple le castillan alquicel = portugais alquicer = catalan alquice(m/r) « sorte de || 235 C’est la raison des vocalisations avec /i/ dans la syllabe antérieure ou postérieure à l’insertion de l’infixe /ā/, dans les pluriels brisés {1i2ā3}, {a12i3āʔ} et {1a2ā3i4}, dans les maṣdars des conjugaisons dérivées, etc., c’est-à-dire l’application de la « loi de Barth ». 236 Parfois aussi /w/, ce qui semble être le cas de schèmes XII et XIII du verbe dérivé et des quadriconsonantiques de schème {1aw2a3}, assez fréquents dans l’arabe andalou, par exemple dans Alcalá mubéuleç « possédé », muzéumel « semblable à une rosse », muxáurab « moustachu », dans VA >muṭawlaq< « effronté » ; voir également Fleisch 1956. 237 Ce cas est très similaire à celui du castillan et du portugais alfalfa, catalan alfalç, dérivés de l’arabe andalou /alfáṣfaṣa/, bien que la forme dissimilée n’ait pas été enregistrée dans ce dialecte et semble s’être produite au sein du roman. 238 Lui-même, un dérivé hypocoristique de l’arabe ancien /zaʕ/ġbaǧ/ (Corriente 1997a : 234 et note 1).
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manteau » < arabe andalou /alkisá/, le portugais alicerce « fondement » < arabe standard /alʔisās/, alcatruz « godet de noria » < arabe andalou /alqadús/, le castillan = catalan = portugais alquina(l) « veil » < arabe standard /qināʕ/. 1.4.2.3 La dissimilation à distance de deux consonnes égales ou similaires dont la séquence n’est pas plaisante à l’ouïe, en remplaçant l’une d’entre elles par une autre similaire, mais non identique, est assez fréquente dans toutes les langues ; en arabe andalou, nous avons, par exemple dans VA >birbir/lī< « berbère » et dans IQ 83/8/3 >birbiliyyah< « langue berbère », dans VA >dirdār/lah< « ormeau », >ʕirʕār/l< « genièvre », >sarsalah< = dans Alcalá cércele « chaîne » < arabe standard /silsilah/, zarbatána « sarbacane » < arabe standard /sabaṭānah/, d’où le castillan cerbatana = catalan sarbatana = portugais zarab/vatana ;239 comme il fallait s’y attendre, le même phénomène a lieu dans quelques emprunts déjà dans leur phase intraromane, par exemple le castillan alara « pellicule de l’œuf » < arabe andalou /alġilála/, l’aragonais et le catalan alifara « vin du marché » < arabe andalou /aliḥála/.240 1.4.2.4 Parfois on arrive à la même fin, en moyennant l’élimination d’une de ces consonnes, c’est-à-dire l’haplologie, par exemple dans LA 25 >qalsuwah< « bonnet » < arabe standard /qalansuwah/, dans VA >šunūġah< = MT 385.4 = Alcalá xonóga « synagogue », du latin synagoga, dans Alcalá ḳanzáir « porcher » < arabe andalou /ḫanzír/ avec le suffixe roman {+ÁYR} des noms de profession ; cela était fréquent dans la combinaison d’un /ī/ final, parfois le suffixe de nisbah, avec celui du pluriel régulier, par exemple dans IQ 9/28/3 >mudallīn alʔuḏnayn< « avec leurs oreilles baissées » et 84/17/4 >mukārīn< « muletiers », dans MT 1003.6 >sinhāǧīn< « membres de la tribu Ṣinhāǧah< et 1037.10 >qaštil(l)ānīn< « castillans », dans AC 233 >lūṭīn< « sodomites », et dans GL 310 >mādīn< « mèdes » ;241 on remarque le même phénomène dans les emprunts romans du castillan azo/ufa/eifo = portugais
|| 239 Voir Corriente 2008 : 257 sur son origine sudarabique. Quant à VA >ṭurlāfah< « bride à veaux », c’est un cas unique dans les dialectes arabes d’une séquence /rl/ qui ne peut s’expliquer sans l’intervention du substrat : on dirait que /ḫuráfa/ « conte saugrenu » a contaminé */ḥaṭrúlla/, un dérivé de l’ultra-correct {ḥṭr}, d’où le castillan ancien hadrolla (Corriente 1993b : 81), avec comme résultat */ḥaṭrulláfa/, simplifié ensuite en /ṭurláfa/ : on doit donc abandonner l’hypothèse de Corriente 1997a : 329. 240 Mais il faut se méfier des fausses apparences : le castillan Miramamolín et ses variantes (Steiger 1932 : 246) n’est probablement pas un simple cas de dissimilation des /n/s en néo-arabe /amīr almuʔminīn/ « le prince des croyants », mais une déformation malicieuse des Mozarabes, comme en arabe andalou /amír almaʕmulín/ « le prince des bardaches », similaire à celles de mezquita et chiquero ; voir Corriente 2008a : 378 et 262, et aussi mamol/na, page 362, et l’acception ʕumila ʕalà chez DS II : 174. 241 Mais on trouve aussi la solution normale, par exemple dans IH 212 >mukariyyīn arabe andalou /alfáṣfaṣa/, le castillan et le portugais cimitarra = catalan simitarra < arabe andalou /ṣimṣáma ṭárya/, littéralement « épée tzigane », et on pourrait parler d’une haplologie ‘racourcissante’ dans ces cas et d’autres où l’on doit adapter aux schèmes sémitiques des mots étrangers trop longs, par exemple le grec staphylíne ágria > dans IH 258 >assafannaryah< > dans VA et dans GL >isfannāriyah< > dans AC >isfarniyā< = Alcalá içfernía, où l’on relève successivement les dissimilations haplologiques du /l/ avant le /r/ et du /ġ/ avant le /r/, l’assimilation /st/ > /ss/ et finalement la métathèse /n…r/ > /r…n/, mais les emprunts romans, comme le castillan zanahoria, etc. ne reflètent que la phase d’IH.243 1.4.2.5 Un cas très particulier d’haplologie est celui qui affecte quelques mots avec un préfixe {mv+}, déjà en arabe standard, par exemple /išfà/ « alène », /(m)irzabbah/ « massue », /(m)infaḥah/ « présure », /ibriyah/ « pellicule de la tête », ce qui pourrait être un trait hérité du sudarabique, puisque le /m/ est souvent dissimilé dans certains dialectes du sudarabique moderne, et l’arabe andalou possède quelques cas comme dans VA >anḫās< = >ma/inḫas< « aiguillon ».
1.4.3 Métathèse 1.4.3.1 L’inversion de l’ordre des phonèmes afin d’obtenir une prononciation plus légère ou agréable à l’ouïe native est un procédé assez commune dans l’évolution linguistique, qu’on trouve en arabe andalou, qui préfère généralement avancer les phonèmes sonores et sifflants, par exemple dans VA >yaḫǧal< ~ >ḫaǧal< « palpiter », >ṭarbazīn< « pique », >raʕʕādah< « catapulte », >yastawmat< « il risque sa vie », >nilaṭṭam< « je pétris », >natnāʕad< « je contends », >astiftīn< « absinthe », >kust< « tas », >ʕaṣf< « noix de galle », >našmat< ~ >ašmat< « insulter », >nisardan< « je blute », dans IQ 68/5/3 >yazhū< « il se moque », dans PES 24/4/1 /wanazhú/ « et je me moque », dans IA 565 >awġīh< « égare-le », dans AC 1536 >lumūsah< « suavité », au lieu de l’arabe standard {ḫlǧ}, {ṭrbzn}, {ʕrd}, {mwt}, {ṭlm}, {ʕnd}, {ʕfsntn}, {kds}, {ʕfṣ}, {štm}, {srnd}, {hzʔ}, {ġwy} et {mls}, un cas particulier étant celui des pluriel brisés du schème {a12á3} dans les racines anomales, par exemple dans AC 212 et 147 >fīs< ~ >awfis< = Alcalá fíç ~ aufíç « bêche », dans Alcalá bíç ~ avbíç « faucon », dans AC 360 >awbā/īb< « portes », >bīr< ~ >awbār< « puits » = MT, dans Alcalá baâ ~ avbàâ « pas », etc., ou la sélection du /w/ a pu être favorisée par la consonne labiale suivante. Cependant, il y a des métathèses qui ne suivent pas cette tendance, par
|| 242 Avec répercussion du /l/. 243 Voir Corriente 2008a : 19.
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exemple dans VA >bawā< « pestilence », dans Alcalá ma/ebdúl « flétri », dans IH 145 >nayrawfal< = Alcalá neyrúfal « nénufar », qui affectent seulement les voyelles, par exemple dans Alcalá carónfal « œillets », ou la gémination, par exemple dans Alcalá marráxa, au lieu de >wabāʕašt< « soif», de {ʕṭš}, avec dé-vélarisation additionnelle, probablement comme dans DC 13 axti « assoiffés » < arabe standard /ʕaṭšà/.
1.4.4 Jointures Bien qu’on dise souvent qu’une définition scientifique des frontières du mot, et donc du mot lui-même, est difficile à établir, on connait bien les phénomènes phonétiques caractéristiques qui se produisent en début et en fin de ce qui nous appelons, selon une convention traditionnelle, le mot, entre les mots intégrant une phrase ou une proposition, et les coupes et intonations complétant l’information prosodique sur un énoncé. Dans le cas de l’arabe andalou, s’agissant d’une langue éteinte, nous n’avons pas les outils nécessaires pour une recherche exhaustive sur ce point, mais les textes dont on dispose permettent encore une approche de certaines questions importantes dans notre propos descriptif, comme le traitement de la jointure fermée ou fin d’élocution et celui de la jointure ouverte qui a lieu quand un mot est suivi dans la phrase par un autre dans une étroite relation grammatical ou sémantique. 1.4.4.1 Dans la jointure fermée, et selon le modèle des dialectes de l’arabe ancien, l’arabe andalou ne permet pas une séquence finale de deux consonnes, c’est-à-dire /vCC#/, mais on insère entre les deux consonnes une voyelle, le plus souvent /a/, sans valeur phonologique, donc, non-accentuée, mais assez perceptible. Cela se reflète dans les graphies arabe, par exemple dans VA >riǧ[a]l< « pied », >baṭ[a]n< « ventre », >naḥ[a]l< « abeilles », >laḥ[a]m< « chair », et en roman, par exemple dans Alcalá rá/égel, bátan, náhal et láham, aussi bien que dans les emprunts et les noms de lieu, par exemple le castillan azófar = portugais açôfar < arabe andalou /aṣṣúfr/
|| 244 Très souvent, on ne note la métathèse que dans les emprunts, par exemple le castillan adelfa « laurier-rose» < arabe andalou /addífla/, albahaca « basilic » < arabe andalou /alḥabáqa/, castillan trujamán, mais portugais turgimão « interprète » < arabe andalou /turǧimán/, etc. (voir SK 72, note 102), suivant les préférences phono-tactiques des langues romanes, qui parfois, néanmoins, peuvent avoir subi l’interférence de l’arabe andalou, comme dans le nom de la ville de Madrid, en arabe andalou >maǧrīṭfaqāʕsamnzanǧafūr< « vermillon » < arabe standard /zunǧufr/, avec d’autres traces, par exemple chez dans ZJ 598 >naʕāš< « brancard », et dans de nombreux emprunts et noms de lieu, par exemple le castillan azahar « fleur d’oranger » < arabe andalou /azzahár/ < arabe standard /zahr/, Arahal (Séville) < arabe andalou /arraḥál/ < arabe standard /raḥl/ « auberge ». Les auteurs de azǧāl utilisaient cette alternance à volonté pour obtenir des rimes, comme dans IQ 40/2 >qaṣar< « palais » + >ḫuḍar< « verts » + >baṣar< « vue », où l’on prononçait /ár/. 1.4.4.2 Dans la jointure ouverte, par contre, la voyelle disjonctive est placée à la fin du premier mot qui aurait eu une séquence finale de deux consonnes, c’est-à-dire /vCCv+C/, évitant ainsi le groupe consonantique interdit. Habituellement, c’est un /i/, mais /a/ après les consonnes pharyngo-laryngales et, n’étant pas non plus phonologique, on s’en aperçoit et on le trouve noté dans les transcriptions en graphie arabe, par exemple dans VA >kulli yawm< « chaque jour », >bifardi yad< « avec une seule main », >sabʕa miʔah< « sept-cents », dans IQ 8/2/3 >kulli ǧazzār< « chaque boucher », 89/10/1 >ṭabʕa fīkum< « nature chez vous », Alcalá 33.25 cúlli niçráni « chaque chrétien », 44.10 min axli héḍe « à cause de cela », zéuje élef « deux mille », fardi gualéd « fils unique » ; dans quelques cas, après une consonne géminée en jointure ouverte, on la simplifie, par exemple dans AC 295 >lā ḥir illā< « il n’y a pas de vulve sauf … », 303 >alḥak awkad min alfalī< « se gratter est plus urgent que s’épouiller », ce qui est normal dans cette source pour tous les verbes géminés, par exemple 36 >yišum< « il flaire », 1404 >yimal< « il s’embête ». On s’est demandé si, dans les cas des pronoms enclitiques, les voyelles connectives, qu’on trouve partout en néo-arabe, étaient phonologiques, par exemple dans IQ 34/0/1 >malla+ni< « il a eu marre de moi », dans AB >katabti+lakum< « j’ai vous ai écrit » : la réponse dépendrait de la définition admise par chaque linguiste du terme ‘phonologique’ et serait la même que dans les autres cas. || 245 On trouve un phénomène identique dans les variétés septentrionales marocaines où une voyelle brève [a] sans valeur phonologique apparaît entre les désinences du pluriel {+īw} et {+āw} et les pronoms suffixes {+h} et {+k}, comme dans /nāklīwah/ « nous le mangerons », /nqaṭʕīwah/ « nous le couperons » (Vicente 2000 : 138). Dans d’autres variétés marocaines (comme Larache et Chefchaouen), cette voyelle n’apparaît qu’avec les verbes défectueux, mais à Anjra elle existe avec tous les types.
2 Morphologie La morphologie des langues sémitiques (parmi lesquelles on trouve l’arabe ancien et le néo-arabe), c’est-à-dire le catalogue des morphèmes non-lexicaux ou marques exprimant les accidents ou logèmes des mots flexibles (noms et verbes) et les règles de leurs utilisations et de leurs combinaisons acceptables, est pratiquement réduite à la description de la flexion de ces deux catégories, puisque la troisième classe de mots, les particules ou fonctionnels, n’ont aucune flexion, c’est-à-dire aucune variation morphophonologique, ou il ne s’agit que de cas particuliers de l’utilisation des inflexions figées de quelques noms.1
2.1 La flexion nominale La flexion nominale de l’arabe andalou reproduit à peu près celle du néo-arabe, qui n’est en principe qu’une simplification créole de quelques complexités et hypertrophies superflues du système de l’arabe ancien. Son étude comprend des chapitres consacrés aux schèmes de dérivation nominale (interne et externe), à la détermination, aux cas, au genre, au nombre et des sections consacrées aux noms spéciaux, c’est-à-dire les pronoms, les noms de nombre et assimilés. Le réseau très vaste des schèmes de dérivation nominale interne de l’arabe ancien,2 avec plusieurs dizaines de combinaisons, s’est rétréci, notamment dans l’arabe andalou, comme dans tout le néo-arabe, où les seules formes qui ont survécu sont les schèmes tri-consonantiques de l’arabe classique : {1v23} : des substantifs et noms verbaux, tels que /kálb/ « chien », /ḏíkr/ « mention », /šúrb/ « boire ». {1a2v3} : des substantifs, adjectifs et quelques noms verbaux tels que /baqár/ « race bovine », /ḥasán/ « bon », /raǧúl/ « homme », /laʕíb/ « jeu », /ḫaǧál/ « avoir honte ». {1i/u2a3} : surtout des noms verbaux comme /ṣi/uġár/ « être petit », mais aussi quelques substantifs tels que dans VA >ǧuʕal< « scarabée ». {1ā2i3} : des participes agentifs, souvent substantivés, comme /hárib/ « fuyard », /kátib/ « écrivain ».
|| 1 La flexion nominale et verbale des dialectes nord-africains est proche de celle de l’arabe andalou. Sa description est donc très utile pour mieux connaître des étapes antérieures de ces parles arabes contemporains, surtout pour ce qui concerne l’arabe marocain, en raison du manque de sources anciennes sur cette variété d’arabe, pour laquelle l’influence de l’andalou est la plus importante. 2 Reflété dans une formule synoptique dans SK 74, n. 74.
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{1ā2a3} : quelques très rares substantifs, mais fréquents dans l’usage tels que /ḫátam/ « anneau » et /ʕálam/ « monde ».3 {1ā2ū3} : des noms d’outils et produits préparés comme /qádum/ « bêche », /bárud/ « poudre ».4 {1ay/w2a3} : quelques substantifs tels que /báydar/ « aire », /báwqal/ « bocal ». {1a2ū/ī3} : des adjectifs, parfois substantivés, comme /ḥarún/ « rétif », /ḥazín/ « triste », /wazír/ « vizir ». {1a/i2ā3} : surtout des substantifs tels que /saḥáb/ « nuages », /kitáb/ « livre ». {1u2ā3} : des noms de maladies et ses symptômes comme /ǧuḏám/ « lèpre », /ʕuṭás/ « éternuement », ainsi que des parties détachées d’une substance comme /ḥuṭám/ « foin ». {1u2ū3} : des noms verbaux de mouvement tels que /duḫúl/ « sortie », /ḫurúǧ/ « entrée ». {1a22ā3} : des adjectifs d’intensité et noms de professions comme /ḫawwáf/ « lâche », /ḥaddád/ « forgeron ».5 || 3 Le premier a une origine égyptienne ancienne (voir Ellenbogen 1962 : 74). Le deuxième a été emprunté à l’araméen ʕalmā (voir Jeffery 1938 : 208‒209). Il y a avait une tendance à remplacer ce schème par le plus fréquent {1á2i3} : dans Alcalá ḳátim, dans VA >qālib< = Alcalá cálib « moule », du grec kalópous, dans IH 356 >kāmiḫ< « une sauce », du pehlevi kāmag, et dans VA >sāda/ik< « matelas », du pehlevi sādag « mou », d’où provient également dans VA >sāḏaǧ< « simple », mais dans GL déjà >sāḏiǧlāǧūr< et avec un pluriel lawāǧir dans VA, l’aragonais andadó « tour de guet », une étymologie populaire de l’arabe standard /nāḏ.ūr/, le castillan arcaduz = portugais alcatruz « godet d’une noria », de l’arabe standard qādūs, le castillan ataúd = catalan taüt = portugais ataúde « cercueil », de l’arabe standard /tābūt/, etc. Cette préférence prosodique du grenadin semble garder une relation avec l’évolution mentionnée en 1.3.1. 5 L’arabe andalou semble avoir souvent utilisé ce schème comme un participe agentif avec une connotation d’intensité ou de fréquence (voir le coranique /annafsu lʔammāratu bissūʔ/ « l’âme toujours encline à conseiller le mal ») comme dans VA >kāsir< « casseur » >kassār< « qui casse beaucoup », >qātil< « tueur » >qattāl< « qui tue souvent », >ʕaṯṯār< « qui trébuche fréquemment », dans VA = IQ 39/7/1 >labbās< « adonné aux belles robes », dans ZJ 1685 /ʕaynín ṭallabát lalamšáṭ/ « yeux demandant des peignes », etc. Il y a la même connotation en arabe marocain, comme dans les exemples /wākəl/ « qui mange », /wukkāl/ « qui mange beaucoup » (Vicente 2000 : 115). Le féminin {1a22ā3ah} a souvent remplacé les schèmes de nom d’instrument dans tout le néo-arabe, l’arabe andalou inclus, comme dans VA >ǧarrāfah< « traîneau », >raddānah< « fuseau », dans Alcalá barráda « jarre », etc., puisque les noms d’instrument à préfixe {mi+} et les noms de lieu à préfixe {ma+} avaient cessé d’être productifs dans les dialectes avant la grande vague de modernisation de la langue arabe initiée au XIXème siècle, quand les gens cultivés ont inventé des centaines de
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{a12a3} : des adjectifs de couleur et traits physiques tels que /abyáḍ/ « blanc », /aʕráǧ/ « boiteux ». {ma12a/i3} : des noms de lieu dérivés de G = I comme /máskan/ « demeure », /máwsim/ « jour de fête ». {ma12ū3} : des participes non-agentifs comme /maktúb/ « écrit ». {mi12ā3} : des noms d’outil dérivés de G = I et des adjectifs d’intensité tels que /miftáḥ/ « clé », dans IQ 87/1/2 /miktáf/ « costaud ».6 {1v23ā} : des substantifs féminins tels que /ṣáḥra/ « désert », /ḥírba/ « caméléon », /ḥúbla/ « enceinte ».7 {1v23ān} : des adjectifs et quelques noms verbaux comme /sa/ikrán/ « buveur », /ṭuġyān/ « oppression ». {1a2a3ūt} : quelques noms abstraits tels que /ǧabarút/ « omnipotence ».8 En outre, on trouve les schèmes quadri-consonantiques suivants : {1a/i/u23a4} : des substantifs comme /nárǧas/ « narcisse », /díftar/ « cahier », /ʕúnṣar/ « élément ». {1i23i4} : des substantifs comme /bínṣir/ « doigt annulaire ». {1u23u4} : des substantifs comme /qunfúd/ « hérisson ». {1a23ī/ū4} : des substantifs tels que /ṣandúq/ « caisse et /ḫanzír/ « porc ». {1a23v4a(t)} : des noms verbaux comme /tárǧama/ « traduction ».
2.1.1 Le morphème {+a(t)} A la plupart de ces schèmes, on pouvait ajouter le morphème {+a(t)}, ce qui n’est pas seulement la marque la plus commune du genre féminin, mais aussi une an|| mots tel que ceux-là, dont une large partie est ensuite passée dans les dialectes. En marocain, on trouve les exemples /fərrākah/ « planche à laver », /ḥakkākah/ « râpe », /ġaṭṭāyah/ « couvercle », /barrāda/ « cruche ». 6 La grande fréquence en arabe andalou (selon SK 79 et Corriente 2012b : 52, voir dans IQ 84/18/4 >misyār< « bon marcheur », 94/28/4 >miryāḥ< « venteux ») de ce schème, considéré par Brockelmann (1908 I : 379) comme une application métonymique très occasionnelle des noms d’instrument de la même forme, semble suggérer un mimétisme de {mu12ā3}, participe du schème IX‒XI du verbe, aussi fréquent dans le néo-arabe occidental, d’une façon caractéristique. En fait, et favorisant cette hypothèse, dans IH 179 mentionne trois cas de participes du schème Gt = VIII qui ont subi cette même évolution, >mibtāʕ< « acheteur », >miḥtāl< « rusé » et >miḥtāǧ< « ayant un besoin ». 7 Il n’y a aucun indice en néo-arabe de distinction entre les trois morphèmes du féminin {+at}, {+āʔ} et {+à}, qui semblent s’être confondus dans un unique couple morphologique, {+a} pour l’état absolu et {+at} pour l’état construit. Ce fait explique l’accentuation trochaïque, et l’identification avec {1v23a(t)} qui s’en est ensuivie. Quoi qu’il en soit, les descendants de ces féminins ne se distinguent en rien de ceux de {1v23a(t)}, qu’il s’agisse de l’accent, de l’addition du {+t} à l’état construit et de la sélection du type de pluriel. 8 D’origine araméenne ; voir Brockelmann 1908 I : 415‒416.
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cienne marque des noms d’unité ou singulatifs, diminutifs, péjoratifs, augmentatifs,9 collectifs, noms abstraits, etc., comme dans les exemples /ḍárba(t)/ « un coup », /fíkra(t)/ « une idée », /ḥúrqa(t)/ « une brûlure », /ḥaráka(t)/ « un mouvement », /ḍáḥika(t)/ « souriante », /qarúra(t)/ « flacon », /sáyṭara(t)/ « souveraineté », /ḥáwšala(t)/ « jabot », /ǧazíra(t)/ « île », /saḥába(t)/ « un nuage », /iráṯa(t)/ « héritage », /ḫuráfa(t)/ « conte saugrenu », /ḥurúša(t)/ « aspérité », /ǧarráfa(t)/ « drague », /maǧzára(t)/ « boucherie », /maḥrúqa(t)/ « brulée », /kaslána(t)/ « fainéante », etc. Mais il n’y a pas d’exemples de schèmes comme *{mi12ā3ah}, *{1ā2a3a(t)}, *{1a2a3ūta(t)}10 et, pour les adjectifs en {a12a3}, il y a un schème particulier de féminin {1á23a(t)}, comme dans /báyḍa(t)/ « blanche », /ʕárǧa(t)/ « boiteuse ».11
2.1.2 Le diminutif Parmi les schèmes de dérivation nominale interne, il faut souligner, de par leurs particularités sémantiques et morphologiques, ceux du diminutif. On trouve le masculin {1u2áyya3} et son correspondant féminin {1u2áy3a} pour les noms triconsonantiques,12 ainsi que {1u2áy3a4(a)} pour les quadri-consonantiques13 comme || 9 Voir Fleisch 1961 : 456‒63 et Corriente 1971b : 59‒61, où on explique cette abondance de fonctions comme une conséquence d’un vieux système de classes nominales dans les phases le plus reculées du proto-sémitique. La deuxième classe aurait retenu l’expression des nuances ‘affectives’, ce que les linguistes allemands ont appelé Karitatif. 10 Dans le premier cas, il pourrait s’agir d’une coïncidence, car rien ne devrait empêcher */miḍrára(t)/ « nocive » ou */misrára(t)/ « gracieuse » ; dans les autres cas, il semble s’agir d’une vieille restriction morphologique interdisant quelques combinaisons de morphèmes. 11 Ce schème utilisé pour le féminin des noms de couleur est très commun dans le néo-arabe, comme dans l’arabe marocain, où on trouve les exemples /ḥamra/ « rouge (F) », /zarqa/ « bleue », /ṣafra/ « jaune », etc. ; et comme en arabe libyen où les adjectifs de couleur au féminin se construisent sur le schème {1ǝ23a}, comme dans /ḥǝmṛa/ « rouge », /kǝḥla/ « noire », /zǝṛga/ « bleue » (Pereira 2010 : 159), excepté « blanche » qui se construit sur le schème {1ī3a} ou {1ē3a} à la suite de la réduction de l’ancienne diphtongue /ay/ > /ī/ ou /ē/ : /bīḍa/ et /bēḍa/ dans les deux variétés citées. 12 Brockelmann (1908 I : 353) et Zavadovski (1963 : 94) ont rapporté la même situation dans les dialectes citadins nord-africains. Ainsi, on trouve les schèmes suivants pour le marocain : masculin {fʕǝyyǝl} ~ féminin {fʕīla} : /mqiyyǝs/ « petits ciseaux » et /bnīta/ « petite fille ». Pour les diminutifs en arabe marocain, voir Caubet 1993 I : 32 et suivantes. On retrouve la même situation en maltais (Sutfcliffe 1936 : 31‒33). Ce fait ne peut pas être expliqué comme une tendance quadriconsonantique, car cela ne se reflète pas dans le féminin. Il s’agirait plutôt d’une contamination morphologique avec les masculin contenant une voyelle longue en arabe ancien, comme dans /kitāb/ ~ /kutayyib/ « petit livre », /ḫarūf/ ~ /ḫurayyif/ « petit agneau » ; encore un cas de simplification créole des règles morphophonologiques, attribuable à la première vague d’arabisation de l’Occident islamique par les ‘Yéménites’. Dans les emprunts romans et dans les noms de lieu
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dans /kuláyyab/ « petit chien », /kuláyba(t)/ « petite chienne », /ṯuʕáylab/ « petit renard », /qunáyṭara(t)/ « petit pont ». Ils n’admettent que le pluriel régulier féminin pour les deux genres : /kuláyba ~ Ít/, /ṯuʕáylaba ~ Ít/, /qunáyṭara ~ Ít/.14 || d’origine arabe, cette syllabe additionnelle post-tonique a toujours disparu, selon les règles phonétiques historiques de ces langues, comme dans Alcocer (Alicante) < arabe andalou /alquṣáyyar/ « le petit palais », Aljucer (Murcia) < arabe andalou /alǧusáyyar/ « le petit pont », Almudaina (Alicante) < arabe andalou /almudáyyana/ « la petite ville ». Ce trait n’a pas été bien compris par Steiger (1932 : 371), qui voulait partir des schèmes de l’arabe classique pour les expliquer. Seuls les noms ‘défectifs’ échappaient à cette innovation, comme dans IQ 165/6/1 /uḫáy/ « petit frère », 140/0/1 /ṣubáy/ « petit garçon », 140/4/4 >qubay< « une petite robe », dans Alcalá muráy « petit miroir », comme à Tripoli où on trouve les formes /uḫēy/ « petit frère » et /uḫēya/ « petite sœur », mais avec un /ē/ (Pereira 2010 : 223). D’autre part, plusieurs adjectifs de schèmes différents recevaient un diminutif quadri-consonantique avec répétition de leur deuxième consonne : (tous dans Alcalá) /kubáybar/ « un peu grand », /ṯuqáyqal/ « un peu lourd », /ruṭáyṭab/ « peu tendre », /buráyrad/ « un peu froid » et /ǧumáymad/ « un peu gelé », etc., qu’on retrouve dans les dialectes du Nord du Maroc avec diverses traces d’influence andalouse, comme le parler d’Anjra dans la région Jbala : /kbībar/ « un peu grand » et /sḫūḫǝn/ « un peu chaud » (Vicente 2000 : 131). Mais dans IQ 24/2/1‒2 a encore >ṣuḥayyaḥ< et >mulayyaḥ< pour /ṣaḥíḥ/ « entier » et /malíḥ/ « bon », 36/071 >ṣuġayyar< pour /ṣaġír/ « petit », ainsi que l’exemple d’Alcalá çogáyar et dans IH 88, etc. 13 Parmi lesquels il faut évidemment compter les noms avec une deuxième syllabe tonique : dans Alcalá aâgéle ~ uûjáyala « chariot », midína ~ mudéyena « ville », çaguér ~ çogáyar « petit », ḳaróf ~ ḳoráyaf « agneau » ; mais on observe aussi dans Alcalá dugéyja « petite poule » et mucéyle « petite question », de digíja et mecéle, ce qui prouve une certaine hésitation. Il y a aussi quelques rares cas de formations dialectales où les voyelles longues de l’arabe standard ne sont pas comptées, comme dans IQ 11/9/4 >budayya< « petite campagne », de l’arabe standard /bādiyah/, 19/4/3 >ḫudaymah< « petite servante », de l’arabe standard /ḫādimah/ ; il existe également des cas rares de réduction du nombre de consonnes par rapport à celles de la racine, comme dans Alcalá duéiri de /midrí/ = arabe standard /miḏrà/ « râteau» et dans VA >zullayǧnufaysatī< « ma petite âme », de náfs, et 63/7/4 >duwayrah< « petite maison », de /dár/, ainsi que dans Alcalá dans PES 8/1/2 et dans AC /quláyba/ « petit cœur », nous rappelant le maltais qalb, dont le genre féminin, contraire à l’arabe et au latin, pourrait refléter le grec kardía. 14 Voir dans Alcalá zonáica ~ zonaiquít « ruelle », ainsi que dans AC 169 >nuqayṭÍt< « petites gouttes », reflétant toujours une imālah de deuxième degré, même après les consonnes vélarisantes, ce qu’on expliquerait bien comme un cas d’Umlaut-imālah, mais on ne sait pas si cela se produisait également dans les autres sous-dialectes. Parmi les raretés, on trouve dans PD 154 /addunáyya/ « le petit monde », diminutif de l’élatif féminin lexicalisé /dúnya/ « monde », ainsi que dans AC 1259 >hunay< formé sur l’adverbe en arabe standard /hunā/ « ici », avec quelques exemples précédents en arabe standard comme /alhuwaynā/ « lentement », /ruwaydan/ « doucement », ainsi que les prépositions /qubayla/ « un peu avant », /buʕayda/ « un peu après », /duwayna/ « un peu plus en deçà », etc. (voir Fischer 1972 : 134 et 151). Cela est exceptionnel dans le néo-arabe, mais pas dans les langues romanes, voir le castillan despacito « très lentement », lejitos « un peu loin », cerquita « très proche », même le très exceptionnel portugais colloquial estousinho doente « je suis un peu malade », avec le morphème de diminutif attaché au verbe.
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2.1.3 L’élatif Le schème de l’élatif est {a12á3}, comme dans IQ 24/7/4 >akram albariyyah< « le plus généreux dans la création », 22/5/4 >aṯqal< « plus lourd », 10/3/1 >akbar< « plus grand », 55/8/4 >aʕḏ.am aǧar< « la plus grande récompense », etc., sans traces du féminin {1u23à} de l’arabe classique, sauf dans quelques classicismes.15 En outre, cet élatif pouvait être utilisé pour rendre des tournures exclamatives, comme dans l’arabe standard, ainsi que directement sur la racine verbale en style élevé, comme dans IQ 9/26/3 >mā aḥabba kullinā fīk< « combien nous tous t’aimons ! », 89/7/3 >ma+daqqakum bibunyāt< « quels coups de poigne vous donnez ! », 13/2/1 >mā aḥlàmā ashal< « qu’il est facile ! », dans PD 187 /ama+ḫyáṭu/ « il coud si bien ! », dans IZ 2/1/3 /mI ašhák wamI aḥlák/ « que tu es désiré et tu es doux ! ».16 Il se produit parfois la violation de la norme de l’arabe classique interdisant ce schème avec les adjectifs de schème {a12a3} ou quadri-consonantiques comme dans IQ 16/0/2 >mā abyaḍuh … wamā ašraqu< « qu’il est blanc…qu’il est brillant ! » et 173/2/4 >mā+zandaqu< « qu’il est irréligieux ! ».17
|| 15 Comme dans tout le néo-arabe, le schème de l’élatif dans les dialectes nord-africains est invariable pour le féminin et le pluriel, comme dans les exemples suivants en arabe marocain : /hād əḍḍār kbər mən hādi/ « cette maison est plus grande que celle-ci », /hūma ḥsən mən hādu/ « ils sont mieux que ceux-ci ». 16 Comme en Libye où on peut faire suivre /ma/ de l’adjectif à la forme d’élatif muni d’un pronom suffixe (mais sans sa voyelle brève d’appui /ǝ/ qui chute après /ma/), comme dans /ma ḥlā-h / « comme il est beau ! », /ma ṭwǝl-ha / « comme elle est grande ! », /ma kǝbṛ-a l-ḥōš/ « comme la maison est grande ! » (Pereira 2010 : 216 et 447). 17 Le schème d’élatif s’est propagé, comme ailleurs dans le néo-arabe, aux substantifs adjectivisés /ḫáyr/ « bien ; bon » et /šarr/ « mal ; mauvais », avec les formes dans IQ 96/5/3 et 7/2 = AC 649 et passim /aḫyár/ « mieux » et dans GL /ašárr/ « pire », mais il semble avoir commencé à décliner dans la phase finale de l’arabe andalou, si l’on considère les exemples dans IQ 96/7/4 >akṯar dafī< « plus chaud », 99/14/2 >akṯar raqīq< « plus fin », 69/17/4 >akṯar ṣiḥāḥ< « plus correctes », dans AC 712 >ḫāyif akṯar< « plus effrayé ». Même le rare cas des comparatifs sans forme d’élatif dans IQ 41/8/1 >anta ǧīd min ʕām awwal< « tu es mieux qu’à l’année passée », Alcalá 47.26 et 29‒30 gáli aqĉar « plus cher », ainsi que raḳiç min alledi qui yazui « plus bon marché qu’il ne coûtait ». On trouve aussi quelques diminutifs de {a12a3}, tels que dans AC 440 >uǧayʕad< « un peu frisé », 1479 >usaymar< « petit esclave nègre », avec l’utilisation euphémistique de l’adjectif arabe standard /asmar/ « brun », relevée dans Corriente 2008a : 473, à propos du castillan et du portugais zambo. Les tournures superlatives utilisant l’élatif existaient en arabe andalou, surtout dans les registres hauts, comme dans IQ 39/2/2 >ḫayr qabīlah< « la meilleure tribu », 24/5/4 >aḥsan taḥiyyah< « la meilleure salutation », 96/9/2 >akbar kās< « la plus grande coupe », car les plus bas préféraient des expressions analytiques, telles que dans IQ 86/8/2 >šaǧīʕ kaṯīr < « très vaillant », 4/5/4 et 87/20/1 >šayyan ʕaḏ.īm< « beaucoup » et 105/7/ >ǧīd at saraf< « tu es très bon », dans PES 63/1/5 /yaṯṯabbat kaṯír ríǧlu/ « son pied s’affirmera beaucoup ».
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2.1.4 Le système de dérivation nominale L’hypertrophie du système de dérivation nominale dans l’arabe ancien a été bouleversé par le néo-arabe, qui a opéré une réduction des schèmes utilisés à travers l’abandon des mots avec une structure trop compliquée, ce qui relève de l’évolution lexicale, ou leur conversion vers d’autres plus simples, comme on observe dans VA = IQ >ḥimṣ< « pois chiches » pour l’arabe standard /ḥimmi/aṣ/, dans IH 68 >fāḏūl< « certain mets doux » pour l’arabe standard /fālūḏaǧ/, d’origine persane, 48 >ḫayzarān< pour l’arabe standard /ḫayzurān/ « bambou »,18 dans LA 271 >darrāǧ< pour l’arabe standard /durrāǧ/ « francolin », 298 >nafīsah< = IH 87 = ZJ 1120 = Alcalá nefíça pour l’arabe standard /nufasāʔ/ « accouchée », dans VA >ʕakkāsah< = >ʕukkāz/s< « béquille », >ḏawābah< = IH 318 >ḏawwābatunfawāq< au lieu de l’arabe standard /fuʔāq/ « sanglots », >sullūm< « escalier » au lieu de l’arabe standard /sullam/, >ab(b)uhah< « élégance », probablement prononcé */abúha/ au lieu de l’arabe standard /ubbahah/, >turrūhah< « bagatelle » au lieu de l’arabe standard /turrahah/, >bullār(ah)< « cristal » au lieu de son synonyme plus proche du grec bếryllos, >billawr(ah)rāǧil< = Alcalá rágil « homme », encore absent dans les plus anciennes sources de l’arabe andalou avec cette connotation, témoignant ainsi de la propagation des innovations lexicales dans le néo-arabe, où cette substitution de l’arabe standard raǧul a été plus hâtive. Parfois, une forme hypocoristique a permis se passer d’un schème rébarbatif, comme dans Alcalá çollóâ « partie chauve de la tête », au lieu de l’arabe standard /ṣullaʕ/, ou dans VA >bullūǧah< = Alcalá bullúja « cigogne », au lieu de la forme originelle plus proche de son origine grec pelargós, d’où provient dans IH >ballāriǧḫuḍḍayr< « guêpier » et préfère >ḫuḍḍārà< qui semble être une erreur au lieu de /ḫuḍārī/ dans le célèbre dictionnaire Lisānu lʕarab, mais décèle la fréquence du schème {1u22ay3} pour les noms de petits animaux et de plantes dans le néo-arabe, voir en arabe andalou dans ZJ 501 /ḍurrays/ « étourneau (?) », dans VA >ḫubbayz< « mauve », dans IH 201 >ḥummayḍ< « oseille », etc. 19 Qu’il faudrait lire aussi dans IQ 146/3/4 où /ḏawwábat alʕimáma/ est l’extrémité du turban qu’on laisse flotter derrière la nuque. 20 Dans d’autres cas, ce schème hypocoristique très favorisé en néo-arabe (voir Corriente 1969, avec de nouveaux cas tels que dans IQ 9/33/1 >ḫallūf< « maladroit », dans ZJ 36 /ḫannúna/ « morve »), a permis d’obtenir une forme moins rébarbative de quelques mots, tels que dans VA >furrūġah< « robinet », >qurrūʕah< « teigne », >qullūʕah< « motte de terre » de l’arabe standard /qullāʕah/, ainsi que /zanbúǧa/ (aussi GL /zabbúǧa/) « olivier sauvage », d’où provient le castillan acebuche et le portugais azambuja, de l’arabe standard /zaġ/ʕbaǧ/. Comme dans le cas de {1a23á4} = {1a22á3}, il est probable qu’on ait utilisé {1u23ú4} = {1u22ú3}, comme dans Alcalá çurçúl = dans VA
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à travers l’arabe : /belarej/, pluriel /ibelarjiwin/ (Sarrionandía & Ibáñez 2007 : 124), même s’il existe un mot berbère pour nommer cet oiseau : /tarungat/. Dans d’autres cas, on dirait que quelques schèmes ont été en vogue pendant un certain temps, notamment {1ay2ú3} avec des cas comme dans VA >daymūġ< « cerveau », qui a concurrencé >dimāġd/ǧaysūs< au côté de >ǧāsūs< « espion ».21
2.1.5 Disparition de quelques schèmes Dans d’autres cas, cependant, la disparition de quelques schèmes pourrait ne pas obéir à une tendance à la réduction de sa prolifération, mais représenterait plutôt la préservation d’anciennes formes dialectales, différentes de celles que l’arabe classique avait préférées, sans être souvent imitées par les dialectes néo-arabes. C’est le cas des schèmes quadri-consonantiques {1i23ī4} et {1i23ū4}, où le néoarabe et, dans la majorité des cas, l’arabe andalou ont préservé de schèmes anciens {1a23ī/ū4}, comme dans IH = IQ = ZJ 142 = VA >qandīl< = Alcalá candíl « lampe d’huile », du latin candela, face à l’arabe standard qindīl.22 Ainsi que dans VA >ḫarn/rūbah< = ZJ 908 = AC >ḫarrūbah< = Alcalá ḳarróba « caroube » du néo-persan ḫar luba « haricots d’âne », face à l’arabe classique /ḫurn/rūbah/, avec les allomorphes non-harmonisés /ḫarn/rūbah/, les seuls à se refléter dans les emprunts castillan algarroba, catalan garrof/va, portugais alfarroba, etc. La vocalisation des mots quadri-consonantiques en arabe andalou est un sujet insuffisamment étudié, outre la constatation de la préférence pour la nonharmonisation des séquences avec une deuxième voyelle historiquement longue et la préservation générale du schème {1a23a4}, comme en arabe standard /ǧandal/ = VA >ǧandal< = Alcalá géndel « cailloux ». Dans d’autres situation, on observe une tendance dissimilatoire comme dans IH 25 et dans LA 156 >diftar< mais dans VA >daftar< « cahier », ou >ǧulǧa/ul< « clochette » et >dustar< = Alcalá dúztar « cheville de bois ». Dans le premier cas, on est peut-être, pour chaque mot, face au grec diphthéra et à son emprunt par le pehlevi
|| >salsalat alṣulb< « échine », même dans des emprunts, comme dans dans VA >qurlūǧah< « verluisant » du roman *KÚLI+LÚČE « cul+lueur ». 21 Probablement en relation avec la préférence d’origine araméenne pour {1ā2ū3}, caractéristique du néo-arabe, comme dans /ʕāmūd/ « colonne », ainsi que dans des mots d’une autre provenance, comme /zāwūq/ « vif-argent », du pehlevi /zīwāk/ « vivant », d’où proviennent le castillan azogue et le portugais azougue, /šākūš/ « marteau » du turque çekic, etc. Mais cette préférence n’a pas empêché le remplacement de l’arabe standard /ṭāwūs/ « paon » par la forme simplifiée de l’arabe andalou /ṭáws/. 22 Il s’agit d’un de nombreux emprunts aux langues romanes arrivés à l’arabe marocain grâce à la migration des andalous à l’autre côté du détroit de Gibraltar. Pour le rapport entre le marocain et les langues romanes, voir Vicente 2011.
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daftar, mais dans le deuxième cas, le néo-persan dustār et l’arabe standard /ǧulǧul/ semblent avoir été reflétés d’une façon anomale. En quête d’une explication, on pourrait admettre que, dans l’arabe standard /fulful(ah)/ = VA >fulfalah< « poivre » et dans l’arabe standard /funduq/ = VA >fundaq< « auberge », la vocalisation du premier /f/ au moins s’expliquerait par la labialisation du sanscrit pippalī et du grec pandokeíon. Il faut accepter que les schèmes {1a23a4} et {1u23a4} se soient propagés aux dépens de {1i23i4} et {1u23u4} respectivement, dans le premier cas à cause de la loi de Philippi, voir dans VA >ḫarnaq< = Alcalá ḳárnaq « lévreau » au lieu de l’arabe standard /ḫirniq/ et, dans les deux cas, à cause de l’imitation de l’insertion d’une voyelle non-phonologique dans les schèmes {1v2[a]3}, auxquels ils ont été attachés par une ressemblance prosodique, c’est-àdire la position de l’accent dans la voyelle suivant la consonne initiale. Comme il fallait s’y attendre, les sources reflètent différents degrés d’adoption de cette évolution et imitation des modèles arabe standard ou néo-arabe, comme dans VA >binṣir< = arabe standard /binṣir/ « doigt annulaire », mais dans GL >binṣar< et dans Alcalá bánçar, ainsi que dans VA >zurzal/r< et dans Alcalá zorzál « étournau », mais dans ZJ 577 encore /zarzúr/, ou dans VA >fundaq< mais avec les dérivés >funduqī< et >funduqayr< « aubergiste », et finalement dans VA >kazbu/ūr(ah)< arabe standard /kuzbar(ah)/ « coriandre ».
2.1.6 Schèmes suffixés La dérivation externe dans les langues sémitiques, ce qui inclue toutes les formes de l’arabe, est limitée à un nombre très réduit de suffixes,23 et de surcroît en arabe andalou, où il est surtout question des suffixes adjectivaux {+án} et {+í}. Le premier est utilisé dans quelques noms verbaux, tels que /ḫusrán/ « perte », /ṭuġyán/ « tyrannie », mais principalement dans les adjectives du type {1v23án}, tels que /kaslán/ « fainéant », /ǧayʕán/ « affamé » /sa/ikrán/ « ivre ».24 Quant à {+í}, appelé morphème de nisbah (c’est-à-dire d’attribution) en arabe, parfois atone, et parfois allongé en {+áni} ou {+áwi},25 il est utilisé avec la même || 23 Dans les cas des préfixes {a+}, {mv+} et {tv+}, ils sont toujours accompagnés de changements à l’intérieur des mots, ce qui ne permet pas de les considérer simplement comme des cas de flexion externe, mais il faudrait parler plutôt de ‘circonflexion’. D’un autre côté, excepté les participes verbaux, ces mots préfixés sont simplement traités dans la morphologie arabe comme des quadriconsonantiques. 24 Mais cette classe d’adjectifs semble avoir perdu une grande partie de son domaine caractéristique, les états temporaires, et on ne la retrouve plus dans des cas si habituels comme l’arabe standard /farḥān/ « content », /ḥaznān/ « triste », /ġaḍbān/ « furieux », /ʕaṭšān/ « assoiffé », etc. Il y a aussi un suffixe rare {+út}, avec une origine araméenne qu’on ne trouve que dans quelques termes religieux, comme dans VA >ǧabarūt< « orgueil ; toute-puissance », >malakūt alsamā< « royaume des cieux », dans VA >nāsūt< « humanité ».
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profusion en arabe andalou que dans le reste du néo-arabe et même de l’arabe ancien. Il s’agit d’un vrai suffixe, sans les règles restrictives des puristes, souvent non observées partout, comme les altérations demandées par la grammaire classique dans les bases {1u2ay3+} ou {1a2ī3(ah)} comme dans VA >madanī< = >madīnī< « qui couvre sa tête »,26 et la prohibition des puristes de le suffixer aux pluriels brisés comme dans VA >šarāʔibī< « apothécaire », dans AC >ʕumayrī< « adonné à la masturbation », dans IH 250 >ǧazīrī< « naturel d’Algeciras », dans ZJ 672 >ʕaǧāyibī< « prestidigitateur », dans Alcalá nicígui « féminin », rigíli « masculin », naguaquicí « fondeur de cloches », de l’arabe andalou >šarāʔib< « sirops », alǧazíra alḫáḍra, littéralement « l’île verte », ʕumáyr « euphémisme drôle du pénis », ʕaǧáyib « merveilles », nisá « femmes », riǧál « hommes », nawáqis/ṣ « cloches ». Ce manque de suffixes propres est partiellement compensé par l’adoption de suffixes romans, surtout ceux des augmentatifs {+ún} et {+úṭ}, du diminutif {+á/Íl} et de l’agentif {+áyr} comme dans VA >raqadūn< « grand dormeur », dans ZJ 1471 >manḫarūṭ< « qui a un grand nez », dans GL >ʕarūsāllah< « belette », littéralement un euphémistique « la petite jeune mariée », dans VA >ǧurmayr< « osé », >madakkayr< « escroc », dans Alcalá ḳanzáir « porcher » ; voir 5.3.3.2.
2.1.7 La détermination La détermination dans plusieurs langues sémitiques joue un rôle morphologique, et pas exclusivement syntactique, du fait que les morphèmes signalant sa présence ou son absence (‘mimation’, ‘nunation’ et les déterminants) ne sont pas des mots indépendants, mais des préfixes ou des suffixes souvent distribués en relation étroite avec les marques des cas et les états (absolu, construit, emphatique, etc.). La simplification morphologique introduite par la créolisation du néo-arabe a eu ses effets aussi sur l’arabe andalou, pour lequel on examinera l’article défini, les traces du tanwīn indéfini, ainsi que l’innovation d’une autre marque pour la même fonction.
|| 25 Voir dans IQ 137/11/4 >šaqrānī< « rougeâtre », dans Alcalá ḍanaví « ovine » de l’arabe standard ḍaʔn « moutons ». Dans ces cas et dans d’autres, on observe la préservation des formes héritées de l’arabe standard ou du néo-arabe ou innovées selon certaines analogies et acceptées comme lexèmes, plutôt que comme résultats de règles morphologiques du dialecte. IH 218 transmet >dunyāʔī< « mondain » et quelques autres adjectifs particuliers avec ce suffixe comme >dimmī< « sanguin » et >naḥawī< « grammairien ». Le féminin de ce suffixe était la plupart du temps {+íyya}, mais il y a des cas suggérant un allomorphe {+iya}, sans accent, comme l’emprunt catalan sìndria, par rapport au castillan sandía « pastèque » < arabe standard sindíyya « du Sind », ainsi que le castillan bernia = catalan bèrnia « manteau » du nom latin Hibernia, d’Irlande. 26 Littéralement « médinais », comme allusion aux musulmans orientaux qui aimaient les turbans, alors que les andalous détestaient se couvrir la tête ; à ce propos, voir les anecdotes du cadi Ibn Bašīr chez Makkī et Corriente 2001 : 111‒114. Plus tard on inventerait la chéchia comme sorte de pisaller.
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2.1.7.1 L’article défini D’une façon tout à fait exceptionnelle, l’article défini en arabe andalou ʔal+ ne perd pas sa voyelle sous l’élision, comme cela se produit dans le reste des formes de l’arabe ancien, arabe standard et néo-arabe, ce qui se reflète dans les graphies arabes comme dans IQ 9/4/4 >taǧlī alrāḥah< « tu rétabliras le repos », 40/4/2 >alʕaqli arrāǧiḥ< « la raison pondérée »,27 et dans les transcriptions romanes comme dans Alcalá 9 naâti al ḳóbz « je donne le pain », mi alhayé « eau-de-vie », mais aussi dans quelques noms de lieu : Benialfaquí (Alicante) < arabe andalou baní ʔalfaqí « les fils du fakih », Binialmara (Mallorca) < arabe andalou baní ʔalmará « les fils de la femme ».28 Même avec les prépositions bi+, li+ et fi+ on trouve des contractions avec chute de la voyelle /i/ comme dans VA >balḥarà< « guère », dans Alcalá 10.21 lal focahá « aux prêtres », dans DC 5a fal ard « sur le sol ».29 Dans certains cas, le /l/ de l’article défini a été incorporé dans le mot suivant, à cause d’une fausse coupure comme dans MT 205.3 >labbār< = VA = IQ = IH 112 « aiguilleur », et dans VA = IH 112 >lāǧūr< « brique », d’où mulágir « maçon », dans Alcalá lapát « abbé ». Par contre, on l’a métanalysé et supprimé dans un mot commençant avec /al/, comme dans MT 103.5 >almaṯāqil al+funšiyyah< « ducats d’Alphonse VI » et 801 : 3 >al+barġariyya almaʕlūmah< « l’auberge connue ». Ces deux derniers phénomènes ont eu lieu dans les emprunts.
2.1.7.2 La ‘nunation’ La ‘nunation’ de l’arabe ancien, c’est-à-dire la marque {+n}, appelée tanwīn, qui s’ajoutait aux noms indéfinis après les voyelles finales marquant les cas, n’a pas survécu dans le néo-arabe, sauf pour quelques idiotismes figés comme dans VA ahlan wasahlan « vous êtes les bienvenus », comme dans IQ 6/6/1 >ṭawʕan limawlākum< « obéissance à vôtre seigneur ! », 20/23/2 >tamāman< « totalement », 79/15/3 >samʕan waṭāʕah< « l’ordre est entendu et immédiatement obéi ».
|| 27 On sait que les licences poétiques de l’arabe classique permettent une certaine interchangeabilité des alifu l-waṣl et alifu lqaṭʕ, c’est-à-dire du /ʔ/ élidible et non-élidible, mais cela n’inclue jamais celui de l’article défini, toujours élidible en arabe standard et, au contraire, l’élision peut avoir lieu en arabe andalou dans de nombreux cas où cela ne serait pas admissible en arabe standard. Les seules exceptions, dans Alcalá dil haçá « lithiase », dil cullí « maladie des reins », dil ámr « cet affaire », dil yéum « ce jour », semblent s’expliquer par l’intensité de l’imālah en grenadin dans des expressions où les frontières des mots, considérés composés, n’étaient plus nettement perçues. 28 Par contre, dans les dialectes nord-africains, la perte de la voyelle de l’article est très commun, comme en arabe marocain où on a /əl/ ou /l/. 29 Mais la vocalisation du guèze bä+, lä+, etc., et quelques contractions avec des parallèles seulement en éthiopien, comme en arabe standard baḥt « seul », suggèrent ici encore des ‘yéménismes’, voir le guèze baḥtu « seulement » > *bä+aḥad+u, l’arabe standard bi+waḥdi-hī, ou l’arabe standard baʕdu « de nouveau » < guèze bä+ʕawd « dans un période ».
104 | Morphologie
On trouve aussi quelques traces trans-morphematisées, comme la terminaison {+an} de quelques adverbes, telles que dans VA >ġadan< « demain », >marḥaban< « bienvenu »,30 dans Alcalá ávilen « premièrement », bien qu’il soit plus fréquent de trouver des formes pausales sans /n/ comme dans IQ 4/3/1 >abadā< « jamais », 54/1/ >ʕamda< « de propos », 9/28/3 >raslā< « lentement », 18/9/3 >haniyyā ḏā lʕulā wafaḍāyil< « mes félicitations pour cette excellence et vertus ! », dans IZ 1/3/1 haníyya … balʕáwda « félicitations pour le retour », dans PES 2/1/4 /haníyya maríyya/ « grand bien vous fasse ! », dans Alcalá ḳáçah = ḫáṣṣa « particulièrement », háqua = ḥáqqa « vraiment », etc.31 Quant au tanwīn connectif et l’article indéfini innové dans le néo-arabe occidental, on en parlera dans le chapitre correspondant de la syntaxe.
2.1.8 La déclinaison nominale La déclinaison nominale de l’arabe ancien n’a laissé en néo-arabe que quelques traces figées, en dépit de quelques exhibitions individuelles de connaissance de l’arabe classique, comme dans VA >ḏā< ~ >ḏū< ~ >ḏī< « doué de » avec les trois cas, mais suivis immédiatement par >ḏawā< et >ḏawīabn abī zaydaban abī alḫiṣālburǧ abī dānis< « la forteresse d’Alcácer do Sal (Portugal) »32, à côté d’autres cas où la forme du cas accu-
|| 30 Par contre, le tanwīn a disparu dans ces formes en arabe marocain, comme dans /ġədda/ « demain », /marḥaba/ « bienvenu ». On trouve également la forme /marḥaba/ en arabe libyen, ainsi que l’adverbe /ḥǝgga/ « justement » (Pereira 2010 : 368). 31 Il y a aussi des exceptions isolées où le morphème d’indétermination a été absorbé par la racine, comme dans Alcalá 38.27 cúlli xéin « le tout ». Voir aussi les formes marocaines /āšǝnhuwwa/ et /āšǝnhiyya/ < « quel est-il ? » et « quelle est-elle ? » de l’arabe standard ayyu šayʔin huw/ya (Prémare DAF 1 : 51). Les formes suivantes : /šənnuwwa/ (masculin) et /šənniyya/ (féminin) sont utilisées surtout dans le nord du pays, dans les phrases nominales, telles que /šənnuwwa hāda ? / « c’est quoi ça ? » /šənniyya hād əl-ḥaža ?/ « c’est quoi cette chose ? », ainsi que les formes plus courtes /šənnu/ et /šənni/ « quoi ? » qui sont employées sans distinction de genre dans les phrases verbales, comme dans /šənnu / šənni bġīt ?/ « qu’est que tu veux ? » (Vicente 2000 : 140‒141). Les formes libyennes /šǝn/, /šǝnu/ et /šǝni/ ont la même origine, mais aujourd’hui sont plus courtes et surtout invariables ; en effet, /šǝnu/ et /šǝni/, à l’instar de /šǝn/, s’emploient indistinctement avec un prédicat masculin ou féminin comme dans /šǝn dǝrt ?/ « qu’as-tu fait ? », /šǝnu tǝbbi fī-h yūsǝf ?/ « qu’est-ce que tu lui veux à Youcef ? » et /šǝni yǝbbi yākǝl ?/ « que veut-il manger ? » (Pereira 2010 : 273‒274). Également dans certains verbes, comme dans VA >yaqḏun< ~ >qaḏun< « être insipide », de l’arabe standard {qḏy}, un phénomène de vieille souche, puisqu’on le trouve déjà en arabe classique : {hdn} de {hdʔ} à travers la chute du /ʔ/ dans le participe hādiʔ > *hādin. 32 Selon Ibn Ḥazm (Ǧamharah 501) portant le nom d’un clan berbère maṣmūdī établi à Coimbra.
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satif s’était imposé aux autres cas et devenue unique,33 par exemple dans VA >fāh< = IZ 7/4/2 « bouche »,34 et dans quelques noms propres comme dans ZJ >ḥimārat abā šarāḥīl< « l’ânesse d’Abā Šarāḥīl », ou dans des noms de lieu : Darabalez (Tolède) < arabe andalou dár aba láyṯ « la maison d’Aba Láyṯ ».35
2.1.9 Le genre Le système des classes nominales préhistorique de l’afro-asiatique s’est contracté jusqu’au point de ne laisser, en proto-sémitique, en arabe ancien et en néo-arabe, que deux genres : le masculin et le féminin. Le premier est généralement nonmarqué,36 alors que le second est marqué en arabe ancien par les terminaisons {+at/h}, {+āʔ} et {+à}, dont la distinction dans l’usage n’a pas été préservé pas par le néo-arabe,37 ce dernier les ayant remplacés par une alternance des morphèmes {+a} pour l’état absolu et {+a/it} pour l’état construit et devant le suffixe du duel. C’est aussi le cas de l’arabe andalou, bien que les textes en graphie arabe retiennent, la plupart du temps, l’apparence traditionnelle des morphèmes classiques avec l’artifice orthographique du tāʔ marbūṭah, souvent dépourvu de ses points, de l’alif mamdūdah, souvent sans le /ʔ/ suivant dans l’orthographe classique, et de l’alif maqṣūrah comme dans VA >madīnah< « ville » ~ dans IQ 9/34/1 >madīnat
|| 33 Voir Corriente 1976 : 92 et note 115, donc un cas comme dans IQ 37/5/2 >aʕṭà abāk< « il donna à ton père », même s’il est en position de rime, ne doit pas être considéré comme un classicisme avec des emplois du cas accusatif. Les cas d’utilisation des ‘six noms’ de la grammaire arabe classique sans addition de voyelle longue à l’état construit sont fréquents en arabe andalou, comme dans IQ 23/6/4 = NQ db 2/6/1 >ab ǧaʕfar< « Abū Ǧaʕfar », 27/4/4 >ab ʕāmir< « Abū ʕĀmir », dans MT 1161.5 >aḫ dūn bilāyuh< « le frère de Don Pelayo », ainsi que les noms propres dans ZJ 135 >ab zaytūnah< et 1205 >absulaymānsakrān< « ivre » ~ >sakrānah< ; alors que les féminins du schème {1u23à} pour les élatifs ne sont plus en arabe andalou que des raretés empruntées à la langue classique, comme dans MT >ūliyaš alkubrà< « la grande Olías », nom d’une ville.
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ruġūn< « la ville de Ruġūn », 12/5/2 >bayḍāʔ< « blanche » et 11/0/2 >daʕwà< « invocation ». Les transcriptions romanes ne montrent qu’un >a< à l’état absolu, et >at< à l’état construit : Alcalá córa « balle » ~ córat raguáh « ballon, littéralement balle d’air », dúffe/a « feuillure d’une porte » ~ duffetáy « deux feuillures », ce qui se reflète aussi dans plusieurs noms de lieu : Calatrava (Ciudad Real et Jaén) < arabe andalou qaláʕat rabáḥ « le château de Rabáḥ », Talará (Grenade) < arabe andalou ḥárat alʕaráb « le quartier des arabes », etc. La distribution réelle des marques est décelée par l’indifférentiation fréquente des graphies comme dans VA >dunyā< = >dunyah< « monde », >unṯà< = >unṯah< « femelle », >sawdah< « noire », etc., et des cas comme dans IQ 146/6/4 >zarqat alyamāmah< « la femme bleue d’A. », dans IA 42 dawátu « sa médecine », dans IH 194, invalidant >ʕaṣātī< « mon bâton » et >ʕaṣātuka< « ton bâton », de l’arabe standard ʕaṣā, en plus de 266, où il signale de nombreux cas d’emploi du morphème {+a(t)} au lieu de {+āʔ}, comme >ḥasna(t)< « belle », >ṣafra(t)< « jaune », >bayḍa(t) < « blanche », ainsi que >mīna(t)< « port » dans IH 132, etc., dans MT 754.3 >arriḥatayn< « les deux moulins » et 1034.18 >faldatuh< « son genoux d’armure » (dans un emprunt roman, chez Ferrando 1995 : 138 et 49), ainsi que 710.8 >iḥdat+hā< « une d’elles », au lieu des formes de l’arabe classique sans /t/, zarqāʔu, arraḥawāni et iḥdà+hā, ainsi que par l’abandon de quelques féminin très communs en arabe standard comme dans IH 261 >awwalah< « première », au lieu de l’arabe standard ūlà.
2.1.9.1 Exceptions des morphèmes du féminin On s’est interrogé sur de possibles exceptions à cette distribution des morphèmes du féminin, généralement soutenues au long de tous les textes parvenus en arabe andalou. Les cas assez rares contraires à la règle se trouvent presque toujours dans les textes transcrits en graphie latine. On trouve des exemples pour des états construits sans /t/ dans Alcalá ficáha al focahá « l’ordination des prêtres », nutúna almâaç « la puanteur des chèvres », dans DC 8a jamáâ açalehín « la communion des saints », et dans le nom de lieu Cantaralcadi (Grenade) < arabe andalou qánṭarat alqáḍi « le pont du juge ». On trouve également des cas d’états absolus avec /t/ dans VA >alḥabbat assawdā< « nielle », littéralement « l’herbe noire », ainsi que >ḥabbat ḥuluwwah< « grain d’anis », littéralement « herbe douce », d’où provient le catalan batafalua = portugais batafaluga = castillan matalahúva ; on en trouve aussi dans IA 156 >alʕašāt aṭṭayyiba< « le bon diner » et dans Alcalá 39.5 al hayét a déima « la vie éternelle » et 39.13 almarrat alaḳiría « la dernière fois ». On ne peut pas attacher une grande importance aux probables erreurs des étrangers dans l’application des règles grammaticales. Il faut en outre considérer la possibilité d’une haplologie dans Cantaralcadi et attribuer les autres exceptions aux
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cultismes qui abondent dans la terminologie scientifique, quelques proverbes et les textes religieux, pour en conclure que la règle de distribution des allomorphes marquant le féminin n’avait pas plus d’exceptions dans les registres moyens de l’arabe andalou que dans le reste du néo-arabe.38
2.1.9.2 Les noms d’êtres animés L’arabe andalou, comme le reste du néo-arabe, a préservé la plupart des cas de noms d’êtres animés où le féminin a une forme différente du masculin comme dans VA >ǧamal< = Alcalá gémel = gimél « chameau » ~ >nāqah< = Alcalá náqua « chamelle », dans VA >ḥimār< « âne » ~ >atān< « ânesse », reflétant encore le vieux système de classes nominales où le sexe n’était pas plus important que la taille ou l’utilité. Mais on trouve des cas de standardisation à la créole tels que dans VA >ǧamlah< et >ḥimārahḏubbānah< « une mouche » et >ṣibānah< « lente », dans GL >ǧurḏānatun< « ratte » des singuliers de l’arabe standard ḏubāb, ṣuʔāb et >ǧuraḏ< avec les pluriels dans VA >ḏubbānṣibān< et >ǧurdānbaṭṭīḫ< « une espèce de melons » ~ >baṭṭīḫah< « un melon » ~ >baṭāṭīḫ< « espèces de melons », >rummān< « espèce des grenades », ~ >rummānah< « une grenade » ~ >ramāmīn< « espèces de grenades », et dans IQ 72/2/2 >lawz< « amandes », 72/4/4 >alwāz< « espèces d’amandes ». 41 Le cas dans VA >daybarān< « guêpes », invalidé dans IH 272, qui recommande zunbūr appartient ici, mais il est plus compliqué, car il semble que l’arabe standard dabr « essaim d’abeilles ou de frelons » a été modifié afin de donner un nom à un insecte caractéristique des pays méditerranéens, avec le schème {1a22ú3}, comme dans Alcalá dabór, ou {1a22á3}, c’est-à-dire un *dabbár qui a survécu seulement avec la dissimilation de la consonne double et ce suffixe imité des noms des autres insectes et petits animaux, comme la mouche, la lente, la ratte, etc.
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Il y a quelques similitudes morphologiques avec les cas des noms de collectifs rationnels, d’où l’on tire un singulier avec le suffixe de nisbah comme en arabe andalou ʕarab « arabes » ~ ʕarabí « un arabe ». Mais le procès sémantique est un peu différent, car le collectif dans ce cas devient grammaticalement une simple forme de pluriel. La même contraction du vieux système des classes nominales, qui a placé le féminin à côté du singulatif, a ajouté ici quelques noms abstraits et collectifs, dans une deuxième classe ‘moins importante’, ce qui a permis au suffixe {+a(t)} de devenir aussi une marque de collectifs dans l’arabe ancien et, surtout, dans le néo-arabe, dont l’arabe andalou, où on trouve des ‘pluriels collectifs’ pour la plupart des noms de professions et groupes de gens comme dans IQ 108/7/2 >raqqādah< « dormeurs », 119/6/4 >ramādah< « misérables », dans VA >zaġall(ah)< « vaillant(s) », dans IA 37 >qammārah< « voleurs », 478 >qaṣṣārah< « blanchisseurs », dans ZJ 1356 >naḏ.ḏ.ārah< « spectateurs », dans AC 616 >ḥaṭṭābā< « bûcherons », Alcalá ḳadarín ou ḳadára = ḫaḍḍarín ou ḫaḍḍára « marchands de légumes » et moôtazíl(a) « hérétique(s) ».42
2.1.10.2 Le duel Les morphèmes du duel en arabe andalou étaient {+áy(n)} et, dans quelques cas {+í(n)}, avec une réduction extrême de la diphtongue, en distribution imprévisible,43 et avec la chute du /n/ à l’état construit suivi d’un pronom affixe, mais pas dans
|| 42 On trouve le même type de pluriel en arabe nord-africain, par exemple en arabe marocain /ḥaǧǧāma/ « coiffeurs », /mġārba/ « marocains » (Vicente 2000 : 124). En arabe libyen, le schème {1ǝ22ā3a} permet de former des pluriels collectifs, tels que /rǝžžāla/ « hommes », /gǝffāṣa/ « avares », /sǝkkāra/ « buveur d’alcool », /ḫǝwwāfa/ « peureux », ainsi que des noms de personnes exerçant un métier, tels que /zǝwwāga/ « peintres », /ḥǝddāda/ « forgerons » et /dǝbbāġa/ « tanneurs » ; le suffixe {+a(t)} permet également de former le pluriel collectif d’ethnonymes tels que /ṭṛābǝlsīya/ « Tripolitains », /twānsa/ « Tunisiens » et /rwāma/ « Chrétiens », ainsi que le pluriel de substantifs se terminant par {+ži} ou {+ǧi} tels que /gǝhwāžīya/ « cafetiers » et /būḫāǧīya/ « buveurs d’eau de vie de figues (/būḫa/) », ou encore de substantifs se terminant par {+i} comme /bǝḥrīya/ « marins », /ʕǝskrīya/ « gendarmes, militaires » et /gūmīstīya/ « vulcanisateurs de pneus » ; enfin, on trouve un pluriel collectif évoquant une caractéristique humaine : /twāma/ « jumeaux » (Pereira 2010 : 199‒200, 206). 43 On ne trouve ces formes que dans les noms des parties du corps les plus visibles, mais pas toujours, ce qui pourrait suggérer un registre très bas, qu’on n’est pas du tout arrivé à corriger. On observe aussi que ces noms sont souvent utilisés comme un pseudo-duel, selon le terme inventé par Blanc 1970, c’est-à-dire pour la classe nominale des membres doubles d’un ou de plusieurs sujets comme dans ZJ 309 >alasṭīn< = 1133 >alasṭayn< « les culs » ; ce pseudo-duel est parfois obtenu à partir d’un pluriel brisé tel que dans VA >ṣudġ ~ a/iṣdāġ ~ iṣdāġayn< « tempe, tempes, pairs de tempes », >ša/idq< ~ >a/išdāq< ~ >išdaqayn< « coin(s) de la bouche », >ḏirāʕ< ~ >aḏruʕ< ~ >iḏraʕayn< « bras », >ḍars ~ a/iḍrās ~ iḍrasayn< = ZJ 1621, 1340 et 2143 « dent, dents, paire(s) de dents ».
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d’autres cas, à la différence de la règle arabe classique comme dans VA >ḫaddayn< « deux joues », >sāqayn< « deux jambes », dans IQ 21/2/4 >ṣaḫratayn< « deux pierres », dans ZJ 904 >ḫubzatayn< « deux pains », 910 >šātayn< « deux brebis », dans VA >ʕaynīn< « deux yeux », >idīn< « deux mains », dans VA >idiy+ya< « mes deux mains », dans IQ 13/4/3 >uḏnay+ya< « mes oreilles », 11/6/2 >ḫaddayk< « tes joues », dans ZJ 659 /b+aḏraʕay+h/ = IQ >f+aḏraʕay+h < « dans ses bras », dans IA 689 /ʕala saqáyhum/ « à pied (pluriel) », dans MT 333.23 >zawǧayn baqar< « deux pairs de bœufs », Alcalá ydéiq « tes deux mains », dans ZJ 1649 >riǧlī+k< « tes pieds », 939 >asṭī+nā< « nos culs », dans IQ 113/2/2 >ʕaynayn ġazāl< « deux yeux de gazelle », 93/2/4 >šuffatayn alnās< « les lèvres des gens ». D’un autre côté, la chute du /n/ est générale dans le sous-dialecte grenadin comme dans IA 121 nafsáy « deux âmes », dans MT 682 : 4 >min alǧānibay< « de deux côtés », dans PES 33/5/3 iṯnáy « deux », dans AC 186 >iday< « deux mains », 225 >raṭlay< « deux livres », dans Alcalá guildéy « deux parents », çacái « deux jambes » et leiletéy « deux nuits », mais on la trouve déjà parfois dans IQ 42/1/4 >ḫadday< « deux joues » et 50/5/2 >biʕaynay< « avec deux yeux », dans DC 10a huildéy « deux parent », etc.44 Tout comme dans d’autres dialectes du néo-arabe, l’utilisation du duel ne se limitait probablement pas qu’aux substantifs.45 Souvent, elle était restreinte aux noms de poids et de mesures, de monnaies et des parties doubles du corps,46 se servant dans les autres cas, ainsi que pour l’emphase sémantique, d’une expression analytique avec le nom de nombre « deux, pair » comme dans IQ 20/19/1 >zawǧ kāġad< « deux feuilles de papier », 119/3/3 >bi+zawǧ aydī< « avec les deux mains », 121/2/3 >alzawǧ riḫāḫ< « les deux tours (des échecs) », dans PD 152 záwǧ aqdáḥ || 44 Voir Ferrando 1995 : 50‒1 avec une bibliographie et des remarques additionnelles. 45 Ou parfois aux adjectives substantivés, comme dans IQ 65/9/4 >ašqarayn< « deux blonds », métaphore des dinars d’or. Les sémitisants ont souvent considéré l’expression du duel comme une particularité grammaticale des objets naturellement doubles, qui se serait propagée au reste des noms, adjectifs, pronoms et verbes, bien que quelques-uns soient d’un autre avis, attribuant les restrictions qu’on observe dans la plupart de ces langues, surtout dans leurs phases tardives, à des développements secondaires (voir Moscati et al. 1964 : 93). 46 En Libye, seuls les substantifs peuvent s’accorder au duel ; le morphème est {+ēn}, comme dans /ktābēn/ « deux livres », /ḫǝṭtēn/ « deux pas », /kāšīkēn/ (du turc /kaşık/) « deux cuillères », /sīmāfrōwēn/ (de l’italien /semaforo/) « deux feux tricolores », /ṃōḅāylen/ (de l’anglais /mobile/) « deux téléphones portables » (Pereira 2010 : 228). Tous les substantifs, même les emprunts, peuvent ainsi s’accorder au duel, contrairement à ce qui se produit dans la plupart des parlers nordafricains, surtout dans les variétés pré-hilaliennes, où le duel est limité à certaines catégories de mots, citées ci-dessus, et où on préfère une construction analytique au moyen du numéral « deux » suivi de l’objet compté au pluriel (pour le marocain, voir Caubet 1993 I : 107‒108). On emploie également cette construction en Libye (/zōz ktābāt/ « deux livres », /zōz ḥyāš/ « deux maisons »), bien qu’elle soit moins courante, notamment avec les termes qui se terminent déjà par un suffixe, le suffixe {+ži} ~ {+ǧi} par exemple, comme dans /zōz gǝhwāžīya/ « deux cafetiers » ou /zōz būḫāǧīya/ « deux buveurs d’eau de vie de figues » (Pereira 2010 : 229).
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« deux coupes », MT 1175.10 et 12 >zawǧ liḥāfzawǧ mahāris< « deux mortiers », 1035.9 >zawǧ uzur< « deux suaires », et 1175 : 8 >zawǧ ḥuṣur< « deux nattes » (chez Ferrando 1995 : 107 et 124) et « Alcalá zéuch arrúç « deux têtes », leunéy = zéuch alguín « deux couleurs ».48
2.1.10.3 Le pluriel régulier Le pluriel en arabe ancien restait encore, et d’une façon très archaïque, un concept multiple, non seulement différent du collectif, mais embrassant plusieurs catégories sémantiques, plus ou moins individualisées, en relation aussi avec la rationalité des sujets, et des critères additionnels d’abondance et de comptabilité (pluriel de petit nombre, pluriel de grand nombre, pluriel de pluriel, pluriel de collectifs).49 Ces complexités (un mélange de traits hérités du proto-sémitique conservatifs à outrance avec d’autres innovés et hypertrophiés) ont été pour la plupart abandonnées dans le néo-arabe et donc aussi en arabe andalou, mais il en reste des traces, comme la dualité des systèmes, comprenant les pluriels externes ou réguliers et les pluriels internes ou brisés, ainsi que des différences particulières aux dialectes, reflétant leur histoire et leur genèse différentes.
|| 47 Mais ce singulier semble être une erreur du copiste ou de l’éditeur pour >alḥuf zaw min< « une paire de … », et záǧ, comme dans DG 105 zeu, dans AC 827 >zāǧ mitā rrūs< « deux têtes », 1417 >azzāǧ ṣaqay< « les deux jambes », avec un double marquage, qui se reflète dans l’emprunt castillan zascandil « personne qui se mêle de tout », de l’arabe andalou *zaǧ qandíl « lampe à deux becs », non documenté si précisément dans les textes, mais suffisamment reflété dans IQ 18/2/3 >qandīl bifummaynmudallīn aluḏnayn< « aux oreilles basses », dans IA 425 >zabbālīn iḫšāriš< « les boueurs d’Alijares », 677 ʕaynín ḍarráṭ « les yeux d’un péteur », 836 rayidín alʕaṣír « ceux qui accourent à la vendange », dans MT 709 : 3 >muslimīn ṭulayṭulah< « les musulmans de Tolède », dans Alcalá cinín alhacéne « années d’indulgences », huluín al licin « de douces paroles ». Un autre morphème du pluriel était {+á/Ít} pour le féminin, tous les diminutifs, les noms verbaux et beaucoup de masculins, surtout empruntés à d’autres langues, comme dans Alcalá vléyed ~ vleyedít « petit(s) garçon(s) », çuél ~ çúelít « question(s) », dans VA >ḥirbā(wāt)< « caméléon(s) », ḥirr(āt) « vulve(s) », >ṭištany(āt)< =
|| 50 Avec un considérable gain du pluriel régulier dans ceux-ci par rapport pluriel brisés de l’arabe standard, comme dans VA >aṣīl(īn)< « noble(s) », >ašall(īn)< « estropié(s) », >azabb(īn)< « poilu(s) », >ʕazīz(īn)< « honorable(s) » ; dans Alcalá çáâb ~ çaâbín « difficile(s) » et açám ~ açamín « sourd(s) » ; dans AC 1203 >ahlīn< « gens », 1410 >ṣaḥbīn< « ceux de », ce qui est fréquent dans tout le néo-arabe, bien que les données des vocables composés par des étrangers peuvent comporter des erreurs, surtout dans Alcalá, dont les bévues audacieuses sont parfois évidentes (voir Corriente 2012b : 68, note156). Il s’agit notamment d’erreurs typographiques avec -ín au lieu de -ít, mais pas uniquement. Néanmoins, des doutes persistent, car Alcalá donne presque toujours un pluriel masculin pour les féminins dérivés du masculin, comme dans bauíb « portier », féminin bauíba, pluriel pour les deux genres bauibín, et çóqui « marchand de légumes », féminin çoquía, pluriel pour les deux genres çoquiín, etc., ce qui est étrange en néo-arabe, et sans doute faux pour oḳt ~ íḳva « sœur », au lieu du célèbre (a)ḫawát en arabe andalou, dans VA et dans MT 1005.10, ainsi que >almaḏkūrīn< « citées » dans 223 : 5 et d’autres cas dans Ferrando 1995 : 52, mais aussi dans VA >aǧīrah< ~ >uǧārah< « servante(s) », Ax. 68.8 a >rākibīn< « montées » et >malbūsīn< « dressées » en parlant des amazones, et l’exemple très parlant dans VA >ḫarūf< « agneau », féminin >ḫarūfahḫirfānaḫtÍn< « belles-filles » serait un allomorphe du régulier de >ḫatanāt< relevé dans VA. 51 Ni avec les suffixes pronominaux comme dans PES 46/4/1 = 76/4/1 >murīdīnī< « mes adeptes » et 65/1/4 >muḥibbīn+ak « tes chéris », bien qu’on trouve >banī adam< dans VA et dans IQ 178/3/4, et dans ZJ 590 >banī ḥāǧah< « ceux qui ont un besoin », probablement lexicalisé, notamment à cause des noms de fractions tribales. Ceci est très commun dans les noms de lieu en transcription romane commençant par Beni-, donc reflétant l’usage général, comme dans IQ 88/26/3 >banī+kabnā alḥalāl< « gens honnêtes », ainsi que dans AC 1183 abná alqaḥbát « fils de putain ». IH 111 atteste des deux usages >sinī(nu)ka akṯaru min siniyya / sinīnī< « tu es plus agé que moi », où il faut entendre siní(na)k, sans la marque de déclinaison qu’il insérait souvent dans ses corrections du langage vulgaire, où elle n’existait plus. On trouve une ultra-correction curieuse à cette règle du néo-arabe, signalée par Ferrando 1995 : 52, note 3, dans MT 758 : 11 >almawāšīn alkibār< « le gros bétail », au lieu de l’arabe standard almawāšī ; parfois aussi on trouve un ka/iṯír invariable, employé pour le pluriel, comme dans PES 65/3/1 ḥussádak … kaṯír « ceux qui t’envient sont nombreux ».
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dans Alcalá ticháin ~ tichainít « heaume(s) » (< bas latin testaneu),52 ainsi que ḳóff ~ ḳoffít = aḳfféf « babouche(s) » dans Alcalá dans un mot natif. Il y a aussi en arabe andalou des cas de pluriels appelés par les grammairiens natifs šibhu sālim (quasi-régulier), transmis par l’arabe standard, comme dans VA >ibn< ~ >banīn< « fils », >ibnah< = >ba/int< = >abant< ~ >banāt< « fille(s) »,53 >uḫt< ~ >(a)ḫawāt< « sœur(s) », ou innovés dans l’arabe andalou, tels que >ṯiqah< ~ >ṯaqawāt< = >aṯiqah< « personne(s) de confiance ». Comme dans l’arabe standard, les suffixes du pluriel régulier pouvaient demander des ajustements euphoniques, comme l’élimination d’un /i/ final avant {+ín} (tel que cela apparaît dans les cas mentionnés en 1.4.2.4), ou plutôt optionnels, et l’insertion de /w/ quand on attache {+át} après un /a/ comme dans VA >ṣalāh< ~ >ṣalawāt< = Alcalá çalá ~ çalaguát « prière(s) », >qanā< ~ >qanawāt< = Alcalá caná ~ canaguát « canal (canaux) » et dans VA >barā< ~ >barāwāt< = Alcalá bará ~ baraguát « brevet(s) » ; aussi, quand on attache {+át} après un /a/, on trouve parfois /y/ comme dans VA >ḥummà< ~ >ḥummayāt< « fièvre(s) », >ḥaṣā< ~ nom d’unité > ḥaṣāh< ~ pluriel >ḥaṣayāt< « caillou(x) », surtout dans le cas où le singulier avait en arabe standard un alifun maqṣūrah. Quant au cas dans IH 185 >miyātmāʔ< « eau(x) » et >šiyāt< pluriel de >šā(h)< « brebis », etc., on ne les retrouve pas dans d’autres sources et ils semblent refléter d’anciennes réalisations dialectales du /h/ final plutôt que des extensions du pluriel régulier féminin.
2.1.10.4 Le pluriel interne ou brisé Le pluriel interne ou brisé, traduction du terme mukassar dans la grammaire native, est un trait conservateur hérité de l’afro-asiatique et abandonné par le protosémitique dans la plupart de ses branches,54 où il n’en reste que des traces parfois
|| 52 Voir Griffin 1961 : 225. Mais on observe une tendance à préférer le pluriel régulier masculin pour les mâles rationnels comme dans VA >ustāḏ(+īn)< « professeur(s) », dans AC 1203 ahlín andaráš « les gents d’Andaraš », dans MT 177.1 >farāyr+īn< « moine(s) » ; dans Alcalá xucr(+iyín) « beaupère ~ beaux-pères ». Tout comme dans la totalité du néo-arabe, il n’y avait pas d’/a/ anaptyctique dans les pluriels féminins réguliers sur le schème singulier {1v23ah}, comme dans IQ 129/6/3 >ǧarḥāt< « blessures », 46/6/1 >ḫarǧāt< «refrains», dans VA >baṯrāt< « pustules », dans PES 4/4/5 ḥarkáti « mes mouvements », ainsi que dans Alcalá záhcát « chutes », bien qu’on trouve parfois des graphies classicisantes comme dans VA >waǧ(a)nāt< « joues » et Alcalá ráhma ~ rahamét « miséricorde ». 53 Les allomorphes vernaculaires de l’arabe andalou pour ce mot sont (a)bán pluriel baní(n), féminin (a)bánt pluriel banát, comme dans IQ 38/19/4 >aban alkabīr< « le fils du personnage », 9/4173 >banī quzmān< « les fils de Quzmān », dans IA 571 abánt ʕámmu « sa cousine », 584 banátu « ses filles », bien que les formes plus classiques sont fréquentes aussi, surtout dans l’onomastique. 54 Diakonoff (1988 : 65) en a donné des traces en sémitique, en couchitique, en berbère et en tchadien, avec des remarques peu profondes et parfois contradictoires, comme l’affirmation d’une
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discutables, sauf en sémitique méridional, où il a subsisté comme l’isoglosse la plus évidente de la solide parenté dans le trois groupes nord-arabique, sud-arabique et éthiopien, bien que l’extension et l’efficacité morphologique dans leurs descendants modernes se soient perdues, à des degrés différents.55 La prolifération majeure des types se vérifie en arabe ancien, dont les schèmes de pluriel brisé ont atteint un degré de complexité morphologique, reflétant probablement les solutions diverses des différents dialectes constituant la koiné,56 et ne servant souvent aucun propos logématique, ce qui a déterminé une contraction postérieure du système, présent dans tout le néo-arabe, et donc, en arabe andalou, où les schèmes utilisés sont les suivants, ordonnés par types de modifications, constituant déjà les axes de développement de cette hypertrophie dans la langue ancienne et dans le groupe du sémitique méridional : a) transfixation des morphèmes de pluriel, les trois voyelles longues de l’arabe ancien ; b) préfixation d’un /ʔa+/ pour des raisons prosodiques ; c) addition assez fréquente du morphème {+a(t)}, et moins fréquente des autres morphèmes féminins {+āʔ} et {+à} ; d) et, enfin, les types de pluriels qu’on pourrait appeler pseudo-brisés, desquels on parlera plus loin.
|| origine hétérogène qui se heurte à l’importance qu’il attache (à juste titre) à l’infixation d’une marque /a/, son inclusion des pluriel du type kǝlāvim en hébreu parmi les schèmes de pluriel brisé (toujours contestée et qui n’est à présent plus acceptée), son attribution du cas le plus précoce en sémitique à l’‘éthio-sémitique’, ainsi que la considération de ces pluriels comme un trait lexical, pas morphologique, ce qui peut être le cas dans les langues sémitiques modernes, mais uniquement d’un point de vue synchronique. Pour le berbère, nous avions introduit une classification comparative de ces types de pluriel dans Corriente 1971b : 70‒72, note 17, et mentionné la contribution importante de Greenberg 1955, qui permet d’affirmer la très ancienne communauté de ce procédé morphologique, dont l’abandon postérieur a été, néanmoins, presque généralisé, probablement à cause de la confusion qu’il a produit dans la morphologie et le lexique des langues qui l’ont préservé. 55 Voir Corriente 1996 : 38‒42 et note 4, où l’on compte pour l’arabe plus de 30 types, entre 12 et 20 pour le sud-arabique ancien et moderne, et autour de la dizaine pour le guèze et les autres formes de l’éthiopien septentrional. Notre défense de la classification traditionnelle du sémitique et le rejet de l’hypothèse d’un ‘sémitique central’ est reflété dans Corriente 2003, Corriente 2004b et Corriente 2006. 56 Pour donner un exemple actuel, le pluriel normal d’un mot étranger comme /bank/ « banque » est /bunūk/ en Orient arabe, mais /bnāk/ au Maroc, ce qui provoque l’hilarité des Orientaux, à cause de sa proche homophonie avec une phrase obscène : des situations similaires ont été reflétées par les lexicographes arabes dans leurs dictionnaires, où ils ont relevé tout ce qu’on considérait correct, sans attribuer généralement des mots particuliers aux dialectes prestigieux où ils circulaient.
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2.1.10.4.1 Le schème {1i2á3}, qui réunit les deux schèmes {1i2ā3} et {1i2a3} de l’arabe ancien, est assez fréquent. Dans le premier cas, il s’agit de la forme primitive du schème {a12ā3}, dont la première syllabe a subi les effets d’une accentuation forte avec la chute de la voyelle pré-tonique, restauré postérieurement au moyen d’un alif prosthétique, mais ces phénomènes sont trop anciens pour apparaître en arabe ancien ou en néo-arabe, et donc en arabe andalou qui ne reflète que la situation de ces derniers, comme dans VA >kalb< ~ >kilāb< = Alcalá quelb ~ quilíb « chien(s) », dans VA >ḥasan< ~ >ḥisān< « bon(s), beau(x) », dans VA >ṯawb< ~ >ṯiyāb< = Alcalá ĉéub ~ ĉiéb « habit(s) », dans VA >kabīr> ~ >kibār< = Alcalá quibír ~ quibár « grand(s) », dans VA >ḫafīf< ~ >ḫifāf< = Alcalá ḳafíf ~ ḳiféf « léger(s) ». Le deuxième cas, reflétant le schème {1i2a3} de l’arabe ancien est totalement similaire à celui du schème {1u2á3}. Il sera traité sous ce schème, avec d’autres cas du pluriel qu’on peut appeler ‘pseudo-brisé’. 2.1.10.4.2 {1u2ú3}, réunissant les deux schèmes {1u2u3} et {1u2ū3} de l’arabe ancien, est assez fréquent, comme dans IQ 94/32/1 >quṣūr< « palaces », 15/5/1 >mulūk< « rois », 78/9/3 >ġuyūb< « absents », 84/1/2 >ṭulūʕ< « qui montent », 85/5/1 >quṭūʕ alakbād< « déchireuses des entrailles », ou dans VA >šuhūr< « mois », >ḫumūr< « vins », dans PES 28/3/4 /ruqúṣ/ « danseurs », ou dans Alcalá jedd ~ judúd « grands-parents ». Il a trois autres allomorphes, un premier avec l’addition du morphème féminin, déjà connu en arabe standard, {1u2ú3a}, comme dans VA >ḫuʔūlah< « oncles maternels », dans PES 99/1/2 /duyúra/ « tavernes », dans MT 166 >ḥubūsah < « legs pieux », dans Alcalá ḍacár ~ ḍucóra « verge ». Le deuxième est la forme abrégée {1ú3}, pour des termes de racine {1w/ʔ3}, à cause de la règle de phonétique combinatoire /1uʔ/wū3/ > /1ú3/ de l’arabe andalou et d’autres dialectes néo-arabes, comme dans VA >fās< ~ >fūs< « bêche(s) », dans Alcalá raç ~ ruç « tête(s) » et náqua ~ nuq « chamelle(s) ». Le troisième allomorphe, qu’on ne trouve pas dans d’autres dialectes néoarabes, dont la deuxième consonne est géminée {1u22ú3}, est restreint à quelques adjectifs et participes, comme dans IQ 84/20/3 >ḫurrūǧ< « saillants », dans VA >qāriḥ< ~ >qurrūḥ< « habitué », >fāriġ< ~ >furrūġ< = Alcalá fáriḳ ~ forróḳ « vide(s) », dans VA >qāsiḥ< ~ >qussūḥ< = Alcalá cáceh ~ coçóh « dur(s) ».57
|| 57 Avec un double >ç< omis par Alcalá, à cause de son ouïe castillane, qui l’empêchait de percevoir la plupart des consonnes doubles, comme on le constate dans beaucoup de ses graphies pseudocorrectes. Cette gémination nous rappelle celle du schème adjectival {1a22ī3}, assez fréquent en sémitique septentrional : voir Brockelmann 1908 I : 362‒3, qui en fait dériver la forme {1i22ī3} de l’arabe ancien, fréquent dans les adjectives sémantiquement emphatisés et quelques noms verbaux, bien qu’il ait oublié la situation similaire de l’éthiopien : ḥaddis « nouveau », ʕazziz « fort », ṣällim « noir », bälliḫ « sage » − ainsi que dans les schèmes {1ǝ22ǝ3} (dǝllǝw « apte ») et {1ä/ǝ22u3} (ǝkkuy « mauvais »). La langue himyaritique (Belova 1996 : 78‒79) utilisait aussi les schèmes {1u22ā3} et
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Quant aux cas représentant le schème {1u2u3} de l’arabe ancien, comme dans IQ 17/4/4 >usūs< « fondements », dans Alcalá quitíb ~ cutúb « livre(s) »58, ils sont traditionnellement considérés comme apophoniques, c’est-à-dire présentant une sorte d’inversion de la règle selon laquelle le pluriel ajoute un morphème qui allonge le singulier, ce qui permettrait aussi produire de singuliers raccourcis du pluriel ; cela a un air trop ‘symbolique’ pour être vrai et il semblerait plus sage d’admettre qu’il ne s’agit que d’une alternance prosodique, peut-être provoqué par l’addition et la perte postérieure d’un morphème {+at}, comme dans le cas du type {a12u3} en arabe et {a12ǝ3} en guèze, à partir d’un {a12i3at}. 2.1.10.4.3 {1a2í3}, reflet de l’arabe ancien {1a2ī3}, a toujours été un schème de pluriel brisé d’utilisation rare, bien que dans deux mots très fréquents comme dans VA >ʕabd< ~ >ʕabīd< = Alcalá âabd ~ âbid « esclave(s) » et dans VA >ḥimār< ~ >ḥamīr< = Alcalá himár ~ hamír « âne(s) ». 2.1.10.4.4 À partir des types {1i2ā3}, {1u2ū3} et {1a2ī3}, les plus anciens du pluriel brisé, avec une simple transfixation des trois morphèmes vocaliques longs qui étaient les marques du collectif,59 on a développé, notamment à cause des change-
|| {1i22aw3} pour quelques adjectifs d’intensité et des noms d’animaux, suggérant une valeur emphatique symbolique de la gémination ; ces schèmes semblent offrir une solution acceptable à l’énigme des diminutifs de schème {1u2áy2a3} (voir 2.1.2), qui serait encore un ‘yéménisme’ de l’arabe andalou. 58 En arabe ancien, il y avait un allomorphisme perpétuel entre le schème {1u2u3} et sa variante prosodique {1u23} : arabe standard /kut(u)b/ « livres », en arabe andalou habituellement /kutúb/, mais aussi /kútb/ comme dans GL et dans IQ 13/10/4 ou comme dans VA >ṭarīq< ~ >ṭuruq< = IQ 71/3/4 >ṭurq< = MT 693.15 = Alcalá tariq~ tor(ó)q « chemin(s) », mais pas systématiquement puisqu’on ne trouve que la forme /ḥumr/ « rouges ». Les dialectes néo-arabes, parmi lesquels l’arabe andalou, ont souvent phonologisé la voyelle épenthétique, comme dans VA >ḥumar< = Alcalá homár, dans VA >šuhab< = Alcalá xuhéb « gris », dans VA >aʕwar< ~ >ʕuwar< = Alcalá aâguàr ~ ûuár « borgne(s) », mais pas toujours, notamment lorsque la séquence des consonnes n’était pas difficile à prononcer (voir SK 77‒78). 59 Voir Corriente 1996 : 39 et note1 pour ce phénomène dans la morphologie sémitique, surtout en sud-sémitique, et page 36 et note 3 pour le féminin ‘brisé’ du guèze, avec des cas arabes anciens : /radāḥ/ « qui a des grandes hanches », /kaʕāb/ « qui a le sein développé » et /ḥaṣān/ « femme vertueuse », sans doute le féminin de /ḥaṣīn/ « fort, solide », ainsi corrigé dans IH 263, car on disait /ḥiṣān/ en arabe andalou, auxquels il faudrait ajouter tous les féminins en vocatif de schème {1a2ā3i}, comme /yā ḫabāṯi/ « o femme méchante ! », /yā fasāqi/ « ô femme dissolue ! », à propos desquels voir Wright 1962‒4 I : 244. Dans toutes les langues sémitiques, l’utilisation des trois voyelles longues comme morphèmes du pluriel régulier est bien connue ; on pourrait se demander si le procès de transfixation n’a été pas déclenché à cause des difficultés phonétiques générées par l’accumulation de ces terminaisons avec celles des cas de la déclinaison nominale. Cela expliquerait pourquoi les langues nord-sémitiques, où celle-ci a disparu rapidement ou perdu son rendement fonctionnel, n’ont pas développé ce type de pluriel, dont on n’a conservé que des tentatives très imparfaites, déjà reflétées dans Brockelmann 1908 I : 430‒431. Néanmoins, il faut rappeler ici qu’il
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ments prosodiques, les types {a12ā3}, {a12ū3} et *{a12ī3} devenu caduc, comme dans VA >qamar< ~ >aqmār< « lune(s) », dans IQ 2/4/1 et 12/1/4 >ṣāḥib< ~ >aṣḥāb< « ami(s) ; propriétaire(s) », dans Alcalá buq ~ abuáq « trompette(s) ». Parmi eux, {a12á3} est plus fréquent encore que son homologue {a12ā3} en arabe standard et en néo-arabe, car il a envahi des nouveaux espaces morphématiques et sémantiques, comme dans VA >ǧanāḥ< ~ >aǧnāḥ < « aile(s) », >mā< ~ >amyā< « eau(x) », >rusul< ~ >arsāl< « messager », dans GL >ašrāk< « associés », dans MT 58.3 >awrāṯ< « héritiers », 403.4 >amrāǧ< « prairies », dans AM 178 >ašyāḫ< = Alcalá axiáḳ « sénateurs », dans Alcalá nafír ~ anfár « trompette(s) », même moyennant la métanalyse radicale comme dans Alcalá medéç ~ amdíç « dart(s) » (de {dss}), ou dans des emprunts romans tardifs comme gáncho ~ agnách « crochet(s) » du castillan et portugais gancho, ainsi que dans HB 176 >ašlād< « sous », du castillan sueldo = catalan sou = portugais soldo. On attribue cette prolifération à un autre ‘yéménisme’ de l’arabe andalou, du fait de sa grande fréquence en sud-arabique et guèze.60 2.1.10.4.5 {a12ú3}, comme dans VA >rikāb< ~ >arkub< « étrier(s) », >riǧl< ~ >arǧul< « pied(s) », dans Alcalá náâla ~ anúûl « soulier(s) », çátal ~ aztól « seau(x) », gadír ~ agdór « lagune(s) ». Ce schème est aussi plus fréquent en arabe andalou qu’en arabe standard et en néo-arabe. Il s’est également propagé dans des singuliers qui avaient d’autres types de pluriel en arabe ancien et en néo-arabe, comme on peut l’observer dans les exemples suivants précédents. Il s’agirait également d’un ‘yéménisme’ de l’arabe andalou, du fait de sa fréquence importante en sud-arabique et guèze.61 2.1.10.4.6 *{a12i3} n’a survécu qu’avec le morphème {+(a)t} de la classe ‘moins importante’ de l’arabe {a12i3a(t)} et son allomorphe, généré dans les racines {122} par l’application de la loi de Philippi {a1á22a(t)}, qui sont normalement fréquentes, comme dans VR >ǧawāb< ~ >aǧwibah< « réponse(s) », >silāḥ< ~ >asliḥah< « arme(s) », dans Alcalá náâx ~ anáîxa « brancard(s) », cirír ~ acérre « lit(s) », elíha/e « dieux », delú ~ adlía « seau(x) », diguí ~ advía « médicine(s) », dans VR >zuqāq< ~ || se trompait au sujet des pluriels des noms ‘segolés’ en hébreu, comme cela a été expliqué dans Corriente 1971b : 116‒117. L’argument définitif étant la perte de la marque supposée dans l’état construit, comme dans mǝlāḵim ~ malkē « rois (de) », tout comme dǝvārim ~ divrē pour dāvār « parole », qui semble être le paradigme imité par les ‘segolés’, ayant simplement acquis comme voyelle épenthétique celle qui existait dans les non-‘segolés’. 60 Voir Corriente 1971b : 14g et 42 ; il est présent dans 24,5% des pluriels brisés en guèze, face aux 12,8% en ancien arabe ; voir aussi Corriente 1989a : 100‒101. 61 Voir Corriente 1971b : 14g, 19‒21, Corriente 1989a : 101, note 40 et Corriente 1996 : 39. Il y a eu des préférences préhistoriques, dont les raisons nous échappent. L’éthiopien a par exemple favorisé {a12ū3}, dont l’arabe ne garde que les éthiopismes umlūk « rois » et /uḥbūš/ « éthiopiens », et il a presque rejeté {1u2ū3}, dont on ne compte que le très fréquent wǝlud « fils », mais il partage avec l’arabe le rejet presque total de {1a2ī3}, dont on ne trouve que däqiq « enfants ».
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>azaqqah< « ruelle(s) », >qass< ~ >aqassah< « prêtre(s) », dans PES 52/2/2 /aḥábba/ « aimés », ainsi que dans LA 111 158 >aǧannah< « jardins ». A cause de l’unification des marques du féminin, en arabe andalou, ce schème a englouti les types {a12i3āʔ} et {a1i22āʔ} de l’arabe standard, comme dans Alcalá guelí ~ avlía « curateur(s) », tabíb ~ atíbbe « médecin(s) », en dépit de graphies conservatrices comme dans VA >ṣafī< ~ >aṣfiyāʔ< « ami(s) », dans ZJ 1134 >aṣdiqāʔ< « amis » et dans Alcalá ganí ~ agnié « riche(s) ».62 2.1.10.4.7 Cette transfixation, c’est-à-dire l’introduction avant la dernière consonne du singulier des morphèmes de la deuxième classe, qui deviendrait le féminin parmi d’autres possibilités, comme marque principale ou secondaire du pluriel brisé, n’est pas surprenante puisque la collectivité était une de leurs fonctions. Partant des singuliers {1ā2i3} ou {1a2ī/ū3}, par la simple addition du morphème {+(a)t} tel que cela se produit avec d’autres schèmes de pluriel brisé, et avec application de la compensation prosodique par laquelle on a perdu la quantité de la première ou deuxième syllabe, ainsi que de l’harmonisation vocalique, si fréquente dans toutes les langues sémitiques, on obtient le schème {1a2á3(a)}, comme dans VA >ṭālib< ~ >ṭalabah< = Alcalá tálib ~ talába « étudiant(s) », dans VA >kāhin< ~ >kahanah< = Alcalá quéhin ~ quehéne « devin(s) », dans VA >zāmir< ~ > zamarah< = Alcalá zímir ~ zamára « joueur(s) de flûte ». Il est curieux que ce schème ait remplacé en arabe andalou le vieux {1i2a3ah} utilisé en arabe ancien pour former le pluriel de quelques noms d’animaux, comme dans IH 219 >fīl< ~ >fayalah< « éléphant(s) », dans VA >dubb< ~ >dababah< = Alcalá dubb ~ debébe « ours »,63 et même l’emprunt roman dans VA >lubb< ~ >lababah< « loup(s) ». Il existe une variante sans ce morphème-là, comme dans VA >ḫādim< ~ >ḫadam< « esclave(s) femme(s) », assez rare en arabe andalou, comparativement tardif et aussi plus rare dans l’arabe ancien, qui ressort d’une application des prin-
|| 62 Ce qui nous échappait encore dans Corriente 1977 : 92, où on considérait ce schème effectif, ainsi que dans Corriente 2012b : 71, où on parlait d’exceptions conservatrices, mais en fait il semble s’agir seulement de graphies traditionnelles et, dans le cas d’Alcalá, d’une interférence classique de ses informateurs cultivés, car cette séquence finale /iyá/ dans un schème de pluriel brisé serait un cas isolé, qu’on ne retrouve dans aucun des mots ayant ce schème de pluriel en arabe standard. En fait, les schèmes {a12i3āʔ} et {a1i22āʔ} sont une innovation hypertrophique de l’arabe standard, peu fréquente dans le néo-arabe, et n’existant pas en guèze, sauf le cas douteux ǝngǝda « hôtes », bien qu’il semble bien établi en sud-arabique, en alternance avec {123w}, probablement {1u2a3āʔ}, comme dans >ḥšrw< « pauvres » et >ʔkbrw< « chefs ». 63 Une variante dubébe pourrait être une simple erreur typographique ou une assimilation phonétique, du /a/ au /b/, ou morphologique, du pluriel au singulier Ce cas semble refléter une réduction du rare schème {1i2a3ah} de pluriel brisé à {1a2a3ah}, plus fréquent. Dans le cas dans VA >šayḫ< ~ >šāḫah< « vieillard(s) », il n’est pas clair s’il s’agit d’un autre cas de prolifération de {1a2a3ah}, ou d’une ultra-correction par fausse imālah de l’arabe standard /ah/ appartenant au schème {1i23ah}.
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cipes de polarité ou de symétrie morphologique, puisqu’il avait d’autres schèmes avec et sans ce morphème.64 2.1.10.4.8 Surtout l’arabe, dont les tendances hypertrophiques de la morphologie sont allées plus loin que dans n’importe quelle autre langue sémitique, a fait de même avec les autres morphèmes devenus marques du féminin Cela a abouti aux schèmes {1u23āʔ} et, avec le remaniement prosodique mentionné précédemment, {a12i3āʔ} et son allomorphe {a1i22āʔ} pour les racines {122}, pour des singuliers {1ā2i3} ou {1a2ī/ū3}, sémantiquement connectés avec des noms d’agent ou détenteurs d’une fonction. Ces types exhibent une parenté sémantique étroite avec d’autres schèmes de pluriel brisé ayant /u/ comme première voyelle, notamment {1u22a/ā3} et son allomorphe pour les racines défectueuses {1u2āt}, ainsi qu’avec les schèmes {1a2a3at} et quelques {1u2ū3}, ce qui a donné lieu à une certaine interchangeabilité de tous ces schèmes pour de nombreux mots de ce type comme en arabe standard /kātib/ ~ /katabah/ = /kuttāb/ « écrivain(s) », /sāǧid/ ~ /suǧǧa/ād/ = /suǧūd/ « prosterné(s) », /rākib/ ~ /rakabah/ = /rukkāb/ = /rukūb/ « monté(s) », /ṣadīq/ ~ /ṣudaqāʔ/ = /aṣdiqāʔ/ « ami(s) », etc.65
|| 64 Elle n’existe pas dans l’éthiopien, à la différence de son homologue {1ä2ä3t}, qui est le schème caractéristique du pluriel brisé de participes actifs et des singuliers {1ä2i3} et {1ǝ2u3}, comme ṣäḥafi ~ ṣäḥaft « écrivain(s) », ṭäbib ~ ṭäbäbt « savant(s) » et nǝgus ~ nägäst « roi(s) ». 65 Le schème {1u22á3}, écrit avec ou sans l’alif marquant l’accent, a connu une certaine vogue et s’est étendu à des mots pas connus de l’arabe standard, comme dans VA >ṯayyib< ~ >ṯuyyab< « femme(s) dépucelé(s)», >ḫāyib< ~ >ḫuyyab< « décevant(s) ». Ces parentés morphologiques et sémantiques ont généré des variantes comme le schème géminé {1a22á3a}, de {1a2á3a} comme dans VA >faqqārah< « pauvres », >rakkābah< « chevaliers » et >saḥḥārah< « sorciers » ; et {1u2á3a}, un probable mélange des anciens {1u2ā3āʔ} et {1u2ā3à} comme dans VA >sukārā< « ivres », dans VA >uǧārah = uǧārà< « esclaves femelles », dans IQ 6/11/2 >usārā< « captifs » et 127/3/2 >umārah< « princes », et dans PES *3*/3/1 >fuqārā< « pauvres ». D’un autre côté, on trouve aussi des raccourcissements, comme {1ú23ah} au lieu de {1u2a3āʔ} comme dans VA >ġarīb< ~ >ġurbah< « étranger(s) » et dans IQ 104/3/2 >rufqah< « camarades », qui rappellent les pluriels marocains /šorfa/ « descendants de Mahomet » et /ṭubba/ « médecins », avec un schème de pluriel interne qui correspond à des singuliers masculins en {12ī3} : /šrīf/ et /ṭbīb/, (Caubet 1993 I : 120), à l’instar de ce qu’on trouve en Libye, où /ṭubba/ « médecins » et /muṛḍa/ « malades » sont respectivement les pluriels des substantifs de schème {12ī3} : /ṭbīb/ et /mrīḍ/ (Pereira 2010 : 201). La complication extraordinaire du système de pluriel brisés, même dans la forme simplifiée du néo-arabe, explique quelques anomalies comme dans VA >aḥmaq< ~ >ḥamqà< (normal) = >ḥumaqā< (anomale) « fou(s) » ; d’un autre côté, il est remarquable que l’évolution phonétique des singuliers exige souvent le renouvellement des pluriels, comme dans VA >mīḥāḍ< < arabe standard /mirḥāḍ/ « latrines », qui n’a pas gardé de descendant de /marāḥiḍ/, mais a innové >maḥāʔiḍ< et >amḥiḍahmazad< < arabe standard /masǧid/ « mosquée » a innové >muzūd< et >amzidahāḫar< ~ >uḫar< « autre(s) », voir dans Alcalá axiít (an)oḳár « d’autres choses », dans Alcalá latíf ~ lotf « mauvais », raḳç ~ roḳç « tendre(s) » et rátab ~ rútab = VA >raṭab< ~ >ruṭab< « humide(s) »,67 etc. En considérant l’aversion connue de la phono-esthétique arabe aux séquences de trois ou plus voyelles égales, on peut admettre une contamination cherchée avec le schème {1u23a(t)} des abstraits du même entourage sémantique tels que /ḥumrah/ « couleur rouge », /ḫuḍrah/ « couleur verte ». Tous ces schèmes ont survécu en arabe andalou, comme dans VA >kātib< ~ >kuttāb< « secrétaire(s)», >ṣadīq< ~ >aṣdiqāʔ< « ami(s) », >ʕazīz< ~ >aʕizzā< = >aʕizzah< = Alcalá aâzíz ~ vûzezí « glorieux », dans VA >rāmī< ~ >rumā< = Alcalá rámi ~ romá « archer(s) », dans VA >faqīh< ~ >fuqahā< = Alcalá faquí ~ focahá « fakih(s) ». L’identification du morphème féminin est décelée par des cas comme dans IA 86 /ġurábati/ « ceux qui ne sont pas de ma famille ». 2.1.10.4.9 L’arabe a également utilisé, surtout avec le singulier {1a2ī3}, le suffixe féminin {+à} dans le schème {1a23à} et son allomorphe prosodique {1a2ā3à}, qui ont assez bien survécu en arabe andalou, comme dans VA >marīḍ< ~ >marḍà< = Alcalá maríd ~ mardá « malade(s) », dans VA >mayyit< ~ >mawtà< = Alcalá méit ~ mavtí « mort(s) », hárij ~ harjá « fâché(s) » de {ḥrǧ}, ainsi que dans VA >ʕaḏrà< ~ >ʕaḏārà = < Alcalá âdra ~ âdára « vierge(s) ». Il semble être un classicisme isolé, bien que accompagné par quelques pluriels plus colloquiaux de singuliers terminés en /+íy(y)a/ de racines {12ʔ/w/y}, comme dans IQ 115/0/1 et 28/1/2 = VA >ṣabiyyah< ~ >ṣabāyā< = “jeune(s) fille(s)”, >ḫaṭiyyah< ~ >ḫaṭāyā< = Alcalá ḳatía ~ ḳatáye « péché(s) » et dans VA >zāwiyah< ~ >zawāyā< « coin(s) ».
|| 66 Ces pluriels inséraient une voyelle disjonctive qui semble s’être souvent phonologisée comme dans VA >ḫuḍar< = Alcalá ḳódar « verts », dans VA >bukam< = Alcalá búquem « muets », dans VA >šuqar< = Alcalá xúcar « roux », dans VA >šukaz< = Alcalá xuquéç = xúquez « imberbe », dans VA >ṣufar< = Alcalá çúfar « jaunes », dans IQ >ʕurǧ /i…ā/, tout comme dans le schème {1i2ā3} et ailleurs,69 avec comme autre possibilité une contamination avec les pluriels brisés avec /u/ dans la première syllabe qu’on vient de décrire. Ces deux variantes sont assez bien préservées en arabe andalou, comme dans VA >ʕuqāb< ~ >ʕiqbān< = Alcalá ûucáb ~ êiqbén « aigle(s) », dans VA >ḫarūf< ~ >ḫirfān< = Alcalá ḳaróf ~ ḳirfín « agneau(x) », dans VA >rākib< ~ >rukbān< = Alcalá ríquib ~ ruqbín « monté(s) », dans VA >fāris< ~ >fursān< = Alcalá fíriç ~ furcín « chevalier(s) », dans VA >bāz< ~ >bīzān< = Alcalá biç ~ bicén « faucon(s) ».70 Quant à la suppression du morphème {+a(t)}, c’est-à-dire la façon habituelle d’obtenir le singulatif à partir d’un collectif, elle générait des formes pausales /1v23#/ où l’arabe ancien et même le néo-arabe ont toujours inséré des voyelles nonphonologiques, habituellement un /a/ pour en faciliter la prononciation, encore une altération de nature prosodique, pas morphologique ; cependant, quelques anciens dialectes, où le schème {1a2a3} de pluriel brisé existait déjà, ont profité de cette similitude pour donner la même considération aux cas parallèles {1u/i2a3} comme schèmes de pluriel brisé pour les singuliers de type {1u/i23ah}, ce qui s’est maintenu sans difficulté dans le néo-arabe, ainsi qu’en arabe andalou, comme dans VA >luqmah< ~ >luqam< = Alcalá lóqma ~ locám « bouchée(s) », dans VA >ḥuǧzah< ~
|| 68 Voir Ungnad-Matouš 1964 : 48 et 50. Brockelmann 1908 I : 450 était parfaitement au courant de la véritable nature de ces schèmes, qu’il n’incluait pas avec les pluriels brisés, et il en donna un exemple de Landberg 1905, qui, à son tour, signala la fréquence des pluriels avec suffixe {+ān} dans les dialectes de l’Arabie du Sud, nous rappelant leur proximité génétique avec le guèze. 69 Cette tendance n’a été jamais une règle absolue en arabe, mais elle s’est renforcée en néo-arabe dans quelques schèmes nouveaux, comme dans VA >ka/ittān< « lin » et dans IH >bisbās< « fenouil », >ḫilḫāl< « jambelet »,>sikrān< « ivre », >kislān< « fainéant », etc., voir Pérez Lázaro 1990 I : 46. 70 Le schème {1i23ān} avait un allomorphe {1i23ah} en arabe ancien, avec une simple substitution du morphème marquant la pluralité, dont l’arabe andalou garde un seul cas, /íḫwa/ « frères », qui semble avoir été plus fréquent que son synonyme /iḫwán/, si l’on oublie les cas dénoncés dans LA 161 >dīkah< et >fīlahḥuǧaz< = Alcalá hú(ç)za ~ huzéç « troussis », dans VA >ibrah< ~ >ibar< = Alcalá íbra ~ ibár « aiguille(s) », dans VA >sallah< ~ >silal< = Alcalá célle ~ cilél « corbeille(s) ».71
2.1.10.6 Les pluriels brisés quadri-consonantiques Les pluriels brisés quadri-consonantiques de l’arabe ancien ne sont qu’une application de la transfixation du morphème {+ā+} dans les singuliers avec quatre consonnes, l’insérant dans ce cas également avant la troisième, ce qui peut inclure une semi-consonne ou voyelle longue. Le procédé imite le schème {1i2ā3}, bien que la dissimilation vocalique ait lieu dans ce cas entre les consonnes 3 et 4. Des trois sub-types de l’arabe standard {1a2ā3i4}, {1a2ā3ī4} et {1a2ā3i4ah}, le deuxième a conflué avec le premier, très productif même dans mots d’origine étrangère, à cause de préférences prosodiques, et le troisième, bien que bien représenté, et tout comme dans l’arabe standard, il semble être toujours emprunté à la langue classique, comme dans VA >fundaq< ~ >fanādiq< = Alcalá fóndaq ~ fanádiq « auberge(s) », dans VA >maṭḥanah< ~ >maṭāḥin< = Alcalá mathána ~ matáhin “molaire(s)”, dans VA >ṣundūq< ~ >ṣanādiq< = Alcalá çundúq ~ çaná/Ídiq « caisse(s) », dans IQ 88/16/2 >manḥūs< ~ 24/5/1 >manāḥis< « malheureux », 67/0/1 >maqābil< « personnes dont le témoin est accepté » (un pluriel de */maqbúl/), 7/2/3 et 89/10/2 >ʕādah< ~ >ʕawāyid< = Alcalá âáda ~ âguáid « coutume(s) », xáyra ~ xaguáir « cabas de sparte », motlí ~ matáli « pot(s) à huile », à nouveau dans VA >muṭlī< ~ >muṭliyātnabbālī< ~ >nabābil< « couteau(x) » (du latin novacula, voir le castillan navaja = catalan navalla = portugais navalha), dans VA >usqūf< ~ >asāqif(ah)< = Alcalá azcúf ~ açáquifa « évêque(s) », dans IQ 81/17/4 >barṭāl< ~ || 71 Cela a permis d’obtenir des pluriels brisés de schème {1a2á3}, au moins du point de vue synchronique, pour des cas qui ne peuvent être considérés comme de véritables noms d’unité, comme dans Alcalá daráqua ~ darác « écu(s) », caçába ~ caçáb « forteresse(s) », ou dans quelques noms d’unité du point de vue sémantique, mais avec une évolution phonétique semblable à ces pluriels, comme dans VA >daflà< ~ >dafal< = Alcalá défle ~ defél « laurier(s)-rose(s) ». 72 Les pluriels quadri-consonantiques des noms défectueux, comme dans VA >masqā< ~ >masāqī< = Alcalá mázca ~ maçáqui « abreuvoir » et des adjectives avec le suffixe de nisbah, qui a produit des cas comme dans VA >šāh< ~ >šawāhī< « brebis », >ṣaḥrā< ~ >ṣaḥārī< « désert(s) », dans GL >safālī< « parties basses », >sahālī< « champs » et dans AC 215 >raġāwī< de /ráġwa/ « écume », ont dû être très fréquents et précoces, puisque cela a généré le schème de pluriel {1a2ā3ī} du maltais et de l’arabe nord-africain. En arabe marocain, il s’agit du schème {12ā3i}, avec la chute de voyelle brève en syllabe ouverte, il est très fréquent et utilisé avec plusieurs types des noms, par exemple : /kbādi/ « foies », /lwāzi/ « amandes », /kmāmi/ « poignard courbé ». En arabe libyen, le schème {12ā3i} sert à former le pluriel de substantifs de schème {1ǝ23a} comme /lǝfʕa ~ lfāʕi/ « serpent(s) », /bǝlġa ~ blāġi/ « babouche(s) », /mǝʕna ~ mʕāni/ « signification(s) », /kǝswa ~ ksāwi/ « robe(s) », /gǝhwa ~ ghāwi/ « café(s) » et /ḥǝnna ~ ḥnāni/ « grand-mère(s) » ; il sert également à former le pluriel de substantifs de schème {1ǝ23} comme /žǝru ~ žrāwi/ « chiot(s) » et /ʔaṛḍ / āṛḍ ~ ʔaṛāḍi / āṛāḍi/ ; enfin, ce schème sert à former le pluriel des substantifs de schème {1v23i} tels que /sǝbsi ~ sbāsi/ « cigarette(s) », ainsi que /kursi ~ kṛāsi/ « chaise(s) » (Pereira 2010 : 205).
La flexion nominale | 123
6/11/4 >barāṭil< « moineau(x) », dans VA >faylasūf< ~ >falāsifah< = Alcalá fayleçúf ~ felécife « philosophe(s) », dans MT 1014.22 >šanānirah< « messieurs » (dans un emprunt, ce qui est remarquable). Dans certains cas, on ne trouve aucune raison morphologique de l’utilisation du schème {1a2á3i4}, comme dans VA >šaqūr< ~ >šawāqir< = Alcalá xucúr ~ xuguíquir « hache(s) », dans VA >ṭarūs< ~ >ṭawāris< « dogue(s) », dans IZ 11/2/2 >nawāsim< « souffles du vent » du singulier /nasím/. Il pourrait peut-être s’agir d’emprunts attribués au schème {1ā2ū3},73 à cause de l’indistinction de la quantité vocalique caractéristique de l’arabe andalou. Ce qui pourrait être aussi l’explication, dans Alcalá, de l’étrange allomorphe çálib ~ çauálib, au lieu du normal çalíb ~ cilbén « croix », ainsi que dans VA du pluriel >kawāʕib< de >kaʕ(a)b< « talon », comme s’il s’agissait d’un singulier >kāʕab< « talon », à cause de la confusion d’accent et de quantité, ou bien de la différence entre VA >ṭārimahkarm< ~ >kurūm< = >kurmāt< = Alcalá cárm ~ curmít « vigne(s) », gomq ~ gomocát « basfond(s) », dans ZJ 1230 >baġāyāt< « prostituées » >ṣabāyāt< = Alcalá çabayát « jeunes filles », dans VA >ruhbānāt< « religieuses », avec la marque du pluriel régulier féminin surajouté au pluriel brisé masculin, >sawdānāt< « négresses »,75 dans IQ 87/7/4 >ašyāt< = Alcalá xéi ~ axiít « chose(s) », dans MT 378.2 >qasāwisīn< « prêtres », avec un pluriel régulier ou brisé sémantiquement étrange comme dans VA >maṣarr(āt)< = Alcalá maçárr ~ maçarrít « bourse(s) » et zubb ~ zuppít « pénis », mais également dans VA >maraq< ~ >murqān< « soupe(s) » et dans FJ 258.18 >sarb ~ surbān< « déversoir(s) », avec une modification de genre comme dans les cas signa-
|| 73 Ce qui est suggéré par le marocain ṭārūs ; voir la note dans la partie 1.2.10.1, n. 98. 74 Dans d’autres cas, ce n’est pas le schème, mais la variété utilisée qu’on dénonce, comme dans IH 279 >ḏ.ihārah< « tunique » ~ >ḏ.awāhir< au lieu de >ḏ.ahāʔirsūdānramād< ~ >rumdān< « cendre(s) », >ʕaṣīr< ~ >ʕuṣrān< « jus » et >maraq< ~ >murqān< « sauce(s) ».
124 | Morphologie
lés, où un singulier féminin a un pluriel masculin, ou vice versa comme dans RC 47 >quḥḥāb< « prostituées ». On trouve également des schèmes très étranges, où il faut suspecter une transmission incorrecte, comme dans VA >radī< ~ >radayā< « mauvais » et >ǧuḥr< ~ >aǧḥirah< « tanière(s) »,76 ou une adaptation à des nouvelles circonstances phonologiques, comme l’application de pluriels quadri-consonantiques à un singulier de plus de quatre consonnes sans réduction de ce nombre, comme dans Alcalá izquirfich ~ azcarífich « râteau(x) », fayleçúf ~ faylécife « philosophe(s) ».77 Dans d’autres cas, les schèmes sont normaux, mais leur application décèle des particularités phonologiques de l’arabe andalou, comme la faiblesse de la gémination consonantique, expliquant les cas telles que dans VA >maḥaǧǧah< >maḥāyiǧ< « avenue(s) », >maydah< ~ >mawāʔid = mawādd< « table(s) », >muḫaddah< >maḫād/yid< = Alcalá maḳáda ~ maḳáid « oreiller(s) », ainsi que l’ultra-correction dans VA >makān< ~ >makākin< « lieu(x) ». Dans certains cas, on a même utilisé le suffixe roman de pluriel probablement afin de créer un effet comique, comme dans IQ >quḥaybaš< « petites putains » et dans MT >ḥuraybaš< « petites lances », sobriquet de quelqu’un.
2.1.10.8 Le pluriel d’un pluriel L’arabe ancien avait une gradation du concept de pluriel qui permettait d’ajouter de nouvelles marques de pluralité afin de l’amplifier. Ce que les grammairiens ont appelé le pluriel de pluriels, bien que celui-ci, à l’instar de la distinction des degrés de petit nombre et de grand nombre, n’aient fonctionné pratiquement que comme de simples variantes du pluriel. L’arabe andalou connaissait aussi des cas où un premier pluriel avait perdu cette valeur, et il a fallu lui ajouter un nouveau morphème pour exprimer un véritable pluriel, comme dans VA >ǧannah< = >ǧinān< ~ >aǧannah< = Alcalá génne = ginén ~ agénne « jardin(s) », où le premier singulier est plutôt réservé pour le Paradis, ou dans GL >ināʔun< (arabe standard méconnu dans les autres sources) = VA >āniyah< ~ >awānī< = Alcalá ínia ~ awíni « vas », dans IQ >rawḍah< = >riyāḍhadāyāt< « cadeaux », 579 : 11 >šurūṭāt< « conditions », ainsi
|| 76 Probablement des erreurs typographiques pour >ardiyāʔ< et >ḥiǧaraharriyāḍ ulbis ġilālah< « le jardin s’est habillé avec une tunique ».
La flexion nominale | 125
que dans Ferrando (1995 : 55), où il est difficile d’affirmer une nuance différentielle, car il s’agit de cas lexicalisés, donc imprévisibles avec les outils de la morphologie.79
2.1.11 Les numéraux Les noms spéciaux du sémitique ont des particularités sémantiques du fait qu’ils occupent quelques champs sémantiques très caractéristiques tels que l’expression des références grammaticales et pas des signifiés lexicaux comme la position numérique, la proximité, la nominalisation et la personne grammaticale et morphologique, puisqu’ils utilisent des morphèmes spéciaux ou différents, dans les cas des logèmes partagés, comme le genre ou le nombre. Ils comprennent les noms de nombre, leurs assimilés (kināyāt, selon la terminologie grammaticale native), et les pronoms. Les noms de nombre du néo-arabe et donc de l’arabe andalou préservent au moins trois séries de l’arabe ancien héritées du proto-sémitique :80 les cardinaux, les ordinaux et les partitifs.
2.1.11.1 Les cardinaux Les cardinaux se caractérisent, en comparaison avec l’arabe standard, par le changement fonctionnel des anciennes formes du masculin et du féminin entre trois et dix : /ṯaláṯa/, /arbáʕa/, /ḫámsa/, /sítta/, /sábʕa/, /ṯamá/Ínya/, /tísʕa/ et /ʕašra/.81
|| 79 Il s’agit de pluriels de pluriels ou de pluriels mixtes, c’est-à dire d’un pluriel brisé plus un suffixe de pluriel régulier (Cohen 1963 : 206), qui sont communs aujourd’hui en arabe marocain où on trouve les schèmes suivants : {12ā3īn} et les exemples /kbārīn/ « grands », /ldādīn/ « délicieux », /qṣārīn/ « petits » ; {12ā3āt} et les exemples /xbārāt/ « nouvelles », /ṣḥābāt/ « amies » (Vicente 2000 : 127). On a trouvé aussi un exemple de pluriel mixte avec le schème de pluriel brisé {12ā3ə4} plus le suffixe roman du pluriel {+s} : /bṛākŭs/ « bateaux », pluriel de l’emprunt à l’espagnol /bāṛko/ (Guerrero 2015 : 137). En Libye, on trouve le pluriel de pluriel /bnāwīt/ « filles » (Pereira 2010 : 208). 80 Bien que, en dehors des cardinaux, il ne soit pas question de systèmes complets reflétés ensemble par toutes les langues sémitiques, car les ordinaux du sémitique du nord et de l’est ont pour la plupart des schèmes différents de ceux du sémitique du sud, et les partitifs exhibent encore des différences majeures là où ils sont documentés. Quant aux distributifs de l’arabe ancien, ils n’ont pas survécu en néo-arabe, remplacés par la répétition des cardinaux, selon IH 223 (>wāḥidan wāḥidaniṯnayn iṯnaynṯalāṯah ṯalāṯahtisʕ ašbār< « quatre empans », dans IQ 122/8/1 >ṯalāṯat ašyā< « trois choses », mais 82/0/2 >arbaʕ+ayyám< « quatre jours » et 119/8/1 >tisʕa abyāt< « huit verses », selon les exigences métriques. Les noms de nombre /wáḥid/ et le féminin /wáḥ(i)da/ « un(e) » sont des adjectifs utilisés pour donner de l’emphase au singulier, comme dans VA >ʕalà qalban wāḥid < « unanimement », dans IQ 77/1/3 >ʕalà ǧanbī alwāḥid< « sur un seul de mes côtés », 163/5/3 >kulaymah waḥdah< « un seul petit mot », dans DC 12a huéhde márra « une seule fois »,82 dans ZJ 45 >biyadan wāḥidah< « avec une seule main », dans Hv 103.5 >waḥdā furaymā< « un petit pain de sucre ».83 En outre, pour donner de l’emphase au duel, /iṯnáyn/ « deux » s’emploie comme adjectif invariable84, comme dans IQ 61/6/3 >ḫaṣlatayn iṯnayn< « deux qualités justement », 38/30/3 >f+aḏraʕayh … alʔiṯnayn< « dans ses deux bras ». Il est curieux de trouver parfois /fard/ placé devant au lieu de /wáḥid/ placé après, comme dans VA >fardi marrah< « une fois », >bifardi yad < « avec une seule main », dans IA 304 /fárd úḏn/ « une oreille », dans AC /fárdi ʕadú/ « un seul ennemi », dans Alcalá fárdi léun « une seule couleur », comme dans les dialectes iraquiens et ceux de l’Asie Centrale.85 Les noms de nombre de la deuxième dizaine, invariables comme dans tout le néo-arabe, sont (à partir de l’interprétation phonologique des données d’Alcalá), tels que /iḥdá(ʕ)šar/,86 /iṯnáʕšar/, /ṯalattá(ʕ)šar/, /arbatá(ʕ)šar/, /ḫamistá(ʕ)šar/, /sittá(ʕ)šar/, /sabʕatá(ʕ)šar/, /ṯamantá(ʕ)šar/ et /tisʕatá(ʕ)šar/. Affectés par deux
|| malement avec des dénombrables masculin et on l’a éliminé devant les féminins par polarité, par économie des signes et afin d’éviter l’accumulation des marques /t/ dans le syntagme. 82 Probablement influencé par la syntaxe romane tardive, comme cela est habituel dans cet ouvrage. On trouve cela également en arabe nord-africain, où, pour insister sur l’unicité, on place le numéral /wāḥǝd/ ou /wāḥda/, qui s’accordent en genre, après le nom compté, comme dans /wǝld wāḥǝd/ « un seul (et unique) fils » ou /mǝṛṛa wāḥda/ « une seule (et unique) fois ». 83 Cette inversion du substantif et de l’adjectif, qu’on trouve aussi dans DC 5a huáhed Alláh « un seul Dieu », pourrait être une faute de traduction, car on s’attendrait à trouver /iláh wáḥid/ et /furáyma wáḥda/. Dans le deuxième cas, l’inversion semble idiomatique, mais probablement interprétée comme un article indéfini. 84 VA a le féminin >ṯintaynḥidaʕšar< = >iḥdà ʕašararbatʕaš< « quatorze », et un remplacement du /ʕ/ du deuxième élément par la vélarisation de l’infixe /+at+/, comme dans AM 183 >sbṭʕšr< « dix-sept », dans IQ 97/10/4 >ṯalaṭṭaʕšar/ « treize », où le /ʕ/ n’était plus probablement prononcé.87 Les dizaines n’offrent rien de spécial : /ʕišrín/, /ṯalIṯín/, /arbaʕín/, /ḫamsín/, /sittín/, /sabʕín/, /ṯamInín/ et /tisʕín/, ce qui vaut aussi pour les composés d’unités et dizaines, comme dans Alcalá guáhid guaxirín « vingt-quatre », ḳámce guaxirín « vingt-cinq », etc., ainsi que pour les centaines : /míyya/, /mitáy(n)/, /ṯalaṯmíyya/, /arbaʕmíyya/, /ḫamsumíyya/, /sittumíyya/, /sabʕamíyya/, /ṯamInmíyya/ et /tisʕamíyya/88 ; et les milliers : /álf/, /alfáy(n)/ etc., où le pluriel de mille est /álaf/89 ou parfois /ulúf/.
2.1.11.2 Les ordinaux Les ordinaux de la première dizaine continuent l’arabe ancien, sauf le premier qui a adopté par analogie le schème {1á2i3} du participe actif des autres : /áwil/,90 /ṯáni/, /ṯáliṯ/, /rábiʕ/, /ḫámis/, /sádis/, /sábiʕ/, /ṯámin/, /tásiʕ/ et /ʕášir/, parfois avec une imālah intense, comme dans Alcalá ĉíni, ĉíliĉ et tíciê. Il est cependant très curieux que DC 8b-11b ait une autre série d’ordinaux avec les suffixes de nisbah : /awilí/, /ṯaliṯí/, /arbaʕí/, /ḫamsí/, /sabʕí/, /ṯaminí/, /tisʕí/ et /ʕaširí/, réminiscence de l’hébreu, du guèze et de l’assyrien moyen, probablement donc un autre ‘yéménisme’.91
|| 87 Aujourd’hui, en arabe marocain, on trouve un phénomène similaire : la terminaison {+ǝṛ} ne se prononce que dans les états construits : /xǎmṣṭāš/ mais /xǎmṣṭāšǝr ʕām/ « quinze ans », et la vélarisation provoque la disparition de /ʕ/, comme dans /tmǝnṭāš/ « dix-huit », /səṭṭāš/ « seize », etc. En revanche, en arabe libyen, à l’état construit, le /r/ de la terminaison {+ar} réapparaît sous la forme d’une autre consonne liquide /l/, comme dans /ḥḍāšǝl-ʕām/ « onze ans » et la terminaison a un traitement similaire à celui de l’article, notamment pour ce qui concerne la structure syllabique, où on note un déplacement de la voyelle brève après le /l/ lorsque l’objet compté commence par un groupe de deux consonnes comme dans /tluṭṭāšlǝ-ktāb/ « treize livres », mais aussi car il est assimilé par les consonnes solaires comme dans /ṭnāšǝš-šhūṛ/ « douze mois » (Pereira 2010 : 230). 88 La voyelle disjonctive /a/ est préférée dans les entourages pharyngaux, alors que /u/ apparaît dans les entourages labialisants, sans aucune relation avec les morphèmes de cas. 89 De l’arabe standard /ālāf/, avec application de la règle prosodique exigeant l’accentuation trocaïque dans les résultats de l’arabe ancien /CvːCvːC/, voir 1.3.1.1. 90 VA a encore >awwa/il< , >awwil (min) amsayn< « avant-hier », ce qui n’est qu’une réminiscence cultivée. Quant au féminin >awwalahnúṣṣ< = >niṣf< pluriel >anṣāf< « moitié », dans VA >ṯulṯ< = Alcalá ṯulúṯ « tiers », pluriel dans IQ 96/9/4 >aṯlāṯrubu/aʕ< pluriel >arbāʕ< = Alcalá róbaâ « quart », dans VA >ḫum(u)s< « cinquième », dans MT 1038 : 2 >suds< « sixième », 43.2 >ṯumun< = Alcalá ĉúmen « huitième » pluriel dans IQ 87/5/3 >aṯmānʕušur< pluriel >ašʕār< « dixième ; dîme ». Sa documentation est maigre, sans traces pour certains, probablement parce que les partitifs n’étaient guère employés dans le parler quotidien que pour les fractions d’unités de monnaie, poids, capacité, etc., comme les emprunts romans semblent le prouver : le castillan et portugais arroba = le catalan (ar)rova « quart d’un quintal », ainsi que le castillan azumbre « huitième d’un qadaḥ ».94 On les adjectivisait parfois avec les suffixes de nisbah et parfois aussi du féminin, comme dans MT 906 : 5 >rubʕiyyah< « un quart » (Ferrando 1995 : 137), dans Alcalá ĉumnía « un huitième ». Avec la même restriction, il y a aussi d’autres indices de noms de nombre distributifs adjectivisés, comme dans IQ 87/5/2 >rubāʕī< « monnaie d’un quart de dinar » et 103/8/4 >ṯumānī< « monnaie d’un huitième (peut-être aussi de dinar) », mais ces termes venaient des registres hauts où l’on frappait la monnaie. D’un autre côté, Alcalá donne l’exemple çubáây « avec sept angles » et dans VA >ʕušārī< = Alcalá uûxé/ári était le nom d’une chaloupe de dix coudées de longueur.95
|| 92 VA >ḥādī ʕašar< = Alcalá hadiâáxar « onzième » ne serait qu’un classicisme sans continuation par la suite. 93 En effet, en arabe libyen, le onzième est inclus dans la liste des ordinaux construits sur le schème {1ā2ǝ3} du participe actif : au singulier : /ḥāḍǝš/ au masculin et /ḥāḍša/ au féminin ; au pluriel : /ḥāḍšīn/ au masculin et /ḥāḍšāt/ au féminin (Pereira 2010 : 236), comme dans l’énoncé /žēt ǝl-ḥāḍša fi l-ǝmtiḥān/ « je suis arrivée onzième à l’examen ». 94 Avec accentuation ïambique, donc ; voir Corriente 1997a pour l’équivalence en litres, selon Heinz 1955 : 48. L’emprunt castillan alcadafe = catalan cadaf = portugais alcada/efe est seulement un type de vaisseau, non pas une mesure de capacité déterminée. Quant à l’exemple dans IQ 52/7/4 >miʕšār< « une dixième part », c’est un des classicismes assez fréquents dans ses poèmes, sans conséquences dialectales. 95 Voir DS II 130, au sujet de cette sorte de bateau et la fortune de son nom dans la Méditerranée. Ce type des termes techniques peut devenir assez populaire, comme le marocain semble le démontrer avec les adjectifs rbāʕīya, ḫmāsīya, sdāsīya, sbāʕīya et sǝṭṭāšīya, appliqués aux fusils selon la
Les pronoms | 129
2.2 Les pronoms Les pronoms sont noms spéciaux avec la particularité sémantique d’exprimer la référence à l’identité de la personne grammaticale, sa distance par rapport au locuteur, la nominalisation d’une proposition, et, finalement, l’enquête sur un sujet, objet ou complément méconnu ou non-identifié, en utilisant des morphèmes spéciaux ou différents, dans les cas des logèmes partagés avec les autres noms, comme le genre ou le nombre.
2.2.1 Les pronoms personnels Les pronoms personnels de l’arabe andalou ne diffèrent presque pas de ceux du proto-sémitique, de l’arabe standard et surtout de certains dialectes sédentaires nord-africains, avec lesquels ils partagent l’absence de distinction de genre au pluriel, ainsi qu’à la deuxième personne du singulier,96 dont certains ont probablement été influencés par l’arabe andalou.97 Comme dans toutes les variantes de l’arabe, il y a deux séries parallèles : une de pronoms indépendants pour la fonction de sujet et une autre de suffixes pronominaux pour les fonctions d’objet du verbe transitif et de complément nominal, c’està-dire pour l’expression de la possession et les régimes des prépositions, marqués comme des génitifs dans tout le group sémitique.
|| mesure en empans du canon (Prémare DAF 4 : 152). Autrement, on trouve parfois la répétition distributive des noms, qui nous rappelle le guèze, comme dans IQ 86/5/4 >banī ḥay ḥay< « les hommes de chaque clan », 61/7/3 >ilà balad ilà balad< « d’un pays à l’autre, l’un après l’autre », 89/28/1 >baytan bayt< « un vers après l’autre », avec ‘nunation’ classique metri causa, 93/2/1 >tarà manzūl fī manzūl< « tu vois des enrhumés, l’un après l’autre », dans VA >aḥad waʔaḥad< « quelques-uns », dans NQ am 1/3/3 /suyúfan tabrí alʕiḏ.ám alʕiḏ.ám/ « des épées tranchant les os, les uns après les autres », dans PES 43/4/3 = 54/2/4 /waḏák waḏák/ « et l’un et l’autre », 20/2/1 >lā yuqullak fulān fulān< « que personne ici et là ne te disse pas … ». 96 Bien que le même trait, dans le cas du maltais, doive être attribué à son substrat grec ou latin, et au roman dans le cas de l’arabe andalou. Évidemment, ici et dans le verbe, il ne faut pas penser au substrat berbère, où la nette distinction des genres à la deuxième personne du singulier est caractéristique. 97 C’est le cas des variétés marocaines parlées dans le nord-ouest du pays, des parlers de Jbala et de ceux des villes de la région comme Tétouan, où il n’existe qu’un seul pronom commun à la deuxième personne du singulier : /ntīna/, sans distinction de genre comme cela se fait plus au sud : /nta/ pour le masculin et /nti/ pour le féminin (Vicente 2000 : 136). Ce phénomène se produit aussi avec certains pronoms démonstratifs et on utilise la forme féminine /dīk/ également pour le masculin : /dīk əl-ʕāyla/ « cette fille-là » et /dīk əl-ʕāyəl/ « ce garçon-là » (Vicente 2000 : 139).
130 | Morphologie
2.2.1.1 La série des pronoms indépendants comprend les formes suivantes :98 SG. 1. 2. 3M. 3F.
/aná/Í/99 /ánt(a)/ /át(ta)/ /hú(wa[t])/100 /hí(ya[t])/101
PL 1. 2. 3.
/ḥínat/ /aḥín/ /(a)ḥán/, /náḥn(u)/ /íḥna/ /nuḥún/, /ḥínna/102 /ántum/ /húm(a[t])/
2.2.1.2 La série des suffixes pronominaux est la suivante (l’utilisation des allomorphes étant conditionnée par les jointures, car après /CC#/ il faut employer les formes commençant avec une voyelle, alors qu’après /Cv#/ on emploie celles qui commencent par une consonne) :103 || 98 La distribution dans les cas de synonymie semble suivre des critères diachroniques, diatopiques et diastratiques encore insuffisamment connus. VA contient aussi le féminin pluriel de la troisième personne >hunnahuwa+lmakān< « ce lieu-là », >hiyya+lʔayyām< « ces jours-là », dans VA >hulwaqt< = >ḏāk alwaqt< « alors », ce qu’on retrouve dans IH 276, dans MT, etc. En Libye, on trouve des formes de démonstratifs à deixis proche qui rappellent les pronoms personnels indépendants aux troisièmes personnes : /āhūẉá/, /āhīỵá/ et /āhuṃṃá/. Il s’agit probablement de formes composées du présentatif /ā+/ suivi du pronom personnel indépendant, avec un déplacement de l’accent sur la voyelle finale. De plus, ces formes de démonstratifs sont toujours pharyngalisés (Pereira 2010 : 262‒269). 101 Quant à l’addition du /+at/ final, Brockelmann (1908 I : 303) a été le premier à suspecter ici d’une connexion sudarabique, qui a été précisée dans Corriente 1989a : 100. Il faut aussi considérer la possibilité d’une relation génétique avec /húma/, partagé avec les dialectes de La Mecque, Le Caire et l’arabe nord-africain, selon Fischer & Jastrow 1980 : 80. 102 Le polymorphisme de ce pronom en arabe andalou a quelque chose de surprenant selon les règles de la linguistique, car on trouve dans Alcalá (a)hán, íhna et hénat, en plus du classique náhnu, dans AC >iḥnāiḥān< et >iḥnatniḥin(at)< et >nuḥunṣabranā< « notre pacience » ou, dans les cas des consonnes géminées, Alcalá a nehíbbucum « je vous aime » au côté de yehíbcum « il vous aime », avec dé-gémination, à côté d’une voyelle superflue dans dunúbuhum « leur péchés », où il faut considérer une élévation artificielle et souvent pseudo-correcte du registre des prières, ou habituelle pour des exigences métriques, etc. 104 La forme plus longue est utilisé après un /i/ ou /y/, comme dans IQ 14/2/1 >biyya< « avec moi », 15/4/2 >liyya< « à moi », 135/6/1 >iday+ya< « mes mains », dans IA 227 >riǧlay+yabīlī< et 112/5/3 >fīmawlāʔī< « mon seigneur », 127/2/5 >dunyāʔī< « mon monde », ainsi que 127/4/1 >ḥawlāʔī< sur le rare allomorphe classique /ḥawlà/, dans Alcalá 61.18 nidéi « mon appel », 59.23 aḳóy « mon frère », alors que >yā+ḫī< « ô mon frère » dans IQ 2/1/2, dans PES 33/3/1 ne semble pas être un classicisme demandé par le mètre, mais un allomorphe vernaculaire assez fréquent. 105 Cet allomorphe, isolé dans le groupe du néo-arabe, est mentionné dans le manuscrit dans IQ 1/4/2 et 9/28/1 >minkalaw ǧaʕalka+llah tarānī< « si Dieu te ferait me voir », et parfois dans PES, comme dans 68/2/4 >iḫbarka ʕannak< « ton rapport sur toi-même », 44/7/1 /dáʕ ʕanka ʕálam alḫayál/ « éloigne de toi le monde imaginaire ». Mais il semble s’agir d’un vieux trait dialectal, plutôt que d’un classicisme qu’on pourrait accepter chez IQ, mais plus difficilement dans le langage plus vernaculaire d’Aššuštarī, hormis ses poèmes du genre muzannam, c’est-à-dire mêlés d’arabe classique. 106 A la troisième personne du singulier, il y a aussi des hésitations, comme dans le masculin dans IQ 9/0/2 >lahu< = DC 6b leu et Alcalá 36.30 léhu, mais dans IQ 13/5/1 >luhbīhbāh< = VA ; ainsi que pour le féminin, dans ZJ 98 >nirušš+a< « je l’arrose », dans IA 798 >qāl+a< « il l’a dite », mais la même phrase dans IA 263 est >qāl+hārukkāb+hā< « ses chevaliers », dans ZJ 96 >niṭallaq+hā< « je divorce d’avec elle », dans PES 33/1/4‒5 /asrár+a/ « ses secrets », /miqdár+a/ « sa grandeur », en rime avec le morphème du féminin singulier, ce qui prouve qu’on ne prononçait pas ce /h/. L’allomorphisme est encore plus grand dans le cas de la préposition /min/ « de », où on trouve /má/ínnu/ = /mínhu/ « de lui », /mínka/ = /mínnak/ « de toi », /mínna/ = /minnína/ « de nous », etc.
132 | Morphologie
Ces suffixes exigent l’accentuation des suffixes personnels verbaux qui se terminent par une voyelle, comme dans Alcalá yamdahú+q « ils te louent » et dans IA 403 >daḫḫalnÍ+hum< « nous les avons fait entrer ».
2.2.2 Les pronoms démonstratifs Les pronoms démonstratifs de l’arabe andalou sont un prolongement particulier de ceux de l’arabe ancien, ayant complètement perdu la distinction de genres même en singulier.107 Quelques allomorphes ont été éliminés, ainsi que la possibilité d’une troisième deixis entre la proche et la lointaine.108 Leurs formes sont les suivantes :
|| 107 Il semblerait s’agir d’une imālah intense, caractéristique des mots très utilisés, bien que dans les sources d’auteurs plus lettrés on trouve quelques indices permettant d’affirmer qu’il s’agit d’une ultra-correction à des fins de différentiation, comme dans Alcalá ḍéliq « cela », dans VA >ḏāk< « cela (masculin) » ~ >ḏīk< « cela (féminin) », au lieu de l’arabe classique /tilka/, et parfois des formes correctes metri causa, comme dans IQ 9/15/2 >hāḏihi l+ʕillah< « cette maladie » et 109/1/4 >tilka+ddumūʕ< « ces larmes-là », mais aussi dans VA >ḏā/īk allaylah< « cette nuit-là » et dans DC 8a dic al ayém « ces jours-là », mais dans DC 11a diq a xéi « cette chose-là », alors qu’IQ donne des formes avec l’alif pour les deux genres, comme dans 2/1/2 >ḏā+lmiski< « ce musc-ci », 38/1/1 >hāḏā+lʔayyām< « ces jours-ci », et même avec le pluriel comme dans PD 138 >ḏā+lmilāḥ< « ces beaux », dans PES 90/4/2 /ḏa+lʕabíd/ « ces esclaves ». Il y aussi parfois des inversions à ‘l’égyptienne’, comme dans 110/5/1 >alʕāšiq ḏā< « cet aimant-ci », et d’autres particularités syntaxiques, surtout taxématiques, dont Ferrando (1995 : 58) a mentionné la position irrégulière devant les noms propres, comme dans MT 428 :13 >haḏā dūn martīn< « Ce Don Martín ». 108 Voir Fischer & Jastrow 1980 : 81 : « Vereinzelt existieren auch Ausdrücke einer dritten Deixis » On avait accepté l’existence de ce troisième degré de deixis moyenne avec les formes /háḏak/ singulier et /háwlink/ pluriel (dans Corriente 1992 : 95 et note 89), car cette situation reflèterait celle de deux substrats, le castillan (este, ese, aquel) et le berbère (ad, nna, lli), mais on ne trouve que deux occurrences de háulinq dans Alcalá 13.21 où il est employé comme synonyme de háulin, ainsi que page 409 tal cosa où il faut lire bahál haulinq al axiít. Pour le reste, il donne comme équivalents du castillan aquesse = aqueste les formes ḍic et héḍeq, ce qui rend cette distinction très difficile à prouver, même invraisemblable (Corriente 2012b : 80). D’un point de vue général, dans tous les cas de triple deixis, on constate la tendance vers une simplification à deux termes. En arabe marocain, malgré l’influence du substrat berbère, on ne trouve que deux deixis : pour le premier degré (proche) le déterminant nominal est /hād/ (invariable), ainsi que les pronoms /hāda/, /hādi/ et /hādu/, et pour le deuxième degré (lointain) les déterminants nominaux sont /dāk/, /dīk/, /dūk/ et les pronoms sont /hādāk/, /hādīk/, /hādūk/ (Caubet 1993 I : 168‒169). Dans la Péninsule Ibérique, elle n’existe plus en catalan et elle n’est plus pertinente en castillan où ese survit, mais guère différentiés d’aquel dans l’usage, par contre, en portugais on distingue bien une triple deixis : este (aqui), esse (aí) et aquele (ali). Curieusement, dans quelques dialectes orientaux du néo-arabe on observe une tendance à n’utiliser que la deixis prochaine, comme dans Mitchell 1956 : 54 : « dukha is rarely heard in typically Cairene speech, da corresponding to both this and that in English ». Singulièrement, Ferrando (1994 : 21‒22) signale une situation similaire dans le judéo-arabe de Tolède.
Les pronoms | 133
Deixis proche : SG /há/Íḏa/,109 /ḏá/Í/ PL /háwl(ay)/, /háwlin/110 Deixis lointaine : SG /háḏak/, /ḏÍk/ PL /háwlak/, /háwlink/
2.2.3 Le pronom relatif Les pronoms relatifs de l’arabe ancien, étymologiquement développés à partir d’un démonstratif dont la fonction est de nominaliser des propositions entières, devenant ainsi sujets d’une proposition ou qualificatifs d’un syntagme nominal, avaient conflué en arabe moyen dans une forme unique /allaḏī/. Il s’agit de l’ancien masculin singulier, qui a évolué phonétiquement vers /illī/ dans la plupart des dialectes néoarabes, en deux phases successives qui sont également représentées dans l’arabe andalou : /allaḏí/ et /addí/ = /aḏḏí/ = /a/illí/.111 La première forme, plus ancienne, est la plus fréquente dans IQ : 9/22/1 >albaṭal allaḏī yuqāl luh baṭal< « le héros qui doit être appelé héros », 9/24/3 >allaḏī aqbalū … allaḏī walwalū< « ceux qui vinrent … celles qui poussèrent cris » ; IQ utilise parfois le féminin singulier comme classicisme : 135/10/3 >alḫiṣāl allatī fīh< « les qualités qu’il possède », mais également les deux premières formes courtes : 16/5/5 >addī
|| 109 La forme /hÍḏa/ avec imālah intense dans la première syllabe semble avoir caractérisé les registres les plus bas, car on ne la trouve pas dans Alcalá, à la différence de /ḏÍ/ et /ḏÍk/, mais Ibn Zamrak l’a incluse dans IZ 2/2/5 et 3/5,14/3/4, 6/4 et 8/3, et dans ZJ 230 l’a aussi relevée, ainsi que dans IQ 98/2/2 >hīḏā+lbīrūn< « ce pardessus », sans doute cherchant un effet popularisant. 110 Caractéristique de DC, comme en 15a, avec le morphème du pluriel régulier masculin, ce qui semble ne pas avoir normalement empêché la formation de la deixis lointaine dans EV 333 huleynch amlach = /hawlínk (al)amlák/ « ces possessions-là ». 111 Voir la trace de l’arabe moyen chez Blau 1965 : 53, 87/88 et 132, ainsi que chez Fischer & Jastrow 1980 : 84 : « Beide sind aus aar. allaḏī oder einer diesem nahestehenden Form entstanden. In (Grenade) alleḏī, f. alletī und (Ṣanʕa) allaḏī (genus- und numerusindifferent) ist das ursprüngliche allaḏī bewahrt, wenn nicht Entlehnung aus dem Hocharabischen vorliegt », ce qui est exact si on l’applique à tout l’Al-Andalus, on biffe le féminin d’Alcalá, qui n’est qu’un classicisme inexistant dans l’usage réel, ainsi comme les pluriels masculins alleḍina (et le féminin analogique *alletina qu’il donne alors qu’on ne trouve que l’occurrence *all[at]iyāt dans MT 449.4 et d’autres cas pseudo-corrects dans SK 99, note 147), et on abandonne l’idée d’un emprunt à l’arabe classique. La relation de l’arabe andalou avec les dialectes du Yémen est encore une fois intéressante. Aussi, dans certains parlers sédentaires du Maroc (Anjra, Tétouan, Chefchaouen, Séfrou), on trouve le relatif /d/, comme dans /kāyən d ʕandu flūs/ « il y en a qui ont de l’argent », où on suppose l’influence du substrat andalou (Vicente 2000 : 142).
134 | Morphologie
lam nalḥaqu< « lequel je n’ai pas atteint », 58/2/4 >ḏāk aḏḏi yanṯanī< « celui qui se balance », 95/3/1 >subḥān addī ʕaṭāk< « gloire à Celui qui t’a donné ! ».112 Dans les sources les plus récentes, on trouve toutes les formes à n’importe quel genre et nombre, comme dans Alcalá 48.28 almundáriba alleḍi quínat « la guerre qu’il eut lieu », 37.10 hávleq alleḍí « ceux qui », 36.29 a tabíb aleḍí ydaguí « le médecin qui cure », 36.30 aléhu majoróh « celui qui est blessé », dans IA 256 >almuǧayḏam allī ʕalà lḥumayyr< « le petit lépreux sur le petit âne », 589 /min allí fazáʕ fíh waqáʕ/ « il tomba juste là où il craignait », dans DM 1r >alli+yiṣum< « celui qui jeûne », dans DC 10a almuqueddemín alledí hum fe máudaâ huildéy « les préposés qui sont au lieu des parents », 14a teaâlém la lé me yedrí « tu enseigneras celui qui ne sait pas ».
2.2.4 Les interrogatifs et exclamatifs En connexion sémantiquement très étroite avec les pronoms relatifs, on trouve les pronoms interrogatifs, dont les formes peuvent parfois être partagées par les premiers, à cause de la similitude de leurs fonctions, puisqu’une interrogation indirecte peut permettre de s’enquérir non seulement sur la personne ou la chose en question, mais aussi sur des prédications qui les affectent, ce qui est le domaine du relatif. Comme pronoms interrogatifs, l’arabe andalou préserve de l’arabe ancien /mán/ « qui », /má/ « que, quoi » et /áy(y)/ « (le)quel », comme dans IQ 7/8/1 >man yaʕmal< « qui fera ? », dans PES 26/4/1 /mán aššayṭán/ « qui est le diable ? », dans IQ 20/21/3 >mā lī fī ḏā+ lqiṣṣah< « qu’ai-je à voir avec cette histoire ? », dans AC 1442 >mā +ššumātah< « qu’est-ce que la bassesse ? », dans IQ 94/23/2 >ayhum ašraf … ayhum arfaʕ< « lequel est plus noble… lequel est plus haut », dans AC 553 >ay nawār< « quelle fleur ? ». Aussi, les adverbes interrogatifs /matá/Í/ « quand », /ká(y)f/ ou /kíf/ « comment », /áy(n)/ « où » et /kám/ « combien »,113 comme dans IQ 2/5/1 >matà yalwī ʕunquh< « quand tournera-t-il son cou ? », 6/7/4 >kif yastawī< « comment serait-il
|| 112 Mais il ne faut donner aucune importance à ces graphies avec >d< ou >ḏaynukum< « où êtes vous ? »,114 145/7/5 >kam min yawm baqà< « combien de jour reste-t-il ? ». Mais il y a également eu des ajouts d’éléments conjonctifs ou pronominaux, comme dans les dialectes néo-arabes, surtout nord-africains,115 comme /áš(hu)/ = /(w)áššu/ = /áššanhu/ « quoi », comme dans IQ 2/1/2 >aššu ḏā lmisk< « qu’est-ce que ce musc ? », 26/1/4 >waššu naʕmal< « que ferai-je ? », 86/2/4 >waš yaḥazzazū< « qu’ils ceignent fort ! », 94/8/3 >aššanhu ḏā lkalām< « que sont ces paroles ? », parfois avec quelques additions, comme dans 85/3/3 >ašḥāl hū ḥabībak< « comment se porte votre aimé ? », 14/11/1 >aš fannu assayl< « à quoi bon l’inondation ? », 104/1/2 >aš fann alinsān< « à quoi bon la personne ? », 129/0/1 >aš ḫabar fummak ǧarīḥ< « pourquoi as-tu ta bouche blessée ? », 20/14/4 >aš ḫabar šuqūrat ʕiḏārī< « que dirait-on de mes tempes blondes ? », dans AC 254 et passim >ay siffa< « comment », de l’arabe standard /ṣifah/ «qualité » , dans MT 956 : 12 >aš mā arādū< « ce qu’ils ont voulu » (Ferrando 1995 : 107). Une connexion mentale assez logique entre le doute et l’ennui de la constatation permet d’utiliser les expressions interrogatives comme des exclamatives, comme dans IQ 4/7/4 >mā akṯaru mā ġannayt< « combien de fois ai-je chanté ! », 1/6/2 >ay ḥabs< « quelle prison ! », 19/6/1 >aš alaḫbār tiǧarrab alinsān< « quels évènements éprouvent les gens ! », 9/27/3 >waš kān yurà min ʕiwaǧ< « combien de tortuosités verrait-on ! », 149/2/3 >kam min yamīn< « combien des serments !».
2.2.5 Les indéfinis D’autre part, lorsque l’interrogation devient affirmation, ces pronoms et adverbes peuvent acquérir la signification des indéfinis ou des corrélatifs : toutes ces fonctions peuvent être remplies par la même série pronominale interrogative, comme dans IQ 1/2/1 >man niṯaq bīh< « quelqu’un à qui je me fie », 51/5/5 >man afḍal< « quelqu’un de mieux », 59/6/2 >las tarāh illā liman aw liman< « tu ne le vois que chez quelques-uns », dans IZ 9/3/4 /lis yarḍí illa mán wamán/ « il n’est content que de quelques uns », dans IQ 52/1/4 >šayyan mā< « quelque chose », dans MT 213.9 >lam yaǧhilū šayyan< « ils n’ignoraient rien », dans Alcalá 45.27 mará men tucun caríbataq « une femme qui était ta proche », 18/6/4 >ašmā yuqūl lī< « quoi que ce
|| 114 L’arabe andalou permet, à l’instar du nord-africain, cette utilisation exceptionnelle des pronoms suffixes comme sujets. Prémare a donné des exemples de cet usage en arabe marocain : /fāinək ?/ « où es-tu ? », /fāinkum ?/ « où êtes-vous ? » (Prémare DAF 1: 114). 115 Le pronom /āš/ (< /ʔayyu šayyʔin/) est utilisé isolement en arabe marocain avec le sens de « quoi, que », mais aussi il est employé avec la forme wāš pour les interrogations ouvertes, comme dans /wāš huwwa f əḍ-ḍāṛ ?/ « est-il à la maison ? », et pour former plusieurs pronoms et adverbes interrogatifs dérivés, tels que /ʕlāš/ « pourquoi ? », /bāš/ « avec quoi ? » (Caubet 1993 I : 170‒172). Voir ci-dessous 2.2.6.
136 | Morphologie
soit qu’il me disse », dans PES 3/2/3 /wášma baqá li/ « et tout ce qui me reste », dans ZJ 566 /ay ṣanáʕa tišakkalak/ « n’importe quelle profession qui te convienne le mieux », dans IQ 8/0/2 >kabši mā niḍaḥḥī< « un mouton que je puisse sacrifier », dans AC 676 >ḫubzi mā lā hu lak< « un pain qui n’est pas le tien », dans VA >ašḥāl mā< « plus … plus », comme dans IQ 26/2/2 >ašḥāl mā tahrub< « plus tu t’enfuies », 3/2/3 >aymā kān maʕak ʕadū< « quiconque soit ton ennemi », 99/20/2 >ḥiṭ ášumma … tiǧad< « prends quoi que ce soit que tu trouves ».116 Dans les registres plus hauts, il semble que l’arabe andalou peut utiliser, tout comme l’arabe standard, le participe indéterminé comme expression de l’indéfinition du sujet, comme dans IQ 45/2/2 >las yiṣafhā wāṣif< « personne ne peut le décrire », dans PES 33/1/1 /hal yiṣáfu wáṣif/ « ne pourrait aucun descripteur le décrire ? ».
2.2.6 Compléments des prépositions Finalement, rien n’empêche d’utiliser cette série comme compléments des prépositions :117 /láš(šu)/ = /laššan/ « pourquoi », /báš/ « par ou avec quoi », /fáš/ « dans quoi », /ʕaláš/ « sur quoi », /ḥattáš/ « jusqu’à quoi », etc., en contextes interrogatifs, relatifs, corrélatifs, exclamatifs, etc., comme dans IQ 6/0/1 >laššanhum aṣṣibyān … maḫāḏil< « pourquoi les garçons sont-ils dupeurs ?» 118/3/2 >arra qaṣriyyah faš yukūn ḏā+ššaḥm< « porte une vase pour y mettre cette graisse », 99/0/2 >alaš anta … malūl< « pourquoi es-tu inconstant ? », 36/1/3 >ḏulliltu wa+ḥatt+aš< « j’ai été humilié et jusqu’à quel point ! ».
|| 116 Les cas d’IQ 24/9/3 >iḏā waʕad bimā šā < « quand il promet quoi que ce soit », 78/11/2 >yāmur bimā šā< « il ordonne n’importe quoi », dans MT 105.20 et passim >ʕalà ayy waǧh šā< « sur n’importe quel visage », ainsi que d’autres exemples chez Ferrando (1995 : 99) qui semblent être un calque de la construction romane reflétée par le castillan cualquiera, le portugais qualquer, le catalan qualsevol, l’italien qualsivoglia, etc., dont il y a un autre calque, cette fois avec des mots arabes différents, dans le langage technique des artisans morisques quifradaxa(s) < /kif raḍá aššáy/ (Corriente 2012b : 408). 117 En arabe libyen, l’interrogatif /āš/ complète des prépositions et ne s’emploie jamais seul comme pronom interrogatif, mais il entre toujours dans la construction de locutions interrogatives telles que /bāš/ « avec quoi », /fāš/ « dans quoi », /ʕlāš/ « sur quoi ; pourquoi », /lāš/ « à quoi ; pour quoi », /mnāš/ « (à partir) de quoi », /gǝddāš/ « comme quoi (en taille) ; combien » (Pereira 2010 : 272‒273). Par ailleurs, /gǝddāš/ entre dans la construction de la locution adverbiale /gǝddāš ma/ qui s’emploie en contexte exclamatif, comme dans les exemples suivants : /gǝddāš ma kbǝṛ / « qu’es-ce qu’il a grandi ! », /gǝddāš ma bʕīd / « qu’est-ce que c’est loin ! » et /gǝddāš ma ʕǝnd-a mǝn xūt / « qu’est-ce qu’il a comme frères et sœurs ! » (Pereira 2010 : 446). En outre, en arabe nord-africain, d’autres interrogatifs (avec des variantes) complètent des prépositions : il s’agit de /šǝn/ ~ /šǝnu/ ~ /šǝni/ « quoi », ainsi que de /škūn/ et de /mǝn/ ~ /mǝni/ ~ /mǝnu/ « qui ».
Le verbe | 137
2.2.7 Les métonymies La catégorie des assimilés aux noms correspond à une section de la grammaire arabe native, celle des kināyāt (u lʔaʕdād), littéralement métonymies (des noms de nombre). En fait, des mots qu’on utilise au lieu des noms de ceux-ci, lorsqu’on ne veut ou ne peut pas les mentionner exactement. Il s’agit d’une catégorie mal définie, puisque quelques auteurs n’y incluent que /kam/, /kaʔayy(in)/ et /kaḏā/, alors que d’autres y incluent aussi /kayta/, /ḏayta/, /baʕḍ/, /biḍʕ/ et /fulān/, c’est-à-dire des mots désignant non seulement l’ignorance réelle ou prétendue de la quantité, mais aussi de l’identité des personnes et des choses. Ils occupent une place intermédiaire entre l’interrogation, l’exclamation et l’indéfinition, qu’il convient de traiter ici conjointement avec d’autres expression d’indéfinition, notamment /(a)ḥad/ « (quelqu’)un »118 et /šayʔ/ « (quelque) chose », /kull/ « tout ; chaque », /ǧamīʕ/ « tous ». L’arabe andalou a préservé sans grands changements /kaḏā/, /baʕḍ/, /fulān/, /kúll/ et /ǧamíʕ/, ainsi que les noms pronominalisés /(a)ḥád/ = /ḥáddi/ et /šáy(y)/,119 comme dans IQ 4/4/1 >las nisammī aḥad< « je ne mentionne personne », dans PES 34/0/1 >šay amarah< « un signe (quelconque) », dans IQ 12/8/1 >kullukum< « vous tous », 9/25/1 >ǧamīʕ albilād< « tout le pays », 7/15/3 >kaḏā nuḏ.lam< « suis-je ainsi malmené ? », dans AC 1266 >baʕḍ alǧawz< « quelques / certaines noix », dans IQ 72/10/4 >wullī baʕduh alqāḍī fulān< « après lui, le juge un tel fut désigné », 78/4/4 >nabkī ʕalà+lfulānī< « je pleure pour un tel », dans PES 41/4/3 /naʕšáq alfuláni/ « j’aime un tel », dans PD 238 /ʕišq alfuláni/ « l’amour d’un tel », dans IQ 42/2/4 = NQ hm 11/0/1 >alfulāniyyah< « une telle ».
2.3 Le verbe Le verbe, pièce fondamentale de la proposition, puisqu’il est le noyau des syntagmes prédicatifs, excepté les nominaux, est une catégorie morphologique assez complexe dans les langues sémitiques, à cause d’une conjugaison reflétant non || 118 Avec les allomorphes /ḥáddi/, comme dans IQ 68/3/1, résultant de la tendance à la triconsonantisation après l’aphérèse de la première syllabe, ainsi que /(a)ḥáda/ comme dans Alcalá (a)háde, préservant l’ancien accusatif défonctionalisé (Blau 1965 : 171‒2 et 205), bien qu’Alcalá l’utilise parfois comme féminin, au lieu de l’arabe standard /iḥdà/, dans 22.1 et 34.3. 119 Tout comme dans le cas de /(w)áš(šu)/ on observe l’intégration occasionnelle de la conjonction /wa+/ dans les indéfinis d’Alcalá 322.14 gualehád « personne » et gualexáy « rien ». En arabe marocain, on trouve le même phénomène dans le pronom employé pour marquer l’interrogation décrit cidessus /wāš/ « est-ce que ? », et l’adverbe /wālu/ « rien », comparables au cas de l’interrogatif wēn « où ? » dans quelques dialectes orientaux. Dans un autre cas, dans IQ 185/2/1 >ibni balāš< « mauvais garçon », l’interrogatif a fusionné avec /bilā/ « sans » d’une façon très connue en égyptien, avec le sens de « rien ».
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seulement une structure dérivationnelle, génératrice de nouveaux lexèmes avec des nuances sémantiques particulières, tout comme dans le cas du nom, mais aussi des inflexions explicites pour les logèmes intéressants ces langues, c’est-à-dire personne, nombre et genre, aspect, mode et voix. L’arabe ancien, suivant sa tendance naturelle, a hypertrophié ces structures, dérivationnelle et inflexionnelle, alors que le néo-arabe, suivant la sienne, les a simplifié à quelques égards, surtout dans les dialectes citadins, dont les substrats et l’intercommunication ont promu la créolisation ; cependant, la conjugaison d’un verbe arabe, dans n’importe quel dialecte du néo-arabe, excepté les pidgins,120 reste complexe, ces derniers n’ayant perdu que quelques distinctions de nombre et de genre, et presque toutes celles de voix et de mode, sauf l’impératif, en comparaison avec l’arabe standard.
2.3.1 Les schèmes verbaux La structure dérivationnelle du verbe sémitique est le résultat de l’interdigitation, c’est-à-dire l’intercalation d’un morphème radical de trois, rarement quatre, consonnes, avec des préfixes et/ou des infixes exprimant certaines nuances sémantiques dans le cas de verbes appelés dérivés, comme l’intensité, la causalité, la réciprocité, la réflexivité, etc., bien que ces additions ne soient pas nécessaires et peuvent ne pas avoir lieu du tout, comme c’est fréquemment le cas pour les verbes dits primitifs (arabe muǧarrad). Le sémitique méridional, qui a une tendance pour la prolifération morphologique, a classifié ses procédés d’affixation d’après deux axes : l’un interne (gémination de la deuxième consonne pour l’intensif et allongement de la première voyelle pour le conatif ; et l’autre externe (préfixation : de /š/ ou /ʔ/ pour le causatif,121 /t/
|| 120 Comme les dialectes du Soudan du Sud, tels que celui de Juba, le Ki-Nuba d’Uganda et du Kenya, ainsi que le Bongor ou le Turku du Cameroun (sur lesquels voir Miller 2007, Wellens 2007 et Luffin 2007, avec leurs bibliographies, ainsi que Tosco 2007 et Manfredi & Tosco 2014 pour une approche générale). 121 Toujours /ʔ/ dans l’arabe ancien, sauf quelques archaïsmes où le /š/ proto-sémitique est régulièrement représenté par /s/, comme en arabe classique /salqà/ « renverser sur le dos », /sarʕafa/ « bien nourrir », de {lqy} et {rʕf} (autres exemples dans Wright 1962‒4 I : 46), sans qu’il n’y ait aucune conscience morphématique. Voir aussi Brockelmann 1908 I : 522, avec d’autres exemples d’anciens causatifs devenus tri-consonantiques. Il y a aussi quelques cas de préfixe /š/, tels que /šaqlab/ « s’agiter ; tourner » et /šawʕaḏ/ « faire des tours de main », où le natif ne reconnait plus les racines {qlb} et {ʕbd}, car ils sont des emprunts à l’araméen, où ce préfixe alternait encore avec /ʔ/, bien que loin de la situation de l’accadien, qui n’avait que le premier, voire de l’ougaritique et de la plupart des dialectes du sud-arabique, alors qu’il a disparu de l’hébreu, du néo-arabe, du sabéen et de l’éthiopien. Il existait déjà dans toutes les branches de l’afro-asiatique comme cela est prouvé par l’ancien égyptien, le somali, le haoussa et le berbère.
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pour le réflexif,122 avec la possibilité de combiner ces deux préfixes, et /n/ afin d’exprimer certaines nuances du passif).123 Il a ensuite produit un réseau qu’on tente de remplir, bien qu’on n’y arrive jamais complètement.124 Si l’on adopte la vocalisation du thème fondamental (qui sert à former l’impératif et l’imperfectif), les schèmes possibles pour la dérivation du verbe arabe andalou sont, avec les deux types de notation : G = I : {12v́3}125 D = II : {1a22á3} L= III : {1á2á3} C = IV: {a12í/á3}126
|| 122 Avec métathèse du morphème et de la première consonne de la racine en G = I, toujours en arabe ancien, qui connait l’infixe seul, bien que les dialectes du néo-arabe ont souvent récupéré la préfixation de ce morphème pour exprimer le passif, comme en égyptien itḫanaq « être suffoqué », et en arabe marocain /tbǝll/ « il a été imbibé » ou /thǝrrǝs/ « il a été cassé / il s’est cassé », où les préfixes pour former la voix réflexive-passive sont {t+}, {tt+} et {n+}, par exemple : /tbāʕ/ « il a été vendu », /ttǝġsǝl/ « il a été lavé », /ttəhda/ « il a été bien conduit » et /nfətḥət/ « elle a été ouverte / elle s’est ouverte ». Les deux premiers {t+} (tD = V), {tt+} (création dialectale) sont plus utilisés par les variétés marocaines du centre et sud du pays, et le troisième {n+} (nG = VII) est caractéristique des variétés septentrionales et du judéo-arabe marocain (Vicente 2000 : 99‒100). Quant à l’arabe libyen, le passif s’y forme également au moyen du préfixe {t+} (tD = V) comme dans /txǝyyǝṭ/ « il a été cousu » et /tnǝḥḥa/ « il a été enlevé » (Pereira 2010 : 112) et majoritairement du préfixe {n+} (nG = VII) comme dans /ngle/ « il a été frit » et /nžāb/ « il a été apporté » (Pereira 2010 : 121‒122), ainsi que, mais dans une moindre mesure, de l’infixe {+t+} (Gt = VIII) comme dans /xtlǝf/ « il a été différent », /ftǝkk/ « il a été débarrassé » et /štāg/ « il a été nostalgique » (Pereira 2010 : 124‒127). 123 Ces préfixes existaient déjà dans l’afro-asiatique (voir Diakonoff 1988 : 104), mais pas le réseau structuré de leurs combinaisons, tel qu’on le voit dans le berbère, qui connaît le causatif avec un préfixe sifflant (surtout /s/), le réciproque avec nasale (surtout /m/ au lieu du /n/ sémitique), et le passif avec /t/, plus la forme d’habitude, souvent marquée par la gémination, mais aussi par /t/ et d’autres affixes vocaliques (Aspinion 1953 : 268 et 280 ; Laoust 1939 : 132‒156). 124 Le guèze a presque atteint ce but, ayant la possibilité théorique de dériver de chaque verbe primitif (identifié comme G, de l’allemand Grundstamm), une forme D (de l’allemand doppelt) et une autre forme L (de l’allemand lang), ce qui est également possible avec les causatifs à préfixe {a+} (identifiés comme C), les réflexifs à préfixe {tä+} et les mixtes à préfixe {astä+}, mais pas dans les cas assez rares d’ailleurs de préfixe {an+}. L’arabe ancien n’a pas complété les vides, sauf pour G et le préfixe {ta+}, mais le néo-arabe et l’arabe andalou connaissent quelques cas de D avec le préfixe {sta+} (Corriente 2004b). A côté de la notation ‘algébrique’ des sémitisants qui consacrent leurs études aux branches du nord et de l’est, on emploie aussi la notation en chiffres romains plus courante chez les arabisants. 125 Cette voyelle est une caractéristique plutôt lexicale et elle est morphologiquement imprévisible, comme on le verra à propos de la génération du thème du perfectif. 126 Les schèmes D = II, L = III, C = IV et G = 14 se caractérisent, en arabe standard, par le marquage des personnes et des nombres de l’imperfectif avec des préfixes vocalisés en /u/, qui sont communs à tous les schèmes à la voix non-agentive, ainsi qu’à la voix agentive. Ces préfixes sont devenus /i/ dans le néo-arabe, bien que les documents arabes andalous en graphie arabe aient souvent la voca-
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Gt= VIII : {1ta2á3} tD = V: {t1a22á3} tL=VI:{t1á2a3} stG = X: {sta12á3} nG = VII: {n1a2á3} G33 = IX-XI {12á33} Les racines quadri-consonantiques ne produisaient en arabe andalou que deux schèmes, G4 = I4 {1a23á4} et, avec le préfixe {t+}, tG4 = II4 {t1a23á4}, dont les inflexions sont identiques à celles de D = II et tD = V des racines tri-consonantiques, comme dans VA >nikabrat< ~ >kabrat< « traiter avec souffre » et >yatkabrat ~ atkabrat< « être traité avec souffre », dans Alcalá nifardáḳ ~ fardáḳt « précipiter », natfardáḳ ~ atfardáḳt « être précipité », de l’arabe standard {fdḫ}, à travers de la dissimilation dans un schème D = II.127 || lisation classique, introduite par les écrivains, où même un énigmatique /a/, qui pourrait avoir existé dans les vieux dialectes de l’arabe andalou, comme un autre ‘yéménisme’, car on comprend aisément que les écrivains aient introduit une de deux vocalisations qui leur étaient familières : celle de l’arabe classique ou celle de leurs dialectes néo-arabes, mais pas cet étrange /a/, sans précédents hors de ces cas dans le manuscrit d’IQ. D’un autre côté, la vocalisation avec /u/ des préfixes de l’imperfectif dans les cas cités de l’arabe standard semble imitée du préfixe {mu+} de ses participes, qui était {mä+} en guèze, sans la labialisation de l’arabe standard et de l’accadien, où la contamination a affecté le schème C, à son tour, comme dans IQ 9/11/2 >yakarrar< « il répète », 9/30/2 >sanakarrar< « je répéterai », 10/1/4 >yadabbar< « il prépare », etc. (Corriente 1979, Corriente 1980 : 39, note 115), bien qu’on relève des cas de vocalisation standard du néo-arabe, plus sûre, puisqu’on la retrouve dans d’autres occurrences du manuscrit d’IQ : 54/4/4 >niʔammal< étant le seul documenté dans des sources comme VA et Alcalá. En revanche, dans IQ 137/8/3, >yaḏḏan< « il appelle à la prière » est un témoigne favorable à une vocalisation */yaʔaḏḏan/. 127 On a assez écrit sur l’origine des racines quadri-consonantiques en arabe et en sémitique, selon l’abrégé de Fleisch 1961 : 501‒505, mais il y a toujours des éléments nouveau à ajouter ; dans le cas de l’arabe andalou, la relative fréquence d’un suffixe {+an}, dont la fonction n’est pas évidente, pas plus que son origine qui ne semble pas être un adjectif {1a23ān} dans tous les cas, comme dans VA >ḫalqan< « râper un vêtement », >natrawḥan< « se reposer », >qawṭan< « rendre boiteux » >nifarkan< « pendre », >farsan< « faire chevalier », dans IA 704 /tasáwdun/ « mélancolie », dans AC 1630 >taʕaryun< « nudité », 1443 >šarṭanah< « être policier », a côté des emprunts souvent irréductibles à moins de quatre consonnes comme dans les verbes /parsán/ « accuser » < latin perditio(nem), /pantán/ « menacer » < latin punitio(nem), /čančáq/ « couper en lambeaux » < bas latin *siccinicare « découper la viande en tranches pour la faire sécher », d’où IQ 22/4/3 où il faut lire /čančáqtu umm allaḏí la yašrúb/ « je découpe en morceaux la mère de ceux qui ne boivent pas », au lieu des lectures qui en ont été faites jusqu’à présent, avec la même métaphore qu’utilise l’égyptien dans le verbe šarmaṭ et son dérivé šarmūṭa « prostituée », ou simplement avec la connotation dans NQ hm 9/0/2 /la raḥím úm man lámani/ « que Dieu n’aie pas pitié de la mère de celui qui me blâme ». Il y a aussi d’autres structures, comme dans VA >nizaġzal< « blesser avec une pique », du berbère s+ugzal « avec une pique », ou des anciennes racines ‘faibles’ et suspectes d’être bi-consonantiques, devenues quadri-consonantiques par le simple procédé de la répétition, comme dans VA >nisaḫsaḫ< « souiller » et >muḥaṣḥaṣah< « enrochement », de {wsḫ} et {ḥṣw}, même le romanisme >nilaǧlaǧ
yatmarandā< ~ >atmarandā< « prendre un petit repas entre le déjeuner et le souper », plus fréquent dans les phases tardives, comme dans Alcalá nicomulgár ~ comulgárt « communier », et dans MI 374 >tibirqurār tirraqabar šinṣiyā< « tu chercheras à te procurer le permis », du castillan procura recabar licencia, ce qui appartient plutôt à des situations de codemixing qu’au vrai dialecte arabe andalou.128
2.3.1.1 Le schème G (= I) Le schème G (= I) admettait en arabe ancien les trois vocalisations, {12a3}, {12u3} et {12i3}, en fonction des contextes phonologiques, comme la présence de consonnes pharyngales ou laryngales dans les positions 2 et 3 de la racine, ce qui favorisait souvent la vocalisation avec /a/ invariable dans les deux thèmes fondamentaux et du perfectif : {ftaḥ} ~ {fataḥ} « ouvrir » et {fʕal} ~ {faʕal} « faire ». Aussi, on trouve des nuances sémantiques, selon qu’il s’agissait de verbes d’action, admettant /u/ et /i/, avec une option d’affinité articulatoire avec les consonnes de l’entourage, dans le thème d’impératif, qui devenaient également /a/ au perfectif : {ktub} ~ {katab} « écrire » et {ḥmil} ~ {ḥamal} « porter », ou avec des verbes de qualité transitoire, avec /a/ au thème d’impératif et /i/ au thème du perfectif : {fraḥ} ~ {fariḥ} « être content », ou dans des verbes de qualité permanente qui sont, en fait, des vieux adjectives conjugués,129 dont la vocalisation invariable était
|| « faire briller », de /LÚČE/ « lumière », ce qu’on retrouve dans des mots autres que des verbes, comme dans VA >šafāšif< « lèvres » et Alcalá muxéfxef « qui a des grosses lèvres », connu dans d’autres dialectes néo-arabes, >balġubbuġub< « furtivement » de {ġb(b)}, dans IQ 68/9/1 >balkaddi kad< « vite ». Ce procédé est possible aussi pour les racines tri-consonantiques en répétant une de leurs consonnes, comme dans VA >nibahbat< « étourdir », de {bht}, ou >farkaka< « se délecter », de {frk} ; phénomène déjà détecté par Brockelmann (1909 I : 518‒519), comme caractéristique du néoarabe occidental, mais, parmi les autres langues sémitiques, surtout par le néo-éthiopien. 128 Situation très fréquente aujourd’hui dans les variétés nord-africaines avec plusieurs emprunts ou même des situations de codeswiching entre les variétés arabes et diverses langues européennes, telles que l’arabe marocain et le français (en italique) : /ġadi yetkoṛoḍa/ « il va se corroder », /ma ndetektiw š/ « nous ne détecterons pas » (Ziamari 2008 : 112) ; et l’arabe marocain avec l’espagnol (en italique) : /ka-yəmšīw ytrabajaru kull yawm n-əs-sentro/ « ils vont travailler chaque jour au centre-ville », /aparcaru ṭ-ṭōnōbir təmma/ « ils ont garé la voiture là-bas » (Vicente 2005 : 181). 129 À l’instar du permansif ou du statif accadien, qui est la source partagée du perfectif en sémitique occidental, où la consolidation de ce perfectif également suffixé dans les verbes d’action a restreint la conjugaison préfixée à l’aspect imperfectif et à ses modes, avec les exceptions du way+yiqṭol hébreu et des tournures particuliers avec /lam(m)ā/ en arabe standard, alors qu’on éliminait la conjugaison préfixée géminée, le présent de l’accadien, sauf dans le sud-arabique et l’éthiopien, vraisemblablement parce qu’il provoquait des confusions avec le schème D = II.
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/u/ dans les deux thèmes : {ḥsun} ~ {ḥasun} « être bon ou beau ».130 Cependant, la plupart de ces attributions ont été abandonnées par l’arabe andalou, conséquence des changements dans la catégorisation de la langue131 et de l’action de la loi de Philippi qui a rendu inutiles l’alternance des voyelles /a/ et /i/132 et donc diminué la raison d’être de celle de /a/ et de /u/, rendant leur distribution dans les thèmes de l’impératif et du perfectif un simple trait lexical.
2.3.1.2 Le schème D (= II) Le schème D (= II) de l’arabe ancien est très bien préservé en néo-arabe, et même amplifié grâce la plupart des causatifs C (= IV) et beaucoup de néologismes, de racines arabes ou étrangères,133 ce qui est aussi le cas de l’arabe ancien, également augmenté par l’addition optionnelle de vieux conatifs (L = III), comme dans IQ 74/6/4 >muwaffaq< « d’accord », dans VA >ḫādaʕ< = > ḫaddaʕ< « il a trompé », >ʕānaq< = >ʕannaq< « il a embrassé » et >qāsà< = >qassà< « il a souffert ». Nous attribuons cette caractéristique à la faiblesse de la gémination en arabe andalou, accompagnée du déplacement de l’accent dans les formes suffixées, qui facilitait la perception, dès lors qu’on perdait l’accent sur l’infixe /á/, de /q[ā]sáyt/ « j’ai souffert » comme /qassáyt/, /ʕ[ā]náqt/ « j’ai embrassé » comme /ʕannáqt/, etc.134 Ce || 130 Voir Moscati et al. 1964 : 122 : « the pattern a-a-a stands for an action, a-i-a for a transient condition, and a-u-a for a lasting condition or state ». Mais ces distributions étaient souvent enfreintes à cause des évolutions phonétiques et sémantiques des vieux dialectes, sauf l’attribution phonologique du type {12a3} ~ {fa2a3} aux verbes ayant des consonnes pharyngales ou laryngales dans les positions 2 et 3 de la racine, et celle du type {12u3} ~ {1a2u3} aux verbes de qualité, ces derniers assez peu utilisés dans les phases plus modernes de la langue, mais assez bien représentés encore en arabe andalou, comme dans VA >ṯaqul< ~ >yaṯqul< « être lourd », >qarusa< ~ >yaqrus< « être acide », >qaruna< ~ >yaqrun< « être cornu », dans Alcalá nacrób ~ caróbt « être prochain », naqbór ~ quabórt « être grand », nadaâúf ~ daâúft « être faible », etc., en dépit de symptômes de déchéance, comme dans VA >ṣaʕab< ~ >naṣʕub< « être difficile », >ġamaḍ< ~ >yaġmaḍ< « être obscur ». 131 Apparemment, on a remplacé le concept de focalisation, qui différenciait l’action de « tuer » (/yaqtul/ ~ /qatal/, avec un objet nécessaire et très visible), de celle de « boire » (/yašrab/ ~ /šarib/, comprise comme un procès vital du sujet, presque intransitif, où l’objet est accessoire et présupposé), par la plus simple opposition de transitif et intransitif, de laquelle seuls les verbes de qualité permanente ont été exclus. 132 Voir Corriente 1981‒82 : 35, au sujet de la généralisation qu’elle a provoqué de la séquence /a ~ a/ dans les deux cas, qu’on retrouve dans le nord-africain sous l’apparence d’/ǝ ~ ǝ/, aussi à cause des ingrédients sud-arabique. Par exemple, en arabe marocain, la deuxième forme suit le schème /bǝddǝl ~ ybəddəl/ « changer », comme en en arabe de Tripoli /nǝggǝz ~ ynǝggǝz/ « sauter ». 133 Comme dans VA >nišabbab< ~ >šabbabt< « jouer le flûte », dans Alcalá niçayár ~ çayárt « conserver les olives », de l’arabe standard {šbb} et {ṣyr}, dans VA >nibarsan < = Alcalá niparçán ~ parçant « accuser » (du latin perditio, -nis). 134 Une autre explication pourrait se trouver dans l’existence de dialectes à accentuation trochaïque de ce schème, comme quelques emprunts et noms de lieu semblent l’indiquer, selon 1.3.1.1.
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schème a aussi recueilli de nombreux verbes appartenant en arabe standard au type G, comme dans IQ 79/4/4 >yuġaddar< « il est trahi », 1/6/2 >yuḥabbas< « il est emprisonné », dans Alcalá nihammí ~ hamméit « protéger », nixehéd ~ xehétt « témoigner », dans RC 13 >uʕarrifak< « je te connais », ainsi que dans VA >niwannan< et dans DC 7 muenninín « pleurer pour quelqu’un ». Ce phénomène a été étudié en comparaison avec d’autres cas similaires dans les dialectes néo-arabes et même dans l’arabe standard où des verbes D = II n’ont aucune signification intensive, ce qui permet d’en conclure que les lexicographes natifs ont confondu la gémination de l’imperfectif dans les dialectes proches du sud-arabique, comme le himyarite, avec le type D = IIG et ils les ont inclus dans leurs dictionnaires comme des intensifs, même s’il n’y avait aucune véritable nuance intensive, mubālaġah ou takṯīr.135
2.3.1.3 Le schème L (= III) Le schème L (= III) est assez bien préservé en arabe andalou. Il est marqué fondamentalement par l’accentuation de sa première voyelle, ce qu’Alcalá signale graphiquement même dans le perfectif avec suffixes : niçádaf ~ çádaft « coïncider », niáâguan ~ áâguant « aider », nihárab ~ hárabt « combattre », nitágual ~ tágualt « se retarder », etc. Mais il a aussi nicátel ~ catélt « combattre », nihágued ~ haguédt « accompagner », niçáfar ~ çafárt « voyager », 40.3 tiḳaláf « tu désobéis », 44.5 aâguántuhum « tu les as aidé », etc. On se pose la question de la véritable accentuation de ces verbes à toutes les personnes. Une explication pour ces anomalies serait que ses informateurs les plus cultivés (les fakihs consultés surtout pendant la rédaction du vocabulaire, plus que pendant celle des dialogues de leur livre) marquaient beaucoup et d’une façon ultra-correcte la quantité de cet alif, à la manière des lettrés arabes enseignant la langue classique, ce qui fut souvent perçu par Alcalá comme une voyelle tonique. Ceci est très compatible avec une prononciation vulgaire, qu’il entendait auprès de ses catéchistes moins cultivés lorsqu’ils traduisaient les phrases des dialogues, et plus normale dans tout le néo-arabe : /ṣadáft/, /ʕawánt/, /ḥarábt/, /ṭawált/, /qatált/, /hawádt/ et /safárt/, en accord avec l’hypothèse précédente sur l’origine des confusions avec le schème D = II.
|| 135 Selon l’expression favorite de Sībawayhi ; voir Fleisch II : 288. Voir Corriente 2004b, au sujet de ces formes crypto-D, aussi présentes dans IH, selon les donnés de Pérez Lázaro 1990 I : 146, dont l’identification chez les grammairiens et les lexicographes natifs n’était pas probablement une erreur, mais une de ses attitudes typiques lorsqu’ils s’apercevaient que quelques formes utilisées néanmoins par les bédouins n’appartenaient pas à leur concept de langue arabe (ʕarabiyyah), et les acceptaient parfois, mais sous une autre apparence, voir Corriente 1976a. Des cas comme dans VA >niʔasar< ~ >asart< « emmener comme captif », pour lequel l’arabe standard n’a pas que /yaʔsir/ ~ /asar/, suggérant le schème D = II, sauf pour l’omission accidentelle de la gémination, où l’arabe standard n’a que G = I, semblent confirmer cette hypothèse.
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2.3.1.4 Le schème C (= IV) Le schème C (= IV) de l’arabe ancien était déjà menacé d’extinction à sa source, à cause de la chute de sa faible marque /ʔ/ à l’imperfectif et même souvent au perfectif dans les dialectes où tous les alifs pouvaient être traités comme l’alif alwaṣl, c’està-dire susceptibles d’élision.136 Les premiers traités des grammairiens arabes d’Orient traitent déjà des confusions fréquentes entre les schèmes G (= I) et C (= IV),137 mais n’expliquent pas, et les arabisants jusqu’à une date récente non plus, pourquoi le schème C a été remplacé presque totalement par D dans le néo-arabe. L’explication la plus probable est parue là où personne ne l’a cherchée, ce qui est une garantie ajoutée de réussite. Lorsque nous nous sommes occupés des imperfectifs géminés détectables en arabe ancien, en dépit de l’inattention des grammairiens natifs et arabisants, et avons suspecté que la grammaire de l’arabe classique ne les avait pas considérés dans ses paradigmes, à cause de sa redondance avec le mode indicatif marqué par la suffixation et la confusion qu’ils généraient avec les schèmes géminés D = II et tD = V, comme on observe en guèze, où la distinction entre yǝgäbbǝr (G = I) « il fait » et yagäbbǝr (C = IV) « il force » est minime, nous nous sommes alors rappelés des réflexions de Rundgren 1959 au sujet des marques de l’intensif et de l’aspect imperfectif, et la possibilité de leur réassignation fonctionnelle. Nous en avons donc conclu que, à la phase d’élimination par plusieurs langues sémitiques des imperfectifs géminés, l’arabe a préféré, d’une manière naturelle, préserver cette gémination défonctionalisée dans le cas du schème C = IV afin de retenir la distinction si importante de la causativité : une extension facile au perfectif de cette marque réassignée à une nouvelle fonction aurait fait le reste et les causatifs ainsi acquis par le schème D = II sont devenus une des fonctions les plus caractéristiques en néo-arabe.138
|| 136 Cela ne se passait pas dans certains dialectes qui, comme l’hébreu et quelques autres langues chananéenes, le vieux araméen, et le sabéen, ont préservé un /h/, dont l’arabe ancien n’a que des traces défonctionalisées, comme harāqa = arāqa « il versa » (Moscati et al. 1964 : 126 et Brockelmann 1908 I : 520‒522). 137 Voir Fleisch 1979 : 303, note 2, à propos des auteurs arabes rapportant l’identité occasionnelle de I et IV, avec des explications artificielles de nuances plutôt imaginaires, au lieu d’accepter le phénomène phonétique dans quelques dialectes. Le remplacement de G = I par C = IV dans le perfectif est fréquent en arabe andalou, comme dans VA >armayt< = Alcalá arméit « je jetai », dans IQ >armāt< = PEIA 20 /armát/ « elle jeta », dans VA >aḫbayt< = Alcalá aḳbéit « je cachai » ; pour le participe, dans VA >nubriz abrazt … mubraz = mabrūz< « montrer ». 138 Le même procès est présent dans d’autres langues sémitiques sans imperfectifs géminés, comme dans les exemples en hébreu limmed « enseigner », ibbed « fair périr », qiddeš « sanctifier » (car, le /h/ étant faible et tombant aussi dans l’imperfectif de hifʕil, a provoqué la même situation que la marque homologue /ʔ/ de l’arabe en C = IV), en syriaque ṭayyeb « faire bon », naṣṣaḥ « faire vaincre ». Cette explication de phonologie générative nous semble plus convaincante que celle,
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L’arabe andalou offre des traces, dans des registres plus ou moins hauts ou bas, de toutes les phases de cette évolution : a) en accord total avec l’arabe classique, assez rare, probablement de simples classicismes, comme dans VA >aḏkayt< ~ >nuḏkī< « allumer », >aslamt< ~ >nuslim< « se faire musulman » >aqrā< ~ >yuqrī alsalām< « envoyer des saluts ». b) de préservation du perfectif de l’arabe standard, avec un imperfectif indifférencié de celui de G, comme dans VA >atlaft< ~ >natlaf< « perdre », >awfayt< ~ >nawfī< « ajouter » ; dans Alcalá axâált ~ naxîíl « brûler», anaâmt ~ nanâím « bénéficier ». c) du perfectif aux deux schèmes, même quand l’arabe standard appartenait à G, comme dans VA >awqadt< = >waqadt< ~ >nawqad< « allumer », >sarayt< = >asrayt< ~ >nasrī< « marcher » ; ou à C, comme dans VA >ḥababt = aḥbabt< ~ >niḥibb< « aimer », ce qui fait des perfectifs de C de simples allomorphes de G. d) de substitution de C par D, avec ou sans préservation de C, comme dans VA >naḫriǧ< ~ >aḫraǧt< = >niḫarraǧ< ~ >ḫarraǧt< = Alcalá naḳarích ~ aḳaraxt « faire sortir » ; dans VA >nadḫil< ~ >adḫalt< = >nidaḫḫal< ~ >daḫḫalt< = Alcalá nadḳíl ~ adḳí/ált = nidaḳál ~ daḳált « faire entrer », naḳbí aḳbéit = niḳabbí ḳabéit « cacher », niheddí haddéit « faire un cadeau » et cela a côté de toutes sortes de contaminations et d’assimilations morphologiques imaginables, comme dans VA >(a)šart< ~ >nušīr< « conseiller », dans Alcalá naucíl ~ aucílt « joindre », nazbáh ~ azbáht « apparaitre (à l’aube), axmaât ~ naxmíè « réunir », naftár ~ fatárt = aftárt « déjeuner », nanxór ~ anxárt « serrer », ce qui devient encore plus évident dans les participes, qui ont mérité les commentaires critiques dans LA 297 >muknà< et 169 >muḫsir< « perdant » et >murbiḥ< « gagnant », au lieu de /maknī/, /ḫāsir/ et /rābiḥ/,139 voir les cas dans VA >natḥif< ~ >atḥaft< « offrir », avec les participes agentif >mutḥifmatḥūfnaǧḥir< ~ >aǧḥart< « forcer à se retirer dans son antre », avec le participe agentif >muǧḥirmaǧḥūrmutʕab< = >matʕūb< « fatigué », et dans MT 436 : 11 >mūḥiyan aw mayyitan< « vif ou mort » (chez Ferrando 1995 : 129), avec métanalyse d’une racine *{wḥy}.
|| mentaliste au goût de son époque, de Brockelmann 1908 I : 508‒9 : « Diese Bemühung um das Zustandekommen einer Handlung führt … oft zur kausativen Bedeutung ». 139 Mais, dans les cas de LA 297 >muknà< « surnommé », de IQ 125/4/5 >muksī< « revêtu », l’emprunt castillan monfí « bandit » < arabe andalou /munfí/ « exilé » et ceux mentionnés en SK 104, note 161, il semble s’agir du participe non-agentif de G, qui est toujours vocalisé de cette manière en arabe andalou dans les racines {12w/y}, bien que cette situation ait probablement dérivé de l’allomorphisme établi entre les schèmes G et C de nombreux verbes, déjà connus des premiers grammairiens normatifs orientaux.
146 | Morphologie
2.3.1.5 Le schème Gt (= VIII) Le schème Gt (= VIII) de l’arabe ancien n’est plus productif en arabe standard, ni en néo-arabe, probablement à cause de la complexité sémantique et de la particularité taxématique de ce préfixe devenu infixe, habituellement attribué à la généralisation d’une métathèse qui aurait commencé avec les verbes dont la première consonne était sifflante.140 En fait, la fonction originelle de ce préfixe n’était pas la réflexivité ou une autre forme de voix moyenne, mais l’introduction d’un changement de direction dans l’intention de l’action qui soulignait la participation spéciale du sujet dans le résultat de celle-là, comme dans l’arabe standard /ittaḫaḏa/ « prendre pour soi », /iftaqara/ « avoir besoin », /istamaʕa/ « écouter », etc., bien que cette participation ait aisément pu impliquer la réflexivité, voire la passivité, comme dans /imtalaʔa/ « se remplir » et /iḫtafà/ « disparaitre ; être occulté ». On comprend assez bien que, lorsque l’axe sémantique des verbes d’action en arabe standard s’est centré sur la transitivité ou l’intransitivité de celle-ci, un morphème indéfini soit devenu dépaysé et inutile, surtout lorsque le même /t/, employé comme préfixe de tD = V et de tL = VI, marquait déjà clairement la réflexivité et la réciprocité, comme dans /takassara/ « être brisé en petits morceaux », /takātaba/ « s’écrire les uns les autres ». Néanmoins, l’arabe andalou, comme tous les dialectes du néo-arabe, a préservé de nombreux verbes de ce schème, comme dans VA >yaḫtalaf< ~ >aḫtalaf « être différent ; fréquenter », >yaḍṭarab ~ aḍṭarab< « s’agiter », >antabaḏ< ~ >yantabaḏ< « être rejeté », dans Alcalá nahtarám ~ ahtarámt « respecter », neltehém ~ eltehémt « se rappeler », conservant parfois la vocalisation différentielle des aspects de l’arabe classique, comme dans Alcalá naftaquír ~ aftaquárt « devenir pauvre », naḳtabír ~ aḳtabárt « essayer », dans ZJ 1234 >yaštaʕīf< « il se corrige », mais dans IQ 104/4/ >yaštaʕaf< en position de rime, dont l’explication pourrait être l’emprunt aux registres hauts, ou la présence de dialectes plus conservateurs sur ce point. D’un autre côté, on ne manque pas de cas où la faible perception de ce /t/ comme morphème a conduit à sa démorphématisation et à sa métanalyse comme une consonne radicale, comme dans Alcalá naqtúç ~ aqtázt « demander compensation pour une injure », ḳitra « choix » et maḳtúr « choisi », sur naḳtár ~ aḳtárt « choisir », dans MT 742.5 >tifq< = VA >tifqah< « accord », dans VA >maḥtakk< = Alcalá mahtéq « lieu où les animaux se grattent »,141 dans VA >yaštamm< = >yaštām< ~ >aštamm< = >aštām< ~ >ištām< « flairer », >natham< ~ >athamt< ~ >mathūm> « suspecter », dans Alcalá mamtúd || 140 Voir Brockelmann 1908 I : 529, avec d’abondantes mentions de cas sans métathèse dans les dialectes, surtout en néo-arabe, mais pas en arabe andalou et en maltais. 141 Dozy expliquait ce mot comme une altération de */muḥtakk/, nom de lieu de Gt = VIII, mais la métanalyse d’une racine {ḥtk} est plus vraisemblable dans la grammaire du néo-arabe, malgré les quelques noms de lieu des schèmes dérivés (en arabe mazīd) du verbe, morphologiquement identiques, selon la grammaire arabe classique, aux participes comme dans VA >mustarāḥ< « latrines ».
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« couché », respectivement des racines de l’arabe standard {qṣṣ}, {ḫyr}, {wfq}, {ḥkk}, {whm} et {mdd}.142
2.3.1.6 Le schème tD (= V) Le schème tD (= V), étroitement connecté avec D, dont il est le réflexif homologue, est si fréquent et productif en arabe andalou qu’en arabe standard et en néo-arabe, toujours, comme dans ce dernier, avec la structure syllabique /t1a22a3/, déjà commune dans la langue du Qurʔān, comme conséquence de la forte accentuation de quelques dialectes arabes anciens,143 comme dans VA >nibaqqaṭ< ~ >baqqaṭ< = Alcalá nipaccát ~ paqquátt « adhérer » et dans VA >natbaqqaṭ< ~ >atbaqqaṭ< = Alcalá yatpacat « se coller ; s’infecter », du latin picatus « poissé », dans VA >niṭanbaq< = Alcalá nidenbbéq « faire des bosses, des ampoules » et dans VA >yaṭṭanbaq< ~ >aṭṭanbaq< = Alcalá nedenbéq ~ addembéqt « se couvrir de bosses ou d’ampoules », néologisme innové de la racine arabe {ṭbq}. L’assimilation de ce /t/ à n’importe quel consonne interdentale, alvéolaire ou pré-palatale, sauf /r/ et /y/, est régulier, comme dans VA >yaṯṯallaṯ< ~ >aṯṯallaṯ< « être triplé », >yaddarrak< ~ >addarrak< « se défendre avec un bouclier », >yaḏḏakkar< ~ >aḏḏakkar< « se rappeler », >yazzandaq< ~ >azzandaq< « devenir hérétique », >yassaḫḫan< ~ >assaḫḫan< « se chauffer », >yaššaṭṭar< ~ >aššaṭar< « être coupé en moitiés », >naṣṣabbar< ~ >aṣṣabbart< « patienter », >naḍḍamman< ~ >aḍḍamman< « exiger des garanties » et >yaṭṭammar< ~ >aṭṭammar< « être ensilé ». Il y a des traces de confusion entre tD = V et D = II, à cause du statut problématique de la gémination en arabe andalou, comme dans VA >naṭṭayyar< « je tire des augures », mais dans Alcalá nitayár ~ tayárt, dans VA >addawwar< ~ >addawwart< « faire la ronde », mais dans Alcalá nidaguár ~ daguárt. On trouve également des formes hybrides, comme dans Alcalá nijeguél egeguélt « rôder », alors que dans VA on trouve >naǧǧawwal< ~ >aǧǧawwaltnattāḫaḏ< ~ >attāḫaḏt< « être pris », >yattākal< ~ >attākal< « être mangé », >yattāḫar< ~ >attāḫar< « être en retard »,>nattaḥāl< ~ >attaḥalt< « substituer », rappelant les réflexives-passives à double morphème /tt+/ du marocain, comme ttqāl « il a été dit », dont on a déjà parlé plus haut, comme étant propre aux variétés parlées dans le centre et le sud du pays. En arabe libyen, des formes rappellent celles de l’arabe marocain ; il s’agit des troisièmes personnes de la conjugaison préfixale du verbe de racine {ʔkl} : yǝttākǝl « il est comestible », /tǝttākǝl/ « elle est comestible » et, à la troisième personne du pluriel /yǝttāklu/ « ils / elles sont comestibles » (Pereira 2010 : 138). 143 Voir Wright 1962‒4 : 38‒40, mais toujours avec la vocalisation {at+}, caractéristique de l’alif prosthétique en arabe andalou, comme cela est décrit en 1.2.32.1.
148 | Morphologie
2.3.1.7 Le schème tL (= VI) Le schème tL (= VI), étroitement connecté avec L = III, dont il est le réciproque homologue,144 est assez fréquent en arabe andalou, bien que pas très productif. Il imite la structure syllabique de tD (= V), bien que son accentuation suive les règles de L (= III) et pose des problèmes similaires. Il faut se demander si, dans Alcalá natḳáçam atḳáçamt « se bagarrer » ou natbárazt atbárazt « batailler », l’accent du perfectif suffixé était vraiment là où il le place. On trouve quelques cas de remplacements de VI par V, comme ceux de III par II, comme dans VA >yatmawwat< >atmawwat< = >yatmāwat< >atmāwat< « faire le mort », >yatlaššā< ~ >atlaššā< = >yatlāšā< ~ >atlāšā< « être annihilé » et >yatwaḍḍaʕ< ~ >atwaḍḍaʕ< = natwāḍaʕ< ~ >atwāḍaʕt< « être humble », voire >yatrayyas< ~ >yatrāʔas< « devenir chef », >nirayyī< ~ >nirāʔī< « être hypocrite », avec alternance du réflexe de la deuxième consonne radicale,145 pourraient suggérer une confusion similaire, à cause de la faiblesse de la gémination et du déplacement de l’accent, qui constituait la véritable différence phonologique entre deux schèmes fondamentalement coïncidents dans la sémantique, puisque tous les deux sont dans la catégorie réflexive-réciproque.
2.3.1.8 Le schème stG (= X) Le schème stG (= X) est, du point de vue de l’évolution linguistique, dans une situation comparable à celle de Gt (= VIII), car sa marque a laissé d’être sémantiquement claire, ce qui a stoppé sa productivité, en dépit de quelques néologismes fabriqués par les gens cultivés.146 La combinaison primitive des marques réflexive et causative, rendant la nuance de l’action sur un objet au profit du sujet, a perdu sa transparence avec l’abandon des causatifs avec /š/ > /s/ en arabe, la très précoce métathèse du /t/ ayant le même effet sur celui-ci, ce qui ne laissa à la séquence /st+/ d’autre possibilité de propagation que l’imitation phonétique de mots sémantiquement connexes, ce qui a probablement favorisé la nuance ‘pétitive’, appelée ṭalab par les grammairiens natifs, comme en arabe standard /istaġfara/ « demander pardon », /istasqà/ « demander de || 144 Quant à son ‘sens particulier de simulation’, selon Fleisch 1979 : 307, il ne s’agit pas d’une nuance dénominative, comme il le veut, mais du sens plus primitif du morphème /t/, comme dans Gt = VIII, qui exprime ici que l’action conative d’un schème L = III sur le sujet, c’est-à-dire la situation simulée, revenant dans l’intérêt de celui-ci, comme dans VA >yatmāraḍ< ~ >atmāraḍ< « faire le malade », >natġāfal< ~ >atġāfalt< « simuler l’inattention ». Dans les registres hauts, on trouve parfois {ta1ā2a3}, comme dans IZ 6/1/4 /tabárak/ « qu’il soit béni ! ». 145 Car dans le premier cas la dérivation n’a pas été faite directement à partir des racines {rʔy} et {rʔs}, mais de leurs dérivés de l’arabe standard /raʔy/ < /arabe andalou /ráy/ et arabe standard /raʔīs/ > arabe andalou /ráyyis/. 146 Surtout dans la langue scientifique moderne, souvent sous la forme du maṣdar, à vrai dire, sans une nuance sémantique claire, comme istiqṭāb « polarisation », istiḥlāb « émulsion », istibṭan « introspection », etc.
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l’eau ou de la pluie » ; et la nuance ‘estimative’, appelée iṣābah dans la terminologie grammaticale native, comme dans VA >astaṣġar< ~ >astaṣġart< « considérer petit », >nastaḥmaq< « prendre pour fou », et aucune autre,147 mais cela n’a rien de la clarté d’un intensif ou d’un causatif, ce qui veut dire à nouveau qu’un certain nombre de verbes de ce schème ont survécu dans le néo-arabe, parmi eux l’arabe andalou, sans nouvelles additions, comme dans VA >nastaqṣī< = >niṣaqṣī< ~ >ṣaqṣayt< = Alcalá niçáqcí ~ çaqcéit « demander »,148 dans VA >nastaʕḏar< ~ > astaʕḏart< = Alcalá naztaâdár ~ aztaâdárt « s’excuser », dans Alcalá naztacráh ~ aztacráht « haïr », etc.
2.3.1.9 Le schème nG = VII Le schème nG = VII a fait dans tous les dialectes du néo-arabe des grands progrès, puisqu’il a remplacé dans une grande mesure le passif interne de l’arabe ancien, même dans les cas où il n’avait pas disparu complètement, comme celui de l’arabe andalou. Cela n’est qu’un autre créolisme du néo-arabe, l’addition d’un simple préfixe étant toujours plus aisé que le changement de la vocalisation des deux thèmes du verbe, avec des règles différentes pour le perfectif et l’imperfectif. On trouve de nombreux exemples dans toutes les sources de l’arabe andalou, comme dans VA >anḫafā< « disparaitre », >ankasab< « être acquis », >ansaqā< « être arrosé », dans IQ 25/0/1 >anbadal< « changer », 26/2/1 >anzaraʕ< « être semé », 44/0/1 >anʕamal< « être fait », 127/4/5 >nanṣanaʕ< « je deviens », dans Alcalá nenfecéd ~ anfecédt « être dérangé », nantabáâ ~ antabáât « être d’accord », dans AC 211 >tanzaz< « tu seras souffleté », 1130 >nankarimū< « nous serons honorés », dans DC 6b endefén « être enseveli », etc. || 147 Des quatre principaux mentionnées par Wright 1962‒4 I : 44‒46, ainsi que par Blachère & Gaudefroy-Demombynes 1952 : 69‒70, Fischer 1972 : 89 étant encore plus laconique, avec une explication encore plus insuffisante comme « Reflexiv zur deklarativen Bedeutung des Kausativs ». Comme d’habitude, c’est Fleisch 1979 : 319‒321 qui se soucie le plus du détail de ses nuances chez les grammairiens natifs et les sémitisants, avec une énumération de cinq fonctions, auxquelles il accole le jugement franc d’Ibn Yaʕīš, qui signale les fonctions ‘pétitive’ et ‘estimative’ comme fondamentales et conclue que « le reste est affaire de mémoire et ne peut être objet de qiyās (analogie) ». 148 Voir Corriente 1977 : 68. Évidemment assimilé à un schème quadri-consonantique parallèle à D, et similaire à la série néo-arabe, mentionnée par Zavadovski (1963 : 5) : šškā, ssǝkbǝr, ssāhǝl, ṣṣād, etc., avec assimilation du /t/ de stG (= X) avec les sifflantes et les chuintantes. Cette assimilation phonétique est fréquente en algérien et en marocain, où la forme stG = X est formée normalement avec le préfixe {ssǝ+} : /ssǝxbər ~ yǝssǝxbǝr/ « se renseigner ». Cependant, le préfixe {st+} est aussi connu, comme dans /stānəs/ « il s’est habitué », /stədʕīna/ « nous avons invité » (Vicente 2000 : 97‒98). Aujourd’hui, grâce à l’influence de l’éducation et des moyens de communications, les emprunts à l’arabe standard avec ce suffixe {st+} sont courants. Alors qu’en arabe libyen, on ne trouve pas de formes présentant l’assimilation de /t/ par /s/ ; tous les verbes ont le préfixe sous sa forme {st+}, comme dans /stǝġṛǝb/ « il a été surpris », /stāḥǝš/ « il s’est langui de » et /stḥe/ « il a été timide, poli » et /stǝḥla/ « il a profité » (Pereira 2010 : 128‒133).
150 | Morphologie
Dans deux cas, nandárab ~ andarabt « lutter » et son quasi-synonyme en 20.6 nançáraâ « combattre », Alcalá présente une accentuation trochaïque anomale, qui semblerait être une influence (seulement dans la graphie ?) du schème L (= III), bien documenté dans VA et dans GL, et commun en arabe standard, mais il est étrange que toutes les formes d’Alcalá pour ces mots quasi-synonymes aient cette accentuation et le préfixe /n/ : munçáreâ ou mundárib « lutteur » et muntárix « escrimeur » ; il pourrait s’agir de l’ouïe étrangère de l’abbé, ou de sa mauvaise habitude d’inventer des mots afin de compléter les paradigmes. Cependant, cet auteur a aussi munçáreâ « lutte », /mundáriba/ « combat », /muntárixa/ « escrime » et mutatáguila « dilation », avec la forme du participe agentif féminin, mais avec les significations des maṣdars, ce qui n’est pas explicable dans la morphologie149. Il y a aussi d’autres cas de schèmes hybrides, comme dans VA >nanǧarraanǧarrayt< « oser » (II+VII), qui semblent plus fiables.150
|| 149 Si l’on escompte une imitation tardive de la morphologie romane, comme en castillan llamada « appel », salida « sortie », etc., où une même forme exprime le nom d’action et le participe passif féminin, parfois aussi avec des masculins tels que barrido « balayage », gemido « gémissement », etc. 150 Voir Brockelmann (1908 I : 540‒544) à propos des schèmes hybrides, qu’il appelle Kreuzungen ‘croisements’. Il acceptait comme bonne monnaie les trois exemples d’Alcalá, et un quatrième munchéncheq « déguenillé », probablement une faute pour *muchéncheq, puisqu’il n’y a pas d’autres indices en arabe andalou de tels hybrides et on ne suspecte pas de motivation morphologique ou sémantique pour de telles combinaisons, qui ne sont pas non plus soutenues par l’évidence comparative, comme dans VA >niǧanǧaq< « déchirer » et >naǧǧanǧaq< être déchiré », formes à partir desquelles on obtiendrait les participes /mučánčaq/ ou /muččánčaq/ (Corriente 1997 : 104). Dans ce dernier cas , cependant, il pourrait s’agir d’une dissimilation du type décrit dans 1.4.2.3, mais cela ne semble pas être possible dans les trois premiers où, la solution au problème sémantique de {ṭrš} ayant été trouvée (Corriente 1988 : 126), on peut suspecter que */muḍḍárib/ et */muṣṣáriʕ/ « lutteur », participes agentifs du schème VI, aient subi une dissimilation du même type, d’où les formes /munḍárib/ et /munṣáriʕ/, apparemment hybrides de VII+III et soutenus par son équation de nadarráb en 20.14 avec nandárab « combattre », avec lesquels Alcalá, suivant ses habitudes et les analogies qu’il imaginait, aurait fabriqué les maṣdars fantastiques *munḍáriba et *munṣáriʕa, contre toutes les règles de la dérivation arabe et de l’arabe andalou. Cette hypothèse permet aussi de considérer que, dans VA, >nanǧarrā anǧarrayt< n’est pas une hybridation II+VII, mais le simple résultat d’une dissimilation semblable de >naǧǧarrā< ~ >aǧǧarrayt< = Alcalá najarrá ~ ajjarráyt, excluant ainsi toute combinaison de schèmes en arabe andalou. On ne trouve pas de formes hybrides II+VII en arabe libyen, mais des exemples de verbes présentant une hybridation VIII+II (/btǝssǝm/ « il a souri » et /ttǝṣṣǝl/ « il a téléphoné » respectivement de racine {bsm} et {wṣl}) et X+II (/strǝyyǝḥ/ « il s’est reposé » et /stǝnna/ « il a attendu » respectivement de racine {ryḥ} et {ʔny}) ont été relevés en arabe de Tripoli (Pereira 2010 : 144‒147). En marocain, les formes hybrides sont rares. La réalisation habituelle du verbe « attendre » est une forme V : /tsənna/ « il a attendu », avec plusieurs types d’assimilation possibles comme /ttənna/ et /ssənna/ (Prémare DAF 1 : 104). Cependant, on trouve aussi la forme hybride /stənna/ (stG = X + D = II) dans les variétés du nord du pays (Vicente 2000 : 251).
Le verbe | 151
2.3.1.10 Le schème mixte IX-XI La survivance d’un schème mixte IX-XI pour les verbes qualitatifs de l’arabe standard : iḥmarra = iḥmārra « être (très) rouge », considérée comme une caractéristique du néo-arabe occidental,151 est généralement acceptée pour l’arabe andalou, avec les exemples suivants, fréquents dans les sources comme dans VA >yaṣfarr< ~ >aṣfarr< = Alcalá naz/çfár ~ azfárt « devenir jaune », dans VA >nabyaḍ< ~ >abyaḍt< = Alcalá nabiád ~ abiádt « devenir blanc », dans AC 692 >aḫḍarat< « elle devint verte ». Ni la longueur de la voyelle qui n’est en arabe andalou que la marque de l’accent (comme dans IQ 67/1/1 >naṣfārnamlaḥ< « je m’accoutre », 88/15/3 >yabyaḍ< « il devient blanc » et 4 >taḥmar< « tu deviens rouge », dans ZJ 707 >aṣfārū< « ils sont devenus jaunes », dans RC 17 >muṯqālah< « lourde », >musqām< « malade », >aḏ.lāmat< « elle était obscure »), ni la gémination caractéristique, qui ne semble s’être reflétée que dans les maṣdars étant surtout des emprunts à l’arabe classique (comme dans VA >ibyiḍāḍ< « être blanc », >iṣfirār< « être jaune », dans IQ 134/8/1‒2 >iḥwirār … iḥmirār< « couleur des yeux des houris … couleur rouge »), ne prouvent une identité morphologique nette avec de telles formes dans d’autres variétés du néo-arabe.152
|| 151 Voir Brockelmann 1908 I : 517, où il faut biffer l’exemple d’Alcalá mudlím, dont l’accent et une imālah imaginaire ont dérouté le grand savant : il n’est clairement que le descendant de l’arabe standard muḏ . lim, du schème C = IV. En dépit de la doctrine des grammairiens natifs, cherchant toujours à différentier sémantiquement les fonctions de formes même légèrement inégales, reflété dans IH 336 avec /iḥma/ārr/ et /iṣfa/ārr/ « être rouge ou jaune » respectivement, d’une façon accidentelle ou naturelle, seuls ces deux schèmes reflètent les efforts dans les vieux dialectes pour souligner un marquage, la gémination de la consonne, l’allongement vocalique, ou les deux ensemble, que la position finale tendait à estomper, puisque la phonétique combinatoire arabe ne réalise aucune des deux situations à la pause, c’est-à-dire /iṣfarr#/ et /iṣfārr#/ deviennent forcément [iṣfár], et la fréquence des formes sans suffixes dans la conjugaison tend à provoquer par analogie la chute des deux traits. Pour le maltais, Suttcliffe (1936 : 98‒100), a si bien signalé l’identité du schème IX du dialecte avec le schème XI de l’arabe standard, outre le traitement différent du /ā/ historique, ne devenant /ie/ que dans les entourages palatalisants, on constate l’accourcissement de cette voyelle dans les syllabes fermées, comme dans smâr « il est devenu brun » ~ smart « je suis devenu brun, de même que sbieħ « il est devenu beau » ~ sbeħt « je suis devenu beau », ce qui veut dire que, tout comme dans le cas de l’arabe andalou, la quantité vocalique ne joue aucun rôle démarcatif, pas plus que la gémination de la troisième consonne, sauf dans les maṣdars de l’arabe andalou, empruntés à l’arabe classique ; la marque la plus caractéristique de ces verbes semble donc être sémantique, bien qu’en maltais on puisse aussi les reconnaître par la séquence initiale des deux consonnes dans le perfectif et impératif, qui ne se retrouve pas ailleurs dans les schèmes verbaux. 152 En arabe marocain, le schème IX est courant et permet de former des verbes qualitatifs avec plusieurs valeurs sémantiques à propos des caractéristiques physiques de la matière ou physiques et psychologiques de l’être humain. Ils se caractérisent par l’insertion de /ā/ entre la deuxième et la troisième consonne et sans gémination de la troisième consonne : /ṣfāṛ ~ yǝṣfāṛ/ « être ou devenir jaune », /kbāṛ ~ yǝkbāṛ/ « être ou devenir grand », /ṣmāṛ ~ yəṣmāṛ/ « être ou devenir bronzé ». Ce schème est peu productif en arabe libyen ; on n’a en effet relevé que trois verbes qui ne sont em-
152 | Morphologie
En dépit des cas particuliers, comme ceux des racines « concaves » {byḍ} et {swd} dans VA >nabyaḍ< ~ >abyaḍt< et >yaswa/ād< ~ >aswad< = Alcalá necuét ~ açuét « devenir noir »,153 ces formes pourraient être interprétées par les locuteurs natifs comme une variante de IV, surtout à la suite du déversement de ce schème dans le II. L’arabe andalou ne connait pas d’autres conjugaisons moins fréquentes dans l’arabe ancien ; des cas comme dans VA >aḥdawdab< ~ >yaḥdawdab< « être bossu » ou >aḍmaḥall< ~ >yaḍmaḥill< ~ >iḍmiḥlāl< ~ >muḍmaḥill< « disparaître » ne sont que des classicismes de lexicographes, absents des textes.154
2.3.2 La conjugaison du verbe La structure inflexionnelle du verbe de l’arabe standard comprend les formes conjugables de l’impératif et de l’aspect imperfectif, le dernier avec des modes qui ont disparu du néo-arabe, obtenus à partir du thème fondamental, et un aspect perfectif,155 tiré du thème correspondant, en plus de deux types de formes nominales, le
|| ployés qu’aux troisièmes personnes du perfectif en arabe de Tripoli : /ṭwāl/ « il est devenu long », /šyān/ « il est devenu laid » et /ḍyāg/ « il est devenu étroit ». On retrouve ces verbes dans des énoncés figés : /mšēna mšēna w ǝt-trīg ṭwālǝt/ « plus nous marchions, plus (nous avions l’impression que) la route s’allongeait » ; /wǝžh-ǝk šyān/ avec le sens de « tu as maigri du visage » et /xāṭṛ-i ḍyāg/ avec le sens de « je n’en peux plus » (Pereira 2010 : 127‒128). L’expression de la notion de couleur ou d’une qualité se fait au moyen du schème stG (=10) : /stǝḍṛǝf/ « il a eu un comportement étrange », /stǝmṛǝḍ/ « il a feint d’être malade », /stǝʕžǝb/ « il s’est émerveillé », /stǝxḍǝṛ/ « il a verdi », /stǝḥmǝṛ/ « il a rougi », /stǝṣfǝṛ/ « il a jauni », /stǝswǝd/ « il a noirci » (Pereira 2010 : 129), mais également, bien que dans une moindre mesure, au moyen de nG = VII : /nʕme/ « il est devenu aveugle » (Pereira 2010 : 123‒124). 153 Dans la morphologie régulière, on s’attendrait aux formes *abāḍ et *asād pour un schème C = IV, mais les anciens dialectes arabes et l’arabe andalou connaissaient déjà plusieurs cas de conjugaisons « fortes » avec les racines concaves, comme on le verra dans le chapitre des verbes anomaux. 154 On pourrait s’interroger sur les formes >yaqšaʕirr< ~ >aqšaʕarr< ~ >iqšʕirār< « frissonner » dans VA, car, dans IH 266, la prononciation populaire >qašʕarīrah< est corrigée en >qušaʕrīrahniqašʕar< du schème G4 = I4 et le réflexive >yatqašʕar< ~ >atqašʕar< du schème tG4 = II4 mentionnées dans VA. Quant à l’arabe standard >iṭmaʔanna< « se tranquilliser, confier », du schème IV4, en dépit de mutmaínen « confiant » mentionné par Alcalá et de >muṭmaʔinn = muṭman< « tranquille » dans VA, il semble avoir été assimilé par C = IV, comme dans VA >naṭman ~ aṭmant iṭmān< = Alcalá natmán ~ atmánt et dans AB 3 >muṭmanyaqafqaf< « il tremblote de froid », >yawaḥwaḥ< « il parle d’une voix rauque » et >yaqarqaf< « il grogne » dans IH 282 et 316, qui confirmeraient les cas similaires du manuscrit d’IQ. 161 Contrairement aux variétés de l’est maghrébin où, dans la conjugaison des verbes de forme G = I, l’accent porte sur la voyelle du préfixe, comme à Tripoli : /nǝ́ktǝb/ « j’écris » ~ /tǝ́ktǝb/ « tu écris (masculin) » ~ /tǝ́ktbi/ « tu écris (féminin) » ~ /yǝ́ktǝb/ « il écrit » ~ /tǝ́ktǝb/ « elle écrit » ~ /nǝ́ktbu/ « nous écrivons » ~ /tǝ́ktbu/ « vous écrivez » ~ /yǝ́ktbu/ « ils / elles écrivent » (Pereira 2010 : 96‒97).
Le verbe | 155
D = II : /nikassár/ « je brise » ~ /tikassár/ « tu brises » ~ /yikassár/ « il brise » ~ /tikassár/ « elle brise » ~ /nikassáru/ « nous brisons » ~ /tikassáru/ « vous brisez » ~ /yikassáru/ « ils / elles brisent » ; G4 /niparsán/ « j’accuse » ~ /tiparsán/ « tu accuses » ~ /yiparsán/ « il accuse » ~ /tiparsán/ « elle accuse », ~ /iparsánu/ « nous accusons » ~ /tiparsánu/ « vous accusez » ~ /yiparsánu/ « ils / elles accusent ». L = III : /niqátal/ « je combats » ~ /tiqátal/ « tu combats » ~ /yiqátal/ « il combat » ~ /niqátalu/ « nous combattons » ~ /tiqátalu/ « vous combattez » ~ /yiqátalu/ « ils / elles combattent ». C = IV : /naḫríǧ/ « je tire » ~ /taḫríǧ/ « tu tires » ~ /yaḫríǧ / « il tire » ~ /taḫríǧ/ « elle tire » ~ /naḫríǧu/ « nous tirons » ~ /taḫríǧu/ « vous tirez » ~ /yaḫríǧu/ « ils / elles tirent ». Gt = VIII : /naḥtarám/ « je respecte » ~ /taḥtarám/ « tu respectes » ~ /yaḥtarám/ « il respecte » ~ /taḥtarám/ « elle respecte » ~ /naḥtarámu/ « nous respectons » ~ /taḥtarámu/ « vous respectez » ~ /yaḥtarámu/ « ils / elles respectent ». tD = V : /natfahhám/ « je comprends » ~ /tatfahhám/ « tu comprends » ~ /yatfahhám/ « il comprend » ~ /natfahhámu/ « nous comprenons » ~ /tatfahhámu/ « vous comprenez » ~ /yatfahhámu/ « ils / elles comprennent » ; tG4 = II4 /natfardáḫ/ « je me précipite » ~ /tatfardáḫ/ « tu te précipites » ~ /yatfardáḫ/ « il se précipite » ~ /tatfardáḫ/ « elle se précipite » ~ /natfardáḫu/ « nous nous précipitons » ~ /tatfardáḫu/ « vous vous précipitez » ~ /yatfardáḫu/ « ils / elles se précipitent ». tL= VI : /natmáraḍ/ « je fais le malade » ~ /tatmáraḍ/ « tu fais le malade » ~ /yatmáraḍ/ « il fait le malade » ~ /tatmáraḍ/ « elle fait le malade » ~ /natmáraḍu/ « nous faisons le malade » ~ /tatmáraḍu/ « vous faites le malade » ~ /yatmáraḍu/ « ils / elles font le malade ». stG = X : /nastaʕḏár/ « je m’excuse » ~ /tastaʕḏár/ « tu t’excuses » ~ /yastaʕḏár/ « il s’excuse » ~ /tastaʕḏár/ « elle s’excuse » ~ /nastaʕḏáru/ « nous nous excusons » ~ /tastaʕḏáru/ « vous vous excusez » ~ /yastaʕḏáru/ « ils / elles s’excusent ». nG = VII : /nanfaṣál/ « je me retire » ~ /tanfaṣál/ « tu te retires » ~ /yanfaṣál/ « il se retire » ~ /nanfṣálu/ « nous nous retirons » ~ /tanfaṣálu/ « vous vous retirez » ~ /yanfaṣálu/ « ils / elles se retirent ». G33 = IX-XI : /naṣfár/ « je deviens jaune » ~ /taṣfár/ « tu deviens jaune » ~ /yaṣfár/ « il devient jaune » ~ /taṣfár/ « elle devient jaune » ~ /naṣfáru/ « nous devenons jaunes » ~ /taṣfáru/ « vous devenez jaunes » ~ /yaṣfáru/ « ils / elles deviennent jaunes ».
2.3.2.3 Le perfectif Le perfectif en arabe andalou s’obtient à partir du thème perfectif, qui dérive du thème fondamental par le simple changement en /a/ des voyelles qui étaient différentes, sauf le /u/ caractéristique des verbes statifs, c’est-à-dire les /i/ dans certains
156 | Morphologie
cas de G = I et C = IV, l’insertion en G = I d’un autre /a/ après la consonne 1 de la racine, et la préfixation d’un autre /a/ dans les schèmes qui commenceraient par deux consonnes. Ce thème perfectif doit encore recevoir les suffixes de personne et de nombre, qui sont, pour le singulier : première personne /+t(u)/, deuxième personne /+t(a)/,162 troisième personne du masculin Ø, troisième personne du féminin /+at/163 ; et pour le pluriel : première personne /+na/, deuxième personne /+tum/164 et troisième personne /+u/ ; ce qui nous donne les modèles suivants pour chacun des schèmes dérivationnels : G = I : /qatált(u)/ « j’ai tué » ~ /qatált(a)/ « tu as tué » ~ /qatál/ « il a tué » ~ /qatálat/ « elle a tué » ~ /qatálna/ « nous avons tué » ~ /qatáltum/ « vous avez tué » ~ /qatálu/ « ils / elles ont tué » ; /kabúrt(u)/ « j’ai grandi » ~ /kabúrt(a)/ « tu as grandi » ~ /kabúr/ « il a grandi » ~ /kabúrat/ « elle a grandi » ~ /kabúrna/ « nous avons grandi » ~ /kabúrtum/ « vous avez grandi » ~ /kabúru/ « ils / elles ont grandi ». D = II : /kassárt(u)/ « j’ai cassé » ~ /kassárt(a)/ « tu as cassé » ~ /kassár/ « il a cassé » ~ /kassárat/ « elle a cassé » ~ /kassárna/ « nous avons cassé » ~ /kassártum/ « vous avez cassé » ~ /kassáru/ « ils / elles ont cassé ».
|| 162 Ces voyelles de la première et de la deuxième personne n’apparaissent que dans les textes poétiques, étant probablement un trait des registres élevés, ou même une licence poétique afin de produire les syllabes brèves demandées par les mètres khaliliens, en dépit de leur adaptation accentuelle (voir Corriente 1980 : 39, note 110‒111 et 1988 : 28). 163 Quelques cas dans PES 29 et note 47, comme 13/0/2 >laʕbat< « elle a joué » et 13/4/2 >raqṣū< « ils ont dansé », 9*/4/2 >sakrū< « ils se sont enivrés », où la chute de la deuxième voyelle pouvaient refléter les dialectes nord-africains des pays qu’il parcourait, bien que leur fréquence, et le fait de leur présence déjà dans les dialectes de l’ancien arabe suggèrent une possible survivance dans quelques sous-dialectes de l’arabe andalou. 164 Ce suffixe était allongé en {+tumú}, lorsqu’on lui attachait un suffixe pronominal, comme dans IQ 89/5/1‒3 >šayyabtumū+nī … qataltumū+nī … taraktumū+nī … waǧadtumū+nī< « vous avez fait blanchir mes cheveux … vous m’avez tué … vous m’avez laissé … vous m’aviez trouvé ». La préservation de {+tum} est un trait conservateur en néo-arabe, dont la rareté est déjà mentionnée par Brockelmann (1908 I : 575) même s’il ne mentionne pas l’arabe andalou, ainsi que par Fischer & Jastrow (1980 : 63) qui signalent néanmoins des cas en égyptien où cette terminaison s’est préservée et a contaminé celle de la troisième personne du pluriel dans les variantes facultatives /katábtu(m)/ ~ /katabu(m)/. Cela n’arrive pas dans tous les dialectes du néo-arabe occidental, maltais inclus, et, dans les parlers nord-africains, on a généralement /+tu/ ou l’innovation /+tīw/, basée sur le singulier, voir 1.1.4, n.31. Cependant, comme cela a déjà été signalé plus haut, l’influence de l’arabe andalou sur certains parlers marocains plus conservateurs, comme c’est le cas de variétés parlées dans la région Jbala (par exemple à Anjra), fait qu’on y trouve encore le suffixe {+tum} pour la deuxième personne du pluriel du perfectif, comme dans /qrītum/ « vous avez étudié », /kəltum/ « vous avez mangé », /lʕəbtum/ « vous avez joué » (Vicente 2000 : 62). Contrairement, à l’arabe de Tripoli qui ne connaît ni /+tum/ ni /+tīw/, comme dans les exemples /lgētu/ « vous avez trouvé » et /tġǝddētu/ « vous avez déjeuné », caractéristique des parlers de type bédouin nord-africain (Pereira 2010 : 102‒103).
Le verbe | 157
L = III : /qátalt(u)/ « j’ai combattu » ~ /qátalt(a)/ « tu as combattu » ~ /qátal/ « il a combattu » ~ /qátalna/ « nous avons combattu » ~ /qátaltum/ « vous avez combattu » ~ /qátalu/ « ils / elles ont combattu ». C = IV : /aḫráǧt(u)/ « j’ai tiré » ~ /aḫráǧt(a)/ « tu as tiré » ~ /aḫráǧ/ « il a tiré » ~ /aḫráǧat/ « elle a tiré » ~ /aḫráǧna/ « nous avons tiré » ~ /aḫráǧtum/ « vous avez tiré » ~ /aḫráǧu/ « ils / elles ont tiré ». Gt = VIII : /aḥtarámt(u)/ « j’ai respecté » ~ /aḥtarámt(a)/ « tu as respecté » ~ /aḥtarám/ « il a respecté » ~ /aḥtarámat/ « elle a respecté » ~ /aḥtarámna/ « nous avons respecté » ~ /aḥtarámtum/ « vous avez respecté » ~ /aḥtarámu/ « ils / elles ont respecté ». tD = V : /atfahhámt(u)/ « j’ai compris » ~ /atfahhámt(a)/ « tu as compris » ~ /atfahhám/ « il a compris » ~ /atfahhámna/ « nous avons compris » ~ /atfahhámtum/ « vous avez compris » ~ /atfahhámu/ « ils / elles ont compris » ; tG4 = II4 : /arfardáḫt(u)/ « je me suis précipité(e) » ~ /atfardáḫt(a)/ « tu t’es precipité(e) » ~ /atfardáḫ/ « il s’est precipité » ~ /atfardáḫat/ « elle s’est précipitée » ~ /atfardáḫna/ « nous nous sommes précipité(e)s » ~ /atfardáḫtum/ « vous vous êtes précipité(e)s » ~ /atfardáḫu/ « ils / elles se sont précipité(e)s ». tL = VI : /atmáraḍ(u)/ « j’ai fait le malade » ~ /atmáraḍt/ « tu as fait le malade » ~ /atmáraḍ/ « il a fait le malade » ~ /atmáraḍat/ « elle a fait le malade » ~ /atmáraḍna/ « nous avons fait le malade » ~ /atmáraḍtum/ « vous avez fait le malade » ~ /atmáraḍu/ « ils / elles ont fait le malade ». stG = X : /astaʕḏárt(u)/ « je me suis excusé(e) » ~ /astaʕḏárt(a)/ « tu t’es excusé(e) » ~ /astaʕḏár/ « il s’est excusé » ~ /astaʕḏárat/ « elle s’est excusé(e) » ~ /astaʕḏárna/ « nous nous sommes excusé(e)s » ~ /astaʕḏártum/ « vous vous êtes excusé(e)s » ~ /astaʕḏáru/ « ils / elles se sont excusé(e)s ». nG = VII : /anfaṣált(u)/ « je me suis retiré(e) » ~ /anfaṣált(a)/ « tu t’es retiré(e) » ~ /anfaṣál/ « il s’est retiré » ~ /anfaṣálat/ « elle s’est retirée » ~ /anfaṣálna/ « nous nous sommes retiré(e)s » ~ /anfaṣáltum/ « vous vous êtes retiré(e)s » ~ /anfaṣálu/ « ils / elles se sont retiré(e)s ».
2.3.3 La voix non-agentive L’arabe ancien, ainsi que quelques autres langues sémitiques, ont connu une diathèse au moyen d’un marquage interne, moyennant le changement de vocalisation, par laquelle on distinguait une voix agentive, où le sujet de l’action ou qualification était connu, et une voix non-agentive, où il ne l’était pas ou bien où il n’était pas décelé.
158 | Morphologie
Ces marques pour l’arabe standard sont la vocalisation {(u)CuC(C)i3} ou {(u)CCuCiC}165 pour le thème perfectif, et le /a/ généralisé au lieu de n’importe quelle autre voyelle, avec la vocalisation /u/ des préfixes de personne, pour le thème imperfectif. La plupart des dialectes néo-arabes ont abandonné ce procédé à la faveur des schèmes nG = VII ou tG, sans métathèse du préfixe, mais l’arabe andalou, majoritairement conservateur, a préservé cet usage avec les mêmes marques dans beaucoup de cas, comme dans Alcalá 15.10, 17.13‒23 et 18.1.14 nuûmél « j’ai été fait », nuquél « j’ai été mangé », curít « j’ai été lu », vḳítt « j’ai été pris », uquílt « j’ai été dit (!) »,166 ainsi que d’autres vrais exemples, comme dans VA >yuǧbal< ~ >ǧubil ʕalà< « avoir une inclinaison naturelle », >nuġrà ~ uġrīt< « être épris », >wulid ~ yūlad< « naître », dans IQ 10/1/2 >qutiltu< « j’ai été tué », 23/2/4 >yuhǧar< « il est abandonné », 46/2/4 >yuntaḏ.ar< « il est attendu », 54/3/3 >nuqāl maṭbūʕ< « on dit que je suis inspiré », 88/16/4 >nustašār< « on me demande conseil », 90/2/3 >usqīt< « on me verse la boisson », dans MT 558.7 >yudḫāl ʕalayh l.ldarb< « par lequel on entre dans le sentier », 960.25 >burrīḥat aldār< « la maison a été créée », dans PES 34/3/5 >tuktab< « tu seras inscrit », 55/3/5 >suqītu< « on me donna à boire », dans ZJ 41 >tuḏbaḥ< « elle est sacrifiée », dans Alcalá 17.20 a zarréa tuzrá = /azzaríʕa tuzráʕ/ « la semence est semée », a rríxa tuntéf « la plume est arrachée », dans PES 44/11/3 /tuksà ḥúllat alkamál/ « on t’habillera avec la tunique de la perfection », dans AB 10 >kutīb alkitab< « la lettre a été écrite », dans DC 6a ûudíb « il a été torturé », 6b çulíb « il a été crucifié », etc. Cependant, il y a partout, selon la tendance de tout le néoarabe, aussi des indices de remplacement de ces inflexions internes par des tournures avec la voix agentive ou des marques externes, comme dans LA 255 >istahtara< « se conduire avec effronterie » et >istaḍḥaka< « être forcé à rire », au lieu de l’arabe standard /ustuhtira/ et /ustuḍḥika/, ou dans VA >yatwaffà< ~ >atwaffà< = Alcalá netvefé ~ atveféit « décéder » (d’un usage général dans le néo-arabe), dans IH 256 >yūšak an yakūn< « il est sur le point de », où on a remplacé l’agentif arabe standard /yūšik/ par le non-agentif d’une façon ultra-correcte, dans VA >ʕanayt ~ naʕnà< « peiner », dans IQ 90/12/2 >yanṭamar< « il est introduit », ainsi que 60/1/4 et dans PES *10/1/1 >yanǧaḥad< « il est dénié ».167
|| 165 C’est-à-dire que la dernière voyelle du thème sera /i/ et toutes les précédentes, une ou deux, selon la longueur du thème, /u/. 166 L’absurdité de certains de ces exemples montre leur nature exclusivement théorique, complétée par le fait que ce procédé n’était pas très usuel dans le langage commun. Dans ce cas, il a aussi la forme grammaticale et logiquement correcte uquíli = uqíl li « on m’a dit ». 167 Selon Pérez Lázaro 1990 I : 148‒150, IH a aussi signalé quelques cas de remplacement des formes finies et non-finies d’une voix par l’autre dans l’arabe andalou.
Le verbe | 159
2.3.4 Les formes nominales du verbe Les formes nominales du verbe arabe, à savoir le maṣdar ou nom d’action et les participes, caractéristiques de toutes les langues sémitiques, bien qu’utilisant parfois des marques assez différentes, permettent de nominaliser les actions et les acteurs, en présentant à la structure de surface comme un seul mot ce qui est une tournure relative dans la structure profonde de la langue, sans aucune restriction lexicale dans le cas de l’arabe standard, à la différence des langues néo-latines, où tous les verbes ne permettent pas la formation de noms d’action ou de participes, ce qui rend la traduction de quelques phrases arabes assez compliquée, même avec l’aide de l’infinitif, comme dans /ākilu lmasrūq/ « celui qui mange le produit des choses qui ont été volées » ou /aḍḍaḥku ʕalà lmaġbūn/ « (le fait de) rire de celui qui a été trompé ». Ces formes se sont assez bien préservées en néo-arabe, surtout les participes, bien que ceux-ci et surtout les maṣdars ne soient pas souvent très colloquiaux, mais on les emprunte à la langue classique, ce qui est à peu près le cas de l’arabe andalou.
2.3.4.1 Le maṣdar Le maṣdar est logiquement une abstraction, exprimant le sens le plus nu qu’on puisse imaginer d’une action ou d’une circonstance prédicable, dans les cas de verbes d’état et de qualité ; donc, il doit être marqué avec les morphèmes de l’abstrait, ou plutôt de la deuxième classe, « moins importante », dont on connaît plusieurs formes dans la famille afro-asiatique et dans le proto-sémitique, pratiquement les mêmes qui ont généré le féminin et les pluriels brisés, c’est-à-dire /t/, les voyelles longues, et parfois /n/. L’arabe ancien, hypertrophié à nouveau sur cette question, a eu quelques dizaines de schèmes de maṣdar,168 dont aucun très fréquent, et d’autres assez rares, et c’est donc naturel que le néo-arabe en ait abandonné beaucoup, ce qui est aussi le cas de l’arabe andalou où les schèmes les plus fréquents sont, pour les verbes G = I : a) formes sans affixation, {1v23}, {1a2a/i3}, {1i/u2a3},169 par exemple dans VA >akl< « (l’action de) manger », >baʕṯ< « envoi », >birr< « (l’action d’) honorer », >ḏikr< « mention ; mémoire », >buġd< « haine », >ḥukm< « (l’action de) gouverner » ; >anaf< « répugnance », >balal< « être mouillé », >ḍaḥik< « (l’action de) rire », >ḫišan< « aspérité » ; ou bien avec les suffixes {+a(t)} et {+ān}, comme dans VA || 168 Wright 1962‒4 I : 110‒112 en comptait 44, plus les maṣdars des formes du participe non-agentif, appelés maṣdarun mīmī, résumés de façon algébrique dans SK 74, note 108. 169 Ces schèmes seraient non-marqués, ce qui soulève la question de leur ancienneté, qui semble considérable, s’agissant probablement des mots-racines, qu’on ne peut pas identifier à partir des thèmes du perfectif ni de l’imperfectif, non moins anciens que les impératifs, bien que leur relation probable ne soit pas bien établie.
160 | Morphologie
>tawbah< « repentance », >raḥmah< « (le fait d’avoir de la) miséricorde », >salwah< « consolation », >ḫiffah< « légèreté », >ḏillah< « abaissement », >ulfah< « affection », >duhma< « couleur noire », >bunyān< « construction », >ityān< « venue », >dawarān< « (l’action de) tourner ». b) formes avec infixation de voyelles historiquement longues avant la troisième consonne, {1v2ā3}, {1a2ī3} et {1a/u2ū3}, parfois avec le suffixe {+ a(t)}, comme dans VA >bayāt< « (l’action de) passer la nuit », >ṯabāt< « persévérance », >ḥiṣād< « moisson », >ḫitān< « circoncision », >ruqād< « sommeil », >suʔāl< « question », >dabīb< « marche lente », >raḥīl< « départ », >burūz< « apparition », >ǧufūf< « sécheresse », >baṭālah< « inutilité », >ǧahālah< « ignorance », >ḥimāyah< « protection », >ḫisārah< « perte », >bulūdah< « stupidité » et >ruṭūbah< « mollesse ». c) formes avec le préfixe {ma+}, c’est-à-dire {ma12v3}, parfois avec le suffixe {+ a(t)}, comme dans VA >maǧī< « venue » >masmaʕ< « audition », >matrabah< « ruine », >maḍarrah< « dommage ». Quant aux schèmes dérivés, ils sont assez prévisibles : on utilise surtout l’infixation d’une /á/ avant la troisième consonne, c’est-à-dire L = III {1i2á3},170 C = IV {i12á3}, Gt = VIII {i1ti2á3}, stG = X {isti12á3}, nG = VII {in1i2á3} et IX-XI {i12i3á3}, comme dans IQ 112/1/4 >firāq< « séparation », 127/6/1 >idlāl< « minauderie », 20/15/4 >intiḏ.ār< « attente », 32/4/4 >istifhām< « interrogation », 97/3/1 >inqibāḍ< « éloignement social », 134/8/3 >iḥmirār< « fait d’être rouge ». En revanche, D = II a {ta12í3(at)}171 comme dans IQ 37/4/4 >taḥlīq< « tour », G4 = I4 a {1á23a4at} comme dans IQ 145/7/4 >šaqlabah< « inspection des marchandises en les tournant », tD = V (ainsi que tG4 = II4) et tL = VI ont respectivement {ta1a22ú3}, {ta1a23ú4} et {tafá2u3} comme dans IQ 31/11/2 >taġazzultafarfur< « émiettement » et >taqārub< « rapprochement mutuel ». Dans une grande mesure, l’utilisation des maṣdars en néo-arabe est souvent un classicisme172 et cela vaut aussi pour l’arabe andalou ; s’agissant de noms, on peut former leurs pluriels, surtout le féminin régulier, mais cela n’est pas
|| 170 Mais il y a aussi l’option {mu1á2a3a(t)}, le féminin du maṣdarun mīmī, assez fréquente en arabe standard et en néo-arabe, probablement à cause de la clarté de sa marque, moins susceptible d’entraîner des confusions homophoniques que {1i2ā3}. 171 La forme avec le suffixe {+ a(t)} ne s’utilise en arabe andalou qu’avec les racines {12w/y} et avec la gémination généralement non écrite de /y/, mais décelée dans les rimes des poèmes, par contamination avec le suffixe de nisbah, comme dans VA >tadmiyah< « accusation d’agression », >taštiyah< « fait de pleuvoir ». 172 Cela est évident dans quelques cas isolés, comme dans VA >ṣayrūrah< « action de devenir », >subbūḥ< « louange de Dieu » ou dans quelques dérivés du schème {1i/a23ā4}, au lieu de {1a23a4ah}, comme dans VA >zimzāmah< « gloussement », dans Alcalá tiftéfi « fanfaron » et dans MT >baqbāqībaqbāq< « glouglou d’une bouteille qu’on remplit » ou dans NQ mg 15/5/1 avec une structure parallèle aux cas de {1a22á3i} avec la connotation d’activité usuelle.
Le verbe | 161
fréquent en arabe andalou en dehors du schème G = I, comme dans IQ 89/7/4 >lakmāt< « coups de poing », 108/1/4 >jadlāt< « tressaillements », dans VA >wasāwis< « tentations ». On remarque une certaine fréquence des cas de noms d’unité formés à partir des maṣdars avec le morphème du féminin, comme dans IA 735 /tahayyúṭa/ « une persécution », dans AC 1448 >taʕlīmā< « un précepte», 722 >tabarnūnah< « un bourdonnement », même dans l’emprunt catalan tabaola = castillan batahola « vacarme » < arabe andalou /tahawwúla/ avec différents types de métathèses.
2.3.4.2 Les participes Les participes sont un élément plus vernaculaire que les maṣdars dans le néo-arabe, arabe andalou inclus, et leur dérivation est assez simple, puisque on a les schèmes {1á2i3} et {ma12ú3} respectivement pour l’agentif et le non-agentif dans G = I, ainsi que les thèmes correspondants au reste des schèmes, agentifs et non-agentifs, précédés du préfixe {mu+}, bien qu’il soit propre à l’arabe andalou, pour ces derniers, de remplacer la vocalisation de l’agentif par celle du non-agentif173. A l’instar de n’importe quel adjectif, on obtient les féminins et les pluriels, réguliers ou brisés suivants : G = I, comme dans VA >kātibkātibīn< = >kuttābwālidah< « mère (littéralement génitrice) », >mašġūl< ~ >mašāġil< « occupé » ; comme dans IQ 6/5/2 et 6/0/1 >maḫḏūl< ~ >maḫāḏil< « décevant », voir également les emprunts castillan et portugais alferes = castillan alférez « porte-drapeau » < arabe andalou /alfáris/, et catalan mameluc = castillan et portugais mameluco « mamelouk » < arabe standard /mamlúk/ « esclave ». || 173 Comme dans IH 323 >mumawwah< « dupeur », 181 >mubārik< nom propre, confirmé par DC 5 mouáreq, et comme Mobaric(h), selon Terés 1990‒2 : 145, dans IQ 2/1/2 >muʕallam< « maître », 93/4/4 >muwaḏḏan< « muezzin », 176/0/1 >muḥtasab< « inspecteur des marchés » (ces deux derniers aussi dans IH 182‒3), dans EV 335 mongadara = arabe standard /munkadirah/ « troubles », dans Alcalá muçlamín « musulmans », ainsi que dans les emprunts castillans almuédano, almotacén, almogávar, etc. Les participes étant le plus souvent empruntés à l’arabe standard, il est normal que les participes tD et tL gardent le préfixe {muta+}, toujours dans VA et dans Alcalá mutequélim « éloquent », muteḳáil « imaginatif », dans PES96/5/3 /mutanásib/ « proportionné », ce qui n’est pas si fréquent avec le formes finies, comme dans VA >nataṯāʔab< ~ >taṯāʔabt< « bâiller », >yaṯṯabbat< = >yataṯabbat< ~ >mutaṯabbit< « s’affirmer » et >yataǧallà = yaǧǧallà< ~ >aǧǧallà = taǧallà< ~ >mutaǧallī< « se manifester », >natḫattam< ~ >atḫattamtmutaḫattim< « se mettre un anneau au doigt », >natḫammar< ~ >atḫammartmutaxammir< « s’énivrer » ; cela concerne également les quadri-consonantiques, comme dans VA >yatmaḏhab< ~ >atmaḏhab< ~ >mutamaḏhib< « suivre une opinion », bien qu’on ait >mut/ṭʕallam< « apprenti » dans IA 637, dans NQ az 2/x/4 >almutnabbī< « celui qui se dit prophète », et dans Alcalá mutméni « désireux », mudnáçar = /mutnáṣṣar/ « converti de l’islam au christianisme », mutḳám(m)ir et mutlahí « qui se moque », mudéh(g)uen « radoteur » dans un verbe G4 = I4, ainsi que mugéguil « voyageur » ou encore >mutajawwilun< chez GL.
162 | Morphologie
D = II, comme dans Alcalá mo/uárriḳ féminin {+a} pluriel {+ín} « historien » ; muçágar féminin {+a}, pluriel {+ín} « diminué » ; G4, comme dans VA >muḫaṭrif< « prétentieux », dans SH >muqanṭar< « contenant un quintal », voir également les emprunts castillans almoharrique « massier » < arabe andalou /almuḥarrík/, matraco « rustre » < arabe andalou /muḥaṭráq/, littéralement « bavard », avec une évolution sémantique. L = III, come dans Alcalá mogáguir pluriel {+ín} « qui fait des incursions » ; comme dans IQ 103/4/1 >mušāwar< « consultant », voir également les emprunts castillans et portugais almogávar = catalan almogàver « mercenaire ». C = IV, comme dans VA >mumīt< « mortel », >mušār< « consulté », voir également l’emprunt castillan almoceda « droit de prendre l’eau d’arrosage » < arabe standard /almuqsíṭa/ « la (portion) juste ». tG = VIII, comme dans VA >muʕtariḍ< pluriel {+īn} « qui objecte » ; dans GL >muḫtaraʕ< « inventé », voir également l’emprunt castillan almotacén, l’emprunt portugais almotacel et l’emprunt catalan mostassà « inspecteur des marchés » < arabe standard /almuḥtasáb/. stG = X, comme dans VA >mustaǧīr< « loueur » ; dans TH 9.2 >mustaḫlaf< « (juge) député », voir également l’emprunt catalan almostalaf et l’emprunt castillan almotalafe « inspecteur de certaines professions ». nG = VII, comme dans VA >munfaṣil< « retiré », voir également le nom de lieu Moncloa (Madrid) < arabe standard /munqalába/ « remuée ». tD = V, comme dans VA >mutadallil< « qui use de familiarité », voir également le bas-latin almocabel « exacteur » < arabe standard /almutaqábbil/. tD = VI, comme dans VA >mutamāriḍ< « qui fait le malade ». IX-XI, comme dans VA >muṣfarr< « jaunissant ».174
2.4 Morphophonologie anomale La morphologie des langues sémitiques, lorsqu’on la compare avec celle des langues indo-européennes, se caractérise par la rareté de véritables irrégularités, || 174 Les quatre derniers schèmes étant généralement intransitifs, ils ne peuvent pas former de participes non-agentifs, car on ne peut qualifier un sujet méconnu, bien que cela arrivât en arabe andalou, à cause de calques du roman, comme dans VA >naṯmal< ~ >ṯamalt< ~ >maṯmūl< « s’énivrer », >muktanaz< « d’une taille moyenne » >matʕūb< « fatigué » (= AC et invalidé dans IH 156, ainsi que >maḫmūl< « sans renommée » page 271), dans GL >maǧfūfun< « desséché ». Parfois la vocalisation du préfixe semble avoir été {ma+}, comme en éthiopien, ce qui serait un ‘yéménisme’, et celle de la marque de voix de ces participes viole les règles de l’arabe standard, comme dans GL >mutḥarrašun< « fâché », dans MT 1045 : 31 >munḫasar< « inculte ». Dans les exemples de tD = V et tL = VI on observe aussi une forme classique, avec le maintien de la voyelle du préfixe {ta+}, connu de beaucoup des maṣdars et de participes empruntés à l’arabe classique. Quant aux emprunts romans, ils ne sont pas abondants dans les schèmes préfixés.
Morphophonologie anomale | 163
c’est-à-dire de cas où les formes prévisibles selon l’analogie grammaticale ont été remplacées par d’autres imprévisibles, à cause d’un suplétisme généralement asynchronique : un mélange de racines comme celle du français « suis, étais, fus » à l’intérieur de la conjugaison d’un seul verbe serait inouïe dans n’importe quelle langue sémitiques.175 Cependant, il arrive souvent que l’insertion des racines, ou plutôt des thèmes nominaux ou verbaux dans les différents schèmes des inflexions, produit des séquences phonétiques déplaisantes à l’ouïe arabe ou gênantes à prononcer, ce qui a été corrigé avec des règles génératives additionnelles afin de faciliter l’articulation et la perception de ces mots. Il ne s’agit pas d’irrégularités, car ces règles ne sont presque jamais d’application particulière, c’est-à-dire de véritables violations de l’analogie, mais des normes additionnelles ou particulières affectant des classes entières de mots avec une structure phonologique similaire. Ces normes spéciales, que les premiers orientalistes européens ont appelé canones en latin, sont spécifiques pour les types de racines suivantes : a) géminées ou sourdes (muḍaʕʕaf ou aṣamm, selon le technicisme de la grammaire native), avec la structure morphématique {122}, c’est-à-dire où la deuxième et la troisième consonne sont identiques ; b) ‘hamzées’ (mahmūz dans la terminologie native), avec une des structures morphématiques {ʔ23}, {1ʔ3} ou {12ʔ}, c’est-à-dire dont une des consonnes est un /ʔ/ ; c) assimilées (miṯāl dans la terminologie native) avec la structure morphématique {w23} ou {y23}, c’est-à-dire avec une première consonne /w/ ou /y/ ; d) concaves (aǧwaf dans la terminologie native), avec la structure morphématique {1w3} ou {1y3}, c’est-à-dire avec une deuxième consonne /w/ ou /y/ ; e) défectueuses (nāqiṣ dans la terminologie native), avec la structure morphématique {12w} ou {12y}, c’est-à-dire avec une troisième consonne /w/ ou /y/. Il peut arriver qu’une même racine ait plus d’une de ces anomalies (étant appelée lafīf dans la terminologie native), ce qui peut se résoudre avec la combinaison de leurs solutions morphophonologiques aux jointures problématiques de quelques morphèmes ou avec l’imposition de la morphologie régulière à un des deux problèmes ; dans la plupart des cas, les solutions de l’arabe classique se retrouvent || 175 Il y a quelques cas similaires de suplétisme, comme les impératifs /taʕāla/ et /unḏ.ur/, habituellement utilisés pour les verbes /atà/ « venir » et /raʔà/ « voir » en arabe standard, mais les formes /(iʔ)ti/ et /ra/ sont encore acceptées par les grammairiens dans ses paradigmes, bien qu’il n’est pas facile de les trouver dans les textes réels. Comme en arabe nord-africain, où les impératifs /taʕāla/ et /šūf/ sont respectivement utilisés en arabe libyen pour les verbes /že/ « venir » ainsi que pour les verbes /ṛa/, /šbǝḥ/ et /šāf/ « voir ». En arabe marocain, les impératifs utilisés (/āži/ du verbe /ža/ et /šūf/ du verbe /šāf/) sont de même racine que le reste du paradigme au perfectif et à l’imperfectif. Le verbe /ra/ « voir » a été relevé dans les parlers Jbala mais la forme de l’impératif n’existe plus et on utilise /šūf/ (Vicente 2000 : 66). Par contre, cet impératif existe encore en Algérie, à Djidjelli : āra « regarde » ārāw « regardez » (Marçais 1952 : 174, note 155).
164 | Morphologie
dans le néo-arabe, et l’arabe andalou, mais pas toujours. Finalement, il y a aussi des règles propres aux racines avec moins de trois consonnes étymologiques, deux et exceptionnellement une, bien que diverses solutions aient permis de les allonger artificiellement dans la grammaire de l’arabe, parmi lesquelles la répétition {122} est la plus fréquente, surtout dans le néo-arabe, comme dans IQ 50/5/4 >bi+damm+ī< « dans mon sang », où l’arabe standard a encore /bi+dam+ī/ ; autrement, on ajoute à ces racines un /w/, un /y/, un /ʔ/ ou un /h/, suivant certaines analogies morphologiques.176
2.4.1 Les racines géminées Les racines géminées = {122} ne présentent pas dans l’arabe andalou d’autres anomalies phonétiques que la chute de la voyelle dans les séquences /2v2/ devant les suffixes vocaliques, comme dans */rudida/ > /rudda/ « il a été rendu », ainsi que le ressaut vocalique dans les séquences /12v2/, comme dans */aḥbibāʔu/ > /aḥibbāʔ/ « aimé », */mādidah/ > /māddah/ « matière », */yardudu/ > /yaruddu/ « il rend », ce qui est optatif avant un suffixe {+Ø} avec la contraction et l’addition d’une voyelle euphonique, /a/ ou /i/, voire /u/ mais seulement par harmonie avec la voyelle ressautée, comme dans /urdud/ = /rudda/u/i/ « rends », /(ifrir/ = /firra/i/ « fuis ». L’arabe andalou diffère parfois par rapport à ces règles avec le maintien de formes « fortes », c’est-à-dire sans contraction, réminiscences du sud-arabique et de l’éthiopien,177 comme dans IQ 12/14/1 et dans VA >maḫādid< « oreillers », >amdidah< = >amiddah< « encres », >niġānan< « je dispute », >nastadlal< « je prends un guide », dans Alcalá naztahbéb « je gagne en affection », dans LA 301 >yataʕālalū< « ils s’excusent », ou avec l’élimination haplologique d’une consonne comme dans VA >laḏt< « j’ai pris plaisir », dans Alcalá naztahaq ~ aztaháqt « mériter », dans VA >nanšarr< ~ >anšart< « se bagarrer », dans RC 28 >mastu< « j’ai touché », dans IQ 197/4/4 >qar< « tiens-toi tranquille », respectivement de racine {ġnn}, {ḥbb}, {ʕll}, {lḏḏ}, {ḥqq}, {mss} et {qrr}, ainsi que dans de nombreux maṣdars de schèmes dérivés tels que nG = VII, tG = VIII et stG = X, comme dans VA >insāddistiḥāmm< « baigne », respectivement de racine {sdd}, || 176 C’est ainsi que le mot mono-consonantique proto-sémitique *pv « bouche » est attribué en arabe standard à une racine théorique {fwh} et *mv « eau » l’est à {mwh}, avec quelques conséquences en arabe andalou, qui a préservé dans VA /fáh/ pluriel /afwáh/ « bouche », à coté de /fúm(m)/ pluriel /afw/mám/, plus commun dans le néo-arabe, avec l’addition du vieux morphème de ‘mimation’ devenu ‘nunation’ en arabe standard, ainsi que le diminutif dans VA /muwayyah/ de /má/ pluriel /miyáh/ ou /amyá/ « eau ». On s’est beaucoup demandé s’il s’agissait de véritables additions à des racines trop courtes, ou de racines contenant une voyelle radicale, ce qui est assez probable, mais n’affecterait que la préhistoire de langues afro-asiatiques ; voir Fleisch 1979 II : 400 et suivantes, à propos de la théorie de Müller-Stade. 177 Voir Corriente 1996 : 60-61 et note 3.
Morphophonologie anomale | 165
{rdd} et {ḥmm}. L’harmonisation des préfixes de l’imperfectif dans le schème G = I est aussi fréquent, comme dans VA >niḥibb< « j’aime », >nudukk< « j’ecrasse »,178 ainsi que la dissimilation de la séquence /a…a/ > /i…a/, connue comme la « loi de Barth », comme dans >nilaḏḏ< « je prends plaisir », >niṭall< « je me montre ». Mais l’arabe andalou ignore la dissimilation /22a2/ > /22ay/, générale en néo-arabe,179 par exemple dans VA >ṭalalt< « je me suis montré », dans Alcalá 22 & 82 habébt « j’ai aimé », mecézt « j’ai touché ».180
|| 178 Mais Alcalá préfère souvent la vocalisation anti-harmonique avec /i/ dans là où l’on attendrait /u/, comme dans VA >nuǧurr< « je traine », >numuss< « je touche », >nuhuzz< « je secoue, >numudd< « j’étends », >nubuss< « j’embrasse », >nuḥuss< « je sens », mais dans Alcalá nu/ijúrr, nu/imúç, nihúç, nimú(d), nibúç, nihúç. 179 Voir Corriente 1976a : 85 à propos des précédents arabes anciens de ce phénomène. Le cas unique dans PES 170, 30*/1/2 >ḏ.annayt< « j’ai pensé » semble refléter les dialectes nord-africains, à l’influence desquels l’auteur ne pouvait pas se soustraire dans les pays qu’il parcourait et où il séjournait. 180 Comme il fallait s’y attendre, les contractions ont provoqué des cas de métanalyse radicale, comme {ḍdd} > {ḍyd}, dont des formes altérées comme dans IH 248 >adarr< « qui a une hernie testiculaire », ou la forme plus correcte >adar< dans IQ 9/10/3, mais dans IQ /5/2 >bassak … bassah< « il te donna un baiser » et 27/1/2 >yubus(s)< « il embrasse », par rapport au néo-arabe qui a {bws} pour cet emprunt néo-persan, comme dans VA >niḍāyad< ~ >ḍāyadt< = Alcalá nidayéd ~ dayédt « s’opposer » qui sont plus fréquents que les réguliers >yiḍādd< ~ >ḍādd< de VA, qu’Alcalá n’a plus, ou dans IQ 19/8/2 >maḫāyid< « oreillers », et 89/6/3 >maḥāyiǧ< « avenues », de {ḫdd} et {ḥǧǧ}, avec des parallèles en marocain mḫāyəd (Prémare DAF 4 : 25) et mḥūža (Prémare DAF 3 : 25). Dans quelques cas ce phénomène est limité à une seule des inflexions, comme cela se produit avec le verbe /márr/ ~ /yumúr/, dont le perfectif est normal pour une racine {mrr}, mais l’impératif et l’imperfectif reflètent *{mwr}, comme dans IQ 15/4/4 >marrū< « ils s’en sont allés », mais 54/4/5 >mur< « va » et 40/1/1 >tumūr< « tu vas », bien que les formes normales soient aussi possibles dans IQ, dans VA, etc., ou au diminutif furáyar dans Alcalá farr « souris », avec un pluriel « normal » firín, de {fʔr}. Dans le sens contraire, à partir de la racine {šym}, on a l’arabe andalou šáma « grain de beauté », dans Alcalá xíme, mais avec le pluriel ximém et le diminutif xuméyme = PES 19/0/1 >šumaymahnišammam< « marquer d’un grain de beauté » et >aššammam< « en être marqué », comme s’il s’agissait d’une racine {šmm}, tout comme on a formé un diminutif dans Alcalá çucáiqua de çaq « jambe », de {swq}, qui peut aussi et encore signifier « petit marché », selon DS, confirmé par le nom de lieu Azuqueca (Guadalajara). Quelque chose de similaire se produit en arabe standard avec /mūsà/ « couteau, rasoir », qui devient /múss/ avec un pluriel /amsás/ en arabe andalou, bien qu’il s’agisse ici d’un emprunt à l’égyptien ancien (voir Corriente 1997a : 501‒502 et Corriente 2008a : 385‒386), à propos de la plus probable étymologie de ce mot, qui est aussi devenu le nom du prophète du monothéisme Moïse. Dans quelques cas, comme dans VA >tifqah< = Hv 99.10 >tafqā< = IA 129 /táfqa/, de {wfq}, et >natham< ~ >tahamtnattaham< ~ >attahamt< « suspecter ». On dirait aussi que {wǧd} est devenu {ʔǧd} dans Alcalá negéd ~ agédt « trouver » ; quant aux cas d’alternances entre les racines {122} et {12w/y/ʔ}, ils étaient déjà fréquents en arabe standard, il ne faut donc pas s’étonner de l’exemple dans VA >niḥannan< « teindre avec du henné », de {ḥnʔ}, ou de cas comme dans VA >nifaṣṣaṣ< « vesser » = Alcalá nifaçáç, ainsi que dans VA >abū fassās< = Alcalá abu facíç « scarabée fétide », de {fsw}, dans VA >muqa/āṣ< ~ >amqāṣ< = amqiṣah< = Alcalá mucáç ~ amcáç « ciseaux », où un nom d’instrument de
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2.4.2 Les racines ‘hamzées’ Les racines ‘hamzées’ ne présentent presque pas d’anomalies dans la grammaire de l’arabe andalou, sauf la règle phonétique transformant toute séquence /ʔvʔ/ en /ʔvː/ et les trois cas des impératifs irréguliers /kul/ « mange », /mur/ « ordonne » et /ḫuḏ/ « prends »,181 de racines {ʔkl}, {ʔmr} et {ʔḫḏ}, avec aphérèse de leur première syllabe, mais la faiblesse du phonème /ʔ/ en néo-arabe, l’arabe andalou inclus, a introduit de nouvelles règles. Il est encore parfois préservé dans les exemples dans VA >anant< ~ >niʔann< « gémir », >niʔassas< = Alcalá niecéç eceçt « fonder », notamment mais pas toujours dans les racines {ʔ23} ; néanmoins, il disparaît toujours après une voyelle, ce qui a fait passer toutes les racines {12ʔ} au type {12y}, comme dans IQ >qarā< ~ >naqrā< et dans VA >naqrā< ~ >qarayt< « lire », >nabdā ~ badayt< « commencer »,182 et parfois aussi dans {ʔ23}, avec résultats aphérétiques tels que dans DC 6a ħad « il prit », dans IQ 118/4/1 >ḫaḏtu< « j’ai pris », dans IA 78 >kalnā< « nous avons mangé »,183 dans IQ 137/873 >yaḏḏan< « il appelle à la prière », 311 || {qṣṣ} a été attribué a une racine *{mqṣ}, dans VA >mazad< ~ >muzud< = >amzidah< « école coranique », où l’on a perdu la notion de la catégorie sémantique du nom de lieu de l’arabe standard /masǧid/ « mosquée », etc. 181 IH 281 dénonçait les prononciations >kūlmūr< et >ḫūḏ< de ces impératifs, ce qui ne faut pas entendre comme des cas de réalisation véritable de la quantité vocalique, mais ne serait que la manifestation de son rejet des accentuations /ya(k)kúl/, /yamúr/ et /ya(ḫ)ḫúḏ/ à l’imperfectif, contraires aux habitudes des maîtres orientaux. 182 VA donne parfois les formes classiques /qaraʔtu/, /badaʔtu/, etc., mais elles ne circulaient pas dans le dialecte. Un cas particulier est celui de l’arabe standard /arà/ ~ /yurī/ « montrer » de la racine {rʔy}, dont la vocalisation du préfixe de l’imperfectif a été métanalysée comme une consonne radicale /w/, avec le résultat /awrá/ ~ /yurí/ en arabe andalou, comme dans IQ 80/5/2 >awrīnī< « montre-moi », et /warrā/ ~ /yiwarrī/ dans le reste du néo-arabe. Dans le cas du marocain, le schème G = I (ūra ~ yūri/ yāri « faire voir, montrer ») témoigne encore de l’usage de l’arabe classique dans les proverbes et la langue poétique (Prémare DAF 12 : 188), mais le schème D = II (wurra ~ ywurri, avec le même sens) est d’usage commun. Parallèlement on trouve les allomorphes /ará/ ~ /yarí/ pour G = I « voir », avec une fausse coupure dans le thème du perfectif, et une étrange imālah dans l’imperfectif 183 Avec parallèles dans le néo-arabe. Ainsi, la plupart de racine ‘hamzées’ en arabe ancien sont devenues en arabe marocain des racines défectueuses (/qṛa/ < {qry} « il a étudié / il a lu »), concaves (/suwwəl/ < {sʔl} « il a demandé ») ou assimilées (/wukkəl/ < {ʔkl} « il a nourri »). Les verbes « manger » et « prendre » sont conjugués comme des verbes ‘hamzés’ uniquement à l’imperfectif où une voyelle /ā/ apparaît comme une réminiscence du hamza : /yākul/ « il mangera », /tāḫud/ « elle prendra ». Mais ils ont une racine différente au perfectif et à l’impératif : défectueuse /kla/ « il a mangé » (on trouve également la forme concave /kāl/ dans certains parlers préhilaliens marocains) et concave /kūl/ « mange » ; ou concave pour les deux /ḫād/ « il a pris », /ḫūd/ « prend ». Les deux verbes d’usage courant en arabe marocain avec une racine ‘hamzée’ dans tout le paradigme sont /āmaṛ ~ yāmaṛ/ « ordonner » et /āmən ~ yāmən/ « croire ». Par contre, on trouve plusieurs verbes de racines ‘hamzées’ en arabe libyen où ils n’ont pas tous subi le même traitement (Pereira 2010 : 136‒143). Tout d’abord, les verbes qui servent à dire « prendre » de racine {ʔḫḏ} et « manger » de racine {ʔkl}, forment leur conjugaison suffixale sur le modèle des schèmes défectueux (/ḫde/ « il a
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>saltu< « j’ai demandé »,184 dans IQ 98/4/1 >yasāl< « il demande », dans Alcalá mec/zéle « question ».185 De plus, ce phonème se transforme parfois en une gémination de la consonne qui le suit, comme dans VA >naḫḫuḏ< « je prends » et >nakkul< « je mange »,186 et couramment en /w/ ou /y/, selon l’entourage vocalique, qui peuvent se généraliser dans la totalité des paradigmes, comme dans VA >māḫūḏ< = >mawḫūḏ < « pris », >mākūl< = >mawkūl < « mangé », dans le dernier cas métanalysé à partir des imperfectifs non-agentifs >yuʔḫaḏ< et >yuʔkalniwaḫḫar< ~ >waḫḫart< « retarder », >atwaḫḫar< ~ >yatwaḫḫar< « se retarder » de {ʔḫr}, >niwakkad< ~ >wakkadt< = Alcalá niguéqued ~ guequédt « « hâter », de {ʔkd}, dans DC 14b tihueddéb « tu instruiras », de {ʔdb},187 dans IQ 21/1/3 >riyāsah< « principauté », dans Alcalá rái/yç ~ ru/oyací = VA >rāyis< ~ >ruw/yasā< « chef », avec une hésitation
|| pris » et /kle/ « il a mangé ») ; de plus, la disparition de /aʔ/ à l’imperfectif a été compensée par l’allongement de la voyelle /ā/ (/yāḫǝd/ « il prend » < *yaʔḫuḏ et /yākǝl/ « il mange » < *yaʔkul, avec la voyelle brève /ǝ/ entre la deuxième et la troisième consonne de la racine) ; l’impératif est sur le modèle des verbes concaves (/ḫūd/ « prends » et /kūl/ « mange ») ; et les participes agentifs et nonagentifs sont sur le modèle des verbes assimilés (respectivement /wākǝl/ « ayant mangé » et /wāḫǝd/ « ayant pris », ainsi que /mūkūl/ « mangeable » et /mūḫūd/ « prenable »). La disparition de /aʔ/ compensée par l’allongement /ā/ concerne également le verbe /stāhǝl/ « il a mérité » < *staʔhal de racine {ʔhl}, ainsi que le verbe /stānǝs/ « il a été à l’aise » < *staʔnas de racine {ʔns}, conjugués à la forme stG = X (Pereira 2010 : 139‒140). Quant aux verbes dont la troisième consonne de la racine est /ʔ/, cette dernière peut avoir été compensée par /y/ et les verbes se conjuguent comme des verbes défectueux (/gṛe/ < {qṛʔ} « il a lu, étudié » et /bde/ < {bdʔ} « il a commencé »). En outre, à la suite de la disparition du phonème /ʔ/ de certaines racines {ʔ23}, {1ʔ3} ou {12ʔ}, l’arabe libyen possède plusieurs verbes bilitères ; il s’agit respectivement du verbe /ba/ « il a voulu » de racine {ʔby}, du verbe /ṛa/ « il a vu » de racine {rʔy}, ainsi que du verbe /že/ « il est venu » de racine {žyʔ} (Pereira 2010 : 140‒143). 184 Quant au >sāyaltu< dénoncé dans LA 276 et corrigé par l’auteur par >saʔaltuyatasāyalni< par >yatasāʔalni< décèle qu’il s’agit du schème L = III, où /ʔ/ était remplacé par /y/. 185 Mais cette racine a assez bien résisté à cette tendance dans le néo-arabe et l’arabe andalou, comme dans Alcalá ceélt « je demandai » et souvent dans IQ, même le tardif >saʔalūh< « ils l’ont demandé » dans AC 1505, peut-être afin d’éviter l’homophonie avec la racine {syl} « couler », assez fréquente. Ce verbe de racine ‘hamzée’ {sʔl} s’emploie également en arabe libyen, où la réalisation [ʔ] est conservée : /sʔǝl/ « il a demandé » et /yǝsʔǝl/ « il demande » et se distingue du verbe /sāl/ « il a coulé ». Par contre, au Maroc, cette racine est utilisée avec le schème D = II au centre et au sud du pays /suwwəl ~ ysuwwəl/ « demander », mais elle a été remplacé par le verbe /saqṣa ~ ysaqṣi/ « demander » dans les variétés septentrionales du pays. 186 Parfois avec harmonisation vocalique du préfix, comme dans IQ 81/6/3 >tuḫḫuḏ< « tu prends », 68/10/4 >nukkul< « je mange ». En Libye, la chute de /ʔ/ de la racine {ʔby} a été compensée, à la conjugaison préfixale, par la gémination de la deuxième consonne : /yǝbbi/ « il veut » < *yaʔbi (Pereira 2010 : 140‒142). 187 Évidemment, ces formes reflètent une phase de la langue où l’on vocalisait encore /tuʔaḫḫir/, /tuʔaddib/, etc. Ces cas de métanalyse pouvaient produire des doublets, comme dans Alcalá 24.2021 ma(u)cúl « mangé », la forme plus longue s’étant générée de la voix non-agentive, /ukíl/ ~ /yukál/ « être mangé », qui a suggéré une fausse racine *{wkl}.
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entre la vocalisation de le schème de pluriel brisé {1u2a3āʔ} et celle du singulier /ráyyis/ reflétant l’arabe standard /raʔīs/.
2.4.3 Les racines assimilées Les racines assimilées, avec la séquence {w/y23}, ne présentent, dans la grammaire de l’arabe classique, que peu d’anomalies : la chute du /w/ dans le thème fondamental (à partir duquel on obtient l’impératif, l’imperfectif et le schème {2i3a(t)} du maṣdar), surtout pour une vocalisation {w2i3}, comme dans */yawṣil/ > /yaṣil/ « il arrive », de {wṣl} ; l’assimilation de ce /w/ avec l’infixe /t/ de Gt = VIII, comme dans */iwtaṣala/ > /ittaṣala/ « être connecté », aussi de racine {wṣl} ; ainsi que les deux règles phono-tactiques d’application universelle en arabe standard : /iw/ > /ī/ et /uy/ > /ū/, comme dans */iwhām/ > /īhām/ « épouvante » et */muysir/ > /mūsir/ « aisé », de {whm} et {ysr} respectivement. Cette dernière règle est encore efficace en arabe andalou, avec les exceptions mentionnées en 1.1.4, ainsi que la deuxième, en dépit des exceptions fréquentes, comme dans IQ 94/27/3 >yawtaqī< « il se tient en garde », 102/3/2 >awtaʕadū< « ils se sont donné rendez-vous », 117/3/2 >yawtaqad< « il brûle », mais 22/10/3 >yattaqadawtaṯaq< « être ferme », de {wqd}, {wlʕ} et {wṯq}. Par contre, la première règle n’est appliquée que dans quelques cas : dans Alcalá naquíf ~ guacáft = VA >naqif< ~ >waqaft< « s’arrêter », >yaǧib< ~ >waǧab< « être nécessaire », >nasim< ~ >wasamt< « tattouer » et dans IQ 92/9/4 >naṯiq< 59/8/4 ~ >waṯaq< « se fier ». Du reste, on trouve un chaos total de vocalisations contaminées les unes par les autres, dont beaucoup avec /a/ dans la racine au lieu de /i/, comme conséquence de la loi de Philippi,188 mais aussi avec un /i/ dans les préfixes de l’imperfectif, comme conséquence de l’application subséquente de la loi de Barth, comme dans VA >niǧad< ~ >waǧadt< « trouver », >niraṯ< ~ >waraṯt< « hériter », >yirad< ~ >waradt< « entrer », >nizan< ~ >wazant< « peser », >yibas< ~ >yabas< = Alcalá nibéç ~ yebéçt « se sécher ».189 Néanmoins, l’harmonisation vocalique a parfois été assez puissante pour empêcher le deuxième phénomène ; certaines formes illustrent ce phénomène, comme dans IQ 19/2/1 >nazan< « je pèse », 4/4/2 >naǧad< « je trouve » ; parfois, ces thèmes d’imperfectif en /i/ se sont propagés par pseudo-correction aux dépens de ceux qui avaient un ancien /a/, comme dans IQ 80/4/4 >nahīb< « je donne », mais dans VA >nihab< ~ >wahabt< ; ou bien la chute du /w/ a contaminé le perfectif, || 188 Qui a eu son effet aussi sur le schème nominal {maw2i3(ah)}, étant souvent devenu {maw2a3(ah)}, comme dans IQ 143/5/1 >mawkab< « escorte », 147/1/1 >mawṭan< « patrie », dans IQ 23/8/2 >mawḍaʕ< = Alcalá mávdaâ « place », dans GL >mawhabatun< « don ». 189 La chute de /y/ à l’imperfectif de ce verbe est une innovation de l’arabe andalou, imitant les racines {w23} et n’ayant lieu en arabe standard, bien que quelques dialectes du néo-arabe l’aient vocalisé en /ī/, ce qui n’est pas très différent.
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comme s’il s’agissait d’une racine concave, comme dans VA >ṯiqt< « je me suis fié »,190 dans Alcalá nizén ~ zent « peser » ; ou sa rétention a contaminé l’imperfectif, comme dans VA >nawṯab< ~ >waṯabt< « sauter », >na(w)ʕid< >waʕadt< « promettre » ; ou encore, les impératifs ont acquis un préfixe /a+/ ou /i+/ prosthétique, comme dans Alcalá aquíf « halte » et ycáâ « tombe » ;191 enfin, on observe parfois des contractions de /aw/ en /a/, comme dans VA >nasta(w)ṯaq< ~ >asta(w)ṯaqt< « se fier », dans Alcalá naztacáâ ~ aztaquáât « convoiter », de {wqʕ} et dans VA >mawsūq< = >māsūq< « emporté ».192
2.4.4 Les racines concaves Les racines concaves, c’est-à-dire avec les séquences radicales {1w3} ou {1y3}, ont dans la grammaire de l’arabe standard quelques règles spéciales, à savoir : a) la chute de la semi-consonne dans les séquences /1w/yv3/ avant un suffixe consonantique ou {+Ø}, compensée par l’allongement de la voyelle avant un suffixe vocalique ; b) la contraction des séquences /1aw/ya/i3/ en /1ā3/ avant un suffixe vocalique, mais en /1a3/ avant un suffixe consonantique dans tous les schèmes sauf G = I, qui reçoit /u/ pour les verbes qui ont pour thème fondamental {12u3}, et /i/ pour ceux qui ont pour thème fondamental {12i/a3} ; c) la contraction des séquences /1uw/yi3/ en /1ī3/ avant un suffixe vocalique et /1i3/ avant un suffixe consonantique ; d) dans le schème G = I, les participes agentifs de forme {1āʔi3} et non-agentifs {ma1ū/ī3}, en fonction de la semi-consonne radicale ; e) les maṣdars sont {i1ā2a(t)} et {isti1ā3a(t)} pour les schèmes C = IV et stG = X. On constate que ces règles demeurent relativement effectives en arabe andalou, bien que la longueur des voyelles est devenue un simple résidu d’une orthographe héritée, puisque dans les cas des règles a, b et c, il s’agit toujours de voyelles accentuées, sans égard aux graphies, comme dans IQ 97/4/1 >yukūn< « il sera », 84/10/2 /sír/ « va », 21/14/4 >niḫāf< « je crains », dans VA >astaʕant< « j’ai imploré secours », || 190 Voir Barceló 2012 a/3/2 >taqqultu< « j’ai dit », 73/4/1 >sirt< « je suis allé », 17/1/4 >bitt< « j’ai passé la nuit », 2/5/3 >qālat< « elle a dit », 87/31/3 >ḥārat< « elle a été stupéfiée », dans VR >šayḫ< ~ >šāḫah< « vieillard », contraction d’un schème {1a2a3ah} de pluriel brisé. Quant à c), le perfective non-agentif de ces verbes est régulièrement augmenté d’un préfixe /u+/, résultat d’une fausse coupure de l’imperfectif /yuqál/, favorisé par les modèles tri-consonantiques, à deux syllabes, comme dans IQ 5/1/3 >uqīl< « il a été dit », dans LA 204 >ubīʕ< « il a été vendu » et >uḫīf< « il a été craint », dans AC 879 >uqīṣat< « elle a été mesurée ». Quant à d), les participes agentifs de G ont la forme {1áyi3}, comme dans IQ 107/6/1 >qāyil< « disant »,193 et les non-agentifs de racine {1y3} peuvent avoir une forme forte {ma1yú3}, comme dans VA >mabyūʕ< « vendu », dans Alcalá macióh « appelé ». Quant à e), les formes les plus caractéristique de l’arabe andalou n’ont plus le suffixe féminin, comme dans IQ 88/2/2 >iʕād< « visite », dans VA >istiǧāb(ah)< « exaucement », dans MT 47 : 22 >istiqām< = Ax 8.18 « correction », dans Alcalá iztiráh « repos », iztigáĉ « pétition de secours », dans NQ mg 14/0/1 /istiṭáʕi/ « ce que je peux », en position de rime. D’un autre côté, les voyelles des préfixes de l’imperfectif pour le schème G = I peuvent être harmonisées avec celles de la racine, bien que la préférence pour /i/ soit claire dans Alcalá, comme dans VA >naḫāf< = Alcalá niḳáf « je crains », dans VA >numūt< = Alcalá nimút « je meurs », dans VA >nanām< = Alcalá niném « je dors ». On observe une considérable tendance à éliminer les imperfectifs à voyelle thématique /a/ et à les faire confluer avec ceux de voyelle /i/, comme dans VA >yaġā/īr< = Alcalá niguír « être jaloux », dans VA >naʕā/īf< « haïr », >nahā/īb< « révérer », >nibīt< = Alcalá nibít « passer la nuit », mais quelques racines, comme {ḫwf}, {nwm} et {nyl} ont mieux résisté. Finalement, on trouve de nombreuses formes fortes dans les schèmes C = IV, tG = VIII et stG = X, comme dans IQ 1/2/1 >ašwart< « j’ai consulté » = Alcalá naxguár ~ axguárt, dans VA >aḥtawal< « changer », >astaġyaṯ< « demander secours » ; ainsi que dans les substantifs, comme dans VA >maṭyanah< « bourbier », >mazwad< = Alcalá mezvét « bissac », au lieu de l’arabe standard /mazādah/,194 et des cas d’alternance vocalique thématique, comme dans l’arabe || 193 C’est la même règle qui transforme le schème {1a2āʔi/īl} de pluriel brisé de l’arabe standard en {1a2áyi3} dans l’arabe andalou et {1a2āyi/ī3} dans le néo-arabe. Il y a aussi quelques originalités comme dans VA >mātī< et son synonyme >māǧī< « venant », des racines {ʔty} et {ǧyʔ}, avec un {m+} préfixé dont l’origine n’est pas claire, peut-être contaminé par son antonyme /máši/ « allant » à travers une tournure comme « aller et retour », qui a permis la survivance de la rare racine {ʔwb} jusqu’à nos jours dans l’arabe parlé du registre moyen dans l’expression /iyāb waḏahāb/. Le deuxième semble s’être perpétué dans le marocain /māži/, une forme qui existe surtout dans les parlers sédentaires, surtout dans le nord du pays, comme à Tanger, Larache et Anjra (Guerrero 2015 : 83), mais pas dans les dialectes de type bédouin où il existe la forme /žāy/. 194 Voir Fleisch 1961 : 118‒121, où il signale que les arabes ayant /w/ et /y/ forts « continuaient … des tendances linguistiques qui ont points de contact avec celle du geez » : bien qu’il n’identifie pas
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standard, plus fréquente dans le schème C = IV que dans stG = X, comme dans VA >niġīṯ< ~ >aġaṯt< = Alcalá niguíĉ ~ agáĉt « secourir », dans VA >nu/iḥīl< ~ >aḥalt< « faire changer la couleur », >niʕīr< ~ >aʕart< « prêter », >nastaʕīr< ~ >astaʕart< « emprunter ». Il y a aussi des cas de métanalyse radicale, comme dans VA >ist(ik)āk< « se nettoyer les dents », où la racine {swk} est optionnellement remplacé par {skk}.
2.4.5 Les racines défectueuses Les racines défectueuses, c’est-à-dire avec les séquences radicales {12w} ou {12y}, ont dans la grammaire de l’arabe andalou quelques règles spéciales : a) La contraction des séquences /2aw/y+at/ avec le suffixe de la troisième personne singulier féminin du perfectif en /2at/, la chute aussi des semi-consonnes dans las séquences /2u/iw/y/ avant les suffixes commençant avec /ū/ī/, ainsi que la contraction des séquences /aw/y/ en /aw/ avant /ū/ et en /ay/ avant /ī/. b) La distinction synchroniquement graphique de l’alif final reflétant la semiconsonne dans quelques positions :195 normal (>āàwād< = Alcalá guíd « fleuve », dans VA = IQ 65/4/4 = ZJ 572 >bāz< = Alcalá biç « faucon », dans IQ 60/3/4 >alʕāl< « l’excellent », dans MT 191.3 et passim >arāḍ< « terres », ainsi que le pluriel brisé {CaCáCi}, dans les cas dans VA = IQ 144/1/15/4 = PES 38/ >ǧawār< « filles » et dans VA >ward azzawān< = Alcalá guárd zaguín « mauves », littéralement « roses des prostituées », mais dans PES 79/6/5 /azzawáni/, dans VA || ces arabes, nous savons que ce trait était caractéristique des parlers influencés par le sud-arabique ; donc, il s’agit encore d’un ‘yéménisme’ de l’arabe andalou. 195 Diachroniquement, l’utilisation de l’alifun maqṣūrah reflétait des vieux dialectes où la contraction du diphtongue /ay/ finale avait abouti à une réalisation [ē], sans confluence avec les cas où /aw/ > /ā/.
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>mawāl(ī)< « seigneurs » et >ḥawāf< « escarpements ». Cela arrive aussi optionnellement dans le singulier dans VA >mawl(à)< « seigneur » et, d’une façon assez exceptionnelle, dans l’adverbe /áwf/ « en plus », un ancien impératif, « ajoute », de la racine {wfy}. f) Par contre, et comme cela est habituel dans le néo-arabe, les participes agentifs ne souffrent pas l’haplologie caractéristique de l’arabe standard avant le suffixe du pluriel régulier, comme dans IH 212 >muġanniyyīn< « chanteurs » et >mukāriyyīn< « muletier » ; voir 1.4.2.4. Néanmoins, bien qu’on trouve dans IQ 93/3/4 >ʕālīna< « superbes », clairement une cite coranique, on trouve dans 9/28/3 >mudallīn alʔuḏnayn< « aux oreilles basses » et 84/17/4 >mukārīn< « muletiers » qui posent la question d’un possible allomorphisme, s’il ne s’agit pas des licences poétiques metri causa. Quelques-unes de ces règles n’affectent pas du tout l’arabe andalou, qui a absorbé ici les racines {12ʔ} : c’est le cas de c), puisque les modes de l’imperfectif ont disparu dans tout le néo-arabe et du /ʔ/ de d), qui ne peut exister en arabe andalou. Quant à a), on trouve normalement >2āt< comme dans IQ 51/7/4 >ṣafāt alaḫbār< « les nouvelles ont fini », 76/7/2‒3 >sammāt … ġannāt< « elle a nommé … chanté », 115/5/3 >kafātuh< « ils ont été suffisants pour lui », dans ZJ 917 >ḫallāt< « elle a laissé », dans MT 330.16 >antahāt< « elle a fini »,196 et les contractions de semi-consonnes avec les suffixes peuvent être différentes de celles de l’arabe standard, car tout le néo-arabe tend a réduire les trois types de verbes défectueux avec les alternances aspectuelles /a-i/, /i-a/ et /a-u/ par élimination du dernier, absorbé par les autres, bien que l’arabe andalou en préserve quelques cas, et évolution des deux autres à /a-i/ et /a-a/ comme dans VA >nabkī< ~ >bakayt< « pleurer », >nabqà< ~ >baqayt< = Alcalá yabcá ~ bacá « rester », et dans VA >naškū< ~ >šakawt< mais aussi >naškà< et >šakayt< « se plaindre » tout comme >naġzū< ~ >ġazaw/yt< « faire une incursion », >narǧū< ~ >raǧaw/yt< « espérer », dans IQ 57/1/4 >šakayt< « je me suis plaint », 128/4/4 >naškū< « je me plains », 110/2/1 >yaslū< « il oublie », mais 139/1/4 >naslà
ʕuṭatnī< « elle m’a été donnée », 148/1/2 >kusat< « elle a été habillée », dans PES 43/2/4 >ǧunat< « elle a été cueillie », ainsi que 30/3/3 >hudat< « elle a été guidée », parallèlement à /2iyat/ > /2at/ à la voix agentive, selon l’ancien usage de la tribu de Ṭayyiʔ (Corriente 1976a : 80, note 3).
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« j’oublie », 69/6/4 >yafšū< « il révèle », 124/4/2 >nafšū< « je révèle », dans IA 356 /yafsú/ « il vesse », mais 634 /afsí/ « vesse (impératif) », dans MT 730 : 19 >tarǧū< mais 729 : 14 >tarǧī< « elle désire » (voir Ferrando 1995 : 137). Quant aux diphtongues, parfois on tolère /iw/ et la séquence /iy/wu/ comme dans IA 324 >nastagnīw< « nous nous en passons », 689 /yiǧíw/, mais Alcalá yjú« ils viennent », dans MT 790v8 >raḍiwū+h< « ils l’ont accepté », 363 : 17 >yabniyū< « ils construiront », et parfois, par contre, on adopte la contraction comme dans ZJ 584 >tastaġnū< « vous vous en passez », 1923 >yusammū< « ils nomment ».197 Quant à b), l’effet orthographique dépend des attitudes des copistes, qui souvent ne respectent pas les normes classiques, puisqu’il n’y a aucune différence phonologique comme dans VA >yatbaqqā< « il demeure », >yatġazzā< « il est envoyé dans une incursion », >ʕalà< « il a été haut », etc. Quant à d), tous les participes non-agentifs de G = I ont le schème {mu12í}, probablement contaminés par C = IV à cause de l’imālah intense, comme dans VA >murmī< « jeté », >muḥšī< « farci », et >munsī< « oublié ». Pour le maṣdar de tD, tG4 et tL, on trouve quelques cas curieux : il s’agit des schèmes {taCaCCúC} et {ta1á2u3}, comme dans Alcalá temenú « désire », taçaqçú « inquisition » et dans PES *5071/4 /tabáhu/ « dispute de beauté », qui semblent être des ultra-corrections imitant la vocalisation des schèmes des racines {12ʔ}.198 Les schèmes D = II, = III, = IV, nG = VII, Gt = VIII et stG = X ont souvent préservé l’alternance thématique des aspects /a/ ~ /i/ de l’arabe standard, comme dans Alcalá nigattí ~ gattéit « couvrir », dans VA >nubālī< ~ >bālayt< « se soucier », >narḍī< ~ >arḍayt< « satisfaire », dans IQ 37/7/3 >anqarā< « il a été lu » ~ 19/10/4 >yanqarī< « il est lu », dans VA >naktarī< ~ >aktarayt< « louer », > nastaḫfī< ~ >astaḫfā< « se cacher », mais avec exceptions, comme dans VA >yanqarā< ~ >anqarayt< « être lu », >yamtaḥā< ~ >amtaḥā< « être effacé », >nastawlà< « je soumets », dans Alcalá naztaḳbá ~ astaḳbéyt « s’occulter ».
|| 197 On a relevé le même phénomène dans le parler d’Anjra dans le nord du Maroc où l’action du substrat andalou a été signalée plusieurs fois. Ici, on trouve l’alternance des désinences {+īw} ~ {+u} pour former le pluriel des racines défectueuses à l’imperfectif, comme dans /nəmšu ~ nəmšīw/ « nous irons », /yḫallu ~ yḫallīw/ « ils laisseront », tġannu ~ tġannīw/ « vous chanterez » (Vicente 2000 : 72). Cette alternance n’a pas été trouvée dans d’autres parlers marocains sauf à Larache où elle s’explique par la proximité des parlers bédouins où le suffixe pour le pluriel est {+u}, alors que celui des parlers sédentaires comme Larache est {+īw} (Guerrero 2015 : 79). 198 En fait, dans IH 280, l’auteur dénonçait les infra-corrections >tabarrī< « déclaration d’innocence », >tabāṭī< « marche lente », >taṭaʔṭī< « abaissement de la tête », >tahazzī< « moquerie » et >tawaḍḍī< « ablutions », des racines {brʔ}, {ṭʔṭʔ}, {hzʔ} et {wḍʔ}, avec la perte de /ʔ/ et leur traitement comme des défectueux.
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2.5 Les fonctionnels et les fragments Les fonctionnels, jadis appelés particules ou au moyen du terme très imprécis ḥarf dans la grammaire native, sont des mots ‘vides’, sans signification ni référence, mais qui établissent des relations de fonction des substantifs et des verbes, selon lesquelles on peut les classifier comme prépositions (exprimant la fonction des substantifs dans la phrase), conjonctions (exprimant la fonction des verbes dans la phrase), et adverbes (dont la structure profonde est une phrase prépositionnelle ajoutant de l’information sur un substantif ou un verbe), mas la structure de surface en est un mot invariable, figé par l’usage ou la grammaire.
2.5.1 Les fonctionnels 2.5.1.1 Les prépositions A la différence du cas indo-européen, l’afro-asiatique et même sa branche protosémitique, ce qui a été transmis en principe a toutes les langues sémitiques, avait un système de prépositions pauvre, exprimant seulement les relations les plus élémentaires, telles que la location et l’instrument, parfois confondus dans /bv+/, l’attribution (/lv+/), la provenance (/min/), la direction (*/il/), et à peine plus.199 Le développement intellectuel des sociétés qui utilisaient ces langues a amené une considérable augmentation de leur nombre et de la précision dans des procès, pas toujours partagés, de fonctionnalisation de substantifs aptes à exprimer des notions d’espace, de temps, de situations et des relations matérielles ou virtuelles, des façons parfois encore visibles en dépit de l’usure phonétique très considérable. C’est le cas de l’arabe standard fī « dans », où on reconnaît sans difficulté le nom protosémitique signifiant « bouche » et le génitif demandé par une préposition plus ancienne, formant une phrase que serait correcte et intelligible encore en arabe standard /bi+fī/ « dans la bouche de », dont la claire intention est de préciser le sens « à l’intérieur de », que le multifonctionnel /bi+/ employé seul n’a pas ; il en est de même pour /ʕinda/ « chez », où on peut aisément détecter un proto-sémitique *ʕāmida « étant debout au côté de », qu’on a considéré aussi comme l’origine de l’hébreu ʕim(ad) « avec », et donc de l’arabe /maʕ/ :200 évidemment, la certitude
|| 199 Diakonoff 1988 : 69 s’en est tiré, sur ce sujet, avec moins de 30 lignes, alors que Brockelmann 1908 I : 494‒99 a donné, comme il avait l’habitude de le faire, une information dialectale plus riche ; quant à Moscati et al. 1964 : 121, ils en sont revenus à la brièveté des 20 lignes, ce qu’on comprend, puisque les éléments communs et comparables des systèmes prépositionnels des langues sémitiques sont très schématiques. 200 Voir Brown, Driver and Briggs 1907 : 767. En fait, non seulement l’hébreu ignore ces prépositions de l’arabe, mais une langue plus proche de celui-ci comme le guèze n’a rien non plus de similaire, et ses trois innovations dans ce sens sont tout à fait différentes : wǝsṭä « dans », qui serait
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peut nous échapper lorsqu’on parle d’une phase préhistorique si reculée et dont les données linguistiques sont si conjecturales. Le néo-arabe, et donc l’arabe andalou, ont gardé la plupart du système prépositionnel de l’arabe standard et intégré par un noyau très réduit des vieux mots-outils, comme /bi+/ « avec (instrumental) ; en (contact superficiel) », /fī/ « dans, à l’intérieur de », /li+/ « à (attributive) », /ilà/ « à , vers », /ʕinda/ « chez », /maʕ/ « avec (comitatif) », /min/ « de (partitif) », /ʕan/ « (venant) de », /ʕalà/ « sur ; contre », /ka+/ « à l’instar de » ; ainsi que quelques substantifs fonctionalisés de bonne heure, comme /bayna/ « entre », /ḥattà/ « jusqu’à », /taḥta/ « sous », /amāma/ « devant », /qabla/ « avant », /baʕda/ « après », /ḫalfa/ et /warāʔ/ « derrière », /dūna/ « sans », etc., dont le trait commun et nécessaire est d’avoir la vocalisation de l’accusatif, qui a disparu dans le néo-arabe avec la disparition de la déclinaison,201 et qui pouvait en arabe standard être encore remplacé par la marque /+u/ d’un vieux cas locatif afin de produire des adverbes, mais pas en néo-arabe, pour la même raison et ses tendances analytiques.202 Voici quelques exemples de prépositions en arabe andalou : dans Alcalá bi guedéb « avec éducation », dans IQ 5/1/2 >balḫumār< « avec l’ivresse », >bī/āh< « dans lui », >bī/āhā< « dans elle » ; 96/8/2 >fī qaṭīʕu< « dans sa coupe », 1/8/1 >f+albalad< « dans la ville » ; 6/6/1 >limawlākum< « à votre seigneur », 29/6/4 >larraʕiyyah< « aux sujets », 1/2/2 >lahum< « à eux »,203 38/15/3 >ilà tayyār< « à un torrent »,204 111/6/2 >ḥāǧatka muqḍiyyah lalṭawafān< « ton besoin sera satisfait la
|| compréhensible à travers l’arabe wasṭa « au centre de », ḫabä « chez », où seulement la dernière syllabe semble être en relation avec la préposition proto-sémitique bv, et mǝslä « avec », étymologiquement, mais non sémantiquement reflétant l’arabe /miṯla/ « comme ». Dans un membre d’une branche plus éloignée, comme l’accadien, nous trouvons les équivalents ina, ana et itti, sans aucune connexion étymologique, mais curieusement, les trois langues coïncident dans le cas de « sur » : arabe /ʕalà/, hébreu ʕal et accadien eli, bien que la dérivation d’un mot proto-sémitique *ʕal signifiant le haut soit évidente. 201 Mais parfois retenue par l’arabe andalou en qualité de voyelle disjonctive avec les suffixes pronominaux, et souvent dans la langue des azǧāls, metri causa. 202 Généralement, on a utilisé des locutions adverbiales qui existaient déjà en arabe standard, avec /min/, en retranchant la marque du locatif, comme dans /min taḥt ~ qabl ~ baʕd ~ ḫalf/ « dessous ; auparavant ; après, derrière », etc. 203 La préposition /li+/ avait un allomorphe /la+/ qu’on utilisait déjà en arabe standard avec les suffixes pronominaux, sauf celui de la première personne singulier, et dans l’arabe andalou, aussi en sandhi avec l’article, ce qui arrivait aussi avec /bi+/ et /fi/, une réminiscence de la vocalisation lä+ et bä+ du guèze qui suggère un autre ‘yéménisme’. Quant à /bi+/, l’allomorphe pouvait en arabe andalou apparaître aussi avec les suffixes singuliers de la troisième personne. 204 Dans tout le néo-arabe /ilà/ est devenu un classicisme, remplacé dans le registre normal par /li/a+/, comme dans IQ 7/0/2 >liqurṭuba< « à Cordoue », 1124/ 1/1 >lakam fī ḏā+lġurba dahrī naqṭaʕ< « jusqu’à quel point passerai-je mes jours dans cet abandon ? », mais on trouve parfois des traces de la première, comme dans VA >(i)lay naḥyah< « n’importe où », et du remplacement ultra-correct de /li+/ par /ila/, comme dans PES 16/3/1 >lā layhā šabīhah< « elle n’a pas comparaison ; voir 3.5.3.
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semaine au quatre jeudis », littéralement « le jour du déluge », dans IA 472 >laḏ.ḏ.úhri … lalʕáṣr< « jusqu’à midi … jusqu’au soir », tous avec une connotation temporelle ; 79/13/2 >ʕinda+ lwasāyil< « au moment des pétitions »,205 24/4/2 >ʕindakum< « vous avez » ;206 8/7/4 >maʕ annawāyib< « avec les malheurs », 37/2/1 >māʕuh< « il a » ;207 2/0/1 >min assūq< « du marché », 4/3/1 >min alʕišq< « d’amour » ; 38/26/1 >ʕank yuqāl< « on dit de toi », 81/5/4 >ʕan iḫwān< « à la façon des frères » ; 17/5/3 >ʕalà+llisān< « dans la langue », 6/8/1 >ʕalà ǧamāluh< « malgré sa beauté », 121/0/2 >las ʕalayk< « ne t’en soucie pas » ; 23/10/4 >baynahum< « entre eux », 11/2/4 >bayn šuffatayya< « entre mes lèvres » ; 59/11/2 >kalʕiyār< « comme l’inscription (dans une monnaie » ; 35/12/4 >ḥattà kam< « jusqu’à combien ? » ;208 11/3/3 >taḥta zuǧāǧī< « sous ma bouteille » ; 17/7/4 >amāmī< « devant moi » ; 8/2/3 >qabli kulli ǧazzār< « avant n’importe quel boucher » ; 9/1/1 >baʕdi ḏāk< « après cela » ; 167/1/1 >ḫalf assutūr< « derrière les rideaux » ; 7/14/2 >warāʔī< « derrière moi » ; 65/2/5 >lahum qibalī< « je suis leur débiteur », voir également dans VA >maʕak qibalī< « je te dois » ; >ḫilāl mā< « pendant » ; dans IQ 144/2/4 >qibalhā< « en face d’elle » ; >dūnakum< « sans vous », 5/4/3 >dūn madḥu< « sans sa louange ».209 Il y a eu quelques innovations, comme /qádd/ « comparable à », qu’on trouve partout dans le néo-arabe,210 par exemple dans IQ 142/2/4 >biqaddi ǧabal fārū< « aussi grand que le mont Gibralfaro » ; /ǧuwár/ « à côté de », comme dans IQ || 205 Dans IH 108, l’auteur signale l’existence de la variété /ʕand/ dans l’arabe andalou, qu’il ne considère pas incorrecte. 206 Les prépositions /ʕinda/, /li+/ et /maʕ/ pouvaient exprimer, tout comme dans l’arabe standard, des nuances de possession. 207 L’utilisation des syntagmes marginaux intégrés par des prépositions et des suffixes pronominaux afin d’exprimer les idées des verbes comme avoir (des droits, des obligations, des maladies, etc.), devoir, apporter, porter, etc., déjà connue en arabe standard, est aussi fréquente dans l’arabe andalou, comme dans IQ 62/2/4 >ʕalayya balqilāl< « apportez moi les jarres », 62/2/3 >zamān lī lam naṭbuḫ< « je ne cuisine pas depuis longtemps », 137/9/1 >aš ʕalaynā min ḏāk< « qu’est-ce que cela nous fait ? », 2/4/4 >lā hu yaḏḏa ʕār bīh< « ce n’est nullement honteux pour lui », 80/2/3 >ayyām ḏāba liyya fi+ntiḏ.ārak< « il y a maintenant quelques jours que je t’attends », 148/5/4 >alam bīk< « tu as une douleur ». 208 Adverbe d’origine et de syntaxe discutables, qui n’est jamais devenu une préposition au point de pouvoir s’utiliser avec les suffixes pronominaux, ce qu’on perçoit encore en arabe andalou, où l’on trouve dans IQ 36/1/3 >ḥattà āš< « jusqu’à quoi ? », 35712/4 >ḥattà kam< « jusqu’à combien », mais dans IQ 35/14/4 >ḥattà larrawḍah< « jusqu’au mausolée », dans García Gómez 1929, 45.13 >ḥty ilà ʔḫr ʔnnhār< « jusqu’à la fin du jour », dans Alcalá hattí lahaníq « jusque là », dans MT 447.10 >ḥattà likarm< « jusqu’à une vigne », avec l’ajout complémentaire de /li+/ ou /ilà/. 209 Mais cette préposition appartient plutôt au registre élevé, sa forme habituelle étant /bilā/, déjà normale en arabe standard, mais aussi utilisé en arabe andalou devant les adjectifs, comme un préfixe négatif, comme dans VA >bilā musallaḥ< « désarmé », dans IQ 67/13/4 >bilā muqaṣṣaṣ< « qui n’a pas les cheveux coupés », 68/3/3 >bilā mulaṯṯam< « dévoilé », dans Alcalá bilé maḳyót « sans coutures », bile mazcún « inhabité ». 210 Voir DS II 319 à propos d’une hypothèse sur son origine, mais il s’agit probablement tout simplement d’une fonctionalisation de qadd « taille », du type décrit dans 3.5.3.
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27/3/2 >tarà+lmilāḥ ǧuwāruh< « on voit les beaux à son côté » ; /(fi) ʕáwḍ/ « au lieu de », comme dans IQ 87/22/4 >arrakīzah ʕawḍ aqzāl< « la barre de la porte au lieu d’un javelot », 90/8/3 >fī ʕawḍ ḫarā< « au lieu des excréments » ; dans MT 797 : 4 >ʕawḍan wabadalan ʕan< « en contre-échange de » ; /ʕalà ~ bi+ ~ min qays/ « selon », comme dans VA >biqaysʕalà qays mā ʕamal< « en proportion à celui qu’il a fait », 72/14/3 >biqays mā yalqī albannā turāb< « en proportion de l’argile que met le maçon », 125/1/1 >min qays mā at ḥibbī< « dans la proportion que tu es mon aimé » ; /fi šán/ « dans le but de », comme dans IQ 48/1/4 >fī šān tašwīṭ alrūs< « dans le but de rôtir les têtes » ; /náṣb(a)/ « devant », comme dans VA >naṣb alʕayn< = IQ 97/8/3 >naṣba ʕaynayh< « devant ses yeux », dans PES 78/4/3 /náṣba ʕaynak/ « devant tes yeux » ; /qaríb/, comme dans IQ 57/1/3 >qarīb qitāl< « sur le point de combattre », dans DC 11a ħeléf « contre » ; et surtout la préposition la plus notable, partagée par tous les dialectes du néo-arabe occidental : celle du génitif analytique /matá(ʕ)/ « de », comme dans IQ 24/11/3 >matāʕ siwāʔī< « celles des autres », 98/2/2 >matà ššām< « de la Syrie », sur laquelle on parlera encore dans la syntaxe ; ainsi que la locution prépositive mentionnée dans IQ 2/9/3 = PES 4/5/4 >ʕalà ġayḏ.< « malgré ».
2.5.1.2 Les conjonctions La situation des conjonctions en afro-asiatique n’était pas différente de celle des prépositions, ce qui est encore applicable au proto-sémitique, mais les langues sémitiques se sont douées de systèmes plus développés, avec une considérable indépendance mutuelle, bien qu’il y ait des éléments communs, comme le /wv+/ copulatif, un /fv+/ consécutif, un /lv+/ à plusieurs fonctions (finale et jussive, au moins), un /vn/ conditionnel et un /kv/ modal ou final.211 On donnera d’autres détails dans la partie consacrée à la syntaxe.
2.5.1.3 Les adverbes A cause de leur nature, les adverbes ne jouent qu’un rôle accessoire dans les phrases et les propositions, où ils fournissent des précisions sur les sujets et leurs prédications, étant donc par la suite très renouvelables dans l’évolution linguistique. Conséquemment, les coïncidences entre les langues sémitiques dans ce domaine-ci sont rares, et on a l’impression d’un manque d’information, même d’intérêt pour les études comparatives sur cet aspect grammatical. Du protosémitique et dans ce domaine, les langues sémitiques ne gardent que quelques traits s’étendant à plusieurs membres du groupe, comme la fréquence de
|| 211 Voir Brockelmann 1908 I : 502‒3, et les 10 lignes de Moscati et al. 1964 : 121, alors que Diakonoff ne fait aucune mention de ce sujet.
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l’adverbialisation obtenue par le cas accusatif en arabe, accadien, peut-être l’ancêtre nord-occidental de l’hébreu, 212 des traces éparses du cas adverbial en arabe, éthiopien et accadien, un morphème suffixé {+iṯ} en accadien, araméen et hébreu. Quant à l’arabe, les dialectes néo-arabes ont préservé quelques vieux adverbes avec la marque de l’accusatif, avec ou sans ‘nunation’ : égyptien et syrien /dayman/ « toujours », /abadan/ « jamais » également employé en arabe libyen,213 marocain /ġǝdda/ « demain », /lyūm(a)/ « aujourd’hui », ou bien les vieux accusatifs sont devenus des adverbes non-marqués, comme en égyptien /imbāriḥ/ « hier », en marocain /lbārəḥ/ « hier » et en libyen /mbāṛǝḥ/ « hier soir » < arabe standard /albāriḥata/. Il y a aussi quelques cas isolés de vieux adverbes sans marque : syrien /ams/ = libyen /āmǝs/ = marocain /yams/ « hier » (< arabe standard /amsi/, voir en hébreu emeš), ou ils ont fait des emprunts aux substrats et adstrats, tels que /barrā/ « dehors »,214 de l’araméen barrā,215 dans IQ 182/1/1 /(wa)bass/ « assez » comme en arabe libyen qui a la forme /u bass/, du néo-persan bas (devenu une préposition dans NQ mg 11/5/3 /bássak timaḫráq/ « assez de te vanter »), et /duġri/ « directement » du turc doğru, communs dans les dialectes orientaux et en arabe libyen, bien que le procédé le plus habituel ait été l’utilisation des phrases marginales, anciennes ou innovées, comme en égyptien /bilʕafya/ « par force », d’un ironique arabe standard /bilʕāfiyah/ « par voie du salut », en marocain /bǝzzāf/ « beaucoup » < arabe standard /bilǧizāf/ « en bloc », et parfois l’adverbialisation de phrases plus longues, contenant des verbes conjugués ou pas, telles que /mā zāla/ « encore », comme dans PES 5/1/1 >mā ziltu ḥāḍir< « je continue à être présent », /mā ʕāda/ « non plus »216.
|| 212 Par exemple, l’arabe /yawman/ « un jour », /alyawma/ « aujourd’hui », accadien ūmam « pendant le jour », hébreu yomām « chaque jour » ; arabe /qaṭṭu/ « jamais », accadien ūmussu « chaque jour », éthiopien baḥtitu « seulement » ; accadien damqiš = syriaque ṭābāʔit « bien », hébreu ărāmit « en araméen », où l’on voit qu’une même marque exprimait des nuances différentes, ce qui semble indiquer une communauté morphologique, pas lexicale ; voir Brockelmann 1908 I : 492‒4, Moscati et al. 1964 : 120‒121. Quant à l’adverbialisation lexicale de n’importe quel adjectif, c’est presque un universel linguistique. 213 Mais la préservation du tanwīn décèle des classicismes, puisque la prononciation demandait les formes pausales qu’on trouve aussi parfois dans le marocain, l’arabe andalou, etc. 214 Également employé en arabe libyen qui a formé l’impératif du verbe « aller » à partir de cet adverbe de lieu : au masculin singulier bǝṛṛa « va ! », au féminin singulier bǝṛṛi « va ! » et au pluriel bǝṛṛu « allez ! » (Pereira 2010 : 437‒438). De plus, dans les variétés nord-africaines, cet adverbe a été adjectivisé : on trouve les adjectifs /bǝṛṛāni/ « étranger », /bǝṛṛānīya/ « étrangère ». 215 Qu’on trouve dans IQ 48/3/1. Le mot araméen forme un couple avec gawwā « l’intérieur », qui a produit /ǧuwwa/ « dedans, à l’intérieur de » dans les dialectes orientaux du néo-arabe, mais pas dans les dialectes occidentaux, sauf en maltais ġew(wa). 216 Ces deux adverbes temporels sont employés en arabe libyen, où ils sont grammaticalisés et sont donc invariables (Pereira 2010 : 362‒363). On trouve /māzāl/ qui, lorsqu’il est employé dans des énoncés affirmatifs, a le sens de « encore, toujours », comme dans /hīya māzāl tǝxdǝm/ « elle, elle est encore / toujours en train de travailler » et /humma māzāl f-ǝt-trīg/ « ils / elles sont encore /
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La situation de l’arabe andalou ne diffère pas à cet égard de celle du néo-arabe : ayant perdu beaucoup de vieux mots et de phrases au sens adverbial, on a néanmoins préservé quelques vieux adverbes avec et sans la marque de l’accusatif, avec ou sans ‘nunation’ résiduelle et défonctionalisée, comme dans IQ 20/28/1 et 29/5/3 >ṯam(ma)< « là », 41/7/3 >fawrā< « sur le champ », 42/4/4 >ḥaqqan ḥaqīq< « vraiment », 57/5/5 >ṭawʕā< « de gré », 58/0/1 >abadā< « jamais », 149/6/3 >ǧahra< « publiquement », 9/30/4 >qaṭṭa< = Alcalá cátta « jamais »,217 dans VA >abadan< = >abadā< « jamais », >ġadan< = IQ >ġadā< = Alcalá gadí « demain », dans NQ au /0/2 >aṣlā< « absolument », dans PES 79/0/1 /rásla/ « lentement », dans VA >baġtah< = Alcalá bagta « à l’improviste », dans VA et dans IQ 23/5/4 >ams< « hier » ; on a fait des emprunts au substrat roman, comme /yá/ « déjà », parfois allongé avec ses équivalents arabes, comme dans IQ 21/2/1 >yā baʕad/, dans VA >wayā< « et c’est tout », dans PES 96/2/2 /ya qad táb/ « il est déjà repenti », dans EV 336 yaquet yabecet « elles sont déjà sèches », dans AM 255 >yaqad badaytu< « j’ai déjà commencé », /yáḏḏa/ « aussi »,218 du latin iam, ad hae, et /makkár/ « même ; au moins », du grec ō makárie ;219 et on a remanié les matériaux arabe, comme dans VA >ḏābā< = Alcalá díbe = IQ 11/9/2 et 88/3/2 >ḏāb(a)< « maintenant », d’une ancienne forme dialectale /iḏā bāh/, dans Alcalá adúnia « beaucoup », dans IQ 11/9/2 >lamām< « dorénavant » < arabe standard /ilà amām/, 26/5/1 >šay fašay< = EV 334 xuay xuay « petit à petit », dans IQ 24/1/4 >bāṭil< « gratis », 20/25/2 >zāyid< = 67/7/2 >ziyādah< « encore plus », 18/8/1 >ḏ.āhir< « par cœur », 27/5/3 >saraf< = NQ ms 1/1/2 >ṣaraf/,220 et dans IQ 49/4/3 >bikaṯīr< « beaucoup », 52/4/1 >sāqa< = PES 34/4/1 « derrière »,
|| toujours sur la route » ; lorsqu’il est employé dans des énoncés négatifs, il a le sens de « pas encore, toujours pas », comme dans /māzāl mā-kǝmmǝlt-š/ « je n’ai pas encore / toujours pas terminé ». On trouve également l’adverbe temporel de négation /mā-ʕād-š/, ou une de ses différentes formes raccourcies /mā-ʕā-š/ ~ /mʕāš/ ~ [maʕš], comme dans /mā-ʕād-š nšūf fī-h/ « je ne le vois plus », /līya hālba māʕāš kǝllǝmt-a/ « je ne lui ai plus parlé depuis un bon bout de temps », /mʕāš žāʕān ǝnta/ ? « tu n’as plus faim, toi ? », /ǝd-dāṛ [maʕš] tǝgdǝr txušš l-a/ « la pièce, tu ne pourras plus y entrer ». 217 Parfois avec une connotation emphatique, comme dans PES 44/0/2 /afhámni qáṭ/ « comprends-moi, pas plus ». 218 Voir Corriente 1978d, à propos de ce /yáḏḏa/, dont il y a d’autres traces dans Alcalá, dans AC, dans DC 16a yédhe et Corriente 1987a : 228. On dirait qu’il n’y a aucun lien étymologique de cet emprunt au bas-latin avec l’arabe standard /ayḍan/, mais leur similarité phonétique a peut-être suggéré une interchangeabilité selon les registres, et on peut trouver de graphies hybrides, comme dans PD 199 /yáḍḍa/. D’autre part, son descendant marocain yādǝlli « évidemment » (Mercier 1951 : 258) montre une certaine évolution sémantique et de possibles assimilations morphophonologiques, d’abord avec l’adverbe emprunté au latin /ya/ et, plus tard, avec le pronom relatif ǝlli. 219 Voir Corriente 1997a : 507 et Griffin 1961 : 160. Il y a eu aussi des calques, comme dans VA >ʕan taʕas< « guère », voir le castillan et le portugais apenas, catalan a penes, ainsi que le roman andalou */KON PÉNA/, dans la ḫarǧah A7, voir Corriente 1997b : 278‒279. 220 Dans IQ on place cet adverbe après l’adjectif, mais dans NQ on le trouve avant, comme dans yb 1/2/1 /ṣaráf malḥÉLLA/ « très belle ».
180 | Morphologie
dans IQ 63/2/3 >zamān lī lam naṭbuḫ< « il y a long temps que je ne cuisine pas », 94/7/4 >f+assāqa< « d’après », 20/29/1 >liqābil< « dorénavant », 53/0/2 >liquddām< « en avant », 98/2/1 >mindām< « sur ces entrefaites » < arabe standard /baydamā/, 53/2/2 >bāh< « là », 55/9/3 >balmalā< « totalement », 92/5/4 >fī sāʕah< = 111/5/1 >ʕalà+lmaqām< « sur le champ », 54/4/2 >lā ġinā min ḏahab< « l’or est nécessaire », 9/5/1 > lā ġinā an yiṭīb< « il faut qu’il s’améliore », 19/12/2 > lā ġinā lak an tanṣaf< « il faut que tu paies », 6/4/1 >biʕilmak< = 84/7/3 >ʕalà ʕilmak< « comme on sait », 98/1/4 et 104/4/1 >kalḥayā< « sur le champ », littéralement « (rapide) comme le rougeur » (probablement une altération populaire de l’arabe standard waḥiyyan), 50/2/1 >ʕamawwal< = Alcalá aâméguil « l’année passée » < arabe standard /ʕāma awwala/, bien que critiqué par les puristes, dans PES 56/6/4 /ʕámaqábil/ « l’année prochaine », dans Alcalá abhán « plus tôt »,221 dans AC 252 >wakÍn< « seulement »,222 dans MT 1028 : 21 >alà qarḍi fiʕlihim< « selon leurs actions », dans IA 804 >alà qarḍi saʕdī< « selon ma fortune » ; même des phrases verbales, comme dans IQ 75/2/4 >yā turà …in ṣadaq aw yiḫīb< « on verra bien, … s’il tient sa parole ou déçoit », 135/4/4 >kulli mā maḍà< = 124/6/1 /ma yamḍí yazdād ḥalāwah/ « sa douceur augmente de plus en plus », dans IQ 22/6/3 >ṭāl mā nanfiq< « je fais des dépenses depuis longtemps », 25/1/2 >amsi ʕād … aǧtamaʕnā f+addaymūs< « hier encore nous nous sommes réunis dans la cave ».223
2.5.2 Les fragments Les fragments et les introducteurs sont des segments sub-prédicatifs, ne contenant pas de propositions, mais visant à attirer l’attention des autres, comme les vocatifs, ou exprimant des états de l’esprit, comme les serments, les imprécations et les exclamations. Contrairement aux fonctionnels, les mots et instruments d’expression de ces catégories ont tendance à se perpétuer à travers les générations, en dépit des innovations qu’on ajoute sans pour cela abandonner les procédés traditionnels, comme on voit dans les marques du vocatif et des serments, ainsi que dans les interjections.
|| 221 Un élatif de la phrase /biḥín/ « au moment juste», dont la présence aussi au Yémen, selon Behnstedt 1992 : 62 ne peut être casuelle. 222 Voir la particule ukān en arabe marocain avec les sens suivants : ukān ? « c’est tout ? » et wāḥǝd ukān « un seulement » (Prémare DAF 12 : 261). 223 Mais l’utilisation surtout adverbiale de /ʕād/ en néo-arabe, n’empêche pas son apparition parfois en arabe andalou comme un verbe conjugable, comme dans IQ 38/0/2 >alḫilāfah ʕādat tiṣīr< « le califat existe à nouveau ».
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2.5.2.1 Le vocatif L’arabe andalou préserve la marque plus caractéristique du vocatif en arabe standard, le préfixe /yá/, comme dans IQ 1/8/3 >ya mawlà lmilāḥ< « ô seigneur des beaux ! »,224 aussi bien que /á/ comme dans 33/0/1 >ā+qalbī< « ô mon cœur ! », dans ZJ 157 >aman haddanī< « eh toi, celui qui me menace ! », dans AC 564 >afarrān< « eh, fournier ! », mais il est fréquent de trouver l’article défini dans cette fonction, comme dans IQ 77/7/1 >alwazīr abū bakr< « ô vizir A.B. ! » 80/0/1 >alqamḥ alǧadīd< « ô blé nouveau ! », 137/7/4 >alfānī< « eh toi, vieux décrépit ! », ou même de l’exprimer par la seule intonation, comme dans 54/4/5 >man ḥaḍar wayasmaʕnī< « toi, qui es présent et m’écoutes », 86/0/1 >man banà ʕalà lǧihād< « eh vous, ceux qui êtes décidés à faire la guerre sainte ! ». Quant à /áyyuha+lʕuryán/ « toi, celui qui est nu » dans ZJ 9, c’est un classicisme isolé.225
2.5.2.2 Les serments L’arabe andalou préserve les marques les plus utilisées en arabe standard pour les serments : les préfixes /wa+/ et /bi/a+/, comme dans IQ 2/1/3 >wallah(i)< = 2/2/3 >ballah< « par Dieu ! », dans 11/0/2 >bannabī< = 67/1/1 >wannabī< « par le Prophète ! », dans 19/12/3 >waḥaqq allah< « par le droit de Dieu ! », dans 66/4/4 >biḥayātak< « par ta vie ! », dans 21/0/1 >liʕamrī< « par ma vie ! »,226 et aucune innovation comme dans IQ 10/3/1 >hamm allah alakbar< « par Dieu le plus grand ! »,227 ou la tournure juridique dans IQ 84/0/1 >fī ḍamānī< « je me rends caution».228 Dans les exclamations, on trouve souvent le préfixe /yá/ du vocatif, comme dans 49/371 >yā asaf< « quel dommage ! », dans 94/12/1 >yā surūrī< « quel joie ! », mais aussi /áy/ comme dans 94/21/1 >ay ḫisārah< « quel perte !», ou la simple intonation || 224 La restriction de l’arabe standard de ne pas utiliser /yā/ avec des noms précédés de l’article, n’affecte pas en néo-arabe, donc en arabe andalou, le nombre de Dieu, comme dans IQ 2/3/4 >yā+lla ʕīnuh< « Ô Dieu, aide-le ! ». 225 Mais on connaissait bien cette marque classique du vocatif des noms avec l’article défini, puisqu’on l’employait lexicalisée, comme on voit dans l’exemple mentionné par Alcalá ayuhaníç « populace », dérivé de l’appel au peuple en arabe standard /ayyuha+ nnās/ « eh, vous, les gens ». 226 Le manuscrit ne vocalise jamais le lām dans ce mot, mais dans GL on trouve >haqqun liʕamrībayāḍī< « quelle chance j’ai eue ! », 86/2/3 >bayāḍan yā ʕalī< « donne-nous fortune, ô Ali ! », dans IQ 6/2/1 >lā kān min ṣibyān< « maudits garçons !» (relevé par le dictionnaire arabe classique Lisānu l-ʕarab plus complète, comme /lā kāna walā takawwan/ « plût à Dieu qu’il n’existât ni fusse formé ! »), et il y a, bien sûr, des innovations, comme les désirs exprimés avec /ya ʕaláy/, comme dans 67/2/3 >yā ʕalay … qubaylah< « plût à Dieu que j’eusse un petit baissier ! ».
2.5.2.3 Les interjections L’arabe andalou a préservé de nombreuses interjections de l’arabe standard, comme dans IQ 96/5/2 >hāt< « donne-moi ! » 7/4/3 >hayhāt< « loin de moi ! », 11/6/4 >hayya< « allons ! », 1/2/3 >ayyāk< « attention! »,229 26/5/4 >ṭūbāl man māt< « heureux celui qui est mort ! », 39/4/3 >wāḥuznī< « quel tristesse la mienne ! », 92/7/4 >yā ḥasra< « quel dommage ! », 81/6/4 >mā šā ʔallah kān< « la volonté divine a été faite ! », ainsi que dans ZJ 505 et 506 >ušt< = >uǧǧ< « pschttt ! ». L’arabe andalou a également innové ; on trouve ainsi des d’autres interjections, vernaculaires ou empruntées, comme dans IQ 5/5/2 >ġāq< « aïe ! », 31/8/5 >allah (alla)< = 137/5/22 >alla allah< « mon Dieu ! », 58/4/5 >yāmma< « ma mère ! », 62/6/4 >aḥ< « onomatopée de l’haleine expiré (mais du douleur dans 148/3/3) », 94/7/4 >ḥāḥ< « interjection pour chasser les oiseaux et volailles », 96/10/1 >ṣub ṣub< « onomatopée de la gorgée », 117/3/4 >buf buf< « onomatopée du souffle », 118/2/2 >aḫ< « onomatopée de la nausée », 137/11/3 >ṭāq< « onomatopée du coup », 137/1/1 et 150/4/4 >āha< « mais oui ! », 148/3/2 >danna dan dan … qaḥḥa qaḥ qaḥ< « onomatopées du chant et du rire», 173/2/4 >ḫuḏ tarà ḏā+lfatà< « tiens, regarde cet homme ! »,230 dans NQ hm 3/2/2 /ḫuttará/ « tiens, regarde ! », 11/6/4 >ayya< « allons ! », du latin eia, 12/7/2 >aṣab< « ouste ! », à rapprocher du castillan zape, 16/1/4 >arra< « donne-moi ! », 18/4/1 >allā< « allons ! »,231 31/4/5 = PD 140 >siyyā< « scie ! », dans IQ 23/0/2 >ḥirr umm allaḏī yaʕmal ṣināʕah< littéralement « la vulve de la mère de ceux qui ont un métier ! », c’est-à-dire à peu choses près « au diable ceux qui, etc. »,232 dans VA >
|| 229 Il est remarquable que le suffixe pronominal soit ici invariable et que cette interjection puisse subordonner une proposition sans aucune conjonction, comme dans IQ 94/3/4 >ayyāk lā tamšu ṣiḥāḥ< « gare à vous d’aller sobres ! », dans VA >ayyāk taʕmal ḏā< « gare à toi de faire cela ! » et dans PES 78/4/1 /ayyák yuġúrrak miṯálak/ « gare à toi de te laisser égarer par ton modèle ». 230 Une extension de l’interjection /ḫú(ḏ)/, s.v. ¡jodo (petaca)!, à laquelle on peut ajouter ¡jolín! (Corriente 2012 : 342 et Corriente 2008 : 342). 231 Probablement une corruption de l’arabe standard /alā/, particule exhortative. 232 Voir Corriente 1993 : 288 et note 28 et Corriente 2012 : 248 à propos de ce grossier idiotisme arabe ancien qui a survécu dans le castillan caramba, ayant perdu sa signification originale, a côté d’autres expressions du langage vert des muletiers Morisques, traduites de l’arabe et utilisées jusqu’à nos jours, sans que personne ne suspecte leurs origines.
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ḥāšà lillah< = Alcalá haxícum = Barceló 2012, 172 >ḥašà< « Dieu vous en sauve ! », dans ZJ 820 = IZ 5/1/1 /ḥáw ḥáw/ « allez vite ! ».233
|| 233 Sans DG 104, l’auteur offre une interprétation légèrement différente pour (a)hau, celle d’une interjection qui servirait à appeler quelqu’un.
3 Syntaxe Le but de la syntaxe est l’étude des combinaisons possibles de mots afin d’obtenir un discours cohérent, ce qui comprends un catalogue des structures des phrases (syntagmes ou combinaisons sub-prédicatives) et des propositions (syntagmes ou combinaisons prédicatives) ; la différence entre phrases et propositions consistant en l’absence ou présence de prédication ou attribution d’un commentaire à un sujet ou thème, ce qui produit un jugement complet. Les syntagmes sub-prédicatifs sont toujours des noms, isolés ou étant le noyau auquel on ajoute d’autres noms, des articles, ou pronoms comme compléments de génitif ou appositions, adjectifs qualificatifs en concordance avec le noyau, ou même des phrases verbales adjectivisées moyennant une transformation relative. On classifie donc ces syntagmes ou phrases nominales en qualificatifs, de rection, relatifs et exocentriques ou marginaux.
3.1 Les syntagmes qualificatifs Les syntagmes qualificatifs sont constitués d’un substantif généralement suivi d’un adjective en concordance totale avec lui, ce qui inclue en arabe andalou les catégories ou logèmes de genre, de nombre et de détermination, comme dans /báyt(an) kibír/ « une grande maison », /buyút(an) kibár/ « des grandes maisons », /albáyt alkibír/ « la grande maison », /albuyút alkibár/ « les grandes maisons », /madína(tan) kibíra/ « une grande ville », /mudún(an) kibár/ « des grandes villes », /almadína alkibíra/ « la grande ville », /almudún alkibár/ « les grandes villes ».1 Le tanwīn connectif /+an/ apparaît entre les substantifs indéterminés et leurs qualificatifs caractérisant les textes les plus anciens, mais ayant disparu dans les plus modernes, sauf dans quelques tournures, comme dans VA >ḫall an (ḥ)āḏiq
umūru aṣṣiʕāb< « ses affaires difficiles » et dans IA 30 /aǧtamáʕu assakákin/ « les couteaux se ressemblent », mais on trouve encore souvent la concordance des pluriels d’irrationnels au féminin singulier, caractéristique de l’arabe standard, comme dans IQ 6/6/3 >alaḫlāq asukkariyyah< « ses coutumes douces comme le sucre », 6/11/1 >tuṣayyar alġizlān quddāmu dārah< « les gazelles sont placées devant lui en cercle », mais >yantaḏ.arū amru< « attendant ses ordres », ainsi que dans 72/11/3 >hawl+lʕālam< « ces gens-ci », à cause de l’évolution sémantique du mot, et cela même quand le pluriel résulte d’un syntagme copulatif, comme dans IQ 95/3/2 >yasǧudū+ššiʕri walkitābah< « la poésie et la prose se prosternent » ; parfois les deux traitements sont utilisés ensemble, comme dans IQ 92/6/1 >narà alraġāyif maʕǧūna bīḍ< « je vois les pains pétris et blancs ». On observe aussi que les collectifs sont considérés comme des pluriels de choses ou de rationnels, selon les cas, avec la concordance conséquente, comme dans IQ 78/2/3 >aššaǧar tuqūl< « les arbres disent », 40/5/1 >arrūm … yamuddū+lbāʕ< « les chrétiens tendent ses bras ».
186 | Syntaxe
« vinaigre fort », >murrat an ṣafrā< « bile jaune », dans IQ 45/6/1 >anāmilan bariyyah< « doigts innocents », 27/9/2 >maṣāyib an ʕiḏ.ām< « malheurs énormes », dans PES 4/1/3 /mudáman ḥalál/ « vin licite », 46/1/4 /sáʕatan haníyya/ « une heure heureuse », dans ZJ 1770 >muslimīn an liṭāf< « mauvais musulmans », dans EV 332 huach tanmumit = /wáqtan mumít/ « moment mortel », 336 çoror anquevir = surúr+an kibír « une grande joie », dans Alcalá 32.31 bicalben géid « de bon gré », mais aussi dans IQ 13/0/1 >maʕšūq šāṭṭ< « un aimé de grande taille », et surtout dans les textes tardifs, comme dans EV 332 quezra quebira « grande ruine »,2 dans Alcalá çuf ḳaxín « laine grossière », xéy ḳaffíf « chose facile », hamíma beitía « colombe apprivoisée », avec des exceptions comme yed aniamín « main droite » et dibbat anóḳra « une autre bête »3. On relève parfois des constructions sans concordance de détermination, sans article dans le deuxième constituent, comme dans VA >allahu ʕālī< « Dieu sublime », dans MT 466.22 >alʕaqd ṯānī< « le deuxième contrat », dans Alcalá 52.23 al axiit rauhánin « les choses spirituelles », albáhar maâcut < « la mer gelée », dans DC 15b almeé mouáreq « l’eau bénite »,4 ou dans le premier, comme dans MT 577.5 >bīr almurr< « le puits amère », dans Alcalá 43.19 çala alquibíra « la prière principale », 47.24 bi çunúx almucaribín « avec des faux poids », dans DC 6b fi yaum athelithi « lors du troisième jour », ou avec une inversion de l’ordre habituel, comme dans Alcalá fil áḳir âaxí « lors du dernier souper », dans DC 4b almuquéddez açáleb « la croix bénite », 12a oħar axiét « autres choses », dans MT 1034v15 >alsābiʕ yawm < « le septième jour », dans AM 292 >asir al marfū asulṭan aw mita ḥ.di maqrum muslim< « captif de l’éminent sultan ou de quelque noble musulman ». Elles sont presque toutes le résultat de pauvres traductions par des étrangers ou, au moins, de l’interférence linguistique ou de changements imparfaits de code chez des bilingues, comme les Mozarabes de Tolède.5 || 2 Cependant, ce texte contient aussi deux cas anomaux (page 336), carama en quibira = karáma(t) kibíra « grand honneur » et (page 337) biquezra annadima = /bikásra(t)+an ʕaḏ.íma/ « avec une grande ruine », où la marque habituelle du féminin devant le tanwīn connectif n’apparait pas, ce qui suggère qu’elle est devenue un préfixe du mot en queue du syntagme, ou même un mot détaché, comme le pensait Baneth 1945. 3 Mais les matériaux d’Alcalá suggèrent la lexification d’anáḫar, féminin anúḫra, à travers une fausse coupure, comparable à l’égyptien rāḫar, féminin ruḫra, pluriel ruḫrīn, bien que le /r/ dans ce cas soit le résultat d’une assimilation de /l/. Dans une computation dans le texte de PES, sur un échantillon de 37 cas, 29 masculins préservent le tanwīn connectif, face à 11 féminins seulement, alors que 9 masculins ne le font pas, face à 18 féminins, ce qui semble indiquer une tendance plus forte vers l’élimination de cet archaïsme dans le syntagme féminin (Corriente 1988 : 30). 4 Un cas similaire et très commun dans tout le néo-arabe est celui des appositions avec les noms de nombre, comme dans IH 325 >alḫamsat danānīr< « les cinq dinars », où l’arabe standard correct demanderait /addanānīru lḫams/. 5 Sauf certains cas comme dans IQ 12/6/1 >alšayḫ mabḫūr< « le vieillard à l’haleine fétide » ou dans MT 565.3 >alzaǧw baqar ḥarāṯah< « la paire de bœufs à labourer », où le syntagme semble être perçu comme une unité lexicale, et dans IQ 10/3/3 >masǧid alaḫḍar< « la Mosquée Verte », une vieille construction fréquente en néo-arabe, comme dans les noms de fleuves, Guadalquivir (Castellón)
waḥd alfaras< « un cheval », dans HH 204 >waḥd alṣabiyyah< « une fille », dans PES 47/6/1 >waḥd almaḥārah< « une coquille ».6 Il est parfois utilisé sans le deuxième élément, avec la forme masculine /wáḥid/ et féminine /wáḥda/, comme dans Hv100v5 >waḥda buṭizzah … waḥda furaymā min ṣukar < « une bouteille …un petit pain de sucre ».7
3.2 Le syntagme de rection Le syntagme de rection est une pièce fondamentale de la syntaxe proto-sémitique et arabe, préservée dans sa substance dans le néo-arabe, donc l’arabe andalou, et composé d’un substantif en tête de construction qui gouverne un autre substantif ou
|| /wád alkibír/ « le grand fleuve », et Guadalmazarub (Jaén) < /wád almazrúb/ « le fleuve hâté », plutôt que /masrúb/ « canalisé » dans Terés 1986 : 384. Cela nous porte jusqu’aux exemples modernes du Maroc: /ḍāṛ ǝl-bīḍa/ « Casablanca », et /ḍāṛ əl-āḫra/ « l’autre monde » où il y a une lexicalisation sans l’article défini dans le premier nom. En Libye, on le trouve notamment dans les constructions de noms d’hôtels comme /funduq ǝl-kbīr/ « le grand hôtel », de noms des portes tels que /bāb ǝž-ždīd/ « la nouvelle porte » et de noms de bains comme /ḥǝmmām lǝ-kbīra/ « le grand hammam ». Dans d’autres cas, il s’agit simplement des semi-lettrés imitant sans succès des tournures de l’arabe classique, comme dans Hv. 99.1 >alkarīm kitābukaḏā lʕām wādī awǧaf< « cette année le fleuve déborderait » et 91/7/2 >lam yaǧzī wādī< « le fleuve ne suffirait pas », leur explication est qu’on appelait le Guadalquivir à Cordoue /wádi/, tout court, avec une curieuse absence d’article, peut-être encore un autre ‘yéménisme’, selon le modèle sud-arabique, où l’article devant le nom n’existait pas. D’un autre côté, dans IQ 16/4/1 >alġayr yatbaʕ< « le reste suive », avec un article contrairement aux règles classiques, n’est pas surprenant, puisque /ġayr/ a toujours été un nom, bien que surtout utilisé dans des tournures prépositionnelles. 6 En arabe marocain, on trouve la même forme invariable pour l’article indéfini, par exemple, pour le masculin /wāḥəd ər-rāžəl/ « un homme », pour le féminin /wāḥəd əl-bənt/ « une fille » et pour un pluriel /wāḥəd əž-žūž d-əl-ūlād/ « deux garçons ». Cette utilisation invariable nous confirme la lexicalisation de la forme. 7 Mais la deuxième construction, avec des parallèles non seulement maltais, comme dans wieħed raġel « un homme », waħda mara « une femme », mais aussi orientaux, comme en égyptien wāḥid muhandis « un (certain) ingénieur » est une simple évolution du pronom indéfini devenant adjectif, à la différence de la première qu’on ne trouve pas au-delà des dialectes occidentaux. Il était habituel de considérer qu’il s’agissait d’un calque de l’article indéfini roman un(a), mais cela n’expliquerait pas l’addition immédiate de l’article défini ; donc, en admettant une influence parallèle du substrat roman, il semble s’agir plutôt d’un calque de la construction berbère avec des mots d’origine arabe, comme dans ya+lkas « un verre », yat+lǝbhimt « une bête de somme », où l’article arabe n’est pas fonctionnel, car il est agglutiné au lexème emprunté, comme dans le cas parallèle des langues romanes (Corriente 2008c : 68-74).
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un pronom suffixe qui le suit ; le premier dans un état appelé construit,8 et le deuxième avec la marque du génitif dans les phases des langues sémitiques où la déclinaison avec des marques de cas existait encore, ou avec l’article en cas de détermination non-inhérente, qui affecte les deux substantifs, ne pouvant être placé qu’avant le dernier constituant de la construction, qui peut avoir plus que deux chainons, comme dans IQ 9/32/2 >ḫubzi dār< « pain d’élaboration domestique (littéralement de maison) », 38/36/3 >qāḍī alquḍā< le juge suprême (littéralement des juges) », 88/27/4 >ġurrat alšams< « l’éclat du soleil », mais aussi 20/14/4 >ḫabar šuqūrat ʕiḏārī< « le cas de la blondeur de mes tempes » et 9/41/3 >banī quzmān< « les fils de Quzmān », car le pronom et les noms propres sont déterminés d’une façon inhérente. Comme dans les cas des syntagmes qualificatifs, on remarque quelques violations de ces règles, assez fréquentes quand l’annexion de deux substantifs est lexifiée, comme dans 86/9/4 >alwalad zinā< « le fils de putain », dans ZJ 1711 >alḥabb almulūk< « les cerises (littéralement grains des rois) », ou l’absence anomale de l’article dans VA >baʕḍ ayyām< « quelques jours », dans Alcalá báâd mirár « quelques fois ». Mais, dans d’autres cas, il s’agit à nouveau de simples erreurs des étrangers ou des bilingues, comme dans Alcalá 9.22 almoftáh a dár « la clé de la maison », 32.17 al guíd a dumóâ « la vallée des larmes », 57.26 adín alláh « la religion de Dieu », dans MT 487.20 >alrāhibāt alkunbānt< « les religieuses du convent », 611.5 >alifrāyirīn qalaʕat rabāḥ< « les moines de Calatrava », dans DC 6b-7a almoçtamáâ a çalehín … al gofrán a dhunúb « la communion des saints … le pardon des péchés ».
3.2.1 Le génitif analytique Mais l’arabe andalou comme la plupart des dialectes du néo-arabe, a innové une marque analytique de génitif, une véritable préposition qu’on place entre les deux constituants du syntagme, à savoir /matá(ʕ)/ ou /mita/, de l’arabe standard /matāʕ/ « propriété de », comme dans IQ 142/1/5 >alqulūb matà nuḏ.ḏ.āru< « les cœurs de ceux qui le voient », dans IA 257 >ǧāratī matā alsāḥil< « ma voisine de la côte », dans MT 119.2 >alǧunaynah mataʕ aldayr< « le petit jardin du convent », dans Alcalá hanút mítal haddid « la boutique du forgeron », dans DC 5a ħobzena matá culliém « notre pain de chaque jour ».9 || 8 Ce qui n’est marqué en néo-arabe que par la prononciation intègre du morphème {+at} du féminin et par un changement de l’intonation comprenant un affaiblissement accentuel qui peut amener la chute des voyelles, comme dans IQ 36/6/3 >ṣaḥb alwaṯīrah< « le porteur de l’oreiller (à la cour des Almoravides) », mais 78/6/3 >ṣāḥib almadīnah< « le préfet de la ville », sans doute metri causa. 9 Mais une construction comme celle relevée dans DC 5b mouáreq thamarát matá vátnaq « et le fruit de ton ventre est béni » avec une insertion in-nécessaire de la préposition entre les deux
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Cet outil permet une plus grande souplesse dans la combinaison des noms,10 l’expression de véritables pronoms possessifs et des relatifs avec élision de l’antécédent, comme dans IQ 90/10/4 >alraǧul mataʕhā< « son mari », dans IA 103 >iš yarā alaḥdab ḥadubbatuh illI matā ġayruh< « le bossu ne voit pas sa bosse, mais celle d’autrui ». Dans les textes produits par des bilingues ou des étrangers on remplace parfois cette préposition par /(allaḏí) min/, comme dans MT 290.6 >šahr yunayr allaḏī min sanat …< « le mois de janvier de l’an … », 1168.7 >alquss min kanīsat šant yaqūb< « le curé de l’église de Saint Jacques », 371.1 >alǧinān min alqiss< « le jardin du prêtre… », ou bien par une préposition /li+/ contrairement à l’usage réglé de l’arabe standard, comme dans MT 67 .5 >almadḫal lildār< « l’entrée de la maison », voire /ilà/, souvent confondue avec /li+/ dans les registres bas, comme dans MT 193.4 >zaytūn ilà awrāṯ< « une olive des héritiers … ». Quant aux cas tels que ceux relevés dans MT 318.1 >aršidiyāqun di wādī lḥaǧāra< « archidiacre de Guadalajara » ou dans Hb. 359 >sitra ḏi alʕarš< « le dais du trône », ces sont plutôt de véritables changements de code produits par des Mozarabes ou des Morisques bilingues.11
|| membres du syntagme de rection ne peut être qu’une traduction littérale ratée, ce qui est fréquent dans les textes des missionnaires (Corriente 2008c). 10 Par exemple, quand on veut dire « la grand maison du maître arabe », ce qui demande même en arabe standard l’utilisation de la préposition /li+/ comme dans /albaytu lkabīru lilmuʕallimi lʕarabī/, afin d’éviter une construction si compliquée comme /baytu lmuʕallimi lʕarabiyyi lkabīru/, peu habituel à toutes les époques et impossible en néo-arabe après la perte de la déclinaison, voire en arabe standard à cause des formes pausales ; en outre, cela impliquait une certaine ambiguïté, car il peut également signifier, à moins qu’on introduit un pronom anaphorique, « la grande maison est pour le maître arabe », du fait que la préposition /li+/ soit multifonctionnelle. 11 Sans aucune relation avec la préposition d(ǝ) du marocain, dont l’origine, comme celle de la forme longue dyāl, est le démonstrative ḏ du sud-arabique, et pas du roman, ce qui est démontré par la tournure et encore un ‘yéménisme’ >ḏimarrah< chez IQ 48/3/2 « de jadis », d’où le castillan de marras (Corriente 2008a : 369). Il faut supposer aussi que les violations des règles phonotactiques de la syntaxe arabe, comme la prohibition d’introduire d’autres mots entre la tête et la queue des syntagmes de rection, comme on le voit dans l’exemple d’Alcalá xórba hamida arromán « soupe acide de grenades » et dans MT 184.4 >waǧamīʕ ayḍan alniṣf< « et toute la moitié aussi », ainsi que l’interruption du syntagme qualificatif dans DC 13a alaâmél matá rráhma agecediín « œuvres corporelles de miséricorde », sont seulement des erreurs grammaticales ou des maladresses. En arabe marocain, surtout dans le centre et le sud du pays, les particules de génitif analytique présentent une variété plus grande qu’en arabe andalou ; ainsi on trouve aussi la particule /(n)tāʕ/. Mais, en plus, tant /dyāl/ que /(n)tāʕ/ peuvent présenter des formes abbrégés – / d(ə)/ et /t(ə)/ – et des formes différentes pour le féminin et pour le pluriel : /dyālt/ – /ntāʕt/ et /dyāwəl/ – /(n)tāwəʕ/, respectivement (Sánchez 2014 : 215-216). En Libye, on trouve la forme /mtāʕ/ à Tripoli, comme dans /hādi l-gahwa mtāʕ ǝl-wǝld ǝlli lāgēnā-h āmǝs/ « c’est le café du garçon que nous avons rencontré hier » (Pereira 2010 : 408-410) et /imtāʕ/ à Benghazi comme dans /imtāʕ man, haḏa? imtāʕ-ī nā !/ « à qui appartient ceci ? C’est à moi ! » (Benkato 2014 : 89). Ces formes s’accordent en genre et en nombre avec l’objet possédé comme dans /hādu s-sǝyyāṛāt mtāʕāt-kum ?/ « ces voitures sont à
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3.3 Le syntagme relatif Le syntagme relatif en arabe andalou est une phrase formée par un noyau substantif suivi d’une proposition verbale ou nominale transformée en adjectif par l’imitation de la construction qualificative dans la position ou le marquage taxématique, immédiatement après le nom qualifié, ainsi que dans l’utilisation des marques analytiques /an/ si l’antécédent est indéterminé, et le pronom relatif /allaḏí/ s’il est déterminé, comme dans IQ 22/10/3 >ḫāṭiran yattaqad miṯl alnār< « un entendement qui illumine comme le feu », 72/4/1 >dāran fīhā zawāǧ< « une maison dans laquelle il y a un couple marié », 142/0/1 >almilāḥ allaḏī ǧārū< « les beaux qui ont été injustes », dans MT 191.1 >alqānuniǧīn allaḏīn balqāʕidah almukarramah< « les chanoines qui sont dans la vénérable cathédrale ». Comme il fallait s’y attendre, ce morphème /an/ pouvait disparaître, comme dans IQ 41/2/1 >qāḍī yaʕmal ḏa laʕmāl< « un juge qui fasse des telles actions », 21/16/2 >ʕiqāb las yiǧī< « un chien qui n’accourt pas », dans MI 197 >qulyār min aḏḏahab talaf< « un collier d’or qui était perdu », bien qu’on le trouve encore dans des textes tardifs, peut-être plus fréquemment que dans le cas du qualificatif, comme dans MI 309 >lis nirīd naġram šay an lis hu wāǧib< « je ne veux pas payer ce qui n’est pas nécessaire », dans MT 1080.7 >šayyan yubtāʕ< « une chose qu’on achète », dans IA 506 >ʕaynan lā yarā qalban lā yawǧaʕ< « (si) un œil ne voit pas, un cœur ne souffre pas ».12 On observe encore en arabe andalou des différences avec les règles du relatif en arabe standard, à savoir : l’omission fréquente du pronom de retour (ḍamīrun ʕāʔid dans la terminologie grammaticale arabe), ce qui était peu fréquent en arabe classique, comme dans IQ 18/7/4 >alfatà allaḏī sammayt< « le jeune homme que j’ai mentionné » et dans Alcalá 50.35 aḍunub alleḍína aâmélt « les péchés qui tu as commis » ; la préfixation des prépositions au relatif au lieu de les placer à la fin de la phrase suivies par un pronom de retour, comme dans IQ 35/3/4 >aṭlub šurrāfah ʕalaš taʕtalī< « cherche un rempart d’où te jeter », dans Alcalá 57.23 azéit almubáreq balleḍí yudhénu almardá « l’huile bénit avec lequel on oint les malades » ; et
|| vous ? ». Cependant, à Tripoli, la forme du masculin pluriel /mtāʕīn/ n’est plus en usage ; ce terme y étant employé comme substantif avec le sens de « parents, proches ». 12 L’élimination des dernières traces du tanwīn, même dans cette fonction résiduelle, est une manifestation du drift dans l’évolution linguistique qui s’est accompli dans la plupart des dialectes néoarabes. L’influence de l’arabe classique le protège encore dans quelques mots et tournures, mais les mots ainsi marqués ont presque toujours une connotation pédantesque qui fait qu’on ait tendance à les remplacer ; c’est par exemple le cas de l’égyptien du Caire giddan en face de ʔawi. En arabe andalou, nous avons par exemple dans IQ 104/3/2 >bāʕan fī bāʕ< « pas à pas », dans VA >irbā irb< « en morceaux », mais dans Alcalá aráb aráb « en miettes », ainsi que les exemples dans Alcalá 25 méxien « marchant », ráquiden « dormant », cáylen « disant », etc., qui ne sont que des classicismes dictés par ses précepteurs cultivés et très rarement insérés dans les textes où il cherche un style plus élevé.
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l’insertion infra-correcte d’/allaḏī/ avec un antécédent indéterminé, comme dans Alcalá 38.5 ḳobç cemeguí allaḍí yaâtí hayé « un pain célestiel qui donne la vie ».13
3.4 Les syntagmes exocentriques ou marginaux Les syntagmes exocentriques ou marginaux parviennent au même but : l’ajout d’information à un noyau substantif moyennant la simple juxtaposition de phrases prépositionnelles ou adverbiales d’une façon tout-à-fait analytique sans l’aide d’aucune marque synthétique, comme dans IQ 21/3/3 >šāʕir bizawǧ< « un poète avec une épouse », dans IQ 38.39 >kān ṣaḥbuh sinīn< « il était son ami pendant quelques années », bien qu’on établisse parfois une connexion avec le même /+an/, comme dans IQ 2/8/3 >ḥarāman ʕalayya< « anathème pour moi », 42/0/1 >waḥšatan biyya< « une nostalgie que j’ai », 6/7/3 >wāḥidan minhum< « un d’eux »,14 19/1/1-4 >ṯawban rafīʕ … ʕād bidurǧuh ṭarī< « un vêtement excellent, encore frais dans son tiroir ». En tant qu’adverbes qu’ils sont fonctionnellement, ces syntagmes peuvent aussi se trouver comme compléments des syntagmes prédicatifs verbaux, comme dans IQ 7/12/3 >ǧīt ilayk qāṣid an tanḏ.ur liḥālī< « je suis venu à toi avec l’intention que tu considères ma situation », 17/1/4 >bitt anā ʕarūs< « j’ai passé ma nuit comme un nouveau marié », dans Alcalá 42.4-5 fi hácat qui yahléf fal bátil horma fiq « afin de faire un faux serment à cause de toi ».
|| 13 Le pronom relatif le plus employé dans tout le néoarabe est /ǝlli/ < arabe classique /allaḏī/. Il appartient donc à un stade postérieur de l’arabe andalou dans l’évolution de ce type d’arabe. Il est employé avec les animés et les inanimés, et avec un antécédent déterminé, par exemple, en arabe marocain : /fīn əl-ktāb lli šrīti ?/ « où est le livre que tu as acheté ? », ou même sans antécédent, par exemple : /wāš šəfti lli ža ?/ « est-ce que as-tu vu qui est arrivé ? (Caubet 1993 I : 174-175). Il est également employé en arabe libyen lorsque l’antécédent est fortement déterminé : /illī/ à Benghazi (Benkato 2014 : 85) et /ǝlli/ à Tripoli comme dans /ǝl-ktāb ǝlli ʕṭēt-hū-l-i mā-stḥǝggēt-ā-š/ « le livre que tu m’as donné, je n’en ai pas eu besoin » ; on le trouve également sans antécédent comme dans /ǝlli tǝbbī-h mā-tǝgdǝr-š tḥaṣṣl-ǝh/ « ce que tu veux, tu ne pourras pas l’obtenir ». À Tripoli, on trouve également le relatif ma qui s’emploie sans antécédent et renvoie à un inanimé, comme dans /mā-xǝlla-l-i ma nākǝl/ « il ne m’a rien laissé à manger » ; le relatif /mǝn ~ mǝnu ~ mǝni/ qui s’emploie sans antécédent et renvoie à un animé, comme dans /bǝṛṛa dawwǝṛ mǝn ynīk-ǝk/ « va chercher quelqu’un pour te baiser (va te faire foutre) » ; le relatif /šǝn ~ šǝnu ~ šǝni/ qui renvoie à un antécédent inanimé, comme dans /hāda šǝn ṣāṛ/ « c’est ce qu’il s’est passé » (Pereira 2010 : 285289). 14 Mais dans la phase plus ancienne de la documentation de l’arabe andalou, l’utilisation du /an/ connectif pouvait se trouver entre n’importe quels éléments du syntagme nominal sub-prédicatif, comme dans IQ 21/2/4 >aḥmaq biṣaḫratayn an muṣāb< « un fou affecté de deux pierres (de la folie, tel qu’on le croyait, développées à la nuque) », où on l’ajoute au morphème du duel.
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3.5 Les syntagmes prédicatifs Les syntagmes prédicatifs ont toujours une phrase nominale comme sujet, mais leur prédicat peut être une autre phrase nominale dans le cas des propositions appelées nominales où un syntagme verbal dans les cas de prédication verbale.
3.5.1 Les syntagmes sub-prédicatifs nominaux Tous les syntagmes sub-prédicatifs nominaux peuvent devenir prédicats d’une proposition nominale par la simple juxtaposition après, et parfois avant celle-ci, lorsque le sujet est déterminé et le prédicat indéterminé, comme dans IQ 7/0/1 >alsalaf mardūd< « le prêt est retourné », 7/12/ >ʕulāk šāfiʕ fī ġayr mušaffaʕ< « ta gloire est l’avocat de celui qui n’en a », dans Alcalá 57.11 énte muzéguex « es-tu marié ? », ou moyennant une copule, normale ou emphatique, la moins marquée étant un pronom anaphorique de 3ème personne, comme dans IQ 9/32/2 >wahu ḫaṭṭī qawī< « et mon écriture est vraiment belle », ou dans Alcalá 40.17 âíndaq hu muçháf « est-ce-que tu as un exemplaire du Qurʔān? », 42.17 harám hu « il est défendu », dans AC 505 >walad qaḥbā hū< « il est un fils de putain », dans VA >sawā hum< « ils sont la même chose », à la différence des marques emphatisantes /(la)qad/ et de l’impératif /rá/ « vois » suivi des suffixes pronominaux, comme dans IQ 9/3/3 >laqad anā maḏ.lūm< « j’ai été vraiment malmené », dans PEIA 21 /laqad hú maʕlúm/ « il est certainement connu », dans IQ 54/2/2 >rānī šaqfah bayn idayh< «moi, je suis comme des tessons dans ses mains », dans ZJ 986 >rāhī zubd< « il est vraiment du beurre ». Il y a aussi des outils de prédication localisée, comme /ṯámma/, comme dans IQ 22/6/4 >ṯamma allah< « il y a un Dieu », dans ZJ 747 >ṯamma raǧul< « il y a un homme », parfois remplacé par /báh/, comme dans IQ 73/3/1 >ay ʕuqla bāh< « quel empêchement y a-t-il ? », et la prédication possessive avec des prédicats introduits par un syntagme marginal, comme dans IQ 9/29/2 >māʕak šuġal< « tu as un travail », dans IQ 123/3/2 >lahum annās iswah< « les gens ont un modèle », 24/4/2 >ʕindakum ġifārah< « avez-vous une casaque ? », 45/11/4 >širā ḥawāyiǧ ʕalayya< « je dois acheter des choses ». L’ordre habituel dans un syntagme prédicatif nominal est SP (sujet+prédicat) avec insertion de la copule, si elle existe, mais l’emphase sur n’importe quel de ces éléments permet de le faire avancer, comme quelques-uns des exemples cités le montrent. Finalement, il y a des cas où le syntagme nominal sujet est auto-prédicatif, comme dans IQ 68/0/1 et 99/18/1 >aṣṣaḥū< « il fait bon », peutêtre 20/16/2 >alhilāl< « voilà, le croissant ! », dans IA /lawla ma aṣbáḥ/ « si ce n’avait été le lever du jour », dans Alcalá 55.4 harám « c’est un péché », où le sujet ou le prédicat sont sous-entendus, ce qui n’empêche pas la compréhension d’un jugement complet.
Les syntagmes prédicatifs | 193
3.5.2 Le syntagme prédicatif verbal Le syntagme prédicatif verbal a toujours un noyau constitué par un sujet et une forme finie, c’est-à-dire un verbe conjugué, qui contient nécessairement son sujet dans ses marques morphologiques, pouvant donc n’avoir besoin d’aucun autre sujet, nom ou pronom pléonastique, et tout cela avec la possibilité d’extensions telles que les compléments direct ou objet, indirect ou circonstanciel, c’est-à-dire des marginaux introduits par une préposition ou simplement des adverbes, qui constituent la véritable nature sémantique de toutes les extensions du syntagme prédicatif verbal. Comme dans le cas du syntagme qualificatif, on observe la concordance de genre et nombre entre le sujet et le verbe, généralement naturelle dans le néo-arabe,15 mais parfois en féminin singulier pour les sujets irrationnels, comme en arabe standard, comme dans 6/11/1 >tuṣayyar alġizlān quddāmu dārah< « les gazelles sont placées en cercle devant lui ». Le sujet et l’objet de tout syntagme prédicatif verbal peuvent être n’importe quel syntagme nominal sub-prédicatif, comme dans IQ 49/8/1 >naʕmal aḫbāran milāḥ< « je ferai des bonnes nouvelles », 130/6/2 >laqad tišarraf mulūk alislām< « tu anoblis les rois de l’Islam », 90/5/2 >narqud fī karma bayn alǧifan< « je reposerai dans une vigne entre les sarments », 142/0/1 >almilāḥ nuḏumm allaḏī ǧārū< « je blâme les beaux qui ont été injustes ».16
|| 15 Appelée luġatu akalūnī lbarāġīṯ dans la grammaire native de l’arabe standard, imitant la façon de parler des ʕarabun nabaṭiyyūn qui déjà disaient ainsi « les pouces m’ont dévoré », au lieu de la concordance classique /akalatnī lbarāġīṯ/. On observe aussi que les noms des rationnels en duel concordent naturellement avec le pluriel, comme dans IQ 2/5/2 >marātayn+an raʔawūh< « deux femmes qui l’ont vu », mais les irrationnels ont gardé la vieille notion de la 2ème classe, ayant une concordance en féminin singulier en arabe andalou, comme dans IQ 36/2/4 >ʕaynayya naḫriǧah luh< « je m’arracherais les yeux pour toi », 13/6/1 >iṯnayn ʕalayhā nabnī< « deux choses … sur lesquelles je compte », dans ZJ 904 >ḫubzatayn takfīnī< « deux pains me suffissent ». Mais on a aussi IQ 128/3/1 >ʕaynayn kuḥal< = 130/3/1 >ʕaynayn sūd< « deux yeux noirs », tous deux en positions de rime, et 135/0/2 >ʕaynaynan milāḥ< « beaux yeux », qui ne l’est pas. Quant aux collectifs, tout comme il arrivait dans l’arabe classique, leur concordance est parfois de singulier, comme dans ZJ 129 >layt alfuǧl yahdam nafsuh< « plut à Dieu que les radis fussent digestibles ! », 79/0/2 >aluqḥuwān yaftaḥ< « les marguerites s’ouvrent », de féminin singulier, comme dans 28/0/2 >alṭayr tiwalwal< « les oiseaux piaulent », IA 621 /masrúqa híyya ḏa+lġanám/ « ce troupeau a été volé », même parfois avec les rationnels, comme dans IQ 168/1/1 >tatrukuh qawm< « quelques gens le laissent », ou encore pluriel, comme dans ZJ 362 >albaqar yatḫammarū< « les bœufs se moquent », dans PES 86/1/4 /háwlak alǧamáa/ « ce groupe-là ». 16 Le verbe arabe contient son sujet pronominal, qui n’est pas ajouté sauf pour l’emphase, mais dans l’arabe andalou tardif de Grenade on l’exprime parfois, même quand le sujet est un substantif présente dans la proposition, comme dans AC 475 >hi tamšī amrātī< « ma femme va », 1065 >hu yadrī alḥimār< « l’âne sait », IZ 3/2/2 /aṣṣabáḥ yaḫǧál hu mánnu/ « le matin a honte de lui »: Cela a l’air d’un créolisme réprimé qui a put réapparaître dans le registre souvent très bas de cet auteur.
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L’ordre des mots, c’est-à-dire les restrictions taxématiques, suit habituellement la séquence SVO (sujet, verbe, objet), plutôt que la VSO (verbe, sujet, objet) de l’arabe standard, mais des circonstances expressives, comme l’emphase, l’interrogation ou l’exclamation sont souvent accompagnées d’inversions de cet ordre, comme dans IQ 1/7/1 >alsiḥri nuqūl< « c’est de la magie que je parle », 22/3/34 >haḏi hi aʕmālak … haḏi hi aʕmālī< « celles-ci sont tes actions ? Certes, celles-ci sont mes actions ! » : Le langage poétique, comme le dernier exemple le prouve, préserve les vieilles licences et anacoluthes, demandées par la structure métrique.
3.5.3 Modifications du syntagme prédicatif verbal A propos des extensions et modifications du syntagme prédicatif verbal, il y a quelques particularités qu’il convient de mentionner, comme le préfixe du future /sa+/, que l’arabe andalou semble avoir préservé, comme dans IQ 2/0/1 >satadrīh< « tu le connaitras », 9/41/1 >sanamdaḥk+anā< « je te louerai », dans PES 46/1/2 >sayalqà< « il trouvera », mais la fréquente graphie >sā< suggère une évolution du néo-arabe /assāʕah/, plutôt qu’une préservation de l’homophone de l’arabe standard.17 Une autre en est le cas fréquent des compléments indirects pronominaux, introduits par la préposition /li+/, un type de syntagme exocentrique qu’on trouve très souvent dans le néo-arabe, souvent exprimant le datif et avec un contour intonatif enclitique, reflété dans les textes par l’absence de séparation orthographique, comme dans IQ 5/8/3 >nuqul+lak< « je te dis », dans ZJ 108 >naʕmal+lak< « je te fais », dans Hv. 94 >arsalti+lī< « tu m’as envoyé », dans Alcalá 33.12 nicóllucum « je vous dis », 51.25 yaḳteyéleq « il te semble », comme dans IQ 5/8/3 >naqullak< « je te dis », dans IA 248 >suqti+lukum< « je vous ai apporté », dans Hv. 94 >narsallak< « je t’envoie », dans Alcalá 43.34 cóltiluhum « je leur dit ». D’un autre côté, on observe la fréquente introduction de l’objet avec cette même préposition, comme dans IQ 9/33/3 >yaltaham lalnuqaṭ< « il se rappelle des points diacritiques », 27/2/2 >taqtul liman yiḥibbak< « tu tues celui qui t’aime », dans VA >yalmaḥ ḏā liḏā+< « celui-ci ressemble à celui-là », dans ZJ 968 >allaḏī yaʕǧab liġayrak< « ce qui plaît aux autres », dans PES 94/1/3 /aṣqúl limirátak/ « lustre ton miroir », dans MT 1056.1 >samaʕ lidūnah duminqah< « il entendit Doña Dominga »,18
|| 17 C’est probablement aussi le cas du maltais, comme dans sa iġi Malta « il viendra à Malte », plutôt que la dérivation de sejjer < arabe standard /sāʔir/ « allant à » qui a parfois été suggérée, sans s’appuyer sur l’entourage dialectal. Dans d’autres cas, on trouve >sawfsawf tadrīsawf tarà< « tu verras », qui est un classicisme. 18 La confusion habituelle des deux prépositions dans les registres bas a généré des cas comme dans MT 119.8 >abraw ilà+lmubtāʕ< « ils ont acquitté l’acheteur », dans PEIA 21 /ilík nirídak/ « c’est toi que je veux », dans AM 292 >ila waǧha llah< « par Dieu ».
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dans DC 13b teqcí lal êerhuén « tu habilleras celui qui est nu ».19 Parfois aussi on utilise cette préposition au lieu du possessif, comme dans IQ 2/8/2 >lak nirīd an niqabbal albanān< «je veux te donner un baiser dans tes doigts », 45/11/2 >laldār maḍaytu lak< « je suis allé à ta maison ». On observe en outre une curieuse utilisation de cette préposition avec les suffixes pronominaux afin d’exprimer une affectation particulière par l’action, une sorte de dativus commodi, assez difficile de traduire dans une autre langue, comme dans IQ 133/4/4 >rakab lak farasuh< « il monta son cheval, tu vois », 6/5/3 >yaḍḥak lak iḏā laqītuh< « il rit devant toi lorsque tu le rencontres », 21/15/4 >man fasā lu taḥt aṯṯiyāb< « celui qui a fait un pet (involontaire ?) sous ses habits », 53/1/3 >qabbaltu lak f+aššufayfāt< « je l’ai baisé sur les petits lèvres, voilà ».20 Parfois, comme dans IQ 57/2/4 >habka an ǧaʕalanī fī akfānī< « disons, voilà, qu’il me place dans mon linceul », 131/5/4 >abṣurka qad ǧīt bilā ʕuḏar< « je suis venu : te voilà sans excuse », on peut avoir le même résultat avec un simple suffixe pronominal.
3.5.4 Le complément interne ou absolu Il y a aussi quelques objets sémantiquement particuliers, comme la paranomase, une construction typiquement sémitique, aussi appelée le complément interne ou absolu, en arabe maf ʕūlun muṭlaq, où l’objet est le nom d’action du verbe, avec une connotation adverbiale et emphatique, comme dans IQ 105/1/1 >ṭawānī ṭayy alkitāb< « il m’a plié comme un livre que l’on ferme », 72/3/2 >yunqar lak albāb naqran mustawī< « on frappe à ta porte tout le temps ». Les objets et compléments réflexifs sont introduits avec /rúḥ/, plus souvent qu’avec /nafs/ ou /(a)náss/, comme dans 23/5/1 >faqī an ḫammār min rūḥī naʕmal< || 19 Nous avions suspecté une possible interférence du substrat roman, puisque la préposition a est la marque commune du datif et de l’accusatif rationnel en castillan, comme dans amo a Juan « j’aime Jean », hablo a Juan « je parle à Jean », bien que la fréquence de ce même usage en syriaque et sa survivance en arabe syrien aient également été signalées (Corriente 1977 : 126, note 216). Mais il faut ajouter à ces deux cas l’utilisation optionnelle de lä en éthiopien avec les objets de plusieurs verbes signifiant dire, ressembler, commander, permettre, etc. (Chaine 1938 : 162-3), ce qui suggèrerait encore un ‘yéménisme’. Une distinction stricte du datif et de l’accusatif n’existe pas souvent, ou tend à disparaître dans les langues sans systèmes efficaces de déclinaison, ce qui s’est produit dans l’ancien arabe où /aʕṭà lahā/ coexistait avec a /aʕṭā+hā/ « il lui a donné (à elle) ». Voir en dialecte castillan de Madrid la dio « il lui (à elle) a donné » au lieu du correct le dio «il lui a donné » , sans distinction de genre, imitant la construction de l’accusatif, la vio « il l’a vu » pour un objet féminin, et le/o vio « il l’a vu » pour un objet masculin. Cela ne peut pas se produire en allemand, une langue qui utilise encore un système assez effectif de déclinaisons, comme dans er gab ihr and er sah sie, mais il est normal en anglais, he gives it to her et he saw her. 20 On pourrait comparer ces constructions avec les formes avec suffixation directionnelle du démonstratif en arabe classique /ḏālikum/ /ḏālikunna/ /ḏālikumā/ qu’on ne peut traduire que par « cela ».
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« je ferai de moi-même un fakih cabaretier », dans PES 3/3/1 /man waháb rúḥu limawláh/ « quiconque se donne à son Seigneur », mais 4/5/1 /niháb náfsi lallaḏí hímtu fíh/ « je me donne à celui qui j’aime follement », dans PD 157 /náfsak tibaġġáḍ/ « tu te fais haïr », dans ZJ 1302 >lis yarā rūḥuh fāriḥ< « il ne se considère pas heureux », dans Alcalá almáâllem yahíb róhu « le maître s’aime », pluriel almaâlemín yehíbbu arguáhum, dans IQ 98/0/2 >annassī naḏ.lam< « je suis injuste envers moi », 56/9/1 >ḫasar rūḥuh< « il s’est détruit », dans MT 923.15 >alrāhibāt … alzamat nafsahum< « les religieuses se sont forcées ».21 Finalement, les compléments de spécification et circonstance (tamyīz et ḥāl dans la terminologie grammaticale arabe), marqués en arabe standard par le morphème de l’accusatif adverbial, mais en néo-arabe simplement sont marqués par la juxtaposition, comme dans IQ 7/1/1 >dawlat alḥirmān tatim ḍarūrah< « la période de misère finit nécessairement », 23/11/4 >ḥaqqi hū an yiḏallū ṭāʕah< « il serait de mon droit qu’ils me rendent hommage d’obéissance », 38/39/2 >qad kān ṣaḥbuh sinīn< « il avait été son ami pendant des années », 53/7/2 >ay ǧismī ḥāl< « dans quel état sera mon corps ? »,22 dans IA 276 >yibītū allayl muʕannaqīn< « ils passent la enlacés », dans Alcalá 34.26 le tahléf … hániĉ « ne jure pas en vain », dans DC 7a nadúû monfiín auléd Háhua « nous implorons les exilés, les fils d’Ève », ou parfois moyennant la tournure connue comme le wāwu ḥāl, comme dans 44/2/4 >kittarā alǧazīrah walbalā fīhā maṣbūb< « tu verrais la Péninsule submergée dans la catastrophe ». Comme il fallait s’y attendre, quelques noms introduisant souvent ces compléments se sont lexicalisés et sont devenus des expressions adverbiales ou prépositionnelles, comme dans IQ 128/4/3 >ḫubiṭ rasūlī ḥurma falkitāb< « mon messager a été battu à cause de la lettre », 66/4/3 >qāl ḥurmah f+alqaḍīb< « il a dit à propos de la baguette », dans ZJ 490 >hadam alḥayṭ ḥurmah fī tīnah< « il a démoli le mur à cause d’une figue », ou >bi/aḥāl< « comme », partagé par d’autres dialectes occiden-
|| 21 AC n’emploie que /rúḥ/ dans les tournures réflexives, pendant que /annáss+/ est devenu chez lui la marque d’identité, comme dans 1627 >faṣṣāʕah annasah< « à la même heure ». Par contre, en arabe marocain, plusieurs formes permettent d’exprimer le réflexif, dont les trois noms /nəfs/ « âme », /ṛās/ « tête », /xātəṛ/ « humeur », auxquels sont suffixés les pronoms (Caubet 1993 I : 167), mais on trouve aussi la forme /b+waḥd/+pronoms suffixés dans les variétés septentrionales, comme dans /bwaḥdi/ « moi-même » ou /bwaḥda/ « elle-même » (Vicente 2000 : 144). On trouve aussi la forme /nəss/ suivi d’un pronom suffixe, une forme semblable à celle-ci de l’arabe andalou, par exemple : /ʕməl nəsso mrīḍ/ « il a fait semblant d’être malade » (Prémare DAF 11 : 355). A Tripoli, la réflexivité s’exprime au moyen de substantifs tels que /ṛūḥ/ « âme », /ṛās/ « tête », /nafs/ « souffle, être humain » comme dans /gult l-ṛūḥi/ « je me suis dit (à moi-même) », /gtǝl ṛūḥǝh/ « il s’est tué, suicidé », /dǝbbǝṛ ṛāsǝk/ « débrouille-toi (toi-même) », /hūwa zēy nafsi/ « il est comme moi » (Pereira 2010 : 260 et Pereira 2010 : 322). 22 Voir 108/3/1 >way ṣabar lī way ḥāl< « quelle patience pourrais-je avoir, quel état ? ».
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taux,23 comme dans IQ 9/32/2 >biḥāl ḫubzi dār< « comme du pain fait maison », dans ZJ 601 >baḥāl arnab< « comme un lièvre » ; un autre cas serait qad.
3.5.5 L’aspect La prédication en arabe standard, pour ce qui concerne l’aspect, peut être neutre, dans le cas des propositions nominales,24 ou marquée selon la conjugaison utilisée, perfective ou imperfective, modifiée de façon générale, différente des nuances introduites par les marginaux affectant le sujet, le prédicat ou l’objet, par l’utilisation des verbes auxiliaires modificateurs, qui peuvent ajouter les notions d’être et de devenir, l’inchoatif et l’éventuel. L’arabe classique avait des séries entières de verbes à peu près synonymes pour chacune de ces catégories, assez réduites en néoarabe. En arabe andalou, il suffit de mentionner /kán/ « être » et /ṣár/ « devenir », son synonyme de facto /aṣbáḥ/,25 /badá/ = /abtadá/ « commencer (à faire) », /kád/ « être
|| 23 Voir le maltais bħal. En arabe marocain, on trouve aussi /bḥāl/ ou la variante /fḥāl/ < /f +ḥāl/ employée dans le nord du pays (Vicente 2000 : 149), soit comme une préposition indépendante, comme dans /ḍ-ḍāṛ dyālək bḥāl dyāla/ « ta maison est comme la sienne », soit avec des pronoms suffixés, comme dans /bḥāli/ « comme moi ». Il y a aussi des expressions lexicalisées formées avec cette préposition, telles que /bḥāl bḥāl/ « c’est égal », /bḥālu bḥāl l-ḥlīb/ « c’est comme une sorte du lait » (Prémare DAF 3 : 281-281). Contrairement à Tripoli, où c’est la préposition /zēy/ qui est utilisée comme dans /zēy ǝt-tēs : tīnt-a ʕǝṛyāna u mdāyǝr laḥya/ « comme le bouc : son cul est nu et il porte une barbe » (Pereira 2010 : 322). 24 Souvent on enseigne dans les grammaires occidentales de l’arabe que ces propositions signifient le temps présent, ce qui est seulement une partie de la réalité : elles sont plutôt atemporelles, comme le prouve le fait qu’il n’y ait aucune consecutio temporum en cas de subordination, même en néo-arabe on entend /šuft innu muḏnib/ « j’ai vu qu’il était coupable » et il ne faut pas préciser le temps passé /innu kān muḏnib/, contrairement à ce qu’il se produit dans les langues à conjugaison temporelle subjective. 25 La série arabe standard des verbes /aṣbaḥa/ /aḍḥà/ /ḏ.alla/ /amsà/ /bāta/ « devenir de bon matin à la matinée avancée à mi-jour au crépuscule de nuit » ont perdu cette précision dans tout le néo-arabe, donc en arabe andalou, ce qui prouverait que les tournures castillanes telles que amanecer et atardecer « être pendant le matin ou le soir dans une situation » ne sont pas des calques de l’arabe, tel que cela a parfois été suggéré (Corriente 2008 : lxxviii). Néanmoins, dans AC 755 >yaṣbaḥ yiqūl< « il dit de bon matin », la connotation originelle est maintenue, comme dans >ayn alḥabīb amsā luh< « où est-ce que l’aimé peut être ce soir ? » (Corriente 1997b : 214), mais ces cas, à l’instar de ceux d’Alcalá namcí amcéit « devenir le soir » semblent appartenir aux registres élevés. D’un autre côté, on trouve parfois d’autres tournures inchoatives, comme dans VA >yastahall ṣāriḫ< « commencer à crier ». Par contre, on trouve cette précision sémantique en arabe marocain avec les verbes /ṣbəḥ/ /yəṣbəḥ/ « se trouver le matin », comme dans /ṣbaḥ mrīḍ/ « il se réveilla malade » (Prémare DAF 8 : 7) ; mais également avec le verbe /bāt/ /ybāt/ « passer la nuit » suivi normalement d’un adjectif ou d’un participe comme dans /nbātu mqaṣṣrīn/ « nous passerons la nuit à nous amuser » (Prémare DAF 1 : 361). De plus, on retrouve ce type de verbes dans les formules
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sur le point de », /ǧá/Í/ « se mettre à », /raǧáʕ/ « faire une seconde fois », comme dans IQ 20/11/3 >ṣirnā ṣibyān < « nous sommes devenus des garçons », 37/3/3 >aṣbaḥū+lnās yaḏkurū+llah< « les gens se sont mis à invoquer Dieu », 7/3/3 >badayt an nuqūl< « j’ai commencé à dire », 31/3/3 >abtadānī yaḍḥak minnī< « il a commencé à se moquer de moi », 82/7/3 >nabtadī namlāḥ< « je commence à faire ma toilette », 116/2/2 >alnibāl kādat an tukūn< « ce sont presque des dards », dans AC 1169 >yiǧī yabzuq< « il va cracher », 970 >raǧaʕna narū< « nous sommes venus une seconde fois ».
3.5.6 Le verbe /kāna/ Dans toutes les formes et phases de la langue arabe, le verbe /kāna/ est un outil fondamental de la syntaxe, puisqu’il permet d’introduire non seulement la notion de temps subjectif, passé et future, dans la prédication nominale, comme dans 87/0/1 >kunna ṣibyān< « nous étions des garçons », 21/3/4 >las yukūn šāʕiran miṣwāb< « il ne sera pas un poète reconnu », ainsi que l’expression claire de l’imparfait dans la prédication verbale, comme dans Alcalá 48.2-3 cunt énte tedrí « tu savais », ou parfois du plus-que-parfait comme dans IQ 7/2/3 >kin aḫaḏ ʕādah< « il avait pris un habit », 36/4/1 >kuntu qultu ay< « j’ai déjà dit lequel », 87/5/1 >kān akrayt duwayrah< « j’avais loué une petite maison ». Avec ou sans imālah intense, il reste souvent invariable, voire réduit a /ka+/, avec ou sans gémination d’une consonne suivante, comme dans IQ 94/10/2 >kinnabtalaʕhā kibār< « j’en buvais des grands verres », dans Alcalá 42.6 quin yahléf fal bátil « il jurait faussement », dans AC 1038 >kaǧǧīnā< « il nous est venu », 1332 >kaḏḏalluh< « il l’a humilié », dans IZ 2/1/1 /kastaráḥ mawlá+lmawáli/ « le seigneur des seigneurs s’est reposé », 11/4/2 /almasákin kaftaḍáḥat/ « les maisons ont été violées », 13/2/1 /kaṣḥáru lalfáḥṣi/ « ils sont sortis à la campagne ». Parfois on l’utilise dans un syntagme relatif avec la connotation du préfixe ‘ex-’ en français, c’est-à-dire « ancien », comme dans IQ 130/1/4 >ʕuddanī niṣrānī kān || de salutation caractéristiques des parlers Jbala, comme dans /kīf qayyāla ?/ « comment tu (fem.) as passé la journée ? » ; ainsi qu’avec les verbes /qəyyəl/ /yqəyyəl/ et /ḍəll/ /yḍəll/ « passer la journée à faire telle chose », comme dans /qəyyəlt xəddām/ « j’ai passé la journée à travailler », /yḍəll yəġrəs w əl-mrūra bīn yiddih/ « il passe toute la journée à planter et le goût amer reste dans ses mains » (Prémare DAF 10 : 487 et 8 : 201), suivis d’un verbe au participe ou à l’inaccompli : une construction archaïque très intéressante qui montre encore une fois l’intérêt des parlers Jbala pour la diachronie de l’arabe marocain. On retrouve cette précision sémantique en arabe de Tripoli notamment avec le verbe /ṣbǝḥ/ qui signifie à la fois « devenir » et « se retrouver le matin » comme dans l’exemple /kunt bǝ-nžīk lākǝn ṣbaḥt mrīḍ/ « j’avais l’intention de venir, mais je me suis réveillé(e) malade », ainsi qu’avec le verbe /bāt/ « passer la nuit » comme dans /mā-tǝnsā-š tžīb ḥwāyž-ǝk mʕā-k bāš tbāt mʕā-na/ « n’oublie pas de prendre tes affaires avec toi pour que tu passes la nuit avec nous ».
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waʔaslam< « considère que je suis un ancien chrétien qui est devenu musulman », dans MT 702.2 >rāmī kān limawlānā almalik< « ancien archer de notre seigneur le roi », 385 : 2 >zawǧ kānat li< « qui a été l’épouse de … ».26
3.5.7 L’éventuel Quant aux marques de l’éventuel, on parlera de l’innovation consistant en l’utilisation de l’imperfectif de /kāna/ dans le paragraphe consacré aux propositions conditionnelles. Mais il y a aussi d’autres marques classiques qu’on trouve encore dans le style élevé, comme /ʕasá/, comme dans IQ 9/4/3 >ʕasà dawlat arriḍà tarǧaʕ< « peut-être le temps de satisfaction reviendra », 24/472 >ʕasà ʕindukum ġifārah< « auriez-vous un pardessus ? », 35/13/1 >aš ʕasà naḥtāl< « de quelle ruse pourrais-je me servir ? ». Il est remarquable que cet outil, sous la pression du roman /ASÍ/, ait acquis la connotation de l’optatif, comme dans Alcalá 49.33 aâci maâcor tucún « plût à Dieu qu’on te tue », dans Hv. 103.6 >aṣī allah yaḥṭik ṣafar ṭayib< « que Dieu te donne un bon voyage ».
3.6 Les propositions composées Outre les propositions simples qui ont été décrites jusqu’ici, il en existe d’autres avec une structure plus compliqué : les propositions composées et complexes, ainsi que les modalités de propositions, dont il sera question plus loin. Les propositions composées sont des séries composées d’au moins deux membres, s’occupant d’un même thème, mais signalant une addition d’information ou une option ou contraste entre deux données, ce qui produit des propositions coordonnées copulatives, disjonctives ou adversatives.
3.6.1 Les propositions copulatives Les propositions copulatives, connectées au moyen de /wa+/ sont un trait très ancien du proto-sémitique et de la plupart des langues sémitiques, dont l’arabe, le néo-arabe, et l’arabe andalou, comme dans IQ 1/1/1 >ʕašaqtu waṣaḥḥat alriwāyah< « je suis tombé amoureux et le récit est vrai », dans Alcalá 43.28-29 tacrím gualidéiq guá teíx aâlè guéch al ard « honore tes parents et tu vivras sur la terre », dans DC 6r met huá endefén « il est mot et il a été enseveli ». || 26 Cette tournure apparaît dans le langage épuré d’Ibn Ḥayyān, Almuqtabis V, folio 284, page 419 du texte édité, /hāšimu+ttuǧībiyyu+lmuntazī kāna ʕalayhā/ « Hāšimu Tuǧībiyyu, qui s’était soulevé là ».
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Les grammairiens arabes considèrent également comme copulatives la conjonction plutôt consécutive /fa+/ et l’adverbe /ṯumma/ « après quoi » : sans entrer dans la propriété de ces définitions, il faut constater leur présence assez fréquente en arabe andalou, même dans les textes tardifs et sans une forte influence classique, en contraste avec le reste du néo-arabe, comme dans IQ 43/6/1 >ʕaḏābī faṭāʔil< « quant à mon tourment, il est long », dans Alcalá 58.34 fa yde qui tixequéq « et, si tu doutes », dans PES 32/1/3 >nanḏ.ur falašyā fanarà luṭfak< « je regarde les choses et je vois ta bonté », dans MI 199 >suʔilat … faqālat< « on l’a questionnée et elle a dit », dans IQ 9/0/1 >baʕdi mā qāl … ṯumma nadam< « après avoir dit … il s’est repenti », 6/4/3 >waṯumma yatbaddal< « après quoi, il change », dans MI 199 >tarakhumā … waṯumma ġallaq alayhum albāb< « il leur a laissé … après quoi il les a enfermés ». Cet addition de /wa+/ montre que /ṯumma/ avait perdu chez eux le rôle de conjonction et n’était perçu que comme un adverbe de temps. Le cas de /ḥattà/ est semblable à quelques égards, comme dans IQ 15/8/2 >aftaqadtu … ḥattà ṣār mudām< « je l’ai inspecté jusqu’à ce qu’il soit devenu du vin », dans Alcalá 54.26 xarábt … hatí cequért « as-tu bu jusqu’à t’enivrer ? », dans AC 541 /la tiqúl salÍma ḥattÍ tiḫalláṣ/ « ne dis pas que c’est bien tant que tu n’as pas terminé », dans MI 199 >ḥattā atʕaǧǧab alnās< « jusqu’à ce que les gens se soient émerveillés » ; parfois elle semble signifier « lorsque », comme dans DC15b haté teħod al meé « lorsque tu prends de l’eau », 15b et 16a haté al capelán yecól « lorsque le prêtre dit ».27
3.6.2 Les propositions disjonctives Les propositions disjonctives, généralement connectées avec /aw/ constituent un trait très ancien de plusieurs langues sémitiques, dont l’arabe, le néo-arabe et l’arabe andalou, comme dans IQ 1/6/1 >man yuġušš aw man yadallas< « celui qui escroque ou celui qui falsifie », dans Alcalá 41.1-3 nadárt fi tafcír al menéim … áw jáâlt men yandor láq fíhum « as-tu traité d’interpréter les rêves … ou trouvé quelqu’un qui fasse cela pour toi ? », dans DC 7v aní mudníb au mudníba niquérr « moi, pécheur ou pécheresse, j’avoue… », dans MI 199 >yanṣaf aw yaḥtī ḫalaṣ< « qu’il paie ou donne quittance ». De plus, on trouve >immā … wa(ʔimmā)immā ǧinniyah kānat immā ḥūr< « une fée ou une houri », 70/6/3-4 >immā kalāmuh ǧawhar yiṣīr aw alǧawāhir tiṣīr kalām< « soit ses paroles deviennent des perles, soit les perles deviennent des paroles », dans ZJ 133 >alsalaf immā ʕadāwah waʔimmā || 27 Ce qui rappelle l’évolution sémantique du marocain /ḥīt/ < arabe standard /ḥayṯu/, où il s’agit d’une conjonction qui a le sens de « parce que, car », mais aussi de « lorsque, quand », comme dans /ṛāni fərḥān ḥīt tlāqītu l-bārəḥ/ « je suis content car je l’ai rencontré hier » et /ḥīt təmši/ « quand tu partiras » (Prémare DAF 3 : 287).
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talaf< « un prêt devient (toujours) inimitié ou perte », dans MI 199 >immā miʔtyn qafīz aw arbaʕah miʔah aw alf…< « soit deux cents q., soit quatre cents soit mille … ».28 Finalement dans Alcalá, on trouve quelques cas de ceu,29 comme dans 53.13 gayár céu húzn « ennui ou tristesse », 57.6, fi hácat tucún ordenado céu aháde áḳar « afin de te faire ordonner ou de faire ordonner un autre » ; et un cas reflétant l’arabe standard /am/, 433.12 amdí amidí, à corriger en *amdí amdí « celui-ci ou celui-là », qu’on trouve aussi dans VA. Il y a aussi quelques cas d’élision de la conjonction disjonctive, comme dans IQ 97/2/2 >kilma kilmatayn< « un mot ou deux », dans IA 232 /ʕámmak ḫálak/ « oncle paternel ou maternel ». Il y a aussi des cas d’extension avec /fa+/ dans des tournures d’AC 1148 >šarāb aw falī< « qu’il boive ou non », 1251 >nafasat aw falī< « qu’elle accouche ou non ».
3.6.3 Les propositions adversatives Les propositions adversatives sont généralement connectées avec /(wa)lákin/, une marque héritée de l’arabe standard par les dialectes néo-arabe, comme dans IQ 97/10/2 >anā maṭbūʕ walākin lam nuqul zaǧal biṭabʕuh< « je suis inspiré, mais je n’avais pas composé un zaǧal si inspiré », dans Alcalá le totḳílna a tajárib léqin negíne min a xarr = dans DC 5r le teçóqna le tajárib léquin negíne men cúlli dún « ne nous fais pas tomber dans les tentations, mais sauve nous du mal », et aussi parfois avec /ílla/ comme dans MI 199 >mā huwa ḥāḍir illā huwa maʕ alḍayf< « il n’est pas présent, mais se trouve avec Monsieur », /(wa) ʔínnama/ comme dans VA >innamā< = dans Alcalá ínneme « mais », dans IQ 9/29/1 >kinnuzūrak waʔinnamā ṯam ʕilal< « je voudrais te visiter, mais il y a des raisons », 27/1/1 >waʔinnamā hū muʕǧab< « mais il est présomptueux », dans PES 4/3/3 /ínnama+ná rašíd/ « mais j’ai raison », 8/2/5 >waʔinnamā bifaḍlak< « mais avec ta faveur », dans IZ 4/5/2 /niṭawwál kúnti záǧli winnamÍ naḫšá niṯaqqál/ « j’allongerai mon zaǧal, mais je crains ennuyer » ; ainsi que /bal/ comme dans IQ 149/2/2 >las niḫāf yablà bal an yatʕattaq< « je ne crains pas qu’il soit consumé, mais qu’il devienne vieux », dans MI 199 >lam niǧadūh bal huwa fī baladkum< « nous ne l’avons pas trouvé, mais il est dans votre contrée » et l’innovation /naʕam (wa+)/ comme dans IQ 10/4/2 >malīḥ naʕam waʕāqil< « beau, mais sage», dans PES 47/11/3 /naʕám wahu ḥayrán/ « mais il est
|| 28 Il y a quelques cas de lexicalisation de immā comme substantif, comme dans IQ 14/9/3 >niḥīr bayn immā waʔimmā< « j’hésite entre ceci et cela ». 29 Résultat de l’arabe standard /sawāʔan/, aussi présent dans le marocain swa … swa « soit ..., soit… », par l’élimination de ce /ā/, métanalysé comme marque de l’accusatif, comme dans /swa ža, swa ma ža/ « soit qu’il vienne, soit qu’il ne vienne pas » (Prémare DAF 6 : 247). On le trouve également en arabe libyen comme dans /ǝlli ʔaṣl-a ṭayyǝb ʔaṣl-a ṭayyǝb swa ġanīy swa faqīr/ « celui dont les principes sont bons, les principes sont bons, qu’il soit riche ou qu’il soit pauvre ».
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perplexe », dans Alcalá 38.25 me tecdér tefhému ûucúl al îibéd nam yegíb tazdícu « tu ne peux pas comprendre la raison des créatures, mais il faut le croire ».30
3.6.4 La nominalisation de propositions subordonnées Les propositions complexes sont celles qui ont leur sujet ou aucun des compléments remplacés par une autre proposition subordonnée qui peut remplir ces fonctions moyennant une marque hypotactique ou conjonction qui signale cette transformation et introduise les notions sémantiques de nominalisation permettant de remplacer le sujet aussi bien que n’importe quel complément de causalité, finalité, mode, temps et conditions, lorsqu’il s’agit de remplacer les compléments. La syntaxe arabe compte deux procédés de nominalisation de propositions subordonnées : l’un synthétique, utilisant le maṣdar ou nom d’action, et l’autre analytique, c’est-à-dire moyennant les conjonctions appelées maṣdariyyah ou nominalisantes. On ne peut pas considérer le premier procédé comme strictement classique et pédantesque, puisque même les registres bas du néo-arabe connaissent et utilisent les maṣdars des verbes le plus fréquents, comme dans /akl/ « manger », /šurb/ « boire », /nawm/ « dormir », etc., mais il est difficile d’en établir les limites lorsqu’il s’agit des registres hauts : dans tous les cas, il semble plus facile en arabe andalou que l’énoncé d’IQ 7/6/2 >ṭāb lak ǧulūsī .. bilā šī< « te plait-il que je reste sans rien ? » ait appartenu au langage quotidien que le cas de 7/4/3 >qad ḥān inqiṭāʕak< « le moment de ton départ est arrivé », 20/19/2 >badayt katbi zaǧlī< « je commençais à écrire mon zaǧal » ou dans DC 15 cólah … dun eçtifecédu « dis-le … sans altération ». Autrement, on utilise la conjonction multiforme /an(na)/ ou /inna/ « que »,31 comme dans IQ 2/1/4 >yaḥsun an yašākalak attīh< « il faut que l’orgueil te convienne », 37/5/1 >naqdar an naḏar< « est-ce que je peux le laisser ? », 14/17/2 >kān lahā an tuzūr< « elle devait faire une visite »,32 IQ 9/1/2 >ḥalaf anna lam yuqullī kaḏāk< « il a juré ne pas m’avoir dit cela », dans Alcalá 41.15 cunt énte cebéb enne mít ahád « estce grâce à toi que personne n’est mort ? », dans DC 8b nargáb … anna yargábo « je prie qu’ils prient », qui devient /allá/ en combinaison avec l’adverbe de négation || 30 Voir Corriente 2012b : 115, note 261, à propos des cas de cette tournure dans le judéo-arabe selon Blau 2006. 31 La différentiation fonctionnelle de /an(na)/ et /in(na)/ en arabe ancien basée sur l’utilisation des formes étendues devant les noms et des formes courtes devant les verbes a disparu en néo-arabe, qui préfère /inna/ à la suite d’une généralisation de la règle de l’arabe classique demandant cette forme après le verbe /qāla/ « dire ». 32 Ces constructions avec /li+/ contrastent avec l’arabe standard, où cette préposition exprime un droit, tant que l’obligation est marquée avec /ʕalà/, ce qui suggère un calque sémantique du roman, comme en castillan tener que = portugais ter que, ainsi que dans EV 335 ay liz quen lu yemxi = áy lis kán lu yamší « là où il ne devait pas aller ».
Les propositions composées | 203
comme dans IQ 9/37/1-2 >nirīd allā numnaʕ< « je ne veux pas qu’on m’interdise », 57/3/5 >aṣlaḥat mawāhibuh min šānī allā naġtaban< « ses cadeaux ont eu l’effet dans ma situation d’empêcher ma déception », dans AC 507 /ḥaláf annár alla yiḫallí la yábis wala aḫḍár/ « le feu a juré qu’il ne laisserait ni du sec ni du vert », ou bien le relatif /má/ comme dans IQ 1/4/3 >lis akfà mā hi ruqāq< « ce n’est pas suffisant qu’elle soit comme une gaufre », 9/0/1 >baʕd mā qāl āh< « après qu’il a dit oui », dans ZJ 1861 >abat mā tudūr< « elle n’a pas voulu tourner », dans MT 378v1 >lisabab mā tawaffà baʕd wafāt wāliduh< « parce qu’il est mort après le décès de son père ». Cependant, ces conjonctions sont souvent élidées en néo-arabe, ainsi qu’en arabe andalou, comme dans IQ 47/1/1 >taṭmaʕ taḏ.far biṭāʕah< « tu as envie d’obtenir sa soumission », 21/15/2 >yirīd yarzam< « il veut mordre », dans ZJ 715 >tirīd tarà< « tu veux voir », dans Alcalá tahtíju tedrú « vous avez besoin de savoir », dans DC 4b a duàâ alledí cúlli necerani leu yahféd « la prière que chaque chrétien doit savoir par cœur ». Parfois et avec quelques classes de verbes la marque de nominalisation est remplacée par un suffixe pronominal, sujet ou objet de la proposition subordonnée, comme dans IQ 1/1/3 >nabtadīk naʕmal nikāyah< « je commence à te faire mal », 39/5/4 >lis tadrūnī nammām< « vous savez que je ne suis pas un délateur », 133/3/1 >habnī naʕšaq ḥulū biḥāl sukkar< « disons que j’aime quelqu’un de doux comme le sucre ».
3.6.5 Les propositions subordonnées causales Les propositions subordonnées causales sont parfois introduites en arabe andalou par les marques classiques, mais utilisées sans les restrictions de l’arabe classique : /liʔánna/, comme dans IQ 4/5/3 >liʔanna fīh ḫaṣlatayn< « car il a deux qualités », dans Alcalá 33.28 liénne hu ḳalífat aláh « car il est le vicaire de Dieu », dans AC 481 /liánnu maḫlúq liġayr zamÍnak/ « car il est né dans un autre temps que le tien ». Il y a une variante /layínna/ dans le dialecte tardif de Valence, comme dans AM 293 /layinna ʕíndina ánta maḥbús bimaqám muslím ǧáyid/ « car tu es considéré chez nous comme un bon musulman » – avec un parallèle marocain comme dans layn lʕadu qrib « parce que l’ennemi est proche » (Mercier 1951 : 102, il s’agit d’un archaïsme ) ; /lámma/, comme dans 125/3/1 >lammā anā ʕabduh< « car je suis son esclave » ; ainsi que /iḏ/, comme dans IQ 18/1/1 >iḏ qad kafānī allah ṣudāʕuh< « puisque Dieu m’a épargné ce mal de tête », dans MI 200 >iḏ siyadatak anta ʕazim< « puisque votre seigneurie est décidée » ; ou les formes plus vernaculaires /kamá/ comme dans IQ 88/2/3 >sīdī mašġūl kamā ṭalaʕ lalruqād< « mon maître est occupé, car il est monté dormir » ; et ses extensions /kam+án/ comme dans DC 17b caménna çulíbt ânena « car tu as été crucifié pour nous », /a/in(na)/ comme dans IQ 96/4/2 >anna ʕād lam yumūt aban quzmān< « car Ibn Quzmān n’est pas encore mort », dans EV yna cad haçar athaca matao = /ínna qad ḫasár aṭṭáqa matáʕu/ « car il a
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perdu sa force », dans DC 7v enne adnébt « car j’ai péché », /káyf (anna)/ comme dans MI 200 /yaštakí kayf lahum yanṣáfu/ « il s’est plaint car ils doivent payer », /káyf anna hú min maráḍu adwán/ « car sa maladie a empiré », /ʕala yáddi anna/ comme dans Alcalá 53.4-6 admanéit al inticám … aliedidí enne aâmelleq … xéi « as-tu voulu te venger … parce qu’il t’avait fait quelque chose ? », /min qibál ma/ comme dans IQ 59/5/4 >min qibal kalafī< « à cause de mes taches de rousseur », /mímma/ comme dans IQ 75/3/4 >mimmā ʕašaqt+anā niʕmā … narǧaʕ raqīb< « pour avoir tant aimé, je suis devenu un surveillant d’amants », 83/17/4 >mimmā yawǧaʕ< « à cause de la douleur qu’il ressent », /ʕamma/ c’est-à-dire /ʕan mā/ comme dans MT >ʕammā Juwān … lam yirīd iḫwatuh lalmuǧādalah maʕ rabībathum< « car J. ne voulait pas que ses frères se disputent avec leur belle-fille ».
3.6.6 Les propositions subordonnées finales Les propositions subordonnées finales sont introduites en arabe andalou par les marques /báš/, caractéristique du néo-arabe occidental,33 comme dans IQ 33/9/3 >aš naʕmal … baš naṯnī ʕalayk< « que ferai-je pour te louer ? », dans Alcalá 31.21 aní namxí la gímîe bex nazmáâ a çallá « je vais à l’église pour écouter la prière », avec les variantes /fa/Iš/ ou /fiyaš/, comme dans IA 524 >fāš yatmattaʕ< « afin de s’amuser », dans EV 332 fex que aztarahu elmuzlemín « pour que les musulmans se reposent », dans HB 363 >aḫar fīš yabġuḍ alḫamr< « un autre pour qu’il haïsse le vin », dans AM 295 >fiyaš yaḫriǧ ilà waladu< « afin qu’il sorte son fils » et dans Hv. 101.4 /fiyaš yanʕaṭáni ṣiláḥ/ « pour qu’on me donne des armes ». Aussi, on trouve un simple /an/ comme dans IQ 13/1/1 >ǧānī an yaftaqad ḥālī< « il est venu me voir afin de connaître mon état», 60/2/2 >an nartakab bīhā … mā nartakab< « afin de commettre avec elle ce que j’ai l’habitude de commettre », dans PES 56/6/4 >maḍayt an nazūruh< « je suis allé le visiter », dans EV 334 hiheridu yastamao an yamelu huzn hanc = /yirídu yaǧtamáʕu an yaʕmálu ḥúzn ʕank/ « elles veulent se réunir afin de faire leur deuil pour toi ». Il y a en plus l’innové /fi ḥáqqat/ comme dans IQ 133/3/5 >fī ḥaqqat an yuqāl liḏā ʕanbarī< « pour qu’on appelle cela ambré », dans Alcalá 44.18 fi hacat qui yecdér yaqtúl ahade « pour pouvoir tuer quelqu’un », dans DC 7b fihácat necúnu muçtahiquín « afin que nous soyons dignes » ;34 /qibál/ comme dans
|| 33 Ainsi, on trouve /bāš/ (< /b+/ + l’interrogatif /āš/) aussi dans les dialectes arabes nord-africains contemporains où la plupart des particules décrites pour l’andalou ont disparu. Pour le marocain, il s’agit de la conjonction la plus habituelle pour les propositions subordonnées finales, par exemple : /šrīt hāda bāš nʕaddəl lə-ġda/ « j’ai achète ça pour préparer le repas », /kānu ʕālyīn bāš yčūfu məzyān/ « ils étaient en haut pour voir bien », Vicente 2000 : 151. 34 Mais dans DC 17b et 20a fahácat men énte « à cause de qui tu es », avec une connotation causale qui ne peut être qu’une nouvelle erreur de traduction dans ce texte. Le sens est encore final dans 18b fahácat … nacremóq « afin que nous te servions », immédiatement suivi dans 19a par une nou-
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Alcalá 50.29-30 adḳaçámt máâ háde … quibél tihayáru « vous êtes-vous brouillé avec quelqu’un afin de l’incommoder ? », ou le très vernaculaire /kamá/ comme dans IQ 63/6/1 >kamā namdaḥūk< « afin de que nous te louions », dans Alcalá 33.13 quemé yuḍcáru lécum « pour que vous vous rappeliez », dans Tf. 165 >maṭmūrah maftūḥah kamā yuḫraǧ minhā alqasṭal< « une cave ouverte afin d’en sortir des marrons » ainsi que le négatif quemíx dans Alcalá « afin de ne … pas »35. Finalement, il existe aussi les plus classiques /ḥattà/ comme dans IQ 7/16/2 >ḥattà lā nalqāh< « afin de ne pas le rencontrer », dans ZJ 819 >ḥattà yarǧaʕ yiḥibbak < « pour qu’il commence à t’aimer »,36 /li/ et le négatif /liʔallā/ comme dans IQ 20/24/2 >ǧīt litasʔal< « tu es venu pour demander », 79/4/4 >liʔallā nuġaddar< « pour que je ne sois pas trahi » et /laʕalla/ comme dans IQ 145/9/3 >ʕannaqnī laʕalla nastarīḥ< « embrasse-moi pour que je me repose » ou un occasionnel /ʕala yád an(na)/ comme dans Alcalá 35.9 aliéde enne yecdéru yandámu lalcurbén « afin de pouvoir recevoir la communion ».
3.6.7 Les propositions subordonnées modales Les propositions subordonnées modales sont introduites en arabe andalou par les marques déjà classiques /ka(mā)/, /kaʔan(na)/, /kayf/ ou /kif(ma)/, /(ka)miṯl/ et /míṯlama/ comme dans IQ 25/0/2 >lassu kallaḏī qālū< « il n’est pas comme ils ont dit », 9/16/3 >kamā tarà< « comme tu vois », dans DC 20a quemé quen fal bodé « tel qu’il était au commencement », dans IQ 6/4/3 >kaʔannu mā kān< « comme s’il n’avait pas été comme cela », 72/4/1 >kaʔanna almaydah dār fīhā ziwāǧ< « la table est comme une maison où il y a des noces », dans PES 24/1/1 /wakánna ǧáryi liʕíndi/ « et c’est comme si je courais vers moi-même », 72/1/3 /fakánnu ṭáb/ « c’est comme s’il était grisé », dans IQ 62/3/4 >tiṣībanī kif mā naštahī an tiṣīb< « tu me trouveras comme je le veux », dans Alcalá 38.28 quif yaâmél fi héḍe al curban « comme il fait dans cette hostie », dans DC 4v quif hénna nagféro leaâdéna « comme nous pardonnons nos ennemis », dans IQ 98/4/4 >miṯlama aḏ.unnu/ « tel que je (le) crois » (classicisme),37 9/15/2 >miṯli mā qultu fīk< « comme je l’ai dit de toi », dans NQ 4/x/x /míṯlama yaḥlá lak/ « comme il te plaît », dans MI 364.20 >ḏakartuh kamiṯli ma ʕuṭituh< « je l’ai mentionné tel qu’on me l’a donné », ou l’innové /bi/aḥál/ typique du néo-arabe occidental, comme dans IQ 145/1/4 >biḥāl an yirīd
|| velle erreur de traduction à cause de l’ambigüité du castillan por, fahácat céidne îíça por Iesu Christo nuestro Señor. 35 Voir Corriente 2012a à propos de l’origine ‘yéménite’ de cette conjonction, caractéristique du guèze. 36 Mais cette conjonction a souvent préservé le sens de « jusqu’au point de », plus claire dans des exemples comme IQ 7/18/4 >taḍḥak ḥattà tašbaʕ< « tu riras jusqu’à la satiété ». 37 Assez fréquent dans IQ, comme dans 38/18/4, 87/10/4, 98/4/4, 127/1/1, 129/2/4 et 148/5/4 >(mā) aḏ.unnu< « je ne crois pas », ainsi que dans 111/9/4, 144/3/2 « tel que je crois ».
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an yimīl< « comme s’il voulait s’incliner », dans Alcalá 33.31 hu bahál tabíb « il est comme un médecin », ainsi que d’autres marques comme /ʕala yád/ comme dans IQ 2/1/1 >ʕalà yad ma yukallam< « comme on dit » ou /akṯár ma/ comme dans IQ 71/6/4 >akṯar ma yuṭmaʕ bih an yuktam akṯar yinam< « plus on veut le dissimuler, plus il se découvre ». Il est assez fréquent de trouver en arabe andalou, comme dans l’arabe standard, des tournures modales exprimées simplement par le wāwu ḥāl (circonstanciel) ou l’imperfectif seul, voire par la tournure de l’impératif circonstanciel comme dans IQ 7/2/2 >maḍà qirdi quddāmī yatqazzal< « mon mauvais sort est parti boiteux devant moi », 5/8/3-4 >nuqūl lak wafummī dūn luʕāb< « je te le dis avec ma bouche sèche », dans ZJ 765 >ǧarrūnī ʕalà ldīs w+anā ḥarīṣ< « on m’a traîné sur les jonques, mais parce que j’en avais envie », dans Ax. 65.3 >in kān waʔanta tirīd< « tel que tu voulais », dans MT 960v7 >muḏ wakān manzūlan< « puisqu’il habitait », dans IQ 33/0/2 >aqlaq aw aṣbar< « tu peux t’inquiéter ou patienter », 56/8/2 >suqtu ḫabṭa kuddi kud< « j’ai souffert un coup très rapide »,38 79/4/3 >ǧā alsimāk ʕaǧǧal< « Arcturus est venu en tout hâte », 141/1/1 >bitnā fi riḍā qabbal aw ʕannaq< « nous passions la nuit agréablement avec baisers et embrassades », 137/11/3-4 >awǧaʕ aḍrab … kattaf aḥbas< « cela fait mal, on bat … on garrotte, on emprisonne », 149/3/4 >ḍarrab wakaf< « comme celui qui contre-point et borde », dans NQ mg 23/1/4 /aw ahbáṭ aw aṭláʕ/ « je m’en fiche », voir IQ 7/4/4.39
3.6.8 Les propositions subordonnées temporelles Les propositions subordonnées temporelles simples, c’est-à-dire avec les significations de « quand, lorsque », sont introduites en arabe andalou par les marques classiques /lámma (an)/, /iḏ(a)/, /iḏáma/, /matá (ma)/, /kamá/, /ḥín/, comme dans IQ 76/1/1 >lammā yirīdu< « lorsqu’il le veut », dans PEIA 21 /lámm+an tirídni/ « quand tu me veux », dans MI 202 >lammā kānat māǧiyah min dār muḥammad< « quand elle venait de la maison de Muḥammad », >lammā an kānat alʕašiyyah< « quand le soir fut été », dans IZ 7/4/3 /lámm+in darí+nni nahwáh/ « lorsqu’il a su que je l’aimais », dans IQ 6/5/3 >yaḍḥak lak iḏā laqītu< « il rit de toi quand tu le rencontres », 5/5/3 >iḏ tusāq ilayya ayādīh< « quand ses faveurs me sont présentées », dans MI 201 >iḏā aqbal alqāyid< « quand le maire arrive », dans IQ 53/1/1 >iḏāmā šarabnā< « lorsque nous avions bu », 6/5/2 >matà mā ǧītu< « quand j’étais arrivé », dans Cen. 346.16 >walahum manʕ ḏālik matà ḥabbū< « et ils pourront défendre cela quand ils voudront », dans IQ 38/27/3 >matà mā niqīs ʕulāk< || 38 Curieusement, le même auteur a préféré le nom verbal dans 68/9/1 >aʕmaluh balkaddi balkaddi< et 99/20/3 >kaddi kadd< « fais vite, vite ». 39 Cette construction existait déjà en arabe classique, voir PD 202 /ṭúl aw la taṭúl/ « tu peux ou non être longue », dans une ḫarǧah dialectale, mais empruntée à un poème classique d’Ibn Zaydūn.
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« quand je mesure ta gloire », 31/2/5 >kamā faṭan bī< « quand il m’a aperçu », 119/4/1 >ḥīn naṣṭabaḥ< « quand je me lève le matin », dans PES 26/0/1 >ḥín astatár< « quand il s’est caché », dans Alcalá 57.5 hin azvéxt maâ amrátaq « quand tu t’es marié avec ta femme », ainsi que les plus vernaculaires /ḥattá/, /kamá/, /sáʕat (an/ma)/, /wáqt an/, /áy(n)/, etc., comme dans IQ 57/5/5 >ḥattà yabdānī …balminan< « quand il commence à me faire des cadeaux », dans ZJ 858 >hattà yiǧī man māt< « quand les morts reviendront », dans MI 201 >ḥattà yahbaṭ mūsà< « quand Mūsā descendra », dans DC 17v haté tigií le múlqueq « quand tu arriveras a ton royaume », dans IQ 94/14/2 >kamā aṣbaḥ labas ṯiyābuh< « quand il a fait jour, il a mis ses habits », 133/53/ >sāʕat mā raytu< « quand je l’ai vu », 115/3/3 >sāʕatan taṭlaʕ fī sarīrak< « quand tu montes à ton lit », dans MI 201 >sāʕat yanzal mūsà< « quand Mūsā descendra », dans IQ 104/1/3 >waqt an yiġīb< « quand il est absent », 73/1/1 >ay kān alinsān fī satr allah< « quand on était sous la protection de Dieu », 4/10/1 >ay kunt naḏ.artu ma taʕmal< « lorsque j’ai vu ce qu’elle faisait ». Quant aux nuances temporelles plus complexes, telles que l’antériorité, la postérité, la durée, l’itération, la simultanéité, l’immédiateté, etc., elles utilisent marques composées de prépositions et des tournures spéciales, telles que /(min) qábl an/iḏ/ma/ ou /aqábl/ comme dans IQ 11/1/3 >min qabl an yiǧī almawt< « avant que la mort n’arrive », 19/6/2 >qabl iḏ rayt alḫawḫ< « avant de regarder les pêches », dans Alcalá acábl yantaláq a çalá « avant que la messe ne finisse » ; /(min) baʕd an/ma/ comme dans IQ 35/11/2 >min baʕd an nuzan< « après qu’on me pèsera », 16/1/3 >baʕd mā kān alšarāb mawǧūd< « après qu’on avait eu du vin », dans IQ 32/3/1 >ṭūl ḥayātī naǧnaḥ< « tout au long de ma vie j’ai été enclin (à m’amouracher) » ; /kullima/ comme dans IQ 9/11/1 >kullimā naṭmaʕ an yiġīb< « chaque fois que je voudrais qu’il dégage », dans NQ aa 1/1/4 /kullima safár/ « chaque fois qu’elle se dévoile » ; /ma (dám)/ et /ṭúl ma/ comme dans IQ 18/1/2 >mā ḥayayt lis naḫlaṭhā māʕuh< « tant que je vivrai, je ne me mêlerai pas avec lui », 17/0/2 >mā dumtu ḥay< « tant que je serai vivant », 17/0/2 >ṭūl mā nukūn biǧāhak< « tant que je serai sous ta protection » ; ou /baydam(in)/ comme dans ZJ 565 >baydam yiǧí attiryáq … yaḏháb ṣáḥib alwaǧaʕ< « jusqu’à ce que la thériaque arrive le patient sera mort », dans AC 1422 >baydamin aštaġalt biwaǧaʕu< « pendant que je m’occupais de sa douleur » ; /(ínnama) hú ma/ comme dans IQ 90/11/1 >innamā hu mā raytu ḏāk assāq< « dès que j’ai vu cette jambe-là », 13/5/2 >hū mā fataḥt albāb< « dès que j’ai ouvert la porte » ; /muḏ/ et /munḏu/ ou /mímma/ comme dans IQ 53/7/1 >muḏ ʕašaqt almiṯqāl< « dès que je suis tombé amoureux des ducats », 38/39/3 >munḏu lam taḥkumū< « dès que vous ne gouvernerez plus »,40 dans PES 14/0/2 >muḏ baqayt maǧmūʕ maʕ ḏātī< « dès que je me suis réuni avec mon essence », dans IQ 15/0/1 >mimmā ṣaddanī las yasallam
laḏḏat alʕayš munḏu kān illā fī rasūl< « le plaisir de vivre a toujours été le messager », 87/3/1 >anā … munḏu kuntu labbās< « j’ai été toujours petit maître ».
208 | Syntaxe
« dès qu’il m’a laissé, il ne me salue plus », avec substitution de relatif dans IA 625 /min allí mašát alḥimára/ « depuis que l’ânesse est partie ».41
3.6.9 Les propositions subordonnées conditionnelles Les propositions subordonnées conditionnelles sont introduites en arabe andalou par les marques classiques /iḏ(á)/, pour les conditions probables ou plus que probables, se confondant avec la même marque temporelle, /in/ pour les conditions encore possibles et /law/ pour les conditions hypothétiques ou irréalisables, selon la structure connue de l’arabe standard, excepté la tolérance de l’imperfectif, au lieu du perfectif de l’arabe standard, dans la protase et l’apodose. Exemples : dans IQ 32/7/1-2 >in raʔayt mā+tmannayt naḏkuruh< « si je vois ce que je désire, je le mentionnerai », 77/3/1-2 >in mašaytu yamšī ḫayālah quddāmī< « si je marche, son spectre marche devant moi », 34/2/4 >iḏā ṣaḥabtu walad fulān naṣḥabu ṭūl mā yaʕizzanī< « si je suis l’ami de n’importe qui, je le suis autant qu’il me respecte », 21/6/4 >iḏ yuzūl alḫiḍāb< « si le fard disparaît », 40/5/1 >iḏā taqbil ʕalà+rrūm … yumuddū+lbāʕ< « si tu te diriges vers les chrétiens … ils ouvrent leur bras », dans PES 21/2/4 >iḏā lis tūǧad< « si tu n’existes pas » ; ainsi qu’un imperfectif éventuel en apodose parfois renforcé avec /qad/ comme dans IQ 19/7/1 >law tarà baytī kittarà bayt asad< « si tu voyais ma maison, tu verrais la cage d’un lion », 42/0/2 >law kunt ʕalayya šafīq kittaṣfī l+lniyya< « si tu avais eu pitié de moi, tu serais sincère avec moi », 37/0/1 >law zāranī … qad kinnīfq< « s’il me visitait … je me remettrait ». Quant aux marques d’apodose de l’arabe standard, /fa+/ après /in/ ou /i/ et /la+/ après /law/, elles sont plutôt rares sauf sous l’influence de la langue classique comme dans IQ 30/3/3-5 >in kān falwarà … lawwāṭ aw zānī faʔanā ḏā+lḫaṣlatayn naǧmaʕ< « s’il y a parmi les hommes … qui sont des sodomites ou des fornicateurs, moi j’ai réuni ces deux qualités », 36/1/1 >in tāh ḥabībī … fāš< « si mon aimé est présomptueux … alors quoi ? » , 36/3/1 >iḏā raytū faʕayšī hanī< « si je le vois, ma vie est heureuse », 36/5/2 >law an taʕmal lī min ḏunūb mīt qafīz faḏikru ʕindī aḥlà min alibrīz< « même si tu m’avais fait cent mesures de péchés, sa seule mention est plus douce chez moi que l’or pur ». Dans le cas des conditions probables, comme dans IQ 9/1/4 >lis niṣaddaq malīḥ iḏā qāl naʕam< « je ne crois pas un beau, si / quand il dit oui », dans Alcalá 45.25
|| 41 Il y a encore d’autres nuances sémantiquement plus complexes, comme la qualification du moment, comme dans IQ 1/3/3 >faḥlà mā nurà fī baytī ǧālis< « lorsque je suis chez moi, le plus tranquille ». D’un autre côté, le marquage temporel de simultanéité avec le wāwu ḥāl de l’arabe standard a survécu dans le néo-arabe, donc, l’arabe andalou aussi, comme dans IQ 28/0/2 >našrub waṭṭayr tiwalwal< « nous buvons pendant que les oiseaux trillent ». Les marques classiques /baynamā/ et /rayṯamā/ « pendant que » son reflétées dans VA et la deuxième aussi dans GL mais n’ont pas de traces dans les textes en vernaculaire arabe andalou.
Les propositions composées | 209
ydé qui tucún leq máwdaâ « si tu avais eu de la chance », dans ZJ 23 /iḏá waqáʕat albaqár gazárat assakákin/ « lorsque les bœufs tombent, les couteaux abondent », l’arabe en bloc ne fait pas une distinction avec la subordination temporelle puisque logiquement tout future est conditionné. Quant à la distinction entre les conditions réelles et hypothétiques, elle reste efficace en arabe andalou à travers l’utilisation de /in (kán)/ d’un côté comme dans IQ 9/13/3-4 >in niǧārī anā ḫuyūl alʕarab qāmū māʕī … ḥamīr aṭṭalam< « si je concours avec les chevaux des arabes, les ânes reproducteurs s’élanceront-ils à mon côté ? », 1/9/1-2 >in muttu … raǧaʕ kull aḥad faras waḥamḥam< « si je meurs, tout le monde deviendra comme des chevaux et henniront », 20/24/2 >sal in kān ǧīt litasʔal< « demande … si tu es venu demander », dans ZJ 969 >ḏuq in ṭāb lak< « goûte s’il te plait », dans MI 201 >in waǧab ʕalayh alinṣāf< « s’il faut le payer », >in kān tukammal alfidyah< « si la rançon est complétée », dans PES 45/4/3 /winkaníš taʕrafúni/ « et si vous ne me connaissez pas »,42 dans IA 175 /ikkiníš tarbáḥ taḫsár/ « si tu ne gagnes pas, tu perds », dans Alcalá 42.16 yquín énte necéit « si tu as oublié » ; et de /law/ ; et d’un autre côté, dans les cas de conditions dont l’accomplissement est déjà impossible ou très improbable, comme dans IQ 10/1/3-4 >law qadar qalbī yiḫallīk lam yidabbar ḏā alnuġaymah< « si mon cœur avait pu te laisser, il n’aurait pas composé cette petite musique », dans PES 19/1/3 >law yuʕṭānī assawm … kān rašīd< « si on m’avait donné le prix … cela aurait été raisonnable », dans ZJ 1202 /lis alqírdi ší walaw labas waší/ « un singe n’est rien, même s’il a été dressé en brocart », dans IA 490 >law kān falbūm ḫayr mā kiyyaslam ʕalà alṣayyādah< « s’il y avait quelque chose de bon dans le hibou, il n’échapperait pas aux chasseurs », dans MI 202 >law ʕaṭānī ʕašrat dawāqid mā aḫaḏtah< « s’il m’avait donné dix ducats, je ne les aurais pas accepté ».43 On observe les tournures négative /illa/ « si non » et concessives /walaw/ « bien que », /maʕ ánna/ et /láwla/ « si ce n’était pas », comme dans MI 202 >illā yukūn kull manūb ʕalayhum< « si non, toutes les dépenses seront à leur charge », dans IQ 9/29/4 >walaw naqalt alfaḥam< « bien que tu sois un porteur de charbon », dans PD
|| 42 Parfois on trouve /in kán wa+/, comme dans PES 68/7/4 /in kán watarḍá/ « si tu veux », souvent contracté /ikká/Ín/. 43 Dans IQ 2/2/4 on a >law aḫfaytu law qadar ġayrī yaḫfīh< « je l’aurais occulté, si quelqu’un avait pu le faire », avec la répétition de /law/ dans l’apodose, ce qui rappelle la particule des conditionnelles irréelles du marocain /lūkān/ (< /law kān/), et ses variantes /ūkān/ et /ūka/, avec répétition ou pas dans l’apodose, comme dans /lūkān kunt qāḍi, nzīd f lə-ḫṭīya/ « si j’avais été juge, j’aurais augmenté l’amende », mais aussi /lūkān žāb əl-mākla, lūkān klīna/ « s’il avait apporté de la nourriture, nous aurions pu manger » (Prémare DAF 11 : 103). Cela rappelle également l’emploi de /lawkān(a)/ dans la protase en arabe de Tripoli comme dans /law-kān(a) mā-lgēt-ǝk-š ṛā-ni ṛawwaḥt li lībya/ « si je ne t’avais pas trouvé(e), je serais retourné(e) en Libye ». Ainsi que le maltais (li) kieku comme dans kieku kont naf (kieku) kont niġi « si je l’avais su, je serais venu », voir Aquilina 1965 : 224.
210 | Syntaxe
154 /wamaʕ ánnak ḏ.álimi/ « et bien que tu est mon oppresseur », dans IQ 26/1/4 >lawlā aliftiḍāḥ< « si ce n’était pas le scandale ».44 L’arabe andalou conserve quelques constructions conditionnelles de l’arabe standard, où la simple juxtaposition remplace les conjonctions, comme dans IQ 21/13/1 >aʕṭī yaʕṭīk allah< « donne et Dieu te donnera », c’est-à-dire « si tu donnes, etc. », 15/7/2 >ǧarrab tiǧad kulli ḫaṣlah< « si tu fais l’épreuve, tu trouveras toute vertu », 28/1/2 >mur tarà+lwādī< « si tu y vas, tu verras le fleuve », NQ iġ 1/0/2 >kunt taǧrī min qabli mā tuḏbaḥ waʕunayqak barī< « si tu avais couru avant d’être égorgé, ton cou aurait été sauvé », dans IA 485 /kiyyukún lġársi fi marsi kiyyiǧí apríl yiṣíb bukáyru/ « si on complante en mars, avril vendra et prendra les prémices ». Aussi selon les modèles classiques, on trouve des structures conditionnelles avec les pronoms et adverbes interrogatifs et corrélatifs comme dans IQ 9/8/3 >kulli man ǧā daḫal< « quiconque vienne, il entrerait », 10/8/3-4 >man yuqūl lā narmī fī ʕunquh luṭaymah< « si quelqu’un dit ‘non’, je soufflerai sa nuque », 26/2/2 >ašḥāl mā tahrub lā budd an tiqaʕ< « tu peux bien fuir, mais tu dois tomber », 23/4/1 >ay mā kān wazīr biqurbu naqrub< « là où il y a un vizir, je m’approcherai de lui », dans IA 255 /áy ma yamší almaḥrúm buqáylat fáḥṣi yiǧád/ « où que ce soit qu’un pauvre homme marche, il trouvera les herbes des champs », 471 /kíf ma yibíʕ assáriq balfáḍli hú/ « le voleur gagne toujours, peu importe le prix auquel il vende ». L’insertion du verbe /kāna/ dans la protase et l’apodose des propositions conditionnelles, déjà connue en arabe standard, mais encore plus fréquent en néoarabe, outre les constructions sans conjonctions qu’on vient de voir qu’il a généré, a produit en arabe andalou une variante éventuelle de l’imperfectif avec le préfixe /kIn+/, dont la dernière consonne s’assimile avec les préfixes personnels comme dans IQ 2/0/2 >kinnuqūl lak kayf ismuh< « je te dirai son nom », dans ZJ 75 >aš kittaʕmal law kunt sulṭān< « qu’est ce que tu ferais, si tu étais un sultan ? », dans Alcalá 54.24 cunt énte cebéb énne hade qui yeqcér aciám « est-ce à cause de toi que quelqu’un a rompu le jeûne ? », dans MT 991.15 >ʕalà an kiyyanṣaf luh fī tamām almuddah< « à condition qu’il paie dans le délai accordé ». Dans certains cas la nuance éventuelle a été remplacée par la claire notion du présent, comme dans IQ 72/15/2 >ḏahab kinnirīd< « je veux de l’or », 88/26/1 >kinnasʔal allah an yubqīk< « je prie à Dieu qu’il te préserve », 104/8/2 >mā
|| 44 Cette conjonction est lexicalisée dans IQ 65/7/2 >dūn lawlā< = NQ mg 17/0/1 = IZ 11/8/3 /bila láwla/ « sans point de si », tout comme les adverbes /márḥaba/ « vous êtes le bienvenu », dans IQ 78/3/1 >makān lis fīh marḥabā< « un lieu où il n’y a pas d’accueil », dans NQ mg 22/0/2 /wáy marḥabá/ « et quel accueil ? », /ʕamawwál/ dans IQ 82/3/1 >ḍaḥiyyat ʕamawwal< « le mouton de la fête de l’année passée », et la conjonction /kaʔánna/ dans IQ 190/2/4 >waš ḥāǧah likannuh< « quel besoin y a-t-il de dire ‘comme si’ ? ».
La négation, l’interrogation, l’exclamation et l’emphase | 211
kiyyaštahū+lfityān< « les jeunes gens ne désirent pas », dans MT 709.4 >ay kittuḏbaḥ alkibāš< « là où l’on égorge les moutons ».45
3.7 La négation, l’interrogation, l’exclamation et l’emphase Les propositions qu’on a décrites jusqu’à présent sont toutes affirmatives et anodines, mais il y a d’autres modalités qui permettent d’exprimer la négation, l’interrogation, l’exclamation et l’emphase par l’utilisation de marques souvent innovées par rapport à l’arabe standard.
3.7.1 La négation La négation en arabe andalou peut être exprimée avec les marques /má/, /lá/, /láys/ = /la/is/, /iš/ et /lam/, selon une distribution dont les critères sont rarement assez clairs pour qu’on puisse établir des attributions diachroniques, diatopiques ou diastratiques. 3.7.1.1 Quant à /má/, déjà largement utilisée en arabe ancien46, décrite par les grammairiens comme plus emphatique que /lā/ quand elle exprime la négation de l’imperfectif, et fréquente partout en néo-arabe, elle n’est pas la négation typiquement adoptée en arabe andalou, où on la trouve parfois avec l’imperfectif dans IQ, comme dans 19/6/4 >ma naǧḥad< « je ne dénie pas », dans ZJ 1316 /má biduʕá alqiḥáb taʕṭáb almarákib/ « les bateaux ne coulent pas à cause des malédictions des putains », dans Alcalá 34.30 me hu yehíb alláh « il n’aime pas Dieu », dans DC 14 me yedrí « il ne sait pas » ; ou le perfectif comme dans IQ 21/13/4 >mā qaṭ raǧāk aḥad waḫāb< « jamais quelqu’un t’a prié et a été déçu », dans Alcalá 51.27 me aâtáhum leq || 45 A l’instar de l’arabe marocain, dont la valeur de présent habituel, gnomique ou concomitant est marquée habituellement par /ka+/, ou les variantes /ta+/ plus méridionale et /la+/ plus septentrionale, comme dans /ka-tqi fīha t-tawma/ « tu le mets l’ail » (Guerrero 2015 : 111), /əš-šəms ta-tšṛaq/ « le soleil sort par l’est » (Sánchez 2014 : 175), /dīk əš-ši la-nqūlu la lə-mdədža/ « nous l’appelons l’écheveau » (Vicente 2000 : 103) ; ces préverbes soulèvent des questions diachroniques dont les solutions ne sont pas claires. D’après Corriente (2003b : 155), il s’agirait des abbréviations des phrases */(kun)t/ka taqtul/, avec l’alternance connue {t/ka} dans le suffixe du perfective, avec ou sans influence sud-arabique, et */(hal)la yaqtul/, avec l’équivalent sud-arabique de /kāna/ et selon une structure répetée par l’éthiopien méridional, dans ce cas pour l’expression du présent, future et présent historique (M. Cohen 1970 : 174). 46 Sans parallèles dans le reste du sémitique, elle est le résultat d’une évolution fonctionnelle du pronom interrogatif /mā/, moyennant la conversion de l’interrogation rhétorique en négation, comme dans « qu’est ce qu’il a fait ? » = « il n’a fait rien ». C’est à cause de cette origine qu’elle est habituellement placée au commencement des phrases, comme dans les cas de pronoms interrogatifs.
212 | Syntaxe
« il ne te les donna pas », 41.34 me aharéçtu « tu ne l’as pas observé » ; ainsi que devant une proposition nominale comme dans IQ 20/1/1 >mā hu ǧīd ʕindī< « ce n’est pas correct à mon avis » ; ou encore dans d’autres contextes, comme négation des syntagmes marginaux, comme dans Alcalá me fi ḳair « mal » ; négation absolue comme dans Alcalá 33.39 gua me gáiru « et pas d’autre », etc. 3.7.1.2 Quant à /lá/, très utilisée en arabe standard, elle l’est moins en néo-arabe et en arabe andalou, mais on la trouve assez souvent devant les imperfectifs, comme dans IQ 40/7/4 >lā yafraḥ walā yaḥzan< « il ne se réjouis ni ne s’attriste », 6/9/3 >lā tuǧawwaz ʕalayh qaṭ maḫāriq< « il ne croit jamais les mensonges », dans Alcalá 36.26 le yḳallí xéi gua le yaḳbí xéi « il ne laissera ni occultera rien », surtout dans la tournure de prohibition, comme dans IQ 3/1/3 >lā taḥramūnī kāsī< « ne me privez pas de ma coupe ! », dans ZJ 117 /alʕáḏ.mi la yankasár/ « que l’os ne soit pas cassé ! » ; avec des propositions nominales, comme dans IQ 104/4/4 >lā hu ṣabrī ʕala faqduh illā šadīd< « ma patience pour sa perte n’est que pénible », des perfectifs optatifs, comme dans IQ 58/5/1 >lā nasaytu< « que je n’oublie pas », 137/12/3 >wallah lā ḫallaytu< « par Dieu, je ne le laisserai jamais » ; aussi négatifs, comme dans ZJ 193 /allá tabqá aldúnya bilá walád ḥúrrah/ « que le monde ne reste pas sans gens honnêtes ! » ; avec des négations doubles, comme dans IQ 6/9/2 >lā ġaddār walā munāfiq< « ni traître, ni hypocrite » ; et avec la négation absolue, appelée par les grammairiens natifs lā nnāfiyatu lilǧins, comme dans IQ 5/4/1 >lā wazar illā bni ʕubādah< « il y a aucun refuge, sauf I.U. », 56/1/2 >lā šarāb illā qadīm< « pas du vin, sauf le vieux » ; même devant un syntagme marginal, comme dans IQ 120/2/5 >lā liman nabkī aḥzānī< « il n’y a personne auprès de qui je puisse pleurer mes tristesses ». 3.7.1.3 Le pseudo-verbe /laysa/ de l’arabe standard devenu invariable47 et prononcé /lá/ís/ constitue la négation plus utilisée dans l’arabe andalou, surtout dans les premiers siècles, ce qui contraste avec sa disparition dans la plupart du néo-arabe. On le trouve presque partout, précédant le perfectif, comme dans IQ 13/5/1 >lis kān daraytuh< « je ne savais pas » ; l’imperfectif, comme dans 2/0/2 >lis naǧrī || 47 Des cas comme dans PES 1/3/2 /lástu mínkum/ « je ne suis pas un de vous », dans MT 956v18 >lasnā nirīdū< « nous ne voulons pas », Dans Alcalá 66.4 léztu aâtícum « je ne vous donne pas », 65.36 alqueléme … leycét léye « la parole n’est pas mienne », dans AM 295 >laysa+ḫaḏuni< « ils ne m’ont pris », sont des classicismes ou pseudo-corrections n’appartenant pas aux registres moyens. On sait que ce mot est une combinaison du proto-sémitique */lā/ avec l’adverbe de lieu *iṯ, reflété par l’accadien išu, et l’ougaritique iṯ, contaminé fonctionnel et morphologiquement par /kāna/ « être », ce qui a généré sa conjugaison pseudo-verbale en perfectif seulement, imitant celle des verbes concaves. D’un autre côté, la présence du phénomène /ṯ/ > /s/ en sud-arabique, détectée par Höffner 1943 : 21-22 et Bauer 1966 : 40, et la survivance de descendants de /laysa/ dans quelques dialectes yéménites modernes selon Behnstedt 2006 : 1133, suggèrent ici un autre ‘yéménisme’ de l’arabe andalou.
La négation, l’interrogation, l’exclamation et l’emphase | 213
nisammīh< « je n’ose pas le nommer », dans EV 334 liz yagdaru « elles ne peuvent pas », dans ZJ 455 /lis talqáh/ « tu ne le trouveras pas » ; les propositions nominales, comme dans IQ 1/7/2 >hawl arriǧāl las min riǧālī< « ces hommes ne sont pas les miens », dans ZJ 775 /ǧúʕan tihaddád baššábʕa lis ǧúʕ/ « une faim avec l’espoir de s’assouvir n’est pas une véritable faim » ; pour la négation absolue ou générique, comme dans IQ 49/4/1 >las liḥibbī … naḏ.īr< « il n’y a de pareil pour mon aimé » ; parfois suivi de l’élément conjonctif optionnel /ʔan/ et souvent par les suffixes pronominaux, avec une assimilation /s+h/ > /ss/, ou suivi directement des suffixes pronominaux, comme dans 6/2/4 IQ >allah lissanhu ġāfil< « Dieu n’est pas négligent », 7/17/1 >lassu ʕār ʕindak< « n’est-il pas honteux pour toi ? », 41/1/3 >lassi ʕindak muṣībah< « n’est ce pas une calamité pour toi ? », 89/4/1 >lassum annisā ʕalà šay ʕuhūd walā mawāṯiq< « les femmes ne tiennent à aucune promesse ni pacte ».48 3.7.1.4 La marque de négation /iš/, résultant de la répétition du procès de création de /mā/ dans la préhistoire de l’arabe ancien, mais cette fois basée sur le pronom interrogatif équivalent en néo-arabe /aš/, avec l’imālah intense de l’arabe andalou, est la plus fréquente dans sa période tardive représentée par les collections de proverbes et les textes d’Alcalá. On la trouve avec l’imperfectif, comme dans 30.23 ix nahtíju nicóla « nous n’avons pas besoin de la dire », dans IA 79 /iš akálna/ « nous n’avons pas mangé », 94 /iš yunúḥ/ « il ne se lamente pas », 110 /iš alḫalli ṭaʕám alqaṭáṭis/ « le vinaigre n’est pas la nourriture des chats », dans PES 26/2/4 /iš tadrí/ « tu ne sais pas », dans ZJ 112 /iš tanfáʕ alwaṣíyya/ « le conseil n’est pas utile » ; le perfectif comme dans Alcalá 48.20 ix aâtáitu li çáhibu « tu ne le donnais pas à son propriétaire » ; et la proposition nominale, comme dans 36.17 ix aní çáleh « je ne suis pas un saint », dans AM 194 >ana ʔš yaḥkum aḥad ʕalà+lmuslimn< « que personne ne juge les musulmans ». Mais on trouve aussi bien quelques cas dans le texte plus ancien d’IQ 19/12/3 >iš nirīd naḥlaf< « je ne veux pas jurer », 27/2/4 >iš kinnirīdka ḥay< « je ne te veux pas vivant » et dans PES 19/4/3 >iš hu fī sinnak< « il n’est pas de ton âge ».49 Il semble d’un autre côté que /lis/ et /iš/ ont dû coexister dans le temps et l’espace de façon assez longtemps pour produire les formes hybrides /liš/ de IA, comme dans 435>liš yalhī< « il n’amuse pas », 762 >liš yarḥamū< « ils n’ont pas pi|| 48 A cause de sa fréquence, cette négation semble avoir contaminé la tournure adverbiale de l’arabe standard /lā siyyamā/ « particulièrement » qui est devenue /láysama/ en arabe andalou, comme dans IQ 20/12/2 >laysamā man qad qarā wataʔaddab< « particulièrement ceux qui ont lu et sont cultivés », 58/0/2 >laysamā iḏā saqāh lī ḥabīb< « surtout si c’est un aimé qui me le verse », dans ce cas corrigé par le copiste contre le mètre, comme dans IZ 1/6/1 /laysamI ḥín ǧÍ/ « surtout, quand il est venu », dans NQ mg 4/6/3 /waláysama in kan maʕú ṭan ṭánna ṭán/ « surtout, s’il a de la musique ». 49 A côté d’autres où une interprétation interrogative serait encore possible. Les caractéristiques de la transmission de ce texte ne permettent pas d’assurer le degré de l’imālah, c’est-à-dire si la transcription phonologique doit être /áš/ ou /íš/.
214 | Syntaxe
tié » ; et /is/, caractéristique du dialecte de Valence, comme dans DC 19a eç hiet el missa matál meuté « ce n’est pas la messe des morts », dans Hv. 99.13 >isanī naġdār< « je ne peux pas »,50 dans MI 203 >is naḫruǧ< « je ne sors pas », 325 >alyawm ishum ḥuḍūr< « aujourd’hui ils ne sont pas présents », dans AM 197 >is maʕna muġaṭṭas< « nous n’avons pas de baptisés », avec un cas du centre de la Péninsule, dans EYG 516 ysnedri « je ne sais pas » ;51 mais aussi parfois dans IQ 126/1/5 >biḥāluh is lu< « il n’a pas d’égal », 125/5/5 >makāriman issi minha+lnuǧūm akṯar< « faveurs telles que les étoiles ne soient pas plus nombreuses », agglutinée avec le pronom indépendant, comme dans le cas de /la/is/. 3.7.1.5 La marque de négation /lam/ de l’arabe ancien, un archaïsme abrégé de *la+mā « certes, non », préservé uniquement suivi de l’imperfectif apocopé, équivalent dans ce cas du parfait yaprus de l’accadien qui avait existé dans le sémitique occidental,52 n’a jamais été intégrée dans la grammaire du néo-arabe, à cause de la disparition des modes de l’imperfectif, mais on la relève dans les textes de l’arabe moyen d’une façon souvent pseudo-correcte, dont les exemples en arabe andalou ne manquent pas. Voilà quelques exemples : dans IQ 21/16/1 >lam qaṭ yanbaḥ liǧār< « il n’aboie jamais aux voisins », 93/9/4 >lam ṯamma zaǧǧāl an yuqūl ḏā altisʕa ašʕār< « il n’y a aucun zaǧǧāl qui puisse composer ces neuf lignes », dans MT 954.8 >lam tarak ibnan< « il n’a laissé aucun fils », bien qu’il y ait parfois des cas d’utilisation selon les règles de l’arabe standard, comme dans IQ 2/9/4 >lam niġammaḍ ṭūl allayl< « je n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit », 6/1/2 >lam qaṭ narà maʕšūq illā muḫālif< « je n’ai jamais vu un aimé qui ne soit pas désobéissant », dans Alcalá 66.25 lem yuḳláq xéi « rien n’a été créé ». 3.7.1.6 Le renfort postverbal de la négation avec un /š(i)/, résidu de l’arabe standard /šayʔ/ « chose », caractéristique du néo-arabe occidental, maltais inclus, et de l’égyptien, est exceptionnel en arabe andalou, où on le trouve néanmoins dans IQ 48/6/3 >las yiḫarraq ṯiyāb ši< « il ne déchire pas les habits », dans PES 28/2/4 /la tiqáfši/ « ne t’arrête pas », 33/3/2 /la tukúnši sáhi/ « ne sois pas distrait » et 68/2/3 /la tanqasámši/ « ne te divise pas », dans AC 714 >iš yalzam šī< « il ne mord pas », 1165 >iš arayt šī< « tu n’as pas vu », dans IZ 5/3/2 /ma kÍn ši fi ḥisábi/ « je ne comp-
|| 50 Mais quelques lignes plus bas, ligne 100.9, on trouve >a(l)ssuwat ahnā< « il n’est pas ici », et ligne 100.10 >a(l)ssū ʕad< « il n’est pas encore », probablement des erreurs par confusion avec la graphie habituelle de l’article. Cependant, AM 237 a aussi cette vocalisation dans >as fihā brāw< « il n’y a pas de prix » (du catalan preu). 51 Dans un seul manuscrit du Libro de Buen Amor, l’autre ayant leznedrí que quelques éditeurs préfèrent. 52 Par exemple, dans le wayyiqṭol hébreu, et le cas isolé de l’imperfectif guèze yǝbe « il dit » de {bhl}. L’utilisation pseudo-correcte de cette marque négative n’était pas méconnue du judéo-arabe (Blau 1965 : 106 et 1980 : 142), ni de la langue des plus anciens papyrus arabe (Hopkins 1984 : 153).
La négation, l’interrogation, l’exclamation et l’emphase | 215
tais pas avec cela », 8/7/1 /ma tiḫáfši/ « n’aies pas peur », 13/1/1 /ma taríši/ « tu ne vois pas », dans PD 224 /ma tiḥíbb annaṣáf ši/ « elle ne veut pas payer » : il semble s’agir d’un trait du registre bas, qu’Ibn Quzmān emploie seulement une fois et dans position de rime, et avec quoi Aššuštarī serait plus familiarisé en raison de ses voyages en Afrique du Nord.53 3.7.1.7 L’exception, c’est-à-dire la restriction d’une affirmation ou négation, en excluant quelques éléments du sujet, le prédicat ou les compléments, est un chapitre de la grammaire arabe standard avec quelques règles particulières. L’arabe andalou a préservé surtout la marque classique /illā/, qu’on a déjà vu dans quelques exemples antérieurs, mais aussi assez souvent /siwà/, comme dans IQ 24/4/4 >lam niǧad siwāhā< « je n’ai trouvé que celle-ci », 53/6/2 >las luh fī mālu siwà ism almāl< « de son argent, il n’a que le nom ».54 Quant au substantif /ġayr/ utilisé dans l’arabe standard comme un préfixe avec connotation d’exception, il continue à être commun dans le néo-arabe, donc l’arabe andalou, comme dans IQ 24/6/2 >law anna ġayrak< « s’il était un autre que toi », 9/10/4 >ġayr alšatam< « autre chose qu’insulter », dans PD 227 /arjáʕ liġáyr yáwm/ « reviens un autre jour », dans AC /maḫlúq liġáyr zamÍnak/ « il est né à une époque différente de la tienne », mais avec une forte tendance à devenir une conjonction, comme dans Alcalá gair tucún min hác « sans qu’il fut juste », voire un préfixe négatif inséparable des adjectifs, comme dans MT 74.3 >alzuqāq alġayr nāfiḏ< « le cul-de-sac ». Par ailleurs, on trouve chez AC des tournures avec /illā wa+/ exprimant la surprise, comme dans 413 >iḥnā fī ḏī illā wazawjah< « nous étions dans cette affaire, quand voilà, son mari ».
|| 53 Son absence des dialectes de l’Asie suggère un autre créolisme ‘yéménite’, visant à rendre plus explicite le marquage de la négation verbale, probablement à cause de la ressemblance phonétique dans des phrases en arabe standard telles que /la+taktub(u)/ « tu écris certainement » et /lā taktub/ « n’écris pas », surtout en position de pause. Il semble logique que ce /la+/ affirmatif ait également disparu de l’apodose des propositions conditionnelles introduites par /law/ pour la même raison : les cas n’est guère différent de la double négation du français, où la faiblesse phonétique extrême de l’adverbe ne, et peut-être la possibilité de confusion avec l’adverbe pronominal en auraient pu provoquer des confusions dans le langage rapide, désambigüisée par l’addition de pas, comme dans j’en veux et je ne veux (pas). L’immigration syrienne sous les Omeyyades de Cordoue aurait stigmatisé et presque éliminé l’usage du renfort négatif, à l’instar de celui du /g/ occlusif, du /ḍ/ latéral, etc. Curieusement, on trouve dans IQ 172/1/4 a >aḥḏar tatbaʕnī šay< « garde-toi de me suivre ! », où la négation n’est pas exprimée grammaticalement, mais seulement son renforcement, comme dans le français parlé. 54 Le curieux çaé de dans DC 9a >le tehléf … çaé fi huígib< « ne jure pas … sauf quand il faut » et 10b çaé maâ amrátaq… çaé maâ zéujeh « sauf avec ta femme … sauf avec son mari », avec une autre apparition dans DG 104 çay quedd « seulement jusqu’à » semble dérivé de l’arabe standard siyy « égal », sémantiquement contaminé par /siwà/.
216 | Syntaxe
3.7.2 L’interrogation La modalité interrogative, directe ou indirecte, s’obtenait normalement en arabe andalou par la présence des pronoms et adverbes interrogatifs, comme dans IQ 111/5/2 >ay ḫaṭbi kān baynī wabaynuh< « quel entretien a eu lieu parmi nous deux ? », 137/0/1 >aynukum iḫwānī< « où êtes-vous, mes frères ? », ou par le simple changement du contour intonatif comme dans IQ 94/10/1 >šarabta ʕuqār< « as-tu bu du vin ? », 41/5/3 >laʕal ṯamma aṣġar< « est-ce qu’il n’y a pas peut-être un plus petit ? », 182/5/5 >laʕalla narqud< « pourrai-je dormir ? », dans Alcalá 53.4 admanéit al inticám « as-tu désiré te venger ? », dans ZJ 1334 >laʕallahu yaštaʕīf< « se corrigera-til ? », bien qu’on trouve parfois un /hal/ classique,55 comme dans IQ 7/15/1 >hal nuḫḫaḏ balaḥkām< « est-ce qu’on va m’appliquer les normes ? », 27/2/2 >hallā rafaqta bīh< « tu n’auras pas pitié de lui ? ».56
3.7.3 L’exclamation La modalité exclamative, de façon parallèle à l’interrogative, utilise les mêmes pronoms et adverbes, mais avec une intonation appropriée, comme dans IQ 1/6/2 >ay ḥabs … yuḥbas< « dans quel prison il sera enfermé ! », 2/3/2 >aš yikābad< « qu’il souffre ! », 56/5/1 >aš numūt … warā hāḏā< « comment je mourrais pour celui-ci ! », 9/27/3 >waš kān yurà min ʕiwaǧ< « quels méfaits on verrait ! », 7/5/1 >aššanhu narāk bū ʕubaysah< « que je te voie renfrogné ! », dans PES 14/4/1 >kam taḫdaʕ< « que tu es trompeur ! », dans IQ 27/2/1 >kam ḏā ṣudūd< « quel dédain ! », 147/6/5 >kam ḏā tirawwaʕ< « quelle terreur tu causes ! », dans PD 184 /kam lu+ llaḏí kan nusí/ « comme ça fait longtemps qu’on l’a oublié ! »57, dans IQ 45/4/1 >waš qadar qalbī yahwāk< « combien mon cœur t’aime ! », 20/14/4 >waš ḫabar šuqūrat ʕiḏārī< « quelle merveille mes tempes blondes ! », a côté des procédés classiques comme l’élatif
|| 55 Mais pas l’arabe standard /ʔa/ qui est, néanmoins, fréquent comme marque du vocatif et des exclamations, et parfois un introducteur du sujet, comme dans NQ mg 8/x/1 >āhu yatġazzal< « le voici, composant poésie d’amour ». Il s’agit de la particule vocative et exclamative de l’arabe marocain, par exemple : /ā l-ʕāyla/ « ô fille ! », /ā r-ržāl āžīw/ « venez, les hommes ! ». 56 Cette construction est proche des exhortations suivant les serments, comme dans IQ 35/14/1-2 >ballah … allā ǧarradt alʔaqrāq waṯṯiyāb< « je jure… que j’ôterai mes souliers et mes habits », avec l’impératif en 36/4/3-4 >birās ban ubay allā aʕfu ʕan ʕabdak< « par la tête d’I.U., pardonne ton esclave ». 57 A Tripoli, l’exclamation s’exprime également au moyen de la locution adverbiale /gǝddāš-ma/ construite à partir de l’adverbe signifiant « combien », comme dans /gǝddāš-ma yǝbki hā-l-wǝld / « qu’est-ce qu’il pleure cet enfant ! ». (Pereira 2010 : 446).
La négation, l’interrogation, l’exclamation et l’emphase | 217
précédé de /mā/58, ou l’interjection /a/ parfois suivie de /mā/, les verbes de louange et blâme /niʕma/, /ḥabbaḏā/ et /biʔsa/,59 le wāwu rubba exprimant l’étonnement pour la quantité ou la fréquence, le vocatif exclamatif avec /yā/60, l’optatif /layt(a)/, etc., comme dans IQ 4/7/4 >mā akṯaru mā ġannayt< « combien de fois j’ai chanté ! », 90/12/4 >a muǧūn< « quel indécence ! », dans IA 249 /ama tastúr aṯṯiyáb/ « combien de choses sont cachées par les habits ! », dans AC 762 >a+mi+marri mā hī< « qu’elle est amère ! », 433 >mimlāḥ mā hī< « qu’elle est belle ! », dans PES 6/1/5 >amā nafraḥ< « que je me réjouis ! », dans ZJ 10 >amā tarÍ min alfaḍāyiḥ< « quels scandales tu verras ! »61, dans IQ 2/6/4 >yā ṣiyāḥ man yiqaʕ fīh< « quels cris pousse celui qui tombe là ! », 49/3/1 >yā asaf< « quel dommage ! », 73/4/1 >niʕm alfatà< « quel homme excellent ! »,62 /14/1 >ḥabbaḏā+lnafsi fa+lliyān< « que les manières douces sont bonnes pour les gens ! », 61/5/2 >ḥabbaḏā< « très bien ! », 73/10/3 >biʔs alqarīn< « quel pauvre remplacement ! », dans VA >bīs almarā fulānah< « quelle méchante femme une telle ! »,63 dans IQ 9/7/1 >walayālī bayyattu fīhā alqamar< « combien de nuits j’ai passé avec la lune ! », 67/15/1 >laytani kunt anā ummī< « plut à Dieu que je fusse ma mère ! », 92/3/3 >layt law faqadnā haḏā+ lġalā< « plut à Dieu que nous quittassions cette cherté ! », ce dernier avec une variante connue en néoarabe, comme dans IQ 53/4/2 >rayt kulli ham biruṭūbat ḏā lham< « si tous les soucis étaient si légers que celui-ci ! ». Il y a aussi des noms qu’on peut utiliser avec une nuance exclamative, comme dans IQ 1/6/1 >sawād man yuġušš< « malheureux qui dupe ! », 20/13/2 >yā bayāḍ baḫti man zurtuh< « heureux celui que tu visites ! », 7/2/1 >yā muǧī saʕdī< « ô retour de ma veine ! », dans AC >(yā) sawīdu man< « malheureux celui qui ».
|| 58 Comme à Tripoli, où on emploie /ma/ suivi d’élatifs ou de substantifs comme dans /ma ḥlā-ha/ « qu’est-ce qu’elle est belle ! » et /ma šnā-tīnt-ǝh / « qu’est-ce qu’il est moche (il est moche comme un cul) ! » (Pereira 2010 : 447). 59 L’arabe standard avait aussi quelques autres tournures exclamatives avec des verbes aux formes figées, comme /qalla mā/, /surʕāna mā/ exprimant la rareté, la vitesse, etc., dont quelques-unes ont survécu en arabe andalou, comme dans IQ >qallimā yantafaʕ< « il en profite bien peu », mais elles semblent appartenir aux registres plutôt élevés. 60 Comme à Tripoli dans /ya ḥne mā-ʕǝnd-nā-š / « oh (mais) nous n’(en) avons pas ! » et dans /ya fī-ha hālba ma yǝngāl / « oh, il y a beaucoup de choses à dire à son sujet ! ». 61 On trouve également la forme /ǝmma/ à Tripoli comme dans /ǝmma mǝhbūl / « quel fou ! » (Pereira 2010 : 447). A Tripoli, on emploie également la locution interjective /ḥē-ʕle/ comme dans /ḥē-ʕle l-mākla / « quelle (bonne) nourriture ! » et on trouve aussi l’exclamatif /ti/ comme dans /ti ʕǝnd-i nīya ḷ-aẓ-ẓoḅḅ nǝmši / « mais j’ai une putain d’envie d’y aller ! » et dans /ti ġālya ḷ-ɑẓ-ẓɑḅḅ yǝḥku ʕlē-ha / « mais ils disent qu’elle est chère sa mère ! ». Au sujet de l’exclamation en arabe de Tripoli, voir Pereira 2010 : 445-452. 62 Mais on utilise ce vieux verbe de louange avec le sens de « beaucoup, très », comme dans IQ 45/12/1 >niʕma qad ṭāl< « il a duré longtemps », 41/6/1 >mā kān niʕma maṣdūq< « on ne l’a pas beaucoup cru », 75/3/3 >ġayūr niʕma< « très jaloux ». 63 Où on voit que ces anciens verbes sont devenus invariables.
218 | Syntaxe
3.7.4 Les expressions optatives En lien avec la modalité exclamative et parfois utilisant les mêmes marques on a les expressions optatives, pour lesquelles l’arabe standard préférait le perfectif, qu’on trouve encore parfois dans les phases plus précoces de l’arabe andalou, comme dans IQ 3/2/4 >alqà alla fī rāsuh ḍarbat šuqūr< « que Dieu fasse tomber une hache sur sa tête ! », 7/11/3 >qaṭaʕ albārī (a)ṯarī in ṭalabtak< « que Dieu arrête mes pas si je cherche à te rencontrer ! », 38/8/1 >raǧǧaʕ allah man ǧāhad alkuffār< « plut à Dieu de faire revenir celui qui a combattu les infidèles ! », bien que quelques-uns de ces cas soient des idiotismes ou classicismes, comme dans IQ 38/40/1 >dumta masrūran< « que ta joie continue ! », 24/5/4 >ḥayyāk allah< « que Dieu te donne la vie ! », 26/1/3 >lā kān alfuḍūl< « que la curiosité soie maudite ! », ce qui pourrait s’appliquer aussi à des cas où l’on utilise quelques marques de l’arabe standard, comme dans IQ 7/13/1 >law ǧaʕalk allah tarānī< « plut à Dieu que tu me visses ! », 9/4/3 >ʕasà dawlat arriḍā tarǧaʕ< « si les jours du consentement retournaient ! », dans Alcalá 41.20 ací yaâguáni alláh « que Dieu m’aide ! ». Cependant, dans la totalité du néo-arabe, donc l’arabe andalou, c’est l’imperfectif qu’on utilise normalement pour ces expressions, comme dans IQ 15/9/4 >nāran yaḥraqu< « puisse le feu le brûler ! », 24/10/3 >tafdīk arrūḥ waldanānir < « puisse-t-on te racheter avec la vie et l’argent ! », 84/16/1 >allah yibārak fīk< « que Dieu te bénisse ! » ; mais l’arabe andalou a aussi quelques innovations, comme /yā ʕalay/ comme dans IQ 168/2/4 >yā ʕalay minnuh mīt qaṭīʕ< « si j’en avais cent jarres ! », dans IA 268 >yā ʕalay biǧildī kinnaḫluṣ< « si je pouvais m’en tirer avec ma peau ! ».
3.7.5 L’emphase L’emphase sémantique des propositions entières ou de ses éléments est un des soucis les plus constants de la langue arabe, qui a recours à plusieurs outils morphosyntaxiques et lexicaux, dont la plupart ont disparu ou ont été renouvelés en néo-arabe. Les sources de l’arabe andalou en ont préservé quelques-uns dans les registres élevés, comme dans la marque d’emphase des sujets /(la+)inna/ comme dans IQ 9/2/4 >inna ayyāmī … titam< « mes jours … finiront »,123/2/1 >laʔinnī raǧūlan ʕāšiq< « je suis certes un homme qui aime », infra-correctement utilisé dans 9/21/4 >inna qabl arramī yurāš assaham< « on empenne la flèche avant de tirer », 44/2/3-4 >inna law lam tuqaddam kittarà …< « certes, si on ne t’avait pas préposé, on aurait vu … », dans PES 472/5 /ínna wáqti ʕaǧíb< « mon moment et vraiment merveilleux », ou la
L’élision | 219
construction focalisée avec /ammā …. fa/,64 comme dans IQ 43/6/1 >ammā ʕaḏābī faṭāyil< « quant à mon tourment, il est long »,65 et l’inversion syntaxique du sujet et du prédicat ou du sujet et de l’objet ou des compléments, et toutes les formes de l’anacoluthe, qui semble avoir été plus vernaculaire, comme dans IQ 1/0/1 >waliḫawf annušbah nabkī< « et de peur d’être pris je pleure », 4/3/4 >alʕišq walmawt alsawm fīha sawā< « l’amour et la morte, leur prix est le même », 14/1/4 >man hu qalbu aġlaf< « quiconque a un cœur insensible », 75/9/3 >allaḏī hū tadrīnī aš naṭlub< « tu sais ce que je demande », 145/4/5 >liḥiddatu an tankasar< « afin d’amoindrir son piquant », dans GL 189 >ḥalāl hu< « c’est légal », dans Alcalá 42.17 harám hu « c’est interdit », dans ZJ 991 /raḫíṣ kásr alḫábya biʕáqr alfár/ « briser la jarre est un prix raisonnable pour tuer la souris », 158 >zawǧ ummak nukūn< « je suis le mari de ta mère», IQ 2/0/1 >ṣabī naʕšaq min assūq< « j’aime un garçon du marché », 34/9/3 >maʕdan waǧad< « il a trouvé une mine », 40/9/4 >ḥasbak yannayr< « la fête de janvier te suffit ». Parfois, néanmoins, l’arabe andalou a innové des marques nouvelles, comme /aw(wa)ḏá/ et /haḏúwwa/, comme dans IQ 81/7/4 >awḏānī< « me voici » 90/8/4 >awwaḏāk< « te voilà », 89/6/1 >hāḏuwwa warā albāb< « le voici derrière la porte », ou généralisé l’utilisation de marques assez restreintes en arabe standard, comme /(la+)qad/, un renfort du perfectif qu’on trouve pratiquement dans n’importe quelle position en arabe andalou, comme dans IQ 1/1/2 >laqad fī amrak āyah< « ton cas est vraiment une merveille » ; il semble avoir contaminé l’adverbe /qaṭṭa/ « jamais », comme dans IQ 6/1/2 >lam qaṭ narà maʕšūq< « je n’ai jamais vu un aimé ». Finalement, on ne manque pas de cas où l’emphase s’exprime par la simple répétition des mots, comme dans IQ 74/1/3 >qarīb qarīb< « très proche » et ensuite 1/4 >ǧīda ǧīd< « très bon », 94/4/1 >askut askut< « tais-toi bien ! », 99/15/2 >aswad aswad< « noir, très noir », 126/1/1 >malīḥ malīḥ< « beau, beau », dans PD 205 /ḥáblan raqíq raqíq/ « une corde très fine », dans IQ 129/2/2 >kam wakam naḥtaraz fīk< « combien me suis-je gardé de toi ! », 134/7/1 >fummak at< « ta bouche, la tienne », ce qui était déjà normal en arabe standard.
3.8 L’élision L’élision en surface des éléments de la structure profonde de la phrase susceptibles d’être récupérés par leur sens évident est probablement un universel linguistique,
|| 64 En arabe marocain, la particule /āmma/ ou /əmma/ « en ce qui concerne, quant à » est employée sans la deuxième partie /fa/, comme dans /w āmma ṣġīra mātət/ « quant à la plus jeune, elle mourut » (Prémare DAF 1: 88). A Tripoli, la forme /ǝmma/ est également employée sans /fa/, comme dans /b-nǝsba li ṛabīʕ, ā-hu šre šagga u xṭǝb ǝmma nāfaʕ, māzāl šwēya/ « concernant Rabie, il a acheté un appartement et s’est fiancé ; quant à Nafa, toujours pas ». 65 Hv. 99.2 et 8 contient >immālā taqfaz ḫunaydaq tiqaʕ fī ġadīr< « ne saute pas un petit fossé pour tomber dans un étang », ou de subordination, comme la conjonction /an/, comme dans IQ 6/2/3 >daʕhum yamšū< « laisse-les aller », 26/3/3 >taṭmaʕ tiṭīr< « tu as envie de voler », même après une préposition, comme dans PD 172 /la búd li min naččám/ « il faut que je sente », ou négatives comme dans IQ 27/8/3 >budd an yukūn …maiʕzz< « il faut qu’on y trouve des chèvres », 40/9/2 >bud lī an nalbas ṯiyābī< « il faut que je mette mes vêtement », dans NG br 2/1/4 /búddi lalġulám… yaḫḍáʕ lisídu/ « l’esclave … doit se soumettre a son maître », parfois comme conséquence d’une évolution de tournures interrogatives rhétoriques, toujours dans des propositions où le second élément est introduit par /illā/ comme dans IQ 133/8/1 >kittukūn yaḏḏa illā biḥālu< « tu ne serais alors que comme lui », 21/17/4 >waṭalab minnī illā ḥaqq albāb< « il ne m’a demandé que le péage » < « est-ce qu’il m’a demandé autre chose que le péage ? » ou dans PES 2172/2 >anta illā fī baḥrak< « tu n’es que dans ta mer » < « est-ce que tu es sinon que dans ta mer ? », mais aussi avec quelques sujets, comme dans IQ 9/22/2 >allaḏī in wazan fawāfī raṭal< « celui qui, quand il pèse, il est précis avec le poids », surtout des verbes impersonnels comme dans ZJ 40 >iḏā aṣbaḥ< « quand il fait jour ».
4 Lexique Le lexique n’appartient pas à la grammaire de la langue mais, étant le sujet d’application de ses différents niveaux structurels (phonologie, morphologie et syntaxe), il y a des interrelations qu’il convient de considérer, sans trop particulariser, comme l’impact des structures phonétiques des morphèmes lexicaux sur quelques règles morphologiques, comme celles de la conjugaison, traitées dans la morphologie anomale, ou la tendance des noms étrangers à utiliser le pluriel régulier féminin au lieu des pluriel brisés. En plus, dans l’étude comparative d’un dialecte arabe comme l’arabe andalou, il ne serait pas méthodologiquement sage de garder le silence sur ses caractéristiques lexicologiques par rapport à l’arabe ancien et le néo-arabe. Le lexique de l’arabe andalou, comme celui de n’importe quel dialecte néoarabe semble avoir subi une grande contraction arithmétique dans sa richesse, si on le compare avec la koiné poétique arabe ancienne, pas si grande si la comparaison est établie avec la langue du Qurʔān, mais il faut se rappeler que le dictionnaire de cette langue conventionnelle est la somme des dictionnaires de tous les anciens dialectes arabes acceptés d’abord par les rhapsodes qui éditaient ces poèmes visant à obtenir la plus grande intercompréhension possible, puis par les lexicographes postérieurs, qui ont été bien plus tolérants avec les mots utilisés par les Arabes, qui fussent-ils les uns et les autres. Il va de soi que la comparaison d’un seul dialecte préislamique, si cela eut été possible, avec un seul dialecte néo-arabe médiéval ou moderne, ne serait pas tellement inégale. En fait, et comme dans le reste des langues ayant une existence prolongée, le lexique arabe a changé à travers l’abandon des termes inusités, l’évolution phonétique ou sémantique surtout des mots les plus fréquents, la création des néologismes avec des matériaux natifs et les emprunts aux langues étrangères. L’abandon d’une grande partie du lexique arabe ancien est un trait commun à tous les dialectes néo-arabe, plus évident dans le cas des parlers citadins que dans les bédouins, et l’arabe andalou doit être compté à cet égard parmi les premiers. Il arrive, cependant, que les sources de l’arabe andalou aient préservé des vieux mots oubliés dans les coins des dictionnaires comme dans VA >arḫah< < arabe standard irḫah « génisse », >balas< « figues », >naʕraǧ< >ʕaraǧt< « monter », >madarah< « motte de gazon », >waḍāfah< = IQ 95/8/2 >waḍaf< « fronde », ou même ignorés par la langue classique, mais présents dans l’entourage sud-sémitique, comme >ḍamd< « joug »,1 ou IQ 21/14/4 >ʕiqāb< « chien gardien ».2 Dans tous ces cas il s’agit de || 1 Voir Behnstedt 1996 II : 754-755, au sujet de ce mot dans les dialectes yéménites modernes et les langues sud-sémitiques. 2 Un cas curieux, où la lexicographie native n’a pas gardé la mémoire de la signification « garder » de la racine sémitique {ʕqb}, si évident dans le sud-arabique >ʕqb< « administrateur » et le guèze
222 | Lexique
l’héritage lexical ‘yéménite’, bien qu’il y ait d’autres cas clairs de ‘syrismes’,3 comme dans VA >rahṭ< = dans Alcalá ráhad « façon », dans VA >quṭṭūs< avec un pluriel >qaṭāṭis< qu’on trouve partout, même en maltais qattus pluriel qtates « chat ». L’évolution phonétique ou la simple corruption produite par les pseudocorrections et les assimilations sémantiques peuvent souvent provoquer des altérations dans des mots que ne sont plus identifiables, comme dans IH 153 >šaffāf< « qui a la bouche très grande » < arabe standard /ašfah/, dans IQ 119/6/2 >layt šay< « plut à Dieu que je susse » < arabe standard /layta šiʕrī/, 68/5/3 >yazhū< « il se moque » < arabe standard /yahzaʔu/, dans GL >muṣāratun< « promenade en dehors de ville » (voir le castillan almozara) de la racine arabe standard {syr}. L’évolution sémantique est souvent si radicale qu’il est difficile d’identifier les origines des mots dans n’importe quelle langue. Pour l’arabe andalou, Ibn Hišām consacra une partie importante de son ouvrage à la critique de l’utilisation fautive, selon les puristes, du vocabulaire classique avec des connotations parfois très différentes, comme dans >ʕaǧam< « étrangers » ≠ arabe andalou « nègres », >iskāf< « artisan » ≠ arabe andalou « savetier », >wādī< « vallée » ≠ arabe andalou « fleuve », >almasīḥ< « le Messie » ≠ arabe andalou « l’Antéchrist », etc.4 Cela pourrait s’appliquer aussi aux évolutions sémantiques comme /mazrúb/ « rapide », un participe non-agentif de l’intransitif arabe standard /zariba/ « couler (l’eau) », /sáq/ /yusúq/ « apporter », en arabe standard « conduire »,5 etc., quelques déplacements fonctionnels assez curieux comme le replacement occasionnel dans l’onomastique d’/abán/ par /walád/, comme dans IQ 88/7/4 >walad ʕammār< Ibn Ammār, et 111/8/3 >walad ʕabbād< Ibn ʕAbbād,6 et à quelques euphémismes comme dans IQ 64/4/3 et 85/72 >taḥt< « dessous », un euphémisme signifiant « cul », également utilisé dans le dialecte syrien jusqu’à nos jours, 90/10/2 >mubīt< « passer
|| ʕaqqabi « gardien », ce qui a forcé l’interprétation du terme coranique muʕaqqibāt, sans doute, « anges gardiens », comme « anges qui font les jours et les nuits se succéder », ou « suivant ses pas », selon le Tafsīr alǧalālayn, fameuse exégèse d’Ibn Aḥmad Almaḥallī et Assuyūṭī, en dépit de la clarté du passage, Qurʔān XIII,11. 3 Au sujet desquels voir Corriente 1989a : 103, note 51 et Corriente 1999b. 4 Voir Pérez Lázaro 1990 I : 167-178. 5 Équivalent du néo-arabe /ǧāb/ /yiǧīb/, un cas de fusion du verbe avec la préposition, c’est-àdire / ǧāʔa bi+/, dont il n’y a que peu d’exemples en arabe andalou, comme dans IQ 43/3/5 >ǧāb … ǧibtu< « il a apporté … j’ai apporté », et 80/57/4 >niǧībak< « je t’apporte », probablement aussi 96/13/4 où le manuscrit a >ǧātǧāb< ; le procédé est répété par VA >nihazzab< « confondre », probablement le résultat d’une agglutination de la racine {hzʔ} avec la préposition /bi+/. Quant à /šāf/ /yišūf/ « voir » et /šāl /yišīl/ « enlever », deux ‘bédouinismes’ propagés à partir de l’Arabie par les pèlerins et caractéristiquement innovés par le néo-arabe, leur utilisation en arabe andalou est encore plus moderne et très rare, avec bien peu d’exemples, surtout dans PES, comme dans 12/6/2 >yišūf< « il voit » et dans IZ 10/4/2 >yišūfuh< « il le voit », ainsi que dans PES 84/1/4 /šálu/ « ils ont enlevé ». 6 Qui rappelle l’usage de quelques dialectes nord-africains et du berbère u+, féminin ult+.
Néologismes | 223
la nuit » au lieu de « faire l’amour », et 13/4 >ḫaraǧ rūḥī< « mon âme est sortie » c’est-à-dire « j’ai éjaculé », 91/5/3 >ḫāla< « tante » au lieu de « maîtresse », dans PD 211 >ḫāl< « oncle » au lieu d’« amant », etc.
4.1 Néologismes La création de néologismes est une nécessité de toutes les langues afin de s’adapter à l’évolution technique et sociale, sachant qu’elles diffèrent assez quant à la capacité d’utiliser leurs propres moyens de production de mots nouveaux et la tendance à une acceptation plus ou moins rapide des termes étrangers. L’arabe ancien était à cet égard plus proche de l’allemand et du russe, fortement enclins à utiliser leurs recours internes d’accroissement du fond lexical, que de l’anglais avec sa grande capacité d’adoption de mots étrangers, mais le néo-arabe s’est installé dans une position bien plus tolérante par rapport aux emprunts, ce qui est aussi le cas de l’arabe andalou. Malgré cela, on constate une rénovation de quelques classes de mots, comme les abstraits, comme dans Alcalá curbía « parentage », ûuzbía « célibat », cohbía « prostitution », où les noms de lieu et d’instrument, comme dans VA >mabzarah< « récipient pour épices », >matban< « meule de paille », >maǧbaḥah< « ruche », >maḥwaq< « règle », >madass< « dard », >mafsaqah< « maison de joie », noms d’occupation parfois avec l’addition du morphème de nisbah,7 comme dans IQ >kaššāš< « chasse-mouche »,8 dans VA >maddād< « fabricant d’encre », >maqqāṣ< « percepteur des impôts des moulins », >tayyānī< « vendeur de figues », dans IH 370 zaǧǧālī « auteur de azǧāl », dans MT 233 : 29 et 544 : 18 >ḥammāmī< « baigneur », 23.11 >ṭannānī< « espèces sonnantes » (chez Ferrando 1995 : 127 et 159),9 dans Alcalá lahháni « grammairien mauvais », beyézi « fauconnier », etc.
|| 7 Voir Corriente 1989 : 99-100. 8 Du néo-persan keš, une interjection utilisée par les hérauts pour écarter les gens au pas du roi, mais adoptée dans les échecs et exportée avec ce jeu. Le néo-arabe oriental l’utilise encore pour annoncer l’‘échec’, kišš malik. 9 Notre collègue cite aussi le cas dans MT 934.1 >qarmād< « tuilier » avec une hésitation, mais il s’agit d’une équation {1a22ā3} = {1a23ā4}, avec d’autres exemples dans la morphologie de l’arabe andalou, comme dans, /ġarbál/ « boisselier », /ġarnáq/ « vendeur d’un mets à base de poumons rôtis » (voir Corriente 2008 : 44-45), donc le cas est valable. Ce n’est pas le cas de /kattáni/ « vendeur de lin », évidemment dérivé avec le suffixe de nisbah du nom du produit, arabe standard /kattān/. De son côté, Behnstedt 2008 : 109-110 relève plusieurs cas de {1a22ā3ī} participial dans les dialectes yéménites modernes.
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4.2 Les emprunts Les emprunts de l’arabe andalou aux langues du substrat roman, plus abondants, et à l’adstrat berbère, moins nombreux mais nullement insignifiants, sont à présent presque complètement catalogués et classifiés. Les dialectes romans ont fourni des termes zoologiques et botaniques d’espèces endémiques de la Péninsule Ibérique sans nom arabe ancien, comme dans VA >lubb< « loup », >qalabbaq< « tortue bourbeuse », >isbaranǧ< « asperges », dans Alcalá chírque « chêne kermès » ;10 des nom de quelques parties du corps humain, introduits par les mères romanophones des premiers fils des envahisseurs arabophones, comme dans VA >imlīq< « nombril », >muǧǧah< « mamelle », dans IA 736 >qūl< « cul » (mais « verge » dans ZJ 1433) ; quelques termes de parenté de très hâtive adoption à cause de la formation des premières familles mixtes, comme dans VA >šuqru< « beau-père », dans ZJ 1122 >šubrīn< « neveu » ; des outils domestiques et des habits, comme dans IQ 82/7/4 >kinnaṭabyaṭ< « je me dresse » ; quelques technicismes des professions pratiquées par les natifs dans les premières décennies, comme dans VA >qumṣāl< « large coupe », >šuqūr< « hache », >šayrah< « panier », dans IQ 44/6/4 /pičmáṭ/ « biscuit » ; ainsi que des termes du jargon légal, comme dans IQ 76/2/1 >binyah< « permis ».11 Quant au berbère, quelques emprunts à cette langue appartiennent à la terminologie botanique et zoologique, comme dans GL >tāġandast< < tiġandǝst « pyrèthre », dans ZJ 626 >aġlāl< « escargots » ; ainsi qu’au lexique des outils, vêtements, bijoux et armes, comme dans VA >tāqrah< < tǝgra « écuelle », >hirkāsah< > arkas « espadrille », >zaġnaz< < sǝgnǝs « agrafe de collier », dans IQ >aqzāl< < agzal « pique courte » ; le lexique de la cuisine, comme dans Alcalá hérqueme < ǝrkǝm « ragoût de tripes », dans ZJ 961 >tafāyah< < tfaya « met de viande assaisonnée ».12 Cela n’exclue pas la possibilité de calques syntaxiques, comme dans IQ 91/8/4 >aš adḫal aldarmak ilà+nnuḫālah< « pourquoi mêler la fleur de farine avec le son ? », imitant la construction du berbère šǝkšǝm.13 Parfois, on rencontre des mots provenant d’autres langues, comme le copte dans IQ 93/2/4 >bayṣār< « mets de fèves cuites », 193/1/2 >albūrī< « mulet », d’où le
|| 10 La phonologie révèle la grande ancienneté de ces emprunts : /isbaránǧ/ < latin asparagus semble refléter le /g/ occlusif des ‘Yéménites’ de la première vague des conquérants, plus tard affriquée, et le /p/ du bas latin stippa est arrivé sans altération à travers les siècles jusqu’à iztípa, une variété de ciste, Cistus polymorphus, dans Alcalá. 11 Il y a aussi de nombreux emprunts romans du superstrat, c’est-à-dire des mots castillans et catalans que les andalous ont dû utiliser après la conquête chrétienne dans leurs relations avec leurs seigneurs et voisins, comme dans MI 204 >ṭablah< « banque », dans Alcalá calongía « canonicat », tabérna « cabaret », etc. 12 Voir Corriente 1998 et 2002, Ferrando 1997, ainsi que Tilmatine & Bustamante 1999. 13 IA a trois proverbes, 74-76, à la même structure, voir Marugán 1994 : 83.
Les emprunts | 225
castillan albur, et dans VA >bahmūt< « cave », a côté d’autres exemples déjà connus de l’arabe standard, du néo-persan dans IQ 98/2/2 >bayrūn< « sorte de peignoir », du néo-persan birune « (vêtement) extérieur », 137/0/1 >ǧūḏabāh< « un mets doux », du néo-persan gowzāb « eau de noix », les sabéismes d’IQ 176/1/3 >taw ḏā< « jusqu’à maintenant », et dans VA >duqam< = IQ 81/3/2 = IA 401 = dans Alcalá >dúqm< « bouche ».14
|| 14 Voir Behnstedt 1992 III : 384 au sujet de dug/qm au Yémen.
5 Panchronie La panchronie s’occupe de la description des phénomènes linguistiques ne découlant pas de la structure grammaticale, ni de l’évolution de la langue, mais des circonstances variables du développement des communautés linguistiques dans leurs milieux historiques et sociaux. Ces circonstances se reflètent dans les langues sous la forme d’influences exercées par le milieu et le contact avec d’autres communautés linguistiques, qu’on appelle les interférences. Dans le cas de l’arabe andalou, le réseau d’interférences actives pendant la période initiale de sa gestation qu’on peut calculer sur une période de deux siècles, depuis l’arrivée des musulmans en 711 jusqu’à l’installation du califat Omeyyade de Cordoue en 929, et plus tard, tout au long des phases historiques successives d’AlAndalus, jusqu’à l’expulsion des derniers locuteurs de l’arabe andalou en 1611, est particulièrement complexe, du fait que, comme on le sait, les tribus arabes envahissantes parlaient plusieurs dialectes, probablement pas seulement nordarabiques, mais aussi sud-arabiques ou fortement mêlés d’éléments de cette origine, de véritables Mischsprachen. En plus, ils étaient une minorité parmi une majorité de berbères arabisés à des degrés qu’on ignore, mais ne pouvaient pas être très avancés au-delà du besoin de la communication plus élémentaire avec leurs alliés arabes. Finalement, ce mélange hétéroclite de quelques dizaines de milliers d’hommes seulement, plus ou moins arabisés, a dû se mêler à une population romane autochtone au moins dix fois plus nombreuse, ce qui fait de l’arabisation d’AlAndalus un exploit presque prodigieux, dont le succès ne s’est pas répété en Iran, par exemple, où l’immigration arabe a été incomparablement plus nombreuse, peutêtre à cause d’une conscience nationale, voire de la fierté d’être persans, qui n’existaient pas encore dans la Péninsule Ibérique, et vraisemblablement, dans le reste de l’Europe, du simple fait d’une chronologie mille années plus courte. On connaît très peu la situation linguistique en Afrique du Nord à la veille de l’invasion islamique, sauf que les parlers berbères régnaient partout, hormis les cités côtières où la romanisation avait été assez profonde, surtout en Berbérie orientale, moins vers l’Occident, et que les populations locales, au fur et à mesure qu’elles acceptaient l’Islam, acquéraient un bilinguisme rudimentaire berbèrearabe, ou plutôt néo-arabe, qui deviendrait plus tard le monolinguisme arabe, dans les cités qu’échelonnaient le progrès des armées musulmanes vers le détroit de Gibraltar. Seulement en considération des résultats assez postérieurs relevés des dialectes nord-africains pré-hilaliens, maltais et arabe andalou, on peut constater qu’il y a eu plusieurs conflits de langages, où le roman nord-africain a été effacé presque sans laisser traces de son passé essor dans quelques régions, et le berbère a reculé lentement dans les plaines et les cités les plus septentrionales face à l’arabe. Celui-ci, à son tour, s’est koïnisé encore une fois, en gardant quelques traits
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créolisés ‘yéménites’, qui deviendront caractéristiques de tout le néo-arabe occidental, comme les marques personnelles de l’imperfectif et la prosodie, mais acceptant un certain degré de standardisation dans le consonantisme et le vocabulaire, et une influence berbère assez limitée du lexique et des calques de quelques tournures idiomatiques. Cette situation, vécue par trois générations de musulmans nord-africains, arabes, berbères, et leurs métis, depuis l’établissement d’une capitale islamique à Qayraouan en 670, jusqu’en 711, date de l’invasion de la Péninsule Ibérique, ne peut nous donner une idée bien que sommaire des traits de la langue arabe importée ici par ces armées mixtes, même avec les maigres renforcements reçus plus tard, comme les soldats du syrien Balǧ b. Bišr et les immigrés d’Orient, surtout sous les Omeyyades, à côté d’un apport presque ininterrompu de berbères plus ou moins arabisés jusqu’à la chute de Grenade en 1492. On dirait que le même procès de koinéisation commencé en Berbérie a continué de ce côté du Détroit, en y ajoutant l’ingrédient roman local et produisant des résultats similaires, bien que pas exactement identiques, qui ont permis l’intercommunication orale assez aisée en néo-arabe occidental, d’Al-Andalous jusqu’à l’Egypte pendant plusieurs siècles, même jusqu’aujourd’hui, avec quelques restrictions, plus évidentes dans les régions plus orientales, à cause de la forte interférence des parlers arabes orientaux, surtout dans la vallée du Nil. Il nous importe donc de déceler les ingrédients arabes, berbères et romans dans ce processus de koïnisation.
5.1 Les ingrédients arabes La diversité ethnique des tribus arabes ayant envahi la Péninsule Ibérique a toujours été connue des historiens, puisqu’elle a été rapportée par toutes les sources historiques. Néanmoins, du fait que les historiens ne se soucient souvent assez peu des données linguistiques, on n’a établi une corrélation avec des différences dialectales importantes qu’assez tard : on dirait que l’arabisation miraculeuse nordafricaine instantanée des yéménites islamisés, tout comme l’arabisation foudroyante des berbères après la conquête islamique, étaient deux dogmes qui simplifiaient beaucoup de chose et épargnaient bien des doutes dans les recherches islamologiques. Colin fut le premier à suggérer une relation entre la prononciation latérale du /ḍ/ en Al-Andalus et la majorité yéménite des envahisseurs (Colin 1930 : 102), mais il a fallu attendre jusqu’à Corriente 1989a pour trouver une présentation intégrale des traits phonologiques, morphologiques, ainsi que de quelques traits syntaxiques et lexicaux, rattachant l’arabe andalou au sud-arabique et à quelques dialectes yéménites modernes, comme on a pu le voir dans les pages antérieures.
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5.2 Les ingrédients berbères La situation est identique pour l’interférence adstratique berbère, pour laquelle on ne comptait que sur des références occasionnelles à quelques emprunts lexicaux dans DS,1 avant Corriente 1998a et Corriente 2002, où leur nombre atteint quelques dizaines, et on a fait pour la première fois allusion à la possibilité d’influences phonétiques, même morphosyntaxiques, comme dans le cas de l’utilisation massive de l’article arabe au lieu du préfixe masculin de classe, qui aurait déterminé l’adoption par le roman d’une majorité d’emprunts avec agglutination de cet élément.
5.3 Les ingrédients romans Cependant et très logiquement à cause de la situation démographique, c’est le roman qui a exercé l’influence, substratique d’abord et suprastratique ensuite, la plus importante dans l’évolution et la maturation de l’arabe andalou à tous les niveaux grammaticaux et dans son lexique, avec des conséquences stables et parfois exportées au nord-africain.2
|| 1 Qui, en dépit de ses connaissances étendues et des grands services à l’islamologie, se trompait parfois quand il attribuait au berbère des mots d’une autre origine, comme les termes de l’arabe andalou /silháma/ « peignoir », d’où le vieux castillan zurame, catalan suram et portugais çurame (voir Corriente 2008a : 49), /zabbúǧ/ « olivier sauvage », et le marocain žənwi, « couteau » ; ou il ne reconnaissait pas les berbérismes comme l’arabe andalou /masmaqúra/ « aristolochia longa », /zaġnáz/ « collier », etc. (voir Corriente 1997a : 234, 106, 502 et 231), car il n’était pas habituel à son époque de beaucoup se soucier du berbère ni de poser des questions sur ces mots à ceux qui connaissaient mieux cette langue. 2 Voir le tableau de mots andalous repérés dans le nord-africain dans Corriente 1992 : 35-36 (dont la liste n’est pas exhaustive). La présence de lexique andalou au Maghreb est très ancienne car elle est due à la migration massive de population andalouse vers l’autre côte du détroit de Gibraltar pendant plusieurs siècles au Moyen Âge. Bien évidement, les régions où cette population s’est installée sont les régions avec une quantité plus grande d’emprunts à l’arabe andalou. Par exemple, au Maroc, c’est le cas de la région de Jbala, dans le nord du pays, très conservatrice du point de vue linguistique ; un fait qui a eu comme conséquence la présence d’un nombre considérable de mots andalous, toujours utilisés aujourd’hui. Bien sûr, les emprunts à l’andalou concernent d’autres régions du Maroc ; ces emprunts sont tellement intégrés phonétiquement que les locuteurs ne sont pas conscients de leur origine étrangère : c’est notamment le cas de la très connue /bəṣṭīla/ « tourte de viande » < arabe andalou /pastíl/ < latin pastillus. Sur l’influence linguistique de la Péninsule Ibérique au Nord du Maroc, Vicente 2011 : 71.
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5.3.1 Phonologie Au niveau phonologique, le substrat roman a forcé le remplacement du rythme quantitatif de l’arabe oriental par le rythme accentuel des langues néo-latines de la Péninsule Ibérique,3 l’incorporation des trois phonèmes marginaux /p/, /č/ et /g/, et l’introduction de quelques altérations pseudo-corrects dans la réalisation des phonèmes interdentaux et vélarisés, ainsi que des phonèmes pharyngaux.
5.3.2 Morphologie L’interférence morphologique romane s’est surtout traduite par l’élimination de la distinction de genre à la deuxième personne du singulier des pronoms personnels et des verbes, et par l’utilisation de quelques suffixes avec des connotations particulières,4 dont certains sont relativement productifs et on les trouve même attachés à des mots arabes, et dont d’autres n’ont survécu qu’agglutinés à certains mots, généralement des emprunts romans et non plus productifs. Parmi les premiers, on a : le diminutif {+ÉḺ(A)}, qui peut se refléter avec les deux degrés d’imālah, comme dans VA >ḥār+allah< « petit quartier », de l’araméisme arabe standard /ḥārah/, dans GL >ʕarūs+āllah< « belette (littéralement petite épouse) » ;5
|| 3 On n’a jamais parlé du rythme syllabique de l’arabe berbérisé parlé par la majorité des envahisseurs musulmans de la Péninsule Ibérique mais, le berbère n’ayant pas de voyelles phonologiquement longues, ce qui ne lui a donné aucune chance d’imiter la métrique arabe, à la différence du persan, du turc et de l’hébreu traditionnel du Moyen Orient, etc., il faut suspecter qu’ils n’ont pas pu contribuer à préserver le rythme quantitatif probablement toujours pratiqué par ses alliés arabes dans ces régions. En fait, les circonstances de l’importation de cette métrique (appelée ʕarūḍ) sous l’émir ʕAbdurraḥmān II, un siècle après la conquête, moyennant une conversion prosodique accentuelle, que nous avons étudié dans Corriente 1997b : 70 et suivantes, confirment que la population arabophone d’Al-Andalus, après quelques décennies, ignorait déjà complètement le rythme quantitatif de l’arabe oriental. 4 Voir Corriente 1983b. 5 Voir dans VA >ʕarūsat alfīrān< = dans Alcalá aâróçat al firín, du classique /ibnu ʕirs/, selon la tradition euphémistique de mettre en rapport la peau de cet animal redouté et les parures d’une épousée. Les superstitions populaires concernant certains animaux, surtout les petits reptiles et amphibiens, ont généré de nombreux changements et des substitutions dans la zoonymie, comme dans l’arabe standard /ḍabb/ « lézard » qui est habituellement remplacé par /ḥard/ḍ/ḏún/, de l’arabe standard /ḥirḏawn/, l’hispanisme /rána/ ou le berberisme /kurána/ « grenouille », le sont par /čur/ḫdún/, une corruption de l’arabe standard /ǧuḫdub/, bien que celui-ci ne fusse qu’une sorte de sauterelle verte ; le têtard, arabe standard /šarġ/, a été appelé /ṭaylún/, peut-être du latin stellio « sorte de lézard », le lézard de mur, arabe standard /sāmmu abraṣ/ devint xemebráx dans Alcalá, etc. Ces confusions se sont propagées parmi les mots romans, partagés avec l’arabe andalou, car l’exemple dans VA >uškurǧūn< « hérisson » est reflété par le catalan escurçó « vipère », le castillan escuerzo « crapaud » ; et l’arabe andalou >qalabbaq< = dans Alcalá g/calàpaq « tortue », l’est
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l’augmentatif {+ÓN}, dans VA >ǧurr+ūn< « grande jarre », de l’arabe standard /ǧarrah/ avec harmonisation vocalique, dans VA >šayrūn< « couffin », du roman ŚÉRA, emprunté par l’arabe standard /šáyra/ ; l’agentif et le locatif {+ÁYR}, comme dans VA >zall+ayr< « fornicateur », formé sur l’arabe standard {zll} « trébucher », >uškuṭ+ayr< « écuyer », >miḫš+ayr< « cratère à mélanger les boissons », dans Alcalá jabáyra « bourse », formé sur l’arabe standard /ǧayb/ « poche », d’où le portugais algibeira ; le péjoratif {+ÁČ}, comme dans VA >ḫazz+aǧǧ< « soie de basse qualité », de l’arabe standard /ḫazz/ « soie », d’où le castillan azache, et >ḥaṭr+aǧ< « sot, bavard », ultra-correction phonétique de l’arabe /haḏ/tr/ ;6 l’attributif {+ÁK}, comme dans le catalan aumastecs « cames d’une roue hydraulique », du roman *M/BÁST « bâton », dans IQ 132/2/3 et 151/1/2 >ḫal(l)āq< « pigeon apprivoisé pour attirer les femelles à son colombier », de l’arabe classique /ḫalāʔ/ « le dessert » ;7 et l’augmentatif-péjoratif {+ÓT}, comme dans ZJ 1471 >manḫarūṭ< « qui a un grand nez », dans Alcalá poxóta « colin », dont la suffixation est claire, non ainsi le substantif suffixé et vocaliquement harmonisé.8 Quant les suffixes non productifs, adoptés par l’arabe andalou en bloc avec les emprunts du roman, ils sont plus nombreux, mais sans aucune fonctionnalité ni rôle grammatical dans ce faisceaux dialectal : comme dans le diminutif {+ÓL} dans VA >ṭawǧūl< « sorte de flèche », du roman *TÓČO « bâton » ; les péjoratifs {+ÚK}, comme dans Alcalá narúqua « crapaud », une métathèse dans MT >ranūq/k< « têtard », tous deux dérivés du roman RÁNA « grenouille » ; et {+ÚČ}, qui semble présent dans VA >murrūš< « petit miroir », à partir de l’arabe andalou /mi/urá/ < arabe standard /mirʔāh/ ; l’attributif {+ÍN}, comme dans VA >burǧīn< « porcin », >qanīn< « canin » ; l’adjectival {+ÁL/R} comme dans IQ >ištibār< « plaine couverte de cistes », dans VA >urṣāl< « (pomme) qu’on conserve dans des jarres », >sarwal< = dans Alcalá çárgual « cyprès » de l’arabe standard /sarw/ avec le suffixe {+ÁL}, caractéristique des noms d’arbres en roman ; le participial {+Á/ÍT} comme dans IQ 82/7/4 où le verbe >kinnaṭabyaṭ< « je me parerai » a été dérivé du participe roman || par le castillan galápago avec la même signification, mais aussi par le catalan calàpet « crapaud », etc. On observe parfois que quelques changements de dénomination semblent avoir eu pour but de circonvenir les interdictions alimentaires islamiques, comme dans le cas des escargots, souvent appelés avec leur nom latin /qáwqan/, au lieu de l’arabe standard /ḥalazūn/, ou avec le berbère /aġlál/, comme dans ZJ 626, et (al)maeza à Murcia, c’est-à-dire arabe andalou /maʕíza/ « chèvre », traduit en catalan d’Alicante comme cabreta. Cela pourrait également expliquer d’autres substitutions affectant les lézards et les grenouilles, comestibles dans quelques régions de la Péninsule Ibérique, même sous la domination islamique et en dépit du fait qu’ils n’étaient pas ḥalāl. 6 Voir Corriente 1993b. 7 Voir Corriente 1997 : 165. 8 Corominas 1954 III : 785 croyait qu’il s’agissait d’une métonymie du roman /PIŚ(Ś)A/ « membre viril », d’origine onomatopéique, mais l’adoption hâtive d’une racine {pšš} par l’arabe andalou suggère un entrecroisement des acceptions physiologique, sexuelle et ichthiologiques, a cause de la proximité du roman PÉŠ « poisson ».
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/ATABYÁT/ « paré »,9 dans GL >fa/irrāṭ< = dans Alcalá firrát « encre contenant du fer », dans Alcalá pavjáta « auberge », du bas latin pausata avec transfert de la fonction de participial à celle de locatif.10 En outre, les suffixes romans plus proches fonctionnellement se sont souvent échangés, comme dans Alcalá où xarrín « gouet » semble refléter le roman andalou /ŚARÉLO/, un diminutif du latin arum, ce qui pourrait n’être qu’une alternance de consonnes sonores, mais on a relevé dans DS >taḫtaǧ< « planche de bois », tiré d’Ibn Ǧanāḥ, synonyme de l’exemple dans FJ >taḫātīl< pluriel d’un */taḫtíl/, ainsi que l’exemple dans VA >ḥaṭral/ǧ< « sot » et d’autres emprunts à des langues ibéroromanes qui montrent l’emploi de ces suffixes parfois accumulés {+ÁYR}, {+ÁK},{+IK}, {+ÓK}, {+ÓN}, {+ÍN} et {+ÓL}, tels que les exemples en castillan faltriquera, aldraguero, aladroque, baladrón, catalan fadrí y aldarull (Corriente 1993b).
5.3.3 Syntaxe L’interférence syntaxique du roman sur l’arabe andalou était inévitable dans les circonstances démographiques de l’arabisation d’al-Andalus. En conséquence, même dans les textes qui s’éloignent le plus du style imparfait des bilingues, caractéristique de MT ou d’Alcalá, on trouve des constructions sans pareil en néoarabe, dont l’explication la plus probable est l’acceptation régulière en arabe andalou de quelques traits de la syntaxe romane substratique. La concordance de quelques substantifs n’est parfois pas celle attendue en arabe standard ou en néo-arabe : on observe en effet un changement de genre coïncidant avec celui du roman pour mots comme /ʕáyn/ « œil », /šáms/ « soleil » et /nár/ « feu », féminin en arabe standard mais masculin en roman, comme dans IQ 87/10/2 >ʕaynan akḥal< « un œil noir », 32/6/2 >šamsan ḏ.āhir< « un soleil clair », dans AC 507 /ḥaláf annár alla yiḫallí la yábis wala aḫḍár/ « le feu jura qu’il ne laisserait ni du sec ni du vert » ; alors que /má/ « eau » et /dá/ « maladie », masculins en arabe standard, sont traités comme des féminins en arabe andalou, comme dans ZJ 177 /almá tihabbáṭuh/ « l’eau le fait descendre », dans GL 162 >aldāʔ alsawdā< « l’épilepsie (littéralement la maladie noire) ». Le remplacement systématique des pronoms possessifs par l’article défini est commun dans les langues néo-latines de la Péninsule Ibérique, à la différence de l’arabe standard, mais en arabe andalou on trouve des constructions du premier type comme dans IQ 12/3/2 >falmaḥāǧim zúzzu< « souffletez sa nuque», dans ZJ 487 /ʕasá yiǧíh alminqár falásṭ/ « dans l’espoir que son bec atteigne son derrière », dans
|| 9 Voir Corominas 1954 I : 317 sur l’origine gothique de ce mot, castillan et portugais ataviado, dont la présence en arabe andalou n’avait pas été suspectée avant Corriente 1980. 10 Il y a eu d’autres suffixes renseignés plus rarement (Corriente 1992 : 127-131).
Les ingrédients romans | 233
ZJ 769 /ǧazá annáms bázqa falúč/ « la rétribution du furet est un crachat dans sa figure ». Il est connu que le système aspectuel de l’arabe standard a cédé du terrain face au système temporel dans tout le néo-arabe, probablement à cause de l’imitation des langues substratiques, araméen, grec, copte et bas latin ou plutôt proto-roman.11 Pour l’arabe andalou, et toujours en excluant de toute considération les sources qui ne sont pas strictement natives, la fréquente utilisation des imperfectifs dans la protase et/ou l’apodose des propositions conditionnelles et du perfectif en fonction d’optatif décèlent une identification du perfectif avec le passé, et de l’imperfectif avec le non-passé, assez proche de la caractérisation d’un système temporel. D’autres exemples cités de Corriente 1977, Corriente 1992 et Corriente 2012b, extraits d’Alcalá et de MT, ne sont pas vraiment valables, à cause des doutes sur la compétence linguistique en arabe andalou de leurs auteurs bilingues, surtout dans le premier cas. Le système prépositionnel de chaque langue contient non seulement des séries limitées de termes avec quelques fonctions très restreintes, mais on les utilise aussi d’une façon parfois très caractéristique, qui ne serait pas normale dans une autre langue, dans une traduction littérale. Cela est évidente, dans les cas du français chez, de l’anglais at, ou de l’allemand von, qui illustrent la facilité de commettre des solécismes lorsqu’on ne connait pas bien ces termes, ni les tournures et les règles particulières de leur usage. L’interférence linguistique permettent certaines violations à ces règles, comme dans le castillan qui a adopté les idiotismes français ‘à l’anglaise’ > a la inglesa, mais cela ne signifie pas du tout l’adoption de toutes les possibilités sémantiques du français ‘à’ : au contraire, c’est l’irrégularité de cet usage de la préposition a en castillan qui nous signale la présence d’un gallicisme, bien que parfaitement accepté dans ce cas. De la même façon, dans le cas de l’arabe andalou, on trouve des expressions comme dans VA >min ʕām< « d’un an », en bon arabe standard /ibnu sanatin/, dans ZJ 669 /biḥál ṣilbáḥ ma yumút ḥattá yuḏbáḥ/ « comme les anguilles, qui ne meurent pas avant qu’on ne les égorge », où un locuteur de l’arabe standard comprendrait « sitôt mortes, on les égorge », ou dans ZJ 1474 /man mát waládu rabíb yiǧíh lalláyl/ « celui dont le fils meurt, aura à la nuit un fils adoptif ». Dans le deux cas, on a calqué les tournures romanes, égales à celles qu’on trouve en castillan hasta et a la noche, et les exemples de cette situation sont nombreux, même dans les sources de l’arabe andalou dont on suspecte moins de fautes d’incompétence.
|| 11 Le cas du berbère, où la conjugaison principale du verbe exprime le passé, le duratif est nécessaire pour le présent, et le futur est plus proche du système aspectuel de l’arabe standard, mais la complexité morphologique de ce dernier semble avoir empêché son influence substratique sur les dialectes nord-africains et l’arabe andalou, dans la mesure où celui-ci peut hériter de quelques traits de l’arabe souvent berbérisés des premiers envahisseurs.
234 | Panchronie
Cette situation se répète avec d’autres idiotismes dans tous les cas des langues avec des substrats actifs, et nous trouvons beaucoup d’exemples dans l’arabe andalou, comme dans VA >naʕmal lak mawḍaʕ< « je te fais la place », >kif tudʕā< « comment t’appelles-tu ? », >naḫruǧ liwildī< « je ressemble à mon père », dans ZJ 1790 /qáḥbah biwalád lis tasáʕ fi balád/ « une prostituée avec un fils n’a pas sa place dans une ville », au lieu du bon arabe /ufsiḥu lak/, /ma+smuk/, /ušbihu abī/ et /lā yasaʕu baladun qaḥbatan biwalad/ dont la syntaxe a été remplacée par les modèles romans, comme dans le castillan « te hago sitio», « ¿cómo te llamas? », « salgo a mi padre » et « una ramera … no cabe en ciudad ».
5.4 L’arabe classique L’arabe classique a exercé une influence suprastratique sur toutes les variantes du néo-arabe, à l’exception presque totale du maltais, à travers les registres hauts et les modèles d’éloquence dans une société islamique, auxquels même les Chrétiens et Juifs ne pouvaient se soustraire totalement. Pour l’arabe standard, un article de Corriente (1981-1982) fait état des interférences phonologiques, morphologiques et lexicales de l’arabe standard, relevées dans quelques sources principales (telles que VA et Alcalá) ; les interférences syntaxiques sont moins abordées, telles que la forme de pseudo-corrections, parmi lesquelles l’inhibition de quelques règles concernant les réalisations de quelques phonèmes, et les résultats de l’évolution des morphèmes, ou la présence de vieux mots oubliés par les registres moyens et bas de l’arabe standard. Quant à la syntaxe, les interférences de l’arabe classique apparaissent surtout dans les poèmes d’auteurs cultivés, ne sachant pas oublier leur éducation, et dans les prières des missionnaires,12 sachant qu’on ne parle pas à Dieu en dialecte, et se procurant l’aide des personnes ayant une bonne connaissance de l’arabe standard, mais avec des mauvais résultats la plupart du temps, à cause d’une situation sociolinguistique compliquée, faute de compétence des ceux qui étaient disponibles pour cette tâche parfois assez difficile, ainsi que par leur crainte d’une traduction trop libre, ou simplement autre que strictement littérale, d’un contenu dogmatique. Il faudrait étudier ces interférences à nouveau, tout en considérant que, surtout dans les cas de la syntaxe, il ne s’agit pas d’un simple remplacement des formes dialectales par celles de l’arabe standard, mais plutôt de véritables changements de code (codeswitching), dans lesquels, à cause de l’inadéquation du dialecte avec quelques effets, ou comme une exhibition de compétence, on vise à insérer des phrases en arabe classique au milieu d’un discours en registre moyen.
|| 12 Voir Corriente 2008d et Corriente 2012c.
L’arabe classique | 235
Ce n’est pas le lieu ici d’approfondir le sujet de l’interférence de l’arabe classique sur l’arabe andalou, ce qui serait en fait un traité sociolinguistique, mais les différentes versions du texte du Notre-père suivantes permettent d’établir des comparaisons : a) la version officielle en arabe classique,13 b) la version en maltais14 et les deux traductions d’Alcalá15 en c) et la version dans DC 5a/b en d) : a) /abāna+ llaḏī fi+ ssamāwāti, liyataqaddasi+ smuka, liyaʔti malakūtuka, litakun mašīʔatuka fi+ lʔarḍi kamā fi+ ssamāʔi, aʕṭinā ḫubzana+ lyawmiyya, wa+ġfir lanā ḏunūbanā kamā ġafarnā naḥnu lilmuḏnibīna ilaynā, walā tudḫilnā fi+ ttaǧribati lākin naǧǧinā mina+ šširrīri/. b) Missierne, li inti fis-smewwiet, jitqaddes ismek, tiġi is-saltna tiegħek, ikun li tridi nt kif fis-sema u hekkda fl-art, ħobzna taʔ kull jum atina illum, aħfrilna dnubietna bħalma naħfru lil min hu ħati għalina, la ʔddaħħalniex fit-tiġrib, iżda eħlisna minn kull deni. c) Abéne alleḍi fi cemeguét. Cudúçun ízmuq. Téti melecútuq. Ticúnu mexíatuq filardi quemé fi cemé. Ḳobzana culliáum aâtínehu fi héḍe al yáum. Gua agfír line ḍunúbene quemé nagfíru náhnu limen yaçú yléina. Gua le totḳílna a tajárib, léquin negína min a xarr. d) Huíldine, alledí énte fe cemehuét, yetqueddéç íçmeq: múlqueq higíline: ticír irádataq quemé fa çamé cadhé fal árd: hóbzena matá culliém ahtíh léne eliém huá agfér lena dhunúbene, quif hénna nagféro le aâdéna: huá le teçóqna le tajárib: léquin negíne men cúlli dún. On observe que DC n’a pas du tout cherché à atteindre le registre élevé de l’arabe standard, mais a un style assez vernaculaire, où on ne peut guère condamner que l’insertion étrange pour la syntaxe arabe du pronom énte après alleḍi (tout comme en maltais !) et l’inversion de la position normale du complément hóbzena matá culliém, bien que tolérable comme un cas de iḫtiṣāṣ, mais en fait exigée par la littéralité cherchée de la traduction. En dépit de la relation incontestable entre tous ces textes, à cause des connexions entre les différentes églises pendant le Moyen Âge, lorsqu’il a fallu se procurer des traductions des textes basiques du christianisme, afin d’éviter que la plupart des croyants disent des bêtises lorsqu’ils devaient faire leurs prières dans les langues liturgiques, latin, grec ou syriaque, la situation est très différente dans le texte d’Alcalá, clairement rédigé dans une langue qui se veut classique, mais avec de nombreuses fautes, comme le manque de marquage du jussif dans Cudúçun ízmuq, Téti et Ticúnu, le genitif culliáum au lieu de culla, la vocalisation dialectale de line, et le pluriel yaçú au lieu de yuçí.
|| 13 Selon Matthieu VI, 9-13, Alkitābu lmuqaddas, Bible Societies, 1993. 14 Selon Sutcliffe 1936 : 215. 15 Selon Lagarde 1883 : 31-32.
6 Textes en arabe andalou 6.1 Poésie 6.1.1 Le proto zaǧal de l’an 9131 Texte: /labán úmmu fi fúmmu: rás ban ḥafṣún fi ḥúkmu/. Traduction : « Il a (encore) dans sa bouche le lait de sa mère : Mais il a la tête d’Ibn Ḥafṣūn dans son pouvoir ».
|| 1 Il s’agit de deux lignes seulement, dont la première fut une invective d’un des assiegés contre un très jeune ʕAbdarraḥmān III dans la forteresse de Juviles, dans les régions contrôlées par le rebelle Ibn Ḥafṣūn, à laquelle un muletier de l’émir Omeyyade répondit avec ce vers caustique, gagnant ainsi une bonne récompense de son maître. Le mètre en est le mustaṭīl, une inversion du ṭawīl, comptée parmi les abḥurun muhmalah, depuis Alḫalīl, et assez utilisées dans la poésie strophique andalouse (Corriente 1997b : 35). On trouve déjà ici les licences habituelles et caractéristiques de l’adaptation accentuelle andalouse (taḥwīr) du ʕarūḍ classique, comme la substitution de fāʕilātun par mafāʕilun au commencement du deuxième vers, et la tolérance de /ban/ comme syllabe brève non-accentuée (Corriente 1997b : 79 et suivantes). L’extraction populaire de deux versificateurs prouve que le vulgue avait appris à composer ces proto-zaǧals selon une interprétation simplifiée de la métrique arabe classique que personne ne comprenait en Al-Andalus avant les explications qu’en donna ʕAbbās b. Firnās, quelques décennies plut tôt, dans les jours de l’émir ʕAbdarraḥmān II (Makkī & Corriente 2001 : 138). L’invention du muwaššaḥ, un musammaṭ ou poème strophique inventé en Orient en langue classique, mais déjà avec un ḫarǧah ou refrain en dialecte, donc un proto-zaǧal, attribuée par Ibn Bassām au presque mythique « poète aveugle de Cabra », à l’époque de l’émir ʕAbdallāh, se situe donc entre ces deux jalons chronologiques, quelques décennies avant le proto-zaǧal de l’an 913.
238 | Textes en arabe andalou
6.1.2 Le zaǧal nº 12 d’Ibn Quzmān (m. en 1160)2 Texte: 0 1
2
3
4
5
6
7
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/yahníkum, yahníkum! yassáru+ nnuqáyra wa+llah+alláh aššíz waʔin+ amkán pandáyr wazzamír, ya aṣḥáb, qannaʕú+li qázzi wahu lábis ḫúldi waʕaláyh ḥazázir la tiqílu, balláh, qarawíkum wáqif: waman+asqáṭ náġma zúhra, máryam, ʕáyša! walwálu, quḥáybaš, aʕmálu lalqáḍi faburúru wáǧib ay ġulám, ya qáwmi, addakkám, bismi lláh! yuǧád assáyf ḥáḍir waʕimáma báyḍa falʕaráb li ṣáwla yassáru náqatkum áš tuqúl falġázi ʕala yáddu kaššáš, wariṯáh, iḏ yarṯí wakaḏá qáṭ yaflát qad ǧá sírran ʕáli: asáb kálban abyáḍ, kaʕʕáku alʔaḏnáb faʔiḏá kán ġúdwa, kúllukum naʕšáqkum,
ʕan qaríb niǧíkum. waǧʕálu+ddúf lalyád. la yafarráṭ fih ḥád, fazziyáda aǧwád, azzamír yaḥyíkum. biqináʕan sáyil biʕaláman kámil, kama ǧát min bábil; faʔaná nadríkum. almaláʕib húzzu! falmaḥáǧim zúzzu! áynukum? ahtázzu! ballaḏí yahdíkum! min maḫádid kúrsi man yukún min ǧínsi: kaḏá huwa ínsi? ayna qúnbur fíkum? walhamáyim tuḥḍár waḫimáran aḥmár. la ġiná an taḏ.hár: yassáru ʕibríkum! waššuwáyyaḫ mabḫúr wahu, bállah, maʕḏúr, walluʕáb falqašdúr, wahu báyn aydíkum? man la yarqúd yamráḍ: asáb, kálban abyáḍ! warqúdu falmarbáḍ, qúmu, yuṣṭád bíkum. bannabí, ḥibbúni:
|| 2 Que nous avons choisi à cause de sa célébrité parmi ceux qui se sont occupés de la poésie strophique andalouse, le Prof. J.T. Monroe (1979) ayant même fourni une traduction complète vers l’anglais qui permet d’évaluer les progrès réalisés dans ce domaine, quand on la compare, n’étant pas un des poèmes plus problématiques du dīwān, d’abord avec celle de García Gómez 1972, et depuis avec celles publiées par Corriente (1984, 1989 et 1996) sous les titres El Cancionero hispanoárabe de Ibn Quzmān et Cancionero andalusí. Le mètre est une variété du madīd, fāʕilātun faʕlun, avec les licences habituelles dans ces genres.
Poésie | 239
dúnukum las nafráḥ in ǧará šáy fíyya aw ǧará šáy fíkum
wala ántum dúni; kúllukum tabkúni, [faʔaná nabkíkum]/.
Traduction: 0 1
2
3
Au revoir, au revoir, je reviens à vous vite ! Préparez le tambourin, et tenez le tambour de basque sous la main, mais, pardieu, avec les baguettes personne ne doit s’excéder. Si on pourrait avoir un tambour, il serait mieux de l’ajouter, mais le son de la flûte, voilà ce qui vous donne la vie. Voilez-moi Qazz avec un voile léger,3 portant des habits de taffetas avec passemanterie entière, et avec des amulettes comme ceux qu’on amène de Babylone : ne faites pas de siestes, car je vous connais bien ! Votre « rustre » est inactif : mettez en scène les attractions,4
|| 3 Le manuscrit a >q.rra< que tous les éditeurs avaient accepté comme Qurrah, car ce nom propre existe en arabe standard, mais dans notre dernière édition de Rabat 2013, après avoir comparé ce nom avec le Qunbar de 4/4, un autre homme dans un rôle de femme, semble-t-il, nous croyons qu’il s’agit de deux éphèbes comme ceux qui les substituaient souvent dans les troupes de ce théâtre primitif, et que ces deux mots étaient des allusions à leur poil facial, « soie » et « tissue des fibres des noix de coco », selon le degré du son croisement qui les rendait moins attrayants aux sodomites. Quant à >māyil< « incliné », aussi dans le manuscrit, mais avec un trait assez long après le >msāyils< sont faciles à confondre ; une autre possibilité serait >lam naqdarraǧab : alliyiuṣumu yastawǧab ʕala allah ṯalaṯ maḫfira fimasalaf waʕusma lalabaqa min ʕum ru min aḏunub wayinaǧih allah min alʕaṭaš yawmalʕarḏi alakbar. awwillaylamanu yatilafu almalayika mita asama wati walarḏi. faṯuluṯay alaḫiriʔa ḥawla alkaʕba wayaṭṭubbu la allah ina yaḫfir aḏunub lalayiṣum ḏi ašahar. alḫamis yūṣam waʔalayla mita aǧǧumʕa qab alʕiši … alaḫir ʔyt naḥšar rakʕā wabaʕda an yisalam wahū ǧilis yi qulṣabʕin mara : allahuma ṣallī ʕalà muḥamad alnabī alumī waʕala alihi, wahusaǧid yi qul ṣabʕin mara : qquddussun qquddussun ṣubbuḥḥun ṣṣubbuḥun rabbi almalayikati waruḥ …. wayaf talyalaz ǧilis wayiqulṣabʕin mara : rabbi aḫfir li waʔarḥamni wataǧawaz an mataʕ lam. inna ka an ta alʕaliwu alaʕḏ.am. wayaf talyas ǧi… yi qulah ṣabʕin marat anuḫra wayaṭub allah inna yaḫfir ḏunubu. falʕaš ra ayim alawiliʔa yaʕmal ʕašra rakʕat …ʕdan yisalam yi qul ašhadu llā ilaha ilā allaha …ahu lā šarika lahu lahu almulkū walahu alḥamdu … wayamit wahuwa ḥay alā yamut biyadihi alḫayr … hū ʕalà kuly šayyin qadirun. wayi qulw allahu mā lamani liman ʕaṭayṭa walamuʕṭi liman māniʕta, yi qul walā yanfaʕu ḏa ilǧadi minka alǧadi. falʕašra alwasṭiʔa yi qul aṯalaṯ qawlat mita alawiliʔa wayawfī aḥadan ṣa madan lam yataḫiḏ saḥibatan walā waladan. falʕašra alaḫiriʔa yi qul ašhadu lā ilaha ilā allaha waḥdahu lā šarika lahu lahu almulku walahu al … yuḥyī wayamit wahuwa ḥay alā yamut, biyadihi alḫay … wahū alà kulī šayyin qadirun. allahuma
|| 33 Selon Díaz García 1981, qui publia les fac-similes avec une transcription, une traduction espagnole et l’étude de ces feuilles détachées ou des copies d’un livre perdu. Il s’agit d’instructions et de prières tirées du Qurʔān, bien que pas toujours littéralement, donc, en arabe classique, mais les corruptions graphiques et textuelles, à côté d’expressions en pur dialecte souvent intercalées donnent une image instructive de ce qui est devenu l’arabe au Sud d’Al-Andalus dans sa phase finale. L’imālah intense n’affecte pas, sauf deux exceptions, que les mots dialectaux, ainsi que la chute du /n/ dans le suffixe du duel, mais la présence du /ʔ/ est tout à fait aléatoire ; la gémination est très rarement marquée, et d’une façon infra-correcte dans les premières et dernières consonnes de quddusun et subbuḥun, les pseudo-corrections de la vélarisation sont fréquentes, parmi lesquelles le /ṭ/ au lieu de l’infixe /+t+/ dans >ḫamisṭaḥšarhū< aussi dans le texte coranique, au côté de /huwa/.
Prose | 257
ṣaly ʕala … muḫamad alnabi alumi waʕala alihi, walā ḥawla walā quwa … ilā biʔalalahi alʕali alʕaḏ.īm. nahar 27 buʕiṯsayid alḫal, nahar 15 amar allah tarǧaʕ alaqibla la alkaʕba. … ban : fiḫamisṭaḥšar manu nasḫalaǧilī …miyatrakʕa balḥam d wa 10 min ṣurat aliḫlastatilifyaṭub< ne semble pas refléter aucun phénomène phonétique, mais la simple maladresse du copiste, qui a commis d’autres fautes de vocalisation et ductus consonantique. 39 Inspiré de Qurʔān 97.4 : « et les anges et l’Esprit descendent cette nuit avec la permission de leur Seigneur… ». 40 Inspiré de Qurʔān 24.118. 41 Dans le manuscrit >alʕaliwu< n’est que le résultat de l’ignorance du copiste de la forme correcte arabe standard >alʕaliyyumāniʕta< du manuscrit est ultra-correcte à deux égards, l’utilisation du schème L = III et l’/i/ devant /ʕ/. 45 Cette imālah intense au milieu d’une prière est exceptionnelle. 46 Presque littéralement cité du Qurʔān 72.3. Le refus de l’idée d’un « fils de Dieu » se répète dans le Qurʔān, comme dans 39.4, 25.2, 19.91, 111.1-3, etc. 47 Dans le manuscrit >muḥamad< n’est qu’une erreur du copiste. 48 L’addition de ce /q/ par l’éditeur semble opportune, car l’épithète ‘seigneur des mondes’ était appliquée à Muḥammad. La date suivante est, en effet, traditionnellement acceptée comme celle de l’annonce au Prophète de sa mission. 49 C’est-à-dire, numéro 112, appelée « de la sincérité » (sūratu lʔiḫlāṣ).
Prose | 259
il dira : « Mon Dieu, aucun ne peut refuser à celui à qui Tu donnes, ni donner à celui à qui Tu refuses ». Il dira : « Et les dons ne sont pas utiles contre Toi à ceux qui les ont ». Dans les dix (jours) du milieu, il dira les trois phrases des premiers et ajoutera : « Unique, éternel ; il ne prit amie ni fils ». Dans les dix (jours) finaux, il dira : « Je témoigne qu’il n’y a aucun dieu sauf Allah, n’ayant aucune associé, à Lui la royauté, et à Lui la louange ; il fait vivre et mourir, Lui étant vif et ne mourant. Dans sa main est le bien ; Il est le Haut et ToutPuissant. Mon Dieu, que votre prière soit sur le Prophète illettré Muḥammad et sur sa famille. Il n’y a pas de grâce ni force que dans Dieu, le Haut et Grand ». Le jour 27 le seigneur de la création fut envoyé. Le jour 15, Dieu ordonna que la direction de la prière (qiblah) était à nouveau la Caaba. šaʕbān : le 15 de ce mois à lieu l’abrogation des termes accordés de vie.50 Il fera 100 inclinations avec la louange et 10 récitations de la sourate 112 ».
6.2.6 Un passage du texte aragonais du ḥadīṯ ḏilqarnayn (Livre d’Alexandre)51 Transcription phonologique : /qál : fabáynama ḏul qarnáyn yamší iḏ ǧáh raǧúl rákib ʕala ǧawád wadaḫál f+ alʕáskar. qál : faʔaqbálu annás yirídu qátlu, ṯúmma innu qál lahum : « la taqtulúni ḥattá taʕlámu ḫabári ». qál : ṯúmma innahum adḫalúh ʕala+ lmalík. qál : ṯúmma inna+ lmalík saʔálu ʕan ḥálu waman húwwa wakáyf húwwa ísmu. faqál arraǧúl : « naʕám, yayyuha+ lmalík : ámma aná faʔaná abán qandáfa, waʔámma ísmi faʔísmi qandúš ». qál lu : « wamá allaḏí aḫráǧak min árḍak hakaḏá wáḥdak ? » qál lu : « aní ḫaráǧt+ aná wamaráti ʕala wáǧh+ annúzha fabáynama aná kaḏálik iḏ ḫaráǧu ʕaláyya ḫáylan min mata malík almaġríb, f+aḫṭáfu minni maráti waharábt+ aná ḥattá taqábalt máʕakum hahuná, waʔaná, sáyyidi almalík, kúntu ráǧiʕan ila árḍi waʔaḥšúd waʔaġzí árḍ+ almaġríb laʕálla aqdír an anqíḏ amráti min báynahum ».
|| 50 Il s’agit de la « nuit de l’immunité » (laylatu lbarāʔah), dans laquelle les anges secouent l’arbre de la vie, dont les feuilles représentent les vies de chacun, qui mourra dans l’année où sa feuille tombe, ce qu’on appelle l’abrogation des termes accordés de vie (nasḫu lʔāǧāl). 51 Dans le manuscrit trouvé à Almonacid de la Sierra avec d’autres écrits des Morisques, publié par García Gómez 1929, qui décrit les traits dialectaux mêlés à l’arabe classique, dans un document précieux à cause de la rareté des versions occidentales de la Légende d’Alexandre, et des textes arabes andalous aragonais. Malheureusement, il a disparu des lieux où on le gardait, ce qui ne nous permet pas de vérifier l’édition, faite à une époque où la méthodologie ecdotique de ce genre était encore peu développée.
260 | Textes en arabe andalou
qál : falámma samáʕ ḏulqarnáyn maqálatuh qál lu : « aǧlás máʕi ḥattá ila ġád, wanará ma naʕmál fi ḫabárak, in šá alláh/. Traduction : « Et pendant que Ḏulqarnayn marchait, voici qu’un homme montant un coursier arriva à lui et pénétra dans l’armée. Et les gens s’approchèrent de lui, voulant le tuer, mais il dit : ‘Ne me tuez pas avant de connaître mon récit’. Alors, ils le firent arriver à la présence du roi, et celui-ci l’interrogea sur sa personne et comment il s’appelait. Et l’homme dit : ‘D’accord : moi, je suis le fils de Candace, et mon nom est Qandūš’. Il lui dit : ‘Et qu’est-ce qui te fit sortir de ton pays tout seul comme cela ?’ Il lui dit : ‘Je sortis avec ma femme pour une promenade, et pendant que j’étais ainsi, voilà qu’une force de chevaliers du roi du Maroc sortit à ma rencontre, ils enlevèrent ma femme, et je fuis jusqu’à ce que je vous trouvasse ici, et moi, monsieur le roi, je retournais vers mon pays pour réunir des troupes et d’envahir le pays du Maroc, afin de pouvoir sauver ma femme.’ Et, lorsque Ḏulqarnayn entendit ses paroles, il lui dit : ‘Reste avec moi jusqu’à demain, et je verrai ce que je vais faire de ton cas, si Dieu le veut’ ».
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